Les marqueurs de sujet de l’arabe standard : analyse et formalisation

27
Les marqueurs de sujet de l’arabe standard : analyse et formalisation Ismaïl Biskri 1 , Louisette Emirkanian 2 et Adel Jebali 3 1 LAboratoire de Mathématiques et d’Informatique Appliquée (LAMIA) Université du Québec à Trois-Rivières 3351, boul. des Forges, C.P. 500 Trois-Rivières (QC) G9A 5H7, Canada [email protected] 2 Département de linguistique Université du Québec à Montréal CP 8888 succursale Centre-Ville Montréal (QC), H3C 3P8, Canada [email protected] 3 Département d’études françaises Université Concordia 1455, boul. de Maisonneuve Ouest Montréal (QC), H3G 1M8, Canada [email protected] RÉSUMÉ. En arabe standard, alors que les pronoms indépendants sont des proformes phonologiquement et morphologiquement autonomes, les marqueurs d’arguments, qu’ils soient sujets ou objets, sont déficients. Lorsqu’ils sont en cooccurrence avec un SN postposé, les marqueurs de sujet, selon la construction dans laquelle ils se trouvent, présentent des asymétries sur le plan de l’accord qu’il faut expliquer. Nous montrerons que l’analyse de Bresnan et Mchombo (1987) permet de rendre compte de ces asymétries en postulant deux types d’accord, l’accord grammatical et l’accord anaphorique. Cette analyse sera formalisée dans le cadre de la grammaire catégorielle combinatoire applicative. ABSTRACT. In standard Arabic, in which the independent pronouns are phonologically and morphologically independent pro-forms, the arguments markers, either subjects or objects, are deficient. When they co-occur with a postpositioned SN, the subject markers, in accordance with the construction to which they belong, show asymmetries from the agreement point of view that we must explain. We will show that the analysis from Bresnan and Mchombo (1987) allows to consider those

Transcript of Les marqueurs de sujet de l’arabe standard : analyse et formalisation

Les marqueurs de sujet del’arabe standard : analyse etformalisation

Ismaïl Biskri1, Louisette Emirkanian2 et Adel Jebali3

1LAboratoire de Mathématiques et d’Informatique Appliquée (LAMIA)Université du Québec à Trois-Rivières3351, boul. des Forges, C.P. 500Trois-Rivières (QC) G9A 5H7, [email protected] Département de linguistiqueUniversité du Québec à MontréalCP 8888 succursale Centre-VilleMontréal (QC), H3C 3P8, [email protected] Département d’études françaisesUniversité Concordia1455, boul. de Maisonneuve OuestMontréal (QC), H3G 1M8, [email protected]

RÉSUMÉ. En arabe standard, alors que les pronoms indépendants sont des proformesphonologiquement et morphologiquement autonomes, les marqueurs d’arguments,qu’ils soient sujets ou objets, sont déficients. Lorsqu’ils sont en cooccurrence avec unSN postposé, les marqueurs de sujet, selon la construction dans laquelle ils setrouvent, présentent des asymétries sur le plan de l’accord qu’il faut expliquer. Nousmontrerons que l’analyse de Bresnan et Mchombo (1987) permet de rendre comptede ces asymétries en postulant deux types d’accord, l’accord grammatical et l’accordanaphorique. Cette analyse sera formalisée dans le cadre de la grammairecatégorielle combinatoire applicative.

ABSTRACT. In standard Arabic, in which the independent pronouns are phonologicallyand morphologically independent pro-forms, the arguments markers, either subjectsor objects, are deficient. When they co-occur with a postpositioned SN, the subjectmarkers, in accordance with the construction to which they belong, showasymmetries from the agreement point of view that we must explain. We will showthat the analysis from Bresnan and Mchombo (1987) allows to consider those

asymmetries by postulating two types of agreement: the grammatical agreementand the anaphoric agreement. This analysis will be formalized within the frameworkof the applicative and combinatory categorial grammar.MOTS-CLÉS : grammaires catégorielles ; pronoms ; marqueurs d’arguments ; arabe ;asymétries de l’accord.KEYWORDS: categorial grammars ; pronouns ; argument markers ; Arabic; agreementasymmetries.

1. Introduction

L’arabe standard1 présente un système complexe deformes qui peuvent être qualifiées de pronominales. Ondistingue traditionnellement d’une part des formesindépendantes et d’autre part des formes conjointes, quiregroupent les morphèmes prosodiquement déficients. Lesformes conjointes présentent un défi tant au niveau deleur statut morphologique que morphosyntaxique. Plusparticulièrement, sur le plan morphosyntaxique, ils’agit de déterminer si ces éléments sont des argumentsou des non-arguments. Ce sont certains des marqueurs desujet qui posent le plus de problèmes, en particuliersur le plan de l’accord. Nous les examinerons de près,dans différentes constructions qui présentent desasymétries sur ce plan. Nous démontrerons également queles grammaires catégorielles peuvent rendre compte deces types de constructions. Pour ce faire, les typescatégoriels ne seront pas uniquement de naturesyntaxique. Ils seront étendus pour représenter desdonnées morphologiques pour la personne, le genre et lenombre.

Après avoir rappelé brièvement les particularités dusystème pronominal de l’arabe, nous nous attacheronsd’abord à décrire les formes conjointes en mettantl’accent sur les différences entre marqueurs de sujet etmarqueurs d’objet. Puis, les traits d’accord de cesmarqueurs seront étudiés dans trois types deconstructions, les structures disloquées, redoublées etcoordonnées. Ensuite, nous nous pencherons sur leurstatut morphosyntaxique à la lumière des travaux deBresnan et Mchombo (1987). Enfin, sur des exemplesconcrets, nous présenterons les étapes de nos analysescatégorielles et discuterons de leur adéquation. Nousaurons au préalable donné une brève description dumodèle formel de la grammaire catégorielle combinatoireapplicative ainsi que du cadre formel général du typagecatégoriel.

1 Nous référons ici aux deux variétés historiques que sontl’arabe classique et l’arabe moderne.

2. Le système pronominal de l’arabe

En arabe standard (AS), nous distinguons deuxensembles d'éléments pouvant être qualifiés de formespronominales selon les critères proposés par Bresnan(2001) : les formes indépendantes et les formesconjointes2.  En effet, qu’elles soient indépendantes ouconjointes, ces deux formes peuvent changer de référents(propriété sémantique), référer à des topiques(propriété informationnelle) et être classées selonleurs traits morphosyntaxiques (propriétémorphosyntaxique). Ces deux ensembles diffèrentcependant de par leur fonctionnement.

Les formes indépendantes, que nous désignons par leterme pronoms indépendants, sont des proformesphonologiquement et morphologiquement autonomes, ellesremplacent des syntagmes nominaux. L’exemple (1)présente le pronom indépendant huwa3 :

(1) huwa katab –a ?er- risaalat –a

Lui écrire.PER -3MS la- lettre -ACC« C’est lui qui a écrit la lettre. »

Ces pronoms indépendants, pouvant porter un accentprincipal, sont facultatifs lorsqu’ils sont employésdans une phrase verbale comme en (1) et sont associés àdes effets d’emphase4.

Le pronom indépendant est en revanche obligatoire dansune phrase équative du type de celle en (2), avec lepronom nominatif hunna :

(2) hunna ?akhawaat –u Mohammad –in Elles sœurs -NOM Mohammed -GÉN

2 Cette classification correspond à celle proposée par lesgrammairiens de la tradition, Sibawayhi par exemple.3 Nous adoptons la méthode suivante pour les gloses. Lespronoms indépendants seront glosés par les pronoms toniques dufrançais correspondants, les marqueurs d’arguments le serontpar les marques morphologiques de genre, F(éminin) ouM(asculin), de nombre, S(ingulier), D(uel) ou P(luriel), depersonne, 1, 2 ou 3 et enfin de cas NOM(inatif), ACC(usatif)ou GEN(itif). De plus, PER représente le perfectif (accompli).4 Nous traduisons l’emphase par la structure clivée.

« Elles sont les sœurs de Mohammed. »Nous empruntons à Auger (1994) le terme neutre

marqueurs d’arguments pour désigner les formes conjointes.Ces morphèmes prosodiquement déficients encodent lestraits des arguments auxquels ils sont associés ouqu’ils remplacent.

(3a) présente un exemple de marqueur de sujet –naa(1MP) et (3b), un exemple de marqueur d’objet -hu(3MS) :

(3) a. katab –naaécrire.PER -1MP

« Nous avons écrit. » b. ra?ay –naa –hu

voir.PER -1MP -3MS« Nous l’avons vu. »

Nous consacrons les deux paragraphes suivants à cesformes conjointes, en mettant l’accent sur leursressemblances et leurs différences selon qu’elles sontmarqueurs de sujet ou d’objet.

2.1. Les marqueurs d’arguments

Lorsqu’ils sont contrastés aux pronoms indépendants,les marqueurs d’arguments constituent un groupehomogène. Ils sont phonologiquement dépendants puisqu’onne les trouve que dans un état d’attachement. Ce sont engénéral des enclitiques5.

Contrairement aux pronoms indépendants, d'un point devue purement phonologique, les marqueurs de sujet etd’objet ne peuvent être accentués, focalisés ou mis envaleur, comme le soulignent Bloch (1986) et Eloussfourri(1998). Ils sont toujours pragmatiquement neutres; seulsleurs équivalents indépendants peuvent être accentués.

5 La composition de l’imperfectif est plus complexe, etdifférentes analyses ont été proposées pour en rendre compte.On peut se reporter aux travaux de Lumsden et Haleform (2003)ainsi qu’à ceux de Fassi Fehri (1993), Habash (2007) et Noyer(1992, 1997). Jebali (2009) présente une synthèse de cesdifférentes propositions.

Alors que la coordination de deux pronoms indépendantsest possible (4), les marqueurs d’arguments ne peuventêtre directement coordonnés; il est nécessaire derépéter leur hôte comme nous le montre l’oppositionentre (5a) et (5b) pour les marqueurs d’objet et entre(5c) et (5d) pour les marqueurs de sujet :

(4) ?anaa wa ?anta sadiiq –aanimoi et toi amis –NOM.3MD« Toi et moi sommes des amis. »

(5) a.    *ra?ay -tu -hu wa -haa                                         

voir.PER -1S -3MS et -3FS        b.       ra?ay -tu -hu wa ra?

ay -tu -haa                voir.PER -1S -3MS et voir.PER

-1S -3FS                « Je l'ai vu et je l'ai vue. »   c.       * ji? -tu wa –ta                    venir.PER -1S et -2MS        d.        ji? -tu wa ji?

-ta                    venir.PER -1S et venir.PER -2MS                    « Je suis venu et tu es venu. »De nombreuses différences opposent néanmoins les

marqueurs de sujet et les marqueurs d’objet.

2.2. Les différences entre les marqueurs de sujet et d’objet

D’abord, alors que les marqueurs de sujet nesélectionnent qu’un seul type d’hôte, les verbes, lesmarqueurs d’objet peuvent aussi s’adjoindre à d’autrescatégories : les prépositions, les complémenteurs et lesnominaux. De plus, sur un plan purement morphologique,seuls les marqueurs de sujet sont inclus dans lesfrontières morphologiques de leurs hôtes alors que lesmarqueurs d'objet en sont exclus et s’attachent à desmots déjà bien formés en morphologie. Le comportementdes deux types de marqueurs varie aussi dans lesstructures à opposition corroborative, dans le cas où la

corroboration se fait par des réfléchis. Ces dernierssont formés à partir de certains noms comme par exemplenafs et dhat, qui signifient « âme » ou « personne ». Alorsque la corroboration se fait directement pour lesmarqueurs d’objet (exemple (6)), il est nécessaire pourles marqueurs de sujet d’insérer un pronom indépendantcoréférentiel, comme nous le montre l’opposition entre(7a) et (7b); en (7b) le marqueur de sujet est encooccurrence avec le pronom indépendant :

(6) qaabal –tu –hu nafs –a –hu

Rencontrer.PER -1S -3MS même –ACC -3MS« Je l’ai rencontré, lui-même. »

(7) a. * jaa? –a nafs –u –hu

venir.PER -3MS même –NOM -3MSb. jaa? –a huwa nafs –u

–huvenir.PER -3MS lui même –NOM -3MS« Il est venu lui-même. »

Enfin, les deux types de marqueurs d’arguments secomportent différemment dans certains contextes où ilsse trouvent en cooccurrence avec un syntagme nominal(SN) postposé. Ces constructions sont d’autant plusintéressantes qu’elles présentent des asymétries sur leplan de l’accord; elles font l’objet de la sectionsuivante.

3. Les asymétries de l’accord et les structuresdisloquées, redoublées et coordonnées

Nous examinerons tour à tour trois types destructures. Alors que dans les structures disloquées lecomportement des deux types de marqueurs est identiquedu point de vue de l’accord, nous verrons que desasymétries s’observent dans le cas des structuresredoublées. Cette différence se manifeste aussi dans lecas des structures coordonnées.

3.1. Le cas des structures disloquées

Dans le cas d’une structure disloquée, le syntagmenominal se trouve à la périphérie. Cette structure estassociée à certains effets, comme le contraste oul’emphase (ou encore le changement de topique). Ainsiparallèlement à (8), (9) présente les structuresdisloquées correspondantes6 :

(8) a. Sujet3aad –uuRevenir.PER -3MP« Ils sont revenus. »

b. ObjetRa?ay –tu –humVoir.PER -1S -3MP« Je les ai vus. »

(9) a. Sujet ?al- ?awlaad –u 3aad –uuLes- garçons –NOM revenir.PER -3MP« Les garçons, ils sont revenus. »

a’ 3aad –uu ?al- ?awlaad –u Revenir.PER -3MP les- garçons –NOM « Ils sont revenus, les garçons. »

b. Objet ?al- ?awlaad –u ra?ay –tu

–humLes- garçons –NOM voir.PER -1S -3MP« Les garçons, je les ai vus. »

b’ Ra?ay –tu –hum ?al- ?awlaad –u Voir.PER -1S -3MP les- garçons -

NOM « Je les ai vus, les garçons. »Comme on peut le constater, les marques de genre et

de nombre sont les mêmes sur le marqueur que surl’élément disloqué7. 6 Nous traduisons les disloquées par la structurecorrespondante en français.7 En ce qui a trait au cas, on note que lorsque la dislocationporte sur un objet, l’élément disloqué est au nominatif, qu’ilsoit disloqué à droite ou à gauche.

3.2. Le cas du redoublement

Dans le cas du redoublement, il y a cooccurrence dumarqueur d’argument et d’un constituant (SN) associé àce marqueur, à droite de celui-ci et sans aucune coupureintonative.

Alors que les exemples (9a) et (9a’) présentent desexemples de dislocation, (10) montre un exemple deredoublement :(10) 3aad –a ?ar- rajul –u

Revenir.PER -3M l’- homme -NOM« L’homme est revenu. »

Deux différences sont à noter par rapport auxstructures disloquées. D’une part, les marqueurs d’objetne peuvent se trouver dans une structure à redoublement,comme cela était possible dans les structures disloquées(9b) et (9b’); en effet, que le SN soit à l’accusatif ouau nominatif, les énoncés en (11) et (12) sontagrammaticaux8 :

(11) * ra?ay –tu –hu ?ar- rajul –a

Voir.PER -1S -3MS l’- homme –ACC(12) *ra?ay –tu –hu ?ar- rajul –u Voir.PER -1S -3MS l’- homme -NOM D’autre part, dans le cas des marqueurs de sujet où le

redoublement est donc possible (exemples (10) et (13))l’emploi de cette structure a une incidence surl’accord, comme on peut l’observer en (13) où le nombren’est pas marqué9 :

(13) 3aad –a ?al- ?awlaad –u

8 Dans certains dialectes de l’arabe, en arabe palestinien parexemple, le redoublement avec un marqueur d’objet n’estpossible que dans le cas où le SN est précédé d’unepréposition (Shlonsky 1997) comme dans l’exemple suivant :

fhim -t –haa la- l- m3almeComprendre -1S -3FS à l’- enseignante« J’ai compris l’enseignante. »

9 Dans ce cas, nous glosons le marqueur en excluant la marque du nombre.

Revenir.PER -3M les- garçons -NOM«  Les garçons sont revenus. »

Si l’on observe d’autres exemples avec le féminin, onremarque que le nombre, pluriel ou duel, n’esteffectivement pas réalisé comme le reflètent les énoncésen (14) où le marqueur ne porte que les traits de genreet de personne :

(14) a. 3aad –at ?al- fatayaat –u

Revenir.PER -3F les- filles -NOM« Les filles sont revenues. »

b. 3aad –at ?al- fataat –aani

Revenir.PER -3F les- deux.filles -NOM« Les deux filles sont revenues. »

3.3. Le cas de la coordination

Les structures coordonnées sont égalementintéressantes puisque l’on a, d’une certaine façon, unniveau d’accord supplémentaire. Nous examinons d’abordles disloquées puis les redoublées.

Dans tous les cas de dislocation, que l’on soit enprésence de marqueurs de sujet ou d’objet, l’accord engenre et en nombre se fait avec la somme des valeurs10 ;(15) présente l’exemple d’un marqueur de sujet et (16),celui d’un marqueur d’objet :

(15) jaa? -aa, ?al- bint -u wa l- walad –u

        venir.PER -3MD, la- fille -NOM et le- garçon -NOM

        « Ils sont venus, la fille et le garçon. »

10 En arabe, comme dans la majorité des langues, le masculinl’emporte sur le féminin comme nous le montre l’exemplesuivant où l’adjectif sincères est au masculin duel :Mariem –ou wa Zayd -oun saadiq –aaniMariem –NOM et Zayd –NOM sincères –NOM.MD« Mariem et Zayd sont sincères. »

(16) ra?ay –tu –hum, ?al- ?awlaad –u wa l- banaat –u

voir.PER -1S -3MP les- garçons –NOM et les- filles –NOM

« Je les ai vus, les garçons et les filles. »

Dans les cas du redoublement, tout comme pour lesstructures non coordonnées, la présence de marqueursd’objet est impossible, comme nous le montrel’agrammaticalité de (17) :

(17) *ra?ay –tu –humaa ?ar- rajul –a wa l- mar?at –a

voir.PER -1S -3MD l’- homme –ACC et la- femme -ACC

Dans les structures à redoublement des sujets, toutcomme précédemment pour les structures non coordonnées,l’accord se fait uniquement en genre. De plus, il nes’effectue qu’avec le premier conjoint :

(18) a. xaraj -at al- banaat -u wa al- ?awlaad -u          sortir.PER -3F les- filles -NOM etles- garçons -NOM         « Les filles et les garçons sont sortis. »

b. xaraj –at al- bint –aani wa l- walad –aani

sortir.PER -3F les- deux-filles –NOM et les- deux.garçons –NOM

« Les deux filles et les deux garçons sont sortis. »

En (18a), le marqueur de sujet -at (3F) attaché auverbe xaraj (sortir) s'accorde en genre seulement avec lepremier conjoint albanaatu (les filles) et demeure donc ausingulier. Dans l’exemple (18b), même si le premierconjoint, albintaani (les deux filles), est au duel, l’accord sefait également en genre seulement.

Le fait que l’accord n’est réalisé qu’avec le premierconjoint peut s’expliquer si l’on stipule, comme le font

(Aoun et al. 1994, 1999), que la coordination en arabe estde type phrastique. Une structure du type Vmarqueur de sujet SN[et SN] expliquerait cet accord. Cependant, ces auteursont examiné cette question en mettant l'accent sur lesdialectes arabes contemporains, surtout l'arabe marocainet l'arabe libanais. Il serait intéressant de vérifiersi cette analyse peut s’étendre à l’arabe standard11. 

Nous constatons donc que seuls les marqueurs de sujetpeuvent être redoublés par des SN. Dans le cas desmarqueurs d’objet, seule la forme disloquée estpossible. De plus, le redoublement dans le cas dumarqueur de sujet a une incidence sur l'accord :l'accord ne se fait qu'en genre. On peut alors parlerd'accord pauvre. La dislocation, quant à elle, rapprocheces deux types d'unités puisque l'accord se fait engenre et en nombre pour les deux types de marqueur; onest alors en présence d’un accord riche. Les mêmesasymétries s’observent dans les structures coordonnéesqui, de plus, exigent un accord avec le premier conjointseulement.

Ces différences nous amènent à nous interroger sur lestatut de ces marqueurs d’arguments de la 3e personne.Dans son étude des clitiques du français parlé informel,Auger (1994) distingue deux dimensions à l’étude desclitiques: une dimension morphologique et une dimensionmorphosyntaxique. La dimension morphosyntaxique12 estcelle qui nous intéressera ici. Elle porte sur laquestion de savoir si les marqueurs sont ou non desarguments.

4. Statut morphosyntaxique des marqueurs d’arguments11 Nous prévoyons traiter cette question dans des travauxfuturs.12 Nous laisserons ici de côté la question de savoir si cesmarqueurs sont des atomes de la morphologie ou des atomes dela syntaxe, en d’autres mots si ce sont ou non des affixes.Cette question d’ordre morphologique a fait l’objet denombreuses études (Shlonsky, 1997; Fassi Fehri, 1992,1993,etc.). Notons que comme Auger (1994) l’a démontré, lacorrélation entre le rôle morphosyntaxique et la naturemorphologique n’est pas univoque.

Précisons d’abord ce que nous entendons par argument.L’argument syntaxique est un objet linguistiquesélectionné par une tête, c’est-à-dire qu’il est uncomplément de cette tête13. Un marqueur non-argument, enrevanche, est un marqueur d’accord, un élément dépourvude fonction syntaxique propre. Cet élément réfère à unautre, avec lequel il partage certains traitsgrammaticaux dans une configuration donnée (Auger,1994). Il fait ainsi typiquement partie d’un mot (oud’un syntagme) et apparaît toujours attaché à son hôte.Dans ce qui suit, nous examinerons le statut desmarqueurs de sujet.

Deux approches sont défendues dans la littérature :l’approche flexionnelle et l’approche argumentale.Shlonsky (1997), Eloussfourri (1998), Jelinek (2002) etKenstowicz (1989) sont parmi les tenants de la premièreapproche; ils défendent l’idée selon laquelle lesmarqueurs de sujet sont des flexions verbales quimarquent l’accord entre le sujet et le verbe et sont dece fait des marqueurs d’accord. Les grammairiens arabestraditionnels, ainsi que Fassi Fehri (1993), Jamari(1993) et Lumsden et Haleform (2003), sont parmi lesdéfenseurs de l’approche argumentale, selon laquellecertains marqueurs de sujet peuvent être considéréscomme des arguments malgré leur état d’attachement.

Notre analyse s’appuie sur l’approche de Bresnan etMchombo (1987), une approche argumentale, qui se fondesur la distinction faite entre deux types d’accord :l’accord grammatical et l’accord anaphorique. Lorsquel’accord est grammatical, entre un SN et un marqueur desujet par exemple, le SN est l’argument du verbe alorsque le marqueur de sujet exprime seulement certains destraits morphosyntaxiques de ce SN (la personne et legenre). Lorsque l’accord est anaphorique, en revanche,le marqueur est un argument plein, un pronom anaphoriqueincorporé au verbe, et le SN coréférentiel est un

13 Nous employons ici le terme complément pour désigner toutélément dépendant de la tête, le sujet aussi bien que lescompléments au sens classique.

élément périphérique non argumental, pouvant êtreconsidéré comme un adjoint ou un topique14.

L’approche de Bresnan et Mchombo (1987) s’inscrit dansle cadre de la grammaire lexicale fonctionnelle (LFG) etsert à fournir une analyse des marqueurs desujet/d’objet du chichewa (une langue bantoue). Lesauteurs démontrent que ces marqueurs n’exhibent pas lamême sorte d’accord : si les marqueurs d’objet sonttoujours employés pour marquer un accord anaphorique etqu’ils sont toujours des pronoms incorporés, lesmarqueurs de sujet sont employés d’une manière ambiguëpour marquer les deux sortes d’accord; ils sont despronoms incorporés dans certains contextes et desmarqueurs d’accord dans d’autres. Le critère décisif estici la présence ou l’absence d’un SN sujet, ou dans lestermes des auteurs : « the 3rd person pronominalinterpretation of S[ubject] M[arker] will arise when andonly when there is no subject NP in the phrase structure» (Ibid., p. 745).

Les auteurs utilisent des tests pour distinguer lesdeux types d’accord précités, dont celui de la localitéet celui du statut (périphérique vs central) du SNcoréférentiel. Les résultats de l’application de cestests aux données de l’arabe standard justifientl’adoption de cette distinction entre accord grammaticalet accord anaphorique15.

Les marqueurs de sujet sont des arguments dans lesstructures disloquées, et l’accord est donc anaphoriquecomme en (9a), (9a’) et (15), mais également lorsqueaucun SN nominatif coréférentiel n’est présent dans laproposition, comme en (19b), où le marqueur de sujet –uu(3MP) est un pronom qui remplace le SN ?al-awlaadu (lesgarçons) dans la réponse à la question posée en (19a) :

14 Li et Thompson (1976) proposent des tests linguistiques pourdistinguer le topique du sujet, par exemple. L’application deces tests révèle que les SN disloqués en arabe standard nepeuvent être argumentaux (Jebali, 2009).15 Voir Jebali (2009) pour les détails de l’application de cestests.

(19) a. hal ra?ay –ta ?al- ?awlaad –a?

Est-ce que voir.PER -2MS les- garçons –ACC?

« As-tu vu les garçons?»

b. na3am 3aad –uuOui, revenir.PER -3MP« Oui, ils sont revenus. »

Dans les autres cas, ce sont des marqueurs d’accord((10), (13), (14) repris en (20) et (18)). En (20), lemarqueur de sujet –at (3F) est redoublé par le SN ?al-banaatu (les filles) et c’est un marqueur d’accord :

(20) 3aad –at ?al- banaat –u

Revenir.PER -3F les- filles –NOM « Les filles sont revenues. »

À la lumière de ce comportement, nous pouvons affirmerque les marqueurs de sujet16 de 3e personne présentent ceque Bresnan et Mchombo (1987) appellent une ambiguïtéfonctionnelle. Le terme marqueurs de sujet couvre donc deuxréalités différentes : il sert d’étiquette à des pronomsarguments anaphoriques et à des marqueurs d’accordgrammatical. Les marqueurs ambigus sont, au perfectif, -a(3MS) et –at (3FS).

À la lumière des analyses linguistiques desdifférentes structures impliquant des marqueursd’arguments, le défi réside dans l’intégration de cesanalyses dans un modèle formel, en l’occurrence celui dela grammaire catégorielle combinatoire applicative, pouren rendre compte d’une façon systématique. Ce modèledoit cependant avoir la particularité d’êtresuffisamment flexible pour s’adapter aux différentescontraintes décrites jusqu’ici, en particulier à la

16 Les marqueurs d’objet sont des arguments à la lumière deleur comportement face aux tests. Ces marqueurs ne sont jamaisredoublés, et les seules relations d'accord qu'ils exhibentsont de type anaphorique et non local par définition.

nature des accords riche ou pauvre entre le verbe et sesarguments.

5. La Grammaire Catégorielle Combinatoire Applicative

Nous assistons de nos jours à une véritable explosionde travaux et de recherches dans le domaine desGrammaires Catégorielles. On peut citer à cet effet le« collectif » qu'on pourrait désigner par « GrammairesCatégorielles Flexibles » représenté principalement parles modèles de la Grammaire Universelle de Montague pourune syntaxe catégorielle et une sémantique dénotative,ou encore par une généralisation du Calcul de Lambek(1961) qui prend forme dans la Grammaire CatégorielleCombinatoire de Steedman ; elles ont l’intérêt depermettre l’association de l’analyse syntaxiquecatégorielle à la construction de l'interprétationsémantique fonctionnelle au moyen du lambda-calcul(Steedman, 2000 ; Dowty, 2000 ; Moortgat, 1997 ; Morill,1994). Sa version multimodale introduit une restrictionsur l’opérabilité des règles catégorielles pour éliminerdes cas d’ambiguïté et de surgénération (Steedman,Baldridge, 2009 ; Baldridge, Kruijff, 2003). Sonextension, la Grammaire Catégorielle CombinatoireApplicative, utilise des métarègles pour piloter lesrègles de type-raising et de composition (Biskri,Desclés, 2006 ; Desclés, Biskri, 1996). C’est ce derniermodèle que nous mettrons en œuvre pour rendre compte denotre problématique.

La particularité des Grammaires Catégorielles, outreleurs fondements logiques, est qu’elles distinguentplusieurs niveaux de représentations des langues dont aumoins la structure de l'observable (la structureconcaténée ou structure de surface) et la structure duconstruit (la structure opérateur-opérande permettantl'interprétation sémantique fonctionnelle). Ellesconceptualisent, de ce fait, les langues comme dessystèmes d’agencement d’unités linguistiques dontcertaines fonctionnent comme des opérateurs, alors qued’autres fonctionnent comme des opérandes. Par cetteparticularité, le modèle des Grammaires Catégorielless’oppose aux autres modèles du traitement des languesqui favorisent plutôt l’utilisation de règles de

réécriture pour construire des dérivations pourreconnaître les énoncés possibles ou engendrer tous lesénoncés d’une langue. Même si l’ordre applicatifn’apparaît pas directement au niveau de l’observable, ladichotomie opératoire qui analyse, dans un énoncé,certaines unités linguistiques comme des opérateurs etd’autres comme des opérandes est bien réelle. Cettedichotomie nous permet de reconstituer l’ordreapplicatif aux énoncés. Ce principe de correspondanceentre ordre linéaire et ordre applicatif estfondamental. Il précise donc que tout énoncé estreprésentable par une expression qui reconstruit l’ordreapplicatif des unités linguistiques. Ce facteur setraduit par une attribution à chaque unité lexicale deun ou de plusieurs types qui précisent d’une part, sil’unité fonctionne comme un opérateur ou un opérande etd’autre part, la manière dont un opérateur s’applique àson opérande.

La grammaire catégorielle combinatoire applicative estune variante de la Grammaire Catégorielle Combinatoirede Steedman. Elle associe d’une façon canonique lesrègles catégorielles combinatoires à des opérateurs dela logique combinatoire. L’application d’une règlecombinatoire implique l’introduction d’un combinateurdans la chaîne syntagmatique. Rappelons quelqueséléments concernant la logique combinatoire :historiquement la logique combinatoire a pris naissanceavec les travaux de Schönfinkel sur la logique dupremier ordre. Elle a été développée essentiellement parCurry et Feys (1958) qui cherchaient principalement àétudier, par des procédés logiques, des paradoxes dugenre de celui de Russell (Hindley, Seldin, 1986). Ellea été utilisée dans le traitement des langues naturellesprincipalement par Shaumyan (1998) et Desclés (1996). Lalogique combinatoire est un système applicatif sansvariables. Elle fait appel à des opérateurs abstraits -appelés "combinateurs" - qui permettent de composerentre eux intrinsèquement des opérateurs plusélémentaires. Les combinateurs sont associés à desrègles d'introduction et d'élimination quiconduisent à une formulation de -réduction. Pourillustration, nous présentons les règles de -réduction

des combinateurs B, C*et S (U1, U2, U3 étant des unitéslinguistiques typées)17 :

B U1 U2 U3 U1 (U2 U3)C* U1 U2 U2 U1S U1 U2 U3 U1 U3 (U2 U3)Comme l’ensemble des formalismes catégoriels, la

grammaire catégorielle combinatoire applicative traduiten des types catégoriels ce qui dans une grammaire deréécriture est représenté par un ensemble de règles dedérivation.

Dans le cadre des grammaires catégorielles, dans laphrase akala alwaladu alkhoubza (« L’enfant mangea le pain. »), nousassignons au verbe akala (mangea), au niveau lexical, letype catégoriel (S/N)/N pour signifier que ce verbefonctionne comme un opérateur suivi de deux opérandes detype nominal. L’orientation de l’opérateur / ou \indique la position de l’opérande par rapport àl’opérateur dans la chaîne syntagmatique.

L’étape de typification est suivie d’un processus desimplification des types utilisant les règlescatégorielles suivantes dans lesquelles les prémissessont des expressions concaténées typées. Les résultatssont des expressions applicatives typées avecl’introduction d’un combinateur.

Règles d’application :[X/Y : u1]-[Y : u2] [Y : u1]-[X\Y : u2]-------------------------->

---------------------------<[X : (u1 u2)] [X : (u2 u1)]

Règles de changement de type :[X : u] [X : u]------------------------->T

-------------------------<T[Y/(Y\X) : (C

* u)] [Y\(Y/X) : (C

* u)]

[X : u] [X : u]

17 Nous nous limitons ici à montrer les seuls combinateurs utilisés dans cet article.

------------------------->Tx-------------------------<Tx

[Y/(Y/X) : (C* u)] [Y\(Y\X) : (C

* u)]

Règles de composition fonctionnelle :[X/Y : u1]-[Y/Z : u2] [Y\Z : u1]-[X\Y : u2]---------------------------->B

----------------------------<B[X/Z : (B

u1 u2)] [X\Z : (B u2 u1 )]

[X/Y : u1]-[Y\Z : u2] [Y/Z : u1]-[X\Y : u2]------------------------------>Bx

---------------------------<Bx[X\Z : (B u1 u2)] [X/Z : (B u2 u1)]

Règles de composition distributive :[(X/Y)/Z : u1]-[Y/Z : u2] [Y\Z :u1]-[(X\Y)\Z : u2]----------------------------->S

----------------------------<S[X/Z : (S u1 u2)] [X\Z : (S u2 u1)][X/Y)\Z : u1]-[Y\Z : u2] [Y/Z :u1]-[(X\Y)/Z : u2]---------------------------->Sx

--------------------------<Sx[X\Z : (S u1 u2)] [X/Z : (S u2 u1)]

Pour expliquer le fonctionnement du formalisme,considérons la phrase simple suivante :

(21) akal -a Zayd-oun al- khobz -a

manger.PER -3M Zayd –NOM le- pain –ACC« Zayd mangea le pain. »

akala Zaydoun al-khoubza-------- ------------ --------------(S/Ns)/No Ns

3MS No3MS

----------<TS\(S/Ns

3MS) : (C* Zaydoun)------------------------------------------------------>BS/No : (B (C* Zaydoun) akala)

------------------------------------------------------------->S : ((B (C* Zaydoun) akala) al-khoubza)

La première étape consiste à assigner les typescatégoriels aux unités lexicales. Ainsi, au verbe akalaest assigné le type (S/Ns)/No pour exprimer sa natured’opérateur dont le premier opérande (de type No) est unsyntagme nominal avec le rôle d’objet et le secondopérande (de type Ns) est un syntagme nominal également,mais avec le rôle de sujet. À Zaydoun est assigné le typeNs

3MS pour préciser, outre son rôle de sujet, sespropriétés morphologiques flexionnelles (3MS : 3ème

personne, masculin, singulier). À al-khoubza est assignéle type No

3MS pour son rôle d’objet masculin singulier.La deuxième étape consacre l’application des règles

catégorielles combinatoires applicatives. L’obtention dutype S signifie que la phrase est conforme à lagrammaire. L’expression combinatoire ((B (C* Zaydoun)akala) al-khoubza) exprime l’interprétation sémantiquefonctionnelle sous-jacente à la phrase initiale. Cetteexpression est équivalente à une autre expressionapplicative sans combinateur ((akala al-khoubza) Zaydoun),obtenue par le processus d’élimination des combinateursau moyen des règles de -réduction. Cette expression estunique en vertu du théorème de Church Rosser. Ceprocessus d’élimination des combinateurs s’effectuecomme suit :

((B (C* Zaydoun) akala) al-khoubza)((C* Zaydoun) (akala al-khoubza))

élimination de B((akala al-khoubza) Zaydoun)

élimination de C*((akala al-khoubza) Zaydoun) exprime l’ordre applicatif

dans lequel les unités linguistiques s’appliquent lesunes aux autres pour fabriquer le sens.

Nous pensons que le formalisme des GrammairesCatégorielles, des systèmes applicatifs, descombinateurs et des mécanismes de réduction s’avèrentêtre des concepts efficaces, féconds et suffisammentpuissants pour formuler précisément des hypothèses sur

la nature des marqueurs d’arguments de l’arabe. Commenous l’avons démontré dans (Biskri et al. 2010) et (Biskri,2008), toujours dans le cas de la langue arabe, nouspensons que cette approche est plus en accord avec lesfaits empiriques présentés ici, mais aussi et surtoutavec les exigences de la formalisation.

Intéressons-nous maintenant à l’analyse catégorielledes exemples choisis pour mieux illustrer notre propos.Prenons tout d’abord le cas de la dislocation aveccoordination de deux SN dans l’exemple (15). Le marqueurde sujet –aa, argument du verbe, s’accorde en genre eten nombre avec la somme des valeurs de ?al-bint-u et al-walad-u.

Formellement, nous assignons à -aa le type catégorielS3MD\(S/Ns). Bien qu’admis jusque-là comme un pronom, ilsera considéré dans une analyse catégorielle comme unopérateur, qui en s’appliquant au verbe intransitifjaa?, permet de construire une phrase syntaxiquement bienformée en arabe. Cette phrase hérite des propriétésmorphologiques (personne, genre et nombre) de -aa.Autrement dit, dans le cas de l’analyse de (15), laphrase jaa?-aa aura pour type catégoriel S3MD.

Par ailleurs, la virgule joue un rôle majeur dans laréalisation de la dislocation. Elle est de fait unindice important pour distinguer un cas de dislocationd’un cas de redoublement. Le type catégoriel (S/Ns

X)\SXqui lui est assigné exprime sa nature d’opérateur quis’applique à une phrase SX avec des propriétésmorphologiques données pour construire un opérateur dontl’opérande Ns

X doit avoir les mêmes propriétésmorphologiques que SX. En l’occurrence, dans le cas de(15), l’opérande de la virgule est la phrase jaa?-aa detype S3MD qui est à la 3e personne du masculin duel. Parunification, dans le schéma de type (S/Ns

X)\SX assigné àla virgule X prend la valeur 3MD. Ce qui, conséquemment,signifie que le résultat de l’application de l’opérateur« , » à la phrase jaa?-aa construit un opérateur de typecatégoriel S/Ns

3MD. L’opérande de cet opérateur doitavoir le type Ns

3MD. C’est ce qui est justement obtenuavec l’analyse de ?al-bint-u wa al-walad-u.

jaa? -aa , ?al-bint-u wa al-walad-u------ ----- --- ------------ ---- --------------S/Ns S3MD\(S/Ns) (S/Ns

X)\SX Ns3FS (X\X)/X Ns

3MS

---------------------------------------<S3MD

--------------------------------------------------------------<S/Ns

3MD

-------------------------------------(X\X)/X

Ns3MD

--------------------------------------------------------------------------->S

Dans le cas du redoublement avec la présence demarqueurs sujets, l’accord se fait uniquement en genreavec le premier conjoint. Dans l’exemple (18a) lemarqueur –at se voit assigner le type catégoriel (S/Ns

3F)\(S/Ns) pour signifier qu’il agit comme un opérateur dontl’opérande est un verbe intransitif positionné à gauchedans la chaîne syntagmatique. Le résultat del’application de l’opérateur –at à l’opérande xaraj est unopérateur complexe, de type (S/Ns

3F), qui s’accorde engenre uniquement avec le al-banaat-u. La présence de laconjonction de coordination wa priorise la compositionde al-banaat-u avec –at au moyen des règles (<T) et (<B)pour construire le premier membre de la coordination.Nous mettons, ainsi, en perspective la nature del’accord entre le verbe et le premier conjoint. De faitles membres de la coordination dans le cas de l’exemple(18a) ne sont pas al-banaat-u et al-?awlaad-u mais plutôtsur une combinaison de –at et al-banaat-u comme premiermembre de la coordination et al-?awlaad-u comme secondmembre.

Xaraj -at al-banaat-u wa al-?awlaad-u ------ ----- -------------- ----- --------------S/Ns (S/Ns

3F)\(S/Ns) Ns3FP (X\X)/X Ns

3MP

-----------<T S\(S/Ns

3FP) ------------------------------------------------<BS\(S/Ns)

-----------<T

S\(S/Ns

3MP) --------------------------------------------------------

------------------------------------(X\X)/XS\(S/Ns)

---------------------------------------------------------------------------------<S

6. Conclusion

Nous avons brièvement décrit le système des pronomspersonnels de l’arabe standard et nous avons ainsi puidentifier deux types de formes pronominales: les formesindépendantes et les formes conjointes. Ces dernièressont des marqueurs d’arguments (sujet ou objet). Nousnous sommes attachés à les différencier des formesindépendantes, puis nous avons examiné les différencesentre marqueurs de sujet et marqueurs d’objet. Nousavons également montré l’ambiguïté fonctionnelle desmarqueurs de sujet. Ces derniers peuvent être considéréscomme des arguments ou comme des marqueurs d’accord,selon la structure dans laquelle ils se trouvent. Lesstructures que nous avons étudiées sont les disloquées,les redoublées et les coordonnées. Dans les structuresdisloquées, l’accord se fait en personne, genre etnombre (accord riche) alors que dans les structuresredoublées il se fait uniquement en personne et genre(accord pauvre). Dans les structures où il y acooccurrence du marqueur sujet et de deux SN coordonnés,la même opposition se retrouve. De plus, l’accord ne sefait qu’avec le premier conjoint.

L’analyse de ces marqueurs a été intégrée à un modèleformel, la grammaire catégorielle combinatoireapplicative, modèle qui s’est avéré suffisammentflexible pour rendre compte des différents phénomènesmorphosyntaxiques décrits.

7. Bibliographie

Aoun J., Benmamoun E., Sportiche D., « Agreement, Word Order,and Conjugation in Some Varieties of Arabic ». LinguisticInquiry, vol. 25, no 2, 1994, p. 195–220.

———, « Further Remarks on First Conjunct Agreement », LinguisticInquiry, vol. 30, no 4, 1999, p. 669–68.

Auger J., « Pronominal Clitics in Québec Colloquial French: AMorphological Analysis », Thèse de doctorat, University ofPennsylvania, Philadelphia, 1994.

Baldridge, J., Kruijff, G.J., « Multi-Modal CombinatoryCategorial Grammar », Proceedings of EACL 2003, 2003, p. 211-218.

Bloch A., Studies in Arabic Syntax and Semantics, Wiesbaden, O.Harrasowitz, 1986.

Biskri I; Emirkanian L., Jebali A., « Coordination of StandardArabic Subject Markers: Implementing the AgreementAsymmetries in the ACCG Framework. », In Guesgen, H. W. etMurray, R. C. (ed.), Proceedings of the 23rd Florida Artificial IntelligenceResearch Society Conference, AAAI Press, 2010, p. 168-173.

Biskri I., « The Categorial Annotation of Coordination inArabic », Proceedings of the Twenty-First International Florida ArtificialIntelligence Research Society Conference, 2008, p. 462-467.

Biskri I., Desclés J.P., « Coordination de CatégoriesDifférentes en Français ». Faits de Langue, No 28, 2006, p. 57-66.

Bresnan J., « The Emergence of the Unmarked Pronoun ». InLegendre G., Grimshaw J., Vikner S. (éditeurs), Optimality-theoretic Syntax, Massachusetts, MIT Press, 2001, p. 113–142.

Bresnan J., Mchombo S.A., « Topic, Pronoun and Agreement inChichewa ». Language, vol. 63, no 4, 1987, p. 741–782.

Curry B.H., Feys R., Combinatory Logic Vol. 1, North-Holland, 1958.

Desclés J.P., Biskri I., « Logique Combinatoire etLinguistique: Grammaire Catégorielle CombinatoireApplicative », Mathématiques et sciences humaines, no 132, 1996, p.39-68.

Desclés J.P., « Cognitive and Applicative Grammar : anOverview ». In Martin Vide C. (éditeur). Lenguajes Naturales yLenguajes Formales, XII, 1996, p. 29-60.

Dowty D., « The Dual Analysis of Adjuncts/Complements inCategorial Grammar », Linguistics, 17, 2000.

Eloussfourri E., « Les pronoms personnels de l’arabe : syntaxeinterne et externe », Thèse de doctorat, Université Paris VIII, 1998.

Fassi Fehri A., « Sous-spécification, accord et pronoms enarabe », Revue québécoise de linguistique, vol. 22, no 1, 1992, p.117–144.

Fassi Fehri A., Issues in the Structure of Arabic Clauses and Words,Springer, 1993.

Habash N., « Arabic Morphological Representations for MachineTranslation », In Soudi A., Van Den Bosch A., Günter N.(éditeurs), Arabic Computational Morphology : Knowledge-Based andEmpirical Methods, Dordrecht, Springer, 2007, p. 263–286.

Hindley J. R., Seldin J. P., Lambda-calculus and Combinators, anIntroduction. Cambridge University Press, 1986.

Jamari A., « Clitic Phenomena in Arabic », Thèse de doctorat,London University, 1993.

Jebali A., « La modélisation des marqueurs d’Arguments del’arabe standard dans le cadre des grammaires à base decontraintes », Thèse de doctorat, Université du Québec àMontréal, Canada, 2009.

Jelinek E., « Agreement, Clitics and Focus in EgyptianArabic ». In Ouhalla J., Shlonsky U. (éditeurs), Themes inArabic and Hebrew syntax, Dordrecht, Kluwer, 2002, p. 71–105.

Kenstowicz M., « The Null Subject Parameter in Modern ArabicDialects », In Jaeggli O., Safir K. (éditeurs), The Null SubjectParameter, Dordrecht, Kluwer, 1989, p. 1–44.

Lambek J., « On the Calculus Syntactic Types », Proceedings ofSymposia in Applied Mathematics (Vol. XII), 1961, p. 166-178.

Li C., Thompson S., « Subject and topic: A new typology oflanguage », In Li C. (éditeur), Subject and Topic, New York,Academic Press, 1976, p. 458-89.

Lumsden J.S., Haleform G., « Verb Conjugations and the StrongPronoun Declension in Standard Arabic ». In Lecarme J.(éditeur), Research in Afro-Asiatic Grammar II, Amsterdam, JohnBenjamins Publishing Company, 2003, p. 305–337.

Moortgat M., « Categorial Type Logics », In Van Benthem J.,Ter Meulen A. (éditeurs), Handbook of Logic and Language,Amsterdam, North Holland, 1997, p. 93-177.

Morill G., Type-Logical Grammar, Dortrecht, Kluwer, 1994.

Noyer R.R., « Features, Positions and Affixes in AutonomousMorphological Structure », Thèse de doctorat, MIT, 1992.

———, Features, Positions, and Affixes in Autonomous Morphological Structure, NewYork, Garland, 1997.

Shaumyan S.K., « Two Paradigms of Linguistics: The SemioticVersus Non-Semiotic Paradigm », Web Journal of Formal,Computational and Cognitive Linguistics, 1998.

Shlonsky U., Clause Structure and Word Order in Hebrew and Arabic : An Essayin Comparative Semitic Syntax, New York, Oxford University Press,1997.

Steedman M., Baldridge J., « Combinatory Categorial Grammar »,In Borsley R., Borjars K. (éditeurs), Non-Transformational Syntax:A Guide to Current Models, Blackwell, Oxford, 2009.

Steedman M., The Syntactic Process, MIT Press/Bradford Books, 2000.

Ismail Biskri est professeur titulaire au département de Mathématiques etinformatique à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il travaille dans le domaine dutraitement automatique des langues naturelles (TALN).

Louisette Emirkanian est professeur titulaire au département de linguistique del’Université du Québec à Montréal. Elle travaille dans le domaine de la syntaxe, et dela sémantique lexicale.

Adel Jebali est professeur adjoint au département d’études françaises de l’UniversitéConcordia. Il travaille dans le domaine du TAL et des TICE. Ses recherches seconcentrent essentiellement sur les clitiques dans plusieurs langues, dont le françaiset l’arabe.