Analyse sémantique et description lexicographique de marqueurs pragmatiques construits avec 'vrai'...

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DÉPARTEMENT DES LETTRES ET COMMUNICATIONS Faculté des lettres et sciences humaines Université de Sherbrooke ANALYSE SÉMANTIQUE ET DESCRIPTION LEXICOGRAPHIQUE DE MARQUEURS PRAGMATIQUES CONSTRUITS AVEC VRAI EN FRANÇAIS QUÉBÉCOIS : VRAIMENT, PAS VRAIMENT, POUR DE VRAI, POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE ET À DIRE VRAI par FRANCIS LAPOINTE Bachelier ès arts (Études françaises) de l’Université de Sherbrooke MÉMOIRE PRÉSENTÉ pour obtenir LA MAÎTRISE ÈS ARTS (Études françaises incluant un cheminement en linguistique) Sherbrooke JUILLET 2005

Transcript of Analyse sémantique et description lexicographique de marqueurs pragmatiques construits avec 'vrai'...

DÉPARTEMENT DES LETTRES ET COMMUNICATIONS

Faculté des lettres et sciences humaines

Université de Sherbrooke

ANALYSE SÉMANTIQUE ET DESCRIPTION LEXICOGRAPHIQUE DE MARQUEURS PRAGMATIQUES CONSTRUITS AVEC VRAI EN FRANÇAIS

QUÉBÉCOIS : VRAIMENT, PAS VRAIMENT, POUR DE VRAI, POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE ET À DIRE VRAI

par

FRANCIS LAPOINTE

Bachelier ès arts (Études françaises)

de l’Université de Sherbrooke

MÉMOIRE PRÉSENTÉ

pour obtenir

LA MAÎTRISE ÈS ARTS(Études françaises incluant un cheminement en linguistique)

Sherbrooke

JUILLET 2005

Composition du jury

ANALYSE SÉMANTIQUE ET DESCRIPTION LEXICOGRAPHIQUE DE MARQUEURS PRAGMATIQUES CONSTRUITS AVEC VRAI EN FRANÇAIS

QUÉBÉCOIS : VRAIMENT, PAS VRAIMENT, POUR DE VRAI, POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE ET À DIRE VRAI

Francis LapointeUniversité de Sherbrooke

Ce mémoire a été évalué par un jury composé des personnes suivantes :

Gaétane Dostie, directrice de recherche(Département des lettres et communication de la Faculté des lettres et sciences humaines)

Louis Mercier, examinateur(Département des lettres et communication de la Faculté des lettres et sciences humaines)

Marie-Thérèse Vinet, examinatrice(Département des lettres et communication de la Faculté des lettres et sciences humaines)

2

RÉSUMÉ

Cette étude porte sur certains marqueurs pragmatiques construits avec le mot vrai d’après

l’usage québécois : vraiment, pas vraiment, pour de vrai, pour dire vrai, à vrai dire et à

dire vrai. L’analyse et la description linguistique de ces mots suivent les lignes directrices

de la méthode lexicographique propre au modèle Sens-Texte. L’étude fait état de la

polysémie des marqueurs et de la cohérence du champ lexical qu’ils forment. On y

explore le sémantisme du mot vrai, de son sens le plus primitif à son sens métaphorique,

en passant par celui faisant appel au concept de caractéristiques prototypiques à la source

de certaines lexies « intensificatrices » de vraiment et pour de vrai. On y dévoile aussi,

entre autres, le mécanisme d’euphémisation propre à la locution pas vraiment et les

fonctions de connecteurs textuels des locutions pour dire vrai, à vrai dire et à dire vrai.

3

REMERCIEMENTS

Merci à Gaétane Dostie pour m’avoir appris (entre autres) à écrire un mémoire.

4

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ………………….………………………………………………………….. 3

REMERCIEMENTS……………………………………………………………… …. 4

TABLE DES MATIÈRES……………………………………………………………. 5

LISTE DES TABLEAUX ET FIGURES……………………………………………..8

INTRODUCTION………………..………………………………………………....... 10

I. Présentation de l’étude…………………………………………………..……....10II. Objet de l’étude……………………………………………………..…..…...… 10III. Justification de l’étude……………………………...……………………….... 11IV. Méthodologie de l’étude……………………………………..…...................... 13V. Structure de l’étude…………………………………..………………………... 15

CHAPITRE 1 – ANALYSE LINGUISTIQUE……………………………………..... 16

1.1. VRAI adjectif……………………………………………………………...…. 161.1.1. VRAI1………………………………………………………………...…18

1.1.1.1. Sémantisme de VRAI1…………………………………………………………… 181.1.1.2. Relations paradigmatiques de VRAI1………………………………………….… 211.1.1.3. Syntaxe de VRAI1…………………………………………………………..…… 211.1.1.4. Phonologie de VRAI1……………………………………………………………..21

1.1.2. VRAI2………………………………………………………………………....221.1.2.1. Sémantisme de VRAI2…………………………………………………………… 221.1.2.2. Relations paradigmatiques de VRAI2……………………………………………. 231.1.2.3. Syntaxe de VRAI2…………………………………………………………….…..231.1.2.4. Phonologie de VRAI2………………………………………………………..........24

1.1.3. VRAI3………………………………………………………………..….241.1.3.1. Sémantisme de VRAI3………………………………………………………. ….. 241.1.3.2. Relations paradigmatiques de VRAI3……………………………………..……... 251.1.3.3. Syntaxe de VRAI3…………………………………………………………….…..251.1.3.4. Phonologie de VRAI3………………………………………………………….… 25

1.1.4. VRAI4a…………………………………………………………….........251.1.4.1. Sémantisme de VRAI4a……………………………………………………….…. 251.1.4.2. Relations paradigmatiques de VRAI4a…………………………………………... 281.1.4.3. Syntaxe de VRAI4a…………………………………………………………….....281.1.4.4. Phonologie de VRAI4a……………………………………………………..……. 28

1.1.5. VRAI4b……………………………………………………………….…281.1.5.1. Sémantisme de VRAI4b…………………………………………………………..281.1.5.2. Relations paradigmatiques de VRAI4b………………………………………..….311.1.5.3. Syntaxe de VRAI4b……………………………………………………………….311.1.5.4. Phonologie de VRAI4b………………………………………………………..…. 31

1.1.6. Conclusion sur le vocable VRAI…………………………………….….31

1.2. VRAIMENT…………………………………………………………………..33

5

1.2.1. VRAIMENT1………………………………………………………...… 341.2.1.1. Sémantisme de VRAIMENT1…………………………………………………… 341.2.1.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT1………………………………….… 361.2.1.3. Syntaxe de VRAIMENT1………………………………………………………... 361.2.1.4. Phonologie de VRAIMENT1…………………………………………………….. 37

1.2.2. VRAIMENT2…………………………………………………………... 371.2.2.1. Sémantisme de VRAIMENT2…………………………………………………… 371.2.2.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT2……………………………….…….411.2.2.3. Syntaxe de VRAIMENT2…………………………………………………….….. 421.2.2.4. Phonologie de VRAIMENT2…………………………………………………….. 42

1.2.3. VRAIMENT3………………………………………………………...… 421.2.3.1. Sémantisme de VRAIMENT3…………………………………………………….421.2.3.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT3……………………………………. 441.2.3.3. Syntaxe de VRAIMENT3…………………………………………………….….. 441.2.3.4. Phonologie de VRAIMENT3…………………………………………………….. 44

1.2.4. VRAIMENT4…………………………………………………………..……. 451.2.4.1. Sémantisme de VRAIMENT4…………………………………………………….451.2.4.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT4……………………………………. 471.2.4.3. Syntaxe de VRAIMENT4……………………………………………………..…. 481.2.4.4. Phonologie de VRAIMENT4………………………………………………..…… 48

1.2.5. VRAIMENT5………………………………………………………..…. 491.2.5.1. Sémantisme de VRAIMENT5…………………………………………………….491.2.5.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT5…………………………………… 501.2.5.3. Syntaxe de VRAIMENT5…………………………………………………………501.2.5.4. Phonologie de VRAIMENT5……………………………………………….…… 51

1.2.6. VRAIMENT6………………………………………………………...… 511.2.6.1. Sémantisme de VRAIMENT6………………………………………………..….. 511.2.6.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT6…………………………………….531.2.6.3. Syntaxe de VRAIMENT6…………………………………………………………531.2.6.4. Phonologie de VRAIMENT6……………………………………………….…… 53

1.2.7. Conclusion sur le vocable VRAIMENT……………………………..… 54

1.3. PAS VRAIMENT……………………………………………………...…… 551.3.1. Sémantisme de PAS VRAIMENT…………………………………………………….. 581.3.2. Relations paradigmatiques de PAS VRAIMENT…………………………………….. 591.3.3. Syntaxe de PAS VRAIMENT…………………………………………………………. 591.3.4. Phonologie de PAS VRAIMENT……………………………………………….…….. 591.3.5. Conclusion au sujet de PAS VRAIMENT………………………………………….…. 59

1.4. POUR DE VRAI……………………………………………………………. 611.4.1. POUR DE VRAI1……………………………………………….……. 63

1.4.1.1. Sémantisme de POUR DE VRAI1……………………………………………… 631.4.1.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI1……………………………… 641.4.1.3. Syntaxe de POUR DE VRAI1…………………………………………………. 641.4.1.4. Phonologie de POUR DE VRAI1………………………………………………. 65

1.4.2. POUR DE VRAI2………………………………………………….…. 651.4.2.1. Sémantisme de POUR DE VRAI2……………………………………………… 651.4.2.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI2……………………………… 651.4.2.3. Syntaxe de POUR DE VRAI2………………………………………………….. 661.4.2.4. Phonologie de POUR DE VRAI2…………………………………………….… 66

1.4.3. POUR DE VRAI3…………………………………………………….. 661.4.3.1. Sémantisme de POUR DE VRAI3…………………………………………….. 661.4.3.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI3……………………………… 67

6

1.4.3.3. Syntaxe de POUR DE VRAI3………………………………………………….. 671.4.3.4. Phonologie de POUR DE VRAI3……………………………………………… 67

1.4.4. POUR DE VRAI4…………………………………………………….. 681.4.4.1. Sémantisme de POUR DE VRAI4……………………………………………… 681.4.5.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI4……………………………… 681.4.5.3. Syntaxe de POUR DE VRAI4………………………………………………….. 681.4.5.4. Phonologie de POUR DE VRAI4………………………………………………. 69

1.4.5. POUR DE VRAI5…………………………………………………….. 691.4.5.1. Sémantisme de POUR DE VRAI5……………………………………………… 691.4.5.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI5……………………………… 701.4.5.3. Syntaxe de POUR DE VRAI5………………………………………………….. 701.4.5.4. Phonologie de POUR DE VRAI5……………………………………………… 70

1.4.6. POUR DE VRAI6…………………………………………………….. 701.4.6.1. Sémantisme de POUR DE VRAI6……………………………………………… 701.4.6.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI6……………………………… 721.4.6.3. Syntaxe de POUR DE VRAI6………………………………………………….. 721.4.6.4. Phonologie de POUR DE VRAI6………………………………………………. 72

1.4.7. POUR DE VRAI7…………………………………………………….. 721.4.7.1. Sémantisme de POUR DE VRAI7……………………………………………… 721.4.7.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI7……………………………… 751.4.7.3. Syntaxe de POUR DE VRAI7………………………………………………….. 751.4.7.4. Phonologie de POUR DE VRAI7………………………………………………. 75

1.4.8. Conclusion sur le vocable POUR DE VRAI………………………….. 75

1.5. POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI………………….. 771.5.1. Variation d’utilisation de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE

et À DIRE VRAI……………………………………………………………… ….. 771.5.2. Morphologie de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI………… 771.5.3. Sémantisme de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI…………. 781.5.4. Relations paradigmatiques de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE

et À DIRE VRAI……………………………………………………………………. 801.5.5. Syntaxe de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI……………… 811.5.6. Phonologie de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI…………... 811.5.5. Conclusion au sujet de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI…. 81

CHAPITRE 2 – TRAITEMENT LEXICOGRAPHIQUE…………………………… 83

2.1. VRAI adjectif……………………………………………………………….... 832.2. VRAIMENT…………………………………………………………………. 872.3. PAS VRAIMENT…………………………………………………………... 932.4. POUR DE VRAI …………………………………………………………… 952.5. POUR DIRE VRAI…………………………………………………………. 1022.6. À VRAI DIRE ……………………………………………………………… 1032.7. À DIRE VRAI ……………………………………………………………… 104

CONCLUSION…………………...…………………………………………………...105

BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………….107

7

LISTE DES TABLEAUX ET FIGURES

Tableau 1 – Variation morphologique de POUR DIRE VRAI,À DIRE VRAI et À VRAI DIRE…………………………………. 78

Figure 1 - Typologie des marqueurs pragmatiques………………………….…….13

Figure 2 - Réseau polysémique de VRAI adjectif……..…………………………... 32

Figure 3 - Réseau polysémique de VRAI adjectif et VRAIMENT……..…….…...54

Figure 4 - Réseau polysémique de VRAI adjectif, VRAIMENTet PAS VRAIMENT……………………………………………………..60

Figure 5 - Réseau polysémique de VRAI, VRAIMENT, PAS VRAIMENT, et POUR DE VRAI……………………………………………………... 76

Figure 6 - Réseau polysémique de VRAI, VRAIMENT, PAS VRAIMENT,POUR DE VRAI, POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI………………………………………………….…….. 82

8

« Pilate lui dit: Qu'est-ce que la vérité ? »

Jean 18, 38

9

Introduction

I. Présentation de l’étude

Les locuteurs d’une langue éprouvent le besoin d’ancrer leur discours dans le monde réel

et de se positionner par rapport à celui-ci. Il leur faut des marqueurs pour confirmer leurs

propos, les rectifier, les intensifier, signifier leur étonnement à leur sujet, etc. Le concept

de (vrai) semble avoir un rôle important à jouer dans ce type d’activité linguistique. En

effet, on rencontre un grand nombre de locutions employées comme marqueurs

pragmatiques qui sont construites avec le mot vrai.

II. Objet de l’étude

Ce mémoire a pour objet la description de marqueurs pragmatiques construits avec le mot

VRAI dans la variété de français parlée au Québec.

Il a fallu faire un choix parmi les nombreux vocables du champ lexical à l’étude. Étant

donné le manque d’informations et de compétences linguistiques intuitives à leur sujet,

nous avons écarté les vocables vieillis ou rares comme DANS LE VRAI, COMME DE

VRAI, AU VRAI, DE VRAI et EN VRAI. Pour des questions d’homogénéité, nous

avons préféré concentrer notre étude sur les marqueurs ayant surtout des emplois

d’adverbes, de connecteurs textuels et de marqueurs d’interprétation, plutôt que sur

d’autres, très pragmaticalisés, plus proches des marqueurs de réalisation d’actes

illocutoires, comme PAS VRAI, C’EST PAS VRAI, C’EST VRAI. L’étude de ces

derniers est pleine de promesses, mais dépasse les limites matérielles de ce mémoire.

10

Les vocables que nous avons choisi d’étudier nous apparaissaient fréquents et forment un

ensemble relativement homogène au point de vue sémantique et catégoriel. Ces vocables

sont VRAIMENT, PAS VRAIMENT, POUR DE VRAI (qui présente les variations

POUR LE VRAI et POUR VRAI), POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE

VRAI.

Comme tous ces vocables sont construits à partir du mot VRAI, nous avons également dû

ajouter cet adjectif à notre liste. L’analyse de VRAI nous fournira les outils sémantiques

nécessaires à l’examen des marqueurs retenus.

L’analyse sémantique se trouve au premier plan dans cette étude. Le prétexte à cette

analyse est l’écriture d’articles de dictionnaire pour chacun des marqueurs étudiés. La

terminologie et la méthode utilisées sont empruntées au travail de Gaétane Dostie sur les

marqueurs pragmatiques, travail qui se situe lui-même dans le cadre de la théorie Sens-

Texte (voir 1.4).

III. Justification de l’étude

Les marqueurs pragmatiques (MPr) font encore partie d’une zone floue en linguistique.

Tant la typologie qui leur est relative que les critères permettant de les classer varient

selon les auteurs et les cadres théoriques. Nous sommes en accord avec Dostie

(2004 : 45) pour qui la « compréhension de plus en plus raffinée des MD [marqueurs

discursifs] (et autres unités du genre) pris de façon individuelle conduira à des

propositions plus générales que celles dont nous disposons à l’heure actuelle à la fois sur

leurs fonctions et sur leur classification ». Nous espérons ainsi que notre étude

11

contribuera à une meilleure compréhension d’un des micro-systèmes des MPr du

français. Plus particulièrement, nous aimerions participer à l’effort de modélisation de ces

marqueurs dans le cadre du modèle Sens-Texte.

Précisons dès à présent que les termes « marqueurs pragmatiques » désignent la catégorie

des lexies jouant un rôle dans les interactions entre locuteurs (délimiter les tours de

parole, indiquer les ruptures thématiques, structurer les conversations, ancrer les énoncés

au contexte, réaliser des actes illocutoires…) (Dostie 2004 : 45). Ces lexies ont la

caractéristique d’être « non descriptives », c’est-à-dire qu’elles sont « destinée[s] à

effectuer soit un acte de parole performatif, soit un acte de parole informatif qui n’est pas

une communication mais un signalement. » (Iordanskaja et Mel'cuk 1999a). De plus,

elles n’acceptent pas la négation, l’interrogation ou la modification (Iordanskaja et

Mel’čuk 1999b : 5).

La figure 1 présente l’esquisse d’une typologie des marqueurs pragmatiques proposée

dans Dostie (2004). Nous rappelons que cette catégorisation des marqueurs ne se prétend

pas parfaite et définitive. La recherche au sujet des marqueurs pragmatiques, comme

toute recherche, est un processus de clarification qui va et vient de la théorie à l’analyse

pratique. Poser les bases d’une typologie est un impératif méthodologique qui enrichit et

guide l’analyse.

12

Figure 1Typologie des marqueurs pragmatiques

Nous réalisons qu’une typologie n’est significative que dans la mesure où elle est

expliquée en détails, ce que nous ne pouvons faire ici. C’est pourquoi nous renvoyons le

lecteur qui voudrait des explications à son sujet à Dostie (2004).

IV. Méthodologie de l’étude

Nous adhérons aux objectifs du modèle Sens-Texte qui se propose de mettre au point un

système explicite de règles, logiques et discrètes, permettant de passer d’une structure

sémantique à un texte d’une langue particulière. Nous prendrons pour acquis que le

lecteur connaît déjà les bases de cette théorie, plus particulièrement en ce qui a trait à la

méthode lexicographique (pour une introduction générale voir Mel’cuk 1997 et pour une

présentation de la méthode lexicographique explicative et combinatoire voir Mel’čuk et

al. 1995).

marqueurs pragmatiques (MPr)

marqueurs discursifs (MD) connecteurs textuels (CT)

marqueurs illocutoires marqueurs d’interaction

MI MRAI MAÉ MÉ MB

Légende :MAÉ = marqueurs d’appel à l’écoute

MI = marqueurs d’interprétation MÉ = marqueurs d’écouteMRAI = marqueurs de réalisation d’un acte illocutoire MB = marqueurs de

13

Nous adhérons également au principe selon lequel « tout mot sémantiquement complexe

peut être expliqué à l’aide d’une paraphrase exacte composée de mots plus simples et

plus intelligibles que l’original » (Wierzbicka 1972). Ainsi, sauf dans le cas de primitifs

sémantiques, le sens de chacun des mots d’un texte peut, en théorie, être entièrement

rendu par une paraphrase exacte. Cela devrait être également vrai pour les marqueurs

pragmatiques.

Notre travail s’aligne sur l’ouvrage Pragmaticalisation et marqueurs discursifs de

G. Dostie (2004 : 185-192). L’ouvrage propose l’inclusion d’éléments propres aux

marqueurs discursifs dans la description lexicographique. Par exemple :

- prise en compte de certains éléments du contexte dans les définitions : utilisation de

termes déictiques (JE, TU), de variables représentant des textes, d’adresses à des

coénonciateurs;

- prise en compte des fonctions pragma-sémantiques des marqueurs et des actes de

langage auxquels ils sont associés;

- prise en compte des combinaisons syntagmatiques (ex : Vraiment là!);

- prise en compte de la fixation plus ou moins fortement réalisée d’éléments constitutifs

des phrasèmes;

- prise en compte de la dimension prosodique et de la gestuelle (dimension kinésique).

Une grande partie des exemples cités dans notre mémoire sont tirés de la Banque de

données textuelles de l’Université de Sherbrooke (BDTS). Les quelques exemples à

valeur historique ont été tirés de FRANTEXT. Enfin, il a été parfois nécessaire de forger

14

certains exemples pour les bienfaits de la démonstration, d’autres ont été entendus et

retranscrits sur le vif ou encore lus.

V. Structure de l’étude

Dans le premier chapitre de ce mémoire, nous analysons tour à tour les propriétés

linguistiques des six vocables à l’étude et proposons les paramètres de leur modélisation.

Chaque vocable y est divisé en lexies, dont les sens et les propriétés sont décrits à l’aide

des objets formels propres à notre cadre théorique.

Dans le deuxième chapitre, nous présentons le traitement lexicographique des vocables,

c’est-à-dire les articles qui leur correspondent, comme s’ils étaient insérés dans un

Dictionnaire explicatif et combinatoire.

15

Chapitre 1 – Analyse linguistique

Ce chapitre constitue le cœur du mémoire; on y fait l’analyse d’une partie du champ

lexical des marqueurs pragmatiques construits avec VRAI en français québécois.

L’analyse particulière des vocables et lexies, puis leur comparaison et leur mise en

relation permettront de mettre en lumière les différents liens de synonymie et

d’hyperonymie entre les unités de ce champ.

Notre première tâche est de distinguer les différentes lexies de chacun des vocables.

Chacune des lexies doit ensuite être analysée, afin que ses propriétés linguistiques

puissent être modélisées, c’est-à-dire décrites à l’aide des objets formels propres à notre

cadre théorique : une définition et une liste de fonctions lexicales concernant le signifié

des lexies, puis la description de leurs caractéristiques syntaxiques et phonologiques,

ainsi qu’une figure représentant le réseau polysémique du vocable et des autres vocables

du champ étudié.

1.1. VRAI adjectif

Les signifiés des unités que nous analyserons contiennent presque tous des composantes

sémantiques d’une lexie ou d’une autre du prédicat VRAI. Nous devons donc commencer

par analyser celui-ci.

Cette analyse ne porte que sur l’adjectif VRAI et non pas le nom, que l’on retrouve par

exemple dans l'énoncé suivant :

(1) J’ai vu un peu de vrai dans ses paroles.

16

Nous n’étudierons pas non plus le VRAI adverbe, comme dans l’énoncé (2) :

(2) Ton petit frère, il est malade vrai.

Ni le VRAI marqueur pragmatique, exemplifié par l’énoncé (3), qui peut être remplacé

par C’EST VRAI :

(3) Vrai, ma famille a pas toujours fait que des bons coups à Bonaventure.

VRAI entre aussi dans la formation de locutions semi-figées. Celles-ci sortent également

du cadre de notre analyse. Ainsi, les phrasèmes FAIRE VRAI, DIRE VRAI et

PARLER VRAI sont des « expressions » qui demandent une analyse qui leur est

propre :

(4) Ce décor est bien construit, il fait vrai.

(5) L’enfant dit vrai, laisse-le partir.

Les énoncés suivants présentent différentes utilisations de VRAI en tant qu’adjectif. Suite

à leur lecture, il est difficile de conclure que ce vocable n’a qu’un seul sens.

(6) C’est vrai ce qu’elle dit.

(7) C’est un vrai Picasso!

(8) Je trouve qu’il n’est pas vrai comme personne, t’sais.

(9) Ce poème est si vrai, si beau!

(10) Enfin, j’ai des vraies vacances.

(11) Les frites sont un vrai poison.

17

Les arguments de VRAI dans les énoncés (6), (7), (8) et (9) sont de natures différentes et

semblent associées à divers sens de VRAI. En (6), l’argument sémantique de VRAI est

une proposition ou un ensemble de propositions. En (7), cet argument est un objet. En

(8), l’argument de VRAI est une personne et en (9), une œuvre d’art. Les énoncés (10) et

(11), quant à eux, présentent des VRAI qui ont rapport avec l'idée de traits prototypiques,

ce qui n’est pas le cas des autres énoncés.

L’exposé qui suit explique pourquoi nous avons choisi de considérer les VRAI de (6) et

(7) comme étant une seule lexie et les VRAI de (8), (9), (10) et (11) comme autant de

lexies différentes.

1.1.1. VRAI1

1.1.1.1. Sémantisme de VRAI1

Le VRAI des énoncés (6) et (7) est certainement celui dont le sens est le plus « basic ».

Cette lexie de VRAI est la cible d’une très longue investigation philosophique et

linguistique, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. La littérature sur le sujet est si vaste

qu’en énumérer certains aspects, auteurs et œuvres clés demanderait plusieurs dizaines de

pages. Disons seulement que certains ont émis l’hypothèse que la vérité était une question

de cohérence (B. Russell, J. Habermas, J.O.Young, W. Quine…), d’autres que la vérité

était pragmatique, c’est-à-dire subjective et liée à l’utilité qu’on lui donne (C.S. Pierce,

W. James…), mais que, traditionnellement, la vérité est conçue comme indiquant une

correspondance entre une proposition et le monde réel (Aristote, A. Tarski…).

18

Ainsi, un mot sans référent réel ne peut être dit « vrai » : dans notre monde, Alice au pays

des merveilles n’est pas vraie, les licornes ne sont pas vraies… La conception

déflationniste de la vérité utilise l’équation suivante pour caractériser la vérité (Field

2004) :

(12) « p » est vrai si et seulement si p

La variable entre guillemets réfère au nom d’une proposition, tandis que la variable sans

guillemets réfère au signifié de la proposition. Ainsi, la proposition « Nicolas est né à

Londres » est vraie si et seulement si Nicolas est né à Londres. Le mot vrai a la propriété

de « déguillemettiser » ou « déciter » (disquotate) un contenu propositionnel (Stoljar

1997). Dans l’exemple suivant, la proposition « l’Ontario a des hôpitaux de haute

qualité » ne peut être vraie que s’il y a des hôpitaux de haute qualité en Ontario dans la

réalité relative au contexte de production de l’énoncé.

(13) Comme vous savez, nous avons des hôpitaux qui sont de très haute qualité partout dans la province du Nouveau-Brunswick et nous livrons un service de qualité. Mais probablement que le même est vrai dans la province de l'Ontario.

D’un autre coté, la vérité d’une chose peut aussi faire l’objet d’une convention, c’est-à-

dire qu’elle peut être considérée dans le cadre d’un monde imaginaire. L’énoncé (14) est

acceptable, même si ni Milou ni Tintin ne sont pas de vrais êtres :

(14) C’est vrai que Milou est le compagnon de Tintin.

On voit ainsi que cette lexie de VRAI n’est pas synonyme de RÉEL. Qu’une arme à feu

soit vraie ou fausse, elle reste réelle.

19

Nous considérons que ce sens de l’adjectif VRAI est un primitif sémantique, c’est-à-dire

que son signifié ne peut être divisé en éléments plus simples et aisés à comprendre. La

primitivité de VRAI est en ce moment admise par les tenants du métalangage sémantique

naturel qui a été développé, entre autres, par Anna Wierzbicka et Cliff Goddard :

Moreover, we have argued and sought to demonstrate that the concept ‘true’ is a linguistic universal and that in all languages people can say the exact semantic equivalent of “this is true” and “this is not true”. 1 (Wierzbicka 2002)

Selon cette théorie, les primitifs sémantiques sont un petit nombre de concepts qui sont

présents, sous la forme de mots ou d’éléments flexionnels, dans toutes les langues

naturelles. Leurs sens ne peuvent être divisés en éléments plus simples (Wierzbicka 1972;

1996).

Cette lexie étant considérée comme un primitif sémantique, on ne peut la définir. En

revanche, elle servira elle-même à définir les autres lexies du vocable. C’est donc la lexie

de base du vocable.

La forme propositionnelle de VRAI1 peut être exprimée de cette façon : « X [est] vrai ».

Le verbe ÊTRE est mis entre crochets afin de symboliser la possibilité de produire

l’adjectif sous la forme d’une copule.

1.1.1.2. Relations paradigmatiques de VRAI1

1 Traduction : « De plus, nous avons posé l’hypothèse et cherché à démontrer que le concept de ‘vérité’ est un universel linguistique et que dans toutes les langues on peut dire l’équivalent sémantique exact de ‘ceci est vrai’ et ‘ceci n’est pas vrai’. »

20

VRAI1 étant primitif, ses synonymes ont tous un sens plus étroits que lui. Lorsque

VRAI1 a une proposition comme argument, il est un marqueur épistémique comme

CERTAIN, PROBABLE... Lorsqu’il a comme argument un objet, il commute avec

RÉEL. Ces différentes relations paradigmatiques peuvent être modélisées à l’aide de

fonctions lexicales (FL). Ces listes ne sont probablement pas exhaustives et l’ordre

d’apparition des valeurs est arbitraire :

Syn⊂ : réel, véritable, certain, sûr, juste, évident, assuré, garanti, attesté, certifié

Anti : faux

Anti⊂ : irréel, incertain, improbable, fautif, douteux, erroné, fictif, feint, impossible

Adv0 : vraiment1

1.1.1.3. Syntaxe de VRAI1

VRAI1 se place habituellement avant son actant sémantique qui peut être exprimé en

syntaxe profonde par un syntagme nominal. Ce syntagme peut être une proposition, un

ensemble de propositions, un pronom ou un nom.

1.1.1.4. Phonologie de VRAI1

Le système de notation phonologique utilisé dans ses pages n’est destiné qu’à jeter les

bases d’une description des signifiants à l’étude. Les différentes possibilités de réalisation

phonologique des lexies telles que notées ici ne sont pas le fruit d’observations

objectives. Nous trouvons pertinent de les présenter dans la mesure où elles sont parfois

liées à certains phénomènes sémantiques.

21

Peut-être à cause de son rôle sémantique « fondamental », VRAI1 a plus souvent

l’occasion d’être accentué que la plupart des adjectifs.

[vRE] [`vRE]

1.1.2. VRAI2

1.1.2.1. Sémantisme de VRAI2

VRAI a pris un sens particulier lorsqu’il est attribué à une personne ou à un personnage.

Il a alors le sens d’AUTHENTIQUE tel que défini par le Petit Robert 2003 : « Qui

exprime une vérité profonde de l’individu et non des habitudes superficielles, des

conventions. ».

Un énoncé comme (15) est ambigu : il peut signifier soit (Mélanie existe en chair et en

os), soit (Mélanie est authentique).

(15) Mélanie est vraie.

Une personne (vraie) pense comme elle le dit et agit en accord avec ses principes moraux.

Ses comportements traduisent sa vraie nature.

Pour cerner de manière plus précise le sens de cette lexie, il faudrait (dans le cadre d’une

étude plus large) l’opposer à d’autres lexies du même champ sémantique comme

HONNÊTE, SINCÈRE, AUTHENTIQUE, MENTEUR.

Pour l'instant, nous attribuons à VRAI2 la paraphrase suivante:

2. X [est] vrai ≅

22

(La personne X se comporte selon sa vraie1 natureI.4.)

Le mot NATURE utilisé dans cette définition demande bien entendu à être désambiguïsé.

Nous allons, pour l’instant, devoir confier cette tâche au Petit Robert (2003) qui définit

cette lexie ainsi : « I.4. La nature de qqn, une nature : ensemble des éléments innés d’un

individu ».

1.1.2.2. Relations paradigmatiques de VRAI2

Syn∩ : authentique, droit, honnête, sincère, franc

Anti : faux

Anti∩ : menteur, trompeur, perfide, mythomane, hypocrite, sournois, dissimulé, fourbe, insidieux

1.1.2.3. Syntaxe de VRAI2

Cette lexie a la forme propositionnelle de l’adjectif; sa portée est limitée à un syntagme

nominal qui doit être une personne. L’actant syntaxique de VRAI2 doit se placer avant

l’adjectif, comme en (16a), à défaut d’en changer le sens :

(16a) Un homme vrai. ( VRAI2)

(16b) Un vrai homme. ( VRAI4a)

1.1.2.4. Phonologie de VRAI2

VRAI2 est souvent accentué.

[vRE] [`vRE]

1.1.3. VRAI3

1.1.3.1. Sémantisme de VRAI3

23

Lorsque VRAI a comme argument une quelconque représentation de la réalité comme

une œuvre d’art, une théorie ou une hypothèse, il peut prendre un sens particulier que le

Petit Robert (2003) définit ainsi : « Qui s’accorde avec le sentiment de la réalité du

spectateur, de l’auditeur (en général par la sincérité et le naturel). »

On retrouve par exemple ce sens dans des contextes de scène où des personnages sont

joués par des acteurs :

(17) Si tel personnage est vrai, c'est parce que j'en ai emprunté les traits et une partie des agissements à des personnes réelles et que j'en ai complété la mise en forme avec mes propres désirs, mon propre rapport aux choses et à l'histoire.

Nous attribuons à VRAI3 la paraphrase suivante :

3. X [est] vrai ≅(X est la représentation de vraies1 choses.)

Nous croyons que le mot REPRÉSENTATION, dont la définition formelle gagnerait à

être faite, est suffisamment vague pour permettre l’utilisation de cette paraphrase dans

tous les contextes de VRAI3, tant lorsqu’il qualifie une représentation artistique, comme

en (17), que lorsqu’il qualifie une représentation scientifique, comme en (18) :

(18) Je pense que la théorie du Big Bang est vraie.

1.1.3.2. Relations paradigmatiques de VRAI3

Syn∩ : crédible, exact, authentique

Anti : faux

Anti∩ : erroné, inexact

24

1.1.3.3. Syntaxe de VRAI3

Comme dans le cas de VRAI1.2, cette lexie a la forme propositionnelle de l’adjectif. Sa

portée est limitée à un syntagme nominal qui doit être une « représentation » de quelque

chose.

1.1.3.4. Phonologie de VRAI3

VRAI3 peut être légèrement accentué.

[vRE] [`vRE]

1.1.4. VRAI4a

1.1.4.1. Sémantisme de VRAI4a

On a vu que VRAI1 peut caractériser un argument sémantique comme étant vrai en

opposition à un état faux, feint ou fictif. VRAI4a caractérise plutôt un argument comme

étant vrai en opposition à un état imparfait ou incomplet. Par exemple :

(19) Une vraie amour, une grande, une catholique, rien que du coeur, pas de cochonneries.

L’ « amour » de l’énoncé (19) n’est pas imparfait, il a les caractéristiques les plus

importantes qu’un amour doit avoir et il les a à un haut niveau.

La lexie VRAI4a servirait ainsi à caractériser un élément comme se rapprochant du

prototype d’une catégorie. Le prototype « est conçu comme étant le meilleur exemplaire

communément associé par les sujets parlants à une catégorie » (Kleiber 1993 : 104).

Selon les théories de la sémantique des prototypes, les caractéristiques essentielles d’un

prototype serviraient de critères à la catégorisation. Lorsqu’en discours un locuteur

25

associe un élément à une catégorie (en disant « ceci est un 'X' »), il attribue par le fait

même les traits caractéristiques de cette catégorie à cet élément. Mais lorsque le locuteur

dit « ce X est un vrai ‘X’ », il le fait afin d’insister sur le fait que les caractéristiques

essentielles de la catégorie « X » sont fortement présentes dans le X en question. C’est ce

que fait VRAI4a dans l’énoncé suivant :

(20) En arrière, vous aviez une cour, une cour entourée d'une haute palissade : le vrai p'tit coin propice pour les tête-à-tête entre chattes et matous.

Le « p’tit coin propice pour les tête-à-tête entre chattes et matous » dont il est question en

(20) a tout ce qu’il faut pour l’être; il a fortement les caractéristiques essentielles d’un

p’tit coin propice pour les tête-à-tête entre chattes et matous, c’en est un vrai4a.

Une façon simple de traduire le concept de « essentiel » propre à la lexie qui nous

intéresse est la suivante : (X est essentiel à Y) ≅ (X est ce qui fait que Y est un «Y»). En

ajoutant une composante intensificatrice à cette paraphrase, nous arrivons à décrire le

signifié de VRAI4a :

4a. vrai X ≅(X a fortement les caractéristiques qui font d’un « X » un vrai1 « X ».)

Nous préférons cette formulation à une autre qui ferait appel au mot ESSENTIEL du

type : (X a fortement les caractéristiques essentielles d’un vrai1 X.). Cette formulation ne

rend pas bien le lien sémantique qu’entretiennent VRAI4a et VRAI1. D’autre part, il se

pourrait bien que le signifié de la lexie d’ESSENTIEL qui nous intéresse soit plus

complexe que la seule composante (X est ce qui fait que Y est un «Y»). Or il est

impossible de définir une lexie simple à l’aide d'une lexie plus complexe.

26

Le mot FORTEMENT est le plus « neutre » et le plus simple que nous avons trouvé afin

de rendre compte de la composante intensificatrice de VRAI4a. La composante

(fortement) respecte, à notre avis, la méthode de paraphrasage de la FL [Magn] telle que

proposée par S. Popovic (2004). Cette composante est centrale dans le signifié de la lexie

VRAI4a. Les énoncés (21) et (22a) présentent VRAI1 et VRAI4a. On voit que la

différence est mince entre les deux lexies.

(21) C’est pas un vrai oiseau, c’est une autruche en carton. ( VRAI1)

(22a) L’autruche n’est pas un vrai oiseau. ( VRAI4a)

(22b) L’autruche n’est pas un oiseau qui a fortement les caractéristiques qui font d’un oiseau un vrai1 oiseau.

1.1.4.2. Relations paradigmatiques de VRAI4a

L’existence d’une lexie VRAI4a différente de VRAI1 est corroborée par une différence

dans leur dérivation. Alors que l’adverbialisation de VRAI1 donne VRAIMENT1,

l’adverbialisation de VRAI4a donne VRAIMENT4.

Syn∩ : pur, véritable, parfait

Adv0 : vraiment4

Anti∩ : espèce de, genre de, sorte de

1.1.4.3. Syntaxe de VRAI4a

Cette lexie se place toujours immédiatement avant le nom qu’elle modifie : « vrai X ».

Contrairement à VRAI1, sa portée ne permet pas les formations de ce genre : « *c’est

vrai4a que X ». Elle ne peut pas non plus être utilisée en copule : « *Le repas est vrai4a ».

1.1.4.4. Phonologie de VRAI4a

27

VRAI4a est souvent accentué et parfois allongé.

[vRE] [`vRE] [`vRE:]

1.1.5. VRAI4b

1.1.5.1. Sémantisme de VRAI4b

Cette lexie correspond à l’emploi métaphorique de la précédente. Les métaphores sont

des outils fréquents dans la langue, mais dans le cas du mot VRAI, l’emploi

métaphorique est si fréquent, qu’il semble codifié dans le système linguistique. Il est

donc opportun d’en faire une lexie particulière.

Dans l’énoncé (23), les frites ne sont pas présentées comme du poison au sens littéral,

mais elles sont tenues comme ayant fortement les caractéristiques qui font qu’un poison

est un poison. Elles sont donc, en partie, sémantiquement… du vrai poison, c’est-à-dire

une « substance capable de troubler gravement ou d’interrompre les fonctions vitales

d’un organisme […]. » selon le Petit Robert (2003).

(23) Voilà la chère voiture de frites et son petit sifflet avertisseur. Molles et mal cuites? Peut-être. Oui, peut-être « mauvais pour la santé » comme disent les grands et les vieux, mais on s'en fiche. « Un cornet m'sieur! Cinq sous? Les voilà! » Et on a droit au sel en masse et au vinaigre en quantité. Ça coule à travers le sac pointu? Et puis après? C'est si bon. « Du vrai poison », marmonne le petit père Laroche, toujours sérieux et pompeux. Et puis après?

Associer POISON et FRITES est ainsi quelque chose de sémantiquement plausible à

cause des complications pour la santé que leur consommation à long terme entraîne. On

voit que les traits prototypiques d’un mot (d’une catégorie) peuvent servir à qualifier

d'autres objets que ceux normalement dénotés par ce mot.

28

Ce type de phénomène, lié à l’utilisation du mot VRAI, est à notre avis celui dont il est

fait allusion dans l’Introduction à la lexicologie explicative et combinatoire (Mel’čuk et

al. 1995 : 31), où on donne comme exemple la paire d’énoncés suivante :

(24a) Mon père est un VRAI médecin (Mon père exerce réellement la profession de médecin).

(24b) Mon père est un VRAI médecin (Mon père, qui n’est pas médecin, a des aptitudes pour soigner).

Il semble que dans (24b) le substantif MÉDECIN soit utilisé pour les traits prototypiques

de la catégorie qu’il dénote plutôt que pour sa capacité de désignation.

Comme le remarquent les auteurs de l’ouvrage, « ces deux sens différents sont

indissolublement liés à deux prosodies différentes » (Mel’čuk et al. 1995: 31). D’ailleurs,

la prosodie ainsi que le contexte d’énonciation d’un énoncé peuvent faire naître ce type

de phénomène en l'absence du mot VRAI :

(25a) J’en reviens pas. Le gars le plus paresseux qu’il y a sur la terre. Il est en train de construire une maison!

(25b) Wow! Regarde-moi cette niche : il a même fait une poignée pour la porte et mis un petit tapis. Il est en train de construire une maison!

En (25b), le substantif MAISON est utilisé pour les traits prototypiques de sa catégorie

plutôt que pour sa capacité de désignation. C’est une métaphore. NICHE est associée au

signifié de MAISON de façon à lui attribuer certaines de ses caractéristiques. À quoi sert

le mot VRAI dans un contexte semblable si la métaphore peut avoir lieu de toutes

29

façons? VRAI4b sert à confirmer la métaphore, à la rendre plus explicite (voir à ce sujet

Legallois 2002).

L’utilisation métaphorique de VRAI est suffisamment lexicalisée pour justifier qu’on la

distingue de VRAI4a. La paraphrase qui lui est associée est pratiquement identique à

celle de VRAI4a. La seule différence réside dans l’identité de la catégorie dont les

(principales caractéristiques) sont issues. Dans le cas de VRAI4a, il y a correspondance

entre l’argument (X) et la catégorie à laquelle on l’associe. Dans le cas de VRAI4b, la

relation entre l’argument (X) et la catégorie à laquelle on l’associe est métaphorique.

4b. X est un vrai « Y » ≅ (X a fortement les caractéristiques qui font d'un « Y » un vrai1 « Y ».)

1.1.5.2. Relations paradigmatiques de VRAI4b

Syn : véritable

1.1.5.3. Syntaxe de VRAI4b

VRAI4b se place toujours immédiatement avant l’actant Y qui doit être un syntagme

nominal. L’actant X peut ne pas se réaliser en syntaxe de surface.

1.1.5.4. Phonologie de VRAI4b

VRAI4b est souvent accentué et parfois allongé.

[vRE] [`vRE] [`vRE:]

1.1.6. Conclusion sur le vocable VRAI

30

La présentation des lexies de l’adjectif VRAI est maintenant terminée. En résumé,

VRAI1 est le sens primitif, VRAI2 est attribué à des personnes et a le sens

d’(authentique), VRAI3 est attribué à des représentation de la réalité, VRAI4a situe un état

de chose comme ayant fortement les caractéristiques prototypiques de sa catégorie et

VRAI4b situe un état de chose comme ayant fortement les caractéristiques prototypiques

d’une autre catégorie.

Notre analyse permet d’expliquer des cas mystérieux comme en (26a) :

(26a) A : C’est une vraie théorie ce que tu dis là! B : En fait, c’est une vraie théorie, mais elle n’est pas vraie, bien sûr.

Nous pouvons étiqueter les différents VRAI afin de les désambiguïser :

(26b) A : C’est une vraie4b théorie ce que tu dis là! B : En fait, c’est une vraie1 théorie, mais elle n’est pas vraie3, bien sûr.

Une théorie peut donc être à la fois vraie dans le sens où elle est existe (que des

scientifiques la proposent) et à la fois être non-vraie, dans le sens où elle ne représente

pas de vraies choses. La théorie dont il est question en (26) n’est donc probablement pas

cohérente avec la réalité et ne représente pas bien le réel, comme une théorie doit l’être.

Pour terminer, il nous est possible de représenter le réseau polysémique des lexies de

VRAI adjectif à l'aide d'une figure. Les flèches symbolisent l’inclusion des sèmes d’une

lexie dans une autre. A B, signifie que A est inclus dans B.

31

Figure 2Réseau polysémique de VRAI adjectif

vrai1

vrai2 vrai3

vrai4b vrai4a

32

1.2. VRAIMENT

Cette partie est consacrée à l’analyse de l’adverbe VRAIMENT et de ses usages

discursifs. Rencontré dans un texte, rien dans la morphologie de VRAIMENT ne permet

de savoir s’il s’agit d’un adverbe ou d’un MD. Que l’on choisisse ou non de regrouper

toutes les lexies de VRAIMENT sous un même article de dictionnaire, leur analyse gagne

à être menée en même temps : les MD sont issus de la pragmaticalisation des sens

lexicaux et sont, par conséquent, souvent liés sémantiquement à ceux-ci.

Les trois premières lexies de VRAIMENT sont directement liées au primitif sémantique

VRAI1 :

(27) Est-ce que tu penses vraiment que c’est une bonne idée?

(28) Je suis le descendant de Louis XIV. Vraiment.

(29) A : J’aime bien Jean Charest.B : Vraiment?

Le VRAIMENT de l’énoncé (27) est un adverbe « normal », tandis que ceux de (28) et

(29) sont des « mot-phrases ». Trois autres lexies du vocable sont liées au VRAI4a :

(30) Il fait vraiment trop froid ici.

(31) Vraiment, il est temps que l’hiver finisse.

(32) [A renverse sa tasse de café sur les papiers de B.]B : Vraiment là! T’es ben maladroit.

En (30), VRAIMENT est un adverbe intra-phrastique, en (31), il est adverbe

« d’énonciation » et en (32), « mot-phrase ».

1.2.1. VRAIMENT1

33

1.2.1.1. Sémantisme de VRAIMENT1

Le VRAIMENT de l’énoncé (27) est construit avec VRAI1. C’est un « adverbe » dont la

portée est dite « extra-prédicative », c’est-à-dire que son argument sémantique est une

phrase complète. Comme VRAI1, VRAIMENT1 permet, entre autres, de confirmer un

état du monde ou de l’opposer à un état du monde fictif ou imaginaire. Par exemple :

(33a) Il y a deux militaires qui ont sauvé vraiment la vie d'une personne qui était menacée d'hypothermie en plein champ. Ils l'ont sauvée.

Dans l’énoncé (33a), VRAIMENT1 confirme la vérité de la phrase dans lequel il se

trouve.

De nombreux adverbes qui ont la forme « Adj-ment » se définissent facilement à l’aide

de la paraphrase « de manière Adj ». Par exemple, l’adverbe CORDIALEMENT, peut se

définir par « de manière cordiale ». Cette façon systématique de décrire les adverbes est

appropriée au projet du DEC. La portée extra-prédicative de VRAIMENT1 rend

cependant impossible un paraphrasage de ce type : (P-er de manière vraie1). En effet, si

on substitue cette paraphrase à VRAIMENT1 dans l’énoncé (33a), le résultat n’a pas le

même sens :

(33b) Il y a deux militaires qui ont sauvé de manière vraie la vie d'une personne qui était menacée d'hypothermie en plein champ. Ils l'ont sauvée.

≠ VRAIMENT1

Nous devons attribuer à VRAIMENT1 une paraphrase dans laquelle la portée de VRAI1

englobe toute la phrase dont il est le prédicat sémantique. Par exemple : « C’est vrai1 que

34

P ». La substitution de VRAIMENT par cette paraphrase ne modifie pas le sens

propositionnel de l’énoncé (33a) :

(33c) C’est vrai qu’il y a deux militaires qui ont sauvé la vie d'une personne qui était menacée d'hypothermie en plein champ. Ils l'ont sauvée.

La paraphrase (C’est vrai1 que P) permet aussi de traiter les cas où l’argument sémantique

de VRAIMENT1 est une phrase interrogative. Une transformation est parfois nécessaire,

comme dans l’énoncé (34b) où la modalité interrogative est rendue par « est-ce que »

alors qu’elle était exprimée par l’ordre verbe-sujet dans (34a) :

(34a) Raymond, penses-tu qu'on a pris la bonne décision, penses-tu vraiment que c'est ça qu'il faut faire?

(34b) Raymond, penses-tu qu'on a pris la bonne décision, est-ce que c’est vrai que tu penses que c'est ça qu'il faut faire?

Le paraphrasage de VRAIMENT1 par (C’est vrai1 que P) pose un problème de syntaxe

dans les cas où l’argument sémantique est une phrase subordonnée. La grande portée de

VRAIMENT1 oblige à faire des paraphrases avec le mot QUE dont la répétition dans ce

cas transgresse une règle de grammaire en français :

(35a) Ce qui est vraiment arrivé ce soir-là est secret.

(35b) ? Ce qui est vrai qui est arrivé ce soir-là est secret.

Nous considérons cette paraphrase comme étant bonne malgré cette contrainte stylistique,

à défaut d’avoir mieux.

1. Vraiment P ≅ (C’est vrai1 que P.)

1.2.1.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT1

35

La relation entre VRAIMENT1 et VRAI1 peut être représentée par la FL [A0] qui permet

l’adjectivisation d’une lexie sans en modifier le sens :

A0 : vrai1

Syn : ┌pour de vrai┐1

1.2.1.3. Syntaxe de VRAIMENT1

VRAIMENT1 a les propriétés syntaxiques d’un adverbe « intra-phrastique », mais avec

un peu plus de liberté de mouvement que la plupart d’entre eux. Contrairement à la

plupart des adverbes, il ne peut porter exclusivement sur un autre adverbe ou sur un

adjectif : sa portée englobe toujours le verbe et ses arguments. On utilise la variable « P »

pour symboliser son argument sémantique.

La grande portée de VRAIMENT1 lui permet une relative liberté de mouvement dans la

phrase, ce qui peut parfois provoquer des phénomènes étonnants où deux phrases

différentes ont le même sens :

(36a) Ils veulent vraiment savoir ce qui s'est passé cette journée-là.

(36b) Ils veulent savoir vraiment ce qui s’est passé cette journée-là.

Le VRAIMENT1 de (36a) peut être interprété comme portant sur tout l’énoncé : (C’est

vrai qu’ils veulent savoir ce qui s’est passé cette journée-là.) Mais le VRAIMENT1 de

(36a) peut aussi, comme celui de (36b), porter seulement sur la partie de l’énoncé dominé

par SAVOIR : (Ils veulent que ce soit vrai qu’ils sachent ce qui s’est passé cette journée-

là.)

(36c) Ils veulent savoir ce qui s'est vraiment passé cette journée-là.

36

(36d) Ils veulent savoir ce qui s'est passé vraiment cette journée-là.

On voit qu’en (36c) et (36d), VRAIMENT1 peut se placer soit entre l’auxiliaire et le

participe passé, soit juste après ce dernier sans modifier le sens de l’énoncé. Il porte dans

les deux cas sur la subordonnée : (Ils veulent savoir ce qui est vrai qui s’est passé cette

journée-là.)

1.2.1.4. Phonologie de VRAIMENT1

VRAIMENT1 est prononcé avec une mélodie généralement plane, sa première syllabe

peut être accentuée et allongée.

[vREm2] [`vREm2] [`vRE:m2]

1.2.2. VRAIMENT2

1.2.2.1. Sémantisme de VRAIMENT2

VRAIMENT2 est issue de la pragmaticalisation de VRAIMENT1. La pragmaticalisation

est la migration d’une unité lexicale ou grammaticale vers la zone pragmatique (Dostie

2004). Par exemple SAVOIR, qui est un verbe, donc une unité lexicale, a donné T’SAIS,

qui n’est plus un verbe, mais un marqueur pragmatique.

VRAIMENT2 appartient à la classe des lexies parenthétiques. Selon Iordanskaja et

Mel’čuk (1999a), les lexies parenthétiques portent sur des énoncés entiers, elles peuvent

occuper des positions variées dans la phrase, elles présentent des intonations particulières

et sont souvent séparées du reste de la phrase par des pauses.

37

Selon la terminologie que nous avons adoptée, VRAIMENT2 est un marqueur

d’interprétation, c’est-à-dire le signalement par l’énonciateur d’un commentaire

concernant son discours. Dans le cas de VRAIMENT2, ce commentaire est relativement

simple; il peut se paraphraser ainsi : (c’est vrai1 que l’information [communiquée / mise

en question] par l’énoncé « Q » est vraie1). Les crochets et la barre oblique indiquent que

la paraphrase peut se lire soit avec la composante (communiquée) soit avec la composante

(mise en question).

Dans l’énoncé (37), par exemple, une des interprétations possibles de VRAIMENT est

celle où il ne fait que confirmer que ce qui est communiqué par son énoncé « je suis

amoureux » est vrai :

(37) Je n'irai pas par quatre chemins. Maman, je suis amoureux! Vraiment! Et j'ai le sentiment - une espèce de certitude si heureuse - de l'être pour la première fois.

L’argument sémantique du marqueur d’interprétation VRAIMENT2 n’est pas

nécessairement un énoncé descriptif. Par exemple, il peut être à l’impératif, car malgré le

fait qu’un énoncé à l’impératif ne peut être ni vrai ni faux, ce qui est communiqué par un

tel énoncé peut l’être. Ainsi, la phrase « Arrête ça tout de suite » communique « Je te

demande d’arrêter ça tout de suite. ». Un énoncé comme (38) est donc possible :

(38) Arrête ça tout de suite. Vraiment.

De façon similaire, la phrase « Merci beaucoup! », qui est non descriptive, peut être

paraphrasée de façon descriptive par « Je te remercie beaucoup! ». L’énoncé (39) est

donc possible :

38

(39) Merci beaucoup! Vraiment.

La composante (met en question) de la paraphrase permet de traiter les cas où

VRAIMENT2 est produit en réponse à une question :

(40) A : Est-ce que tu es vraiment médecin?B : Vraiment. Oui.

On voit que ce n’est pas l’argument de VRAIMENT2 qui est qualifié de VRAI, mais ce

qui est communiqué ou mis en question par cet énoncé.

Le fait que VRAIMENT2 soit impossible au tout début d’un discours n’en fait pas un

connecteur textuel, puisqu’il ne relie pas deux parties de discours ensemble, mais donne

un commentaire sur un discours.

En (41), l’argument de VRAIMENT2 est la courte phrase « Beaucoup. » qui le précède et

non « Il a beaucoup d'élégance. » qui le suit. Ainsi, Eddy ne veut pas insister sur le fait

que le briquet a beaucoup d’élégance (auquel cas il aurait utilisé VRAIMENT4 ou

VRAIMENT5), mais plutôt confirmer qu’il est sincère quand il dit qu’il aime beaucoup

le briquet.

(41) MADELEINE […] Le briquet te plaît ? EDDY - Beaucoup. Vraiment. Il a beaucoup d'élégance.

Nous proposons la paraphrase suivante pour VRAIMENT2 :

2. Q. Vraiment ≅(Je signale que c’est vrai1 que l’information [communiquée / mise en question] par l’énoncé « Q » est vraie1.)

39

Le caractère non descriptif d’une lexie doit se refléter dans sa définition. Par convention,

nous utilisons le verbe SIGNALER. Comme l’affirment Iordanskaja et Mel’čuk (1999a :

31), « Le verbe français signaler ne correspond pas bien au sens que nous voulons lui

donner […] : ainsi, il présuppose le destinataire (Je vous signale que je peux plus

tolérer…), ce qui ne devrait pas être le cas pour la composante sémantique (signaler). »

Nous préférons l’utilisation du (je) aux composantes (énonciateur) et (locuteur) proposées

par L. Iordanskaja et I. Mel’čuk (1999a et 1999b). Nous reconnaissons l’importance de la

question d’ « insubordonnabilité syntaxique », c’est-à-dire « [l]’incapacité de certaines

lexies non descriptives à être utilisées dans le discours rapporté » (1999a). Nous croyons

que dans certains cas, une lexie utilisée en discours rapporté est différente d’une lexie qui

ne l’est pas. La première est descriptive tandis que l’autre ne l’est pas.

Nous croyons que la lexie EN FAIT, discutée par les auteurs, utilisée en discours direct

de façon non descriptive comme en (43a), ne devrait pas avoir la même définition que

celle utilisée en discours rapporté comme en (43b) :

(43a) Pierre a dit : en fait, j’ai décidé de rester chez moi.

(43b) Pierre a dit qu’en fait, il avait décidé de rester chez lui.

Cette hypothèse est issue de l’observation d’autres types de lexies comme le verbe

performatif REMERCIER qui présente des formes différentes selon qu’il est utilisé de

façon descriptive (42a) ou non (42b).

(42a) Pierre lui a dit qu’il le remerciait.

40

(42b) Pierre lui a dit : merci.

La définition d’une lexie non descriptive comprend donc la composante (je signale) et

celle d’une lexie descriptive ne la comprend pas.

La composante (c’est vrai1 que), qui exprime l’idée de confirmation, est la paraphrase

exacte de VRAIMENT1. On peut donc dire que VRAIMENT1 est présent dans la

définition de VRAIMENT2, ce qui est cohérent avec le fait que ce dernier est issu de la

pragmaticalisation du premier.

1.2.2.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT2

Syn : ┌pour de vrai┐2

Syn∩ : ┌c’est vrai┐

1.2.2.3. Syntaxe de VRAIMENT2

Cette lexie est un « mot-phrase » qui réfère à un énoncé qui communique une information

ou qui la met en question. Un mot-phrase est un mot qui constitue à lui seul une phrase; il

est figé (invariable) et son signifié est « complet », c’est-à-dire que sa définition doit être

une phrase complète (dont le sens contient au moins un prédicat et ses arguments).

1.2.2.4. Phonologie de VRAIMENT2

Le mot-phrase VRAIMENT2 est prononcé avec une mélodie descendante ou plane, sans

accentuation.

[vREm2] [vREm2]

41

1.2.3. VRAIMENT3

1.2.3.1. Sémantisme de VRAIMENT3

VRAIMENT3 est un marqueur de réalisation d’un acte illocutoire qui permet à

l’énonciateur d’interroger le co-énonciateur au sujet de la vérité d’une information

communiquée par son énoncé et d’exprimer en même temps son étonnement au sujet de

cet énoncé. En français québécois, cette lexie est beaucoup moins utilisée (d’après une

consultation de la BDTS) que POUR DE VRAI3 qui a un sens équivalent. Son

utilisation semble limitée au registre littéraire (il n’apparaît pas dans les sections orales de

la BDTS).

Dans l’énoncé (44), A réagit à l’affirmation de B en lui demandant de la confirmer et en

lui signalant qu’elle l’étonne.

(44) A : Comment vous êtes-vous connus?B : Je ne me rappelle pas. A : Vraiment? Tu ne te rappelles pas ?...

Par cette lexie, l’énonciateur réalise donc deux actes illocutoires simultanément, le

premier directif et le second expressif.

L’énonciateur de VRAIMENT3 réagit obligatoirement à une information communiquée

par un énoncé « Q » antérieur, normalement produit par le co-énonciateur. Par

« information », on entend le sens communicatif d’un énoncé. Un énoncé à l’impératif,

une expression non descriptive (« Zut! ») ou même un geste communiquent des sens. Un

énoncé à l’impératif ne peut être sujet à interrogation, mais l’information qu’il

présuppose peut l’être. Par exemple, l’intervention de A en (45) implique l’affirmation

42

« Je te signale de ne pas l’appeler “Guillaume” » dont la véracité peut être sujet à

interrogation :

(45) A : Ne l’appelle pas « Guillaume ».B : Vraiment?

De façon semblable, le geste de A en (46) est l’équivalent discursif d’un énoncé du genre

« Je mise tout ce qui me reste d’argent! », lequel est un énoncé performatif qui, en plus de

réaliser un acte, le décrit :

(46) [Au cours d’une partie de poker, A met tout ce qui lui reste d’argent au centre de la table.]

B : Vraiment?

Par contre, VRAIMENT3 peut difficilement être produit en réponse à une question

directe, car ce type de phrase ne présuppose pas la proposition qu’elle met en

interrogation :

(47) A : Est-ce qu’il y a une soucoupe volante dehors?B : Vraiment! (≠ VRAIMENT3, mais pourrait être VRAIMENT6)

Les actes illocutoires réalisés par VRAIMENT3 sont paraphrasés à l’aide de tournures

déclaratives. La fonction interrogative est réalisée par la composante (je te demande si) et

la fonction expressive est rendue par la composante (qui m’étonne).

3. Q. Vraiment ≅(Je te demande si l’énoncé « Q », qui m’étonne, communique une information vraie1.)

1.2.3.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT3

Syn : ┌pour de vrai┐3

Syn∩ : ┌sans blague┐, ┌pas vrai┐

43

1.2.3.3. Syntaxe de VRAIMENT3

VRAIMENT3 est un mot-phrase.

1.2.3.4. Phonologie de VRAIMENT3

En contexte écrit, la lexie VRAIMENT3 est suivie d’un point d’interrogation, ce qui est

cohérent avec la composante (je te demande si) qui rend compte de l’acte de question.

VRAIMENT3 est produit avec une intonation montante, ce qui est typique de la forme

interrogative. L’accentuation peut aussi être mise sur la dernière syllabe.

[vRE`m2:] [vREm2]

1.2.4. VRAIMENT4

1.2.4.1. Sémantisme de VRAIMENT4

Cette lexie de VRAIMENT a une composante intensificatrice assez évidente. À cause de

son sens d’intensification, elle doit porter sur un syntagme muni d’une composante

graduable. Ainsi, en (48a), aucune composante de « porter des jeans noires » ne peut être

intensifiée; ce syntagme ne peut donc pas être argument de VRAIMENT4 (ni de

BEAUCOUP d’ailleurs) :

(48a) Je porte vraiment des jeans noires. ( VRAIMENT1)

(48b) *Je porte beaucoup des jeans noires.

44

Par contre, en (48c), VRAIMENT4 a comme argument le syntagme « porter souvent des

jeans noires » dont la composante (souvent) est graduable. VRAIMENT4 et TRÈS sont

donc possibles ici :

(48c) Je porte vraiment souvent des jeans noires. ( VRAIMENT4)

(48d) Je porte très souvent des jeans noires.

Pour Gezundhajt (2000 : 268-269) l’étiquette d’« adverbe intensif » n’est pas totalement

justifiée dans le cas de VRAIMENT : « [S]i vraiment a une fonction intensificatrice on

peut se demander pourquoi l’énonciateur combine les deux adverbes dans un énoncé

comme :

320. Bernard Pivot : - Ne craignez-vous pas des représailles de leur part? Parce que ils peuvent être vraiment très furieux contre vous […] »

Il est parfois impossible de substituer TRÈS ou BEAUCOUP à VRAIMENT, alors que

d’autres adverbes aux propriétés similaires à VRAIMENT s’utilisent dans ces cas :

(49a) Il fait vraiment trop froid ici.

(49b) * Il fait très trop froid ici

(49c) Il fait absolument trop froid ici.

(49d) Il fait crissement trop froid ici.

Nous croyons que VRAIMENT4 est le résultat de l’adverbialisation de VRAI4a. Comme

VRAI4a, il possède donc la composante (fortement), ce qui lui donne son côté

intensifieur, mais son sens ne se limite pas à cette composante. Dans l’énoncé (50a), par

exemple, on sent bien que le sens de VRAIMENT4 n’égale pas (fortement) :

(50a) Je suis sur le point de vraiment comprendre.

45

La paraphrase « ? de manière vraie4a » n’est pas appropriée dans le cas de VRAIMENT4

à cause du comportement syntaxique de la lexie considérée qui doit habituellement se

placer juste avant le nom qu’elle qualifie. En effet, si on remplace VRAIMENT4 par

« ? de manière vraie4a » dans un énoncé comme (49e), cela crée une confusion et le sens

de VRAIMENT4 n’est pas bien rendu :

(49e) ? Il fait trop froid de manière vraie!

La paraphrase de VRAIMENT4 devra donc être formulée différemment afin d’être

grammaticalement et sémantiquement correcte. Nous proposons :

4. P-er vraiment ≅(P-er d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font que « P-er » est vraiment1 « P-er ».)

La composante (les caractéristiques qui font que « P-er » est vraiment1 « P-er ») tient lieu

de traits prototypiques; elle joue le même rôle que jouait la composante (qui font

qu’un « X » est un vrai1 « X ») dans la définition de VRAI4a.

Voici ce qui arrive lorsqu’on applique cette paraphrase aux différentes séries d’énoncés

problématiques introduites plus haut :

(48e) Je porte souvent, d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font que « porter souvent » est vraiment « porter souvent », des jeans noires.

(49f) Il fait trop froid d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font que « faire trop froid » est vraiment « faire trop froid ».

46

(50b) Je suis sur le point de comprendre d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font que « comprendre » est vraiment « comprendre ».

1.2.4.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT4

VRAIMENT4 s’inscrit dans le paradigme des adverbes intensifieurs.

Syn : ┌pour de vrai┐4

Syn∩ : absolument, franchement, crissement, parfaitement, résolument, ┌pas pour rire┐, ┌en crisse┐…

Anti∩ : ┌pas du tout┐, ┌pas pantoute┐

1.2.4.3. Syntaxe de VRAIMENT4

VRAIMENT4 peut avoir comme argument un prédicat verbal graduable ou un prédicat

adjectival graduable. Dans les cas où l’argument de VRAIMENT4 est un adjectif, le

paraphrasage nécessite une transformation :

(51a) T’écoutes de la vraiment bonne musique.

Le syntagme « de la vraiment bonne musique » peut être transformé en un syntagme sous

la forme d’une copule :

(51b) T’écoute de la musique qui est vraiment bonne.

Où la substitution de VRAIMENT4 par sa paraphrase fonctionne :

(51c) T’écoute de la musique qui est bonne d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font que « être bon » est vraiment1 « être bon ».

1.2.4.4. Phonologie de VRAIMENT4

47

VRAIMENT4 se prononce avec une mélodie neutre ou en cloche en accentuant et

allongeant la première syllabe.

[`vRE:m2] [`vRE:m2]

48

1.2.5. VRAIMENT5

1.2.5.1. Sémantisme de VRAIMENT5

Le déplacement de VRAIMENT4 en tête de phrase, ou en position détachée, a un effet

sur sa portée et sur son sens. Il se pragmaticalise en devenant un marqueur

d’interprétation.

Cette lexie exprime une insistance sur la véracité d’une énonciation (plutôt que sur un

syntagme de l’énoncé). Ainsi, on ne peut pas substituer au VRAIMENT5 de (52a) les

sens de VRAIMENT1 (paraphrasé en 52b) ou VRAIMENT4 (tel qu’utilisé en 52c) :

(52a) Vraiment, Jeanne, je n'insisterais pas à ta place.

(52b) C’est vrai que, Jeanne, je n'insisterais pas à ta place.

(52c) Jeanne, je n’insisterais vraiment pas à ta place.

C’est plutôt le « dire » que le « dit » qui est qualifié en (52a), tandis qu’en (52b) et (52c),

c’est le contenu propositionnel qui est qualifié.

Comme VRAIMENT2, VRAIMENT5 représente le commentaire d’un locuteur sur son

énonciation. Leurs paraphrases ont des similitudes, mais, alors que VRAIMENT2 était

construit à partir de VRAIMENT1, VRAIMENT5 est construit à partir de VRAIMENT4.

La composante (je signale que c’est vrai1 que) de VRAIMENT2 est donc remplacée par la

composante (j’insiste vraiment4 sur le fait que).

5. Vraiment « Q » ≅(J’insiste vraiment4 sur le fait que l’énoncé « Q » communique une information vraie1.)

49

Cette paraphrase permet de traiter les cas où VRAIMENT5 est utilisé avec une phrase à

l’impératif :

(53a) Vraiment, avoue-le lui le plus tôt possible.

(53b) J’insiste vraiment4 sur le fait que l’énoncé [suivant] communique une information vraie : avoue-le lui le plus tôt possible.

1.2.5.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT5

Syn : ┌pour de vrai┐5

Syn∩ : ┌en vérité┐, franchement, sérieusement, ┌sans blague┐

1.2.5.3. Syntaxe de VRAIMENT5

Il est possible de postposer là à VRAIMENT5 contrairement à VRAIMENT4, ce qui

indique qu’il s’agit bel et bien d’une lexie distincte. Ainsi, on voit qu’en (54a)

VRAIMENT4 est possible, mais pas en (54b) :

(54a) Si les choses sont comme tu dis : vraiment4 d'accord, tout à fait.

(54b) * Si les choses sont comme tu dis : vraiment4 là d'accord, tout à fait.

Par contre, en (55a) et (55b), les formes vraiment et vraiment là sont interchangeables, ce

qui indique qu’il s’agit de VRAIMENT5 :

(55a) Si elle l'avait entendu, pauvre maman, il y a tout à parier qu'elle aurait souri. Ah oui, vraiment, elle aurait souri de voir papa examiner le caveau comme une autre de ses possessions en discutant le prix à tue-tête pour savoir s'il en avait pour son argent.

(55b) Si elle l'avait entendu, pauvre maman, il y a tout à parier qu'elle aurait souri. Ah oui, vraiment là, elle aurait souri de voir papa examiner le caveau comme une autre de ses possessions en discutant le prix à tue-tête pour savoir s'il en avait pour son argent.

50

L’argument sémantique de VRAIMENT5 est quelques fois implicite. Il peut, par

exemple, avoir été évoqué précédemment par un co-énonciateur. En règle générale,

l’argument de VRAIMENT5 suit de très près le marqueur. Contrairement à

VRAIMENT2 ou VRAIMENT3, VRAIMENT5 n’est pas complètement indépendant

syntaxiquement et prosodiquement de son argument; ce n’est donc pas un mot-phrase.

1.2.5.4. Phonologie de VRAIMENT5

L’intonation et l’accentuation de VRAIMENT5 est similaire à celle de VRAIMENT4 : le

marqueur a une mélodie neutre ou descendante et sa première syllabe est habituellement

accentuée. Contrairement aux mot-phrases introduits plus haut, il n’y a pas une coupure

prosodique totale entre cette lexie et l’affirmation sur laquelle elle porte.

[`vRE:m2] [`vRE:m2]

1.2.6. VRAIMENT6

1.2.6.1. Sémantisme de VRAIMENT6

VRAIMENT6 est une autre lexie mot-phrase. Elle sert à exprimer l’exaspération du

locuteur face à un comportement ou une série d’évènements. Elle semble être issue de la

pragmaticalisation de VRAIMENT4.

En (56), B exprime que le comportement de A l’exaspère.

(56) [A échappe un verre de lait]B : Ah! Vraiment! T’es don ben maladroit!

51

VRAIMENT6 n’est pas nécessairement produit en présence de l’auteur du comportement

exaspérant ni même adressé à celui-ci :

(56) [A voit un graffiti sur un mur et dit :] Vraiment!

Un comportement peut être une énonciation :

(57) A : Je trouve que Bouchard a mérité ce qui lui est arrivé. B : Vraiment! C’est niaiseux pas mal ça.

L’exaspération peut aussi être causée par une série d’évènements :

(58) [A se coupe le doigt, se cogne la tête sur le coin de la pharmacie, échappe le pansement dans la toilette puis dit : ] Vraiment!

Il est étrange que VRAIMENT6 puisse difficilement être produit dans d’autres contextes

que ceux que nous avons illustrés. Une série d’évènements pouvant être vue comme le

comportement d’un destin personnifié, il serait peut-être possible de regrouper les

composantes (comportement) et (série d’évènements) sous une seule formulation (que

nous n’avons pas encore découverte).

Par ailleurs, une composante d’intensification est définitivement présente dans le signifié

de ce VRAIMENT, ce qui permet d’envisager l’inclusion de VRAIMENT4 dans sa

paraphrase et d’établir ainsi un pont sémantique entre les deux lexies.

Comme nous l’avons vu, l’argument sémantique de VRAIMENT6 n’est pas un

« énoncé », mais un comportement ou une série d’évènements. Nous utilisons la variable

α pour symboliser cet argument extra-linguistique.

52

6. Vraiment α ≅(Je signale que le comportement ou la série d’évènements α m’exaspère vraiment4.)

1.2.6.2. Relations paradigmatiques de VRAIMENT6

Syn∩ : franchement, voyons1

1.2.6.3. Syntaxe de VRAIMENT6

Le comportement syntaxique de VRAIMENT6 est comparable à ceux de VRAIMENT2

et VRAIMENT3 : il est un mot-phrase.

1.2.6.4. Phonologie de VRAIMENT6

En contexte écrit, nous écrivons VRAIMENT6 avec un point d’exclamation afin de

rendre compte de l’acte expressif qu’il réalise.

La prosodie de cette lexie est, quoique variable, très caractéristique : elle peut être

prononcée avec une mélodie en cloche (montante puis descendante) et ses deux syllabes

peuvent être accentuées et allongées.

[`vRE:`m2:] [`vRE:m2:] [vRE`m2:] [vRE:`m2:] [`vREm2:] …

53

1.2.7. Conclusion sur le vocable VRAIMENT

En résumé, VRAIMENT1 est dérivé du primitif sémantique VRAI1, VRAIMENT2 est un

mot-phrase qui confirme la vérité d’une énonciation, VRAIMENT3 est un mot-phrase qui

réalise des actes illocutoires expressifs et directifs, VRAIMENT4 est un adverbe qui

caractérise un syntagme verbal comme ayant fortement certains traits prototypiques,

VRAIMENT5 insiste sur la véracité d’un énoncé et VRAIMENT6 sert à exprimer

l’exaspération.

La figure 3 permet de tracer le chemin de la pragmaticalisation de plusieurs lexies de

VRAIMENT. On voit que VRAIMENT3 est issu de VRAIMENT2 qui est issu de

VRAIMENT1, qui lui-même est le résultat de la dérivation de VRAI1. On voit aussi que

VRAIMENT4, créé par la dérivation de VRAI4a, se pragmaticalise en VRAIMENT5 et

VRAIMENT6.

Figure 3Réseau polysémique de VRAI adjectif et VRAIMENT

54

vrai1

vrai2 vrai3

vrai4b vrai4a

vraiment1

vraiment3

vraiment4

vraiment6 vraiment5

vraiment2

1.3. PAS VRAIMENT

La pragmaticalisation de VRAIMENT4 sous la forme négative a mené à la formation

d’un phrasème utilisé comme mot-phrase.

Un phrasème est une combinaison de mots dont le sens est différent de celui donné par

leur simple addition et dont la forme ne peut être modifiée ou très peu, selon qu’elle est

figée ou semi-figée. La plupart des syntagmes ou des phrases d’un texte sont des suites de

mots non-figées, c’est-à-dire des mots alignés produisant du sens en vertu de principes de

combinatoire et de règles grammaticales sans que leur ordre précis ne fasse l’objet d’une

convention lexicale.

Dans l’énoncé (59), le locuteur utilise la négation de VRAIMENT4 pour euphémiser son

affirmation qui risquerait d’être offensante :

(59) J’ai pas vraiment le goût de venir souper chez ta mère à soir.

La même construction peut être utilisée comme mot-phrase, comme en (60) où B

euphémise sa réponse négative à la question de A :

(60) A : Est-ce que tu as le goût de venir souper chez ma mère à soir?B : Pas vraiment…

Avant d’analyser PAS VRAIMENT, il est nécessaire de clarifier certaines

caractéristiques de l’utilisation de VRAIMENT4 intra-phrastique sous la forme négative

dont il est issu.

55

Deux interprétations de (61) sont possibles : la négation peut porter sur le syntagme

verbal (est vraiment bon) ou elle peut porter uniquement sur VRAIMENT4.

(61) Le pain est pas vraiment bon.

Ces deux interprétations correspondent à deux syntaxes profondes différentes. L’une

accepte le « n’ » avant le verbe et peut être représentée comme en (62) et l’autre accepte

moins bien le « n’ » et peut être représentée comme en (63) :

(62) Le pain n’est pas « vraiment bon »

(63) Le pain est « pas vraiment bon »

De plus, à l’oral l’accentuation aide à distinguer la différence de portée de NE PAS.

Lorsque la négation porte sur le verbe, il y a une rupture prosodique entre PAS et

VRAIMENT et ce dernier est accentué. Lorsque la négation fait bloc avec l’adverbe les

mots PAS et VRAIMENT sont prononcés ensemble, sans rupture prosodique.

L’interprétation de (62), qui implique que NE PAS porte sur le syntagme verbal (est

vraiment bon), peut se paraphraser à l’aide de la définition de VRAIMENT4 :

(64) Le pain n’est pas bon d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font qu’« être bon » est vraiment1 « être bon ».

L’interprétation de (63) où NE PAS porte sur VRAIMENT4 peut se paraphraser ainsi :

(65) Le pain est bon d’une manière qui n’a pas fortement les caractéristiques qui font qu’« être bon » est vraiment1 « être bon ».

56

Cette différence de sens peut sembler minime, mais elle est pertinente d’un point de vue

pragma-sémantique. L’énoncé (62) n’implique pas que le pain est mauvais, tandis que

l’énoncé (63) le fait. Une construction comme (63) est souvent utilisée comme moyen

d’euphémiser une affirmation négative. Un locuteur attribue les qualités prototypiques

d’une catégorie à un nom ou un verbe, mais, du même coup, retranche de ce prototype

toutes ses caractéristiques essentielles. C’est pourquoi un énoncé comme (66) est

pratiquement sémantiquement équivalent à un énoncé comme (67) :

(66) J’ai pas vraiment fait mon devoir.

(J’ai fait mon devoir d’une manière qui n’a pas fortement les caractéristiques qui font que « faire son devoir » est vraiment « faire son devoir ».)

(67) Je n’ai pas fait mon devoir.

La négation de VRAIMENT4 sous-entend la négation du syntagme verbal au lieu de le

faire de manière explicite.

On ne peut pas dire que cette utilisation de PAS et VRAIMENT4 forme un phrasème

parce que le même type de construction est possible avec d’autres adverbes. Les paires

d’énoncés (68) et (69) illustrent le même phénomène avec les mots TRÈS et SUPER :

(68a) Il n’est pas « très beau ».

(68b) Il est « pas très beau ».

(69a) Je me sens pas « super bien ».

(69b) Je me sens « pas super bien ».

57

VRAIMENT4 sous une forme négative a ainsi la propriété d’euphémiser une affirmation.

Cette utilité pragmatique de la forme PAS + VRAIMENT4 est sans doute un facteur qui a

contribué à sa lexicalisation sous les traits d’un marqueur discursif.

1.3.1. Sémantisme de PAS VRAIMENT

Il semble que le phrasème PAS VRAIMENT est issu de la pragmaticalisation de

l’utilisation de PAS + VRAIMENT.

PAS VRAIMENT est un mot-phrase qui ressemble aux mot-phrases de VRAIMENT. Sa

paraphrase est, par conséquent, bâtie sur un modèle semblable. Comme pour

VRAIMENT2, PAS VRAIMENT peut être produit en réponse à une question, ce qui

justifie la composante alternative ([communiquée / mise en question]) :

« Q » ┌pas vraiment┐ ≅(Je signale que l’information [communiquée / mise en question] par l’énoncé « Q » est vraie1 d’une manière qui n’a pas fortement les caractéristiques qui font qu’ « être vrai1 » est vraiment1 « être vrai1 ».)

Cette définition est bizarre : elle semble dire quelque chose et en même temps le nier. Or

cela est tout à fait caractéristique d’un euphémisme. En (70), par exemple, le locuteur

marque son hésitation quant à l’appartenance d’Anne Hébert à la collectivité québécoise.

D’un côté, Hébert est née au Québec et, d’un autre, elle a surtout vécu en France.

(70) Est-ce qu’on peut dire que Anne Hébert est une auteure québécoise? Pas vraiment.

58

1.3.2. Relations paradigmatiques de PAS VRAIMENT

Syn∩ : ┌plus ou moins┐, non

Anti∩ : absolument, parfaitement, oui

1.3.3. Syntaxe de PAS VRAIMENT

PAS VRAIMENT est un mot-phrase.

1.3.4. Phonologie de PAS VRAIMENT

La prononciation du mot-phrase PAS VRAIMENT est descendante. Le PAS et le

VRAIMENT sont prononcés en bloc, mais l’accentuation est mise sur la première syllabe

qui peut être allongée.

[`pOvREm2] [`pO:vREm2]

1.3.5. Conclusion au sujet de PAS VRAIMENT

Le mot-phrase PAS VRAIMENT est issu de VRAIMENT4 dont il reprend les sèmes en

leur appliquant la négation. C’est un marqueur pragmatique semblable à VRAIMENT2 et

VRAIMENT5. La figure 4 met en évidence ces différentes relations sémantiques de PAS

VRAIMENT.

59

Figure 4Réseau polysémique de VRAI adjectif, VRAIMENT et PAS VRAIMENT

60

vrai1

vrai2 vrai3

vrai4b vrai4a

vraiment2

vraiment1

vraiment3

vraiment4

vraiment6 vraiment5 ┌pas vraiment┐

1.4. POUR DE VRAI

Les mots VRAI et POUR ont donné naissance à un marqueur qui ressemble beaucoup à

VRAIMENT sur le plan sémantique.

La morphologie du vocable POUR DE VRAI est sujette à des variations. Les formes

POUR DE VRAI, POUR LE VRAI et POUR VRAI semblent être des allomorphes de

la même locution, c’est-à-dire que l’une peut se substituer à l’autre sans modifier le sens

du phrasème.

Le choix par un locuteur d’utiliser l’une ou l’autre de ces formes s’explique sans doute

par des variations topolectales ou sociolectales, comme l’âge des locuteurs. Nous n’avons

pas suffisamment d’informations sur ce sujet pour en tirer des conclusions précises.

Disons seulement que la forme POUR LE VRAI est moins fréquente que les deux autres

dans la banque de données que nous avons consultée (BDTS).

Nous avons choisi d’utiliser la forme POUR DE VRAI pour représenter formellement le

phrasème. C’est la forme la plus caractéristique, d’une part parce qu’elle est très

fréquemment utilisée (dans la BDTS) et, d’autre part, parce que la suite de mots POUR +

DE + VRAI se trouve plus rarement associée librement en discours que les suites POUR

+ LE + VRAI et POUR + VRAI. L’énoncé (71) est un exemple d’une telle suite de mots

(qui est rare) :

(71) Il a pris ces tulipes en plastic pour de vraies tulipes.

61

La forme POUR DE VRAI a donc plus de chance d’être reconnue comme un phrasème

que les formes POUR LE VRAI et POUR VRAI.

La relation entre VRAI et POUR DE VRAI est similaire à celle qui existe ente VRAI et

VRAIMENT. En conséquence, plusieurs lexies de POUR DE VRAI sont synonymes de

lexies de VRAIMENT. Nous allons réduire au minimum les explications à leur sujet.

POUR DE VRAI1 est synonyme de VRAIMENT1; c’est un adverbe intraphrastique

aléthique basé sur VRAI1 :

(72) Est-ce que je devrais lui dire que je ne viens pas d’Italie pour de vrai?

POUR DE VRAI2 est synonyme de VRAIMENT2; c’est un mot-phrase issu de POUR

DE VRAI1 dont le sens ressemble à celui du phrasème « Je t’assure! » :

(73) A : Il garde sa tuque même pour dormir.B : Shit!A : Oui, oui, pour vrai.

POUR DE VRAI3 est synonyme de VRAIMENT3; c’est un mot-phrase issu de POUR

DE VRAI2 à l’interrogatif qui exprime l’étonnement et appelle une réponse :

(74) A : Je pensais. Ça a valu la peine que je perde quinze livres ! B : Pour vrai ? A : C't'affaire!

POUR DE VRAI4 est synonyme de VRAIMENT4; c’est un intensifieur formé sur

VRAI4a :

62

(75) J'avais hâte de débarquer. J'étais malheureux pour le vrai!

POUR DE VRAI5 est synonyme de VRAIMENT5; c’est un marqueur d’interprétation

issu de POUR DE VRAI4 qui sert à marquer une insistance sur la véracité d’une

énonciation :

(76) Ne pars pas en voyage, pour de vrai.

POUR DE VRAI6 ne trouve pas d’équivalent chez VRAIMENT; c’est un adverbe de

manière qui s’emploie en opposition à un univers imaginaire ou feint :

(77) Ok. On arrête de niaiser. Maintenant, on va jouer la chanson pour de vrai.

POUR DE VRAI7 n’a pas d’équivalent chez VRAIMENT non plus; c’est un connecteur

textuel qui introduit une réfutation :

(78) Je lui ai dis que j’avais 20 ans. Pour de vrai, j’en ai 25.

1.4.1. POUR DE VRAI1

1.4.1.1. Sémantisme de POUR DE VRAI1

POUR DE VRAI1 est construit avec VRAI1, comme l’est VRAIMENT1. Les

observations que nous avons faites plus haut sur le sémantisme de VRAIMENT1 sont

également valables ici. On ne peut définir cette lexie par la paraphrase (de manière

vraie1), parce que VRAI1 ne porte pas sur un syntagme verbal, mais sur tout un énoncé.

Dans la plupart des cas, la paraphrase (C’est vrai1 que P) fonctionne sans heurts :

63

(79a) Je n’ai pas connu Elvis pour de vrai.

(79b) Ce n’est pas vrai que j’ai connu Elvis.

Dans d’autres cas, quand POUR DE VRAI1 est placé dans une relative avec QUE,

(C’est vrai1 que P) pose problème :

(80a) Lui, cet homme là, assis à côté de moi, c'était Jésus-Christ. Vous allez me prendre pour une sonnée, mais j'le dis pareil. Y avait des ressemblances, peut-être pas avec le vrai Jésus-Christ qui a existé pour vrai, ça, on l'sait pas à quoi il ressemblait.

(80b) ?? […] Y avait des ressemblances, peut-être pas avec le vrai Jésus-Christ que c’est vrai qu’il a existé, ça, on l'sait pas à quoi il ressemblait.

Nous attribuons tout de même cette paraphrase à POUR DE VRAI1 à défaut d’avoir

mieux :

1. P pour de vrai ≅ (C’est vrai1 que P.)

1.4.1.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI1

A0 : vrai1

Syn : vraiment1

1.4.1.3. Syntaxe de POUR DE VRAI1

POUR DE VRAI1 a une portée à grande amplitude et sa position dans la phrase peut

varier, mais il demeure un adverbe intra-phrastique. Contrairement à VRAIMENT1, il se

place après la proposition sur laquelle il porte.

1.4.1.4. Phonologie de POUR DE VRAI1

64

Comme pour VRAIMENT1, il y a une possible accentuation et un allongement du

morphème VRAI lors de la prononciation de POUR DE VRAI1.

[pURdevRE] [pURde`vRE] [pURde`vRE:]

[pURlevRE] [pURle`vRE] [pURle`vRE:]

[pURvRE] [pUR`vRE] [pUR`vRE:]

1.4.2. POUR DE VRAI2

1.4.2.1. Sémantisme de POUR DE VRAI2

Comme VRAIMENT2, POUR DE VRAI2 est le signalement par l’énonciateur d’un

commentaire concernant la véracité de son discours :

(81) A : J’ai déjà fini.B : Shit!A : Oui oui, pour vrai.

En (81), A confirme ce qu’il a dit à l’aide de POUR DE VRAI. La paraphrase de cette

lexie est la même que celle de VRAIMENT2 :

2. « Q » ┌pour de vrai┐ ≅(Je signale que c’est vrai1 que l’information [communiquée / mise en question] par l’énoncé « Q » est vraie1.)

1.4.2.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI2

Syn : vraiment2

Syn∩ : ┌c’est vrai┐

1.4.2.3. Syntaxe de POUR DE VRAI2

65

Cette lexie est un mot-phrase, son argument sémantique doit être un énoncé qui

communique une information vraie ou la met en interrogation.

1.4.2.4. Phonologie de POUR DE VRAI2

Ce mot-phrase est prononcé avec une mélodie neutre et avec une légère accentuation sur

sa dernière syllabe.

[pURde`vRE]

[pURle`vRE]

[pUR`vRE]

1.4.3. POUR DE VRAI3

POUR DE VRAI3 est beaucoup plus utilisé que VRAIMENT3 à l’oral et

particulièrement les formes POUR DE VRAI et POUR VRAI. Nous n’avons pas

trouvé d’occurrence de la forme POUR LE VRAI dans ce contexte (dans la BDTS ou

ailleurs).

1.4.3.1. Sémantisme de POUR DE VRAI3

Le sens de POUR DE VRAI3 est similaire à celui de VRAIMENT3.

(82) A : Je pensais. Ça a valu la peine que je perde quinze livres ! B : Pour vrai ? A : C't'affaire!

Comme l’indique sa paraphrase, cette lexie réalise simultanément des actes directif et

expressif :

66

3. « Q. » ┌pour de vrai┐ ≅(Je te demande si l’énoncé « Q », qui m’étonne, communique une information vraie1.)

1.4.3.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI3

Syn : ┌vraiment┐3

Syn∩ : ┌sans blague┐, ┌pas vrai┐

1.4.3.3. Syntaxe de POUR DE VRAI3

Cette lexie est un mot-phrase, son argument sémantique doit être un énoncé qui

communique une information, ce qui exclut les questions.

1.4.3.4. Phonologie de POUR DE VRAI3

En contexte, nous écrivons POUR DE VRAI3 avec un point d’interrogation pour les

mêmes raisons que nous écrivons VRAIMENT3 de cette façon.

Ce mot-phrase est prononcé avec une intonation montante, typique de la forme

interrogative. La première syllabe peut être allongée et la dernière accentuée.

[pURdevRE] [pURde`vRE] [pUR:de`vRE]

[pURlevRE] [pURle`vRE] [pUR:le`vRE]

[pURvRE] [pUR`vRE] [pUR:`vRE]

1.4.4. POUR DE VRAI4

1.4.4.1. Sémantisme de POUR DE VRAI4

67

POUR DE VRAI4 est issu de l’adverbialisation de VRAI4a et a le même signifié que

VRAIMENT4. C’est un adverbe qui intensifie les traits prototypiques d’un son argument

sémantique. En (83), la personne qui s’est soûlée avait fortement les caractéristiques

essentielles de quelqu’un de soûl :

(83) Il s’est soûlé pour vrai.

La paraphrase de POUR DE VRAI4 est pratiquement la même que celle de

VRAIMENT4. La seule différence est le remplacement de VRAIMENT1 par POUR DE

VRAI1 :

4. P-er ┌pour de vrai┐ ≅(P-er d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font que « P-er » est « P-er » pour de vrai1.)

1.4.5.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI4

Syn : vraiment4

Syn∩ : absolument, franchement, crissement, parfaitement, résolument, ┌pas pour rire┐, ┌en crisse┐

Anti∩ :┌pas du tout┐, ┌pas pentoute┐

1.4.5.3. Syntaxe de POUR DE VRAI4

Contrairement à VRAIMENT4, POUR DE VRAI4 se postpose au syntagme verbal

graduable qu’il qualifie.

1.4.5.4. Phonologie de POUR DE VRAI4

POUR DE VRAI4 est prononcé avec une mélodie plane ou un peu descendante et sa

première syllabe a tendance à être accentuée et parfois allongée.

68

[`pURdevRE] [`pUR:devRE] [`pURdevRE] [`pUR:devRE]

[`pURlevRE] [`pUR:levRE] [`pURlevRE] [`pUR:levRE]

[`pURvRE] [`pUR:vRE] [`pURvRE] [`pUR:vRE]

1.4.5. POUR DE VRAI5

1.4.5.1. Sémantisme de POUR DE VRAI5

POUR DE VRAI5 est issu de la pragmaticalisation de POUR DE VRAI4. Il exprime

une insistance sur la véracité d’une énonciation. Selon une des interprétations possibles

de (84), le phrasème POUR DE VRAI5 ne sert pas à confirmer la proposition (c’est un

bon film), mais à insister sur sa véracité :

(84) C’est un bon film, pour vrai.

La paraphrase de POUR DE VRAI5 est semblable à celle de VRAIMENT5, excepté que

VRAIMENT4 y est remplacé par POUR DE VRAI4 :

5. ┌pour de vrai┐ « Q » ≅(J’insiste ┌pour de vrai┐4 sur le fait que l’énoncé « Q » communique une information vraie1.)

1.4.5.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI5

Syn : vraiment5

Syn∩ : ┌en vérité┐, franchement, sérieusement, ┌sans blague┐

69

1.4.5.3. Syntaxe de POUR DE VRAI5

Cette lexie est détachée de l’énoncé dont elle est le prédicat, mais elle n’est pas

complètement indépendante de celle-ci syntaxiquement.

1.4.5.4. Phonologie de POUR DE VRAI5

La prosodie de POUR DE VRAI5 est similaire à celle de POUR DE VRAI4, avec une

mélodie plane ou un peu descendante et une accentuation de la première syllabe qui tend

à être allongée.

[`pURdevRE] [`pUR:devRE] [`pURdevRE] [`pUR:devRE]

[`pURlevRE] [`pUR:levRE] [`pURlevRE] [`pUR:levRE]

[`pURvRE] [`pUR:vRE] [`pURvRE] [`pUR:vRE]

1.4.6. POUR DE VRAI6

1.4.6.1. Sémantisme de POUR DE VRAI6

POUR DE VRAI6 semble être un adverbe de manière. Le POUR DE VRAI de

l’énoncé (85) peut difficilement être confondu avec POUR DE VRAI1 :

(85) Ça va être la première fois que je vois Tom Cruise pour de vrai.

(86) Ça va être la première fois que ça va être vrai que je vois Tom Cruise.

70

Le POUR DE VRAI de (85) sert plutôt à situer le verbe VOIR par rapport au monde

fictif des médias, de la télévision par exemple. On voit que, contrairement à POUR DE

VRAI4, cette lexie n’est pas obligée de porter sur un syntagme graduable. Le Trésor de

la Langue Française (1994 : 1364) commente ainsi cette lexie sous l’article de VRAI :

« Par référence au monde ludique, imaginaire, par opposition à pour du beurre, pour de

rire. »

L’énoncé (87) permet de mettre en lumière l’ambiguïté de POUR DE VRAI :

(87) J’ai pas dis ça pour de vrai.

Le phrasème POUR DE VRAI peut y prendre trois sens. Dans le cas où le phrasème est

POUR DE VRAI1, l’énoncé signifie : (C’est pas vrai que j’ai dit ça.) Dans le cas où le

phrasème est POUR DE VRAI6, l’énoncé signifie : (Je n’étais pas sérieux quand j’ai dit

ça.) Et dans le cas où le phrasème est POUR DE VRAI7 (introduit plus loin), l’énoncé

signifie : (En réalité, je n’ai pas dit ça).

La paraphrase de POUR DE VRAI6 fait appel à la composante (de manière vraie1) et

rajoute la composante (qui n’est pas fictive ou pour rire).

6. X-er ┌pour de vrai┐ ≅(De manière vraie1, qui n’est pas fictive ou pour rire.)

1.4.6.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI6

Syn : ┌en réalité┐1

Anti∩ : ┌pour rire┐

1.4.6.3. Syntaxe de POUR DE VRAI6

71

Contrairement aux autres lexies de POUR DE VRAI, POUR DE VRAI6 accepte

l’enchâssement : « c’est pour de vrai que P ».

1.4.6.4. Phonologie de POUR DE VRAI6

POUR DE VRAI6 a une intonation plutôt neutre et sa dernière syllabe est parfois

accentuée.

[pURdevRE] [pURde`vRE]

[pURlevRE] [pURle`vRE]

[pURvRE] [pUR`vRE]

1.4.7. POUR DE VRAI7

1.4.7.1. Sémantisme de POUR DE VRAI7

POUR DE VRAI7 est un connecteur textuel qui signale que le texte produit par le

locuteur est la réfutation d’une information communiquée par un texte précédent. Cette

lexie n’a pas d’équivalent dans le vocable VRAIMENT :

(89) Je lui ai dit que j’avais 20 ans. Pour de vrai, j’en ai 25.

(90) ? Je lui ai dit que j’avais 20 ans. Vraiment, j’en ai 25.

Aucune lexie de VRAIMENT ne permet d’introduire un élément explicitement en

contradiction avec ce qui vient d’être dit. Le VRAIMENT de (90) a soit la fonction de

confirmer (VRAIMENT2) ou la fonction d’insister (VRAIMENT5). Or aucune de ces

fonctions n’est cohérente dans ce contexte.

72

POUR DE VRAI7 a plutôt EN RÉALITÉ2 comme synonyme :

(91) Je lui ai dit que j’avais 20 ans. En réalité, j’en ai 25.

Les connecteurs textuels mettent en relation des informations communiquées par des

textes quelconques. Ces textes peuvent être composés de plusieurs énoncés. Les

arguments sémantiques de ces lexies ne sont donc pas du même type que ceux des

marqueurs d’interprétation ou des marqueurs de réalisation d’actes illocutoires. Nous

utilisons les variables T1 et T2 pour symboliser ces textes.

Dans le cas de POUR DE VRAI7, l’information réfutée par T2 est communiquée ou

sous-entendue par T1. En (92), A sous-entend que le film est inintéressant et B réfute ce

fait en affirmant qu’il est bon :

(92) A : Tout le monde trouve ce film plate. B : Ben, pour de vrai, il est bon.

Nous proposons une paraphrase qui reprend les idées de base de l’article « Traitement

lexicographique de deux connecteurs textuels du français contemporain : EN FAIT vs

EN RÉALITÉ » de Iordanskaja et Mel’čuk (1999a). La définition de EN RÉALITÉ2

donnée dans cet article soulève et résout plusieurs questions au sujet de ce type de

connecteur :

2.┌En réalité┐, = L’énonciateur signalant que l’information au

sujet de l’┌état de choses┐ α véhiculée par « ε » - un énoncé précédent ou une croyance qu’on pourrait avoir comme résultat des énoncés précédents - est fausse et que

73

Q.Q?

« Q » est il veut que la réponse à la question « Q? » soit une réfutation de

« ε », véhiculant une information vraie au sujet de α, .

Nous avons essayé de simplifier cette paraphrase. Pour les raisons invoquées lors de la

discussion sur VRAIMENT2, la composante (L’énonciateur signalant) est remplacée par

(Je signale). Ensuite, la composante (au sujet de l’┌état de choses┐ α) nous semble

superflue et est éliminée. Puis la composante (l’information […] véhiculée par « ε » - un

énoncé précédent ou une croyance qu’on pourrait avoir comme résultat des énoncés

précédents -) est remplacée par (l’information communiquée ou sous-entendue par T1). Le

fait que l’argument T2 du connecteur peut être une question est rendu par la composante

facultative ((je veux que la réponse à)). Enfin, ce qui est présupposé par la lexie est

déplacé avant les deux barres obliques.

7. T1 Pour de vrai T2 ≅(L’information communiquée ou sous-entendue par T1 n’étant pas vraie//je signale que (je veux que la réponse à) T2 communique une information vraie1 qui réfute l’information communiquée ou sous-entendue par T1.)

1.4.7.2. Relations paradigmatiques de POUR DE VRAI7

Syn : ┌en réalité┐2

Syn∩ : ┌en fait┐, ┌pour dire vrai┐, ┌à vrai dire┐, ┌à dire vrai┐

1.4.7.3. Syntaxe de POUR DE VRAI7

Même si la lexie POUR DE VRAI7 est extra-phrastique, elle est liée au texte T2 de

manière prosodique. Elle se place immédiatement avant, immédiatement après ou à

74

Q.Q?

l’intérieur de celui-ci. À cause du présupposé de POUR DE VRAI7, le texte T1 doit déjà

avoir été produit lors de l’énonciation de ce marqueur.

1.4.7.4. Phonologie de POUR DE VRAI7

La prononciation de cette lexie se fait avec une mélodie neutre et avec une légère

accentuation possible sur la dernière syllabe.

[pURdevRE] [pURde`vRE]

[pURlevRE] [pURle`vRE]

[pURvRE] [pUR`vRE]

1.4.8. Conclusion sur le vocable POUR DE VRAI

En résumé, POUR DE VRAI1 est l’adverbe dérivé de VRAI1 primitif sémantique,

POUR DE VRAI2 est un mot-phrase qui confirme un énoncé, POUR DE VRAI3

exprime l’étonnement, POUR DE VRAI4 intensifie les traits prototypiques d’un

syntagme verbal, POUR DE VRAI5 insiste sur la véracité d’un énoncé, POUR DE

VRAI6 situe un état de choses comme n’étant pas fictif ou pour rire et POUR DE

VRAI7 introduit un texte qui réfute un texte précédent.

Nous avons vu qu’il existe une grande similarité entre VRAIMENT et POUR DE VRAI

(les lexies 1, 2, 3, 4 et 5 sont synonymes). Ces vocables ont aussi des particularités :

POUR DE VRAI n’a pas de lexie équivalente à VRAIMENT6 et VRAIMENT n’a pas

de lexies équivalentes à POUR DE VRAI6 et POUR DE VRAI7. Ces observations,

75

ainsi que les liens entre les lexies de POUR DE VRAI et VRAI, sont représentés par la

figure 5 :

Figure 5Réseau polysémique de VRAI, VRAIMENT, PAS VRAIMENT,

et POUR DE VRAI

vrai1

vrai2 vrai3

vrai4b vrai4a

vraiment2 / ┌pour de vrai2┐

vraiment1 / ┌pour de vrai1┐

vraiment3 / ┌pour de vrai3┐

vraiment4 / ┌pour de vrai4┐

vraiment6 vraiment5 / ┌pour de vrai5┐

┌pour de vrai7┐

┌pour de vrai6┐

┌pas vraiment┐

76

1.5. POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI

Les trois vocables que nous analysons en terminant sont des connecteurs textuels. Aucun

de ces vocables n’est polysémique. De plus, leurs sens sont très comparables. Ils sont

similaires à POUR DE VRAI7, mais, alors que celui-ci réfute une information, les

phrasèmes POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI rectifient ou

précisent une information. Ainsi, en (93), le locuteur produit À VRAI DIRE, afin

d’annoncer que ce qu’il va dire est une rectification de ce qu’il vient de dire :

(93) Denis Drouin partait de Montréal pis il se rendait jusqu'icitte. Ça y prenait cinq jours, cinq nuits. À vrai dire six jours, cinq nuits. C'est ça.

1.5.1. Variation d’utilisation de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI

Le vocable À VRAI DIRE est d’utilisation plus fréquente que les deux autres, tandis que

le vocable À DIRE VRAI est très rare et semble limité au registre littéraire (BDTS).

1.5.2. Morphologie de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI

La locution À VRAI DIRE est figée, tandis que les locutions POUR DIRE VRAI et À

DIRE VRAI sont semi-figées, c’est-à-dire que leur morphologie est variable dans une

certaine mesure. Comme indiqué par le tableau suivant, il est possible de placer VOUS

avant DIRE et LE avant VRAI dans le cas de POUR DIRE VRAI et À DIRE VRAI,

mais pas dans le cas de À VRAI DIRE.

77

Vocable + VOUS + LE + VOUS + LE

Pour dire vrai Pour vous dire vrai Pour dire le vrai Pour vous dire le vrai

À dire vrai À vous dire vrai À dire le vrai À vous dire le vrai

À vrai dire *À vrai vous dire *À le vrai dire *À le vrai vous dire

Tableau 1Variation morphologique de POUR DIRE VRAI, À DIRE VRAI

et À VRAI DIRE

L’énoncé (94) illustre l’une de ces variations :

(94) Vous allez me demander si c'était ben le nom du bonhomme, ça : « Ticane ». Pour vous dire vrai, je le sais pas.

Dans cet énoncé, le texte « Vous allez me demander si c’était ben le nom du bonhomme,

ça « Ticane ». » sous-entend que le locuteur est susceptible de connaître la réponse à cette

question. Cette information sous-entendue est rectifiée par le texte qui suit « je le sais

pas. ».

1.5.3. Sémantisme de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI

Notre analyse suit celle que font Iordanskaja et Mel’čuk (1999a) au sujet de EN FAIT.

Leur définition de EN FAIT est semblable à celle de EN RÉALITÉ2:

78

┌En fait┐, = L’énonciateur signalant que l’information au

sujet de l’┌état de choses┐ α véhiculée par « ε » - un énoncé précédent ou une croyance qu’on pourrait avoir comme résultat des énoncés précédents – n’est pas (┌tout à fait1┐) bonne et que

« Q » est il veut que la réponse à la question « Q? » soit une rectification

ou une précision de « ε », véhiculant une bonne information au

sujet de α, .

Les mêmes types de modifications sont amenées à cette définition qu’à celle de EN

RÉALITÉ2.

Contrairement à POUR DE VRAI7, la composante ((je veux que la réponse à T2)) n’est

pas possible dans le signifié de POUR DIRE VRAI, À DIRE VRAI et À VRAI

DIRE. Ces vocables sont différents de EN FAIT à ce sujet. Dans l’énoncé (95), B

signale à l’aide de EN FAIT qu’il veut que la réponse à sa question « Viendra-t-elle

seule? » précise ce qui a été dit par A :

(95) A : Anne m’a confirmé qu’elle allait venir au party. La question est de savoir à quelle heure.

B : Viendra-t-elle seule, en fait?

Lorsqu’on remplace EN FAIT par À VRAI DIRE, comme en (96), le résultat est plus

ou moins acceptable. À la limite on peut interpréter l’énoncé de B comme étant une

affirmation et non une question. Il voudrait alors dire : (La vraie question à poser est

« Viendra-t-elle seule? »).

79

Q.Q?

Q.Q?

(96) A : Anne m’a confirmé qu’elle allait venir au party. La question est de savoir à quelle heure.

B : ? Viendra-t-elle seule, à vrai dire?

La composante facultative ((┌tout à fait1┐)) est cohérente avec le rôle de T2 qui est de

rectifier ou de préciser et non de carrément réfuter comme c’était le cas avec POUR DE

VRAI7.

Les paraphrases des trois marqueurs sont identiques :

T1 ┌Pour dire vrai┐ T2 ≅(L’information communiquée ou sous-entendue par T1 n’étant pas (┌tout à fait1┐) vraie1//je signale que T2 communique une information vraie1 qui rectifie ou précise l’information communiquée ou sous-entendue par T1.)

T1 ┌À dire vrai┐ T2 ≅(L’information communiquée ou sous-entendue par T1 n’étant pas (┌tout à fait1┐) vraie1//je signale que T2 communique une information vraie1 qui rectifie ou précise l’information communiquée ou sous-entendue par T1.)

T1 ┌À vrai dire┐ T2 ≅(L’information communiquée ou sous-entendue par T1 n’étant pas (┌tout à fait1┐) vraie1//je signale que T2 communique une information vraie1 qui rectifie ou précise l’information communiquée ou sous-entendue par T1.)

1.5.4. Relations paradigmatiques de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI

Syn⊂ : ┌en fait┐

Syn∩ : ┌en réalité┐2; ┌au fond┐; ┌plus précisément┐; ┌pour de vrai┐7

1.5.5. Syntaxe de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI

Ces vocables sont des connecteurs textuels. Bien qu’étant extra-phrastiques, ils sont en

partie liés prosodiquement et syntaxiquement au texte T2. Comme POUR DE VRAI7,

80

ils présupposent qu’une information qui n’est pas (tout à fait) vraie a été produite par un

texte en amont.

1.5.6. Phonologie de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI

Le morphème [`vRE] de chacun de ces phrasèmes est habituellement accentué. Il n’y a

pas de mélodie particulière qui leur est associée.

[pURdIR`vRE]

[a`vREdIR]

[adIR`vRE]

Les morphèmes [vu] et [le] qui peuvent s’ajouter à POUR DIRE VRAI et à À DIRE

VRAI n’ont pas tendance à être accentuées.

[pURdIR`vRE] [pURvudIR`vRE] [pURdIRle`vRE] [pURvudIRle`vRE]

[adIR`vRE] [avudIR`vRE] [adIRle`vRE] [avudIRle`vRE]

1.5.5. Conclusion au sujet de POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI

Les trois connecteurs textuels que nous venons d’étudier sont légèrement différents quant

à leur variation morphologique et leur fréquence, mais ils semblent avoir le même sens.

81

La figure 6 illustre la relation entre les connecteurs POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE

et À DIRE VRAI et les autres lexies du champ lexical qui était l’objet de notre étude.

On voit que ces phrasèmes sont très proches de POUR DE VRAI7.

Figure 6Réseau polysémique de VRAI, VRAIMENT, PAS VRAIMENT, POUR DE VRAI,

POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI

vrai1

vrai2 vrai3

vrai4b vrai4a

vraiment2 / ┌pour de vrai2┐

vraiment1 / ┌pour de vrai1┐

vraiment3 / ┌pour de vrai3┐

vraiment4 / ┌pour de vrai4┐

vraiment6 vraiment5 / ┌pour de vrai5┐

┌pour de vrai7┐

┌pour dire vrai┐

┌à vrai dire┐

┌à dire vrai┐

┌pour de vrai6┐

┌pas vraiment┐

82

Chapitre 2 – Traitement lexicographique

2.1. VRAI adjectif

VRAI, /vRE/, adjectif

LE VOCABLE

Tableau synoptique

1. Primitif sémantique. [C’est vrai ce qu’elle dit; un vrai Picasso.]

2. La personne X se comporte selon sa vraie1 natureI.4. [un homme vrai]

3. X est la représentation de vraies1 choses. [Cette vielle carte du monde n’est plus vraie.]

4a. X a fortement les caractéristiques qui font d’un « X » un vrai1 « X ». [Une vraie vodka ne goûte pas l’alcool à friction.]

4b. X a fortement les caractéristiques qui font d'un « Y » un vrai1 « Y ». [C’est un vrai petit monstre ton enfant.]

Réseau polysémique

vrai1

vrai2 vrai3

vrai4b vrai4a

83

LES LEXIES

VRAI1

Définition1. X [est] vrai Cette lexie est un primitif sémantique.

Fonctions lexicalesSyn⊂ : réel, véritable, certain, sûr, juste, évident, assuré, garanti, attesté,

certifié

Anti : faux

Anti⊂ : irréel, incertain, improbable, fautif, douteux, erroné, fictif, feint, impossible

Adv0 : vraiment1

Exemples

(1) C’est vrai quand tu y penses. (2) Est-ce ta robe est en vraie soie? (3) Sa carabine tire des vraies balles!

VRAI2

Définition2. X [est] vrai ≅La personne X se comporte selon sa vraie1 natureI.4.

Fonctions lexicalesSyn∩ : authentique, droit, honnête, sincère, franc

Anti : faux

Anti∩ : menteur, trompeur, perfide, mythomane, hypocrite, sournois, dissimulé, fourbe, insidieux

Exemples(1) Mélanie, est vraie. Elle bullshit pas. (2) Juste à sa façon d’écrire, on voit que Simone de Beauvoir est une femme

vraie.

VRAI3

84

Définition3. X [est] vrai ≅X est la représentation de vraies1 choses.

Fonctions lexicalesSyn∩ : crédible, exact, authentique

Anti : faux

Anti∩ : erroné, inexact

Exemples(1) Cette carte est trop vielle pour être vraie.(2) Le conte La cigale et la fourmi est bien vrai(3) Aujourd'hui, par contre, la plupart des physiciens seraient probablement

d'avis que cette proposition n'est tout simplement pas vraie.

VRAI4a

Définition4a. vrai X ≅X a fortement les caractéristiques qui font d’un « X » un vrai1 « X ».

Fonctions lexicalesSyn∩ : pur, véritable, parfait

Adv0 : vraiment4

Anti∩ : espèce de, genre de, sorte de

Exemples(1) Voilà les vraies questions.(2) La vie adulte commence, la vraie vie!(3) Je sais maintenant c’est quoi avoir un vrai mal de tête.

VRAI4b

Définition4b. X est un vrai « Y » ≅ X a fortement les caractéristiques qui font d'un « Y » un vrai1 « Y ».

Fonctions lexicalesSyn : véritable

Exemples

85

(1) Ma tante, c’est une vraie tarte. (2) Les feuilles ou les aiguilles constituent une vraie usine de fabrication

d'énergie, fournissant la nourriture pour l'arbre.

86

2.2. VRAIMENT

VRAIMENT, /vREm2/, adverbe et marqueur discursif

LE VOCABLE

Tableau synoptique

1. C’est vrai1 que P. [Des hommes ont vraiment posé les pieds sur la lune.]

2. Je signale que c’est vrai1 que l’information [communiquée / mise en question] par l’énoncé « Q » est vraie1. [J’ai réussi! Vraiment.]

3. Je te demande si l’énoncé « Q », qui m’étonne, communique une information vraie1. [A : J’ai gagné à la loterie. B : Vraiment?]

4. P-er d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font que « P-er » est vraiment1 « P-er ». [Le chardon est vraiment efficace pour guérir le foie.]

5. J’insiste vraiment4 sur le fait que l’énoncé « Q » communique une information vraie1. [Vraiment, ça pas d’allure être paresseux de même.]

6. Je signale que le comportement ou la série d’évènements α m’exaspère vraiment4. [C’est la quatrième fois que tu l’échappes. Vraiment!]

Réseau polysémique

vrai4a

vrai1

vraiment3

vraiment2

vraiment1

vraiment4

vraiment5vraiment6

87

LES LEXIES

VRAIMENT1, adverbe

Définition1. Vraiment P ≅ C’est vrai1 que P.

Fonctions lexicalesA0 : vrai1

Syn : ┌pour de vrai┐1

Exemples(1) Ce qui est vraiment arrivé ce soir-là est secret.(2) La corporation n’a pas levé le voile sur ce que seront vraiment les

conséquences de leurs actes.

VRAIMENT2, marqueur discursif

I. Plan du signifiéDéfinition

2. Q. vraiment ≅Je signale que c’est vrai1 que l’information [communiquée / mise en question] par l’énoncé « Q » est vraie1.

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : marqueur d’interprétation- Fonction : sert à l’énonciateur à confirmer un élément qu’il a énoncé ou à confirmer un élément mis en question par le coénonciateur.

Fonctions lexicalesSyn : ┌pour de vrai┐2

Syn∩ : ┌c’est vrai┐

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques

[vREm2] [vREm2]

SyntaxeMot-phrase.

88

Relations syntagmatiquesUnités antéposées : oui, oui oui, ben oui…

Exemples(1) A : Est-ce que tu es vraiment médecin?B : Vraiment. Oui.

(2) A : Le briquet te plaît ? B : Beaucoup. Vraiment. Il a beaucoup d'élégance.

VRAIMENT3, marqueur discursif

I. Plan du signifié

Définition3. Q. Vraiment ≅Je te demande si l’énoncé « Q », qui m’étonne, communique une information vraie1.

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : marqueur de réalisation d’un acte illocutoire- Fonction : sert à exprimer l’étonnement du locuteur à l’aide d’une question rhétorique- Actes de langage : exprime l’étonnement et questionne

Fonctions lexicalesSyn : ┌pour de vrai┐3

Syn∩ : ┌sans blague┐, ┌pas vrai┐

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques

[vRE`m2:] [vREm2]

SyntaxeMot-phrase.

Relations syntagmatiquesUnités antéposées : hein?, non?...

Exemples(1) A : Comment vous êtes-vous connus?B : Je ne me rappelle pas. A : Vraiment? Tu ne te rappelles pas ?...

(2) A : Ne l’appelle pas « Guillaume ».B : Vraiment?

89

VRAIMENT4, adverbe

Définition4. P-er vraiment ≅P-er d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font que « P-er » est vraiment1 « P-er ».

Fonctions lexicalesSyn : ┌pour de vrai┐4

Syn∩ : absolument, franchement, crissement, parfaitement, résolument, ┌pas pour rire┐, ┌en crisse┐

Anti∩ : ┌pas du tout┐, ┌pas pentoute┐

Exemples(1) Il y a des gens qui sont vraiment malheureux.(2) Ça m’a vraiment marquée.

VRAIMENT5, marqueur discursif

I. Plan du signifié

Définition5. Vraiment « Q » ≅J’insiste vraiment4 sur le fait que l’énoncé « Q » communique une information vraie1.

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : marqueur d’interprétation- Fonction : sert à insister sur la véracité de l’énoncé

Fonctions lexicalesSyn : ┌pour de vrai┐5

Syn∩ : ┌en vérité┐, franchement, sérieusement, ┌sans blague┐

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques

[`vRE:m2] [`vRE:m2]

SyntaxeAdverbe d’énonciation.

Relations syntagmatiques

90

Unités postposées : là

Exemples(1) Je me suis promis d'y aller avec ma femme, juste nos deux pis passer

encore quatre, cinq jours, vraiment là, pas à m'occuper des enfants, ça va être moi, l'enfant.

(2) Vraiment, Jeanne, je n'insisterais pas à ta place.

VRAIMENT6, marqueur discursif

I. Plan du signifié

Définition6. Vraiment α ≅Je signale que le comportement ou la série d’évènements α m’exaspère vraiment4.

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : marqueur de réalisation d’un acte illocutoire- Fonction : sert à intensifier l’expression de l’exaspération.- Acte de langage : exprime l’exaspération

Fonctions lexicalesSyn∩ : franchement, voyons1

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques

[`vRE:`m2:] [`vRE:m2:] [vRE`m2:] [vRE:`m2:] [`vREm2:], etc.

SyntaxeMot-phrase.

Relations syntagmatiquesUnités postposées : là

Exemples(1) A : Je trouve que Bouchard a mérité ce qui lui est arrivé. B : Vraiment! C’est niaiseux pas mal ça.

(2) [A se coupe le doigt, se cogne la tête sur le coin de la pharmacie, échappe le pansement dans la toilette. Il s’exclame : ] Vraiment!

91

92

2.3. PAS VRAIMENT

PAS VRAIMENT, /pOvREmÃ/, marqueur discursif

Réseau polysémique

I. Plan du signifiant

Définition« Q » ┌pas vraiment┐ ≅Je signale que l’information [communiqué / mise en question] par l’énoncé « Q » est vraie1 d’une manière qui n’a pas fortement les caractéristiques qui font qu’ « être vrai1 » est vraiment1 « être vrai1 ».

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : marqueur d’interprétation- Fonction : sert à euphémiser une affirmation

Fonctions lexicalesSyn∩ : ┌plus ou moins┐

Anti∩ : absolument, parfaitement, oui

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques

[`pOvREm2] [`pO:vREm2]

SyntaxeMot-phrase.

Relations syntagmatiquesUnités antéposées : bien, ben, euh…Unités postposées : là

Exemples

┌pas vraiment┐

vraiment4

93

(1) A : Est-ce que tu as le goût de venir souper chez ma mère à soir?B : Pas vraiment…

(2) Je prévois travailler tout l’été. En fait, pas vraiment.

94

2.4. POUR DE VRAI POUR DE VRAI, /pURdevRE/, /pURlevRE/, /pURvRE/, adverbe, marqueur discursif et connecteur textuel

LE VOCABLE

Tableau synoptique

1. C’est vrai1 que P. [T’aimes cette musique pour de vrai?]

2. Je signale que c’est vrai1 que l’information [communiquée / mise en question] par l’énoncé « Q » est vraie1. [J’ai déjà fait mes devoirs. Pour vrai!]

3. Je te demande si l’énoncé « Q », qui m’étonne, communique une information vraie1. [-Ils annoncent 30 degrés demain. -Pour vrai?]

4. P-er d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font que « P-er » est « P-er » pour de vrai1. [Tu t’en viens chauve pour vrai!]

5. J’insiste ┌pour de vrai┐4 sur le fait que l’énoncé « Q » communique une information vraie1. [Pour de vrai là, c’est pas une bonne idée d’y aller.]

6. De manière vraie1, qui n’est pas fictive ou pour rire. [Dis-tu ça pour vrai ou pour niaiser?]

7. […] je signale que […] T2 communique une information vraie1 qui réfute l’information communiquée ou sous-entendue par T1. [Je lui ai dit que j’avais 20 ans. Pour de vrai, j’en ai 25.]

95

Réseau polysémique

Morphologie

Allomorphes à l’oral : /pURdevRE/, /pURlevRE/ et /pURvRE/.

Allomorphes à l’écrit : pour de vrai, pour le vrai et pour vrai.

vrai1

vrai4a

┌pour de vrai2┐

┌pour de vrai1┐

┌pour de vrai3┐

┌pour de vrai4┐

┌pour de vrai5┐

┌pour de vrai7┐

┌pour de vrai6┐

96

LES LEXIES

POUR DE VRAI1, adverbeDéfinition

1. P pour de vrai ≅ C’est vrai1 que P.

Fonctions lexicalesA0 : vrai1

Syn : vraiment1

Exemples(1) Je ne viens pas d’Italie pour de vrai.(2) T’aimes pas jouer à la pétanque pour de vrai?

POUR DE VRAI2, marqueur discursif

I. Plan du signifié

Définition2. « Q » ┌pour de vrai┐ ≅Je signale que c’est vrai1 que l’information [communiquée / mise en question] par l’énoncé « Q » est vraie1.

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : marqueur d’interprétation- Fonction : sert à l’énonciateur à confirmer un élément qu’il a énoncé ou à confirmer un élément mis en question par le coénonciateur.

Fonctions lexicalesSyn : vraiment2

Syn∩ : ┌c’est vrai┐

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques[pURde`vRE][pURle`vRE][pUR`vRE]

SyntaxeMot-phrase.

Relations syntagmatiques

97

Unités postposées : oui, oui oui, ben oui…

Exemples(1) A : J’ai déjà fini.B : Non?A : Oui oui, pour vrai.

(2) À dix ans, je croyais encore au Père Noël. Pour de vrai!

POUR DE VRAI3, marqueur discursif

I. Plan du signifiéDéfinition

3. « Q. » ┌pour de vrai┐ ≅Je te demande si l’énoncé « Q », qui m’étonne, communique une information vraie1.

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : marqueur de réalisation d’un acte illocutoire- Fonction : sert à exprimer l’étonnement du locuteur à l’aide d’une question rhétorique- Actes de langage : exprime l’étonnement et questionne

Fonctions lexicalesSyn : ┌vraiment┐3

Syn∩ : ┌sans blague┐, ┌pas vrai┐

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques

[pURdevRE] [pURde`vRE] [pUR:de`vRE]

[pURlevRE] [pURle`vRE] [pUR:le`vRE]

[pURvRE] [pUR`vRE] [pUR:`vRE]

SyntaxeMot-phrase.

Relations syntagmatiquesUnités postposées : hein?, non?...

Exemples

98

(1) A : Ils annoncent 30 degrés demain. B : Pour vrai?

(2) A : Ça fait beau les flamands roses sur la pelouse, hein?B : Pour de vrai?

POUR DE VRAI4, adverbe

I. Plan du signifié

Définition4. P-er ┌pour de vrai┐ ≅P-er d’une manière qui a fortement les caractéristiques qui font que « P-er » est « P-er » pour de vrai1.

Fonctions lexicalesSyn : vraiment4

Syn∩ : absolument, franchement, crissement, parfaitement, résolument, ┌pas pour rire┐, ┌en crisse┐

Anti∩ :┌pas du tout┐, ┌pas pentoute┐

Exemples(1) Tu t’en viens chauve pour vrai!(2) Mon grand-père, il connaissait ça pour de vrai la mécanique.

POUR DE VRAI5, marqueur discursif

I. Plan du signifié

Définition5. ┌pour de vrai┐ « Q » ≅J’insiste ┌pour de vrai┐4 sur le fait que l’énoncé « Q » communique une information vraie1.

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : marqueur d’interprétation - Fonction : sert à insister sur la véracité d’un énoncé

Fonctions lexicalesSyn : vraiment5

Syn∩ : ┌en vérité┐, franchement, sérieusement, ┌sans blague┐

II. Plan du signifiant

99

Éléments prosodiques[`pURdevRE] [`pUR:devRE][`pURlevRE] [`pUR:levRE] [`pURvRE] [`pUR:vRE]

SyntaxeAdverbe d’énonciation.

Relations syntagmatiquesUnités postposées : là.

Exemples(1) C’est un bon film, pour vrai.(2) Pour de vrai là, c’est pas une bonne idée d’y aller.

POUR DE VRAI6, adverbe

Définition6. P-er ┌pour de vrai┐ ≅De manière vraie1, qui n’est pas fictive ou pour rire.

Fonctions lexicalesSyn∩ : ┌en réalité┐1

Anti∩ : ┌pour rire┐

Exemples(1) Ça va être la première fois que je vois Tom Cruise pour de vrai.(2) A : Est-ce qu’il danse pour de vrai là? B : Ben non, il niaise.

POUR DE VRAI7, connecteur textuel

I. Plan du signifié

Définition

100

7. T1 Pour de vrai T2 ≅L’information communiquée ou sous-entendue par T1 n’étant pas vraie//je signale que (je veux que la réponse à) T2 communique une information vraie1 qui réfute l’information communiquée ou sous-entendue par T1.

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : connecteur textuel. - Fonction : sert à introduire une réfutation.

Fonctions lexicalesSyn : ┌en réalité┐2

Syn∩ : ┌en fait┐, ┌pour dire vrai┐, ┌à vrai dire┐, ┌à dire vrai┐

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques[pURdevRE] [pURde`vRE][pURlevRE] [pURle`vRE] [pURvRE] [pUR`vRE]

SyntaxeLe connecteur est lié syntaxiquement à T2 : peu ou pas de pause le sépare de celui-ci et il se place immédiatement avant ou immédiatement après.

Exemples(1) Je lui ai dit que j’avais 20 ans. Pour de vrai, j’en ai 25.(2) A : Tout le monde trouve ce film plate. B : Ben, pour de vrai, il est bon.

101

2.5. POUR DIRE VRAI

POUR DIRE VRAI, /pURdIRvRE/, connecteur textuel

I. Plan du signifié

DéfinitionT1 ┌Pour dire vrai┐ T2 ≅L’information communiquée ou sous-entendue par T1 n’étant pas (┌tout à fait1┐) vraie1//je signale que T2 communique une information vraie1 qui rectifie ou précise l’information communiquée ou sous-entendue par T1.

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : connecteur textuel- Fonction : sert à introduire une rectification ou une précision.

Fonctions lexicalesSyn : ┌à vrai dire┐, ┌à dire vrai┐

Syn⊂ : ┌en fait┐

Syn∩ : ┌en réalité┐2; ┌au fond┐; ┌plus précisément┐; ┌pour de vrai┐7

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques

[pURdIR`vRE]

SyntaxeLe connecteur est lié syntaxiquement à T2 : une légère pause le sépare de celui-ci et il se place immédiatement avant ou immédiatement après.

Relations syntagmatiquesUnités antéposées : ben, euh, ouais, mais…Unités postposées : là.

Exemples(1) J’ai été en plein pôle nord, ou du moins au nord nord de la Finlande pour

dire vrai. (2) Hier, j’ai pêché une truite immense, en fait, pour dire vrai, c’est ma sœur

qui l’a fait mordre, mais c’est moi qui la ramenée sur le bord.

102

2.6. À VRAI DIRE À VRAI DIRE, /avREdIR/, connecteur textuel

I. Plan du signifié

DéfinitionT1 ┌À vrai dire┐ T2 ≅(L’information communiquée ou sous-entendue par T1 n’étant pas (┌tout à fait1┐) vraie1//je signale que T2 communique une information vraie1 qui rectifie ou précise l’information communiquée ou sous-entendue par T1.)

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : connecteur textuel- Fonction : sert à introduire une rectification ou une précision.

Fonctions lexicalesSyn : ┌pour dire vrai┐, ┌à dire vrai┐

Syn⊂ : ┌en fait┐

Syn∩ : ┌en réalité┐2; ┌au fond┐; ┌plus précisément┐; ┌pour de vrai┐7

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques

[a`vREdIR]

SyntaxeLe connecteur est lié syntaxiquement à T2 : une légère pause le sépare de celui-ci et il se place immédiatement avant ou immédiatement après.

Relations syntagmatiquesUnités antéposées : ben, euh, ouais, mais…Unités postposées : là.

Exemples(1) La soirée était tellement plate. À vrai dire c’est les invités qui l’étaient. (2) A : Combien t’as de cours cet été? B : À vrai dire, aucun. Je fais un tutoral.

103

2.7. À DIRE VRAI À DIRE DIRE, /adIRvRE/, connecteur textuel

I. Plan du signifié

DéfinitionT1 ┌À dire vrai┐ T2 ≅(L’information communiquée ou sous-entendue par T1 n’étant pas (┌tout à fait1┐) vraie1//je signale que T2 communique une information vraie1 qui rectifie ou précise l’information communiquée ou sous-entendue par T1.)

Fonctionnement pragma-sémantique- Type de marqueur : connecteur textuel- Fonction : sert à introduire une rectification ou une précision.

Fonctions lexicalesSyn : ┌pour dire vrai┐, ┌à vrai dire┐

Syn⊂ : ┌en fait┐

Syn∩ : ┌en réalité┐2; ┌au fond┐; ┌plus précisément┐; ┌pour de vrai┐7

II. Plan du signifiant

Éléments prosodiques

[adIR`vRE]

SyntaxeLe connecteur est lié syntaxiquement à T2 : une légère pause le sépare de celui-ci et il se place immédiatement avant ou immédiatement après.

Relations syntagmatiquesUnités antéposées : ben, euh, ouais, mais…Unités postposées : là.

Exemples(1) Je cherchais comme un fou où j’avais mis mes clés, sans savoir, à dire

vrai, pourquoi je les cherchais. (2) On utilise encore le même calendrier que les Romains. À dire vrai, on a

changé un ou deux détails, mais c’est en gros le même.

104

Conclusion

L’approche polysémique s’est révélée être un outil efficace pour notre analyse

sémantique. Grâce au mot d’ordre du Modèle Sens-Texte « distinguer et séparer », nous

avons vu que différents sens du vocable VRAI sont à l’origine de différents sens des

adverbes VRAIMENT et POUR DE VRAI. Nous avons aussi constaté qu’un même

signifiant peut présenter des lexies appartenant à plusieurs catégories très différentes,

allant de l’adverbe au connecteur textuel, en passant par les marqueurs d’interprétation et

les marqueurs de réalisation d’actes illocutoires.

Nous avons également vu comment un primitif sémantique peut donner naissance à

plusieurs lexies au sein d’un vocable qui, elles, peuvent donner naissance à d’autres

vocables qui appartiennent à d’autres catégories grammaticales. Ainsi, il est important

d’étudier un champ lexical de la manière la plus large possible plutôt que chacune des

unités linguistiques qui le constituent de manière isolée. Comme le disait Saussure,

« dans la langue chaque terme a sa valeur par son opposition avec tous les autres termes »

(Saussure 1969 : 126).

Il va sans dire que les analyses présentées dans ce mémoire gagneraient beaucoup en

finesse si elles étaient étendues à d’autres lexies des différents champs sémantiques

abordés. Ainsi, nous pourrions mieux comprendre le sens de VRAI1 en le comparant

avec des mots comme RÉEL et VÉRITABLE, notre définition de VRAI2 bénéficierait

d’une étude des mots HONNÊTE, AUTHENTIQUE, SINCÈRE… et les connecteurs

105

textuels POUR DE VRAI7, POUR DIRE VRAI, À VRAI DIRE et À DIRE VRAI

pourraient être décrits plus justement si d’autres connecteurs textuels étaient examinés.

Une analyse minutieuse de quelques mots permet d’en apprendre beaucoup sur les

caractéristiques générales des catégories auxquelles ceux-ci appartiennent. Ainsi, il nous

plaît de voir la présente étude comme une contribution au processus de description de la

classe des marqueurs pragmatiques.

106

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BDTS (Banque de données textuelles de Sherbrooke), Université de Sherbrooke. Base qui comprend des textes variés (textes littéraires, entrevues, émissions de télévision, etc.). Texte en partie postérieurs à 1970. (Adresse du site : <www.usherbrooke.ca/Catifq/bdts>)

FRANTEXT (Base textuelle Frantext), CNRS – ATILF. Un important corpus de textes français, du XVIème au XXème siècle, saisis sur support informatique. Le corpus est constitué d'environ 3500 oeuvres (soit plus d'un milliard de caractères). Il contient à peu près 80% d'oeuvres littéraires et 20% d'ouvrages techniques

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illustrant les diverses disciplines scientifiques. (Adresse du site : <www.frantext.fr>)

109