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P armi les inscriptions les plus célèbres de l’Ancien Empire (2686-2152 avant notre ère) figurent celles des fonctionnaires spécialisés dans l’organisation de caravanes vers l’étranger. Basés surtout à éléphantine, véritable point de départ vers les pays situés au sud de l’égypte, leurs récits biogra- phiques décrivent en détail les expéditions qu’ils menè- rent vers la Nubie, ainsi que les circonstances (parfois assez mouvementées) qui les accompagnèrent. Des découvertes récentes viennent compléter ces informa- tions, comme l’inscription d’Iny, un dignitaire qui com- manda plusieurs expéditions vers le Levant. Si ces textes commémorent des missions au but plutôt com- mercial, d’autres inscriptions, comme celle d’Ouni d’Abydos, révèlent que les relations avec les peuples étrangers étaient ponctuées de conflits armés. Enfin, d’autres textes nous informent sur les expéditions minières détachées vers les carrières (Ouadi Hammamât, Hatnoub, etc.) ou vers les mines du Sinaï. Guerre et commerce allaient de pair, mais il ne faut jamais oublier que les textes évoquant ces échanges sont presque tous des inscriptions officielles, à but commémoratif, réticentes donc à consigner les aspects les plus troublants ou mondains liés à ces contacts. Juan Carlos Moreno Garcia 7 LES éCHANGES ENTRE L’éGYPTE ET LES RéGIONS VOISINES (2100-1800 avant notre ère) f ig. 1 Dépôt de jarres à Abu Ballas, au sud-ouest de Dakhla.

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p armi les inscriptions les plus célèbres del’Ancien empire (2686-2152 avant notre ère)figurent celles des fonctionnaires spécialisés

dans l’organisation de caravanes vers l’étranger. Baséssurtout à éléphantine, véritable point de départ versles pays situés au sud de l’égypte, leurs récits biogra-phiques décrivent en détail les expéditions qu’ils menè-rent vers la nubie, ainsi que les circonstances (parfoisassez mouvementées) qui les accompagnèrent. Desdécouvertes récentes viennent compléter ces informa-tions, comme l’inscription d’iny, un dignitaire qui com-manda plusieurs expéditions vers le Levant. si ces

textes commémorent des missions au but plutôt com-mercial, d’autres inscriptions, comme celle d’ounid’Abydos, révèlent que les relations avec les peuplesétrangers étaient ponctuées de conflits armés. enfin,d’autres textes nous informent sur les expéditionsminières détachées vers les carrières (ouadihammamât, hatnoub, etc.) ou vers les mines du sinaï. guerre et commerce allaient de pair, mais il ne fautjamais oublier que les textes évoquant ces échangessont presque tous des inscriptions officielles, à butcommémoratif, réticentes donc à consigner les aspectsles plus troublants ou mondains liés à ces contacts.

Juan Carlos Moreno Garcia 7

Les échAngesentre L’égypte

et Les régions voisines(2100-1800 avant notre ère)

fig. 1

Dépôt de jarres à Abu Ballas, au sud-ouest deDakhla.

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L’égypte y figure toujours comme le moteur deséchanges, ceux-ci venant satisfaire les demandeségyptiennes, tandis que les intérêts de ses "partenaires"commerciaux au Levant ou en nubie – sans parler dela contre-valeur des biens importés – sont ignorés. À encroire les inscriptions officielles, l’égypte agissaitselon sa volonté, sans contraintes, alors que lespeuples voisins occupaient une position subalterne,pressés de satisfaire les demandes du pharaon sanscontrepartie matérielle apparente.cependant, l’archéologie indique que les contacts égyp-tiens avec l’extérieur étaient bien plus complexes, et cedès la fin de l’Ancien empire. Les sites de tell ibrahimAwad (Delta oriental), Mersa/ouadi gaouasis (côte dela mer rouge) et Balat (oasis de Dakhla, désert occi-dental) en fournissent quelques indices. Dans le cas detell ibrahim Awad, les fouilles récentes ont mis au jourles vestiges d’un temple dont le plan se distingue decelui des temples égyptiens. Les similarités avec desconstructions proches du Levant suggèrent la présencelocale d’une population d’origine asiatique, une situa-tion qui rappelle celle, postérieure et très bien docu-mentée, du site voisin de tell el-Dab’a et sa colonie demarchands et marins levantins. Quant à Mersa/ouadi gaouasis, ce port fut utilisé dèsla fin de l’Ancien empire par les expéditions envoyéesau pays de pount, sur les rives méridionales de la merrouge. pourtant, de la céramique nubienne trouvée surplace révèle que les égyptiens n’étaient pas les seuls àfréquenter ce site. en effet, d’autres acteurs interve-naient dans les échanges entre la vallée du nil et lesrégions du sud de la mer rouge, voire de la corne del’Afrique, peut-être en tant qu’auxiliaires. cependant,on ne peut exclure qu’ils agissaient, au moins en partie,en suivant leurs propres intérêts. Même la présence dela céramique du yémen et de l’érythrée plaide en faveurde la présence à Mersa/ouadi gaouasis d’autres popu-lations impliquées dans ces échanges. enfin, le cas de Balat s’explique par la mise en placed’une sorte de comptoir pharaonique dans l’oasis deDakhla, orienté tantôt vers le désert occidental, tantôtvers la nubie. en effet, les fouilles archéologiques ontdétecté un véritable itinéraire – balisé de dépôts dejarres servant au stockage de vivres et d’eau, placés à

intervalles réguliers – qui menait, depuis Dakhlajusqu’à, au moins, le gebel ouweinat, à la frontièreactuelle entre l’égypte, la Libye et le soudan [fig. 1].L’encens et des pigments faisaient partie, sans douteavec d’autres produits, des échanges reliant la vallée dunil à ces régions lointaines de l’Afrique nord-orientale.certains indices montrent que des populations localesparticipaient aux échanges. Des lettres des gouverneursde Balat témoignent en effet des préparatifs précédantl’arrivée sur le site d’un chef d’un pays étranger.ces exemples viennent donc compléter une autresource d’information  : les "textes d’exécration", avecleurs listes de personnes et de pays étrangers poten-tiellement hostiles aux égyptiens. Dans les deux cas,des peuples étrangers figurent comme partenaires,comme concurrents ou encore comme une menacepour les intérêts égyptiens. Loin de l’image unilatéra-le et fort biaisée de l’épigraphie, ces autres témoignagesécrits et archéologiques contribuent à nuancer la natu-re des contacts entre l’égypte et ses voisins. ils mon-trent aussi que la prétendue autosuffisance et l’initiati-ve de la monarchie dans l’organisation des échangesavec l’extérieur devait composer de facto avec d’autresacteurs ayant leurs propres objectifs. parfois, les textes font écho à cette réalité, commedans l’inscription d’Ânkhtify de Mo’alla. ce célèbregouverneur d’éléphantine, edfou et hiérakonpolis(les trois provinces les plus méridionales de l’égypte),de la fin du iiie millénaire, se vante d’avoir délivré del’orge au pays d’ouaouat, en nubie, durant une pério-de où l’égypte fut touchée par une division politiqueet par des affrontements entre potentats locaux riva-lisant pour le pouvoir. étant donné que des soldatsnubiens faisaient partie des armées rivales (une colo-nie de soldats nubiens fut même établie àgebelein, juste au nord de Mo’alla), il est bien pro-bable que les livraisons d’orge soient en rapport avecla rémunération des troupes nubiennes [fig. 2]. Desfouilles archéologiques montrent en effet que leséchanges entre les populations de la nubie septentrio-nale et l’égypte connurent un essor considérable pen-dant cette période troublée, et que des produits ali-mentaires égyptiens étaient alors importés par lesnubiens de la culture du "groupe c".

La division politique de l’égypte fut néanmoins tem-poraire. Les luttes entre le royaume d’hérakléopolis, aunord, et de thèbes, au sud, s’achevèrent par la victoirethébaine, la réunification du pays et l’instauration d’unemonarchie unique sous le sceptre des pharaons thé-bains. Bien que l’historiographie traditionnelle insistesur les aspects politiques de ces conflits, plusieurs pistessuggèrent un scénario complexe où les échanges et lecontrôle des routes commerciales ont pu jouer un rôlemajeur, mais largement négligé, dans les interprétationshabituelles.

premièrement, les marges du Delta semblent enga-gées dans des activités commerciales assez intenses,mais dont les acteurs ne sont pas nécessairementdes dignitaires ni des membres de la cour. Dans lecas du Delta oriental, par exemple, la région est lepoint d’arrivée de routes commerciales venant del’Asie et du sinaï. or, justement pendant lapremière période intermédiaire, des centaines d’ha-bitats pastoraux apparaissent au sinaï, tandis quel’ouadi Feynan, en Jordanie, et ses très richesmines de cuivre connaissent un essor extraordinaire.

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Le début du Moyen Empire et la reconstructionde la monarchie en contexte

f ig. 2 soldats nubiens (source : Unesco).

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cependant, l’exploitation du minerai n’est pas le faitd’un "état" quelconque, mais, bien au contraire, resteentre les mains des populations de pasteurs autoch-tones, peut-être sur une base saisonnière, avant que le

cuivre soit exporté vers le sud du Levant et l’égypte ;ensuite, ce sont des pasteurs qui assurent le trafic dumétal à travers le sinaï.

Dans ce contexte, certaines zones du Delta orientalsemblent avoir connu des formes de vie peu sédenta-risées, où la mobilité et des activités différentes del’agriculture ont pu jouer un rôle considérable. Les

textes du début du iie millénaire indiquentl’existence de "campagnards" (Sékhetiou)dont la collaboration était nécessaire àl’organisation des expéditions minièresau sinaï, à côté d’autres populations(comme les Iménou), notamment dansdes activités logistiques comportantl’emploi d’ânes. Des récits littéraires,comme le célèbre Conte du paysanéloquent (ou Conte de l ’Oasien), décriventles activités de l’un de ces habitants de la"campagne" (sékhet), un individu vivantdans un milieu marginal et qui parcourtla route entre l’ouadi natroun ethérakléopolis avec sa caravane d’âneschargés de produits du désert (plantesmédicinales et aromatiques, des peauxd’animaux, etc). on constate donc quedes populations mobiles ont joué unrôle notable dans les échanges entrela vallée du nil et l’extérieur, et queces populations restent largementautonomes par rapport à l’autoritépharaonique.Le Delta occidental présente des nuancesparticulières pendant la premièrepériode intermédiaire. D’une part, despopulations pastorales sont bien attes-tées dans cette région depuis l’Ancienempire, au point que la localité deKom el-hisn joua le rôle de point decontrôle pour les populations libyennesvenues de l’ouest. Les titres d’environune douzaine de responsables de ce site,datant tous du iiie millénaire, concer-nent le contrôle des pâturages (mais,significativement, non des troupeaux),

le ravitaillement de la table du roi, l’exploitation desressources naturelles de la région (miel, chasse) et lasurveillance des marges désertiques.

fig. 3 caravane libyenne représentée à Beni hassan.

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Les inscriptions pharaoniques se font occasion-nellement l’écho de conflits avec les Libyens, accompa-gnés de la capture de troupeaux considérables de bovi-dés, ce qui implique qu’ils avaient un accès régulier à del’eau et à des aires de pâturage. il est donc probable queles responsables de Kom el-hisn aient accordé un droitde passage vers des zones de pâturage en échange,peut-être, d’une partie des animaux. plus tard, au coursdes premiers siècles du iie millénaire, les marges occi-dentales du Delta, le Fayoum et le nord de laMoyenne-égypte constituent un véritable "croissantpastoral", traversé par des Libyens et où l’élevage dubétail jouait un rôle économique considérable, au pointque de nouveaux termes comme ouhyt, "tribu, villageclanique", et menmenet, "bétail itinérant", apparaissentpour la première fois dans la zone nord de la Moyenne-égypte [fig. 3].D’autre part, ce "croissant pastoral" joue le rôle d’axecommercial depuis la fin du iiie millénaire. si Komel-hisn figure comme la seule localité d’une certaineimportance sur le bord occidental du Delta auiiie millénaire, la fin de l’Ancien empire est suivie detransformations notables. D’autres sites fleurissentdans la région (Barnugi par exemple), comme entémoigne, pour la première fois, la construction de

mastabas décorés et pourvus d’un riche équipementcomprenant de l’or, de la turquoise et du lapis-lazuli.Une autre tombe inscrite fut érigée à Kom el-hisn,avec des formules précoces des Textes des sarcophages.encore plus remarquable, des tombes et des armesd’un type particulier – tombes "de guerriers" –, typique-ment levantines et datant de la toute fin du iiie mil-lénaire et du début du iie millénaire, apparaissenttant à Kom el-hisn qu’à sheikh Farag, au Fayoum.ces tombes et ces objets sont habituels le long desroutes terrestres traversant la syrie et le Levant àcette époque, et sont parfois associées à des inhuma-tions d’ânes. Leur présence dans l’axe constitué par lacôte méditerranéenne, Kom el-hisn et le Fayoum, enégypte, suggère une voie de pénétration dans lavallée du nil en suivant la branche occidentale dunil. L’apparition des titres "mesureur dans le dépar-tement de la myrrhe" (tombe de hetep-ouadjet,dignitaire de la première période intermédiaireinhumé à hérakléopolis) et "grand du départementde la myrrhe" suggère également que la myrrhe futl’un des moteurs des échanges dans la région, commesi ce produit était devenu assez important pourjustifier la création d’un département administratifspécifique consacré à sa gestion.

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caravaneasiatique àBeni hassan.

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Le cas d’éléphantine présente des parallèles intéres-sants à la même époque. Une inscription, découvertesur le site de la fin de la première période intermé-diaire (tombe Qoubbet el-hawa n°  110), décrit lesmissions commerciales effectuées par setka afin delivrer des produits étrangers à la "Maison de Khéty"(expression désignant le royaume d’hérakléopolis) ;parmi ces produits figure "la myrrhe de Byblos", del’or et du cuivre du "pays de dieu", de l’encens denubie, de l’ébène, de l’ivoire et, enfin, des animauxexotiques. Une autre sépulture (tombe Qoubbet el-hawa n° 88) a livré de nombreux vestiges de contactsavec l’extérieur, y compris une coupe de style égéen(Kamares) ainsi qu’une "poupée" du type paddle doll(cf. infra). Bien qu’éléphantine fasse partie duroyaume thébain, elle continua à jouer le rôle decentre commercial et de nœud du trafic nilotique,jouissant d’un certain degré d’autonomie lui permet-tant de "trafiquer" avec le nord.

ces exemples révèlent une particularité souventoubliée. Bien que les grandes inscriptions commé-moratives et les textes "officiels" célèbrent lesexpéditions et les missions commerciales organi-sées par la couronne, ces entreprises n’assuraientqu’une partie des échanges entre l’égypte et l’exté-rieur. D’autres contacts ont lieu en marge des pou-voirs centraux, ce qui laisse une certaine marged’autonomie à d’autres acteurs, tels que les popu-lations mobiles, les potentats locaux ou les mar-chands dont les activités sont, hélas, très mal docu-mentées [fig. 4]. Une autre conclusion se dégage.

Le mythe de la première période intermédiairecomme une époque de chaos et de crise se révèleerroné. en réalité, les fouilles archéologiques enégypte et au proche-orient montrent, au contraire,que l’effondrement récurrent des monarchies n’en-traîne pas nécessairement de désordres. Bien aucontraire, il libère des forces en quelque sorte entra-vées par les limitations imposées par les systèmespalatiaux et leur fiscalité. La première période inter-médiaire en constitue un exemple frappant, de sorteque la crise de la monarchie de l’Ancien empire futsuivie, certes, par la division politique du pays, maisaussi par l’essor des activités commerciales, où lamyrrhe, des produits aromatiques, du lapis-lazuli, desmétaux et d’autres biens de luxe ont joué un rôleimportant. Dans ces conditions, la réunification dupays sous le règne de Montouhotep ii ne semble pasétrangère à une volonté de maîtriser ces flux com-merciaux traversant alors la vallée du nil.

en effet, plusieurs indices plaident à faveur d’unepolitique visant à contrôler l’accès aux produits jadissous tutelle hérakléopolitaine. Khéty, "chef du trésor"de Montouhotep ii, était aussi "intendant de l’argentet de l’or" et "intendant du lapis-lazuli et de la tur-quoise", tandis qu’un autre Khéty figure égalementen charge d’expéditions minières et d’obtention demétaux et de minéraux divers (dont le lapis-lazuli),en provenance de plusieurs pays étrangers. Dans lemême temps, les campagnes militaires deMontouhotep ii cherchent à contrôler les principalesroutes terrestres et maritimes, tantôt vers les oasis

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et le désert occidental (comme en témoigne notam-ment une inscription trouvée récemment au gebelouweinat), tantôt vers la nubie, voire vers la Libye etl’Asie. Des scènes de la tombe de son général Antefmontrent des soldats nubiens navigant vers lenord, ainsi qu’une attaque menée contre uneforteresse tenue par des Asiatiques, tandisque les inscriptions de sa chapelle à gebeleinmentionnent des attaques contre des Libyenset des nubiens. Une autre inscription, près decoptos, évoque à la fois des attaques menéescontre des pays étrangers à partir d’éléphantine,l’incorporation des oasis et de la nubie septen-trionale et une mention de la mer en rapport,apparemment, avec des luttes pour gagnerl’accès à la mer rouge. D’autres passagessignalent des routes bloquées, y compris l’ac-cès au pays de Qedem, toponyme qui désignela palestine dans les sources plus tardives.plusieurs témoignages constituent desindices de ces contacts avec le désert.L’importation de l’encens et de la myrrhe estnotable sous le règne de Montouhotep ii, eneffet, l’inscription du gebel ouweinat men-tionne ces denrées ; de plus, le sarcophage dela concubine du souverain, Aashyt, représentedeux servantes medja (donc originaires dudésert oriental) ainsi qu’une troisième nom-mée ibhatyt ("celle d’ibhat", ibhat étant unezone du désert oriental) [fig.  5]. en outre,son successeur, Montouhotep  iii, organisaune expédition à pount à travers les pistes dudésert oriental afin de ramener "de la myrrhefraîche en possession des chefs qui gouvernentla terre rouge (le désert)".D’autre part, de nombreuses paddle dolls, ou"poupées-raquettes" [fig.  6], apparaissentdans les tombes de particuliers sous le règne deMontouhotep  iii. ces figurines aplaties, aux attri-buts sexuels très marqués, portant des tatouages etdes vêtements très colorés, se retrouvent surtout dansdes sites jouant un rôle important dans les contactsavec l’extérieur (sheikh Farag, éléphantine, Benihassan, etc.), ainsi qu’à l’Assassif, dans les environs

de l’immense tombe et du temple funéraire bâtis parMontouhotep  ii. Des figurines avec des caractéris-tiques similaires apparaissent à la même époque lelong de la route menant de l’Asie centrale vers la

Méditerranée orientale, et suggèrent une relation,encore mal comprise, avec les activités marchandesau début du iie millénaire. il faut donc tourner leregard vers l’extérieur pour comprendre l’essor sou-dain de ces contacts dans lesquels le lapis-lazuli, lesaromates, les textiles et les métaux ont pris un essorconsidérable.

fig. 5

(page de gauche)

Femmes medja

sur le sarcophaged’Aashyt à Deir el-Bahari (source :MetropolitanMuseum, new york).

fig. 6

(ci-contre)

Paddle doll

(source : BritishMuseum).

CRES26
Note
II

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f ig. 7 Kültepe/Kanesh.

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en effet, des figurines féminines aux caractéris-tiques similaires ont été découvertes le long desroutes commerciales qui ravitaillent le proche-orient en lapis-lazuli et en étain, en provenance del’Asie centrale. toujours à la même époque, desmotifs textiles multicolores inspirent la décorationde la céramique (et la circulation de motifs orne-mentaux) entre la transcaucasie et l’Anatolieorientale, alors que des tapisseries en laine multico-lores apparaissent en Mésopotamie à la toute fin duiiie millénaire et, un peu plus tard, en Anatolie eten syrie grâce à des innovations introduites dans letissage de la laine. enfin, des relations intenses surles plans militaire, économique et politique entre laMésopotamie et la civilisation de l’oxus, en Asiecentrale (y compris l’expansion probable, mais discutée,de la dynastie de shimashki, originaire de cetterégion, en Mésopotamie à la fin du iiie millénaire),s’expliquent par l’importance de la circulation del’étain et du cuivre extraits dans cette région. Les riches archives assyriennes retrouvées enAnatolie sur le site de Kültepe – ancienne Kanesh– [fig.  7] donnent une idée de l’ampleur et de lacomplexité de ces réseaux entretenus par des mar-chands privés. par conséquent, les paddle dollsconstituent un indice précieux de l’existence deréseaux de circulation des métaux, des textiles colo-rés et autres produits sur de vastes distances, entrel’Asie centrale et la Méditerranée orientale, réseauxoù l’égypte ne semble pas étrangère. À ce propos,David Wengrow a signalé l’existence de contacts àlongue distance dans la Méditerranée orientaleimpliquant la circulation de produits à faiblevaleur, mais utilisés surtout par des femmes, com-merce dont les protagonistes ne semblent pas êtredes agents de palais, mais plutôt des marchands iti-nérants plus ou moins autonomes.Un autre élément crucial bouleverse les circuits com-merciaux du début du iie millénaire. chypre devientalors le principal centre producteur de cuivre, au pointque d’anciens centres producteurs comme oman,l’Anatolie, voire l’égée, connaissent un déclin rapide.

Dans le même temps, la production du bronze expé-rimente un développement extraordinaire grâce à lagénéralisation de l’emploi de l’étain. en outre, larégion du taurus, dans le littoral sud de l’Anatolie,devient un grand centre d’extraction d’argent, tandisque la cilicie et la zone de l’Amuq commencent àproduire aussi de l’étain. enfin, les fouilles récentesrévèlent que, depuis le milieu de la Xiie dynastie, lapalestine connaît une nouvelle phase d’urbanisationdont les manifestations les plus notables sont les for-tifications et les édifices "publics" de grandes dimen-sions trouvés à Ashkelon, tel ifshar ou Aphek. Lacéramique égyptienne commune trouvée dans cessites suggère des échanges portant sur des produits àfaible valeur, vraisemblablement dans le cadre d’opé-rations commerciales menées en marge de l’état. Lenord du Levant devient ainsi un carrefour commer-cial de premier ordre où se croisent les routes reliantl’Asie centrale à la Méditerranée orientale, à traversla Mésopotamie, ainsi que celles reliant l’Anatolie auproche-orient et au Levant. L’apparition de nom-breux ports le long de la côte levantine témoigne del’essor des échanges dans la région.Des bouleversements similaires affectent égale-ment l’Afrique nord-orientale. L’apparition dupuissant royaume de Kerma en nubie implique undédoublement du contrôle du trafic nilotique. Dela céramique "Kerma" et de nubie orientale,retrouvée à Mersa/ouadi gaouasis, suggère quedes nubiens participaient aux activités menéesdans ce port de la mer rouge, aussi bien commeauxiliaires des égyptiens que comme partenaires.Une autre route, terrestre, partait du royaume deKerma et arrivait au pays de pount à travers ledelta de gash, au soudan oriental [fig. 8]. enfin,la présence nubienne devient de plus en plus évi-dente dans les oasis du désert occidental pendantles premiers siècles du iie millénaire. en égypte,de nombreux cimetières de la culture nubiennepan-grave sont attestés depuis éléphantine jus-qu’au Delta, associés probablement à un petit traficcaravanier.

La "route de l’étain", la laine et le cuivre, moteursdu commerce extérieur

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Dans ces conditions, l’égypte du Moyenempire (2055-1650  avant  J.-c.) n’estdésormais qu’un acteur parmi d’autresdans un vaste réseau d’échanges. Bienque les inscriptions pharaoniques pré-sentent une image fort biaisée, faite d’ex-péditions royales réalisées au détrimentdes peuples voisins, la réalité est toutautre : l’égypte se montra incapable (oupeu intéressée) de dominer la nubie et leLevant malgré les expéditions militaireslancées contre ces régions. en outre, denombreux Asiatiques habitaient enégypte  ; l’accroissement de la colonieinstallée dans la zone d’Avaris/tell el-Dab’a ne fit qu’étendre l’importance dusite tout au long du Moyen empire, aupoint qu’il devint finalement le centred’un royaume indépendant. Un autre aspect peu exploré réside dansl’idée que d’autres protagonistes ont pujouer un rôle notable bien que largementsous-estimé en égypte même, avec desconséquences politiques à long terme.

f ig. 8

Kerma (source :Wikicommons).

f ig. 9

sérabit el-Khadim, sinaï.

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en effet, de véritables dynasties de potentats locaux,portant le titre de "grand chef de province" et ayantbâti de très riches tombes, sont bien attestées, surtouten trois sites principaux : éléphantine, Qaou et la zonede Bersheh/Beni hassan. or c’est précisément dansces localités qu’apparaît le titre de "responsable de laporte des pays étrangers", ce qui indique que leurstitulaires exerçaient un certain contrôle des échangesvers l’extérieur. La biographie de sarenpout  ier

d’éléphantine ou la représentation, dans unetombe de Beni hassan, d’une caravane d’Asiatiquestransportant de la galène, en témoignent. enfin, d’autres acteurs autonomes ont également par-ticipé aux échanges. Au gebel Zeit, par exemple, l’ex-traction de la galène impliqua l’emploi de travailleursvenus du Levant. La découverte de nombreuses paddledolls, ainsi que de figurines féminines d’un type cou-rant en Asie et d’un sceau-cylindre syrien, témoignede leur présence. Même les expéditions minièresenvoyées par les pharaons au sinaï comptèrent sur laparticipation de bédouins et d’habitants de la

palestine ; leur nombre (et parfois leur représentation)figurent souvent sur les nombreuses stèles érigéesdans le sanctuaire d’hathor à sérabit el-Khadim [fig. 9].en conclusion, la deuxième moitié du Moyenempire inaugure une période nouvelle des échangeségyptiens avec l’extérieur, avec des conséquences detous ordres (politique, social, économique) pour lepays. Une fois de plus, le commerce avec l’étrangerconnaît un développement extraordinaire en l’absenced’un état central puissant. Le morcellement du paysen plusieurs royaumes, dont témoigne le nombreétonnement élevé de rois attestés, suggère un paysagepolitique nilotique "levantin", gravitant autour desrois hyksôs du Delta oriental, des rois nubiens deKerma et, plus tard, des rois thébains, tous reliés à undense réseau commercial au sein duquel circulent lesproduits et les idées. Les efforts pour maîtriser leséchanges donnèrent lieu à un nouvel âge impérial,fait de rivalités entre puissances, mais aussi decontacts diplomatiques, culturels et artistiques entreelles. Le nouvel empire était né.

Juan Carlos Moreno Garcia18

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CRES26
Note
Si possible, ajouter cette référence: T.C. Wilkinson, Tying the Threads of Eurasia. Trans-Regional Routes and Material Flows in Transcaucasia, Eastern Anatolia and Western Central Asia, c. 3000-1500 B.C. Leyde, 2014.