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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article Pierre Pech et Vincent Jomelli Géographie physique et Quaternaire, vol. 55, n° 1, 2001, p. 47-61. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/005661ar DOI: 10.7202/005661ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 8 June 2013 10:28 « Le rôle du cône apical dans le déclenchement des coulées de débris alpines du massif du Dévoluy, Hautes-Alpes (France) »

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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à

Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents

scientifiques depuis 1998.

Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected]

Article

Pierre Pech et Vincent JomelliGéographie physique et Quaternaire, vol. 55, n° 1, 2001, p. 47-61.

Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

URI: http://id.erudit.org/iderudit/005661ar

DOI: 10.7202/005661ar

Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir.

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« Le rôle du cône apical dans le déclenchement des coulées de débris alpines du massif duDévoluy, Hautes-Alpes (France) »

Géographie physique et Quaternaire, 2001, vol. 55, n° 1, p. 47-61, 15 fig., 4 tabl.

LE RÔLE DU CÔNE APICAL DANS LE DÉCLENCHEMENT DES COULÉES DE DÉBRIS ALPINES DU MASSIF DU DÉVOLUY, HAUTES-ALPES (FRANCE)Pierre PECH*, Vincent JOMELLI, Université de Paris 1, 191, rue Saint-Jacques, 75005, Paris, France.Laboratoire deGéographie physique CNRS UMR 8591, 1, place Aristide Briand, 92195 Meudon Cedex, France.

, 2001, vol. 55, n° 1, 15 fig., 4 tabl., 55(1), 2001P. PECH et V. JOMELLIRÉSUMÉ Si de nombreuses recherches ontporté sur les conditions de déclenchement descoulées de débris alpines, en particulier lesprécipitations de forte intensité, et sur lesmodalités de leur écoulement, plus rares ontété les travaux portant sur les conditionsd’approvisionnement en matériaux. Le but dece travail est de présenter les résultatsd’observations et de mesures portant sur unepopulation de 68 modelés de coulées dedébris, étudiés autour du plateau de Bure,situé à 2 600 m d’altitude, un secteur du massifdu Dévoluy dans les Alpes françaises. Onrecense chronologiquement tous les modelés(entre 1948 et 1997), on les cartographie et onrecherche dans les archives météorologiquesles circonstances météorologiques de chaquecas de coulée. Les résultats correspondent àceux des autres auteurs, mais les relationsentre les données météorologiques et ledéclenchement des coulées ne sont pas sta-tistiquement significatives. Des observationscomplémentaires, portant sur les caractèresmorphosédimentaires de la zone d’alimenta-tion et de la zone amont des modelés de cou-lées de débris, permettent de mettre enévidence une topographie originale appeléecône apical, situé à la limite entre la paroi et ledépôt de pente, secteur où s’accumule lematériel sédimentaire qui est mobilisé par lacoulée de débris. Sans cette accumulationpréalable et même si les conditions météoro-logiques sont favorables, la coulée de débrisne peut se produire. Inversement, certainescoulées peuvent se déclencher même si lesconditions météorologiques ne sont pasexceptionnelles lorsque le stock sédimentaireest abondant. Le déclenchement est engrande partie commandé par les rythmesd’accrétion.

ABSTRACT Active role of the apical cone inthe triggering off of alpine Debris flows in theMassif du Dévoluy, Hautes-Alpes, France.Until now, many studies concerned the pat-terns of setting off and triggering off alpinedebris flows. In particular, it was shown that themost frequent alpine flows occur in relationshipwith heavy rainfalls. We studied a populationof 68 alpine debris flows in the Massif duDévoluy, situated in French Alps. First, we col-lected the alpine debris flows events, trying todate with aerial photographs (between 1948and 1997) and with local records. Then we esti-mated the statistical relationships betweenthese events and the meteorological data, inparticular the heavy rainfalls sequences(> 50 mm/24 h and > 100 mm/24 h) but theresults show that the data do not seem to cor-relate. In several cases, severe rainfalls did nottrigger off debris flows, and contrary to themost frequently observed results, debris flowssetting off does not coincide systematicallywith heavy rainy sequences. We paid attentionto the supplies of materials, near the rock wall.In order to understand the circumstances ofdebris flows setting off, we studied the shapeof the section between the rock wall and thetalus deposit. There is a temporary deposit thatwe call apical cone. We present here the mor-phometric and sedimentologic properties ofthe apical cone which is easily recognisable:a medium slope angle value around 40°, acoarse composition and an anarchic disposi-tion of the block deposit. We suggest that, inmany cases, the alpine debris flows move-ments are triggered by the accumulation of theapical cone and that the rythms of accretioncontrol partly this triggering off.

ZUSAMMENFASSUNG Die Rolle desKegelscheitels bei der Auslösung alpinerSchuttflüsse im Massif du Dévoluy, HautesAlpes (Frankreich). Zahlreiche Forschungenhaben sich mit den Auslösungsbedingungenalpiner Schuttflüsse und ihrer Strömungsformbeschäftigt, vor allem in Verbindung mit star-kem Regenfall ; seltener sind die Arbeiten,welche die Materialansammlungsbedingun-gen untersuchen. Diese Arbeit setzt sich zumZiel die Ergebnisse von Beobachtungen undMessungen an insgesamt 68 Reliefs vonSchuttflüssen auf dem Plateau von Bure zupräsentieren, einem Abschnitt des Massif duDévoluy in den französischen Alpen in 2600 mHöhe. Alle Reliefs (zwischen 1948 und 1997)werden chronologisch aufgelistet und karto-graphiert und für jeden Schuttfluss werden dieWetterbedingungen in den meteorologischenArchiven gesucht. Die Ergebnisse stimmenmit denen der anderen Autoren überein, aberdie Beziehungen zwischen den meteorologi-schen Daten und der Auslösung der Flüssesind statistisch nicht signifikant. ZusätzlicheBeobachtungen, bezüglich der morphosedi-mentären Charakteristika des Nährgebietsund des Gebiets oberhalb der Schuttflussreli-efs ermöglichen die Hervorhebung einereigentümlichen Topographie, genannt Kegel-scheitel. Dieser befindet sich an der Grenzezwischen der Felswand und der Böschungab-lagerung, wo sich das Sedimentmaterial anla-gert, das durch den Schuttfluss mobilisiertwird. Ohne diese vorhergehende Akkumula-tion kann der Schuttfluss nicht stattfinden,selbst wenn die meteorologischen Bedingun-gen günstig sind. Dagegen können bestimmteSchuttflüsse ausgelöst werden, selbst wenndie meteorologischen Bedingungen nichtaußergewöhnlich sind, wenn die Sedimentan-sammlung reichhaltig ist. Die Auslösung wirdzum großen Teil durch die Anlagerungsrhyth-men bestimmt.

Manuscrit reçu le 7 décembre 1999 ; manuscrit révisé accepté le 5 avril 2001* Adresse électronique : [email protected]

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INTRODUCTIONDans les régions de montagne, certains versants pentus

sont souvent atteints par des processus appelés flots dedébris alpins ou coulées de débris (Chamley, 1977 ; Bertranet Texier, 1994 ; Hétu et al., 1995), alpine debris flows enanglais ou hillslope debris flows (Innes, 1983a). Ces flots dedébris alpins ou coulées de débris de versants constituentdes modelés associant, en contrebas d’une paroi rocheuse(Krzemien, 1988), un chenal bordé par des levées et, àl’aval, un dépôt résultant de l’accumulation des débris sousforme de langue ou d’éventail (fig. 1).

Le terme général de debris flow rassemble des formesvariées de mouvements de masse (Meunier, 1991). On dis-tingue usuellement les coulées canalisées, qui surviennentdans des chenaux torrentiels (Coussot, 1993), appeléeslaves torrentielles, des coulées de débris superficielles quine touchent que les versants (Loye-Pilot, 1984). Seules cesdernières, particulièrement actives en haute montagne dansles étages supraforestiers, sont étudiées ici. Pour de nom-breux auteurs (Rapp et Nyberg, 1981 ; Innes, 1983a ; John-son et Rodine, 1984 ; Harris et Gustafson, 1993 ; Kotarba,1997 ; Blijenberg, 1998 ), les levées ainsi que le lobe dedépôt constituent le trait morphologique caractéristique descoulées de débris. Les déplacements s’effectuent par sacca-des ou par bouffées successives selon une vitesse de l'ordredu mètre/seconde. Ces mouvements de terrain limités àquelques centaines de mètres de distance sur une largeurde quelques mètres peuvent mobiliser des matériaux detaille variable, des blocs, des débris fins et de la matrice. Lesvolumes déplacés, de l’ordre de quelques dizaines demètres cubes affectent un matériel généralement hétéro-gène (Gerrard, 1990) et font intervenir la mobilisation parglissement gravitaire plus ou moins assisté par l’eau ou parliquéfaction (Takashi, 1980 ; Blijenberg, 1998). Le mouve-ment des débris sur la pente correspond à un écoulementplus ou moins visqueux. Les dynamiques variables desdéplacements ont été étudiées au moyen d’analyses sédi-mentologiques et de modèles physiques (Johnson et Rahn,1970 ; Enos, 1977 ; Van Steijn et al., 1988 ; Nieuwenhuijzenet Van Steijn, 1990 ; Takahashi et al., 1992 ; Zhicheng etYuzhang, 1992 ; Bertran et Texier, 1994 ; Hunt, 1994 ; Iver-son, 1997 ). La pente, l’instabilité des matériaux déplacés etla mise sous pression de l’eau dans ces matériaux sont lesfacteurs principaux du déplacement.

Les caractéristiques morphologiques et sédimentologi-ques du dépôt sont aujourd'hui bien connues grâce à denombreuses observations de terrain (Nieuwenhuijzen et VanSteijn, 1990 ; Bertran et Texier, 1994 ; Blijenberg, 1998 ) et àla réalisation de modèles réduits (Van Steijn et Coutard,1989). Ces caractéristiques ont été mises en relation avecles processus grâce à des modèles physiques (Johnson etRahn, 1970 ; Takahashi, 1978, 1980, 1981a, 1981b ; Taka-hashi et al., 1981, 1992 ; Johnson et Rodine, 1984 ; Cous-sot, 1993 ; Bertran et Texier, 1994 ; Iverson, 1997 ;Blijenberg, 1998).

Les coulées de débris élaborent des modelés suffisammentdurables dans les différents reliefs de ces versants de hautemontagne pour que les avalanches chargées et les chutes de

pierres ne permettent pas leur estompage dans la topographieaprès plusieurs années (Francou, 1988 ; Luckman, 1992 ;Pech, 1993 ; Jomelli, 1997). Le repérage sur le terrain estdonc aisé. Pour dater ces modelés, lorsqu’on ne dispose pasd’archives ou de datations historiques, on utilise les datationsau radiocarbone pour le long terme (Innes, 1983c ; Mlakar,1992 ; Kotarba, 1995 ; Blikra et Nemec, 1998), la lichénomé-trie (Innes, 1983b ; André, 1990, 1995 ; Jonasson et al., 1991 ;Bull et al., 1995 ; Kotarba, 1997 ; Blijenberg, 1998) ou la den-drochronologie (Strunk, 1989, 1992 ; Hüsken, 1994 ; Blijen-berg, 1998). La reconstitution de la chronologie des couléesde débris permet d’en évaluer la fréquence.

Beaucoup d’études ont été consacrées aux facteurs dudéclenchement des coulées de débris. La plupart desauteurs s’accordent pour penser que les précipitations deforte intensité ou de longue durée constituent un facteurdéterminant dans le déclenchement des coulées de débris(Caine, 1980 ; Rapp and Nyberg, 1981 ; Innes, 1983a ;Johnson et Rodine, 1984 ; Addison, 1987 ; André, 1990,1995 ; Van Asch et Van Steijn, 1991 ; Luckman, 1992 ; VanSteijn, 1996 ; Iverson, 1997 ; Blijenberg, 1998). D’autresauteurs évoquent le rôle que peut jouer l’approvisionnementen matériel à partir de la partie apicale du versant (Statham,1976 ; Johnson et Rodine, 1984 ; Kotarba et Strömquist,1984 ; Francou, 1988 ; Bertran et Texier, 1994 ; Van Steijn,1996), sans en effectuer une analyse systématique.

L’objectif de notre travail consiste à démontrer le rôle relatifde ces deux facteurs dans le déclenchement des coulées, enprésentant des résultats concernant l’étude de la chronologiedes coulées de débris, leur mise en relation avec les événe-ments météorologiques de forte intensité et le rôle que joue lesecteur amont fournissant des débris, que l’on se proposed’appeler ici cône apical : il s’agit d’une accumulation de blocsdisposés en position très instable à la fois sur l’apex du ver-sant et dans les fissures qui entaillent la paroi.

PRÉSENTATION DE LA RÉGION ÉTUDIÉELe plateau de Bure, partie méridionale du massif du Dévo-

luy, dans les Alpes françaises (fig. 2), a été choisi parce qu’il

FIGURE 1. Coulées de débris alpines dans la combe Ratin (Dévoluy,Alpes françaises).

Alpine debris flows in the Combe Ratin (Dévoluy, French Alps).

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présente un grand nombre de modelés de coulées de débrisalpines. Le Dévoluy est un massif sédimentaire formé deroches calcaires compactes du Sénonien, épaisses de plusde 400 m dans certains secteurs, disposées en gros bancsplissés ou sub-horizontaux. Ces dalles calcaires donnent desreliefs structuraux de crêts monoclinaux formant des paroisrocheuses qui dominent des versants d’éboulis, plus ou moinsactifs, parcourus localement par les coulées de débris de ver-sant. Situé à l’extrémité sud du massif du Dévoluy, le plateaude Bure forme une table de 4 km2 disposée à plus de 2 500 md’altitude, bordée par des parois rocheuses et des versantsperturbés par de nombreuses coulées de débris. Le plateaude Bure et les versants qui le bordent font l’objet d’un suivistationnel depuis 1989 (Pech, 1996). Il est échancré de val-lons, appelés combes (fig. 3). Les deux versants, qui se fontface dans chacune de ces combes, sont constitués de paroisrocheuses dominant des dépôts de pente qui présentent unephysionomie comparable à de grands tabliers d’éboulis. Lesprocessus dominants sont les chutes de pierres, les avalan-ches et les coulées de débris (Pech, 1993). Le milieu climati-que est périglaciaire (Pech, 1996). Les températuresmoyennes sont froides avec un isotherme annuel moyen de0 °C aux alentours de 2 500 m d'altitude. L'altitude et les crê-tes favorisent une augmentation de l'humidité, car les totauxpluviométriques atteignent 2 000 mm/an avec un coefficientnivométrique d'environ 70 % (Pech, 1993, 1996). Les couléesde débris sont actives entre 2 600 m, altitude maximale de lapartie apicale des talus parcourus par les coulées de débris,et 1 400 m, altitude correspondant à la base de ces mêmesversants.

MÉTHODOLOGIE

LA DÉMARCHE

L’objectif de l’étude a consisté à effectuer l’analyse la plusexhaustive possible de 68 coulées de débris du plateau deBure, afin de comprendre l’origine de leur déclenchement.Nous avons donc successivement cherché à repérer géo-graphiquement puis chronologiquement les coulées, puis àles mettre en relation avec les phénomènes météorologi-ques qui existaient lors de leur déclenchement. Ensuite,nous avons cherché à mettre en évidence le rôle du côneapical dans le déclenchement des coulées. Pour ce faire,nous avons étudié les caractéristiques morphosédimen-taires des coulées de débris et comparé ces profils avecceux, bien connus, des éboulis gravitaires (Francou, 1988,1991 ; Francou et Manté, 1990).

RENCENSEMENT ET CARTOGRAPHIE DES COULÉES DE DÉBRIS

Dans un premier temps, le travail a consisté à recenser età cartographier (fig. 3 et 4A) les coulées de débris autour duplateau de Bure. L’observation directe (localisation géogra-phique) est effectuée depuis 1991. Les coulées plus ancien-nes ont été repérées à l’aide de documents d’archiveslocales (Office National des Forêts — ONF, Ponts et Chaus-sées, Restauration des Terrains en Montagne — RTM,Archives Départementales) et grâce à dix missions de prisesde photographies aériennes IGN : 1948, 1952, 1956, 1971,1978, 1980, 1982, 1989, 1993 et 1997. Dans un deuxième

FIGURE 2. Carte de localisation.

Location map.

Col de la Croix Haute

Verc

ors

Obiou

2 790 m

Le Buëch

Le TrièvesChampsaur

Lac du Sautet

Col du Noyer

Le Drac

2 237 m

2 363 m

La SouloiseMASSIF

DU

DÉVOLUY

Veynes

Gap

44° 35'

44° 49'

Plateau de Bure

0 5 km

Saint-

Étienne-en-

Dévoluy

Lyon

Gap

Marseille

FRANCE

Rhô

ne

DÉVOLUY

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temps, nous avons cherché à dater ces coulées. Les mesu-res concernent donc la période de 1948 à 1997 : 68 couléesont été recensées, à partir de 1948. Les plus anciennes oules coulées impossibles à dater n’ont pas été considérées.Des coulées de débris ont pu se déclencher dans l’intervallecompris entre deux photographies aériennes et, dans cecas, les documents d’archives ou les témoignages locauxont permis de préciser la date de certains événements. Lapériode 1990-1997 a fait l’objet d’un suivi direct ; d’uneannée sur l’autre, les versants bordant le plateau de Bureont été cartographiés dans le but de suivre les modificationsde leur physionomie. Il a même été possible de dater deuxgénérations de coulées superposées : trois coulées se sontdéclenchées après 1991 dans trois sites différents, là où unepremière génération avait été repérée préalablement grâceaux photographies aériennes. Au total, une véritable chrono-logie des coulées de débris a pu être reconstituée, grâceaux photographies aériennes, pour l’ensemble du plateau deBure (fig. 4A) : de 1948 (= année 0 de la chronologie) à1997.

LES DONNÉES MÉTÉOROLOGIQUES

Le service de la météorologie nationale française(MétéoFrance) publie des séries de données pour les sta-tions de Gap et Saint-Étienne en Dévoluy. On peut doncconnaître les totaux annuels (fig. 4B), mensuels et quoti-diens des précipitations. Les données météorologiques aux-que l les nous avons eu accès ne permet ten tmalheureusement pas de préciser les intensités horaires. Laprécision ne va pas au delà de 24 heures, et ce sont doncles intensités par 24 heures qui ont été étudiées dans lasérie chronologique allant de 1948 à 1997 et non pas lesintensités horaires, sauf quelques séquences pluvieusesplus récentes, en particulier celle de 1993-1994, pourlaquelle nous avons disposé de données plus détaillées

aimablement fournies par les stations météorologiques loca-les (Veynes et Saint-Étienne en Dévoluy). Ont été relevées,pour ce travail, toutes les précipitations quotidiennes supé-rieures à 50 (fig. 4C) et 100 mm (fig. 4D) par 24 heures, carces valeurs correspondent à celles qui sont généralementévoquées pour le déclenchement des coulées de débris(Caine, 1980 ; Rapp et Nyberg, 1981 ; Innes, 1983a ; John-son and Rodine, 1984 ; Addison, 1987 ; André, 1990, 1995 ;Van Asch et Van Steijn, 1991 ; Luckman, 1992 ; Iverson,1997 ; Blijenberg, 1998). Toutefois, la plupart des auteursévoquent aussi des intensités ponctuelles parfois de quel-ques minutes, ramenées à des intensités horaires équiva-lant à 50 mm et 100 mm/h et nous n’avons évidemment paspu tenir compte de ces situations météorologiques. Nousavons dû nous limiter à l’étude des totaux quotidiens supé-rieurs à 50 et 100 mm, mais en haute montagne, dans lesAlpes soumises aux flux d’ouest ou à l’advection d’air enprovenance de la Méditerranée, les totaux quotidiens cor-respondant à des précipitations de forte intensité et de faiblefréquence atteignent toujours des valeurs importantes, lar-gement supérieures à 50 mm/ 24 h (Francou, 1988 ; Leroux,1996). L’étude systématique des journées à précipitationsabondantes (> 50 mm/24 h : fig. 4C et > 100 mm/24h :fig. 4D) a été complétée par l’examen des bulletins météoro-logiques, publiés par MétéoFrance, qui ont permis de définirles trajectoires des flux atmosphériques. Les résultats del’analyse des bulletins météorologiques ont été vérifiés, surle terrain, par le dépouillement des archives (archives dépar-tementales ou de l’ONF). Cette étude a permis de construirele diagramme de la trajectoire des flux de la figure 5 afin devoir s’il y a une relation entre la localisation des coulées dedébris et une trajectoire préférentielle de ces flux. Les don-nées météorologiques ont été mises en relation avec lacourbe chronologique des coulées de débris (fig. 4) ainsiqu’avec la carte de leur répartition (fig. 5).

FIGURE 3. Le plateau deBure, rebord sud du massif duDévoluy et localisation descoulées de débris de versants(entre 1948 et 1997) : 1)rebord du plateau calcaire ; 2)coulées de débris.

Plateau de Bure, southernpart of the Massif du Dévoluyand the location of the alpinedebris flows (from 1948 to1997): 1) calcareous edge ofthe plateau de Bure; 2) debrisflows.

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MORPHOMÉTRIE DES COULÉES DE DÉBRIS DE VERSANTS

Ces mesures consistent à représenter au moyen d’unecourbe et à étudier mathématiquement le profil du versant eneffectuant des analyses sur les valeurs des angles de pentedes versants. Sur le terrain, le profil longitudinal des modelésdes 68 coulées de débris de versants, disposés au pied desparois (fig. 6) a été relevé à l’aide d’un cordon long de10 m

tendu entre deux piquets de 50 cm de hauteur, depuis la basejusqu’au sommet du versant. La détermination des anglesdes pentes (calculée en degrés) a été réalisée avec uneboussole-clinomètre (Chaix), le long de ces transects de10 m. Ce mode d’opération est couramment utilisé (Francou,1991 ; Luckman, 1992 ; Pech, 1993 ; Jomelli, 1997). Commela longueur totale des dépôts est variable (60 à 500 m), nousavons exprimé les résultats en distance fractionnée depuisl'apex, c'est-à-dire que l'on exprime la longueur du dépôt en

FIGURE 4. Coulées de débrisa lp ines et p réc ip i ta t ions : A)réparti t ion chronologique descoulées de débris entre 1948 et1997 ; B) précipitations annuellesentre 1954 et 1997 ; C) épisodes deprécipitations supérieures à 50 mm/24 h ; D) épisodes de précipitationssupérieures à 100 mm/ 24 h.

Alpine debris flows and precipitation:A) chronological record of alpinedebris flows events between 1948and 1997; B) annual precipitationbe tween 1954 and 1997 ; C)exceptional precipitation > 50 mm/24 h; D) exceptional precipitation> 100 mm/ 24 h.

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pourcentage (fig. 7) : sur toutes les figures, l’apex se trouve àgauche. À titre d’exemple, pour plus de clarté, nous n’avonsreprésenté que trois courbes sur la figure 7 : un éboulis gravi-taire pur (en A) et deux modelés mis en place par des couléesde débris en B et C. Les valeurs des angles de pente sontensuite interprétées mathématiquement. Sur la figure 8 estreprésentée la totalité des valeurs des angles de pente mesu-rés sur les 68 coulées de débris. La courbe en trait discontinucorrespond à la moyenne des 68 courbes des profils des cou-lées de débris et, à titre de comparaison, nous avons fait figu-rer une courbe (en trait plein) correspondant à la moyenne de15 profils d’éboulis gravitaires dont l’alimentation s’est faitepar des chutes de pierres, plus rarement par les avalanches :ces profils d’éboulis sont déjà parfaitement identifiés parailleurs (Francou et Manté, 1990 ; Francou, 1991). Les cour-bes des modelés de coulées de débris ont fait l’objet d’inter-prétation au moyen d’équations de courbes de tendancepermettant une comparaison : la fonction polynomiale a étésystématiquement calculée avec le logiciel Excel. En outre,comme d’un point de vue graphique les profils sont assimila-bles géométriquement à des tangentes, ils peuvent fairel’objet, numériquement, d’une approximation au moyen d’unefonction affine, que nous avons donc calculée à l'aide de lafonction Spline Cubique (Wegman et Wright, 1983 ; Francouet Manté, 1990), fonction mathématique qui permet d'interpré-ter les profils en déterminant les dérivées première etseconde. À l’aide de la dérivée première, on identifie la suc-

cession des concavités et des convexités, une convexité surle terrain étant représentée par une concavité sur la figure.Avec la dérivée seconde, on détermine les points de rupturedans le profil, c’est-à-dire les convexités disposées entre deuxconcavités. Ces points de rupture sont déterminés en abs-cisse (pourcentage de la distance à l’apex) et en ordonnée(valeur des angles des pentes). L’existence de concavitéssuccessives séparées par des points de rupture a une signifi-cation morphodynamique qui a été clairement démontréepour les éboulis (Francou et Manté, 1990) et pour les avalan-ches (Jomelli, 1997). Pour les éboulis, le point de rupture estdisposé à 50 %, comme l’ont montré Francou et Manté(1990), définissant un secteur apical d’accumulation-transit etun secteur distal d’accumulation absolue. Sur les figures 9 et10, la courbe en trait discontinu correspond à l’approximationSpline cubique ; la limite supérieure de la surface grisée cor-respond à la dérivée première. À gauche, le 0 % correspond àl’apex et à droite, la partie distale à 100 %.

MESURE DES FABRIQUES ET DE LA GRANULOMÉTRIE

Sur le terrain, nous avons effectué des analyses des fabri-ques des blocs disposés à la surface des coulées de débris deversants, le long des transects morphométriques, définis précé-demment (Giardino et Vitek, 1985). À tous les 20 m, sur lestransects, nous avons appliqué une grille de 1 m2, sur laquellenous avons prélevé 50 blocs au hasard, pour lesquels on

FIGURE 5. Distribution stéréographique des coulées de débris deversants et des trajectoires d’orages au plateau de Bure.

Stereographic distribution of alpine debris flows and of storm trajectoriesat the Plateau de Bure.

FIGURE 6. Cône apical et modelés édifiés par une coulée de débris.

Apical cone and landforms built by a debris flow.

FIGURE 7. Exemples représentatifs de types de pentes en fonctionde la distance fractionnée depuis l’apex sur trois dépôts. A, un éboulis ;B et C, deux coulées de débris alpines (respectivement EbRatUb2 etEbRatAd3).

Representative examples of types of slopes according to thefractionated distance from the apex on three slope deposits. A, a rockfallscree; B and C, two alpine debris flows. X) fractionated distance fromapex; Y) slope in degrees.

LE RÔLE DU CÔNE APICAL DANS LE DÉCLENCHEMENT DES COULÉES DE DÉBRIS 53

Géographie physique et Quaternaire, 55(1), 2001

mesure la pente du bloc (en degré), l’orientation et l’inclinaisondu grand axe des blocs (N 360°) ainsi que les trois axes a, b, c(en cm) de la notation de Krumbein (1941). À partir de ces don-nées, nous avons réalisé des analyses de fabriques. Les troisdimensions des blocs permettent de déterminer l’indice d’apla-tissement (a + b / 2c) (Cailleux, 1947) et l’indice de sphéricitéde Krumbein (1941) obtenu selon la formule : Is = (b.c/a2)1/3.nous avons aussi utilisé l’indice d’imbrication mis au point parHétu et al. (1994) : Iimb = P - V ;

où Iimb est l’indice d’imbrication ,P est la pente locale du site étudié en degré,V est l’inclinaison du vecteur moyen.

Les traitements statistiques de ces données ont été effec-tués avec le logiciel Excel. Les mesures de l’orientation et del’inclinaison du grand axe des blocs (a) ont été reportés surdes stéréogrammes de Schmidt et les indices suivants ontété calculés avec Stereo (McEachren, 1986) :

— le vector magnitude L % (Curray, 1956) qui exprimel’intensité de l’orientation préférentielle des débris.D’après Curray (1956), ce paramètre L % peut être com-biné au test de Rayleigh afin de calculer la probabilité ppour que l’orientation préférentielle puisse être attribuéeau hasard.

— les valeurs propres normalisées E1, E2, E3, traduisantla distribution tridimensionnelle des orientations ;

— le paramètre Svar ou variance sphérique, pour la dis-persion des orientations ;

— ainsi que l’indice k selon la méthode de Woodcock(1977).

Afin de proposer une interprétation claire de nos propresvaleurs, nous avons présenté, à titre comparatif, dans letableau I, les valeurs obtenues par Bertran et al. (1997) surdes talus d’éboulis et sur des dépôts de coulées de débris.Les valeurs des tableaux II, III et IV correspondent aux résultats

FIGURE 8. Nuage de points représentant les valeurs depente sur les profils des 68 coulées de débris du plateau deBure. La courbe en traits discontinus représente la courbe detendance pour la moyenne des valeurs des angles de pentedes coulées de débris ; courbe en trait plein, la courbe detendance des valeurs des angles de pente d’un éboulis.

Plot of angle values of the 68 debris flows profils around thePlateau de Bure (Massif du Dévoluy); the broken line curve isthe tendency curve of the mean slope angles of the debrisflows; the soilid line curve is the tendency curve of the valuesof slope angles for a typical rockfall deposit.

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Géographie physique et Quaternaire, 55(1), 2001

de la présente recherche. Ces tableaux rassemblent lesmesures de la granulométrie des blocs de surface, mesuresfaites sur des populations d’une cinquantaine de blocs parrelevé, ce qui constiue des populations statistiquementsignificatives de l’ensemble.

RÉSULTATS

RELATIONS ENTRE LES DONNÉES MÉTÉOROLOGIQUES ET LES COULÉES DE DÉBRIS : CHRONOLOGIE ET RÉPARTITION

La carte de la figure 3 et le diagramme radial de la figure5, qui présentent la répartition des coulées de débris parfamilles d’orientation, démontrent qu’il existe une répartitionpréférentielle des phénomènes étudiés, car environ 35 % sesont produits sur des versants orientés vers le sud-ouest. Ladisposition morphologique des versants est assez variée,mais elle peut expliquer en partie la répartition des coulées

de débris : les versants des combes (Agnières, Mai, Ratin)font face au sud-ouest ou au nord-est. Le pendage des cou-ches et la fracturation des roches, plus ou moins importanteselon les secteurs des parois rocheuses, constituent un fac-teur expliquant la variabilité spatiale de la répartition descoulées. En effet, les versants conformes ou dominés parune paroi très fracturée fournissent des débris plus abon-dants que les autres. La position des joints de stratificationet des plans de fracture horizontaux favorise les chutes depierres et l’alimentation hydrique. Le sud, le sud-ouest etplus secondairement le sud-est constituent les secteursd’orientation préférentielle où se déclenchent les coulées dedébris. Ces orientations concordent avec celles des trajec-toires d’orage (fig. 5). Cependant, le coefficient de corréla-tion de 0,44 n’est pas statistiquement significatif, même siles orientations des coulées de débris et celles des trajectoi-res des orages ne sont pas complètement indépendantes.En effet, les orages proviennent en majorité du sud-sud-est.

FIGURE 9. Exemple de profil d’éboulis. Abscisse : distance fractionnéedepuis l’apex ; ordonnée : valeur des angles ; ligne pleine et point :segment et interpolation linéaire ; trait continu : pente ; trait discontinu :approximation Spline cubique ; grisé : dérivée seconde de l’approximationde la Spline cubique ; flèche et ψ : point de rupture ; ca : concavité.

Example of scree profile. Abscissa: fractioned distance from the apex;ordinate: slope; dots and solid line: segment slope and linear interpolation;broken line: cubic smoothing Spline; grey area: second derivative of cubicsmoothing Spline; arrow and ψ: breaking point; ca: concavity.

FIGURE 10. Exemple de profil de dépôt de coulées de débris au profilapical concave. Abscisse : distance fractionnée depuis l’apex ;ordonnée : valeur des angles ; ligne pleine et point : segment etinterpolation linéaire ; trait discontinu : approximation Spine cubique ;grisé : dérivée seconde de l’approximation Spline cubique ; flèche no 1 :point de rupture principal ; flèche no 2 : point de rupture secondaire.

Example of alpine debris flow profile with a concave apical cone. Abscissa:fractionated distance from the apex; ordinate: slope; dots and solid line:segment slope and linear interpolation; broken line: cubic smoothingSpline; grey area: second derivative of cubic smoothing Spline; arrowno. 1: main breaking point; arrow no. 2: secondary breaking point.

LE RÔLE DU CÔNE APICAL DANS LE DÉCLENCHEMENT DES COULÉES DE DÉBRIS 55

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TABLEAU I

Fabrique des talus d’éboulis gravitaires et des coulées de débris alpines d’après Bertran et al. (1997)

L % P E1 E2 E3 r1 r2 k Svar n

Éboulis gravitaire :

zone apicale 27,83 0,021 0,651 0,307 0,041 0,75 2,02 0,37 0,26 50

21,84 0,239 0,621 0,344 0,035 0,59 2,30 0,25 0,29 30

zone médiane 26,21 0,032 0,607 0,316 0,076 0,65 1,42 0,46 0,36 50

27,56 0,111 0,573 0,372 0,056 0,44 1,89 0,23 0,58 30

zone distale 19,44 0,321 0,522 0,335 0,142 0,45 0,86 0,52 0,61 30

06,71 0,798 0,417 0,509 0,073 0,19 1,75 0,11 0,55 50

Coulée de débris :

levée 27,46 0,097 0,623 0,333 0,430 0,63 2,04 0,31 0,49 31

27,02 0,054 0,531 0,325 0,144 0,49 0,82 0,61 0,56 40

chenal 04,56 0,939 0,475 0,424 0,101 0,11 1,44 0,08 0,72 30

lobe 36,42 0,005 0,607 0,283 0,111 0,76 0,94 0,82 0,68 40

16,84 0,322 0,549 0,392 0,059 0,34 1,90 0,18 0,72 40

TABLEAU II

Fabrique des talus d’éboulis et coulées de débris alpines du Dévoluy

L % P E1 E2 E3 r1 r2 k Svar n

Apex éboulis 18,78 0,247 0,829 0,151 0,020 1,7 2,05 0,83 0,093 100

Apex EbRatAd2 25,40 0,070 0,712 0,244 0,044 1,07 1,71 0,63 0,165 50

EbRatUb2

Cône apical 09,49 0,693 0,810 0,176 0,014 1,53 2,51 0,61 0,126 100

Secteur médian 05,92 0,860 0,776 0,202 0,023 1,35 2,18 0,62 0,126 100

Secteur distal 05,37 0,897 0,745 0,239 0,016 1,14 2,71 0,42 0,154 100

Chenal flot débris 39,20 0,002 0,732 0,252 0,016 1,07 2,75 0,39 0,150 100

Levée flot débris 32,30 0,015 0,797 0,170 0,032 1,54 1,66 0,93 0,112 100

Langue de dépôt 08,42 0,750 0,631 0,331 0,038 0,65 2,16 0,30 0,338 100

TABLEAU III

Granulométrie des blocs sur les éboulis gravitaires du Dévoluy

apex secteur médian secteur distal

valeurs moyenne valeurs moyenne valeurs moyenne

Pente (en degrés) 38,00 41,00 39,50 36 33 35 34,67 25 20 21 22

Granulométrie

Moyenne du grand axe (en cm)

05,44 11,24 08,34 10,50 05,38 13,38 09,75 10,90 30,25 50,30 30,48

Maxi-mini 3 à 45 2 à 12 5 à 130

Tri (écart type) 03,65 10,50 07,07 04,14 02,32 04,63 03,70 03,80 11,20 31,75 15,58

sphéricité 00,56 00,63 00,59 00,64 00,62 00,63 00,63 00,55 00,52 00,65 00,57

Aplatissement 02,92 02,26 02,59 02,2 02,32 02,31 02,28 03,15 03,56 02,00 02,90

Orientation : % d’obliques 50,00 70,00 60,00 60,00 62,00 60,00 60,67 62,00 80,00 75,00 72,33

Inclinaison : % de relevants 79,00 83,00 81,00 66,00 71,00 75,00 70,67 37,00 49,00 53,00 46,33

Imbrication (en degrés) 09,60 14,00 11,80 09,55 14,00 14,00 12,52 00,25 06,20 08,40 04,95

Nombre total de blocs 50,00 50,00 50,00 50,00 50,00 50,00 50,00 50,00 50,00 50,00 50,00

56 P. PECH et V. JOMELLI

Géographie physique et Quaternaire, 55(1), 2001

Il a pourtant été établi à de nombreuses reprises que desrelations étroites existent entre les précipitations abondanteset intenses et le déclenchement des coulées de débris(Caine, 1980 ; Rapp et Nyberg, 1981 ; Innes, 1983a ; Fran-cou, 1988 ; Blijenberg, 1998). Nous avons donc étudié lesrelations entre les séquences de précipitations intenses et ledéclenchement des coulées de débris de versants. Sur lafigure 4A, apparaissent les années pendant lesquelles sesont produites des coulées de débris autour du plateau deBure et ces données ont été comparées aux précipitationsannuelles (fig. 4B). La relation entre les précipitationsannuelles et les coulées de débris est insignifiante. Elle n’estpas beaucoup plus significative (0,12) lorsque sont compa-rées les années à événements de précipitations intenses(> 100 mm/24 h, fig. 4D) et celles pendant lesquelles descoulées de débris sont déclenchées. Des pluies peu inten-ses mais de longue durée peuvent conduire à la saturationdes débris, lorsque la vitesse d’infiltration est faible, et don-ner naissance à des coulées de débris (Caine, 1980). Toute-fois, surtout dans les Alpes du Sud, Blijenberg (1998) adémontré que ce sont des précipitations ponctuelles d’inten-sité équivalant à plus de 50 mm/h qui provoquent les cou-lées de débris.

Nous ne disposons pas de données concernant les pluiesde forte intensité qui tombent en quelques minutes, voire enune ou deux heures, mais celles-ci sont inévitablementincluses dans les données quotidiennes (fig. 4C). Ainsi, s’iltombe 50 mm en une heure, un certain jour, cette pluie estcomprise dans la valeur 50 mm, en 24 h, du jour que nousavons à notre disposition ; nous avons déjà vu que les pluiesbrèves (moins d’une heure) mais intenses correspondentassez souvent à des totaux quotidiens égaux ou supérieursà 50 mm. La relation entre les données météorologiques dela figure 4C et la fréquence des coulées est encore plusfaible (0,09), même s’il y a tout de même (fig. 4A et C) 14événements (une ou plusieurs coulées) qui coïncident avecdes années pendant lesquelles se produisent des pluiessupérieures à 50 mm en 24 h. Ainsi, par exemple, lesannées 1990 et 1991 constituent des années pendantlesquelles le nombre des coulées de débris a été relative-ment important (fig. 4C), bien que les précipitations aient étépeu intenses. Inversement, au cours de l’automne 1993-1994 et surtout le 6 janvier 1994 (plus 150 mm en 24 heuresà Veynes), ainsi que le 1er août 1994, il y a eu des précipita-tions très intenses. Pourtant, l’année 1994 ne se caractérisepas par une recrudescence de l’activité des coulées dedébris autour du plateau de Bure. À l’inverse, en 1991, oùaucune pluie de forte intensité n’a été signalée, sept couléesde débris ont été déclenchées.

Notre étude des coulées de débris, autour du plateau deBure, ne permet donc pas de confirmer ce qu’ailleurs la plu-part des auteurs ont montré, les liens étroits existant entreles pluies de faible fréquence mais de forte intensité et ledéclenchement des coulées de débris. Certes, l’approcheest sans doute incomplète. Nous ne possédons pas de don-nées météorologiques indiquant les intensités instantanéesmais seulement les totaux quotidiens ; la datation des cou-

lées de débris n’est généralement pas plus précise quel’année. Toutefois, nous avons voulu nous intéresser à unautre paramètre influençant le déclenchement des couléesde débris, l’alimentation. Pour cela, il a fallu étudier les pro-fils des modelés de coulées de débris ainsi que les fabriquesdes blocs disposés en surface afin de comprendre s’il existeune relation entre la morphologie du secteur apical, la dispo-sition des blocs et la constitution d’un secteur d’alimentation.

RÉSULTATS DE L’ANALYSE DE LA MORPHOMÉTRIE DESPROFILS DES COULÉES DE DÉBRIS : MISE EN ÉVIDENCE DU CÔNE APICAL

Sur la figure 7, le profil A correspond à un éboulis gravi-taire pur car il est constitué d’une double concavité séparéepar une convexité. Cet éboulis gravitaire présente un profilbi-modal bien marqué, conformément à ce qui a été mis enévidence par Francou et Manté (1990). La pente s’élève gra-duellement, dans le cas des éboulis, et, à l’inverse, elle estplus chaotique dans le cas des coulées de débris de ver-sants (profils B et C).

La partie distale des dépôts de coulées de débris (profils Bet C) correspond à des modelés dont les pentes sont globale-ment moins accusées que celles des éboulis. En revanche,dans la partie apicale, on distingue nettement des secteurs enpente très forte, avec un angle supérieur à 40°. Ces partiesapicales constituent des sections très instables, en forme decône qui pénètre à l’intérieur des couloirs de la paroi, ceux-ciétant souvent établis sur des fissures. On identifie bien surces versants ce que nous proposons de nommer le « côneapical », lequel sert de zone d’alimentation aux coulées dedébris. L’augmentation des pentes des courbes des profilsdes coulées de débris, dans leur partie apicale, est visibleaussi sur la figure 8, où la courbe de la moyenne des couléesde débris paraît plus inclinée que celle des éboulis de réfé-rence. Selon la figure 8, les points correspondant aux valeursdes angles de pente des coulées de débris présentent unedispersion importante : l’équation de la courbe de tendancede la moyenne des profils des 68 coulées est :

y = -24,824x2 + 50,073x + 13,245 (r2 = 0,9899)

Par comparaison, la courbe des éboulis gravitaires (entrait plein) est beaucoup plus rectiligne. L’équation de lacourbe de tendance, dont le coefficient de corrélation estr2 = 0,9613, s’écrit :

y = -10,686x2 + 27,386x + 23,006

Les courbes de tendance permettent d’ajuster une droite,au moyen des moindres carrés, à partir des tableaux de don-nées. Plus la courbe de tendance s’approche d’une droite,plus le profil est régulier. Or, le profil d’un versant ou d’unmodelé est rarement rectiligne ou uniquement concave ouconvexe. Francou et Manté (1990) ont montré qu’un éboulisgravitaire est formé de deux concavités séparées par un pointde rupture appelé point ψ. La figure 9 présente la courbe enSpline cubique d’un éboulis gravitaire pur. D’après la dérivepremière, on identifie deux concavités (ca sur la figure) : lapremière est située vers 15 % de la distance à l’apex (à 40°),

LE RÔLE DU CÔNE APICAL DANS LE DÉCLENCHEMENT DES COULÉES DE DÉBRIS 57

Géographie physique et Quaternaire, 55(1), 2001

l’autre, vers 70 % (vers 31°). D’après la dérivée seconde, cesdeux concavités sont séparées par un point de rupture situévers 50 % qui correspond au point ψ, sur une pente d’à peuprès 35° (Francou et Manté, 1990).

Le profil des coulées de débris de versants montre untout autre aspect (fig. 10 et 11). Il y a une multiplication desconcavités et des points de rupture principaux. Sur la figure10, la dérivée seconde permet de mettre en évidence deuxpoints de rupture, vers 10 % et 50 % (vers 41° et 39°). Lepoint de rupture situé vers 10 % limite une concavité géomé-trique. Le profil est plus chaotique que celui d’un éboulis.

Certains versants sur lesquels ont été repérés des couléesde débris ont des profils morphométriques et des courbesSpline très variés. Trois cas ont pu être répertoriés sur lafigure 11 :

— la figure 11a présente la dérivée première du profil dela coulée de la figure 10. La concavité très nette au som-met correspond au cône apical. Le point de rupture entreles deux concavités délimite la transition entre cette zoneapicale, là où l’accumulation est susceptible de se pro-duire, et la partie médiane du versant. La concavité auxalentours de 30 % correspond à l’accumulation (levéespuis amorce de la langue de dépôt). La partie inférieureest complexe car elle représente une topographie acci-dentée correspondant aux différents bourrelets consti-tuant le lobe de dépôt distal.

— en figure 11b, la dérivée première permet d’isoler unepartie du profil apical à pente rectiligne ;

— sur la figure 11c, grâce à la dérivée première, onremarque que la forme du profil présente une vaste con-cavité (ca) vers 50 % précédée d’une convexité sommitaleidentifiée comme étant le cône apical.

Les trois profils correspondent à des coulées de débrisqui ont pu être datées approximativement (dans l’intervalled’une ou plusieurs années) : en a, il s’agit d’une couléeancienne, antérieure à 1948 ; en b, la coulée a pu être repé-rée sur la photographie aérienne de 1956 ; et en c, il y a unecoulée récente datant de 1993. En 11a, le cône présente unprofil bombé caractéristique d’une accumulation instable. En11b et 11c, le cône est absent car il a été purgé récemment.

L’utilisation des courbes Spline permet donc d’apporter unargument à la définition de la place du cône apical dans la mor-phodynamique des coulées de débris de versants du Dévoluy :il est repérable dans la morphologie de certains profils (fig. 12),mais il disparaît après le déclenchement des coulées.

LES FABRIQUES ET LA GRANULOMÉTRIE DES BLOCS DE SURFACE

L’objectif de cette recherche complémentaire consiste àtrouver d’autres arguments morphosédimentaires permet-tant de caractériser le cône apical. D’après les tableaux I etII, on peut comparer les données des fabriques de surface.Pour les éboulis gravitaires (tabl. III), la taille des blocs croîtlogiquement de l’amont vers l’aval. La répartition n’est pas sisimple pour les coulées de débris (tabl. IV). La taille des élé-ments est élevée sur les cônes apicaux, puis diminue le long

TAB

LEA

U IV

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nulo

mét

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ulée

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ne

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yen

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vale

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mo

yen

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4243

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3436

3534

,834

3435

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1722

20,7

Gra

nulo

mét

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gran

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,00

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1216

19,7

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,419

6,5

13,6

13

Max

i-min

i2

à 49

1,5

à 13

8 à

325

à 13

0

Tri

(éca

rt ty

pe)

17,7

017

,12

17,4

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,50

02,0

003

,20

01,3

002

,25

04,0

005

,00

07,0

008

,20

06,0

507

,90

09,4

008

,7,

08,6

7

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ité00

,47

00,4

500

,46

00,5

700

,56

00,5

800

,57

00,5

700

,62

00,5

600

,61

00,5

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,58

00,5

600

,63

00,5

100

,57

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atis

sem

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04,3

004

,36

04,3

302

,84

03,0

002

,60

03,3

502

,95

02,4

303

,00

02,6

003

,27

02,8

302

,60

03,3

203

,56

03,1

6

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,00

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,50

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,00

0450

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,00

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,00

74,4

068

,00

56,0

070

,00

64,7

0

Incl

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son

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e re

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48,0

045

,00

46,5

038

,00

27,0

019

,00

31,0

028

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048

,00

39,0

045

,00

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037

,00

42,0

040

,00

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0

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degr

és)

08,0

007

,90

07,9

507

,20

05,7

005

,80

07,5

006

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09,9

508

,50

07,5

010

,50

09,1

111

,70

12,0

015

,30

13,0

0

Nom

bre

tota

l de

bloc

s40

,00

40,0

040

,00

50,0

050

,00

50,0

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,00

50,0

050

,00

50,0

050

,00

50,0

050

,00

50,0

050

,00

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des levées ainsi que dans les chenaux pour enfin augmentersur les langues de dépôt. L’écart type traduit l’hétérométrieet donc le tri. Pour l’éboulis, ce tri est globalement mauvais,quel que soit le secteur. Les coulées de débris ont un trivariable. Les cônes apicaux ont un mauvais tri. Le facièsdésordonné traduit une accumulation en vrac. Les chenaux,les levées et les lobes de dépôts distaux sont mieux triés(Bertan et Texier, 1994 ; Van Stein et al., 1988). D’unemanière générale, les fabriques gravitaires des éboulis sontcaractérisées par de faibles orientations préférentiellescomme l’indiquent les faibles valeurs du paramètre des vectormagnitudes et des variances sphériques élevées (tabl. I) (Ber-tran et al., 1997). Toutefois, on peut observer, dans certains

FIGURE 11. Séquence de mise en place d’un cône apical. Abscisse :distance fractionnée depuis l’apex ; ordonnée : valeur des angles ; lignepleine et point : segment et interpolation linéaire ; trait discontinu :approximation Spline cubique ; grisé : dérivée seconde del’approximation de la Spline cubique ; ca : concavité ; a) profil apicalconcave ; b) profil apical subrectiligne ; c) profil apical convexe.

Sequence of apical cone setting up. Abscissa: fractionated distancefrom the apex; ordinate: slope; dots and solid line: segment slope andlinear interpolation; broken line: cubic smoothing Spline; grey area:second derivative of cubic smoothing Spline; ca: concavity; a) concaveapical cone profile; b) subrectilinear apical cone profile; c) convex apicalcone profile.

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c

FIGURE 12. Évolution des profils des modelés de coulées de débris :A) cône apical constitué ; B) cône apical purgé ; C) cône apical en coursde constitution.

Landform evolution of a debris flow: A) formed apical cone; B) emptyapical cone; C) formation of an apical cone.

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cas, une orientation spécifique parallèle à la pente dans leszones proximale et médiane, et perpendiculaire dans lazone distale (Caine, 1967 ; Francou, 1991). Compte tenudes valeurs de p, les fabriques sont considérées commealéatoires dans la plupart des cas. Bertran et al. (1997) rap-portent néanmoins l’existence de fabriques possédant unecertaine anisotropie dans la zone apicale de certains éboulisqui est attribuée au creep, au cycle gel-dégel ou encore àdes perturbations d’origine animale. Dans notre étude, cetteorientation préférentielle s’accompagne de la présence d’uncertain nombre de fragments plongeants qui peut être supé-rieur à 70 % ne permettant pas d’envisager le creep oul’action des coulées sèches, généralement facteurs d’unredressement des blocs (Francou, 1988).

Les fabriques relevées sur les dépôts des coulées dedébris sont conformes à celles que l’on trouve dans la littéra-ture (Innes, 1983a ; Bertran et Texier, 1994) : il y a uneorientation préférentielle, accompagnée d’un tri sédimento-logique, en particulier sur les levées et dans les chenaux. Onobserve en revanche, une forte variance sphérique accom-pagnée d’une faible valeur du vector magnitude dans lazone distale. Les stéréogrammes de Schmidt (fig. 13) per-mettent de montrer l’hétérogénéité des orientations et lerelèvement des blocs. On distingue donc facilement lescaractères des sédiments des zones de dépôt (levées, lobesdistaux), généralement assez bien structurés, de ceux ducône apical très instable, au faciès chaotique.

INTERPRÉTATION ET CONCLUSION

Les coulées de débris se déclenchent à l’amont des ver-sants dans des secteurs d’alimentation qui peuvent êtrevariés (Blijenberg, 1998) : un couloir étroit dans la paroi ou lapartie supérieure du versant. Dans le Dévoluy, elles provien-nent de la base de la paroi des calcaires sénoniens dominantles versants. La paroi et les couloirs qui l’accidentent permet-tent de concentrer facilement l'eau qui peut être d'originediverse. On sait que de nombreux auteurs ont insisté sur lerôle des averses pluvieuses fortement concentrées en établis-sant des seuils de déclenchement de coulées de débris enrelat ion avec certaines intensités de précipitations(Caine,1980; Rapp et Nyberg, 1981 ; Kotarba et Strömquist,1984 ; Loye-Pilot, 1984 ; Francou, 1988 ; Van Steijn et al.,1988 ; Luckman, 1992 ; Coussot, 1993 ; Blijenberg, 1998).L’accumulation de la neige au pied des couloirs ainsi quel’effet d’entonnoir joué par la forme en amphithéâtre de laparoi dominant l’axe de ces couloirs (Francou, 1988) peutfavoriser le déclenchement de coulées, même avec des préci-pitations dont l’intensité est inférieure à 50 mm/h.

La paroi et les couloirs fournissent une grande quantité dedébris alimentant les coulées. Ces débris s’accumulent à labase des parois (Blijenberg, 1998) en un cône de dépôt, quenous proposons d’appeler « cône apical » en référence à saforme de cône édifié à l’amont des versants et pénétrant àl’intérieur de la paroi par le biais de fissures (fig. 14). La miseen évidence des caractéristiques morphosédimentaires decette zone d’alimentation n’a jamais été présentée avantaujourd’hui. Nous nous sommes donc intéressés à ce « cône

FIGURE 13. Deux stéréogrammes de Schmidt représentantl’orientation et l’inclinaison du grand axe des éléments de deux cônesapicaux (hémisphère inférieur). L’arc de cercle représente la surfacedu cône apical (1 : pente : 42°; 2 : pente : 45°). VLM : vecteur linéairemoyen.

Two schmidt-net (equal area, lower hemisphere) diagrams showingfabrics of the sedimentary units of two apical cones. Great circlesindicate local slope direction and dip. MLV: mean lineation vector.

FIGURE 14. Cônes apicaux de coulées de débris alpines dans lacombe Ratin.

Apical cones of alpine debris flows in the Combe Ratin.

60 P. PECH et V. JOMELLI

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apical » qui ne représente sans doute qu’un type parmid’autres formes d’accumulation dans les zones de départ descoulées de débris alpines (Blijenberg, 1998). Dans le Dévoluy,il existe alternativement des secteurs où se produisent deséboulis de gravité et d’autres commandés par les coulées dedébris. D’après l’analyse détaillée des exemples choisis dansle Dévoluy, il paraît évident que se met en place, dans cer-tains secteurs, un cône apical, accumulant des blocs et desdébris de toute taille en provenance de la paroi en train desubir les effets de la météorisation. Les coulées de débris seforment parce que se met en place un cône apical, résultantde l’accumulation temporaire de blocs qui encombrent la basede la fracture de la paroi et s’entassent progressivement enun amas. Lorsque l’accumulation de débris reste inférieure àl’angle de frottement interne, situé vers 40-42° et qui a étédéterminé pour les calcaires du Dévoluy expérimentalementsur le terrain (Francou, 1988), les débris ne peuvent être misen mouvement que si la pression d’eau interstitielle devienttrès forte lors de grandes pluies, donnant lieu à un phéno-mène dit fire hose effect (Johnson et Rodine, 1984) : un jetd’eau très puissant mobilise et en même temps sature lematériel du cône apical, le transformant en coulée de débris.La pente du cône apical n’est pas toujours suffisante locale-ment pour provoquer des grain flows réguliers, comme c’estle cas pour les éboulis (Young, 1972 ; Carson, 1977), estom-pant l’accumulation apicale, mais suffisante pour provoquerdes coulées de débris alpines. Les débris s’entassent, grâceaux apports annuels en provenance de la paroi, en un cônedont la mise en déséquilibre s’effectue selon des rythmes quisont plus espacés que les apports (fig. 15).

Les déclenchements de coulées sont répartis surl’ensemble de la période d’étude, mais des pics d’activité plusou moins cycliques apparaissent clairement (fig. 15). Les ryth-mes temporels sont commandés non seulement par les préci-pitations intenses mais aussi et peut-être surtout selon lesrythmes de constitution de ces cônes apicaux. Les types deconditions climatiques, en particulier les données thermiquesqui déterminent l’alimentation en débris, et les données plu-viométriques, qui conditionnent le déclenchement des flots de

débris, sont des paramètres essentiels (Van Steijn, 1996). Lesrecherches en cours devraient permettre de définir quels sontles rythmes de l’activité cryoclastique agissant actuellementdans cette partie du Dévoluy, vers 2 500 m d’altitude.

REMERCIEMENTS

Les auteurs tiennent à remercier messieurs P. Bertran, B.Hétu et H. Van Steijn pour leur précieux travail de relecture.

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FIGURE 15. Chronologie des coulées de débris de versants duplateau de Bure entre 1948 et 1997. La courbe met en évidence lasuccession de cycles de déclenchement des coulées ; elle représentedes événements cumulés entre des phases de repos.

Chronological distribution of alpine debris flows at Plateau de Burebetween 1948 and 1997. The curve indicates that the alpine debris flowsare triggered regularly and occur in cycles; it shows a succession ofcumulative events between periods of non activity.

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