Le rôle de la dimension esthétique dans la question de la fondation : entre romantisme, idéalisme...

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Comment fonder la philosophie ?L’idéalisme allemand

et la question du principe premier

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Sous la direction de Gilles MARMASSE et Alexander Schnell

Comment fonder la philosophie ?

L’idéalisme allemand et la question

du principe premier

CNRS ÉDITIONS15, rue Malebranche – 75005 Paris

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ouvrage publié avec le concours de l’Université Paris- Sorbonne

© CNRS ÉDITIONS, Paris, 2014ISBN : 978-2- 271-07715-8

ISSN : 1248-5284

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Sommaire

Avant- propos ............................................................................... 9

Alexander Schnell : Y a- t-il un fil conducteur de la fondation ? ......................................................................... 19Miklos Vetö : Subjectivité et transcendance dans l’idéalisme allemand .......................................................... 41Christian Berner : Philosopher à partir du milieu. Schleiermacher et la question du fondement ........................... 65Jean- Christophe Lemaitre : Réflexion et fondation chez Reinhold ............................................................................. 81Paul Franks : L’ambiguïté systématique de Reinhold et les origines de la Wissenschaftslehre de Fichte .................. 99Laurent Guyot : L’idée du commencement chez Fichte. À propos d’un malentendu sur le premier principe. ............... 129Maxime Chédin : Sur quoi repose la conscience de notre liberté ? La croyance comme fondement du système chez Fichte.............................................................. 145Marco Ivaldo : Le pratique comme fondement. La Doctrine de la science de Fichte. ....................................... 173Jean- Christophe Goddard : Le fond comme image de soi. La constitution narcissique du Grund d’après Fichte. ............. 187Charles Théret : Libérer l’inhumanité en l’homme. La destruction anthropologique de l’homme dans le Vom Ich de Schelling ................................................... 201

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Christoph Asmuth : Néant et négation dans la théorie schellingienne de la fondation......................... 227Jean- François Kervégan : La position systématique de la Phénoménologie de l’esprit ............................................. 243Gilles Marmasse : Hegel et le retard de la fondation ............ 265Bernard Mabille : Philosopher sans fondement ....................... 281Alessandro Bertinetto : Le rôle de la dimension esthétique dans la question de la fondation, entre romantisme, idéalisme allemand et philosophie transcendantale .................. 341

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Le rôle de la dimension esthétique dans la question de la fondation :

entre romantisme, idéalisme allemand et philosophie transcendantale

On pourrait penser que l’esthétique n’a que peu de rapport avec la question de la fondation, et qu’elle n’en a presque aucun avec la question de la fondation ultime. La fondation ultime – la justifica-tion rationnelle définitive du savoir – semble être du ressort de la réflexion, et non de la sensibilité. On pourrait prétendre que l’esthé-tique et l’art ont essentiellement affaire à la sensibilité, peut- être la belle sensibilité, et non à la réflexion, encore moins à l’autoréflexion, qui est pourtant celle à qui la philosophie confie habituellement la tâche de la fondation ultime.

Toutefois, non seulement il est légitime de remarquer que l’esthé-tique a livré d’importantes contributions à la question de la fondation : elle a en effet donné des réponses significatives à la question de la donation de sens, ces réponses allant dans des directions différentes en fonction des diverses orientations philosophiques1. Mais on peut également indiquer que, comme discipline philosophique, l’esthétique est dès le départ fortement concernée par des questions touchant à la théorie de la réflexion. On le voit clairement aussi bien dans la théorie de la faculté de juger à la fois esthétique et réflexive de Kant et dans la philosophie de l’art de Hegel que, entre autres, dans les études phénoménologiques de Merleau- Ponty et de ses successeurs.

1. Cf. par exemple les différentes approches de M. Merleau- Ponty, Phénoménologie de la Perception (Paris, Gallimard, 1945) ; T. W. Adorno, Ästhetische Theorie (Suhrkamp, Frankfurt am Main, 1970) et W. Welsch, Ästhetisches Denken (Stuttgart, Reklam, 1990).

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Dans ce chapitre, nous aimerions formuler quelques brèves remarques (qui resteront incomplètes) sur le rôle joué par la dimension esthétique chez quelques- unes des figures principales de l’idéalisme allemand dans le cadre de la question de la fondation (comprise au sens large). Nous envisagerons d’abord brièvement la position de Kant dans la Critique de la faculté de juger (§ I), puis nous montrerons comment les penseurs du premier romantisme et Schelling (§ II), ainsi que les auteurs du texte intitulé Le plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand (Hölderlin, Schelling et Hegel) (§ III) et le Hegel « de la maturité » (§ IV) ont introduit l’esthétique, voire la philosophie de l’art, dans le cadre de la question de la fondation (ultime). Enfin, dans le § V, nous nous intéresserons à Fichte. Bien que l’expérience des arts au sens strict ne joue qu’un rôle très réduit dans la philosophie de Fichte et que l’esthétique en tant que discipline particulière du savoir ne reçoive pas davantage de statut clair et significatif dans son système, il apparaît qu’une certaine conception plutôt « productiviste » de la dimension esthétique de la vie exerce une fonction importante dans sa pensée transcendantale, en particulier concernant l’imagination et la théorie de l’image. C’est en raison de la portée théorétique qu’a l’approche transcendantale de Fichte pour notre questionnement que nous nous étendrons un peu plus longuement sur sa pensée, qui demeure bien moins connue encore que ne le sont les positions de Kant, des romantiques et de Hegel.

Les deux significations de « l’esthétique » chez Kant et la critique de cette conception par ses successeurs

Comme on sait, chez Kant, le concept d’« esthétique » recèle deux significations différentes. Dans la Critique de la raison pure, l’es-thétique transcendantale est la théorie de la sensibilité comme base fondamentale de la connaissance. Dans la Critique de la faculté de juger, l’esthétique est la théorie du jugement de goût, qui en tant que telle appartient à la sphère de la faculté de juger réfléchissante : elle doit faire la transition entre la théorie (Critique de la raison

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pure) et la pratique (Critique de la raison pratique), la nature et la liberté. Dans les deux cas, l’esthétique exerce en quelque sorte une fonction de fondation.

– Comme théorie de la perception, l’esthétique montre que l’on ne peut acquérir aucune connaissance sans la contribution de l’ex-périence sensible spatio- temporelle. La dimension esthétique de l’expérience, à savoir la perception, fonde l’expérience, puisqu’elle en est une condition nécessaire, bien qu’en elle- même insuffisante.

– Comme théorie du goût, l’esthétique indique un moyen qui permet de comprendre le rapport entre objet et sujet, théorie et pra-tique, passivité et spontanéité. L’expérience esthétique rend possible une relation par la réflexion et le sentiment entre le sujet et l’objet, et elle fonde l’expérience précisément parce qu’elle lui donne un « sens » en rendant le monde plus habitable pour nous et en offrant à la justification morale de la vie des possibilités de représentation symboliques et concrètes2.

Schiller, les premiers romantiques allemands et les idéalistes alle-mands ont reconnu que le projet de Kant était réellement novateur, mais ils l’ont néanmoins jugé insuffisant, et ce à différents égards. C’est ce que nous allons brièvement exposer dans les lignes suivantes.

a. Comme on sait, les idéalistes ont reproché à Kant d’avoir présenté les résultats de la réflexion transcendantale sans avoir justifié cette opération. D’après les successeurs idéalistes de Kant, l’entreprise de Kant aurait échoué, parce qu’elle serait restée débitrice de la fondation ultime définitive3. Kant avait déjà montré la voie dans la Critique de la faculté de juger, comme Fichte

2. Il serait particulièrement judicieux ici de mentionner le rôle du sublime dans le cadre de la question de la fondation, et notamment eu égard à la théorie du schématisme de la Critique de la raison pure. Mais le thème du sublime doit ici être laissé en suspens. Sur ce point, voir : « Negative Darstellung. Das Erhabene bei Kant und Hegel », in Internationales Jahrbuch des Deutschen Idealismus/International Yearbook of German Idealism, 4, 2006, p. 124-151.

3. Cf. par exemple F. W. J. Schelling, Brief an Hegel (du 6 janvier 1795) : « La philosophie n’est pas encore parvenue à sa fin ; Kant a donné les résul-tats, les prémisses manquent encore. Et qui saurait comprendre des résultats sans prémisses ? »

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l’affirmera encore dans les Cours sur la logique transcendantale de 18124. Cependant, il n’a pas mené à son terme le programme d’une autofondation systématique de la philosophie. Sa réflexion philosophique transcendantale serait demeurée une première intui-tion, parce qu’il n’aurait pas pensé le transcendantal de façon transcendantale.

b. Les (premiers) romantiques – et avant eux Friedrich Schiller – ont quant à eux interprété la fondation kantienne de l’esthétique comme la tentative de faire de l’expérience esthétique une sphère de l’existence humaine donatrice, et même fondatrice de sens. C’est pourquoi ils saluèrent en la Critique de la faculté de juger une prestation culturelle marquant toute une époque, mais ils la consi-dérèrent cependant comme incomplète. Car la conception kantienne de l’expérience esthétique comme passage de la nature à la liberté n’irait pas assez loin et serait trop peu radicale. Si la réflexion philosophique, quelles qu’en soient les raisons, n’est pas en mesure d’accomplir la fondation ultime et est condamnée à demeurer une construction non justifiée, alors il ne reste qu’une seule possibilité pour comprendre le sens de l’existence : s’en remettre aux dimen-sions de la vie qui renoncent explicitement à la détermination à partir de fondements et qui représentent concrètement, dans l’ex-périence du jeu et de l’art, le sens indémontrable de l’existence, la liberté humaine. La dimension esthétique de l’art, si l’on en croit les (premiers) romantiques, propose un substitut, voire une compensation, pour remédier à l’échec de la tentative de fondation ultime par la réflexion s’autoreflétant. Selon les interprétations romantiques, l’exemple même de cet échec est la Doctrine de la science de Fichte.

4. J. G. Fichte, Vom Verhältniß der Logik zur wirklichen Philosophie und Vom Unterschiede zwischen der Logik und der Philosophie selbst in : J. G. Fichte, Gesamtausgabe der Bayerischen Akademie der Wissenschaften (= GA), Stuttgart, Frommann- Holzboog, R. Lauth et alii (éd.), vol. II, 14, 2006. Voir en outre de l’auteur : « Wäre ihm dies klar geworden, so wäre seine Ktk. W.L. geworden : Fichtes Auseinandersetzung mit Kant in den Vorlesungen über Transzendentale Logik », in Fichte- Studien, n° 33, 2009, p. 145-164.

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Le premier romantisme : L’art comme substitut et intégration de la métaphysique

Les penseurs du (premier) romantisme – comme Friedrich Schlegel, Novalis, Wilhelm Heinrich Wackenroder et Ludwig Tieck – com-prennent l’art comme la modalité la plus haute de connaissance et comme le fondement de justification de la vie humaine. Ils pensent que la philosophie n’est pas en mesure de démontrer par la réflexion son propre fondement. La philosophie serait une tâche sans fin, une tâche sans fin consistant à chercher un fondement qui ne pourrait jamais être atteint. La philosophie seule ne pourrait donc pas combler nos besoins de sens. En remplacement, l’art pourrait d’une certaine façon combler ce besoin puisque, par la représentation ironique de la disparition de toute différence entre vérité et apparences5, il représenterait l’irreprésentable.

L’argument romantique, qui sera repris plus tard par Friedrich Nietzsche, procède grosso modo comme suit : il est impossible de fonder l’existence, c’est- à- dire de lui donner du sens, philosophi-quement/réflexivement, car la philosophie est une tâche sans fin qui tourne à vide si elle demeure sans médiation extra- réflexive. La pensée philosophique a besoin d’un fondement externe à la réflexion, pour pouvoir supporter les conséquences supposées nihilistes de la philosophie transcendantale de Fichte, qui – selon l’interprétation d’usage après Jacobi – absorbe la réalité du monde dans la conscience de soi du Moi6. Ce fondement de la réflexion extra- réflexif, la réflexion ne peut précisément pas le représenter comme un fonde-ment, mais seulement comme un non- fond (Ungrund), un fondement abyssal (Abgrund) (pour reprendre une expression de Schelling7). Mais les romantiques croyaient que ce qui était irreprésentable pour

5. Cf. par exemple M. Frank, Einführung in die frühromantische Ästhetik. Vorlesungen, Suhrkamp, Frankfurt, 1989 ; « Unendliche Annäherung. » Die Anfänge der philosophischen Frühromantik, Suhrkamp, Frankfurt, 1997.

6. Cf. Friedrich Heinrich Jacobi, Brief an Fichte, GA III, 3, p. 224-281.7. F. W. J. Schelling, Philosophische Untersuchungen über das. Wesen der

menschlichen Freiheit und die damit zusammenhängenden Gegenstände, SW I/7, p. 331-416.

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la réflexion (à savoir le fondement comme fondement) pouvait appa-raître grâce à l’intuition esthétique de l’art. L’art serait donc la « représentation de l’irreprésentable » (Novalis).

La dimension esthétique de l’art est donc donatrice de sens. Car au moment même où elle accepte l’impossibilité d’une démonstra-tion réflexive du sens de la vie, elle montre que la seule expérience de vérité qui nous soit disponible et justifiée est celle du caractère d’apparence de la réalité comme telle : autrement dit, l’expérience que propose l’art. Pour faire court : l’art est vérité, parce que la vérité est apparence8. La fondation ultime esthétique de la réalité est de cette façon une donation de sens qui se nourrit de l’échec supposé de l’autojustification philosophique.

L’art devient donc une sorte de substitut de métaphysique. Ou – comme dans le Système de l’idéalisme transcendantal de Schelling (1800) où l’art est considéré comme « le seul organon véritable et éternel de la philosophie en même temps que le seul document9 » – l’art devient un complément indispensable de la métaphysique. En résumé, l’art intègre ou supplée la philosophie (comme l’aurait dit Derrida), qui en tant que telle n’est pas en mesure d’accomplir la fondation réflexive ultime.

Il y a aussi une autre raison à ce que l’art se transforme en un substitut de métaphysique ou en une intégration inévitable de la philosophie : à l’époque que l’on nomme l’époque de Goethe, l’art est compris comme liaison organique entre la nature et l’es-prit. Par conséquent, il est par essence analogue à la totalité de la réalité, dans la mesure où elle aussi est comprise à cette époque comme étant dans son ensemble organique. L’œuvre d’art est donc conçue en général comme essentiellement analogue à l’Absolu : en tant que produit du génie, elle est similaire à l’organisme au sein duquel les parties et le tout se trouvent dans une relation de

8. Sur l’art comme apparence, cf. de l’auteur : Negation, Schein und Nichts in der Kunst, in : A. Bertinetto/Ch. Binckelmann (éds.) : Nichts – Negation – Nihilismus. Die europäische Moderne als Erkenntnis und Erfahrung des Nichts, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2010, p. 217-232.

9. F. W. J. Schelling, Le système de l’idéalisme transcendantal, trad. fr. C. Dubois, Louvain, Peeters, 1978, p. 259 (Werke. vol. II, Leipzig, 1907, p. 301).

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réciprocité. L’art est compris précisément comme le produit d’un tel processus de production, qui réalise sa règle (le tout) par l’ac-complissement du développement des parties individuelles. Dans l’œuvre d’art tout comme dans un organisme qui fonctionne bien, le résultat de la production créatrice (le produit) se trouve dans une relation de réciprocité avec ses parties. En tant qu’organisme, l’art reflète l’Absolu irreprésentable par la réflexion ; car à cette époque, c’est l’univers in toto qui est pensé comme organique, c’est- à- dire comme un système autopoïétique, parce que le tout et les parties se trouvent dans un rapport dynamique et réciproque. Ainsi, pour les romantiques, le produit artistique exemplifie sur un mode sym-bolique la structure organique de l’univers, parce qu’elle- même est organique. C’est pourquoi, à l’inverse, l’univers est perçu comme une « œuvre d’art se formant elle- même10 ».

On peut donc en tirer la conclusion suivante. C’est parce qu’ils pensent, sceptiques, que la philosophie requiert une médiation extra- réflexive que les premiers romantiques, en conséquence, ont attribué à l’art le rôle d’assumer des fonctions de fondation au sens d’une donation de sens de l’existence humaine. D’après les romantiques, il s’agit d’une donation de sens que ne peut effectuer la réflexion autonome parce que celle- ci est condamnée à se faire obstacle à elle- même. La raison réfléchissante a besoin de l’art pour avoir un sens et pour pouvoir proposer en guise d’orientation des points de repère pour la vie humaine à travers le jeu de l’analogie. C’est en cela que consiste, au fond, l’idée répandue de Schiller à Schelling en passant par Schlegel d’une « nouvelle mythologie », à savoir d’une « mythologie de la raison11 ».

10. Fr. Schlegel, Jugendschriften, J. Minor (éd.) (1882), vol. II, p. 364. Cf. aussi U. Lars- Thade, Das ewig sich selbst bildende Kunstwerk. Organismustheorien in Metaphysik und Kunstphilosophie um 1800, dans Internationales Jahrbuch des deutschen Idealismus/International Yearbook of German Idealism (Ästhetik und Philosophie der Kunst/Aesthetics and Philosophy of Art) 4 (2006), p. 256-290.

11. Cf. M. Cometa, Iduna : mitologie della ragione : il progetto di una neue Mythologie nella poetologia preromantica : Friedrich Schlegel e F. W. J. Schelling, Palermo, Novecento, 1984.

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Le sens esthétique, condition nécessaire du philosopher (Le plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand)

Cette idée d’une « nouvelle mythologie » apparaît aussi dans Le plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand12 en rapport avec la question de la fondation ultime philosophique. Ce texte pose les principes d’une philosophie idéaliste esthétique qui prenne en considération les besoins éthiques, politiques et spiri-tuels de l’homme à l’époque de la Révolution française. Le texte est empreint d’une tonalité romantique, puisque l’idée schillerienne d’une éducation esthétique de l’homme est alliée à l’idée fichtéenne d’un Moi conscient de lui- même et s’autodéterminant.

Les auteurs du Plus ancien programme systématique de l’idéa-lisme allemand (Hegel, Hölderlin ou Schelling) argumentent de la façon suivante13 :

1. « Toute la métaphysique » est identifiée à la morale.2. L’éthique est conçue comme « un système complet de toutes les

idées ou, ce qui revient au même, de tous les postulats pratiques ».3. À partir de la présupposition de la théorie kantienne de l’aper-

ception et de la « doctrine de la science » fichtéenne est reconnu comme idée fondamentale de la raison le Moi conscient de lui- même : « la représentation de moi- même en tant qu’être absolument libre. Avec cet être libre et conscient de lui- même, tout un monde surgit en même temps du néant – seule création véritable et conce-vable à partir du néant. »

4. Enfin, convaincus de cette idée sceptique selon laquelle la fondation ultime réflexive ancrée sur l’autoréflexion mènerait de nouveau au néant, les auteurs de ce texte proclament que « l’idée de

12. Le plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand, in Fr. Hölderlin, Œuvres, trad. fr., sous la direction de Ph. Jaccottet, Paris, Gallimard, 1967 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 1157-1158 (G. W. F. Hegel : Werke, vol. I, Frankfurt a. M., 1979, p. 234-237).

13. Cf. L. Amoroso, Introduzione, in L. Amoroso (éd.), Il più antico pro-gramma di sistema dell’idealismo tedesco, Pisa, Ets, 2007.

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Beauté » est « l’idée qui les résume toutes » et qui prend en charge la fonction de la fondation du sens.

5. Il s’ensuit que « l’acte suprême de la Raison est celui qui, englobant toutes les idées, est un acte esthétique et que la Vérité et la Bonté ne s’allient que dans la Beauté. Le philosophe doit avoir autant de force esthétique que le poète. Les hommes dépourvus de sens esthétique pratiquent une philosophie de la lettre seule. La philosophie de l’esprit est une philosophie esthétique. On ne peut avoir d’esprit en rien […] en l’absence de sens esthétique. »

Les auteurs du Programme systématique reconnaissent donc à l’esthétique un rôle fondamental, précisément en ce qui concerne la possibilité d’une fondation ultime. La médiation esthétique est la condition nécessaire à la réussite de la philosophie de l’esprit. C’est pourquoi le programme s’achève par des allusions évidentes à l’idée de Schiller d’une éducation esthétique de l’humanité : la poésie est en effet élevée à la dignité « d’instru[ctrice] de l’humanité14 ».

Mon but n’est pas tant d’insister sur le fait que c’est la forme artistique particulière de la poésie qui pour les auteurs de ce texte est considérée comme l’art principal. Car à l’époque des romantiques, le rôle principal parmi les arts est attribué tantôt à la poésie, tantôt à la musique, tantôt à la peinture (cela dépend des propriétés prises en compte selon les différents contextes conceptuels et culturels). Ce qui m’importe bien plutôt, c’est de mettre en évidence que le Programme souligne les insuffisances propres à la réflexion et plaide en faveur d’une compensation que seuls le sens esthétique et le bel art peuvent apporter. L’esthétique et l’art peuvent fournir aux hommes l’orientation pour la vie que la réflexion philosophique à elle seule n’est pas en mesure de procurer.

14. F. Schiller, Über die ästhetische Erziehung des Menschen in einer Reihe von Briefen (1795), in : Werke und Briefe, Frankfurt/M., 1992, vol. VIII.

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L’art, préfondation ultime (Hegel)

À la différence des romantiques et de l’idéalisme esthétique du Programme systématique, Fichte et le Hegel « de la maturité » pen-sent que le rôle de fondation de la réflexion philosophique n’est pas condamné à l’échec. La réflexion ne requiert pas nécessairement la médiation esthétique supplémentaire de l’art. Au contraire, la fonction de fondation propre à la dimension esthétique de la vie et le rôle de fondation qui revient à la réflexion philosophique sont bien plutôt compatibles, et ce dès le début : la dimension donatrice de sens de l’expérience esthétique est pour Fichte et Hegel un moment indis-pensable de la justification philosophique de l’expérience humaine et de la réflexion autofondatrice de la philosophie.

Hegel attribue à l’art un rôle indispensable dans le cadre de l’auto-fondation de l’esprit absolu. L’art est donateur de sens, et la manière dont il l’est est capitale pour l’autoévolution de l’esprit absolu. Par l’art, les hommes comprennent le monde et se comprennent eux- mêmes. Angelica Nuzzo écrit à ce sujet, que, pour Hegel,

l’art n’est pas un moyen à travers lequel une connaissance plus ou moins adéquate d’un Absolu prétendument métaphysique serait atteinte. Avoir atteint le niveau de l’Esprit absolu n’implique pas que la finitude de l’esprit ait été abandonnée (ou devrait l’être) une fois pour toutes : par conséquent, l’art est la sphère au sein de laquelle une relation par-ticulière à la finitude de l’esprit est trouvée comme étant celle qui est appropriée à sa réalité absolue. Finalement, puisque l’absoluité carac-térise un processus, être une étape nécessaire de ce processus requiert une persistance systématique qui ne peut être annulée15.

La dimension esthétique de l’art est un moment indispensable et incontournable de l’autoconstruction dynamique réflexive et de l’au-tofondation de l’esprit absolu. La connaissance de l’esprit a besoin

15. A. Nuzzo : « Hegel’s “Aesthetics” as Theory of Absolute Spirit », in : Internationales Jahrbuch des deutschen Idealismus/International Yearbook of German Idealism (Ästhetik und Philosophie der Kunst/Aesthetics and Philosophy of Art) 4 (2006), p. 291-310, ici p. 296.

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de la dimension esthétique (la belle apparence) pour représenter l’esprit, et cette représentation a besoin, comme premier moment, de l’art comme incarnation sensible de l’idée et comme exemplification du rapport dynamique entre l’esprit absolu et son exposition dans la réalité et dans la pensée.

Cependant, bien que l’art soit une partie constituante indispen-sable de la philosophie, il ne peut pas réaliser la fondation ultime, du moins il ne peut pas le faire seul. Le bel art est pour Hegel la source d’une expérience du monde et de nous- mêmes qui, dans la mesure où elle n’est encore que de nature intuitive, est seulement immédiatement réflexive ; en ce sens, elle ne peut à elle seule consti-tuer l’ultime et définitive autofondation de notre compréhension du monde et de nous- mêmes. Elle n’est donc pas davantage capable de proposer une orientation efficace pour la vie de l’homme moderne. Pour accomplir cette fonction, l’art doit se fondre structurellement et de façon constitutive dans la philosophie. L’art ne peut ni remplacer ni intégrer en lui la philosophie. Bien au contraire c’est l’esthétique, comme science philosophique de l’art, qui explique la dimension fondatrice de sens de l’art16.

Il ne fait aucun doute que, pour Hegel, le sens esthétique est une condition nécessaire de l’esprit, comme le soutenait également le Plus ancien programme systématique. Mais le sens esthétique n’est pas une condition suffisante de la fondation ultime philosophique ; en fait, il ne propose qu’une sorte de « pré- autofondation » provi-soire de l’esprit absolu. Seule la philosophie, en tant que travail du concept, peut procurer une fondation ultime réflexive et définitive et fonder une orientation pour la vie.

L’esthétique comme autofondation réflexive et productrice (Fichte)À première vue, il semble que Fichte ait une conception sem-

blable. Comme on sait, Fichte pense en effet que l’art propose aux hommes une sorte d’expérience de transition entre le point de vue empirique et le point de vue transcendantal, parce qu’il met notre

16. Cf. A. Gethmann- Siefert, Die Funktion der Kunst in der Geschichte. Untersuchungen zu Hegels Ästhetik, Bonn, 1984 (Hegel- Studien. Beiheft 25).

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liberté en œuvre dans le monde sensible en éveillant notre esprit. Fichte écrit dans la Doctrine de la science Nova methodo :

Quel passage y a- t-il entre les deux points de vue [le point de vue commun et le point de vue transcendantal] […]. Les deux points de vue sont en effet directement opposés l’un à l’autre. […] Il est [cependant] factuellement prouvé qu’il existe un tel moyen terme entre le point de vue transcendantal et le point de vue commun ; ce moyen terme est l’esthétique17.

L’expérience du bel art est donc une expérience de transition – c’est- à- dire une métaphore au sens le plus essentiel – par laquelle on abandonne le point de vue de la conscience naturelle pour pré-parer la voie à une compréhension transcendantale de la réalité. Cependant, le bel art à lui seul n’est pas en mesure de jouer le rôle du fondateur ultime. Le bel art ne peut ni – du moins il ne peut y parvenir ni adéquatement ni à lui seul – se substituer à l’autolé-gitimation réflexive du savoir, ni représenter l’irreprésentable – au contraire de ce que pensaient Novalis et les premiers romantiques. Seule la philosophie est capable non seulement d’explorer le potentiel expressif et communicatif du bel art en élucidant les manifestations inconscientes du génie, mais aussi d’appréhender l’absolu et son caractère irreprésentable conceptuellement de façon transcendantale et réflexive (c’est- à- dire conceptuelle), tout comme de mener à bien la compréhension théorético- pratique de la réalité. C’est pourquoi en effet Fichte prend toujours soin de distinguer radicalement entre le libre « jeu de la fantaisie [Phantasie] », qui peut mener à la « folie », et l’imagination [Einbildungskraft] qui ne peut pas prévaloir indé-pendamment de la réflexion18.

17. J. G. Fichte, La Doctrine de la Science Nova Methodo. Suivi de Essai d’une nouvelle présentation de la Doctrine de la Science, trad. fr. I. Radrizzani, Lausanne, L’Âge d’homme, 1989, p. 308 (Wissenschaftslehre Nova Methodo, GA IV, 2, p. 266).

18. Cf. J. G. Fichte, Thatsachen des Bewußtseins 1813, in J. G. Fichte, Sämtliche Werke (= SW), I. H. Fichte (éd.), Fichtes Werke, Berlin, de Gruyter, 1971, IX, p. 499.

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Pourtant, c’est justement le recours à l’imagination qui montre que l’esthétique, en dépit de ces perspectives antiromantiques, joue un rôle stratégique dans la pensée de Fichte. On peut dire sans conteste que le bel art ne reçoit pas chez Fichte la fonction d’effectuer la fondation ultime. Le philosophe a certes besoin « de génie [et ce] non moins que le poète ou l’artiste ». Mais il a besoin d’un génie « sur un autre mode19 », puisqu’il ne fait aucun doute que le bel art et la philosophie soient deux tâches différentes.

L’art, l’art des beaux- arts, n’est toutefois pas le seul domaine d’application de la dimension esthétique. Dans les Méditations propres sur la philosophie élémentaire et en particulier dans la Philosophie pratique (1793/4 ; cf. GA, II, 3) – qui représentent la première esquisse systématique de Fichte –, la philosophie de Fichte prend des contours esthético- pratiques20, et conformément à cela, le beau et le sublime font la médiation entre le monde naturel et la dimension de la liberté. « À la différence de chez Kant, cette médiation n’est pas exclusivement accomplie par les sentiments esthétiques, parce que Fichte pense l’unité sous- jacente dans une aspiration qui se manifeste dans toutes les activités humaines21 ». L’intérêt de Fichte pour la Critique de la faculté de juger est donc dès le départ motivé par des raisons non seulement esthétiques, mais de philosophie fondamentale22, plus exactement : ces raisons ne relèvent de l’esthétique que dans la mesure où elles relèvent égale-ment d’une philosophie fondamentale (et en tout premier lieu dans un sens anthropologique). Les concepts esthétiques de Kant sont utilisés au sein de la sphère anthropologique du domaine pratique.

19. Sur le concept de la Doctrine de la Science ou de ce que l’on appelle philo-sophie, in : J. G. Fichte, Essais philosophiques choisis (1794-1795), trad. fr. L. Ferry et A. Renaut, Paris, Vrin, 1984, p. 61 (Über den Begriff der Wissenschaftslehre, GA I, 2, p. 143).

20. Nous remercions vivement Marco Ivaldo, qui a attiré notre attention sur la pertinence de ce type particulier de dimension esthétique dans le cadre de la pensée transcendantale de Fichte. Sur ce point G. Cecchinato, Fichte und das Problem einer Ästhetik, Würzburg, Ergon, 2009, p. 46-83.

21. Ibid., p. 11.22. Ibid., p. 42.

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Les sentiments esthétiques (l’agréable, le beau, le bien), comme formes de satisfaction, sont d’après Fichte « des moments parti-culiers du développement de la liberté23 », c’est- à- dire des étapes du développement de l’autoactivité absolue du Moi. Les instincts et les attitudes subjectives comme les sentiments de plaisir et de déplaisir n’expriment donc pas seulement la dimension esthético- sensible de la vie, mais ils sont aussi la condition de possibilité du développement de la liberté humaine et ils représentent en tant que tels un thème propre à la philosophie pratique, qui – comme on le voit clairement dans l’Assise fondamentale de la Doctrine de la science et mieux encore dans la Doctrine de la science Nova methodo, que nous avons déjà mentionnée – est la condition de possibilité de la conception théorétique du monde.

Cependant, le rôle que jouent l’imagination et la théorie de l’image dans le cadre de la pensée transcendantale de Fichte est aussi par-ticulièrement intéressant pour la question de la fondation esthétique de l’expérience et du savoir. Fichte comprend la philosophie préci-sément comme autojustification de la liberté autoréflexive de la vie humaine. En tant que telle, la philosophie est imagination en acte. La dimension réflexive de la pensée transcendantale comme auto-fondation, qu’aperçoit génétiquement l’aperception transcendantale24, ne s’oppose pas à la dimension productrice/pratique de la formation (Bildung) et du configurer (Bilden). Bien au contraire, l’approche de Fichte consiste précisément à penser l’(auto- )production comme (auto- )réflexion et l’(auto- )réflexion comme (auto- )production. La dimension esthétique ne s’oppose pas comme telle à l’esprit et à ses accomplissements réflexifs, puisque l’imagination productrice est esprit. L’imagination est esprit au sens kantien : elle est la faculté de produire des idées qui en tant que telles ont une dimension esthétique et réflexive. Dans la mesure où Fichte élabore la problématique de

23. Ibid., p. 51.24. Sur ce point, de l’auteur : Appercezione trascendentale e ricorsività :

la logica trascendentale come teoria dell’immagine (Transzendentale Logik II, lezione XX), in Leggere Fichte, 2009, A. Bertinetto (éd.), Napoli, Nella Sede dell’Istituto, p. 113-127.

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la fondation de la philosophie transcendantale sous l’impulsion de la Critique de la faculté de juger de Kant, il élargit le concept kantien d’« esprit » (en un sens toujours kantien). L’esprit n’est donc plus seulement la faculté qui rend possible l’art comme bel art, mais la faculté qui n’est autre que la présupposition de l’activité humaine comme telle, y compris du philosopher.

Le concept d’esprit = imagination est utilisé chez Fichte pour justifier la pensée transcendantale de façon autoréflexive et performa-tive (dans son accomplissement). En tant qu’imagination, la pensée transcendantale est dévoilée génétiquement comme une activité per-formative et réflexive se construisant elle- même. L’imagination, ou l’esprit, n’est pas seulement le principe de la production artistique ou de la contemplation esthétique, mais la condition de possibilité transcendantale de la philosophie qui prouve sa possibilité en étant effective, c’est- à- dire en étant à l’œuvre dans le monde. Et l’ima-gination est à l’œuvre dans les différentes sphères de la vie – dans le bel art, mais aussi en politique, dans l’agir moral, etc. –, non pas parce qu’elle imite le monde extérieur, mais parce qu’elle est à soi- même sa propre loi, autonome et libre.

Comme les premiers romantiques, Fichte reprend de Kant l’idée de l’art comme produit du génie : l’art n’est pas imitation, mais création. Il ne dépend pas d’un modèle extérieur, mais il est sa propre loi. Toutefois, si les romantiques subordonnent pour ainsi dire la philosophie à l’art, parce que celui- ci, étant organique, reflète de façon exemplaire la structure organique de l’absolu qui ailleurs demeure irreprésentable, et est en mesure d’intégrer, voire de rem-placer la réflexion qui est insuffisante, Fichte, quant à lui, applique à la philosophie la structure d’accomplissement de l’art du génie, une structure réflexive et se donnant sa propre règle, afin de démon-trer de façon autoréflexive et productrice (génétique) la dimension productrice et réflexive, c’est- à- dire pratique et théorique, de la vie humaine et de la philosophie. Contre, et même au- delà de Kant, Fichte comprend le transcendantal comme la réflexion philosophique en acte, c’est- à- dire comme l’activité de l’imagination qui réfléchit ses structures d’accomplissement réflexives/productrices en se repré-

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sentant comme étant en cours d’accomplissement, c’est- à- dire en se produisant elle- même comme réflexion en acte.

La philosophie transcendantale est pensée de soi- même. Elle est pensée/savoir qui se produit soi- même comme réflexive et qui se réfléchit soi- même comme productrice. Par conséquent, il va de soi que, pour Fichte, l’imagination (= l’esprit) ne peut être comprise que par l’imagination (= l’esprit25). En ce sens, le bel art peut aussi être philosophique, précisément dans le cas où il ne s’épuise pas dans la belle apparence. Si l’art n’est vécu et compris que comme belle apparence, alors l’« instinct esthétique » n’est pas encore à l’œuvre comme autolégislation, mais il ne se manifeste que sous la forme d’une « contemplation tranquille et désintéressée des objets, tandis que notre esprit […] ne veille plus sur lui- même26. » En revanche, le bel art peut être philosophique, mais seulement s’il met en œuvre l’imagination productrice, c’est- à- dire l’esprit, et s’il favorise le « développement de l’esprit27 », autrement dit : si pour ainsi dire il éveille l’esprit et si la belle apparence a déjà per se une dimension réelle.

À cet égard, la querelle entre l’esprit et la lettre de la philosophie qui opposa Schiller et Fichte est bien sûr d’une grande importance28.

25. Cf. Les Principes de la Doctrine de la Science (1794-1795), in : J. G. Fichte, Œuvres choisies de philosophie première, Doctrine de la Science (1794-1797), trad. fr. A. Philonenko, Paris, Vrin, 1980 (2e éd.), p. 148 : « La Doctrine de la science est telle qu’elle ne peut pas être communiquée selon la lettre, mais seulement selon l’esprit ; en effet : ses idées fondamentales doivent être engendrées par l’imagination créatrice en tout homme qui l’étudie. Il ne pourrait d’ailleurs en être autrement dans une science (Wissenschaft) qui remonte jusqu’aux fondements ultimes de la connaissance humaine. En effet, l’opération tout entière de l’esprit humain prend sa source en l’imagination et l’imagination ne peut pas être saisie, si ce n’est par l’imagination. » (Die Grundlage der gesamten Wissenschaftslehre, GA, I, 2, ici p. 415).

26. Sur l’esprit et la lettre dans la philosophie, in : J. G. Fichte, Essais philosophiques choisis (1794-1795), trad. fr. L. Ferry et A. Renaut, Paris, Vrin, 1984, p. 99. (Über Geist und Buchstabe in der Philosophie, GA I, 6, p. 350).

27. SW XI, S. 198.28. Cf. de l’auteur : La forza dell’immagine, Milano, Mimesis, p. 161-176

et P. Lohmann : « Grundzüge der Ästhetik Fichtes », in Internationales Jahrbuch des Deutschen Idealismus, 4, 2006, p. 199-224.

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Dans cette polémique avec Schiller, Fichte se défend contre l’accu-sation de confondre deux domaines différents de la vie humaine et d’attribuer au bel art des fonctions qui seraient propres à la philo-sophie et non au bel art. Schiller envisage l’art comme le remède de l’humanité, capable d’accomplir ce que la philosophie seule ne peut effectuer : donner du sens à l’existence29. Fichte comprend au contraire le bel art et l’expérience esthétique comme des domaines d’application de la liberté (qui est le principe transcendantal de la réalité), dont la plus haute expression est la philosophie comme « système de la liberté ». Et si l’art parvient à assumer la fonction métaphorique de moyen terme entre le point de vue empirique et le point de vue transcendantal, si donc l’art nous fait passer du point de vue empirique au point de vue transcendantal, alors l’esprit de l’art n’est autre que l’esprit philosophique : l’esprit de l’art est l’esprit « tout court ». Le bel art nous amène réellement à la philosophie seulement si – en tant qu’expression de l’activité philosophique – il se dissout dans la philosophie.

Cependant, on peut aussi légitimement retourner la perspective – et c’est la thèse que nous défendons. La pensée transcendan-tale et autofondatrice de Fichte est aussi de l’art, un art per-formatif ou plus exactement : à la fois un art performatif et un art plastique (qui configure) (bildend), c’est- à- dire plastique en tant que performatif. En effet, la Doctrine de la science est une « théorie de l’image » (Bildlehre30). Et chez Fichte, le concept d’« image » (Bild) ne se réduit pas à celui de « copie » (Abbild). Au contraire, l’image est le rapport réciproque entre la copie et l’image réfléchie. C’est une telle relation à soi qui est à la fois réflexive et productrice. La thèse que j’aimerais énoncer ici est donc la suivante : L’« art du philosopher31 » de Fichte est l’exemplification d’une théorie de l’art (philosophique) qui

29. Sur ce point, de l’auteur : Arte, experiencia estética y liberación, in A. Rivera Garcia (éd.), Schiller, Arte y política, edit.um (ediciones de la universidad de Murcia), Murcia, 2010, p. 109-124.

30. Sur ce point, cf. de l’auteur : La forza dell’immagine, op. cit.31. Cf. J. G. Fichte, Anleitung zur Kunst des Philosophierens (1809-1810),

in GA II, 11.

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dépasse l’opposition classique entre les arts plastiques et per-formatifs en pensant la dimension performative du configurer (Bilden) et la dimension configurative (bildend) du performatif. On peut avoir le sentiment qu’il ne s’agit que de rhétorique pure. Pourtant, même sans mentionner le fait que la rhétorique juste-ment, l’art de parler, joue un rôle (philosophique) important dans ce contexte (comme Fichte le montre dans son écrit sur « L’esprit et la lettre »), la pensée de Fichte recèle une véritable significa-tion esthétique, précisément en vertu de son caractère réflexif/producteur de fondation ultime32. Son mode d’accomplissement est celui d’un agir qui, comme la production artistique organique du génie (et comme l’improvisation, qui exemplifie sur scène la production artistique), invente la modalité de son autoaccomplis-sement au moment même où il s’accomplit, pour correspondre adéquatement à toute situation individuelle factuelle33. C’est pour cette raison que, comme on sait, la forme écrite de la Doctrine de la science est pour Fichte essentiellement insatisfaisante34. L’écrit n’est pas en mesure de prendre en compte les situations historiques spécifiques de l’apprentissage de la Doctrine de la science et il peut donc donner lieu à de mauvaises interpréta-tions et à des déformations, car la lettre fige l’esprit vivant du philosopher qu’elle doit restituer.

32. Sur la signification de la rhétorique chez Fichte, cf. également Cecchinato, Fichte und das Problem einer Ästhetik, op. cit., p. 20-30. Le caractère rhétorique de l’activité philosophique de Fichte est fortement souligné par P. Oesterreich et H. Traub (Der ganze Fichte, Stuttgart, 2006). Dans une formule quelque peu outrancière, les auteurs suggèrent que cela mènera même, dans la période ber-linoise, à « une intégration de l’art et des sciences sous la forme d’un art de la raison rhétorique ou d’un art du philosopher » (ici p. 81-82).

33. Cf. L. Pareyson, Estetica. Teoria della formatività (1954), Milano, Bompiani, 1988. En outre, de l’auteur : Performing the Unexpected. Improvisation and Artistic Creativity, in « Daimon », 57/2012, p. 61-79.

34. Après la publication des Principes de la Doctrine de la science (1794-1795), le philosophe ne publiera plus que Silhouette générale de la Doctrine de la science, un bref résumé de son projet berlinois tardif de la Doctrine de la science, alors que la vingtaine de cours sur la Doctrine de la science demeurera pendant toute sa vie non publiée.

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Cela n’entre pas en contradiction avec le caractère systématique de la pensée de Fichte. La dimension systématique de sa philo-sophie consiste en ceci que les structures de la pensée sont mon-trées en cours d’accomplissement de façon réflexive et productrice. Et la façon dont cette systématique peut être montrée dans des « images » ne peut pas être déterminée à l’avance, elle est bien plutôt inventive. La lettre est une condition factuelle a posteriori de l’apparition de l’esprit, c’est- à- dire de l’imagination. Elle atteint son but non pas quand elle est correcte au sens d’une adaptation juste à un modèle préétabli. Mais elle ne devient correcte que si, par l’invention de modes féconds de représentation de l’esprit, elle se révèle productrice. La représentation de la philosophie est réussie si elle représente de façon exemplaire35 l’esprit comme étant producteur et réflexif. La communication philosophique n’est un succès que si elle représente l’irréductibilité de l’esprit à la représentation langagière dans la représentation et que par là même elle est reconnue comme représentation féconde de l’esprit (au double sens du génitif). Ainsi, la réussite de la représentation de l’esprit par la lettre ne peut être ni réglée ni garantie d’avance. Les règles d’une philosophie formelle qui voudrait déterminer de façon objective la méthode de la communication philosophique sans tenir compte de la spécificité de chaque situation, entraveraient la représentation de l’esprit au lieu de la rendre possible. La repré-sentation concrète de l’esprit dans son expression philosophique demeure donc imprévisible : ce sont les différentes représentations individuelles de la pensée philosophique qui restituent la liberté de l’esprit. Ou plus exactement : chaque représentation individuelle de la pensée philosophique produit à nouveau la liberté de l’esprit. « Les règles de l’art, qui se trouvent dans les manuels [ne sont pas] [interprétées] mécanique[ment], [mais] d’après leur esprit36 ».

35. J’utilise ici volontairement ce concept au sens kantien du génie exem-plaire : cf. Critique de la faculté de juger, § 46.

36. Sur l’esprit et la lettre dans la philosophie, in : J. G. Fichte, Essais philosophiques choisis (1794-1795), trad. fr. L. Ferry et A. Renaut, Paris, Vrin, 1984, p. 108. (Über Geist und Buchstabe in der Philosophie, GA I, 6, p. 360).

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L’imitation à la lettre ne peut pas représenter l’esprit. Ce n’est que grâce à une opération récréative, qui reproduit la représentation productrice, que la compréhension de la pensée transcendantale peut réussir. L’image de l’idée transcendantale, qui représente le système de la philosophie, doit être comprise en tant qu’image, afin de pouvoir accomplir de nouveau (dans des formes diffé-rentes) les passages argumentatifs que le philosophe a accomplis. Par opposition à un apprentissage fondé sur l’entendement qui caractériserait un processus d’assimilation réceptif, l’imagination productrice recèle donc une importance cruciale pour la commu-nication de la philosophie et pour le processus d’apprentissage, que Fichte, dès le départ, considère non comme des instruments externes du philosopher, mais comme des aspects centraux de l’ul-time autofondation philosophique.

Ce n’est pas seulement la compréhension des œuvres d’art par le plaisir, une compréhension où le processus de la création artistique est reproduit, qui se fonde sur une telle recréation, mais également la possibilité de comprendre l’esprit par l’esprit, philosophiquement. En ce sens, la « dimension esthétique » de l’imagination produc-trice est la présupposition de la connaissance qui s’acquiert d’elle- même, c’est- à- dire de la possibilité de fonder l’a priori a priori (génétiquement37).

De cette façon, dans le cadre de l’esthétique de la produc-tion, la dimension esthétique de la vie, précisément en vertu de son caractère de transition (métaphore) n’est autre que l’activité philosophique elle- même. La philosophie de Fichte, précisément en tant que doctrine de la science, montre en effet également son rapport à la vie (là où elle n’agit pas comme doctrine, mais comme sagesse38). La philosophie, comme art du philosopher,

37. Comme on sait, le défaut de Kant, selon Fichte, consiste précisément en ceci qu’il n’a pas saisi l’a priori de façon a priori. Sur ce point, de l’auteur : « Wäre ihm dies klar geworden, so wäre seine Ktk. W.L. geworden » : Fichtes Auseinandersetzung mit Kant in den Vorlesungen über Transzendentale Logik, in « Fichte- Studien » 33/2009, p. 145-164.

38. Cf. G. Rametta, « The Speculative Structure of Fichte’s 1807 Wissenschaftslehre », in Idealistic Studies, 37, 2007, p. 121-142.

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consiste précisément en ce processus configuratif/performatif de transition de l’empirique (la lettre) au transcendantal (l’esprit) et vice versa, un processus au sein duquel les deux éléments ne se montrent pas comme deux dimensions différentes et dissociées. L’esprit et la lettre ne sont séparés que dans la perspective de la pensée empirique, factuelle et formelle. Dans la perspective transcendantale, l’esprit, en tant qu’imagination, ne peut juste-ment pas représenter sa différence par rapport à la lettre ailleurs que dans la lettre même (cette structure récursive est la structure de l’image39). L’aspect esthétique de la pensée est indispensable performativement parce qu’il est la condition de possibilité de sa représentation. C’est pourquoi, dans le cadre de l’accomplisse-ment par Fichte de la tâche de la fondation ultime philosophique, l’esthétique joue un rôle stratégique et qui est incontournable pour le système.

Et, lorsqu’il est bien compris, le rôle que Fichte attribue à l’ima-gination transcendantale (en tant qu’imagination productrice) lui permet d’échapper à l’objection suivante, que lui tiennent les pre-miers romantiques : la philosophie de la réflexion mènerait au néant parce qu’elle ne serait pas en mesure de démontrer réflexivement son propre fondement ; la philosophie de Fichte exigerait donc une médiation extra- réflexive, celle que propose l’art. Cependant, dans la mesure où Fichte remanie le schématisme de Kant dans la perspective de la Critique de la faculté de juger en l’interprétant comme un « schématisme de l’absolu40 » (c’est- à- dire comme l’au-toréflexion productrice de la philosophie qui est à l’œuvre comme sagesse sur le plan de la vie, puisqu’elle invente de façon créative, dans chaque situation historique spécifique, de nouvelles images de la réalité non prévisibles à l’avance), il n’a donc pas non plus besoin de recourir à l’idée d’une « mythologie de la raison ». En effet, si la philosophie veut réaliser la fondation ultime, elle ne peut pas être mythologique, parce que la mythologie doit bien plutôt être expliquée, justifiée et fondée philosophiquement. Pourtant, la

39. Sur ce point, cf. de l’auteur : La forza dell’immagine, op. cit., chap. II.40. Cf. WL 1813, SW, vol. X, p. 81.

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philosophie en tant que telle, particulièrement en tant que fonda-tion réflexive de l’expérience, a bien une dimension fondamentale esthétique, et même artistique : l’entreprise philosophique, en tant que compréhension de la condition de possibilité de l’expérience, ne réussit que si l’autoréflexion philosophique, précisément en tant qu’opération d’autoclarification, ouvre et aménage, de façon créative, de nouvelles perspectives de la vie théorético- pratique, autrement dit elle ne réussit que si l’imagination est aussi mise en œuvre. L’expérience artistique ne peut opérer comme passage du point de vue empirique au point de vue transcendantal que si elle se révèle comme une modalité du développement de l’activité de l’imagination (ou de l’esprit) pour produire de façon créative de nouvelles possibilités de la vie. Il est donc tout à fait légitime d’affirmer que la dimension esthétique chez Fichte « est comprise comme un lieu intermédiaire entre vouloir et savoir » et que pour cette raison, « puisque […] dans l’évolution du système de Fichte, le vouloir et le savoir sont de plus en plus rapprochés l’un de l’autre, […] il ne reste plus de place pour une esthétique41 » comme disci-pline particulière de la Doctrine de la science. Pourtant, – comme l’atteste la conception de la Doctrine de la science comme doctrine de l’image (Bildlehre) – dans le cadre de la théorie de l’imagination productrice42, qui façonne l’expérience du monde et de soi en une œuvre d’art vivante, la dimension esthétique devient un moment important, même indispensable de l’autofondation de l’existence humaine. Et même la possibilité de la philosophie transcendantale comme autoréflexion radicale réside dans cette liberté qui constitue le trait essentiel de l’expérience esthétique de l’art (au sens où elle se libère de l’être- donné de la nature et où elle produit de nouveaux rapports créatifs entre représentations et idées).

41. G. Cecchinato, Fichte und das Problem einer Ästhetik, op. cit., p. 12.42. Sur ce point, I. Radrizzani, « Von der Ästhetik der Urteilskraft zur Ästhetik

der Einbildungskraft, oder von der Kopernikanischen Revolution der Ästhetik bei Fichte », in : E. Fuchs, M. Ivaldo, G. Moretto : Der transzendentalphilosophische Zugang zur Wirklichkeit. Beiträge aus der aktuellen Fichte- Forschung, Stuttgart Frommann- Holzboog, 2001, p. 341-361.

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Ainsi, comme l’avait déjà clairement compris Luigi Pareyson43, si l’esthétique comme discipline particulière du savoir perd de son importance pour la philosophie transcendantale de Fichte, ce n’est que parce que la dimension esthétique joue, quant à elle, un rôle constitutif pour toute la philosophie transcendantale.

Traduction : Sylvaine Gourdain

Alessandro Bertinetto(Università di Udine/FU Berlin)

43. L. Pareyson, Fichte. Il sistema della libertà, Milano, Mursia, II éd., 1976.

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