Le principe d'autonomie dans le champ de la santé en Argentine

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Le principe d’autonomie dans le champ de la santé en Argentine Christian Mounir 1 , Carolina Asciutto 2 , On ne peut guère éviter d’avoir à l’horizon de sa conscience de médecin le sens de la distance entre les meilleures performances médicales accomplies par des praticiens entraînés, soutenus par des équipes de recherche de pointe, dans quelques hôpitaux bien équipés de pays développés, et la qualité ordinaire et inégale des soins auxquels accède le commun des gens. Anne Fagot-Largeault Plus de 10 millions de personnes vivent dans une situation de pauvreté en Argentine 3 , sans un emploi formel, sans une éducation de qualité ni une demeure digne, et avec des services de santé insuffisants. De plus, entre 2004 et 2012 la brèche sociale a augmenté, soit la différence de qualité de vie entre le secteur moyen et celle des plus vulnérables. Observatoire de la dette sociale argentine de l’Université catholique argentine I. INTRODUCTION S’interroger sur la mise en œuvre du principe d’autonomie dans le contexte d’un pays comme l’Argentine, si différent de celui des pays du « Nord » où le concept a été conçu, c’est à la fois user d’un instrument d’observation fonctionnant comme analyseur étrange(r) de situation et, par l’effet d’étrangeté qu’il peut susciter, c’est en retour questionner le sens et la pertinence de 1 expert en promotion de la santé publique indépendant, Genève (Suisse) – Buenos Aires (Argentine) 2 médecin pédiatre-néonatologue, Direction de la Maternité et de l’enfance, Ministère de la santé de la Nation, République Argentine 3 Ce qui correspond à peu près au quart de la population 1

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Le principe d’autonomie dans le champ de lasanté en Argentine

Christian Mounir1, Carolina Asciutto2,

On ne peut guère éviter d’avoir à l’horizon de sa conscience de médecin le sens de la distance entre les meilleures performances médicales accomplies par des praticiens entraînés, soutenus par des équipes

de recherche de pointe, dans quelques hôpitaux bien équipés de pays développés, et la qualité ordinaire et inégale

des soins auxquels accède le commun des gens.Anne Fagot-Largeault

Plus de 10 millions de personnes vivent dans une situation de pauvreté en Argentine3, sans un emploi formel, sans une éducation de qualité ni une demeure digne,

et avec des services de santé insuffisants. De plus, entre 2004 et 2012la brèche sociale a augmenté, soit la différence de qualité de vie

entre le secteur moyen et celle des plus vulnérables.Observatoire de la dette sociale argentine de l’Université catholique argentine

I. INTRODUCTION

S’interroger sur la mise en œuvre du principe d’autonomie dans lecontexte d’un pays comme l’Argentine, si différent de celui des pays du « Nord » où le concept a été conçu, c’est à la fois user d’un instrument d’observation fonctionnant comme analyseur étrange(r) de situation et, par l’effet d’étrangeté qu’il peut susciter, c’est en retour questionner le sens et la pertinence de

1 expert en promotion de la santé publique indépendant, Genève (Suisse) – Buenos Aires (Argentine)2 médecin pédiatre-néonatologue, Direction de la Maternité et de l’enfance, Ministère de la santé de la Nation, République Argentine 3 Ce qui correspond à peu près au quart de la population

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l’outil. De même du reste, que chez nous, on peut être conduit à se demander si parfois (ou souvent ?) on ne justifierait pas l’impuissance décisionnelle en avançant l’autonomie du patient comme critère principal, ou si « l’individualisme » philosophiquequi sous-tend cette notion n’entrerait pas en contradiction avec des impératifs communautaire de santé publique, de même on peut s’interroger sur l’opportunité de la mise en œuvre du concept d’autonomie en toute circonstance et sur son bien-fondé universaliste – s’il fait sens - en tous lieux et dans toutes les situations. Ce qui donne lieu aux questions suivantes :

1. Les conditions de l’exercice de l’autonomie en général et bioéthique en particulier sont-elles remplies dans la situation actuelle de l’Etat et des populations du pays?

2. Et si oui, dans quelle mesure, c’est-à-dire quel degré d’autonomie permet réellement le système de santé et l’exercice de la médecine dans le pays au patient et au médecin ?

3. Peut-on conclure que le principe d’autonomie bioéthique constitue une notion pertinente et applicable dans le champ de la santé en Argentine aujourd’hui ?

4. Qu’est-ce que les éventuelles limites de sa mise en œuvre pourraient nous apprendre sur le concept d’autonomie lui-même, sa validité et son champ d’application ?

II. L’ARGENTINE EN BREF

Dernière terre du globe dans l’hémisphère Sud avant le continent antarctique, le territoire de l’Argentine, classée 8e plus grand pays au monde après l’Australie et l’Inde s’étend sur 3'700 km de

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longueur du Sud de la Bolivie à la Terre de Feu et une surface de2.780.400 km², soit environ cinq fois la France. Avec 42 millionsd’habitants qui la classent au 31e rang, elle est relativement peu peuplée. C’est démographiquement une population relativement « jeune » : les plus de 65 ans ne représentent que le 9,7 % (le double en France) de la population tandis que celle des moins de 18 ans, le 33 % (19% en France). Sa densité de population de 15.2hab./km² rend mal compte de l’occupation très inégale du territoire : à une forte concentration en zone urbaine (près de 90% de la population dont 67% dans les cinq villes et zones urbaines principales) s’oppose un éparpillement d’agglomérations parfois distantes de plusieurs centaines de kilomètres les unes des autres et des grands centres et de vastes territoires inoccupés, désertiques, semi-désertiques, de pampas humides, de zones montagneuses boisées ou de forêt tropicale.

Du point de vue structurel, le pays est divisé en six régions géographiques – Nord-est, Nord-Ouest, Cuyanne, Pampesque, Patagónique et Métropolitaine – et vingt-quatre provinces qui chacune possède ses propres caractéristiques politiques, économiques, sociales et démographiques. De sorte que du point devue politique, l’Argentine est aujourd’hui formellement une république fédérative, mais dans les faits, c’est plutôt une sorte d’agrégation de provinces (23 et la cité autonome de BuenosAires érigée en district fédéral) au statut d’autonomie prononcé,associées dans le cadre d’un Etat central au faible pouvoir unificateur et décisionnaire.

1.Un peu d’histoire

Du point de vue de son histoire, l’Argentine s’est constituée dans le cadre d’une indépendance conquise militairement sur l’Espagne entre 1810 et 1816 dans un contexte inspiré à la fois par le libéralisme anglo-saxon et les idéaux humaniste et républicains de la révolution française. S’ensuivirent d’abord

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cinquante années de guerre civile ouverte entre « unitaires », partisans d’un pays centralisé et « fédéralistes » aboutissant à une solution fédérale consistant en une association politiquementet économiquement faible et inéquitable des 23 provinces du Rio de la Plata autour de Buenos Aires sortie finalement victorieuse.Après un quasi génocide de la population indigène par l’armée sous le commandement du Général-Président Julio Argentino Roca dans les années 1870, dans le but de conquérir de vastes territoires fertiles qualifiés jusque-là de « désert », l’Argentine a été essentiellement peuplée par des vagues d’immigrants d’origine européenne, ce qui donne lieu à cette plaisanterie : les mexicains descendent des Aztèques, les péruviens et les boliviens, des Incas, quant aux argentins ils descendent du…bateau ! Cela en fait le seul pays « blanc » ou à dominance ethnique caucasienne d’Amérique du Sud.

Les luttes sociales pour le pouvoir et la répartition des richesses vont liquider l’héritage des Lumières et engendrer alors un peu plus d’un siècle de guerre civile larvée, de coups d’Etats et de dictatures entrecoupés de très brèves tentatives dedémocratie libérale pour aboutir enfin en 1983, après la chute d’une terrible dictature militaire qui aurait fait 45'000 morts (Dujovne Ortiz 2014) et engendré d’incommensurables crimes contrel’humanité, d’abord à une démocratie libérale, puis à un long épisode néo-libéral (présidences Menem, 1989-1999), puis une tentative de retour au libéralisme aboutissant à la crise majeurede 2001, et enfin à une forme de social-démocratie populiste qui a réussi une spectaculaire sortie de crise et un rééquilibrage socio-économique avec l’arrivée au pouvoir de la « Campora 4», rassemblement d’une trentaine de partis et d’organisations

4 Bien que fondé officiellement sous le nom de Frente para la Victoria en 2006, depuis la date à laquelle il constitue la base politique du « péronisme de gauche » dont se réclame la mouvance kirchneriste, ce regroupement d’organisations progressistes se revendique d’une existence officieuse antérieure et d’avoir constitué la force politique de fond ayant impulsé l’élection du président Nestor Kirchner.

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conduit par le Président Nestor Kirchner auquel a succédé après son décès son épouse Cristina Fernandez de Kirchner. Toutefois, le pays n’a pas réussi le virage développementaliste de ses voisins boliviens, uruguayens et brésiliens et renoue avec une situation de crise socio-économique larvée.

2.L’énigme socio-économique argentine.

L’Argentine serait aujourd’hui assurément un grand pays moderne si son développement n’était systématiquement entravé par ce qui apparaît comme un inextricable faisceau de contradictions et de dysfonctionnements hérités de son histoire tourmentée et de ses traditions socio-politiques passablement influencées par l’héritage clientéliste et népotique laissé par la part majoritaire et dominante de ses migrants venus d’Italie du Sud etd’Espagne. Ce que l’écrivain Marcos Aguinis résume dans le titre de son livre L’atroce enchantement d’être argentin5, dans lequel il évoque cette remarque d’Albert Einstein en visite en Argentine : « comment un pays aussi désorganisé pourrait-il progresser ? ». En effet, force est de constater que l’Argentine possède les conditions et les facteurs sociaux et économiques parmi les plus favorables du sous-continent Sud-Américain à un développement dynamique : de fabuleuses richesses naturelles, un système scolaire public généralisé et relativement performant (taux d’alphabétisation 97,4%), une main d’œuvre relativement qualifiéemais qui manque souvent de formation technique éprouvée et contrôlée, un haut niveau de universitaire, les bases d’une industrie précocement développée et un niveau culturel d’élite élevé. « Dans les années 1920, elle se rangeait parmi les sept puissances

5 Cf. Aguinis 20015

économiques du monde. Puis, en quelques années, le pays sombra dans une incroyable régression économique et sociale permettant d’affirmer qu’elle représente « l’échec national le plus retentissant de l’histoire moderne» (Armony 2004 cit. in Cooren2005). Le pays a connu en effet dans les années 2000 un effondrement socio-économique majeur qui a entraîné la ruine de millions de citoyens, plongé la moitié de la population dans la pauvreté (Commission européenne 2007) et considérablement aggravéla misère sociale, réduisant en particulier 63,8% d’enfants et d’adolescents en situation de pauvreté, dont 30,3% en situation d’indigence (Salud materno-infanto-juvenil en cifras 2013). La question de savoir pourquoi et comment un pays doté d’un potentiel aussi exceptionnel a pu atteindre un tel niveau de détresse économique (Cooren 2005) demeure une énigme. La journaliste, sociologue et romancière Alicia Dujovne Ortiz résumeainsi le sentiment général « Notre pays est difficile à comprendre, même pour nous Argentins»( Dujovne Ortiz 2014). Toutefois, il est possible d’identifier certains facteurs structurels susceptibles de jeter quelque lumière sur cette situation. L’Argentine, pays jusque-là exclusivement agro-exportateur avait amorcé sous les gouvernements Perón(1943-1955) puis Frondizi (1958-1962) un début de virage industriel. Mais le coup d’État militaire de 1976 a mis fin au processus d’industrialisation provoquant des changements radicaux dans la structure économique, revenant au modèle basé sur l’accumulation rentière et financière sur la base d’exportation de ressources naturelles, l’ouverture sans restriction au commerce international et aux capitaux étrangers. José Martinez de Hoz ministre de l’économie rétablit l’hégémonie du marché, restreint la participation de l’État et favorise la compétition entre les produits nationaux et étrangers sacrifiant ainsi la fragile industrie autochtone. Son principal héritage a été une croissance phénoménale de la dette extérieure totalement injustifiée d’un point de vue économique (Dans, 2011). Dans les années ’90, le gouvernement du président Menem a parachevé

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l’œuvre néo-libérale de tutélarisation de l’économie argentine par les marchés financiers globalisés en privatisant des secteursentiers des entreprises publiques et conférant aux investisseurs étrangers des avantages exorbitants en terme d’avantages matériels, financiers, de fiscalité et de marché permettant aux entreprises étrangères d’engranger des gains jusqu’à huit fois supérieurs à ceux des plus importantes entreprises nationales (Basualdo et al., 2002), favorisant le désinvestissement autochtone et la fuite des capitaux. Aujourd’hui, l’Argentine esten quelque sorte revenue à son modèle exportateur de matières premières et de ressources naturelles agro-industriel qui rend son économie très volatile, à la merci des caprices du marché international, avec un faible investissement productif interne, un faible taux de croissance (3%), une inflation selon les calculs d’institutions privées et internationales se situant autour des 28% à 40%, un taux de chômage des jeunes de 20%, une population dont 47% occupe un emploi précaire et un employé sur deux doit occuper deux emplois afin de faire face à ses charges, 30% de la population vivant au seuil ou au-dessous de la pauvretéet les bidonvilles croissant autour des agglomérations. Environ 4à 5 millions de ces pauvres vivraient dans la misère, c’est-à-dire avec un revenu se situant au-dessous du seuil de la pauvreté, soit selon les études entre 9,3% et 13,2% de la population. 4% de la population vivrait même au-dessous de la limite de l’indigence (Asiain 2014 ; Salvia et al.2013). En Argentine, le salaire minimum légal, appelé « salaire minimum vital et de mobilité » est aujourd’hui de l’ordre de 400 euros contre un « salaire moyen » pour un emploi à temps complet déclaré de 550 euros. Mais pour quel coût de la vie ? Si le kg deviande rouge coûte entre 10 et 15 euros, le kg de fruits ou légumes entre 3 et 5 euros, un café dans un bar est à 2 euros, une bicyclette premier prix 600 euros, le litre d’essence à la pompe voisine les 2 euros et l’iphone 5 vaut 350 euros – soit presque un mois de salaire minimum !

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L'UCA reconnaît qu'entre 2006 et 2010, «il y a eu une chute de lapauvreté», mais estime qu'elle va en s'atténuant depuis 2007 à cause de l'inflation.

A partir de 2009, le gouvernement de centre-gauche Cristina Kirchner, au pouvoir depuis 2007, a mis en route un vaste programme dit de « réduction de la pauvreté et de l’indigence » baptisé « Inclusion » (Inclusion 2012). Dans ce cadre sont prévues des aides telles qu’un « carte électronique » donnant droit à des achats alimentaires à hauteur d’environ 60 euros dontle propos est de respecter la dignité humaine en supprimant les soupes populaires au profit du libre achat de biens alimentaires permettant de prendre les repas à la maison. Des allocations familiales sont également versées à quelques 3'600’000 foyers lesplus pauvres ayant un revenu inférieur au seuil de pauvreté de 1.840 pesos par mois (181 euros) et qui reçoivent 460 pesos (44 euros) par enfant de moins de 18 ans. En contrepartie, les parents doivent prouver que les enfants sont scolarisés et qu'ilsrespectent le calendrier des vaccinations obligatoires. Enfin, laprésidence à élevé le seuil du revenu minimum imposable à 1500 euros mensuels, de sorte que seuls 10% des argentins ont payé desimpôts cette année 2014.

Quiconque a quelques vues en matière de psychosociologie se rendra bien compte que dans de telles situations de détresse et de survie, le principe d’autonomie ne constitue ni une représentation conceptuelle, ni un objectif prioritaires. Il s’agit ici avant tout de la nécessaire mise en œuvre de mesures générales populationnelles dans un cadre de santé communautaire afin d’instaurer des conditions de vie promouvant la santé, commele démontre bien par exemple ce marqueur de la pauvreté (González et Nahabedian 2009) que constitue la tuberculose et sa notable prévalence au sein de la population (31/100'000).

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III. L’AUTONOMIE DANS LE CHAMP DE LA SANTE6 EN ARGENTINE

1.Quelques indicateurs généraux bio-psycho-sociaux desanté:

L’Argentine consacre 8.5 % de son PIB à la santé.

Nombre de médecins: 32,1/ 10’000 hab. (France: 29,4)

Nombre d’infirmiers: 45.8 / 10’000 hab. (France : 99,2)

Accès à l’eau potable: 92%

Taux d'alphabétisation: 97 %

Niveau de pauvreté : 30% de la population ; 68e rang mondial

(France : 6,2% pop., 151e rang)

Surcharge pondérale 54% (Fce:27-32 %)

Indice de fécondité enfants/femme: 2,13 (Fce 1,97)

Taux de natalité: 16,53 (Fce 12)

Couverture par les soins anténatals 1 visite : 99%; 4 visites:

25%

Naissances assistées par du personnel de santé: 99% (?)7

6 Nous empruntons à l’épidémiologiste Hugo Spinelli cette notion et l’intention qui la sous-tend, à savoir qu’elle traduit mieux le niveau de décentralisation, d’incoordination et de d’organisation anarchique des organismes de santé en Argentine que la notion de système qui implique une structuration méthodique.7 Il n’est pas spécifié qu’il s’agisse de personnel médical spécialisé comme l’établissent les normes statistiques internationales. Il est tout de même permis de s’interroger sur la portée réelle de ce chiffre officiel, compte tenu de la grande marginalité dans laquelle vit une partie non négligeable de la population et de l’existence de personnes sans dénomination, c’est-à-dire jamais déclarées et donc sans existence légale ni identité reconnue. Le nombrede ces personnes n’est évidemment pas recensé.

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Taux de mortalité maternelle: 77/100’000 (Suisse: 5)

Enfants < 5 ans présentant un déficit pondéral: 2,3% (dénuement,

malnutrition)

Indice de développement humain: 0,8 (46e/186)

La mortalité infantile des enfants de moins de cinq ans reste importante, bien qu’elle poursuive depuis quelques années une tendance soutenue à la baisse : de 25.6 ‰ en 1990 à 10,9 ‰ en 2013. Force est de souligner cependant ici encore de fortes inégalités régionales telle que, par exemple, la province de Neuquèn possède avec 7‰ le taux le plus bas du pays, tandis que celle de Formose connaît un taux bien supérieur, même s’il a baissé de 25.1‰ en 2004 à 18‰ naissances vivantes en 2014. La majeure partie de ces décès se produit au cours des 28 premiers jours de vie et plus spécialement lors des 7 premiers jours. Le Rapport conjoint de la société argentine de pédiatrie et de l’UNICEF répète chaque année que la plupart de ces décès sont évitables. Une étude spécifique de 2004 précisait que 56.1 % des causes de mort néonatales et 56.7 % des morts post néonatales seraient réductibles par diagnostic ou un traitement opportun (SAP/Unicef, 2004-2014).

L'espérance de vie des personnes nées à partir de 2004 est estimée aujourd’hui pour les deux sexes à 71,39 ans, soit 74,8 ans pour les femmes et 68,3 ans pour les hommes. Cet indice en moyenne de 10 ans inférieur à celui de nos pays ne traduit pas laréalité de toute la population. Il est en réalité tiré vers le bas par la situation de santé dramatique et l’espérance de vie très réduite du tiers de la population qui vit en situation de pauvreté et d’indigence.

2.Un profil épidémiologique duel – sinon pluriel et mosaïque !

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La disparité régionale se retrouve au plan du profil de santé. Par exemple, la prévalence de la tuberculose, endémique dans le pays est de 31/100'000 mais varie passablement selon les régions : de 47,8/100'000 dans la région de Salta, elle baisse à 5,9/100'000 dans celle de la Rioja et dans les villes, entre 37,3/100'000 à Buenos Aires et 7,5/100'000 à Mendoza ! Mais plus encore, comme le relève Spinelli (2010 ), loin de la transition épidémiologique des « maladies traditionnelles » infectieuses, encore caractéristiques des situations du tiers-monde vers les « nouvelles maladies » de civilisation (cardio-vasculaires, néoplasiques et traumatologiques) caractéristiques des pays développés comme le voudraient certains organismes officiels, c’est à une véritable mosaïque épidémiologique du premier, second, du troisième et du quart-monde qu’on assiste, au sein d’une même province, d’une même ville, d’un même quartier, voire d’un même ensemble d’habitats ! Et parmi ces maladies traditionnelles, outre la tuberculose, la leishmaniose est endémique dans les régions du Nord avec une incidence de 300 à 500 cas annuels, la syphilis congénitale avec une séroprévalence maternelle de 1,61%, la fièvre jaune, les fièvres hémorragiques (hantavirus, virus de Junin), les maladies diarrhéique si fatalesaux très jeunes enfants, la dengue et surtout, la maladie de Chagas, principale maladie endémique avec une prévalence reconnuede 11% soit 2,5 millions de personnes infectées et 600'000 malades – prévalence effective qui pourrait s’avérer bien supérieure ; une étude épidémiologique de l’hôpital cantonal de Genève (Varcher 2013) effectuée sur une population de 1012 personnes originaires du Brésil, de Bolivie et d’Argentine résidentes à Genève a révélé une séroprévalence de ¼ (25% !) chezles originaires d’Argentine, 80% d’entre eux ignorant être infectés ! C’est donc là un véritable et vaste problème de santé publique dans ce pays.

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En outre se posent des problèmes de santé relatifs à la structuregéographique et socio-culturelle et économique du pays. Ainsi de la dispersion des habitants sur ce vaste territoire avec notamment certains villages reculés. Les centres de santé et surtout les hôpitaux sont en effet inégalement répartis sur le territoire argentin. Ils se trouvent essentiellement dans les villes et avant tout, pour les mieux dotés, dans les grandes villes. Le niveau éducatif et de « culture de santé » très insuffisant parmi une bonne partie de la population défavorisée et / ou rurale engendre un niveau d’alerte extrêmement bas, de sorte que les patients vont souvent consulter à un stade avancé de la maladie. Ces consultations tardives ne sont du reste pas exclusivement dues à un bas seuil d’alerte ; elles sont égalementfavorisées par les « barrières » instaurées par la désorganisation des instances de santé qui engendrent de telles difficulté d’accès aux soins qu’y recourir engendre un véritable parcours du combattant en raison du manque de personnel, de l’anarchie qui règne dans certains services et des temps d’attente considérables sans possibilité de rendez-vous comme on le verra plus loin, à quoi s’ajoutent à l’intérieur du pays l’éloignement des hôpitaux et les difficultés de transport (Ledermann et al.2011). De plus, il manque énormément de praticiens de premier recours dans l’ensemble des régions rurales, la plupart des médecins exerçant dans les villes ou les localités importantes (Spinelli 2010). Par suite, la compliance est faible et le suivi de traitement incertain pour toute sorte de raisons, à celles déjà évoquées s’ajoutent le manque de moyensautant que de compréhension. D’autre part, le niveau élevé de pauvreté et d’indigence engendre des stades assez importants de dénutrition et de malnutrition, en particulier des enfants (Ledermann et al., 2011 ; Pobreza e indigencia en Argentina 2014) ! Confronté à ces réalités, il faut bien reconnaître que leconcept d’autonomie se conçoit plus dans son sens très général relativement aux trésors d’inventivité des personnels de santé

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pour faire face au mieux à des situations critiques avec souvent,en prime, un cruel manque de moyens. En revanche, on comprend quel’autonomie prise dans son sens d’éthique de la relation peut icitout au plus servir de révélateur supplémentaire d’une situation générale extrêmement complexe et difficile – mais guère de mesureréellement applicable dans la pratique thérapeutique !

3.Structure et fonctionnement désordonnés du champ dela santé

Du point de vue de la prise en charge assurantielle et curative, le champ de la santé argentin est fondamentalement désordonné et se caractérise à la fois par une grande complexité, un manque d’unité et de coordination, une bureaucratie paralysante et un népotisme endémique dans la politique du pays qui conduit à une répartition inéquitable des ressources tant à travers le pays qu’au sein même d’une région ou d’une ville ainsi que de la mauvaise gestion institutionnelle. Son extrême décentralisation institutionnelle conduit les observateurs à évoquer la coexistence de vingt-quatre systèmes de santé distincts (Système de protection sociale en Argentine : reconstruire après la crise,2014).

Il convient de préciser tout d’abord que la santé constitue un droit constitutionnel dont le service public offre une couverturegratuite à toute personne résidant légalement ou non sur le territoire national.

Du point de vue structurel, le champ de la santé argentin se compose de trois sous-systèmes distincts et qui fonctionnent en parallèle.

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- La colonne vertébrale de ce droit universel à la santé est bien sûr le premier de ces sous-systèmes, celui des hôpitauxet des centres de santé publics ;

- Le second sous-système est celui des « obras sociales », c’est-à-dire de mutuelles de sécurité sociale indépendantes.

- Enfin le troisième sous-secteur est celui des assurances privées.

Chacun de ces sous-systèmes constitue en fait un secteur de santéà part entière, avec ses sources de financement, ses centres de santé et ses hôpitaux. C’est un système désordonné dans lequel les prestataires de santé comme leur gestion dépendent d’instances les plus diverses, nationales, régionales, communales, de mutuelles de sécurité sociale ou du secteur privé.Il en résulte une multiplicité de juridictions, la superposition de prestations, le sur- et sous-emploi de ressources, la stratification dans l’accès aux services, les difficultés pour définir les priorités entre autres aspects. Cette fragmentation du système de services de santé entraîne inévitablement un niveaunotable d'iniquité sociale (Perrone et Teixida 2007). De sorte que la qualité des soins peut varier à l’extrême selon l’institution auprès de laquelle on consulte. En règle générale et tout particulièrement en ce qui concerne la prise en charge néonatale intensive, les prestations du secteur public sont globalement et dans toutes les provinces les meilleures. Mais ce qui est une règle générale pour un domaine souffre néanmoins des exceptions et d’autre part ne s’applique sans doute pas à tous les domaines, comme nous le verrons plus loin.

Le système public concerne 48% de la population qui ne possède aucune couverture médicale – dont la moitié est des enfants. Il n’y a ainsi pas de système cotisant à une sécurité sociale, sinonun « droit social » non financé et universel à la santé. Ces instances publiques de santé peuvent dépendre de l’Etat, des

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provinces ou des municipalités et connaissent de ce fait de grandes disparités de moyens et de prestation, selon la richesse de l’instance gouvernante, mais aussi en partie en raison du népotisme politique. En ce qui concerne les centres de santé de premier recours et surtout en zone rurale, ils ne peuvent la plupart du temps que dispenser des médicaments pour pauvres, ce qui se cache sous l’appellation «progressiste» de «soins de santé primaires" alors qu'il ne est pas rare qu’il s’agisse en fait plutôt de «soins de santé primitifs» (Spinelli 2010, Testa s.d.). D’autre part, le contrôle de la qualité des médicaments a longtemps été défectueuse quand ces derniers n’étaient pas tout simplement contrefaits (Spinelli 2010). Toutefois cette situationsemble devoir aller en s’améliorant notablement, dans le cadre duprogramme « Remédier » du Plan national de santé 2010-2016 en matière de médicaments comme nous le verrons plus loin. Pour ce qui est des hôpitaux, ils ne manquent le plus souvent pas de compétences, le niveau de formation médicale est en général excellent et les soins y sont de qualité, mais souvent avec des moyens limités, car ils sont confrontés à l’augmentation de la demande malgré les restrictions budgétaires, – selon les régions, ils peuvent manquer un peu de tout : de matériel, de médicaments, obligeant certains patients à amener avec eux des traitements essentiels à leur guérison et même certaines fois du sang avant une opération ; ils peuvent même manquer d’installations ou d’équipements médicaux, souvent cruellement aupoint de coûter la vie à des patients que des équipements pourtant basiques et non sophistiqués pourraient aisément sauver.Ainsi de cet épisode pathétique décrit par une étudiante médecin infectiologue des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) dans son rapport de stage d’immersion médicale en communauté à l’Hôpital de la Misericordia de Cordoba (Ledermann et al 2011) :

Je rendais visite, accompagnée du médecin et d’une interne française, à une patiente âgée de 72 ans, qui souffrait d’une dépression respiratoire avec une surinfection respiratoire. Avant d’entrer dans la chambre, je m’attendais à voir une patiente plutôt bien, avec une

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assistance respiratoire et ça s’arrêtait là dans ma tête… Mais ce ne fût pas le cas. Ne disposant pas de masque à pression positive ou d’autres mécanismes pour l’aider à mieux respirer, la patiente était en train de s’épuiser à force d’utiliser ses muscles accessoires afinde respirer un minimum. On pouvait déceler sur le corps de la patiente certains signes d’hypoxie qui ne trompent pas. Je crois que ce moment a été le moment le plus révoltant de mon stage… la patiente me regardait fixement, comme si elle attendait quelque chose de ma part, et moi je la voyais tout faire pour avoir une petite rentrée d’air dans ses poumons. Ce qui est inhumain, c’est que par ce manque de moyen, cette patiente ne s’en est pas sortie, alors qu’aux HUG par exemple, elle aurait pu être remise sur pied en un riende temps. Ceci a été dur à admettre et à accepter aussi bien pour moi ainsi que pour l’interne française qui m’avait accompagnée.

Et cet exemple n’est pas un cas isolé, car les statistiques de santé mettent bien en évidence les risques inhérents à vivre dansune région ou province du pays plutôt qu’une autre ! (Perrone et Teixedo 2007). Mais tel est aussi le cas entre divers services desanté au sein d’une même région. De sorte que l’on peut affirmer que dans ce pays, survivre ou mourir peut dépendre de l’endroit où l’on se fait soigner, parfois même plus que de la compétence médicale ! Et c’est là l’apogée ou l’archétype de l’iniquité inhérente au champ de la santé argentin. Or ce manque de moyens n’a pas pour seule origine la carence financière. Y contribuent l’impéritie administrative, l’imprévoyance mais aussi des choix arbitraires dans la distribution des moyens en fonction d’intérêts politiques. S’y ajoutent la mauvaise gestion tant globale qu’institutionnelle qui peut contribuer à une inégale répartition des ressources et des équipements entre établissements ou entre services au sein même d’un établissement,le manque de planification et de communication. Un bon exemple est celui déjà mentionné de l’iniquité du risque de mortalité néonatale et post-néonatale dans la capitale même qui, comme pourrait être réduit de plus de 50% par des mesures appropriées. Comment cela se traduit-il concrètement ?

Il existe à Buenos Aires 12 maternités qui prennent en charge 30.000 accouchements annuels qui sont répartis de la manière suivante: une maternité assure 9000 accouchements, deux

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maternités en assurent 4000 chacune et les neuf maternités restantes assurent entre 500 et 2000 accouchements. Cette distribution ne répond pas à des niveaux distincts de complexité : toutes disposent des mêmes ressources humaines et des mêmes équipements (toutes dépendent du gouvernement de la ville). Bien que relevant de personnes distinctes, chaque serviceest chapeauté par un chef et chaque hôpital possède un directeur.Ceci étant, à l’évidence, moins on opère d’accouchements, moins on acquière d’"expertise"- cela vaut surtout en ce qui concerne les parturitions à risque. Les résultats en termes de morbi-mortalité sont donc très différents – et cette différence est abyssale entre certaines institutions ! Or la connaissance de ces facteurs de risque institutionnel n'est pas du domaine public ! Ainsi, personne n'est conduit à consulter dans l'une plutôt que l’autre des institutions, chacun est « libre » de choisir, alors qu’en réalité l'autonomie du patient est pratiquement nulle et que des bébés continuent de naître, notamment de grands prématurés dans toutes les maternités sans distinction d’aptitude à leur prise encharge. A l’absence d'information se mêle le manque d'éthique, parce que bien que les données ne soient pas publiques, la communauté médicale, elle, les connaît parfaitement !

En peu de mots, naître ici m'expose à un plus grand risque de mourir que naître là – et ce « ici » ou « là » peut concerner deux organismes ou institutions apparemment équivalentes situées à peu de distance l’un de l’autre ! En capitale, la technologie en général ne manque pas, en revanche une formation adéquate pourl’utiliser, la compétence et surtout l’expérience existe dans certains cas, alors que dans d’autres non - mais les résultats nesont même pas forcément en proportion directe de cet aspect du problème – ils peuvent dépendre aussi de l’utilisation inefficaceou fautive des équipements ou mes moyens par négligence, par incompétence, laxisme voire désinvolture, de l’absence de réactivité nécessaire à la situation, etc. Toutes conditions qui montrent bien la relativité d’indicateurs de santé tels que le

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taux de naissances assistées par du personnel médical qui, pour l’Argentine serait officiellement de…99%, voire même 100% ( ?) selon les statistiques officielles et internationales (UNICEF, OMS).

Cependant, la santé étant un droit constitutionnel, il s’ensuit que chaque patient(e) qui consulte dans un hôpital public et quelle que soit sa provenance DOIT être été pris en charge. (Remarquons au passage qu’en situation d’urgence, n’importe quelle structure de prise en charge clinique, qu’elle soit publique ou privée a le devoir d’intervention de premier recours.) De ce fait, consulter dans tel ou autre lieu relève en définitive d’une « décision personnelle » - ce qui paraît releverd’une grande autonomie. Pourtant, si une totale liberté de choix est assurée, dès lors qu’il n’existe pas de réseau formel ni de cadre programmatique et que chacun peut consulter virtuellement où il veut, c’est-à-dire qu’il n’est demandé aucune référence, aucun dossier à personne comme condition requise pour être été traité, à l’évidence au sein de ce chaos organisationnel ceux quiréellement bénéficient d’autonomie, ayant la possibilité de choix laplus assurée et la plus effective, c’est le petit nombre de ceux qui disposent des meilleures informations, de ceux qui bénéficient de plus de réseau, de "moyens" (intellectuels, économiques) – ceux qui en définitive savent parfaitement où et pourquoi ils doivent consulter, et où et pourquoi non ! De sorte que l’on voit bien à quel point la question de l’autonomie ne se pose même pas pour une majorité de la population ou, en d’autres termes, que là n’est pas la question à leur niveau!

En effet, dès lors que l'information n’est pas disponible, qu’il n’existe pas de réseau formel de soin pour l’orientation et le suivi des patients, la « liberté formelle de choix » respecte-t-elle le principe d'autonomie ? De plus, si l’intervenant de santéconnaît parfaitement la mauvaise qualité des prestations de tel ou tel service de l’effecteur où il est employé – mais aussi, la plupart du temps il est parfaitement au courant de la qualité des

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prestations de la plupart des effecteurs de son secteur d’activité dans l’ensemble des structures de prise en charge de sa région et qu’en dépit de cette connaissance, il prend lui-mêmeen charge alors qu’il n’en n’a pas vraiment la compétence ou envoie un patient dans un service dont il sait les mauvaises prestations, respecte-t-il le principe de « non malfaisance » et «d’information et de consentement éclairé du patient » ? De plus,dans un tel système désorganisé et dans lequel, outre les carences d’information, et pas uniquement dans le système public,une plainte fondamentale des patients consiste à n’avoir que trèsrarement affaire à la même personne dans le suivi de leur traitement (Lugones, Tobar 2014) comment imaginer parvenir, même avec la meilleure volonté du monde à engendrer ce processus, cette construction bien plus qu’une action isolée que devrait être la miseen œuvre de l’autonomie sous les quatre angles que détaille et analyse le philosophe Bruce Miller, l’autonomie comme action libre, comme authenticité, comme délibération «pratique» et commeréflexion morale (Schwab, Benaroyo 2009) ? On perçoit bien à quelpoint on se réfère ici à une configuration à la fois conceptuelleet relationnelle qui déroge considérablement aux conditions sociales et culturelles en vigueur dans le système public du pays !

Le second sous-système est celui des mutuelles, les « obras sociales ». Les mutuelles assurent près de 45 % de la population totale. Elles sont nombreuses, environ 250, de taille et d'importance très variable; les vingt principales couvrent un peumoins de 45% des assurés. Elles ont à l’origine été fondées à l’époque péroniste, dans les années ’40 dans la continuation et l’extension des mutuelles ouvrières qui furent dès les années 1910-1920 les premiers organismes d’assistance médicale du pays. Il existe des obras sociales de nature très diverses, nationales, régionales ou locales soit par professions, soit par secteur d’activité professionnel ou récréatif, soit par provenance nationale ou religieuse ou culturelle d’origine des immigrants et

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de leurs descendants – en fait, d’innombrables groupements professionnels ou associatifs de toute nature ont eu la possibilité de former ou de conclure leur propre mutuelle. Elles sont en principe aujourd’hui astreintes au service à leurs affiliés d’une couverture de prestations de base définie dans le Programme médical obligatoire (PMO) et sont supervisées par un organisme d’Etat, la Superintendance des services de santé du Ministère de la santé. Ceci vaut sans conteste pour les principales d’entre-elles qui sont des mutuelles nationales. En revanche, les mutuelles provinciales ou municipales de moindre importance se trouvent ne pas être intégrées aux lois 23.660 et 23.661 qui définissent cette couverture minimale obligatoire et leurs prestations sont établies dans le cadre de leurs lois de créationrespectives, par rapport auxquelles n’ont de validité que chacunedes juridictions particulières (provinciale, municipale) qui leursont relatives – et quand bien même, pour la bonne forme les instances gouvernementales rappellent que du point de vue de la jurisprudence, le PMO constitue un seuil minimal de prestations sur tout le territoire national, compte tenu de l’affirmation du droit à lasanté en tant que droit humain fondamental constitutionnel inscrit à l'article 75, paragraphe 22 de la Constitution Nationale. Ce qui montre une fois de plus à quel point les structures politico-juridico-légales extrêmement compliquées du pays contribuent à désorganiser à l’envi tout effort d’unité et de rationalité, instaurant partout des fonctionnements structurellement inégalitaires voire aberrants. Dès 1993 lorsqu’aété instaurée la déréglementation néo-libérale, le nombre de mutuelles a commencé à se réduire progressivement par un processus de concentration répondant à la pression de la crise sociale sur les ressources et les prestations surtout des plus petites d’entre-elles. Mais si les entreprises y ont gagné du « volume », ce sont plutôt les investisseurs qui ont gagné à cette rentabilisation de leurs actions ; les affiliés, eux n’en ont la plupart du temps pas profité, les statuts, et donc les

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prestations de leur mutuelle n’ayant pas nécessairement été alignées sur ceux, plus avantageux d’autres entreprises du consortium auquel elles ont été intégrées !

Les crises de la dette et de la gouvernance qui ont clôt le 20e siècle n’ont en effet pas été sans conséquences dans le domaine de la santé. Le financement des mutuelles s’est asséché en raisonde la croissance considérable du chômage qui a entraîné à la foisla diminution subséquente des contributeurs et l’extension des prestations de contributeurs à ceux de leurs proches qui n’ont plus les moyens de contribuer ! En outre, côté prestations, l'autorisation de créer des plans différenciés au sein des mutuelles et la création du Programme Médical Obligatoire, PMO, en établissant un seuil de prestations minimales que toute institution d'assurances doit offrir à ses membres ont développé la fragmentation et l'iniquité à l'intérieur du système de sécurité sociale. Par ailleurs, la part importante du capital investi aux fins de profit (mercantilisation) dans le secteur de la santé induit un phénomène de « solidarité inversée » dans lequel le pauvre finance le riche, ou le secteur public finance le secteur assurantiel privé (Spinelli 2010).

Comment le phénomène de la « solidarité inversée » entretient-il l’iniquité entre affiliés au sein de la même compagnie ? Tous lesaffiliés d'une mutuelle contribuent selon un pourcentage proportionnel au salaire selon un barème établi, soit 6% du salaire dont la moitié est à la charge de l’employeur et la moitié à celle du salarié. En revanche, lors d'une prestation de service, tous les affiliés doivent payer un forfait fixe. Les affiliés qui ont les moyens de verser la valeur du forfait accèdent au service; pour les autres, cette condition constitue le plus souvent une barrière économique infranchissable et cela les contraint à renoncer à cette prestation. De sorte que les moins fortunés contribuent au financement des services utilisés par ceux qui ont plus de revenu.

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La situation se résout soit par abandon, soit en se tournant versl'hôpital public, destiné à la population sans couverture assurancielle. Avec cet inconvénient que, si dans les hôpitaux conventionnés par les mutuelles les listes d’attente sont longuesen raison du manque de personnel et qu’il faut prendre rendez-vous longtemps à l’avance, il n’est en revanche même pas possiblede prendre rendez-vous pour une consultation dans les hôpitaux publics. Il faut s’y rendre le plus tôt possible le matin et consentir parfois de longues heures d’attente dans la file de patients dont certains sont même venus faire la queue le soir précédent à la porte de l’hôpital - et ce, sans même avoir la certitude que son ticket passe en consultation ce jour-là, ni même peut-être le jour suivant.. ! L’hôpital public joue ainsi son rôle « tampon » de prise en charge obligatoire des plus démunis, en règle générale sans récupérer les fonds employés, ce qui contribue encore à son appauvrissement et aux limitations de ses services ! Où réside par conséquent le second inconvénient de l’option hôpital public : si une très bonne qualité de soins ysera assurée, en revanche on n’y aura probablement pas le choix d’options de traitement offert par sa mutuelle en hôpital conventionné et il faudra se contenter du « traitement de base » a minima garantit par le PMO. Ce phénomène de disparité de traitement peut encore s’amplifier entre deux salariés d’une mêmeentreprise mais au revenu différent. Le « 6% » du revenu plus important de l’un va lui permettre de solliciter de ne pas contribuer à la mutuelle, mais de « virer » vers une assurance privée dite « prépagas », ce qui lui permettra d’accéder à des prestations de haut niveau, tandis que son collègue au revenu malheureusement moindre sera contraint de demeurer cotisant à la mutuelle de son entreprise qui, s’il est malchanceux s’avèrera être une mutuelle de taille modeste aux moyens limités qui ne luipermettra d’accéder qu’à des prestations dans les strictes limites « de base » auprès d’un centre de santé ou d’un hôpital modeste aux moyens restreints travaillant pour cette mutuelle !

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De quelle autonomie bénéficient ces patients, quelle est leur marge de choix de traitement, quel est leur liberté de consentement, sinon à l’alternative « c’est ça ou rien » ? Et la différence de traitement peut être considérable, de l’ordre dans un cas d’une prothèse permettant de regagner de…l’autonomie et dans l’autre, des béquilles ! Cependant, une fois de plus il apparaît en consultant la jurisprudence que, dans la mesure où l’on est bien informé, que l’on dispose de moyens intellectuels adéquats et du bon réseau de relations telle que la connaissance d’u bon avocat et probablement aussi que l’on vit dans une ville d’une certaine importance, des recours juridiques sont tout à fait envisageables afin d’obtenir des prestations hors-cadre minimum obligatoire et même coûteuses ! De plus, on peut même obtenir plutôt que de tenter de le demander à son assurance que l’hôpital ou les services de santé en assument les frais s’ils ont failli à leur devoir de vous informer de cette option. Le système juridique argentin semble sur ce point fonctionner sur lemodèle américain en puisant dans les grands principes généreux dela nouvelle Constitution de 1994 et des Lois sur le service public et des services de santé de quoi alimenter la reconnaissance de la légitimité de l’exigence d’un patient que lesmeilleurs moyens possibles soient mis en œuvre au service de sa santé (Micojuris.com 03 ; 04 et 06.2014). Ainsi par exemple, de ce jugement qui impose à l’assurance de rembourser au patient un traitement oncologique ambulatoire d’importation coûteux recommandé par l’oncologue et qui n’est pas dans la liste officielle des médicaments remboursés, ou dans un autre cas, le jugement impose à l’assurance de se procurer et de mettre à disposition du patient un type coûteux de prothèse hors-normes établies, mais recommandé par le médecin (Microjuris, id.) ! Maisces procédures sont compliquées, elles peuvent être assez longueset nécessitent des conditions d’environnement, une disponibilité et une pugnacité qui n’est de loin pas à la portée de tout un chacun.

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Le troisième sous-système est celui du secteur privé. Les assureurs privés sont environ au nombre de 200. Les hôpitaux privés sont pris en charge ou dépendent directement des assurances privées. Ils offrent un service de qualité, mais tellement cher qu’ils ne sont accessibles qu’à une minorité de lapopulation, d’autant que souvent, l’assurance même privée ne couvre pas la totalité des frais. En raison de l’appauvrissement du pays, le nombre de personnes en mesure de s’offrir une assurance privée a passablement diminué ces dernières années. Il se situe autour du 8% de la population dont 80% résident à Buenos Aires. Les assurances à caractère privé couvrent près 14.5% de la dépense totale santé du pays et ce secteur « draine » environ le tiers des médecins - ce qui, en regard du pourcentage de la population concerné traduit bien le net supplément de traitement et de service qu’elles offrent.

Quelques remarques maintenant concernant la formation et l’exercice de la médecine, car ici encore, la situation est contrastée et fortement influencée par les difficultés socio-économiques. En règle générale, la formation médicale universitaire et de stage hospitalier préprofessionnel est excellente et son niveau n’a rien à envier à celui des meilleuresformations européennes ou nord-américaines. C’est ensuite que commence à se poser un problème de formation et notamment d’acquisition de compétence clinique, dans la mesure où la « résidence » n’est pas formellement obligatoire hormis l’emploi en hôpital public, qu’elle est fort mal payée (environ 1000 USD, soit un peu moins de 850 Euros mensuels) et que de ce fait, un certain nombre de jeunes médecins choisissent une entrée économique « sèche » en pratique immédiatement au terme de leurs études. Il est plus que vraisemblable que ce niveau de formation de base ne les ait guère préparés à la mise en œuvre de l’éthiquede l’autonomie, sinon à l’éthique tout court. La pression économique pousse en effet de plus à la recherche de gains accessoires, ce qui peut conduire et poser problème en matière de

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prise en charge de patients en-dehors de toute compétence thérapeutique, à des pratiques de prescription médicamenteuse intéressée et jusqu’à plus ou moins fautives, à de fausses facturations, etc. En outre, la pression économique touche toutesles professions, médicales comme les autres et tend à favoriser des pratiques fautives ou aberrantes tels que le détournement parfois massif de médicaments ou de matériel médical à des fins personnelles ou de lucre, les doubles journées hospitalières ou les doubles emplois entre secteurs public et privé avec transfertde patients d’un secteur à l’autre, etc. Il est significatif à cetitre comme nous venons de le voir qu’un tiers des médecins travaillent dans le privé alors que ce secteur ne concerne que 8%de la population ! Or dans les conditions générales d’un système aussi désordonné et quasi chaotique, les contrôles sont pratiquement nuls, le « magouillage » systémique et le silence est d’or…Force est de souligner ici que dans la soumission intéressée à la pression mercantile au travers de pratiques à la limite du répréhensible quand elles ne le sont pas franchement, c’est l’autonomie même du personnel médical qui s’évanouit ! Et pourtant, et pourtant, d’innombrables personnels de santé, thérapeutes de toutes spécialités, infirmières et médecins s’efforcent sans conteste possible à assurer des prestations de qualité avec beaucoup d’enthousiasme, de sérieux et de dévouement. De ce point de vue, on peut dire que ces personnels de santé se trouvent en condition d’une grande autonomie face auxcarences de leur environnement et font preuve d’une grande autonomie pour inventer chaque jour en luttant contre le courant et se dépensant sans compter, des modalités de soins aussi efficaces que possible au service de leurs patients auxquels ils ne peuvent offrir cependant le « luxe » du choix d’options ni même le plus souvent de l’entendement de leur traitement. Ce qui donne aussi lieu à une autre forme d’injusticeau travers de surinvestissements de tous ordres, d’horaires

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excessifs et jusqu’au renoncement aux jours de repos et aux vacances !

Toutefois, la situation telle que nous la décrivons ici repose sur des constats et de la documentation qui font le bilan d’une situation actuelle qui pourrait être appelée à changer, si elle n’est déjà en train d’évoluer progressivement dans la mesure où vont pouvoir se réaliser les dispositions du gouvernement centraldans le cadre de son Plan fédéral de santé 2010-2016 (Gonzales Garcia, Rossen 2010). Ce projet ambitieux vise à imposer à travers l’intervention proactive de l’Etat dans le secteur de la santé son organisation plus rationnelle et contrôlée. C’est un pur produit de la politique réformiste kirchneriste s’efforçant de mettre en œuvre dans tous les domaines les grands principes post-dictature et post-néo-libéralisme de la réforme constitutionnellede 1994 fondée sur les idéaux des Droits de l’homme, de la justice sociale et du bien-être commun comme de l’équité (Constitucion nacional 1994). La réserve que l’on se doit néanmoins d’émettre concerne la « volatilité » de la politique argentine qui peut changer parfois du tout au tout avec un changement de gouvernement. Ce plan veut en quelque sorte entreprendre l’assainissement des écuries d’Augias du champ de lasanté et se fonde sur une politique interventionniste étatique quasi planifiée et ostensiblement arrimée aux concepts de solidarité et d’équité sociale. Or on a vu il n’y a pas si longtemps avec le gouvernement néo-libéral Menem à quel point deschoix politiques de dérégulation et de désinvestissement de l’Etat peuvent bouleverser les acquis médico-sociaux ! En tout état de cause, le « plan Kirchner », comme on pourrait l’appeler puisque aussi bien il a été impulsé par la volonté et sous l’autorité du gouvernement du Président Nestor Kirchner, prévoit des mesures dans tous les domaines et notamment le domaine hospitalier et des centres de santé du pays en le réaménageant complètement en des réseaux méthodiques provinciaux ou régionaux aux différents niveaux de complexité et de division du travail.

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Il prévoit aussi une Politique nationale des médicaments (PNM), fondée sur le système Remediar (remédier) consistant en la mise à dispositiongratuite à toute personne qui en a le besoin des médicaments en traitement ambulatoires de maladies chroniques, de même que la mise à disposition gratuite pour les patients des hôpitaux et centre de santé publics d’une palette de 54 médicaments de base àpartir de génériques dans tous les domaines dont le gouvernement impulse et contrôle la production nationale. Et de fait, on constate ces dernières années un véritable « boum » des génériques comme de leur accessibilité, au moins dans les villes.La situation à l’échelle de l’ensemble du territoire resterait à vérifier. Le domaine de la santé sexuelle est aussi tout particulièrement pris en compte dans les mesures de ce plan, du planning (procréation responsable) à la santé et sécurité materno-infantile en passant par la prévention des IST. On ne peut toutefois s’empêcher de considérer les meilleures intentionsde ce Plan national cum grano salis en se référant à la remarque désabusée de Spinelli (et qui n’est de loin pas le seul !) qui relevait en 2010 que la Réforme de la Constitution de 1994 qui avait fait de la santé un bien public essentiel et un droit universel posaitcertes ainsi des concepts exprimant la légalité – mais que l’absence de citoyenneté de nombreux secteurs sociaux portait en elle-même les limites de cette légalité (Spinelli 2010). Il ajoutait que les lacunes et les manquements dans ce domaine n’étaient pas en rapport avec le manque de plan produit par les instances légales, mais bien plutôt en raison à la fois du manque et du manquement d'acteurs etd’agents capables de représenter et d'agir cette légalité plutôt qu’en fonction d'autres intérêts afin de s'acquitter de leur tâche afin d’atteindre cette légalité. Cette situation quasi structurelle et endémique dans le fonctionnement des instances, organes et services de l’Etat qui a donné lieu à l’estampillage d’un terme exclusivement argentin pour décrire cette situation, le « quilombo », qu’on traduira librement par « désordre organisé » laisse peu augurer sinon de l’efficacité de la mise en

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œuvre de l’ensemble des mesures prévues par le Plan de santé national, du moins de l’ampleur et de la rapidité avec laquelle elles prendront effet. D’autant que le changement ici s’effectue le plus souvent dans la continuité, ce qui fait conclure la grande étude Guëmes déjà mentionnée (Lugones et Tobar 2014) de manière un peu désabusée elle aussi, que le système de santé argentin « souffre de maladie chronique dégénérative » et qu’il se caractérise avant tout par son iniquité (id.) ! Ainsi 99% des interviewés de cette enquête considèrent qu’il serait très important que tous les argentins bénéficient d’une égalité de couverture médicale ainsi que d’accès aux traitements – mais que ce n’est pas le cas aujourd’hui (id.).

On demeure par ailleurs un peu surpris de ne pas voir apparaître dans ce plan un volet spécifique prioritaire consacré à la lutte contre les problématiques pourtant si préoccupante des maladies infectieuses « traditionnelles » endémiques que nous avons évoquées pour leur prévalence inquiétante, en particulier en ce qui concerne la maladie de Chagas. Au contraire, en dépit de la reconnaissance d’un profil épidémiologique duel, le Plan paraît se concentrer d’abord sur les aspects des problématiques « modernes » et occidentales : « la première stratégie du modèle a été la hiérarchisation et l’accréditation des actions de promotion et de prévention, dans les secteurs suivants : la santé de l'enfant et de l'adolescent; la santé maternelle; la santé sexuelle et la procréation responsable; les handicaps; le contrôle du tabac; la préventionet le contrôle de la consommation d'alcool; la prévention des maladies cardiovasculaires; la prévention des troubles de l'alimentation; la nutrition et la santé mentale »( Vazquez 2010). Ce qui pourrait traduire une vision peut-être biaisée occidentalo- ou « moderno-centriste » d’une élite qui persiste à sous-estimer la situation sanitaire « tiers et quart-mondiste » au sein du pays en terme de profil infectieux etparasitaire endémique.

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III. DE LA BIOETHIQUE ET DU CONCEPT D’AUTONOMIE EN PARTICULIERDANS LE CONTEXTE DE L’ARGENTINE AUJOURD’HUI

L’Argentine possède une Loi nationale bioéthique très complète intitulée «Droits du patient dans ses relations aux personnels etinstitutions de santé» du 20.11.2009. Elle comporte 25 articles conformes à la bioéthique médicale d’inspiration anglo-saxonne moderne. Les chapitres II et III (articles 3 à 11) concernent le droit à l’information et le consentement éclairé. L’article 9 pose deux réserves à ce dernier celle, bien sûr de l’absence de possibilité ou capacité d’expression du patient, et celle du risque grave d’atteinte à la santé publique (Ley 26.529 ; 2009). Cette Loi a encore été amendée et renforcée par les dispositions détaillées et supplémentaires en mai 2012 (LEY 26.742 ; 2012)

L'Argentine a par ailleurs été un pays pionnier en Amérique latine dans le projet de création de comités d’éthique, s’appuyant sur le paradigme théorique et le modèle bioéthique de l'Institut Kennedy à Georgetown aux USA, bien qu’il ait été développée dans un cadre et pour une pratique de la médecine trèsdifférente. La Loi 24742 promulguée à la toute fin 1996 établit qu’un Comité hospitalier d’éthique doit exister dans tous les hôpitaux du système public et de sécurité sociale (mutuelles) dans la mesure où leur complexité le permet ( !). Le processus de créationdes comités d'éthique a été et demeure passablement désordonné etmajoritairement autogéré de manière spontanée et bien souvent irrégulière par des groupes de médecins ou de professionnels d'autres disciplines, sans obéir à une politique méthodique, active et contrôlée de promotion de ces derniers. Il existe aujourd’hui un certain nombre de comités d'éthique dans le pays, fonctionnant essentiellement dans des centres ou des hôpitaux de haute complexité. Bien que certains de ces comités travaillent sérieusement, la situation est loin d'être idéale et des problèmes significatifs ne sont pas rares. Certains d'entre eux

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sont des problèmes généraux en relation avec le fonctionnement, le manque d’éducation et de formation spécifique de ses membres, le degré d'acceptation et de consultation du comité qui demeure bien souvent un « lieu de pensée et de réflexion » plus qu’une structure reconnue et fonctionnelle dans l’institution D’autres problèmes sont en lien avec sa genèse et les dispositions légalesparticulières de l'Argentine - par exemple, le manque de différenciation entre des comités d'éthique clinique et de recherche dans le texte de la Loi (Luna, Bartolomeu 2009).

La question de L’éthique n’est donc pas en elle-même étrangère aux préoccupations du monde médical argentin. Elle est en principe abordée en Faculté, mais plus sûrement en formation postgrade. Comme le soulignait Delia Outomuro, professeure de bioéthique à la Faculté de médecine de l’Université de Buenos Aires, on assiste aujourd’hui à une profonde évolution de la formation médicale nécessitant des changements importants de curriculum incorporant des disciplines humanistes et mettant l’accent sur lapromotion de la santé et la prévention. La nécessité s’impose aussi d’évoluer en matière de pédagogie et de modes d’enseignement, toutes choses qui supposent des évolutions de mentalités, des changements structurels importants auxquels les Facultés sont inégalement préparées et procèdent très progressivement (Outomuro 2008). Sans doute la situation a-t-elleprogressé depuis – mais les progrès sont lents ! Il faut reconnaître que si l’on semble parler de plus en plus du sujet, cela ne paraît pas avoir un impact majeur sur les attitudes et les pratiques et même, dans une certaine mesure, sur l’intégration de la pertinence de la question par les personnels de santé. Ainsi un cardiologue réputé s’étonne-t-il il n’y a pas si longtemps: «dans mon contact avec les promotions successives de résidents sortis des diverses Facultés de mon pays, la bioéthique apparaît comme un grand vide, un terrain inconnu, quelque chose que nous n'utilisons pas dans le quotidien et qui peut aisément au besoin être remplacé par le sens commun » (Pianzola 2011).

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La notion ou contenu du concept d’autonomie tel qu’il est généralement admis et utilisé de nos jours relève de la construction du sujet en tant qu’individu libre par la philosophie des Lumières et Emmanuel Kant en particulier en tant qu’il est celui qui l’a le plus spécifiquement formulé comme fondement même de l’action morale, c’est-à-dire fondée sur des valeurs internalisées et indépendante de toute contrainte. C’estdonc une notion idéologique très spécifiquement occidentale qui n’est pas dans l’esprit ni la logique de nombre d’autres cultures (Lolonga, Hirsch 2007 ; Julien 2002 ; Truong Quang De 2008). Or existent en Argentine une diversité ethnoculturelle, d’abord les peuples originaires mais aussi certaines communautés migrantes qui ne partagent pas cette conception qui ne s’inscrit pas dans leur cosmovision et sont dans des rapports très différents à la santé, à la maladie et au soin. Conceptions qui sont le plus souvent ignorées ou très mal connues et dénigrées par le monde médico-scientifique, ce qui engendre des tensions, de l’incompréhension mutuelle et du rejet (Citarella et Zangari 2009). Ou, pour le dire autrement avec Pierre Bourdieu en se plaçant dans le contexte du rationalisme des lumières dont le concept est issu avec Kant, « l'obscurantisme des Lumières peut,prendre la forme d'un fétichisme de la raison et d'un fanatisme de l'universel qui restent fermés à toutes les manifestations traditionnelles de croyance et qui, comme l'atteste par exemple la violence réflexe de certaines dénonciations de l'intégrisme religieux, ne sont pas moins obscurs et opaques à eux-mêmes que ce qu'ils dénoncent ». Et ce, bien qu’existent des formations permanentes de très haut niveau sur le sujet (Magnifico, Pappalardo et al. 2012) – mais qui hormis des chercheurs ou des curieux n’intéressent qu’un groupe très restreint de médecins-anthropologues qui se destinent à travailler avec ces populationset qui sont en nombres très insuffisant.

D’autre part, il est bon de rappeler ici, en-dehors de tout idéalisme que le développement de la bioéthique est en lien avec

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l’évolution sociale et que les principes de l’éthique médicale dont on dit volontiers qu’ils sont la marque du dépassement du modèle paternaliste dans la relation médecin-malade, sont avant tout le reflet de l’évolution du statut co-relatif de ces partenaires sociaux : le médecin en tant que prestataire de service, fonctionnarisé ou entrepreneurial et le patient en tant que client8, dans une relation de plus en plus mercantilisée et soumise à des contraintes et codifications temporelles, financières et de qualité de prestation, donnant lieu à la fois àde la bureaucratie et de la judiciarisation. Par voie de conséquence, le client (..est roi !) est en droit de demander desretours sur prestation : du rendement et des comptes. Et de ce fait, il devient nécessaire de le prendre en compte. Or on est de ce point de vue et ses conséquences encore une fois en Argentine dans une situation duelle. Une partie des populations qui vivent sur le mode occidental moderne répond à ces représentations et à ces modèles de conduite et va par exemple volontiers solliciter un second, voire un troisième avis pour certains traitements (Lugones, Tobar 2014). En revanche, cet étatde développement de l’individualisme mercantile comme de représentation sociale de la santé, du risque et de la maladie n’est pas (encore) et pour des raisons évidentes de développementéconomique, social et culturel celui qui prévaut de façon générale en Argentine. De sorte qu’une bonne part de la population est encore dans un rapport de confiance respectueuse vis-à-vis du médecin et de son art et n’aspire pas à partager ou prendre part à ses décisions. Elle se fonde aussi sur une 8 Il convient de relever et de souligner ici la portée sociologique et quasi paradigmatique de cette évolution sémantique, les praticiens privés parlant deplus en plus fréquemment de leurs clients et non plus de leurs patients. Paradigmatique en effet, tant cette mutation du langage porte en elle une distinction conceptuelle qui traduit une transformation de la nature de la relation thérapeutique, ce qui n’a pas échappé à la réflexion de maints auteurs, parmi les plus intéressants desquelles nous retenons le chapitre 2, Client ou patient du livre de Mol (2013) cité in références, que l’on trouve intégralement sur le site Internet de OpenEdition Books http://books.openedition.org/pressesmines/1569?lang=fr

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représentation magique réparatrice de l’art médical – comme de lapharmacie ! - telle que l’on n’y a recours qu’afin de restaurer et « remettre en route » tels ou tels organe ou fonction corporelle qui a « lâché » ou qui nécessite de l’entretien. La problématique de l’autonomie au sens de l’éthique médicale contemporaine et notamment du consentement éclairé ne semble toutsimplement pas être culturellement la question ici. Et probablement pas non plus pour une bonne part des personnels de santé eux-mêmes comme nous l’avons déjà relevé, parce qu’ils ont eux-mêmes encore cette représentation « hiérarchique » et « paternaliste » de leur fonction et ne partagent pas leur savoir, n’informent pas suffisamment et laissent ainsi les patients dans l’ignorance de la logique de leurs risques de santé (Lugones et Tobar 2014). Ce qui explique le bas niveau d’alerte qui s’ajoute aux difficultés structurelles d’accès aux soins que nous avons évoqués, à une modalité de prise en charge et de soin souvent hasardeuse et erratique – à l’exemple de la tragique situation qui prévaut en matière de prise en charge des risques cardiovasculaires dans le pays. Ainsi, environ 6 millions d’habitants présentent des facteurs de risque cardiovasculaires. 2,7 millions d’entre eux ne disposent d’aucune couverture médicale et dépendent donc entièrement des services publics de santé. Les centres de santé primaires (CAPS) du pays disposent tous de médicaments gratuits pour le traitement de l’hypertensionartérielle, du diabète de type II ou de la cholestérolémie dans le cadre du plan Remédier. Or seuls cent mille patients y ont recours périodiquement et sont à peu près compliants avec le suivi du traitement ! (Lugones et Tobar 2014).

Prenons pour illustrer encore ce point l’exemple du travail au sein des communautés Indigènes du pays. Celles-ci maintiennent des liens profonds avec des systèmes ancestraux de santé qui ont,dans leur contexte toute légitimité et sont passablement effectifs. L'autonomie implique ici bien moins le « colloque singulier » du médecin avec un patient individuel que plutôt

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d’effectuer un travail de santé communautaire dans un objectif d'interculturalité basé sur le respect et la compréhension de cessystèmes, la récupération et l’intégration des connaissances et des savoirs ancestraux et sur la participation des populations indigènes à la prise de décisions relatives à la planification età la gestion des services de santé et à l'exécution d'actions de santé qui répondent aux nécessités ressenties par la communauté en tant que stratégie centrale de la santé collective et des services publics de santé en Argentine ( Martinez, 2011 ; Medicosdel Mundo 2009 ; Magnifica, Papalardo et al. 2012 ;). Ce n’est pas à dire que le principe d’autonomie soit ici dénué de validité. C’est plutôt sa mise en œuvre contextualisée qui constitue la question, son intégration dans la « logique culturelle » des peuples originaires. Sa mise en œuvre pertinentes’inscrirait éventuellement ici dans le cadre de l’action de santé communautaire sous la forme de l’entraide, (Gelfusa s.d.) ou d’une approche transculturelle « à la Paolo Freire » c’est-à-dired’une relation solidaire de groupe à laquelle ces communautés adhèrent beaucoup plus qu’aux relations interindividuelles qui leur sont culturellement étrangères – comme c’est le cas dans nombre de civilisations non fondées comme la nôtre sur l’individualisme, comme en Afrique (Lolonga, Hirsch 2007) ou en Asie (Julien 2002 ; Truong Quang De 2008) par exemple9. Cependant, en dépit de leur reconnaissance extrêmement tardive par la Constitution de 1994 en tant que communautés ethno-culturelles, de leurs droits ignorés et bafoués au cours de toutel’histoire de la colonisation et du devoir de protection que leurdoit l’Etat, les peuples originaires demeurent très marginalisés,discriminés et exclus des progrès et du développement du pays et vivent dans des conditions extrêmement misérables, relégués sur 9 Ce problème culturel a été bien étudié dans le cadre des civilisations de l’aire civilisationnelle chinoise et se traduit par exemple dans le langage (et la pensée) par l’absence du verbe être et le problème que cela engendre auplan conceptuel tant pour faire comprendre au monde chinois autant que pour traduire des notions comme « être ou ne pas être » ou le propos de l’existentialisme ! (Julien 2002 ; Truong Quang De 2008)

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des territoires dégradés où l’accès à l’eau est rare et de mauvaise qualité, les moyens de communication, les transports, les services éducatifs et de santé déficitaires (Martinez, 2011 ;Pueblos originarios 2014). L’Etat et la société dérogent ainsi gravement vis-à-vis de ces populations aux principes éthiques de justice et d’équité. Et il ne s’agit guère que d’une petite population de quelques centaines ou même milliers de personnes, quand bien même cela ne justifierait en rien son abandon à son sort, mais d’aujourd’hui plus d’un million de citoyens (Censo 2010). Peut-on à quelque titre que ce soit parler d’autonomie dans de telles conditions ?

IV. CONCLUSIONS

Le Principe de respect de l'autonomie est fondé sur la conception occidentale moderne de l'individu comme un être autonome, en mesure de donner une orientation et un sens à sa vie, nous dit unmanuel d’éthique argentin (Velez Correa et Maya Mejia, s.d.). Sa pertinence comme sa mise en œuvre dépendent néanmoins en bonne part de contextes socio-culturels et communautaires, de la visiondu monde et des ressources du patient, de son niveau de compréhension de la santé et de la maladie ou encore du milieu etdes conditions pratiques d’exercice, de l’environnement médical et des traitements à disposition du médecin (Vidal 2003 ; Lolongaet Hirsch 2007 ; Hasen Narváez 2012). Cette conception est-elle valide et applicable aujourd’hui dans l’ensemble d’un pays comme l’Argentine en-dehors d’une petite partie privilégiée de sa population qui, précisément, vit à l’occidentale ? C’est-à-dire celle qui globalement bénéficie du socle structurel défini par laCharte d’Ottawa de l’OMS en tant que préalables indispensables à la santéau sens « moderne » selon lesquels, la santé exige un certain nombre de conditions et de ressources préalables, l'individu devant pouvoir notamment se loger, accéder à l'éducation, se nourrir convenablement, disposer d'un certain revenu assuré,

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bénéficier d'un écosystème stable, compter sur un apport durable de ressources, avoir droit à la justice sociale et à un traitement équitable. (Charte d’Ottawa 1986). Or, Si la Constitution affirme les objectifs de la garantie des Droits de l’homme, du bien-être et de santé des citoyens, le devoir de protection que l’Etat assume vis-à-vis de ses citoyens implique comme le font justement remarquer Velez Correa et Maya Mejia (s.d.)., qu’il crée les conditions nécessaires et suffisantes pour que, en application des principes de justice, d’égalité et d’équité, l’ensemble des citoyens bénéficie uniformément des mesures du niveau de prévention et d’assistance sanitaire et médicale que la société est en mesure d’assurer à tous - ce qui, souligne l’OMS constitue une préoccupation prioritaire de l’éthique de la santé dans le contexte de la santépublique (Coleman et al., 2008). Avec les moyens humains et matériels dont elle dispose, l’Argentine pourrait sans conteste faire beaucoup mieux. Mais le désordre organisé et les complications qui règnent dans le champ de la santé, la multiplicité, la diversité et les énormes différences de situations et de moyens à disposition entre les structures (centres de santé, hôpitaux, sécurité sociale..) comme les profondes différences de situations de vie mises en évidence par la dualité épidémiologique qui prévaut dans le pays, les barrières structurelles comme pratiques qui entravent l’accès auxsoins d’une bonne partie de la population, ainsi que la très mauvaise gestion sociale, politique et économique de la question ethnoculturelle des peuples originaires dont certaines communautés sont pratiquement à l’état d’abandon ; la mauvaise gestion des ressources, le manque de planification, d’organisation et de communication, l’absence de responsabilité, le laxisme et l’indifférence, le manque d’éthique ainsi que la prévarication politique et le clientélisme engendrent un système fondamentalement inéquitable et sont autant d’empêchements à la mise en œuvre – et constituent la négation même du principe d’autonomie ; ce qui tend à le rendre même peu pertinent dans

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certains contextes socio-culturel d’une part et devant d’autres priorités de société infiniment plus adéquates et urgentes d’autre part.

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