La villa dans l'est des Gaules. Un témoin de la romanisation ?

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REDDÉ (M.) et al. dir. — Aspects de la Romanisation dans l’Est de la Gaule. Glux-en-Glenne : Bibracte, 2011, p. 475-485 (Bibracte ; 21). PIERRE OUZOULIAS La villa dans l’est des Gaules Un témoin de la “romanisation” ? Depuis que la villa est reconnue comme un objet archéologique, son développement dans les Gaules est considéré comme un indice sûr de l’essor d’une manière de vivre et de produire dans les campagnes, fondamentalement associée à la romanité. Sans retracer toute l’historiographie de cette assimilation, le cadre géographique des présents volumes suggère d’évoquer l’un des premiers travaux historiques et archéologiques d’importance consacrés, en langue française, à la villa gallo-romaine, celui qu’Albert Grenier dédia aux “villas latines” des Médiomatrices, en 1906. ALBERT GRENIER ET LES VILLAE DES MéDIOMATRICES Sous la direction de son maître, Antoine Héron de Villefosse qui enseigne l’épigraphie latine et les antiquités romaines à l’École Pratique des Hautes Études, A. Grenier déploie, dans l’introduction de son mémoire, un véritable plaidoyer en faveur de l’histoire rurale. Sa thèse est originale pour son époque et peut, encore aujourd’hui, servir de cadre à de fructueuses recherches. De façon tout à fait novatrice, A. Grenier ambitionne d’appréhender l’organisation sociale et économique d’un territoire en s’intéressant à son espace rural et à ses différents éléments constituants :“L’histoire même de la terre est à la base de toute l’histoire. L’étude des habita- tions rurales nous permet précisément d’atteindre cette histoire de la terre.”;“L’étude méthodologique et raisonnée des restes d’habitations fournit de précieuses indications touchant l’état économique et social d’un pays. L’étude des habitations rurales et des villas est tout particulièrement apte à mettre en lumière les résultats obscurs de la vie matérielle et de la culture morale de la Gaule romanisée.” (Grenier 1906, p. 11 et 10). Comme il associe la villa à un mode supérieur et romain d’exploitation des sols, l’analyse de son extension dans les Gaules est pour lui un moyen efficace de mesurer le degré de conversion des territoires au système économique introduit par Rome dans les provinces : “Les villas sont invariablement liées à l’exploitation agricole du sol. Le caractère de leur architecture est solidaire de celui de la colonisation du domaine dont elles sont le centre.À une maison de plan latin,répondent nécessairement des méthodes de culture latine, une organisation du travail et de la propriété de forme latine. L’extension des villas mesure donc exactement la pénétration de la civilisation latine dans les campagnes.” (Grenier 1906, p. 11). Originaire de la Lorraine, étudiant à Nancy et germanophone, A. Grenier a participé à plusieurs opérations de fouilles conduites par ses collègues allemands dans la région de Trèves et en Moselle annexée (Gran-Aymerich 2001, p. 312-313). À l’occa- sion de ses études et de ses fouilles, il a pu apprécier l’importance et la qualité du corpus de villae consti- tué anciennement, mais aussi durant la première annexion, dans cette partie des Gaules et plus particulièrement dans la cité des Médiomatrices. L’avance incontestable de ses collègues allemands en matière de techniques archéologiques lui offre aussi la possibilité d’exploiter les résultats très précieux de fouilles de villae menées selon

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REDDÉ (M.) et al. dir. — Aspects de la Romanisation dans l’Est de la Gaule. Glux-en-Glenne : Bibracte, 2011, p. 475-485 (Bibracte ; 21).

Pierre OUZOULIAS

La villa dans l’est des Gaules Un témoin de la “romanisation” ?

Depuis que la villa est reconnue comme un objet archéologique, son développement dans les Gaules est considéré comme un indice sûr de l’essor d’une manière de vivre et de produire dans les campagnes, fondamentalement associée à la romanité. Sans retracer toute l’historiographie de cette assimilation, le cadre géographique des présents volumes suggère d’évoquer l’un des premiers travaux historiques et archéologiques d’importance consacrés, en langue française, à la villa gallo-romaine, celui qu’Albert Grenier dédia aux “villas latines” des Médiomatrices, en 1906.

Albert Grenier et les villae des MédioMAtrices

Sous la direction de son maître, Antoine Héron de Villefosse qui enseigne l’épigraphie latine et les antiquités romaines à l’École Pratique des Hautes Études, A. Grenier déploie, dans l’introduction de son mémoire, un véritable plaidoyer en faveur de l’histoire rurale. Sa thèse est originale pour son époque et peut, encore aujourd’hui, servir de cadre à de fructueuses recherches. De façon tout à fait novatrice, A. Grenier ambitionne d’appréhender l’organisation sociale et économique d’un territoire en s’intéressant à son espace rural et à ses différents éléments constituants : “L’histoire même de la terre est à la base de toute l’histoire. L’étude des habita-tions rurales nous permet précisément d’atteindre cette histoire de la terre.” ; “L’étude méthodologique et raisonnée des restes d’habitations fournit de précieuses indications touchant l’état économique

et social d’un pays. L’étude des habitations rurales et des villas est tout particulièrement apte à mettre en lumière les résultats obscurs de la vie matérielle et de la culture morale de la Gaule romanisée.” (Grenier 1906, p. 11 et 10). Comme il associe la villa à un mode supérieur et romain d’exploitation des sols, l’analyse de son extension dans les Gaules est pour lui un moyen efficace de mesurer le degré de conversion des territoires au système économique introduit par Rome dans les provinces : “Les villas sont invariablement liées à l’exploitation agricole du sol. Le caractère de leur architecture est solidaire de celui de la colonisation du domaine dont elles sont le centre. À une maison de plan latin, répondent nécessairement des méthodes de culture latine, une organisation du travail et de la propriété de forme latine. L’extension des villas mesure donc exactement la pénétration de la civilisation latine dans les campagnes.” (Grenier 1906, p. 11).

Originaire de la Lorraine, étudiant à Nancy et germanophone, A. Grenier a participé à plusieurs opérations de fouilles conduites par ses collègues allemands dans la région de Trèves et en Moselle annexée (Gran-Aymerich 2001, p. 312-313). À l’occa-sion de ses études et de ses fouilles, il a pu apprécier l’importance et la qualité du corpus de villae consti-tué anciennement, mais aussi durant la première annexion, dans cette partie des Gaules et plus particulièrement dans la cité des Médiomatrices. L’avance incontestable de ses collègues allemands en matière de techniques archéologiques lui offre aussi la possibilité d’exploiter les résultats très précieux de fouilles de villae menées selon

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des méthodes plus efficaces que celles mises en œuvre en France, à la même époque. Ainsi, par exemple, il consacre de nombreuses pages à la présentation des campagnes menées sur les villae de Heindeschloss à Betting-lès-Saint-Avold ou de Saint-Ulrich à Dolving, en Moselle occupée (Böhm 1881 ; Wichmann 1894 et 1898). C’est donc logique-ment cette cité qu’il choisit comme terrain d’étude de son projet historique.

Tout en admettant que les caractéristiques de l’habitat gallo-romain connaissent de sensibles variations selon les régions, il considère que l’évo-lution générale de l’occupation des sols dans la cité des Médiomatrices est parfaitement représentative du processus global qui transforme les campagnes

gauloises après la Conquête : “Les progrès de la civi-lisation latine, dans la cité dont nous avons choisi les limites comme cadre de ce travail, nous ont semblé pouvoir représenter assez exactement les phases de toute la civilisation gallo-romaine.” (Grenier 1906, p. 14). Selon ce schéma, il estime donc que, dès le début du ier siècle apr. J.-C. les élites gauloises et plus largement une “classe de moyens cultivateurs” ont adopté les principes de la construction et de l’ex-ploitation des sols romains pour transformer leurs fermes gauloises, construire des villae et organiser leurs fundi. Cette conversion rapide et profonde à un système architectural et économique importé d’Ita-lie explique le formidable succès de la villa dans la cité des Médiomatrices. En peu de temps, elle a

1. Villas gallo-romaines dans la cité des Médiomatrices (Grenier 1906, planche hors texte).

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conquis la plupart des terroirs et en premier lieu ceux dans lesquels l’action constructive de Rome a été la plus précoce : “Suivant les grandes voies de communications établies par l’administration romaine, la civilisation latine a pénétré peu à peu les campagnes jusqu’aux points les plus reculés, introduisant partout, de la riche vallée de la Seille, jusqu’aux pauvres plateaux que couvre la forêt de [Kallenhofen], et aux contreforts boisés des Vosges, une forme de colonisation et un genre d’habitation, qui étaient ceux de l’Italie.” (Grenier 1906, p. 112). Pour illustrer sa démonstration, il produit une carte de répartition des villae gallo-romaines de la cité des Médiomatrices (ill. 1). En fait, ce document ne concerne que la partie orientale de la cité. Loin d’être uniformément dispersées sur tout ce terri-toire, les villae recensées par A. Grenier semblent surtout présentes dans quelques secteurs de la ciui-tas : autour des vallées de la Seille, de la Sarre et de la Nied et entre les vallées de l’Albe et de la Roselle.

Toutefois, A. Grenier reconnaît que ce grand mouvement de développement de la villa n’a pas totalement fait disparaître des formes plus modestes d’habitat, héritières de celles qui prévalaient dans les campagnes médiomatrices avant la Conquête. La tradition archéologique lorraine leur a donné le nom de “mardelle” et parmi les cinq mille spé-cimens dénombrés, A. Grenier admet qu’un grand nombre d’entre elles étaient encore occupées à l’époque gallo-romaine. Néanmoins, il considère que ce mode d’occupation des sols, de tradition indigène, n’a pu subsister que dans les terroirs peu fertiles, délaissés par la villa : “La supériorité des procédés de l’architecture romaine, lui assura dans toutes les régions du pays une victoire incontestée. La répartition seule des huttes de forme gauloise suffit à nous indiquer, qu’elles avaient cessé d’être à l’époque gallo-romaine, un mode d’habitation régu-lier. Elles doivent rester en marge, pour ainsi dire, de l’histoire des habitations gallo-romaines dans la cité des Médiomatrices.” (Grenier 1906, p. 195).

Poursuivant son étude du phénomène de la villa dans la longue durée, il estime que la docu-mentation archéologique disponible montre que la très grande majorité des exploitations de ce type a disparu au moment des crises et des invasions du iiie siècle. Seuls les établissements les plus importants ont subsisté. Cette décimation radicale a favorisé un processus de concentration de la pro-priété et la construction de grandes villae palatiales qui, à leur tour, ont été emportées par les invasions de la fin du ive siècle.

Un petit peu plus d’un siècle après la publica-tion du mémoire d’A. Grenier, il n’est peut-être pas inutile d’apprécier l’état de nos connaissances par rapport au sien et de se demander si les perspec-tives heuristiques mises en place par lui, à propos de la “romanisation” des campagnes, ne conservent pas une certaine actualité. On peut aborder ces questions en acceptant, dans un premier temps et par apagogie, la proposition d’A. Grenier et en considérant avec lui que l’extension de la villa permet de mesurer le degré de “romanisation” des cités. La cartographie de sa répartition dans les régions sur lesquelles portent les contributions rassemblées dans les présents volumes devrait être alors un moyen de caractériser, selon ce critère, les territoires qui les composent.

lA GéoGrAphie de lA villa dAns l’est des GAules

Avant d’étudier la géographie de la villa dans cette partie des Gaules, il convient de rappeler ce que le mot désigne. Depuis Arcisse de Caumont et jusqu’à nos jours, ce vocable n’a cessé de qualifier une exploitation agricole de taille importante dont une partie des bâtiments est destinée à offrir à leur propriétaire des formes d’agrément typiques de la villégiature romaine (Caumont 1862, p. 322 ; Ferdière 1988, p. 158). Il est admis que, malgré la polysémie du mot durant l’Antiquité, ce terme est utile pour distinguer, parmi toutes les formes de l’habitat rural, des établissements qui satisfont à la fois ces critères économiques et culturels (Leveau et al. 1999, p. 287-288). Les difficultés induites par l’appli-cation de cette définition ne sont pas théoriques, mais pratiques. Elles surgissent aussitôt que l’on tente de ranger dans des classes des exploitations agricoles d’une grande variété et pour lesquelles la documentation archéologique n’est jamais homo-gène. Quels sont les éléments archéologiques qui permettent d’apprécier la capacité productive et la “dignité architecturale” d’un établissement agricole (Gros 2006, p. 265) ? Des réponses efficientes ont été apportées à ces questions, mais souvent à partir de l’analyse méthodique d’un corpus régional relativement unique et en fonction de critères qui n’ont pas la même pertinence dans une autre aire géographique (Ouzoulias 2010, p. 196-200). Pour analyser des données collectées à petite échelle, la tentation est souvent grande d’assouplir le péri-mètre de la définition, au risque d’en diminuer sa pertinence.

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Dans cette contribution, le choix a été fait de ne considérer comme villae que les exploitations dont on a l’assurance qu’elles disposent à la fois de bâtiments agricoles de grande taille et d’instal-lations de confort. L’adoption de cette typologie fonctionnelle exige donc de disposer du plan de ces établissements pour identifier ces éléments dis-tinctifs. La plupart des sites reconnus uniquement par des prospections de surface ont donc été écar-tés, ce qui restreint considérablement la taille du corpus réuni, mais en assure aussi l’homogénéité. Néanmoins, encore une fois, je n’ignore pas que la connaissance d’un corpus régional parfaitement maîtrisé puisse donner du sens à des informations collectées en surface et permettre d’identifier avec vraisemblance les villae de ce territoire. Le travail réalisé par Pierre Nouvel (2004) dans la Basse Bourgogne est un exemple de pareille réussite, mais, en l’absence de recherches menées avec la même précision dans toute l’aire étudiée, il est plus prudent de fonder la typologie des formes d’exploitation des sols sur des critères identiques et uniformément utilisables dans toutes les régions étudiées.

La carte (ill. 2) présente la localisation d’à peu près 390 villae, dans une fenêtre d’étude d’environ 155 000 km2, qui comprend l’est de la province de Gaule Belgique, le sud de la Germanie supérieure, le territoire des Éduens et une partie de ceux des Sénons et des Ambarres, en Gaule lyonnaise, et enfin, en Aquitaine, la faible portion de la ciuitas des Bituriges Cubes située sur la rive gauche de la Loire. Dans ce vaste secteur des Gaules, sans conteste, les villae ne sont pas réparties de façon homogène. La densité de ces établissements est particulièrement élevée dans la cité des Trévires, l’est de celle des Médiomatrices, le nord-est de la ciuitas des Leuques et dans un vaste territoire compris entre Troyes, Langres, Besançon, Chalon-sur-Saône, Autun, Entrains-sur-Nohain et Sens. En revanche, les villae sont peu présentes dans les massifs des Vosges, du Morvan et du Jura, ce qui ne saurait surprendre, mais aussi, ce qui est beaucoup plus étonnant, dans la partie centrale de la carte, c’est-à-dire dans une aire géographique à peu près bornée par les villes de Reims, Troyes, Langres, Toul et la frontière avec les Trévires, au nord. Toutefois, dans cet espace, les vallées de la Marne et de la Vesle semblent accueillir un peu plus de villae. Les concentrations situées aux marges de la carte, au nord-ouest et au sud-ouest, trouvent leur sens dans une cartographie étendue à l’ensemble des Gaules qui ne sera pas présentée ici.

Avant d’apprécier la validité de ce document cartographique et d’essayer de déterminer les causes de cette hétérogénéité, il convient de remar-quer que, malgré plus d’un siècle de recherches actives, la géographie de la villa dans la cité des Médiomatrices a peu évolué depuis la synthèse d’A. Grenier. Certes, le nombre de sites a augmenté, mais les zones de fortes densités identifiées sur la carte de 1906 demeurent, même si le secteur de forte présence de villae de la vallée de la Seille atteint maintenant les faubourgs de Metz. En revanche, la partie ouest de la cité, dont le territoire s’est émancipé durant l’Antiquité tardive pour former la ciuitas de Verdun, est toujours aussi pauvre en villae. Ce vide s’explique-t-il par un système d’exploitation des sols et de peuplement différent ou est-il plus simplement la conséquence d’un état de la recherche moins avancée dans une région de la Lorraine, grosso modo la Meuse, beaucoup plus agricole et herbagère ? Cette question se pose de façon encore plus critique pour l’ensemble de la carte de répartition des villae.

On ne peut lui apporter une réponse tranchée parce qu’il est difficile d’apprécier précisément l’ampleur des processus humains et naturels qui dévoilent ou maintiennent inaccessibles les ves-tiges archéologiques. Néanmoins, dans certaines régions de la fenêtre d’étude, les conditions de conservation des sols et la multiplication des opérations d’archéologie préventive menées sur de vastes surfaces apportent la relative assurance que l’absence de villa ne peut s’expliquer par des modalités particulières de la recherche. Ainsi, dans les campagnes champenoises, au cœur de la ciuitas des Rèmes, malgré l’importance des fouilles réalisées, très peu de villae ont été découvertes (Chossenot 2004, p. 105). Autour de Reims, seule l’exploitation agricole des Petits Didris à Cernay-lès-Reims, avec son assiette de 7 500 m2 et ses deux pièces chauffées par hypocauste, appartient à cette catégorie, mais cet établissement est bien modeste comparé aux grandes villae des Médiomatrices ou des Lingons (Koehler 2003). Enfin, ce n’est pas un hasard si, dans l’emprise des travaux de construc-tion de la ligne ferroviaire à grande vitesse, aucun site de ce type n’a été mis au jour entre Reims et Metz, alors qu’une partie significative de villa a pu être fouillée à Luppy, sur le court tronçon mosellan de cette ligne (Feller 2006).

La documentation réunie sur les formes d’exploitation des sols dans la partie centrale de la cité des Rèmes, c’est-à-dire à peu près dans les limites de l’actuel département de la Marne, est

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Reims

Châlons

Meaux

Metz

Toul

Troyes

Langres

Autun

Besançon

Nyon

Augst

Avenches

Brumath

Sens

Soissons

Vermand

Trèves

Entrains

Doubs

Saône

Moselle

ChalonLoire

Vesle

Marne

Seille

2. Carte de répartition des villae (cercles noirs). Étoiles : chefs-lieux des ciuitates. Traits larges gris : limites supposées des ciuitates durant le Haut-Empire. Traits pointillés fins : frontières actuelles.

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suffisamment importante et fiable pour être assuré que la villa ne constitue pas l’élément principal de l’économie agricole de cette ciuitas. Tout autre-ment, les campagnes semblent mises en culture par un réseau dense de petites exploitations et par des habitats composés de plusieurs unités familiales, comme celui fouillé à Bussy-Lettrée, dont il est toutefois encore difficile d’évaluer la fréquence (Achard-Corompt 2005).

Dans les pas d’A. Grenier, l’application de sa méthode aboutit à un paradoxe. Non seulement la villa n’a pas pénétré partout dans les campagnes, mais elle est de plus peu présente dans la cité des Rèmes foederati, les alliés précoces et fidèles de Rome, et presque absente autour de Durocortorum, leur caput ciuitatis, qui a pourtant reçu l’insigne honneur d’accueillir la résidence du gouverneur de la province de Belgique, dès le début du ier siècle apr. J.-C. (Strabon, IV, III, 5). Si, comme le pensait A. Grenier, la villa est un marqueur fiable de la “roma-nisation” des territoires, alors celui des Rèmes a fort peu été touché par ce processus ! Cette aporie impose d’abandonner l’amalgame par trop simpliste entre villa et romanité. Autrement dit, la densité de villae dans une ciuitas n’est pas toujours un critère infaillible de son degré de “romanisation”.

Pour s’en convaincre, il faut revenir aux cartes produites par Édith Mary Wightman dans son article de 1984 et reprises dans sa synthèse posthume de 1985 (Wightman 1984a ; 1985). L’objectif de l’historienne canadienne était de mieux apprécier la composition et surtout la variété socio-écono-mique des villes de la Gaule Belgique. Considérant que l’attrait pour les valeurs de la romanité et donc l’accès à un certain niveau de développement éco-nomique se manifestent notamment par l’usage de l’épigraphie, par la production de reliefs sculptés et de mosaïques, E. M. Wightman a étudié la réparti-tion de ces témoignages à l’échelle de la province. Sans surprise, ses cartes mettent en évidence une plus forte proportion de ces manifestations dans la partie orientale de la Belgique. Ainsi, pour ne rete-nir que le nombre de documents épigraphiques, et à partir d’un corpus révisé et augmenté par mes soins, la ville de Reims a livré moins d’inscriptions (≈ 230) que Trèves (≈ 714), mais plus que Metz (≈ 200) et même qu’Autun (≈ 180) en Lyonnaise. Nul doute qu’il existe donc à Reims une population sensible à l’un des modes privilégiés d’expression de la romanité. Néanmoins, E. M. Wightman souli-gnait très justement que, parmi les ciuitates de l’est de la province de Belgique, Reims se distingue par le très faible nombre d’inscriptions découvertes sur

son territoire. Elle notait que la presque totalité des témoignages épigraphiques, mais aussi des reliefs sculptés, provient du chef-lieu et considérait que ce déséquilibre est la marque de ce qu’elle appelait le “modèle métropolitain” (Wightman 1984a, p. 69).

les vAllées de lA sAône et de lA Moselle : un “couloir de développeMent”

Cette observation nous a incités à étudier plus précisément ce phénomène en essayant de dresser une carte exhaustive de la documentation épigraphique dans la fenêtre d’étude. Le corpus à partir duquel l’illustration 3 a été réalisée rassemble environ 4 300 inscriptions, à l’exclusion de celles portées par des bornes milliaires et l’instrumentum. Cette carte fait apparaître une forte concentration de documents épigraphiques, à la fois dans les villes, les agglomérations et les campagnes, autour d’un axe qui passe par Chalon-sur-Saône, Langres, Metz et Trèves. Le grand nombre d’inscriptions découvertes en milieu rural, en dehors des agglo-mérations ou des sanctuaires, principalement dans la plaine entre Chalon-sur-Saône et Langres, est un phénomène unique que l’on ne rencontre pas en Italie (Wightman 1984b, p. 72), mais qui est aussi attesté, avec encore plus d’ampleur, dans certaines régions de la Narbonnaise.

Cette zone de fortes densités d’inscriptions est aussi celle dans laquelle on trouve des aggloméra-tions importantes (Chalon-sur-Saône, Dijon, Alesia, Til-Châtel, Luxeuil-les-Bains, Mirebeau-sur-Bèze, Soulosse-sous-Saint-Élophe, Grand, Naix-aux-Forges, Dieulouard), de nombreuses villae, et notamment parmi les plus grands établissements de cette catégorie, et de façon générale les témoignages les plus exemplaires de la romanité : tombeaux, reliefs, mosaïques, etc. Toutes ces manifestations attestent la présence d’élites fortement “romanisées” ou en voie d’acculturation, dans les chefs-lieux des ciui-tates, dans les agglomérations, mais aussi dans les campagnes. Les grands monuments funéraires de Nasium, près d’une agglomération, et de Faverolles, sans doute sur le domaine d’une grande villa, sont les exemples fameux du statut culturel et social insigne atteint précocement par certaines de ces élites (Castorio, Maligorne, dans ce volume ; Laubry 2009).

À n’en pas douter, ces territoires constituent le maillon du grand couloir qui unit la Méditerranée au Rhin, par les vallées du Rhône, de la Saône et de la Moselle. En se réappropriant les réflexions

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Reims

ChâlonsMeaux

MetzMetz

Toul

Troyes

LangresLangres

AutunAutun

BesançonBesançon

NyonNyon

AugstAugst

AvenchesAvenches

SensSens

Soissons

Saint-Quentin

TrèvesTrèves

DiDiSa

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NN

L

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C

V

AuAu

E

1

200

nombred’inscriptions

3. Carte des lieux de découvertes d’inscriptions, la surface des cercles est proportionnelle au nombre d’inscriptions. Al : Alésia ; Au : Auxerre ; C : Chalon-sur-Saône ; D : Dijon ; Di : Dieulouard ; E : Entrains-sur-Nohain ; G : Grand ; L : Luxeuil-les-Bains ; Ma : Mandeure ; Mi : Mirebeau-sur-Bèze ; N : Naix-aux-Forges ; Sa : Saverne ; So : Soulosse-sous-Saint-Élophe ; T : Til-Châtel ; V : Vertault.

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de considérer que la logique économique interne de certains de ces établissements a peut-être privilégié des systèmes de culture extensive, c’est-à-dire plus intéressés par les volumes que par les rendements. En acceptant l’hypothèse de François Sigaut (1988) d’une probable relation entre la culture de l’épeautre et la moisson avec le uallus, dont la presque totalité des témoignages provient encore aujourd’hui de la région autour de Trèves, on aimerait alors s’imaginer que les Galliarum lati-fundia, évoqués par Pline à propos de la machine à moissonner (NH, XVIII, 296), ne sont pas sans rapport avec quelques-unes des villae des Trévires et des Médiomatrices étudiées ici.

Néanmoins, il convient de rappeler que, même dans les terroirs où elle est bien implantée, la villa ne représente jamais plus d’un tiers, et le plus souvent pas plus d’un quart, de la totalité des exploitations agricoles connues. Ainsi, sur le plateau lorrain entre la Seille et la Nied et dans la périphérie de Metz, les fouilles et les prospections très abouties de Jean-Denis Laffite ont fait apparaître une grande densité d’exploitations agricoles et, parmi elles, l’existence de très nombreuses villae (ill. 2). Pourtant, dans le corpus de près de 270 établissements agricoles précisément reconnus par lui, les exploitations de taille modeste, dont la surface d’assiette est infé-rieure à un hectare, appartiennent à des catégories qui comptent plus de 91 % des sites. En outre, loin d’occuper systématiquement les interstices entre les villae, ces petites exploitations sont intégrées aux dispositifs d’organisation de l’espace rural. La petite ferme d’Amnéville est, par exemple, desser-vie par un long chemin, délimité par des fossés et parallèle à la grande voie qui va de Metz à Trèves (Laffite 2004). Sans reprendre un argumentaire déjà développé ailleurs, il faut tout de même redire que rien ne permet de considérer ces établissements comme de simples dépendances ou des annexes des villae (Ouzoulias 2006, p. 200-221). Leurs capa-cités productives ne sont pas inférieures à celles des petites fermes reconnues par Murielle Georges-Leroy dans le massif forestier de Haye, dans la cité voisine des Leuques, à l’est de Toul. Sur ce plateau, les sols de faible valeur agricole sont mis en culture uniquement par ces petites exploitations et les villae se trouvent dans les vallées de la Moselle et de la Meurthe (Georges-Leroy et al. 2009). Nul doute que leurs exploitants produisent des denrées en quantité au moins suffisante pour assurer leur subsistance. Pourquoi donc les fermiers des établis-sements équivalents des riches terres agricoles du plateau lorrain ne le pourraient-ils pas ?

de Philippe Leveau (2007), on peut considérer qu’ils concentrent les circuits commerciaux, les structures de production et d’échanges et les élites qui leur confèrent des niveaux de richesse et de développement économique et social proches de ceux des régions les plus favorisées des provinces occidentales de l’Empire. L’épine dorsale de ce “couloir de développement” (Leveau 2007, p. 668) semble constituée par un faisceau d’axes de com-munication : la Saône et la Moselle et des voies terrestres, notamment entre Chalon-sur-Saône et Toul. Le vain projet du gouverneur L. Antistius Vetus de relier par un canal les hautes vallées de la Saône et de la Moselle (Tacite, Ann., XIII, 53) s’inscrit dans un programme ambitieux de renforcement de ce couloir d’échange par la multiplication des itiné-raires disponibles.

L’émergence économique de ces territoires n’est pas consécutive de la Conquête. Dans les campagnes, comme l’a établi Philippe Barral dans le présent volume, un processus de structuration économique est perceptible, dans de nombreuses régions, dès la seconde partie du second âge du Fer. Il connaît, juste après la Conquête, des évolutions variables selon les terroirs ; un affaiblissement glo-bal dans l’ensemble de l’est des Gaules et un simple ralentissement dans les secteurs plus dynamiques des plaines du Doubs et de la Saône (Barral, dans ce volume). Dans tous les cas, l’apparition puis le développement de la villa doivent être envisagés comme des processus progressifs, s’inscrivant dans la longue durée. Il est probable que les élites de La Tène finale aient joué un rôle déterminant, vers le changement d’ère, dans l’appropriation et l’assi-milation de ces formes “romanisées” de l’habitat. Néanmoins, on peut supposer que, dans un deu-xième temps, bon nombre de ces établissements aient été entre les mains de possessores, enrichis par l’essor économique qui a suivi la Conquête. Là où la documentation épigraphique est présente, il est peut-être possible de suivre ce phénomène de différenciation sociale, notamment en étudiant l’accès à la citoyenneté romaine et la répartition des honorati dans le territoire des ciuitates.

Dans une perspective économique, tout en refusant de considérer, avec A. Grenier, que la villa est nécessairement associée à des méthodes d’agriculture romaines, on peut toutefois admettre que ces exploitations ressortent à un système économique dont l’objectif est de produire de grandes quantités à l’aide d’équipements agri-coles de grandes tailles et d’une main-d’œuvre abondante. Plus encore, il n’est pas trop aventureux

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Les phénomènes socio-économiques très brièvement analysés dans ce chapitre permettent une première caractérisation du “couloir de déve-loppement” qui s’étend de Chalon à Trèves, dans la fenêtre d’étude. Il serait utile de poursuivre ce travail, en s’intéressant notamment aux transforma-tions connues par les territoires qui le composent dans la longue durée et plus particulièrement durant les périodes charnières de la fin de l’Indé-pendance et de l’Antiquité tardive. Par une formule d’un laconisme sans doute excessif, on pourrait considérer que leur mode de développement est fondé sur cette “romanisation économique” décrite par Ph. Leveau (2003, p. 334-335). L’une des ques-tions, qui surgit aussitôt l’emploi de ce modèle, est de distinguer la part de la croissance liée à des processus économiques endogènes de celle inhérente aux relations commerciales et politiques associant un centre, Rome et le monde méditerra-néen, à sa périphérie, en l’occurrence les régions frontalières de l’est des Gaules. Par ailleurs, adopter et utiliser ce modèle de façon antinomique peut amener à dénier toute forme de développement aux territoires qui ne présentent pas les critères de la “romanisation économique”. Ce problème peut être posé autrement en s’intéressant de nouveau à la ciuitas des Rèmes.

le pArAdoxe de lA ciuitas RemoRum

Comme on l’a vu, le territoire de cette cité est pauvre en villae, en inscriptions, en reliefs et en mosaïques. Pourtant, nul ne peut contester une cer-taine importance à Durocortorum, tant par la taille de la ville, sa parure monumentale que par son rôle politique. On conçoit donc difficilement que ce statut ait pu tenir la ciuitas à l’écart de la romanité. D’ailleurs, la ville est habitée par une population qui a recours, de façon importante, à l’épigraphie pour honorer ses défunts sur les nombreuses stèles funéraires qu’elle leur consacre.

Pourtant, quand on analyse dans le détail le corpus des inscriptions rémoises, on est surpris par sa banalité et sa pauvreté. La très grande majorité des épitaphes se rapporte à des pérégrins, alors que dans la cité voisine des Trévires les citoyens sont presque quatre fois plus nombreux (Raepsaet-Charlier 2001, p. 404-405). En outre, fait rare dans cette partie de la Gaule Belgique, aucune inscrip-tion ne mentionne un membre de l’ordo. Seuls les Ménapiens, les Atrébates et les Silvanectes se trouvent dans pareille situation (Dondin-Payre 1999, fig. 1, p. 133). Néanmoins, la ciuitas a honoré

par l’épigraphie plusieurs personnages, mais ces inscriptions ont été gravées en dehors de son territoire et pour des notables étrangers à la cité. Les Remi ont par exemple dédié une inscription pour l’ancien légat de la province à Pouzzoles (CIL, X, 1705) et une autre, à Vienne, pour un chevalier censeur de leur cité (ILN, Vienne, 64). De même, à un niveau en dessous, c’est à Lyon que l’on trouve la mention d’un negotiator de pourpre, de la cité des Némètes, installé à Reims : « D(is) M(anibus) | et memoriae | aeternae Vic|torio Regulo ciui Nemeti et | neg(otiatori) Duro(cortoro) purpu|rario, Vicrius | Tetricus uet(eranus) leg(ionis) XX[II] | Pr(imigeniae) p(iae) f(idelis) fratri cariss(imo) | p(onendum) c(urauit), s(ub) (ascia) ded(icauit) » (AE 1982, 709). Cet hommage lui est rendu par un vétéran de la XXIIe légion et ce document, pour l’instant unique, oblige à se demander, par son lieu de découverte et l’origine de ces deux personnages, si Reims ne cap-tait pas une partie du grand commerce du Rhône, de la Saône et du Rhin.

On ne peut admettre que la vaste ciuitas Remorum (≈ 12 500 km2) puisse être administrée sans un ordo efficient. En outre, dans le premier tiers du ive siècle, quand Constantin offre à la cité la reconstruction “a fundamentis” des thermes (CIL, XIII, 3255), il existe toujours une curie digne de recevoir la seule libéralité impériale attestée dans la province (Frézouls 1984, p. 32). Comment donc expliquer la discrétion de ces élites, à la fois dans leur expression épigraphique et dans les manifesta-tions matérielles de leur distinction sociale ?

Je me contenterai d’aborder très superfi-ciellement cette délicate question en suggérant quelques hypothèses ou pistes de recherche. De prime abord, on serait tenté de conclure que les élites de la cité des Rèmes sont moins nombreuses ou moins riches que celles des Médiomatrices ou, plus encore, que celles des Trévires. On peut aussi supposer que la faiblesse relative des marqueurs de la romanité s’explique par une composition sociale différente de la ciuitas. Dans la pyramide sociale de cette cité, les niveaux supérieurs compteraient peu de membres, alors que les échelons intermédiaires seraient proportionnellement plus fournis que dans les ciuitates de l’est de la province. Enfin, sui-vant une suggestion de Michel Christol (2006, p. 58), il est possible de penser autrement en considérant que ce n’est pas la structure sociale de la ciuitas qui est en jeu, mais plutôt les modes d’expression des différenciations sociales. Autrement dit, des élites existent, mais utilisent peu le “vocabulaire de la romanité” pour manifester leur statut.

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À la différence de ce que l’on observe à l’ouest de la cité des Lingons et au nord-ouest de celle des Éduens, pour les élites rémoises, la villa n’est pas non plus une façon très coutumière de vivre et de produire à la campagne. La production agricole repose essentiellement sur un réseau dense de petites exploitations. Cette organisation écono-mique est sans doute créatrice de richesses et il faut rappeler à ce propos la mention que Pline consacre à l’agriculture des Remi (N. hist., XVIII, 85). Dans les chapitres sur les différentes céréales, le naturaliste explique que les blés nus (triticum) exigent des sols riches et que, parmi eux, la siligo, sans doute une variété de blé tendre (Triticum aestivum), est la plus réputée par la blancheur, la qualité et le poids de son grain. Il précise, qu’au-delà des Alpes, elle est cultivée chez les Allobroges et les Rèmes et ce rapprochement est flatteur pour les seconds. Pour apprécier la juste portée de cette observa-tion, il serait utile de confronter cette remarque avec les données carpologiques de cette région. Néanmoins, il est intéressant de relever que, dans l’esprit de Pline, les campagnes des Rèmes sont associées à une céréale exigeante, à forte valeur ajoutée et plutôt destinée à un marché de citadins

consommateurs de pain blanc. Le faible nombre de villae dans l’ager Remorum ne peut donc être interprété comme l’indice sûr d’une certaine arrié-ration et il est piquant de noter que la céréale la plus noble, selon les critères élitistes de Pline, est cultivée dans un territoire où les manifestations de la romanité sont si rares !

Sans contester l’efficacité d’un mode de développement alimenté par la “romanisation économique”, ne serait-il pas possible d’accepter l’existence de systèmes socio-économiques diffé-rents, mais producteurs d’une certaine croissance ? Les ciuitates qui en ressortiraient, tout en empruntant peu le “vocabulaire de la romanité” dans leur fonc-tionnement social, seraient néanmoins capables de produire de la richesse et, notamment en ce qui concerne Reims, de maintenir leur rang jusqu’à la fin de l’Antiquité. Cette hypothèse, sans doute par trop aventurée, n’a d’autre ambition que d’évoquer l’intérêt d’une réflexion renouvelée sur les modes d’organisation sociale et économique des ciuitates gallo-romaines. Son projet serait toujours de porter cette “histoire de la terre”, qu’A. Grenier appelait de ses vœux il y a un siècle, mais dans une perspective moins romano-centriste que la sienne.

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