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GROUPE TERRITORIAL CS 40215 - 38516 Voiron Cedex - Tél. : 04 76 65 87 17 - Fax : 04 76 05 01 63 - www.territorial.fr Copyright Territorial Éditions - Reproduction interdite - Décembre 2013 Réf. Revue européenne du management du sport n° 40 Uniquement disponible par téléchargement sur www.territorial.fr ou www.acteursdusport.fr Articles La reconversion des équipements d’une grande compétition sportive de nature Désorganisation, stratégies d’acteurs et conflits d’intérêts autour de l’héritage maté- riel des Jeux pyrénéens de l’aventure 1993 André SUCHET Assistant de recherche, Université autonome de Barcelone IUEE, bâtiment E-1, 08193 Campus de Bellaterra Chercheur associé, Université de Grenoble IGA, 14bis avenue Marie Reynoard, 38100 Grenoble

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Articles

La reconversion des équipements

d’une grande compétition sportive de nature

Désorganisation, stratégies d’acteurs et

conflits d’intérêts autour de l’héritage maté-

riel des Jeux pyrénéens de l’aventure 1993

André SUCHETassistant de recherche, université autonome de Barcelone

iuee, bâtiment e-1, 08193 Campus de BellaterraChercheur associé, université de Grenoble

iGa, 14bis avenue Marie reynoard, 38100 Grenoble

Articles

p. 66 Revue européenne de management du sport n° 40 - Décembre 2013

résuméÀ partir du cas des Jeux pyrénéens de l’aventure 1993, ou plutôt, de la gestion publique et privée de l’héritage matériel de cette manifestation internationale des années 1990, cet article analyse les stra-tégies d’acteurs et les conflits d’intérêts autour de la reconversion des équipements d’une grande compétition sportive de nature. Les résultats mettent en évidence une désorganisation du système d’acteurs après les jeux et une difficulté de reconversion des sites plus ou moins grande selon diffé-rents paramètres, comme leur spécialisation, leur emplacement et leur transportabilité. En particulier, cet article distingue deux grandes formes de situation –« la patate chaude » et les « pigeons qui se disputent un morceau de pain »–, puis termine par des considérations plus larges en réponse à la littérature déjà publiée à ce sujet.

Mots-clésReconversion, équipement, escalade, BMX, compétition sportive, Jeux pyrénéens de l’aventure, héritage

abstractFrom the case of the public and private management of material legacies of the Pyrenean Adventure Games in 1993, this article analyzes the strategies of actors and the conflicts of interests around reusing the facilities of major outdoor sporting events in the mountain areas. The results highlight the disorganization of the actors after the Pyrenean Adventure Games of 1993, and the difficulty in reusing these sites after the games in relation to various parameters including their specialization, localization and their transportability. In particular, this article identifies « hot potato » and « pigeons fighting over a piece of bread » as two metaphoric situations, and concludes with different considerations in response to the literature already published on this subject.

Key wordsReusing, sporting facilities, climbing, BMX, sporting event, Pyrenean Adventure Games, legacies

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Proportionnellement au nombre d’études sur les grandes compétitions sportives, la question de la reconversion des équipements construits à cette occasion reste un parent pauvre de la recherche en géographie, aménagement, science politique et sciences de gestion. Alors que plusieurs centaines d’ouvrages et d’articles portent sur la coupe du monde de football, les grands matchs de tennis ou de baseball et surtout les Jeux Olympiques d’été ou d’hiver, les publications universitaires qui traitent directement de la recon-version d’un équipement construit pour l’une de ces grandes compétitions sportives sont au nombre de quelques dizaines. De plus, si les derniers ouvrages relatifs à l’organisation de tels événements présentent un court chapitre à ce sujet – notamment dans le cadre d’une préoccu-pation de développement durable – (le chapitre quinze de Parent & Smith-Swan, 2013 ; ou encore l’article de Marsac dans le numéro théma-tique de la Revue européenne de management du sport dirigé par Barget & Chavinier-Réla, 2012), on peut s’étonner qu’il s’agisse d’une préoccupation relativement nouvelle. Autre indi-cateur des lacunes de la recherche à ce sujet : les dictionnaires de l’urbanisme et de l’aménage-ment que nous avons consultés (Merlin & Choay, 2005 ; Wachter, 2009 ; Kulshrestha, 2006 ; Evert, 2010) ne consacrent aucune entrée à la reconver-sion des équipements sportifs, alors même que certaines définitions du terme reconversion citent le sport et le tourisme comme outil de revalorisa-tion d’une friche, le plus souvent une friche industrielle. En fait, on peut faire une revue de la littérature à ce sujet en trois points.

Premièrement, il faut se méfier des assessments before the end. En France, par exemple, on pense au travail de l’équipe investie du bilan des Jeux Olympiques d’hiver 1992 qui publie son étude la même année ! (Dailly, Kukawka, Préau, Servoin & Vivian, 1992). Sur le même sujet, on pense égale-ment au rapport collectif dirigé par Andreff (1991) à propos « des effets d’entraînement » induits par les Jeux presque un an avant le déroulement des épreuves olympiques. Indépendamment de la grande qualité du travail de ces auteurs (voir à ce sujet Terret, 2010), il n’est guère possible de se contenter de ces bilans d’avant les Jeux ! Il faudrait plutôt considérer cela au rang de prospective et de prévisions, ce qui est tout aussi louable, mais bien différent. Dans le même sens mais sur un autre plan, les études de Dansero et coll. (2007 ; 2010) relatives à l’effet de territorialisation autour des sites olympiques ne peuvent pas non plus être considérées en tant que bilan d’une reconversion. Il s’agit plutôt de recherches théoriques et propre-ment conceptuelles.

Deuxièmement, en détaillant la littérature inter-nationale, on remarque que la grande majorité des études porte sur la reconversion des équipe-ments collectifs en zone urbaine (Muñoz, 2006 ; Billard, 2006 sur l’habitat olympique que l’on nomme village ; Searle, 2002 ; Roult & Lefebvre, 2010 sur les stades olympiques ; Lefebvre & Roult, 2008 ; Augustin, 2008b sur l’ensemble des installations sportives, de la patinoire au gymnase ; et sinon plus largement Garcia-Ramon & Albet i Mas, 2000 ; Hiller, 2006 ; Coaffee, 2007 ; Augustin, 2008a ; Davies, 2012), alors même que les plus grandes difficultés se trouvent justement dans les zones rurales ou montagnardes. Par exemple, au sein même de la littérature relative aux Jeux Olympiques d’hiver, un grand nombre d’auteurs mobilisent encore un prisme d’étude urbaine (Hiller, 1990, 2006 ; Essex & Chalkley, 2004, 2007). Bref, on peut dire que les études relatives aux reconversions d’équipements sportifs implan-tés en dehors des zones urbaines manquent.

Troisièmement, dans le cas de ces zones rurales ou montagnardes –et indépendamment des quelques journalistes qui se désolent du fait « que les installations des derniers Jeux Olympiques d’hiver tombent déjà en ruine »1–, on pense au travail de Kagaya (1991) au Japon sur les effets de l’amélioration des transports à l’échelle régionale induite par les Jeux Olympiques d’hiver de Sapporo 1972, au travail de Terret (2010) concer-nant les Jeux Olympiques d’hiver 1992 en France, et au travail déjà cité de Marsac (2012) sur la reconversion des stades d’eau vive implantés à plus ou moins grande distance des villes olym-piques. On pense également au travail de thèse en géographie de Sebastiani (2004, chapitre trois de la partie trois) ou à quelques-uns des mémoires de fin d’étude soutenus en STAPS à Grenoble sur la reconversion problématique du tremplin de saut à ski des Jeux Olympiques d’hiver 1968 (Grima, 1998 ; Vuillermet, 2003). Bref, un certain nombre d’études universitaires ont abordé la question, mais cela reste encore un sujet à pour-suivre étant donné justement l’importance d’une amélioration des pratiques aménagistes dans ce domaine.

Enfin, et plus généralement, on remarque que les approches strictement descriptives ou historiques l’emportent, alors qu’il faudrait selon nous s’inté-resser plus souvent aux acteurs et à leurs diffé-rentes logiques stratégiques dans le cadre d’une géographie sociale (Gumuchian, 1997 ;

1 FrancescoPastorelli,2010,LesruinesdeTurin,AlpenscèneCIPRA,94,16-17.EtaussiAlbertoCustodero,TurinetsonsiteOlympiquefantôme,Courrier International,n°1004,28janvier2010.(reproduitdeLa Repubblica,5janvier2010).

La reconversion des équipements d’une grande compétition sportive de natureAndré Suchet

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Gumuchian, Grasset, Lajarge & Roux, 2003 ; Cavaillé & Milian, 2008) et d’une sociologie des organisations (Crozier & Friedberg, 1977 ; Friedberg, 1997). À partir du cas des Jeux pyré-néens de l’aventure 1993, ou plutôt, de la gestion publique et privée de l’héritage matériel de cette manifestation internationale des années 1990, cet article analyse les stratégies d’acteurs et les conflits d’intérêts autour de la reconversion des équipements d’une grande compétition sportive de nature.

Conformément au cadre d’étude annoncé, et de par la nature de notre objet, ce travail utilise une méthodologie qualitative de géographie sociale. Les analyses reposent sur un traitement théma-tique (Bardin, 2003) de différentes sources écrites (principalement des articles de presse, des rapports internes, des courriers, des contrats juri-diques et des documents financiers) et orales (onze entretiens semi-directifs longs, et trois entretiens téléphoniques complémentaires, avec des acteurs en charge de l’organisation des Jeux pyrénéens de l’aventure au début des années 1990 ou de la gestion des sites sportifs concernés depuis). Les sources sont mentionnées au fur et à mesure en note de bas de page pour les différen-cier clairement des références bibliographiques en fin d’article. Cet article repose également fortement sur une démarche géographique contemporaine de terrain (Collignon & Retaillé, 2010 ; Volvey, Calbérac & Houssay-Holzschuch, 2012) centrée sur l’observation actuelle des installations sportives concernées, de leur usage ou de leur non-usage.

I • Les Jeux pyrénéens de l’aventure 1993 ou l’orga-nisation d’une grande compétition sportive de nature en PyrénéesLes Jeux pyrénéens de l’aventure, ou los Juegos pire-naicos de la aventura, sont l’une des plus grandes compétitions sportives de nature, d’aventure et de frestyle jamais organisée (Suchet, 2012). Cette compétition internationale, patronnée par le CIO et soutenue par l’ensemble du mouvement olym-pique européen, se voulait la figure de proue d’un projet de développement sportif et touristique plus large intitulé Pyrénées : Laboratoire de l’Olympisme. L’ambition de ce programme était non seulement de rapprocher les nouvelles pratiques sportives du mouvement olympique et de participer à un déve-loppement local des vallées concernées en France

et en Espagne, mais aussi de jouer un rôle majeur dans la concurrence des territoires de nature et de montagne en France (en faveur des Pyrénées contre les Alpes) et d’initier un développement transfron-talier de la chaîne (entre la France et l’Espagne, puis dans un second temps également l’Andorre).

Concrètement, les Jeux pyrénéens de l’aventure ont eu lieu en Vallée d’Aure française et dans le haut du Sobrarbe en Espagne du 15 au 23 mai 1993 avec pour centre des opérations la ville et station de ski de Saint-Lary. La cérémonie d’ouverture célébrée autour du thème de l’eau réunissait en particulier Nelson Paillou, président du CNOSF, Isidre Baro Cabanes, président du COA, et Carlos Ferrer, président du CNOE, mais aussi représentant de Juan Antonio Samaranch, président du CIO. Pour la première fois le drapeau blanc aux cinq anneaux flottait au-dessus des Pyrénées. Le ministre de l’inté-rieur, Philippe Marchand, et différents élus poli-tiques des deux pays assistent aux compétitions. Avec plus de 1 000 athlètes, vingt-six pays représen-tés, 21 000 visiteurs, et malgré quelques aléas clima-tiques du printemps, l’ensemble des Jeux pyrénéens de l’aventure 1993 reste une réussite technique et sportive. Filip Meirhaeghe, François Legrand, Yuji Hirayama, Robyn Erbesfield, Nicolas Vouilloz, Anne-Caroline Chausson… dans les disciplines déjà compétitives, la plupart des champions du monde en titre se trouvaient réunis. Les moyens matériels, sécuritaires et sportifs regroupaient presque 300 bénévoles et 60 organisateurs pour un village d’ath-lètes qui accusa 7 000 nuitées et une moyenne de 650 personnes par jour. Pour un certain nombre d’activités comme la spéléologie ou le canyoning, les Jeux pyrénéens de l’aventure restent à ce jour la seule compétition internationale jamais organisée. Avec 14 pyrènes d’or devant l’Italie, 6, la Grande-Bretagne, 4, et les USA, également 4, le bilan sportif est exceptionnel pour la France. À l’inverse, l’Es-pagne coorganisatrice des Jeux, ne retire qu’une seule pyrène d’or à égalité avec le Chili2.

L’organisation de ce projet repose initialement sur un acteur local du tourisme, Jacques Marion, qui dirige la structure commerciale Nouvelles Pyrénées et souhaite renouveler l’image de ce territoire trans-frontalier. Puis d’autres acteurs autour de lui inter-viennent progressivement, comme Maurice Duchêne, fonctionnaire détaché en qualité de directeur technique des Jeux, Jean-Pierre Monteil et Yves Janvier, consultants spécialisés en tourisme, Sandrine Valentie et Juan Carlos Crespo, traducteurs et interprètes, ou encore Françoise Henry, Pierre-Yves Dallas, Brigitte Mauret, Jean-Louis Brunin qui deviennent chargés de mission au sein du comité

2 MauriceDuchêne,Synthèse des Bilans techniques et sportifs des premiers Jeux Pyrénéens de l’Aventure,Rapportnonpublié,1994.

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d’organisation des Jeux. La gouvernance générale du projet comporte au plan local une organisation française et, presque séparément, une organisation espagnole reliée par des acteurs en charge de la traduction et des relations internationales internes. Les premiers financements viennent de la DATAR, puis l’ensemble de cette organisation obtient le soutien des pouvoirs publics au niveau du gouver-nement d’Aragon en Espagne et jusqu’au niveau ministériel en France (Suchet, 2012). Mais en dépit de cette progression du dossier, un premier rapport de force oppose dès 1991 le créateur du projet, Jacques Marion, qui souhaite rester maître du montage, et les élus politiques qui financent les Jeux et considèrent que « c’est celui qui paye qui décide ». Plus encore, à partir de 1992, les change-ments de responsables politiques, notamment au sein du conseil général des Hautes-Pyrénées, vont déstabiliser fortement l’organisation. Enfin, la mise en redressement judiciaire de l’entreprise chargée de commercialiser l’événement au cours de l’année 1993, ne permet pas de retirer des bénéfices finan-ciers liés au sponsoring et donne un coup fatal à toute la communication prévue autour des Jeux. Au final, avec un coût global (en France et en Espagne) de 13,2 millions de francs3, sans compter la construction des pistes de roller et de BMX autour du lac de Vielle-Aure et certains éléments annexes, l’événement accuse un déficit de presque 2 millions de francs. De fait, les Jeux pyrénéens de l’aventure ne connaîtront pas de seconde édition, et conjoin-tement c’est l’ensemble du projet Pyrénées : Laboratoire de l’Olympisme qui avorte.

II • Un projet de dévelop-pement sportif et touris-tique sans aménagement lourd du milieu naturelDès l’origine, ce programme rejette l’idée d’un aménagement lourd de l’espace. Il s’agit de « ne pas laisser de traces indélébiles » dans le cadre d’un développement pyrénéen à faible impact environnemental4, et de suivre la ligne d’une certaine « légèreté » financière, sportive et aménagiste. Le coprésident des Jeux, Maurice Dubarry, affirme notamment dans la presse : « ces nouveaux sports ne nécessitent pas d’inves-

3 MauriceDuchêne,Bilan des premiers Jeux Pyrénéens de l’Aven-ture… Quel avenir pour les Jeux Pyrénéens de l’Aventure,Rapportnonpublié,1994,p.15.

4 Interviewdel’équiped’organisationautourdeJacquesMariondansÉtienneFollet,LesPyrénéesentrentenjeu,Montagnes Magazine,mai1993.

tissements lourds. Pas de stade ni de remontées mécaniques, pas de grosses infrastructures » 5.

Les investissements de structure en faveur de l’organisation des Jeux pyrénéens de l’aventure se composent donc seulement et volontairement d’un mur d’escalade et d’un ensemble de pistes pour les épreuves de freestyle (roller, BMX et skateboard6). Plus précisément, il s’agit d’un mur d’escalade démontable de marque ERE évalué à 360 000 francs, c’est-à-dire dont les plaques ont été achetées pour cette somme puis montées sur un échafaudage en location lui-même fixé au sol par un système de contrepoids (document 1) et surtout de la construction des pistes de roller et de BMX autour du lac de Vielle-Aure avec créa-tion d’une seconde retenue d’eau, pour un coût total de 1,2 million de francs dont le plan de financement était : 25 % la commune de Vielle-Aure, 34 % l’État et 41 % le conseil général. Cette double installation, surnommée localement le Stade d’Agos ou les Stades d’Agos, jouxte la Neste d’Aure et la petite route départementale 19. Schématiquement : une seconde route est construite le long du lac de Vielle-Aure au bord duquel une île est aménagée avec un bâtiment de service (sanitaires, espace de rangement, télé-phone, prises électriques…) reliée à la berge par un ponton ; un second lac creusé en ovale repré-sente l’intérieur d’une piste de roller ; et entre les deux se trouve la piste de BMX ou stade de bicross (document 2). La première retenue d’eau, connue sous le nom de lac de Vielle-Aure, existait déjà pour des raisons semi-naturelles : il s’agit d’une ancienne gravière abandonnée, c’est-à-dire une carrière de granulats7. Les discours politiques de l’époque annonçaient vouloir « réutiliser un site délaissé et redonner un nouveau dynamisme à cette berge de la Neste d’Aure »8. Autrement dit, la mise en place de cet équipement sportif correspond déjà en fait à une opération de recon-version de friche (dans le sens étudié par Penel, 2005, ou Haschar-Noé, 2008). Il s’agissait d’im-planter ce double stade de freestyle proche mais tout de même distant de Saint-Lary et de l’axe routier qui permet de rejoindre Tarbes ou

5 InterviewdeMauriceDubarrydansSportetVie,n°18,mai/juin1993,p.33.

6 LesitedeVielle-Aureneconcentrequecertainesépreuvescourtesoucertainesphasesd’entraînementetderéglagedumatérielpuisquelesépreuvesdedescentesontorganiséessurlarouteentreSaint-Laryetleplatd’Adet.

7 Lesgravièressetrouventgénéralementprochesd’uncoursd’eauoudansunfonddevalléecaractériséparunenappephréatiqueélevée,sibienqu’ilsseremplissentsouventnaturellementd’eaupourformerunétang.

8 Jean-LouisAmella,Agos:unstadesortideterre,LaDépêcheduMidi,15avril1993.EtproposattribuésàMauriceDubarryparMauriceDuchêne,entretien2010.

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Lannemezan au nord et l’Espagne au sud. Le site retenu, sur la commune de Vielle-Aure, devait ainsi permettre d’éviter un effet de polarisation autour des zones déjà fortement attractives tout en bénéficiant d’une accessibilité importante en vue d’attirer une fréquentation diversifiée (clubs sportifs, compétitions organisées, groupes scolaires, touristes, clubs de vacances etc.). Vincent Mir précise à l’époque dans la presse : « ces Jeux Pyrénéens doivent nous conduire à mener une politique d’aménagement commune au niveau de la vallée, autant pour l’utilisation des infrastructures que pour leur financement. Prenons l’exemple du Stade d’Agos : toute la vallée va en profiter »9. Administrativement, cet aménagement est donc pensé en accord avec le contrat station-vallée, c’est-à-dire une procédure de développement local qui solidarise les stations de ski avec leur vallée afin de répartir les impacts du tourisme en montagne. Aucune personne en particulier n’est toutefois prévue pour s’occuper des équipements sportifs après les Jeux. Tous les documents de programmation s’arrêtent au prin-temps 1993. En suivant la sociologie des organi-sations (Crozier & Friedberg, 1977 ; Friedberg, 1997), il manque donc l’identification formelle d’un acteur responsable de la reconversion du site après les Jeux.

Document 1 – Photographie de l’épreuve d’escalade

des Jeux pyrénéens de l’aventure 1993 sur la plaza Mayor de Aínsa en Espagne

Source : archives privées de Maurice Duchêne

9 Jean-HenriMir,LesJeuxPyrénéensdel’Aventure,j’ycrois,La dépêche du Midi,2mai1993.

Document 2 – Photographie aérienne des installations construites pour les épreuves de

freestyle des Jeux pyrénéens de l’aventure 1993

Source : Google Earth, capture 2008, géocodage de la photographie 0.33945000 ; 42.84315000

III • Une reconversion des équipements plusou moins difficileConcernant le mur d’escalade, la reconversion est matériellement facile puisqu’il s’agit d’une structure démontable en plaques modulables. Les débats portent plutôt sur l’attribution de ce bien à l’une ou l’autre des parties, un peu comme dans la situation d’un partage d’héritage. Au lendemain des Jeux, une première controverse débute entre la France et l’Espagne : « La structure artificielle d’escalade. […] Comme les plans de financement n’ont jamais été très clairs entre Français et Espagnols, on se demande aujourd’hui qui est le propriétaire de la structure ! Avec un investissement de 110 000 francs seulement (contre 250 000 du côté français), les Espagnols auraient réussi une bonne opération »10. Ce conflit d’attribution entre les deux pays coorganisateurs des Jeux confirme la faiblesse des solidarités trans-frontalières déjà présente au sein de la gouvernance locale du projet (Suchet & Jorand, 2012). Avec l’aide des services ministériels qui avaient soutenu les Jeux, la France parvient à conserver la structure, mais se pose alors la question entre un usage relati-vement public et une attribution strictement spor-tive. Il était convenu au départ que cette structure reste propriété du comité des Jeux pyrénéens de l’aventure 1993, mais revienne en gestion au comité départemental de la FFME en échange de l’organisation complète des épreuves d’escalade. Mais après les Jeux, certains responsables du tourisme à Saint-Lary « montent au créneau ». Ils considèrent que « cette structure a été payée par le

10 JeanDitreau,Lagrognedesmontagnards(JeuxPyrénéensdel’Aventure),Détective,5juin1993,p.25.

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contribuable pour la vallée d’Aure […] elle devait rester dans les stations, à Saint-Lary ou à Piau-Engaly, pas dans un hangar interdit à toute personne non licenciée, non autorisée ou quoi que ce soit »11. Ce conflit tourne autour des questions de politique sportive fédérale et de valorisation touristique des stations de ski pendant la saison estivale (tableau 1). On retrouve d’un côté la FFME, un club multi-acti-vités de Tarbes et le conseil général des Hautes-Pyrénées, en faveur d’un usage sportif, scolaire et spécialisé du mur, mais totalement déconnecté de l’organisation passée des Jeux pyrénéens de l’aven-ture, et d’un autre côté, l’office du tourisme et la municipalité de Saint-Lary qui défendent un usage plus local du mur dans l’objectif d’en faire une attraction touristique en mémoire des Jeux pyré-néens de l’aventure dans la vallée d’Aure.

Tableau 1 – Constituants et acteurs du conflit d’attribution de la structure artificielle d’escalade

en France

FFME (comité départemental Hautes-Pyrénées)club ANT de Tarbes et Pierre Dolloconseil général Hautes-Pyrénées

Office de tourisme et municipalité de Saint-LaryCertains des anciens chargés de mission dans l’organisation des Jeux pyrénéens de l’aventure et vraisemblablement Vincent Mir

Prévisions d’entretien et de conservation de la structure.Intentions d’usage scolaire, associatif et fédéral.Restriction d’accès, d’horaire et de niveau (par ex. licence FFME obligatoire)

L’objectif est de laisser la structure plus ou moins en libre accès, voire en plein air, entretien réduit.Intentions d’usage scolaire, associatif, commercial (notamment pour servir de support d’initiation au bureau des guides) et libre.

Acteurs spécialisés dans l’escalade (gestion d’une structure artificielle, organisation de rencontres, entrainements).Acteurs sportifs (clubs et fédérations sportives).Acteurs politiques du département.

Acteurs non-spécialisés dans l’escalade.Acteurs du tourisme et du développement local.Acteurs politiques de la commune.

Ne mentionnent à aucun endroit les Jeux pyrénéens de l’aventure 1993, ni sur un panneau proche de la structure, ni sur les documents relatifs au mur d’escalade, ni sur le site Internet actuel.

Volonté d’affichage local, conserver une mémoire de l’évènement, attraction touristique.Laisser le drapeau des Jeux pyrénéens de l’aventure au dessus du mur.

En septembre 1993, les différentes menaces de procédure en justice entre les acteurs des deux

11 Proposattribuésaudirecteurdel’officedutourismedeSaint-Laryen1993,etàdesmembresduconseilmunicipaldelacommune-station.

bords restent sans effet. La structure est reprise par le comité départemental de la FFME à Tarbes12. Elle est cogérée par la section escalade du club ANT présidé par Pierre Dollo et par le conseil général des Hautes-Pyrénées pour la formation jeune escalade en région Midi-Pyrénées. Une fois la structure entièrement démontée (l’échafaudage et le système de contre-poids étaient en location), les plaques sont instal-lées dans le grand gymnase du collège Desaix de Tarbes, propriété du conseil général, avec un usage partagé entre les scolaires et la section escalade du club qui entraine le haut niveau départemental FFME. Selon, un des responsables actuels du club « le mur sert en EPS, en UNSS… le soir, les mercredis et les week-ends pour le club, plus les compétitions… le mur sert mini-mum 8h par jour, 6 jours sur 7 depuis vingt ans ! »13. Effectivement, plusieurs compétitions de niveau régional et interrégional s’y déroulent chaque année (document 3). Une reconversion de l’équipement que l’on peut donc évaluer comme une réussite.

Document 3 – Photographie actuelle du mur d’escalade des Jeux pyrénéens de l’aventure 1993

Source : photographie André Suchet, 2012. Photographie prise pendant l’une des compétitions jeune escalade orga-nisée par le club, le 17e Top des P’tits grimpeurs.

Concernant les pistes de roller et de BMX autour du lac de Vielle-Aure, la situation est différente et les acteurs intéressés par sa prise en charge sont plus rares. Après la fin des Jeux pyrénéens de l’aventure 1993, deux projets sont imaginés afin de pérenniser l’activité du site. Premièrement, le projet d’ouverture d’un club local de freestyle autour de l’une des anciennes chargées de mission de Nouvelles Pyrénées : Brigitte Mauret14. Elle affirme vouloir « animer la vallée tout au long

12 EntretienavecPierreDollo,membreducomitédirecteurdelaFFME,surlesited’informationwww.kairn.com/article.html?id=573.EtPierreDollo,entretiencomplémentaire2011.

13 JoséVinambres,entretiencomplémentaire2012.

14 Jean-LouisAmella,Unclubpouranimerlapiste,La Dépêche du Midi,3octobre1993.

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de l’année, avec même des entraînements indoor l’hiver », mais celle-ci délaisse ensuite le dossier à cause d’un accident. Un petit groupe fréquente la piste quelque temps mais sans suite et le nombre de pratiquants réguliers en vallée d’Aure est insuf-fisant. Le deuxième projet, soutenu par le créa-teur des Jeux, Jacques Marion, au nom de sa structure commerciale Nouvelles Pyrénées, vise à constituer un centre national, voire international, de BMX. Il s’agit d’organiser pendant la saison estivale des championnats et des stages prépara-toires « en altitude » pour les équipes sportives de cette discipline comme il en existe dans le sport de haut niveau (entraînements à 780 mètres et logements à 900 ou 1 000 mètres d’al-titude, ce qui est relativement bas pour un objec-tif de préparation physique d’altitude). Le projet – rédigé par l’entraîneur national de la fédération Michel Lalande – est l’objet de quelques réunions au comité national de bicross de la FFC15. Un partenariat débute avec les thermes de Saint-Lary « pour mettre en place des soins spécialement desti-nés aux athlètes de freestyle »16. Jean-Jacques Lafontaine et Jacques Marion organisent une compétition transpyrénéenne en octobre 1994 et reçoivent quelques groupes de BMX et skate-board en stage17, mais sans déclencher une véri-table dynamique de développement. Il faut dire que cet équipement urbain de roller et de BMX fédère difficilement une population rurale et montagnarde, sans être utilisable pour autant durant la saison hivernale de forte activité autour du ski.Dans les entretiens, Jacques Marion affirme que sa relation difficile avec les élus politiques après le déficit des Jeux en 1993 perturbait le dossier18. La municipalité de Vielle-Aure renvoie le dossier au secteur associatif et privé19. Chacun critique forte-ment la situation, mais tous ces arguments contraires donnent plutôt l’impression d’un renvoi réciproque des responsabilités (tableau 2). Tandis que les autres acteurs qui seraient à même de s’impliquer dans l’animation des deux pistes, affirment leur désaccord avec la gestion actuelle du site, mais ne veulent pas prendre le risque

15 MichelLalande,Vielle-Aure : centre international de BMX ?Rapportnonpublié,CommissionnationaledeBicrossdelaFFC.Compte-rendudelaréuniondumardi29juin1993àAnger,Nouvelles Pyrénées,SylvainDuployer.

16 JacquesMarion,entretien2009.

17 1ère Transpyrénéenne de Bicross, 29 et 30 octobre 1994,feuilletdelaFFC/commissionrégionaleBMX.RaymondSpringinsfeld,Skateboard.Pisted’Argos:s’inventerunavenir,LaNouvelleRépubliquedesPyrénées,17mai1993.AprèslesJeuxPyrénéens:OnpréparedesstagesdeBMX,skateetroller,LaDépêcheduMidi,12juin1993.

18 JacquesMarion,entretien2009.

19 CommunicationtéléphoniqueaveclamunicipalitédeVielle-Aure,2008.

d’un échec20. On retrouve par exemple dans cette position : des anciens chargés de mission pour l’organisation des Jeux en 1993, un consul-tant spécialisé en tourisme de Saint-Lary et diffé-rents représentants d’organismes privés du sport et du tourisme en vallée d’Aure (en particulier Carole Pellarrey qui dirige une structure d’héber-gement et de séjours sportifs très active au plan régional justement basée à Vielle-Aure : AdHoc). Pour eux, l’enjeu consiste à ne pas se décrédibili-ser professionnellement sur ce dossier délicat. Le consultant de Saint-Lary estime par exemple que « le dossier d’Agos est mal parti au départ, si on intervient, on risque de se retrouver à porter la responsabilité d’un échec qui n’est pas de notre faute ! Nous n’avons pas été consultés au moment

20 CarolePellarrey,entretien2007.Anonyme,consultantspécialiséentourismebaséàSaint-Lary,entretien2009.

Tableau 2 – Constituants et acteurs de la reconversion des pistes de roller

et de BMX d’Agos

Municipalité de Vielle-Aureet certains responsables du contrat-station vallée ou du tourisme en vallée d’Aure

Jacques Marion, créateur des Jeux pyrénéens de l’aventure et certains des anciens chargés de mission dans l’organisation de cet événement

Carole Pellarrey, gérante de AdHoc, un consultant spécialisé de Saint-Lary, et quelques uns des professionnels du sport dans la vallée

Acteurs publics du tourisme et du développement local.Acteurs politiques de la commune et de l’intercommunalité.Acteurs non-spécialisés.

Acteurs privés du sport, du tourisme et du développement local.Secteur privé et associatif.Acteurs plus ou moins spécialisés.

Acteurs privés du sport, du tourisme et du développement local.Professionnels indépendants.Acteurs plus ou moins spécialisés.

Tentent de soutenir les projets des acteurs privés mais ne s’engagent pas en tant que porteurs de projet.Accusent les projets de non-viabilité économique.Accusent les acteurs liés aux Jeux de vouloir tirer profit à titre personnel des projets de reconversion pour financer leur professionnalisation locale.

Formulation de différents projets sans lendemain.Se plaignent d’un soutien économique insuffisant des pouvoirs publics.Se sentent rejetés à cause des conflits qui les opposent au pouvoir politique départemental suite au déficit de l’organisation des Jeux pyrénéens de l’aventure en 1993.

Critiquent le manque d’entretien des pistes, mais considèrent qu’ils ne peuvent pas s’occuper de ce dossier qui représente trop de travail et qu’ils ne doivent pas rattraper « les erreurs des autres ».Volonté de ne pas se décrédibiliser professionnellement sur ce dossier délicat.

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La reconversion des équipements d’une grande compétition sportive de natureAndré Suchet

de la conception du site, je laisse donc les autres se débrouiller avec ce qu’ils ont semé ». Au plan théorique, il ne s’agit pas tant d’un antagonisme entre public et privé, comme dans le cas des installations olympiques urbaines étudiées par Searle (2002), que d’un effet général de « patate chaude » entre l’ensemble des acteurs, qu’ils soient publics ou privés.

Plus récemment, autour des années 2000, l’office du tourisme de Vielle-Aure tente de reconvertir le site en zone de loisirs municipale sous le nom de base de loisirs d’Agos. Il s’agit de proposer un site multi-activités à destination de tous21. Un minuscule mur d’escalade est aménagé sur le bâtiment de service au milieu du premier lac et trois modules de skateboard freestyle sont fixés sur le goudron. Les deux plans d’eau sont classés zone de pêche. Un parcours santé, quelques toboggans, des jeux pour enfants et des tables de pique-nique meublent les berges (document 4). Selon l’office du tourisme, c’est aussi l’arrivée de plusieurs circuits de VTT ou de randonnées pédestres avec un grand parking qui peut servir de point de rendez-vous pour les départs en montagne.

Document 4 – La mise en valeur des installations en tant que base de loisir

Source : photographie André Suchet, 2012

Encore une fois la fréquentation reste modeste. Si la pêche attire un certain public le dimanche matin, l’herbe qui repousse partout est un indicateur acca-blant (document 5). Selon plusieurs entretiens, la majorité des familles ou des groupes qui disposent de temps libre « préfère aller en montagne ou faire des activités… plutôt que de rester là autour de ces bassins à faire le zouave sur ces petits trucs et sur ce mur d’escalade qui fait trois mètres de haut »22.

21 www.vielleaure.com/bouger/equipements_loisir/detail/LOIMIP065V5002VN/base_de_loisirs_d’agos.html

22 Entretienavecl’undesgardiensducampingLeLustousituédel’autrecôtédelaroute(visiblesurleDocument2).Réalisationégalementdeplusieursentretiensinformelsavecdespersonnesàproximitédusite.

Finalement, dans la précipitation, la piste de BMX est accordée au club de quad de la vallée qui dété-riore un peu le tracé puis abandonne également le site. Il faut dire que l’idée d’implanter ce double stade de freestyle en dehors du centre de Saint-Lary et de l’axe routier à grande circulation pour mieux en répartir les effets était finalement une « fausse bonne idée ». Dans cette vallée à faible densité de population, l’attractivité propre de cette installation était largement insuffisante pour engendrer un tel effet. In fine, cet éloignement du centre touristique réduit la fréquentation du site et empêche la station d’en bénéficier pour ses propres activités.

Document 5 – Photographie actuelle des installations de freestyle des Jeux pyrénéens

de l’aventure 1993

Source : photographie André Suchet, 2012

Conclusion : « la patate chaude » et les « pigeons qui se disputent un morceau de pain » ou deux situations de reconversion des équi-pements d’une grande compétition sportive

Vingt ans après les faits, le dossier des Jeux pyré-néens de l’aventure semble être un bon terrain d’étude pour analyser la reconversion des équipe-ments d’une grande compétition sportive de nature en France et en Espagne.L’interprétation des résultats confirme la littérature citée au début de cet article (Lefebvre & Roult, 2008 ; Augustin, 2008b, 2008a ; Muñoz, 2006 ; Billard, 2006 ; Searle, 2002 ; Roult & Lefebvre, 2010 ; Garcia-Ramon & Albet i Mas, 2000 ; Hiller, 2006). Un équipement collectif polyvalent (stade, gymnase, piscine) construit dans une zone urbaine bénéficie d’une capacité de reconversion bien plus grande qu’un équipement spécialisé (stade d’eau vive, tremplin de saut à ski, circuit de BMX, piste de

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La reconversion des équipements d’une grande compétition sportive de natureAndré Suchet

roller, etc.) construit en zone rurale ou monta-gnarde, en raison du nombre d’usagers potentiels. De plus, dans le cas d’un équipement sportif destiné à une activité saisonnière, il est important d’en assurer la cohérence territoriale. Par exemple, les candidatures récentes de certaines grandes villes littorales à l’organisation des Jeux Olympiques d’hiver sur la base d’une relative proximité avec des domaines skiables de moyenne montagne23 obligent à prévoir la construction d’équipements de sports d’hiver potentiellement inadaptés au contexte local (pas de clubs actifs dans ces activités, pas de public ni de pratiquants réguliers en nombre suffisant). La reconversion des sites olympiques en serait d’autant plus difficile. Dans notre cas d’étude, les enjeux des équipements de freestyle construits pour les Jeux pyrénéens de l’aventure 1993 concernent plus précisément la nécessité de partici-per à la diversification de l’offre en moyenne montagne tout en assurant la possibilité de rentabi-liser un site utilisable seulement l’été dans une vallée caractérisée par trois stations de ski, dont l’une des plus importantes de la région Midi-Pyrénées.

Ce travail confirme également les recherches qui montrent que les prévisions d’usage au moment de construire de telles installations ne doivent souffrir d’aucun excès, y compris par effet de volontarisme politique. Les études montrent, par exemple, que l’une des clefs du succès de la méthode barcelo-naise en 1992 était de construire le minimum de bâtiments nouveaux et d’organiser les épreuves au maximum à partir d’équipements existants rénovés (Garcia-Ramon & Albet i Mas, 2000 ; Augustin, 2008a). Dans notre cas d’étude, l’idée d’implanter ce double stade de freestyle en dehors du centre de Saint-Lary pour mieux en répartir les effets n’était pas réaliste, tout comme l’installation du mur d’es-calade au centre de la station n’aurait certainement attiré qu’une fréquentation occasionnelle et favorisé sa dégradation rapide.

Plus encore, en suivant l’histoire de l’aménage-ment, la reconversion des équipements d’une grande compétition sportive semble devenir de plus en plus difficile dans la mesure où pendant la grande époque des Trente Glorieuses les équi-pements du sport de haut niveau correspon-daient grosso modo à ceux du sport loisir ou du sport pour tous (Haumont, 1992 ; Augustin, 1995) ce qui est de moins en moins le cas (Bessy & Hillairet, 2002). Par exemple, une piscine olympique avec ses tribunes ne ressemble guère à un complexe aqualudique contemporain et le

23 IntentiondecandidaturesdeBarceloneàl’organisationdesJeuxOlympiquesd’hiver2018et2022;requêtedeNiceàl’organisa-tiondesJeuxOlympiquesd’hiver2018.

circuit de bosses des X Games n’est pas vraiment utilisable par le grand public.

Indépendamment de ces différentes réponses à la littérature, ce travail dégage deux grandes formes de situation : « la patate chaude » et les « pigeons qui se disputent un morceau de pain ». D’une part, avec le mur d’escalade, les débats portent sur l’attribution de ce bien à l’une ou l’autre des parties en présence, un peu comme dans la situa-tion d’un partage d’héritage (au sens étroit), bien que – à la différence d’une somme d’argent – il soit insécable. Les responsables de chacun des deux pays coorganisateurs des Jeux en 1993, puis la région Midi-Pyrénées, la municipalité de Saint-Lary, et la FFME en tant que fédération sportive se disputent la garde de cet équipement, un peu comme des « pigeons se disputent un morceau de pain ». Ce conflit d’acteurs tourne notamment autour des questions de politique sportive fédérale et de diversification de l’offre touristique en moyenne montagne. D’autre part, avec la double installation de Vielle-Aure, c’est-à-dire les pistes de roller et de BMX auxquelles il faut ajouter un bâti-ment de service, deux retenues d’eau et quelques aménagements annexes (mur d’escalade, modules de skateboard, parcours santé, jeux pour enfants), on se retrouve plutôt dans la situation où chacun « se renvoie la balle » comme si elle était une « patate chaude ». La municipalité tente de soute-nir les projets des acteurs privés mais refuse de s’engager en tant que porteur du dossier, tandis que les acteurs privés multiplient les projets sans lendemain ou inversement refusent de s’impliquer dans l’affaire pour ne pas prendre le risque d’assu-mer un échec. Bref, chacune des parties en présence critique la situation, mais aucune ne prend à sa charge le processus de reconversion et de valorisation du site. Ces deux grandes formes de situation, que l’on nomme ici « la patate chaude » et les « pigeons qui se disputent un morceau de pain » constituent dès lors les deux extrémités d’une ligne conceptuelle que l’on peut retenir séparément de cette étude de cas.

Dans tous les cas, en suivant les apports de la sociologie des organisations (Crozier & Friedberg, 1977 ; Friedberg, 1997) au sein d’une géographie sociale préoccupée des intentionnalités humaines (Gumuchian, Grasset, Lajarge & Roux, 2003 ; Cavaillé & Milian, 2008), ces résultats démontrent une désorganisation du système d’acteur respon-sable des Jeux après 1993, c’est-à-dire au moment de prendre en charge cet héritage (au sens large). Cette situation découle de l’absence d’un respon-sable de la reconversion des équipements formel-lement identifié avant même le début des Jeux ; un aspect qui peut se décliner presque directement

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La reconversion des équipements d’une grande compétition sportive de natureAndré Suchet

sous la forme de recommandations à l’usage des organisateurs de grandes manifestations.

Enfin, le principe même de reconversion des sites d’une grande compétition sportive – que l’on devrait plutôt nommer réattribution – ne devrait être qu’une étape dans le processus d’aménage-ment. L’idéal serait plutôt de considérer l’organi-sation d’une grande compétition sportive inséparablement du projet de développement à long terme des zones concernées, de manière à passer d’une logique de reconversion composée d’une phase pré-événement et d’une phase post-événement à une logique d’agenda et de projet territorial rythmé par différents grands événe-ments (sportifs, culturels, scientifiques, poli-tiques…). La réussite de quelques grandes villes à travers le monde comme Barcelone (Vallat, 2006 ; Gold & Gold, 2010) semble déjà montrer la voie mais, il reste encore un long chemin à parcourir, tout particulièrement dans le cas des zones rurales, montagnardes ou périphériques.

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