LES SÉQUELLES DE LA DÉCHRISTIANISATION DE L'AN II : L'HÉRITAGE LAÏC SOUS LE CONSULAT ET L'EMPIRE

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LES SÉQUELLES DE LA DÉCHRISTIANISATION DE L'AN II : L'HÉRITAGE LAÏC SOUS LE CONSULAT ET L'EMPIRE Xavier Maréchaux La Fondation Napoléon | Napoleonica. La Revue 2012/3 - N° 15 pages 4 à 16 ISSN 2100-0123 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-napoleonica-la-revue-2012-3-page-4.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Maréchaux Xavier, « Les séquelles de la déchristianisation de l'an II : l'héritage laïc sous le Consulat et l'Empire », Napoleonica. La Revue, 2012/3 N° 15, p. 4-16. DOI : 10.3917/napo.123.0004 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Fondation Napoléon. © La Fondation Napoléon. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 208.120.226.89 - 11/04/2013 16h29. © La Fondation Napoléon Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 208.120.226.89 - 11/04/2013 16h29. © La Fondation Napoléon

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LES SÉQUELLES DE LA DÉCHRISTIANISATION DE L'AN II :L'HÉRITAGE LAÏC SOUS LE CONSULAT ET L'EMPIRE Xavier Maréchaux La Fondation Napoléon | Napoleonica. La Revue 2012/3 - N° 15pages 4 à 16

ISSN 2100-0123

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Maréchaux Xavier, « Les séquelles de la déchristianisation de l'an II : l'héritage laïc sous le Consulat et l'Empire »,

Napoleonica. La Revue, 2012/3 N° 15, p. 4-16. DOI : 10.3917/napo.123.0004

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Xavier Maréchaux, « Les séquelles de la déchristianisation de l’an II. L’héritage laïc sous le Consulat et l’Empire », Napoleonica. La Revue, n° 15, décembre 2012 3

LES SÉQUELLES DE LA DÉCHRISTIANISATION DE L’AN II : L’HÉRITAGE LAÏC SOUS LE CONSULAT ET L’EMPIRE

par Xavier MARÉCHAUX

RÉSUMÉ La déchristianisation de l’an II est vue comme un phénomène limité dans le temps par la plupart des historiens de cette période. Cependant des aspects déchristianisateurs propres à ce phénomène vont perdurer bien au-delà de l’an II, et pour certains jusqu’à la fin de l’Empire. Cet article s’attache à suivre trois d’entre eux sous le Consulat et l’Empire : le mariage des prêtres, l’utilisation du calendrier républicain par les prêtres mariés cherchant à se réconcilier avec l’Église, et le maintien de la toponymie révolutionnaire. Ces phénomènes sont minoritaires mais ils n’en dessinent pas moins des cartes cohérentes qui, tout en reprenant celle du serment constitutionnel, annoncent celles du vote républicain de la fin du XIXe siècle et de la baisse de la pratique religieuse après la Seconde Guerre mondiale. Ils sont ainsi annonciateurs d’une nouvelle laïcité républicaine.

ABSTRACT The “dechristianisation” of An II has been seen by most historians of this period as a chronologically circumscribed phenomenon. However, some of the “dechristianising” aspects specific to this period lasted much longer than An II, indeed for some right to the end of the Empire. This article follows three of these aspects during the Consulate and Empire, namely: the marriage of priests, the use of the Republican calendar by married priests who were attempting to reconcile themselves with the Church, and the preservation of revolutionary toponymy. Though minor in themselves, these phenomena nevertheless map a coherent outline and, along with the constitutional oath, are the precursor of the Republican vote of the end of the 19th century and the drop in religious observance after the Second World War. As such, these aspects are heralds of a new Republican “laïcité”.

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LES SÉQUELLES DE LA DÉCHRISTIANISATION DE L’AN II : L’HÉRITAGE LAÏC SOUS LE CONSULAT ET L’EMPIRE

par Xavier MARÉCHAUX*

La déchristianisation de l’an II, telle qu’elle est traditionnellement décrite, est une période

relativement courte dans l’histoire de la Révolution française -de septembre 1793 à juillet 1794-

pendant laquelle l’Église catholique a subi de nombreuses attaques dans le but de la détruire. C’est un

épisode particulièrement complexe, de par le nombre d’acteurs et les différentes formes prises par ce

mouvement, qui a fait l’objet de nombreuses et souvent divergentes interprétations. L’analyse

« classique », défendue par des historiens tels que Claude Langlois et Michel Vovelle, met l’accent sur

le rôle des Lumières dans l’affaiblissement de l’Église catholique à la veille de la Révolution et dans le

déclanchement de la déchristianisation de l’an II, dont les effets s’inscrivent dans la longue durée.

Cette analyse est remise en question par une historiographie plus en vogue aujourd’hui, prônée par

des historiens comme John McManners, Bernard Plongeron ou Nigel Aston qui au contraire

promeuvent l’idée d’une Église au sommet de sa puissance en 1789. Selon ces auteurs, la

déchristianisation de l’an II est le fait des circonstances et n’a eu que peu d’influences sur la pratique

religieuse ; pour certains auteurs, la fin de la déchristianisation s’accompagne d’un renouveau du

catholicisme qui se prolonge bien au-delà de la Révolution1. Cependant, malgré ces divergences

d’interprétations, tous ces historiens reconnaissent le caractère temporaire du mouvement de

déchristianisation et le limitent à l’an II avec comme date butoir le 9 thermidor, annonciateur à la

fois de la mort de Robespierre et du culte de l’Être suprême dont il était l’instigateur. L’analyse de

Nigel Aston, selon laquelle « les Thermidoriens, réalistes, passèrent la déchristianisation par pertes et

profits en supprimant les aspects les plus sanglants d’une politique qui n’avait rien fait pour faire

* Xavier Maréchaux est professeur d’histoire et d’éducation à Old Westbury College State University of New York. Il a obtenu son doctorat en 1995 à l’université de Paris I sous la direction de Michel Vovelle. Ses recherches ont pour objet les phénomènes de déchristianisation de la Révolution à l’Empire. 1 Sur ce débat voir notamment Jonathan SHEEHAN, “Enlightenment, Religion, and the Enigma of Secularization: A Review Essay”, dans The American Historical Review, n° 108- 4, Oct. 2003, p. 1061-1080, ainsi que Dale K. VAN KLEY, “Christianity as Casualty and Chrysalis of Modernity: The Problem of Dechristianization in the French Revolution”, dans American Historical Review, n° 108- 4, 2003, p. 1081-1104.

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apprécier la Révolution d’une majorité de la nation 2 », reflète la position historiographique

dominante.

Une étude plus fine de la déchristianisation de l’an II remet cependant en cause cette vision. Des

aspects déchristianisateurs propres à ce phénomène vont perdurer bien au-delà de l’an II, et pour

certains jusqu’à la fin de l’Empire. De nombreux auteurs mettent en avant les « héritages

républicains » de la Révolution qui auraient survécu sous le Consulat et l’Empire3. Notre étude

s’attache à démontrer que les héritages liés à la déchristianisation ne sont également pas absents de la

société française post-révolutionnaire et qu’ils contribuent avec les « héritages républicains » à la mise

en place d’une culture nouvelle fondée sur des principes laïcs bien différente de celle de la France

d’Ancien Régime. Cet article s’attache à rechercher les traces de la déchristianisation de l’an II sous le

Consulat et l’Empire, et à présenter en quoi celles-ci sont révélatrices d’un changement d’attitude

face aux préceptes et à la morale de l’Église. Avant de débuter notre analyse proprement dite, nous

présenterons un rapide résumé de la déchristianisation de l’an II pour les lecteurs peu familiarisés

avec ce sujet.

I) La déchristianisation de l’An II, un phénomène complexe4

La déchristianisation de l’an II est un phénomène complexe à étudier de par les nombreuses

formes prises par ce mouvement. Certains aspects de la déchristianisation de l’an II ont pu se mettre

en place avant l’an II (le nouvel état civil voté le 20 septembre 1792, le dernier jour de l’assemblée

législative par exemple) mais ce n’est que pendant l’an II, qu’est appliqué l’ensemble des mesures

déchristianisatrices. On peut les regrouper en quatre grandes tendances :

- La « déprêtisation » : son but est de détruire le clergé catholique. Plusieurs méthodes sont

utilisées pour ce faire : abdication des fonctions sacerdotales (voire apostasie dans certains cas),

mariage, déportation et exécution des prêtres pour les formes les plus extrêmes.

2 Niger ASTON, Religion and Revolution in France, 1780-1804, Washington D.C.: The Catholic University of America Press, 2000, p. 273. 3 Voir Jacques-Olivier BOUDON et Philippe BOURDIN, « Les héritages républicains sous le Consulat et l’Empire », dans Annales Historiques de la Révolution française, n° 346, 2006, p. 3-15. 4 Pour une analyse en profondeur de la déchristianisation de l’an II, voir la synthèse de Michel VOVELLE, La Révolution contre l’Eglise, de la Raison à l’Etre Suprême, Bruxelles : Éditions Complexe, 1988.

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- La laïcisation : son but est d’éradiquer les références chrétiennes dans la société française. Ce

processus prend plusieurs formes : substitution du calendrier républicain au calendrier grégorien,

mise en place d’un nouvel état civil tenu par les maires et non plus les curés, changement de nom de

lieux dans le but principal d’en supprimer les références chrétiennes et féodales, utilisation des

prénoms révolutionnaires sans référence aux saints et saintes du calendrier grégorien, éducation laïque

enlevée des mains du clergé.

- La destruction des symboles/édifices chrétiens : autodafés de costumes, livres, mobiliers

religieux ; destruction des statues religieuses, des croix, des églises et autres bâtiments religieux

(couvents, chapelles…)

- La mise en place de cultes de substitution : culte de la raison, culte des martyrs de la liberté

(Marat, Le Pelletier…), cultes civiques (cultes décadaires, fêtes des victoires de la République et

autres cérémonies commémoratives des grands événements de la Révolution) et culte de l’Être

suprême.

Mais davantage que ses nombreuses formes, c’est la difficulté d’en définir précisément les acteurs

et leur responsabilité respective qui rend le phénomène difficile à appréhender. Si les sans-culottes de

la proche banlieue parisienne sont les premiers à proclamer à la Convention leur renoncement au

culte catholique5, en province ce sont les représentants en mission qui sont les initiateurs de la

déchristianisation. Par la suite, l’analyse des acteurs se fait plus difficile de par le caractère à la fois

local et national du mouvement, plusieurs ondes se superposant les unes aux autres. On peut

néanmoins en discerner les principaux éléments : au niveau national les sections des sans-culottes

parisiens qui influencent à la fois la Convention et la province en tant que membres de l’armée

révolutionnaire parisienne envoyés dans les départements combattre le fédéralisme et l’invasion

étrangère ; en province, en plus des représentants en mission, les différentes autorités révolutionnaires

des départements (notamment les agents nationaux des districts, des départements, appuyés par des

armées révolutionnaires locales), mais aussi les municipalités, les comités révolutionnaires et les

sociétés populaires. Encore plus complexes à cerner que les acteurs, sont leurs motivations : la lutte

contre le « fanatisme et les superstitions » se mêlent parfois à des luttes de pouvoir (entre les

hébertistes et les robespierristes à Paris, par exemple).

5 Le 30 octobre 1793, les communes de Ris et Mennecy du département de la Seine-et-Oise annoncent à la Convention leur renoncement au culte catholique.

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Que reste-t-il de la déchristianisation de l’an II sous le Consulat et l’Empire ? Au-delà des

destructions irréparables dues à l’iconoclasme révolutionnaire (auquel s’ajoute la vente des biens

nationaux) dont aujourd’hui on trouve encore la marque sur les édifices religieux, d’autres traces, plus

discrètes et par là même plus difficiles à discerner, se maintiennent après le Directoire. Nous avons

délibérément mis de côté les initiatives dont le gouvernement seul était l’auteur (comme la poursuite

de l’élaboration d’un enseignement laïc par exemple ou le maintien de l’état civil), pour nous

concentrer sur des attitudes individuelles ou limitées au cadre de la commune qui semblent

caractéristiques de changements, fruits de la déchristianisation de l’an II. Nous avons retenu trois

critères : le mariage des prêtres, l’utilisation du calendrier républicain et enfin, le maintien des noms

révolutionnaires des communes.

II) Le mariage des prêtres

Les premiers prêtres se marient dès le début de 1791, leur mariage religieux n’indiquant pas

encore une rupture avec l’Église : certains poursuivent –ou essayent de poursuivre– leurs fonctions

ecclésiastiques bien que mariés. La laïcisation de l’état civil en septembre 1792 facilite le mariage,

cette fois-ci purement civil, des prêtres qui désiraient rompre avec leur statut clérical. Cependant ces

prêtres avant l’an II ne sont qu’une minorité. Ils ne représentent que 3 % de l’ensemble des prêtres

mariés. C’est avec le lancement de la déchristianisation de l’an II, que le mariage des prêtres va être

utilisé par les adversaires de l’Église pour discréditer son clergé : le mariage est ainsi perçu comme une

mesure supplémentaire dans l’abdication forcée de leurs fonctions ou de leur état de prêtre. Il est

l’outil privilégié des représentants en mission : les prêtres qui se sont mariés pendant l’an II

représentent 69 % des 5 900 prêtres mariés6. Cependant le mariage des prêtres n’est pas propre à

l’an II : 28 % d’entre eux se sont mariés après cette période.

Au lendemain de la déchristianisation de l’an II, la séparation de l’État et de l’Église prononcée

par la loi du 18 septembre 1794 donnait en un sens pleine liberté aux prêtres pour se marier : 14 %

des mariages des prêtres eurent lieu sous le Directoire. Qu’en est-il du Consulat ? Le rétablissement

du lien entre État et Église catholique par le Concordat de 1801 signé par Bonaparte et le pape 6 Pour plus de détails, voir Xavier MARÉCHAUX, « La place des prêtres mariés dans l’histoire de la Révolution française », Mélanges Michel Vovelle, Paris : Société des études Robespierristes, 1997, p. 87-94.

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Pie VII avait pour but de mettre fin au schisme né de la Constitution civile du clergé et rétablir

l’ordre dans les rangs de l’Église. À cette fin, le pape avait envoyé en France, à la demande expresse de

Bonaparte, le Cardinal Caprara, évêque de Jesi, surnommé dans les milieux romains le « Cardinal

Jacobin » pour ses affinités avec les idéaux de la Révolution7. Le cardinal était un légat « a latere »,

avec le pouvoir de réconcilier les prêtres mariés avec l’Église en les autorisant à se marier

religieusement. La procédure était assez simple : les prêtres devaient adresser une supplique au

cardinal demandant le pardon du pape, à la suite de laquelle le cardinal autorisait (dans la plupart des

cas) leur mariage religieux8. La seule condition était que le mariage civil devait avoir eu lieu avant le

15 août 1801, date de la signature du Concordat par le pape. Malgré le Concordat et malgré

l’hostilité du gouvernement (dans certains cas), les prêtres continuèrent à se marier : 4 % sous le

Consulat de 1799 à 1801, et 3 % de 1802 à 1816. La difficulté pour le gouvernement provenait du

fait que ces mariages étaient légaux. En effet, le code civil de 1804 reprenait dans ses grandes lignes

les principes de la loi du 20 septembre 1792 sur l’état civil : légalement rien n’empêchait un prêtre de

se marier civilement. Afin de remettre un peu d’ordre dans les rangs du clergé, le grand juge Claude-

Ambroise Régnier et le ministre des Cultes Jean-Étienne-Marie Portalis rédigèrent un rapport le

9 juillet 1806, dont Portalis expose les principes dans une lettre datée du 30 janvier 1807 au préfet de

la Seine Inférieure à propos d’un mariage contracté par un prêtre de Rouen :

« La loi civile se tait sur le mariage des prêtres. Ces mariages sont généralement réprouvés par

l’opinion ; ils sont des dangers pour la tranquillité et la sûreté des familles.

Un prêtre catholique aurait trop de moyens de séduire s’il pouvait se promettre d’arriver au

terme de sa séduction par un mariage légitime. Sous prétexte de diriger les consciences, il chercherait

à gagner et à corrompre les cœurs, et à détourner à son profit particulier l’influence que son ministère

ne lui donne que pour le bien de la religion. En conséquence, une décision de Sa Majesté, intervenue

sur le rapport de Son Excellence Monsieur le grand-juge et sur le mien, porte que l’on ne doit point

tolérer les mariages des prêtres qui, depuis le Concordat, se sont mis en communication avec leur

évêque, et ont continué ou repris les fonctions de leur ministère. On abandonne à leur conscience

ceux d’entre les prêtres qui auraient abdiqué leurs fonctions avant le Concordat, et qui ne les ont pas

7 Pour plus de précisions sur la Légation du cardinal Caprara, voir Jeannine CHARON-BORDAS, Inventaire des Archives de la Légation en France du cardinal Caprara (1801-1808), Paris : Archives Nationales, 1975 et Xavier MARÉCHAUX, “The Reconstruction of Catholicism after the Revolution and the Mission of Cardinal Caprara”, Frederick C. Schneid et Jack R. Censer (éds), The Consortium on the Revolutionary Era (1750-1850) Selected Papers, 2007, High Point (North Carolina): High Point University, 2008, p. 250-257. 8 À noter que seulement 46 % des prêtres mariés contactèrent la légation entre 1801 et 1808, les autres demeurant ainsi en dehors de l’Église.

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reprises depuis. On a pensé, avec raison, que les mariages de ces derniers présentaient moins

d’inconvénient et moins de scandale9. »

Malgré l’objection du gouvernement, des prêtres vont continuer à solliciter le ministre du Culte

et le grand juge pour se marier. Treize le font de 1806 à 1816. Dans la même période, trois évêques,

trois maires et deux préfets dénoncent de tels mariages10.

Les prêtres mariés après le Concordat n’ont pas tous eu à subir les foudres du pouvoir civil.

Parmi eux, Charles de Talleyrand-Périgord est l’un des cas les plus connus et les plus scandaleux.

Bien que son statut d’ancien évêque et de nouvel époux ne soit un secret pour personne, il eut une

carrière prestigieuse au sommet de l’État du Consulat à la Restauration. Talleyrand, avec l’appui de

Bonaparte, demanda au pape le droit de se marier. Le 30 juin 1802, le cardinal Consalvi, secrétaire

d’État du pape, ne lui accorda qu’un bref de sécularisation, l’autorisant à vivre en laïc mais tout en

continuant à respecter les obligations sacerdotales dont le célibat, arguant qu’« aucun évêque sacré n’a

été dispensé, jamais, pour se marier ». L’ancien évêque d’Autun passa outre l’interdiction et se maria

civilement et religieusement en septembre 1802. Son épouse anglaise, Madame Grant, était divorcée

d’un homme encore vivant11 ! Malgré son excommunication, Talleyrand poursuivit ses fonctions de

ministre des Relations étrangères qu’il détenait depuis 1797, jusqu’en 1807. Il continua à occuper de

hautes fonctions sous la Restauration : chef du gouvernement provisoire en avril 1814, représentant

de la France au Congrès de Vienne en tant que ministre des Affaires étrangères, de nouveau chef du

gouvernement de juillet à septembre 1815, Talleyrand finit sa carrière politique comme ambassadeur

à Londres de 1830 à 1834. Ce n’est qu’en mars 1838 qu’il se réconcilia avec l’Église, deux mois avant

sa mort.

Guy Valory est le seul prêtre marié avec une carrière réussie dans l’armée. Après avoir étudié à

l’École militaire de Paris, il était sous-lieutenant quand sa famille le força à prendre un canonicat à la

cathédrale de Lille en 1777. En 1792 il reprit sa carrière militaire et se maria. En août 1803, il fut

nommé général de brigade. Devenu veuf en l’an VIII, il s’adressa deux fois au cardinal Caprara pour

obtenir la permission de se marier alors qu’il était commandant du département du Morbihan :

9 AN, F19/5693 10 AN, F19/5668 à F19/5708. 11 François -Désiré MATHIEU, Le Concordat de 1801, ses origines, son histoire, Paris : Perrin, 1903, p.347-349.

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« Ce serait avec un bien grand regret, Monseigneur, moi commandant ce département, que je

m’y déterminerais à y donner l’exemple d’un mariage contracté purement civilement, ce ne pourrait

être qu’à la dernière extrémité que je serais forcé d’en prendre la résolution.12 »

Il mit ses menaces à exécution et se maria civilement le 1er mai 1804. Son mariage n’eut

cependant pas de conséquences sur sa carrière militaire. Il reçut même le titre de baron en mars 1808.

Il garda sa position de commandant du Morbihan durant la Première Restauration mais fut mis à la

retraite en janvier 1816.

D’autres prêtres occupant des positions importantes dans l’État eurent aussi leur carrière

interrompue au début de la Restauration. Cependant, c’est leur attachement à Napoléon et non leur

statut de prêtres mariés qui leur valut leur mise à la retraite, que leur âge pouvait également justifier.

III) Le calendrier républicain

Selon Alphonse Aulard, la mise en place du calendrier républicain en octobre 1793 est « la

mesure la plus antichrétienne » de la Convention13. Richard Cobb surenchérit en voyant le nouveau

calendrier comme une « innovation sensationnelle » qui constitue une attaque contre les coutumes et

habitudes des Français et une tentative de détruire le catholicisme14. Il est vrai que si la présentation

du calendrier républicain fait partie de l’effort de rationalisation des poids et mesures hérités de

l’Ancien Régime –telle que la mise en place du mètre, du kilogramme et du litre– en utilisant là aussi

un système décimal, la suppression de la semaine (et donc du dimanche) ainsi que le remplacement

des saints par des noms d’« objets qui composent la véritable richesse nationale15 », ont pour effet de

supprimer toute référence chrétienne dans la mesure du temps.

Cependant pour la plupart des historiens, cette tentative a été un flagrant échec. Nigel Aston

résume en ces mots l’analyse dominante :

12 AN, AF/IV/1909. Dossier 2, pièce 321. 13 Alphonse AULARD, Le culte de la raison et le culte de l’Être suprême, Paris : Félix Alcan Editeur, 1892, p. 33. 14 Richard COBB, The people’s armies, New Haven: Yale University Press, 1987, p. 446. 15 Philippe FABRE D’ÉGLANTINE, Rapport fait à la Convention Nationale, dans la séance du 3 du second mois de la seconde année de la République Française, au nom de la Commission chargée de la confection du calendrier, par Ph. Fr. Na. Fabre d'Églantine, député de Paris à la Convention Nationale, présenté le 24 octobre 1793.

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« Le calendrier révolutionnaire n’a jamais pris au-delà des cercles officiels bien qu’il ait survécu,

bon gré mal gré, jusqu’en 1806, quand il fut finalement jugé incompatible avec la dignité d’un

régime impérial.16 »

C’est par faute d’un corpus cohérent, que de nombreux historiens en ont déduit son échec. Or

ce corpus existe : ce sont les suppliques des prêtres mariés auprès du cardinal Caprara. S’il existe un

groupe d’individus au lendemain du Concordat avec le moins de raisons d’utiliser le calendrier

républicain, ce sont bien ces hommes. Tâchons de saisir combien peut paraître incongru un tel usage.

Ces prêtres utilisent le symbole de la rupture avec le christianisme pour s’adresser au représentant du

pape en vue d’obtenir leur réconciliation avec l’Église catholique ! Cela paraît contradictoire, voire

même provocateur. Or nombreux sont ceux qui l’ont utilisé pour dater leur supplique adressée au

cardinal Caprara. On peut en déduire que son usage était loin d’être restreint.

Preuve que l’importance que revêtait l’emploi ou non du calendrier républicain ne leur a pas

échappée, les prêtres qui ont correspondu avec le cardinal Caprara ont usé de subterfuges pour

n’avoir pas à faire de choix : près d’un tiers n’ont pas daté leur lettre, laissant ce soin au contre-

signataire de leur supplique (curé de leur paroisse, évêque de leur diocèse, maires de leur commune

ou autres personnalités pouvant se porter garant du bien-fondé de leur demande). Pour les 1 839

prêtres qui ont daté leur lettre, 58 % ont utilisé le calendrier grégorien seul, 19 % ont utilisé à la fois

le calendrier républicain et le calendrier grégorien, enfin 23 % d’entre eux n’ont utilisé que le

calendrier républicain. Si on ne prend en compte que la période pendant laquelle le calendrier

républicain était officiellement en vigueur (de 1801 à 1805), ces pourcentages passent à 25 % pour

l’utilisation du calendrier républicain et à 21 % pour l’emploi des deux calendriers. Qui sont ces

prêtres ? De par leurs demandes et de par la date de leur lettre, ils ne se démarquent pas des autres

prêtres mariés (voir annexe 1).

Entre le début officiel de la légation du cardinal Caprara en septembre 1801 et l’annonce de

l’abolition du calendrier républicain (vote du Sénat du 10 septembre 1805 pour l’abolition du

calendrier républicain au 1er janvier 1806), c'est-à-dire des années 1802 à 1804 incluses –pour ne

prendre en considération que des années pleines–, l’utilisation du calendrier républicain oscille entre

25 et 27 % des demandes datées. Les demandes de réintégration dans leur fonction sacerdotale,

preuve incontestable d’attachement à l’Église catholique, sont adressées dans les mêmes proportions

16 Nigel ASTON, op. cit., p. 265.

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par les prêtres utilisant le calendrier républicain et l’ensemble des prêtres qui sont entrés en contact

avec Caprara.

Afin de mieux connaître les prêtres mariés utilisateurs du calendrier républicain, comparons la

profession de ces prêtres durant le Consulat et l’Empire avec celles de l’ensemble des prêtres mariés

(voir tableau ci-dessous).

Professions des prêtres mariés sous le Consulat et l’Empire

Ensemble

des prêtres mariés

Prêtres mariés n’utilisant que le calendrier républicain

Ensemble des prêtres mariés

Prêtres mariés n’utilisant que le

calendrier républicain

Enseignement 28 % 29 % Préfecture 4 % 3 %Justice 13 % 11 % Santé 3 % 6 %Mairie 10 % 7 % Artisanat 3 % 2 %Administration 10 % 14 % Agriculture 3 % 1 %Commerce 10 % 9 % Notariat 2 % 3 %Propriétaires 6 % 6 % Armée 1 % 1 %Prêtres 5 % 3 % Ministère 1 % 4 %

Les prêtres mariés se sont reconvertis dans les professions pour lesquelles ils étaient les plus

aptes : sans surprise, l’enseignement et les activités administratives représentent 68 % du total. Ce

pourcentage passe à 70 % pour ceux qui ont utilisé le calendrier républicain dans leur supplique à

Caprara. À noter que pour chaque catégorie de prêtres, les professions administratives étatiques

(locales et centrales) le pourcentage est quasiment le même (38 % pour la première, 39 % pour la

seconde). On peut donc en conclure qu’il n’y a pas de différences entre ces deux types de population

de prêtres mariés et que l’utilisation du calendrier républicain n’est pas symptomatique d’une

profession particulière, même si le fort pourcentage de prêtres utilisateurs du calendrier républicain

peut s’expliquer par son usage quotidien du fait de leurs fonctions administratives.

La répartition géographique des prêtres utilisateurs du calendrier républicain correspond dans

son ensemble à celle des assermentés de 1791 (voir la carte 217) avec cependant une extension des

zones de refus du serment : le Sud-Est et la région parisienne dont les assermentés et les prêtres 17 Les cartes 2 et 6 sont inspirées de l’ouvrage de Michel VOVELLE, La Révolution contre l’Église.

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mariés utilisateurs du calendrier républicain sont surreprésentés, et l’Ouest et le Massif Central où ils

sont sous-représentés. Certaines différences sont cependant notables dans les zones de refus du

serment, certains départements faisant tâche avec un pourcentage élevé de prêtres utilisateurs du

calendrier républicain. Il est difficile d’interpréter ces résultats faute de données statistiques assez

précises, cependant une analyse détaillée des suppliques met au jour des solidarités entre prêtres

mariés qui peuvent expliquer l’homogénéité dans la manière dont ces prêtres ont rédigé leur

supplique. Par exemple, dans le département de la Corrèze, trois des sept prêtres mariés qui utilisent

le calendrier républicain habitent Ussel. Ils occupent tous des fonctions judiciaires et ont écrit au

cardinal en l’espace de six semaines, dans l’été 1802. Dans le département du Puy de Dôme, trois

prêtres résidant à Ambert rédigent des lettres similaires au cours du mois de mars 1804. Cependant,

le fait que les zones où dominent à la fois prêtres mariés utilisateurs du calendrier républicain et

prêtres jureurs n’est pas dû au hasard. Les prêtres mariés sont aussi pour la très grande majorité des

prêtres assermentés (les prêtres réfractaires ne représentent que 2 % de l’ensemble). Leur attachement

à la constitution civile du clergé, et par là même au gouvernement révolutionnaire, se confirme

quelque dix années plus tard par leur utilisation du calendrier républicain. Bien que désireux de

rentrer dans le sein de l’Église, l’utilisation du calendrier républicain n’en marque pas moins leur

soutien au nouveau régime (Consulat puis Empire), qui leur a permis de rester mariés tout en leur

assurant une reconversion professionnelle réussie grâce au développement de nombreux emplois

administratifs.

IV) Le maintien du nom révolutionnaire des communes

Par le décret du 25 vendémiaire an II (16 octobre 1793), la Convention officialise la pratique de

changement du nom des communes. Le principe était de se débarrasser de tout ce qui pouvait

rappeler l’Ancien Régime et la superstition (saint, église…) et de prendre un nom qui embrasse les

idéaux révolutionnaires du moment en rebaptisant les communes d’adjectifs (libre, uni…), de noms

communs (la montagne, bonnet rouge…) ou de noms propres (Brutus, Rousseau, Marat…). Selon

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Michel Vovelle, un peu plus de 3 000 des 37 600 communes françaises –soit environ 8 % de

l’ensemble– ont ainsi changé de nom pendant l’an II18.

Le changement de nom des communes est encore un des aspects de la déchristianisation de l’an

II qui, selon l’historiographie actuelle, n’a eu que peu de portée. Il est vrai que, à l’instar du

calendrier républicain, cette pratique a été victime de l’action gouvernementale : par l’ordonnance du

8 juillet 1814, Louis XVIII donnait l’ordre aux communes qui ne l’avaient pas encore fait de

reprendre leur nom d’avant la Révolution. Mais n’est-ce pas la preuve que vingt ans plus tard, toutes

les communes n’avaient pas repris leur dénomination d’Ancien Régime ? Dès lors, on peut mettre en

doute les propos de l’historien J. F. Bosher pour qui la nouvelle toponymie révolutionnaire ne fut le

fait que d’une « minorité dictatoriale19. » Si ce fut le cas, comment expliquer que dès la fin de la

terreur ces communes n’aient pas repris leur dénomination antérieure ? On peut dès lors supposer

que le choix de conserver ou non le nom pris en l’an II n’a pu se faire sans l’accord de principe d’une

part importante de la population. Afin de mieux comprendre ce phénomène, nous nous sommes

attachés à recenser les communes qui ont gardé leur nom révolutionnaire, ou, pour être plus précis,

n’ont pas repris leur nom d’avant l’an II. Pour ce faire, nous avons comparé le fameux répertoire de

l’érudit De Figuère20 avec un dictionnaire des postes de 180221. L’ouvrage de De Figuères n’est pas

toujours complet ni précis mais c’est le seul qui couvre l’ensemble de la France.

Que nous dit notre enquête ? Sur les 3 000 communes ayant changé de nom pendant l’an II,

251 -soit environ 8,5 %- n’avaient pas repris leur nom d’Ancien Régime en 1802 (en sachant que

pour de nombreuses localités, le nom révolutionnaire cohabite avec celui d’avant l’an II). Deux tiers

de ces communes avaient des noms comportant des éléments religieux (saint, église, abbaye…), 31 %

des noms liés à la royauté ou à la féodalité (château, comte…) et 1 % les deux. Michel Vovelle avait

recensé qu’en l’an II un peu moins de 2 % de l’ensemble des communes françaises avait pris un nom

marquant un engagement révolutionnaire et non une simple laïcisation ou « déféodalisation » de leur

nom. En 1802, 16 localités sont à ranger dans cette catégorie. Pour ces 16 communes, ne se sont

maintenues que les références qui risquaient peu de choquer le nouveau pouvoir : « libre » et

18 Michel VOVELLE, op. cit., p. 69-77. 19 J.F. BOSHER, The French Revolution, A New Interpretation, London: Weidenfeld and Nicolson, 1989, p. 207. 20 R. DE FIGUERES, Les noms révolutionnaires des communes de France, Paris : Société de l’histoire de la Révolution Française, 1901. 21 A. F. LECOUSTURIER (l’aîné), F. CHAUDOUET, Dictionnaire géographique des postes aux lettres de tous les départements de la République française, Paris : Imprimerie de Vallade, 1802, 3 volumes.

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« liberté » viennent ainsi en tête avec cinq utilisations. À noter que ce sont les départements

frontaliers (le Nord avec deux références, la Moselle et le Haut-Rhin avec chacun un emploi) qui en

font le plus usage, avec comme exception Port-Liberté (anciennement Port-Louis) dans le Morbihan,

seule commune de toute la Bretagne ayant gardé son nom de l’an II. Viennent ensuite « égalité » avec

deux références, « union », « la loi », « le peuple » et « national » n’ayant été utilisés chacun qu’une

fois. Nous n’avons qu’une seule référence aux Lumières avec la ville de Montmorency en Seine-et-

Oise rebaptisée « Émile » en 1793, en commémoration de l’ouvrage que Jean-Jacques Rousseau avait

écrit sur place. La ville ne reprendra sa dénomination antérieure qu’en 1813.

Que peut-on conclure de cette analyse ? Avec moins de 1 % des communes (0,6 7 % pour être

précis) sur l’ensemble de la France qui n’ont pas repris leur nom d’Ancien Régime en 1802, avons-

nous à faire à un phénomène statistiquement représentatif ? A priori, on pourrait penser que non.

Nous ferons remarquer que ce test peut être considéré comme le test ultime de la déchristianisation

collective : ne pas reprendre le nom d’Ancien Régime 8 à 9 ans après l’an II montre un engagement

fort des populations concernées en faveur de la déchristianisation/Révolution. La carte 4, où figurent

les communes en 1802 ayant conservé leur nom révolutionnaire en pourcentage du nombre de

communes par département, renforce cette impression22. Les communes n’ayant pas repris leur nom

d’Ancien Régime en 1802 ne représentent plus de 1 % des communes de leur département que dans

17 d’entre eux. Cependant leur répartition géographique reprend les contours de nos deux cartes

précédentes –celles du serment et de l’utilisation du calendrier républicain. Ces villes se concentrent

le long de l’axe rhodanien, en Bourgogne (Saône-et-Loire, Côte-d’Or, et Yonne- auxquels s’ajoute

l’Aube), le centre de la France (Loiret, Loir-et-Cher et Indre) et la région parisienne avec la Seine-et-

Oise et la Seine comme épicentre. C’est en effet dans ce dernier département que le taux de

communes ayant conservé leur nom révolutionnaire est le plus élevé (trois communes pour les 79 du

département, soit un taux de 3,8 %) et pour deux d’entre elles le nom marque un engagement

révolutionnaire (Bourg-Egalité pour Bourg-la-Reine, Issy-l’Union pour Issy). Autre foyer à l’écart de

cette zone, la Charente Inférieure avec un taux élevé de 3,4 % des communes de ce département qui

ont conservé leur nom révolutionnaire. Cette situation s’explique par le fait que la Charente

inférieure est l’un des départements où la déchristianisation s’est principalement manifestée par le 22 Le nombre de communes par département nous est fourni par l’ouvrage de Louis-Marie PRUDHOMME, Dictionnaire universel, géographique, historique, et politique de la France, Paris : Imprimerie de Baudoin, 1804-1805, 5 volumes.

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changement de toponymie avec un des taux le plus élevé de France : 27,5 % des communes de ce

département ont ainsi pris un nouveau nom en l’an II, soit plus de trois fois la moyenne nationale !

C’est également un département pour lequel le taux de prestataires du serment constitutionnel est

assez élevé.

Conclusion : Les séquelles de la déchristianisation de l’An II et la naissance d’une laïcité républicaine

Nos trois tests retraçant les séquelles de la déchristianisation de l’an II sous le Consulat et

l’Empire – mariage des prêtres, utilisation du calendrier républicain chez les prêtres mariés en contact

avec le Cardinal Caprara, et communes ayant conservé leur nom révolutionnaire – font apparaître des

phénomènes minoritaires mais qui n’en restent pas moins importants et significatifs : plus de huit ans

après l’an II, ils sont la preuve que la déchristianisation n’a pas été imposée que par la force –

quoiqu’en disent certains auteurs. Ils font la démonstration d’une perte d’influence de l’Église

catholique et du rejet de l’Ancien Régime au profit de nouvelles valeurs laïques et républicaines, dans

un contexte de rétablissement de l’Église en tant qu’Église d’État. En effet, les prêtres qui se marient

après le Concordat ne craignent plus la rupture avec l’Église et l’utilisation du calendrier républicain

chez les prêtres mariés cherchant à se réconcilier avec l’Église laisse supposer sa large utilisation parmi

la population française. Même si l’usage du calendrier républicain n’implique pas nécessairement le

rejet de l’Église (puisque des prêtres l’utilisent dans leur demande de réconciliation), il n’en

représente pas moins un soutien envers la France nouvelle née de la Révolution, soutien que traduit

également le maintien des noms révolutionnaire des communes. Ces transformations ne sont pas le

fruit du hasard ; elles se révèlent concrètement et de manière cohérente dans l’espace national tout en

s’inscrivant dans la longue durée : les cartes représentatives de ces tests reprennent la carte du serment

de 1791, tout en en annonçant d’autres, celle du vote républicain que nous avons représenté ici par

les élections législatives du 20 février 1876, qui marquent la victoire définitive de la république sur la

monarchie (carte 523), ainsi que la carte des zones de faible pratique religieuse au XXe siècle (carte 6).

23 Cette carte provient de l’ouvrage de Peter MCPHEE, A Social History of France, 1789-1914, New York: Palgrave Mcmillan, 2004, p. 207.

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Nous ne voudrions pas donner plus de poids qu’il n’en faut à notre enquête ; cependant, à

l’heure où l’historiographie la plus récente met l’accent sur la faible influence des Lumières en matière

de religion, sur le caractère éphémère de la déchristianisation de l’an II et sur le renouveau de l’Église

au lendemain de la Révolution, il nous semble important de rappeler que les germes d’une société

laïque ont bien été plantés pendant la Révolution et notamment pendant l’an II et qu’ils ont survécu

– voire même, se sont développés – sous le Consulat, puis l’Empire. Des comportements individuels

et collectifs sont là pour en témoigner.

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Annexe 1

Calendriers utilisés dans les suppliques adressées au cardinal Caprara

1801 % 1802 % 1803 % 1804 % 1805 % 1806 % 1807 % 1808 % Total % Grégorien 8 80 246 53 330 50 222 55 87 78 102 99 65 100 10 91 1070 58 Républicain 1 10 126 27 180 27 102 25 13 13 0 0 0 0 0 0 422 23 Dont demande de réintégration

0 0 32 25 14 8 9 9 3 3 0 0 0 0 0 0 58 14

Grégo. et républicain

1 10 96 20 153 23 83 20 12 12 1 1 0 0 1 9 347 19

Dont demande de réintégration

1 10 25 26 6 4 5 6 0 0 0 0 0 0 0 0 37 11

Total 10 100 468 100 663 100 407 100 112 100 103 100 65 100 11 100 1839 100 % réintégration/ total des demandes

45 31 10 9 16 11 16 0 16

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