La présomption d'innocence dans le discours doctrinal, 2006

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UNIVERSITÉ DE PERPIGNAN VIA DOMITIA FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES THÈSE Pour obtenir le grade de docteur en droit de l’Université de Perpignan Discipline : droit privé et sciences criminelles Présentée et soutenue publiquement par : Edith GUILHERMONT Le 22 septembre 2006 TITRE : LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL Directeur de thèse : M. Alain SÉRIAUX, professeur à l’Université de Perpignan Via Domitia Membres du jury : M. Philippe BONFILS, professeur à l’Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III M. Jean-Marie CARBASSE, professeur à l’Université de Montpellier 1 Mme Christine LAZERGES, professeur à l’Université de Paris I – Panthéon-Sorbonne M. Emmanuel PUTMAN, professeur à l’Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III

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U N I V E R S I T É D E P E R P I G N A N V I A D O M I T I A FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES

THÈSE

Pour obtenir le grade de docteur en droit de l’Université de Perpignan

Discipline : droit privé et sciences criminelles

Présentée et soutenue publiquement

par :

Edith GUILHERMONT

Le 22 septembre 2006

TITRE :

LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL

Directeur de thèse :

M. Alain SÉRIAUX, professeur à l’Université de Perpignan Via Domitia

Membres du jury : M. Philippe BONFILS, professeur à l’Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III M. Jean-Marie CARBASSE, professeur à l’Université de Montpellier 1 Mme Christine LAZERGES, professeur à l’Université de Paris I – Panthéon-Sorbonne M. Emmanuel PUTMAN, professeur à l’Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier M. Le professeur Alain SÉRIAUX d’avoir bien voulu

accepter de diriger mes recherches, mais aussi pour la totale liberté et confiance qu’il m’a

accordées tout au long de la réalisation de ce travail.

Mes remerciements s’adressent également à MM. Les professeurs, Emmanuel PUTMAN

(Université Paul Cézanne d’Aix-en-Provence), Michel VAN DE KERCHOVE (Facultés

universitaires Saint-Louis de Bruxelles), Philippe BONFILS (Université Paul Cézanne d’Aix-

en-Provence) et Mathieu DEVINAT (Université de Sherbrooke, Québec), qui ont consacré de

leur temps à m’écouter, et dont tous les conseils et remarques ont pu être très utiles.

Je remercie vivement les membres du département de droit privé de l’Université de

Perpignan pour leur si agréable accueil.

Mes plus chaleureux remerciements à Mlle Laurence JANNI, pour sa patience, son soutien,

sa confiance et son aide.

Merci enfin à M. Ulrich GRIEB et Mlle Sophie CHATAIGNIER, pour leur précieuse

contribution dans la traduction de la littérature allemande, ainsi qu’à M. et Mme Michel

GARCIN (Université Paul Cézanne d’Aix-en-Provence) pour leur disponibilité, leurs

encouragements et leur aide.

5

ABRÉVIATIONS

A P Archives parlementaires adde Ajoutez AFDP Association française de droit pénal AJ Pénal Actualité juridique pénal AN. Assemblée nationale Arch. phil. dr. Archives de philosophie du droit Arch. polit. crim. Archives de politique criminelle Art. Article Bull. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation CA Cour d’appel Cass. civ. Chambre civile de la Cour de cassation Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation CE Conseil d’État Chron. ou Chr. Chronique Comm. Commentaire Comp. Comparer Conv. EDH Convention européenne des droits de l’homme Cour EDH ou CEDH Cour européenne des droits de l’homme CPP Code de procédure pénale CRFPA Centre régional de formation professionnelle des avocats D. Recueil Dalloz doct. Doctrine DP Dalloz périodique Dr. pén Droit pénal éd. Édition ENM École nationale de la magistrature Gaz. Pal. Gazette du palais infra Ci-dessous J.-Cl. Civil Juris-classeur civil J.-Cl. Procédure pénale Juris-classeur de Procédure pénale JCP. Juris-classeur périodique (La semaine juridique) JO Journal officiel L. Loi n° Numéro op. cit. Déjà cité PA. Les petites affiches PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille PUF Presses universitaires de France Pulim Presses universitaires de Limoges Rép. Pén. et Proc. Pén. Répertoire de droit pénal et de procédure pénale Dalloz Rev. dr.pén. et crim. Revue de droit pénal et de criminologie Rev. gén. du droit. Revue générale du droit Rev. hist. droit. Revue d’histoire du droit Rev. int. crim. et pol. techn. Revue internationale de criminologie et de police technique Rev. int. dr. comp. Revue internationale de droit comparé Rev. int.dr.pén. Revue internationale de droit pénal Rev. pénit. dr. pén. Revue pénitentiaire et de droit pénal Rev. sc.crim. Revue de science criminelle et de droit comparé Rev. sociétés Revue des sociétés Rev. trim.dr.civ. Revue trimestrielle de droit civil RJPF Revue juridique personnes et famille RRJ. Revue de la recherche juridique, droit prospectif s. Suivant somm. comm. Sommaires commentés supra Ci-dessus T. Tome TGI Tribunal de grande instance Trib. Corr. Tribunal correctionnel V. Voir v° Verbo (mot) vol. Volume

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SOMMAIRE

INTRODUCTION....................................................................................................................... 9

PREMIÈRE PARTIE : L’OBJET DANS LE DISCOURS................................................... 41 TITRE 1 : L’ABSENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL JUSQU’À LA FIN DU XIXe SIÈCLE................................................................................................................................... 43

Chapitre 1 : La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence .......................... 45 Chapitre 2 : La doctrine du droit pénal moderne ............................................................................ 71

TITRE 2 : L’ÉMERGENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE COMME OBJET DE DISCOURS AU XXe SIÈCLE ....................................................................................................................................................... 93

Chapitre 1 : L’introduction de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal .................. 95 Chapitre 2 : La consécration de la présomption d'innocence en tant qu’objet de discours........... 127

DEUXIÈME PARTIE : LE DISCOURS SUR L’OBJET ................................................... 167 TITRE 1 : L’INTERPRÉTATION DOCTRINALE DES SOURCES DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ........ 169

Chapitre 1: La Révolution : source historique de la présomption d’innocence............................. 171 Chapitre 2 : Le discours sur les sources positives ......................................................................... 215

TITRE 2 : SIGNIFICATION ET FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL.............................................................................................................................................. 305

Chapitre 1: La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal............... 307 Chapitre 2 : Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence .............................. 407

CONCLUSION........................................................................................................................ 467

BIBLIOGRAPHIES................................................................................................................ 475 -I- CORPUS DOCTRINAL DE RÉFÉRENCE................................................................................................. 477 -II- BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ............................................................................................................. 493 INDEX DES MATIÈRES....................................................................................................... 507 INDEX DES NOMS PROPRES ............................................................................................ 509 TABLE DES MATIÈRES ...................................................................................................... 511

9

INTRODUCTION

1. Perspectives de la présomption d’innocence. La France, pays des droits de l’homme,

reconnaît, affirme et consacre la présomption d’innocence en droit positif. Pourtant, en

évoquant le titre de son sujet de thèse : La présomption d’innocence dans le discours

doctrinal, on parvient à susciter étonnement et incrédulité dans son entourage. Le profane,

ne retenant que la première partie de l’intitulé du sujet, pose alors cette question : comment,

la présomption d’innocence ? N’est-on pas plutôt présumé coupable en France ? La

question est embarrassante et la réponse malaisée. Si le juriste n’hésite pas à affirmer que

l’existence de la présomption d’innocence en droit français est certaine et ancienne, il peine

en revanche à convaincre ses concitoyens de cette réalité. La récente affaire d’Outreau et les

multiples suites médiatiques auxquelles elle a donné lieu, ont sans doute encore davantage

renforcé l’opinion négative des français. Elle s’explique en grande partie par l’ignorance de

la signification juridique de la présomption d’innocence. Il n’est en effet pas aisé de

concevoir le sens de cette règle pendant qu’un journaliste annonce, par exemple, la mise en

examen d’un « présumé » pédophile. En spécialiste qui connaît les subtilités des

dispositions relatives à la présomption d’innocence, le juriste dira qu’il n’y a pas d’atteinte à

la présomption d’innocence dans cet exemple. Manifestement, la maîtrise du savoir

juridique bouleverse la perspective. C’est ce savoir qui doit alors retenir toute notre

attention.

2. Que sait-on de la présomption d’innocence ? À en juger par l’abondante littérature

juridique traitant de la question, on pourrait imaginer que ce savoir est grand. En réalité, la

réponse est probablement très variable et fonction de ceux à qui la question est adressée.

Elle dépend des connaissances dont chacun dispose, particulièrement en matière de droit

pénal. Une chose paraît néanmoins à peu près certaine : l’acquisition de connaissances

juridiques relatives à la présomption d’innocence passera par la consultation des ouvrages

spécialisés dans lesquels cette notion est exposée, étudiée, expliquée. Qu’il s’agisse alors de

recourir à des traités, des manuels, des monographies, des encyclopédies et répertoires, ou

encore à un simple dictionnaire juridique, c’est toujours au savoir doctrinal que l’on se

référera. Pour n’être pas exclusif d’une consultation de la loi ou de la jurisprudence, ce

recours au savoir doctrinal semble procéder d’un élan de spontanéité guidé par le sentiment

que toute démarche de connaissance du droit débute par une consultation de la littérature

juridique avant de s’intéresser aux données brutes du droit positif. Quand bien même la

démarche consisterait tout d’abord à se plonger dans cette masse considérable de données

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

10

légales et jurisprudentielles relatives à la présomption d’innocence, elle ne pourrait éviter,

dans un second temps, de se tourner vers la littérature juridique.

C’est dire l’importance de cette littérature dans la connaissance du droit en général, et de

la présomption d’innocence en particulier. La doctrine pénaliste apparaît ainsi la mieux à

même de produire et d’exposer un savoir sur la présomption d’innocence. C’est d’ailleurs

ce qu’elle a fait, offrant depuis plus de trente ans des analyses publiées sous toutes les

formes que connaît la littérature juridique.

3. Littérature juridique et doctrine. Lorsqu’on parle de littérature juridique, on pense plus

spécialement à la doctrine juridique. Le terme de doctrine est bien connu des juristes

français et désigne, selon la définition qu’en donne le Vocabulaire juridique, aussi bien

l’ensemble des ouvrages juridiques que l’ensemble des auteurs de ces ouvrages1. La

doctrine ne semble plus vraiment appréhendée selon sa définition première, qui demeure

toutefois valable, et qui en faisait l’opinion communément professée par ceux qui

enseignent ou écrivent sur le droit. Le concept de doctrine est, depuis une quinzaine

d’années, l’objet d’un intérêt tout particulier que l’on pourrait croire tourner à l’obsession.

On a ainsi vu paraître de nombreuses études la prenant pour objet principal ou secondaire de

réflexion et proposant de définir le concept ou d’explorer tel ou tel aspect de l’activité

doctrinale2.

1 G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 2003, v° Doctrine, sens 2 et 3. 2 On peut se convaincre de l’ampleur de cet intérêt pour la doctrine grâce à un aperçu, non exhaustif, des études publiées : A. BERNARD et Y. POIRMEUR (dir.), La doctrine juridique, Paris, PUF, 1993 ; Doctrine et recherche en droit, Droits, n° 20, 1994 ; E. PICARD, « Science du droit » ou « doctrine juridique », in L’unité du droit, mélanges en hommage à R. DRAGO, Paris, Economica, 1996, p.119; PH. JESTAZ et CH. JAMIN, L’entité doctrinale française, D. 1997, p. 167 ; L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER et F. TERRÉ, Antithèse de « l’entité », D. 1997, p. 230 ; F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, La doctrine entre « faire savoir » et « savoir-faire », Annales de droit de Louvain, 1997-1, p. 31; M. BOUDOT, Le dogme de la solution unique (contribution à une théorie de la doctrine en droit privé), thèse Aix-Marseille III, 1999 ; N. MOLFESSIS, Les prédictions doctrinales, in L’avenir du droit, mélanges en l’hommage de F.TERRÉ, Paris, PUF, Dalloz et Juris-classeur, 1999, p.145 ; PH. MALAURIE, La pensée juridique du droit civil au XXe siècle, JCP. 2001 I 283; P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs (Réflexions sur la doctrine), in Le droit privé français à la fin du XXe siècle, études offertes à P. CATALA, Paris, Litec, 2001, p. 255 ; A. SUPIOT, Grandeur et petitesses des professeurs de droit, Les cahiers de droit, Université de Laval, Québec, septembre 2001 ; J. GHESTIN, Les données positives du droit, Rev.trim.dr.civ., 2002, n° 1, p.11; J. CHEVALLIER, Doctrine juridique et science juridique, Droit et société, n° 50, 2002, p.103 ; N. HAKIM, L’autorité de la doctrine civiliste française au XIXe siècle, Paris, LGDJ, 2002 ; P.-Y. GAUTIER, L’influence de la doctrine sur la jurisprudence, D. 2003, p. 2839 ; N. MOLFESSIS, La controverse doctrinale et l’exigence de transparence de la doctrine, Rev.trim.dr.civ., 2003, p. 161 ; A. BÉNABENT, Doctrine ou Dallas ? D. 2005, point de vue, p. 852. Néanmoins, on peut aisément considérer que cette tendance à prendre pour objet d’étude l’activité doctrinale est devenue une mode déjà quelques années auparavant, V. J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, Paris, LGDJ, 4e éd., 1994, n° 573 et notes. Parallèlement, on pourra s’étonner de la disparition récente de la rubrique « doctrine » dans le Répertoire civil Dalloz.

Introduction

11

Dernièrement, les professeurs Philippe Jestaz et Christophe Jamin y ont consacré un

ouvrage tout entier qui paraît désormais constituer la référence en la matière3. Mieux, il

semblerait que les auteurs aient eu pour ambition de proposer la première théorie de la

doctrine4. MM. Jestaz et Jamin ont choisi pour titre de leur ouvrage « La doctrine »,

marquant d’emblée le caractère unitaire de leur objet d’étude, unité qu’ils défendent

d’ailleurs tout au long de leur propos en démontrant qu’il existe une entité doctrinale. Cet

ouvrage, qui a été plutôt favorablement accueilli, offrirait donc une histoire et une réflexion

générales sur la doctrine, indépendamment des branches du droit dans lesquelles l’activité

doctrinale se déploie. Pourtant, malgré cette volonté d’embrasser la doctrine dans son

ensemble, les conclusions auxquelles parviennent les auteurs ne concernent en réalité que la

doctrine civiliste, dont l’analyse fournit l’essentiel des exemples développés. Il est vrai que

chemin faisant, les auteurs relèvent et développent les spécificités de la doctrine publiciste,

en particulier du droit administratif, mais raisonnent, pour l’essentiel, sur la doctrine

civiliste.

Ainsi ne trouve-t-on aucun développement spécifique à la doctrine juridique du droit

pénal. Cet effacement des pénalistes lorsqu’il s’agit de s’interroger sur l’identité, la

méthode ou encore la valeur de la doctrine, n’est pas nouveau. On observe en effet

qu’aucune des études précédemment citées ne l’a jamais prise ni pour objet, ni pour

exemple. Là encore, les interrogations qui ont été formulées ont majoritairement concerné

les privatistes et assez peu la doctrine publiciste5. On s’est par exemple intéressé à la

doctrine en droit du travail6, en droit administratif7, en droit commercial et des affaires8 ou

encore en droit constitutionnel9. Mais la doctrine pénaliste est demeurée la grande absente

de ces réflexions sur la doctrine.

4. L’apparent désintérêt pour la doctrine pénaliste. Le désintérêt n’est pas total

puisqu’en réalité il existe plusieurs études relevant de l’histoire du droit qui se sont

3 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, Paris, Dalloz, 2004. Pour une présentation et une appréciation de cet ouvrage, V. notamment, G. GOUBEAUX, Il était une fois…la Doctrine, Rev.trim.dr.civ., 2004, p. 239 et P. MORVAN, La notion de doctrine (à propos du livre de MM. Jestaz et Jamin), D. 2005, p. 2421. 4 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 3. 5 V. le numéro 20 de la revue Droits de 1994 consacré à la doctrine et dans l’ouvrage collectif intitulé La doctrine juridique, op. cit., publié en 1993 sous la direction de A. BERNARD et Y. POIRMEUR. On peut également ajouter, pour les plus récentes, les études de J. CHEVALLIER, Doctrine juridique et science juridique, op. cit., et celle de J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, thèse, Aix-Marseille III, 2000, qui raisonnent sur la doctrine publiciste. 6 J.-C. JAVILLIER, La doctrine en droit du travail, in B. TEYSSIÉ (dir.), Les sources du droit du travail, Paris, PUF, 1998, p. 39. 7 J.-J. BIENVENU, Remarques sur quelques tendances de la doctrine contemporaine en droit administratif, Droits, n° 1, 1985, p. 156. 8 P. DIENER, Pathologie juridique et doctrine universitaire en droit des affaires, D. 1997. chr. p. 147. 9 J. GUYADER, Existait-il une doctrine commercialiste dans l’ancienne France ? in CURADP-CHDRIP, La doctrine juridique, op. cit., p. 77 et dans le même ouvrage, La Constitution du droit ? La doctrine constitutionnelle à la recherche de la légitimité juridique et d’un horizon pratique, p. 210.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

12

spécialement intéressées10 à la doctrine pénale. Mais précisément, ces études envisagent

toutes la doctrine pénale à une époque lointaine et l’on pourrait alors se demander si elle n’a

pas depuis disparu. L’hypothèse n’est pas totalement saugrenue si l’on apporte une

précision indispensable à sa compréhension. En effet, à l’instar de la doctrine tout court, la

doctrine pénale n’échappe pas à la question récurrente de savoir si elle constitue une source

du droit. Or, André Laingui a longuement développé l’idée qu’aux XVIe et XVIIIe siècle la

doctrine était une véritable source du droit pénal, qui dominait la jurisprudence et ordonnait

les multiples autres sources de l’ancien droit. Le poids des anciens criminalistes aurait pesé,

explique l’auteur, jusqu’à la fin du XIXe siècle, jusqu’à ce que le pouvoir des juges se

reconstitue. À partir de cette époque, la doctrine cessera d’être prédominante, s’effacera

derrière la jurisprudence et les codes.

On serait alors tenté d’en conclure que l’étude de la doctrine ne présente d’intérêt qu’à

partir du moment où il est possible de lui reconnaître une place au sein de la théorie des

sources du droit, c'est-à-dire dès lors qu’il serait possible de mesurer son influence dans

l’élaboration et la transformation du droit. Il n’y aurait du reste rien d’étonnant à cela dès

lors que le concept même de doctrine ne se comprend, tant dans son élaboration que dans sa

signification, qu’au regard de la théorie des sources du droit. Pourtant, l’argument ne

convainc pas vraiment et ce pour deux raisons. Tout d’abord, il est généralement admis que

la doctrine n’est pas une source du droit, simplement une autorité, au mieux une source

indirecte, ce qui n’a pourtant pas empêché de s’y intéresser jusqu’à aujourd’hui. Si la

doctrine pénaliste du XXIe siècle n’a plus l’aura dont elle pouvait jouir voilà trois siècles et

qu’elle n’est finalement plus la source prédominante du droit pénal, cela ne paraît pouvoir

suffire à expliquer que son existence et son rôle soient passés sous silence. Ensuite, il ne

serait pas raisonnable de douter de l’existence d’une doctrine juridique dite « du droit

pénal ». En effet, que l’on entende la doctrine comme un ensemble d’ouvrages ou comme

un ensemble d’auteurs, il est aisé d’identifier, au sein de la doctrine générale, une doctrine

spécifiquement pénale composée de nombreux spécialistes de cette matière et auteurs d’une

littérature abondante. Il est donc très curieux que les pénalistes se soient détournés d’une

réflexion sur leur propre communauté. La tentation de considérer que la doctrine pénaliste

est soluble dans la doctrine, entendue de façon générale, doit sans doute être évitée. Ce

serait plutôt ses spécificités et l’idée qu’elle se fait d’elle-même qui pourraient expliquer ce

10 Par exemple : Y. BONGERT, Le juste et l’utile dans la doctrine pénale de l’Ancien Régime, Arch. Phil. dr., 1982, t. 27, p. 291; A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1992, n° 13, p. 75 ; G. SICARD, Doctrine pénale et débats parlementaires, la reformation du Code pénal en 1831-1832, Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1993, n° 14, p. 137; B. DURAND, Arbitraire juridique et « consuetudo delinqui » : la doctrine pénale en Europe du XVIe au XVIIIe siècle, Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, Montpellier, 1993 ; A. ASTAING, Droits et garanties de l'accusé dans le procès criminel d'Ancien Régime, PUAM, 1999.

Introduction

13

silence. Reste qu’il s’agit là d’un terrain d’étude inexploré et qu’une image de la doctrine

pénaliste demeure à découvrir.

5. Découvrir la doctrine pénaliste. Que cette partie de la doctrine juridique présente une

véritable spécificité par rapport à la doctrine privatiste ou qu’au contraire elle puisse être

largement caractérisée à partir des éléments généraux dégagés notamment par MM. Jestaz

et Jamin, l’intérêt de la prendre pour objet d’étude paraît réel. Étudier ce que serait la

doctrine pénaliste suppose tout d’abord d’observer comment les pénalistes abordent cette

question de leur identité. Or, on remarque sans difficulté que lorsque les pénalistes évoquent

la pensée ou les travaux d’autres auteurs, ils emploient bien le terme de doctrine. Il y a donc

là, à la fois une preuve de l’existence d’une doctrine pénaliste et une invitation à découvrir

ce qu’elle est, ce qu’est son rôle, la manière dont elle le conçoit et l’assume.

Toutefois, le point de vue interne serait insuffisant à donner une image de la doctrine.

Parce que la doctrine juridique se situe « entre faire savoir et savoir-faire», étudier son

activité apparaît comme la meilleure façon de la connaître. MM. Jestaz et Jamin confirment

cette idée en relevant que ce sont « les activités auxquelles la doctrine se livre qui dessinent

sa physionomie propre ». Ainsi, qu’elle s’emploie à faire connaître le droit par ses

enseignements ou qu’elle emploie ses efforts à la recherche sur le droit, la doctrine se situe

dans le registre de l’action. Or « l’être et l’agir de la doctrine » se manifestent sans aucun

doute à travers les écrits11. Ce qui nous est donné à voir de cette activité n’est ainsi

observable qu’à travers la production doctrinale, autrement dit la littérature juridique. Cette

littérature n’est pas seulement un ensemble identifiable d’ouvrages, elle est surtout

l’expression d’un discours sur le droit, et pour ce qui nous intéresse ici, d’un discours

doctrinal sur le droit pénal. Si étudier le discours de la doctrine s’avère la méthode de

recherche la plus fructueuse pour mieux connaître la doctrine du droit pénal, embrasser

l’ensemble de ce discours n’en apparaît pas moins une tâche d’une ampleur trop

considérable. Plus modestement, il semble que les mêmes objectifs pourraient être atteints

en ne considérant qu’un champ déterminé de ce discours. C’est la raison pour laquelle le

choix a été fait d’envisager ce discours en le limitant à un de ses objets particuliers, à une

des nombreuses notions étudiées par les pénalistes, en l’occurrence la présomption

d’innocence.

Ne vouloir envisager que le discours doctrinal relatif à la présomption d’innocence ne

relève pas pour autant d’un choix arbitraire et c’est ce qu’il conviendra d’expliquer.

Toutefois, il est auparavant nécessaire de préciser la démarche suivie en indiquant ce que

l’on retiendra de la définition de la doctrine juridique et de ses fonctions. Puisque les

pénalistes admettent, même très discrètement, que l’on puisse parler d’eux en terme de 11 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 170.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

14

doctrine, il est permis d’utiliser les connaissances générales sur le concept de doctrine et de

les transposer à leur communauté, quitte à relever ensuite des particularités propres à cette

branche de la doctrine juridique. Ainsi se propose-t-on, à titre liminaire, de jeter un regard

sur les éléments essentiels à la compréhension de ce qu’est la doctrine (Section 1) puis de

justifier et d’expliciter le choix de limiter cette étude au seul discours doctrinal prenant pour

objet la présomption d’innocence (Section 2).

Introduction

15

SECTION 1 : REGARD SUR LA DOCTRINE

6. Optique choisie. La doctrine a fait l’objet d’études très diverses dont les ambitions

étaient elles même parfois très différentes. Il s’agira ici de ne présenter que les éléments ou

les questions qui ont le plus souvent jalonné ces études, il s’agit finalement de ne retenir ici

que les traits qui ont paru les plus saillants, les plus indispensables à une présentation du

concept de doctrine. Or, ce qui peut le plus frapper l’esprit lorsqu’on s’intéresse à la notion

de doctrine, c’est que l’on ne peut la connaître et tenter de la comprendre qu’à partir de ce

qu’elle dit d’elle-même (§1). Ainsi conviendra-t-il de prêter attention à la manière dont elle

se présente en précisant au besoin la conception, parfois plus étendue, que l’on se fera ici de

la doctrine. Ces premières bases posées, il sera alors possible d’esquisser une première

approche de la doctrine pénaliste (§2).

§ 1. LA DOCTRINE PAR ELLE-MÊME

7. De l’autoproclamation à l’autoprésentation. Qu’il s’agisse de s’inquiéter de

l’apparition de ce concept de doctrine ou de déterminer comment se caractérise la doctrine,

c’est toujours à « la vision doctrinale de la doctrine », comme la nomment MM. Jestaz et

Jamin, que l’on a affaire. C’est qu’il faut bien prendre conscience qu’il n’en existe pas

d’autre, comme le soulignent ces auteurs12. La genèse du concept explique ce regard très

particulier, en miroir, qui confine au narcissisme, voire à l’autocélébration. Il en sera dit

quelques mots (A). Il n’en reste pas moins que les opinions doctrinales sur la doctrine ne

sont pas unanimes. En effet, il existe des controverses, notamment sur son identité ou sur

son statut épistémologique. Toutefois, il est possible d’observer une opinion commune

minimale permettant de caractériser la doctrine dans ses éléments les plus saillants et de

présenter ainsi le contenu du concept de doctrine (B).

A- LE CONCEPT DE DOCTRINE, LA GENÈSE

8. Les origines. Si les professeurs Jestaz et Jamin ont proposé dans leur ouvrage de retracer

les origines historiques lointaines du concept de doctrine pour les rattacher en premier lieu à

Rome, ils ont également su identifier des origines plus proches jusqu’à déterminer le

moment où le concept est réellement apparu. Toutefois, MM. Jestaz et Jamin relèvent trois

réalités distinctes que recouvre, de tous temps, mais seulement pour les pays romanistes, ce

12 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 9. Ne pourrait-il pas en exister d’autres ? À vrai dire, on ne voit pas ce qui empêcherait les praticiens ou le législateur, auxquels s’adresse l’œuvre doctrinale, d’indiquer ce que représente pour eux la doctrine. Il existe sans aucun doute des opinions sur la doctrine (souvent fort sévères d’ailleurs) qui n’émanent pas de la doctrine elle-même. Il est vrai cependant qu’elles n’ont encore jamais été regroupées afin de produire une image de la doctrine vue de l’extérieur.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

16

que nous appelons aujourd’hui la doctrine13. Tout d’abord il s’agit d’un droit savant. Celui

qui appartient à la doctrine est un « sachant », en l’occurrence celui qui connaît le droit et

qui est consulté pour cela, mais qui n’a pour fonction ni d’édicter la loi, ni de l’appliquer.

Ensuite, la doctrine apparaît comme une source du droit, dans la mesure où son autorité

(scientifique) lui confère le pouvoir d’influer sur les décideurs que sont les juges et les

législateurs et de participer ainsi, quoique de façon indirecte, à la création ou la

transformation du droit. Enfin, la doctrine désigne une collectivité d’auteurs unifiée par une

méthode et un style bien particuliers qui caractérisent ce que l’on nomme la dogmatique

juridique. Ainsi, ces trois réalités ont-elles pu être observées depuis les jurisconsultes du

droit romain jusqu’aux juristes de l’Ancien Régime qui ont participé à l’élaboration du

Code civil.

9. Une prise de conscience récente. La doctrine désigne un concept récent dont

l’apparition a été située, par MM. Jestaz et Jamin, dans une période s’étendant de l’année

1880 à 1920. Ce tournant marque l’instant à partir duquel la doctrine a pris suffisamment

conscience d’elle-même, de son existence et de son pouvoir, pour se désigner ainsi. Avant

cette date, il y avait bien des docteurs, des juristes savants de renom qui ont marqué les

époques, mais pas de doctrine en soi. Au XIXe siècle, même l’activité intense d’exploration

du Code civil à laquelle s’adonnent les docteurs, de plus en plus souvent professeurs, ne

permet pas de parler de « la doctrine ». Il n’est à cette époque encore question que de « la

doctrine des auteurs ». Le concept de doctrine n’a pu faire son apparition qu’après que les

juristes aient tout d’abord donné une importance à la jurisprudence en l’étudiant, la

commentant et la désignant comme telle : « la jurisprudence », ce qui a eu pour effet de

« dynamiser le rôle de la doctrine »14. Ensuite, le concept de doctrine n’a pu apparaître

qu’après que les auteurs aient fait considérablement descendre la loi de son piédestal. Cette

deuxième condition ne s’est vraisemblablement réalisée qu’avec la parution de Méthode

d’interprétation et sources en droit privé positif de François Gény en 1899, ouvrage par

lequel l’auteur invite les juristes à s’affranchir du Code civil, trop vieux et incapable de

fournir à lui seul les solutions aux problèmes de droit qui se posent au début du XXe siècle.

C'est à partir de cette époque seulement que la doctrine fixe son identité et que s’achève la

formation de ce concept. En effet, l’apparition du concept de doctrine à cette époque, se

réalise et s’observe dans la théorisation des sources normatives du droit. Les juristes

donnent alors une présentation des sources qui confère à la doctrine un statut officiel15. En

effet, si la doctrine n’apparaît que comme une autorité et non comme une source du droit,

elle n’en est pas moins présentée, à côté de la loi et de la jurisprudence, au sein d’une 13 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 3 à 9. 14 O. BEAUD, « Doctrine », in ALLAND (D.) et RIALS (S.) (dir), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, Lamy, 2003. 15 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 138.

Introduction

17

théorie des sources qui est exposée dans les ouvrages d’introduction au droit. C’est au début

du XXe siècle, expliquent MM. Jestaz et Jamin, que la doctrine se construira la forte identité

que nous lui connaissons désormais. Elle est fondée essentiellement sur le magistère des

professeurs de droit et procède, à cette époque, d’un repli des juristes face à la montée en

puissance des sciences sociales qu’ils craignaient de voir absorber le savoir juridique16.

10. Une invention française. Parler de doctrine aboutit à désigner une spécificité

hexagonale17. Les professeurs Jestaz et Jamin y insistent, « la doctrine » est un concept bien

français. Il ne saurait y avoir d’équivalent hors de nos frontières, particulièrement dans les

pays de common law. Les auteurs consacrent d’ailleurs la troisième et dernière partie de

leur ouvrage à l’exposé de ce qu’ils ont appelé « l’anti-modèle américain » dans lequel la

méthode de la dogmatique juridique a été écartée et où les discours sur le droit émanant de

professeurs ne fait pas apparaître ces derniers sous la forme d’un corps structuré et

identifiable. MM. Jestaz et Jamin indiquent que même les juristes allemands ne peuvent

s’identifier au modèle doctrinal français qu’ils décrivent tout au long de l’ouvrage. La

dogmatique pratiquée par « l’école française » se caractériserait par un style bien particulier

que l’on ne retrouve pas outre Rhin où les professeurs de droit auraient un goût bien plus

prononcé pour l’abstraction et une bien moindre aptitude que les français à la clarté et à

l’élégance18 ; autant de qualités propres à séduire les juristes étrangers qui envient, semble-

t-il, les français.

B- LE CONCEPT DE DOCTRINE, LE CONTENU

11. Éléments de définition. Les définitions de la doctrine, qu’elles relèvent d’une simple

question terminologique ou qu’elles répondent à l’idée que chacun peut se faire de la

doctrine, de ses fonctions, de sa valeur, de son statut, sont donc par nature d’origine

doctrinale. Afin d’avoir une conception la plus large possible et ainsi la plus juste possible

de la doctrine, il a paru opportun de ne pas retenir les opinions qui auraient pour effet

d’appréhender la doctrine de façon par trop restrictive. Ainsi, pourront être dégagés les

éléments qui serviront à définir ce que l’on entendra ici par doctrine. La définition énoncée

dans le Vocabulaire juridique indique trois façons de l’envisager. Une première consiste à

la définir comme l’opinion communément professée par les juristes qui enseignent ou

écrivent sur le droit. Une seconde définition met davantage l’accent sur les auteurs qui

professent ces opinions, tandis qu’une troisième déplace l’attention du côté des supports 16 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 166. 17 O. BEAUD, « Doctrine », op. cit. 18 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 10-11. Toutefois, Patrick Morvan estime au contraire que le modèle doctrinal décrit par ces auteurs aurait pu trouver une assise inespérée dans l’étude du Professorenrecht allemand. L’auteur souligne à cet effet que la thèse de MM. Jestaz et Jamin se vérifie peut-être moins bien en France qu’en Allemagne où les professeurs allemands ont davantage de prestige et d’influence que leurs homologues français, V. P. MORVAN, La notion de doctrine (à propos du livre de MM. Jestaz et Jamin), op. cit., n° 4.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

18

matériels où les auteurs expriment ces opinions et envisage la doctrine comme l’ensemble

des ouvrages juridiques, autrement dit la littérature juridique. Ces définitions ne sont pas de

nature à s’exclure les unes les autres. Tout au contraire, elles permettent de dégager quatre

éléments, intimement liés, propres à caractériser la doctrine juridique : des auteurs, des

opinions, une activité et des moyens d’expression. La doctrine ainsi caractérisée, il restera à

s’inquiéter de savoir si elle peut-être assimilée à ce que l’on appelle parfois la science du

droit ou si à l’inverse elle doit en être distinguée.

12. Des auteurs. Il ne fait aucun doute que « la doctrine » désigne des juristes qui ont

également la qualité d’auteurs, c'est-à-dire des personnes qui écrivent sur le droit. L’écriture

est d’ailleurs la manifestation essentielle de l’activité doctrinale. Bien que l’on observe

souvent, à l’instar de MM. Jestaz et Jamin, que l’écrasante majorité de ces auteurs est

constituée d’universitaires de profession, il importe semble-t-il de ne pas exclure de la

doctrine les auteurs qui n’appartiendraient pas à la « corporation »19 des professeurs de

droit. En effet, si la doctrine se caractérise par l’expression d’opinions ou de réflexions sur

le droit, par une littérature le prenant pour objet, il convient d’admettre que puissent être

englobés dans la doctrine juridique les auteurs qui expriment le point de vue de la pratique

du droit20. Ainsi, ne devraient pas être exclus les avocats, magistrats ou conseillers qui

écrivent sur le droit, dès lors que leur propos est détaché des cas spéciaux traités dans leur

pratique. En outre, il semble qu’il faille également ranger dans la doctrine juridique les

auteurs de thèse de doctorat même si ce type d’écrit peut avoir un statut ambigu dès lors

qu’il est regardé comme le premier des rites de passage permettant, précisément, d’accéder

à la consécration d’auteur de doctrine par les pairs. Toutefois, le fait que le jeune docteur ne

jouisse encore que d’une autorité en puissance et non en acte, ne paraît pas justifier son

exclusion de la doctrine.

13. Des opinions. Qu’il s’agisse de l’opinion unanime des auteurs, de l’opinion

communément professée par les auteurs ou des opinions individuelles émises par tel auteur

en particulier, il semble légitime de les ranger sous la catégorie plus englobante d’opinions

doctrinales. Cependant, toutes les opinions exprimées sur le droit méritent-elles d’être

considérées comme doctrinales ? La question peut se poser au regard de la qualité de

l’auteur, de l’objet de l’opinion aussi bien que de sa nature.

Une conception de la doctrine que l’on pourrait juger quelque peu élitiste tendrait à ne

retenir que les opinions des auteurs qui font autorité. Or, quels sont les auteurs qui font

autorité ? En vérité il n’existe pas de véritable réponse à cette question, elle demeure

relativement mystérieuse. Certes, l’autorité procède du savoir doctrinal, d’un « droit de 19 V. A. SUPIOT, Grandeur et petitesses des professeurs de droit, op. cit. 20 En ce sens, S. CIMAMONTI, in A.-J. ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2e éd., 1993, v° Doctrine.

Introduction

19

parler du droit », mais il est difficile de savoir comment celle-ci est reconnue21. Seule la

doctrine décide, le plus souvent implicitement, mais parfois explicitement, de la question de

savoir si une œuvre mérite la qualification de « doctrinale ». Apparemment, il ne suffit pas

que les opinions de tel ou tel auteur influencent plus ou moins directement le juge pour que

l’on puisse dire de lui qu’il fait partie de la doctrine22. S’il n’existe pas de critères

explicitement reconnus comme conférant un caractère doctrinal à une opinion ou plus

largement à une œuvre, il serait possible en revanche de se fier à certains indices. Ainsi,

l’œuvre devrait avoir un certain caractère scientifique, c'est-à-dire ne pas se contenter d’un

exposé des règles légales et jurisprudentielles mais d’en proposer une analyse, un

commentaire, voire une critique à la lumière des besoins sociaux, du droit comparé et autres

données23. Or, ces critères paraissent d’un côté trop vagues et incertains et de l’autre trop

restrictifs pour pouvoir être retenus ici.

Tout d’abord, on voit mal comment ne faisant pas par hypothèse partie de la doctrine, on

serait en mesure de décider des opinions ou des œuvres qui méritent une telle consécration.

De plus, à qui se fier pour savoir si telle opinion est véritablement doctrinale ? Aussi paraît-

il préférable de s’en tenir à l’opinion ou discours émis sur le droit, sans avoir égard pour sa

qualité24. Ensuite, si la doctrine se caractérise par l’écriture sur le droit, il ne semble pas

légitime pour nous de distinguer selon qu’il s’agit d’un simple exposé du droit positif ou s’il

s’agit d’une construction savante, réfléchie et approfondie. C’est avant tout le critère de

l’écrit sur le droit que l’on devra appliquer25.

Ainsi, ne faut-il pas distinguer, a priori, les ouvrages selon qu’ils sont de « véritables »

traités, de « simples » manuels ou encore des cours, mémentos, « Que sais-je ? » et autres

ouvrages sans portée scientifique affichée mais à vocation pédagogique26. Car si les

21 Pour M. Malaurie, l’autorité doctrinale est tout simplement un mystère. Il n’est ainsi pas aisé de reconnaître ce qui confère à un auteur de l’autorité. Écartant tour à tour, le conformisme, l’indépendance, la prolixité et la séduction de la langue, l’auteur affirme une seule certitude : « Il ne peut y avoir d’autorité dans la médiocrité, la platitude et l’absence de personnalité», La pensée juridique du droit civil au XXe siècle, JCP. 2001 I 283. 22 On souligne à cet égard que s’il s’agissait du seul critère alors peu d’auteurs se verraient reconnaître la qualité d’auteurs de doctrine. 23 F. TERRÉ, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 5e éd., 2000, n° 237. 24 Il ne s’agit pas d’affirmer que tous les discours doctrinaux sur le droit ont une qualité équivalente. Seulement, il ne semble pas possible d’exclure a priori les œuvres dont on aurait l’intuition qu’elles ont moins de valeur ou d’autorité que d’autres. A posteriori, il semble néanmoins inéluctable que les simples présentations du droit positif, qui n’offrent aucune réflexion sur le droit, aucune originalité, seront moins exploitables, moins riches d’enseignements sur la manière dont se déploie l’activité doctrinale. Mais pour nous, elles continuent d’appartenir à la doctrine. 25 En somme, et bien que nous admettons l’idée d’une entité doctrinale comme la soutiennent MM. Jestaz et Jamin, c’est davantage à la traduction matérielle de cette entité que l’on s’attachera ici. Cet élargissement de la définition de la doctrine rejoint la proposition faite par M. Morvan de définir la doctrine ratione materiae, V. P. Morvan, La notion de doctrine, op. cit., n° 9. 26 D’ailleurs, les différences terminologiques ne signifient pas grand-chose. Rares sont désormais les ouvrages à se présenter ouvertement comme des traités tandis que nombre d’autres portent le nom de manuels ou de précis mais sont considérés, quant à leur contenu, comme de véritables traités. C’est ce que

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

20

premiers ont pour eux d’être généralement de véritables œuvres doctrinales pour leur

hauteur de vue, les derniers n’en sont pas moins des écrits sur le droit et relèvent d’un

exercice délicat qui consiste à ne dire que l’essentiel et de la façon la plus didactique

possible. Or, de tels objectifs ne peuvent être atteints qu’au prix de choix parfois draconiens

quant à savoir notamment ce qui est essentiel et ne l’est pas, choix qui relèvent bien du

savoir doctrinal27. Pour des raisons du même ordre, les publications dans les revues

juridiques ne seront pas davantage distinguées selon qu’elles constituent une étude

approfondie, une chronique, une simple note de jurisprudence, un billet d’humeur, une

présentation de loi nouvelle ou encore un commentaire « à chaud ».

Un autre critère proposé pour savoir quel auteur ou quel écrit relève de la doctrine paraît

en revanche pouvoir être mis en œuvre ici. Il s’agit d’observer l’utilisation qui est faite du

procédé que MM. Jestaz et Jamin nomment la « citation-incorporation »28. Il est ainsi

possible à partir de tel ouvrage ou tel article, d’observer les références bibliographiques ou

les citations qui y sont faites pour se faire une idée de ce qui mérite d’être considéré comme

doctrinal. Par ce procédé, expliquent MM. Jestaz et Jamin, l’auteur qui en cite un autre

consacre la valeur de son opinion mais permet également de la faire connaître. Or, cette

diffusion des références doctrinales est d’importance car il est évident que l’auteur qui n’est

pas lu et qui reste méconnu n’aura aucune chance d’appartenir à la doctrine.

Les opinions contenues dans les écrits doctrinaux ne seront donc pas distinguées selon

leur nature, c'est-à-dire qu’elles soient purement descriptives, explicatives, prescriptives,

réflexives, critiques ou encore prospectives. De la même manière, doivent être pris en

compte aussi bien les écrits qui s’inscrivent dans la perspective dite dogmatique que ceux

qui relèveraient davantage de la théorie ou de la philosophie du droit. Car si ces écrits

relèvent d’une démarche différente de la dogmatique, ils continuent de prendre le droit pour

objet. De plus, il n’est pas rare que ce soit les mêmes auteurs qui se livrent à des moments

différents, à l’une ou l’autre de ces activités parfois même au sein d’une même étude.

14. L’activité doctrinale. Cette activité se réalise dans le champ du savoir. La doctrine est

avant tout « un droit savant » enseignent MM. Jestaz et Jamin29. De son côté, le professeur

Sériaux rappelle que toute doctrine a pour objet de dire ce qui est vrai, et explique que « la

rappellent MM. Jestaz et Jamin. Mais ces auteurs semblent bien quant à eux exclure « le petit manuel pédagogique, mais peu savant, qui se rapproche déjà du mémento » et que chacun saura distinguer du véritable traité, La doctrine, op. cit., p. 185 et pp. 187-188 en général sur la distinction entre « la vraie doctrine et le reste ». 27 On observera que souvent les auteurs de ces petits ouvrages sont par ailleurs reconnus comme membre de la doctrine. Mais il est vrai que l’on pourrait objecter que si l’auteur est bien membre de la doctrine, telle ou telle de ses publications ne correspond pas nécessairement à une œuvre doctrinale. Cela dit, ces ouvrages sont parfois cités dans d’autres qui, quant à eux, répondraient davantage aux critères de l’œuvre doctrinale, ce qui est une forme de consécration, un signe de reconnaissance d’une valeur minimale. 28 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, L’entité doctrinale française, op. cit., p. 174. 29 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 4.

Introduction

21

doctrine juridique constitue un savoir par excellence »30 qui vise à « accroître le savoir

d’autrui ». On sait que la doctrine se présente au titre des sources du droit en prenant soin

de se dénier tout rôle créateur de droit, rôle éminent qu’elle réserve à la loi et parfois à la

jurisprudence. En revanche, elle se définit volontiers comme une autorité. Or, cette autorité

ne peut être fondée que sur son savoir. Deux axes majeurs, d’ailleurs très liés, fixent alors

l’activité doctrinale : une activité de connaissance du droit qui a pour finalité la production

d’un savoir et une activité d’enseignement qui a pour objet de transmettre ce savoir.

La doctrine juridique se reconnaît pour mission, pour fonction première, de connaître le

droit et d’en donner une représentation. L’étude approfondie ou encore l’interprétation de la

loi et de la jurisprudence conduit la doctrine à dégager des règles générales, des principes, à

forger des concepts et des théories destinés à aider juges et législateurs à choisir des

solutions justes31. En outre, la doctrine juridique est ordonnatrice, en ce sens qu’elle

représente le droit sous forme de système et y ordonne les solutions nouvelles afin de

préserver sa cohérence. Interpréter, expliquer, décrire, critiquer, anticiper et représenter,

sont donc les tâches de la doctrine. Son influence sur les autres sources du droit résulte de

ces activités. La doctrine se reconnaît ainsi le pouvoir et le devoir d’influencer le législateur

et la jurisprudence et de favoriser les meilleures solutions possibles32. Que serait le droit

sans la doctrine ? Il ne s’agirait que d’une juxtaposition d’articles de lois et de décisions

jurisprudentielles répondent MM. Jestaz et Jamin. L’image proposée par ces auteurs pour

illustrer leurs propos permet de saisir la nature et l’importance du rôle joué par la doctrine :

entre ce droit là (celui qui résulte des lois et de la jurisprudence) et celui qui apparaît à la

lecture d’un traité de droit, « il y a la même différence qu’entre un kilo de cerises et le

clafoutis servi au dessert par la maîtresse de maison »33. Ce travail de mise en ordre des

données positives du droit ne saurait être en effet dévolu ni au législateur, dont la mission

est de légiférer, ni au juge dont la tâche est de trancher les litiges. La connaissance du droit

et sa systématisation sont donc l’œuvre spécifique de la doctrine, dont on a d’ailleurs pu

dire que sans elle « chaque apprenti juriste serait réduit à réinventer le droit » 34.

Très liée à la précédente, la mission d’enseignement marque elle aussi la spécificité de la

doctrine et revêt une grande importance35. Il s’agit pour les auteurs de « faire savoir », de

faire comprendre36, de faire connaître le droit. Sans doute ne faut-il pas entendre le mot

30 A. SÉRIAUX, La notion de doctrine juridique, Droits, n° 20, 1994, p. 68. 31 J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, op. cit. 32 J.-L. AUBERT, Introduction au droit, Paris, Armand Colin, 10e éd., 2004, n° 182. 33 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, L’entité doctrinale française, op. cit., p. 171. 34 J. GHESTIN, Les données positives du droit, op. cit., n° 31. 35 J. GHESTIN, Les données positives du droit, op. cit., n° 29, l’auteur rejoint ici M. Atias (Épistémologie juridique, PUF, 1985) pour préciser que l’activité de connaissance et de transmission est la plus spécifique de la doctrine. 36 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, La doctrine entre « faire savoir » et « savoir-faire », op. cit., p. 32.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

22

enseignement dans un sens trop restrictif. La doctrine universitaire enseigne le droit aux

apprentis juristes mais la doctrine juridique, parce qu’elle vise à accroître le savoir d’autrui,

s’adresse en réalité à bien d’autres destinataires. À cet égard, on admet d’ailleurs que la

doctrine s’adresse parfois à elle-même37. Elle s’adresse aussi et surtout aux praticiens du

droit et au législateur38 qu’elle informe en même temps qu’elle les critique et les incite à

transformer le droit. La doctrine, parce qu’elle détient un savoir qui fait autorité se présente

comme la source de connaissance du droit pour l’ensemble de ces destinataires. Il faut

admettre que, quel que soit le type de discours, descriptif, explicatif, incitatif ou critique, il

contient toujours quelque enseignement, au sens large.

Toutefois, le rôle pédagogique de la doctrine occupe une place à part et mérite

probablement plus d’intérêt que celui qu’on lui accorde habituellement. La doctrine a une

mission d’enseignement de toute première importance puisqu’en réalité elle préside à la

formation des juristes, futurs professeurs mais surtout magistrats, avocats, notaires et autres

praticiens du droit dont, pour l’essentiel, la formation se déroule à l’Université. Avant d’être

confrontés à des enseignements plus pratiques, ces professionnels du droit apprendront de la

doctrine, orale et écrite, à connaître les concepts juridiques et à s’exercer au raisonnement

juridique. Quoique nécessairement diffuse et difficile à appréhender, l’influence de la

doctrine sur la pratique future du droit paraît ainsi indéniable39. On observe néanmoins que

depuis une période relativement récente, une crise affecte l’enseignement du droit. Elle

paraît faire suite à « la contestation de l’autorité de la doctrine » qui a débuté il y a

plusieurs décennies40. Les praticiens estiment désormais que, tant dans leur formation que

dans leur activité quotidienne, la doctrine universitaire ne leur enseigne plus les

connaissances dont ils auraient besoin. Le savoir transmis par l’université serait inutile et

trop abstrait pour être profitable aux professionnels du droit. La professionnalisation des

études de droit a alors été proposée41, tout comme la création d’un observatoire de la

formation des juristes42, pendant que d’autres institutions prétendent offrir des formations

juridiques et délivrer des diplômes de droit43. Ces discussions témoignent d’un

affaiblissement certain de l’autorité de la doctrine. Elles démontrent toutefois l’importance

de l’activité doctrinale d’enseignement et combien les praticiens y portent attention pour

leur formation et leur information.

37 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, L’entité doctrinale française, op. cit., p. 175. 38 Ne lit-on pas très souvent dans les présentations de traités ou de manuels juridiques qu’ils s’adressent aussi bien aux étudiants qu’aux praticiens, voire à toute personne intéressée par les questions qui y sont développées ? 39 À tel point qu’il sera soutenu plus loin que, par le biais de ses enseignements, la doctrine peut-être regardée comme une source du droit, V. infra, n° 254 et s. 40 J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, op. cit, n° 579. 41 CH. BIGOT, Réflexions d’un avocat sur la professionnalisation des études de droit, D. 2005, p. 1724. 42 CH. ATIAS, Pour un observatoire de la formation des juristes, D. 2004, p. 707. 43 Ce point sera développé infra, n° 266.

Introduction

23

15. Les moyens d’expression. Puisqu’elle est un savoir qui fait autorité, la doctrine

juridique doit pouvoir exprimer ses opinions sur le droit et les diffuser afin de transmettre

les enseignements qu’elles contiennent. L’activité doctrinale s’observe grâce au critère de la

publication44. Le savoir s’exprime donc, et se mesure aussi45, dans les publications

juridiques. On se contentera de rappeler brièvement la diversité des supports qui véhiculent

la littérature juridique en précisant que tous ne répondent pas aux « mêmes genres

doctrinaux ».

La liste pourrait débuter par les ouvrages à usage d’enseignement, des plus élaborés et

des plus « doctrinaux » que sont les traités et manuels, jusqu'à ceux qui le sont moins

comme les ouvrages à seule vocation pédagogique qui sont beaucoup plus sommaires. Il

faut envisager ensuite les revues juridiques qu’elles soient dites généralistes ou spécialisées

à une branche du droit voire à un domaine spécifique d’une branche du droit. Les revues

juridiques offrent un terrain privilégié pour l’étude de l’activité doctrinale46 en diffusant

études, chroniques, commentaires de jurisprudence et de lois, billets d’humeur et points de

vue divers des auteurs47. On songera ensuite aux dictionnaires, répertoires et encyclopédies

juridiques qui sont les outils quotidiens des juristes. Les mélanges, ces études offertes en

l’honneur de juristes éminents, le plus souvent universitaires, sont eux aussi des ouvrages

hautement doctrinaux. La diversité des études, la qualité de ceux à qui elles sont

demandées, et l’étendue des sujets traités expliquent probablement qu’on leur reconnaît un

intérêt croissant48. Doivent être également considérés au titre des supports doctrinaux les

publications d’actes de colloques et les thèses de doctorat qu’elles aient ou non fait l’objet

d’une publication. Enfin, il faut désormais signaler le nouveau support qu’est Internet. S’il

44 « Le terme de doctrine fait toujours référence à une publication éditoriale », PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 184 ; adde, J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, op. cit, n° 573. 45 CH. ATIAS, Épistémologie juridique, Paris, Dalloz, 2002, n° 134 et s. 46 MM. Jestaz et Jamin soulignent à cet égard que la « doctrine est fille des revues juridiques » et que c’est la « massification des opinions » qui a pu, dès le XIXe siècle, donner conscience aux auteurs de leur force collective, V. La doctrine, op. cit., p. 165. M. Atias souligne quant à lui la richesse des enseignements qu’il y aurait à tirer d’une étude consacrée à l’évolution des revues juridiques, leur nombre, leur domaine, leur structure, la qualité de leurs auteurs etc., V. Épistémologie juridique, op. cit., n° 136. 47 Toutefois le nombre trop important de ces revues pourrait, paradoxalement, nuire à la diffusion du savoir dès lors qu’il n’est plus possible de lire toutes les études qui y sont publiées. L’élaboration de la base de données informatisée Doctrinal témoigne de cette difficulté en offrant de dépouiller quelques 200 revues juridiques. L’interrogation de Doctrinal permet de retrouver dans cette masse les références aux articles ou commentaires doctrinaux à partir de mots clés, de noms d’auteur etc. 48 Un auteur a désigné le phénomène sous l’expression de « littérature mélangiale » et a souligné la richesse doctrinale des contributions qui composent ces mélanges en l’expliquant par la grande liberté d’inspiration et de préoccupation dont les auteurs jouissent. V. F. Rolin, Les principes généraux gouvernant l’élaboration des volumes de mélanges, contribution à l’étude de la littérature mélangiale juridique, in Mélanges en l’honneur de B. Jeanneau, Paris, Dalloz, 2002, p. 221. L’intérêt pour les études publiées dans les mélanges est d’ailleurs largement confirmé et illustré par la publication d’un ouvrage répertoriant les références aux études publiées dans ce type d’ouvrage, V. X. DUPRÉ DE BOULOIS, Bibliographie des mélanges, Paris, La mémoire du droit, 2001.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

24

fait encore l’objet de peu d’intérêt et s’il inspire encore beaucoup de méfiance49, il ne paraît

plus pouvoir être ignoré. Son manque général d’autonomie par rapport aux publications

imprimées ne doit pas occulter l’existence de revues qui n’existent qu’en ligne50 et dont

l’éventuelle précarité ne préjuge pas de la qualité des contributions. Il existe en outre de

plus en plus de sites personnels réalisés par des juristes. En réalité, il semblerait que le

phénomène du carnet de bord sur le web, connu sous le nom de blog, touche jusqu’aux

agrégés des facultés de droit51. Le blog en tant que lieu d’expression (mais aussi

d’autopromotion) permet à des membres de la doctrine de prolonger ou de diversifier leur

réflexion sur le droit au-delà des supports classiques de la pensée52, tout en favorisant

l’échange d’opinions avec les lecteurs. Internet apparaît bien désormais comme un nouveau

canal de diffusion des opinions doctrinales en même temps qu’il fait naître un nouveau

genre littéraire53.

Au-delà de l’ensemble de ces caractères qui permettent d’appréhender la doctrine et la

manière dont elle diffuse son savoir, il convient de la situer par rapport à ce que l’on appelle

la science du droit.

16. Doctrine juridique ou science du droit ?. L’épistémologie juridique pose avec

insistance la question de savoir s’il l’on peut parler d’une science du droit et le cas échéant

s’il y a lieu de distinguer cette activité scientifique de l’activité doctrinale. Le débat porte

essentiellement sur les caractères à reconnaître à une « véritable » science du droit. Or, pour

que celle-ci existe, on admet souvent qu’elle doit présenter les mêmes traits que toutes les

disciplines qui prétendent à la scientificité. L’identification précise d’un objet, un rapport

distant de la science à cet objet, la mise en œuvre de méthodes rigoureuses, seraient ainsi les 49 Les professeurs Jestaz et Jamin ne lui témoignent aucun intérêt aux motifs que l’on y trouverait pour l’heure seulement une partie des fonds déjà imprimés et, qu’en ce qui concerne les revues en ligne ou les sites d’auteurs, on peut redouter leur précarité et douter de leur qualité. 50 Quelques exemples français, en droit des affaires : [http://www.droit21.com] ; en droit médical : [http://www.droit-medical.net] ; en droit des technologies et de l’information : [http://www.juriscom.net] ; en droit international : [http://www.ridi.org/adi] ; en matière de droits fondamentaux : [http://www.droits-fondamentaux.org] ; en criminologie : [http://champpenal.revues.org]. 51 On pourra notamment visiter les blogs des professeurs Dimitri Houtcieff et Frédéric Rolin tous deux enseignants à la faculté de droit d’Evry et livrant aux juristes internautes leurs réflexions les plus diverses dans leurs domaines de compétence respectifs. Avant l’explosion des blogs, Jean-Paul Doucet, professeur de droit pénal à la retraite, a crée un site consacré au droit pénal qu’il tient régulièrement à jour : [http://ledroitcriminel.free.fr]. 52 Des juristes américains ont déjà étudié le phénomène et s’intéresseraient aux transformations de la « doctrine juridique » sous l’influence des blogs, V. L. B. SOLUM, Blogging and the Transformation of Legal Scholarship, Illinois Public Law Research Paper, n° 06-08. En France, les professeurs Houtcieff et Rolin se réjouissent de la prolifération des blogs et tentent de rassurer les universitaires les plus conservateurs ou réfractaires à l’Internet, en expliquant que les blogs n’ont absolument pas vocation à concurrencer l’édition juridique traditionnelle mais plutôt à la compléter. Les blogs permettraient en effet une double ouverture des juristes : vers le grand public et les décideurs mais aussi vers la communauté universitaire. V. Blogs juridiques contre Édition électronique traditionnelle : concurrence ou complémentarité ? D. 2006, p. 596. 53 Il faut souligner que le blog peut parfois, selon le site qui l’héberge, être une source de revenus complémentaires en fonction des liens publicitaires qui y sont visibles, de la fréquentation par les autres internautes et la fréquence des mises à jour du contenu.

Introduction

25

conditions d’existence d’une science du droit. Sans prendre part à ce débat, on ne retiendra

que l’opposition entre doctrine juridique et science du droit afin de préciser ce que l’on

entendra ici par doctrine.

Lorsqu’on oppose ces deux termes, il s’agit de marquer une différence de point de vue

adopté par deux activités qui ont pourtant en commun d’être des activités de connaissance.

La doctrine juridique si elle est bien une activité de connaissance du droit, n’en présente pas

moins la particularité d’être partie prenante au processus de production du droit. Ce « parti

pris » résulterait du fait que la doctrine a pour mission de contribuer au bon fonctionnement

du droit en travaillant à sa mise en ordre ainsi qu’à la résorption de ses contradictions54.

Une véritable science du droit devrait quant à elle se situer en dehors du droit pour adopter

un point de vue externe autorisant la réflexion et la critique55. Cette distinction de deux

formes de connaissance du droit peut également se présenter sous la forme d’une opposition

entre science appliquée des décisions (doctrine) et science juridique fondamentale56. La

première se donne pour objet de décrire, analyser et commenter aussi bien les lois que les

décisions juridictionnelles. La seconde se confond avec ce qu’il est convenu d’appeler la

théorie du droit. Cette dernière prend pour objet les données dégagées par la science

appliquée et consiste à produire une réflexion sur le droit en tant que phénomène, ce qui

suppose une abstraction supplémentaire.

Ces oppositions, lorsqu’elles sont formulées, ont pour objet de mettre l’accent sur la

différence de points de vue adoptés par la doctrine juridique et la science du droit.

Toutefois, l’usage le plus courant veut que l’expression « doctrine » soit le plus souvent

assimilée à celle de « science du droit ». On explique en effet qu’en pratique, les deux

points de vue sont si intimement mêlés, tant dans l’enseignement que dans la recherche,

qu’il est difficile de les distinguer57. On ajoutera que ces points de vue peuvent être adoptés

par un même auteur, tour à tour, dans un même écrit. Ainsi, ne distinguera-t-on pas ici

doctrine et science du droit, pour, au contraire, user à titre d’équivalent, de l’une ou l’autre

de ces expressions.

La notion de doctrine ainsi précisée, dans sa nature et ses fonctions, accueille tout aussi

bien les auteurs qui écrivent sur le droit civil que ceux qui ont choisi de se consacrer à

l’étude d’autres branches du droit. Les pénalistes, leur savoir, leur apport à la connaissance

et à la transformation du droit pénal et en particulier à la notion de présomption

d’innocence, devraient donc pouvoir être observés à travers le prisme du concept de

54 J. CHEVALLIER, Doctrine juridique et science juridique, op. cit., p. 106 et s. 55 Pour une présentation des débats sur cette question, V. F. OST, v° Science du droit, in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2e éd., 1993. 56 CH. ATIAS, Épistémologie juridique, Paris, PUF, 1985, n° 27 et s. 57 J. CHEVALLIER, Doctrine juridique et science juridique, op. cit., p. 113.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

26

doctrine juridique. Pourtant on a observé un certain désintérêt des auteurs pour la doctrine

pénaliste. L’absence d’étude particulière consacrée à cette partie de la doctrine juridique ne

constitue cependant pas un obstacle à sa présentation.

§ 2. APPROCHE DE LA DOCTRINE PÉNALE

17. Auteurs et pensée pénale. L’analyse de la littérature juridique spécialement consacrée

à la présomption d’innocence fournira maintes occasions de découvrir ou de mieux

connaître la doctrine pénale, d’évoquer les grands noms qui ont marqué cette branche de la

science du droit et les œuvres qui ont fait ou font aujourd’hui encore autorité. Ce sera

l’occasion également de s’attarder sur l’influence que la doctrine exerce sur le droit positif.

Aussi n’est-il pas question ici de procéder à une présentation qui anticiperait sur la suite de

nos développements. En revanche, il paraît nécessaire de s’assurer, en l’illustrant, qu’il

existe bel et bien une doctrine juridique du droit pénal moderne (A). Cela dit, le phénomène

criminel suscite des réflexions qui débordent largement le champ du juridique pour se

développer aussi bien dans le domaine politique, criminologique, que dans celui des

sciences sociales ou médicales. Cette pensée pénale résulte des travaux d’auteurs qui ne

sont pas tous, loin s’en faut, des juristes, et se manifeste au travers de ce que l’on appelle les

doctrines pénales. Il s’agira alors de distinguer les doctrines pénales de la doctrine juridique

du droit pénal, seule cette dernière intéressant notre sujet d’étude (B).

A- L’EXISTENCE D’UNE DOCTRINE PÉNALE

18. Une image brouillée. L’existence d’une doctrine juridique du droit pénal ne fait aucun

doute pour le juriste, particulièrement pour le spécialiste de droit pénal et de procédure

pénale. En effet, si le propre de la doctrine juridique est de s’autoproclamer et de se

présenter, on peut aisément observer que la doctrine pénale procède de la même manière et

atteste ainsi de son existence. Toutefois, cette autoprésentation est beaucoup moins

fréquente que chez les civilistes. Une telle discrétion pourrait résulter d’une certaine

timidité qui n’est peut-être pas sans rapport avec un sentiment d’identité assez perturbé.

D’ailleurs, il est possible d’apercevoir dans l’image que la doctrine pénale offre d’elle-

même la manifestation d’un véritable complexe.

19. L’affirmation de son existence. Cette affirmation qui signe la prise de conscience de la

constitution à la fois d’un corps informel et d’une méthode, a semble-t-il eu lieu, comme

pour la doctrine du droit privé, au tout début du XXe siècle. Il n’y a rien d’étonnant à cela si

l’on a égard au fait qu’il s’agit d’une époque où « les spécialisations ne sont pas très

marquées et où le droit civil l’emporte encore dans la formation des juristes »58. Les

58 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 142.

Introduction

27

pénalistes, par conséquent « peu ou prou civilistes », ont donc eux aussi participé à cette

prise de conscience de l’existence d’une communauté d’auteurs et de professeurs engagés

dans une résistance à l’envahissement des sciences sociales et bien déterminés à faire

prévaloir la méthode juridique59. Comme les civilistes, les pénalistes ont porté leur attention

sur la jurisprudence et en ont fait un objet d’étude privilégié. En ce début de XXe siècle,

changement de méthode et missions de la doctrine pénale sont désormais expliqués par les

criminalistes. Émile Garçon estime que la vocation de la doctrine est de rassembler et

coordonner les décisions fragmentaires de la jurisprudence, fixer leur valeur et effectuer un

choix parmi ces décisions selon qu’elles ont affirmé des principes ou des règles60. Elle doit

surtout rechercher et fixer les principes directeurs qui dominent ces arrêts et par la synthèse,

construire des théories d’ensemble. Il considère que « la doctrine peut aider puissamment

au progrès du droit et à sa formation même » et ajoute qu’« elle seule peut faire ce travail

de simplification sans lequel le droit risquerait d’être étouffé sous la frondaison

jurisprudentielle et se perdre dans une inextricable complication »61. Ainsi, en montrant à

la pratique le chemin qu’elle a parcouru et le but vers lequel elle tend, la doctrine peut

exercer sa légitime influence scientifique. René Garraud affirme de son côté que « l’étude

du droit pénal doit être conduite suivant la méthode doctrinale juridique ». Cet auteur décrit

alors la tâche des criminalistes, laquelle consiste, d’une part à enseigner et étudier

systématiquement le droit criminel, c'est-à-dire les textes, et d’autre part à connaître les faits

auxquels il faut appliquer les règles légales62. Le rapprochement avec les missions que les

autres juristes reconnaissent à la doctrine est ici évident.

Si les civilistes présentent systématiquement la doctrine aux côtés des autres sources du

droit, les ouvrages de droit pénal du XXe siècle ne font quant à eux pas toujours une telle

place à la doctrine pénaliste. Certains auteurs ignorent totalement son existence. Elle

demeure néanmoins affirmée par des noms célèbres, reconnus eux-mêmes comme en

faisant partie. Ainsi Mme Rassat évoque la doctrine en précisant qu’elle est « une autorité

qui a pour mission d’exposer, de proposer et de critiquer » et ne la distingue d’ailleurs pas

de la doctrine juridique en général63. M. Pradel n’hésite pas non plus à présenter la doctrine

au titre des sources du droit pénal, mais en précisant là encore qu’il ne s’agit que d’une

autorité64. Comme les civilistes, les pénalistes évoquent sur telle ou telle question la

position de « la doctrine ». Ils utilisent en outre fréquemment le procédé de la « citation-

incorporation » dans leurs écrits et hiérarchisent la littérature juridique en appliquant le

59 Cette question sera d’ailleurs l’objet de développements ultérieurs. 60 E. GARÇON, Code pénal annoté, Paris, Larose et Tenin, 1901-1906, tome 1, préface, p. VI. 61 E. GARÇON, Code pénal annoté, op. cit., préface, p. VI. 62 R. GARRAUD, Précis de droit criminel, Paris, Larose, 8e éd, 1903, n° 14. 63 M.-L. RASSAT, Droit pénal général, Paris, PUF, 2e éd., 1999, n° 154. 64 J. PRADEL, Droit pénal général, Paris, Cujas, 12e éd., 1999, n° 256.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

28

critère de la « véritable œuvre doctrinale ». Les notes bibliographiques rendant compte de la

parution d’ouvrages de droit pénal en témoignent. Par exemple, alors que paraissait une

nouvelle édition du Traité de droit criminel des professeurs Merle et Vitu, Jean Larguier en

rendait compte en ces termes : « Dès la première édition, cet ouvrage dépassait largement

le simple énoncé des solutions ; il atteignait la véritable conception doctrinale (…) c’est un

traité qui mérite son nom »65. Il existe aussi pour la matière pénale des maîtres éminents

que leurs élèves aiment à célébrer66.

Preuve de l’existence d’une doctrine pénale et de sa reconnaissance sociale, on parle

parfois à propos des auteurs pénalistes, de « doctrine unanime ». Tel fut le cas ces dernières

années lorsque de nombreux pénalistes ont vertement critiqué la position adoptée par la

jurisprudence de la chambre criminelle puis de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation

refusant de qualifier d’homicide involontaire, et de sanctionner comme tel, l’atteinte

imprudente à la vie d’un enfant à naître67. Bien que la Cour de cassation se soit en l’espèce

révélée atteinte « d’autisme », en passant outre les critiques qui lui étaient adressées, on

observe que l’opinion unanime ou majoritaire a fort bien été prise en considération par

l’avocat général de la Cour de cassation qui concluait à la solution inverse de celle qu’allait

adopter l’Assemblée plénière68. Récemment, c’est lors d’un colloque organisé en 2004 par

l’IFR Mutation des Normes Juridique de Toulouse que l’existence de la doctrine pénale a

été affirmée et qu’une attention particulière a pu lui être portée aussi bien par les

universitaires que par les praticiens69. Enfin, on notera que la même année un dictionnaire

des sciences criminelles nouvellement paru accueille une entrée « doctrine pénaliste » dont

les développements s’articulent pour une large part autour des mêmes questions et

obervations que nous avons pu déjà formulées70.

65 J. LARGUIER, Rev.sc.crim., 1975, p. 568. 66 Sous la plume de Mme Cartier, MM. Merle et Vitu apparaissent ainsi comme « les auteurs de l’incomparable Traité de droit criminel », M. Larguier comme un auteur à la « pensée riche et subtile », M. Soyer comme un « fabuleux pédagogue » et M. Lombois comme un « artiste inégalable dans la conjugaison des idées et des mots », V. M.-E. CARTIER, Libres propos sur l’enseignement du droit pénal à l’aube du XXIe siècle, Rev.sc.crim., 2001, p. 186-187. 67 V. J. MOULY, Du prétendu homicide de l'enfant à naître. Défense et illustration de la position de la Cour de cassation, Rev.sc.crim., 2005, p. 47, où l’auteur fustige la position de la doctrine unanime. 68 J. SAINTE-ROSE, conclusions, sous Cass. ass. plén., 29 juin 2001, JCP. 2001 II 10569. 69 Le rôle de la doctrine pénale a ainsi donné lieu à sept contributions sur lesquelles nous nous arrêterons plus loin. Pour les actes de ce colloque, V. HÉCQUARD-THÉRON (M.) (dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ? actes du colloque des 28 & 29 octobre 2004, Les travaux de l’IFR Mutation des Normes Juridiques n° 3, Presses de l’Université des Sciences Sociales de Toulouse, 2005. 70 B. DE LAMY, v° « Doctrine pénaliste », in G. LOPEZ et S. TZITZIS (dir.), Dictionnaire des sciences criminelles, Paris, Dalloz, 2004. L’auteur observe tout d’abord que rares sont les développements présentant la doctrine dans les ouvrages de droit pénal. Il s’étonne ensuite de ce que les études portant sur la doctrine ne soient jamais illustrées par des exemples tirés du droit pénal. M. De Lamy en vient alors à parler d’« autorité occultée » et s’interroge sur les possibles raisons de cette occulation, V. p. 263-264.

Introduction

29

Malgré l’affirmation de cette existence, on retrouve difficilement dans les écrits des

pénalistes cette autocélébration dont fait parfois preuve la doctrine civiliste. Au contraire, ce

qu’elle livre d’elle-même relève assez souvent d’un pessimisme qui confine au complexe.

20. Le complexe. Si l’on veut bien considérer la doctrine comme un ensemble constitué,

quoique informel, se reconnaissant une identité propre et dont l’activité a pour but

d’influencer les autres sources à travers l’enseignement et la recherche, force est tout de

même d’admettre qu’il arrive aux pénalistes de douter d’eux-mêmes.

La doctrine pénale doute parfois de l’utilité de son rôle, de la valeur de son travail de

mise en ordre du droit. Ainsi, Jacques-Henri Robert71 juge-t-il assez sévèrement l’influence

que peut avoir la doctrine en droit pénal72. Les belles et savantes dissertations, explique-t-il,

ne seraient, le plus souvent, que de vains efforts doctrinaux se heurtant à la jurisprudence

criminelle de la Cour de cassation. Cette dernière se montrerait sourde aux critiques de la

doctrine et ignorerait ses constructions intellectuelles. Le pénaliste juge que la libre création

scientifique qui se développe dans d’autres disciplines est nécessairement bridée en droit

pénal et trouve une explication dans le fait que la répression serait trop sérieuse, trop

intimement liée aux attributs essentiels de l’État pour qu’on en fasse l’enjeu des trouvailles

des beaux esprits. On pourrait également expliquer cette moindre liberté de l’interprète

autorisé en droit pénal par le jeu du principe de la légalité des délits et des peines.

Contrairement aux autres branches du droit, en droit pénal la loi est d’interprétation stricte.

Cela signifie que le juge pénal ne peut donner une interprétation de la norme pénale qui

aurait pour effet de punir au-delà ou en deçà de la volonté du législateur, telle qu’elle est

exprimée dans le texte d’incrimination. A fortiori, la doctrine ne saurait méconnaître un tel

principe, en s’autorisant par exemple à raisonner par analogie. On comprend dès lors que

son rôle soit plus limité qu’ailleurs, tant dans l’interprétation de la loi que dans les

suggestions qu’elle voudrait adresser au juge.

La doctrine pénale est par ailleurs affectée par une question d’identité liée à la place de

son objet d’étude. En effet, elle est taraudée par la question de savoir à quelle branche du

droit le droit pénal appartient. Au début du XXe siècle les pénalistes répondaient encore

sans difficulté à cette question en considérant le droit pénal comme une branche du droit

public73. Pourtant on sait qu’aujourd’hui il relève bien davantage du droit privé. En effet,

71 J.-H. ROBERT, Discours sur l’état du droit pénal, Droits, n° 6, 1987, pp. 154-155. 72 L’auteur est même allé jusqu’à expliquer que le commentateur d’arrêts n’agit que par pur plaisir et sans pouvoir véritablement avoir pour ambition d’inspirer le droit. V. J.-H. ROBERT, La psychologie du commentateur d’arrêts, in HÉCQUARD-THÉRON (M.) (dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ? op. cit., p. 163 et s. 73 Pour René Garraud le droit criminel n’était qu’une branche du droit public à côté du droit constitutionnel et du droit administratif, V. Précis de droit criminel, op. cit., n° 2 et 39. Émile Garçon ajoutait même que la méthode du droit criminel empruntait à celle du droit public. Cette conception était motivée par le souci de soumettre l’État au droit dans l’exercice de la répression. V. De la méthode du

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

30

les découpages académiques et universitaires le rattachent incontestablement à cette

branche74. Toutefois, au-delà des classifications institutionnelles, la question continue d’être

posée mais la réponse, en raison de la diversité des opinions, apparaît pour certains

indécidable voire informulable75. Mme Delmas-Marty rappelle cette difficulté en soulignant

que le droit pénal appartient au droit privé par la rigueur de ses méthodes d’interprétation et

au droit public par son objet. Or, les pénalistes semblent affectés par le caractère hybride de

leur discipline qui conduit le droit pénal à n’être pleinement reconnu ni d’un côté ni de

l’autre de cette grande division qui commande tout l’enseignement du droit en France76 et

qui contribuent probablement à les marginaliser. La difficulté a semble-t-il de lourdes

répercussions sur le statut de l’enseignement du droit pénal à l’Université.

L’enseignement et la recherche, qui sont au cœur de l’activité doctrinale, souffrent

aujourd’hui d’une assez mauvaise image. Il y a quelques années, M. Levasseur rappelait

que dans la première moitié du XXe siècle, les criminalistes étaient vus d’un mauvais œil et

n’étaient pas considérés comme d’authentiques juristes, ce qui expliquait que pendant

longtemps il était déconseillé de se présenter au concours d’agrégation avec une thèse de

droit pénal77. Plus récemment, c’est un sombre bilan que Mme Cartier a proposé aux

lecteurs de la Revue de science criminelle. L’auteur faisait remarquer que « l’enseignement

du droit pénal traverse une crise matérialisée par la chute du nombre de thèses et par une

pénurie préoccupante de pénalistes » et jugeait que l’apathie générale et le désintérêt

marqué par la plupart de ses collègues ne permettaient pas des perspectives

encourageantes78. Le même pessimisme est partagé par Mme Lazerges qui regrette la trop

faible place de la « tribu » des pénalistes au sein de l’Université et la reconnaissance

« particulièrement médiocre » du droit pénal au sein des facultés79.

Du côté de la recherche, il y a plusieurs années le professeur Pradel caractérisait la

recherche fondamentale par la faiblesse de son engagement et son manque d’imagination.

Elle se contenterait, expliquait l’auteur, de refléter l’actualité tout en délaissant des

droit criminel, in Les méthodes juridiques, leçons faites au collège libre des sciences sociales en 1910, Paris, Giard et Brière, 1911, pp. 199-201. 74 Le concours d’agrégation des professeurs des universités en est probablement la plus belle illustration, avec son concours de « droit privé et sciences criminelles » à côté du concours ouvert en droit public. 75 R. GASSIN, Le droit pénal : droit public ou droit privé ? Problèmes actuels de sciences criminelles IV, PUAM, 1991, p. 51. 76 M. DELMAS-MARTY, Les contradictions du droit pénal, Rev.sc.crim., 2000, p. 3. 77 CH. LAZERGES (dir.), L’enseignement des sciences criminelles aujourd’hui, Toulouse, Érès, 1991, préface, p. 8. Il n’est pas certain que cela ait changé depuis. 78 M.-E. CARTIER, Libres propos sur l’enseignement du droit pénal à l’aube du XXIe siècle, op. cit., p.185. 79 V. CH. LAZERGES, La doctrine et la dérive législative de la procédure pénale, in HÉCQUARD-THÉRON (M.) (dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ? op. cit., p. 161.

Introduction

31

questions problématiques au profit d’une interprétation fidèle des nouveautés de la

matière80.

Néanmoins, se débarrasser du complexe pourrait être le nouveau mot d’ordre lancé par

certains auteurs qui saisissent désormais la moindre occasion pour affirmer l’existence et la

valeur de la doctrine pénale qui se renouvelle sous nos yeux. Ainsi, le professeur Maistre du

Chambon préfaçait-il récemment le travail de l’un de ses étudiants en ces termes : « l’auteur

fournit la démonstration de la belle santé de la doctrine pénale française »81. Mais le

meilleur défenseur de l’étude du droit pénal et de la valeur de la doctrine pénale est

probablement, à l’heure actuelle, M. Philippe Conte. Les préfaces aux thèses de doctorat

qu’il a dirigées, sont souvent de véritables plaidoyers en faveur de la doctrine pénale82.

21. Un désintérêt pour la doctrine pénale injustifié. Si la doctrine pénale, pour des

raisons tenant à ces particularités et parce qu’elle estime peser peu dans les transformations

du droit positif, manifeste un certain complexe, c’est probablement pour une double raison.

La première serait à rechercher dans le sort peu enviable qui est réservé aux spécialistes de

droit pénal au sein de l’Université française83. La seconde pourrait se comprendre par

référence au prestige de la doctrine civiliste. Le pénaliste étant par sa formation largement

imprégné de culture civiliste, le sentiment que la doctrine pénale ne vaudrait pas d’être

étudiée au même titre que la doctrine civiliste, pourrait se trouver renforcé. Pourtant, il

existe sans aucun doute une doctrine pénale qui a conscience d’elle-même et qui se

reconnaît la même nature et les mêmes missions que la doctrine en droit civil. Que la

doctrine pénale soit moins prestigieuse, moins écoutée ou encore moins libre que la doctrine

civiliste n’interdit en rien de lui prêter attention.

Au contraire, il serait bon de vérifier dans quelle mesure la doctrine pèse ou ne pèse pas

dans l’élaboration du droit positif au titre de son autorité. Dès lors, s’intéresser à son rôle

dans l’élaboration, la transformation et la systématisation du droit paraît non seulement tout

à fait concevable mais aussi opportun. Il n’en demeure pas moins que s’intéresser à la

doctrine pénale exige de ne pas la confondre avec les doctrines pénales.

80 J. PRADEL, La recherche française dans le champ pénal, in La recherche française dans le champ pénal, bilan et synthèse, CEDAS, Bordeaux, 1992. 81 X. PIN, Le consentement en matière pénale, LGDJ, 2002, préface, p. 7. 82 V. en particulier J. POUYANNE, L’auteur moral d’infraction, PUAM, 2003, préface. Mais aussi, E. BONIS-GARÇON, Les décisions provisoires en procédure pénale, PUAM, 2002, où M. Conte rappelle que la procédure pénale est le « parent pauvre » de la recherche et juge, à propos de l’auteur de la thèse, que c’est une doctrine de grande qualité qui est venue renouveler le droit processuel inspiré par le droit européen des droits de l’homme ; M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Le doute en matière pénale, Paris, Dalloz, 2002, où le professeur écrit : « Qu’on se le dise : les juristes ont leur place en droit pénal, au point que, lors de la soutenance, il a été dit que la lecture d’une telle analyse prouvait définitivement, pour qui en aurait douté, que le droit pénal appartient bien au droit privé » et d’ajouter que « le droit pénal, porté par de jeunes talents, est en pleine renaissance », préface p. X. 83 V. supra, n° précédent, particulièrement les propos de mesdames Delmas-Marty, Cartier et Lazerges.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

32

B- DOCTRINE JURIDIQUE DU DROIT PÉNAL ET DOCTRINES PÉNALES

22. Une différence d’objet et de nature. Distinguer la doctrine pénale des doctrines

pénales a déjà paru nécessaire à M. Pradel lorsqu’il a choisi d’étudier l’histoire des

secondes. L’auteur explique que la doctrine, concept utilisé par les juristes, est l’opinion

des théoriciens, souvent des professeurs de droit, sur un ou des points précis, alors que les

doctrines pénales consistent en une vision d’ensemble ou conception globale d’une

discipline, fondée sur un petit nombre d’idées préalablement choisies et à partir desquelles

on peut faire découler des conséquences nombreuses84. Les doctrines pénales sont des

systèmes de pensée qui proposent des conceptions du droit pénal, de son rôle, de sa

fonction, ou encore proposent diverses manières de concevoir le criminel. Ces doctrines ont

pour finalité d’orienter le droit pénal ou, plus radicalement, de plaider pour son abolition.

Elles s’entendent finalement comme des idéologies, que les auteurs désignent comme telles

lorsqu’ils ne parlent pas d’« écoles », de « systèmes », de « théories » ou enfin de

« philosophies pénales »85. Ainsi, les doctrines pénales, contrairement à la doctrine pénale,

ne portent pas sur le droit criminel en tant que corps de règles et de décisions de justice,

mais plutôt sur la compréhension du phénomène criminel et les moyens de l’enrayer86. Il en

résulte que c’est le critère du juridique qui permet de distinguer ces doctrines pénales de la

doctrine juridique du droit pénal. Néanmoins, en pratique la distinction fait apparaître des

limites.

23. Limites de la distinction. La distinction entre doctrine pénale et doctrines pénales

présente ici un intérêt essentiellement théorique. Elle permet de préciser que notre objet de

recherche sera constitué de la seule littérature juridique, c'est-à-dire celle qui porte sur

l’étude du droit pénal et de la procédure pénale français. Cela étant, nombre de pénalistes se

rattachent à un courant de pensée, à une idéologie, à une philosophie pénale. Les positions

idéologiques des uns et des autres transparaissent ainsi dans le discours juridique. Il n’y a là

rien d’étonnant. De plus, comme en témoignent les ouvrages de droit criminel, il n’est pas

possible d’ignorer l’existence et l’influence de ces écoles de pensée sur l’évolution du droit

pénal. Doctrine et doctrines pénales se rejoignent parfois jusqu’à se mêler dans une même

pensée, si bien que l’étude de la seule littérature juridique pourra parfois nous obliger à

considérer les thèses de telle ou telle école.

84 J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, Paris, PUF, 2e éd., 1991, p. 3. 85 M. Pradel, pour présenter ces doctrines, peut aussi bien parler de Philosophies pénales dans son Droit pénal général, op. cit., que de doctrines pénales dans l’Histoire des doctrines pénales, op. cit. D’autres auteurs font un usage indifférencié de ces diverses appellations : A. DECOCQ, Droit pénal général, Paris, A. Colin, 1971, pp. 29-42 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Droit pénal général, Paris, Cujas, 7e éd., 1997, n° 54 et s ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., n° 20 et s. 86 MM. Merle et Vitu énumèrent quatre grands types de doctrines pénales : la doctrine classique, la doctrine positiviste, la doctrine de défense sociale et la doctrine dite néo-classique.

Introduction

33

SECTION 2 : LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL

24. L’intérêt pour la présomption d’innocence. La présomption d’innocence est l’une de

ces notions juridiques dont l’existence est connue au-delà de la communauté des juristes.

Elle pourrait à elle seule illustrer l’idée que le droit pénal intéresse le public et que « la

personne la moins avertie des choses du droit connaît au moins le nom d’institutions

répressives »87. Elle est surtout l’une des notions juridiques devenue incontournable pour le

pénaliste et pour tout juriste en général. Elle est en outre un principe juridique dont

l’actualité ne se dément pas depuis son renforcement par la loi de 1993 jusqu’à la loi du 15

juin 2000 qui l’a inscrite dans notre Code de procédure pénale. Néanmoins, cette actualité

de la présomption d’innocence n’est pas seulement législative ou jurisprudentielle, elle est

également doctrinale (§1). La présomption d’innocence est ainsi incontestablement un objet

qui occupe une bonne place dans le discours doctrinal comme en témoigne une littérature

abondante. C’est ainsi que la présomption d’innocence a pu apparaître intéressante au

regard de la nécessité de délimiter l’étude du discours doctrinal à l’un de ses objets (§2).

§ 1. L’ACTUALITÉ DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

25. Actualité législative et jurisprudentielle. La présomption d’innocence a été consacrée

plusieurs fois dans divers textes, certains ayant valeur supérieure en droit interne, depuis la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 jusqu’à la récente Charte des

Droits fondamentaux de l'Union européenne signée en l’an 2000, en passant par la

Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, le législateur français ne s’est

emparé de cette question qu’à compter de la loi du 4 janvier 1993 dont l’un des objectifs

annoncés était d’opérer un renforcement de ladite présomption d’innocence. Il a notamment

résulté de cette loi, un accroissement des droits de la personne poursuivie, la disparition de

l’inculpation au profit de la mise en examen et surtout, l’insertion d’un article 9-1 dans le

Code civil, affirmant, d’une part, que chacun a droit au respect de la présomption

d’innocence, et organisant, d’autre part, la réparation des atteintes qui y sont portées. Plus

récemment et sous l’impulsion du président de la République88, le législateur a réitéré son

attachement à la présomption d’innocence, en adoptant la fameuse loi du 15 juin 2000

renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Cette loi a

87 J.-H. ROBERT, Droit pénal général, Paris, PUF, 3e éd., 1998, p. 31. 88 En effet, bien que la fameuse loi de l’année 2000 ait été élaborée et votée par une majorité de gauche, c’est bien le Président de la République qui, dès l’année 1996, manifestait de l’inquiétude face à un principe « vacillant ». Au début de l’année 1997, cette inquiétude l’a conduit à demander au gouvernement de mettre en place une commission chargée de s’interroger, notamment, sur les moyens de faire respecter la présomption d’innocence.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

34

jugé nécessaire de formuler la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale,

au sein d’un article préliminaire énonçant les principes directeurs du procès pénal89.

Ces nouveaux textes ont donc donné une visibilité plus grande à la présomption

d’innocence en même temps qu’ils suscitent une jurisprudence de plus en plus importante.

En effet, à la jurisprudence de la Cour européenne déjà ancienne, viennent s’ajouter les

décisions rendues en application du nouveau texte civil protégeant la présomption

d’innocence et les décisions du Conseil constitutionnel. On remarque à cet égard que depuis

un peu moins d’une dizaine d’année, les saisines invoquant une violation de la présomption

d’innocence se font plus fréquentes, ce qui donne l’occasion au Conseil constitutionnel de

se prononcer sur les garanties offertes par l’article 9 de la Déclaration des droit de l’homme.

Enfin, l’insertion de la présomption d’innocence dans l’article préliminaire du Code de

procédure pénale pourrait donner à la chambre criminelle de la Cour de cassation

l’opportunité de se prononcer sur d’éventuelles violations de la présomption d’innocence,

puisqu’elle a déjà conféré à ce texte une valeur normative et n’hésite pas à en faire

application à d’autres égards.

Parce qu’elle est l’observateur et l’interprète privilégié du droit positif, la doctrine pénale

devait naturellement s’employer à présenter et à commenter ces nouveautés, puis à les

intégrer au droit de la procédure pénale existant. Ceci a logiquement contribué au

développement d’une littérature juridique ayant pour objet la présomption d’innocence.

L’actualité de la présomption d’innocence ne serait cependant pas un motif suffisant pour

justifier de la choisir si l’on n’observait pas par ailleurs qu’elle intéressait les pénalistes

depuis plusieurs années avant d’être formulée par les textes français ou d’être l’objet de

décisions juridictionnelles.

26. L’actualité de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal. Si l’évolution

du droit positif a suscité une littérature juridique consacrée à la commenter, la présomption

d’innocence était un objet déjà bien présent dans le discours doctrinal depuis les années

soixante-dix, alors même qu’aucun texte, de droit interne ou international ne traitait à

proprement parler de « la présomption d’innocence ». L’actualité doctrinale précédait ainsi

non seulement l’actualité législative mais aussi jurisprudentielle. Plus précisément, une

première analyse de la littérature juridique tend à montrer que la présomption d’innocence

n’a été longtemps l’objet que du seul discours doctrinal, loi et jurisprudence restant

89 L’adoption de cette importante loi n’a toutefois pas fait cesser toute initiative parlementaire en matière de respect de la présomption d’innocence. V. La proposition de loi n° 1183 de novembre 2003 sur l'effectivité de la présomption d'innocence en matière de communication judiciaire, et la proposition n° 1184 sur le renforcement du respect de la présomption d'innocence en matière de communication judiciaire, présentées par M. Briat ; mais aussi la proposition de loi organique n° 2505 de juillet 2005, visant à réaffirmer le principe de séparation des pouvoirs et la présomption d'innocence en précisant le devoir de réserve des magistrats, et présentée par M. Myard.

Introduction

35

silencieuses et ignorant en grande partie son existence. Le constat peut étonner : comment

expliquer en effet que la doctrine puisse décrire un objet que le droit positif ignore ? Sans

doute faut-il admettre que c’est sa fonction d’interprétation qui a permis à la doctrine de

dégager la présomption d’innocence des données du droit positif. Une telle observation, qui

demandera à être poursuivie et approfondie, laisse déjà entrevoir un décalage entre le

discours savant et le contenu du droit étudié. Ce décalage témoigne d’une liberté et d’une

méthode assez différentes de celles que les auteurs ont coutume de reconnaître. Envisager la

présomption d’innocence non pas comme élément du droit positif observable mais

seulement en tant qu’objet présent dans la littérature doctrinale mérite toutefois quelques

précisions.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

36

§ 2. LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE COMME OBJET DU DISCOURS DOCTRINAL.

27. L’expression de « présomption d’innocence ». Lorsqu’on parle de « la présomption

d’innocence », il s’agit d’évoquer une règle applicable au procès pénal, selon laquelle toute

personne suspectée ou accusée d’avoir commis une infraction est présumée innocente tant

que sa culpabilité n’a pas été établie. L’usage de l’expression « présomption d’innocence »

renvoie donc au contenu du principe juridique de la présomption d’innocence. Or, il s’avère

qu’avant l’adoption de l’article 9-1 du Code civil, aucun texte applicable en droit français,

ne se référait à « la présomption d’innocence ». En effet, l’article 9 de la Déclaration des

droits de l’homme énonce que : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait

été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas

nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ; tandis

que les textes postérieurs adoptent des formulations voisines mais différentes prévoyant par

exemple que « tout accusé » ou « toute personne accusée » d’une infraction, d’un acte

délictueux, « toute personne suspectée ou poursuivie », « est présumée innocente ». En

revanche, avant que la loi française dispose que « Chacun a droit au respect de la

présomption d’innocence », il était aisé d’observer que la formule « présomption

d’innocence » avait droit de cité dans la littérature doctrinale, constituant d’ailleurs depuis

longtemps l’une des entrées que comportent les index situés en fin d’ouvrages. L’expression

« présomption d’innocence » constitue donc bien la clé qui permet d’accéder au savoir sur

la présomption d’innocence. Ainsi est-il apparu que ce devait être cette expression qui

servirait principalement à identifier l’objet permettant de circonscrire l’étude du discours

doctrinal.

28. La présomption d’innocence dans la seule procédure pénale. Si la notion de

présomption d’innocence relève sans aucun doute de l’étude du procès pénal, il n’est pas

moins certain qu’aujourd’hui le champ d’application du principe déborde le cadre du procès

pénal stricto sensu. Ainsi, sous l’impulsion de la jurisprudence européenne mais aussi

judiciaire et constitutionnelle françaises, la présomption d’innocence est amenée à jouer

plus largement en matière pénale90. Aussi, ne doit-on plus désormais s’étonner de voir

soulevée une violation de la présomption d’innocence dans le cadre de sanctions

administratives, fiscales ou encore disciplinaires, c'est-à-dire en l’absence d’accusation

pénale au sens strict. En effet, dès lors que ces sanctions présentent un caractère punitif,

elles relèvent, conformément à la jurisprudence de Strasbourg, de la matière pénale et sont à

ce titre soumises au respect des droits et libertés fondamentales énoncés par la Convention

90 Pour une défense de cette extension de la présomption d’innocence en dehors du champ étroit de la présomption d’innocence, V. M. DE VILLIERS et TH. RENOUX, Code constitutionnel commenté et annoté, Paris, Litec, 2001, p. 95 et s.

Introduction

37

européenne91. Par ailleurs, la présomption d’innocence, désormais consacrée dans le Code

civil, relève naturellement pour partie du contentieux civil. Cette extension de la

présomption d’innocence est à l’origine d’une littérature qui dépasse logiquement le cadre

de la seule procédure pénale. Aussi les pénalistes n’ont-ils plus le monopole du discours

juridique relatif à la présomption d’innocence. Pourtant, seule la doctrine juridique du droit

pénal nous retiendra dans le cadre de cette étude. C’est la raison pour laquelle la

présomption d’innocence sera étudiée très essentiellement dans son cadre originaire et

naturel : le procès pénal. Cela ne nous interdira toutefois pas d’évoquer incidemment les

autres dimensions de la présomption d’innocence ou encore le discours des juristes non

pénalistes, sans qu’ils constituent l’objet principal de notre propos.

29. L’objet de discours. Parce que le discours doctrinal est un discours savant, son objet

est un objet de savoir. C’est à ce titre que la présomption d’innocence nous intéressera tout

au long de nos développements. Cet intérêt ne peut être pleinement satisfait qu’au travers

d’une analyse du discours doctrinal. Deux observations tirées d’une telle analyse peuvent en

fournir l’illustration.

Jusqu’aux abords de l’année 2000, la doctrine pénale enseignait que la présomption

d’innocence était née avec la Révolution française et se trouvait pour la première fois

exprimée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’affirmation était alors

unanime, elle indiquait avec certitude, marquait sous le sceau de l’évidence, quelle était

l’origine de la présomption juridique d’innocence. Or, que l’on prête attention aux écrits

doctrinaux les plus récents qui prennent la présomption d’innocence pour objet d’étude, et

on y découvrira, avec la même certitude affichée, que le principe trouvait à s’appliquer en

France au Moyen Âge et qu’il puise sa source dans le droit romain. Ces deux affirmations,

tirées du discours doctrinal, sont bien différentes, comment les comprendre ? Diverses

réponses seraient envisageables. Une querelle entre historiens du droit paraît devoir être

toutefois écartée. Ce sont les premiers à avoir révélé, dans une certaine indifférence

générale, une origine si lointaine de la présomption d’innocence. La dogmatique juridique

pourrait en revanche avoir tout simplement tardé à intégrer les données historiques dans son

discours. Cela d’autant plus que l’analyse du discours doctrinal relatif à la présomption

d’innocence montre qu’en réalité les pénalistes se sont longtemps désintéressés de l’histoire

de la présomption d’innocence. Ces observations soulèvent d’emblée diverses questions

dont les réponses exigeraient des recherches approfondies. Elles suffisent en tout cas à

démontrer que le discours doctrinal a évolué, s’est modifié. De la même manière, elles

démontrent que c’est le savoir sur la présomption d’innocence qui a évolué (progressé ?) en

91 V. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Paris, Litec, 3e éd., n° 10 et 11 sur la matière pénale et n° 405 pour l’extension du champ d’application de la présomption d’innocence à la matière pénale.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

38

s’affinant, en se rectifiant. Il n’est pas certain que cette évolution soit enregistrée comme

telle dans le discours doctrinal. Les nouvelles données semblent davantage se substituer aux

plus anciennes, laissant au lecteur l’impression que les connaissances actuellement

enseignées ont toujours été telles. Seule une étude du discours doctrinal menée de façon

diachronique permet de soulever une telle question et d’en formuler d’autres à propos du

fond des connaissances dont nous disposons sur les sources, la signification ou encore le

fondement de la présomption d’innocence.

S’il n’est pas indifférent de savoir si la présomption d’innocence prend racine dans le

droit romain, au Moyen Âge ou à la Révolution, on ne peut davantage demeurer indifférent

à une autre découverte. Bien que l’origine de la présomption d’innocence s’avère en toute

hypothèse ancienne, elle n’a que très tardivement retenu l’intérêt des pénalistes. En effet,

l’analyse du discours doctrinal permet d’observer que la présomption d’innocence ne fait

son apparition sous la plume des criminalistes qu’au tout début du XXe siècle. Tout en se

souvenant que c’est sensiblement à la même période que prend naissance l’idée moderne de

doctrine juridique, on pourra s’interroger sur les raisons d’une apparition si tardive. Car s’il

est aisé d’apercevoir que la règle était connue et enseignée par les anciens criminalistes,

l’expression ne l’était pas quant à elle. En tout état de cause, cette évolution du discours

savant devra être décrite et autant que possible expliquée.

30. Plan. Envisager la présomption d’innocence comme objet de discours suppose ainsi

de mener une analyse diachronique de la littérature juridique, qui prenne en considération

les deux directions esquissées ci-dessus. S’il est indéniable que tous les genres de la

littérature juridique ne présentent pas la même valeur doctrinale, le parti a été pris ici de

s’en tenir au seul critère de la publication. Il en résulte pour conséquence que, dans le cadre

de ce travail, le discours doctrinal étudié s’entend de la littérature émanant de la

communauté des juristes et que le seul critère de sélection de la documentation retenue

réside dans son objet, principal ou secondaire, qui est la présomption d’innocence. Cette

précision résulte directement de la définition de la doctrine adoptée précedemment92 et

explique la division en deux parties distinctes de la bibliographie dressée à la fin de cette

étude93.

Il s’agira ainsi d’étudier la littérature doctrinale en s’interrogeant tout d’abord sur la

place que la présomption d’innocence occupe dans le savoir juridique pénal et la façon dont

elle y a évolué. Cette première approche consiste à ne s’intéresser à la présomption 92 V. supra, n° 13. 93 On trouvera en effet dans la bibliographie une première partie intitulée « corpus doctrinal de référence » qui comprend l’ensemble de la littérature juridique consacrant des développments à la présomption d’innocence et ayant ainsi servi de base documentaire à l’analyse du discours doctrinal. On trouvera en revanche dans la seconde partie intitulée « bibliographie générale » le reste de la documentation ayant servi à la réflexion proposée dans ce travail.

Introduction

39

d’innocence qu’en tant qu’objet de discours. Aussi la première partie de cette étude portera-

t-elle sur L’objet dans le discours. L’inversion de la précédente perspective aura pour effet

de déplacer l’attention que nous portions à l’objet au discours lui-même. Qu’enseigne la

doctrine à propos de la présomption d’innocence ? Comment s’acquitte-t-elle de cette

mission ? Quels sont les principes qui président à l’élaboration d’un discours sur la

présomption d’innocence ? Les réponses à ces questions relèvent toutes d’une analyse

approfondie du contenu du discours sur la présomption d’innocence. La deuxième partie de

notre recherche sera par conséquent consacrée à l’étude du Discours sur l’objet.

Au cours de cette double analyse, se dessineront à la fois une certaine image de la

doctrine pénale et du savoir sur la présomption d’innocence.

41

PREMIÈRE PARTIE

L’OBJET DANS LE DISCOURS

31. Place de l’objet dans le discours. En droit, comme dans d’autres disciplines d’ailleurs,

il n’existe probablement aucun objet de discours qui soit immuable. Les objets y

apparaissent, la place qui leur est faite peut évoluer, puis ils peuvent disparaître. Il n’y a rien

d’étonnant à cela puisque la doctrine a pour mission de décrire, expliquer, critiquer et

mettre en ordre le droit positif qui, par définition, n’est pas immuable, mais bien changeant.

La question qui pourrait se poser, serait alors de savoir si tout changement dans le droit

positif a pour nécessaire et immédiate conséquence un changement dans le discours

doctrinal qui le prend pour objet. La réponse à cette question dépend du niveau

d’adéquation qui peut exister entre le discours sur le droit et le droit lui-même. On

observera cependant que tout changement important dans le droit positif se reflète

généralement sans attendre dans le discours doctrinal. La mise à jour des manuels et traités

n’a d’ailleurs pas d’autre raison d’être et les publications périodiques sont les premières à se

faire l’écho de ces changements.

S’intéresser à la notion de présomption d’innocence dans le discours doctrinal c’est,

avant toute analyse du contenu de ce discours, déterminer la place que l’objet étudié y

occupe. Pour ce faire, il s’agit de répondre à un certain nombre de questions qui ont

constitué une véritable grille de lecture de la littérature juridique pénale94. Quand la

présomption d’innocence a-t-elle fait son apparition dans le discours doctrinal ? Quels sont

les contextes de cette apparition ? Quelle place les criminalistes ont-ils fait à la

présomption d’innocence ? Comment la place de cet objet a-t-elle évolué au sein de ce

discours ? Enfin, quels sont les traits caractéristiques du discours sur la présomption

d’innocence ?

Les pénalistes modernes enseignent que la présomption d’innocence est née de la

Révolution française et qu’elle a trouvé sa première expression juridique avec le texte de la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En conséquence, la période se situant

autour de 1789 devrait pouvoir permettre d’observer une modification du discours. Or tel

n’est pourtant pas le cas.

94 C’est à une recherche semblable et selon une grille de lecture identique que le CERCRID de Saint Etienne avait procédé en s’intéressant à la place des modes alternatifs de règlement des conflits dans le discours doctrinal. V. M.-C. RIVIER (dir.), Les modes alternatifs de règlement des conflits- Un objet nouveau dans le discours des juristes français ? Rapport du Centre de recherches critiques sur le droit pour le GIP Droit et justice, Université Jean Monnet de Saint Etienne, mai 2001.

L’objet dans le discours

42

32. État du droit et état du discours sur le droit. L’analyse du discours montre en effet

très clairement que l’apparition de la présomption d’innocence dans la littérature juridique

pénale ne correspond ni directement ni indirectement à la consécration de la présomption

d’innocence en droit français. Il existe en réalité un important décalage entre la consécration

de la présomption d’innocence et son émergence dans la littérature juridique. Elle n’émerge

en effet dans le discours, comme objet identifiable, qu’au début du XXe siècle, soit plus

d’un siècle après la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme. Cela signifie que la

formule, l’expression, la notion même de présomption d’innocence sont inconnues des

juristes tout au long du XIXe siècle. Le constat peut surprendre. On s’étonnera moins en

revanche d’observer que la présomption d’innocence, toujours en tant qu’objet de discours,

est absente de la littérature juridique produite sous l’ancien droit. Toutefois, il convient de

nuancer en remarquant que le silence des anciens criminalistes n’est pas total. Toutes

notions se rattachant à la présomption d’innocence ne sont pas ignorées par ces auteurs.

Ainsi, si l’émergence de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal ne peut

être réellement observée qu’à partir du XXe siècle (Titre 2), son absence du discours jusqu’à

la fin du XIXe siècle mérite, elle aussi, d’être étudiée (Titre 2).

43

TITRE 1 L’ABSENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL JUSQU’À LA FIN DU XIXE SIÈCLE

33. Le discours contemporain pour point de départ. En attribuant à la période

révolutionnaire la naissance de la présomption d’innocence, les pénalistes modernes

identifient une rupture dans l’histoire du droit pénal95. La présomption d’innocence était

inconnue de l’ancien droit expliquent-ils. L’histoire de la présomption d’innocence

commencerait donc avec l’adoption de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et

du citoyen, qui énonce que : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été

déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas

nécessaire pour s’assurer de personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». En

prenant pour guide ces affirmations du discours doctrinal contemporain, l’observateur peut

supposer d’une part que les anciens criminalistes n’ont pas pu traiter de la présomption

d’innocence et d’autre part que les auteurs qui ont écrit après la Révolution ont pu quant à

eux connaître de la présomption d’innocence. L’analyse du discours avant et après la

Révolution dément cependant l’hypothèse.

34. Caractérisation de l’absence. L’adoption de l’article 9 de la Déclaration des droits de

l’homme n’a pas eu pour effet de modifier le discours savant postérieur à la Révolution. La

doctrine du droit pénal moderne, celle qui a écrit au XIXe siècle, n’a entendu faire aucune

place à la notion de présomption d’innocence dans son exposé du droit criminel français.

Pourtant, aucun auteur contemporain n’a semble-t-il relevé ce silence. Les écrits savants du

XXe siècle sur la présomption d’innocence donnent ainsi l’impression que depuis sa

consécration, la présomption d’innocence a toujours retenu l’attention des auteurs.

L’étudiant ou le chercheur qui consulterait la littérature de cette époque pourrait être surpris

de découvrir que cette présomption d’innocence n’était pas, comme c’est le cas aujourd’hui,

le principe d’attribution du fardeau de la preuve ni le principe qui impose de faire bénéficier

du doute à l’accusé.

L’idée, aujourd’hui largement répandue en doctrine, que la consécration de la

présomption d’innocence en 1789 a été favorisée par le mouvement philosophique du

XVIIIe siècle, invite naturellement à rechercher si elle n’aurait pas commencé à être un

objet du discours pénal à la veille de la Révolution. Était-elle en germe dans la littérature du

XVIIIe siècle ? Était-elle une revendication des réformateurs de la procédure criminelle ?

95 Ce point sera plus particulièrement développé à propos de la Révolution comme source historique de la présomption d’innocence, V. infra, n° 157.

L’objet dans le discours

44

On pourrait légitimement le penser. Pourtant, les résultats d’une telle recherche ne

manquent pas à cet égard de décevoir : c’est l’absence de la présomption d’innocence que

l’on peut observer dans les écrits réformateurs du XVIIIe siècle. Enfin, si l’on s’attache à la

littérature des plus fameux des criminalistes d’Ancien Régime, le silence auquel on pourrait

cette fois s’attendre doit être relativisé. Certes, la présomption d’innocence n’y est pas un

objet de discours mais le thème plus général de la protection de l’innocence y tient une

place non négligeable.

On comprendra que si la présomption d’innocence est absente du discours doctrinal

jusqu’à la fin du XIXe siècle, il convient de distinguer selon que l’on à affaire au discours

précédant la Révolution ou à celui qui la suit. Dans la première hypothèse, l’absence n’est

pas totale puisque la doctrine pénale de l’ancien droit s’intéresse à la protection de

l’innocence (Chapitre 1). En revanche, l’absence de la présomption d’innocence caractérise

bien le discours de la doctrine du droit pénal moderne (Chapitre 2).

45

CHAPITRE 1 LA DOCTRINE PÉNALE DE L’ANCIEN DROIT ET LA PROTECTION DE

L’INNOCENCE

35. Élargissement du corpus de référence. En parlant de la présomption d’innocence M.

Jeandidier expliquait que : « C’est une conquête révolutionnaire, un des plus beaux fleurons

des droits de l’homme» 96. De leur côté les professeurs Merle et Vitu enseignent que : « La

présomption d'innocence était inconnue de l’ancien droit (…). Mais, [que] préparée par le

mouvement d’idées des philosophes au XVIIIe siècle, [elle] a été exprimée avec force dans

l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 27 août 1789 en une

formule célèbre (…) »97. En indiquant que la présomption d’innocence résulte du combat

mené par les philosophes du XVIIIe siècle, les juristes modernes élargissent du même coup

le discours qui sert de référence à cette étude sur la présence de la présomption d’innocence

dans le discours doctrinal. Si les écrits de l’époque révolutionnaire ne peuvent être

considérés comme relevant de la science juridique98, il n’en reste pas moins vrai qu’ils

constituent une référence incontournable pour notre étude. C’est la raison pour laquelle on

rangera sous l’appellation doctrine pénale de l’ancien droit, non seulement la doctrine

juridique stricto sensu mais également le courant d’idées qui a soufflé sur le droit criminel

au XVIIIe siècle. Ce courant célèbre, habituellement désigné sous l’expression de

« philosophie des lumières », est vaste et diffus. Or, seul le discours relatif au droit criminel

et à sa critique intéresse notre question, on préfèrera alors emprunter à M. Carbasse99

l’expression de « lumières pénales » qui paraît à la fois plus précise et plus juste.

Il est assez aisé de constater l’absence de la présomption d'innocence en tant qu’objet de

discours chez les criminalistes de l’ancien droit. Reste que l’on doit se demander si

l’opinion unanime de ces docteurs consacre la proposition inverse qui tendrait à fonder cet

ancien droit sur une présomption de culpabilité. En réalité, la doctrine criminaliste indiquait

aux praticiens de l’ancien droit les règles qui s’imposaient à eux et qui n’avaient d’autre but

que la protection de l’innocence. Quant à la présence de la présomption d'innocence dans le

discours des lumières pénales, elle apparaît quasiment comme une nécessité. En effet,

l’émergence des grands principes du droit criminel suppose qu’ils aient constitué des objets

96 W. JEANDIDIER, La présomption d'innocence ou le poids des mots, Rev.sc.crim., 1991, p. 52. 97 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., 2001, n° 144. 98 Les discours réformateurs qui serviront ici de référence n’appartiennent pas au discours savant sur le droit. Ils s’inscrivent dans un mouvement critique plus large qui concerne l’ensemble des institutions de l’Ancien régime et n’ont donc pas pour objet spécifique le droit criminel même si celui-ci a largement retenu leur attention. On les doit à des philosophes ou plus généralement des intellectuels dont le discours a ensuite inspiré quelques juristes magistrats ou avocats. 99 Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, PUF, 2e éd., 2006, n° 231.

L’objet dans le discours

46

majeurs de ce discours, il devrait par conséquent en aller de même pour la présomption

d’innocence qui compte parmi ces grands principes.

La vérification de ces hypothèses s’avère riche d’enseignements inattendus. Pour en

rendre compte on abordera tour à tour la littérature des anciens criminalistes (Section 1)

puis celle des lumières pénales (Section 2).

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

47

SECTION 1 : LA DOCTRINE CRIMINALISTE

36. Décrire l’absence. Comment décrire l’absence de la présomption d’innocence dans le

discours des anciens auteurs ? Il est mal aisé de parler de ce qui n’est pas. L’absence de la

présomption d'innocence dans la littérature produite par les anciens criminalistes ne peut

donner lieu qu’à une brève présentation visant à vérifier l’inexistence d’un tel objet dans le

discours. Mais l’étude de ce discours n’est pas inutile pour autant. Tout d’abord, elle permet

de se demander si un autre objet n’occupait pas cette place qui deviendra celle de la

présomption d'innocence dans le discours postérieur. À cet égard, elle nous apprend que ce

n’est pas une présomption de culpabilité que les anciens docteurs décrivent. Et il s’agit d’un

enseignement important. En outre, l’utilité de porter un regard rétrospectif sur cette

littérature est démontrée par le seul fait que les auteurs de l’ancien droit défendent au

contraire, non pas une présomption d’innocence, mais la protection des innocents.

§ 1. L’ABSENCE

37. Discours des anciens docteurs. Le choix d’étudier le discours doctrinal postule une

définition de la doctrine. Or, le concept de doctrine est récent, il ne date que de la moitié du

XIXe siècle. C’est à cette époque que « les savants du droit », praticiens et professeurs,

« commencent à se représenter eux-mêmes sous la dénomination gratifiante de "la

doctrine", qui se substitue à la "doctrine des auteurs" »100. La doctrine, en tant que

collectivité d’auteurs savants, n’a donc conscience d’elle-même que depuis peu. Peut-on

alors parler de la doctrine criminaliste pour désigner les auteurs et les écrits de droit

criminel dans l’ancien droit ? À vrai dire, ces juristes s’ignoraient probablement en tant que

représentants de « la doctrine » mais leurs activités savantes n’étaient pas sans rapport avec

celles qui occupent les auteurs des XXe et XXIe siècles. L’objet de leur science et les

méthodes qu’ils appliquaient étaient certes différents. Mais entre le jurisconsulte romain et

l’exégète du XIXe siècle, entre le romaniste du Moyen Âge et le juriste coutumier, entre le

canoniste et le juriste de la monarchie absolue ou encore entre l’arrêtiste et ses

prédécesseurs, il existe un point commun : « ils pratiquent une science tournée vers

l’action, à la fois rationnelle et empirique, chacun apportant sa pierre à l’édification de la

dogmatique »101.

On ajoutera que le droit et la procédure criminels existent et qu’il se trouve, de fait, des

spécialistes pour les exposer de façon organisée voire systématique, pour les expliquer, les

enseigner. Les ouvrages des XVIIe et XVIIIe siècle sont là pour en témoigner. Cela paraît 100 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 70. 101 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 16.

L’objet dans le discours

48

suffisant pour s’autoriser à transposer le concept « moderne » de doctrine pour l’appliquer

aux docteurs de l’ancien droit. Cette transposition mérite toutefois une courte présentation

de ces auteurs (A) avant de s’intéresser au discours qu’ils ont produit (B).

A- LES AUTEURS

38. Dans les pas des anciens criminalistes. Jousse et Muyart de Vouglans sont deux

criminalistes célèbres de l’ancien droit auxquels il arrive encore de se référer au XXIe

siècle. Mais ces références se font de plus en plus discrètes et ne semblent plus présenter

qu’une valeur historique102, voire ornementale. D’autres auteurs ont sombré dans un oubli

qui semble aujourd’hui légitime, sauf à adopter le point de vue historique. Présenter en

quelques lignes ces auteurs anciens sera donc une manière de leur rendre hommage et de

montrer la richesse de leur œuvre parfois méconnue. Seuls les noms, les plus marquants et

dont l’œuvre a été suffisamment diffusée, ont pu être retenus dans le corpus doctrinal de

référence103.

L’historien du droit André Laingui est l’un des rares juristes à avoir étudié la doctrine du

droit pénal avant la Révolution. Il paraît donc raisonnable de prendre pour guide le résultat

de ses recherches. M. Laingui a ainsi jeté un regard rétrospectif, avec les yeux du juriste

moderne, sur la doctrine européenne du XVIe au XVIIIe siècle dans une étude parue en

1992104. Deux questions peuvent ici retenir plus particulièrement l’attention : qui sont les

auteurs de cette époque et comment s’expriment-ils105 ?

André Laingui dépeint une doctrine du droit pénal aux dimensions européennes, ne

connaissant pas les frontières et constituée de praticiens-docteurs, c'est-à-dire avant tout

d’avocats ou de magistrats et rarement de purs professeurs106. Ces auteurs, surtout italiens,

jouissent d’une grande autorité comme Julius Clarus, Farinacius, Matheus ou encore

Menocchius dont les opinions sont largement reprises et citées par les criminalistes

102 V. par exemple MM. MERLE et VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144, note 2. 103 En outre, beaucoup d’auteurs de l’ancien droit restent inaccessibles pour des raisons matérielles tenant aussi bien à l’accès à de tels documents qu’à la langue latine très utilisée à l’époque. 104 La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, n° 13,1992. La première interrogation qui ouvre cette étude porte sur la place de la doctrine dans les sources de l’Ancien droit pénal et témoigne du point de vue adopté. En effet, une telle question n’aurait pu être posée par des juristes qui ne connaissaient pas la théorie des sources du droit et qui par conséquent ne se demandaient pas s’ils en faisaient partie ou devaient en être exclus. Cependant, comme le souligne M. Laingui, cela n’empêche pas certains auteurs, tel Muyart de Vouglans, d’établir une hiérarchie des sources du droit. 105 Le jugement de Voltaire sur les criminalistes est quant à lui fort sévère, son dictionnaire philosophique comporte une rubrique intitulée « criminaliste », voici ce qu’on peut y lire : « Dans les antres de la chicane, on appelle grand criminaliste un barbare en robe qui sait faire tomber les accusés dans le piège (…) Il mérite d’être pendu à la place du citoyen qu’il fait pendre.» 106 A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne, op. cit., p. 80.

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

49

français107. Ces derniers, hormis Jousse et Muyart de Vouglans, n’ont pas le même

rayonnement mais jouissent néanmoins d’une certaine audience en France. Parmi ceux-là,

on peut citer Le Brun de la Rochette108, Couchot109, Rousseau de la Combe110 ou encore un

auteur plus ancien comme Ayrault111.

La grande particularité de cette doctrine est que « loin d’être une simple autorité », elle

constitue une véritable « source vivante du droit pénal »112. M. Laingui souligne à cet égard

que l’avis unanime des auteurs est l’une des sources où le juge puise ses arguments et même

parfois ses décisions. C’est la multiplicité des sources du droit113 en vigueur au cours de

cette période qui conduit la doctrine, selon l’expression d’Esmein, à s’incorporer à toutes

les autres sources du droit pour les discipliner114. À travers les traités généraux ou spéciaux

de droit pénal, les recueils d’arrêts notables115 ou dictionnaires d’arrêts116, les criminalistes

élaborent les théories les plus importantes du droit pénal et subordonnent la

jurisprudence117.

La doctrine criminaliste de l’ancien droit est donc d’une importance capitale dans

l’élaboration et la diffusion du droit criminel. Cependant, la description, l’explication, la

critique et le comblement des lacunes de ce droit criminel ne font aucune place à la notion

de présomption d'innocence. C’est l’étude des développements consacrés aux notions

d’accusation, de preuve, d’instruction criminelle, d’absolution, et de jugement qui autorise

une telle conclusion.

107 A. Laingui donne l’exemple de Jousse qui allègue continuellement les deux premiers auteurs italiens dans son Traité de la justice criminelle de 1771. On pourrait ajouter le fameux Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts de Brillon qui n’hésite pas lui non plus à s’appuyer sur de telles autorités. Quant à Muyart de Vouglans, il débute ses Institutes au droit criminel par une liste d’auteurs, essentiellement étrangers, auxquels il a estimé devoir recourir tant ils ont cultivé l’étude des matières criminelles tout en restant injustement peu connus en France, préface, p.viij-ix. 108 Jurisconsulte, auteur de Les procès civil et criminel, 1637. 109 Avocat, auteur de Le praticien universel, 1747. 110 Avocat, auteur d’un Traité des matières criminelles, dont la sixième édition date de 1756. 111 Professeur de droit civil, avocat célèbre puis lieutenant criminel, auteur de L’ordre, formalité et instruction judiciaire. 112 A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne, op. cit., p. 83. 113 La préface des Institutes de Muyart de Vouglans illustre bien cette multiplicité, l’auteur y dresse la liste des « sources les plus pures du droit » auxquelles il a eu recours: le droit romain (qui supplée aux ordonnances du Royaume et dont il sert d’ailleurs de fondement), le droit canonique (qui a imprégné l’instruction criminelle), les ordonnances, édits, déclarations et arrêts de règlement (qui constituent la jurisprudence française en la matière), l’avis des auteurs les plus accrédités en cette matière, et enfin, pour la partie spécialement consacrée à l’instruction criminelle : l’ordonnance criminelle de 1670, celle de 1737 ainsi que les édits et déclarations se rapportant plus particulièrement à certaines questions. 114 A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne, op. cit., p. 79. 115 A lui seul ce genre littéraire semble traduire l’influence et la prédominance de la doctrine dans l’élaboration du droit criminel de l’Ancien Régime, M. Laingui fait d’ailleurs remarquer, qu’en l’absence de cour suprême et de publication régulière ou officielle des décisions, l’arrêt notable est toujours ainsi qualifié par la doctrine et ne fait qu’entériner une solution ou une opinion doctrinale, p.79. 116 Dont le dictionnaire de Brillon qui semble l’ouvrage le plus pratiqué du XVIIIe siècle, plus ancien, le recueil de Papon était lui aussi célèbre. 117 A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne, op. cit., p. 88.

L’objet dans le discours

50

B- LE DISCOURS

39. Recherches dans les ouvrages de l’époque. Les traités consacrés aux matières

criminelles sont généralement volumineux et très développés. L’organisation de la structure

de ces œuvres n’a rien à envier aux traités et manuels que nous connaissons de nos jours.

On s’y repère le plus souvent grâce à une table des matières qui en réalité se présente

comme nos actuels index. Naturellement, et conformément à ce qu’enseigne la doctrine

moderne, c’est tout d’abord dans les développements consacrés à la preuve criminelle qu’il

convenait de vérifier l’absence de toute référence à la présomption d'innocence. Cependant

cette matière ne fait pas toujours l’objet d’une division bien identifiable, il arrive que

certains auteurs la traitent uniquement au titre de l’instruction criminelle118 ou l’abordent à

propos des notions d’absolution ou de jugement. C’est la raison pour laquelle il a paru

préférable d’étendre le champ des investigations au-delà de la seule partie spécialement

consacrée aux preuves criminelles.

Au terme de cette étude, il apparaît que les auteurs n’enseignent aucune règle ni principe

qui déterminerait l’attribution du fardeau de la preuve. La formulation d’une quelconque

présomption d'innocence ne pouvait donc y figurer. Elle ne figure pas davantage au titre des

présomptions dont les divers types sont énumérés dans le détail par les auteurs. En matière

d’accusation ou de jugement, aucune présomption d'innocence n’est invoquée comme règle

imposant au juge de trancher en faveur de l’innocent lorsque le cas est douteux. Ce constat

suffit donc à vérifier que les criminalistes n’ont pas enseigné aux accusateurs, juges

instructeurs et magistrats l’existence d’une présomption d'innocence à laquelle ils devaient

soumettre la conduite du procès criminel.

Il n’y aura rien d’étonnant à cela pour la doctrine postérieure qui, avec le recul du temps,

enseignera que l’organisation du procès criminel issue de l’ordonnance de 1670 était tout

entière fondée sur la présomption de culpabilité de l’accusé119. On doit néanmoins faire

remarquer que cette idée de culpabilité présumée va à l’encontre de la philosophie qui

anime la fameuse théorie des preuves légales. Il s’agit du système de preuves en vigueur du

Moyen Âge jusqu’à la fin de l’Ancien Régime et qui réglait de façon précise la valeur de

chaque moyen de preuve120. En effet, s’il est vrai que c’est la logique perverse de cette

118 Ce qui est du reste tout à fait logique puisque l’instruction s’organise tout entière autour de la recherche des preuves. Dans ses Loix criminelles dans leur ordre naturel, 1780, Muyart de Vouglans intitule quant à lui la seconde partie de son ouvrage : de l’instruction et de la preuve en matière criminelle. 119 Voir infra, n° 157. 120 Ce système fixait a priori une sorte de valeur scientifique à chaque moyen de preuve si bien que le juge n’avait d’autre choix, en présence de telle ou telle preuve, de condamner l’accusé. On l’oppose au système de l’intime conviction, introduit dans notre droit en 1791, en ce qu’il n’autorisait pas le juge à évaluer la force des preuves selon sa conscience. Pour le détail de son fonctionnement on peut consulter directement les anciens auteurs tels Jousse et Muyart de Vouglans ou indirectement les présentations qui

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

51

théorie des preuves légales qui a conduit à légaliser la torture, pour obtenir l’aveu des

suspects contre lesquels il n’y avait pas assez de preuves, il convient de rappeler que

l’élaboration d’un tel système repose sur l’idée qu’il faut avant tout protéger les innocents.

40. Poids du discours sur la protection des innocents. L’aspect protecteur de l’innocence

qui caractérise la théorie des preuves légales n’a pourtant jamais été souligné par les auteurs

des siècles suivants. Il semble avoir été occulté ou totalement méconnu. Plus encore, c’est le

caractère éminemment doctrinal de cette théorie qui échappe aux criminalistes postérieurs si

prompts à en souligner le caractère absurde et légal121. Seul le recours aux études

historiques permet de comprendre cette origine doctrinale. La dénomination de preuves

légales est trompeuse, car en réalité la légalité dont il s’agit ici marque plutôt la force

obligatoire du système élaboré à partir du droit savant du Moyen Âge que son origine

légale122.

Ainsi doit-on admettre non seulement qu’il s’agit là d’une illustration supplémentaire du

rôle des criminalistes, mais aussi que si la pratique judiciaire de l’Ancien Régime a connu

les excès que l’on sait et qui ont été vivement combattus, l’esprit de l’ancien droit criminel

reste attaché à la protection de l’innocence123. C’est ce dont témoigne le discours des

criminalistes. Car en réalité, l’absence de la présomption d'innocence dans le discours

savant ne signifie pas que l’accusé doit être présumé coupable ni qu’il ne fait l’objet

d’aucun égard. Le souligner est capital si l’on se souvient, qu’à cette époque, la doctrine

s’assimile à une véritable source du droit criminel. Ainsi peut-on considérer que les règles

énoncées par les criminalistes, et plus particulièrement celles qui régissent le domaine de la

preuve, constituent de véritables directives qui s’imposent aux juges. À tout le moins, sont-

elles les règles qui lui serviront à trancher les questions dont les solutions ne figurent pas

sont faites par les historiens du droit, notamment, A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle en France, Frankfort, Verlag Sauer et Auvermann, réédition,1969, p. 260. 121 La doctrine du XIXe siècle et du XXe siècle s’adonnera volontiers à une caricature de cette théorie afin de mieux justifier le système de l’intime conviction, jugé quant à lui comme le meilleur système de preuve, le seul acceptable, particulièrement en raison de son caractère rationnel. V. notamment, A. RACHED, L’intime conviction, thèse, Paris, 1942. 122 M. Laingui et Mme Lebigre expliquent en effet que : « La théorie des preuves légales est ainsi un exemple remarquable du rôle joué par la coutume sociale, c'est-à-dire d’origine doctrinale et jurisprudentielle, dans l’ancien droit pénal. Ce caractère montre suffisamment que la référence à la « légalité » des preuves est arbitraire et inexacte. », Histoire du droit pénal, t. II, procédure criminelle, Cujas, 1979, p.111. M. Carbasse le fait lui aussi observer : « En réalité, il n’y a ici aucune loi formelle, mais seulement l’opinion unanime des docteurs. Il vaudrait mieux parler d’une théorie des preuves objectives», Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit., n° 98. 123 Monsieur Astaing, dont l’étude s’intéresse au rôle de la doctrine dans la mise en oeuvre et la formulation des droits de l’accusé, a d’ailleurs bien montré combien le droit de l’Ancien Régime a pu faire l’objet d’une approche tronquée par les chercheurs modernes. Les historiens, aussi bien que les juristes, ne se sont pas assez départis des préjugés défavorables lorsqu’ils ont cherché à appréhender la procédure criminelle de l’Ancien Régime, V. Droits et garanties de l'accusé dans le procès criminel d'Ancien Régime, op. cit., n° 8 et s. Cela explique sans doute, encore aujourd’hui, que l’ancienne procédure criminelle n’évoque que barbarie pour les juristes contemporains. Comme M. Astaing, notre propos n’est évidemment pas de procéder à une réhabilitation de l’ancien droit mais seulement de rappeler l’existence de certains de ses aspects positifs qui ont été occultés.

L’objet dans le discours

52

dans l’ordonnance de 1670124 notamment. Dans un tel contexte on mesurera la valeur des

énoncés doctrinaux qui ont pour objet, non pas la présomption d'innocence mais d’une

manière plus large, la protection de l’innocence.

§ 2. LA PROTECTION DE L’INNOCENCE DANS LE DISCOURS DES ANCIENS AUTEURS

41. La référence constante à un principe ancien. Naturellement, comme cela vient d’être

dit, la protection de l’innocence est un thème présent dans le discours relatif à la preuve

criminelle. C’est à cette occasion que la règle « Il vaut mieux laisser échapper un coupable

que de condamner un innocent » est invoquée. Cela dit, cette maxime est très présente chez

les auteurs et son invocation dépasse le cadre de la preuve, c’est semble-t-il le signe que les

anciens criminalistes lui conféraient une portée générale125. Elle est la traduction du rescrit

de Trajan reproduit dans le Digeste : Satius enim esse impunitum relinqui facinus nocentis,

quam innocentem damnare126. On trouve chez les auteurs plusieurs formulations voisines

qui, dans tous les cas, sont invoquées comme un principe naturel et ancien qu’il convient de

respecter.

Toutefois, la nécessité de protéger l’innocence a pu être exprimée sous une formulation

très moderne. L’ouvrage à la fois ancien et célèbre intitulé L’ordre, formalité et instruction

judiciaire de Pierre Ayrault127 peut ici retenir l’attention. Le propos de cet auteur sur

l’absolution sans connaissance de cause est remarquable. Contrairement aux auteurs qui lui

succèderont, Ayrault donnera en effet une formulation de la présomption d’innocence très

proche de celle que nous connaissons au XXIe siècle. L’auteur explique que : « Il peut donc

être aussi agréable et odieux d’absoudre que de punir : mais la question est de savoir, où il

est moins dangereux de se tromper. Si c’était après le procès fait et parfait, il n’y a point de

doute que bien que la faute soit égale à deux, qu’il y a toutefois moins de danger à

absoudre qu’à condamner. Car premièrement la présomption est toujours pour

l’innocence »128. Mais à cette époque c’est le seul exemple d’une telle formulation. Les

auteurs, au XVIIe et XVIIIe siècle, se référeront constamment au rescrit de Trajan.

124 « Jousse a écrit cela, et Jousse est l’esprit, la raison et la jurisprudence. Le juriste Maynard ne disait-il pas en traitant une question : les jurisconsultes ont ordonné ? Et ils ont en effet ordonné, surtout dans la justice criminelle. Toutes les lacunes de notre législation criminelle, si incomplète, si décousue, tombant en ruine sont, si je puis parler ainsi, bouchées des maximes des criminalistes. », le propos est du magistrat Charles Dupaty, connu pour son Mémoire justificatif pour trois hommes condamnés à la roue de 1786 et cité par A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne, op. cit., p. 76-77. 125 D’ailleurs, dans l’épître dédicatoire au roi qui débute ses Loix criminelles dans leur ordre naturel, Muyart de Vouglans termine en écrivant : « en un mot, elles sont la sauvegarde de l’innocence et la terreur du crime ». 126 D.48, 19, 5. V. A. LAINGUI, Les adages du droit pénal, Rev.sc.crim., 1986, p. 35. 127 L’ordre, formalité et instruction judiciaire dont les anciens grecs et romains ont usé es accusations publiques, Paris, Sonnius, 3e éd., 1604. 128 P. AYRAULT, L’ordre, formalité et instruction judiciaire, op. cit., p. 108.

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

53

Ainsi, le dictionnaire de Brillon invoque-t-il la maxime Satius enim esse impunitum

relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnare pour mettre en garde contre les

accusations mal fondées qui sont terribles pour l’innocence et l’honneur des honnêtes gens

et qui méritent par conséquent d’être évitées et sanctionnées129.

Couchot signale la règle à propos des enquêtes et informations pour lesquelles il

remarque que : « quoi qu’il soit important de punir les crimes, il est encore plus important

de rechercher scrupuleusement la vérité pour ne pas s’exposer au hasard de perdre un

innocent » 130. Puis, estimant qu’il s’agit là d’une belle leçon aux juges qui s’abandonnent

aux conjectures et présomptions, il la cite à nouveau, en français cette fois, pour justifier

que dans le doute on doit plutôt incliner à l’absolution qu’à la condamnation.

Jousse et Muyart de Vouglans ne manquent pas d’y faire eux aussi référence. S’agissant

de la question des sentences, jugements et arrêts, Jousse pose qu’« il vaut mieux qu’un

crime demeure impuni que de faire souffrir un innocent » et justifie cette proposition en

expliquant que « quoique la recherche et la punition des crimes soient infiniment

favorables, la protection de l’innocence doit l’être encore davantage» 131. De manière plus

diffuse mais non moins certaine, la protection de l’innocence se manifeste dans le discours

de Jousse lorsqu’il énonce ses dix maximes relatives à la manière d’estimer la force des

preuves, c'est-à-dire lorsque celles-ci se balancent entre elles. Dans ce cas, il prescrit au juge

de les examiner avec prudence et sagesse, mais surtout de considérer la faveur pour

l’innocence qui seule prévaudra132. Enfin, Jousse énonce, comme première règle

particulière pour l’examen de la preuve, que les crimes ne se présument point et qu’ils

doivent être prouvés. Il en tire la conséquence que dans le doute il faut toujours interpréter

l’action de l’auteur en bonne part133.

Quant à Muyart de Vouglans, il invoque la règle à deux reprises. Elle est d’abord citée

dans le chapitre que le criminaliste consacre aux privilèges de l’accusé, privilèges qui

découlent selon lui de l’idée que le mal ne se présume pas. Au titre des privilèges dont jouit

l’accusé134, l’auteur cite la nécessité de preuves claires et évidentes pour asseoir une

condamnation (à une peine capitale), mais surtout le devoir d’incliner à l’absolution plutôt

qu’à la condamnation en cas de doute, qui justifient de citer la maxime « satius est

impunitum relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnari ». Elle est également

129 Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts, ou nouvelle édition du dictionnaire de Brillon par PROST DE ROYER, 1780, t. 2, pp. 212 ; 262 ; 448. 130 Le praticien universel, Paris, J. Rollin, 1747, 2 volumes. 131 D. JOUSSE, Traité de la justice criminelle de France, Paris, Debure, 1771, t. II, p. 590. 132 Traité de la justice criminelle de France, op. cit., t. I, p. 669. 133 Traité de la justice criminelle de France, op. cit., t. II, p. 580. 134 Ce sont : la non-renonciation à sa défense, l’impossibilité de le condamner sans l’avoir entendu ou sur sa seule confession, le renvoi en cas de défaut de preuve, la valeur de preuve des présomptions qui sont favorables à la défense, V. Institutes au droit criminel, Paris, Le breton, 1757, p. 67.

L’objet dans le discours

54

énoncée plus loin pour justifier la cinquième obligation du juge en rendant son jugement et

qui consiste « À pencher dans le doute en faveur de l’absolution, plutôt que de la

condamnation de l’accusé, suivant cette belle maxime de l’Empereur Trajan… »135. Pour

terminer, signalons que cette règle sera rappelée avec un certain éclat dans la lettre que

l’auteur adressa au Roi en 1766 et qui est connue sous le nom de Réfutation des principes

hasardés dans le traité des délits et des peines. Celui que l’on a appelé « l’anti-

Beccaria »136 y rappelle que, suivant les lois romaines et la jurisprudence, « dans les cas

douteux le juge doit incliner pour la clémence, par la raison que l’on doit toujours pencher

en faveur de l’innocence de l’accusé » 137.

Au terme de ce rapide détour par les écrits des anciens criminalistes il apparaît bien que

la présomption d'innocence ne constitue pas un objet de discours. Il a néanmoins permis,

d’une part de souligner qu’aucune présomption de culpabilité n’est pour autant évoquée par

les auteurs, et surtout d’autre part, que la protection de l’innocence n’est pas ignorée de ce

discours.

Pourtant, selon le discours savant actuel, la recherche de cette protection est le plus

souvent mise au crédit des seuls réformateurs qui ont répandu leurs idées à la veille de la

Révolution. Ce sont eux, qui auraient « inventé » la présomption d'innocence que les

constituants auraient approuvée en l’inscrivant dans la Déclaration des droits de l’homme et

du citoyen. Cette idée, largement admise au XXe siècle invite à s’intéresser au discours des

réformateurs afin d’y rechercher les germes de ce qui deviendra l’article 9 de la Déclaration.

Ce sera l’objet du deuxième volet de cette section, consacré cette fois au discours des

lumières pénales.

135 Institutes au droit criminel, op.cit., p. 359-360. 136 A. LAINGUI, P.-F. Muyart de Vouglans ou l’anti-Beccaria, Revue de la société internationale d’histoire de la profession d’avocat, 1989, p. 69. En effet, Muyart est souvent présenté comme le seul criminaliste de l’Ancien Régime à s’être opposé au courant réformateur du XVIIIe siècle, en prenant notamment pour cible les écrits de Beccaria. 137 Cette lettre est reproduite in P.-F. MUYART DE VOUGLANS, Les loix criminelles de France dans leur ordre naturel, Paris, Mérigot, 1780, p. 811.

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

55

SECTION 2 : LE DISCOURS DES LUMIÈRES PÉNALES

42. L’idée d’une conquête révolutionnaire dans le discours contemporain. C’est au

mouvement philosophique du XVIIIe siècle que l’on doit les bases du droit pénal moderne

qui nous régit aujourd’hui et dont les principes ont été consacrés dans la Déclaration des

droits de l’homme et du citoyen. Il s’agit là d’une origine bien connue et souvent rappelée

par les auteurs modernes. La célébration du bicentenaire de la Révolution française a

d’ailleurs donné une bonne occasion aux juristes, et aux pénalistes en particulier, de

souligner l’importance de cette date dans la l’évolution de notre droit138.

En ce qui concerne la présomption d'innocence, les pénalistes suggèrent fortement

qu’elle trouve son origine dans cette période. Ainsi, M. Pradel a-t-il pu expliquer que la

présomption d’innocence a été imaginée au XVIIIe siècle par les philosophes et certains

juristes. Il a même donné pour exemple une référence assez surprenante au traité des

donations entre vifs de Pothier139.

Le plus souvent cependant, c’est à Cesare Beccaria que la doctrine attribue l’origine

directe de l’article 9 de la Déclaration : « Cet article, dont l’histoire prouvera qu’il était

nécessaire mais très insuffisant, est directement issu du Traité des délits et des peines de

Cesare Beccaria qui affirmait dès 1764 que la " justice doit respecter le droit que chacun a

d’être cru innocent" » 140. Cette filiation avérée de l’article 9 laisse supposer que la notion

138 Voir par exemple : en 1988 le n° 8 de la revue Droits consacré à la Déclaration de 1789 et le n° 17 consacré à La Révolution française ; La Révolution et l’ordre juridique privé, rationalité ou scandale ? Actes du colloque d’Orléans, PUF, 1988 ; S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988. 139 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 9e éd., n° 267. Mais l’auteur abandonnera cette référence dans les éditions postérieures de son manuel. Il est vrai qu’on trouve chez Pothier une référence à l’innocence présumée. En effet, le célèbre civiliste se demande si la donation faite par un accusé de crime capital, pendant l’accusation, doit être faite pour cause de mort, lorsque le donateur est mort avant le jugement. Il répond ainsi : « Il faut dire que non; car si l’innocence doit se présumer plutôt que le crime, le donateur qui est mort depuis, pendant l’accusation, doit être présumé innocent: s’il est présumé innocent, on ne doit pas croire qu’il a fait sa donation dans la persuasion qu’il seroit condamné, et qu’il ne pourroit plus long-temps conserver les choses par lui données », p. 233-234 du Traité des donations entre vifs in Œuvres de Pothier, publiées par M. Siffrein, tome treizième, Paris, 1823. Ce passage ne permet cependant pas de conclure, comme M. Pradel le fait, à une invention de Pothier. Il est plutôt la manifestation éclatante que les juristes du XVIIIe siècle considéraient comme bien acquis le principe selon lequel l’innocence doit se présumer. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus longuement dans des développements spécifiques à cette question. Nous retiendrons seulement que le raisonnement de Pothier ne s’inscrit pas dans un mouvement de réforme et qu’il n’a pas non plus pour objectif d’enseigner la notion de présomption d’innocence. Ce n’est d’ailleurs guère surprenant compte tenu de la nature exclusivement civiliste du traité. Ce qui est en revanche plus mystérieux, c’est que Pothier ne semble pas avoir envisagé cette présomption dans le traité qu’il a consacré à la procédure criminelle. 140 Ch. LAZERGES, La présomption d'innocence, in Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 7e éd., 2001, p. 496. adde. J. LÉAUTÉ, Le caractère irréparable de la perte de l’innocence, in L’innocence, travaux de l’institut de criminologie de Paris, Neret, 1977, p. 4 : « Beccaria, dans son Traité des délits et des peines publié en 1764, expose qu’une société civilisée devait établir, au contraire [de la présomption de culpabilité qui pesait sur l’accusé dans l’ordonnance de 1670] une présomption légale d’innocence en faveur de tous les accusés, quelles que soient les charges rassemblées contre eux ». M. Essaïd fait lui

L’objet dans le discours

56

de présomption d'innocence fut l’un des enjeux de ce mouvement réformateur mené par les

lumières pénales. Pourtant, à s’y intéresser de plus près, il est permis d’en douter. Il

semblerait plutôt que les modernes ont un peu vite affirmé cette filiation, sans véritablement

en vérifier la mesure et l’exactitude141.

Il se pourrait en effet que l’influence de Beccaria sur le droit pénal moderne ait été par

trop généralisée. Si cette influence a été grande et incontestable, il n’est en revanche par

certain que l’on doive à l’auteur italien la formulation de la présomption d'innocence. On

observera à cet égard que toutes les idées contenues dans le traité des délits et des peines

n’ont pas eu la même portée réformatrice. Certaines de ces idées n’ont d’ailleurs aucune

influence sur les réformateurs de la procédure criminelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de

se souvenir que dans son traité Beccaria plaidait pour l’abolition de la peine de mort142 et de

constater le temps qui s’est écoulé pour que celle-ci soit consacrée en France. On

remarquera surtout que, si l’on attribue volontiers à Beccaria l’article 9 de la déclaration, et

plus généralement la présomption d'innocence à la philosophie des lumières, ce n’est que

lorsqu’il s’agit de raisonner sur leur origine. En revanche, les études qui prennent pour point

de départ la genèse de la Déclaration ou l’apport de la philosophie des lumières n’invoquent

que très rarement la présomption d'innocence au titre des acquis révolutionnaires. Il y a là

une raison de penser que la présomption d'innocence ne constituait pas tout à fait une

conquête révolutionnaire.

43. Recherche de l’influence des lumières pénales. Ce n’est pas seulement une

consultation des œuvres qui ont marqué ce mouvement qui autorise un tel jugement, c’est

également un regard sur les travaux préparatoires à la Déclaration des droits de l’homme et

du citoyen. Ces derniers doivent en effet retenir l’attention puisqu’ils devraient permettre de

aussi une large place, parmi les sources historiques de la présomption d'innocence, au mouvement des idées au XVIIIe siècle. À cette occasion, il élève Beccaria au rang « d’éminent criminaliste » et juge que : « C’est certainement dans le traité « des délits et des peines » de Beccaria que cette présomption d'innocence est affirmée avec le plus de solennité et d’insistance », La présomption d’innocence, Paris, Laporte, 1971, n° 39 ; adde : H. DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, thèse, Poitiers, 1999, n° 8 et en dernier lieu, N. CATELAN, L’influence de Cesare Beccaria sur la matière pénale moderne, PUAM, 2004. 141 Notons, au passage, que ni les historiens du droit, ni les pénalistes, ne se sont engagés dans une recherche fouillée sur l’histoire de la présomption d'innocence. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans la deuxième partie, avec cependant quelques nuances concernant de récentes études et les propos de M. Carbasse d’ailleurs largement ignorés des pénalistes pour ce qui touche à la présomption d'innocence. 142 Traité des délits et des peines, § XVIII, nouvelle traduction par CHAILLOU DE LISY, in Bibliothèque philosophique du législateur, du politique, du jurisconsulte, éditée par J.-P. BRISSOT DE WARVILLE, tome I, 1782. Dans la suite de nos développements, les références au traité correspondront à cette traduction et cette édition. Ce choix est justifié par deux considérations. La première résulte du fait que Chaillou de Lisy a fourni, avec celle de Morellet, une version essentielle, respectant le plan original et la présentation de Beccaria, V. sur ce point l’introduction de MM. Ancel et Stéfani à une nouvelle traduction française du Traité des délits et des peines, Paris, Cujas, 1966, p. VII. La seconde est qu’elle a paru dans la Bibliothèque de Brissot. En effet, compte tenu de l’époque de publication et de l’audience de Brissot, il est probable que cette version a pu être connue du plus grand nombre, assurant ainsi une des conditions de son influence.

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

57

mesurer l’influence qu’a pu avoir le discours réformateur sur les rédacteurs de la

déclaration. Aussi, convient-il de s’intéresser en premier lieu à l’objet du discours

réformateur pour aborder en second lieu celui des travaux ayant conduit au texte de la

Déclaration.

§ 1. L’OBJET DU DISCOURS RÉFORMATEUR

A- LES LUMIÈRES PÉNALES

44. Notion de lumières pénales. Nous entendons par lumières pénales le discours qui a eu

pour objet la critique de la procédure criminelle de l’Ancien Régime. Dans un souci de

clarté, on peut distinguer d’un côté, le discours des philosophes et de l’autre, celui des

juristes ou intellectuels qui se sont exprimés essentiellement à l’occasion des concours

ouverts par des sociétés savantes et à travers les brochures publiées à la veille de la

Révolution. Les lumières pénales, pour la part qui nous concerne ici, peuvent être réduites à

Montesquieu et Beccaria ainsi qu’aux auteurs dont les discours semblent avoir jouit d’une

certaine audience. On observera à cet égard que la formule « présomption d’innocence », ou

des éléments approchants, est absente de la célèbre Encyclopédie de Diderot et d’Alembert

dans laquelle elle a été recherchée mais sans aucun succès. Cette œuvre ne comporte une

entrée au mot « accusé » que dans son supplément et ne semble pas faire place à une

quelconque notion de présomption d’innocence dont l’accusé aurait le bénéfice. Elle est

encore ignorée au titre des présomptions, qui sont pourtant définies et illustrées pour ce qui

touche à la matière criminelle.

45. Montesquieu et Beccaria. Beccaria, disciple de Montesquieu, et les esprits critiques

qui ont lu le Traité des délits et des peines143 ont-ils dessiné les contours de ce qui allait

devenir l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, siège de la

présomption d'innocence ? Il serait hasardeux de prétendre pouvoir répondre avec

exactitude et précision à cette question. Elle mériterait probablement à elle seule une étude

approfondie d’histoire des idées. Or notre objectif est d’une ambition beaucoup plus

modeste, il consiste seulement à demander si le discours des lumières pénales contient, de

façon significative, un objet dénommé présomption d'innocence et présenté comme une

revendication.

S’agissant de Montesquieu, c’est à L’esprit des lois que l’on se réfère le plus souvent. Or

dans cette œuvre de philosophie politique, Montesquieu n’entre pas dans les questions de

détail relatives à la procédure criminelle, si bien qu’il n’est guère surprenant de n’y trouver

la trace d’aucune formulation de la présomption d'innocence. On retient cependant assez 143 Brissot de Warville illustre bien cette influence de Beccaria sur le discours postérieur, Bibliothèque, tome I, avis de l’éditeur, p. 5.

L’objet dans le discours

58

souvent cette conclusion de Montesquieu relative à la liberté d’un citoyen : « C’est donc de

la bonté des lois criminelles que dépend principalement la liberté du citoyen (…) Quand

l’innocence des citoyens n’est pas assurée, la liberté ne l’est pas non plus » 144. Le souci de

protéger l’innocence est ici encore exprimé.

Mais c’est Beccaria qui a écrit une véritable critique des lois criminelles, et c’est dans

celle-ci qu’il paraît bien plus pertinent de rechercher la présomption d’innocence. Les

auteurs modernes s’appuient sur un passage, désormais incontournable, du Traité des délits

et des peines pour attester de la paternité de Beccaria dans l’élaboration de l’article 9 de la

Déclaration des droits de l’homme. C’est en effet en critiquant l’usage de la Question145 que

Beccaria aurait défendu la présomption d'innocence. Et il est vrai que, dans le style qui a

concouru à son succès, l’auteur a su justifier la nécessité de préserver l’accusé d’une telle

souffrance par la probabilité de son innocence : « C’est une barbarie consacrée par l’usage

chez la plus grande partie des nations, que celle d’appliquer un coupable à la question

pendant qu’on poursuit son procès (…). Cependant un homme ne saurait être regardé

comme coupable avant la sentence du juge, et la société ne doit lui retirer sa protection

qu’après qu’il est convaincu d’avoir violé les conditions auxquelles elle la lui avait

accordée (…) Ou le délit est prouvé, ou il ne l’est pas ; s’il l’est, on n’a plus besoin d’autre

peine que celle que la loi inflige, et l’aveu du coupable n’étant plus nécessaire, rend inutile

la question ; s’il ne l’est pas, il est affreux de tourmenter celui que la loi regarde comme

innocent»146.

46. Absence de « la présomption d’innocence » chez Beccaria. On apercevra sans

difficulté que Beccaria n’élabore en rien une présomption d'innocence. N’est-ce pas là

seulement admettre que la torture est inadmissible tout simplement parce qu’elle frappe

d’une peine un accusé qui n’a pas encore été déclaré coupable ? Du reste, on ne peut

raisonnablement affirmer que Beccaria a milité en faveur d’un principe de présomption

d'innocence. En effet, outre l’absence de la formule dans son discours, ce sont certains de

ses autres propos qui vont à l’encontre de ce que les modernes tiennent en partie pour la

144 De l’esprit des lois, Livre XII, chapitre 2. En outre, Montesquieu ne traite pas directement de la torture, il renvoie aux œuvres de A. Nicolas (Si la torture est un moyen sûr à vérifier les crimes secrets. Dissertation morale et juridique) et P. Ayrault (L’ordre, formalité et instruction judiciaire, op. cit.). 145 Aujourd’hui on dira plutôt la torture, terme plus parlant. L’ordonnance criminelle de 1670 distingue la question préparatoire de la question préalable et assortit leur mise en oeuvre de conditions. Juridiquement, la question est fondée sur l'existence d'indices laissant présumer la culpabilité et l'absence de preuve pleine pour mener directement à la condamnation. La question dite préparatoire précède le jugement définitif et vise à contraindre l'accusé à confesser son crime dans les cas d'accusation capitale, tandis que la question dite préalable ordonnée par le jugement définitif, est appliquée aux accusés condamnés à mort en vue de la dénonciation de leurs complices. L'avantage de la question préparatoire est de compléter des charges insuffisantes par l'obtention d'un aveu, afin de former une preuve pleine de culpabilité permettant une condamnation. Mais la validité de l’aveu prononcé à l’occasion de la question, était soumise à une confirmation ultérieure par serment. 146 C. BECCARIA, Traité des délits et des peines, op. cit., §. XVI, p. 75-76.

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

59

signification de la présomption d'innocence. Il en est ainsi par exemple, du « plus ample

informé », que Beccaria présente comme une garantie contre les accusés renvoyés faute de

preuves qui ne sont ni absous ni condamnés et qui restent, tout le temps de la prescription,

sous l’œil vigilant des lois147. Or ce type de jugement est très exactement contraire à l’idée

d’innocence présumée, dès lors qu’il est fondé sur la présomption inverse et prononcé dans

l’attente de preuves de culpabilité plus concluantes.

Cette absence, dans le discours de Beccaria, d’un objet qui prendrait pour forme la

présomption d’innocence ne doit pas faire négliger l’importance que l’auteur semble

accorder à la protection des innocents. Ce qu’il convient de retenir du fameux passage ici

reproduit, c’est l’expression : « celui que la loi regarde comme innocent », celle-ci laisse

clairement entendre que la loi postule déjà cette innocence. Reste à se demander si les

discours réformateurs qui ont fleuri dans la décennie précédant la Révolution ont prolongé

le discours de Beccaria au point de disserter sur la présomption d’innocence. À cet égard, il

a paru pertinent de s’intéresser aux discours et dissertations publiés dans la Bibliothèque de

Brissot.

B -BRISSOT DE WARVILLE ET LES RÉFORMATEURS

47. La Bibliothèque philosophique du législateur, du politique et du jurisconsulte. En

choisissant d’éditer les « meilleurs discours, dissertations, essais, fragments, composés sur

la législation criminelle par les plus célèbres écrivains pour parvenir à la réforme des lois

pénales dans tous les pays », Brissot de Warville a favorisé la diffusion de nombreux

discours écrits par les auteurs les plus influents du mouvement de la réforme du droit148.

Cette d’ailleurs dans cette Bibliothèque philosophique du législateur, du politique et du

jurisconsulte de dix volumes qu’il publie ses propres essais, dont son fameux discours sur

Les moyens d’adoucir la rigueur des lois pénales en France sans nuire à la sûreté publique,

couronné en 1780 par l’Académie de Châlons-sur-Marne. Outre le traité de Beccaria et les

écrits d’auteurs étrangers, on trouve dans cette Bibliothèque les discours et mémoires des

noms les plus marquants de cette période. Il en est ainsi de Servan, célèbre avocat général

au parlement de Grenoble, de Bergasse, de Marat ou encore de Vermeil149.

48. L’objet des discours réformateurs. Ces auteurs plaident–ils pour une réforme

instituant une présomption d'innocence en matière criminelle ? À vrai dire ce n’est pas

vraiment leur propos. En effet, celui-ci s’inscrit dans un grand mouvement qui se caractérise

bien plus par son sens critique à l’égard des abus en matière criminelle que par un souci de

147 C. BECCARIA, Traité des délits et des peines, op. cit., §. XXX, p. 135. 148 M. ALBERTONE, Droit et lumières dans une vocation cosmopolite : J.-P. Brissot à la veille de la Révolution, in La Révolution et l’ordre juridique privé, rationalité ou scandale ? op. cit., p. 39. 149 Peut-être moins célèbre mais cependant bien connu, cet avocat au parlement de Paris aurait été, selon le dictionnaire Brillon, lu partout dans le monde.

L’objet dans le discours

60

construire un nouveau modèle de procédure criminelle. Trois points semblent retenir

l’attention du plus grand nombre de ces auteurs : la question, l’emprisonnement et

l’arbitraire judiciaire. Dans le prolongement de Beccaria, l’accent sera mis sur l’atrocité de

la question et son inutilité, sur l’insalubrité des prisons et l’injustice qu’il y a à y jeter des

accusés dont la culpabilité n’est pas encore admise. Mais une question aussi importante que

l’emprisonnement avant jugement n’est pas combattue, elle est au contraire jugée

nécessaire150, de même pour le plus ample informé ou le hors de cour que l’on veut

conserver tout en les limitant151.

En matière de preuves, les réformateurs assènent comme une litanie les exigences que

l’on a déjà rencontrées, elles doivent être certaines pour autoriser la condamnation. Les

passages qui sont parfois consacrés aux preuves, ne contiennent pas de référence à la

présomption de l’innocence. Deux exceptions très notables doivent cependant être

mentionnées. On trouve en effet chez Vermeil ce passage relatif aux preuves et indices « Un

accusé doit être absous s’il n’existe point de preuves contre lui ; son innocence est

présumée par cela seul : il n’est pas obligé de prouver qu’il n’a point donné la mort à cet

homme dont l’assassinat forme l’objet de la poursuite ; il suffit qu’aucun témoin ne le

charge de ce crime. Gardons nous de porter atteinte à des maximes pareilles ; Ce serait

violer les droits les plus sains de l’humanité »152.

Un autre auteur, Mably, a quant à lui écrit : « Ce n’est pas assez que les lois soient

douces et humaines pour être aimées des citoyens, il faut qu’on sache qu’on n’en a rien à

craindre en remplissant ses devoirs, et qu’elles accordent une protection certaine à

l’innocence. Elles doivent donc toujours présumer que l’accusé est innocent » 153. Or c’est

bien de la douceur et de l’humanité, non seulement des lois mais aussi des juges, que les

lumières pénales ont essentiellement traité. À l’exception de ces deux auteurs, dont les

passages ne laissent pas d’être troublants, il convient d’admettre que la présomption

d'innocence n’est pas un objet du discours réformateur pris dans son ensemble. En effet,

voudrait-on y voir cependant les prémices de ce qui deviendra le contenu de l’article 9 de la

Déclaration que le doute demeurerait encore. Vermeil évoque une présomption d’innocence

en matière de preuve alors que la Déclaration raisonne exclusivement sur l’arrestation.

Mably, en s’abstenant d’affirmer que l’accusé a un droit à être présumé innocent, raisonne 150 Déjà Ayrault, après avoir loué la bonté des premières législations romaines sur cette question, avait dû admettre que l’expérience du passé montrait que si les accusés ne tenaient pas prison, il était impossible de les convaincre. 151 Par exemple, Vermeil dans son Essai sur les réformes à faire dans notre législation criminelle, in Bibliothèque philosophique de Brissot, tome IX, plaide seulement pour la suppression du plus amplement informé indéfini. Selon lui, le plus amplement informé d’un an n’emportera pas d’infamie, il peut rendre l’accusé suspect mais si sa conduite ultérieure est d’une honnêteté soutenue, les gens de bien n’imputeront son infortune qu’à un concours de circonstances malheureuses. 152 Essai sur les réformes à faire dans notre législation criminelle, op. cit. 153 MABLY, De la législation ou principe des lois, 1776, in Œuvres complètes, 1791, tome XII, p. 324.

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

61

quant à lui de façon plus générale et considère que c’est la loi tout entière qui doit présumer

l’innocence.

Seul le thème plus général de la protection de l’innocence est objet de cette littérature

éclairée. Le discours de Servan prononcé devant ses pairs peut illustrer à lui seul combien

cet objet est prégnant : « Ayons le courage de nous rappeler le souvenir de ces lamentables

histoires consignées dans toutes les archives de la magistrature ; de ces fatales erreurs, qui

ont fait périr l’innocence sous les apparences du crime. Juges malheureux, mais

excusables, vains jouets d’un hasard cruel qui se plaisait à marquer une tête innocente de

tous les caractères du crime ! »154.

Il faut bien avouer cependant que toute la bibliothèque Brissot n’a pu faire l’objet d’une

analyse approfondie, ni d’ailleurs les mémoires justificatifs écrits pour la défense de

certains accusés. C’est une raison suffisante pour ne pas s’en tenir là et poursuivre cette

investigation dans le discours des constituants. L’attention que mérite cette littérature est

d’ailleurs doublement justifiée. Les projets de déclaration élaborés au cours de l’été 1789

sont précieux pour mesurer l’influence des lumières pénales sur l’écriture de la Déclaration.

Ils représentent en outre le point de départ des discussions qui ont conduit à l’adoption des

articles définitifs du texte auquel les pénalistes se réfèrent abondamment aujourd’hui.

§ 2. LE DISCOURS PRÉPARATOIRE À LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU

CITOYEN

49. Importance des dispositions à caractère pénal dans la Déclaration. La doctrine

moderne du droit pénal voit dans les articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen la consécration des principes formulés par les lumières pénales à la

fin du XVIIIe siècle. Plus encore, il est admis que la Déclaration répond aux revendications

insistantes consignées dans les cahiers de doléances et auxquelles les rédacteurs de la

Déclaration se sont efforcés de répondre point par point : « La présomption d'innocence

sera inscrite avec force à l’article 9»155.

L’idée que la Déclaration consacre la présomption d'innocence est une composante

majeure du discours doctrinal depuis la deuxième moitié du XXe siècle, surtout après la

première thèse sur le sujet écrite par M. Essaïd, pour lequel « Il ne fait aucun doute que les

rédacteurs de la Déclaration de 1789 subirent directement l’influence des philosophes» 156.

Déniant le caractère abstrait de l’article 9, il juge même que ce texte ne se borne pas à

154 Discours sur l’administration de la justice criminelle, 1767, in Bibliothèque philosophique du législateur, du politique, du jurisconsulte, de Brissot de Warville, tome II. 155 M. DELMAS-MARTY, La Déclaration de 1789 et le droit pénal, in Quelques aspects des sciences criminelles, Travaux de l’institut de sciences criminelles de Poitiers, vol. 10, 1990, p. 79-80. 156 La présomption d'innocence, op. cit., n° 45.

L’objet dans le discours

62

proclamer un droit naturel mais à faire de la présomption d'innocence « un principe de

technique juridique destiné à dominer toute la procédure pénale» 157. Était-ce là l’intention

des constituants ? La première proposition de l’article 9 : « Tout homme étant présumé

innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable …» répond-t-elle à ces attentes nourries

des réflexions engagées par les lumières pénales158 ? Dans l’affirmative, il faut s’attendre à

ce qu’une place soit faite à cette notion de présomption d'innocence dans le discours

préparatoire à la Déclaration.

50. Méthode de recherche. Dans cette optique de recherche, l’ouvrage présenté par

Stéphane Rials159 est d’une grande utilité puisqu’il propose, outre un tableau de l’année

1789 et la genèse précise du travail déclaratoire, un dossier comportant un grand nombre de

projets de Déclaration. L’étude de ce discours préparatoire n’est cependant pas aussi aisée

qu’elle pourrait l’être pour les débats parlementaires actuels. La retranscription des débats

est précieuse mais souvent incomplète. Un tel défaut est probablement imputable au

désordre qui a caractérisé les débats de cet été 1789160.

A- LES TRAVAUX PRÉPARATOIRES

51. Les cahiers de doléances. Avant même d’aborder l’étude des projets de Déclaration,

Stéphane Rials invite à consulter les cahiers de doléances. Il résulte de la présentation qu’il

en donne et des extraits qu’il reproduit, la certitude que le peuple réclamait une déclaration

des droits. Néanmoins la notion de présomption d'innocence n’y figure pas : « Au premier

rang des droits revendiqués par tant de cahiers, on trouve bien sûr la liberté civile, celle de

la presse et la propriété ; les cahiers s’étendent aussi volontiers, parfois de façon détaillée

et technique, sur les garanties fiscales ou judiciaires, dénonçant de façon le plus souvent

virulente les lettres de cachet, exigeant, sans employer, sauf exception, l’expression, une

forme d’habeas corpus, glosant sur les droits de la défense et la proportionnalité des peines

(…)»161.

Certains cahiers contiendront même des projets de Déclaration162. Aucun d’entre eux

n’annonce pourtant l’article 9 de la Déclaration définitive. Il en va d’ailleurs de même pour

la grande majorité des autres projets rédigés au cours de l’été 89.

157 La présomption d'innocence, op. cit., n° 47. 158 M. Laingui peut nous en faire singulièrement douter puisqu’il avoue ne pouvoir donner l’origine de cette formule, V. Les adages du droit pénal, op. cit., p. 34. 159 S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit. 160 Sur ce point voir E. WALCH, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’assemblée constituante, thèse, Paris, 1903 et S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 119. 161 S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 116. 162 Voir le dossier présenté par Stéphane Rials à la fin de son ouvrage.

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

63

52. Les projets de Déclaration. L’objet pénal de ces projets est, très essentiellement,

concentré sur la liberté et les arrestations163, ils ne font quasiment aucune référence à

l’innocence164. La plupart des auteurs qui allaient jouer un rôle actif au sein de l’Assemblée

ont proposé des textes qui ne posaient pas l’accusé en présumé innocent165. Une place

particulière mérite d’être faite à Adrien Duport166 à qui on attribue parfois la paternité de

l’article 9. Il est vrai qu’il a joué un rôle certain dans l’adoption de ce texte comme l’étude

de la phase de rédaction définitive va le montrer.

B- LA DISCUSSION DES PROJETS ET L’ADOPTION DE LA DÉCLARATION DES DROITS DE

L’HOMME ET DU CITOYEN167

53. Discussion du projet du sixième bureau de l’assemblée. La discussion article par

article de ce qui allait devenir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen repose sur

l’examen du projet de Déclaration écrit, non pas par le Comité des cinq, mais par le sixième

bureau. Ce dernier projet168 ne comportait pas davantage de référence à la présomption de

l’innocence que tous les autres dont on a déjà parlé. Les comptes rendus des débats ayant

présidé à l’adoption de l’article 9 prennent, dans ces conditions, toute leur valeur pour la

recherche qui nous intéresse. Ils demeurent finalement les seuls documents susceptibles de

nous enseigner ce que les constituants ont voulu inscrire dans ce fameux texte.

54. Débats des constituants. C’est le 22 août 1789 que devaient être adoptés, après un

« débat solennel », les dispositions pénales de la Déclaration : les articles 7, 8 et 9. La

discussion porta sur l’article 14169 du projet du sixième bureau et donna l’occasion aux

divers intervenants d’enrichir le débat par de nouvelles propositions d’article.

163 De nombreux projets, sinon la totalité, prévoient bien la limitation des arrestations dans les cas et dans les formes prévus par la loi, la légalité des délits et la proportionnalité des peines sont évoquées. De façon plus générale, compte parmi les droits les plus essentiels le droit à la sûreté individuelle. 164 Exceptés par ex : « Tout accusé que le jugement déclare innocent a droit d’être dédommagé par ses accusateurs », art.19 du projet de Déclaration des droits contenu dans la cahier de doléance du Tiers état du bailliage de Nemours, in S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 550 et s. ou encore « Les lois criminelles se rapportent à la liberté civile, lorsque tout homme innocent peut agir sans craindre un châtiment injuste, et lorsque tout homme coupable peut-être jugé sans craindre un châtiment excessif. », 11° al. 3 du projet de Déclaration de Servan, in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 577. 165 Il en va ainsi des projets de Déclaration de Mirabeau. Cet acteur célèbre de la Révolution avait rédigé un tel projet dès le mois d’avril 1788, in S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 519, puis un nouveau, en août 1789 mais cette fois ci au nom du Comité des cinq qui avait été constitué en vue d’examiner les divers projets de Déclaration et d’en soumettre un nouveau qui servirait de base à la discussion de l’Assemblée, in S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 747. La remarque vaut également pour les projets de Condorcet, Sieyès, Brissot, Mounier, Target, Thouret, et Duport. 166 V. P. PONCELA, Adrien Duport, fondateur du droit pénal moderne, Droits, n° 17, 1993, p. 139. 167 V. aussi sur la genèse de l’article 9, H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, thèse, Montpellier 1, 2004, n° 205 et s. 168 Projet de Déclaration du sixième bureau, juillet 1789, in S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 621 et s. 169 « Nul citoyen ne peut être accusé ni troublé dans l’usage de sa propriété, ni gêné dans l’usage de sa liberté qu’en vertu de la loi, avec les formes qu’elle a prescrites et dans les cas qu’elle a prévus ».

L’objet dans le discours

64

Enrichissement dont il est difficile de connaître les détails en raison du désordre des débats

menés à l’Assemblée où l’ordre du jour était peu respecté par les intervenants et où seules

quelques voix réussissaient à se faire entendre. En réalité on a pu dire que le débat relatif

aux questions pénales devait s’avérer l’affaire de quelques uns des députés, ceux qui

s’étaient organisés en un véritable groupe de pression et qui maîtrisaient le jeu

parlementaire en utilisant la question préalable, la clôture de la discussion et les

amendements. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont présidé à l’adoption des dispositions

de la déclaration qui présentent un caractère pénal170.

55. La rédaction de l’article 9. C’est à cette occasion, et seulement à celle-ci, que Duport,

proposa l’article suivant : « Tout homme étant innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné, s’il

est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer

de sa personne, doit être sévèrement réprimée »171. Plusieurs projets d’articles apparurent

d’un tel mérite que l’on demanda à leurs auteurs de se réunir pour offrir une rédaction

commune. Ainsi, Duport, Target et Bonnay proposèrent l’article 9 suivant : « Tout homme

devant être innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de

l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être

sévèrement réprimée par la loi ». Cela étant, aucun document ne permet de connaître les

raisons et circonstances qui ont conduit Duport à cette formulation172. Le Point du jour

relate que le texte commun aux trois députés devait susciter une carrière d’amendements.

Ce journal173 mentionne qu’un intervenant174 fit cette remarque : qu’« il fallait énoncer ces

principes des loix romaines, dont la sagesse est peut-être trop dédaignée ou trop méconnue

dans ce siècle, qu’un accusé doit être présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été condamné »,

ce à quoi Mougins de Roquefort répondit : « les mots : « devant être » présentaient un 170 R. MARTUCCI, Le « parti de la réforme criminelle » à la constituante, in La Révolution et l’ordre juridique privé, rationalité ou scandale ? op. cit., p. 230: « Ce jeu qui produisit le texte des articles VII, VIII et IX de la Déclarations des droits, fort technique et très loin de la rédaction déclamatoire proposée par le sixième bureau de l’Assemblée Nationale ». 171 V. E. WALCH, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’assemblée constituante, op. cit., p. 160 et qui donne en référence Le hodey, III, p. 49. Cet article est précédé par celui-ci : « La loi ne peut établir de peines que celles qui sont strictement et évidemment nécessaires ; et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi entièrement établie et légalement appliquée ». 172 Les Archives Parlementaires exposent assez longuement la genèse de l’article 7 à partir de l’article 14 du projet de Déclaration, en revanche, l’adoption définitive de l’article 9 n’est pas relatée. Seule la première formulation de Duport puis la version définitive sont reproduites. On peut cependant s’étonner à la lecture des rares indications données par Duport pour justifier les deux articles qu’il proposait. En effet, il semblerait que l’article qui nous intéresse s’explique par la volonté de Duport de voir les lois plus douces à l’égard des coupables. « Il expose qu’il existe en France un usage barbare de punir les coupables, lors même qu’ils ne le sont pas encore déclarés (…) que cependant c’est une vérité que les précautions que l’on doit prendre pour s ‘assurer des coupables ne font pas partie des peines. C’est d’après ces idées qu’il propose le projet suivant ; deux principes en sont la base, l’égalité des peines pour les mêmes délits, et la douceur dans les moyens de s’assurer des coupables», A. P. tome VIII, p. 471. 173 Le Point du jour ou résultat de ce qui s’est passé la veille à l’Assemblée Nationale, tome II, séance du vendredi 22 août 1789. 174 Le journal indique le nom de Lachaife mais aucun député ne répond à ce patronyme. Peut-être s’agit-il de De Lacheze, député du tiers et lieutenant général de la sénéchaussée.

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

65

doute et que l’expression « étant présumé » valait mieux ». Il est dit que cet amendement

passa sans que l’on en sache davantage.

Sans entrer dans le détail, Stéphane Rials attribue bien ce processus d’adoption à Duport

en indiquant qu’avec lui, « Il s’agit bien de formuler les articles à vocation pénale » en

développant « la thématique dominante de la philosophie pénale des Lumières depuis, au

moins, Beccaria » et d’ajouter : « Duport (…) a trouvé là des expressions beaucoup plus

heureuses que celles de son propre projet pour synthétiser la vaste aspiration qui s’est

déployée dans les cahiers de doléances et dans tous les projets175».

Quoi qu’il en soit la remarque vaut sans aucun doute pour ce qui a trait à la deuxième

proposition de l’article 9 qui, comme nous l’avons effectivement vu, répond parfaitement au

contenu des divers projets. Elle ne semble cependant pas, au regard des indications qui

viennent d’être données, devoir concerner la formule « Tout homme étant présumé

innocent ». À vrai dire, son introduction reste assez mystérieuse et ne répond ni au discours

réformateur des lumières pénales, ni aux revendications contenues dans les cahiers de

doléances, ni enfin aux projets débattus devant l’Assemblée.

Il y a bien pourtant ces formules troublantes de Vermeil et de Mably qui s’approchent

davantage d’une formulation de la présomption d’innocence que Beccaria. Le premier

affirme clairement que l’absence de preuve de culpabilité fait présumer l’innocence et le

second estime que les lois doivent toujours présumer l’innocence. Peut-on pour autant

affirmer que ces deux auteurs ont eu une influence sur les rédacteurs de la Déclaration ? La

première version de l’article 9 qu’offrit Duport n’emploie pas le terme présumé, pas plus

d’ailleurs que la version, moins heureuse, rédigée en commun avec Target et Bonnay . Ce

n’est finalement qu’à Mougins de Roquefort que l’on doit, in extremis, cette formule « Tout

homme étant présumé ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette genèse rend difficile

à la fois une recherche du sens de l’expression et une recherche de la volonté des

constituants.

56. La question de l’influence de l’Habeas Corpus. Les lumières pénales ont-elles été

éclairées par le droit anglais ? On sait que nombres d’esprits, dont Montesquieu, vantaient

les mérites de la législation anglaise et proposaient aux réformateurs de s’en inspirer.

L’adoption du jury criminel en droit français est ainsi souvent présentée comme une

transposition du jury anglais. L’influence, ou la force inspiratrice, des règles d’outre-

Manche ne fait aucun doute. Mais peut-on regarder la présomption d’innocence, en

particulier l’adoption de l’article 9 de la Déclaration comme une traduction de l’Habeas

corpus ?

175 S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op.cit., p. 234-235.

L’objet dans le discours

66

L’Habeas Corpus Act de 1679 qui exprime une pratique anglaise née au Moyen Âge,

prévoit que tout citoyen arrêté doit se voir notifier dans les vingt-quatre heures la nature du

délit qui lui est reproché. Surtout, le texte permet au prisonnier de saisir un juge, afin qu’il

vérifie la légalité de la détention, et d’obtenir sa liberté sous caution. Certains auteurs ont pu

estimer que « le principe consacré par les constituants français de 1789 fait écho, à

l’évidence », à l’Habeas corpus britannique et voir dans la procédure anglaise le second

berceau de la présomption d’innocence176. « Le concept de « présomption d’innocence »

apparaît, sous sa forme moderne, avec l’Habeas Corpus et la Déclaration des Droits

prononcées à la fin de XVIIe siècle en Angleterre » explique un autre auteur177. En réalité,

si l’existence de l’Habeas corpus a pu influencer les lumières pénales, il n’est pas certain

que l’on puisse lire l’article 9 de la Déclaration française à la lumière du texte anglais178. Ce

dernier se rattacherait davantage au problème des arrestations arbitraires. À cet égard, les

réformateurs français ont sans aucun doute souhaité lutter contre les fameuses lettres de

cachet. Mais la traduction de cette préoccupation serait plutôt à rechercher dans l’article 7

de la Déclaration179. Comme le souligne un auteur assez critique à l’égard de l’Habeas

corpus, la loi anglaise de 1679 qui l’organise a pour objet de garantir la légalité l’arrestation

et non son opportunité. Dès lors qu’il existe un titre de détention valide, la remise en liberté

est exclue180.

57. L’article 9 et la doctrine contemporaine. L’ensemble des remarques précédentes nous

semble suffisant pour ne pas la lire la formule de l’article 9 comme les autres énonciations

pénales de la Déclaration. Ce n’est pourtant pas l’avis de M. Essaïd dans l’interprétation

qu’il donne de l’article 9.

Répondant à « certains auteurs [qui] ont tendance à ne voir dans cet article et les deux

articles qui le précèdent que la consécration du principe de la liberté individuelle ou

sûreté », l’auteur l’interprète, au terme d’une « simple analyse littérale », comme une

proclamation du principe de la présomption d’innocence. La seconde proposition du texte,

relative à la protection de la liberté individuelle181 est alors analysée comme la conséquence

du principe énoncé dans la première.

176 J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit., p. 9. 177 E. BAUZON, La présomption d’innocence et la charge de la preuve en droit romain, in La présomption d’innocence, Revue de l’institut de criminologie de Paris, vol. 4, 2003-2004, Collection Essais de philosophie pénale et de criminologie, Paris, Eska, 2004, p. 25. adde. CH. LAZERGES, La présomption d’innocence en Europe, Arch. polit. crim., n° 26, 2004, p. 136. 178 Un auteur a d’ailleurs récemment souligné que l’origine anglo-saxonne de l’article 9 est incertaine et préfère voir dans ce texte l’influence directe de Beccaria. V. H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 215 à 218. 179 V. n° suivant. 180 D. INCHAUPSÉ, Habeas Corpus, Confluences, 1999, préface, p. 11. 181 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 45.

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

67

Cette analyse, qui veut voir dans l’article 9 la formulation d’un principe relatif à la

présomption d’innocence est déterminante puisqu’elle sera reprise par la doctrine pénaliste,

de manière à donner ce qui sera pendant longtemps l’unique fondement textuel de la

présomption d’innocence182. Pourtant, il paraît tout aussi envisageable de ne voir dans

l’article 9 qu’une consécration de la sûreté individuelle. C’est bien ce qui ressort de

l’analyse des discours proposée plus haut. C’est en outre ce qui ressort de la lecture des

articles 7, 8 et 9. En effet, alors que la Déclaration énonce les droits de l’homme, elle en

assortit la garantie par une obligation faite à la loi de punir leur violation et d’assurer leur

effectivité. Ainsi, l’article 7 qui énonce que : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni

détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites »,

garantit ce droit à la liberté individuelle en ajoutant : « Ceux qui sollicitent, expédient,

exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis »183.

L’article 8 prévoit quant à lui que « la loi ne doit établir que des peines strictement et

évidemment nécessaires » ; et que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et

promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Le texte suivant procède de

la même manière en formulant le droit, pour la personne arrêtée, de ne pas se voir infliger

des rigueurs qui ne seraient pas nécessaires pour s’assurer de sa personne. La sanction de ce

droit est garantie par ce texte puisqu’il prévoit qu’une telle rigueur « doit être sévèrement

réprimée par la loi ».

Il semble alors raisonnable de penser que si la présomption d'innocence avait été l’objet

principal de l’article 9, et ce faisant formulée comme un droit, les rédacteurs auraient

naturellement écrit : « Tout homme doit être présumé innocent… ». Or, il n’en est rien. Les

constituants ont bien consacré un droit à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme

et du citoyen, ce droit dont la formulation était effectivement « dans l’air » depuis des

années consiste à ne pas faire l’objet d’arrestation arbitraire ou illégale et à ne pas être

maltraité184.

Ainsi, il est assez clair que l’article 9 consacre un droit à la sûreté assorti du droit à ne

pas être torturé. Il n’a donc pas pour objet la consécration de « la présomption

d'innocence ». En revanche, les dispositions pénales de la Déclaration sont sans aucun doute

l’exact reflet du discours des lumières pénales pour ce qui est de la protection de

182 Sur ce point et plus généralement sur l’interprétation de l’article 9 par les pénalistes, V. infra, n° 184 et s. 183 Ce texte, on le sait, est l’aboutissement logique de la réclamation contenue dans les cahiers de doléances concernant l’abolition les ordres arbitraires, Louis XVI avait d’ailleurs accédé à cette demande en juin 1789 par l’abolition des fameuses lettres de cachet. 184 C’est d’ailleurs l’analyse de Jean-Marie Carbasse: « La formulation de cet article montre assez que son objet essentiel, exprimé par le verbe principal, concerne toujours les précautions à prendre lors des arrestations ; c’est en somme une simple explication de l’article 7. », Le droit pénal dans la déclaration des droits, Droits, n° 8, 1988, p. 129.

L’objet dans le discours

68

l’innocence. La prééminence accordée à la loi pour assurer cette protection est évidente et

répond fidèlement aux aspirations exprimées tant dans le discours réformateur que dans les

projets de déclaration. C’est par les bornes et les formes qu’elle assignera au pouvoir des

juges que la loi assurera la garantie de ces droits par lesquels l’innocence trouvera une

meilleure protection.

58. L’évolution du discours doctrinal à travers le temps. À l’issue de cette première

analyse il convient d’en souligner les résultats quant à l’objet du discours considéré. Plus

précisément, il faut s’attacher aux discours considérés dans cette étude. En effet, si le

discours étudié était bien celui de la doctrine pénale de l’ancien droit, les directions

d’analyse ont été puisées dans le discours doctrinal des XXe et XXIe siècles. À suivre ces

directions et en les confrontant au discours antérieur, le constat est surprenant. Alors que

l’absence de la présomption d'innocence dans le discours des anciens criminalistes devait

aller de soi, on y trouve néanmoins la protection de l’innocence à travers des formules tirées

du droit romain et du droit savant du Moyen Âge. C’est en outre toujours la protection de

l’innocence qui est objet du discours réformateur, alors que cette fois, la doctrine du XXIe

siècle affirme l’existence de l’objet présomption d'innocence dès cette époque.

Du seul point de vue du discours doctrinal, et des connaissances qu’il expose, il est

frappant de constater cet écart particulier et balancé entre l’état du discours au XVIIIe siècle

et l’image qu’en donne la doctrine du XXe. Il résulte d’une occultation totale de l’ancienne

doctrine criminaliste au profit du seul discours des lumières pénales pourtant relativement

et objectivement pauvre sur notre question185.

Il convient cependant de poursuivre, en conservant l’hypothèse d’une introduction de la

présomption d'innocence dans le droit pénal français à cette date sacrée de 1789. Car si le

discours antérieur ne prend pas pour objet la présomption d'innocence, il n’y a là finalement

rien de véritablement surprenant dès lors que l'on considère la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen comme la consécration et la formulation de la présomption

d'innocence. L’œuvre des constituants, en particulier avec l’article 9, serait alors le résultat

épuré de toutes ces réclamations, souhaits et batailles qui ont marqué les vingt dernières

années de l’Ancien Régime.

Dans un tel ordre d’idée, et c’était d’ailleurs bien cela qui animait les constituants, la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen doit être regardée comme un point de

départ, l’édifice stable sur lequel allait se construire le droit pénal moderne, l’énoncé des

droits essentiels de l’homme qui devait donner lieu à bien d’autres discours. C’est la raison

pour laquelle il y a tout lieu de penser qu’une fois consacrée, la formule « Tout homme étant

185 Sur la rupture que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Révolution aurait opéré dans l’histoire de la présomption d’innocence, V. infra, n° 155 et s.

La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

69

présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable » est devenue un objet de

discours disponible pour les criminalistes, mieux encore, il y a lieu de penser que

désormais, les auteurs étudieraient « la présomption d'innocence ». Ce sera l’objet d’un

second chapitre, consacré cette fois à la doctrine du droit pénal moderne, que de répondre à

la question de savoir si, après 1789, la doctrine pénale dite « moderne » discourt sur la

présomption d'innocence.

71

CHAPITRE 2 LA DOCTRINE DU DROIT PÉNAL MODERNE

59. La mise en œuvre des réformes en matière criminelle après la Révolution. La

Révolution française n’a pas seulement opéré une révolution politique, cette dernière fut

également juridique. Un droit nouveau devait naître, et plus particulièrement un droit pénal

rompant avec tous les abus de l’Ancien Régime et instaurant une législation plus conforme

à la philosophie, au sentiment d’humanité et surtout à la raison, qui avaient animé les plus

grands esprits réformateurs.

La nouvelle législation qui se met en place, au lendemain de l’adoption de la

Déclaration, correspond à ce que l’on appelle communément le droit pénal intermédiaire

c’est-à-dire les lois qui ont organisé la justice criminelle avant l’avènement des codes

napoléoniens de 1810. L’adoption définitive de la Déclaration des droits de l’homme est

très vite suivie des premières traductions législatives. Ainsi, répondant aux vœux formulés

dans les cahiers de doléances et aux principes inscrits dans la Déclaration, les constituants

vont s’atteler à la tâche en commençant par la constitution d’un comité de législation

criminelle186.

Au mois de décembre 1789, Adrien Duport présente, au nom du comité de constitution,

les Principes fondamentaux de la police et de la justice qui devront servir de base de

réflexion aux députés lorsqu’ils aborderont la discussion du plan d’organisation de la police

et de la justice criminelle. Un article 23 de ce document propose d’instaurer la liberté sous

caution pour les petits délits. Cette liberté est justifiée de la manière suivante : « la société

n’a pas le droit de placer un citoyen dans des prisons malsaines ou incommodes, car un

homme prévenu, même accusé, est toujours présumé innocent »187 explique Duport. Peut-on

estimer qu’il s’agit là d’une mise en œuvre du principe de la présomption d’innocence ?

Cela est douteux, car les textes qui vont suivre, n’inscriront nulle part la présomption

d’innocence. Le droit intermédiaire traduira sous forme de lois les grands principes du

nouveau droit criminel mais aucune ne mentionnera d’une quelconque façon la présomption

d'innocence. Ainsi le décret des 8-9 octobre 1789188, en attendant une réforme complète de

la justice criminelle, adopte la publicité de la procédure criminelle, abolit le serment,

prévoit l’assistance d’un conseil pour l’accusé etc.

186 V. J.-J. CLÈRE, Les constituants et l’organisation de la procédure pénale, in La Révolution et l’ordre juridique privé, rationalité ou scandale ? op. cit., p. 442. 187 A.P. tome X, p. 745. 188 Le droit intermédiaire fait l’objet de développements détaillés dans l’ouvrage de A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle, op. cit., p. 410 et s.

L’objet dans le discours

72

Le premier code pénal institué par la loi des 25 septembre et 6 octobre 1791 se conforme

aux vœux des Lumières et n’incrimine que les actes nuisibles à la société. Quant à la loi des

16-29 septembre 1791, d’une grande importance puisqu’elle anéantit l’ordonnance de 1670,

elle instaure le jury populaire pour le jugement des crimes, comme cela était envisagé et

discuté depuis longtemps, et consacre en même temps le nouveau système de preuve :

l’intime conviction des jurés. Puis en 1795, sera élaboré le Code des délits et des peines du

3 brumaire an IV, à la fois Code pénal et Code de procédure criminelle qui reprend, sous la

plume de Merlin (de Douai), les lois de 1791 en les aménageant quelque peu.

Mais vint la loi du 7 pluviôse an IX (1801) qui devait annoncer le Code d’instruction

criminelle. Elle opéra un vaste retour en arrière, notamment en rétablissant le ministère

public que la loi de 1791 avait supprimé, en introduisant à nouveau le secret dans la

procédure d’instruction et en substituant la procédure écrite à la procédure orale devant le

jury d’accusation. Les dérives du jury populaire, vivement critiqué pour sa partialité, étaient

à l’origine d’une partie de ce retour en arrière. Après de longs travaux préparatoires, dans

lesquels la présomption d'innocence ne semble pas avoir fait l’objet de débat, c’est le Code

d’instruction criminelle de 1808 qui allait consacrer un système procédural « hybride »,

c'est-à-dire empruntant à l’ordonnance de 1670 le caractère écrit et secret de la phase

d’instruction et empruntant aux innovations de 1791 pour la phase d’audience :

conservation du jury en matière criminelle, publicité, oralité, et assistance d’un avocat.

C’est dans ce contexte juridique particulier et nouveau que le discours des criminalistes

doit désormais être envisagé. Les criminalistes qui exposent la nouvelle procédure

criminelle resteront en réalité silencieux sur l’existence d’une présomption d’innocence

(Section 1). Cette dernière ne commencera à être réellement évoquée, par touches discrètes,

qu’avec les œuvres des nouveaux théoriciens de la preuve criminelle (Section 2).

La doctrine du droit pénal moderne

73

SECTION 1 : LE SILENCE DES CRIMINALISTES

60. Une doctrine nouvelle ?. Les bouleversements du paysage juridique pénal qui ont fait

suite à la Révolution soulèvent une question : à un droit pénal nouveau correspond-t-il une

doctrine nouvelle ? Cette question a déjà trouvé des réponses pour la doctrine du droit civil.

La codification aurait ainsi eu pour conséquence de modifier considérablement la façon

dont les civilistes concevaient leur travail. Vouant un culte certain à la loi et donc au Code,

on les a nommés exégètes. Ils n’auraient vu le droit civil que dans le code dont ils firent de

vastes commentaires. Peut-on conclure que la codification du droit pénal et de la procédure

criminelle a produit les mêmes effets ? Une chose est sûre, lorsqu’on parle de la doctrine de

l’Exégèse, ce sont les civilistes dont il est question, les criminalistes ne sont visiblement pas

concernés189. En proposant de donner une image de cette doctrine du XIXe siècle (§1), on

sera ensuite mieux à même d’étudier sa littérature et de mesurer les conséquences du silence

de ces auteurs concernant la présomption d’innocence (§2).

§ 1. UNE IMAGE DE LA DOCTRINE CRIMINALISTE DU XIXe SIÈCLE

61. L’apparent désintérêt pour les auteurs de cette période. La doctrine criminaliste de

cette époque ne semble pas avoir intéressé outre mesure les juristes ni les historiens du droit

pénal. À notre connaissance, aucune étude semblable à celle qu’avait réalisé André Laingui

pour l’ancien droit, n’a été publiée. Si tel était pourtant le cas, admettons qu’elle serait

restée très confidentielle. Il s’agit peut-être là du signe qu’aucun intérêt ne peut être attaché

à ce type de démarche ou tout simplement que les criminalistes n’ont pas désiré constituer

l’histoire de leur savoir. Cela ne doit pas nous détourner de la voie qui est la nôtre. On peut

rapidement tenter d’approcher quelques-uns des acteurs de la science du droit pénal de cette

période et de décrire la scène sur laquelle ils ont œuvré.

62. Déclin des études juridiques au début du XIXe siècle. Julien Bonnecase a dressé un

tableau historique de la science du droit en France de 1789 à 1830. Se proposant d’aborder

l’œuvre de la doctrine du droit privé190, il note que « d’une manière générale, la production

scientifique, de 1789 à 1804, n’a pas une grande valeur et [qu’elle] est plutôt limitée ». La

raison en est simple : « Le moment n’était pas aux études juridiques ; le calme nécessaire 189 Sur les exégètes, mais cette fois pour les « réhabiliter », PH. RÉMY, Éloge de l’exégèse, Droits, 1985, n° 1, p. 115. 190 J. BONNECASE, La Themis, Paris, Recueil Sirey, 2e éd., 1914. L’ouvrage est consacré à la revue éponyme qui a eu une courte vie (1819-1831) mais une grande importance pour la science du droit. L’auteur s’était proposé de présenter cette revue, son fondateur et ses contributeurs. Il a fait précéder cette présentation d’une introduction générale à l’histoire de la science du droit privé. L’auteur n’entend ici par droit privé que le droit civil. Le droit criminel, que Bonnecase évoque à peine à propos des études dont il a fait l’objet dans la revue, est rangé dans la branche publique du droit. Cela dit, certaines remarques énoncées par l’auteur ont une portée assez générale pour servir notre propos.

L’objet dans le discours

74

manquait ; tous les jurisconsultes étaient absorbés par les évènements politiques ou

hésitaient à exprimer des opinions sur le droit privé qu’ils savaient à l’avance n’intéresser

personne et risquer d’être dangereuses pour eux-mêmes ». La remarque semble valoir pour

les œuvres de droit criminel.

L’instabilité, la fragilité, et la nouveauté de la législation pénale au lendemain de la

Révolution ne permettaient sans doute pas aux criminalistes d’élaborer des œuvres

doctrinales. À cela on peut ajouter, du côté de l’enseignement, la suppression des facultés

par un décret de septembre 1793 et la création des écoles centrales d’enseignement

secondaire et supérieur191. L’enseignement du droit au travers des cours dits « de

législation » y est négligé, le recrutement des professeurs s’avère difficile et bien souvent

les avocats et les magistrats se détournent du recrutement qui profite à des mathématiciens,

philosophes ou moralistes192.

Le programme des cours est libre et le niveau des auditeurs est faible, autant dire que la

période n’est pas favorable à la science du droit. Et encore s’agit-il là de l’enseignement du

droit en général. À considérer spécialement le droit criminel, on doit bien avouer que son

enseignement au sein des facultés, une fois rétablies, ne jouira pas d’un grand prestige ni

d’une grande considération durant le XIXe siècle (A). Cela ne doit toutefois pas empêcher

de rechercher quelle pouvait être la méthode de ces criminalistes (B).

A- DOCTRINE ET ENSEIGNEMENT DU DROIT CRIMINEL

63. L’exemple de la chaire de droit criminel de la Faculté de droit de Paris. Les

difficultés pour établir une chaire de droit criminel ont fait l’objet d’une étude détaillée qui

montre combien l’enseignement du droit criminel a eu peine à s’imposer après la

Révolution193. La partie qui se joue à la Faculté de Paris a finalement pour enjeu aussi bien

l’enseignement du droit criminel à l’Université que des questions de politique. Deux

difficultés affectent l’enseignement du droit criminel, il s’agit d’une part de son autonomie

par rapport à l’enseignement de la procédure civile, et d’autre part de son contenu.

En effet, alors que ni le Code pénal ni le Code d’instruction criminelle n’ont été votés, la

loi qui organise les écoles de droit ne fait qu’une mince place à l’enseignement du droit

criminel, puisque c’est une chaire commune qui est crée, elle comprend un cours de

procédure civile, procédure criminelle et législation criminelle.

191 J. IMBERT, L’enseignement du droit dans les écoles centrales sous la Révolution, in La Révolution et l’ordre juridique privé, rationalité ou scandale ? op. cit., tome I, p. 249-265. Ce n’est en réalité qu’à cette date, par la loi du 7 ventôse an III (25.02.1795) que les universités disparaissent, l’application du premier décret ayant été suspendue. 192 J. IMBERT, L’enseignement du droit dans les écoles centrales sous la Révolution, op. cit., p. 253 et s. 193 M. VENTRE-DENIS, La difficile naissance, à la Faculté de droit de Paris, de la première chaire autonome de droit criminel (1804-1846), Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, n° 12-1991, p. 151.

La doctrine du droit pénal moderne

75

Ce n’est qu’en 1830 que le droit criminel fera l’objet d’un enseignement distinct de la

procédure civile à la faculté de Paris. Il apparaît cependant que l’acquisition de cette

autonomie doit plus à des préoccupations politiciennes que scientifiques. Mme Ventre-

Denis explique que ce n’est que pour imposer la nomination de Le Seyllier qu’une nouvelle

chaire est créée194. Elle sera cependant supprimée suite aux vives protestations qu’elle avait

suscitées. Le débat reprendra lors de la création d’une chaire de législation pénale comparée

au profit d’Ortolan. Les titulaires du cours de procédure civile, procédure criminelle et

législation criminelle, dont Berriat-Saint-Prix, se sentaient alors menacés. Pourtant les deux

chaires continuèrent à subsister. Ce n’est qu’après le décès de Berriat-Saint-Prix, qu’une

chaire autonome réunira en un seul enseignement, à partir de 1846, le droit criminel et la

législation comparée. Le dédoublement de la chaire de législation criminelle, de procédure

civile et criminelle, était vivement souhaité par les facultés de province mais elles n’ont

obtenu satisfaction qu’en 1872.

La seconde difficulté vint d’un professeur, Bavoux, qui fut à l’origine d’un scandale et

d’un procès au terme duquel il fut cependant acquitté. Son crime avait été, au cours de son

enseignement de droit pénal, d’avoir « excité à la désobéissance des lois ». C’est que le

professeur Bavoux, titulaire de la chaire de législation criminelle et de procédure criminelle

et civile, s’était permis de critiquer les lois pénales, en exposant à son auditoire les

changements qu’il désirait y voir apportés. Autrement dit, on reprochait au professeur

d’avoir exposé ce qui devait être plutôt que ce qui était. Une controverse s’engagea alors sur

ce que l’on devait entendre par enseignement de législation criminelle, « commentaire

critique ou simple explication du texte des lois ?» 195.

64. Ortolan, Bonnier, Faustin-Hélie et autres criminalistes célèbres. L’enseignement de

législation pénale comparée qu’assurait Ortolan dans cette même faculté, réactualisa cette

question quelques années plus tard. Ortolan, choisi pour son libéralisme, soutenait en effet

un enseignement du droit criminel qui ne se bornait pas à une simple explication du contenu

des lois. Parce qu’il avait une conception philosophique et morale de l’enseignement du

droit criminel196, Ortolan entendait l’enrichir par des considérations liées à l’esprit de la loi,

à son but, ou encore en abordant cette discipline dans le contexte social plus large au sein

duquel elle s’inscrit.

Plusieurs des criminalistes du XIXe siècle qui ont laissé trace de leur appartenance à la

doctrine, ont enseigné à la Faculté de Paris. Ortolan avait été bibliothécaire à la Cour de

194 M. VENTRE-DENIS, La difficile naissance, à la Faculté de droit de Paris, de la première chaire autonome de droit criminel, op. cit., p.158-159. 195 M. VENTRE-DENIS, La difficile naissance, à la Faculté de droit de Paris, de la première chaire autonome de droit criminel, op. cit., p. 154. 196 M. VENTRE-DENIS, La difficile naissance, à la Faculté de droit de Paris, de la première chaire autonome de droit criminel, op. cit., p. 178.

L’objet dans le discours

76

cassation avant de devenir professeur, son ouvrage de référence197 fait une large place aux

sources anciennes du droit pénal, et notamment au droit romain, il y expose en outre ses

vues philosophiques et disserte sur le droit de punir. Le cours de Berriat-Saint-Prix, qui

enseigna durant quarante ans, a été lui aussi publié198. Le Seyllier, qui était avocat, même

s’il avait finalement peu enseigné à la Faculté de Paris, est l’auteur d’un traité de droit

criminel en six volumes199.

À ces auteurs, il convient d’ajouter Bonnier, qui avait été titulaire de l’une des deux

chaires de législation criminelle et de procédure civile et criminelle et qui publia un traité

sur la preuve civile et criminelle200.

S’il n’était pas professeur, Faustin-Hélie, conseiller à la Cour de cassation, a publié un

célèbre traité qui fait encore aujourd’hui référence201. Les spécialistes de la matière

criminelle ne manquent pas à cette époque, sans doute l’ampleur du droit à faire connaître

peut-il l’expliquer. Ainsi, d’autres auteurs, professeurs en province ou praticiens, ont-ils

produit une littérature consacrée au droit criminel. II faut penser à Morin, avocat au Conseil

d’État et à la Cour de cassation qui a réalisé un répertoire de droit criminel202. On peut en

outre songer à Trébutien, professeur à la Faculté de droit de Rennes203, à Le Graverend,

ancien directeur des affaires criminelles et avocat204, à Bourguignon205, ou encore à d’autres

tel Rossi, professeur de droit constitutionnel mais auteur d’un traité de droit pénal bien

connu.

Reste à poser cette question : quelles sont les caractéristiques du discours de ces

criminalistes ? L’affaire Bavoux qui avait marqué l’enseignement du droit criminel à la

Faculté de Paris et qui avait éclaboussé également les cours qu’y dispensait Ortolan, donne

un début de réponse assez éclairant.

197 Éléments de droit pénal, Paris, Plon, 1855. Pour une étude détaillée sur Ortolan : M. VENTRE-DENIS, Joseph-Elzear Ortolan, un juriste dans son siècle, Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, n° 16-1995, p. 173. 198 Cours de droit criminel, Paris, Nève, 3e éd., 1825. 199 Traité du droit criminel, Paris, Thorel, 1844. 200 Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, Paris, Plon, 5e éd., 1888. V. infra, n° 75. 201 Traité de l’instruction criminelle, Paris, Plon, 2e éd., 1866-1867, 8 volumes. On notera que si l’erruer commune peut faire le droit, elle ne saurait renommer les personnes : cet auteur que l’on nomme, jusque dans les notices de la Bibliothèque nationale de France, Faustin-Hélie, avait en réalité un prénom qui n’est pas Faustin. Il demeure toutefois extrêment difficile de retrouver le prénom exact de monsieur Faustin-Hélie tant l’habitude a été prise de considérer qu’il s’agisait de Faustin. 202 Répertoire général et raisonné du droit criminel, Paris, 1850, 2 volumes. 203 Auteur d’un Cours élémentaire de droit criminel, Paris, 1854, 2 volumes. 204 Il a écrit un Traité de législation criminelle en France, en deux volumes dont la troisième édition date de 1830. 205 Les opinions que cet avocat a consignées dans sa Jurisprudence des codes criminels, publiée en 1825, sont souvent citées par les autres criminalistes.

La doctrine du droit pénal moderne

77

B- LA MÉTHODE DES CRIMINALISTES DU XIXe SIÈCLE

65. Un discours pour l’essentiel descriptif. Le discours de ces auteurs est plutôt orienté

vers la description pure et simple du droit positif. La systématisation des matières

criminelles et l’élaboration de théories d’ensemble constituent, semble-t-il, une démarche

prématurée. C’est que la législation pénale est en grande partie nouvelle et l’heure est à

l’explication ordonnée de ce droit codifié. Cela signifie notamment que les criminalistes

n’ont pas pour mission « officielle » de critiquer ces lois. La théorie du droit pénal n’est pas

prisée des ministres de l’instruction publique qui voient d’un mauvais œil les écarts de

certains professeurs de législation criminelle. La littérature du droit pénal produite à cette

époque se ressent de cette conception.

Contrairement aux traités écrits sous l’Ancien Régime, les ouvrages du XIXe siècle

témoignent assez peu de la personnalité et des idées de leurs auteurs. On a affaire à des

volumes consacrés en majeure partie à une explication des codes, explication linéaire, voire

article par article, qui s’enrichit d’illustrations puisées dans la jurisprudence de la Cour de

cassation. Il est par ailleurs assez rare de voir les auteurs enseigner la partie historique de

leur discipline. Quant aux considérations de philosophie ou de théorie pénale, elles sont le

plus souvent exclues de ces ouvrages.

66. Le commentaire des codes. On peut aisément en juger en lisant la préface écrite par

Faustin-Hélie pour introduire le lecteur aux Leçons de droit criminel de Boitard206. Faustin-

Hélie explique en effet que : « Ces leçons ne sont pas autre chose qu’un lumineux

commentaire de nos codes. On ne doit pas y chercher les théories du droit pénal (…) Son

but a été d’initier les élèves à des codes qui leur étaient fermés. Il ne faut pas chercher les

investigations scientifiques, ni le rapprochement des législations207 ». Il s’opposera assez

vivement à la conception que Boitard se faisait du contenu de son enseignement. L’étude de

l’ancien droit criminel ne paraissait, à ce dernier, d’aucune utilité pour la pratique des

jurisconsultes qui ont à connaître uniquement les nouvelles lois208. Boitard arguait de cette

inutilité en invoquant d’une part, l’obligation pour le juge pénal de donner une

interprétation littérale de la loi et, d’autre part, le caractère des lois pénales qui

contrairement aux matières civiles, ne reproduisaient pas de façon très fidèle les principes

admis autrefois209.

206 Le sous-titre est assez révélateur de l’intention de l’auteur : Leçons de droit criminel, contenant l’explication complète des codes pénal et d’instruction criminelle, 9e éd., revue et annotée par FAUSTIN- HÉLIE, Paris, Cotillon, 1867. 207 J.-E. BOITARD, Leçons de droit criminel, op. cit., préface de FAUSTIN-HÉLIE, p. IX. 208 Préface de FAUSTIN-HÉLIE, op. cit., p. X. 209 Préface de FAUSTIN-HÉLIE, op. cit., p. X. Faustin-Hélie entendait alors réfuter cette conception en relativisant la nouveauté du droit criminel qui puise beaucoup dans les procédures anciennes. Il s’opposait en outre à Boitard, prenant ainsi part à la controverse relative à l’interprétation des textes pénaux, en

L’objet dans le discours

78

La méthode de Trébutien utilisée pour l’exposé et le commentaire des codes pénal et

d’instruction criminelle conduit ce professeur à intituler la première partie de son cours

« Cours de code pénal », or cette façon de concevoir l’enseignement du droit criminel n’est

pas sans rappeler celle dont témoignaient certains civilistes du XIXe siècle qui se

proposaient modestement d’enseigner non pas le droit civil, mais seulement le Code210.

Tous les criminalistes ne donnent cependant pas une présentation aussi sèche de la

législation criminelle. Le Seyllier montre qu’un traité de droit criminel peut être plus qu’un

traité de législation criminelle. Si son ouvrage est destiné à « l’explication de la plus grande

partie des matières les plus importantes du droit criminel »211, la méthode adoptée pour

l’exposition de ces matières laisse une large place aux opinions doctrinales contemporaines

ou anciennes212. Le traité théorique et pratique de droit pénal de Molinier témoigne lui aussi

du souci qu’ont eu certains auteurs d’aborder, plus ou moins succinctement, la question du

droit de punir213. Cette question faisait également l’objet de toutes les attentions d’Ortolan.

Enfin, l’esprit qui a animé Faustin-Hélie dans l’élaboration de son traité de l’instruction

criminelle est bien celui qu’il défendait contre Boitard dans la préface aux Leçons de droit

criminel. Une large part de ce traité est consacrée à l’histoire de la procédure criminelle, et

bien que l’ouvrage passe pour n’être pas une œuvre d’idées214, il présente une épaisseur que

les œuvres doctrinales de l’époque n’atteignent pas toutes. Avec les huit volumes de la

deuxième édition de son traité, Faustin-Hélie a donné bien plus qu’un simple commentaire

du Code d’instruction criminelle.

Pour en terminer avec cette image de la doctrine pénale du XIXe siècle, on peut suggérer

qu’elle a, à l’instar de son homologue civiliste, suivi la méthode exégétique. Le principe de

légalité mis en œuvre après la Révolution invite à le penser. Si les civilistes ont pu vouer

une espèce de culte au Code civil, à plus forte raison faut-il penser que la doctrine pénale a

eu une réaction similaire face aux codes criminels. Le principe de légalité des délits et des

peines ayant pour effet de contraindre le juge à respecter la lettre de la loi dans l’application

optant pour une interprétation déclarative de la loi pénale par le juge, interprétation qui ne retranche ni ajoute au texte du législateur. 210 Il faut songer au Cours de Code Napoléon de Demolombe ou encore à la phrase de Bugnet : « Je ne connais pas le droit civil : j’enseigne le code Napoléon », cité par J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique, PUF, 2001, p. 236. 211 LE SEYLLIER, Traité du droit criminel, op. cit., p. VII. 212 En effet, les solutions proposées par Le Seyllier sont appuyées par les opinions des anciens criminalistes (Muyart de Vouglans, Jousse, Rousseaud de la Combe et Pothier) mais aussi par celles de : Le Graverend, Carnot, Mangin, Bourguignon, Faustin-Hélie, Chauveau et Boitard pour les ouvrages de droit positif, et enfin, pour la partie théorique du droit pénal, Le Seyllier a recours aux lumières de Grotius, Pufendorf, Beccaria, Bentham et Rossi. 213 V. MOLINIER et G. VIDAL, Traité théorique et pratique de droit pénal, Paris, Rousseau, 1893, 2 volumes. Mais il vrai que ce traité, repris par Vidal après la disparition prématurée de son premier auteur, est offert au public à la fin du siècle, or à cette époque la philosophie du droit pénal fait l’objet de toute l’attention des criminalistes. 214 J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, 2e éd., op. cit., p. 68, note 38.

La doctrine du droit pénal moderne

79

qu’il en donne, il n’y pas lieu de s’étonner que la doctrine se soit fixée pour principale ou

exclusive mission, d’exposer le contenu de cette loi et d’en rechercher les sens possibles.

L’absence de toute allusion à la présomption d'innocence dans le Code d’instruction

criminelle pourrait par conséquent justifier le silence qui caractérise le discours de cette

doctrine du XIXe siècle. Ici encore, traiter du silence s’avère un exercice périlleux, on

pourra cependant dresser les conditions dans lesquelles il a été constaté.

§ 2. LE SILENCE RELATIF À LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE

67. Orientations des recherches. L’absence de toute référence à l’existence de la

présomption d'innocence dans les écrits doctrinaux du XIXe siècle peut être constatée à

deux égards. Le silence des auteurs se manifeste en effet tant pour ce qui a trait à la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que pour ce qui concerne les thèmes

entretenant des rapports avec la présomption d'innocence. On aurait pu trouver trace de la

présomption d'innocence sous la plume des criminalistes s’ils s’étaient proposés de

développer les principes déclarés en 1789. Or, tel n’est pas le cas. Pour ces juristes, la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’est pas une source du droit pénal, tout

juste est-elle parfois évoquée à titre d’inspiration de la législation pénale intermédiaire. La

présomption d'innocence étant réputée inscrite dans la Déclaration, on comprend aisément

que les criminalistes n’aient pas eu l’occasion de traiter du principe contenu dans l’article 9.

Seules les lois de 1791 relatives au droit criminel ou à sa procédure et les codes

napoléoniens constituent les sources du droit pénal moderne.

Ortolan illustre parfaitement cette rupture qui est opérée entre l’ancien droit et le

nouveau. L’auteur fait bien la distinction entre les sources de l’un et de l’autre, mais entre

les deux, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne semble jouer aucun rôle.

Les principes qu’elle a posés n’intéressent pas le pénaliste qui entend étudier les « pénalités,

juridiction et procédure suivant la science rationnelle, la législation positive et la

jurisprudence »215.

Trébutien quant à lui évoquera rapidement le contenu de quelques articles de la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sans pourtant citer l’article 9. Le professeur

rennais explique qu’il n’a pas à l’examiner dans tous ses détails et d’ailleurs, s’agissant des

sources de la procédure criminelle, c’est seulement dans le décret des 8 octobre et 3

novembre 1789 qu’il voit la première source de la nouvelle procédure216.

La Déclaration des droits de l’homme ne sera davantage traitée ni par Molinier, qui

évoque pourtant l’histoire du droit criminel intermédiaire, ni par Faustin-Hélie qui 215 Il s’agit du sous-titre des Éléments de droit pénal, op. cit. 216 E. TRÉBUTIEN, Cours élémentaire de droit criminel, op. cit., tome I.

L’objet dans le discours

80

s’intéresse lui aussi au travail des constituants217. S’agissant des auteurs qui n’ont procédé

qu’à un commentaire des codes napoléoniens, toute recherche d’une allusion à la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et donc à la présomption d'innocence, est

nécessairement vaine. On remarque ainsi que les criminalistes du XIXe, ont une conception

des sources du droit pénal qui repose entièrement sur les sources matérielles positives. Dans

ce cas, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, quelle que soit son importance et

son inscription en tête de la constitution de 1791, ne présente aucun intérêt pour la réflexion

doctrinale.

Néanmoins, et compte tenu de l’image doctrinale de la présomption d'innocence à notre

époque qui se dessine autour de l’idée de principe, rien n’interdit de penser que les auteurs

du XIXe siècle auraient pu la prendre pour objet du discours qu’ils devaient consacrer soit à

la liberté individuelle (B) soit à la preuve (A). Car, bien que non inscrite dans un texte de

droit positif, sa valeur de principe devrait lui conférer une place de choix dans

l’argumentation des auteurs. On pense bien entendu à la question de la charge de la preuve,

dont on considère aujourd’hui qu’elle est le terrain d’élection de la présomption

d'innocence. Mais on doit également songer aux arrestations et à la détention préventive,

qui relèvent des atteintes à la liberté individuelle si ardemment combattues par les lumières

pénales.

A- LE DISCOURS SUR LA PREUVE EN MATIÈRE CRIMINELLE

68. L’absence d’un véritable discours sur la preuve. La première voie qu’il convenait

d’explorer est, par conséquent, celle de la preuve. La présomption d'innocence est-elle

invoquée comme règle de la technique probatoire ? Constitue-t-elle un principe permettant

de décider en cas de doute ? À ces questions, la réponse est résolument négative. Les

criminalistes du XIXe siècle ignorent totalement la formule « présomption d'innocence ».

Les lieux du discours, où elle aurait pu trouver à être employée, sont absents des œuvres

doctrinales. La raison est à rechercher du côté de la preuve. Cette question n’est en effet

pour ainsi dire pas traitée par les criminalistes. C’est une réalité qu’au XIXe siècle les

auteurs ne consacrent plus, contrairement aux anciens, de développements relatifs aux

preuves criminelles.

La doctrine moderne expliquera cela par l’inexistence, dans le Code de 1808 puis dans le

Code de procédure pénale, de dispositions réservées à cette matière218. La plupart des

auteurs se contentant d’une exégèse du Code d’instruction criminelle, et la preuve n’y étant

217 Faustin-Hélie, dans le livre premier portant sur l’histoire et la théorie de la procédure criminelle, réserve en effet un chapitre entier à la présentation de la procédure criminelle depuis 1789 jusqu’au Code d’instruction criminelle, Traité de l’instruction criminelle, op. cit., tome I. 218 V. J. PRADEL, Procédure pénale, 9e éd., 1997, n° 265 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, 2001, n° 192.

La doctrine du droit pénal moderne

81

pas traitée, il ne serait alors pas surprenant de ne trouver aucune étude scientifique qui y soit

relative. L’affirmation doit néanmoins être nuancée. Car s’il est vrai que certains

criminalistes ignorent purement et simplement la question probatoire219, d’autres en

revanche l’évoquent plus ou moins longuement.

Ainsi, il existe bien une entrée au mot preuve dans le répertoire de Morin. L’auteur y

donne un bref historique des modes de preuve qu’il fait suivre d’un court exposé du système

de l’intime conviction et de ses tempéraments. Ce nouveau système de preuve sera

également traité par Ortolan qui offre un développement sur la nature des preuves. Il y est

question des modes de preuves et plus particulièrement de la procédure devant la cour

d’assises, seule juridiction pour laquelle l’intime conviction est expressément prévue. Enfin,

Faustin-Hélie traite longuement de la preuve pénale. C’est tout d’abord dans une

perspective historique que le criminaliste aborde les preuves légales. C’est ensuite un

chapitre entier qui est consacré aux preuves. Ici l’auteur expose et défend le système de

l’intime conviction après avoir défini ce que sont les preuves220. Quoi qu’il en soit, ces

ouvrages si complets et détaillés soient-ils, ne posent pas la question de la charge de la

preuve qui aurait pu nous faire constater une évocation de la présomption d'innocence.

69. La question du bénéfice du doute. Reste alors à envisager, à la périphérie de la preuve,

de l’intime conviction et de la notion d’acquittement, la notion de doute favorable. On sait

maintenant que les anciens criminalistes ont souvent insisté sur la nécessité de pencher du

côté le plus favorable à l’accusé dans les cas douteux. À l’appui de cette solution était

invoqué l’adage satius est impunitum relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnari.

La question se pose alors de savoir si la doctrine du XIXe siècle continue d’invoquer une

telle solution et si elle s’appuie sur le même principe. On peut d’ailleurs également se

demander si ces auteurs utilisent, cette fois à l’instar des pénalistes du XXe et XXIe siècle, la

formule in dubio pro reo. Cette dernière, bien connue, signifie qu’en vertu de la

présomption d'innocence le doute profite à l’accusé.

Or, à une telle question, on doit une fois de plus répondre par la négative. La doctrine

criminaliste du XIXe siècle n’usera ni d’une telle référence au droit romain ni de l’adage in

dubio pro reo221. Cela ne signifie pourtant pas que le doute soit défavorable au prévenu ou à

l’accusé. Simplement cette question n’est pas véritablement traitée par les auteurs. Il faut

convenir que les cas douteux en matière criminelle ne se présentent plus tout à fait sous le

même jour qu’au temps de l’ancien droit. L’adoption de l’intime conviction laisse toute

latitude aux jurés d’assises et au juge des autres juridictions dans l’appréciation des preuves,

219 C’est le cas par exemple de Berriat-Saint-Prix, Trébutien, Bourguignon ou encore Le Graverend. 220 FAUSTIN-HÉLIE, Traité de l’instruction criminelle, op. cit., tome IV. 221 Nous aurons l’occasion d’approfondir plus loin la question de l’origine de cet adage et de la signification attachée à l’emploi qui en est fait dans le discours doctrinal.

L’objet dans le discours

82

si bien que les auteurs paraissent suivre le code sur ce point et s’en remettre à cette seule

appréciation souveraine. Le doute paraît néanmoins devoir conduire à l’acquittement.

C’est ainsi que Ortolan écrit, à propos de la règle des preuves de conscience : « Cette

règle est telle, qu’elle laisse au juré et au juge, dans la question de culpabilité ou de non-

culpabilité, toute l’indépendance de son appréciation(…) Une intime conviction nécessaire

pour condamner, un doute suffisant pour acquitter ». Berriat-Saint-Prix enseigne lui aussi,

au détour d’une phrase, que s’il y a doute alors il faut acquitter le prévenu222. Ces auteurs

n’entendent pourtant pas donner de justification à cette solution. Cela étant, c’est

l’introduction du système de l’intime conviction jointe à celle du jury d’assises qui fait

naître la question du doute résultant d’un partage des voix à l’issue du vote sur la

culpabilité. La question du partage des voix se pose spécialement dans le cadre d’un procès

par jury constitué d’un nombre pair de jurés. Or, si elle présente une certaine nouveauté en

droit français à cette époque, elle se posait de longue date comme en témoigne par exemple

l’œuvre d’Eschyle qui offre à cet égard une solution. Dans ses Euménides, le tragédien

attribue à Athena la formulation de la règle selon laquelle Oreste, jugé pour le meutre de sa

mère, sera « vainqueur même si les suffrages sont égaux des deux côtés ».Or, après

décompte des voix, Athena déclare : « Cet homme est absous de l’accusation de meutre ;

les suffrages sont en nombre égal des deux côtés »223.

La même difficulté est soulevée par certains criminalistes du XIXe siècle et Le Seyllier

offre une solution conforme à la justice d’Athena. À la question : « Si les juges se

trouvaient en nombre pair et qu’il y eût partage, le doute s’interprèterait-il en faveur du

prévenu, et l’acquittement devrait-il être prononcé », le criminaliste répond que

« L’affirmative ne saurait être douteuse ». Le Seyllier justifie sa position en indiquant que :

« Jusqu’à ce qu’on lui ait prouvé sa culpabilité, le prévenu reste en possession de son

innocence ; et comme la preuve de sa culpabilité ne résulte point du partage entre les juges,

la conséquence en est qu’il doit être considéré comme innocent, et dès lors acquitté »224.

Or, qui ne verrait aujourd’hui, dans de telles affirmations, une formulation ou une

conséquence du grand principe de la présomption d'innocence ? Pourtant, la solution

préconisée n’est pas déduite d’un principe de présomption d’innocence. Si la solution

ressemble fortement à ce que la doctrine actuelle présenterait comme l’expression de la

présomption d'innocence, il n’en reste pas moins que, dans notre recherche, la présomption

d'innocence est envisagée en tant qu’objet ou élément du discours doctrinal, et qu’il faut

bien admettre qu’elle n’est pas chez Ortolan ou Le Seyllier, un principe étudié, formulé. On 222 Cours de droit criminel, op. cit., observations préliminaires à la deuxième partie portant sur la procédure criminelle. 223 V. C.-M. LECONTE DE LISLE, Les Euménides in Eschyle, traduction nouvelle, Paris, Lemerre, 1872, pp. 307-308. 224 Traité de droit criminel, op. cit., tome III, n° 933.

La doctrine du droit pénal moderne

83

aura d’ailleurs remarqué que la présomption de l’innocence dont il est question ici n’est pas

une présomption juridique. En réalité, il s’agit là, comme les décisions de jurisprudence

citées par l’auteur en témoignent, d’une application de l’ordonnance de 1670 qui prévoyait

déjà que les jugements passeraient à l’avis le plus doux. Du constat du doute résulte une

présomption en faveur de l’innocence. Ce n’est donc pas l’innocence présumée qui dicterait

la règle du doute favorable.

Morin expose la même solution du doute favorable. C’est au sujet de la distinction entre

l’absolution et l’acquittement en cour d’assises qu’il affirme qu’en cas de doute, le juge est

convié par la loi et l’humanité à s’abstenir de toute condamnation225. Morin nuance

cependant cette affirmation en expliquant que, celui qui n’a échappé à la peine qu’en raison

de l’absence d’incrimination ne doit pas être traité avec la même faveur que « celui pour

lequel il y a présomption d’innocence ». Morin, comme Le Seyllier, voit dans le doute sur la

culpabilité une présomption en faveur de l’innocence. Cette présomption n’est cependant

pas plus définie ni développée chez l’un et l’autre auteur.

70. La présence de « morceaux de présomption d’innocence ». La même remarque

pourrait être formulée à propos de Faustin-Hélie. Cet auteur emploie l’expression

présomption d’innocence dans un autre domaine. Bien que Faustin-Hélie ne traite pas de la

présomption d'innocence ni ne l’évoque véritablement, un passage du traité a cependant

retenu l’attention de M. Essaïd226. Et il faut bien admettre que le passage cité par cet auteur

autorise à y voir la formulation de la présomption d'innocence. Faustin-Hélie écrit en effet :

« L’accusé sur lequel pesait tout à l’heure la présomption de culpabilité se trouve protégé

par une présomption d'innocence. C’est à l’accusation à faire la preuve, et la défense peut

la débattre »227. C’est au sujet des systèmes inquisitoire et accusatoire applicables

respectivement à la phase préparatoire et à la phase d’audience du procès, que l’auteur

s’exprime ainsi. La remarque s’explique ainsi : alors que dans la phase d’instruction, les

charges de culpabilité conduisent à la mise en accusation, une fois devant le tribunal ou la

cour d’assises, le juge ne puisera sa conviction que dans ce qui se dira à l’audience. On le

voit, la présomption d’innocence est une expression utilisée par Faustin-Hélie. Il reste

cependant difficile de connaître la signification et la place que le criminaliste lui reconnaît.

Il semble qu’il s’agisse là du seul passage de Faustin-Hélie où il en est question. On

admettra que c’est peu et que c’est très insuffisant pour nous autoriser à conclure que la

225 Répertoire général et raisonné du droit criminel, op. cit., v° Absolution-Acquittement. Cette distinction n’existe plus aujourd’hui, seul subsiste le terme d’acquittement. L’acquittement résulte d’une déclaration de non-culpabilité de la part du jury. L’absolution est quant à elle prononcée lorsque la culpabilité a bien été reconnue, mais que le fait n’est pas punit par la loi. Dans les deux hypothèses, l’accusé échappe à toute condamnation. 226 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit. 227 FAUSTIN-HÉLIE, Traité de l’instruction criminelle, op. cit., tome IV, n° 1560.

L’objet dans le discours

84

présomption d’innocence constitue un objet du discours de ce criminaliste. Plus

simplement, il ne semblerait pas exact de conclure que Faustin-Hélie parle bel et bien de la

présomption d’innocence dans son traité d’instruction criminelle.

Bien que la présomption d’innocence ne constitue pas un objet du discours doctrinal au

XIXe siècle, il convient de noter que la signification que l’on donne à la présomption

d’innocence de nos jours n’est pas totalement étrangère au discours des criminalistes. Il

existe bien des éléments, des « morceaux de présomption d’innocence » dans les œuvres

doctrinales de cette époque. Cela dit, une simple consultation des ouvrages de procédure

criminelle du XIXe siècle en même temps que celle d’un ouvrage contemporain, suffirait à

faire éclater cette différence significative : dans les seconds il est question de la

présomption d’innocence, dans les premiers, la notion est ignorée. Cette ignorance est

criante au-delà du domaine de la preuve. En effet, le silence qui affecte la présomption

d’innocence, se manifeste jusque dans le domaine de la liberté individuelle.

B- LA QUESTION DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE

71. Les détentions avant jugement. La liberté individuelle, à laquelle il est gravement

porté atteinte par les arrestations et les mises en détention préventive, aurait pu donner aux

criminalistes l’occasion d’exprimer l’existence d’une présomption d’innocence venant en

garantir l’effectivité. C’est en tout cas le rapprochement qui est opéré par les auteurs

contemporains. Or, au XIXe siècle, la question de l’atteinte à la présomption d’innocence,

que constitue toute détention avant jugement, n’est pas soulevée par les auteurs. S’ils

reconnaissent la nécessité de limiter les cas autorisant une telle privation de liberté, le

discours de ces auteurs semble malgré tout souligner la nécessité de cette mesure.

Ortolan ne justifiera pas la nécessité d’atténuer le mal résultant de la détention

préventive, par la présomption d’innocence. Il se contente de souligner que « Quelles que

soient les présomptions, on n’a sous la main qu’un inculpé et non un condamné ; un homme

qui paye de sa liberté les besoins de la justice sociale»228.

72. La réforme de l’instruction préparatoire. Le lien entre la liberté et la présomption

d'innocence aurait pu donner lieu à des commentaires lorsque la grande loi du 8 décembre

1897 a été votée. Or il semble que ce ne soit pas le cas. Le premier projet de réforme de

l’instruction criminelle préparatoire date de 1879 et devait donner lieu à de longs débats et

contre-projets avant d’aboutir à la loi de 1897. La loi du 15 juin 2000 renforçant la

protection de la présomption d'innocence a été considérée comme la plus grande réforme de

procédure pénale depuis la loi de 1897 « ayant pour objet de modifier certaines règles de

l’instruction préalable en matière de crime et de délit ». Si le titre de la loi était modeste,

228 E. ORTOLAN, Éléments de droit pénal, op. cit., 4e éd., n° 2213.

La doctrine du droit pénal moderne

85

l’enjeu était quant à lui important puisqu’il s’agissait de fortifier le principe de la liberté

individuelle et d’entourer de garanties plus complètes les droits de la défense. Cette réforme

répond à l’idée assez répandue que les pouvoirs du juge d’instruction sont beaucoup trop

étendus229. L’objectif du projet était de rendre la phase préparatoire du procès pénal un peu

plus contradictoire en permettant à l’inculpé de connaître les charges pesant contre lui, et

surtout en l’autorisant à être assisté d’un conseil durant les interrogatoires et comparutions.

Mais contrairement à la loi de l’année 2000 qui poursuit et atteint des objectifs du même

ordre, cette loi de 1897 ne trouve pas sa justification dans le souci de protéger l’innocent ou

la présomption d'innocence. C’est la protection de la liberté individuelle que l’on voulait ici

renforcer. La présomption d’innocence a pourtant semble-t-il quelque chose à voir avec la

philosophie qui animait les réformateurs de 1897 puisqu’en rendant l’instruction moins

secrète et plus contradictoire, c’est l’innocence qui trouvait une protection accrue grâce au

renforcement des droits de la défense.

Aussi, a-t-on pu trouver une telle idée exprimée en mars 1882 par M. Dauphin, auteur

d’un rapport sur le premier projet de la loi, et qui s’adresse aux parlementaires pour les

convaincre de la nécessité de la réforme entreprise : «Tous les criminalistes sont d’accord

pour reconnaître que les garanties données par la législation actuelle à la défense pendant

l’instruction préparatoire sont insuffisantes. Le Code d’instruction criminelle n’a voulu

connaître et assurer que l’intérêt social. Réduisant à une formule la présomption

d’innocence pendant l’information, pour la faire renaître plus tard devant le juge du fond,

il a investi le magistrat instructeur d’une puissance arbitraire et pris en toutes choses le

contre pied du système de la contradiction» 230.

73. L’arlésienne du discours doctrinal. L’allusion faite par ce député est forte, elle n’est

finalement pas autre chose qu’une référence à l’existence de la présomption d’innocence.

Ici, la présomption d’innocence apparaît implicitement comme un objet connu. Pourtant, et

au vu du silence général jusqu’alors constaté, la présomption d’innocence se présente

comme l’arlésienne du discours criminaliste. Alors que les auteurs semblent la connaître,

évoquent son existence, elle n’est pas plus un objet d’étude qu’une règle inscrite dans la loi.

C’est donc bien le silence qui caractérise le mieux le discours étudié. La présomption

d’innocence n’y figure manifestement pas comme objet à part entière. Elle y semble

vaguement présente mais en filigrane, de façon quasiment imperceptible, sous forme de

fragments de présomption d’innocence. On peut émettre alors l’hypothèse que la meilleure

229 Faustin-Hélie s’en inquiétait vivement puisque d’une part, il déplorait l’absence de limites posées par le Code d’instruction criminelle aux pouvoirs du juge d’instruction, Traité de l’instruction criminelle, op. cit., n° 1562 ; et d’autre part, il avait fourni un gros travail préparatoire au premier projet de la loi de 1897 en présidant une commission extra-parlementaire. 230 Cité au DP 1897. 4.114.

L’objet dans le discours

86

explication de ce silence réside dans l’absence de véritables développements consacrés à la

preuve pénale.

Si à notre époque aucun manuel ou traité de droit pénal ne néglige d’étudier les preuves

pénales, il n’en a pas toujours été ainsi. On convient pourtant en doctrine de l’importance de

cette question en admettant que « La procédure pénale tout entière gravite autour du

problème de la preuve »231. Certains criminalistes du XIXe siècle ont saisi cette importance

et ont entrepris l’élaboration d’une théorie de la preuve. Ces auteurs sont peu nombreux, ce

sont ceux que l’on nommera, pour les opposer aux simples commentateurs des codes

criminels, les théoriciens de la preuve. Ils ont en effet fourni une littérature spécifiquement

consacrée à la preuve qui s’inscrit en marge des traités classiques. C’est dans cette

littérature que l’on trouvera les premières bases du discours moderne sur les preuves et la

présomption d’innocence. Cette évocation de la présomption d’innocence par les théoriciens

de la preuve criminelle sera traitée dans une seconde section.

231 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, op. cit., 5e éd., n° 140.

La doctrine du droit pénal moderne

87

SECTION 2 : L’ÉVOCATION PAR LES THÉORICIENS DE LA PREUVE CRIMINELLE

74. Des œuvres consacrées à la théorie des preuves. Les auteurs que l’on a ici choisi de

nommer les théoriciens de la preuve criminelle ont contribué, chacun à leur manière, à

donner une vue générale, abstraite et complète des questions de preuves, et plus

particulièrement des preuves criminelles. La doctrine du XXe siècle ne cessera de se référer

à ces traités dont l’autorité est unanimement reconnue. Aussi, l’ouvrage de droit criminel de

MM. Merle et Vitu ne manque-t-il pas de signaler les œuvres qui nous intéressent ici : le

traité des preuves judiciaires du célèbre jurisconsulte anglais Bentham232, celui de

Bonnier233 et enfin celui du criminaliste allemand Mittermaier234.

C’est très certainement sous l’influence de ces études que Garraud et Vidal introduiront,

au début du XXe siècle, l’étude des preuves pénales dans leurs ouvrages de droit criminel.

Au XIXe siècle, la présomption d’innocence n’est pas le principe cardinal qui domine la

question de la preuve pénale. Seul Bentham l’évoque véritablement et nous établirons dans

quelles circonstances. Quant à Bonnier et Mittermaier, ils semblent tourner autour de la

question sans jamais l’aborder précisément.

§ 1. BONNIER ET MITTERMAIER

75. Charge de la preuve et insuffisance de preuve. C’est une nouvelle fois le discours

doctrinal pénal contemporain qui fournira une grille de lecture des théories de la preuve.

Ainsi, deux questions en particulier doivent guider la recherche de la présomption

d’innocence dans ces œuvres. La première est celle de savoir qui, de l’accusateur ou du

défendeur, doit prouver devant le juge. Dans le prolongement de cette question, il s’agit

également de s’intéresser à la manière dont ces auteurs ont abordé et traité la question de

savoir ce qu’il convient de décider en cas de preuve imparfaite, ou d’insuffisance de

preuves. Bonnier et Mittermaier traitent effectivement de ces questions, mais ils

n’utiliseront jamais l’expression présomption d’innocence pour justifier, illustrer ou

expliquer les solutions qu’ils préconisent. 232 J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, par Etienne DUMONT, Paris, 2e éd., 1830, 2 tomes. Dumont, le traducteur et « compilateur » des manuscrits de Bentham, explique dans la préface que dans ce traité « la pure théorie est l’essentiel », et que le sujet est traité sous le point de vue le plus général et le plus applicable à toutes les nations. L’ambition de l’auteur et ou de son traducteur était de mettre l’homme de loi en état de juger des preuves par des principes raisonnés, p. vij. 233 E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, Paris, Plon, 5e éd., 1888. 234 C.-J.-A. MITTERMAIER, Traité de la preuve en matière criminelle, trad. C. A. ALEXANDRE, Paris, Cosse et Delamotte, 1848. La référence à ces trois auteurs au seuil d’une récente étude en matière de preuve atteste bien de la permanence de leur autorité, V. E. MOLINA, La liberté de la preuve des infractions en droit français contemporain, PUAM, 2001, p. 15, note 6.

L’objet dans le discours

88

Pour Bonnier, la réponse à la question qui doit prouver ? est à rechercher dans les règles

d’origine romaine ramassées dans les formules onus probandi incumbit actori et reus in

excipiendo fit actor. En matière criminelle, l’application de la seconde règle, selon laquelle

le défendeur doit prouver les exceptions qu’il soulève, est écartée par cet auteur. L’accusé

n’a pas à rapporter une preuve aussi complète que l’accusation, surtout dans un système

inquisitoire235. Enfin, dans les cas où la preuve s’avérerait insuffisante, l’auteur invoque la

solution tirée de l’adage actore non probante reus absolvitur : le demandeur doit succomber

dans ses prétentions s’il n’est pas parvenu à prouver ce qu’il avance. Il ajoute même :

« c’est surtout en matière criminelle que cette maxime doit être considérée comme

sacrée »236. Bonnier plaide donc bien pour que le doute profite à l’accusé, et quoiqu’il se

réjouisse de la disparition de la pratique du hors de cours de l’ancien droit, la présomption

d’innocence ne semble avoir jamais trouvé l’occasion d’être exprimée sous la plume de ce

théoricien.

Une brève allusion semble en revanche y avoir été faite par Mittermaier, mais l’auteur

allemand n’utilisera pas davantage l’expression présomption d’innocence. De plus, c’est

pour le rejeter qu’il évoque l’adage « Quilibet proesumitur bonus, donec contrarium

probetur ». En effet, Mittermaier s’interroge sur le sens rigoureux que peut revêtir

l’expression fardeau de la preuve en matière criminelle237 car, il lui paraît évident que dans

un système inquisitoire comme celui de la procédure criminelle allemande (mais qui est en

vigueur également en France) le magistrat instructeur recherche la vérité en s’intéressant

aussi bien à la preuve à charge qu’à celle qui déchargerait l’accusé. Le pouvoir, dit-il, est

obligé de prouver les faits dont l’existence entraîne l’application de la peine. Cette

remarque est cependant complétée par une réserve tenant à sa justification : « Et qu’on ne

vienne pas arguer ici du fameux adage « Quilibet proesumitur bonus, donec contrarium

probetur » ; quoi qu’on en dise, cette présomption d’honnêteté ne change pas le fond des

choses ; elle n’est d’ailleurs pas établie sur des textes de loi et mènerait rapidement aux

plus fausses conséquences (…). Cette présomption serait enfin complètement superflue ; il

ressort parfaitement sans elle en principe que la preuve des faits de l’inculpation incombe à

celui qui, pour raison d’illégalités commises, s’efforce à faire tomber un citoyen sous le

coup d’une condamnation judiciaire ; car se contenter d’affirmer sa culpabilité ne serait

pas chose suffisante, il s’en faut ».

Le criminaliste ajoutera que, l’opinion selon laquelle l’accusé en matière d’exception

doit prouver les faits, est insoutenable en matière criminelle238. S’agissant de l’insuffisance

235 E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et criminel, op. cit., n° 36. 236 E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et criminel, op. cit., n° 50. 237 C.-J.-A. MITTERMAIER, Traité de la preuve en matière criminelle, op. cit., p. 153 et s. 238 C.-J.-A. MITTERMAIER, Traité de la preuve en matière criminelle, op. cit., p. 160.

La doctrine du droit pénal moderne

89

des preuves ou des preuves dites imparfaites, Mittermaier retient le principe formulé par

l’adage accusatore non probante, accusatus absolvitur. Il explique alors : « L’on sait que la

condition essentielle de toute condamnation pénale est la démonstration complète des faits

reprochés ; que jusqu’à ce qu’elle soit pleine et entière, l’accusé doit être tenu pour

innocent ; dès lors, nul doute ne peut s’élever sur les effets de la preuve imparfaite. Le

prévenu, en pareil cas, doit être purement et simplement acquitté »239.

Les solutions ici proposées par Bonnier et Mittermaier sont bien celles que les

criminalistes développeront aux XXe et XXIe siècles autour de la notion de présomption

d’innocence. Cela ne fait aucun doute. Mais il semble cependant encore trop tôt pour

utiliser la formule de présomption d’innocence au soutien des solutions avancées. Pourtant,

on observera que Jeremy Bentham l’utilisera bien avant, sans que Bonnier, qui donne la

première édition de son traité en 1843, ou Mittermaier, qui écrit en 1834 et se trouve traduit

en 1848, ne reprennent l’expression.

§ 2. L’ÉVOCATION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE PAR BENTHAM

76. Sur l’œuvre de Bentham. Jérémie Bentham, ami de la France dont il fut fait citoyen en

1792, fut bien plus qu’un théoricien de la preuve judiciaire. Son œuvre, immense, est

d’ailleurs davantage philosophique et politique que juridique. Toutefois, les criminalistes

ont su exploiter une partie des travaux du jurisconsulte britannique qui portait sur les

preuves. Les juristes français se réfèrent ainsi volontiers au fameux traité des preuves

judiciaires de Bentham. En réalité, comme de nombreux pans de son œuvre, ce traité n’a

jamais été écrit par Bentham. La version française à laquelle on a coutume de se référer est

bien plus qu’une traduction, il s’agit d’une œuvre de composition du suisse Etienne

Dumont, à partir des manuscrits de Bentham. M. van de Kerchove rappelle à cet effet que

« Dumont s’est efforcé, plus que jamais, de synthétiser la pensée de Bentham et de la

rendre plus accessible, en omettant surtout la partie critique portant sur la procédure

anglaise et en retenant les vues les plus universalisables de l’auteur »240. La première

édition du traité des preuves judiciaires par Dumont date de 1823241 et la seconde de

1830242. Bentham, qui n’était pas parvenu à achever son œuvre, avait semble-t-il seulement

réussi à publier un sommaire de son ouvrage en anglais en 1812243. Il faut attendre 1827

239 C.-J.-A. MITTERMAIER, Traité de la preuve en matière criminelle, op. cit., p. 482. 240 M. VAN DE KERCHOVE, Le système des preuves en droit chez Bentham, Recherches et rencontres, 1993, n° 4, p. 73. 241 J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, par Etienne Dumont, Paris, Bossange, 1823, 2 volumes. 242 Paris Bossange, 2e éd., 1830, 2 volumes. On retrouve en outre ce traité au sein des œuvres de Jérémie Bentham publiées là encore par Dumont, V. Oeuvres de Jérémie Bentham, par Etienne Dumont, Bruxelles, Hauman, 1829, 3 volumes. 243 M. VAN DE KERCHOVE, Le système des preuves en droit chez Bentham, op. cit., p. 73.

L’objet dans le discours

90

pour que Stuart Mill244 entreprenne de publier l’essentiel des réflexions de Bentham, soit

quatre années après la mise en ordre des manuscrits de Bentham par Dumont en langue

française. Ce n’est donc qu’à travers le travail de Dumont et son traité des preuves

judiciaires que nous connaissons les réflexions de Bentham sur la preuve245. Toutefois

l’usage, auquel il ne sera pas dérogé ici, veut que l’on considère Bentham comme l’auteur

de ce traité.

77. La présomption d’innocence dans le traité des preuves judiciaires. L’utilisation de

l’expression « présomption d’innocence » par Bentham présente des particularités qu’il

convient de souligner. Sans anticiper sur la suite des développements consacrés à la

signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal, on doit d’ores et déjà

signaler que Bentham n’entend pas la présomption d’innocence comme certains ont pu le

laisser penser. C’est en effet avec beaucoup d’assurance que M. Essaïd a cru pouvoir

s’appuyer sur Bentham pour illustrer l’attachement de l’école classique à la présomption

d’innocence246. Le traité des preuves judiciaires évoque bien une présomption de

l’innocence et ce à deux reprises, reste à mesurer l’importance de cette référence.

Dans un premier temps, c’est à propos des considérations à opposer aux cinq

présomptions antécédentes faisant l’objet d’un chapitre XV, que Bentham écrira : « Il faut

partir d’un point fixe : l’innocence doit se présumer » et d’ajouter : « Ce n’est pas ici une

de ces belles maximes d’humanité qui fait plus d’honneur au cœur qu’à l’expérience de

ceux qui les soutiennent, c’est une maxime fondée sur des bases solides »247. Comme le

notera M. Essaïd, le fondement de cette présomption générale d’innocence évoquée par

Bentham réside dans l’existence de ce que le jurisconsulte appelle les quatre sanctions

tutélaires248. Cela étant, Bentham envisage cette présomption abstraitement et de façon

générale puisqu’il précise que, dès lors qu’un crime est commis, elle se trouve

contrebalancée par des circonstances « inculpatives » résultant de la situation spéciale créée

par la commission de l’infraction.

Dans un second temps, la présomption d’innocence sera évoquée dans un chapitre

consacré aux présomptions antéjudiciaires249. A cet égard, la première affirmation de

Bentham consiste à désigner le demandeur comme bénéficiaire de la présomption favorable.

244 The Rationale of Judicial Evidence, Specially Applied to English Practice, edited by John Stuart Mill, London, Hunt & Clarke, 1827, 5 volumes. 245 C’est la raison pour laquelle nous considérons que les « œuvres » de Bentham citées dans ce travail peuvent être classées parmi les ouvrages écrits au XIXe siècle, quand bien même Bentham aurait vécu et écrit au XVIIIe siècle. Cette considération justifie par conséquent le classemnt opéré dans la partie bibliographique de ce travail. 246 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 88. 247 J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, op. cit., 2e éd., 1830, tome I, p. 396. 248 Sur le fondement de la présomption d’innocence chez Bentham, V. infra, n° 348. 249 J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, op. cit., tome II, p. 11 et s.

La doctrine du droit pénal moderne

91

La seconde, venant relativiser la première, précise qu’en matière pénale, et surtout en

matière grave, la présomption doit être en faveur de l’innocence, ou du moins, ajoute-t-il,

on doit agir comme si cette présomption était établie. Bentham précisera en outre qu’en

dépit de l’existence d’une présomption contre l’accusé, « il faut agir comme si la

présomption était établie en sa faveur, et en conséquence, le juge doit avoir pour maxime

qu’il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent ». Force est

de reconnaître que Bentham évoque bien là la présomption d’innocence dont on cherchait la

trace dans le discours doctrinal. On remarquera également qu’il établit un lien étroit entre la

présomption en faveur de l’accusé et la règle tirée du droit romain selon laquelle il vaut

mieux laisser échapper un coupable que de perdre un innocent.

Il faut cependant attirer l’attention sur deux points qui contribuent à minimiser

l’importance que l’auteur a pu accorder à la présomption d’innocence. En effet, d’une part

la présomption d’innocence n’est abordée par Bentham dans ce second endroit du traité des

preuves qu’à propos des preuves inférieures, admises faute de mieux ou comme pis-aller,

lesquelles font l’objet d’un livre six. C’est dire que la présomption d’innocence n’est pas

envisagée par Bentham comme les auteurs le feront au XXe siècle, c'est-à-dire comme un

principe dominant tout le droit de la preuve. D’autre part, l’attachement de Bentham à la

présomption d’innocence apparaît tout relatif puisqu’il la contredit par ailleurs.

78. Un attachement tout relatif à la présomption d’innocence. Bentham a commencé à

écrire à l’époque de la Révolution française, lecteur de Beccaria, il était en outre lié avec

quelques acteurs des réformes et rédacteurs de la Déclaration comme Mirabeau et Morellet.

Le jurisconsulte anglais était donc connaisseur de la France mais sa pensée était critique à

l’égard de la philosophie du contrat social et il repoussait les principes proclamés par la

Déclaration des droits250. Pour s’en convaincre, il n’est que de consulter l’un de ses écrits,

semble-t-il assez méconnu251, dans lequel la Déclaration des droits de l’homme et du

citoyen fait l’objet d’un examen systématique, article par article, et véritablement critique.

L’article 9, siège de la présomption d’innocence selon la doctrine moderne, n’est pas

épargné par les remarques de Bentham.

Il commente ce texte de la façon suivante : « La première maxime, quoique triviale, n’en

est pas plus conforme à la raison, et si elle était vraie, elle renverserait le règlement qu’elle

est destinée à justifier. Dire qu’un homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été

déclaré ou jugé coupable, c’est dire une absurdité. Il doit être présumé innocent aussi

longtemps qu’il n’y a point d’accusation portée contre lui, ou mieux encore, aussi

250 M. EL SHAKANKIRI, La philosophie juridique de Jeremy Bentham, Paris, LGDJ, 1970, p. 24. 251 Oeuvres de Jérémie Bentham, 3e éd., par E. DUMONT, Bruxelles, Société belge de librairie, 1840. t. I, Traité des sophismes politiques. L’examen de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, p. 509 et s. est inclus dans les Sophismes anarchiques.

L’objet dans le discours

92

longtemps qu’il n’y a point de circonstances qui fasse présumer le contraire. Mais une

accusation est déjà une présomption qu’il peut être coupable, et dire qu’il est encore

présumé innocent, c’est dire qu’il n’y a point de raison de le priver de sa liberté.(…) Il

suffisait de dire que toute rigueur non nécessaire, devait être réprimée par la loi » .

Il y a là une discussion sur le sens qu’il convient de donner aux expressions « présumé

innocent » et « présomption d’innocence », sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir

dans le détail252, mais on peut noter dès à présent que l’existence et l’usage de la formule

présomption d’innocence est en rapport avec ce que les auteurs y entendent. Or dans le cas

présent, il est manifeste que Bentham n’entend la présomption d’innocence ni comme les

constituants de 1789, ni comme M. Essaïd et l’ensemble de la doctrine pénaliste des XXe et

XXIe siècles. Il n’en reste pas moins vrai que Bentham est le criminaliste qui a

véritablement évoqué la présomption d’innocence pour la première fois.

79. Conclusion. Dès lors, il convient d’admettre que la formule présomption d’innocence

n’apparaît dans le discours doctrinal que tardivement et d’une façon finalement très

discrète. Ainsi, il est certain que jusqu’à la fin du XIXe siècle la présomption d’innocence

ne constitue pas un objet du discours doctrinal pénal. Si les criminalistes consacrent souvent

les solutions qui, normalement découlent de la présomption d’innocence, cette notion leur

reste pour une large part inconnue. L’usage sporadique de l’expression présomption

d’innocence ou de formules avoisinantes ne semble pas devoir s’analyser en signe

annonciateur de l’émergence d’une notion nouvelle qui chercherait à s’exprimer. Il semble

que cet usage corresponde, non pas à la désignation d’une règle ou d’un principe naissant,

mais d’une sorte de réalité à peine perçue par les auteurs sans qu’elle soit autrement

explorée253.

Ce n’est donc pas dans le discours des criminalistes des XVIIIe et XIXe siècles que la

présomption d’innocence trouve à s’exprimer, pour cela il faudra attendre les dernières

années du XIXe. C’est là une curiosité à laquelle l’on ne s’attend pas nécessairement si l’on

étudie la présomption d’innocence à travers les œuvres doctrinales contemporaines. En

réalité, l’émergence de la présomption d’innocence dans le discours des pénalistes s’est

réalisée dans des conditions bien particulières. Ce sera l’objet d’un titre second que d’en

rendre compte.

252 V. infra, n° 279 et s. 253 À propos de l’émergence d’un concept comme idée qui parvient à s’affirmer et à se dire telle, V. infra, n° 379 et s.

93

TITRE 2 L’ÉMERGENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE COMME OBJET

DE DISCOURS AU XXe SIÈCLE

80. Émergence d’un objet de discours identifiable. L’attention portée aux écrits

doctrinaux a montré que la présomption d'innocence ne constitue pas un objet de

description, d’explication ou de discussion de la part des plus éminents criminalistes des

XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Pourtant, pour qui consulte aujourd’hui la littérature

juridique, il ne fait aucun doute que la présomption d'innocence est bien un objet du

discours juridique savant. Le passage de l’un à l’autre de ces deux constats se caractérise

par l’émergence de la présomption d'innocence comme objet de discours. La présomption

d'innocence, qui n’avait été jusque là qu’évoquée et sous des formes variées, va émerger en

tant qu’objet identifiable par l’usage désormais constant de la formule présomption

d'innocence. Alors que l’expression n’avait pas encore trouvé sa forme dans le discours

antérieur, elle se fixe au XXe siècle et marque l’avènement d’un concept. L’émergence de la

présomption d'innocence, comme objet de discours, peut-être envisagée selon deux

mouvements successifs. Elle débute en effet par une introduction brutale de la présomption

d'innocence dans les écrits doctrinaux (Chapitre 1). Elle se poursuit, au cours du XXe siècle,

par une consécration progressive de ce nouvel objet (Chapitre 2). La présence de la

présomption d’innocence dans la littérature spécialisée se pérennisera au point de constituer

un lieu commun du discours pénal.

95

CHAPITRE 1 L’INTRODUCTION DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE

DISCOURS DOCTRINAL

81. Recherche d’un élément déclencheur. L’apparition brutale de la présomption

d'innocence dans le discours doctrinal invitait à rechercher quel pouvait en être l’élément

déclencheur. Ce n’est pas une modification du droit criminel positif qui a conduit la

doctrine à discourir sur la présomption d'innocence. On le sait maintenant, aucun texte n’a

consacré la présomption d'innocence avant les lois de 1993 et 2000254. Lorsque la doctrine

se met à évoquer l’existence d’une présomption d'innocence, elle n’entend pas davantage

décrire l’élaboration d’une théorie jurisprudentielle. L’élément déclencheur semble devoir

être recherché ailleurs. La doctrine ne s’expliquant pas sur l’apparition de ce nouvel objet

de discours, il a fallu formuler une hypothèse explicative à partir d’une observation

empirique de la littérature criminaliste. Or, au terme de cette observation il est apparu que

lorsque la doctrine a évoqué pour la première fois la présomption d'innocence, de façon

significative, il s’agissait de faire référence au discours de l’école positiviste italienne.

Aussi conviendra-t-il, pour décrire le processus d’émergence de la présomption

d'innocence dans le discours doctrinal, de formuler l’hypothèse selon laquelle ce n’est qu’à

la suite et en réaction au discours de l’école criminologique italienne, que les pénalistes

français ont introduit la présomption d'innocence dans leurs traités de procédure pénale

(Section 1). En outre, l’émergence de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal

peut être envisagée d’un point de vue plus large prenant en compte non plus la constitution

du discours mais son contexte. Il s’agira alors de poursuivre l’hypothèse en recherchant

dans quelle mesure les bouleversements qui ont affecté la science du droit pénal à la fin du

XIXe siècle ont pu contribué à l’élaboration du discours doctrinal français (Section 2).

254 Seul le droit interne est ici visé, bien entendu, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme ont, comme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, consacré une disposition affirmant que tout accusé est présumé innocent.

L’objet dans le discours

96

SECTION 1 : L’APPARITION DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL

82. L’hypothèse. Le moment à partir duquel la présomption d'innocence fait son entrée

dans le discours des criminalistes français peut être datée avec une certaine précision. C’est

en 1903 que René Garraud signale son existence dans son Précis de droit criminel. Ce n’est

cependant pas le célèbre pénaliste français qui « invente » l’expression. L’usage qu’il en fait

est très spécial, puisqu’il s’agit pour lui de rapporter un autre discours. En effet, la

présomption d'innocence semble être apparue pour la première fois, en tant que véritable

objet d’un discours savant, sous la plume du criminaliste italien Enrico Ferri qui décidait de

la combattre. Ce n’est que dans une présentation puis une réfutation des opinions émises par

cet auteur que le criminaliste français traitera à son tour de la présomption d'innocence. Plus

précisément, c’est la formulation de la présomption d'innocence par Enrico Ferri qui

donnera à René Garraud l’occasion de l’évoquer lui-même. L’hypothèse se vérifie

lorsqu’on considère qu’à partir de ce moment la présomption d'innocence ne cessera plus

jamais d’être l’objet du discours doctrinal. L’ensemble de la doctrine pénale traitera alors de

la présomption d'innocence et une grande partie des auteurs rapportera, pendant longtemps,

les arguments élevés par Ferri à l’encontre de la présomption d'innocence. Le rôle du

discours positiviste sur la constitution du discours doctrinal français doit par conséquent

s’apprécier au regard d’une part, des opinions du criminaliste italien (§1.) et d’autre part,

des réfutations proposées par les auteurs français (§2.).

§ 1. LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE DISCOURS DE ENRICO FERRI

83. Ferri : théoricien d’une nouvelle science pénale. Enrico Ferri est un auteur bien

connu dans l’histoire de la science pénale. Il est généralement considéré comme l’un des

plus illustres représentants de l’école positiviste italienne. Juriste, criminologue et

parlementaire, il a participé grandement à la naissance de la criminologie à la fin du XIXe

siècle255. Grâce à l’essor que connaissent alors les sciences, de nouvelles disciplines prenant

pour objet le crime et le criminel émergent. Grâce aux données fournies par l’anthropologie

et la statistique criminelles, tout un système de défense sociale se construit sous la plume du

professeur italien.

Ferri s’illustre par ses travaux de sociologie criminelle et par les réformes que cette

discipline suggère. C’est en réalité à une véritable refondation du droit pénal que travaille

cet auteur. Son œuvre débute avec la publication des Nouveaux horizons du droit pénal en

255 Sur l’école positiviste italienne, V. infra, n° 96 et s.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

97

1881, qui s’enrichira considérablement au fil des éditions et prendra pour titre La sociologie

criminelle256. L’ouvrage, volumineux, consacre une large partie aux réformes pratiques qui

doivent découler des nouvelles théories. Ces réformes, que l’auteur appelle de ses vœux et

qu’il verra en grande partie consacrées dans diverses législations européennes, concernent

aussi bien le droit pénal que la procédure criminelle. Ferri admet cependant que, « si les

théories positivistes réduisent de beaucoup l’importance pratique du code pénal, d’autre

part, elles augmentent bien plus celle des lois de procédure pénale »257. Ainsi, l’auteur

entend-t-il établir les directions à prendre en ce domaine. Les théories positivistes

conduisent à introduire deux principes généraux guidant la réforme de la procédure pénale.

Il s’agit tout d’abord de rétablir l’équilibre entre les droits de l’individu et ceux de la

société. Il s’agit ensuite de modifier l’office du juge pénal. Celui-ci ne doit plus chercher à

constater la culpabilité morale, pour appliquer au prévenu, le cas échéant, la peine prévue

par loi, il doit bien davantage chercher à adapter la sanction sociale la plus opportune à

l’auteur du crime en considérant les caractères physio-psychologiques de sa personnalité258.

Autrement dit, le juge doit adapter la sanction non pas en fonction du degré de

responsabilité morale du délinquant, mais en tenant compte de son appartenance à telle ou

telle catégorie de criminel définies par l’anthropologie criminelle, laquelle distingue deux

grandes catégories de criminalité : la criminalité occasionnelle et la criminalité atavique.

84. La présomption d’innocence comme objet des critiques de l’auteur. Le but de

l’application des théories positivistes en procédure pénale étant ainsi fixé, Ferri propose de

faire précéder l’examen des réformes proprement dites par l’énumération de ce qu’il appelle

les « nombreuses exagérations des théories classiques » qui ont conduit au déséquilibre

entre les droits individuels et les droits sociaux. Désireux d’illustrer par des exemples ces

exagérations qu’il convient de combattre, il commencera par aborder La présomption

d’innocence, à laquelle quatre pages de développements seront consacrées259. Ici l’auteur se

livrera à une critique virulente de la présomption d'innocence. Deux cibles sont visées par

les attaques : la présomption d'innocence et avec elle l’école classique du droit pénal que

l’auteur tient pour la source de cette exagération inacceptable.

Le propos de Ferri débute néanmoins par une concession, mais ce sera la seule. La

présomption d'innocence, dit-il, et avec elle la règle plus générale in dubio pro reo, dispose

256 La première édition française de l’ouvrage résulte de la traduction qu’en a donnée l’auteur lui-même à partir de la troisième édition italienne de 1891 : E. FERRI, La sociologie criminelle, Paris, Rousseau, 1893. La seconde édition française datant de 1905 est publiée, quant à elle, chez Alcan. Il est à signaler que désormais les lecteurs français peuvent très facilement avoir accès à l’œuvre de Ferri avec la parution récente d’une réédition de la troisième édition de cet ouvrage, V. E. FERRI, La sociologie criminelle, présentation de R. GASSIN, Paris, Dalloz, 2004. 257 E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 1re éd., p. 431. 258 E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 1re éd., p. 433. 259 E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 1re éd., pp. 433-437.

L’objet dans le discours

98

d’une base positive certaine. Ce fondement positif résulte du fait que les criminels

constituent une minorité très petite au regard de la population des honnêtes gens, si bien

qu’il convient de regarder comme honnête, jusqu’à preuve contraire, tout individu soumis à

jugement. Cela étant admis par Ferri, des précisions sont apportées quant au domaine et aux

conditions dans lesquels peut jouer cette présomption.

L’auteur explique en effet que la présomption d'innocence ne peut valoir que pour la

phase d’instruction du procès, c'est-à-dire au stade où le juge ne dispose encore que de

simples indices. Ferri entend écarter toute présomption d'innocence lorsque la preuve

contraire (de l’honnêteté) est évidente. Ainsi en est-il en cas de flagrant délit ou d’aveu. Elle

doit surtout être écartée lorsqu’on est en présence d’un criminel dit « d’habitude ». C’est là

le point peut-être le plus important de l’opinion professée par Ferri. La distinction entre les

criminels occasionnels et d’habitude ou récidivistes est fondamentale, d’elle découle

l’essentiel des réformes à mettre en œuvre et d’elle dépend le jeu d’une présomption

d'innocence.

Les critiques suivantes portent sur un certain nombre de dispositions légales que Ferri

rattache à la présomption d'innocence. Il les juge absurdes, contraires à la logique et à la

défense des intérêts de la société. C’est le cas, en premier lieu, de la règle selon laquelle le

condamné continue de jouir de sa liberté durant l’appel ou le pourvoi en

cassation : « Qu’après une première sentence de condamnation on doive persister dans une

présomption démentie par la réalité, cela serait incompréhensible, si on ne voyait là la

conséquence exagérée des théories classiques et individualistes, qui ne voient dans tout

accusé et même dans tout condamné qu’une victime de l’autorité »260. Il estime ensuite que,

la règle selon laquelle en cour d’assises les bulletins blancs ou nuls sont comptés en faveur

de l’accusé, constitue une « autre conséquence absurde de cette présomption obstinée

d’innocence ». De même pour la règle qui prévoit l’absolution en cas de partage des voix

dans le jury. Ferri n’y voit, surtout pour les criminels-nés et d’habitude, aucune justice ni

logique261. La critique porte également sur l’impossibilité d’aggraver le sort du condamné

sur son seul appel ou son seul pourvoi en cassation. Cette disposition conduit à rompre

l’équilibre entre les droits de l’individu et de la société. Ferri ne conçoit pas que les erreurs

commises par les premiers juges ne puissent être réparées qu’au seul bénéfice de l’accusé.

260 E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 1re éd., p. 433. 261 E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 1re éd., p. 436. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il propose vivement d’introduire un terme entre l’absolution et la condamnation qui consisterait à simplement déclarer le crime « non prouvé ». Le doute sur l'innocence subsistant, la société n’a, selon Ferri, pas le devoir de proclamer l’accusé absolument innocent. Il conviendrait donc de distinguer, à l’égard du jugement, les cas où l’élargissement de l’accusé résulte de l’innocence prouvée des cas où il n’est que la conséquence de preuves incomplètes.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

99

Enfin, l’exclusion de toute révision du procès en cas d’acquittement suscite, bien

naturellement, les mêmes foudres.

Dans la seconde édition française de La Sociologie criminelle, ces critiques prenant pour

objet la présomption d'innocence trouveront une formulation plus claire et moins concise.

Ferri, y insistera notamment sur la nécessité, en procédure pénale, de prendre en

considération la catégorie de criminel à laquelle appartient l’accusé. Les exagérations

relevées viennent, selon lui, de ce que l’école classique n’a pas su distinguer la criminalité

atavique de la criminalité évolutive. Et il insistera sur leur caractère inacceptable « quand

on les étend même aux criminels ataviques les plus irréductibles et les plus dangereux »262.

L’estocade est probablement donnée dans ce passage où il écrit : « La présomption

d'innocence, illogique lorsqu’elle est absolue et qu’elle ne fait aucune distinction, n’est en

effet qu’un aphorisme juridique qui s’est bien éloigné de la réalité primitive, d’où il tirait

son origine par ce procédé de momification et de dégénération des regulae juris qu’a

signalé Savioli, et qui n’est qu’un cas spécial de cet arrêt idéo-émotif que Ferrero mettait à

la base psychologique des phénomènes de symbolisme, arrêt par lequel le signe et la

formule, en s’immobilisant, se substituent à la chose et à l’idée qu’ils contenaient

primitivement ». Il s’agit là, en effet, de la raison pour laquelle « en éliminant cette

présomption illogique, dans tous les cas et dans tous les stades du jugement où elle est en

contradiction avec la réalité même des choses, on ôterait tout fondement aux autres

dispositions procédurales qui s’en inspirent et qui sont vraiment contraires aux raisons les

plus claires de justice et d’utilité sociale. » 263

85. Une première formulation de la présomption d’innocence. L’examen de ces

passages de la Sociologie criminelle de Ferri appelle au moins deux observations.

En premier lieu, il faut signaler que, alors qu’aucun criminaliste du XIXe siècle n’évoque

la présomption d'innocence en dehors de Bentham, Ferri laisse entendre qu’elle trouve sa

source dans la pensée pénale classique. Cependant, l’auteur de la Sociologie criminelle, tout

en établissant une telle filiation, ne s’en explique pas. Il ne cite ni les auteurs ni les œuvres,

desquels il aurait tiré la certitude que la présomption d'innocence y était défendue. S’il ne

cite pas Bentham, il faut cependant convenir qu’il le rejoint tout à fait sur le fondement de

la présomption. De plus, on peut songer que la critique qu’il fait de la présomption

d'innocence s’appuie en partie sur le discours du jurisconsulte anglais. Car, sans lui donner

la valeur de principe ou de dogme, Bentham admet bien une présomption d'innocence au

titre des présomptions qui doivent aider le juge à trancher les cas difficiles. Or, Ferri ne

semble pas en désaccord sur ce point et admet que la présomption d’innocence doit jouer

262 E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 2e éd., p. 493. 263 E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 2e éd., p. 494.

L’objet dans le discours

100

non seulement dans la phase préparatoire du procès mais aussi à l’égard des criminels

occasionnels. L’idée nouvelle sur laquelle il met l’accent consiste en revanche à en exclure

l’application pour les délinquants récidivistes et dangereux. Ce n’est donc pas une

condamnation totale et sans appel à laquelle l’auteur procède.

En second lieu, par la formulation de ces critiques, Ferri devient, à notre sens, le premier

auteur à traiter de la présomption d'innocence. C’est en effet dans la Sociologie criminelle

que, pour la première fois, « la présomption d'innocence » est employée comme formule

dotée d’un sens et de conséquences pratiques rattachées à la législation positive. Le constat

ne laisse pas d’être surprenant et pousse à s’interroger sur le fondement de ce discours. Il

s’agit bien d’une description critique du droit positif de l’époque, mais on admettra que la

présomption d'innocence n’y a jamais été consacrée, en tout cas pour la France. N’ayant

jamais été explicitement formulée auparavant par les criminalistes ni par la jurisprudence,

on peut se demander comment Ferri a été conduit à y consacrer de tels développements en

laissant entendre qu’un tel objet existait dans le discours classique. Une explication semble

pouvoir être avancée.

La formule « présomption d'innocence » employée par Ferri vise bien moins une règle

que l’abstraction réalisée à partir d’une réalité positive qui est critiquée264. Car la

« présomption d'innocence » dont il semble être ici question, n’est pas la règle qui impose,

par exemple, d’acquitter en cas de partage des voix ; elle est la formule générale qui permet

de décrire, en les rassemblant, les situations dans lesquelles le droit positif consacre des

solutions favorables aux accusés.

Une telle analyse se trouvera confirmée par l’étude de la littérature pénale postérieure. À

cet égard, la façon dont Garraud puis ses successeurs aborderont la présomption

d'innocence autour des opinions de Ferri paraîtra déterminante du rôle qu’a pu jouer

l’œuvre du positiviste italien sur l’émergence de la présomption d'innocence.

§ 2. L’ÉMERGENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL

FRANÇAIS

86. De Garraud aux autres criminalistes du XXe siècle. Cette émergence de la

présomption d’innocence a tout d’abord débuté dans les ouvrages de droit criminel du

célèbre professeur René Garraud. Il est semble-t-il le premier auteur français à avoir

employé la formule présomption d’innocence dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui.

L’apparition de la formule chez cet auteur n’est pas demeuré un accident. D’autres ouvrages

264 Sur l’emploi de la formule comme cible, V. infra, n° 381.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

101

d’enseignement de droit criminel ont également introduit la formule dans leurs

développements.

A- L’ÉMERGENCE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LES OUVRAGES DE

GARRAUD

87. L’absence de la présomption d’innocence jusqu’en 1903. En 1881, date à laquelle

paraissait pour la première fois la Sociologie criminelle de Ferri en italien, René Garraud

offrait la première édition de son ouvrage de droit criminel265. Si Ferri se consacre à la

critique de la présomption d'innocence, ce qui lui fournit l’occasion d’en donner une

formulation, Garraud ignore quant à lui totalement cette présomption. Naît alors

l’impression qu’il n’existe pas de présomption d'innocence. Pourtant, traitant du jury, le

criminaliste français présentera les solutions positives que de son côté Ferri critiquait. Aussi

mentionnera-t-il, par exemple, la règle selon laquelle les bulletins blancs sont décomptés en

faveur de l’accusé266. Cela étant, aucune référence à une quelconque présomption

d'innocence ne sera faite pour justifier cette solution. L’adage in dubio pro reo qui était visé

par Ferri, ne sera pas davantage invoqué par Garraud. Les éditions successives, jusqu’à la

huitième, se caractériseront par le même silence de l’auteur.

88. La défense de la présomption d’innocence par Garraud. Ce n’est qu’en 1903, avec

la parution de la huitième édition du Précis de droit criminel, que la présomption

d'innocence trouve place dans une oeuvre doctrinale française. L’ouvrage comporte

désormais un titre entier consacré aux « preuves en matière répressives »267. Garraud y

enseigne pour commencer que la théorie des preuves est dominée par trois règles. La

première concerne la charge de la preuve, celle-ci doit incomber à l’accusation. Mais c’est

en énonçant la seconde règle selon laquelle, « l’insuffisance de la preuve, de la part de celui

qui est chargé de l’administrer, amène, dans tout procès, le renvoie d’instance du

défendeur », que Garraud sera amené à parler de présomption d'innocence.

L’énoncé et la justification de cette seconde règle doit semble-t-il quelque chose à

Bonnier mais surtout à Ferri. Lorsque Garraud fait remarquer que « c’est surtout en matière

répressive que ce principe doit être considéré comme sacré » on croit, en effet, lire Bonnier

répondant à la question de savoir ce qu’il fallait décider en l’absence de preuve

265 R. GARRAUD, Précis de droit criminel, Paris, Larose, 1re éd., 1881. 266 R. GARRAUD, Précis de droit criminel, op. cit., n° 1213 et s. 267 La première édition ne consacrait pas de développements spécifiques à la preuve pénale, ce n’est qu’au fil des années et des corrections de son ouvrage que Garraud donnera une importance accrue à cette matière. La physionomie générale des développements portant sur la preuve est arrêtée avec cette huitième édition. Elle sera reprise dans le tome I du Traité d’instruction criminelle paru en 1907.

L’objet dans le discours

102

suffisante268. Pour Garraud, cette solution découle de la règle en vertu de laquelle le doute

profite à l’accusé. Il enseigne que cette dernière exerce son influence sur toutes les phases

du procès pénal et qu’elle donne naissance à une série de corollaires. L’auteur poursuit

immédiatement par l’énumération de ces corollaires, qui n’est finalement rien d’autre que la

reproduction, dans le même ordre, de ce que Ferri pointait comme les exagérations de la

présomption d'innocence et la règle in dubio pro reo269. Et effectivement, Garraud conclut

son énumération en précisant que « Toutes ces institutions, protectrices de l’accusé,

dérivent de l’idée : in dubio pro reo ».

Or cet adage n’avait auparavant jamais été cité par l’auteur. Avant lui seul Ferri, à notre

connaissance l’avait employé. L’hypothèse selon laquelle le discours de Ferri a joué un rôle

dans l’émergence de la présomption d'innocence trouve ici sa première justification. Le

sentiment que, sans la critique de Ferri, l’introduction de la présomption d'innocence

n’aurait pas pris cette forme, se trouve renforcé par la référence directe qui y est faite par

l’auteur français. En effet, Garraud signale que les institutions protectrices de l’accusé dont

il vient de donner la liste « (…) ont été critiquées comme des progrès à rebours par ceux

qui ne voient, dans ces garanties, que des procédés tendant à désarmer la "défense

sociale", et qui ne comprennent pas que l’idée de défense sociale est inséparable de l’idée

de justice sociale ». Et ce n’est que dans une note en fin de page, appuyant son propos, que

Garraud emploiera pour la première fois l’expression « présomption d'innocence ». Ainsi

écrit-il : « C’est surtout Ferri (…) qui a énergiquement critiqué la présomption légale

d’innocence ne devant tomber que devant la preuve contraire de la culpabilité». 270

89. Une défense explicite dans le traité d’instruction criminelle. Cette première allusion

à l’existence de la présomption d'innocence sera reprise et développée de façon plus

explicite lorsque le criminaliste publiera son Traité d’instruction criminelle. Dans cet

ouvrage, qui continue aujourd’hui de faire référence, c’est à deux reprises que la

présomption d'innocence sera énoncée par le rapprochement direct avec les thèses

positivistes.

Tout d’abord, Garraud évoquera la présomption d'innocence dans l’introduction

consacrée à l’origine historique de la procédure criminelle. Là, l’auteur fait état de la « lutte

268 E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, op. cit., n° 52. Bonnier répondait en invoquant l’adage Actore non probante, reus absolvitur et précisait : «c’est surtout en matière criminelle que cette maxime doit être considérée comme sacrée ». 269 Garraud reprend en effet, en insistant sur leur fondement textuel ou jurisprudentiel, chacun des points soulevés par Ferri : la liberté provisoire pendant l’appel, le décompte favorable des bulletins blancs et nuls, l’acquittement en cas de partage des voix, l’impossibilité d’aggraver le sort de l’accusé sur son seul appel, l’ouverture du pourvoi en cassation contre un acquittement dans le seul intérêt de la loi, l’ouverture de la révision pour les seuls jugements de condamnation ; Précis de droit criminel, Larose, 8e éd., 1903, n° 441. 270 R. GARRAUD, Précis de droit criminel, op. cit., note 1, p. 627.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

103

toujours ouverte » entre l’école classique et l’école positiviste. Alors que l’accent est mis

sur l’individualisme et l’accroissement des garanties en faveur des accusés dans la thèse

classique, la thèse positiviste est cette fois radicalisée par Garraud qui écrit : « (…) l’école

nouvelle, qui est avant tout étatiste, veut renforcer la "défense sociale", priver l’inculpé de

ces garanties séculaires qui se résument dans la "présomption d'innocence" »271.

Plus loin, Garraud reprendra les développements contenus dans la huitième édition du

Précis, au titre de la preuve pénale et plus particulièrement de son insuffisance, mais cette

fois ils sont étayés et se concentrent sur la critique positiviste pour mieux la réfuter et la

repousser272. À cette occasion, la « présomption légale d'innocence » acquiert une véritable

dimension et la formule est désormais employée dans le corps du texte. En effet, après avoir

énoncé la règle in dubio pro reo et l’existence de ses corollaires, Garraud signale une fois

encore les critiques formulées à l’égard de ces derniers par les partisans de l’école

positiviste en remarquant que : « Les attaques ont porté sur toutes les conséquences tirées,

par les législations positives ou par la jurisprudence qui les interprète, de la présomption

légale d'innocence »273. Garraud entend alors s’opposer à ces critiques en expliquant

qu’elles aboutissent « D’abord, au renversement de la présomption d'innocence » car,

l’école positiviste voit un coupable dans tout individu qui est l’objet de poursuite et

demande qu’on le traite comme tel274 ; ensuite au rétablissement des sentences de plus

ample informé en cas de doute. Il conclura en jugeant que « Ces prétendues réformes

seraient une régression au lieu d’un progrès ». La nécessité de maintenir la présomption

d'innocence sera fondée sur la finalité de la procédure criminelle qui « n’a pas pour seul et

unique but la poursuite des malfaiteurs, mais aussi la protection des honnêtes gens » 275.

On le voit, Garraud se montre pour le moins sceptique à l’égard du postulat fondamental

des positivistes. Ainsi, ne croit-il guère à l’existence de stigmates extérieurs permettant de

classer l’inculpé dans une catégorie anthropologique ou sociologique qui, s’ils étaient

avérés, seraient seuls de nature à autoriser le renversement de la présomption d'innocence.

Une telle riposte est proportionnée à l’attaque de Ferri. Garraud est résolument pour le

maintien, en droit positif, des règles favorables à l’inculpé. Force est alors de reconnaître

par ces illustrations, que Garraud n’a introduit l’étude de la règle du doute favorable dans 271 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, Paris, Sirey, 1907, Tome I, n° 31, p. 31. 272 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 234. 273 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 234, p. 484. 274 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 234, p. 486. Ici, l’auteur, même s’il signale que l’exclusion de la présomption d'innocence par Ferri se limite aux récidivistes, force le trait et analyse le discours de Ferri comme absolument contraire à cette présomption d'innocence. 275 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., p. 487.

L’objet dans le discours

104

ses ouvrages, qu’en considération des thèses émises par Ferri quelques années auparavant.

Les solutions qui sont ici en discussion, et énumérées par Garraud, ne sont pourtant pas

nouvelles, elles sont consacrées par plusieurs articles du Code d’instruction criminelle de

1808. La nouveauté qu’offre l’auteur du Précis de droit criminel réside dans le seul fait

(mais là est toute l’importance) que les règles positives décrites sont rattachées à la règle in

dubio pro reo et que ce rattachement trouve sa seule justification dans le discours de Ferri.

B- LA RÉACTION AU DISCOURS DE FERRI DANS LE RESTE DE LA LITTÉRATURE

JURIDIQUE

90. Vérification de l’hypothèse. L’enseignement de Garraud n’est pas seul à témoigner du

lien qui existe entre la critique positiviste de la présomption d'innocence et la construction

du discours doctrinal français. Il serait insuffisant s’il n’existait d’autres éléments venant le

prolonger. En prêtant attention aux traités et manuels parus après le traité d’instruction

criminelle de Garraud, on s’aperçoit que les opinions critiques formulées par le représentant

de l’école positiviste italienne, sont inséparables de la formulation de la présomption

d'innocence. Pour s’en convaincre, on peut se reporter à la dernière édition du manuel de

procédure pénale du professeur Pradel, dans lequel, l’éminent pénaliste signale encore, un

siècle après Garraud, « qu’il s’est trouvé naguère une doctrine pour limiter la présomption

aux délinquants passionnels et d’occasion, c'est-à-dire aux délinquants peu dangereux

selon l’optique positiviste» 276. L’impossibilité de distinguer avec assez de certitude les

délinquants occasionnels et d’habitude, était l’argument essentiel opposé par Garraud et il

est toujours énoncé par M. Pradel en 2004. Mais avant cela, c’est tout au long du XXe siècle

que les pénalistes vont construire leur discours sur la présomption d'innocence en prenant

appui sur celui du positivisme incarné par Ferri.

91. La référence à Ferri dans la littérature juridique du XXe siècle. La formule

« présomption légale d'innocence » aura ainsi été retenue par Vidal qui enseigne, à propos

de la charge de la preuve, que « Tant que cette preuve n’est pas faite, l’inculpé bénéficie

d’une présomption légale d’innocence qui ne tombe que devant la preuve contraire de la

culpabilité : in dubio pro reo »277. Le criminaliste précise que les diverses applications de

cette présomption ont été combattues par M. Ferri et l’école positiviste. En référence, on

trouve, chez Vidal, comme chez Garraud, l’indication du passage de la Sociologie

criminelle dans lequel Ferri fustige les conséquences de la présomption d'innocence. En

276 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384, p. 324. 277 G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, 5e éd., n° 715.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

105

outre, Vidal expliquera dans cette note que la distinction entre criminalité évolutive et

atavique ne lui paraît pas admissible278.

On trouve également présente, dans le traité du professeur Donnedieu de Vabres, une

référence à cette thèse positiviste contraire à la présomption d'innocence : « (…) ; l’inculpé

est couvert par une présomption d'innocence, qui est une garantie de la liberté individuelle.

Cette présomption bénéficie au récidiviste comme au délinquant primaire » 279. Et l’auteur

d’expliquer, lui aussi, qu’ « Elle a été combattue par Enrico Ferri» 280.

En 1956, c’est M. Patarin, dans l’exposé des « critiques faites à la présomption

d'innocence » qui combat les arguments positivistes en enseignant que « C’est vainement

(…) qu’on invoquerait la probabilité, même scientifiquement fondée, qu’un individu

sociologiquement ou physiquement prédisposé ou un délinquant d’habitude soupçonné

d’avoir commis une infraction l’ait réellement commise, pour en déduire une présomption

de culpabilité et laisser au prévenu la charge de la preuve contraire. » 281 Un an plus tard,

M. Vitu adoptera lui aussi cette position282. Le souvenir des critiques de Ferri formulées à la

fin du XIXe siècle, sera également entretenu par MM. Brière de l’Isle et Cogniart283, Mme

Rassat284 ou encore MM. Merle et Vitu285.

Ces exemples tirés de la doctrine criminaliste contemporaine attestent de l’importance

qu’il convient d’attribuer à la critique positiviste. Le discours de Ferri a permis au discours

doctrinal français de se cristalliser et d’introduire la présomption d'innocence dans leurs

ouvrages scientifiques. Ce rôle de l’école positiviste, incarnée par Ferri, dans l’émergence

de la présomption d'innocence, est confirmé par la conservation du souvenir par les auteurs

postérieurs. Alors que la distinction proposée entre délinquants d’occasion et délinquants

ataviques n’est jamais passée dans notre droit positif et, qu’il n’est pas, aujourd’hui,

question de la consacrer, comment expliquer que les auteurs continuent d’y faire référence ?

Nous ne voyons, comme élément de réponse, que l’explication ci-dessus proposée. Un

discours sur la présomption d'innocence s’est constitué à partir des critiques positivistes et

dans le seul but de les réfuter. La doctrine française, unanime, n’a commencé à évoquer la

présomption d'innocence que pour défendre les institutions que Ferri a rangé sous cette

278 G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715, note 1. Dans la neuvième édition du Cours de droit criminel, la critique positiviste de la présomption d'innocence ne sera évoquée qu’en note de bas de page et ne figurera plus dans les développements principaux. 279 H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel et de législation comparée, 3e éd., n° 1239, p. 714. 280 H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel et de législation comparée, op. cit., n° 1239, note 1. 281 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, in G. STÉFANI (dir.), Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, Travaux de l’institut de criminologie de Paris, 1956, n° 8. 282 A. VITU, Procédure pénale, op. cit., p. 186. 283 G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 12. 284 M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195, p. 306. 285 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, op. cit., 5e éd., n° 144, p. 184.

L’objet dans le discours

106

formule et dont il contestait l’opportunité au nom de la défense sociale. Cette défense a été

efficace puisque aujourd’hui la thèse de Ferri sur la présomption d'innocence n’a plus

d’actualité que dans le souvenir ainsi entretenu.

92. De la crise à la critique. En revanche, d’autres thèses de l’école positiviste italienne,

très novatrices, ont connu un réel succès au point d’inspirer les législateurs européens, dont

le législateur français. Elles ont été analysées comme une véritable révolution scientifique

qui a séduit plus d’un esprit parmi les juristes. Mais les esprits conservateurs en ont perçu

les dangers et y ont résisté. C’est le droit pénal tout entier et ses méthodes qui se trouvaient

ébranlés, au point que certains auteurs n’ont pas trouvé exagéré de parler d’une crise du

droit pénal. L ‘émergence de la présomption d'innocence comme objet de discours doit

également s’apprécier à la lumière du contexte qui l’a rendu possible.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

107

SECTION 2 : LE CONTEXTE DE L’ÉMERGENCE

93. Plan. L’œuvre de Enrico Ferri, qui sert d’appui au discours pénal français mérite d’être

plus largement replacé dans son contexte scientifique. Il n’est en effet que le réceptacle qui

accueille les bouleversements qu’a subi la science pénale à la fin du XIXe siècle. Il s’agira

alors de présenter les grandes lignes de ces bouleversements (§1) avant de s’intéresser à la

posture qu’ont adopté les pénalistes français dans cette crise du droit pénal (§2).

§ 1. LES BOULEVERSEMENTS DE LA SCIENCE PÉNALE

94. Caractère révolutionnaire des idées positivistes. Dans l’histoire des doctrines pénales,

seule la doctrine positiviste apparaît comme un mouvement d’idées révolutionnaires.

Modernes ou anciens, les criminalistes s’accordent pour reconnaître une telle ampleur aux

nouvelles théories286. Ce que certains ont pu désigner comme une crise du droit pénal et qui

en découle, présente des caractères qui ne sont pas sans rappeler ceux qu’énonçait Th. Kuhn

à propos des révolutions scientifiques287. Il a ainsi paru intéressant de présenter ces

bouleversements de la science pénale en empruntant au modèle des révolutions scientifiques

que Kuhn avait proposé (A). Ce modèle a en effet l’avantage de fournir une grille de lecture

des nouvelles théories énoncées par l’école positiviste (B).

A- LE MODÈLE THÉORIQUE D’UNE RÉVOLUTION SCIENTIFIQUE

95. Structures des révolutions scientifiques chez Kuhn. Cet historien des sciences s’est

proposé d’analyser la structure des révolutions scientifiques et d’en dégager une théorie. À

cette occasion, l’auteur a formulé les concepts de science normale, science extraordinaire,

d’anomalie et de paradigme qu’il est tout à fait possible de transposer à notre étude. Ils nous

ont semblé pouvoir faciliter la présentation des éléments de la crise qui nous intéresse288.

Selon Th. S. Kuhn, il existe dans l’évolution d’une science, une période normale au

cours de laquelle les membres de la communauté scientifique adhèrent à certains

286 J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, op. cit., 2e éd., p. 73 ; J.- H. ROBERT, Droit pénal général, Paris, PUF, 5e éd., p. 37 ; E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1890, p. 639 ; et du même auteur, Les nouvelles tendances du droit pénal et le 3e congrès d’anthropologie criminelle, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1892, p. 604. 287 TH. S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, trad. L. Meyer, Paris, Flammarion, 1983. 288 Peu importe pour notre propos que la théorie de Kuhn soit discutée en épistémologie des sciences. Le concept de paradigme conserve pour nous une utilité certaine. Il est d’ailleurs toujours très utilisé, notamment dans le discours juridique. On pourrait objecter en outre que la transposition de la théorie de Kuhn au droit pénal est incongrue dès lors qu’il ne s’agit pas d’une science au sens strict du terme, du moins au sens où Kuhn l’entend lui-même. Pourtant, le recours à la théorie de Kuhn présente pour nous un intérêt essentiellement descriptif qui nous semble autoriser le parallèle. Enfin, si le droit pénal n’est pas une science, au sens de science exacte, on verra que justement le positivisme aura pour objet d’opérer une telle transformation.

L’objet dans le discours

108

paradigmes. Les recherches scientifiques sont alors menées à l’intérieur de ces derniers. On

peut comprendre les paradigmes comme les convictions fondamentales ou postulats de base

qui organisent une science ou une branche de cette science. Ce sont des modèles théoriques

et méthodologiques qui donnent naissance à des traditions particulières et cohérentes de

recherche scientifique, c’est pourquoi « en apprenant un paradigme, l’homme de science

acquiert à la fois une théorie, des méthodes et des critères de jugement généralement en un

mélange inextricable» 289. Au-delà de la détermination des méthodes scientifiques, le

paradigme va jusqu’à créer une vision du monde290 particulière, commune aux scientifiques

d’un même secteur de recherche.

La révolution scientifique initiée par la formulation de nouvelles théories tend au

changement de paradigme. Kuhn explique que les nouvelles théories ou découvertes

scientifiques commencent par la conscience d’une anomalie291. Les scientifiques

s’aperçoivent que certains faits ne peuvent plus être expliqués ou que certains problèmes ne

peuvent plus être résolus avec les outils intellectuels traditionnels dont ils disposent. La

science entre alors dans, ce que Kuhn appelle, la science extraordinaire. Elle se caractérise

par l’apparition de nouvelles théories remettant en cause la validité des paradigmes jusque

là admis. Les anciennes conceptions sont attaquées et leur capacité à répondre aux questions

nouvelles est mise à mal. Une crise voit le jour au sein de la communauté scientifique292.

Les uns, les plus novateurs, souvent à l’origine des nouvelles théories, prônent l’abandon de

l’ancien paradigme, tandis que les autres refusent d’adhérer à une nouvelle conception de

leur méthode de travail alors même qu’ils reconnaissent l’existence d’anomalies. Une

résistance aux nouvelles théories se met en place alors que ces dernières tendent à la

destruction de l’ancien paradigme au profit du nouveau. Deux paradigmes sont donc en

concurrence. Kuhn fera remarquer que l’adoption éventuelle du nouveau paradigme ne

dépend pas de preuves scientifiques mais de motifs divers adoptés collectivement ou

individuellement par les chercheurs293. Trois issues à la crise sont alors envisageables.

D’une part, l’on peut concevoir que la science normale parvienne finalement à résoudre le

problème qui se trouvait à l’origine de la crise. D’autre part, quoi qu’envisagé d’un point de

289 TH. S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p.155. 290 TH. S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p.157. 291 « La découverte commence avec la conscience d’une anomalie, c'est-à-dire l’impression que la nature, d’une manière ou d’une autre, contredit les résultats attendus dans le cadre du paradigme qui gouverne la science normale », La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p. 83. Cependant, l’existence d’anomalies est tout à fait « normale » pour la science, si bien que toutes les anomalies ne donneront pas lieu à une crise. Pour déclencher une crise, il faut plus qu’une simple anomalie explique Kuhn, p. 120. 292 TH. S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p. 100 et s. 293 Les esprits novateurs ne peuvent ainsi se contenter d’arguer de l’incapacité du paradigme à résoudre tous les problèmes pour persuader les esprits plus conservateurs d’en adopter un nouveau. C’est à une véritable conversion que les scientifiques doivent procéder. Il y a en effet, dans l’attachement à un paradigme, quelque chose qui relève indéniablement de la foi et de la croyance. V. TH. S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p. 209-218.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

109

vue radicalement différent, il se peut que le problème résiste et que sa solution soit

abandonnée aux futurs chercheurs qui disposeront de moyens plus performants. Enfin,

l’issue de la crise peut être une révolution scientifique, et le nouveau paradigme est alors

adopté294. Le passage de l’un à l’autre donne lieu à une « reconstruction de tout un secteur

sur de nouveaux fondements, reconstruction qui change certaines des généralisations

théoriques les plus élémentaires de ce secteur et aussi nombre des méthodes et applications

paradigmatiques » 295.

Quoique schématique et sommaire cette présentation de la structure d’une révolution

scientifique suffit pour mettre en relief aussi bien le cheminement que les manifestations du

bouleversement survenu dans la science du droit pénal de la fin du XIXe siècle. Ainsi peut-

on la présenter en s’attachant, d’une part à l’apparition des théories révolutionnaires

proposées par les positivistes, et d’autre part à la réception de ces nouvelles théories par les

criminalistes français. La crise résulte précisément de cette réception qui s’analyse en réalité

en une réaction des criminalistes d’obédience classique et libérale face aux prétentions

scientifiques de l’école positiviste. Ce n’est qu’à la lumière de cette réaction que la

constitution d’un discours sur la présomption d’innocence prendra tout sons sens.

B- LES THÉORIES NOUVELLES DE L’ÉCOLE POSITIVISTE ITALIENNE

96. Naissance d’une école. L’importance qu’a eu l’école positiviste dans l’histoire de la

science pénale est attestée par la place que les auteurs contemporains lui reconnaissent296

mais aussi par les témoignages des criminalistes qui l’ont vu se constituer au XIXe siècle.

L’école positiviste désigne les savants, scientifiques ou juristes, dont les idées ont présidé à

la naissance d’une nouvelle discipline : la criminologie. Ce mouvement de pensée doit sa

prétention scientifique et son orientation au positivisme d’Auguste Comte. Il lui emprunte le

postulat selon lequel, il n’y a de connaissance scientifique que dans l’observation des faits

et la mise en œuvre de la méthode expérimentale. Les recherches menées par les tenants de

cette école se caractérisent par l’application de la méthode positiviste à l’étude des causes

du crime. Le progrès que connaissent les sciences à cette époque et le prestige dont elles

jouissent, conduisent Cesare Lombroso, médecin légiste hardi, à entreprendre de telles

recherches. Il en fera connaître les premiers résultats en publiant son très célèbre L’homme

criminel en 1870. L’examen anthropométrique, médical et psychologique de 5907

délinquants vivants et de minutieuses mesures sur 383 crânes de criminels, lui permettent

d’affirmer l’existence d’un type général de criminel, le « criminel-né ». En effet, Lombroso 294 La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p. 123-124. 295 La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p. 124. 296 A. DECOCQ, Droit pénal général, p. 37 et s ; J. PRADEL, Droit pénal général, 12e éd., n° 103 et s. ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, 2e éd., n° 23 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Droit pénal général, 7e éd., n° 71 et s ; J.- H. ROBERT, Droit pénal général, 5e éd., p. 36 et s. ; E. TILLET, v °Histoire des doctrines pénales, Rép. Pén. Dalloz.

L’objet dans le discours

110

affirme que le type du criminel représente une forme de régression à un type d'humain plus

primitif, une sorte d'humain dégénéré, caractérisé par des qualités physiques et morales

présentes chez les sauvages primitifs. Aussi pose-t-il que l'individu criminel appartient à un

type anthropologique distinct de l'individu non-criminel. L’anthropologie criminelle venait

de voir le jour. On ne commencera à parler de criminologie qu’en 1885 avec la parution de

l’ouvrage éponyme de Garofalo.

Un autre auteur célèbre de cette école n’est autre que Enrico Ferri, dont l’oeuvre

fondamentale de sociologie criminelle déjà évoquée plus haut, s’inscrit dans le sillon tracé

par Lombroso, tout en élargissant ses horizons au-delà des seuls facteurs sociologiques ou

psychologiques du crime. Aujourd’hui, Ferri est regardé comme « le véritable fondateur de

la criminologie » en raison de la « synthèse criminologique positiviste » qu’il a élaborée à

partir des travaux sur le crime qui avaient été réalisés par de multiples écoles à la fin du

XIXe siècle297.

97. La diffusion des idées positivistes. Ferri envisage le crime comme un phénomène

social dont les causes sont à rechercher également dans ce milieu298. Outre leur

consignation dans les ouvrages de l’époque consacrés à cette question, les résultats des

études anthropologiques ou sociologiques en matière criminelle ont été diffusés au sein de

la communauté scientifique et juridique par l’organisation de congrès internationaux. Le

premier congrès d’anthropologie criminelle s’est tenu à Rome en 1885, le second à Paris en

1889, le troisième à Bruxelles en 1892. À cette époque, les idées positivistes se répandent et

se discutent également grâce à la création des Archives d’anthropologie criminelle qui

rendent compte du déroulement des congrès et permettent la diffusion d’études particulières

réalisées par les chercheurs européens. La publicité de cette école était probablement une

condition de son retentissement mais elle le doit très essentiellement au contenu des théories

qu’elle a défendues. Les bouleversements survenus dans la pensée pénale trouvent leur

origine dans la théorie du criminel-né énoncée par Lombroso. L’existence d’un type

criminel est une découverte fondamentale pour l’ensemble des chercheurs qui s’intéressent

au phénomène criminel et à la lutte contre la délinquance. L’école positiviste italienne vient

donc perturber la science du droit pénal non seulement par les postulats qu’elle adopte mais

encore par les théories qu’elle professe.

Jusqu’alors le crime était envisagé du seul point de vue juridique c'est-à-dire comme

l’acte défendu dont l’accomplissement entraîne l’application d’une peine. Très critiques à

297 R. GASSIN, Présentation, in La Sociologie criminelle, Paris, Dalloz, 2004, réédition de la 1re édition française de 1893. 298 L’influence des facteurs sociaux sur la criminalité faisait cependant déjà l’objet des préoccupations de l’école franco-belge du milieu social dont les principaux représentants étaient le belge Quételet et les français Lacassagne et Tarde.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

111

l’égard de cette conception, les positivistes expliquent qu’il s’agit là d’une vue trop abstraite

et que la lutte contre la délinquance passe avant tout par une connaissance approfondie du

criminel. Cela explique les études médicales, biologiques et psychologiques entreprises par

Lombroso et ses partisans. Le positivisme se caractérise en outre par le postulat selon lequel

l’Homme, et l’homme criminel en particulier, est déterminé.

98. La négation du libre arbitre. L’adhésion au déterminisme conduit les positivistes à

poser l’inéluctabilité de l’acte criminel chez certains individus dont le comportement résulte

de facteurs externes ou internes auxquels ils ne peuvent résister. Un tel postulat signifie très

clairement que l’homme délinquant ne jouit pas de son libre arbitre et que son activité

criminelle ne saurait donc être rattachée à l’exercice de sa volonté.

Or, jusqu’à la formulation de cette affirmation, toute la science des criminalistes

consistait à fonder, expliquer, critiquer ou améliorer le droit pénal en raisonnant selon le

postulat inverse. Cette tradition attachée à l’idée que la volonté de l’Homme est libre

légitimait la rétribution du crime par l’infliction d’une peine. La volonté étant libre,

l’Homme devait être tenu pour responsable du mauvais usage qu’il pouvait faire de sa

liberté299. S’il est vrai qu’en philosophie on discutait déjà depuis longtemps de l’existence

du libre arbitre, un criminaliste explique néanmoins que « tous les législateurs, aussi bien

chez les peuples anciens que chez les peuples modernes, admettent comme un fait

indiscutable, comme une vérité évidente, le libre arbitre et font dépendre la responsabilité

pénale de la responsabilité morale »300 et cet auteur d’ajouter : « Dans toutes les

législations, la punition a toujours été attachée à une faute librement commise. Ce principe

a été consacré par les lois de tous les peuples »301. Si Louis Proal, magistrat à la Cour

d’Aix, ancre ce principe dans la tradition antique, pour laquelle il cite Aristote et Hérodote,

c’est justement parce que le déterminisme positiviste se présente comme le postulat

concurrent qui prétend supplanter le libre arbitre. Autrement dit, les positivistes tendent à

l’adoption d’un nouveau paradigme.

99. Vers un nouveau paradigme de la science pénale ?. La prétention du déterminisme à

devenir le paradigme de la science pénale est favorisée par l’état de la justice criminelle à

cette époque. Les thèses positivistes se nourrissent des faits bruts observés : la criminalité

ne cesse d’augmenter de même que le taux de récidive302. Voilà l’anomalie qui autorise

l’école italienne à affirmer l’échec du droit pénal et de la doctrine classique à expliquer et à

299 Pour autant, la loi retenait bien l’irresponsabilité de l’auteur dans les cas de démence et de contrainte morale ou physique. Naturellement, ces cas spéciaux excluent le libre arbitre de l’auteur, ainsi ne peut-il se voir déclarer coupable d’actes commis sous l’empire d’un état de contrainte ou de démence. 300 L. PROAL, La responsabilité morale des criminels, Revue philosophique, 1890, tome 29, p. 384. 301 La responsabilité morale des criminels, op. cit., p. 385. 302 La statistique criminelle, apparue en 1826, constitue un outil très utile pour évaluer et prouver cette inflation de la délinquance.

L’objet dans le discours

112

juguler le phénomène. L’incapacité avérée du système pénal libéral à lutter contre la

délinquance constitue ce que Kuhn désigne sous le terme d’anomalie. La proposition d’un

nouveau paradigme, plus adapté à cette lutte, s’accompagne de thèses et réformes originales

et complètement nouvelles, propres à détruire l’essentiel des constructions théoriques

classiques. Naturellement, la négation du libre arbitre conduit les positivistes à rejeter le

concept antique de responsabilité pénale fondé sur la responsabilité morale de l’auteur. Ferri

ne retiendra qu’une responsabilité sociale fondée sur une responsabilité matérielle ou

physique.

La mauvaise santé de la justice criminelle est manifeste, elle s’illustre, notamment, par

les dysfonctionnements du jury populaire dont les décisions favorisent l’impunité

d’individus pourtant dangereux. Or, le positivisme fonde l’ensemble de ses propositions sur

l’idée que la société a non seulement le droit mais aussi le devoir de se défendre contre le

criminel. Objectif que la doctrine pénale en vigueur avait méconnu en reconnaissant trop de

droits aux délinquants. Alors que le droit pénal était sorti de la Révolution française

humanisé et libéral, encadré par des principes garantissant la justice, il se voit critiqué pour

cela et opposer la notion de « défense sociale ». C’est la façon de considérer le criminel qui

change radicalement. Il n’est plus désormais que le « microbe social »303 dont il convient de

débarrasser la société. L’irresponsabilité morale qui lui est reconnue exclut toute idée de

peine rétributive. La peine, qui est davantage traitement que sanction, ne doit plus être

déterminée en fonction de la gravité de l’infraction commise mais doit être adaptée à la

dangerosité de l’individu. Pour les plus dangereux, l’élimination totale ou l’internement

perpétuel sont les mesures proposées par l’école positiviste. Ainsi, grâce à la classification

« scientifique » des délinquants initiée par Lombroso et poursuivie notamment par Ferri304,

il devait suffire au juge de connaître la personnalité du délinquant pour le faire entrer dans

l’une de ces catégories et lui appliquer le traitement adéquat. Cette conception a poussé les

303 L’expression, bien connue, est du médecin et professeur Lacassagne. 304 Ferri distinguait cinq classes de criminels : Les criminels-nés : ce sont les criminels ataviques ou dégénérés reconnaissables à des traits anatomiques et morphologiques, selon les découvertes de Lombroso, privés de sens moral et donc incorrigibles. Seul un milieu favorable peut leur éviter le passage à l’acte. Les criminels aliénés : ce sont les criminels dont la maladie mentale est la cause des délits qu’ils commettent. Les criminels d’habitudes : pour cette catégorie, la délinquance est une profession, c’est la faiblesse de leur moralité qui les maintient dans cette habitude. Les criminels passionnels : ce sont ceux qui, quoique irréprochables, viennent à céder à la pulsion qui joue comme une force irrésistible. Ils se repentent et s’amendent facilement. Les criminels d’occasion : ce sont les circonstances qui poussent ces derniers à commettre des délits et non leur nature propre.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

113

positivistes à redéfinir le rôle du juge au point d’exiger qu’il acquière des compétences

criminologiques pour être en mesure d’accomplir son nouveau rôle305.

On le voit, le positivisme se construit autour d’une critique radicale du droit pénal

classique. On aperçoit, par-là même, que ce sont les méthodes des criminalistes qui sont

gravement remises en question. Ceux-ci ne resteront d’ailleurs pas indifférents à

l’effervescence créée par l’école italienne.

§ 2. LES PÉNALISTES FRANÇAIS DANS LA CRISE DU DROIT PÉNAL

100. Réception des nouvelles théories et réaction. La criminologie naissante a provoqué

une crise du droit pénal. La nouveauté et la radicalité des nouvelles théories ont diversement

été reçues par les pénalistes français, certains ont manifesté assez tôt leurs inquiétudes.

Néanmoins, la fécondité du positivisme ne leur aura pas échappée, si bien que la réception

des nouvelles théories se caractérise aussi par une part d’acceptation des critiques émanant

de l’école positiviste. Si certains juristes mais aussi membres d’autres disciplines ont pu être

séduits par le positivisme, on aperçoit toute une littérature qui n’a d’autre objet que

d’exprimer une vive réaction aux nouvelles thèses. Or, c’est ce mouvement de réaction qui

paraît constituer le facteur d’émergence de la présomption d’innocence dans le discours

savant.

A- LA RÉCEPTION DES THÉORIES POSITIVISTES

101. La reconnaissance des apports de l’école positiviste. Aucun criminaliste de la fin du

XIXe siècle n’a pu rester indifférent au mouvement scientifique initié par l’école italienne.

En raison de l’implication philosophique du positivisme, les juristes ont été contraints de

prendre position et d’exprimer la conception qu’ils se faisaient du droit pénal. Souvent, il

s’est agi de formuler des critiques à l’égard des travaux publiés par les membres de cette

école. Quoi qu’il en soit, aucun criminaliste n’a pu rejeter l’ensemble des nouvelles

théories, un engouement certain s’est même manifesté pour l’adoption de certaines

institutions. Mais surtout, les criminalistes du XIXe siècle ont reconnu à l’école positiviste

de grands mérites qui ont fait indéniablement progresser la science du droit pénal en lui

montrant des voies fécondes de recherches.

Les juristes français n’ont pu, tout d’abord, rester insensibles à la formulation de

solutions qui visaient directement à endiguer l’inflation de la criminalité et à résoudre le

problème du récidivisme. Force leur était de reconnaître que la mise en œuvre des théories

classiques n’avait produit aucun résultat. Ensuite, tous reconnaissent à Lombroso et à sa

305 Le jury devait lui aussi se voir modifier dans sa conception puisqu’aux jurés populaires, incompétents et trop sensibles, on voulait substituer des experts. Ainsi les criminels auraient été « analysés » par les experts médecins, biologistes, psychiatres.

L’objet dans le discours

114

théorie du criminel-né d’avoir saisi les esprits, en soulevant l’infécondité des solutions

classiques et en révélant des connaissances nouvelles assurément utiles dans la lutte contre

le crime. Un auteur a ainsi pu écrire : « Lombroso a trouvé pour exprimer ces relations

[celles qui existent entre la criminalité et les anomalies de l’organisme] la formule

troublante qui devait galvaniser l’indifférence des criminalistes et les faire sortir de leur

citadelle juridique. Il a prononcé le mot de criminel-né et affirmé l’existence d’une variété

anthropologique, jusqu’alors insoupçonnée, le type criminel »306. Autrement dit, on sait gré

aux savants italiens d’avoir ouvert l’horizon des juristes en posant le problème de la

criminalité davantage comme un problème social et anthropologique que comme un

problème juridique307.

Les criminalistes retiendront encore volontiers du positivisme la voie qu’il a ouverte en

direction d’une politique criminelle de prévention308. A cet égard, certaines propositions de

Ferri ont séduit les juristes. On regarde par exemple, aujourd’hui encore, comme

ingénieuse, la mesure préventive qui consiste tout simplement à éclairer les rues sombres

afin d’y éviter la commission d’infractions. Du côté répressif, l’anthropologie criminelle en

favorisant l’usage de l’anthropométrie aura contribué à améliorer l’identification des

criminels. Au titre des progrès réalisés en droit pénal sous l’influence du positivisme, la

notion d’individualisation de la peine309 doit également être signalée. En réalité, ce sont

toutes les connaissances relatives à la personnalité, à la psychologie et à la dangerosité du

délinquant, qui ont été accueillies avec enthousiasme, dès lors qu’elles avaient pour objet

d’adapter la sanction au délinquant une fois sa culpabilité reconnue. Néanmoins, le

positivisme ne s’est pas seulement vu reconnaître le mérite de « faire sortir les criminalistes

de leur citadelle juridique ». Toutefois, les juristes se sont inquiétés de la manière dont les

positivistes entendaient mettre en application leurs théories.

102. Les manifestations d’inquiétudes. Alors même que l’école positive italienne connaît

un vif succès et fait des adeptes aussi bien parmi les juristes que les médecins, un certain

nombre de criminalistes élaborent un discours critique à l’égard des nouvelles conceptions

et mettent l’accent sur le danger qu’elles présentent. Ce danger sera exprimé de diverses

manières tout au long des années durant lesquelles l’école italienne et ses représentants ont

conservé l’intérêt et l’attention des criminalistes ou des législateurs. Ainsi voit-on paraître 306 P. CUCHE, L’éclectisme en droit pénal, Revue pénitentiaire, 1907, p.947. 307 L’éclectisme en droit pénal, op. cit., p. 950. M. Gassin reconnaît quant à lui « la très grande importance historique de la théorie du type criminel », Criminologie, Paris, Dalloz, 4e éd., 1998, n° 184. 308 Le positivisme « a donné une impulsion nouvelle à l’organisation d’institutions préventives de la criminalité, dont sa conception particulière du tempérament criminel a prouvé une fois de plus l’utilité et même la supériorité sur les moyens répressifs », G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel, 5e éd., n° 41. L’intérêt pour la prévention est illustré par l’étude de Roux : J.- A. ROUX, La défense contre le crime : répression et prévention, Paris, Alcan, 1922. 309 L’étude de Raymond Saleilles témoigne de la faveur des juristes pour cette nouvelle conception attachée à la peine, L’individualisation de la peine, Paris, Alcan, 1898.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

115

des monographies ou des études qui, tout en s’inscrivant dans le mouvement d’ouverture de

la science pénale et en acceptant l’impulsion nouvelle donnée à la science pénale, viennent

non seulement en corriger les erreurs et les excès mais aussi parfois les exclure purement et

simplement. Les auteurs sont parfois très explicites sur le danger qu’ils redoutent. Avec ses

Principes fondamentaux de la pénalité dans les systèmes les plus modernes, Georges Vidal

ne laisse aucun doute sur ses intentions : « Puisse mon œuvre être jugée par les lecteurs

avec la même bienveillance que par l’Académie de sciences morales et produire chez eux

cet effet salutaire de les mettre en défiance contre les doctrines parfois séduisantes mais le

plus souvent dangereuses» 310. À la même époque, Louis Proal qui n’est pas universitaire

mais praticien, publie des travaux qui poursuivent et expriment le même objectif311. Dans

une étude sur les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, l’auteur explique ainsi :

« Je voudrais essayer d’établir aujourd’hui que l’application de cette doctrine [celle de

l’école d’anthropologie criminelle] au droit criminel est pleine de dangers »312. Ces

publications font d’ailleurs suite à l’ouvrage de Henri Joly qui reprenait déjà, en 1888, les

thèses positivistes pour les soumettre à un examen critique313.

B- LA RÉACTION DES CRIMINALISTES

103. Premières mises en œuvre pratiques des idées positivistes. L’inquiétude de certains

juristes est d’autant plus vive que nombre d’idées positivistes sont passées dans la

législation ou s’apprêtent à y être consacrées. En France, la dangerosité du délinquant est

prise en compte et inspire même certaines réformes. Ainsi a-t-on pour habitude de citer la

loi du 27 mai 1885314 relative aux récidivistes qui a instauré une nouvelle sanction : la

relégation des multirécidivistes. On consacre par ailleurs la libération conditionnelle et le

sursis. La palette des peines s’est vue également élargie par la création de l’interdiction de

séjour, les peines accessoires ou complémentaires315 etc. Le code pénal italien de 1890 est

310 G. VIDAL, Principes fondamentaux de la pénalité dans les systèmes les plus modernes, Paris, Rousseau, 1890, avant-propos. Il faut bien admettre qu’une large partie de l’ouvrage est consacrée à l’école positiviste, à l’exposé de ses théories et du déterminisme, ainsi qu’à leur critique. 311 L. PROAL, Le crime et la peine, Paris, Alcan, 2e éd., 1894 ; La responsabilité morale des criminels, Revue philosophique, op. cit., et Les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, Revue pénitentiaire, 1890, p. 636. 312 L. PROAL, Les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, op. cit., p. 637. 313 H. JOLY, Le crime, Paris, Cerf, 1888. 314 A. DECOCQ, Droit pénal général, p. 41 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, 2e éd., n° 23. 315 L’influence du positivisme sur ces réformes a pourtant été contestée par Cuche. L’auteur estime en effet, que la contribution de l’école de Lombroso à l’introduction de telles innovations dans la législation française, peut être réduite à de fort modestes proportions. La condamnation avec sursis serait, selon lui, d’inspiration anglo-saxonne, quant à la relégation, elle avait des précédents dans la législation révolutionnaire française, L’éclectisme en droit pénal, op. cit., p. 950-951. On peut de toute façon douter de la rapidité avec laquelle les thèses positivistes auraient dû été connues et accueillies pour être consacrées par le législateur de 1885. Les travaux de Lombroso et de Ferri commençaient alors à peine à connaître un rayonnement international. C’est cette même année que se tient le premier congrès d’anthropologie criminelle. Enfin, il convient de rappeler qu’il existait déjà des congrès pénitentiaires d’ampleur internationale où les juristes portaient leur attention aux problèmes de la criminalité. Quoi qu’il

L’objet dans le discours

116

d’inspiration positiviste, tandis qu’en France il est question de réformer les codes

d’instruction criminelle et pénal. Des réformes sont engagées par d’autres législateurs en

Europe qui consacrent les solutions proposées par l’école italienne316.

1) Réactions critiques

104. Double objet de la réaction. Les réactions critiques des pénalistes se manifestent sous

deux formes : la première vise certains résultats annoncés par l’anthropologie criminelle, la

seconde consiste en ce que l’on pourrait désigner comme la défense de la citadelle juridique

contre les prétentions scientistes.

105. Contestation du scientisme. Dès le second congrès d’anthropologie criminelle de

Paris en 1889, de vives critiques sont adressées au « Lombrosianisme»317. Concernant le

type criminel, les français ont ainsi contesté la valeur des résultats obtenus par le recours

aux statistiques criminelles et à des constatations peu fiables. Plus généralement, les

diverses typologies criminelles seront repoussées318. On reprochera alors à l’école positive

de n’avoir été, à ses débuts, qu’une « école d’anthropologie hypnotisée sur des observations

craniologiques »319. Louis Proal s’attachera quant à lui à critiquer la classification des

criminels établie par Ferri320 et l’école italienne. Il n’hésite pas à dénoncer l’esprit de

système qui anime les positivistes ainsi que l’absence de véritable valeur scientifique

attachée aux résultats avancés. L’auteur impute ces vices à une fausse application de la

méthode expérimentale et d’observation321. A l’appui de ses critiques, le magistrat aixois

montrera que les théories nouvelles sont tout à fait contredites par l’expérience. La

connaissance des criminels que ce praticien a acquise durant sa vie professionnelle,

confortée par celle de ses pairs, le porte à une telle conclusion322.

en soit de la réalité de cette influence directe du positivisme, il est évident que ce dernier séduit les législateurs et que les juristes sont amenés à le considérer comme une menace. 316 E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 640. 317 C'est ainsi que l'on a qualifié l’anthropologie criminelle, en tant que premier mouvement de l'école positiviste italienne, pour en dénoncer les excès. Il faut signaler que Ferri, notamment, s'est attaché à rectifier les égarements de Lombroso. D'autres savants ont encore infléchi les thèses de Lombroso en formant la « Terza scuola », c'est-à-dire la troisième école qui se veut critique à l’égard du positivisme. L'attachement aux postulats les plus essentiels du positivisme a pu faire dire qu’il ne s’agissait là que d’un groupe de juristes à l’intérieur de l’école positive, V. E. GAUCKLER, Les tendances nouvelles du droit pénal et le 3e congrès d’anthropologie criminelle, op. cit., p. 619. 318 E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 646 ; H. JOLY, Le crime, op. cit., chapitre III ; E. GARÇON, De la méthode du droit criminel, in Les méthodes juridiques, op. cit., p. 225. 319 P. CUCHE, L’éclectisme en droit pénal, op. cit., p. 958. Cet auteur se fait un plaisir de citer un passage de la Sociologie criminelle de Ferri dans lequel ce positiviste abonde largement dans le même sens. 320 Il reprochera par exemple à l’auteur italien d’inclure les aliénés parmi les criminels, il contestera en outre le choix du critère anthropologique pour établir les catégories de délinquants. 321 L. PROAL, Les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, op. cit., p. 649-651. 322 V. Les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, op. cit., mais aussi La responsabilité morale des criminels, op. cit.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

117

Au troisième congrès d’anthropologie criminelle, qui s’est tenu à Bruxelles en 1892 et

auquel les représentants de l’école italienne sont absents, on signe l’arrêt de mort de

l’anthropologie criminelle et du type criminel de Lombroso323. En guise d’oraison funèbre,

le sociologue et magistrat Gabriel Tarde rendra hommage à Lombroso en le qualifiant de

meneur illustre qui aura donné l’impulsion. Il ajoutera néanmoins que, comme le café qui

ne nourrit pas mais qui excite, Lombroso aura été un excitant et que lorsqu’un excitant

devient excessif, il est prudent d’y renoncer324. Pour autant, la mort intellectuelle du

fondateur de l’anthropologie criminelle n’a pas empêché l’école positiviste de prospérer

grâce aux travaux menés dans le domaine de la sociologie criminelle. De plus, si cette

dernière a délaissé les explications exclusivement anthropologiques du crime, elle n’a en

rien renoncé à son postulat fondamental : le déterminisme. C’est la raison pour laquelle les

criminalistes français ont manifesté une véritable résistance au positivisme avant d’admettre

que la question du libre arbitre pouvait être ignorée.

106. Le débat sur le libre arbitre. En postulant l’inexistence du libre arbitre sur lequel

reposait la responsabilité pénale325, l’école positiviste crée un trouble certain chez les

juristes, persuadés quant à eux de la liberté morale de l’homme pourvu qu’il fût sain

d’esprit et que ça volonté n’eut pas été contrainte par les circonstances du moment. La

querelle du libre arbitre, qui ne trouvait jusque là à s’exprimer que sur le terrain

philosophique, vient envahir le domaine du droit criminel326. Alors que la liberté morale est

niée par les positivistes au nom de la science qui ne peut prouver la véracité de ce postulat,

les tenants du libre arbitre objecteront que, pas plus que le libre arbitre, l’existence du

déterminisme ne peut faire l’objet d’une démonstration scientifique. En réalité,

l’affrontement entre les adeptes de l’un ou l’autre des deux postulats se traduit comme

l’opposition, irréductible, entre deux écoles : la vieille école classique du droit pénal et la

nouvelle école, positiviste327. Question qualifiée de purement métaphysique, la

reconnaissance du libre arbitre s’analyse alors comme la croyance328 en son existence329.

Cette question n’est pas l’objet d’une simple chicane entre deux tendances différentes du

droit pénal. Philosophes, juristes, sociologues et médecins prennent part à la discussion,

323 E. GAUCKLER, Les tendances nouvelles du droit pénal et le 3e congrès d’anthropologie criminelle, op. cit., p. 610-619 ; CAMOIN DE VENCE, Les nouvelles évolutions de l’anthropologie criminelle, Revue pénitentiaire, 1894, p. 478. 324 G. TARDE, Archives d’anthropologie criminelle, 1892, p. 500. 325 Le déterminisme du phénomène criminel était déjà soutenu par Ferri dans sa thèse de doctorat, R. GASSIN, Criminologie, op. cit., n° 192. 326 L. PROAL, Le crime et la peine, Paris, Alcan, 2e éd., 1894, p. 5-6. 327 V. E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 643 et Les tendances nouvelles du droit pénal et le 3e congrès d’anthropologie criminelle, op. cit., p. 607-608. 328 L. PROAL, Les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, op. cit., p. 636. 329 La croyance dans le libre arbitre comme fondement de toute réflexion sur le droit pénal montre bien qu’il s’agit là d’un paradigme tel que Kuhn l’entend.

L’objet dans le discours

118

l’opinion publique est elle aussi intéressée à la question330. Aussi n’est-il pas étonnant de

voir le débat sur le libre arbitre inspirer l’Académie des sciences morales et politique. En

effet, celle-ci met au concours un sujet dont l’intitulé est évocateur : « Examiner et

apprécier les principes sur lesquels repose la pénalité dans les doctrines les plus

modernes ». En 1889, le premier prix est décerné, à égalité, à MM. Proal et Vidal dont les

mémoires exposent longuement la théorie du déterminisme pour en montrer les excès, les

dangers et finalement la rejeter331 pour ne consacrer que le libre arbitre et la responsabilité

morale. Le choix du sujet ainsi que la désignation de ces deux lauréats laisse peu de doute

sur la position de l’Académie à l’égard du libre arbitre mais aussi du positivisme pénal332.

La société générale des prisons suit, elle aussi avec assiduité, l’évolution des idées

positivistes et leur progression en France. Ainsi les séances et résolutions des divers congrès

d’anthropologie criminelle font-elles toujours l’objet d’un compte rendu pour être ensuite

discutées par ses membres333. S’agissant du libre arbitre, il a fait l’objet de discussions dans

une séance rapportant les actes du congrès d’anthropologie de 1892, Camoin De Vence

conclura : « M. le conseiller Petit a été d’accord avec nous pour dire que la responsabilité

morale et le libre arbitre chez l’inculpé sont la condition nécessaire et le fondement même

de l’exercice du droit de punir qui appartient à la société »334. La querelle du libre arbitre a

néanmoins rapidement conduit un certain nombre de savants à adopter une position dite

neutre.

107. La recherche d’un certain compromis. La position de neutralité que certains savants

ont tenté d’adopter consiste à affirmer que le libre arbitre n’est pas un enjeu de la lutte

330 E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 640. 331 Chacun des deux mémoires a donné lieu à la publication d’une monographie. En 1890, Vidal publie ainsi ses Principes fondamentaux de la pénalité dans les systèmes les plus modernes, op. cit. La dissertation de Proal donnera lieu quant à elle à la parution de l’ouvrage Le crime et la peine, déjà évoqué plus haut. 332 M. Franck, rapporteur, illustre bien cette tendance dans les propos qu’il tenait devant l’Académie en lui présentant l’ouvrage de Proal : « L’Académie, sait qu’il s’est formé depuis quelques années comme une conspiration contre le bon sens et le sens moral de l’humanité, en tout cas contre la foi que nous avons dans notre libre arbitre, dans la responsabilité de nos actions, dans les principes élémentaires de la justice pénale et dans l’idée même de toute justice. » Et plus loin pour saluer le mérite de Proal : « Il démontre que le crime ne se confond ni avec la folie ni avec la maladie, et que les effets de l’hérédité ne sont pas tellement inévitables dans l’ordre moral, qu’ils ne puissent être combattus par le libre arbitre. C’est surtout sur cette idée du libre arbitre qu’il s’appuie avec force en y rattachant les idées de droit, de devoir, de récompense, de châtiment, de criminalité et de vertu. », Rapport de M. Franck, in L. PROAL, Le crime et la peine, op. cit., p. XXXIV et s. 333 La Revue pénitentiaire, auparavant désignée sous le titre de Bulletin de la Société générale des prisons, comporte en outre et comme les auteurs évoqués plus haut le prouvent, des études spécialement consacrées aux nouvelles tendances et réformes du droit pénal sous l’influence des idées positivistes. Paul Cuche y a par exemple discuté les idées de Lombroso et de Ferri à plusieurs reprises en s’engageant dans des controverses aux allures de joute, ex : Compte rendu bibliographique de la 4e édition de la Sociologie criminelle de Ferri, Revue pénitentiaire, 1900, p. 845 ; La fin d’un malentendu, 1902, p. 834 ; et L’éclectisme en droit pénal, op. cit. 334 CAMOIN DE VENCE, Les nouvelles évolutions de l’anthropologie criminelle, op. cit., p. 479. Plus haut l’auteur exprimait avec force sa propre opinion : « Pour nous, nous maintenons par-dessus tout, comme un axiome indiscutable, que l’imputabilité pénale repose sur le libre arbitre », p. 475.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

119

contre le crime, que cette question métaphysique peut être ignorée dans l’étude du droit

pénal. À cet égard, on a coutume de dire que la formation de l’union internationale de droit

pénal répond à cette aspiration335. Fondée par Prins, von Liszt et van Hamel, cette

association de juristes de nationalités différentes entend clairement se démarquer de l’école

positive italienne et se réserver la liberté d’une pleine critique336. L’objectif poursuivi par

ses membres337 réside dans la mise en place d’un programme scientifique destiné à

l’amélioration de la législation pénale. Il s’agit de rejeter tout programme qui résulterait du

dogmatisme d’une doctrine338. En réalité, qu’il s’agisse de l’union internationale ou de la

naissance d’une nouvelle école appelée l’école éclectique339, il s’est agi à un moment donné

d’instaurer une sorte de compromis avec l’école positive. Le compromis semble avoir

consisté à reconnaître, d’une part, l’utilité de recourir à une approche scientifique du

criminel qui permette de mieux appréhender le phénomène criminel, et d’autre part, à

reconnaître les erreurs commises par l’école classique. On cherche alors, à la manière des

éclectiques, à prendre toutes les idées jugées bonnes quelle qu’en soit l’origine. On

conservera, par exemple, une fonction rétributive à la peine tout en lui adjoignant les

fonctions de rééducation ou réadaptation. Mais ce que l’on a pu présenter comme des

tentatives de conciliation nous paraissent traduire également une autre réalité. En effet, au-

delà de la crise provoquée par le déterminisme et les applications qui en étaient entrevues, il

semble que la résistance des criminalistes ait porté également sur le caractère juridique de

leur démarche.

108. Défense de la citadelle juridique. Ce qu’exprime la réaction critique des criminalistes

français c’est aussi l’inquiétude de voir le droit pénal supplanté par le traitement médical et

scientifique des délinquants-malades. Le « scientisme » excessif du positivisme a semble-t-

il été l’un des motifs de résistance.

L’idée que les criminalistes français ont craint de devoir abandonner leur citadelle

juridique résulte, d’une part, des attaques positivistes à l’endroit du juridisme des classiques

et d’autre part, des craintes qui ont trouvé à s’exprimer durant la crise du droit pénal.

L’école italienne se caractérisait, on le sait, par la volonté de recourir à la méthode

expérimentale et de ne s’intéresser, comme toutes les autres sciences, qu’aux faits observés.

Cette prétention à la scientificité des études criminologiques devait les conduire à découvrir

335 G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel, op. cit., n° 46. 336 Bulletin de l’Union internationale de droit pénal, 1889, p. 20. 337 L’Union comptera parmi ses membres un certain nombre de criminalistes français parmi lesquels : Garraud, Garçon, Gauckler, Lebret, Le Poitevin, Vidal ou encore le publiciste Duguit. 338 Bulletin de l’Union internationale de droit pénal, 1889, p. 21. 339 Sur L’éclectisme, l’origine de cette expression, V. P. CUCHE, L’éclectisme en droit pénal, op. cit. L’éclectisme semble surtout réaliser un compromis entre le classicisme duquel elle conserve les fondements du droit pénal et le positivisme auquel elle emprunte des voies nouvelles tout en condamnant les erreurs des classiques.

L’objet dans le discours

120

des lois régissant avec exactitude le phénomène criminel, l’atavisme était ainsi l’une d’entre

elles. La médecine, la biologie, la psychiatrie, la statistique, l’anthropologie, la sociologie

ou encore l’anthropométrie se présentaient comme les disciplines maîtresses qui

apporteraient leur concours non seulement à l’explication du phénomène criminel mais

aussi au traitement des délinquants340. Quelle place serait alors réservée aux juristes dans la

lutte contre le criminel et la criminalité ? C’est la question qu’ont pu légitimement se poser

aussi bien les théoriciens que les praticiens du droit criminel. Plus encore qu’une résistance

à un changement de paradigme, la réaction des criminalistes français se présente comme

une résistance pour le maintien d’une appréhension juridique du crime et du criminel, mais

aussi d’une communauté de pénalistes, auxquels on reproche rien de moins que le caractère

juridique de leur démarche.

Au lendemain du premier congrès d’anthropologie criminelle de 1885, René Garraud

exprime déjà son inquiétude d’une façon marquante. En ouverture du premier tome des

Archives d’anthropologie criminelle, il publie un mémoire intitulé : « Rapports du droit

pénal et de la sociologie criminelle ». D’emblée, le criminaliste français refuse l’idée d’un

déterminisme fatal et se montre attaché au concept de responsabilité morale. Après quoi, il

pose une question semble-t-il capitale : la sociologie criminelle, cette nouvelle science, doit-

elle absorber le droit pénal ? On voit là combien le raz de marée intellectuel provoqué par

l’école italienne a pu faire douter les juristes de leur avenir et de leur utilité. Bien qu’il

souligne l’existence d’un antagonisme profond entre classiques et positivistes, Garraud

reconnaît que la sociologie criminelle et le droit pénal ont un objet d’étude identique : le

crime et le criminel341. Il affirme néanmoins que ces deux disciplines se placent sous des

angles différents qui doivent d’ailleurs le rester. Le juriste doit, selon lui, continuer

d’étudier le crime comme un phénomène juridique tandis que la sociologie criminelle

pourra l’étudier comme un phénomène social. C’est à une nette délimitation des savoirs et

des compétences que Garraud procède pour sauvegarder l’intérêt des études juridiques en

matière criminelle. Aussi conclut-il que l’homme sain d’esprit et responsable de ses actes

dépendra du droit pénal et que la sociologie criminelle sera plus compétente pour étudier

l’homme malade, le criminel-né ou atavique342. L’opinion de Garraud n’exprime pourtant

qu’une première réaction.

340 Ferri n’expliquait-il pas que, la science des délits et des peines ne pourrait se ranimer qu’avec la méthode expérimentale, et que la société ne pourrait se défendre utilement contre le crime qu’en abandonnant le doctrinarisme des théories pénales traditionnelles ? Sociologie criminelle, op. cit., 1re éd. française, préface, p. VII-VIII. La rédaction des Archives d’anthropologie criminelle écrira, en guise d’avant propos du tome I paru en 1886, que ce n’est pas par le simple bon sens que l’on peut trouver les règles de l’équité naturelle, celle-ci se trouvant sous la dépendance des lois scientifiques. 341 R. GARRAUD, Rapports du droit pénal et de la sociologie criminelle, Archives d’anthropologie criminelle, tome I, 1886, p. 13. 342 Rapports du droit pénal et de la sociologie criminelle, op. cit., p. 19.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

121

Il faudra attendre quelques années pour voir se dessiner une réaction plus générale et

systématique. On peut en effet situer le cœur de la crise de la science pénale aux années

1889-1890. Deux raisons peuvent être invoquées pour justifier cette datation. Premièrement,

1889 est l’année qui voit se dérouler le second congrès d’anthropologie criminelle à Paris.

Deuxièmement, c’est aux alentours de ces deux années que la doctrine commence à publier

des études critiques à l’égard du positivisme italien. Au congrès de Paris, les juristes

prendront conscience du changement de méthode que l’école italienne est en train

d’organiser dans la science du droit pénal. La révolution qui touche les sciences sociales

gagne la science criminelle. L’opposition entre la méthode juridique traditionnelle et la

méthode nouvelle prônée par les positivistes éclatera. À l’ancienne méthode juridique qui

consistait à rechercher les principes du juste, du droit et du devoir dans le domaine de la

conscience, on entend substituer la méthode d’observation et d’expérimentation343. En

même temps que les juristes y défendent le libre arbitre, le congrès de Paris est marqué par

la très vive résistance qu’ils opposent à l’école italienne344.

En dehors du congrès d’anthropologie, la réaction doctrinale est illustrée par certains

articles ou ouvrages qui laissent apparaître clairement les craintes de leurs auteurs. En 1889,

Vidal écrit ainsi: « La science du droit criminel se trouve ainsi complètement transformée :

elle perd son caractère de science morale et juridique pour devenir une branche des

sciences naturelles et physiologiques (…) Nous savons déjà que telle est la conclusion

dernière de la nouvelle école : enlever aux juristes l’étude et l’application de la science

pénale pour la confier à des spécialistes, anthropologistes et physiologistes » 345. La

menace de la science du droit criminel reste d’actualité quelques années durant puisque, en

1894 Camoin de Vence fait remarquer qu’en réalité la « terza scuola », autrement dit l’école

du positivisme critique, et l’anthropologie criminelle ne sont pas si éloignées puisque

« l’une et l’autre veulent l’assujettissement de la science criminelle et du droit pénal à

l’anthropologie »346.

Ces exemples sont parlants et il n’est pas exagéré d’affirmer que les juristes se sont

sentis menacés intellectuellement et professionnellement. La menace apparaissait d’autant

plus criante que les positivistes proposaient de transformer ce qui constituait le cœur même

de l’activité des juristes. Au congrès d’anthropologie de 1889, on décida par exemple que

l’enseignement des sciences de l’homme, telles que la médecine légale et la psychologie,

devait être introduit dans les facultés de droit. Il paraissait en effet nécessaire « d’asseoir

343 E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 641-642. 344 Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 642-643, Gauckler explique cela par « l’esprit routinier et traditionnel, propre aux juristes ». 345 G. VIDAL, Principes fondamentaux de la pénalité dans les systèmes les plus modernes, op. cit., p. 402. 346 Les nouvelles évolutions de l’anthropologie criminelle, op. cit., p. 474.

L’objet dans le discours

122

enfin l’enseignement du droit sur des connaissance scientifiques»347. Mais on expliqua

également, lors de ce même congrès, que les magistrats devaient recevoir une instruction

technique et posséder des connaissances scientifiques sur le criminel. On alla même jusqu’à

envisager que les juges, malgré ces connaissances scientifiques acquises, puissent être

soumis à des commissions techniques, seules habilitées à trancher des questions médico-

légales348.

109. Défense de la méthode juridique. Le positivisme scientifique était bien en passe

d’investir la science juridique et la méthode des criminalistes était remise en cause. Il ne

s’agissait donc pas seulement d’une opposition entre deux écoles de droit pénal, comme on

se contente souvent de le dire. Ce sont les méthodes scientifiques et juridiques qui se

trouvaient en concurrence pour traiter d’un même problème. La résistance des juristes s’est

manifestée par l’adoption de la distinction opérée par Garraud entre les deux types

d’activité. C’est à ce prix que la doctrine du droit pénal a, semble-t-il, réussi à conserver la

place qui était la sienne dans l’étude de la délinquance.

Comment juger cette crise au regard de la théorie de Kuhn ? La révolution de la science

du droit criminel a bien eu lieu mais il nous semble, au vu de ce qui vient d’être dit, qu’elle

est restée inachevée. Car les plus importantes aspirations du positivisme scientifique sont

restées insatisfaites. Le déterminisme en tant que paradigme du droit criminel a échoué dans

sa tentative d’élimination du libre arbitre. L’école positiviste italienne a fait progresser la

science du droit pénal sans que la criminologie n’ait réussi à s’imposer au détriment du droit

pénal.

D’ailleurs, à deux reprises Émile Garçon aura l’occasion d’illustrer cette réalité. En

1901, ce criminaliste est amené à évoquer les différents points de vue qui peuvent

désormais présider aux études de droit criminel349. Mais c’est surtout avec sa contribution à

l’exposé des méthodes juridiques350 que Garçon admettra qu’il existe deux méthodes

distinctes pour l’étude du droit criminel, selon que ce dernier est envisagé comme droit

positif ou comme science sociale. Il ne s’agit pourtant là que d’une concession apparente.

Garçon distingue bien la criminologie de l’étude du droit criminel. Mais en réalité la 347 E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 666. Cet auteur ajoute, pour y insister, qu’« Il est grand temps, vraiment, qu’une réforme survienne qui fasse pénétrer dans ces asiles suprêmes des vérités innées et de la scolastique un peu de cet esprit scientifique auquel nous devons de si merveilleux progrès dans toutes les autres parties des connaissances humaines.» 348 E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 664, il s’agissait d’une proposition émise par Pugliese alors qu’il faisait un rapport sur « le procès criminel au point de vue de la sociologie ». 349 C’est dans la préface de son Code pénal annoté que Garçon expose ce qui, selon lui, constitue les différentes méthodes applicables à l’étude du phénomène criminel. Le professeur explique à son lecteur qu’il a, quant à lui, cherché à maintenir le droit criminel dans ses traditions libérales et à répandre les idées nouvelles dans la mesure où elles lui paraissaient justes et utiles. E. GARÇON, Code pénal annoté, op. cit., préface, p. V. 350 E. GARÇON, De la méthode du droit criminel, in Les méthodes juridiques, op. cit.

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

123

méthode juridique apparaît comme celle qui doit prévaloir. La leçon faite devant le collège

libre des sciences sociales consiste bien à exprimer les dangers des nouvelles théories. Que

celles-ci critiquent le droit pénal issu de la Révolution pour en affaiblir les garanties ou

qu’elles prétendent fonder une science criminologique, elles font l’objet des plus grandes

réserves de la part de Garçon351. Appliquer la méthode expérimentale à l’étude du

phénomène criminel lui paraît certes nécessaire. Pourtant, l’auteur n’est prêt à reconnaître la

criminologie que si elle s’avère capable d’obtenir des résultats scientifiques incontestables.

Et quand bien même la criminologie obtiendrait le statut de science, le pénaliste ne lui

reconnaîtrait qu’un caractère auxiliaire du droit criminel et donc de la science du droit

pénal. Garçon plaide donc pour la primauté de la méthode juridique dans l’étude du

phénomène criminel.

Reste à se demander comment se caractérise la méthode du droit criminel. Garçon en dit

finalement peu de choses. Elle passe en premier lieu par une définition du droit criminel. En

tant qu’il est une branche du droit public, il emprunte partiellement la méthode de ce

dernier. Le droit criminel s’analyse donc comme le droit qu’a l’État de punir ceux qui

troublent la société. Comme en matière administrative, l’État est cependant justiciable de

ses actes352. Ce sont les principes proclamés par la Révolution qui fixent les contours de la

méthode du droit criminel. La légalité des délits et des peines, l’interprétation stricte de la

loi pénale, les droits de la défense et la présomption d'innocence sont les éléments

constitutifs de la méthode du droit criminel353.

110. La présomption d’innocence comme élément d’une méthode. Pour Émile Garçon,

la présomption d'innocence fait incontestablement partie de la méthode du droit criminel.

L’affirmation laisse donc à penser que, comme principe méthodique régissant le droit

criminel, la présomption d'innocence constitue un guide de raisonnement aussi bien pour le

législateur que pour les criminalistes. À la question de savoir quelle a été l’influence de la

crise du droit pénal dans l’émergence de la présomption d'innocence, Garçon offre semble-

t-il une réponse sur laquelle il convient de s’arrêter. En effet, nous avions déjà pu constater

que l’apparition de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal était étroitement

liée à la critique qu’en avait fait Ferri quelque temps auparavant. Désormais, l’évocation de

la crise du droit pénal doit apporter un nouvel éclairage sur l’introduction de ce nouvel objet

dans le discours savant. L’exposé de Garçon relatif à la méthode du droit criminel fait

clairement de la présomption d'innocence l’un des termes de l’opposition entre la méthode

appliquée par les positivistes et la méthode des criminalistes d’obédience classique. Les

propos de l’auteur confirment nos observations initiales. Ce qui jusqu’alors ne se présentait

351 E. GARÇON, De la méthode du droit criminel, op. cit., p. 209 et 214. 352 E. GARÇON, De la méthode du droit criminel, op. cit., pp. 199-201. 353 E. GARÇON, De la méthode du droit criminel, op. cit., pp. 201-203.

L’objet dans le discours

124

qu’en filigrane apparaît au premier plan : l’introduction de la présomption d'innocence dans

le discours doctrinal n’est qu’un élément d’un discours dont l’objet est de repousser le

positivisme.

2) La crise comme facteur d’émergence de la présomption d’innocence dans le discours

111. Un objet de discours latent jusqu’à la crise du droit pénal. L’introduction de la

présomption d’innocence dans la littérature juridique pénale n’a eu vraiment lieu qu’avec la

parution de la huitième édition du Précis de droit criminel de René Garraud. Ce n’est qu’à

partir de 1903 que l’on peut donc affirmer que la présomption d’innocence est devenue un

objet du discours doctrinal. Que dire de la présomption d’innocence jusqu’à cette date ? Se

serait se méprendre et conclure un peu vite en déduisant que la présomption d’innocence

n’existait tout simplement pas. Le discours doctrinal étudié, aussi bien pour la période

antérieure que postérieure à la Révolution française a montré que l’idée de présomption

d’innocence n’était pas totalement inconnue ni ignorée et même qu’elle semblait assez

largement admise. C’est surtout les propos de Ferri qui laissent penser que la présomption

d’innocence existe puisqu’elle y constitue un objet de critiques. En revanche, il est

désormais permis de considérer que la présomption d’innocence ne se présentait jusqu’en

1903 que comme un objet de discours latent.

Lorsque la présomption d’innocence fait son apparition dans la littérature pénale

française, elle n’est pas traitée comme une règle nouvelle. Son introduction dans le discours

ne peut être imputée à aucune modification du droit positif de l’époque. Mieux, cette

introduction ne fait l’objet d’aucun commentaire, elle semble être vécue comme un non-

évènement. Enfin, cette apparition dans les ouvrages de droit criminel, devient systématique

et générale mais n’est accompagnée d’aucune justification. Comment alors expliquer cette

émergence de la présomption d’innocence ? Le contexte dans lequel elle a eu lieu paraît

seul pouvoir fournir une réponse.

112. La référence doctrinale au contexte. La seule indication que l’on peut tirer du

discours doctrinal qui a vu l’émergence de la présomption d’innocence, c’est cette référence

systématique à l’ouvrage de Enrico Ferri. En prenant pour appui les critiques de Ferri, les

pénalistes français ont fait de la pensée de cet auteur la seule justification de l’émergence de

la présomption d’innocence dans la littérature savante. Or, La sociologie criminelle de Ferri,

en tant qu’elle est une synthèse des travaux criminologiques des écoles positivistes, offrait

en même temps une synthèse des éléments qui ont fait naître la crise du droit pénal.

L’ouvrage est en effet davantage qu’une présentation des dernières évolutions des théories

positivistes et criminologiques, c’est aussi le lieu où Ferri consacre de longs

développements à exposer les réformes pratiques que ces théories impliquent de mettre en

oeuvre. Parmi ces réformes, il est proposé de se passer pour une large part de la

L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

125

présomption d’innocence, c'est-à-dire de remettre en question certains privilèges consentis

aux accusés par diverses législations européennes. La sociologie criminelle, au sein de

laquelle la présomption d’innocence est critiquée, montre que c’est bien sur fond de crise du

droit pénal que l’on parle pour la première fois de « la présomption d’innocence ».

113. La crise du droit pénal, facteur et non pas lieu d’émergence de l’objet. La crise du

droit pénal apparaît donc non seulement comme le contexte, assez large, dans lequel la

présomption d’innocence émerge, mais surtout comme le facteur par lequel elle émerge. Il

convient toutefois de préciser que la crise du droit pénal est ce qui a permis à la

présomption d’innocence de se constituer comme un objet de discours mais qu’elle n’est

pas le lieu d’émergence de cet objet. La crise du droit pénal est la scène où s’affrontent les

tenants du libre arbitre et ceux du déterminisme, les tenants de la responsabilité morale des

délinquants et ceux d’une responsabilité sociale ; les tenants d’une discipline scientifique,

expérimentale, aux découvertes nombreuses et les tenants d’une conception essentiellement

juridique du crime et du criminel. La présomption d’innocence ne se présente pas comme

un élément de cette crise. Elle n’a vraisemblablement jamais été l’enjeu des discussions qui

se développeront dans les divers congrès ou dans les revues scientifiques.

Lorsque la présomption d’innocence émerge dans le discours doctrinal français, le plus

fort de la crise semble être passé, la troisième édition italienne de La Sociologie criminelle

date alors de plusieurs années. Cela peut sans doute s’expliquer par le fait que les auteurs

français avaient déjà beaucoup discuté des théories positivistes, certaines idées paraissaient

d’ailleurs très bonnes et mériter application. Les criminalistes français ont toutefois tardé à

se référer à l’ouvrage de Ferri, peut-être en raison de son importance. Il aura sans doute

fallu prendre toute la mesure des réformes proposées par le juriste italien avant de présenter

la riposte, avant de s’y référer. Il n’en reste pas moins vrai, que c’est bien la crise du droit

pénal qui explique cette riposte face à certains passages de l’ouvrage de Ferri, en ce sens, la

crise est le facteur d’émergence de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal.

Sans les bouleversements qu’a connu la science pénale à la fin du XIXe siècle, Ferri n’aurait

pas suggéré de ne faire jouer la présomption d’innocence qu’en fonction de la catégorie de

criminel à laquelle appartient la personne poursuivie. Sans la réaction de certains pénalistes

français, la présomption d’innocence n’aurait pas été introduite dans le discours juridique à

ce moment là, de cette manière là.

Il fallait semble-t-il que la présomption d’innocence soit menacée pour qu’elle puisse

être formulée et devenir un objet de discours. Ces conclusions se rapprochent d’ailleurs

largement de celles qui avaient été formulées en droit civil par Véronique Ranouil à propos

du concept d’autonomie de la volonté. Ce rapprochement pourrait d’ailleurs s’avérer

fructueux et permettre d’éclairer sous un autre jour les raisons qui président à l’émergence

L’objet dans le discours

126

de tels objets de discours. Ce n’est toutefois qu’au titre de l’analyse du discours sur la

présomption d’innocence, et non plus seulement de sa place dans le discours, que ces

développements trouveront leur place354.

114. Une émergence durable. Introduite au tout début du XIXe siècle dans les ouvrages

d’enseignement du droit criminel, la présomption d’innocence n’a plus jamais cessé d’être

intégrée à l’exposé du droit criminel positif. Cela étant, ce n’est que progressivement

qu’elle a pu devenir un véritable objet de discours. La place que les auteurs lui ont réservée

dans leurs manuels ou leurs études spécialisées a ainsi évolué tout au long du XXe siècle et

jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, la présomption d’innocence occupe une place importante

dans l’ensemble de la littérature juridique pénale, elle s’est pérennisée. Sa consécration

comme objet de discours paraît alors évidente. Cette évolution, depuis l’émergence jusqu’à

la pleine consécration de ce nouvel objet de discours, mérite d’être désormais retracée.

354 Il sera ainsi à nouveau question du contexte de l’apparition de la formule « présomption d’innocence » au moment de s’interroger sur le fondement du discours doctrinal sur la présomption d’innocence. À cet égard, il convient de renvoyer à la seconde partie de ce travail, n° 377 et s.

127

CHAPITRE 2 LA CONSÉCRATION DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE EN TANT

QU’OBJET DE DISCOURS

115. Une consécration au-delà du seul discours pénal. Pendant une longue période, la

présomption d’innocence semble n’avoir été l’affaire que des seuls pénalistes.

L’observateur qui consulterait aujourd’hui la littérature pénale n’éprouverait aucun doute :

la présomption d’innocence est bien l’un des éléments du discours doctrinal. Toutefois,

législateur et jurisprudence se sont eux aussi emparés de cet objet de discours. C’est ainsi le

discours juridique dans son ensemble qui prête aujourd’hui attention à la présomption

d’innocence. Cela est d’autant plus vrai que les pénalistes ne sont plus les seuls à

l’envisager dans leurs réflexions. Les spécialistes d’autres branches du droit ont en effet

désormais vocation à s’intéresser à cette notion. Civilistes, constitutionnalistes,

internationalistes et spécialistes des droits de l’homme ont vu leurs disciplines saisies par la

question du respect de la présomption d’innocence. Cette contagion à d’autres domaines

que le procès pénal stricto sensu correspond d’une part à la multiplication des sources

formelles de la présomption d’innocence et à l’existence d’une jurisprudence de plus en

plus fournie. On remarque ainsi qu’à partir des années quatre-vingt la jurisprudence

constitutionnelle a eu l’occasion de se prononcer sur le respect de l’article 9 de la

Déclaration des droits de l’homme par le législateur. La loi de 1993 qui a crée un droit

subjectif au respect de la présomption d’innocence a suscité pour sa part une jurisprudence

civile en matière de présomption d’innocence. La Cour européenne des droits de l’homme

a, de longue date, construit une jurisprudence sur l’article 6§2 de la Convention relatif à la

présomption d’innocence. Tous ces discours participent du savoir général sur la

présomption d’innocence. Pourtant, tous ne peuvent être ici analysés.

116. L’intérêt pour le seul discours pénal. Si la présomption d’innocence constitue

désormais l’objet d’autres discours que celui de la doctrine pénale, il ne peut être ici

question de s’intéresser à ces autres discours. Tout d’abord, il est probable que la réception

de la présomption d’innocence par les non pénalistes mériterait à elle seule une étude

approfondie. Il serait à cet égard intéressant de se demander dans quelle mesure le discours

pénal est intégré par les autres branches du droit. Ensuite, il convient de ne pas franchir les

limites tracées pour cette étude. L’objet dont elle entend se préoccuper depuis l’origine est

bien le discours doctrinal pénal sur la présomption d’innocence en tant qu’il peut nous

renseigner sur la manière dont cette partie de la doctrine juridique œuvre à la connaissance

et à l’explication du droit criminel.

L’objet dans le discours

128

Dire que la présomption d’innocence a été consacrée comme objet du discours pénal est

insuffisant. La datation de son émergence et la certitude de sa pérennisation invitent

désormais à se demander quelle place cette présomption d’innocence occupe dans le

discours. Il ne s’agira alors pas seulement de décrire les lieux spécifiques du discours où

elle a émergé mais aussi de se demander quel est, du point de vue de la connaissance

juridique, le statut de cet objet de discours. Une fois déterminé ce statut de la présomption

d’innocence dans le discours doctrinal (Section 1), il conviendra d’expliquer pourquoi l’on

peut aujourd’hui dire de la présomption d’innocence qu’elle s’est pérennisée dans le

discours doctrinal (Section 2). C’est à cette occasion que l’on pourra mesurer l’ampleur de

la production doctrinale et tenter d’en cerner l’incidence sur l’élaboration d’un savoir sur la

présomption d’innocence.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

129

SECTION 1 : LE STATUT DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL

117. Un élément du savoir juridique pénal. En faisant son apparition puis en s’installant

dans le discours doctrinal, la présomption d’innocence est devenue un élément du savoir

juridique criminel. On peut néanmoins s’interroger plus précisément sur ce qu’il convient

d’entendre par là. L’appartenance de la présomption d’innocence au savoir juridique

signifie-t-elle qu’elle constitue seulement un élément du savoir ou doit-on considérer

qu’elle constitue également un objet de connaissance ? En effet, si le savoir juridique est

avant tout doctrinal et donc accessible à travers la littérature des auteurs, il peut se présenter

sous deux aspects différents. En tant que résultat, le savoir juridique est semble-t-il

« l’ensemble de connaissances suffisamment nombreuses, systématisées et amassées par un

travail continu de l’esprit ». Ainsi défini, le savoir n’est autre que l’ensemble des

connaissances transmises par la doctrine et particulièrement dans sa fonction

d’enseignement. Cela dit, la transmission du savoir suppose l’existence de connaissances

acquises et accumulées. Quant à la connaissance, elle doit alors être davantage envisagée

comme un processus tendant à l’acquisition d’un savoir précis sur un ou plusieurs objets

préalablement choisis355. Ainsi, la présomption d’innocence en tant qu’objet du discours

savant peut aussi bien avoir le statut d’un simple objet de savoir que d’un objet de

connaissance.

Dans le premier cas la présomption d’innocence doit être comprise comme un élément

du savoir constitué sur le droit criminel qui sera transmis au titre des connaissances

minimales que tout juriste doit maîtriser. Dans le second cas, la présomption d’innocence

doit être comprise comme un objet spécifique de recherches, lesquelles tendent vers

l’acquisition de connaissances précises et approfondies sur celui-ci. Cette distinction est

importante car, en permettant de distinguer le statut de la présomption d’innocence, elle

nous informe sur l’évolution de la place que la doctrine a pu lui réserver après l’avoir

introduite dans son discours. A cet égard, l’analyse de la littérature criminaliste montre que

la présomption d’innocence se présente tout d’abord comme un objet de savoir dans le

discours doctrinal (§1) avant d’y apparaître comme un objet de connaissance (§2).

§ 1. LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE - OBJET DE SAVOIR

118. Un objet du savoir dogmatique. L’idée que la présomption d’innocence se présente

avant tout comme un objet de savoir résulte du fait que son siège réside dans les traités et

355 Sur la confusion entre savoir et connaissance et les critères de distinction, V. J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, op. cit., p. 10.

L’objet dans le discours

130

manuels de droit criminel. S’il ne fait aucun doute que ces derniers constituent des outils de

savoir privilégiés, il existe par ailleurs d’autres modes de diffusion des connaissances

juridiques et plus particulièrement du savoir sur le droit criminel. Pourtant, l’émergence et

la consécration de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal n’ont pu être

observées que dans les seuls manuels et traités. Ainsi ne trouvera-t-on, pendant longtemps,

aucune manifestation de l’existence de cet objet dans des chroniques, études, articles ou

recueils de jurisprudence356. La remarque est d’importance si l’on veut bien considérer que

les traités et manuels sont les supports ou tout simplement la reproduction des

enseignements dispensés par les professeurs de droit criminel. Le savoir ainsi transmis par

les universitaires ou praticiens relève exclusivement dans ce cas de leurs fonctions

d’enseignement.

Ce savoir peut alors être qualifié de dogmatique357. Il vise ainsi à une description de

l’état du droit en vue d’informer les destinataires, ici les étudiants ou tout juriste non

criminaliste ou encore tout profane. Or il a été remarqué que ces destinataires ont une forte

tendance à assimiler les informations diffusées au droit posé, autrement dit, l’enseignement

du docte est perçu comme « paroles d’évangile»358. Cela signifie que le discours juridique

que constituent les traités et manuels est non seulement adressé au plus grand nombre mais

encore qu’il jouit d’une grande influence. Dès lors que la présomption d’innocence fait son

apparition dans ces ouvrages et dans les cours magistraux dispensés en amphithéâtres, elle

devient partie intégrante du savoir sur le droit criminel.

Reste alors à préciser le rapport que cet élément entretient avec l’ensemble plus vaste

qu’est le savoir sur le droit criminel et particulièrement la procédure. Si la présomption

d’innocence n’est qu’un élément du savoir sur le droit criminel, c’est en partie parce qu’en

réalité elle ne se manifeste, dans un premier temps que comme un élément constitutif de la

théorie des preuves pénales. Il est vrai que la présomption d’innocence entretient

suffisamment de rapport avec la liberté individuelle et son contraire, la détention

préventive, pour que les auteurs aient eu l’occasion de l’évoquer en traitant de ces thèmes. Il

n’en demeure pas moins que la présomption d’innocence reste essentiellement un objet du

356 Les tables des grandes revues généralistes (la Gazette du palais, les recueils Dalloz et Sirey, la Semaine juridique) ou consacrées au droit criminel (Revue de sciences criminelles et de droit comparé, Revue internationale de droit pénal, Revue de droit pénal et de criminologie etc.) ou encore les tables du bulletin des arrêts de la chambre criminelle ne comporteront, jusqu’à une époque très récente, aucune entrée aux mots « présomption », « innocence », ou « présomption d’innocence ». Bien entendu, une telle observation n’exclut pas qu’un auteur ait pu, dans une étude ou une note de jurisprudence, utiliser l’expression présomption d’innocence, voire analyser la notion à l’occasion. Cela dit, on comprendra qu’une recherche aussi approfondie et précise n’aurait pu être menée, seul le hasard ou les circonstances permettent de relever une telle utilisation. 357 J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, op. cit., n° 162 et s. 358 J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, op. cit., n° 162 et s.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

131

savoir sur la preuve pénale (A) pour n’être que secondairement un objet rattaché à la

question de la liberté individuelle par l’étude de la détention préventive (B).

A- LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE : ÉLÉMENT D’UNE THÉORIE DE LA PREUVE PÉNALE

119. La nécessité d’une théorie des preuves pénales. Le droit savant du Moyen Âge et

l’ancien droit avaient construit patiemment une théorie des preuves dont on a déjà évoqué

quelques traits. Connue sous l’expression de théorie des preuves légales en dépit de son

origine doctrinale et jurisprudentielle, cette dernière a été anéantie par la Révolution qui a

consacré le système de l’intime conviction. Aussi, la théorie des preuves pénales dont il est

ici question désigne-t-elle la théorie moderne des preuves pénales telle qu’elle a été

esquissée à la fin du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle.

L’abandon définitif des preuves légales avait fait disparaître toute construction théorique

en la matière. Les criminalistes du siècle suivant avaient bien senti combien un tel travail de

systématisation pouvait faire défaut à la pratique. L’avènement d’une preuve libre laissée à

la lumière des magistrats et des jurés pouvait légitimement dérouter, si bien que l’on essaya

d’orienter le travail des criminalistes en ce sens. En 1836 l’Académie des sciences morales

et politiques proposait à la méditation des jurisconsultes le sujet suivant : Déterminer les

moyens à l’aide desquels on peut constater avec la plus grande certitude, la vérité des faits

qui sont l’objet des débats judiciaires, soit en matière civile, soit en matière criminelle. Le

concours fut prorogé en 1837, or en 1839, seuls deux mémoires étaient parvenus à

l’Académie, ce qui suscita l’étonnement de son rapporteur, le Comte Portalis. Pour ce

juriste, la question posée était de la plus grande importance dans la mesure où une théorie

de la preuve apparaissait « nécessaire pour arriver avec certitude à la connaissance de la

vérité »359. L’impulsion ne semble pas avoir été assez forte. Même s’il est vrai que Faustin-

Hélie tenta de poser les bases d’un tel édifice360, ce n’est qu’avec Garraud et Vidal qu’une

théorie moderne de la preuve verra le jour. L’initiative et la mise en œuvre sont donc

d’origine doctrinale. D’ailleurs les auteurs contemporains admettent volontiers que la

théorie de la preuve pénale est une construction doctrinale361.

359 V. J.-M. PORTALIS, De la preuve en matière civile et criminelle, rapport, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1840, p. 174. 360 FAUSTIN-HÉLIE, La preuve en matière criminelle, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1853, p. 396. 361 Ils l’admettent soit très explicitement : R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, op. cit., 5e éd., n° 14 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., 2005, n° 478 ; J. PRADEL, Procédure pénale, 9e éd., op. cit., n° 265 ; soit implicitement lorsqu’ils développent la matière des preuves en renvoyant de façon significative aux traités et manuels d’auteurs anciens ou contemporains : J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., p.14 ; G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715 ; J.-A. ROUX, Cours de droit criminel français, 2e éd., op. cit., § 73 ; H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel et de législation comparée, op. cit., n° 1239 ; P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et

L’objet dans le discours

132

La doctrine justifie la nécessité de cette construction par l'absence d'une quelconque

théorie générale des preuves dans le Code d'instruction criminelle puis dans le Code de

procédure pénale. On souligne alors le nombre peu élevé de dispositions relatives à la

preuve et leur caractère épars. Les efforts de la doctrine consisteront, tout au long du XXe

siècle, à rassembler ces dispositions et à dégager, aux côtés de la jurisprudence, des

principes directeurs pour cette matière. On explique alors la tardiveté de cette initiative par

le caractère exégétique de la doctrine du XIXe siècle qui, les yeux trop rivés sur le Code

d’instruction criminelle, n’aurait pas été en mesure de dégager une quelconque théorie.

L’œuvre de Bonnier n’est pourtant pas négligeable, et d’autant moins qu’elle constituera

pendant longtemps une référence précieuse pour les auteurs qui lui ont succédé362. Cela

étant dit, les auteurs n’entendent pas toujours exposer une véritable théorie de la preuve

pénale. Aujourd’hui, on peut d’ailleurs douter de l’existence d’une telle théorie, surtout

lorsqu’on est amené à la comparer à l’entreprise anglo-saxonne qui offre de véritables

traités consacrés à la preuve363. En outre il faut observer que, le plus souvent, les auteurs, et

particulièrement ceux de la première moitié du XXe siècle, font preuve de modestie et sous

l’apparence d’une théorie des preuves pénales, n’entendent exposer que « les problèmes de

la preuve en matière criminelle »364.

120. Les questions fondamentales posées par la preuve pénale. La doctrine assigne à

cette « théorie » trois objets qui répondent à trois questions fondamentales en matière

probatoire : tout d’abord, sur qui pèse le fardeau de la preuve ? Ensuite, quels sont les

devoirs du juge lorsque la preuve n'est pas rapportée ? Et enfin, quelle est la nature des faits

à prouver ?365 Au fil du temps la deuxième question se transformera pour devenir la

suivante : jusqu'à quel point doit-on prouver ? Cette dernière trouve aujourd'hui une réponse

dans les développements consacrés à l'appréciation de la preuve366. C’est la réponse à la

première de ces questions qui permettra aux auteurs d’invoquer l’existence de la

présomption d’innocence. Il en est ainsi bien entendu du criminaliste René Garraud

puisqu’il est l’auteur qui a le premier esquissé cette théorie, en même temps qu’il

de criminologie, tome II Procédure pénale, op. cit., n° 1182 ; G. BRIERE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p.10. 362 E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, op. cit. 363 Mme RASSAT estime qu’il est « choquant de voir le peu de place accordée au problème de la preuve en droit français » et fustige la doctrine en jugeant que les développements qu’elle consacre à cette matière sont « frappés d’anémie », Traité de procédure pénale, op. cit., n° 192. L’auteur ne semble cependant pas contester l’origine essentiellement doctrinale de toute tentative de théorisation. En effet, elle appelle elle-même de ses vœux l’introduction d’une véritable théorie de la preuve pénale dans le Code de procédure et, pour ce faire, renvoie aux propositions de réforme qu’elle a émises en ce sens. V. Propositions de réforme du Code de procédure pénale, Dalloz, 1997. 364 A. VITU, Procédure pénale, op. cit., p.183. 365 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle, op. cit., Tome I, n° 229. 366 Par exemple : M.-L. RASSAT, Procédure pénale, 2e éd., op. cit., n° 190.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

133

introduisait dans le discours doctrinal l’expression de « présomption d’innocence »367.

Cependant, il faut attendre quelques années pour voir, chez les auteurs, un lien clairement

établi entre la présomption d’innocence et l’attribution du fardeau de la preuve.

121. Illustrations dans les ouvrages de droit criminel. Le célèbre Cours de droit criminel

de Georges Vidal, poursuivi par Joseph Magnol, en fournit un bel exemple dans sa

cinquième édition. Ces auteurs consacrent un titre entier à la théorie des preuves qui s’ouvre

sur un chapitre premier intitulé : « Charge de la preuve ». Or, dès le premier paragraphe, les

auteurs écrivent : « Tant que cette preuve n’est pas faite, l’inculpé bénéficie d’une

présomption légale d’innocence qui ne tombe que devant la preuve contraire »368.

Roux quant à lui n’utilisera pas l’expression présomption d’innocence. Il préfèrera, dans

les notions générales sur les preuves qu’il expose à propos de la « Manière d’instruire et de

juger les procès », affirmer que « Tout inculpé étant présumé innocent jusqu’au jugement,

c’est à celui qui prétend renverser cette présomption qu’il incombe d’établir la

culpabilité »369.

En 1947, Donnedieu de Vabres ouvre lui aussi la théorie générale des preuves sur la

question de la charge de la preuve. À cette occasion, il est amené à préciser que, en droit

criminel, « l’inculpé est couvert par une présomption d’innocence »370. À lire ces auteurs,

on serait tenté de conclure que la consécration de la présomption d’innocence dans les

traités et manuels est pour le moins discrète. Cette impression est renforcée si l’on

considère, par exemple, que le Cours de droit criminel dispensé par Louis Hugueney durant

l’année 1948-1949 ne fait qu’une brève référence au fait que « l’accusé, en matière pénale,

est couvert par une présomption d’innocence »371. Dans son Dictionnaire des parquets et de

la police judiciaire, Gustave Le Poitevin n’en dira pas davantage, signalant simplement

comme ses pairs que « tout inculpé est couvert par une présomption d’innocence »372.

En revanche, le jeune auteur qu’était Jean Larguier en 1953 avait trouvé l’occasion

d’exprimer très clairement le rôle que pouvait avoir la présomption d’innocence dans la

répartition du fardeau de la preuve. Alors que son étude portait sur la preuve d’un fait

négatif, sa vocation de pénaliste l’avait en effet conduit à réserver quelques considérations

propres au droit criminel et à la présomption d’innocence. Ainsi mettait-il la présomption

d’innocence en relation avec l’impossibilité d’apporter la preuve d’un fait négatif. Mais il

avait également choisi, au moyen d’une note infrapaginale, d’exposer une controverse

367 Sur le discours de cet auteur, V. supra. 368 G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, 5e éd., op. cit., p. 845. 369 J.-A. ROUX, Cours de droit criminel français, Paris, Sirey, 2e éd., 1927, p. 275-276. 370 H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel et de législation comparée, op. cit., n° 1239. 371 L. HUGUENEY, Cours de droit criminel, Paris, Les cours du droit, Licence 2e année, 1948-1949, p. 340. 372 G. LE POITEVIN, Dictionnaire-formulaire des parquets et de la police judiciaire, Paris, Rousseau, 7e éd., 1951, vol. IV, v° Preuve en matière pénale.

L’objet dans le discours

134

doctrinale concernant l’applicabilité de la maxime civile reus in excipiendo fit actor au

procès pénal373.

La présomption d’innocence a donc bel et bien fait son apparition, au début du XXe

siècle, dans la littérature du droit criminel et très précisément à propos de la charge de la

preuve. Si de nos jours elle peut apparaître comme un objet qui a acquis une certaine

autonomie au sein du discours savant, son rattachement au fardeau de la preuve reste

pourtant la première de ses caractéristiques. Il faut tout de même remarquer que les auteurs

n’ont pas tous ni toujours réservé la présomption d’innocence aux questions de preuve.

Certains ont signalé son existence et sa méconnaissance lorsqu’ils traitaient de la privation

de liberté avant jugement.

B- LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET LA DÉTENTION PRÉVENTIVE

Très tôt, alors qu’ils présentaient la présomption d’innocence au titre des règles

gouvernant la preuve, les auteurs ont fait observer que la présomption d’innocence

constituait une garantie de la liberté individuelle. Il semblerait pourtant que le doyen

Carbonnier fut l’un des tout premiers artisans d’une réflexion qui devait mettre en rapport la

présomption d’innocence avec la privation de liberté résultant de la détention avant

jugement. Alors jeune docteur, celui qui allait devenir l’éminent juriste que l’on sait, offrit

une étude remarquée sur le problème de la détention préventive374. L’évocation de la

présomption d’innocence résulte de l’examen critique des arguments tendant à affirmer

qu’une telle détention est un mal. Parmi ces raisons, le doyen Carbonnier s’intéresse tout

d’abord à l’innocence et à la présomption d’innocence dans leurs rapports avec la

détention préventive, et n’évoquera la souffrance résultant de la détention préventive que

dans un second temps375. Bien qu’ancienne, cette étude conserve aujourd’hui toute sa valeur

et la doctrine criminaliste continue d’y faire référence376.

Quelques années plus tard le célèbre avocat et criminaliste Maurice Garçon exposera lui

aussi les difficultés de conciliation entre la détention avant jugement et la présomption

d’innocence377. S’agissant des traités et manuels, la plupart des auteurs ne traitent que très

rarement de la présomption d’innocence lorsqu’ils exposent la détention préventive,

aujourd’hui dite provisoire. On doit cependant faire remarquer que MM. Stéfani et

373 J. LARGUIER, La preuve d’un fait négatif, Rev. trim. dr. civ., 1953, p. 7-8. 374 J. CARBONNIER, Le problème de la détention préventive, Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, 1937, p. 193. 375 La position adoptée par l’auteur, et les arguments qu’il développe, seront étudiés plus loin. Pour l’heure, il ne s’agit que de signaler la publication de cette étude et de noter que la présomption d’innocence y tient une place relativement importante. 376 V. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, op. cit., 4e éd., n° 123. ; J. PRADEL, Procédure pénale, 10e éd., op. cit., n° 377. 377 M. GARÇON, La protection de la liberté individuelle pendant l’instruction, Rapport, Rev.int.dr.pén., 1953, p. 165.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

135

Levasseur se présentent comme des pionniers en la matière puisque dès 1974 leur précis de

procédure pénale évoquait la présomption d’innocence à l’occasion de différents

développements378.

Dans tous ces cas cependant, la présence de la présomption d’innocence dans le discours

savant se fait discrète, très discrète. Dans la première moitié du XXe siècle il faut bien

admettre que les auteurs n’ont signalé l’existence de la présomption d’innocence qu’en

« passant ». Il s’agissait là moins de l’exposé d’une notion que de l’usage commode d’une

formule. La présentation de la présomption d’innocence va cependant évoluer dans la

seconde moitié du XXe siècle.

122. Changement de perspective. C’est semble-t-il M. Vitu qui, en 1957, donne la

première impulsion. Ce criminaliste manifeste, dans son célèbre manuel de procédure

pénale, une attention plus particulière à la présomption d’innocence que ses confrères. En

effet, non seulement cet auteur signale que l’inculpé est couvert par une présomption

d’innocence mais il consacre en outre un paragraphe entier à cette expression. Développant

ce qu’il convient de déduire de son existence, il y donne également des indications

bibliographiques au lecteur désireux de puiser de plus amples connaissances à d’autres

sources. Or la première source indiquée fait référence à une étude de Jean Patarin parue en

1956, laquelle portait sur le particularisme de la preuve en droit pénal. Il est par conséquent

très probable que la part plus importante faite à la présomption d’innocence par M. Vitu

trouve son origine dans l’attention portée à cet article. D’ailleurs, la nature aussi bien que

l’ampleur des développements que M. Patarin a consacré à la présomption d’innocence

marquent, selon nous, un tournant dans l’évolution de la place que la doctrine a réservé à

celle-ci. En effet, il est remarquable que la parution de cette étude a eu pour suite une

modification du statut de l’objet dans le discours doctrinal. À partir de 1956, la présomption

d’innocence n’est plus seulement un objet de savoir, elle accède désormais au statut d’objet

de connaissance.

§ 2. LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE - OBJET DE CONNAISSANCE

123. Les études fondatrices. Alors qu’elle n’était jusque là qu’une chose nommée dans un

discours savant qui ne lui prêtait pas grand intérêt, la présomption d’innocence devient une

chose intellectualisée, explorée. L’accession à ce nouveau statut explique, en partie, qu’au

fil du temps cet objet ait acquis une certaine autonomie au sein du discours des pénalistes.

Si bien qu’aujourd’hui, plus personne ne s’étonne qu’un article de doctrine, qu’une thèse ou

378 La consultation de l’index alphabétique est, sur ce point, instructive. Celui de la huitième édition propose, pour l’expression présomption d’innocence, trois entrées. L’une renvoie à la charge de la preuve, l’autre à la détention provisoire et la dernière à la délibération sur la culpabilité. V. G. STÉFANI et G. LEVASSEUR, Procédure pénale, Paris, Dalloz, 8e éd., 1974.

L’objet dans le discours

136

qu’une loi traite essentiellement ou exclusivement de la présomption d’innocence. On peut

y voir une preuve de la pérennisation de la présomption d’innocence au sein du discours

doctrinal. Cela n’a pourtant pas toujours été. Il y a fallu une consécration de la présomption

d’innocence et plus spécialement comme objet de connaissance. Si l’étude de Jean Patarin a

connu un vif succès et s’est révélée être une référence incontournable en matière de

présomption d’innocence, c’est probablement parce qu’il offre la première étude qui

développe la question de la présomption d’innocence. Le rôle déterminant que joueront ses

recherches par la suite autorise, nous semble-t-il, à analyser cette étude comme « article

fondateur ».

La notion d’article fondateur a été développée par Pierre-Yves Gautier dans une

réflexion sur la doctrine où il proposait des critères de reconnaissance des études qui ont

marqué l’histoire de la pensée juridique sur telle ou telle question en matière civile379. Les

jalons posés par M. Gautier peuvent être empruntés et transposés à la doctrine pénale pour

rendre compte du rôle qu’ont pu jouer les travaux de deux auteurs dans la connaissance de

la présomption d’innocence. Il s’agit en premier lieu de l’étude de Jean Patarin (A) et en

second lieu de la thèse de doctorat de Mohammed-Jalal Essaïd (B).

A- « LE PARTICULARISME DE LA THÉORIE DES PREUVES EN DROIT PÉNAL » DE JEAN

PATARIN

124. L’objet de l’étude. En 1956, alors qu’il est jeune chercheur et chargé de cours à la

Faculté de Lille, Jean Patarin se voit confier, par Gaston Stéfani, la réalisation d’une étude

qui devait trouver place dans un recueil consacré à l’autonomie du droit pénal380. Le thème

du particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, dévolu à Jean Patarin, constitue

alors le premier des aspects de cette autonomie. Il ne s’agit pas, par conséquent, d’une

recherche portant particulièrement sur la présomption d’innocence. Cependant, cette

dernière occupe la première place et se voit consacrer l’intégralité de la première section381

alors que la seconde section porte sur les procédés de preuve en droit pénal.

379 P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs (réflexions sur la doctrine), in Le droit privé français à la fin du XXe siècle, Études offertes à P. CATALA, Paris, Litec, 2001, p. 255. 380 G. STÉFANI (dir.), Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, Travaux de l’institut de criminologie de Paris, Dalloz, 1956. 381 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit. Le propos de l’auteur s’articule de la façon suivante : Section I - La présomption d’innocence et ses conséquences : § 1. La présomption d’innocence et la répartition de la charge de la preuve A. Le principe B. Les exceptions à la présomption d’innocence § 2. Les corollaires de la présomption d’innocence A. L’appréciation des preuves B. Le droit à la preuve

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

137

Le propos de l’auteur est clair, il s’agit d’établir que la preuve pénale est soumise à un

régime nécessairement différent de la preuve civile, et ce, en dépit de toutes les similitudes

que l’on pourrait relever entre elles. C’est l’existence du principe de la présomption

d’innocence qui, selon l’auteur, constitue le premier argument justifiant non seulement la

distinction à établir avec les principes civils, mais aussi et par voie de conséquence,

l’affirmation de l’autonomie de la preuve pénale. Pour sa démonstration, M. Patarin est

amené à étudier tout particulièrement cette présomption à laquelle il reconnaît un rôle

déterminant. Ainsi, bien que la présomption d’innocence ne soit pas l’objet principal de

cette étude, elle en constitue un élément essentiel.

Suivant une ligne déjà tracée par les criminalistes, l’auteur situe la place de la

présomption d’innocence dans les règles gouvernant la charge de la preuve. Plus encore,

après avoir mentionné quelques incertitudes doctrinales sur la question, il affirme très

nettement : « C’est une véritable présomption légale, qu’on nomme à juste titre

présomption d’innocence et qui en notre matière fait peser l’entier fardeau de la preuve sur

la partie poursuivante »382. Outre cette fonction d’attribution du fardeau de la preuve, M.

Patarin décide d’étudier en second lieu les corollaires de la présomption d’innocence. Ainsi

se propose-t-il, par exemple, d’examiner la règle in dubio pro reo et son incidence dans un

système de preuve régi par l’intime conviction383.

125. Le caractère fondateur de l’étude. Jusque là aucun auteur n’avait autant cherché à

caractériser la présomption d’innocence dans sa nature, ses conséquences, et son

fondement. En cela, l’article de M. Patarin réalise un tournant décisif et mérite d’être

considéré comme un article fondateur. Il convient de préciser alors en quoi il peut recevoir

cette qualification.

M. Gautier, appelle article fondateur « Une publication rédigée par un universitaire,

jeune ou plus mûr qui, sur un sujet déterminé par lui, est de nature à contribuer à

l’enrichissement de la pensée scientifique »384 et observe que ce qui le caractérise

essentiellement c’est d’être une pensée nouvelle. « Au départ, il y a généralement l’intuition

qu’un sujet qui n’a pas été jusqu’à maintenant traité à fond, (…), pourrait en quelque sorte

recevoir ses titres de noblesse »385 explique M. Gautier.

382 Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7, p. 18. 383 Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22. 384 P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs, op. cit., n° 1, p. 255. L’auteur, pour son analyse, raisonne sur des études publiées dans trois grandes revues généralistes du début du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle. Or l’article de M. Patarin est paru quant à lui dans un ouvrage collectif. Aucun obstacle véritable ne semble cependant interdire l’analogie. Le fait même que M. Patarin n’ait pas été totalement libre dans le choix de son sujet ne semble pas déterminant, notamment parce que celui-ci n’était justement pas la présomption d’innocence mais la question du particularisme de la théorie des preuves pénales. 385 P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs, op. cit., n° 4, p. 257.

L’objet dans le discours

138

Il est probable que M. Patarin, préparant alors le concours d’agrégation sous la direction

bienveillante de Gaston Stéfani n’ait pas eu une totale liberté dans le choix de son étude386.

Il n’en reste pas moins vrai qu’une défense aussi précise et aussi bien orchestrée du

particularisme de la théorie des preuves s’avérait novatrice. Fonder ce particularisme sur

l’existence de la présomption d’innocence était sans aucun doute également très novateur.

En outre, le sentiment qu’à l’époque, la présomption d’innocence constituait un sujet qui

n’avait pas été traité à fond, est aisé à partager. La jeunesse de l’auteur et le besoin de

reconnaissance par ses pairs expliquent très probablement qu’il ait pu mener à bien une

entreprise aussi hardie387. Il faut y voir le premier ingrédient de ce qui constituera un article

dit fondateur.

Au-delà de la nouveauté de l’entreprise, ce sont le résultat et ses conséquences qui

caractérisent l’article fondateur. Ils résident dans le fait que l’étude fondatrice jette si bien

les bases de réflexion sur tel ou tel point que d’autres auteurs viendront, par la suite,

apporter des développements en y consacrant thèses, articles ou notes au même sujet388.

C’est ainsi qu’un article, qui devient une référence pour les futures générations de juristes,

peut recevoir la qualification d’article fondateur. Sur ces points, il ne fait aucun doute que

l’étude de M. Patarin a consacré la présomption d’innocence comme objet de connaissance

et a inspiré d’autres auteurs après lui. En effet, on peut aisément observer ce phénomène de

référencement, notamment dans les notes infrapaginales, par lequel la doctrine procède à la

consécration d’un auteur ou d’une étude. Pierre-Yves Gautier y insiste, les articles

fondateurs sont tributaires de la citation doctrinale, « car c’est par la référence qui y est

faite dans les cours, manuels, codes annotés, encyclopédies, etc. qu’elles pourront

continuer à survivre, pour toucher de nouveaux lecteurs ». L’auteur souligne que dans cette

tâche de référencement la responsabilité morale de la doctrine est lourde, en ce qu’elle

conduit à ne citer que l’essentiel, c'est-à-dire les articles de base. Et d’ajouter : « Il est sans

doute préférable de privilégier les idées sur la synthèse, même si c’est moins confortable.

Car c’est bien ainsi que se forge la conscience juridique »389. Or, l’article de M. Patarin, en

dépit de son titre et de son objet, a très vite, et pendant longtemps, trouvé une place de choix

386 M. Stéfani semble avoir été un fervent défenseur de l’idée que le droit pénal jouit d’une autonomie par rapport aux autres disciplines juridiques. Le particularisme de la preuve pénale en est une illustration et l’attachement qu’y porte cet auteur est manifeste, V. G. STÉFANI, Droit pénal et procédure pénale, Les cours du droit, 1966-1967, p. 560 et s. ou encore G. STÉFANI ET G. LEVASSEUR, Procédure pénale, Dalloz, 8e éd., 1974, n° 27 et s. 387 L’auteur exprime lui-même cette réalité en écrivant : « Il peut paraître téméraire d’ériger en un principe particulier du droit pénal la présomption d’innocence et de lui accorder une importance décisive dans la répartition de la charge de la preuve », n° 4, p. 15. Plus loin, il ne craindra pas d’affirmer que la présomption d’innocence, principe proclamé par la Déclaration des droits de 1789, a une portée générale quand bien même la valeur juridique du préambule de la Constitution qui l’accueille est contestée et que l’article de la Déclaration ne tend qu’à interdire toute arrestation arbitraire, n° 7, p. 18. 388 P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs, op. cit., n° 4, p. 258. 389 P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs, op. cit., n° 16, p. 265-266.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

139

dans les références bibliographiques relatives à la présomption d’innocence390.

Naturellement, les thèses qui ont paru sur la présomption d’innocence n’ont pas manqué de

l’inclure également dans leur bibliographie.

À cet égard, l’une d’entre-elles, la première, doit beaucoup à cet article et fournit une

nouvelle illustration de son caractère fondateur. En effet, la thèse de M. Essaïd, si elle

étudie l’institution selon une optique naturellement plus large, emprunte nombre de pistes

tracées et de positions adoptées par M. Patarin. Ainsi peut-on observer d’une part, que

l’accent qu’avait mis Jean Patarin sur le rapport de la présomption d’innocence avec la

liberté individuelle391 sera exploité par Essaïd puisque son étude comporte, non seulement

une partie relative à la présomption d’innocence et au problème de la preuve, mais

également une seconde partie consacrée au problème de la liberté individuelle. D’autre part,

M. Patarin avait exposé les critiques faites à la présomption d’innocence qu’il avait relevées

en doctrine et spécialement celles qu’avait formulées l’école positiviste italienne392. Or

l’exposé de ces critiques sera développé et approfondi par M. Essaïd qui, comme M. Patarin

proposera une réfutation de la doctrine positiviste393. En outre, on retrouve dans la thèse de

cet auteur une structure des développements consacrés à la charge de la preuve identique à

celle qu’avait choisi Jean Patarin quelques années plus tôt394. Enfin, la même remarque peut

être faite à propos de l’étude de l’intime conviction et de la règle in dubio pro reo395. Bien

entendu, l’œuvre de M. Essaïd est jalonnée de références à l’étude fondatrice sur le

particularisme de la théorie des preuves en droit pénal.

126. L’influence de l’étude sur le contenu du discours doctrinal. L’importance de la

démarche adoptée par M. Patarin ne se limite pas à l’incidence qu’elle a pu avoir sur les

recherches fondamentales menées par la suite. Elle paraît avoir également et rapidement

modifié la perception de cet objet de discours par les autres criminalistes. Ainsi, l’étude de

M. Patarin aurait conféré quelques lettres de noblesse à la présomption d’innocence,

390 Outre le renvoi opéré dans son manuel par M. Vitu et déjà signalé plus haut, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal est cité, notamment, par MM. P. BOUZAT ET J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., p. 913 ; MM. BRIÈRE DE L’ISLE ET P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 10 ; MM. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 123. M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit. ; PH. MERLE, Les présomptions légales en droit pénal, Paris, LGDJ, 1970, n° 4 ; A.-C. DANA, Essai sur la notion d’infraction, Paris, LGDJ, 1982, n° 238 et s ; D. VIRIOT-BARRIAL, La preuve en droit douanier et la Convention européenne des droits de l’homme, Rev.sc.crim., 1994, p. 544. 391 « Au cours de l’instruction définitive, le défendeur prétend faire respecter sa liberté et son honneur qui sont menacés par l’accusation (…) La protection de la liberté individuelle exige, en matière pénale, que nul ne soit tenu pour coupable, en dépit même des plus graves soupçons, tant que la preuve complète de la culpabilité n’a pas été administrée », Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, n° 4, p. 14. 392 Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 8. 393 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 89 à 96. 394 Comp. ESSAÏD, n° 163 à 168 et PATARIN, n° 11 et s. 395 Comp. ESSAÏD, n° 471 et s. et PATARIN, n° 21 et s.

L’objet dans le discours

140

autorisant les auteurs à la considérer désormais comme un objet digne d’intérêt et méritant

de plus amples recherches.

C’est à la faveur d’un glissement sémantique que l’on peut apercevoir cette évolution

dans la façon de présenter, mais aussi de percevoir, la présomption d’innocence. Alors que

les auteurs énonçaient l’existence d’ « une » présomption d’innocence396, ils se montreront

plus prompts à envisager « la » présomption d’innocence397. Cette modification n’est pas

sans importance ni signification si l’on se souvient de ce qui distingue les articles indéfinis

des articles définis dans l’usage du français, fut-il juridique.

127. De l’usage des articles indéfini et défini dans le discours. L’usage d’un article

indéfini tel que « une » marque la référence à un élément quelconque. Deux types d’emplois

peuvent en être faits. Il peut s’agir soit d’un emploi dit spécifique soit d’un emploi

générique. Dans le premier cas « l’article indéfini extrait de la classe dénotée par le nom et

son expansion un élément particulier qui est uniquement identifié par cette appartenance et

qui n’a fait l’objet d’aucun repérage référentiel préalable »398. Dans le second cas,

l’élément quelconque auquel renvoie le groupe nominal introduit par « un » est considéré

comme exemplaire, représentatif de toute sa classe.

Or dans le contexte qui nous intéresse, l’usage de l’expression « une présomption

d’innocence » par les criminalistes, peut être interprété aussi bien dans un sens que dans

l’autre. En parlant d’une présomption d’innocence les auteurs ont pu marquer une distance

par rapport à l’objet qu’ils énonçaient et manifester ainsi le peu de caractérisation et

d’identification de cet objet auquel le « une » réfère. Mais il est également certain que

l’usage de l’article indéfini « une » pour parler de la présomption d’innocence a pour effet

de la rattacher à une classe générale qui est celle des présomptions juridiques. Il semble

qu’en réalité il faille cumuler les deux interprétations de cet usage. D’une part en parlant

d’ « une » présomption d’innocence la doctrine a manifesté sinon sa réticence à employer

une telle expression, du moins le manque de connaissance dont elle disposait quant au

signifié. D’autre part, elle réduisait, de fait, cette incertitude en signifiant au lecteur, par

hypothèse juriste, que cette présomption n’était qu’une présomption de plus parmi les

396 V. G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, 5e éd., op. cit, n° 715 ; H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit., n° 1239 ; L. HUGUENEY, Cours de droit criminel, op. cit., p. 340 ; G. LE POITEVIN, Dictionnaire des parquets, op. cit., p. 531 ; P. BOUZAT ET J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., n° 1183. 397 Le manuel de M. Vitu est quant à lui une belle illustration de ce passage puisqu’il évoque l’existence d’ « une » présomption d’innocence mais plus loin s’attarde sur « la » présomption d’innocence lorsqu’il cite notamment l’étude de M. Patarin. V. également : R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, PUF, 1965, p. 226, qui sont en réalité les premiers auteurs à faire une large place à « la » présomption d’innocence ; L. BOYER, Cours de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 257. 398 M. RIEGEL, J.-C. PELLAT et R. RIOUL, Grammaire méthodique du français, Paris, PUF, 1994, p. 159.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

141

présomptions déjà connues. La présomption d’innocence pouvait donc apparaître tout

simplement comme un instrument de la technique juridique.

Le passage de l’article indéfini à l’article défini « la » est très intéressant concernant

l’analyse du discours sur la présomption d’innocence puisque, cette fois-ci, il s’agit de

« référer à une entité identifiable à partir du seul contenu descriptif du groupe nominal ».

Dans l’usage que les criminalistes en font, le plus significatif est que « l’article défini

présuppose l’existence et l’unicité ». Dans ce cas, expliquent les grammairiens, « il n’y a

pas d’autre(s) référent(s) accessible(s) qui vérifie[ent] la description de la réalité désignée

par le groupe nominal »399. Le passage au « la » manifeste donc l’acquisition d’un nouveau

statut de la présomption d’innocence dans le discours savant. L’emploi de l’expression mais

aussi la réalité à laquelle elle renvoie semblent reconnus par les auteurs. L’article de M.

Patarin aurait alors joué le rôle d’une procédure d’intronisation. Désormais la présomption

d’innocence sera visée pour elle-même, elle acquiert donc une existence propre au sein du

discours et du coup des connaissances qu’il véhicule.

Ce changement manifeste est révélateur. Pourtant, quelles conclusions en

tirer concernant notre objet de discours ? Faut-il comprendre, par exemple, qu’il aurait donc

fallu le courage et peut-être « l’inconscience » d’un jeune juriste pour, qu’après s’être

aventuré sur des terres que les criminalistes aguerris jugeaient trop peu sûres, l’on

reconnaisse qu’il s’agissait bien là d’un objet méritant sa place au sein du savoir juridique ?

Dans cette hypothèse, il faudrait comprendre que la doctrine aurait admis par là avoir

désigné un objet en le nommant sans pour autant s’être acquittée d’une analyse ni d’une

explicitation. Son discours serait donc passé de la simple utilisation d’une formule à la

reconnaissance d’une réalité juridique susceptible d’être objet de connaissance. Ce serait

renforcer davantage un constat : la présomption d’innocence a d’abord été présente dans la

littérature comme un simple objet constitutif d’un savoir plus vaste avant de devenir l’objet

d’un discours s’inscrivant dans la prospective juridique.

Autrement dit, la doctrine du droit pénal a parlé « de présomption d’innocence » avant

de s’inquiéter de savoir ce que cela pouvait vouloir signifier ! Et a posteriori on peut

entrevoir l’embarras des auteurs qui se trouvent comme libérés par l’article de M. Patarin.

Garraud peut fournir un exemple de cet embarras. Cet auteur n’entre pas dans la catégorie

des auteurs qui exprimaient la présomption d’innocence en usant de l’article « une ». Mais

le cas de Garraud est particulier, s’il utilise en effet l’article défini « la » c’est simplement

parce qu’il reprend purement et simplement l’usage qu’en faisait Ferri pour critiquer la

présomption d’innocence. Cela est confirmé par une observation : dans la première allusion

399 M. RIEGEL, J.-C. PELLAT et R. RIOUL, Grammaire méthodique du français, op.cit., p. 154.

L’objet dans le discours

142

qui y est faite, Garraud met l’expression présomption d’innocence entre guillemets400. Or la

mise entre guillemets exprime une mise à distance par l’énonciateur. Il s’agit de signifier au

lecteur un changement de niveau énonciatif. Les termes entre guillemets relèvent d’un autre

discours qui est alors rapporté. En outre, les guillemets servent à exprimer une réserve de

l’auteur par laquelle il manifeste son refus de voir les termes entre guillemets assimilés à

son propre discours. Cela étant, les guillemets introduisent une faille dans le discours qu’il

appartient au lecteur de combler par son interprétation401.

Le rôle de M. Patarin pourrait être d’avoir comblé ce manque, et l’on retiendra

finalement que, l’expression « présomption d’innocence » n’avait sa place dans le discours

doctrinal qu’en filigrane. Ce sont les recherches de M. Patarin qui ont contribué à la faire

accéder à une pleine existence. Cet article qui désigne déjà « la » présomption d’innocence

a trouvé son prolongement dans le choix de « la présomption d’innocence » pour sujet

d’une thèse de doctorat.

B- LA THÈSE DE DOCTORAT DE M.-J. ESSAÏD

128. Comblement d’une lacune. En 1969, au terme d’une réflexion de six années,

Mohammed-Jalal Essaïd offre à la science du droit pénal les premières recherches sur la

notion de présomption d’innocence. L’évènement est d’importance et il sera largement

souligné par Gaston Stéfani dans la préface élogieuse qui introduit la publication de cette

thèse en 1971. Il estime en effet que, « En lui consacrant sa thèse de doctorat M. Essaïd

vient de combler une importante et regrettable lacune », mais aussi qu’elle constitue un

travail d’une valeur peu commune et mérite d’être lue et méditée aussi bien par les

théoriciens que par les praticiens402. L’éloge est mérité puisque plus de trente années ont

passé, d’autres travaux ont été publiés mais la thèse de M. Essaïd demeure « la » référence

en la matière. En effet, par le procédé de la « citation-incorporation »403 les pénalistes ont

fait de cette étude le point de départ de toute connaissance relative à la présomption

d’innocence404.

400 R. GARRAUD, Traité d’instruction criminelle, op. cit., tome 1, n° 31. 401 P. CHARAUDEAU et D. MAINGUENEAU (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002, v° Guillemets. 402 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., Préface de Gaston Stéfani, p. 9-10. 403 V. PH. JESTAZ et CH. JAMIN, L’entité doctrinale française, D. 1997, p. 174. 404 R. LEGEAIS, La présomption d'innocence et les juridictions de jugement, étude comparée du droit français et du droit anglais, in L’innocence, Travaux de l’institut de criminologie de Paris, Néret, 1977, p. 47 ; J. PRADEL, note sous TGI Paris 11 décembre1978, D. 1979, p. 348 ; J. VALLANSAN, note sous Cass.crim., 19 mars 1986, D. 1988, p. 571 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz, 20e éd., n° 123, p. 102, note 2 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, op. cit., 5e éd., p.182, note 1 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit, 12e éd., p. 321; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., p. 318, note 2., 49, et 50. J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Domat-Montchrestien, 7e éd., 1999, p. 270 ; M. DE VILLIERS et TH. RENOUX, Code constitutionnel commenté et annoté, op. cit., p. 108. C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., Dalloz, février 2003, v° Présomption d’innocence.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

143

129. Point de départ de toute connaissance sur la présomption d’innocence. Cette thèse

est ainsi devenue un véritable fond commun sur lequel se sont édifiés nombre d’articles de

doctrine mais surtout toutes les thèses parues depuis. Ces dernières ont en effet repris en

grande partie la division entre les deux grands thèmes touchant la présomption

d’innocence : la question de la preuve et celle de la liberté individuelle. Elles sont

aujourd’hui les deux éléments fondamentaux que bon nombre d’études sur la présomption

d’innocence abordent. Les investigations doctrinales les plus récentes vont certes au-delà en

traitant du problème (nouveau ?) de l’atteinte à la présomption d’innocence notamment par

les médias, mais également de la dimension européenne et comparée du principe. Cela dit,

l’intérêt de cette thèse demeure aujourd’hui encore. Cela est semble-t-il justifié par le fait

que M. Essaïd a découvert, puis posé les éléments essentiels à la compréhension de la

présomption d’innocence. Aussi, après lui, les auteurs n’ont-ils pas recherché quelles étaient

l’histoire, les sources ou la nature juridique de la présomption d’innocence. La thèse de M.

Essaïd leur a fourni nombre de présupposés pour leurs propres raisonnements. C’est

probablement pour cette raison que l’on a pu présenter le travail de M. Essaïd comme une

« théorie générale » de la présomption d’innocence405. On peut d’ailleurs remarquer que,

depuis la parution de ce travail, plus aucune thèse portant sur la présomption d’innocence

n’a fait l’objet d’une publication406. Il s’agit bien là d’un signe qui montre, non pas

nécessairement l’absence de qualité des thèses les plus récentes, mais tout du moins la

qualité et la pertinence manifestement reconnues à celle que proposa M. Essaïd, en même

temps que cette publication rend ces travaux les plus accessibles aux lecteurs.

Par là, on voit clairement que la parution de cet ouvrage produit deux effets : le premier

réside dans la confirmation du nouveau statut auquel la présomption d’innocence a accédé.

Après l’article de Patarin et la thèse de Essaïd, il ne fait plus aucun doute que la

présomption d’innocence est désormais un objet de connaissance. Elle n’est plus seulement

un élément appartenant à l’ensemble plus vaste qu’est le savoir juridique pénal, elle est

également un champ d’investigation pour les criminalistes. Elle acquiert alors une visibilité

dans le discours doctrinal qu’elle n’avait jamais atteint jusque là. Cela dit, la tendance la plus récente serait d’abandonner une telle référence. Aujourd’hui, soit les auteurs ne ressentent pas le besoin de recourir à une telle caution, faisant de leur propre discours une source première de connaissance, soit leurs références porteront sur des études plus récentes qui appréhendent la présomption d’innocence sous l’un de ses aspects particuliers, par exemple celui de droit subjectif, tel qu’il a été consacré en 1993 dans le Code civil, V. Par exemple : G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, in L’innocence, Travaux de l’institut de criminologie de Paris, 1977, p. 14 et suivantes ; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d'innocence, Justice, avril 1998, p. 53 ; C. LOMBOIS, La présomption d'innocence, Pouvoirs, n° 55, 1990, p. 81 ; R. BADINTER, La présomption d'innocence, histoire et modernité, in Le droit privé français à la fin du XXe siècle, études offertes à Pierre Catala, Paris, Litec, 2001, pp. 133-149 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit. 405 V. J. PRADEL, note sous TGI Paris 11 décembre1978, op. cit., p. 348. 406 L’observation vaut en tout cas jusqu’à la moitié de l’année 2006. Les thèses citées qui n’ont pas été éditées en librairie demeurent toutefois accessibles, mais avec davantage de difficultés dans les bibliothèques des universités où elles ont été soutenues.

L’objet dans le discours

144

À la suite de cette thèse qui fut largement diffusée grâce à sa publication chez un éditeur,

la littérature juridique produite viendra conforter l’idée de consécration de la présomption

d’innocence comme objet de discours et de savoir. C’est la raison pour laquelle on peut

parler de la pérennisation de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

145

SECTION 2 : LA PÉRENNISATION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS

130. De la pérennisation à la banalisation. Quiconque consulte aujourd’hui un instrument

de documentation juridique peut y trouver sans difficulté de substantiels développements

portant sur la présomption d’innocence. Aucune surprise ne devrait accompagner cette

« découverte ». La présomption d’innocence n’est-elle pas « un principe cardinal » de la

procédure pénale ? N’est-elle pas aussi et surtout « un fleuron des droits de l’homme » à la

française dont la formulation semble ne présenter aucun secret même pour l’homme de la

rue ? On peut même dire que depuis une bonne décennie, la présomption d’innocence est

partout, dans toutes les bouches : celle des juristes, de la Cour européenne des droits de

l’homme, du législateur français, des mis en examen et autres personnes suspectées, mais

aussi celle des journalistes. On assiste alors à une sorte de surexposition de la présomption

d’innocence dans le discours juridique qui a pu faire dire à un éminent auteur que « le

principe est devenu un lieu commun de la théorie pénale »407.

Nous proposons de retenir cette hypothèse, selon laquelle désormais, la présomption

d’innocence peut être considérée comme un lieu commun du discours juridique. Il faut

néanmoins préciser dans quel sens nous entendons le « lieu commun ». Il est probable que

M. Pradel ait entendu utilisé l’expression lieu commun en référence à son sens

rhétorique408. Dans ce cas, dire de la présomption d’innocence qu’elle est un lieu commun

est très intéressant puisque cela fait d’elle un axiome, un présupposé indémontrable à partir

duquel sont développées des argumentations. Toutefois, l’exploration du sens ne peut-être

menée qu’au sein d’une analyse du contenu du discours doctrinal409. Pour l’heure, il

convient davantage de s’attacher à la signification première du lieu commun, celle qui

prévaut dans le langage courant et qui n’a pas nécessairement échappé à l’auteur. En effet,

le lieu commun n’est autre qu’une banalité assénée et rebattue dans un discours. Le lieu

commun est ainsi connoté, il est un objet de discours si fréquent qu’il s’est affadi et ne

présente plus aucune originalité. La présomption d’innocence serait donc devenu un poncif.

Or, admettre aujourd’hui que la présomption d’innocence est bien un objet de discours

pérenne ne fait aucune difficulté. En revanche, affirmer qu’il s’agit d’un lieu commun du

discours pénal mérite vérification. En effet, jusqu’ici nos recherches et observations ont

montré que la présomption d’innocence n’avait pas été un objet si représenté dans le

407 J. PRADEL, Rev.int.dr.pén., vol. 63,1992, p. 14. 408 Dans la conception aristotélicienne, le lieu commun est un lieu du discours, c'est-à-dire un argument, mais surtout une idée généralement admise qui peut alors servir de point de départ, il s’agit alors d’un présupposé qui n’a pas à être démontré mais qui servira à une démonstration déductive. 409 V. infra, n° 358 et s.

L’objet dans le discours

146

discours savant, et que même lorsqu’il l’était, sa consécration n’avait été que tardive et

relative. Dire désormais qu’il s’agit d’une banalité nécessite de rechercher ce qui, dans

l’évolution du discours doctrinal, autorise une telle conclusion. Des éléments d’ordre

qualitatif et quantitatif dans la production d’une littérature juridique spécialement consacrée

à la présomption d’innocence permettront d’éclairer l’hypothèse (§1). Ce n’est qu’à la

lumière de telles considérations qu’il sera opportun d’apprécier la valeur de cette

pérennisation, notamment au regard de l’état des connaissances désormais disponibles sur la

présomption d’innocence (§2).

§ 1. LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE : UN LIEU COMMUN DU DISCOURS PÉNAL ?

131. Formulation de l’hypothèse. Se demander si la présomption d’innocence est devenue

un lieu commun du discours est une manière de répondre à la question de savoir comment

la présomption d’innocence s’est pérennisée dans le discours. La banalisation de la

présomption d’innocence n’en demeure pas moins qu’une hypothèse qui demande à être

vérifiée. Il est vrai que la part, toujours croissante depuis la seconde moitié du XXe siècle,

réservée à la présomption d’innocence dans le discours des juristes, peut laisser penser qu’il

en est résulté une banalisation de cet objet de discours. L’hypothèse du lieu commun se

vérifiera aisément et la pérennisation trouvera du même coup de belles illustrations (A).

Pour autant, il conviendra de ne pas négliger certaines observations qui peuvent remettre en

question les premières impressions. En effet, la présomption d’innocence n’est pas

véritablement traitée dans tous les genres de la littérature doctrinale ni partout avec les

mêmes égards, si bien que l’on pourra parler de tempéraments à la banalisation de la

présomption d’innocence (B).

A- L’AUGMENTATION SIGNIFICATIVE DE LA LITTÉRATURE PRENANT POUR OBJET LA

PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

132. Repères chronologiques. On peut dater de la fin des années quatre-vingt le début

d’une augmentation significative de la production doctrinale. Avant cette date, les manuels

et traités de procédure pénale restaient les lieux privilégiés où lui étaient consacrés des

développements. Cependant, certains auteurs ont contribué à élargir le champ du discours

doctrinal au-delà des seuls outils pédagogiques. C’est ainsi que la présomption d’innocence

a trouvé place dans des réflexions relatives à la protection des droits de l’homme410 et

qu’elle a fait l’objet de deux contributions importantes dans un colloque de criminologie

410 V. par exemple l’étude de Anne-Marie et Jean LARGUIER : La protection des droits de l’homme dans le procès pénal, Rev.int.dr.pén., 1966, p. 95 et s. où la présomption d’innocence est évoquée au titre des garanties de la défense.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

147

consacré à l’innocence411. À l’occasion, on a également pu la rencontrer sous la plume

d’auteurs désabusés voire ironiques412.

Mais la surexposition de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal n’est

réellement observable qu’à compter du début des années quatre-vingt-dix. À compter de ce

moment, la présomption d’innocence sera un objet de discours incontournable que les

pénalistes aborderont à différentes occasions et dans des genres tout à fait diversifiés.

Pourtant, deux de ces genres littéraires attirent particulièrement l’attention : les études ou

articles de fond et les thèses de doctorat.

133. La présomption d’innocence dans les articles, études, chroniques… De

l’observation de ces travaux, parus dans les revues juridiques ou encore des contributions à

des ouvrages collectifs, on peut identifier une rupture entre les années soixante-dix ou

quatre-vingt et les années quatre-vingt dix. Les articles qui prenaient pour objet de réflexion

la présomption d’innocence s’avéraient très discrets et peu nombreux. Ils proliféreront à

partir de 1990, date à laquelle une étude portant exclusivement sur la présomption

d’innocence, paraît sous la plume du professeur Claude Lombois413. En ayant égard à la

nature et à l’objet de ces études on ne s’étonnera pas de leur prolifération. En effet, le 4

janvier 1993 est votée une loi portant réforme de la procédure pénale dont l’un des objectifs

annoncés était de renforcer la présomption d’innocence. Ce qui fut fait, notamment par

l’introduction d’un article 9-1 dans le Code civil. Or dès 1990 avait été instituée une

commission présidée par le professeur Delmas-Marty qui avait en charge de préparer le

travail parlementaire en réfléchissant sur la mise en état des affaires pénales414. La doctrine

allait à cette occasion se pencher sur la question de la présomption d’innocence qui était au

cœur de la réforme415. Que ce soit pour préparer l’oeuvre législative, l’expliquer, l’apprécier

ou encore la critiquer, la doctrine a, de fait, produit un discours sur la présomption

d’innocence dans une quantité considérable416.

411 V. G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence et R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement, in L’innocence, op. cit. 412 J. LE CALVEZ, L’inculpation et la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 1987 doct. p. 681 ; et E. CABIÉ, Le magistrat, l’académicien et la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 1989, doct. p. 252. 413 C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, Pouvoirs, n° 55, 1990, p. 81. 414 Pour les travaux de cette commission, V. COMMISSION JUSTICE PÉNALE ET DROITS DE L’HOMME, La mise en état des affaires pénales, Paris, La Documentation française, 1991. 415 Ainsi peut probablement s’expliquer le choix de M. Lombois qui offre une analyse de la présomption d’innocence à la veille d’une réforme annoncée. Un tel travail ne pouvait être que préparatoire à la réflexion du législateur et ce d’autant plus que l’étude paraît dans un numéro de la revue Pouvoirs consacré à un bilan critique du droit pénal. 416 Pour apprécier à sa juste mesure cette augmentation significative de la production doctrinale il convient de renvoyer au corpus doctrinal de référence exposé dans la partie bibliographique. On peut néanmoins signaler quelques exemples de cette visibilité accrue de la présomption d’innocence par les seuls titres de certains articles : W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, Rev.sc.crim., 1991 ; JEAN-LUC, De la présomption d’innocence à la présomption de charge ou l’étrange réforme de maître Vauzelle, Gaz.Pal. 1993 ; P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption

L’objet dans le discours

148

On a pu voir à nouveau dans l’œuvre législative une source d’inspiration du discours

doctrinal sur la présomption d’innocence avec la préparation puis l’adoption de la loi du 15

juin 2000. Cette loi s’étant précisément donnée pour objet de nouveau le renforcement de la

protection de la présomption d’innocence, il était naturel que la doctrine produise un

discours en amont, pour « préparer » la réflexion et en aval pour apprécier le travail

accompli. L’actualité de la présomption d’innocence a donc fourni plusieurs occasions à la

doctrine de prendre la plume et ce dès 1998417. On songe notamment à l’article que l’avocat

Jean-René Farthouat a publié dans la revue Justice, dans lequel il affirme avec une once de

provocation : « la présomption d’innocence est une horreur…qu’il faut absolument

préserver »418.

Il faudrait en outre évoquer, pour la nouveauté de sa démarche, l’étude que l’ancien

garde des Sceaux Robert Badinter, a offert en hommage au professeur Gavalda. M.

Badinter, et cela est suffisamment rare pour le signaler, a eu en effet le mérite

d’appréhender la présomption d’innocence dans sa dimension historique419. La loi du 15

juin 2000, non seulement parce qu’elle devait renforcer la protection de la présomption

d’innocence et l’inscrire pour la première fois dans le Code de procédure pénale, mais aussi

parce qu’elle a suscité la polémique, devait donner lieu à nombre de commentaires. Ainsi,

a-t-elle été un véhicule privilégié de notre objet dans le discours doctrinal. En témoigne par

exemple, le choix de deux grandes revues spécialisées, de consacrer une livraison entière à

d’innocence, JCP. 1994 ; J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 1994 ; PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 1995. H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil, JCP. 1998 I 166. 417 Le 16 septembre 1998 le garde des Sceaux Elisabeth Guigou présentait devant l’Assemblée nationale le projet de loi n° 1079. Il faisait suite au rapport élaboré par la commission Truche. Ce rapport, publié en 1997, faisait d’ailleurs état d’une consultation des membres de la doctrine, mais pas nécessairement pénale. V. par exemple, J. CARBONNIER, p. 158 ; L. FAVOREU, pour l’aspect constitutionnel, p. 166, in Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Paris, La documentation française 1997. 418 J.-R. FARTHOUAT, La présomption d'innocence, op.cit., p. 53. 419 R. BADINTER, La présomption d'innocence, histoire et modernité, op. cit. En effet, en dehors des allusions qui sont faites à la présomption d’innocence dans les manuels (récents) d’histoire du droit pénal, aucune étude d’histoire du droit ne semble avoir été entreprise. C’est un fait curieux, qui n’a d’ailleurs pas échappé à Jean-François Chassaing, puisque cet auteur a récemment suggéré quelques jalons pour cette histoire. V. Jalons pour une histoire de la présomption d’innocence, in AFHJ, Juger les juges, Paris, La documentation française, 2000, p. 232. Ces deux études seront davantage évoquées plus loin. On peut néanmoins déjà signaler qu’elles recherchent et trouvent les origines de la présomption d’innocence au Moyen Âge, c'est-à-dire bien avant la Révolution française.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

149

cet événement420. La majorité des revues, spécialisées ou plus généralistes, se sont fait

l’écho de la loi nouvelle en publiant des analyses doctrinales421.

Ces lois, ainsi que leurs réformes respectives, n’expliquent cependant pas à elles seules

l’augmentation de la production doctrinale consacrée à la présomption d’innocence.

L’incidence qu’elles ont eue sur la multiplication des études consacrées à la présomption

d’innocence est certaine. En offrant, du point de vue de notre objet de discours, les

premières consécrations formelles en droit positif interne, elles méritaient bien quelque

attention doctrinale. Mais il faut également songer à d’autres facteurs.

Le regain d’intérêt pour les études sur la preuve en est un. Il a fourni une occasion

supplémentaire de parler en divers endroits de la présomption d’innocence. À cet égard, le

congrès organisé par l’association internationale de droit pénal ayant pour thème la preuve

en procédure pénale comparée, a donné lieu à la publication d’une littérature riche en

références à la présomption d’innocence. Ainsi, la grande majorité des rapports nationaux et

des rapports de synthèse fait-elle une place constante et déterminante au principe de la

présomption d’innocence422. De manière générale, la présomption d’innocence servira le

raisonnement de chaque auteur qui sera amené à présenter ou à réfléchir sur la preuve en

matière pénale423.

Une autre source de croissance du discours prenant pour objet la présomption

d’innocence réside dans la jurisprudence européenne. La Cour européenne a en effet été

invitée, par les requérants, à interpréter l’article 6§2 de la Convention européenne des droits

de l’homme424 et à indiquer la signification du principe de présomption d’innocence au sens

de la Convention. Cette jurisprudence a elle aussi donné lieu à des commentaires et a servi

420 V. Le premier numéro de l’année 2001 que la Revue de science criminelle et de droit comparé a réservé à la publication des actes d’un colloque intitulé : « Une nouvelle procédure pénale ? Étude de la loi du 15 juin 2000 » ; et également le numéro de la même année que la Revue pénitentiaire et de droit pénal a intitulé « Où va notre procédure pénale ? À propos de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes ». Les deux revues ayant exclusivement publié des études relatives à ce thème. 421 Pour s’en tenir au caractère évocateur (racoleur ?) des titres choisis, V. Par exemple : J. PRADEL, Encore une tornade sur notre procédure pénale avec la loi du 15 juin 2000, D. 2000, p. V ; O. DUFOUR, Présomption d'innocence : la « révolution silencieuse » », PA. 2000, n° 41, pp.3-5 ; D. ROCHER, Mortelle présomption, Gaz. Pal. 2001, n° 84-86, p. 2 ; O. DUFOUR, Quel avenir pour la présomption d'innocence ? PA. 2002, n° 12, p. 4. 422 V. Rev.int.dr.pén., 1992, vol. 63. Pour le droit français, F. CASORLA, p. 183 et s, dont la contribution est une reproduction synthétique du discours doctrinal français. 423 Par exemple : G. LEVASSEUR, Le droit de la preuve en droit pénal français, in C. PERELMAN et P. FORIERS (dir.) La preuve en droit, Bruxelles, Bruylant, 1981, p.175 ; M. vAN DE KERCHOVE, La preuve en matière pénale dans la jurisprudence de la Cour et de la commission européennes des droits de l’homme, Rev.sc.crim., 1992, p. 1 ; M. DELMAS-MARTY, La preuve pénale, Droits, n° 23, 1996, p. 53. 424 «Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

L’objet dans le discours

150

de point de départ à certain nombre d’études425 et notamment à des thèses, dont plusieurs

adoptent en outre une perspective comparatiste.

D’ailleurs, la faveur actuelle pour les études de droit comparé, et en particulier de droit

pénal, est un autre facteur de l’augmentation significative de la production doctrinale. Au

premier rang de ces études, il faut signaler le colloque organisé en 1998 par la Société de

législation comparée qui avait justement choisi pour thème la présomption d’innocence en

droit comparé. C’est par ailleurs un peu la même démarche qu’adopte l’association

internationale de droit pénal puisque les questions traitées par ses membres les conduisent

finalement à une comparaison de leurs droits nationaux. Ce fut le cas lorsqu’elle a choisi de

s’intéresser aux mouvements de la procédure pénale et à la protection des droits de

l’homme426.

C’est enfin avec le développement des enseignements portant sur les droits et libertés

fondamentaux que la présomption d’innocence a pu prospérer comme objet du discours

savant. Un certain nombre d’ouvrages servant de support à ces enseignements (souvent

destinés à la préparation des futurs magistrats et avocats) est paru ces dernières années et

tous abordent le thème de la présomption d’innocence427. S’agissant des thèses de doctorat,

une place à part doit leur être réservée. Ces recherches de la science fondamentale ont elles

aussi proliféré brutalement.

134. La présomption d’innocence dans les thèses de doctorat. On remarque qu’aucune

thèse, depuis celle de M. Essaïd parue en 1970, n’avait été entreprise. En revanche, entre les

années 1996 et 2004 ce n’est pas moins de six thèses consacrées à la présomption

d’innocence qui seront soutenues dans plusieurs universités françaises428. Le décalage est

flagrant. Qu’est-ce à dire ? Il semblerait qu’un soudain besoin de renouveau de la recherche

juridique se soit fait sentir429.

425 V. par exemple : G. JUNOSZA-ZROJEWSKI, La présomption d’innocence contre la présomption de culpabilité, Gaz. Pal. 1989, Chron. p. 308 ; D. VIRIOT-BARRIAL, La preuve en droit douanier et la Convention européenne des droits de l’homme, Rev.sc.crim., 1994, p. 545 ; Le commentaire de l’article 6§2 par J.-C. SOYER, in L. PETTITI (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme, Paris, Economica, 2e éd., 1999 ; ou encore F. MASSIAS, Jurisprudence 2001 relative à la présomption d’innocence, chronique internationale (droits de l’homme), Rev.sc.crim., 2002, n° 2, p. 408 et s. 426 Pour le rapport général dans lequel la présomption d’innocence est traitée, K. TIEDEMANN, Rev.int.dr.pén., 1993, p. 823. 427 V. par exemple : A. SÉRIAUX, L. SERMET et D. VIRIOT-BARRIAL, Droits et libertés fondamentaux, Ellipses, 1998 ; J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Domat-Montchrétien, 7e éd., 1999 ; L. FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, Dalloz, 2000 ; R. CABRILLAC, A.-M. FRISON-ROCHE et Th. REVET (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 7e éd., 2001. 428 Pour les références complètes à ces travaux, V. le corpus doctrinal de référence exposé dans la partie bibliographique. 429 Pour avoir une vue plus exacte de l’ampleur de cet « engouement » il aurait fallu dénombrer les mémoires soutenus pour l’obtention d’un diplôme de troisième cycle et portant sur la présomption d’innocence.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

151

Les raisons précédemment invoquées peuvent ici aussi expliquer l’augmentation du

nombre des travaux. D’une part, pour l’essentiel ces thèses ont été achevées trois à six

années après l’entrée en vigueur de la loi de 1993, c'est-à-dire le temps nécessaire à leur

rédaction, ce qui laisse supposer que la promulgation de la loi a donné une certaine

impulsion aux chercheurs430. D’autre part, l’intérêt des doctorants pour la présomption

d’innocence, ou des directeurs de thèse leur ayant suggéré leur sujet de recherche,

s’explique à la fois par les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et

l’attrait pour les études de droit comparé. La nécessité de synthétiser les solutions

européennes en la matière et le besoin de confronter la conception française à celle d’autres

systèmes juridiques, paraissent avoir déterminé un certain nombre de recherches. Parmi

celles-ci, on doit signaler celles de mesdames Décamps et Daoulas431. Quant à la

problématique choisie par madame Tonglet, si elle ne se présente pas ouvertement comme

européenne, elle n’y reste pas totalement étrangère. En effet, la Cour ayant affirmé à

plusieurs reprises la compatibilité de certaines présomptions dites de « culpabilité » avec la

présomption d’innocence, s’en sont alors suivies des réactions doctrinales plus ou moins

outrées. Sans doute, les travaux de cet auteur participent-ils, ne serait-ce qu’indirectement,

de cette réaction432.

On aura remarqué que les recherches doctorales ont toujours pour cadre le domaine de la

preuve pénale. On peut en conclure que la présomption d’innocence n’avait pas encore été

suffisamment explorée dans son environnement naturel. Cependant, la dernière thèse en

date portant sur la présomption d’innocence opère une rupture avec cette tendance en

démontrant que la présomption d’innocence ne relève pas ou plus du domaine de la

preuve433. Quoi qu’il en soit, toutes ces thèses viennent gonfler le volume de la littérature

juridique portant sur la présomption d’innocence.

Tous ces exemples illustrent la manière dont la présomption d’innocence a pu apparaître

comme un lieu commun du discours pénal. Ils permettent d’observer que désormais la

présomption d’innocence n’a pas seulement sa place dans les ouvrages didactiques. Tous les

genres de la littérature doctrinale paraissent ainsi investis par le thème de la présomption

d’innocence. Aussi peut-on la rencontrer, outre dans les manuels de procédure pénale ou de

430 C’est semble-t-il le cas de M. Ballandier qui a envisagé dans la deuxième partie de son travail les moyens de faire respecter la présomption d’innocence par les médias, préoccupation majeure de la loi de 1993 qui justifie le nouvel article 9-1 du code civil. V. P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, thèse, Aix-Marseille III, 1996. 431 V. J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité : confrontation des systèmes de procédure pénale français et anglais avec la CEDH, thèse, Pau, 1998 ; H. DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, thèse, Poitiers, 1999. 432 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, thèse, Paris XIII, 1999. V. aussi par exemple J. BUISSON, Les présomptions de culpabilité, Procédures, 1999, Chr. 15. 433 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit.

L’objet dans le discours

152

droits et libertés fondamentaux, tantôt dans une étude théorique, tantôt dans un billet

d’humeur, une autre fois dans une étude de mélanges, ou encore dans une chronique de

législation ou de jurisprudence, souvent au centre d’un colloque et enfin dans des thèses de

doctorat. De la même manière ce sont les différentes fonctions des auteurs de doctrine qui

sont représentées : docteurs, professeurs, mais aussi avocats, magistrats et même législateur.

135. La banalisation. La présomption d’innocence est bien, en cette fin de XXe siècle et

début de XXIe siècle, sur toutes les lèvres ou plutôt sous toutes les plumes. Il n’est alors

plus permis à l’apprenti juriste, et à plus forte raison au juriste confirmé, d’ignorer son

existence, ses implications, ses lieux d’expression. Pire, elle tend à devenir un lieu commun.

Elle a donc pris une place si importante, l’expression a trouvé tellement de lieux et

d’occasions pour se répandre qu’elle en est devenue une banalité434. C’est là probablement

l’une des premières impressions lorsqu’on s’attache trop exclusivement à la surexposition

de la présomption d’innocence. Pour avoir une vue plus juste de la part que la présomption

d’innocence a prise dans l’ensemble du discours doctrinal, il faut tempérer quelque peu la

première impression. Pour ce faire, quelques pistes de réflexion seront proposées.

B- TEMPÉRAMENTS À LA BANALISATION

136. Des genres littéraires résistant à la banalisation. Affirmer que la présomption

d’innocence est un lieu commun du discours pénal laisse penser, comme cela a été illustré

plus haut, que la présomption d’innocence se trouve développée et expliquée partout. Il n’en

est pourtant pas tout à fait ainsi. On pourra s’étonner de découvrir que des lieux essentiels

d’expression de la science juridique aient pu, pendant fort longtemps, si peu évoquer la

présomption d’innocence voire purement et simplement l’ignorer. Trois exemples

illustreront ces tempéraments à l’idée que la présomption d’innocence est un lieu commun.

Le premier est tiré de l’analyse du Vocabulaire Juridique publié par l’Association Capitant

et dirigé par le professeur Cornu. Le deuxième concerne les répertoires et encyclopédies

juridiques tandis que le troisième sera pris du faible nombre de notes d’arrêt.

137. La présomption d’innocence dans le Vocabulaire juridique. L’un des éléments

permettant de douter de la banalisation de la présomption d’innocence dans le discours

résulte de l’entrée tardive de la présomption d’innocence dans le Vocabulaire juridique de

l’Association Capitant, autrement appelé Vocabulaire Cornu. Cet outil terminologique dont

aucun juriste ne peut se passer est communément reconnu comme « le » dictionnaire de

référence du juriste, depuis que M. Cornu assure la direction de sa publication et de son

enrichissement. Or, il faut rappeler le caractère éminemment doctrinal de la rédaction d’un

434 Il y a dans cette analyse une connotation péjorative qui renvoie à la signification de l’expression et qui tend à dire que la présomption d’innocence en serait dépourvue. Nous réservons l’approfondissement de cette idée pour la deuxième partie de ce travail.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

153

tel outil. D’ailleurs, dans la préface du Vocabulaire juridique exposant la méthodologie

définitoire suivie, le doyen Cornu l’a largement souligné, de façon d’ailleurs plus ou moins

explicite435. S’agissant des définitions relevant du droit pénal, l’empreinte scientifique, et

donc doctrinale, dans le choix des termes à définir aussi bien que dans la rédaction même

des définitions, est certaine. C’est la qualité de ceux qui ont eu en charge ces définitions, ou

les ont actuellement, qui le confirme436.

La présomption d’innocence ne sera pas définie dans le Vocabulaire juridique jusqu’à la

5e édition incluse, c'est-à-dire jusqu’à la sixième édition de septembre 1996437. Peu

d’auteurs se sont étonnés de cette lacune438. Elle reste pourtant troublante. Si le Vocabulaire

Cornu ne peut accueillir tous les termes utilisés dans le monde juridique, on pense

notamment aux anglicismes ou aux adages, on comprend difficilement qu’une expression

comme « présomption d’innocence » n’ait pas fait l’objet d’une entrée dès la première

édition de 1987439.

Le domaine scientifique couvert par le Vocabulaire n’est pas ici en cause puisqu’il a

vocation à définir les termes de l’ensemble des branches du droit440, le droit pénal et la

procédure pénale tout autant que les autres disciplines du droit privé. Quelle pourrait être

alors la raison pour laquelle ses rédacteurs ont attendu si longtemps avant de consacrer une

entrée à la présomption d’innocence ? Un oubli des rédacteurs ne semble pas

raisonnablement envisageable, il aurait certainement vite été réparé, et dès la seconde

édition, en 1990. Comme le suggérait M. Le Calvez, on pourrait expliquer cette absence de

la présomption d’innocence dans le Vocabulaire juridique par l’inutilité pour les pénalistes

de définir une notion qu’ils connaissaient bien et qui en réalité n’a pas de sens technique

précis441. Mais alors, c’est de l’utilité du Vocabulaire dont il faudrait douter. Et les juristes

435 Expliquant ce qu’il faut entendre par « définir », M. Cornu observe, par exemple, que le travail des juristes a consisté dans un premier temps à se soumettre à l’usage, c'est-à-dire à écouter ce qui se dit dans le monde du Droit. Mais dans un second temps il s’est agi, pour les collaborateurs du Vocabulaire, d’ «extraire de l’usage, par un travail d’analyse et d’ordre, les traits distinctifs qui font que ce qui est dit est une notion… ». 436 Dans la première phase de l’élaboration du Vocabulaire, c’est Georges Levasseur qui fut chargé, avec M. Paucot conseiller à la Cour de cassation, de dresser la liste des mots à définir. Puis collaborèrent à l’entreprise de définition les criminalistes suivants : P. Bouzat, J. Larguier, J. Pradel, ou encore M. Puech. 437 Jusqu’à l’édition de septembre 1996, on remarque qu’il n’existe aucune entrée renvoyant à la présomption d’innocence. À partir de la 6e édition, la présomption d’innocence est définie et cette définition peut être retrouvée en consultant les entrées présomption et innocence. Ce n’est qu’à partir de cette même édition qu’apparaissent également des entrées aux mots : innocent (e), présumer, et doute. 438 V. cependant J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op. cit., p. 26. Jacques Le Calvez faisait quant à lui remarquer que : « si les pénalistes savent ce qu’est la présomption d’innocence, très curieusement les répertoires juridiques ignorent le mot “innocence” », L’inculpation et la présomption d’innocence, op. cit., p. 681. 439 Elle n’était pas davantage définie dans le Vocabulaire publié par Henri Capitant en 1936. 440 V. Vocabulaire juridique, « Quadrige », PUF, 4e éd., 2003, préface, p. IX. 441 En effet, si les dictionnaires de droit se caractérisent non seulement par leur scientificité mais aussi par leur utilité, ils ont vocation à exprimer un sens technique pouvant éclairer les praticiens du droit. Sur l’élaboration des définitions dans de tels dictionnaires, V. M. DEVINAT, Réflexion autour des

L’objet dans le discours

154

non spécialistes de droit pénal ? Et les apprentis juristes en quête de définition ? Il convient

plutôt de rechercher ailleurs une ébauche d’explication.

Il faut probablement se souvenir de l’objet essentiel de l’entreprise du Vocabulaire

juridique : définir les termes juridiques, tous les termes juridiques mais seulement les

termes juridiques. Telle fut en effet la ligne de conduite de ses concepteurs442. Or on

s’accorde bien volontiers pour reconnaître que le terme « innocence » n’appartient pas à la

terminologie juridique443. Ce fut peut-être là un premier obstacle à sa sélection. Car on voit

bien que l’expression « présomption d’innocence » est composée des termes

« présomption » et « innocence » et seul le premier est depuis toujours défini. Pourtant,

l’argument est faible puisque l’obstacle n’aura pas duré : on trouve désormais à l’entrée

« innocence » une définition de l’expression « présomption d’innocence ».

La question de la juridicité de l’expression présomption d’innocence peut également être

soulevée sous un autre angle. En effet, le doyen Cornu soulignait que la mise en oeuvre du

critère de la juridicité, pour retenir ou exclure les termes du Vocabulaire, ne pouvait résulter

de la seule présence formelle d’un mot dans un texte de droit. On pourrait être tenté de

raisonner alors a fortiori. En effet, une définition de la présomption d’innocence ne

s’imposait pas dès lors qu’en 1987 très peu de décisions de justice usaient de l’expression et

aucun texte de droit positif interne ne la contenait. En réalité, seule la doctrine en faisait un

usage relativement courant. Il ne sera question de la présomption d’innocence en législation

qu’avec la loi réformant la procédure pénale du 4 janvier 1993 qui, justement, avait pour

ambition de s’attacher à la valeur des mots pour préserver la présomption d’innocence444 et

qui l’introduisait expressément dans le Code civil. On retiendra, pour l’heure, que la

présomption d’innocence ne trouvait alors l’expression de sa signification que dans les

études doctrinales qui voulaient bien s’y attarder, sans que l’outil pédagogique le plus

répandu n’y prête attention.

138. La présomption d’innocence dans les Répertoires. L’étonnement se poursuit si l’on

s’attarde sur la remarque très pertinente de M. Le Calvez selon laquelle, c’est des

répertoires juridiques que la présomption d’innocence fut longtemps absente. Que la

présomption d’innocence ne soit pas définie n’enlève rien à l’importance que la notion de

présomption d’innocence se voit reconnaître, particulièrement en doctrine. Qu’on ne la

trouve dans aucune entrée de répertoire, et spécialement du répertoire pénal des éditions dictionnaires de droit civil, in J.-C. GÉMAR et N. KASIRER (dir.), Jurilinguistique : entre langues et droits, Montréal, Thémis et Bruylant, 2005, p. 322 et s. 442 Vocabulaire juridique, op. cit., p. IX. 443 Déjà en 1937, le Doyen Carbonnier le faisait observer : « La notion d’innocence est une notion morale, qu’il est toujours difficile de transporter dans le domaine juridique », Le problème de la détention préventive, op. cit., p. 114. 444 On se souvient que par cette loi le droit français a abandonné le terme juridique « d’inculpation » au profit de l’expression « mise en examen » afin d’écarter toute référence à la culpa.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

155

Dalloz, signifie qu’on n’a pas entendu exposer son régime juridique de façon claire,

ordonnée et systématique. Ce n’est en effet qu’en février 2003 que le répertoire pénal

accueille une entrée « présomption d’innocence ». Avant cette date, la question était traitée

de la même manière que dans les manuels et traités de procédure pénale, c'est-à-dire au titre

de la preuve. D’ailleurs, aujourd’hui elle fait l’objet de doubles développements puisqu’elle

est traitée non seulement à titre autonome par Mme Ambroise-Castérot, et à titre subsidiaire

par M. Buisson qui est responsable de la rubrique « preuve » dans le Répertoire. La

présomption d’innocence a beau se trouver dans toutes les bouches, elle n’est pas pour

autant exprimée dans tous les écrits.

Une telle absence peut néanmoins se justifier. C’est bien le manque d’autonomie de la

présomption d’innocence par rapport à la question plus générale de la preuve qui peut

expliquer cette absence d’entrée. Or, de nos jours, le développement des effets de la

présomption d’innocence sur le terrain civil nourrit une littérature abondante et justifie

probablement des développements plus conséquents, si bien que la présomption

d’innocence, comme le fait d’ailleurs madame Ambroise-Castérot, peut être envisagée sous

ces deux éclairages dans des rubriques autonomes.

139. La présomption d’innocence dans les commentaires de décisions. Il s’agit là d’une

particularité de notre objet de discours, il est quasiment absent des commentaires de

jurisprudence proposés par la doctrine. Il faut toutefois distinguer en fonction des juges qui

ont rendu les décisions que la doctrine choisit de commenter.

S’agissant des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, la remarque est

tout à fait justifiée. Il est aisé d’apercevoir à quel point la présomption d’innocence est

absente des commentaires, notes et observations rédigés par les spécialistes du droit pénal.

L’explication n’est pas très difficile à trouver. Très rares sont en effet les décisions pénales

qui font une application de la présomption d’innocence et qui la prennent pour

fondement445. C’est là un motif déterminant qui justifie le silence doctrinal. On doit

cependant préciser par quelques observations particulières.

Tout d’abord, il est à noter que lorsque les décisions judiciaires visent expressément la

présomption d’innocence, la doctrine ne saisit pas nécessairement l’occasion pour réfléchir

sur la notion elle-même. Un exemple, qui sera avec d’autres étudiés plus longuement dans

la deuxième partie de ce travail, peut être tiré d’un arrêt de la cour d’appel de Bourges du 9

445 Cette observation fera l’objet de plus amples développements lorsqu’il s’agira d’étudier le discours sur les sources positives de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal, V. infra, n° 238 et s.

L’objet dans le discours

156

mars 1950 que la doctrine cite pour illustrer l’application jurisprudentielle de la

présomption d’innocence et qui a fait l’objet d’un commentaire pour le moins rapide446.

Ensuite, il faut souligner cette tendance des manuels et traités, qui consiste à citer des

décisions faisant une application de la présomption d’innocence, alors même que les juges

sont demeurés silencieux sur ce point. Il en est ainsi de plusieurs arrêts et jugements

statuant soit sur la charge de la preuve soit sur la relaxe au bénéfice du doute. On observe

que, soit ces décisions ne sont pas commentées, soit elles le sont sans que l’auteur fasse une

quelconque allusion à la présomption d’innocence dans son propos. Un bel exemple peut

être tiré de l’arrêt Bockaert de la chambre criminelle rendu le 2 mars 1966447. Cette décision

a souvent été citée par les auteurs et analysée, après coup, comme une application implicite

mais certaine de la présomption d’innocence. Ainsi, M. Essaïd et MM. Merle et Vitu ont-ils

pu soutenir que cette décision, par laquelle la chambre criminelle impose au ministère

public la charge de la preuve de l’identité du prévenu, ne peut s’expliquer que par la

présomption d’innocence448. Cependant, cet arrêt a fait l’objet de deux commentaires dans

deux revues différentes et il est curieux de voir que seul l’un des deux auteurs fait allusion à

la présomption d’innocence pour en expliquer le fondement449. Un autre exemple

concernant cette fois-ci la relaxe au bénéfice du doute pourrait encore être cité avec l’arrêt

de la cour d’appel de Metz450. Enfin, une troisième attitude doctrinale consiste à évoquer la

présomption d’innocence dans le commentaire d’une décision qui n’a pas trait à la

présomption d’innocence451.

L’absence de la présomption d’innocence des commentaires de jurisprudence doit

cependant être nuancée en ce qui concerne les décisions émanant des autres chambres de la

Cour de cassation ou de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, depuis

446 Dans cette décision, les juges ont déclaré que « un prévenu présumé innocent ne devant en aucun cas être soumis à des voies de fait destinées à lui arracher des aveux par la force, les sévices graves exercés dans ces conditions par des fonctionnaires de la police doivent être sévèrement réprimés. ». Or la publication de cette décision s’est accompagnée des seules observations suivantes : « Répression ferme et sévère par la Cour des violences exercées par des fonctionnaires de police sur un prévenu en vue de lui arracher des aveux », V. JCP. 1950 II 5594. En revanche, la présomption d’innocence a largement été au centre du commentaire que Mme Vallansan a offert suite à l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 19 mars 1986 et qui faisait directement application de l’article 6§2 de la Convention européenne des droits de l’homme, V. note sous Cass. crim., 19 mars 1986, D. 1988, p. 568. 447 Bull., n° 74. 448 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 84, et R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, op. cit., n° 144, p. 184. 449 V. observations sous Cass. crim., 2 mars 1966, JCP. 1967 II 15046, et cependant la seconde note qui est muette, Gaz. Pal 1966, I, p. 391. 450 M. Pradel voyait dans cette décision l’illustration de l’adage in dubio pro reo et donc une application de la présomption d’innocence. Le Conseiller Chambon ne devait quant à lui pas évoquer une seule fois la présomption d’innocence, V. observation sous Metz, 22 février 1980, JCP. 1981 II 19493. 451 Pour un exemple ancien, on peut consulter les observations de J.-A. Roux sous Cass. crim., 15 mars 1929, S. 1930. 1. 353, où l’éminent auteur rappelle l’existence de la présomption d’innocence et de la règle du doute favorable en guise d’introduction à son commentaire. Pour un exemple plus récent, on peut consulter la note de M. Pradel sous TGI Paris 11 décembre 1978, op. cit.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

157

l’insertion de l’article 9-1 dans le Code civil, le droit au respect de la présomption

d’innocence pour chacun a été au cœur de bon nombre de décisions que la doctrine a assorti

de ses commentaires. Mais il faut alors remarquer que ce ne sont alors plus les spécialistes

de droit pénal qui s’expriment sur cette question452. Les commentaires se déplacent

notamment dans la littérature spécialisée au droit de la communication, de la presse et des

médias, domaines directement concernés par la jurisprudence fondée sur l’article 9-1 du

Code civil453 ou encore dans la littérature des constitutionnalistes.

S’agissant des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, elles font

fréquemment l’objet de commentaires, qui souvent n’émanent pas de pénalistes454. La

dernière condamnation de la France, le 10 février 1995, pour violation de l’article 6§2 de la

Convention dans l’affaire Allenet de Ribemont a fait, quant à elle, couler beaucoup

d’encre455. Par ailleurs, on trouve à la Revue de science criminelle une chronique consacrée

à la jurisprudence relative aux droits de l’homme qui peut avoir pour objet de signaler et de

commenter des décisions européennes portant sur la présomption d’innocence456. Au-delà

du seul cercle pénal, les décisions européennes sont régulièrement exposées et annotées

dans les revues généralistes ou spécialisées dans les droits de l’homme, le droit européen ou

encore international457.

Enfin, on pourra s’étonner de ce que les décisions du Conseil constitutionnel, qui a eu à

se prononcer plusieurs fois ces dernières années, sur la compatibilité de diverses

dispositions législatives avec la présomption d’innocence, n’aient pas davantage retenu

l’intérêt des pénalistes458. On observe en effet que si nombre de saisines du Conseil

invoquent une violation de la présomption d’innocence et donnent ainsi l’occasion au juge

constitutionnel de se prononcer sur le respect de l’article 9 de la Déclaration par le

452 V. par exemple, H. BUREAU, La présomption d'innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil, JCP. 1998 I 166 ; E. GARRAUD, Présomption d'innocence et droit à l’image : la Cour de cassation affirme sa jurisprudence, note sous Cass. civ.1re, 12 juillet 2001, RJPF-2001, n° 11, p. 10-12 ; E. DERIEUX, Liberté d’information et respect de la présomption d'innocence, note sous Cass. civ. 2e, 20 juin 2002 (2 espèces), PA. 2002, n° 184, pp.17-20. 453 Ce texte dispose que : « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence. Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. » 454 V. G. JUNOSZA-ZDROJEWSKI, La présomption d’innocence contre la présomption de culpabilité, à propos de l’arrêt Salabiaku, Gaz. Pal. 1989, doct. 1, p. 308 ; 455 V. L.-E. PETITTI, Rev.sc.crim.,1995, p. 639 ; R. KOERING-JOULIN, Rev.sc.crim., 1996, p. 484; J.-F. RENUCCI, D. 1996, somm. com, p.196. 456 V. F. MASSIAS, Jurisprudence relative à la présomption d’innocence, Rev.sc.crim., 2002, n° 2, p. 408 et s. et celle de « Droits de l’homme » qu’assurait M. Pettiti auparavant. 457 V. Par exemple, la chronique de « Droit européen des droits de l’homme » de M. Sudre au JCP., celle de M. Renucci au Dalloz, ou encore celle M. Lambert « La Cour européenne des droits de l’homme » dans le Journal des tribunaux- droit européen. 458 V. infra, n° 251.

L’objet dans le discours

158

législateur, l’essentiel des commentaires que suscitent ces décions émanent de spécialistes

d’autres disciplines que le droit pénal, particulièrement des publicistes459. Il existe

néanmoins des exceptions460.

La présomption d’innocence reste ainsi un objet de discours qui trouve une place

modeste dans les commentaires de décisions par rapport aux autres genres de la littérature

juridique.

Quoiqu’il en soit, la pérennisation de la présomption d’innocence en tant qu’objet de

discours est certaine, elle semble même s’être achevée par une banalisation. Mais il ne s’est

agi jusque là que d’en donner un aperçu d’ordre quantitatif. Certes, l’on parle beaucoup de

la présomption d’innocence depuis une quinzaine d’années et particulièrement depuis que le

législateur a décidé de lui consacrer l’essentiel de la loi du 15 juin 2000. Or, cette

production doctrinale étant en soi l’expression d’un savoir, on peut se demander en quoi

l’augmentation des écrits prenant pour objet la présomption d’innocence a dessiné les

contours du savoir sur ce même objet. À cet égard, l’effet de la pérennisation sur la

connaissance de la présomption d’innocence mériterait une analyse approfondie. Pour notre

part, nous nous en tiendrons à quelques observations.

§ 2. PRODUCTION DOCTRINALE ET SAVOIR SUR LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE.

140. Plan. L’augmentation significative des études doctrinales portant sur la présomption

d’innocence ou s’y référant directement invite à dresser une sorte d’état des sources de

savoir sur cet objet (A). Cet état se caractérisera en particulier par l’abondance. Il y a lieu

toutefois de s’interroger sur le rapport qui peut exister entre l’augmentation de la production

doctrinale et le savoir sur la présomption d’innocence (B).

A- L’ÉTAT DES SOURCES DE SAVOIR D’ORIGINE DOCTRINALE

141. Trois traits caractéristiques de la production doctrinale. L’abondance de la

littérature doctrinale que l’on peut aisément observer ne suffit pas à caractériser l’état du

savoir doctrinal sur la présomption d’innocence. D’autres critères permettent de mieux la

cerner. On retiendra à cet égard d’une part la diversité et d’autre part la féminisation du

savoir touchant à la présomption d’innocence.

459 V. par exemple, les décisions n° 2002-461 DC, 29 août 2002 à propos de la loi d’orientation et de programmation pour la justice ; n° 2003-467 DC, 13 mars 2003- Loi pour la sécurité intérieure ; n° 2004-492 DC, 2 mars 2004- Loi portant adaptation aux évolutions de la criminalité. 460 On peut signaler à cet égard un commentaire assez critique de Mme Lazerges à propos d’une décision récente du Conseil constitutionnel, qui selon elle, a procédé à une « mise à mal de la présomption d’innocence », qui d’ailleurs avait été entamée avec une décision du 16 juin 1999, V. Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 13 mars 2003 », Revue du droit public, 2003, n° 4, p.1159, adde. Du même auteur, Le Conseil constitutionnel acteur de la politique criminelle à propos de la décision n° 2004-492 DC, du 2 mars 2004, Rev.sc.crim., 2004, p. 725.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

159

142. L’abondance. Elle est manifeste à deux points de vue. Tout d’abord, ce sont les

ouvrages à usage d’enseignement du droit criminel qui en attestent.

En effet, on remarque qu’au fil du temps et depuis une trentaine d’années, les

développements consacrés par les auteurs à la présomption d’innocence se sont

considérablement étoffés. La place de la présomption d’innocence dans ces manuels et

traités est non seulement plus grande mais aussi plus visible. Alors que cela n’a pas toujours

été le cas, désormais plus aucun index alphabétique d’ouvrage n’ignore l’entrée

« présomption d’innocence ». Du mémento de Jean Larguier, au traité de Merle et Vitu en

passant par les manuels de MM. Pradel, Soyer ou encore Conte et Maistre du Chambon, il

n’existe plus d’exception à l’indexation. Il n’est pas seulement question de comparer les

quelques lignes qu’écrivait Donnedieu de Vabres en 1948 à propos de la présomption

d’innocence aux pages que consacrent aujourd’hui par exemple, MM. Buisson et

Guinchard461.

C’est aussi et surtout dans l’évolution d’une même œuvre que la comparaison est

flagrante. Le manuel de procédure pénale de Jean Pradel illustre bien le phénomène

puisque, sur une période de vingt ans, les développements consacrés à la présomption

d’innocence y ont quasiment triplé462. Outre la quantité, c’est la structure des

développements qui s’est considérablement affinée. Pour s’en convaincre aisément par

l’exemple, il suffit de consulter le manuel des professeurs Stéfani et Levasseur. En 1974, les

deux auteurs font une courte allusion à la présomption d’innocence qui est, en quelque sorte

« noyée » dans le paragraphe consacré à la charge de la preuve pénale. Trente-deux ans plus

tard, dans le même manuel de procédure pénale la charge de la preuve fait l’objet d’une

section entière qui est structurée autour d’une part, de la signification de la présomption

d’innocence et d’autre part de sa portée, et qui tient sur plus de huit pages463.

L’abondance de la littérature portant sur la présomption d’innocence est ensuite

caractérisée par le nombre de thèses ayant choisi ce thème. Entre 1969 et 2004, huit thèses

ont été soutenues dans diverses universités françaises464. Il ne s’agit là que des thèses dont

le sujet principal est la présomption d’innocence, ce nombre serait très largement supérieur

si l’on y ajoutait les réflexions sur la présomption d’innocence proposées dans des thèses de

droit pénal qui ont axé la réflexion sur un autre thème. À ce décompte on pourrait ajouter

461 Comp. H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op.cit., n° 1239 à 1240 et S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit., 3e éd., n° 367 à 380, n° 405, n° 480 à 484. 462 Comp. J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 3e éd., 1985, n° 252 à 256 et Procédure pénale, 12e éd., n° 383 à 399. 463 Comp. G. STÉFANI et G. LEVASSEUR, Procédure pénale, 8e éd., 1974, n° 27 à 29 et G. STÉFANI, G. LEVASSEUR, B. BOULOC, Procédure pénale, op. cit., 20e éd., 2006, n° 121 à 130. 464 Pour les références complètes de ces études, V. le corpus doctrinal de référence dans la partie bibliographique.

L’objet dans le discours

160

les mémoires de troisième cycle dont le nombre va croissant mais que l’on n’a pas recensé

ici.

Enfin, l’abondance est manifeste si l’on embrasse d’une vue générale le nombre d’études

publiées sur le sujet, qu’il s’agisse d’articles, de chronique, de billets d’humeur, de

contribution à des mélanges ou à des actes de colloques.

143. La diversité. La production doctrinale consacrée à la présomption d’innocence est

riche par sa diversité grandissante. En effet, alors que ce sujet semblait être réservé à la

plume des spécialistes du droit criminel, ce sont désormais les civilistes465, les

publicistes466, les historiens du droit, les sociologues du droit ou encore les spécialistes du

droit des médias et de l’information qui élaborent leur propre discours sur la présomption

d’innocence. Il y a là non seulement une multiplication des sources quantitatives de

connaissance mais aussi une multiplication des points de vue sur notre objet qui ne peuvent

que profiter au lecteur en quête de savoir.

La diversité de la documentation disponible sur la présomption d’innocence concerne

également le degré de généralité proposé par les auteurs. Bien qu’il n’existe pas de traité sur

la présomption d’innocence, le savoir disponible semble pouvoir répondre aux

interrogations du plus grand nombre. Les apprentis juristes trouveront probablement de quoi

satisfaire leur curiosité dans le Vocabulaire juridique Cornu et dans les manuels

élémentaires d’enseignement de la procédure pénale. Les candidats aux concours de la

fonction publique ou au barreau consulteront les ouvrages conçus spécialement pour eux et

traitant, soit des droits et/ou des libertés fondamentales, soit plus précisément de la

jurisprudence européenne consacrée à ce thème. Les praticiens consulteront plus facilement

le répertoire de droit pénal et de procédure pénale ou encore le Juris-Classeur civil. Les

chercheurs auront probablement recours aux thèses, colloques, articles et études publiés sur

le sujet. Quant aux théoriciens, ils disposent depuis peu, outre la documentation déjà citée,

de deux ouvrages plus théoriques et critiques. Une approche plus philosophique de la

présomption d’innocence est en effet tout d’abord proposée dans un volume des essais de 465 Dans les manuels de droit civil et en particulier de droit des personnes, la présomption d’innocence trouve sa place dans l’étude des droits de la personnalité. Il s’agit d’une conséquence directe de l’insertion de l’article 9-1 dans le Code civil qui fait du droit au respect de la présomption d’innocence une prolongation du droit au respect de la vie privée. V. par exemple J. CARBONNIER, Droit civil. 1, Les personnes, PUF, 21e éd., 2000, n° 88 et 96 ; B. TEYSSIÉ, Droit civil : Les personnes, Litec, 8e éd., 2003, n° 37 et 51. 466 Les publicistes abordent désormais volontiers la présomption d’innocence. Il faut y voir la conséquence d’une part, de la prolifération des études, chroniques et ouvrages consacrés aux droits et libertés fondamentaux en France et au niveau européen. D’autre part, prenant acte, ou défendant ardemment le phénomène de constitutionnalisation du droit pénal, les publicistes sont parfois amenés à traiter de la présomption d’innocence. À cet égard on peut signaler les réflexions de monsieur Favoreu entendues par les membres de la commission Truche, in Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Annexes, Paris, La documentation française, 1997, p. 166-174. En outre, tous les aspects de la présomption d’innocence sont traités par M. de Villiers et M. Renoux dans le Code constitutionnel, Litec, 2001, qu’ils ont commenté et annoté, V. pp. 93-108.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

161

philosophie pénale et de criminologie paru récemment et qui consacre neuf contributions à

la présomption d’innocence467. Très théorique et critique est la thèse proposée par Hervé

Henrion qui a pour ambition notamment de réfuter l’ensemble des théories particulières sur

la présomption d’innocence et de poser les jalons d’une théorie de la présomption

d’innocence468.

144. La féminisation du savoir. Depuis une quinzaine d’années, on peut observer que les

réflexions les plus approfondies sur la présomption d’innocence ont été engagées ou

promues par des femmes et qu’elles ont donné lieu à une littérature souvent incontournable

pour qui veut connaître la matière.

Premièrement, c’est le rôle prépondérant des femmes juristes dans la préparation puis

l’élaboration de la loi du 15 juin 2000 qu’il convient de souligner. À cet égard, on ne peut

oublier que la présidence de la commission « justice pénale et droits de l’homme » a été

confiée par le Garde des sceaux à Mme Delmas-Marty. En 1990, cette commission a rendu

un rapport sur la mise en état des affaires pénales qui « expose les lignes de force d’une

réforme de la procédure pénale » et dans lequel la présomption d’innocence occupe une

place importante. En effet, dès le rapport préliminaire rendu quelques mois plus tôt et

orientant les réflexions de la commission, la présomption d’innocence apparaissait comme

l’un des principes fondamentaux du procès pénal469. Or, ce rapport a constitué une référence

essentielle dans l’élaboration du projet de loi sur le renforcement de la présomption

d’innocence et dans les travaux parlementaires. L’inscription de la présomption d’innocence

en tête du Code de procédure pénale était également l’une des propositions émises quelques

années plus tard par Mme Rassat470. Cet auteur fait par ailleurs une large place au principe

dans diverses de ses propositions, qu’il s’agisse de les justifier ou de garantir la présomption

d’innocence471. En outre et bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un auteur de

doctrine, on observera que c’est une autre femme, en la personne de Mme Guigou, qui a

proposé puis défendu la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption

d’innocence. Dans l’élaboration de cette loi, il faut également signaler les travaux réalisés

467 La présomption d’innocence, Revue de l’institut de criminologie de Paris, vol. 4, 2003-2004, Collection Essais de philosophie pénale et de criminologie, Paris, Eska, 2004. 468 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 18-1-2 particulièrement, et généralement, toute la deuxième partie de cette étude. 469 V. La mise en état des affaires pénales, Paris, La documentation française, 1991. Les propositions concernant la présomption d’innocence semblent avoir une grande influence. Après en avoir donné une définition et insisté sur le droit au silence de la personne présumée innocente, la commission a admis la nécessité d’inscrire ce principe en tête du Code de procédure pénale et a proposé l’instauration du plaidoyer de culpabilité, or ce sont là deux réformes que le législateur des années 2000 a effectivement mis en œuvre. 470 M.-L. RASSAT, Propositions de réforme du Code de procédure pénale, Paris, Dalloz, 1997. 471 En effet, l’auteur proposait que soit inséré dans le code un livre préliminaire dont le titre premier était entièrement consacré à présomption d’innocence. Mais on retrouve également l’influence ou la présence de la présomption d’innocence au titre consacré à la preuve pénale.

L’objet dans le discours

162

par Mme Lazerges. Membre de la doctrine pénaliste et professeur de droit, Mme Lazerges a

un temps revêtu les habits du législateur et s’est distinguée en tant que rapporteur de la loi

renforçant la protection de la présomption d’innocence472.

Deuxièmement, comment ne pas être frappé par le nombre de recherches fondamentales

menées par des femmes. En effet, on peut rappeler qu’en 2006, sur sept thèses de doctorat

consacrées à la présomption d’innocence, quatre ont été soutenues par des femmes473. C’est

dire l’intérêt que ces dernières portent à ce sujet et combien elles marquent de leur

empreinte la littérature doctrinale consacrée à la présomption d’innocence.

Troisièmement, en 2003 c’est encore une femme, Mme Ambroise-Castérot qui inaugure

la première rubrique que le répertoire pénal Dalloz consacre à la présomption d’innocence.

Enfin, si la prolifération des études consacrées à la présomption d’innocence a été initiée

par des hommes, le flambeau semble désormais passé aux femmes. En effet, au-delà des

travaux déjà cités, ce sont souvent des femmes qui ont abordé le thème de la présomption

d’innocence dans divers écrits parus ces dernières années. À cet égard, on pourra lire par

exemple la contribution de Mme Koering-Joulin au colloque organisé par la Société de

législation comparée474, mais aussi, l’étude de Mme Samet475 parue à l’occasion de la

présentation de la loi sur la présomption d’innocence ou encore le bilan proposé par Mme

Bureau après cinq années d’application de l’article 9-1 du Code civil476.

Cette place croissante des femmes dans la production d’une littérature consacrée à la

présomption d’innocence peut paraître tout à fait anodine. Tout d’abord, il n’y a peut-être

pas lieu de distinguer les travaux juridiques selon qu’ils ont été réalisés par un homme ou

par une femme, sauf à étendre le fameux principe de la parité jusque dans la production

doctrinale. De plus, on sait que l’ensemble des professions juridiques se « féminise » et il

est logique que la doctrine juridique accueille de plus en plus de femmes. Pourtant, l’intérêt

des femmes pour l’étude de la présomption d’innocence est suffisamment caractérisé pour

qu’il soit permis de le souligner. Le choix d’un sujet de recherche n’est lui, jamais le fruit

du hasard. Au-delà de l’actualité d’un sujet dans la détermination d’un champ de recherche,

la préférence du chercheur, ses affinités, sa sensibilité à telle ou telle question, jouent un 472 V. Rapport A.N n° 2136 du 8 février 2000. Mais aussi, Le projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et le droit des victimes, Rev.sc.crim., 1999 ; Le renforcement de la protection de la présomption d’innocence et des droits des victimes : histoire d’une navette parlementaire, Rev.sc.crim., 2001, p. 7 ; et La présomption d'innocence, in R. CABRILLAC, A.-M. FRISON-ROCHE et TH. REVET (dir), Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 7e éd., 2001. 473 Mmes Décamps, Daoulas, Massol, et Tonglet, V. les références de leurs travaux dans le corpus doctrinal de référence qui figure dans la partie bibliographique. On ne comptera pas ici la thèse de Mlle Rostagni qui en réalité ne porte pas sur la présomption d’innocence en dépit de son titre. 474 R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? in La présomption d'innocence en droit comparé, op. cit., pp.19-26. 475 C. SAMET, La présomption d'innocence, Rev. pénit. dr. pén. 2001, n° 2. 476 H. BUREAU, La présomption d'innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil, op. cit.

La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

163

rôle de premier plan477. Or, la présomption d’innocence revêt un caractère très symbolique

du point de vue des droits de l’homme, des droits de la défense et du respect de la dignité

des personnes. Il y a là un idéal de justice auquel les femmes manifestent peut-être

davantage leur attachement que les juristes de sexe masculin. La caractère protecteur de la

présomption d’innocence, souvent mis en avant, n’y ait probablement pas étranger. Cette

féminisation de la littérature consacrée à la présomption d’innocence illustrerait l’hommage

rendu aux femmes par le doyen Carbonnier qui estimait récemment que le féminin apparaît

comme « l’adoucisseur qui a été crée pour accompagner l’humanité le long des aspérités

du droit pénal »478.

B- LE SAVOIR SUR LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

145. Quantité et qualité. Trois siècles de discours doctrinal viennent d’être survolés. Alors

que la communauté savante n’y faisait quasiment aucune référence jusqu’au début du XXe

siècle, nous avons pu constater que la présomption d’innocence a fait l’objet d’une

consécration progressive dans le discours des criminalistes au point de devenir un objet à

part entière de ce discours, voire finalement un lieu commun. Les travaux portant sur cette

notion sont donc désormais nombreux et variés. Un tel bilan permet-il aujourd’hui de dire

que nous connaissons mieux la présomption d’innocence ? Certes une plus grande quantité

de la production doctrinale a pour effet une plus grande diffusion des connaissances, une

meilleure circulation du savoir pourrait-on dire479. Cependant, la quantité n’est pas un gage

de qualité. Connaître plus ne signifie pas nécessairement connaître mieux.

146. L’existence de lacunes ?. Des lacunes peuvent être relevées qui affectent la qualité du

savoir. S’agissant de la présomption d’innocence, on a d’ailleurs pu estimer de façon assez

étonnante au début de l’année 2004 que, rares sont les études qui lui sont consacrées. C’est

sur cette opinion que s’ouvre les Essais de philosophie pénale et de criminologie portant

pour partie sur la présomption d’innocence. Un auteur s’est ainsi étonné qu’aucun traité ni

monographie n’existe sur ce sujet480. Selon Monsieur Airut, le discours sur la présomption

d’innocence a cruellement manqué de recul, c’est la raison pour laquelle l’institut de

criminologie de Paris a décidé de combler cette lacune481. La remarque vaut d’être

477 On pourrait établir un parallèle avec, par exemple, l’attrait des candidates à la magistrature pour les fonctions de juge pour enfants. Dans ce choix ou ce souhait ce sont les prédispositions des femmes pour s’occuper des enfants qui priment. 478 J. CARBONNIER, Le double visage du droit pénal aux lueurs de sa triple genèse, in Apprendre à douter, Questions de droit, Question sur le droit, études offertes à C. LOMBOIS, Pulim, 2004, p. 21. 479 Toutefois cette circulation peut s’avérer perturbée s’il existe du « bruit », sur cette question, V. J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, op. cit. 480 J.-P. AIRUT, La présomption d’innocence hier et aujourd’hui, Introduction, in La présomption d’innocence, Revue de l’institut de criminologie de Paris, op. cit., p. 9. 481 Ce volume IV des Essais de philosophie pénale et de criminologie aborde la présomption d’innocence dans trois dimensions jusque là effectivement ignorées par la doctrine : la dimension philosophique, historique et criminologique.

L’objet dans le discours

164

soulignée puisqu’elle dément en quelque sorte l’idée que la présomption d’innocence puisse

être un lieu commun. De plus, elle invite à considérer le savoir sur la présomption

d’innocence comme incomplet et semble ouvrir la voie à d’autres recherches. Il n’y a là rien

d’étonnant si l’on considère que « tout savoir a, par nature, vocation à progresser » et que

son état ne saurait être définitif482. Il s’agit surtout d’un signe manifestant peut-être une

nouvelle prise en considération de cet objet de connaissance et donc de discours.

147. Vers la rectification du savoir. La doctrine serait alors en train de prendre conscience

que si la présomption d’innocence est un sujet rebattu, elle n’en a pas pour autant livré tous

ses secrets. Le temps de l’évaluation de l’état du savoir sur la présomption d’innocence

semble venu. On assiste en effet à de discrètes mais non négligeables remises en question

des connaissances qui circulaient jusqu’alors. Le savoir paraît ainsi s’affiner en se

corrigeant. Les grandes certitudes qui caractérisaient le discours doctrinal sont mises à mal.

L’idée que la présomption d’innocence était totalement inconnue de l’ancien droit et de ses

commentateurs, et qu’il ne pouvait d’ailleurs en être autrement est actuellement réfutée par

divers travaux483. Bien d’autres affirmations jusque là admises sans discussions font l’objet

de critiques particulières, spécialement la question de la nature juridique de la présomption

d’innocence484. Il se pourrait que le savoir doctrinal sur la présomption d’innocence soit

entré dans une nouvelle phase de son évolution, il semble que le temps soit venu d’adopter

un regard plus critique et d’affiner les propositions. Maintes occasions seront fournies

d’évoquer ces rectifications, cette nouvelle tendance, tout au long de l’étude du discours sur

la présomption d’innocence. Pour l’heure, une chose est certaine, on parle beaucoup de la

présomption d’innocence dans le milieu juridique savant et dans d’autres cercles comme la

politique, les medias et au comptoir aussi… une autre chose l’est moins : la qualité du

savoir que la doctrine se propose de diffuser.

482 CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op. cit., n° 118 et s. 483 V. en dernier lieu, H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit. 484 On se reportera par exemple à S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, Dr. pén. 2004, Chr. 3. et H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit.

165

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

148. Décalage entre état du droit et du discours. Même si elle est réputée consacrée en

1789, jusqu’à la fin du XIXe siècle la présomption d’innocence est absente du discours des

criminalistes. Or, on aura remarqué qu’il n’en résulte pas pour autant l’absence de toute

référence à la protection de l’innocence. Qu’il s’agisse de la certitude de la preuve, de la

règle du doute favorable ou encore de déterminer la charge de la preuve, les auteurs n’ont

pas manqué de présenter ces points, ils ignorent simplement ce qu’est la présomption

d’innocence et n’usent en conséquence pas de la formule. Alors qu’il n’existe aucune trace

de « la présomption d’innocence » dans le droit positif de l’époque, elle fait son apparition

dans les ouvrages de droit criminel au début du XXe siècle. Il y a ainsi deux manifestations

flagrantes d’un décalage entre, ce qui est censé être l’état du droit positif, et le discours qui

a pour mission de le décrire.

149. Importance de l’émergence comme objet. Quoi qu’il en soit, pour la présomption

d’innocence, devenir un objet dans ou du discours savant revêt une grande signification. Ici,

peu importe ce qui en est dit, c'est-à-dire, le contenu du discours sur cet objet. Le seul fait

d’être visée puis étudiée, traitée, présentée, et enfin expliquée par la doctrine confère à la

présomption d’innocence une grande légitimité. Il se peut fort bien que la chose à laquelle

renvoie l’expression « présomption d’innocence » ait existé et ait été connue avant que

n’apparaisse triomphalement le nom. C’est d’ailleurs ce que confirment les conditions dans

lesquelles l’objet présomption d’innocence a émergé dans le discours, suite aux critiques

positivistes. Il n’en reste pas moins vrai que le discours doctrinal semble avoir eu ce

pouvoir de faire advenir la présomption d’innocence à l’existence juridique.

La raison en est simple, ce pouvoir là résulte directement de la nature et des fonctions de

la doctrine juridique. À cet égard il convient de se souvenir que la doctrine assume, et les

auteurs sont unanimes sur ce point, la responsabilité d’étudier, d’ordonner, de décrire puis

d’expliquer le droit. La fonction de transmission du savoir est non seulement reconnue

comme primordiale mais elle appartient en outre exclusivement à cette catégorie de juristes,

autrement dit ceux qui décident d’écrire sur le droit. Or cette fonction est assumée en

grande partie par les publications, de toute nature. Celui qui veut connaître le droit aura

recours à l’œuvre doctrinale. Parce qu’elle est une autorité scientifique son discours fait, si

l’on peut dire, foi. On pourrait ajouter jusqu’à preuve contraire, tant il est vrai que ce

discours peut être sujet à controverses. Toutefois, ce discours reste la première des sources

de connaissance du droit. Il en résulte naturellement que lorsque la littérature savante

véhicule la référence à un objet de connaissance, naît alors dans l’esprit du lecteur une

présomption, voire une certitude de l’existence de cet objet dans l’ordre juridique. Ainsi,

L’objet dans le discours

166

puisque l’objet fait partie du discours savant, il fait implicitement mais nécessairement

partie du droit. C’est en considération de cette réalité que l’on peut affirmer que l’existence

de la présomption d’innocence est pour partie due à son apparition dans les écrits juridiques

et au fait qu’elle s’y est perpétuée.

150. Prépondérance du discours sur l’objet. Si la seule présence formelle de la

présomption d’innocence dans le discours doctrinal lui confère une forte présomption de

juridicité, c’est tout de même le contenu du discours qui a la plus grande capacité à

persuader de l’existence et de la valeur de la présomption d’innocence. Aussi, après avoir

étudié l’objet « présomption d’innocence » dans la littérature juridique pénale, convient-il

de s’attacher désormais à l’analyse du contenu de du discours.

167

DEUXIÈME PARTIE

LE DISCOURS SUR L’OBJET

151. Analyse critique du discours doctrinal. « Faire savoir » et « savoir-faire », c’est

entre ces deux pôles que se situe l’activité de la doctrine juridique485. Quel savoir sur la

présomption d’innocence la doctrine pénale transmet-elle ? Répondre à la question suppose

de s’intéresser à la notion de présomption d’innocence telle qu’elle est exposée dans la

littérature juridique. L’analyse devra alors porter sur le contenu des énoncés doctrinaux qui

ont pour objet de faire comprendre la présomption d’innocence.

Si une telle démarche présente l’avantage de permettre, dans une certaine mesure,

l’évaluation du savoir sur la présomption d’innocence, elle ne saurait à elle seule renseigner

sur la manière dont ce savoir s’est constitué. Elle doit être accompagnée d’une recherche sur

le savoir-faire doctrinal. Or, seule une analyse critique des énoncés doctrinaux peut révéler

ce double aspect de l’activité doctrinale. Elle consiste à mettre en œuvre le doute

méthodique et à l’appliquer aux affirmations les plus importantes que les pénalistes ont

formulées à l’égard de la présomption d’innocence. Il s’agit donc non pas de tenir pour

acquis ce qui est dit de la présomption d’innocence, mais au contraire d’en rechercher le

sens, les raisons et la légitimité ; et ce au regard du droit positif décrit. C’est à cette

condition que le savoir-faire doctrinal pourra apparaître, notamment par la confrontation des

énoncés doctrinaux aux données positives supposées les fonder. La part que la pure

description, l’interprétation, ou encore la prescription tiennent dans ces énoncés doctrinaux

pourra être ainsi évaluée et les ressorts du discours doctrinal ne s’en trouveront que plus

visibles.

152. Objets de l’analyse. L’analyse des énoncés doctrinaux a porté sur trois aspects de la

présomption d’innocence qui paraissent essentiels. Ce sont les sources, la signification et le

fondement de la présomption d’innocence. Ces trois éléments constitutifs de la notion ont

été observés tels qu’ils se laissent voir dans la littérature juridique consacrée à la

présomption d’innocence, puis analysés de façon critique dans une perspective à la fois

synchronique et diachronique. Une telle analyse permet de pénétrer au cœur de l’activité

doctrinale, d’observer des bruits, des dissonances, mais aussi des silences et des non-dits

dans les énoncés.

485 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, La doctrine entre « faire savoir » et « savoir-faire », op. cit.

Le discours sur l’objet

168

L’activité doctrinale d’interprétation est plus particulièrement visible dans l’étude des

sources de la présomption d’innocence, aussi bien historiques que positives. C’est donc

l’interprétation doctrinale des sources de la présomption d’innocence qui retiendra tout

d’abord l’attention (Titre 1). L’analyse du discours sur l’objet pourra ensuite être consacrée

à la signification et au fondement de la présomption d’innocence tel qu’ils ont été formulés

par les pénalistes (Titre 2).

169

TITRE 1 L’INTERPRÉTATION DOCTRINALE

DES SOURCES DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

153. Sources historiques de la présomption d’innocence. Curieusement, lorsqu’on

interroge la doctrine sur les sources et origines de la présomption d’innocence, la littérature

juridique prise dans son ensemble, paraît avare de réponse. En réalité, la question des

origines de la présomption d’innocence n’a jamais vraiment retenu l’attention de la doctrine

criminaliste. Cette dernière donne le sentiment d’avoir concentré ses efforts sur la

présentation des sources formelles et positives de la présomption d’innocence. Toutefois,

l’analyse du discours a pu jusqu’ici montré que, la doctrine criminaliste a su dater avec

précision la naissance de la présomption d’innocence en droit français. En attribuant à la

philosophie des Lumières l’invention du principe et à la Déclaration des droits de l’homme

sa consécration, nombre d’auteurs contemporains ont choisi d’inscrire la naissance de la

présomption d’innocence dans une logique de rupture historique (Chapitre 1).

154. Sources positives de la présomption d’innocence. L’analyse du discours relatif aux

sources positives de la présomption d’innocence laisse apparaître à plusieurs égards qu’il ne

procède pas d’une simple description de l’état du droit mais bien davantage d’une

interprétation de ce dernier. La « positivité » de la présomption d’innocence résulte pour

une large part de cette interprétation dont il faudra rendre compte. Ainsi sera-t-on en

situation de mesurer combien l’existence juridique de la présomption d’innocence doit aux

efforts de la doctrine pour lui conférer une positivité qui, durant la plus grande partie du

XXe siècle, n’allait pas de soi (Chapitre 2).

171

CHAPITRE 1 LA RÉVOLUTION : SOURCE HISTORIQUE DE LA PRÉSOMPTION

D’INNOCENCE

155. L’avènement d’un nouvel ordre juridique pénal. La Révolution de 1789 et sa

matérialisation juridique dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ont,

comme on le sait, marqué l’histoire du droit français en rompant avec l’ancien droit et plus

particulièrement celui de l’Ancien Régime. Bon nombre d’institutions de notre droit actuel

trouvent leur origine dans cette période et leur expression dans le texte de la Déclaration.

Ainsi, juristes et historiens du droit ont-ils pu attacher une grande importance à la

Révolution de 1789 dans l’avènement d’un nouvel ordre juridique. Les criminalistes ont eux

aussi participé au mouvement et ont mis en évidence les acquis de la Révolution par rapport

au droit criminel en vigueur aux XVIIe et XVIIIe siècle. L’étude de la Déclaration des droits

de l’homme et du citoyen vient d’ailleurs confirmer qu’il y a bien eu une consécration de

principes nouveaux. La doctrine criminaliste n’hésite alors pas à opposer radicalement l’état

du droit antérieur à la Révolution et celui qui en est résulté, comme pour rendre plus parlant

ce changement brusque dont les textes issus de la Révolution demeurent aujourd’hui les

témoins. Il est vrai que certains des acquis de 1789, et non des moindres, touchent tout

particulièrement le droit criminel. L’exigence de la légalité des délits et des peines et

l’abandon du système des preuves légales au profit du système de l’intime conviction font,

par exemple, figure d’innovations voire de révolutions dans l’ordre juridique pénal.

L’histoire de ces principes est bel et bien construite sur la thématique de la rupture486.

156. Origines révolutionnaires de la présomption d’innocence. L’histoire de la

présomption d’innocence participe elle aussi de cette idée de rupture avec l’ancien droit. La

Déclaration des droits de l’homme sert de point d’ancrage à cette affirmation. Ainsi, pour la

doctrine, le principe de la présomption d’innocence trouve son origine dans la Révolution

française. Mais ce n’est pas tout, la référence doctrinale à la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen assure, en réalité, une double fonction. En effet, non seulement ce

texte est invoqué au titre des origines du principe mais aussi comme source formelle.

Comme les auteurs n’ont d’ailleurs pas manqué de le souligner, jusqu’en 1993, l’article 9 de

486 « La Déclaration des droits de l’homme a réalisé un véritable tremblement de terre et ce tremblement de terre, qui a précipité la Révolution française, a amené l’effondrement d’édifices particulièrement respectables et qui paraissaient fondés sur le roc. Tel a été le cas pour l’imposante Bastille du droit répressif sous sa triple formes des peines, de la procédure et des incriminations », G. LEVASSEUR, Les grands principes de la Déclaration des droits de l’homme et le droit répressif français, in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ses origines sa pérennité, Paris, La documentation française, 1990, p. 233.

Le discours sur l’objet

172

la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen constituait la seule source formelle de la

présomption d’innocence en droit interne. La légitimité de ce double rattachement à la

Révolution et à la Déclaration des droits de l’homme avait déjà été contestée lorsque nous

étudions la place de la présomption d’innocence dans la littérature précédant la Révolution

et pendant l’adoption de la Déclaration. Désormais, il est possible d’aller plus avant et de

s’attacher à mettre en évidence l’incertitude de la rupture qui aurait provoqué la naissance

de la présomption d’innocence (Section 1). Que la rupture de 1789 apparaisse incertaine

n’est pas la seule observation que l’analyse du discours suggère. Elle invite également à se

demander si l’allégation n’est pas artificielle (Section 2).

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

173

SECTION 1 : LE CARACTÈRE INCERTAIN DE LA RUPTURE

157. L’affirmation de la rupture dans le discours doctrinal. L’analyse de la littérature

juridique montre d’une part, que les criminalistes qui ont traité ou simplement évoqué la

présomption d’innocence ne se sont pas toujours souciés de préciser quelles en étaient les

sources et origines487. Toutefois, l’analyse montre que lorsqu’ils s’y sont intéressés, les

auteurs ont découvert la naissance de la présomption d’innocence dans la rupture de 1789.

Ainsi, Garraud, qui a introduit le premier l’expression présomption d’innocence dans un

ouvrage de droit criminel, a été complètement silencieux quant à la source ou aux origines

de cette règle. Cela ne l’a toutefois pas empêché d’évoquer la méconnaissance dont elle a

fait l’objet dans l’ancien droit488. Il faudra cependant attendre la thèse de M. Essaïd pour

que la question de l’origine de la présomption d’innocence soit posée et qu’une recherche

soit alors entreprise.

On doit à M. Essaïd l’affirmation la plus nette et la plus argumentée de l’origine de la

présomption d’innocence dans la Déclaration des droits de l’homme et de la rupture qu’elle

opère489. Tout commencerait donc à cette période. Le droit antérieur, du Moyen Âge à celui

de l’Ordonnance de 1670, non seulement ne connaissait mais ne pouvait connaître la

présomption d’innocence. Chez cet auteur, l’idée d’une rupture est manifeste, elle est

d’ailleurs longuement appuyée et se conclut ainsi « En résumé, on peut dire qu’à tous les

niveaux du procès pénal, la présomption d’innocence était ignorée de la procédure

inquisitoire de l’ancien droit. Que l’on envisage les atteintes portées à la liberté

individuelle, les moyens mis en œuvre pour réunir les charges de l’information ou le

système appliqué pour apprécier les preuves et former la conviction du juge, l’accusé était

considéré, dans tous les cas, comme un coupable et traité comme tel» 490 . En 1992, lors

d’un séminaire international organisé par l’Association internationale de droit pénal sur la

preuve en procédure pénale comparée, M. Pradel affirmait à propos de la présomption

d’innocence : « Le principe plonge ses racines dans une histoire ancienne et par exemple

dans l’Habeas Corpus anglais de 1679, puis dans la Déclaration française des droits de

l’homme de 1789»491. On peut en outre aujourd’hui lire dans un dictionnaire de la justice

que « La présomption d’innocence est née le 5 octobre 1789 avec l’article 9 de la

487 V. infra, n° 181, pour le caractère très récent des études historiques sur la présomption d’innocence. 488 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 232 et s. 489 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 13 à 49. 490 La présomption d’innocence, op. cit., n° 32. 491 J. PRADEL, Rapport général sur la preuve, in La preuve en procédure pénale comparée, Rev.int.dr.pén., 1992, Vol. 1, p. 14.

Le discours sur l’objet

174

Déclaration des droits de l’homme, rédigé par Adrien Duport »492. Il est donc clair que la

doctrine criminaliste ne démentira pas l’origine révolutionnaire de la présomption

d’innocence et elle s’appuiera largement sur les recherches de M. Essaïd pour justifier cette

affirmation. Ainsi se confirme le caractère fondateur de la thèse de cet auteur493. En tout

cas, s’agissant des sources de la présomption d’innocence, la thèse de M. Essaïd a bel et

bien constitué le fond des connaissances communes, un point de départ admis par tous et

sur lequel il n’a jamais semblé utile de revenir, bref ce présupposé quasi indiscuté494.

Toutefois, lorsqu’il s’est agi d’envisager plus sérieusement les principes consacrés par la

Déclaration, certains auteurs ont pu paraître plus hésitants495.

Bien qu’assez choquante, l’idée que l’accusé était présumé coupable dans l’ancien droit

et que le doute ne lui profitait jamais, est ainsi largement présente dans le discours des

pénalistes496. De nos jours, Mme Rassat enseigne, par exemple, que « Non seulement, tout

au long du procès la personne poursuivie était présumée coupable et placée délibérément

dans une situation difficile pour se défendre, mais encore elle ne pouvait, en l’absence de

preuves positives de son innocence, bénéficier d’une véritable autorité de la chose

jugée»497. La référence doctrinale à la Révolution en général et à l’article 9 de la

Déclaration des droits de l’homme en particulier, paraît donc largement suffire à attester des

origines de la présomption d’innocence. Il n’en reste pas moins que cette rupture dans

l’histoire de la présomption d’innocence est contestable à deux égards au moins. En effet, si

492 D. SOULEZ-LARIVIÈRE, in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 2004, v° présomption d’innocence. 493 V. supra n° 128 et s. 494 G. BRIÈRE DE L’ISLE ET P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 12 ; A. VITU, Procédure pénale, op.cit., p. 186 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n°144 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 367. 495 Il en est ainsi de Georges Levasseur. Le précis de procédure pénale auquel il a contribué fait une large place à l’idée de rupture, de naissance de la présomption d’innocence dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Pourtant, Lors d’un colloque organisé en 1990, l’auteur sera très nuancé à l’égard de la présomption d’innocence. En effet, il ne la présente pas au titre des principes généraux du droit répressif nouveau qu’il étudie en premier lieu. En outre, c’est le dernier point abordé par son étude et les quelques lignes qui lui sont consacrées témoignent d’une incertitude : « L’article IX de la Déclaration des droits de l’homme déclare incidemment que " tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable". Ce n’est pas le lieu ici de rechercher si la présomption d’innocence existait déjà sous l’ancien droit. On remarquera seulement que l’accusation devait prouver la culpabilité, que l’aveu était la reine des preuves et que la torture permettait trop facilement un aveu qui ne présentait guère de garanties de véracité. (…) Mais le régime inquisitoire traîne toujours le préjugé de poser en principe une sorte de présomption de culpabilité… », V. G. LEVASSEUR, Les grands principes de la Déclaration des droits de l’homme et le droit répressif français, op. cit. , p. 242. 496 Certains auteurs y insistent plus que d’autres. V. J. LÉAUTÉ, Le caractère irréparable de la perte de l’innocence, op. cit., p. 4 ; B. BOULOC, Présomption d’innocence et droit pénal des affaires, Rev.sc.crim., 1995, p. 465 ; J. DÉCAMPS, La présomption d’innocence : entre vérité et culpabilité, op. cit., p. 4-5. CH. LAZERGES, La présomption d’innocence, op. cit., p. 497. La position de Robert Badinter est à ce propos ambiguë. L’idée de rupture est bien présente dans son historique de la présomption d’innocence, mais l’auteur ne nie pas totalement des origines plus lointaines du principe. C’est son ineffectivité dans l’application de l’ordonnance de 1670 qui conduit à affirmer son inexistence avant le XVIIIe siècle. V. La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 136 à 140. 497 M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n°195.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

175

l’on s’attache à l’évolution du droit positif et plus particulièrement à l’évolution du sort qui

est réservé à la personne poursuivie, avant et après la Révolution, la rupture n’est pas si

évidente qu’il n’y paraît (§1). En outre, c’est au regard des justifications avancées en

doctrine qu’un changement brutal paraît douteux (§2).

§. 1 L’INCERTITUDE DE LA RUPTURE AU REGARD DE L’ÉTAT DU DROIT

158. Recherche d’un changement brusque caractéristique d’une rupture. À

l’affirmation selon laquelle la présomption d’innocence est née d’une rupture avec l’ancien

droit peuvent être opposés des arguments de nature à la nuancer passablement, voire à

l’anéantir. En effet, postuler une rupture dans l’histoire du droit pénal qui toucherait à la

présomption d’innocence, suppose qu’un changement brusque de l’état du droit puisse être

observé. Or, il est permis de douter d’un tel changement. Tout d’abord, c’est au regard du

droit antérieur à la Révolution et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que la

rupture concernant la présomption d’innocence se montre incertaine (A). Puis, ce sont les

suites juridiques de la Révolution qui ne permettent pas d’attester d’un réel changement

qu’aurait provoqué la consécration de la présomption d’innocence (B).

A- LE SORT DE LA PERSONNE POURSUIVIE AVANT LA RÉVOLUTION

159. Protection de l’innocence et doute favorable. L’étude de la place de la présomption

d’innocence dans le discours doctrinal a montré que toute considération relative à la

protection de l’innocence n’était pas absente des grands traités de droit criminel des XVIIe

et XVIIIe siècles498. Certes, les auteurs n’ont jamais étudié le principe de la présomption

d’innocence et ignoraient cette expression. Ceux-ci témoignaient pourtant de l’existence de

certaines règles protectrices de l’accusé dont la règle du doute favorable. Or, la doctrine

contemporaine enseigne que le principe du bénéfice du doute est une traduction, dans la

pratique, de la présomption d’innocence. Il y a alors des raisons de penser que la

présomption d’innocence n’était finalement pas totalement inconnue dans l’ancien droit.

160. Il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent.

Rappelons ici que les anciens criminalistes ne cessent d’invoquer la maxime selon

laquelle il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent. Le plus

souvent, cette règle est exprimée en latin, sous la forme : Satius enim esse impunitum

relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnare, avec toutefois des variantes499,

comme c’est souvent le cas à l’époque. Si le principe n’est pas tiré des termes de

l’Ordonnance criminelle de 1670 qui constitue le texte de droit criminel applicable, les

auteurs ne cachent pas son origine. C’est directement au Digeste que la formule est 498 V. supra, n° 41 et s. 499 V. supra, n° 41.

Le discours sur l’objet

176

empruntée. En effet, le Corpus juris civilis de Justinien a repris un rescrit de l’empereur

Trajan500. Le principe est invoqué par les anciens criminalistes pour justifier qu’en cas de

doute, il faut pencher en faveur de l’innocent, c'est-à-dire qu’il faut pencher plutôt pour son

absolution (acquittement) que pour sa condamnation. L’Ordonnance criminelle, dont la

sévérité à l’égard des accusés a fait la réputation, a cependant repris cette règle. Dans le titre

XXV relatif aux sentences, jugements et arrêts, l’article 12 prévoit expressément que « Les

jugements, soit définitifs ou d’instruction, passeront à l’avis le plus doux, si le plus sévère

ne prévaut d’une voix, dans les procès qui se jugeront à la charge de l’appel, et de deux

dans ceux qui se jugeront en dernier ressort » 501.

Jousse consacrait quant à lui un chapitre entier à la question des sentences, jugements et

arrêts. Il a énoncé des règles particulières pour l’examen de la preuve. La première règle à

observer en cette matière est, selon lui502, « que les crimes ne se présument point, et qu’ils

doivent être prouvés. C’est pourquoi dans le doute, quand une action peut-être prise d’un

côté favorable, ou s’interpréter en mauvaise part contre celui qui en est l’auteur, il faut

toujours la prendre en bonne part ». Ces règles énoncées, l’auteur y ajoutera d’ « autres

observations touchant les preuves ». À cette occasion, Jousse explique que « les juges

doivent examiner scrupuleusement toutes les circonstances qui vont à la décharge de

l’accusé, et à l’adoucissement de la peine » 503. Plus loin, il terminera en écrivant

que : « Dans le doute, ils doivent toujours suivre le parti le plus favorable à l’accusé ; et la

justice est ce qui doit principalement les animer, plutôt que de suivre exactement la rigueur

du Droit » 504.

On le voit, on est loin de la description d’un système où l’accusé serait présumé

coupable, tout au moins en théorie. En outre, on aperçoit qu’avec toute l’autorité qui

s’attache à l’époque à leur discours, les anciens criminalistes complètent et assouplissent la

rigueur de l’Ordonnance criminelle. Les maximes ainsi formulées sont censées frapper

l’esprit des juges auxquels ces directives sont spécialement adressées. Il ne s’agit là que

d’éléments de droit qui aujourd’hui constitueraient certains des aspects de la présomption

d’innocence et qui, sans attester de l’existence juridique d’une telle présomption avant la

Révolution, contribuent toutefois à nuancer l’idée de rupture.

Il est même désormais permis de démentir cette idée de rupture en se référant à certaines

études d’histoire du droit pénal parues depuis un peu plus d’une décennie seulement.

500 D. 48, 19, 5. V. A. LAINGUI, Les adages du droit pénal, Rev.sc.crim., 1986, p. 35. 501 Muyart de Vouglans note lui aussi que la maxime a été reprise par l’ordonnance, Institutes au droit criminel, op. cit. , p. 360. V. également L’Ordonnance criminelle de 1670 in ISAMBERT (éd.), Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789, Tome XVIII. 502 Traité de la justice criminelle, op. cit. , tome second, p. 580. 503 Traité de la justice criminelle, op. cit. , tome second, p. 589. 504 Traité de la justice criminelle, op. cit. , tome second, p. 590.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

177

161. L’innocence présumée depuis le Moyen Âge ?. L’historien Jean-Marie Carbasse est

l’un des très rares auteurs à être aussi clair sur ce point505 : ce n’est « pas une règle nouvelle

que pose la Déclaration dans son article 9 ; ce n’est même pas le rappel d’un principe

ancien qu’il faudrait tirer de l’oubli : c’est simplement une évidence». En effet, l’auteur

explique que : « la règle selon laquelle tout prévenu doit être considéré comme innocent

jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable était depuis le XIIIe siècle l’un des principes

fondamentaux de l’ancienne procédure savante, qui en avait déduit tout son système

probatoire et en particulier l’exigence de la preuve" pleine" avant toute déclaration de

culpabilité »506. Il ajoute comme pour y insister, que le principe, quoique malmené avec

l’usage de la torture, « n’en avait pas moins subsisté tout au long de l’Ancien Régime ». On

le voit, c’est l’étude des preuves pénales dans l’ancien droit qui conduit l’auteur à une telle

conclusion. À propos de la théorie des preuves légales, M. Carbasse avait d’ailleurs déjà fait

observer que, pour les docteurs des droits savants, l’accusé ou le prévenu, doit être a priori

considéré comme innocent507. C’est la raison pour laquelle ils ne cessaient d’invoquer la

maxime Il vaut mieux laisser un coupable impuni plutôt que de condamner un innocent,

tirée du Digeste. La maxime était, nous rappelle l’auteur, connue et appliquée dès le XIIIe

siècle. Un coutumier orléanais de cette époque estime par exemple que : « mieux est que

l’on laisse à punir les malfaiteurs que l’on condamne ceux qui n’ont rien fait »508.

L’idée que le principe ne prend pas réellement naissance en 1789 est également présente

dans les jalons que M. Chassaing a proposés pour l’histoire de la présomption d’innocence.

Constatant tout d’abord que : « les français considèrent volontiers avec fierté qu’il s’agit

d’une conquête révolutionnaire baignée par les Lumières »509, l’auteur poursuit en précisant

que : « l’évolution de la procédure pénale en France à partir du XIIe siècle nous conforte

dans cette idée qui peut paraître inattendue : présomption d’innocence et traitement

inhumain font bon ménage ». L’auteur témoignant d’une parfaite compatibilité entre l’idée

de la présomption d’innocence et celle de la torture, suggère la présence de la présomption

d’innocence dans l’ancien droit, en même temps qu’il dément une rupture historique. Avec

M. Carbasse, M. Chassaing admet enfin volontiers que la théorie des preuves légales, qui

accompagne la généralisation de la procédure inquisitoire au XIIIe siècle, marque l’apogée

d’une certaine conception de la présomption d’innocence.

505 Ce qui n’empêche pas certains auteurs de continuer à représenter la présomption d’innocence comme manifestant une rupture avec l’ancien droit. Pourtant, l’éminent historien du droit enseigne depuis la première édition de son ouvrage que la présomption d’innocence ne prend pas racine dans la Déclaration des droits de l’homme, V. J.-M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, Paris, PUF, 1990, n° 191 ; adde. Le droit pénal dans la Déclaration des droits, Droits, n° 8, 1988, p. 129. 506 J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit, n° 220. 507 J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit, n° 98. 508 J.-M. CARBASSE, Le droit pénal dans la Déclaration des droits, op. cit., p. 129. 509 J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 232.

Le discours sur l’objet

178

162. Rectification du savoir sur l’histoire de la présomption d’innocence. Plus

récemment, un autre auteur semble avoir voulu s’attaquer de front à cette idée de rupture

avec l’ancien droit, idée reçue pendant trop longtemps dans la littérature pénale. Le ton est

donné dès l’abord du propos : l’histoire confuse d’un principe aux contours imprécis ! M.

Bernard dénonce tout d’abord clairement cette « croyance » selon laquelle l’ancien droit

ignorait la présomption d’innocence : « En fait, la présomption d’innocence était un

principe d’origine romaine et médiévale, connu et mis en œuvre par l’ancien droit, sans

qu’il fût nécessaire, contrairement au droit moderne, de la proclamer » et d’ajouter :

« Dans l’ancien droit, l’accusé était nécessairement présumé innocent puisqu’une peine ne

pouvait être prononcée que si la culpabilité était prouvée »510. M. Bernard entend

convaincre de l’existence lointaine de la présomption d’innocence en citant maints auteurs

ou textes qui, du XIIIe au XVIIIe siècle ont repris la règle du Digeste selon laquelle, Il vaut

mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent. Ainsi, les premières

réfutations proposées par M. Carbasse ont-elles fait des émules511. Les précisions ainsi

apportées à l’histoire de la présomption d’innocence encouragent semble-t-il désormais

d’autres chercheurs à approfondir l’histoire méconnue de la présomption d’innocence et au

besoin rétablir une part de sa vérité. Le résultat se laisse entrevoir puisque certains auteurs

se font l’écho de cette rectification du savoir sur la présomption d’innocence en incorporant

directement les « nouvelles connaissances » dans leur discours512. Enfin dernièrement, c’est

la thèse de M. Henrion qui développe une large critique à l’encontre de « l’illusion bien

française »513 selon laquelle la présomption d’innocence était inconnue avant les Lumières.

Cet auteur montre qu’au Moyen Âge la présomption d’innocence faisait partie intégrante de

la théorie des preuves légales mais précise qu’elle se présentait en réalité sous la forme

d’une présomption de bonté pour ne devenir présomption d’innocence qu’en 1789514. M.

Henrion observe bien lui aussi une rupture opérée par la Révolution, mais cette dernière,

avec l’article 9 de la Déclaration, n’aura pas consisté à consacrer la présomption

d’innocence là où elle n’existait pas mais seulement a changé sa signification515.

La rupture qu’aurait opéré la Révolution entre ancien droit, ignorant la présomption

d’innocence, et droit moderne, la consacrant, s’avère également incertaine lorsqu’on

510 G. BERNARD, Les critères de la présomption d’innocence au XVIIIe siècle : de l’objectivité des preuves à la subjectivité du juge, op. cit. , p. 36. 511 En effet, M. Chassaing et M. Bernard se sont beaucoup référés aux écrits de Jean-Marie Carbasse pour attester de l’idée que la présomption d’innocence était tout à fait connue dans l’ancien droit. 512 J.-H. ROBERT, Protection de la présomption d’innocence : J.-Cl. Proc. pén., App. art. 11 ; et particulièrement, H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, op. cit. 513 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 15-1. 514 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 152 et s. 515 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 207, p. 330 notamment, où l’auteur estime qu’avec l’article 9 c’est une nouvelle conception de la présomption d’innocence qui émerge en tant que droit subjectif défensif.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

179

s’attache justement aux suites qu’ont eu la Révolution et la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen dans le droit du XIXe siècle.

B- LA CONSÉCRATION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET LE SORT DE LA PERSONNE

POURSUIVIE APRÈS LA RÉVOLUTION

163. Une consécration ignorée de la doctrine au XIXe siècle, rappel516. Cette

consécration de la présomption d’innocence serait, selon le discours doctrinal

contemporain, la suite logique de la Révolution et de l’inscription de la présomption

d’innocence dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elle attesterait du

changement brutal impliqué par la rupture entre ancien droit et droit pénal moderne. Ici

encore, on rappellera tout d’abord les observations faites à propos de l’absence de la

présomption d’innocence dans le discours doctrinal jusqu’au début du XXe siècle.

Durant le XIXe siècle, les criminalistes étaient pour le moins silencieux quant à

l’existence de la présomption d’innocence. Quasiment aucune allusion n’y a été faite, que

ce soit au titre de la Déclaration des droits de l’homme, de la question de la preuve ou

encore celle de la liberté individuelle. Bentham, qui n’était pas un criminaliste français, fut

le seul à évoquer cette présomption sans pour autant l’étudier. Mais il ne s’agissait, au

moment où nous faisions ces observations, que de rechercher la place de la présomption

d’innocence dans le discours, en recherchant principalement l’emploi de sa formule par les

criminalistes. Désormais, et puisqu’il est évident que bénéfice du doute et présomption

d’innocence entretiennent des liens étroits, on peut se demander si la doctrine traite de la

question du doute favorable faute de traiter à proprement parler de la présomption

d’innocence.

À cet égard, l’observateur se trouve en face d’un paradoxe. En effet, les juristes qui

écrivent et enseignent le droit criminel dans les années suivant la Révolution invoquent bien

peu la règle du doute favorable. La formule « il vaut mieux laisser échapper un coupable

que de condamner un innocent » a disparu des traités de droit criminel. L’idée que le juge

doit prendre le parti le plus doux, décider en faveur de l’accusé lorsqu’il existe des doutes,

ne trouve plus tellement à s’exprimer au XIXe siècle517. Ainsi, suite à la consécration de la

présomption d’innocence dans la Déclaration des droits de l’homme, les juristes sont pour

ainsi dire muets, aussi bien quant à son existence qu’à ses conséquences518. Une explication

516 V. supra, n° 67 et s. 517 Toutefois, certains auteurs, à propos du partage des voix en cour d’assises, font une simple mention du doute favorable, sans autre indication, V. supra, n° 69. 518 Le Seyllier est cependant un auteur plus prolixe que les autres. Posant la question de savoir, en cour d’assises, « Si les juges se trouvaient en nombre pair et qu’il y eût partage, le doute s’interprèterait-il en faveur du prévenu, et l’acquittement devrait-il être prononcé ? Cet auteur répond par l’affirmative et justifie cette solution de la manière suivante : « En effet, c’est un principe fondé sur la justice et sur la raison, que tout doute doit s’interpréter en faveur du prévenu. Jusqu’à ce qu’on lui ait prouvé sa

Le discours sur l’objet

180

simple permet toutefois de dépasser le paradoxe : contrairement aux anciens auteurs, les

criminalistes modernes ne puisent pas à de multiples sources pour enseigner ce qu’est le

droit criminel. Ils ont désormais des codes (pénal et d’instruction criminelle) à commenter

et à expliquer. Le sens du principe de légalité des délits et des peines se déploie mais aussi

s’achève dans ces textes. Nul recours possible aux formules du Corpus juris civilis de

Justinien pour venir compléter les lacunes des codes. Or, il convient de rappeler que rien

dans ces codes n’exprime la présomption d’innocence.

164. Absence de consécration légale ou jurisprudentielle de la présomption

d’innocence. Il serait vain de vouloir trouver, dans la législation, des traces de la

présomption d’innocence au lendemain de la Révolution de 1789. Dès 1789, mais plus

particulièrement en 1793, loin de consacrer la présomption d’innocence, le droit

révolutionnaire se dote d’une « loi des suspects » afin de lutter contre tous les ennemis

potentiels de la République jacobine519. Durant cette période trouble de l’histoire qu’est « la

terreur », sont suspects et donc des coupables virtuels, les prêtres qui ont refusé de prêter

serment à la Constitution civile, ceux que l’on présume hostiles à la République ainsi que

les parents et agents d’émigrés. En 1794, « les ennemis du peuple », c'est-à-dire les

adversaires politiques, sont purement et simplement des coupables auxquels la seule peine

applicable est la mort.

L’institution du jury criminel et du système de l’intime conviction en 1791 n’aura pas

davantage pour effet d’introduire la présomption d’innocence dans le droit criminel

intermédiaire. En revanche, on trouve bien dans les dispositions relatives au vote du jury

criminel des traces importantes de la règle du doute favorable. En effet, aussi bien dans la

loi des 16-29 septembre 1791 que dans le Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV,

les décisions sont prises par 12 jurés et il est prévu que les décisions défavorables à l’accusé

sont prises à la majorité de 10 voix. Le Code d’instruction criminelle sera moins favorable

en prévoyant une majorité de seulement 7 voix contre 5 pour une condamnation. Toutefois,

culpabilité, le prévenu reste en possession de son innocence ; et comme la preuve de sa culpabilité ne résulte point du partage entre les juges, la conséquence en est qu’il doit être considéré comme innocent, et dès lors acquitté ». V. Traité de droit criminel, op. cit., tome III, n° 933. Quoi qu’il en soit, la justification de l’auteur ne réside pas dans un principe de présomption d’innocence tiré directement de la Révolution ni d’un adage puisé dans le droit romain. La solution est dictée, on le voit, par la justice et la raison. Notons enfin que cette solution, qui vaut pour le partage des voix en cour d’assises, est proposée, quoique le Code d’instruction criminelle n’en dise rien, devant le tribunal correctionnel. La raison invoquée par Le Seyllier consiste en cela : « La société n’a pas seulement intérêt à faire punir les coupables, elle a un intérêt, non moins grand, à protéger l’innocence, et à éloigner de celui qui ne serait pas coupable, une condamnation injuste. Le partage parmi les juges, établissant une égale présomption pour la culpabilité et pour l’innocence, la société doit s’abstenir de toute continuation des poursuites, et le législateur doit considérer le prévenu comme innocent». 519 V. J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit, n° 225 : « Les suspects forment ainsi une catégorie à part, pour laquelle la présomption d’innocence a fait place à une présomption de culpabilité », écrit l’auteur.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

181

la règle du doute favorable resurgit en cas de partage égal des voix puisqu’il se résout

nécessairement en un acquittement de l’accusé.

En réalité, si la présomption d’innocence devait trouver une traduction dans le droit

positif, ce serait probablement à travers la seule suppression des jugements de hors de cour

et de plus amplement informé520. Ces deux institutions ont en effet laissé place à une

véritable autorité de la chose jugée. Reste que la pratique jurisprudentielle a laissé subsister

des traces de ces institutions. En matière correctionnelle, pour laquelle le jury populaire

n’est pas compétent, les magistrats font apparaître une distinction entre les prévenus relaxés

pour insuffisance de preuves et ceux qui le sont parce qu’ils ont été reconnus pleinement

innocents. Si la situation faite à ces deux types d’accusés est finalement identique : ils sont

libérés de l’accusation ; il n’en reste pas moins une différence du point de vue de l’autorité

de la chose jugée au criminel sur le civil. Ainsi, au XIXe siècle certains auteurs persistent-

ils à penser qu’une relaxe au bénéfice du doute prononcée par le juge répressif ne lie pas le

juge civil quant à l’appréciation de la faute521.

S’agissant de la question de la charge de la preuve, elle incombe sans doute à

l’accusation, mais on ne peut affirmer qu’il s’agit d’une application de la présomption

d’innocence. Rappelons qu’aucun texte pénal ne règle la question, laquelle n’est d’ailleurs

soulevée qu’en doctrine. Les auteurs du XIXe siècle ne s’attachent pas à y répondre. Ils ne

s’y intéressent guère en dehors des spécialistes de la preuve criminelle. Ces derniers

justifient généralement la répartition du fardeau de la preuve par le recours à la règle de

droit commun, l’adage actori incumbit probatio. Quant à la jurisprudence, elle se contente

d’affirmer sans plus de précision que la preuve incombe à l’accusation, c'est-à-dire au

ministère public. Il faut souligner que si le droit criminel ne porte en lui aucune expression

véritable de la présomption d’innocence, la règle selon laquelle il vaut mieux laisser

échapper un coupable que de condamner un innocent est à nouveau invoquée. Cette fois-ci,

ce sont les députés qui y font référence. Demeunier, lors d’une discussion sur l’institution

des jurés rappellera ainsi que : « Le premier principe, en matière criminelle, est qu’il vaut

mieux laisser échapper dix coupables que de punir un innocent » 522.

Duport, à qui l’on doit l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,

avait également présenté devant l’Assemblée nationale523ce que devaient être Les principes

fondamentaux de la police et de la justice. On peut lire à l’article 23 de cette proposition 520 Dans l’ancien droit, le plus amplement informé à temps ou indéfini avait pour effet de faire durer le procès tant que la preuve de la culpabilité n’était pas complètement acquise. Le hors de cour libérait de l’accusation mais seulement faute de preuve suffisante. Ces deux jugements avaient donc pour effet d’exprimer juridiquement la permanence des soupçons qui pesaient sur l’accusé. V. infra, n° 307. 521 V. P. HÉBRAUD, L’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil, Recueil Sirey, 1929, p. 272 et les références citées, notamment Mangin et Merlin. 522 A.P. 1790, 7 avril. 523 A.P. 1789, 22 décembre 1789, p. 744 et s.

Le discours sur l’objet

182

que « La société n’a pas le droit de placer un citoyen dans des prisons malsaines ou

incommodes, car un homme prévenu, même accusé, est toujours présumé innocent ». Mais

cette « consécration » est considérablement nuancée par ce qui est dit à l’article 25 :

« L’arrestation provisoire d’un particulier n’est pas plus un attentat à sa liberté

individuelle, que la punition d’un coupable condamné n’est un attentat à sa sûreté. C’est

une condition essentielle du contrat qu’ils ont fait avec la société ». Duport, comme

d’autres auteurs avant lui, ne manque pas de souligner qu’un prévenu est toujours présumé

innocent. De ce point de vue, la rupture est une nouvelle fois difficile à apercevoir. La

consistance de cette présomption d’innocence ne se laisse pas mieux mesurer qu’à l’époque

où quelques auteurs y faisaient allusion avant que l’article 9 ne soit écrit.

S’agissant de la jurisprudence, on ne peut que suivre M. Essaïd lorsqu’il avoue qu’elle

ne consacrera pas la présomption d’innocence avant la moitié du XXe siècle. Ainsi, les

juges ne témoignent pas de l’existence d’un tel principe lorsqu’ils rendent leurs décisions.

On le voit, il est difficile de conclure que la « consécration » de la présomption d’innocence

a produit un changement brutal entre le droit criminel de l’Ancien Régime et celui du XIXe

siècle. Cette rupture est donc douteuse et les justifications qu’en donnent les criminalistes

ne sont pas de nature à dissiper ce doute.

§. 2 L’INCERTITUDE DE LA RUPTURE AU REGARD DES JUSTIFICATIONS DOCTRINALES.

165. Articulation du discours doctrinal. Lorsque la doctrine présente l’histoire de la

présomption d’innocence sur le thème de la rupture, les justifications avancées s’articulent

toutes autour d’une même idée. La justification générale est alors la suivante : la

présomption d’innocence ne pouvait juridiquement exister avant la Révolution. Il s’agit

donc de justifier la consécration de la présomption d’innocence et donc la rupture en 1789

par une impossibilité juridique. Cette justification trouve alors des illustrations dans

l’incompatibilité qui affecterait la relation entre la présomption d’innocence et diverses

institutions en vigueur dans l’ancien droit criminel.

A- L’INCOMPATIBILITÉ ENTRE PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET PROCÉDURE

INQUISITOIRE

166. Défaveur pour l’accusé. La principale justification avancée par la doctrine tient à la

mise en œuvre d’une procédure dite inquisitoire depuis la fin du Moyen Âge. En effet, les

principales raisons invoquées par les auteurs pour affirmer que la présomption d’innocence

ne pouvait exister avant la Révolution sont tirées de règles qui découlent de ce système

procédural. Ce système était tel, dit la doctrine, qu’il excluait purement et simplement

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

183

l’existence de la présomption d’innocence524. On a alors parfois conclu clairement que seul

le modèle accusatoire, comme celui qui se pérennisait outre-Manche, pouvait véritablement

accueillir la présomption d’innocence. Un auteur explique ainsi que : « Tout homme est

présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. Cette présomption n’est valable

qu’autant qu’on applique la procédure accusatoire. Elle n’existe pratiquement plus à partir

du moment où l’on s’attache à tirer de l’inculpé des déclarations destinées à le

compromettre. Si on déploie une si pressante ingéniosité pour l’interroger c’est, à

l’évidence, parce qu’on présume qu’il n’est pas innocent » 525.

Le discours doctrinal fait donc référence aux traits les plus saillants du système, ceux qui

sans conteste sont les moins favorables au prévenu. Rappelons à cet effet que la procédure

d’Ancien Régime se caractérisait par les principes suivants : celui du secret, de l’écrit et de

l’absence de contradiction526. Le magistrat chargé de mener l’instruction préparatoire

détenait alors de redoutables pouvoirs. De l’arrestation à la torture en passant par

l’emprisonnement avant jugement, rien ne paraissait favorable à la personne poursuivie

dans cette manière de conduire les procès criminels.

On peut toutefois faire observer que ni la Révolution, ni les Codes d’instruction

criminelle puis de procédure pénale n’ont instauré dans la procédure pénale française le

système accusatoire. Au mieux peut-on dire qu’une sorte de procédure hybride s’est mise en

place, empruntant le caractère inquisitoire pour la phase préparatoire au jugement et un

caractère nettement plus accusatoire pour le jugement à l’audience. Or, à en croire l’opinion

professée par certains auteurs, l’adoption d’une procédure conservant bon nombre de traits

inquisitoriaux, n’a pas fait obstacle à l’émergence de la présomption d’innocence puisque

cette dernière n’a cessé de caractériser notre procédure criminelle depuis sa consécration en

1789. Le droit positif actuel, qui accueille avec force publicité la présomption d’innocence,

tente d’instaurer une procédure dont les traits dépasseraient l’opposition tranchée entre

accusatoire et inquisitoire pour s’acheminer vers un modèle dit contradictoire527.

Progressivement notre procédure s’est vue injectée des doses supplémentaires

d’accusatoire. Or, la personne poursuivie n’a pas été la seule à en bénéficier. La place de la

victime dans le procès pénal a pris une importance considérable. On serait en droit de se

demander si le rôle procédural qui est désormais reconnu à la partie civile garantit mieux

l’innocence que les pouvoirs qui étaient reconnus au juge d’instruction dans le système

524 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 20 à 22. 525 M. GARÇON, La protection de la liberté individuelle pendant l’instruction, Rev.int.dr.pén., 1953, p. 165. 526 Alors qu’à l’exact opposé la procédure accusatoire est publique, orale et contradictoire. 527 Toutefois, la question de savoir si l’on doit opter pour l’accusatoire ou l’inquisitoire continue d’être régulièrement posée. V. CH. ATIAS, Quelle procédure pénale pour quel droit ? Rev.int.dr.pén., 1997, p. 31.

Le discours sur l’objet

184

inquisitoire. Il n’est pas certain que la personne poursuivie ait plus à craindre du second que

de la première. C’est, de façon plus large, le phénomène de privatisation de l’action

publique qui peut à cet égard inquiéter528.

La rupture semble moins évidente encore si l’on s’attache aux justifications particulières

de ce discours doctrinal.

B- L’INCOMPATIBILITÉ ENTRE PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET ATTEINTES À LA

LIBERTÉ INDIVIDUELLE

167. Le problème de la détention avant jugement. Le discours doctrinal moderne

s’attache à déduire des atteintes qui étaient portées à la liberté individuelle dans l’ancien

droit, l’impossible existence d’une présomption d’innocence529. Or, sur ce point également,

il y a lieu de s’interroger. Si ces atteintes à la liberté individuelle, nombreuses avant la

Révolution, ont été dénoncées avec éclat pour diminuer au XIXe siècle et tout au long du

XXe siècle, il semble bien caricatural d’affirmer que l’existence de ces atteintes serait une

preuve de l’ignorance totale de la présomption d’innocence. Le doyen Carbonnier l’avait

d’ailleurs bien démontré, en insistant sur l’absence d’incompatibilité entre la présomption

d’innocence et la détention avant jugement. Cherchant à révéler l’outrance de l’argument

selon lequel la détention préventive frappe indistinctement les non coupables aussi bien que

les coupables, l’auteur expliquait que : « L’argument est encore excessif, lorsque, posant la

question en droit, on prétend que la détention préventive est incompatible avec la

présomption légale d’innocence qui protège tout inculpé. L’ancien droit n’ignorait pas

cette présomption, et il admettait la torture. Un même article de notre Déclaration des

droits présume l’accusé innocent et déclare son arrestation licite. Il n’y a pas

contradiction»530. On peut à cet égard se souvenir que l’âme généreuse de l’ancien auteur

Pierre Ayrault, ne l’empêchait pas d’admettre la nécessité d’une telle privation de liberté

avant tout jugement déclaratif de culpabilité531. La détention avant jugement est un mal

nécessaire que l’invocation de la présomption d’innocence peut probablement rendre

exceptionnel et moins douloureux mais qu’elle ne saurait anéantir totalement. On peut enfin 528 J. VOLFF, La privatisation rampante de l'action publique, Procédures 2005, Etude 1. L’Avocat général à la Cour de cassation va jusqu’à juger que la présomption d’innocence est mise à mal en même temps que « L'honneur et la tranquillité des personnes et des familles sont ainsi livrés à l'arbitraire de groupements privés ». 529 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 24 et s. 530 Le problème de la détention préventive, op. cit., p. 115. La doctrine pénale semble embarrassée par la position qu’avait défendue M. Carbonnier à l’aube de sa longue carrière. Dans cette étude, il plaidait pour une condition juridique neutre de la personne poursuivie. Elle est parfois citée par les auteurs mais elle est rangée avec les positions doctrinales défavorables à la présomption d’innocence. V. M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 96 ; R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement étude comparée du droit français et du droit anglais, in L’innocence, op. cit., p. 54 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n°195, note 1, p. 305 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit, 12e éd., n° 396. 531 L’ordre, formalité et instruction judiciaire dont les anciens grecs et romains ont usé es accusation publique, op. cit.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

185

rappeler que Duport lui-même était loin d’être choqué par les arrestations et la détention

avant jugement. En outre, c’est notre droit positif qui dément très visiblement

l’incompatibilité entre les atteintes à la liberté avant jugement et la présomption

d’innocence. Aujourd’hui, la doctrine continue encore de raisonner sur l’article 9 de la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour soutenir l’incompatibilité de ces

atteintes avec la présomption d’innocence. Pourtant, ce texte désormais symbolique, n’a

finalement pour objet que d’organiser, avec l’article 7, les arrestations avant jugement et

non de les proscrire totalement. Il en résulte un discours doctrinal souvent partagé entre

deux considérations : la méconnaissance de la présomption d’innocence par les privations

de liberté avant jugement et le caractère nécessaire, inévitable, de ces privations532. Hervé

Henrion s’est d’ailleurs récemment attaché à « déconstruire » les propositions doctrinales

affirmant l’incompatibilité de la détention provisoire avec la présomption d’innocence533.

L’auteur réfute ainsi l’argument selon lequel la détention est contraire à la présomption

d’innocence en ce qu’elle anticipe sur la peine. Il explique que le critère de violation de la

présomption d’innocence réside non pas dans l’anticipation sur la peine mais dans celle de

la culpabilité534.

168. Permanence des atteintes à la liberté individuelle. Pour terminer, on remarquera que

le législateur du XXIe siècle, bien que désireux de renforcer la présomption d’innocence,

n’a en rien fait disparaître ces atteintes à la liberté individuelle. La personne poursuivie,

bien qu’elle jouisse de garanties et de droits accrus en la matière535, peut être soumise à

toutes sortes de mesures qui, de près ou de loin, portent indéniablement atteinte à sa

liberté536. L’évolution du droit positif à travers les siècles montre que les atteintes à la

532 Mlle Massol illustre bien ce trait particulier du discours doctrinal. Une partie entière de son travail est consacrée à ce thème. L’auteur y pose tout d’abord le principe, selon lequel, détention avant jugement et mesures de garde à vue constituent des atteintes à la présomption d’innocence. Puis, conduite à reconnaître au fil de ses développements que ces privations de liberté sont indispensables à la manifestation de la vérité, elle conclut finalement à une compatibilité entre privation de liberté avant jugement et présomption d’innocence, V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 261 à 309. 533 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 474 et s. 534 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 475-2. L’auteur tire argument des textes consacrant la présomption d’innocence qui se réfèrent à la déclaration ou à l’établissement de la culpabilité 535 Que l’on songe par exemple à la présence de l’avocat dès la première de la garde à vue (article 63-4 du CPP) ou encore à l’institution du juge des libertés et de la détention en matière de détention provisoire (article 137-1 du CPP). 536 Les mandats d’amener et d’arrêt décernés par le juge d’instruction en vertu des alinéa 5 et 6 de l’article 122 du CPP demeurent des mesures fortes et emblématiques de la contrainte que l’autorité judiciaire peut exercer à l’encontre des personnes présumées innocentes. Toujours au stade de l’instruction, les restrictions qui peuvent être instaurées dans le cadre du contrôle judiciaire ordonné à l’encontre de la personne poursuivie (article 138 du CPP) sont nécessairement moins attentatoires à sa liberté que la détention provisoire. Le contrôle judiciaire, même s’il est préféré à la détention par les juges d’instruction, demeure contraignant et à ce titre attentatoire à la liberté individuelle. Enfin, que dire du bracelet électronique ? introduit en France pour se substituer dans certains cas à la peine d’emprisonnement, ce procédé technique a récemment été étendu à la phase antérieure au jugement définitif par un Décret n° 2004-243 du 17 mars 2004 relatif au placement sous surveillance électronique et modifiant le Code de procédure pénale. Ainsi, en vertu de l’article R.57-31 du CPP, la personne mise

Le discours sur l’objet

186

liberté au cours de la procédure n’ont jamais cessé d’exister, en même temps que la

présomption d’innocence était affirmée, et même réaffirmée au plus haut niveau de la

hiérarchie normative. Force est bien de conclure qu’il n’y a pas, d’un point de vue juridique,

d’incompatibilité ou de contradiction dans le système juridique qui admet la coexistence

d’un principe de présomption d’innocence et de règles portant atteinte à la liberté

individuelle. Il résulte que l’idée de rupture, véhiculée par le discours doctrinal

contemporain, s’en trouve même démentie.

C- L’INCOMPATIBILITÉ ENTRE PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET TORTURE

169. Question et présomption de culpabilité. Les auteurs expliquent souvent que la

présomption d’innocence était inconnue de l’ancien droit parce que celui-ci admettait la

torture537 et l’avait même légalisée en organisation la fameuse question538. Les esprits

réformateurs du XVIIIe siècle avaient largement mit l’accent sur l’incompatibilité entre une

telle pratique et le fait que l’accusé était présumé innocent. Il suffit de se souvenir des

propos si convaincants de Beccaria. En effet, à cette époque, la question, qui consiste à

torturer l’accusé pour lui faire avouer son crime ou dénoncer ses complices lorsqu’il existe

des indices mais pas de preuve suffisante, se montre à la fois barbare, inutile et injuste.

Barbare parce qu’elle consiste à infliger toutes sortes de souffrances physiques

insupportables dont les séquelles sont souvent graves. Inutile parce qu’il s’est avéré qu’elle

n’était pas apte à remplir sa fonction. On s’est persuadé que les innocents faibles ou d’une

constitution fragile avouaient des crimes qu’ils n’avaient pas commis dans le seul but

d’abréger leurs souffrances alors qu’en revanche des coupables robustes pouvaient endurer

ces souffrances, nier leur crime et ainsi échapper à la condamnation. Injuste enfin, car cette

torture était tout à fait assimilable à l’infliction d’une peine alors même que l’accusé n’avait

pas encore été condamné. On a là encore estimé que le juge qui appliquait la question afin

d’obtenir un aveu et donc la preuve complète de la culpabilité, présumait nécessairement

cette culpabilité, sans quoi la question n’aurait pas eu d’objet. Or cela peut effectivement se

concevoir puisque la question ne pouvait être ordonnée que s’il existait déjà de forts indices

de culpabilité et qu’elle n’avait pour but que de satisfaire à l’exigence d’une preuve pleine

et entière telle qu’exigée par le système des preuves légales. Pour autant, la disparition de la

en examen et placée sous contrôle judiciaire peut désormais, à tout moment, être soumise à ce procédé. On a bien voulu par là réduire la contrainte exercée à l’encontre de la personne qui n’a pas encore été condamnée. Mais la mise en place de ce bracelet ne peut être perçue avec indifférence au regard de la liberté individuelle et de la dignité, une atteinte moins grave demeurant toujours une atteinte. 537 Par exemple, J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op. cit., p. 5-6 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 30-32. R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 134-136. 538 V. J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit, n° 99 pour l’appariton de la Question ou plutôt sa réapparition ; n° 100-101 pour son application pratique et n° 108 pour sa consécration dans l’Ordonnance criminelle de 1670.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

187

torture dans le droit pénal moderne n’atteste pas véritablement de la rupture et ne permet

pas de dire qu’elle était une condition de l’apparition de la présomption d’innocence.

170. Le doute sur l’incompatibilité. Tout d’abord, les historiens du droit on su montrer

que la coexistence de la torture et de la présomption d’innocence était bien réelle dans

l’ancien droit, la première n’anéantissant pas nécessairement la seconde. Les auteurs

expliquent tout d’abord que c’est en vertu de cette présomption d’innocence que la théorie

des preuves légales a été élaborée539, c'est-à-dire dans un but de protection de l’accusé. La

torture ne s’analysant alors que comme une conséquence paradoxale de l’exigence d’une

preuve pleine et entière. Ensuite, de fait, les deux institutions ont finalement coexisté

longtemps dans le droit positif de l’ancien droit avant que les esprits sensibles dénoncent

fortement la torture. Ainsi, la torture est intimement liée à la recherche de l’aveu qui lui-

même est une conséquence à la fois du système des preuves légales et de la procédure

inquisitoire.

Ensuite, si juridiquement la Révolution a rompu avec ces deux institutions, en pratique

l’aveu a conservé beaucoup de son intérêt pour les autorités de poursuite qui continuent de

chercher à l’obtenir, fut-ce par des moyens qui portent atteinte soit à l’intégrité physique de

la personne soupçonnée, soit à sa liberté540. N’a-t-on pas dénoncé ces placements en

détention préventive décidés par des magistrats instructeurs désireux de « faire pression »

sur la personne poursuivie pour qu’elle avoue ? La torture connue sous l’Ancien Régime a

bien disparu, mais il n’est pas certain qu’aucune souffrance ne soit infligée durant le procès

pénal moderne. Il s’agit certes d’autres formes de souffrance mais elles sont tout aussi

inquiétantes et insoutenables dans un siècle dont le seuil de tolérance est bien moindre

qu’autrefois541. On se demande alors comment éviter cela, on rappelle le principe dit « de la

présomption d’innocence », mais on ne nie pas son existence pour autant. Au contraire,

chacune des atteintes constitue un argument de plus pour solliciter le renforcement du

principe.

Ainsi, le discours doctrinal justifie la rupture dont serait issue la présomption

d’innocence par des arguments qui ne tiennent pas vraiment. L’impossibilité de voir

539 V. J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit., et J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit. 540 À cet égard, on peut par exemple évoquer la condamnation de la France par la Cour EDH dans l’affaire Selmouni. M. Selmouni, placé en garde à vue pour trafic de stupéfiant s’était plaint d’avoir fait l’objet de sévices de la part des policiers. Par un arrêt du 28 juillet 1999, la Cour condamnait la France, à l’unanimité de ses membres, pour violation de l’article 3 de la Convention, autrement dit pour torture et traitements inhumains et dégradants. 541 Que l’on songe, parmi tant d’autres affaires, aux souffrances morales et matérielles des personnes injustement accusées et détenues dans le procès d’Outreau. Il y a probablement dans ces souffrances, consécutives à la perte d’emploi, de logement, à la désagrégation des liens familiaux et sociaux, de nouvelles formes de torture, propres au XXIe siècle. V. notamment, B. HOPQUIN, Les vies ruinées d’Outreau, Le Monde, 24 mai 2004.

Le discours sur l’objet

188

prospérer la présomption d’innocence dans le droit antérieur à la Révolution n’est pas

démontrée puisque les arguments avancés restent aujourd’hui valables sans que la

présomption d’innocence puisse voir son existence remise en cause. La rupture n’est pas

davantage avérée lorsqu’on observe la situation née de la Révolution. La Révolution n’est

donc pas une source historique très certaine de la présomption d’innocence. Cette datation

est inexacte car elle procède d’un parti pris. L’étude de cette notion supposait d’exposer son

origine et il faut bien admettre que la Révolution et la Déclaration des droits de l’homme

étaient commodes. Mais la rupture de laquelle serait née la présomption d’innocence ne

peut pas s’interpréter comme une fidèle description de l’évolution du droit. Il y a une large

part de construit dans cette façon de dater la naissance de la présomption d’innocence. On

peut alors juger que la rupture alléguée est artificielle.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

189

SECTION 2 : LE CARACTÈRE ARTIFICIEL DE LA RUPTURE

171. Artifice du rattachement de la présomption d’innocence à la Révolution. Le

discours doctrinal sur la présomption d’innocence s’est donc, en partie, construit à partir de

ce rattachement de la présomption d’innocence à la Déclaration des droits de l’homme et du

citoyen. Ce rattachement n’est pourtant pas aussi évident que la doctrine le laisse penser.

Au-delà de l’inexactitude de cette affirmation, plusieurs éléments permettent même de juger

qu’elle est artificielle. L’artifice apparaît tout d’abord lorsqu’on s’aperçoit que le

rattachement de la présomption d’innocence à la Déclaration des droits de l’homme et du

citoyen n’est rendu possible qu’au prix d’une sélection des sources historiques au seul profit

de la période révolutionnaire. L’histoire de la présomption d’innocence écrite par la

doctrine procède en réalité d’un oubli des origines plus lointaines de la règle présumant

l’innocence (§1). L’artifice apparaît en outre lorsque la doctrine présente la Déclaration

comme la source formelle de la présomption d’innocence (§2).

§. 1 L’OUBLI DES ORIGINES

172. Origines et réécriture de l’histoire. Si la formulation d’une certaine présomption

d’innocence par les constituants de 1789 ne semble en rien opérer une rupture, c’est que le

droit français connaissait déjà l’idée qui a été incidemment inscrite dans la Déclaration.

C’est bien ce que suggèrent, avec plus ou moins de précision, plusieurs études historiques

affirmant que l’on trouve trace de la présomption d’innocence au Moyen Âge542. D’ailleurs,

Damhoudère de Bruges, héritier de la tradition du droit criminel médiéval, n’écrivait-il pas

dans son lexique juridique au mot innocent que : « est présumé innocent celui dont la

culpabilité n'est pas prouvée »543? Or, si la présomption d’innocence n’était pas ignorée à

cette époque là, rien n’interdit de penser qu’elle pourrait même avoir des origines plus

lointaines encore. En tout état de cause, en datant la présomption d’innocence de la

Révolution française, les criminalistes du XXe siècle ont tout simplement attribué et non pas

découvert une source historique à leur objet d’étude. Pour nous enseigner l’histoire de la

présomption d’innocence, la doctrine a donc procédé par oubli, celui des origines et de la

littérature dans laquelle, au fond, la présomption d’innocence n’a peut-être jamais cessé

d’être invoquée. Mais comment retrouver la trace de la présomption d’innocence alors

même qu’elle ne trouve à s’exprimer véritablement qu’à compter du XXe siècle ? Nous

proposerons ici d’emprunter des chemins détournés qui pourraient être utiles à la

542 V. Les études de MM. Carbasse, Chassaing, Badinter et Henrion, supra, n° 161. 543 «Innocens praesumitur cujus nocentia non probatur », Sententiae selectae pertinentes ad materiam... rerum criminalium, Anvers, 1601, p. 83. Nous remercions le professeur Jean-Marie Carbasse de nous avoir communiqué cette précieuse référence.

Le discours sur l’objet

190

découverte de certaines racines de la présomption d’innocence (A). Cela étant, l’existence

de sources plus lointaines, ignorées, et l’affirmation d’une rupture historique incertaine,

laissent à penser que la doctrine criminaliste a procédé à une réécriture de l’histoire de la

présomption d’innocence (B).

A- RECHERCHE DES ORIGINES

173. À travers l’origine du doute favorable. Comme nous l’avions déjà évoqué, la

doctrine associe très étroitement le principe de la présomption d’innocence à la règle du

doute favorable. Parfois même, les auteurs ont pris l’habitude d’associer la présomption

d’innocence à l’adage in dubio pro reo au point que le second exprimerait la première.

S’enquérir de l’origine de la règle du doute favorable pourrait être une piste fructueuse pour

retrouver les racines de la présomption d’innocence. Le discours doctrinal invite lui-même à

s’intéresser à l’adage in dubio pro reo si souvent évoqué. C’est alors en prenant la

chronologie historique à rebours que l’on sera ensuite amené à évoquer le droit romain.

1) Genèse de l’adage in dubio pro reo

174. Présomption d’innocence et « in dubio pro reo ». Le plus souvent, l’adage in dubio

pro reo est présenté comme un corollaire de la présomption d’innocence544. Toutefois,

certains auteurs vont jusqu’à assimiler les deux règles, l’adage in dubio pro reo devenant

alors l’expression même de la présomption d’innocence545. Cela autorise donc à rechercher

l’origine de la présomption d’innocence en prenant pour point de départ l’origine de cet

adage. Or, l’histoire, la source, de in dubio pro reo, et donc de la règle qu’il exprime, n’est

jamais précisée par la doctrine. Seule sa signification est indiquée : le doute profite à

l’accusé. Pourtant, les auteurs de droit pénal l’emploient très fréquemment. D’ailleurs, sa

traduction française figure désormais dans le Code de procédure pénale à l’article 304 qui

énonce le serment des jurés en cour d’assises546.

175. In dubio pro reo dans la littérature française. La formulation de cet adage en latin ne

doit pas faire illusion. Il paraît tout à fait improbable qu’il nous ait été transmis par le droit

romain et il y aurait contradiction à affirmer que la présomption d’innocence a été inventée

au XVIIIe siècle en l’exprimant par une formule beaucoup plus ancienne. S’il est vrai que

« l’origine des adages reste le plus souvent inconnue »547, quelques indications ont pu être

544 « L’adage in dubio pro reo s’analyse traditionnellement comme l’évident corollaire de la présomption d’innocence » : M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, Rev.sc.crim., 2002, p. 283. 545 En réalité, il existe à l’égard des rapports qu’entretiennent la présomption d’innocence et la règle in dubio pro reo, une incertitude dans le discours doctrinal. V. infra, n° 298 et s. 546 « Vous jurez et promettez de (…) vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter… ». Jusqu’à cette insertion par la loi du 15 juin 2000, la règle du doute favorable n’était pas exprimée dans la loi pénale. 547 A. LAINGUI, Les adages du droit pénal, Rev.sc.crim., 1986, p. 26.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

191

données ici ou là. Il faut cependant admettre que même les historiens du droit semblent

s’être assez peu intéressés à l’origine de la formule.

In dubio pro reo étant une locution latine, il convient tout d’abord de recourir à

l’ouvrage consacré à la matière par MM. Roland et Boyer. Or, on pourra s’étonner de n’y

trouver aucune entrée correspondant à in dubio pro reo. Dans l’ouvrage Locutions latines et

adages du droit français contemporain qu’ils font paraître en trois volumes, c’est seulement

dans le deuxième548 que l’on peut trouver une entrée à l’adage « le doute profite à

l’accusé». Ainsi les auteurs semblent-ils ne pas connaître l’expression in dubio pro reo qui

est pourtant d’usage courant. S’agissant de la règle selon laquelle le doute profite à l’accusé,

MM. Roland et Boyer y voient un corollaire nécessaire et indispensable au principe de la

présomption d’innocence. Quant à ses origines, les auteurs estiment que la règle prend

naissance dans l’ancienne jurisprudence549 et expliquent que l’ancien droit connaissait la

présomption d’innocence (donc le bénéfice du doute) mais de façon plus métaphysique que

juridique. On se rappelle d’ailleurs que le bénéfice du doute était souvent invoqué par les

auteurs du XVIIIe siècle qui ignoraient cependant la formule in dubio pro reo. On peut dès

lors supposer que la formulation de cet adage est postérieure à la formulation de la règle du

doute favorable.

Cette hypothèse est confirmée à deux reprises par M. Laingui. C’est néanmoins de façon

très incidente que cet éminent historien du droit renseigne sur l’origine de in dubio pro reo.

Tout d’abord dans son étude sur les adages du droit pénal550 puis quelques temps plus tard

dans la réflexion qu’il avait menée sur la poésie du droit à travers des adages. Dans cette

seconde étude551, l’auteur explique que le XIXe siècle nous a laissé un petit nombre

d’adages, parmi lesquels il vient à citer in dubio pro reo. Les juristes n’en diront pas

davantage sur son origine. Cette dernière mais aussi sa signification juridique exactes

demeurent largement inconnues en France. En réalité, c’est vers la science juridique

allemande qu’il faut se tourner pour approfondir la question.

176. In dubio pro reo dans la littérature allemande. On découvre avec une certaine

surprise que chez nos voisins d’outre-Rhin, in dubio pro reo est un adage très célèbre et

qu’il constitue la matière de nombreux ouvrages et articles. Parmi ceux qui semblent les

548 H. ROLAND et L. BOYER, Locutions latines et adages du droit français contemporain, Lyon, L’Hermès, 1977-1979. Le premier volume est consacré aux locutions latines, le deuxième aux adages des lettres A à L et le dernier aux adages des lettres M à Z. 549 Cette datation signifie, selon les indications données par les auteurs en début d’ouvrage, que l’adage avait cours dans la pratique et la doctrine de l’ancien droit médiéval et monarchique, sans qu’il soit toutefois possible de le dater avec précision ni de l’attribuer nommément à tel auteur. 550 A. LAINGUI, Les adages du droit pénal, op. cit., p. 29. 551 A. LAINGUI, L’adage, vestige de la poésie du droit, in J.-L. HAROUEL (dir.), Histoire du droit social, mélanges en hommage à JEAN IMBERT, Paris, PUF, 1989, p. 346.

Le discours sur l’objet

192

plus importants on peut signaler celui de Walter Stree552, dont la parution n’était pas passée

totalement inaperçue en France puisqu’il avait fait l’objet d’une note bibliographique à la

revue de sciences criminelles et qu’il était cité par M. Essaïd. Puis ce sont les années quatre-

vingt qui ont vu paraître plusieurs études sur la règle in dubio pro reo. En 1985, Axel

Montenbruck y consacre une réflexion approfondie553. Ici, le professeur de droit tente

d’exposer la genèse et l’application plus ou moins problématique de la règle, aussi bien du

point de vue théorique (dans la pensée juridique allemande) que dans le droit positif

allemand554. Concernant l’origine de l’adage, qui en Allemagne est plutôt nommé

« principe », Montenbruck renvoie à une étude portant spécialement sur cette question.

En effet, en 1965 Peter Holtappels avait proposé de retracer le développement historique

du principe in dubio pro reo555. Ses recherches lui ont permis d’attribuer le premier usage

de cet adage à un auteur allemand de la première moitié du XIXe siècle. In dubio pro reo est

ainsi utilisé pour la première fois par le criminaliste Stübel alors qu’il cherchait à

développer une théorie de la preuve556. L’auteur posait la question de savoir quelle décision

devait être prise lorsque le juge se trouvait en présence d’une preuve de culpabilité

administrée par l’accusation, mais également d’une preuve contraire fournie par l’accusé.

Stübel estime que, dans cette hypothèse, il y a doute et qu’il faudra décider en faveur de

l’accusé. C’est alors que pour justifier cette solution l’auteur formule l’adage in dubio pro

reo557. Holtappels s’est alors demandé si Stübel avait inventé la formule ou s’il l’avait

empruntée à un autre auteur. Il semblerait que ce criminaliste ait utilisé la fin d’un fragment

de Paul contenu dans le Digeste et dans lequel figure l’expression « pro reo ». Quant à la

première partie de l’adage, « in dubio », elle serait de Stübel lui-même558. Stübel faisait

partie des auteurs qui, au XIXe siècle, ont combattu la pratique des juridictions allemandes

que l’on appelle « les peines ou pénalités du soupçon »559. Vraisemblablement, les

juridictions prononçaient des peines lorsqu’elles disposaient d’indices de culpabilité sans

avoir une véritable preuve. Autrement dit, les cours et tribunaux prononçaient des

condamnations en cas de doute sur l’innocence560. Cette étude de Holtappels ne permet pas

seulement de dater la formulation de l’adage et de l’attribuer nommément à un auteur, elle

552 W. STREE, In dubio pro reo, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1962. 553 A. MONTENBRUCK, In dubio pro reo, Berlin, Duncker & Humblot, 1985. Pour se convaincre de l’importance de la littérature allemande sur ce sujet, on peut par exemple consulter la bibliographie citée par Montenbruck, p. 200-212. 554 V. infra, n° 300, pour un aperçu des recherches de cet auteur. 555 P. HOLTAPPELS, Die entwicklungsgeschichte des grundsatzes « in dubio pro reo », Hamburg, Cram, de Gruyter & Co, 1965. 556 STÜBEL, Das criminalverfahren in den deutschen Gerichten, 5 volumes, Leipzig, 1811. 557 P. HOLTAPPELS, Die entwicklungsgeschichte des grundsatzes « in dubio pro reo », op. cit., p. 81-82. 558 P. HOLTAPPELS, Die entwicklungsgeschichte des grundsatzes « in dubio pro reo », op. cit., p. 82-83. 559 P. HOLTAPPELS, Die entwicklungsgeschichte des grundsatzes « in dubio pro reo », op. cit., p. 81. 560 Il s’agissait là d’une manifestation de l’absolutio ab instantia qui n’avait à l’époque pas encore disparu de la procédure criminelle allemande, V. infra, n° 307.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

193

invite en outre à en retrouver l’origine lointaine dans la règle du doute favorable qu’avait

énoncée le droit romain.

2) Les règles tirées du Corpus Juris civilis

177. Le bénéfice du doute dans le Digeste. Il est certain que le Corpus juris civilis de

Justinien n’exprimait pas notre adage. Toutefois, on sait déjà que le Digeste, dans le titre

XIX De poenis du Livre XLVIII avait accueilli le rescrit de l’empereur Trajan à Assiduus-

Sévère. Ce dernier, annoté en marge par l’indication : De absente, suspicionibus, énonce

qu’on ne doit pas condamner quelqu’un sur des soupçons au motif que, il vaut mieux laisser

impuni le crime d’un coupable que de condamner un innocent : Satius enim esse impunitum

relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnare. Il est donc déjà ici question du doute

à travers l’idée du soupçon.

Mais la question particulière du doute est également abordée, pour elle-même, dans la

compilation de Justinien. En effet, le Digeste comporte un titre XVIII (livre L) consacré à

l’explication des règles du droit ancien et intitulé : De diversis regulis juris antiqui. Dans

cette partie du Corpus juris civilis se trouve ainsi énoncée une loi de Gaïus selon laquelle :

Semper in dubiis benigniora praeferenda sunt. Le droit romain prescrivait donc

expressément que « dans les affaires douteuses il faut toujours prendre le parti le plus

doux ». D’ailleurs, comme l’avait souligné M. Laingui en lisant Paul, cette partie du Digeste

rassemble pour l’essentiel des règles énoncées brièvement, donc sous forme d’adage561.

Étonnamment, l’existence de cette formule du Digeste reste ignorée des auteurs modernes.

Elle présente pourtant une réelle importance dans la mesure où elle semble avoir traversé

les siècles en inspirant des formules ou des solutions très voisines et qui sont invoquées tant

par les auteurs du droit savant que par ceux du droit canonique.

178. La redécouverte du droit romain au Moyen Âge. On peut ainsi signaler en premier

lieu la position de saint Thomas d’Aquin. Car, abordant la question du jugement, il pose la

question suivante562 : Le doute doit-il être interprété favorablement ? S’agissant du

jugement des hommes (et non des choses) saint Thomas répond, en se fiant à la Glose, que

les doutes doivent être interprétés en bonne part563. Cette solution sera reprise, cinq siècles

plus tard, par les criminalistes français. Jousse écrivait en effet que les crimes ne se

présument point et qu’ils doivent être prouvés. Il en tirait alors la conséquence que dans le

561 V. A. LAINGUI, Les adages du droit pénal, op. cit. , p. 26, notes 2 et 3. 562 Somme théologique, IIa-IIae, question 60, article 4. V. Somme théologique, trad. A.-M. ROGUET, Paris, éd. du Cerf, volume 3, 1985. 563 Il justifie ainsi sa réponse : celui qui a une mauvaise opinion du prochain sans motif suffisant est injuste et méprisant envers lui. Or, nul ne doit mépriser autrui dit-il. Et il conclut ainsi : tant que des indices de perversité ne sont pas évidents chez un homme, nous devons le tenir pour vertueux et interpréter en bonne part tout ce qui est douteux.

Le discours sur l’objet

194

doute il faut toujours interpréter l’action de l’auteur en bonne part564. Mais la solution

proposée par saint Thomas d’Aquin demeure incomplète. Au XVIe siècle, le théologien et

juriste Francisco de Vitoria, soulèvera cette difficulté en demandant quelle suite donner à

l’interprétation en bonne part préconisée par saint Thomas565. En effet, faut-il seulement

s’abstenir de condamner lorsqu’il y a place pour le doute, ou faut-il aller plus loin et

affirmer l’innocence ? La question est d’importance, car elle tend à différencier le simple

bénéfice du doute de la preuve positive d’innocence. Or, aujourd’hui, la question n’est

toujours pas tranchée par les pénalistes. Elle révèle la difficulté à connaître la signification

juridique que la doctrine attribue à la présomption d’innocence566.

Quoi qu’il en soit l’adage in dubio pro reo puise son origine lointaine dans la règle

Semper in dubiis benigniora praeferenda sunt du Digeste. Cette origine a donc traversé les

siècles grâce à une redécouverte du droit romain. Le droit canonique en témoigne

parfaitement, mêlant des références au Digeste et à saint Thomas. C’est le cas des

Décrétales du Pape Grégoire IX567 qui comportent un titre XLI au livre V intitulé De

regulis iuris rappelant ainsi la partie du Digeste portant le même titre. Or, on trouve

exprimée à cet endroit des Décrétales, la règle suivante : dubia in meliorem partem

interpretari debent accompagnée d’une référence à la Somme théologique de saint Thomas

d’Aquin. Au XVIIIe siècle on trouve toujours la même référence dans un dictionnaire de

droit canonique comportant une entrée au mot doute où la règle suivante est énoncée : dubia

in meliorem partem sunt interpretenda. L’auteur explique qu’elle s’applique

particulièrement en matière de peine sous la forme : in dubiis pro reo judicandum est568.

Pour l’application de cette règle, il renvoie également aux questions d’interprétation lorsque

les cas sont douteux569.

Ces exemples montrent bien que la règle du doute favorable prend racine dans le droit

romain et ne cesse d’être invoquée au fil des siècles mais au gré de différentes

reformulations. In dubio pro reo ne serait alors que l’ultime reformulation de cette règle à

une époque où la science du droit allemande cherchait des arguments pour écarter les

condamnations fondées sur des soupçons ou pour écarter la pratique de l’absolutio ab

564 C’est la première règle particulière pour l’examen de la preuve énoncée par Jousse, Traité de la justice criminelle de France, op. cit., t. II, p. 580. 565 F. DE VITORIA, De iustitia. Commentarium in Secundum Secundae, q. 60, art. 4 (1535). 566 Voir infra, titre 2, chapitre 1. 567 (1170-1241). Decretales D. GREGORII PAPAE IX, Lugduni : De licentia Dom. Nostri Gregorii XIII Pont. Max (1584). 568 DURAND DE MAILLANE, Lyon, 1776, tome II, p. 396. 569 « Lorsque le droit des parties paraît obscur et embarrassé, il faut incliner plutôt en faveur du défendeur, qui combat pour ne point perdre, qu’en faveur du demandeur, qui cherche à gagner : c’est en conséquence du même principe, qu’en matière criminelle, on doit toujours pencher vers la douceur, et se déterminer pour le parti le plus doux », Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, op. cit., tome III, p. 376.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

195

instantia570. On aura toutefois remarqué que le plus souvent la règle du doute favorable,

qu’exprime aujourd’hui l’adage in dubio pro reo, est également associée à l’adage tiré du

rescrit de Trajan : Il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un

innocent. Or, à partir du XIXe siècle cet héritage romain semble avoir cessé de se

transmettre, en tout cas sous cette forme571.

B- LA RÉÉCRITURE DE L’HISTOIRE

1) Modalités de la réécriture

179. Le choix d’une histoire. L’oubli des origines lointaines et l’affirmation qu’elle est née

de la fameuse rupture de 1789, sont bien deux tendances du discours doctrinal sur la

présomption d’innocence. Ces deux éléments montrent que l’histoire de la règle que nous

connaissons aujourd’hui, à travers la littérature juridique des XXe et XXIe siècle, est une

histoire façonnée, construite, arrangée, enjolivée peut-être. Elle n’est en tout cas pas le

fidèle reflet de l’évolution de notre droit. Elle procède de choix dont on ne sait s’ils sont

bien conscients, mais dont la réalité est elle bien certaine. Il n’est pas totalement impossible

de voir dans la Révolution une source de la présomption d’innocence. Mais alors, il

conviendrait de justifier davantage cette origine au regard des sources plus anciennes.

Pourquoi plutôt la Révolution que le droit romain ? La réponse à cette question, assez

délicate, passe probablement par l’explication de ce que l’on entend par présomption

d’innocence. Selon la signification juridique que l’on reconnaît à la présomption

d’innocence, ses origines peuvent s’avérer différentes.

180. La cessation de toute référence au droit romain à la fin du XIXe siècle. Les

criminalistes de la première moitié du XXe siècle, Garraud, Roux, Vidal ou encore

Donnedieu de Vabres ont tous affirmé non seulement l’existence de la présomption

d’innocence mais aussi invoqué l’adage in dubio pro reo. Aucun de ces auteurs n’a

cependant laissé entrevoir de justification historique de ces affirmations. Ainsi, en même

temps que l’expression présomption d’innocence est introduite dans la littérature juridique

570 L’absolutio ab instantia était une institution de la procédure pénale du ius commune comparable à la mise hors de cour que pratiquait le droit français depuis le XVIe siècle. Elle intervenait en cas de preuve insuffisante contre l’accusé. Elle n’a disparu en Allemagne qu’à la fin du XVIIIe siècle. V. M. SCHMOECKEL, L’absolutio ab instantia. Son développement en Europe et ses implications constitutionnelles, Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, n° 19-1998, p. 171. 571 Il était passé chez certains philosophes du droit naturel. Ainsi, chez Pufendorf, après qu’il a lu Grotius. Dans un chapitre sur l’entendement humain par rapport aux actions morales : « Dans les choses de grande conséquence, lors qu’on voit de part et d’autre des raisons vraisemblables, il faut prendre le parti le plus sûr, c'est-à-dire, celui d’où, en cas que l’on se trompe, il ne saurait arriver un mal aussi fâcheux, que celui qui pourrait suivre l’erreur de l’autre côté » Pufendorf assortit ce propos de la note suivante : « Par exemple, s’il s’agit de perdre quelqu’un, il vaut mieux risquer de laisser échapper un criminel, que de punir un innocent », et l’auteur de rappeler qu’il s’agissait de la décision de l’Empereur Trajan. S. PUFENDORF, Le droit de la nature et des gens, trad. J. BARBEYRAC, Centre de philosophie politique de l’Université de Caen, 1987, tome I, p. 43.

Le discours sur l’objet

196

française, cesse toute référence directe ou indirecte aux adages romains, au profit du seul

adage in dubio pro reo formulé par le criminaliste allemand Stübel.

On peut alors se demander comment l’usage de cet adage dans la littérature juridique

française a été rendu possible. L’hypothèse d’une influence directe des auteurs allemands

semble devoir être écartée. En dehors du criminaliste Mittermaier, qui ne semble pas avoir

fait grand usage de cet adage dans son ouvrage sur la preuve criminelle, les juristes

allemands ne sont pas très consultés par les auteurs français. En revanche, l’hypothèse

d’une transmission indirecte par le criminologue italien Enrico Ferri serait à privilégier. À

cet égard, il faut se souvenir qu’après avoir admis que la présomption d’innocence et la

règle plus générale in dubio pro reo avaient une base positive, Ferri offrait un passage

particulièrement critique : « La présomption d'innocence (…) n’est en effet qu’un

aphorisme juridique qui s’est bien éloigné de la réalité primitive, d’où il tirait son origine

par ce procédé de momification et de dégénération des regulae juris qu’a signalé Savioli, et

qui n’est qu’un cas spécial de cet arrêt idéo-émotif que Ferrero mettait à la base

psychologique des phénomènes de symbolisme »572. Selon Ferri, la présomption

d’innocence nous vient donc directement du droit romain mais cette indication ne passera

pas dans le discours doctrinal français.

181. L’intérêt tardif pour l’histoire de la présomption d’innocence. La recherche des

sources historiques de la présomption d’innocence n’a été sérieusement entreprise qu’avec

le travail doctoral de M. Essaïd. Autrement dit, jusqu’à la fin des années soixante, la

présomption d’innocence demeurait une règle sans véritables attaches historiques573. En

réalité, on doit admettre que cela faisait peu de temps qu’il était question de la présomption

d’innocence dans les écrits doctrinaux. L’élaboration d’une thèse de doctorat offrait un

cadre propice à une telle entreprise. Mais en dehors de ce cadre, il faut bien admettre que la

présomption d’innocence n’a suscité ni l’intérêt des historiens ni celui des pénalistes. On

peut s’en étonner. Les travaux historiques sur le droit pénal et la procédure pénale sont

nombreux et on s’explique mal que la présomption d’innocence n’ait pas fait l’objet de l’un

d’entre eux574. Ainsi, tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle les criminalistes ont-

il nourri cette « croyance » que la présomption d’innocence n’existait pas avant la

Révolution. Désormais, « la croyance » est dénoncée, la vérité historique en passe d’être

572 V. La sociologie criminelle, 2e éd., op. cit., p. 494. 573 André Vitu avait cependant largement laissé entendre que cette histoire prenait naissance en 1789, V. Procédure pénale, op. cit. 574 Si l’idée d’une rupture opérée par la Révolution est désormais dénoncée par plusieurs historiens, au premier desquels figure M. Carbasse, et si tous affirment qu’il existe des traces de la présomption d’innocence au Moyen Âge, l’histoire de la présomption d’innocence demeure encore largement méconnue. En effet, l’impulsion a été donnée et des pistes explorées, V. notamment, H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., mais l’histoire de la présomption d’innocence reste probablement encore à écrire.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

197

rétablie. Peut-être faudra-t-il encore du temps avant que le discours doctrinal soit modifié en

profondeur. Quoiqu’il en soit, l’histoire de la présomption d’innocence a fait l’objet d’une

certaine réécriture. Il n’y a là cependant rien de pathologique, ce phénomène serait naturel à

la science du droit.

2) Les raisons de la réécriture

182. Une loi du savoir juridique. La présomption d’innocence ne serait pas le seul

principe juridique dont l’histoire aurait été réécrite. M. Atias pense en avoir découvert un

nombre suffisant pour analyser cette tendance en une véritable loi du savoir juridique575. Il

en a formulé cinq et la réécriture de l’histoire y prend l’avant dernière place. Ces lois

« marquent seulement des tendances, des régularités approximatives ». Elles permettent,

entre autre, d’apercevoir que « le contenu du droit n’est pas le seul facteur à considérer

pour analyser le mode de détermination du contenu du savoir juridique »576. M. Atias

explique que, l’argumentaire historique peut consister à présenter un passé reconstruit, une

histoire réécrite, comme constitutifs d’une tradition dont les solutions actuelles seraient

tirées. « Au mieux une tendance présente dans les textes d’autrefois est isolée, accentuée,

renforcée »577. À l’heure actuelle, ce phénomène semble trouver sa plus brillante illustration

avec l’autonomie de la volonté578. Cette loi du savoir juridique qu’est la réécriture de

l’histoire qui, si elle n’est pas connue n’en est pas moins habituelle, touche donc également

la science du droit pénal et semble pouvoir s’y illustrer avec l’histoire de la présomption

d’innocence. Cependant, les raisons d’une telle réécriture demeurent inconnues. Concernant

l’histoire de la présomption d’innocence, on pourrait proposer ici quelques pistes ou

hypothèses pour expliquer l’évidence avec laquelle la littérature juridique a rattaché la

présomption d’innocence à la Révolution. Ces raisons tendent à expliquer pourquoi il a

semblé plus opportun de fixer la date de naissance de la présomption d’innocence au

moment de la Révolution.

183. Droit romain vs Révolution française. La première raison relève du bon sens, ce

choix pouvait de prime abord paraître tout à fait logique au regard de l’influence de le

période révolutionnaire sur les transformations du droit pénal moderne. L’histoire de la

présomption d’innocence aurait donc été en quelque sorte aspirée par celle des autres

innovations de l’époque, toutes celles qui apportent des garanties nouvelles, qui constituent

des progrès pour la justice et l’humanité. La deuxième raison pourrait tenir à la nature

575 CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op. cit., n° 320. 576 Épistémologie juridique, op. cit., n° 306. 577 Épistémologie juridique, op. cit., n° 320. 578 CH. ATIAS, Philosophie du droit, Paris, PUF, 1re éd., 1999, p. 272-273 ; et V. RANOUIL, L’autonomie de la volonté : Naissance et évolution d’un concept, Paris, PUF, 1980. Bien que non pathologique, le phénomène de réécriture de l’histoire serait l’une des caractéristiques, parmi d’autres, permettant d’identifier les mythes juridiques. V. Philosophie du droit, p. 273.

Le discours sur l’objet

198

romaine des origines de la présomption d’innocence. En effet, on peut supposer que l’oubli

dont elles ont fait l’objet trouve une double explication dans une certaine défiance à l’égard

du droit romain puis une véritable méconnaissance de ce droit par les auteurs du XXe siècle.

En effet, dès le XVIe siècle le droit romain semble avoir commencé à perdre de son

influence en raison d’un certain positivisme ambiant qui l’a privé du titre de source du droit.

Désormais simple autorité, il n’était plus utile aux juristes que pour les raisonnements qu’il

pouvait offrir579. Des critiques lui ont été adressées, il a même fait l’objet d’un certain

mépris580. La connaissance du droit romain a été jugée de moins en moins indispensable au

point que son enseignement s’est peu à peu marginalisé dans les facultés de droit581. Il

semble qu’au début du XXe siècle les juristes avaient perdu, pour l’essentiel, tout contact

avec ce droit. On comprend que dans ces conditions, nos criminalistes n’aient pas été en

mesure de rattacher la présomption d’innocence aux dispositions du Corpus juris civilis.

Une étude purement historique aurait probablement pu mener un auteur jusqu’à cette

source, mais certainement pas une thèse de doctorat comme celle de M. Essaïd, dont l’objet

essentiel, réside dans la description du droit en vigueur. De plus, pourquoi aller chercher des

origines si lointaines à la présomption d’innocence alors que la Révolution en offre une bien

plus accessible ? Non pas que les criminalistes aient nécessairement fait preuve de paresse,

mais le rattachement à cette période révolutionnaire et à la Déclaration des droits de

l’homme permet de donner une dimension hautement symbolique à la présomption

d’innocence.

Une troisième raison semble alors en découler naturellement. En affirmant que la

présomption d’innocence est une conquête révolutionnaire, son histoire n’avait pas à être

approfondie, elle pouvait endosser toute la charge symbolique qui s’attache à cette période.

L’humanité avait triomphé et la torture avait disparu ; la présomption d’innocence comptait

désormais parmi ces droits naturels et imprescriptibles de l’homme. On peut alors voir dans

ce rattachement à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen une caution

indispensable du discours doctrinal. En effet, on remarquera que la référence à un texte

aussi illustre a permis de dissimuler une réalité épineuse : bien que l’existence du principe

de la présomption d’innocence soit péremptoirement affirmée, son sens, sa nature et sa

portée juridiques demeurent largement inconnus.

Enfin, le rattachement de la présomption d’innocence à la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen avait un avantage incontestable sur les textes du droit romain. Le

Déclaration, plus accessible, beaucoup plus connue aussi, comporte un article 9 où il est 579 V. J.-L. THIREAU, Introduction historique au droit, Paris, Flammarion, 2e éd., 2003, p. 226 et 230, ce qui en soit est un apport fondamental, V. M. VILLEY, Le droit romain, Paris, PUF, Que sais-je ?, 10e éd., 2002, p. 5-6 et 119-120. 580 M. VILLEY, Le droit romain, op. cit., p. 113. 581 M. VILLEY, Le droit romain, op. cit., p. 5.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

199

aisé de retrouver une formulation de la présomption d’innocence. Dans la recherche d’un

fondement textuel au principe de la présomption d’innocence, il apparaissait naturellement

plus pertinent de se référer aux droits de l’homme consacrés par les français qu’aux

formules un peu vagues, peut-être incertaines, de la doctrine du droit romain. Il n’en

demeure pas moins que le rattachement formel de la présomption d’innocence à la

Déclaration des droits de l’homme procède lui aussi d’une part d’artifice.

§. 2 LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN : SOURCE FORMELLE ET

ARTIFICIELLE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

184. L’évidence d’un rattachement à la Déclaration. « L’article 9 de la Déclaration des

droits de l’homme de 1789 est parfaitement clair sur ce point : " Tout homme" est "présumé

innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable" » professe un auteur en 1998582.

L’affirmation illustre à elle seule le rattachement formel de la présomption d’innocence à la

Déclaration des droits de l’homme. Dire que l’article 9 formule le principe de la

présomption d’innocence paraît de prime abord relever du simple bon sens. Nul besoin

d’être juriste pour admettre que la présomption d’innocence se trouve formulée dans ce

texte. Pourtant ce rattachement procède d’une libre interprétation de l’article 9 et non pas

d’une interprétation fidèle du texte élaboré par les constituants de 1789 (A). De plus, la

désignation de la Déclaration comme source formelle de la présomption d’innocence n’a eu

lieu qu’assez tardivement (B).

A- LA LIBRE INTERPRÉTATION DE LA DÉCLARATION

185. Le siège de la présomption d’innocence dans l’article 9. Dès la parution de l’article

de M. Patarin583, l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme était désigné comme la

source formelle incontestable de la présomption d’innocence. Au XXIe siècle, alors que la

présomption d’innocence peut se prévaloir de nombreux autres fondements textuels,

internes ou externes, le texte de 1789 continue d’être rangé parmi ses sources formelles.

C’est dire si l’on reconnaît à l’article 9 une grande importance, celle d’avoir accueilli la

toute première expression de la présomption d’innocence. Qu’elle s’y trouve « proclamée »,

« inscrite avec force », « rappelée », « consacrée », « formulée », ou simplement

« inscrite », les auteurs semblent unanimes, la présomption d’innocence a son siège dans la

Déclaration584. Bien que l’affirmation paraisse aller de soi au regard de la lettre même de

582 R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 20. 583 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit. 584 V. notamment : M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 44-47 ; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., p. 226 ; G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 12 ; M. DELMAS-MARTY, La Déclaration de 1789 et le droit pénal, in Quelques aspects des sciences criminelles, travaux de l’institut de sciences criminelles de Poitiers, vol. 10, Paris, Cujas,1990, p. 80 ; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit., p. 53 ; H. DAOULAS, Présomption

Le discours sur l’objet

200

l’article 9, elle procède nécessairement d’une interprétation de ce texte. Or, à l’examen, il

semble que l’interprétation doctrinale de l’article 9 ait pris quelques libertés aussi bien avec

sa lettre qu’avec son esprit.

1) La lettre du texte

186. L’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce texte est

rédigé de la façon suivante :

« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est

jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer

de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

187. Analyse doctrinale de la lettre du texte. C’est au terme d’une « simple analyse

littérale » de l’article 9 que M. Essaïd estime585 qu’« Il proclame, en premier lieu, la

présomption d’innocence586, règle qui doit couvrir l’accusé tant qu’un jugement définitif

n’a pas reconnu sa culpabilité ». L’auteur ajoute immédiatement : « Le principe posé, il en

tire, ensuite, la conséquence : la protection de la liberté individuelle dans le cadre du

procès pénal ». Mais cette analyse conduit à morceler inopportunément le texte. Elle

consiste à s’arrêter à la première proposition : « Tout homme étant présumé innocent

jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable » pour lui conférer une importance déterminante

qu’elle n’a probablement pas.

188. Recherche du droit consacré par le texte. On remarquera que contrairement à bon

nombre d’autres textes de la Déclaration, qui comportent deux ou plusieurs phrases

consacrant chacune un droit de l’homme, l’article 9 ne contient qu’une phrase composée de

plusieurs propositions. Or, si la compréhension et l’interprétation de l’article 9 doivent

passer par une analyse portant sur chacune des propositions, elles ne sauraient s’y arrêter.

L’article 9, parce qu’il fait partie de la Déclaration des droits de l’homme, consacre un droit

et c’est l’ensemble du texte qui doit être pris en considération pour déterminer quel est ce

droit. Si le droit que les constituants avaient voulu consacrer était la présomption

d’innocence, alors on comprend mal à quoi serviraient les autres propositions du texte. Le

droit ici proclamé est bien, comme le soulignait d’ailleurs M. Essaïd, la liberté individuelle.

La proposition la plus importante, celle qui a retenu toute l’attention des auteurs de l’article

9, est sans doute la dernière : « toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de

sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Cela paraît d’autant plus vrai que,

d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, op. cit., n°8 ; J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n° 9 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384 ; CH. LAZERGES, La présomption d'innocence, op. cit., p. 497 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 6. 585 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 45. 586 C’est l’auteur qui souligne.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

201

dans la rédaction de la deuxième Déclaration, la première et la seconde proposition avaient

totalement disparu587.

De plus, pour donner une telle importance à la proposition « Tout homme étant présumé

innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable », les auteurs ne s’attardent guère sur le

vocabulaire employé ici par les constituants. Certes, l’article 9 emploie bien le mot

« présumé », mais s’est-on assuré que cette utilisation était bien destinée à consacrer une

présomption juridique ? L’emploi du terme « présumé » suffit-il à garantir que l’on est en

présence d’une véritable présomption ? Les auteurs ne s’en sont pas avisés. La volonté des

constituants n’a jamais été recherchée ni démontrée.

189. L’importance du « étant » présumé innocent… ». L’emploi du participe présent

« étant » pourrait faire obstacle à l’interprétation doctrinale de l’article 9. Pourquoi les

constituants, désirant hisser la présomption d’innocence au rang de principe et de droit de

l’homme n’ont-ils pas alors écrit l’article 9 sur le schéma des articles 5, 6, 7, ou 8 de la

Déclaration ? Pourquoi, par exemple, ne pas avoir donné à l’article 9 une rédaction du

genre : « Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. S’il

est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer

de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Or, les constituants ont choisi

d’écrire « Tout homme étant présumé innocent… », et non pas « Tout homme est présumé

innocent… ». Il est permis de penser que l’utilisation du participe présent n’est pas ici

anodine ou totalement indifférente dans l’interprétation que l’on peut donner de l’article 9.

Pourtant, une lecture attentive de la littérature juridique fait apparaître, bien souvent, une

substitution de termes dans la citation de ce texte. Ainsi, tout en usant des guillemets, pour

bien signifier qu’ils citent le texte même de l’article 9, les auteurs écrivent « tout homme est

présumé innocent… ». Le célèbre précis de procédure pénale de MM. Stéfani, Levasseur et

Bouloc, reproduit cette erreur depuis de longues années588. Elle s’était déjà glissée dans le

cours que professait M. Stéfani à la fin des années soixante et qui a servi de base à la

rédaction du précis589. Dans la dernière édition désormais rédigée par le seul professeur

Bouloc, ce glissement sémantique n’a toujours pas disparu590. Peut-on considérer qu’il

s’agit là d’une simple « coquille » ? Probablement pas. En effet, cette substitution de termes

587 Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen (préambule à la Constitution du 5 fructidor an III – 22 août 1795), Article 10 : « Toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de la personne d’un prévenu, doit être sévèrement réprimée par la loi ». 588 L’erreur est probablement présente depuis la première édition. Elle l’est en tout cas, avec certitude, depuis la 8e édition parue en 1974. 589 G. STÉFANI, Cours de droit pénal général et procédure pénale, Paris, Les cours du droit, 1966-67, p. 563 590 Procédure pénale, op.cit., 20e éd., 2006, n° 122, note 2.

Le discours sur l’objet

202

dans la citation de l’article 9 s’est produite à de trop nombreuses occasions591 pour que l’on

puisse raisonnablement la considérer comme une simple erreur typographique. Il y a là

plutôt une mauvaise habitude, voire une coutume, prise par les auteurs, qui sont d’ailleurs

parfois magistrats. Georges Kiejman avait déjà observé le phénomène : « Il est de coutume,

de coutume erronée, Monsieur le Professeur Léauté n’y a pas manqué hier, de dire que la

déclaration de 1789 comporte cette phrase : "tout homme est présumé innocent tant qu’il

n’a pas été déclaré coupable". Cela n’est pas rigoureusement exact. L’article 9 de la

déclaration dit ceci : " Tout homme étant présumé innocent…" »592. En dépit de cette

observation, l’erreur n’a pas été rectifiée.

Comment expliquer alors cette substitution qui n’est pas totalement involontaire ? On

pourrait estimer que la question ne mérite pas tant d’attention. Après tout, on ne peut voir

dans ce glissement sémantique qu’une tendance sans incidence. Cela d’autant plus que si la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dit « Tout homme étant présumé

innocent », les textes postérieurs, à commencer par la Déclaration universelle, substitueront

le « est » au « étant »593. Il nous semble toutefois que ce glissement n’est ni naïf ni tout à

fait indifférent. Si la substitution est désormais conforme à l’ensemble des textes consacrant

la présomption d’innocence, elle n’en demeure pas moins une erreur quant au contenu exact

de l’article 9594.

591 J. LÉAUTÉ, Le caractère irréparable de la perte de l’innocence, op. cit., p. 4 ; J.-P. DOUCET, Le jugement pénal, Paris, Gazette du Palais et Litec, 1991, p. 67 ; J. LARGUIER, La procédure pénale, Paris, PUF, Que sais-je ? 7e éd., 1991, p. 40 ; F. CASORLA, Le droit français, rapport in La preuve en procédure pénale comparée, Rev.int.dr.pén., 1992, p. 184 ; C. COHEN, De la présomption d’innocence au secret de l’instruction : la double impasse, Gaz. Pal. 1995, 2, p. 951. J.-L. COSTE, Les principes d’action du parquet face à la présomption d'innocence, in La présomption d'innocence en droit comparé, op. cit., p. 40 ; J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 7e éd., op. cit., p. 270 ; F. DEBOVE et F. FALLETI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p. 226 ; CH. LAZERGES et D. ROUSSEAU, Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 13 mars 2003, Revue du droit public, 2003, p. 1160 ; J.-F. CESARO, Le doute en droit privé, Paris, Panthéon-Assas, 2003, n° 285. 592 G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit., p. 15. 593 Ainsi, l’Article 11. 1° de la Déclaration universelle prévoit-il que : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées». Également, l’article 6§2 de la Convention EDH « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie». Mais aussi l’article 14. 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques: « Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. ». À ces textes, s’ajoute désormais l’article 48.1° de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie». Enfin, s’agissant du droit français, l’article préliminaire III du Code de procédure pénale dispose que : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie». 594 On pourra d’ailleurs se demander comment ces textes peuvent être combinés, tout particulièrement par le juge qui peut être amené à faire application de plusieurs textes dont la valeur normative n’est pas identique, V. infra, n° 228 et s.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

203

Cette substitution du « est » au « étant » pourrait avoir au moins une fonction, celle de

conforter l’idée qu’un principe a bien été formulé à l’article 9. En effet, l’emploi du

participe présent « étant » semble bien traduire « l’allégation d’une évidence », comme y

invite l’analyse de M. Carbasse595. Les constituants reconnaissaient alors pour acquis, voire

comme un postulat, que toute personne est présumée innocente jusqu’à ce qu’elle soit

déclarée coupable. Or, pour dater la naissance de la présomption d’innocence à 1789, mieux

vaut utiliser le présent indicatif que le participe présent. Quoi qu’il en soit, feindre que

l’article 9 disait déjà ce que disent tous les textes qui l’ont suivi, revient à prendre une

grande liberté dans l’interprétation littérale de ce texte. C’est également faire peu de cas de

la volonté des constituants. Qu’ont voulu dire et écrire ces derniers ? Les discussions

préparatoires à la Déclaration autorisent-elles à considérer que « étant » ou « est » c’est

finalement la même chose ? C’est possible. Mais il conviendrait de le vérifier.

2) L’esprit de l’article 9

190. Nécessaire recherche de la volonté des constituants. Pour pouvoir affirmer avec

certitude que l’article 9 de la Déclaration, et spécifiquement la proposition « tout homme

étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable », donne naissance au

principe juridique de la présomption d’innocence, encore faut-il s’assurer que c’est bien là

ce qu’ont voulu les rédacteurs du texte. Or, on ne peut dire que cette vérification a

réellement été opérée. On pourra suggérer qu’en vertu du principe selon lequel on

n’interprète pas un texte clair, l’article 9 ne méritait pas une interprétation approfondie. La

volonté des constituants de consacrer la présomption d’innocence, se déduirait donc tout

simplement, de la lettre du texte. Cette dernière apparaissant alors aux yeux de tous, comme

des plus claires.

Pourtant, il faut se souvenir que ni les cahiers de doléances, ni les projets de déclaration

ne manifestaient le souci de consacrer la présomption d’innocence596. On se contentera de

rappeler ici qu’aucune place n’est faite à la présomption d’innocence dans les documents

publiés à la veille de l’adoption de la Déclaration. Ce n’était pas vraiment là le souci des

595 J.-M. CARBASSE, Le droit pénal dans la déclaration des droits, op. cit., p. 129-130, qui considère qu’il s’agit d’un « rappel incident » de la présomption d’innocence. Pour M. Henrion, le participe présent de l’article 9 marque davantage « une relation d’évidence entre le droit à la présomption d’innocence et le droit à la sûreté ». L’auteur a relevé une relation sémantique entre les articles 2 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et estime que le premier de ces textes « constitue la trame souterraine de tous les articles de la Déclaration ». Ainsi explique-t-il l’usage du participe présent de la manière suivante : « si tout homme est présumé innocent, c’est "évidemment" en vertu de son droit à la sûreté », V. H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 253-1. 596 À cet égard, on renverra aux développements consacrés à cette question dans la première partie de ce travail, alors qu’était recherchée la présence de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal, V. supra, n° 51 et s.

Le discours sur l’objet

204

constituants. C’est, finalement, la genèse de l’article 9597 qui peut le mieux nous renseigner

sur la volonté des constituants.

191. La rédaction de l’article 9. La doctrine a souvent attribué la paternité de ce texte à

Adrien Duport598et il est vrai que ce juriste a pris une grande part dans sa rédaction.

Toutefois, il ne semble pas avoir eu le rôle décisif que l’on veut bien lui prêter. En effet, il

faut d’abord se souvenir que le projet initial de Duport ne prévoyait pas d’inscrire dans la

Déclaration une quelconque présomption d’innocence. Ce n’est qu’au cours de la

discussion, sur la base du projet rédigé par le sixième bureau, que Duport soumet le texte

suivant : « Tout homme étant innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné, s’il est jugé

indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa

personne, doit être sévèrement réprimée »599. On remarquera qu’ici il y a bien, pour la

première fois une référence expresse à l’innocence en même temps qu’à la liberté. Mais

surtout, il convient d’observer que le terme de « présumé » n’est absolument pas

employé600.

Mais les constituants n’eurent pas à discuter sur ce projet d’article 9 car il fut demandé

aux députés Target et Bonnay de s’associer à Duport pour proposer une rédaction

commune. Or, il résulte de cette composition à trois mains, la rédaction suivante : « Tout

homme devant être innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé

indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa

personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Si les raisons de cette modification

restent inconnues, on peut néanmoins s’apercevoir à nouveau qu’il n’est pas ici question

d’un homme présumé innocent. En réalité, et sans que l’on sache précisément pourquoi,

c’est au député de Provence, Mougins de Roquefort, que l’ont doit la rédaction définitive de

l’article 9. Il jugea en effet que les mots : « devant être » présentaient un doute et que

l’expression « étant présumé » valait mieux. Si la volonté des rédacteurs ne peut être tout à

fait connue, cette genèse montre bien néanmoins que l’insertion du terme « présumé » est

en quelque sorte accidentelle. Elle a été adoptée sans qu’il soit possible d’affirmer que les

597 Pour le détail, V. supra, n° 53 et s. 598 V. par exemple J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op. cit., p. 5. Cet auteur fait remarquer que Duport avait critiqué l’usage barbare qui consiste à punir les coupables avant même qu’ils ne soient déclarés tels. Elle conclut alors : « La solution est évidente : consacrer le principe de la présomption d’innocence. Ce qui fut fait : " Tout homme étant présumé innocent…" » ; V. également, R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 140. 599 V. E. WALCH, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’assemblée constituante, op. cit., p. 160. 600 Sans cette référence à la présomption, l’article 9 semble se fonder sur une logique évidente : un homme n’est coupable qu’à partir du moment où il a été officiellement déclaré comme tel. Jusque là, il est nécessairement le contraire, savoir innocent.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

205

constituants ont voulu instituer une véritable présomption de droit. On peut seulement

conclure à une certaine ambiguïté dans l’usage de ce terme601.

En tout cas, l’évolution dans la rédaction de l’article 9 n’a pas fait disparaître l’usage du

participe présent. On peut sans peine en déduire qu’il y avait une volonté des députés de

faire référence à une réalité déjà connue. Cela est tout à fait probable si l’on veut bien se

souvenir que les constituants eux-mêmes se sont reconnu un rôle modeste : « L’Assemblée

nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les

droits suivants de l’Homme et du Citoyen ». Il en résulte que même s’il l’on voulait

absolument voir dans l’article 9 la formulation du principe de la présomption d’innocence,

il faudrait admettre non seulement qu’il peut se prévaloir d’une origine plus ancienne, mais

aussi que son apparition dans ce texte n’a qu’une valeur incidente par rapport à ce que les

députés ont voulu déclarer : le droit ne pas subir des rigueurs qui ne seraient pas nécessaires

lors d’une arrestation.

192. Faiblesses du rattachement à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Ainsi, que l’on se réfère à la lettre ou à l’esprit de l’article 9, rien ne permet d’affirmer avec

certitude que les constituants ont voulu formuler, consacrer, introduire, une présomption

juridique d’innocence. Or cela ne laisse pas d’être gênant au regard du contenu du discours

doctrinal relatif à la présomption d’innocence. En effet, qu’il s’agisse de la nature, de la

signification ou encore de la portée reconnues à la présomption d’innocence, l’article 9 de la

Déclaration offre un fondement contestable.

Tout d’abord, il faut rappeler que la littérature juridique a toujours présenté la

présomption d’innocence comme une règle de preuve. Or, il est difficile de trouver dans

l’article 9 un tel fondement602. Ce texte, on le voit, n’a très probablement pas pour objet une

telle règle. Si l’on répète à l’envi que ni le Code d’instruction criminelle ni le Code de

procédure pénale n’ont formulé la présomption d’innocence, il semble bien périlleux, a

fortiori, d’attribuer cette formulation à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Ce n’était manifestement pas son objet.

Puis, c’est au regard du droit d’être présumé innocent que l’article 9 offre un fondement

fragile. L’affirmation semble avoir été facilitée par la reformulation du texte. Pourtant,

601 On pourrait, dans la logique qui semble avoir été celle de Duport, considérer qu’ici le terme « présumé » renvoie moins à une présomption qu’à un postulat. « Tout homme étant présumé » pourrait alors introduire un raisonnement et vouloir dire : tout homme étant, par hypothèse, innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, toute rigueur… 602 V. en ce sens J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 234 : « L’article 9 de la Déclaration des droits de 1789 qui est pourtant notre texte de référence ne pose même pas clairement le problème de la charge de la preuve pénale et se contente de prohiber toute rigueur non nécessaire avant la déclaration de culpabilité. Cette faiblesse et l’absence de toute analyse du concept de présomption d’innocence correspondent à la pauvreté de la déclaration en matière procédurale. »

Le discours sur l’objet

206

l’article 9, il faut y insister, ne déclare pas que « tout homme est présumé innocent ». Il se

contente d’un « tout homme étant présumé innocent… ». De plus, on pourra remarqué que

le texte de 1789 ne vise pas de façon spécifique l’homme en procès, c'est-à-dire la personne

mise en cause, suspectée, poursuivie ou encore prévenue, mais « tout homme ». Cette

imprécision contredit assez l’idée d’une présomption entendue au sens technique. C’est

pourtant bien la nature juridique que le discours doctrinal a toujours reconnu à la

présomption d’innocence, même si d’autres qualifications sont venues s’y ajouter.

On aperçoit par conséquent avec netteté cette liberté dont les auteurs ont fait preuve dans

l’interprétation de l’article 9. Il y a en effet un décalage certain entre le contenu de ce texte

et la fonction que la doctrine lui a attribuée. Le bon sens et l’évidence, qui paraissaient

autoriser de prime abord à voir la présomption d’innocence formulée dans l’article 9,

s’éloignent pour laisser entrevoir le rôle de la doctrine dans la formulation de la

présomption d’innocence. Il n’est pas inutile de rappeler ici que le sens de tel ou tel article

de la Déclaration ne se laisse pas si facilement saisir603. S’agissant de l’article 9, force est de

constater que les criminalistes n’ont pas cherché la signification profonde de l’énoncé à

partir de sa genèse. L’attribution de ce texte à Beccaria est un peu facile et d’autres auteurs

auraient pu tout aussi bien servir de référence pour expliquer son inspiration604.

Les criminalistes du XXe siècle qui ont, en quelque sorte, redécouvert le texte de la

Déclaration, s’en sont donc simplement tenus à une analyse littérale. Cette attitude peut

assez facilement s’expliquer. En effet, la démarche suivie n’a pas consisté à étudier la

Déclaration pour elle-même, mais plutôt à l’utiliser pour y puiser des références textuelles.

C’est parce que la doctrine pensait pouvoir la désigner comme source formelle de la

présomption d’innocence, qu’elle a livré cette analyse de l’article 9.

B- LE RATTACHEMENT À LA DÉCLARATION DES DROITS ET LA QUESTION DE

L’EXISTENCE JURIDIQUE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

193. Un rattachement tardif. La référence systématique à l’article 9 de la Déclaration des

droits de l’homme de 1789 s’explique donc par la nécessité de désigner une source

textuelle. Il convient pourtant d’observer que, sauf erreur de notre part, jusqu’en 1956

aucun criminaliste n’a traité de la présomption d’innocence en donnant pour référence

l’article 9 de la Déclaration. C’est en effet seulement avec l’article fondateur605 de Jean

Patarin que le rattachement est véritablement opéré pour la première fois606. En réalité, on

603 V. S. RIALS, le passage intitulé Lire la Déclaration : l’impossible épuisement du sens dans sa présentation de la Déclaration, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 332-335. 604 S’agissant de la formulation de la présomption d’innocence par Beccaria, V. supra, n° 45 et 46. 605 V. supra, n° 123 et s. 606 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7. Il faut néanmoins signaler qu’avant lui ce rattachement avait été initié par deux allusions du Doyen Carbonnier. Nous ne retenons pas ici son étude car la présomption d’innocence n’y était alors qu’évoquée, elle n’était donc pas

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

207

peut distinguer trois moments dans l’évolution du discours doctrinal concernant cette

référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

La première période s’étendrait du lendemain de l’adoption de la Déclaration jusqu’au

moment où la présomption d’innocence émerge véritablement pour la première fois dans la

littérature juridique française, c'est-à-dire au tout début du XXe siècle avec Garraud. La

seconde correspondrait à une cinquantaine d’années pendant lesquelles le discours

doctrinal, tout en accueillant la présomption d’innocence comme objet, ne fait aucune

référence au texte de 1789. Enfin, la dernière période s’étend de 1956 à 1971, autrement dit

du premier rattachement de la présomption d’innocence à la Déclaration, jusqu’à la fameuse

décision du Conseil constitutionnel qui reconnaît pleine valeur juridique à la Déclaration

des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Ainsi, alors que la doctrine contemporaine affirme que la présomption d’innocence a été

consacrée en 1789 et qu’elle est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme, il s’est

en réalité écoulé plus d’un siècle avant que cette filiation ne soit établie. On est

naturellement porté à se demander pour quelles raisons ce rattachement a été si tardif. En

réalité, la question de l’invocation de la source textuelle de la présomption d’innocence se

trouve intimement liée à une autre question, celle de sa valeur juridique. Or, il convient

probablement de distinguer, pour la réponse, chacune des périodes évoquées. En effet, les

contextes doctrinaux étant sensiblement différents, l’absence de rattachement, puis le

rattachement lui-même, peuvent trouver explication dans l’évolution des méthodes admises

par la doctrine.

194. L’exégèse et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen au XIXe siècle.

S’agissant de la première période évoquée ci-dessus, il semble qu’il faille imputer

l’ignorance totale de la Déclaration des droits de l’homme à l’influence de l’Exégèse.

L’analyse du discours doctrinal au XIXe siècle avait déjà montré qu’il ne faisait aucune

place à la notion de présomption d’innocence. Il est donc évident qu’il ne pouvait la

rattacher à une source formelle, pas même la Déclaration des droits de l’homme et du

citoyen. Nous avions alors souligné que les criminalistes avaient, à l’instar des civilistes,

largement adopté la méthode dite exégétique. Les codes criminels constituant alors pour ces

auteurs la seule source positive du droit, il était tout naturel qu’ils n’aient concentré leurs

efforts que sur l’analyse et le commentaire de ces corpus. À cette époque, les auteurs ne

reconnaissent donc aucune valeur à la Déclaration. Pour les juristes, le texte de 1789,

étudiée et aucune précision n’était donnée sur sa valeur juridique, V. Le problème de la détention préventive, op. cit., p. 115 et 118.

Le discours sur l’objet

208

comme les déclarations qui l’ont suivie607, avait en effet disparu avec la Constitution de

1791 dont elle constituait le préalable.

La méthode adoptée paraît même avoir interdit toute référence d’ordre historique,

philosophique, moral ou symbolique, à ce texte. Pourtant, quelques auteurs comme Faustin-

Hélie, Ortolan ou encore Le Seyllier ont su dépasser les bornes posées par l’Exégèse et

puiser des solutions à d’autres sources que les codes napoléoniens lorsqu’il s’agissait

d’interpréter telle ou telle de leurs dispositions qui faisait difficulté. Il est néanmoins certain

que ce n’est pas en recourant à la Déclaration des droits de l’homme qu’ils ont dégagé des

solutions ou des principes éclairant le droit criminel du XIXe siècle. Un auteur comme Le

Seyllier l’illustre d’ailleurs parfaitement. Lorsqu’il traite de la question relative au partage

des voix dans les décisions répressives et de la nécessité de prononcer la relaxe ou

l’acquittement, l’auteur semble bien évoquer une présomption d’innocence qui résulterait de

ce partage (en concurrence avec une égale présomption de culpabilité)608. Mais l’idée qu’en

pareil cas il faut choisir l’acquittement, ne trouve aucune justification dans un texte issu de

la Révolution. C’est tout simplement une solution prévue par l’ordonnance de 1670 et

appliquée par la jurisprudence d’Ancien Régime qui est ici utilisée609.

195. Émergence de la présomption d’innocence et absence de référence textuelle. La

seconde période que nous avons identifiée débute avec le XXe siècle et la première

introduction de la présomption d’innocence dans un ouvrage de droit criminel610. Après

Garraud tous les traités de droit criminel évoqueront peu ou prou la présomption

d’innocence611. De Vidal et Magnol à Donnedieu de Vabres, en passant par Roux,

Hugueney ou Le Poitevin, les auteurs affirment bien qu’en procédure criminelle joue une

certaine présomption d’innocence. Jamais pourtant l’existence de cette présomption ne sera

rattachée au texte d’une quelconque déclaration des droits. Comme au XIXe siècle, la

Déclaration des droits de l’homme ne semble jouir d’aucune considération et n’a pas

davantage de valeur juridique. Comment alors expliquer que l’absence de valeur juridique

de ce texte ne soit plus un obstacle à un discours sur la présomption d’innocence ? La

méthode doctrinale aurait-elle changé ? Avec son célèbre ouvrage intitulé Méthode

d’interprétation et sources en droit privé positif, François Gény « a sonné le glas » de ce

que les civilistes ont appelé L’École de l’exégèse612. À l’aube du XXe siècle la méthode des

607 Celle de 1793, préambule de la constitution de l’an I, et celle de 1795, préambule de la constitution de l’an III. Les constitutions suivantes, jusqu’en 1946, ne comporteront plus de déclaration de droits en préambule. Celle de 1848 énoncera, dans le corps du texte, les droits des citoyens garantis par la constitution sans qu’y figure la présomption d’innocence. 608 V. supra, n° 69. 609 V. Les références dans le Traité de droit criminel, op. cit., tome III, n° 933. 610 En 1903, dans la huitième édition du précis de droit criminel de René Garraud. 611 V. supra, n° 90 et s. 612 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 4e éd., 2003, n° 231.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

209

juristes du XIXe siècle, qui avait consisté à ne voir de droit que dans la seule loi écrite, était

alors vivement critiquée. Gény a substitué à la devise : « Le Code civil, rien que le code

civil », sa propre devise : « Par le Code Civil, mais au-delà du Code Civil »613. Ainsi, avec

ce qu’il a appelé « la libre recherche scientifique », Gény suggérait aux privatistes de puiser

les solutions non seulement dans la loi écrite, mais lorsque celle-ci s’avérait insuffisante ou

démodée, de ne pas hésiter à rechercher ailleurs les solutions qui convenaient. On a pu dire

que Gény avait ainsi « libéré » les interprètes de la loi du carcan dans lequel l’Exégèse les

avait plongés.

196. Changement de méthode chez les criminalistes ?. En présentant la doctrine

criminaliste du XIXe siècle, nous avions cru pouvoir dire qu’elle avait, comme son

homologue civiliste, suivi la méthode exégétique614. La majorité des ouvrages de droit

criminel publiés à l’époque attestent, par leur contenu et leur forme, du souci de leurs

auteurs de s’en tenir à une analyse des codes criminels, article par article. Le changement de

méthode prôné par Gény en droit privé a-t-il pu influencer la manière de faire des

criminalistes ? Garraud et Gény sont de la même génération et il serait tout à fait

concevable que le premier ait lu avec intérêt le second. Toutefois, il faut se souvenir que le

principe de la légalité des délits et des peines, qui s’étend également à la procédure,

s’oppose à l’adoption d’une devise du type de celle qu’avait formulée Gény. Par le Code de

procédure pénale mais au-delà du Code de procédure pénale ne peut se concevoir en droit

criminel. Cela dit, la libre recherche scientifique ne consistait pas qu’en cela. Elle a pu,

sinon s’appliquer strictement en droit criminel, du moins produire des effets, influencer les

auteurs. Les traités de droit criminel n’ont-ils pas évolué au XXe siècle ? Une chose est

sûre : les auteurs n’adoptent plus la même méthode de présentation du droit positif que leurs

aînés. Et la raison de cette évolution ne réside pas dans une modification significative du

droit à étudier, celui-ci demeure en effet dans les codes de 1808 et 1810 mais aussi dans les

lois répressives éparses.

Plus que dans la « nouvelle » méthode d’interprétation et sources du droit positif, la

raison pourrait se trouver dans la crise du droit pénal. Les criminalistes du XIXe siècle

finissant avaient fort à faire avec les bouleversements intellectuels qui affectaient la science

juridique pénale. Ils connaissaient leur propre révolution méthodologique avec l’avènement

de la criminologie et les discussions sur les nouvelles idées proposées par la doctrine

positiviste. Si les auteurs de la première moitié du XXe siècle n’ont pas jugé nécessaire de

rattacher la présomption d’innocence au texte de la Déclaration, ce n’est probablement pas

seulement en raison de l’absence de valeur juridique de cette dernière. Tout porte à penser

613 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit. , n° 233. 614 V. supra, n° 65 et s.

Le discours sur l’objet

210

que la raison est à rechercher dans les circonstances qui ont poussé les auteurs à invoquer la

présomption d’innocence. En effet, c’est en attaquant la présomption d’innocence que Ferri

avait provoqué son émergence dans le discours doctrinal615. C’est en critiquant la loi trop

favorable aux criminels et aux individus dangereux, qu’il en a fait « une présomption

légale ». Les pénalistes français ont alors adopté une réaction « défensive » en dénonçant

les abus de la thèse positiviste, particulièrement en ce qui concernait les conséquences de la

présomption d’innocence. S’agissant de la source de cette présomption d’innocence, elle a

été purement et simplement puisée dans les propos de Ferri. Les juristes français ont repris

l’idée de leur détracteur : la présomption est celle de la loi. Plusieurs dispositions du Code

d’instruction criminelle sont alors énoncées et interprétées comme des manifestations

légales de la présomption d’innocence. Si la lettre de la loi n’y faisait alors aucune allusion,

son esprit en revanche, témoignait bel et bien de son existence.

Avec l’article de M. Patarin, qui ouvre en 1956 la troisième période identifiée plus haut,

il n’a plus semblé suffisant de fonder l’existence juridique de la présomption d’innocence

sur l’esprit de la législation. Une source formelle devait pouvoir être identifiée.

197. La redécouverte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. « Pendant

le XIXe et plus encore, la première moitié du XXe siècle, la seule marque visible de la

Déclaration de 1789 est le principe de la légalité (…) les autres principes de la Déclaration

seront comme enfouis, oubliés »616. Le propos du professeur Delmas-Marty illustre

parfaitement ce que l’on peut observer à propos du principe de la présomption d’innocence.

L’oubli dont parle l’auteur concerne particulièrement la valeur juridique de ce texte. La

redécouverte des droits proclamés en 1789 a, comme on le sait, été très nette au lendemain

de la seconde guerre mondiale617. Il est vrai que depuis la IIIe République, les publicistes

reconnaissaient une autorité morale immense à la Déclaration. Mais sa valeur juridique était

devenue le centre d’une controverse qui a marqué les années vingt à quarante. Elle opposait

les auteurs qui voyaient dans la Déclaration des droits de l’homme un texte dont la l’autorité

juridique était supérieure à la loi (Duguit et Hauriou) et ceux pour lesquels, non seulement

elle ne pouvait être supérieure à la loi mais de surcroît n’avait aucune valeur en droit positif

(Esmein et Carré de Malberg)618.

198. La question de la valeur juridique de la Déclaration. La querelle des publicistes n’a

pas échappé aux auteurs intéressés par les éventuelles normes pénales contenues dans 615 V. supra, n° 85 et s. 616 M. DELMAS-MARTY, La Déclaration de 1789 et le droit pénal, op. cit., p. 80. 617 Les constituants ont alors cru devoir inscrire, dans le préambule de la Constitution de 1946, que le peuple français « réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 ». 618 Les termes et arguments de cette controverse ont été exposés, notamment, par Jean Rivero, V. pour un exposé récent : J. RIVERO et H. MOUTOUH, Libertés publiques, Paris, PUF, 9e éd., 2003, tome I, n° 193. V. aussi, L. FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, 2e éd., 2002, n° 67.

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

211

certains articles de la Déclaration. Tel est bien le cas de M. Patarin. Lorsque cet auteur écrit

en 1956, et qu’il se réfère directement à la Déclaration pour affirmer la valeur juridique de

la présomption d’innocence, les droits de l’homme n’ont pas encore officiellement acquis

une valeur constitutionnelle. Le Préambule de la Constitution de 1946 réaffirme bien les

droits et libertés de 1789, mais la valeur juridique de ces derniers reste discutée et très

incertaine619. Pourtant l’auteur n’hésitera pas à affirmer, comme pour dépasser la

controverse, tout en y prenant part, que : « Même si l’on conteste la valeur juridique du

préambule de la Constitution et bien que l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme

et du citoyen tende principalement à interdire toute arrestation ou détention arbitraire, le

principe a une portée générale. En vertu de ce principe tout individu soupçonné d’être

coupable d’un délit ou d’un crime doit être réputé innocent tant que sa culpabilité n’a pas

été reconnue» 620. C’est là probablement la première véritable tentative de rattachement

formel à la Déclaration. On le voit la question de la formulation de la présomption

d’innocence dans l’article 9 est étroitement liée à la « résurrection » des droits de l’homme

et à la question de leur place dans l’ordre juridique français.

Le souci de pouvoir fonder l’existence de la présomption d’innocence sur un texte

juridique est partagé également par M. Essaïd. Après avoir démontré que la présomption

d’innocence était formulée dans l’article 9 de la Déclaration, l’auteur a clairement posé la

question du destin de ce texte. Contrairement à l’auteur précédent, M. Essaïd écrit alors que

la Constitution de 1958 a déjà été adoptée. À cette époque, l’incertitude demeure quant à la

valeur juridique de la Déclaration des droits de l’homme, et donc de la présomption

d’innocence. En effet, le Préambule de la nouvelle Constitution rappelle l’attachement aux

droits de l’homme621, mais on ne sait toujours pas quelle valeur juridique on peut alors

reconnaître aux droits auxquels il se réfère622. Ce n’est qu’avec la décision rendue en 1971

par le Conseil constitutionnel que le Préambule de la Constitution de 1958 se verra

reconnaître, avec certitude, une valeur constitutionnelle623. Avant 1971, la Déclaration des

droits de l’homme et du citoyen a donc acquis une grande visibilité et une grande autorité

619 Les constituants n’avaient pas eu l’intention de conférer une valeur juridique au Préambule et n’avaient pas souhaité qu’il puisse servir au contrôle de constitutionnalité. Cependant, la jurisprudence, notamment judiciaire, avait pu parfois réagir comme si le préambule avait une autorité juridique : B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, Paris, Armand Colin, 18e éd., 2001, pp. 39-40 et L. FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, op. cit., n° 67. 620 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7. 621 Il contient en effet la formule suivante : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ». 622 Contrairement au constituant de 1946, celui de 1958 n’a pas exclu que puisse s’instaurer un contrôle de constitutionnalité des lois par rapport aux dispositions visées dans les textes du Préambule. Mais « Quelle valeur juridique peut-on accorder à l’expression d’un sentiment "d’attachement" ?» a-t-on pu demander : B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, op. cit., p. 40. 623 J. RIVERO, note sous Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Actualité juridique droit administratif, 1971, p. 537-542.

Le discours sur l’objet

212

juridique de principe. Personne ne peut cependant lui conférer de place précise dans la

hiérarchie des normes. Mais, elle constitue probablement une référence trop importante aux

libertés publiques pour ne pas attirer l’attention des juristes. L’insertion de la Déclaration

dans les Préambules de 1946, puis de 1958, aura suffit pour fonder l’existence du principe

juridique de la présomption d’innocence. Désormais, le discours doctrinal, en l’absence de

toute autre source formelle, peut rattacher la présomption d’innocence à la Déclaration624

puis s’appuyer précisément sur ce qui est en train de devenir sa « constitutionnalisation »625.

Il ne faut cependant pas s’y tromper. La référence donnée à la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen et à sa valeur constitutionnelle, n’a pas pour objet de donner des

développements nouveaux et une garantie plus grande à la présomption d’innocence. En

effet, on remarque qu’en pratique, cette constitutionnalisation de la présomption

d’innocence n’aura aucune incidence. Il faudra attendre bien des années avant que le

Conseil constitutionnel examine la constitutionnalité d’une loi à l’aune de l’article 9 de la

Déclaration626. De plus, pour garantir respect et effectivité du principe, ce type de contrôle

n’a guère d’intérêt. Il ne vise qu’à limiter le pouvoir du législateur et ne permet pas de

contrôler l’activité du juge. Il nous semble plutôt que le rattachement formel de la

présomption d’innocence, qui coïncide avec la redécouverte de la Déclaration, trouve sa

raison d’être dans la nécessité de fonder le discours doctrinal sur des bases dites positives,

fut-ce a posteriori.

199. Source formelle et caution du discours. La valeur constitutionnelle de la

présomption d’innocence désormais acquise, le discours doctrinal se trouve fondé à affirmer

que l’ordre juridique français reconnaît l’existence de la présomption d’innocence. La

référence au Préambule de la Constitution de 1958 est d’autant plus importante que la

Déclaration des droits de l’homme demeure le seul texte de droit français à énoncer la

présomption d’innocence. Il est vrai que dès 1950, la Convention européenne des droits de

l’homme donnait elle aussi une formulation de la présomption d’innocence. Mais ce texte

n’a été ratifié par la France qu’en 1974, si bien que pendant longtemps, les auteurs

ignoreront l’article 6§2 comme source formelle de la présomption d’innocence627. Même

624 En 1965 M. Bouloc écrit, à propos des actes de l’instruction : « Si on le présume innocent, ainsi qu’il convient de le faire en vertu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la manifestation de la vérité sera pour lui le plus sûr moyen de prouver son innocence », L’acte d’instruction, Paris, LGDJ, 1965, p. 530 ; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., p. 226 ; en 1968 : L. BOYER, Cours de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 257. 625 G. STÉFANI, Cours de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 563 : « En vertu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (art. 9) dont le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 réaffirme solennellement les principes, " tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable"» ; PH. MERLE, Les présomptions légales en droit pénal, op. cit., n° 4. 626 Le Conseil a évoqué la présomption d’innocence pour la première fois en 1981 : Décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 (Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes). 627 Par ex : J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit.; G. STÉFANI, Cours de droit pénal général et procédure pénale, op. cit.; G. STÉFANI et G. LEVASSEUR, Procédure

La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

213

après l’entrée en vigueur de la Convention en France, le rattachement à la Déclaration sera

toujours très fort, toujours rappelé par les auteurs628.

Ce rattachement formel de la présomption d’innocence au texte de la Déclaration résulte

très vraisemblablement de l’influence du positivisme juridique. La présence de la

Déclaration dans le préambule de la Constitution de 1958 a pour conséquence de conférer à

l’article 9 une valeur supra légale. Dans une conception positiviste du droit, l’étude du droit

passe par l’observation des règles qui prennent place dans la hiérarchie normative. Est donc

nécessairement du droit, la règle formulée dans l’une de ces normes. S’agissant de la

présomption d’innocence, sa place dans la Déclaration, et dans ce que l’on a ensuite nommé

le bloc de constitutionnalité, atteste de sa valeur positive. Le discours qui a pour objet la

présomption d’innocence a donc bien pour objet la description, l’explication du droit

positif. Le discours de la doctrine pénale française porte des traces de cette démarche qui

consiste à justifier ses affirmations par référence au droit en vigueur. Rien de plus normal

dira-t-on. Le rôle de la doctrine est bien d’étudier le droit et d’en donner explication,

représentation. Le souci de justifier ce que l’on avance en se référant à un texte juridique est

donc loin d’être choquant. Mais cette façon de procéder, de rattacher la présomption

d’innocence à la Déclaration des droits de l’homme à une période où ce texte est

juridiquement sorti de l’oubli, suscite une interrogation.

En effet, comment justifier le discours antérieur ? Il était en effet question, en doctrine,

de la présomption d’innocence bien avant la redécouverte de la Déclaration des droits de

l’homme. Quelle source du droit criminel avait alors été observée ? Ce n’est pas l’étude de

M. Essaïd qui répond à cette question. Cet auteur donne l’illusion d’une continuité dans

l’histoire de la présomption d’innocence depuis son origine, c'est-à-dire en 1789. Son

discours tend à gommer les périodes où la doctrine s’est totalement désintéressée de cette

question, où la doctrine ignorait même l’expression « présomption d’innocence ».

200. Formulation doctrinale de la présomption d’innocence. La source historique et

formelle de la présomption d’innocence est celle que la doctrine a bien voulu lui conférer, a

posteriori. Il existe nombre d’incertitudes sur sa genèse. Il n’est pas certain que les

constituants aient réellement voulu consacrer une présomption d’innocence dans l’article 9

pénale, 1974, op.cit. ; G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit.; cependant : R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 2e éd., 1973, n° 918. 628 V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 15 ; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit., p. 53 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 59. Même s’il estime que dans l’article 9 de la Déclaration la présomption d’innocence « fait pâle figure » à côté de la formulation d’autres grands principes de droit pénal, un auteur comme M. Lombois se réfère lui aussi à la Déclaration. Il y est comme « contraint ». Dès lors que son projet est d’étudier la présomption d’innocence pour elle-même, il faut commencer par justifier de sa présence dans notre droit. Or, en 1990, année où il écrit, la Déclaration est le seul texte de droit français sur lequel il peut s’appuyer, V. C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 81.

Le discours sur l’objet

214

de la Déclaration. Même si la tendance actuelle est à lui reconnaître une origine antérieure à

la Révolution, fixer une date de naissance certaine parait périlleux. La règle du doute

favorable est ancienne, de même que le souci de protéger l’innocence. Mais « la

présomption d’innocence » est d’une formulation plus récente.

Son sens renferme alors autre chose que la faveur du doute. Cette formulation de

« présomption d’innocence », on l’a vu, remonte non pas au XVIIIe siècle (où il se disait

effectivement qu’il fallait considérer l’accusé comme innocent) mais à la fin du XIXe siècle

lorsqu’il s’est agi de critiquer les faveurs que la législation accordait aux délinquants. La

formulation de la présomption d’innocence a une origine doctrinale. Cela est manifeste

lorsqu’on veut bien apercevoir que cette formule n’a été longtemps employée que dans la

littérature doctrinale. C’est encore manifeste lorsque les auteurs s’emploient à la découvrir,

après coup, sous les mots de l’article 9629. On peut alors commencer à mesurer la part que la

doctrine a pu prendre dans l’émergence du concept de présomption d’innocence. La rupture

entre l’Ancien Régime et le droit criminel moderne est donc artificielle. Elle l’est en ce

qu’elle constitue une réécriture de l’histoire. Elle l’est en outre parce qu’elle vise plus à

justifier a posteriori de l’existence d’une règle que pourtant seule la doctrine connaît.

L’interprétation des sources historiques de la présomption d’innocence permet alors

d’entrevoir une part du rôle créateur du discours doctrinal. Le discours sur la présomption

d’innocence ne consiste pas seulement à décrire, expliquer, clarifier, le droit positif.

L’analyse du discours portant sur les sources historiques a montré toute la part

d’interprétation des auteurs. Reste alors à envisager ce que peut nous apprendre le discours

sur les sources, cette fois positives, de la présomption d’innocence.

629 Pour le droit civil, Mme Ranouil avait fait exactement la même observation au sujet de la formule « autonomie de la volonté ». Cet auteur a en effet observé que les spécialistes de droit international privé, les premiers à avoir usé de cette expression, ont cherché à la justifier en s’appuyant notamment sur l’article 1134 du Code civil. Cette référence au Code, lequel ne contenait pas l’expression d’autonomie de la volonté, s’est ensuite répandue chez l’ensemble des privatistes, V. RANOUIL, L’autonomie de la volonté : Naissance et évolution d’un concept, Paris, PUF, 1980, p. 65. Pour une comparaison entre l’usage doctrinal de cette expression et celui de la présomption d’innocence, V. infra, n° 379 et s.

215

CHAPITRE 2 LE DISCOURS SUR LES SOURCES POSITIVES

201. Sources, bases positives et fondement juridique de la présomption d’innocence.

Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, la première source positive de la présomption

d’innocence est bien entendu la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Elle joue,

comme on l’a vu, aussi bien le rôle de source historique que de source formelle du principe.

L’étude du discours sur les sources positives de la présomption d’innocence vise donc les

autres sources. Celles qui permettent aux auteurs d’affirmer que, la présomption

d’innocence fait bien partie de notre droit positif, voire même qu’il s’agit d’une

présomption légale.

Le terme de « sources » ici employé fait référence aux habitudes de la méthode

juridique. L’étude, l’analyse et la présentation d’une règle juridique débutent généralement

par l’énoncé de la ou des sources de celle-ci. Toutefois, il convient de remarquer que

l’expression de source n’est pas utilisée par les auteurs qui étudient la présomption

d’innocence. La première étude d’ensemble de la présomption d’innocence qui aurait

justifié un tel emploi est la thèse de doctorat de M. Essaïd. Cet auteur, après avoir envisagé

les sources historiques de la présomption d’innocence, a préféré user d’une autre appellation

pour l’étude du droit positif. Ainsi s’est-il proposé de rassembler les « bases positives » de

la présomption d’innocence630. Les auteurs qui lui ont fait suite, n’ont semble-t-il jamais

utilisé le terme de source.

Ce choix peut aisément s’expliquer. Les règles de procédure pénale tout comme celles

du droit pénal de fond trouvent leur origine dans la loi, et ce en vertu du principe de la

légalité criminelle. Or, les auteurs ne cessent d’écrire que, pendant une longue période, la

présomption d’innocence n’a jamais été inscrite dans un texte de droit français (en dehors

de la Déclaration). Parler de sources aurait donc supposé de pouvoir se référer expressément

à des règles énoncées au Code de procédure pénale. Cela étant impossible, on comprend la

réserve des auteurs631. Lorsqu’il s’agit d’attester de la valeur juridique de la présomption

d’innocence en droit positif et de se référer aux textes qui l’énoncent, la doctrine emploie

plus volontiers d’autres termes que celui de source. Ainsi peut-on lire que la présomption

d’innocence est : mentionnée, consacrée, affirmée, réaffirmée, proclamée, posée, énoncée,

intégrée, ou encore insérée, dans tel ou tel texte. 630 La présomption d’innocence, op. cit., p. 25. 631 À notre connaissance, il n’existe qu’une exception à cette habitude. En effet, Mlle Daoulas avait choisi dans sa thèse de présenter les sources françaises de la présomption d’innocence. V. H. DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, op. cit., n°12 et s.

Le discours sur l’objet

216

Nous emploierons tout de même le terme de sources, dans le sens où l’on entend le

fondement juridique, textuel, de la présomption d’innocence. Car la doctrine se livre bel et

bien à une recherche et à une présentation des sources positives de la présomption

d’innocence. Un exemple peut d’ailleurs être tiré de la formule utilisée, depuis une

quarantaine d’années, par le professeur Stéfani632 : « En vertu de la Déclaration des droits

de l’homme et du citoyen … ». Or, le mot vertu, nous indique le vocabulaire Cornu, désigne

« tout à la fois la force et la légitimité, la source et la base d’un droit, d’un pouvoir, etc. ».

La doctrine se réfère ainsi aux dispositions françaises, aux traités internationaux ou encore à

la jurisprudence. L’étude de ce discours montre que l’interprétation des sources présente des

particularités. En effet, la doctrine ne semble pas tant avoir cherché à tirer de ces sources le

sens, la nature ou encore la portée de la présomption d’innocence. L’interprétation vise

plutôt à permettre simplement d’affirmer avec certitude l’existence juridique de cette

présomption (Section 1). Il en résulte alors que l’essentiel des affirmations des auteurs ne

sont pas tirées d’une analyse approfondie des sources. Ces dernières ne venant, en quelque

sorte, qu’en renfort. À partir de cette constatation, nous serons en mesure de poser puis de

nourrir une hypothèse. Il s’agira en effet d’envisager la possibilité que la doctrine puisse

constituer une source particulière, mais une source tout de même, de la présomption

d’innocence (Section 2).

632 Depuis son cours de droit pénal et procédure pénale l’année 1966-67 jusqu’à la dernière édition du précis Dalloz de procédure pénale, auquel participent depuis de nombreuses années les professeurs Levasseur et Bouloc.

Le discours sur les sources positives

217

SECTION 1 : L’AFFIRMATION DE L’EXISTENCE JURIDIQUE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

202. Présomption et preuve de juridicité. L’affirmation de l’existence juridique d’une

présomption d’innocence procède, comme en témoigne nos précédentes observations, en

tout premier lieu des auteurs eux-mêmes. Le seul fait qu’elle soit un objet du discours

doctrinal, lui confère d’ores et déjà une grande part de sa juridicité. La doctrine juridique

ayant pour objet d’étude général le droit, on comprend bien que tel ou tel objet de la

littérature doctrinale bénéficie ipso facto d’une présomption de juridicité. Cela n’est certes

pas suffisant. La doctrine n’est pas une source du droit et les affirmations qu’elle énonce

sont de nature savante et non pas normative. La chose est entendue de tous. C’est la raison

pour laquelle, théoriquement, ces affirmations doivent de près ou de loin découler des

sources du droit. En matière de présomption d’innocence, la doctrine ne pouvait pas déroger

à cette démarche. L’affirmation de l’existence juridique de la présomption d’innocence

procède en effet aussi bien d’un recours aux règles légales et supra légales (§1) que d’un

recours à la jurisprudence (§ 2). Il s’agira alors d’observer la manière dont, à travers le

temps notamment, la doctrine a pu utiliser ces sources de la présomption d’innocence.

§. 1 LE RECOURS AUX RÈGLES LÉGALES ET SUPRA LÉGALES

203. Présomption légale et valeur supra légale. D’un point de vue formel, la présomption

d’innocence a tardé à faire son apparition dans un texte de droit interne. Cette situation

soulève des interrogations, de même d’ailleurs que la réception, par la doctrine du droit

pénal, de l’inscription récente de la présomption d’innocence dans la loi française. Il

conviendra par conséquent d’envisager en premier lieu cette question de la légalité de

laquelle la doctrine peut conclure à l’existence de la présomption d’innocence (A). Avant

que le principe ne figure dans un texte de droit français, il était formulé dans plusieurs

textes internationaux ou étrangers. La doctrine n’a pas manqué d’y faire référence,

particulièrement lorsque ces sources externes attestent d’une valeur juridique supérieure de

la présomption d’innocence (B).

A- LA QUESTION DE LA LÉGALITÉ DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

204. Légalité implicite et légalité explicite. À une époque où la loi s’abstenait purement et

simplement de toute formulation de la présomption d’innocence, certains auteurs n’ont pas

hésité à la qualifier de présomption légale. L’affirmation procédait semble-t-il d’une

interprétation de la loi. Désormais, avec l’inscription de la présomption d’innocence dans

Le discours sur l’objet

218

deux dispositions de nos codes, c’est à une autre sorte d’interprétation que la doctrine se

livre.

1) L’affirmation de la légalité de la présomption d’innocence

205. La nature de présomption légale. Cette affirmation doctrinale a déjà plusieurs fois

été évoquée dans des développements précédents. Elle consiste à présenter la présomption

d’innocence comme une présomption légale. Or, l’utilisation de l’expression « présomption

légale » renvoie inéluctablement le juriste à la distinction classique entre présomptions

légales et présomptions du fait de l’homme qu’opère l’article 1349 du Code civil. L’article

1350 du même code précise, quant à lui, la définition de la présomption légale633. En droit

pénal, ces présomptions existent également, bien que regardées avec beaucoup de méfiance,

puisque le plus souvent elles ont pour but de mieux assurer la répression. Une étude entière

leur a d’ailleurs été consacrée634.

206. Exclusion d’une telle nature. Comme son nom l’indique, la présomption légale

suppose, pour exister, qu’une loi l’ait expressément prévue. Or, tel n’est pas le cas pour la

présomption d’innocence, et on serait même tenté de dire, bien au contraire. La présomption

d’innocence ne répondrait finalement à la qualification de présomption légale, que depuis

l’année 2000 où elle a fait son entrée dans le Code de procédure pénale. Pourtant nombre

d’auteurs, avant la promulgation de cette loi, ont expressément désigné la présomption

d’innocence comme une présomption légale635. Pendant que d’autres en revanche

n’hésitaient pas à répéter que la présomption d’innocence n’était inscrite ni dans le Code

d’instruction criminelle ni dans le Code de procédure pénale.

Désormais, l’affirmation est rare636, d’autant plus que les auteurs commencent à discuter

du point de savoir s’il s’agit véritablement d’une présomption au sens technique du terme.

Cette qualification de présomption légale avait d’ailleurs été réfutée par Philippe Merle dès

les premières lignes de sa thèse637. Toujours est-il que l’expression a eu cours dans la

littérature juridique et qu’on peut s’interroger sur les raisons de son utilisation. Les auteurs 633 Article 1350 : « La présomption légale est celle qui est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits ; tels sont : 1º Les actes que la loi déclare nuls, comme présumés faits en fraude de ses dispositions, d'après leur seule qualité ; 2º Les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou la libération résulter de certaines circonstances déterminées ; 3º L'autorité que la loi attribue à la chose jugée ; 4º La force que la loi attache à l'aveu de la partie ou à son serment. » 634 PH. MERLE, Les présomptions légales en droit pénal, op. cit. 635 J. CARBONNIER, Le problème de la détention préventive, op. cit., p. 115 ; G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715 ; J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7 ; G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit. 636 V. cependant, A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 59. 637 PH. MERLE, Les présomptions légales en droit pénal, op. cit., n° 3 : « L’expression "présomption légale" peut recouvrir des techniques qui, sticto sensu, ne sont pas des présomptions légales, et qui, en réalité, appartiennent à la catégorie des principes généraux. Telle semblent être la "présomption" d’innocence et la "présomption" de connaissance de la loi ».

Le discours sur les sources positives

219

ayant employé l’expression de « présomption légale d’innocence » n’ont souvent pas

justifié ce choix, comme si finalement le caractère légal de la présomption d’innocence

allait de soi. Nous avons cependant cru pouvoir expliquer cet emploi en rappelant qu’à la

fin du XIXe siècle le criminologue italien Enrico Ferri l’avait pour la première fois utilisée,

pour fustiger la présomption d’innocence. Et ce n’est qu’à sa suite, que les auteurs français

ont en quelque sorte, importé « la présomption légale d’innocence ».

207. La présomption d’innocence dans l’esprit du Code. Pour comprendre cette

référence à la légalité de la présomption il ne convient pas de se référer à la lettre de la loi

mais plutôt à son esprit. En effet, s’il ne fait aucun doute qu’aucune disposition de droit

positif n’énonçait la présomption d’innocence, en revanche les auteurs ont pu se référer à

plusieurs dispositions du Code d’instruction criminelle pour affirmer son existence. Ainsi,

certaines dispositions ont-elles étaient analysées comme des traductions, des corollaires, des

conséquences de la présomption d’innocence. Tel serait le cas pour la liberté provisoire de

l’accusé ou du prévenu pendant l’appel ou le pourvoi en cassation, l’impossibilité

d’aggraver le sort du condamné sur son appel ou son pourvoi en cassation, l’exclusion de

toute révision en cas d’acquittement, l’absolution en cas de partage des voix ainsi que le

décompte favorable des bulletins blancs ou nuls en cour d’assises. Ce sont ces règles

protectrices de l’accusé que Ferri jugeait dangereuses et illogiques. Ce sont ces mêmes

règles que les auteurs ont présenté ou présentent encore aujourd’hui comme les traductions

de la présomption d’innocence638. La doctrine en a induit l’existence d’un principe ou d’une

règle présumant l’innocence. Les auteurs ont trouvé la raison d’être de ces mesures

favorables dans une règle implicite, qu’ils ont alors formulée sous l’expression

« présomption d’innocence »639. Ainsi, n’est-ce pas la loi au sens formel, mais la loi pénale

au sens large qui semble consacrer la présomption d’innocence.

638 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op. cit., n° 234 ; G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715 ; P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., n° 1183 ; plus récemment : R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144 ; F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p. 226 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 371 ; J. PRADEL, Procédure pénale, 12e éd., op. cit., n° 395. Aujourd’hui, ce sont les articles 358 du Code de procédure pénale (décompte favorable des bulletins blancs ou nuls en cour d’assises), 359 (exigence d’une majorité qualifiée pour une décision défavorable à l’accusé, 471(mise en liberté immédiate du prévenu nonobstant appel), 515 alinéa 2 (impossibilité d’aggraver le sort du prévenu autrement que sur un appel du ministère public), 572 (admission du seul pourvoi dans l’intérêt de la loi contre les arrêts d’acquittement) et 622 (demande en révision d’une décision au seul bénéfice de la personne reconnue coupable) qui sont regardées comme des traductions de la présomption d’innocence dans la loi. 639 Cette méthode s’apparente à ce que M. Bergel désigne comme la méthode de coordination des textes par référence à des principes fédérateurs et qu’il exprime ainsi : « Par induction, on peut extraire du rapprochement d’un certain nombre de règles de droit la règle générale commune qui s’y trouve en "suspension", mais qui n’y est pas expressément énoncée et qui exprime l’esprit du système en fonction duquel doit s’opérer l’articulation de ces diverses dispositions», J.-L. BERGEL, La coordination des sources du droit, in La méthodologie de l’étude des sources du droit, Actes du 6e congrès de l’Association Internationale de Méthodologie Juridique (Pise, 23-25 septembre 1999), PUAM, 2001, p. 135.

Le discours sur l’objet

220

M. Essaïd y a beaucoup insisté. L’auteur a consacré d’importants développements à la

démonstration de la légalité de la présomption d’innocence par l’esprit de la loi. Abordant la

question de la place de son objet d’étude dans le droit positif, l’auteur avait en effet pris la

précaution d’écarter l’hypothèse d’une présomption légale au sens classique de

l’expression, c'est-à-dire consacrée par une disposition légale en estimant que « la véritable

présomption légale d’innocence, il faut la chercher ailleurs »640. Car selon lui, « si la

présomption d’innocence n’est pas formulée directement, elle n’en n’inspire pas moins les

principales dispositions de ce code [celui de procédure pénale] »641. M. Essaïd donne alors

à titre d’exemple des dispositions du Code de procédure pénale qui, soit quant à la forme642,

soit quant au fond643, témoignent du souci du législateur de préserver la présomption

d’innocence. En écrivant cela, M. Essaïd cherchait simplement, précisait-il, « à montrer que

la présomption d’innocence fait indéniablement partie du droit positif français »644. À la

suite de cet auteur, d’autres pénalistes affirmeront que la présomption d’innocence domine

toute la procédure pénale française, jusqu’à ce que cette idée soit en grande partie reprise

par le législateur du XXIe siècle, en consacrant une loi au renforcement de la présomption

d’innocence et en la faisant figurer en tête du Code de procédure pénale.

Pour d’autres auteurs, la légalité de la présomption d’innocence semble, non pas, induite

des dispositions du Code, mais plutôt déduite de la constitutionnalisation de la présomption

d’innocence. Telle semble être la position adoptée par M. Patarin lorsqu’il estime que

« c’est une véritable présomption légale, qu’on nomme à juste titre présomption

d’innocence et qui en notre matière fait peser l’entier fardeau de la preuve sur la partie

poursuivante » après avoir seulement relevé qu’elle était reprise par le préambule de

1946645. Ce sera explicitement le cas de Mlle Tonglet, pour qui la constitutionnalisation de

la présomption d’innocence en fait une véritable présomption légale qui transcende aussi

bien les autres présomptions légales que les présomptions simplement jurisprudentielles646.

En revanche, lorsque M. Kiejman choisit l’expression de « présomption légale

d’innocence » dans le titre même de son intervention lors d’un colloque sur l’innocence, il y

a probablement une certaine ironie et une critique dissimulée à l’endroit de ceux qui

avancent un peu vite cette légalité, plutôt qu’une affirmation tranchée de cette légalité647.

640 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 50. 641 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 60. 642 Précautions de style dans les formules employées par le code qui préservent la présomption d’innocence, V. n° 61. 643 Caractère exceptionnel de la détention préventive et encadrement strict des mesures de garde à vue, V. M.-J. ESSAÏD, op. cit.,n° 62. 644 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 63. 645 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7. 646 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 42. 647 G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit. En effet, tout l’exposé du célèbre avocat tend à démontrer qu’en dépit des effets d’annonce dont bénéficie

Le discours sur les sources positives

221

Enfin, on pourrait songer tout simplement, comme le suggère d’ailleurs également M.

Patarin, que la qualification de présomption légale résulte de la fonction d’attribution du

fardeau de la preuve qu’assure la présomption d’innocence. En effet, la présomption légale

ayant pour objet de faciliter l’administration de la preuve, celle qui dispense l’accusé de

faire la preuve de son innocence est alors bien une présomption légale. Là encore

cependant, on rappellera que le principe d’attribution du fardeau de la preuve n’est prévu

par aucun texte de droit pénal. L’attribution du fardeau de la preuve à l’accusation résulte

de l’adage actori incumbit probatio, lequel ne connaît de traduction que dans le Code civil,

à l’article 1315.

On le voit, l’affirmation de la légalité de la présomption d’innocence résulte dans tous

les cas d’une interprétation de la loi au sens large. On voit également que les auteurs visent

par là simplement à affirmer l’existence de la présomption d’innocence dans le droit positif

français, particulièrement à une époque où aucune loi ne la consacrait. La question se pose

alors de savoir si la doctrine a appelé de ses vœux une telle inscription de la présomption

d’innocence dans une loi française et plus particulièrement dans le Code de procédure

pénale. À vrai dire, une réponse nette ne semble pas pouvoir être donnée. En effet, avec le

temps, cette question a présenté moins d’intérêt pour laisser place à une autre : celle de la

valeur juridique de la présomption d’innocence. Elle se pose en effet depuis que la

présomption d’innocence a été, à deux reprises, expressément inscrite dans la loi après avoir

reçu consécration par des normes supérieures.

2) L’inscription de la présomption d’innocence dans la loi

208. Consécration légale. Désormais, la présomption d’innocence est visée dans deux

dispositions législatives du droit français, d’une part par l’article 9-1 du Code civil648, dont

la rédaction a été changée plusieurs fois depuis son insertion initiale par la loi du 4 janvier

1993, et d’autre part, par l’article préliminaire III du Code de procédure pénale649 issu de la

généralement la présomption d’innocence, visée par la Constitution, celle-ci se trouve considérablement rongée par de simples, mais redoutables, présomptions de fait. 648 « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence ». Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. » 649 « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi. Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur. Les mesures de contraintes dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne. »

Le discours sur l’objet

222

fameuse loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence. On peut alors se demander ce

qui a poussé le législateur à faire figurer la présomption d’innocence dans un texte légal. La

doctrine aurait-elle fait des suggestions en ce sens ? Des éléments de réponse sont à

rechercher tout d’abord dans les opinions doctrinales concernant l’absence de consécration

légale.

209. La question de l’absence de consécration légale dans le discours. En réalité, les

éléments de réponse apparaissent en demi-teinte. Comme on l’a souvent souligné, nombre

d’auteurs ont fait observer que ni le Code d’instruction criminelle de 1808 ni le Code de

procédure pénale de 1958650 n’y faisaient allusion. Toutefois, rares sont les auteurs qui s’en

sont ouvertement étonnés ou qui ont manifesté un regret. M. Essaïd s’était pourtant

interrogé sur ce silence et avait d’ailleurs employé le terme de « lacune » à propos de

l’absence de la présomption d’innocence dans le Code de 1958. En effet, l’auteur estimait

qu’une réaffirmation aurait, sinon en droit, du moins en fait une grande importance651.

Mais, il avait tenté d’expliquer les raisons pour lesquelles le législateur de 1958 avait

renoncé à l’inscrire dans le nouveau Code de procédure pénale. Or il était apparu que la

présomption d’innocence était un principe trop abstrait pour être formulé dans la loi, mais

qu’en tout état de cause il avait valeur constitutionnelle et inspirait les dispositions de

procédure pénale652. C’est d’ailleurs cette valeur constitutionnelle qui le plus souvent est

avancée par la doctrine pour minimiser l’importance de cette « lacune »653. M. Pradel avait,

quant à lui, souligné que la présomption d’innocence relevait de la tradition654. Ainsi, dans

l’ensemble, les pénalistes n’ont-ils pas réellement formulé de suggestion en direction du

législateur pour qu’il inscrive la présomption d’innocence dans le Code de procédure

pénale655. En revanche, lorsque le législateur souhaitant formuler la présomption

Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable. Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction. » 650 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit. ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd. ; V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit. ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit. ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén. v° Présomption d’innocence, op. cit. ; S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit. 651 « Les praticiens, policiers ou magistrats, sont plus habitués à manier un code de procédure qu’une charte constitutionnelle. Un article, qui leur rappelle constamment et quelles que soient les circonstances, qu’ils ont affaire à un présumé innocent, contribuerait probablement à une protection plus efficace des droits de la défense et de la liberté individuelle», n ° 59. 652 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 59. 653 V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 15 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 6 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 482. 654 J. PRADEL, Procédure pénale, 3e éd., 1985, n° 252 : « Quoique affirmée expressément, ni dans le Code d’instruction criminelle, ni dans le Code de procédure pénale, cette règle est traditionnelle ». On pourrait alors se demander à quelle tradition ce professeur se réfère. Sous-entendrait-il que la présomption d’innocence pourrait trouver sa source dans une coutume ? 655 Nous verrons toutefois qu’à partir des années 90 ce souhait sera très explicitement formulé et sera exaucé par le législateur du nouveau millénaire.

Le discours sur les sources positives

223

d’innocence dans une loi, a choisi d’insérer un nouvel article dans le Code civil, les auteurs

ont manifesté une certaine surprise.

210. L’insertion de l’article 9-1 dans le Code civil. C’est par une loi votée le 4 janvier

1993656 que le législateur a inscrit pour la première fois la présomption d’innocence dans un

texte législatif français. L’exposé des motifs indiquait que « dans son troisième titre relatif

à la suppression de l'inculpation et au renforcement des droits des parties au cours de

l'information, le projet tend à rendre au principe de la présomption d’innocence sa pleine

portée et à assurer un meilleur équilibre entre les pouvoirs du ministère public et les droits

des parties à la procédure»657. Et en effet, c’est par cette loi que l’inculpation s’est vue

remplacée par la mise en examen que nous connaissons aujourd’hui et qui a paru plus

protectrice de la présomption d’innocence.

Toutefois, le projet de loi ne prévoyait absolument pas la création de l’article 9-1 du

Code civil. Ce n’est que par voie d’amendement que cette disposition a finalement été

adoptée. Alors que le rapport de la Commission justice et droits de l’homme préconisait la

création d’un article en tête du Code de procédure pénale où aurait figuré entre autres, la

présomption d’innocence, le législateur de 1993 a écarté cette proposition658. En revanche,

lors de la discussion du projet devant l’Assemblée nationale, l’amendement proposé par M.

Vauzelle, Garde des sceaux, a reçu les faveurs des parlementaires659. Initialement, cet

amendement prévoyait que le premier alinéa de l’article 9-1 du Code civil serait ainsi

rédigé : « Chacun est tenu de respecter la présomption d’innocence», mais il fut sous-

amendé afin de lui donner la rédaction que nous lui connaissons aujourd’hui. M. Vauzelle

ne s’est pas expliqué sur les raisons exactes de cette proposition soudaine d’amendement660.

On a pu cependant y voir la reprise d’une suggestion formulée quelques années

auparavant par l’avocat Henri Leclerc661. Il est en tout cas certain que l’article 9-1, bien

656 L. n° 93-2, 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale : JO 5 janv. 1993, p. 215. 657 Projet de loi portant réforme de la procédure pénale, AN, n° 2585. 658 D’ailleurs, Le rapporteur Pezet avait déposé un amendement tendant à introduire en tête du Code de procédure pénale la liste des principes généraux, directeurs du procès pénal, comme le suggérait le rapport de la Commission justice et droit de l’homme. M. Toubon avait, quant à lui, critiqué cet amendement au nom du risque de confusion et par la nécessité de traduire cela dans le droit positif. Finalement, l’amendement fut rejeté. 659 Amendement n° 11, discuté devant l’Assemblée du 8 octobre 1992. 660 Sollicité par nos soins, l’ancien garde des sceaux a laissé notre question sans réponse. 661 En effet, le célèbre avocat avait plaidé en ce sens dans son intervention faite lors d’un colloque. Après avoir montré combien le secret de l’instruction pouvait être violé par la presse lorsqu’elle révèle le nom de personnes inculpées ainsi que le détails des enquêtes en cours, l’auteur s’était interrogé sur la nécessité de réprimer de telles pratiques. C’est à cette occasion qu’il avait jugé bon que le législateur introduise dans le code civil une disposition semblable à l’article 9 de façon à ériger la présomption d’innocence au niveau de la protection d’un intérêt essentiel. V. H. LECLERC, Une loi quotidiennement et impunément violée, in Justice pénale, police et presse, Travaux de l’institut de sciences criminelles de Poitiers, vol. 7, Cujas, 1988, p. 65.

Le discours sur l’objet

224

qu’ayant sa place dans le Code civil, vise en partie à combler une lacune662. La loi du 4

janvier 1993 a été vivement critiquée sur certains points, comme la réforme de l’instruction

ou de la garde à vue, si bien que, suite à un changement de majorité parlementaire, elle a été

aussitôt réformée par une loi du 24 août 1993. Ce que l’on peut alors appeler « la réforme

de la réforme » a tout de même conservé l’article 9-1 du Code civil mais a modifié sa

rédaction afin d’en restreindre le champ d’application663.

211. Réaction doctrinale face à cette première consécration législative. Les premiers

commentaires de la loi du 4 janvier, aussi bien d’ailleurs que ceux de la loi du 24 août 1993,

se sont fort peu intéressés à cette nouvelle consécration de la présomption d’innocence. Le

professeur Pradel, par exemple, n’en soufflait mot dans son commentaire de la loi du 4

janvier664. On en comprend peut-être la raison à l’énoncé évocateur du titre de sa

chronique665. Un magistrat, très critique à l’égard de cette réforme, a publié un assez long

commentaire, mais ce n’est qu’in fine que l’on peut y trouver une brève allusion à l’article

9-1 du Code civil666. On pourrait encore évoquer la chronique d’un autre magistrat traitant

pourtant, deux ans après la réforme, du secret de l’instruction et qui ne cite pas une seule

fois le texte civil667. Les pénalistes ont naturellement fini par évoquer cette nouvelle

disposition pour l’intégrer à leurs développements sur la présomption d’innocence668.

Cependant, certains auteurs n’ont pas manqué de manifester une certaine surprise voire un

certain agacement. En effet, il est rapidement apparu que la présomption d’innocence

n’avait tout simplement pas sa place dans le Code civil.

Ainsi M. Conte avait-il écrit : « Le principe de l’innocence présumée ne peut (…) être

étudié qu’au regard d’un individu suspecté d’avoir commis une infraction - si bien que les

dispositions de l’art. 9-1 ne sont guère à leur place dans un Code civil -»669. En 1995, Mme

Rassat publiait la deuxième édition de son manuel et prenait acte du nouveau texte en ces

662 Défendant son amendement, le ministre avait ainsi déclaré : « Cet amendement a pour objet d’inscrire pour la première fois dans notre législation – on voudra bien y voir la volonté louable de combler une lacune importante – le droit qu’a toute personne de voir respectée la présomption de son innocence, lorsqu’elle se trouve mêlée, de quelque façon, à une procédure de caractère judiciaire. » 663 En effet, il résultait de la loi du 24 août 1993 que ce n’était plus n’importe quelle personne présentée comme coupable qui pouvait agir sur le fondement de ce texte pour voir réparer les atteintes à la présomption d’innocence, mais seulement la personne soit gardée à vue, soit mise en examen, soit faisant l’objet d’une citation à comparaître en justice, soit encore visée par un réquisitoire introductif ou une plainte avec constitution de partie civile. La loi du 15 juin 2000 a redonné au texte sa version initiale. 664 Il s’y intéressera cependant à propos de la loi du 24 août : J. PRADEL, Les droits de la personne suspecte ou poursuivie depuis la loi n° 93-1013 du 24 août 1993 modifiant celle du 4 janvier précédent. Un législateur se muant en Pénélope ou se faisant perfectionniste ? D. 1993, p. 299. 665 J. PRADEL, Observation brèves sur une loi à refaire, D. 1993, p. 39. 666JEAN-LUC, De la présomption d’innocence à la présomption de charges ou l’étrange réforme de la procédure pénale de maître Vauzelle, Gaz. Pal.1993. I. p. 342 à 365. 667 C. COHEN, De la présomption d’innocence au secret de l’instruction : la double impasse, Gaz. Pal. 1995. II. p. 951. 668 Sur lesquels nous reviendrons en abordant la question de l’interprétation des nouvelles dispositions. 669 PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 2-3 juin 1995, p. 22.

Le discours sur les sources positives

225

termes : « Cette situation surprenante [la consécration expresse du principe de la

présomption d’innocence dans l’article 9-1 du Code civil] a été justifiée par le fait qu’il

s’agirait d’un droit de la personnalité ayant vocation générale (…). L’emplacement choisi à

la suite de l’article 9 relatif au respect de la vie privée est significatif de ce point de vue. Il

n’en manifeste pas moins une erreur de celui-ci. Une évidente différence oppose, en effet, le

respect de la vie privée et celui de la présomption d’innocence »670. De nos jours, et malgré

l’article préliminaire III du Code de procédure pénale, on continue de juger « inattendue »

la place de la présomption d’innocence dans le Code civil671. Quitte en effet à trouver

enfin une consécration, on préfère tout de même que ce soit dans le Code de procédure

pénale672. C’est désormais le cas, et il convient de se demander si la doctrine a pu contribuer

à cette nouvelle consécration.

212. L’introduction de la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale.

Si la doctrine, pendant de longues années, n’a pas suggéré au législateur d’inscrire la

présomption d’innocence dans le Code, à partir des années quatre-vingt-dix certaines voies

se sont exprimées en ce sens. Plus précisément, c’est l’énoncé des principes directeurs du

procès pénal que l’on a songé à inscrire dans un article placé en tête de ce code. Si bien que

la proposition ne concernait pas exclusivement la présomption d’innocence, cette dernière

n’était qu’un principe, parmi d’autres déjà connus, dont on a estimé qu’il serait bon de les

rappeler dès le seuil du Code de procédure pénale.

La proposition fut émise dans le rapport remis, en 1990, par la Commission justice

pénale et droits de l’homme au Garde des sceaux de l’époque, M. Arpaillange. Cette

commission, présidée par le professeur Mireille Delmas-Marty, avait en effet été chargée de

réfléchir sur la mise en état des affaires pénales673. Le rapport préliminaire remis au

ministre en novembre 1989, s’interrogeait sur la question de savoir quels principes devaient

encadrer cette phase du procès674. La présomption d’innocence était alors définie, ses

conséquences et prolongements éventuels envisagés675. Quant au rapport final, remis en juin

1990, il avait pour objet de définir les « lignes de force d’une réforme de la procédure

670 M.-L. RASSAT, Procédure pénale, 2e éd., n° 191. 671 Par exemple : TH. GARÉ et C. GINESTET, Droit pénal et procédure pénale, Dalloz, Hyper Cours, 3e éd., 2004, n° 393. 672 C’est ce qui ressort, implicitement, des termes employés par Mme Ambroise-Castérot, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 6 : « Chacun s’accorde à dire que la présomption d’innocence est un des fondements du droit pénal. Il peut paraître alors étonnant, et notamment pour les jeunes juristes découvrant la matière sur les bancs des universités, que l’énoncé de ce principe était, jusqu’à ces dernières années, absent de ces codes qu’ils chérissent (…). Il a fallu attendre une loi de 1993 pour qu’il pénètre le code civil et une loi de 2000 pour que sa présence soit enfin matérialisée dans un texte du code de procédure pénale » (C’est nous qui soulignons). 673 COMMISSION JUSTICE PÉNALE ET DROITS DE L’HOMME, La mise en état des affaires pénales, Paris, La documentation française, 1991. 674 La mise en état des affaires pénales, op. cit., p. 69. 675 La mise en état des affaires pénales, op. cit., p. 85 et s.

Le discours sur l’objet

226

pénale ». Dès l’introduction était évoquée la proposition de faire figurer ces principes du

procès pénal en tête du Code et ce en dépit d’opinions divergentes exprimées dans les avis

donnés à la commission. S’agissant de la présomption d’innocence, la commission faisait

observer que « l’importance du principe commande son inscription en tête du Code de

procédure pénale, bien qu’il figure déjà dans la Déclaration des droits de l’homme et la

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

fondamentales »676. On l’a vu, cette proposition n’avait pas été retenue lors des réformes de

la procédure pénale mises en oeuvre en 1993. Il n’en reste pas moins qu’elle était novatrice,

elle soulignait en outre l’importance de la présomption d’innocence ainsi que la nécessité, et

non pas seulement l’utilité, de la faire figurer dans le Code de procédure pénale.

213. Une origine doctrinale de l’article préliminaire ?. La proposition de la commission

Delmas-Marty n’était pas d’origine doctrinale, du moins au sens habituel du terme.

Contenue dans un rapport commandé par le ministre de la justice, elle ne peut s’analyser

véritablement en un enseignement, au sens large, de la doctrine. De plus, plusieurs membres

de la commission ne pouvaient se voir reconnaître la qualité d’auteurs de doctrine. Enfin,

même si les propositions émises témoignent d’un consensus obtenu au terme d’un travail

collectif, le rapport remis par une commission ne saurait faire l’objet d’une analogie avec ce

que l’on appelle la doctrine unanime.

Les particularités d’un tel travail pourraient cependant ne pas faire complètement

obstacle à un rapprochement avec l’opinion doctrinale. Tout d’abord, signalons que cette

commission était présidée par Mme Delmas-Marty, membre incontesté de la doctrine

pénaliste, et qu’elle comprenait également un autre représentant, Mme Koering-Joulin. Or,

on a fait observer qu’il n’y a là, à la fois rien d’étonnant ni de critiquable à cette présence.

En effet, « il est normal qu’après un certain nombre d’années passées à réfléchir sur le

droit positif, et donc à proposer des solutions, les membres de la doctrine aient le désir de

participer de plus près à l’élaboration des textes »677. Au-delà du simple désir, il faut bien

admettre que ce sont les connaissances scientifiques des auteurs qui sont recherchées pour

nourrir la réflexion de ces commissions. Par là, le pouvoir exécutif reconnaît l’existence et

la valeur des opinions doctrinales. Il en résulte que si le rapport final ne porte

qu’indirectement la trace de l’œuvre doctrinale678, celle-ci existe incontestablement.

Abondent également dans ce sens les auditions auxquelles procèdent ces commissions.

Parmi les personnes entendues, figurent des membres reconnus de la doctrine. En l’espèce,

la Commission justice pénale et droits de l’homme avait notamment entendu Mme Rassat, 676La mise en état des affaires pénales, op. cit., p. 118. C’est également à cette occasion que la commission proposait ce qui deviendra beaucoup plus tard la reconnaissance préalable de culpabilité. 677 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 179. 678 Celle-ci étant finalement mêlée avec les appréciations et suggestions des praticiens (magistrats et avocats) qui composent également ces commissions.

Le discours sur les sources positives

227

M. Laingui et M. Kiejman. Dès lors, il nous semble tout à fait possible de penser que la

doctrine joue l’un de ses rôles les plus éminents même à travers sa participation à des

commissions réfléchissant sur une réforme du droit positif. Ainsi, s’agissant de la

présomption d’innocence, la doctrine a, sinon émis la proposition de voir figurer la

présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale, du moins largement participé à

son introduction. Il y avait, de toute façon, un précédent lointain avec le souhait formulé par

M. Essaïd en 1969, même si celui-ci ne parlait pas d’article préliminaire à l’époque.

Cette dynamique doctrinale se confirme avec une proposition allant dans le même sens

et formulée dans un temps plus proche de la loi du 15 juin 2000. En effet, Mme Rassat, dont

on ne doutera pas de sa participation à la doctrine pénaliste, s’était vue confiée par le

ministre de la justice M. Toubon, la tâche de « procéder à une réflexion d'ensemble sur

notre procédure pénale »679. Le rapport remis au ministre n’est pas paru aux éditions de la

Documentation française680 mais est disponible par voie électronique sur le site de cet

éditeur officiel. Il a en outre fait l’objet d’une publication aux éditions Dalloz681. La

présomption d’innocence y prend une place assez importante puisqu’elle fait l’objet du titre

premier d’un livre préliminaire du Code de procédure pénale que l’auteur proposait de

consacrer aux principes généraux. Contrairement aux propositions de la Commission justice

pénale et droits de l’homme, la présomption d’innocence occupe ici la première place,

réellement en tête du Code, puisqu’elle fait l’objet du premier article du livre

préliminaire682. La réforme du Code de procédure pénale a finalement été mise en œuvre

par un gouvernement de cohabitation. Au début de l’année 1997, le président de la

République a institué une nouvelle commission chargée de préparer une nouvelle réforme.

Dans sa lettre de mission le président mettait déjà l’accent sur la présomption

d’innocence683. La Commission de réflexion sur la justice, présidée par le haut magistrat

Pierre Truche, a donc elle aussi rédigé un rapport en ce sens684. Toutefois, l’idée d’inscrire

la présomption d’innocence n’avait pas été ici reprise. Elle ne le sera qu’avec l’élaboration

de la loi du 15 juin 2000.

679 Lettre de mission du Garde des sceaux en date du 22 novembre 1995. 680 À ce sujet, et plus largement sur la méthode de l’auteur dans la réalisation de sa mission, les explications de Mme Rassat sont fort intéressantes, V. M.-L. RASSAT, L’élaboration des propositions de réforme du Code de procédure pénale : L’histoire d’une méthode doctrinale, in HÉCQUARD-THÉRON (M.) (dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ? op. cit., p. 145. 681 Propositions de réforme du Code de procédure pénale, Paris, Dalloz, 1997. 682 Propositions de réforme du Code de procédure pénale : rapport à M. le garde des sceaux, op. cit., p. 45. V. : [http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/974035000/0000.pdf]. 683 « La présomption d’innocence est un droit fondamental, reconnu dans la déclaration de 1789. La dignité de la personne et l’harmonie sociale exigent qu’elle soit strictement respectée. Ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui. Votre commission devra donc s’interroger sur les meilleurs moyens de ne laisser envisager la culpabilité qu’au moment où elle est suffisamment avérée». 684 Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Paris, La Documentation française, 1997.

Le discours sur l’objet

228

214. Empreintes doctrinales. Le processus d’élaboration de cette loi du 15 juin 2000 offre

des exemples du rôle que peut jouer la doctrine dans la conception que le législateur a pu se

faire de la présomption d’innocence. À cet égard, les premiers mots employés par la

ministre de la justice dans l’exposé des motifs du projet se montrent symboliques : « La

présomption d’innocence constitue un principe cardinal de la procédure pénale dans un

État de droit »685. En effet, cette formule est directement reprise de la doctrine686. En outre,

c’est au moment de la rédaction de ce projet de loi qu’a été concrétisée l’idée d’écrire un

article préliminaire dans lequel figurerait la présomption d’innocence687. Or, la touche

doctrinale s’est ici encore manifestée, quoique de façon discrète. On peut tout d’abord

observer que le rapporteur du projet de loi devant l’Assemblée nationale était en même

temps un membre de la doctrine puisque Mme Christine Lazerges est professeur de droit

pénal. La députée a accompagné l’insertion de cet article préliminaire dans le Code de

procédure pénale. Le rapport fait devant l’Assemblée au nom de la commission des lois

signale d’ailleurs qu’initialement cette proposition avait été émise par la Commission

Delmas-Marty688. En outre, Mme Lazerges entendait défendre personnellement l’article

préliminaire. Ainsi a-t-elle écrit : « Rapporteur du projet devant l’Assemblée nationale, je

proposerai que soient d’abord énoncés les principes généraux de la procédure pénale avant

de développer ceux qui intéressent spécifiquement la victime ou le délinquant ». Et

d’ajouter après une proposition d’énoncé : « Le texte proposé s’inspire largement du

rapport de la Commission Delmas-Marty »689. Il est fréquent de relever dans le discours

doctrinal un certain hommage fait à cette commission. Les auteurs soulignent volontiers

qu’elle était présidée par Mireille Delmas-Marty et d’ailleurs se réfèrent plus souvent à la

« commission Delmas-Marty » qu’à la « commission justice pénale et droits de l’homme ».

Il y a là une manière de souligner l’empreinte doctrinale sur cette importante réforme. C’est

par exemple la cas de Mme Koering-Joulin qui, à propos de l’alinéa 2 de l’article 9-1 du

Code civil, estime qu’ « il aurait été beaucoup mieux à sa place au sein du Code de

procédure pénale » et se réfère à la proposition de la commission d’insérer la présomption

685 E. GUIGOU, Projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, AN. N° 1079, septembre 1998, p. 3. 686 V. notamment, R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 20. 687 Projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, op. cit., p. 4. 688 « La commission Justice pénale et Droits de l'homme a défini à partir du bloc de constitutionnalité, des textes internationaux de protection des droits de l'homme ratifiés par la France et du code de procédure pénale dix principes fondamentaux qu'elle a proposé d'inscrire en tête de ce code. (…) L'article préliminaire, inséré en tête de code de procédure pénale par l'article premier du projet de loi, reprend cette idée, tout en présentant des différences sensibles avec les propositions formulées par la commission Delmas-Marty, puisque les principes énoncés ne comportent aucune référence à la procédure accusatoire et, pour ceux qui sont repris, sont formulés de manière beaucoup plus synthétique», Rapport AN, n° 1468, mars 1999, p. 130. 689 CH. LAZERGES, Le projet de loi renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, Rev.sc.crim., 1999, p. 167.

Le discours sur les sources positives

229

d’innocence en tête du Code690. L’ouvrage des professeurs Guinchard et Buisson va plus

loin en attribuant très clairement l’inscription de la présomption d’innocence dans le code à

Mme Delmas-Marty : « Autrefois, ce principe fondamental n’était pas écrit dans le Code de

procédure pénale ; mais le rapport de Mme Delmas-Marty proposait qu’il y fût inscrit.

C’est ce qu’a réalisé la loi du 15 juin 2000 »691.

L’insertion de la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale s’est donc

faite avec le concours de la doctrine, notamment par référence aux écrits doctrinaux. Ce

serait probablement trop que de considérer l’article préliminaire comme une œuvre

doctrinale. En revanche, on ne saurait douter que la doctrine pénale en a été une grande

inspiratrice. Dans les diverses rédactions de l’article préliminaire qui avait été proposées,

aucune des formulations de la présomption d’innocence n’a par exemple été retenue. La

consécration législative de la présomption d’innocence est donc en partie le fruit d’un

travail doctrinal, mais son influence demeure limitée au principe de l’introduction d’un

article préliminaire. L’influence doctrinale n’a pas lieu de jouer seulement dans le processus

d’élaboration de la loi, mais aussi, voire surtout, dans la façon dont elle accueille et présente

la loi nouvelle.

3) La réception des nouveaux textes dans le discours doctrinal

215. Valeur et intégration dans le discours. Il s’agit ici de se demander si, dans le

discours doctrinal, l’article 9-1 du Code civil et l’article préliminaire sont envisagés comme

des sources positives de la présomption d’innocence. Si la réponse semble presque

d’emblée devoir être négative, il n’en reste pas moins qu’il faudra préciser la place qui est

attribuée à ces textes dans le discours sur la présomption d’innocence.

216. La disqualification en tant que sources. Tout d’abord, on peut relever que le

législateur n’a pas entendu lui-même instituer la présomption d’innocence en votant ces

textes. La loi du 4 janvier 1993, portant réforme de la procédure pénale et créant l’article 9-

1 du Code civil, s’était déjà donnée pour objectif le renforcement de la présomption

d’innocence. Celle du 15 juin 2000, qui insère un article préliminaire dans le Code de

procédure pénale, porte dans son titre même cette volonté de renforcer la protection de la

présomption d’innocence en même temps que le droit des victimes. Or, il est évident que le

renforcement de la protection suppose qu’au préalable existent, non seulement la protection

mais aussi l’objet de cette protection, à savoir la présomption d’innocence elle-même.

690 R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 21. La référence est d’autant plus saisissante que l’auteur avait elle-même participé à cette commission. Il s’agit là de ce qu’on pourrait appeler une autoréférence doctrinale qui entend témoigner du rôle, même diffus, de la doctrine dans la promotion, notamment, de la présomption d’innocence et de son insertion dans le Code de procédure pénale. Sur l’autoréférence doctrinale, V. infra, n° 268 et s. 691 S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 481.

Le discours sur l’objet

230

La doctrine n’a quant à elle pas laissé entendre que ces textes puissent constituer des

sources de la présomption d’innocence. Nous avons déjà fait observer que les auteurs ne

désignent pas les textes formulant la présomption d’innocence sous le terme de sources692.

La sémantique dans le discours montre également que le législateur n’est pas ici créateur de

la règle énoncée. En effet, l’utilisation des verbes « affirmer » ou « réaffirmer », illustre

bien le fait que ces textes reconnaissent un objet préexistant. D’ailleurs nombreux sont les

auteurs à avoir employé ces verbes693. Mais qu’est-ce à dire ? Affirmer signifie « donner

une chose pour vraie, énoncer un jugement comme vrai »694. L’usage de ces verbes,

quoique très fréquent, peut paraître incorrect. En effet, la règle de droit n’a pas pour objet de

dire qu’une chose est vraie ou fausse, mais seulement de prescrire, permettre, interdire ou

éventuellement suppléer. Les énoncés d’une règle ne sont donc pas descriptifs,

contrairement à ceux de la science du droit qui prend pour objet d’étude ces énoncés afin

d’en expliciter le sens et la portée. Même si certaines dispositions contenues, par exemple

dans un code, se bornent à définir une notion, une institution, elles n’ont jamais pour objet

d’affirmer que cette institution ou cette notion est vraie ou fausse695.

On peut dès lors s’étonner de ce que la doctrine présente ainsi les dispositions récentes

qui visent la présomption d’innocence. Car de la sorte, les auteurs tendraient à dire que la

loi reconnaît pour vraie l’existence de la présomption d’innocence. Habituellement, le

juriste qui entend présenter l’énoncé d’une règle emploi plutôt une formule telle que

« l’article…dispose que ». Or, tel n’est pas le cas pour les deux textes qui nous

intéressent696. On peut estimer qu’il ne s’agit là que d’un abus de langage, tout comme

d’ailleurs l’usage des mots consécration et proclamation, qui ne sont pas tout à fait

appropriés pour parler des règles énoncées par la loi. On observera d’ailleurs que, les verbes

affirmer ou réaffirmer, sont fréquemment employés à propos de bien d’autres objets que la

présomption d’innocence.

Mais on pourrait également y voir un signe. Si la doctrine tente de montrer par là que la

loi donne pour vraie l’existence de la présomption d’innocence, alors qu’en soi cela n’a pas

692 V. supra, n° 201. 693 Par exemple : B. BOULOC, Le renforcement de la présomption d’innocence à propos de la loi du 4 janvier 193), chronique législative, Rev.sc.crim., 1994, p. 594 ; V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 15 (à l’époque, l’auteur ne pouvait parler que « d’absence d’affirmation de la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale ») ; F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p. 226 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., n° 367 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 9 ; C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, Gualino, Mémentos LMD, 6e éd., 2004, p. 103 ; S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 1. 694 Le petit Robert, Dictionnaire de la langue française. 695 En revanche, l’énoncé d’une règle dépend d’une situation de fait que le législateur entend régir. Cette situation qu’il a en vue, relève de faits qui sont tenus quant à eux pour vrais. Ils constituent alors des présupposés de la règle dont on peut dire qu’ils sont vrais ou faux. 696 V. cependant, H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une "théorie législative” du procès pénal ? Arch. polit. crim., n° 23, 2001.

Le discours sur les sources positives

231

vraiment de sens, on peut s’interroger sur l’éventuelle signification des termes affirmer et

réaffirmer ici utilisés. Ne serait-ce pas, par exemple, une manière pour la doctrine de

justifier, a posteriori, son propre discours sur la présomption d’innocence ? Au delà de la

simple commodité de langage, ne pourrait-on pas y entendre que le discours est ainsi

légitimé dans sa propre affirmation de l’existence de la présomption d’innocence par les

énoncés du législateur, qui viendrait ainsi dire : c’est vrai, il existe bien une présomption

d’innocence, pour preuve, je l’inscris dans la loi.

En tout état de cause, si la référence aux nouveaux textes est un passage obligé pour qui

veut décrire l’état du droit positif, la présentation qui en est faite dans le discours étudié

contribue bel et bien à confirmer l’existence de la présomption d’innocence.

Les autres termes employés par les auteurs sont eux aussi évocateurs de cette

préexistence qui n’est pas sans rappeler l’époque où la présomption d’innocence n’était

formulée que par la doctrine. Le doute demeure néanmoins. Car expliquer que l’article

préliminaire par exemple, intègre, mentionne, rappelle, réaffirme ou encore permet

l’apparition formelle de la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale peut

également se comprendre par référence aux autres normes juridiques qui attestaient déjà de

l’existence juridique de la présomption d’innocence en droit français697. Par conséquent, il

est manifeste que ni l’article 9-1 du Code civil, ni l’article préliminaire du Code de

procédure pénale ne sont analysés, à proprement parler, comme des sources de la

présomption d’innocence. Ce ne sont que des répétitions, de nouveaux supports pour

formuler la présomption d’innocence, qui se surajoutent à la formulation de la Déclaration

des droits de l’homme698 et de la Convention européenne et qui ont dû être intégrés dans le

discours sur la présomption d’innocence. Ici, il convient de distinguer la façon dont le

discours doctrinal a accueilli ces textes, selon qu’il s’agit de l’article 9-1 du Code civil ou

de l’article préliminaire du Code de procédure pénale.

217. L’intégration de l’article 9-1 du Code civil dans le discours sur la présomption

d’innocence. On pourrait se demander tout d’abord dans quelle mesure cette intégration est

apparue nécessaire. Dès lors qu’il fut rapidement admis que ce texte consacrait un nouveau

droit de la personnalité, un droit subjectif, ne pourrait-on pas penser que les pénalistes

auraient pu en laisser l’étude aux spécialistes de cette matière, autrement dit à des

civilistes ? Ces derniers commentent sans aucun doute les décisions rendues sur le

697 Et en effet, les auteurs visent toujours dans ces cas là la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et sa valeur constitutionnelle ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme. 698 Un bon exemple peut être tiré d’une étude publiée au lendemain de la loi de 1993 : « Les nouvelles dispositions n’ont pas annihilé les garanties dont bénéficiaient antérieurement les justiciables. Elles trouvent leurs sources aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie des normes. En effet, le principe de la présomption d’innocence découlait, avant 1993, directement de normes de valeur constitutionnelle et internationale », P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption d’innocence, JCP. 1994 I 3802, n° 4.

Le discours sur l’objet

232

fondement de l’article 9-1 du Code civil. Cela dit, à consulter les manuels de droit civil en

matière de droit des personnes, on s’aperçoit que les développements consacrés à ce droit

subjectif particulier ne sont ni très longs ni très approfondis699. Les civilistes donnent le

sentiment d’avoir laissé l’enseignement de cette notion aux spécialistes du droit de la presse

ou du droit pénal. À cet égard, il est d’ailleurs significatif de voir que c’est un pénaliste qui

a rédigé le fascicule du Juris-classeur civil portant sur ce thème700. Il est vrai que la loi du 4

janvier, qui a donné le jour à ce texte, était une loi de procédure pénale. Il paraît donc tout à

fait naturel de penser que l’article 9-1 bien qu’introduit dans le Code civil, entre

parfaitement dans l’objet d’étude du pénaliste. On se souviendra toutefois que les premiers

commentaires de la nouvelle loi n’ont pas fait une réelle place à l’étude de l’article 9-1, et

que cette consécration au Code civil a surtout paru incongrue.

Ainsi, alors que les premières réactions des auteurs manifestaient de la surprise voire une

certaine hostilité devant une consécration de la présomption d’innocence dans le Code civil,

peu à peu ces critiques se sont estompées pour faire une véritable place à ce texte dans le

discours sur la présomption d’innocence. L’analyse de cette évolution est intéressante car

elle montre que la façon dont le discours des pénalistes s’est recomposé, suite à la création

de ce texte, correspond très largement au processus de légitimation de l’ordre juridique que

décrivent les professeurs Jestaz et Jamin.

218. Légitimation progressive de l’article 9-1 du Code civil par le discours. Ces auteurs

ont relevé que « Dès lors qu’elle œuvre au perfectionnement de l’ordre juridique, la

doctrine légitime celui-ci en lui apportant la caution du droit savant »701. À partir d’une

hypothèse semblable à la nôtre, c'est-à-dire l’apparition d’une loi nouvelle, les auteurs ont

énoncé certains critères permettant d’appréhender ce processus de légitimation. La

légitimation est susceptible de degrés, et après une première phase où s’expriment « des

réactions doctrinales diverses et souvent sévères », le processus de légitimation peut

s’accentuer « lorsque les auteurs, après avoir analysé la solution nouvelle, passent à la

699 V. par exemple : F. LAROCHE-GISSEROT, Leçons de droit civil, Les personnes, Montchrestien, 8e éd., 1997, n° 801 ; B. TEYSSIÉ, Les personnes, Paris, Litec, 8e éd., 2003, n° 37 ; G. CORNU, Droit civil, introduction, les personnes, les biens, Montchrestien, 11e éd., 2003, n° 520; PH. MALAURIE, Personnes, incapacités, Defrénois, 2004, n° 315. Le doyen Carbonnier constate quant à lui que la place de la présomption d’innocence est davantage dans le Code de procédure pénale, J. CARBONNIER, Droit civil, (Introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple), PUF, Quadrige, 2004, vol. I, n° 280. 700 J.-H. ROBERT, Jouissance des droits civils - Protection de la présomption d’innocence. Certes on pourra expliquer cela par le fait que cette étude est reprise en très grande partie de l’intervention que l’auteur avait faite lors d’un congrès de l’Association française de droit pénal. V. La protection de la présomption d’innocence selon la loi du 4 janvier 1993, in Liberté de la presse et droit pénal, XIIe journées de l’AFDP, PUAM, 1994, p.105. Mais à vrai dire, cela ne change rien. Au contraire, cela tend à montrer que très tôt certains pénalistes se sont saisis de cette nouvelle question. Le rattachement des dispositions de l’article 9-1 du Code civil à la procédure pénale est flagrant lorsqu’on considère que c’est exactement le même fascicule que l’on peut consulter également dans le Juris-Classeur procédure pénale, App. art. 11. 701 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 245.

Le discours sur les sources positives

233

phase de synthèse consistant à intégrer les éléments au sein du système juridique,

autrement dit à reconstituer la ou les matières en cause après le bouleversement qu’elles

viennent de subir ». Or ces guides peuvent tout à fait nous servir pour présenter

l’intégration de l’article 9-1 du Code civil dans le discours des pénalistes.

En premier lieu, on peut observer qu’au lendemain de l’adoption de la loi de 1993,

certaines opinions critiques ont été formulées. Un magistrat, qui écrit sous le pseudonyme

de Jean-Luc, en a ainsi donné une bonne illustration. Si cet auteur n’a finalement consacré à

la nouvelle disposition que quelques lignes à la toute fin de son étude, ses propos n’en

étaient pas moins virulents. Dans un paragraphe intitulé La prétendue protection de la

présomption d’innocence et la garantie de la liberté d’information, l’auteur dit tout

simplement de l’article 9-1 du Code civil que « cela ne mange pas de pain ». Puis, citant la

nouvelle disposition, il s’interrompt pour conclure : « Point n’est besoin d’aller plus loin.

Le texte ainsi rédigé ne trouvera pas d’application. Jamais, les journalistes et présentateurs

de journaux télévisés n’annoncent que M. X…ou Y…est "coupable" avant qu’il ait été

condamné »702. Les auteurs se sont également montrés parfois critiques à l’égard des

motivations du législateur. L’article 9-1 du Code civil serait né d’une prise de conscience

des ravages faits par la publicité des inculpations, suite aux mises en cause dont certains

hommes politiques faisaient l’objet et dont la presse se délectait. Les uns et les autres

auraient alors offert une présentation caricaturale de la présomption d’innocence703. Enfin,

les dispositions de l’article 9-1 du Code civil ont été critiquées non pas dans leur finalité,

mais pour le choix de leur insertion dans le Code civil plutôt que dans le Code de procédure

pénale. Ces différentes attitudes, pour être critiques, n’en constituent pas moins un début

d’intégration de la nouvelle disposition, un premier pas vers une légitimation. MM. Jestaz et

Jamin expliquent que « À partir du moment où elle accepte de commenter une loi, la

doctrine, même hostile aux choix du législateur, marque par son attitude qu’elle s’y résigne

et choisit de jouer le jeu des juristes, c'est-à-dire de traiter cette loi comme un texte de droit

positif »704.

En second lieu, on observera que les pénalistes ont fait plus ou moins progressivement

une place particulière à l’article 9-1 du Code civil dans leur présentation de la présomption

702 JEAN-LUC, De la présomption d’innocence à la présomption de charges ou l’étrange réforme de la procédure pénale de maître Vauzelle, op. cit., p. 363. Le bilan des cinq années d’application du texte qu’avait dressé Mme Bureau suffit à montrer combien les prédictions du magistrat étaient erronées. La jurisprudence, si elle a peu d’occasions de condamner des affirmations franches de culpabilité dans la presse, met en œuvre d’autres critères pour sanctionner les journalistes qui « vont au-delà d’une simple narration de faits objectifs et émettent une opinion personnelle quant à la culpabilité d’autrui, quelle que soit leur intention». V. H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil, op. cit., n° 19 à 21. 703 PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op. cit., n° 1. V. aussi, P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., n° 1. 704 La doctrine, op. cit., p. 247.

Le discours sur l’objet

234

d’innocence, jusqu’à une parfaite intégration dans les développements consacrés au

principe. Témoin tout particulier d’une telle évolution du discours et d’une telle intégration,

le manuel de procédure pénale du professeur Jean Pradel. En 1995, la huitième édition du

manuel ignore purement et simplement l’article 9-1 du Code civil dans l’énumération des

textes affirmant la présomption d’innocence705. Dans l’édition suivante, au même endroit,

l’auteur ajoute une référence à ce texte tout en soulignant que cette consécration au Code

civil est curieuse. Les dispositions de l’article « litigieux » ne seront alors abordées que

succinctement, non pas dans les développements relatifs à la présomption d’innocence mais

plus loin à propos du rôle du juge706. L’évolution s’achève avec la dixième édition du

manuel. En effet, l’auteur a procédé à une sévère réorganisation des développements

consacrés à la présomption d’innocence. Désormais, non seulement il n’est plus curieux que

la présomption d’innocence figure à l’article 9-1 du Code civil, mais les dispositions de ce

texte sont exposées sur trois paragraphes insérés par l’auteur dans ses développements

relatifs aux conséquences de la présomption d’innocence707. D’autres auteurs s’étaient

montrés plus prompts à accueillir ce nouveau texte et à en tirer les conséquences quant à

l’organisation de leur propos. Mme Bureau était allée très loin dans cette intégration

puisque s’agissant du fond, elle avait opéré une parfaite assimilation entre le nouveau droit

subjectif de l’article 9-1 du Code civil et le principe probatoire de la présomption

d’innocence708. Enfin, on peut signaler que dès la première édition de leur manuel de

procédure pénale, MM. Conte et Maistre du Chambon avait choisi de construire leurs

développements sur la présomption d’innocence en fonction même du contenu du nouveau

texte709. Dans ces derniers cas, il n’est pas seulement question de faire référence à l’article

9-1 au titre des textes exprimant la présomption d’innocence, mais de considérer qu’au

fond, le droit subjectif qu’il consacre fait désormais partie intégrante de la notion de

présomption d’innocence.

Or, la modification de la structure des développements, et de leur contenu, s’apparente à

ce que MM. Jestaz et Jamin considèrent comme le signe de la reconstruction d’une

705 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 1995, n° 268. 706 Procédure pénale, op. cit., 9e éd., 1997, n° 267 et 273. 707 Procédure pénale, op. cit., 10e éd., 2000, n° 368 à 370. 708 Pour cet auteur, le Code civil réaffirme un principe séculaire, non pas le principe de la présomption d’innocence mais le principe du droit au respect de la présomption d’innocence. Il n’y a alors aucune réelle différence entre le contenu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et celui du nouveau texte du Code civil, V. La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil, op. cit., n° 3 à 7. 709 V. PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 1re éd., 1995. Les auteurs consacrent un titre entier à la présomption d’innocence qui est divisé en deux chapitres. Le premier est intitulé : La présomption d’innocence, règle de preuve (p. 25) et le second : La présomption d’innocence, expression d’un droit (p. 27).

Le discours sur les sources positives

235

matière710. Cette dernière se manifeste par la modification des plans. Ainsi expliquent-ils

que : « le plan d’un traité reflète le système juridique ; ou mieux il est ce système juridique.

Et modifier le plan revient à intégrer définitivement l’innovation au sein du droit, tel que

systématisé et ordonné par la doctrine »711. S’agissant de la présomption d’innocence, on

observe bien ce phénomène de recomposition dans les manuels et traités de procédure

pénale, non pas du plan tout entier, mais des passages traitant de la notion. Rien de plus

normal dira-t-on avec les auteurs : « La doctrine ne peut qu’accepter le nouveau droit

positif et s’atteler à la tâche qu’il lui impose. Il n’arrive presque jamais qu’un auteur refuse

de théoriser et se borne à relater la norme à l’état brut sans l’assortir d’une explication

permettant de l’intégrer au droit existant »712.

Ainsi assiste-t-on à une parfaite intégration de la nouvelle disposition par la doctrine

pénaliste. Toutefois, cette intégration suppose que la doctrine a été contrainte de reconnaître

une nouvelle signification à la présomption d’innocence, bien au-delà de la seule

signification probatoire qu’elle lui donnait auparavant. Cette extension de la signification ne

se traduit pas sans quelque artifice. En effet, certains auteurs ont, par exemple, pleinement

accueilli les nouvelles dispositions de l’article 9-1 du Code civil puisqu’elles font l’objet de

développements dans leur ouvrage. Cependant, certains n’en ont pas modifié pour autant

leur plan. Si bien qu’une certaine incohérence pourrait être relevée.

On peut illustrer cette pratique avec l’ouvrage, de référence, qu’est le précis Dalloz de

procédure pénale. Ses auteurs ont pris acte du nouvel l’article 9-1 du Code civil en le

signalant et l’exposant au titre du renforcement de la présomption d’innocence. Rien de plus

normal dès lors qu’il s’agissait là de l’objectif annoncé par le législateur et dont cette

disposition, parmi d’autres, devait participer. Ceci dit, si la présentation du texte est bien

710 Les auteurs (p. 252 et s.) raisonnent sur des hypothèses plus générales, plus vastes, que la nôtre. Il n’est pas interdit cependant d’imaginer que leurs conclusions puissent être valables pour des modifications d’une ampleur plus modeste, telles que celles résultant de la création d’un article au Code civil. 711 La doctrine, op. cit., p. 253. 712 La doctrine, op. cit., p. 254. En matière de présomption d’innocence, il se trouve toutefois un auteur pour refuser de traiter du nouveau droit subjectif au respect de la présomption d’innocence. V. C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, 6e éd., op. cit., p. 103 et s. Le type d’ouvrage ici considéré pourrait expliquer en partie ce silence, simple « memento », il ne contient que les éléments essentiels de la procédure pénale. Pourtant, il semble que cet aspect là de la présomption d’innocence ne soit pas secondaire au point de n’en dire mot. On est d’autant plus surpris lorsqu’on consulte, dans la même collection, l’ouvrage de droit des personnes écrit par le même auteur. En effet, on s’attendrait à voir ici présenté, au titre des droits de la personnalité, le droit au respect de la présomption d’innocence tel que prévu et régit par l’article 9-1 du Code civil. Il n’en est rien. Seul le premier alinéa du texte est cité. En revanche, l’auteur reproduit en son entier l’article préliminaire du Code de procédure pénale contenant la présomption d’innocence. Sont également visées les dispositions de procédure pénale assurant le respect de la présomption d’innocence. On pourrait voir dans cette démarche curieuse, qui consiste à ignorer l’aspect subjectif de la présomption d’innocence, un véritable parti pris de l’auteur. Les contraintes d’édition ne semblent pouvoir expliquer en effet que ce soit l’aspect pénal de la présomption d’innocence qui soit traité aux lieu et place de son aspect droit subjectif. V. C. RENAULT-BRAHINSKY, Droit civil, les personnes, Gualino, 2e éd., 2004, p. 59-60.

Le discours sur l’objet

236

intégrée dans un paragraphe relatif à la présomption d’innocence, ce dernier demeure inclus

dans une subdivision intitulée La théorie générale des preuves en matière pénale. On peut

dès lors s’interroger sur le sens d’un tel choix. De deux choses l’une : on peut tout d’abord

considérer que les auteurs ont procédé à une telle intégration de la nouvelle disposition,

qu’ils estiment par là que le nouveau droit subjectif faisait déjà partie intégrante de la règle

probatoire de la présomption d’innocence. On peut à l’inverse considérer qu’il s’agit ici

d’une intégration minimaliste qui ne serait que le reflet de l’incohérence même du

législateur. Dans les deux hypothèses, les auteurs exercent bien leur fonction de

légitimation de l’ordre juridique. Dans le premier cas cependant, cette fonction est exercée à

un degré élevé alors que dans le second elle l’est à un moindre degré.

219. Intégration et légitimation parfaite. Certains auteurs illustrent parfaitement non

seulement la légitimation de l’ordre juridique, mais encore leur savoir-faire en matière de

résorption des contradictions. On atteint ici le degré le plus élevé, dans l’œuvre doctrinale,

de la fonction de légitimation.

À cet égard, on peut prendre pour exemple la contribution de Mme Ambroise-Castérot

au répertoire de droit pénal. En charge d’une nouvelle rubrique relative à la présomption

d’innocence, l’auteur s’est en effet efforcée, avec succès semble-t-il, de surmonter une

difficulté soulevée par le nouvel article 9-1 du Code civil. S’interrogeant sur le sens de

l’expression présomption d’innocence, l’auteur doit reconnaître que le droit subjectif

consacré dans le Code civil est totalement étranger à la question de la charge de la preuve.

Cette dernière étant la seule signification attribuée pendant longtemps à l’expression

« présomption d’innocence » et que l’emploi du terme présomption suffisait à justifier.

Pourtant, l’auteur admet par ailleurs que le texte civil est bien un fondement textuel de la

présomption d’innocence. Il y a donc une évidente contradiction à affirmer que la

présomption d’innocence, attributive du fardeau de la preuve dans le procès pénal, puisse

être consacrée textuellement à l’article 9-1 du Code civil. Mais la contradiction est vite

contournée, dépassée même. L’auteur explique alors que l’expression revêt finalement un

double sens et peut conclure ainsi : « par conséquent, il existe deux présomptions : l’une est

un mécanisme de répartition du poids de la charge de la preuve, l’autre est un instrument

de protection, de défense de la réputation et de l’honneur »713. Ainsi se trouve justifié le

plan en deux parties de son étude sur la présomption d’innocence714.

Cet exemple montre combien les premières manifestations doctrinales d’hostilité à un

texte peuvent laisser place à un exercice des plus éminents réservé à la seule doctrine :

713 C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 12. 714 On l’a dit, il y avait un précédent avec l’ouvrage de MM. Conte et Maistre du Chambon, auquel l’auteur se réfère d’ailleurs fréquemment. Cependant, à la différence de ses collègues, Mme Ambroise-Castérot surmonte la contradiction après l’avoir précisément posée.

Le discours sur les sources positives

237

présenter le droit positif de façon cohérente, au point de gommer ou de résorber les

contradictions qu’il peut comporter. C’est ce que MM. Jestaz et Jamin désignent comme la

légitimation par la raison lorsque, aux imperfections de la loi, la doctrine apporte des

améliorations (techniques) en rognant les aspérités, résorbant les contradictions, bref en

affinant le minerai brut qu’est la loi. Cette fonction paraît de la plus haute importance dès

lors que les auteurs expliquent que : « Le travail doctrinal de rationalisation a pour

conséquence que la loi sera mieux connue, mieux comprise et au total mieux appliquée. Il

dépend en partie de la doctrine que telle disposition reçoive une application maximaliste ou

minimaliste»715.

De tels efforts n’ont pas été nécessaires aux pénalistes pour intégrer à leur discours la

dernière consécration législative de la présomption d’innocence. La présentation de l’article

préliminaire du Code de procédure pénale dans le discours doctrinal ne soulève donc pas les

mêmes questions.

220. L’accueil réservé à l’article préliminaire III du Code de procédure pénale. Après

avoir regretté, dans une large mesure, que la consécration législative de la présomption

d’innocence ait d’abord eu lieu dans le Code civil, on peut naturellement se demander

comment la doctrine a accueilli cette nouvelle disposition du Code de procédure pénale. À

cette question, une réponse semble s’imposer d’emblée : l’accueil a été timide, pour le

moins réservé, sinon silencieux. Au lendemain de son adoption, et même jusqu’à ces deux

dernières années, l’article préliminaire n’a suscité généralement pas grand intérêt ; et cela

vaut en particulier pour le paragraphe III formulant la présomption d’innocence. À cet

égard, on notera le nombre très réduit d’études publiées sur le sujet716 et leur caractère

parfois assez confidentiel717. Un signe traduit par exemple ce silence : il s’agit de l’absence

de commentaire figurant au Juris-classeur de procédure pénale718. Ensuite, ce texte occupe

une place négligeable dans les présentations qui ont été faites de la loi du 15 juin 2000719.

715 La doctrine, op. cit., p. 247. On peut estimer que l’étude de l’article 9-1 du Code civil par les pénalistes contribue à une application maximaliste du texte dès lors qu’elle vient s’ajouter aux études proposées par les civilistes spécialistes des droits de la personnalités ainsi qu’aux spécialistes du droit de la presse. 716 E. PUTMAN, L’article préliminaire a-t-il une portée normative ? Annales de la faculté de droit d’Avignon, 2000, p. 43 ; H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit., et P. TRUCHE, Introduction à l’article préliminaire du Code de procédure pénale, Arch. polit. crim., n° 23, 2001, p. 9. 717 On pense à la première étude approfondie de ce texte par M. Putman parue dans les annales de la faculté de droit d’Avignon, citée dans la note précédente. En effet, ces annales, qui ont d’ailleurs cessé de paraître depuis 2003, ne peuvent être consultées que dans un nombre très réduit de bibliothèques universitaires. 718 Au premier semestre de l’année 2005, soit plus de quatre ans après l’introduction de l’article préliminaire dans le Code de procédure pénale, ne figurait dans cette encyclopédie qu’un simple fascicule (fasc. 10) reproduisant le texte avec pour seule indication un titre : Principes généraux de la procédure pénale. 719 V. cependant, E. PUTMAN, L’apport aux droits fondamentaux de la loi renforçant la protection de la présomption d’innocence, RJPF-2000, n° 11, analyse, p. 6 et s.

Le discours sur l’objet

238

Enfin, on apercevra sans mal que les manuels et traités de procédure ne sont pas très diserts

sur l’article préliminaire720. Le plus souvent, ce texte est simplement donné en référence à

propos de tel ou tel principe qui y est formulé, de même en va-t-il pour la présomption

d’innocence.

L’article préliminaire n’est pas la disposition nouvelle la plus importante de la loi du 15

juin 2000, il n’en reste moins que du point de vue de la présomption d’innocence, elle

pourrait sembler « historique » et à ce titre susciter les commentaires. Il n’en est rien. Deux

explications peuvent être avancées pour expliquer ce silence relatif, ce défaut d’intérêt de la

doctrine pénale pour ce texte que le législateur a entouré de symbolisme.

La première tient à la volonté manifestée par le gouvernement au lendemain du vote de

cette loi du 15 juin 2000. En effet, ce dernier a publié une circulaire venant préciser que

l’article préliminaire n’avait aucune conséquence juridique721. On comprend alors que dans

ces circonstances, toute étude du texte ait pu paraître sans objet. La deuxième raison,

d’ailleurs rappelée par cette circulaire, tient tout simplement à l’effet de répétition. Ce qui a

été dit à propos de l’inscription de la présomption d’innocence dans l’article 9-1 du Code

civil vaut ici à plus forte raison. Les auteurs font souvent remarquer qu’aucun des principes

énoncés dans l’article préliminaire n’est nouveau. La plupart, et particulièrement la

présomption d’innocence, sont une reprise des principes déjà inscrits dans la Convention

européenne des droits de l’homme722ou dans la Constitution. À ce titre, les analyses déjà

publiées sur ces principes ont pu sembler suffire sans qu’il soit besoin de les reprendre à

partir du texte de droit interne.

Pourtant ces explications peuvent sembler insuffisantes, peu convaincantes. À l’examen,

la première apparaît tout d’abord très faible. Réagissant à l’affirmation de la circulaire,

selon laquelle l’article préliminaire n’a aucune conséquence juridique, le professeur Cadiet

a tranché : « depuis quand le gouvernement, pouvoir exécutif, est-il mieux placé pour

exprimer la ratio legis, l’intention du Parlement, pouvoir législatif, dont on rappellera

quand même en passant qu’il est seul compétent, en vertu de l’article 34 de la Constitution,

720 MM. Stéfani, Levasseur et Bouloc se bornent, par exemple, à relever que la présomption d’innocence est rappelée dans l’article préliminaire, V. Procédure pénale, op. cit., 20e éd., n° 113 et 122. 721 « Il convient d'indiquer que l'inscription dans la loi des principes fondamentaux du procès pénal n'a en soi aucune conséquence juridique, dans la mesure où ces principes préexistaient à la loi du 15 juin 2000, le nouvel article préliminaire du code de procédure pénale n'ayant pour objectif que de les rendre plus accessibles». V. CRIM 2000-16 F1/20-12-2000, Bulletin officiel du ministère de la justice, n° 80, 2000. 722 Certains principes « ne figurent pas – ou pas de façon identique- dans d’autres sources, internes ou européennes » comme celui qui exige que l’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes, V. à cet égard, le commentaire de l’article préliminaire in PH. BONFILS et E. VERGÈS, Travaux dirigés de droit pénal et de procédure pénale, Paris, Litec, 2004, p. 130 et s.

Le discours sur les sources positives

239

pour légiférer en matière de procédure pénale ?»723. D’autre part, le fait que l’article

préliminaire du Code de procédure pénale reprenne les principes énoncés au niveau supra

national ne saurait justifier un tel silence. En effet, on pourrait ici justement se référer à la

volonté du législateur, celle-ci était très claire : il s’agissait de rappeler ces principes, de

façon solennelle, dans un double but, pédagogique et herméneutique724. Mieux encore, et

comme le rappelait M. Cadiet, le législateur s’est explicitement inscrit, avec l’article

préliminaire, dans la logique du rapport Delmas-Marty qui assignait à l’énoncé préliminaire

des principes du procès des objectifs allant au-delà de la pédagogie ou de l’esthétisme725.

Aussi pouvait-on s’attendre à lire des études de droit prospectif visant à imaginer les

possibles applications et interprétations futures du texte. Plus de quatre ans après l’entrée en

vigueur de l’article préliminaire, la littérature s’orientant en ce sens se réduisait à peu de

chose. L’étude de M. Putman fait à cet égard figure d’exception. L’année même où la loi du

15 juin 2000 a été votée, l’auteur soulevait la question de la normativité de l’article

préliminaire, estimait que le juge pourrait désormais fonder ses décisions sur seul texte, et

suggérait une utilisation audacieuse de la disposition préliminaire en défendant sa

« normativité d’application »726.

Le silence des auteurs pourrait s’expliquer par le temps nécessaire à la réflexion

doctrinale qui ne peut que très rarement suivre d’aussi près l’innovation législative.

D’ailleurs, probablement encouragée par les décisions jurisprudentielles visant le texte, la

doctrine a commencé à centrer sa réflexion sur l’article préliminaire727. On pourrait peut-

être interpréter cette réserve des auteurs comme un refus, celui de se livrer à l’une des

activités pourtant essentielle de la doctrine : la prédiction.

221. Le refus de prédire l’avenir de l’article préliminaire. L’activité doctrinale de

prédiction a fait l’objet d’une étude approfondie par M. Molfessis. L’auteur relève que la

prédiction, qui est projection dans l’avenir, description futuriste du droit, intervient

723 L. CADIET, Et les principes directeurs des autres procès ? Jalons pour une théorie des principes directeurs du procès, in Justice et droits fondamentaux, Études offertes à J. NORMAND, Paris, Litec, 2003, p. 104, n° 36. 724 «Cet article préliminaire permettra en revanche de guider si nécessaire les juridictions dans l'interprétation et l'application de ces différentes règles de procédure », disait d’ailleurs la circulaire précitée. 725 D’après M. Cadiet, le rapport Delmas-Marty fait, des principes directeurs énoncés, de véritables prescriptions, V. Et les principes directeurs des autres procès ? Jalons pour une théorie des principes directeurs du procès, op. cit., p. 105. 726 M. Putman précisait toutefois que cette normativité devrait être subsidiaire, l’article préliminaire ne constituant alors un remède aux violations des droits procéduraux fondamentaux que dans l’hypothèse où une sanction n’aurait pas été prévue par une autre disposition explicite et précise du Code de procédure pénale. Pour le reste, l’article préliminaire ne pourrait se prévaloir que d’une normativité de référence. V. E. PUTMAN, L’article préliminaire a-t-il une portée normative ? op. cit., p. 47 et s. 727 Par exemple, l’institut de sciences criminelles et de droit médical de l’université de Nancy 2 dont les chercheurs concentrent leurs efforts sur les travaux préparatoires de la loi du 15 juin 2000, sur la doctrine, et la jurisprudence de la Cour de cassation concernant l’article préliminaire, V. [http://www.univ-nancy2.fr/ISCRIMED/projets_recherche_iscrimed.html].

Le discours sur l’objet

240

naturellement et fréquemment lorsqu’une solution nouvelle fait son apparition en droit

positif. « Face à l’inédit, le commentaire se veut logiquement prospectif, consistant à

envisager la destinée de la solution nouvelle, ses conséquences, ses effets attendus par

l’auteur ». M. Molfessis ne conçoit pas de possible abstention doctrinale à cet égard car,

explique-t-il, « toute nouveauté, en droit, est une ouverture sur l’avenir, un champ de

possibles que l’on se doit de labourer pour en mettre au jour les germes » 728. Même s’il est

vrai que la loi du 15 juin 2000 a bien fait l’objet de quelques tentatives de prédiction quant à

son avenir 729 et à une rapide nouvelle réforme730, concernant l’article préliminaire les

pénalistes se refusent à toute projection.

On pourra alors objecter que, justement, ce texte n’entre pas dans l’hypothèse visée par

M. Molfessis puisqu’il ne consacre aucune solution nouvelle. Il n’y aurait donc à rien à

« labourer » ! Ce serait toutefois se méprendre, car si la substance de l’article préliminaire

ne consacre pas de solution nouvelle à proprement parler, l’existence même de ce texte, sa

raison d’être, sont bien des nouveautés en droit interne731. En outre, c’est la formulation

matérielle des principes qui est nouvelle et l’on pourrait à tout le moins se demander, par

exemple, dans quelle mesure la formulation choisie par le législateur respecte la formulation

qu’en donne les textes de valeur supra légale.

Ce refus d’envisager les possibles, que pourrait faire naître l’utilisation de l’article

préliminaire par les praticiens du droit, semble donc pouvoir s’expliquer au regard de la

répétition à laquelle il procède. Autrement dit, il peut s’expliquer au regard de l’utilité de ce

texte. On peut d’ailleurs observer que si l’article préliminaire a donné lieu à peu de

commentaires, en revanche ces derniers ont souvent posé la question de son utilité.

728 N. MOLFESSIS, Les prédictions doctrinales, in L’avenir du droit, mélanges en l’hommage de F. TERRÉ, PUF, Dalloz et Juris-classeur, 1999, p. 147. 729 « Les résultats prévisibles de la loi nouvelle sont contrastés (…) Au passif, il faut inscrire l’économie générale de la loi dont le résultat essentiel sera, selon toute vraisemblance, de rendre notre procédure pénale lourde, inefficace et même inapplicable, plus encore que par le passé », disait déjà M. Pradel au lendemain de la loi, V. Encore une tornade sur notre procédure pénale avec la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. V. Puis, l’ayant analysée de façon approfondie, le même auteur avait conclu ainsi : « Tout cela fait que, presque sûrement, la loi du 15 juin 2000 ne sera rien d’autre qu’une loi d’étape, en attendant une prochaine réforme… » : Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1124. 730 La prédiction s’est réalisée avec l’adoption de la loi du 4 mars 2002 complétant la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et le droit des victimes. Cette loi fait suite au rapport du député Julien Dray qui avait pour objet d’inventorier les « points techniques suscitant des difficultés dans l’application de la loi ». 731 L’étude approfondie de M. Henrion, qui interrompt le mutisme doctrinal, montre suffisamment que ce texte prête au commentaire. Au lendemain de l’introduction de l’article préliminaire, on peut estimer que cet auteur a préparé le « labour » en donnant une interprétation du texte tant au regard de la volonté du législateur que de la mise en œuvre des garanties qu’il énonce. V. H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit. V. également le précédent qu’offrait, mais plus modestement, l’étude de M. Putman : L’article préliminaire a-t-il une portée normative ? op. cit.

Le discours sur les sources positives

241

222. La question de l’utilité de l’article préliminaire. Cette question a été explicitement

soulevée à plusieurs reprises par les auteurs. Pour le moins, il existe en doctrine une

incertitude quant à cette utilité. Cela peut contribuer à expliquer le peu d’attention portée au

texte. Les arguments des uns et des autres au soutien de l’utilité ou de l’inutilité de l’article

préliminaire semblent en réalité porter plus ou moins implicitement sur sa valeur juridique,

sur sa normativité.

Ainsi, les auteurs qui doutent ou affirment l’inutilité de l’article préliminaire, en ce qu’il

énonce les principes directeurs du procès pénal, raisonnent en terme de normativité du texte.

À cet égard, est mise en avant l’inutilité d’énoncer des principes qui ont déjà valeur dans

l’ordre positif français et qui plus est, valeur supérieure. Les mots de M. Pradel résument

parfaitement cette position : « On peut douter de l’utilité juridique d’un tel article

préliminaire, d’abord car il est constitué de notions très larges et générales, ensuite et

surtout car les normes y énumérées sont déjà exprimées par le Conseil constitutionnel ainsi

que par la Conv. EDH et la CEDH ; et l’on sait que les dispositions constitutionnelles et

européennes ont une valeur supralégislative». Ce qui permet à l’auteur de conclure : « De

la sorte, la disposition préliminaire nouvelle a une valeur simplement déclarative »732.

Ailleurs, M. Pradel avait également précisé que le texte était sans doute inutile pour les

praticiens, puisque son contenu est déjà consacré ailleurs, mais pédagogique pour le

chercheur en ce qu’il est un résumé de la philosophie de la procédure actuelle733. M. Bouloc

remet lui aussi en cause l’utilité de ce texte, particulièrement au regard de la possibilité pour

les praticiens d’apprécier les autres dispositions du Code à la lumière des principes

préliminaires734. L’inutilité de la répétition à laquelle procède l’article préliminaire a

également été critiquée par MM. Merle et Vitu, mais de façon paradoxale puisque est

soulevée à la fois l’inutilité d’une telle liste de principes, mais également son

insuffisance735.

À cette inutilité du point de vue de la normativité s’oppose une conception plus

favorable à l’article préliminaire mais qui reste toutefois, dans l’ensemble, assez réservée.

L’article préliminaire se voit alors reconnaître une utilité pédagogique, symbolique,

porteuse de sens, voire une possible normativité. Mais, peu de précisions sont apportées sur

l’utilité pratique du texte.

732 J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1040. 733 J. PRADEL, Où va notre procédure pénale ? À propos de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, Prolégomènes, Rev. pénit. dr. pén., 2001, n° 1, p. 10. 734 B. BOULOC, La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, chronique législative, Rev.sc.crim., 2001, p. 193 et s. 735 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 147.

Le discours sur l’objet

242

Ainsi, par exemple, Mme Lazerges avait-elle simplement souligné que ce rappel des

principes directeurs est : « porteur de sens et permet certaines précisions

fondamentales »736. Pour cet auteur, l’apport de l’article préliminaire au Code de procédure

pénale semble néanmoins résider dans l’affirmation selon laquelle le principe de la

présomption d’innocence gouverne le procès pénal737. De leur côté, MM. Buisson et

Guinchard reconnaissent une fonction symbolique et d’avertissement à l’article inscrit en

tête du Code de procédure pénale738. Pierre Truche estime quant à lui que : « la

juxtaposition dans un même code de procédure des principes et des règles à suivre a valeur

tant de symbole que de programme de conduite en face d’une situation concrète ». Aussi

annonce-t-il une nouvelle démarche du juge qui consistera, dans la pratique quotidienne, à

combiner dispositions de l’article préliminaire et dispositions subséquentes du Code de

procédure pénale, pour en conclure que : « l’application directe de la Convention

européenne, qui aboutissait au même résultat, ne rend pas superflu cet article

préliminaire »739. Avec ce dernier auteur, il semble que l’opinion sur l’article préliminaire

dépasse la seule fonction symbolique ou pédagogique. Une utilité pratique semble se

dessiner. L’idée demeure néanmoins timide. L’utilité pratique est certes suggérée mais

l’absence de normativité de l’article préliminaire passée sous silence, la question se pose

alors de savoir si ce texte peut trouver application.

Outre M. Putman, qui avait d’ores et déjà répondu par l’affirmative, trois pénalistes ont

esquissé une réponse. Les deux premiers, se demandant ce que l’on pourrait attendre de

principes directeurs qui n’ont rien de nouveau, répondent : « Il ne faut pourtant pas

dédaigner que l’inscription des principes directeurs en tête d’un code n’est jamais simple

révérence ou simple esthétisme. Ils deviennent principes appliqués et fournissent les

fondements mêmes des règles subséquentes, déterminant la manière dont elles doivent être

lues, interprétées ou réinterprétées»740. Les auteurs estiment par ailleurs que la formulation

de tels principes dans l’article préliminaire « devrait permettre un meilleur contrôle par la

Cour de cassation ». Mme Mayer est allée plus loin. Tenant pour acquis que les principes

préliminaires joueraient un rôle interprétatif et qu’ainsi ils permettraient de lever les

ambiguïtés d’autres articles plus précis du code ou même de combler les lacunes de la loi,

elle a soulevé par avance l’une des difficultés que pourrait alors poser l’article préliminaire.

En effet, quid en cas de contradiction entre l’article préliminaire et une autre disposition du

736 CH. LAZERGES, Le projet de loi renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, op. cit., p. 167. 737 CH. LAZERGES, La présomption d’innocence, op. cit., p. 498. 738 S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 367. 739 P. TRUCHE, Introduction à l’article préliminaire du Code de procédure pénale, op. cit., p. 9-10. 740 P. COUVRAT et G. GIUDICELLE-DELAGE, Rapport de synthèse, Une nouvelle procédure pénale ? Étude de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, Rev.sc.crim., 2001, p. 139.

Le discours sur les sources positives

243

code ? L’auteur estimait alors que le juge pourra, afin de respecter la volonté du législateur,

écarter la disposition qui ne respecterait pas l’un ou l’autre des principes directeurs741.

Il apparaît avec ces quelques opinions que la Cour de cassation pourrait être amenée à

utiliser l’article préliminaire du Code de procédure pénale nonobstant l’inutilité affichée de

ce dernier. Or, il s’agit là probablement de la meilleure explication de la réserve générale

qui caractérise le discours doctrinal sur ce texte. Cela est particulièrement vrai pour son

paragraphe III énonçant la présomption d’innocence. Le « débat » doctrinal sur l’utilité et

en filigrane la normativité de ce texte traduit les réserves des auteurs. Il y aurait semble-t-il

à craindre que la jurisprudence se mette à explorer les possibles de ce texte. Ce risque avait

d’ailleurs déjà été évoqué devant la commission de réflexion sur la justice par un magistrat :

« la présomption d’innocence, une fois posée dans le Code de procédure pénale, serait à la

fois un droit de la personne, un dispositif procédural, un système de preuve. Elle pourrait

fonder toutes sortes d’exceptions soumises par la défense, et créer un risque considérable

d’insécurité juridique »742. Au-delà de la seule question de la présomption d’innocence,

c’est une idée semblable qui se glisse dans l’ouvrage de MM. Merle et Vitu743. La

généralité, l’abstraction et l’imprécision des principes formulés dans l’article préliminaire

du Code de procédure pénale semblent donc inquiéter les pénalistes. Un auteur a d’ailleurs

tenu à expliquer que l’essence programmatique de ces principes interdit toute conception

puriste de ceux-ci, et qu’il est tout à fait inconcevable de les établir puis de les appliquer

jusqu’à leurs dernières conséquences744.

Ainsi l’accueil réservé à l’article préliminaire, d’un point de vue général aussi bien qu’en

ce qui concerne son paragraphe III relatif à la présomption d’innocence, se distingue-t-il

nettement de celui que la doctrine avait finalement consenti à l’article 9-1 du Code civil. De

cette constatation et de ce qui précède, il est possible de tirer plusieurs remarques.

223. Le pouvoir doctrinal sur l’interprétation de la légalité de la présomption

d’innocence. Au cours du XXe siècle, l’absence de consécration légale de la présomption

d’innocence avait parfois été justifiée par la trop grande généralité et abstraction du

principe. Cette raison trouve semble-t-il à s’exprimer à nouveau à l’aube du XXIe siècle

dans la présentation de l’article préliminaire du Code de procédure pénale. En effet, si la

doctrine a su intégrer parfaitement l’article 9-1 du Code civil au titre des sources formelles

de la présomption d’innocence, il en va tout autrement du paragraphe III de l’article 741 Ce qui permettait à Mme Mayer de conclure à un possible contrôle du législateur par le juge pénal, V. D. MAYER, Vers un contrôle du législateur par le juge pénal ? D. 2001, p. 1643 et s. 742 V. F. TERRIER, in Rapport de la commission de réflexion sur la justice, op. cit. , annexes, p. 110. 743 V. Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit. , n° 147, où les auteurs relèvent que le contenu et la portée du catalogue, qu’est l’article préliminaire, ne cesseront d’être objet de critique et de discussions. 744 H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit., p. 15.

Le discours sur l’objet

244

préliminaire. Or, si la doctrine a contribué à légitimer la création d’un nouveau droit

subjectif en l’intégrant pleinement dans son discours sur la présomption d’innocence, il en

va inversement pour l’article préliminaire. Le peu d’intérêt manifesté pour l’étude de ce

texte, son inutilité proclamée et le refus de prédire ses applications futures tendent, en effet,

à réduire considérablement la portée de cette nouveauté. Ainsi, l’interprétation de la légalité

de la présomption d’innocence ne concerne que fort peu l’article préliminaire. Il en résulte

désormais l’idée que cette nouvelle disposition n’ajoute rien à la consécration de la

présomption d’innocence, elle n’est qu’un rappel sans conséquence pratique. Or cette façon

de présenter le droit positif ne saurait être sans influence sur la transmission du savoir sur la

présomption d’innocence. En effet, il n’est pas tout à fait anodin, par exemple, qu’un

professeur de droit s’adressant à une assemblée de futurs avocats et magistrats, affirme que

l’article préliminaire n’est pas clair, qu’il est mal organisé et enfin qu’il est inutile745.

La doctrine a un rôle à jouer dans la création du droit746, et ce rôle peut tout aussi bien

s’exercer par la construction d’un discours réservé. On pourrait dire avec M. Batiffol que la

doctrine accomplit là son devoir de prudence. Face à un texte dont elle estime que les

énonciations vagues autoriseraient à lui faire dire tout et n’importe quoi, la doctrine se

montre prudente et choisit ne pas anticiper ses éventuelles applications. Ce pourrait bien

être ce phénomène qui vient d’être décrit à propos de l’article préliminaire du Code de

procédure pénale. La doctrine pénaliste respecte, d’une certaine façon, cette mise en garde

du doyen Batiffol : « Si les auteurs voulant trouver les raison d’être des lois et les

implications qu’elles enveloppent, vont trop vite, trop loin, ils travaillent dans le vide. Ils

sont donc responsables de ces erreurs ; et vis-à-vis des juges, ils apparaissent comme

irresponsables, donc diminuant l’autorité de la doctrine »747. Cette responsabilité, les

pénalistes ont choisi de la laisser endosser au juge. Or, ce dernier semble disposer, contre

toute attente doctrinale, à donner quelque application à l’article préliminaire.

224. Les limites du pouvoir doctrinal. En effet, et comme pour démentir les jugements les

plus sévères sur l’inutilité de ce texte, depuis 2001 la Cour de cassation a rendu plusieurs

décisions visant l’article préliminaire aux côtés des textes de la Convention européenne,

voire même en substituant d’office les dispositions de l’article préliminaire à celles de la

Convention748. Il devient donc plus difficile aux auteurs d’affirmer l’inutilité de ce texte en

745 La professeur Patrick Maistre du Chambon s’exprimait alors dans le cadre d’une conférence organisée en mars 2003 par l’institut d’études judiciaires d’Aix-en-Provence. Cette conférence portait justement sur la présomption d’innocence et les étudiants préparant les concours de l’ENM et du CRFPA avaient été vivement conviés à y assister. 746 H. BATIFFOL, La responsabilité de la doctrine dans la création du droit, RRJ. 1981, p. 175. 747 La responsabilité de la doctrine dans la création du droit, op. cit., p. 183. 748 Pour l’évolution de son application par la Cour de cassation, V. S. LAVRIC et G. ROYER, L’article préliminaire et le principe d’impartialité en procédure pénale, D. 2005, p. 1138 (particulièrement la deuxième partie de l’étude intitulée : « L’autonomie normative conféré à l’article préliminaire dans la

Le discours sur les sources positives

245

arguant de son double emploi avec les dispositions de la Convention749. Reste que ces

premières décisions rendues n’avaient pas pour objet l’application du paragraphe III,

autrement dit la présomption d’innocence. Cela dit, dans un arrêt de 2003 le demandeur au

pourvoi avait invoqué la violation de l’article préliminaire et de la présomption d’innocence

à propos d’un rapport d’expertise rédigé dans un style qui lui semblait se prononcer sur la

culpabilité. La chambre criminelle avait rejeté l’argument et le pourvoi750. Ce n’est pas, loin

s’en faut, la première fois qu’une violation de la présomption d’innocence alléguée dans un

pourvoi (généralement en invoquant l’article 6§2 Conv. EDH) est écartée par la chambre

criminelle. Les auteurs ne s’en émeuvent pas pour autant. Toutefois, cette décision de rejet a

suffisamment retenu l’attention de la doctrine pour qu’un auteur en fasse le commentaire ;

mais c’est uniquement dans le dessein d’approuver entièrement la décision de la Cour de

cassation751. À cette occasion l’auteur ne dissimule pas son opinion critique à l’endroit de

l’article préliminaire et de l’utilisation que l’on pourrait être tenté d’en faire. Ainsi, ayant

relevé que le texte est fortement inspiré de la Convention européenne, l’auteur juge qu’il

« est en passe de subir le même sort que celle-ci : être servi à toutes les sauces ». On pourra

en outre se convaincre de la persistance de cette opinion en prêtant attention aux titres que

cet auteur choisit pour ses chroniques de jurisprudence752.

Une chose semble donc certaine, si à l’avenir la jurisprudence doit censurer les juges du

fond sur le fondement du paragraphe III de l’article préliminaire, ce ne sera certainement

pas sur proposition ou encouragement de la doctrine pénale.

Il n’en reste pas moins que l’article préliminaire s’est vu ainsi reconnaître une véritable

portée normative par la Cour de cassation753. Ce texte vient alors s’ajouter aux autres textes

jurisprudence ») ; adde. A. GIUDICELLI, Premières applications jurisprudentielles de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, Rev.sc.crim., 2003, p. 122 ; également, les chroniques de Albert Maron à la revue Droit pénal. 749 On notera d’ailleurs qu’en dépit de la faible réception de ce texte en doctrine, cette dernière s’adapte parfaitement aux décisions de la Cour de cassation puisque désormais, la revue Droit pénal comporte une rubrique spécialement intitulée « Article préliminaire ». 750 Cass. crim., 29 octobre 2003, Bull. n° 205. La cour avait en effet estimé : « qu’il ne résulte d'aucun des textes visés au moyen, ni d'aucun principe de procédure pénale, que l'accomplissement d'une mission d'expertise psychiatrique, relative à la recherche d'anomalies mentales susceptibles d'annihiler ou atténuer la responsabilité pénale du sujet, interdise aux médecins experts d'examiner les faits, d'envisager la culpabilité de la personne mise en examen, et d'apprécier son accessibilité à une sanction pénale ». 751 A. MARON, Article préliminaire es-tu là ? note sous Cass. crim., 29 octobre 2003, Dr. pén. 2004, comm. n° 27. En effet, l’auteur écrit : « On ne peut, pour autant, qu’approuver la limite à la présomption d’innocence qu’assigne ici la chambre criminelle ». 752 L’article préliminaire a encore frappé, note sous Cass. crim., 7 octobre 2003, Dr. pén. 2004, comm. n° 13 ; Article préliminaire es-tu là ?, note sous Cass. crim., 29 octobre 2003, Dr. pén. 2004, comm. n° 27 ; N’allez pas chercher dans la Convention européenne ce qui se trouve dans l’article préliminaire… , note sous Cass. crim., 6 janvier 2004, Dr. pén. 2004, comm. n° 74 ou encore : Des multiples usages de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, JCP. 2004 I 105. 753 Le rapport annuel de la Cour pour l’année 2003 signale d’ailleurs, à propos d’un arrêt du 7 octobre 2003 (pourvoi n° 02-88.383) ayant visé l’article préliminaire, que la valeur normative de ce dernier « s’affirme chaque jour davantage ». Depuis, la reconnaissance de cette valeur normative se poursuit en même temps qu’elle dément la majorité des opinions doctrinales qui la niaient et qu’elle dépasse de loin

Le discours sur l’objet

246

ayant consacré la présomption d’innocence et lui ayant déjà attribué une valeur supérieure à

celle de la loi française. Il y a donc, en apparence au moins, pléthore de sources. C'est ce

dont témoigne le discours doctrinal sur la présomption d’innocence mais qui n’est pas sans

susciter quelques interrogations.

B- LA RÉFÉRENCE AUX AUTRES SOURCES

225. Pluralité de sources et valeur juridique. L’adoption récente de l’article préliminaire

du Code de procédure pénale vient allonger la liste des textes qui servaient déjà de support à

la présomption d’innocence et que le discours doctrinal ne manque pas d’énumérer. Cette

référence s’apparente aujourd’hui en quelque sorte à une litanie des sources textuelles, sans

comparaison avec la présentation qui peut être faite d’autres règles ou principes pouvant

eux aussi se prévaloir d’une énonciation dans divers supports. Cette litanie des sources, à

laquelle semble se cantonner le discours doctrinal, soulève la question d’une part, de la

valeur juridique de la présomption d’innocence et d’autre part, de sa nature et de sa portée.

1) La litanie des sources

226. Les textes consacrant la présomption d’innocence. Aucun discours sur la

présomption d’innocence ne semble pouvoir échapper à l’énumération pléthorique de tous

les textes, français et internationaux, voire même étrangers, l’ayant consacrée. La littérature

juridique porte parfois une appréciation critique sur cette abondance de « monuments élevés

à la gloire de la présomption d’innocence »754 qui l’affirment et l’affirment encore755. Cela

n’empêche pourtant pas les auteurs de reproduire cette liste , le plus souvent de façon très

complète : article 9 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, article 11§1 de la

Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, article 6§2 de la Convention

européenne des droits de l’homme de 1950, article 14§2 du Pacte international relatif aux

droits civils et politiques de 1966, article 9-1 du Code civil, article préliminaire III et enfin

article 48§1 de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne de 2000. La

litanie des sources, pour être d’abord le fait des États ayant signé les traités concernés et

consacré la présomption d’innocence en droit interne, se poursuit donc dans le discours

savant sur la présomption d’innocence.

les intentions du législateur. Ce dernier n’avait pas envisagé explicitement la fonction normative du texte comme en témoigne de façon courageuse Mme Christine Lazerges : « Rapporteure du texte, il m’est pourtant difficile d’expliquer comment il se fait que lors des débats techniques en commission des lois à l’Assemblée nationale, la question de la portée normative de l’article préliminaire ait été éludée, alors que siégeaient à la commission des lois quatre professeurs de droit… », V. De l’écriture à l’usage de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, in Le champ pénal, Mélanges en l’honneur du professeur Reynald Ottenhof, Paris, Dalloz, 2006, p. 83. 754 W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 49. 755 V. J.-H. SYR, Présomption d’innocence et présomption de culpabilité, op. cit., p. 59, qui se demande pourquoi un tel besoin d’affirmation et de réaffirmation constante et renonce quant à lui à énumérer et même à compter « la multitude de dispositions conventionnelles et législatives visant à renforcer ce principe ».

Le discours sur les sources positives

247

227. L’énumération. On aurait pu penser que ces textes seraient analysés par les auteurs,

coordonnés, classés, hiérarchisés en fonction notamment de leur valeur dans l’ordre

juridique. Tel est pourtant rarement le cas. En effet, le plus souvent la doctrine se contente

d’une énumération qui a pour seul critère l’ordre chronologique des textes756, auquel

s’adjoint parfois, ou se substitue, le critère de leur origine interne ou externe au droit

français757. Désormais quelques auteurs, tout en s’adonnant à l’énumération des textes,

décident d’en faire une présentation prenant en compte la hiérarchie des normes c'est-à-dire

leur valeur dans l’ordre interne758. La Convention européenne se voit alors attribuer une

place particulière dans la mesure où elle est d’application directe en droit français et qu’elle

a servi de canevas à l’élaboration de l’article préliminaire du Code de procédure pénale.

Toutefois, la valeur de ces textes, et par conséquent de celle de la présomption d’innocence,

paraît être une question reléguée au second rang. L’énumération ne semble pas avoir pour

fonction de décrire scrupuleusement les sources positives de la présomption d’innocence

mais plutôt d’indiquer qu’elle existe bien, même par delà nos frontières puisque les textes

internationaux s’imposent également à d’autres États. Le recours au droit comparé s’inscrit

d’ailleurs lui aussi dans cette litanie des sources.

Le droit pénal comparé a en effet les faveurs des pénalistes et M. Pradel, qui s’avoue

féru de cette discipline759, en est à l’heure actuelle l’un des meilleurs représentants en

France. L’étude de la présomption d’innocence n’a pas échappé à cet engouement, mais

l’intérêt de recourir aux autres systèmes juridiques y est peut-être plus grand ici encore, au-

delà même de l’inspiration que les autres systèmes peuvent susciter en France.

En effet, les études comparatistes portant sur la présomption d’innocence ont eu pour

effet de renforcer l’idée de son existence, et ce au moins de deux manières. C’est tout

d’abord par l’effet même de la comparaison (qui suppose deux objets suffisamment

semblables) que l’existence de la présomption d’innocence se trouve affirmée. C’est ensuite

756 V. par exemple : C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 81-82 ; W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 49 ; B. BOULOC, Présomption d’innocence et droit pénal des affaires, op. cit., p. 465 ; J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195 ; S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n°1 ; J. PRADEL, Procédure pénale, 12e éd., op. cit., n° 384. 757 V. par exemple : H. DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, op.cit, n°12 et s.; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 6 à 9. 758 J.-H. SYR, Présomption d’innocence et présomption de culpabilité, op. cit., qui se réfère d’ailleurs en tout premier lieu à l’article 6§2 de la Conv. EDH ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 481et s; C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, 6e éd., op. cit., p. 103. 759 S’agissant de la présomption d’innocence, on observera que le professeur Pradel a dirigé la thèse de Mlle Daoulas: Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, op. cit. Les développements que l’auteur consacre à la présomption d’innocence dans son manuel de procédure pénale sont assortis depuis longtemps de références au droit comparé, V. Procédure pénale, 12e éd., op. cit., bibliographie et n° 384. En outre, M. Pradel est l’auteur d’un ouvrage de droit comparé où de substantiels développements sur la présomption d’innocence prennent place au titre de la preuve pénale, V. Droit pénal comparé, Dalloz, 2e éd., 2002, n° 299 et s.

Le discours sur l’objet

248

par le résultat de cette comparaison. Ainsi, s’il s’avère que dans certains systèmes, comme

le droit anglais, la présomption d’innocence subit quelques atteintes, l’idée que la

présomption d’innocence existe bien en France se voit alors renforcée760 et ce en dépit des

atteintes qu’elle peut également y subir. La démarche comparatiste était d’ailleurs celle de

M. Essaïd qui, au titre des sources positives de la présomption d’innocence, consacrait déjà

des développements aux autres systèmes juridiques761. Enfin, c’est en étudiant le droit

comparé de la preuve pénale que la littérature juridique a cru pouvoir affirmer la

reconnaissance quasi universelle du principe de la présomption d’innocence762. Toutefois,

ces études montrent assez bien que les sources de la présomption d’innocence sont très

différentes d’un pays à l’autre, témoignant ainsi de la valeur variable qui lui est reconnue de

par le monde. Ce qui n’est pas pour autant un obstacle à l’affirmation de l’existence de la

présomption d’innocence. En vérité, la même question devrait se poser à propos des sources

de la présomption d’innocence en droit français. Quelle valeur lui confèrent-elle ? À cette

question, le discours doctrinal tente enfin de répondre, après un certain silence.

2) L’appréciation de la valeur de la présomption d’innocence au regard des diverses

sources

228. Une valeur bien relative. L’énumération pléthorique des sources de la présomption

d’innocence s’est, jusqu’à une période très récente, rarement accompagnée d’une réflexion

sur sa valeur juridique. La référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

comme source de la présomption d’innocence s’est largement passée, durant un temps,

d’aborder cette question. C’est, on le sait, le Conseil constitutionnel qui a permis après

coup, de donner son sens à cette référence doctrinale. Or la même question pourrait se poser

pour les autres textes cités pêle-mêle par les auteurs. À bien y regarder, la valeur juridique

de la présomption d’innocence résultant de ces textes n’apparaît pas évidente. Un simple

effort de mémoire suffit en effet à en relativiser le poids en droit français.

229. Valeur de la Déclaration universelle. Tout d’abord, si les auteurs se plaisent à

rappeler que la présomption d’innocence a été consacrée par la Déclaration universelle des

droits de l’homme, cette référence n’a pas pour objet d’attester de la valeur juridique du

principe dès lors que cette déclaration n’a jamais eu que la valeur d’une déclaration

760 H. DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, op. cit. ; J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit. ; Mais aussi, bien sûr, les actes du colloque organisé par centre français de droit comparé : La présomption d’innocence en droit comparé, op. cit. 761 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 64 et s. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’affirmer l’existence de la présomption d’innocence par référence aux droits étrangers qui la reconnaissent, mais encore de montrer que nombre d’autres pays l’ont reconnu sous l’influence du droit français, particulièrement les pays africains. 762 V. Rev.int.dr.pén., 1992, p. 57 et s.

Le discours sur les sources positives

249

d’intention de la part des États signataires763. La reconnaissance symbolique et universelle

de la présomption d’innocence, au lendemain des horreurs de la guerre, peut expliquer cette

référence. Elle demeure néanmoins assez faible, notamment au regard des conditions dans

lesquelles la présomption d’innocence a été introduite dans cette déclaration. En effet,

l’affirmation de cette garantie n’allait pas de soi puisque les divers projets de déclaration ne

la mentionnaient pas. C’est, vraisemblablement sous l’influence de René Cassin, ou à tout

le moins des délégués français764, que le texte définitif énonce la présomption

d’innocence765.

230. Valeur de la Convention européenne. En revanche, tout en reprenant pour l’essentiel

le texte de la Déclaration universelle, la Convention européenne de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales a une valeur juridique certaine en droit français ; par

le truchement de l’article 55 de notre Constitution elle a même une valeur supérieure à la

loi. Cela est bien connu et d’ailleurs souvent souligné dans le discours sur la présomption

d’innocence. L’article 6§2 de cette Convention apparaît même comme l’une ou la meilleure

des formulations du principe de la présomption d’innocence mais aussi sa plus forte

expression juridique dans notre droit. C’est donc aujourd’hui un lieu commun de dire que la

présomption d’innocence est garantie au niveau européen, à tel point que la violation de

l’article 6§2 est un moyen fréquemment invoqué dans les pourvois en cassation.

Néanmoins, ici encore le discours doctrinal ne rend pas compte d’une réalité juridique

pourtant criante. Signée en 1950, la Convention européenne des droits de l’homme n’a été

ratifiée par la France qu’en 1974 et donc applicable seulement à compter de cette date. On

doit ajouter que l’avancée par rapport à la Déclaration universelle résidait dans la création

d’une juridiction chargée de veiller à la bonne application du texte et de sanctionner ces

éventuelles violations par les États. Ainsi s’assurait-on que les droits de l’homme et les

763 Le préambule de la déclaration l’exprime d’ailleurs clairement : « L'Assemblée Générale proclame la présente Déclaration Universelle des Droits de l'Homme comme l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l'esprit, s'efforcent, par l'enseignement et l'éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d'en assurer, par des mesures progressives d'ordre national et international, la reconnaissance et l'application universelles et effectives (…) ». 764 Les observations de M. Henrion vont en ce sens puisque l’auteur relève à la fois l’absence de référence à la présomption d’innocence dans les projets anglais et américains et l’influence certaine de René Cassin, V. La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 234 et s. 765 C’est ce qui résulte des recherches menées par Marc Agi. Les ouvrages qu’il a consacrés au célèbre juriste présentent en annexes divers projets de déclarations, dont l’un des plus importants, celui établi par le secrétariat des Nations Unies sous la direction du canadien John Humphrey. Or, ce dernier ne prévoyait pas d’inscrire la présomption d’innocence dans la Déclaration. En revanche, elle apparaissait dans le projet Cassin et dans une formulation qui n’est pas sans rappeler celle du texte définitif. V. M. AGI, René Cassin, prix Nobel de la paix, père de la déclaration universelle des droits de l'homme, Paris, Perrin 1998, annexes 8 et 9 et du même auteur : René Cassin, fantassin des droits de l’homme, Paris, Plon, 1979, p. 325. On peut toutefois signaler l’existence d’un débat quant à la paternité de l’avant projet de déclaration. Celui-ci est relaté par Mme Fauré qui observe que la rivalité entre Humphrey et Cassin masquait en réalité une tension entre américains et français, V. CH. FAURÉ, Ce que déclarer des droits veut dire : histoires, Paris, PUF, 1998, p. 201 et s.

Le discours sur l’objet

250

libertés fondamentales, dont la présomption d’innocence fait partie, pourraient être garantis

de façon effective. L’un des intérêts essentiels était donc de pouvoir saisir la Commission

des droits de l’homme. Or, faut-il rappeler que cette saisine directe n’est ouverte aux

justiciables français que depuis la fin de l’année 1981 ? Ainsi, la garantie effective de la

présomption d’innocence s’avère beaucoup plus récente que les auteurs ne le laisseraient

penser. On pourra objecter que les pénalistes n’ont pas à reprendre l’histoire de la signature

puis de la ratification de tel ou tel traité chaque fois qu’une de ses dispositions est évoquée.

On tient toutefois ici à souligner combien la construction du discours sur les sources

parvient à évincer la question de la valeur juridique de la présomption d’innocence.

Manifestement, cette question est embarrassante. Dans les années soixante, énumérant les

sources du principe, M. Essaïd n’hésita pas à évoquer la garantie de la présomption

d’innocence offerte par la Convention européenne mais, il dut alors concéder que la France

était le seul pays signataire à ne pas l’avoir encore ratifiée. Autrement dit, l’auteur admit

que ce texte, et donc la présomption d’innocence, ne faisait pas (encore) partie intégrante de

notre droit positif. Tous les auteurs n’ont pas été aussi précis et rigoureux dans la

présentation de cette source particulière qu’est la Convention européenne.

Dans leur traité de 1973, MM. Merle et Vitu ont fait le choix de citer, aussi bien la

Déclaration universelle que la Convention européenne et ce en dépit de leur absence de

valeur juridique. D’autres auteurs ont en revanche préféré ignorer purement et simplement

son existence766. Pour autant, il n’est pas certain que ce soit exclusivement en raison de son

absence d’applicabilité en droit interne. En effet, d’une part certains n’hésitent pas à se

référer la Déclaration universelle767 et d’autre part il est probable que la Convention

européenne n’ait pas reçu, à l’époque, toutes les faveurs qu’on peut lui reconnaître

aujourd’hui. Le silence des pénalistes et leur apparent désintérêt pour la Convention dans

les années qui suivirent son adoption, pourraient n’être que la traduction des réticences

exprimées par la France à l’égard de cet engagement. C’est en tout cas ce qu’a suggéré le

professeur Merle en tentant de confronter notre justice pénale au texte de la Convention768.

L’auteur a ainsi mis en évidence la difficulté qu’éprouve finalement la France à admettre

une garantie des droits de l’homme pour les justiciables du droit pénal769. On pourrait enfin

766 V. G. STÉFANI, Cours de droit pénal général et procédure pénale, op. cit., 1966-67 ; P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit. ; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit. 767 L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit. ; G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit. 768 R. MERLE, La Convention européenne des droits de l’homme et la justice pénale française, D. 1981, Chr. p. 227. L’auteur débute en observant que la Convention occupe une place assez modeste dans les discussions des pénalistes français et que les commentaires sont rares. 769 Dans l’énumération des principes relevant du droit pénal et garantis par la Convention, on remarquera que l’auteur ne fait aucune allusion à la présomption d’innocence.

Le discours sur les sources positives

251

observer que l’article 48§1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne770,

parfois cité au titre des sources de la présomption d’innocence, est pour l’heure dépourvu de

toute valeur juridique. L’intégration de la Charte dans le traité instituant une Constitution

pour l’Europe a pour effet de rendre son sort incertain, particulièrement en France où

l’adoption de ce traité a été rejetée.

231. Une question évincée. L’élaboration du discours sur les sources de la présomption

d’innocence évince donc bel et bien la question de la valeur juridique du principe. Si

aujourd’hui cela paraît moins évident en raison de la force d’attraction de la Convention, il

n’en reste pas moins vrai que durant la première moitié du XXe siècle la question de

l’existence de la présomption d’innocence ne supposait pas de poser celle de la valeur

juridique de cette dernière. Le silence actuel des auteurs pourrait être interprété comme un

acquiescement de la façon dont le discours sur les sources s’est précédemment construit. En

effet, il n’existe semble-t-il aucune rupture dans ce discours qui se construit davantage par

accumulation que par réfutation. On constate alors que le discours, en négligeant d’aborder

de front la question de la valeur de la présomption d’innocence, masque en partie la

difficulté de la reconnaissance de celle-ci dans notre droit. L’évidence de cette

reconnaissance est en effet loin d’être acquise si l’on songe tout d’abord aux circonstances

dans lesquelles la présomption d’innocence a été inscrite dans certains des textes énumérés.

On se souviendra à cet égard que sa consécration dans la Déclaration des droits de l’homme

et du citoyen, dans la Déclaration universelle ou encore à l’article 9-1 du Code civil n’était,

à chaque fois, pas projetée d’avance et n’a eu lieu finalement qu’in extremis. Ensuite, la

reconnaissance en droit interne peut sembler fragile au regard de la relative valeur juridique,

dans le temps, de certains des sources formelles. De cette difficile reconnaissance, le

discours ne fait pas mention. Il tend davantage à « gommer les aspérités » et à donner de la

présomption d’innocence une représentation en quelque sorte intemporelle, dégagée de

toute évolution quant à sa portée, sa valeur ou même sa nature. En effet, ces dernières

questions n’ont, elles non plus, pas été formulées pendant des années.

3) Nature et portée de la présomption d’innocence au regard des diverses sources

232. Unité ou diversité ?. La présomption d’innocence est affirmée, mentionnée,

consacrée …par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Déclaration

universelle des droits de l’homme, la Convention européenne, le Pacte international relatif

aux droits civils et politiques, l’article 9-1 du Code civil, l’article préliminaire III du Code

de procédure pénale. Si une telle affirmation assure de l’existence de la présomption

d’innocence, elle soulève néanmoins une question. En effet, ne pourrait-on pas se demander

dans quelle mesure ces textes visent le même objet ? La doctrine ne semble quant à elle pas 770 Qui reprend le paragraphe 2 de l’article 6 de la Conv. EDH.

Le discours sur l’objet

252

en douter. Il existe « une » présomption d’innocence dont chacun de ces textes témoigne.

Quelle qu’en soit la rédaction exacte, la personne, l’homme ou l’accusé sont, aux termes de

ces textes, présumés innocents. De là apparaît évidente la nature de cette règle : il s’agit

d’une présomption, comme son nom l’indique. Pourtant, cette qualification pourrait prêter à

contestation. De plus, quand bien même elle serait admise, il ne serait pas inutile de se

demander si ces divers textes confèrent bien la même nature et la même portée à la

présomption d’innocence.

Alors que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen autorisait à élever la

présomption d’innocence au rang d’un droit de l’homme, les premiers criminalistes ne l’ont

présentée que comme une règle d’attribution de la preuve et lui ont donc reconnu une nature

de présomption au sens où l’entend la technique juridique771. Cette qualification disparaît

pourtant peu à peu de la littérature juridique. Les auteurs, probablement sous l’impulsion de

la jurisprudence de Strasbourg, sont désormais plus enclins à ranger la présomption

d’innocence parmi les droits de l’homme. Cela étant, la loi du 4 janvier 1993, en créant

l’article 9-1 du Code civil, est venue ajouter à ces qualifications. Désormais, on peut donc

lire sous la plume de nombreux auteurs que la présomption d’innocence est un droit

subjectif. Parallèlement, on a pu parler du principe de la présomption d’innocence, principe

qualifié de général, cardinal, directeur, ou encore tutélaire. Enfin, plus rarement certains

auteurs ont suggéré que la présomption d’innocence était en réalité une fiction.

Qu’en est-il vraiment de la nature de la présomption d’innocence ? On ne saurait

probablement sélectionner ni éliminer au sein de l’énumération, tant ces diverses

qualifications semblent correspondre à une certaine réalité juridique. Au fil du temps le

discours sur la présomption d’innocence s’est donc chargé d’une accumulation de

qualifications sans qu’aucune ne soit véritablement préférée aux autres ni qu’aucune ne

disparaisse vraiment. Aucune cependant n’a donné lieu à discussion. On remarquera en

effet que, d’une part, les mêmes auteurs usent parfois des qualifications de façon cumulative

et, d’autre part, que le choix de telle ou telle qualification par les uns n’est pas contesté,

discuté par les autres. Ainsi, n’existe-t-il pas de controverse doctrinale au sujet de la nature

de la présomption d’innocence. On peut toutefois signaler que MM. Merle et Vitu ouvrent

la discussion dans la dernière édition de leur traité, où ils font observer qu’il vaut mieux la

considérer comme un principe général du droit procédural plutôt que comme une

présomption dans la mesure où la présomption d’innocence ne repose pas sur la

vraisemblance et qu’elle a seulement pour effet de désigner celui sur qui pèsera la

preuve772.

771 On a même plus précisément parlé de présomption légale d’innocence, V. supra, n° 205 et s. 772 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 143.

Le discours sur les sources positives

253

L’accumulation, on pourrait probablement dire également la sédimentation773, ne fait ici

que renforcer l’idée que notre droit reconnaît la présomption d’innocence et que cette

reconnaissance a une grande valeur. Mais la question de la nature juridique de la

présomption d’innocence n’a pas été vraiment envisagée, surtout pas pour elle même. Il a

fallu attendre l’initiative de M. Henrion pour que soit sérieusement étudiée cette question.

L’existence de cette étude témoigne a elle seule du silence doctrinal qui régnait jusqu’alors

et qu’elle vient briser774. Au seuil de son travail, l’auteur souligne lui aussi la disparité des

qualifications légales, jurisprudentielles et doctrinales disponibles et pose la question de

leur éventuel cumul ou de leur caractère alternatif775.

Principe, droit ou fiction, sont trois des natures admises en doctrine, chacune mérite que

l’on s’y arrête un instant.

233. Principe. Dès l’étude fondatrice de M. Patarin la présomption d’innocence se voit

désignée comme un principe. Aujourd’hui il paraît difficile de se passer de ce qualificatif

tant il paraît évident et peu discutable. La nature de principe ainsi reconnue à la

présomption d’innocence est déclinée sous diverses formes dont toutes ne renseignent pas

sur la nature juridique exacte du principe. Ainsi la présomption d’innocence est-elle

désignée comme un simple principe, un principe général, un principe constitutionnel, un

principe fondamental, un principe directeur, un principe tutélaire ou encore un principe

cardinal. Au-delà de cette déclinaison d’attributs, on relèvera que les usages du mot principe

sont divers, qu’ils répondent à plusieurs des définitions proposées par le Vocabulaire

juridique Cornu et que le plus souvent les auteurs se réfèrent indistinctement à plusieurs

sens en même temps.

Tout d’abord, la présomption d’innocence est qualifiée de principe parce que telle aurait

été la volonté des constituants en la consacrant dans l’article 9 de la Déclaration des droits

de l’homme776. Dans cette acception, la présomption d’innocence est le principe qui justifie

la limite des atteintes que l’on peut porter à la liberté des individus en procédant à leur

arrestation. 773 Le phénomène de sédimentation est une des lois du savoir juridique qu’énonce le professeur Atias. « Il tient à l’existence d’une collectivité de juristes dont les générations se succèdent, dont les formations diffèrent et qui ne peuvent maîtriser ni leur langue, ni les concepts et principes mis en œuvre. Il tient surtout à l’emploi de termes trop riches, trop évocateurs, trop chargés de traditions et d’expérience pour répondre à une définition qui en contiendrait les sens et le dynamisme propre », V. Épistémologie juridique, op. cit., n° 312-319. 774 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 14-1. 775 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 6-2 et 6-3. 776 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7 ; J. et A. LARGUIER, La protection des droits de l’homme dans le procès pénal, Rev.int.dr.pén., 1966, p. 131 ; M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 7 ; G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit., p.15 ; P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., n° 4 et s ; F. CASORLA, Le droit français, rapport in La preuve en procédure pénale comparée, Rev.int.dr.pén., 1992, p. 184 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n°7.

Le discours sur l’objet

254

D’une toute autre manière, la présomption d’innocence est également qualifiée de

principe parce qu’elle se présente comme la règle générale qui règle le fardeau de la preuve.

Ainsi les auteurs la désignent-ils comme le principe qui attribue la charge de la preuve à

l’accusation dans un procès pénal.

La présomption d’innocence est en outre désignée comme un principe général. Il

convient d’entendre cette référence dans le sens où la formulation de la présomption

d’innocence est générale, abstraite, au point qu’il avait paru difficile, à la veille de son

adoption, de la faire figurer dans le Code de procédure pénale.

Il est par ailleurs fréquent que la qualification de principe résulte d’un choix dans

l’articulation du discours. En effet, les auteurs choisissent, plus volontiers depuis quelques

années, de présenter la présomption d’innocence en énonçant tout d’abord qu’il s’agit d’un

principe, qui comporte néanmoins des limites, tempéraments ou exceptions777 qui sont

exposées dans un second temps. Cet usage du mot principe relève de la dialectique

principe/exception à laquelle s’ajoute parfois la dialectique théorie/pratique. En effet,

certains auteurs entendent par là souligner le caractère théorique et abstrait de la

présomption d’innocence qui est parfois très distant de la réalité pratique778.

Plus récemment, la présomption d’innocence a été présentée comme un principe

fondamental du droit pénal, un principe cardinal, puis un principe directeur. Toutes

qualifications qui témoignent de sa généralité mais qui dessinent également la nouvelle

fonction attribuée à la présomption d’innocence. Fonction première, directrice, à l’instar des

principes directeurs inscrits en tête du Nouveau code de procédure civile et que le rapport

de la commission Delmas-Marty a largement contribué à faire progresser dans les esprits,

jusqu’à l’écriture effective d’un article préliminaire où figure la présomption d’innocence,

justement au titre des principes directeurs du procès pénal.

Enfin, si la présomption d’innocence est, quelques fois, qualifiée de principe

constitutionnel, c’est par références à plusieurs décisions que le Conseil constitutionnel a

fondées en partie sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. On

observera toutefois que la Cour de cassation, qui fonde rarement ses décisions sur la seule

référence à la présomption d’innocence, n’utilise cette qualification de principe qu’assez

rarement et en tout cas seulement depuis une période récente. Quel que soit le type de

décisions, rejet, cassation, ou cassation partielle, la Cour de cassation semble admettre la

777 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 4 et 16 ; G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, Revue juridique et politique, 1985, n°1-2, p. 693 et 696 ; J. LARGUIER, Procédure pénale, 18e éd., op. cit., p. 306 et s ; F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p. 226 et 228. 778 L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 257 ; G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit., p. 16.

Le discours sur les sources positives

255

présomption d’innocence comme un principe en se référant essentiellement à la Convention

EDH779.

Cet inventaire montre que, hormis l’allusion à sa constitutionnalité qui repose sur la

présence de la Déclaration des droits de l’homme dans le bloc de constitutionnalité, les

divers sens du mot principe dont la doctrine fait usage, ne sont pas directement tirés des

sources positives de la présomption d’innocence. L’usage qui est fait du mot principe pour

présenter la présomption d’innocence n’a donc qu’un faible lien avec les multiples sources

énumérées. On observera d’ailleurs que l’usage doctrinal du mot principe qui tend à faire de

la présomption d’innocence un fondement, une règle directrice, desquels découlent d’autres

règles et principes du procès pénal, n’apparaît pas à l’évidence. L’article 9 de la Déclaration

des droits de l’homme en est un exemple, il n’est pourtant pas le seul. Que dire de l’article 6

de la Convention européenne ? La présomption d’innocence ne figure qu’au second rang

des droits énoncés, il n’est pas le principe qui fonde le procès équitable dont traite le

texte780. Enfin, c’est la rédaction de l’article préliminaire du Code de procédure pénale qui

dément le caractère premier, fondamental de la présomption d’innocence. Envisagée dans le

troisième paragraphe du texte, la logique peine à lui reconnaître le caractère de principe

directeur dont découlent toutes les autres règles du procès pénal. L’affirmation du caractère

fondamental du principe de la présomption d’innocence fut d’abord doctrinale, le législateur

semblait avoir admis la chose, mais n’a pas su la traduire dans le texte781.

On le voit, si la présomption d’innocence peut sans difficulté être présentée comme un

principe, il est moins aisé de dire à quel titre elle mérite une telle qualification. Les usages

doctrinaux du terme principe sont trop nombreux et divers pour qu’il soit possible de 779 Les pourvois sont nombreux à alléguer une violation « du principe de la présomption d’innocence » ou une méconnaissance « du principe de présomption d’innocence ». La chambre criminelle n’y répond pas toujours et lorsqu’elle le fait, elle n’emploie pas nécessairement ces expressions. Il existe néanmoins plusieurs décisions, mais finalement peu nombreuses, dans lesquelles la Cour fonde la cassation ou le rejet du pourvoi en désignant la présomption d’innocence comme un principe. V. Cass. crim., 19 mars 1986, Bull. n° 113 ; Cass. crim., 28 novembre 1995, Bull. n° 360 ; Cass. crim., 10 juillet 1996, Bull. n° 289 ; Cass. crim., 25 octobre 2000, inédit titré, pourvoir n° 99-88140 ; Cass. crim., 20 juin 2001, Bull. n° 154. 780 En effet, la présomption d’innocence n’est pas le principe duquel découle l’exigence du procès équitable, la construction de l’article 6 de la Convention montre assez au contraire que c’est le paragraphe premier du texte qui constitue « la norme de base dont les paragraphes 2 et 3 représentent des applications particulières », V. J.-C. SOYER et M. DE SALVIA, Art. 6, in L.-E. PETTITI (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme, Economica, 2e éd., 1999, p. 269 et 272. 781 Certains auteurs ont relevé avec regret cette maladresse ou incohérence du législateur, V. R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 147, selon lesquels la présomption d’innocence est « mal placée, au sein de l’énumération, alors qu’il aurait fallu la mentionner en tête de l’article préliminaire, puisqu’on en fait le pivot de tous les autres principes » ; H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit., p. 35 : après avoir rappelé que la présomption d’innocence avait été présentée par le législateur comme un principe cardinal, « Nous regrettons que la présomption d’innocence, qui est au cœur du de la conception démocratique du procès pénal n’apparaisse que dans le paragraphe III de l’article préliminaire ; sa véritable place serait bien plus dans le premier ». L’auteur s’étonne d’ailleurs de cette situation au regard « des jurisprudences du Conseil Constitutionnel et de la chambre criminelle, qui ont tendance à faire de la présomption d’innocence le fondement implicite de toutes les autres garanties du procès ».

Le discours sur l’objet

256

déterminer avec une certitude suffisante ce qui fait de la présomption d’innocence un

principe juridique. La faveur pour cette qualification peut toutefois s’expliquer.

Tout d’abord, il faut bien admettre que présenter la présomption d’innocence comme un

principe s’avère des plus commodes. En raison des multiples sens que ce terme reçoit en

droit, son usage pour désigner la présomption d’innocence ne prête guère à discussion.

L’abstraction et la généralité qui caractérisent le terme principe s’intègrent en outre

parfaitement dans un discours demeurant lui-même assez général sur la notion de

présomption d’innocence. Par ailleurs, c’est le caractère partiellement non écrit de la

présomption d’innocence qui a pu autoriser à la désigner comme un principe782. Ne pouvant

s’appuyer confortablement sur un texte pour affirmer l’existence de la présomption

d’innocence, certains auteurs ont pu ainsi contourner la difficulté en la désignant comme un

principe au sens de règle non écrite mais ayant force obligatoire.

Aujourd’hui, la nature de principe de la présomption d’innocence est réaffirmée avec

force par M. Henrion au terme d’une longue démonstration théorique. Après avoir réfuté

une par une les qualifications possibles de la présomption d’innocence, l’auteur propose, au

titre d’une meilleure intelligibilité de la présomption d’innocence, de la regarder comme un

principe général d’interdiction des anticipations sur la culpabilité. Cette nature juridique

résulterait de trois considérations développées par l’auteur. Premièrement, c’est

l’applicabilité de la présomption d’innocence au sein d’ordres juridiques différents

(procédure pénale, droit civil, droit constitutionnel et droit international) qui signerait sa

nature de principe. Ensuite, c’est sa place privilégiée dans la hiérarchie des normes qui lui

confèrerait ce caractère. Enfin, la présomption d’innocence devrait être regardée comme un

principe car telle a été la volonté manifestée par le législateur en adoptant la loi du 15 juin

2000783.

234. Droit. Outre le fait d’être un principe, la présomption d’innocence est également

regardée comme un droit, « un véritable droit »784. Que la présomption d’innocence puisse

être qualifiée de droit, cela apparaît incontestable. Sa présence dans des textes relatifs aux

droits de l’homme semble à elle seule l’attester. Une étude sommaire des sources positives

y invite donc. Droit de l’homme proclamé par la Déclaration des droits de l’homme et du

citoyen ou droit de l’homme fondamental rappelé par la Convention européenne, la

782 En effet, le Vocabulaire juridique indique que le principe peut être (sens 3) « une maxime générale juridiquement obligatoire bien que non écrite dans un texte législatif ». 783 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 239-1 et 733-2. La qualification de principe général permet, selon l’auteur, d’englober sans incohérence ou illogisme le caractère de droit subjectif de la présomption d’innocence. 784 PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 38 et PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op. cit., n° 3 : « véritable parmi tous ceux dont on nous rebat les oreilles… ».

Le discours sur les sources positives

257

présomption d’innocence est un droit, celui d’être considéré, supposé, présumé ou encore

réputé, innocent jusqu’à ce qu’intervienne une déclaration définitive de culpabilité.

Mais depuis plusieurs années le discours doctrinal véhicule également une autre

qualification, celle de droit subjectif. Cette dernière fait directement suite à la création de

l’article 9-1 du Code civil. Ce texte, parfaitement intégré par les auteurs au titre des sources

formelles de la présomption d’innocence785, a fait l’objet d’une interprétation tendant, par sa

place dans le Code civil, à reconnaître à la présomption d’innocence le caractère d’un droit

subjectif. De la présomption, règle technique de preuve en passant par le principe

fondamental ou général du droit pénal, la nature de la présomption d’innocence se serait

transformée pour devenir un droit extrapatrimonial de la personnalité. Cette qualification,

imposée par le parallèle opéré entre les articles 9 et 9-1 du Code civil, s’ajoute aux

précédentes non sans toutefois poser quelques difficultés. En effet, la seule inscription de

l’expression présomption d’innocence dans l’alinéa 1 de l’article 9-1 du Code civil suffit-

elle à affirmer que la présomption d’innocence est un droit subjectif ?

235. Droit subjectif. De nombreux auteurs n’ont pas hésité à l’enseigner dès le lendemain

de la promulgation de la loi de 1993786. La justification d’une telle affirmation n’est pas

unanime. La première, prenant directement appui sur l’article 9-1 du Code civil, résiderait

tout simplement dans une « transformation » de la nature de la présomption d’innocence787.

Un tel raisonnement conduit donc les auteurs à reconnaître que le législateur a le pouvoir,

par sa seule volonté, de changer complètement la nature de la présomption d’innocence788.

D’autres auteurs semblent estimer que si la nature de droit subjectif est nouvellement

affirmée, elle ne date pas exclusivement de la loi de 1993789.

785 V. supra, n° 217 et s. 786 P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 1re éd., H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil, op. cit. ; CH. LAZERGES, La présomption d’innocence, op.cit. ; J.-H. ROBERT, Jouissance des droits civils. Protection de la présomption d'innocence, J.-Cl. Civil. I, Art l’article 9-1 du Code civil ; J. CARBONNIER, Droit civil, Quadrige, op. cit., n° 280. 787 M. Auvret a ainsi expliqué que la loi de 1993 « a pour effet de transformer explicitement un principe en un véritable droit », Le droit au respect de la présomption d’innocence, op.cit., n° 2 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n°40, où l’auteur estime, elle aussi, que la nature originelle de la présomption d’innocence s’est transformée pour devenir un droit subjectif avec la loi de 1993. 788 C’est l’opinion qu’expose M. Henrion en se référant notamment aux propos du garde des Sceaux lors de la discussion parlementaire qui allait donner lieu à la création de l’article 9-1 du Code civil. V. La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 225-2 et 239-2. 789 H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil, op. cit., n° 3 et s. pour laquelle : « Le législateur de 1993, en proclamant le droit de chacun au respect de la présomption d'innocence, a inséré pour la première fois dans le Code civil un principe séculaire du droit français ». Ainsi se trouvent confondus comme un même objet le principe de la présomption d’innocence et le droit subjectif au respect de la présomption d’innocence ; CH. LAZERGES, La présomption d’innocence, op.cit., p. 509.

Le discours sur l’objet

258

En vérité, les auteurs éprouvent un certain embarras avec cette nouvelle qualification790.

Se montrant presque contraints de suivre le train législatif, certains hésitent en revanche

quant au véritable objet qu’il convient de reconnaître à l’article 9-1 du Code civil. C’est

nous semble-t-il le cas de M. Robert dont le commentaire de ce texte débute ainsi : « La

présomption d'innocence est un droit extrapatrimonial de la personnalité791 », pour se

poursuivre par cette précision : « La formule [Chacun a droit au respect de la présomption

d’innocence] est toutefois plus symétrique de celle de l'article 9 qu'elle n'est élégante. Le

nouveau droit subjectif a pour objet une réputation intacte et non une présomption, qui est

un instrument de preuve»792. D’ailleurs, le professeur Robert estime que les dispositions de

l’article 9-1 du Code civil résultent d'une conception extensive de la présomption

d'innocence et qu’en cherchant à déduire, du même principe, des restrictions de la liberté

d'expression, on lui donne un champ d'application nouveau.

Se référer à l’article 9-1 du Code civil au titre des sources formelles de la présomption

d’innocence pose donc quelques difficultés. Les auteurs sont conduits à une hésitation, celle

de reconnaître une nature nouvelle à la présomption d’innocence ou seulement un champ

d’application nouveau. M. Auvret avait tout d’abord affirmé que le principe de la

présomption d’innocence avait été transformé en droit subjectif par le législateur. Toutefois,

cet auteur semble par ailleurs vouloir expliquer que dans l’article 9-1 du Code civil c'est le

principe de la présomption d’innocence qui est réaffirmé793. L’étude qu’il publia ensuite

montre assez la confusion que les analyses de l’article 9-1 du Code civil peuvent produire.

En effet, après avoir relevé l’existence de différents textes qui visent la présomption

d’innocence, l’auteur soulève la question de la nature de la présomption d’innocence à

laquelle il tente de répondre en traitant de sa portée, variable au regard des divers textes qui

la consacrent, à commencer par l’article 9-1 du Code civil794.

790 Il ressort par exemple des enseignements de M. Garé et Mme Ginestet, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., 3e éd., : « La présomption d’innocence est le principe directeur de toute notre procédure pénale….Mais cette règle [selon laquelle le ministère public a la charge de la preuve] est plus qu’une présomption légale, depuis les réformes de 1993 qui l’ont introduite à l’article 9-1 du Code civil, la présomption d’innocence est présentée comme un véritable droit subjectif» (n° 388). Plus loin les auteurs intitulent bien un paragraphe : La présomption d’innocence comme droit subjectif mais poursuivent ainsi : « Compte tenu de sa place inattendue à l’article 9-1 du Code civil, la doctrine estime qu’avec la loi du 4 janvier 1993, la présomption d’innocence a été érigée en droit subjectif », pour conclure que : « Quelle que soit la façon dont elle s’exprime, la présomption d’innocence est une garantie essentielle pour la personne poursuivie » (n° 393). 791 J.-H. ROBERT, Jouissance des droits civils. Protection de la présomption d'innocence, op. cit., points-clés. 792 J.-H. ROBERT, Jouissance des droits civils. Protection de la présomption d'innocence, op. cit., n° 6. 793 Le droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., n° 4. 794 P. AUVRET, Le journaliste, le juge et l’innocent, Rev.sc.crim., 1996, p. 625-626. L’auteur proposait toutefois de ne pas voir dans l’alinéa 2 de l’article 9-1 du Code civil une définition négative de la présomption d’innocence qui se limiterait à l’énonciation des conditions de réparation de ces atteintes. Or, cette interprétation vise à faire admettre que la présomption d’innocence est bien l’objet de l’article 9-1 du Code civil. V. Le droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., n° 19-20.

Le discours sur les sources positives

259

On le voit, il n’est pas si aisé d’affirmer que la présomption d’innocence est un droit

subjectif. L’écriture de l’article 9-1 du Code civil y invite probablement mais la

confrontation de ce texte avec les autres sources de la présomption d’innocence soulève des

difficultés quant à l’unité de l’objet étudié. Contrairement à ce qu’ont suggéré les premiers

commentaires de l’article 9-1 du Code civil, ce texte ne consacre ou ne réaffirme

probablement pas la présomption d’innocence. Tel ne semble pas son objet. Bien que

prenant pour « prétexte » la présomption d’innocence, son objet paraît tendre davantage

vers la protection de la réputation et de l’honneur de la personne qui est présentée

publiquement comme coupable avant toute condamnation795. Certains pénalistes

l’envisagent ainsi796. Les civilistes sont eux aussi partagés sur la question de savoir s’il y a

lieu de regarder l’article 9-1 du Code civil comme une consécration et donc une extension

de la présomption d’innocence ou s’il faut distinguer la présomption « pénale » d’innocence

de la création de ce nouveau droit subjectif à la protection de l’honneur et de la

considération. En 1997, un auteur a pu aborder la question de la présomption d’innocence

au titre du droit à l’honneur et à la dignité et se demander si l’article 9-1 du Code civil

n’aurait pas créé une « véritable liberté civile »797. M. Sériaux estimait à la même époque à

propos de cette disposition, qu’en dépit de la rédaction restrictive de l’alinéa 2, « rien ne

paraît faire obstacle à ce qu'à l'avenir elle soit lue comme consacrant, au moins

partiellement, le droit pour toute personne au respect de sa réputation »798. M. Cornu

distingue le principe de la présomption d’innocence, règle de droit objectif, et le nouveau

droit subjectif proclamé par l’article 9-1 du Code civil799. En revanche, M. Malaurie ne

semble voir dans ce texte qu’une extension au civil d’une règle traditionnelle de la

procédure pénale800.

L’on doit bien admettre que la protection de l’honneur et de la réputation de la personne

n’a jamais été éloignée de la question de la protection de l’innocence. C’est une

préoccupation que connaissaient déjà les anciens auteurs alors même que n’existait pas « la

société de l’information ».

S’agissant de la nature de droit subjectif de la présomption d’innocence, on pourrait se

demander pourquoi la doctrine ne l’avait pas déjà déduite de la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen ; après tout, les droits de l’homme ne sont-ils pas par nature des

795 En ce sens, il est admis que la protection de la présomption d’innocence entre dans le cadre plus large de la diffamation qui vise précisément à protéger contre les atteintes à la réputation. V. P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., n° 21. 796 Outre M. Robert, certains auteurs tiennent d’ailleurs à le souligner, V. par exemple : C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 3. 797 F. LAROCHE-GISSEROT, Leçons de droit civil, op. cit., n° 801. 798 A. SÉRIAUX, Les personnes, Paris, PUF, Que sais-je ? 2e éd., 1997, p. 49-50. 799 G. CORNU, Droit civil, introduction, les personnes, les biens, op. cit., n° 520. 800 PH. MALAURIE, Personnes, incapacités, op. cit., n° 315.

Le discours sur l’objet

260

droits subjectifs ? On observera que depuis une période récente, le discours doctrinal tend à

faire une place de plus en plus importante à la personne présumée innocente au détriment du

concept de présomption d’innocence. Cette tendance confirme ou accompagne la

qualification de droit subjectif. Le point de départ du raisonnement n’est plus tant

l’existence d’un principe général et abstrait de présomption d’innocence mais l’existence de

« droits à » ou de « droits de » reconnus à la personne suspectée ou poursuivie. Si la

qualification de droit subjectif a prospéré avec la loi de 1993, elle atteint son apogée dans

l’article préliminaire du Code de procédure pénale, qui n’hésite pas, à propos de la personne

poursuivie, à employer l’expression « sa présomption d’innocence ». Une telle formulation

permet alors à un auteur de présenter la présomption d’innocence à la fois comme un droit

subjectif public et comme un droit subjectif privé801. La présomption d’innocence devrait

être regardée comme un droit subjectif public à caractère défensif lorsqu’elle appréhende la

position de l’individu face à l’État. Elle se déclinerait en droit subjectif privé dès lors

qu’elle appréhende la position de l’individu face à d’autres particuliers. C’est la situation

qui découle directement de l’article 9-1 du Code civil802.

L’ensemble des règles désormais prévues pour « prévenir réparer ou réprimer » les

atteintes à la présomption d’innocence tend à rendre le principe effectif. Pour autant, il n’est

pas certain que la doctrine cesse de regarder, parfois, la présomption d’innocence comme

une fiction juridique.

236. Une fiction. La présomption d’innocence est « une fiction sans écho dans la réalité

sociale » : cette phrase de Roger Merle803 a connu un certain retentissement, au point qu’un

auteur s’était proposé d’étudier la présomption d’innocence à travers la vérification de cette

assertion804. Bien que la réponse fût en l’occurrence mitigée, l’idée avait déjà prospéré sous

d’autres plumes et continue de le faire, soit pour défendre l’idée d’une fiction, soit pour

l’écarter805.

801 H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit., p. 42 et s. La découverte de cette nature n’est pas exclusive, chez cet auteur, de la nature de principe de la présomption d’innocence, puisque dans l’article préliminaire elle est censée apparaître comme un principe directeur de la présomption d’innocence. 802 V. en dernier lieu la thèse de l’auteur : La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., spécialement, n° 294-1 à 294-2 et 734-3-1 à 734-3-2. 803 R. MERLE, L’inculpation, in Problèmes contemporains de procédure pénale : recueil d'études en hommage à M. LOUIS HUGUENEY, Paris, Sirey, 1964, p. 111. 804 V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 5 et 35. 805 G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit., p. 30 ; J. LE CALVEZ, L’inculpation et la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 1987, doct, p. 682 ; R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 24 et s. ; J.-H. SYR, Présomption d’innocence et présomption de culpabilité, op. cit., p. 59 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 481.

Le discours sur les sources positives

261

À vrai dire, parler de fiction à propos de la présomption d’innocence soulève plus de

questions que n’apporte de réponse, particulièrement du point de vue de la nature juridique

de la présomption d’innocence.

Il est apparu que l’affirmation de la présomption d’innocence se heurte souvent au fait, à

tel point qu’elle serait devenue une « hypocrisie ». Dans ce cas, les auteurs parlent de

fiction parce que la présomption d’innocence se trouve démentie par la réalité. Car dans les

faits, la personne poursuivie serait présumée coupable bien plus que présumée innocente.

Reste à préciser de quels faits il s’agit. En effet, il semble que les auteurs visent aussi bien

ce que l’on pourrait appeler des faits juridiques que des faits sociaux.

Les premiers résultent de l’organisation même du processus répressif qui, sur le

fondement d’indices laissant présumer la commission ou la participation à une infraction,

prévoit des mesures telles que la garde à vue, la mise en examen ou la détention provisoire,

et qui, sur le fond, admet des présomptions de culpabilité.

Les seconds faits envisagés par la doctrine sont ceux que M. Pradel appelle les

« atteintes sociologiques »806 à la présomption d’innocence. Dans cette hypothèse, la

présomption d’innocence apparaît comme une fiction car dans la réalité, dès lors que

l’enquête a reçu une certaine publicité, la personne qui en fait l’objet apparaît coupable aux

yeux du public.

Pourtant, dans les deux hypothèses, la présomption d’innocence ne répond pas aux

critères de la fiction, selon laquelle le législateur ferait « comme si »807 la personne

poursuivie était innocente alors qu’il la présumerait en réalité coupable. Tout d’abord, la

fiction suppose un mensonge délibéré, cela suppose que la réalité travestie soit connue. En

l’occurrence, le législateur ne connaît pas la réalité de l’innocence ou de la culpabilité du

présumé innocent. Ensuite, il n’est pas fait « comme si » la personne était innocente. Les

innocents ne sont justement pas mis en garde à vue, menottés, mis en examen, ou mis en

détention provisoire. De plus, faire comme si elle était innocente bloquerait tout le

processus judiciaire, interdirait justement toutes les mesures contraignantes fondées sur des

soupçons de culpabilité. On observera en outre que généralement, une fiction est annoncée

par les expressions « est réputé » ou « est censé »808, ce qui n’est pas le cas pour la

présomption d’innocence.

La difficulté d’une telle qualification vient donc de la réalité que l’on vise. Est-ce la

réalité juridique ou la réalité matérielle ? Mais surtout, où serait la fiction ? Est-ce dans le

806 J. PRADEL, Droit pénal comparé, op. cit., 2e éd., n° 300. 807 Le « comme si » est caractéristique du mécanisme de la fiction, V. J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique, Paris, PUF, 2001, p. 75. 808 Vocabulaire juridique, op. cit.

Le discours sur l’objet

262

fait de faire « comme si » la personne était innocente ou de faire « comme si » la personne

était présumée innocente ? Il se pourrait que, lorsqu’on parle de la présomption d’innocence

comme d’une fiction se soit plutôt cette dernière hypothèse qu’il faille envisager. Mais alors

dire que la présomption d’innocence est une fiction revient à nier la réalité non pas de la

présomption d’innocence mais de l’affirmation dont elle fait l’objet809. Ainsi, si la

présomption d’innocence devait être regardée comme une fiction, ce serait comme une

fiction du discours doctrinal et non comme une fiction légale. Quoi qu’il en soit, désigner la

présomption d’innocence comme une fiction relève le plus souvent de l’exagération voire

de la provocation810, ce qui permet de mettre en évidence les atteintes à la présomption

d’innocence. De plus, il est certain que, présenter la présomption d’innocence comme une

fiction juridique permet en même temps de souligner son existence juridique.

237. Portée. Le recours aux dispositions légales et supra légales au titre des sources de la

présomption d’innocence n’est donc exempt d’interrogations et la doctrine commence à

peine à les entrevoir, qu’il s’agisse de la nature qu’il convient de reconnaître à la

présomption d’innocence ou de sa portée. La confrontation des différents textes conduit les

auteurs à un certain embarras. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen vise tout

homme tandis que la Convention européenne des droits de l’homme ne se préoccupe que de

la personne accusée d’une infraction. Quant à l’alinéa 2 de l’article 9-1 du Code civil, il ne

concernait811 que la personne faisant l’objet d’une mesure de garde à vue, de mise en

examen, de citation à comparaître, de réquisitoire nominatif ou d’une plainte avec

constitution de partie civile.

À la question de savoir si tous ces textes parlent bien de la même présomption

d’innocence, le discours doctrinal semble répondre par l’affirmative en y recourant au titre

des sources de la présomption d’innocence812 et ce quand bien même la question de la

809 M. Henrion s’est attaché à réfuter les théories doctrinales qui désignent la présomption d’innocence comme une fiction. Pour écarter cette qualification, l’auteur souligne notamment que le recours doctrinal à la fiction trahit un jugement de valeur sur le droit et non une explication de celui-ci. Il existe ainsi, selon M. Henrion, autant d’approches de la fiction de l’innocence ou de la présomption d’innocence qu’il y a d’auteurs. Cet auteur dénonce alors la subjectivité d’une telle qualification, peu digne d’une approche scientifique du droit à laquelle il a, quant à lui, souhaité se soumettre. V. La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 413-2. 810 Tout comme le choix de s’entretenir des « présomptions de culpabilité », V. J. BUISSON, Les présomptions de culpabilité, Procédures, 1999, Chr. 15, qui débute ainsi : « Volontairement provocante, l’expression veut souligner le caractère exceptionnel de ces présomptions par rapport à la présomption d’innocence qui doit profiter à tout mis en cause». 811 Dans sa rédaction du 24 août 1993, mais celle-ci a été élargie depuis la loi du 15 juin 2000 qui vise désormais toute personne présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction. 812 PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 37 et s.; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, op. cit., 5e éd., n°143 et s.; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 383 et s.

Le discours sur les sources positives

263

portée, variable selon ces textes, serait soulevée813. C’est pourtant la définition même de la

présomption d’innocence qui se trouve affectée par la confrontation de ces diverses sources.

Conformément à la fonction qu’elle se reconnaît, la doctrine cherche à donner une

cohérence à son discours, l’étude des décisions faisant application des divers textes relatifs

à la présomption d’innocence peut y concourir désormais. Cela n’a pourtant pas toujours été

le cas, si bien que le recours à la jurisprudence a pris, dans l’affirmation de l’existence de la

présomption d’innocence, une forme assez particulière.

§. 2 LE RECOURS À LA JURISPRUDENCE

238. Mouvements du discours doctrinal. La doctrine enseigne que la présomption

d’innocence « n’est pas une vague construction jurisprudentielle née d’une formule d’un

arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui est bien incapable d’une telle

vilenie »814 et qu’au surplus, en 1969, la règle n’était toujours explicitement consacrée par

aucun arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation française815. L’hypothèse

d’une jurisprudence source de la présomption d’innocence est par là clairement écartée. Il

n’en reste pas moins que le discours doctrinal s’est construit et continue de s’appuyer sur

des références jurisprudentielles. Or, l’étude de ces références, la façon dont elles sont

parfois reprises ou interprétées par les auteurs, peut fournir des enseignements sur la

manière dont la doctrine recourt à la jurisprudence. Elle permet parfois de relever des

erreurs dans l’exploitation des décisions, erreurs qui seront difficiles à rectifier816.

À l’analyse, on s’aperçoit que le recours à la jurisprudence a évolué dans le temps, si

bien que deux mouvements bien différents peuvent être identifiés. Le premier a consisté à

recourir à la jurisprudence dans le but essentiel de justifier le discours doctrinal (A) ; mais

suite au développement de la jurisprudence se référant à la présomption d’innocence, le

813 R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 20-21 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 368-369. 814 J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit., p. 53. 815 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 79. D’ailleurs à notre connaissance il a fallu attendre un arrêt du 29 mai 1980 pour que la chambre criminelle rende une décision visant la présomption d’innocence. V. Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164. 816 Elles affectent parfois gravement la valeur des références jurisprudentielles. Pour exemple, on peut relever que l’édition Dalloz 2006 du Code de procédure pénale reproduit à tort le sommaire d’un arrêt de la chambre criminelle faisant application de la présomption d’innocence. L’attendu reproduit dans le code n’a jamais été écrit par la Cour de cassation, puisqu’en réalité il s’agit de l’un des moyens du pourvoi et que ce dernier a été rejeté…V. sous l’article préliminaire, note 49 (intitulée La force du principe de la présomption d’innocence) in fine, référence à Cass. crim., 19 février 2002, inédit, pourvoi n° 01-83383. Cet arrêt est présenté comme ayant décidé que : « En raison du principe de la présomption d’innocence, les déclarations de la partie civile ne peuvent légalement servir de preuve, faute d’être corroborées par des éléments objectifs susceptibles d’être soumis à la discussion des parties ; en fondant sa décision de condamnation sur le seul témoignage de la partie civile, la cour d’appel a méconnu ce principe et a ainsi privé le prévenu du procès équitable auquel il avait droit ».En réalité, la cour rejette le moyen en répondant laconiquement : « l’arrêt mentionne que les accusations de la partie civile ont été corroborées par le témoignage d’une amie nommément citée et qui a été entendue ».

Le discours sur l’objet

264

mouvement s’est en quelque sorte inversé au point que, désormais, ce sont les affirmations

doctrinales qui sont directement tirées de la jurisprudence (B).

A- LE RECOURS À LA JURISPRUDENCE COMME JUSTIFICATION DU DISCOURS

DOCTRINAL

239. Distinction des décisions. Le discours doctrinal sur la présomption d’innocence se

fonde, en partie, sur des décisions de justice. Il est deux manières de présenter les décisions

auxquelles les pénalistes ont eu recours. On peut tout d’abord s’intéresser à celles dont les

auteurs estiment qu’elles se fondent implicitement sur la présomption d’innocence. Puis, il

pourra être question des décisions qui ont explicitement fait application de la présomption

d’innocence.

1) L’interprétation des décisions implicites de la Cour de cassation

240. Illustration générale. Lorsque la présomption d’innocence a émergé comme un objet

identifiable dans le discours doctrinal, elle n’était formulée ni dans la loi ni dans la

jurisprudence. Toutefois les auteurs affirmaient son existence et envisageaient certaines de

ses applications. À l’appui de ces affirmations les auteurs ont eu recours à certaines

décisions qui, sans mentionner une quelconque présomption d’innocence, venaient semble-

t-il donner une illustration de son application. Certaines décisions ont même paru ne

pouvoir s’expliquer que par le principe de la présomption d’innocence817. Ainsi,

l’interprétation doctrinale ne se proposait pas de découvrir dans la jurisprudence un principe

mais plutôt d’y trouver une application implicite du principe de la présomption d’innocence.

C’est donc bien sur le caractère implicite des décisions que le discours doctrinal s’est fondé.

La part de cette interprétation est parfois assez grande. Pour s’en convaincre, il suffit de

confronter la substance des décisions citées à l’utilisation qui en est faite par les pénalistes.

Plusieurs exemples peuvent illustrer le raisonnement des auteurs.

241. Premier exemple : l’arrêt du 24 mars 1949818. Ce premier exemple est intéressant

car cette décision est regardée comme implicite à un double titre : quant à sa solution et

quant à son fondement. Depuis que cet arrêt a été rendu, la littérature juridique y a fait et

continue d’y faire fréquemment référence819. Dans cette espèce, l’auteur du pourvoi

817 « Bien que la Cour de cassation n’y fasse jamais allusion expressément, la présomption d’innocence explique seule les décisions rappelant que la charge de la preuve des infractions commises pèse sur les parties poursuivantes », R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 2e éd., op. cit., n° 918. 818 Cass. crim., 24 mars 1949, Bull. n° 114. 819 En 1956, M. Patarin citera pas moins de quatre fois cet arrêt. L’usage qu’il a fait de cette référence s’est perpétué jusqu’à nous à travers divers écrits : P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., p. 1183 ; M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 172 ; ; H. DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, op. cit., n° 129 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 198 note 1 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 34 ; J. PRADEL,

Le discours sur les sources positives

265

soutenait devant la Cour de cassation que, pour le condamner sur le fondement d’injures

publiques, les juges du fond auraient dû statuer sur l’existence ou l’inexistence d’une

provocation préalable aux injures, circonstance qui rendait le délit non punissable. La

chambre criminelle avait alors rejeté le pourvoi en décidant ceci :

« Attendu que, aux termes de l’article 37 du dahir820 du 27 avril 1914, la

provocation constitue, non un élément dont l’absence caractérise le délit d’injures

publiques, mais une excuse légale dont l’existence fait disparaître le délit ; que, dès

lors, le juge du fond, en l’absence de conclusions tendant à l’admission de cette

excuse, n’est pas tenu, pour proclamer la culpabilité d’un prévenu poursuivi du chef

d’injures publiques, de statuer sur l’existence ou l’inexistence de cette excuse. »

La doctrine fait référence à cet arrêt dans des développements consacrés à la charge de la

preuve. Il s’agit alors d’expliquer que la présomption d’innocence impose au ministère

public de supporter le fardeau de la preuve et plus précisément, la preuve de tous les

éléments constitutifs de l’infraction.

Ainsi un auteur enseigne-t-il : « Au contraire [du droit civil], la présomption

d’innocence impose en principe au ministère public la charge d’une preuve complète. Il

doit établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments

susceptibles de la faire disparaître » 821. Cette affirmation de M. Patarin est justifiée par le

recours aux motifs de l’arrêt du 24 mars822. Cette interprétation de la solution reproduite ci-

dessus tend donc à faire admettre que, lorsque la chambre criminelle affirme : « la

provocation constitue, non un élément dont l’absence caractérise le délit d’injures

publiques », il faudrait entendre que l’accusation a la charge de la preuve de tous les

éléments constitutifs de l’infraction, ceux qui participent à la définition même de

l’infraction, que ce soit positivement ou négativement. Lorsque la Cour poursuit par :

« mais une excuse légale dont l’existence fait disparaître le délit ; que, dès lors, le juge du

fond, en l’absence de conclusions tendant à l’admission de cette excuse, n’est pas tenu,

pour proclamer la culpabilité d’un prévenu poursuivi du chef d’injures publiques, de

statuer sur l’existence ou l’inexistence de cette excuse », il faudrait en outre comprendre

que l’accusation a également la charge de prouver l’inexistence des éléments propres à faire

disparaître l’infraction, telle l’excuse de provocation dans le délit d’injures. Implicitement

donc, la Cour de cassation admettrait la solution exposée par l’auteur.

Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 394 ; E. MATHIAS, Procédure pénale, Bréal, Lexi fac, 2e éd., 2004, p. 30 ; C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, op. cit. , p. 105.. 820 Le dahir est un décret du Roi du Maroc. 821 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 10. 822 Ce qu’indique, par renvoi à une note en bas de page, une référence ainsi libellée : « Crim., 24 mars 1949, motifs, Bull. n° 114». D’autres auteurs feront de même, V. P. BOUZAT et J. PINATEL, op. cit, et J. PRADEL, op. cit.

Le discours sur l’objet

266

Mais c’est également implicitement que, forte de cette solution, la chambre criminelle se

serait fondée sur la présomption d’innocence. À l’appui de cette dernière interprétation, on

ne trouve cette fois aucune justification. On comprend alors le raisonnement de l’auteur : il

ne s’agit pas de retrouver, par déduction, le fondement qui explique cette solution, mais

plutôt d’induire de la solution visée qu’elle est fondée sur la présomption d’innocence. Ceci

résulte semble-t-il du raisonnement adopté par l’auteur qui, décomposé, peut se traduire

ainsi : il existe une présomption d’innocence, cette règle désigne la partie poursuivante

comme la partie devant rapporter la preuve de la culpabilité et cette preuve a pour objet

l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction, c'est ce que décide la jurisprudence

dans l’arrêt du 24 mars 1949 aux motifs duquel on se reportera pour s’en convaincre.

Ce raisonnement a paru convaincre puisque les auteurs ayant écrit après M. Patarin l’ont

repris à leur compte, de même que la référence jurisprudentielle qui l’accompagne.

Toutefois, on pourrait douter de la valeur de cette référence. Cet arrêt méritait-il autant les

faveurs823 de la doctrine ? La décision du 24 mars 1949 peut-elle être regardée comme un

arrêt de principe ?

Certains auteurs ont vu dans la décision du 24 mars 1949 « une formule générale

favorable aux inculpés »824. Par ailleurs, l’insertion de cette référence jurisprudentielle dans

les développements des auteurs laisse largement entendre qu’il s’agit d’un arrêt de principe.

Ainsi peut-on lire, sous la plume de Mme Rassat que : « La formule que l’on retrouve le

plus souvent dans la jurisprudence de la Cour de cassation est celle selon laquelle : " La

partie poursuivante doit établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de

tous les éléments susceptibles de la faire disparaître" »825. Plus récemment, un auteur

n’enseignait-il pas que : « En vertu de ce principe [la présomption d’innocence], c’est à la

partie poursuivante (ministère public et partie civile) de prouver la culpabilité et pas à la

partie poursuivie (suspect, mis en examen, prévenu ou accusé) de démontrer son innocence.

La partie poursuivante doit faire la preuve de l’infraction, donc "établir tous les éléments

constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments susceptibles de la faire

disparaître" »826. Tout laisse donc à penser qu’avec l’arrêt du 24 mars 1949 la Cour de

823 Faveurs à d’autres égards limitées car cet arrêt n’a visiblement fait l’objet d’aucun commentaire dans une revue spécialisée. 824 P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op.cit., p. 914, note 4. 825 M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 198. 826 E. MATHIAS, Procédure pénale, op. cit., p. 30. adde : C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, op. cit., p. 105 : « En vertu du principe de la présomption d’innocence, la partie poursuivante c'est-à-dire la Ministère public doit "établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments susceptibles de la faire disparaître"».

Le discours sur les sources positives

267

cassation a posé pour la première fois un principe, celui-là même que les auteurs ne

manquent pas de citer en ouvrant les guillemets827.

Rien n’est pourtant moins sûr. Il suffit en effet de se référer à l’arrêt pour s’apercevoir

que ni sa rédaction ni son résumé828 ne comportent une telle formule. Comment expliquer

qu’elle ait pu être attribuée à un arrêt qui ne l’a jamais énoncée ?

En réalité la formule générale dont il est question ici est d’origine exclusivement

doctrinale. Il faut se souvenir de ce qu’écrivait Jean Patarin en 1956 : « la présomption

d’innocence impose en principe au ministère public la charge d’une preuve complète. Il

doit établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments

susceptibles de la faire disparaître »829. Fondatrice830, l’étude de cet auteur a été également

une source d’inspiration pour les pénalistes qui lui ont succédé. D’ailleurs, MM. Guinchard

et Buisson en donnent une illustration en écrivant quelque trente années plus tard : « La

doctrine classique enseigne que la partie poursuivante, le ministère public principalement,

la partie civile accessoirement doit "établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et

l’absence de tous les éléments susceptibles de la faire disparaître " »831.

L’interprétation de l’arrêt du 24 mars 1949 illustre le pouvoir qu’a la doctrine de faire

dire à un arrêt ce qu’il n’a jamais dit et peut-être jamais voulu dire. D’ailleurs, de l’aveu

même de la doctrine, la Cour de cassation a eu maintes occasions de se prononcer dans le

sens contraire de cette décision832. Une jurisprudence plus récente montre que la chambre

criminelle fait peser sur la personne poursuivie nombre de circonstances qui lui sont

favorables, notamment celles qui ont pour effet de faire disparaître le délit833.

L’interprétation de cet arrêt visait à justifier l’affirmation doctrinale selon laquelle, la

présomption d’innocence est le principe qui détermine le fardeau de la preuve dans le

827 À la question suivante : le risque de la preuve des moyens de défense doit-il être imputé à l’accusation ou à la défense ? Un auteur écrit : « La chambre criminelle répond nettement : "la partie poursuivante doit établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments susceptibles de la faire disparaître". », J.-F. CESARO, Le doute en droit privé, op. cit., n° 300. adde. H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 324-1. 828 « En matière d'injures publiques, la provocation constitue non un élément dont l'absence caractérise le délit mais une excuse légale dont l'existence fait disparaître celui-ci. Dès lors, le juge, en dehors de conclusions précises relatives à la provocation, n'est pas tenu, pour caractériser le délit d'injures de relever son existence ou son absence ». 829 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 10, c’est nous qui soulignons. 830 V. supra, n° 124 et s. 831 S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 485. Cette affirmation est elle aussi accompagnée d’une référence jurisprudentielle, non pas l’arrêt du 24 mars 1949 mais un arrêt du 29 mai 1980 (Bull. n° 164). Cette décision, pour être plus récente et se fonder explicitement sur la présomption d’innocence, n’en comporte pas pour autant la fameuse formule reproduite par les auteurs ! 832 P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op.cit., p. 914, note 4 ; M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 255 et s. 833 V. notamment, S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op.cit., n° 506 où les auteurs l’affirment clairement et y voient tout simplement l’application de l’adage reus in excipiendo fit actor dans le procès pénal.

Le discours sur l’objet

268

procès pénal. Ainsi, l’importance de cette décision résulte davantage de l’interprétation et

de la publicité que les auteurs en ont faite, plutôt que de la volonté de la Cour de cassation

de formuler, même implicitement, un principe découlant directement de la présomption

d’innocence834. La même remarque pourrait d’ailleurs être faite à propos de l’interprétation

d’un arrêt plus récent rendu, lui aussi, en matière de charge de la preuve.

242. Deuxième exemple : l’arrêt « Bockaert » du 2 mars 1966835. Cette décision de la

chambre criminelle a connu elle aussi les faveurs de la doctrine, elle a souvent été citée836 et

a également fait l’objet d’au moins deux commentaires dans les revues juridiques837.

Comme le précédent, cet arrêt a été rendu en matière de preuve des infractions et pas plus

que le précédent il ne fait allusion à la présomption d’innocence.

En l’espèce, un automobiliste avait été condamné par un tribunal du chef d’infraction

aux règles de stationnement. Le jugement se fondait sur la conduite habituelle du véhicule

par son propriétaire et sur le fait qu’il n’offrait pas de prouver qu’une autre personne le

conduisait au moment de l’infraction. L’auteur du pourvoi reprochait alors aux juges du

fond, d’une part, d’avoir violé les dispositions sur le stationnement en mettant à sa charge la

preuve de sa non culpabilité et, d’autre part, d’avoir fondé sa condamnation sur une

culpabilité qu’il savait incertaine. La chambre criminelle casse et annule le jugement au visa

des articles R. 26-15 du Code pénal, 427 du Code de procédure pénale et 7 de la loi du 20

avril 1810, en énonçant que :

« Le jugement attaqué n’a pu valablement déduire d’aucun de ces motifs son

affirmation que la prévention était établie ; qu’en effet, la preuve que les infractions

constatées avaient été commises par le demandeur incombait au ministère public ;

que la constatation selon laquelle le prévenu conduit habituellement un véhicule ne

suffit pas à établir qu’il le conduisait au moment de l’infraction. »

Comment cet arrêt a-t-il pu servir le raisonnement des auteurs ? À vrai dire, de façon

variable. Certains y voient l’affirmation générale par la Cour de cassation du principe selon 834 La raison de l’importance qui est accordée à cet arrêt est probablement à rechercher ailleurs. Si la décision de 1949 est interprétée comme faisant application de la présomption d’innocence, c’est parce qu’elle semble admettre que la preuve de l’excuse légale faisant disparaître l’infraction est à la charge de la partie poursuivante. En effet, l’émergence de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal relatif à la preuve a été justifiée par la particularité ou l’autonomie du droit pénal par rapport au droit civil. L’allégation de cette autonomie permettait d’exclure ou de tempérer le jeu de la règle civile reus in excipiendo fit actor en matière pénale. Ainsi, l’arrêt du 24 mars 1949 en paraissant admettre que le prévenu n’avait pas à prouver l’existence d’une excuse légale (qui est une exception au sens de l’adage) venait confirmer que c’est bien la présomption d’innocence qui s’appliquait là et écartait le jeu normal des adages civils. V. aussi infra, n° 294. 835 Cass. crim., 2 mars 1966, Bull. n° 74. 836 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 84; G. BRIÈRE DE L’ISLE ET P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 11 ; J.-P. DOUCET, Le jugement pénal, op. cit., p. 246 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit. , 8e éd., n° 269 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 201 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144. 837 Gaz. Pal. 1966, 1, p. 391 et JCP. 1957 II 15046.

Le discours sur les sources positives

269

lequel la partie poursuivante voit peser sur elle la charge de prouver l’infraction ; d’autres

s’y réfèrent pour illustrer plus précisément que le ministère public a la charge de la preuve

de l’identité de l’auteur d’infraction. Toujours est-il que cet arrêt serait une illustration de

« l’application de la présomption d’innocence »838. Plus encore, cette décision, qui impose

la charge de la preuve à la partie poursuivante, ne s’explique que grâce à la présomption

d’innocence839.

M. Essaïd s’est d’ailleurs efforcé de justifier une telle affirmation. Après avoir évoqué en

substance la position adoptée par la Cour, l’auteur pose la question suivante : « Sur quel

texte, la chambre criminelle s’est-elle basée pour reconnaître que le fardeau de la preuve

doit peser sur le représentant de l’accusation ? ». La réponse, selon lui, est que la Cour de

cassation n’a pu se fonder sur aucun texte. Ni ceux du Code de procédure pénale ni ceux

visés dans le pourvoi, pour la simple raison qu’aucun ne met à la charge de l’accusation la

preuve de l’infraction. L’interprétation de l’auteur ne se fait pas attendre : « il apparaît de

toute évidence que la règle ne peut être qu’une application pure et simple de la présomption

d’innocence».

La formule est forte, elle n’en apparaît pas moins comme une pétition de principe. « De

toute évidence » explique l’auteur. La chose paraît tellement évidente que jusqu’alors on

avait toujours expliqué cette attribution du fardeau de la preuve en recourant aux seuls

adages : actori incumbit probatio et reus in excipiendo fit actor qui s’appliquent en droit

civil. D’ailleurs l’auteur ne cache pas totalement la faiblesse de l’analyse : la présomption

d’innocence est d’évidence la seule explication possible, « à moins de faire appel, comme

certains l’ont suggéré, aux principes du droit civil pour expliquer et justifier le problème

d’attribution du fardeau de la preuve dans le procès pénal » 840. Et finalement les auteurs

sont assez nombreux, sans nier l’existence de la présomption d’innocence, à penser ou à

laisser penser qu’elle n’explique pas l’attribution du fardeau de la preuve dans le procès

pénal841. Exposée par M. Essaïd, l’opinion de ces auteurs est pourtant tenue pour

négligeable. En effet, peu importe qu’ils jugent inutile la présomption d’innocence pour

expliquer le fardeau de la preuve, car ce qu’il importe de démontrer et de retenir c’est que,

838 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 8e éd., n° 269. 839 R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144, qui estiment que « La présomption d’innocence explique seule [cette décision (parmi d’autres)] rappelant que la charge de la preuve des infractions commises pèse sur la partie poursuivante.» 840 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 84, note 128. 841 Certains criminalistes adoptent un discours assez prudent consistant à dire que ce sont les adages civils qui s’appliquent au procès pénal, mais avec moins de rigueur que dans le procès civil en raison de l’existence d’une présomption d’innocence. D’autres expliqueront que la présomption d’innocence est le corollaire des adages civils ou encore leur transposition.

Le discours sur l’objet

270

malgré quelques réserves des auteurs, « la doctrine est, dans l’ensemble, en France comme

à l’étranger, favorable à la règle présumant l’innocence »842.

L’interprétation de l’arrêt du 2 mars 1966 est donc un nouvel exemple du pouvoir qu’a la

doctrine de faire dire à la Cour de cassation ce qu’elle n’a pas dit. Pour s’en tenir à

l’apparence, l’essentiel de cette décision semble résider dans le rappel fait par la Cour de

cassation : le ministère public doit prouver tous les éléments constitutifs de l’infraction et la

culpabilité doit être prouvée de façon certaine. Comment expliquer une telle solution ? Il

nous semble qu’à vouloir la rattacher à des principes plus généraux, le principe de légalité

criminelle pouvait tout aussi bien venir au secours de l’interprète. D’ailleurs, le pourvoi se

fondait sur la violation et la fausse application du texte d’incrimination, celui rappelant que

le juge décide selon son intime conviction et celui qui exige du juge une motivation. La

Cour de cassation, en cassant au visa de ces textes, confirme que le principe de légalité

pouvait tout aussi bien expliquer la solution. En effet, la culpabilité qui fonde la

condamnation ne peut résulter que de la démonstration, par l’accusation, de la réunion de

tous les éléments que le texte d’incrimination exige. À cela, s’ajoute la nécessité pour les

juges de vérifier que ces éléments sont bien réunis et qu’ils sont ainsi convaincus de la

culpabilité843.

Ainsi, l’évidence844 qui commandait de voir dans cette décision une application de la

présomption d’innocence, s’estompe. Il n’est pas certain que la Cour de cassation se soit

conformée à ce que les auteurs désignent sous l’expression « présomption d’innocence »,

pour rendre cette décision du 2 mars 1966. Le doute est d’autant plus permis que si deux

commentaires ont paru à la suite du prononcé de cet arrêt, l’un a tenu à rattacher la solution

à la présomption d’innocence tandis que l’autre n’en a soufflé mot845.

842 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 102. 843 M. Essaïd remarquait déjà que certains auteurs étrangers refusaient de voir dans la présomption d’innocence une véritable présomption, qu’il ne pouvait s’agir que d’une application de l’adage nulla poena sine judicio, lequel exprime dans ses conséquences le principe de la légalité : nulla poena sine lege, V. La présomption d’innocence, op. cit., n° 101. 844 Faut-il rappeler que l’évidence, en parlant d’une idée claire et distincte, est le caractère qui entraîne immédiatement l'assentiment de l'esprit, soit à partir d'un raisonnement, soit à partir de la constatation de faits. 845 V. JCP. 1957 II 15046 : Pour l’auteur de ces observations, le principe selon lequel la preuve des infractions incombe au Ministère public, comme le rappelle ici la Cour de cassation, n’est autre que la présomption d’innocence, adaptation de l’adage actor incumbit probatio. Il conclut alors : « On ne peut qu’approuver la haute juridiction de veiller au respect de la présomption d’innocence ». La note parue dans une autre revue, tout en rappelant qu’il existe un principe mettant à la charge de l’accusation la preuve de l’existence de tous les éléments de l’infraction, ne le rattache à aucune autre règle. L’auteur se contente de souligner le danger qu’il y aurait à consacrer une solution inverse à celle que la cour retient : elle consisterait à créer une présomption de responsabilité. V. Gaz. Pal. 1966, 1, p. 391. On observera à cet égard que l’actuel article L.121-2 alinéa 1 du Code de la route consacre une telle présomption de responsabilité : « Par dérogation aux dispositions de l'article L. 121-1 [Le conducteur d'un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule], le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est responsable pécuniairement des infractions à la réglementation sur le stationnement des véhicules ou sur l'acquittement des péages pour lesquelles seule

Le discours sur les sources positives

271

Ici encore, la référence qui est faite à la jurisprudence de la Cour de cassation ne

constitue pas une illustration concrète des règles décrites par le discours doctrinal mais une

caution de ce dernier. Cette caution nécessite une interprétation, parfois libre, de décisions

qui pour l’occasion sont qualifiées d’implicites. Mais la doctrine a eu également recours à

des décisions qui étaient davantage explicites.

2) Le recours aux décisions explicites

243. Faible nombre de ces décisions. Les décisions qui ont fait une application explicite de

la présomption d’innocence sont à vrai dire demeurées longtemps peu nombreuses. En effet,

si aujourd’hui l’article 9-1 du Code civil fournit matière à une abondante jurisprudence en

matière civile, il faut reconnaître que durant une longue période, seules les juridictions

inférieures avaient eu l’occasion de faire une application expresse de la présomption

d’innocence, avant que la Cour de cassation s’y réfère elle aussi de façon très visible.

244. Décisions des juges du fond. Deux décisions ont particulièrement retenu l’attention de

la doctrine. La première est un arrêt de la cour d’appel de Bourges en date du 9 mars

1950846 condamnant les sévices commis par des policiers qui cherchaient à faire avouer un

prévenu après l’avoir placé en état de déficience physique et morale. Cette décision

semblait se fonder en partie sur la présomption d’innocence puisque les juges avaient décidé

que : « Il est inadmissible qu’un prévenu, qui doit être présumé innocent tant que sa

culpabilité n’est pas établie, soit soumis par les policiers qui l’interrogent à des voies de

fait destinées à le placer en état de déficience physique et morale et à lui arracher des

aveux qui, par la suite, seront rétractés (…)»847.

La seconde décision est un jugement du Tribunal correctionnel de La Seine du 30

septembre 1957848 qui statuait en matière d’abus de confiance et qui avait décidé de

débouter la partie civile de sa demande au motif qu’elle n’alléguait qu’une présomption de

culpabilité à l’encontre de la prévenue et ne pouvait ainsi réussir à prouver un détournement

frauduleux. Les jugent avaient alors prononcé une relaxe et jugé: « qu’en raisonnant ainsi,

la partie civile méconnaît un principe essentiel de notre droit pénal, à savoir que ce n’est

point au prévenu à démontrer d’abord son innocence mais bien au plaignant et au

ministère public à prouver d’abord sa culpabilité »849.

une peine d'amende est encourue, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un événement de force majeure ou qu'il ne fournisse des renseignements permettant d'identifier l'auteur véritable de l'infraction». 846 Cité par : M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 83 et MM. R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144. 847 CA Bourges, 9 mars 1950, JCP. 1950 II 5594. 848 Cité par : M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 83 ; P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., n° 1183 ; G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 11 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit. , n° 144 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 71. 849 Trib. Corr. de La Seine, 30 septembre 1957, Gaz. Pal. 1957. 2. p. 307 et D. 1958 somm. p. 14.

Le discours sur l’objet

272

Pour M. Essaïd ces deux décisions illustrent l’idée que, si la Cour de cassation ne fait pas

une allusion expresse à la présomption d’innocence, en revanche les « juridictions

inférieures font parfois appel à cette règle ». Pour MM. Merle et Vitu, ces décisions

découlent directement de la présomption d’innocence et offrent à cet égard des « attendus

plus explicites » que ceux de la Cour de cassation dans son arrêt du 2 mars 1966.

Dans les deux cas, on remarquera que les juges n’ont pas employé l’expression

« présomption d’innocence ». On pourrait également discuter de la valeur illustrative de la

première décision qui sanctionne des voies de fait portant une « grave atteinte à la

considération due aux autorités policières »850. Le rappel que le prévenu doit être présumé

innocent signifie-t-il que les sévices seraient moins graves s’ils avaient eu lieu après

condamnation ? On admettra que deux décisions rendues à des dates rapprochées et par des

juridictions du fond, cela représente un maigre corpus jurisprudentiel à la disposition de la

doctrine, qui aurait sans doute préféré pouvoir appuyer son discours sur des arrêts de la

chambre criminelle.

245. Décisions de la Cour de cassation. Pendant des années, M. Pradel a professé, à

propos de la présomption d’innocence, que « la jurisprudence la rappelle souvent »851. À

l’appui de cette affirmation, l’auteur renvoyait selon les époques, soit au seul arrêt de la

chambre criminelle rendu en 1980, soit également à un arrêt de 1986. Désormais, après

avoir énuméré la liste des sources formelles de la présomption d’innocence, l’auteur

questionne : « Faut-il ajouter que le principe est reconnu de longue date par notre

jurisprudence ? » 852. Pour illustrer cette reconnaissance, M. Pradel se réfère à trois arrêts de

la chambre criminelle853ayant fait application de la présomption d’innocence.

Il s’avère donc que la Cour de cassation a quelque peu tardé à se fonder explicitement

sur la présomption d’innocence. Il apparaît aujourd’hui que de telles décisions demeurent

peu nombreuses854 puisqu’elles ne dépassent pas la dizaine. En effet, outre les arrêts cités en

doctrine des 29 mai 1980855, 19 mars 1986856 et 22 février 1993857, il n’existe à notre

850 En réalité, cet arrêt a d’avantage retenu l’attention pour le comportement inadmissible qu’il sanctionne que pour l’application qu’il semble faire de la présomption d’innocence. En témoigne par exemple les observations laconiques qui suivent la décision : « Répression ferme et sévère par la Cour des violences exercées par des fonctionnaires de police sur un prévenu en vue de lui arracher des aveux ». V. JCP. 1950 II 5594. 851 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit. , 3e éd., n° 252 et en dernier lieu 9e éd., n° 268. 852 V. Procédure pénale, op. cit. , depuis la dixième édition. 853 Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164 ; Cass. crim., 19 mars 1986, Bull. n° 113 ; Cass. crim., 22 février 1993, Bull. n° 84. 854 La remarque ne vaut que pour la chambre criminelle, les chambres civiles rendent de nombreux arrêts sur le fondement de l’article 9-1 du Code civil qui utilise lui-même l’expression « présomption d’innocence ». 855 Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164, cité par : J.-P. DOUCET, Le jugement pénal, op. cit., p. 247 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 485 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384. G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123 et 125.

Le discours sur les sources positives

273

connaissance qu’un seul arrêt de la chambre criminelle ayant cassé la décision des juges du

fond sur le fondement avéré de la présomption d’innocence858. On peut d’ailleurs préciser

que, sur environ 80 décisions859 de la chambre criminelle rendues entre 1960 et 2005 seules

les quatre précitées appliquent effectivement la présomption d’innocence. Ce nombre est

faible mais semble suffisant pour attester de l’existence de la présomption d’innocence.

Reste que l’on pourrait s’interroger sur la signification de ces arrêts qui cassent des

décisions du fond en faisant appel à la présomption d’innocence. En effet, deux

enseignements tout à fait opposés peuvent être tirés de ces statistiques. D’un côté, ce faible

nombre de cassation pourrait signifier que la présomption d’innocence est, dans la grande

majorité des cas, respectée. L’interprète serait alors rassuré de comprendre que, d’une part,

les tribunaux respectent la présomption d’innocence et, d’autre part, qu’elle est reconnue

par la Cour de cassation. À l’inverse, ce faible nombre pourrait signifier que la Cour de

cassation donne une portée très restreinte à la présomption d’innocence en refusant, le plus

souvent, de reconnaître qu’il y a été portée atteinte. Il nous semble qu’une véritable étude

statistique pourrait étayer cette dernière hypothèse. En effet, s’il existe un assez grand

nombre de décisions de rejet fondées sur un respect de la présomption, il faudrait en outre

ajouter le nombre particulièrement important de décisions dans lesquelles les pourvois

invoquent une violation de la présomption d’innocence sans même que la chambre

criminelle, qui les rejette, ne se prononce expressément sur la présomption d’innocence. Les

conclusions qui en résulteraient devraient de toute manière être confrontées, comparées et

évaluées à la lumière d’une étude similaire menée sur la jurisprudence des chambres civiles.

Quoiqu’il en soit, la doctrine n’enseigne pas véritablement de réponse à notre question.

Le recours qui est fait à la jurisprudence se limite, d’une part, à illustrer la reconnaissance

de la présomption d’innocence par les juridictions et, d’autre part, à critiquer ou parfois

approuver certaines décisions qui limitent le jeu de la présomption d’innocence. Ainsi

conclut-elle généralement que : premièrement la présomption d’innocence existe et

856 Cass. crim., 19 mars 1986, Bull. n° 113 ; note RICHEVAUX, Gaz. Pal. 1986. 2. p. 545 ; obs. J. PRADEL, D. 1987 somm. 85 ; note de J. VALLANSAN, D. 1988, p. 568 ; décision citée par : P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 87 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 377 ; PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 45 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 378 et 482 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384. 857 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 71 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 34 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384. 858 Cass. crim., 22 octobre 1996, Bull. n° 369. 859 Il s’agit des décisions inédites ou publiées dont le sommaire ou le titrage par la Cour de cassation comporte l’expression « présomption d’innocence » ou l’expression « présumé innocent ».

Le discours sur l’objet

274

deuxièmement qu’elle n’est pas toujours respectée860. Ainsi, lorsque les pénalistes recourent

à la jurisprudence pour justifier leur discours, la démonstration de l’existence de la

présomption d’innocence n’est pas si convaincante qu’il pourrait y paraître de prime abord.

Toutefois, la remarque vaut de moins en moins aujourd’hui, un nombre plus important de

décisions a été rendu et par des juridictions ou formations autres que la chambre criminelle.

Désormais, le discours doctrinal ne recourt plus seulement à la jurisprudence à titre de

caution mais aussi pour en tirer les enseignements.

B- LES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DE LA JURISPRUDENCE

246. Un mouvement récent. Ce deuxième mouvement concerne davantage une période

récente dans l’histoire du discours sur la présomption d’innocence, qui a débuté aux

alentours des années quatre-vingt-dix. Il se caractérise par une absence, ou une faible part,

d’interprétation des décisions auxquelles les auteurs renvoient. Le recours à la jurisprudence

se manifeste alors sous la forme d’un exposé souvent laconique et objectif, des solutions

jurisprudentielles. Il vient ainsi enrichir le discours sur la présomption d’innocence en

précisant la notion à partir de ses applications pratiques861. On remarquera alors non

seulement un recul de l’interprétation doctrinale, mais également une faible part

d’appréciation critique et prédictive qui caractérise le recours actuel à la jurisprudence. Les

décisions ici concernées émanent principalement de la Cour EDH ou du Conseil

constitutionnel.

1) Le recours aux décisions précisant la notion de présomption d’innocence

247. Présentation des enseignements. On parle ici d’enseignements tirés de la

jurisprudence dans la mesure où les affirmations contenues dans la littérature juridique sont

directement extraites des solutions jurisprudentielles et rattachées à celles-ci862. Cette

démarche se caractérise souvent par l’incorporation au texte de la solution retenue par telle

ou telle juridiction863. Elle se manifeste parfois par l’emploi de formules telles que : « la

jurisprudence a admis que… », « la jurisprudence décide que… », ou encore « comme le dit

860 Par exemple : J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit. ; M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit. ; R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement étude comparée du droit français et du droit anglais, op.cit ; P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit. ; V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit. 861 Dernièrement, se sont les recherches de M. Henrion qui ont probablement le mieux illustré et prolongé cette tendance. L’auteur est ainsi le premier a avoir entrepris une véritable recherche de la nature juridique de la présomption d’innocence à partir, notamment, d’une analyse des applications jurisprudentielles des textes consacrant la présomption d’innocence. V. H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit. 862 V. par exemple : S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., particulièrement n°

368, 371 et 482 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence. 863 Comme la doctrine l’avait d’ailleurs fait avec l’arrêt du 24 mars 1949, à la différence près qu’ici on vise les cas où les extraits de décisions cités par les auteurs ont véritablement leur origine dans le discours des juges.

Le discours sur les sources positives

275

la Cour européenne des droits de l’homme ». Parmi les décisions auxquelles le discours fait

ainsi directement référence, le traitement de certaines serviront à illustrer notre propos, elles

peuvent être présentées selon trois thèmes : la compatibilité des présomptions de culpabilité

avec la présomption d’innocence, l’extension du domaine de la présomption d’innocence et

le droit de se taire ou de ne pas s’auto-incriminer.

248. La compatibilité des présomptions de culpabilité avec la présomption

d’innocence. La doctrine enseigne parfois, mais à regret, que la présomption d’innocence

n’est pas méconnue par l’existence de présomptions de culpabilité de fait ou de droit. Cette

affirmation est directement tirée de la jurisprudence de la Cour EDH, particulièrement de

l’arrêt Salabiaku c/ France, mais aussi des décisions internes françaises qui ont été rendues

dans la même lignée.

L’arrêt Salabiaku c/ France rendu le 7 octobre 1988864 est bien connu des pénalistes, il y

est très souvent fait référence à propos de la présomption d’innocence. En l’espèce, le

requérant avait été reconnu coupable du délit douanier d’importation de marchandises

prohibées. Il estimait devant la Cour que, la présomption "quasiment irréfragable", en vertu

de laquelle il avait été condamné par les juridictions françaises, était incompatible avec

l’article 6§2 de la Convention. Était alors en cause l’article 392-1 du Code des douanes qui

répute le détenteur de marchandises responsable de fraude. La cour était donc chargée, non

pas d’évaluer in abstracto ce texte à l'aune de la Convention, mais de déterminer s'il avait

été appliqué au requérant d'une manière compatible avec la présomption d'innocence.

La Cour européenne précisa sa position, d’une part elle décide que, « Tout système

juridique connaît des présomptions de fait ou de droit; la Convention n'y met évidemment

pas obstacle en principe, mais en matière pénale elle oblige les États contractants à ne pas

dépasser à cet égard un certain seuil» et, d’autre part, que : « L'article 6 par. 2 (art. 6-2) ne

se désintéresse donc pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les

lois répressives. Il commande aux États de les enserrer dans des limites raisonnables

prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense »865. En

l’espèce, les juges européens avaient estimé que l’article 6§2 était respecté et ne

condamnèrent pas la France.

864 Affaire Salabiaku c. France, A141-A. 865 § 28

Le discours sur l’objet

276

C’est cette solution qu’exposent les auteurs sans s’y attarder davantage866. Elle apparaît

désormais classique et largement admise puisque la doctrine signale également, selon le

même procédé, que la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel

ont fait leur, la position de la Cour européenne867. À cet égard, les auteurs se réfèrent à

plusieurs arrêts de la chambre criminelle ayant statué dans diverses matières : douanes,

circulation routière ou presse et admis la compatibilité des présomptions de responsabilité

avec l’article 6§2 de la Convention, autrement dit avec la présomption d’innocence. Se

trouve également invoquée une décision du Conseil constitutionnel en date du 16 juin 1999

qui statuait sur la constitutionnalité de l’article L. 21-2 du Code de la route et par laquelle

les juges ont affirmé que : « Cet article n'est pas davantage contraire à la règle de la

présomption d'innocence, dans la mesure où, s'il instaure une présomption de

responsabilité, celle-ci est une présomption simple, les droits de la défense étant en outre

respectés ».

Du reste cette jurisprudence ne fait que conforter la pratique, l’existence de

présomptions légales de responsabilité ou de « présomptions de culpabilité » est ancienne,

et les auteurs sont contraints d’admettre qu’elles se justifient par la nécessité de la

répression et la difficulté, voire l’impossibilité, pour la partie poursuivante, de prouver

certains faits868. Quoiqu’il en soit ces présomptions et la jurisprudence qui les consacre

(même sous réserve du respect des droits de la défense) ne sont pas conformes à la « théorie

doctrinale de la présomption d’innocence » qui consiste à faire peser sur la partie

poursuivante l’entier fardeau de la preuve.

249. L’extension du domaine d’application de la présomption d’innocence. On le sait,

le discours doctrinal sur la présomption d’innocence est essentiellement axé sur la matière

des preuves pénales. Aucune extension hors de ce domaine ne semblait avoir été envisagée

ni à titre prédictif, ni à titre de vœu. Or, ici encore, deux exemples de décisions ayant

procédé à une telle extension peuvent être envisagés. Il s’agit de deux arrêts de la Cour

EDH auxquels les auteurs renvoient, de la même manière que précédemment, c'est-à-dire en

prenant acte.

866 Par exemple : B. BOULOC, Présomption d’innocence et droit pénal des affaires, Rev.sc.crim., 1995, p. 468-469 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 200 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 122 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 149 ; PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, 4e éd., n° 42 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 59 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 398. 867 V. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 380 et 494 et s. 868 V. J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit. ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit.

Le discours sur les sources positives

277

Le premier date de 1983, il s’agit de l’affaire Minelli c/ Suisse869. M. Minelli estimait

que la cour d’assises zurichoise avait violé l’article 6§2 de la Convention en mettant à sa

charge les frais de procédure et de dépens, alors même qu’elle venait de clôturer la

poursuite en raison de la prescription de l’infraction qui lui était reprochée. La Cour

européenne devait donc répondre à la question suivante : la présomption d'innocence

s'accommode-t-elle de la solution consistant à imposer la charge de frais de procédure et

d'une indemnité de dépens à une personne qui a bénéficié d'un classement, d'un non-lieu,

d'un acquittement ou, comme ici, de la prescription ? La réponse apportée fut la

suivante : « Aux yeux de la Cour, la présomption d'innocence se trouve méconnue si, sans

établissement légal préalable de la culpabilité d'un prévenu et, notamment, sans que ce

dernier ait eu l'occasion d'exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le

concernant reflète le sentiment qu'il est coupable. Il peut en aller ainsi même en l'absence

de constat formel; il suffit d'une motivation donnant à penser que le juge considère

l'intéressé comme coupable ». Par référence à cette décision, la doctrine enseigne donc que

le juge ne doit pas exprimer, dans ses décisions, de préjugé relatif à la culpabilité avant que

ne soit prononcée une condamnation870.

Le second arrêt fréquemment cité concerne l’affaire Allenet de Ribemont de 1995 par

lequel la juridiction européenne a condamné la France. Le requérant, qui avait été inculpé,

mis en détention préventive puis avait bénéficié d’un non-lieu dans une affaire de meurtre,

invoquait une violation de l’article 6§2 en raison des propos tenus à la presse par le ministre

de l'Intérieur et de hauts fonctionnaires de police. Ceux-ci l’avaient en effet mis

publiquement en cause dans cette affaire. La Cour jugea alors que l’article 6§2 était

applicable à une telle situation, quand bien même le pré-jugement de culpabilité n’émanait

pas d’une autorité judiciaire : « La Cour constate qu'en l'espèce, certains des plus hauts

responsables de la police française désignèrent M. Allenet de Ribemont, sans nuance ni

réserve, comme l'un des instigateurs, et donc le complice, d'un assassinat (paragraphe 11

ci-dessus). Il s'agit là à l'évidence d'une déclaration de culpabilité qui, d'une part, incitait

le public à croire en celle-ci et, de l'autre, préjugeait de l'appréciation des faits par les

juges compétents. Partant, il y a eu violation de l'article 6 par. 2 »871.

Cette décision ne suscite pas grand intérêt chez les pénalistes, comme le prouve les

brèves allusions qui y sont faites872. Les professeurs Guinchard et Buisson y prêtent

869 Affaire Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, série A, n° 62. 870 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 379 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 378. 871 Affaire Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, série A, n° 308, § 41. 872 R. KOERING-JOULIN, Chronique internationale - droits de l’homme, Rev.sc.crim., 1996, p. 485 et s.; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 108 et 124 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 31 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 393.

Le discours sur l’objet

278

toutefois une attention particulière en s’y référant à plusieurs reprises873. Pourtant, au-delà

de la solution même, c’est la motivation de la Cour EDH qui pouvait retenir ici l’attention.

Elle rappelle en effet que « la Convention doit s'interpréter de façon à garantir des droits

concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires » et que « Cela vaut aussi pour le droit

consacré par l'article 6 par. 2 »874. Autrement dit, cette nouvelle extension de la portée de

la présomption d’innocence reconnue par les juges européens, a paru nécessaire pour

donner un véritable sens à la présomption d’innocence, au-delà de la simple fonction

attributive du fardeau de la preuve telle qu’elle était alors enseignée par la doctrine.

Il ne paraît pas utile de multiplier ici les exemples. Ils paraissent suffisants pour mettre

en lumière la discrétion des auteurs à l’égard de la jurisprudence européenne. Reste à

rechercher quelque explication à un tel phénomène qui relève des enseignements critiques

que le discours doctrinal véhicule.

2) Les enseignements critiques tirés de la jurisprudence

250. Aperçu général. Hormis l’étude critique de telle ou telle décision que l’on trouve

fréquemment dans les travaux de recherches doctorales, les enseignements critiques tirés de

la jurisprudence se caractérisent par leur faible nombre. On peut remarquer à cet égard la

relative rareté des commentaires doctrinaux portant sur des décisions ayant statué sur

l’application de la présomption d’innocence. Il existe, comme toujours, de notables

exceptions à ce constat : on pourra s’en convaincre en lisant ou relisant le professeur

Jeandidier875. Il semble pourtant que les enseignements critiques pourraient être plus

nombreux et plus riches, particulièrement dans l’analyse des décisions émanant soit du

Conseil constitutionnel, soit de la Cour EDH.

251. Jurisprudence constitutionnelle. Il est intéressant d’observer combien les pénalistes

ont peu recours aux décisions constitutionnelles pour présenter la présomption

d’innocence876. Les auteurs, ceux qui font allusion à la dimension constitutionnelle de la

873 S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op.cit., n° 368, 369, 373 et 483. 874 Affaire Allenet de Ribemont c. France, § 35 in fine. 875 W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit. L’auteur faisait ici référence à deux arrêts de la Cour de cassation rendus en 1990 et, qui selon lui, méconnaissaient totalement la présomption d’innocence en admettant d’une part, qu’une chambre d’instruction peut refuser une demande de mise en liberté d’un prévenu en relevant qu’il existe « des indices sérieux de culpabilité » (arrêt du 4 janvier 1990, Bull. n° 5), et d’autre part, qu’une chambre d’accusation peut renvoyer aux assises en indiquant « qu’il existe des indices graves et concordants de culpabilité » (arrêt du 6 Mars 1990, n° 89-86874). L’auteur expliquait alors que : « la présomption d’innocence est inéluctablement atteinte par l'affirmation selon laquelle il existe contre un individu des indices de culpabilité. Pour être sûr du contraire, il faudrait simplement dire qu'il existe contre l'intéressé des charges justifiant son renvoi devant la juridiction de jugement. C'est toute la différence entre une analyse objective – qui s'attache à la présence matérielle, des charges - et une démarche subjective – qui relie définitivement ces charges à un individu en lui imputant l'infraction», p. 50. 876 Par exemple le traité de MM. Merle et Vitu ne signale aucune décision constitutionnelle.

Le discours sur les sources positives

279

présomption d’innocence, renvoient principalement à deux décisions. Certains877 voient en

effet dans la décision des 19-20 janvier 1981878 une consécration ou une proclamation de la

valeur constitutionnelle de la présomption d’innocence par le Conseil. Pourtant cette

décision, examinant la constitutionnalité de la célèbre loi dite « sécurité et liberté », se

contente de faire une simple allusion à la présomption d’innocence. Ce qui suffit à d’autres

auteurs pour la signaler comme étant la première allusion explicite à la présomption

d’innocence par le Conseil constitutionnel879. Les auteurs ont également recours à la

jurisprudence constitutionnelle880 lorsqu’ils tirent les enseignements d’une décision de 1999

jugeant, à l’instar de la jurisprudence européenne (Salabiaku), que la présomption

d’innocence peut s’accommoder de présomptions de culpabilité881. Il en résulte que le

discours doctrinal sur la présomption d’innocence abandonne le plus souvent la dimension

constitutionnelle de la présomption d’innocence au profit des spécialistes de cette matière. Il

n’est que de regarder les commentaires des décisions dans lesquelles le Conseil

constitutionnel vise la présomption d’innocence, la majorité a été écrite par des

publicistes882. On peut rappeler également que les meilleurs défenseurs de la valeur

constitutionnelle de la présomption d’innocence sont les spécialistes de cette matière883et

non pas les pénalistes.

252. Jurisprudence européenne. On remarquera qu’elle s’intègre au discours des

pénalistes depuis une période fort récente et encore de manière assez discrète. Là encore, il

semble que l’étude spécifique des décisions ayant trait à la procédure pénale en général, et à

la présomption d’innocence en particulier, soit abandonnée aux spécialistes du droit

877 P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 5 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 368 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 7. 878 Décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981. 879 B. BOULOC, Présomption d’innocence et droit pénal des affaires, Rev.sc.crim., 1995, p. 467-468. 880 M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 201 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 128 ; PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, 4e éd., n° 42 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 59 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 398. 881 Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 : « aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi" ; qu'il en résulte qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité ». 882 V. supra, n° 139. 883 V. par exemple L. FAVOREU, in Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Annexes, op. cit., où l’auteur expose que : « La question n’a pratiquement jamais été abordée sous l’angle constitutionnel en France avant qu’elle ne soit posée par les spécialistes de justice constitutionnelle», et fait en outre observer que « la plupart des manuels de procédure pénale n’y consacrent [à l’aspect constitutionnel de la présomption d’innocence] que quelques lignes quand ils ne l’ignorent pas tout à fait ». V. aussi Th. Renoux auquel M. Favoreu renvoie, pour ses commentaires in Code Constitutionnel, op. cit.

Le discours sur l’objet

280

européen ou international des droits de l’homme884. Le recours aux décisions de la Cour

EDH ne semble pas encore faire totalement partie des réflexes doctrinaux. Cette attitude

demeure une spécialité à l’intérieur même de la communauté des pénalistes. En réalité,

l’intérêt pour la jurisprudence se porte davantage sur les décisions de la chambre criminelle

qui font application du droit européen que sur les décisions européennes elles-mêmes885.

Il faut également souligner, toujours concernant les décisions relatives à la présomption

d’innocence, la déférence avec laquelle les auteurs y ont recours. Les solutions de la Cour

EDH sont finalement exposées de la même manière que les textes de droit positif, si bien

que l’autorité qui leur est reconnue semble au moins égale à celles des dispositions légales

de droit interne. On pourrait dans ces conditions se demander dans quelle mesure la doctrine

estime pouvoir critiquer et influer sur les solutions émanant de la juridiction européenne.

Une chose paraît certaine, la jurisprudence européenne a dessiné de nouveaux contours à

la notion de présomption d’innocence, que la doctrine pénaliste française n’a pas

encouragés ni probablement souhaités. Elle a étendu la portée de la présomption

d’innocence au-delà de ce qu’enseignait traditionnellement la littérature juridique. Alors

que la doctrine a toujours donné à la présomption d’innocence une signification probatoire,

la Cour EDH a relégué cet aspect au second rang et insisté sur l’état d’esprit et l’attitude du

juge appelé à connaître d’une accusation pénale886. C’est ce qui a pu pousser un auteur à

écrire que : « La Cour de Strasbourg a en effet réussi là où des générations de juristes

français avaient échoué. La jurisprudence des organes de la Convention, Commission et

Cour européenne jusqu'à l'entrée en vigueur du Protocole Il, a donné naissance à une

conception autonome de la « présomption d'innocence » posée à l'article 6§2 de la

Convention ». M. Badinter souligne alors qu’ « il n’est ainsi plus uniquement question

d’une saine règle de procédure (et conforme aux droits de l’homme) confiant le fardeau de

la preuve à l’accusation et interdisant les mauvais traitements et la détention provisoire

abusive. En dehors du procès et de ses protagonistes, la présomption d’innocence implique

que la personne accusée ne soit pas présentée officiellement comme coupable, car dès lors

l’impartialité de la décision de culpabilité serait mise en doute, privant ainsi l’individu

884 Outre les chroniques spécifiquement consacrées à la jurisprudence européenne qui paraissent aussi bien dans les revues généralistes que spécialisées, il existe des ouvrages recensant les décisions de la Cour EDH, V. par exemple : V. BERGER, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Paris, Sirey, 8e éd., 2002, n° 103 à 109 pour la présomption d’innocence de l’article 6§2. 885 Il est vrai que sur le plan de l’effectivité du droit, mieux vaut probablement s’interroger sur le respect des dispositions conventionnelles en droit interne. Cette démarche explique certainement la parution de publications visant à donner un aperçu de la réception du droit européen en droit français. V. par exemple : M. FABRE et A. GOURON-MAZEL, Convention européenne des droits de l’homme : application par le juge français : 10 ans de jurisprudence, Paris, Litec, 1998, n° 248 à 267 pour la jurisprudence concernant la présomption d’innocence. 886 V. J. VELU et R. ERGEC, La Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1990, n° 559.

Le discours sur les sources positives

281

d’une garantie fondamentale du procès équitable »887. On touche ici à la signification de la

présomption d’innocence, qui n’est donc pas épuisée par celle que le discours doctrinal

avait véhiculée888.

253. Démarche doctrinale et existence juridique de la présomption d’innocence. S’il est

généralement admis qu’une règle, un principe ou encore une notion juridique, peuvent

exister en dehors de toute formulation expresse par les sources positives du droit, on

s’aperçoit toutefois, avec le discours sur la présomption d’innocence, que la formulation

explicite par le législateur ou le juge revêt une importance particulière.

Le recours systématique aux sources formelles de la présomption d’innocence le montre

assez et le recours à la jurisprudence a pour principale fonction de justifier l’allégation de

l’existence juridique de la présomption d’innocence. Finalement, le discours doctrinal sur

les sources positives montre que si l’existence de la présomption d’innocence peut aller sans

dire, cela va tout de même mieux en le disant ! C’est, semble-t-il à cette tâche que s’est

attelée la doctrine au cours du XXe siècle en recherchant dans l’étude du droit positif tous

les éléments qui lui paraissaient susceptibles de lui donner raison. Cet effort s’est

particulièrement illustré dans le travail de M. Essaïd dont la démarche résume parfaitement

celle de la doctrine criminaliste du siècle dernier. Il faut se souvenir de ce qu’écrivait cet

auteur en 1969 à propos des bases positives de la présomption d’innocence.

Tout d’abord, face à l’absence de toute formulation de la présomption d’innocence dans

nos codes répressifs889, notre auteur invitait à se préoccuper davantage du fond que de la

forme pour découvrir qu’en réalité le Code de procédure pénale s’inspirait largement de la

présomption d’innocence. Cela lui permettait alors de conclure que la présomption

d’innocence « fait indéniablement partie de notre droit positif »890. Puis s’agissant de la

jurisprudence, il indique que « pour n’être pas formulée directement, la règle n’inspire pas

moins les arrêts de la haute juridiction »891. Enfin, évoquant la doctrine, aussi bien

française qu’étrangère, l’auteur relève que « la critique moderne semble s’attaquer

davantage aux applications pratiques de la présomption d’innocence, à sa mise en œuvre

ou à sa portée qu’au principe lui-même »892. On se demande alors ce qu’il reste du principe

après de telles observations. Il faut semble-t-il mettre ces opinions de côté pour s’attacher à

l’opinion dominante qui est favorable à la présomption d’innocence. Il est à cet égard

caractéristique que l’auteur fasse ici appel à l’opinion de Roux en ces termes : « Sur

l’existence de la présomption d’innocence et de la maxime in dubio pro reo, Roux est

887 R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 144-145. 888 V. infra, titre 2. 889 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 50. 890 La présomption d’innocence, op. cit., n° 63. 891 La présomption d’innocence, op. cit., n° 84. 892 La présomption d’innocence, op. cit., n° 101.

Le discours sur l’objet

282

catégorique : " il ne saurait y avoir d’hésitation possible"»893. Le but recherché par l’auteur

dans l’examen de ces bases positives est facilement perceptible et c’est avec ses propres

termes que l’on peut l’exposer ici : « Si nous rapprochons toutes ces opinions de nos

précédents développements sur les textes et la jurisprudence, nous pourrons nous rendre

compte qu’en France l’accusé est incontestablement couvert par une présomption légale

d’innocence »894.

Si de nos jours la présomption d’innocence a été largement reconnue par le législateur et

que l’affirmation de son existence paraît aisée à justifier au regard des textes, il n’en a pas

toujours été ainsi. L’assurance avec laquelle les pénalistes ont affirmé que notre droit

connaissait une telle présomption résidait davantage dans la force de conviction de leur

discours que dans la rigueur de leur démonstration. Autrement dit, il nous semble que la

reconnaissance de la présomption d’innocence est due très essentiellement à la place qui lui

a été faite dans le discours doctrinal. À tel point que l’on peut songer à formuler une

hypothèse en forme d’interrogation : la doctrine peut-elle être considérée comme une source

de la présomption d’innocence ? C’est ce que l’on se propose d’examiner à présent.

893 La présomption d’innocence, op. cit., n° 102. C’est nous qui soulignons. Il est ici intéressant de connaître le contexte dans lequel cette affirmation avait été proférée par le célèbre criminaliste. Commentant une décision de la chambre criminelle Roux avait cru pouvoir la rattacher au principe de la présomption d’innocence et in dubio pro reo. La chambre criminelle avait en effet décidé que pour échapper à une condamnation pour vol d’un testament, les héritiers auraient du rapporter la preuve qu’il n’existait pas de légataire universel qui aurait pu bénéficier de la saisine des biens du de cujus. C’est qu’en l’espèce, les héritiers s’étaient emparés du testament et refusaient de le produire en justice, si bien que l’on ne pouvait savoir si c’est à bon droit qu’ils le détenaient. Roux estimait que la Cour opposait là une limite au bénéfice des deux principes : « Il ne faut pas que l’inculpé se soit mis de lui-même en dehors de la conduite des honnêtes gens ; et qu’il n’ait pas, par des actes qui le rendent suspect de fraude, mis lui-même le ministère public dans l’impossibilité de faire les preuves dont la loi l’a chargé », note sous Cass. crim., 15 mars 1929, S. 1930. 1. 353. Bien entendu, la Cour de cassation ne faisait aucune allusion à aucun des deux principes, la nécessité d’y rattacher cette décision n’apparaît pas d’évidence. Reste que ce qu’en a retenu la doctrine, c’est bien l’affirmation de Roux sur l’existence de la présomption d’innocence. À cet égard : V. également A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 59. 894La présomption d’innocence, op. cit., n° 104. C’est nous qui soulignons.

Le discours sur les sources positives

283

SECTION 2 : LA DOCTRINE PEUT-ELLE ÊTRE UNE SOURCE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ?

254. Formulation de l’hypothèse. Une telle question pourrait de prime abord apparaître

incongrue. Ce n’est pourtant pas nécessairement le cas si l’on accepte de la replacer dans

son contexte. En effet, l’étude du discours doctrinal sur les sources positives de la

présomption d’innocence a logiquement conduit à envisager le discours sur les sources

légales (au sens large) ainsi que le discours sur les sources jurisprudentielles. Ainsi a été

respecté l’ordre de présentation hiérarchique de l’étude des sources du droit. Or cette

présentation ne saurait être complète si elle ne devait faire également une place à la doctrine

elle-même. En effet, bien que la doctrine ne se reconnaisse pas en tant que source du droit

(au sens fort), elle a pour coutume de se définir à l’occasion de la présentation de ces

sources. Si bien qu’aucune recherche juridique ne peut se passer d’un recours aux écrits

doctrinaux pour compléter l’examen de la législation et de la jurisprudence895. On pourrait

même souligner que la méthodologie documentaire inclut la doctrine au titre des sources du

droit sans tenir compte de la nature véritable que se reconnaît la doctrine.

Dans la perspective ici choisie, poser la question de savoir si la doctrine peut être une

source de la présomption d’innocence revêt une signification particulière. Elle revient à se

demander si le discours doctrinal (le présent objet d’étude) confère, explicitement ou

implicitement, une place à la doctrine dans les sources de la présomption d’innocence. La

réponse à la question ainsi posée peut cependant être abordée selon deux perspectives

complémentaires : du point de vue du discours sur les sources du droit criminel en général

ou du point du vue interne au discours sur la présomption d’innocence. Dans l’un et l’autre

cas, il se trouve des éléments de réponse tendant d’une part à réfuter notre hypothèse et

d’autre part à l’encourager. Il existe ainsi des arguments laissant à penser que la doctrine ne

saurait être une source de la présomption d’innocence (§1), mais il existe en outre des

raisons de penser que la doctrine apparaît à certains égards comme une source de la

présomption d’innocence (§2).

§. 1 LA DOCTRINE NE SAURAIT ÊTRE UNE SOURCE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

255. Plan. Les raisons permettant de justifier que la doctrine ne peut pas être une source de

la présomption d’innocence s’ordonnent selon la perspective précédemment choisie. Ainsi,

dans un premier temps, elles seront tirées de la place habituellement reconnue à la doctrine

895 S’agissant de la présomption d’innocence on rappellera que M. Essaïd avait étudié, au titre des bases positives de la présomption d’innocence, aussi bien le droit en vigueur que la jurisprudence ou la doctrine.

Le discours sur l’objet

284

au sein de la théorie des sources du droit. À cet égard, c’est l’effacement de la doctrine

pénale derrière les sources du droit qui caractérise cette place. Dans un second temps, il

s’agira de tirer ces raisons du discours doctrinal lui-même. Or, les raisons qui semblent

devoir exclure la doctrine comme source de la présomption d’innocence relèvent d’un

constat : le discours doctrinal véhicule pour partie l’idée que l’existence de la présomption

d’innocence est incertaine.

A- L’EFFACEMENT DE LA DOCTRINE PÉNALE DERRIÈRE LES SOURCES OFFICIELLES

256. Des opinions non obligatoires. La doctrine n’est pas une source du droit en général ;

elle ne saurait par conséquent être une source de la présomption d’innocence en particulier.

Elle ne pourrait être une source du droit que si ces opinions ou constructions avaient une

force obligatoire semblable à celle qui caractérise aussi bien la loi que les décisions de

justice. Tel n’est pas le cas. Le discours doctrinal n’a rien d’impératif, il ne peut s’imposer

ni au juge ni au législateur, il n’est donc pas créateur de droit. Ce raisonnement, on le sait,

est directement issu de la théorie positiviste des sources du droit, qui traite ce dernier

comme un ensemble de règles obligatoires émanant d’autorités ayant expressément le

pouvoir de les formuler. Or, la doctrine, cet ensemble de juristes dont les seules armes sont

la plume et la parole, n’est pas en mesure de rendre obligatoires ses opinions.

257. Rôle de la doctrine pénale. La doctrine juridique du droit pénal ne raisonne pas

différemment, loin s’en faut896. « Il est bien acquis que la doctrine n’est pas une source du

droit (pénal ou non) », rappelle M. Pradel897. Lorsqu’elle n’omet pas tout simplement

d’évoquer son existence, elle axe davantage le propos sur ses attributions que sur sa nature.

Néanmoins, le rôle qu’elle s’assigne est parfois très important. Selon un auteur, la mission

doctrinale est triple : approfondir les différentes techniques législatives et indiquer, pour

chaque question appelant une loi, le procédé le plus apte à assurer le bien commun ;

proposer aux tribunaux répressifs les méthodes de raisonnement judiciaire les plus

conformes aux besoins du droit criminel ; et enfin, rechercher les moyens par lesquels il est

possible de faire pénétrer le droit dans la vie quotidienne en usant le moins possible de la

coercition898. M. Pradel reconnaît quant à lui deux grands domaines d’influence à la

doctrine. Tout d’abord sur le législateur, qui peut traduire ses propositions dans la loi.

Ensuite sur la jurisprudence que la doctrine guide dans ses solutions voire dans ses

formules899. Si les auteurs peuvent quelquefois parler de source à propos de la doctrine,

c’est pour minimiser son pouvoir en lui ajoutant un adjectif. Ainsi, il arrive que l’on

896 V. supra, n° 18 et s. 897 J. PRADEL, Droit pénal général, 12e éd., 1999, n° 256. 898 J.-P. Doucet, La doctrine est-elle une source du droit ? article disponible en ligne seulement : [http://ledroitcriminel.free.fr/la_science_criminelle/articles/doctrine_source_droit.htm]. 899 J. PRADEL, Droit pénal général, 12e éd., op. cit., n° 256.

Le discours sur les sources positives

285

présente la doctrine pénale comme source indirecte900 ou secondaire901. M. Pradel parle

même de « fausse source »902. Pour Mme Rassat par exemple, la doctrine est une source

indirecte du droit mais également occasionnelle puisqu’elle n’admet qu’il s’agit d’une

source qu’à partir du moment où l’opinion doctrinale a été consacrée par le législateur903.

En revanche, la doctrine se plait à dire qu’elle est « seulement une autorité »904. Or cette

autorité la place en bonne position pour influencer le droit et elle se voit, à cet égard,

comme une inspiratrice du droit pénal905. En réalité il faut comprendre qu’elle peut influer

sur les sources officielles du droit sans jamais pouvoir créer du droit. Considérant ce point

de vue, il est évident que la doctrine ne peut elle-même être une source du droit ni de la

présomption d’innocence.

Comment pourrait-elle d’ailleurs être une source de la présomption d’innocence ? N’est-

ce pas un droit de l’homme inventé au XVIIIe siècle et consacré par les constituants de

1789 ? N’a-t-elle pas été affirmée et réaffirmée par les États soit dans des traités

internationaux soit dans notre droit interne ? Il va de soi que la présomption d’innocence

trouve sa source dans le pouvoir étatique et ne saurait être recherchée dans le travail

doctrinal. Par ailleurs, comment imaginer que la doctrine puisse être une source de la

présomption d’innocence alors même que le discours qu’elle lui consacre est traversé par

des incertitudes quant à l’existence même de son objet d’étude ?

B- L’INCERTITUDE DOCTRINALE QUANT À L’EXISTENCE DE LA PRÉSOMPTION

D’INNOCENCE

258. Double discours doctrinal. Certes, l’interprétation doctrinale des sources de la

présomption d’innocence a montré jusqu’alors qu’elle visait essentiellement à affirmer

l’existence juridique de la présomption d’innocence. Et ce constat postule que la doctrine ait

eu la certitude qu’elle pouvait légitimement l’affirmer. Pourtant, l’affirmation ne vaut que si

l’on se place du point de vue de l’étude des sources. En effet, à l’analyse on distingue un

double discours : celui qui affirme d’un côté, celui qui doute de l’autre. L’incertitude

n’apparaît, il est vrai, qu’en filigrane, elle demeure néanmoins perceptible. Elle s’illustre

par des exemples tirés de la substance même du discours sur la présomption d’innocence.

900 M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., 2e éd., n° 154. 901 J. PRADEL, Droit pénal comparé, op. cit., 2e éd., n° 82. 902 J. PRADEL, Droit pénal général, 12e éd., op. cit., n° 256. 903 M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., 2e éd., n° 154. 904 J. PRADEL, Droit pénal général, 12e éd., op. cit., n° 256. Dire que la doctrine est une autorité est loin d’être dévalorisant d’ailleurs. Le terme renvoie alors à la force de considération dont jouit la doctrine, mais on peut y voir également le pouvoir d’agir sur autrui. Autrefois, on ne parlait pas de doctrine mais d’autorités. Ainsi Merlin consacrait-il plusieurs lignes dans son répertoire au rôle des opinions des jurisconsultes au titre des autorités. V. Répertoire de jurisprudence, v° Autorités. 905 V. HÉCQUARD-THÉRON (M.) (dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ? op. cit..

Le discours sur l’objet

286

259. Influence de l’opinion anglaise. La première illustration résulte d’une certaine

tendance, devenue pratiquement une tradition, qui consiste à rappeler une anecdote affectant

la réalité de l’existence de la présomption d’innocence. En effet, les juristes anglais auraient

pris l’habitude de considérer que la présomption d’innocence n’existe pas en France. Il

semble qu’il a ainsi existé une véritable controverse entre les juristes français et ceux

d’outre-Manche, qui se serait transformée à force de temps et de persuasion en une simple

boutade, ressuscitant par là la vieille inimitié franco-britannique. M. Essaïd dès le début de

son étude sur la présomption d’innocence signalait qu’ « une opinion, communément

répandue, outre-Manche, a prétendu que la présomption d’innocence est inconnue de la

procédure pénale française »906. Il expliquait plus loin, en citant les propos de René David,

que : « C’est presque un lieu commun de croire outre-Manche, qu’en France, à la

différence de ce qui se passe en Angleterre, l’accusé est présumé coupable tant qu’il n’a

pas prouvé son innocence »907. Quelques années plus tard, la discussion franco-britannique

était menée dans la Revue internationale de droit pénal par MM. Vouin et Hamson908. Dans

cette même revue, deux auteurs n’ont pas ménagé leur critique à l’égard des préjugés venus

d’Angleterre, particulièrement en ce qui concerne la présomption d’innocence909. En 1978,

c’est M. Legeais qui rappelait cette anecdote910. Plus proche de nous, M. Chassaing

explique que « Les Anglo-Saxons quand ils ne sont pas spécialistes de droit français, ont

tendance à proclamer abruptement que la présomption d’innocence n’existe pas en

France »911, tandis que M. Badinter se souvient : « Il y a quelques années, un collègue

anglo-saxon me confiait avec ironie qu’il enseignait volontiers à ses étudiants en droit

qu’en France, "on est présumé coupable jusqu’à preuve de son innocence" »912. Enfin, M.

Pradel perpétue cette tradition encore de nos jours en évoquant « certains esprits » qui

pensent qu’il n’y a pas de présomption d’innocence en France et qui ajoutent qu’elle existe

au contraire en Angleterre913.

Quelle signification attribuer à cette continuelle référence à la critique anglaise ? Est-ce

là un simple détour anecdotique ? Il nous semble que l’opinion des juristes anglais n’est pas

tout à fait indifférente, de même que la tendance à la rappeler pour mieux la corriger. De la

croyance des britanniques en l’inexistence d’une présomption d’innocence en France, on

peut probablement conclure qu’elle ne va pas de soi. Elle n’est en effet pas si évidente

qu’on veut bien le dire puisque l’observateur étranger ne l’admet qu’avec difficulté. En 906 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 6. 907 N° 104, citant, R. DAVID, Introduction à l’étude du droit privé de l’Angleterre, Sirey, 1948. 908 Le procès criminel en France et en Angleterre, Rev.int.dr.pén., 1952, p. 177. 909 J. et A. LARGUIER, La protection des droits de l’homme dans le procès pénal, op. cit., p. 131. 910 R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement étude comparée du droit français et du droit anglais, op. cit., p. 46. 911 J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 232. 912 R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 133. 913 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 396.

Le discours sur les sources positives

287

outre, il nous semble qu’en conservant la référence à cette opinion « contraire » le discours

doctrinal donne là la première marque de son incertitude. Il en existe d’autres, qui ne

viennent pas de l’étranger mais bien de la doctrine elle-même.

260. Affirmations de l’inexistence dans le discours. « La présomption d’innocence, si

souvent proclamée, n’a jamais existé en droit français » a récemment expliqué Jean-Denis

Bredin devant l’Académie des sciences morales et politiques914. Quant à la littérature

spécialement consacrée à la présomption d’innocence, elle suggère parfois l’inexistence.

Ainsi, et bien qu’ayant fait l’objet d’une loi portant son nom, on a osé récemment parler

d’une « prétendue présomption d’innocence » et réfuter point par point son existence :

« Malgré sa consécration terminologique légale, le double principe - pénal et civil - de la

présomption d'innocence est inexistant : le déroulement de la procédure répressive n'a de

maître que le doute, pendant qu'aucun droit subjectif ne consiste à être présumé

innocent »915. Doit-on voir là un coup d’éclat par lequel un jeune docteur aurait cherché à

convaincre ses pairs de l’acuité de son sens critique ? Il y a fort probablement de cela, mais

pas uniquement. Toute provocante qu’elle puisse paraître, cette étude peut se prévaloir de

précédents.

Le juriste Maurice Garçon avait déjà dit en 1953, dans un congrès international, que la

présomption d’innocence était une formule vide de sens. Robert Merle affirmait qu’il ne

s’agissait que d’une « fiction sans écho dans la réalité sociale »916, tandis que l’avocat

Georges Kiejman débutait sa communication à un colloque par ces mots : « sans plus vous

faire attendre je peux vous livrer ma conclusion : la présomption d’innocence n’existe pas

(…) »917. Le doute s’était déjà instillé en 1937 lorsque Jean Carbonnier concluait que,

scientifiquement il ne devrait pas y avoir de présomption d’innocence, comme celle que

proclame imprudemment la Déclaration des droits de l’homme, tant que le procès est en

cours918. On l’aperçoit encore chez M. Lombois : « Si l’on vous dit que c’est un Grand

Principe, n’allez pas le croire, ou pas tout de suite »919 ou chez M. Jeandidier qui n’a pas

hésité à écrire que la présomption d’innocence est une « grande hypocrisie du droit

pénal »920. Que penser, en outre, de l’opinion de cet auteur qui voulait en finir avec la

présomption d’innocence, admettant avec difficulté que : « perdure un anachronisme

914 J.-D. BREDIN, La France et les droits de l’homme : du culte au mépris, deux siècles de passions et de ruptures, Revue des sciences morales et politiques, 2001, n° 2, p. 31. 915 S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit. 916 R. MERLE, L’inculpation, op. cit., p. 111. 917 G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit., p. 14. 918 J. CARBONNIER, Le problème de la détention préventive, op. cit., p. 118. 919 C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 81. 920 W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 52.

Le discours sur l’objet

288

devenu une hypocrisie, qui pourrait avantageusement rejoindre "le linceul de pourpre où

dorment les dieux morts" »921 ?

Manifestement des voix se sont donc élevées pour dénoncer l’existence de la

présomption d’innocence. Ce ne sont pas les plus fortes mais elles créent une certaine

dissonance dans le discours. Les raisons en sont désormais largement connues. Elles

relèvent toutes de la confrontation de la « théorie de la présomption d’innocence » à la

pratique du droit, confrontation qui se résout en de multiples atteintes ou limitations à la

présomption d’innocence922. Ainsi l’incertitude puise à plusieurs sources : l’existence de

mesures portant atteintes à la liberté individuelle, l’existence de présomptions de culpabilité

de droit ou de fait dans le déroulement du procès pénal et l’existence d’atteintes à la

réputation des personnes mêlées de prés ou de loin à une enquête ou une instruction.

Cette mise en doute de l’affirmation théorique de la présomption d’innocence par rapport

à sa portée pratique ne doit toutefois pas tromper. On pourrait en effet penser qu’il s’agit

d’une critique des sources formelles de la présomption d’innocence. Or, à bien y regarder,

l’objet des critiques se confond avec la signification attribuée à la présomption d’innocence

et par là ce sont les affirmations doctrinales y afférentes qui sont visées. En cela, le discours

doctrinal exprime des incertitudes quant à son propre contenu923, si bien que la doctrine ne

saurait être regardée comme une source de la présomption d’innocence. On serait en droit

d’objecter que ce dernier argument est à double tranchant et qu’il ne permet pas de dénier

tout rôle au discours doctrinal dans l’avènement de la présomption d’innocence. Il ne

prouve pas tout à fait que la doctrine n’a pas eu sa part dans la reconnaissance de la

présomption d’innocence et qu’elle ne se reconnaît pas elle-même, implicitement, comme

une source de la présomption d’innocence. C’est la raison pour laquelle il convient

d’exposer les arguments militant en faveur d’une telle thèse.

§. 2 LA DOCTRINE POURRAIT APPARAÎTRE COMME UNE SOURCE DE LA PRÉSOMPTION

D’INNOCENCE

261. Source, autorité, influence. Quoiqu’en dise généralement les auteurs, il existe des

opinions prêtes à affirmer que la doctrine est une source du droit voire même la source du

droit. Ces points de vue sont alors davantage inspirés du jusnaturalisme ou de la

métaphysique. La doctrine y prend une importance de choix qui semble naturelle et

évidente. Parmi les jugements sur ce qui est droit, explique M. Sériaux, « il faudra tenir

compte au plus haut point de ceux qui émanent des docteurs : des personnes doctes en 921 J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, op. cit. 922 Sur l’énonciation de ces atteintes qui a pour effet de révéler leur contradiction avec la présomption d’innocence, V. infra, n° 328 et s. 923 V. infra, n° 258 et s.

Le discours sur les sources positives

289

droit. La doctrine constitue ainsi la source du droit par excellence»924. Le pénaliste Jean-

Paul Doucet estime quant à lui que « La doctrine est l’interprète privilégiée du droit

naturel. Elle a en effet pour double mission, d’abord de le proclamer dans ses principes

universels, ensuite d’adapter son application à l’état présent de la civilisation. Dans cette

mesure, on peut considérer que la doctrine est une source du droit naturel et, à travers lui,

du Droit dans son ensemble »925. Ces opinions, pour paraître minoritaires, n’en sont pas

moins importantes. Elles constituent en quelque sorte une vision maximaliste du rôle de la

doctrine dans la formation du droit.

Si tous les auteurs ne sont pas prés d’assumer ce maximalisme, il ne leur semblerait pas

raisonnable de dénier tout rôle à la doctrine dans la formation du droit. C’est d’ailleurs bien

ce que la doctrine elle-même admet en se désignant comme une simple autorité. Cette

autorité a pour effet de rendre la doctrine influente sur les autres sources du droit. Cette

influence demeure cependant assez floue, elle peut prendre diverses formes et consister à

inspirer une solution nouvelle, à infléchir une solution contestée, ou encore à transmettre un

savoir sur l’état du droit. Ces canaux d’influence méritent, malgré la difficulté, d’être

précisés en ce qui concerne la doctrine pénale en particulier. En effet, ce sera ici au titre de

cette influence que la doctrine pourra être regardée comme une source de la présomption

d’innocence (A). Mais le plus intéressant pour notre question sera peut-être d’essayer de

décrire, à partir du discours sur la présomption d’innocence lui-même, l’autorité et

l’influence de la doctrine à l’œuvre (B).

A- L’INFLUENCE DE LA DOCTRINE SUR LES SOURCES OFFICIELLES

262. Une influence difficile à mesurer. Le professeur Pradel l’avait observé, l’influence de

la doctrine, bien que certaine, est variable et difficilement quantifiable926. Autant l’influence

de la doctrine sur le législateur peut-elle être appréciée pour partie grâce aux travaux

parlementaires et à la participation des auteurs à des commissions de réforme927, autant les

moyens de connaître son influence sur le juge sont réduits. En effet, si la jurisprudence

trouve inspiration dans l’œuvre doctrinale, elle le dit rarement. Un auteur, pourtant

convaincu de cette influence, en a énoncé les raisons. M. Legeais rappelle ainsi que les

motivations des juges sont elliptiques et ne comportent que très exceptionnellement des

citations d’auteurs. L’influence pourrait se mesurer au travers des rapports et conclusions

des magistrats de la Cour de cassation mais ceux-ci ne sont que rarement publiés et

924 A. SÉRIAUX, Les sources du droit : vision jusnaturaliste, RRJ. 1990, p. 166 et s, n° 8. 925 J.-P. DOUCET, La doctrine est-elle une source du droit ? op. cit. 926 J. PRADEL, Droit pénal comparé, op. cit., 2e éd., n° 82. 927 Sur l’influence de la doctrine sur les travaux préparatoires des parlementaires, V. CH. LAZERGES, La doctrine et la dérive législative de la procédure pénale, op. cit., p. 154.

Le discours sur l’objet

290

demeurent donc inconnus928. Ainsi, les moyens concrets par lesquels la doctrine peut se

faire l’inspiratrice du droit sont-ils rarement évoqués. Certes les auteurs de doctrine ont-il à

convaincre juge et législateur soit d’adopter leurs propositions soit de prendre en

considération leurs critiques. Il paraît assez aisé de repérer, dans le discours doctrinal, de

telles propositions. Ce qui semble beaucoup moins aisé en revanche, c’est de connaître les

critères qui permettent de dire avec certitude que la doctrine a atteint son but. L’influence

de la doctrine sur les sources officielles semble pouvoir être présentée selon les deux

grandes voies par lesquelles elle est susceptible d’atteindre les sources officielles : la

formulation d’opinions et la transmission d’un savoir. Ainsi peut-on s’intéresser aux critères

permettant de s’assurer de l’influence des opinions et de l’influence de l’enseignement.

1) L’influence des opinions

263. Illustration d’ordre général. Faut-il que le juge reprenne explicitement la proposition

ou la formule d’un auteur pour dire, avec madame Rassat, que la doctrine est une source

(indirecte) du droit ? Faut-il que le législateur sollicite directement ses propositions et les

adopte pour que la doctrine puisse être regardée comme inspiratrice du droit pénal ? La

doctrine pénale répugne à expliquer en quoi elle est une autorité et comment cette autorité

est reconnue par les autres sources du droit. Il est par exemple admis qu’au XIXe siècle

Faustin-Hélie a inspiré la jurisprudence en matière de procédure criminelle, tandis que

Garraud et Garçon auraient, au début du XXe siècle, inspiré la jurisprudence de droit

pénal929. M. Pradel signale à cet égard que « la détention purement matérielle non

accompagnée de la remise de possession n’est pas exclusive de l’appréhension qui

constitue un élément du délit de vol » est une formule de la Cour de cassation qui lui a été

inspirée par Émile Garçon930. M. Legeais cite quant à lui la question du commencement

d’exécution qui avait été longuement débattue en doctrine et pour laquelle on peut trouver

une corrélation entre la jurisprudence et les opinions doctrinales, que ce soit celles de

Garraud, Vidal et Magnol, ou Donnedieu de Vabres931. Les exemples demeurent toutefois

rares et discrets et si l’influence est certaine, elle ne peut être décrite que partiellement et

avec certaines réserves. Reste que le mieux placé pour décrire l’influence de la doctrine

pénale sur la jurisprudence serait le juge. Un conseiller à la chambre criminelle s’est essayé

à l’exercice qui sonne comme un hommage au travail doctrinal en matière de droit pénal des

affaires. Le magistrat a pu ainsi affirmer que les membres de la chambre criminelle lisent

les ouvrages, chroniques et commentaires doctrinaux et s’en inspirent ; mais à la condition,

928 R. LEGEAIS, Le rôle de la doctrine et du droit comparé dans la formation de la jurisprudence pénale française, Rev. int. dr. comp., 1994, vol.16, n° spécial, p. 262. 929 J.-P. DOUCET, La doctrine est-elle une source du droit ? op. cit. 930 J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., 15e éd., n° 239. 931 R. LEGEAIS, Le rôle de la doctrine et du droit comparé dans la formation de la jurisprudence pénale française, op. cit., p. 269.

Le discours sur les sources positives

291

précise-t-il pour les commentaires d’arrêts, que ces derniers soient critiques et argumentés

et non pas seulement analytiques932.

264. Concernant spécialement la présomption d’innocence. À s’en tenir à ces critères

spéciaux ici admis, la question se pose de savoir si la doctrine peut être regardée comme

une source de la présomption d’innocence, dans le sens où la doctrine aurait pu, grâce à son

autorité, jouer une influence sur sa reconnaissance. Il en existe au moins des indices.

Tout d’abord et de façon très générale on a remarqué que la formulation même de

l’expression « présomption d’innocence » trouve son origine exclusive dans le discours

doctrinal et qu’elle a finalement été consacrée aussi bien par le législateur que par la

jurisprudence933. Ensuite, l’influence de la doctrine sur le législateur est probable sinon

certaine et ce à plusieurs égards. On peut se contenter de rappeler brièvement ce qui a été

jusqu’ici relevé, en commençant par le rôle de la doctrine dans l’inscription de la

présomption d’innocence en tête du Code de procédure pénale. Il paraît en effet raisonnable

de penser qu’elle fut inspiratrice dans le principe et la détermination du contenu même de

l’article préliminaire du Code934. Il n’y a pas là la consécration de l’opinion d’un auteur en

particulier mais finalement, d’une manière diffuse, de la doctrine tout entière. En effet, si

l’opinion d’un auteur peut-être désignée comme étant une doctrine ou la doctrine parce

qu’elle « engage » le corps doctrinal, a fortiori lorsque l’opinion est partagée par plusieurs

auteurs et que son influence est certaine, quoique diffuse. Le poids de la doctrine, dans

l’inspiration et l’élaboration de l’article préliminaire, a d’ailleurs été récemment souligné

par Mme Lazerges alors qu’elle apportait un élément de réponse à la question de savoir si

les facultés de droit sont inspiratrices du droit935.

S’agissant de la jurisprudence, il est certes vrai qu’elle a tardé à se référer explicitement

à la présomption d’innocence, mais on découvre dans le premier arrêt cassant au visa de la

présomption d’innocence que la chambre criminelle reprend à son compte l’affirmation que

la doctrine soutenait depuis de longues années. Ainsi l’arrêt du 29 mai 1980, souvent cité

par les auteurs, décide notamment que : « Tout prévenu étant présumé innocent, la charge

932 B. CHALLE, L’influence de la doctrine sur la jurisprudence de la chambre criminelle, in HÉCQUARD-THÉRON (M.) (dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ? op. cit., p. 170. 933 En effet, pourquoi ne pas avoir parlé plutôt de présomption de non culpabilité, à l’instar du droit italien, ou encore du principe selon lequel l’accusé est présumé innocent tant que sa culpabilité n’a pas été établie ? L’article 9-1 du Code civil alinéa 1 vise non pas le droit d’être présumé innocent mais bien le droit au respect de « la présomption d’innocence ». 934 V. supra, n° 212 à 214, pour le rôle du rapport de la commission Delmas-Marty, des propositions de réforme du Code de procédure pénale par Mme Rassat et de la participation de Mme Lazerges à l’élaboration de la loi du 15 juin 2000. 935 « On doit conclure à une doctrine directement inspiratrice du droit dans l’élaboration de cet article préliminaire. Ce poids de la doctrine est d’autant plus réel que le rapporteur à l’Assemblée nationale était professeur de droit pénal », explique Mme Lazerges en parlant d’elle-même mais en prenant soin, semble-t-il, de replacer sa contribution dans le cadre plus général de l’œuvre doctrinale. V. CH. LAZERGES, La doctrine et la dérive législative de la procédure pénale, op. cit., p. 159.

Le discours sur l’objet

292

de la preuve de sa culpabilité incombe à la partie poursuivante »936. Or, la consécration

d’une formule est bien la marque d’une influence doctrinale et il est probable en

l’occurrence que la Cour de cassation l’ait empruntée au discours doctrinal au sein duquel

elle circulait de longue date. Certes, la formule peut également et naturellement faire songer

à la rédaction de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais il

paraît plus probable que cette référence implicite au texte de la Déclaration soit passée par

la médiation du discours doctrinal. On retrouve en effet dans la formule de la Cour deux des

composantes du discours doctrinal sur la présomption d’innocence : la référence à la

Déclaration et celle à la charge de la preuve. Or ce lien n’est pas établi par l’article 9, lequel

n’a pas pour objet le droit de la preuve, mais bien par la doctrine.

Ces exemples sont sans doute insuffisants pour faire de la doctrine une source de la

présomption d’innocence. Ils ont toutefois le mérite de montrer qu’à suivre les critères

généralement admis, il existe une influence de la doctrine sur le législateur et le juge en

matière de présomption d’innocence et que cette influence, cette inspiration, n’ont pourtant

pas été ouvertement reconnues par la doctrine. Mais l’influence de la doctrine sur les

sources officielles a pu prendre d’autres formes et se développer en particulier grâce à la

mission d’enseignement que la doctrine remplit.

2) L’influence de l’enseignement

265. Transmission d’un savoir. L’autorité qui est reconnue à la doctrine est fondée sur son

savoir, la doctrine se définirait même par son objet : dire ce qui est vrai937. La doctrine

réussit à dire ce qui est vrai, tout d’abord en produisant un savoir et ensuite en le

transmettant. C’est semble-t-il l’essentiel de son activité938, les fonctions critique,

prescriptive et prospective ne viendraient finalement qu’en second, encore qu’elles

constituent elles aussi une forme de savoir. La doctrine est donc une « pourvoyeuse » de

savoir juridique. Ce savoir, aux facettes multiples, se diffuse de différentes manières et

touche plusieurs catégories de destinataires parmi lesquels l’étudiant, le législateur et le

juge939. Or, c’est dans sa mission de transmission du savoir en général, et plus

particulièrement de formation des futurs juristes, que la doctrine exerce une grande

influence, aussi grande qu’elle est difficile à appréhender. Il n’est pas rare que ce rôle,

indirect, soit négligé par ceux qui se soucient de donner une image de la doctrine juridique.

Pourtant, parmi les différentes activités doctrinales, il est permis de penser que

l’enseignement constitue le facteur d’influence le plus important par son ampleur et sa

durée.

936 Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164. 937 A. SÉRIAUX, La notion de doctrine juridique, op. cit., p. 66. 938 J. GHESTIN, Les données positives du droit, op. cit., n° 29. 939 V. J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, thèse, op. cit.

Le discours sur les sources positives

293

266. Formation des futurs praticiens. L’importance que l’on peut reconnaître à cette

mission d’enseignement tient à ce que la doctrine est la source de connaissance du droit et

qu’à cette source sont puisés les enseignements sur lesquels repose la formation de toutes

les catégories de juristes, et plus particulièrement celle des magistrats et des avocats.

L’influence de la doctrine peut être très grande ici en raison de la quasi exclusivité dont elle

jouit dans la formation de ces générations de juristes.

Cette exclusivité est aujourd’hui néanmoins menacée par d’autres institutions offrant des

enseignements de droit940. On aperçoit ainsi par exemple que les futurs magistrats qui

intègrent l’école nationale de la magistrature ne sont plus exclusivement préparés au

concours d’entrée par les instituts d’études judiciaires qui oeuvrent au sein des facultés de

droit, mais qu’ils sont de plus en plus souvent issus des instituts d’études politiques941. En

outre, la possibilité avait récemment été envisagée de permettre aux grandes écoles de

délivrer des diplômes de Master en droit. Un arrêté du 8 décembre 2004 l’a exclu mais le

débat, qui s’était ouvert dans les colonnes de la revue Dalloz relatif à l’enseignement du

droit, s’est poursuivi. Les divers intervenants ont ainsi, notamment, discuté de la qualité des

enseignements juridiques dispensés par l’université française942 et de son adéquation avec

les attentes de la pratique. La pratique s’éloignerait de la doctrine dont elle ne pourrait plus

se permettre de s’inspirer et propose une professionnalisation des études de droit943. À cette

occasion, la doctrine universitaire a pu se sentir atteinte dans son rôle, et demander qu’on

cesse de l’accabler944 ou encore que l’enseignement du droit demeure un service public et

non pas un secteur concurrentiel945. Dans une certaine mesure, c’est donc à une crise de

l’enseignement du droit à laquelle on assiste actuellement.

Quelles que soient les critiques que l’on puisse aujourd’hui adresser à l’enseignement

universitaire et l’issue de cette crise, chacun admettra que seule l’université permet ou

permettait au futur juriste l’acquisition de certaines connaissances et l’apprentissage du

raisonnement juridique en même temps que la maîtrise des outils conceptuels du droit.

Planiol et Ripert disaient ainsi de la doctrine que : « c’est elle qui donne l’inspiration ; elle

940 D. TRUCHET, Les facultés de droit et le marché de l’enseignement du droit, D. 2005, p. 2892. 941 Ces instituts ne dispensent qu’incidemment des enseignements de droit, c’est la raison pour laquelle les qualités de juristes de ceux qui en sont diplômés peuvent apparaître douteuses. Ce fait a été encore rappelé publiquement par Mme Rassat à l’occasion de son audition par la commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau. Les déclarations du professeur, pour le moins critiques, lui ont donné l’opportunité de souligner que le juge d’instruction Burgaud avait lui-même reçu sa formation juridique d’un institut d’études politiques. 942 M. Atias a inauguré cette discussion en proposant la création d’un observatoire de la formation des juristes destiné à penser et à repenser les fonctions de l’université dans la formation de juristes de qualité, D. 2004, p. 707 et s. 943 CH. BIGOT, Réflexions d’un avocat sur la professionnalisation des études de droit, D. 2005, p. 1724. 944 J.-F. CESARO, P.-Y. GAUTIER et F. LEDUC, Peut-on cesser d’accabler les universités ? D. 2005, p. 2332. 945 P. MAISTRE DU CHAMBON, Le service public de l’enseignement du droit et les facultés de droit, D. 2006, p. 172.

Le discours sur l’objet

294

prépare de loin beaucoup de changements de législation et de jurisprudence par l’influence

de l’enseignement. Même quand elle est fixée, la doctrine ne constitue pas une source du

droit comme la jurisprudence, parce que les commentateurs ne possèdent aucun pouvoir de

contrainte. Cependant, c’est dans leurs livres, c’est par eux que se transmettent les

principes scientifiques et les idées juridiques dont l’autorité domine la pensée des juges et

du législateur lui-même »946. Et en effet, le triptyque habituel qui met en regard législateur,

juge et doctrine, a tendance à masquer cette réalité : tout savoir sur le droit est doctrinal947.

Les praticiens d’aujourd’hui sont bien les étudiants d’hier et en cela ils sont tous des

« enfants » de la doctrine, lorsqu’ils n’en font pas partie eux même, comme le rappelle M.

Legeais. Certains praticiens du droit sont en effet bien connus pour leur œuvre scientifique,

et pour le droit pénal, l’auteur cite pour exemple les présidents Patin et Rousselet. M.

Legeais a également fait observer que l’influence de la doctrine sur la jurisprudence pouvait

résulter de la nomination d’un professeur de droit à la Cour de cassation, il pensait alors à

Roux948. Pour un exemple plus récent, on peut indiquer que depuis 1999, Mme Koering-

Joulin, professeur de droit à l’université de Strasbourg, a été nommée conseiller à la

chambre criminelle.

En réalité, on feint trop souvent de croire que l’apprenti juriste, une fois devenu

professionnel, baigne dans sa pratique quotidienne au point de s’éloigner complètement des

enseignements théoriques qu’il a reçus. On invoquera alors probablement une certaine

réalité : l’accélération du temps juridique oblige, les praticiens n’ont plus le loisir de lire les

auteurs et s’orientent vers une information juridique systématique et électronique : les bases

de données. Il n’en demeure pas moins vrai qu’avant de divorcer, l’école et le palais

entretenaient fréquemment d’étroits rapports. Les actuels détracteurs de l’université et de la

doctrine ne peuvent nier que la pratique du juriste fait fond sur un ensemble de

connaissances théoriques indispensables dont il ne peut totalement se départir, et c’est bien

vers elles qu’il revient toujours chercher quelques éclaircissements ou arguments qu’aucune

autre source n’est en mesure de lui offrir949. Si les avocats traitant d’affaires pénales

946 Cités par J.-P. DOUCET, La doctrine est-elle une source du droit ? op. cit. 947 Qu’il soit bon ou mauvais. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’on s’inquiète parfois autant de sa qualité, V. particulièrement les écrits du professeur Christian Atias à ce sujet. 948 R. LEGEAIS, Le rôle de la doctrine et du droit comparé dans la formation de la jurisprudence pénale française, op. cit., p. 269. 949 Répondant aux « attaques » de Christophe Bigot adressées à la doctrine, trois universitaires se sont défendus en mettant leur contradicteur au défi. Il a ainsi été proposé à ce dernier l’exercice suivant : « À partir d’une situation quelconque de droit des sociétés, ou du travail, ou des contrats, ou des sûretés, qu’il prenne trois manuels et trois bases de données. On verra où se trouvent majoritairement les idées, la distance, les références utiles, l’historique (qui fait comprendre), bref, ce qui fait l’aliment même de l’argumentaire quotidien des praticiens. Ce sont eux qu’il suffit au demeurant d’interroger, en tout cas ceux qui ont précisément conservé un lien intellectuel avec l’université. Parce qu’elle les a nourris lorsqu’ils étaient sur ses bancs et qu’elle les enrichit encore», V. J.-F. CESARO, P.-Y. GAUTIER et F. LEDUC, Peut-on cesser d’accabler les universités ? op. cit., p. 2332, en réponse à CH. BIGOT, Réflexions d’un avocat sur la professionnalisation des études de droit, op. cit., p. 1724.

Le discours sur les sources positives

295

peuvent se montrer très insatisfaits des ouvrages doctrinaux qu’ils jugent trop théoriques et

leur préfèrent répertoires et bases de données, ils ne font que confirmer le lien qui les

attache à la doctrine. Ils attestent par là qu’au moins un certain savoir se trouve dans

l’œuvre des professeurs dont ils ont suivi autrefois les enseignements magistraux. S’ils

disent ne pas trouver dans la littérature doctrinale de solution ou de réponse à leurs

questions d’ordre très pratique, ils continuent néanmoins de venir les y chercher950.

Écrit qui veut, convainc qui peut, a-t-on dit à propos de la doctrine. Il n’est pourtant pas

seulement question de convaincre, il est également question d’enseigner, de transmettre un

savoir, bref de former les futurs juristes ou les juristes actuels dépourvus de connaissance

dans un domaine déterminé. Ici le résultat de ses efforts échappe à la doctrine plus encore

probablement que lorsqu’il s’agit de convaincre d’une opinion une source ou une autorité. Il

n’en demeure pas moins qu’il existe toujours, nécessairement, un résultat. Parce que « sans

la doctrine, chaque apprenti juriste serait réduit à réinventer le droit »951, les

enseignements dispensés (oralement ou dans les écrits doctrinaux) jouent un rôle dans la

connaissance du droit et donc dans son élaboration même. Que la doctrine, et

particulièrement la doctrine pénale, soit disposée ou non à reconnaître cette forme de son

autorité n’y change rien. La conception que des générations de juristes se feront de telle

institution ou de tel principe dépendra toujours largement de ce que la doctrine en aura dit,

de la façon dont elle l’aura dit ou encore la façon dont elle les aura minimisés ou

dissimulés. Or, il n’y a aucune raison pour qu’il en aille autrement dans le cas particulier de

la présomption d’innocence. Il faut même avouer qu’au contraire il en existe de bonnes. En

effet, le discours sur la présomption d’innocence fait lui-même apparaître l’autorité

doctrinale à l’œuvre.

B- L’AUTORITÉ DOCTRINALE À L’ŒUVRE

267. Le discours doctrinal sur la présomption d’innocence comme source. L’autorité,

dont jouit et se réclame à la fois la doctrine, permet de suggérer que ses enseignements

peuvent être la source de la présomption d’innocence à deux titres différents mais

complémentaires. D’une part, si l’on a égard au discours doctrinal sur la présomption

d’innocence dans son ensemble, on peut observer de façon assez significative qu’il s’appuie

largement sur l’opinion des auteurs. Par une large « autoréférence », la doctrine indique à

quelle source elle a puisé ses enseignements sur la présomption d’innocence et laisse

950 Qu’un avocat cherche dans un manuel ou un traité de droit pénal, et sans les trouver, des références d’arrêts répondant exactement au problème posé par la situation de son client est semble-t-il révélateur de la méthode juridique actuelle qui est fondée sur la recherche des précédents jurisprudentiels. « Il est toujours plus efficace d’invoquer devant le juge un arrêt récent rendu par l’un de ses pairs plutôt qu’un avis d’un universitaire qui ne peut plus prétendre à la légitimité intellectuelle sur son seul titre » écrit ainsi M. Bigot, op. cit., D. 2005, p. 1724. 951 J. GHESTIN, Les données positives du droit, op. cit., n° 31.

Le discours sur l’objet

296

entendre par là, quoique de façon paradoxale, qu’elle est une source de la présomption

d’innocence. D’autre part, une fois admise l’influence des enseignements doctrinaux sur la

pensée juridique pénale, l’autorité du discours doctrinal en matière de présomption

d’innocence pourrait résulter de la rhétorique utilisée par les auteurs. En effet, il est possible

de relever dans la trame de ce discours une tendance à personnifier la présomption

d’innocence, ce qui pourrait avoir pour effet de lui conférer un relief particulier, autrement

dit de lui donner vie au-delà de la simple représentation abstraite d’un concept.

1) L’autoréférence doctrinale

268. La doctrine, savoir de référence. « Le juriste-docte est un observateur qui rapporte

ce qu'il a vu et surtout lu. Décrire l'état du droit sous-entend que l'objet de connaissance

préexiste du moins partiellement et que le savoir qui en résulte y prend obligatoirement

appui pour s'énoncer »952. Quel est l’objet de cette observation ? Dans une perspective

positiviste du droit, ce sera la loi et la jurisprudence. Logiquement, les assertions doctrinales

sur la présomption d’innocence devraient prendre appui sur ces sources. Or, nous avons

remarqué par l’étude du discours sur les sources positives de la présomption d’innocence

que l’affirmation du principe doit plus à l’argument d’autorité qu’à l’argument réellement

tiré de la loi ou de la jurisprudence. On peut alors se demander à quelle source la doctrine

puise sa connaissance de la présomption d’innocence953. Les développements précédents

laissaient entrevoir qu’il pouvait s’agir de la doctrine elle-même. Cela dit, par la mise en

évidence de l’autoréférence du discours on en acquiert une illustration intéressante. Il ne

s’agit pas ici de s’étonner de ce que la doctrine cite la doctrine. Rien de plus normal en

effet, il y a fort heureusement des interactions et des interconnexions au sein du corps

doctrinal qui se concrétisent par un renvoi à l’opinion des autres auteurs, à leur savoir.

Aucune recherche ne saurait partir de zéro dit-on. En revanche, l’attention peut être attirée

lorsque cette citation prend une ampleur suffisante pour laisser penser qu’il y a une

autoréférence.

269. Notion d’autoréférence. L’autoréférence954 est un concept logique utilisé en

linguistique, philosophie, mathématique informatique, ou encore à propos de l’art955. Ce

952 V. J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, thèse, op. cit. , n° 161. 953 « La doctrine est à sa manière dotée de sources ; celles-ci se trouvant être précisément les sources du droit. Elle se nourrit notamment de la loi positive, de la jurisprudence, des intentions du législateur, etc. Elle se nourrit également d’elle-même, de sa propre histoire et de ses propres résultats» avait expliqué un auteur, après avoir d’ailleurs démontré que la doctrine est elle-même une source du droit parmi les sources mais aussi un instrument que le droit utilise pour accéder à ses autres sources, V. J.-L. VULLIERME, Les anastomoses du droit, Arch. phil. dr., 1982, T. 27 (Les sources du droit), p. 16-17. 954 De auto : soi-même et se référer : se tourner vers quelqu’un ou quelque chose qui représente la source, l’origine ou l’autorité sur laquelle on s’appuie, se fonde. L’autoréférence est la propriété d’un système de faire référence à lui-même. 955Mains se dessinant de M.-C. Escher est la lithographie à laquelle on a généralement recours pour illustrer ce qu’est l’autoréférence.

Le discours sur les sources positives

297

que nous désignons ici comme l’autoréférence doctrinale est toutefois quelque peu différent

dans la mesure où le discours doctrinal n’a pas l’unité requise956. Le discours doctrinal est

pour nous un ensemble d’écrits trouvant leur source chez plusieurs auteurs. Il ne constitue

un tout que dans la mesure des fonctions reconnues à la doctrine et plus spécifiquement

pour notre étude.

Ici, l’autoréférence est le fait pour la doctrine de se référer à elle-même, c'est-à-dire vise

les situations dans lesquelles la construction du discours doctrinal s’appuie en grande partie

sur le discours doctrinal lui-même. La référence est ici celle par laquelle l’auteur renvoie

non pas à lui-même mais aux autres auteurs faisant eux aussi partie de la doctrine. Elle se

matérialise d’une part, par la référence explicite qui est faite soit dans le corps du texte à

l’opinion doctrinale soit par renvoi aux notes infrapaginales, et d’autre part, par la référence

implicite qui est faite au discours d’un autre auteur sans indication de sa source.

270. L’autoréférence explicite. Le discours doctrinal sur la présomption d’innocence offre

quantité d’exemples d’autoréférence explicite. Pour l’essentiel, ils résultent des renvois aux

notes infrapaginales957 qui complètent les propos des auteurs. La fonction de ces références

peut être variable, à notre connaissance il n’en existe pas de typologie. On peut toutefois se

hasarder à en dresser un commencement. Trois fonctions principales pourraient ainsi être

attribuées aux références données par les auteurs.

Tout d’abord une référence peut jouer le rôle de caution scientifique. L’assertion qui en

fait l’objet puise alors sa légitimité dans les travaux ou dans l’opinion d’un ou plusieurs

autres auteurs. Ce que je dis est vrai parce que M. untel l’a dit. Dans ce cas, la référence

peut signifier que l’auteur adhère pleinement à l’opinion d’un autre auteur s’étant exprimé

avant lui ou bien qu’il existe par ailleurs un opinion semblable à la sienne venant ainsi lui

donner plus de crédit. Ensuite, une référence peut jouer le rôle de complément scientifique.

Dans cette hypothèse, la référence a pour objet de renvoyer le lecteur à des études plus

détaillées ou approfondies sur tel ou tel point et que l’auteur n’est pas en mesure de

développer dans le cadre de son propre discours. Enfin, une référence peut manifester

l’honnêteté ou la rigueur scientifique de l’auteur en signalant les opinions contraires à la

sienne ou quelque peu différentes. Cette dernière catégorie ne semble pas faire difficulté

car, généralement, les auteurs signalent expressément que la référence donnée renvoie à une

956 On ne peut ainsi dire du discours doctrinal qu’il est autoréférent au même titre que la phrase suivante : « Cette phrase comporte cinq mots » qui est un exemple bien connu d’autoréférence. 957 Certains textes ne comportent pas de telles notes, les auteurs inscrivent alors leurs références entre parenthèses dans le corps du texte, ce qui revient au même. On le sait, dans la littérature juridique les notes renvoient très fréquemment à des références jurisprudentielles ou légales, ces dernières ne nous intéressent pas ici. Aux notes infrapaginales on pourrait sans doute ajouter les références bibliographiques parfois données en exergue ou à la fin des développements spécifiques à une question, comme la présomption d’innocence par exemple.

Le discours sur l’objet

298

opinion contraire. En revanche, il n’est pas toujours aisé de distinguer entre les deux

premières catégories. En effet, la façon dont certaines références sont présentées ne permet

pas toujours de connaître l’intention de l’auteur.

Outre ces références renvoyant à la doctrine par le truchement d’une note infrapaginale,

il existe des références directes dans le corps même du texte, lorsque l’auteur s’exprime sur

l’opinion d’un ou plusieurs auteurs ou évoque tout simplement « la doctrine ».

En réalité, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer des cas d’autoréférence dans le

discours doctrinal sur la présomption d’innocence, lorsque nous avons désigné les travaux

de MM. Essaïd et Patarin comme des études fondatrices. L’un des critères permettant de

qualifier ainsi une étude ou article réside justement dans les références qui y sont faites, et

concernant les travaux de ces auteurs, nous avons vu que ces références ont été nombreuses

et le demeurent encore aujourd’hui. Il faut également rappeler au titre de l’autoréférence le

fait que la présomption d’innocence a émergé dans le discours doctrinal par une référence

explicite aux opinions exprimées par le juriste italien Ferri dans Sociologie criminelle. Mais

au-delà de ces cas déjà évoqués, on peut ici donner d’autres exemples d’autoréférence

explicites. Ils concernent le plus souvent un point particulier : la fonction ou la signification

probatoire de la présomption d’innocence.

Déjà MM. Patarin et Essaïd donnaient pour caution de leurs affirmations une liste parfois

impressionnante d’œuvres doctrinales958. Ainsi le premier des auteurs estimait-il ne pouvoir

écrire que : « La protection de la liberté individuelle exige, en matière pénale, que nul ne

soit tenu pour coupable, en dépit même des plus graves soupçons, tant que la preuve

complète de la culpabilité n’a pas été administrée », sans citer à l’appui de cette affirmation

pas moins de sept ouvrages doctrinaux959. Il en va quasiment de même pour le second

auteur qui ne peut affirmer que « (…) si la preuve incombe à la partie poursuivante

conformément à la maxime Actori incumbit probabtio, cette s’obligation s’explique aussi et

surtout par la présomption d’innocence » sans renvoyer à dix-neuf références d’auteurs

pour l’essentiel français mais également étrangers960. Du reste, sur cette affirmation, M.

Larguier avait lui aussi autrefois pratiqué une large référence à la doctrine961. On pourrait

faire encore la même observation avec M. Levasseur qui, de nombreuses années plus tard,

958 Concernant les travaux de M. Essaïd, cette autoréférence lui a même valu la reconnaissance du professeur Gaston Stéfani : « Utilisant les observations et les remarques dispersées et fragmentaires contenues dans les traités de procédure pénale et dans quelques articles de revues françaises et étrangères, il est parvenu à découvrir les nombreux problèmes que pose la présomption d’innocence, à les classer avec méthode et à les résoudre en mettant en relief les idées générales qui en commandaient la solution. », V. M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., préface, p. 9. 959 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 4, note 9 faisant référence aux écrits de Roux, Donnedieu de Vabres, Vidal et Magnol, Bouzat, Stéfani, Vouin et Bonnier. 960 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 160, note 9. 961 J. LARGUIER, La preuve d’un fait négatif, op. cit. ,n° 9, note 23.

Le discours sur les sources positives

299

n’a pas procédé autrement en décrivant la charge de la preuve en procédure pénale

française. Ce dernier auteur a d’ailleurs déclaré que « C'est à bon droit que Merle et Vitu

ont pu dire que "la présomption d'innocence doit être regardée, à l'instar du principe de la

légalité criminelle, comme l'un des fondements indispensables du droit pénal" »962. On aura

noté que l’expression employée par M. Levasseur est très forte et pleine de signification

puisque, « C’est à bon droit », est une formule que l’on trouve plus habituellement dans les

jugements ou arrêts.

Mais cette autoréférence doctrinale trouve probablement son meilleur aboutissement

dans l’étude de Mme Ambroise-Castérot. Les développements qu’elle consacre à la

présomption d’innocence sont construits en deux parties. Or, c’est très essentiellement la

première, intitulée : Mécanisme de répartition de la charge de la preuve, qui comporte de

nombreuses références à la doctrine, tandis que la seconde, relative à la Reconnaissance du

droit subjectif à être présumé innocent, appelle essentiellement des renvois à la loi et à la

jurisprudence. Ces renvois à la doctrine illustrent, tant par leur nombre que leur objet, ce

que nous appelons l’autoréférence doctrinale. Parmi de multiples exemples, on en signalera

particulièrement deux. L’un est tiré d’un passage relatif à la fonction de la présomption

d’innocence, où Mme Ambroise-Castérot puise l’essentiel de ses affirmations dans le

discours doctrinal antérieur sur la présomption d’innocence963. L’autre est tiré de plusieurs

passages où l’auteur invoque directement la doctrine : « Comme la doctrine a pu le

souligner, il ne faut pas confondre innocence et présomption d'innocence (…) » ; « La

doctrine s'est beaucoup interrogée sur la nature et la spécificité de la présomption

d'innocence » ; « La doctrine s'est interrogée sur la question de savoir si la règle reus in

excipiendo fit actor, applicable au procès civil, l'était aussi à l'instance pénale »964.

271. L’autoréférence implicite. Elle est, par nature, plus difficile à relever, car elle requiert

une comparaison minutieuse des écrits doctrinaux entre eux pour déceler les affirmations

qui ne peuvent se comprendre réellement que par référence à ce que d’autres auteurs ont

écrit. Mais l’autoréférence implicite se manifeste aussi parfois par ce que l’on pourrait

appeler, en empruntant au jargon informatique, un « copier-coller ». S’il ne s’agit pas d’un

« copier-coller » pur et simple, il est cependant vrai que les auteurs donnent parfois 962 G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, op. cit., p. 687-688. 963 C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 32, dont nous reproduisons un passage : « Fonction de la présomption d'innocence. - L'accusation doit rapporter des preuves décisives et ne doit laisser subsister aucun doute. En effet, la présomption d'innocence remplit une double fonction. Elle permet tant de protéger les individus contre les risques d'arbitraire et de lutter contre le déséquilibre dans le rapport de forces, que de stimuler la recherche de la vérité judiciaire exacte (R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, t. II : Procédure pénale, 5e éd., 2001, Cujas, n° 143). Cette exigence de l'absence de doute se traduit par la règle in dubio pro reo, qui est la conséquence (M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, PUF, coll. Droit fondamental, 2001, n° 196) ou le corollaire (M. ESSAÏD, La présomption d'innocence, 1969, thèse Rabat, 1971, éd. La Porte, n° 152) de la présomption d'innocence. » 964 V. n° 13, 19, et 25.

Le discours sur l’objet

300

l’impression de tous écrire la même chose, dans les mêmes termes et en suivant la même

logique, au point que l’on peut avoir le sentiment que les uns recopient les autres. Quelques

exemples de ces différentes formes pourront illustrer le phénomène.

Il nous semble, en premier lieu, que la meilleure illustration relève de ce qui a été dit à

propos de la fameuse formule attribuée, par nombre d’auteurs, à un arrêt de la Cour de

cassation alors même qu’elle était née sous la plume de Jean Patarin965. On a là une preuve

éclairante de ce que la doctrine puise son discours dans la doctrine, au point de ne pas

vérifier l’exactitude de ses sources et de laisser se perpétuer une erreur d’interprétation.

Mais au-delà de l’erreur on peut aussi voir l’autoconsécration doctrinale.

L’autoréférence implicite se manifeste en second lieu, lorsque le discours doctrinal se

prend pour objet, souvent pour se critiquer d’ailleurs. Qu’est-ce à dire ? Qu’une grande

partie du discours doctrinal consacré à la présomption d’innocence est construite par

référence au discours d’autres auteurs qu’ils soient aînés ou contemporains. Lorsque par

exemple, Mme Ambroise-Castérot écrit qu’ « Il est donc impossible d'affirmer que la

présomption d'innocence puisse perdre de sa vigueur au fur et à mesure de l'accumulation

des charges à l'encontre de la personne mise en examen puisque cela reviendrait à affirmer

que la présomption d'innocence est autre chose qu'une règle probatoire », elle se réfère

directement au discours doctrinal. L’impossibilité d’affirmer que la présomption

d’innocence perd de la vigueur au fil de l’avancement du procès, est une assertion qui ne se

comprend que par référence au discours d’autres auteurs ayant affirmé l’inverse966. On

observera également que l’essentiel de l’étude M. Detraz porte, au fond, sur le discours

doctrinal967. En effet, la démarche de l’auteur a pour objet de critiquer nombre d’assertions

traditionnelles tirées du discours doctrinal968.

On trouve en outre un exemple d’autoréférence implicite dans le fait de reproduire, sous

une forme identique, la question et les inquiétudes que Garraud et Vidal exprimaient au

965 V. supra, n° 241, à propos de l’arrêt du 24 mars 1949 et son utilisation en doctrine. 966 En effet, nombre d’auteurs ont exprimé un doute soit quant à l’existence soit quand à la force de la présomption d’innocence en raison des présomptions de culpabilité qui fondent l’avancement du processus pénal, V. par exemple : G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit. ; J. LE CALVEZ, L’inculpation et la présomption d’innocence, op. cit. ; P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit. ; J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit. ; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit. ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit. , 12e éd., n° 396. 967 Nous pensons qu’il s’agit d’une étude prouvant que le savoir doctrinal sur la présomption d’innocence est véritablement entré dans une phase de réfutation et donc de progression. 968 V. S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., pour un exemple d’autoréférence explicite, n° 2 : « Si l'expression de « présomption d'innocence» est depuis longtemps reçue en doctrine et plus récemment, par la société tout entière-, elle surprend néanmoins, au premier abord, par son inadéquation avec la réalité (…) » ; et pour un exemple d’autoréférence implicite, n° 6 : « On peut donc soutenir que la présomption d'innocence telle qu'on est instinctivement conduit à la présenter est inexistante: le système répressif français n'est pas établi sur l'idée fondamentale que le suspect est présumé innocent et l'article 9-1 du Code civil ne consacre pas un droit à la présomption d'innocence. »

Le discours sur les sources positives

301

début du siècle à propos de la distinction établie par Ferri entre les criminels ataviques et

occasionnels. Garraud se demandait tout d’abord : « Mais comment la faire fonctionner,

lorsqu’il s’agit d’établir que l’accusé est bien l’auteur du délit ? », puis il écrivait : « En

admettant même ces stigmates, ce serait donner à de simples indices de criminalité une

portée redoutable, en classant a priori comme dangereux ceux qui en seraient les

victimes »969. Or, on retrouve à peu de choses près, ce même questionnement chez MM.

Merle et Vitu lorsqu’ils évoquent, à propos de la présomption d’innocence, la fameuse

distinction établie par les positivistes : « Mais comment affirmer qu’un individu appartient

avec certitude à l’une ou l’autre catégorie ? Un dangereux arbitraire risquerait de

s’introduire dans la procédure sous le couvert de notions scientifiques discutées »970. M.

Pradel, dans le même contexte repousse la distinction entre ces deux catégories de

délinquants en concluant ainsi : « D’ailleurs, comment distinguer entre délinquant très

dangereux et peu dangereux ? »971.

Pour terminer avec un dernier exemple d’autoréférence implicite, on peut relever une

modification du discours doctrinal en raison du discours doctrinal lui-même. Ainsi, le

professeur Pradel a pu écrire972 que la présomption d’innocence « a été consacrée avec

force dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Or Mme Rassat,

estimant que cette affirmation était erronée, signalait dans son propre manuel que « Le

principe de la présomption d’innocence n’est pas consacré "avec force" comme le dit un

auteur, mais seulement évoqué incidemment dans la Déclaration des droits de l’homme et

du citoyen de 1789 »973. Or on observera que le professeur Pradel, depuis la dixième édition

de son manuel, a décidé de faire droit à la critique de sa collègue. Désormais, l’auteur

affirme simplement que la présomption d’innocence « est reprise dans la Déclaration des

droits de l’homme et du citoyen »974.

Ces exemples tendent à montrer que l’autoréférence doctrinale illustre, exprime,

manifeste, non seulement que la doctrine jouit d’une grande autorité mais aussi qu’elle se

reconnaît à elle-même cette autorité.

2) La personnification de la présomption d’innocence

272. Du style doctrinal. Le discours doctrinal bien qu’appartenant au discours savant n’en

reste pas moins un discours, fait d’énoncés à partir du langage commun et relevant d’un 969 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 234. 970 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit. , n° 144. 971 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384. 972 Probablement depuis la première édition de son manuel, et de façon certaine depuis sa troisième édition. 973 V. par exemple, M.-L. RASSAT, Procédure pénale, op. cit., 2e éd., n° 191, renvoyant directement à l’ouvrage de M. Pradel. 974 V. en dernier lieu, 12e éd., n° 384.

Le discours sur l’objet

302

style. Le style du discours dépend à la fois des règles particulières aux exposés

académiques, du style propre à chaque auteur en fonction de sa personnalité et de sa culture,

mais aussi de l’époque. On sait ainsi que le style des anciens juristes, encore au XIXe siècle,

était par exemple emphatique. Le style est aujourd’hui beaucoup plus neutre, voire parfois

monotone et stéréotypé. Au-delà de sa spécificité juridique, le discours doctrinal emprunte,

par la force des choses, aux règles d’élaboration de tout discours. En particulier, il lui arrive

d’user de figures de style comme on le fait en littérature ou en poésie et ne dédaigne pas,

par exemple, l’emploi de métaphores975.

Or, l’analyse du discours doctrinal sur la présomption d’innocence laisse parfois

apparaître l’usage rhétorique de la personnification. On le sait, la personnification est le

procédé par lequel une chose inanimée ou abstraite reçoit des traits propres à l’homme976.

Ainsi peut-on observer que le discours doctrinal a une tendance singulière à évoquer la

présomption d’innocence sous les traits d’un être humain. En effet, les caractéristiques, les

attributs qui sont parfois conférés à la présomption d’innocence, aux détours de certaines

phrases, s’appliquent normalement à des être animés et non à des choses abstraites, tel un

principe juridique.

273. La présomption d’innocence personnifiée : illustrations. Plutôt que de donner ici

des exemples tirés d’une longue liste de manifestations de cette personnification de la

présomption d’innocence, il a paru plus pertinent de les présenter en situation, dans une

courte conversation, inventée pour l’occasion mais qui respecte le sens des expressions

« personnifiantes », tel qu’il apparaît réellement dans le discours doctrinal. Cette

conversation imaginaire met en jeu plusieurs auteurs qui s’entretiennent, naturellement, de

la présomption d’innocence.

‐ Vous nous dites chère madame que « c’est le procès pénal qui la fait naître »977, je voudrais ajouter pour ma part que « la présomption d’innocence est la fille naturelle du doute »978. 

‐ Qu’importe  sa  filiation !  Il  faut  surtout  s’aviser  de  ce  qu’elle  a  « rallié  les  suffrages de l’ensemble de la doctrine »979. 

‐ Vous avez raison de le dire tant il est vrai que « ce n’est plus une règle à qui l’on donne un coup de chapeau poli »980. 

975 Il s’agit d’ailleurs d’un instrument cognitif dont il est aisé d’observer l’utilisation dans le discours doctrinal. explique Mme Mathieu Izorche. Il n’y aurait là rien d’étonnant car, la métaphore présente des vertus pédagogiques et une puissance évocatrice qui en font un instrument privilégié d’exploration du monde et de communication des savoirs. V. M.-L. MATHIEU-IZORCHE, La pensée métaphorique, in Apprendre à douter, Questions de droit, Questions sur le droit, études offertes à CLAUDE LOMBOIS, Pulim, 2004, p. 113. 976 G. MOUNIN, Dictionnaire de la linguistique, Paris, PUF, Quadrige, 1993. L’auteur ajoute que la personnification est une des sources de l’allégorie. 977 R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ?, op. cit., p. 26. 978 P. LOMBARD, Conférence donnée à Aix-en-Provence, Institut Portalis. 979 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 36. 980 B. BOULOC, Présomption d’innocence et droit pénal des affaires, op. cit., p. 466.

Le discours sur les sources positives

303

‐ Peut‐être, mais prenons garde « la présomption d’innocence, en quittant le champ de la matière pénale risque de se galvauder et donc de perdre son âme »981. 

‐ Le président de la République a déclaré publiquement que c’est « un principe vacillant »982 ! 

‐ En effet, elle « est bien malade »983 ! 

‐ Oui « malade, chétive »984 même ! 

‐ Vous ne me surprenez pas, elle est si « malmenée »985, « bafouée, rejetée, raillée »986… 

‐ Elle est tout simplement « martyrisée »987 ! 

‐ Mais que s’est‐il passé ? 

‐ Eh  bien,  alors  qu’il  existait  une  « entente  cordiale  entre présomption d’innocence  et ambition de  vérité »,  sont  apparues  des  « dissensions »  entre  elles  et  cela  s’est  terminé  par « une rupture consommée »988. 

‐ Ce sont aussi les présomptions d’intention qui paraissent lui « porter un coup violent »989. 

‐ De toute façon, désormais, « le principe évoque un mort‐vivant »990. 

‐ Eh bien  je vous dirai qu’« elle ne doit pas être abandonnée à son  triste sort »,  je crois qu’« Il faut défendre la présomption d’innocence »991 !  

‐ Sachez Messieurs que « la présomption d’innocence mérite mieux, bien mieux que de la condescendance et de  la compassion », « son salut  repose sur  la prise de conscience, par  les  praticiens  du  droit,  de  la  force  qu’elle  contient  et  qu’elle  permet  de développer »992. 

‐  Je  crois  que  ç’en  est  assez !  Alors  pourrait‐on  « en  finir  avec  la  présomption d’innocence »993 ? 

‐  Permettez  moi  de  dire  qu’il  conviendrait  surtout  d’en  « finir  avec  une  présentation caricaturale de la présomption d’innocence »994 ! 

Certes, le contexte de la personnification n’apparaît pas ici très flatteur : blessures,

maladie, situation de faiblesse…mais on doit admettre que ce procédé rhétorique produit

tout de même ses effets. Ainsi, la personnification de la présomption d’innocence nous

semble particulièrement intéressante dans la mesure où elle a pour effet de donner vie à la

présomption d’innocence. Elle contribue, en dehors même du langage juridique technique et

de l’abstraction des concepts, à faire exister cette présomption d’innocence. En filigrane

981 R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 21. 982 R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 146. 983 W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 52. 984 J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit. , p. 56 985 J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit. 986 P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 236. 987 J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit , p. 56 988 J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit., V. le plan de la thèse, pp. 34, 142, 229. 989 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 49. 990 W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 52. 991 J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit. , p. 56. 992 P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit. , p. 235-236. 993 J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, op. cit. 994 PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op. cit.

Le discours sur l’objet

304

apparaissent nettement les traits d’une vielle dame malade et fragile, victime de violences et

railleries injustes que tout un chacun voudrait ou devrait protéger. Ainsi la personnification

n’est plus une affaire de style, un simple procédé discursif, mais une autre manière pour le

discours doctrinal, d’affirmer l’existence de la présomption d’innocence.

274. Conclusion. La doctrine a donc le pouvoir de faire exister la présomption d’innocence

non seulement en la prenant pour objet de son discours, mais aussi en affirmant clairement

son existence juridique au regard des sources positives du droit, et enfin en réussissant à lui

donner vie. Il en résulte que, par l’autorité qui lui est reconnue, et celle qu’elle se reconnaît

elle-même, la doctrine a le pouvoir de convaincre de l’existence d’une présomption

d’innocence en droit pénal français.

Quiconque consulte la littérature du droit pénal peut ainsi être convaincu de l’existence

de la présomption d’innocence, et ce en dépit des dissonances qui seraient relevées, car ces

dernières postulent elles-mêmes que la présomption d’innocence a été posée. Source de

connaissance, la doctrine fournit aux professionnels du droit, actuels ou futurs, une

information capitale : il existe une présomption d’innocence. Or, cette information sera

reçue en raison de l’autorité dont jouit la doctrine. Lorsqu’on se souvient que jusqu’à une

période récente, seule la doctrine évoquait véritablement ce qu’était la présomption

d’innocence, on peut aisément imaginer tout le poids de cette autorité. Toutes ces raisons

nous semblent donc militer en faveur de la thèse selon laquelle, la doctrine peut être

regardée comme une source de la présomption d’innocence. Source particulière certes, mais

de première importance. Car plus que toute autre source, officielle ou secondaire, la

littérature juridique a affirmé l’existence de la présomption d’innocence.

On aura pu observer combien la doctrine reste silencieuse sur l’influence qu’elle a pu

jouer dans la reconnaissance de la présomption d’innocence. Toutefois, on aura également

noté que ce silence n’est finalement qu’apparent. Une attention particulière portée au

discours doctrinal sur les sources positives en particulier, et à l’interprétation doctrinale des

sources en général, permet d’apercevoir que la doctrine se considère elle-même,

implicitement, comme une source importante de la présomption d’innocence.

Une fois cette présomption d’innocence posée, il nous reste à envisager sa signification.

Jusque là, cette question a seulement été évoquée et au surplus de façon indirecte. Comment

le discours doctrinal traite-t-il et envisage-t-il la question de la signification de la

présomption d’innocence ? Ce sera l’objet d’un second titre que de tenter d’y répondre.

305

TITRE 2 SIGNIFICATION ET FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION

D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL

275. Lien entre signification et raisons. Faire comprendre, expliquer, voilà la mission

centrale de la doctrine. Elle peut tout aussi bien l’assumer par ses enseignements

pédagogiques que par ses enseignements critiques ou encore ses spéculations théoriques,

car dans ces trois situations, en s’exprimant, la doctrine accroît le savoir de ses auditeurs. La

pleine compréhension, et donc la connaissance, des notions et concepts juridiques supposent

d’une part, que l’on en apprenne la signification et d’autre part, que l’on soit en mesure d’en

donner une justification.

Tout d’abord, il appartient à la doctrine d’exposer la définition des notions et concepts

qu’elle décrit et utilise. Au-delà des mots employés pour désigner ces notions, ce sont leur

signification, leurs conséquences juridiques qui seront envisagées par la doctrine. Mais les

mots ou expressions employés ont en eux même une signification, une origine, et il

appartient à la doctrine de préciser, affiner voire critiquer le langage utilisé pour désigner ou

exprimer les règles de droit995. Le langage juridique est un langage spécialisé, qui répond

aux besoins particuliers de l’expression du droit. Le choix de tel mot ou de telle formulation

pour exprimer une règle, une notion, ou un concept, n’est pas indifférent. De lui dépendra la

précision, la clarté de ce qui est ainsi désigné. Ce choix, dont dépendront la ou les

significations possibles de la règle exprimée, a donc ses raisons. Elles puisent certainement

dans la capacité de tel ou tel mot à exprimer au mieux ce que l’on entend désigner996. Elles

puisent tout aussi certainement dans les raisons même de la règle. Ainsi la signification

juridique de la règle et son fondement apparaissent-ils liés.

Il appartient également à la doctrine de rechercher et d’exposer les raisons, les

justifications, autrement dit le fondement des règles, notions et concepts dont elle entend

nous instruire. La recherche du fondement permet de comprendre, d’accepter ou encore

critiquer la règle, il délimite en outre son champ d’application, sa portée. La question du

fondement est assez peu abordée dans les enseignements didactiques. Elle l’est davantage

dans le domaine de la recherche fondamentale, dans les entreprises de recherche juridique

théorique. On le comprend d’autant mieux si l’on a égard pour la définition du 995 « Elle a pour première mission d’établir le vocabulaire du Droit », pense M. Doucet : La doctrine est-elle une source du droit ? op. cit. 996 Les juristes ont souvent recours à l’étymologie des mots qui désignent des notions et concepts. Ils attestent par là de l’importance de connaître les origines et la signification des mots pour la pleine compréhension des notions. Un exemple typique peut d’ailleurs être tiré du terme doctrine, dont les auteurs se plaisent à rappeler les origines latines : docere signifiant enseigner, instruire, montrer, faire voir.

Le discours sur l’objet

306

fondement997, qui suppose un certain approfondissement des questions au-delà des données

brutes du droit positif. Qu’appelle-t-on présomption d’innocence ? Pourquoi la présomption

d’innocence ? Il s’agit là de deux interrogations qui doivent légitimement trouver réponse

dans le discours doctrinal. Ce sera par conséquent l’objet des deux chapitres à venir que

d’étudier le discours du point de vue de ces deux questions.

997 Ce sur quoi repose ultimement les choses (fondement de l’être) ou ce sur quoi l’on peut s’appuyer pour commencer à penser (fondement de la connaissance), Grand dictionnaire de la philosophie, M. BLAY (dir.), Larousse, Paris, 2003.

307

CHAPITRE 1 LA SIGNIFICATION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE

DISCOURS DOCTRINAL

276. Diverses façons d’entendre la signification. Qu’appelle-t-on présomption

d’innocence ? Cette question, au cœur même de la notion de présomption d’innocence peut

et doit être posée à la science du droit pénal. La réponse qui en sera donnée dépendra non

pas seulement de la description du sens que la présomption d’innocence prend dans le droit

positif, mais aussi, voire surtout, du sens que la littérature juridique aura retenu, promu,

développé. Rechercher la signification de la présomption d’innocence dans le discours

doctrinal conduit également à se demander de quoi parlent les pénalistes lorsqu’ils nous

parlent de la présomption d’innocence.

La question de la signification peut s’entendre de différentes manières. Il s’agit tout

d’abord d’une question terminologique, définitoire. Que comprendre derrière les mots

« présomption d’innocence » ? Mais il s’agit également d’une question de contenu ou de

signification juridiques, qui recoupe les questions de fonctions ou de conséquences

juridiques de la présomption d’innocence. Enfin, dans une optique plus large, la question de

la signification de la présomption d’innocence peut s’entendre de ses implications

juridiques, c'est-à-dire de ce qui est contenu dans la présomption d’innocence sans pour

autant être exprimé ou avoir toujours été exprimé. À vrai dire, tous ces aspects de la

signification de la présomption d’innocence sont très liés et l’analyse du discours doctrinal

montre qu’ils sont même indissociables ; si bien que s’intéresser à la signification de la

présomption d’innocence dans le discours doctrinal suppose de tous les prendre en

considération.

277. Place de la signification dans le discours. La question de la signification de la

présomption d’innocence n’a longtemps pas été envisagée en tant que telle, pour elle-même.

Elle n’a, en apparence du moins, suscité aucune difficulté particulière. La présomption

d’innocence est en effet longtemps apparue univoque dans le discours doctrinal. La fonction

probatoire du principe se présentait comme une évidence et était exclusive de toute autre

signification. Elle était alors présentée comme la règle d’attribution du fardeau de la preuve.

Son étude prenait naturellement place dans un ensemble plus large, celui de la théorie de la

preuve pénale. Cette structure du discours sur la présomption d’innocence a quelque peu

évolué depuis un époque récente, et désormais il apparaît opportun de formuler la question

de la signification dans les enseignements concernant la présomption d’innocence.

L’adoption de l’article 9-1 du Code civil n’est pas étrangère à cette évolution, de même que

Le discours sur l’objet

308

la confirmation par la loi du 15 juin 2000 du droit subjectif ainsi crée. Ces textes ont

semble-t-il contraint les pénalistes à progressivement enseigner que la présomption

d’innocence avait une ou plusieurs significations. La littérature récente en offre quelques

belles illustrations. Ainsi du Traité de MM. Merle et Vitu qui comporte, depuis la parution

de sa cinquième édition, un paragraphe relatif à La signification procédurale de la

présomption d’innocence ; tandis que les développements de M. Pradel s’ouvrent, depuis

l’année 2000, par un : Ce qu’il faut entendre par présomption d’innocence. Le Précis de

MM. Stéfani, Levasseur et Bouloc s’est quant à lui doté d’un paragraphe intitulé La

signification de la présomption d’innocence qui n’apparaissait pas avant la dix-septième

édition. Des ouvrages ou études plus récents n’hésitent donc pas à envisager le sens de la

présomption998, le sens du principe999 ou à aborder d’emblée la question de savoir « Que

signifie exactement le concept de présomption d’innocence ? »1000.

Le sens de la présomption d’innocence ne va donc plus de soi, il mérite d’être étudié,

précisé. S’agit-il d’une règle de preuve, s’agit-il d’un droit subjectif, s’agit-il des deux à la

fois, peut-on encore parler de «présomption d’innocence » ? Voilà des questions que l’on

peut voir poindre dans le discours doctrinal. Mais déjà, avant même l’émergence de ce

questionnement, la signification de la présomption d’innocence pouvait apparaître

indéterminée. En effet, une fois dépassées les apparences d’univocité et de simplicité

véhiculées par la littérature juridique, on aperçoit que la question du sens, loin d’être réglée

par la doctrine, soulève en réalité nombre de difficultés et finalement d’interrogations qui

demeurent en suspens. Parce que la présomption d’innocence n’a pas fait l’objet d’un effort

de définition claire, précise (section 1) ; parce que ses conséquences n’ont pas été

envisagées ou précisées dans leur contenu et leurs limites (section 2), sa signification

apparaît pour le moins problématique et pour tout dire indéterminée.

998 E. MATHIAS, Procédure pénale, op. cit., p. 30. 999 J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n° 9. 1000 C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 1.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

309

SECTION 1 : L’INDÉTERMINATION DU SENS

278. Plan. Une analyse du contenu de la littérature juridique permet de relever que le sens

de la présomption d’innocence est indéterminé à deux égards. Tout d’abord, c’est

l’expression même de présomption d’innocence qui soulève des difficultés d’ordre

terminologiques dont les solutions sont incertaines. Ensuite, c’est le sens proprement

juridique de la présomption d’innocence qui, à bien y regarder, n’est pas aussi évident que

cela pourrait paraître au premier abord.

§ 1. L’INCERTITUDE TERMINOLOGIQUE

279. Signifiant et signifié. La signification de la présomption d’innocence apparaît

problématique dès l’instant où l’on s’attache aux termes qui composent l’expression

présomption d’innocence, c'est-à-dire au signifiant, pour employer le langage de la

linguistique. Or, si l’on s’intéresse à la formule « présomption d’innocence » en tant que

signifiant, on peut relever une incertitude quant à la portée des termes ainsi accolés. En

outre, l’incertitude terminologique affecte le signifié et à cet égard, c’est une absence de

définition de la présomption d’innocence que l’on peut observer.

A- LA FORMULE « PRÉSOMPTION D’INNOCENCE »

280. Spécificité de la formule. Le droit s’exprime à travers des mots qui, s’ils ne lui sont

pas purement spécifiques, recouvrent un sens souvent différent de celui qui a cours dans le

langage courant1001. La formule constituée des termes présomption et innocence désigne un

concept, celui de présomption d’innocence. Elle recouvre donc un sens, une réalité

spécifique, elle devrait pouvoir s’expliquer, se justifier. Or l’origine de la formule aussi bien

que ce que l’on y entend sont source d’incertitude. D’ailleurs, l’expression, pourtant d’un

usage si courant dans la littérature juridique et même en dehors, a récemment été jugée

inappropriée par les spécialistes du droit pénal.

281. L’origine de la formule. Elle pourrait éclairer sur le sens à reconnaître à la

présomption d’innocence, elle pourrait expliquer pourquoi ces deux termes ont été accolés

plutôt que d’autres, comme « présomption de non-culpabilité » par exemple. L’émergence

d’une telle formule a pu être datée, située dans son contexte doctrinal. Mais la doctrine

semble expliquer l’emploi de cette formule différemment. Dans les deux cas, elle n’apparaît

pas complètement justifiée et rend l’accès au sens plus difficile.

1001 V. G. CORNU, Linguistique juridique, Paris, Montchréstien, 3e éd., 2005.

Le discours sur l’objet

310

La doctrine parle de présomption d’innocence tout d’abord parce que ce groupe nominal

avait été utilisé par les auteurs positivistes comme Enrico Ferri1002. Mais la doctrine semble

justifier l’usage de cette expression au simple regard de l’article 9 de la Déclaration des

droits de l’homme et du citoyen. Si Ferri parle de présomption d’innocence, c’est pour

rassembler sous une même formule, toutes les règles de droit positif protectrices des

personnes accusées mais qui lui semblent déraisonnables, excessives, dangereuses et donc

injustifiées au regard de la défense de la société1003. On remarquera alors que l’expression

ainsi forgée n’a pas pour objet de signifier une règle quelconque de preuve. Ferri ne dit mot

sur la fonction d’attribution de la charge de la preuve que pourrait se voir reconnaître la

présomption d’innocence. La « présomption d’innocence » est, selon le discours doctrinal

français contemporain, une formule qui tire son origine de la Déclaration des droits de

l’homme1004. Cette filiation repose alors sur le postulat que l’emploi des termes « présumé

innocent » dans l’article 9, commande, comme une évidence, de parler de « la présomption

d’innocence ». Ce serait donc une induction, une généralisation des termes du texte. On

observera toutefois que l’article 9 de la Déclaration n’a pas pour objet d’instituer une règle

de preuve, une règle d’attribution du fardeau de la preuve. C’est pourtant bien cette

signification juridique que la doctrine développera à titre principal.

L’origine de l’expression, qu’il s’agisse de sa source, ou du commencement de son

utilisation, pose déjà difficulté car elle ne permet pas d’emblée d’apercevoir le lien entre le

signifiant et le signifié.

282. Qu’entend-t-on sous la formule présomption d’innocence ?. Tous les auteurs ne

semblent pas y entendre exactement la même chose, et les divergences, quoique passées

sous silence, existent et sèment la confusion. La formule présomption d’innocence peut

ainsi recouvrir plusieurs sens dans le discours. Sous certaines plumes la présomption

d’innocence signifie que la personne soupçonnée ou poursuivie doit être présumée

innocente1005 jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement démontrée, tandis que d’autres

1002 V. supra, n° 85. 1003 E. FERRI, La sociologie criminelle, 1re éd. française, op. cit., p. 433 et s., parmi lesquelles, la liberté du prévenu pendant l’appel, le décompte favorable des bulletins blancs en cour d’assises etc. 1004 François Gény, alors qu’il s’intéressait au langage en tant qu’instrument de la technique juridique, expliquait que l’interprète du droit (la doctrine), cherchant à découvrir le contenu substantiel du droit, ne pouvait en révéler les préceptes s’il ne parvenait pas à les condenser en des phrases vigoureusement frappées et nettement circonscrites, d’après les lois et les ressources de la langue. L’auteur précisait en outre que « trouver les formules vraiment expressives des préceptes, des décisions, des actes, des doctrines juridiques, c’est à quoi tendent par des voies diverses, législateurs, juges, praticiens, interprètes désintéressés.», F. GÉNY, Science et technique en droit privé positif, Paris, Sirey, 1921, T. 3, p. 457-458. 1005 L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 257 ; TH. GARÉ et C. GINESTET, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 388 ; Jacques Buisson offre une variante : « On doit présumer innocente toute personne accusée d’une infraction », Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n° 9.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

311

estiment que chacun1006 doit être présumé innocent. Sous d’autres plumes, la présomption

d’innocence signifie que la personne suspectée ou poursuivie est tenue pour innocente tant

que la preuve de sa culpabilité n’a pas été faite1007. D’autres encore estiment que « tout

individu soupçonné d’être coupable d’un délit ou d’un crime doit être réputé innocent tant

que sa culpabilité n’a pas été reconnue »1008. Les professeurs Stéfani, Levasseur et Bouloc

enseignent quant à eux que tout individu « quelles que soient les charges qui pèsent sur lui

doit être considéré comme innocent et devrait être traité comme tel, tant que sa culpabilité

n’a pas été établie »1009. D’autres auteurs enseignent en revanche une tout autre

signification : un individu (ou une personne suspectée) est innocent tant que sa culpabilité

n’a pas été prouvée1010. Ces divergences ne sont pas sans rappeler les différentes

formulations que l’on trouve dans les diverses sources formelles de la présomption

d’innocence, sans que les secondes puissent expliquer les premières. Être innocent, être

réputé tel ou devoir être traité ou considéré comme tel, traduit d’emblée plus que de simples

nuances.

À cette multiplicité s’ajoute une nouvelle difficulté, déjà soulevée. « La présomption

d’innocence » et « être présumé innocent », est-ce tout à fait la même chose ou cela

recouvre-t-il des réalités différentes1011 ? De la Déclaration des droits de l’homme qui

prévoit que « tout homme étant présumé innocent… », on a cru pouvoir parler d’une

présomption d’innocence. On a ainsi fait de ce texte le siège d’une présomption juridique,

une présomption légale. Si bien qu’au même titre que la présomption de paternité en droit

civil, la présomption d’innocence est naturellement analysée comme une technique de

preuve. L’analogie est intéressante car elle devrait permettre de mieux comprendre ce qu’est

la présomption d’innocence1012. Or, à comparer la formulation de ces deux présomptions,

1006 H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil, op. cit., n° 5. 1007 PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, 4e éd., n° 37 ; E. MATHIAS, Procédure pénale, op. cit., p. 28. 1008 D. VIRIOT-BARRIAL, La preuve en droit douanier et la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 544. 1009 G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 124. Ils sont d’ailleurs rejoint en cela par d’autres auteurs : « La personne poursuivie doit être traitée comme un innocent », F. CASORLA, Le droit français, rapport in La preuve en procédure pénale comparée, op. cit., p. 185 ; adde. J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 232 ; Pour M. Essaïd la présomption d’innocence « n’a de sens que dans la mesure où la personne poursuivie est traitée matériellement comme un innocent », n° 148 et 153. 1010 C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, 6e éd., op. cit., p. 103 ; R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 134 ; E. MATHIAS, Procédure pénale, op. cit., p. 30, cet auteur souligne à cette occasion que l’expression « présumé innocent » n’a aucun sens. 1011 Dans son étude critique, Stéphane Detraz distingue quant à lui entre le fait d’être présumé innocent (ce qui ne correspond pas à la réalité d’ailleurs, et avoir la qualité de « présumé innocent » qui est une réalité spécifique à laquelle s’adaptent des règles contraignantes. V. La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 14. 1012 M. Essaïd estimait par exemple que présomption d’innocence, présomption de paternité et présomption de bonne foi, appartiennent à la même catégorie de présomption, La présomption d’innocence, op. cit., n° 4 et 126.

Le discours sur l’objet

312

c’est l’inverse qui se produit. La formulation de la présomption de paternité, instituée par la

loi1013, n’indique en rien que le mari est présumé être le père de l’enfant conçu pendant le

mariage. Pourtant, la loi indique bien qu’il s’agit d’une présomption. Il est le père, dit la loi,

à moins qu’il ne soit en mesure de prouver le contraire. On pourrait très bien alors imaginer

la présomption d’innocence ainsi formulée : « tout homme est innocent jusqu’à ce que sa

culpabilité soit établie »1014, mais aucun texte ne l’a jamais ainsi formulée.

Les textes qui servent de sources formelles à la présomption d’innocence visent tous le

présumé innocent. Instituent-ils pour autant une présomption ? Bénéficier de ce que l’on

appelle la « présomption d’innocence » et « être présumé innocent », cela est-il vraiment

équivalent ? Le discours doctrinal en ne formulant pas la question de la signification a

donné l’apparence d’une univocité de l’expression qui se résout dans cette équivalence.

Pourtant, à chaque fois que l’on essaie de la faire jouer, l’équivalence est source de

difficultés. Si l’on est présumé innocent, alors pourquoi les menottes, pourquoi la détention

provisoire, pourquoi policiers et juges peuvent-ils en toute légalité réunir, accumuler des

indices et des charges laissant présumer la culpabilité ? Ces questions maintes fois posées,

et jamais complètement résolues, résultent toujours de l’indétermination du sens des mots

présomption, innocence, présumé et innocent. Manifestement, l’expression présomption

d’innocence est ambiguë, à moins que ce soit son usage qui le soit. Le titre même de la loi

du 15 juin 2000 confirme l’ambiguïté. Alors qu’elle se présente comme la loi « renforçant

la protection de la présomption d’innocence », il n’est nullement question de la

présomption d’innocence dans le corps même du texte. En revanche, il est écrit dans

l’article préliminaire que « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente

tant que sa culpabilité n'a pas été établie ». La présomption d’innocence est le fondement

de tous les principes rappelés dans l’article préliminaire mais les mots « présumée

innocente » n’apparaissent qu’au troisième paragraphe1015. À la vérité, il existe de sérieuses

raisons de penser que, plus la loi procède par des mesures concrètes au renforcement de la

présomption d’innocence, moins celui qui est censé en bénéficier est réellement présumé

innocent1016. D’ailleurs, à vouloir s’intéresser à la structure logique de la présomption

d’innocence « on se trouve face à une situation qui, sous le voile de l’habitude à utiliser la

formule "présomption d’innocence", se présente de façon étrange, voire énigmatique : une

personne est présumée innocente, et pourtant on cherche des éléments de preuve à sa 1013 Article 312 du Code civil : «L’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari. Néanmoins, celui-ci pourra désavouer l’enfant en justice, s’il justifie de faits propres à démontrer qu’il ne peut en être le père. » 1014 Formulation qui se rapproche d’ailleurs de celle qu’avait proposée initialement Adrien Duport en 1789 qui avait rédigé son texte ainsi : « Tout homme étant innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné, s’il est jugé indispensable de l’arrêter,… ». 1015 Ces mots ont respectivement, dans l’article préliminaire, les 78 et 79e place. 1016 On dira alors qu’il s’agit d’un paradoxe, V. infra, n° 334.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

313

charge »1017. Il paraît donc urgent de « s’entendre sur le sens du terme "présomption

d’innocence" »1018.

283. La formule « présomption d’innocence » est-elle appropriée ?. À vrai dire, il y

avait lieu d’en douter dès ses premiers usages, sauf si les termes avaient été définis avec

précision de même que les conséquences de la présomption d’innocence. Tel n’a pourtant

pas été le cas. Cependant, il s’est dernièrement trouvé des auteurs pour dénoncer

l’impropriété de la formule « présomption d’innocence ». Il est vrai que depuis longtemps

avait été soulevée la difficulté résultant de l’emploi du terme innocence : « Il y a toujours eu

une ambiguïté de l’innocence, à cause d’abord, des deux acceptions possibles du mot, l’une

plus juridique, l’autre plus populaire »1019. Cela n’avait toutefois pas empêché l’expression

« présomption d’innocence » de prospérer aussi bien au sein du discours doctrinal qu’à

l’extérieur. Aujourd’hui, la doctrine juge l’expression incorrecte.

La question de la terminologie manifeste alors toute son importance, elle va jusqu’à

permettre de soutenir qu’il n’existe pas de présomption d’innocence. À cet égard, la

démonstration récente de M. Detraz est éclairante, qui conclut : « Les termes de

"présomption d’innocence"– qu’il s’agisse de celle du droit pénal ou du droit civil– ne

reflètent pas l’état du droit positif (…). Que l’on continue – par commodité– de parler de

"présomption d’innocence", mais que cette dernière soit bien comprise : elle ne "présume"

pas l"’innocence" »1020. Quelques temps auparavant, la question avait été brutalement

soulevée par MM. Merle et Vitu : « Est-il légitime de parler d’une présomption d’innocence

pour expliquer la situation favorable ainsi faite à la personne poursuivie ? »1021. La réponse

est manifestement négative. C’est désormais le terme « présomption » qui paraît

inapproprié. Soit parce que la présomption d’innocence n’est plus considérée comme une

véritable présomption juridique, fondée sur la vraisemblance ou la probabilité de

l’innocence1022. Soit parce que le terme de présomption au sens juridique est sans rapport

avec le droit subjectif consacré par le législateur : « L’expression " présomption

d’innocence " est donc inappropriée puisque, effectivement, les présomptions règlent la

charge de la preuve (…)Or, dans l'article 9-1 du code civil il n'est nullement question d'une

présomption au sens précédemment défini, mais d'un droit à ne pas voir sa réputation

entachée de l'opprobre due aux soupçons distillés par les médias à propos de certaines 1017 V. MARINELLI, Structure et fonctions de la présomption d’innocence, in La présomption d’innocence en droit comparé, op. cit., p. 48. 1018 J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 232. 1019 J. LÉAUTÉ, Le caractère irréparable de la perte de l’innocence, op. cit., p. 5. 1020 S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 25. 1021 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 143. 1022 R. MERLE et A.VITU, op. cit., n° 143. Mais aussi H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 507, qui après avoir démontré que la présomption d’innocence n’entretient plus de rapport avec le domaine de la preuve depuis l’adoption de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme, estime qu’elle est mal nommée et propose de se passer du terme « présomption ».

Le discours sur l’objet

314

affaires pénales » 1023. C’est donc « seulement » un problème de terminologie qui pourrait

expliquer les incertitudes sur l’existence de la présomption d’innocence que nous avions cru

voir traverser, depuis des années, le discours doctrinal1024. Le doute n’aurait pas alors porté

sur l’existence même de la présomption d’innocence mais sur la légitimité d’user d’une telle

expression pour signifier des règles très diverses et protectrices du défendeur au procès

pénal.

Toutefois, l’hypothèse ne cesse de renvoyer la doctrine à son propre discours, celui-là

même qui a tant fait pour affirmer l’existence de « la présomption d’innocence » ; qui l’a

prise, sous cette forme, pour objet d’étude. Pourquoi n’avoir pas dénoncé le risque

d’imprécision, d’ambiguïté et finalement de difficultés d’user d’une telle terminologie ?

Pourquoi n’avoir pas précisé le langage du droit pénal pendant que le législateur et la

jurisprudence étaient muets sur la question ? La réponse n’est certainement pas à rechercher

du côté du droit. L’accolement des mots « présomption » et « innocence » ne se justifie ni

au regard d’une nécessité juridique, ni d’une tradition qui pourrait aujourd’hui sembler

dépassée. Il nous semble plutôt que la formule a été adoptée et s’est pérennisée en raison

essentiellement de sa puissance évocatrice. Cela n’a rien de surprenant lorsqu’on réalise que

le langage du droit pénal n’est pas le langage de la raison mais celui de l’émotion voire de

l’irrationnel1025. On pourrait même supposer que c’est son impropriété qui a permis son

succès. Cependant, c’est probablement sa trop grande force évocatrice qui est à l’origine des

critiques précédentes. Le sens de la présomption d’innocence est par trop tributaire du

langage courant, qui le contamine en maintenant le sens premier et pratique des mots

«présumé » et « innocent ».

La formule, pour évocatrice qu’elle soit, n’en est pas moins source de polysémie et

présente probablement trop d’incertitude, d’imprécision. Pour ces raisons l’expression de

« présomption d’innocence » paraît inappropriée. Il ne semble pourtant pas raisonnable de

prédire à cette expression le même sort que celui qui a été réservé au terme « inculpé ».

« L’expression "présomption d’innocence" bien qu’inexacte, est entrée depuis si longtemps

dans le vocabulaire juridique qu’il est impossible de l’écarter », expliquent MM. Merle et

Vitu. Ainsi, il faut croire que si l’opinion continue de voir dans le mis en examen l’inculpé

d’hier, elle ne serait pas aussi persuadée de l’existence de la présomption d’innocence si

l’expression venait demain à disparaître, à prendre une forme plus juste, plus technique1026.

1023 C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 4. 1024 V. supra, n° 260. 1025 J.-P. DELMAS-SAINT-HILAIRE, Le droit pénal, langage de la raison ou de l’émotion ? in Religion, société et politique : Mélanges en hommage à J. ELLUL, Paris, PUF,1983, p. 431. 1026 À cet égard, comme à d’autres d’ailleurs, il n’est peut-être pas souhaitable d’abandonner tout usage de cette expression, V. infra, n° 341, à propos du paradoxe du présumé innocent, présumé coupable.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

315

B- LA DÉFINITION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

284. Une auberge espagnole ?. La définition de la présomption d’innocence consiste aussi

bien dans la détermination précise et concrète des caractères distinctifs de la présomption

d’innocence que dans la détermination de ses limites. Si le sens de la présomption

d’innocence nous paraît aujourd’hui encore largement indéterminé, c’est aussi en partie

parce que précision et limite font généralement défaut à sa définition. La doctrine avoue

parfois combien elle en a conscience. Ainsi a-t-on pu entendre M. Maistre du Chambon

avouer que, sur le plan juridique, « la présomption d’innocence est une véritable auberge

espagnole »1027.

285. Précision dans la définition de la présomption d’innocence. On rappellera ici que la

définition de la présomption d’innocence n’a fait son entrée dans le Vocabulaire juridique

de l’Association Capitant qu’à une époque assez récente1028. Et contrairement à ce qu’a pu

écrire un magistrat, la définition de la présomption d’innocence n’occupe certainement pas

« une large place dans les ouvrages, manuels et facultés de Droit »1029. Là encore, le sens

de la formule semblait aller de soi. Pourtant, chacun des termes même de l’expression

« présomption d’innocence » est susceptible de créer des ambiguïtés, de l’incertitude.

D’ailleurs, tous les auteurs ne semblent pas en faire un usage identique lorsqu’ils abordent

le sens du mot présomption dans l’expression « présomption d’innocence ».

On peut ainsi parfois relever, chez certains auteurs, une compréhension du terme

présomption dans le sens 1 qu’en donne le Vocabulaire juridique. Autrement dit, la

présomption d’innocence a été présentée comme une présomption, c'est-à-dire comme une

conséquence que la loi ou le juge tire d’un fait connu à un fait inconnu et qui entraîne une

dispense de preuve au profit de celui qui en bénéficie. Certains ont toutefois pu préciser de

quelle présomption il s’agissait en ayant recours à la catégorie désignée par Bentham

comme celle des présomptions antéjudiciaires1030. D’autres auteurs semblent se ranger

plutôt au sens 2 donné par le Vocabulaire juridique, c'est-à-dire à l’idée que la présomption

d’innocence est davantage une supposition de départ, une vérité admise jusqu’à preuve du

contraire, dont le parangon semble désormais être la présomption d’innocence.

C’est ensuite le terme même d’innocence qui soulève des difficultés. Si les derniers

travaux de recherche concernant la présomption d’innocence ont su relever l’absence de

1027 P. MAISTRE DU CHAMBON, La présomption d’innocence, conférence donnée à la Faculté de droit d’Aix-en-provence (IEJ), 27 mars 2003. 1028 En effet, on rappellera ici que la présomption d’innocence n’était pas définie dans cet ouvrage avant la 6e édition, soit avant 1996. Elle était également absente de l’édition originale de 1936 publiée par Capitant. 1029 C. COHEN, De la présomption d’innocence au secret de l’instruction : la double impasse, op. cit., p. 951. 1030 Par exemple, M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 126.

Le discours sur l’objet

316

juridicité de ce mot, les études plus anciennes ont souvent passé outre. Comment doit-on

comprendre la référence à l’innocence dans l’expression présomption d’innocence ? Le fait

que cela n’ait pas été suffisamment précisé a permis au sens courant de se faire trop

entendre. On a en effet souligné, durant ces dernières années, que l’innocence n’était pas un

concept juridique. L’innocence n’apparaît que de façon négative a-t-on dit, sous la forme de

la non culpabilité1031. Elle n’est d’ailleurs pas définie par le Vocabulaire juridique ni par le

Lexique des termes juridiques1032. Aujourd’hui, il existe néanmoins une entrée au mot

innocence dans le Vocabulaire Cornu, mais ce n’est pas la définition de ce mot que l’on y

trouve, c’est celle de présomption d’innocence !

Même lorsque les juristes concèdent que l’innocence est le fait d’être non coupable, ils

ne nous renseignent guère. Car comme le faisait observer le professeur Léauté, il existe une

ambiguïté du terme innocent que l’on doit à la prégnance de son sens courant. Incapable de

nuire, qui n’a pas fait le mal. L’innocence est un état de pureté dont le droit n’a, en réalité,

que faire. C’est la raison pour laquelle, mieux aurait valu préciser ce, qu’en droit, peut

vouloir signifier innocence. Affirmer qu’il s’agit de la non culpabilité ne résout pas la

difficulté si l’on ne précise pas, là encore, de quelle culpabilité il s’agit.

En effet, le code pénal ne définit pas la culpabilité. Pour les pénalistes, la culpabilité est

le plus souvent entendue dans un sens précis qui la réduit à la faute de l’auteur, autrement

dit à l’élément moral de l’infraction. Pourtant, dans un sens général, la culpabilité est aussi,

et surtout, la réunion des conditions de la responsabilité pénale1033. La culpabilité peut

également référer au sentiment interne du sujet auquel s’intéressent psychologie et

criminologie. Lequel de ces sens retenir pour comprendre ce qu’est la non culpabilité et par

suite l’innocence, pour enfin connaître le sens de la présomption d’innocence ? En réalité, la

définition de la présomption d’innocence en faisant référence à la preuve de la culpabilité

indique que c’est dans son sens général qu’il faut l’entendre. Pour prononcer une

condamnation, le juge doit estimer réunis les trois éléments constitutifs de l’infraction :

légal, matériel et moral. En dehors des interdits posés par le droit pénal, aucune culpabilité,

et ce quand bien même une faute aurait été commise, notamment une faute civile. Quand

bien même également les éléments matériel et légal seraient avérés, le défaut de volonté

1031 Encore conviendrait-il de nuancer, le Code de procédure pénale faisait déjà référence à l’innocence avant même la consécration formelle de la présomption d’innocence, par exemple aux articles 622 et 626 relatifs aux demandes en révision d’un procès. 1032 S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 15e éd., 2005. C’est un fait curieux car un dictionnaire de termes juridiques du XVIIIe siècle comportait une telle entrée, alors même que l’expression présomption d’innocence n’était pas en usage. V. C.-J. FERRIÈRE (DE), Dictionnaire de droit et de pratique, Paris, Brunet, tome second, v° Innocence : « Se dit au palais de celui qui est prévenu de quelque crime dont il n’est point coupable. » 1033 Sur ces différentes manières d’entendre la culpabilité, V. J. VIDAL, La conception juridique française de la culpabilité, Annales de l’université des sciences sociales de Toulouse, tome XXIV, 1976, p. 45.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

317

chez l’auteur interdit de parler de culpabilité au sens juridique1034. Or, il n’est indifférent

d’en avoir conscience pour qui cherche à pénétrer le sens de la présomption d’innocence.

Préciser le sens des termes composant la formule au regard du vocabulaire juridique

n’est probablement pas suffisant, surtout lorsqu’on prend connaissance des divergences

existant à propos de la réalité qu’elle est censée recouvrir. Le Vocabulaire juridique définit

ainsi la présomption d’innocence : préjugé en faveur de la non culpabilité ; règle

fondamentale en vertu de laquelle toute personne poursuivie pour une infraction est, a

priori, supposée ne pas l’avoir commise. Tandis que dans la littérature pénale, sont

énoncées des définitions parfois différentes. Ainsi « être innocent » jusqu’à preuve du

contraire, « être présumé innocent », ou encore « être tenu pour innocent » sont trois façons

bien différentes de définir la présomption d’innocence qui n’autorisent pas les mêmes

conclusions, les mêmes implications. La première hypothèse paraît en accord avec la

définition juridique de l’absence de culpabilité. Il est en effet tout à fait exact que toute

personne est innocente tant que sa culpabilité n’a pas été prouvée. La culpabilité ne pouvant

être déclarée qu’au terme d’un procès légalement tenu, jusque là il relève de l’évidence que

l’on est innocent, au sens juridique, c'est-à-dire indépendamment des fautes éventuellement

commises, de la culpabilité réelle ou même encore de la culpabilité éprouvée par le sujet.

Parce que Duport avait d’abord rédigé l’article 9 de la Déclaration en commençant par

« tout homme étant innocent », on peut penser qu’il s’agit là du sens premier de la

présomption d’innocence. Si en revanche la présomption d’innocence signifie que l’on est

présumé innocent, il s’agit d’une supposition de départ qui se heurte pourtant à la marche

du procès pénal qui, dès son début, exige des indices de culpabilité ou des soupçons, bref,

des suppositions de culpabilité ; on confine alors au non sens de la présomption

d’innocence. Dire enfin que la présomption d’innocence revient à être tenu pour innocent

éloigne encore davantage du sens premier pour déplacer la « prétendue » présomption vers

la fiction. Car il s’agit alors de faire « comme si » la personne poursuivie était innocente,

c'est-à-dire que l’on nie ouvertement la réalité en choisissant de postuler l’innocence. Cette

dernière acception se heurte pourtant à la réalité juridique : le procès est organisé de telle

manière qu’aucune des autorités y intervenant n’est en mesure de faire « comme si » la

personne poursuivie était innocente.

Ces exemples illustrent, sans prétendre démêler ici la signification de la présomption

d’innocence, l’incertitude que l’on peut éprouver en se plongeant dans la littérature

juridique. La pluralité de sens apparemment disponibles rejoint d’ailleurs la pluralité de

1034 V. dernièrement, S. DETRAZ, L’innocence à l’épreuve de la décision de non-lieu, Rev. pénit. dr. pén. 2005, n° 1, p. 179, n° 2.

Le discours sur l’objet

318

nature1035 qui jalonne les écrits doctrinaux, sans qu’un choix semble possible ni par

conséquent une meilleure détermination du sens. Notion, règle, principe, concept,

présomption, fiction, droit, postulat…oui, effectivement, « une véritable auberge

espagnole ».

286. Délimitation. « Cette présomption d’innocence signifie que la personne poursuivie est

tenue pour innocente tant que la preuve de sa culpabilité n’a pas été rapportée. Mais le

contenu exact de cette affirmation apparemment simple a en réalité plusieurs aspects qui

doivent être précisés»1036. Le sens juridique de la présomption d’innocence est-il limité,

circonscrit ? Si le discours doctrinal a longtemps donné l’illusion de l’univocité en ne

reconnaissant qu’un sens probatoire à la présomption d’innocence, il faut aujourd’hui

admettre que le sens de la présomption d’innocence n’était pas véritablement fixé puisqu’il

a été étendu ou dédoublé1037 et qu’il demeure en quelque sorte ouvert, depuis que la loi du 4

janvier 1993 a crée l’article 9-1 du Code civil. Cette dimension plus subjective de la

présomption d’innocence, si elle paraît très éloignée du sens probatoire, nous paraît

néanmoins avoir toujours été disponible, latente. Les termes de « présumé innocent » pour

n’avoir pas été davantage précisés autorisaient une telle extension du sens fixé

originairement par la doctrine. Plus encore, il nous semble qu’au regard même du sens

probatoire retenu dans la littérature juridique, le sens était également ouvert, sans que toutes

les conséquences de la présomption d’innocence, logiquement envisageables, n’aient été

développées par les pénalistes. La doctrine paraît n’admettre qu’avec une certaine hésitation

que le sens de la présomption d’innocence ne s’épuise pas dans son sens technique. Ce

dernier semblait justement avoir été fixé comme pour prévenir toute extension dangereuse,

mais le législateur est venu ajouter à l’édifice sans que la doctrine parvienne à admettre

complètement que cette extension était tout à fait légitime. La définition de la présomption

d’innocence se montre alors incertaine dès lors que d’autres conséquences de la

présomption d’innocence, venant en compléter le sens, pourraient être découvertes.

À ne s’en tenir qu’au sens technique c'est-à-dire probatoire, présenté comme le sens

premier, principal de la présomption d’innocence, un certain nombre de zones d’ombres

conduisent à une relative incertitude.

1035 V. supra, n° 232. 1036 PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 37. 1037 Ce qui se passe pour la présomption d’innocence est intéressant au regard de l’observation faite par M. Devinat. Répondant à la question de savoir si les termes utilisés pour désigner les notions et principes, ont un sens fixé, un sens vrai à respecter correctement, cet auteur estime que la rédacteur d’un dictionnaire de droit répondrait probablement par l’affirmative, V. Réflexion autour des dictionnaires de droit civil, op. cit., p. 326. Or, le Vocabulaire juridique n’accueille une définition de la présomption d’innocence que depuis que son sens a évolué sous l’effet de la loi. On a alors le sentiment que le droit subjectif reconnu par le législateur est traité comme l’aboutissement du sens de la présomption d’innocence. Ce dernier aurait alors été jusque là jugé insuffisamment déterminé pour faire l’objet d’une définition dans ce dictionnaire.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

319

§ 2. L’INCERTITUDE JURIDIQUE

287. Sens principal de la présomption d’innocence. La signification principale de la

présomption d’innocence est tirée de sa fonction au sein de la théorie de la preuve pénale.

La littérature juridique comporte à cet égard deux grandes affirmations qui se transmettent

de génération en génération de pénalistes. Premièrement, en vertu de la présomption

d’innocence la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante. Deuxièmement, le

doute profite à l’accusé : in dubio pro reo. Mais ces affirmations, pour le moins abstraites et

théoriques, devraient pouvoir être expliquées, développées et justifiées pour que l’on puisse

pleinement appréhender le sens de la présomption d’innocence et particulièrement connaître

ses applications pratiques. Or, le discours doctrinal sur la présomption d’innocence n’offre

pas de répondre pleinement à la question du sens probatoire de la présomption d’innocence.

Au contraire, à tenter de pénétrer ce discours ce sont nombre de questions qui surgissent

tandis que les réponses sont incertaines, rendant la signification de la présomption

d’innocence beaucoup moins assurée qu’il n’y paraît. Ce constat vaut aussi bien pour la

signification au regard de la charge de la preuve qu’au regard de la règle du doute favorable.

A- LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET LA CHARGE DE LA PREUVE

288. Points faisant difficultés. L’incertitude quant à la signification de la présomption

d’innocence prend sa source dans plusieurs points du discours doctrinal qui peuvent paraître

obscurs. On se proposera de les formuler successivement même s’ils entretiennent des

rapports étroits. Premièrement, c’est la fonction explicative de la présomption d’innocence

dont traite la doctrine qui prête à l’examen critique. C’est ensuite la justification de cette

signification en matière de fardeau de la preuve qui pourra sembler faible. Puis, avançant

dans la compréhension du rôle de la présomption d’innocence dans la charge de la preuve,

on apercevra le caractère pour le moins contradictoire du discours doctrinal au point de

vider le sens de toute sa substance.

1) La présomption d’innocence, réponse à une fausse question

289. Faiblesse de la valeur explicative de la présomption d’innocence. On le sait, la

présomption d’innocence prend place dans la théorie de la preuve pénale. Si quelques

auteurs du XIXe siècle avaient ouvert la voie en publiant les premières études modernes sur

la preuve criminelle1038, ce n’est qu’au XXe siècle qu’une telle « théorie » est exposée par

nos criminalistes. Cette théorie se présente comme l’exposé des réponses à trois grandes

questions ainsi formulées : qui doit prouver, par quels moyens, comment s’apprécient la

valeur des preuves ?

1038 V. supra, n° 74 et s.

Le discours sur l’objet

320

La présomption d’innocence est alors présentée comme la réponse de la procédure

pénale à la première de ces questions1039 : qui doit prouver ? C’est-à-dire que la

signification de la présomption d’innocence est fondée sur l’existence d’un problème de

droit : sur qui pèse la charge de la preuve ? Or, seule la présomption d’innocence semble

pouvoir acquérir le statut de solution au problème de la charge de la preuve, solution qui

réside dans l’attribution du fardeau à la partie poursuivante : « En droit pénal, on explique

la répartition de la charge de la preuve par le principe de la présomption d’innocence »1040.

On peut tout d’abord s’étonner de la formulation aussi tardive d’une telle question dans

le discours savant. Est-ce à dire qu’elle ne se posait pas avant la fin du XIXe siècle ? C’est

fort possible, mais il faudra alors se demander pour quelle raison. Pourtant la présomption

d’innocence est réputée avoir été consacrée à la fin du XVIIIe siècle, elle peut difficilement

être une réponse à une question qui ne s’était pas encore posée. Par ailleurs, comment la

charge de la preuve se répartissait-elle avant l’invocation de la présomption d’innocence ?

Elle se répartissait, bien que la question n’était pas soulevée, par recours aux principes du

droit civil : actori incumbit probatio et actore non probante reus absolvitur. Par application

de la règle actori incumbit probatio, il incombait à la partie poursuivante de rapporter la

preuve dans le procès pénal. Il s’agit donc là de la première raison de douter de cette

affirmation doctrinale selon laquelle la présomption d’innocence explique l’attribution du

fardeau de la preuve à la partie poursuivante.

290. L’explication de la charge de la preuve par d’autres règles. Le propos de certains

auteurs sème le doute quant à la valeur explicative de la présomption d’innocence. En effet,

bien que lui reconnaissant un rôle dans la détermination du fardeau de la preuve, plusieurs

anciens pénalistes ont d’abord invoqué les principes applicables au droit civil et estimé qu’il

s’agissait de règles appartenant au droit commun de la preuve et qu’à ce titre, elles

trouvaient également application dans le procès pénal. La signification de la présomption

d’innocence devient alors douteuse. On ne sait trop si elle détermine le fardeau de la preuve

ou si elle y participe seulement1041. Elle a pu être considérée également comme une

traduction ou une variante, en droit pénal, de la règle civile actori incumbit probatio1042.

Les professeurs Guinchard et Buisson laissent planer le doute en affirmant que ce sont les

1039 M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 194. 1040 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 70. 1041 Pour certains criminalistes, l’existence de la présomption d’innocence aurait pour effet, pour fonction, d’alourdir le fardeau de l’accusation par rapport au jeu normal de la règle générale applicable au procès civil. V ; par exemple, L. HUGUENEY, Cours de droit criminel, op. cit., p. 340 ; H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op.cit., n°1239 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op.cit., n° 142. G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 121. D’autres font de la présomption d’innocence le corollaire du brocard actori incumbit probatio, V. G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 10-11. 1042 E. MATHIAS, Procédure pénale, op. cit., p. 30 ; TH. GARÉ et C. GINESTET, Droit pénal et procédure pénale, op. cit. , n° 390. J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 383.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

321

règles civiles qui s’appliquent au procès pénal tout en expliquant que la présomption

d’innocence fonde les règles d’attribution du fardeau de la preuve au pénal1043. La doctrine

s’aperçoit aujourd’hui de la confusion qui règne sur cette question : « Si la présomption

d'innocence revient à attribuer la charge de la preuve à l'accusation, autrement dit au

demandeur, il est impossible de relever une spécificité pénale. La règle est alors celle

connue sous l'adage actori incumbit probatio. La présomption d'innocence serait alors

inutile »1044. La difficulté de trancher cette question est parfois contournée, si bien qu’on ne

fait plus référence à la règle de droit commun dont l’existence et l’éventuelle applicabilité

au procès pénal sont tues, ainsi seule la présomption d’innocence intervient dans la

détermination du fardeau de la preuve1045.

Cette fonction explicative de la présomption d’innocence, malgré une apparente

unanimité doctrinale, a d’ailleurs été clairement mise en doute. Étudiant les présomptions

en droit privé, M. Decottignies a réfuté le rôle de la présomption d’innocence dans

l’attribution du fardeau de la preuve en matière criminelle. Pour cet auteur, les règles du

droit commun se suffisent à elles-mêmes, sans qu’il soit besoin pour les expliquer de faire

appel à la notion de présomption. À l’appui de cette position, il fait notamment valoir que

cette présomption d’innocence est démentie dans les faits (les menottes, la prison, le banc

des accusés) mais que malgré ces « présomptions de culpabilité », la charge de la preuve

continue de peser sur le demandeur au procès, autrement dit sur la partie poursuivante. Il en

est ainsi, explique l’auteur, parce que le ministère public est chargé de faire appliquer les

peines prévues par l’État lorsque les conditions de la répression sont réunies. « C’est pour

cette raison qu’il doit prouver l’existence de l’infraction et la participation matérielle et

morale de l’inculpé au délit. L’accusation ne cherche nullement à détruire une présomption

d’innocence dont l’inculpé pourrait se prévaloir. Elle prouve simplement que, dans l’espèce

considérée, la répression pénale peut et doit s’exercer, parce que les conditions prévues par

la loi sont remplies »1046.

Cette opinion tend donc à expliquer l’attribution du fardeau de la preuve par le principe

de la légalité criminelle. Cela paraît en réalité tout à fait logique. La culpabilité ne peut

résulter que de la réunion de tous les éléments que la loi énonce au titre des éléments

constitutifs de telle ou telle infraction. Il appartient donc logiquement au ministère public

qui entend appliquer cette loi de démontrer l’existence de chacun de ces éléments

constitutifs. Ce qui est troublant, c’est que cette explication du fardeau de la preuve pénale

par le principe de légalité criminelle est également donnée par les professeurs Merle et Vitu. 1043 S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op.cit., n° 479-480 et 506. 1044 C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 23. 1045 F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p. 226 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 197. 1046 R. DECOTTIGNIES, Les présomptions en droit privé, thèse, Lillle, 1949, p. 215.

Le discours sur l’objet

322

Tandis que la partie de leur traité de droit criminel consacrée à la procédure pénale désigne

la présomption d’innocence comme la règle d’attribution du fardeau de la preuve, ces

auteurs expliquent dans la partie consacrée à l’étude du droit pénal général que, découlent

du principe de légalité deux conséquences : qu’il ne peut y avoir de condamnation sans que

soit pleinement et solidement établie la culpabilité et que « la charge de la preuve incombe

à l’accusateur » et que « faute de preuves assez convaincantes, le prévenu doit être renvoyé

des fins de la poursuite »1047.

Ces exemples suffisent à montrer qu’il peut exister plusieurs réponses au problème

juridique posé et que l’explication de l’attribution du fardeau de la preuve par la

présomption d’innocence est en réalité en concurrence avec d’autres explications possibles.

Il en résulte que, le discours doctrinal qui laisse à penser que la présomption d’innocence

est la seule réponse, opère un choix parmi plusieurs solutions envisageables pour n’en

retenir qu’une sans que ce choix ne soit justifié. Il s’agit bien d’un choix doctrinal dès lors

que, comme l’avait relevé M. Essaïd à propos de la règle actori incumbit probatio et de la

présomption d’innocence, la chambre criminelle « fait assumer le fardeau de la preuve au

ministère public sans se référer ni à l’une ni à l’autre règle »1048. Depuis, il est vrai que la

théorie doctrinale a été consacrée par la Cour de cassation qui a décidé que « tout prévenu

étant présumé innocent, la charge de la preuve de sa culpabilité incombe au ministère

public »1049. Il n’empêche, un auteur a démontré que de toute manière la question de la

charge de la preuve était juridiquement inexistante.

291. L’inexistence du problème juridique de la charge de la preuve. Cette thèse a été

soutenue par M. Xavier Lagarde. Adoptant un point de vue sociologique critique cet auteur

à chercher à démontrer que « le problème de la charge de la preuve, tel que la doctrine le

pose, ne se pose pas dans le discours juridique ; plus simplement, il ne semble pas y avoir

de critère juridique de reconnaissance de ce problème »1050. M. Lagarde explique que, les

arrêts que la doctrine analyse généralement sous l’angle de la preuve ne règlent justement

pas un problème de fardeau de la preuve. En réalité, le plus souvent la Cour de cassation se

prononcerait sur le contenu de la règle applicable au litige, c'est-à-dire apprécierait

seulement le caractère suffisamment justifié de la décision déférée1051. Cela serait d’ailleurs

particulièrement criant lorsque la Cour de cassation assimile les notions d’inversion de la

charge de la preuve et de manque de base légale. Ce point de vue est intéressant car il

rejoint semble-t-il le point de vue selon lequel, en matière criminelle, l’attribution du

fardeau de la preuve s’explique par le principe de légalité criminelle. Car, en vertu de ce 1047 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Droit pénal général, 7e éd., op. cit., n° 157. 1048 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 160. 1049 Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164. 1050 X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, Paris, LGDJ, 1994, n° 135, note 521. 1051 X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, op. cit., n° 140.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

323

principe, le juge est bien contraint, comme le fait observer M. Lagarde pour la matière

civile, à rechercher si tous les éléments contenus dans l’incrimination ont été rapportés par

l’accusation1052.

D’ailleurs la situation décrite ci-dessus par M. Lagarde trouve une parfaite illustration

dans le premier arrêt de la Cour de cassation ayant invoqué explicitement la présomption

d’innocence au titre de la charge de la preuve. Dans cet arrêt du 29 mai 19801053, le prévenu

reprochait aux juges du fond de l’avoir déclaré coupable de licenciement économique sans

autorisation en procédant à un renversement de la charge de la preuve. En effet, les juges

avaient déduit des faits de l’espèce que le licenciement opéré avait bien une cause

économique mais avaient eu la maladresse d’énoncer « qu’au demeurant, le prévenu

n’apporte pas la preuve du contraire ».

Cet arrêt est cassé par la chambre criminelle au motif suivant : « Attendu cependant que

ces motifs, qui impliquent un renversement de la charge de la preuve, sont insuffisants pour

justifier la décision ». On doit signaler que le pourvoi était fondé à la fois sur un

renversement de la charge de la preuve, un défaut et contradiction de motifs et un manque

de base légale, et qu’il invoquait une violation d’une part, des dispositions du Code du

travail relatives au licenciement, d’autre part, des dispositions pénales relatives à

l’obligation de motivation et enfin de l’article 1315 du Code civil. Il n’était donc

absolument pas question d’invoquer une violation de la présomption d’innocence comme

règle d’attribution du fardeau de la preuve. Cet arrêt illustre donc parfaitement

l’assimilation du manque de base légale avec le renversement de la charge de la preuve

qu’évoquait M. Lagarde1054.

Pour s’en tenir à la procédure pénale, l’inexistence du problème de la charge de la

preuve pourrait également résulter des règles mêmes du procès pénal. De la mission

reconnue à l’accusation résultent les pouvoirs d’investigations et de production des

1052 À cet égard on notera que l’auteur va même jusqu’à affirmer que « l’article 1315, qu’on considère comme la règle d’attribution de la charge de la preuve par excellence, ne fait que préciser les constatations nécessaires à l’accueil d’une demande en paiement. », n° 140, p. 223. 1053 Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164, décidant que : « Tout prévenu étant présumé innocent, la charge de la preuve de sa culpabilité incombe à la partie poursuivante. Encourt la cassation l’arrêt qui, pour déclarer un employeur coupable de licenciement économique sans autorisation de l’administration compétente, se borne à constater que ledit employeur avait manifesté l’intention d’opérer, entre deux établissements, une fusion susceptible d’entraîner une réduction du personnel et qu’en ce qui concerne le licenciement litigieux, il n’a pas apporté la preuve qu’il ne s’agissait pas d’un licenciement à caractère économique». 1054 On la retrouve d’ailleurs encore dans une autre décision de la chambre criminelle qui casse un arrêt de cour d’appel en énonçant d’une part que, « tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que la charge de la preuve de la culpabilité du prévenu incombe à la partie poursuivante » et d’autre part que, « la cour d'appel, qui a omis de s'assurer si les factures présentées ne remplissaient aucune de ces conditions, ou si elles revêtaient un caractère fictif, et qui a renversé la charge de la preuve, n'a pas donné de base légale à sa décision.», Cass. crim., 22 février 1993, Bull. n° 84.

Le discours sur l’objet

324

preuves1055. De l’intime conviction, résulte l’obligation pour la personne poursuivie de

participer le plus activement possible à l’effort probatoire. Il y va de son intérêt dès lors

qu’avec le système de l’intime conviction « le juge peut s’estimer convaincu par un élément

minime, en dépit de l’existence d’autres éléments en sens contraire »1056. Des pouvoirs

conférés et des devoirs imposés aussi bien aux magistrats instructeurs qu’aux juges à

l’audience définitive, il résulte qu’en définitive la charge de la preuve pèse non pas sur une

personne ou sur une institution mais sur une pluralité de personnes.

Enfin, c’est la jurisprudence qui pourrait paraître démentir grandement la « théorie »

explicative de la présomption d’innocence. En effet, il est désormais parfaitement admis

que la présomption d’innocence n’est pas violée par certains renversements de la charge de

la preuve. Ceci résulte de la jurisprudence tant de la Cour européenne que de la Cour de

cassation et du Conseil constitutionnel. Ces trois ordres de juridiction admettent l’existence,

dans notre système juridique, d’incriminations formulées de telle sorte qu’elles constituent

des présomptions de responsabilité ou de culpabilité. En les jugeant compatibles avec la

présomption d’innocence, sous certaines réserves certes, ces décisions démentent le rôle

central reconnu à la présomption d’innocence en matière d’attribution du fardeau de la

preuve puisque les présomptions ainsi admises mettent à la charge de la personne

poursuivie la preuve de son « innocence ». La doctrine continue cependant de dire que la

présomption d’innocence fait peser sur la partie poursuivante l’entier fardeau de la preuve et

analyse ces présomptions comme des renversements de la charge de la preuve contredisant

la présomption d’innocence1057.

Ainsi, l’explication doctrinale de la charge de la preuve par le recours à la présomption

d’innocence peut-elle sembler assez faible, soit que d’autres règles seraient en mesure de

l’expliquer tout aussi bien, soit que la question juridique de la charge de la preuve ne se

pose pas de façon aussi cruciale qu’il n’y paraît.

2) La justification par l’autonomie du droit pénal

292. L’autonomie à la mode. Compte tenu que les principes civils actori incumbit probatio

ou actore non probante reus absolvitur pourraient à eux seuls expliquer l’attribution du

fardeau de la preuve dans le procès pénal, la doctrine s’est trouvée devant la nécessité de

justifier la solution différente qu’elle préconisait. Ainsi a-t-elle dû expliquer pourquoi, dans

1055 C’est semble-t-il l’opinion autrefois professée par MM. Brière de l’Isle et Cogniart. Abordant la question de la charge de la preuve, ces auteurs estimaient « logique que la charge de rapporter la preuve incombe au poursuivant », c'est-à-dire ministère public et partie civile. Ils soulignaient en outre l’absence de règles générales expresses dans le Code de procédure pénale pour conclurent que « celles-ci se déduisent en fait du rôle et des pouvoirs du poursuivant. », V. G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p.10. 1056 G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 19e éd., n° 152. 1057 V. par exemple J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n° 26 à 29 et les références citées.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

325

le procès pénal, intervenait le principe de la présomption d’innocence plutôt que les

principes du droit commun. C’est l’autonomie du droit pénal, ou plus justement son

particularisme, qui a été mis en avant pour justifier le recours à la présomption d’innocence.

Il est intéressant d’observer que l’invocation de l’argument d’autonomie du droit pénal

devient très visible à compter de la parution de l’étude de M. Patarin1058. Or, on le sait

maintenant, cette étude marque un tournant dans l’histoire du discours sur la présomption

d’innocence puisqu’elle présente un caractère fondateur. C’est en outre à partir de cette

époque que la question de « l’autonomie est à la mode »1059. Si bien que l’apparition de ces

deux nouveaux objets de discours est concomitante.

L’argument de l’autonomie du droit pénal présente des ambiguïtés, il n’est pas aisé à

saisir. Il a d’ailleurs peu à peu disparu du discours doctrinal, ce qui ajoute finalement à

l’ambiguïté puisque le recours à la présomption d’innocence n’est plus justifié mais

simplement posé1060. Il était loin de faire l’unanimité au point que même les auteurs qui

l’ont invoqué ont semblé par ailleurs reconnaître l’application des principes civils.

L’incertitude qui affecte la justification de la présomption d’innocence par l’autonomie tient

d’une part à la question de l’autonomie elle-même et d’autre part à la manière dont on a

voulu la faire jouer.

293. Présomption d’innocence et autonomie du droit pénal. Si la solution retenue par la

doctrine est claire : le fardeau de la preuve en droit pénal est déterminé par la présomption

d’innocence plutôt que par l’adage actori incumbit probatio, en revanche le raisonnement

qui y conduit l’est moins.

L’ambiguïté du discours doctrinal tient tout d’abord aux rapports qu’il reconnaît entre

l’existence de l’autonomie du droit pénal et celle de la présomption d’innocence en matière

de preuve. En effet, deux hypothèses semblent envisageables à la lecture des auteurs. Soit il

s’agit de fonder l’existence même de la présomption d’innocence sur la reconnaissance

préalable de l’autonomie ou du particularisme du procès pénal par rapport au procès

1058 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit. 1059 P. BOUZAT, À propos de «Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal », Rev.int.dr.pén., 1956, p. 143. C’est semble-t-il d’ailleurs à cette même période que la doctrine a posé l’autonomie en principe bien qu’il s’agisse d’une question controversée, V. R. LEGROS, Essai sur l’autonomie du droit pénal, Rev. dr. pén. et crim., 1956-57, p. 143 et 166. 1060 À cet égard, M. Pradel qui affirme l’équivalence de solution produite soit par le principe civil soit par la présomption d’innocence, ne justifie pas le recours à la présomption d’innocence, V. J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 383. Désormais, c’est l’utilité même de la présomption d’innocence qui est récusée au regard de la charge de la preuve. M. Detraz estimant en effet que la règle actori incumbit probatio est d’application générale à tous les types de contentieux et qu’il n’existe pas de spécificité du procès pénal à cet égard ; La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 12.

Le discours sur l’objet

326

civil1061, soit il s’agit à l’inverse de fonder le particularisme de la preuve pénale sur

l’existence de la présomption d’innocence1062.

L’ambiguïté tient ensuite au fondement de l’autonomie du droit pénal. Il est vrai que les

auteurs ont, à l’instar de M. Patarin, parlé de particularisme1063 du droit pénal et de la

preuve pénale plutôt que de réelle autonomie. Cela dit, la publication de l’étude de cet

auteur dans un recueil consacré aux aspects de l’autonomie du droit pénal1064 entretient une

certaine confusion. Or, il ne semble en revanche exister aucun doute sur le fondement de

cette autonomie : elle repose toujours sur l’intérêt ou la nécessité de la répression1065.

L’affirmation de l’autonomie du droit pénal est, selon M. Bouzat, une nécessité : celle de ne

pas entraver la mission de répression des règles du droit criminel par un respect exagéré des

règles du droit civil ou commercial. L’autonomie se justifie donc, pour cet auteur, par la

défense de la société1066.

Il y a là une importante contradiction entre le fondement de l’autonomie et la

présomption d’innocence. L’une est justifiée par l’intérêt de la société tandis que l’autre

(qui est supposée participer de cette autonomie) est fondée sur l’intérêt de l’accusé.

L’invocation de l’autonomie du droit pénal sert à écarter une règle normalement applicable

au profit d’une règle pénale et ce afin de mieux assurer la répression1067. Or, en voulant

exclure les règles civiles de répartition du fardeau de la preuve, l’effet recherché est tout à

fait inverse. On estime en effet que l’éviction des principes civils en matière de charge de la

1061 Cela ressort des termes employés par MM. Merle et Vitu, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 142. Vidal ne semblait quant à lui considérer que ce qui ne s’appelait pas encore le particularisme du droit pénal, était indépendant de l’existence de la présomption d’innocence. Son propos laisse donc entendre que cette dernière pourrait découler de la particularité du droit pénal. 1062 C’est semble-t-il la position défendue par M. Patarin, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 4, p.15 et n° 8, p.19-20. V. aussi G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, op. cit., p. 690. 1063 On parle parfois également d’originalité, par exemple, J.-L. GOUTAL, L’autonomie du droit pénal : reflux et métamorphose, Rev.sc.crim., 1980, p. 911 et s. 1064 G. STÉFANI (dir.) Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal : études de droit criminel, Travaux de l’institut de criminologie de Paris, Dalloz, 1956. 1065 G. STÉFANI, in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal : études de droit criminel, op. cit. , préface, pp. VII, IX et XII. 1066 P. BOUZAT, À propos de «Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal », op. cit., p. 143-144. M. Hugueney n’a d’ailleurs pas dit autre chose : « L’indépendance du droit criminel s’explique et même se justifie par la mission particulière du droit pénal qui est de protéger les intérêts essentiels de la société », Rev.int.dr.pén., 1946, p. 66, cité par R. LEGROS, Essai sur l’autonomie du droit pénal, op. cit. 1067 C’est bien l’hypothèse des règles de répartition de la charge de la preuve. En effet, en l’absence de règle expresse prévue aux codes d’instruction criminelle ou de procédure pénale, le recours aux règles prévues en procédure civile est possible afin de combler (sous certaines exigences énoncées autrefois par la Cour de cassation) les « lacunes de la procédure pénale. V. R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 9. C’est cette possibilité qui permet aux pénalistes d’évoquer les principes civils en raison d’une analogie suffisante entre procès civil et pénal sous l’angle de la preuve. Cette analogie a été maintes fois soulignée pour justifier le jeu éventuel de actori incumbit probatio. Puis c’est l’autonomie du droit pénal que l’on a alors parfois invoquée pour exclure cette règle « normalement » applicable.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

327

preuve est justifiée par les intérêts en jeu : l’honneur et la liberté de la personne poursuivie

pénalement1068.

En réalité, l’argument de l’autonomie du droit pénal en matière de charge de la preuve ne

se comprend que si l’on a égard à la manière dont les auteurs le font jouer.

294. L’autonomie du droit pénal et l’exclusion de l’adage reus in excipiendo fit actor.

La règle exprimée par cet adage signifie que si, en vertu de la règle actori incumbit probatio

c’est le demandeur qui a la charge de prouver, lorsque le défendeur invoque une exception

il devient à son tour demandeur et doit, par conséquent, rapporter la preuve de l’exception

soulevée. Lorsque les pénalistes invoquent la particularité du droit pénal et le jeu de la

présomption d’innocence, c’est en réalité uniquement pour justifier l’exclusion de cette

règle civile dans le procès pénal. C’est dans cette exclusion que semble résider l’intérêt

d’invoquer la présomption d’innocence au titre de la détermination du fardeau de la preuve.

Récemment, un auteur a fort bien exprimé cette réalité : « Si la présomption d'innocence

revient à attribuer la charge de la preuve à l'accusation, autrement dit au demandeur, il est

impossible de relever une spécificité pénale. La règle est alors celle connue sous l'adage

actori incumbit probatio. La présomption d'innocence serait alors inutile »1069et d’ajouter

« Si la présomption d'innocence n'est pas synonyme de la règle actori incumbit probatio

(…), comment peut-elle être traduite ? Qu'apporte donc la présomption d'innocence qui ne

soit déjà connu (…) ? La spécificité tient au fait que la personne n'a pas à prouver son

innocence, c'est-à-dire n'a pas à prouver la thèse qu'elle avance. Il convient alors de rejeter

hors du prétoire pénal la règle reus in excipiendo fit actor »1070.

Cette deuxième règle applicable au procès civil est indissociable de la première, à savoir

actori incumbit probatio, qu’elle vient d’ailleurs utilement compléter. On comprend alors

mieux l’embarras des auteurs. Admettre l’analogie parfaite entre actori incumbit probatio et

la présomption d’innocence paraissait logique puisque dans les deux cas c'est bien la partie

poursuivante qui était désignée comme devant rapporter la preuve. Cela dit, l’analogie

devait tout aussi logiquement entraîner l’application de la règle reus in excipiendo fit actor.

Or une majeure partie de la doctrine semble avoir toujours souhaité sinon exclure cette

règle, du moins lui reconnaître une portée moindre dans le procès pénal, en invoquant la

présomption d’innocence. En quoi consiste alors cette exclusion ? Elle consiste à refuser de

mettre à la charge de la personne poursuivie les exceptions. En droit pénal, on range dans

cette catégorie les exceptions et moyens de défense, en réalité tous les éléments tendant à

1068 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 4 et 7. Cela dit l’auteur tente d’éviter adroitement la contradiction en insistant sur l’intérêt qu’a la société de préserver cette liberté et cet honneur. Mais alors ici l’intérêt de la société bien compris n’est plus la répression. 1069 C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 23. 1070 C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 24.

Le discours sur l’objet

328

faire échec à la répression1071. Les auteurs visent cependant le plus souvent les faits

justificatifs et les causes de non imputabilité, lesquels font disparaître soit l’élément légal

soit l’élément psychologique de l’infraction, c'est-à-dire empêchent l’infraction d’être

constituée et la responsabilité pénale retenue. La doctrine estime dans ces deux cas que

l’application de reus in excipiendo fit actor est contraire à la présomption d’innocence dans

la mesure où elle impose à la personne poursuivie de rapporter la preuve de l’absence de

l’un des éléments constitutifs de l’infraction1072.

On le voit, l’invocation de la présomption d’innocence et du particularisme du droit

pénal ne peuvent se comprendre, en matière de charge de la preuve, que s’il s’agit d’exclure

le jeu de la règle reus in excipiendo fit actor. Ce qui confère une moindre portée à la

présomption d’innocence, une moindre signification.

295. L’exclusion de la règle reus in excipiendo fit actor. Cette signification juridique de la

présomption d’innocence, tirée du discours doctrinal, présente elle aussi une part

d’incertitude.

Si le discours sur la signification probatoire de la présomption d’innocence ne peut se

comprendre que dans cette volonté d’exclure la règle civile, alors on pourra s’étonner de

découvrir que cette signification est l’objet d’une controverse doctrinale. L’exclusion de

reus in excipiendo fit actor dans le procès pénal ne fait pas l’unanimité. Certains auteurs,

surtout anciens, estiment en effet que les deux règles du procès civils s’appliquent au pénal.

D’autres estiment au contraire, comme nous venons de le voir, que la présomption

d’innocence exclut l’application de reus in excipiendo fit actor. La doctrine estime qu’une

troisième opinion prend part à la controverse, pour mettre à la charge de la personne

poursuivie non pas la preuve de l’exception mais l’allégation du fait justificatif, de l’excuse

ou de la cause de non imputabilité. Ainsi demeurerait à la charge de la partie poursuivante

le soin de démontrer l’absence d’éléments susceptibles de faire disparaître l’infraction.

On pourrait s’interroger sur le statut de cette controverse dans le discours doctrinal. En

effet, elle semble, tout d’abord par son contenu, amoindrir la signification que la doctrine

voudrait reconnaître à la présomption d’innocence en matière de charge de la preuve. À

l’opposition des auteurs sur la question de savoir si oui ou non on doit faire application de

reus in excipiendo fit actor, vient s’ajouter l’incertitude du droit positif dont fait largement 1071 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 244. 1072 On comprend alors beaucoup mieux pourquoi les criminalistes ont pu porter tant d’intérêt au fameux arrêt du 24 mars 1949 qui leur semblait mettre à la charge de la partie poursuivante tous les éléments constitutifs de l’infraction ainsi que tous ceux susceptibles de la faire disparaître. V. supra, n° 241. C’est probablement d’ailleurs l’un des seuls ou le seul qui semblait mettre à la charge du ministère public l’entier fardeau de la preuve. La doctrine en citant cet arrêt comme une application de la présomption d’innocence signifie par là que, l’intérêt d’invoquer la présomption d’innocence au titre de la charge de la preuve n’est pas de déterminer qui doit rapporter la preuve, mais qui doit rapporter la preuve des exceptions.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

329

état la doctrine. Loi et jurisprudence ne consacreraient aucune solution uniforme à la

question posée en doctrine. Si bien que la signification de la présomption d’innocence paraît

s’évaporer dans cette incertitude. Il ne devrait plus être possible d’affirmer que c’est la

présomption d’innocence qui règle le problème du fardeau de la preuve. Et pourtant, c’est

bien ce que fait la doctrine.

Quid alors de cette controverse ? Loin de vouloir la passer sous silence ou minimiser sa

portée, la doctrine se plait plutôt à l’exposer1073, parfois longuement et méthodiquement. Il

pourrait pourtant s’agir d’une « fausse » controverse. En effet, si certains auteurs actuels

continuent d’affirmer que ce sont les deux principes civils qui s’appliquent au procès

pénal1074, le plus grand nombre semble se rallier à la thèse selon laquelle reus in excipiendo

fit actor ne peut pas s’appliquer au procès pénal. Soit parce qu’on doit l’en exclure

totalement, soit plutôt parce que cette règle ne peut s’appliquer dans toute sa rigueur à

l’instance pénale. Si la doctrine continue de présenter cela comme une controverse, c’est

que le droit positif n’est pas fixé, ni la loi ni la jurisprudence n’offrent de

« solution uniforme » disent les auteurs. On peut alors se demander quelles fonctions

assume cette controverse dans le discours doctrinal sur la présomption d’innocence. La

première pourrait être de maintenir à disposition les arguments permettant de trancher en

faveur de la thèse ralliant la majorité des auteurs. Rappeler que la question n’a pas été

définitivement et sûrement tranchée, c’est dire qu’il y a encore place pour les arguments

doctrinaux. Ce pourrait être ensuite une manière de manifester la maîtrise que le discours

juridique peut avoir sur le sens de la présomption d’innocence.

Le discours sur le sens de la présomption d’innocence en matière de détermination du

fardeau de la preuve n’apparaît donc plus aussi évident à la lumière de ces constatations. Il

se pourrait pourtant que la question de la charge de la preuve en matière pénale ne soit pas

complètement fausse. Elle pourrait seulement être mal posée comme cela a été relevé pour

la charge de la preuve en matière civile. Les spécialistes de cette matière ont soutenu que,

parler d’un problème de la charge de la preuve serait incorrect.

3) De la charge de la preuve au risque du doute

296. Reformulation de la question. Dans la mesure où le déroulement de la pratique

montre que chacune des parties au procès est amenée à prouver ce qu’elle avance, la charge

1073 P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., n° 1183 ; M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 248 et s ; G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, op. cit., p. 691 ; V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 118-120 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 151 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 202, p. 318 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 25-27. G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 126. 1074 J.-C. SOYER, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 805.

Le discours sur l’objet

330

de la preuve se déplacerait tout au long du procès, de sorte qu’il serait impossible de dire

avec certitude à tel ou tel moment sur qui, de l’une ou l’autre des parties, voire même du

juge lui-même, pèse en réalité la charge de la preuve. On a par conséquent affiné l’analyse

pour expliquer que la question de la charge de la preuve est plutôt celle du risque du doute.

Toutes les parties participant en fait à charge de la preuve aussi bien dans le procès civil que

pénal, la question se déplacera et consistera à demander : qui doit succomber dans le cas où

les preuves rapportées seraient insuffisantes1075 ?. Les pénalistes, comme les civilistes du

reste, parlent toujours de charge de la preuve et non de risque du doute. Cela étant, en

procédure pénale la littérature juridique fait expressément référence au doute et à

l’insuffisance de preuve. C’est le cas par exemple des professeurs Stéfani, Levasseur et

Bouloc qui expliquent que, « si les preuves réunies par la partie civile ou le ministère

public sont insuffisantes pour emporter la conviction du juge de jugement, et s’il subsiste un

doute, le prévenu ou l’accusé doit être relaxé ou acquitté. Le doute, dit-on, profite à

l’accusé (in dubio pro reo) »1076.

Combien de fois peut-on lire qu’en vertu de la présomption d’innocence, la preuve

incombe à la partie poursuivante et le doute profite à l’accusé ? Certains auteurs vont même

désormais jusqu’à écrire que la présomption d’innocence n’aurait véritablement de sens que

dans l’hypothèse du doute : « (…) la présomption d’innocence ne révèle toute son

importance qu’en cas de doute, comme l’illustre l’adage in dubio pro reo ; dès lors que le

ministère public n’a su évoquer dans l’esprit du juge, que la possibilité, voire la probabilité

de la culpabilité, il n’a pas rapporté intégralement la preuve qui lui incombait»1077. Tout

discours sur la présomption d’innocence reprend cette affirmation que la présomption

d’innocence signifie, qu’en cas de doute, les juges doivent relaxer ou acquitter la personne

poursuivie : in dubio pro reo.

Ainsi, il est apparu que la signification de la présomption d’innocence au regard de la

détermination du fardeau de la preuve est incertaine dans le discours qui l’affirme. Il est

également apparu que la signification résiduelle de la présomption d’innocence, au regard

1075 V. par exemple : J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, n° 644-645 pour la formulation du problème de la charge de la preuve et une synthèse des recherches qui ont conduit à reformuler le problème en terme de risque. Pour un rappel plus récent, X. LAGARDE, Finalités et principes du droit de la preuve, JCP. 2005, I, 133, n° 10. 1076 G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123. Garraud est peut-être le premier criminaliste à avoir si clairement posé la question et à lui avoir tant consacré. À relire cet auteur, on s’aperçoit que la question de la charge de la preuve n’était pas aussi importante que celle de l’insuffisance de preuve. Il faut d’ailleurs souligner que c’est au titre de l’insuffisance de preuve qu’apparaît pour la première fois la formulation de la présomption d’innocence. V. Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 232 et s. 1077 PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 40. V. aussi : TH. GARÉ et C. GINESTET, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 391 ; E. MATHIAS, Procédure pénale, op. cit., p. 32. Mais déjà, faisant suite à Garraud, Donnedieu de Vabres estimait au titre des effets de l’insuffisance de preuve que « Une règle absolue, dans notre droit contemporain, est que le doute bénéficie à l’inculpé. », V. Traité de droit criminel, op. cit., n° 1240.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

331

de l’exclusion de la règle reus in excipiendo fit actor, est mal assurée. Il demeure semble-t-

il une certitude dans le discours sur la signification de la présomption d’innocence : le doute

bénéficie à l’accusé en vertu de la présomption d’innocence. Une telle affirmation a pour

effet de déplacer la question de la signification de la présomption. En effet, s’inquiéter du

sens de ce principe revient à rechercher le sens de la règle selon laquelle le doute profite à

l’accusé, puisque les deux sont présentés de façon indissociable par les pénalistes.

B- LE BÉNÉFICE DU DOUTE COMME SIGNIFICATION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

297. Règle de décision. Même si le lien entre la question de la charge de la preuve et celle

du doute semble étroit, particulièrement dans la théorie civiliste de la charge de la preuve, le

bénéfice du doute en droit pénal déborde du domaine de la preuve pour se placer au niveau

de la décision. C’est la raison pour laquelle certains auteurs n’hésitent plus aujourd’hui à

présenter la présomption d’innocence comme une règle de fond1078, dès lors qu’au cas de

doute, une solution de relaxe ou d’acquittement s’impose.

La signification de la règle selon laquelle le doute profite à l’accusé, le plus souvent

exprimée par l’adage in dubio pro reo, revêt une importance toute particulière pour

appréhender le sens de la présomption d’innocence. Or, un fois de plus, les affirmations

doctrinales laissent subsister plusieurs zones d’ombres qui sont autant d’obstacles à la

découverte du sens de la présomption d’innocence. L’incertitude affecte tout d’abord les

véritables rapports logiques et juridiques existant entre la présomption d’innocence et le

bénéfice du doute. Elle touche ensuite la signification même de l’adage in dubio pro reo.

Au terme d’une recherche critique consistant à découvrir de quoi parlent vraiment les

pénalistes lorsqu’ils affirment que le doute profite à l’accusé, on pourra formuler une

hypothèse de signification, la seule qui apparaisse logique, bien que très implicite, au regard

du raisonnement des pénalistes.

1) L’incertitude des rapports entre présomption d’innocence et in dubio pro reo

298. Diversité des opinions. Nombreux sont les auteurs à analyser la règle exprimée par

l’adage in dubio pro reo comme une conséquence du principe de la présomption

d’innocence1079. Toutefois, certains laissent entendre ou affirment clairement que les deux

1078 Par exemple : R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement étude comparée du droit français et du droit anglais, op. cit., p. 50 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit , n° 196. 1079 P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., n° 1183 : « Cette présomption d’innocence (qui bénéficie aux récidivistes comme aux délinquants primaires) a pour conséquence que, dans le doute, il faut se décider en faveur de l’accusé (in dubio pro reo). » ; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., p. 226 ; M. DELMAS-MARTY, La preuve pénale, op. cit., p. 58 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 196. PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, 4e éd., op. cit., n° 40.

Le discours sur l’objet

332

règles sont équivalentes1080. L’histoire du discours doctrinal sur la présomption d’innocence

pourrait révéler une troisième possibilité. En effet, alors que les criminalistes des XVIIIe et

XIXe siècle ignoraient ce que l’on nomme aujourd’hui la présomption d’innocence, ils ne

manquaient toutefois pas d’enseigner la règle du doute favorable. Il semblerait même que

les premières références à une certaine présomption d’innocence aient été formulées en

considération de la règle du doute favorable1081. D’ailleurs, Garraud lorsqu’il parlera de

présomption d’innocence ne le fera qu’incidemment, par référence à Ferri, mais la règle

qu’il étudie dans ses conséquences, c’est bien celle du doute favorable1082. En outre, il n’est

peut-être pas inutile de rappeler ici que Ferri, qui exprimait de virulentes critiques à la

présomption d’innocence, ne la voyait que comme une conséquence particulière de la règle

in dubio pro reo. Enfin, certains criminalistes ne semblent connaître que la règle in dubio

pro reo et ne parlent pas de présomption d’innocence. Ainsi de la longue étude qu’un juriste

suisse avait consacré au principe in dubio pro reo1083 sans jamais se référer à la présomption

d’innocence. Il expliquait que cette règle du doute favorable découlait du principe nulla

poena sine culpa1084. Curieusement, il ajoutait que « En vertu de la l’adage in dubio pro reo

c’est à l’accusation qu’incombera le fardeau de la preuve»1085.

299. Des divergences passées sous silence. On observera que ces divergences de

présentation voire d’interprétation, n’ont jamais été relevées ni, à plus forte raison,

analysées comme une controverse doctrinale1086. Il nous semble pourtant que de la

clarification des rapports que la présomption d’innocence entretient avec l’adage in dubio

pro reo dépend largement sa véritable signification. Par exemple, l’importance de ces

rapports avec la signification de la présomption d’innocence se révèle tout particulièrement

à travers la décision de relaxe rendue au bénéfice du doute. En effet, si l’on a 1080 G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715 : « L’inculpé bénéficie d’une présomption légale d’innocence qui ne tombe que devant la preuve contraire de la culpabilité : in dubio pro reo. » ; G. BRIÈRE DE L’ISLE ET P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 12 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 4e éd., op. cit., n° 123 : « Cette optique propre au procès pénal explique l’existence d’un troisième principe (…) et qu’exprime l’adage in dubio pro reo (le doute profite à l’accusé) : la personne poursuivie est présumée innocente jusqu’à ce qu’on ait pleinement rapporté la preuve contre elle les preuves décisives de sa culpabilité » ; ou encore, A. LEGAL, Chronique de jurisprudence, Rev.sc.crim., 1970, p. 381. 1081 V. supra, n° 41. Ils ignoraient cependant l’adage in dubio pro reo qui a, comme on le sait désormais, été formulé en Allemagne au cours du XIXe siècle, V. pour la genèse de cet adage, supra, n° 174 et s. 1082 R. GARRAUD, Précis de droit criminel, op. cit. , 8e éd., n° 441, et aussi Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 232 à 234. En outre, on peut observer que pour M. Hugueney, la présomption d’innocence semble découler de in dubio pro reo : « (…) l’accusé, en matière pénale, est couvert par une présomption d’innocence, parce que, dans le doute, il faut décider en faveur de l’accusé : "in dubio pro reo" », L. HUGUENEY, Cours de droit criminel, op. cit., p. 340. 1083 V. GOUSENBERG, Du principe « in dubio pro reo » et de quelques difficultés dans son application pratique, op. cit. 1084 Du principe « in dubio pro reo » et de quelques difficultés dans son application pratique, op. cit., n° 1. 1085 Du principe « in dubio pro reo » et de quelques difficultés dans son application pratique, op. cit., n° 5. 1086 Bien que perceptibles par tous, elles ne sauraient être source d’incertitude qu’au terme de notre analyse critique. Le discours doctrinal donne de son côté une belle apparence d’uniformité et donc d’univocité à ce sujet.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

333

principalement égard à la règle du doute favorable, une telle décision est la preuve éclatante

de son application et donc du respect de la présomption d’innocence. En revanche, si l’on a

principalement égard à la présomption d’innocence, une décision qui fait état d’un doute lui

est tout à fait contraire. Ces deux conceptions sont soutenues en doctrine et se réclament

toutes les deux de la présomption d’innocence1087. C’est donc bien la signification de cette

dernière qui est en jeu.

Le législateur semble quant à lui distinguer la présomption d’innocence du doute

favorable. La loi du 15 juin 2000 a en effet précisé le serment des jurés de cour d’assises,

ces deniers jurent et promettent désormais de : « se rappeler que l’accusé est présumé

innocent et que le doute doit lui profiter »1088. Cette « consécration » du doute favorable

dans le Code de procédure pénale, semble conforme à l’opinion dominante des auteurs : elle

est une conséquence de la présomption d’innocence et s’en distingue donc.

Considérer que la présomption d’innocence a pour conséquence la règle du doute

favorable, a notamment pour effet de réduire considérablement la portée de la seconde règle

en la cantonnant à la phase ultime du procès pénal, celle où elle jouera comme règle de

décision. Pourtant, il s’agit là d’un choix doctrinal dont la justification n’apparaît pas. À

défaut d’avoir été précisée dans sa signification, la règle in dubio pro reo pourrait très bien

ne pas se limiter à la seule phase de décision sur la culpabilité1089. La formule est

suffisamment générale pour se voir reconnaître un sens plus étendu. À vrai dire, la règle du

doute favorable expliquerait peut-être mieux les règles que l’ont dit généralement découler

de la présomption d’innocence et qui n’entretiennent aucun rapport avec la charge de la

preuve mais qui en revanche en ont un avec le doute.

300. Situation identique dans la science juridique allemande. Les juristes français n’ont

donc jamais cherché à démêler les rapports entre in dubio pro reo et la présomption

d’innocence. Leurs homologues allemands se sont en revanche largement interrogés à ce

sujet, sans pour autant parvenir à se départager. Les recherches du professeur Axel

Montenbruck en sont un bon exemple. Cet auteur s’est interrogé sur la question de savoir si

l’on pouvait remplacer in dubio pro reo par la présomption d’innocence de l’article 6§2 de

la Convention EDH1090. Il a fait, avec la littérature allemande, les mêmes constats que nous.

Il s’avère aussi difficile de découvrir dans la science juridique allemande une position

tranchée sur la question de savoir quels sont les rapports entre la présomption d’innocence

et in dubio pro reo. Comme en France, certains auteurs estiment qu’il y a une assimilation

1087 V. infra, n° 306 et s. 1088 V. l’article 304 du Code de procédure pénale. 1089 Une question a cependant été formulée clairement par les auteurs, celle de savoir si le doute portait seulement sur une question de fait ou s’il pouvait porter sur une question de droit, V. infra, n° 303. 1090 A. MONTENBRUCK, In dubio pro reo, op. cit., p. 67-72.

Le discours sur l’objet

334

parfaite entre les deux règles, qu’elles peuvent se substituer, mais ils ne justifient pas leurs

affirmations. D’autres estiment que in dubio pro reo est une conséquence du principe de la

présomption d’innocence et que l’adage sert à justifier les décisions d’acquittement ou de

non-lieu. D’autres encore préfèrent ignorer cet adage et dans les mêmes hypothèses légales

se contentent d’invoquer la présomption d’innocence. Quant aux conséquences de la

présomption d’innocence ou de in dubio pro reo, le professeur allemand fait état d’une

multitude de points de vue dans lesquels il est difficile de discerner une structure de

base1091. Un auteur (Wimmer) aurait même fait remarquer que la présomption d’innocence

n’incluait pas seulement l’adage in dubio pro reo mais le supposait. Si Montenbruck ne se

donnait là pour ambition que de formuler les catégories de problèmes qui préoccupent la

doctrine allemande, au moins a-t-il eu le mérite d’entreprendre une tache aussi épineuse1092,

à laquelle les pénalistes français ne semblent pas avoir songé à s’affronter. L’entreprise de

ce théoricien du droit présente alors l’avantage de révéler les incertitudes qui affectent la

signification de la présomption d’innocence. Celles-ci redoublent lorsqu’on tente de cerner,

dans le discours doctrinal, la signification exacte de la règle du doute favorable.

2) L’incertitude quant au sens même de la règle du doute favorable

301. Énoncé des questions. L’incertitude qui affecte la recherche du sens de cette règle,

résulte d’une confrontation des énoncés doctrinaux entre eux mais surtout avec l’état du

droit positif. L’analyse de la littérature juridique sur la présomption d’innocence montre en

effet qu’il n’est pas aisé de découvrir la réalité juridique qui est évoquée à travers

l’invocation de la règle du doute favorable. Plutôt que de prétendre envisager l’ensemble

des questions qui pourraient se poser dans l’application de l’adage in dubio pro reo, on se

limitera à en exposer seulement celles qui ont paru les plus importantes pour notre

illustration. Le sens de la règle du doute favorable apparaît tout d’abord incertain à travers

le discours dans la mesure où il est difficile de savoir si les énoncés doctrinaux sont

descriptifs ou prescriptifs. En effet, en droit pénal, le doute profite à l’accusé ou doit-il lui

profiter ? La seconde question porte sur la caractérisation du doute, quel est donc ce doute

qui profite à l’accusé ? La dernière interrogation a trait aux conditions de mise en œuvre de

la règle du doute favorable.

302. Le doute profite-il à l’accusé ou doit-il lui profiter ?. Les deux propositions sont

énoncées dans le discours doctrinal. On pourrait d’emblée estimer que la réponse à cette

question importe peu dès lors que, décrivant le droit, les pénalistes font nécessairement état

d’un devoir être, quelle que soit la manière dont ils le présentent. Ce serait cependant

1091 In dubio pro reo, op. cit. , p. 68. 1092 In dubio pro reo, op. cit. , p. 68. Puis l’auteur applique la même démarche à propos des rapports entre in dubio pro reo et le principe nullum crimen sine lege, p. 75 et s.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

335

oublier que les énoncés doctrinaux n’ont pas le même statut que les énoncés normatifs

qu’ils décrivent. De la part d’un juriste décrivant le droit tel qu’il est, l’énoncé « Le doute

profite à l’accusé » peut signifier que, en procédure pénale française, il existe une règle

selon laquelle le doute doit profiter à l’accusé, mais il peut également signifier qu’en

observant le droit positif, il est possible de conclure que le doute profite effectivement à

l’accusé. La question se pose alors de savoir ce que signifie l’énoncé doctrinal suivant : « le

doute doit profiter à l’accusé ». À vrai dire, il est malaisé de distinguer la portée de ces

différents usages de la formule dans les énoncés doctrinaux. En revanche, il est certain

qu’au titre des conséquences de la règle du doute favorable, ce sont deux réalités bien

distinctes qu’envisagent les auteurs.

Tout d’abord, la règle in dubio pro reo est décrite comme une règle appartenant au droit

positif. Or, ce dernier jusqu’à une époque récente ne formulait pas la règle du doute

favorable. Ce n’est que depuis la loi du 15 juin 2000 qu’elle a fait une apparition discrète

dans le serment des jurés d’assises prévu à l’article 304 du Code de procédure pénale1093.

Toutefois, il est vrai que la Cour européenne a confirmé son existence à plusieurs

reprises1094. En outre, ce sont les juridictions de jugement qui font, de très longue date,

application de la règle, lorsqu’elles rendent des décisions de relaxe au bénéfice du doute1095.

En dehors de ces manifestations positives au demeurant discrètes, la règle du doute

favorable est surtout évoquée dans la littérature doctrinale1096. La signification de in dubio

pro reo s’exprime alors au travers de l’énumération de règles de droit positif qui seraient

fondées sur le doute favorable1097. C’est tout d’abord le maintien de la liberté provisoire du

condamné pendant l’appel1098 et le pourvoi en cassation1099 ; c’est ensuite, en cour d’assises,

1093 Mme Rassat avait proposé de formuler la règle selon laquelle « le doute sur le fait comme sur le droit profite à la personne poursuivie» dans un article premier du Code de procédure pénale, mais la loi du 15 juin 2000 n’a pas consacré cette proposition, si bien que l’article préliminaire ne fait aucune référence au doute favorable. 1094 « Il [le principe de la présomption d’innocence] exige, entre autres, qu'en remplissant leurs fonctions les membres du tribunal ne partent pas de l'idée préconçue que le prévenu a commis l'acte incriminé; la charge de la preuve pèse sur l'accusation et le doute profite à l'accusé », Cour EDH, Affaire Barberà, Messegué et Jabardo c/ Espagne du 6 décembre 1988, et plus récemment, Affaire Lavents c/ Lettonie du 28 novembre 2002. 1095 Il sera question plus loin des incertitudes qui affectent la portée de ce type particulier de relaxes, notamment au regard de la jurisprudence de la chambre criminelle. On peut néanmoins faire déjà remarquer que la relaxe au bénéfice du doute n’est prévue par aucun texte de loi, cette dernière ne prévoyant qu’une alternative : condamnation ou relaxe, V. R.-P. TORREBLANCA, La relaxe au bénéfice du doute, Rev. int. crim. et pol. techn., 1962, n° 3, p. 222. 1096 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 234 ; G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715, H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit., n° 1240 ; J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22 note 108 ; M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 142 et s. (conséquences secondaires de la présomption d’innocence) ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144 ; 1097 Au regard de ce qui a été dit plus haut à propos des rapports entre la présomption d’innocence et in dubio pro reo, on ne s’étonnera pas que ces applications de la règle du doute favorable soient, selon les auteurs consultés, décrites au titre des conséquences de la présomption d’innocence. 1098 Article 506 du Code de procédure pénale.

Le discours sur l’objet

336

le décompte favorable des bulletins blancs ou illisibles1100 ou encore le principe même de la

minorité de faveur1101 ; c’est en outre l’impossibilité d’aggraver le sort du condamné sur son

seul appel1102 ou son pourvoi en cassation1103, ainsi que l’impossibilité pour le ministère

public, en cas d’acquittement, de former un pourvoi autre que dans l’intérêt de la loi1104 ;

c’est enfin la possibilité de réviser une décision pénale dans le seul cas de condamnation et

non d’acquittement1105. Ces règles attestent donc que, dans notre droit positif, le doute

profite à l’accusé1106. Ce n’est pas la seule signification de la règle que les pénalistes

exposent. Il en existe une seconde qui a trait à la décision sur la culpabilité.

Les criminalistes enseignent également qu’en vertu de l’adage in dubio pro reo, le doute

profite à l’accusé si la preuve complète de sa culpabilité n’a pas été rapportée par la partie

poursuivante. Ainsi, en vertu de l’application de cette règle, s’il y a doute le juge doit

s’abstenir de condamner et prononcer la relaxe ou l’acquittement. C’est en ce domaine,

celui de l’appréciation des preuves, que la littérature juridique fait le plus souvent état d’un

devoir pesant sur le juge. Cela dit, il se trouve des auteurs pour affirmer que le doute profite

à l’accusé plus qu’il ne doit lui profiter. L’incertitude règne donc quant à la force

obligatoire de la règle du doute favorable. Les énoncés doctrinaux selon lesquels « le doute

doit profiter » ou le « juge doit relaxer » nous paraissent trahir la valeur toute morale de

cette règle. Il n’existe en effet aucun moyen de droit pour contrôler que, lorsqu’il y a doute

dans les preuves rapportées par l’accusation, ce dernier profite bien à l’accusé1107. Que les

auteurs enseignent que le doute profite ou doit profiter à l’accusé en cas de doute sur la

culpabilité, la formulation de la règle demeure très générale et laisse subsister des

interrogations quant à la façon dont elle peut être mise en œuvre.

1099 Article 569 alinéa 1 du Code de procédure pénale. 1100 Article 358 alinéa 2 du Code de procédure pénale. 1101 Article 359 du Code de procédure pénale. Autrefois, alors que la majorité simple était exigée pour prendre une décision défavorable à l’accusé, c’était l’égalité des voix qui était favorable en imposant l’acquittement. 1102 Article 515 alinéa 2 du Code de procédure pénale. 1103 Il s’agit d’un principe prétorien dégagé par le Conseil d’État (avis du 12 novembre 1806) puis adopté par la Cour de cassation. « En principe, la cassation obtenue par le condamné est limitée aux chefs de l'arrêt qui lui sont défavorables (Cass. crim. 30 sept. 1909, Bull. crim., n° 465 ; 30 oct. 1913, ibid., n° 471), même si son pourvoi était général (Cass. crim. 16 août 1855, DP 56. 1. 30) », J. BORÉ, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Cassation (pourvoi en), n° 597. 1104 Article 572 du Code de procédure pénale. 1105 Article 622 du Code de procédure pénale. 1106 Il y aurait probablement lieu de s’interroger sur la réalité du rapport existant entre, la notion de doute et certaines de ces règles. Par exemple, on ne voit pas très bien, en quoi le doute exigerait qu’en cas d’acquittement aucun pourvoi ne puisse être formé en dehors du pourvoi dans l’intérêt de la loi. M. Detraz estime d’ailleurs que cette règle est un privilège dénué de fondement logique, V. S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 12. 1107 V. infra, n° 309. La situation est un peu différente en cour d’assises car, à supposer que les règles de vote soient bien fondées sur l’idée de doute, celui-ci joue obligatoirement lorsque les bulletins blancs ou illisibles sont décomptés en faveur de l’accusé. Quant à l’exigence d’une majorité de huit voix contre quatre pour toute décision défavorable à l’accusé, elle peut s’analyser comme une exclusion légale du doute par rapport à l’ancienne règle qui décidait en cas d’égalité des voix que l’acquittement était prononcé.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

337

303. La caractérisation du doute favorable. La signification de la règle du doute

favorable, et partant de la présomption d’innocence, nécessite de préciser la notion de

doute. Si tout juriste sait qu’en droit pénal le doute profite à l’accusé, il n’est en revanche

pas certain qu’il sache expliquer la règle, qu’il sache préciser de quel doute il peut être ici

question. Il faut dire que la seule notion juridique de doute se présente de façon assez

redoutable à qui entreprend de la cerner. Certains juristes s’y étaient tout de même essayés

le temps d’un colloque1108. À cette occasion François Terré avait justement fait remarquer

que le mot doute était absent du Vocabulaire juridique de Capitant1109, mais cette lacune est

désormais comblée1110. Depuis peu, qu’il s’agisse du droit privé en général ou du droit

pénal en particulier, on dispose de deux études approfondies consacrées au doute1111. Les

manuels et traités de procédure pénale se contentent quant à eux de signaler que le doute

s’analyse comme l’absence de certitude et plus particulièrement de conviction. C’est, en

effet, à travers l’exposé du système d’appréciation des preuves par l’intime conviction

qu’est abordée la question du doute et non au titre de la présomption d’innocence. Quel est

donc ce doute qui profite à l’accusé ? La réponse à cette question est très variable d’un

auteur à l’autre mais aussi de la doctrine à la jurisprudence. C’est dire l’incertitude qui

règne sur le doute !

S’agissant de l’intensité ou de la part de doute, la doctrine ne sait pas vraiment préciser

ce qu’elle doit être : un léger doute, un simple doute1112, le moindre doute1113, un doute tout

court1114, un doute suffisant1115, un doute raisonnable1116 ou encore un doute sérieux1117 ?

1108 INSTITUT DE FORMATION CONTINUE DU BARREAU DE PARIS, Le doute et le droit (actes du colloque du 12 août 1991), Paris, Dalloz, 1994. 1109 F. TERRÉ, Synthèse, in Le doute et le droit, op. cit., p.1. 1110 Vocabulaire Juridique, op. cit., 4e éd, où la définition du doute est très large en débutant par : l’ «état d’esprit d’une personne qui hésite entre affirmation et négation, entre plusieurs opinions ou qui balance entre plusieurs partis à prendre », pour se poursuivre par : « l’incertitude qui peut porter sur l’existence d’un fait, la valeur d’une preuve, le sens d’un mot ou d’un texte » etc. Un second sens définit le doute par opposition « à croyance, crédulité, confiance, attitude mentale de celui qui remet en question une opinion ». Si l’adage in dubio pro reo est invoqué, il n’est pas ici préciser à quel est le sens du mot doute auquel il doit être rattaché. 1111 J.-F. CESARO, Le doute en droit privé, Paris, Panthéon-Assas, 2003 ; M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Le doute en matière pénale, Paris, Dalloz, 2002, Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 18, et Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, Rev.sc.crim., 2002, p. 283. L’examen du droit positif par Mlle Nagouas-Guérin lui a permis de découvrir que le doute n’est en réalité que très accessoirement favorable à la personne poursuivie pénalement. Il profiterait à titre principal à la manifestation de la vérité, cette dernière ne profitant qu’éventuellement à la personne poursuivie. 1112 G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 12, où les auteurs expliquent que l’accusé profite de toute faille dans la démonstration de ses adversaires et bénéficie d’un simple doute. 1113 P. TRUCHE, Le doute sur le fait ou le problème de la preuve, in Le doute et le droit, op. cit., p. 44 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 32, qui affirme que : « L'accusation doit rapporter des preuves décisives et ne doit laisser subsister aucun doute » ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 383 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op. cit., 19e éd., n° 871 à propos de la délibération sur la culpabilité. 1114 H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit., n° 1240 : « l’acquittement est prononcé toutes les fois qu’il existe un doute » 1115 « R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 143, pour ces auteurs, il suffit à la personne poursuivie de parvenir à maintenir « dans l’esprit du juge un doute assez

Le discours sur l’objet

338

Toutes ces possibilités ont été énoncées, sans qu’aucune ne se soit visiblement imposée. Il

paraît ainsi difficile au pénaliste d’avoir une conception du doute qui soit plus précise que la

notion « d’absence de certitude ». D’ailleurs, « le degré de certitude qui conditionne la

décision de culpabilité est une des questions les plus obscures du droit pénal » avait

concédé Mme Delmas-Marty1118. Dans ces conditions, la signification de la règle du doute

favorable comprend une assez large part d’indétermination. L’incertitude se renforce si,

dépassant les seules affirmations doctrinales, on se tourne vers la jurisprudence. M. Essaïd

avait déjà dû, à son époque, admettre que l’application de la règle du doute favorable était

entourée d’incertitude. Cette dernière résulte en premier lieu de l’impossibilité de s’assurer

complètement du degré de certitude qui est à la base des condamnations par les juridictions

du fond. Rien ne permet en effet de s’assurer qu’il n’existait pas un doute qui aurait dû

profiter à l’accusé mais qui a été masqué par une motivation habile. Elle résulte en outre et

à l’inverse, de la sévérité de la chambre criminelle dans l’admission du doute comme

fondement d’une décision de relaxe. En effet, M. Essaïd observe qu’ « une simple

affirmation qu’il existe un doute est insuffisante pour entraîner la relaxe »1119. C’est au

même constat qu’est parvenu Mlle Nagouas-Guérin au terme de ses recherches. L’examen

du droit positif par cet auteur montre d’abord que le doute sur la culpabilité ne peut profiter

à la personne poursuivie qu’à condition d’être insurmontable. Cela signifie que les juges ne

peuvent relaxer au bénéfice du doute qu’à « condition que toutes les investigations utiles à

la manifestations de la vérité aient été effectuées »1120. La juridiction de jugement qui

estimerait incomplets les éléments sur lesquels elle doit se décider, doit ainsi faire procéder

à un supplément d’information. Le doute qui subsisterait encore, ne pourra ensuite

bénéficier à la personne poursuivie que s’il est rationnel. À cette occasion, Mlle Nagouas-

Guérin relève que pour la chambre criminelle, l’intensité du doute invoquée par les juges est

indifférente. La Cour contrôle uniquement, mais strictement, les motifs des juges du fond et

s’assure par là qu’ils ne sont pas contradictoires. Le doute, pour constituer valablement le

fondement d’une relaxe, doit « être fondé sur une appréciation rationnelle des moyens

fort pour l’empêcher de parvenir à une certitude ». Un autre auteur estime que la personne poursuivie peut alors « se contenter d’instiller un doute suffisant dans l’esprit du juge », mais l’auteur écrit quelques lignes plus haut que le principe fondamental de la présomption d’innocence conduit « à considérer que le moindre doute doit profiter à celui qui est accusé dans une affaire pénale», J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n° 14. Le moindre doute paraît-il alors suffisant pour être profitable à l’accusé ? 1116 Il arrive que l’on parle du doute raisonnable par référence aux exigences du droit anglais en matière de preuve pénale. Il précise en effet, à propos de l’intime conviction, que les jurés doivent avoir une certitude au-delà de tout doute raisonnable. Mais, comme l’explique Mme Delmas-Marty, la précision s’arrête là car ni la doctrine ni la jurisprudence anglaises n’explicitent ou définissent la notion de doute raisonnable. V. La preuve pénale, op. cit., p. 59. 1117 «Toute incertitude sérieuse dans la preuve de la culpabilité rend illégale la condamnation», J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22. 1118 M. DELMAS-MARTY, La preuve pénale, op. cit., p. 59. 1119 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 521. 1120 M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Le doute en matière pénale, op. cit., n° 523 et du même auteur, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, op. cit., p. 290.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

339

preuves » et il « semble devoir être solidement motivé »1121. C’est dire qu’il existe une

distance assez grande entre l’énonciation générale et abstraite de la règle du doute favorable

par nos criminalistes et sa signification pratique.

Si d’un auteur à l’autre, le degré ou l’intensité du doute bénéfique peut varier

considérablement, ce pourrait être en raison d’une conception différente de son objet. Car il

faut dire que cet objet n’est que rarement précisé et il demeure, dans l’ensemble de la

littérature doctrinale, lui aussi indéterminé. Le doute du juge correspond-t-il à une hésitation

entre deux solutions : culpabilité ou innocence, ou n’est-il censé porter que sur la

culpabilité ? Il n’est pas rare que l’on considère que le juge qui doute balance en réalité

entre la culpabilité et l’innocence de l’accusé. Pourtant, il n’existe en droit positif aucune

règle qui laisse envisager un tel choix pour le juge. Concernant les juridictions

correctionnelle, de police ou encore de proximité, la décision du juge porte sur l’existence

des conditions légales requises et « si le tribunal estime que le fait poursuivi ne constitue

aucune infraction à la loi pénale ou que le fait n’est pas établi, ou qu’il n’est pas imputable

au prévenu, il renvoie celui-ci des fins de la poursuite »1122. Il n’en va pas autrement devant

la cour d’assises où il n’est pas demandé aux jurés de répondre à la question de savoir si

l’accusé est innocent ou coupable mais seulement de savoir s’il est coupable. L’alinéa

premier de l’article 349 du Code de procédure pénale dispose en effet que, « Chaque

question principale est posée ainsi qu’il suit : "L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel

fait ?" ». Ces dispositions, combinées avec le principe de l’intime conviction, indiquent

clairement que le doute ne peut être qu’une absence de conviction suffisante sur la

culpabilité. Le juge n’a donc jamais à se demander laquelle, de l’innocence ou de la

culpabilité est la plus certaine. Son interrogation ne porte que sur la culpabilité, autrement

dit, la question de savoir si la thèse de l’accusation est établie. Il est vrai cependant que si la

culpabilité n’apparaît que probable, il se peut qu’en même temps l’innocence n’apparaisse

pas plus certaine aux yeux du juge. Et l’on comprend, bien que l’on se situe en dehors des

hypothèses légales, que les auteurs puissent alors parler d’un simple doute ou d’un moindre

doute, ou d’un doute léger. Dans ces hypothèses, le doute correspond à l’état d’incertitude

dans lequel le juge se trouve lorsqu’il vient à se demander si l’accusé est innocent ou

coupable. Il paraît alors ici nécessaire d’admettre que l’hésitation, la moindre hésitation,

doit bénéficier à la personne poursuivie puisque cet état d’incertitude signe de toute façon

son absence de certitude quant à la culpabilité.

En revanche, parler d’un doute sérieux ou raisonnable, implique une autre conception du

doute. Ce dernier se laisse mieux appréhender à l’aune du degré de certitude que requiert le

1121 M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, op. cit., pp. 291-292. 1122 Article 470 du Code de procédure pénale. Les mêmes dispositions sont prévues par l’article 541 du Code de procédure pénale pour le tribunal de police et la juridiction de proximité.

Le discours sur l’objet

340

système de l’intime conviction. À cet égard, Mlle Nagouas-Guérin a bien montré que la

certitude dont il est question ne peut s’entendre que d’une probabilité1123. Or, toute

probabilité implique par elle-même une part de doute. S’il advient que cette dernière est par

trop importante, trop sérieuse, alors corrélativement la probabilité de la culpabilité est trop

faible. Il résulte d’une telle hypothèse que la certitude sur la culpabilité n’est pas suffisante

pour entraîner la condamnation. Mais surtout, cela signifie que le doute qui doit bénéficier à

l’accusé porte cette fois uniquement sur la culpabilité.

La question de l’objet du doute peut également s’entendre d’une façon tout à fait

différente, notamment à travers la question de savoir si le doute qui est favorable à la

personne poursuivie affecte seulement le fait ou s’il peut également porter sur le droit. La

présentation doctrinale du droit positif souffre là encore d’indétermination. La question, qui

n’est pas nouvelle, se pose dès que le juge pénal serait tenté d’invoquer l’obscurité de la loi.

Le doute sur le sens ou la portée de la loi pénale profite-t-il à l’accusé en application de

l’adage in dubio pro reo ? Telle est la question formulée par la doctrine criminaliste. Mais

cette formulation est imprécise car elle élude la question de savoir ce que peut ou doit être

le bénéfice du doute en matière pénale. En effet, la question vise-t-elle à savoir si dans

l’obscurité de la loi le juge doit ou peut relaxer, ou ne concerne-t-elle que le sens favorable

de l’interprétation donnée aux textes ? Il nous semble que de l’imprécision de la question

résulte l’indétermination de la réponse. Abordée essentiellement au titre de l’interprétation

de la loi pénale, la question de savoir si le doute sur le droit profite à l’accusé reçoit des

réponses fort diverses en doctrine. M. Patarin n’avait soulevé la question que pour préciser

que « bien entendu c’est seulement sur le doute sur le point de fait qui profite à l’accusé et

non le doute sur une question de droit »1124. MM. Merle et Vitu estiment quant à eux que, le

juge, dans le doute, ne doit pas systématiquement adopter la solution la plus favorable à

l’inculpé. Cette solution est justifiée par le fait que l’adage in dubio pro reo est sans valeur

pour l’interprétation des lois1125. À l’inverse, Mme Rassat soutient que le doute qui profite à

l’accusé peut porter tout aussi bien fait sur le fait que sur le droit. Se fondant sur un arrêt de

1821, pourtant remis en cause par de nombreux arrêts plus récents de la chambre

criminelle1126, l’auteur justifie cette opinion par l’obligation de clarté dans la rédaction des

textes qui incombe au législateur en vertu du principe de légalité1127. Se fondant lui aussi

1123 M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, op. cit., pp. 287-288. 1124 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22, note 106, p. 38. 1125 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Droit pénal général, 7e éd., op. cit., n° 170. 1126 La décision la plus souvent citée et qui fait office d’arrêt de principe, est l’arrêt de la chambre criminelle du 12 mars 1984, Bull. n° 102, qui décide que : « le juge pénal ne peut accorder au prévenu le bénéfice du doute, au motif que la loi visée par la prévention est obscure ou que son interprétation est incertaine, sans méconnaître ses obligations et violer l’article 4 C. civ. » 1127 V. ses propositions de réforme de la procédure pénale, plus particulièrement la proposition d’insérer un article premier formulant la règle du doute favorable aussi bien sur le fait que sur le droit et sa justification.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

341

sur la jurisprudence, M. Essaïd avait expliqué qu’en principe le doute sur le droit est

inopérant. En réalité, les auteurs interprètent le plus souvent la jurisprudence comme

admettant de façon indirecte ou exceptionnelle, le bénéfice du doute en cas d’obscurité

persistante de la loi. Autrement dit, en droit positif, le doute sur le droit ne serait admis qu’à

condition que les juges se soient efforcés d’interpréter la loi et de rechercher son sens1128.

Dans une telle hypothèse, ils seraient autorisés à relaxer la personne poursuivie en

invoquant l’adage in dubio pro reo. Toutefois, la règle du doute favorable peut se

comprendre comme une règle d’herméneutique et non pas seulement de décision. Il s’agit

alors de privilégier le sens le plus favorable à la personne poursuivie dans l’interprétation de

la loi, ce qui ne conduit pas nécessairement à la relaxe ou l’acquittement. Cette position,

bien qu’assez rarement exposée en doctrine, semble être défendue par les professeurs Conte

et Maistre du Chambon, qui préconisent au juge de tout d’abord rechercher la volonté du

législateur et à défaut de sens réel clair, de privilégier le sens le plus favorable1129. Une telle

position n’est pas éloignée de celle des professeurs Stéfani, Levasseur et Bouloc qui

estiment que in dubio pro reo et le principe d’interprétation stricte de la loi pénale sont

liés1130. Le bénéfice du doute apparaît alors distinct de la nécessité ou du pouvoir de relaxer

en cas de doute sur le droit. Plus encore, les auteurs trahissent ici une filiation entre la règle

in dubio pro reo et le principe de la légalité criminelle, lequel impose l’interprétation stricte.

In dubio pro reo ne procède alors plus de la présomption d’innocence dont il serait le

corollaire mais bien du principe nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege. Quoi qu’il

en soit, la question de savoir si le doute sur le droit est profitable à l’accusé conserve une

part d’indétermination dans le discours doctrinal. Certains auteurs n’ont d’ailleurs pas hésité

à ignorer purement et simplement la question1131.

Cette indétermination qui affecte la caractérisation du doute rejaillit et se prolonge dans

la question de la mise en œuvre de l’adage in dubio pro reo.

304. Les conditions de mise en œuvre de la règle du doute favorable. Alors que selon les

enseignements de la doctrine, la présomption d’innocence révèle tout son intérêt au stade de

la décision pénale, par le jeu de l’adage in dubio pro reo, il paraît légitime de se demander

comment nos criminalistes décrivent les conditions de mise en œuvre de cette règle. Le sens

et la portée de la présomption d’innocence dépendent en effet largement des conditions dans

lesquelles l’adage in dubio pro reo est amené à jouer mais aussi de ses effets. Les auteurs

1128 A. LÉGAL, Chronique de jurisprudence, Rev.sc.crim., 1961, p. 337-338 ; V. M.-L. RASSAT, Droit pénal général, PUF, 2e éd., 1999, n° 124 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Droit pénal général, 17e éd., 2000, n° 128 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 395 et s ; M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, p. 289. 1129 PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, 5e éd., 2000, n° 129. 1130 G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Droit pénal général, 17e éd., op. cit., n° 128. 1131 Par exemple, C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence.

Le discours sur l’objet

342

affirment assez nettement que c’est l’insuffisance de preuve1132 qui signe l’existence d’un

doute, ce doute qui doit profiter à la personne poursuivie. Il est donc naturel de s’interroger

sur cette notion. L’insuffisance de preuve est une situation différente de l’absence de

preuve, laquelle devrait logiquement interdire le renvoi de l’affaire au stade du jugement, et

le cas échéant, entraîner la relaxe ou l’acquittement sans faire appel à la règle du doute

favorable.

On peut tout d’abord observer que le Code de procédure pénale ne fait pas directement

référence à une telle notion. De même qu’il n’envisage pas la situation de doute dans

laquelle in dubio pro reo doit jouer1133. Il est bien question, dans ce code, de charges

suffisantes au stade de l’instruction1134. Mais comme cela est souvent rappelé, les charges

sont des probabilités (sérieuses) de culpabilité mais non des preuves ; elles autorisent

seulement le renvoi de l’affaire devant la juridiction de jugement, qui seule déterminera si la

personne poursuivie est coupable1135. De l’insuffisance de preuve, il n’est donc pas traité.

En revanche, la suffisance des preuves est incidemment évoquée dans une des dispositions

du Code de procédure pénale. En effet, le célèbre article 353(ancien article 342 du Code

d'instruction criminelle) relatif à l'instruction lue aux jurés d'assises avant l'entrée en

délibération, adresse aux jurés l'avertissement suivant : « [la loi] ne prescrit pas de règles

desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une

preuve ». Or, cette allusion à la suffisance des preuves ne peut se comprendre que comme

une référence historique. Il s’agit là d’un rappel destiné à bien marquer la rupture que

l’article 353 entend établir entre le système de la preuve morale par intime conviction qu’il

consacre, et l’ancien système des preuves légales qu’il abolit. Ainsi, en 1791 n’est-il plus

question de se référer à la loi pour connaître la valeur qu’elle reconnaît et impose à telle ou

telle preuve. Cette précision de l’article 353 a valeur pédagogique, elle a pour effet de

libérer magistrats et jurés de toute contrainte quant à la valeur qu’ils peuvent reconnaître

aux preuves qui leur sont présentées. Il semblerait donc que, parler de suffisance ou de

l’insuffisance des preuves ne puisse réellement prendre sens que si l’on se place du point de

1132 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 232 et 234 ; H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit., n° 1240 ; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., p. 226 ; J. PRADEL, Rev.int.dr.pén., 1992, p. 15 ; J.-C. SOYER, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 805 ; J. LARGUIER, Procédure pénale, op. cit., 18e éd., p. 309 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 401. Certains auteurs préfèrent parfois évoquer l’échec de la partie poursuivante à rapporter des éléments de preuve décisifs, V. F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p. 226 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 395. 1133 Rappelons à cet égard que le code dit, à l’article 470, et sans autre précision, que : « si le tribunal estime que le fait poursuivi ne constitue aucune infraction à la loi pénale ou que le fait n’est pas établi, ou qu’il n’est pas imputable au prévenu, il renvoie celui-ci des fins de la poursuite». 1134 Ce sont les articles 177 et 184 puis 211 et 212 du Code de procédure pénale qui visent expressément les charges suffisantes, respectivement devant le juge d’instruction et devant la chambre de l’instruction. 1135 P. CHAMBON, Le juge d’instruction, Paris, Dalloz, 4e éd., 1997, n° 696 et 697.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

343

vue du système des preuves légales1136. La question se pose alors de savoir ce que la

doctrine entend par insuffisance de preuve lorsqu’elle raisonne dans le cadre du système de

l’intime conviction. Il ne semble pas possible de voir dans l’insuffisance de preuve une

insuffisance des moyens de preuve. À cet égard, M. Lagarde a, pour la matière civile,

insisté sur la différence qui existe entre la notion d’insuffisance de preuve et celle de doute :

« L’insuffisance de preuve est un constat de carence dans l’administration de la preuve et

non l’affirmation de ce que la vérité des propositions de preuve est introuvable »1137.

Comme l’explique l’auteur, la première situation peut être surmontée par l’institution

judiciaire. Cela est d’autant plus vrai pour la matière pénale où le juge joue un rôle actif

dans la recherche des preuves et dispose, de surcroît, de la possibilité de procéder à un

supplément d’information au stade du jugement définitif. La jurisprudence de la chambre

criminelle ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsqu’elle sanctionne les juridictions du fond

qui justifient une relaxe sur l’existence d’un doute alors même que ces dernières

admettaient implicitement1138 ou explicitement1139 dans leurs motifs qu’il s’agissait en

réalité d’un manque d’information. C’est l’analyse de cette jurisprudence qui a permis à

Mlle Nagouas-Guérin de conclure qu’en droit positif, le doute profite à l’accusé seulement

s’il est insurmontable1140. Il faut alors conclure que le doute qui profite à l’accusé ne résulte

pas d’une insuffisance de preuve, entendue au sens d’une insuffisance des moyens de

preuves présentés devant le juge.

Lorsque le discours doctrinal énonce que la présomption d’innocence joue, à travers

l’adage in dubio pro reo, lorsqu’il existe une insuffisance de preuve, il ne prend donc pas le

droit positif pour objet. On ne trouve en effet, ni dans la loi ni dans la jurisprudence, la

reconnaissance d’un tel effet du doute ou de l’insuffisance de preuve. Il n’en demeure pas

moins que personne ne saurait contester la positivité de la règle du doute favorable. Seule sa

signification, les réelles conditions de sa mise en œuvre demeurent indéterminées. Il y a

1136 Après rassemblement des preuves, le juge de l’ancien droit avait pour tâche de quantifier leur valeur par référence aux prescriptions de la loi et l’insuffisance de preuve dans ces conditions lui interdisait d’entrer en condamnation. 1137 X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, op. cit., n° 160. 1138 Dans un arrêt du 21 février 1952 (Bull. n° 50) la chambre criminelle avait ainsi cassé un arrêt qui avait relaxé un prévenu en énonçant que les comptes sur lesquels étaient fondées les poursuites ne permettaient pas à la Cour de vérifier si les bénéfices réalisés par le prévenu dépassaient le pourcentage autorisé. La censure de la Cour de cassation intervient au motif qu’il appartenait à la Cour d'appel d'ordonner les mesures complémentaires d'instruction qu'elle constatait avoir été omises et dont elle reconnaissait implicitement qu'elles eussent été utiles à la manifestation de la vérité et que la Cour d'appel n'avait pu légalement faire état pour réformer le jugement de condamnation, de l'incertitude qui lui paraissait exister en faveur du prévenu. 1139 Alors qu’une cour d’appel avait relaxé au bénéfice du doute les prévenus d’un délit informatique, la chambre criminelle a plus récemment rappelé que : « Encourt la censure la cour d’appel qui, après avoir constaté l’introduction d’un virus, lors d’un compactage des données du logiciel d’un client, dans des circonstances laissant penser qu’elle a été volontaire, relaxe le prévenu sans ordonner les auditions et autres mesures d’investigations dont elle reconnaît la nécessité en précisant les modalités», Cass. crim., 12 décembre 1996, Bull. n° 465. 1140 M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Le doute en matière pénale, op. cit., n° 524.

Le discours sur l’objet

344

alors tout lieu d’approfondir cette question et au besoin de formuler une hypothèse quant au

sens et à la portée qu’il convient de reconnaître à l’affirmation selon laquelle le doute

profite à l’accusé.

3) Recherche du sens et de la portée de la règle du doute favorable

305. Problématique. À la suite des constatations précédentes, comment comprendre la

référence doctrinale à l’insuffisance de preuve comme condition de l’existence d’un doute ?

Il paraît logique d’admettre que, dans un système de preuve fondé sur l’intime conviction,

l’insuffisance de preuve correspond à une certitude insuffisante du juge. Parce qu’en

dernière analyse, la preuve ne peut être que ce qui a effectivement convaincu le juge1141,

l’insuffisance de preuve apparaît comme une condition dépendante exclusivement du juge.

Elle correspond tout simplement au constat par ce dernier qu’il n’est pas certain que

l’infraction soit constituée, c'est-à-dire qu’il n’en a pas la conviction. En ce sens, et en ce

sens seulement, l’insuffisance de preuve peut être confondue avec le doute. Mais on ne voit

alors toujours pas quelle question de droit viendrait résoudre l’application de l’adage in

dubio pro reo. S’il advient que le juge doute, c’est qu’il n’est donc pas convaincu, or cette

absence de certitude se résout naturellement en une relaxe ou un acquittement par

application des prescriptions de la loi1142 sans qu’il soit besoin de recourir à une règle telle

que celle qui est exprimée par l’adage in dubio pro reo. Autrement dit, dans une telle

hypothèse, le doute profite naturellement, sans qu’il y paraisse, à la personne poursuivie

puisque le juge ne peut affirmer la culpabilité et partant prononcer une condamnation. Cette

situation se rencontre chaque fois que les juges du fond prononcent une relaxe au motif que

la prévention n’est pas établie. Un pourvoi contestant une telle décision ne saurait prospérer,

la Cour de cassation rappelle souvent qu’il s’agit là d’un domaine où l’appréciation des

1141 La doctrine a coutume, lorsqu’elle étudie les preuves pénales, de définir la preuve comme un moyen, un procédé, visant à convaincre le juge de l’existence des faits et de leur imputabilité à la personne poursuivie. Toutefois, comme le faisait observer Garraud, la preuve s’entend aussi, dans une acception plus étroite, comme la démonstration acquise de la vérité. Cette dernière façon d’envisager la preuve nous paraît ici plus appropriée dès lors qu’il s’agit de s’intéresser, non pas aux moyens dont dispose l’accusation dans l’administration de la preuve, mais plutôt à ce moment particulier du procès où le juge doit dire s’il estime le fait établi. Il s’agit là d’une conception « subjective » de la preuve, dans la mesure où elle reconnaît à la seule conscience du juge le droit de dire ce qui est preuve et ce qui ne l’est pas. La doctrine, dans un souci de clarté, voire de pédagogie, évite autant que possible d’évoquer la subjectivité de la preuve par intime conviction. Le terme semble par trop péjoratif et rappeler les critiques nombreuses qui ont été formulées à l’égard d’un système qui laisserait libre cours à la subjectivité des juges ou des jurés, qui serait par là arbitraire et dangereux. Pourtant, sainement entendue, l’invocation du caractère subjectif de la preuve vise simplement à considérer la réalité judiciaire. La doctrine l’envisage parfois ainsi : «Est preuve, non ce qui est convaincant, mais ce qui a convaincu et, bien plus, ce qui a convaincu le juge», C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 89; adde. G. LEVASSEUR, Le droit de la preuve en droit pénal français, in PERELMAN (CH.) et FORIERS (P.) (dir.), La preuve en droit, Bruxelles, Bruylant, 1981, p. 180. 1142 Particulièrement les articles 427 et 353 combinés qui abandonnent l’appréciation des éléments de preuve au juge tout en exigeant qu’il se montre certain, ce qu’atteste d’ailleurs le contrôle exercé par la Cour de cassation sur les motifs de juges du fond.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

345

juges est souveraine1143. Il faut admettre par conséquent que le jeu de l’adage in dubio pro

reo suppose une situation particulière, que la loi ne prévoit d’ailleurs pas. Pour s’en

convaincre, il suffit de prêter attention au fait que l’application de la règle du doute

favorable ne se manifeste, ne s’offre à l’observation, qu’à travers les décisions rendues au

bénéfice du doute. Or, ces dernières ne sont pas prévues par la loi. Elles correspondent en

réalité à une pratique judiciaire. Dans de telles décisions, et conformément à l’adage in

dubio pro reo, le doute fait l’objet d’un bénéfice que les juges énoncent, alors que dans

l’hypothèse précédente, celle où les juges se contentent de relaxer au motif que la preuve

n’est pas rapportée, le doute profite également au prévenu sans qu’il en soit fait mention. Il

y a bien là la preuve que la mise en œuvre de la règle du doute favorable suppose des

circonstances particulières. Pourtant, le discours doctrinal n’offre pas d’expliciter ces

conditions. Certains auteurs ont tout au plus regretté la sévérité de la Cour de cassation dans

le contrôle qu’elle exerce sur la motivation du doute dont les juges du fond entendent faire

bénéficier l’accusé1144. Dernièrement, Mlle Nagouas-Guérin étudiant au plus près cette

question ne semble pas davantage avoir découvert à la fois le sens de l’adage in dubio pro

reo et celui de cette jurisprudence. Il est pourtant opportun de se demander quel problème la

mise en œuvre de cette règle vise à résoudre.

306. L’objet du doute favorable. Prendre le phénomène de la relaxe au bénéfice du

doute1145 pour point de départ est peut-être la meilleure façon d’engager la recherche. Ce

type de jugement n’a guère suscité l’intérêt doctrinal. Lorsqu’un auteur s’était aventuré à en

faire la critique1146, ses propos étaient passés quasiment inaperçus, seul M. Essaïd s’y est

1143 La chambre criminelle rejette ce type de pourvoi en énonçant toujours les mêmes motifs. Récemment, dans une poursuite pour abus de confiance, une cour d’appel avait relaxé le prévenu au motif que « l'infraction d'abus de confiance n'est pourtant pas constituée faute de preuve rapportée qu'il ait été commis au préjudice de la société X... ». La Cour de cassation rejette alors le pourvoi de la partie civile en énonçant : « Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve de l'infraction reprochée à Yves-Marie X... n'était pas rapportée à la charge de celui-ci, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ; D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis. », Cass. crim., 22 septembre 2004, inédit, pourvoi n° 03-85307. 1144 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 523; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit. , n° 400. 1145 On ne raisonnera pas ici sur l’acquittement au bénéfice du doute qui n’existe plus depuis qu’une majorité qualifiée de 8 voix est exigée par la loi pour qu’une décision défavorable à l’accusé en cour d’assises puisse être prononcée et particulièrement pour une décision sur la culpabilité. Ce type d’acquittement existait lorsque un même nombre de voix (six) s’étaient prononcées pour et contre l’accusé. De toute façon, il nous semble que le doute dont il s’agissait là se présente bien différemment de celui qui est évoqué par les autres juridictions pénales. Le doute est en quelque sorte ici objectif, il résulte du partage des voix et porte sur la décision à prendre. Au sein des autres juridictions pénales, qu’elles siègent à juge unique ou collégialement à trois juges, le doute est un doute subjectif, celui du ou des juges s’exprimant d’une seule voix. Mais il ne résulte jamais d’un partage des votes. 1146 R.-P. TORREBLANCA, La relaxe au bénéfice du doute, op. cit.

Le discours sur l’objet

346

référé tout en tenant l’opinion de l’auteur pour isolée1147. C’est que la relaxe au bénéfice du

doute est analysée, en doctrine, pour ce qu’elle est : une manifestation, la seule

manifestation, de l’application de l’adage in dubio pro reo. Autrement dit, critiquer la

relaxe au bénéfice du doute reviendrait à remettre en question la règle du doute favorable et

donc la présomption d’innocence de laquelle elle serait tirée. Toutefois, cette critique a été

reprise il y a peu par certains auteurs qui sont pourtant favorables à la présomption

d’innocence, et qui la défendent même contre les atteintes que lui portent les relaxes au

bénéfice du doute1148. La relaxe au bénéfice du doute est en effet critiquable dans la mesure

où, même si elle produit les mêmes effets juridiques qu’une relaxe pure et simple, elle laisse

cependant planer un soupçon sur l’innocence de la personne renvoyée de la poursuite,

soupçon qui lui est préjudiciable1149. Reste alors, comme y invitait déjà M. Torreblanca, à se

demander pourquoi notre droit admet que des décisions de relaxe soit motivées par le doute,

et par là leur signification pourra être connue. Autrement dit, il convient de se demander

pourquoi les juges ont recours à la relaxe au bénéfice du doute et ne se contentent pas de

relaxe pure et simple comme le prévoit la loi ? Il faut le répéter, les relaxes au bénéfice du

doute ne sont pas véritablement fondées sur le doute que le juge ou les juges éprouveraient

quant à la culpabilité de la personne poursuivie à l’issue du procès, ce doute là trouvant une

solution dans l’application pure et simple de la loi.

En réalité, la mise en œuvre de la règle du doute favorable nous semble bien plutôt

supposer l’existence d’un doute sur l’innocence de la personne relaxée. C’est ce qu’atteste

tout d’abord l’idée que la relaxe au bénéfice du doute est préjudiciable parce qu’elle laisse

planer la suspicion sur l’honnêteté de celui qui en est l’objet. Mais c’est surtout l’histoire du

droit pénal qui nous semble éclairer tout particulièrement le sens de la règle du doute

favorable.

307. Les effets du doute dans le système des anciennes preuves légales. Si l’ancien

système de preuve pénale appelé « théorie des preuves légales » semblait, à son origine, très

protecteur des accusés, il faut toutefois se souvenir qu’il a rapidement subi des

aménagements de la part de la pratique judiciaire, aménagements et assouplissements que

l’ordonnance criminelle de 1670 avait consacrés. L’objectif de parvenir à la vérité avant de 1147 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 491. 1148 Ce sont MM. Conte et Maistre du Chambon qui ont semble-t-il ravivé cette critique dans les années quatre-vingt-dix, V. Procédure pénale, op. cit., 1re éd., p. 25 ; Les auteurs, leur faisant suite, sont alors désormais plus enclins à souligner la contradiction qui existe entre ce type de décision et la reconnaissance de la présomption d’innocence : V. P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 51 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit. , n° 405 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 33 ; S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 19 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123 : « Du fait de la présomption d’innocence, la mention du doute ne doit pas figurer dans la décision judiciaire. » 1149 V. infra, n° 329, pour l’effet paradoxal de la relaxe au bénéfice du doute sur le statut de son bénéficiaire.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

347

pouvoir prononcer une condamnation impliquait de fortes exigences. La plus connue réside

dans la tarification des preuves. On peut à cet égard rappeler, pour l’exemple, la valeur que

la loi reconnaissait au témoignage. Reprenant la maxime « testis unus, testis nullus » du

droit romain, la théorie des preuves légales n'admettait pas qu'un témoignage unique puisse

valoir preuve suffisante de la culpabilité, ce ne pouvait donc être une preuve pleine. La

preuve complète par témoignage n’était alors formée qu'à condition que deux témoins

irréprochables attestent du même fait. La règle est simple en apparence mais se complique

considérablement si l’on a égard au comptage mathématique qu’impose le système à partir

du moment où un seul témoignage ayant été recueilli, d'autres éléments de preuve viennent

confirmer le même fait1150.

La question qui nous intéresse ici est de savoir ce qui se passait lorsque, après décompte

des éléments de preuve dont il disposait, le juge ne parvenait pas à une preuve pleine ou

complète de culpabilité. La théorie était claire, les preuves étant insuffisantes, c’est

l’absolution1151 qui devait être prononcée. Toutefois, l’existence de preuves de culpabilité,

quoique insuffisantes au regard de la loi, était de nature à provoquer, chez le juge de

l’ancien droit, un doute sérieux sur l’innocence de l’accusé. La théorie des preuves légales a

dû ainsi évoluer et admettre plusieurs institutions pour pallier à cette insuffisance de preuve

et parvenir à la preuve complète. C’est tout d’abord l’institution de la Question1152,

autrement dit de la torture, au stade de la recherche de la preuve de culpabilité. Continuant

d’évoluer, la théorie des preuves légales n’exigera une preuve complète que pour la

condamnation à la peine capitale. Une nouvelle institution apparaît alors : la Question avec

1150 « La certitude qui permettait de passer jugement résultait des dires de deux témoins irréprochables. Un seul témoin de cette qualité constituait une demi-preuve qui devait être complétée, soit par des indices, soit par l'aveu de l'accusé, extorqué par la torture (...) la loi prétendait tenir compte de toutes les causes qui rendaient le témoignage douteux (...). Le juge n'avait pas à se demander si en l'espèce, ces causes avaient vraiment joué. », B. SCHNAPPER, Les témoins reprochables dans l'ancien droit pénal, in Voies nouvelles en histoire du droit, Paris, PUF, 1991, p.147. 1151 « L’absolution est un jugement par lequel un accusé, est, faute de preuve, absous et déclaré innocent du crime dont il avait été accusé », V. C.-J. DE FERRIÈRE, Dictionnaire de droit et de pratique, Paris, Brunet, 1769, tome I, v° Absolution. 1152 La Question, d’abord apparue en pratique est passée dans les ordonnances de Blois (1498), Villers-Cotterêts (1539) et l’ordonnance criminelle de 1670. Juridiquement, la Question est fondée sur l'existence d'indices laissant présumer la culpabilité et l'absence de preuve pleine pour mener directement à la condamnation. La Question dite préparatoire précède le jugement définitif et vise à contraindre l'accusé à confesser son crime dans les cas d'accusation capitale, tandis que la Question dite préalable ordonnée par le jugement définitif, est appliquée aux accusés condamnés à mort en vue d’obtenir la dénonciation de leurs complices. L'avantage de la Question préparatoire est de compléter des charges insuffisantes par l'obtention d'un aveu, afin de former une preuve pleine de culpabilité permettant une condamnation. L'aveu, contrairement à ce que l'on laisse très souvent entendre, ne constitue pas à lui seul une preuve pleine. S'il est qualifié de « probatio probatissima » c'est en raison de sa valeur en tant que complément de preuve. Les criminalistes ont très tôt dénoncé les dangers suscités par les différentes causes de faux aveux et n'admettaient pas le prononcé d'une peine capitale sur son seul fondement. En revanche, il a acquis à titre de complément une valeur certaine du point de vue de la certitude qu'il conférait. Il faut donc dire que complété par des indices, l'aveu représente la meilleure, et la plus sûre des preuves, qui manquait au juge. Dans l'hypothèse où l'accusé persistait à nier le crime dont il était accusé le juge se voyait dans l'obligation de le considérer comme innocent et par conséquent de le relaxer.

Le discours sur l’objet

348

réserve de preuves. Elle permet, au juge qui estime que les preuves rassemblées demeurent,

quoique le crime n’ait pas été avoué, de prononcer des peines moindres. Elle se trouve

légalisée par l’article 2 du titre XIX de l’Ordonnance de 1670 qui prévoit que : « nonobstant

la condamnation à la question, les preuves subsisteront en leur entier, pour pouvoir

condamné l’accusé à toutes sortes de peines pécuniaires ou afflictives, excepté toutefois

celle de mort à laquelle l’accusé qui aura souffert la question sans rien avouer, ne pourra

être condamné, si ce n’est qu’il survienne de nouvelles preuves depuis la question ». Il

s’agit donc de modérer la peine en fonction des preuves recueillies1153. L’insuffisance de

preuve est ensuite dépassée dans l’hypothèse où la preuve apparaît insuffisante non

seulement pour condamner mais aussi pour appliquer l’accusé à la Question. La pratique,

pour s’affranchir de la rigueur de la théorie des preuves légales, invente deux sortes de

jugement, le plus amplement informé1154 et le hors de cour1155, qui manifestent le refus du

juge d’absoudre alors que les preuves sont insuffisantes.

Toutes ces institutions ne se comprennent que parce que le système des preuves légales

interdisait au juge d’apprécier la valeur des preuves. Mais ce dernier a su inventer les

moyens de contourner les exigences légales et de s’octroyer de plus en plus de pouvoir dans

l’appréciation des preuves. Autrement dit la Question, aussi bien que le plus amplement

informé et le hors de cour, doivent être compris comme les premières manifestations de

l’intime conviction des juges dans l’appréciation des preuves. Là où la théorie affirme

l’insuffisance de preuve, et donc une culpabilité douteuse, le juge apprécie l’innocence et la

déclare à son tour douteuse. Le système de l’intime conviction avait donc commencé à

s’appliquer, de fait, bien avant l’abandon officiel du système des preuves légales. C’est

d’ailleurs ce dont témoigne M. Astaing, en décrivant toute la période du XVIIIe siècle au

cours de laquelle le système des preuves légales tombe en désuétude tandis que l’intime

conviction gagne du terrain. C’est de cette situation que résulteront les condamnations

1153 Cette question du pro modo probationum, et sa réception dans la doctrine de l’ancien droit, ont fait l’objet d’une étude particulière : Y. BONGERT, Le pro modo probationum : intime conviction avant la lettre ? Rev. hist. droit., 2000, n°1, p.13. 1154 Le jugement de « plus amplement informé», aujourd'hui évoqué en doctrine comme signe d'une méconnaissance totale de la présomption d’innocence, est un jugement dit interlocutoire (il intervient pendant le procès, par opposition au jugement définitif qui met un terme au procès) prononcé par les juges en l'absence de preuve suffisante pour condamner et dans l'attente de la découverte de preuves supplémentaires. Cette attente, pendant laquelle l'accusé est dit « in reatu », c'est-à-dire sous le coup de la justice, et généralement emprisonné, peut s'étendre à un an ou à l'infini. 1155 La mise « hors de cour » ou renvoi « hors de cour » doit se comprendre comme un moyen terme entre l'absolution attestant de l'innocence de l'accusé et la condamnation. Quoique véritablement insuffisantes pour permettre une condamnation, les preuves dont dispose le juge sont cependant d'une importance telle que sa conviction de la culpabilité l'empêche d'absoudre complètement l'accusé. On dit alors que le hors de cour, tout en libérant l'accusé sans lui infliger de peine, laisse cependant peser sur lui le soupçon d'une probable culpabilité que les règles prescrites par la théorie des preuves n’ont pu permettre de démontrer. De l'existence de ces preuves insuffisantes pour déclarer la culpabilité on déduit en effet que l'accusation n'avait pas été intentée sans quelque fondement et que l'on ne pouvait condamner la partie civile aux dépens et dommages-intérêts.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

349

odieuses à l’origine des scandales judiciaires de l’époque. Elles sont odieuses, explique M.

Astaing, parce qu’elles sont dénuées de logique et de rationalité, voire de bon sens.

Toutefois, l’auteur fait observer que « pourtant ce que condamnent les auteurs des

Lumières (sans le savoir) ce n’est pas le système des preuves légales, ce sont les dérives

dangereuses de l’intime conviction dans le cadre moribond des preuves légales »1156. C’est

donc le jeu concomitant des preuves légales, tarifiées, protectrices, avec l’appréciation des

juges, qui crée ces situations illogiques et contraires à la protection des accusés.

C’est dans un tel contexte que certains criminalistes ont, selon nous, invoqué l’adage in

dubio pro reo. Lorsque le juriste Stübel puise dans les règles du droit romain pour formuler

cette maxime, c’est pour lutter contre la pratique judiciaire allemande consistant à appliquer

la peine du soupçon. S’apparentant aux institutions françaises ci-dessus évoquées, cette

pratique est une persistance de l’absolutio ab instantia dans le ius commune du XVIe au

XVIIIe siècle1157.

Toutes ces raisons laissent donc à penser que l’invocation de la règle du doute favorable

ne se comprend que dans les cas particuliers, mais nombreux, où le juge interprète, en

conscience, l’insuffisance des preuves légales comme l’existence d’un doute sur

l’innocence. On peut alors considérer que dans une telle hypothèse coexistent deux sortes

de doute, d’une part, le doute « légal » sur la culpabilité de l’accusé qui résulte de

l’insuffisance de preuves et d’autre part, un doute « judiciaire » qui porte quant à lui sur

l’innocence et se nourrit de la même insuffisance de preuves. Il faut en outre remarquer que

si le juge peut donner quelques effets à son doute sur l’innocence, c’est parce qu’il laisse

s’exprimer son intime conviction.

Il y a alors lieu de se demander si, l’invocation de la règle du doute favorable, et par là

de la présomption d’innocence, n’aurait pas pour fonction de limiter le jeu de l’intime

conviction du juge. Une telle hypothèse pourrait néanmoins apparaître saugrenue. Les

pénalistes ont plutôt coutume d’enseigner la proposition inverse : l’intime conviction serait

une limite à la présomption d’innocence. L’affirmation signifie que l’intime conviction a le

pouvoir de renverser la présomption d’innocence. Elle signifie également que l’intime

1156 A. ASTAING, Droits et garanties de l'accusé dans le procès criminel d'ancien régime, op. cit., n° 622. 1157 M. SCHMOECKEL, L’absolutio ab instantia, op. cit. L’absolutio ab instantia puise ses origines dans le droit romain et vise à surmonter la difficulté posée par l’apparition de l’autorité de la chose jugée. Ce type de jugement est apparu tardivement en France, mais cette dernière connaissait le plus amplement informé et le hors de cour qui jouent un rôle identique. Mathias Schmoeckel donne un exemple de la fonction jouée par l’absolutio ab instantia et il nous semble illustrer parfaitement les conditions dans lesquelles le doute sur l’innocence éprouvé par le juge a commencé à produire des effets. Cet exemple est fourni par une question que pose le juriste italien Antoine a Butrio dès le XIV e siècle à propos d’un cas où le crime n’avait pas été prouvé : « Faute de preuve, le juge devrait acquitter l’accusé, mais que peut-il faire s’il a des doutes contre l’accusé ? En bonne règle, il ne peut décider que sur des faits prouvés, et non selon sa conscience. Antoine a Butrio insiste sur le risque d'une relaxe : si l'on trouve des preuves plus tard, on ne pourra plus condamner : il propose donc d'acquitter seulement ab instantia.», n° 3, p. 174.

Le discours sur l’objet

350

conviction peut nuire à la présomption d’innocence ; et il n’est pas exclu d’envisager que le

discours sur la présomption d’innocence puisse être construit de manière à limiter le jeu de

la libre appréciation des preuves.

308. L’hypothèse de la présomption d’innocence comme limite à l’intime conviction. Il

n’y a aucun intérêt à invoquer la règle du doute favorable pour régir une situation de doute

légal. Dans une telle situation, c’est le doute éprouvé par le juge quant à l’innocence qui

parait devoir être encadré. Selon M. Torreblanca, qui a cherché les origines de la relaxe au

bénéfice du doute dans le droit romain de l’Empire, Gaius formula la règle semper in dubiis

benigniora praeferenda sunt, à une époque où précisément la preuve est légale et où il

existe « un conflit entre la vérité légale et la vérité de la conscience »1158. L’auteur conclut

que ce serait pour dépasser cette contradiction que Gaius aurait formulé cette règle. Cette

analyse rejoint les précédentes pour conclure que la difficulté que vise à résoudre le

bénéfice du doute, réside dans l’intime conviction du juge.

On aura toutefois remarqué que si l’intime conviction constitue la source du problème

posé par le doute, c’est toujours dans un contexte juridique particulier, celui où les preuves

légales sont toujours en vigueur. On serait alors tenté de se demander si la règle du doute

favorable a encore lieu de trouver à s’appliquer de nos jours alors que le système de la

preuve morale est pleinement consacré et que de toute façon, la relaxe au bénéfice du doute

produit, contrairement aux jugements d’absolutio ab instantia, les mêmes effets qu’une

relaxe pure et simple. À cet égard, et comme le soulignait M. Torreblanca, la relaxe au

bénéfice du doute dans la procédure pénale moderne se présente comme une anomalie1159. Il

nous semble pourtant que le changement de système de preuves pénales n’a pas privé les

décisions rendues au bénéfice du doute de toute signification. Ces dernières continuent

d’exprimer, comme ses actuels détracteurs le soulignent, un doute sur l’innocence des

personnes ainsi relaxées. En effet, si les juges ne sont pas bridés par un « tarif » affecté à

chaque preuve, d’autres contraintes leur sont imposées dans l’appréciation des preuves, qui

les mettent ainsi dans une situation presque semblable à celle dans laquelle se trouvaient les

juges de l’ancien droit. Cela peut s’expliquer par plusieurs raisons.

Tout d’abord, l’intime conviction est limitée par la loi elle-même à plusieurs égards.

D’une part, notre procédure pénale connaît en effet des « vestiges du vieux système des

preuves légales » 1160. D’autre part, le principe de la liberté de la preuve, qui est le

1158 R.-P. TORREBLANCA, La relaxe au bénéfice du doute, op. cit., p. 226. 1159 Elle découlerait d’un scepticisme préjudiciable à l’autorité de la justice et aux intérêts du justiciable tout en constituant une pratique illégale. 1160 Ces vestiges résultent de certains procès-verbaux de constatation. Ce sont tout d’abord les procès-verbaux qui valent jusqu’à preuve contraire et dont la liste est fort longue. Ce sont ensuite les procès-verbaux qui valent jusqu’à inscription de faux. V. J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

351

complément indispensable de l’intime conviction, n’est pas sans limite. Le principe de la

légalité de la procédure pénale resurgit dans le cadre plus particulier de la recherche et de

l’administration de la preuve1161 pour venir le limiter et par contrecoup limiter l’intime

conviction. Ainsi, tous les moyens pour parvenir à la preuve ne sont pas admis. Deux

grandes limites s’y opposent1162 : une nécessaire loyauté des personnes ayant pour mission

de rechercher les preuves et le respect de la personne poursuivie, dans sa dignité et sa vie

privée.

Ensuite, la preuve pénale moderne, bien que libre et laissée à l’appréciation souveraine

des juges du fond, doit être rationnelle. C’est ce qu’enseigne la doctrine depuis le XIXe

siècle. La doctrine a en effet largement contribué à rendre l’intime conviction contraignante

pour le juge. Pour y parvenir, elle a élaboré dès le début du XXe siècle une théorie de la

preuve pénale et par là offert aux juges des guides dans l’appréciation des preuves1163.

L’œuvre du magistrat François Gorphe en est, pour la France, une bonne illustration.

Favorisé et largement inspiré par les sciences nouvelles et particulièrement la psychologie

judiciaire, L’appréciation des preuves en justice, est une méthode d’appréciation des

preuves adressée au juge. Elle est fondée sur une volonté de « réduire le plus possible la

part de l’empirisme incertain et du subjectivisme arbitraire, en donnant à la technique des

directives rationnelles, inspirées des méthodes scientifiques modernes»1164. Il s’agit alors

d’une entreprise d’objectivation de la preuve pénale à laquelle l’ensemble de la doctrine

pénale du XXe siècle a participé. Il est d’ailleurs frappant de constater que la doctrine

moderne, bien qu’à un degré moindre, est en matière de preuve, l’héritière de la doctrine de

l’ancien droit. Si les anciennes preuves légales, d’ailleurs d’origine doctrinale, ont disparu,

toute détermination a priori de la valeur des preuves n’a pas, quant à elle, été abandonnée.

Gorphe précise ainsi que la méthode proposée « vise, non pas à fournir des procédés tout

préparés, ni une technique précise et complète, mais seulement des directives rationnelles

et appropriées pour déterminer la valeur des preuves ou éléments de preuve (preuves

complètes ou incomplètes) produits ». On peut alors être surpris de constater que, sous

L’appréciation des preuves est encore limitée, lorsque le juge pénal statue sur une question de droit civil car dans ce cas, il est soumis aux règles de droit civil. 1161 Sur la liberté de la preuve et l’ensemble des contrôles qui sont effectuées jusqu’au jugement définitif, V. E. MOLINA, La liberté de la preuve des infractions en droit français contemporain, PUAM, 2001. 1162 V. par exemple, J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n° 84 et s. 1163 C’est d’ailleurs bien l’objet d’une théorie de la preuve pénale que de « Déterminer les moyens à l’aide desquels on peut constater avec la plus grande certitude, la vérité des faits qui sont l’objet des débats judiciaires, soit en matière civile, soit en matière criminelle ». Il s’agissait du sujet proposé par l’Académie des sciences morales et politiques en 1836. Son rapporteur, citant l’un des mémoires soumis à l’Académie, rappelait qu’« il ne suffit pas d’avoir la certitude d’un fait, il faut l’avoir à juste titre. Il est des certitudes trompeuses. », V. J.-M. PORTALIS, De la preuve en matière civile et criminelle, rapport, op. cit., p. 187. 1164 F. GORPHE, L’appréciation des preuves en justice, essai d’une méthode technique, Paris, Sirey, 1947, p. 19.

Le discours sur l’objet

352

couvert de n’envisager que le critère général de la valeur probante1165, Gorphe présente tout

de même chacun des modes de preuves selon une hiérarchie fondée sur le crédit que le juge

peut en tirer1166. L’objectivation de la preuve par la doctrine passe en réalité, à l’instar du

travail de Gorphe, par une attention particulière portée aux moyens de recueillir la preuve.

La preuve scientifique, dont le développement est encouragé, doit offrir, dès la phase

préparatoire du procès, une objectivité à laquelle le juge sera invité à se fier. C’est en

sélectionnant et évaluant les nouveaux moyens de preuve que la doctrine entend objectiver

la preuve et ainsi contenir et rationaliser l’intime conviction du juge1167. Cette objectivation

répond au même souci que celui qui présidait à l’élaboration de la théorie des preuves

légales, déterminer les moyens de parvenir à la certitude des faits sur lesquels le juge doit

statuer. En réalité, et comme l’annonçaient déjà les travaux de Gorphe, la qualité des

éléments de preuve qui seront soumis au juge, les seuls sur lesquels il est autorisé à se

prononcer1168, est évaluée dans la phase de recueillement. Le recours croissant à la preuve

scientifique est à double tranchant. Il est justifié par la recherche de la vérité mais il suppose

également que la fiabilité des moyens scientifiques soit évaluée. La doctrine participe à

cette évaluation1169 de même qu’elle contribue à l’encadrement des moyens utilisés pour

recueillir ces preuves.

Il en résulte que, en théorie, les éléments qui seront appréciés par le juge présentent

toutes les qualités d’objectivité et de fiabilité. Les preuves sont, à ce titre, légales1170 et le

juge ne devrait normalement pas porter son appréciation sur des preuves obtenues

1165 Ce critère général réside dans la concordance des preuves lorsqu’elles sont mises en rapport. V. p. 165. 1166 On s’étonnera de lire sous la plume de cet auteur que l’aveu reste la plus sûre des preuves et constitue une preuve complète. V. L’appréciation des preuves en justice, essai d’une méthode technique, op. cit., p. 457. Certes l’auteur précise que tout le travail du juge sera de s’assurer de la sincérité de cet aveu, mais le propos, tant sur le fond que dans la forme, rappelle tout de même un exposé de la théorie des preuves légales. 1167 Le professeur Belge Robert Legros a offert une belle démonstration de ce souci de rendre l’intime conviction contraignante en l’objectivant. L’accent était mis sur le caractère légal de la preuve pour ce qui touche à sa recherche et à son administration. L’auteur a en effet surtout insisté pour faire admettre qu’en droit pénal, comme en droit civil, la preuve est soumise à la légalité et que la conviction du juge doit être l’effet d’une preuve. Ainsi écrit-il qu’« Il faut des éléments de preuve. La simple conviction ne suffirait pas.», V. R. LEGROS, La preuve légale en droit pénal, in PERELMAN (CH.) et FORIERS (P.) (dir.), La preuve en droit, op. cit., n° 9. 1168 « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui » dispose l’article 427 du Code de procédure pénale. 1169 L’emploi des méthodes scientifiques avait notamment fait l’objet d’un colloque de l’association internationale de droit pénal en 1972, l’objectif était de mettre à la disposition des juges des éléments de conviction susceptibles d’amener la condamnation de l’auteur identifié grâce aux procédés techniques, V. G. LEVASSEUR, Les méthodes scientifiques de recherche de la vérité, Rev.int.dr.pén., 1972, p. 319. Lors de ce colloque, un auteur avait même fait observer que le mécanisme de l’intime conviction n’est pas exclusif d’un certain usage de la preuve légale et que la preuve scientifique peut combler n’importe quel système de preuve : J. SUSINI, Place et portée du polygraphe dans la recherche judiciaire de la vérité, p. 256. 1170 Dans le même sens où l’entendait Robert Legros, V. La preuve légale en droit pénal, op. cit.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

353

illégalement1171, qui sont d’ailleurs écartées des débats judiciaires1172 alors même qu’elles

offriraient une connaissance certaine de la réalité de l’infraction, autrement dit de la vérité.

L’ensemble de ces exigences et limites se résume dans l’idée maintes fois énoncée que le

système de l’intime conviction ne signifie aucunement qu’un juge pourrait condamner sans

preuve1173. On pourrait alors préciser ici : sans preuve suffisante, c'est-à-dire sans preuve

fiable ou légalement obtenue. Autant dire que l’intime conviction n’implique pas une liberté

aussi grande qu’il pourrait y paraître de prime abord, particulièrement lorsqu’on la met en

regard de la théorie des preuves légales1174. L’insuffisance de preuve peut donc encore avoir

un sens pour le juge, comme en atteste d’ailleurs les nombreuses décisions rendues encore

aujourd’hui au bénéfice du doute.

Lorsque la doctrine pénale enseigne que le doute doit profiter à l’accusé en s’appuyant

sur l’adage in dubio pro reo, elle traduit encore aujourd’hui cette exigence de la preuve

certaine de culpabilité. Or, la doctrine continue de jouer un rôle dans la détermination de ce

que peut être une preuve valable, une preuve certaine1175. Il en résulte que, invoquer l’adage

in dubio pro reo, constitue une directive adressée au juge. Bien que convaincu intimement

de la culpabilité, si les preuves sont insuffisantes ou irrecevables le juge devra relaxer1176.

C’est ce que fait ce dernier lorsqu’il motive sa décision en la fondant sur le doute favorable.

Et l’on comprend ici qu’il s’agisse d’une faveur. Il est demandé au juge d’interpréter

favorablement son doute sur l’innocence. Quoique convaincu intimement1177,

1171 V. J. BÉNÉDICT, Le sort des preuves illégales dans le procès pénal, Lausanne, Pro Schola 1994. L’auteur définit l’illégalité soit comme l’inobservation d’une disposition légale, soit comme le non respect d’un principe général de procédure pénale. 1172 Mais cette exigence est assouplie par la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet notamment que le juge puisse prendre en considération les preuves produites par la partie civile alors même qu’elles auraient été obtenues de manière illégale, V. Par exemple, Cass. crim., 30 mars 1999, Bull. n° 59, L’admission de la preuve illégale : la chambre criminelle persiste et signe, note TH. GARÉ, D. 2000, p. 391; Cass. crim., 11 juin 2002, Bull. n° 131 :« Aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement, en application de l'article 427 du Code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire». 1173 « Lorsqu’il est appliqué à l’administration de la preuve, le principe de légalité limite également l’intime conviction du juge répressif, dans la mesure où il appartient à celui-ci d’apprécier la valeur des éléments de probatoires produits et de rejeter les preuves illégalement recueillies qui ne peuvent permettre la motivation de sa décision », J. BUISSON, Les limites de l’intime conviction du juge répressif, Procédures, 2000, Chr. n° 6, p. 4. 1174 L’ultime contrainte du juge, dans la phase de jugement réside dans l’obligation de motiver ses décisions. 1175 « Le juge ne doit pas être habilité à s’appuyer sur n’importe quel procédé pour parvenir à la manifestation de la vérité : le moyen doit être revêtu d’une valeur probante suffisante, de telle sorte qu’il permette de cerner la vérité avec certitude », écrit un auteur en s’appuyant sur deux autres auteurs suisses, J. BÉNÉDICT, Le sort des preuves illégales dans le procès pénal, op. cit., p. 46 au sujet du critère de la valeur probante. 1176 C’est en tout cas ce qu’avaient décidé, par exemple, les juges angevins : « Une preuve irrecevable doit être écartée du dossier, en sorte que si elle était la seule preuve proposée, le prévenu doit être acquitté au bénéfice du doute », Trib. Correct. Angers, 7 septembre 1999, Gaz. Pal. 2000, n°44-46, p.28, chronique J.-P. DOUCET. 1177 On pourrait dire ici subjectivement.

Le discours sur l’objet

354

personnellement, de la culpabilité, il lui est imposé de se résoudre à relaxer1178. La relaxe au

bénéfice du doute permet tout simplement au juge d’exprimer le doute qui subsiste même si

l’accusation a échoué dans la démonstration de la culpabilité. Cette nécessité s’explique

semble-t-il par le principe de manifestation de la vérité1179. L’hypothèse de la relaxe au

bénéfice du doute suppose en effet que la culpabilité n’a pas été complètement prouvée, si

bien qu’aucune vérité sur cette dernière ne peut être énoncée. Toutefois, de cette vérité

imparfaite résulte également une autre vérité : l’innocence ne peut pas être davantage

affirmée. Ne pas se résoudre à relaxer purement et simplement répond à l’exigence de vérité

qui conditionne le caractère juste de la décision1180.

Il n’en reste pas moins que la relaxe au bénéfice du doute constitue une anomalie1181.

Cela est d’autant plus vrai que ce type de décision n’a pas toujours eu des effets juridiques

strictement identiques à une relaxe pure et simple. On peut se contenter d’évoquer, par

exemple, la question de l’autorité des décisions rendues au bénéfice du doute sur le civil1182.

Ce n’est véritablement que depuis l’arrêt Bluteau de la Cour de cassation1183, rendu en

1976, que la jurisprudence reconnaît une autorité identique de la chose jugée au pénal sur le

civil pour les décisions de relaxe pure et simple et celles qui le sont au bénéfice du

1178 C’est ce qu’explique d’ailleurs M. Essaïd lorsqu’il distingue la notion d’intime conviction de celle de doute favorable qui ne vont pas toujours de pair. Ainsi écrit-il : « dans l’hypothèse où le juge est intimement convaincu de la culpabilité du prévenu, mais où les preuves font défaut ou sont insuffisantes, c’est uniquement la maxime in dubio pro reo qui joue », La présomption d’innocence, op. cit., n° 471. L’idée que l’adage in dubio pro reo joue comme une limite à l’intime conviction ressort également chez M. Bénédict, qui aborde le principe du doute favorable au titre des restrictions apportées à la libre évaluation des preuves, V. Le sort des preuves illégales dans le procès pénal, op. cit., p. 38. 1179 Il n’est pas inutile de rappeler que les anciens jugements de plus amplement informé et de hors de cour étaient eux même fondés sur cet objectif de recherche de la vérité, d’une vérité légale et absolue. 1180 En effet, il est à certains égards injuste d’assimiler totalement une personne poursuivie reconnue totalement innocente à une autre relaxée mais à l’encontre de laquelle persiste, après examen, des soupçons. C’était en tout cas la position adoptée par Merlin à propos du hors de cour : si l’accusé « sans être absolument coupable, son innocence n’est pas pleinement justifiée, [les magistrats] n’osent l’assimiler à l’homme dont la vertu est intacte : et leur conduite à cet égard remplit les devoirs de la sagesse et de l’équité », Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, op. cit., v° Doute. 1181 C’est peut-être pour cette raison qu’elle ne trouve aucune définition dans le Vocabulaire juridique de M. Cornu. Comp. S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit., v° doute, V. également infra. 1182 C'est surtout au XIXe et au début du XX e siècle que la valeur des décisions de relaxe rendues au bénéfice du doute a été l'objet de controverses doctrinales. En effet, la question qui s'est tout d'abord posée en jurisprudence était de savoir si le principe de l'autorité de la chose jugée au criminel sur le civil devait s'appliquer aux décisions répressives rendues au bénéfice du doute. Il est généralement admis dans ce domaine que le juge civil est lié par la chose « certainement » jugée au pénal. Reste à savoir si cette exigence est remplie lorsque la décision est rendue sur le fondement d'un doute. Deux thèses se sont opposées. Selon la première : le juge civil n'est pas lié par le jugement répressif qui laisse indécise la question de l'existence ou de l'inexistence des faits, car le doute du juge répressif l'autorise à admettre l'existence du fait sans contredire le jugement pénal. Selon la seconde thèse, devenue majoritaire, le doute résultant d'une insuffisance de preuve doit, au point de vue de l'autorité de la chose jugée au criminel sur le civil, être assimilé à la négation de l'existence du fait incriminé. Sur cette controverse, les auteurs cités, et la jurisprudence, V. P. HÉBRAUD, L’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil, Paris, Sirey, 1929, p. 271 et s. ; N. VALTICOS, L’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil, Paris, Sirey, 1953, n° 251-252. 1183 J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit criminel, Paris, Dalloz, 2e éd., 1998, tome 2, n° 40.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

355

doute1184. Quant à la Cour EDH, elle avait décidé que l’article 6§2 était violé dans l’affaire

Sékamina. En l’espèce le requérant se plaignait qu’une juridiction ait refusé d’indemniser sa

détention provisoire alors même qu’il avait été acquitté par une cour d’assises. La

juridiction s’était fondée sur l’arrêt d’assises pour déclarer que des soupçons sur

l’innocence demeuraient1185. On pourrait même se demander si les décisions rendues au

bénéfice du doute ne sont pas tout simplement incompatibles avec l’article 6§2 de la

Convention.

Les relaxes au bénéfice du doute illustrent donc l’application de in dubio pro reo et du

même coup la persistance, dans l’esprit des juges, de soupçons sur l’innocence de la

personne poursuivie. Le recours à la règle du doute favorable suppose que les juges

acceptent de ne pas condamner alors même qu’ils doutent de l’innocence. La présomption

d’innocence, par l’intermédiaire de la règle in dubio pro reo a donc pour effet de limiter

l’intime conviction du juge. D’ailleurs, certains auteurs peuvent parfois se laisser aller à

présenter les choses ainsi. À propos de la présomption d’innocence, M. Pradel n’a-t-il pas

écrit qu’elle était « indispensable pour borner les conviction du juge, pour réduire le risque

de dérives toujours à craindre. » 1186 ?

La question se pose alors de savoir dans quelle mesure cette limite apparaît

contraignante. L’application de la règle du doute favorable est-elle impérative pour le juge ?

309. Nature de la limite posée à l’intime conviction. « Le doute doit profiter à l’accusé »,

enseignent nos criminalistes. Certains d’entre eux ont précisé le sens de cette assertion : la

règle est impérative, elle s’impose donc au juge qui n’a d’autre choix que relaxer ou

acquitter lorsqu’il est en présence d’un doute1187. En cela, la règle du doute favorable est

1184 Cass. civ. 1re, 3 février 1976, Bull. n° 48 : « La décision de la juridiction pénale qui acquitte un prévenu établit à l'égard de tous l'inexistence de l'infraction poursuivie. Viole l'article 1351 du Code civil et le principe de l'autorité au civil de la chose jugée au pénal, la cour d'appel qui, pour rejeter l'action en payement d'indemnité que le souscripteur d'une police accidents, qui s'est coupé un doigt, a dirigée contre son assureur, énonce que la victime ne peut rapporter la preuve, qui lui incombe, du caractère accidentel de sa mutilation, par la décision pénale de relaxe dont elle a bénéficié sur poursuites en tentative d'escroquerie au préjudice de l'assureur.». V. M. CONTAMINE-RAYNAUD, note sous Cass. civ. 1re, 3 février 1976, D. 1976, p. 441. 1185 « L'expression de soupçons sur l'innocence d'un accusé se conçoit tant que la clôture des poursuites pénales n'emporte pas décision sur le bien-fondé de l'accusation, mais on ne saurait s'appuyer à bon droit sur de tels soupçons après un acquittement devenu définitif. Par conséquent, le raisonnement du tribunal régional et de la cour d'appel de Linz se révèle incompatible avec le respect de la présomption d'innocence.», Affaire Sekamina c/ Autriche, 25 août 1993, A266-A, n° 30. 1186 J. PRADEL, La procédure pénale française à l’aube du troisième millénaire, D. 2000, p. 8. adde. A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op.cit., n° 387 : « La présomption d’innocence intervient à tout moment dans le cadre de l’appréciation des preuves en montrant le droit chemin au juge ». 1187 « La personne jugée doit être acquittée, relaxée, si toute lumière n’est pas faite, si un doute subsiste. » : R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement étude comparée du droit français et du droit anglais, op. cit., p. 50 ; « Le juge qui doute doit se prononcer en faveur de l’accusé. » : G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, op. cit., p. 692 ; « La règle in dubio pro reo impose la relaxe ou l’acquittement de la personne à l’égard de laquelle le doute subsiste » : M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 196 ; « s’il subsiste un doute, le

Le discours sur l’objet

356

bien une règle de décision. Le lexique des termes juridiques définit même le bénéfice du

doute comme le « Principe général de procédure pénale qui oblige le juge à prononcer une

relaxe ou un acquittement, dès lors qu’une incertitude persiste…»1188. Devoir, obligation,

du juge de relaxer, de faire bénéficier le prévenu du doute. Le discours doctrinal n’offre

pourtant pas de dire quelle est la nature de cette obligation. C’est que l’affirmation est

purement doctrinale. La loi ne formule pas une telle obligation, non plus que la

jurisprudence, si bien que le discours doctrinal ne trouve à s’appuyer ni sur l’une, ni sur

l’autre. On voit d’ailleurs assez mal comment la Cour de cassation pourrait contrôler que le

doute profite bien à la personne poursuivie, puisqu’il s’agit par définition d’une question de

fait qui dépend de la seule appréciation souveraine des juges du fond. Cette réalité juridique

avait même été évoquée, avec un certain embarras, par M. Patarin1189. Le seul contrôle

qu’exerce la Cour de cassation porte sur la motivation. Elle s’assure de la sorte que les

décisions des juridictions inférieures sont cohérentes et rationnelles. Peu importe qu’elles

prononcent des condamnations1190 ou des relaxes, même s’il est vrai que la doctrine a pu

relever une certaine sévérité de la chambre criminelle dans le contrôle qu’elle exerce sur les

décisions rendues au bénéfice du doute.

Il résulte de cette absence de prescription légale et de contrôle effectif exercé par la Cour

de cassation, que l’application de la règle du doute favorable est laissée à l’entière

discrétion du juge. Plus précisément, il faut admettre que cette règle qui ne connaît pas de

sanction juridique véritable s’apparente davantage à une règle morale qu’à une règle

juridique. Si aucun criminaliste n’est disposé à l’admettre, du moins ouvertement, cette

absence de juridicité de l’adage in dubio pro reo avait été évoquée par l’école positiviste qui

la combattait1191. Plusieurs raisons laissent effectivement penser que la règle du doute

favorable, entendue comme règle de décision, est davantage un guide moral adressé au juge

qu’une règle s’imposant juridiquement à lui.

La première raison peut être tirée de l’histoire du discours savant. On peut en effet

rappeler que les anciens criminalistes évoquaient un devoir du juge d’absoudre en cas de

prévenu ou l’accusé doit être relaxé ou acquitté » : G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123 ; « Lorsque le poursuivant ne réussit pas à prouver de manière décisive les faits, le juge doit faire bénéficier le prévenu du doute (in dubio pro reo) et le relaxer. » : J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 395. 1188 S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit., v° Doute. 1189 « Il n’est possible à la Cour de cassation d’assurer le respect du principe "in dubio pro reo" que dans des cas limités. Le juge satisfait à la légalité en constatant dans les motifs de sa décision l’existence certaine de la culpabilité. », Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22. 1190 Cela dit, M. Essaïd avait déjà fait observer que la Cour de cassation se contente assez souvent des formules de style employées par les juges du fond au soutien d’une condamnation, La présomption d’innocence, op. cit., n° 517. 1191 Ainsi était-il affirmé que la règle in dubio pro reo n’est qu’une règle d’expérience qui n’a rien d’obligatoire pour le juge. V. J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22 citant G. BETTIOL, La regola « in dubio pro reo » nel diritto e nel processo penale, Rivista italiana di dirito penale, 1937.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

357

doute et non une obligation légale qui pourrait trouver une sanction. La règle du doute

favorable figurait au titre des directives adressées au juge en matière de preuve. À cet égard,

les auteurs s’appuyaient sur la maxime « satius est impunitum relinqui facinus nocentis,

quam innocentem damnari » selon laquelle il vaut mieux laisser échapper un coupable que

de condamner un innocent. On observera que les criminalistes du droit pénal moderne, qui

ont substitué à l’emploi de l’ancienne maxime celui de in dubio pro reo : le doute profite à

l’accusé, ont par là même amputé la règle de sa dimension morale1192. M. Astaing ne

semble d’ailleurs pas dire autre chose en expliquant que, dans un système d’intime

conviction, les barrières protectrices de l’accusé ne sont plus juridiques mais seulement

morales. Et l’auteur d’ajouter que la maxime satium esse…du Digeste est un principe

général, répété à l’envi par les criminalistes, qui doit guider l’action du juge et servir

exactement de contrepoids à l’accusation. M. Astaing précise en outre que « ce principe

traduit exactement le sentiment de bienveillance qui doit être celui du juge face à des

preuves incertaines et à une vérité matérielle qui, souvent, échappe »1193.

La seconde raison, qui prolonge la première, relève des termes mêmes employés dans le

discours doctrinal contemporain. La référence permanente à un devoir du juge1194, sans

indiquer quelle en serait la sanction juridique, traduit cette dimension plus morale que

juridique1195. Que l’on se trouve dans un système de preuves légales ou d’intime conviction,

pour l’application de la règle du doute favorable, les auteurs tiennent un discours qui fait

appel à la seule conscience du juge. L’application de cette règle n’a rien de commun avec

celle qui préside aux autres règles de procédure pénale. Elle a cette particularité de requérir

du magistrat, ou du juré, beaucoup de courage1196. Autrement dit, le doute ne profite à

l’accusé que si le juge est vertueux. Les pénalistes invoquent alors l’impartialité du juge ou

son éthique. Aucune règle juridique ne peut sanctionner la méconnaissance de ce devoir,

1192 Il vaut mieux … » suppose un jugement de valeur, une évaluation que ne traduit plus l’adage « le doute profite à l’accusé ». 1193 A. ASTAING, Droits et garanties de l'accusé dans le procès criminel d'ancien régime, op. cit., n° 722. 1194 Celui d’acquitter, de relaxer ou de faire bénéficier du doute, comme en témoignent les références citées supra. Le professeur Hugueney enseignait quant à lui que « dans le doute il faut décider en faveur de l’accusé », Cours de droit criminel, op. cit., p. 340. 1195 À cet égard, certains auteurs ont écrit à propos de la maxime satius est impunitum relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnari que « L’ancien droit connaissait la présomption d’innocence mais de façon plus métaphysique que juridique ». Or, il n’est pas certain que le droit pénal moderne soit, sur ce point, plus juridique que métaphysique. V. H. ROLAND et L. BOYER, Locutions latines et adages du droit français contemporain, op. cit. 1196 La voix de l’expérience judiciaire suffit à s’en convaincre : « Il [le doute] exige une grande honnêteté mais il exige surtout un certain courage. Le courage de reconnaître que l’on n’est pas sûr et ce n’est jamais agréable à dire. Le courage de dire à tous ces hommes qui sont intervenus dans le procès, qui se sont engagés, qu’ils se sont trompés ou qu’on ne les croit pas. Le courage de dire à un homme qui est peut-être un redoutable malfaiteur qu’il a gagné. (…) La règle est que le doute profite à l’accusé. Chaque fois que la culpabilité n’est pas suffisamment établie, chaque fois qu’un juge ou un jury n’a pas l’entière certitude de la culpabilité ou de la non-culpabilité il doit acquitter (…). Mais j’ai dit qu’il fallait du courage pour faire respecter la règle… », L. ZOLLINGER, L’intime conviction du juge, in L’innocence, Travaux de l’institut de criminologie de Paris, Néret, 1977, p. 39.

Le discours sur l’objet

358

d’une part de douter, d’autre part de faire bénéficier le prévenu ou l’accusé du doute.

L’auteur de la seule étude existant à ce jour sur le doute en matière pénale parvient, comme

à regret, à cette conclusion : « Il faut donc concéder que le doute favorable demeure avant

tout une affaire de conscience»1197. La règle selon laquelle le doute profite à l’accusé a

pourtant été inscrite dans le Code de procédure pénale. Ainsi les jurés d’assises jurent-ils et

promettent-ils de se « rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui

profiter ». On le voit néanmoins, avec le serment des jurés prévu à l’article 304, le

législateur formule une règle de conduite dont la seule sanction résidera dans la conscience

des jurés. Il n’existe aucune sanction possible à la violation de cette partie là du serment du

juré, faute de pouvoir sonder sa conscience.

Enfin, ce caractère plus moral que juridique de l’adage in dubio pro reo n’a du reste rien

d’étonnant. Le doute (qu’il porte d’ailleurs sur la culpabilité ou l’innocence) est en effet très

étroitement lié au concept d’intime conviction. Or, l’intime conviction, ne revêt-elle pas

déjà une dimension morale, en ce qu’elle se définit comme la certitude morale ? Il faudrait

alors admettre qu’il existe là une sorte de parallélisme entre la règle de principe : l’intime

conviction ou certitude morale, et la règle qui en fixe les limites : le doute favorable.

310. Valeur de la règle du doute favorable et objet du discours doctrinal. Cette limite

posée à l’intime conviction par la formulation d’une règle morale, exprimée par la maxime

in dubio pro reo, incite alors à s’interroger sur le sens des assertions doctrinales qui ont

pour objet de la décrire comme une règle obligatoire ou absolue. Répondant à la critique

positiviste à l’endroit de la présomption d’innocence et avec elle de l’adage in dubio pro

reo, M. Patarin affirmait de façon un peu péremptoire que : « de même que la présomption

d’innocence est une règle obligatoire propre au droit pénal, de même la règle "in dubio pro

reo" qui en est le corollaire s’impose avec force obligatoire dans notre théorie pénale des

preuves »1198. L’auteur ne peut être plus clair, présomption d’innocence et in dubio pro reo

sont des règles impératives. On notera, toutefois, qu’elles le sont dans une théorie des

preuves pénales. Or, la théorie des preuves pénales est une construction doctrinale. M.

Patarin, nourri des écrits des criminalistes du début du XXe siècle, donne là une grande

portée aux affirmations de ses maîtres sans pour autant pouvoir les rattacher à des règles et

sanctions contenues dans le droit positif.

M. Essaïd estimait quelques années plus tard que, « sous réserve d’une opinion isolée

qui considère que la règle in dubio pro reo ne constitue qu’une "pratique illégale et

malheureuse", n’ayant rien d’obligatoire pour le juge, on peut dire que, de nos jours, la

maxime fait incontestablement partie aussi bien du droit positif français que de celui de

1197 M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, op. cit., p. 292. 1198 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

359

nombreux pays »1199. L’auteur de l’étude de référence sur la présomption d’innocence pose,

plus qu’il ne décrit, la réalité du droit positif. Tout d’abord parce que l’une des opinions

qu’il combat là, celle de M. Torreblanca, n’a jamais eu pour objet de critiquer le doute

favorable mais seulement d’en regretter la mention dans les décisions de relaxe. Mais

surtout ensuite, parce que les données sur lesquelles il s’appuie sont des décisions de la

Cour de cassation qui mettent à la charge de la partie poursuivante la preuve de l’infraction,

sans même les fonder sur la présomption d’innocence1200. Pour comprendre cet auteur, il

faudrait donc envisager que la règle in dubio pro reo fait partie de notre droit positif, et

qu’elle est obligatoire pour le juge, simplement parce que la Cour de cassation aurait

implicitement fondé des décisions sur la présomption d’innocence. Que penser encore de

cet enseignement d’Henri Donnedieu de Vabres : « L’acquittement est prononcé toutes les

fois qu’il existe un doute » et qui ajoute : « Une règle absolue, dans notre droit

contemporain, est que le doute bénéficie à l’inculpé»1201 ? Il faut interpréter la première

affirmation pour lui trouver un sens, car à s’attacher au sens premier, force est de constater

qu’elle est dénuée de toute fondement. Probablement doit-on entendre par là que

l’acquittement doit, devra ou devrait être prononcé toutes les fois où il existe un doute.

L’usage de l’indicatif par l’auteur n’est peut-être pas anodin. Il pourrait signifier que, tout

comme le législateur, la doctrine formule des normes sans avoir nécessairement recours à

l’impératif. La structure du discours portant sur l’adage in dubio pro reo, l’usage qui est fait

de cette maxime, invitent ainsi à penser que la doctrine pénale a elle-même énoncé, par voie

de reformulation, une règle. Les efforts doctrinaux ont semble-t-il porté sur la nécessité de

donner un tour juridique à la règle du doute favorable qui est essentiellement morale. Cela

est vrai, pour des raisons différentes, que l’on ait égard à la formulation : le doute profite à

l’accusé ou à la seconde formulation : le doute doit profiter à l’accusé. « Le doute profite à

l’accusé », pour répondre à notre interrogation de départ, n’est pas une description de ce qui

se passe dans le droit positif et que le doctrine aurait pu observer1202. Elle est bien

davantage l’énoncé d’une prescription1203. La dimension morale n’est pas un obstacle à la

réception d’un tel discours car la raison impose tout autant la règle du doute favorable.

1199La présomption d’innocence, op. cit., n° 491 où l’auteur se réfère à l’étude de M. Torreblanca sur la relaxe au bénéfice du doute et les critiques de l’italien G. Bettiol. 1200 En effet, par renvoi à une autre partie de son étude, l’auteur cite en réalité les arrêts de la Cour de cassation que nous avions étudiés plus haut et qui sont censés faire une application certaine, quoique implicite, de la présomption d’innocence. 1201 H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit., n° 1240. 1202 Du moins, pas à titre principal, car nous avons vu que cette assertion est souvent vraie en pratique puisqu’il est aisé de dénombrer des décisions répressives faisant application de la règle. 1203 D’ailleurs, un auteur explique que la présomption d’innocence relève du registre du prescriptif dans la mesure où elle correspond à un devoir être et non à un être. À ce titre l’auteur ajoute que la présomption d’innocence ne saurait relever de l’observation, ce qui lui permet de réfuter toute idée de probabilité inhérente à la présomption d’innocence. V. H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 413-1.

Le discours sur l’objet

360

On fera remarquer, pour terminer, que le discours doctrinal dissimule cette dimension

morale de l’adage in dubio pro reo. En cela, nos pénalistes respectent la frontière impartie

entre le droit et la morale. Pourtant la dissimulation n’est que partielle, il demeure possible

de retrouver, dans les énoncés même des auteurs, cette couleur particulière qui caractérise le

jeu de l’adage in dubio pro reo. On comprend dès lors pourquoi, de prime abord, le sens de

la règle du doute favorable avait pu paraître indéterminé. D’une part, l’indétermination

résulte de la difficulté de faire le départ entre les énoncés doctrinaux descriptifs, explicatifs

et prescriptifs qui s’entremêlent au sein du discours. D’autre part, l’indétermination, au sens

d’absence de précision, nous semble s’expliquer par la nature de la règle énoncée.

L’énonciation de la règle du doute favorable dans le discours doctrinal s’analyse comme la

formulation d’une règle morale à destination du juge, en direction de sa conscience et de sa

raison à la fois. Elle doit se présenter comme un impératif, un commandement dont il n’est

pas question de discuter ou d’apprécier la valeur. Il s’agit en effet d’une valeur en soi qu’il

se doit de respecter1204.

Il faut cependant bien admettre que la signification de la présomption d’innocence ne

s’épuise pas dans le sens que revêt l’expression qui la désigne ou l’adage in dubio pro reo

qui l’exprime. La recherche d’une telle signification, dans la littérature savante, passe

également par l’analyse du discours sur les conséquences de la présomption d’innocence.

On l’a dit, les conséquences que l’on tire de la présomption d’innocence et qui, par un

certain retour des choses, permettent d’accéder à sa signification, se présentent elles aussi

de façon assez indéterminée. C’est le point qu’il convient désormais de développer.

1204 Le devoir ainsi mis à la charge du juge en matière de doute favorable se fait l’écho d’un devoir présenté comme plus général, celui de présumer l’innocence de la personne poursuivie. V. par exemple les termes employés par certains auteurs : l’inculpé « doit être présumé innocent », L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 257 ; « on doit présumer innocente toute personne accusée d'une infraction tant que sa culpabilité n'a pas été reconnue par un jugement irrévocable », J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n°9 ; « tout individu (…) doit être considéré comme innocent et devrait être traité comme tel, tant que sa culpabilité n’a pas été établie », G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op. cit., 20e éd., n ° 124.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

361

SECTION 2 : L’INDÉTERMINATION DES CONSÉQUENCES

311. Abstention et contradiction du discours. Au regard de la seule analyse des termes

servant à exprimer ou à définir la notion, il est apparu que le sens de la présomption

d’innocence était ouvert. L’indétermination relative de la définition semble autoriser une

recherche avancée des implications, des développements de la notion de présomption

d’innocence. Or, comme cela a pu être constaté à plusieurs reprises, le discours doctrinal

n’a manifestement pas exprimé tous les développements possibles de la présomption

d’innocence. Ceux-ci ont été, pour ainsi dire, abandonnés à d’autres voix, celle de la

jurisprudence européenne et celle du législateur français. Le discours doctrinal a ainsi

formulé le principe de la présomption d’innocence au regard de la preuve pénale en

cantonnant la signification de celui-ci à ce seul domaine. L’extension de la portée du

concept est le fruit d’autres autorités et cette extension réagit nécessairement sur la

signification qu’il convient de reconnaître à la présomption d’innocence. La doctrine

juridique du droit pénal a cessé, en quelque sorte, de parler pour laisser s’exprimer d’autres

discours. L’analyse de la littérature ayant pour objet la présomption d’innocence est à cet

égard révélatrice, elle montre que le discours doctrinal change de nature, il se fait beaucoup

plus descriptif, beaucoup moins prescriptif et prospectif. C’est donc à ce premier égard que

l’on peut parler d’indétermination des conséquences de la présomption d’innocence.

L’indétermination résulte d’un silence de la doctrine qui semble refuser de s’engager dans

une réflexion trop poussée des implications possibles de la présomption d’innocence, il

s’agit donc là d’un choix de ne pas déterminer (§1).

L’indétermination des conséquences de la présomption d’innocence dans le discours

peut également s’entendre différemment, au sens d’imprécision ou d’incertitude. Cette

indétermination-là résulte d’une représentation problématique de la situation faite à la

personne poursuivie dans le procès pénal. Cette situation, tantôt regardée comme protectrice

en raison de la présomption d’innocence, tantôt regardée comme hypocrite ou fictive, en

raison de multiples présomptions de culpabilité, conduit à déceler dans le discours doctrinal,

la formulation d’un paradoxe que l’on proposera de dénommer : le paradoxe du présumé

innocent, présumé coupable (§2).

§ 1. LE CHOIX DE L’INDÉTERMINATION

312. Une abstention prudente. Ce qui peut s’analyser comme un choix de

l’indétermination des conséquences par la doctrine pénale, mérite que l’on s’attache tout

d’abord à en donner une illustration. L’indétermination des conséquences apparaît en effet à

Le discours sur l’objet

362

travers plusieurs exemples relevant du droit à être traité conformément à la présomption

d’innocence (A). Ce choix mérite en outre, sinon d’être expliqué, du moins que l’on

s’attache à formuler des hypothèses pouvant le justifier. La prudence de la doctrine pourrait

être une hypothèse générale qu’il conviendra alors de formuler (B).

A- L’INDÉTERMINATION DU DROIT À ÊTRE TRAITÉ CONFORMÉMENT À LA PRÉSOMPTION

D’INNOCENCE

313. Plan. Dans un certain souci de rendre effectif le principe de la présomption

d’innocence, jurisprudence européenne et législateur français ont, ces dernière décennies,

énoncé de nouvelles implications de la présomption d’innocence qui débordent la question

de la preuve pénale. La doctrine a eu une tendance à rester en retrait de ces innovations, en

ne les suscitant pas mais aussi en les accueillant parfois tièdement. En contrepoint, on peut

en outre observer que face à certaines institutions de notre procédure pénale, la doctrine

prend soin de ne pas formuler un certain nombre de questions de compatibilité que

pourraient soulever la présomption d’innocence.

1) La détermination des implications de la présomption d’innocence par la

jurisprudence et le législateur

« Le droit à être traité conformément à la présomption d’innocence », expression

relativement indéterminée et reprise de l’ouvrage de MM. Guinchard et Buisson, bien qu’il

se présente comme une évidence au titre des conséquences de la présomption d’innocence,

et bien qu’il ait été admis en doctrine de longue date, n’a pourtant pas attiré outre mesure

l’attention des auteurs. Certes, les criminalistes ont toujours énoncé que la présomption

d’innocence impliquait, au titre de la liberté individuelle, que l’on limite au strict nécessaire

les atteintes portées à cette liberté par la détention avant jugement, le contrôle judiciaire et

la garde à vue. Au-delà de la question de la liberté individuelle, les implications de la

présomption d’innocence n’ont pas fait l’objet des spéculations doctrinales. Sans prétendre

donner ici un aperçu exhaustif des apports de la jurisprudence et du législateur, on peut

retenir quelques exemples pour lesquels la doctrine a abandonné le soin à d’autres de dire ce

que l’on pouvait entendre par présomption d’innocence.

314. Le droit de ne pas être présenté comme coupable. On peut ranger sous cette formule

aussi bien les solutions retenues par la jurisprudence européenne sur le fondement de

l’article 6§2 de la Convention, que le droit au respect de la présomption d’innocence

introduit en France par la loi du 4 janvier 1993. La Commission européenne puis la Cour

ont, assez tôt, découvert de nouvelles implications à la présomption d’innocence au-delà de

la charge de la preuve. Ainsi, la jurisprudence a-t-elle précisé que la présomption

d’innocence impliquait le droit pour la personne poursuivie de ne pas être considérée et

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

363

présentée comme coupable par un juge avant qu’une décision définitive ne soit rendue à son

encontre. Plusieurs décisions sont ainsi venues sanctionner les propos de magistrats.

Dans l’affaire Minelli c. Suisse1205, les magistrats suisses avaient du reconnaître que

l’infraction pour laquelle ce journaliste était poursuivi était prescrite, mais avait condamné

M. Minelli au paiement de frais de procédure et de dépens au profit des plaignants. Le

problème soulevé sous l’angle de l’article 6§2 résultait de la motivation de cette décision.

Les juges avaient en effet décidé d’imputer ces frais en relevant que : « Il faut donc

supposer que, si la prescription n'était pas intervenue, l'article contre lequel plainte a été

déposée aurait très probablement conduit à la condamnation de l'accusé». La cour relève

que par ces motifs les juges présentaient comme établis les agissements dénoncés par les

plaignants et se montraient convaincus de la culpabilité du prévenu. Elle devait conclure, en

application de sa jurisprudence1206, que les magistrats s’étaient livrés à des appréciations

incompatibles avec le respect de la présomption d'innocence1207. Dans l’affaire Sekanina c.

Autriche, une cour d’assise avait acquitté l’accusé poursuivi pour meurtre mais les

magistrats d’une cour d’appel avaient refusé de faire droit à la demande de M. Sekanina

tendant à obtenir une indemnisation pour la détention provisoire qu’il avait subie. Cette fois,

le requérant avait été « présenté comme coupable » après une décision devenue définitive le

déchargeant de l’accusation. Les magistrats autrichiens avaient en effet refusé

l’indemnisation en relevant que « Les jurés ont estimé les soupçons insuffisants pour

justifier un verdict de culpabilité, mais on ne saurait parler d'une dissipation de ceux-ci ».

La Cour européenne estima alors que, ces affirmations « laissaient planer un doute tant sur

l'innocence du requérant que sur le bien-fondé de la décision de la cour d'assises. Malgré

l'existence d'un arrêt définitif d'acquittement, les juridictions saisies de la demande

d'indemnité se livrèrent à une appréciation de la culpabilité de M. Sekanina sur la base

d'éléments du dossier de la cour d'assises. L'expression de soupçons sur l'innocence d'un

accusé se conçoit tant que la clôture des poursuites pénales n'emporte pas décision sur le

bien-fondé de l'accusation, mais on ne saurait s'appuyer à bon droit sur de tels soupçons

après un acquittement devenu définitif. Par conséquent, le raisonnement du tribunal

régional et de la cour d'appel de Linz se révèle incompatible avec le respect de la

présomption d'innocence »1208. On sait en outre, grâce à l’affaire Allenet de Ribemont qui

concernait spécialement la France1209, que la Cour européenne n’a pas entendu limiter le

1205 V. également supra, n° 249. 1206 Selon laquelle : « Aux yeux de la Cour, la présomption d'innocence se trouve méconnue si, sans établissement légal préalable de la culpabilité d'un prévenu et, notamment, sans que ce dernier ait eu l'occasion d'exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu'il est coupable ». 1207 Affaire Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, série A, n° 62, § 38. 1208 Affaire Sekanina c. Autriche, 25 août 1993, série A, n° 266-A, § 30. 1209 V. supra, n° 249.

Le discours sur l’objet

364

bénéfice de la présomption d’innocence à l’attitude des magistrats mais également à toute

autorité publique. À l’occasion de cette affaire : « la Cour estime qu'une atteinte à la

présomption d'innocence peut émaner non seulement d'un juge ou d'un tribunal mais aussi

d'autres autorités publiques »1210. Elle avait conclu en l’espèce à une violation de l’article

6§2 résultant des propos tenus à la presse par le ministre de l’intérieur français. Ces propos

étaient analysés comme une véritable déclaration de culpabilité en ce que leur auteur

« d'une part, incitait le public à croire en celle-ci et, de l'autre, préjugeait de l'appréciation

des faits par les juges compétents »1211. Ces conséquences nouvelles reconnues à la

présomption d’innocence par le juge européen contribuent donc à en élargir la signification.

Or, cet élargissement n’a été ni anticipé ni encouragé par les pénalistes français. La

neutralité avec laquelle ces décisions sont relatées dans le discours doctrinal ne permet

même pas de dire si la doctrine y est ou non favorable, elle se contente de prendre acte de

ces conséquences au regard de l’article 6§21212.

Inspirée par ces avancées européennes, la loi du 4 janvier 1993 a formulé un droit au

respect de la présomption d’innocence qui ne doit pas davantage aux réflexions doctrinales.

Tout au plus, peut-on supposer que les suggestions formulées en ce sens par l’avocat Henri

Leclerc1213, ont conduit la commission Delmas-Marty dont il faisait partie, à proposer de

concevoir une action en référé sur le modèle de l’article 9 du Code civil afin d’obtenir la

suppression ou la rectification des informations portant atteintes à la présomption

d’innocence. En dehors de cette proposition, qui n’avait d’ailleurs pas été reprise dans le

projet de loi initial mais seulement introduite en cours de discussion par voie

d’amendement, la doctrine n’a pas imaginé que la présomption d’innocence puisse autoriser

la personne poursuivie à dénoncer les déclarations publiques portant sur sa culpabilité.

Certes, les pénalistes ont porté leurs réflexions sur la violation du secret de l’instruction, qui

se trouve souvent à la source de ces déclarations, mais n’ont pas su imaginer un droit pour

la personne poursuivie à faire respecter sa présomption d’innocence.

Le droit de n’être pas considéré et présenté comme coupable peut impliquer, à l’instar de

ce que décide la jurisprudence européenne, que l’on s’attache aux mots employés pour

décrire la situation d’une personne poursuivie dans le cours d’un procès pénal. L’absence de

préjugement de culpabilité passe donc aussi par le langage. La doctrine n’y a pas vraiment

porté attention. Elle a d’ailleurs plutôt raillé la suppression du terme inculpation ou profit de

celui de mise en examen qui, selon elle, ne changerait rien. Il ne s’est peut-être trouvé que

le professeur Jeandidier pour encourager une telle réforme. L’auteur avait en effet signalé

1210 Affaire Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, série A, n° 308, §30. 1211 Affaire Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, § 41. 1212 V. supra, n° 249. 1213 V. supra, n° 210.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

365

que l’étymologie du mot « inculpé » le condamnait assurément au regard d'une présomption

d'innocence clairement comprise et il suggérait en conséquence au législateur d’en inventer

un qui serait moins compromettant1214. La force de conviction de cette opinion doctrinale

mérite d’autant plus l’admiration qu’elle semble n’avoir été le fruit que d’un seul auteur. Il

faut reconnaître que l’ensemble de la doctrine est demeurée étrangère à la question du poids

des mots dans le respect ou la progression de la présomption d’innocence. On trouve

néanmoins une telle préoccupation désormais clairement exprimée chez MM. Guinchard et

Buisson qui estiment que le langage juridique a « son importance en ce qu’il doit maintenir

intacte la présomption d’innocence »1215.

315. L’indemnisation de la détention provisoire. C’est au titre du renforcement de la

protection de la présomption d’innocence que la loi du 15 juin 2000 a grandement amélioré

les conditions d’indemnisation des détentions provisoires après prononcé d’un non-lieu,

d’une relaxe ou d’un acquittement. Le législateur a donc considéré qu’une telle

indemnisation était impliquée par la pleine reconnaissance de la présomption d’innocence.

Il ne nous semble pas que la doctrine pénale ait spécialement considéré cela de la sorte.

La loi de 1970 avait ouvert un droit à indemnisation des détentions à charge, pour ceux

qui y avaient été placés, de démontrer l’existence d’un préjudice manifestement anormal et

d'une particulière gravité. Il s’agissait là de conditions restrictives mais la loi du 17 juillet

1970 sur la détention provisoire marquait une avancée. On peut penser que cette réforme est

directement inspirée de la doctrine dans la mesure où le professeur Léauté avait publié un

plaidoyer en ce sens peu de temps avant1216. Pourtant, les propos de cet auteur n’étaient

guère favorables à la personne poursuivie. En tout état de cause, les conditions

d’indemnisation qu’il développait n’étaient pas fondées sur la présomption d’innocence,

loin s’en faut. M. Léauté estimait tout d’abord que « l’indemnisation devrait être limitée au

préjudice exceptionnellement grave causé à un citoyen dont l’innocence ne ferait finalement

plus aucun doute ». Puis il proposait de la subordonner à deux conditions. La première

consistait pour la victime de la détention à rapporter pas moins que la preuve de son

innocence. L’auteur justifie cette solution en expliquant que « La présomption d’innocence

ne saurait la décharger de cette obligation. Elle couvre tous les inculpés et le doute profite

à certains coupables, lesquels ne méritent pas d’être indemnisés. Au demandeur 1214 W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 50. 1215 S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op.cit., n° 477, adde. n° 378. 1216 J. LÉAUTÉ, Pour une responsabilité de la puissance publique en cas de détention préventive abusive, D. 1966, chr., p. 61. L’influence de cet auteur est d’ailleurs supposée par M. Pradel, Procédure pénale, op. cit., 10e éd., n° 698 ; et confirmée par une autre auteur : A. TOUFFAIT, Des principes applicables à l’allocation de l’indemnité réclamée à raison d’une détention provisoire, D. 1971, chr., p. 193. Le pénaliste n’était d’ailleurs pas seul à inviter le législateur à procéder à une telle indemnisation, MM. Vedel et Durry la réclamaient eux aussi et tout trois s’accordaient pour la faire dépendre de la preuve de l’innocence de la personne ayant bénéficié d’un non-lieu, d’un acquittement ou d’une relaxe. Cette proposition fut mise en œuvre par certains tribunaux en 1969 mais ne fut pas retenue par la loi de 1970.

Le discours sur l’objet

366

incomberait de se distinguer par la démonstration de sa complète innocence»1217. On le

voit, l’indemnisation proposée par M. Léauté ne s’inscrit pas dans la logique de la

présomption d’innocence. La deuxième condition formulée par l’auteur résidait dans la

démonstration que le dommage subi du fait de la détention excédait ce que l’égalité devant

les charges publiques permet d’infliger à un citoyen innocent. Car, il faut le rappeler,

l’indemnisation préconisée ne pouvait concerner que la détention abusive et non pas

n’importe quelle détention subie avant un non lieu, une relaxe ou un acquittement1218.

Dans les années 1990, c’est le rapport sur la mise en état des affaires pénales qui

abordait cette question de l’indemnisation. Si la commission justice pénale et droits de

l’homme proposait d’élargir l’indemnisation des détentions, seules étaient cependant visées

les détentions abusives. Le rapport abordait en effet l’indemnisation de la détention sous

l’angle du principe de légalité et non pas sous celui de la présomption d’innocence. En effet

c’est au regard des dispositions de l’article 5§5 de la Conv. EDH que la commission

entendait proposer un recours à toute personne victime d’une privation de liberté ordonnée

ou exécutée en violation des règles légales1219. Une loi du 30 décembre 1996 s’était

contentée de supprimer de l’article 149, dans sa rédaction datant de 1970, l’exigence d’un

préjudice « manifestement anormal et d’une particulière gravité » pour se contenter d’un

préjudice tout court. La loi du 15 juin 2000 prévoit désormais un droit à réparation

systématique du préjudice moral et matériel à raison d’une détention, pourvu que suite à une

décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement, la personne concernée en fasse la

demande.

Depuis la proposition de M. Léauté jusqu’à la dernière rédaction de l’article 149 du

Code de procédure pénale en passant par la loi de 1970, on le voit les conditions

d’indemnisation des détentions se sont assouplies pour devenir très favorables aux victimes

de détentions injustifiées. Il convient d’ailleurs de signaler que pour la Cour EDH, la

présomption d’innocence de l’article 6§2 de la Convention n’implique pas l’obligation pour

les États de prévoir une indemnisation pour une détention ordonnée dans le respect des

conditions de l’article 51220. Le dernier état de notre droit positif a-t-il été inspiré des

1217 J. LÉAUTÉ, Pour une responsabilité de la puissance publique en cas de détention préventive abusive, op. cit., p. 63. 1218 L’auteur estimait en effet que nous sommes tous à la merci d’un dommage individuel causé par l’instruction des affaires pénales et qu’il est inévitable que le lot des inculpés placés en détention préventive comprenne des innocents. Mais, ajoutait-il, un moment vient où le sacrifice particulier dépasse la limite compatible avec l’aléa général. 1219 COMMISSION JUSTICE PÉNALE ET DROITS DE L’HOMME, La mise en état des affaires pénales, op. cit., fiche n° 19. 1220 Elle l’a rappelé à plusieurs occasions : Affaire Englert c. Allemagne, 25 août 1987, série A, n° 123 ; Affaire Sekanina c. Autriche, 25 août 1993, série A, n° 266. En revanche, comme dans ce dernier arrêt déjà cité supra, la Commission et la Cour estiment que l'article 6 §2 ne reconnaît pas à l'accusé le droit à un dédommagement pour une détention provisoire conforme aux exigences de l'article 5 mais ont admis cependant qu’une décision refusant à un accusé, après l'arrêt des poursuites, une réparation pour détention

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

367

propositions doctrinales visant à tirer de la présomption d’innocence une indemnisation sans

condition ? Il ne semble pas. Sauf à s’intéresser à la riche contribution du doyen Favoreu

lors de son audition devant la commission Truche en 19971221. Ce constitutionnaliste, après

avoir longuement regretté l’ignorance et le désintérêt des pénalistes pour les aspects

constitutionnels du droit pénal et de la procédure pénale, avait proposé au législateur

d’accorder beaucoup plus largement réparation à tous ceux qui obtiennent un non-lieu ou un

acquittement après une détention provisoire. Il justifiait cette proposition par le recours au

principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques qui permettrait de détacher la

question de l’indemnisation de toute idée de faute1222. Pour terminer, on observera que

depuis l’entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, rares sont les auteurs à présenter la

réparation pour détention provisoire au titre des conséquences de la présomption

d’innocence1223.

316. La question du droit au silence. Toujours au titre du renforcement de la présomption

d’innocence et donc de ses implications pratiques, la loi du 15 juin 2000 avait tenu à faire

figurer dans le Code de procédure pénale, et non pas à le consacrer, le droit au silence de la

personne poursuivie. À vrai dire, la Cour EDH avait eu l’occasion, là encore à plusieurs

reprises, de reconnaître une telle faculté à l’accusé pénal1224. La loi de 2000 avait finalement

complété l’information prévue par l’article 116 du Code de procédure pénale, relatif à la

première comparution devant le juge d’instruction (le juge devant avertir la personne

qu’elle a le droit ne pas répondre aux questions posées), en insérant dans l’article 63-1 du

Code une indication similaire pour la garde à vue. Ainsi, la personne placée en garde à vue

se voyait-elle « informée qu'elle a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui seront

posées par les enquêteurs ». Mais cette manifestation trop éclatante du droit de se taire a provisoire, peut soulever un problème sous l'angle de l'article 6§2 si des motifs indissociables du dispositif équivalent en substance à un constat de culpabilité sans établissement légal préalable de celle-ci. 1221 Adde. P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 231 à 233, qui plaidait dans sa thèse de doctorat pour une indemnisation systématique. 1222 In Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Annexes, op. cit., p. 174. 1223 V. cependant, S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 376 et C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 100. 1224 La cour vise sous le droit au silence non seulement le droit de se taire mais aussi le droit de ne pas s’auto-incriminer. Dans l’arrêt Funke c. France, elle avait condamné la France suite à une condamnation du requérant par les douanes qui avait pour seul but de l’obliger à fournir des preuves contre lui. Toutefois, dans cette décision, la condamnation prononcée par la Cour intervient sur le fondement de l’article 6§1 relatif au procès équitable et non sur la présomption d’innocence de l’article 6§2. Dans l’arrêt John Murray c. Royaume-Uni, le requérant avait conservé le silence d’un bout à l’autre de la procédure intentée contre lui, la Cour avait rappelé le droit de se taire pour tout accusé (Il ne fait aucun doute que, même si l'article 6 (art. 6) de la Convention ne les mentionne pas expressément, le droit de se taire lors d'un interrogatoire de police et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable consacrée par l'article 6) mais avait dû conclure à l’absence de violation des § 1 et 2 de l’article 6 car le requérant qui avait été plusieurs fois averti des conséquences éventuelles de son silence, ne pouvait, aux vues des circonstances de l’espèce, se plaindre de ce que les juges avaient tiré de son silence des indices supplémentaires de culpabilité. Pour la Cour européenne, il y a bien un droit à conserver le silence sans que celui-ci puisse être absolu.

Le discours sur l’objet

368

suscité la polémique et surtout la colère des policiers ; si bien que la loi du 4 mars 2002,

complétant la loi du 15 juin 2000, est venue reformuler l’information comme suit : « La

personne gardée à vue est également immédiatement informée qu'elle a le choix de faire des

déclarations, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de se taire ». La loi du 18

mars 2003 pour la sécurité intérieure a finalement supprimé cette mention1225. Il est de toute

façon admis que le droit au silence existe implicitement en droit interne car, a fait remarqué

M. Pradel, le refus de parler n’est pas incriminé et la charge de la preuve incombant à

l’accusation, le prévenu n’est pas tenu de collaborer avec la justice. Cela dit, la véritable

question du droit au silence n’est pas de savoir si l’on peut être forcé de parler mais celle de

savoir quelles peuvent être les conséquences juridiques d’un tel refus. Or, on sait par

exemple que le juge, dans un système d’intime conviction, pourra toujours tirer les

conclusions que bon lui semble du silence de l’accusé. Il semblerait néanmoins que le droit

au silence interdise au juge de fonder sa conviction de culpabilité sur le seul silence de la

personne poursuivie.

Reste à se demander si le discours doctrinal tient ce droit au silence pour une

conséquence de la présomption d’innocence. La littérature juridique française n’a accueilli

l’expression « droit au silence » qu’assez tardivement et par mimétisme avec le droit anglo-

saxon1226. Une partie de la doctrine a effectivement appelé de ses vœux une consécration

formelle du droit au silence, particulièrement au stade de la garde à vue. Toutefois, il n’est

pas certain que les pénalistes tiennent pour autant le droit au silence comme une

conséquence de la présomption d’innocence1227.

Il est vrai que le rapport de la commission justice pénale et droits de l’homme admettait

effectivement, au titre des prolongements de la présomption d’innocence, qu’il convenait

d’avertir l’accusé de son droit au silence. Il est vrai également que paraissait en 1997, une

étude de droit comparé qui, après avoir relever que l’Angleterre remettait désormais en

cause ce droit, plaidait néanmoins pour sa reconnaissance en procédure pénale française.

Les auteurs jugeaient en effet que ce droit constitue une « manifestation externe » de la

présomption d’innocence1228. Toutefois, si les propositions de réforme du Code de

procédure pénale de Mme Rassat contenaient un titre entier consacré à la preuve, dont un

1225 La discussion parlementaire des amendements tendant à supprimer cette notification a montré que cette disposition avait été ressentie comme particulièrement humiliante par l'ensemble des policiers et gendarmes et qu’il ne s'agissait pas du tout de retirer un droit (de se taire) mais de supprimer une obligation (notifier ce droit) qui mettait les policiers dans « une dramatique situation d'infériorité psychologique au début d'une enquête », JO AN, 17 janvier 2003, p. 256-257. 1226 CH. GIRARD, Culpabilité et silence en droit comparé, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 18. 1227 V. cependant : CH. GIRARD, Culpabilité et silence en droit comparé, op. cit. , p. 129-130 qui estime qu’en France, contrairement aux juristes anglais, on établit un lien de dépendance entre présomption d’innocence et droit au silence. La première étant fragile, la reconnaissance du second le serait également. 1228 A.-J. BULLIER et F.-J. PANSIER, De la religion de l’aveu au droit au silence ou faut-il introduire en France le droit au silence des pays de common law ? Gaz. Pal. 1997, 1, p. 211, n° 27.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

369

article 7 prévoyait notamment « La personne poursuivie n'est tenue de participer ni au

rassemblement ni à la discussion des preuves produites contre elle ou en sa faveur. Elle

peut garder le silence », l’auteur ne faisait pas dépendre explicitement ce droit de la

présomption d’innocence. La même remarque vaudrait pour l’appel au législateur lancé par

Didier Thomas1229. Par ailleurs, la commission de réflexion sur la justice présidée par Pierre

Truche, et qui a préparé l’élaboration de la loi du 15 juin 2000, avait bien relevé que le droit

de se taire n’était pas notifié à la personne gardée à vue, mais n’avait pas proposé de

l’inscrire dans le code. Se fondant désormais uniquement sur la jurisprudence européenne,

certains auteurs, à vrai dire en faible nombre, mentionnent le droit au silence ou celui de ne

pas s’accuser, comme l’une des nombreuses conséquences de la présomption

d’innocence1230. Il est alors difficile de dire si la doctrine a encouragé la reconnaissance

d’un lien logique entre la présomption d’innocence et le droit de conserver le silence ou de

ne pas contribuer à sa propre incrimination. Il est en tout cas difficile d’affirmer qu’elle y

serait favorable et cela d’autant plus si l’on a égard à certaines opinions critiques.

En effet, dans l’étude critique qu’il a consacrée à la présomption d’innocence, M.

Detraz y affirme que, le droit au silence et celui de ne pas s’auto-incriminer sont des libertés

et non pas des conséquences de la présomption d’innocence1231. On signalera en outre

l’opinion de M. Pradel exprimée au lendemain de la loi du 15 juin 2000 et qui juge

l’introduction du « droit au silence » dans le Code de procédure pénale comme une

« réforme de faible portée car de tout temps les personnes gardées à vue ont eu la

possibilité de ne pas répondre, les délinquants chevronnés l’ayant toujours su »1232 et

d’ajouter que, « ce droit se conçoit fort bien en système accusatoire où la preuve se fait en

dehors de l’accusé, mais moins bien dans un système inquisitoire où l’accusé doit plus ou

moins concourir à la recherche de la vérité »1233. Autant dire que M. Pradel n’était pas

véritablement favorable à la notification du droit au silence au gardé à vue et on pourrait

même se demander si les propos ci-dessus ne visent pas, au-delà de sa notification, le droit

lui-même.

De nouvelles conséquences de la présomption d’innocence ont donc été « découvertes »

et formulées par la jurisprudence européenne et la loi française sans que la doctrine les

encourage particulièrement. La doctrine ne semble pas très favorable à la recherche d’une

1229 D. THOMAS, Le suspect en quête d’un statut procédural, in Mélanges MICHEL CABRILLAC, Litec, Dalloz, 1999, p. 836, n° 29, qui estimait indispensable la notification de son droit au silence à la personne gardée à vue, sans rattacher cette exigence à la présomption d’innocence. 1230 Par exemple : PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 45 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 35 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123. 1231 S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 12. 1232 J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1042-1043. 1233 Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1124.

Le discours sur l’objet

370

signification plus étendue de la présomption d’innocence. C’est ce que quelques exemples

laissent également envisager lorsqu’on se penche sur la question de savoir si certaines

règles et institutions ne seraient pas en contradiction avec la présomption d’innocence.

2) L’absence de réflexion sur la compatibilité de certaines règles et institutions avec la

présomption d’innocence

317. Quelques exemples. Il ne s’agit ici que de retenir quelques exemples de questions qui

pourraient ou auraient pu être formulées au regard de la présomption d’innocence mais que

la doctrine n’a pas semblé souhaiter poser ouvertement. Il ne s’agit pas non plus de soutenir

que la présomption d’innocence est nécessairement contredite ou atteinte mais seulement de

montrer que, par exemple, les mesures alternatives aux poursuites, le contrôle judiciaire

socio-éducatif ou encore le dépistage de la conduite sous l’emprise de l’alcool ou de

stupéfiants, peuvent interroger la conception que la doctrine se fait de la présomption

d’innocence.

318. Les mesures alternatives aux poursuites. L’actuel article 41-1 du Code de procédure

pénale1234 prévoit toute une série de mesures que le procureur de la République peut prendre

au titre de l’opportunité des poursuites, c'est-à-dire avant toute mise en mouvement de

l’action publique.

On trouve ainsi, par exemple, la possibilité de proposer une mesure de médiation pénale.

Ce texte prévoit en effet que, s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la

réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction

ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits, le procureur de la République peut,

préalablement à sa décision sur l'action publique, faire procéder, avec l'accord des parties, à

une mission de médiation entre l'auteur des faits et la victime. La réussite d’une médiation

pénale, au terme de diverses rencontres avec un médiateur, et éventuellement avec

l’assistance d’un avocat, aboutira à une transaction au sens de l’article 2044 du code civil.

En revanche, l’échec de la médiation autorise le magistrat du parquet à engager les

poursuites. La médiation pénale, comme d’autres mesures alternatives aux poursuites, se

caractérise par l’évitement du procès pénal. Fondée sur la recherche de réparation des

victimes et sur la volonté de célérité de la justice, elle pourrait être regardée comme un

contournement ou une atteinte à la présomption d’innocence.

Cette opinion a en tout cas été émise. Mlle Voisin estime ainsi que la médiation pénale

est incompatible aussi bien avec la présomption d’innocence qu’avec les droits de la

défense1235. Cette mesure suppose en effet, selon les termes de l’article 41-1, que le

1234 Dont la rédaction résulte en dernier lieu de la Loi nº 2005-1549 du 12 décembre 2005, art. 35. 1235 S. VOISIN, La médiation pénale est-elle juste ? PA. 2002, n° 170, p. 51.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

371

procureur tienne la personne concernée pour l’auteur des faits, et cela en dehors de tout

procès. Par sa seule acceptation de la médiation, qui suppose l’existence d’une infraction

puisque le procureur pourrait et pourra poursuivre, l’auteur des faits reconnaît sa culpabilité,

qu’elle soit d’ailleurs réelle ou fausse1236. On pourrait d’autant plus y voir un risque

d’atteinte à la présomption d’innocence que, si des poursuites sont finalement engagées, les

juges pourront semble-t-il utiliser la procédure de médiation pour en tirer des constatations

contre l’auteur des faits1237. Hormis cette étude de Mlle Voisin, il ne semble pas que la

doctrine juge la médiation pénale contraire à la présomption d’innocence. Pourtant, la

personne ici seulement suspecte d’être l’auteur des faits, et non pas poursuivie, est

normalement protégée par la présomption d’innocence au sens de l’article préliminaire du

Code de procédure pénale, et de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme.

319. Le contrôle socio-judiciaire éducatif. Avant même qu’il soit officiellement consacré

par la loi du 15 juin 2000, Christophe Cardet avait essayé d’attirer l’attention de la doctrine

sur la possible incompatibilité entre cette « mesure de sûreté » et la présomption

d’innocence1238. Il est vrai que le contrôle socio-judiciaire éducatif, comme le contrôle

judiciaire et la détention provisoire, constitue déjà, en soi, une atteinte à la présomption

d’innocence, dès lors qu’il vient limiter la liberté individuelle de celui qui en est l’objet, et

se trouve « dénoncé » en tant que tel par nombre d’auteurs. Toutefois, ce n’est pas

uniquement sous cet angle qu’il peut être suspect de porter atteinte à la présomption

d’innocence. Le principe du contrôle judiciaire, qui peut être ordonné par le juge

d’instruction ou le juge des libertés et de la détention consiste, est ainsi définit par l’alinéa 2

de l’article 138 du Code de procédure pénale : « Ce contrôle astreint la personne concernée

à se soumettre, selon la décision du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la

détention, à une ou plusieurs des obligations ci-après énumérées ». Le volet socio-éducatif

du contrôle est quant à lui prévu à l’article 138 alinéa 2 6° et consiste en ceci : « Répondre

aux convocations de toute autorité, de toute association ou de toute personne qualifiée

1236 S. VOISIN, La médiation pénale est-elle juste ? op. cit., p. 52, où l’auteur juge que parce que la médiation est uniquement axée sur la réparation et parce qu’il n’est même pas donné à l’auteur supposé des faits l’occasion d’apporter la preuve de son innocence, cette mesure élude le jeu de la présomption d’innocence. 1237 C’est ce qui résulte d’un arrêt de la chambre criminelle qui décide que, contrairement à ce qui se passe en en matière de médiation civile, les constatations du médiateur pénal et les déclarations qu'il recueille peuvent être évoquées devant le juge saisi du litige sans l'accord des parties. V. Cass. crim., 12 mai 2004, Bull. n° 121, qui décide dans une affaire de non-représentation d’enfant par une mère, que « contrairement à ce qui est allégué, les juges n'ont pas méconnu les dispositions de l'article 24 de la loi du 8 février 1995, lesquelles, en vertu de l'article 26 de cette même loi, ne sont pas applicables aux procédures pénales ». Pourtant, dans un précédent arrêt, la chambre criminelle avait décidé le contraire (Cass. crim., 28 février 2001, Bull. n° 54). Autrement dit, elle avait admis que l’article 24 alinéa 2 de la loi de 1995, selon lequel « Les constatations du conciliateur ou du médiateur et les déclarations qu'ils recueillent ne peuvent être évoquées devant le juge saisi du litige qu'avec l'accord des parties. Elles ne peuvent être utilisées dans une autre instance », s’appliquait à la médiation pénale. 1238 V. CH. CARDET, Rev.sc.crim., 1994, p. 508, Entre pré-peine et mesure de sûreté : le respect de la présomption d’innocence.

Le discours sur l’objet

372

désignée par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention et se soumettre,

le cas échéant, aux mesures de contrôle portant sur ses activités professionnelles ou sur son

assiduité à un enseignement ainsi qu'aux mesures socio-éducatives destinées à favoriser son

insertion sociale et à prévenir le renouvellement de l'infraction ». M. Cardet fait observer

que le contrôle socio-éducatif écarte la présomption d’innocence parce qu’il suppose un

minimum d’adhésion à la mesure resocialisante mais aussi parce que cette mesure intègre

des mécanismes qui anticipent sur le jugement final1239. Mais surtout, en prévoyant

expressément que les mesures socio-éducatives peuvent être destinées à « prévenir le

renouvellement de l'infraction », on s’aperçoit que le contrôle judiciaire socio-éducatif

constitue un préjugement sur la culpabilité qui a lieu pendant l’instruction, ce qui est bel et

bien contraire à la présomption d’innocence. L’atteinte apparaît d’autant plus importante

qu’il n’existe « aucun critère précis de déclenchement de l’intervention d’assistance » et

que le contrôle du contrôle judiciaire socio-éducatif par la Cour de cassation est quasi

inexistant1240. En effet, la Cour de cassation décide que les modalités des mesures de

contrôle décidées par les juridictions d’instruction n’ont pas à être motivées. L’atteinte à la

présomption d’innocence apparaît en outre plus clairement, et de façon paradoxale, avec la

loi du 15 juin 2000 qui a introduit dans le Code de procédure pénale, à la fois la

présomption d’innocence à l’article préliminaire et cette mesure à l’article 138 alinéa 2

6°1241. De cette incompatibilité, le discours doctrinal ne dit mot. De ce silence, il est tout à

fait possible de conclure que les pénalistes ne voient là aucune atteinte à la présomption

d’innocence. Par là, ils limitent implicitement ses conséquences ainsi que sa signification.

320. Le dépistage de l’alcool ou de stupéfiants au volant. La compatibilité des

dispositions relatives aux contrôles des conducteurs de véhicule, pourrait être elle aussi

soulevée. En effet, le Code de la route prévoit, en dehors de toute implication dans un

accident, des contrôles préventifs et aléatoires visant à dépister l’éventuelle alcoolémie des

conducteurs. C’est ainsi que l’article L. 234-9 alinéa 1 de ce code dispose que, les officiers

ou agents de police judiciaire peuvent, « même en l’absence d’infraction préalable ou

d’accident, soumettre toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève

conducteur à des épreuves de dépistage de l’imprégnation alcoolique».

Ce texte présente plusieurs difficultés au regard de la présomption d’innocence. Elles

sont liées aux suites qui seront données à ce dépistage. Tout d’abord, l’épreuve de

l’alcootest ne saurait à elle seule fournir la preuve d’une conduite sous l’emprise de l’alcool.

Si elle s’avère positive, il sera procédé conformément à l’alinéa 2 du texte, qui prévoit

que : « Lorsque les épreuves de dépistage permettent de présumer l'existence d'un état

1239 Rev.sc.crim., 1994, p. 508. 1240 CH. CARDET, L’incontrôlable contrôle judiciaire « socio-éducatif », D. 2002, p. 1222-1223, n° 7 et 8. 1241 CH. CARDET, L’incontrôlable contrôle judiciaire « socio-éducatif », op. cit. , n° 10.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

373

alcoolique, les officiers ou agents de police judiciaire font procéder aux vérifications

destinées à établir la preuve de l'état alcoolique au moyen de l'appareil permettant de

déterminer la concentration d'alcool par l'analyse de l'air expiré, mentionné aux

articles L. 234-4 et L. 234-5 et dans les conditions prévues par ces mêmes articles ». Il

s’agit donc, par ces vérifications, d’obtenir la preuve de la commission de l’infraction de

conduite sous l’emprise d’un état alcoolique prévue à l’article L. 234-1(I)1242. Ce qui paraît

choquant dans ces dispositions, c’est l’arbitraire qui préside à leur mise en œuvre et qui

aboutit à rechercher la preuve d’une infraction dont on ne sait absolument pas si elle existe.

L’infraction sera présumée à partir seulement du dépistage, lequel est arbitrairement mis en

œuvre puisque les personnes contrôlées sont choisies aléatoirement, en l’absence de tout

signe laissant supposer qu’elles ont pu commettre l’infraction. Les conducteurs présumés

innocents sont alors présumés coupables. Pire, ces conducteurs n’ont d’autre choix que de

concourir à leur propre incrimination puisque la loi ne leur permet pas de refuser de se

soumettre aux vérifications de l’éthylomètre. Il faut signaler en effet que, «Le fait de refuser

de se soumettre aux vérifications prévues par l'article L. 234-9 est puni de deux ans

d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende»1243.

Les pénalistes affirment souvent qu’en dehors de tout procès, de toute poursuite, il n’y a

pas de place pour la présomption d’innocence. Il faut, pour que cette présomption puisse

jouer, qu’il existe déjà des indices laissant présumer la culpabilité, bref qu’une certaine

« présomption de culpabilité » ait déjà commencé à jouer elle-même. Dans notre exemple,

rien de tel puisque l’on se situe en amont de toute poursuite. Il nous semble que la

présomption d’innocence est respectée lorsque les autorités judiciaires sont mues par une

suspicion légitime1244, et ce n’est pas le cas lorsqu’on soumet un conducteur à un dépistage

de l’alcool en dehors de toute infraction, de toute implication dans un accident ou de tout

signe manifeste d’ivresse.

Ce qui est également intéressant à observer, c’est que le législateur a souhaité adopter les

mêmes mesures préventives et répressives à l’égard des conducteurs consommateurs de

produits stupéfiants. Il a alors, sur le modèle des articles L. 234-1 et suivants relatifs à la

conduite sous l’emprise de l’alcool, crée les articles L. 235-1 et suivants du code de la route

incriminant la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme

stupéfiants. La proposition de loi prévoyait d’insérer un article L. 235-4 relatif au dépistage

1242 Pour mémoire : « Même en l'absence de tout signe d'ivresse manifeste, le fait de conduire un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par une concentration d'alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,80 gramme par litre ou par une concentration d'alcool dans l'air expiré égale ou supérieure à 0,40 milligramme par litre est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende». 1243 Article L. 234-10 alinéa 1 du Code de la route. 1244 F. DEFFERRARD, La suspicion légitime, Paris, LGDJ, 2000.

Le discours sur l’objet

374

aléatoire, par analogie avec l’article L. 234-91245. Ce qui, selon les observations

précédentes, pouvait rendre le texte contraire à la présomption d’innocence. Toutefois, cette

proposition a fait l’objet d’un amendement de la commission des lois tendant à préciser les

conditions dans lesquelles un dépistage peut être effectué en dehors des cas d’accident. Cet

amendement, qui a finalement été voté, proposait d’insérer après les mots « toute

personne » la précision suivante : « à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs

raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis l’infraction définie à l’article L. 235-2 à

des épreuves de dépistage… ». Ainsi retrouve-t-on cette précision dans la version définitive

du texte1246 et en dernier lieu dans l’article L. 235-2 alinéa 2 du Code de la route. On le voit

donc, le dépistage aléatoire de conduite sous l’emprise de la drogue se sépare finalement de

celui de l’alcool. L’exigence d’une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que le

conducteur a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, rejoint les

conditions légales requises pour toutes les mesures attentatoires à la liberté individuelle, à

commencer par la garde à vue. Ici, la mise en œuvre du contrôle est fondée sur une

suspicion légitime qui ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence1247. Demeure

néanmoins, comme pour le dépistage de l’alcool, l’atteinte qui résulte de l’obligation de se

soumettre aux vérifications1248, autrement dit celle qui résulte de l’obligation de participer à

sa propre incrimination. Alors même que la doctrine n’a pas ménagé ses critiques à l’égard

de la présomption de responsabilité qui existe à l’encontre du propriétaire d’un véhicule

stationné illicitement, arguant que la présomption d’innocence était atteinte, peu important

la faible gravité de l’infraction et de la peine (d’amende), on peut être étonné de son silence

face à de telles dispositions. Le fait que la jurisprudence européenne ait eu l’occasion de

1245 « Les officiers de police judiciaire (…) peuvent, même en l'absence d'infraction préalable ou d'accident, soumettre toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève conducteur, à des épreuves de dépistage de la présence dans l'organisme de plantes ou de substances classées comme stupéfiants. Lorsque les épreuves de dépistage permettent de présumer l'existence d'une emprise de plantes ou de substances classées comme stupéfiants, les officiers ou agents de police judiciaire font procéder aux vérifications destinées à établir la preuve de cet état dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État», Proposition de loi n°194 du 20 septembre 2002, article 1er. 1246 Loi n° 2003-87 du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants, article 1er 2°, JO. n° 29 du 4 février 2003 page 2103. 1247 On pourrait s’étonner de ce que la législation est finalement plus protectrice des consommateurs de drogue que des consommateurs d’alcool, alors même que les premiers, violent la loi avant même d’avoir pris le volant, ce qui n’est pas (encore ?) le cas des seconds. En pratique, il paraît difficile d’imaginer comment les officiers de police judiciaire pourront découvrir qu’il existe des raisons plausibles que le conducteur a consommé de la drogue. Sauf à considérer que c’est à l’occasion d’un dépistage aléatoire de l’alcoolémie qu’ils pourront soupçonner la consommation de drogue. 1248 Article L. 235-3 (I) : « Le fait de refuser de se soumettre aux vérifications prévues par l'article L. 235-2 est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 Euros d'amende».

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

375

juger que l’article 6§2 n’était pas violé dans une telle hypothèse1249 ne semble pas une

raison suffisante.

Après avoir donner quelques illustrations de l’indétermination des conséquences de la

présomption d’innocence dans le discours doctrinal, il faut tenter de rechercher les raisons

de ce que l’on pourrait qualifier la « réserve » des auteurs.

B- PRUDENCE DE LA DOCTRINE ?

321. L’hypothèse d’un silence prudent. « La présomption d’innocence se laisse définir a

contrario à partir des atteintes qui peuvent lui être portées » enseignait le doyen

Carbonnier1250. La littérature juridique pénale énumère un certain nombre d’atteintes et en

passe manifestement d’autres sous silence. Par là, elle contribue à définir la présomption

d’innocence, à lui conférer sa signification. Il est indéniable que la doctrine pénale a

toujours largement insisté sur la signification probatoire de la présomption d’innocence et

beaucoup moins sur ce que les auteurs analysent comme l’extension de sa portée par le

législateur ou la jurisprudence. M. Badinter croyait ainsi pouvoir conclure que la

jurisprudence européenne avait réussi là où des générations de juristes français avaient

échoué1251. Là question se pose de savoir s’il s’agit d’un échec ou d’une abstention

volontaire ou involontaire, consciente ou non. À cet égard, on pourra rappeler l’étonnement

manifesté par Jacques-Henri Robert en découvrant que la chambre criminelle avait invoqué

d’office l’article 6§2 de la Convention européenne dans sa décision du 19 mars 1986. Il

jugeait que cette décision n’était « pas exempte d’une témérité très contraire aux traditions

de la chambre criminelle car la présomption d’innocence a, en droit interne, valeur

constitutionnelle comme étant inscrite dans l’art.9 de la Déclaration des droits de

l’homme ; et, si l’on en développait toutes les conséquences, certaines institutions comme la

détention provisoire ou la liberté des preuves en matière pénale pourraient être remises en

question »1252. À vrai dire, bien des règles ou institutions de notre procédure pénale

pourraient se voir remises question par la présomption d’innocence. Cette remarque laisse

alors supposer que la doctrine n’entend pas se laisser aller à la même témérité que la Cour

de cassation. La témérité consisterait à trop vouloir déterminer les conséquences de la

présomption d’innocence. À cet égard, on pourrait dire de nos criminalistes qu’ils font

preuve de la première des vertus cardinales : la prudence1253. Mais si tel est le cas, il

1249 M. VAN DE KERCHOVE, La preuve en matière pénale dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission européennes des droits de l’homme, Rev.sc.crim., 1992, p. 5, à propos d’une décision de la Commission, Com. EDH D 8239/78 X. c./ Pays-Bas, 4 décembre 1978, DR 16, p. 185. 1250 J. CARBONNIER, Droit civil, vol. I, op. cit., n° 280. 1251 R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 144. 1252 J.-H. ROBERT, Discours sur l’état du droit pénal, op. cit., p. 161. 1253 La prudence est l’une des vertus caractéristique de la doctrine, elle contribue à asseoir son autorité. Elle consiste à savoir dans chaque cas particulier ce qu’il est bon de faire ou de ne pas faire. Le jurisprudent n’est autre que celui qui, bon connaisseur des principes, est apte à les appliquer avec

Le discours sur l’objet

376

convient de s’intéresser aux dangers ou risques qu’il s’agit ici d’éviter. Il est possible

d’évoquer ici deux ordres de risques complémentaires, celui de l’incohérence et celui de la

dilution.

1) Le risque de l’incohérence

322. Rappels. Développer le sens de la présomption d’innocence au-delà de limites

raisonnables fait courir le risque de l’incohérence, celle du droit pénal dans son sens le plus

large. L’indétermination de la signification de la présomption d’innocence laisse place à un

paradoxe : elle autorise à imaginer des sens plus étendus en même temps qu’elle contribue à

les contenir. Nous avions déjà relevé l’absence de prédictions doctrinales quant à

l’utilisation que les juridictions pourraient faire de l’article préliminaire III relatif à la

présomption d’innocence et ce au lendemain de son introduction dans le Code de procédure

pénale. Un auteur illustre en partie cette indétermination des conséquences et la justifie à

l’occasion de l’analyse qu’il a donnée de la disposition préliminaire. M. Henrion explique

en effet que les principes directeurs contenus dans ce texte « sont avant tout des principes,

c'est-à-dire des maximes, qui ne peuvent être entièrement suivies » et qu’ « il est tout à fait

inconcevable de les établir puis de les appliquer jusqu’à leurs dernières

conséquences »1254. En outre, les exemples donnés précédemment au titre de

l’indétermination montrent que certaines règles ou institutions qui pourraient être évaluées à

l’aune de la présomption d’innocence ne le sont pas, ou très discrètement. Or ces exemples

pourraient sans aucun doute être multipliés si d’aventure l’on s’attelait à la rude tâche qui

consisterait à scruter l’ensemble des règles du droit pénal dans le but de vérifier si elles sont

compatibles avec la présomption d’innocence. Le risque serait alors de découvrir un nombre

trop considérable d’incompatibilités qui auraient pour effet de remettre en cause la

cohérence de notre système pénal. Or, le risque de l’incohérence du système juridique ne

saurait être couru par la doctrine qui, bien au contraire, œuvre pour donner toute la

cohérence possible aux divers domaines du droit1255. Pourtant, la littérature juridique pénale

n’hésite pas à dénoncer certaines incompatibilités et l’on pourrait s’en étonner. Le meilleur

exemple en est fourni par l’analyse doctrinale des présomptions légales et jurisprudentielles

de culpabilité qui portent atteinte à la présomption d’innocence1256. Pourquoi alors ne pas

discernement aux cas sur lesquels il est appelé à prendre parti : A. SÉRIAUX, La notion de doctrine juridique, op. cit., p. 72. 1254 H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit., p. 14-15. 1255 « Le savoir juridique se compose de propositions cohérentes émises à propos d’un droit qui ne doit pas apparaître incohérent. Les propositions qui introduisent la contradiction ont toutes les chances d’être rejetées comme telles : elles ne peuvent être le reflet du droit », CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op. cit., n° 332. 1256 Cela est d’autant plus curieux que la jurisprudence tant européenne que française affirment sans cesse la compatibilité de telles présomptions avec la présomption d’innocence, sous réserve de demeurer dans des limites raisonnables et que soient préservés les droits de la défense.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

377

dénoncer d’autres atteintes ? C’est qu’il semble que face à une incompatibilité et donc à un

risque d’incohérence deux attitudes différentes sont envisageables pour la science du droit.

323. La résorption des contradictions ou l’incohérence évitée. La première attitude

consiste à résorber les contradictions afin de préserver la cohérence du système. S’agissant

des présomptions de culpabilité, s’il est vrai que leur dénomination même exprime un parti

pris et qu’elles sont souvent présentées comme des atteintes à la présomption d’innocence,

il faut remarquer que la doctrine cherche le plus souvent à donner une présentation

cohérente de la situation en droit positif. Pour s’en convaincre, il faut prêter attention au

vocabulaire utilisé par les criminalistes. Certains écrits n’évoquent par exemple jamais les

présomptions de culpabilité mais s’attachent à présenter les « présomptions favorables à la

partie poursuivante »1257. D’autres analysent les « présomptions de culpabilité » comme des

exceptions ou des limites à la présomption d’innocence1258. Le raisonnement en terme

d’exception, de dérogation ou encore de limite a le grand avantage de rétablir la cohérence

en limitant la signification de la présomption d’innocence. Un tel raisonnement n’a pas été

mené au sujet, par exemple, de la médiation pénale ou du dépistage de l’alcool au volant.

L’incohérence est évitée tout simplement parce qu’elle n’est pas dite.

324. Le silence sur les incohérences. La deuxième attitude de la doctrine face aux

contradictions du droit peut consister à les passer sous silence. Ainsi, si elles ne

disparaissent, au moins ne sont-elles pas apparentes, ce qui permet de continuer à donner

une présentation cohérente du droit positif. Pour reprendre les exemples donnés plus haut,

les contradictions éventuelles que peuvent soulever la médiation pénale, le contrôle

judiciaire socio-éducatif ou les dispositions sur les contrôles de l’alcool au volant, seront

alors ignorées purement et simplement. Seront ignorées également le cas échéant, les

éventuelles dénonciations que certains auteurs pourraient vouloir faire. « La cohérence dont

les juristes se préoccupent les guide avec une puissance certaine. Elle peut commander

leurs prises de position, les conduire à adopter une présentation du droit plutôt qu’une

autre »1259. Il faudrait alors se demander pourquoi, au nom de la cohérence, la détention

provisoire est regardée comme une atteinte certaine à la présomption d’innocence et pas

d’autres institutions. Qu’il s’agisse de la médiation pénale ou de la composition pénale, du

contrôle judiciaire socio-éducatif ou encore du dépistage de l’alcool au volant, le silence de

la doctrine peut s’analyser comme un choix. Ce choix consiste à préférer ne pas soulever

1257 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 196 et s. ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 150 ; TH. GARÉ et C. GINESTET, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 392. 1258 M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 198 ; J. LARGUIER, Procédure pénale, op. cit., 18e éd., p. 306 ; F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit.; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 494. 1259 CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op. cit., n° 333.

Le discours sur l’objet

378

une certaine incompatibilité de ces institutions avec la présomption d’innocence pour ne

présenter finalement que leur utilité au regard d’autres valeurs. On pourra alors arguer que

la médiation pénale n’est pas une atteinte à la présomption d’innocence car les droits de la

défense y sont entiers, que l’auteur des faits à qui l’on propose de réparer le dommage causé

demeure libre de refuser la médiation et de préférer un procès. Mais, il nous semble surtout

que la doctrine joue ici le jeu du législateur et admet sans trop sourciller une mesure qui

présente de grands avantages pour le service public de la justice et la réparation des

victimes. Une médiation réussie est signe d’apaisement des conflits, de responsabilisation

de l’auteur des faits, et surtout de désengorgement des tribunaux. Le contrôle judiciaire

socio-éducatif est supposé quant à lui être un bon outil de resocialisation, de réinsertion, de

réadaptation sociale pour celui qui en est l’objet, sans attendre qu’une véritable peine soit

prononcée pour mettre en œuvre ces objectifs. Tant de personnes mises en examen ont

besoin d’être remises dans le droit chemin, de (ré) apprendre le respect des normes sociales

qu’il serait mal venu de critiquer l’article 138 du Code de procédure pénale en l’évaluant

sous l’angle de la présomption d’innocence. Que dire encore des dépistages préventifs des

conducteurs en état d’ivresse ? Invoquer la présomption d’innocence pour des infractions de

si faible importance ? Lorsqu’on connaît le nombre des accidents de la route causés par

l’alcool et leur coût tant financier qu’humain, les mesures à caractère préventif peuvent

trouver toute leur légitimité. Dans ces conditions, l’incohérence ne saurait être dénoncée.

Lorsqu’on se situe davantage dans le domaine de la prévention ou celui de la réparation que

dans celui de la répression, le raisonnement change, il n’est plus question d’invoquer la

présomption d’innocence ou la liberté individuelle.

Le choix doctrinal, qui se manifeste par le silence et s’explique par la préférence pour

des valeurs différentes de celle de la présomption d’innocence, concourt lui aussi à

délimiter le sens de cette dernière. La présomption d’innocence ne saurait être absolue

rappellent parfois les pénalistes. Cela va de soi, mais ce qui est intéressant à observer c’est

la maîtrise que le discours doctrinal peut avoir sur l’étendue de cette relativité de la

présomption d’innocence. Au-delà de l’utilité sociale de telle ou telle règle ou institution, la

recherche de la cohérence est, pour ce qui touche au droit pénal en particulier, la recherche

du fameux équilibre entre les intérêts de la société et ceux de la personne poursuivie,

véritable paradigme de la procédure pénale. La présomption d’innocence se conçoit alors

comme l’un des éléments concourant à cet équilibre, lui donner une signification trop forte,

lui reconnaître des conséquences trop nombreuses aboutirait semble-t-il à rompre cet

équilibre. La prudence de la doctrine peut donc s’expliquer par la volonté de conserver un

rapport raisonnable entre ces deux intérêts dits opposés. Plus spécialement, il faut songer

que la doctrine entretient le souci de ne pas, par son discours, paraître désarmer la

répression. À cet égard, elle se montre parfois vigilante contre le risque de voir « romancer

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

379

l’innocence présumée »1260. Le discours doctrinal participe ainsi, même par ses silences, à la

détermination de ce qui lui paraît être le juste équilibre. Désormais conçue non plus

simplement comme une règle technique mais comme un principe fondamental tourné tout

entier vers la protection de l’accusé, la présomption d’innocence ne sert plus le

raisonnement dès lors que la personne en procès apparaît suffisamment protégée par

d’autres règles.

Cependant, en refusant de dessiner des limites précises à la signification de la

présomption d’innocence, le discours doctrinal se réserve toujours la possibilité d’invoquer

de nouvelles atteintes, de mettre au jour des incohérences afin de faire évoluer ou infléchir

le droit positif si telle lui semble être la meilleure solution. Reste qu’un autre

danger demeure à éviter: celui de la dilution de la présomption d’innocence.

2) Le risque de la dilution

325. La présomption d’innocence est-elle soluble ? Si l’on venait à poser la question

suivante : la présomption d’innocence est-elle soluble dans les règles favorables à la

personne poursuivie, la réponse de la doctrine tendrait-elle vers la négative ? On peut se le

demander. Le droit au silence n’est pas unanimement reconnu comme conséquence de la

présomption d’innocence. On pourrait citer d’autres règles que la jurisprudence ou parfois

même la doctrine, se sont prises à analyser comme des conséquences de la présomption

d’innocence. Ainsi de l’interdiction pour le président de cour d’assises de manifester son

opinion pendant les débats, ainsi également de l’obligation pour les juges de motiver leurs

décisions1261, ainsi des droits de la défense en général1262, de l’exigence générale

d’impartialité du juge ou encore des règles du procès pénal que l’on dit découler

directement de la règle du doute favorable, autrement dit de la présomption d’innocence.

La liste pourrait s’allonger jusqu’à rassembler toutes les institutions ou règles qui sont

favorables ou protectrices de la personne poursuivie. Mais alors, la présomption

d’innocence serait en quelque sorte soluble dans l’ensemble de ces règles. Pour mieux

affirmer l’existence et l’importance de la présomption d’innocence, M. Essaïd, par exemple,

avait eu cette tentation1263. Le plus bel exemple de découverte concernant les conséquences

de la présomption d’innocence est peut-être la règle de l’article 11 du Code de procédure

pénale, c'est-à-dire le secret de l’instruction. L’atteinte qui est portée à la présomption

d’innocence par la violation du secret de l’instruction est devenue un lieu commun du

discours pénal. Par contrecoup, ce secret a été analysé comme une conséquence de la

présomption d’innocence. Désormais, le lien entre les deux règles est si évident que l’on a 1260 C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 94. 1261 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 375 et s. 1262 PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 45. 1263 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 142 à 149.

Le discours sur l’objet

380

pu conclure que la violation trop fréquente du secret signerait la mort de la présomption

d’innocence1264. C’est qu’en effet, la violation du secret est problématique lorsqu’elle est

suivie d’une diffusion des éléments de la procédure par les médias. C’est cependant oublier

un peu vite que la raison d’être première du secret de l’instruction n’est absolument pas la

présomption d’innocence mais l’efficacité de l’instruction préparatoire, et que ce secret était

tout d’abord opposable à la personne poursuivie elle-même. La présomption d’innocence,

n’est qu’une justification secondaire alléguée depuis un peu plus d’un siècle1265.

Le risque de dilution de la présomption d’innocence est important. Parfois la doctrine ne

cache pas une certaine désapprobation devant ces extensions de la portée de la présomption

d’innocence1266, devant cette dilution du sens de la présomption d’innocence, laquelle

devient alors une auberge espagnole, pour reprendre les propos de M. Maistre du Chambon.

La dilution du sens de la présomption d’innocence consiste donc à voir dans toute mesure

ou règle favorable à la personne poursuivie une conséquence de la présomption

d’innocence. Corrélativement, ces raisonnements aboutissent à faire de la présomption

d’innocence le fondement de ces règles alors même qu’elles disposent de leur propre

fondement1267. C’est en dernier lieu dans cette voie que s’est engagé le législateur avec la

loi du 15 juin 2000. Encore que la traduction législative ne semble pas vraiment à la hauteur

des intentions, qui étaient de faire de la présomption d’innocence un principe cardinal, celui

duquel découlerait toutes les autres garanties accordées à la personne suspecte ou

poursuivie. La rédaction de l’article préliminaire est à cet égard décevante.

Qu’il s’agisse d’éviter le risque de l’incohérence ou celui de la dilution,

l’indétermination relative des conséquences de la présomption d’innocence peut s’expliquer

par un choix délibéré de la doctrine juridique pénale. Ce choix de la réserve ou du silence

peut être guidé par la prudence. Néanmoins, l’indétermination des conséquences de la

présomption d’innocence ne présente pas toujours de tels risques et ne résulte pas

nécessairement de tels choix. L’indétermination concerne en outre la situation de la

personne suspecte ou poursuivie dans le procès pénal. La présomption d’innocence a-t-elle

pour conséquence que la personne qui en bénéficie est alors présumée innocente ? Les

1264 J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, op. cit. 1265 M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 373 ; CH. GUÉRY, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Instruction préparatoire, n° 32 ; F. DESPORTES, J.-Cl. Procédure pénale, Art. 11, n° 18 et s. 1266 R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 21 à propos de l’extension de la présomption d’innocence au-delà du champ de la matière pénale ; J.-H. ROBERT, J.-Cl. Civil, App. Art. 11, n° 3 et 4 à propos de l’article 9-1 du Code civil. 1267 Entre autres exemples, on pourrait penser au principe d’impartialité. Le bon sens suffit à imaginer que l’impartialité du juge pénal est une condition du respect de la présomption d’innocence. Pour autant, il paraît téméraire de franchir le pas et de fonder l’exigence d’impartialité sur la présomption d’innocence. Si les deux notions sont liées, ce n’est probablement pas par un rapport de principe à conséquence. L’impartialité a trait à la notion de procès équitable au sens de la Conv. EDH. Il nous semble que c’est la première exigence de la justice que d’être rendue par des juges impartiaux et ce, quelle que soit la nature du contentieux dont ils ont la charge, pénale, civile ou administrative.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

381

réponses doctrinales peuvent apparaître contradictoires et à ce titre relever de

l’indétermination. Plus spécialement, c’est surtout la situation du présumé innocent qui est

présentée de façon contradictoire. C’est la raison pour laquelle on peut dire qu’elle se

présente de façon paradoxale.

§2. LE PARADOXE DU PRÉSUMÉ INNOCENT, PRÉSUMÉ COUPABLE

326. Notion de paradoxe. Un paradoxe peut se définir comme un raisonnement ou une

proposition qui est contraire à l’opinion, au sens commun. On dit aussi du paradoxe qu’il est

un raisonnement qui, sous une apparence de fausseté, est pourtant vrai. Le propre du

paradoxe est de mettre en évidence les contradictions d’une proposition et d’ainsi, par

exemple, faire progresser la science, faire évoluer les théories1268. Le paradoxe a donc partie

liée avec la contradiction logique.

Or, il se trouve que le discours doctrinal sur la présomption d’innocence fait état de

contradictions affectant la procédure pénale qui, d’un côté consacre la présomption

d’innocence et de l’autre admet que toutes sortes de présomptions de culpabilité puissent

produire, elles aussi, des effets sur la situation du suspect. En mettant face à face ces deux

types opposés de présomptions qui agissent sur la situation de la personne poursuivie, le

discours doctrinal met au jour un paradoxe, celui que nous appellerons le paradoxe du

présumé innocent, présumé coupable. Cette mise au jour est cependant difficile en raison de

la résistance du discours juridique1269 comme le montrera la manière dont le paradoxe a pu

trouver une formulation dans le discours doctrinal (A). Bien que difficile à admettre,

exigeant de se frotter à la complexité de la présomption d’innocence, le paradoxe du

présumé innocent, présumé coupable n’en présente pas moins des vertus qui incitent à ne

pas vouloir le dépasser (B).

A- FORMULATION DU PARADOXE DU PRÉSUMÉ INNOCENT, PRÉSUMÉ COUPABLE

327. Contradiction et paradoxe. Le droit ne semble guère apprécier en son sein l’existence

de paradoxes, lui qui est construit autour d’oppositions binaires1270, se mouvant ainsi autant

que possible dans la pensée simple1271, celle où une chose ne peut être en même temps son

contraire1272. Autrement dit, le juriste ne semble pouvoir admettre qu’une personne

1268 Encyclopédie philosophique universelle, tome 2 : Les notions philosophiques, Paris, PUF, 1990, v° Paradoxe. 1269 Qui précisément aurait plutôt tendance à fuir la contradiction qu’à la rechercher. 1270 « C’est un trait (archaïque) du droit que de procéder volontiers par oppositions binaires » disait le doyen Carbonnier, Droit civil, Les biens, Paris, PUF, 19e éd., 2000, p. 86. 1271 Il n’y a pourtant aucune raison de croire que la pensée juridique soit à l’abri des interrogations paradoxales, même s’il est vrai qu’elle a plutôt tendance à leur résister, F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, Paris, PUF, 1992, p. 98. 1272 A=A et A ne peut être non-A est le mode de raisonnement de la pensée simple (par opposition à la pensée complexe) qui s’applique au droit, lequel fonctionne par oppositions du genre : ceci ou cela, ceci

Le discours sur l’objet

382

poursuivie puisse être à la fois présumée innocente et présumée coupable, de deux choses

l’une ! Pourtant, en relevant ce qui pouvait porter atteinte à la présomption d’innocence, en

opposant à la présomption d’innocence des présomptions de culpabilité, en croyant

dénoncer des contradictions pour mieux les résoudre, la doctrine a mis au jour l’existence

d’un paradoxe. Bien que difficile à admettre, le statut paradoxal de la personne poursuivie

semble de nos jours faire l’objet d’une certaine reconnaissance dans la littérature juridique

et même dans la loi.

1) La mise au jour du paradoxe ou la rhétorique des atteintes à la présomption

d’innocence

328. La présomption d’innocence contredite. Le discours doctrinal laisse parfois dans

l’incertitude quant aux conséquences de la présomption d’innocence sur la situation de la

personne suspecte ou poursuivie. Cette indétermination résulte de l’affirmation

concomitante d’une part, de l’existence de la présomption d’innocence et d’autre part, de

présomptions propres à l’atteindre, sinon à la détruire avant même l’issue du procès. On

aperçoit ainsi dans la littérature juridique une sorte de rhétorique des atteintes à la

présomption d’innocence qui a d’ailleurs pu nous faire dire, à d’autres égards, que la

doctrine pouvait elle-même douter de l’existence de la présomption d’innocence1273. On

peut ici parler de « rhétorique des atteintes » dans la mesure où l’énonciation de ces

atteintes est un procédé discursif propre à plusieurs auteurs et non une expression tirée

d’une pure description du droit positif. En effet, le mot « atteinte » est de plus en plus

fréquemment utilisé pour désigner tout ce qui peut venir contredire l’affirmation selon

laquelle toute personne poursuivie est présumée innocente. Pourtant, législateur et

jurisprudence n’y voient quant à eux aucune réelle contradiction. La rhétorique des atteintes

consiste notamment1274 dans l’énumération, plus ou moins exhaustive, de ce qu’il est

devenu commun de nommer « présomptions de culpabilité »1275. Sous cette expression, le

discours doctrinal range des atteintes dont la nature est différente, si bien qu’il semble

nécessaire de distinguer. En effet, les présomptions de culpabilité invoquées dans le

contre cela ou encore ni ceci ne cela. Ainsi est-on, en droit pénal, innocent ou coupable, présumé innocent ou présumé coupable. Il n’existe pas de tierce possibilité dans cette façon de penser, le tiers exclu n’y a pas sa place. F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 112. 1273 V. supra, n° 258 et s. 1274 Les atteintes peuvent s’entendre de façon large comme tout ce qui contredit la présomption d’innocence, comprenant ainsi les privations de liberté au premier rang desquelles on trouve la détention provisoire. Il ne sera toutefois pas question de ce type d’atteintes à cet endroit. 1275 Au titre de la « rhétorique des atteintes », on peut renvoyer plus particulièrement aux auteurs suivants : G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit. ; W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit. ; P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit.; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit., p. 54-55 ; R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 25 ; J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 238 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 396.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

383

discours regroupent d’une part des atteintes de nature juridique et d’autres part des

présomptions de pur fait qui constituent des atteintes sociologiques à la présomption

d’innocence1276. Malgré la distinction, il convient de remarquer que les deux types

d’atteintes sont intimement liés puisque les secondes ne sont en réalité que la conséquence

des premières.

Ces présomptions de culpabilité, qu’elles soient juridiques ou sociologiques viennent

donc contredire la présomption d’innocence. Leur énumération, plus ou moins insistante, a

pour finalité soit la négation de la présomption d’innocence, soit plus souvent sa

relativisation, la mise en évidence de sa faiblesse. Toutefois, il est intéressant de s’attacher

ici à l’effet de cette énumération, de cette rhétorique des atteintes. Il s’agit de la mise au

jour, involontaire mais inévitable, du paradoxe du présumé innocent, présumé coupable.

Pour l’illustrer, il convient de rappeler brièvement quelles peuvent être ces présomptions de

culpabilité qui portent atteinte à la présomption d’innocence.

329. Les présomptions juridiques de culpabilité. Dans cette catégorie, il ne suffit pas de

ranger ce que l’on appelle habituellement les présomptions légales de culpabilité ou de

responsabilité mais également toutes les dispositions et mesures prévues par le Code de

procédure pénale qui d’une manière ou d’une autre sont évoquées par les auteurs au titre des

atteintes. S’agissant des présomptions légales ou jurisprudentielles de culpabilité, c'est-à-

dire des présomptions attachées à l’existence de l’un des éléments de l’infraction, la

doctrine renonce souvent à les énumérer toutes tant elles sont nombreuses1277. Ces

présomptions ont pour but de faciliter la preuve qui incombe à la partie poursuivante en la

dispensant de rapporter la preuve de l’élément moral ou de l’élément matériel. On dit alors

que ces présomptions ont pour effet de faciliter la répression des infractions dont la preuve

est par nature difficile à faire pour l’accusation1278. La doctrine y voit un renversement de la

charge de la preuve au détriment de la personne poursuivie qui devra rapporter elle-même la

preuve de l’absence de l’élément présumé. En ce sens donc, et bien que présumée

innocente, la personne poursuivie est également au moins pour partie présumée

coupable1279. Ce qu’un auteur a d’ailleurs présenté, pour le refouler, comme un paradoxe :

1276 Cette distinction entre atteintes juridiques et sociologiques a d’ailleurs été proposée en doctrine, V. J. PRADEL, Droit pénal comparé, op. cit., n° 300, p. 434. 1277 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 397, qui estime qu’il est impossible de toutes les énumérer. 1278 V. notamment, A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit. 1279 On peut se contenter de n’évoquer que quelques-unes de ces présomptions, celles qui ont particulièrement retenu l’attention de la doctrine puisqu’elles sont très fréquemment citées. C’est tout d’abord la présomption d’importation de marchandises en fraude qui pèse sur le simple détenteur au terme de l’article 392§1 du Code des douanes. Ce texte dispose en effet que : « Le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude ». C’est cette présomption qui avait entraîné la condamnation de M. Salabiaku et dont la Cour EDH avait jugé l’application compatible avec la présomption d’innocence. Ce peut être ensuite la présomption de proxénétisme édictée par l’article 225- 6, 3° du Code pénal, selon lequel, est assimilé au proxénétisme et puni des peines le fait, par quiconque,

Le discours sur l’objet

384

« Le droit pénal français, instaurant des présomptions légales de culpabilité, a jeté les

bases d’un véritable paradoxe au regard de la présomption d’innocence »1280. Outre ces

règles purement probatoires, il existe dans un autre sens, des présomptions de culpabilité

qui sont juridiques par leur origine.

Il faut ici tout d’abord songer à l’ensemble des mesures contraignantes que les autorités

judiciaires peuvent prendre à l’encontre de la personne suspecte ou poursuivie. La doctrine

a souvent souligné le caractère attentatoire à la présomption d’innocence du placement en

garde à vue, sous contrôle judiciaire ou encore en détention provisoire. L’atteinte intervient

en réalité à deux titres. Tout d’abord parce que ces mesures restreignent la liberté de

mouvement des personnes qui en font l’objet alors même qu’elle devrait être traitées

comme si elles étaient innocentes, ensuite parce que la loi exige pour leur mise en œuvre

que soient réunies certaines conditions dont la formulation se résout en l’existence d’une

présomption de culpabilité qui a pour effet d’anéantir la présomption d’innocence1281.

Expriment également une présomption de culpabilité, les indices graves et concordants

rendant vraisemblable la participation à la commission d’une infraction que la loi exige

pour une mise en examen1282, ou les charges constitutives d’infraction que le juge

d’instruction doit constater pour renvoyer le mis en examen devant la juridiction de

jugement. Manifeste encore un préjugé légal de culpabilité la règle qui interdit à ceux qui

sont en état d’accusation, de contumace, ou qui sont sous mandat de dépôt ou d’arrêt, d’être

désigné comme juré d’assises1283.

Une place à part doit être faite au phénomène de la relaxe au bénéfice du doute. Si cette

pratique judiciaire tout à fait admise par la Cour de cassation, est de nos jours critiquée par

la doctrine comme une atteinte à la présomption d’innocence, il n’en a pas toujours été

de quelque manière que ce soit, de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution ou tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution. C’est en outre la présomption de mauvaise foi qui s’attache à la reproduction d’une imputation diffamatoire et que prévoit l’article 35 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse : « Toute reproduction d'une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ». C’est encore la présomption que l’on trouve à l’article L. 121-1 alinéa 1 du Code de la route : « Par dérogation aux dispositions de l'article L. 121-1, le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est responsable pécuniairement des infractions à la réglementation sur le stationnement des véhicules ou sur l'acquittement des péages pour lesquelles seule une peine d'amende est encourue, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un événement de force majeure ou qu'il ne fournisse des renseignements permettant d'identifier l'auteur véritable de l'infraction ». 1280 P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 13. 1281 Il s’agit pour la garde à vue, par exemple, des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction. À cet égard, notamment : F.-J. PANSIER, Le juge et l’innocent, Gaz. Pal. 1995, 2, p. 1002 et s ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 396. 1282 Certains auteurs, plus disposés à accepter le paradoxe, se contentent de souligner l’ambiguïté du postulat de la présomption d’innocence au regard de l’article 80-1 du Code de procédure pénale qui régit la mise en examen par le juge d’instruction : C. COHEN, De la présomption d’innocence au secret de l’instruction : la double impasse, op. cit., p. 951. 1283 Article 256, 3° du Code de procédure pénale.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

385

ainsi. Il fut une époque où les pénalistes analysaient la relaxe au bénéfice du doute comme

une manifestation de la présomption d’innocence et renvoyaient à de telles décisions pour

illustrer la portée pratique du principe1284. Il en résulte que la personne bénéficiaire d’une

telle décision est déjà dans un statut paradoxal. Selon l’angle sous lequel on se place, on

peut dire soit qu’elle a bénéficié de la mise en œuvre de la présomption d’innocence, soit

que cette présomption d’innocence est au contraire méconnue. Juridiquement, le jeu de la

présomption d’innocence à travers la règle in dubio pro reo a été profitable ; mais

socialement, l’expression trop visible d’un tel doute nuit à la considération que l’on peut

avoir de l’innocence. Le discours doctrinal lui-même par ses contradictions donne un aperçu

de ce que peut être le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable.

330. Les présomptions de fait de culpabilité. Il s’agit de la seconde expression des

atteintes à la présomption d’innocence. Il convient de les ranger dans les atteintes

sociologiques dans la mesure où ce ne sont plus la loi ou la jurisprudence qui organisent et

encadrent ces présomptions de culpabilité. Celles-ci naissent en réalité dans l’esprit de

l’opinion, du public ou si l’on préfère des tiers à la procédure. Ce sont des préjugés, voire

des certitudes de culpabilité qui portent atteinte à l’honneur et à la réputation des personnes

impliquées dans une procédure. Elles sont diffuses, incontrôlables et nombreuses. Elles

résultent de la connaissance par les tiers de la mise en œuvre des mesures et règles

précédemment exposées, si bien qu’elles en sont la conséquence. Un magistrat a bien

résumé cette situation en quelques mots : « Le sens commun dit qu’une personne n’est pas

poursuivie devant un tribunal répressif parce qu’on la présume innocente. Comment croire

qu’un ministre est présumé innocent lorsque, aussitôt mis en examen, il doit quitter ses

fonctions ? L’institution donne à voir des hommes entravés, qui tentent de dissimuler leur

visage aux photographes, qui sortent d’une geôle pour comparaître devant leurs juges.

Comment croire qu’un homme entravé est présumé innocent ? »1285. Ainsi, la doctrine

souligne-t-elle le danger de telles présomptions qui conduisent l’homme de la rue à voir

dans tout inculpé ou mis en examen un coupable.

1284 Autrefois, M. Pradel écrivait à propos de la présomption d’innocence : « Il est incontestable qu’elle s’applique à la décision pénale au fond, s’y manifestant par l’acquittement de l’accusé dès lors que la partie poursuivante ne peut démontrer la culpabilité (in dubio pro reo ) et par un ensemble de règle juridiques (v. pour une application très nette du principe que le doute profite au prévenu, Metz, 22 février 1980 (…) », et l’auteur reproduisait l’attendu principal de cette décision de relaxe au bénéfice du doute. V. Procédure pénale, op. cit. , 9e éd. Cette décision et cette remarque semblent avoir disparu des éditions ultérieures de l’ouvrage. En revanche, d’autres auteurs continuent de voir dans cette décision de Metz une application de l’adage in dubio pro reo, V. G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit. Toutefois, les auteurs entretiennent la confusion en précisant dans l’avant-dernière édition de leur ouvrage qu’en vertu de la présomption d’innocence, la mention du doute ne devrait pas figurer dans le jugement. V. 19e éd., n° 123, p. 104 (20e éd., n° 123, p. 102), mais aussi les éditions précédentes où la décision est seulement citée pour illustrer l’application de l’adage in dubio pro reo. 1285 F. TERRIER, in Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Annexes, op. cit., p. 109.

Le discours sur l’objet

386

Les atteintes sociologiques relèvent donc du fait, mais ce fait a la particularité d’être

directement généré par le droit lui-même. C’est la « mauvaise » réception (on dit même

l’ignorance) des règles de procédure pénale dans l’opinion qui créent ces présomptions de

culpabilité. Ce type d’atteinte a fait, et continue de faire, couler beaucoup d’encre car il

soulève une difficulté qui paraît insoluble. Le raisonnement est bien connu et consiste à voir

dans la violation du secret de l’instruction la source première de l’information qui se répand

dans le public par l’intermédiaire des médias1286. Le législateur a cru pouvoir « régler » la

question des atteintes en organisant leur réparation sur le fondement de l’article 9-1 du

Code civil. Pourtant, si avec ce texte les médias se voient imposer une meilleure conduite et

sont soumis à l’exigence d’un exposé objectif de l’implication de tel ou tel dans une affaire

judiciaire, la véritable source des atteintes ne saurait être tarie. Il apparaît en effet qu’aucune

disposition législative ne pourra empêcher qui que ce soit d’avoir une opinion hâtive sur la

culpabilité d’une personne suspectée ou poursuivie par la justice pénale1287. C’est ce qui fait

dire à nombre d’auteurs que désormais le problème de la présomption d’innocence relève

d’une éducation de la population et d’une évolution des mentalités.

Au terme de ce panorama tiré du discours doctrinal, prend corps cette contradiction

insupportable : la personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente en même temps

que la loi, la jurisprudence et l’opinion ont des motifs de la présumer coupable.

Insupportable, la contradiction est révélée dans l’espoir d’être dépassée, soit par la

suppression des atteintes à la présomption d’innocence soit par la mise en conformité du

langage du droit avec le langage courant. C’est ainsi que la doctrine, mais elle n’est pas la

seule, a pu cherché la solution de la contradiction dans la réinstauration complète du secret

de l’instruction, dans la modification du langage législatif 1288 ou judiciaire1289, dans la

prohibition des présomptions légales de culpabilité1290. Plus catégoriquement, certains ont

même proposé la suppression de la présomption d’innocence pour mettre un terme à la

1286 Un auteur expliquait que si malgré les actes de procédure impliquant une certaine présomption de culpabilité on peut toujours continuer à penser que joue la présomption d’innocence, en revanche dans l’opinion le raisonnement est trop subtil pour être correctement reçu et la violation du secret de l’instruction devient ainsi la cause de l’atteinte à la présomption d’innocence, J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit., p. 56. 1287 D’ailleurs, les criminalistes de l’ancien droit, qui n’avaient pas pour préoccupation le problème de la violation du secret par le journalisme d’investigation, mettaient déjà l’accent sur les risques que toute accusation fait encourir pour la réputation et l’honneur des personnes qui en sont l’objet. Il n’est pas besoin d’une publicité dans les médias pour que soient égratignées l’honneur et la réputation. La connaissance des poursuites, par l’entourage familial, professionnel, amical, suffit à entamer la considération des personnes qui en font l’objet. M. Carbonnier allait jusqu’à estimer que dès la garde à vue le suspect lui-même pouvait se sentir déjà moins innocent. 1288 On pense surtout à la mise en examen qui a remplacé l’inculpation. 1289 À propos des indices de « culpabilité » relevés dans les décisions de chambres d’accusation, V. W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit. 1290 Mais l’on sait qu’aucune juridiction n’a voulu les prohiber, de la Cour EDH au Conseil constitutionnel en passant par la Cour de cassation.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

387

contradiction1291. Ainsi, le discours doctrinal engage souvent une sorte de lutte contre le

paradoxe du présumé innocent, présumé coupable. On peut à cet égard observer que

souvent, ce sont les avocats qui nient la réalité ou la portée de la présomption d’innocence

et la mettent face à ses contradictions1292.

Cette mise en évidence des contradictions de la présomption d’innocence dans le

discours doctrinal trouve une belle synthèse sous la plume dans Mme Koering-Joulin qui

avait conclu une de ses interventions par ces mots : « Les législateurs ne parviennent pas à

sortir de la contradiction inhérente à la présomption d’innocence ; c’est le procès pénal qui

la fait naître, mais c’est le procès pénal par sa mise en œuvre qui la blesse et même la

tue »1293. Cette conclusion, pour pessimiste qu’elle soit, avance cependant d’un pas vers

l’acceptation du paradoxe. D’ailleurs on peut percevoir dans le discours doctrinal une

tendance récente à infléchir cette présentation singulièrement fondée sur la contradiction.

Mieux, il se pourrait que le discours laisse une place pour que discrètement s’exprime, le

paradoxe du présumé innocent, présumé coupable et du même coup la complexité du procès

pénal.

2) Vers la reconnaissance du statut paradoxal de la personne suspecte ou poursuivie

331. Le paradoxe ici retenu. Si une contradiction peut être relevée du fait de la coexistence

de présomptions de culpabilité avec la présomption d’innocence, il faut probablement

prendre garde de ce que toutes les présomptions de culpabilité dénoncées ne sont pas

constitutives d’un véritable paradoxe juridique. Il faut tout d’abord exclure les atteintes

sociologiques à la présomption d’innocence qui se traduisent par de véritables présomptions

de fait. Ces atteintes sont le résultat d’un effet pour ainsi dire pervers des règles de droit1294.

1291 J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, op. cit. ; W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit. ; G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit., qui proposait plutôt de ne plus l’invoquer après avoir constaté qu’elle n’existait pas. 1292 Ce qu’illustrent parfaitement les auteurs praticiens déjà cités, V. J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, op. cit. ; G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit. ; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit. Il en existe bien sûr beaucoup d’autres, notamment les avocats et bâtonniers entendus par exemple par la commission Truche et qui n’ont pas ménagé leurs critiques à l’égard des atteintes à la présomption d’innocence, V. Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Annexes, op. cit. Tous peuvent se prévaloir de leur connaissance de la réalité pratique de ces présomptions de culpabilité, de ces atteintes à la présomption d’innocence. À l’inverse, on pourrait observer une tendance à moins d’ardeur chez les auteurs magistrats. Une illustration en est d’ailleurs offerte par la réponse d’un avocat au professeur Pradel (ancien juge d’instruction, il faut le rappeler) alors que ce dernier s’inquiétait des nouvelles dispositions de la loi du 15 juin renforçant la présomption d’innocence qu’il prédisait gênantes pour les policiers et les magistrats, V. F. TEITGEN, Non le droit n’est pas gênant, Gaz. Pal. 2000, n° 271-272, p. 2. 1293 R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 26. 1294 On fait ici abstraction des atteintes directement liées à la violation du secret de l’instruction. Il serait d’ailleurs très intéressant de mesurer l’ampleur quantitative des atteintes à la présomption d’innocence par la violation du secret de l’instruction et la diffusion des éléments d’une procédure dans les médias. Pour intolérables qu’elles soient, elles ne semblent pas devoir concerner une part considérable des affaires judiciaires. Sauf à considérer que les personnages publics (qui sont les seuls dont le sort intéresse à la fois les médias et l’opinion) sont ceux qui commettent la majorité des infractions poursuivies en France. Il

Le discours sur l’objet

388

Il n’y a en revanche pas de contradiction interne au droit lui-même. On peut, comme le fait

la doctrine, dénoncer l’impuissance du droit à régir ces faits ; mais cette impuissance face à

ce qui, en dernière analyse, relève de la liberté des consciences, n’est pas source d’un

paradoxe juridique. Seules les présomptions de culpabilité qui émanent de la loi, ou qui sont

permises par elle, nous intéressent au titre du paradoxe ; mais il est vrai que le paradoxe

juridique vient nourrir les atteintes sociologiques comme il nous sera donné de le constater.

332. La reconnaissance discrète. La littérature juridique offre des exemples d’un premier

pas vers l’acceptation du paradoxe lorsque, conscients de la contradiction, les auteurs ne

cherchent pas à nier l’existence de la présomption d’innocence ou ne militent pas pour la

disparition des présomptions de culpabilité. Raisonner en terme de limite ou d’exception à

la présomption d’innocence est déjà une manière d’accepter la coexistence. Ce n’est

pourtant pas le plus haut degré de reconnaissance du paradoxe qui soit. Un pas

supplémentaire est franchi lorsque la signification de la présomption d’innocence n’est pas

exposée selon la dichotomie principe-atteintes mais qu’en revanche est soulignée

l’ambiguïté1295 de la présomption d’innocence ou même son paradoxe. Une autre attitude

consiste à affirmer qu’il n’est pas contradictoire de présumer à la fois l’innocence et de

mettre en œuvre des présomptions de culpabilité. M. Lombois expliquait que c’est en vertu

de l’apparence de culpabilité que l’innocent passe à un statut de présumé innocent1296.

L’idée sera reprise par la suite et les enseignements de M. Conte participent de cette logique

d’acceptation implicite du paradoxe. L’auteur a en effet clairement exprimé cette réalité

que, pour bénéficier de la présomption d’innocence, la personne poursuivie doit

préalablement être suspectée, voire présumée coupable. C’est ce qui explique la distinction

opérée par l’auteur entre l’innocent à qui l’on ne reproche rien et le présumé innocent qui

doit répondre d’une accusation. Ainsi peut-il estimer que si la présomption d’innocence a

moins de poids en raison de la mise en examen, du placement sous contrôle judiciaire ou en

détention, ces mesures ne contredisent pas la présomption d’innocence1297. Ce

raisonnement1298 devait être poussé plus loin par un magistrat qui, lors d’une intervention

dans un colloque, précisait d’emblée que : « La présomption d’innocence n’est que la

faut probablement prendre en compte aussi la publicité faite autour des poursuites engagées pour des atteintes sexuelles, particulièrement sur des mineurs, comme le procès d’Outreau. Ce dernier il est vrai, ne concernait pas des personnalités publiques. 1295 C. COHEN, De la présomption d’innocence au secret de l’instruction : la double impasse, op. cit., qui parle d’ambiguïté du postulat de la présomption d’innocence ; R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., qui parle quant à elle de contradiction inhérente à la présomption d’innocence. 1296 C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 83. 1297 PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op.cit. ; PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 41. 1298 On pourrait toutefois imaginer que les professeurs Lombois et Conte, plutôt que d’accepter la contradiction et donc le paradoxe, cherchent davantage à le dépasser ou à éviter de la formuler ouvertement.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

389

conséquence immédiate d’une présomption de culpabilité »1299. Cette opinion était du reste

partagée par un autre intervenant à ce colloque dont l’analyse consistait à dire que dans le

déroulement du procès pénal, il existe « deux hypothèses de travail opposées : celle de

culpabilité et celle de non-culpabilité » et ajoutait « On ne pourrait même pas concevoir la

présomption d’innocence s’il n’y avait pas l’hypothèse contraire »1300.

Ces illustrations, qui pourraient probablement être multipliées, n’épuisent pas la

manifestation d’une certaine reconnaissance du statut paradoxal de la personne poursuivie

dans le discours doctrinal. Cette reconnaissance s’exprime aussi à travers la réponse à une

question plus précise : la présomption d’innocence perd-elle de son intensité au fur et à

mesure que le procès pénal avance ?

333. La reconnaissance explicite. Alors que la rhétorique des atteintes repose en partie sur

l’idée que la présomption d’innocence perd inéluctablement de son sens, de sa force, au fur

et à mesure que les indices de culpabilité s’amoncellent et se précisent, pour aboutir au

renvoi devant la juridiction de jugement, certains auteurs estiment qu’au contraire, la

présomption d’innocence ne perd pas de son intensité avec le placement en garde à vue, pas

plus qu’avec la mise en examen, ou encore le placement en détention provisoire. Il en est

même qui précisent que la présomption d’innocence irait en se renforçant au cours du

processus pénal.

Cette tendance, il faut le dire, est très récente. Elle est remarquablement exprimée par

MM. Merle et Vitu dans la dernière édition de leur traité datant de 20011301. Ces professeurs

enseignent alors pour la première fois cette idée que « la présomption d’innocence se

manifeste dans toutes les phases du procès et va se renforçant au fur et à mesure que la

procédure s’avance ». Leur raisonnement consiste à dire que la présomption d’innocence

« est nettement perceptible dès le début de l’enquête de police » puisque la garde à vue ne

peut être décidée par les officiers qu’à l’encontre d’une personne contre laquelle existent

des indices faisant présumer qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction1302. Les

auteurs ajoutent que « la présomption apparaît, plus forte, lors de l’instruction

préparatoire : le magistrat instructeur ne peut renvoyer en jugement l’individu poursuivi

que s’il existe contre lui des charges suffisantes, c'est-à-dire de sérieuses probabilités de

culpabilité (…) ». Pour terminer avec la phase de jugement à l’audience, MM. Merle et Vitu

écrivent que « la présomption d’innocence se manifeste dans toute sa puissance : seules des 1299 J.-L. COSTE, Les principes d’action du parquet face à la présomption d’innocence, in La présomption d'innocence en droit comparé, op. cit., p. 39. 1300 V. MARINELLI, Structure et fonctions de la présomption d’innocence, op. cit., p. 49. 1301 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 145. 1302 Dans ce passage, les auteurs se réfèrent à la rédaction de l’article 63 antérieure à la loi du 15 juin 2000. qui exigeait des « indices faisant présumer » alors que la rédaction de ce texte issue de la loi de 2000 puis en dernier lieu de la loi du 4 mars 2002 vise « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction.

Le discours sur l’objet

390

preuves suffisantes pour provoquer chez le juge une certitude peuvent anéantir cette

présomption ». On trouve également dans l’étude de Mme Ambroise-Castérot une réponse

claire à la question de savoir si la présomption d’innocence perd de son intensité au fur à

mesure que la procédure avance, c'est-à-dire que les présomptions de culpabilité se

précisent. Si le placement en garde à vue, la mise en examen et le renvoi en jugement sont

analysés par cet auteur comme la marque d’une « fictivité croissante de la présomption

d’innocence » (parce qu’ils reposent sur des indices de culpabilité) elle n’en précise pas

moins que ces conclusions factuelles demeurent « sans incidence sur la force de la

présomption d'innocence ». Aussi juge-t-elle qu’il « importe peu que les charges pesant sur

la personne poursuivie soient de plus en plus lourdes tout au long de la procédure », car la

présomption d'innocence est toujours protégée de la même façon1303. Répondant

implicitement au discours doctrinal fondé sur la rhétorique des atteintes, Mme Ambroise-

Castérot conclut qu’« il est donc impossible d'affirmer que la présomption d'innocence

puisse perdre de sa vigueur au fur et à mesure de l'accumulation des charges à l'encontre

de la personne mise en examen puisque cela reviendrait à affirmer que la présomption

d'innocence est autre chose qu'une règle probatoire »1304. Il existe donc une franche

opposition entre ce type de raisonnement et celui qui s’articule autour des notions de pré-

culpabilité et d’affaiblissement de la présomption d’innocence au cours du processus

pénal1305.

Le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable, semble en voie d’être accepté et

trouve peu à peu à s’exprimer dans la littérature juridique. Il est d’ailleurs quelquefois

présenté comme tel. N’est-ce pas déjà reconnaître le paradoxe que de parler de « la

"présomption d’innocence" du "présumé délinquant" »1306 ? On observera en outre qu’un

auteur écrivait récemment que « La personne présumée innocente n’en est pas moins

soupçonnée, voire poursuivie ou accusée. De sorte qu’apparemment, le principe fonctionne

de manière paradoxale : c’est parce qu’elle est soupçonnée, poursuivie ou accusée que la

personne est présumée innocente »1307. Cette reconnaissance est d’ailleurs assez

contemporaine de l’adoption de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la

présomption d’innocence et il ne s’agit probablement pas d’un hasard. En effet, c’est peut-

1303 C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 16. 1304 C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 17. On remarque ici que l’auteur exclut sciemment de son raisonnement les atteintes sociologiques à la présomption d’innocence qu’elle aborde séparément à l’occasion de l’étude de la présomption d’innocence en tant que droit subjectif. 1305 Le raisonnement de M. Ballandier est à cet égard exemplaire qui parle de pré-culpabilité au stade de l’enquête, d’affaiblissement de la présomption d’innocence entre la garde à vue et la détention provisoire, et de pré-culpabilité avérée au stade de la mise en examen, V. P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 119 et s. 1306 A. D’ORS, Une introduction à l’étude du droit, trad. A. SÉRIAUX, PUAM, 2e éd., 2001, n° 20. 1307 F.-L. COSTE, Statut de la parole et présomption d’innocence, AJ Pénal. 2004, n° 11, p. 402.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

391

être avec cette loi que le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable atteint son plus

haut degré d’expression.

334. L’apogée du paradoxe avec la loi du 15 juin 2000. Comme l’indique clairement

l’intitulé de la loi, « renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des

victimes » ainsi que celui du titre 1er, « Dispositions renforçant la protection de la

présomption d’innocence», le législateur a voté des dispositions et opéré des modifications

des règles de procédure pénale dans le but précis de renforcer la présomption d’innocence.

Or il s’avère que bon nombre de mesures visant au renforcement se concrétisent par une

exigence plus accrue des présomptions de culpabilité. En cherchant à renforcer la

présomption d’innocence, le législateur a donc nourri le paradoxe du présumé innocent,

présumé coupable. D’ailleurs, ce paradoxe a bien été perçu par M. Pradel dans son

commentaire de la nouvelle loi, qui en relève à regret plusieurs manifestations1308. Il

convient alors de donner quelques illustrations de ce paradoxe à l’œuvre dans la loi du 15

juin 2000, lesquelles résultent d’un renforcement des droits de la défense.

On peut tout d’abord s’intéresser à la première phase du procès, celle de l’enquête

judiciaire où intervient la première mesure attentatoire à la liberté et à la présomption

d’innocence : la garde à vue. La loi du 15 juin 2000 a voulu appliquer les mêmes conditions

de placement en garde à vue dans l’enquête de flagrance que celles qui existaient pour

l’enquête préliminaire. Ainsi, les conditions de placement en garde à vue sont plus

restrictives et ne s’appliquent qu’à une catégorie de personnes comme en témoigne la

nouvelle rédaction de l’article 62 du Code de procédure pénale. Ce texte, concernant les

personnes qui peuvent être entendues par les officiers de police judiciaire dans le cadre de

leur enquête, s’est vu ajouter un alinéa prévoyant que : « Les personnes à l'encontre

desquelles il n'existe aucun indice faisant présumer qu'elles ont commis ou tenté de

commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à

leur audition »1309. On en déduit alors que seules les personnes à l'encontre desquelles il

existe des indices faisant présumer qu'elles ont commis ou tenté de commettre une

infraction, peuvent être retenues davantage, c'est-à-dire placées en garde à vue. Prenant acte

de cette nouvelle exigence M. Pradel posait cette question : « ne va-t-on pas désigner plus

nettement comme déjà coupable la personne qui aura été placée en garde à vue ? »1310. En

effet, mais avant même que se pose cette question, il est évident que l’exigence d’indices

1308 J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., pp. 1039 à 1047 et pp. 1114 à 1124. 1309 La rédaction du dernier alinéa de l’article 62 a été modifiée par la loi du 4 mars 2002, désormais sont de simples témoins ne pouvant être retenus que le temps de leur audition les personnes à l’encontre desquelles il n’existe « aucune raison plausible de soupçonner » qu’elles ont commis ou tenter de commettre une infraction. 1310 J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1041.

Le discours sur l’objet

392

laissant présumer la participation à une infraction exprime une présomption de culpabilité.

L’objectif est de ne placer en garde à vue que des personnes suspectes, ce qui est une

garantie contre l’arbitraire et en même temps une manifestation de la présomption

d’innocence ! Ce renforcement implique également une nouveauté : la possible présence de

l’avocat dès le début de la garde à vue et non plus à compter de la vingtième heure1311.

Cette seconde mesure participe elle aussi du paradoxe. La présence de l’avocat est certes

une garantie de la défense mais sa présence et son utilité ne sont justifiées que parce qu’il y

a déjà présomption de culpabilité.

Concernant la mise en examen, cet acte d’accusation qui exprime avec force les

soupçons que le juge nourrit à l’égard d’une personne, le législateur a là encore souhaité

renforcer les exigences qui autorisent le juge à y recourir. L’ancien article 80-1 alinéa 1

prévoyait que « le juge a le pouvoir de mettre en examen toute personne à l’encontre de

laquelle il existe des indices laissant présumer qu’elle a participé, comme auteur ou

complice, aux faits dont il est saisi ». Dans sa rédaction issue de la loi sur la présomption

d’innocence, ce texte prévoit désormais que « À peine de nullité, le juge d'instruction ne

peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves

ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou

comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi (…)». C’est pour

renforcer la présomption d’innocence que l’article 80-1 restreint ostensiblement les cas dans

lesquels une personne peut être mise en examen. Pourtant on le voit, la référence aux

indices graves ou concordants accentue la présomption de culpabilité par rapport à

l’ancienne rédaction. Il en résulte que ne peuvent être mises en examen que les personnes

que l’on présume « vraiment » coupable. Cette idée est d’ailleurs largement confirmée par

l’alinéa 3 du texte qui précise que «Le juge d'instruction ne peut procéder à la mise en

examen de la personne que s'il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure de témoin

assisté ». Comme le fait remarquer M. Pradel, les dispositions sur le témoin assisté se

combinent avec celles concernant la mise en examen.

Dans le souci constant de renforcer la présomption d’innocence en évitant ou retardant la

mise en examen et donc l’éventuelle détention provisoire qui peut en découler1312, la loi de

2000 a élargi et organisé davantage le statut de témoin assisté1313 comme en témoigne les

articles 113-3 et suivants du Code de procédure pénale. Ce statut est ainsi accordé à toute

1311 Article 63-4 du Code de procédure pénale. 1312 A. GUIDICELLI, Le témoin assisté et la personne mise en examen : vers un nouvel équilibre ? Rev.sc.crim., 2001, p. 45. 1313 La qualité de témoin assisté était originairement réservée, et sur leur demande, aux personnes nommément visées dans une constitution de partie civile et permettait à ces dernières d’être entendues par le juge, assistées d’un avocat, sans être pour autant inculpées. Puis cette qualité a été étendue aux personnes visées dans un réquisitoire nominatif.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

393

personne nommément visée par un réquisitoire introductif ou supplétif et qui n’est pas mise

en examen. Il en va de même pour toute personne nommément visée par une plainte, mise

en cause par la victime ou encore par un témoin. Enfin, peut être entendue comme témoin

assisté devant le juge d’instruction la personne à l’encontre de laquelle il existe « des

indices rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la

commission des infractions dont le juge est saisi ». Cette dernière hypothèse, issue de

l’article 113-2 du Code de procédure pénale combinée avec l’article 80-1 alinéa 3, a pour

effet de faire du statut de témoin assisté le statut de droit commun1314. Protecteur de la

présomption d’innocence, ce statut permet à la personne contre laquelle il n’existe qu’une

faible présomption de culpabilité de retarder ou d’éviter la mise en examen tout en étant

partie à la procédure1315. Toutefois, l’article 113-6 ouvre la possibilité au témoin assisté de

demander au juge, à tout moment de la procédure, à être mis en examen afin de bénéficier

de l’ensemble des droits de la défense. Dans cette dernière hypothèse ou dans celle où le

juge constate l’existence « d’indices graves ou concordants » rendant vraisemblable la

participation à l’infraction, se révèle le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable.

En effet avec ces exemples, on vérifie bien que pour être davantage protégée par la

présomption d’innocence, la personne suspecte ou poursuivie doit être davantage

soupçonnée ou présumée coupable.

La même logique de protection de la présomption d’innocence conduit aux mêmes effets

lorsqu’il s’agit du placement en détention provisoire. Deux exemples peuvent ici illustrer le

paradoxe. Tout d’abord, en modifiant la rédaction de l’article 137 du Code de procédure

pénale, le législateur a renforcé le paradoxe en réaffirmant que la détention provisoire est

exceptionnelle. L’ancien texte prévoyait en effet que la personne mise en examen restait

« libre » sauf le recours, à raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de

sûreté, au « contrôle judiciaire ou, à titre exceptionnel » à la détention provisoire. Le

nouvel article 137 inspiré par la présomption d’innocence est ainsi rédigé : « La personne

mise en examen, présumée innocente, reste libre. Toutefois, en raison des nécessités de

l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs

obligations du contrôle judiciaire. Lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes au regard de

ces objectifs, elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire». Au terme

de ce texte, la détention provisoire apparaît logiquement comme la plus grave des mesures

que le juge d’instruction puisse prendre. Surtout, elle intervient uniquement si le placement

sous contrôle judiciaire est insuffisant. On peut mesurer cette insuffisance au regard des cas

1314 J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1116. 1315 Le témoin assisté a ainsi un droit à l’assistance d’un avocat, à l’accès au dossier de la procédure, à demander d’être confronté à la personne qui l’a mis en cause ; mais il ne peut être placé ni sous contrôle judiciaire ni en détention et ne peut faire l’objet ni d’une ordonnance de renvoi ni d’une mise en accusation.

Le discours sur l’objet

394

autorisant limitativement le recours à la détention et énoncés à l’article 144. Ces cas, bien

qu’encore davantage limités par la loi de 2000, demeurent fondés sur des présomptions de

culpabilité, à l’exception de la détention ordonnée pour protéger la personne mise en

examen1316. Le paradoxe résulte ici de la combinaison des articles 137 et 144 du Code de

procédure pénale : parce qu’elle est présumée innocente, la personne mise en examen ne

pourra être placée en détention provisoire que s’il existe de sérieuses raisons de croire

qu’elle est coupable. Ensuite, la loi du 15 juin 2000 renforce le paradoxe en instituant le

juge des libertés et de la détention, seul désormais habilité à placer en détention provisoire

au terme de l’article 137-11317. L’institution de ce que l’on a appelé « le double regard » sur

le placement en détention, ajoutée au débat contradictoire qui précède la décision du juge de

la détention, ont pour effet certes de limiter les recours trop fréquents à la privation de

liberté, mais en même temps de renforcer la légitimité du placement en détention, c'est-à-

dire du même coup de renforcer la présomption de culpabilité. C’est ce qui a pu faire dire à

M. Pradel que cette institution « a des effets pervers » car « la présomption d’innocence-

qui est pourtant le plus grand objectif du législateur comme il apparaît déjà à l’intitulé de

la loi- sort affaiblie aux yeux du public puisque la décision privative de liberté est

maintenant prise par deux juges et non plus par un seul »1318.

Par ces quelques exemples, on voit donc que la loi du 15 juin 2000 exprime clairement le

paradoxe du présumé innocent, présumé coupable1319. On peut y voir une incohérence du

législateur, voire finalement un affaiblissement de l’innocence1320, mais ce serait se priver

d’envisager les vertus du paradoxe.

1316 « La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l'unique moyen : 1º De conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ; 2º De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ; 3º De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé». 1317 Alinéa 1 : « La détention provisoire est ordonnée ou prolongée par le juge des libertés et de la détention. Les demandes de mise en liberté lui sont également soumises». 1318 J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1046. On doit admettre que ce n’est pas seulement aux yeux du public que la présomption sera affaiblie, mais également au yeux des magistrats qui auront ensuite la charge de juger l’affaire. 1319 Sur la base de ces nouvelles dispositions, un auteur a exprimé à sa façon le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable en livrant ses propos invonvenants suite à l’ «affaire d’Outreau » : « Au risque de choquer, c’est un truisme pour le pénaliste, que d’écrire que la mise en détention provisoire d’une personne intervient nécessairement alors qu’elle est présumée innocente… », V. A. MARON, Des « innocents d’Outreau » aux innocents d’ailleurs » (propos inconvenants), Dr. pén. 2006, Repère 2. 1320 « Quand c’est la présomption qu’on renforce, c’est l’innocence qu’on assassine » écrivait un avocat au lendemain de la loi du 15 juin 2000. L’auteur exprimait alors un net refus du paradoxe renforcé par cette loi : « Pourquoi s’obstiner à heurter le sens commun ? "Présumé innocent ", cela fait rire les gens sains d’esprit. Ils sentent bien le mensonge inhérent à cette formule», D. ROCHER, Mortelle présomption, op. cit., p. 2.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

395

B- LES VERTUS DU PARADOXE

335. La nécessité de préciser la formulation du paradoxe. Le paradoxe n’est pas formulé

par cela seul que le discours accepte la contradiction entre présomption d’innocence et

présomptions de culpabilité ou que le législateur contribue à le rendre plus visible. Le

paradoxe exige de pousser plus avant le raisonnement et de découvrir que finalement c’est

parce que la personne poursuivie est présumée coupable qu’elle peut être présumée

innocente. Au-delà de la condition d’existence de la présomption d’innocence, c’est sa force

et donc son utilité qui sont conditionnées par l’action des présomptions de culpabilité1321.

Une formulation plus précise du paradoxe du présumé innocent, présumé coupable dans le

procès pourrait alors se résumer à cela : plus la personne poursuivie est présumé coupable

plus elle présumée innocente, autrement dit, plus la preuve que la présomption d’innocence

est à l’œuvre est évidente. Il est dans la nature même du paradoxe de choquer l’esprit,

d’aller contre le sens commun, c’est pourtant ce qui fait sa vertu car il interpelle et pousse à

la réflexion. À ce titre, le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable, paraît être une

voie originale mais fructueuse pour appréhender différemment, dans sa complexité, le sens

de la présomption d’innocence.

1) Le statut paradoxal de la personne poursuivie et le sens de la présomption

d’innocence

336. Droit, jeu et complexité. C’est en empruntant la voie ouverte par les juristes belges

François Ost et Michel van de Kerchove que l’on peut proposer d’appréhender quelque peu

différemment la présomption d’innocence. L’objectif, inlassablement recherché par ces

auteurs à travers leurs œuvres, est d’inviter les juristes à penser le droit dans sa complexité.

L’ouvrage intitulé Le droit ou les paradoxes du jeu, qui peut servir ici de référence, propose

d’appréhender le droit à la lumière du jeu. C’est qu’en effet, le droit présente de nombreux

points communs avec le jeu qui autorisent à proposer une théorie du droit comme jeu ou,

plus précisément, « à expérimenter la fécondité du jeu comme modèle théorique pour

rendre raison du droit ». Le jeu, expliquent ces auteurs, doit être « entendu comme

"mouvement dans un cadre" »1322, dans le même sens que lorsqu’on dit qu’il y a du jeu

entre deux pièces d’un mécanisme. Le jeu est lui-même paradoxal puisqu’il n’est possible

que par l’interaction de pôles opposés. S’agissant de la science du droit ou du système

juridique, il est aisé de trouver des exemples de pôles opposés puisque le droit est construit

1321 L’expression est utilisée par souci de commodité, il faut y entendre l’ensemble des soupçons, indices, charge, raisons plausibles etc., qui caractérisent l’hypothèse de culpabilité au cours du procès pénal. 1322 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 10. Autrement dit, le jeu comme mouvement dans un cadre s’entend comme l’essence du jeu et non simplement comme activité ludique. Il ne faut pas songer à tel ou tel jeu en particulier mais à ce qui fait le jeu.

Le discours sur l’objet

396

sur le modèle d’oppositions binaires1323. Le fait qu’il y ait mouvement laisse une place à ce

que les auteurs appellent l’entre-deux. Or, il nous semble que c’est bien la position de la

personne suspecte ou poursuivie d’être dans l’entre-deux ; précisément, entre innocence et

culpabilité.

337. La personne poursuivie entre présomption d’innocence et de culpabilité. Pendant

le procès, qui constitue le cadre dans lequel il y a mouvement et donc jeu, la personne n’est

en effet ni innocente ni coupable. Elle n’est en outre ni complètement présumée innocente

ni complètement présumée coupable, elle est en vérité les deux en même temps. Le statut de

la personne poursuivie, que traduisent à leurs manières les statuts procéduraux1324, est en

effet mouvant, évolutif, selon la nature des interactions entre présomption d’innocence et

présomption de culpabilité. Autrement dit, le statut de la personne poursuivie est

précisément le résultat de la tension qui existe entre présomption d’innocence et

présomption de culpabilité. C’est du reste à l’état de cette tension que correspondent les

divers statuts procéduraux reconnus à la personne poursuivie en cours de procès. De même,

pourrait-on dire que le statut de la personne poursuivie est déterminé par la tension entre le

doute et la certitude. MM. Ost et van de Kerchove mettent cependant en garde contre la

tentation que l’on pourrait avoir de comprendre l’entre-deux comme une position statique à

mi-chemin entre les deux termes d’une opposition. Il ne faudrait pas comprendre l’entre-

deux seulement comme un juste milieu1325 mais davantage comme lieu d’échange

dynamique. C’est en essayant d’observer l’entre-deux que l’on pourrait apercevoir le mieux

les interactions entre les pôles opposés, et surtout que l’on pourrait prendre conscience que

ces pôles n’existent que parce qu’ils se nourrissent l’un l’autre, qu’il est dans leur nature de

s’interpénétrer1326. Ainsi, si le statut de la personne poursuivie se caractérise par l’entre-

deux, entre présomption d’innocence et présomption de culpabilité, il ne s’agit pas d’un « à

mi-chemin », puisque le statut procédural peut évoluer dans un mouvement de progression

vers l’issue du procès. L’interaction entre les deux pôles peut, on le sait, se faire également

au seul profit de la présomption d’innocence et ainsi conduire à stopper définitivement le 1323 Pour illustrer la nature paradoxale du droit, les auteurs citent notamment les « couples » suivants, pour la science du droit : iusnaturalisme/iuspositivisme, subjectivisme/objectivisme, rationalisme/irrationalisme, normativisme/réalisme, ou encore monisme/pluralisme. Pour les systèmes juridiques, statiques/dynamiques, formels/matériels ; ouverts/fermés, autonomes/dépendants. V. pp. 56-57. 1324 De la garde à vue à la mise en accusation en passant par la mise en examen, le statut de témoin assisté, le contrôle judiciaire et la détention. 1325 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 51. 1326 D’ailleurs, au terme d’une analyse du champ lexical formé de termes composés à partir du « entre » français et du « inter » latin, les auteurs ont pu dégager quatre idées centrales qu’exprime le « entre ». Il y a tout d’abord l’idée d’espace qui sépare et qui rapproche à la fois, autrement dit d’intervalle (entracte, entresol, entrouvrir). Il y a ensuite l’idée d’action réciproque, c'est-à-dire d’interaction (entraide, entrevue, s’entrelacer). En troisième lieu, on trouve l’idée d’une tierce intervention qui met en contact, c’est donc l’entremise (interprétation, intermédiaire, intervention). Enfin, On trouve l’idée de permutation de position ou encore l’interversion (interchanger, interlocuteur, entretien), V. Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 59 à 61.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

397

mouvement, c'est-à-dire le procès. C’est par exemple l’hypothèse du prononcé d’un non-

lieu qui met un terme à la fois à l’instruction et au procès. Si le jeu continue, si le

mouvement s’accomplit jusqu’à son terme, c’est toujours par un va-et-vient incessant entre

présomption d’innocence et présomption de culpabilité. Regarder le statut de la personne

poursuivie comme un paradoxe permet en outre de mieux prendre conscience du sens de la

présomption d’innocence

338. Le sens paradoxal de la présomption d’innocence. À l’interaction des pôles opposés

que sont ici présomption d’innocence et présomption de culpabilité, s’ajoute leur

interdépendance fondamentale. L’une et l’autre sont intimement liées, au point qu’il paraît

impossible de comprendre l’une sans l’autre. Certains auteurs l’ont d’ailleurs vu ainsi et il

convient de le rappeler. La présomption d’innocence ne peut se comprendre que par une

référence constante aux présomptions de culpabilité. Ces dernières la justifient et lui

restituent tout son sens. De même, les présomptions de culpabilité, toujours plus fortes au

fur et à mesure que le processus pénal suit son cours, n’ont véritablement de sens qu’au

regard de la présomption d’innocence. Elles puisent elles aussi, en dernière analyse, leur

légitimité dans la présomption d’innocence. Se référer aux indices graves ou concordants de

culpabilité ou aux raisons plausibles de soupçonner la participation à l’infraction, n’aurait

absolument aucun sens si, n’était posée en regard la présomption d’innocence. Il serait en

effet inutile de parler d’indices ou de soupçon et en leur présence on pourrait estimer détenir

la preuve de la culpabilité.

Il est donc dans la nature du procès pénal de conférer à la personne suspecte ou

poursuivie un statut qui permet de la regarder à la fois comme présumée innocente et

comme présumée coupable. Il ne suffit pas comme c’est parfois la tentation de la doctrine,

de dire que la présomption d’innocence n’interdit pas les présomptions de culpabilité,

n’interdit pas de soupçonner ou de relever des indices et des charges de culpabilité. La mise

au jour du paradoxe invite à aller au-delà et à affirmer que seule la présomption d’innocence

peut autoriser ces présomptions de culpabilité1327, c’est elle qui les fonde et qui explique

qu’on les exige de plus en plus fortes pour poursuivre le processus pénal. Un auteur faisait

remarquer qu’il était en quelque sorte heureux qu’une mise en examen traduise une

présomption de culpabilité car, s’interrogeait-il : « quel arbitraire ne faudrait-il pas

dénoncer si une mise en examen était fondée sur une présomption d’innocence ? »1328. La

remarque nous semble juste et… erronée à la fois. Car à bien y regarder, la mise en examen

est également fondée sur la présomption d’innocence. Cet acte, qui est une véritable

1327 C’est d’ailleurs cette idée qui explique notre étonnement face à la rédaction de l’article L. 234-9 du Code de la route. Ce texte, en n’exigeant pas d’éléments constitutifs d’une présomption de conduite sous l’emprise de l’alcool nous paraît méconnaître la présomption d’innocence.V. supra, n° 320. 1328 J.-L. COSTE, Les principes d’action du parquet face à la présomption d’innocence, op. cit., p. 40.

Le discours sur l’objet

398

accusation1329, n’est en effet légitime qu’autant que celui qui en fait l’objet est présumé

innocent. C’est parce qu’elle est présumée innocente que le juge d'instruction ne peut, selon

l’article 80-1, mettre en examen que la personne à l'encontre de laquelle il existe des indices

graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer à la commission d’une

infraction. Le raisonnement du procureur Coste n’est du reste pas si éloigné du paradoxe

lorsqu’il en vient à déclarer que « la meilleure façon de mieux respecter la présomption

d’innocence serait encore de retrouver le sens des mots, d’accepter (…) qu’un mis en

examen puisse être regardé comme un présumé coupable (…) et de redonner au terme de

présomption le sens que lui attribue la langue française »1330.

Notre droit accueille et nourrit donc le paradoxe du présumé innocent, présumé

coupable1331. La doctrine semble à l’heure actuelle esquisser une reconstruction de son

discours sur la présomption d’innocence pour permettre au paradoxe d’être formulé, de

prendre place. Cela étant, face au « scandale logique » que représente tout paradoxe, le

juriste pourrait être tenté de l’occulter ou encore de vouloir s’engager dans une tentative de

résolution. C’est que le paradoxe, au-delà de la surprise qu’il provoque, est en un certain

sens, source d’incompréhension et occasionne une gêne certaine pour qui y est

confronté1332. La question se pose alors de savoir s’il ne conviendrait pas de résoudre le

paradoxe du présumé innocent, présumé coupable. Les vertus du paradoxe ci-dessus

évoquées invitent à répondre d’emblée par la négative. Pourtant, la tentation que certains

auteurs semblent éprouver à le résoudre nous paraît grande en même temps qu’elle nous

donne de nouvelles raisons de refuser cette résolution.

2) Faut-il résoudre le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable ?

339. La tentation de la résolution. En présence d’un paradoxe, MM. Ost et van de

Kerchove notaient qu’il était tentant de vouloir le refouler ou de le résoudre. Des exemples

tirés des sciences montrent que ces tentatives ont existé. Elles passent toutes par un même

procédé : celui de la distinction et la hiérarchisation des niveaux, lesquels parce qu’ils

avaient été confondus, créaient le paradoxe. Pour autant, ces auteurs posent la question de

savoir si par la distinction des niveaux, autrement dit en différenciant niveau et meta-niveau

ou langage et meta-langage, il est pertinent de s’affranchir du paradoxe. Or, parce qu’ils

1329 Ce caractère est renforcé par la loi du 15 juin 2000, avec laquelle la mise en examen revêt une nouvelle gravité car d’une part le juge d’instruction doit se montrer plus précis dans l’énoncé des faits reprochés et dans leur qualification et d’autre part la mise en examen prend un caractère plus solennel avec notamment l’ouverture des droits de la défense, V. C. SAMET, La présomption d’innocence, op. cit., pp. 17-18. 1330 J.-L. COSTE, Les principes d’action du parquet face à la présomption d’innocence, op. cit., p. 41. 1331 Et cette constatation pourrait être elle-même regardée comme source d’un paradoxe ! Car comment le droit qui fonctionne par oppositions binaires pourrait-il en même temps accueillir un paradoxe ? À moins que le droit soit plus ouvert et moins binaire qu’il n’y paraît, et que la science du droit soit quant à elle réfractaire à toute complexité… 1332 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 96-97.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

399

considèrent que le paradoxe est une donnée essentielle à l’intelligence des choses, ces

auteurs estiment qu’il est aussi vain de le résoudre que de le refouler1333. Les mêmes

observations peuvent être formulées au sujet du paradoxe du présumé innocent, présumé

coupable. Il nous semble en effet que l’étude critique de M. Detraz constitue à certains

égards une tentative de résolution du paradoxe inhérent à la présomption d’innocence, à sa

formulation indéterminée. Il nous semble en outre qu’une telle tentative présente plus

d’inconvénients que d’avantages.

340. L’exemple d’une tentative de résolution du paradoxe. Dans son étude intitulée La

prétendue présomption d’innocence, Stéphane Detraz entendait démontrer que notre droit

positif ne reconnaît ni ne consacre ce que la « tradition » appelle la présomption

d’innocence. Certaines étapes de sa démonstration se manifestent en réalité comme des

tentatives de résolution du paradoxe. Tentatives extrêmes, si l’on peut dire, puisqu’elles ont

pour objet l’anéantissement ou la disparition de l’un des deux pôles opposés, en

l’occurrence la présomption d’innocence.

Le paradoxe du présume innocent, présumé coupable apparaît dès l’entame du propos de

M. Detraz, lorsqu’il est observe que « Si l'expression de "présomption d'innocence" est

depuis longtemps reçue en doctrine, -et plus récemment, par la société tout entière-, elle

surprend néanmoins, au premier abord, par son inadéquation avec la réalité »1334. Puis, il

expose au même endroit les deux termes de l’opposition : l’innocence et la culpabilité.

Toutefois, l’auteur fait un pas de plus que ses prédécesseurs. Il explique en effet que, si

d’ordinaire le droit accorde une faveur aux oppositions duales, en l’occurrence une

troisième voie est ouverte entre le statut d’innocent et celui de coupable, il s’agit du statut

de suspect1335. L’auteur approche au plus près la formulation du paradoxe en concédant que

la fonction de la présomption d’innocence est de « place(r) l’intéressé dans un statut

intermédiaire entre ceux d’innocent et de coupable »1336. Le raisonnement s’arrête

visiblement à ce stade ; le paradoxe posé, il s’agit maintenant de le dépasser.

Le dépassement suggéré par M. Detraz consiste tout d’abord à disqualifier la

présomption d’innocence en tant que véritable présomption juridique1337. S’appuyant sur la

1333 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 101. 1334 S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 2. 1335 S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 3. 1336 S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 4. Le choix du mot intermédiaire par M. Detraz revêt une grande importance au regard du champ lexical de l’entre-deux évoqué plus haut. L’emploi par l’auteur n’a ici cependant pas pour fonction de désigner l’entre-deux comme nous l’entendons après MM. Ost et van de Kerchove. En effet, M. Detraz emploi « intermédiaire » comme adjectif. Il désigne donc la place occupée entre deux termes mais dans une position moyenne. En revanche, pris comme substantif, le mot intermédiaire suppose l’établissement d’un lien entre les deux termes, mieux une jonction. Or, il nous semble que ce sens a finalement été refoulé par l’auteur. 1337 Il ne s’agit pas là de remettre en question le bien-fondé de cette disqualification. La critique formulée par cet auteur paraît d’ailleurs justifiée. À cet égard, V. supra, n° 205 et s.

Le discours sur l’objet

400

définition habituelle de la présomption comme opération intellectuelle au terme de laquelle

un fait non prouvé est établi par la connaissance d’un autre fait, l’auteur conclut que la

présomption d’innocence ne peut pas être une présomption. Il observe en effet que la

présomption d’innocence naît de la mise en cause d’un individu qui précisément est

suspecté1338. La disqualification de l’un des termes de l’opposition entre présomption

d’innocence et présomption de culpabilité autorise alors l’auteur à relever que la procédure

criminelle est gouvernée non par la présomption d’innocence mais par un principe de

réalité. Ce dernier consisterait à appliquer au suspect des statuts procéduraux correspondant

à la force des éléments recueillis contre lui. C’est ce que nous avons désigné jusqu’ici

comme des présomptions de culpabilité.

M. Detraz s’efforce par ailleurs de dépasser le paradoxe en mettant en œuvre la méthode

décrite par MM. Ost et van de Kerchove. C’est alors par la distinction des niveaux de

langage que peut être contournée la contradiction soulevée par le paradoxe. M. Detraz s’est

ainsi employé à dénier toute contradiction entre la présomption d’innocence et les

présomptions de culpabilité. Une fois admis que la présomption d’innocence n’est pas une

véritable présomption, M. Detraz explique en effet que : « la présomption d’innocence d’un

côté et les "présomptions de culpabilité" de l’autre ne se contredisent pas en effet sur le

même plan : ces dernières ne constituent pas de simples règles relatives à la charge de la

preuve mais de véritables présomptions, considérant comme vrai ce qui est

vraisemblable »1339. Les présomptions en jeu n’étant pas de même nature, n’agissant pas au

même niveau ne peuvent donc pas créer de contradiction.

La tentative de dépassement passe en outre par une clarification du langage qui semait la

confusion et laissait apparaître le paradoxe. Pour ce faire, M. Detraz s’attaque au sens de

l’expression « présumé innocent » qui laisserait entendre que la personne poursuivie doit

être traitée exactement comme si elle était innocente. Or, telle ne serait pas la vérité,

« présumé innocent » ne signifie pas que l’on considère innocent celui qui est

habituellement désigné sous cette expression. Pour contourner la difficulté, l’ambiguïté,

crée par l’usage de cette expression malheureuse, l’auteur propose d’y substituer

l’expression plus juste de présomption de non-culpabilité ou de postulat de non-

culpabilité1340.

1338 S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 9. 1339 S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 13. On notera que l’auteur vise ici les « véritables » présomptions légales de culpabilité, c'est-à-dire celles qui facilitent la preuve de l’infraction en admettant a priori l’existence d’un de ses éléments. 1340 S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 15.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

401

Les « efforts de dépassement ont certainement le mérite de nous faire progresser dans la

compréhension du paradoxe » expliquent MM. Ost et van de Kerchove1341. Or, il ne fait

aucun doute que la tentative de résolution du paradoxe du présumé innocent, présumé

coupable, présente l’avantage de mettre en lumière plusieurs éléments pour la réflexion sur

la présomption d’innocence. M. Detraz nous semble ainsi contribuer à faire progresser le

savoir sur la présomption d’innocence, particulièrement en cernant les difficultés soulevées

par le langage. Les usages et les sens multiples des expressions « présumé innocent » et

« présomption d’innocence » sont comme des entraves pour accéder à la signification de la

présomption d’innocence. La difficulté est encore accrue si l’on cherche à connaître le sens

à travers les relations entre les deux expressions1342. La précision qui consiste à dire que

« présumé innocent » désigne une réalité spécifique1343, voire complexe, marque le

franchissement d’un pas vers une meilleure compréhension du statut de la personne

poursuivie.

L’étude de M. Detraz a également le mérite de révéler que le paradoxe du présumé

innocent, présumé coupable trouve son origine dans le discours doctrinal lui-même. Il

n’était pas dans les intentions avouées de l’auteur de mener une analyse critique du discours

doctrinal sur la présomption d’innocence. Pourtant, il apparaît que les opinions doctrinales

forment, pour l’essentiel, l’objet des préoccupations de M. Detraz. En effet, La prétendue

présomption d’innocence n’est pas autre chose qu’une critique du discours qui s’est

construit sur une rhétorique des atteintes à la présomption d’innocence. L’auteur a entendu

désamorcer à la fois les contradictions jusqu’alors soulevées en même temps que le

paradoxe qu’elles avaient réussi à mettre au jour1344.

Toutefois, cette tentative de dépassement a pour effet de reléguer la présomption

d’innocence à peu de chose et finalement a pour effet de la faire disparaître sous la forme de

l’expression « présomption d’innocence ». Or, ce procédé n’est pas sans inconvénient au

regard de la nature du paradoxe.

341. Une résolution du paradoxe peu souhaitable. Si la tentative de résolution du

paradoxe du présumé innocent, présumé coupable, permet d’une certaine manière de

« relancer » la réflexion sur le problème de la présomption d’innocence, sa résolution ne

paraît pas pour autant souhaitable. Car conserver le paradoxe présente un intérêt à plusieurs

égards. Les efforts qui consisteraient à préciser le langage du droit en faisant disparaître 1341 Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 99. 1342 C’est ce que nous avions voulu exposer au titre de l’indétermination terminologique, V. supra, n° 282. 1343 S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 14. 1344 Pour s’en convaincre, il suffit de prêter attention à chacune des critiques formulées par l’auteur. Soit elles prennent appui sur des opinions doctrinales que l’auteur partage, soit elles visent plus ou moins directement des opinions doctrinales. V. S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., spécialement : n° 1, 2, 6, 12, 13, 14, 16, 17, 19.

Le discours sur l’objet

402

l’expression « présomption d’innocence » ou « présumé innocent » peuvent sembler à la

fois vains et même dommageables. Trois ordres de raisons autorisent à le penser.

En premier lieu, bannir du vocabulaire l’expression « présumé innocent » ou celle de

« présomption d’innocence » aurait tout simplement pour effet de faire disparaître l’un des

deux termes de l’opposition que traduit le paradoxe. Or, au titre des vertus du paradoxe il

est apparu que la présomption d’innocence ne pouvait s’expliquer et se comprendre que par

une référence toujours présente aux présomptions de culpabilité. L’une ne peut aller sans les

autres et ne parler que des présomptions de culpabilité ne rendrait sûrement pas meilleur

compte de la réalité du procès pénal1345. Ces dernières, si elles existent et sont légitimes, ce

n’est que pour autant que la présomption d’innocence leur donne leur véritable raison d’être

et leurs limites. C’est bien à la jonction entre présomption d’innocence et présomption de

culpabilité que se situe la personne suspectée. Occulter l’un des deux pôles reviendrait à

nier cette réalité. Car, ne plus parler de présomption d’innocence ne changerait

probablement rien à cette réalité que l’on ne peut placer quelqu’un en garde à vue que s’il

existe des raisons plausibles de soupçonner que…En revanche, la représentation de cette

réalité en serait comme faussée, incomplète voire suspecte, si elle ne prenait en compte

l’autre protagoniste du jeu. Les présomptions de culpabilité ne peuvent en effet « jouer »

utilement dans le procès qu’en raison de l’existence de ce contre quoi elles luttent : la

présomption d’innocence.

En second lieu, admettre le paradoxe permettrait de cesser de raisonner en terme

d’atteintes à la présomption d’innocence tout en conservant cette dernière comme rempart

aux présomptions de culpabilité. Accepter le statut paradoxal de la personne poursuivie

consisterait à toujours laisser s’exprimer l’entre-deux où se situe précisément le suspect.

Cela exigerait alors d’avoir toujours égard aux interactions entre présomption d’innocence

et présomptions de culpabilité, de ne jamais s’inquiéter de l’une sans s’inquiéter dans le

même temps des autres. Ne raisonner qu’en terme d’atteintes ou de limites à la présomption

d’innocence ce n’est encore s’intéresser qu’à l’un des deux termes de l’opposition. Or ce

type de raisonnement se conclut par le même constat inlassablement répété : en pratique la

présomption d’innocence n’existe pas, elle n’est pas appliquée, il ne s’agit que d’une belle

affirmation théorique. On a en vue dans ce cas, aussi bien la pratique judiciaire que la

« pratique sociale », cette dernière se comprenant comme la réception par l’opinion

publique de l’expression « présomption d’innocence ». Le raisonnement tendrait alors à dire

1345 C’est néanmoins l’opinion qui a été défendue par M. Jeandidier. Cet auteur estime qu’à défaut d’une évolution des mentalités et d’un bouleversement des règles, autant supprimer la présomption d’innocence et laisser place à la présomption de culpabilité pour faire cesser l’hypocrisie du droit pénal et mettre la théorie en accord avec la pratique. V. W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 52.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

403

que la présomption d’innocence est ineffective1346. Elle n’est probablement pas aussi

effective que certains le souhaiteraient, mais elle n’est pas non plus ineffective. Le serait-

elle qu’elle continuerait en réalité de produire des effets. M. Carbonnier explique à cet

égard qu’ « il peut être important de maintenir une règle, même violée, si elle répond à un

intérêt social évident ». En effet, l’auteur fait observer « qu’une règle de droit, même

ineffective, peut avoir son utilité, en créant un climat d’insécurité juridique, de

responsabilité, de "mauvaise conscience", qui s’oppose à des violations plus étendues »1347.

Le maintien du paradoxe, et donc de la présomption d’innocence, nous paraîtrait justifié par

cette seule raison. La loi renforçant la présomption d’innocence a d’ailleurs épousé en partie

cette idée. L’inscription de la « présomption d’innocence » dans l’article préliminaire ne

devait, selon la volonté du législateur, n’avoir aucune incidence juridique. Tous les espoirs

étaient en revanche tournés du côté des vertus pédagogiques d’une affirmation solennelle.

Pédagogie des policiers, des magistrats et en dernier lieu de l’opinion, pourquoi pas ?

Enfin, le paradoxe s’il peut présenter des vertus sur le plan juridique, n’en produit pas

moins des effets pervers puisque l’opinion alimente le paradoxe, à sa façon, en considérant

comme coupable celui qui est présumé innocent. Il nous semble pourtant que le paradoxe

pourrait utilement produire ses effets sur l’opinion. Elle pourrait ainsi appréhender la réalité

du procès pénal dans sa complexité et non plus au travers de simplifications souvent

erronées. Cela exigerait toutefois que le paradoxe se voit d’abord reconnaître droit de Cité

dans le discours juridique. Par là, le changement des mentalités, que nombre d’auteurs

appellent de leurs vœux pour que soit respectée la présomption d’innocence, aurait quelques

chances de contaminer les tiers au procès. Une telle évolution des mentalités, au sein du

corps judiciaire comme de la société, ne semble pouvoir passer que par l’acceptation de

l’existence des deux termes de l’opposition : présomption d’innocence et présomption de

culpabilité. Cela implique notamment de conserver l’expression présomption d’innocence.

En effet, s’il appartient à la doctrine de préciser le sens de la présomption d’innocence, il ne

paraît pas souhaitable d’en passer par une reformulation du signifiant. Bien que

juridiquement ambiguë et pour tout dire impropre, l’expression de présomption d’innocence 1346 Il faut pourtant remarquer que nous n’avons jamais relevé dans le discours doctrinal de raisonnement explicite en terme d’effectivité ou d’ineffectivité de la présomption d’innocence. On parlera évidemment d’atteintes ou d’un plus ou moins grand respect de la présomption d’innocence. On remarquera d’ailleurs que le discours doctrinal sur la présomption d’innocence consiste pour une part importante à répondre à la question de savoir si elle est suffisamment respectée. Cela est patent avec la majorité des thèses de doctorat consacrées au sujet. Depuis que M. Essaïd a étudié de façon approfondie la notion et pointé méticuleusement les atteintes, d’autres auteurs ont produit un travail qui pourrait s’apparenter à une évaluation périodique de l’état « d’effectivité » de la présomption d’innocence. V. V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit. ; P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit. ; J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op. cit. ; H. DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, op. cit. ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit. 1347 J. CARBONNIER, Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, in Flexible droit, Paris, LGDJ, 7e éd., 1992, p. 134-135.

Le discours sur l’objet

404

a elle aussi des vertus qui expliquent probablement sa pérennité dans le discours. Elle a, en

particulier, cette force évocatrice qui saisit les esprits, qu’ils soient avertis ou profanes.

La pleine reconnaissance de la signification de la présomption d’innocence, et par voie

de conséquence son respect, paraît désormais1348 essentiellement tributaire d’une évolution

des mentalités. Cette opinion trouve de plus en plus à s’exprimer en doctrine1349, qu’elle

vise le corps judiciaire ou l’opinion. Wilfrid Jeandidier estimait que le salut était à portée de

main, mais qu’il y fallait une profonde transformation des mentalités, une prise de

conscience1350. Un autre auteur précisait que la prise en compte de la présomption

d’innocence judiciaire butait sur un problème de mentalité beaucoup plus grave que la

question purement juridique. Et d’ajouter que si la justice peine à intérioriser le concept,

inévitablement sa réception par les autorités de l’État et l’opinion n’en sera que

brouillée1351. S’agissant plus particulièrement de l’opinion publique, M. Conte évoquait la

nécessité de la sortir de son ignorance des choses judiciaires en l’éduquant1352. Le paradoxe

du présumé innocent, présumé coupable ne relève donc pas du seul domaine des règles de

procédure pénale, il touche aussi à la question de la réception de la présomption

d’innocence par les citoyens.

Toutefois, lorsqu’il s’agit de s’inquiéter d’un problème de mentalités, le droit ne paraît

pas en mesure d’apporter une solution heureuse ou satisfaisante. Le droit impuissant contre

le fait, dira-t-on. « Aucune loi ne peut faire que, dans l’esprit des juges, au départ de la

réflexion, il y ait un homme présumé innocent »1353, et l’actualité en fournit régulièrement

des exemples. Portant sa réflexion sur « l’affaire d’ Outreau », M. Conte rappelle cette

réalité. À la question récurrente de savoir s’il conviendrait de supprimer le juge

d’instruction au motif que de nos jours les instructions seraient surtout menées à charge,

l’auteur se demande ce qu’il faut entendre derrière l’argument. S’il s’agit de signifier que le

juge peut s’avérer partial, sourd aux demandes de la défense, qu’il peut négliger toutes les

pistes autres que celle qui postule la culpabilité, alors « en quoi une réforme, quelle qu'elle

soit, pourrait-elle remédier à une telle perversion ? ». Il y a en effet fort à craindre qu’un

1348 Parce que l’on estime que la présomption d’innocence est maintenant suffisamment protégée juridiquement. Pour le procureur Coste, le respect de la présomption d’innocence ne pose guère de difficultés dans la pratique judiciaire car, si la loi est respectée, la présomption d’innocence est également respectée. V, J.-L. COSTE, Les principes d’action du parquet face à la présomption d’innocence, op. cit., pp. 39-40. 1349 Déjà en 1968, un professeur enseignait que « La présomption d’innocence est certes reconnue en tant que principe ; mais ce principe n’est pas suffisamment mis en œuvre dans les faits ; son observance réelle est surtout fonction d’une éducation du public et d’un plus grand respect de l’individu de la part de la presse et des autorités elles-mêmes », L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 257-258. 1350 W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 52. 1351 J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 240. 1352 PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op.cit., n° 2. 1353 CH. ATIAS, Quelle procédure pénale pour quel droit ? Rev.int.dr.pén., 1997, vol. 68, p. 40.

La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

405

« texte sera toujours impuissant à modifier la mentalité de celui qui en fait

application »1354.

342. De la signification indéterminée à la signification maîtrisée. Si la littérature

doctrinale laisse à penser que la signification de la présomption d’innocence est

indéterminée, encore convient-il d’approfondir l’analyse. Au terme de celle-ci,

l’indétermination du sens de la présomption d’innocence n’est que partielle. L’incertitude

qui règne sur la terminologie employée dans le discours paraît compromettre l’accès au

sens. Pourtant, les différentes manières d’entendre les expressions « présomption

d’innocence » et « présumé innocent » ne correspondent pas nécessairement à une

imperfection du savoir sur la présomption d’innocence. Les dernières évolutions du

discours en la matière montrent que l’impropriété des termes n’est pas suffisante pour

justifier un changement des habitudes. Les pénalistes continueront vraisemblablement à

parler de la présomption d’innocence plutôt que de présomption de non-culpabilité ou de

postulat de l’innocence présumée. L’incertitude qui paraît affecter la signification juridique

de la présomption d’innocence pourrait masquer un sens implicite mais bel et bien

déterminé. Si le discours se transforme pour intégrer les nouvelles données du droit positif,

il a le pouvoir de privilégier un sens plutôt qu’un autre. Il a la possibilité de laisser entendre

que la présomption d’innocence, règle de preuve avant tout, se conçoit comme une limite à

l’intime conviction des juges.

Il n’en va pas autrement en ce qui concerne l’indétermination des conséquences. Si

indétermination il y a, c’est manifestement moins en raison d’un défaut de connaissance de

l’objet étudié qu’en raison d’un choix. Ce choix, qui peut être regardé comme une

autolimitation de la doctrine s’exprime non pas explicitement mais au contraire par le

silence. Il en résulte que, s’il s’avère sans doute impossible de découvrir une opinion

véritablement unanime quant à la signification de la présomption d’innocence, cette

dernière doit cependant beaucoup à la représentation qu’en donne la doctrine. À tel point

qu’il est encore possible de dire que la présomption d’innocence est, avant tout autre chose,

un concept doctrinal.

La question du sens de la présomption d’innocence dans le discours devait légitimement

retenir l’attention tant elle est au cœur de la notion. L’analyse de la littérature doctrinale se

montre parfois riche d’enseignements et soulèvent nombres de questions qui ne sauraient

être résolues dans le cadre de ce travail. Le discours doit encore nous intéresser sous l’angle

du fondement de la présomption d’innocence cette fois. Or, on peut d’emblée signaler que

la question du fondement se présente d’une manière totalement différente de celle de la

1354 PH. CONTE, Les Galeux de la République. À propos de « l’affaire d’Outreau », JCP. 2006 I 101.

Le discours sur l’objet

406

signification. Elle a pour ainsi dire été éludée, à tout le moins n’a-t-elle pas donner lieu à de

nombreux développements comme il nous sera donné de le constater.

407

CHAPITRE 2 DISCOURS DOCTRINAL ET FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION

D’INNOCENCE

343. La question du fondement de la présomption d’innocence dans le discours.

Pourquoi la présomption d’innocence ? Cette question est celle du fondement. Encore faut-

il préciser ce que l’on entend par fondement. Le juriste est naturellement porté à voir dans le

fondement la question des motifs juridiques, de la référence à une base légale, ou encore à

songer aux moyens propres à justifier une prétention, que ces moyens soient de droit ou de

fait1355. Mais de façon plus générale et plus métaphysique aussi, le fondement peut se

comprendre comme « ce par quoi une chose peut se tenir dans l’être », ce sur quoi repose

ultimement les choses1356. C’est le sens qu’il nous faudra privilégier dans les

développements à venir. Le fondement, conformément à la métaphore de la fondation, est

une base, un socle sur lequel peut s’appuyer un édifice. La question du fondement revêt une

grande importance puisque c’est ce qui détermine l’assentiment légitime de l’esprit1357.

Une analyse même superficielle du discours doctrinal sur la présomption d’innocence

suffit pour faire ce constat : la question du fondement de la présomption d’innocence

apparaît comme une question secondaire. Si le fondement, entendu comme base juridique,

est largement exprimé dans le discours sur les sources positives de la présomption

d’innocence, la question du pourquoi n’a quant à elle été formulée qu’à de rares occasions.

On observe en effet qu’elle a rarement été traitée pour elle-même. Certes, et c’est naturel,

M. Essaïd avait fait une place au fondement de la présomption d’innocence dans sa thèse.

Mais nombre d’auteurs qui ont présenté la présomption d’innocence se sont complètement

désintéressés de cette question1358. « Bien que cela ne soit généralement pas fait, on peut

s’interroger sur le fondement du principe de la présomption d’innocence » a fini par

admettre Mme Rassat1359. Ce n’est qu’à compter de la dixième édition de son manuel que

M. Pradel aborde la question du fondement de la présomption d’innocence de façon

1355 Ce sont là les deux définitions que donne la Vocabulaire juridique de M. Cornu. 1356 Grand dictionnaire de la philosophie, M. BLAY (dir.), Larousse, Paris, 2003. 1357 Dictionnaire Le petit Robert. 1358 G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit.; J.-A. ROUX, Cours de droit criminel français, op. cit. ; H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit.; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit.; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit. 1359 M.-L. RASSAT, Procédure pénale, op. cit., 2e éd., n° 191 et Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195. On remarquera que cet auteur n’a elle-même pas toujours abordé le thème du fondement puisque son cours professé dans les années quatre-vingt n’en disait mot.V. Procédure pénale et pratique des parquets, Les cours du droit, 1980-1981.

Le discours sur l’objet

408

autonome. Des développements spécifiques montrent à cet égard que l’auteur distingue

entre le fondement textuel et le fondement idéologique de la présomption d’innocence1360.

Ce faible intérêt pour une recherche et une présentation du fondement de la présomption

d’innocence invite à s’interroger sur ses raisons. En effet, cette présomption d’innocence

dont on ne cesse de dire qu’elle est violée, bafouée, ignorée, faible, malade et finalement

incomprise, ne gagnerait-elle pas à voir sa légitimité, sa justification, exposées ? Un plus

grand intérêt pour le fondement ne permettrait-il pas d’espérer une meilleure réception, un

meilleur respect de la règle dans l’univers du droit et au-delà dans l’opinion publique ? Une

réponse à ces questions pourrait consister à dire que la présomption d’innocence est un droit

fondamental de l’homme, consacré comme tels par divers textes tout aussi fondamentaux et

que cela suffit amplement à justifier son existence et à imposer son respect. Il est d’ailleurs

probable que le silence de certains auteurs sur la question du fondement s’explique tout

simplement par un tel point de vue. On rappellera à cet égard que la Déclaration des droits

de l’homme pourrait tout à fait, au regard de l’importance qui lui a été conférée dans le

discours doctrinal, s’analyser à la fois comme l’origine historique, la source textuelle et plus

généralement comme le fondement de la présomption d’innocence1361.

Une autre attitude face à la question du fondement pourrait consister à ne pas se

satisfaire de la réponse précédente qui, il faut l’avouer, est un peu courte. Elle ne saurait en

effet expliquer pourquoi du droit romain à l’ancien droit français en passant par le droit

anglais du Moyen Âge, la présomption d’innocence a été connue ou reconnue. La

philosophie des droits de l’homme et les textes qui l’expriment ne sont que des fondements

circonstanciels qui en eux-mêmes sont incapables de fournir une réponse à la question de

savoir : pourquoi la présomption d’innocence ? et pourquoi pas une présomption de

culpabilité ? et après tout pourquoi pas ni l’une ni l’autre comme le proposait autrefois le

doyen Carbonnier ? Certes il n’est pas impossible de retrouver dans la littérature juridique

pénale des éléments de réponse à cette question. Les auteurs avancent parfois telle ou telle

justification à la présomption d’innocence dont il faut rendre compte en étudiant

précisément le discours sur le fondement de la présomption d’innocence (section 1).

344. La question du fondement du discours sur la présomption d’innocence. La

question : pourquoi la présomption d’innocence peut encore s’entendre d’une manière un

peu différente mais tout aussi intéressante. On peut effectivement la formuler non plus sur

1360 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 10e éd., n° 367. 1361 V. supra, titre 1, chapitre 1, et plus particulièrement n° 199. Un auteur a pu ainsi écrire que la présomption d’innocence « tire son essence et sa légitimité de plusieurs sources distinctes ayant pour point commun la protection du justiciable avant son jugement » et de citer l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme, 11 de la Déclaration universelle, 6§2 de la Convention européenne, 14 du Pacte international et 9-1 du Code civil. V. P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 14.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

409

un plan général et à l’égard de la présomption d’innocence elle-même mais au regard du

discours doctrinal qui la prend pour objet. Car, il faut s’en souvenir, c’est bien ce discours

qui lui a donné vie en la formulant, qui l’a nourrie et y consacrant des développements

toujours plus nombreux et finalement en la portant, la défendant. Bien que l’idée de la

présomption d’innocence soit très ancienne et comme l’ensemble de nos observations l’ont

jusqu’ici montré, le concept de présomption d’innocence est quant à lui récent et doit, pour

une large part, sa formulation et son élaboration à l’œuvre collective des criminalistes qui

l’ont introduit dans leurs enseignements de la procédure pénale. Si la question du

fondement de la présomption d’innocence ne trouve dans le discours qu’une réponse

partielle, superficielle, peut-être qu’elle pourrait utilement être éclairée par un

questionnement sur le fondement du discours. Parce qu’il nous semble que le fait même de

prendre la présomption d’innocence pour objet de discours participe du fondement de celle-

ci et qu’en outre les énoncés doctrinaux sur les sources et la signification sont, eux aussi,

déterminés par la l’émergence de la présomption d’innocence dans la littérature juridique, le

fondement du discours sur la présomption d’innocence participe, à sa manière, au

fondement de la présomption d’innocence. Sans prétendre en examiner tous les aspects, on

pourra se limiter à mettre en relation certains éléments troublants recueillis tout au long de

nos développements et qui peuvent être ramenés à la question du fondement du discours

(section 2).

Le discours sur l’objet

410

SECTION 1 : LE DISCOURS SUR LE FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

345. Trop de justifications tue la justification. Si la question du fondement de la

présomption d’innocence est peu développée dans la littérature juridique pénale, on y trouve

néanmoins évoquées plusieurs justifications pour expliquer ce principe. Toutes ne sont pas à

mettre sur le même plan. Certaines ne légitiment la présomption d’innocence que sous son

aspect technique et probatoire, tandis que d’autres l’envisagent de façon plus générale. En

outre, on remarque que certaines justifications autrefois avancées par les auteurs semblent

avoir été abandonnées au profit d’autres qui paraissent alors plus sûres. Il s’agira alors dans

un premier temps de décrire la manière dont ces diverses justifications ont été avancées en

tentant d’ordonner cette pluralité de fondements (§1). Cette description ne faisant

paradoxalement que renforcer, en l’illustrant, l’absence de réelle réflexion approfondie sur

la question du fondement, la meilleure façon de rendre compte du discours doctrinal serait

d’envisager l’hypothèse selon laquelle la question du fondement aurait tout simplement été

éludée par la doctrine (§2).

§. 1 LA PLURALITÉ DE FONDEMENTS DISPONIBLES

346. Diversité de nature et d’intensité. Les divers arguments formulés dans le discours

doctrinal au soutien de la présomption d’innocence ne sont visiblement pas tous crédités de

la même force justificative, certains apparaissent « meilleurs » que d’autres aux yeux des

pénalistes. On observe également que les justifications ainsi avancées sont de nature assez

différentes. Plutôt que de donner une liste énumérative et exhaustive de tout ce qui pourrait

apparaître comme justification de la présomption d’innocence, il paraît plus pertinent de les

présenter selon deux catégories distinctes. La première catégorie rassemblerait ainsi les

justifications relevant de la raison juridique, c'est-à-dire de la raison, de la logique

appliquées au procès pénal ; tandis que la seconde catégorie s’attacherait au fondement

politique de la présomption d’innocence.

A- LES ARGUMENTS TIRÉS DE LA RAISON JURIDIQUE

347. Vraisemblance et vérité. L’analyse du discours doctrinal montre qu’il serait

raisonnable d’admettre la présomption d’innocence pour deux ordres de raisons. Tout

d’abord, la vraisemblance de l’innocence paraît pouvoir justifier que l’on pose la

présomption d’innocence pour point de départ de toute raisonnement mené à propos du

procès répressif. Ensuite, et peut-être de façon complémentaire, la présomption d’innocence

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

411

trouverait une excellente justification dans son utilité au regard de l’objet du procès pénal

qu’est la manifestation de la vérité.

1) La vraisemblance au fondement de la présomption d’innocence

348. Énoncé de l’argument. En réalité, ce fondement ne sert à justifier la présomption

d’innocence que dans sa fonction de détermination du fardeau de la preuve. Il emprunte

donc inévitablement aux raisons qui expliquent, dans tout procès, civil ou pénal, que la

charge de la preuve incombe au demandeur. « C’est une règle de raison et de sécurité

sociale tout à la fois, que d’exiger de [l’accusateur] la démonstration pleine et entière de la

culpabilité de l’accusé », expliquait Garraud1362. L’analogie avec le principe actori

incumbit probatio invite à penser que la présomption d’innocence s’explique par une faveur

pour les situations acquises. Ce sont ceux qui entendent contester ces situations qui doivent

rapporter la preuve. La présomption d’innocence se justifierait aussi tout simplement parce

qu’il est logique de suspendre le jugement sur la culpabilité jusqu’à l’issue du procès, qui

seule déterminera avec certitude si la culpabilité est avérée ou non1363. Toutefois, ainsi

énoncée la justification paraît incomplète.

Ce sont les auteurs anciens qui ont le plus utilisé l’argument de la vraisemblance alors

qu’il paraît disparaître des écrits les plus récents. Cet argument consiste à dire qu’il est dans

la nature des choses de présumer l’innocence dès lors que la catégorie des honnêtes gens est

majoritaire par rapport au monde des délinquants. « Par l’accusation, on prétend faire

sortir quelqu’un de la catégorie des honnêtes gens, qui, dans la société forment la majorité,

pour le ranger dans celle des délinquants, qui constitue la minorité »1364 relevait Roux dans

les années trente. En effet, le crime étant un phénomène exceptionnel1365, il paraît logique et

raisonnable de supposer qu’un individu, pris au hasard, est innocent, n’a commis aucun acte

répréhensible. C’est toutefois Bentham qui avait sûrement le plus développé cet argument

au XIXe et que M. Essaïd reprendra bien plus tard. L’auteur anglais expliquait qu’il fallait

partir d’un point fixe : la présomption d’innocence. Cette dernière pouvant se prévaloir de

bases solides que Bentham appelle sanctions tutélaires. Ces sanctions sont censées agir sur

les individus pour les détourner du crime et constituent ainsi des freins naturels à la

commission des infractions. Par la sanction naturelle, l’homme répugnerait à des actes de

méchanceté ou d’injustice et craindrait de s’exposer à l’inimitié ou à la vengeance de ceux

qu’il aurait offensés. Par la sanction politique, il craindrait les peines légales. En outre, par

la sanction de l’opinion, il risquerait d’encourir le blâme et le mépris de la société. Enfin, la

1362 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 230. 1363 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 132. 1364 J.-A. ROUX, note sous Cass. crim., 15 mars 1929, S. 1930. 1. 353. 1365 Rossi, cité par M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 129.

Le discours sur l’objet

412

sanction religieuse l’exposerait à des peines même dans les cas où il échapperait à la

poursuite des tribunaux humains1366.

Plus récemment, M. Larguier évoquait lui aussi cet argument mais de façon plus

prudente en faisant observer que la personne poursuivie n’est cependant pas prise

totalement au hasard dans la population1367. Aujourd’hui, M. Pradel énonce, parmi d’autres,

cette justification en faisant valoir que « la présomption d’innocence est une notion

juridique censée correspondre à la vérité car, dans leur majorité, les hommes sont

honnêtes »1368. Cette vérité alléguée n’est pourtant pas certaine. L’argument peut paraître

faible, il ne semble être qu’un postulat invérifié. C’est alors un parti pris de postuler

l’innocence qui peut résulter d’un acte de foi, d’une croyance1369. Comment savoir si

réellement la majorité d’entre nous est respectueuse de la loi pénale ? Qu’entend-t-on par

« honnête » ? Si l’honnêteté se réduit au respect de la loi pénale, il ne semble pas très

prudent d’affirmer que la majorité des individus est honnête. Le concept même de chiffre

noir de la criminalité suffit à en faire douter1370. C’est pour d’autres raisons que l’argument

de la vraisemblance prête à la critique et fait l’objet d’une réfutation par certains auteurs.

349. Réfutation de l’argument tiré de la vraisemblance. À l’idée que la majorité des

individus est honnête et respectueuse des lois, on a opposé la réalité judiciaire qui

démontrerait le contraire. Ainsi MM. Merle et Vitu enseignent-ils que « la présomption

d’innocence ne repose pas sur la forte probabilité, la vraisemblance que l’individu est

poursuivi est innocent, puisque les procès répressifs, dans leur très grande majorité, se

terminent par des condamnations »1371. Le professeur Michèle-Laure Rassat ne dit

d’ailleurs pas autre chose dans son évocation du fondement de la présomption

d’innocence1372. M. Larguier exprimait un doute quant à la valeur de l’argument tiré de la

vraisemblance en apportant une précision d’importance : la personne poursuivie n’est pas

prise au hasard dans la population. On notera que la réfutation de la vraisemblance était en

réalité déjà contenue dans l’exposé de Bentham. En effet, si l’auteur admettait l’existence

1366 Traité des preuves judiciaires, op. cit., tome I, p. 396. 1367 J. LARGUIER, La procédure pénale, Que-sais-je ? op. cit., p. 40. 1368 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit. , 12e éd., n° 384. 1369 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 130. C’est bien cette croyance que les juges de la cour suprême du Canada ont exprimé dans une de leurs décisions : « La présomption d'innocence confirme notre foi en l'humanité; elle est l'expression de notre croyance que, jusqu'à preuve contraire, les gens sont honnêtes et respectueux des lois », R. c. Oakes, 28 février 1986, § 29, Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada, 1986, vol. 1, p. 103. Texte de la décision disponible en ligne à partir du site : [http://www.lexum.umontreal.ca]. 1370 Selon la définition donnée par le Vocabulaire juridique de l’Association Capitant, le chiffre noir est le « nom donné à la différence entre la criminalité réelle totalisant les infractions commises en un temps et un lieu donnés (selon diverses estimations) et la criminalité dite apparente enregistrées par les statistiques de police (laissant dans l’ombre toutes les infractions pour lesquelles le processus de la répression en s’amorce pas». 1371 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 143. 1372 M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

413

des quatre sanctions tutélaires propres à « déprobabiliser » le crime, il n’en précisait pas

moins que la présomption se renverse lorsqu’un crime est commis. Dans la situation

spéciale d’un tel acte, la présomption d’innocence qui servait de point de départ au

raisonnement se trouve contrebalancée par les circonstances que Bentham appelle

« inculpatives ».

Ainsi, le fondement de la présomption d’innocence semble devoir changer de nature

selon qu’on l’envisage en dehors et avant tout procès ou seulement à partir du moment où

une infraction a été commise et qu’une ou plusieurs personnes sont soupçonnées d’en être

les auteurs. Si bien qu’il n’y aurait pas tant lieu de parler de réfutation de l’argument tiré de

la vraisemblance dès lors que les auteurs ne se placent pas du même point de vue. Les uns

semblent se référer à la conception retenue par la Déclaration des droits de l’homme pour

laquelle tout homme serait présumé innocent, alors que les autres rechercheraient le

fondement de la présomption d’innocence au sens des autres textes, notamment l’article 6§2

de la Convention européenne, qui ne protège que les personnes faisant l’objet d’une

accusation ou de soupçons. C’est du reste, sans trop s’en expliquer, ce qu’avait fait M.

Essaïd en exposant le fondement de la présomption d’innocence. L’auteur envisageait cette

question dans deux hypothèses distinctes : celle dans laquelle se pose la question de savoir

si une infraction a été commise et celle dans laquelle l’infraction étant certaine, il s’agit de

savoir si une personne déterminée et suspectée peut en être l’auteur1373. Or pour M. Essaïd

la meilleure justification de la présomption d’innocence relève de cette seconde hypothèse,

il s’agit de la manifestation de la vérité.

2) L’utilité de la présomption d’innocence fondée sur la manifestation de la vérité

350. La meilleure des justifications ?. À propos de la manifestation de la vérité, M. Essaïd

écrivait en 1969 : « Elle constitue, à notre avis, la véritable raison d’être du principe »1374.

Et d’expliquer que la présomption d’innocence se présente comme la garantie la plus

sérieuse contre les fausses accusations et les convictions prématurées. Elle stimulerait la

découverte de la vérité en exigeant la démonstration de la culpabilité pour pouvoir

condamner. Cette stimulation, cette quête de la vérité, contribuent alors à faire reculer le

risque d’erreurs judiciaires qui est encouru à chaque étape du procès pénal. L’auteur

rappelle que, quelle que soit la gravité de l’infraction, et donc celle de la peine prononcée,

« la condamnation d’un innocent entraîne toujours des conséquences néfastes non

seulement pour la victime de l’injustice, mais aussi pour la société » 1375. Mais la

manifestation de la vérité doit également contribuer à la condamnation des coupables, car

1373 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 128 et s. 1374 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 136, p. 91. 1375 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 136, p. 94.

Le discours sur l’objet

414

l’erreur commise à leur profit pourrait s’avérer tout aussi préjudiciable à la société. Dans la

prise en compte de ce double risque d’erreur judicaire, M. Essaïd estime qu’ « en définitive,

la présomption d’innocence ne peut avoir pour fin que la manifestation de la vérité », car,

dit-il « c’est le seul moyen, semble-t-il, de sauvegarder tous les intérêts mis en cause dans

le procès pénal »1376. Il en irait d’ailleurs de même de la règle du doute favorable qui est

fondée sur l’impossibilité de parvenir à la vérité recherchée.

351. Vérité et présomption d’innocence. À vrai dire, peu d’auteurs ont avancé un tel

fondement pour la présomption d’innocence1377. Peut-être que l’expérience, qui montre la

permanence des erreurs judiciaires et l’effet toujours pervers des convictions prématurées,

démentent trop crûment cette idée que la présomption d’innocence trouve sa meilleure

justification dans la manifestation de la vérité. D’autres raisons pourraient être proposées

pour relativiser la force de l’argument. On pourrait objecter qu’il s’agit là au mieux d’une

fonction de la présomption d’innocence mais non d’un fondement. C’est cette manifestation

de la vérité qui expliquerait que le magistrat instruise aussi bien à charge qu’à décharge. En

outre, l’auteur n’offre pas d’expliquer en quoi la manifestation de la vérité serait favorable à

la présomption d’innocence. La manifestation de la vérité vise semble-t-il la vérité

matérielle. Pourtant, c’est au nom d’une présomption d’innocence largement entendue que

la recherche de la vérité est encadrée, limitée, dans la phase de recherche de la preuve. La

présomption d’innocence peut alors être brandie pour écarter la vérité. De plus, on pourrait

penser qu’au stade ultime du jugement, la présomption d’innocence loin de favoriser la

manifestation de la vérité, l’écarte bien davantage en postulant une décision favorable en

cas de doute alors même que la situation suppose très exactement que la vérité n’est pas

connue. Contrairement à ce que soutient M. Essaïd, la vérité n’impose pas nécessairement

la relaxe ou l’acquittement. Tout dépend en réalité de la conception que l’on se fait de la

vérité et de sa valeur dans le procès. À ce titre, il est une dernière raison qui permet de

penser que la manifestation ne constitue pas la meilleure justification de la présomption

d’innocence. En assimilant présomption d’innocence et doute favorable, force est de

reconnaître que la manifestation de la vérité ne saurait expliquer les conséquences attribuées

au doute. Ainsi par exemple de l’impossibilité de réviser les jugements d’acquittement. La

vérité de la culpabilité serait-elle acquise après le procès qu’aucune révision ne serait

possible1378. On ne voit alors pas vraiment en quoi la manifestation de la vérité aurait ici un

rapport avec la présomption d’innocence. Une fois encore cette dernière étouffe la vérité.

1376 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 136, p. 94. 1377 V. cependant : V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit. 1378 Enrico Ferri se plaignait d’ailleurs de cette situation en la rattachant lui-même à la présomption d’innocence, ou plutôt aux exagérations qui en auraient été faites par l’école classique.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

415

Au mieux pourrait-on comprendre que l’opinion de M. Essaïd vise moins la

manifestation de la vérité que l’objectivité des participants aux procès pénal. En tout état de

cause et contrairement à l’opinion exprimée par l’auteur, la manifestation de la vérité n’est

probablement pas la meilleure justification de la présomption d’innocence. Il est patent que

les auteurs lui préfèrent un fondement politique.

B- LE FONDEMENT POLITIQUE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

352. Sens large du fondement politique. L’expression « fondement politique » doit être

prise dans un sens large et recouvre à ce titre divers types de justifications qui, bien que

concernant le déroulement du procès pénal, sont souvent présentées comme la résultante

d’un État de droit. On peut s’attacher à la manière dont s’exprime le fondement politique de

la présomption d’innocence dans le discours doctrinal avant d’en décrire les composantes.

1) L’expression du fondement politique

353. Faveur actuelle pour le fondement politique. Le fondement politique de la

présomption d’innocence apparaît désormais dans le discours doctrinal comme la meilleure

justification de la présomption d’innocence. À la question pourquoi la présomption

d’innocence, les juristes ont ainsi tendance à répondre qu’il s’agit d’un principe

fondamental indispensable dans un État démocratique et libéral. Dans son énumération des

divers fondements possibles à la présomption d’innocence, M. Essaïd estimait que, outre la

vraisemblance et la nature des choses, « Dans une société libérale, c’est un principe

démocratique que de supposer que tout citoyen est honnête et se conduit d’une façon

irréprochable »1379. Pour Mme Rassat, la meilleure justification de la présomption

d’innocence est « politique et libérale », il s’agit de « la volonté d’avantager, par principe,

l’individu, à chaque fois qu’il est opposé à l’État »1380. Observant qu’au regard des règles

en matière de preuves, la présomption d’innocence paraît faire double emploi avec le

principe actori incumbit probatio, les professeurs Conte et Maistre du Chambon estiment

que « sa véritable raison d’être est donc ailleurs : ce principe directeur a un fondement

politique »1381.

On peut toutefois se demander en quoi consiste ce fondement politique. L’adjectif

politique invite d’emblée à penser le fondement de la présomption d’innocence dans le

cadre de l’organisation et de l’exercice du pouvoir dans la société. En réalité, il semble que

1379 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 130. 1380 M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195, p. 306. 1381 PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 43. Précédemment, les auteurs faisaient observer que la signification de la présomption d’innocence n’était pas épuisée par sa seule traduction technique et qu’ « il s’agit aussi, d’une règle politique, caractéristique des régimes libéraux », n° 38. Adde. TH. GARÉ et C. GINESTET, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 389 : « Le fondement de cette présomption est libéral, il se trouve tout simplement dans la volonté de favoriser celui qui est poursuivi ».

Le discours sur l’objet

416

l’on doive comprendre que la présomption d’innocence trouve sa justification dans la

volonté de l’État de la consacrer et de la respecter. Plus particulièrement, on dira que la

présomption d’innocence est garantie dans un État de droit, c'est-à-dire dans une société qui

admet de se soumettre à un ordre juridique. La présomption d’innocence trouverait donc sa

justification dans la volonté de l’État. Mais non pas n’importe quel État, seulement ceux qui

ont choisi la démocratie libérale. C’est pourquoi les pénalistes rappellent souvent que la

présomption d’innocence a été ou demeure méconnue des États totalitaires. Pour Mme

Koering-Joulin, elle est ainsi incontestablement un luxe de pays civilisés1382.

Le fondement politique de la présomption d’innocence trouve probablement sa meilleure

traduction dans l’attachement des États, et du nôtre en particulier, aux droits de l’homme.

En participant à la proclamation de la présomption d’innocence comme droit de l’homme et

en s’obligeant à la respecter comme tel, les États confèreraient un fondement politique à la

présomption d’innocence. C’est ce qu’illustre dans le discours doctrinal la référence à la

longue liste des déclarations et traités garantissant la présomption d’innocence. On

comprend alors que le fondement politique puisse apparaître comme la meilleure

justification. L’influence sans cesse croissante de la jurisprudence européenne illustre tous

les jours la soumission des États signataires aux dispositions de la Convention. Le

fondement politique de la présomption d’innocence implique donc qu’elle fasse partie

intégrante des principes organisant la société. Pourtant, il s’agit d’un principe de procédure

pénale et le fondement politique doit trouver des traductions dans ce domaine pour

expliquer la présomption d’innocence.

2) Les composantes du fondement politique

354. Une volonté politique. Le fondement en tant qu’il prend sa source dans l’ordre du

politique suppose l’existence d’une volonté émanant du pouvoir. Les composantes du

fondement politique qui jalonnent le discours juridique sur la présomption d’innocence,

n’échappent pas à cette idée que la présomption d’innocence est fondée sur une volonté.

L’objet que les pénalistes assignent à la volonté politique se résume dans une large mesure

en une faveur. M. Detraz n’écrivait-il pas récemment que « La présomption d’innocence

résulte d’un choix législatif de favoriser l’une des parties au litige » 1383? La présomption

d’innocence est donc fondée sur une faveur et sous cette idée que l’on doit ranger les

composantes du fondement politique que sont la garantie de liberté individuelle (ou la

sûreté) et la garantie contre l’arbitraire.

355. La faveur consentie à la personne poursuivie. Les termes de faveur ou d’avantage

apparaissent désormais caractériser au plus proche le fondement de la présomption

1382 R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 20. 1383 La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 11.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

417

d’innocence. Mme Rassat enseigne ainsi que la meilleure justification de la présomption

d’innocence réside dans « la volonté d’avantager, par principe, l’individu, chaque fois qu’il

est opposé à l’État»1384. Parmi les raisons qui justifient sans peine la présomption

d’innocence d’un point de vue idéologique, M. Pradel professe qu’ « il faut avantager la

personne poursuivie qui se trouve en état d’infériorité : la présomption d’innocence permet

donc de rétablir un certain équilibre entre l’accusateur et l’accusé »1385. Le propos était

autrefois plus imagé et plus fort : « La présomption d’innocence est indispensable à la

liberté et plus généralement à la défense du délinquant dont il faut éviter l’écrasement par

un Ministère public tout-puissant »1386. C’est également la situation du prévenu,

sensiblement inférieure à celle du ministère public, qui pour M. Levasseur, justifie les

mesures de faveur octroyées à la défense, tel le bénéfice du doute1387. C’est ainsi plus

particulièrement par faveur pour l’accusé que les manifestations d’opinion en cour d’assises

sont prohibées, que les décisions défavorables y sont prises à la majorité de 8 voix contre 4

et que l’accusé a la parole en dernier1388. La faveur ainsi octroyée trouve elle-même sa

justification dans la profonde inégalité des armes entre la partie poursuivante et la partie

poursuivie. Cela avait d’ailleurs été clairement exposé par M. Levasseur qui expliquait la

faveur systématique consentie à la personne poursuivie en décrivant une lutte inégale

opposant la seconde « pot de terre » à la première « pot de fer »1389. M. Henrion parle quant

à lui de « volonté de garantir la position de l’individu mis en cause face à l’État »1390. La

présomption d’innocence comme faveur, fondée sur l’inégalité entre accusateur et accusé,

entre l’État et la personne poursuivie, est une justification qui n’explique pas la présomption

d’innocence dans le système accusatoire anglo-saxon, si souvent présenté comme protecteur

et assurant précisément l’égalité des armes.

Pourquoi une telle faveur accordée à la personne poursuivie ? La réponse quasiment

unanime réside dans la nécessité de garantir la liberté individuelle et d’éviter tout arbitraire.

356. La liberté individuelle comme fondement de la présomption d’innocence.

L’établissement d’un lien rapproché entre la question de la liberté individuelle et la

présomption d’innocence est fréquent dans le discours doctrinal1391. La présomption

1384 M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195. 1385 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384. 1386 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 9e éd., n° 267 en réponse à la question de savoir si la présomption d’innocence concernait l’instruction préparatoire. 1387 G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, op. cit., p. 689. 1388 J. et A. LARGUIER, La protection des droits de l’homme dans le procès pénal, op. cit., p. 132. 1389 G. LEVASSEUR, Le droit de la preuve en droit pénal français, op. cit., p. 181. 1390 H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 412-1. 1391 P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit. ; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit. ; L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit.; M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit.; C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit.; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit.; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit

Le discours sur l’objet

418

d’innocence est en effet le plus souvent regardée comme une garantie de la liberté, que les

auteurs soient parfaitement explicites ou plus implicites sur ce point. Toutefois, M. Essaïd

avait estimé que le lien entre la présomption d’innocence et la liberté individuelle avait été

jusque là assez négligé par la doctrine en dépit de l’importance de cette garantie. C’est la

raison pour laquelle il avait d’ailleurs choisi de traiter, dans la deuxième partie de sa thèse

de doctorat, de la présomption d’innocence et du problème de la liberté individuelle. Au

seuil même de son travail, l’auteur écrivait : « En France, comme dans les autres pays

civilisés, il existe un principe qui est considéré comme l’une des garanties fondamentales de

la liberté individuelle, principe d’après lequel tout individu est présumé innocent tant qu’un

jugement définitif n’a pas reconnu sa culpabilité ». M. Essaïd s’est ainsi préoccupé des

restrictions apportées à la liberté physique de la personne poursuivie qui est placée en garde

à vue et/ou en détention provisoire. Si l’une et l’autre de ces mesures paraissent

indispensables et donc incontestables dans leur existence, il n’en reste pas moins qu’elles

concernent des suspects présumés innocents et doivent, à ce titre, présenter toute garantie

contre des abus. S’agissant de la détention avant jugement, l’auteur rappelle que, pour la

grande majorité des pénalistes, il existe une antinomie irrémédiable entre la présomption

d’innocence et la détention préventive. L’argument est bien connu et faute de pouvoir

conduire à la disparition de toute détention avant jugement, il sert à préciser les modalités

dans lesquelles elle pourra être ordonnée.

Ce lien entre présomption d’innocence et liberté était, on le sait, exprimé dans l’article 9

de la Déclaration des droits de l’homme. Tout homme étant présumé innocent, toute

arrestation doit être indispensable et ne comporter aucune rigueur qui ne serait pas

nécessaire. S’appuyant sur ce texte, il est vrai que les criminalistes avaient essentiellement

retenu la consécration d’une présomption susceptible de régir le domaine de la preuve

pénale, alors même que telle ne semblait pas être la volonté des rédacteurs de la

Déclaration. À l’inverse, les criminalistes de l’ancien droit insistaient sur la nécessaire

protection de la liberté et de l’honneur des personnes accusées. Le lien établi entre

présomption d’innocence et liberté dans le discours doctrinal n’a donc pas toujours été

identique. Reconnaître que la présomption d’innocence constitue une garantie de la liberté

individuelle ne va pas sans soulever des difficultés. Qu’est-ce à dire ? Il n’est pas aisé de

connaître dans quelle mesure la présomption d’innocence offre une garantie de cette liberté.

Puisque la présomption d’innocence ne saurait empêcher le déroulement du procès, avec ce

qu’il comporte de contraintes pour ceux qui en sont l’objet, quelle est la garantie qu’elle

assure ? La réponse doctrinale paraît se situer à un niveau théorique et non pas pratique. Le

raisonnement porte sur les conséquences de la présomption d’innocence : elle fonderait le criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit.; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence ; S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

419

caractère à la fois exceptionnel et proportionnel de l’atteinte à la liberté que constituent la

garde à vue, la détention, le contrôle judiciaire. S’agissant de ces atteintes, pourquoi,

comme le suggérait du reste Bentham, ne se contenterait-on pas de fonder leur caractère

exceptionnel et proportionnel sur le principe même de la liberté ? Cette dernière, avec la

sûreté, est proclamée depuis la Déclaration de 1789 comme l’un des premiers droits

naturels, sacrés, inaliénables de l’homme1392. Probablement que la question de la liberté se

pose différemment selon que l’on raisonne dans le cadre du procès pénal ou au contraire en

dehors de tout procès. La liberté étant un bien des plus précieux, la privation d’un tel bien

constitue une peine. Or, l’on ne saurait infliger une telle peine sans avoir préalablement

constaté de façon certaine la culpabilité. Par là peut s’entendre la garantie que la

présomption d’innocence peut conférer à la liberté individuelle. Tant que la culpabilité n’est

pas établie, aucune peine ne peut légitimement être infligée, et en particulier aucune

privation de liberté. Mais on le sait, cette garantie n’existe pas en pratique. Évoquant les

atteintes à la présomption d’innocence M. Pradel exprime d’une certaine manière cette idée.

S’il reconnaît que M. Carbonnier avait raison de dire qu’aucune présomption (d’innocence

ou de culpabilité) ne devrait exister pendant le procès, il n’en approuve pas moins

l’affirmation doctrinale selon laquelle la présomption d’innocence s’applique à toutes les

phases du procès. Ainsi explique-t-il que « l’on a raison sur le terrain des principes de le

dire, d’autant plus que le fait de le dire permet de tirer des conséquences de droit comme le

caractère exceptionnel de la détention provisoire ou le secret de l’enquête et de

l’instruction»1393. La présomption d’innocence apparaît alors surtout comme un argument

pour fonder le caractère exceptionnel des privations de liberté avant jugement. Le

fondement politique de la présomption d’innocence réside également dans la volonté de

lutter contre l’arbitraire qui, lui aussi, peut être source d’atteinte à la liberté.

357. La présomption d’innocence fondée sur le risque d’arbitraire. En reconnaissant le

principe de la présomption d’innocence, l’État semble exprimer sa volonté d’exclure de la

procédure pénale tout arbitraire. Il est admis que l’article 9 de la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen aurait été écrit par référence à l’ancienne pratique des lettres de

cachet, mais aussi en souvenir de ces temps où l’on torturait l’accusé pour obtenir ses

aveux. Ce temps est révolu, et pourtant tout arbitraire n’est pas à exclure. Selon M. Essaïd

« tenir la personne poursuivie pour coupable ou même la charger d’une présomption de

culpabilité, cela reviendrait à la livrer au pouvoir arbitraire des autorités répressives »1394.

Pour Robert Badinter, la présomption d’innocence procède du sens même de la procédure

pénale, c'est-à-dire garantir que le système de répression ne frappera que les auteurs 1392 Outre l’article 9 de la Déclaration, qui n’évoque d’ailleurs pas la liberté explicitement, les articles, 1er, 2, 4, 7 en font un droit de première importance. 1393 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 396. 1394 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 133.

Le discours sur l’objet

420

d’infractions avérées1395. Il semble que l’arbitraire qui est à craindre soit pluriel. Il l’est dans

ses formes, l’arbitraire pouvant conduire à des privations de liberté injustifiées, des mesures

vexatoires, des mauvais traitements à l’égard des prévenus, ou encore à l’erreur judiciaire. Il

l’est en outre dans son origine. L’arbitraire peut émaner aussi du pouvoir politique que du

juge. Ainsi, la présomption d’innocence « protège chacun d’abord contre le pouvoir

politique en faisant dépendre d’une juridiction, en principe après condamnation, les

principales mesures coercitives. Mais elle protège aussi les citoyens contre le juge en

imposant à celui-ci la solution qu’il doit retenir quand toute la lumière n’a pas été faite sur

la cause, au point de laisser subsister un doute sur la participation criminelle de celui dont

on fait le procès »1396. Contre les errements de la pratique, contre la tendance des autorités

de poursuite à voir dans tout suspect un coupable et à le traiter comme tel, la présomption

d’innocence serait un rempart1397.

Le fondement politique de la présomption d’innocence tel qu’il est formulé dans le

discours doctrinal, apparaît bien comme une faveur qui a pour but d’assurer, en dernier lieu

et au mieux, la liberté des individus avant toute condamnation. On comprend alors

l’attachement doctrinal aux sources textuelles de la présomption d’innocence qui relèvent

d’instruments destinés précisément à protéger cette liberté entendue au sens large. Pourtant,

la consécration de la présomption d’innocence par la Déclaration des droits de l’homme et

du citoyen, la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne des

droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international relatif aux droit

civils et politiques, invite à voir dans la présomption d’innocence plus qu’un moyen de

garantir la liberté et d’éviter l’arbitraire. Elle appartient en tant que telle à ces droits

fondamentaux. Il en résulte qu’elle se voit reconnaître pour elle-même, comme en témoigne

d’ailleurs le discours doctrinal. Or cette reconnaissance tend à la faire accéder au rang de

principe et surtout de valeur. C’est probablement le sens de l’affirmation selon laquelle la

présomption d’innocence caractérise les sociétés démocratiques et libérales. Cette

affirmation ne parvient toutefois pas à expliquer comment pouvait exister, dès le Moyen

Âge et sous l’Ancien Régime, l’idée qu’il fallait protéger les innocents contre l’erreur

judiciaire en exigeant une certitude pour condamner, que le mal ne se présume pas et que le

doute doit profiter à l’accusé. Un glissement semble alors s’opérer. La question du

fondement, qui serait pour l’essentiel politique, tendrait alors à se dissiper, à devenir inutile

dès lors que la présomption d’innocence serait une valeur en elle-même et non plus une

1395 R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 134. 1396 R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement étude comparée du droit français et du droit anglais, op. cit., p. 47. 1397 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 133 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144 in fine.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

421

simple règle technique. Cette tendance permet de suggérer que la question du fondement de

la présomption d’innocence est en réalité éludée plus qu’élucidée.

§. 2 LA QUESTION DU FONDEMENT ÉLUDÉE

358. Des questions qui se dérobent. On peut désormais s’en convaincre, les arguments

pour justifier la présomption d’innocence ne manquent pas dans le discours doctrinal. Ils ne

présentent cependant pas tous la même force et demeurent peu développés. La nécessité de

consacrer la présomption d’innocence pour assurer la liberté par exemple, n’apparaît pas

d’évidence. La liberté ne pourrait-elle se suffire à elle-même sans passer par l’intermédiaire

de la notion de présomption d’innocence ? Dire que la présomption d’innocence est une

garantie fondamentale consacrée comme telle par les sociétés libérales n’épuise pas la

question de savoir ce qui fonde la présomption d’innocence. En ce sens la question du

fondement est éludée. Elle l’est d’autant plus facilement et naturellement que la question

s’est déplacée, il ne s’agit pas tant de savoir ce qui peut expliquer la présomption

d’innocence que de savoir ce qu’elle-même peut expliquer. Si la question du fondement est

éludée, ce pourrait en outre être également pour une tout autre raison. On peut supposer en

effet que la meilleure explication de cette pluralité de fondements, qui ne parvient pas à

élucider véritablement la question du fondement, résiderait tout simplement dans son

caractère indicible.

A- DU FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE AU FONDEMENT SUR LA

PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

359. Une évolution du discours. Si le discours doctrinal ne fait pas une grande place à la

question du fondement de la présomption d’innocence, en revanche, il a très tôt laissé

s’exprimer, en filigrane, l’idée que la présomption d’innocence puisse être le fondement de

quelque chose d’autre, d’autres règles ou principes. On a déjà observé que la présomption

d’innocence se voit reconnaître divers statuts dans la littérature juridique : simple règle

technique, principe probatoire, droit de l’homme, principe fondamental. De telles

qualifications ne semblent pas incompatibles entre elles, c’est ce qui justifie leur emploi

cumulatif. Il en est portant une qui retiendra ici davantage l’attention, c’est celle de principe

fondamental1398. Elle est la meilleure et la plus explicite des illustrations de ce que la

présomption d’innocence a vocation à devenir un fondement. Mais, plus discrètement c’est 1398 Il s’agit d’envisager cette qualification dans le discours doctrinal en dehors d’une référence directe aux textes sur les droits de l’homme qui postulent ou déclarent ouvertement le caractère fondamental de la présomption d’innocence. Il en est ainsi des déclarations de droits qui laissent déjà entendre le caractère fondamental des droits qu’elles énoncent. Le titre exact de la Convention européenne est encore plus évocateur puisqu’il s’agit de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Mieux, le dernier texte européen en la matière n’est-il pas la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ? L’article 48 §1 de ce texte énonce lui aussi le droit à la présomption d’innocence.

Le discours sur l’objet

422

la construction même du discours doctrinal sur la présomption d’innocence qui la laisse

entrevoir comme fondamentale à travers diverses manifestations.

1) Manifestations du caractère fondamental de la présomption d’innocence dans le

discours

360. De la règle au principe. Ces manifestations relèvent du domaine de l’implicite mais

n’en sont pas moins observables. Le caractère fondamental de la présomption d’innocence

se laisse ainsi entrevoir de longue date dans le discours doctrinal. Deux éléments tirés du

discours permettent de le croire. Il s’agit tout d’abord du simple fait que cette présomption

d’innocence a de plus en plus fréquemment été présentée comme un principe et moins

comme une simple règle. Il s’agit ensuite et dans le prolongement de la reconnaissance d’un

principe, de la tendance du discours qui consiste beaucoup moins à donner la raison d’être

de la présomption d’innocence qu’à en tirer des conséquences juridiques, c'est-à-dire à

devenir elle-même le fondement d’autres règles.

361. La présentation d’un principe. La présomption d’innocence a souvent été présentée

comme un principe et ce avant même que la jurisprudence, et le législateur, le fassent eux

même. Or, désigner la présomption d’innocence comme un principe, traduit déjà en soi

l’idée que la présomption d’innocence est « première » et qu’elle a vocation à produire des

conséquences, autrement dit à devenir un fondement. Cela résulte du sens du mot

« principe » dans ces diverses acceptions. Ainsi selon la définition de Lalande1399, le

principe est un « commencement, un point de départ » ou selon le Trésor de la langue

française, une « notion importante de laquelle dépend tout développement ultérieur en toute

connaissance » ou encore une « notion considérée comme fondamentale dans la vie sociale

et politique ». Que le principe soit affublé d’un attribut ou non, que l’affirmation soit tirée

de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou pas, nombreux sont les auteurs, et

depuis longtemps, à présenter la présomption d’innocence comme un principe. On se

contentera à cet égard de renvoyer aux observations faites dans de précédents

développements et aux références citées1400. On peut retenir ici que l’emploi fréquent et

répété du mot « principe » ouvre déjà la voie pour une reconnaissance du caractère

fondateur de la présomption d’innocence en même temps qu’il relègue au second rang

l’idée de fonder la présomption d’innocence.

362. La présentation de ses conséquences. Logiquement, l’énonciation d’un principe

implique que l’on en déduise ensuite les conséquences, les implications. À cet égard,

l’analyse du discours doctrinal a montré que les auteurs ont construit leurs développements

autour de ces conséquences, directes ou indirectes. On l’a vu, la signification de la

1399 Vocabulaire technique et critique de la philosophie, op. cit. 1400 V. supra, n° 233.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

423

présomption d’innocence est une question fuyante et difficile mais qui toujours semble

diriger la réflexion vers les conséquences de la présomption d’innocence ; à tel point que

cette dernière peut d’ailleurs parfois sembler se définir à partir seulement des conséquences

qu’on lui impute. La première étant, bien entendu, de régler l’attribution du fardeau de la

preuve dans le procès pénal. La seconde étant le jeu de la règle du doute favorable. Les

autres sont la restriction des atteintes à la liberté avant jugement, et un ensemble de règles

ou principes très diversifié. Que l’on se rappelle ici le risque de dilution de la présomption

d’innocence évoqué plus haut1401 pour avoir conscience du nombre important de

conséquences que l’on est parfois tenté de rattacher à la présomption d’innocence. Or,

comme nous l’avions souligné, le raisonnement a parfois été poussé si loin que la

présomption d’innocence a ouvertement été présentée comme le fondement de règles qui

pourraient être utilement justifiées par d’autres considérations. Redonnons simplement

l’exemple du secret de l’instruction qui, historiquement, n’entretenait aucun rapport avec la

présomption d’innocence, voire la méconnaissait, et qui désormais ne trouverait sa raison

d’être que dans cette présomption d’innocence. La présomption d’innocence a ainsi

vocation à fonder toutes sortes de règles comme en témoigne désormais l’article

préliminaire du Code de procédure pénale. Le caractère fondamental de la présomption

d’innocence ne se manifeste pas seulement en filigrane, il a en effet pris du relief sous la

plume de certains pénalistes.

2) L’affirmation explicite du caractère fondamental de la présomption d’innocence

363. La présomption d’innocence fondamentale. Louis XVI avait à son époque, et à la

veille de la Révolution, ouvert la voie en déclarant qu’il s’agissait du premier de tous les

principes en matière criminelle1402. S’agissant du discours juridique, on trouve diverses

illustrations du caractère fondamental. Il sera ainsi affirmé par exemple chez Gorphe qui n’a

pas spécialement traité de la présomption d’innocence mais l’a tout de même jugée

fondamentale et de ce fait avait estimé inutile de l’exprimer dans la loi1403. En 1963, c’est

une étude sur la preuve dans les codes napoléoniens qui soulignait ce caractère : « Un

principe est rigoureux et fondamental : tout homme est présumé innocent, donc en cas de

preuve insuffisante le doute est en faveur de l’accusé et doit entraîner son

acquittement»1404. C’est également dans les congrès internationaux que la présomption

d’innocence a été déclarée fondamentale. Les membres de l’association internationale de

droit pénal s’étaient réunis pour réfléchir sur le thème des mouvements de la procédure

pénale et de la protection des droits de l’homme. À cette occasion le rapporteur général

1401 V. supra, n° 325. 1402 Cité par M. Pradel, V. Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384. 1403 F. GORPHE, L’appréciation des preuves en justice, op. cit., p. 32. 1404 G. LEPOINTE, La preuve dans les codes napoléoniens, op. cit., p. 183.

Le discours sur l’objet

424

s’était ainsi exprimé : « C'est avec forte raison que le rapport belge déclare que la

présomption d'innocence forme "la base du droit pénal moderne" (de même le rapport

japonais : "the fundamental principle of modern criminal procedure") »1405. Mais c’est

peut-être dans le traité des professeurs Merle et Vitu que l’on trouve l’une des plus

anciennes et éclatantes expressions de cette idée : « En définitive, la présomption

d’innocence doit être regardée, à l’instar du principe de la légalité criminelle, comme l’un

des fondements du droit pénal »1406. La proposition est forte et sera approuvée comme telle

par d’autres auteurs. Ainsi M. Levasseur pour lequel « C’est à bon droit que Merle et Vitu

ont pu dire que "la présomption d’innocence doit être regardée (…) comme l’un des

fondements indispensables du droit pénal »1407.

364. Le principe cardinal de la présomption d’innocence. Il est une autre manière

d’exprimer le caractère fondamental de la présomption d’innocence qui consiste à l’élever

au rang de principe cardinal. On connaît l’importance de cet adjectif avec les quatre vertus

cardinales qui montre déjà celle qu’il faut accorder à la présomption d’innocence, puisque

ces vertus sont réputées « fondamentales pour le comportement des hommes entre eux ».

Dire d’un principe et en particulier celui de la présomption d’innocence, qu’il est cardinal,

signifie très clairement qu’il est essentiel, fondamental, et que finalement tout le reste en

dépend1408. L’expression a eu un certain succès et s’est ainsi répandue dans divers écrits.

Mme Koering-Joulin paraît être l’une des premières, sinon la première, a l’avoir

employée : « La présomption d’innocence est le symbole même du "procès équitable", elle

est un principe cardinal des procédures pénales démocratiques »1409. L’expression sera

même utilisée en dehors de la littérature savante pour acquérir une grande visibilité dans

l’exposé des motifs du projet de loi sur la présomption d’innocence présenté par Mme

Guigou. D’autres auteurs se feront l’écho de cet usage. M. Badinter par exemple1410, mais

aussi M. Pradel1411, ou Mademoiselle Tonglet1412 et M. Henrion1413 reprenant l’exposé des

motifs de la loi, ou encore M. Guéry à propos de la détention provisoire. Ce dernier auteur

rappelle que la présomption d’innocence « est dans de nombreux pays et notamment en

1405 K. TIEDEMANN, Rev.int.dr.pén., 1993, vol. 64, p. 824. 1406 V. en dernier lieu : Traité de droit criminel, Procédure pénale, 4e éd., op. cit., n° 125 in fine. Curieusement, la formule a disparu de la cinquième et dernière édition de l’ouvrage. 1407 G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, op. cit., p. 688. L’auteur cite là une édition antérieure à la 4e édition du Traité dans laquelle a disparu l’adjectif « indispensable ». 1408 Trésor de la langue française. 1409 R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 20. 1410 R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 143 : « principe cardinal de la procédure pénale ». 1411 J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1039. Mais l’auteur serait naturellement plus porté à considérer la présomption d’innocence « seulement » comme un principe capital, V. Procédure pénale, op. cit. 1412 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 818. 1413 H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit., p. 35.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

425

Europe considérée comme un principe cardinal du système pénal »1414. Principe cardinal de

la procédure pénale ou du procès, la présomption d’innocence voit sa vocation de

fondement s’accroître à la veille de sa consécration législative comme principe directeur du

procès pénal. À cet égard, tout aussi évocatrice et annonciatrice est l’utilisation de

l’expression « pierre angulaire ».

365. La présomption d’innocence, pierre angulaire de la procédure pénale. La pierre

angulaire est « une pierre, généralement de grandes dimensions, située aux angles d'un

bâtiment, et jouant un rôle primordial dans le soutènement de celui-ci »1415. Dire que la

présomption d’innocence est la pierre angulaire de la procédure pénale, revient bien à en

faire le fondement, des plus solides et inébranlables, de toutes les règles d’organisation du

procès répressif. La métaphore choisie est très évocatrice et n’est pas sans rappeler son

illustre utilisation par l’apôtre Paul alors qu’il s’adressait aux éphésiens : « Vous avez été

édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus Christ lui-même étant la pierre

angulaire »1416. Ainsi l’usage de l’expression n’est pas sans suggérer que la présomption

d’innocence est au procès pénal ce que le Christ est à l’Église. C’est dire alors qu’il ne

s’agit pas d’un simple fondement mais du fondement sur lequel beaucoup pourra être édifié.

En témoigne d’ailleurs la remarque que faisait M. Ballandier à propos de la commission

présidée par Mme Delmas-Marty : « elle entendit rehausser et réaffirmer avec vigueur un

principe bien souvent présenté comme étant la pierre angulaire de la procédure

pénale»1417. L’ouvrage de MM. Merle et Vitu n’a plus désormais à mentionner que la

présomption d’innocence doit être regardée comme l’un des fondements indispensables du

droit pénal. En effet, avec la loi du 15 juin 2000, c’est désormais chose faite. Les auteurs

peuvent s’en tenir désormais à ce constat : il est apparu récemment à beaucoup d’esprits,

notamment à la Cour européenne et à la commission Truche de réflexion sur la justice, qu’il

convenait de jeter un autre regard sur la présomption d’innocence et de lui « reconnaître la

valeur d’une véritable pierre angulaire de la procédure pénale »1418. Bien que la rédaction

de l’article préliminaire du Code de procédure pénale traduise très imparfaitement ce

nouveau regard, les intentions du législateur ont été claires à ce sujet, la présomption

d’innocence est un droit fondamental au sens de la Convention européenne mais aussi de la

1414 CH. GUÉRY, Détention provisoire, op. cit., n° 0.29. 1415 Trésor de la langue française. 1416 Épîtres aux éphésiens, II, 20. 1417 P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 9. adde. P. DECHEIX, Droits de la défense et défense des droits, op. cit., p. 9 : « Les théoriciens vous diront qu’un système répressif satisfaisant repose sur le présomption d’innocence (…) », et « La présomption d’innocence est présentée comme la pierre angulaire de la justice pénale ». 1418 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 147.

Le discours sur l’objet

426

procédure pénale française. Elle peut légitimement devenir le fondement d’autres règles,

constituer la matrice d’autres droits1419, elle serait désormais base et génératrice.

On observera que parler simplement de « principe directeur » est certainement plus juste

au regard de la construction de l’article préliminaire, mais moins expressif que les mots

« principe fondamental », « pierre angulaire de la procédure pénale » ou « principe

cardinal ». Si l’affirmation du caractère fondamental de la présomption d’innocence

autorise la construction (même a posteriori) d’un édifice sur ces fondations, elle implique

encore autre chose. En effet, et les textes protecteurs des droits de l’homme le confirment,

la présomption d’innocence en tant que fondement à vocation à être reconnue comme une

valeur.

366. Fondement et valeur. Parce qu’elle est fondamentale, la présomption d’innocence est

donc capitale, essentielle, indispensable. Parce qu’elle est présentée et proclamée comme

telle, elle paraît accéder au rang de valeur. L’analyse de l’article préliminaire du Code de

procédure pénale conduit en tout cas M. Henrion à cette affirmation. Il s’agirait plus

particulièrement d’une valeur politique, ce qui rejoint la justification de la présomption

d’innocence qui a le plus cours dans la littérature savante. L’auteur écrit, à propos des

principes directeurs contenus dans l’article préliminaire et qui compte la présomption

d’innocence, qu’ «en portant l’esprit du Code, ils relatent forcément des choix politiques

réalisés en amont et possèdent un contenu général socio-axiologique, puisqu’ils véhiculent

des valeurs qui prédominent en un temps donné»1420. Mlle Bureau présentait elle aussi la

présomption d’innocence comme une « valeur essentielle »1421, tandis que MM. Merle et

Vitu parlent de « valeur d’une pierre angulaire ».

Élevée au rang de principe fondamental puis de valeur, celle des pays démocratiques et

libéraux, la présomption d’innocence paraît avoir atteint son plus haut degré d’expression.

Toutefois, M. Henrion laisse penser qu’il y a tout lieu de ne pas se satisfaire de cette

constatation. Il écrit, toujours à propos des principes directeurs du procès pénal, que « la

dimension socio-axiologique des principes entraîne leur inévitable précarité, puisqu’ils

sont susceptibles de changer dans le temps»1422. On comprend alors peut-être mieux les

voix doctrinales qui s’étaient exprimées pour juger inutile l’inscription de la présomption

d’innocence dans le Code de procédure pénale. La même remarque pourrait d’ailleurs être

1419 C’est ce qui résulte de l’analyse de M. Henrion, V. l’aspect matriciel du principe de la présomption d’innocence, in L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit. , p. 36. 1420 H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit., p. 15. 1421 H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil, op. cit., n° 6. 1422 H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit., p. 16.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

427

faite au sujet de la valeur constitutionnelle de la présomption d’innocence. Le discours

doctrinal s’est beaucoup appuyé sur cette valeur pour affirmer l’existence positive de la

présomption d’innocence. Or, récemment M. Cadiet, suivant en cela l’analyse de Bernard

Beignier, a soutenu que « ce n’est pas parce qu’ils ont une valeur constitutionnelle que les

principes directeurs du procès sont fondamentaux ; c’est parce qu’ils sont fondamentaux

qu’ils peuvent se voir reconnaître une valeur constitutionnelle : la constitutionnalisation

n’est pas le passage obligé de leur fondamentalité»1423. L’opinion s’inscrit dans le débat sur

l’origine de ce que l’on appelle la fondamentalité et qui n’est pas étranger à la présomption

d’innocence1424. M. Henrion a ainsi posé la question de la fondamentalité de la présomption

d’innocence et, à l’aide notamment des critères proposés par la doctrine allemande, répond

par l’affirmative1425. Mais ici, le fondement est un fondement positif et non une raison

d’être.

367. La question du fondement, question inutile ?. Quoiqu’il en soit, le discours doctrinal

fait une large part au caractère fondamental de la présomption d’innocence. Toute la raison

d’être du principe réside non seulement dans sa capacité à fonder d’autres règles mais aussi

en dernier lieu dans une volonté politique de la consacrer comme telle. Valeur et

fondement, la présomption d’innocence n’aurait plus lieu d’être fondée. La question du

fondement n’aurait plus à être formulée, elle s’évanouirait comme par enchantement,

deviendrait alors une question sans objet. Le discours doctrinal pourrait raisonnablement,

légitimement, arrêter là la réflexion et ne pas s’engager dans une quête inutile du fondement

du fondement.

Si cette quête ne peut effectivement être menée sans fin, il n’en reste pas moins que le

sens même du mot fondement suggère de ne pas arrêter là. Il n’est en effet pas exclu que le

fondement entendu comme « ce sur quoi l’on peut s’appuyer pour commencer à penser »,

1423 L. CADIET, Et les principes directeurs des autres procès ? Jalons pour une théorie des principes directeurs du procès, op. cit., n° 38. 1424 Sur cette question deux thèses s’opposent exposées par Dominique Rousseau. Celle qui soutient que : « est fondamental un droit inscrit dans le texte suprême et fondateur de l’ordre juridique national, à savoir la Constitution », et « par extension, peut-être dit fondamental un droit inscrit dans un traité ou une convention qui bénéficie d’une protection juridictionnelle comparable à celle existant pour les droits constitutionnels "internes" » ; et celle soutenue notamment par les professeurs Cadiet et Beigner selon laquelle, à l’inverse de la première, « un droit n’est pas fondamental parce qu’il est constitutionnel, il est constitutionnel parce qu’il est fondamental et il peut être fondamental sans être constitutionnel » : D. ROUSSEAU, in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, op. cit., v° Droits fondamentaux. La première thèse est soutenue notamment par Louis Favoreu tandis que la seconde rassemble, outre MM. Cadiet et Beigner, M. Vedel et Etienne Picard. V. les références citées par Loïc Cadiet, op. cit., p. 107 à 109. 1425 La présomption d’innocence serait ainsi un droit fondamental parce qu’elle réunirait toutes les conditions nécessaires pour répondre à cette qualification. Tout d’abord parce qu’elle est un droit de l’homme et que les deux notions sont assimilables. Ensuite parce qu’elle est un droit effectif dans la mesure où elle se trouve consacrée à un niveau élevé de la hiérarchie normative et qu’elle fait l’objet d’un énoncé susceptible d’être mis en œuvre par le juge. V. H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 295 à 297-2.

Le discours sur l’objet

428

accède à ce statut parce qu’il a été au préalable lui-même fondé1426. En outre, il n’est pas

impossible de concevoir qu’il existe pour la présomption d’innocence une raison d’être en

dehors du choix politique des États démocratiques modernes. L’histoire du droit pénal le

montre en révélant l’existence de la présomption d’innocence depuis le Moyen Âge. Le

discours doctrinal suggère l’existence d’un autre fondement à la présomption d’innocence.

Il n’est toutefois jamais véritablement dit, comme s’il ne pouvait être exprimé. À ce titre, le

fondement de la présomption d’innocence se présente dans le discours comme indicible.

B- L’INDICIBLE FONDEMENT

368. Un fondement indiscutable. « La présomption d’innocence est indiscutable dans son

principe »1427, peut-on lire ou entendre parfois. Serait ce à dire que toute discussion sur la

raison d’être de cette présomption d’innocence est exclue ? On peut le penser, mais alors

resterait à en rechercher la raison. Que la présomption d’innocence soit indiscutable pourrait

également signifier qu’elle dispose d’un fondement très solide. La littérature doctrinale

n’offre pas, sous la diversité des fondements disponibles, un fondement si solide qu’il soit

indiscutable. Il y a bien là un fondement que l’on pourrait qualifier d’indicible. Ce

fondement indiscutable, et d’ailleurs pour une large part indiscuté, qui ne saurait être dit,

pourrait tout simplement résider dans le Juste. Deux raisons permettent de soutenir cette

hypothèse. Premièrement, le Juste comme fondement de la présomption d’innocence paraît

avoir été admis de longue date, à vrai dire depuis le droit romain, mais semble avoir été

abandonné. Deuxièmement, on en perçoit dans le discours pénal moderne comme des

réminiscences, qui n’osent cependant se révéler trop ouvertement.

1) Le fondement abandonné

369. Justification de la règle du doute favorable. En même temps qu’elle a oublié les

origines de l’adage in dubio pro reo1428, et par conséquent celles de la présomption

d’innocence, la science du droit pénal a abandonné la justification autrefois invoquée au

soutient de ces règles. Pour illustrer cet abandon, il n’est pas inutile de se tourner du côté de

l’histoire, à la fois celle du droit pénal et celle du discours doctrinal. En effet, de la

présomption d’innocence en tant que concept, il n’est question que depuis la fin du XIXe

siècle. En revanche, la règle du doute favorable est quant à elle invoquée depuis le droit

romain. La formulation de l’adage in dubio pro reo, si elle ne date que du XIXe siècle, puise

sans aucun doute ses origines dans le Digeste1429. Qui ne verrait en effet la parenté entre la

règle de Gaius : Semper in dubiis benigniora praeferenda sunt et in dubio pro reo ? Il n’est

donc pas interdit d’imaginer que la règle du doute favorable puisse précéder la présomption 1426 Grand dictionnaire de la philosophie, op. cit. 1427 F. CASORLA, Le droit français, rapport in La preuve en procédure pénale comparée, op. cit., p. 183. 1428 V. supra, n° 173 et s. 1429 D. 48. 19. 5.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

429

d’innocence, historiquement, mais aussi logiquement. Ce que l’on appelle présomption

d’innocence ne serait qu’une conséquence tirée de la règle du doute favorable. Le

criminaliste positiviste Ferri le suggérait déjà en écrivant que la règle in dubio pro reo était

plus générale que la présomption d’innocence. Lorsqu’en France, la présomption

d’innocence fera sa première apparition dans un ouvrage de procédure pénale, ce ne sera

qu’incidemment, alors que la règle qui est exposée, c’est celle du doute favorable.

Contrairement à la démarche adoptée de nos jours par les pénalistes dans leurs manuels,

Garraud n’a ainsi jamais étudié la présomption d’innocence en tant que telle. C’est la règle

selon laquelle le doute profite à l’accusé (in dubio pro reo) que l’auteur développe1430 en

expliquant, comme on le fait aujourd’hui pour la présomption d’innocence, qu’ « elle exerce

son influence, non seulement sur la solution du procès, mais sur toutes ses phases, et donne

naissance à une série de corollaires ». C’est la règle du doute favorable qui n’a jamais

cessé d’être invoquée par les criminalistes, pas la présomption d’innocence. Les anciens

criminalistes ne répétaient-ils pas que dans le doute il faut choisir le parti le plus favorable à

l’accusé et ne point condamner ?

La règle du doute favorable semble elle-même fondée sur une autre maxime du droit

romain, tel qu’il résulte de la compilation de Justinien. En effet, le doute est favorable car :

il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent, selon la formule

reprise du rescrit de Trajan : Satius enim esse impunitum relinqui facinus nocentis, quam

innocentem damnare. C’est sur cette maxime que Muyart de Vouglans, le très conservateur

et répressif criminaliste de l’Ancien Régime, s’appuie pour expliquer que le juge doit

« pencher dans le doute en faveur de l’absolution, plutôt que de la condamnation de

l’accusé, suivant cette belle maxime de l’Empereur Trajan… »1431. C’est cette maxime que

les criminalistes du droit savant ont enseignée partout en Europe jusqu’à la Révolution et

qui peu à peu a cessé d’être invoquée par les auteurs. Reconnue en tant que maxime, la

règle selon laquelle il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un

innocent est donc une règle de conduite, un précepte moral. C’est une valeur que les juges

se doivent de respecter.

370. La justice au fondement de la présomption d’innocence. La maxime peut aisément

s’expliquer par l’idée que de deux maux, il convient de choisir le moindre. Elle se

comprend comme un principe conforme à la justice en tant qu’attribution du sien à chacun.

Le raisonnement en terme d’équilibre est à cet égard éclairant. Si la justice consiste dans un

équilibre que la mission du juge sera de rétablir après qu’il aura été rompu par la

commission d’une l’infraction, l’incertitude qui porte sur la culpabilité ne peut conduire

1430 Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op. cit., n° 232 et s. 1431 Institutes au droit criminel, op. cit., p. 359-360.

Le discours sur l’objet

430

qu’à l’acquittement. Certes, dans cette hypothèse, l’injustice subsistera faute de pouvoir

punir le coupable. L’équilibre ne pourra être rétabli. Mais la solution qui consisterait à

condamner dans le doute ne rétablirait pas davantage l’équilibre. En prenant le risque de

condamner un innocent, ce serait commettre une double injustice. L’équilibre rompu par

l’acte injuste ne serait pas rétabli, mais s’ajouterait un nouveau déséquilibre résultant de la

punition d’un innocent. Dans le doute, il vaut mieux commettre une injustice que deux. Il

est donc juste de ne pas condamner un accusé dont il n’est pas certain qu’il soit coupable.

L’idée que le mal ne se présume pas1432 et qui justifie elle aussi la règle du doute

favorable, va dans le même sens de la justice. Pourtant, cette affirmation ne va pas de soi. Il

n’est en effet pas certain que l’on doive supposer l’homme bon. Au contraire, le jugement

doit être conforme à ce qui arrive dans la majorité des cas. Or, l’homme serait porté au mal

dès son enfance, dit la Genèse. C’est ce que rappelle en tout premier lieu saint Thomas

avant de répondre à la question de savoir si le doute doit être interprété favorablement1433.

De sorte qu’il faudrait plutôt interpréter en mal tout ce qui, dans le prochain, laisse place au

doute. Toutefois, saint Thomas indique que la Glose écrit : « Les doutes doivent être

interprétés en bonne part ». La solution trouve sa raison d’être dans l’injustice qu’il y aurait

à avoir une mauvaise opinion de son prochain. « Celui qui a une mauvaise opinion du

prochain sans motif suffisant est injuste et méprisant envers lui ». À la question le doute

doit-il s’interpréter favorablement, saint Thomas propose alors cette solution : « Il peut

arriver que celui qui interprète toujours en bonne part ce qui est douteux se trompe le plus

souvent. Mais il vaut mieux se tromper souvent en ayant une bonne opinion d’un homme

mauvais, que de faire très rarement erreur en ayant mauvaise opinion d’un homme

vertueux ». Bien que les hommes soient portés au mal, il est juste de les considérer a priori

comme portés au bien. Il en va très probablement ainsi car la solution inverse serait tout

simplement intenable. Soupçonner et douter en mal ruinerait toute confiance et toute

relation sereine entre les individus, et serait trop souvent injuste. De nos jours, cette vérité

s’exprime sous un autre nom : la dignité humaine. La présomption d’innocence serait

conforme à la dignité humaine, finit par écrire M. Pradel1434. En présence de doute sur

l’innocence, il est donc juste de s’abstenir de condamner. L’absence de preuve suffisante,

de preuve certaine, laisse supposer l’innocence. Or, ce ne serait pas assez que de se

contenter de déclarer que le crime n’est pas prouvé. Il faut probablement admettre que celui

que l’on n’a pu convaincre de crime est innocent. Il ne l’est peut-être pas en réalité. Mais le

jugement juridique n’est pas un jugement de vérité absolue. Or, du point de vue du droit,

l’absence de culpabilité certaine équivaut bien à l’innocence. Cette innocence n’est que

1432 Ce que rappelaient les anciens criminalistes. 1433 Somme théologique, op. cit., IIa-IIae, question 60, article 4. 1434 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

431

judiciaire, de même que la culpabilité. Les criminels qui parviennent à ne jamais être

inquiétés le savent bien. Leur innocence n’est elle aussi que juridique, tant qu’ils n’auront

pas été soupçonnés puis jugés selon les règles. C’est cette idée que les professeurs Merle et

Vitu semble partager en écrivant : « le doute que l’accusation n’a pu éliminer équivaut à

une preuve positive de non-culpabilité »1435. Il peut en effet paraître injuste d’inquiéter une

personne puis, faute d’être parvenu à prouver sa culpabilité, de rendre une décision laissant

ensuite suspecter son honnêteté. La solution, du point de vue de la vérité, n’est pas

satisfaisante. Elle a pour effet d’assimiler les véritables innocents et ceux qui ne le sont pas

mais que l’on n’a pu convaincre. Mais du point de vue de la justice ?

Que la simple notion de justice puisse être le fondement de la présomption d’innocence,

cela ne semble pouvoir être démenti par aucun criminaliste. L’abandon de toute référence

directe aux maximes du droit romain puis du Moyen Âge et donc au fondement, n’est pas

en effet à interpréter comme une négation de ce fondement. Le discours sur la présomption

d’innocence s’est seulement construit ou reconstruit différemment en avançant d’autres

raisons d’être de ce principe. Pour autant, tout fondement sur la justice ne peut avoir

complètement disparu.

2) Permanence du fondement à travers le discours doctrinal

371. Présence de l’indicible. Le discours doctrinal moderne répugne manifestement à

penser le fondement de la présomption d’innocence en terme de justice. Ce fondement,

ultime, n’est pas dit, comme s’il ne pouvait être dit comme tel. Sa permanence ne paraît

pourtant pas faire de doute. Si le raisonnement sur le fondement n’est jamais poussé jusqu’à

son terme, il suppose, sans le dire, que la présomption d’innocence doit être admise parce

qu’elle est juste. Il n’est en effet pas impossible de débusquer ce fondement dans le

discours. Plusieurs exemples montrent qu’il est possible de le retrouver.

372. La nécessité de la présomption d’innocence. Le discours doctrinal sur la

présomption d’innocence est construit tout entier sur ce présupposé que si le système pénal

n’admettait pas la présomption d’innocence, c’est nécessairement une présomption de

culpabilité qu’il consacrerait. Il n’y aurait qu’une alternative possible, conformément à la

logique juridique du « ou ceci ou cela ». Si ce n’est l’un, ce doit être l’autre. En

l’occurrence, le discours doctrinal ne saurait admettre l’autre, à savoir la présomption de

culpabilité. Cette position trouve souvent à s’exprimer lorsqu’il s’agit d’évoquer

l’expérience tirée des régimes totalitaires. « On a pu prétendre que la présomption

d’innocence était contraire aux enseignements de l’expérience, aux intérêts de la société et

au progrès de la science » écrit M. Patarin à propos de la mise en œuvre d’une présomption

1435 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 143.

Le discours sur l’objet

432

de culpabilité dans les régimes où la poursuite et la condamnation sont justifiées par de

simples soupçons et où le crime se résout à ne pas partager les opinions politiques de

l’heure. Pour l’auteur, il s’agit là d’un exemple devant « servir de contre-épreuve et (qui)

démontre la généralité et la prépondérance qui doivent être accordées à la présomption

d’innocence »1436. Tout au long de son étude, M. Essaïd a lui aussi démontré qu’il n’existait

qu’une alternative possible. Jugeant impossible à tenir la position de neutralité du statut de

l’inculpé, ni présumé innocent, ni présumé coupable, qui avait été suggérée par Jean

Carbonnier, l’auteur estime que « une solution mitigée est impraticable, et le choix ne peut

se faire qu’entre les deux extrêmes, entre la présomption d’innocence et la présomption de

culpabilité »1437. Plus près de nous, Claude Lombois indiquait que la « la présomption

d’innocence n’est pas une attitude naturelle mais le prix d’un effort, d’une détermination

raisonnée de dominer l’apparence »1438 ; tandis que M. Conte jugeait que la présomption

d’innocence est un parti pris d’une absolue nécessité1439 et que, plus récemment, un auteur

estimait «que seule la présomption d’innocence peut et doit gouverner la procédure

pénale»1440.

Cette nécessité avouée de la présomption d’innocence sur quoi est-elle fondée ?

Pourquoi la présomption de culpabilité ne pourrait-elle être admise ? La réponse ne paraît

pas tant dépendre d’un choix qui consisterait à opter pour une solution meilleure qu’une

autre. Le doyen Carbonnier écrivait que « scientifiquement », il ne devrait pas y avoir de

préjugé sur la culpabilité ou la non-culpabilité de l’inculpé tant que le procès est en

cours1441. Scientifiquement, peut-être, mais juridiquement ? C’est la présomption

d’innocence que les pénalistes présentent comme le seul choix possible. Ce choix est

diversement justifié. Or, au-delà de certaines des raisons proposées, c’est bien la justice que

l’on retrouve.

373. Justice et sauvegarde de la liberté individuelle. La doctrine pénale moderne

enseigne que la présomption d’innocence est une garantie de la liberté individuelle. Cette

liberté est proclamée droit de l’homme et hissée au rang de valeur. Il s’agit d’un bien que

nos sociétés démocratiques s’efforcent donc d’assurer à chacun, comme en témoignent tous

les textes protecteurs des droits de l’homme. Ce bien apparaît si précieux qu’il peut faire

l’objet d’une confiscation à titre de punition. À notre époque, condamner un accusé à la plus

lourde des peines revient à le priver de sa liberté. La présomption d’innocence ne garantit

1436 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 8. 1437 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 96. 1438 C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 83. 1439 PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op.cit., n° 3. 1440 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 822. 1441 J. CARBONNIER, Le problème de la détention préventive, op. cit., p. 118.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

433

que très imparfaitement la liberté individuelle des personnes avant condamnation définitive.

Il existe des cas où la privation de liberté avant toute condamnation est nécessaire. On

comprend donc assez mal que la présomption d’innocence puisse trouver sa raison d’être

dans cette liberté. En revanche, si l’on vient à considérer la liberté comme un bien, on

comprend qu’il est juste de ne pas priver de liberté celui qui n’est pas encore désigné

comme coupable. Il est donc juste de le présumer innocent pendant qu’il n’existe que des

soupçons contre lui.

374. Justice et manifestation de la vérité dans le procès pénal. « L’objet de toute

procédure est la découverte de vérité, et la vérité, par rapport à la thèse du procès pénal

qui est l’imputation d’un délit, doit aboutir à la démonstration de la vérité de la culpabilité

de l’accusé ou du prévenu » enseignait Garraud1442. Le pénaliste ne faisait là que se

conformer à l’opinion de Faustin-Hélie pour lequel la procédure pénale n’a qu’un but, la

recherche de la vérité. M. Patarin expliquera quant à lui que le procès pénal a « pour idéal

la recherche de la vérité absolue »1443. Il existe ainsi « un grand nombre de pénalistes pour

qui la manifestation de la vérité constitue la finalité essentielle du procès pénal »1444. Plus

précisément, ce sont les preuves pénales qui ont pour principe la recherche de la vérité. Le

souci de parvenir à la vérité est présenté par M. Levasseur comme le premier principe

dominant le droit français de la preuve en matière répressive. L’opinion n’est pas démentie

par les textes, loin s’en faut. « Ce souci de parvenir à la vérité est répété, comme une sorte

de litanie, d’obsession, dans nos texte législatifs sur la matière» relève ce pénaliste1445.

Étant admis également que la question de la preuve pénale domine et gouverne tout le

procès pénal, on peut dire que les règles de procédure sont tout ordonnées à cette exigence :

la manifestation de la vérité.

La vérité se présente donc comme la seule fin du procès et la présomption d’innocence

serait un des moyens d’y parvenir. Mieux, la présomption d’innocence apparaît « au cœur

du dispositif de recherche de la vérité »1446. Analysée comme une garantie contre

l’arbitraire, les erreurs judiciaires, et finalement contre la partialité du juge, la présomption

d’innocence peut en effet apparaître comme un bon moyen de connaître la vérité. Et

d’ailleurs cette connaissance de la vérité permet de sauvegarder au mieux la liberté. C’est la

raison pour la quelle la manifestation de la vérité était apparue comme la meilleure des

justifications à M. Essaïd. Un auteur a même cru pouvoir constater qu’une doctrine

1442 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 227. 1443 J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 21. 1444 M. VAN DE KERCHOVE, La vérité judiciaire : quelle vérité, rien que la vérité, toute la vérité ? Déviance et Société, 2000, n° 1, p. 97-98. 1445 G. LEVASSEUR, Le droit de la preuve en droit pénal français, op. cit., p. 178. 1446 M. DELMAS-MARTY, La preuve pénale, op. cit., p. 57.

Le discours sur l’objet

434

majoritaire en France considère que le respect de l’innocence passe par une stricte recherche

de la vérité1447. Indépendamment donc de la question de savoir à quelle sorte de vérité il

faut se vouer, il est admis que la vérité est une garantie de la protection de l’innocence.

Dans un procès où un innocent est poursuivi à tort, une recherche sérieuse de la vérité

devrait emporter la révélation de cette innocence.

Il est remarquable de constater que le procès pénal se voit avec une telle unanimité

reconnaître la vérité pour fin. Il est pourtant admis par ailleurs que cette vérité est relative,

et ce à deux titres. Premièrement, toute la vérité ne saurait être recherchée. La complète

vérité échappe, le droit s’autolimite dans cette quête dès lors que des valeurs jugées

supérieures s’opposent à ce qu’elle soit obtenue. « Il va de soi qu’une des conséquences

inévitables réside dans le fait que toute la vérité ne sera pas – ou risque de ne pas être-

manifestée » 1448. Il en va ainsi, comme on le sait, avec la prohibition des moyens d’obtenir

la vérité qui porteraient atteinte à la dignité humaine, qui seraient déloyaux ou encore jugés

peu fiables. Deuxièmement et corrélativement, avec le jugement, c'est-à-dire au terme du

processus même de recherche de la vérité, c’est une vérité relative qui est atteinte et non pas

absolue. Ce n’est finalement qu’une certitude judiciaire, une probabilité de vérité, dont il

faut bien se contenter.

La vérité, substantielle ou absolue, n’est donc pas la fin ultime du procès. La preuve tend

à la manifestation de la vérité, mais surtout à l’obtention d’une certitude quant à la

culpabilité1449. Or, cette certitude de la culpabilité n’a aucune valeur en soi dans le procès.

En effet, quand bien la vérité de la culpabilité d’une personne acquittée serait connue,

aucune révision de son procès ne serait possible. Le raisonnement des pénalistes semble en

effet arrêter le raisonnement avant son terme. La vérité n’est en effet qu’un moyen,

indispensable, mais seulement un moyen pour atteindre une autre fin, si évidente, qu’il ne

paraît pas (plus ?) utile de la nommer : la justice. En réalité, « justice et vérité forment un

binôme dont les termes se confondent parfois (…). La vérité étant dans la procédure, la

condition de la justice, du point de vue philosophique, la justice devant être, avant tout et

surtout, une vraie justice »1450. Que la vérité soit l’une des conditions d’une décision juste,

1447 A. ASTAING, Droits et garanties de l'accusé dans le procès criminel d'ancien régime, op. cit., n° 325. 1448 M. VAN DE KERCHOVE, La vérité judiciaire : quelle vérité, rien que la vérité, toute la vérité ? op. cit., p. 98. 1449 « Dans le procès, la preuve oscille entre idéal et contingence. L’idéal est que le juge statue en connaissant la vérité», enseigne M. Théry qui estime en outre que « la vérité est sans doute une valeur du procès. Mais la finalité essentielle des règles de preuve est, plus prosaïquement, la conviction du juge », V. PH. THÉRY, Les finalités du droit de la preuve, Droits, 1996, n° 23, p. 46. 1450 A. WALD, Rapport général, Vérité et justice, in La vérité et le droit, Travaux de l’association Capitant, journées canadiennes, tome XXXVIII, 1987, p. 531.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

435

paraît à la fois incontestable et pourtant souvent passé sous silence1451. C’est très

incidemment que les pénalistes sont amenés à exprimer cette réalité que « la justice est

ordonnée à la vérité »1452. On s’en convaincra par exemple en observant que dans une

réflexion portant sur le juge et la vérité, un auteur peut n’évoquer la justice que dans la

dernière phrase de son propos : « si les efforts des juges et auxiliaires de justice doivent

toujours tendre à une plus grande connaissance de la vérité et, par là même, à une plus

grande justice, il convient cependant de prendre conscience avec modestie que ce but, s’il

doit être toujours poursuivi et intensifié, peut rarement être atteint d’une façon totale »1453.

Si la présomption d’innocence trouve sa raison d’être dans la manifestation de la vérité,

si elle concourt à éviter les erreurs judiciaires, il va de soi que ce n’est pas dans la seule fin

de découvrir La vérité mais plutôt de parvenir à prononcer une décision juste. Le discours

doctrinal effleure mais refuse de toucher au cœur de ce qui paraît être le fondement de la

présomption d’innocence. Garraud s’autorisait seulement à écrire que « toutes les fois que

la culpabilité n’est pas complètement établie, une peine ne serait pas justifiée » mais qu’un

« double préjugé a retardé longtemps le triomphe de la justice et de la logique sur ce

point »1454. « Justifiée », « justice », sont des termes qui ont peu à peu disparu du discours

doctrinal alors que les anciens criminalistes ne craignaient pas de les employer1455. MM.

Merle et Vitu partagent l’opinion de Garraud et relèvent que le juge ne peut condamner que

s’il est convaincu de la culpabilité. Le fondement d’une telle solution n’est toutefois pas ici

la justice mais un fondement que l’on pourrait qualifier d’intermédiaire. Les auteurs

expliquent en effet que la solution inverse, celle qui consisterait à admettre une

condamnation fondée sur le doute, « risquerait d’entraîner de nombreuses erreurs

judiciaires et constituerait une très grave menace pour la sécurité individuelle»1456.

L’ouvrage des professeurs Stéfani, Levasseur et Bouloc pourrait faire figure d’exception,

avec dès l’introduction ce rappel : « Mieux vaut, dit-on, laisser cent coupables impunis que

de condamner un innocent », suivi de cette opinion : « La procédure pénale qui doit

défendre la société doit donc également garantir les libertés de l’individu, la présomption

d’innocence et les droits de la défense sans le respect desquels il ne saurait y avoir une

1451 Cette question n’est pas même effleurée par le rapporteur belge qui s’exprimait aux journées canadiennes, V. M. Preumont, Vérité et justice dans le procès pénal, in La vérité et le droit, op. cit., p. 595 et s. 1452 G. CORNU, Rapport de synthèse, in La vérité et le droit, op. cit., p. 4. 1453 R. COMBALDIEU, Le juge et la vérité, Aspects de droit pénal, Annales de l’université des sciences sociales de Toulouse, T. XXVI, 1978, p. 324. 1454 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 232. 1455 Mais il est vrai que de nos jours, on juge emphatique le style des auteurs des XVIIIe et XIXe siècle. 1456 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 148.

Le discours sur l’objet

436

vraie justice répressive »1457 où il semble bien que la présomption d’innocence est fondée

sur la justice.

375. Justice et droit au respect de la présomption d’innocence. Le droit au respect de la

présomption d’innocence protégé par le Code civil n’échappe pas à ce « déni » de

fondement. Toutes les analyses de l’article 9-1 du Code civil, convergent pour faire du droit

au respect de la présomption d’innocence un droit subjectif. Mais le fondement de ce droit

n’est pas recherché au-delà du texte et de la volonté de renforcer la présomption

d’innocence. Sont en jeu l’honneur et la réputation de la personne poursuivie qui est

présentée comme coupable avant toute condamnation. Quelle est la raison d’être de ce

droit ? M. Carbonnier propose de rechercher des éléments de réponse du côté du pendant de

ce droit, c'est-à-dire d’une obligation. L’attention doit en effet se déplacer pour se porter

non plus sur le présumé innocent mais sur le sujet qui présume, c'est-à-dire chacun d’entre

nous au sein de la société. Une obligation apparaît alors, celle de ne pas présumer de la

culpabilité avant qu’un juge, seul habilité à le faire, ne se soit prononcé. « Cette obligation,

en vérité, est un devoir absolu »1458 explique le doyen Carbonnier, il trouve sa formulation

au cœur du christianisme : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés»1459.

Thomas d’Aquin développait déjà cette idée en tentant de répondre à la question de savoir

s’il faut juger sur des soupçons. Se référant aux paroles de saint Jean Chrysostome, il

enseigne que : « Par cet ordre : "Ne jugez pas", le Christ n’empêchent pas les chrétiens de

corriger les autres par bienveillance ; mais il ne veut pas que, par l’étalage de leur propre

justice, des chrétiens méprisent des chrétiens en haïssant et condamnant les autres, sur de

simples soupçons la plupart du temps »1460. Par nature l’homme est porté au soupçon, le fait

même qu’une personne soit placée en garde à vue ou mise en examen suffit à nourrir ce

soupçon qu’il faut éviter. La raison en est donnée par saint Thomas qui énonce cette

solution : « Du fait même que quelqu’un a mauvaise opinion d’autrui sans cause suffisante,

il le méprise injustement ; donc il est injuste envers lui ». Ainsi, si les juges ne doivent pas

condamner sur de simples soupçons, les membres de la société doivent-ils également

s’abstenir afin de demeurer justes eux-mêmes. On observera d’ailleurs que c’est faute

d’avoir respecté ce devoir que la société a été contrainte de consacrer un droit positif

correspondant, permettant à son titulaire de faire sanctionner les atteintes à « sa »

présomption d’innocence.

376. De l’utile au juste. Le principe de la présomption d’innocence est donc

« incontestable », et pas seulement parce qu’il a été énoncé par une foule de textes. Il a une

1457 G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 19e éd., n° 3. 1458 J. CARBONNIER, Droit civil, vol. I, op. cit., n° 288. 1459 MATTHIEU, VII, 1; et LUC, VI, 37. 1460 Somme théologique, op. cit., IIa-IIae, question 60, article 3.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

437

raison d’être qui semble dépasser la seule perspective d’une reconnaissance des droits de

l’homme. Mais cette raison d’être n’est plus formulée, ou elle l’est de manière détournée.

Le discours doctrinal ne parvient pas à énoncer ce qui pourrait passer pour évident. Une

illustration en est fournie par M. Pradel qui enseigne désormais, après avoir été silencieux

sur cette question, que « la présomption d’innocence se justifie sans peine de plusieurs

façons»1461. Mais les divers fondements avancés en doctrine se ramènent pour l’essentiel à

l’utilité de la présomption d’innocence. L’utilité pour garantir la liberté, prémunir contre

l’arbitraire des juges, préserver contre les mauvais traitements, éviter les erreurs judiciaires,

favoriser la manifestation de la vérité. L’utile a tendance à chasser le juste, à moins qu’il ne

se présente finalement comme une composante du juste. C’était semble-t-il cette dernière

conception que la doctrine pénale de l’Ancien Régime adoptait. Mme Bongert a montré à

cet égard que les criminalistes de l’Ancien Régime accordaient la primauté au juste tandis

que les réformateurs ont œuvré à assurer la suprématie de l’utile. Pour les premiers, la

primauté du juste était particulièrement sensible dans le domaine de la preuve. En ce

domaine, le premier impératif du juste exige qu’un innocent ne soit pas condamné, et

l’auteur d’interroger : « S’il n’était pas respecté, n’est-ce pas alors que l’équilibre qui

caractérise le juste, serait le plus gravement rompu ? »1462. L’utile, pour l’ancienne doctrine

n’est pas exclu mais il n’est envisagé que comme le fruit du juste. Le raisonnement

s’inverse dans le courant du XVIIIe siècle et l’utile prendra le pas sur le juste, il est

désormais recherché pour lui-même et le juste n’en est plus qu’une conséquence1463. Les

réformateurs ont été des utilitaristes à commencer peut-être par Beccaria. Cet utilitarisme

juridique nourrira jusqu’à l’école positiviste italienne1464.

Le droit pénal serait, depuis le temps des réformateurs, dominé par une « philosophie »

de l’utile qui pourrait alors expliquer que le juste n’apparaisse pas comme fondement de la

présomption d’innocence comme c’était en revanche le cas dans l’ancien droit. Pourtant, il

n’est pas certain que la doctrine pénale moderne, qui a fait place à la présomption

d’innocence dans son discours, soit entièrement gagnée à l’utilitarisme. Il n’est pas

impossible, comme les lignes précédentes entendaient le montrer, de retrouver le juste

derrière l’utilité des fondements proposés dans la littérature juridique contemporaine. Mais

ce fondement demeure manifestement indicible. On peut légitimement s’interroger sur cette

évolution du discours doctrinal, depuis l’ancien droit qui ne formulait pas la présomption

1461 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384. 1462 Y. BONGERT, Le juste et l’utile dans la doctrine pénale de l’Ancien Régime, op. cit., p. 298. C’est cet impératif de justice, comme le rappelle ici l’auteur, qui au fondement de la théorie des preuves dites légales ou formelles tant décriée par les réformateurs comme Voltaire. 1463 Y. BONGERT, Le juste et l’utile dans la doctrine pénale de l’Ancien Régime, op. cit., p. 322. 1464 M. VILLEY, L’utile et le juste, préface historique, Arch. phil. dr., T. 26, 1981, p. 5 et 8.

Le discours sur l’objet

438

d’innocence mais la justifiait, jusqu’à notre époque qui a élaboré le concept de présomption

d’innocence en éludant la question du fondement.

Les conditions dans lesquelles la présomption d’innocence a émergé en tant qu’objet de

discours au XXe siècle n’y sont en réalité pas étrangères. La façon dont le discours doctrinal

sur la présomption d’innocence s’est construit, parfois même ses composantes, sont en

mesure d’éclairer l’indicible du fondement. Cela conduit alors à s’intéresser non plus au

fondement de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal mais désormais au

fondement du discours sur la présomption d’innocence.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

439

SECTION 2 : LE FONDEMENT DU DISCOURS SUR LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

377. Fondement ou raison d’être du discours. Il ne s’agit pas de s’intéresser ici à ce qui

rend légitime la doctrine à discourir comme elle le fait de la présomption d’innocence. Il

s’agit plutôt de rechercher ce qui motive ce discours, au-delà de la seule mission que se

reconnaît la doctrine juridique, à savoir la description du droit. C’est le fait que la

présomption d’innocence a un jour émergé dans la littérature juridique qui, depuis le début

de l’analyse, laisse à penser que ce discours n’est pas seulement descriptif d’une règle de

procédure pénale. L’analyse des énoncés portant sur la présomption d’innocence abonde

d’ailleurs dans le même sens. La recherche du fondement revient alors à poser la question

de savoir pourquoi un discours sur la présomption d’innocence mais aussi pourquoi ce

discours-là. Autrement dit, il s’agit de s’interroger sur la raison d’être du discours tel qu’il

est, ou du moins tel qu’il a été observé. Ainsi, après avoir précisé la raison d’être d’un

discours sur la présomption d’innocence (§1), on pourra donner une illustration de la

permanence de sa raison d’être à travers le discours (§2).

§ 1. LA RAISON D’ÊTRE D’UN DISCOURS SUR LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

378. Naissance et évolution des concepts. L’étude de l’objet dans le discours, en première

partie de cette étude, avait permis de mettre en évidence les conditions précises dans

lesquelles la présomption d’innocence a fait son apparition sous la plume des pénalistes

français. Ces conditions paraissent mériter qu’on y revienne afin de les éclairer dans une

perspective plus large, celle de la raison d’être. Ce nouvel éclairage procède d’un parallèle

que l’on peut établir entre ce qui a été dit des conditions d’émergence de la présomption

d’innocence dans le discours doctrinal et les constatations qui avaient été faites en droit

civil à propos du principe dit de l’autonomie de la volonté. L’étude de Véronique

Ranouil1465 nous servira de guide, par sa démarche, pour présenter la raison d’être d’un

discours sur la présomption d’innocence. Elle permettra, par une analogie d’ailleurs

troublante, de mettre en lumière l’introduction du nouvel objet de discours comme

l’élaboration du concept de présomption d’innocence mais aussi de regarder cette

conceptualisation comme le symbole d’une philosophie à l’œuvre.

1465 V. RANOUIL, L’autonomie de la volonté : Naissance et évolution d’un concept, Paris, PUF, 1980.

Le discours sur l’objet

440

A- DE L’IDÉE AU CONCEPT DE PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

379. Rapprochements entre l’autonomie de la volonté et présomption d’innocence.

L’autonomie de la volonté est, tout comme la présomption d’innocence chez les pénalistes,

un principe devenu incontournable pour les civilistes. Mme Ranouil s’était proposée, voilà

plus de vingt ans, de s’attacher à cette formule employée en doctrine mais absente du Code

civil, pour en découvrir la date de naissance, sa provenance et surtout donner les raisons de

son apparition1466. Nombre de ses observations sont particulièrement intéressantes car elles

rejoignent souvent celles que l’on peut faire à propos l’apparition de la formule présomption

d’innocence. Ainsi, le parallèle entre l’autonomie de la volonté et la présomption

d’innocence peut être opéré du point de vue de l’apparition de la formule, mais aussi

s’avérer fructueux en ce qui concerne les conditions de possibilité de cette apparition et de

sa généralisation.

1) L’apparition de la formule

380. Formule et concept. Si Mme Ranouil distingue l’apparition de la formule

d’autonomie de la volonté selon qu’elle a eu lieu dans la littérature des internationalistes ou

plus tard dans celle des civilistes, le parallèle à établir avec la présomption d’innocence peut

se nourrir indifféremment des observations faites dans les deux hypothèses. Parce qu’elle ne

figure pas dans le Code civil, Mme Ranouil estime que l’usage qui est fait de la formule

« autonomie de la volonté » désigne un concept doctrinal. Se référant à Hegel pour ce qui

est de la définition du concept, elle explique que « la forme, les mots n’apparaissent que

lorsque la pensée est parvenue à un certain degré de maturité. Inversement nommer une

idée permet plus précisément d’en percevoir le contenu »1467. L’usage de la formule

« autonomie de la volonté » aurait à la fois traduit la conception d’une volonté créatrice de

droit, mais aussi suscité cette conception. Or, on a pu observer le même phénomène

concernant la présomption d’innocence.

Mme Ranouil a en effet découvert que, avant que n’apparaisse la formule d’autonomie

de la volonté dans littérature internationaliste et plus tard dans la littérature civiliste, l’idée

qu’elle traduit était bien présente chez les juristes, mais qu’elle n’était pas énoncée voire

même perçue1468. Plus spécialement, l’auteur relève que l’idée selon laquelle la volonté

individuelle est la source et la mesure des droits subjectifs, a dominé le droit des contrats et

même tout le droit civil durant le XIXe siècle mais de manière diffuse. Pour les juristes,

cette idée se présentait comme une évidence et ils l’adoptaient sans même s’en apercevoir.

Mme Ranouil précise encore que l’idée d’autonomie de la volonté est omniprésente,

1466 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 11. 1467 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 14. 1468 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 40.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

441

souveraine, et que cela se traduit par l’absence de l’expression ou de formules approchantes.

Ainsi écrit-elle : « Incontestée, elle nourrit la pensée des juristes, mais ne fait pas l’objet de

leur réflexion»1469.

Ces observations concordent étrangement avec ce qui s’est passé avec la présomption

d’innocence. Bien que la formule, telle que nous la connaissons aujourd’hui, ait été absente

de la littérature antérieure mais surtout postérieure à la Révolution, il ne paraît plus

contestable aujourd’hui que l’idée qu’elle exprime était partagée par les anciens

criminalistes. L’idée générale selon laquelle l’accusé est présumé innocent et l’idée plus

particulière que la charge de la preuve incombe à l’accusation, que le doute profite à

l’accusé, qu’il faut protéger l’innocence des abus et des erreurs judiciaires, n’était pas

inconnue, loin s’en faut, de la doctrine pénale du XIXe siècle. Le droit positif, bien que lui

aussi silencieux, n’en consacrait pas pour autant les solutions inverses. Néanmoins, ces

idées n’étaient pas exprimées sous la formule générale de présomption d’innocence. Une

certaine présomption d’innocence a pu parfois être évoquée, notamment par Bentham, mais

la formule présomption d’innocence comme objet de discours autonome, c'est-à-dire

finalement comme concept, est demeurée absente de la littérature pénale jusqu’à la fin du

XIXe siècle1470.

L’apparition d’une formule traduit l’émergence d’un concept selon Mme Ranouil, elle

peut même être davantage que les idées un peu confuses, jusqu’à là inexprimées. Il en va là

encore de même pour l’autonomie de la volonté et la présomption d’innocence. Reste à

envisager les conditions qui président à l’apparition et à la généralisation d’une telle

formule.

2) Les conditions d’apparition et de généralisation de la formule

381. La formule comme cible. L’un des points essentiels de la thèse de Véronique Ranouil

a consisté à montrer que l’autonomie de la volonté est apparue et s’est généralisée, en tant

que formule constituée, sous la plume des détracteurs de l’idée qu’elle traduit. La formule

apparaît alors non pas tant comme la consécration d’une idée mais comme la cible de cette

idée. Alors qu’elle était apparue au début du XXe siècle, même chez les civilistes qui étaient

favorables à l’idée de volonté créatrice de droit, la formule n’avait pas été immédiatement

définie et adoptée par les auteurs. S’ils venaient à affirmer telle ou telle des implications de

cette autonomie de la volonté, ils n’en faisaient encore aucune synthèse, explique Mme

Ranouil1471. En réalité, « l’usage de l’expression d’autonomie de la volonté se généralise à

l’occasion de la critique de l’idée qu’elle exprime : elle est avant tout une cible» observera

1469 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 71. 1470 V. supra, n° 79. 1471 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 94.

Le discours sur l’objet

442

l’auteur. Ainsi, après que Bufnoir aura utilisé le premier l’expression, en 1900, pour réduire

la portée de la conception excessive qu’elle traduit, la très grande majorité des auteurs qui

combattaient telle ou telle implication de la doctrine de l’autonomie de la volonté feront un

usage de l’expression, relève Mme Ranouil1472. C’est en 1912, avec la parution de la thèse

de Gounot que l’autonomie de la volonté trouve sa plus belle expression comme cible. Avec

cet auteur, « pour la première fois les multiples postulats et conséquences de l’idée

d’autonomie de la volonté se trouvent rassemblés : la théorie est faite dans le but d’une

critique sinon radicale du moins minutieuse»1473. C’est alors que l’usage de l’expression

même d’autonomie de la volonté par ses détracteurs met en évidence l’outrance de l’idée

qu’elle exprime1474.

Les mêmes constatations ont pu être faites à propos de la présomption d’innocence. En

effet, la formule de « présomption d’innocence » n’apparaîtra la première fois que sous la

plume de Enrico Ferri dans son ouvrage La sociologie criminelle, alors que le criminaliste

entendait dénoncer et critiquer les exagérations de cette idée1475. Nous avions ainsi pu

relever qu’il s’agissait de la toute première formulation de l’expression présomption

d’innocence, laquelle permettait à l’auteur italien d’exposer ses critiques à l’égard des

conséquences qu’il rattachait, pour l’occasion, à cette présomption d’innocence. On l’a

montré précédemment, il s’agissait moins pour Ferri de formuler une règle, celle de la

présomption d’innocence, que de rassembler sous cette formule des règles de droit positif

jugées trop favorables aux délinquants.

La généralisation de la formule « présomption d’innocence » dans la littérature pénale

s’est faite, comme on l’a vu, en réaction directe aux propos critiques de Ferri.

Contrairement à ce qui s’est passé pour l’autonomie de la volonté, ce ne sont pas les

détracteurs de la présomption d’innocence qui ont véritablement fait son succès. Ce sont,

après ses détracteurs, ses défenseurs. En revanche, il est clair que Ferri a joué en droit pénal

un rôle semblable à celui de Gounot pour le droit civil. L’usage qu’il a fait de la formule

présomption d’innocence visait à prendre pour cible ce qu’il croyait qu’elle était propre à

recouvrir.

382. La formule comme défense. L’émergence de la présomption d’innocence dans le

discours doctrinal français à la fin du XIXe siècle répond directement aux attaques des

auteurs positivistes et particulièrement celles qui avaient été énoncées par Ferri dans sa

Sociologie criminelle. Sa pérennisation en porte encore les traces. S’agissant de l’autonomie

de la volonté, Mme Ranouil remarque qu’il existe une raison capitale pour expliquer que les

1472 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 132, et pour la doctrine internationaliste, p. 97. 1473 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 132. 1474 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 129. 1475 V. supra, n° 84 et s.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

443

civilistes n’aient pas usé de la formule avant la fin du XIXe siècle : « l’idée d’autonomie de

la volonté ne se sentant pas contestée, n’eut pas à se nommer pour s’affirmer»1476. Il est

permis de penser qu’il en va de même pour la présomption d’innocence. L’idée ou les idées

que traduit la présomption d’innocence ne sont pas nouvelles en cette fin de XIXe siècle, il

ne s’agit pas d’une découverte doctrinale, mais de l’élaboration du concept de présomption

d’innocence en vue de défendre ces idées. Ferri a été sans nul doute l’élément déclencheur

qui a fourni aux auteurs français les éléments pour cette conceptualisation. Cela est

d’ailleurs très clair lorsqu’on prête attention aux tout premiers moments de l’émergence de

la présomption d’innocence dans les manuels et traités de procédure criminelle française. Le

discours sur la présomption d’innocence se construit autour de la référence à l’œuvre

critique de Ferri1477. La présomption d’innocence est menacée, elle est alors formulée, elle

entre dans le discours, qui jusque là l’avait ignorée, uniquement pour répondre aux attaques

dont elle fait l’objet. D’autres que Ferri ont critiqué la présomption d’innocence, mais son

ouvrage est toujours pris pour référence, c’est la preuve que le succès qu’il a connu a permis

la généralisation de la formule.

383. L’influence d’une œuvre. Mme Ranouil avait relevé que la formule autonomie de la

volonté s’était répandue dans le vocabulaire des juristes internationalistes en raison de

l’immense influence d’un professeur qui venait d’en faire un usage constant dans son traité.

L’auteur note en effet que l’expression d’autonomie de la volonté avait été introduite en

1886 par Weiss dans son traité élémentaire de droit international privé et que cet ouvrage

représentait beaucoup pour la communauté des internationalistes. Il était le premier ouvrage

de droit international privé écrit depuis quarante ans et avait été de surcroît couronné par

l’Académie des sciences morales et politiques. C’est pourquoi sa parution a pu être vécue

comme un véritable évènement et que l’usage de l’expression d’autonomie de la volonté a

pu en être grandement facilité1478.

Certes Ferri ne traite pas de la présomption d’innocence tout au long de sa Sociologie

criminelle, mais il critique cependant la philosophie qui sous-tend la présomption

d’innocence et cela est une raison suffisante pour que son ouvrage ait retenu l’attention de

la communauté des criminalistes. Cela est d’autant plus vrai que, paru pour la première fois

en 1881, l’ouvrage de Ferri a rapidement été remanié et réédité dans des versions toujours

plus complètes. Il n’est pas certain que les juristes français aient pu avoir accès au contenu

de cette œuvre écrite en italien avant que paraisse la première traduction française en 1893.

Mais la parution de cette première traduction a sans aucun doute permis au plus grand

nombre de mesurer l’ampleur et la virulence des critiques formulées par l’italien. La date de

1476 L’autonomie de la volonté, op. cit. , p. 80. 1477 V. supra, n° 90 et s. 1478 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 42.

Le discours sur l’objet

444

1893 est importante car, comme le souligne d’ailleurs Ferri dans sa préface, un an plus tôt

avait eu lieu le congrès d’anthropologie criminelle de Bruxelles auquel n’avaient pas assisté

les membres de l’école positiviste italienne et où leurs idées et propositions de réforme

n’avaient pu être débattues. L’ouvrage a pu d’autant plus suscité l’intérêt que, le congrès de

Bruxelles s’était semble-t-il achevé sur l’idée d’une conciliation entre juristes et

criminologues, et qu’il venait exprimer les dernières évolutions de la pensée positiviste. La

notoriété de Ferri était à cette époque internationalement acquise, il était bien connu des

juristes français, notamment Gabriel Tarde, avec lesquels il avait pu lier amitié, peut-être

lors du congrès d’anthropologie criminelle de Paris en 1889. La parution de son ouvrage en

tant que « trait d’union » entre l’œuvre de Lombroso et celle de Garofalo1479 pouvait alors

recevoir toute l’audience voulue des criminalistes français. Ces derniers pouvaient en effet

se montrer désireux de connaître le dernier état de la pensée du juriste italien à propos du

renouvellement de la science des délits et des peines par la méthode expérimentale.

Les attaques en règle contre la présomption d’innocence contenues dans cet ouvrage

avaient ainsi toutes les chances d’être connues des lecteurs français et la formule de

présomption d’innocence pouvait ainsi retenir leur attention. En dehors de ses attaques, il

fallait toutefois que la pensée juridique de l’époque se prête à cette émergence, c'est-à-dire à

cette apparition ou cette reprise de la formule dans la littérature française.

384. Le contexte de l’apparition. Mme Ranouil rattache la possibilité de voir naître la

formule autonomie de la volonté aux changements intervenus dans la pensée juridique de la

fin de siècle. S’il est vrai que jusqu’alors l’autonomie de la volonté n’avait pas à être dite

parce qu’elle n’était pas menacée, son absence de formulation était également imputable à

la méthode des civilistes. Absente du Code civil, l’autonomie de la volonté n’aurait pu être

objet des préoccupations de juristes attachés à l’exégèse de ce Code. De nos jours, les

pénalistes expliquent l’absence de théorisation de la preuve pénale au XIXe siècle par le

même motif1480 : la méthode exégétique. Cette raison pourrait alors aussi expliquer, à

double titre, l’absence de la formule présomption d’innocence dans le discours doctrinal.

Non seulement la formule était ignorée du Code d’instruction criminelle, mais de plus elle

apparaît comme un élément de la théorie de la preuve que le Code ignorait aussi.

Or, Mme Ranouil explique que l’année 1880 constitue une date cardinale dans la pensée

juridique française puisqu’elle annonce la victoire progressive des écoles scientifiques.

Selon elle, l’idée que le droit tout entier est contenu dans les codes s’efface.

Corrélativement, la possibilité voire la nécessité de rechercher des principes généraux et la

possibilité d’une réflexion critique apparaissent. Ce serait l’ouverture de la pensée des

1479 E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., préface, p. V-VI. 1480 V. en particulier M. Pradel et Mme Rassat.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

445

juristes à la réflexion critique et à la philosophie, qui aurait permis la réception de

l’autonomie de la volonté, laquelle relève au fond de la philosophie1481.

De son côté, la science du droit pénal a connu à la même époque, c'est-à-dire dans les

deux dernières décennies du XIXe siècle, une évolution comparable. L’ouverture d’esprit se

manifeste par exemple avec l’affaire Bavoux à la faculté de droit de Paris. On se souviendra

que l’on reprochait alors au professeur de droit criminel de critiquer les codes quand il

aurait dû se contenter de les expliquer1482. Ortolan et à sa façon Faustin-Hélie, illustrent

également cette ouverture en ne dédaignant pas, pour le premier, resituer l’étude du droit

criminel dans son contexte social ou disserter sur le droit de punir, et pour le second la

resituer dans son contexte historique.

Mais le changement de méthode, l’adhésion des juristes à la libre recherche scientifique

ne saurait à elle seule expliquer qu’une formule puisse apparaître et se généraliser dans le

discours doctrinal. Si la formule est d’abord utilisée comme cible puis comme bouclier,

c’est, pour attaquer ou défendre ce qui se trouve derrière la formule. Qu’il s’agisse de

l’autonomie de la volonté ou de la présomption d’innocence, l’enjeu de la formule, la

naissance du concept, repose sur une lutte entre deux philosophies différentes. L’élément

déclencheur, celui qui fait la fortune du concept, intervient sur fond de crise idéologique. Le

concept qui fait son entrée dans le discours des juristes se mue alors en symbole d’une

philosophie à l’œuvre.

B- LE CONCEPT COMME SYMBOLE D’UNE PHILOSOPHIE À L’ŒUVRE

385. Plan. L’autonomie de la volonté et la présomption d’innocence sont des expressions,

des concepts, qui ont fait leur apparition sur fond de crise idéologique. Leur emploi, s’il

cherche à être rattaché aux données positives du droit, n’en traduit pas moins l’idéologie ou

la philosophie tant de ceux qui attaquent l’idée contenue sous la formule que ceux qui la

défendent. La pérennisation de la formule dans la littérature peut alors jouer comme

symbole.

1) Identification d’un élément déclencheur

386. Divergences des points de vue philosophiques. « Les raisons profondes de

l’épanouissement en droit interne de l’autonomie de la volonté relèvent en réalité de la

transformation de la philosophie sociale et juridique», explique Mme Ranouil. Alors que le

XIXe siècle avait été dominé, consciemment ou non, par la doctrine de l’individualisme

juridique, voilà que ce dernier se trouve contesté avec l’apparition de théories socialistes

vers 1900. Ces dernières viennent affirmer, contre la doctrine de l’autonomie de la volonté,

1481 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 85-86. 1482 V. supra, n° 63.

Le discours sur l’objet

446

que l’homme est un être social dont la volonté individuelle ne saurait être ni l’unique source

des droits subjectifs, ni le seul fondement du droit. Il s’agit là d’idées nouvelles et

généreuses, dans la mesure où elles mettent l’accent sur la solidarité sociale. Elles

s’épanouiront d’autant plus que le droit positif en fera application1483. L’individualisme

juridique est, selon Mme Ranouil, une philosophie de l’homme, une théorie du fondement

du droit, et une théorie du but du droit. L’individu y est considéré comme une volonté libre,

source du droit1484. Ainsi le concept d’autonomie de la volonté est au cœur d’une

divergence entre deux conceptions de l’homme dans la société et dans ses rapports au droit.

Cette divergence est encore plus marquée en droit pénal, c’est une véritable crise1485 qui

affecte la pensée à la fin du XIXe siècle. C’est là aussi une question de conception de

l’homme, de l’homme criminel en particulier, qui est au centre du débat.

387. La volonté de l’homme criminel en question. L’homme criminel jouit-il d’une

volonté libre, d’un libre arbitre ? Ce postulat avait toujours été admis par les criminalistes.

L’école positiviste, forte des découvertes réalisées en matière médicale et grâce à la

méthode expérimentale appliquée sur les délinquants, affirmera que l’homme n’est pas libre

mais déterminé. Le délinquant, le plus souvent ne jouit pas de son libre arbitre, son passage

à l’acte est conditionné soit pas ses antécédents, soit par son milieu social ou encore par ses

troubles mentaux. Pour les positivistes, il est temps en cette fin de XIXe siècle,

d’abandonner ce postulat antique du libre arbitre. Cette nouvelle option philosophique, très

critique à l’égard de la doctrine traditionnelle dite classique, constitue le point de départ

d’une véritable refondation du droit pénal. L’antique droit de punir fondé sur la

responsabilité morale du délinquant, c'est-à-dire sur son libre arbitre, est contesté et son

abandon programmé devrait conduire à adopter un nouveau système de défense sociale où il

ne s’agira plus tant de punir que de traiter, soigner, réhabiliter, resocialiser les délinquants

sans égard pour une quelconque expiation ou rétribution. La volonté de l’homme n’étant

pas libre, il n’est plus question de penser la responsabilité en terme de faute, commise

librement, c'est-à-dire de culpabilité, sanctionnée pour ce qu’elle est. Les pénalistes attachés

à la théorie classique de la responsabilité pénale ont résisté à la progression des thèses de

l’école positiviste. Ils ont pourtant été contraints d’admettre que le système pénal issu de la

Révolution était impuissant à endiguer la criminalité. La peine n’était manifestement plus

dissuasive et le récidivisme inquiétait. Parées de science, les thèses positivistes ont pu ainsi

gagner en influence, tant chez les juristes que chez les législateurs.

C’est dans un tel contexte que la formule présomption d’innocence est apparue dans le

discours de Ferri et s’est ensuite répandue chez les auteurs français. Comme l’autonomie de

1483 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 130-131. 1484 L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 139. 1485 V. supra, n° 103 et s.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

447

la volonté, la présomption d’innocence est un concept doctrinal, c'est-à-dire une « idée

nommée, consciente d’elle-même ». Comme l’autonomie de la volonté, la présomption

d’innocence n’est nommée que pour être mieux attaquée, prise pour cible. Comme

l’autonomie de la volonté, la présomption d’innocence est un principe juridique placé au

centre d’une discussion qui est menée sur fond d’idéologie. Comme l’autonomie de la

volonté, le fondement de l’émergence de la présomption d’innocence dans le discours est à

rechercher du côté d’une philosophie. Les thèses positivistes n’ont pas emporté la bataille,

leur mise en œuvre par les régimes totalitaires et l’Italie fasciste a freiné ses élans1486. Le

principe de la présomption d’innocence a cependant, comme l’autonomie de la volonté,

continué d’être l’objet du discours des pénalistes. La présomption d’innocence a semble-t-il

joué et continue de jouer comme symbole de ce qu’elle représente : la philosophie

traditionnelle du droit pénal.

2) La présomption d’innocence comme symbole

388. Le double objet symbolique dans la présomption d’innocence. Alors que

l’autonomie de la volonté était la manifestation de l’individualisme juridique, qui dominait

le droit des contrats jusqu’à ce que des théories socialistes le menace, la présomption

d’innocence est la manifestation de la théorie du droit pénal classique ébranlée par le

positivisme criminologique. On peut dès lors penser que la raison d’être d’un discours sur la

présomption d’innocence se trouve dans la défense du droit pénal classique par les

criminalistes français. La présomption d’innocence apparaît comme l’un des symboles de ce

droit pénal libéral qu’il s’agit de défendre contre le positivisme ambiant. Là encore, c’est

Ferri qui a façonné la présomption d’innocence comme symbole et ce sont les juristes

français qui l’ont, consciemment ou non, entretenu. La présomption d’innocence peut ainsi

être regardée non seulement en tant que symbole du droit pénal classique critiqué par le

positivisme, mais aussi comme le symbole de la crise du droit pénal qui a permis

l’émergence du concept.

389. Le symbole du droit pénal classique. Alors que les juristes du XIXe siècle ne

traitaient pas de la présomption d’innocence, Ferri en faisait déjà un symbole de la

philosophie du droit pénal classique pour mieux la critiquer. Il vise sous cette présomption

d’innocence une outrance de la théorie classique qui a méconnu l’existence de divers types

criminels et continue de présumer innocents des délinquants pourtant ataviques,

récidivistes. Ainsi le juriste italien dénonce-t-il la présomption d’innocence comme « cas

spécial de cet arrêt idéo-émotif que Ferrero mettait à la base psychologique des

phénomènes de symbolisme, arrêt par lequel le signe et la formule, en s’immobilisant, se

1486 Elle n’a cependant pas complètement disparu et à donner lieu à des renouvellements et parfois changements de directions avec l’école de la défense sociale nouvelle.

Le discours sur l’objet

448

substituent à la chose et à l’idée qu’ils contenaient primitivement » 1487. C’est en réalité la

règle du doute favorable et toutes ses implications qui sont visées ici. Il n’empêche, la

formule présomption d’innocence est évocatrice et peut jouer comme symbole de l’objet

critiqué, de cette croyance que l’homme est libre ou non de commettre un crime, qu’il doit

être cru innocent jusqu’à preuve complète de sa culpabilité. La doctrine française du droit

pénal, en reprenant le discours du juriste italien comportant la référence à la présomption

d'innocence, se fait elle aussi l’écho d’un phénomène symbolique.

390. Permanence du symbole. Le discours doctrinal continue non seulement de prendre

pour objet « la présomption d’innocence », mais de surcroît de rappeler, aujourd’hui encore,

les critiques autrefois formulées par Ferri. Cette observation permet de dire que la raison

d’être d’un discours sur la présomption d’innocence réside dans une opposition aux thèses

positivistes, lesquelles tendaient à se passer pour une large part de toute référence à la

présomption d’innocence, c'est-à-dire de toute idée de responsabilité, au profit du concept

de dangerosité. La permanence d’une référence à « la présomption d’innocence » symbolise

alors l’attachement des pénalistes français à la responsabilité morale comme seul fondement

du droit de punir. Mais le discours sur la présomption d’innocence pourrait également être

envisagé comme symbole de l’existence dans la pensée pénale, de l’opposition entre ces

deux conceptions de l’homme criminel, celle qui veut l’écarter de la société ou le soigner et

celle qui le regarde comme toujours responsable de ses actes. La formule présomption

d’innocence ne symboliserait plus seulement le droit pénal classique tel que critiqué par

Ferri mais les éléments saillants de cette philosophie tels qu’ils peuvent être remis en

question. La présomption d’innocence pourrait alors apparaître comme « le signe concret

évoquant quelque chose d’impossible à percevoir»1488.

Cette chose impossible, ou difficile à percevoir, serait tout simplement les dangers que

peuvent faire encourir les théories qui remettent en question la responsabilité morale des

individus comme fondement du droit pénal. Ces dangers existaient encore dans la deuxième

moitié du XXe siècle et ont été exprimés de façon éclairante par Roger Merle. L’auteur

signalait en 1958 que si les idées lombrosiennes semblaient avoir disparu, en réalité « elles

ont fait depuis un long chemin souterrain. Repensées, enrichies de précisions nouvelles et

d’indispensables correctifs, elles reparaissent transformées, rebaptisées, dans un corps de

doctrines singulièrement militantes qui prophétisent et souhaitent la prochaine agonie du

droit pénal classique»1489. Dans cet article, M. Merle rappelait l’attachement de la loi

française à une conception toute chrétienne de la peine (pénitence) et du délinquant ( 1487 La sociologie criminelle, 2e éd., op. cit., p. 494. 1488 Vocabulaire technique et critique de la philosophie, op. cit., v° symbole, sens A, 2°. 1489 R. MERLE, L’évolution du droit pénal moderne, in La plume et la parole, mélanges offerts au professeur ROGER MERLE, Paris, Cujas, 1993, p. 63. Étude parue initialement dans les Annales de la faculté de droit de Toulouse, 1958, t. VI, fasc.1, p. 133.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

449

pécheur), qui est essentiellement libre de choisir, essentiellement responsable de son choix.

Il soulignait surtout l’évolution que le droit pénal était en train de subir sous l’influence, en

particulier, de l’école de la Défense sociale nouvelle qui ouvre des « perspectives

vertigineuses » et « implique une rupture quasi-totale avec les principes classiques du droit

pénal général et de la procédure pénale »1490. « À la méthode juridique de rétribution des

responsabilités on oppose la méthode médicale d’examen clinique » fait remarquer le

pénaliste, et conclut : « Il ne sera plus question de responsabilité pénale, c'est-à-dire de

l’aptitude à répondre de ses fautes, mais de responsabilité sociale, c'est-à-dire de

l’obligation de se soumettre au traitement criminel nécessité par l’état délictueux du

sujet »1491. On le voit, M. Merle ne cachait pas ses inquiétudes face aux propositions de

l’école de Marc Ancel1492, dont il observe d’ailleurs qu’elles auraient vocation à s’appliquer

même au droit civil1493. Finalement, l’auteur exprimait son inquiétude de voir « la Défense

sociale nouvelle donne(r) à la Criminologie le pas sur le droit » et exprimait cette opinion :

« la notion de responsabilité n’est que trop contrariée à notre époque. Il n’en devient que

plus urgent de la magnifier en matière pénale »1494. En 1975, l’inquiétude face à l’influence

du mouvement de la Défense sociale nouvelle n’avait pas quitté les pénalistes. M. Larguier

estimait que l’on assistait purement et simplement à la mort du droit pénal classique. Pour

exemple, en 1970 venait d’être votée une loi sur les stupéfiants autorisant le procureur à

enjoindre au toxicomane de subir une cure de désintoxication ou de se placer sous

surveillance médicale. Il s’agissait là d’une des manifestations du prestige de la blouse

blanche, résultat d’un mouvement de pensée selon lequel il ne s’agit plus de punir mais de

guérir. M. Larguier mettait en garde en écrivant : « La prévention peut-être pure

prophylaxie ; mais elle peut constituer aisément une atteinte à la liberté de tous ; elle peut

être plus oppressive que la répression » 1495. Il n’osait même s’entretenir de l’évolution du

droit pénal à propos de l’élément moral et observait seulement que : « l’imputabilité

1490 R. MERLE, L’évolution du droit pénal moderne, op. cit., p. 65. 1491 R. MERLE, L’évolution du droit pénal moderne, op. cit., p. 66-67. 1492 Sur la défense sociale nouvelle de Marc Ancel et de Grammatica, V. notamment E. TILLET, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Histoire des doctrines pénales, n° 93 et s. 1493 M. Merle, explique ainsi que la défense sociale nouvelle se donne pour projet de « restituer au délinquant, lorsqu’il l’a perdu, le sentiment inné de la responsabilité et de la dignité humaine » tout en dépouillant cette responsabilité de sa coloration morale, et indique que les directives de cette école seraient « logiquement de nature à bouleverser les principes du droit civil lui-même ». Il donne pour exemple, et cela est intéressant dans le cadre de notre propos, celui du signataire d’un acte juridique en estimant que, à suivre la défense sociale nouvelle, « il conviendrait aussi de réviser les présomptions traditionnelles relatives à l’autonomie de la volonté », p. 68. 1494 R. MERLE, L’évolution du droit pénal moderne, op. cit., p. 70. 1495 J. LARGUIER, Mort et transfiguration du droit pénal, in Aspects nouveaux de la pensée juridique, Recueil d’études en hommage à MARC ANCEL, Paris, Pedone, 1975, t. 2, p. 147.

Le discours sur l’objet

450

suppose admis le postulat à la liberté, et le déterminisme est une conception dont le

fatalisme plaît beaucoup aujourd’hui, bien que la défense sociale moderne la rejette »1496.

Ces opinions montrent assez que la conception classique du droit pénal demeure

menacée. Les symboles qui la représentent à travers le droit positif actuel ont alors tout lieu

de jouer. Tel semble être le cas de la présomption d’innocence. Le discours doctrinal sur la

présomption d’innocence dévoile en effet aujourd’hui sa raison d’être à travers les fonctions

qu’il assigne à son objet.

§ 2. PERMANENCE DE LA RAISON D’ÊTRE À TRAVERS LE DISCOURS

391. Raison d’être du discours doctrinal tel qu’il est. Une des raisons d’être du discours

doctrinal tel qu’il a été jusqu’ici observé est à rechercher du côté de l’idéologie dont il

témoigne, en silence, par l’intermédiaire du symbole que constitue « la présomption

d’innocence ». En dehors de la référence toujours explicite au positivisme italien qui avait

pour la première fois ébranlé le socle du droit pénal, cette raison d’être ne pouvait être

exprimée par le discours doctrinal. En effet, si la pensée du pénaliste plus encore que celle

du civiliste se rattache, plus ou moins consciemment, sinon à une école ou un courant de

pensée, au moins à une idéologie, il ne saurait la laisser transparaître dans un discours sur le

droit. La doctrine juridique se distingue à cet égard des doctrines et des doctrines pénales en

particulier. M. Tillet explique que : « À l'inverse de la plupart des matières de droit privé

(civil, commercial...), le discours sur le droit pénal n'a jamais été monopolisé par les

hommes du droit, qu'ils soient praticiens ou universitaires »1497. Ainsi, si des juristes

peuvent être rattachés à tel ou tel courant de pensée ou philosophie, leur discours semble

devoir être distingué selon qu’il prend pour objet la description du droit positif ou une

réflexion sur le phénomène criminel et les moyens de le régir. Cette distinction, que nous

avions tenu à faire au début de cette étude, paraît respectée par nos criminalistes qui ne

développent généralement pas leur « pensée pénale » dans les traités et manuels à usage

d’enseignement. C’est dans un but seulement pédagogique que ces mêmes ouvrages font

une place à l’exposé des diverses doctrines pénales.

Le discours sur la présomption d’innocence est, comme on l’a vu, résolument présenté

comme un discours de droit positif. Il n’est cependant pas impossible d’y retrouver la

permanence de la philosophie qui l’anime. Plusieurs exemples tirés de nos observations

précédentes peuvent en effet illustrer cette idée que, le discours doctrinal sur la présomption

d’innocence se justifie comme manifestation de la conception classique du droit pénal fondé

1496 J. LARGUIER, Mort et transfiguration du droit pénal, op. cit., p. 131. Très critique, l’auteur poussait le raisonnement jusqu’à affirmer que le code pénal pouvait s’abroger lui-même par une extension, à tous les individus, de l’article 64 (actuel article 122-1 du Code pénal) qui deviendrait l’unique texte. 1497 E. TILLET, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Histoire des doctrines pénales, n° 4.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

451

sur la responsabilité morale de la personne poursuivie. Il ne s’agit pas de prétendre à

l’exhaustivité mais, simplement, d’observer sous un autre jour certains points du discours

sur la présomption d’innocence, afin d’apercevoir cette permanence de la raison d’être. On

s’intéressera, une nouvelle fois, au discours relatif à la signification, puis à celui qui porte

sur le fondement de la présomption d’innocence.

A- À TRAVERS LE DISCOURS SUR LA SIGNIFICATION

392. Formule et signification juridique. Le souvenir du discours de Ferri et la persistance

des dangers qui menacent le droit pénal classique et auxquels le discours doctrinal oppose

résistance, se manifestent aussi bien à travers la formule même de présomption d’innocence

qu’à travers la signification juridique qui est reconnue au concept de présomption

d’innocence.

1) La signification terminologique

393. Conservation de la formule présomption d’innocence. Bien que cette formule soit

jugée de nos jours inappropriée1498 sur le plan juridique, force est de constater qu’elle a tout

d’abord été adoptée mais aussi conservée par les criminalistes français. Elle a

incontestablement une force évocatrice, non seulement au regard des autorités judiciaires

mais aussi de l’opinion. Pourtant, les pénalistes auraient pu préciser, affiner leur langage. Ils

ne l’ont pas fait et ont conservé la formule-cible élaborée par Ferri. De cette façon, le

symbole de l’opposition entre une conception criminologique du procès et une conception

classique se manifeste.

C’est en outre la référence à l’innocence, dont on a souvent dit qu’elle n’était pas un

terme très juridique, qui maintient à travers le langage la philosophie du procès pénal.

L’innocence est entendue comme l’absence de culpabilité. Or, que l’on entende la

culpabilité au sens large comme la réunion de tous les éléments constitutifs de l’infraction

ou dans un sens plus étroit comme l’élément moral de l’infraction, il y a toujours une forte

référence à la responsabilité morale de la personne poursuivie. Avec le principe de la

présomption d’innocence, c’est toujours cette responsabilité qu’il faudra établir pour

pouvoir condamner, c’est toujours la volonté libre qu’il s’agira de sanctionner. La référence

à l’innocence, et en creux à la culpabilité, postule cette responsabilité morale et semble

exclure d’autres concepts, comme celui de dangerosité élaboré par le positivisme, et qui

sont au fondement non pas d’une punition mais d’un traitement de l’individu, parfois même

ante delictum. L’innocence, dans son sens commun, comme incapacité de nuire ou de

commettre le mal, constitue déjà en elle-même l’anti-thèse des théories émises par les

1498 V. supra, n° 283.

Le discours sur l’objet

452

positivistes qui voient des criminels partout, tant leurs découvertes sur les anormaux et les

délinquants ataviques les ont conforté dans cette option.

2) La signification juridique de la présomption d’innocence

394. Charge de la preuve et bénéfice du doute. En enseignant qu’en vertu de la

présomption d’innocence, la charge de la preuve incombe à l’accusation et qu’en cas de

doute celui-ci profite à l’accusé, la doctrine juridique pénale maintient, d’une certaine

manière, l’idée de libre arbitre et de responsabilité morale au fondement du processus pénal.

On peut en effet, à travers ces deux thématiques, trouver des exemples permettant d’illustrer

la permanence de la raison d’être du discours sur la présomption d’innocence. S’agissant du

discours sur la charge de la preuve, c’est plus particulièrement le discours sur l’existence de

présomptions de culpabilité qui peut retenir l’intérêt. S’agissant du doute favorable, c’est en

tant que limite ou encadrement de l’intime conviction que le discours présente une autre

dimension.

395. Les présomptions de culpabilité comme atteinte à la présomption d’innocence. On

sait maintenant combien la doctrine s’est attachée et s’attache encore à pointer ces

présomptions favorables à l’accusation que l’on a sciemment nommées « présomptions de

culpabilité » pour en souligner le caractère attentatoire à la présomption d’innocence. En

réalité, ces présomptions ne méconnaissent que partiellement la présomption d’innocence

dans la mesure où elles n’opèrent jamais un renversement total de la charge de la preuve.

Elles consistent à présumer l’existence de l’un des éléments de l’infraction1499. Cela suffit

toutefois à les juger contraires à la présomption d’innocence. Si les critiques émises par les

auteurs ont explicitement un objet juridique : la technique probatoire, il n’est toutefois pas

interdit de penser que la défense de la présomption d’innocence contre ses atteintes s’ancre,

elle aussi, dans l’idée que la volonté de la personne poursuivie doit toujours se trouver au

fondement d’une condamnation. En effet, la présomption d’innocence postule en elle-même

la volonté comme fondement de la responsabilité pénale, et il n’est à ce titre pas étonnant

que les présomptions de responsabilité pénale, de droit ou de fait, retiennent

particulièrement l’attention de la doctrine, car « présumer l’existence d’un élément revient,

dans les faits, à s’en passer » explique Madame Tonglet.

Or, on note que le plus souvent, les présomptions de culpabilité dénoncées par les

auteurs ont pour objet l’élément moral ou psychologique1500. Présumer l’existence de

l’élément moral de l’infraction reviendrait alors à se passer de cette condition pourtant

fondamentale : la preuve que le fait matériel commis et constitutif d’une infraction, est bien 1499 Pour leur énonciation dans le discours doctrinal, V. supra, n° 329. 1500 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 578 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 51 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 397.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

453

le fruit de la volonté libre et consciente de son auteur. C’est ce que rappelle un auteur à

propos de l’intention : « le juge doit rechercher quel était l’état d’esprit de l’auteur au

moment des faits. Il donne ainsi une coloration morale à l’acte. Le droit pénal s’efforce

d’isoler un "comportement intellectuel qui appelle le blâme social" »1501. Aussi la doctrine

s’inquiète-t-elle, par exemple, de la présomption légale de responsabilité telle que celle du

directeur de publication en matière de presse, prévue à l’article 42 de la loi du 29 juillet

18811502. Elle signale aussi fréquemment la présomption de mauvaise foi prévue par

l’article 35 bis de la loi sur la presse en cas de reproduction d’une imputation jugée

diffamatoire ainsi que la présomption d’imputation diffamatoire elle-même, qui est réputée

faite de droit avec une intention coupable1503. Bien que moins graves, les présomptions en

matière contraventionnelle ne manquent pas d’être appréciées au regard de leur

compatibilité avec la présomption d’innocence. Il en va particulièrement ainsi de la

responsabilité pécuniaire du titulaire du certificat d’immatriculation en matière de

contraventions aux règles de stationnement1504 ou aux limitations de vitesse instituées par

les articles L. 121-2 et L. 121-3 du Code de la route qui dérogent à la règle selon laquelle

« Le conducteur d'un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui

dans la conduite dudit véhicule »1505. M. Buisson a offert d’autres illustrations de

présomptions concernant l’élément moral de l’infraction et qui sont en réalité des

présomptions de fait élaborées par les policiers ou les magistrats1506. L’auteur évoque ainsi

l’intention de tuer que « les juges répressifs tiennent pour établie en l’induisant de plusieurs

indices recueillis par les enquêteurs » comme l’arme utilisée ou le nombre de coups portés.

C’est également l’induction qui permet aux magistrats d’établir la connaissance de l’origine

frauduleuse en matière de recel, à partir des conditions de la transaction, du prix payé par

rapport à celui du marché, l’attitude ultérieure du prévenu etc.

Les présomptions de responsabilité ou d’existence de l’élément moral de l’infraction à

partir de l’existence de l’élément matériel, ont donc pour effet de se passer en tout ou partie

de la preuve de la volonté de commettre l’infraction. Si la présomption d’innocence s’en

trouve atteinte en raison d’un renversement de la charge de la preuve, elle l’est aussi, à un

autre niveau, en raison du prononcé d’une condamnation qui n’est alors plus véritablement

1501 A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 579. 1502 Cette responsabilité des directeurs de publication pour les crimes et délits commis par la voie de la presse, est analysée comme une violation manifeste de la présomption d’innocence car la présomption est en pratique quasi-impossible à renverser et se mue en responsabilité automatique des directeurs de publication, A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 474 et s. 1503 J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 397. 1504 J. BUISSON, Les présomptions de culpabilité, op. cit., p. 4 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 54 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 397 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 122, . 1505 Article L. 121-1 du Code de la route. 1506 J. BUISSON, Les présomptions de culpabilité, op. cit., p. 4.

Le discours sur l’objet

454

fondée sur la responsabilité morale de l’intéressé. En cela, la critique des présomptions de

culpabilité témoigne de la raison d’être du discours doctrinal sur la présomption

d’innocence. Au stade de l’intime conviction, le jeu de la présomption d’innocence tel qu’il

est conçu par la doctrine illustre davantage cette permanence.

396. La présomption d’innocence « antidote » à l’intime conviction. La signification

juridique de la présomption d’innocence, telle qu’elle apparaît dans le discours doctrinal,

peut, comme cela a été proposé plus haut, être analysée comme une limite morale à l’intime

conviction. La nécessité d’une telle limite se trouve renforcée au regard, cette fois, de la

façon d’appréhender l’homme en procès. Il ne s’agit plus ici d’envisager la présomption

d’innocence comme rempart contre des convictions prématurées ou mal assurées, mais

contre des convictions mal formées, si l’on peut parler ainsi. Par rapport au XIXe siècle

l’objet de l’intime conviction s’est considérablement complexifié en raison justement de

l’évolution du droit pénal et en particulier des applications pratiques qui ont été faites des

nouvelles théories, qu’elles soit positivistes ou de Défense sociale nouvelle. Ces

applications pratiques maintiennent l’actualité du danger de voir reculer l’influence d’une

philosophie pénale d’inspiration classique (libre arbitre, responsabilité morale, punition).

Elles constituent ainsi d’un côté un progrès dans le traitement pénal de la délinquance et

d’un autre côté elles bouleversent le rôle du juge et inquiète les pénalistes.

Le milieu du XXe siècle a été marqué par une forte influence du mouvement de la

défense sociale nouvelle de Marc Ancel sur la législation française1507. Parmi les

applications pratiques de ce mouvement de pensée, c’est l’accent qui a été mis sur la

personne du délinquant qui semble l’innovation la plus importante pour notre question.

L’évolution du droit pénal et de la procédure pénale à cet égard trouve aujourd’hui une

bonne synthèse sous la plume des professeurs Stéfani, Levasseur et Bouloc : « Le tribunal

répressif qui juge un homme doit découvrir et pénétrer la personnalité de celui-ci afin d‘en

mieux apprécier la culpabilité et de fixer, dans les limites définies par la loi, la peine ou la

mesure de traitement et de rééducation la mieux adaptée à sa personne et la plus apte à le

corriger et à l’amender. En un mot dans le procès pénal, c’est moins l’infraction que la

personne qui l’a commise que l’on juge ; on peut même dire que le tribunal répressif

considère plus le criminel que le crime, le délinquant plus que le délit »1508. On doit cette

évolution à l’introduction en droit positif, de l’examen de personnalité du délinquant. Il

1507 Les études publiées en hommage au fondateur de la Défense sociale nouvelle en témoignent, V. particulièrement in Aspects nouveaux de la pensée juridique, Recueil d’études en hommage à MARC ANCEL, Paris, Pedone, 1975, T. 2 : R. GASSIN, L’influence du mouvement de la défense sociale nouvelle sur le droit pénal français contemporain, p. 2 ; G. LEVASSEUR, Réformes récentes en matière pénale dues à l’école de la Défense sociale nouvelle, p. 35 ; J. LARGUIER, Mort et transfiguration du droit pénal, p. 123. 1508 G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 19e éd., n° 4.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

455

s’agissait d’une revendication majeure du mouvement de Défense sociale nouvelle qui a été

consacrée en 1958 à l’article 81 alinéas 6 et 8 du Code de procédure pénale1509. Ce texte a

été jugé « véritablement révolutionnaire » et représentant un « symbole fondamental » par

lequel la procédure pénale a accédé « au stade du procès pénal de défense sociale »1510.

Avec l’intégration de l’examen scientifique de la personnalité du délinquant dans le procès

pénal : « le juge, aidé de spécialistes de l’observation humaine (psychologues,

psychotechniciens, biologistes, médecins, sociologues etc.) devra découvrir dans un

dialogue humain d’une certaine durée la personnalité de celui qui lui est déféré. La

personnalité du délinquant beaucoup plus que l’infraction commise, qui n’est qu’un

moment de sa vie… », s’inquiétait M. Merle1511. Cet examen scientifique de la personnalité

se comprend dès lors que la sanction pénale cesse d’être le châtiment de la faute commise

pour devenir l’instrument de la réadaptation sociale. En effet, pour réadapter, il faut

individualiser la sanction, ce qui suppose de connaître l’individu1512.

Alors que dans le procès pénal, dit classique, il ne s’agissait de juger que le crime et de

savoir s’il était imputable à la personne qui en était accusée, la présomption d’innocence

n’avait pas autant d’importance que dans les siècles suivants. L’intime conviction du juge

pouvait ne consister qu’à répondre à la question, déjà difficile, de savoir si oui ou non

l’accusation était fondée à affirmer la culpabilité, c'est-à-dire de savoir si les éléments de

l’infraction jugée étaient bien réunis. Le doute pouvait jouer plus aisément. Dès lors qu’il

s’agit de juger un homme, dans toute sa complexité humaine et psychique, la réponse à la

question « avez-vous une intime conviction ? » prend une tout autre ampleur,

particulièrement du point de vue de l’élément moral de l’infraction. Il n’est donc plus

étonnant d’observer que le discours doctrinal prête au juge un raisonnement non pas

seulement en terme de culpabilité mais également en terme d’innocence. Dès lors qu’en

présence d’une infraction, c’est l’homme que l’on juge, inéluctablement la question de son

innocence se pose avec une plus grande acuité. L’article D. 16 du Code de procédure pénale

précise que ce dossier de personnalité a pour objet de fournir à l'autorité judiciaire, sous une

forme objective et sans en tirer de conclusion touchant à l'affaire en cours, des éléments

d'appréciation sur le mode de vie passé et présent de l'inculpé et qu’il ne saurait avoir pour

1509 Article 81 du Code de procédure pénale alinéa 6 : « Le juge d'instruction procède ou fait procéder, soit par des officiers de police judiciaire, conformément à l'alinéa 4, soit par toute personne habilitée dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État, à une enquête sur la personnalité des personnes mises en examen, ainsi que sur leur situation matérielle, familiale ou sociale. Toutefois, en matière de délit, cette enquête est facultative. » et alinéa 8 : « Le juge d'instruction peut prescrire un examen médical, un examen psychologique ou ordonner toutes mesures utiles. » 1510 R. GASSIN, L’influence du mouvement de la défense sociale nouvelle sur le droit pénal français contemporain, op. cit., p. 11. 1511 R. MERLE, L’évolution du droit pénal moderne, op. cit., p. 66. 1512 R. GASSIN, L’influence du mouvement de la défense sociale nouvelle sur le droit pénal français contemporain, op. cit., p. 10.

Le discours sur l’objet

456

but la recherche des preuves de la culpabilité. Il n’empêche, la prise en considération de la

personnalité de l’inculpé, joue tout au long du procès pénal. Elle a notamment pour

conséquence de permettre d’évoquer à l’audience l’éventuel passé criminel de la personne

jugée. La connaissance des infractions passées par les juges, et particulièrement par les

jurés, risque fort de participer à la formation de leur intime conviction. C’est bien pourquoi,

en droit anglais, existe la césure du procès pénal en deux phases et ce n’est qu’après avoir

statué sur la culpabilité dans la première, que la personnalité de l’individu sera analysée

dans la seconde, pour fixer la peine. Ainsi, le passé criminel ne peut être évoqué et pris en

considération qu’après que la décision sur la culpabilité a été prise.

Les éléments du dossier de personnalité risquent par conséquent d’intervenir dans

l’intime conviction du juge. La présomption d’innocence, envisagée comme limite générale

à l’intime conviction, peut atténuer les effets de cette innovation en tentant de maintenir

dans l’esprit du juge la possibilité de l’innocence et du même coup l’idée de responsabilité

morale. Corrélativement à cette meilleure connaissance des délinquants, les nouvelles

fonctions assignées à la peine sont elles aussi susceptibles de jouer sur la formation de

l’intime conviction du juge. S’il s’agit davantage de traiter, de soigner, de réhabiliter, de

resocialiser que de punir, alors la question de la culpabilité devient secondaire, elle présente

un enjeu moindre et le risque d’erreur judiciaire n’est plus autant à craindre. C’est ce

constat que nuançait M. Essaïd : « Il peut sembler que cette question de la condamnation de

personnes innocentes tende à perdre de son acuité, dans la mesure où le droit pénal

moderne cherche de plus en plus à assurer le traitement, la rééducation et le

reclassement »1513. Mais l’auteur soulignait que l’évolution était loin d’être achevée et que

l’aspect répressif conservait toujours en droit positif une place de choix. Il n’en reste pas

moins vrai que la fonction classique de la peine s’enrichit toujours des idées de traitement.

M. Tilliet fait état, au titre des dernières évolutions du droit pénal, de l’ambition du droit

positif de punir et soigner à la fois avec la loi de 1998, relative à la prévention et à la

répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, qui a créé le suivi

socio-judiciaire1514.

C’est en outre, et de façon générale, l’accroissement du recours aux savoirs relevant des

sciences sociales et médicales dans le procès pénal, qui vient modifier la perception du juge

et peut finalement intervenir dans la formation de sa conviction. La présomption

d’innocence a vocation à jouer comme un rempart, rappelant, comme la doctrine l’a si bien

souligné, que le droit pénal doit rester juridique, contre la criminologie. La règle du doute

favorable n’est pas non plus indifférente dans ce domaine. Le recours aux procédés

1513 M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 136. 1514 E. TILLET, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Histoire des doctrines pénales, n° 104.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

457

scientifiques dans la recherche et l’administration de la preuve a crée, en effet, de nouvelles

sources d’incertitude, donc de risque1515. Le procès scientifique que les positivistes auraient

voulu instaurer, s’il n’a pas cours en droit positif, s’en rapproche néanmoins avec tous les

risques que cela comporte pour l’innocence.

Cette permanence de la raison d’être du discours sur la présomption d’innocence peut

toutefois paraître bien inutile face aux dernières évolutions du droit pénal et de la procédure

pénale. Elle demeure néanmoins, comme en témoigne également le discours sur le

fondement de la présomption d’innocence.

B- À TRAVERS LA QUESTION DU FONDEMENT

397. Fondement de et sur la présomption d’innocence. La façon dont la question du

fondement est traitée ou éludée dans le discours doctrinal, peut elle aussi s’interpréter à la

lumière de l’idéologie qui sous-tend le discours. Cela est vrai à plusieurs égards, qu’il

s’agisse de la question du fondement de la présomption d’innocence ou de celle de la

présomption d’innocence comme fondement.

1) Manifestations de la raison d’être du discours et fondement de la présomption

d’innocence

398. Le fondement de la présomption d’innocence, indicible ou inaudible ?. La notion

de justice, ou de juste, paraît pouvoir expliquer et fonder l’idée que traduit la présomption

d’innocence. Cependant, en droit pénal le raisonnement en terme de justice ne semble plus

être de mise. Si le discours doctrinal sur la présomption d’innocence s’est détourné d’une

telle justification, si cette dernière a pu apparaître indicible, c’est probablement en raison de

son rattachement trop évident à la philosophie pénale traditionnelle. On peut suggérer qu’il

y aurait aujourd’hui, c'est-à-dire après l’évolution de la pensée pénale depuis la fin du XIXe

siècle et du droit pénal lui-même, comme un anachronisme à raisonner en terme de justice

pour expliquer la présence de la présomption d’innocence. L’influence des nouvelles

doctrines et l’évolution de la criminalité, ont pu ainsi modifier les points d’articulation du

raisonnement en droit pénal. Outre la dialectique bien connue entre intérêt de la société et

intérêt de l’individu, on s’inquiétera des oppositions plus particulières telles que :

prévention – répression, sécurité – liberté, droit pénal – droits de l’homme. Dans ce concert,

d’indicible le fondement peut désormais être regardé comme inaudible. Comment en effet

soutenir que la présomption d’innocence est juste après les attaques dont elle a fait l’objet ?

Lorsqu’il s’agit de s’inquiéter de l’efficacité de la justice pénale, mieux vaut probablement

faire prévaloir la notion d’utilité que celle de justice pour fonder la présomption

1515 C’est déjà ce que soulignait M. Léauté mais dans un autre dessein, en estimant que le doute sur la causalité scientifique, sur le sens d’une expertise technique, généralise la fréquence du doute qui profite à l’accusé. V. J. LÉAUTÉ, Le caractère irréparable de la perte de l’innocence, op. cit., p. 7.

Le discours sur l’objet

458

d’innocence. Un discours d’utilité a sans doute plus de chance d’être entendu, de

« circuler ». Or, l’utilité de la présomption d’innocence n’a pas manqué d’être mise en avant

dans le discours doctrinal. À travers cette utilité, se manifeste de nouveau la raison d’être du

discours doctrinal sur la présomption d’innocence. Plusieurs exemples peuvent être donnés

à travers lesquels la menace de la disparition d’un droit pénal classique est toujours

présente.

399. Arbitraire et présomption d’innocence. La présomption d’innocence est apparue,

sous la plume de nos pénalistes, comme une garantie contre l’arbitraire. Peu développée par

les auteurs, cette affirmation peut être entendue en écho à l’une des thèses de Ferri. Il faut

en effet se souvenir que le positiviste italien rejetait la présomption d’innocence d’une

manière qui n’était pas absolue puisqu’il reconnaissait sa valeur pendant toute la durée de

l’instruction préparatoire au procès. Il reconnaissait en outre qu’elle puisse jouer à l’égard

des délinquants occasionnels. C’est uniquement en présence de délinquants dits ataviques

ou d’habitude, autrement dit récidivistes, que Ferri jugeait illogique et inadmissible cette

présomption d’innocence. Les auteurs français ont largement insisté sur le risque

d’arbitraire qu’encourrait la justice pénale si elle tentait de mettre en œuvre cette

distinction. « En admettant l’existence de cette double catégorie de criminels, la distinction

aurait, certes, de l’importance pour l’application et le choix des mesures à prendre, après

preuve et constatation de la culpabilité ou de la nocuité. Mais comment la faire fonctionner,

lorsqu’il s’agit d’établir que l’accusé soupçonné est bien l’auteur du délit ? », écrivait

Garraud1516. Sur la même question, MM. Merle et Vitu continuent de s’interroger : « mais

comment affirmer qu’un individu appartient avec certitude à l’une ou l’autre catégorie ?

Un dangereux arbitraire risquerait de s’introduire dans la procédure sous le couvert de

notions scientifiques discutées »1517. La Défense sociale nouvelle, qui sur certains points n’a

fait que prolonger les idées de la défense sociale de Ferri, et la criminologie, ont toute deux

suscité des réactions du même ordre. Bien que détachées de la question de la présomption

d’innocence, les observations de M. Larguier sont éclairantes. Face au succès du

mouvement de la Défense sociale nouvelle, cet auteur dénonçait le risque de voir un

effacement du juge au profit de l’administration. Le criminologue, écrivait-il, mettra en

prison (psychiatrique si l’on veut) plus de gens que le droit pénal n’en a jamais incarcérés.

Aucun doute, pour M. Larguier, c’est l’arbitraire qu’il faut redouter de voir apparaître avec

la disparition ou le recul du droit pénal. Il expliquait ainsi qu’il y a dans le droit pénal un

1516 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 234. 1517 R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

459

aspect doublement protecteur qui est essentiel : pour la victime, par la prévention, et pour le

coupable, par la règle nullum crimen1518.

Pour le discours doctrinal, énoncer l’existence de la présomption d’innocence et la

fonder en tant que garantie contre l’arbitraire, c’est maintenir en même temps, toujours là,

l’idée que ce que le procès pénal doit chercher, c’est la culpabilité. Même si cela apparaît

bien plus délicat, fonder la présomption d’innocence sur la liberté individuelle rejoint la

même préoccupation.

400. Liberté et présomption d’innocence. Si la présomption d’innocence est présentée

comme une garantie de la liberté individuelle, elle n’empêche toutefois pas des mesures

restrictives comme la garde à vue ou la détention avant jugement. Le problème que pose ces

atteintes au regard de la présomption d’innocence, c’est qu’elles surviennent avant toute

déclaration officielle de culpabilité. La détention provisoire, qui n’est pas juridiquement une

peine, est pourtant analysée par les auteurs comme une pré-peine, qui n’est pas fondée sur la

responsabilité morale de celui qui en est l’objet, puisque celle-ci n’a pas encore été affirmée

par un tribunal. Or, en dehors des hypothèses habituellement visées dans le discours

doctrinal, il existe des raisons de penser qu’à travers le rattachement de la présomption

d’innocence à la question de la liberté, continue de se manifester la raison d’être du discours

sur la présomption d’innocence. En effet, le droit positif a consacré des mesures largement

inspirées des théories de défense sociale qui, d’une façon générale portent atteinte à la

liberté mais surtout, sont fondées sur la dangerosité des individus dont on veut éviter la

récidive, ou encore sur le risque de délinquance. On pensera particulièrement aux mesures

dites de sûreté que le droit français a largement accueillies dans un souci de prévention, de

rééducation, de réadaptation et de resocialisation des délinquants ou des déviants.

On doit le concept de mesure de sûreté à l’école positiviste italienne qui entendait le

distinguer de celui de peine, et ce sur plusieurs points. « Ces mesures doivent se détacher de

toute référence à la faute du délinquant, celui-ci étant présumé irresponsable. Plutôt que

d'orchestrer la réponse répressive autour des idées de rétribution et d'imposer une

souffrance, la mesure de sûreté privilégie la protection de l'ordre social grâce à la

neutralisation des individus considérés comme dangereux »1519. La mesure de sûreté est une

sanction préventive, uniquement tournée vers l’avenir et n’a donc pas pour objet la

rétribution ni l’intimidation. Une telle mesure n’est pas fondée sur la culpabilité mais sur

l’état dangereux du délinquant. Ainsi, « la mesure de sûreté a, par nature, vocation à

1518 J. LARGUIER, Mort et transfiguration du droit pénal, op. cit., p. 131. Il ne faut pas s’y tromper, la disparition ou le recul du droit pénal évoquées par cet auteur, doivent s’entendre par rapport à la méthode criminologique. En effet, on sait que le droit pénal est loin de reculer si l’on a égard aux nombre toujours croissant de loi répressives votées par le parlement. 1519 J.-P. CÉRÉ, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Peine (Nature et prononcé), n° 27.

Le discours sur l’objet

460

intervenir ante delictum »1520. En droit positif, peines et mesures de sûreté ont actuellement

tendance à se confondre, le Code pénal de 1994 n’ayant pas établi de distinction. Pourtant,

il arrive au législateur ou à la jurisprudence de qualifier telle ou telle sanction de mesure de

sûreté. La confusion ou le rapprochement entre peine et mesures de sûreté résulte

notamment du fait que les plus nombreuses de ces mesures sont mises en œuvre après

déclaration de culpabilité. Elles peuvent se confondre totalement avec la peine, comme

venir la compléter, ce qui explique qu’elles relèvent de l’autorité judiciaire. Parce qu’elles

n’ont pas pour objet de punir, de sanctionner une faute, mais de prévenir l’infraction ou la

récidive, les mesures de sûreté peuvent se montrer dangereuses pour les libertés et ce

d’autant plus qu’elles passent pour être un progrès dans l’adaptation et la personnalisation

des sanctions ainsi que dans la prévention. Le concept de mesure de sûreté, s’il a été adapté

en droit positif, puise ses origines non seulement dans la pensée positiviste italienne mais

aussi dans celle de la Défense sociale nouvelle. Quelques exemples, depuis la moitié du

XXe siècle jusqu’à nos jours suffiront à convaincre que cette idéologie est toujours à

l’œuvre, et qu’elle peut justifier les tenants d’une conception plus classique du droit pénal à

maintenir une sorte de vigilance.

Les plus choquantes des mesures de sûreté sont celles qui sont au plus proche de la

pensée positiviste et qui interviennent avant toute infraction. Notre législation en a connu et

continue d’en connaître. M. Gassin faisait observer que c’est le mouvement de Défense

sociale nouvelle qui a inspiré les premières prises en considération de l’état dangereux pré

délictuel1521. Il évoquait alors la loi du 15 avril 1954 qui prévoit la possibilité de placer

d’office les alcooliques dangereux dans un établissement de soins. Mais il évoquait

également, comme inspiré de la Défense sociale nouvelle, l’institution du contrôle judiciaire

en 1970. Les auteurs n’ont pas manqué de souligner le caractère attentatoire à la

présomption d’innocence en même temps qu’à la liberté individuelle du contrôle judiciaire,

et parfois même dans sa variante socio-éducative1522. On pourrait même évoquer, au titre

des mesures de sûreté ante delictum, le dépistage aléatoire de l’imprégnation alcoolique1523.

L’actualité la plus récente fournit elle aussi la preuve que l’école positiviste continue de

faire des émules. Une étude médicale n’a-t-elle pas suggéré de mettre en place un dépistage

précoce des troubles de conduite chez les enfants de trois ans, troubles annonciateurs de leur

future délinquance et que l’on se proposerait de canaliser par l’administration de

médicaments ? L’expertise, réalisée par l’INSERM à la demande de la CNAM, intitulée

1520 J.-P. CÉRÉ, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Peine (Nature et prononcé), n° 35. 1521 R. GASSIN, L’influence du mouvement de la défense sociale nouvelle sur le droit pénal français contemporain, op. cit., p. 6. 1522 V. supra, n° 319. 1523 V. supra, n° 320.

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

461

Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent1524, a retenu l’attention de la commission

prévention du groupe d’étude parlementaire sur la sécurité intérieure. Cette dernière a remis

au ministre de l’intérieur en octobre 2005 un rapport sur la prévention de la délinquance qui

se faisait l’écho des propositions de l’INSERM et qui devait aider, précisément, à la

préparation d’un projet de loi sur la prévention de la délinquance1525.

Lorsque les mesures de sûreté interviennent au stade de l’exécution des peines, qu’elles

en constituent des modalités, des alternatives ou des compléments d’exécution, elles

peuvent inquiéter ; notamment lorsqu’elles sont fondées sur des expertises médicales

tendant à évaluer la dangerosité des délinquants et le risque de récidive qu’ils présentent.

On peut penser par exemple au fameux suivi socio-judiciaire institué par la loi du 17 juin

1998 pour les délinquants sexuels. Il est considéré, dans le Code pénal, comme une peine.

L’article 131-36-1 dispose notamment que le suivi socio-judiciaire emporte, pour le

condamné, l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines

et pendant une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des mesures de

surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive. Ainsi, outre la soumission du

condamné aux mesures de contrôle prévues à l’article 132-44, la juridiction de

condamnation ou le juge de l'application des peines peut lui imposer spécialement

l'observation de l'une ou de plusieurs des dix-neuf obligations énumérées à l’article 132-45

du Code pénal ainsi que les obligations particulières énoncées à l’article 131-36-2

(S'abstenir de paraître en tout lieu ou toute catégorie de lieux spécialement désigné,

s'abstenir de fréquenter ou d'entrer en relation avec certaines personnes ou certaines

catégories de personnes, ne pas exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant

un contact habituel avec des mineurs). L’article 131-36-4 du Code pénal prévoit en outre

que le «suivi socio-judiciaire peut comprendre une injonction de soins.

Cette injonction peut être prononcée par la juridiction de jugement s'il est établi après une

expertise médicale, ordonnée dans les conditions prévues par le code de procédure pénale,

que la personne poursuivie est susceptible de faire l'objet d'un traitement ». Certes, le texte

rappelle que le condamné ne saurait se voir imposer un traitement auquel il n’aurait pas

consenti. Il est cependant immédiatement précisé que « s'il refuse les soins qui lui seront

1524 Disponible en ligne : [http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble-conduites.html]. 1525 Le Monde du 18 février 2006, Le projet de dépistage précoce des troubles du comportement suscite un tollé. D’ailleurs, un appel a été lancé par des professionnels de la petite enfance, une pétition est offerte à la signature et en mars 2006, ce collectif dénommé pas de 0 de conduite faisait savoir qu’il entendait « contester sur un plan scientifique l’approche réductionniste, déterministe et scientiste de l’expertise Inserm » et « dénoncer son utilisation détournée par des responsables politiques pour renforcer, en les médicalisant, les approches sécuritaires de problèmes éducatifs et sociaux ». Les initiateurs de l’appel tenaient en outre à rappeler les valeurs qu’ils défendent, notamment : en tout premier lieu le « refus du déterminisme », c'est-à-dire de l’idée que tout pourrait se jouer avant 3 ans, mais aussi le « refus du conditionnement », c'est-à-dire que l’humain ne peut être considéré comme programmé ou programmable. V. le communiqué de presse, disponible en ligne sur : [http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org].

Le discours sur l’objet

462

proposés, l'emprisonnement prononcé en application du troisième alinéa de l'article 131-

36-1 pourra être mis à exécution ». Autant dire que la liberté de choix n’est pas bien

grande.

Dans la lutte contre la récidive, le législateur est allé encore plus loin avec la loi du 12

décembre 20051526 relative au traitement de la récidive des infractions pénales puisqu’il a

étendu le suivi socio-judiciaire à d’autres qu’aux délinquants sexuels et qu’il a instauré la

surveillance électronique mobile, permettant de surveiller les délinquants dangereux après

leur sortie de prison1527. Cette nouveauté, consistant en la possibilité de localiser par

système GPS et partout sur le territoire le porteur du bracelet électronique, est expressément

qualifiée de mesure de sûreté par le législateur. Là encore, la surveillance électronique

mobile ne peut être mise en œuvre qu’avec le consentement du condamné, qui peut

cependant voir exécutée la peine d’emprisonnement prononcée par la juridiction, en cas de

refus. On observera que lorsque le placement sous surveillance mobile est décidé par la

juridiction de jugement, il ne sera effectif qu’après que la peine de prison aura été effectuée.

La juridiction statue alors au vu d’une expertise médicale déclarant le condamné dangereux

et doit estimer que cette mesure apparaît indispensable pour prévenir la récidive à compter

du jour où la privation de liberté prend fin. Puis, ce sera au juge de l’application des peines

de décider si la mise en œuvre sera effective ou non au moment de la sortie de prison. Pour

cela, il devra apprécier la dangerosité du condamné et le risque de commission d’une

nouvelle infraction, grâce à des examens, auditions, enquêtes et expertises mais aussi sur

avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Le risque d’atteintes

arbitraires à la liberté n’est pas exclu avec cette mesure de sûreté. On peut en effet

s’interroger sur la valeur des « prédictions » formulées par les médecins et experts quant au

risque de récidive, que ces prédictions ou évaluations aient d’ailleurs lieu au moment de la

condamnation ou à la veille de la sortie de prison. Sans aucun doute, le port d’un tel bracelet

porte atteinte à la vie privée. Ce qui paraît inquiétant, c’est que l’on mesure mal l’aptitude

de cette mesure de sûreté à prévenir la récidive. Car, si la personne libérée est surveillée,

elle ne l’est naturellement pas en permanence. Simplement, ses déplacements sont

enregistrés informatiquement, ce qui permettra aux enquêteurs, et après coup, de savoir où

elle se trouvait, et de soupçonner le cas échéant sa participation à la commission d’une

nouvelle infraction. Si la preuve de sa participation s’en trouvera facilitée, la récidive ne

paraît pas pouvoir être évitée par le bracelet électronique1528.

1526 J.-H. ROBERT, Les murailles de silicium – commentaire de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, Dr. pén. 2006, comm. 2. 1527 Article 131-36-9 et suivants du Code pénal et article 763-10 et suivants du Code de procédure pénale. 1528 Le système repose alors en partie sur l’effet dissuasif du bracelet. Mais l’on pourra douter d’un tel effet. Il semble en effet que les délinquants dangereux récidivistes montrent que le risque de la sanction

Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

463

2) La présomption d’innocence comme fondement

401. La présomption d’innocence : principe, fondamental et cardinal. Alors que ni la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ni la Convention européenne des droits de

l’homme n’ont fait de la présomption d’innocence un pivot de la procédure pénale ou du

procès équitable, le discours doctrinal n’a pas hésité à faire circuler l’idée que cette

présomption était tout simplement fondamentale. Il s’agit là peut-être de la plus belle

manifestation de la permanence avec laquelle le discours sur la présomption d’innocence se

rattache à l’opposition entre doctrine classique du droit pénal et doctrine de défense sociale,

positiviste ou nouvelle. Jugée comme une exagération des doctrines classiques par Ferri, la

présomption d’innocence est désormais regardée comme le fondement non pas seulement

des règles du procès pénal, mais du droit pénal tout entier1529. C’est dire si la présomption

d’innocence a vocation à traduire le rejet du « déterminisme psychologique et social », que

M. Larguier jugeait autrefois en progression1530. La présomption d’innocence envisagée

comme fondement du droit pénal semble bien signifier que le droit pénal doit demeurer

orienté vers la sanction de la responsabilité morale, ce qui suppose la croyance dans le libre

arbitre. Comme principe cardinal du procès pénal, la présomption d’innocence maintient

l’idée que c’est notamment cette responsabilité morale de la personne poursuivie, que l’on

cherche à découvrir à travers la nécessaire preuve de la culpabilité.

Enfin, on l’a évoqué plus haut, en accédant au rang de fondement, la présomption

d’innocence échappe à la question de son propre fondement. Maxime, principe premier

duquel découle un ensemble de conséquences, socle sur lequel peuvent être édifiées

d’autres règles, la présomption d’innocence devient la prémisse du raisonnement pénal. Elle

n’a plus alors à être fondée. Or, en échappant à la question du fondement, le principe

semble être mis définitivement à l’abri des critiques. Elle est justifiée et « incontestable »

par cela seul qu’elle est le fondement d’autre chose. Des attaques, telles que celles

formulées par Ferri, qui ont d’ailleurs été la seule menace idéologique que le discours sur la

présomption d’innocence ait dénoncée, semblent alors devoir être exclues de la discussion.

La présomption d’innocence ne se discute plus, elle s’impose, avec toute la charge

symbolique que, explicitement ou implicitement, les pénalistes modernes confèrent à cet

objet de discours.

n’est pas dissuasif. Par hypothèse, le porteur du bracelet sera jugé dangereux et présentant un risque de récidive et on ne voit pas pourquoi il serait plus intimidé par le bracelet. 1529 V. supra, n° 363 et s. 1530 J. LARGUIER, Mort et transfiguration du droit pénal, op. cit., p. 148.

Le discours sur l’objet

464

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

402. L’objet façonné par la doctrine pénale. L’analyse du discours portant sur la

présomption d’innocence nous a permis de mesurer la part que l’on doit à la doctrine dans

l’élaboration du concept de présomption d’innocence. Loin d’être purement descriptifs ou

explicatifs, les énoncés savants sur les sources historiques et positives de la présomption

d’innocence se sont avérés en réalité constructifs et prescriptifs.

Ce que la doctrine enseigne au titre des origines de la présomption d’innocence est bien

davantage le résultat de choix, conscients ou non, que de découvertes. L’histoire du principe

a été dans une large mesure réécrite afin de l’inscrire dans la rupture qu’a opéré la

Révolution française. Il y a là l’illustration de la part d’interprétation qui a présidé à

l’élaboration du discours sur la présomption d’innocence. En même temps, se manifeste le

pouvoir qu’a la doctrine de façonner son objet d’étude. La seconde manifestation de ce

pouvoir a pu être observée à propos de la reconnaissance juridique du principe. Ainsi,

lorsque la doctrine pénale enseigne pendant une bonne partie du XXe siècle qu’il existe en

France une « présomption légale d’innocence » dont la jurisprudence fait application, on ne

retrouve pas dans le droit positif de réalité correspondante. Ce sont de telles observations

qui nous ont autorisé à formuler l’hypothèse d’une doctrine pénale source de la présomption

d’innocence. Parce qu’elle une source privilégiée, première, de connaissance de la

présomption d’innocence et qu’elle a en grande partie façonné le concept, la doctrine a pu

apparaître comme une source. L’autoréférence doctrinale que nous avons décrite a bien

montré où la doctrine puise les données qu’elle transforme en savoir. La personnification de

la présomption d’innocence dans la littérature juridique a pu quant à elle renforcer cette idée

que l’existence du principe, sa réalité, n’est vraiment perceptible qu’à travers la rhétorique

des auteurs.

403. La part d’incertitude sur l’objet. Si l’étude du discours sur l’objet a pu révéler le

pouvoir qu’a la doctrine de faire advenir à l’existence la présomption d’innocence qu’elle

décrivait, elle a en outre mis au jour l’incertitude qui affecte le savoir sur la présomption

d’innocence.

La signification juridique de la présomption d’innocence, telle qu’elle apparaît à

l’analyse du discours, se montre en réalité assez indéterminée. L’indétermination caractérise

aussi bien l’expression « présomption d’innocence » dans son origine et son sens, que la

signification du principe qu’elle est supposée exprimer, ou encore les conséquences qui en

découlent. Seule une analyse de l’histoire et une interprétation du discours ont permis de

retrouver un sens, une cohérence aux affirmations doctrinales. Ainsi a-t-on envisagé

465

l’hypothèse selon laquelle l’élaboration du discours sur la présomption d’innocence n’aurait

vraiment de sens en matière de preuve qu’à la condition de regarder sous la présomption

d’innocence prétendument juridique une règle morale destinée à limiter les effets de

l’intime conviction. Il s’agissait là d’un exemple témoignant également de ce que les

énoncés doctrinaux sont bien davantage qu’une description de l’état du droit, ils sont

également le résultat d’une philosophie qui répugne à s’avouer.

404. L’idéologie au fondement du discours. La recherche du fondement de la présomption

d’innocence à travers la littérature juridique nous a montré qu’en réalité ce fondement se

montrait pour une large part indicible. Cherchant à expliquer les causes de cette

impossibilité de dire le fondement, c’est insensiblement sur le terrain de l’idéologie que

nous avons été invité à porter l’attention. L’élaboration du discours doctrinal sur la

présomption d’innocence est alors apparu comme le résultat d’une résistance des juristes

français aux théories du positivisme italien. Cette élaboration a ainsi pu être replacée dans

son contexte idéologique : la défense de la responsabilité morale comme condition du droit

de punir et en même temps la défense d’un procès pénal classique par opposition à un

procès de défense sociale.

467

CONCLUSION

405. Contribution à une histoire du savoir juridique pénal. Comme tout savoir, le savoir

juridique évolue à travers le temps, une histoire peut en être écrite1531. En choisissant pour

objet d’étude La présomption d’innocence dans le discours doctrinal, ce sont souvent les

chemins de l’histoire du savoir sur la présomption d’innocence qui ont été empruntés et non

pas seulement ceux de l’histoire de la notion elle-même. L’analyse de la littérature juridique

portant sur la présomption d’innocence a permis de révéler le décalage, parfois grand, qui

peut exister entre l’état du droit positif et le discours qui se propose de le décrire. Plus

précisément, ce sont certains ressorts implicites du discours doctrinal qui ont pu être mis au

jour et contribuer à révéler le pouvoir1532 doctrinal dans l’élaboration du savoir sur la

présomption d’innocence.

Ainsi a-t-on pu constater que la présomption d’innocence ne devient un objet dans le

savoir juridique pénal qu’à partir du XXe siècle, alors même que la règle était appliquée en

France depuis le Moyen Âge. Le bouleversement qui se trouve à l’origine de l’émergence

de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal n’a pas eu lieu dans le droit positif

mais dans le domaine de la science du droit pénal. En effet, la présomption d’innocence est

apparue sous la plume des criminalistes français en réaction aux théories des positivistes

italiens. La consécration puis la pérennisation de la présomption d’innocence dans le

discours n’ont pas, elles non plus, toujours correspondu parfaitement avec l’état du droit

positif. Alors que les autres sources du droit demeuraient fort discrètes, la doctrine pénale a

longtemps été la seule à affirmer l’existence du principe. L’histoire du savoir sur la

présomption d’innocence peut et doit donc être distinguée de l’histoire du principe lui-

même1533. Il n’en demeure pas moins que l’importance du rôle qu’assume la doctrine dans

la connaissance de la présomption d’innocence tend parfois à estomper la distinction. Si

l’on admet en effet que la doctrine a pour mission d’exposer, d’expliquer et de décrire le

droit en vigueur, alors les énoncés descriptifs et explicatifs qui composent son discours sont

supposés refléter le droit. Pourtant, l’affirmation de l’existence juridique de la présomption

d’innocence est souvent allée au-delà de ce que consacrait réellement le droit positif. Aussi

avons nous pu considérer que d’une certaine manière, la présomption d’innocence existait

par cela seul que la doctrine en faisait un objet de discours. Aujourd’hui, il se pourrait que

1531 CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op. cit., n° 108 et s. 1532 Le pouvoir n’est pas ici à opposer à l’autorité. Il s’agit simplement de parler d’un pouvoir intellectuel, comme le font d’ailleurs MM. Jestaz et Jamin, La doctrine, op. cit., p. 256 et s. 1533 Sur la distinction entre histoire du savoir juridique et histoire du droit, V. CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op. cit., n° 114.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

468

le discours soit plutôt en deçà du droit positif. Quoi qu’il en soit, « la présomption

d’innocence » est un concept d’origine doctrinale, l’expression recouvre davantage que la

seule règle selon laquelle toute personne poursuivie est présumée innocente. S’il l’affirme

tout d’abord comme une règle de technique probatoire, en réalité le discours sur la

présomption d’innocence témoigne d’autres enjeux et implications.

Au fil de cette analyse de la littérature juridique, ont été dessinées peu à peu et en

contrepoint, non seulement une image de la doctrine pénale mais aussi une idée du savoir

sur la présomption d’innocence.

406. Quelle image de la doctrine pénale ?. Naturellement discrète et modeste sur son

pouvoir d’influencer ou de transformer le droit, la doctrine pénale l’est encore bien

davantage pour ce qui touche à la présomption d’innocence. En effet, l’étude de la

littérature consacrée à cette notion ne permet pas de relever une reconnaissance explicite du

rôle des pénalistes dans l’émergence du concept. Bien au contraire, la doctrine n’a eu de

cesse de se dissimuler derrière chacune des sources officielles de la présomption

d’innocence. Ce n’est qu’en prêtant une attention particulière aux formes, au contenu et à

l’évolution du discours que ce rôle implicite a pu être révélé. On rappellera par exemple

que, en dehors des propos récents de Mme Lazerges, la doctrine n’a jamais ouvertement

considéré qu’elle était à l’origine de l’insertion d’un article préliminaire en tête du Code de

procédure pénale. Pourtant, une référence constante et parfois appuyée, non pas au rapport

de la « commission justice pénale et droit de l’homme », mais au rapport de sa présidente,

Mme Delmas-Marty, laisse à penser que la doctrine reconnaît bel et bien avoir participé à

l’introduction de la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale. Ainsi,

l’image que la doctrine pénale a coutume de donner d’elle-même ne correspond pas à la

réalité ni de ses aspirations ni de son pouvoir.

C’est probablement dans sa mission d’interprétation du droit de la procédure pénale que

la doctrine a pu user d’une grande liberté et révéler, involontairement, la distance qui sépare

son discours du contenu du droit. Pour défendre une certaine idée du procès pénal, mais

surtout pour affirmer l’existence d’une présomption juridique d’innocence, la doctrine a pu

réécrire l’histoire du principe, affirmer que la jurisprudence le consacrait pendant qu’il n’en

était pas tout à fait ainsi, ou encore essayer de maîtriser sa signification en dénonçant

certaines violations de la présomption d’innocence et conservant le silence sur d’autres. Elle

a en outre défendu à travers son discours sur la présomption juridique d’innocence, une

valeur essentiellement morale à laquelle elle a su donner un tour juridique. Aussi, que l’on

ait égard au contenu même du discours doctrinal sur la présomption d’innocence ou à son

fondement, on découvre que la doctrine dispose de ressorts inavoués. Parce qu’elle est la

source qui a le pourvoir de désigner les autres, de leur révéler leur propre contenu et leur

Conclusion

469

importance, la doctrine dispose d’une arme redoutable. Parvenir à faire passer une opinion

doctrinale pour la substance d’un arrêt de la Cour de cassation sans que personne ne trouve

rien à redire, témoigne d’un tel pouvoir. Source privilégiée de connaissance de la

présomption d’innocence, la doctrine peut en réalité être regardée comme sa source tout

court. Les pénalistes pourront bien objecter qu’elle n’est qu’une source très indirecte fondée

sur sa seule autorité. Il importe néanmoins de s’apercevoir que cette façon de travailler le

droit de l’intérieur peut être d’une efficacité d’autant plus grande qu’elle est dissimulée

voire niée. Que le législateur ou la jurisprudence n’enregistrent pas directement les opinions

doctrinales ne saurait suffire à reléguer l’influence de la doctrine à si peu de chose. Peser

sur les transformations et les orientations du droit ne se réduit pas à la consécration d’une

opinion qui cherchait ouvertement à être traduite dans le droit. La représentation que donne

la doctrine du droit positif produit des effets plus difficiles à observer ou à mesurer mais

assurément plus constants et d’une ampleur probablement plus importante.

Dans ces conditions, les spécificités et contraintes qui caractérisent éventuellement la

doctrine pénale n’apparaissent résolument plus comme un obstacle à un rapprochement

avec la doctrine civiliste ou plus généralement privatiste. Tout d’abord, la formation

jusqu’alors essentiellement civiliste des pénalistes a pour effet de faire partager aux uns et

aux autres des méthodes, raisonnements et aspirations semblables. Ensuite, apparemment

moins prestigieuse que la doctrine civiliste, la doctrine pénale n’en a pas moins ses grands

noms, ceux qui ont marqué une époque, une tendance, ou à qui l’on reconnaît un savoir

immense. Les pénalistes ne les ignorent d’ailleurs pas et savent reconnaître « les meilleurs

d’entre eux ». Le plus souvent, il s’agit d’universitaires, tout d’abord des hommes, puis

depuis une trentaine d’années, la doctrine pénale connaît également de grands noms

de « professeures »1534. Pour ce qui touche à la présomption d’innocence, on retiendra

notamment volontiers l’empreinte laissée par Mesdames Delmas-Marty, Rassat et Lazerges.

En outre, la doctrine pénale serait à l’heure actuelle en plein renouvellement grâce à

l’émergence de jeunes talents parmi lesquels les femmes tiennent une bonne place1535.

407. De l’autorité à la responsabilité. La doctrine pénale existe, elle se reconnaît elle-

même, elle agit incontestablement sur le droit, tout comme la doctrine dans les autres

disciplines juridiques. Son pouvoir, qui n’est autre que l’effet de l’autorité de son savoir, est

potentiellement grand. Il demeure cependant et naturellement soumis à l’autorité qui lui est

reconnue par les autres sources du droit. L’idée que le législateur, le juge et l’avocat se font

1534 Ce féminin n’est semble-t-il pas admis par l’Académie française tandis qu’il est recommandé, par exemple, par l’office québécois de la langue française dont la politique sur le féminin des titres et des fonctions semble plus ferme. 1535 Mais il est difficile de cerner où se situe la vérité entre les propos sombres et pessimistes prêts à nourrir l’idée du déclin de la doctrine, particulièrement universitaire, et ceux qui se montrent résolument optimistes quant à l’avenir de la doctrine pénale.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

470

de la doctrine est particulièrement déterminante à cet égard. L’autorité doctrinale est une

idée mal définie, aux contours vagues, dont les critères ne sont pas précisément établis et les

titulaires pas toujours bien identifiés. Elle demeure pourtant la caractéristique propre de la

doctrine dont dépendent sa reconnaissance sociale1536 et son influence.

Cette autorité est celle qui lui permet de participer à la création du droit et cette mission,

qu’elle semble vouloir accomplir en toute liberté, impliquerait logiquement une

responsabilité1537. Aussi, ne suffit-il pas pour la doctrine, et la doctrine pénale en particulier,

d’invoquer l’idée d’autorité pour l’opposer à l’idée de source et ainsi minimiser la part

qu’elle peut prendre dans l’élaboration du droit pénal. Parce que son rôle est d’influencer le

droit et qu’elle est en mesure de le faire, la doctrine pénale devrait s’interroger sur sa

responsabilité. Il serait probablement trop tentant de se dénier tout rôle ou presque dans

l’élaboration du droit pour se mettre a l’abri de la critique, à l’abri des interrogations sur ses

méthodes, sur son savoir-faire1538. Qui juge la doctrine ? Législateur et juges ont leurs

censeurs, institutionnalisés, juridiquement identifiés. La doctrine demeure quant à elle son

seul maître tout en refusant de le reconnaître. Les dérives sont alors à craindre, et cela

d’autant plus si les auteurs sont convaincus de l’inexistence d’une entité doctrinale. Si

personne ne songe, pas même MM. Jestaz et Jamin1539, à nier ou à critiquer

l’individualisme, l’indépendance, l’originalité et finalement la diversité des auteurs de

doctrine1540, il n’en reste pas moins qu’à trop vouloir mettre en avant ces caractéristiques on

risque de se priver d’une réflexion sur ses fonctions. Ce sont ces fonctions, en dehors de

l’attitude de corps qu’adoptent les auteurs, qui font de la doctrine une entité informelle,

mais une entité quand même. Elle s’oppose ainsi aux deux autres entités que sont le

législateur et le juge. Il serait sans doute souhaitable que les réflexions sur la doctrine

dépassent désormais le simple regard narcissique et autosatisfaisant ou à l’inverse

pessimiste et dévalorisant, pour se concentrer sur d’autres questions.

Les réflexions engagées par les civilistes devraient intéresser les pénalistes. L’attention

pourrait porter sur l’idée de responsabilité de la doctrine dans l’exercice de ses missions.

1536 A. SÉRIAUX, La notion de doctrine juridique, op. cit., p. 70 et s. 1537 H. BATIFFOL, La responsabilité de la doctrine dans la création du droit, op. cit., p. 176 ; PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 257-258 où les auteurs évoquent la question. 1538 Mme Lazerges donne un exemple de ce qui pourrait être regardé comme l’exercice de sa responsabilité par la doctrine, en exhortant les pénalistes à lutter contre l’inflation législative qu’ils sont d’ailleurs prompts à critiquer et à rappeler. Selon cet auteur, une présence plus forte de la doctrine pénale et une contribution plus active pendant la procédure législative seraient de nature à endiguer la marée des lois. Ainsi, Mme Lazerges souligne-t-elle qu’il ne suffit pas aux pénalistes d’attendre que la loi nouvelle soit définitivement votée pour s’épuiser à la commenter ou à la critiquer. Une certaine entrée en « résistance » serait souhaitable, qui consisterait à inciter concrètement à des « pauses législatives ». V. CH. LAZERGES, La doctrine et la dérive législative de la procédure pénale, op. cit., p. 155 à 158. 1539 PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 259. 1540 Que défendaient trois professeurs de droit contre la thèse de l’entité proposée par MM. Jestaz et Jamin, V. L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER et F. TERRÉ, Antithèse de « l’entité », op. cit.

Conclusion

471

Qu’il s’agisse de s’inquiéter de la manière dont elle étudie le droit et dont elle l’enseigne ou

le critique ou encore de l’image qu’elle donne à voir d’elle-même à ses interlocuteurs. Si la

doctrine semble son propre maître, son autorité dépend en partie de ceux à qui elle

s’adresse : législateur et praticiens. Ces derniers pourraient se détourner de la doctrine1541 si

elle n’assumait pas ses responsabilités. La prise en compte d’une telle responsabilité repose

sur l’exercice d’un esprit critique de la doctrine à l’égard d’elle-même. L’exigence de

transparence dans l’activité doctrinale semble quant à elle résumer les remarques formulées

par plusieurs auteurs et qu’il conviendrait probablement de retenir pour la doctrine pénale.

La transparence suppose que les auteurs de doctrine se départissent de toute idée de

neutralité dans leurs énoncés sur le droit et acceptent d’expliciter le point de vue depuis

lequel ils raisonnent et ne dissimulent pas leurs convictions personnelles et

philosophiques1542. En fin de compte, si la doctrine doit exercer et développer sa mission

d’opinion, sans craindre d’être partisane1543, l’exigence de transparence suppose qu’elle ne

présente pas ses énoncés comme imposés par le droit positif1544. La transparence concerne

également la façon dont sont menées les controverses doctrinales1545. De l’existence et de la

qualité de ces dernières dépendent à la fois le progrès du savoir et l’influence de la doctrine.

La transparence pourrait enfin consister à mettre au jour, avec moins de réticences, les

erreurs qui affectent le savoir juridique, comme tous les autres savoirs.

La doctrine pénale gagnerait donc sans aucun doute à ne pas se détourner des réflexions

qui peuvent nourrir sa pratique. Pour l’heure, elle semble pourtant demeurer assez étrangère

aux discussions qui animent les privatistes. Si ces dernières se veulent générales, elles ne

raisonnent cependant toujours pas sur la science du droit pénal1546.

1541 Combattant l’idée d’un déclin et se refusant à l’alarmisme, Philippe Jestaz signalait tout de même le risque que la pratique n’ait plus besoin de la doctrine et se mette à l’ignorer, V. PH. JESTAZ, Déclin de la doctrine ? op. cit., p. 94. 1542 Ainsi pourrait-on dire que l’objectivité du juriste consiste à admettre et à ne pas dissimuler la part de subjectivité qui l’anime dans son activité doctrinale. 1543 Pour un exemple contraire concernant notre sujet, V. H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit. L’auteur de cette thèse s’inscrit résolument dans la démarche inverse en cherchant à faire véritablement œuvre de science. « Travail scientifique », « observation », « hypothèse », « test », « falsifiabilité » sont quelques-uns des maîtres-mots de son œuvre. Très positiviste, la démarche de cet auteur tend à éviter les impuretés du droit et à dénoncer la subjectivité de certains énoncés doctrinaux sur la présomption d’innocence. 1544 En ce sens, H. BATIFFOL, La responsabilité de la doctrine dans la création du droit, op. cit., p. 182 ; PH. JESTAZ, Déclin de la doctrine ? op. cit., p. 93 ; A. SÉRIAUX, La notion de doctrine juridique, op. cit., p. 70 ; F. TERRÉ, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 5e éd., 2000, n° 241. 1545 À cet égard, N. MOLFESSIS, La controverse doctrinale et l’exigence de transparence de la doctrine, op. cit., spécialement p. 165. 1546 Certaines questions proches de celles évoquées au texte ont néanmoins été soulevées par un pénaliste, mais la démarche demeure isolée et probablement confidentielle. Il n’est pas certain en effet que la doctrine pénale s’intéresse aux propos d’un professeur de droit criminel à la retraite qui s’exprime non plus dans les grandes revues juridiques mais sur le site Internet qu’il a réalisé, V. J.-P. DOUCET, La doctrine est-elle une source du droit ? Cet article est disponible seulement en ligne : [http://ledroitcriminel.free.fr/la_science_criminelle/articles/doctrine_source_droit.htm].

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

472

408. Le savoir sur la présomption d’innocence. L’analyse du discours doctrinal depuis le

début du XXe siècle a montré combien le savoir sur la présomption d’innocence a pu

évoluer, dans ses formes et son contenu. Ce n’est toutefois que depuis une période très

récente que certains esprits critiques soufflent non pas sur la présomption d’innocence, mais

sur ce qui en a été dit jusqu’alors. Il est par exemple difficile d’observer des controverses

doctrinales au sujet de la présomption d’innocence elle-même. S’il nous a été donné de

relever nombre de divergences, sinon d’opinions proprement dites, d’énoncés sur la

présomption d’innocence, il reste qu’elles n’ont jamais pris la forme d’une dispute, d’un

débat, d’une discussion ouverte qui signaleraient l’existence d’une controverse doctrinale

où se déploierait les arguments des uns et des autres. Les éventuels désaccords entre auteurs

n’ont pas été signalés comme tels, à tel point que le discours sur la présomption

d’innocence a longtemps donné l’impression d’une certaine unanimité doctrinale. Les

divergences ainsi passées sous silence ont pu priver les pénalistes d’occasions de rectifier

leurs erreurs. Ce silence a pu en outre produire l’illusion d’une certitude sur l’état des

connaissances relatives à la présomption d’innocence. Pourtant, ces dernières nous sont

apparues dominées par l’incertitude, l’indétermination et pour tout dire assez fragiles. Il n’y

là rien d’anormal et pourtant, le juriste et avec lui le pénaliste, n’admet pas la part

d’incertitude à la fois du droit et de son savoir.

Des voix se sont dernièrement élevées pour tenter d’améliorer le savoir sur la

présomption d’innocence et débusquer certaines des erreurs commises dans le passé.

L’histoire de la présomption d’innocence a ainsi été davantage explorée, sa nature discutée,

sa signification précisée. Le savoir sur la présomption d’innocence est donc en mutation,

l’esprit critique commence de s’y exercer afin de l’améliorer. L’évolution ne fait en réalité

que commencer.

409. Pour une théorie de la présomption d’innocence. Par ailleurs, le savoir doctrinal sur

la présomption d’innocence se caractérise par son abstraction, sa généralité et son

éloignement de la pratique. Que le discours doctrinal sur la présomption d’innocence se soit

placé à un certain niveau théorique peut aisément se comprendre au regard de l’histoire de

sa construction. La présomption d’innocence est avant tout un principe général et abstrait,

un guide, une exigence de la justice dont les applications pratiques ont longtemps été

difficiles à percevoir. Le développement des jurisprudences européenne, civile et

constitutionnelle a pourtant changé la donne. La doctrine pénale a tardé à s’y intéresser, les

spécialistes d’autres branches du droit ont développé un discours sur la présomption

d’innocence en marge du discours pénal. Le savoir sur la présomption d’innocence semble

ainsi se caractériser à l’heure actuelle par un certain éclatement. Toutes ces raisons militent

pour l’élaboration d’une véritable théorie qui embrasserait à la fois les aspects pénal, civil et

Conclusion

473

constitutionnel de la présomption d’innocence et organiserait les connaissances de façon

logique et cohérente.

Une telle entreprise a courageusement été tentée par M. Henrion. Toutefois, si les

recherches de cet auteur ont le mérite d’avoir discuté puis proposé de cerner la nature

juridique de la présomption d’innocence, il n’est pas certain que la théorie de la

présomption d’innocence soit faite ni qu’elle soit en l’état bien accessible. Très fondées

théoriquement et rigoureusement argumentées, les propositions de l’auteur pourront servir,

conformément d’ailleurs à son souhait, de jalons pour l’élaboration d’une théorie de la

présomption d’innocence, mais ne paraissent pas pouvoir servir véritablement la pratique.

Or une théorie de la présomption d’innocence serait sans aucun doute appréciée des

praticiens du droit1547 qui, pour l’heure, semblent puiser leurs connaissances non pas dans

les manuels, traités et autres supports doctrinaux mais dans les codes et dans les bases de

données jurisprudentielles. Reste que l’on pourrait poser la question de savoir lesquels des

pénalistes, civilistes, publicistes ou encore internationalistes sont les mieux placés pour

construire une telle théorie. On pencherait volontiers pour les premiers en raison de la

vocation originairement pénale de la présomption d’innocence mais aussi de la part qu’ils

ont prise dans l’élaboration d’un savoir sur la présomption d’innocence. Toutefois,

l’actuelle extension du champ d’application de la présomption d’innocence au-delà du seul

procès pénal militerait bien davantage en faveur d’une théorie en quelque sorte autonome

qui présenterait la présomption d’innocence dans toutes ses dimensions et implications. Les

processualistes et non plus seulement la « tribu » des pénalistes, qui pourrait bien être en

voie de recomposition1548, pourraient œuvrer à une telle construction1549. C’est

probablement à partir des notions de principe directeur, de droit fondamental et de droit

subjectif que la théorie s’articulerait en délaissant l’aspect purement probatoire de la

présomption d’innocence. La meilleure prise en considération des enjeux extra pénaux de la

présomption d’innocence permet déjà d’observer une modification du discours doctrinal en

ce sens. C’est la cas de M. Henrion qui désigne la présomption d’innocence, outre comme

un principe général de droit public, comme un double droit subjectif : à la fois public et

privé. La tendance à faire prévaloir l’aspect droit subjectif/droit fondamental de la

présomption d’innocence sur sa fonction probatoire (en l’absorbant parfois) est désormais

également perceptible dans les ouvrages à usage d’enseignement. Ne reconnaissant plus de

1547 La thèse de M. Ballandier allait en ce sens. L’auteur s’était proposé de réfléchir non pas tant sur le principe que sur les moyens de construire une défense pénale fondée sur la présomption d’innocence et la règle du doute. V. P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit. 1548 V. CH. LAZERGES, La doctrine et la dérive législative de la procédure pénale, op. cit., p. 161. 1549 À cet égard, on observera que l’ouvrage de droit processuel des éditions Dalloz fait une large place à la présomption d’innocence. V. en dernier lieu, S. GUINCHARD et alii, Droit processuel/ Droit commun et droit comparé du procès, Paris, Dalloz, 3e éd., 2005. La substance des développements consacrés à la présomption d’innocence est reprise in S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit.

La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

474

particularisme du droit pénal en matière de charge de la preuve, certains auteurs assimilent

ainsi la présomption d’innocence au principe actori incumbit probatio applicable au procès

civil et présentent le principe de la présomption d’innocence sous un autre jour1550. Cette

tendance est d’ailleurs largement suggérée par la jurisprudence. En effet, s’il semble par

exemple que la présomption d’innocence n’ait pas (encore) vocation à régir la charge de la

preuve en matière de sanctions administratives1551 ; en revanche, le juge des référés du

Conseil d'État a pu enjoindre à l'ensemble des autorités administratives ayant eu à connaître

d’une action disciplinaire, de s'abstenir de prendre toute position publique susceptible de

méconnaître le principe de la présomption d'innocence1552. Enfin, cette théorie ne pourra

probablement pas ignorer le résultat de la consultation que vient d’engager la commission

européenne avec le lancement de son livre vert sur la présomption d’innocence1553.

Dans cette entreprise de reconstruction et de perfection des connaissances de la

présomption d’innocence dont elle est la meilleure pourvoyeuse, la doctrine ne devrait pas

rougir d’admettre qu’elle n’est qu’un artisan du droit et non une science exacte. Elle

pourrait ainsi s’inspirée de cette phrase du peintre Paul Klee : « L’art ne reproduit pas le

visible, il rend visible ».

1550 On pourra se référer par exemple à la construction des développements consacrés à la présomption d’innocence par les professeurs Guinchard et Buisson dans la troisième édition de leur manuel. Le paragraphe relatif à l’aspect probatoire de la présomption d’innocence se réduit à peu de chose, comparé à ceux qui développent l’idée d’un droit fondamental, subjectif, opposable à tous. La même remarque vaut pour le manuel de M. Vergès. Les développements de l’auteur s’articulent en deux temps. Le premier est consacré à la présomption d’innocence, droit fondamental tandis que le second consiste à envisager la présomption d’innocence en tant que droit procédural. L’étude de ce dernier aspect se résout à nier toute spécificité à la présomption d’innocence dans la détermination de la charge de la preuve. V. E. VERGÈS, Procédure pénale, Paris, Litec, objectif droit, 2005, n° 78 à79 et n° 88 et s. 1551 H.-.M. CRUCIS, J.-Cl. Administratif, fasc. 108-40 : sanctions administratives, n° 86. 1552 CE, ord. 14 mars 2005, n° 278435, Gollnisch. Suite à des déclarations publiques du recteur d’académie, réclamant notamment une lourde sanction à l’encontre de M. Gollnisch, le juge administratif relève que, s’il est loisible au recteur d'informer le public sur l'état d'avancement de la procédure, il doit, sauf à porter atteinte à la présomption d'innocence, s'abstenir de préjuger de l'issue des poursuites et que s'impose en outre à lui, comme à toute autorité administrative, une obligation de neutralité. V. aussi : A. MARON, Une ordonnance affirmationiste, Dr. pén. 2005, comm. 84. 1553 La Commission a répertorié un certain nombre de droits constitutifs de la présomption d’innocence examinés dans le livre vert et que les parties intéressées sont invitées à commenter. Si la consultation fait apparaître un besoin en ce sens, la Commission étudiera le socle commun de droits qui pourraient être attachés à la présomption d’innocence, en vue d’inscrire ces droits dans la proposition de décision-cadre sur les garanties liées à l’administration de la preuve annoncée dans le programme de La Haye. V. Dr. pén. 2006, alerte 26, Communiqué IP/06/552, 28 avr. 2006.

475

BIBLIOGRAPHIES

-I- CORPUS DOCTRINAL DE RÉFÉRENCE -II- BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

477

-I- CORPUS DOCTRINAL DE RÉFÉRENCE

OUVRAGES

TRAITÉS, MANUELS, COURS, RÉPERTOIRES ET DISCOURS

OUVRAGES ANCIENS : XVI-XVIIIe SIÈCLE

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Bibliographies

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OUVRAGES DU XIXe SIÈCLE

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Corpus doctrinal de référence

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MERLIN (PH.-A.), Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Paris, 5e éd., 1830, 18 volumes. MITTERMAIER (C.-J.-A.), Traité de la preuve en matière criminelle, trad. C.- A. ALEXANDRE, Paris, Cosse et Delamotte, 1848. MORIN (A.), Répertoire général et raisonné du droit criminel, Paris, Durand, 1850, 2 volumes. ORTOLAN (E.), Éléments de droit pénal, Paris, Plon, 1855 ; 4e éd., par Bonnier, 1875. TRÉBUTIEN (E.), Cours élémentaire de droit criminel, Paris, Durand, 1854, 2 volumes.

OUVRAGES DEPUIS LE XXe SIÈCLE

BONFILS (PH.) et VERGÈS (E.), Travaux dirigés de droit pénal et de procédure pénale, Paris, Litec, 2004. BOUZAT (P.), Traité théorique et pratique de droit pénal, Paris, Dalloz, 1951. BOUZAT (P.) et PINATEL (J.), Traité de droit pénal et de criminologie, tome II Procédure pénale, Paris, Dalloz, 1963. BOYER (L.), Cour de droit pénal général et de procédure pénale, Paris, Les cours du droit, 1968-1969. BRIÈRE DE L’ISLE (G.) et COGNIART (P.), Procédure pénale, Paris, A. Colin, 1972, 2 volumes. CONTE (PH.) et MAISTRE DU CHAMBON (P.), Droit pénal général, Paris, A. Colin, 5e éd., 2000. CONTE (PH.) et MAISTRE DU CHAMBON (P.), Procédure pénale, Paris, A. Colin, 1995 ; 2e éd., 1998 ; 3e éd., 2001 ; 4e éd., 2002. DEBOVE (F.) et FALLETI (F.), Précis de droit pénal et de procédure pénale, Paris, PUF, collection Major, 2001. DECOCQ (A.), Droit pénal général, Paris, A. Colin, 1971. DEGOIS (C.), Traité élémentaire de droit criminel, Paris, Dalloz, 2e éd., 1922. DESPORTES (F.) et LE GUNEHEC (F.), Droit pénal général, Paris, Economica, 8e éd., 2001. DONNEDIEU DE VABRES (H.), Traité de droit criminel et de législation comparée, Paris, Sirey, 3e éd. 1947. GARÇON (E.), Code pénal annoté, refondu et mis à jour par MM. ROUSSELET, PATIN et ANCEL, Paris, Recueil Sirey, 1952, 2 volumes. GARÉ (TH.) et GINESTET (C.), Droit pénal et procédure pénale, Paris, Dalloz, Hyper Cours, 3e éd., 2004. GARRAUD (R.), Précis de droit criminel, Paris, Larose, 8e éd., 1903.

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OUVRAGES SPÉCIALISÉS

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NAGOUAS-GUÉRIN (M.-C.), Le doute en matière pénale, Paris, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 18, 2002. PETTITI (L.-E.) (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme, Paris, Economica, 2e éd., 1999. PRADEL (J.) et VARINARD (A.), Les grands arrêts du droit criminel, Paris, Dalloz, 1998, 2 volumes. RENOUX (TH.) et DE VILLIERS (M.), Code constitutionnel commenté et annoté, Paris, Litec, 2001. ROBERT (J.) et DUFFAR (J.), Droits de l’homme et libertés fondamentales, Paris, Domat-Montchrestien, 7e éd., 1999. ROBERT (J.-H.) et TZITZIS (S.) (dir.), La présomption d’innocence, Revue de l’institut de criminologie de Paris, vol. 4, 2003-2004, Collection Essais de philosophie pénale et de criminologie, Paris, Eska, 2004. VELU (J.) et ERGEC (R.), La Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1990.

OUVRAGES D’HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL

ALLARD (A.), Histoire de la justice criminelle au seizième siècle, Gand, Paris, Durand, 1868. CARBASSE (J.-M.), Introduction historique au droit pénal, Paris, PUF, 1990. CARBASSE (J.-M.), Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, PUF, 2e éd., 2006. DU BOYS (A.), Histoire du droit criminel de la France depuis le XVIème jusqu’au XIXème siècle, Paris, Durand et Pedone, 1874, 2 volumes. ESMEIN (A.), Histoire de la procédure criminelle en France, Franckfort, Verlag Sauer et Auvermann, réedition, 1969. LAINGUI (A.) et LEBIGRE (A.), Histoire du droit pénal, tome II La procédure criminelle, Paris, Cujas, 1979.

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COLLOQUES, RAPPORTS

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507

INDEX DES MATIÈRES

(Les chiffres renvoient aux numéros des pages) Article fondateur, 136, 174, 206, 267, 298, 325

Autonomie de la volonté, 125, 197, 439, 440

Autoréférence Voir Doctrine

Charge de la preuve, 80, 81, 87, 101, 104, 133, 134, 137, 139, 156, 181, 236, 254, 265, 269, 292, 310, 313, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 327, 328, 329, 331, 333, 362, 383, 411, 452, 453, 474

Crise de l'enseignement du droit, 22, 30, 293

du droit pénal, 106, 113, 119, 122, 209, 446

Déclaration des droits de l’homme article 9, 36, 43, 57, 58, 79, 91, 172, 174, 181, 185, 199, 200, 202, 205, 206, 246, 253, 254, 292, 310, 418, 419

travaux préparatoires, 56, 62, 72

valeur juridique, 79, 207, 208, 210, 211, 213, 215, 248

Détention provisoire, 185, 261, 312, 363, 365, 375, 377, 384, 389, 393, 418, 424, 459

détention préventive, 84, 134, 184, 187, 418

Doctrine ancien droit, 12, 43, 47, 81, 175, 191, 348, 351, 356, 429, 435, 441

article fondateur Voir Article fondateur

autoréférence, 229, 296, 464

autorité, 12, 16, 18, 21, 22, 27, 31, 48, 87, 165, 176, 244, 285, 288, 290, 292, 295, 301, 304, 469

concept, 10, 12, 15, 17, 25, 32, 47, 48

influence, 19, 21, 22, 26, 29, 56, 65, 130, 139, 229, 244, 284, 288, 289, 304, 443, 468, 469, 470

littérature juridique, 9, 10, 18, 23, 27, 32

prédiction, 239, 376

prudence, 244, 362, 375, 378, 380

responsabilité, 244, 470

source du droit, 12, 16, 51, 198, 217, 283, 284, 288, Voir

XIXe siècle, 73, 77, 92, 113, 132, 165, 179, 209, 302

Doctrines pénales classique, 90, 97, 99, 103, 111, 117, 119, 446, 447, 451, 454, 463

défense sociale nouvelle, 449, 454, 458, 460

éclectique, 119

positivisme italien, 96, 100, 109, 139, 437, 450, 459, 465

Doute favorable Voir in dubio pro reo

Droit romain, 37, 68, 76, 81, 91, 190, 193, 194, 195, 197, 347, 349, 408, 428, 429

Il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent, 52, 91, 175, 195, 357, 429

in dubio pro reo origines, 190, 191, 194, 428

rapports avec la présomption d'innocence, 190, 331, 332, 333, 429

valeur, 340, 356, 358, 360

Jurisprudence, 12, 16, 27, 29, 34, 77, 100, 127, 149, 157, 181, 182, 191, 243, 245, 252, 263, 289, 290, 291, 324, 329, 341, 343, 354, 361, 362, 369, 464, 468, 469, 472

Liberté individuelle, 66, 84, 130, 134, 139, 143, 179, 182, 184, 200, 288, 362, 371, 374, 378, 416, 417, 432, 459

Loi du 15 juin 2000, 33, 84, 148, 158, 161, 227, 237, 256, 312, 335, 365, 366, 369, 372, 380, 391, 394, 425

Lumières pénales, 45, 55

Paradoxe du présumé innocent, présumé coupable, 381, 383, 385, 387, 390, 391, 393, 394, 395, 398, 401, 404

Présomption de culpabilité, 45, 47, 50, 54, 105, 186, 208, 271, 373, 384, 389, 392, 396, 397, 402, 403, 408, 431, 432

Présomption d'innocence article 6§2 Conv. EDH, 149, 212, 245, 249, 275, 333, 362, 366, 375

article 9 Déclaration des droits de l'homme Voir Déclaration des droits de l'homme

508

article 9-1 C. civ, 36, 221, 223, 228, 229, 231, 232, 233, 235, 243, 257, 258, 259, 262, 307, 313, 318, 386, 436

article préliminaire CPP, 34, 221, 226, 228, 229, 231, 237, 238, 239, 241, 243, 244, 245, 246, 255, 260, 291, 312, 372, 376, 403, 425, 468

atteintes, 185, 187, 248, 260, 261, 288, 346, 364, 375, 377, 379, 382, 383, 385, 386, 387, 389, 401, 402, 419, 436, 452, 459

expression, 36, 38, 65, 83, 87, 88, 90, 92, 102, 133, 140, 141, 142, 152, 153, 154, 165, 173, 195, 213, 219, 236, 257, 270, 272, 291, 309, 310, 312, 313, 314, 315, 399, 400, 401, 402, 403, 442, 464, 468

histoire, 37, 43, 143, 171, 173, 174, 178, 182, 189, 190, 195, 196, 197, 213, 464, 467, 468, 472

in dubio pro reo Voir in dubio pro reo

lieu commun, 93, 145, 146, 151, 152, 163

loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence Voir Loi du 15 juin 2000

objet de connaissance, 129, 135, 138, 143, 164

objet de savoir, 129, 135

personnification, 301, 302, 303, 464

symbole, 424, 445, 447, 448, 451

théorie, 161, 288, 472

Présomptions de culpabilité, 261, 275, 321, 361, 377, 381, 382, 384, 386, 387, 388, 395, 397, 400, 402, 452, 454

Preuves appréciation, 53, 81, 173, 319, 336, 337, 339, 348, 350, 351, 352

charge de la preuve Voir Charge de la preuve

insuffisance, 59, 89, 181, 322, 330, 342, 347, 348, 349, 353, 390

légales, 50, 51, 171, 177, 178, 186, 187, 343, 346, 347, 348, 350, 352

théorie, 87, 101, 130, 131, 132, 136, 138, 236, 358

Relaxe au bénéfice du doute, 156, 181, 335, 345, 350, 354, 384

Responsabilité morale, 97, 111, 112, 118, 120, 125, 446, 448, 451, 454, 456, 459, 463, 465

Savoir juridique féminisation, 161

histoire, 467

lois, 197, 253

rectification, 37, 164, 178, 401, 472

Secret de l’instruction, 224, 364, 379, 386, 423

509

INDEX DES NOMS PROPRES

(Les chiffres renvoient aux numéros des pages) Ambroise-Castérot, C, 155, 162, 236, 299, 390

Astaing, A, 348, 357

Atias, Ch, 21, 22, 23, 197, 253, 293, 294, 376

Auvret, P, 257, 258

Ayrault, P, 49, 52, 60, 184

Badinter, R, 148, 174, 280, 286, 375, 419, 424

Ballandier, P, 151, 367, 390, 425, 473

Batiffol, H, 244

Beccaria, C, 55, 56, 57, 58, 186, 206, 437

Bentham, J, 87, 89, 90, 92, 99, 179, 315, 411, 412, 419, 441

Berriat-Saint-Prix, J, 75, 76, 82

Boitard, J.-E, 77, 78

Bongert, Y, 437

Bonnier, E, 76, 87, 88, 89, 101, 132

Bouloc, B, 201, 212, 241, 308, 311, 330, 341, 435, 454

Brissot de Warville, J.-P, 57, 59

Buisson, J, 155, 159, 229, 242, 267, 277, 310, 320, 362, 365, 453, 474

Bureau, H, 162, 234, 257, 426

Carbasse, J.-M, 51, 56, 67, 177, 203

Carbonnier, J, 134, 154, 163, 184, 206, 232, 287, 375, 386, 403, 408, 419, 432, 436

Cardet, Ch, 371, 372

Chassaing, J.-F, 148, 177, 178, 205, 286

Conte, Ph, 224, 234, 341, 346, 388, 404, 415, 432

Cornu, G, 152, 153, 154, 259

Daoulas, H, 151, 215

Décamps, J, 151, 204

Delmas-Marty, M, 30, 147, 161, 210, 225, 226, 228, 239, 254, 338, 364, 425, 468, 469

Detraz, S, 300, 311, 313, 325, 336, 369, 399, 400, 401, 416

Donnedieu de Vabres, H, 105, 133, 159, 195, 208, 290, 330, 359

Doucet, J.-P, 24, 289, 305, 471

Duport, A, 63, 64, 65, 71, 181, 185, 204, 205, 312, 317

Essaïd, M.-J, 61, 66, 83, 90, 92, 139, 142, 143, 150, 156, 173, 174, 182, 192, 196, 198, 200, 211, 213, 215, 220, 222, 227, 248, 250, 269, 272, 281, 286, 298, 322, 338, 341, 345, 358, 379, 407, 411, 413, 414, 415, 418, 419, 432, 433, 456

Farthouat, J.-R, 148, 386, 387

Faustin-Hélie, M, 75, 76, 77, 78, 79, 81, 83, 131, 208, 290, 433, 445

Ferri, E, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 110, 112, 114, 116, 123, 124, 125, 141, 196, 210, 219, 298, 301, 310, 332, 429, 442, 443, 444, 446, 448, 451, 458, 463

Garçon, E, 27, 29, 122, 290

Garçon, M, 134, 287

Garraud, R, 27, 29, 87, 96, 100, 101, 102, 103, 104, 119, 120, 122, 124, 131, 132, 141, 173, 195, 207, 208, 290, 300, 330, 332, 344, 411, 429, 433, 435, 458

Gassin, R, 110, 114, 455, 460

Gautier, P.-Y, 10, 136, 137, 138, 293, 294, 470

Gorphe, F, 351, 352, 423

Henrion, H, 63, 66, 161, 164, 178, 185, 203, 240, 249, 253, 255, 256, 257, 262, 274, 313, 376, 417, 424, 426, 427, 471, 473

Holtappels, P, 192

Jamin, Ch, 11, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 24, 232, 233, 234, 237, 467, 470

Jeandidier, W, 45, 147, 278, 287, 364, 402, 404

Jestaz, Ph, 11, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 232, 233, 234, 237, 470, 471

Jousse, D, 48, 49, 50, 52, 53, 176, 193

Kiejman, G, 202, 220, 227, 287

510

Koering-Joulin, R, 162, 226, 228, 294, 387, 416, 424

Lagarde, X, 322, 323, 343

Laingui, A, 12, 48, 51, 62, 73, 191, 193, 227

Larguier, J, 28, 133, 153, 159, 298, 412, 449, 458, 463

Lazerges, Ch, 30, 158, 162, 228, 242, 289, 291, 468, 469, 470

Le Calvez, J, 153, 154

Le Seyllier, A.-F, 75, 76, 78, 82, 179, 208

Léauté, J, 55, 140, 174, 202, 316, 365, 366, 457

Leclerc, H, 223, 364

Legeais, R, 286, 289, 290, 294, 355

Levasseur, G, 30, 135, 153, 159, 171, 174, 201, 298, 308, 311, 330, 341, 352, 417, 424, 433, 435, 454

Lombois, C, 147, 213, 287, 344, 388, 432

Mably, G, 60, 65

Maistre du Chambon, P, 31, 159, 234, 293, 315, 341, 380, 415

Malaurie, Ph, 19, 259

Maron, A, 245, 394, 474

Merle, Ph, 218

Merle, R, 28, 32, 45, 87, 105, 156, 159, 241, 243, 250, 252, 260, 272, 278, 287, 301, 308, 313, 314, 321, 340, 389, 412, 424, 425, 426, 431, 435, 448, 455, 458

Mittermaier, C.-J.-A, 87, 88, 89, 196

Molfessis, N, 239, 240, 471

Montenbruck, A, 192, 333, 334

Montesquieu, 57, 65

Muyart de Vouglans, P.-F, 48, 49, 50, 53, 429

Nagouas-Guérin, M.-C, 31, 338, 340, 343, 345

Ortolan, E, 75, 76, 78, 79, 81, 82, 84, 208, 445

Ost, F, 21, 167, 395, 396, 398, 400, 401

Patarin, J, 105, 135, 136, 137, 138, 139, 141, 199, 206, 210, 220, 253, 265, 267, 298, 300, 325, 327, 340, 356, 358, 431, 433

Pothier, R.-J, 55

Pradel, J, 27, 30, 32, 55, 104, 145, 153, 156, 159, 173, 222, 224, 234, 241, 247, 261, 272, 284, 286, 289, 290, 301, 308, 325, 355, 368, 369, 385, 387, 391, 394, 407, 412, 417, 419, 430, 437

Putman, E, 239, 242

Ranouil, V, 125, 214, 439, 440, 441, 442, 443, 444, 445, 446

Rassat, M.-L, 27, 105, 132, 161, 174, 224, 226, 227, 266, 285, 290, 293, 301, 335, 340, 368, 407, 412, 415, 417, 469

Robert, J.-H, 29, 258, 375, 462

Roux, J.-A, 114, 133, 156, 195, 208, 281, 294, 411

Samet, C, 162, 398

Sériaux, A, 20, 259, 288

Stéfani, G, 56, 134, 136, 138, 142, 159, 201, 216, 298, 308, 311, 341, 435, 454

Stree, W, 192

Tarde, G, 117

Thomas (d’Aquin), 193, 194, 436

Tilliet, E, 456

Tonglet, A, 151, 220, 257, 355, 424, 452

Trébutien, E, 76, 78, 79

Truche, P, 227, 242, 367, 369, 425

van de Kerchove, M, 21, 89, 167, 395, 398, 400, 401, 433

Vermeil, 59, 60, 65

Vidal, G, 78, 87, 104, 105, 115, 118, 121, 131, 133, 195, 208, 290, 300

Villey, M, 198, 437

Vitu, A, 28, 32, 45, 87, 105, 135, 140, 156, 159, 196, 241, 243, 250, 252, 272, 278, 301, 308, 313, 314, 321, 340, 389, 412, 424, 425, 426, 431, 435, 458

Vouin, R, 140, 286

511

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION....................................................................................................................... 9 Section 1 : Regard sur la doctrine................................................................................................ 15

§ 1. La doctrine par elle-même ............................................................................................... 15 A- Le concept de doctrine, la genèse ................................................................................. 15 B- Le concept de doctrine, le contenu................................................................................ 17

§ 2. Approche de la doctrine pénale........................................................................................ 26 A- L’existence d’une doctrine pénale ................................................................................ 26 B- Doctrine juridique du droit pénal et doctrines pénales.................................................. 32

Section 2 : La présomption d’innocence dans le discours doctrinal ............................................ 33 § 1. L’actualité de la présomption d’innocence ...................................................................... 33 § 2. La présomption d’innocence comme objet du discours doctrinal. ................................... 36

PREMIÈRE PARTIE : L’OBJET DANS LE DISCOURS................................................... 41 TITRE 1 : L’ABSENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL JUSQU’À LA FIN DU XIXE SIÈCLE .................................................................................................................................. 43

Chapitre 1 : La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence .......................... 45

Section 1 : La doctrine criminaliste ............................................................................................. 47

§ 1. L’absence......................................................................................................................... 47 A- Les auteurs .................................................................................................................... 48 B- Le discours .................................................................................................................... 50

§ 2. La protection de l’innocence dans le discours des anciens auteurs.................................. 52 Section 2 : Le discours des lumières pénales............................................................................... 55

§ 1. L’objet du discours réformateur....................................................................................... 57 A- Les lumières pénales..................................................................................................... 57 B -Brissot de Warville et les réformateurs ......................................................................... 59

§ 2. Le discours préparatoire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen............... 61 A- Les travaux préparatoires.............................................................................................. 62 B- La discussion des projets et l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen................................................................................................................................ 63

Chapitre 2 : La doctrine du droit pénal moderne ............................................................................ 71

Section 1 : Le silence des criminalistes ....................................................................................... 73

§ 1. Une image de la doctrine criminaliste du XIXe siècle ..................................................... 73 A- Doctrine et enseignement du droit criminel .................................................................. 74 B- La méthode des criminalistes du XIXe siècle................................................................ 77

§ 2. Le silence relatif à la présomption d'innocence ............................................................... 79 A- Le discours sur la preuve en matière criminelle............................................................ 80 B- La question de la liberté individuelle ............................................................................ 84

Section 2 : L’évocation par les théoriciens de la preuve criminelle ............................................ 87 § 1. Bonnier et Mittermaier..................................................................................................... 87 § 2. L’évocation de la présomption d’innocence par Bentham............................................... 89

TITRE 2 : L’ÉMERGENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE COMME OBJET DE DISCOURS AU XXE SIÈCLE ....................................................................................................................................................... 93

Chapitre 1 : L’introduction de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal .................. 95

Section 1 : L’apparition de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal .................... 96

§ 1. La présomption d'innocence dans le discours de Enrico Ferri ......................................... 96 § 2. L’émergence de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal français .......... 100

512

A- L’émergence de la présomption d’innocence dans les ouvrages de Garraud.............. 101 B- La réaction au discours de Ferri dans le reste de la littérature juridique ..................... 104

Section 2 : Le contexte de l’émergence ..................................................................................... 107 § 1. Les bouleversements de la science pénale ..................................................................... 107

A- Le modèle théorique d’une révolution scientifique..................................................... 107 B- Les théories nouvelles de l’école positiviste italienne................................................. 109

§ 2. Les pénalistes français dans la crise du droit pénal........................................................ 113 A- La réception des théories positivistes.......................................................................... 113 B- La réaction des criminalistes ....................................................................................... 115

1) Réactions critiques .................................................................................................................116 2) La crise comme facteur d’émergence de la présomption d’innocence dans le discours .........124

Chapitre 2: La consécration de la présomption d'innocence en tant qu’objet de discours............ 127

Section 1 : Le statut de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal ........................ 129

§ 1. La présomption d’innocence - objet de savoir ............................................................... 129 A- La présomption d’innocence : élément d’une théorie de la preuve pénale.................. 131 B- La présomption d’innocence et la détention préventive .............................................. 134

§ 2. La présomption d’innocence - objet de connaissance .................................................... 135 A- « Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal » de Jean Patarin........... 136 B- La thèse de doctorat de M.-J. Essaïd ........................................................................... 142

Section 2 : La pérennisation de la présomption d’innocence dans le discours .......................... 145 § 1. La présomption d’innocence : un lieu commun du discours pénal ?.............................. 146

A- L’augmentation significative de la littérature prenant pour objet la présomption d’innocence ...................................................................................................................... 146 B- Tempéraments à la banalisation .................................................................................. 152

§ 2. Production doctrinale et savoir sur la présomption d’innocence.................................... 158 A- L’état des sources de savoir d’origine doctrinale........................................................ 158 B- Le savoir sur la présomption d’innocence................................................................... 163

Conclusion de la première partie ............................................................................................... 165

DEUXIÈME PARTIE : LE DISCOURS SUR L’OBJET.................................................... 167 TITRE 1 : L’INTERPRÉTATION DOCTRINALE DES SOURCES DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE......... 169

Chapitre 1 : La Révolution : source historique de la présomption d’innocence ............................ 171

Section 1 : Le caractère incertain de la rupture.......................................................................... 173

§. 1 L’incertitude de la rupture au regard de l’état du droit .................................................. 175 A- Le sort de la personne poursuivie avant la Révolution................................................ 175 B- La consécration de la présomption d’innocence et le sort de la personne poursuivie après la Révolution........................................................................................................... 179

§. 2 L’incertitude de la rupture au regard des justifications doctrinales................................ 182 A- L’incompatibilité entre présomption d’innocence et procédure inquisitoire............... 182 B- L’incompatibilité entre présomption d’innocence et atteintes à liberté individuelle... 184 C- L’incompatibilité entre présomption d’innocence et torture ....................................... 186

Section 2 : Le caractère artificiel de la rupture .......................................................................... 189 §. 1 L’oubli des origines ....................................................................................................... 189

A- Recherche des origines................................................................................................ 190 1) Genèse de l’adage in dubio pro reo ........................................................................................ 190 2) Les règles tirées du Corpus Juris civilis.................................................................................. 193

B- La réécriture de l’histoire ............................................................................................ 195 1) Modalités de la réécriture .......................................................................................................195 2) Les raisons de la réécriture .....................................................................................................197

§. 2 La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : source formelle et artificielle de la présomption d’innocence ...................................................................................................... 199

A- La libre interprétation de la Déclaration ..................................................................... 199 1) La lettre du texte.....................................................................................................................200 2) L’esprit de l’article 9 ..............................................................................................................203

B- Le rattachement à la Déclaration des droits et la question de l’existence juridique de la présomption d’innocence ................................................................................................. 206

513

Chapitre 2 : Le discours sur les sources positives ......................................................................... 215 Section 1 : L’affirmation de l’existence juridique de la présomption d’innocence ................... 217

§. 1 Le recours aux règles légales et supra légales................................................................ 217 A - La question de la légalité de la présomption d’innocence ......................................... 217

1) L’affirmation de la légalité de la présomption d’innocence ................................................... 218 2) L’inscription de la présomption d’innocence dans la loi........................................................ 221 3) La réception des nouveaux textes dans le discours doctrinal ................................................. 229

B- La référence aux autres sources .................................................................................. 246 1) La litanie des sources ............................................................................................................. 246 2) L’appréciation de la valeur de la présomption d’innocence au regard des diverses sources .. 248 3) Nature et portée de la présomption d’innocence au regard des diverses sources ................... 251

§. 2 Le recours à la jurisprudence ......................................................................................... 263 A- Le recours à la jurisprudence comme justification du discours doctrinal ................... 264

1) L’interprétation des décisions implicites de la Cour de cassation .......................................... 264 2) Le recours aux décisions explicites........................................................................................ 271

B- Les enseignements tirés de la jurisprudence ............................................................... 274 1) Le recours aux décisions précisant la notion de présomption d’innocence ............................ 274 2) Les enseignements critiques tirés de la jurisprudence............................................................ 278

Section 2 : La doctrine peut-elle être une source de la présomption d’innocence ? .................. 283 §. 1 La doctrine ne saurait être une source de la présomption d’innocence.......................... 283

A- L’effacement de la doctrine pénale derrière les sources officielles ............................ 284 B- L’incertitude doctrinale quant à l’existence de la présomption d’innocence .............. 285

§. 2 La doctrine pourrait apparaître comme une source de la présomption d’innocence ...... 288 A- L’influence de la doctrine sur les sources officielles .................................................. 289

1) L’influence des opinions........................................................................................................ 290 2) L’influence de l’enseignement............................................................................................... 292

B- L’autorité doctrinale à l’œuvre.................................................................................... 295 1) L’autoréférence doctrinale ..................................................................................................... 296 2) La personnification de la présomption d’innocence............................................................... 301

TITRE 2 : SIGNIFICATION ET FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL.............................................................................................................................................. 305

Chapitre 1: La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal............... 307

Section 1 : L’indétermination du sens ....................................................................................... 309

§ 1. L’incertitude terminologique ......................................................................................... 309 A- La formule « présomption d’innocence » ................................................................... 309 B- La définition de la présomption d’innocence .............................................................. 315

§ 2. L’incertitude juridique ................................................................................................... 319 A- La présomption d’innocence et la charge de la preuve ............................................... 319

1) La présomption d’innocence, réponse à une fausse question ................................................. 319 2) La justification par l’autonomie du droit pénal ...................................................................... 324 3) De la charge de la preuve au risque du doute......................................................................... 329

B- Le bénéfice du doute comme signification de la présomption d’innocence................ 331 1) L’incertitude des rapports entre présomption d’innocence et in dubio pro reo ...................... 331 2) L’incertitude quant au sens même de la règle du doute favorable.......................................... 334 3) Recherche du sens et de la portée de la règle du doute favorable........................................... 344

Section 2 : L’indétermination des conséquences ....................................................................... 361 § 1. Le choix de l’indétermination........................................................................................ 361

A- L’indétermination du droit à être traité conformément à la présomption d’innocence362 1) La détermination des implications de la présomption d’innocence par la jurisprudence et le législateur ................................................................................................................................... 362 2) L’absence de réflexion sur la compatibilité de certaines règles et institutions avec la présomption d’innocence ........................................................................................................... 370

B- Prudence de la doctrine ? ............................................................................................ 375 1) Le risque de l’incohérence ..................................................................................................... 376 2) Le risque de la dilution........................................................................................................... 379

§2. Le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable.................................................... 381 A- Formulation du paradoxe du présumé innocent, présumé coupable ........................... 381

1) La mise au jour du paradoxe ou la rhétorique des atteintes à la présomption d’innocence .... 382 2) Vers la reconnaissance du statut paradoxal de la personne suspecte ou poursuivie ............... 387

B- Les vertus du paradoxe ............................................................................................... 395 1) Le statut paradoxal de la personne poursuivie et le sens de la présomption d’innocence ...... 395 2) Faut-il résoudre le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable .................................. 398

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Chapitre 2 : Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence .............................. 407 Section 1 : Le discours sur le fondement de la présomption d’innocence ................................. 410

§. 1 La pluralité de fondements disponibles.......................................................................... 410 A- Les arguments tirés de la raison juridique................................................................... 410

1) La vraisemblance au fondement de la présomption d’innocence ...........................................411 2) L’utilité de la présomption d’innocence fondée sur la manifestation de la vérité...................413

B- Le fondement politique de la présomption d’innocence.............................................. 415 1) L’expression du fondement politique ..................................................................................... 415 2) Les composantes du fondement politique............................................................................... 416

§. 2 La question du fondement éludée .................................................................................. 421 A- Du fondement de la présomption d’innocence au fondement sur la présomption d’innocence ...................................................................................................................... 421

1) Manifestations du caractère fondamental de la présomption d’innocence dans le discours ...422 2) L’affirmation explicite du caractère fondamental de la présomption d’innocence .................423

B- L’indicible fondement ................................................................................................. 428 1) Le fondement abandonné .......................................................................................................428 2) Permanence du fondement à travers le discours doctrinal ...................................................... 431

Section 2 : Le fondement du discours sur la présomption d’innocence..................................... 439 § 1. La raison d’être d’un discours sur la présomption d’innocence..................................... 439

A- De l’idée au concept de présomption d’innocence...................................................... 440 1) L’apparition de la formule......................................................................................................440 2) Les conditions d’apparition et de généralisation de la formule .............................................. 441

B- Le concept comme symbole d’une philosophie à l’œuvre .......................................... 445 1) Identification d’un élément déclencheur.................................................................................445 2) La présomption d’innocence comme symbole .......................................................................447

§ 2. Permanence de la raison d’être à travers le discours...................................................... 450 A- À travers le discours sur la signification ..................................................................... 451

1) La signification terminologique..............................................................................................451 2) La signification juridique de la présomption d’innocence...................................................... 452

B- À travers la question du fondement............................................................................. 457 1) Manifestations de la raison d’être du discours et fondement de la présomption d’innocence 457 2) La présomption d’innocence comme fondement .................................................................... 463

Conclusion de la deuxième partie .............................................................................................. 464

CONCLUSION........................................................................................................................ 467

BIBLIOGRAPHIES................................................................................................................ 475 -I- CORPUS DOCTRINAL DE RÉFÉRENCE ................................................................................................. 477 -II- BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE.............................................................................................................. 493 INDEX DES MATIÈRES....................................................................................................... 507 INDEX DES NOMS PROPRES............................................................................................. 509 TABLE DES MATIÈRES ...................................................................................................... 511