D'un réseau de calculatrices à la construction collaborative du savoir dans la classe

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79 D’UN RESEAU DE CALCULATRICES A LA CONSTRUCTION COLLABORATIVE DU SAVOIR DANS LA CLASSE Laurent HIVON, Manuel PEAN et Luc TROUCHE 1 REPERES - IREM. N° 72 - juillet 2008 calculatrices en réseau lors d’un séminaire cen- tré sur les ENT ? Il faut dire que leur équipe avait peiné pendant plusieurs mois à mettre en route ce réseau, peu compatible technolo- giquement avec les environnements français et que les antivirus, anti-vers et autres pare- feu n’acceptaient pas de bonne grâce. Malgré tout, les premières activités de classes étaient nées. C’est au moment où peu à peu émerge, dans ces journées, le constat qu’il existe enco- re peu d’activités mathématiques liées aux ENT (liées alors essentiellement à une activité admi- nistrative au sein des établissements scolaires) que leur regard change. Eux disposent de situations où l’intelligence collective de la clas- Introduction Strasbourg, 21 mai 2006, Manuel Péan et Laurent Hivon, de l’équipe de l’IREM d’Orléans-Tours — équipe associée à L’INRP sous le nom de CROME 2 — assistent au débat de clôture des journées inter-IREM mathé- matiques-informatique consacrées aux ENT (Espace Numérique de Travail 3 ). Après avoir animé un atelier présentant leurs premières activités utilisant un réseau de calculatrices, ils peinent à trouver leur place dans des réflexions sur ce thème des ENT. Certes, les ateliers et les conférences qui ont animé ces jour- nées étaient intéressants et ont permis d’appro- fondir leurs questions de recherche, mais quel était l’intérêt de présenter un atelier sur les Résumé : L’expérimentation au niveau lycée d’un réseau de calculatrices par une équipe de l’IREM d’Orléans, en partenariat avec l’INRP, a supposé de concevoir des situations mathé- matiques et des orchestrations instrumentales nouvelles, mettant en jeu l’intelligence collective de la classe. Cet article décrit les étapes de ce travail et montre comment les notions théo- riques de travail collaboratif, de genèse instrumentale ou de praticien réflexif ont contribué à une meilleure compréhension de ce qui était en jeu dans cette expérimentation. 1 Laurent Hivon et Manuel Péan, équipe CROME (IREM d’Orléans-Tours et INRP), Luc Trouche, EducTice (INRP) et LEPS (Université de Lyon) 2 CROME : Calculatrices en Réseau, Orchestrations et Mutua- lisation dans un nouvel Environnement (http – CROME) 3 ENT : d’après Wikipédia, « un ENT désigne un dispositif global fournissant à un usager un point d’accès à travers les réseaux à l’ensemble des ressources et des services numériques en rap- port avec son activité. (...)»

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D’UN RESEAU DE CALCULATRICES A LA CONSTRUCTION COLLABORATIVE

DU SAVOIR DANS LA CLASSE

Laurent HIVON, Manuel PEAN et Luc TROUCHE 1

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calculatrices en réseau lors d’un séminaire cen-tré sur les ENT ? Il faut dire que leur équipeavait peiné pendant plusieurs mois à mettreen route ce réseau, peu compatible technolo-giquement avec les environnements françaiset que les antivirus, anti-vers et autres pare-feu n’acceptaient pas de bonne grâce. Malgrétout, les premières activités de classes étaientnées. C’est au moment où peu à peu émerge,dans ces journées, le constat qu’il existe enco-re peu d’activités mathématiques liées aux ENT(liées alors essentiellement à une activité admi-nistrative au sein des établissements scolaires)que leur regard change. Eux disposent desituations où l’intelligence collective de la clas-

Introduction

Strasbourg, 21 mai 2006, Manuel Péanet Laurent Hivon, de l’équipe de l’IREMd’Orléans-Tours — équipe associée à L’INRPsous le nom de CROME2 — assistent au débatde clôture des journées inter-IREM mathé-matiques-informatique consacrées aux ENT(Espace Numérique de Travail 3). Après avoiranimé un atelier présentant leurs premièresactivités utilisant un réseau de calculatrices,ils peinent à trouver leur place dans desréflexions sur ce thème des ENT. Certes, lesateliers et les conférences qui ont animé ces jour-nées étaient intéressants et ont permis d’appro-fondir leurs questions de recherche, mais quelétait l’intérêt de présenter un atelier sur les

Résumé : L’expérimentation au niveau lycée d’un réseau de calculatrices par une équipe del’IREM d’Orléans, en partenariat avec l’INRP, a supposé de concevoir des situations mathé-matiques et des orchestrations instrumentales nouvelles, mettant en jeu l’intelligence collectivede la classe. Cet article décrit les étapes de ce travail et montre comment les notions théo-riques de travail collaboratif, de genèse instrumentale ou de praticien réflexif ont contribuéà une meilleure compréhension de ce qui était en jeu dans cette expérimentation.

1 Laurent Hivon et Manuel Péan, équipe CROME (IREMd’Orléans-Tours et INRP), Luc Trouche, EducTice (INRP)et LEPS (Université de Lyon)2 CROME : Calculatrices en Réseau, Orchestrations et Mutua-lisation dans un nouvel Environnement (http – CROME)

3 ENT : d ’après Wikipédia, « un ENT désigneun dispositi f global fournissant à un usager unpoint d’accès à travers les réseaux à l ’ensembledes ressources et des services numériques en rap-port avec son act ivité . ( . . . ) »

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se est mise à contribution, dans un espace dela classe (faut-il l’appeler ENT ?) fortement modi-fié par le fonctionnement en réseau.

C’est cette expérience que cet article vaprésenter, en décrivant d’abord son contexte,puis en présentant une situation proposée àune classe de seconde, enfin en donnant deséléments du cadre théorique qui en a consti-tué l’arrière-plan.

1. Le projet de recherche

L’usage des calculatrices en classe resteencore une pratique individuelle, tant pourl’élève que pour le professeur. Pourtant, l’idéeque le travail en petit groupe peut être inté-ressant pour l’enseignement des mathématiquesse répand, mais il reste toujours difficile defaire travailler les élèves dans un même espa-ce de travail, à moins d’envoyer plusieursélèves au tableau simultanément, avec lesdifficultés que l’on imagine... ou que l’on sait.Certains usages collectifs (par exemple enstatistiques) pourraient certes se développerdans les classes par l’utilisation d’un outilsimple de partage de données ou par l’utili-sation d’un réseau : concaténations de donnéeslors de simulations, envois de programmes surl’ensemble des calculatrices de la classe ou visua-lisation collective du travail individuel de nosélèves. Mais, jusqu’ici, ce type de pratiquede mutualisation restait impossible dans desenvironnements de calculatrices standards.C’est en cela que le nouveau dispositif, TI-Navi-gator4, permettant de faire fonctionner jusqu’à32 calculatrices en réseau, change profondé-

ment les possibilités de mutualisation du tra-vail mathématique dans une classe.

1.1 L’équipe

L’équipe CROME (Calculatrices en Réseau :Orchestrations et Mutualisation dans un nou-vel Environnement, http – CROME) quiregroupe 6 professeurs de lycée5, s’est consti-tuée pour expérimenter ce nouvel environ-nement. L’expérimentation se déroule dans troisclasses (seconde, terminale S et ES), situéesdans quatre lycées de l’Académie d’Orléans-Tours. Il repose sur un partenariat entrel’IREM d’Orléans-Tours et l’INRP, Luc Trouchesuivant les travaux de l’équipe, et bénéficiedu soutien, sous forme de mise à dispositiondu matériel, de Texas Instruments. Cetteexpérimentation est aussi accompagnée parYves Olivier, de l’Inspection PédagogiqueRégionale de Mathématiques. Ayant unelongue expérience de l’usage des TICE enclasse, les membres de l’équipe CROME ontdéjà conçu de nombreuses ressources, en par-ticulier un cédérom d’animations interac-tives, disponibles sur le site de l’IREM d’Orléans(http – e-cureuil), avec le soutien de la SDTI-CE (Sous direction des Technologies du Minis-tère de l’Education Nationale). Le pilote de l’équi-pe, Laurent Hivon, a suivi une formation surle dispositif TI-Navigator en août 2005 auxEtats-Unis, des contacts ont été établis avecun membre de l’équipe T3 (http - Teachers Tea-ching with Technology) en Allemagne, char-gé de la formation.

1.2 Les objectifs de la recherche

Les hypothèses de recherche de CROMEétaient au nombre de deux :

4 Ce dispositif, conçu par la société Texas Instruments, estdistribué aux Etats-Unis et au Canada et est en phase d’expé-rimentation dans plusieurs pays d’Europe, dont la Fran-ce et l’Italie. Des premiers résultats ont été présentésdans des colloques internationaux (Robutti et al, à paraître ;Trouche et Hivon, à paraître).

5 Alain Rousset et Robert Domain (Lycée Pierre et MarieCurie - Chateauroux) ; Claude Perraud et Manuel Péan(Lycée Camille Claudel - Blois) ; Odile Maupu (LycéeJacques Monod - Saint Jean de Braye) ; Laurent Hivon (LycéeSilvia Monfort - Luisant).

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— l’intégration de TI-Navigator dans la clas-se suppose un renouvellement profond dessituations mathématiques et des orchestrationsinstrumentales (Trouche, in Guin et Trouche2002) assurant la gestion didactique des cal-culatrices et de leur réseau ;

— la mise en œuvre raisonnée de ce disposi-tif pourrait favoriser une modification du rap-port entre l’élève et le groupe-classe, facilitantl’émergence d’un débat scientifique (Legrand1993) et le développement du travail collaboratif(Dillenbourg 1999) dans la classe.

Le groupe s’est fixé pour objectifs l’élabo-ration d’activités d’étude et de recherche àmettre en œuvre dans ce nouvel espace-clas-se et l’analyse a posteriori de leurs effets.Pour atteindre ces objectifs, il a tenté de déga-ger différentes configurations didactiques pos-sibles (travail collaboratif sur un même espa-ce graphique, pilotage du travail collectif parun groupe d’élèves, etc.), de concevoir dessituations et des scénarios utilisant ces diversesconfigurations didactiques, de les expérimenterdans plusieurs classes, de les enrichir de façon

itérative, de rechercher des invariants à tra-vers la diversité des mises en œuvre.

1.3 Le dispositif TI-Navigator

TI-Navigator est un dispositif permet-tant de faire fonctionner en réseau certainstypes de calculatrices. Les calculatrices sontreliées, par groupe au plus de 4 (Figure 1), parcâble, à des « hubs », c’est-à-dire des nœudsdu réseau (Figure 2) ; les hubs communi-quent sans fil avec un boîtier (« Point d’accès »),lequel est relié par câble à un ordinateur surlequel sont installées les applications logi-cielles, l’ordinateur est connecté à un vidéo-projecteur.

Les flux de données (équations de courbes,matrices, listes de valeurs, programmes,variables....) transitent par le point d’accès.Dans ce dispositif, le professeur et l’élèven’occupent pas des places symétriques :

— le professeur peut envoyer des données à(ou en recevoir de) l’ensemble des autres cal-culatrices (Figure 3) ;

Figure 1. TI-Navigator dans la classe Figure 2. Dispositif matériel

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— il n’est pas possible pour un élève d’envoyerdes données à un autre élève.

Le mode de connexion, pour un élève, estsimple : il connecte sa calculatrice au hub, lancel’application de navigation sur le réseau, puissaisit le nom d’utilisateur que lui a fourni leprofesseur et un mot de passe qu’il a lui-même choisi. Il peut alors soit être en moderéseau, soit sortir du réseau pour accéderaux fonctionnalités propres de sa calculatri-ce, soit comparer directement les résultats desa calculatrice et les résultats des calculatricesdes membres de son groupe (Figure 4).

Ce dispositif intègre de nombreuses inno-vations techniques parmi lesquelles :

— la possibilité d’afficher, en temps quasiréel, l’ensemble des écrans des calculatricesdes élèves (configuration de mosaïques d’écrans) ;

— la possibilité d’afficher l’ensemble des don-nées des élèves, par exemple, des points ou descourbes, dans un même repère (configura-tion de repère commun, Figure 5) ;

— une configuration de consultation rapide,permettant d’organiser un vote de la classe,

entre plusieurs propositions contradictoires,les résultats, en pourcentage, apparaissantimmédiatement à l’écran (une illustrationdans Trouche et Hivon, à paraître).

Ces trois configurations ont en commund’établir, sur l’écran de la classe, un espace com-mun de travail. Le professeur a le choix entreplusieurs modes d’exploitation de ces confi-gurations, par exemple :

— pour la configuration de mosaïque d’écrans,il peut choisir d’afficher, ou non, sous chaqueécran le nom de l’élève correspondant ;

— pour la configuration de repère commun,le professeur peut donner, ou non, la possibilitéaux élèves de modifier leur réponse, d’effec-tuer un ou plusieurs envois, d’effectuer ces envoissimultanément ou non. Il est aussi possibled’afficher le nom, l’équation et/ou les coor-données des objets envoyés par les élèves(Figure 5).

Ainsi, TI-Navigator permet, a priori,d’asseoir une pratique de classe sur une pro-duction commune, et plus uniquement surune collection de productions individuelles.

Figure 3. Les flux de données dans TI-Navigator Figure 4. Des élèves au travail sur TI-Navigator

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2. Description d’une activité de classedans l’environnement TI-Navigator

Nous allons décrire dans cette section lamise en œuvre d’une situation mathéma-tique, en environnement TI-Navigator, dansune classe de seconde (29 élèves) dont le pro-fesseur est l’un des auteurs de cet article,Manuel Péan. Les élèves ne disposent pasen permanence des calculatrices : elles neleur sont prêtées que pendant les séancesexploitant le dispositif TI-Navigator. Cesséances ont été observées par deux membresde l’équipe CROME, et ont ensuite été ana-lysées à l’aide d’un questionnement/débatinterne à l’équipe.

2.1 Le contexte et les objectifs de la séance

La situation mathématique est la sui-vante : « Soit ABC un triangle isocèle en Atel que AB = AC = 10 cm, quelle est l’aire dece triangle ? ».

Dans la perspective de la structuration del’enseignement des mathématiques par des pro-blèmes (Cazzaro et al 2001), l’objectif est de

permettre aux élèves de s’approprier le fait quel’aire du triangle est variable et que c’est unefonction de la base BC. C’est donc la notionde fonction, déjà rencontrée en classe de troi-sième, qu’il s’agit d’installer, en jouant sur plu-sieurs registres, qui se nourriront mutuelle-ment : une manipulation directe d’objets, destableaux de valeurs, une formule algébrique,et, principalement, la courbe représentatived’une fonction comme ensemble de pointsdont les coordonnées sont liées par une rela-tion commune. Il s’agit ainsi de constituerun milieu graphique (Bloch 2002) pour cetteintroduction des fonctions.

L’objectif technologique est d’organiserune première rencontre de travail (le matériela été déjà présenté lors d’une séance précé-dente, mais pas exploité par les élèves), à lafois avec les calculatrices graphiques et avecle travail en réseau. L’expérience acquise parl’équipe (Hivon 2006) permet d’envisager demettre à profit les potentialités :

— des calculatrices pour automatiser des cal-culs répétitifs, construire un grand nombre depoints dans le plan repéré, construire la cour-be représentative de la fonction considérée ;

Figure 5. Exemple de configuration d’écran commun

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— du réseau pour traiter, dans le cadre d’undébat scientifique, de la pertinence des choix(de fenêtrage par exemple) et des résultats etpour permettre la construction collaborativede la notion de courbe.

Des choix didactiques, pour la gestion del’environnement, ont été faits a priori :— utiliser la calculatrice comme réponse à unproblème posé... par les élèves. Dans un pre-mier temps, les élèves seront amenés à effec-tuer des calculs à la main, soit à partir de leursmesures sur leurs figures, soit en réitérant l’uti-lisation du théorème de Pythagore. Il a été choi-si de faire en sorte que ces calculs, répétitifset laborieux, mettent les élèves en situationde demande d’un outil permettant l’automa-tisation de ces calculs. La calculatrice est untel outil, qui nécessite, pour répondre à lademande, la connaissance du lien formel entrela longueur BC et l’aire du triangle ;

— utiliser les tableaux de valeurs comme desponts du crayon à la fonction. L’utilisation destableaux de valeurs permet d’effectuer le lienentre le travail réalisé à la main et le calculautomatisé, il permet d’introduire un lienfonctionnel entre deux colonnes de nombres ;

— privilégier la représentation graphique dela fonction (au lieu d’induire une diminutiondu pas permettant de construire des points deplus en plus proches les uns des autres et doncde « tendre » vers une courbe graphiquement« continue »). Il a semblé en effet que la stra-tégie de la diminution du pas pouvait entraî-ner une fixation des élèves vers une multi-plication des calculs faisant perdre de vue lecadre du problème ;

— préparer les conditions d’une discussion surla pertinence du fenêtrage. Le choix du fenê-trage est toujours délicat et reste durablement

un obstacle difficile à franchir. Il a été déci-dé ici de régler, avant la séance, les para-mètres de fenêtre des différentes calcula-trices sur des valeurs différentes les unes desautres, l’objectif recherché étant de créer lesconditions d’un débat sur le choix d’une« bonne » fenêtre de représentation.

Pour permettre le développement dudébat et d’une co-élaboration des solutions parmiles élèves, la question est posée sous uneforme relativement ouverte. La résolution dece problème s’est étalée sur trois séances : unepremière séance, d’une vingtaine de minute,une seconde séance (une heure) le lendemain,une troisième séance (15 mn), trois joursaprès la précédente.

2.2 Dévolution du problème et travail personnel (20 mn)

Pendant une première phase, la recherchedes élèves est uniquement individuelle etpapier-crayon. À la suite de la demande d’unélève, la formule permettant de calculer l’aired’un triangle, de base et hauteur données,est rappelée. Après 10 minutes de recherche,le professeur propose à la classe de faire le pointsur les recherches en cours. A un élève qui affir-me qu’ « on ne peut pas faire la figure car ilmanque une donnée », un autre répond que« c’est parce que ça dépend de BC ». Le faitque l’aire du triangle est une fonction de la lon-gueur BC est accepté par la classe.

Pour préparer la séance suivante, pen-dant laquelle les élèves utiliseront TI-Navi-gator et seront donc regroupés par 3 ou 4, leprofesseur constitue alors des groupes (inti-tulés A à H). Le professeur distribue à chaquegroupe une liste de valeurs de BC pour les-quelles il est demandé de déterminer l’airedu triangle (Tableau 1).

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Cinq raisons ont guidé le choix de cesvaleurs :

— éviter que chaque groupe ne soit tenté deconstruire des points « sectorisés » sur une par-tie de l’intervalle de définition ;

— disposer d’un nombre important de points ;

— mettre en place une procédure de validationdes calculs au sein de chaque groupe ;

— affecter certaines valeurs à plusieursgroupes qui proposeront peut-être des airesassociées différentes. Ceci se traduirait alors,au moment de la construction du nuage depoints, par des points distincts ayant mêmeabscisse, ce qui pourrait interroger les élèves ;

— ne proposer que des valeurs de l’intervalle[0;20], car l’accent est mis sur le processus demodélisation fonctionnel (la question de ladéfinition de la fonction est remise à plus tard).

Le travail débute en classe et doit être ter-miné pour le lendemain.

2.3 Etude géométrique et graphique du problème en groupes (1 heure)

Dès l’entrée en classe, les élèves décou-vrent le dispositif (Figures 6 et 7). Le profes-seur invite les élèves à comparer d’abord, àl’intérieur de chaque groupe, les résultatsqu’ils ont obtenus. Dans la plupart des groupes,les élèves se sont répartis les valeurs. Ainsi,au lieu que chaque élève ait effectué cinq cal-culs d’aire, beaucoup n’en ont fait qu’un ou deuxselon une organisation coopérative du tra-vail que nous étudierons plus loin. La déter-mination de la hauteur est effectuée soit parsimple mesure sur le dessin, soit par utilisa-tion du théorème de Pythagore. Après cettepremière mutualisation des résultats internesà chaque groupe, le professeur invite les élèvesà se connecter au TI-Navigator selon la pro-cédure expliquée précédemment. Au fur et àmesure des connexions, les noms des élèves« branchés » apparaissent sur l’espace com-mun de travail (Figure 8).

L’enseignant choisit alors la configurationrepère commun (§ 1.2), qui permet d’afficherun plan muni d’un repère cartésien danslequel les élèves pourront – depuis leur cal-culatrice – en temps réel et simultanément, pla-cer les points de coordonnées (base du tri-angle, aire du triangle). Chaque groupe envoieses 5 points pour affichage dans l’espace com-mun de travail. On obtient alors un nuage depoints (Figure 9), qui est évidemment pro-blématique (doit-on obtenir une courbe et sioui, quelle devrait être sa forme ? Des pointsdifférents peuvent-ils avoir même abscisse, cequi traduirait le fait que deux triangles ayantles mêmes côtés pourraient avoir des aires dif-férentes ?).

Le professeur demande si le résultat estcelui auquel on pouvait s’attendre. Un élève

Groupe Valeurs de BC

A 3 - 7,5 - 15 - 17,5 - 0

B 19 - 1,5 - 5 - 12,5 - 20

C 2 - 4,5 - 19,5 - 14 - 11

D 18 - 0,5 - 10 - 4,5 - 16

E 7,5 - 1 - 13,5 - 0 - 5

F 4 - 9,5 - 13 - 18,5 - 6

G 7 - 18,5 - 20 - 1 - 12

H 9 - 15,5 - 0 - 17 - 10,5

Tableau 1. Les valeurs de la base BC proposées à chacun des groupes d’élèves

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affirme que non en argumentant qu’il devraity avoir proportionnalité : la plupart des élèvessont issus en effet de la classe de troisième oùles situations de proportionnalité sont lesplus fréquemment étudiées, ce qui peut expli-quer que beaucoup s’attendaient à voir des pointsalignés. Une discussion s’engage dans la clas-se : l’aire est-elle, ou non, proportionnelle à

la longueur BC ? Plusieurs arguments sont avan-cés quant à la non-proportionnalité, mobili-sant un ensemble de ressources sémiotiques(Robutti et al, à paraître) :

— analyse de la situation initiale : des élèvesévoquent la figure d’origine et l’influence deBC sur l’aire du triangle. Ils tentent d’expli-

Figure 6. Disposition de classe : Figure 7. Une vue partielle du dispositifcalculatrices et hubs

Figure 8. L’espace commun de travailindique que sept des seize calculatrices

sont connectées au réseau

Figure 9. Le nuage de points (premièreversion) dans le repère commun.

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quer que l’aire est « au début » toute petite puisqu’elle grandit et qu’ensuite elle « redimi-nue ». Il ne peut y avoir proportionnalité ;

— implication physique : des élèves s’appuientsur une gestuelle. Ils placent leurs deux mainsde manière à former une sorte de « toit »représentant les deux côtés du triangle demême longueur. Ils jouent alors sur « l’angleau sommet » que forment leurs mains pour ten-ter d’expliquer les variations de l’aire ; l’un d’euxs’appuie sur cette gestuelle pour affirmerqu’il existe une valeur de BC pour laquelle l’aireest maximale : « l’aire est au départ très peti-te, puis elle augmente, elle augmente, elle aug-mente jusqu’à un certain point puis elle dimi-nue à nouveau ».

— registre graphique : les points semblent for-mer une courbe, ce qui traduit pour des élèvesla non-proportionnalité ;

— registre numérique : certains élèves indi-quent que si BC vaut 0 ou 20, l’aire du triangleest nulle ce qui invalide l’hypothèse de pro-portionnalité.

La forme du nuage de points incite aussiles élèves à remettre en cause les points« aberrants ». Il faut noter que les points demême abscisse et d’ordonnées distinctes ne sontpas repérés par la classe. L’équipe avait anti-cipé cette situation et avait décidé de ne pasintervenir à ce moment (la classe est encoreloin de la modélisation en terme de « fonction » :ainsi, le fait qu’une même valeur ne puisse avoirplusieurs images par une fonction ne fait pasencore partie des processus d’identification desfonctions par les élèves).

Sur proposition d’un élève — propositionacceptée par la classe — les figures sont tra-cées plus précisément, améliorant la qualitéde la mesure de la hauteur issue de A et doncla précision du calcul de l’aire du triangle. Le

professeur lance une nouvelle session d’écrancommun et les élèves envoient leurs nou-veaux points. La classe obtient ainsi un nou-veau nuage (Figure 10).

Figure 10. Le nuage de points (seconde ver-sion) dans le repère commun

Le processus de construction de points abou-tit ainsi à un objet concret, construit colla-borativement et identifié par la classe, mani-festation de ce que Sfard (1991) appelle laréification, étape nécessaire dans les appren-tissages mathématiques. Dans l’environne-ment TI-Navigator, cette réification s’accom-pagne aussi d’un détachement de l’expériencepersonnelle : l’objet construit est le résultatd’un ensemble d’apports des élèves de la clas-se. L’idée que cet objet est une courbe rela-tivement lisse, ou régulière, émerge. Le pro-fesseur demande ensuite à la classe la valeurde BC pour laquelle l’aire du triangle sera maxi-male. L’idée qu’il faudrait « beaucoup plus depoints » pour pouvoir conclure apparaît immé-diatement. Il est important de rappeler ici queles élèves en sont à leur première rencontreavec les calculatrices graphiques et avec lesfonctions, l’idée de changer de cadre et de défi-nir une fonction permettant d’utiliser le tra-ceur de courbes n’émerge donc pas naturel-lement. L’ampleur de la tâche apparaît auxélèves, qui ont déjà construit de nombreux tri-

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angles. Leur demande à l’enseignant est doncde savoir s’il existe une méthode permettantde construire des points en grand nombre.L’enseignant indique alors que la calcula-trice permet de construire de nombreuxpoints. Seule condition, il faut trouver « uneformule » permettant de calculer l’aire à par-tir de la valeur de BC. La recherche del’expression est donc motivée par le fait d’obte-nir à moindre coût le plus grand nombre depoints possibles. Pour la séance suivante,les élèves doivent établir une formule per-mettant de trouver l’expression de l’aire enfonction de BC.

2.4 Etude algébrique et graphique du problème en groupes (15 mn)

Le début de séance est consacré à l’écri-ture de l’expression de l’aire en fonction de BC.Après avoir interrogé les élèves sur ce qu’ilsavaient trouvé, le professeur choisit de pro-poser une correction magistrale appuyée surun jeu de questions réponses, s’appuyant surles résultats des élèves, guidant les élèves

vers l’expression .

1

2100

4

2BX

BX× −

Une fois le consensus réalisé dans la clas-se sur cette expression, le professeur propo-se d’utiliser le mode « Table de valeurs numé-riques » de la calculatrice afin d’obtenir sanspeine un grand nombre de résultats, et d’appro-cher ainsi la valeur de BC pour laquelle l’aireest maximale. Il indique que l’expression,dans laquelle on a remplacé BC par « X » (leprofesseur explique à ce moment que c’estune contrainte de la calculatrice) doit êtresaisie dans le répertoire de fonctions, puispropose un moyen de créer une liste des abs-cisses des points. La configuration de mosaïqued’écrans (§ 1.2) est alors choisie pour faire appa-raître, dans l’espace commun de travail, lesrésultats des élèves (Figure 11).

Les élèves constatent alors que leurstables de valeurs ne sont pas identiques. A leurdemande, les expressions saisies sont affi-chées, ce qui déclanche une discussion sur lerôle des parenthèses dans l’expression. Un débatscientifique (Legrand 1993) s’engage alors. Laclasse, avec l’aide du professeur, dégage unconsensus sur une syntaxe acceptable. Lesexpressions exactes sont retenues car elles génè-rent des valeurs proches de celles obtenues pré-cédemment, qui servent donc de valeurs

Figure 11 : La mosaïque des tableaux de valeurs des huit calculatrices

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témoins. On notera (Figure 9) que le profes-seur a fait le choix d’afficher, sous chaquetable, les noms des groupes auteurs. Commeon le verra plus loin, ce point ne semble cepen-dant pas être un facteur déterminant dansl’implication des élèves au moment d’uneremise en cause publique de leur production.Le professeur demande aux élèves commentobtenir plus de points. L’ensemble des groupesmodifie le pas, majoritairement vers 0,1.

Le professeur indique alors que la calcu-latrice permet d’afficher un point par colon-ne de pixels, en choisissant le mode « repré-sentation graphique ». Il donne oralementles consignes pour construire cette représen-tation. Il est important de noter que l’ensei-gnant avait préalablement défini des fenêtresd’affichage différentes dans les calculatrices.L’ensemble des groupes construit donc « sa »représentation tandis que les écrans sont tou-jours affichés en mosaïque sur l’espace com-mun (Figure 12).

Une discussion s’engage. S’agit-il de lamême représentation, ou non, d’une courbe,ou non ? Certains élèves remarquent queleurs camarades ont à l’écran une partie de

leur représentation. Rapidement, la classeprend conscience que les écrans affichent dif-férents aspects d’une même courbe. La ques-tion se pose alors de la manière d’obtenir unaffichage commun. Le professeur révèle alorsla possibilité de modifier les fenêtres gra-phiques. Les élèves définissent alors ensemblele fenêtrage dans le cadre d’une discussion col-lective. Les mêmes courbes sont alors affichéeset l’ensemble de la classe manifeste son conten-tement, du fait que les réponses sont lesmêmes, et qu’elles sont cohérentes avec les résul-tats numériques trouvés à partir des mesurespapier/crayon.

La question de l’exactitude du maximumsera évoquée plus tard dans l’année. Le pro-fesseur proposera une démonstration géo-

métrique qui conduit à la valeur , qui per-mettra de valider la valeur approchée trouvéeexpérimentalement. Le professeur poursuivral’exploitation de ce résultat, dans l’objectifd’introduire les nombres irrationnels.

2.5 Analyse a posteriori de la séance

La réunion de l’équipe qui a suivi cette séan-ce, et la rédaction de cet article, ont permis

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Figure 12. La mosaïque des écrans envoyés sur l’espace commun par les différents groupes

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de questionner les choix didactiques réalisésdans le cadre de cette séquence.

Le choix des valeurs de BC proposéesaux élèves, en début de séance, a d’abord étéinterrogé, quant à l’absence de valeurs néga-tives ou supérieures à 20. Cela aurait pu,peut-être, soulever naturellement la ques-tion de l’existence de la « formule » et donc dedéboucher sur la notion d’ensemble de défi-nition, élément clé de celle de fonction. Il estpossible que cette notion, présentée artifi-ciellement par la suite, soit alors perçuecomme un élément venant s’ajouter à la notionde fonction et non comme un élément consti-tutif de celle-ci. Par ailleurs, cela aurait per-mis d’apporter des éléments de discussionsupplémentaires lors de la recherche d’un« bon » fenêtrage.

L’absence de discussion à propos de « toutélément a une image et une seule » doit êtreaussi questionnée. Cet autre élément fonda-mental dans la notion de fonction n’a pas faitl’objet d’un débat et d’une mise en place rai-sonnée dans la classe. Il est sans doute diffi-cile pour le professeur de conduire plusieursdiscussions à la fois : la discussion a porté essen-tiellement sur l’existence d’une relation de pro-portionnalité. Les élèves ont sans doute étéportés par une perception globale d’un nuagede points, et donc vers la discussion sur la formegénérale de cet objet. Une idée a posteriori duprofesseur impliqué dans la gestion de cettesituation : il serait sans doute intéressantque les points affichés par les différents élèvessoient de couleurs différentes, ce qui per-mettrait peut-être de focaliser l’attention versdes points de couleurs différentes ayant mêmeabscisse.

Il est probable que le passage du nuagede points à la courbe représentative a été

trop rapide. D’autres stratégies auraient puêtre envisagées. Ainsi, il était techniquementpossible de construire un nuage de points deplus en plus dense à partir de l’expression del’aire. En effet, TI Navigator permet la conca-ténation de listes de valeurs des calculatricesélèves en un seul couple de listes qu’il estalors facile de représenter.

Il aurait enfin pu être envisagé de super-poser le ou les nuages de points obtenus avecla courbe, ce qui aurait entraîné de nouvellesdiscussions portant sur les questions sui-vantes : les écarts sont-il raisonnables ? Décou-lent-ils des incertitudes de mesures ou d’erreursde calcul ? Remettent-ils en question l’idée decourbe ?

Figure 13. La superposition de la courbeet du dernier nuage de points obtenu

L’observation du résultat obtenu parsuperposition (Figure 13) a, par exemple, sus-cité une réflexion nouvelle dans l’équipe : lespoints se trouvant dans les grandes valeursde x sont assez éloignés de la courbe, peut-êtreest-ce dû au fait que le triangle est très apla-ti, la hauteur donc plus difficile à mesurer avecprécision ?

On le voit, la richesse de l’environnementet la diversité possible de son exploitation, setraduisent par une complexité accrue pour le

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professeur et par la nécessité de penser soi-gneusement, a priori, la mise en œuvre de lasituation en classe.

3. Eclairages théoriques sur l’envi-ronnement et l’activité des élèves

Après cet exemple, nous voudrions iciprendre un peu de recul, en revenant surl’évolution de l’équipe, sur ses interrogationset ses recherches d’appui théorique.

3.1 Partir de la technique oude l’activité mathématique des élèves ?

Les trois premiers mois de l’expérimen-tation avaient été consacrés à l’installation dumatériel, puis l’équipe a analysé les diffé-rentes potentialités de TI-Navigator. Cette ana-lyse a débouché :

— sur la réalisation de fiches techniques(Annexe 1) destinées à faciliter l’appropriationdu dispositif par les élèves et les professeurs ;

— sur la conception d’activités exploitantau mieux cet environnement ;

— sur l’expérimentation de ces activités, lesmembres de l’équipe s’observant mutuelle-ment dans leurs classes, en utilisant desgrilles de recueil de données (Annexe 2), puissur la révision de ces activités, après discus-sion dans l’équipe autour de ces grilles (§2.5). Ces discussions ont été difficiles : dès lespremières observations, il est apparu que ledispositif TI-Navigator induit des relations trèsnombreuses, à plusieurs niveaux : le profes-seur, l’élève, le groupe auquel il appartient etla classe.

Au bout de six mois, l’équipe a ressentila nécessité de repenser son travail : sonregard était trop centré sur la technologie, ellepartait uniquement des potentialités du dis-

positif afin d’en déduire des activités, desmodes de fonctionnements ou d’observer leseffets de ceux-ci. Du coup les orchestrationsinstrumentales tendaient à se reproduire àl’identique, les débats qui naissaient dans laclasse étaient étroitement contrôlés pour quel’activité se déroule comme prévu, les obser-vations de classe tendaient à regarder lesphénomènes attendus et à ignorer les phé-nomènes imprévus (§ 2.5). Comme le sou-ligne Rabardel (1995), « à la vision pessimis-te sur l’intervention humaine correspondent deschoix technologiques d’encadrement et de déli-mitation de l’activité ». Il s’est en fait agi,pour l’équipe, de mieux équilibrer un point devue centré sur la technique et un point de vuecentré sur l’activité des élèves : « aucun de cesdeux points de vue n’est, bien sûr, à lui seulsuffisant. La seule approche technocentriquetend à placer l’homme en position résiduelleet ne peut véritablement permettre de penserson activité ; tandis qu’une option unilatéra-lement anthropocentrique est incapable depenser les systèmes techniques dans leur spé-cificité technologique » (Rabardel ibidem)

Le colloque Inter-IREM de Strasbourgest arrivé au bon moment, pour aider l’équi-pe à repenser son travail de recherche à la lumiè-re de nouvelles approches théoriques, en par-ticulier l’approche instrumentale et le travailcollaboratif.

3.2 TI-Navigator et les processus de genèse instrumentale

Rabardel (1995, voir aussi Guin et Trouchedans ce numéro de Repères) distingue arte-fact (« système technique ayant ses spécifici-tés et considéré indépendamment des hommes »)et instrument, produit par un sujet, à partird’un artefact qu’il s’approprie, dans le coursmême de son activité (réalisation d’une tâche,

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résolution d’un problème…). Il nomme ce pro-cessus de construction d’un instrument genè-se instrumentale et y distingue deux proces-sus en interrelation (Figure 14) : les processusd’instrumentation et l’instrumentalisation.

— l’instrumentation est un processus parlequel l’artefact (ses contraintes, ses potentialités)conditionne, préstructure, relativement, l’acti-vité de l’utilisateur. Ainsi, la manière dont lesmenus sont organisés dans tel ou tel modèlede calculatrice influera sur l’activité desélèves, et donc, aussi, sur la construction desconcepts mathématiques impliqués ;

— l’instrumentalisation est un processus parlequel un utilisateur met l’artefact à sa main,le personnalise. Souvent considéré commeun détournement de l’objet des fonctions pourlesquelles il a été conçu, il peut être aussi, etc’est très important dans le cadre de l’ensei-gnement, compris comme un enrichissementdes artefacts par leurs utilisateurs.

La conscience de ces processus a permisd’aiguiser le regard des professeurs expéri-mentateurs et observateurs dans les classes :

— l’instrumentation a été vue sous deuxaspects majeurs : d’une part la possibilitépour TI-Navigator d’offrir une simultanéité desréponses sur l’espace commun a favorisé l’acti-vité des élèves. Elle facilite les allers-retoursentre les élèves et leurs productions. Ceséchanges peuvent avoir lieu entre l’élève et sapropre production mais également – surtout ?– entre un élève et le groupe-classe. D’autrepart, le dispositif matériel éloigne géogra-phiquement l’élève de sa production. Il induitde fait une relation plus distanciée, plus cri-tique, entre l’élève et les mathématiques qu’ilproduit ;

— l’instrumentalisation a été vue à la fois sousl’aspect de l’appropriation personnelle dechaque calculatrice (utilisée comme console dejeux ou comme « aide-mémoire », ce qui sup-pose une reconfiguration des résultats ducours pour les ranger dans l’espace dispo-nible), sous l’aspect de l’investissement per-sonnel de l’espace commun de travail (unélève envoyant par exemple des points enforme de cœur sur cet espace, Figure 15) etenfin sous l’aspect de l’investissement col-lectif de l’espace commun (les élèves organi-

Figure 14. Les processus duaux des genèses instrumentales

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sant en marge d’un exercice de statistique une« course de points » sur l’espace commun).

Figure 15. L’intervention personnelle d’un élève sur l’écran commun

Il est important de noter que ces deux pro-cessus ne sont pas limités dans le temps maissont au contraire indissociables des momentsd’utilisation de l’instrument. Comme le notentGuin et Trouche (2002), plus l’artefact estcomplexe, plus les écarts peuvent être grandsentre les usages prévus et les usages réels, c’estbien ce que la construction des instrumentsindividuels et de l’instrument collectif a révé-lé, à partir de l’intégration de TI-Navigatordans les classes.

3.3 TI-Navigator, débat scientifique et travail collaboratif

Dillenbourg (1999) précise : « The broa-dest (but unsatisfactory) definition of collaborativelearning is that it is a situation in which twoor more people learn or attempt to learn some-thing together » que l’on pourrait traduire par :« La définition la plus répandue (quoique nonsatisfaisante) de l’apprentissage travail col-laboratif est une situation dans laquelle deuxpersonnes ou plus essaient d’apprendre quelquechose ensemble ». Cette définition est trèslarge et peut recouvrir de nombreuses situa-tions, surtout depuis le développement des nou-

veaux outils de communication et de parta-ge de données. Ainsi, le nombre de participants,le type d’apprentissage et le mode d’échanges(en présentiel ou non, par exemple), peuvent-ils être déclinés sous de nombreuses formes.Il faut aussi distinguer travail coopératif ettravail collaboratif :

— le travail coopératif induit une division etun partage des tâches. Ainsi dans un orchestresymphonique, chacun instrument assure sapartie ;

— le travail collaboratif, induit confronta-tion et débat pour réaliser une tâche com-mune. Pour reprendre une image musicale,on est plus près de l’orchestre de free jazz.

Le travail collaboratif est rentré dans lelangage courant, pour décrire des dispositifs,des organisations du travail, qui ne relèvent pastoujours de la collaboration, dans le sens pré-cis que nous venons de rappeler. Ainsi, « fairedu travail de groupe » est souvent présentécomme du travail collaboratif. Au sein même decertains organismes de formation continue, desimples échanges de courriels sont désignéscomme travail collaboratif. Pourtant, le travailcollaboratif suppose une réelle co-élaboration,dans un processus de travail ou d’apprentissa-ge. L’un des points forts du système TI-Navi-gator est qu’il peut induire un travail colla-boratif, à condition que les situations et lesorchestrations instrumentales s’y prêtent.Les différentes configurations (repère commun,mosaïque d’écrans, consultation rapide, § 1.2)permettent un partage, des échanges et desconfrontations. Le travail individuel des élèveset le travail collectif de la classe peuvent ainsise nourrir mutuellement.

Précisons ces remarques dans le cadre del’activité décrite (§ 2) :

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— la première phase du travail peut êtrequalifiée de coopérative. C’est le professeurqui répartit les valeurs entre les groupes etles calculs sont réalisés individuellement,hors temps scolaire. Ensuite les résultatsindividuels sont rassemblés, les points pro-posés par chacun sont envoyés dans le repè-re commun. L’affichage s’effectue en tempsréel et simultanément, et la discussion peutêtre organisée autour de l’espace communde travail. Les élèves n’hésitent pas à com-muniquer leurs résultats, alors qu’ils ne sontpas encore validés par l’enseignant. Durantla première phase d’élaboration du nuage depoints, de nombreux points faux sont expo-sés à tous, de même que plus tard, de nom-breuses erreurs de syntaxe dans l’écriture del’expression de la fonction apparaîtront. L’affi-chage de ce « faux » sur l’espace public heur-te les idées premières et sollicite des inter-rogations donnant naissance au débatscientifique (Legrand 1993) ;

— la deuxième phase du travail peut êtrequalifiée de collaborative. Chaque élève par-ticipe à l’élaboration de l’objet mathématiquede la classe. La confrontation des productionspermet la constitution d’un espace séman-tique commun. D’une simple communautélexicale, naît une communauté de sens.L’objectif n’a pas à être rappelé car il estl’enjeu de tous.

3.4 TI-Navigator et le développement d’une nouvelle réflexivité

Pour Dillenbourg (ibidem), une conditiondu travail collaboratif est aussi la réflexivitédes acteurs sur leur propre pratique, c’est-à-dire leur capacité à prendre du recul sur cequ’ils ont fait ou sur ce qu’ils font, pour le cri-tiquer, évaluer ce qui semble pertinent, révi-ser ce qui semble ne pas l’être. Cette pra-

tique réflexive semble être favorisée par l’envi-ronnement TI-Navigator, qui peut permettreaux élèves de s’extraire de leur propre productionet de s’inclure plus facilement dans un échan-ge entre pairs. On l’a constaté à l’occasion de l’acti-vité présentée (§ 2), mais aussi à d’autres occa-sions pendant l’année d’expérimentation :

— contrairement à ce que l’équipe avaient ima-giné, l’ensemble des élèves a considéré commepeu perturbant le fait que leurs noms soientaffichés à côté de leur propre production dansl’espace commun de travail (Figure 15 parexemple). Des interviews ont confirmé ceci, ycompris chez des élèves habituellement en dif-ficulté, ou peu enclins à participer à la vie dela classe dans un dispositif traditionnel. Si dansun dispositif « traditionnel », le vecteurd’expression de l’élève est essentiellement laparole et parfois l’écrit, ici l’élève est détachéde sa production qui est portée sur la placepublique par le dispositif. L’élève instru-mentalise l’artefact en le faisant passeur deson propre message ;

— les élèves s’impliquent davantage dans lacritique et l’autocritique des productions.Dans l’activité décrite, les points du premiernuage (Figure 9) ont été rapidement mis surla sellette et fait l’objet de recalculs sponta-nés par la classe, y compris – et peut-êtremême surtout – par les élèves qui en étaientles auteurs. Ce phénomène est un facteurimportant dans la relation de l’élève à laconstruction d’objets mathématiques.

Chacun prend part à l’élaboration dusavoir commun et donc à celui de chacun deses camarades. L’espace commun devient leterrain de débats et d’échanges, qui tendentà l’élaboration d’une vérité mathématiquesociale (Legrand 1993). On retrouve l’idée dese situer dans un processus « à l’intérieur des

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mathématiques », et dans une construction« avec les autres » (Robutti, à paraître). Le tra-vail de l’enseignant est ici de réguler leséchanges. Il n’est plus le soliste de l’orchestreque chacun suit et que tout le monde écoutequand il s’exprime. Il est le chef d’orchestre,attentif à respecter la partition de chacundans l’œuvre naissante.

4 TI-Navigator et lesorchestrations instrumentales

Ce que nous venons d’évoquer (le pro-cessus de construction d’instruments, le déve-loppement du travail collaboratif, le déve-loppement d’attitudes réflexives) supposeprécisément une orchestration instrumenta-le particulière des situations dans l’environ-nement TI-Navigator, pour actualiser sespotentialités. Trouche (in Guin et Trouche2002) appelle orchestration instrumentaled’une situation la gestion didactique des arte-facts disponibles, qui suppose de définir desconfigurations didactiques et des modesd’exploitation de ces configurations. La concep-tion des configurations didactiques dans unenvironnement TI-Navigator, pour la mise

en œuvre d’une situation donnée, est parti-culièrement complexe. Elle se fait à plusieursniveaux.

4.1 Configuration didactique de l’espace de la classe

Le premier niveau est celui de la confi-guration matérielle : les premières mises enœuvre du dispositif ont ainsi montré que lesrelations entre les groupes d’élèves et le pro-fesseur étaient très sensibles à la dispositiondes tables par rapport au tableau et à l’écran(Figure 16). La configuration « en rayon »permet d’articuler plus facilement le travailindividuel des élèves, le travail des groupes,et l’espace commun de travail porté par l’écranque la configuration « en carreaux ».

4.2 Configuration didactiquedes calculatrices elles-mêmes

On a vu dans l’activité présentée (§2)l’intérêt de paramétrer d’une certaine façon,liée à la situation mathématique étudiée, lescalculatrices des élèves. De tels paramétragesindividualisés sont possibles, puisque le pro-

Figure 16. De la configuration prévue par le constructeur à la configuration choisie par les professeurs

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fesseur dispose de l’ensemble des calcula-trices avant la séance (rappelons que les cal-culatrices restent au lycée, et ne sont à ladisposition des élèves que pendant les séancesTI-Navigator). Ils sont évidemment coûteuxen temps, mais sont intéressants didacti-quement, pour susciter la discussion dans laclasse (par exemple, comme dans l’activitéprésentée, en réglant différemment les fenêtresde représentation graphique des fonctions).

L’équipe a aussi remarqué que, fré-quemment, les élèves font appel à leur cal-culatrice propre. Il y a alors cohabitationentre plusieurs calculatrices dans un mêmegroupe. Ce serait certainement une situationintéressante à étudier : la calculatrice per-sonnelle, non connectée, est-elle utilisée de lamême façon que la calculatrice attachée à laclasse, connectée ? Comment cette dualitéd’artefacts joue-t-elle dans les processus d’ins-trumentation ou d’instrumentalisation ? Lesprocessus de genèse instrumentale semblentici particulièrement complexes et demande-raient une étude approfondie.

4.3 Configuration didactique du réseau

Terminons par une réflexion sur les confi-gurations du réseau utilisées durant ces deuxannées. On peut dégager plusieurs structuresclés se déclinant suivant trois axes : le nombred’élèves, les acteurs et leurs rôles.

TI-Navigator permet de connecter jusqu’à32 postes, mais l’équipe ne disposait que de16 calculatrices. Elle n’avait donc envisagé dene travailler qu’avec des classes partagées. Lanécessité d’une utilisation plus régulière decet environnement a cependant entraîné sonexploitation aussi en classe entière (comme pourl’activité présentée § 2). Ce type d’exploitationa eu des effets importants : tous les élèves ne

disposant pas d’une calculatrice connectéeau réseau, les groupes ont dû combiner plu-sieurs types de calculatrices, les élèves utili-sant les calculatrices connectées ont dû expli-citer leurs choix d’utilisation, présenter lesrésultats obtenus. Cette variable (classe entiè-re/classe partagée) a dû être, dès lors, intégréepour penser a priori les orchestrations ins-trumentales des situations.

On entend ici par acteur chaque classed’intervenants clairement identifiée dans leséchanges. On peut distinguer trois typed’acteurs : les élèves, les groupes d’élèvesregroupés autour d’un même hub (appelésgroupes-relais) et la classe. On étudiera plusprécisément le rôle des groupes-relais quisont sans doute des acteurs clés au sein du dis-positif TI-Navigator. Leur action se situedans plusieurs domaines :

— en leur sein : chaque groupe joue le rôlede catalyseur de recherche. Les groupes res-tent stables de séance et séance, ils se consti-tuent en communauté de pratique (Guin etTrouche dans cette revue). Ils organisentun système de travail autour de la calcula-trice connectée qui est un élément essentieldans la transmission de la production dugroupe. Les échanges à l’intérieur des groupes-relais sont souvent intenses et facilitent laréactivité lors des débats au sein de la clas-se. En effet, un élève peut faire part de sesréactions à chaud dans son groupe-relaissans avoir à s’impliquer devant la classeentière. On a par ailleurs constaté que l’undes élèves prenait toujours en charge rapi-dement la calculatrice connectée sans pourautant s’extraire des échanges du groupe. Ilne le fait donc pas simplement pour se déchar-ger de la tâche de recherche, mais certaine-ment pour assurer, en plus, la mission de pas-seur de message collectif ;

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— au sein de la classe : l’existence de cesgroupes-relais est certainement l’un des pointsforts du dispositif. Ils jouent un rôle doublecatalyseur de recherche en permettant lamise en place au sein de la classe de petitesstructures de recherches fonctionnant sur unmode collaboratif, relais entre la recherche loca-le en leur sein et la recherche globale au seinde la classe. Le fait que chaque groupe soit encontact permanent avec les autres groupes,et donc avec le reste de la communauté est unélément facilitant l’intégration des travaux dechaque groupe dans une synergie de rechercheà l’échelle de la classe : la classe donc fonctionneun peu comme un réseau de petites struc-tures de recherche en contact permanent lesunes avec les autres.

Quant au rôle spécifique des élèves,une première typologie a été esquissée :animateur, passeur, observateur, rappor-teur... Il reste à étudier la circulation de cesrôles et leur influence, aussi bien dans la genè-se instrumentale que dans les processusd’apprentissage.

4. 4 De la complexité du travail de l’enseignant

La complexité des orchestrations ins-trumentales à concevoir et à mettre en œuvredans ce type d’environnement renvoie bien sûrau rôle de l’enseignant. Nous reprendronspour cela le modèle proposé par Legrand(1993), reposant sur la combinaison de troisjeux : le jeu épistémologique, le jeu didac-tique et le jeu social.

Fondamentalement, les règles du jeuépistémologique (proscrire les argumentsd’autorité, partager une responsabilité scien-tifique) ne sont pas modifiées, mais un nou-vel intervenant, le groupe-relais modifie les

équilibres traditionnels de la classe (élèves indi-viduels d’un côté, professeur de l’autre). Quandun élève, soutenu par la recherche préalablede son groupe, s’engage dans le débat, sesarguments ont plus d’autorité que s’ils n’étaientportés que par un individu seul. Le professeurdoit alors gérer une discussion complexe, oùles arguments valent à la fois pour leur per-tinence propre, et pour le poids des groupes-relais qui les portent.

Pour l’organisation du jeu didactique del’enseignant, Legrand insiste sur le rôle dutableau comme « intermédiaire inerte entrele locuteur et ses contradicteurs ». L’espacecommun joue de facto ce rôle d’intermédiai-re. Il peut, de plus, assumer en partie lerôle de mémoire de la classe, permettant deconserver trace de certaines idées émisespar les élèves ou les groupes-relais. Maiscet intermédiaire est loin d’être inerte : parexemple, dans une vidéo présentée lors de laconférence ICMI (Hivon et Trouche, à paraître),on voit deux points courir l’un derrière l’autresur cet espace commun : deux élèves profi-tent du repère commun pour organiser unecourse des points qu’ils pilotent, en marge ducours du professeur ! En dehors de ces casd’instrumentalisation du dispositif, le pro-fesseur doit gérer en permanence un fluxd’information qui transite par cet espacecommun, ce qui nécessite des choix didactiquesrapides… et complexes.

Le jeu social de l’enseignant repose sur lesmêmes règles (une certaine neutralité pendantle temps du débat, une certaine obligationde réserve...) que dans un débat mathématique« traditionnel », mais il peut s’appuyer sur denouvelles potentialités : l’espace commun desproductions permet aux élèves d’avoir à leurdisposition une banque de situations où ils peu-vent puiser des représentations différentes d’un

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même objet, des exemples ou contre-exemplessur lesquels ils peuvent fonder leur partici-pation au débat. Les règles du jeu sont lesmêmes, mais les éléments en jeu sont plus nom-breux et plus mobiles.

4.5 De la nécessité du travail en équipe

L’arrivée dans l’équipe CROME du dis-positif TI-Navigator a profondément modifiéles relations entre les enseignants. Sesmembres, pourtant habitués à travaillerensemble depuis plusieurs années, ont dûaborder des nouveaux défis. Des débats ontressurgi sous des aspects nouveaux.

Premier débat dans l’équipe, à propos durôle du dispositif dans l’appropriation par lesélèves de leurs calculatrices. A plusieursmoments de la recherche, TI-Navigator a étéenvisagé par certains membres du groupecomme un artefact permettant de modifier surla durée les processus d’appropriation descalculatrices par les élèves. Ces processus seseraient alors déroulés selon deux étapes,qui ont pu être analysées a posteriori :

— étape 1 : l’enseignant instrumentalise TI-Navigator pour que l’élève affecte à la calcu-latrice une nouvelle dimension : celle de trans-metteur social de sa production ;

— étape 2 : l’enseignant fait alors le pari quesi la calculatrice permet à l’élève de trouversa place dans l’orchestre, celui-ci nouera avecelle une relation moins individuelle par lasuite, y compris dans des situations où TI-Navi-gator sera absent. Les genèses instrumen-tales auraient alors été facilitées, les calcu-latrices devenant alors des auxiliaires efficacesdu travail mathématique.

Les premières observations ne nous onttoutefois pas permis de mettre en évidence un

tel processus, lequel reste à étudier. Toutefois,il est remarquable de constater que cette ten-tative d’instrumentalisation de TI-Naviga-tor comme objectif potentiel, n’est apparu augrand jour que plusieurs mois après le débutde notre travail. Elle a alors suscité un débatau sein de l’équipe. Certains d’entre nousn’avaient pas envisagé cet aspect du dispo-sitif et cette orientation qu’on aurait pu don-ner à la recherche.

Deuxième débat dans l’équipe, à proposde l’autonomie à laisser aux élèves. Dansles orchestrations instrumentales conçuespar l’équipe, une grande place est laissée àla discussion, que ce soit lors de l’utilisa-tion de QCM ou lors du traitement de ques-tions plus ouvertes. La très grande placelaissée alors à l’élève dans la construction deson savoir s’est retrouvée au centre de dis-cussion dans l’équipe. Plus précisément,jusqu’où ne faut-il pas aller dans la libertéde création accordée à la classe ? On a vu pré-cédemment que le dispositif donnait au pro-fesseur certains outils lui permettant dejouer son rôle au sein du débat de classe. Tou-tefois, la complexité du dispositif (nombre desupports de productions et flux de donnéesaccru) rend plus difficile la tâche de l’ensei-gnant. C’est pourtant une autre questionqui fit principalement débat : les élèves sont-ils en situation de maîtriser l’ensemble desinstruments dont ils disposent ? Quelle estla responsabilité de l’enseignant, que doit-il prendre en charge pour assister les élèvesdans la construction du savoir dans un envi-ronnement aussi complexe ?

Ces questions ont mis à jour des concep-tions profondes de chacun des membres de l’équi-pe sur le rôle du professeur dans la construc-tion des objets mathématiques. Ces conceptionsallant — pour caricaturer — du guide à l’ani-

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mateur, sont pourtant essentielles dans uneréflexion accompagnant la mise en place d’undispositif tel que TI-Navigator. Beaucoupd’implicites n’ont pas été levés, dès lors quele travail ne s’est effectué que par division destâches. Il nous semble donc indispensable,dans une perspective de complexificationcroissante des environnements, de développerun réel travail collaboratif au sein des équipesqui les mettront en oeuvre, pour favoriserl’émergence de communautés de pratique.

5. Conclusion.

Nous avons tenté de montrer dans cetarticle que l’intégration du dispositif TI-Navi-gator dans la classe supposait un renouvel-lement important des situations mathématiqueset de leurs orchestrations instrumentales,qui rendait plus complexe le travail du pro-fesseur, mais pouvait entraîner une plus gran-de richesse du débat scientifique, vers uneconstruction collaborative des connaissances.On ne peut pas dire bien sûr que le disposi-tif TI-Navigator induit naturellement, néces-sairement, un tel type de débat, un tel typede collaboration : tout dispositif techniquepeut être instrumentalisé, détourné des usagespossibles, prévus ou prescrits ! Mais ce dispositifrend les évolutions que nous avons décritespossibles, pourvu que l’on y « mette le prix »didactique !

Le travail de recherche mené par l’équi-pe CROME a aussi bouleversé les relations entreses membres. Il a provoqué de nombreuxdébats – parfois passionnés – en particuliersur la place laissée aux élèves dans la co-éla-boration de leur savoir, sur la nature du jeuque le professeur avait la responsabilité de déve-lopper dans la classe. Ce travail de recherche

a permis de mettre en évidence les différentesconceptions qu’entretiennent les professeursavec l’acte d’enseigner les mathématiques,lesquelles n’étaient jamais apparues explici-tement malgré plusieurs années de travail com-mun ! Ces deux années ont ainsi permis auxmembres de l’équipe de développer un regardréflexif sur leurs propres pratiques, collec-tives et individuelles.

Il serait intéressant de croiser les résul-tats de cette recherche sur un réseau à l’échel-le d’une classe avec des recherches sur desréseaux plus vastes. Les Espaces Numériquesde Travail arrivent dans les établissements,incorporant un ensemble d’outils de travail col-laboratif (forum, wiki, chat....). Les élèvesutilisent depuis déjà plusieurs années desdispositifs d’activité collaborative : forumsd’entraide, logiciels de type MSN, mais éga-lement jeux en réseaux où chacun peut comp-ter (ou non) sur d’autres utilisateurs pouravancer dans sa quête. Des portfolios mathé-matiques sont déjà utilisés dans certains pays(Etats-Unis, Suède par exemple). Commentles enseignants pourront-ils intégrer des dis-positifs qui ne sont plus de « simples » outils,mais de nouvelles organisations de travail ?

Ces évolutions vont sans doute bouleverser,non seulement le travail dans la classe, mais,au-delà, les relations des élèves avec lesmathématiques, les relations entre ensei-gnants et élèves et bien évidemment entreélèves eux-mêmes. Y faire face, préparer cesévolutions, suppose sans doute que les ensei-gnants puissent avoir le temps de travaillerensemble, de co-élaborer de nouvelles res-sources, de penser leur propre pratique : lemodèle des équipes IREM est plus que jamaisd’actualité !

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Références

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REPERES - IREM. N° 72 - juillet 2008

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Préparation d’une séance

• Il peut être judicieux de laisser en permanence les câbles noirs > répartiteurs > hubs, stoc-kés dans des sachets individuels

• S’assurer de disposer de tout le matériel nécessaire :• PC équipé de TI Navigator• Vidéoprojecteur + cable VGA + Cable Secteur• Calculatrices et les APPLICATIONS nécessaires• Hubs + Répartiteurs• Point d’accès + câble secteur + câble de raccordement Ethernet• Câbles noirs de connexion calculatrice > Hubs• Convertisseur BELKIN Ethernet > USB• Rallonge + Prise secteur multiple pour Portable + Point d’accès + Vidéoprojecteur +Chargeur hubs (permet de recharger les hubs dès la fin de la séance)

•Recharger les hubs•S’assurer ques les fichiers des énoncés des activités et des exercices sont pré-

sents sur le PC : les stocker sur le bureau par exemple.•S’assurer que la classe est bien enregistrée dans TI-Navigator•S’assurer que la disposition des icônes représentant les élèves coïncide avec la

place des élèves dans la salle•S’assurer de bien avoir tout le matériel :

• calculatrices et leurs applications• piles de rechange• hubs• point d’accès• vidéoprojecteur

•Fiches Aide-mémoire dans la valise.

•Connexions secteur• Vidéoprojecteur• Portable• Point d’Accès• Chargeur Hubs

•Connexions :• Point d’accès > Belkin > Portable • Répartiteurs > Hubs• Câbles noirs sur Répartiteurs

•Lancer TI NetWork Manager pour vérifier l’état du réseau•Vérifier que les Aide-mémoire sont à disposition des élèves.•Lancer la classe•Afficher la classe sur le vidéoprojecteur

•Récupérer les calculatrices•Replacer les hubs sur leur chargeur•Ranger tout le bazar

ANNEXE 1 Exemple de fiche de prise en main réalisée en début d’expérience

Veille dela

séance

Justeavant

laséance

Fin de séance

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Observation d’un groupe dans la classe

Compléter ce tableau, il n’y a pas obligatoirement toutes les éventualités, aussi il restedeux ou trois lignes pour compléter l’observation.

Eventualités Oui Non Sans objet

Le binôme s’adresse essentiellement à la classe

Le binôme s’adresse essentiellement au professeur

Le binôme emporte l’adhésion de la classe

Les arguments du binôme sont-ils rejetéspar la classe

Le débat s’instaure

Les règles du débat mathématique sont globalementrespectées

Dans ce cas que fait le binôme avec son groupe ?

Il montre les exemples ou contre-exemples du groupeou demande au professeur de les projeter.

Il utilise un ou des arguments mathématiques(propriétés, dé nitions, théorèmes)

Le groupe ne convainc pas la classe et demande auprofesseur de valider sa réponse.

Le binôme convainc la classe et ne demande pasau professeur de valider sa réponse.

Le binôme convainc la classe et demande malgrétout au professeur de valider sa réponse.

La réponse reste sans validation ?

Autre :

Autre :

Autre :

Qui valide la réponse à la toute fin de l’exercice ?

Autres observations :

Aucun élève ne prend de note : ................................................................................................

Les élèves se satisfont de leur première réponse car ils ont tous la même : .........................

• Autre : ...................................................................................................................……...... • Autre : .........................................................................................................................……

ANNEXE 2 Exemple de grille d’observation