Des technologies aux ressources numériques, genèses d’usages et genèses documentaires

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Chap13 Des technologies aux ressources numériques, genèses d’usage et genèses documentaires Ghislaine Gueudet, IUFM Bretagne-UBO, [email protected] Luc Trouche, IFÉ, ENS Lyon, [email protected] Hussein Sabra, IFÉ, ENS Lyon, [email protected] Ce chapitre s’inscrit dans le prolongement des analyses des usages de « bases d’exercices en ligne » présentées dans les chapitres 7 et 8. Alors que ces chapitres s’inséraient dans une problématique de l’activité de l’enseignant principalement dans la classe, nous considérons ces usages d’un point de vue plus général, celui des ressources en ligne dans le travail des enseignants. Ce point de vue conduit, en prolongeant le propos du chapitre 12, à questionner les frontières de ce que sont les technologies numériques pour l’enseignement ; nous présentons ce questionnement en section 1. Nous montrons que ce point de vue demande un regard élargi, tant sur les ressources que sur l’activité professionnelle des enseignants, individuelle et collective : il a suscité ainsi le développement d’une approche théorique spécifique. Nous exposons (section 2) cette approche, que nous nommons approche documentaire du didactique. Nous la mettons en œuvre ensuite dans deux contextes collectifs : celui d’une association (section 3) et d’un dispositif de formation continue (section 4), en nous attachant plus particulièrement à l’articulation entre conception et usages, individuels et collectifs. 1. Ressources en ligne, conception et collaboration Le foisonnement de ressources en ligne disponibles, en particulier pour les enseignants de mathématiques (Artigue & Gueudet 2008), et les usages très larges de ces ressources, sont deux faits désormais largement reconnus. Il s'agit cependant d'évolutions récentes et de phénomènes dont l'ampleur s'est considérablement accrue depuis le début des années 2000, en lien avec l'équipement croissant, en ordinateurs connectés, des élèves, des enseignants et des établissements, et avec la généralisation des usages d'Internet à l'échelle de l'ensemble de la société. Nous voulons ici montrer comment ces phénomènes conduisent à renouveler le regard porté sur l’enseignant comme concepteur de ressources, et sur l’enseignant comme membre de collectifs. 1.1 Des technologies pour l’enseignement aux ressources pour les enseignants La recherche GUPTEn (Lagrange 2009) qui rassemblait plusieurs auteurs de cet ouvrage, s'était d'emblée située dans une perspective d'anticipation de ces évolutions, faisant le choix de s'intéresser à des usages (ce terme étant utilisé ici dans le sens précisé au chapitre XX) émergents de technologies, et à des “précurseurs favorables”, au premier rang desquels figuraient les ressources en ligne. Ainsi le projet annonçait : « En ce qui concerne les usages émergents, les précurseurs sont constitués par les ressources en ligne et environnements numériques de travail (ENT) dont le développement très rapide constitue une donnée nouvelle dans le paysage des

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Chap13Des technologies aux ressources numériques, genèses d’usage et genèses

documentairesGhislaine Gueudet, IUFM Bretagne-UBO, [email protected]

Luc Trouche, IFÉ, ENS Lyon, [email protected] Sabra, IFÉ, ENS Lyon, [email protected]

Ce chapitre s’inscrit dans le prolongement des analyses des usages de« bases d’exercices en ligne » présentées dans les chapitres 7 et 8. Alorsque ces chapitres s’inséraient dans une problématique de l’activité del’enseignant principalement dans la classe, nous considérons ces usagesd’un point de vue plus général, celui des ressources en ligne dans letravail des enseignants. Ce point de vue conduit, en prolongeant le proposdu chapitre 12, à questionner les frontières de ce que sont lestechnologies numériques pour l’enseignement ; nous présentons cequestionnement en section 1. Nous montrons que ce point de vue demande unregard élargi, tant sur les ressources que sur l’activité professionnelledes enseignants, individuelle et collective : il a suscité ainsi ledéveloppement d’une approche théorique spécifique. Nous exposons (section2) cette approche, que nous nommons approche documentaire du didactique. Nous lamettons en œuvre ensuite dans deux contextes collectifs : celui d’uneassociation (section 3) et d’un dispositif de formation continue (section4), en nous attachant plus particulièrement à l’articulation entreconception et usages, individuels et collectifs.

1. Ressources en ligne, conception et collaboration Le foisonnement de ressources en ligne disponibles, en particulier pour lesenseignants de mathématiques (Artigue & Gueudet 2008), et les usages trèslarges de ces ressources, sont deux faits désormais largement reconnus. Ils'agit cependant d'évolutions récentes et de phénomènes dont l'ampleurs'est considérablement accrue depuis le début des années 2000, en lien avecl'équipement croissant, en ordinateurs connectés, des élèves, desenseignants et des établissements, et avec la généralisation des usagesd'Internet à l'échelle de l'ensemble de la société. Nous voulons icimontrer comment ces phénomènes conduisent à renouveler le regard porté surl’enseignant comme concepteur de ressources, et sur l’enseignant comme membre decollectifs.

1.1 Des technologies pour l’enseignement aux ressources pour les enseignantsLa recherche GUPTEn (Lagrange 2009) qui rassemblait plusieurs auteurs decet ouvrage, s'était d'emblée située dans une perspective d'anticipation deces évolutions, faisant le choix de s'intéresser à des usages (ce termeétant utilisé ici dans le sens précisé au chapitre XX) émergents detechnologies, et à des “précurseurs favorables”, au premier rang desquelsfiguraient les ressources en ligne. Ainsi le projet annonçait : « En ce quiconcerne les usages émergents, les précurseurs sont constitués par lesressources en ligne et environnements numériques de travail (ENT) dont ledéveloppement très rapide constitue une donnée nouvelle dans le paysage des

technologies en Education » (réponse GUPTEn à l’ACI « éducation etformation » 2004).Du point de vue des ENT (Environnements Numériques de Travail), lesévolutions ont été probablement moins rapides que ce que l'on pouvaitenvisager alors. De nombreux établissements scolaires (nous considérons iciseulement le cas de l'enseignement secondaire en France) ne disposent pasencore d'ENT, ou n'utilisent que de manière très limitée les ENT dont ilsdisposent1 (Poyet & Genevois 2009). A l'opposé, du point de vue desressources en ligne, les évolutions ont sans doute été encore plusimportantes que prévu. En mathématiques, en 2004, Gérard Kuntz notait, dansun rapport du comité scientifique des IREM2, que l'envoi à un moteur derecherche d'une requête sur le mot « mathématiques » (en français !)amenait environ 5 millions de réponses ; il y en a désormais plus dudouble. Le site Sésamath3, qui propose des ressources pour les enseignantsde collège en mathématiques, enregistre plus de 1,3 millions de connexionsmensuelles.Dessiner une carte de cette masse considérable de ressources en ligne, etmême répondre à la question : « qu'est-ce qu'une ressource en ligne pourles enseignants ? » constitue un réel défi. Nombre de sites offrent en faitune multiplicité de ressources : exercices interactifs, fiches pour lesenseignants, mais également logiciels disponibles au téléchargement, manuelnumérique... Au-delà des sites web, existent aussi des forums et des listesde diffusion, où s'échangent des messages qui peuvent constituer desressources. Plus simplement encore, les enseignants communiquent parcourriel avec des collègues. Un courriel reçu est-il une ressource en ligne? On répondra peut-être non, s'il s'agit seulement de fixer un rendez-vouspour une réunion de travail, mais qu'en est-il si le message amène deséléments d'information importants sur un exercice, un élève, comporte unfichier attaché avec la préparation d'une séance etc. Les frontières desressources en ligne sont floues : nombre de ressources papier existentégalement sous forme numérique. Ces faits majeurs amènent un regard nouveau sur les ressources del’enseignant. Dans ses travaux sur l'intégration des technologies par lesenseignants de mathématiques, Ruthven (2007) identifie un ensemble dedimensions essentielles, qu'il nomme « le contexte structurant de lapratique de classe ». L'une des dimensions de ce contexte est désignéecomme le système de ressources de l’enseignant, ensemble des ressourcesfamilières qui ont une certaine structure : ressources – papier ounumériques - rangées dans des dossiers, signets mettant en évidence dessites préférés sur son navigateur. Ruthven montre ainsi que, même pourquestionner l'intégration d'une ressource technologique donnée, il fautprendre en compte un ensemble de ressources structurées dans lequel celle-ci est susceptible de s'intégrer. Le même constat a été fait dans lechapitre 8 de cet ouvrage.

1 Notons qu’en 2009-2010, une utilisation large était prévue en cas d’épidémie de grippeA entraînant des fermetures d’établissements : des utilisations ponctuelles ont alors eu lieu,http://projets-ent.com/tag/grippe-a/.2 Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques, http://csirem.univ-mlv.fr/Les-dossiers-du-CS/Mathenligne-Recueil.pdf 3 http://www.sesamath.net/

Quels sont les constituants d’un tel système de ressources ? Adler (2000)propose d'adopter une perspective large, en considérant tout ce qui estsusceptible de re-sourcer l'activité de l’enseignant. Dans le contexte detravail de cet auteur, en Afrique du Sud, l'attention est surtout portéesur les ressources matérielles, qui peuvent faire cruellement défaut. Adlerconsidère ces ressources matérielles, y compris des ressources élémentairescomme les bâtiments scolaires ou l'électricité ; mais elle propose deprendre en compte aussi, en tant que ressources, le langage, le temps, etles personnes impliquées dans l'activité professionnelle de l’enseignant. Ici nous retenons aussi l'idée d'une perspective large, en nous rapprochanttoutefois de la définition d'artefact donnée dans le champ de l'ergonomiecognitive. Rabardel (1995, p. 59) définit un artefact comme « une choseayant subi une transformation d'origine humaine, [...] chose susceptibled'un usage, élaborée pour s'inscrire dans des activités finalisées ». Lesartefacts peuvent être matériels, ou socio-culturels ; cependant la notionde ressource que nous employons ici est plus large que celle d'artefact.Ainsi la réaction d'un élève ou d'un groupe d'élèves, refusant des'impliquer dans la résolution d'un problème proposé, peut se constituer enressource pour le enseignant, et l'amener à modifier l'énoncé de ceproblème pour une autre classe ou pour l'année suivante. Cette attituden'est pas délibérément conçue pour s'inscrire dans une activité finalisée,mais elle devient un constituant d'un artefact élaboré par l’enseignant.

1.2 Des ressources conçues pour les enseignants aux ressources conçues par les enseignantsL'intérêt pour les ressources en ligne met en lumière un autre phénomènemajeur : l'évolution des rapports entre conception et usages de ressources,et de la notion même de concepteur. En poursuivant un objectif decartographie de l'ensemble des ressources disponibles, poser la questiondu, ou des concepteurs des ressources considérées est certainementpertinent. On trouve sur Internet : de nombreux sites personnelsd’enseignants ; des sites institutionnels (Eduscol4, Educnet5 ou les sitesdes académies) ; des sites conçus par des équipes liées à la recherche,comme les sites des IREM6 ; des sites émanant d'associations de enseignants,comme Sésamath, déjà cité. Ces sites ont des concepteurs initiaux très divers ; cependant, touspartagent une potentialité commune d'évolution. Le site Sésaprof7 permetaux enseignants utilisateurs des ressources de Sésamath de formuler desremarques sur les ressources, mais également de proposer eux-mêmes certainscontenus. Ainsi, s'il demeure possible d'identifier un ou des concepteursinitiaux, rapidement le nombre des contributeurs à une ressource donnéepeut augmenter considérablement. Comme l’écrit le réseau thématiquepluridisciplinaire Pédauque (2006, p.13), à propos des évolutionsqu’engendre le numérique : « Cette conception d’une vérité toujours partielle, provisoire, en quelquesorte statistique, a des répercussions considérables sur celle de document.

4 http://eduscol.education.fr/5 http://www.educnet.education.fr/6 Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques7 http://sesaprof.sesamath.net/section-accueil/index.php

Elle dissout la notion d’auteur dans une multitude d’acteurs bien réelsmais innombrables et anonymes ». La question des modalités de prise en compte des apports des utilisateursest cruciale. De nombreux dispositifs existent pour recueillir ces apports,mais comment et par qui les décisions de modifications, ou non, sont-ellesprises ? Il s'agit d'une dimension essentielle de la conception de cesressources nouvelles, dont la capacité à demeurer des ressources vives est unélément déterminant pour que des enseignants les mobilisent (Gueudet &Trouche 2010). De plus, comme le souligne Adler (2000), l'essentiel n'est pas la quantitéde ressources disponibles, mais l'utilisation contextualisée qui en estfaite par les enseignants, leur appropriation qui suppose toujours unereconfiguration. Ainsi tout enseignant peut être vu comme un concepteur,intégrant des ressources de diverses natures, impliquées dans la productionde son enseignement : ressources technologiques (ressources en ligne,logiciels, ou tableau numérique interactif), ressources matériellestraditionnelles (tableau noir, manuel scolaire) ou ressources socio-culturelles (productions d'élèves, échanges de courriels). Ce rôle deconcepteur de ressources, pour tout enseignant, n’est pas nouveau, mais lesévolutions liées au numérique le rendent plus tangible et le renforcent.

1.3 Enseignants et ressources, un jeu collectifLe jeu collectif de l’enseignant n’est pas, non plus, nouveau. L’enseignantappartient à un ensemble d’institutions, au sens de groupement social légitimé(Douglas 1999). Il noue, pour réaliser son projet d’enseignement, desrelations avec ses élèves ou avec les collègues de son établissement. LeNouveau Dictionnaire Pédagogique (Buisson 1911) souligne ainsi que toutenseignement est une collaboration :« Une circulaire en date du 15 janvier 1908 a institué le Conseil des maîtresdans les écoles primaires et primaires supérieures […] L'école est une,quel que soit le nombre de ses maîtres, et tout enseignement est unecollaboration […] Il va de soi que ce sont surtout les questions d'ordrepurement pédagogique qui animeront ces réunions et leur donneront leurintérêt : emploi du temps, application et adaptation des programmes, choixdes livres d'après la liste départementale, étude des méthodes et desprocédés d'enseignement, entretien et recrutement de la bibliothèque, etc.Ces discussions fourniront à nos maîtres l'occasion de faire preuve derecherches et d'initiative personnelles, de produire des idées nouvelles,de tenter, s'il y a lieu, des expériences fructueuses. Elles susciterontl'émulation parmi les maîtres, secoueront la torpeur résignée de ceux quis'attardent à la besogne machinale, et préserveront l'enseignement dedégénérer en routine ». Il est utile de rappeler ce fait social que constitue l’enseignement scolairepour faire contrepoint aux analyses qui soulignent la culture enseignantedu « chacun pour soi, maître dans sa classe ». Le rapport Pochard (2008),ainsi, à propos du travail des enseignants, relève la faiblesse du travailcollectif des enseignants, mentionnant par exemple l’appréciation d’unrapport parlementaire de 1899 qui voit dans les assemblées d’enseignants

des « assemblées mortes »8. Affirmer ce caractère intrinsèquement social dutravail des enseignants ne préjuge pas bien sûr, ni de l’engagementinstitutionnel en soutien au travail des personnels, ni de l’engagementvolontaire des enseignants dans le développement de collaborationseffectives avec leurs collègues.Le rapport Pochard (ibidem) remarque aussi qu’ « un mouvement spontané demise en commun semble en train de se produire, grâce aux facilitésd’échanges permises par l’Internet », parle, d’une « dynamique ducollectif », mais déplore qu’« un effort plus général de mutualisation desbonnes pratiques ne soit pas plus encouragé ». Le développement dunumérique modifie sans doute en profondeur les conditions du travaildocumentaire, du point de vue de la collaboration évoquée déjà au début dusiècle dernier. Cela ne concerne pas que les enseignants. Le réseauthématique pluridisciplinaire Pédauque (2006) souligne ainsi :« C’est dans la communauté d’intérêt qu’il faut chercher le document, et pasailleurs. Voilà donc ce que change la numérisation : elle fabrique descommunautés virtuelles, flottantes, illimitées, insaisissables, mieuxqu’aucun livre. Le document numérique est bel et bien un objet, mais lacommunauté qui le consacre comme document est de plus en plus instable,éclatée, imprévisible, emportée dans les remous tumultueux des intérêtshumains ». (p.12)Cette dynamique du collectif décrit bien les phénomènes que nous avons déjàévoqués, en particulier le développement des associations d’enseignants etdes sites de partage de ressources (Gueudet & Trouche 2009b). Analyser cesphénomènes demande de nouvelles approches théoriques, permettant de penserconjointement conception de ressources, développement professionnel etdéveloppement de collectifs.

2. Repenser les ressources, les collectifs et les genèses, une nouvelleapproche théorique Prolongeant la partie II de cet ouvrage qui fournit un cadre ergonomique etdidactique pour les genèses d’usages, principalement centré sur l’activitéde l’enseignant en classe, nous avons indiqué dans la section 1 notreprojet d’une perspective élargie, considérant l’ensemble des ressources àdisposition de l’enseignant, et l’ensemble de son activité professionnelle.Ici nous soulignons, de plus, l’importance de la prise en compte descollectifs ; ceci amène un regard nouveau sur les genèses, et induit unenouvelle conceptualisation.

2.1 Ressources, documents et genèses documentairesUn enseignant dispose d’un ensemble de ressources, qui s’enrichit au cours dutemps : des exercices, des outils, des gestes, la mémoire de discussionsavec des collègues, des copies d’élèves... Ce répertoire de ressourcesdépasse celui des artefacts stricto sensu. Nous considérons comme ressource tout

8 Il faut sans doute distinguer dans l’analyse la situation dans lesécoles d’un côté, dans les collèges et les lycées de l’autre. Le nouveaudictionnaire pédagogique évoque les écoles, le rapport parlementaire de1899 évoque les lycées.

ce qui re-source (Adler 2000) l’activité de l’enseignant et contribue audéveloppement de ses connaissances professionnelles. Pour répondre à unenécessité professionnelle (par exemple : introduire le théorème dePythagore à un niveau scolaire donné), l’enseignant va puiser dans cerépertoire, composer dans cette perspective une nouvelle ressource qu’il vaexploiter dans la classe. Ce type de tâche, il va être amené à le réaliserde nombreuses fois, dans des contextes variés. Ce qui est en jeu, au-delàde la ressource composée et recomposée, ce sont des éléments organisateursde l’activité de l’enseignant, ce que Vergnaud (1996), après Piaget,appelle un schème. Au cœur d’un schème, se trouvent des invariants opératoiresqui ont été forgés par l’activité de l’enseignant aux prises avec ce typede tâches (par exemple, pour l’introduction du théorème de Pythagore : « Lethéorème de Pythagore doit être introduit en relation avec les calculsd’aires », ou « l’introduction d’un théorème de géométrie doit êtreprécédée d’une manipulation de figures animées »).C’est pour prendre en compte cette dynamique que nous avons introduit unenouvelle approche, que nous avons appelé approche documentaire du didactique(Gueudet & Trouche 2008). Elle se situe dans le prolongement de l’approcheinstrumentale, en substituant, au couple artefacts-instrument, le coupleressources-document. La Figure 1 en montre les principaux éléments et leurarticulation :- l’enseignant interagit avec des ressources ;- l’enseignant met au travail ces ressources (ce que nous désignons commetravail documentaire), il en résulte un document. Ce terme a été choisi parcequ’il rencontre un point de vue de l’ingénierie documentaire(Pédauque 2006), qui situe le document en relation avec des intentions etdes usages. Le travail documentaire de l’enseignant est le moteur d’unegenèse documentaire, qui développe conjointement une nouvelle ressource(composée d’un ensemble de ressources sélectionnées, modifiées,recombinées) et un schème d’utilisation de cette ressource. Un schèmed’utilisation comporte en particulier des règles d’action et des invariantsopératoires qui sont ici des connaissances susceptibles d’intervenir dansl’activité professionnelle des enseignants. Ces connaissances peuvent êtremathématiques, elles peuvent concerner les types de tâches à proposer auxélèves, les difficultés à anticiper etc.

Figure 1. Représentation schématique de la genèse d’un document

La distinction des processus imbriqués d’instrumentation et d’instrumentalisationpermet de repérer, comme dans l’approche instrumentale, les contributionsrespectives de l’enseignant et des ressources au document qui émerge desgenèses. La dynamique de ce modèle, les mots qui permettent de la décrire,sont très proches de ceux de l’approche instrumentale. Pour autant,l’approche documentaire, pour nous, ne constitue ni un déguisement, ni undétournement de l’approche instrumentale. Elle en constitue unprolongement, on pourrait dire un épanouissement, dans le cadre du travaildes enseignants, à partir d’une conceptualisation nouvelle de la notion deressource. Dans ce modèle, les deux processus d’instrumentation etd’instrumentalisation apparaissent tout aussi cruciaux, conception etusages de ressources se nourrissent mutuellement. Les genèses sont desprocessus continus : un document donne matière à de nouvelles ressources,qui pourront être engagées dans de nouvelles genèses. Nous utilisons, pourtraduire cette dynamique, le terme de documentation, qui désigne à la foisle travail documentaire et son résultat. Comprendre la documentation suppose d’en avoir une vision plus globale quecelle qui serait réduite à un enseignant et un ensemble de ressources liéesà des types de tâches isolées :- plus globale pour un enseignant donné, qui a affaire à un système deressources, qui donnent matière à différents documents. En effet l’activitéprofessionnelle d’un enseignant est organisée en système : elle comportediverses classes de situations (Rabardel & Bourmaud 2005), dans lesquellesl’action a une même finalité ; ces classes sont articulées entre elleslorsque les finalités sont proches. De même les documents de l’enseignantne sont pas isolés, ils partagent souvent des invariants opératoirescommuns, ils sont articulés comme les classes de situations. En ce sens, onpeut parler de système documentaire ;- plus globale du point de vue des collectifs dans lesquels un enseignantest inséré. Un enseignant ne travaille jamais seul, il développe sesdocuments en interaction avec ses élèves, avec des collègues, il recueilledes ressources via Internet, il participe à différentes institutions ouassociations (§1.3). De ces insertions sociales, ses documents portent lamarque. Les genèses documentaires individuelles doivent donc être penséesdans leurs interactions mutuelles, ce qui suppose de relier l’approchedocumentaire avec des approches théoriques qui prennent en compte lecollectif.

2.2 Genèses documentaires, genèses communautairesDans cet objectif, nous reprenons, comme Georget (chapitre 12), la notionde communautés de pratique (CoP) telle que décrite par Wenger (1998). Parmi lescaractéristiques des CoP, nous retenons d’une part le critère d’engagement,et d’autre part les deux processus de participation et de réification,constituant, comme le rappelle Georget, la négociation du sens :- l’engagement suppose un fait ou un projet partagés (être impliqué dans lemême travail, la même association, ou dans le même projet de formation oude loisir…). C’est une attitude essentielle, qui suppose un rapportparticulier avec le monde et avec soi, que Honneth (2007) désigne parreconnaissance :

« Il n'est pas vrai que le monde ne s'ouvre qu'à la lumière du souci denous-mêmes ; il faut plutôt dire que nous sommes impliqués dans dessituations qui appellent le souci visant à maintenir une interaction fluideavec l'environnement. Désormais je nommerai "reconnaissance" cette formeoriginaire de rapport au monde. Par là, j'entends seulement souligner, àtitre provisoire, le fait que nos actions ne possèdent pas primordialementle caractère de posture cognitive, affectivement neutre, par rapport aumonde, mais plutôt celui d'une attitude affirmative, coloréeexistentiellement. Toujours, nous attribuons aux éléments du monde qui nousenvironne une valeur propre qui fait que nous nous soucions de notrerelation avec eux » (p. 47) ;- la participation correspond à une contribution personnelle, elle peutprendre des formes variées, et n’a pas le même degré pour tous les membresde la communauté ;- la réification est le processus qui constitue ce qui est reconnu par laCoP comme le bien commun, qui résulte de l’engagement et de laparticipation de tous (ce peut être un symbole, un geste, un texte…).Wenger souligne la dialectique entre participation et réification, laréification étant un produit de la participation, et les objets résultantde la participation étayant la participation des membres de la CoP pourl’avancée du projet commun. Le terme de réification est ambigu, pouvantêtre compris comme « chosification », et, finalement, comme oubli de lareconnaissance (Honneth ibidem). Pour Wenger, il ne désigne cependant pasla cristallisation d’objets aboutis, mais au contraire la productiond’objets provisoires, toujours engagés dans de nouveaux développements. Comme l’a souligné le chapitre 12, la théorie des communautés de pratiquepeut éclairer certains phénomènes didactiques. Dans notre cas, cetteconceptualisation nous semble bien adaptée à notre projet d’étude desformes collectives de documentation des enseignants. Dans les groupesd’enseignants que nous allons décrire, il y a bien engagement,participation et réification. Pour articuler cette approche avec l’approchedocumentaire, et pour éviter l’ambiguïté que porte le terme réification,nous appellerons documentation communautaire le processus de réification àl’œuvre dans les CoP enseignantes, qui intègre les produits de laparticipation des membres de la CoP, les outils qu’elle constitue pour sonpropre développement, et les ressources qu’elle conçoit pour le projetcommun d’enseignement.Les deux processus (documentation des enseignants qui composent la CoP etdocumentation de la CoP) entretiennent naturellement un rapport étroit : laparticipation des enseignants à la CoP a un rapport direct avec laproduction de ressources pour leur enseignement. Pour autant, ladocumentation communautaire ne se réduit pas à la documentation des membresde la communauté (par exemple l’engagement dans une association produit desobjets – sigles, logos, compte rendu de conseil d’administration… quiexcèdent le travail que les enseignants conduisent pour réaliser leurprojet d’enseignement), et le processus de documentation des enseignantsexcède naturellement la documentation communautaire.Les trois critères d’engagement, de participation et de documentationdoivent être réunis pour que l’on puisse parler de communauté de pratique.

Ainsi, il ne suffit pas que des enseignants travaillent dans le mêmecollège pour que, ipso facto, ils constituent une CoP. Il faut, de plus, quece fait (travailler dans le même collège) se traduise par un intérêtparticulier porté aux autres enseignants de ce collège, par le sentimentd’un projet partagé engageant une participation et la production d’objetsreconnus communs concrétisant cette participation. Le collectif ne saurait seréduire ainsi au cas des CoP : une rencontre avec un collègue à lacafétéria ou dans un bus, une discussion dans une assemblée du personnelconstituent des aspects collectifs du travail des enseignants. Fleck (1934)parle de collectifs de pensée momentanés, qui tissent des liens entre soi-même etle monde. Nous nous attachons cependant dans ce chapitre à ces formes pluscirconscrites de collectifs que constituent les CoP, pour mieux pouvoirétudier les rapports entre documentations individuelles et collectives.Il faut enfin saisir les CoP dans leur mouvement : les CoP émergent aucours de processus plus ou moins naturels ou cultivés (voir chapitre 12). Nousparlerons aussi de genèses communautaires. Dans chacune des étapes que nousavons évoquées, la notion de genèse est apparue comme une nécessité pouridentifier certains processus : genèses instrumentales, genèses d’usages,genèses documentaires, genèses communautaires. Le choix de ce mot est sansdoute révélateur : les genèses sont des processus qui s’étendent dans letemps, incluant des moments de stabilité et des ruptures, elles portent enelles un projet de développement. Les genèses ne doivent cependant pas êtrepensées comme des processus datés, avec un début et une fin clairementidentifiables : dans l’acception du terme que nous retenons ici, genèsepeut signifier à la fois naissance et transformation, mais ne désignejamais une création ex nihilo, ni un processus achevé ou à achever.

2.3 Une méthodologie pour le suivi et l’analyse des genèses documentairesL’analyse des genèses en général suppose un suivi continu, et sur un tempssuffisamment long, des sujets concernés, pour inférer, à partir desrégularités observées, des invariants opératoires. L’étude des genèsesdocumentaires en particulier suppose naturellement le suivi des ressources,dans la dynamique conception - mise en œuvre - révision. Dans un premiertemps, nous avons ainsi organisé notre suivi autour d’observations declasses et de recueils de ressources, en visant un recouvrement assez largedu travail de l’enseignant (quantité et diversité de ressources, temps derecueil). C’est ainsi, par exemple, que nous avons initié l’étude duprogramme Pairform@nce (section 4). Mais l’étude des genèses, c’est aussi l’étude du travail documentaire lui-même, ce qui suppose le suivi continu des enseignants dans une diversité delieux où se déploie leur travail documentaire (en classe, plus généralementdans l’établissement scolaire, mais aussi à leur domicile, lors derencontres avec des collègues, informelles ou dans des structurescollectives), aux prises avec une diversité de ressources qui nourrissentce travail. C’est pour prendre en compte cette nécessité que nous avonsdéveloppé (Gueudet & Trouche 2009a) une méthodologie spécifique, que nousavons appelée méthodologie d’investigation réflexive : le suivi continu du travaildocumentaire, impossible à réaliser pour un observateur extérieur, supposeen effet le recours au enseignant lui-même pour qu’il assure une partie dece suivi. Cette méthodologie repose sur un ensemble d’outils (en plus des

observations de classe et du recueil de ressources), en particulier :- des entretiens avec l’enseignant, au début et à la fin d’une périodependant laquelle aura lieu une observation de classe ; le premier entretiena un rôle essentiel. Il se déroule dans le lieu où l’enseignant réalise unegrande partie de son travail documentaire (à son domicile pour unenseignant du second degré en France), en exploitant la méthode del’instruction au sosie (Clot 1999) : l’enseignant décrit l’organisation de sesressources à un interlocuteur censé le remplacer dans ses classes. Cettedescription est appuyée par une représentation schématique du système de ressources(RSSR) que l’enseignant réalise ;- un journal de bord, sur lequel l’enseignant relève des élémentsconstitutifs de son travail documentaire (le temps, les lieux, lesobjectifs, les ressources utilisées, les ressources conçues, les supportsde stockage de ces ressources). Ces outils sont mis en œuvre sur unepériode donnée (en général trois semaines). Cette observation estreconduite une année après, pour déceler, avec un empan suffisamment grand,des évolutions dans les genèses documentaires. Comme toute méthodologie, laméthodologie d’investigation réflexive engendre des biais qu’il fautprendre en compte : les ressources auxquelles on a accès sont celles quel’enseignant donne à voir et les représentations graphiques qu’il réalisesont chargées de sa propre subjectivité ; le travail du chercheur , avecl’enseignant, sur ses ressources a sans doute des effets sur les genèsesdocumentaires. Nous montrons (§ 3.1) des éléments de mise en œuvre de cetteméthodologie.Ces outils concernent le suivi des genèses documentaires individuelles. Lesuivi de genèses documentaires dans le cadre de collectifs, commel’élucidation de documentations communautaires (§ 2.2), supposent d’autresoutils (analyse de listes de diffusion, représentation graphique de systèmede relations dans des collectifs, agenda du suivi de certain aspect de ladocumentation collective…). Ces outils, se situant dans la perspectived’une méthodologie d’investigation réflexive collective, sont en cours deconception. Nous en évoquons de premiers éléments dans la section qui suit.

3. Genèses documentaires et communautaires dans le cadre d’une associationNous considérons dans cette section les aspects collectifs de ladocumentation des enseignants dans un cadre associatif. Le développementd’associations d’enseignants en ligne nous semble en effet caractéristiquede l’émergence du collectif lié au développement du numérique (§ 1). Nous allonsen étudier une plus particulièrement, Sésamath, en considérant d’abord sonhistoire, puis l’un de ses projets.

3.1 Genèse de Sésamath, des bases d’exercices en ligne à Labomep

Sésamath (http://www.sesamath.net) est une association d’enseignants demathématiques. Constituée en 2001, elle compte une centaine de membres ; salettre d’information est envoyée à 30 000 abonnés, et son site est l’objetde plus d’un million de connexions chaque mois. Après avoir concentré sesefforts sur le développement d’une base d’exercices en ligne, Mathenpoche(noté MeP par la suite), l’association a mis en place un site de projets,Sésaprof, visant le développement d’une fédération de communautés de

pratique, autour de projets de travail documentaire commun (cf. § 3.2 pourun exemple d’un tel groupe de projet). Hache (2008) le décrit ainsi :« Le projet Sésaprof (www.sesaprof.net ) a été initié par Sésamath enjuin 2008. Fruit d’une longue réflexion, il diffère assez sensiblement desautres projets de l’association dans les objectifs et la mise en œuvre.Sésaprof est en quelque sorte un “métaprojet“, dans la mesure où savocation première est de susciter et d’accompagner de nouveaux projets dansle cadre des communautés de pratiques. »Dans cette dynamique, Sésamath a conçu une interface collaborative, LaboMep(pour Laboratoire de Mathenpoche), qui permet aux enseignants,individuellement ou collectivement, de puiser dans les ressources del’association, de les mettre à leur main, de les enrichir et de lesreverser dans le pot commun (Figure 2). LaboMep constitue ainsi un lieudédié aux interactions entre documentation communautaire et documentationsindividuelles.

Figure 2. LaboMep, interface entre les ressources de l’association (à gauche) et les ressources d’un enseignant (à droite).

De ces interactions, la documentation des membres de l’association porte latrace. Nous avons ainsi suivi le travail documentaire de Pierre, un membreactif de Sésamath. Dans le cadre de notre méthodologie d’investigationréflexive (§ 2.3), nous lui avons demandé de représenter schématiquementson système de ressources. Cette représentation (Figure 3) met en évidencel’importance qu’il accorde aux ressources de l’association : certainesconstituent son « horizon documentaire » (manuel Sésamath, cahiers MeP etlogiciels de l’association), d’autres sont le support de ses discussions(les listes de diffusion). Sa documentation se nourrit d’interactionsnombreuses entre ces ressources – essentielles – et d’autres ressources,liées à d’autres collectifs (l’IREM par exemple).

Figure 3. Un ensemble de ressources de nature très diverse.

Parmi les ressources qui nourissent le travail documentaire de Pierre, etque Pierre alimente en retour, il y a les manuels de Sésamath : Pierre aété en effet l’un des auteurs du manuel de 6ème. La conception de manuelspour le collège, puis pour le lycée, est une activité importante del’association que nous allons regarder de plus près.

3.2 L’expérience des manuels en ligne, du collège au lycée.En 2005, Sésamath décide de concevoir des manuels libres et téléchargeablesgratuitement par Internet. C’est une expérience originale dansl’enseignement de mathématiques : une conception collaborative de manuel,s’effectuant dans la grande majorité à distance (modalité compatible avecl’éloignement géographique des participants, voir sur ce point le chapitrede Georget), par le biais de technologies du web (liste de diffusions,échanges de mels, plateforme de travail et de discussions, wiki, etc.).Réalisés par des groupes de projets, qu’on peut les considérer comme desCoPs intentionnelles (voir chapitre Georget), sont ainsi éditéssuccessivement le manuel de 5ème (2006), celui de la classe de 4ème (2007),celui de 3ème (2008) et celui de 6ème (2009). Ils sont présentés sur le site(http://manuel.sesamath.net/) comme suit :-des fichiers téléchargeables au format PDF ou ODT (Open document)organisés par chapitre (cours, activités, méthodes et exercices) ;-des diaporamas du manuel présents sur des pages Web HTML interactives(même contenu que les fichiers téléchargeables, mais non modifiables) ;-des compléments du manuel sous la forme des fichiers téléchargeables(fichiers tableurs, figures animées) et des pages Web HTML interactives(exercices en ligne), ainsi que des diapos du cahier MeP.En juin 2009, une équipe de Sésamath s’engage dans un projet de manuel« full Web » pour la classe de seconde qui constitue un double défi :-un défi didactique : c’est le premier projet manuel au niveau du lycée,qui se situe de plus à un moment charnière (un nouveau programme en seconde- juillet 2009 - qui introduit des changements significatifs, enparticulier l’introduction de l’algorithmique) ;-un défi technique : ce n’est pas un manuel linéaire, composé de chapitres

successifs, mais il est constitué de briques au format Web et indexées detelle façon que l’enseignant peut recomposer son propre manuel, ce quisuppose de nouveaux développements informatiques.Dans le cadre de ce nouveau projet, le groupe n’est pas soumis à descontraintes d’édition et à des dates limites, comme c’était le cas desmanuels en collège : pour résoudre les nombreux problèmes posés, lesauteurs ont décidé de se donner du temps.Nous présenterons des extraits de discussion (tableaux 1, 2 et 3) qui sesont déroulés sur la liste de diffusion propre à ce projet, la liste« groupe-lycée », regroupant quatorze enseignants9. Les premiers messages échangés concernent le lancement du projet (tableau1). Les enseignants s’accordent pour commencer par les fonctions et négocient(§ 2.2) la nature de l’entreprise commune (voir chapitre 12). L’enseignantC propose de penser la conception du manuel de seconde articulée avec celuide la classe de troisième, avant de penser l’articulation avec celui de laclasse de première. Nous notons qu’il exprime un invariant opératoire, quisemble partagé par la communauté : « on obtient des fiches en effectuantun découpage des programmes ». Cette règle commune contribue à faireémerger de nouvelles ressources de la communauté, alimentant sonrépertoire : les programmes, ainsi « hachés menu » fournissent des briquesélémentaires qui sont appelées atomes. Les atomes sont ainsi issus de ladocumentation communautaire. Dans un deuxième temps, ces atomes serontconçus comme des composants pouvant être intégrés dans les différentsmanuels, à venir, du lycée. Ainsi émerge, progressivement, la conceptiond’un « manuel atomique vertical ». Ces discussions entre les membres sontcruciales pour l’élaboration d’une vision commune du projet dans lequel ilssont engagés.

A: … on peut certainement commencer à discuter autour d'un parcours ; je proposais de s'atteler par exemple aux fonctions.B : D'accord pour commencer avec ce thème …Comment procède-t-on ? Est-ce qu'on met quelque part en vrac tous nos documents puis on trie ?C : 3e + seconde simultanément, ça devrait aller pour un début. Après, les différentes premières, on verra plus tard. Il suffit d'éplucher les programmes et de les hacher menu pour obtenir des fiches aux petits oignons.D : D'accord avec ça. Je propose de mettre en place un wiki pour commencer.

Tableau 1. Extrait de discussion sur la liste de diffusion, discussion du projet.

Cependant les règles d’actions et les invariants opératoires ne sont pastous d’emblée partagés, et la réalisation du projet doit surmonter desdifficultés liées aux visions différenciées (Sabra 2009) qu’ont les membresdu projet de l’enseignement de mathématiques (Tableau 2). Nous repéronsdans cet extrait des visions différentes de l’enseignement des fonctions :l’enseignant A privilégie une démarche d’exploration assistée par les TICE(tableur et logiciel de géométrie dynamique) ; B commence par l’étude des

9 Cette liste a été fusionnée ensuite avec des listes d’autres projets pour former uneliste intitulé « lycée » dans le but d’élargir les discussions liées au manuel seconde, et lesressources alimentant ce projet.

fonctions élémentaires (fonction dites de référence), technique qu’il adéjà expérimentée antérieurement avec succès ; C traite d’abord degénéralités sur des fonctions. On voit bien ici le jeu entre documentationsindividuelles et documentation de la communauté (§ 2.2).

A : Les élèves qui arrivent en 2nde cette année ont déjà bénéficié d'une approche sur lanotion de fonction. Pour ma part, j'ai fait pas mal d'activité avec tableau de valeur pourtrouver des maximum (ex.: aire maximale d'un rectangle dans un triangle… avec utilisation dela géométrie dynamique et du tableur).B : Je préfère illustrer, dès le début, les différents aspects des fonctions par les fonctionsde référence. J'ai fait comme ça l'an dernier, et il me semble que cela a été profitable ...C : En ce qui me concerne, je commence aussi par le chapitre 1: fonctions (généralités).

Tableau 2. Extrait de discussion sur la liste de diffusion, discussion de l’enseignement des fonctions en 2nd.

Cette discussion, nourrie par des visions différenciées, peut enrichir laréalisation du projet commun, ce qui suppose d’entretenir un processus denégociation permanente, et donc de se doter d’outils supports de cettenégociation. La liste « groupe-lycée » joue bien ce rôle (Tableau 3) : ellepermet de renforcer le degré de cohérence (Sabra 2009) de la communauté. Onvoit ainsi comment se forge une vision commune du manuel, que lesutilisateurs doivent pouvoir s’approprier le plus facilement possible, enl’adaptant à ses propres besoins, en le changeant si nécessaire à partir dusource même. Cette vision commune des usages du manuel en projet estcohérente avec la vision du travail au sein de la communauté : chaque atomedu manuel doit être conçu le plus collectivement possible, dans un cadreorganisé (« il faut décider qui fait les modifications ») et en gardant latrace des discussions qui se constituent ainsi en nouvelle ressource de ladocumentation communautaire.

A : Comment fait-on pour prendre un atome à rédiger ?B : Est-ce que c'est pas mieux de travailler collectivement … il faut par contre décider qui fait les modifications au fur et à mesure des relectures ....C : … ce serait bien de donner les remarques dans une sous-page "discussion". Par exemple, la fiche sur les intervalles s'appellerait cours:fonctions:intervalles et sa page de discussion :cours:fonctions:intervalles:discussion. D : … il faudra de toute façon faire des fichiers Open Office parce que l'intérêt, c'est ausside faire des fiches profs imprimables et modifiables à souhait, non ?E : … il faut pouvoir laisser la possibilité au collègue de changer le source.F : :…. il faut pouvoir laisser la possibilité au visiteur de modifier les atomes comme on le fait actuellement pour les manuels avec le format Open Office … Il faut donc régler ce problème pour avancer, si j'ai bien compris.D : Pour ma part, il me semble que pour que cela intéresse un prof de lycée, qui cherche essentiellement à gagner du temps, mais qui veut pouvoir personnaliser son cours, il faut que tout soit modifiable. Il ne faut pas qu'il y ait des manipulations trop fastidieuses à faire, donc des fiches en format Open Office, ça me semble parfait , comme les manuels collège... pourquoi faire autrement ?F : Apparemment, il existe des plugins pour convertir du Dokuwiki et Open Office etinversement. Mais ce n'est sûrement pas la solution : encore fois, si on fait trop defioritures, ça va sûrement coincer comme tous les outils de conversion. Je crois qu'on devrait

surtout se concentrer sur le fond, avec une mise en forme simple et minimale.

Tableau 3. Extrait de discussion sur la liste de diffusion, méthode de travail.

On voit bien ici combien l’émergence d’une communauté de pratique est unprocessus complexe : - il suppose l’engagement initial d’un ensemble de personnes dans un projetcommun ; - ces personnes partagent nécessairement des intérêts professionnelscommuns (§2.2), qui se traduisent par des visions convergentes de certainséléments de ce projet (ces visions convergentes sont aussi renforcées parla participation à la même association Sésamath), et ont des visionsdivergentes sur d’autres éléments ;- l’émergence de la CoP repose sur l’émergence d’une pratique commune enrelation avec la réalisation du projet ;- cette pratique commune est nourrie par la convergence des visions desmembres sur le projet ;- les visions divergentes sont l’objet d’une négociation de sens continue,qui assure le jeu entre participation des membres et documentationcommunautaire.Enfin, une CoP n’est pas un ensemble stable (la participation des membresde la liste de diffusion à la conception du manuel est très variable). Cen’est pas, non plus, un ensemble bien délimité : le regroupement deplusieurs projets au sein d’une même liste de diffusion montre le caractèreporeux des communautés correspondantes, et leurs influences réciproques.

4. Genèses documentaires et formation continue des enseignants L’étude de l’association Sésamath nous a amenés à considérer une CoPspontanée. Nous allons maintenant nous intéresser à des CoPsintentionnelles, ou plus précisément au design (Georget, chapitre 12) visantl’émergence de communautés de pratique d’enseignants dans un objectif deformation. Comment étayer la documentation des enseignants par la dynamiquede la documentation communautaire ? Cette question est traduiteinstitutionnellement par : comment contribuer à développer le travaildocumentaire collectif, comme moyen et comme objectif de la formation ?Nous allons examiner ici le développement d’un projet significatif de cetteapproche.

4.1 Pairform@nce, programme de formation continue et recherche associée

Le programme Pairform@nce (http://www.pairformance.education.fr/) duMinistère de l’Education Nationale (SDTICE10) peut être considéré comme leproduit d’une prise en compte institutionnelle des apports possibles dutravail collectif enseignant, et de l'Internet, comme outils susceptiblesde susciter ce travail et permettant de l'accompagner. Il propose desparcours de formation continue visant l’intégration des TICE à tous lesniveaux scolaires et pour toutes les disciplines. Un parcours de formationcontinue donne la structure d’une formation à mettre en œuvre dans uneacadémie : on peut ainsi le considérer comme un modèle de formation. Cetteformation, en partie à distance et exploitant une plateforme collaborative,repose sur un principe de conception de séquences de classe intégrant lesTICE par des équipes de stagiaires. L’IFÉ, les IREM de Montpellier et de Rennes, l’IUFM de Bretagne et leCREAD, dans le cadre d’un partenariat recherche-développement avec laSDTICE, ont élaboré en 2007-2008 trois parcours pour le second degré : deuxen mathématiques, un en géologie et géographie. Ces parcours ont étésimultanément conçus et testés dans des formations spécifiquementorganisées. Ils ont ensuite été publiés sur la plateforme nationalePairform@nce, et ont donné lieu en 2008-2009 à des formations continuesdans le cadre des Plans Académiques de Formation (PAF) de Lyon, Montpellieret Rennes (Gueudet et al. 2009). Ainsi différents types de collectifs, articulés, sont impliqués dans leprojet INRP-Pairform@nce : collectifs de concepteurs, collectifs deformateurs, collectifs de stagiaires. Le travail de ces collectifs estcoordonné par une cellule associant des chercheurs de différents domaines(didactique, ergonomie, psychologie). Dans la perspective que nousretenons, nous dirons que chacun de ces collectifs est engagé dans unprocessus de documentation, qui associe l’exploitation de ressourcesexistantes et la conception de nouvelles ressources. Naturellement laconception de parcours de formation, la conception de stages de formationcontinue basés sur ces parcours et la conception de séquences de classediffèrent. Toutefois elles partagent des caractéristiques communes : - elles relèvent toutes du travail documentaire collectif. Comme telles,elles exploitent des ressources communes. Les concepteurs emploient lastructure nationale de parcours, en 7 étapes (entrée dans la formation,sélection des contenus d’enseignement, co et autoformation, conception desituations, mise en œuvre de la situation dans la classe, retour réflexif,évaluation de la formation). Les formateurs exploitent les ressourcesproposées par les concepteurs ; le parcours lui-même peut être considérécomme un modèle de formation. Enfin les stagiaires intègrent dans leurtravail des ressources proposées par les formateurs, ressources qui peuventnotamment comporter des modèles, nous le montrerons ci-dessous. - dans le projet IFÉ-Pairform@nce, tous les collectifs sont engagés dans untravail de documentation continu, qui relève de la conception dans l’usage.Les concepteurs ont élaboré le parcours initial au cours d’une formation-

10 Sous-direction des technologies de l'information et de la communication pour l'éducation,MEN.

test ; ils l’ont ensuite modifié après un retour des formateurs qui l’ontimplémenté dans le cadre des PAF académiques. Les formateurs ont modifiéles caractéristiques des formations basées sur le parcours après unepremière mise en œuvre ; de même pour leur séquence, les équipes destagiaires effectuent plusieurs implémentations et modifient leurs choix aufil de ce qu’ils observent dans les classes.Afin d’analyser plus précisément les processus conjoints de documentationcollective, et d’émergence de communautés de pratique, nous nous centrons,dans ce qui suit, sur un parcours intitulé « C2m@tic11, Individualisationavec des bases d’exercices en ligne » (nous le noterons simplement« C2m@tic-Individualisation »).

4.2 Analyse d’un parcours Pairform@nce à la lumière de l’approche documentaireCe parcours vise l’intégration par des enseignants de collège de basesd’exercices en ligne : en l’occurrence, MeP12 ou WIMS13 qui sont les deuxbases d’exercices utilisées dans ce parcours. Il vise également àcontribuer au développement d’usages mettant à profit les potentialitésdidactiques de ces bases d’exercices, en s’appuyant sur des travaux menés àleur sujet et plus particulièrement leurs possibilités de différenciationde l’enseignement.Nous donnons ici dans un premier temps une brève description de ce parcours(Figure 4). Nous revenons dans un deuxième sur la conception de ce parcoursavant de présenter le travail d’une équipe de stagiaires et les genèsesdocumentaires associées.

Le parcours C2m@tic-Individualisation, déroulement prévu pour la formation

La formation propose la réalisation, par chaque équipe de stagiaires, d'une séquence de classequi sera testée par un ou plusieurs membres de l'équipe. Elle alterne des périodes en présence(trois journées) et à distance (étalées sur treize semaines). Des temps de formation enprésence permettent un travail à l'intérieur des équipes, ainsi que des échanges entreéquipes. Pendant les périodes distantes, la plateforme de la formation permet aux stagiaireset aux formateurs d’échanger via un forum, de déposer leurs productions, et d’accéder auxressources déposées. Les séquences élaborées sont testées au moins deux fois successivement,avec un décalage dans le temps permettant des ajustements. Elles donnent lieu à uneobservation croisée : un stagiaire met en œuvre la séquence prévue dans une de ses classes, etun autre observe au moins une séance, comportant des éléments de différenciation. Les équipessont, idéalement, constituées de quatre stagiaires : deux venant d’un même collège et deuxd’un autre, pour permettre certains échanges en présence, en particulier l’observationcroisée, mais également pour inciter à l’emploi de la plateforme comme mode de communicationdistante.

11 Conception Collaborative de séances en Mathématiques avec les TIC12 http://mathenpoche.sesamath.net13 http://wims.unice.fr

Ressources pour les formateurs A chaque étape du parcours, un assistant de formation rassemble, pour les formateurs,l’ensemble des ressources prévues par les concepteurs : questionnaire pour les stagiaires,diaporama, calendrier.... Cet assistant précise, sous forme de tableau, les rôles desformateurs et des stagiaires, et propose des conseils : penser à réserver une salleinformatique à certains moments, déposer un compte rendu après chaque présentiel etc.Ressources pour les stagiairesDe nombreuses ressources sont disponibles pour les stagiaires : exemples de séquences, guidede prise en main des logiciels, références bibliographiques. De plus trois modèles de ressourcessont proposés, pour accompagner le travail collectif : une grille de description d’une séquence de classe,une grille d’observation d’une séance différenciée et une grille de bilan de séquence.

Figure 4. Eléments de description du parcours C2m@tic-Individualisation

Cette présentation (Figure 4) correspond à l’état du parcours en 2009-2010.Ce parcours a ensuite évolué, dans un processus de conception continu, oùl’articulation de collectifs distincts (§ 4.1) a joué un rôle essentiel : - tout d’abord la formation-test, dans laquelle les concepteurs, quiétaient aussi formateurs, ont fait évoluer leurs propositions dans untravail conjoint avec les stagiaires ; les stagiaires se sont approprié,dans un mouvement d’instrumentalisation, les grilles d’observation et debilan. En revanche ils n’ont utilisé la grille de description de séquenceque pour la présentation de leur séquence à l’ensemble du groupe, et nondans leur travail de préparation. Ceci a conduit les concepteurs àintroduire deux modifications. D’une part, l’étude détaillée d’un exemplede séquence a été intégrée dans la deuxième journée de formationprésentielle. D’autre part, la constitution des équipes recommandée associeenseignants d’un même établissement et enseignants d’établissementsdifférents, afin qu’il soit nécessaire pour les stagiaires d’expliciterleur choix et d’employer un modèle commun - puis la mise en œuvre par des formateurs non concepteurs, qui ontcommuniqué avec les concepteurs sur les évolutions souhaitables ounécessaires ; les formateurs se sont de même appropriés les ressourcesproposées. Dans un mouvement d’instrumentalisation, ils ont ajouté leurspropres exemples de séquences, présentés en utilisant la grille dedescription ; ils ont également choisi d’envoyer un compte rendu aprèschaque présentiel, ce qui émane de leur expérience antérieure de formationà distance et n’était pas prévu dans le parcours à ce stade de sa

conception. Ils ont informé les concepteurs de ces modifications, qui ontété intégrées dans un nouvel état du parcours.

4.3 Zoom sur le travail documentaire d’une communauté de pratique de deux stagiairesParmi les collectifs évoqués ici, ceux constitués par les équipes destagiaires ont une position spécifique : en effet leur travail documentairecollectif est un des objectifs de la formation (alors que celui desconcepteurs et des formateurs est une condition préalable à l’existencemême de cette formation). Nous allons considérer ici plus précisément letravail d’une équipe de deux stagiaires, Clarisse et Chantal, enseignantesdans le même collège et qui ont suivi la formation-test en 2007-2008. Nousavons observé cette équipe lors des journées en présentiel et lors d’unemise en œuvre en classe de leur séquence, qui concernait le thème « anglesinscrits, angles au centre », en classe de 3e.Du point de vue des bases d’exercices en ligne (MeP), Clarisse est plusexpérimentée que Chantal. Elle a notamment développé un usage régulier deMeP dans ses classes de 3e, dont les élèves disposent d’ordinateursportables prêtés par le conseil général (Ordi 35). MeP est téléchargé surles Ordi 35 ; pendant ses séances de mathématiques en salle ordinaire,Clarisse demande régulièrement aux élèves d’allumer leurs ordinateurs, etde faire quelques exercices sur MeP, en application de résultats qui ontété présentés dans le cours. Nous considérons ainsi que, pour la classe desituations : « réaliser des exercices d’application après l’introductiond’une nouvelle notion », Clarisse a développé un document, composé deressources (en particulier : Ordis 35 des élèves, extraits de MeP) et d’unschème d’utilisation. Ce schème, qui gouverne l’usage que nous avonsobservé, est structuré par un invariant opératoire du type « pours’approprier une connaissance nouvelle, les élèves doivent immédiatementl’appliquer dans des exercices ». De plus ce schème est lié à ladifférenciation de son enseignement : en effet, Clarisse propose une listerelativement longue d’exercices possibles, ce qui permet à tous les élèvesd’être occupés pendant un temps suffisamment long pour que les élèves lesplus en difficulté puissent réussir, par exemple, les deux premiersexercices. Ainsi on peut faire l’hypothèse que ce schème comporte aussi desinvariants opératoires du type : « tous les élèves doivent disposer dutemps nécessaire pour réussir une application simple » ; « les notionsnouvelles doivent être comprises par tous les élèves ». Chantal n’a pas, audébut de la formation, développé un tel usage ; elle n’utilise MeP qu’avecdes ordinateurs connectés, en salle informatique, et donc pour une séancecomplète. Au cours de l’élaboration de leur séquence commune, Clarissesuggère un tel emploi de MeP pendant l’une des 4 séances que comporte leurséquence. En conséquence Chantal fait télécharger MeP à ses élèves de 3e surleurs ordinateurs portables ; elle l’utilise comme prévu pendant laséquence. De plus, comme cette expérience a été positive, et que MeP estdésormais téléchargé sur les ordinateurs des élèves, elle étend cet usage àd’autres chapitres du cours. Dans ce cas, une stagiaire s’est appropriéeune ressource amenée par un autre stagiaire ; une genèse a été amorcée, quipourra amener Chantal à développer le même document que Clarisse.Clarisse et Chantal ont également utilisé dans leur séance un logiciel degéométrie dynamique, GeoGebra. Ce logiciel est utilisé pour la

démonstration du théorème de l’angle au centre. Selon ce qu’elles ont prévuensemble, les élèves doivent utiliser successivement deux figures GeoGebra,préparées par l’enseignant. La première de ces figures sert à formuler laconjecture de la relation entre angle au centre et angle inscrit. Ladeuxième, qui est en fait une animation enchaînant onze figures GeoGebra,illustre les étapes de la démonstration ; Clarisse et Chantal comptent surcette succession de figures pour que les élèves trouvent ces étapes.Lorsque Clarisse, la première, met en œuvre la séance correspondante danssa classe, les élèves conjecturent correctement le résultat, mais netrouvent pas la démonstration. Chantal, qui observe alors la séance, décideen conséquence de faire elle-même cette démonstration en classe avec lesupport de l’animation. Mais cette démonstration est longue et délicate ;assez rapidement, les élèves perdent le fil de ce que la figure illustre etdes étapes successives. Ici la ressource conçue par l’équipe « animationfaisant défiler les onze figures GeoGebra successives » donne lieu à unegenèse commune, et à un questionnement ouvert sur l’usage possible de cetteressource. A l’issue de la formation, Clarisse et Chantal retiennent quel’emploi de cette animation n’aide pas les élèves à trouver, ni même àcomprendre, la démonstration du théorème. Dans ce cas, Clarisse et Chantalavaient, en début de formation, un document commun, pour la classe desituations « concevoir et mettre en oeuvre la démonstration d’un théorèmede géométrie ». Ce document était composé de GeoGebra et d’un schème,comportant un invariant opératoire du type : « une figure animée réaliséeavec un logiciel de géométrie dynamique permet aux élèves de formuler uneconjecture ». Elles ont tenté d’aller plus loin dans le recours aulogiciel, sans succès. On peut supposer qu’après cette expérience ellesauront développé une connaissance partagée du type : « un logiciel degéométrie ne peut pas toujours constituer une aide pour trouver unedémonstration ». Cette connaissance, développée simultanément par les deuxstagiaires au cours de leur travail commun, peut entrer dans la compositionde plusieurs documents en lien avec l’enseignement de la géométrie.Au moment de la formation, Clarisse et Chantal travaillaient pour latroisième année consécutive dans le même collège. Elles avaient déjàcollaboré pour l’écriture de sujets de brevet blanc, mais jamais pourélaborer une séance commune. Au cours de la formation, elles se sontengagées dans une documentation communautaire, et dans le même temps leuréquipe s’est développée en CoP d'enseignants, partageant un projetd’élaboration de séquence.Ainsi le mode de formation envisagé par le programme Pairform@nce peuteffectivement amener au développement de communautés d’enseignants et à desévolutions professionnelles liées aux genèses qui prennent source dans cescommunautés. Ceci justifie continuelle développement de ce dispositif : en2008-2009, de nouveaux parcours ont été élaborés, autour des calculatricesà l’école primaire en mathématiques (chapitre 15), et autour del’enseignement des sciences physiques au second degré. Dans le même temps,les parcours existant s’enrichissent des usages que leur appropriation parde nouveaux formateurs suscite (Soury-Lavergne et al. 2011).

5. ConclusionVoilà ce que nous avons voulu montrer, à travers une diversité de

contextes, dans ce chapitre : le collectif ressort du travail documentairedes enseignants. Cette phrase doit être comprise dans un double sens : lecollectif ressort du travail documentaire des enseignants et le collectifest un ressort du travail enseignant. Une même réalité profonde sourd desdifférents contextes que nous avons considérés : « tout enseignement estune collaboration » (§ 1.3). On pourrait étendre la formule : « touteformation est une collaboration ».Ainsi l'étude des collectifs de professeurs, de ce qui s'y joue, est unedirection essentielle pour l'avenir de la recherche en didactique desmathématiques. L'ensemble de cette partie 3 montre, en particulier, toutl'intérêt d'une étude précise de ces collectifs. Vu à distance, tout groupede professeurs pourrait être considéré comme une communauté de pratique,partageant un objectif commun, un ensemble de valeurs... Une analyseprécise prouve qu'il n'en n'est rien, que seuls des processus longs peuventfaire émerger une communauté, à partir d'un collectif – que cette émergencesoit appuyée par un engagement associatif (Sésamath), ou une volontéinstitutionnelle (Pairform@nce). Les ressources, la documentation, jouentplusieurs rôles à cet égard. Elles constituent des entrées méthodologiquesfortes pour le chercheur : le suivi des ressources d'un collectif permet decomprendre la vie de celui-ci, et en particulier l'éventuelle émergenced'une communauté. En effet, comme nous l'avons montré, les processus dedocumentation sont au cœur de la constitution et du fonctionnement descommunautés de pratique d'enseignants. Ces processus distinguent un simple collectif et une communauté. Ainsi,dans une période où les nouvelles ressources numériques bouleversent, commenous l'avons souligné, les équilibres entre conception et usage, lescollectifs impliquant des enseignants apparaissent comme des auteursprivilégiés de ressources pour l'enseignement. Les échanges entreenseignants, ou avec d'autres acteurs du système éducatif (chercheurs,formateurs etc.) peuvent contribuer à la qualité de telles ressources.Cependant un véritable travail de conception est fortement corrélé àl'existence d'une communauté de pratique – il s'agit donc de réfléchir auxconditions d'émergence de telles communautés, et de favoriser cesconditions. Nous avons de plus montré que de tels processus ont de fortesconséquences pour le développement professionnel des enseignants impliqués.Ce jeu entre collectifs, conception de ressources pour l’enseignement etdéveloppement professionnel est un jeu complexe. Nous avons montré dans cechapitre que l'étude de cette complexité nécessitait une approchespécifique ; poursuivre dans cette direction demande aussi de confronter etd'articuler plusieurs approches, ce que nous mettons en œuvre dans destravaux en cours (Gueudet et al. 2012). Références à ajouter :Gueudet, G., Pepin, B., & Trouche, L. (eds.) (2012), From Textbooks to ‘Lived’Resources: Mathematics Curriculum Materials and Teacher Documentation. New York: Springer.Soury-Lavergne S., Trouche, L., Loisy, C., & Gueudet, G. (2011), Parcours deformation, de formateurs et de stagiaires: suivi et analyse, rapport à destination du MESR,INRP-ENSL, http://eductice.inrp.fr/EducTice/equipe/PRF-2010/ Référence à enlever :Sanchez, E. (2009), Innovative teaching/learning with geotechnologies in

secondary éducation, in A. Tatnall, T. Jones (eds.), Education and Technology fora better World, 65-74. Springer.