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L’Information grammaticale n° 139, octobre 2013 35 Nicolas ROLLET « D’ACCORD » Approche conversationnelle et multimodale d’une forme située dans les appels au Samu-Centre 15 1. INTRODUCTION Dans le cadre d’une recherche menée au centre de réception et de régulation des appels au Samu de Versailles (Rollet, 2012), je me suis intéressé au travail des Assistants de Régulation Médicale (Arm) – les premiers à nous répondre quand nous composons le 15. Trois sources de données ont été mobilisées : des enregistrements audio des appels ; des enregistrements vidéo du poste de travail des Arm ; des captures vidéo d’écran de l’utilisation du logiciel Applisamu©. Parmi la multitude de phénomènes montrant qu’on a bien affaire à des professionnels, il y a la production très fréquente de l’item « d’accord » par l’Arm au cours de l’échange verbal. Et plus particulièrement, l’Arm produit régulièrement des « d’accord » en réponse après une réponse à une question qu’il a posée (extrait 1). (1) FAE _ 120109 _ 7h13 _ Part 1 49 ARM : est ce qu’il a chaud il est pâle avec des 50 : sueurs/ 51 APP : euh oui il est pâle 52 ARM : d’accord\ (..) elle irradie la douleur/ L’extrait (1) est caractéristique d’une utilisation récurrente du « d’accord » comme pivot pour passer d’une question à l’autre dans l’interrogatoire. Cette récurrence ne doit pas occulter la richesse des usages du « d’accord » vis-à-vis de l’échange conversationnel et des activités informatiques. L’objet de cet article est de présenter différents aspects du « d’accord » du point de vue des actions accomplies par les participants à une interaction téléphonique de type médical : dans les deux parties suivantes je mettrai en lumière les dimensions clôturantes et continuatives dans l’usage du « d’accord » du point de vue conversationnel (clôturer une séquence, glisser vers une autre, etc.). Dans un troisième temps (partie 4) je montrerai en quoi l’usage du « d’accord » peut se rapporter également à l’environnement physico- matériel de la salle de régulation du Samu, en particulier s’agissant du corps de l’Arm et de son utilisation du dispositif informatique. Cette présentation s’appuyant sur des données naturelles propose une vision du « d’accord » en tant qu’item-indice qui, émergeant à la suite d’une réponse à une question, permet de signaler et d’organiser une navigation dans une 1. Nous suivons les conventions de transcriptions du laboratoire ICAR (Lyon 2), que nous adaptons pour les actions informatiques. activité, que cette activité, nous le verrons, soit à l’échelle d’une paire adjacente, de plusieurs paires ou d’un épisode interactionnel plus large et multisémiotique. 2. DIMENSION CLÔTURANTE DU « D’ACCORD » 2.1. forme canonique Schegloff (2007 : 118-48) fournit une description d’unités linguistiques traitées par les participants comme des expan- sions minimales « en troisième position » accomplissant une clôture (sequence-closing thirds), à la suite d’une paire adjacente (par exemple Question-Réponse). Le terme « minimal » désigne le fait que l’item ou l’ensemble d’items mobilisés pour accomplir une clôture de paire en troisième position n’appelle pas de prolongement à l’intérieur de cette séquence. Nous retrouvons cette caractéristique dans nos données (voir l’extrait 1, page suivante). Dans l’extrait (1), où l’appelante (APP) contacte le 15 pour son mari, la paire adjacente (L49-51) supporte une information concernant la détection éventuelle de trois symptômes. L’appelante sélectionne un des trois symptômes, la pâleur, pour construire sa réponse. Le « d’accord » qui suit marque 2 une complétude de cette réponse puisque, après une courte pause, l’Arm pose une nouvelle question portant sur la propagation de la douleur (L52). L’Arm montre par là le caractère suffisant à confirmer la présence d’un symptôme parmi les trois, qui sont assemblés comme un tout – lequel « tout » renvoie à une description typique du problème cardiaque grave. Cet extrait illustre un cas typique de transition marquée, ponctuée, entre deux paires adjacentes, dont la première partie, une question, est produite par l’Arm. La transition porte à la fois sur l’alternance de tours, c’est-à-dire qui parle après la réponse à une question, et sur les traits du problème médical à l’étude. Le « d’accord » ne constitue pas un tour auquel l’appelante répond, bien que sa complétude constitue 2. M’efforçant, en suivant la mentalité ethnométhodologique, de placer l’analyse du point de vue des participants, et de rendre compte de leur travail, visible-à-toutes-fins-pratiques, de structuration des interactions sociales, une formulation telle que « le d’accord marque une complétude » doit s’entendre comme un raccourci métonymique : un participant mobilise cette ressource verbale pour rendre visible une action, par exemple clôturer une séquence. Enfin, j’emploie dans ce texte le terme d’ item par souci de neutralité émique pour qualifier une ressource linguistique, « un constituant du tour de parole que les participants utilisent pour rendre perceptibles certains aspects de la progression interactionnelle » (Mondada et al., 2008).

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L’Information grammaticale n° 139, octobre 2013 35

Nicolas ROLLET

« D’ACCORD »

Approche conversationnelle et multimodale d’une forme située dans les appels au Samu-Centre 15

1. INTRODUCTION

Dans le cadre d’une recherche menée au centre de réception et de régulation des appels au Samu de Versailles (Rollet, 2012), je me suis intéressé au travail des Assistants de Régulation Médicale (Arm) – les premiers à nous répondre quand nous composons le 15. Trois sources de données ont été mobilisées : des enregistrements audio des appels ; des enregistrements vidéo du poste de travail des Arm ; des captures vidéo d’écran de l’utilisation du logiciel Applisamu©.

Parmi la multitude de phénomènes montrant qu’on a bien affaire à des professionnels, il y a la production très fréquente de l’item « d’accord » par l’Arm au cours de l’échange verbal. Et plus particulièrement, l’Arm produit régulièrement des « d’accord » en réponse après une réponse à une question qu’il a posée (extrait 1).

(1) FAE _ 120109 _ 7h13 _ Part 1

49 ARM : est ce qu’il a chaud il est pâle avec des

50 : sueurs/51 APP : euh oui il est pâle

52 ARM : d’accord\ (..) elle irradie la douleur/

L’extrait (1) est caractéristique d’une utilisation récurrente du « d’accord » comme pivot pour passer d’une question à l’autre dans l’interrogatoire. Cette récurrence ne doit pas occulter la richesse des usages du « d’accord » vis-à-vis de l’échange conversationnel et des activités informatiques.

L’objet de cet article est de présenter différents aspects du « d’accord » du point de vue des actions accomplies par les participants à une interaction téléphonique de type médical : dans les deux parties suivantes je mettrai en lumière les dimensions clôturantes et continuatives dans l’usage du « d’accord » du point de vue conversationnel (clôturer une séquence, glisser vers une autre, etc.). Dans un troisième temps (partie 4) je montrerai en quoi l’usage du « d’accord » peut se rapporter également à l’environnement physico-matériel de la salle de régulation du Samu, en particulier s’agissant du corps de l’Arm et de son utilisation du dispositif informatique.

Cette présentation s’appuyant sur des données naturelles propose une vision du « d’accord » en tant qu’item-indice qui, émergeant à la suite d’une réponse à une question, permet de signaler et d’organiser une navigation dans une

1. Nous suivons les conventions de transcriptions du laboratoire ICAR (Lyon 2), que nous adaptons pour les actions informatiques.

activité, que cette activité, nous le verrons, soit à l’échelle d’une paire adjacente, de plusieurs paires ou d’un épisode interactionnel plus large et multisémiotique.

2. DIMENSION CLÔTURANTE DU « D’ACCORD »

2.1. forme canonique

Schegloff (2007 : 118-48) fournit une description d’unités linguistiques traitées par les participants comme des expan-sions minimales « en troisième position » accomplissant une clôture (sequence-closing thirds), à la suite d’une paire adjacente (par exemple Question-Réponse). Le terme « minimal » désigne le fait que l’item ou l’ensemble d’items mobilisés pour accomplir une clôture de paire en troisième position n’appelle pas de prolongement à l’intérieur de cette séquence. Nous retrouvons cette caractéristique dans nos données (voir l’extrait 1, page suivante).

Dans l’extrait (1), où l’appelante (APP) contacte le 15 pour son mari, la paire adjacente (L49-51) supporte une information concernant la détection éventuelle de trois symptômes. L’appelante sélectionne un des trois symptômes, la pâleur, pour construire sa réponse. Le « d’accord » qui suit marque 2 une complétude de cette réponse puisque, après une courte pause, l’Arm pose une nouvelle question portant sur la propagation de la douleur (L52). L’Arm montre par là le caractère suffisant à confirmer la présence d’un symptôme parmi les trois, qui sont assemblés comme un tout – lequel « tout » renvoie à une description typique du problème cardiaque grave.

Cet extrait illustre un cas typique de transition marquée, ponctuée, entre deux paires adjacentes, dont la première partie, une question, est produite par l’Arm. La transition porte à la fois sur l’alternance de tours, c’est-à-dire qui parle après la réponse à une question, et sur les traits du problème médical à l’étude. Le « d’accord » ne constitue pas un tour auquel l’appelante répond, bien que sa complétude constitue

2. M’efforçant, en suivant la mentalité ethnométhodologique, de placer l’analyse du point de vue des participants, et de rendre compte de leur travail, visible-à-toutes-fins-pratiques, de structuration des interactions sociales, une formulation telle que « le d’accord marque une complétude » doit s’entendre comme un raccourci métonymique : un participant mobilise cette ressource verbale pour rendre visible une action, par exemple clôturer une séquence.

Enfin, j’emploie dans ce texte le terme d’item par souci de neutralité émique pour qualifier une ressource linguistique, « un constituant du tour de parole que les participants utilisent pour rendre perceptibles certains aspects de la progression interactionnelle » (Mondada et al., 2008).

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un point de transition possible. C’est bien la question qui suit après la pause (L52) qui déclenche une action de la part de l’appelante (L53-54). En ce sens, le « d’accord » ne fait pas que clôturer une paire adjacente en étant placé en troisième position, il projette une action à-venir de la part de l’Arm, vers laquelle l’appelante est orientée – à savoir une nouvelle unité de construction de tour. Le « d’accord » constitue un pivot, un dispositif de transition (Merritt, 1978 ; Beach, 1993).

Cette notion de transition apparaît également dans les cas d’appels avec les pompiers, mais cette fois du point de vue de la transition d’un mode de participation à un autre.

En effet, avec ces professionnels, qui appellent le Samu quotidiennement, la tâche principale pour l’Arm n’est pas de poser des questions mais plutôt d’enregistrer un compte rendu, appelé Bilan. Mais une séquence interrogative peut émerger lors de ce bilan, le suspendant momentanément pour demander un éclaircissement, soulever un point non évoqué, par exemple. La transition d’une telle séquence interrogative vers un retour au compte rendu est un problème pratique pour les participants, et le « d’accord » constitue une ressource régulière pour opérer cette transition. L’extrait 2 ci-dessus en montre un exemple.

Dans cet extrait la séquence interrogative (L99-103) s’inscrit au sein de l’activité de dictée des constantes vitales : canoniquement le pompier (POM) fournit à l’Arm les mesures du pouls, de la ventilation, de la tension artérielle. Dans ce cadre, l’Arm enregistre ces mesures, enregistrement qu’elle peut ponctuer par un continuateur (L94).

Le pompier produit ensuite (L96-7) une description de la mesure de la ventilation déjà fournie (L92). C’est à partir de cette description que l’Arm cherche un éclaircissement en lui adressant une question portant sur le trait « encombré » (L99). À la suite de la réponse de l’appelant, l’Arm produit un « d’accord » avec une intonation montante. Cet item constitue une unité marquant la complétude de la paire

adjacente du point de vue de l’information recherchée sur l’aspect de la respiration du sujet. De plus, en contraste avec les appels de particuliers, cette unité n’est suivie ni d’une question ni même d’un tour de l’Arm, mais d’un tour de l’appelant. En effet, celui-ci, en L105 fournit la mesure d’une autre constante (le pouls). Autrement dit, non seule-ment le « d’accord » marque une complétude par rapport à la séquence interrogative, mais il projette également la suspension de l’enchaînement question-réponse et la reprise du compte rendu là où le pompier en était resté, c’est-à-dire à la dictée des constantes vitales.

Le « d’accord » peut ainsi constituer une ressource pour réguler l’alternance de tours et les formats de participation, et pas seulement le passage d’une séquence question-réponse à une autre.

2.2. Plus qu’une paire

Mais le renvoi à la seule paire adjacente précédant l’émer-gence du « d’accord », tel que nous l’avons décrit par les extraits (1) et (2) dans la section précédente, ne semble pas pertinent dans d’autres cas du fait réel. En effet nous avons observé des « d’accord » qui semblent avoir une portée dépassant la paire à laquelle ils succèdent. En ce sens, ces « d’accord » s’analysent comme accomplissant la clôture d’un épisode ou d’une activité plus large 3, la notion de « troisième position » n’étant alors plus pertinente. Les trois extraits suivants rendent compte de cet élargissement de la portée rétrospective du « d’accord ». Chacun des cas relève d’actions particulières :

– une description d’une douleur qui s’étend sur plusieurs paires (extrait 3) ;

– une pré-clôture (extrait 4) ;

– une annonce de décision (extrait 5).

3. Sur la notion d’épisode interactionnel lié à un travail accompli dans une activité sociale, voir Levinson, 1992 ; Heritage & Sorjonen, 1994.

Section 2 – Extrait 1 (1) FAE _ 120109 _ 7h13 _ Part49 ARM : d’accord\ (.) est ce qu’il a chaud il est pâle avec des50 : sueurs/51 APP : euh oui il est pâle52 ARM : d’accord\ (..) elle irradie la douleur/53 PAT : <((à son mari))est ce qu’elle irra- est ce qu’elle dé-54 : s’développe ailleurs la douleur/>

Section 2 – Extrait 2 (2) 110209 _ 17h49 _ Pom92 POM : euh:: donc il a une:: ventilation::(0.6s) à dix sept/93 : (0.4s)94 ARM : mh\<hm/((en appuyant sur esp))>95 : (0.4s)96 POM : donc elle est recui- elle est réguliè:re / (0.3s) elle97 POM : est: encombrée °attends je-° j’vais me mettre à98 : l’abri pace qu’y’a un train qui arrive/[…]99 ARM : ilest il est enrhumé ou: euh quand [il est encombré]/100 POM : [non non non]101 : c’est en fait il a: i- il a il a des glaires102 POM : constamment103 ARM : (d’ , n) accord/104 : (1.2s)105 POM : il a un pouls: (.) à quatre106 POM : vingt quatorze:/ régulier bien frappé\

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Un monsieur appelle le 15 pour sa femme « qui a du mal à respirer ». Le problème qui se pose généralement pour les Arm est de déterminer l’état de conscience de la personne malade, et de relier un problème respiratoire avec les attributs typiques de l’arrêt cardio-respiratoire.

Dans l’extrait 3, un monsieur sollicite auprès de l’appelant une description du problème affectant son épouse (L27). L’Arm construit avec l’appelant une description d’aspects temporels d’une difficulté à respirer, en s’appuyant sur la construction de trois paires adjacentes. La complétude de ce travail d’élaboration collective d’une description (Mondada, 1999), est marquée par un « d’accord » (L38) de l’Arm, et, après une pause, celle-ci pose une nouvelle question sur un autre aspect possible du problème médical, à savoir le type de douleur et sa localisation. Le « d’accord » ne s’analyse ainsi pas tant comme troisième élément séquentiel après la paire L34-37, que comme la marque qu’une étape, celle de la découverte du « temps de la douleur », a été accomplie.

L’analyse de cet extrait amène à ne pas limiter la description des actions clôturantes du « d’accord » à l’échelle d’une paire

adjacente, mais à la faire tendre vers la prise en compte d’épisodes interactionnels plus larges.

Dans le même ordre d’idée, le « d’accord » peut marquer une préclôture (Sacks & Schegloff, 1973), c’est-à-dire un premier échange de clôture si les deux participants garantissent par leur conduite qu’une clôture peut avoir lieu ici (extrait 4).

Dans cet appel un pompier a appelé le Samu pour fournir un bilan ; nous sommes vers la fin de l’appel. La production du « d’accord » en L21 fait suite à une réponse en deux temps du pompier à une question posée par l’Arm en L14-5. Et ce « d’accord » ne se rapporte pas seulement à la paire question-réponse mais semble aussi exhiber l’orientation vers la clôture de l’appel. Il n’est pas anodin d’observer à ce propos la présence d’une forme évaluative « très bien » attachée au « d’accord ». En effet, il apparaît que lors de mouvements conclusifs importants (clôturer l’appel, finaliser l’interrogatoire) le « d’accord » est régulièrement construit dans une forme composite (Sacks, 1992, vol1 : 8) telle que « d’accord + évaluation », « d’accord + terme d’adresse » ou encore « d’accord ok » (extrait 5).

Section 2.2 – Extrait 3 FAE _ ACR8 _ Part27 ARM : = qu’est ce qui lui arrive/28 APP : eh bah elle a du mal à respirer c’matin\ elle est: dans29 : le:\ (0.4s) à moitié dans l’coma30 : (0.7s)31 ARM : depuis c’matin/ elle est génée pour res[pirer/32 APP : [là depuis euh: a:33 : euh d- vingt minutes à peu pr[ès/34 ARM : [depuis vingt minutes/ (.) ça35 : lui est arrivé d’un seul coup/36 : (0.3s)37 APP : d’un seul coup\38 ARM : d’accord\ (0.4s) elle a mal dans la poitrine/ elle a mal39 : quelque part/

Section 2.2 – Extrait 4 AJC _ 010409 _ 17h32 _ Pom14 ARM: elle est bien orientée dans le15 : temps [et dans l’espace [xx]16 POM : [ah tout à fait oui oui euh tout à fait ah non non17 : non non non non non pas du tout pas du tout hein/18 : (0.8s)19 ARM : bon\=20 POM : =pas du tout\ >pas du tout< (.) voilà\21 ARM : d’a/ccord\ très bien \21 POM : et là [xx]22 ARM : très/ bien\ (..) mer[ci vous nous rappelez si il y a &23 POM : [voilà24 ARM : & un problème hein/25 : (0.4s)26 POM : voilà y’a pas d’problème27 ARM : au[revoir28 POM : [allez au revoir/

Section 2.2 – Extrait 5 AJC _ 010409 _ 18h45 _ Amb57 ARM : [donc là elle est bien consciente/ elle est58 : bien orien[tée59 AMB : [elle est bien orientée dans le temps et dans60 : l’espace\61 : (6.9s)62 ARM : °dans (.) l’espace° md’a/ccord très bien\ bah écoutez vous63 : allez pouvoir la transporter vers les urgences de64 : d’évreux apparemment c’est ce qui était prévu/

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Nous avons observé de plus que les « d’accord » précédant l’annonce d’une décision par l’Arm (« je vous envoie les secours, je vous passe un médecin, etc. ») produite en fin d’appel étaient régulièrement réalisés avec un allongement vocalique, une nasalisation ou une labialisation de la première syllabe comme c’est le cas dans l’extrait (5).

Ces deux derniers extraits (4 et 5) montrent que la production articulatoire et segmentale du « d’accord » présente une adhérence au contexte d’activité large dans laquelle il émerge et qu’il contribue à clôturer : non pas seulement clôturer une paire, mais signaler la fin d’une étape dans l’appel.

Bien que cette section ait été consacrée à la dimension clôturante du « d’accord » dans un jeu de questions-réponses, cet item supporte également une dimension continuative parce qu’il permet une transition d’une séquence à une autre, d’un épisode à un autre. Dans ce sens cet item renvoie à un caractère double de pivot transitionnel (Beach, 1993) ou encore de dispositif-pont (bridging device, Merritt, 1978). Nous pouvons cependant creuser l’aspect continuatif du « d’accord » en le rattachant au travail qu’il contribue à accomplir dans les appels au 15, et en particulier dans l’interrogatoire.

3. DIMENSION CONTINUATIVE DU « D’ACCORD »

J’ai observé, pour certains types d’action, que le « d’accord » était régulièrement attaché (i. e., comme élément d’un tour) à la question suivante, qu’il était déjà tourné vers l’action suivante. Nous verrons trois cas :

– l’amorce d’une reformulation ;

– d’un approfondissement ;

– d’une inférence.

3.1. « d’accord » et reformulation

Dans l’extrait 6, l’Arm éprouve quelques difficultés à obtenir des informations précises à propos d’une sensation qui pourrait orienter l’évaluation du cas en présence vers un problème cardiaque.

Cet extrait illustre le fait que le « d’accord » peut être placé en troisième position après une paire adjacente (L190-L191-3),

mais peut ne pas marquer pour autant de frontière du point de vue thématique (une information sur l’âge, puis une information sur la douleur par exemple) ou du point de vue d’un épisode accompli (ce que nous avons documenté dans la section précédente). Au contraire ici, le « d’accord » suivi de « mais » préface la réitération de la question précédente – sa reformulation (Roulet, 1987 ; Gülich & Mondada, 2001 : chap. 8) rendant visible d’une part une demande plus spécifiée, et d’autre part que la réponse en L191-3 est traitée comme incomplète par l’Arm.

Le « d’accord » peut ainsi marquer un problème vis-à-vis de la complétude de la réponse immédiatement précédente. Ce problème impose un maintien sur ce qui était recherché à travers la question posée – question qui peut ainsi être reposée sous forme d’une nouvelle première partie de paire.

3.2. « d’accord » et approfondissement

Le « d’accord » peut par ailleurs marquer une étape dans l’attribution d’une succession de traits sur un même aspect du problème médical. Comme dans l’extrait 7 où l’Arm cherche à connaître l’état de conscience d’un enfant et sollicite les possibilités d’interactions entre lui et sa mère (serrer les mains, tenir debout).

Ainsi, l’organisation d’une série de questionnements peut consister à produire plusieurs paires question-réponse portant sur l’attribution de plusieurs traits d’un même aspect du problème médical. En ce sens, l’Arm ne vas pas « à la pêche aux informations » en posant sa ligne n’importe où ; elle amorce un premier questionnement comme une étape pour creuser une information ensuite – ici, l’état de conscience du bébé. Cette étape peut être marquée par un « d’accord ».

On observe de plus que formellement, dans ces occurrences où le « d’accord » n’est pas tant clôturant que tourné vers l’avant, l’articulation se produit régulièrement avec un débit rapide.

3.3. « d’accord » et inférence

Enfin, le « d’accord » peut préfacer la manifestation d’une inférence, en tant que résultat du traitement d’informations

Section 3, extrait 6 FAE _ 200109 _ 8h23 _ Part190 ARM : c’est la première fois que vous avez ce type de douleur/191 APP : non non ça fait euh (0.6s) c’est la euh (0.5s) j’ai eu une ça192 : fait euh que quelques jours/ (0.5s) et une sensation dans dans193 : le bras bizarre194 ARM : >d’accord/< mais avant cette sensation dans le bras vous195 : aviez déjà cette douleur [vous l’avez déjà eu non/]196 APP : [non (.) non non non\] (0.3s) non\

Section 3.2, extrait 7 250309 _ 18h08 _ Part65 ARM : d’accord\ (.) <quand euh vous lui prenez la main elle vous66 : serre la main le doigt/((geste de préhension avec main))>67 APP : oui elle me sert (les mains) elle est assis en fa- en68 : face de [moi/ mais69 ARM : [>d’accord< quand vous l’asseyez elle tient pa:s70 : elle tient pas/ debout

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émergeant dans la séquence qui précède. Il peut exhiber un travail de compréhension de la réponse donnée par l’appelant, et servir de tremplin à l’attribution d’un trait vis-à-vis du problème médical – une forme de diagnostic pratique, présenté comme un résultat et souvent introduit par « donc ». Comme dans l’extrait 8 avec un particulier qui appelle pour une personne soumise à un malaise.

Dans cet extrait, une fois la réponse à la requête produite (L58), l’Arm accuse réception par un « d’accord » attaché à une assertion attribuant le trait « conscient » à la personne qui a fait le malaise (L59).

Autrement dit le « d’accord » préface une prise de position, un raisonnement médical conclusif, vis-à-vis de l’information qui émane de la séquence précédente. Cette assertion constitue d’ailleurs pour l’appelant une première partie de paire qui rend pertinente une prise de position en retour, à la manière des séquences d’accord (agreement) décrites par Pomerantz (1984) (on notera la forme intonative montante sur la première syllabe de l’item « conscient » en L59, qui contribue à configurer l’assertion comme un objet négociable).

4. QUESTION-RÉPONSE – « D’ACCORD » ET ENVIRONNEMENT MATÉRIEL

Dans la salle de régulation, chaque Arm dispose d’un espace de travail composé d’un poste informatique avec plusieurs écrans. L’ensemble des postes forme le poumon du centre de régulation des appels. Sur un de ces écrans, l’Arm utilise un logiciel permettant de créer un dossier (appelé « affaire »), et d’inscrire des informations sur le problème médical pendant l’échange au téléphone.

Il est clair que l’Arm ne peut pas traiter l’appel, s’arrêter pour utiliser le logiciel, reprendre la conversation etc. Ces deux activités sont contemporaines 4 l’une de l’autre et ne le sont pas n’importe comment. Autant j’ai montré un aspect de la structuration de l’échange verbal via la description des actions accomplies à travers l’utilisation d’une ressource linguistique telle que « d’accord », autant cette structuration rencontre bien souvent celle de l’activité informatique. Ce

4. J’emploie le terme « contemporain » pour rassembler l’ensemble des possibilités d’imbrication synchronisée d’une action avec une autre.

que j’ai documenté jusqu’à présent sur les dimensions clôturantes et continuatives du « d’accord » s’enrichit dès lors que l’on cherche à rendre compte de l’imbrication entre activité verbale et activité informatique. La production d’un « d’accord » dans le cadre de séquences question-réponse présente en effet souvent une adhérence non seulement à la temporalité conversationnelle, mais aussi à la temporalité informatique – le tout formant la temporalité typique de l’échange téléphonique au Samu.

Je décrirai trois cas de relation entre la production d’un « d’accord » et l’activité informatique :

– production d’un « d’accord » clôturant et complétude d’une action informatique,

– d’un « d’accord » clôturant et continuation d’une action informatique,

– d’un « d’accord » à la frontière entre deux actions infor-matiques liées.

4.1. Clôturer une paire, terminer de taper, replacer son corps

Le cas d’imbrication le plus évident est celui où l’Arm manifeste la clôture d’une séquence dans laquelle un action informatique est achevé, ainsi dans l’extrait 9 (page suivante).

Dans cet extrait (9) de conversation avec un pompier (POM), la question de l’Arm portant sur une forme de diabète (L73) projette une réponse binaire Oui / Non. Nous en avons la preuve à la façon dont agit l’Arm au cours de la réponse de l’appelant. En effet, l’item [DID] étant une compression de « diabétique insulino dépendant », il appa-raît que le « ouais » de l’appelant constitue une réponse suffisante pour démarrer l’inscription informatique (L75). L’inscription de cet item occupe la fin du tour de l’appelant et une pause de 0.3s, à la suite desquelles l’Arm produit un « d’accord » (L77).

Les actions de l’Arm à son poste de travail ne se limitent évidemment pas à la frappe au clavier. Le corps s’oriente vis-à-vis du dispositif. On observe, en effet, que le « d’accord » produit après une seconde partie de paire peut être contem-porain non pas d’une action au clavier, mais par exemple d’un déplacement de la main (extrait 10).

Section 3.3, extrait 8 FAE _ MalaiseG _ 06062009 _ 22h16 _ Part46 ARM : vous ETES PRES de lui/47 : (0.5s)48 APP : euh: oui >oui oui< [xx]49 ARM : [d’accord\ alors si vous êtes près de50 : lui vous: le pincez pour voir si il réagit/ .h quand51 : vous le pincez\52 : (0.6s)53 APP : ah attendez que je demande54 : (0.5s)55 APP : < ((hors combiné)) il faut le pincer pour voir si il56 : réagit (0.5s) pincez >57 : (2.9s)58 APP : il ouvre les yeux mais il est pas bien du tout\59 ARM : d’accord\ donc il est con/scient60 APP : [euh: pas tout à] fait\61 ARM : [d’a- ok\]

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Cet extrait (10) illustre la conduite corporelle en termes de « position d’attente » ou « prête à repartir » (Sudnow, 1978 : 117 ; Rollet, 2010). Au terme d’une séquence composée d’une confi rmation (L50-52) et d’une séquence latérale (L54-4) (Jefferson, 1972), on observe en effet une belle chorégraphie improvisée (Whalen et al., 2002) : après avoir appuyé sur la touche Entrée (L56), l’Arm repositionne, recentre sa main droite au dessus des lettres du clavier ; et la complétude de ce mouvement est synchronisée avec la production du « d’accord ».

4.2. Clôturer une paire, démarrer une action informatique

À la différence des deux extraits précédents, l’extrait suivant documente le fait qu’un « d’accord » peut être produit non pas en aval, mais en amont d’une action

informatique : l’Arm clôture une paire question-réponse par « d’accord » lequel projette une action informatique (extrait 11).

Dans l’extrait 11, l’émergence du « d’accord » (L79) est synchronisée avec l’orientation du visage vers le clavier et le retour de la main droite dans sa position sur le clavier (on pourra contraster les positions du corps sur l’image 1 à droite, et sur celle de gauche prise quelques centièmes de secondes avant). À la complétude de cette marque de clôture, l’Arm initie avec [SENSATION DE], un segment (L80) correspondant à l’explication fournie par l’appelant dans la seconde partie de paire (L76-77). Le « d’accord » est ainsi produit à l’orée d’une action informatique qui entérine une information fournie dans la paire question-réponse, laquelle est clôturée par ce même « d’accord ».

Section 4.1, extrait 9 220409 _ 18h49 _ Pom73 ARM : euh: diabétique insulino dépendant/74 : (0.4s)#(0.1s) arm : #Enter Enter75 POM : ouais insulino #dépendante ouais\ arm : #DID/ im1----------->76 : (0.3s)77 ARM : d:’a#ccord\ arm : --->#im 278 : (0.3s)79 ARM : tu n’as pas d’dextro disponible/

Im 1

75 POM: ouais insulino #dépendante ouais\ arm : #DID/---------->

Im2

76 : (0.3s)77 ARM : d:’a#ccord\ arm: --->#

Section 4.1, extrait 10 250309 _ 18h31 _ Pom50 ARM : donc euh: y’a pas d’cyanoses/ au niveau des lèvres et51 : des pieds\52 POM : du tout\53 : (0.3s)##(0.4s)#(0.3s) arm : ##Enter #PAS DE CYANOSE----------------- >> L5554 ARM : (alors\, ah:) c’est ça qui m’inquiétait hein/55 POM : ouais ouais\ (..)on a#¥bien compris\ arm : ------------> # arm : ¥visage vers écran--- >>L6056 : (0.5s)## % (0.3s) % arm : ##Enter arm : %main droite revient en position%57 ARM : d’accord\=

L’Information grammaticale n° 139, octobre 2013 41

4.3. Émergence d’un « d’accord » après une réponse, et à la frontière entre deux actions informatiques

Les deux sections précédentes montrant qu’un « d’accord » peut émerger en amont ou en aval d’une action informatique, il apparaît de plus que celui-ci peut se situer dans le fl ux d’une action comprenant plusieurs gestes informatiques. En effet, on peut schématiser le dispositif informatique selon ses trois composantes : l’écran, le clavier, la souris. Lorsque l’Arm s’oriente vers une action, par exemple inscrire une information qui vient d’émerger d’une séquence question-réponse, elle peut saisir la souris, diriger le pointeur vers une zone du logiciel, cliquer sur cette zone, orienter ses mains

vis-à-vis du clavier. Autrement dit, il y a un certain nombre de manipulations et d’orientations du corps qui composent cette action, et le passage d’une orientation à l’autre, d’un outil à l’autre peut correspondre avec la production d’un « d’accord », lequel, dans l’ensemble de mon corpus, balise également le fl ux conversationnel. Voici un exemple.

Une Arm cherche à savoir depuis quand date une blessure au couteau (L65) (extrait 12).

Dans cet extrait, l’émergence du troisième membre de triplet « d’accord » (L69) est contemporaine de la complétude d’une première manipulation informatique, à savoir déplacer le pointeur de la main droite avec la souris jusqu’à cliquer

Section 4.2, extrait 11 110209 _ 17h33 _ Part70 ARM : y’a pas d’plaie infectée /71 : (0.5s)72 APP : bah ##c’est à dire que:[:m: bah en fait je]:: arm : ##Cl devant “/”73 ARM : [c’est une douleur que#vous arm : #DLR Esp->74 : r’sentez\#] arm : -------> #75 : (0.2s)¥(0.3s)¥(0.1s) arm : ¥main droite vers souris¥ 76 APP : quand j’touche ma jambe je ne sens plus euh:: de de77 : sensation\78 : (0.6s)79 ARM : ¥d:’accord\ arm : ¥visage vers clavier, main droite retourne sur clavier im.180 : #(2.1s) arm : #SENSATION DE -------- >>

78 : (0.6s)79 ARM : d:’accord\

79 ARM : d:’accord\

Im 1

42 L’Information grammaticale n° 139, octobre 2013

sur une zone du texte (L67-9). D’autre part l’orientation de l’Arm sur le dispositif informatique se prolonge au-delà de la complétude du « d’accord », puisqu’elle repositionne sa main droite au clavier et tape un segment correspondant à l’information émergeant dans la paire Q/R L65-7, à savoir un élément chronologique (« moins d’un mois ») qu’elle introduit par la forme « il y a » (L69).

5. DISCUSSION

Adoptant une perspective conversationnelle d’inspiration ethnométhodologique (Sacks, Schegloff, Jefferson, 1974 ; Gülich & Mondada, 2001), qui privilégie une démarche émique 5, je n’ai pas attribué a priori de contenu, de rôle syntaxique ou pragmatique à l’item « d’accord » avant d’en étudier les occurrences dans mes données en tâchant de rendre compte du point de vue des participants. Je me suis placé en effet, et de façon analogue à l’analyse de « ben » chez Bruxelles et Traverso (2001), dans une perspective d’étude du « d’accord » en tant que ressource mobilisée localement pour rendre compte de la progression interac-tionnelle, et ceci dans un cadre séquentiel relativement restreint, à savoir à la suite d’une réponse à une question posée par l’Arm.

L’analyse de l’usage interactionnel et quotidien de « d’accord » dans les appels au 15, qui croise (et est restreinte par) une approche séquentielle et une approche en termes d’actions accomplies, vient enrichir l’analyse des marqueurs discursifs en tant que coordonnées contextuelles qui indexent des énoncés aux contextes locaux dans lesquels ils émergent et s’attachent à divers plans de cohérence (Schiffrin, 1987 : chap. 10). En nous focalisant sur des actions accomplies, nous n’excluons pas par ailleurs qu’elles le soient via d’autres items tels que « ok », « oui », ou même « mhhm » ; voire d’autres phénomènes comme la reprise par exemple (Rollet, 2012 : 4).

Dans ce cadre praxéologique, le « d’accord » est un pivot, un tremplin, mais il ne procède pas seul en lui-même à l’organi-sation de l’échange. Il fonctionne, pour reprendre Bruxelles et Traverso (2001 : 43), comme un indicateur au sein d’une structure (faite de contenus propositionnels, pragmatiques) contribuant à l’ouverture, le maintien, la fermeture du flux de l’interaction avec l’appelant. C’est pourquoi l’analyse du « d’accord » positionné après une paire question-réponse

5. Ce terme s’inscrit dans l’opposition emic / etic. Dans une perspective d’analyse conversationnelle, c’est à l’origine du savoir et de l’occurrence d’un item que fait référence cette opposition.

peut mobiliser un cadre séquentiel, ou d’activité plus large que la seule paire adjacente, étant donnée sa portée pratique plus ou moins grande. D’une manière générale cette étude s’intègre au corpus de travaux sur les façons dont formes syntaxiques et formes interactionnelles s’assemblent en tant que ressources permettant aux participants d’accomplir leurs objectifs (Ford et al., 2002 : 33).

L’utilisation du « d’accord » dans cet environnement séquen-tiel de la paire adjacente, s’inscrit de plus dans une technique de premier locuteur, à savoir celui qui pose les questions. En ce sens il contribue fortement à l’exhibition d’un aligne-ment catégoriel des participants sur des identités situées (Greco, 2006) ; ce qui donne notamment, et de façon schématique, pour l’appelant : à la suite d’une réponse attendre la prochaine question.

La chose se complexifie encore lorsque l’on fait entrer les manipulations informatiques dans l’analyse de certains segments d’interaction. En effet, la présentation des trois grands cas de relation entre la production d’un « d’accord » à la suite d’une séquence question-réponse et l’orienta-tion de l’Arm vis-à-vis du dispositif informatique (et plus généralement on pourrait le dire, vis-à-vis de l’espace de travail) appuie une approche des pratiques verbales comme inscrites dans un système d’activité situé (Goffman, 1961 ; Goodwin M.H., 1990 ; Rollet, 2012 : 3.8.). Par là j’entends un ensemble coordonné de conduites verbales, corporelles et informatiques se structurant mutuellement pour organiser un « tout », une activité au sein de laquelle des savoirs sur le problème médical sont produits collectivement à travers l’échange conversationnel et l’interaction Arm-machine.

Bien que les manipulations informatiques ne soient pas systématiquement en jeu dans l’émergence du « d’accord », une analyse fine de ce qui est tapé au clavier au moment où cela est tapé, de la façon dont le corps s’ajuste par rapport à l’écran, au clavier, à la souris, permet de rendre compte de la complexité des pratiques de coordination dont font preuve les Arm pour ne pas faire attendre l’appelant, ne pas sortir du format séquentiel en cours, enregistrer des informations, préparer informatiquement la prochaine séquence conversationnelle. Je soutiens ainsi que cette étude est un cas d’analyse du raisonnement pratique (Garfinkel, 1967, 2001) : le « d’accord » joue son rôle dans l’organisation interne des activités conversationnelles, pas seulement et froidement d’un point de vue séquentiel, mais aussi du point de vue des « méthodes de production et de reconnaissance de la compréhension appropriée au

Section 4.3, extrait 12 110209 _ 17h33 _ Part65 ARM : [et donc ça] ça r’monte à quand/ ça66 : #(0.7s) arm : #devant seg A EU Esp--->67 APP : à moin- #moins d’un mois\ arm : ----> #main droite vers souris déplace pointeur-->L6968 : (0.6s)69 ARM : d’a#ccord/ .h et donc #là vous (.) c’est pas# infecté/ arm :--->#curseur avant “/” #IL Y A Esp---------->#70 : y’a pas d’plaie infectée /

L’Information grammaticale n° 139, octobre 2013 43

caractère situé, occasionné des actions et des expressions particulières » (Quéré, 1987 : 115).

La précision de mes données et leur analyse permet d’avancer l’idée examinable dans le corpus, de compétences spécifiques d’une part en termes de conjonction du travail des yeux et de la voix (Licoppe, Relieu 2005), d’autre part en termes de gestion d’une situation de multiactivité qui repré-sente plus que la stricte somme des activités langagières et des activités informatiques, et qui consiste à maintenir une certaine cohérence entre ces deux plans.

Nicolas ROLLET Paris 3 – CLESTHIA

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