Créativité et Technologies de l'Information et de la Communication dans...

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LA LA Linguistica applicata collana diretta da Patricia Kennan 6 ENRICA PICCARDO Créativité et Technologies de l’Information et de la Communication dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères Milano 2004

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LALA Linguistica applicatacollana diretta da Patricia Kennan

6

ENRICA PICCARDO

Créativité et Technologies del’Information et de la Communicationdans l’enseignement/apprentissage

des langues étrangères

Milano 2004

© 2004 ARCIPELAGO EDIZIONIVia Carlo D’Adda 21 – 20143 Milano

[email protected]

prima edizione Febbraio 2005

Tutti i diritti riservati

ISBN-88-7695-300-2

Finito di stampare nel mese di febbraio 2005presso CODIT

Via dei Fontanili, 13 – 20141 Milano

PRESENTAZIONE

Patricia KennanMilano, gennaio 2005

INTRODUCTION

OBJET DE LA RECHERCHE

La ligne fondamentale de ma recherche consiste en une reconsidération du concept de créativité etde ses implications dans l’enseignement des langues étrangères à la lumière des changements quepeut apporter l’introduction des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) enmilieu scolaire.Le projet de recherche vise à analyser les multiples déclinaisons du concept de créativité qui ont étéfaites dans différents domaines d’études, pour n’en retenir que des lignes clés utilisables dans ledomaine didactique.L’attention est focalisée sur la mise en évidence des différentes caractéristiques et implications de lacréativité qui en font une composante essentielle de l’apprentissage au sens général du terme, et del’apprentissage des langues en particulier grâce à leur rôle à la fois de but et de moyen.La créativité a toujours existé mais elle avait était mise de côté soit à travers un processus de « sur-valorisation »/« idéalisation » – la créativité en tant que strictement liée à la production littéraire, àsavoir poétique et donc située bien au-delà des limites de l’apprentissage de toute langue étrangère- soit à travers l’opération contraire - la créativité proprement dite ne ferait partie des nécessités pri-maires de la communication en tant que telle, donc il serait inutile de dédier du temps et des éner-gies à cet aspect en classe de langue. Un sort très semblable ayant été réservé à la production écrite « libre », à savoir une productiondépourvue d’un objectif de type informatif ou utilitariste évident, ce que j’ai tâché de faire ici, c’estde relier les deux domaines, donc de focaliser sur la créativité appliquée à l’habileté de productionécrite. Une fois analysées les raisons de la nécessité d’une reconsidération de l’habileté de production écri-te pour l’amorce de tout discours sur la créativité même en milieu scolaire, j’ai abordé la probléma-tique des liens possibles entre les TIC et la créativité dans l’écrit au niveau lycée.L’introduction de l’ordinateur dans la pratique scolaire a été faite dans la plupart des cas d’une façon« mécanique », assez semblable à la première phase de l’introduction du laboratoire de langues, àsavoir pour des exercices de type structural ou pour suivre des parcours plus ou moins figés qui lais-saient peu d’espace à l’initiative de l’élève. La motivation liée à ce type d’introduction des TIC serévèle en générale très superficielle et de brève durée. L’ordinateur présente au contraire toutes lespotentialités nécessaires à une utilisation très flexible et créative; il est un outil aux fonctions multi-ples, parmi lesquelles le traitement de textes me semble présenter l’intérêt majeur. C’est à partir decette hypothèse que j’ai travaillé en classe de langue avec des élèves de lycée (et ensuite en forma-tion des formateurs dans une perspective d’emploi des TIC en classe de LE) parvenant à des résul-tats d’apprentissage très satisfaisants et à une augmentation durable de la motivation et de l’impli-cation personnelle des élèves: cette recherche a donc pour objet l’analyse de la synergie qui se créeentre expression écrite créative et emploi flexible de l’ordinateur au niveau du développement del’habileté de la production écrite en LE en milieu scolaire.

8 INTRODUCTION

OBJECTIFS DE LA RECHERCHE

Ma recherche vise à montrer comment l’utilisation des TIC, qui comporte une nouvelle façon destructurer l’apprentissage en se posant comme source d’informations organisée de façon hypertex-tuelle d’un côté et comme instrument catalyseur de la production écrite en tant qu’activité « libre »de l’autre, peut être considérée comme un déclencheur de créativité.Je suis partie du principe, que l’on peut considérer comme validé empiriquement, selon lequel leniveau de motivation des élèves a un effet de bénéfice sur l’apprentissage et j’ai considéré le niveaud’implication personnelle de l’apprenant comme caractéristique fondamentale de la composantemotivationnelle.À partir de cela j’ai posé, au début de mon travail, l’hypothèse suivante: le niveau d’apprentissageen général et d’une langue étrangère en particulier résulte assez favorisé par une implication sub-jective de l’apprenant qui tient compte à la fois de la dimension intellectuelle et affective de l’indi-vidu. En partant de cette constatation j’ai envisagé une modalité d’intégration des TIC cohérente avec lesprincipes de l’enseignement humaniste, dans laquelle le sujet apprenant garde le rôle fondamental etutilise les TIC comme des «outils authentiques» pour déclencher son propre potentiel créatif.Pour parvenir à expliquer les potentialités didactiques d’une utilisation créative des TIC je me suisposé des sous-objectifs partiels visant à: montrer l’existence d’une double nature de la langue (plus utilitariste et orientée vers un but spéci-fique la première, plus libre et indéterminée, finalisée à l’expression personnelle, à l’imagination, àl’explicitation de son propre texte intérieur la seconde) et, par conséquent, mettre en évidence lanécessité d’une prise en compte de la dimension créative en classe de langue à tout niveau de com-pétence linguistique;montrer que cette double nature du langage, qui trouve une justification théorique aussi bien dans ledomaine de la linguistique que dans celui des sciences de la cognition, n’a fait l’objet d’attentionparticulière en didactique du FLE que dans des approches de « niche » telles que les approches nonconventionnelles, mais qu’elle pourrait aisément trouver un espace d’émergence à l’intérieur de ladidactique scolaire, compte tenu des prémisses favorables constituées des lignes proposées par leCadre Européen de référence;montrer la fonction essentielle de la composante affective et sa nécessaire prise en compte de la partde l’enseignant pour la création d’un milieu favorable à l’expression créative, compte tenu que ladimension créative est liée en même temps aux fonctions linguistiques et à la dimension psycholo-gique de l’apprentissage;mettre en évidence les raisons pour lesquelles l’habileté de la production écrite présente des carac-téristiques qui la rendent propice pour être le lieu d’émergence de toute instance d’expression per-sonnelle;souligner l’importance d’un sentiment d’efficacité personnelle comme facteur favorisant la motiva-tion, donc encourageant l’apprentissage;montrer les raisons qui justifient l’emploi des TIC en classe de langue dans une perspective de« basse technologie » et de « haute créativité »;analyser les différentes fonctions de l’ordinateur et leurs implications spécifiques dans l’enseigne-ment/apprentissage de la langue étrangère;relier toute la théorisation aux données issues de la pratique de classe et ajouter à celles-ci les don-nées tirées de l’observation conduite en milieu de formation initiale et continue des formateurs.

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OUTILS DE LA RECHERCHE

Pour ma recherche je me suis servie de mon expérience en tant que professeur de LE et formatricede formateurs: c’est à partir de là que j’ai commencé à recueillir les données qui ont supporté monhypothèse. La pratique constitue donc le noyau fondamental de mon travail.Le travail pratique a suivi le processus typique de la recherche-action, à savoir une modalité récur-sive dans laquelle j’ai posé des hypothèses sur lesquelles j’ai travaillé avec mes élèves: à la suite dela retombée de chaque phase du travail j’ai posé une nouvelle hypothèse, qui était soit une modifi-cation de l’hypothèse de départ soit une extension de celle-ci, et je l’ai à son tour expérimentée dansmes classes pour en observer les résultats. Cela m’a permis de mieux exploiter mon travail en évi-tant de répéter plusieurs fois certains choix qui ne s’étaient révélés particulièrement efficaces.L’expérience dans les classes a eu une durée de trois années scolaires et a impliqué quatre classes,dont deux ont constitué les classes de pointe, ayant fait l’objet d’une observation systématique pluslongue (deux années scolaires complètes) et ayant représenté le « bouillon de culture » pour certai-nes idées clés de tout le travail. Suivant le processus classique de la recherche didactique je me suis efforcée, en tenant compte decette pratique, de présenter toute une série d’études et de réflexions qui vont de la linguistique à lapsychologie à la méthodologie didactique proprement dite, ce qui m’a permis de donner un cadre etdes points de repères à mon hypothèse et en même temps de parvenir à une nouvelle théorisation qui,à son tour, se donne comme objectif de contribuer dans une certaine mesure à faire progresser laréflexion didactique.Pour parvenir à ce résultat j’ai tenu compte de la synergie qui peut se créer entre les apports de lapsychologie de l’apprentissage et les implications de l’utilisation des TIC sur l’apprentissage engénéral et sur celui des langues étrangères en particulier.La recherche didactique gardant, par rapport à d’autres typologies de recherche, une composantefloue et une difficulté générale de mesurage, qui est accentuée dans le cas spécifique d’un travail axésur des composantes affectives et psychologiques telles que la motivation ou le niveau d’implicationpersonnelle des apprenants, j’ai décidé de ne pas inclure des annexes présentant des exemples de tra-vaux préparés par les élèves non seulement à cause de problèmes liés aux droits d’auteur (les élèvesayant eu la liberté plus totale par rapport aux textes, matériaux, documents à utiliser et manipuler)mais surtout car cela me semblait tout à fait inadapté au compte rendu de la complexité du travaileffectué, et aussi tendant à réduire l’importance des processus observés. Mon étude se concentraitsur le comment plutôt que sur le quoi, sur le processus plutôt que sur le produit, sur la motivation àl’apprentissage et à l’implication personnelle favorisée par une nouvelle perspective d’approche auxTIC introduite par les travaux effectués plutôt que sur les travaux eux-mêmes. C’est pour cette rai-son que j’ai taché de décrire de la manière la plus détaillée possible le (ou les) processus observé(s)au cours de plusieurs années de travail et de me concentrer sur la retombée de(s) processus sur leniveau et sur la nature de la motivation des apprenants.L’expérience dans les stages de formation a été d’abord utilisée pour vérifier si, dans une situationdifférente avec d’autres compétences et stratégies de travail, les résultats obtenus présentaient desaffinités par rapport à la situation de classe. Elle a été utilisée aussi pour vérifier si la modalité detravail et la perspective adoptée jouaient un rôle considérable ou si la motivation accrue dérivait seu-lement de l’introduction des TIC en tant que telles ou d’autres facteurs encore, et enfin elle a étéconsidérée pour donner une réponse à la question fondamentale à savoir si l’on pouvait supposer uncertain degré de transférabilité de l’expérience même.

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MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

Pour vérifier le bien-fondé de mon hypothèse de départ et relier les résultats observés dans la pra-tique à l’analyse théorique des facteurs émergés je passe par des stades successifs.En partant du domaine de la linguistique et en me plaçant dans une perspective historique, je consi-dère le développement de différents modèles qui reconnaissent à la langue plusieurs fonctions decommunication. À travers l’analyse de ces modèles je parviens à élucider ce que j’appelle « facteurde créativité » dans le sens que la langue est vue comme un instrument capable soit d’agir sur laréalité en la transformant, soit de créer des mondes alternatifs. En effet, bien que ces modèles révè-lent des différences fondamentales, il faut noter qu’il y a toujours la présence d’une dimension plusample par rapport à celle utilitariste, la langue est vue comme ayant une fonction « magique »(Malinowsky) « expressive » (Bühler) « poétique » (Jakobson) ou « imaginative » (Halliday).Afin de libérer le champ de toute confusion possible, je tâche ensuite de définir tout autre conceptqui pourrait être enchevêtré dans la créativité, tels que jeu, imagination, simulation, poétique: s’il estbien vrai qu’il n’existe pas de créativité sans imagination et envie de se mettre en jeu, il est certainaussi qu’il faut baliser le champ pour éviter encore une fois la confusion entre « production haute »,à savoir et prouction littéraire ou artistique ou sens propre créativité, ce qui a empêché une intro-duction « forte » de cette dernière dans la pratique de classe.À partir de cette première carte conceptuelle je parviens à une définition personnelle du concept decréativité qui me semble cohérente avec mes prémisses et fonctionnelle à l’apprentissage de la lan-gue étrangère et dont je tiens compte pour baliser mon champ de recherche.

La phase successive voit l’analyse de ce que la neurolinguistique, la psycholinguistique et, plusgénéralement, la psychologie ont apporté comme contributions à l’étude de la dimension créativedans l’apprentissage, ce dernier considéré en tant qu’activité de formation du sujet apprenant. Ladimension subjective de l’apprenant est prise en compte de manière précise car elle constitue unpoint nodal pour relier la dimension psychologique à celle didactique, lien qui constitue un desconcepts clés de ma recherche.Le cadre est complété par le choix des points de repères théoriques, à savoir la théorie des systèmes,celle de la complexité et le pragmatisme, ainsi que par l’explicitation des raisons selon lesquelles marecherche se positionne à l’intérieur de ces mêmes théories.De chaque théorie j’analyse dans le détail ce qui me semble contribuer à expliquer les raisons d’u-tilité didactique de certains choix qui peuvent sembler très bizarres par rapport à la pratique couran-te, mais qui sont au contraire fonctionnels à la prise en compte du concept de créativité en classe delangue. La classe étant un lieu où se forme un équilibre entre les différentes composantes (à savoir ensei-gnant, apprenants, mais aussi espace, équipement, temps…), j’examine quelles sont les interrelationsqui se créent et quelle est leur influence sur les résultats d’apprentissage. J’analyse le rôle de l’af-fectivité en classe de LE et, par conséquent, celui de la relation enseignant/apprenant aussi bienqu’apprenant/apprenant.Vu qu’il est impossible de séparer concrètement, aussi bien en psychologie qu’en didactique, lasphère cognitive de celle affective - et je donne des raisons pour cela - le concept d’affectivité dansl’apprentissage apparaît central dans ma recherche et cela aussi dans le chapitre dédié aux NT où jemontre comment celles-ci peuvent favoriser le binôme affectivité/créativité. J’introduis le conceptd’affectivité dans l’apprentissage dans une perspective historique, avec une focalisation sur lesapproches humanistes-affectives, et du point de vue théorique en analysant l’hypothèse du « filtreaffectif » de Krashen et le modèle « olodynamique » de Titone, surtout dans son troisième niveau,celui « égodynamique ».

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Les composantes « psycholinguistique » et « neurolinguistique » étant strictement liées, il faut consi-dérer que la dimension créative porte sur l’hémisphère droit qui se caractérise par une activité glo-bale-expressive, tandis que les fonctions linguistiques-analytiques sont liées à l’hémisphère gauche.La créativité en langue étrangère opérerait donc d’une façon holistique, ce qui est très important. La psycholinguistique s’occupe de la partie visible, le niveau linguistique, et d’un niveau non per-ceptible, le niveau psychologique (Titone, 1993, p.64), dans mon étude de la créativité je tiens comp-te donc de plusieurs facteurs à la fois: des implications psychologiques (moi profond et langage), auxthéories du fonctionnement du cerveau, considérant que le rôle du fonctionnement du cerveau estessentiel non seulement par rapport à l’étude de la créativité mais aussi bien par rapport à celui dela mémoire en connexion avec le stockage d’informations et la construction de la connaissance.

Dans la partie centrale de mon travail j’aborde le domaine didactique proprement dit, en analysantsi et dans quelle mesure la dimension créative trouve sa place à l’intérieur des approches couram-ment utilisées en milieu scolaire et non scolaire, approches dont je procède à un examen attentif desconcepts clés qui me semblent liés à la dimension créative. Ce faisant, je réserve une place particu-lière à l’Approche relationnelle issue du courant de la psychologie humaniste, cette approche étantcelle qui se rattache le mieux à la dimension créative de l’apprentissage des langues étrangères.Je focalise ensuite le champ de ma recherche sur l’habileté de production écrite pour des raisonsmultiples: • cette habileté a été négligée par l’approche communicative, du moins en tant que fonction poé-

tique: ce qu’on a gardé c’était en général un minimum utilitariste pour des échanges efficaces,alors que l’écriture peut au contraire être considérée comme un des lieux d’émergence desbesoins de créativité des adolescents;

• il y a eu, un peu partout, une grande prolifération d’ateliers d’écriture, qui étaient l’issue natu-relle d’une plus grande sensibilisation aux non-innéistes de la maîtrise de l’écriture. Ces atelierssont en majorité en L1, on parvient à les faire en L2 aussi, en prenant en considération une éven-tuelle simplification des consignes;

• l’introduction des TIC et l’évolution que leur utilisation semble présager replacent l’habileté deproduction écrite sur un plan de prééminence, avec tout ce que cela implique en termes de conte-nu et de structuration des textes écrits;

• enfin, l’habileté d’écriture a été celle sur laquelle j’ai travaillé davantage en classe de langue àl’aide des TIC, justement car j’ai remarqué que la compétence de production écrite était en géné-rale plutôt faible surtout quand il s’agissait pour les élèves de produire des textes libres.

Je présente donc les modèles les plus importants qui décrivent le processus de l’écriture en m’effor-çant d’en transférer les résultats à l’écriture en langue étrangère, pour parvenir à montrer les avan-tages d’une approche créative à l’écriture dans le contexte scolaire et les relations possibles entre tra-vail par projets et écriture.

C’est à partir de tout cela que ma réflexion vise à rechercher non seulement la raison de la persis-tance, j’oserai dire de la nécessité, d’une dimension non utilitariste de la langue au niveau de son uti-lisation, donc aussi de son apprentissage, mais encore comment les TIC peuvent contribuer à reva-loriser cette dimension grâce à leurs caractéristiques intrinsèques et d’utilisation. Cette différence estessentielle pour mon travail: il s’agit en effet de bien distinguer d’un côté les caractéristiques tech-niques des logiciels, c’est-à-dire ce qu’ils permettent de faire en termes de structuration et manipu-lation de textes, et de l’autre les conséquences qu’une utilisation didactique pertinente et efficacepeut avoir sous l’aspect du développement de l’apprentissage.Dans le quatrième chapitre, auquel fait suite la relation de l’étude de cas, je tâche d’analyser l’ins-trument « ordinateur » dans ses multiples fonctions, celle de source de matériel authentique, celle

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d’outil de traitement de texte, celle de moyen de communication et de voir comment ces trois fonc-tions peuvent être reliées à l’écriture.J’analyse ensuite la relation entre TIC et écriture à la lumière des implications psychologiques quela synergie entre facteur humain et facteur technologique peut avoir sur le développement de cettehabileté, pour parvenir ensuite à considérer les différentes démarches pédagogiques qu’il est possi-ble d’adopter pour une intégration des TIC finalisée au développement de la créativité. Je concentresurtout mon attention sur les logiciels utilisés dans les projets faisant l’objet de l’étude de cas relatéau cinquième chapitre, afin de montrer que l’un des points forts contribuant au développement del’écriture créative consiste à partir de la logique du logiciel et à exploiter les matériels et les res-sources à la disposition de l’apprenant, tels que le matériel téléchargeable d’Internet.Au cours de cette analyse je reprends des concepts clés de ma recherche, tels que celui de com-plexité, d’humanisme, d’interaction, d’implication psychologique du sujet apprenant, de flexibilité,pour souligner l’efficacité d’une intégration des TIC en classe de langues en termes de stimulationde la créativité de l’apprenant, dans le cas où cette intégration a lieu à l’intérieur d’un paradigmedidactique finalisé à la perspective de développement de la personne dans toute sa complexité. Mon intérêt est celui de montrer comment tout cela puisse être appliqué à toute tranche d’âge, avecla nécessaire différenciation des tâches et des contenus proposés.Même si l’utilisation des NTIC dans l’enseignement/apprentissage des langues est assez récente onpeut déjà noter une évolution et un changement de perspective considérable, dûs aussi bien à des rai-sons d’ordre technique, qu’à une nouvelle – et plus consciente – « approche à l’appareil » et donc àla conception de son rôle et de ses potentialités.Du côté technique il faut tenir compte que l’ordinateur a eu une évolution spectaculaire ces derniè-res décennies, à laquelle ne correspond pas en milieu scolaire, surtout pas dans le domaine des lan-gues, un travail pédagogique visant à en exploiter les potentialités en termes d’interactivité et deflexibilité. L’ordinateur se compose d’un disque dur (hardware) et de logiciels (software): même si le premiera aussi son importance, étant donné que de lui dépend le fonctionnement des seconds, ce qui m’in-téresse davantage ce sont bien entendu ces derniers. A cet égard le scénario suivant se pose: plus leslogiciels sont projetés en fonction de l’apprentissage (des langues) – quoique interactifs au plus hautdegré – plus ils sont « prêt-à-l’usage », moins ils stimulent la créativité de l’apprenant, plus ils sontgénéraux, non « dédiés », plus ils déclenchent l’envie de créer, d’essayer, de construire. Cela pro-pose à nouveau la véritable révolution copernicienne qui a été représentée par l’introduction dudocument authentique en classe de langue, qui a, en peu de temps, complètement changé la façond’enseigner et d’apprendre la L2.Du côté utilisation pédagogique du moyen on a commencé à en étudier les potentialités et les per-spectives en arrivant à formuler le concept d’ergonomie cognitive qui est fondamental pour marecherche. Je tâche d’aller plus loin avec ma recherche en présentant le concept d’ordinateur commedéclencheur du potentiel imaginatif du sujet.

Tout ce parcours de recherche est finalisé à faire comprendre les motivations et les implications dutravail pratique que j’ai fait avec des classes de lycée et à l’occasion de stages de formation. C’est àpartir de mon expérience personnelle en tant qu’enseignante et formatrice de formateurs en fait queje parviens à des considérations qui me semblent fort intéressantes: dans une atmosphère appropriéel’ordinateur paraît avoir le pouvoir de réveiller toute une envie de se mettre en jeu, de structurer, d’é-crire, de présenter, bref de créer, envie dont on n’était pas arrivé à soupçonner l’existence. Cela estd’autant plus vrai si l’on utilise en classe les logiciels plus communs, tels que ceux de traitement detexte. L’étude de cas qui fait l’objet de la dernière partie du travail relate de cette expérience.Dans cette partie je décris les caractéristiques de l’étude effectuée, celles des apprenants, leur niveaude compétence linguistique et technique, les modalités et les conditions de travail, les difficultés

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relevées. Je passe ensuite à l’analyse des résultats observés en comparant les différences entre lesgroupes concernés et j’envisage la transférabilité de ce type d’intégration des TIC et sa retombée nonseulement en termes didactiques mais aussi en termes d’occasion de croissance personnelle des élè-ves.

Je dédie ce travail à mon père dont la philosophiede vie a été toujours l’amour de la connaissance

Enrica Piccardo

Première partie

LA GALAXIE CRÉATIVITÉ:UNE CARTE CONCEPTUELLEPOUR SE REPÉRER

Luttant contre le divorce de l’esprit scientifique et de la poésie, c’est une philosophie de la complétude de l’esprit humain qui est ainsi constituée

Franc Morandi, Philosophie de l’éducation

1. 1 Introduction du concept de fonction poétique-imaginative

Le choix de mettre ensemble les adjectifs poétique et imaginatif en se référant au concept de fonc-tion nous dérive de deux facteurs:• le choix d’un terme plus ample qui puisse comprendre différentes composantes afin d’élargir le

concept en intégrant la dénomination du schéma classique de Jakobson avec celui de Hallidaypour être fonctionnel sur le plan didactique, surtout dans l’enseignement de la langue étrangère« l’intégration des deux modèles selon la tendance acceptée surtout par la didactique italiennepermettrait de déterminer un nombre limité d’actes communicatifs à travers lesquels toute fonc-tion se réaliserait » (Balboni, 1999).

• l’intention de relier de facto deux traditions (française et anglo-saxonne) en soulignant ce qu’el-les ont en commun, même si, dans ce cas, Jakobson, en parlant de la fonction poétique, focali-se son attention sur le message comme un des éléments de la communication, tandis queHalliday, partant de ses études sur l’acquisition et le développement du langage chez l’enfant,identifie la fonction imaginative comme celle qui exprime le côté jeu, le au-delà, le faisons sem-blant de…, celle qui ouvre la porte de l’imaginaire.

Le concept de fonction est très vaste et ce à quoi je vise dans ce travail n’est pas de faire une analysede ce concept à l’intérieur des sciences du langage, mais de trouver, dans les schémas des linguistes,les points de repère nécessaires pour décrire et analyser ce quelque chose dans le langage qui va au-delà (ou bien qui reste d’un côté) de la communication en tant qu’échange d’informations.C’est pourquoi je tâcherai d’introduire cette analyse à partir d’une perspective historique.La dénomination des fonctions de communication de Jakobson indique « les usages particuliers quipeuvent être plus ou moins présents dans toute communication » (Jakobson, 1963, p. 84, cité d’aprèsMounin, 1974, p. 22) et même si je garde la notion de fonction de communication dans le sensemployé par Jakobson (et ensuite par Halliday) je voudrais me concentrer sur la question de base quese sont posée les linguistes dès la naissance de cette science même: « qu’est-ce que l’activité linguis-tique? », c’est-à-dire « pourquoi le langage est-il fait? » et « qu’est-ce qu’on peut faire avec le langa-ge? ».De cette première question en dérive une autre: « quelle est la fonction ‘fondamentale’ du langage? »A la réponse initiale, la fonction ‘fondamentale’ du langage serait celle de communication, on a ajou-té tout de suite une autre: la fonction fondamentale serait celle de représentation:

18 GALAXIE CREATIVITÉ Première Partie

Selon Port-Royal la langue a été inventée pour permettre aux hommes de se communiquer lesuns aux autres leur pensée. Mais aussitôt Arnauld et Lancelot ajoutent que la parole, pourpermettre cette communication, doit constituer une image, un tableau de la pensée, ce quiexige que les structures grammaticales soient une sorte de copie des structures intellectuelles(Ducrot et Schaeffer, 1995, p. 642).

Bien que cette distinction ait été contestée par les comparatistes1 quand ils soutiennent que les lan-gues évoluées ont perdu leur fonction de représentation, elle a été reprise par W. Von Humboldt quia même renversé la réponse en soutenant que la représentation est la fonction fondamentale de lalangue dans l’histoire de l’humanité:

La langue n’est pas un simple moyen de communication (“Verständigungsmittel”) mais l’ex-pression de l’esprit et de la conception du monde des sujets parlants: c’est l’auxiliaireindispensable de son développement mais nullement le but auquel elle tend » (Ueber denDualis, 1827, Oeuvres complètes, Berlin, 1907, t. VI, p. 23). En construisant la langue l’esprithumain tend d’abord à poser en face de lui sa propre image, et à prendre ainsi possession delui-même dans une réflexion devenue non seulement possible mais nécessaire (Ducrot etSchaeffer, id, pp. 642-643)

Dans ses Eléments de linguistique générale Martinet dit:la fonction essentielle de cet instrument qu’est une langue est celle de communication: le fran-çais par exemple, est avant tout l’outil qui permet aux gens ‘de langue française’ d’entrer enrapport les uns avec les autres (Martinet, 1970/1991, p. 9)

et il ajoute: On se gardera cependant d’oublier que le langage exerce d’autres fonctions que celle d’assu-rer la compréhension mutuelle. En premier rang [je souligne] le langage sert, pour ainsi dire,de support à la pensée, […] l’homme emploie souvent sa langue pour s’exprimer, c’est-à-direpour analyser ce qu’il ressent sans s’occuper outre mesure des réactions d’auditeurs éventuels(Martinet, 1970/1991, p. 9)

Sur les rapports entre langue et structuration de la pensée et donc, en dernière ligne, sur ce qu’onpourrait appeler le pouvoir de la langue il y a des différences considérables: « bien que dans l’en-semble les linguistes soient d’accord sur le fait que la langue influence la pensée, leur opinion variesur la profondeur de cette influence » (Baylon et Mignot, 1994, p. 37). On part de la position extrême – l’hypothèse dite de « Humboldt Sapir Whorf » – selon laquellechaque langue a un pouvoir très fort de structuration de la pensée et on trouve toute une série de sta-des différenciés jusqu’à l’autre extrême qui attribue un rôle nul à la diversité linguistique

A la formule célèbre de Humboldt, selon qui une langue est une « vision du monde » (Weltanschauung) répondent dans la définition de Martinet des mots qui vont dans lemême sens: la langue est qualifiée d’« instrument de communication selon lequel l’expérien-ce humaine s’analyse, différemment dans chaque communauté… ». Tout cela contredit l’opi-nion courante, mais totalement fausse, selon laquelle la diversité des langues se réduit à unediversité d’étiquette ou de signaux, accolés à des significations invariables qui reflèteraientdirectement la réalité. (Baylon et Mignot, 1994, p. 36)

Mais on peut laisser à Benveniste le mot final étant, la sienne, une position d’équilibre entre les deuxextrêmes

1 Les comparatistes sont nommés ainsi d’après l’expression grammaire comparée ou comparatisme qui désigne unfilon de recherches menée en Allemagne pendant la première moitié du XIXème siècle, en font partie Bopp, les frèresA.W. et F. von Schlegel, J.L.C. Grimm, A. Schleicher et R. Rask.

Première Partie GALAXIE CREATIVITÉ 19

C’est un fait que, soumise aux exigences des méthodes scientifiques, la pensée adopte partoutla même démarche. En ce sens, elle devient indépendante, non de la langue, mais des structu-res linguistiques particulières. […] Aucun type de langue ne peut par lui-même et à lui seul nifavoriser ni empêcher l’activité de l’esprit. L’essor de la pensée est lié bien plus étroitementaux capacités des hommes, aux conditions générales de la culture, à l’organisation de la socié-té qu’à la nature particulière de la langue. Mais la possibilité de la pensée est liée à la facul-té de langage, car la langue est une structure informée de signification, et penser c’est manierles signes de la langue. (Benveniste, 1966, pp. 73-74)

Martinet mentionne aussi une « fonction esthétique du langage » mais il n’approfondit pas ceconcept en se contentant de dire qu’il serait difficile de l’analyser tant elle s’entremêle étroitementaux fonctions de communication et d’expression.

1.1.1 Le modèle de Bühler

Je laisserai d’un côté Martinet qui a poursuivi ses recherches en se concentrant sur le concept defonction linguistique – en particulier dans le domaine de la syntaxe – ce qui, bien qu’il soit extrê-mement intéressant, n’a pas une grande connexion avec mon travail, pour revenir au philosophe dulangage Karl Bühler qui en 1933 a tâché de concilier l’idée humboldtienne, selon laquelle l’essencedu langage est constituée par l’effort de représentation accompli par l’esprit humain, et les acquis dela linguistique du début du XXème siècle, qui donnent la prééminence à l’activité de communication,parvenant d’un côté à distinguer le Sprechakt c’est-à-dire l’acte linguistique (l’acte de signifier, quiest détaché de toute finalité de la parole) de la Sprechhandlung c’est-à-dire l’action linguistique (lalangue utilisée comme moyen), assimilable à la parole au sens saussurien, et de l’autre côté à éla-borer un schéma selon lequel il distinguait trois fonctions de communication se référant au locuteur,au destinataire, et au contenu dont on parle.Le schéma de Bühler définit les trois fonctions comme expressive (Ausdrucksfunktion), appellative(Appellfunktion) et représentative (Darstellungsfunktion). (Bühler, 1934, p. 28)L’usage que Bühler fait du mot représentation est tout à fait différent de celui de Humboldt qui seréférait à une réflexion, une image de la pensée, de l’esprit humain. Pour Bühler c’est au contrairereprésentation du monde.Le modèle de Bühler, tout en affirmant la complémentarité totale de ces trois fonctions (comme ob-servent Ducrot et Schaeffer dans leur Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage « lacommunication (…) est décrite comme un drame à trois personnages (…) tout énoncé linguistiqueest toujours, essentiellement un signe triple, et l’acte de signifier est toujours orienté dans trois direc-tions ») (Ducrot et Schaeffer, 1995 p. 644) avait déjà mis en évidence la nécessité de distinguer lesfonctions de communication et sentait le besoin de les nommer et de les décrire.

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1.1.2 Le modèle de Jakobson

Si pour Bühler entre le destinateur et le destinataire il y a « le monde », pour Jakobson ce « monde »est plus détaillé car il faut distinguer le contexte du message, du canal, du code. Aux trois fonctions de Bühler, à savoir aux trois fonctions qui se réfèrent au locuteur/destinateur, audestinataire et au « contenu », et qui correspondent dans son schéma respectivement à la fonctionexpressive ou émotive, à la conative et à la référentielle (aussi dite dénotative ou cognitive) – cettedernière s’orientant vers le contexte – Jakobson ajoute trois autres fonctions: « phatique », qui viseà l’accentuation du contact, « métalinguistique » qui porte sur le code, « poétique », centrée sur lemessage en tant que tel (Jakobson, 1963, p. 219). Si dans le schéma de Bühler on ne pouvait que soustraire: tout ce qui n’est pas orienté sur le locu-teur (je parle) ni sur le destinataire (je parle à quelq’un) doit être orienté sur le troisième élément (jeparle de quelque chose), cet élément restant tout à fait nébuleux, indifférencié, on commence à aper-cevoir chez Jakobson une forte sensibilité pour la multiplicité des facteurs qui caractérisent le lan-gage en général et ce quelque chose qui passe du destinateur au destinataire.Bien que le schéma de Jakobson ait été l’objet de critiques qui lui reprochaient sa rigidité ou sonmanque d’une caractérisation des communicants, sa perspective constitue un très bon point de départpour mon travail grâce au fait qu’il ait envisagé une dimension « autre » du langage qui ne se limi-te pas à la communicationTrois concepts me semblent particulièrement intéressants dans les Essais, dont les deux derniers res-tent presque aux marges, non développés.Le premier est le souci de Jakobson de souligner l’importance des fonctions secondaires car ildit qu’il est difficile de trouver des messages purs: c’est un problème de hierarchie, la fonctionprédominante caractérise la structure verbale du message mais elle n’est pas seule (Jakobson,1963, p. 214).Après il fait mention presque incidemment de la « fonction magique ou incantatoire » qu’il définitcomme « la conversion d’une ‘troisième personne’ absente ou inanimée en destinataire d’un messa-ge conatif » (et il donne l’exemple de la Bible: « Soleil arrête-toi sur Gabaôn et toi Lune sur la Valléed’Ayyalôn ») (Jakobson, 1963, p. 217).Enfin deux pages après il mentionne Malinowsky auquel il doit l’expression « phatique » et tout desuite il ouvre une fenêtre sur l’anthropologie en nous rappelant que chez les enfants « la tendance àcommuniquer précède la capacité d’émettre ou de recevoir des messages porteurs d’informations »(Jakobson, 1963, p. 219).Il faut ne pas oublier ces considérations de Jakobson quand on continue à lire ce qu’il nous dit à pro-pos de la fonction poétique. Il se préoccupe avant tout de souligner l’importance de ne pas restrein-dre le champ quand on se réfère à la fonction poétique: « l’étude linguistique de la fonction poétiquedoit outrepasser les limites de la poésie » (Jakobson, 1963, p. 219).Et ensuite il se demande selon quels critères linguistiques on reconnaît empiriquement la fonctionpoétique et quel est l’élément indispensable dans toute œuvre poétique. De tout son discours logique et enchaîné je retiendrais seulement quelques mots-clés (combinaisonau lieu de sélection, parallélisme, comparaison) et deux phrases assez significatives: « La superpo-sition de la similarité sur la contiguïté confère à la poésie son essence de part en part symbolique,complexe, polysémique [je souligne] », et encore: « l’ambiguité est une propriété intrinsèque,inaliénable, de tout message centré sur lui-même, bref c’est un corollaire obligé de la poésie »(Jakobson, 1963, p. 238).Ce besoin de Jakobson de définir ce que c’est que l’élément poétique qui distingue un texte n’im-porte lequel en vers ou en rime d’un texte poétique le porte à affirmer que « la poésie implique uneréévaluation totale du discours et de toutes ses composantes quelles qu’elles soient » (Jakobson,

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1963, p. 248) et encore que « en poésie tout élément linguistique s’y trouve converti en figure dulangage poétique » (ibidem). La caractéristique de la fonction poétique serait celle d’enrichir le dis-cours, d’intégrer la dimension symbolique, d’élargir le sens. Jakobson soutient que, dans la poésie, la suprématie de la fonction poétique sur la fonction référen-tielle n’élimine pas la dénotation, mais la rend ambiguë: le message acquiert un double sens et tan-tôt le destinateur tantôt le destinataire se trouvent dédoublés.Il est intéressant de noter cette composante floue qui caractérise la fonction poétique, qu’on pourraitarriver à considérer comme intrinsèque à la fonction même.A cet égard je voudrais citer un passage du texte de Baylon et Mignot La communication: « Les deuxdernières fonctions sont remarquables par leur caractère réflexif, qu’on ne rencontre qu’exceptio-nellement dans des systèmes de communication, hormis le langage » (Baylon et Mignot, 1994, p.78) et les auteurs expliquent ainsi ce concept par rapport à la fonction poétique:

Dans la mesure où il répond à une fonction poétique, le message n’est élaboré pour autrechose que pour lui-même, pour sa propre cohérence, sa propre beauté. Il n’est pas destiné às’effacer après avoir servi, devant des finalités extérieures. Il devient une œuvre au sens pleindu terme.Et pour la fonction métalinguistique: La langue, de son côté, ne rend pas seulement possiblesdes énoncés renvoyant à des référants extérieurs à elle, elle sert à élaborer des énoncés qui laconcernent elle-même (Baylon et Mignot, 1994, pp. 78-79).

L’anomalie de ces deux fonctions est très intéressante de mon point de vue: il s’agit d’un signal, caren général tout ce qui a du mal à s’adapter à un schéma, à être bien décrit et bien classé à cause desa richesse et de sa ductilité ouvre la porte à la créativité.

1.1.2 Le modèle de Halliday

La bipartition de base du langage qu’on avait vue au début, à savoir la distinction entre une idée delangue comme représentation de la pensée et de langue comme instrument finalisé à la communica-tion, est reprise par Halliday dans son oeuvre Language How to Mean (Halliday, 1975).Halliday fait une courte mention des théories fonctionnelles du langage – assez curieusement il nenomme pas explicitement Jakobson – et à ce propos il fait deux considérations importantes pourcomprendre la perspective dans laquelle il se situe. La première est que, selon lui, ces théories ont essayé, en général, d’expliquer les types d’utilisationdu langage, pas vraiment la nature de ce dernier en termes fonctionnels (id, p. 52), la deuxième estjustement que, même dans la différenciation des catégories et des terminologies, toute fonction peutse relier à l’une ou à l’autre des fonctions de base, la fonction ideational (idéationnelle) et la fonc-tion interpersonal (interpersonnelle) (id, p.52).De là il part pour affirmer que si l’on considère la nature même du langage on trouve que le systè-me linguistique des adultes se fonde en effet sur une pluralité de fonctions qui, toutes, se rattachentà la distinction entre idéationnelle et interpersonnelle.Il est intéressant de noter que l’intérêt de Halliday n’était pas linguistique au sens strict, son intérêtreste toujours orienté vers la pratique, vers la didactique des langues, donc ce qu’il fait c’est d’ana-lyser les phases du développement du langage chez l’enfant pour d’un côté avoir un cadre précis desimplications et des caractéristiques de la langue de l’adulte et de l’autre pour avoir une vision clai-re et systématique des étapes que tout apprenant plus ou moins suivra dans son apprentissage d’unelangue étrangère.

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Ce qui nous intéresse ici c’est son énonciation, et sa délinéation, d’une fonction imaginative et ladescription qu’il en fait en termes de quand et comment elle se manifeste et ce que c’est en réalité.Halliday distingue trois phases qui caractérisent le développement du langage, en particulier de lalangue maternelle chez l’enfant: « Phase I, the child’s initial functional-linguistic system; Phase II,the transition from this system to that of the adult language; Phase III, the learning of the adult lan-guage » (id, p. 7)2

La première phase couvre l’âge de 6 à 17/18 mois, la deuxième va de 17/18 mois jusqu’à la fin dela deuxième année environ. A l’âge de deux ans l’enfant a compris le fonctionnement du systèmelinguistique, il emploiera le reste de sa vie pour apprendre la langue.Les fonctions énoncées par Halliday sont au nombre de sept:

• Instrumental (instrumentale) “I want” (je veux)• Regulatory (régulatoire) “do as I tell you” (fais ce que je te dis)• Interactional (interactionnelle) “me and you” (moi et toi)• Personal (personnelle) “here I come” (j’arrive/c’est moi)• Heuristic (heuristique) “tell me why” (dis-moi pourquoi)• Imaginative (imaginative) “let’s pretend” (faisons semblant que)• Informative (informative “I’ve got something to tell you”

(j’ai quelque chose à te dire)(id, p. 37)

La fonction informative, impliquant l’idée selon laquelle la langue peut servir pour communiquerune information à quelqu’un qui ne la possède pas, domine dans l’âge adulte et n’émerge que trèstard dans la vie de l’enfant, de toute façon bien après les autres.Des six premières fonctions la sixième (Halliday les a énumérées dans l’ordre selon lequel ellesapparaissent) est la fonction imaginative qu’il définit ainsi:

Finally we have the imaginative function, which is the function of language whereby the childcreates an environment of his own. As well as moving into, taking over and exploring the uni-verse which he finds around him, the child also uses language for creating a universe of hisown, a world initially of pure sound, but which gradually turns into one of story and make-believe and let’s pretend, and ultimately into the realm of poetry and imaginative writing. Thiswe may call the ‘let’s pretend’ function of language. (Halliday, 1975, p. 20)3

Cette fonction existe dès la première phase: elle semble donc être intrinsèque du langage.Il faut noter que ce qui intéresse Halliday c’est le meaning, le signifié. Son analyse part d’un âge trèsprécoce car il dit que l’enfant possède déjà un système linguistique bien avant de posséder des motsou des structures quelconques « the child already has a linguistic system before he has any words orstructures at all »4 (id, p. 6).Et encore il identifie l’apprentissage d’une langue avec celui d’un système sémantique en affirmanten même temps que ce processus commence bien avant que l’enfant dispose de mots : « it is our

2 Phase I, le système fonctionnel linguistique initial de l’enfant; Phase II, la transition de ce système à celui dulangage adulte; Phase III, l’apprentissage du langage adulte.

3 Enfin nous avons la fonction imaginative, qui est la fonction du langage à travers laquelle l’enfant crée son envi-ronnement à lui. Non seulement il entre, prend le contrôle et explore l’univers qu’il trouve autour de lui, l’enfant utili-se aussi le langage pour créer son propre univers, un monde constitué au début de pur son, mais qui peu à peu se trans-forme dans un monde d’histoire et de faisons semblant et finalement dans le royaume de la poésie et de l’écriture créa-tive. Cela nous pouvons l’appeler la fonction « faisons semblant » de la langue.

4 L’enfant possède déjà un système linguistique avant d’avoir n’importe quels mots ou structures.

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contention that the learning of language is essentially the learning of a semantic system, and that thisprocess is already well under weigh before the child has any words at all »5 (id, p. 9).Il est d’autant plus remarquable dans ce contexte le fait que la fonction imaginative existe bien avantqu’on puisse la traduire en un message, en un texte.La création du texte dérive pour Halliday de l’essence même du langage et complète la nature duphénomène qu’il avait subdivisé en deux macro-fonctions ou fonctions de base, idéationnelle etinterpersonnelle: il l’appelle la fonction textuelle (textual) ou « texturelle » (textural).Mais pour revenir à la fonction imaginative, elle fait donc son apparition à la fin de la phase I, seconcrétisant dans des jeux de « faire semblant de…» et de « chanter » : ces jeux se différencient peuà peu, mais la fonction en tant que telle reste fondamentalement plus ou moins immuable dans laphase II pour arriver, en se reliant à la « fonction textuelle », à son vrai épanouissement dans la phaseIII, comme on le voit schématisé ci-dessous:

5 Nous soutenons que l’apprentissage du langage est essentiellement l’apprentissage d’un système sémantique, etque ce processus est déjà bien en mouvement avant que l’enfant ne posséde des mots n’importe lesquels.

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La perspective de ce travail est celle de relier les deux fonctions, la fonction poétique décrite parJakobson et la fonction imaginative décrite par Halliday, pour parvenir à une fonction poétique-ima-ginative qui, comme le dit Balboni, se réalise quand nous utilisons la langue pour créer des mondesalternatifs (c’era una volta, il était une fois) et avec des rimes, des similitudes etc. (Balboni, 1999,p. 45).Etant donné que l’idée de « faire semblant de … » est présente même avant l’apparition d’un instru-ment linguistique utile à l’exprimer d’une manière plus articulée (il faudra attendre la capacité decréer un texte pour voir se déployer toutes ses potentialités) et que la fonction poétique va au-delàde la poésie comme on l’a vu au début de ce paragraphe, il faut se demander quelle est la voie etquels sont les moyens pour dégager le potentiel de créativité qui existeraient chez tout apprenant etqui a été presque sacrifié sur l’autel de la communication.Un apprenant créateur, c’est-à-dire un apprenant qui joue, manipule, se fait plaisir, bref qui décou-vre et retrouve toutes les potentialités d’une langue est, avec une forte probabilité, un apprenant desuccès.Avant de voir comment donner de l’impulsion à la créativité il faut bien définir le concept, ce quisemble d’autant plus nécessaire car le mot créativité est utilisé dans tout contexte et avec trop designifiés.

1.2 De la fonction poétique-imaginative à la créativité: définition des conceptsclés de la recherche

1.2.1 Créativité et jeu

Le mot créativité est très à la mode à présent: on le retrouve un peu partout, pas forcément au niveaude la recherche. Le concept a été tout à fait banalisé et fait l’objet d’un marketing tellement continuqu’il a fini par se trouver presque vide de signifié subissant un processus que l’on pourrait compa-rer à celui des catachrèses, les métaphores mortes.Le mot étant très répandu dans l’usage on a en général tendance à ne pas remarquer qu’il contient leverbe « créer », c’est-à-dire « faire, réaliser quelque chose qui n’existait pas encore ». Ce que je cher-che à faire c’est de le ramener à sa dimension signifiante, de rendre la vie à cette expression que jeconsidère presque morte.Ce qui m’intéresse ici c’est le concept de créativité en général et en tant qu’introduction au binôme« créativité-apprentissage », ce qui me permettra ensuite de parvenir à l’analyse du concept par rap-port à l’apprentissage des langues étrangères.Le mot « créativité » est un mot aux implications multiples et ce sont justement ces implications etla relation qu’elles entretiennent l’une par rapport à l’autre et avec la créativité même qui m’inté-ressent le plus.

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Un des premiers concepts que nous associons à la créativité est celui du jeu. Celui-ci impliquant undomaine d’études très vaste qui va de la psychologie à l’anthropologie aux sciences sociales en pas-sant par les sciences cognitives et la pédagogie, ce qui m’intéresse c’est de focaliser l’attention surla fonction ludique du langage, à savoir l’importance des jeux sur et avec la langue pour l’appren-tissage.Mes considérations auront une visée plutôt limitée, elles porteront sur le jeu langagier, mais il vasans dire qu’il m’arrivera d’aborder le jeu comme activité humaine pour pouvoir réfléchir sur sonsous-ensemble linguistique et sur les implications et/ou les conséquences de ce dernier.Déjà le fait d’associer la dimension jeu à celle de créativité est significatif, car il montre commentle mot « créativité » possède une connotation positive que l’on associe au jeu en tant que source deplaisir, de satisfaction.Dans notre société occidentale, toutefois, à partir du rationalisme, donc dans une société qui a toutbasé sur la réalité, sur les sciences expérimentales et leurs acquis, le rapport avec la dimension plai-sir a été, même au niveau linguistique, au moins ambivalent:

Les jeux de mots ou les jeux sur le langage ont mauvaise presse dans notre culture contempo-raine imprégnée de néo-positivisme, rationaliste, c’est-à-dire d’utilitarisme et d’esprit desérieux. Il n’en a pas toujours été ainsi: l’Italie de Boccace, de Castiglione et des poèmesmacaroniques, la France des Grands Rhétoriqueurs comme celle de Rabelais ont placé trèshaut le divertissement langagier. (Caré, Debyser, 1978, p. 4)

Le jeu en tant que tel et avec lui le plaisir verbal a été déclassé ou même considéré avec suspect: lejeu langagier serait réservé aux enfants (dévalorisation du jeu comme simple amusement), au peu-ple (dévalorisation en tant que vulgarisation), aux fous (dévalorisation en tant que réduction à l’in-conscient, au non-sens) et enfin aux poètes (survalorisation en tant que sublimation dans la fonctionpoétique).Il faut au contraire bien considérer la dimension plus profonde que le jeu possède.

Le concept de jeu est très souvent interprété comme dénotant une activité gratuite de divertis-sement. […] Or, le jeu, le jeu de l’enfant tout particulièrement, est certes une activité de« divertissement », mais une activité sérieuse et grave (Jean, 1997, p. 28)

Ce sérieux qui implique un investissement total de l’être est bien présent dans le jeu langagier, dansle jeu poétique:

La forme poétique, bien loin d’être conçue comme la seule satisfaction d’un besoin esthétique,sert à exprimer tout ce qui est important et vital dans la vie de la communauté. Mais elle l’ex-prime en jouant avec les mots (Huizinga, 1954, pp. 209-210)

Comme je l’ai montré dans le premier chapitre je suis partie de la fonction poétique de Jakobson quimontre « le côté palpable des signes » (Jakobson, 1963, p.218) et donc comment la centration sur lecode permet d’utiliser le langage aussi bien pour créer du sens que pour un plaisir esthétique et jel’ai reliée à la fonction imaginative de Halliday pour parvenir à une fonction poétique-imaginativequi me permet de relier les deux aspects du contenu exprimé et de la forme, d’utiliser la langue pourexprimer l’au-delà, le « faisons semblant… », donc le côté jeu langagier, poésie, imagination. Or, cechoix est très étroitement lié à la conception du jeu à laquelle je me réfère au cours de ma recherche.Les jeux de mots restent indispensables pour « ouvrir l’esprit des enfants et des adolescents à cetteautre langue […] qui est dans la langue » (Jean, 1997, p. 46), « les jeux poétiques devraient être uti-lisés pour libérer l’enfant et l’adolescent d’une approche traditionnelle de la langue » (id, p. 150). Ilest donc très important de donner aux élèves l’occasion de jouer avec, de manipuler la langue,« d’appréhender le langage dans sa matérialité concrète » (id., p. 160), mais il faut toujours avoirconscience, dans cette démarche, que le but final est celui d’aider l’élève à retrouver la dimension

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« plaisir » et donc, par conséquent, d’accroître sa motivation à l’apprentissage, de l’aider à s’yin-vestir en tant que sujet.Cette dimension plaisir Debyser arrive presque à l’attribuer à Jakobson qui l’aurait, selon lui, envi-sagée au-delà de la fonction poétique proprement dite:

Malheureusement Jakobson n’est pas allé jusqu’au bout de son intuition désirante; prisonnierd’une société et d’une génération structuralistes et fonctionnalistes, il ne pouvait, quelqueenvie qu’il en eût, faire sauter la machine en dégrafant ce dernier voile néoclassique du lan-gage qu’est la fonction poétique, pour faire apparaître dans sa nudité un peu choquante, laFONCTION PLAISIR (Caré, Debyser, 1978, pp. 5-6)

et ensuite il se rattache aux positions de Winnicott 6 sur les objets transitionnels pour parvenir àappliquer les théories de ce dernier à la parole en l’identifiant comme « l’un des premiers jouets, […]un jouet qui se prête à une créativité infinie » (Caré, Debyser, 1978, p. 8)Il explique le concept d’objet transitionnel en citant les mots mêmes de Winnicott:

« J’ai introduit les termes d’objets transitionnels et de phénomènes transitionnels pour dési-gner l’aire intermédiaire d’expérience qui se situe entre le pouce et l’ours en peluche, entrel’érotisme oral et la véritable relation d’objet… » […] « Le gazouillis du nouveau né, lamanière dont l’enfant plus grand reprend au moment de s’endormir son répertoire de chan-sons et de mélodies, tous ces comportements interviennent dans l’aire intermédiaire en tantque phènomènes transitionnels. Il en va de même de l’utilisation des objets qui ne font pas par-tie du corps du nourrisson, bien qu’il ne les reconnaisse pas encore comme appartenant à laréalité extérieure. » (ibidem)

La conclusion qu’il tire de ces considérations est selon moi fondamentale pour l’idée de jeu que jeretiendrai dans ma recherche:

Entretenir ou restaurer le plaisir de la parole, notamment par le jeu verbal et les techniquesd’expression, c’est donc retrouver la positivité gratifiante des premières expériences tran-sitionnelles (ibid.)7.

Sans vouloir analyser trop en détail les différentes classifications et descriptions des jeux d’enfantsque l’on a faits au cours de l’histoire – ce qui d’ailleurs ne serait pas finalisé à la ligne de ma recher-che – je voudrais seulement retenir le concept de jeu symbolique de Piaget8 (repris par Bettelheim9

à propos de l’importance de la dimension symbolique et magique pour l’enfant) et le rôle que celui-ci joue dans le développement de la personnalité de l’enfant.Ainsi que Winnicott considère la langue parmi les objets transitionnels car elle se pose commeinstrument à la fois intérieur et extérieur, au-dedans et au-dehors de l’enfant, comme un jouet quidonne du plaisir quand on le manipule parce qu’elle met l’enfant dans une perspective d’action, decréation, de la même manière le jeu symbolique permet à l’enfant de modifier le réel pour l’adapterà ses propres besoins et donc il lui donne la sensation de pouvoir agir sur la réalité.De toutes ces considérations je retiendrai pour ma thèse l’idée que la dimension ludique, du jeusur/avec la langue, joue un rôle fondamental dans l’apprentissage non parce que le jeu constitue une

6 Winnicott, D.W., Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard, 1971.7 Selon le psychanaliste anglais Winnicott l’expérience transitionnelle se situe dans une aire de jeu qui n’est ni

tout à fait interne, subjective, ni tout à fait externe, objective, qui est intermédiaire, une aire peuplée d’objets trans-itionnels (à savoir le sein de la mère, le pouce, l’ours en peluche, etc.) sur laquelle l’enfant construit son expérience ausens large du mot. (voir D.W. Winnicott, Jeu et réalité. L’espace potentiel, cit.).

8 Piaget, J., La formation du symbole chez l’enfant, Delachaux et Niestle, 1945 et Piaget, J., Inhelder B., Lapsychologie de l’enfant, Paris, Presses Universitaires de France, 1966.

9 Bettelheim, B., Psychanalise des contes de fées, Paris, Robert Laffont, 1976.

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pause amusante dans la classe de langue, mais justement grâce à sa valeur d’instrument qui contri-bue au développement de la personnalité.Le fait de faire jouer les élèves avec les mots leur permet de s’emparer d’un outil qui leur ouvre lesportes de la créativité, qui leur fait retrouver en langue étrangère la créativité verbale qu’ils avaienten tant qu’enfants en langue maternelle, les ramène à la dimension plaisir

… à tout niveau on peut inventer des mots, des phrases, des discours, des récits, des messa-ges, des poèmes. Mais il faut pour cela retrouver un peu l’attitude ludique de l’enfant inven-teur du monde et du sens… (id., p. 12)

Les jeux dans la classe de langue ne devraient pas être considérés comme de simples activités« bouche-trou » pour terminer une leçon ou pour meubler une dernière heure de classe avantles vacances ou encore comme une récompense pour une classe qui a bien travaillé.La motivation ludique – l’envie et le plaisir de jouer – peut grandement contribuer à animerles classes de langue et à permettre aux élèves de s’impliquer davantage dans leur apprentis-sage en prenant plaisir à jouer avec les mots, les phrases et les textes qu’ils créeront indivi-duellement et collectivement (Weiss, F., 1983, p. 8).

Ce n’est pas par hasard que je me suis limitée à mentionner les jeux langagiers, en laissant de côtétoute la partie jeu de rôle et simulation pourtant non négligeable à cause de sa valeur d’activité poten-tiellement très fructueuse pour le travail en classe de langue. Mon travail étant axé sur l’habileté de production écrite, ce n’est pas la phase de réalisation com-plète du jeu de rôle ou de la simulation qui comprend aussi bien une partie écrite qu’une partie oralequi a fait l’objet de mon étude.Je trouve que l’apprentissage des langues étrangères à travers des scénarios, comme envisagé par DiPietro, ou à travers des simulations globales comme envisagé par Yaiche10 soit en principe bien insé-ré dans la vision du jeu et de la créativité verbale dont il s’agit dans cette recherche, toutefois je netraiterai pas de ces deux modalités de travail en classe de langue étrangère pour deux raisons d’ord-re différent. La première - et principale - est le fait que mon expérimentation et les matériaux pro-duits par les élèves n’ont pas été organisés autour d’un projet ample tel qu’une simulation ou un scé-nario. Les productions restent en effet en amont de cela. Ce qui m’intéressait était d’étudier le lienpossible entre prise en compte de la subjectivité de l’apprenant, production écrite libre/manipulationcréative et Nouvelles Technologies à l’interieur d’un travail de projet plutôt simple, inséré dans lapratique courante de classe.La deuxième raison est le fait que la dimension créative impliquée dans mon étude de cas est étroi-tement liée à l’implication du sujet apprenant dans la tâche, et donc dans son utilisation de la languecible pour produire du matériel personnel. Ce que j’analyse c’est le concept de jeu sur/avec la lan-gue, de créativité, d’imagination en tant que capacités innées à récupérer en classe de langue, sanspour autant arriver à un niveau plus élevé tel que celui de l’adoption d’une identité fictive ou de lacréation de lieux imaginaires. Il serait d’ailleurs trés intéressant d’étudier si et comment le conceptd’implication du sujet apprenant varie selon que celui-ci garde sa propre identité ou en adopte unefictive et si dans quelle mesure son potentiel de créativité puisse être influencé par le fait de porterou pas une masque.

10 Voir Di Pietro, R., Strategic Interaction. Learning languages through scenarios, New York, CUP, 1987, etYaiche F., Les simulations globales mode d’emploi, Paris, Hachette, 1996.

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1.2.2 Du jeu à l’imagination

Comme j’ai relié la conception du jeu à laquelle je me réfère dans cette recherche au domaine dusymbolique, et que j’ai tâché de présenter le langage en général et le langage « poétique » dans lesens de langage non étroitement finalisé pour la communication en tant qu’outil qui facilite l’ex-pression et la création, je voudrais ici mettre en évidence le lien étroit qui existe entre usage sym-bolique et usage imaginaire du langage. À partir de cela j’aborderai la deuxième étape de cette carteconceptuelle qui définit de façon plus ponctuelle le concept fondamental d’imagination que je met-trai ensuite en rapport avec celui de créativité.Pour faire cela je partirai d’une citation qui me semble la plus pertinente car elle souligne d’un côtéle rôle des mots comme moyen de représentation de la réalité et de l’autre celui de l’image commemoyen de reproduction de ce que, en quelque mesure, l’on connaît déjà.

Trivialement, la fonction symbolique du langage est la faculté que l’enfant acquiert à partird’un certain moment, […] et qui lui permet de se représenter « avec des mots » les objets,êtres, lieux, etc., qu’il ne perçoit pas hic et nunc. […] Il va sans dire que toute représentationest bien re-présentation, c’est-à-dire saisie d’une « image mentale » qui reproduit ce qui adéjà été perçu concrètement ou par l’intermédiaire de figurations diverses […]. Il paraît évi-dent que sans ce pouvoir de représentation des mots, le langage articulé et tous les autres lan-gages seraient à peu près inutiles. (Jean, G., 1997, p. 84)

On peut dire que pour l’auteur même qui l’a formulée, cette définition n’est qu’un point de départ,car déjà à la page suivante et, il faut le dire, au cours de tout son essai, il procède à une réévaluationde l’imagination en tant que faculté qui d’un côté n’a rien d’inférieur par rapport à la pensée concep-tuelle – il condamne « la tendance chez de nombreux éducateurs à considérer l’imagination et lafonction imaginante du langage comme des facultés moins essentielles à la formation de l’individuque l’intelligence conceptuelle » (id., p. 85) – et qui de l’autre met en évidence un lien étroit avec la poésie – « le poème porte les clés pour l’imaginaire » (id., p. 44): la poésie serait un outil apte à sti-muler l’imagination et l’imagination de son côté serait capable de structurer un psychisme en for-mation comme celui de l’enfant.En effet ce à quoi je voudrais me rattacher dans ma définition de l’imagination c’est la conceptionBachelardienne, celle en particulier de la Poétique de la rêverie11, qui souligne la puissance dyna-mique de l’imagination.Bachelard localise dans la parole humaine, en particulier dans le langage poétique, ce troisième sec-teur qui nous permet de dépasser soit le réductionnisme de la science objective, où tout symbole doitêtre proscrit, soit le rejet de l’imaginaire dans le domaine du rêve et de la névrose (selon le courantFreudien) pour parvenir à son concept de « rêverie des mots » à partir duquel la conscience humai-ne devient une conscience éveillée, dynamique, créatrice.

On pourrait écrire que la cosmologie symbolique de Bachelard nous dicte que « science sanspoétique, intelligence pure sans compréhension symbolique des fins humaines, connaissanceobjective sans expression du sujet humain, objet sans bonheur appropriatif, n’est qu’aliéna-tion de l’homme ». L’imagination humaine replace l’orgueil humain de la connaissance faus-tienne dans les joyeuses limites de la condition humaine (Durand, G., 1964, p. 78)

Si on analyse l’attitude que la pensée occidentale a eue au fil des siècles envers l’imagination, onpeut noter deux courants opposés, l’un dominant, iconoclaste, qui partant d’Aristote arrive à Sartreà travers des contributions fondamentales comme celle de Descartes – l’imagination est rejetée

11 Bachelard, G., La poétique de la rêverie, Paris, PUF, 1960.

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comme la maîtresse de l’erreur – et d’Auguste Comte et du positivisme qui oppose totalement faitsréels et scientifiques d’un côté et imagination de l’autre, attribuant à cette dernière et à la dimensionsymbolique en général tout caractère de négativité et toute considération négative.À ce courant qui révèle une vision tout à fait négative de l’imagination on peut ajouter d’autres scien-ces comme la psychanalyse et l’anthropologie sociale. Même si celles-ci ont eu le mérite de « redé-couvrir » l’existence de l’imaginaire et son importance, l’interprétation qu’elles en ont donnée resteréductrice et partielle, (il suffit de penser par exemple à l’interprétation psychanalitique classique quirelie tout domaine de l’imaginaire à celui du subconscient).Tout au long de l’histoire une autre tendance a cependant existé qui, tout en restant à l’arrière plandans notre culture, a constitué un humus dans lequel la graine de l’imagination a pu vivre et germer.Gilbert Durand en a esquissé l’histoire dans son L’imagination symbolique12 et Bruno Duborgel13 l’areprise en faisant mention des figures les plus représentatives et en donnant une définition d’imagi-nation qui entremêle ses mots à ceux de Baudelaire

« l’imagination est la plus scientifique des facultés, parce que seule elle comprend l’analogieuniverselle…[…] »Définie dans cette perspective, l’imagination ne saurait être quelque « faculté » psychologiquesecondaire; elle n’est ni auxiliaire plus ou moins suspecte de la raison, ni insignifiant loisir ouesthétisant repos de l’« objectif » sujet de logique ou de raison expérimentale, ni préface loin-taine, émouvante et infantile de la « pensée positive ». Elle est « reine des facultés », « facul-té cardinale », irréductible et éminent pouvoir humain de reprendre en compte l’univers surun mode autre, de le représenter et re-créer comme totalité et unité, comme miroir de l’hom-me, homme agrandi, témoignage du sens, image complexe de la dramatique humaine, méta-phore généralisée des « dieux » les pires et les meilleurs qui désignent les coordonnées de nosnostalgies et les emblèmes de notre « réalité ». Elle est signe distinctif de l’homme, c’est-à-dire de la puissance même, et de l’audace, d’instituer la similitude par où les figures de l’hom-me, du monde et des « dieux » s’échangent: « Elle a créé, au commencement du monde, l’a-nalogie et la métaphore » (Duborgel, B., 1992, p. 233).

J’ai choisi de citer ce passage car il me semble bien qu’il contienne déjà certains aspects qui sonttrès éclairants de la perspective que j’ai adoptée à propos du rôle de l’imagination. Il s’agit avant toutde bien souligner que l’imagination n’est pas seulement une faculté propre à l’enfant et qui seraitdonc inférieure à la pensée rationnelle (ni une phase préparatoire non plus) mais au contraire que l’i-magination est une caractéristique de l’être humain qui agit dans et sur le monde: l’imagination estdonc intrinsèque à la condition humaine.S’il est bien vrai que le pouvoir d’imaginer est fondamental pour le développement de l’être humain– il est l’élément dynamique de la construction globale de la personnalité enfantine (Michel, J.,1976, p. 12) – parce que, entre autres, ce pouvoir est étroitement lié à la dimension du désir (l’en-fant déploie son pouvoir de structurer le monde, de l’inventer à nouveau et d’y insérer tout le côtémagique et incantatoire pour structurer en même temps son équilibre affectif, comme on l’a déjà dit),il est d’autant plus vrai que l’imaginaire doit trouver sa place à l’école. Et il faut bien souligner quel’imaginaire n’est pas exclusif de l’école primaire, car le processus d’imagination ne se termine pasavec l’enfance, mais il continue et se modifie en passant de facteur de structuration de la personna-lité à facteur de connaissance:

Ce n’est pas la même imagination qui est en place et qui agit dans le processus de connais-sance qui permet l’investissement dans l’apprentissage. L’imagination ne se limite pas à larêverie et aux mythes. L’imagination n’est pas qu’extrême. Elle peut être aussi très proche dechacun d’entre nous. Si proche qu’on ne la remarque pas (Gallien, M-P, p.75).

12 Paris, PUF, 1964.13 Duborgel, B., Imaginaire et pédagogie, Toulouse, Privat, 1992.

30 GALAXIE CREATIVITÉ Première Partie

Je partage tout à fait la conception de Gallien car j’y vois une potentielle extension au domaine del’apprentissage de la vision Bachelardienne d’une imagination ayant un rôle actif, d’une imaginationcréatrice, d’une imagination définie comme acte de pensée. Gallien distingue l’imagination repro-ductrice de celle productrice en ne gardant que cette dernière en fonction du processus cognitif. Danscette perspective l’imagination acquiert un pouvoir énorme de structuration de la pensée humaine etdonc devient un facteur de créativité dans tout domaine, et pas seulement dans l’art.Pour appuyer son idée Gallien se réfère à Vygotsky14 et à Rodari15

Dans Imagination et créativité chez l’enfant, L.S.Vygotsky décrit « l’imagination comme étantun mode spécifique d’activité intellectuelle » et, chose capitale, « il reconnaît à tous les hom-mes » une « égale habileté à la créativité ». Pour lui, l’imagination n’est pas la propriété dequelques privilégiés. G. Rodari, affirme de même: « La fonction créative de l’imaginationappartient à tous: à l’homme de la rue, au savant, au technicien; elle est indispensable auxdécouvertes scientifiques tout comme à la naissance de l’œuvre d’art; elle est même une condi-tion nécessaire de la vie quotidienne… » (id., p. 81).

A travers cette analyse des traits distinctifs et du rôle de l’imagination on entrevoit quelques carac-téristiques fondamentales de ce qui constitue la base de la définition de créativité qui sera la mien-ne tout au cours de ma recherche.

1.2.3 Vers une définition de créativité

J’ai parlé jusqu’ici de quelques composantes fondamentales de la créativité:• le jeu, dans le sens plus profond du terme, et en particulier le jeu linguistique avec tout ce qui

se rattache à la dimension poésie dans l’acception originale du mot, à sa racine étymologique,c’est-à-dire au verbe grec « ðïéÝéõ », « faire »;

• la simulation, en tant que corollaire des jeux linguistiques, pour sa capacité de récupérer ladimension « faire semblant de… »;

• l’imagination en tant que faculté d’invention, de structuration de la pensée, ce qui comporte l’a-doption de l’idée Piagetienne selon laquelle l’invention est la caractéristique du fonctionnementde l’intelligence (Halté, 1992, p. 107);

• le symbole et la dimension symbolique comme composante « essentielle » de la faculté imagi-native;

à tout cela il faut encore ajouter le concept de fiction qui normalement est défini négativement: fic-tion est tout ce qui n’est pas réalité et finit par indiquer, au moins en littérature, une création de l’i-magination.Sur le concept de fiction il y a eu un grand débat et des tentatives de définition qui en général tour-nent autour des caractéristiques du discours fictionnel comme discours à dénotation nulle ou méta-phorique, ou bien se référant à des mondes fictionnels où se retrouvent auteur et lecteur. Ce que jeretiendrai pour ma recherche c’est la définition de Walton d’« activité fictionnelle comme une acti-vité de make-believe, fondée sur des règles de jeu conditionnellement acceptées en vertu desquellesnous sommes appelés à imaginer un monde fictionnel correspondant aux propositions fictionnelles »

14 Vygotsky, L., Imagination et créativité chez l’enfant, cité par Rodari, G., Grammaire de l’imagination, Paris,Editions Messidor, 1979, p.,197.

15 Rodari, G., La grammatica della fantasia, Torino, Einaudi, 1973.

Première Partie GALAXIE CREATIVITÉ 31

(Ducrot, Schaeffer, 1995, p. 317), car elle me semble insister sur la dimension imaginaire aussi biende l’auteur que du lecteur.

1.2.4 Définition de créativité

Avec tous ces éléments à ma disposition j’arrive donc à la rude tâche de donner une définition aumot « créativité » qui soit cohérente aussi bien avec ce que je viens d’énoncer qu’avec la suite dema recherche.A ce sujet il me semble intéressant de citer quelques définitions de créativité tirées de dictionnaires,non seulement français: on part de « pouvoir de création, d’invention » et sous le mot création « 1.Action de donner l’existence, de tirer du néant 2. Action de faire, d’organiser (une chose qui n’exis-tait pas encore) » (Le Grand Robert de la langue française), on passe au Grand Larousse dont lesdéfinitions sont fort intéressantes car ce dictionnaire fait une distinction entre:

1. Capacité, faculté d’invention, d’imagination, pouvoir créateur et 2. Aspect de la compéten-ce linguistique représentant l’habileté de tout sujet parlant une langue à comprendre et àémettre un nombre indéfini de phrases qu’il n’a jamais entendues auparavant et dont les règles(en nombre fini) d’une grammaire générative sont censées rendre compte

montrant donc de séparer la créativité en tant que telle de la créativité linguistique au sens choms-kien, et dans ce même dictionnaire sous le mot imagination on trouve:

1. faculté de l’esprit d’évoquer, sous forme d’images mentales, des objets ou des faits connuspar une perception, une expérience antérieure 2. Fonction par laquelle l’esprit voit, se repré-sente, sous forme sensible, concrète, des êtres, des choses, des situations dont il n’a pas eu uneexpérience directe

distinction dans laquelle on peut retrouver les deux visions opposées dont j’ai fait mention celle dela créativité qui se rattache au passé et celle de créativité orientée vers le futur. Si on continue avecdes œuvres anglaises, déjà en consultant des dictionnaires d’usage quotidien on trouve des conceptscaptivants: au mot « creative » on lit « producing or using original and unusual ideas » (CambridgeInternational Dictionary of English)16, être créatif signifie « to have the ability to produce new andoriginal ideas and things » (The Longman Dictionary of Contemporary English)17 et pour faire celail faut avoir « both intelligence and imagination and not merely mechanical skill » (The OxfordAdvanced Learner’s Dictionary)18, tandis que le grand dictionnaire Oxford English Dictionary quisemble se limiter à une définition très synthétique du mot « creativity », donne une définition trèsintéressante du mot « imagination » en faisant une distinction entre « reproductive imagination » et« productive imagination ». La première est définie comme « the faculty of the mind by which areformed images or concepts of external objects not present in the senses, and of their relations (toeach other or to the subject); hence frequently including- memory »19, la seconde est définie comme« the power which the mind has of forming concepts beyond those derived from external objects ».20

16 qui produit et utilise idées originelles et insolites.17 la capacité de produire idées et choses nouvelles et intéressantes.18 aussi bien intelligence qu’imagination et non seulement des habilités mécaniques.19 La faculté de l’esprit à travers laquelle on forme images ou concepts d’objets extérieurs qui ne sont pas présents

dans les sens et de leurs relations (l’un par rapport à l’autre ou par rapport au sujet); donc impliquant souvent lamémoire.

20 Le pouvoir que l’esprit a de former des concepts au-delà de ceux dérivés d’objets extérieurs.

32 GALAXIE CREATIVITÉ Première Partie

Même s’il s’agit d’une liste très partielle on y trouve déjà, sous forme de mots clés, les concepts debase d’une définition de la créativité reliée à la pédagogie, à savoir le pouvoir d’inventer quelquechose qui n’existe pas et de produire quelque chose d’original, mais aussi celui d’utiliser les chosesoriginales qui existent ou encore d’utiliser ce qui existe d’une façon originale.Mais il faut noter que:

In language teaching, the concept of creativity is a rather elusive one. We all feel instinctive-ly that creativity is something we aim for, and although we don’t know what it looks like, werecognise it when we see it! (Greenall, 1989, p. 39)21

Et même Debyser semble se trouver mal à l’aise quand il s’agit de donner une définition de la créa-tivité:

On s’accorde à considérer que la créativité est une habileté différente de l’intelligence.Toutefois on ne sait pas trop ce que c’est cette habileté si ce n’est que certains sujets ou cer-tains groupes semblent plus créatifs que d’autres. Faute de pouvoir définir de façon stricte lacréativité, la recherche expérimentale a cherché à isoler certains paramètres dont on s’accor-de à penser qu’ils en sont des composantes et qui présentent l’avantage d’être objectivables etdonc éventuellement mesurables (Caré, Debyser, 1978, p. 119).

Toutefois il précise le terme de créativité de façon incontournable quand il décrit les résultats aux-quels sont parvenus les sciences qui se sont occupées de la créativité, à savoir la pédagogie, lapsychologie, la linguistique.De toute la description il retient pour sa perspective, qui est celle du travail en classe de langue etd’apprentissage, trois éléments • la définition de pédagogues: « la créativité n’est pas une propriété du langage, mais une habile-

té de l’élève à imaginer, à inventer, à découvrir, à s’exprimer, à produire, etc. » (id., p. 116)• la créativité combinatoire et celle sémantique des langues naturelles qui peuvent être utilisées

pour une pédagogie de la créativité linguistique• l’idée des psychologues pour qui la créativité « est une habileté distincte de l’intelligence [à étu-

dier empiriquement en la décomposant] en habiletés isolables, le plus souvent verbales [tellesque] fluidité, […] flexibilité d’esprit, […] originalité, […] habileté à déstructurer et à restructu-rer… » (id, pp. 117-118).

En partant de toutes ces prémisses ma définition personnelle de créativité (et celle à laquelle je vaisme référer au cours de ce travail) est celle d’une faculté – tout à fait intrinsèque à la nature humai-ne et susceptible d’amélioration – de production et reproduction riche et originelle, de restructura-tion personnelle de concepts et de données, d’usage autonome et non banal de tout élément mêmede nature différente (textes, images, musique…), de capacité de libre association et dissociation, toutcela dans le cadre d’une dimension de plaisir, d’humour, de jeu.Si on admet avec Vygotsky que tous les hommes ont une égale aptitude à la créativité et donc égalpotentiel imaginatif, et si on vérifie par contre quelle est la place de l’imagination et de la créativitéà l’école on se rend bien compte qu’elle « semble être le parent pauvre de la pédagogie à l’opposépar exemple de l’attention et de la mémoire » (Gallien, 1993, p. 81), et je trouve que – avec desexceptions qui heureusement existent, mais qui restent plutôt limitées – le scénario est du moinsdécourageant et fondamentalement le même que celui décrit par A. Breton dans son Manifeste dusurréalisme paru en 192422:

21 Dans l’enseignement des langues le concept de créativité est plutôt évasif. Nous percevons de façon instinctiveque la créativité est quelque chose à laquelle nous tendons, et même si nous ne savons pas quelle aspect elle a, nous lareconnaissons quand nous la voyons!

22 Breton, A., Manifestes du surréalisme (Manifeste de 1924), Gallimard, La Pléiade, œuvres t.I, édités dans lacoll. Idées.

Première Partie GALAXIE CREATIVITÉ 33

Cette imagination qui n’admettait pas de bornes, on ne lui permet plus de s’exercer que selonles lois d’une utilité arbitraire; elle est incapable d’assumer longtemps ce rôle inférieur et, auxenvirons de la vingtième année, préfère, en général, abandonner l’homme à son destin sanslumière (p. 12)

Or, il faut se demander pourquoi cela arrive, pourquoi la créativité n’est pas poursuivie au niveaupratique de travail pédagogique, même si dans toutes les théories contemporaines de l’éducation,malgré leurs approches différentes et les différentes valeurs qu’elles véhiculent, la visée fondamen-tale est l’épanouissement de la personne, l’innovation et l’expression créatrice.Si on examine les étapes fondamentales du chemin qui, au niveau international, en particulier desNations Unies, a mené de la Déclaration des Droits de l’Enfant de 195923 jusqu’à la Déclarationmondiale sur l’éducation pour tous de 199024 à travers le Rapport Faure (Apprendre à être) de 197225

et la Convention sur les droits des enfants de 198926, on peut noter que la créativité est la faculté quiest de plus en plus soulignée et mise au premier plan comme valeur à développer, « au même titreque le développement de la rationalité, l’esprit de responsabilité sociale et la perception positive desdonnées historiques de l’humanité » (Landry M-C, 1992, p.90) pour atteindre le but de la formationde l’homme complet.

L’avenir est à qui saura réunir, dans l’éducation, les forces de critique, de participation démo-cratique et d’imagination, aux pouvoirs de l’organisation opérationnelle, afin de mettre envaleur les ressources latentes et les énergies potentielles qui résident dans les couches pro-fondes des peuples (ibidem)

Mais toutes ces déclarations d’intention n’ont pas été suivies d’un changement fort de la pratiquescolaire.On peut donc se demander à juste titre si la réponse n’est pas à rechercher dans la difficulté qu’il ya à se rapporter aux enfants créatifs et par conséquent dans le manque d’intérêt, si non dans la peur,de réveiller chez les autres élèves la créativité qui est latente.Plusieurs études27 ont démontré que ce qu’on considère comme intelligence et qu’on mesure à tra-vers des tests n’est que faiblement lié à la créativité, et que le comportement des élèves intelligentset celui des créatifs sont souvent très différents

Sur le plan scolaire, les enfants très intelligents sont, en général, très appréciés de l’ensei-gnant, car ils saisissent vite ce qui est demandé et s’y conforment le plus rapidement possible.Ils ont donc de bonnes notes, ont le réconfort de leur maître et font l’envie des autres enfants.Les enfants très créatifs sont, au contraire, moins inhibés, moins influençables par les autresélèves et, donc, plus capables de poursuivre leurs intérêts, même si leur entourage les blâme.Baron (1969) décrit la personne créative comme mûre et infantile, comme plus primitive etplus cultivée, plus destructrice et plus constructrice, plus bizarre mais plus saine mentalement.(id, p. 83)

Et encoreBien évidemment, l’enfant qui fait preuve d’imagination « dérange », alors que celui qui est etqui se fond dans le paysage du savoir qui est distribué est plus « facile » à instruire (Gallien,1993, p. 81)

23 UNESCO (1959). Déclaration des droits de l’enfant. Paris.24 UNESCO (1990). Déclaration mondiale sur l’éducation, Jomtien. Paris25 UNESCO (1072). Apprendre à être: Rapport Faure. Paris, Fayard.26 UNESCO (1989). Convention sur les droits des enfants. Nations Unies. Paris.27 voir: Landry, cit., p.83 : études de Wallack et Kogan (1965) et de Cacha (1976) ; voir aussi Caré, J-M.,

Debyser, F., cit, p. 117.

34 GALAXIE CREATIVITÉ Première Partie

Ou bien on peut arriver à se donner une réponse plus générale, plus « politique »:Jusqu’à quel point les nations sont-elles vraiment intéressées à développer la créativité deleurs enfants? Ne contrôle-t-on pas mieux un peuple peu au fait des moyens de développerl’innovation? (Landry, 1992, p. 92)

Certes l’imagination et la créativité ont des composantes inquiétantes, justement parce qu’on n’arri-ve pas à les contrôler mais c’est exactement l’intégration de la dimension créative qui peut enrichirla pratique pédagogique.Certes « elle implique […] de la part de l’enseignant un changement de rôle et d’attitude » (Weiss,1983, p. 8) comme on le verra dans le troisième chapitre, mais le travail sur la créativité permet vrai-ment de récupérer toute une partie fondamentale de la pédagogie qui aide à transformer l’élève d’unapprenant indéterminé à un vrai sujet apprenant:

Une pédagogie de l’imaginaire renvoie dos à dos les stratégies iconoclastes examinées tout aulong de ce travail et les démons du non-interventionnisme, opérateur lui aussi du sevrage del’imagination; elle s’oppose doublement à la pédagogie saturée par les exigences de l’impé-rialisme positiviste et à la pédagogie du « vide » qui, liée à l’idéologie diffuse du spontanéis-me créatif, condamne l’imaginaire enfantin à puiser dans ses propres déficits les ressources deson essor. Elle est pédagogie du « plein », c’est-à-dire qu’elle est débordante d’objets, d’ima-ges et d’icônes, de mythes, de légendes, de contes et de poèmes à la consommation, à la délec-tation, à la méditation et à la production desquels elle veut entraîner l’enfant tout au long dela scolarité, de la Maternelle à l’Université. Elle convie délibérément l’enfance à se rappro-cher de cet « homo symbolicus » que l’enfant n’est pas encore bien davantage qu’il ne l’estdéjà. Elle rêve de faire de l’Ecole le lieu d’un immense atelier d’onirisme, d’un rassemble-ment, d’une lecture et d’une élaboration permanents des « dieux », des héros, des motifsmythiques et des songes où s’approfondit et dialogue la conscience humaine. (Duborgel, 1992,p. 241)

Deuxième partie

CRÉATIVITÉET APPRENTISSAGELINGUISTIQUE:LES APPORTSDE LA PSYCHOLOGIE

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 37

Le langage humain est un instrument de communication spiri-tuelle entre les hommes. Il est aussi pour chacun d’entre nous,

un instrument de pensée…C’est dire que le langage humainest essentiellement un phénomène psychologique. C’est donc

la psychologie qui doit rendre compte, en dernière analyse, deson fonctionnement…

La langue est à la fois corps et esprit.G.Galichet

2.1 De la psychologie à la didactique à travers la théorie de la complexité: ébau-che d’un parcours de créativité

L’objet de cette travail est celui de relier créativité et nouvelles technologies afin de montrer, sur labase d’une réflexion a posteriori visant à analyser les résultats des données expérimentales fourniespar une étude de cas, de quelle façon et dans quelle mesure les nouvelles technologies peuvent êtreutilisées comme déclencheur du potentiel créatif du sujet en classe de langues étrangères.Il est donc évident que la définition du concept de créativité à laquelle je suis parvenue dans le pre-mier chapitre doit être considérée comme un fil rouge qui nous accompagne jusqu’à la rencontreavec l’univers numérique en passant à travers deux domaines fondamentaux pour saisir la richessed’un concept – celui de la créativité justement – qui se veut dès le début transversal à différentessciences humaines.Le premier domaine auquel je ferai référence est donc celui de la psychologie et des sciences cogni-tives.Il s’agit évidemment d’un domaine très vaste à l’intérieur duquel je tâcherai d’esquisser un parcoursqui me permet de parvenir, à travers l’analyse de quelques concepts clés, à la définition d’un cadrede référence indispensable pour comprendre la démarche successive de ma thèse, surtout dans la par-tie qui analyse les implications des NT pour le sujet apprenant.Ce parcours me permettra aussi de relier le domaine psychologique à l’autre grand domaine fonda-mental pour mon discours, celui de la didactique, auquel je parviendrai à travers le pont constituépar les approches dites humanistes qui ont dénoncé d’une façon explicite les liens étroits entre ladimension rationnelle et celle affective dans l’apprentissage.Le cadre théorique sera aussi complété par des références de type plus général portant sur la théoriede la complexité et sur le pragmatisme, car elles me semblent constituer les lignes épistémologiquesfondamentales de ma recherche.

38 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

2.2 L’étude des mécanismes cognitifs: à la recherche de modèles de fonctionne-ment du cerveau

Ces dernières années, les recherches en neurosciences se sont tellement développées que « lesannées 90 ont souvent été présentées comme la décennie du cerveau » (Marchand, 2002, p. 50, sou-ligné par l’auteur). Une grande impulsion à ce progrès a été donnée grâce à un outil diagnostiquerévolutionnaire, l’IRMf (Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle) qui permet de visuali-ser le fonctionnement cérébral, mais il est bien vrai que, comme il a été souvent le cas pour bien desinventions et découvertes qui ont marqué notre histoire, les temps étaient mûrs pour un tel instru-ment. D’un côté les connaissances biologiques et physiques sur le cerveau avaient fait des progrèsconsidérables, de l’autre, les sciences de la cognition, en particulier la psychologie cognitive, étaientparvenues à se donner l’objectif d’étudier « les représentations et le traitement de l’information desorganismes vivants et de l’être humain en particulier » (Chapelle, 2002, p. 52).

Si l’on compare ce programme de la psychologie cognitive avec celui du béhaviorisme qui l’avaitprécédé, on s’aperçoit tout de suite que l’attention s’est déplacée en passant de l’analyse des condui-tes à celle des mécanismes cognitifs, l’objectif devenant par conséquent celui d’ouvrir la « boîtenoire » du cerveau.La psychologie cognitive a donc procédé à une étude systématique des mécanismes mentaux néces-saires pour effectuer différentes opérations et les domaines les plus variés ont été analysés par leschercheurs, de la perception à la résolution de problèmes, de la mémoire au langage.Tout cet effort avait comme but celui de donner un modèle théorique clair et valable pour tous, unpeu comme si le cerveau pouvait être démonté comme l’on ferait avec un ordinateur.Je voudrais dire incidemment que l’hypothèse de l’équivalence homme = ordinateur n’a pas été vuecomme impossible28 et a été stigmatisée par Eric Fromm:

Il problema principale, a mio avviso, non è di sapere se un simile uomo calcolatore possa real-mente essere costruito, ma piuttosto di rendersi conto dei motivi per cui l’idea è diventata cosìpopolare in un periodo in cui niente sembra essere più importante che trasformare l’uomoesistente in un essere più razionale, armonioso e amante della pace. Vi è il fondato timore chel’attrazione per l’idea del calcolatore-uomo costituisca una fuga dalla vita e dall’esperienzaumana verso un tipo di esperienza puramente meccanica ed intellettuale. […] Il presente cimostra già uomini che agiscono come robot. Se la maggioranza degli uomini sono come robot,allora il problema di costruire robot simili agli uomini non sorge più. L’idea del calcolatore-uomo è un esempio calzante dell’alternativa tra uso umano ed inumano delle macchine.Il calcolatore può servire a migliorare la vita in molti modi, ma l’ipotesi che esso sostituiscala vita e l’uomo è una chiara manifestazione della patologia dei nostri tempi. (E. Fromm,1978, pp. 45-46)29

28 La cybernétique avait renversé la dichotomie philosophique entre res cogitans et res extensa, à savoir entre lemonde immatériel de l’esprit et celui matériel de la machine, augmentant le rôle de la res extensa jusqu’à couvrirpresque toute la res cogitans : la tentative de décrire l’esprit par analogie avec le monde de la machine donc d’une façonprécise, non ambiguë ne se révéla toutefois pas toujours satisfaisante car il y avait plusieurs aspects propres au sujet quel’on avait du mal à catégoriser, à insérer dans n’importe quel système. Il est intéressant d’observer que l’aspect le plusirréductible était le facteur de créativité, à savoir l’imprévisibilité de l’homme par rapport à la machine que l’on avaittendance à réduire à facteur négligeable, à une perturbation ou à un bruit, justement de par l’impossibilité de le décrired’une façon objective (voir infra, 2.3.1.1.).

29 Le problème principal, à mon avis, n’est pas celui de savoir si un tel homme-ordinateur puisse réellement êtreconstruit, mais plutôt de se rendre compte des raisons pour lesquelles l’idée est devenue tellement populaire dans unepériode où rien ne semble être plus important que de transformer l’homme existant en un être plus rationnel, harmo-nieux et qui aime la paix. On craint sérieusement que l’attraction pour l’idée de l’ordinateur-homme constitue une fuitede la vie et de l’expérience humaine vers un type d’expérience purement mécanique et intellectuelle. […] Le présentnous montre déjà des hommes qui agissent comme des robots. Si la majorité des hommes sont comme des robots, alors

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 39

Mais tout au long de ces recherches de nouveaux aspects apparaissent: l’être humain était bien pluscomplexe que quelque chose qui pouvait faire l’objet d’une recherche de laboratoire axée sur le cer-veau, et donc la psychologie cognitive a dû évidemment s’ouvrir à d’autres dimensions telles que laconscience ou les émotions, à d’autres secteurs de la psychologie (tels que la psychologie sociale oude l’enfance), à d’autres disciplines des sciences humaines telles que la linguistique, la sociologie,l’anthropologie.

Même si ses frontières, à force de s’élargir, semblent se fragiliser, même si elle ne peut fairel’impasse sur ce que les autres disciplines lui apportent, la psychologie cognitive garde commespécificité d’étudier l’individu à un niveau intermédiaire entre le biologique et le social, avecl’objectif de comprendre les mécanismes mentaux et les représentations internes à l’origine deson comportement. (Chapelle, 2002, p. 53)

On voit déjà ici une première définition qui conduit vers le concept de complexité, un concept fon-damental pour ma recherche sur lequel je reviendrai ensuite pour l’analyser en détail.

2.3 Des débats philosophiques aux nouvelles sciences de la cognition: panoramahistorique

Le concept de complexité en tant que tel a fait l’objet d’études spécifiques à partir de ces dernièresannées 30, mais si on regarde de plus près la naissance et le développement des sciences cognitivesdans une perspective historique, on s’aperçoit de l’existence de deux lignes de pensée opposées dontl’une s’appuie sur des théories réductionnistes et modélisantes, et l’autre sur une conception pluscomplexe et éclectique.Le rêve de la philosophie ancienne de réduire tout phénomène à des principes élémentaires s’estdéveloppé tout au long du XVIIème et du XVIIIème siècle en trouvant en Descartes et en Leibniz deuxreprésentants fondamentaux (pour Descartes la pensée – synonyme de raison – consistait à enchaî-ner logiquement des concepts simples, Leibniz de son côté ébauche la théorie des monades) et déjàà cette époque surgit l’opposition avec l’empirisme de Hume, qui partait par contre des donnéesd’expérience pour parvenir à une théorisation.C’est à partir de l’invention des calculateurs, qui parviennent à exécuter des calculs complexes enles subdivisant dans leurs composants simples, qu’on a l’impression de voir une confirmation tech-nique des hypothèses de réduction/modélisation aussi bien de la réalité que de la pensée humaine.Ceci semble d’autant plus vrai qu’il semble qu’il y ait des analogies avec les premières études dufonctionnement cérébral, qui envisageaient des aires spécialisées dans le cerveau correspondant àdes facultés différentes.

le problème de construire des robots semblables aux hommes n’existe plus. L’idée d’ordinateur-homme est un exempleapproprié de l’alternative entre usage humain et inhumain des machines.

L’ordinateur peut servir à améliorer la vie de beaucoup de manières, mais l’hypothèse qu’il substitue la vie etl’homme est une claire manifestation de la pathologie de notre temps.

30 Voir par exemple les œuvres d’Edgar Morin.

40 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

Il est intéressant de noter toutefois que même dans ce domaine d’études il y a eu, déjà à partir de lafin du siècle dernier, opposition entre ceux qui soutenaient la théorie de la localisation des facultésmentales et ceux pour qui le cerveau présentait un fonctionnement holistique 31.À partir de la fin de la seconde guerre mondiale, l’étude du fonctionnement du cerveau procède paranalogie avec celle du développement technique de l’ordinateur, et on assiste à la naissance dequelques théories porteuses de concepts qui marqueront jusqu’à présent le débat autour des neuro-sciences, appelées par la suite sciences de la cognition.De toutes ces théories, très différentes et souvent même opposées, je ne retiendrai que celles qui sontliées à ma recherche dans la mesure où elles me permettent de tracer un parcours qui souligne la rela-tion entre créativité et fonctionnement du cerveau.

2.3.1 Deux théories du fonctionnement du cerveau

2.3.1.1 La cybernétique

La première théorie qui me semble intéressante est la cybernétique, plus connue comme théorie dessystèmes, qui a vu sa naissance à l’occasion des conférences Macy organisées à New York de 1946à 1953. Le nom, d’origine grecque (êõâåñíÞôçò = pilote), a été inventé par le mathématicien Wieneren 1948. Née de l’ingénierie, cette théorie a montré dans les décennies suivantes toute sa souplesseet sa fécondité.Les conférences Macy représentèrent un moment riche de rencontre entre spécialistes de disciplinesdifférentes, qui tous finirent par mettre en œuvre la théorie des systèmes dans leurs domaines spéci-fiques.

L’idée de « modèle », de « système » (où interagissent des éléments) est à l’origine de toutesles versions de la théorie des systèmes qui vont naître dans les années suivantes. On voit biencomment les idées d’ordinateur, de cerveau, de système autorégulé, de calcul logique…s’in-terpénètrent et s’articulent de différentes manières, débouchant sur de nouvelles pistes etaboutissant parfois aussi à des impasses. (Dortier, 2002, p. 7)

La cybernétique a eu le mérite d’introduire le concept de système et d’en faire un outil permettantd’analyser des phénomènes tels que le fonctionnement du cerveau; à travers le concept de systèmecomplexe elle a rendu possible l’entrée sur la scène scientifique d’un concept très riche et fécond telque celui de la complexité, mais elle n’a pas encore analysé ce concept en se limitant à le reconnaî-tre, à le « mettre entre parenthèses » (Morin, 1990, p. 49) et à considérer plutôt les inputs et les out-puts des systèmes mêmes.

31 voir Pierre Flourences (1794-1867) auteur des « holistes » dans le débat concernant le fonctionnement du cerveauqui passionna les chercheurs de la fin du XIXème siècle. Voir aussi Dortier, J. F. « Histoire des sciences cognitives », inSciences Humaines, Hors-série, n°35 – décembre 2001/janvier-février 2002, p. 7.

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La difficulté à entrer dans les systèmes complexes était celle d’accepter un certain niveau d’incerti-tude, ce qui était d’autant plus difficile si l’on considère que la science avait toujours tâché d’élimi-ner toute incertitude et ambiguïté. Mais justement cette idée de l’acceptation d’une certaine impré-cision et ambiguïté est fondamentale pour éviter toute impasse liée à l’analogie cerveau=ordinateur

Une des conquêtes préliminaires dans l’étude du cerveau humain est de comprendre qu’unede ses supériorités sur l’ordinateur est de pouvoir travailler avec de l’insuffisant et du flou; ilfaut désormais accepter une certaine ambiguïté et une ambiguïté certaine (dans la relationsujet/objet, ordre/désordre, auto/ hétéro organisation). Il faut reconnaître des phénomènes,comme liberté ou créativité, inexplicables hors du cadre complexe qui seul permet leur appa-rition. (id, p. 50)

Parmi les participants aux conférences Macy, la personnalité la plus intéressante pour mon étude estcelle de Gregory Bateson qui, en tant qu’anthropologue, va appliquer la théorie cybernétique à l’é-tude de l’être humain.Dans son œuvre Verso un’ecologia della mente (titre orig.: Steps to an Ecology of Mind)32, il souli-gne son idée qui est celle de considérer l’esprit humain comme un système à l’intérieur duquelchaque composante est strictement liée aux autres: « Si potrebbe dire che nella creazione artistical’uomo deve sentire se stesso – tutto il suo io – come un modello cibernetico » (Bateson, 1976, p.453).33

La profondeur des idées de Bateson est devenue de plus en plus remarquable, et son opposition à lalogique cartésienne constitue une des raisons pour lesquelles « the ideas of Bateson become criti-cally important to thinking about education for the twenty-first century » (Bowers, Flinders, 1990,p. 233).34 Le lien avec ses théories sera toujours plus évident dans la suite de ce travail, car elles four-nissent un des points de repère à la ligne poursuivie dans ma recherche.

2.3.1.2 L’Intelligence Artificielle: lumières et ombres

Une autre étape fondamentale qui va dans le sens d’une modélisation de la pensée humaine est cons-tituée par la naissance de l’I.A., l’Intelligence Artificielle, qui fait son apparition à la moitié desannées 50 avec de très grandes ambitions, surtout celle de pouvoir substituer une machine au cer-veau humain pour exécuter des tâches complexes comme par exemple la traduction des langues.L’I.A. semble aller dans une direction opposée à celle que je considère la plus pertinente à marecherche, puisqu’elle tâche en fait de décomposer tout problème en des sous-problèmes simplespour parvenir à une solution et adopte par conséquent une perspective réductionniste, je voudraistoutefois souligner ici son importance en tant que stimulus ou support à une prolifération d’idées etde recherches dans les années successives à sa formulation. Tout ce grand échange d’idée a contri-bué à rendre la période qui va de la moitié des années 50 jusqu’à la moitié des années 70 l’humusfertile sur lequel ont germé les sciences qui seront ensuite regroupées sous la dénomination de scien-ces cognitives.

32 Bateson G., Verso un’ecologia della mente, Milano Adelphi, 1976, éd. or. Steps to an Ecology of mind, ChandlerPublishing Company, 1972.

33 On pourrait dire que dans la création artistique l’homme doit sentir soi- même – tout son être – comme un modè-le cybernétique.

34 Les idées de Bateson deviennent fondamentales pour la pensée concernant l’éducation pour le vingt et unièmesiècle.

42 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

S’intéressent à l’Intelligence Artificielle les psychologues qui s’opposent au béhaviorisme dominantà l’époque, en particulier J.Bruner et S. Miller, qui étudient les stratégies mises en place par le cer-veau pour parvenir à la résolution de problèmes. À Bruner s’associe N. Chomsky dans la fondationdu Center of Cognitive Psychology à Harvard. Chomsky a formulé la fameuse théorie linguistiquedite de la grammaire générative (GG):

« …l’esprit de la GG est proche de celle de l’IA. Dans les deux cas, il s’agit de retrouver des“programmes”, fondamentaux, réductibles à quelques règles de production, qui permettent de“générer” toute sorte de production mentale. » (Dortier, 2002, p. 9)

Cette affinité semblait être prometteuse de grands développements au niveau informatique car, unefois découvertes les règles de grammaire universelle, il semblait possible de programmer un ordina-teur de façon qu’il puisse par exemple parler ou traduire.Même si la théorie chomskienne et l’IA s’éloignent l’une de l’autre au fil des années, l’idée de modé-liser le fonctionnement du cerveau par analogie avec celui de l’ordinateur reste à la base de nom-breuses études et de quelques modèles importants, comme celui de J. Fodor. Celui-ci se concentred’un côté sur les caractéristiques de la pensée en formulant la thèse « fonctionnaliste » selon laquel-le il y a une séparation entre les opérations mentales (le software) et l’instrument qui permet leureffectuation (le hardware), et de l’autre sur le fonctionnement de l’esprit humain, pour lequel il for-mule une thèse « modulariste », ainsi nommée parce qu’elle postule pour chaque opération un modu-le spécialisé. Ce modèle, connu sous le nom de modèle symbolique ou de « cognitivisme », sera àl’origine d’un grand débat dans le monde scientifique.Les philosophes aussi, de leur côté, montrent un grand intérêt pour les thèses de l’IA, en se pronon-çant soit en faveur soit contre. L’opposition tourne autour des aspects qui distinguent la penséehumaine de la machine, défendant l’idée selon laquelle celle-ci ne parviendra jamais à reproduire parexemple l’intention, la conscience, les projets. On discute aussi des implications de la théorie fonc-tionnaliste sur la relation entre la partie physique, le cerveau, et la partie « spirituelle », la pensée.Selon le philosophe américain John R. Searle35 « la machine ne fait que manipuler des symbolesabstraits sans en comprendre la signification » (id, p. 11), elle n’a pas accès au sens donc on ne peutpas dire qu’elle pense. Ces limites montrées par le modèle de l’IA, à savoir le fait de ne pas parve-nir aux résultats attendus en termes de réalisation – les limites dans le domaine de la traduction auto-matique en sont l’exemple le plus frappant – ont contribué à la naissance d’un autre modèle, celuidu connexionisme qui, lui aussi, part d’un aspect du fonctionnement du cerveau, celui du réseau deneurones.Selon ce nouveau modèle, les opérations cognitives sont effectuées par un système formé d’unitésinterconnectées qui interagissent dans leur travail: ce qui pourrait être considéré comme renvoyantà la théorie des systèmes.On voit déjà paraître ici quelques concepts qui se rattachent bien au discours sur la créativité: il fautencore une fois se demander si et dans quelle mesure il est possible de tout réduire à des problèmestechniques qu’on arrivera à résoudre dans un futur plus ou moins proche.

35 John R. Searle, La redécouverte de l’esprit, Paris, Gallimard,.1995.

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2.4 Naissances des « sciences cognitives »

Il semble déjà clair, à partir de cette courte introduction historique, que tout ce mouvement d’idées,quoique riche et fort intéressant, entraîne une vision toujours plus complexe du fonctionnement ducerveau et de la pensée humaine. Comme l’avaient déjà compris très bien J.Bruner et N.Chomsky àl’époque de la fondation de leur centre, l’étude de la boîte noire n’est pas seulement une affaire depsychologues: elle requiert l’apport de nombreuses disciplines différentes qui vont de l’anthropolo-gie à la linguistique en passant par la philosophie et les neurosciences.Mais ce n’est qu’au milieu des années 70 que les « sciences cognitives » font leur apparition auxÉtats-Unis (une revue spécialisée et une société ont vu alors le jour). Sous cette dénomination ontrouve la psychologie, l’IA, les neurosciences, l’anthropologie, la linguistique et la philosophie.Cette complexe constellation de domaines d’étude a donné lieu à une grande production scientifiqueet vulgarisatrice, exerçant son influence tout au long de ces dernières décennies (même si en Europeles sciences cognitives ont fait leur apparition plus tard qu’aux États-Unis).Le fait de partir de différentes perspectives pour étudier un phénomène complexe comme celui desdifférentes modalités du fonctionnement de l’esprit humain a permis de considérer les apports d’ap-proches très différentes comme, toutes, capables de donner leur contribution à la résolution d’unetâche extrêmement complexe et non comme des sciences en concurrence et en même temps il aouvert la voie à l’étude de concepts transversaux tels que celui de conscience. Ce concept, même s’ilreste encore un peu flou à cause justement des différentes perspectives à partir desquelles on l’abor-de, marque le passage à ce que l’on pourrait considérer comme un niveau plus haut, car le conceptde conscience en véhicule d’autres aussi importants, tels que ceux d’émotion, de sensation, deréflexion, de subjectivité, d’évaluation, de critique, de représentation mentale.

2.5 De la recherche d’un modèle à la prise en compte du contexte

D’un point de vue strictement historique, on revient à la situation annoncée au départ: le triomphedes neurosciences qui a eu lieu pendant les années 90.La boîte noire semble donc avoir été ouverte grâce aussi aux progrès de la technologie, mais on estencore loin malgré tout d’avoir trouvé la clé du mystère: le débat n’a fait que se déplacer à un niveausupérieur aussi bien du point de vue scientifique (quel est le niveau de connexion et la possibilitéd’échanges entre aires spécialisées du cerveau?) que philosophique (quelle est la relation entre cer-veau et esprit, entre cerveau et pensée, entre cerveau et émotions?)

La plupart des neuroscientifiques admettent que la pensée est forcément ancrée sur un supportcérébral (dont il leur revient d’étudier le fonctionnement), mais qu’elle dépend également del’apprentissage, et donc de facteurs culturels et sociaux. (id, p. 13)

Si les découvertes techniques n’ont que partiellement aidé à parvenir à des solutions en visualisantcertains mécanismes de l’activité cérébrale, elles n’ont toutefois confirmé complètement aucun desmodèles envisagés par les chercheurs. En outre, au fur et à mesure que les sciences cognitives pro-gressent, et cela d’une manière plus interconnectée qu’auparavant, les approches ont tendance à sediversifier.

44 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

Les approches les plus récentes partent d’une autre perspective, à savoir celle de la prise en comptede l’importance du contexte: il peut s’agir du contexte ambiant auquel même le cerveau doit trouverdes stratégies d’adaptation, tel que postulé par l’évolutionnisme, ou du contexte biologique, le cer-veau étant une partie du corps qu’il n’est pas possible de considérer séparément, ou enfin du contex-te social, car l’individu vit dans une société et la pensée – tout comme l’apprentissage – a une viséesociale.Mais non sulement le concept de contexte joue un rôle important, il faut considérer aussi la direc-tion prise par les études sur le fonctionnement de la mémoire et de l’intelligence dans lesquels unedifférenciation entre une multiplicité de typologies s’est désormais imposée. L’éclectisme qui en résulte et qui semble être le seul moyen de garder toute cette richesse se ratta-che très bien à l’idée de complexité, laquelle à son tour se relie à celle de système.Jérôme Bruner, dans son livre La mente a più dimensioni (tit.orig. Actual Minds, Possible Worlds)exprime bien sa perplexité devant toute division des phénomènes de la pensée:

[…] ho deplorato l’abitudine di tracciare confini concettuali rigidi tra pensiero, azione edemozione, quasi si trattasse di « regioni » della mente; si finisce per trovarsi poi a dovercostruire dei « ponti concettuali » per rimettere in collegamento ciò che non si sarebbe maidovuto separare. (Bruner, p. 131)36

L’importance du côté émotionnel ne peut plus être niée: il faut partir de la prise de conscience de lacomplexité du cerveau qui, en tant qu’organisme vivant, est, pour cela, en relation avec d’autres« organismes vivants », le corps, mais aussi la communauté sociale et l’environnement. Dans ce pro-cessus qui part du micro système pour arriver aux macro systèmes, les émotions retrouvent leur placeet aussi leur intérêt comme domaine d’étude.

2.6 La théorie systémique et le paradigme de la complexité

Revenons à l’idée de Bruner:Le emozioni, le conoscenze e le azioni [sono] i vari aspetti di un insieme più vasto che conse-gue la propria unità e la propria completezza solo all’interno di un sistema culturale. […] Laconoscenza non è una forma di sapere puro a cui si aggiunga l’emozione (con il risultato diturbarne la chiarezza oppure no). L’azione, poi, è la risultante finale di ciò che uno sa e sente.(Bruner, p. 145)37

Il est évident que la métaphore cartésienne fondamentale qui est à la base de la pensée occidentaledominante, à savoir l’approche scientifique de type techniciste, ne suffit pas à analyser toutes lescomposantes de la pensée, des mécanismes mentaux, du fonctionnement de l’esprit.Bowers et Flinders synthétisent efficacement ce que Bateson appelle le « Cartesian thinking »:

36 J’ai déploré l’habitude de tracer des frontières conceptuelles rigides entre pensée, action et émotion, presquecomme s’il s’agissait de « régions » de l’esprit; on se trouve finalement dans la nécessité de construire des « pontsconceptuels » pour remettre en communication ce qu’on n’aurait jamais dû séparer.

37 Les émotions, les connaissances et les actions [sont] les différents aspects d’un ensemble plus vaste qui atteintsa propre unité et se complète seulement à l’intérieur d’un système culturel. […] La connaissance n’est pas une formede savoir pur auquel s’ajoute l’émotion (avec le résultat d’en perturber la clarté ou pas. L’action, d’ailleurs, est larésultante finale de ce que chacun sait et sent.

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The individual is an autonomous being who makes intellectual and moral judgements; kno-wledge (the explicit and measurable variety) is the chief source of power and progress in deve-loping technologies that will enable us to exploit nature’s resources; and nature (includinghuman beings) and society are represented in the mechanistic terms that allow for greater pre-dictability and control (Bowers, Flinders, p. 233)38

Et ils soulignent comment la métaphore écologique de Bateson, opposée à la métaphore cartésienne,« places the person and the symbolic world of culture within a system of interdependent relations –not outside it, as is the case with the Cartesian metaphor »(id, p. 234).39

La métaphore de Bateson est centrale pour ma thèse parce qu’elle repose sur l’idée de l’interdépen-dance de tous les facteurs liés à la culture humaine: les systèmes sont caractérisés par des interrela-tions à l’intérieur, mais ils sont aussi ouverts à l’extérieur.Par analogie avec la métaphore batesonienne, on peut considérer que le système cerveau/esprit, pourbien fonctionner, doit coopérer étroitement avec le système corps/individu, lequel, à son tour – pourrester dans la tranche d’âge scolaire – doit se mettre en relation avec le système famille d’un côté etavec celui du groupe-classe de l’autre. Tous ces systèmes doivent à leur tour se mettre en relationavec les systèmes sociaux, avec celui de l’environnement…Ces systèmes étant donc complexes et interdépendants, on arrive bien à saisir comment de petitschangements produisent des conséquences significatives presque impossibles à prévoir:

La crisi ecologica del pianeta ha messo a nudo l’inadeguatezza del paradigma cartesiano edella fisica newtoniana che consideravano il mondo come una macchina, con comportamentiprevedibili delle singole parti, analizzate da modelli riduzionisti e soggette a leggi semplici euniversali. La complessità dei meccanismi di retroazione, la non linearità dei fenomeni fuoriequilibrio come l’effetto serra, il buco dell’ozono, le risposte immunologiche degli organismiviventi, hanno dimostrato che la linearità non è generalizzabile…e che le piccole variazioniquasi sempre producono effetti macroscopici e non prevedibili (Tiezzi E., 1991, p. 85)40

Une des idées de base de la théorie du changement qui est désormais devenue un slogan « think glo-bally, act locally » donne l’occasion de réfléchir sur les possibilités d’intervention efficace à partirde la réalité quotidienne

Alla mania della quantità si va progressivamente e massicciamente aggiungendo il valoredella qualità, come riscoperta del particolare, delle differenze, della singolarità, dell’estetica,della soggettività, del piccolo, del quotidiano (Rosati L., 1997, p. 118, souligné par l’auteur)41

Tout ce qui avait été rejeté comme irrationnel, non scientifique, donc non digne d’attention, rentredans la théorie systémique et dans le paradigme de la complexité

38 L’individu est un être autonome qui formule des jugements intellectuels et moraux; la connaissance (dans savariété explicite et mesurable) est la source principale de pouvoir et de progrès dans le développement de technologiesqui nous permettront d’exploiter les ressources naturelles; et la nature (y compris les êtres humains) et la société sontreprésentées dans des termes mécanicistes qui permettent une prévisibileté et un contrôle plus grands.

39 Met la personne et le monde symbolique de la culture à l’intérieur d’un système de relations interdépendantes –non au déhors de ceci, comme dans le cas de la métaphore Cartesienne.

40 La crise écologique de la planète a mis à nu l’inadéquation du paradigme cartésien et de la physique de Newton,qui considéraient le monde comme une machine présentant des comportements prévisibles de chacune de ses parties,analysées par des modèles réductionnistes et assujettis à des lois simples et universelles. La complexité des mécanismesde rétroaction, la non-linéarité des phénomènes hors équilibre comme l’effet de serre, le trou dans la couche d’ozone,les réponses immunologiques des organismes vivants ont démontré que la linéarité n’est pas généralisable… et que lespetites variations produisent presque toujours des effets macroscopiques et non prévisibles.

41 À la manie de la quantité on ajoute progressivement et massivement la valeur de la qualité, comme redécouver-te du détail, des différences, de la singularité, de l’esthétique, de la subjectivité, du petit, du quotidien.

46 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

L’uomo non vive in un mondo di puri fatti secondo i suoi bisogni e i suoi desideri immediati.Vive piuttosto fra emozioni suscitate dall’immaginazione, fra paure e speranze, fra illusioni edisillusioni, fra fantasie e sogni (Cassirer E., 1968, p. 80)42

2.6.1 Apports du pragmatisme

Ces concepts se rattachent de façon significative à la ligne pragmatiste, telle qu’elle est présentée parRichard Rorty43, qui me semble très bien intégrer la perspective complexe au niveau philosophique.Selon cette ligne, la conception de la recherche scientifique comme un procédé visant à découvrir laVéritable Langue de la Nature n’a pas beaucoup de sens, et les longues tentatives des positivistesd’utiliser des notions telles que « objectivité », « rigueur », et « méthode » pour isoler ce qui peutêtre considéré comme science de ce qui ne peut pas l’être n’ont pas démontré qu’il y a vraiment uneméthode universelle et scientifique suivant laquelle nous serions capables d’aller au-delà des appa-rences pour voir la nature « telle qu’elle est vraiment ». Il faudrait renverser la question et affirmerplutôt qu’un certain vocabulaire fonctionne mieux qu’un autre pour atteindre un certain but:

Pragmatism […] does not erect Science as an idol to fill the place once held by God. It viewsscience as one genre of literature – or, put the other way around, literature and the arts asinquiries, on the same footing as scientific inquiries (Rorty, 1982, p. XLIII)44

Selon Rorty, la philosophie présente par rapport aux autres types de recherche une différence de typequantitatif et non de type qualitatif: « [Philosophy is] critical thought at a level of generality whichdiffers only in degree from all the rest of inquiry » (id, p. 29). Et tout au long de son œuvre, il argu-mente cette thèse rigoureusement pour aboutir à une vision très libératrice dans laquelle la toléran-ce devient centrale dans toute science, l’acceptation de la notion de différence s’étendant aussi bienà ce qu’on recherche qu’à la nature et au style de la recherche.Dans un chapitre dont le titre très révélateur est « Method, Social Science, Social Hope », Rorty nousdit encore:

The burden of my argument so far has been that if we get rid of traditional notions of « objec-tivity » and « scientific method » we shall be able to see the social sciences as continuous withliterature – as interpreting other people to us, and thus enlargening and deepening our senseof community. […] we shall not think that « the study of man » or « the human sciences » havea nature, any more than we think that man does. […] The lines between novels, newspaperarticles, and sociological research get blurred. The lines between subject matters are drawnby reference to current practical concerns, rather than putative ontological status. (id, p.203)45

42 L’homme ne vit pas dans un monde de purs faits selon ses besoins et ses désirs immédiats. Il vit plutôt parmi desémotions suscitées par l’imagination, entre peurs et espoirs, entre illusions et désillusions, entre fantaisies et rêves.

43 Rorty, Richard, Consequences of Pragmatism, Brighton, The Harvester Press Limited, 1982.44 Le Pragmatisme […] n’érige pas la Science en idole pour remplir la place qui était une fois tenue par Dieu. Il

regarde la science comme un genre littéraire – ou, pour renverser les termes de la question la littérature et les artscomme des questions, sur le même plan que les questions scientifiques.

45 Le poids de mon argument jusqu’ici a été le fait que si nous nous libérons des notions traditionnelles d’« objec-tivité » et de « méthode scientifique » nous serons capables de voir les sciences sociales comme liées à la littérature –comme capables de nous faire comprendre les autres, et par conséquent d’élargir et approfondir notre sens de la com-munauté. […] nous ne penserons pas que « l’étude de l’homme » ou « les sciences humaines » ont une nature, pas plus

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 47

Il est enfin très intéressant de noter que Rorty souhaite que cette nouvelle perspective, celle quiconsiste à aller au-delà de la « méthode », ne se traduise pas dans un nouvel instrument de domina-tion mais que, au contraire, elle donne de la place à un sentiment d’espoir et de solidarité humaine.

2.7 La créativité comme ressource pour maîtriser la complexité

La conscience de se trouver dans un moment historique caractérisé par de grandes mutations, parl’interdépendance de toutes les composantes à l’intérieur du paradigme écologique et surtout par lanécessité d’opérer dans tout domaine des choix visant à améliorer la qualité de la vie postulent l’im-portance du facteur humain, de la subjectivité, des ressources de l’être humain. La créativité s’im-pose alors comme qualité nécessaire pour maîtriser une telle complexité: et cette qualité dépasse leslimites de toute pédagogie et formation scolaire pour parvenir à une dimension plus vaste, pour setransformer elle-même dans une ligne de comportement intériorisée par la personne, par l’êtrehumain, qui sera capable de l’utiliser dans tout domaine, à partir de celui professionnel. Et cet êtresera d’autant plus créatif qu’il sera capable de se mettre dans une perspective d’innovation, s’ilaccepte de vivre sans cesse de nouvelles aventures:

Gli individui creativi sono persone che non rinunciano a mettersi continuamente alla prova, asperimentare qualcosa di nuovo e a tollerare il rischio che ciò comporta.Sono persone che vivono da « eterni debuttanti », sempre capaci di scommettere e di buttarsiavanti, persone dinamiche e vive che cercano « l’avventura tra il gioco e la serietà » (L. Rosati1993, p. 47), avventura che nel significato più profondo esige impegno, costanza, responsabi-lità (Rosati L., 1997, p. 78)46

La personne créative est celle qui a fait du « problem finding »47 sa stratégie de travail fondamenta-le:

E creativa una mente sempre al lavoro, sempre a far domande, a scoprire problemi dove glialtri trovano risposte soddisfacenti, a suo agio nelle situazioni fluide nelle quali gli altri fiu-tano solo pericoli, capace di giudizi autonomi e indipendenti (anche dal padre, dal professo-re e dalla società), che rifiuta il codificato, che rimanipola oggetti e concetti senza lasciarsiinibire dai conformismi. Tutte queste qualità si manifestano nel processo creativo. (Rodari,1973, pp. 179-80)48

Bref, il est celui qui a su garder à l’âge adulte la créativité propre à l’enfance

que nous pensons l’homme en avoir une. […] Les lignes qui séparent romans, articles de journal et recherches socio-logiques deviennent indistinctes. Les lignes entre les sujets d’études sont tracées par rapport à des préoccupations cou-rantes d’ordre pratique plutôt que par rapport à un état ontologique putatif.

46 Les individus créatifs sont des personnes qui ne renoncent pas à se mettre toujours à l’épreuve, à expérimenterquelque chose de nouveau et à tolérer le risque que cela comporte. Ce sont des personnes qui vivent comme « des débu-tants éternels », toujours capables de parier et de se lancer en avant, des personnes dynamiques et vives qui cherchent« l’aventure entre le jeu et le sérieux » (L. Rosati 1993, p. 47), aventure qui dans son signifié plus profond exige enga-gement, constance, responsabilité.

47 Getzels et Csikszentmihalyi, 1976, cité d’après Antonietti, Cerioli, 1996 p. 27.48 Un esprit créatif est un esprit toujours au travail, toujours en train de poser des questions, de découvrir des pro-

blèmes là où les autres trouvent des réponses satisfaisantes, à l’aise dans les situations fluides dans lesquelles les aut-res ne flairent que des dangers, capable de jugements autonomes et indépendants (même du père, de professeur, de lasociété), qui refuse le codifié, qui remanipule objets et concepts sans se faire gêner par les conformismes. Ce sont tou-tes ces qualités qui se manifestent dans le processus créatif.

48 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

L’individuo creativo è quello che riesce a fronteggiare una sfida formidabile: sposare le pro-spettive più avanzate affermatesi in un campo del sapere con i problemi, gli interrogativi e leintuizioni che hanno scandito la sua vita di bambino pronto a meravigliarsi di ogni cosa(Gardner, 1994, p. 50)49

Il est évident que l’on pourra obtenir un tel résultat en reconsidérant profondément le rôle, la quali-té et la durée de la formation. Si la créativité doit devenir intrinsèque à la personne il faut postulerune formation correspondante au concept contenu dans le mot allemand de “Bildung”, à savoir unprocessus de développement de la personne dans sa totalité, un déploiement des potentialités dusujet, qui s’étendra tout au long de la vie, mais dont les germes auront été jetés très tôt. La périodescolaire devient d’autant plus fondamentale, car elle offre l’occasion d’un renouvellement des pra-tiques et des approches au savoir, bref d’un changement que l’on pourrait presque considérer commeune véritable révolution culturelle.

2.8 Pourquoi la complexité

Le choix de la théorie de la complexité et de l’organisation systémique comme paradigmes de basedans lesquels insérer l’idée de la créativité est loin d’être dû au hasard; il est au contraire motivé partrois facteurs de base:• le dépassement d’une idée réductionniste comme facteur d’explication des phénomènes;• la nécessité de la coexistence de facteurs apparemment opposés;• l’importance d’une prise en compte des relations sujet/objet et d’une perspective d’ouverture qui

part de l’individu pour arriver au champ et à l’environnement.

2.8.1 Le premier facteur

Le premier facteur, celui dont j’ai parlé dans ce chapitre et qui est essentiel à la compréhension desautres, rompt avec la tradition largement acceptée comme la seule possible – non seulement dans ledomaine scientifique mais aussi dans celui des sciences humaines – selon laquelle pour expliquertout phénomène il faut le réduire à ses composantes élémentaires:

L’idéal de la connaissance scientifique classique était de découvrir, derrière la complexitéapparente des phénomènes, un Ordre parfait légiférant une machine perpétuelle (le cosmos)elle-même faite de micro-éléments (les atomes) diversement assemblés en objets et systèmes.(Morin E., 1990, p. 19)

49 L’individu créatif est celui qui réussit à faire face à un formidable défi : mettre ensemble les perspectives lesplus avancées dans le domaine du savoir avec les problèmes, les doutes et les intuitions qui ont marqué sa vie d’enfantprêt à s’étonner de tout.

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 49

On l’a déjà vu à propos du cerveau et on pourrait bien l’étendre aux autres domaines aussi bien dessciences exactes (pensons à la cosmologie pour ne prendre qu’un seul exemple) que des scienceshumaines (l’étude de la société par exemple): ce réductionnisme n’arrivera pas à expliquer la totali-té des phénomènes complexes.Edgar Morin dit qu’on retrouve l’idée, déjà formulée dans le passé, selon laquelle « le tout est plusque l’ensemble des parties qui le composent » (Morin E., trad.it. 2000, p. 21, éd. orig. 1999), idéequi est aussi l’idée de base de la théorie gestaltiste50.Pour Morin, « lo sviluppo dell’attitudine a contestualizzare e globalizzare i saperi diviene un impe-rativo dell’educazione » (id, p. 19).51

2.8.2 Le deuxième facteur

2.8.2.1 Séparation entre fonction émotive et cognitive

Le deuxième facteur souligne la nécessité de considérer que des oppositions qui ont été vues commeirréductibles par notre culture et notre réflexion nécessitent en réalité d’être reconsidérées dans uneperspective holistique afin de pouvoir devenir des instruments efficaces de développement indivi-duel et collectif. Le cas plus éclatant et plus porteur de conséquences néfastes à tous niveaux est celuide la complète séparation entre fonctions émotives et cognitives. La perspective holistique postuleau contraire une relation entre les deux et cette relation a été confirmée par des recherches cliniquesqui ont montré comment les activités mentales de type analytique-cognitif et celles de type synthé-tique-émotif ne sont pas séparées, ne serait-ce qu’en raison de la conformation des structures ner-veuses qui les soutiennent.La séparation entre fonctions émotives et cognitives se relie aux positions que j’ai traitées dans lepremier chapitre, à savoir la séparation marquée entre les dimensions imaginative, ludique, fictived’un côté, et la réalité de l’autre et encore une fois à la nette distinction cartésienne entre raison ettout ce qui n’est pas raison, donc irrationnel, mais aussi émotions, affectivité, mythes, etc.

50 La théorie gestaltiste ou gestaltisme est à la base de la thérapie gestaltiste qui a été fondée par le psychanalisteallemand Fritz Perls (1893-1970), elle consiste en grande partie dans l’entraînement d’une personne à la prise de cons-cience et à l’amélioration de son contact avec soi-même et son milieu. La dénomination dérive du mot allemand Gestalt,qui signifie « forme », mais qu’il est impossible de traduire de façon précise. Il indique une forme distinguable de sonarrière-plan. Le fondateur de la thérapie de la Gestalt aimait la définir la « psychologie de l’évidence », car elle travaillesur la réalité présente plutôt que sur le passé et le futur et pose au patient des questions simples et fondamentales. Lathérapie de la Gestalt est efficace surtout dans le cas de personnes refoulées et inhibées, qui ont besoin de se libérer desrationalisations de leurs propres défenses qui leur empêchent de vivre leur vie pleinement et d’établir des relations pro-fondes avec les autres. La période de plus grande diffusion de cette thérapie a été celle des années 60. Un des principesde base de cette théorie est le fait que nous ne percevons pas des parties isolées des choses et des éléments, mais tou-jours des formes (Gestalten) complètes.

51 Le développement de l’habileté à contextualiser et globaliser les savoirs devient un impératif de l’éducation.

50 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

À propos de cette dernière dichotomie, j’aimerais citer encore une fois E. Morin, qui explicite trèsclairement son opposition:

Je crois que la vraie rationalité est profondément tolérante à l’égard des mystères. La fausserationalité a toujours traité de « primitifs », d’« infantiles », de « pré-logiques » des popula-tions où il y avait une complexité de pensée, pas seulement dans la technique, dans la connais-sance de la nature, mais dans le mythe. (Morin, 1990, p. 156)

2.8.2.2 Opposition des deux hémisphères cérébraux

Ce type d’opposition a été tout aussi extrême au niveau d’études scientifiques concernant la latéra-lisation cérébrale: la théorie des deux cerveaux postulait des fonctions complètement distinguéespour chaque hémisphère, l’hémisphère de gauche étant dédié aux fonctions linguistiques-analy-tiques, et celui de droite à l’activité globale-expressive. Cette théorie est strictement liée aussi à cellede dominance cérébrale, ce qui implique une nette séparation des individus en deux catégories, lesindividus à dominance cérébrale droite et ceux à dominance cérébrale gauche; il est claire que sonapplication rigide ne laissait presque pas d’espaces d’ouverture ou de flexibilité. Cette rigidité a été heureusement dépassée grâce aussi aux recherches de ces dernières décennies,qui montrent une modalité de fonctionnement du cerveau bien plus holistique, impliquant un travailbien plus intégré des deux hémisphères. Ce qui m’intéresse le plus pour ma recherche est naturelle-ment la sphère du langage et de la communication, sur laquelle je reviendrai au cours de ce chapit-re (voir 2.9.2.), mais il faut souligner que la théorie des deux cerveaux s’appliquait à tout domainede l’esprit et de la pensée humaine.

2.8.2.3 Polarité enfance/âge adulte

Parmi les oppositions intériorisées par notre culture, il y a aussi, comme on l’a vu dans le premierchapitre, celle de l’enfance et de la maturité de l’esprit. Or la créativité semble vraiment avoir besoind’une intégration de ce couple opposé, et cela à tous niveaux:

La creatività [è] un aspetto del potenziale umano e della sua capacità di realizzarsi ed espri-mersi in tutti i suoi aspetti cognitivi, ma anche affettivo-emozionali. (Rosati, 1997, p. 85)52

Cet auteur écrit encore:È interessante notare come emerga che una caratteristica della creatività sia un amalgamaparticolare di spirito infantile e di maturità ed una marginalità diffusa, una marginalità cul-turale di cui i maestri di creatività hanno fatto una leva importante del proprio lavoro. (Rosati,1997, p. 76/77)53

52 La créativité est un aspect du potentiel humain et de sa capacité à se réaliser et à s’exprimer dans tous sesaspects cognitifs, mais aussi affectifs-émotionnels.

53 Il est intéressant de remarquer le fait qu’une caractéristique de la créativité est un amalgame particulier d’espritenfantin et de maturité et une marginalité diffusée, une marginalité culturelle dont les maîtres de créativité ont fait unlevier important de leur travail.

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 51

Intimement lié à cela, il y a l’envie de se mettre en jeu, le goût de l’aventure en même temps que lesérieux et la persévérance.54

2.8.2.4 Opposition entre envie d’isolement et envie de contact

Une autre opposition très significative se situe au niveau social: on voit chez les individus créatifsune curieuse alliance de valorisation de la dimension individuelle, et de recherche de contactssociaux.J. Bruner définit « l’acte créatif d’un homme comme l’acte d’un homme tout entier » (Bruner, 1968,p. 43): la profonde participation émotionnelle est une condition nécessaire à l’acte créatif, et l’indi-vidu est capable aussi de faire face à l’isolement qui lui vient du manque de compréhension de lapart de ses contemporains, ou au moins de son entourage. Il s’agit, comme le dit Maslow55, de par-venir à travers la créativité à l’auto-réalisation. En même temps, toutefois, l’individu créatif sent lebesoin de relation et de communication, l’envie de partager les produits de sa création. Selon Rogers:

È poco probabile che un essere umano possa creare senza desiderare di condividere la pro-pria creazione. Perché questa è l’unica maniera che gli consente di placare l’angoscia dell’i-solamento e di convincersi di appartenere al gruppo. (Rogers, 1972, p. 105)56

Cette ambivalence a été remarquée aussi par A. Storr (1972), qui en arrive à considérer la présenced’un Moi fort comme une des caractéristiques de la créativité, et qui souligne en même temps le faitque les personnes créatives sont émotionnellement et socialement très sensibles.L’ambivalence entre désir de solitude et de socialité pourrait laisser la définition de la personnalitécréative plutôt floue; je voudrais au contraire souligner qu’il faudrait partir d’une autre perspectiveque l’on pourrait résumer de la façon suivante: l’homme a besoin d’être émotionnellement fort pourêtre créatif mais le fait d’être créatif aide à devenir plus fort. Cette double perspective se révéleratrès importante en tant que point de départ pour une réflexion didactique car elle rend possible d’uncôté l’exploitation des caractéristiques du sujet pour un travail créatif, de l’autre elle souligne lecaractère formatif qu’un travail axé sur la créativité peut avoir pour la maturation personnelle del’apprenant.

54 À ce propos j’ai déjà cité Rosati qui affirme que la créativité implique l’aventure entre jeu et sérieux. Rosati L.,Il tempo delle sfide, Brescia, La Scuola, 1993.

55 Maslow, 1972.56 Il y a peu de probabilité qu’un être humain puisse créer sans désirer partager sa création. Parce que c’est la

seule manière qui lui permette d’apaiser l’angoisse de l’isolation et de se convaincre d’appartenir au groupe.

52 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

2.8.2.5 Autres polarisations

Storr a particulièrement remarqué la présence d’une multiplicité de polarisations caractéristiques dela personnalité créative: cela confirme ce que j’ai énuméré parmi les constituants de base de la créa-tivité, à savoir la nécessité de la coexistence de facteurs apparemment opposés, mais se rattache aussiau premier de ces constituants – le dépassement d’une idée réductionniste comme facteur d’expli-cation des phénomènes – car il souligne encore une fois la richesse de tout phénomène complexe. Parmi ces polarisations, il est intéressant de noter celle entre masculin et féminin. On a vu précé-demment que la personne créative est ouverte aux sentiments, aux émotions, a une forte sensibilitéet des intérêts très larges. Or toutes ces caractéristiques sont normalement, dans notre société, consi-dérées comme féminines. Storr cite encore la dichotomie entre imagination et capacité d’auto-éva-luation et d’autocritique, entre activité et passivité (selon Storr dans l’acte créatif il y a un élémentde passivité car la volonté ne peut pas « obliger » les idées à venir, elles viennent toutes seules, ceque la volonté peut faire c’est créer des conditions favorables), enfin entre tendance obsessive et pré-férence pour l’asymétrie et la complexité.Un des aspects les plus intéressants de sa réflexion me semble résumé dans cette affirmation:

Ci sono buone ragioni per supporre che le persone creative siano contraddistinte da un gradoeccezionale di divisone tra gli opposti, ed anche da un’eccezionale consapevolezza di tale divi-sione. (Storr, 1973, p. 212, éd. orig. 1973)57

A laquelle je relie celle qui parle de la capacité de tolérer la dissonance:Una caratteristica dell’individuo creativo […] è proprio la sua capacità di tollerare la disso-nanza: Egli vede problemi che altri non vedono; e non tenta di negare la loro esistenza. Allafine il problema può venir risolto, e da ciò che in precedenza si presentava come incompati-bile può essere estratta una nuova totalità; ma ciò che rende possibile la nuova soluzione è latolleranza del disagio da parte dell’individuo creativo. (id, p. 242)58

Ce concept se rattache à celui du « problem finding » dont j’ai déjà parlé, et se relie à un facteur,celui de l’acceptation de l’incertain et des situations problématiques, qui sera fondamental dans lechapitre concernant l’approche didactique de la question de la créativité.

2.8.3 Le troisième facteur

Le troisième facteur mentionné, celui de la relation sujet/objet et sujet/champ/environnement estfondamental aussi pour souligner le caractère nécessairement complexe de la créativité.Edgar Morin explique la dualité de l’objet et du sujet qui caractérise la culture occidentale depuisDescartes:

57 Il y a de bonnes raisons pour supposer que les personnes créatives se distinguent par un degré exceptionnel dedivision entre les opposés, et également par un exceptionnel degré de conscience de ces divisions.

58 Une caractéristique de l’individu créatif […] est justement sa capacité à tolérer la dissonance : il voit des pro-blèmes là où les autres ne les voient pas, et il n’essaie pas de nier leur existence. À la fin le problème peut être résolu,et de ce qui avant se présentait comme incompatible on peut extraire une nouvelle totalité; mais ce qui rend possible lanouvelle solution est la tolérance du malaise de la part de l’individu créatif.

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 53

[Cette culture pose] alternativement l’univers objectif de la res extensa, ouvert à la science, etle cogito subjectif irrésistible, irréductible premier principe de la réalité. Depuis, effective-ment, la dualité de l’objet et du sujet se pose en termes de disjonction, de répulsion, d’annu-lation réciproque. (Morin, 1990, p. 56)

Et cet auteur s’oppose très nettement à cette disjonction au nom d’une vision complexe de la cultu-re:

Si je pars du système auto-éco-organisateur et que je remonte, de complexité en complexité,j’arrive finalement à un sujet réfléchissant qui n’est autre que moi-même qui essaie de penserla relation sujet-objet. Et inversement si je pars de ce sujet réfléchissant pour trouver son fon-dement ou du moins son origine, je trouve ma société, l’histoire de cette société dans l’évolu-tion de l’humanité, l’homme auto-éco-organisateur.Ainsi le monde est à l’intérieur de notre esprit, lequel est à l’intérieur du monde. Sujet et objetdans ce procès sont constitutifs l’un de l’autre. Mais cela n’aboutit pas à une vue unificatriceet harmonieuse. Nous ne pouvons échapper à un principe d’incertitude généralisée. […] Lesujet doit demeurer ouvert, dépourvu d’un principe de décidabilité en lui-même; l’objet lui-même doit demeurer ouvert, d’une part sur le sujet, d’autre part sur son environnement, lequelà son tour, s’ouvre nécessairement et continue de s’ouvrir au-delà des limites de notre enten-dement. (id, pp. 59-60)

Dans le domaine de la créativité tout particulièrement, il faut conserver une vision intégrée des rôlesdu sujet et de l’objet car, comme on l’a vu dans le cas de l’individu créatif, entre conscience de soiet centralisation du sujet d’un côté, et intégration au monde de l’autre, le lien est central:

Si è creativi […] quando si ha coscienza dei pensieri, delle convinzioni autentiche del propriosé, e contemporaneamente quando si rinuncia al possesso di sé in quanto oggetto di proprie-tà, al proprio narcisismo ed egocentrismo per rendersi disponibili ad una relazione con glialtri autentica, basata sull’apertura nei confronti di opinioni, giudizi, idee diversi dai nostri,sull’accettazione dell’esperienza del conflitto, della divergenza, della polarità, dell’alterità.(Rosati, 1997, pp. 85-86)59

La relation sujet/environnement se rattache à la conception vigotskyenne selon laquelle imaginationet créativité ne sont pas des dons de Dieu, mais une potentialité innée d’opérer un procès de res-tructuration continuelle de l’information qui trouve son humus fertile dans les relations que l’indivi-du a instituées avec la réalité sociale et l’environnent à partir de son enfance.Vygotsky affirme que

Qualsiasi inventore, foss’anche un genio, è sempre una creatura del suo tempo. La sua capa-cità creatrice muove da quei bisogni che si sono formati prima di lui e poggia su quelle pos-sibilità che sussistono fuori di lui […]. Nessuna invenzione o scoperta scientifica appare,prima che si siano formate le condizioni materiali e psicologiche necessarie al suo sorgere.[…] per quanto individuale una creazione sia, include sempre un coefficiente sociale(Vygotsky, 1972, p. 50)60

59 On est créatif quand on a conscience des pensées, des convictions authentiques de son propre soi, et en mêmetemps quand on renonce à la possession de soi en tant qu’objet de propriété, à son narcissisme et égocentrisme, pourse rendre disponible à une relation authentique avec les autres, basée sur l’ouverture envers les opinions, jugements,idées différents des nôtres, sur l’acceptation de l’expérience du conflit, de la divergence, de la polarité, de l’altérité.

60 N’importe quel inventeur, même un génie, est toujours une créature de son temps. Sa capacité créatrice part deces besoins qui se sont formés avant lui et s’appuie sur ces possibilités qui existent hors de lui […]. Aucune inventionou découverte scientifique n’apparaît avant que les conditions matérielles et psychologiques nécessaires à sa naissan-ce ne se soient formées […]. Quelque individuelle que soit une création, elle comprend toujours un coefficient social.

54 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

Mais la relation sujet/environnement est aussi fortement liée à la théorie constructiviste dans la ver-sion piagetienne déjà, puis dans celle de Bruner: si l’homme pour acquérir des connaissances doitforcément passer par un processus de réorganisation de la réalité comme de ces connaissancesmêmes pour parvenir à la construction d’idées nouvelles – ce qui constitue selon les constructivis-tes le seul vrai apprentissage –, il va sans dire que ce processus aura des implications fortes en ter-mes de structuration du sujet, mais aura aussi des conséquences sur l’environnement, auquel le sujetapportera quelque chose de nouveau et qui sera donc transformé par ce même sujet.

2.8.3.1 La relation sujet/champ

La relation sujet-champ me semble digne d’attention dans le cadre d’une réflexion sur la créativité.L’idée du champ présuppose un sous-système par rapport à celui de l’environnement, et amène àsouligner la multiplicité des approches de la créativité et donc la diversité des formes dans lesquel-les la créativité peut se manifester.Le concept de champ a été introduit par Csikszentmihalyj et repris par Gardner dans ses travaux, fon-damentaux pour toute étude de la créativité.Sans vouloir analyser trop en détail les idées de ces deux chercheurs, j’aimerais reproduire deuxschémas qui montrent comment la dimension créative implique les différentes composantes que j’aimentionnées.

Schéma de Gardner (Gardner, 1994, p. 25, ed. orig. 1993, je traduis)

individu(enfant et maître)

Autres personnes travailPendant l'enfance: famille (systèmes symboliqueset personnes du même âge; propres de la sphèrependant la maturité: rivaux, d'activité ou de la figures de support de son discipline) propre milieu)

(

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 55

Schéma de Csikszentmihalyj (id, p. 56, je traduis)

Ces deux schémas se ressemblent, ils sont presque correspondants dit Gardner, qui souligne la posi-tion de Csikszentmihalyj selon lequel la créativité ne s’identifie avec aucun de ces nœuds pris danssa singularité ni avec des paires de nœuds: elle consiste au contraire dans l’interaction de toutes lescomposantes les unes avec les autres.Le concept de base de Gardner qui est strictement lié à la créativité – mais qui a aussi une grandeimportance du point de vue didactique et donc fera l’objet, entre autres, d’une reprise visée dans letroisième chapitre – est d’ailleurs celui des intelligences multiples.La théorie de Gardner selon laquelle il y a des types d’intelligence très différents est strictement liéeà une vision différenciée de la créativité

Mentre elaboravo la teoria delle intelligenze multiple, mi sono convinto che essa aveva nonpoche implicazioni per lo studio della creatività. Più precisamente, come non ha molto sensoconsiderare un individuo intelligente o tardo in generale, così mi parve che sarebbe statotempo perso cercare individui dotati di una « cretività generale » o costruire test che preten-dessero di verificarla. Se l’intelligenza è pluralistica, a fortiori è pluralistica anche la creati-vità. (Gardner, 1994, p. 13, éd. orig. 1993)61

Les personnalités créatives que cet auteur a analysées en détail sont douées de toute la gamme desintelligences, mais c’est dans une typologie spécifique qu’ils ont émergé. C’est dans le champ qu’ilsont choisi et dans lequel ils sont devenus experts, dont ils ont appris à maîtriser tous les instruments

talent individuel

milieu champ/discipline(juges, institutions)

61 Pendant que j’étais en train d’élaborer la théorie des intelligences multiples, je me suis convaincu qu’elle avaitplusieurs implications pour l’étude de la créativité. Plus précisément, comme il n’a pas beaucoup de sens de considé-rer un individu intelligent ou lent en général, de la même manière il me sembla que ce serait du temps perdu que de vou-loir chercher des individus doués d’une « créativité générale », ou de construire des tests qui auraient la prétention dela vérifier. Si l’intelligence est diversifiée, a fortiori même la créativité est diversifiée.

56 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

et les données symboliques qu’ils ont pu montrer toute leur créativité: Gardner postule en effet lanécessité d’effectuer un travail sérieux, constant et prolongé dans un certain domaine pour parvenirà une production créative remarquable. Il est intéressant de remarquer toutefois qu’il souligne le faitque cette phase d’apprentissage ne soit pas distincte de la créatvité et celle-ci, à son tour, n’explosepas d’un jour à l’autre après avoir terminé la phase d’apprentissage: les individus créatifs ont tenda-ce à « essere esplorativi, innovatori e ingegnosi fin dall’inizio ». (id., p. 51)62

La créativité est donc liée au champ, qui est modifié par l’individu et qui à son tour modifie l’envi-ronnement. Mais on n’arrive pas à modifier son champ si on n’est pas maître de ce champ même,donc si l’on n’est pas passé par un long chemin de formation et d’auto-formation, ce qui se rattacheà l’idée vigotkyenne de la restructuration continuelle des informations, idée qui souligne fortementl’influence des personnes avec lesquelles l’individu a été en contact.

[…] Risulta […] evidente l’interazione che esiste tra soggetto, campo e ambiente […] se è veroche la complessità va indagata con strategie altrettanto complesse, ciò che appare importan-te è proprio lo stretto legame […] che esiste tra le risorse umane, culturali e ambientali e traqueste e la creatività individuale e collettiva sviluppata e agìta. (Rosati, 1997, p. 132)63

L’influence déterminante de l’éducation apparaît aussi si l’on considère les variables qui influencentle fonctionnement du cerveau par rapport à l’apprentissage et au développement de la créativté. Ilest intéressant à ce propos de lire ce que Bernard Lahire (auteur de L’homme pluriel) dit à proposdes liens entre sciences cognitives et sciences sociales:

Les sciences cognitives s’intéressent plutôt à ce qu’il y a d’universel dans le fonctionnementde la pensée: les mécanismes neurologiques et psychologiques de la perception, de la mémoi-re, du langage par exemple. Les sciences sociales, elles, s’intéressent à la variation desconduites humaines. Car la mémoire, la perception et le langage sont aussi conditionnéssocialement. Il me paraît clair que tout comportement social met en jeu à la fois du génétique,du biologique et du social. (Lahire, 2002, p. 78)

62 Être explorateurs, innovateurs et inventifs dès le début.63 L’interaction existant entre sujet, champ et milieu apparaît évidente. […] S’il est vrai que la complexité doit être

explorée avec des stratégies aussi complexes, ce qui semble important est justement le lien étroit […] qui existe entreles ressources humaines, culturelles et du milieu, et entre celles-ci et la créativité individuelle et collective développéeet mise en pratique.

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 57

2.9 Autres concepts-clés pour une approche psychologique de la créativité

Avant d’aborder les implications d’une nouvelle prise de conscience des facteurs psychologiques surla didactique en général et sur celle des langues étrangères en particulier, je voudrais m’arrêter briè-vement sur quelques concepts par rapport auxquels il me semble fondamental de définir ma per-spective de recherche, car ils sont aussi bien liés au cadre cognitif et biologique du fonctionnementdu cerveau qu’à la perspective de la créativité. Il s’agit du fonctionnement de la mémoire et duconcept de pensée divergente liée à celui de latéralité cérébrale.

2.9.1 Mémoire et affectivité: quelle relation?

Le fonctionnement de la mémoire peut à première vue apparaître comme le plus éloigné de la créa-tivité. Il a fait l’objet de plusieurs études ces dernières décennies64, et différents modèles ont été créésqui tous partent d’études approfondies, menées en laboratoire et validées par l’observation des com-portements des individus.Ce qui m’intéresse ici n’est pas d’analyser en détail similarités et différences entre eux, mais de par-tir de ce que je définirais comme leur dénominateur commun, à savoir la différenciation entre typesde mémoire, pour me concentrer ensuite sur l’influence que des facteurs de type affectif ont sur lamémoire, celle-ci étant conçue comme moyen de stockage de l’information. D’ailleurs un des enjeuxles plus intéressants au niveau de discours didactique est celui d’analyser l’efficacité des pratiqueset des techniques visant à favoriser le stockage de l’information, celle-ci étant considérée commecondition indispensable à l’apprentissage même, il est donc d’autant plus iportant d’avoir conscien-ce des mécanismes de fonctionnement de la mémoire pour parvenir à mieux comprendre le proces-sus d’apprentissage:

Apprendre, c’est stocker des informations dans la mémoire. Il faudra donc s’intéresser à ce quiest connu en psychologie cognitive à propos du fonctionnement de la mémoire humaine. […].J’ajoute tout de suite, cependant, qu’on ne peut décrire le déroulement concret d’un processusd’apprentissage sans prendre en compte en même temps les aspects affectifs. (Bogaards, p. 14)

Au niveau d’analyse des typologies de mémoire il y a une assez grande variété parmi les appella-tions données par les différents spécialistes, à laquelle correspond aussi une certaine différenciationconceptuelle, je me réfère non seulement à une différence quantitative de tout type de mémoire quin’est pas permanente (faut-il postuler une différenciation de base entre deux types de mémoire – àbref et à long terme – ou plutôt élargir et nuancer cette différenciation en envisageant une mémoireà bref, à moyen et a long terme?), mais aussi à une différence qualitative de cette mémoire même(pour ne citer que Stevick il parle de Short-Term Memory, mais aussi de Working Memory et deHolding Memory autant que de Long-Term Memory et de Permanent Memory). Pour mon discoursje ne retiendrai que la différenciation de base entre une mémoire présentant une durée plus ou moinscourte et une mémoire qui a un caractère de permanence et qui garde pour toujours les informationsstockées.

64 voir à titre d’exemple Stevick, E.W., 1976, 1993, 1996, Damasio A., 1994, Schumann, J.H., 1998.

58 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

Pour revenir à l’affirmation de Bogaards, il faut remarquer qu’il y a une coexistence entre facteurscognitifs et affectifs quand il s’agit de considérer le fonctionnement de la mémoire, ce qui signifieque l’on n’arrive pas à stocker des données dans la mémoire à long terme si le côté affectif-émo-tionnel n’est pas impliqué. Bien qu’il n’y ait pas de modèle unitaire de fonctionnement de la mémoi-re, tous les auteurs partent de la distinction de base, celle entre mémoire à court terme (MCT) etmémoire à long terme (MLT), reconnaissant à cette dernière une grande importance en raison de sesgrandes capacités de stockage, à sa capacité à conserver les informations et à la possibilité qu’elleoffre d’un accès immédiat à ces mêmes informations.L’intérêt pour les modes de fonctionnement de la mémoire date du début des années 70, et il est doncintéressant de rappeler par exemple qu’un livre de Frédéric Vester, Denken, Lernen, Vergessen65,paru en 1975 et qui proposait une subdivision entre mémoire ultra-courte, courte et longue et souli-gnait l’importance de cette tripartition pour l’apprentissage, avait eu un énorme écho en Allemagnedès sa parution. Tout au long de ces trois dernières décennies toutefois les études ont progressé, par-venant d’un côté à différencier à l’intérieur de la MCT et de la MLT selon les fonctions que celles-ci devaient exercer66, de l’autre en se concentrant beaucoup plus sur les obstacles de toute nature quipeuvent s’opposer à un stockage efficace des informations.J’adopte la perspective de Stevick qui me semble la plus complète et pertinente pour la visée didac-tique, en particulier parce qu’il s’est interrogé sur la nature des différentes typologies de mémoiredépassant la pure distinction de type temporal, et aussi parce qu’il a souligné le caractère dynamiquede la mémoire, y compris la MLT. Je reviendrai en particulier sur quelques concepts de Stevick dansle quatrième chapitre de ma thèse, pour analyser en détail la relation mémoire-nouvelles technolo-gies.Dans ce contexte, je voudrais seulement éclaircir les liens entre affect et mémoire, et je ferai appelà nouveau à Stevick:

Je crois que les relations entre l’affect et la mémoire sont très intimes et très complexes. Ellesne peuvent être décrites correctement à l’aide d’une simple métaphore telle celle du « filtreaffectif ». […] l’affect, un terme qui recouvre les intentions et les émotions, joue, au moins decinq façons, un rôle dans l’apprentissage et dans l’utilisation des langues étrangères. (Stevick,2/99, p. 43)

Il décrit ainsi ces cinq façons (je résume): • Les données relatives aux intentions et aux émotions sont conservées dans le réseau de la MLT

à côté des données visuelles, sonores et sensorielles en général, elles ne se trouvent pas à l’en-trée de cette mémoire pour filtrer ce qui va essayer d’entrer.

• Lorsqu’un stimulus sensoriel atteint un élément non affectif qui est connecté avec un élémenttrès affectif, celui-ci est également stimulé et à son tour pourra stimuler des images et à traverselles des mémoires qui n’ont pas un rapport direct avec l’apprentissage désiré.

• Une fois les éléments stokés, ils participent aux réseaux associatifs qui rendent possible le rap-pel, la recherche et la reconstruction: donc les éléments affectifs contribuent à nos réactionsinternes.

• L’affect joue un rôle dans les fonctions de rappel et de remémoration, donc sur l’apprentissage.• L’affect peut interférer sur la capacité de quelqu’un à former et à utiliser ce qui est déjà bien

installé dans la MLT.

65 Penser, apprendre, oublier. Vester F., Denken, Lernen, Vergessen, München, DTV, 1978, 1ère éd. Stuttgart, 1975.66 Voir Stevick E., Memory, Meaning and Method : Some psychological perspectives on language learning, MA,

Newbury House, 1976. Cet auteur donne une description très détaillée des typologies de mémoire et de leur fonction-nement à partir des recherches les plus récentes. Il souligne que l’on préfère la dénomination « working memory » à cellede « short-term memory », et il propose une subdivision pour la « long-term memory » entre ce qu’il appelle « holdingmemory » et « permanent memory ».

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 59

Et Stevick conclut ainsi.Il y a donc un grand avantage à tenir compte du côté affectif de l’apprentissage. Cela impliqueque nous devons ête certains que les expériences non verbales et les significations qui accom-pagnent les formes linguistiques que rencontrent nos étudiants sont riches et complexes, richeset complexes dans leurs contenus, riches et complexes aussi de par leurs liens avec les diffé-rents besoins, les objectifs, les intentions et les motivations des apprenants.Cela implique également que nous devons trouver les moyens de traiter les « sous-produits »des méthodologies de façon à minimiser l’effet « fouillis » pendant l’acquisition de nouvellesdonnées, des façons de promouvoir des retours internes positifs qui accroissent la productionainsi que des façons de minimiser les interférences de l’émotion dans le rappel et la réutilisa-tion de ce qui a déjà été traité et stocké dans la mémoire à long terme. (id, pp. 44-45)

Or si, comme on l’a vu précédemment, le côté affectif est strictement lié à la dimension créativité,on peut inverser la perspective et dire que la créativité peut, grâce au lien naturel qu’elle a avec ladimension affective, faciliter l’apprentissage, donc donner de l’impulsion au stockage des informa-tions dans la MLT.

2.9.2 Latéralité cérébrale et spécialisation

Un autre domaine d’étude strictement lié à la recherche sur la créativité est l’analyse de la différen-ciation des deux hémisphères cérébraux par rapport au mode de structuration de la pensée et à l’ac-complissement de tâches plus ou moins complexes.Je n’aborderai pas ici l’analyse de ce concept d’une manière très technique et approfondie pour deuxraisons principales:La première est que si l’existence de deux modes de structuration de la pensée et d’accomplissementdes tâches est bien en accord avec tout ce que je viens de dire sur la créativité, en particulier avec leconcept de polarité et de coexistence/interaction des couples opposés, elle ne constitue ici qu’unpoint de repère scientifique, j’oserais presque dire une confirmation biologique de la nécessité deconserver la complexité, de ne pas réduire toute explication des phénomènes et des idées à la per-spective rationnelle et logique.L’autre raison, liée d’une certaine manière à la précédente, est qu’après avoir postulé une divisionrigide des fonctions des deux hémisphères cérébraux, les chercheurs ont ensuite modifié leurs posi-tions au fur et à mesure que les connaissances progressaient grâce en particulier, comme on l’a vuau début de ce chapitre, aux énormes progrès des instruments diagnostiques.

Though left/right brain theorists originally emphasized compartmentalized functioning of thetwo hemispheres of the brain, this theory has been updated by new research. We now know thatboth sides of our brain are used simultaneously in nearly every activity we engage in. Althoughthe left and right emispheres have some clear-cut specialization to one degree or another, oneside still requires the other to complement its overall functioning; and these specialisationscan vary widely between individuals. (Jensen, 1995, p. 23)67

67 Même si les théoriciens du cerveau gauche/droit soulignaient avec emphase le fonctionnement compartimenta-lisé de deux émisphères du cerveau, cette théorie a été mise à jour par de nouvelles recherches. Nous savons mainte-nant que les deux parties de notre cerveau sont utilisées de façon simultanée presque dans toutes les activités dans les-quelles nous nous engageons. Même si les hémisphères gauche et droit ont des spécialisations clairement définies dansune mesure ou une autre, l’un a toujours besoin de l’autre pour parvenir à son fonctionnement complet; et ces spécia-lisations peuvent varier beaucoup d’un individu à l’autre.

60 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

Les plus récentes recherches semblent même montrer que le cervelet aurait bien plus qu’une fonc-tion limitée à la gestion de l’activité musculaire, et qu’il serait à l’œuvre dans quelques fonctionscognitives. Ce qui ne fait que confirmer la nécessité d’étendre au cerveau l’approche systémique etcomplexe.Pour revenir aux deux hémisphères, il faut donc rappeler que l’hémisphère gauche est logique, ver-bal, linéaire, objectif et convergent. Il incite à des solutions pratiques, techniques, immédiates.L’hémisphère droit est plus intuitif, global, holistique dans son approche, non verbal, métaphoriqueet divergent. Si l’on veut focaliser l’attention sur la différenciation des hémisphères par rapport aulangage et à la communication, on constate ceci:• Emisfero sinistro. Deputato alle funzioni linguistico-analitiche, esso opera, per così dire, come

un computer che controlla ed elabora le forme e l’organizzazione delle unità linguistiche nellefrasi e nel testo; inferisce e controlla le relazioni sintattiche e la morfologia della parola; ana-lizza, comprende e produce le relazioni grammaticali tra le varie unità; controlla gli aspettidenotativi degli enunciati, insomma « controlla il buon funzionamento dei pezzi linguistici » e,come risultato generale, controlla e struttura il meccanismo del testo linguistico.

• Emisfero destro. Esso svolge un’attività globale-espressiva che investe alcuni aspetti rilevantidella comunicazione verbale; interpreta le intenzioni comunicative, individua e struttura ilcontesto comunicativo globale entro cui il testo si inserisce e coglie le connessioni con gli altrilinguaggi in gioco; comprende e struttura gli elementi creativi del linguaggio, soprattutto alivello di metafora e di umorismo, registra i valori melodico-ritmici e coglie gli aspetti conno-tativi (Freddi, 1999, p. 39)68

L’hémisphère cérébral gauche devient dominant pour le langage verbal à partir de l’âge de 5 ans àpeu près, tandis que l’hémisphère cérébral droit est dominant pour les langages non verbaux. Toutceci dans le cas d’individus droitiers, car dans le cas des gauchers la situation peut être bien pluscomplexe: elle peut se présenter en fait inversée ou pas, ou encore seulement partiellement inversée.Dans la logique d’une séparation des compétences hémisphériques du cerveau, la créativité seraitévidemment liée aux fonctions de l’hémisphère droit, dans lequel résident les processus émotifs, paropposition à la rationalité de l’hémisphère gauche. Mais en réalité, comme on l’a vu dans ce chapi-tre69, il y a une relation étroite entre fonctions émotives et fonctions cognitives. Il serait par consé-quent artificiel d’opérer des séparations nettes, et il vaut mieux considérer la créativité dans unelogique intégrée. Malgré tout, l’existence de deux modalités garde selon moi tout son intérêt mêmedans cette vision intégrée et holistique: comme je l’ai montré70 une des caractèristique liées à la créa-tivité est celle de la coexistence des opposés, donc il me semble qu’une vision holistique ne peut seposer comme dépassement des différences, mais comme prise en compte de la complexité de sescomposantes. Ce qui est intéressant pour ma recherche est, en conclusion, l’existence au niveau cérébral de deuxdifférents modes de travail, de pensée, d’approche des problèmes et d’accomplissement des tâches

68 Hémisphère gauche. Dédié aux fonctions linguistiques-analytiques, il opère pour ainsi dire, comme un ordina-teur qui contrôle et élabore les formes et l’organisation des unités linguistiques dans la phrase et dans le texte; il infè-re et contrôle les relations syntactiques et la morphologie de la parole; il analyse, comprend et produit les relationsgrammaticales entre les différentes unités; il contrôle les aspets dénotatifs des énoncés, bref « il contrôle le bon fonc-tionnement des pièces linguistiques » et, comme résultat général, il contrôle et structure le mécanisme du texte linguis-tique.

Hémisphère droit. Il accomplit une activité globale-expressive qui investit quelques aspects notables de la commu-nication verbale; il interprète les intentions communicatives, individualise et structure le contexte communicatif globalà l’intérieur duquel s’insère le texte et saisit les connexions avec les autres langages en jeu; il comprend et structure leséléments créatifs du langage surtout au niveau de la métaphore et de l’humour, il enregistre les valeurs mélodiques-rythmiques et saisit les aspets connotatifs.

69 voir 2.8.2.1.70 voir 2.8.2.

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 61

qui confirment la complexité cérébrale. Encore une fois donc on voit confirmé l’hypothèse de lacomplexité au niveau micro – fonctionnement de l’esprit, individu – celui-ci reflétant le niveaumacro, la complexité au niveau social, du champ et de l’environnement configure comme stricte-ment liée, quasi-nécessaire, à tout procès de créativité:

Creare, giocare, innovare, dar corpo ad una propria idea: tutto questo non ci rimanda quindisoltanto ad una visione prettamente operazionale del cervello e dell’intelligenza, ma ad un’ot-tica più generale in cui la mente prende forma a partire da un complesso gioco tra visioni delmondo, emozioni, desideri (Oliverio, 1995, cité d’après Rosati, 1997, p. 84)71

Une des caractéristiques de la créativité est, on l’a vu, la capacité de garder à la fois la rationalité etun esprit enfantin: pour développer notre créativité nous devons « retourner à l’enfance », à une pério-de non dominée par la logique, la rationalité mais l’organisation du travail, l’école, bref le systèmedans lequel nous vivons tend toujours vers plus de logique. Il faut donc être capable de déclencher unprocessus associatif et analogique qui fait appel aux qualités de l’hémisphère droit du cerveau.

2.9.3 Pensée divergente ou pensée latérale

L’étude du fonctionnement de l’esprit a trouvé, comme je viens de le montrer, une grande impulsiondans l’analogie avec l’ordinateur, même dans les limites qui sont et restent propres à une machine.On est parvenu ainsi à expliquer la manière de traiter l’information qu’on pourrait définir tradition-nelle ou convergente, à savoir celle qui est très semblable à la manière dont un ordinateur traite l’in-formation.Par souci de clarté, je dirai que si l’opposition terminologique « divergente » vs « convergente » aété utilisée avec le sens que l’opposition « latérale » vs « verticale », on peut noter toutefois que ladeuxième dénomination tend à être de plus en plus utilisée. Or il est évident que la pensée convergente ou verticale présente des avantages indiscutables du pointde vue pratique, et qui dérivent surtout de sa capacité à créer des modèles. On pourrait définir cesmodèles comme des systèmes fermés à l’intérieur desquels les informations sont stockées et rangéesd’une façon précise et codifiée. Pour faire comprendre ce concept fondamental De Bono utilise lamétaphore de la bibliothèque, le modèle étant dans ce cas la façon dans laquelle les livres sont ran-gés, ou les modèles de comportements rigidement codifiés utilisés dans le milieu militaire, ou enco-re il donne l’exemple du langage qui est lui aussi un modèle.Voila la définition donnée par lui-même:

Con modello si intende l’elaborazione dell’informazione sulla superficie mnesica che è lamente. Un modello è una sequenza iterabile di attività neurali […] un modello è costituito daqualsiasi concetto, idea, pensiero, immagine ripetibili. Un modello può anche riferirsi a unasuccessione ripetibile nel tempo di tali concetti o idee[…] Non esiste alcun limite alla dimen-sione di un modello. Gli unici requisiti di un modello dovrebbero essere l’iterabilità, la rico-noscibilità e l’utilizzabilità. (De Bono, 2001, p. 51)72

71 Créer, jouer, innover, formuler sa propre idée : tout cela ne nous renvoie donc pas seulement à une vision typi-quement opérationnelle du cerveau et de l’intelligence, mais à une perspective plus générale dans laquelle l’espritprend forme à partir d’un jeu complexe entre visions du monde, émotions, désirs.

72 Par modèle on entend l’élaboration de l’information sur la surface mnésique constituée par l’esprit. Un modè-le est une séquence qui peut être répétée d’activités neuronales.[…] un modèle est constitué par n’importe quel concept,idée, pensée, image qui peuvent être répétées. […] Il n’y a aucune limite à la dimension d’un modèle. Les seuls profilsd’un modèle devraient être la possibilité d’être répété, reconnu et utilisé.

62 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

L’esprit est en effet un système modélisant. Le système informatif de l’esprit tend vers la modélisa-tion: il s’organise pour créer des modèles et pour les reconnaître. Ces modèles à leur tour lui per-mettent d’agir, de reconnaître des éléments, de communiquer, de stocker des informations qui serontaussi rangées de manière à les récupérer facilement, n’importe quelle partie du modèle étant en faitsuffisante pour permettre à l’esprit de le reconnaître. Il n’y a toutefois pas une sélection active de l’in-formation, l’esprit accueillant passivement l’information qui s’organise dans de différents modèles.Ce que l’esprit fait, c’est de donner à l’information la possibilité de s’organiser selon des modèles.Plus les modèles sont utilisés, plus ils deviennent familiers et en même temps plus rigides, plus codi-fiés. Le fait de pouvoir disposer de modèles codifiés nous aide d’un côté, car cela permet une gran-de rapidité de reconnaissance et par conséquent de réaction, mais d’un autre il nous enferme dans unprocédé rigide et limité par le fait que la séquence d’arrivée détermine la façon d’ordonner l’infor-mation: la familiarité avec des modèles implique la tendance à procéder d’une façon automatiqueenvisageant presque dès le début celle que l’on imagine être la séquence finale. D’où de possiblesblocages, qu’on ne peut lever qu’en jouant sur différents modes d’organisation de l’information, cequi exige l’intuition, et donc un processus différent de celui d’une organisation de l’information endes modèles clairs et définis.De Bono a présenté ainsi les désavantages du système d’information basé sur des modèles73 (je résu-me):• Les modèles ont tendance à se stabiliser d’une façon toujours plus rigide.• Une fois stabilisés les modèles sont très difficiles à modifier.• L’information qui est contenue dans un modèle peut difficilement être utilisée pour un autre

modèle différent.• Il y a une tendance à la polarisation: tout ce qui ressemble à un modèle standard sera associé à

ce modèle.• On peut créer des modèles au moyen de divisions plus ou moins arbitraires.• Il y a une très grande continuité dans le système: une petite différence dans un point peut en

constituer une très grande ensuite.• La séquence d’arrivée de l’information joue un trop grand rôle au niveau de son élaboration:

toute élaboration de l’information a donc une faible probabilité d’être la meilleure possible.• Il y a une tendance à passer brusquement d’un modèle à l’autre au lieu d’envisager un passage

souple de l’un à l’autre.• Le choix entre deux modèles en compétition aussi peut être très difficile: en fait un des modè-

les sera choisi, l’autre complètement ignoré.• La tendance à la polarisation porte vers un des extrêmes au lieu de maintenir un point d’équili-

bre entre eux.• Les modèles consolidés deviennent toujours plus amples et s’organisent en séquences, consti-

tuant presque un seul macro-modèle.• L’esprit est un système créateur et utilisateur de clichés, donc de modèles toujours plus fixes et

stéréotypés.

De sorte que l’utilisation de la seule pensée verticale, basée sur des modèles, constitue une barrièreforte à toute mise en œuvre de la créativité:

Lo scopo del pensiero laterale è quello di superare questi limiti [si riferisce agli svantaggielencati sopra] fornendo un mezzo per ristrutturare i modelli, per sfuggire ai cliché, per met-tere insieme le informazioni in modi nuovi al fine di fornire nuove idee. […]

73 De Bono E., Creatività e pensiero laterale, Milano, BUR, 2001, tit.orig. Lateral thinking. A textbook of cre-ativity.

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 63

Il modo di trattamento dell’informazione da parte della mente è caratteristico. Questo modoè molto efficace e presenta enormi vantaggi pratici, ma ha anche dei limiti. In particolare, lamente è utile per stabilire modelli concettuali ma non per ristrutturarli al fine di aggiornar-li. È da questi limiti intrinseci che sorge la necessità del pensiero laterale. (De Bono, 2001,p. 37)74

Encore plus intéressant par rapport à la créativité est la comparaison que De Bono fait entre penséeverticale et pensée latérale (je résume):• La pensée verticale (PV) est sélective, la pensée latérale (PL) est productive.• La PV se met en mouvement s’il y a une direction où aller, la PL se met en mouvement pour

générer une direction.• La PV est analytique, la PL est stimulante.• La PV est séquentielle, la PL peut faire des sauts.• Avec la PV on doit être correct à chaque pas, avec la PL cela peut ne pas être le cas. (De Bono

fait la comparaison avec la construction d’un pont dont les parties ne tiennent pas débout danschaque phase de la construction, mais qui tout à coup tient débout une fois la construction ter-minée).

• Dans la PV on utilise la négation pour bloquer des parcours, cela dans le sens qu’on on ne lais-se pas d’espace à des tentatives clairement erronées, dans la PL il n’y a pas de négation, il y aau contraire tolérance par rapport à l’erreur, qui est vue comme une tentative acceptable.

• Dans la PV on élimine tout élément considéré étranger, on procède par exclusion, par sélection,dans la PL on accepte les influences extérieures en raison de leur action stimulante: des influen-ces apparemment insignifiantes peuvent aider à modifier le modèle établi.

• Avec les catégories de la PV on classifie et on définit d’une façon rigide, avec la PL on donnede la place à la souplesse, à la flexibilité.

• La PV suit les parcours les plus probables, la PL les moins probables.• La PV est un processus fini, la PL reste dans le domaine de la probabilité.

On voit que les deux types de pensée sont absolument différents. Mais, comme l’écrit De Bono:Non è in discussione la maggior o minore efficacia di un processo rispetto all’altro perchéentrambi sono necessari. La questione è di rendersi conto delle differenze allo scopo di rius-cire a usarli entrambi efficacemente.Con il pensiero verticale si fa uso dell’informazione in sé allo scopo di avanzare verso unasoluzione.Con il pensiero laterale si utilizza l’informazione non per il suo valore intrinseco bensì alloscopo di dare impulso a una rimodellizzazione. (id, p. 45)75

La pensée latérale peut à juste titre être considérée comme une « méthode de créativité »: la penséerésiste à la verticalité, à savoir à un processus de traitement de l’information de type hiérarchisantet modélisant. La hiérarchie apparaît comme concept opposé à la créativité.

74 Le but de la pensée latérale est de dépasser ces limites [il se refère aux désavantages énumérés plus haut] enfournissant un moyen pour restructurer les modèles, pour échapper aux clichés, pour mettre ensemble les informationsde différentes façons afin de fournir de nouvelles idées. […]. Le mode de traitement de l’information par l’esprit estcaractéristique. Ce mode est très efficace et présente des avantages pratiques énormes, mais il a aussi des limites. Enparticulier l’esprit est utile pour établir des modèles conceptuels mais pas pour les restructurer afin de les mettre à jour.C’est à partir de ces limites intrinsèques que surgit la nécessité de la pensée latérale.

75 Il ne s’agit pas de discuter de la plus grande ou moindre efficacité d’un processus par rapport à l’autre, car tousles deux sont nécessaires. La question est de se rendre compte des différences pour pouvoir utiliser les deux processusd’une manière efficace. Avec la pensée verticale l’information est utilisée en tant que telle pour avancer vers une solu-tion. Avec la pensée latérale on utilise l’information non pas pour sa valeur intrinsèque, mais dans le but de donner del’impulsion à une modélisation.

64 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

Jean Cocteau dit que le poète trouve d’abord et cherche ensuite: encore une fois, il s’agit d’accepterque tout raisonnement logique n’aboutisse pas à la créativité, il faut avoir l’ouverture suffisante pourrestructurer, pour réexaminer certaines formules, certaines idées acceptées comme valables par toutle monde.Déjà Guildford, qui avait beaucoup étudié la créativité, rapportait la créativité à la pensée divergen-te, qu’il définissait comme « quel tipo di pensiero nel quale ha luogo una notevole ricerca e che èdisposto ad accettare una quantità di risposte » (Guildford, 1972, p. 187)76, et, en partant de cetteéquivalence qu’il postulait, il a même essayé de construire des tests de créativité. Guildford partait de la constatation du fait que les tests d’intelligence classiques ne parvenaient pasà mesurer la capacité d’innovation et d’invention des individus, il postula donc la nécessité de pré-parer de nouveaux tests capables de mesurer des traits intellectuels tels que la flexibilité de la pen-sée, la fluidité des idées, la capacité de se détacher de ce qui est évident et conventionnel et aussi destraits de la personnalité tels que la capacité de s’adapter aux différentes conditions du milieu.Guildford a eu le mérite de donner lieu à une prolifération de recherches dans ce domaine77, toute-fois l’équivalence créativité-pensée divergente est limitative. Gardner (1994, éd. orig. 1993) souli-gne l’impossibilité de démontrer la validité des tests de créativité: selon lui les tests ne sont pas vali-des car un individu qui obtient un score haut dans les tests de créativité n’est pas nécessairementcréatif dans son activité, et vice versa un individu créatif dans une discipline ou une culture ne pré-sente pas nécessairement ces caractéristiques que les tests de créativité devraient relever. Gardnersouligne d’ailleurs la valeur de cette recherche sur les tests de créativité, surtout en lui reconnaissantle mérite d’avoir stimulé la réflexion de chercheurs d’orientation cognitiviste qui auraient, à leurtour, montré des voies intéressantes afin de parvenir à l’analyse du phénomène créativité dans tou-tes ses nombreuses composantes.Une des critiques de Gardner qui me semblent la plus intéressante est que même les tests les plussophistiqués ont tendance à se concentrer sur un nombre très limité de typologie d’intelligence, sou-lignant encore une fois la difficulté de baliser le phénomène créativité. Il se confirme à nouveau que la créativité est un phénomène complexe, difficile à saisir dans toutesa profondeur: ce qui m’intéresse de retenir pour ma perspective – qui reste fortement axée sur ladidactique – est la conscience de cette richesse et la différenciation des composantes biologiques etneuronales du cerveau tout comme les différentes façons de structurer et d’utiliser la pensée. Dansla réalité la pensée verticale et la pensée latérale sont tellement liées qu’elles en arrivent à formerune seule unité, mais il n’en reste pas moins important de garder conscience qu’elles sont très diffé-rentes et qu’il faut les utiliser toutes deux pour développer la créativité.

2.10 De l’analyse psychologique à l’analyse psycholinguistique: un modèle de lacommunication axé sur la personnalité

Après avoir examiné les concepts linguistiques qui se rattachent à la fonction poétique-imaginativeet fourni des points de repère terminologiques autour de la créativité dans le premier chapitre, aprèsavoir analysé les composantes de nature neuropsychique de ce phénomène complexe qu’est la créa-

76 Ce type de pensée qui implique une recherche considérable et qui est disponible à accepter une quantité deréponses.

77 Voir à ce propos l’œuvre de Feldman, D.H., Csikszentmihalyj, M., Gardner, H., Changing the World, Newport(Conn.), Praeger Publisher, 1994.

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 65

tivité, je présenterai un modèle d’apprentissage qui me semble cohérent car il tâche de relier ce qu’onpeut observer de l’acte linguistique avec ce qui a lieu à un niveau plus profond de la personne.Il s’agit du modèle élaboré par Titone et qu’il appelle « personologico » (que je traduirai par « axésur la personnalité ») parce qu’il tente de prendre en considération la personne dans sa totalité78.Titone reprend la théorie de l’école russe de Vygotsky et de ses collaborateurs, qui part de la naturehistorico-sociale de l’univers psychique humain et de la fonction active de l’être humain sur la réali-té, car le psycholinguiste italien voit dans cette théorie une tentative de relier les tendances béha-vioristes avec celles cognitivistes en posant la nécessité d’une étude pluridimensionnelle de l’actelinguistique. Pour Titone, l’acte linguistique est en fait un processus de communication dialogiqueet contextualisé: il faut donc toujours se mettre dans une perspective interdisciplinaire pour com-prendre les implications profondes de l’apprentissage d’une langue étrangère.Pour ma popre recherche, il est particulièrement intéressant de prendre en compte ce modèle, parcequ’il permet de relier la perspective communicative avec les composantes cognitives-affectives del’apprentissage. La perspective communicative reste comme « un cadre d’action » dans lequel lesujet s’investit en tant que personne qui accomplit des tâches complexes et significatives, donc quiapprend, et cet apprentissage à son tour marque sa personnalité, joue un rôle à un niveau profond deson être.L’accent posé sur le concept clé de « communication » chez Titone amène à considérer le dévelop-pement du langage comme lié à la dynamique et à la structure de la personnalité du parlant.Titone se réfère aussi à la théorie systémique: son modèle, qu’il appelle « olodynamique » et qu’ildéfinit comme un modèle psychologique et psychopédagogique de l’apprentissage79, suit selon lui laloi systémique générale en se posant comme modèle « actif » et donc complexe, articulé, irréducti-ble à des composantes plus simples, ce modèle s’oppose selon Titone à un modèle « passif » de l’ap-prentissage qui serait inévitablement hypersiplifiant, réductionniste et donc selon lui mystificateur.Il postule dans son modèle trois niveaux d’implication pour le sujet apprenant qui constituent les élé-ments essentiels d’une théorie unifiée du comportement d’apprentissage:

L’apprendimento non è che un aspetto diveniristico del comportamento e della personalità.Determinare quindi la struttura profonda del comportamento e della personalità è determina-re la struttura profonda dell’apprendimento.Una spiegazione adeguata del comportamento/apprendimento, nei suoi meccanismi più pro-fondi, sembra possa trovarsi nel postulare tre livelli gerarchici di operazioni: il livello tattico,estrinseco e per sua natura periferico (osservabile quindi e misurabile in tutte le sue manifes-tazioni); il livello strategico, interiore (il piano proprio dei processi cognitivi); e il livello ego-dinamico (massimamente intimo, vertice dinamico di tutte le operazioni umane in quanto rigo-rosamente e squisitamente individuali). (Titone, 1993, p. 67)80

Le premier niveau, tactique, constitue ce qu’on pourrait appeler la performance dans une situationdonnée. Le deuxième niveau, stratégique, se réfère aux opérations mentales, aux opérations cogniti-ves surtout de type intellectuel. Le troisième niveau, ego-dynamique, se réfère au Moi profond, à ladimension consciente et inconsciente. Selon Titone, réduire le comportement humain aux deux pre-miers niveaux reviendrait à considérer la personne comme une machine: il y a toujours la nécessitéd’un agent conscient, unificateur qui est le Moi du sujet et qui contrôle toute activité.

78 Titone, R., La psicolinguistica ieri e oggi, Roma, LAS, 1993.79 voir Titone, id, p. 66. 80 L’apprentissage n’est qu’un aspect de transformation du comportement et de la personnalité. Déterminer la

structure profonde du comportement et de la personnalité signifie par conséquent déterminer la structure profonde del’apprentissage. Une explication appropriée du comportement d’apprentissage, dans ses mécanismes les plus profonds,semble pouvoir être trouvée en postulant trois niveaux hiérarchiques opérationnels : le niveau tactique, extrinsèque etpar nature périphérique (donc observable et mesurable dans toutes ses manifestations); le niveau stratégique, intérieur(le plan propre aux processus cognitifs); et le niveau égodynamique (extrêmement intime, sommet dynamique de toutesles opérations humaines en tant que rigoureusement et proprement individuelles).

66 CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE Deuxième Partie

Il s’agit d’une logique de système axée sur la personne qui présente des caractéristiques d’ordregénéral, chaque niveau étant lié à différentes typologies d’apprentissage.Le modèle olodynamique présente selon Titone des caractéristiques d’ordre général81 (je résume):• Integralità [intégralité]: il est capable d’intégrer tout type de comportement d’apprentissage

significatif pour le développement de la personnalité,• Centralizzazione [centralisation]: il est centré sur le moi, ce qui donne un sens à tout compor-

tement,• Multiplanarità [multiplaneité]: il présente une articulation du comportement en niveaux et types

d’opération qui répond aux exigences de complexité, de différenciation et d’intégrationconnexes à une vision non réductionniste du sujet et de son comportement,

• Inter-funzionalità [inter-fonctionnalité]: les différents niveaux sont interreliés et il y a un mou-vement qui va du bas vers le haut (de la tactique à la stratégie au Moi)

• Reversibilità [réversibilité]: l’ordre sequentiel et hiérarchique des opérations dans les différentsniveaux est bidirectionnel et cyclique: le début du comportement peut avoir lieu soit au niveauégodynamique, soit au niveau tactique.

• Sistemicità [systémicité]: il présente une logique de système ouvert, l’apprentissage allant duglobal à l’analytique, u synthétique.

• Verticalità evolutiva [verticalité évolutive]: il y a une verticalité dans le développement de l’ap-prentissage qui porte vers le troisième niveau: les capacités d’ordre tactique sont systématiséesdans les cadres des stratégies et deviennent des instruments au service du « stratège », à savoirdu moi.

• Contestualità [contextualité]: tout comportement est contextualisé, ayant toujours une relationavec le monde, l’extérieur. Cette relation est aussi de type fonctionnel car l’apprentissage estd’autant significatif qu’il et socialement efficace.

• Compresenzialità-dinamica [comprésentialité dynamique]: l’unité de la personne dans le com-portement/apprentissage se montre dans le fonctionnement simultané des trois niveaux opéra-tifs, même si dans une mesure différente.

Tout type d’apprentissage peut donc être relaté aux trois niveaux du modèle. Sans vouloir reprend-re toute la taxinomie proposée par Titone, rappelons seulement quelques caractéristiques des appren-tissages qui se rattachent au niveau égo-dynamique: il s’agit évidemment d’apprentissages qui com-portent la prise de conscience du sujet, la structuration de sa vision du monde et de ses attitudes per-sonnelles, tout comme le développement de ses pulsions émotives et instinctuelles; il y a enfin à cemême niveau la capacité d’autodétermination et la prise de conscience par le sujet de sa dimensionintérieure.

2.11 Vers une intégration de la dimension humaniste

Ce que j’ai présenté et analysé jusqu’ici porte à élargir la perspective normalement adoptée quand ils’agit de réfléchir sur le processus d’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère pour ycomrendre d’un côté tout ce qui se réfère au sujet apprenant, à la personne dans sa totalité, (ce quicomporte la prise en compte des données biologiques, des aspects neurophysiologiques et des rela-

81 Voir id, pp. 68-69

Deuxième Partie CREATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE 67

tions interpersonnelles), de l’autre tout ce qui se réfère à la classe en tant que système avec sa dyna-mique intérieure auto-éco-organisante

Le principe de l’auto-éco-organisation a valeur hologrammatique: de même que la qualité del’image hologrammatique est liée au fait que chaque point possède la quasi-totalité de l’in-formation du tout, de même, d’une certaine façon, le tout en tant que tout dont nous faisonspartie, est présent dans notre esprit.La vision simplifiée serait de dire: la partie est dans le tout. La vision complexe dit: non seu-lement la partie est dans le tout; le tout est à l’intérieur de la partie qui est à l’intérieur dutout! Cette complexité est autre chose que la confusion du tout est dans tout et réciproquement.(Morin, 1990, p. 117)

On peut observer en didactique des langues, tant au niveau pratique qu’au niveau théorique, une ten-dance extrêmisée à ce qu’on considère la seule « objectivité » possible, à savoir la recherche de don-nées scientifiques, vérifiables et mesurables qui seules pourraient rendre l’enseignement efficace etlui aussi « scientifique ». En le considèrant dans une perspective historique, le chemin entrepris par la didactique des languessemble desormais avoir atteint des limites indépassables si l’on n’opère pas un changement de para-digme. Une incitation forte à ce type de changement pourrait venir de ce qu’on appelle les « approcheshumanistes », pas en tant que nouvelles méthodes à prendre et utiliser acritiquement dans la classede langues, mais en tant que compatibles avec le paradigme de la complexité, le pragmatisme, la per-spective écologique, la théorie du changement82.J’analyserai dans le prochain chapitre les caractéristiques de base de ces approches qui peuvent serelier à mon discours sur la créativité. Je voudrais seulement souligner pour l’instant que toutes cesapproches sont issues de disciplines différentes de la linguistique appliquée ou des sciences du lan-gage, et que parmi ces disciplines la psychologie joue un rôle de premier plan. La prise en comptede la composante psychologique tout comme le fait de considérer le milieu d’enseignement/appren-tissage comme un écosystème semblent ne faire que problématiser le processus d’enseigne-ment/apprentissage, mais c’est justement de cette problématisation qu’une nouvelle impulsion pour-ra venir.La perspective que j’adopterai par rapport à ces approches n’est pas de chercher en elles la réponseaux problèmes de l’apprentissage des langues, ni celle à la problématique de la créativité, c’est laperspective de Stevick, pour qui les « objectifs de vie » ne sont pas le domaine exclusif des appro-ches « humanistes » (Stevick, 1999, p. 46):

Que nous en soyons conscient ou pas, que nous pensions que nous nous contentons d’ensei-gner des éléments linguistiques, les « objectifs de vie » qui affecteront nos étudiants ne sontpas toujours ceux que nous croyons avoir mis en avant; ce sont bien les objectifs – les valeurs– que les étudiants trouveront installés en nous-mêmes, ancrés dans la façon dont nous lesenseignons, nous simples humains, jour après jour. (id, p. 47)

Il vaut donc la peine de voir si et comment un facteur de créativité peut être inséré dans nos classesde langues étrangères, et dans quelle mesure ce facteur peut impulser de nouveaux modes d’appren-tissage.

82 Même s’il existe plusieurs théories du changement, je me refère ici à celle qui a été particulièrement étudiée etappliquée au Mental Research Institute de Palo Alto aux États Unis par un groupe de psychologues qui tous partageaientles idées de ce qu’on appelle le « Groupe de Palo Alto », dont le guide théorique a été Gregory Bateson. Cette théorieest très liée à la créativité car elle postule l’introduction d’un facteur de changement apparemment illogique, « uncom-monsensical », qui devient le seul capable de déclencher un processus de solution des problèmes. Voir aussi:Watzlawick, Paul, Weakland, John H., Fisch, Richard, CHANGE. Sulla formazione e la soluzione dei problemi, Roma,Astrolabio, 1974, tit. orig. CHANGE. Principles of problem formation and problem solution.

Troisième partie

CRÉATIVITÉ ET ÉCRITURE:LA PERSPECTIVEDIDACTIQUE

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 71

Je crois que l’éducationest un processus de vie

et non une préparation à la vieJohn Dewey Mon credo pédagogique

3.1 De la perspective utilitariste à la perspective du développement de la person-ne

3.1.1 Considérations initiales

Au cours du deuxième chapitre j’ai tâché de suivre ce que j’ai appelé « un parcours de créativité »avec le but évident de montrer la transversalité de ce concept au niveau « micro », celui du fonc-tionnement de l’esprit, et au niveau « macro » celui du champ et de l’environnement. Des conceptsclés ont émergé tels que ceux de la complexité, de la coexistence des opposés, de la latéralité céré-brale et de la pensée divergente ainsi que ceux de l’organisation systémique et de la dimension affec-tive. Le caractère transversal de la créativité me semble pouvoir faire le parallèle dans l’étude desmécanismes cognitifs et comportementaux de l’être humain avec la fonction poétique-imaginativedont j’ai parlé dans le premier chapitre de ce travail: j’ai souligné comment, au-delà des définitionsdonnées par Jakobson et par Halliday, la dimension imaginative et celle poétique de la langue cons-tituent quelque chose de difficile à définir à cause de leur caractère souvent flou ou ambigu; mais enmême temps elles émergent dès qu’on dépasse le niveau de communication visant à la réalisationd’un but concret et utilitariste. La dimension créative, quant à elle, garde toute son aura d’indéfinidifficile à classifier et à tester; on a toujours, comme je l’ai dit (voir 1.2.4.) l’impression de ne pou-voir pas la définir exactement, mais de pouvoir la reconnaître quand on la rencontre. Et il est évidentqu’on peut la trouver dans tous les domaines, non seulement dans le domaine linguistique. On peutêtre créatif dans la musique comme dans la science, dans l’art comme dans la politique, comme l’abien mis en évidence Gardner en choisissant des exemples de personnalités créatives qui ont travaillé

72 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

dans des domaines tout à fait éloignés l’un de l’autre. Pour rester dans le domaine linguistique lacréativité fait son apparition dès que l’on dépasse la vision purement utilitariste de la langue en tantqu’instrument qui permet la satisfaction des besoins de survie.Gardner, qui a justement mis l’accent sur ce polymorphisme de la créativité, dit qu’il est plus senséde se concentrer sur une perspective différente pour pouvoir progresser dans l’étude de la créativité:

Su un terreno di studio difficile e complesso come quello rappresentato dalla creatività, i pro-gressi concettuali importanti non accadono tanto facilmente. Un momento significativo fuquello in cui Csiczentmihalyj suggerì di accantonare la domanda convenzionale « Che cos’èla creatività? » e di sostituirla con una più provocatoria « Dov’è la creatività? » (Gardner,1994, p. 56)83

Je retiendrai cette question qui me semble fondamentale lors de mon approche didactique de ladimension de créativité, qui constitue le noyau de ce chapitre, car je me place dans la perspectived’analyse de toute situation, activité, méthodologie et approche susceptibles de créer les conditionsfavorables à l’éclosion de la créativité de la part des apprenants.Comme je l’ai annoncé dans le deuxième chapitre, un nombre considérable de stimuli à la réflexiondidactique par rapport à la problématique de la créativité a été fourni par les approches que l’onappelle « non conventionnelles ». J’utiliserai cette dénomination quand je voudrai me référer à l’en-semble des approches qui ne suivent pas la ligne de développement « classique », à savoir celle quiva de la méthodologie traditionnelle à l’approche communicative84. La dénomination alternative d’« approches humanistes » ne recevant pas l’accord de tous spécialistes85, car la définition de ce grou-pe d’approches pose bien des problèmes. Comme l’a bien expliqué Puren dans son article « My tay-lor is different » paru dans un numéro spécial du Français dans le monde86 consacré à ces approches,le choix de la dénomination « non conventionnelle » n’est pas neutre, elle constitue un jugement devaleur, « conventionnel » impliquant les deux acceptions péjoratives d’« ordinaire » et d’« artifi-ciel ». Le sous-entendu de ce choix pourrait donc être celui de la dévalorisation du développementclassique de la didactique des langues accusée de facto de conventionnalisme, vu comme une carac-téristique qui garde une connotation négative. Mais Puren, s’appuyant sur les théories philoso-phiques du pragmatisme américain et renversant la question, avance une proposition qui donne uneimpulsion à la réflexion didactique, à savoir celle d’utiliser le mot « conventionnel » dans le sens de« lié à une convention ». Il donne de ce mot la définition d’un des principaux théoriciens du prag-matisme, William Jammes:

la convention est un accord passé avec des idées et basé sur la confiance dans le fait que cel-les-ci nous permettront d’agir de manière plus large, plus puissante, plus efficace et/ou plus

83 Sur un terrain d’étude difficile et complexe comme celui représenté par la créativité, les progrès conceptuelsimportants n’arrivent pas très facilement. Un moment significatif fut celui où Csiczentmihalyj suggéra de mettre de côtéla question conventionnelle « Qu’est-ce que la créativité? » et de la remplacer par une autre plus provocatoire; « Oùse trouve la créativité ? ».

84 Je me réfère au cadre historique fourni par C. Puren dans son œuvre Histoire des méthodologies de l’enseigne-ment des langues, Paris, Clé international, 1988, et à celui de J.C. Richards et R.W.Rodgers, Approaches and Methodsin Language Teaching, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, en les intégrant, pour les développements qui onteu lieu dans les années suivant leur parution, aux travaux du Conseil de l’Europe, qui ont abouti à l’élaboration du CadreEuropéen Commun de Référence pour les langues: apprendre, enseigner, évaluer, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2001(édition définitive) et qui ont donné lieu à une prise de distance d’avec l’approche communicative, lancée par lesNiveaux Seuils du début des années 70, parvenant à une systématisation détaillée des différentes aspects impliqués dansl’enseignement/apprentissage des langues étrangères et à une description analytique des différents niveaux de compé-tence.

85 Voir à ce propos Stevick E.W., Humanism in Language Teaching. A critical perspective, s.l., Oxford UniversityPress, 1990.

86 Puren, C., « My taylor is different! Approches différentes et didactique plurielle des langues », Le français dansle monde, numéro spécial Recherches et applications, janvier 1999, pp. 187-191.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 73

commode parce que plus conforme à notre personnalité, à notre expérience, à nos objectifset/ou à nos valeurs. (Puren, 1999, p. 190)

Et il affirme que, si on les considère dans cette perspective, les approches « non conventionnelles »se révèlent plus « conventionnelles » que les autres dans le sens qu’elles exigent entre enseignantset apprenants un accord explicite sur de fortes croyances partagées. (ibidem)Il esquisse enfin un possible scénario de l’application du concept de « conventionnalisme » à laréflexion sur la didactique des langues qui me semble très intéressant pour ma recherche, laquelle,de son côté, s’efforce de saisir une pluralité de contributions favorisant la créativité.

Appliqué systématiquement à toutes les idées concernant l’enseignement/apprentissage deslangues, ce qui devient alors un « conventionnalisme » me paraît, au-delà de la réflexion pré-sente sur les seules « approches différentes », une perspective intéressante pour construire unedidactique des langues en accord avec notre époque: puisque la valeur d’une idée ou d’unethéorie ne se mesure pas à sa vérité, mais aux possibilités qu’elles ouvrent pour l’action, etque cette dernière dépend des multiples paramètres liés aux agents eux-mêmes et à leurcontexte d’action, c’est une didactique plurielle qui peut ainsi être expliquée (elle existe déjàdans les faits) et légitimée (il est bien qu’elle soit ainsi). Dans le cadre d’une telle didactique,toutes les approches peuvent avoir leur place, non seulement parce que les unes ou les autrespeuvent mieux convenir à tel ou tel dans telle ou telle situation, mais aussi parce qu’ellesconcourent toutes à l’enrichissement de la réflexion didactique collective. (ibidem)

C’est dans cette perspective que je vais procéder à mon analyse: je garderai la dénomination la pluslargement acceptée tout en me concentrant d’ailleurs sur les apports de ces approches qui peuventêtre intéressants dans une perspective de développement de la dimension créative.Avant d’aborder les approches « non conventionnelles », je réserverai une partie pour des considé-rations sur l’acception du terme « humaniste », qui est strictement lié aux approches non conven-tionnelles87 et au sujet duquel il me semble important d’adopter une position claire, compte tenu desimplications que ce mot peut avoir par rapport à la créativité.

3.1.2 Le courant « humaniste » et l’enseignement des langues

L’utilisation du terme « humanisme » pose beaucoup de problèmes sémantiques, non seulement carce terme est utilisé pour indiquer le grand mouvement culturel qui est né en Italie et qui s’est affir-mé à partir de la moitié du XIVème siècle jusqu’au début du XVIème, caractérisé par une revalori-sation des études classiques et par l’affirmation de nouvelles valeurs humaines et sociales, mais sur-tout car il n’est pas universellement utilisé au niveau pédagogique, ou bien il est utilisé avec desacceptions différentes. Comme l’explique bien Caré dans un numéro spécial du Français dans lemonde qu’il a coordonné88, non seulement on utilise des dénominations différentes dans les diffé-rents pays pour indiquer un certain groupe d’approches dont je vais parler dans la suite (et il n’y apas un accord généralisé sur quelles approches relèvent à plein titre du courant humaniste non plus),mais l’acception du terme « humaniste » reste tendanciellement dans le flou.

87 Rinvolucri arrive même à identifier ce que Dufeu appelle Approche relationnelle avec l’enseignement humanis-te, il me semble toutefois qu’on doit faire une distinction entre ce qui relève plutôt d’une vision humaniste de l’appren-tissage et des approches plus ou moins codifiées.

88 Caré, J-M., « Quinze ans après », dans Apprendre les langues étrangères autrement, Français dans le monde,Recherches et applications, numéro spécial, janvier 1999, pp.4-8.

74 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Le choix sémantique que j’ai fait par rapport à ce terme est celui de rester volontairement dans leflou, dans la mesure où je ne vais pas étiqueter d’humaniste telle ou telle approche, ni définir si telleou telle approche est plus ou moins humaniste, ce qui m’intéresse c’est plutôt de mettre en éviden-ce les raisons d’ordre pédagogique qui ont mené à ce choix terminologique, à savoir la conceptionde la personne ainsi que les valeurs qui sont à la base de cette volonté de renouvellement dans ladidactique des langues, car il me semble que seulement dans un esprit de vrai renouvellement lacréativité puisse trouver l’espace nécessaire.

Il n’y a pas, comme le soulignent Mario Rinvolucri et Earl Stevick, une seule et unique appro-che qui serait spécifiquement humaniste, mais des critères: le respect de la personne, la priseen compte de la totalité de l’individu, l’importance de la relation dans l’échange, le rôle del’expérience individuelle…qui permettent d’humaniser une approche ou même une pratique declasse, un exercice […]. L’humanisme est un label, plus pédagogique que didactique. (Caré,1999, pp. 5-6)

Pour pouvoir donner une définition plus complète du mot « humaniste » je fais référence à Stevickqui a fait une analyse très détaillée du terme en partant des acceptions très variées qu’il y a eues aucours de l’histoire et en approfondissant la signification de ce terme même à la lumière des apportsde la psychologie et de la pédagogieStevick résume ainsi les qualités humaines impliquées dans le mot « humanisme »:• Feelings, including both personal emotions and esthetic appreciation. This aspect of humanism

tends to reject whatever makes people feel bad, or whatever destroys or forbids esthetic enjoy-ment.

• Social relations. This side of humanism encourages friendship and cooperation, and opposeswhatever tends to reduce them.

• Intellect, including knowledge, reason, and understanding. This aspect fights again whateverinterferes with the free exercise of the mind, and is suspicious of anything that cannot be testedintellectually.

• Self-actualisation, the quest for full realisation of one’s own deepest true qualities. • This aspect believes that since conformity leads to enslavement, the pursuit of uniqueness brings

about liberation.(Stevick, 1990, pp. 23-24)89

Il tâche ensuite de fournir une carte conceptuelle des différentes implications du mot « humanis-me »90. On y retrouve des concepts-clés qui se rattachent à ceux que je présente aussi bien dans cechapitre que dans le deuxième. Il s’agit de l’importance qu’il y a à traiter l’apprenant comme unepersonne complète (whole person) présentant des aspects affectifs et cognitifs, l’importance des rela-tions interpersonnelles, le développement des potentialités de l’individu, la participation de l’indivi-du à son propre développement aussi bien que la valorisation de l’autonomie et de la prise d’initia-tive de la part de l’apprenant.

89 - Sentiments, qui comprennent aussi bien les émotions personnelles que l’appréciation esthétique. Cetaspect de l’humanisme tend à rejeter tout ce qui fait sentir mal les personnes ou tout ce qui détruit ou empêchela jouissance esthétique.

- Relations sociales. Ce côté de l’humanisme encourage l’amitié et la coopération, et s’oppose à tout ce qui tendà le réduire.

- Ésprit, y compris connaissance, raison, et capacité de comprendre. Cet aspect combat contre tout ce qui inter-fère avec le libre exercice de l’esprit et se méfie de tout ce qui ne peut pas être testé de façon intellectuelle.

- Réalisation personnelle, la recherche de la réalisation complète des qualités personnelles plus profondes. Seloncet aspect la recherche d’unicité comporte une libération, la conformité menant de son côté à une forme d’es-clavage.

90 Stevick dit aussi (Stevick 1999, p. 35) qu’il ne s’est jamais senti très à l’aise avec le terme « humaniste » à causedes différents sens dans lesquels il est utilisé et aussi parce qu’il est souvent porteur de valeurs morales.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 75

C’est cette dimension que je maintiens dans ma thèse, en tâchant de garder les composantes humai-nes et humanistes dans toute leur complexité comme cadre à la réflexion sur les potentialités desNTIC par rapport au développement de la production écrite des sujets apprenants.

3.1.2.1 Idées fondamentales de l’enseignement humaniste

L’enseignement humaniste a été particulièrement influencé par la psychologie américaine, surtoutpar Abraham Maslow91 et encore plus par Carl Rogers92, aussi bien que par l’œuvre de GertrudeMoskowitz Caring and Sharing in the Foreign Language Classroom (parue en 1978) et par de dif-férentes contributions de Earl W. Stevick93. Rogers et Maslow ont été les psychologues les plus représentatifs du courant de la psychologiehumaniste qui s’est développé aux États-Unis à partir des années 70. Leur travail a consisté à éla-borer une nouvelle approche de l’étude de la personne, et leur apport a été considérable, en particu-lier dans le domaine de la pédagogie et de la didactique, la formation personnelle jouant pour eux unrôle tout à fait fondamental. J’ai déjà mentionné leur contribution par rapport au concept de créati-vité (voir 2.8.2.4.), je voudrais souligner ici leur orientation humaniste en montrant comment leursidées sont reliées à ce que je dirai à propos de la prise en compte de la dimension subjective dansl’apprentissage. Pour Maslow la self-esteem (la confiance en soi) joue un rôle fondamental, cettedimension étant à considérer comme préalable aux aspects cognitifs. Maslow distinguait deux caté-gories de besoins: les besoins de manque ou de subsistance (deficiency or maintenance) et lesbesoins d’existence ou de croissance (being or growth), or, pour lui la self-esteem (la confiance ensoi) faisait partie du premier type de besoins, ceux qu’il considérait directement liés à l’équilibrepsychologique et biologique de l’être humain. Selon Maslow si les besoins du premier type n’ont pasété satisfaits, ou pas complètement, il est très difficile ou même impossible de satisfaire les besoinsdu second type.Maslow théorise une véritable hiérarchie des besoins qui va des besoins plus élémentaires à ceuxplus élevés. Le besoin d’autoréalisation s’accomplit avec la satisfaction des besoins plus hauts dansla hiérarchie.

La hierachie des besoins humains de Maslow

Self-

Actualisation

Aesthetic Needs BEI

NG

NEE

DS

Cognitive Needs

Need for self-esteem

Need for interpersonal closeness

Need for safety and security

DEF

ICIE

CY

NEE

DS

Basic physiological needs

91 Maslow, A., Motivation and Personality, 3rd edn., Harper and Row.92 Rogers, C., On becoming a Person, Boston, Houghton-Mifflin, 1961, et Rogers, C., Freedom to Learn, 3rd edn,

Merrill, 1994.93 Surtout Stevick E.W.,Teaching Languages: A Way and Ways, Rowley, Mass., Newbury House, 1980, et Stevick

E.W., Humanism in Language Teaching, s.l., Oxford University Press, 1990.

76 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Being needs are represented by the top three levels in Maslow‘s system. These are related tothe fulfilment of individual potential, in terms of cognitive and aesthetic development and theattainment of self-actualisation (realising one’s full potential). Few people ever realise theirfull potential or achieve « self-actualisation », the highest point in the needs hierarchy, becau-se their lower order needs tend to remain unsatisfied. Moreover, being needs are considered torequire a particular kind of nurturing environment in which people can express themselves andexplore. (Williams and Burden, 1997, pp. 33-34)94

L’état d’esprit de l’apprenant donc, sa réponse personnelle aux activités proposées peuvent mener ausuccès ou à l’insuccès.Mais c’est peut être Carl Rogers qui a eu le plus d’influence, surtout sur les approches non conven-tionnelles: selon lui non seulement l’enseignement doit être significatif pour l’apprenant (voir aussi3.2.3.3.) mais l’apprenant doit faire l’expérience de ce qu’il apprend et il doit pouvoir participer auprocessus d’apprentissage de façon à améliorer l’image qu’il a de soi-même: tout tourne autour duconcept d’auto-réalisation, et il est évident que le côté émotionnel y joue un rôle fondamental.

The teacher as facilitator must therefore provide the nurturing context for learning and not seehis mission as one of rather programmatically feeding students quantities of knowledge whichhe subsequently devour (Rogers, 1980, p. 77)95

Pour Rogers le milieu est aussi essentiel et l’atmosphère doit être positive et non menaçante.Dans son ouvrage, Moskowitz a explicité les théories de la psychologie humaniste en proposant denombreuses activités visant à favoriser le développement de l’individu. Déjà le titre avec ses deuxmots clés caring (prendre soin) et sharing (partager) est très révélateur du rôle central que la priseen compte du côté affectif joue dans l’apprentissage d’une langue étrangère

Youngsters[…] are searching for their identity and are in need of self-acceptance […] « huma-nistic » education is related to concern for personal development, self-acceptance, and accep-tance by others, in other words, making students more human (Moskowitz, 1978, p. 11)96

En se référant à cet ouvrage de Moskowitz, Harmer souligne le fait que : « Many activities are desi-gned to make students feel good and remember happy times whilst at the same time practising gram-mar items. » (Harmer, 2001, p. 91). Si on regarde de plus près quelques activités proposées par cetauteur, on s’aperçoit qu’à la fin de chaque exercice l’élève aura parlé beaucoup de soi-même, auraréfléchi sur sa vie et sa pensée et en même temps aura compris et appris le mode de fonctionnementde la langue. Les propositions de Moskowitz ont été aussi beaucoup critiquées, on s’est demandésurtout jusqu’à quel point il faut encourager l’élève à s’ouvrir, à montrer son côté personnel et inti-me et jusqu’à quel point l’enseignant a le droit de le découvrir, mais je pense que toute œuvre depionnier a un côté provocation, et donc qu’il faut voir cet ouvrage comme celui qui a ouvert la voieà la dimension humaniste de l’apprentissage.

94 Les besoins d’existence sont représentés par les trois niveaux supérieurs du système de Maslow. Ils sont liés àl’accomplissement du potentiel individuel, en termes de développement esthétique et de réalisation d’une auto-actuali-sation ( réaliser complètement le potentiel de l’individu). Peu de personnes réalisent jamais leur potentiel complet ouatteignent « l’auto-actualisation », le point plus haut dans la hiérarchie des besoins, car leurs nécessités d’ordre infé-rieur tendent à ne pas être satisfaites. En plus, on pense que les besoins d’existence requièrent un type particulier d’en-vironnement favorable dans lequel les individus se sentent libres de s’exprimer et d’explorer.

95 L’enseignant en tant que facilitateur doit donc fournir le contexte fertile et favorable pour l’apprentissage et nepas voir sa mission comme celle de nourrir ses élèves de façon programmée avec des quantités de connaissance quecelui-ci par conséquent doit dévorer.

96 Les plus jeunes […] sont à la recherche de leur identité et ont besoin d’auto-acceptation […] l’éducation« humaniste » se préoccupe de favoriser le devéloppement personnel, l’acceptation de soi-mêmes, et l’acceptation dela part des autres, en d’autres mots, de rendre les élèves plus humains.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 77

3.2 Les apports des Approches non conventionnelles

3.2.1 Entrée sur scène des Approches non conventionnelles

Les approches non conventionnelles auxquels je me réfère dans ce chapitre correspondent à cellesdécrites par Bernard Dufeu dans son ouvrage qui porte le même titre97, à savoir la Méthode silen-cieuse, la Suggestopédie, l’Apprentissage par la Réaction physique totale, ’Approche naturelle,l’Apprentissage communautaire des langues, la Psyhodramaturgie linguistique et l’Approche rela-tionnelle. En ce qui concerne cette dernière, toutefois, il faut selon moi opérer une distinction qui nese limite pas seulement à la différente – ou insuffisante comme semble le suggérer Dufeu – structu-ration de cette approche, mais à sa transversalité, au fait qu’elle se présente plutôt comme une phi-losophie de l’enseignement/apprentissage: c’est justement pour cette raison qu’elle présente un inté-rêt particulier pour ma recherche sur la créativité.Dans le développement des courants pédagogiques, on a assisté à un phénomène bizarre: face à lasuccession des grandes approches différentes, même opposées, qui ont toutes contribué au progrèsde la didactique des langues, on a assisté à la naissance de courants alternatifs qui se sont dévelop-pés d’une façon parallèle. C’est le cas de la pédagogie Montessori98 ou plus encore de la pédagogieWaldorf, fondée par Steiner99, pédagogie qui, malgré leur dimension considérable au niveau mon-diale, gardent encore une connotation exotique, quasi initiatique.Dans la didactique des langues un phénomène similaire s’est produit: déjà à partir des années 50 desspécialistes de disciplines différentes de la didactique ont commencé à s’intéresser à l’apprentissagedes langues, parvenant à ébaucher des méthodes pour en améliorer l’efficacité. C’est le cas parexemple de l’Apprentissage communautaire (Community Counselling) ou de la Réaction physiquetotale (Total Physical Response).Toutes ces méthodes n’ont eu que des contacts très superficiels (voire aucun contact) avec le déve-loppement parallèle de la didactique des langues étrangères. Il est cependant intéressant de sedemander pourquoi ces approches sont apparues

Depuis environ vingt-cinq ans, ces nouvelles approches se sont multipliées, se développant leplus souvent parallèlement à l’évolution que connaissait l’enseignement des langues, qui étaitlui-même remis en cause dans le choix de ses contenus et de ses procédures par les méthodo-logues et les praticiens. Cette forte activité est la preuve des exigences d’une profession à larecherche de nouvelles voies pour améliorer la situation de l’enseignement des langues. Elle

97 Bernard Dufeu, Les approches non conventionnelles des langues étrangères, Paris, Hachette, 1996.98 Maria Montessori (1870-19529 médecin et psychiatre a formulé après de longues études ses grands principes

pédagogiques, à savoir le refus de l’oppression de l’enfant par les abus d’autorité et la nécessité de lui permettre de sedévelopper lui-même. Elle découvre avant Piaget les stades qui marquent le développement de l’individu à partir del’enfance jusqu’à la jeune maturité. Pour elle l’art d’éduquer consiste[…] à proposer aux enfants des tâches présentantune difficulté surmontable; après Locke, et comme Dewey, elle estime que l’intelligence se construit par l’action, et ellereconnaît notamment à la main un rôle primordial (La Borderie, 2001, p. 83).

99 Rudolf Steiner (1861-1925) homme d’étude à la personnalité poliédrique, s’intéressa beaucoup à l’éducation etfonda la pédagogie Waldorf qui est suivie à présent dans les écoles Waldorf du monde entier. Il théorisa une division entrois septénaires de la période qui va de la naissance à l’âge de la maturité et élabora des principes d’éducation trèsdétaillés qui tiennent compte de ce développement ainsi que de la nécessité pour l’individu d’un développement har-monieux de toute sa personnalité, du côté intellectuel, émotionnel, physique et spirituel.

78 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

est peut-être aussi le signe de l’insatisfaction sourde que ressentent certains enseignants faceaux pratiques actuelles ou aux résultats des méthodes reconnues par les institutions officiellesde formation. (Dufeu, 1996, p. 9)

La question est encore plus intéressante si l’on considère que la majorité de ces approches sont issuesde la psychologie, comme l’Apprentissage communautaire, ou de disciplines liées à la psychologie,comme l’Approche naturelle ou la Psychodramaturgie linguistique. La composante psychologiquejouant un rôle fondamental dans tout apprentissage, et surtout dans l’apprentissage d’une langueétrangère, le choix de prendre en compte prioritairement cette composante souligne l’insuffisancesur ce point de toute vision de la langue en tant que pur instrument de communication.

3.2.2 Dénominateurs communs des Approches non conventionnelles

Bien que les approches non conventionnelles se présentent à première vue comme ayant plus de dif-férences que de points communs, on peut dire que toutes partent de la perspective d’une reconsidé-ration du rôle du sujet, ce qui correspond à la prise en compte de la personnalité de l’apprenant.

Les méthodologies caractérisées à une époque comme « non conventionnelles » fondent engénéral leur approche sur le sujet: sujet parlant, sujet apprenant, sujet agissant, sujet pensant,sujet psychanalytique, sujet psychosocial, sujet distant, voire sujet métaphysique, et se propo-sent de mettre en place des pratiques éducatives, pédagogiques, formatrices, thérapeutiques àpartir d’objets aussi divers que l’écoute, la suggestion, la relaxation, la programmation neuro-linguistique, les technologies du traitement de l’information, etc. Le rapport pédagogique y estsouvent considéré du point de vue de la dynamique psychoaffective et cognitive. (Chardenet,1999, p. 27)

Je crois que c’est justement cette prise en compte de l’apprenant en tant que sujet qui constitue l’ap-port le plus significatif des approches non conventionnelles, et je considère pour ma part que tousles autres apports dérivent de cette caractéristique:1. réévaluation de l’être, de la subjectivité, de la personnalité de l’apprenant;2. références explicites à la psychologie (voire à la valeur psychothérapeutique de l’apprentissa-

ge);3. changement dans le rôle de l’enseignant et dans la relation enseignant/apprenant;4. importance de la relation interpersonnelle et au sein du groupe;5. prise en compte des barrières intellectuelles, affectives ou éthiques qui peuvent inhiber l’appren-

tissage;6. importance de l’atmosphère du cours et d’un environnement positif;7. autonomie par rapport à un manuel; 8. choix d’une approche holistique et impulsion donnée à la spontanéité et/ou à la créativité.

Je tâcherai de regarder de plus près chacun de ces éléments car ils contiennent une quantité de mots-clés qui se retrouveront tout au long de mes considérations d’ordre didactique sur la créativité. Jeprivilégierai toutefois le premier élément, car il mérite une analyse détaillée puisqu’il représente l’undes points centraux de ma thèse.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 79

3.2.2.1 Références explicites à la psychologie

Les références au domaine de la psychologie viennent bien sûr du fait que la plupart des créateursde ces approches étaient des psychologues ou des psychothérapeutes, (Georgi Lozanov, le créateurde la suggestopédie, était un psychiatre; James Asher, qui a créé l’approche Réaction physique tota-le, était docteur en psychologie; Charles Curran, qui a développé l’Apprentissage communautairedes langues, enseignait la psychologie et était en même temps thérapeute, pour ne citer que quelquesexemples). Mais il est important de noter qu’il ne s’agit pas, pour ceux qui adoptent les approchesnon conventionnelles, de suivre des écoles de pensée psychologiques, mais vice versa de retenir desaspects de la psychologie qui aident à réfléchir sur les processus mentaux et cognitifs des apprenantsau moment de l’apprentissage d’une langue étrangère. Un de ces aspects me semble être le rôle dusilence de la part du professeur: mettre au centre d’une théorie de l’apprentissage des langues lesilence peut sembler paradoxal, mais il peut aller dans le sens d’une pédagogie de libération.L’enseignant qui reste sans rien dire offre un espace de liberté à l’expression de l’apprenant, à sa ten-tative de résolution des problèmes, tout comme le thérapeute avec son silence aide le patient à serévéler et à ébaucher un parcours de prise de conscience et de dépassement de ses problèmes. Onpeut donc trouver des analogies avec la psychologie même dans une des rares approches qui nesoient pas issues de ce domaine, comme la Méthode silencieuse.Un autre élément fondamental est la prise en compte de l’inconscient ou paraconscient et cela dansune vision tout à fait différente de la vision classique freudienne, pour laquelle l’homme n’a aucunemaîtrise sur son inconscient, vu comme inquiétant et menaçant. Lozanov a, au contraire, une concep-tion positive de l’homme qui s’oppose à celle de Freud: « […] les principes de la Suggestopédiesont: (…) la joie, l’absence de tension et une psycho-relaxation concentrative » (Lozanov, 1978, p.258, cité d’après Dufeu, 1996, p.49), à ce principe il ajoute un autre, « celui de l’unité entre le cons-cient et le paraconscient100 et l’activité intégrale du cerveau » (id., p. 259, cité d’après Dufeu, 1996,p. 50): l’inconscient joue pour lui un rôle fondamental dans l’apprentissage

Les facteurs inconscients de l’apprentissage vont être non seulement pris en considérationmais utilisés de manière fonctionnelle afin que l’individu puisse fournir le meilleur de lui-même dans le cadre des objectifs assignés. (Dufeu, 1996, p.50)

Ce n’est pas un hasard s’il y a une relation très forte entre Programmation neurolinguistique101 etSuggestopédie. La conception de l’inconscient des deux théories étant très similaire. L’attention por-tée ces dernières années à la Programmation neurolinguistique et les tentatives de plus en plus fré-quentes de l’insérer dans la pratique (même si à présent la pratique concernée est plutôt limité à l’en-seignement aux adultes) me semblent représenter un bon signal de la prise de conscience d’aspectsrelevant de l’apprentissage qui ne sont pas éloignés des théories de Gardner ou de la pensée deBateson, même si je suis d’accord avec Dufeu quand il motive son choix de ne pas insérer laProgrammation neurolinguistique dans l’ensembles des approches non conventionnelles par le faitqu’il s’agit plutôt d’une technique d’appui102.

100 Pour Lozanov paraconscient équivaut à inconscient.101 La programmation neurolinguistique PNL (Neuro-Linguistic Programming NLP) a été fondée par John Grinder

et Richard Bandler en 1976. Elle n’a été que récemment utilisée dans l’enseignement des langues étrangères. Parmi lesprincipes sur lesquelles se base la PNL il y en a un certain nombre qui peuvent résulter particulièrement efficaces enclasse de langues car ils aident l’apprenant à éliminer tout blocage qui peut empêcher l’apprentissage, le fondamentalest celui selon lequel les individus apprennent à travers tout leurs sens, donc l’enseignement doit tâcher d’être multi-sensoriel.

102 Voir Dufeu, 1996, p. 12.

80 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Un autre aspect psychologique important qui caractérise les approches non conventionnelles, toutcomme la Programmation neurolinguistique d’ailleurs, est celui des blocs émotionnels et de la levéedes tensions. Même si les différentes approches envisagent des moyens différents pour atteindre ce but, on peutdire que tous s’accordent sur le fait qu’une atmosphère de stress constitue un obstacle à un appren-tissage efficace. Dans le cas de Asher, l créateur de la Réponse physique totale, l’apprentissage sansstress est fondamental en outre en raison de la nécessaire prise en compte des caractéristiques dufonctionnement cérébral et de la mémoire:

When students are comfortable and confident with the new material, they can brain switch tothe left brain with traditional linguistic exercises. I see effective language learning as a move-ment back and forth from one side of the brain to the other. (Asher, 1988, p. 44)103

Même si, comme je l’ai montré plus haut, Asher a une vision très radicale de cette différenciationcérébrale, alors que bien des études ont plutôt tendance aujourd’hui à la relativiser, il faut soulignerque la prise de conscience de la nécessité de tenir compte de différentes modalités d’apprentissageet d’utiliser différents canaux marque une étape fondamentale dans la didactique des langues.Une critique intéressante que Dufeu fait à l’approche théorisée par Asher est d’introduire un modede relation de type très hiérarchisé avec

une réification du participant qui devient objet des projets pédagogiques de l’instructeur et quiest réduit, pendant un certain temps, à un rôle de marionnette répondant à des ordres (Dufeu,1996. P. 85)

À cette critique correspond celle adressée à la Suggestopédie:Les interactions entre enseignant et étudiant sont dominées par un mode de relation hiérar-chique très marquée, d’autant plus que l’étudiant reste dans l’ignorance des moyens sugges-tifs utilisés à son égard, car cela pourrait retirer une partie de leur effet. (id., p. 60)

Cette double critique ne fait selon moi que confirmer la forte relation, qui peut être excessive, entreapproches non conventionnelles et dimension psychologique, relation qui risque de trop faire res-sembler la classe de langue à une séance de psychothérapie. Dufeu en fait souligne ce risque à pro-pos de l’Apprentissage communautaire des langues de Curran, mais il me semble qu’il s’agit d’unrisque permanent dans toutes ces approches:

On peut dire, d’une manière générale, que chez Curran, les limites entre le champ thérapeu-tique et le champ pédagogique sont pour le moins confuses, ce qui n’est pas sans danger, étantdonné que les barrières de sécurité que peut offrir le contexte thérapeutique sont absentes. (id.,p. 131)

Je reparlerai de ce risque à propos de l’Approche relationnelle, que je traiterai plus en profondeur(comme j’ai dit au point 3.2.), pour souligner le rôle de l’implication affective et de l’expression per-sonnelle par rapport à la créativité. Ce que je veux noter ici, c’est l’extrême difficulté de la recher-che d’équilibre entre l’impulsion donnée au développement de l’individu et une attitude de l’ensei-gnant à l’égard de l’apprenant qui peut s’avérer trop envahissante, donc potentiellement menaçante,de la personnalité, de la dimension intérieure et privée de l’apprenant même.

103 Quand les élèves sont à leur aise et se sont familiarisés avec le nouveau matériel, ils peuvent utiliser le cerveaugauche avec les exercices linguistiques traditionnels. Je vois l’apprentissage efficace des langues comme un mouvementde va et vient d’un côté cérébral à l’autre.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 81

3.2.2.2 Rôle de l’enseignant et relation enseignant/apprenant

Le rôle de l’enseignant a fait l’objet de plusieurs études de la part de spécialistes de didactique deslangues104, surtout à partir de l’approche communicative: on a souligné non seulement la multiplici-té et la variété des rôles que l’enseignant joue dans la classe, mais aussi le fait que ces mêmes rôleschangent selon les différentes phases d’apprentissage et les différentes activités réalisées par lesapprenants.L’attention prêtée aux rôles joués par l’enseignant provient surtout du dépassement de l’idée deméthode et d’application de méthode en classe de langues: en choisissant une méthode l’enseignanttrouvait pour ainsi dire son rôle déjà fixé – pensons par exemple au rôle d’entraîneur typique de laméthode directe –, alors que l’idée d’approche implique une absence de rôles prédéfinis et la néces-sité pour l’enseignant d’une prise de conscience de l’importance qu’il y a à jouer des rôles différentsselon les différentes situations d’apprentissage.Il semblerait donc d’un côté que tout a été déjà dit à ce propos, de l’autre que les méthodes nonconventionnelles constitueraient une régression par rapport à l’approche communicative. Le poidsque l’enseignant finit par avoir dans les cours est important, compte tenu qu’il ne s’appuie pas surle manuel et qu’il lui faut une préparation longue et minutieuse qui comprend aussi bien la connais-sance de nombreuses techniques, celle des activités à proposer, tout comme la conscience de l’atti-tude à assumer face aux apprenants. Pour filer la métaphore du thérapeute et du patient, il semble-rait que le premier garde tout le pouvoir par rapport au dernier, comme c’est le cas dans l’analyseclassique, mais en réalité la question est bien plus complexe que cela.Même si le rôle de l’enseignant reste important dans les approches « non conventionnelles », cetteimportance provient de cette volonté bien ancrée d’être responsable de la réussite de ses apprenants(il ne faut pas oublier que certaines approches, telle que la Suggestopédie, ont même proposé unesorte de garantie « satisfaits ou remboursés » aux participants), de la nécessité de disposer de maté-riels d’apprentissage non liés à un manuel ou même de travailler sans matériels préfabriqués, de laconscience de travailler avec des personnes, donc de la responsabilité que cela comporte en termesde développement de la personnalité des apprenants. On pourrait dire que la « force » de l’enseignantdécoule d’une attitude maïeutique de type socratique. Elle ne s’appuie pas sur un argument d’auto-rité, tel que la simple connaissance des contenus enseignés: l’enseignant n’est pas seulement celuiqui maîtrise le sujet à enseigner, dans ce cas la langue étrangère, ni celui qui dispose d’un nombrede techniques adéquat, mais il est surtout la personne qui est capable d’accompagner l’apprenantdans un voyage intérieur qui lui permet de prendre conscience de ses potentialités pour pouvoirensuite les épanouir.Dans une telle situation, la relation enseignant/apprenant se trouve fortement modifiée: l’enseignantdoit lui aussi « se mettre en jeu ». L’idée de « se mettre en jeu » acquiert ici une double connotation:d’un côté celle de « jouer », de « participer au jeu » : l’enseignant s’implique dans des activités, faitpartie du groupe à plein titre; de l’autre celle de « se mettre en cause », « se mettre en question »: l’en-seignant reconsidère son rôle et ses pratiques en termes d’efficacité professionnelle et pédagogique.Une plus grande prise de conscience de l’importance du rôle de l’enseignant avait été déjà soulignéeà plusieurs reprises au cours de ces dernières années: Harmer, citant à son tour un article de Tudor105,écrit ainsi:

One writer has suggested that teachers in such learner-centred classrooms need special qua-lities including maturity, intuition, educational skills (to develop students’ awareness of lan-

104 Il y a plusieurs ouvrages à ce propos. Je me limite à celui de Wright, qui me semble particulièrement complet etintéressant: Wright, T., Roles of Teachers and Learners, s.l., Oxford University Press, 1987.

105 Tudor, Ian, « Teacher role in the learner-centred classroom », ELT Journal 47/1, 1993.

82 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

guage and learning), an openness to student input, and a greater tolerance of uncertainty.These qualities, he suggests, are in marked contrast to more traditional teacher behaviour(Harmer, 2001, p.57).106

Mais il ajoute : « Yet they are precisely the characteristics most people would expect of any teacher,traditional or modern, who has their learners’ best interests at heart. » (ibidem)107

Je considère que les approches « non conventionnelles » ont beaucoup contribué à mettre au premierplan la nécessité d’une réflexion profonde sur le rôle de l’enseignant et la relation enseignant/appre-nant, et à nous rappeler que « L’enseignement, même le plus traditionnel, peut contribuer au déve-loppement ou au contraire à l’étouffement de la personnalité des participants » (Dufeu, p. 175).

3.2.2.3 Importance de la relation interpersonnelle et au sein du groupe

Dans un contexte qui prend en compte la dimension psychologique d’une manière ouverte, tel quecelui des approches « non conventionnelles », il est évident que la relation interpersonnelle en géné-ral – et non seulement celle entre enseignant et apprenant comme on vient de le voir – joue un rôlefondamental. Et cela encore une fois non pas d’une façon superficielle, le travail en groupe étant unepratique très répandue dans beaucoup de classes de langues sans que cela implique forcément lebesoin d’une vraie relation entre les membres du groupe, mais d’une manière bien plus profonde,une bonne relation interpersonnelle étant nécessaire à la réussite même du cours.Le travail en groupe est d’autant plus satisfaisant et efficace que le sentiment d’appartenance à cegroupe est marqué et que les échanges sont authentiques au sein du groupe.L’importance du groupe est forte pour toutes les approches « non conventionnelles », car le sujetdevant s’investir dans son apprentissage, il a besoin de bonnes relations nterpersonnelles pour pou-voir prendre des risques. C’est l’Apprentissage communautaire des langues qui en fait l’élément cen-tral de son dispositif, à un tel point que le fonctionnement du groupe y détermine la progression del’apprentissage

La progression adoptée par les paticipants suit l’évolution de la vie affective du groupe. Audébut de l’apprentissage, les participants éprouvent certaines craintes dans le nouveau grou-pe, les échanges verbaux restent généraux: on y parle du temps, on demande aux autres cequ’ils ont fait lors du dernier week-end… Les thèmes deviennent de plus en plus personnels aufur et à mesure que les participants se connaissent et que leur confiance dans le groupe aug-mente.En général, un saut qualitatif est marqué par l’expression des sentiments par un membre dugroupe, qui ouvre ainsi la voie à un autre mode de communication (Dufeu, pp. 126-127)

Mais l’importance donnée au groupe, qui représente une caractéristique essentielle de toutes lesapproches non conventionnelles (même si le facteur « groupe » joue un rôle distinct dans les diffé-rentes approches), a une visée plus générale car elle s’inscrit dans une perspective écologique:

106 Un auteur a suggéré que les enseignants ont besoin, dans des classes centrées sur les apprenants de ce type, dequalités spéciales comme maturité, intuition, habiletés éducatives (pour devélopper la conscience des élèves de la lan-gue et de leur apprentissage), une ouverture aux sollicitations des élèves, et une assez grande tolérance de l’incertitu-de. Ces qualités, il suggère, sont en contraste marqué avec le comportement traditionnel de l’enseignant.

107 Et pourtant elles sont précisement les caractéristiques que la plupart des gens attendrait de tout enseignant, tra-ditionnel ou moderne, qui tient à cœur l’intérêt de ses élèves.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 83

Dans la perspective écologique nous considérons l’apprenant comme un agent actif dans l’en-vironnement d’apprentissage, interagissant avec d’autres apprenants et avec l’enseignant, cons-truisant ses connaissances par l’investissement actif et co-construisant ses connaissances parun engagement social avec d’autres apprenants et avec leur enseignant. (Van Lier, 1999, p. 12)

C’est à l’intérieur de cette perspective que se situe ma recherche, comme je l’ai déjà montré en choi-sissant la métaphore batesonienne et la théorie systémique comme références personnelles. Ce seraà l’intérieur de cette même perspective que j’aborderai, dans le prochain chapitre, l’intégration desnouvelles technologies en classe de langue.

3.2.2.4 Différents types de facteurs pouvant influencer l’apprentissage

La classe constituant un système complexe, on y trouve à l’intérieur toute une série de facteurs quijouent un rôle clé dans tout apprentissage, mais qui semblent être particulièrement importants dansl’apprentissage des langues étrangères.Il s’agit de facteurs se référant au domaine relationnel, constitué par le milieu de la classe qui à sontour est influencé par les cultures de provenance des apprenants, aussi bien qu’au domaine person-nel, dans sa dimension affective ou intellectuelle. Ces facteurs contribuent de manière déterminanteà la réussite ou à la non-réussite de cette réaction chimique qui constitue la classe de langue. J’ai décidé donc de traiter les cinquième et le sixième point de ma liste, à savoir « prise en comptedes barrières intellectuelles, affectives ou éthiques qui peuvent inhiber l’apprentissage » et « impor-tance de l’atmosphère du cours et d’un environnement positif », à l’intérieur du même paragraphe,car ils sont très étroitement liés l’un à l’autre. À l’intérieur de ces points les facteurs énoncés sont en réalité trois, mais l’atmosphère fait corps avecl’environnement, étant très difficile de marquer une relation cause/effet entre les deux, l’atmosphè-re étant plutôt le moyen à travers lequel les apprenants aperçoivent l’existence d’un environnementpositif. Un environnement positif de son côté contribue à éliminer, ou au moins à réduire, tout typede barrières de la part de l’apprenant. À leur tour des barrières très fortes peuvent influer sur l’at-mosphère d’un cours, au risque de la gâter. Il est évident aussi que ces deux aspects constituent une sorte de corollaire au point précédent, lequatrième, dans lequel j’ai parlé de la relation interpersonnelle.

3.2.2.4.1 Le coté affectif et les hypothèses de S. Krashen

Souligner l’importance d’une atmosphère positive pour l’apprentissage en particulier des languesétrangères, avec une focalisation sur le rôle des barrières, fournit l’occasion d’introduire un conceptqui me semble fondamental non seulement pour l’analyse des approches « non conventionnelles »,mais pour ma réflexion en général: il s’agit de l’hypothèse du filtre affectif formulée par S.Krashen108.

108 Krashen S.D., Terrell T.D., The Natural Approach. Language acquisition in the classrrom, Oxford, Pergamon,

84 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Cette hypothèse dont je vais parler souligne en effet une fois de plus la complexité de l’apprenant,celui-ci composé d’une partie intellectuelle et d’une partie affective, d’un présent d’apprenant delangues étrangères et d’un passé d’apprenant de langue maternelle, d’une partie consciente et d’unepartie inconsciente. Toute la réflexion de Krashen tourne autour de la distinction entre apprentissage conscient et acqui-sition inconsciente des langues, entre ce qui est enseigné et ce qui est effectivement appris, etKrashen s’interroge sur les raisons de cette différence.Les théories de Krashen ont fait l’objet de critiques, dont certaines très vives: P. Bogaards, se basantaussi sur des travaux d’autres spécialistes109, l’accuse de n’avoir jamais mis à l’épreuve ses théorieset d’avoir évité toute vérification de ce qu’il théorise d’une manière consciente. Bogaards affirme que « les hypothèses de Krashen sont loin d’être confirmées » (1988, p.24): sonhypothèse fondamentale, en particulier, celle de la distinction entre l’acquisition (qui relèverait dudomaine de l’inconscient) et l’apprentissage conscient, « n’est pas assez bien fondée et mène à deshypothèses qui résistent mal aux épreuves expérimentales » (id., p. 25).Bogaards stigmatise aussi la défense que Krashen fait de ses propres théories:

Dans sa réponse à cette critique [manque de définition de la notion d’inconscient], Krashen(1979:152) convient de la difficulté signalée par McLaughlin, mais il ajoute que si, pour lemoment, il est impossible de mesurer la différence entre acquisition et apprentissage, fauted’instrument physiologique adéquat, cela ne prouve en rien que l’opposition n’existe pas.Raisonnement qu’on ne peut qualifier que de faible. (id., p. 24)

Il préfère pour sa part adopter une autre dichotomie, celle de « processus contrôlé vs processus auto-matisé » (id., p.25).Je pense personnellement que la réponse de Krashen n’est pas si anodine, la didactique des languesétant marquée par une façon de procéder qui ne relève pas toujours des sciences dures, dans les-quelles on postule la formulation d’une théorie ou d’une hypothèse suivie d’une expérimentation surle terrain (en n’excluant pas une expérimentation dans un milieu artificiel). Pour parvenir à la vali-dation de l’hypothèse ou à sa réfutation, en didactique de langues le processus inverse est aussi vala-ble, à savoir une théorisation et une systématisation à partir des pratiques, qui se révèlent aussi effi-caces pour faire progresser la réflexion.Je partage plutôt l’opinion de Dufeu quand il affirme:

Même si Krashen formule ses hypothèses de façon parfois un peu trop dogmatique, il a le méri-te de poser certaines questions sur le fonctionnement de l’apprentissage conscient ou incons-cient des langues étrangères, ce qui ne peut laisser l’enseignant indifférent et ce qui contribueà un cheminement de la réflexion et à une évolution de la pratique pédagogique. (Dufeu, 1996,p. 113)

J’accepte donc l’hypothèse du filtre affectif de Krashen car elle me semble bien reliée à la problé-matique de l’élimination des obstacles à l’apprentissage et à la création d’un milieu favoable. Ce fil-tre serait une sorte de « blocage mental » qui empêche l’acquisition de la langue étrangère: plus lefiltre est faible, plus l’apprenant est réceptif, et ouvert à une nouvelle acquisition, qui à son tour auralieu, comme le souligne toujours Krashen, lors d’un « input de compréhension » (compréhensibleinput)

Stephen Krashen [‘s] […] claim for the beneficial value of comprehensible input depends uponthe students being relaxed, feeling posive, and unthreatened. If they are not, then their affecti-

1983 et Krashen Stephen D., Terrell Tracy D., Principles and Practices in Second Language Acquisition, EnglewoodCliffs (N.J.), Prentice Hall, 1987.

109 Il cite entre autres Hulstijn, Mc Laughlin, voir Bogaards, 1988, p. 25.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 85

ve filter is raised and blocks the input from being absorbed and processed. But if, on the otherhand, the affective filter is lowered – because students are relaxed – then the comprehensibleinput the students are exposed to will contribute far more effectively to their acquisition of newlanguage. (Harmer, 2001, p. 74)110

C’est donc bien une atmosphère non menaçante qui favorise la baisse du filtre affectif. Deux autresfacteurs jouent aussi un rôle fondamental: la motivation et la confiance en soi. Je reviens ainsi à l’i-dée que j’ai annoncée au début de ce paragraphe, à savoir que tous les facteurs sont interconnectés.

L’accord se fait de plus en plus sur la nécessité d’un filtre affectif faible, d’où l’importanceaccordée à l’environnement, à l’atmosphère du cours, à la relation entre enseignant et parti-cipants. (Dufeu, 1996, p. 113)

Le filtre affectif et l’atmosphère du cours constituent des variables qui dépendent l’une de l’autre. Sil’environnement n’est pas favorable le filtre affectif qui s’interpose entre input et acquisition seratrès fort, donc seul un environnement propice peut assurer la baisse du filtre affectif. À son tour seulun filtre affectif bas peut permettre une vraie acquisition, dans le cas contraire il n’y aurait qu’ap-prentissage, donc seulement la dimension intellectuelle de l’individu serait concernée.En ce qui concerne la terminologie à employer, je choisis pour la suite de ma recherche de ne pasavoir recours de manière rigoureuse à la distinction radicale entre acquisition et apprentissage faitepar Krashen. Cet auteur en arrive en effet à restreindre la valeur et les possibilités de l’apprentissa-ge, qui relèverait d’un acte conscient et volontaire. Cette distinction garde toute sa valeur de contribution à la réflexion didactique: elle a en effet contri-bué à concentrer l’attention des didacticiens sur l’importance de prendre en compte la globalité et lacomplexité de l’individu, qui n’est pas constitué de la seule dimension consciente, rationnelle, intel-lectuelle. Je me contenterai toutefois d’utiliser le mot apprentissage dans une acception extensive,considérant qu’un apprentissage efficace a lieu quand la dimension émotive de l’apprenant est impli-quée autant que sa dimension cognitive, donc quand la sphère de l’affectivité et celle de l’intellectinteragissent, autrement dit quand le processus bénéficie des apports du domaine conscient etinconscient.Le choix de ne pas distinguer les notions d’acquisition et d’apprentissage, en l’utilisant comme parspro toto provient d’une vision holistique de l’individu et de la considération de la nature des diffé-rentes barrières qui empêchent l’apprentissage.S’il est vrai, en fait, que les blocages de nature émotionnels sont très difficiles à éliminer car ils relè-vent de l’inconscient et pour cela ils sont souvent inaperçus, les barrières de nature intellectuelle, quipeuvent surgir, sont, elles aussi, capables d’interférer de façon négative sur l’apprentissage. Il est suffisant de penser à ce propos à toute la problématique de la prise de conscience de la langue(language awareness ou mieux encore awareness-raising, augmentation de la conscience): si l’ap-prenant ne prend pas conscience de la langue, il n’est pas capable de la manipuler, donc il n’est pascapable de l’apprendre vraiment, d’aller au-delà d’un niveau nécessaire à la satisfaction des besoinsprimaires. Une expression très intéressante a été utilisée à ce propos par Schmidt111, il s’agit de« noticing » (remarquer), activité qui selon lui constitue la première étape, fondamentale, pour pou-voir utiliser la langue de façon active et par conséquent de pouvoir ensuite l’apprendre.

110 L’affirmation de Krashen […] de la valeur bénéfique d’un input compréhensible dépend du fait que les élèvessoient relaxés, se sentent bien, et non menacés. S’ils ne sont pas dans un état semblable, alors leur filtre affectif se lèveet bloque le mécanisme qui permet à l’élève d’absorber et de processer l’input. Mais si, de l’autre côté, le filtre affec-tif est baissé – car les élèves sont relaxés – alors l’input compréhensible auquel les élèves sont exposés contribuera demanière bien plus efficace à leur acquisition de la nouvelle langue.

111 Schmidt, R., « The role of consciousness in second language learning », Applied Linguistics, 11/2, 1990.

86 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Le choix d’un usage plus global du terme « apprentissage » provient aussi du fait que cette recher-che prend en compte le milieu scolaire d’apprentissage d’une langue étrangère, où la ligne de démar-cation entre apprentissage et acquisition devient plus floue.Freddi, quand il décrit la langue étrangère et son apprentissage, s’exprime de la manière suivant:

Si tratta di un’attività guidata, sistematica e intenzionale in cui l’insegnante assume un ruolopreponderante e complesso […] Le mète e gli obiettivi dello studio di una lingua stranierasono lontani dalle urgenze vitali collegate alla lingua materna e i processi che regolano taleapprendimento sono controllati, presenti cioè alla coscienza del discente. (1999, p. 105)112

Plus loin, en commentant les théories de Krashen, il avait envisagé une ligne, allant du domaine del’acquisition à celui d’apprentissage, sur laquelle il positionnait la langue maternelle à une extrémi-té et la langue étrangère à l’autre.Or la différence est en réalité loin d’être si claire et nette: l’apprentissage d’une langue étrangère enmilieu colaire relève toujours du conscient et de l’inconscient, le premier étant souvent le point dedépart d’un processus long et complexe qui se déroule aussi bien à l’école qu’à un niveau plus pro-fond, celui de l’esprit des apprenants

Il y a un processus d’apprentissage scolaire; celui-ci a sa structure interne, son enchaînement,sa logique de développement; et intérieurement, dans l’esprit de chaque écolier pris isolément,il y a en quelque sorte un réseau interne de processus qui, bien qu’ils soient suscités et mis enmouvement au cours de l’apprentissage scolaire, ont leur logique propre de développement.(Vygotsky, cité d’après La Borderie, 2001, p. 59)

Je considère pour ma part la théorie de Krashen comme une hypothèse, car sa valeur réside surtoutdans le fait d’avoir souligné le rôle des processus inconscients aussi bien que de ceux qui relèventdu domaine de la conscience.

3.2.2.4.2. Les dimensions intellectuelle et éthique

Une bonne relation enseignant/apprenant est une condition indispensable à la création d’un environ-nement positif, d’un milieu d’apprentissage protégé où l’on peut prendre des risques. Mais la rela-tion enseignant/apprenant relève non seulement du domaine de l’affectivité, les dimensions intellec-tuelle et éthique y jouent un rôle fondamental elles aussi.Ce ne sont pas seulement les deux composantes individuelles – intellectuelle et émotionnelle – à êtremises en jeu au moment de l’apprentissage: la classe étant un système (comm on l’a vu dans ledeuxième chapitre), toutes les interactions à l’intérieur du groupe sont concernées. Dans un systèmequi, à la suite des changements sociaux de ces dernières décennies, est caractérisé de plus en pluspar la diversité, tel que la classe, la dimension éthique finit par jouer elle aussi un rôle de plus enplus remarquable. Comme le souligne Abdallah-Pretceille,113 la dimension éthique est incontourna-ble dans le domaine de l’éducation et elle présente des valeurs essentielles, telles que la solidarité,la générosité ou centration sur l’altérité et la formation morale.

112 Il s’agit d’une activité guidée, systématique et intentionnelle dans laquelle l’enseignant joue un rôle prépondé-rant et complexe […]. Les buts et les objectifs de l’étude d’une langue étrangère sont loin des urgences vitales liées àla langue maternelle et les processus qui règlent cet apprentissage sont contrôlés, à savoir présents à la consciance del’apprenant.

113 Porcher L., Abdallah-Preteceille M., Éthique de la diversité et éducation, Paris, Presses Universitaires de France,1998.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 87

Enseigner c’est inévitablement déployer sa générosité, son acceptation de l’autre (apprenant)comme autre, le respect de celui-ci en tant que personne, et non pas uniquement en tant qu’ap-prenant. […] Respecter chaque élève, le considérer comme un sujet, c’est le traiter humaine-ment en égal alors que techniquement il ne l’est pas. Il ne s’agit donc pas, pour l’enseignant,d’abandonner son rôle d’imposition, d’arbitre, de guide vers le savoir, mais de traiter l’élèveen partenaire qu’il faut aider à conquérir l’autonomie et qui, en attendant, est une personnepleine et entière (avec ses propres spécificités, ici générationnelles) comme toute autre per-sonne où que ce soit. […] L’entrée dans l’immoralité commence quand on transforme l’autreen objet et non pas en partenaire équivalent en dignité. (Abdallah-Pretceille, 1998, pp. 128-129)

La différence entre apprenant et sujet étant centrale pour tout discours sur la créativité, j’y revien-drai encore en détail. Ce qui m’intéresse ici c’est de souligner que la création d’une atmosphère favo-rable à l’apprentissage et d’un milieu positif relève bien du domaine de la complexité: on pourrait lacomparer à une réaction chimique extrêmement délicate dans laquelle même la moindre composan-te joue un rôle fondamental.

3.2.2.5 L’autonomie par rapport au manuel

Un autre aspect intéressant que l’on retrouve de façon plus ou moins marquée dans toutes les appro-ches non conventionnelles, est la prise de distance par rapport à tout manuel, ce qui ne signifie pasd’ailleurs que l’enseignant n’utilise pas un matériel d’appui, ou bien que l’enseignant puisse utilisern’importe quel matériel. À ce propos il est intéressant de rappeler que La Méthode silencieuse, parexemple, non seulement impose à l’enseignant l’emploi d’un matériel spécifique, mais prescrit soi-gneusement la séquence d’emploi de ce même matériel.L’interaction enseignant/apprenant/manuel apparaît comme centrale pour comprendre la relation depouvoir à l’intérieur de la classe, l’existence ou pas d’une centration sur l’un ou l’autre de ces élé-ments, et pour se poser la question fondamentale de la nécessité ou pas d’une centration quelle qu’el-le soit.Si le passage de la centration sur l’enseignant qui avait dominé l’enseignement des langues étrangè-res jusqu’à la fin des années 70 avait été proclamé inadéquat et a été vite substitué, au moins dansles déclarations de principe, par la centration sur l’apprenant typique de l’approche communicative,l’étude du rôle joué par le manuel est restée au contraire plutôt à l’arrière plan. Le manuel semblel’élément le plus faible des trois mentionnés comme caractérisant la classe de langue, il serait en faitassez bizarre de théoriser une centration sur le manuel dans l’enseignement des langues: le manuela été toujours vu comme un instrument au service des autres deux composantes du processus d’en-seignement/apprentissage, l’enseignant et l’apprenant. Mais dans la réalité des classes, le manuel afinalement joué un rôle essentiel, se positionnant au centre de toute activité et parvenant même àconstituer un filtre à toute interaction réelle entre les deux « composantes humaines » de la leçon.

La pédagogie centrée sur l’apprenant continue à placer l’apprentissage des contenus au cen-tre de ses préccupations, et elle tente avant tout d’améliorer les possibilités dont disposent lesapprenants pour mieux assimiler ces contenus. Le passage à une pédagogie orientée vers leparticipant s’avère timide, car elle supposerait une mise en cause profonde de la fonction etde l’importance du manuel. (Dufeu, 1996, p. 190)

88 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Dans le cas de l’approche communicative, la place du manuel a fini par devenir de plus en plus pré-pondérante: d’un côté il était pratique, de l’autre le marché offrait de plus en plus de matériels variés,intégrant les différentes habiletés, en un mot séduisants. Il semble d’autant plus bizarre d’observerce phénomène si l’on pense que justement dans cette approche l’on théorise le choix conscient desmatériels de la part de l’enseignant en fonction aussi bien de la progression linguistique que desbesoins supposés de communication des apprenants, et donc l’idée que le manuel n’est qu’un maté-riel parmi les autres, dont il ne faut pas forcément suivre la progression linéaire.Dans l’application superficielle de l’approche communicative, qui est malheureusement devenue deplus en plus fréquente, la métaphore commerciale, marketing, risque de devenir centrale et d’annu-ler dans la réalité toute réflexion sur ce que signifie la centration sur l’apprenant ou l’utilisation flexi-ble du manuel et d’autres matériels d’appui: l’apprenant devient un consommateur d’un produit lin-guistique constitué par des matériels de types différents (livre ou matériel multimédia), et l’ensei-gnant a un rôle de conseiller qui rappelle beaucoup celui du vendeur dans un magasin (et j’ajoute-rais un grand magasin en franchise plutôt qu’un de ces magasins traditionnels qui gardent une rela-tion avec le client). Il me semble que C. Serra Borneto décrit très bien cette situation dans son livreC’era una volta il metodo 114, quand il critique ainsi certaines publications destinées aux enseignants:

[…]l’insegnante […] è visto come un operatore specializzato, in grado di valutare e giudica-re un’ampia offerta di mezzi e materiali sul mercato e di proporre quanto ritiene possa risul-tare utile a creare un ambiente favorevole all’apprendimento. Ma il discente può anche rifiu-tare le sue scelte: è lui infatti il vero protagonista, fino in fondo. L’insegnante fa shopping, siguarda intorno al cospetto di un’offerta differenziata di materiali eclettici, li sceglie e li com-bina in un elegante collage, fa da filtro, ma sarà poi il discente a compiere l’ultima scelta suciò che realmente vorrà utilizzare. In quest’immagine c’è già il germe di un’autonomia radi-cale da parte del discente che ha come ultimo esito l’ipotesi di far shopping per conto proprio,per esempio nel grande supermercato della multimedialità, delle videocassette sottotitolate,dei programmi per computer autogestiti. L’apprendente comporrà poi il proprio collage indi-viduale di strumenti e materiali, dando spazio a tutta la sua « creatività ». Per noi questo nonè un modello auspicabile. […] la figura dell’insegnante come guida è ancora ritenutaindispensabile[…]. Se è vero che un insegnamento rigido e autoritario non è più né ben vistoné oggettivamente accettabile, l’immagine del docente moderno somiglia piuttosto a quella diun consigliere serio e preparato, che sostiene l’apprendente ma non si annulla, anzi lo assis-te, osserva la classe e se stesso per migliorarsi, insegna a imparare e a programmare. Undocente competente, con doti umane e capacità di invenzione, ma all’occorrenza anche pron-to a ricorrere a « vecchi » strumenti come la spiegazione grammaticale e l’organizzazionedelle attività di gruppo. Questo tipo di docente non si affida acriticamente ad un metodo, inter-pretandolo passivamente « secondo le istruzioni », e tuttavia dei metodi è consapevole, neconosce pregi e difetti, sa utilizzarne gli aspetti positivi. La critica al concetto di metodo e allesue rigidità ha invece talvolta condotto […] a esagerazioni che spesso hanno portato l’inse-gnante ad abdicare alla sua più autentica vocazione pedagogica. (Serra Borneto, 1998, pp. 21-22)115

114 Serra Borneto, C., C’era una volta il metodo, Roma, Carocci, 1998.115 […] L’enseignant est vu comme un opérateur spécialisé, capable d’évaluer et de juger une vaste offre de moyens

et matériels spécialisés sur le marché et de proposer ce qu’il pense pouvoir être utile à la création d’un milieu favora-ble à l’apprentissage. Mais l’apprenant peut aussi refuser ses choix: c’est lui en fait le vrai protagoniste, jusqu’au bout.L’enseignant fait du shopping, regarde aux alentours une offre différencié de matériels éclectiques, les choisit et lescombine dans un élégant collage, agit comme filtre, mais ce sera l’apprenant ensuite celui qui opérera le choix final surce qu’il voudra vraiment utiliser. Dans cette image il y a déjà le germe d’une autonomie radicale de la part de l’ap-prenant qui a comme but final l’hypothèse de faire du shopping par soi même, par exemple dans le grand supermarchéde la multimédialité, des cassettes vidéo sous-titrées, des logiciels pour ordinateur autogérés. L’apprenant arrangeraensuite son propre collage individuel d’instruments et matériels, en donnant de la place à toute sa « créativité ». Pournous ceci n’est pas un modèle souhaitable. […] La figure de l’enseignant comme guide est encore considérée indispen-sable […]. S’il est vrai qu’un enseignement rigide et autoritaire n’est plus ni bien considéré ni socialement acceptable,

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 89

Devant un risque de ce type, la « provocation » constituée par les approches non conventionnellesqui dévalorisent le manuel, soit en le mettant de côté soit en l’éliminant tout court, constitue unesorte de bouffée d’air frais qui revitalise la classe de langue: enseigner n’est pas suivre le livre, c’esttravailler sur et avec des personnes.

3.2.2.6 Choix d’une approche holistique et stimulation de la spontanéité et/ou dela créativité

Ce dernier point que j’ai indiqué comme l’un des dénominateurs communs des approches nonconventionnelles peut paraître à première vue un peu trop flou, surtout si l’on considère qu’il y a unedifficulté objective à définir d’une façon ponctuelle ce que l’on entend par « holistique » afin de pou-voir montrer comment et dans quelle mesure le terme s’applique à telle ou telle approche. Je com-mencerai donc par préciser quelle est l’acception que je veux donner à ce terme, et quelle peut êtrela motivation à relier vision holistique et créativité.Holistique est un adjectif qui dérive du mot grecque « ï ë ï ò » qui signifie « tout ». Le sens de ce moten philosophie est celui de considérer les phénomènes dans leur totalité et complexité. La visionholistique implique dans tout domaine l’impossibilité de considérer le tout comme une simplesomme de ses différentes composantes, et donc de pouvoir le décomposer sans problèmes. Le toutest beaucoup plus que la somme de ses composantes, ce qui est aussi un des principes de la théoriede la Gestalt. Pour la médecine holistique, par exemple, l’organisme humain est beaucoup plus quela simple somme des organes qui le composent, dans une situation de danger sa réaction est globa-le, ce qui joue un rôle clé dans le processus de guérison. Dans le domaine didactique celui de Vygotsky constitue un exemple d’approche holistique:

Vygotsky‘s approach was essentially holistic in that he rejected the view that what is to be lear-ned can be broken down into small subcomponents and taught as discrete items and skills.Instead he argued that meaning should constitute the central aspect of any unit of study.Moreover, any unit of study should be presented in all its complexity, rather than skills andknowledge being presented in isolation. (Williams and Burden, 1997, p. 40)116

On peut définir les approches non conventionnelles comme « holistiques » dans la mesure où ellestachent de prendre en compte plusieurs aspects qui sont concernés dans l’apprentissage des languesétrangères: ces aspecs sont tous reliés à l’apprenant en tant que personne dans ses dimensions cogni-

l’image de l’enseignant moderne ressemble plutôt à celle d’un conseiller sérieux et préparé, qui soutient l’apprenantsans pour autant s’annuler, au contraire qui l’assiste, observe la classe et soi même pour faire des progrès, enseigne àapprendre et à programmer. Un enseignant compétent, avec des qualités humaines et une capacité d’invention, maiscapable aussi à l’occurrence de recourir à des instruments « anciens » comme l’explication grammaticale et l’organi-sation des travaux de groupe. Ce type d’enseignant ne confie pas d’une manière non critique dans une méthode, en l’in-terprétant de façon passive « selon les instructions », et pourtant il est conscient des méthodes, il en connait les quali-tés et les défauts, il est capable d’en utiliser les aspects positifs. La critique du concept de méthode et de ses rigidités apar contre conduit quelquefois […] à des exagérations qui souvent ont mené l’enseignant à abdiquer sa vocation péda-gogique la plus authentique.

116 L’approche de Vygotsky était essentiellement holistique dans la mesure où il rejetait la vision selon laquelle cequi doit être appris peut être subdivisé dans des composantes plus petites et enseigné sous forme de parties et habiletésséparées. Il démontrait au contraire que le meaning (sens, signification) doit constituer l’aspect central de toute unitéd’étude. En plus on devrait présenter chaque unité d’étude dans toute sa complexité, plutôt que présenter les habiletéset la connaissance de façon isolée.

90 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

tives, affective, éthique, sociale, corporelle, – consciente et inconsciente – et le terme holistique mesemble dans ce contexte le plus adapté à bien relier cette multiplicité. La vision holistique est strictement liée à la perspective écologique et à l’approche systémique carelles aussi soulignent l’importance de prendre en compte le milieu de l’apprenant dans sa totalité:

What is of particular significance to us here is that ecological or systems approaches empha-sise the importance of taking into account the total environment of the learner if we are toexplain adequately how and why people learn. They also emphasise the dynamic, interactivenature of all the variables involved and argue strongly against taking a simple linear view ofcause and effect.Thus, it is argued that learning must be viewed holistically with as much emphasis being pla-ced on relationships and interaction as on the participants and the content of what is learned.The whole learning process, therefore, becomes more than merely the sum of its parts (Plas1986). (Williams and Burden, 1997, p. 190)117

Dans une logique de système qui est celle que j’ai adoptée, la prise en compte de la multiplicitédemeure un facteur fondamental, et s’il est vrai que chaque approche se concentre sur un ou deuxaspects parmi ceux que je viens d’indiquer, il est bien vrai aussi que les approches non convention-nelles pourraient être comparées aux cailloux blancs employés par Hänsel dans le conte de Hänselet Gretel des frères Grimm, qui montrent un chemin, le chemin vers une nouvelle façon d’aborderl’enseignement. Le but ici n’est pas de réduire, d’isoler des facteurs précis et analysables scientifi-quement, puis de les remettre ensemble dans une boîte que l’on appelle « apprenant », car celui-ciest un sujet, un être complexe et c’est donc sa totalité qu’il faut prendre en compte. Chaque foisqu’on se réfère au processus d’apprentissage d’une langue étrangère il faut avoir la conscience decette complexité.

Le didacticien se doit de tenter d’échapper au réductionnisme pseudo-scientifique qui tend àisoler les composantes de son objet (tant au plan scientifique que scolaire): entrer dans unelangue étrangère, c’est, de plein-pied, prendre en charge les différentes dimensions de celle-ciet de son apprentissage. C’est toujours un individu qui se trouve confronté à un objet d’ap-prentissage, que cette confrontation lui soit imposée ou qu’il cherche à le structurer afin derétablir un déséquilibre ressenti dans les relations qu’il entretient avec le milieu, les autres oului-même. Déterminé à la fois par sa culture, ses ancrages sociaux, cet individu occupe uneplace dans les interactions et se vit aussi en tant que personne, c’est-à-dire lieu de subjectivi-té, d’autonomie et de choix relatifs, avec les écarts à assumer entre l’image qu’il a de lui, cellequ’il met en scène et celle qu’il pense qu’autrui a de lui. (Coïaniz, 2001, pp. 139-140)

Les approches non conventionnelles relèvent donc du domaine de la complexité, mais la créativitéelle aussi relève du domaine de la complexité, donc, par une sorte de syllogisme, des approchesqu’on peut considérer comme holistiques conduiraient immanquablement vers la créativité. Une telle conclusion me semble toutefois un peu trop simpliste: pour rester dans la métaphore pré-cédente, les cailloux blancs ne sont qu’une aide provisoire à la résolution du problème, la résolutiondéfinitive étant bien plus longue et difficile à atteindre et comportant la maturation, la « Bildung »du sujet qui devient capable d’assumer ses responsabilités et de vaincre ses peurs, de courir desrisques pour, enfin, pouvoir aborder l’apprentissage de la langue étrangère dans une prspective acti-ve, donc aussi avec une attitude qui s’ouvre au domaine de l’imagination et de la créativité.

117 Ce qui est particulièrement significatif pour nous ici c’est le fait que les approches écologiques ou systémiquessoulignent l’importance de prendre en compte l’environnement total de l’apprenant si nous devons expliquer de façonadéquate comment et pourquoi les individus apprennent. Ils soulignent aussi la nature dynamique, interactive de toutesles variables impliquées et argumente de manière forte contre l’adoption d’une vision simple linéaire de cause et effet.

De cette manière on soutient que l’apprentissage doit être vu de manière holistique donnant autant d’importanceaux relations et aux interactions qu’aux participants et au contenu de ce qui est appris. L’entière processus d’appren-tissage devient donc plus que la somme de ses parties.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 91

Ces limites des approches non conventionnelles ont été aperçues par l’Approche relationnelle quijustement se veut dès le départ ouverte et transversale: je reviendrai sur cette approche car je trouvequ’elle présente le potentiel pour dépasser la rigidité des autres approches non conventionnelles.Pour rester par contre dans le groupe d’approches que je viens d’analyser, je voudrais en soulignerce que Serra Borneto appelle « l’apporto destrutturante » (l’apport destructurant) (1998, p. 25), qu’ilprésente comme complémentaire à la première « sostanziale destrutturazione » (destructuration sub-stantielle) (id., p. 23) opérée par l’approche communicative à partir des années 70.Avec la première destructuration la manière d’utiliser la langue dans une situation de communica-tion, le « comment », devenait plus important que le système langue, le « quoi ». La langue était lemoyen à travers lequel on pouvait accomplir des fonctions communicatives, ce qui contribuait àintroduire une certaine fluidité et variété dans le travail de classe aussi bien au niveau des matérielsque des pratiques.Les approches non conventionnelles continuent le processus de destructuration en soulignant

…l’esigenza di porre al centro dell’attenzione pedagogica gli aspetti psicologici dell’appren-dimento, prestando particolare attenzione all’atmosfera di classe, all’ambiente rilassante, allamotivazione e al coinvolgimento dell’apprendente. La struttura e i contenuti linguistici (…)hanno un peso relativo in queste metodologie; lo scopo principale è piuttosto quello di mette-re il discente a suo agio per facilitare il suo personale processo di apprendimento(id., p. 25)118

Tout cela relève évidemment de la dimension holistique. On a pour ainsi dire préparé le terrain, unterrain dans lequel le germe de la créativité pourrait se développer

In effetti l’atto creativo deve interessare meno della personalità creativa. Si tratta di educarealla creatività come atteggiamento, come disposizione, piuttosto che trovare un modo per farprodurre opere originali in maggior numero che in passato (Buonadonna, 1984,p. 126)119

3.2.3 Réévaluation de l’être, de la subjectivité, de la personnalité de l’apprenant

Je reviens donc au premier point de la liste de ce que j’ai appelé les « dénominateurs communs desapproches non conventionnelles », parce que ce point semble représenter un des aspects fondamen-taux pour les approches non conventionnelles et pas seulement pour eux.Comme je l’ai déjà annoncé dans le paragraphe précédent, je pourrais ici faire la remarque suivan-te: la personnalité créative a plus d’importance que le produit de la créativité. Ce qui nous rappellele refrain bien connu de l’approche communicative: la centration sur le processus plutôt que sur leproduit.Or ce type de déclaration d’intention est très fréquent dans l’introduction des manuels, avec l’autredéclaration d’intention encore plus marquante pour ma recherche, à savoir celle du passage, dansl’enseignement des langues étrangères, de la centration sur l’enseignant à la centration sur l’appre-

118 ... l’exigence de mettre au centre de l’attention pédagogique les aspects psychologiques de l’apprentissage, enprêtant une attention particulière à l’atmosphère de la classe, au milieu relaxant, à la motivation et à l’implication del’apprenant. La structuire et les contenus linguistiques […] ont un poids relatif dans ces méthodologies; le but princi-pal est plutôt celui de mettre l’apprenant à l’aise pour faciliter son processus personnel d’apprentissage.

119 En effet l’acte créatif est moins intéressant que la personnalité créative. Il s’agit d’éduquer à la créativité commeattitude, comme disposition, plutôt que de trouver une manière pour faire produire des œuvres originelles en plus grandnombre que dans le passé.

92 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

nant. Mais c’est justement là que se trouve la contradiction qui marque l’approche actuelle, qui seveut communicative, de l’apprentissage des langues étrangères.Cette soidisant communication apparaît comme artificielle car elle se base exclusivement sur unelangue sélectionnée en fonction de besoins futurs hypothétiques d’un être dépersonnalisé considéréseulement sous l’angle de ses caractéristiques intellectuelles, qu’on appelle l’apprenant.

3.2.3.1 Peut on vraiment tout déterminer à l’avance?

L’idée de pouvoir tout prévoir, tout programmer dans les détails mène forcément à une dépersonna-lisation: il s’agit de ce que Dufeu appelle une pédagogie de l’avoir à laquelle il oppose une pédago-gie de l’être (Dufeu, 1992, p. 26). Je reproduis le schéma par lequel Dufeu illustre passage de la pédagogie de l’avoir à la pédagogiede l’être comme illustrant une tendance de l’évolution de l’enseignement des langues qu’il annoncedans ses travaux (ibidem).En analysant ce schéma, on reconnaît beaucoup de principes de l’approche communicative, la plusrépandue en classe de langues aujourd’hui et celle à laquelle tous les manuels se réfèrent – au moinsdans la préface –, et en même temps on s’aperçoit de certaines contradictions qui existent dans l’ap-proche communicative telle qu’elle a été normalement conçue par les didacticiens. Je me réfère parexemple à la place donnée par l’approche communicative aux rôles joués par l’apprenant et l’ensei-gnant – et qui sembleraient relever de la pédagogie de l’être –, aussi bien qu’à la centration sur lafonction communicative de la langue annoncée partout, tout autant qu’à l’attention au processus plu-tôt qu’au produit. À ce propos je trouve très appropriées les critiques apportées par Rinvolucri, quireproche aux adeptes de l’approche communicative d’avoir fait couler des flots d’encre dans leursdéclarations d’intentions, sans pour autant avoir fait suivre aux intentions déclarées un changementprofond de leurs pratiques d’enseignement par rapport aux méthodes grammaire-traduction.120 Et enmême temps je partage l’espoir que l’influence de la psychologie humaniste d’un côté et la prise encompte de la perspective actionnelle de l’autre puissent aider à dépasser ces mêmes contradictions.121

Il est intéressant de noter que Dufeu non seulement critique ces contradictions de l’approche com-municative telle qu’elle est normalement pratiquée en classe de langue, mais qu’il opère aussi unchoix terminologique qui me semble significatif, car il se réfère en général à tout l’enseignementdonné habituellement comme à un enseignement conventionnel, sans distinguer l’approche commu-nicative des autres méthodologies.

Une analyse linguistique d’énoncés produits dans des situations de communication extérieu-res au groupe conduit à déterminer à l’avance le contenu des échanges du groupe en présen-ce et à reporter dans le présent les besoins langagiers potentiels auxquels les apprenants sontsupposés être confrontés dans un futur plus ou moins hypothétique. Les participants connais-sent une double aliénation: il ne s’agit ni de leur langue maternelle ni de leur parole; les pro-pos qu’ils doivent tenir ne correspondent ni à leurs désirs ni à leurs besoins d’expression; ilssont imposés par d’autres à travers le manuel. Il n’y a donc pas adéquation entre les locuteurset leur parole.

120 Rinvolucri M., « The humanistic exercise », in Arnold J., Affect in Language Teaching, Cambridge, CambridgeUniversity press, 1999, pp. 194-210.

121 Je reviendrai plus loin sur ces deux concepts (voir 3.2.4 et 4.4.2).

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 93

D'une PÉDAGOGIE DE L'AVOIR À une PÉDAGOGIE DE L'ÊTREQUI?� Apprenant� Considéré comme une personne

essentiellement intellectuelle� Enseignant

COMMENT?� Relation hiérarchique� Enseignant impose, contrôle, demande des

réponses� Transmission verticale d'un savoir� L'enseignant fait appel à un mode

d'apprentissage essentiellement conscient� Acte volontaire d'apprendre� Acte de mémorisation fondé sur la répétition

plus ou moins variée

� Modèle à suivre, donnés imposées

� Langue apprise

� Transmise par un manuel et des textes� Enseignant responsable du programme� Apprenant responsable de ses fautes� Rythme d'apprentissage imposé par le

programme� Situations imposées de l'éditeur construites

selon des critères didactiques

� Locuteur séparé de sa parole conduit à unedouble aliénation

� Pédagogie séparée de la vie� Elle doit préparer à la vie

QUOI?� Langue sélectionnée� Extérieure au groupe� Programmée� Langue centrée sur "Il(s), Elle(s)"

� Centrée sur le sens des mots

� Fonction référentielle et métalinguistique dela langue domine

� Le "Quoi" domine

POUR QUOI?� Objectifs linguistiques, fonctionnels

� Participant� Être physique, affectif, intellectuel situé dans

un contexte social et spirituel� Animateur

� Relation empathique� Animateur propose, accompagne, répond à la

demande� Expansion horizontale d'une connaissance� Apprentissage conscient et inconscient

� Processus d'acquisition� Rétention par adéquation entre le locuteur et

sa parole, entre le dit et l'exprimé, entre leparticipant et la situation

� Processus de découverte, d'exploration,d'expérimentation

� Langue vécue, approche par l'expérience

� Déclenchée par des activités cadre� Animateur et participants co-responsables� Erreurs indispensables à l'apprentissage� Évolution individuelle

� Situations réelles ou imaginaires issues dugroupe naissant spontanément à partir ducadre donné

� Locuteur en contact direct avec sa paroles'exprime

� � Vie en pédagogie� La pédagogie est vie

� Langue spontanée� Naît dans le groupe� Individualisée� Langue, en premier, du "Je, Tu, Nous, Vous"� � Orientée vers la signification du message

� Fonctions expressive, communicative,heuristique et symbolique

� Le "Qui" domine

� Objectifs de développement personnel etlinguistique

94 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Si certains manuels ont entrepris une nouvelle orientation thématique et une nouvelle structu-ration des contenus, dans la plupart des ouvrages il s’agit davantage d’un changement dansla présentation que d’une véritable évolution, la tradition d’un enseignement grammaticalisérestant prépondérante. (Dufeu, 1996, pp. 187-188)

Une des notions centrales de l’approche communicative est celle des besoins langagiers, qui appa-remment semble mettre les apprenants au centre de l’attention. Mais en réalité, comme le soulignebien Richterich122, la pédagogie en général et la didactique des langues en particulier ont fait une uti-lisation naïve et précipitée de cette notion, de telle sorte qu’elle n’a pas entraîné le changement qu’onespérait. Richterich écrit que

« avoir des besoins » suppose que ces derniers existent comme des objets et qu’on peut lesdécrire en tant que tels et les satisfaire. [Mais] analyser, définir, identifier des besoins ne peutque conduire à fixer, figer, isoler quelque chose qui, par essence, ne peut être perçu que parrapport aux circonstances changeantes du temps et de l’espace.(Richterich, 1979, p. 55)

Il met aussi en garde contre le piège idéologique que constitue cette notion de besoins langagiers, àsavoir le fait que vouloir révéler et connaître les besoins d’un individu, c’est déjà vouloir le mani-puler. Il pointe en fin le piège méthodologique: selon lui

la définition et la prise en compte des besoins langagiers, au lieu d’être des instruments d’in-vention et de renouvellement, de libération et d’épanouissement, deviennent […] des moyens,peut être plus subtils et sophistiqués, de reproduire ce qui existe déjà (id., pp. 55-56).

Richetrich conclut son analyse par une invitation à l’enseignant à « centrer » son enseignement sur les apprenants sans avoir recours aux instruments parfoisdifficiles à manier qu’élaborent les spécialistes […] [et à se poser le but] d’aider un apprenantà prendre conscience des raisons pour lesquelles il apprend une langue étrangère et à décou-vrir comment il peut l’apprendre en même temps qu’on la lui enseigne (id., p. 56)

ce qui lui permettrait si non d’éviter les pièges mentionnées, au moins d’en minimiser les effets.Ce ne sont pas les besoins imposés de l’extérieur qui sont efficaces, ce sont plutôt ceux que le par-ticipant, être physique, affectif, intellectuel situé dans un contexte social et spirituel ressent commeles siens ou mieux choisit pour son apprentissage: « Là où il y a choix possible, là peut se dire lesujet » (Coïaniz, 2001, p. 110).

3.2.3.2 Apprenant ou sujet?

La tendance à rechercher la régularité statistique à tout prix, la « mesurabilité » qui donne la sensa-tion de la scientificité même dans les sciences humaines, a contribué à l’ébauche de ce concept neu-tre qui est « l’apprenant ».La manière typique de l’étude scientifique est celle de la catégorisation, de la recherche d’univer-sels, de principes valables pour tous. Un principe scientifique doit être démontrable, reproductible etvalable pour tous les cas.

122 Richterich René, « L’antidéfinition des besoins langagiers comme pratique pédagogique », dans Le Françaisdans le Monde, n°149, novembre-décembre 1979, pp. 54-58.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 95

Or cette vision de la scientificité, tirée des sciences exactes, a toujours eu du mal à s’appliquer auxsciences humaines aussi, ce qui a mené à une sorte d’adaptation des deuxièmes aux caractéristiquesdes premières, par crainte de ne pas pouvoir être reconnues elles aussi comme assez scientifiques. La définition d’« apprenant » relève d’une vision platonique du monde, dans laquelle la recherched’universels reste au premier plan. La philosophie pragmatiste au contraire, de même que la théoriede la complexité, souligne les limites de cette vision non seulement par rapport aux scienceshumaines. En attaquant la vision platonique au nom d’un holistic pragmatism, Richard Rortyaffirme: « The pragmatist is betting that what succeeds the “scientific”, positivist culture which theEnlightment produced will be better » (Rorty, 1982, p. XXXVIII)123

Ce que Rorty critique, en s’appuyant aussi sur d’autres philosophes, c’est la recherche de la vérité,de l’objectivité, de la méthode au-delà de la réalité empirique

Dewey and Foucault make exactly the same criticism of the tradition. They agree […] aboutthe need to abandon traditional notions of rationality, objectivity, method and truth. They areboth, so to speak, « beyond method. » […] But Dewey emphasizes that this move « beyondmethod » gives mankind an opportunity to grow up, to be free to make itself, rather than see-king direction from some imagined outside source […]. (id., p.204)124

En didactique des langues il faudrait prendre ses distances par rapport à cette tendance à la scienti-ficité, vue comme recherche de modélisation, de l’absolu. « L’apprenant » n’existe pas, il y a desapprenants qui, tous, présentent des caractères très différents, liés à leur type d’intelligence, à leursstratégies d’apprentissage, à leur vécu personnel, à leur culture d’appartenance et cetera. Comme l’abien montré Richterich à propos de la notion de besoins langagiers, tout ce que l’on construit aupa-ravant, que l’on généralise, peut se révéler dangereux, car il y a le risque d’une simplification extrê-me avec une autant extrême rigidité d’application125.La prise en compte de l’inévitable complexité, par contre, nous permet d’aller au-delà de ce concept:

Certes, la « centration sur l’apprenant » a eu le mérite de prendre en considération une desdimensions de cet homme, mais une dimension seulement, celle de l’homme en situation d’ap-prentissage – mais qu’en est-il aujourd’hui de sa relation à la créativité expressive, à la socia-lité et à la subjectivité? (Coïaniz, 2001, p. 51)

À présent,[les] activités didactiques aussi bien de recherche que de terrain nous semblent manquer nonpas tant d’options clairement identifiées concernant non seulement la méthode, l’éco-didac-tique, l’objet d’apprentissage, que d’une conception explicite de la personne en situation d’ap-prentissage dans ses caractéristiques fondamentales de rationalité, d’affectivité, de référencesaxiologiques, de représentations sociales et individuelles, de revendications identitaires et

123 Le pragmatiste est en train de parier sur le fait que ce qui suivra la culture « scientifique », positiviste que lesLumières ont produit sera meilleur.

124 Dewey et Foucault critiquent la tradition. exactement de la même manière. Ils sont […] d’accord sur la néces-sité d’abandonner les notions traditionnelles de rationalité, objectivité, méthode et vérité. Ils sont tous les deux, pourainsi dire, « au delà des méthodes ». […] Mais Dewey souligne que ce mouvement « au delà des méthodes » donne àl’humanité une opportunité de grandir, d’être libre de se réaliser, plutôt que de chercher une direction de quelque sour-ce extérieure imaginée.

125 Il est intéressant de remarquer que le besoin de ce qu’en allemand s’appelle Binnendifferenzierung (différencia-tion interne) a représenté toujours une nécessité didactique dans la pratique des classes, ce qui confirme que l’Apprenantn’existe pas comme être indifférencié. Dans la réalité italienne, où les classes sont mixed abilities, ce qui signifie queles niveaux de compétence linguistique sont très différents, la pratique de la différenciation a été fortement recom-mandée aussi bien au niveau des programmes qu’au niveau des établissements scolaires, mais aussi dans le mondeanglo-saxon, où il y eu beaucoup d’expériences de formation de classes différenciées par niveaux, on s’est aperçu qu’ily avait toujours le problème des différentes stratégies d’apprentissages, pour ne pas mentionner les différences d’ordreculturel.

96 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

d’affirmation de ses spécificités, particulièrement en matière de décisions qui le disent sujet.(id., pp.51-52)

La différence terminologique entre apprenant et sujet pourrait sembler plutôt artificielle: on pourraitbien comprendre que cette fameuse « centration sur l’apprenant », à savoir un changement total deperspective qui permettrait à l’enseignant de se percevoir comme très innovateur, très démocratiqueet surtout très compétent en didactique des langues, se proposait comme une vraie révolution coper-nicienne et donc semblait pouvoir résoudre le problème en l’éliminant à la source au nom d’uneidentification entre « sujet » et « apprenant ». Ce n’est que plus tard, l’ère du communicatif étantbien installée dans les manuels comme dans les pratiques, que l’on s’est aperçu que cette simplifi-cation n’apportait pas une solution, et encore moins la solution idéale.Le paradigme de l’apprentissage, explicité dans l’approche communicative d’une façon très claire,repose sur le concept de simplification. Tout est sacrifié sur l’autel de la progression linguistique: l’i-dée d’aller du simple au complexe finit par signifier aller d’un simple singulier à une somme de« simples ». Mais le tout est plus que la somme des parties qui le composent126, et chaque élémentde son côté devrait aussi comprendre le tout, en être en quelque sorte un hologramme.C’est Puren qui a souligné de façon très claire les effets négatifs que l’épistémologie positiviste a eusur l’Approche communicative. En particulier il envisage trois facteurs, à savoir la simplification dela complexité, la prétention à la totalité, la prétention à l’universalité.En se référant au premier de ces facteurs il critique le processus de transformation de « l’analyse sys-témique, modèle d’appréhension de récursivités complexes, […] [en] modèle linéaire » opéré parcertains auteurs:

Denis GIRARD présentait encore récemment « l’approche systémique du Conseil de l’Europe »de cette manière:

1. identification des besoins,2. définition d’objectifs notionnels-fonctionnels;3. analyse des contenus linguistiques;4. élaboration d’une méthodologie et de matériaux pédagogiques;5. mise en œuvre pédagogique en classe, à travers diverses activités privilégiant la communica-

tion;6. évaluation intégrée à la démarche et permettant de l’infléchir (1995, p. 105)

On voit que dans la formulation retenue, significativement, l’apprenant lui-même est absent entant que sujet (Puren, 1995, pp. 136-137, je souligne).

Le problème de la dichotomie existante entre sujet et apprenant est encore mentionnée ensuite:Le concept de centration sur « l’apprenant » est erroné et trompeur dans la mesure où chaqueélève agit et réagit face à l’enseignant et aux autres élèves non comme un simple apprenant[…] mais comme un être multidimensionnel: individu avec sa propre personnalité, élève dansun contexte istitutionnel, adolescent face à un adulte, membre d’un groupe […]. Ce qui faitque dans la pratique, l’enseignant est ammené à passer constamment, au cours d’une mêmeheure de classe, d’une centration sur la dimension de l’élève à une centration sur une autredimension (id., p. 141)

Et, j’ajoute, cela pour relativiser l’importance que la centration sur l’apprenant a eu à l’intérieur del’Approche communicative.

126 voir note n°50.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 97

En s’appuyant sur Richterich 127 l’auteur conclut en effet qu’il y a une multiplicité de centrations quitoutes sont nécessaires à la didactique scolaire.Mais il est très intéressant de souligner comment pour Richterich la multidimensionnalité de l’élèveavait déjà été prise en compte par les concepteurs de l’Approche communicative.

Les orientations récentes du Projet « Langues vivantes » […] tendent résolument à rendre l’ap-prenant progressivement autonome et responsable de son propre apprentissage dans sa qua-druple dimension:

- en tant qu’individu qui communique (développer sa compétence de communication);- en tant qu’apprenant (développer ses propres stratégies d’apprentissage, apprendre à apprend-

re une langue);- en tant qu’être social (faciliter son intégration);- en tant que personne (développer et affiner sa personnalité) (1981, p. 12, cité par Puren, 1995,

pp. 141-142)

Cela me semble particulièrement significatif car il souligne l’existence dans l’Approche communi-cative de potentialités énormes qui n’ont presque jamais une application pratique à cause des limi-tes intrinsèques de l’approche même.Bien que l’approche communicative ait introduit des principes et de concepts très importants et inno-vateurs par rapport à la méthode de grammaire-traduction et aux méthodologies audio-orale et audio-visuelle, il présentait en effet à son intérieur dès le début, des contradictions qui lui ont empêché d’at-teindre les buts ambitieux qu’il s’était proposés.Parmi les facteurs d’innovation je mentionnerais le concept de tâche128 communicative, la nécessitéde travailler sur des documents authentiques et la centration sur l’apprenant elle aussi, car il s’agitd’un concept qui, quoique problématique en didactique scolaire et réducteur comme je viens de lemontrer, a eu au moins le mérite de poser la question de l’existence d’une autre composante dans laclasse et celle de la retombée de l’enseignement sur cette composante.En ce qui concerne les contradictions, sans vouloir en faire une analyse détaillée, j’en mentionneraiquelques-unes, en soulignant qu’elles relèvent toutes, plus ou moins du domaine de la simplificationet de la généralisation.La première contradiction est l’idée selon laquelle une subdivision en phases de l’unité didactique,les fameuses trois P (Présentation, Pratique, Production), peut, en tant que telle, mener l’apprenantà s’approprier le nouveau matériel linguistique et à s’impliquer activement dans la communication.Mais cela n’arrive pas: l’apprenant s’aperçoit vite que la communication est loin d’être au centre del’activité de classe, elle n’est qu’un prétexte pour apprendre de nouvelles structures linguistiques. L’autre contradiction est la présence encore forte d’une composante behaviouriste dans les manuelsqui se proclament communicatifs, masquée sous la deuxième P, celle de la Pratique.

127 Richterich envisage cinq approches pédagogiques et didactiques, qui ne se retrouvent jamais appliqués isolé-ment, mais dans des combinaisons variées.- L’approche langagière, centrée sur les contenus.- L’approche métodologique, centrée sur les méthodes d’enseignement et sur l’enseignant.-. L’approche psychologique, centrée sur les processus d’apprentissage et sur l’apprenent.- L’approche socio-politique, centrée sur les institutions.- L’approche systémique, centrée sur les systèmes d’enseignement/apprentissage et sur intéractions de leurs compo-

santes (1985, p. 12, cité par Puren, 1995, p. 146). 128 Un travail très important sur le concept de tâche (task) est celui de D. Nunan, Designing Tasks for the

Communicative Language Classroom, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, dans lequel il donne la définitionsuivante de tâche/task: « a piece of classroom work which involves learners in comprehending, manipulating, producingor interacting in the target language while their attention is principally focused on meaning rather than form », id., p.19.

98 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Rinvolucri explique très bien ces contradictions à travers trois exemples d’activités que l’on retro-uve dans les manuels et dans les pratiques de classe. Dans la première deux élèves assis dos contredos doivent décrire chacun une image à son camarade qui ne peut pas la voir: cette activité présen-terait un certain intérêt et attrait ludique, mais elle se revélerait inconsistante avec l’usage. Dans ladeuxième l’enseignant présente un arbre généalogique d’une famille imaginaire aux élèves et leurfait pratiquer la langue sous forme de questions se référant à ce même arbre généalogique etRinvolucri fait une observation très révélatrice:

All of the above [il se refère aux questions] is psychologically contentless information and isclearly only there to somehow « carry » the language exponents the unit is designed to teach.After half an hour of this humanly empty sort of activity, students are typically asked to workin pairs and each ask each other about their real families. […] Often they will exchange whatis potentially powerful information, like the number of sisters they have, but in a mood of rela-tively communicational apathy. ( 1999b, p. 196) 129

Ce que Rinvolucri critique le plus c’est la fin de la phase de pratique et celle de production: « thecommunicative stage [which] is sometimes referred to as “transfer to the student’s own life” » (ibi-dem) et il étend cette critique au troisième exercice qu’il mentionne, le jeu de rôle, en entendant parjeu de rôle celui que l’on retrouve dans tous les manuels, comme commander de la nourriture aurestaurant ou réserver une chambre à l’hôtel …«…such role-plays have a lot missing: they aredummy runs, they are the apprentice pilot on the simulator, not at the control of a seven four seven;in fact they afford their players much less virtual reality than a simulator does » (id., p. 197)Dans l’apprentissage d’une langue étrangère, la perspetive semble être toujours orientée vers l’ob-jet, le but langagier, de sorte que le sujet a un rôle plus que secondaire

C’est un peu comme si on lui disait: « Qui vous êtes, ce que vous ressentez, ce que vous dési-rez exprimer, l’écart que vous tenez (encore) à conserver vis-à-vis d’une possible et relativeintégration dans les groupes de locuteurs natifs, l’image de vous que vous souhaitez soutenir,tout cela nous importe peu. Parlez comme un Français et correctement: ce que vous avez vrai-ment à dire, dites-le correctement ». Le projet de correction domine ainsi largement les possi-bilités offertes et reconnues d’expression (Coïaniz, 2001, p. 103, souligné par l’auteur)

Or cette perspective est toujours présente, l’approche communicative n’ayant fait que donner l’illu-sion d’un dépassement du problème, car en fait elle a fourni une nouvelle terminologie qui sembleavoir intégré la multiplicité: on parle de fonction communicative qui, à son tour, implique un certainnombre d’actes de parole, mais en réalité ce qui joue le rôle principal c’est la progression linguis-tique, qui – elle – s’ancre sur le principe de la simplification et de la réduction comme indispensa-bles pour l’amorce de tout apprentissage linguistique.

129 Tout cela [il se refère aux questions] est, du point de vue psychologique, information sans contenu et il est clairque son but est seulement celui en quelque mesure de « porter » les exposants linguistiques que l’unité est supposéeenseigner. Après une demie heure de ce type d’activité vide du point de vu humain, on demande typiquement aux élèvesde travailler en couple et de poser l’un à l’autre des questions concernant leurs familles réelles […] Souvent ils échan-geront ce qui est potentiellement une information importante, comme le nombre de sœurs qu’ils ont avec une humeurde relative apathie communicationnelle.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 99

3.2.3.3 Spécificité de l’apprentissage d’une langue étrangère

Il faut à ce moment-là réfléchir un instant aussi bien sur ce que représente l’apprentissage en géné-ral et sur ce qu’implique en plus – ou de différent – l’apprentissage d’une langue étrangère par rap-port à d’autres apprentissages.Je ne veux pas prendre en considération des visions qui considèrent l’apprentissage comme uneaccumulation de notions de structures, bref de contenus, visions que je considère comme absolumentinacceptables, mais qui malheureusement sont encore très répandues dans la réalité scolaire, où, mal-gré tout, l’apprenant est souvent vu comme un vase à remplir: « Perhaps an even more commonconception of learners is one in which they are seen as receptacles to be filled with knowledge »(Williams and Burden, 1997, p. 58, souligné par les auteurs)129. Je crois en effet avoir déjà montréqu’il serait criminel de vouloir réduire la complexité de l’esprit humain à un lieu où accumuler desconnaissances, une sorte d’archives organisées à la manière ancienne, avec tous les matériels rangésl’un séparé de l’autre.Il est intéressant de lire ce que Damasio écrit en se référant à la mémoire telle quelle est générale-ment conçue:

The brain does not file Polaroid pictures…or audiotapes…There seem to be no permanentlyheld pictures of anything, even miniaturized, no microfishes or microfilms, no hardcopies…Whenever we recall a given object [or whatever], we [are getting] a newly recons-tructed version of the original. (Damasio, 1994, p. 100, cité d’après Stevick, 1999, p.46)131

Stevick, en commentant cette affirmation de Damasio dit que quand nous nous rappelons quelquechose, nous n’allons pas la chercher dans des archives, mais plutôt nous la construisons à l’intérieurdu réseau d’interconnexions qui constitue notre esprit.L’idée d’imaginer l’apprentissage d’une langue étrangère comme un acte de stockage de matérieldans des archives n’aurait pas de sens.Mais les déclinaisons de ce qu’est l’apprentissage d’une langue étrangère qui viennent d’être faitesà un niveau très spécialisé et après de longues études et validations risquent, elles aussi, de ne pasêtre considérées dans toute leur épaisseur et signification si elles ne sont pas regardées à partir d’uneperspective correcte, une perspective intégrant la complexité et la dimension psychologique. Je meréfère aux définitions données dans les travaux du Conseil de l’Europe, et surtout dans le Cadreeuropéen commun de référence132, qui courent le risque d’être englouties dans le trou noir de cequ’on pourrait appeler la « communication systématisée », à savoir une communication basée sur unenchaînement déterminé à l’avance des éléments linguistiques, ce qui est évidemment paradoxal,une vraie communication étant toujours imprévisible.Au lieu de proposer moi-même une définition satisfaisante de ce qu’est l’apprentissage en général,je préfère reproduire le schéma suivant, qui me semble très éclairant (Donnay, 1999, p. 188)

130 Peut-être une conception encore plus commune des apprenants est celle dans laquelle ils sont vus comme récep-tacles à remplir avec de la connaissance

131 Le cerveau ne recueillit pas de photographies Polaroid …ni de cassettes enrégistrées…Il semble ne pas y avoird’images gardées en permanence de rien, même pas de façon miniaturisée, ni de microfiches, ni de microfilms, ni decopies en papier. Chaque fois que nous nous rappelons un objet donné [ou n’importe quoi], nous [recevons] une ver-sion de l’original qui vient d’être construite à nouveau.

132 Cadre européen commun de référence pour les langues: apprendre, enseigner, évaluer, Paris, Hatier Didier,2001.Au point 4.7, on peut lire que toutes les compétences humaines contribuent, d’une façon ou d’une autre, à la capa-cité de communiquer de l’apprenant et peuvent être considérées comme des facettes de la compétence à communiquer.Vient ensuite (4.7.1.) l’énoncé des compétences générales: savoir, savoir-faire, savoir être, savoir apprendre, distinguéesdes compétences à communiquer (4.7.2), compétences linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques. Pour chaquecompétence sont donnés une définition et des exemples.

100 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

L’auteur a choisi comme titre pour ce schéma À la recherche du sens, et il précise que « ce schémaadopte le point de vue du sujet » (id, p. 189).Il le présente avec une grande modestie:

Ce schéma fonctionne plus comme une métaphore que comme un modèle et a fortiori commeune théorie. Il est donc très modeste et heureusement critiquable. Il n’a d’autre ambition qued’aider à explorer d’autres facettes de l’apprentissage que celle plus purement cognitive afinde les compléter (ibidem)

Il me semble cependant donner une idée claire des multiples implications du processus d’apprentis-sage, et intégrer la notion fondamentae de « projet de l’individu ».Selon le psychologue Rogers133 les apprenants ont besoin de ressentir ce qu’ils apprennent commesignificatif pour eux, ils ont besoin de faire l’expérience de ce qu’ils apprennent et d’améliorer l’i-mage qu’ils ont d’eux-mêmes.134 Ils ont donc besoin de s’engager dans un véritable projet person-nel. Déjà Dewey qui considérait l’éducation comme un processus de vie et non une préparation à lavie disait:

la loi véritable de l’esprit, c’est de trouver satisfaction dans son propre exercice, et si on nelui fournit pas un travail suffisamment intéressant et plein de signification pour lui, il essayede se satisfaire comme il le peut et trop souvent il réussit à s’attacher à des choses toutes for-melles, excepté dans le cas où décidément cela lui est impossible et où l’élève devient un indis-cipliné et un rebelle. Chez beaucoup d’élèves, l’intérêt pour ce qui est pur symbole et pour la

Soi"Son oeuvre" Son corps

Société

Sécurité

Changement ? L'autre

Projets d'établissement Projets des adultes Projets de la société

Aller vers...

Créer Développement physique

INDIVIDUSINGULIER

Se protéger culture Processus identitaire sub-culture

- Conscient- Inconscient

Recherche destimulation Entrer en relationdéfi

Projets de l'individu

133 voir 3.2.4. Approche relationnelle et courant humaniste134 Rogers Carl, Freedom to Learn, Merrill, 1994, 3rd edition

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 101

mémorisation mécanique remplace l’intérêt vital et original (Dewey, 1947, cité d’après LaBorderie, 2001, pp. 47-48)

Mais l’apprentissage d’une langue étrangère implique encore plus que cela: la langue étrangère n’estpas une matière quelconque parmi toutes celles qu’on travaille à l’école

Nul n’acquiert une langue comme il le ferait d’une quelconque discipline: la langue guide etfiltre nos rapports, remet en cause profondément non seulement nos acquis, mais nos ancra-ges affectifs, symboliques, imaginaires, ainsi que nos valeurs (Coïaniz, 2001, p. 248)

Il présente des caractéristiques d’unicité qui ne doivent pas être oubliées: l’apprentissage d’une lan-gue n’est pas l’apprenissage d’un contenu, par exemple historique ou scientifique, que l’élève fait àtravers sa propre langue maternelle. Au fur et à mesure de la progression en matière de réflexiondidactique, on a pris conscience du fait que le moyen avait autant sinon plus d’importance que lecontenu, et on est arrivé à bien expliciter la richesse de cet apprentissage à travers les définitionsdonnées dans le Cadre de référence.Non seulement il y a donc, comme le montrent les rédacteurs du Cadre, un savoir et un savoir-faire,mais il y a aussi une troisième compétence fondamentale: le savoir être135. Il s’agit d’une prise encompte explicite, faite en milieu institutionnel, du fait que l’étude d’une langue étrangère a desrépercussions sur la personne qui apprend, sur sa personnalité.Il est même possible de dégager une quatrième compétence impliquée, le savoir apprendre, reliéeelle aussi au sujet. Car elle envisage le processus d’apprentissage comme devant continuer tout aulong de la vie et donc impliquant une participation forte du sujet dans ce que l’on pourrait presqueappeler un « projet de vie ».

3.2.3.4 La problématique du « positionnement du sujet »

Or je trouve que quand on considère le « savoir être » impliqué dans l’apprentissage de la langue, ilfaut avoir bien onscience que cette dimension va au-delà de ce qui en constitue la définition et ladescription contenues dans le Cadre, celle-ci étant une définition opératoire, une sorte de rappel àl’enseignant de la richesse d’implications de son activité.Pour saisir toute l’épaisseur et donc la complexité de l’apprentissage d’une langue étrangère il fautpartir du rôle central que la langue joue par rapport à l’individu.L’apprentissage d’une langue étrangère a de profondes répercussions sur la structuration psychiquede l’individu

Toute tentative pour apprendre une autre langue vient déranger, interroger, modifier ce quis’est inscrit en nous avec les mots de cette langue première. Bien avant d’être objet de connais-sance, la langue est le matériau fondateur de notre psychisme et de notre vie relationnelle. Sil’on n’escamote pas cette dimension, il est clair qu’on ne saurait concevoir la langue commeun simple « instrument de communication » (Revuz, 1991, p. 26)

135 voir Cadre de référence 4.7.1.3. Savoir-être: l’activité de communication des utilisateurs/apprenants est non seu-lement affectée par leurs connaissances, leur compréhension et leurs habiletés mais aussi par des facteurs personnelsliés à leur personnalité propre et caractérisés par les attitudes, les motivations, les valeurs, les croyances, les stylescognitifs et les types de personnalité qui constituent leur identité.

102 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

La nouvelle langue a donc le pouvoir d’impliquer le sujet apprenantApprendre une langue mobilise non seulement un rapport au savoir mais aussi un rapport àsoi-même dans un retour sur sa langue première. Il y a dans l’apprentissage tout le poidsqu’entretient le sujet avec sa propre langue. Ce que montre assez bien l’attitude réflexivequ’adopte l’apprenant et qui lui fait opérer un va et vient constant entre « sa » langue enapprentissage et sa langue maternelle. (Anderson, 1999, p. 258)

Mais la langue est aussi un moyen d’interagir avec les autres, elle a aussi bien une dimension indi-viduelle que sociale et, ce qu’il ne faut pas oublier, cette dimension sociale ne se limite pas à la seulecommunication avec l’autre/les autres, le(s) parlant(s) natif(s), surtout elle ne se limite pas à deséchanges de type utilitariste.Coïaniz, en définissant la langue comme « lieu et moyen de positionnement du sujet »(2001, p. 94), explique bien comment dans le sujet il existe une tension continue entre sa volonté defaire partie d’un groupe et celle de se différencier en tant qu’individu: le groupe rassure mais onrisque de se dissoudre dans l’indifférencié, l’individuation de l’autre côté assure la différence, maisrisque de comporter l’isolement. Le sujet a besoin de voir reconnues à la fois sa différence et sa res-semblance.(Coïaniz, p. 87), il souligne aussi la tension continue entre « le dire » et « le vouloir dire ».Bogaards aussi remarque l’importance des facteurs liés à la personnalité pour l’apprentissage d’unelangue étrangère. Il soulige que

Le langage est intimement lié à la personnalité du locuteur; à tel point même qu’il est moinsfacile à un individu de changer sa façon de parler que de modifier son aspect extérieur (1988,p. 59)

Et il présente les différentes théories auxquelles se rattachent les chercheurs qui se sont occupés del’apprentissage des langues étrangères. En laissant d’un côté les explications neurophysiologiquesque Bogaards mentionne sans pour autant les traiter, il est intéressant de voir qu’il distingue dans lacatégorie des théories psychologiques celles de l’affectivité, les théories psychosociales et les théo-ries cognitivistes. En parlant des théories de l’affectivité il mentionne les recherches de Guiora136 quipostule l’existence d’une plus ou moins grande flexibilité des « frontières du Moi » en se référantaux résultats supérieurs des enfants par rapport aux adultes en matière de prononciation: plus lesfrontières du moi seraient flexibles plus la prononciation serait assimilable à celle authentique, dansle même domaine de la prononciation il mentionne ensuite le phénomène du peer pressure (la pres-sion sociale exercée par le groupe de pairs) invoqué à l’intérieur des théories psychosociales (pp. 78-79). Les enfants seraient plutôt exigeants à propos de la prononciation d’autres enfants apprenantsd’une langue seconde.Encore une fois donc la langue est expression d’un état psychique et lieu de positionnement socialdu sujet: le va et vient entre la dimension personnelle et celle sociale acquiert une importance vita-le.Or c’est justement là, dans la différence entre le dire et le vouloir dire, que se joue toute la problé-matique de la centration sur le sujet dans l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère.Ce qu’on voit normalement dans les manuels n’est pas la prise en compte de la subjectivité, de lavolonté de l’apprenant de se situer par rapport au monde, de manifester son affectivité, ses désirs quisont à leur tour marqués aussi par son appartenance sociale et culturelle.Le scénario, comme je viens de le montrer, ne change pas vraiment avec l’approche communicati-ve, l’enjeu étant toujours l’idée de progression, qui comporte la mise à la disposition de l’apprenantd’un nombre très limité d’expressions, qui correspond aussi à son tour à la présentation de types de

136 Guiora, A.Z., Paluszny, M., Beit-Hallahmi, B., Catford, J.C., Cooley, R.E., Dull, C.Y., « Language and person-studies in language behavior », Language Learning 25, 1975, pp. 43-61

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 103

comportement qui sont peu variés aussi bien par rapport aux aspects linguistiques qu’à ceux non ver-baux.Même l’introduction des documents authentiques, qui semblait pouvoir vraiment changer ce scéna-rio, ne s’est pas révélée aussi efficace que prévue: s’il est vrai que l’usage de matériel authentiqueen classe de langue a beaucoup aidé à faire reculer les murs de la classe en introduisant des élémentsde la culture cible et en faisant cela il a contribué au développement de la compétence interculturel-le, le même résultat ne s’est pas toujours produit sur le plan de la prise en compte de la diversité,richesse et complexité linguistique.Une preuve de cela est constituée, à mon avis, par le grand nombre de documents « faux authen-tiques » qui sont très répandus dans les manuels. Il s’agit de documents qui imitent ceux authen-tiques, soit dans l’aspect graphique, soit dans le genre textuel, soit dans les deux, sans pour autantavoir jamais existé dans la réalité. J’ai utilisé l’expression « faux authentique » au lieu de « semiau-thentique », pour souligner l’abus que l’on fait de ce type de documents dans les manuels: s’il estévident qu’il est très difficile de trouver certains types de documents authentiques sonores, le mêmeproblème ne se pose pas avec les documents écrits dont on peut disposer sans difficulté. Cette habi-tude dérive donc non seulement d’une politique commerciale discutable (il faut souvent payer desdroits, il faut calculer un temps de recherche du matériel plus long), mais aussi d’un besoin d’avoirun document qui présente exactement le niveau linguistique souhaité. Mais cela relève encore de l’idée de simplification en vue d’une progression linguistique claire etdéfinie que je viens de critiquer.Il ne s’agit pas bien sûr de critiquer le contenu ou la précision linguistique en tant que tels, mais dene pas sacrifier à ces aspects toute autre composante de la leçon, ni l’authenticité, ni la composanteaffective aussi bien dans le domaine de la psychologie individuelle que dans celui des relationssociales.Je trouve à ce propos extrêmement intéressant ces mots de Stevick qui se réfèrent à sa pratique pro-fessionnelle:

During most of my years in language teaching, I have focused my attention on the linguisticmaterial – the sounds, the words and the structures – that my students were learning. Theiremotional reactions,the relationship between what they were experiencing and how it madethem feel, were at the perifery of my thinking. I was conscious of those matters only when astudent showed gross and overt sign of being upset. As my career progressed, however, I triedto reverse my priorities. Student attitudes now began to take cronological priority. This meansthat I no longer care how much of the language they learn during the first week. Although Iwould not tell them so, the linguistic material presented during that time is only a vehicle forgetting acquainted and for finding and reducing anxieties. Even during the remainder of thecourse, the first question is « How are they learning? » and the second is « What have theylearned? ». It is now content, and not morale, that I tend to place in the background unless itthreatens to cause trouble. Needless to say, I still give much attention to content and to accu-racy; what has changed is the focus. (Stevick, 1996, p. 154)137

137 Pendant la plupart de mes années d’enseignant de langues j’ai focalisé l’attention sur le matériel linguistique –les sons, les mots et les structures – que mes élèves étaient en train d’apprendre. Leurs réactions émotionnelles, la rela-tion entre ce dont ils faisaient expérience et comment cela les faisait sentir étaient à la périphérie de ma pensée. Jedevins conscient de ces aspects seulement quand un élève montra de façon ouverte et claire d’être troublé. Toutefois, aucours de ma carrière, j’ai tâché de renverser mes priorités. Les attitudes des élèves commencèrent à être chronologi-quement prioritaires. Cela signifie que je ne suis plus tellement intéressé par la quantité de langue qu’ils apprennentpendant la première semaine. Même si je ne leur dirais pas cela, le matériel linguistique présenté pendant cette pério-de représente seulement un véhicule pour se connaître et pour découvrir et réduire les anxiétés. Même pendant le restedu cours, la première question est « Comment apprennent-ils? » et la seconde « Qu’est-ce qu’ils ont appris? » .Maintenant c’est le contenu et non l’état d’âme que je tends à mettre à l’arrière plan à moins qu’il ne menace de cau-ser des problèmes. Il va sans dire que je continue à dédier beaucoup d’attention au contenu et à l’exactitude; ce qui achangé c’est la focalisation.

104 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

L’apprenant d’une langue étrangère vit donc une situation émotionnelle forte, qui oscille entre desphases passionnantes et d’autres potentiellement menaçantes, ce qu’il faut lui donner c’est un milieufavorable, rassurant, uni à une richesse de moyens d’expression verbaux et non verbaux, afin qu’ilpuisse s’engager en tant que sujet, s’exprimer librement, prendre contact de façon authentique etsignificative avec la langue étrangère.Il ne faut pas oublier l’urgence d’expression de cette dimension subjective en la masquant sous lemanque de compétence de l’apprenant et, par conséquent, sous la nécessité pour l’enseignant d’of-frir un nombre très réduit de moyens d’expression qui, en même temps, puissent constituer desmodèles plutôt neutres et largement utilisables.La tension entre vouloir dire et savoir dire est loin d’être éliminée par l’hyper-simplification, aucontraire elle peut se présenter d’une manière encore plus aiguë et frustrante:

l’opacité de la langue étrangère est certes constituée par la présence première du signifiant,mais surtout par le sentiment d’inadéquation entre le vouloir-dire et le pouvoir-dire d’une part(alors qu’en langue maternelle cette relation apparaît toujours comme « naturelle ») et le sen-timent frustrant du manque de diversité des moyens d’expression disponibles de l’autre part.Ainsi, l’étranger est contraint à limiter tragiquement l’expression de sa position par rapportau monde à un mode appris de réalisation linguistique (Coïaniz, 2001, p. 105)L’axiome qui sous-tend toutes les méthodologies d’apprentissage des langues étrangères sem-ble être de la nature suivante: « - Parlez d’abord selon des modèles élémentaires; la variétéindividuelle, votre avis en quelque sorte, importe peu ici. Nous n’attendons de vous qu’unecompétence imitative correcte, le reste viendra plus tard (si c’est utile…) ». Le style disparaîtsous la norme, le sujet sous le type, l’individuation expressive sous le modèle. (id., p.107, sou-ligné par l’auteur)

Mais le projet expressif du sujet, sa volonté d’affirmer son individualité ne peuvent être étouffés sousdes modèles: la tension entre volonté de différenciation et désir d’être accepté par la communautédes locuteurs natifs reste toujours présente.

3.2.2.5 Liens entre didactique et prise en compte du sujet

La responsabilité du didacticien est de fonder une didactique centrée sur le sujet, donc une didac-tique capable de créer les conditions rendant possible une activité d’adaptation, de relevé de la ten-sion, de construction de confiance dans la langue étrangère, d’offre d’outils pertinents et différen-ciés, de problématisation des phases d’apprentissage.L’apprenant doit ressentir l’état vers lequel l’amènera l’apprentissage comme meilleur. Pour cela, ilfaut travailler à partir du sujet aussi bien par rapport à son positionnement en relation au mondequ’en tenant compte de sa dimension affective:

Ces ancrages élémentaires définissent des positions subjectives (on aime, on n’aime pas, on sejustifie, on explique, on argumente, on s’oppose …) et se construisent sur des présupposésmanifestés par les représentations verbales, en relation avec l’imaginaire, le symbolique, l’af-fectivité, l’axiologie et les acquis cognitifs du sujet. (id., pp. 109-110)

Dans ce contexte le travail sur le para verbal et le non verbal, sur la reformulation et la méta-com-munication acquiert une valeur fondamentale.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 105

Ces derniers ne sont toutefois pas à considérer pour une valeur supposée intrinsèque, mais aucontraire comme des aides capables de faciliter la prise en compte de la dimension subjective del’apprenant, de lui permettre de se positionner par rapport à la langue, de marquer son identité et sesbesoins réels de communication.Comme on le voit bien, la problématique des besoins langagiers analysée par Richterich est stricte-ment liée à une pédagogie de l’être, leur prédétermination pouvant mener à une situation schizo-phrénique où l’apprenant doit s’adapter à des besoins imposés.Il faudrait réfléchir sur l’opposition besoin/désir, en comprenant par « désir » le désir de communi-quer, donc le désir d’apprendre la langue étrangère, auquel correspond, de façon spéculaire, le désird’enseigner de la part du professeur. La dimension désir n’est que rarement impliquée, tout reste à un niveau très superficiel, l’apprenantétant en réalité un être neutre et décontextualisé qui communique dans des situations standardiséeset qui lui sont souvent presque indifférentes, cela arrive même dans l’approche communicativecomme l’a bien mis en évidence Rinvolucri 138.Déjà le choix du terme « apprenant » implique une vision aseptique de la classe, où en réalité ce quia le plus d’importance c’est le programme, le manuel, bref les contenus linguistiques.Dans le cas des approches « non conventionnelles » par contre, l’apprenant est considéré en tant quepersonne, avec tout ce que cela comporte.

Humanistic education starts with the idea that students are different, and it strives to help stu-dents become more like themselves and less like each other (Hamachek, 1977, p. 149)139

À première vue cette affirmation semble ne pas pouvoir s’appliquer à toutes ces approches. Mais sion considère la personne comme un être composé d’esprit aussi bien que de corps, de rationalitéaussi bien que d’émotivité et d’affectivité, comme j’ai tenté de le montrer dans le deuxième chapit-re, on s’aperçoit que toute approche « non conventionnelle » a pris en compte dans quelque mesurecette complexité. Sans vouloir trop entrer dans les détails, il suffit de voir qu’on va de la stimulationde l’esprit de découverte de l’apprenant, à la prise en compte de sa dimension corporelle, à la prisede parole de la part de l’apprenant par rapport au contenu de son apprentissage, à la centration surla personne et sur ses attitudes, à la tentative de dépasser les barrières intellectuelles de l’apprenantpour arriver à son inconscient.

3.2.4 Approche relationnelle et courant humaniste

Dans mes considérations sur les approches non conventionnelles (voir 3.2.), j’avais laissé de côté ceque Dufeu définit comme l’Approche relationnelle, en raison d’un choix précis: cette approche pré-sente des caractéristiques particulières par rapport aux autres approches non conventionnelles: pourfiler une métaphore employée par Puren, si les approches non conventionnelles sont « à la didactiquedes langues ce que les sectes [sont] à la religion » (Puren, 1994, p. 72) on pourrait dire quel’Approche relationnelle est à comparer à l’éveil de l’esprit religieux qui a eu lieu en Europe autourde l’année 1000.

138 Voir Rinvolucri M., « The humanistic exercise », in Arnold J., Affect in Language Learning, Cambridge,Cambridge University Press, 1999, pp. 194-210.

139 L’éducation humaniste commence par l’idée que les élèves sont différents et s’efforce d’aider les élèves à deve-nir plus comme eux-mêmes et moins les uns comme les autres.

106 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Il est intéressant de remarquer en effet que Dufeu regroupe sous cette dénomination des pratiquestout à fait différentes, issues de lieux différents, donc de cultures différentes, mais qui toutes parta-gent la même vision de l’enseignement qu’il reprend de Gertrude Moskowitz (1978): « l’enseigne-ment doit associer l’intellect et l’affectif et surtout […] il doit avoir une signification personnellepour celui qui apprend »Dufeu, 1996, p. 164)La vision que Dufeu donne de ce courant est très positive:

Cette approche, marquée par une grande production, qui a conduit à la création d’exercicesdestinés à faciliter l’expression libre des participants, constitue à juste titre un espoir pour ungrand nombre d’enseignants de langues (id., p. 165)

Cette vision est selon moi très appropriée car l’Approche relationnelle semble dépasser les limitesimposées par les autres approches non conventionnelles. Une des caractéristiques les plus marquantes des approches non conventionnelles est leur structure:chacune de ces approches se présente comme un tout indivisible et implique une acceptation totalede la part de l’enseignant et, par conséquent, de celle de l’apprenant aussi. L’enseignant doit parta-ger toute une série de convictions et maîtriser un nombre plus ou moins vaste de techniques qu’il estobligé d’utiliser en classe sans pouvoir les modifier, souvent même pas au niveau de la progression.Ce que Dufeu critique dans l’Approche relationnelle comme « manque de conception d’ensemblequi offre une progression fondée selon des critères relationnels et linguistiques, accompagnée d’unéventail ramifié d’exercices » (id., p. 173) me semble par contre constituer un signe de vitalité et deflexibilité. Cette absence de fermeture implique la possibilité d’un grand développement dans lesannées à venir: Dufeu même dit que « l’Approche relationnelle représente un défi pour les pédago-gues, car un long chemin reste à faire pour qu’elle constitue un ensemble opérationnel » (id., p. 179),mais il dit aussi qu’elle « constitue à juste titre un espoir pour un grand nombre d’enseignants de lan-gues »140 (id., p. 165). D’un autre côté cette absence de fermeture souligne la souplesse et la flexibi-lité des activités proposées, qui sont adaptables à beaucoup de situations d’apprentissage. Il va sans dire que ces mêmes caractéristiques de souplesse, de flexibilité, d’adaptabilité imposentaux enseignants d’être particulièrement sensibles et créatifs, ce qui d’ailleurs me semble un prére-quis très intéressant sur lequel on n’a pas assez réfléchi en didactique des langues.L’aspect de la préparation, de l’épaisseur humaine de l’enseignant est aussi central que celui de laprise en compte de l’individualité de l’élève, et la flexibilité de l’approche relationnelle ne doit pasêtre identifiée à la possibilité d’emploi des techniques et des activités proposées un peu partout etsans aucun critère, ou – ce qui serait encore pire – comme activité bouche-trou:

Qu’y a-t-il donc de si différent entre un exercice communicatif et un exercice humaniste?L’exercice humaniste doit être utilisé dans une classe où le professeur a de sérieuses connais-sances sur les techniques d’animation de groupe et la façon dont cela affecte l’apprentissage.(…)Le professeur qui voudra se lancer dans ce type d’exercice sera le genre de personne qui saitqu’il enseigne à quarante individus et pas à une masse indistincte. Il sera bon observateur, etsurtout, il sera doté d’excellentes qualités d’écoute. Si l’on veut que l’exercice humaniste soitpertinent et réponde au souci d’offrir aux étudiants une nouvelle expérience d’eux-mêmes,l’attitude du professeur doit être positive, il doit pouvoir bien appréhender l’autre et doit êtreformé pour cela. Bien utilisés les exercices humanistes ne sont pas des bouche-trous du vend-redi après-midi. Bien évidemment on peut les utiliser comme adjuvants, pour rendre plusvivants les exercices communicatifs, mais c’est trivial et sans intérêt. Lorsque les professeursutilisent les exercices humanistes de cette façon, hors contexte et comme pour se distraire, ilsles trouvent souvent agaçants et non pertinents. (Rinvolucri, 1999, p. 51)

140 Dufeu regrette le manque de « ce qu’on pourrait appeler une ‘grammaire de la créativité à l’usage des enseignantsde langue » (Dufeu, 1996, p. 175), ce qui constituerait vraiment quelque chose d’innovateur, de révolutionnaire.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 107

Le choix de Dufeu d’inclure sous la dénomination d’Approche relationnelle, comme je viens de dire,des exercices tirés de domaines différents, me semble particulièrement intéressante car il s’agit d’uneoptique distincte de celle que l’on utilise normalement dans les pays anglo-saxons: il a créé une nou-velle dénomination en mettant ensemble des apports du courant anglais qui se définit humanisticavec les simulations globales de tradition française et avec des activités qui renvoient à la psycho-dramaturgie linguistique141.Or, ce qui arrive habituellement, surtout dans le milieu anglo-saxon, c’est plutôt que l’on utilise l’ex-pression humanistic approaches pour indiquer l’ensemble des approches dont j’ai parlé dans ce cha-pitre (y compris l’approche relationnelle, à l’exception des simulations globales qui n’ont pas été trèsconnues au-delà de la Manche) en se basant sur le fait que toutes présupposaient un affaiblissementdu filtre affectif de l’apprenant.Ce choix n’a pas toutefois été complètement partagé même en milieu anglo-saxon, et c’est l’une desraisons pour lesquelles je trouve le choix de Dufeu plus approprié, l’autre raison étant le risque devider de sens le mot « humaniste » en le transformant en une étiquette stéréotypée.Je pense qu’il serait dommage de ne pas utiliser – en parallèle avec la dénomination proposée parDufeu – le terme « humaniste » pour indiquer toute la problématique de la prise en compte cons-ciente de la complexité du sujet apprenant, de sa personne complète. Il me semble que le termehumaniste, avec toute l’épaisseur sémantique que la psychologie a contribué à lui donner, garde uneimportance fondamentale pour illustrer la direction de la recherche en didactique de langue que jesuis.Ce choix terminologique me semble enfin cohérent avec ma recherche, qui vise à montrer la possi-bilité et l’importance didactiques d’un emploi créatif des nouvelles technologies en classe de languesétrangères, en considérant ces mêmes technologies comme potentiellement liées à la créativité, sur-tout au niveau de production écrite.En reprenant ce que j’ai énoncé dans le deuxième chapitre, on peut envisager des lignes qui partentdes différents domaines – linguistique, neurolinguistique, psycholinguistique, psychologique – et quiarrivent à la didactique où elles trouvent un terrain fertile grâce d’un côté au changement de per-spective et aux apports de l’approche communicative142, et de l’autre aux stimuli et aux contributionsapportées par les approches non conventionnelles, mêmes quand ils peuvent sembler plutôt déstabi-lisants.

141 Dufeu, B., « La psychodramaturgie linguistique ou l’approche de la langue par le vécu », Le français dans lemonde, 175, 1983, pp. 36-45. Dufeu B., Sur les Chemins d’une Pédagogie de l’ être. Une approche psychodramatur-gique de l’apprentissage des langues, Mainz, 1992, Éditions Psychodramaturgie.

142 Je n’ai pas l’intention d’exprimer une critique radicale à l’approche communicative en tant que telle, mais plutôtde mettre en évidence le fait que le terme « communicatif » a souvent fini par indiquer plus une apparence qu’un con-tenu. Surtout au niveau des pratiques, la forme risque d’avoir plus d’importance que le contenu et l’intégration d’activ-ités qui n’ont rien de communicatif est courant. Notons que certains didacticiens ont mis sur le même plan approchehumaniste et communicative: « In both (the Humanistic Psychological Approach and the Communicative Approach),learners are seen not so much as full-time linguistic objects at whom language teaching is aimed, but rather as humanindividuals whose personal dignity and integrity, and the complexity of whose ideas, thoughts, needs and sentiments,should be respected (...) Foreign language teachers must contribute to the self-actualizing process » (Medgyes, 1986,p. 109, cité d’après Stevick, 1990, p. 26).

108 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

3.3 La production écrite: le pourquoi et le comment

Au cours du premier chapitre, j’ai tenté de montrer quel était et comment se présentait la dimensionde la langue qui échappe à l’objectif de communication immédiate, et qui relève plutôt du plaisir, del’imagination, de l’invention, dimensions qui constituent toujours l’arrière plan de toute productioncréative. À partir de là, je suis parvenue à une définition de la créativité qui me semblait adéquatepour être utilisée dans le cadre de la réflexion didactique.La dimension de la créativité impliquant une nécessaire prise en compte des aspects psychologiques,tout le deuxième chapitre a été consacré à l’exploration de ce domaine faite à la lumière de la pro-blématique de la créativité. Ceci était une condition nécessaire pour pouvoir aborder le côté didac-tique proprement dit ainsi que celui de la didactique appliquée aux Nouvelles technologies. L’idéede base était celle de prendre en considération les mécanismes cognitifs, psychologiques et psycho-linguistiques impliqués, aussi bien que la théorie des systèmes et celle de la complexité, en vue d’es-quisser un cadre le plus complet possible des différentes implications de la production créative.Or, s’il est vrai que la créativité peut se montrer dans tout domaine et que, pour rester dans le domai-ne linguistique, elle n’appartient pas seulement à l’écriture, il est vrai aussi que c’est justement dansce dernier domaine qu’elle a trouvé les conditions les plus aptes à son épanouissement. La liaisonécriture/créativité a trouvé dans les ateliers d’écriture en langue maternelle un lieu député de miseen pratique et de développement. Ces ateliers ont eu un grand succès aussi bien aux États-Unis qu’enEurope, et ils ont fait l’objet d’études et de colloques.Comme je l’ai mis en évidence au cours du présent chapitre un apprentissage n’est efficace que s’ilimplique a personne de l’apprenant dans sa totalité: les approches non conventionnelles l’ont bienmontré aussi que tout le courant humaniste en général. L’écriture de son côté est un moyen privilé-gié pour le développement et pour l’implication de la personnalité: cette idée a été toujours présen-te dans la culture occidentale, qui est justement une culture écrite.Dans le domaine de la didactique c’était plutôt l’écriture en langue maternelle qui se proposaitcomme moyen de formation et développement de la personnalité de l’apprenant et qui était chargéede contribuer à la Bildung du sujet. La didactique des langues étrangères a eu une relation ambiva-lente avec l’écriture, en passant de l’écriture comme traduction, comme imitation, à l’écriture utili-tariste vue en appui aux habiletés orales, jusqu’à parvenir à une première phase de réévaluation del’écriture sans pour autant en faire un véritable moyen de développement de la personnalité de l’ap-prenant.Le choix de concentrer mon analyse sur l’habileté de production écrite répond par conséquent à plu-sieurs raisons:- L’étude des cas qui fera l’objet du cinquième chapitre de cette thèse concerne la production écri-

te d’élèves de lycée et d’enseignants en formation;- L’habileté de production écrite peut être grandement favorisée par l’utilisation des nouvelles

technologies, comme il sera mis en évidence par l’étude des cas même et par les raisons que jeprésenterai au cours du quatrième chapitre;

- La créativité ne renvoie pas à l’abstrait, mais opère dans le concret, et par conséquent toutedémarche qui met à contribution la main et le cerveau la développe plus sûrement;

- La production écrite fournit un moyen souple d’expression personnelle, donc de créativité;- L’écriture créative a été jusqu’à présent très peu soignée au niveau du lycée même si le besoin

d’écrire, et d’écrire librement, est caractéristique de l’adolescence et se concrétise très souventdans d’autres formes qui sont apparemment très éloignées du milieu scolaire, je me réfère parexemple aux journaux plus ou moins intimes des adolescents, aussi qu’aux messages SMSéchangés à travers le téléphone portable et – pourquoi pas – aux graffiti.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 109

Je tâcherai donc d’analyser ce qu’est l’écriture et quelles sont les différences entre écriture en lan-gue maternelle et en langue étrangère, pourquoi l’écriture peut être considérée comme lieu d’émer-gence du sujet, quels sont les enjeux psychologiques et cognitifs de l’écriture, à travers quelles pra-tiques peut être soignée l’habileté de production écrite créative.

3.3.1 La production écrite: une habileté à revaloriser?

L’habileté de la production écrite a été plutôt mise de côté par l’approche communicative classique:d’une part on affirmait la prédominance de l’oral en lui donnant une sorte de statut supérieur basésur la considération, d’ailleurs très superficielle, que communiquer c’est avant tout parler; de l’aut-re on postulait la nécessité pour l’élève de travailler sur l’habileté de production écrite après avoiratteint un certain niveau de compétence linguistique. Ce qui provoquait une absence de véritable tra-vail sur l’écrit, celui-ci étant réduit à des exercices très structurés.

Das Schreiben galt der audiolingual/audiovisuell orientierten und zunächst auch der kommu-nicativ-pragmatischen Methodenkonzeption von Fremdsprachenunterricht als eine eher zuvernachlässigende sprachliche Fertigkeit. Dies erschient nahe liegend, wurde doch als Zieldes Fremdsprachenunterrichts zumeist die praktische Kommunikationsfähigkeit inAlltagssituationen gesehen. Und wann braucht etwa ein Tourist schon eine Schreibfertigkeit inder Fremdsprache, die über das Ausfüllen von Formularen oder das Verfassen von Postkartenund kurzen Briefen hinausgeht? (Huneke/Steinig, 1997, p. 122) 143

Dans la réalité des classes toutefois les enseignants ont continué à travailler sur l’écrit, cette compé-tence étant pour eux-même très importante, car elle jouait un rôle fondamental, elle faisait pour ainsidire partie de leur culture, et, ce qu’il ne faut pas oublier, de la façon dont eux-mêmes avaient apprisles langues étrangères, même s’il faut dire aussi que les enseignants eux-mêmes n’écrivaient pasbeaucoup. L’écrit jouait un rôle fondamental aussi au niveau des examens, d’où la contradiction: ontestait d’une manière différente de celle utilisée pour enseigner. Il faut dire en plus que le travail surl’écrit n’avait pas fait l’objet de recherches personnelles ni de confrontation des pratiques avec lescollègues, car les enseignants semblaient avoir peur de révéler qu’ils faisaient encore de l’écrit enclasse: à une époque dans laquelle il fallait faire de la communication avant toute chose, et il fallaitsurtout entraîner l’apprenant à se débrouiller dans des situations plus ou moins complexes dans les-quelles il pourrait se trouver une fois arrivé dans le(s) pays de la langue cible (même si à des niveauxde compétence linguistique différents) l’habileté d’écriture, surtout d’écriture personnelle, ne sem-blait pas constituer une priorité.Ce n’est qu’avec la deuxième phase de l’approche communicative que l’on s’est rendu compte quela communication passait aussi par l’écrit, et que le développement des compétences devait être leplus possible équilibré. On a commencé à réintroduire des activités de production écrite qui pou-vaient être considérées communicatives, telles que les échanges épistolaires. À ce propos il est inté-ressant de noter l’opération faite ensuite par le Cadre européen de référence qui propose une taxino-

143 L’écriture était une habileté linguistique plutôt négligeable dans la conception méthodologique audio-orale etaudio-visuelle et même dans celle communicative-pragmatique. Elle semblait être évidente, on considérait toutefoiscomme but de la classe de langue étrangère surtout la compétence communicative pratique dans des situations quoti-diennes. Et quand arrive-t-il à un touriste d’avoir besoin d’une habileté à écrire en langue étrangère qui aille au-delàdu remplissage d’un formulaire ou de la rédaction de cartes postales ou de courtes lettres ?

110 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

mie détaillée des activités communicatives relevant du domaine de l’écrit avec l’introduction de l’ac-tivité communicative d’interaction écrite qui est spéculaire à celle d’interaction orale144.On pourrait dire qu’en quelque sorte les enseignants ne voulaient pas renoncer aux activités de pro-duction écrite, car ils savaient – de façon instinctive – que cette habileté avait une valeur de supportpar rapport aux autres habiletés, mais très souvent ils ne l’utilisaient que pour la phase de contrôle,donc pour l’évaluation, ce qui ne contribuait certainement pas à la hausse de la motivation.

3.3.2 Émergence d’études sur la production écrite

J’ai déjà indiqué qu’une forte réévaluation de la production écrite a eu lieu dans la seconde phase del’approche communicative et que ce processus a mené jusqu’à la taxonomie contenue dans le Cadre(voir chap. 4.4.1.2).Il faut dire toutefois que cette réévaluation a été très impulsée par les études sur la production écri-te en langue maternelle qui ont paru à partir du début des années 80. On s’était aperçu dans ce domai-ne qu’il y avait de nombreux problèmes et un manque de stratégies efficaces finalisées au dévelop-pement de cette habileté. Le scénario était décourageant déjà à partir de l’école primaire

… in most schools, writing is given very little time, and students are not encouraged to write.Teachers, for their part, typically do not know how to teach writing and seldom write anythingthemselves; even less frequently do teachers model writing in the classroom, and then sharethe writing with students for their comments and feedback. […] Finally, many of the traditio-nal uses of writing in school have negative associations for most children: writing tasks areused for disciplinary purposes, for testing and evaluation, for busywork – artificial assigne-ments with little relevance for students; and when writing is produced, it is returned with tea-cher feedback in the form of extensive correction of surface features. (Grabe, Kaplan, 1996,pp. 96-97)145

Parmi ces études on trouve d’un côté les travaux de Graves146 sur la production écrite des enfants,de l’autre l’approche linguistique à l’écriture de Halliday147, lequel considère la langue écrite commeune extension fonctionnelle de la langue orale, que l’enfant maîtrise quand il comprend le but de sonutilisation, de l’autre encore la production de modèles qui ont constitué jusqu’à présent la base detoute étude sur l’écriture. Les modèles les plus significatifs sont celui de Hayes et Flower (1980)148,celui de Bereiter et Scardamalia (1987)149 et le modèle de Deschênes (1988)150.

144 Voir Cadre européen 4.4. Activités langagières communicatives (4.4.1. activités de production, 4.4.2. activités deréception, 4.4.3. activités interactives –subdivisées en interaction orale et écrite-).

145 …dans la plupart des écoles on dédie à l’écriture très peu de temps et les élèves ne sont pas encouragés à écri-re. Les enseignants de leur côté, normalement ne savent pas comment enseigner à écrire et n’écrivent guère de leur partnon plus; encore moins souvent les enseignants donnent des modèles d’écriture dans la classe et ensuite mettent en com-mun ce qu’ils viennent d’écrire avec leurs élèves pour recevoire leurs commentaires et feedback. […] Enfin beaucoupd’usages traditionnels de l’écriture à l’école présentent des associations négatives pour la plupart des jeunes: les tâchesd’écriture sont employées pour des buts disciplinaires, pour vérifier et évaluer, pour tenir les élèves occupés – des tâchesartificielles avec peu de signification pour les élèves; et quand le texte écrit est produit, il est rendu avec un feedbackde la part de l’enseignant sous forme de correction extensive des aspects superficiels.

146 Graves, D., 1983 et Graves, D., 1984.147 Halliday, M.A.K., Spoken and written language, Oxford and New York, Oxford University Press, 1989; et

Writing science:Literacy and discoursive power, Pittsburgh: University of Pittsburgh Press, 1993.148 Hayes, J.R. et L.S. Flower, « Identifying the organisation of writing process » , in Cognitive Processes in Writing,

L.W. Gregg et E.R.Steinberg (réd.), Hillsdale, N.J., Lawrence Erlbaum, 1980.149 Bereiter, C. et M. Scardamalia, The psychology of Written Composition, Hillsdale, Lawrence Erlbaum, 1987.150 Deschênes, A.-J., La compréhension et la production de textes, Sillery, Québec, Presses de l’Université du

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 111

Toutes ces études et modèles se réfèrent à la langue maternelle, mais on peut les considérer aussi trèsclarificateurs en ce qui concerne la compréhension des mécanismes qui sont à la base des processusd’écriture en langue étrangère, un vrai modèle de la production écrite en langue étrangère n’existantcependant pas encore. À ce propos il faut dire d’un côté que bien des caractéristiques de l’écritureen langue étrangère montrent des affinités avec l’écriture en langue maternelle des enfants, et del’autre que les habiletés et stratégies d’écriture que l’on possède en langue maternelle sont en géné-ral transférables en langue étrangère. Les processus cognitifs semblent en fait être les mêmes pourles deux activités: il est donc raisonnable d’analyser la production écrite en langue étrangère à l’ai-de des modèles envisagés pour la langue maternelle.Je n’entrerai pas dans le détail des études que j’ai mentionnées, et je retiendrai seulement quelquesconcepts-clés que je considère clarificateurs pour ma recherche.Avant tout, je voudrais souligner l’importance de quelques considérations faites par Graves, mêmesi elles se réfèrent à l’écriture en langue maternelle d’enfants du primaire:1. Writing is a process of discovery; its development progresses as a problem-solving activity.2. Drawing and talking are means of pre-writing and rehearsal. 3. […]4. Students learn to move from writing for themselves to writing for others5. Students learn that they need to spend time on planning, pre-writing, and rehearsal activities to

improve their writing.6. Students learn that they are capable of serious revision by themselves, even at lower levels of

ability, particularly by conferencing with teachers about their writing.7. […]8. Since schools do not create student motivation and involvement, teachers need to generate a

commitment to writing; students need to be involved and motivated to write, and teachers alsoneed to practise writing in class and to share their writing with children. (id., p. 97)151

Comme on le voit, il y a une attention au « comment » plutôt qu’au « quoi » de l’écriture, le carac-tère complexe du processus de l’écriture apparaît déjà évident autant que la nécessité, pour cettehabileté, de mise en commun horizontale avec les autres apprenants et de celle verticale avec l’en-seignant, celle-ci se déroulant sous forme de conferencing (discussion, confrontation), plutôt que decorrection.Sur la complexité du processus d’écriture se centrent les trois modèles que j’ai mentionnés et quiprésentent chacun des caractéristiques spécifiques.

Québec, 1988.151 1. L’écriture est un processus de découverte; son développement progresse comme une activité de résolution de

problèmes.2. Dessiner et parler sont des moyens de pré-écriture et de répétition.3. […]4. Les élèves apprennent à passer de l’écriture pour eux-mêmes à l’écriture pour les autres.5. Les élèves apprennent qu’ils ont besoin de dédier du temps à la phase de planning, de préécriture, et aux acti-

vités de répétition, pour améliorer leur manière d’écrire.6. Les élèves apprennent qu’ils sont capables d’effectuer tous seuls une révision sérieuse, même à des niveaux

plutôt bas de compétence, en particulier en discutant avec les enseignants au sujet de leurs textes écrits.7. […]8. Dès que les écoles ne créent pas de motivation et d’implication des élèves, les enseignants doivent nécessai-

rement générer une forme d’engagement dans l’écriture; les élèves ont besoin d’être impliqués et motivés àécrire, et les enseignants eux aussi ont besoin de pratiquer dans la classe et de mettre en commun leurs textesécrits avec les enfants.

112 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Le modèle de Hayes et Flower met en avant le fait que l’écriture ne suit pas une démarche linéaire,mais au contraire se déroule de manière récursive; il prend en compte les différentes composantesconcernées, à savoir le contexte de la tâche d’écriture, la mémoire à long terme du scripteur ainsique les trois grands processus de l’écriture (planification, mise en texte, révision).Le modèle de Bereiter et Scardamalia de son côté se concentre sur les différentes démarches d’écri-ture de la part de scripteurs malhabiles et de scripteurs habiles.Le modèle que je considère le plus intéressant pour ma recherche est le troisième, celui du psycho-logue québécois Deschênes.

3.3.2.1 Le modèle de Deschênes

Deschênes centre son analyse sur les processus psychologiques qui sont à la base des activités cogni-tives concernées au niveau de la production et de la compréhension. C. Germain le présente ainsi:

[Il s’agit d’] un modèle plus global où l’expression est perçue comme un processus holistique(Deschênes 1988). L’idée de transposition « passive » de quelques idées, d’un seul jet, a faitplace à la notion d’interaction entre le contexte, le texte et le scripteur, c’est-à-dire un scrip-teur qui crée le sens de son texte à partir d’interactions complexes entre différentes compo-santes, ce qui peut à l’occasion se concrétiser par des révisions continues et efficaces qui l’o-bligent à justifier ses choix de forme et de contenu face à un lecteur réel. […] Le modèle deproduction écrite présenté par Deschênes suscite une prise de conscience enrichissante pourfaciliter l’apprentissage de l’écrit en langue seconde. Ainsi, pour Deschênes, il est évident quecet apprentissage passe par la lecture. L’enseignant devrait donc fournir à l’apprenant destextes qui lui permettent d’effectuer cet apprentissage. Les écrits sélectionnés devraient avoirun sens pour l’apprenant et lui offrir des outils à utiliser pour partager avec les autres. C’estde cette manière que la motivation à écrire pourra s’accroître.(1994, p. 39)

Pour Deschênes, deux grandes variables sont impliquées dans la production écrite: la situation d’in-terlocution et le scripteur.La situation d’interlocution à son tour comprend les différents aspects qui influencent l’écriture, àsavoir la tâche à accomplir, l’environnement physique, le texte lui-même, les personnes dans l’en-tourage plus ou moins proche du scripteur, les sources d’information externes.

… La tâche, c’est ce qu’il faut faire, ce sont les directives explicites, les contraintes qui sontfournies au scripteur afin de l’orienter vers le but à atteindre. L’activité se déroule à unmoment donné, dans un lieu particulier: c’est ce que l’on appelle l’environnement physique.L’objectif d’un scripteur est de produire un message, un texte qui s’insère dans un contextedéfini (peut être entre deux parties d’un texte déjà rédigé) avec ses modalités particulières. Lespersonnes-ressources peuvent aider le scripteur à mieux cerner la question dont il va traiter,le lecteur à qui le message est destiné. Les documents à partir desquels le texte sera composésont également des éléments qui font partie de la situation d’interlocution. (id., p. 32)

L’autre variable concernée, le scripteur, comprend à son tour les structures de connaissance et lesprocessus psychologiques.Les structures de connaissance se réfèrent à la mémoire à long terme dans laquelle le scripteur peuttrouver toute sorte d’informations. Une composante affective de ces structures a été aussi envisagéepar Deschênes, même s’il n’a pas approfondi cet aspect.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 113

Le processus psychologique se subdivise en différentes étapes qui conduisent à la production écrite,à savoir la perception-activation, la construction de la signification, la linéarisation, la rédaction-édi-tion, la révision.Le scripteur, après avoir examiné la tâche, va rechercher tous les renseignements dont il dispose danssa mémoire à long terme et enrichit ces connaissances à travers une recherche qui peut inclure lerepérage de textes et documents ainsi que le recours à des personnes ressources. Ce processus d’en-richissement des connaissances est très important pour ma recherche car, comme je le dirai au cha-pitre 4, les nouvelles technologies peuvent le faciliter énormément.L’étape suivante aussi peut trouver une aide importante dans les nouvelles technologies: la cons-truction de la signification est opérée par le sujet qui doit gérer aussi bien la sélection du matériel àutiliser que l’organisation de ce même matériel. Ces technologies peuvent y aider de deux façons:d’un côté certains programmes peuvent aider la structuration, de l’autre il existe certaines aides, tel-les que le correcteur orthographique, qui peuvent « soulager » le scripteur moins habile – par exem-ple le scripteur en langue étrangère – qui pourra donc se concentrer sur les activités fondamentalesde l’organisation du texte à produire:

En examinant des compositions (Flower et Hayes 1980; cité par Deschênes, p. 88) onremarque que le texte des bons scripteurs est souvent émaillé d’un certain nombre deréflexions écrites, ce qui démontre qu’ils exercent une certaine maîtrise de la tâche à accom-plir. Il s’agit d’un genre d’activité de gestion qui peut, suivant le cas, donner lieu à de nou-velles recherches en mémoire, certains retours en arrière (par exemple rechercher d’autresinformations sur le sujet, réorganiser le texte, etc.). Par contre, les scripteurs moins habiles(les enfants, de nombreux apprenants de langue seconde) n’ont pas cette capacité de réfléchirou oublient de réfléchir pour essayer d’améliorer leur texte en y ajoutant des idées nouvelles.Ils consacrent trop de temps aux problèmes d’orthographe et de syntaxe, au détriment de cesactivités d’organisation. (id., p. 35)

Des considérations intéressantes à propos de la différence entre écriture en langue maternelle et écri-ture en langue étrangère sont proposées par Krings152, qui s’appuie sur une série de recherches empi-riques. Selon lui, la structure de base du processus est la même dans les deux cas, mais les scripteursen langue étrangère se trouvent confrontés à bien plus de problèmes:

Dies zeigt sich darin, dass sie mehr als doppelt so häufig eine Pause einlegen, und ihreSchreibgeschwindigkeit ist nur halb so hoch. Sie sehen sich zusätzlich vor L2-Kompetenzprobleme gestellt, wobei die größeren Schwierigkeiten im Wortschatzbereich lie-gen, nicht in der Grammatik, wie man vielleicht erwarten könnte. Ferner spielt di L1 eineRolle. Für einen nicht unerheblichen Teil der Planungstätigkeit wird nämlich zunächst di L1genutzt, und es kommt zu einer Überschneidung des eigentlichen Schreibens mit dem Über-setzen. (Huneke, Steinig, 1997, p. 124)153

Encore une fois les NTIC peuvent offrir une aide précieuse, comme on le verra mieux ensuite.

152 Krings, H. P., Empirische Untersuchungen zu fremdsprachlichen Schreibprozessen. Ein Forschungsüberblick. In:V. Borner, K.Vogel (Hg): Schreiben in der Fremdsprache. Prozeß und Text, Lehren und Lernen, Bochum, S. 44-77.

153 Ceci apparaît clair car ils insèrent plus de deux fois plus fréquemment une pause, et leur vitesse d’écriture estde seulement la moitié. Ils sont aussi confrontés à des problèmes de compétence en L2, les difficultés majeures se pré-sentant d’ailleurs dans le domaine du vocabulaire, et non pas dans celui de la grammaire comme on pourrait l’imagi-ner. Mais la L1 joue un autre rôle. Pour une partie non négligeable de l’activité de définition du plan, en effet, on uti-lise dans un premier temps la L1 et il y a une coïncidence d’écriture personnelle et de traduction.

114 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

3.3.3 L’écriture: produit ou processus?

La complexité des modèles que j’ai présentés, surtout celle du modèle de Deschênes, nous conduità réfléchir non seulement sur la nature de l’écriture, mais surtout sur la nécessité d’une prise encompte de l’habileté de production écrite au niveau didactique. Il s’agit d’avoir une idée claire desdifférentes approches que l’on peut utiliser en proposant aux élèves des activités d’écriture. La pre-mière alternative consiste à focaliser son attention soit sur le processus d’écriture, soit sur le produitde l’écriture.Selon Halliday,

the written language presents a SYNOPTIC view. It defines its universe as product rather thanas process […] as a thing that exists, […] the spoken languge presents a DYNAMIC view. Itdefines its universe primarily as process, encoding it not as a structure but as constructing –or demolishing. In the spoken language phenomena do not exist; they happen (Halliday, 1989,p. 97)154

et nous percevons toujours ces caractéristiques de la langue écrite et orale, même quand le texte écritnous est présenté oralement.Cela ne signifie pas pourtant que l’on ne puisse pas prendre en considération le processus qui conduità ce produit: dans une perspective didactique il faut aller en profondeur et s’approprier des deux for-mes d’expression

If we persist in treating speech as a caricature of itself, while putting writing (like an inscrip-tion) on a pedestal, then there is no way we will ever come to understand how it is that a humanchild is able to learn. (id., p. 101)155

Il faut non seulement avoir conscience du « comment », du fonctionnement de la langue écrite, maisy consacrer du temps, afin de rendre explicite pour les élèves toute la complexité du processus d’é-criture. Ce n’est qu’en devenant conscients de ce même processus qu’ils pourront s’en approprier.

By spending time with learners on pre-writing phases, editing, redrafting, and finally « pub-lishing » their work, a process approach aims to get to the heart of the various skills thatshould be employed when writing. (Harmer, 2001, p. 257)156

154 La langue écrite présente une vision SYNOPTIQUE. Elle définit son univers comme produit plutôt que commeprocessus […] comme une chose qui existe, […] la langue parlée présente une vision DYNAMIQUE. Elle définit sonunivers prioritairement comme processus, en ne l’encodant pas comme une structure mais comme le fait de construreou de démolir. Dans la langue parlée les phénomènes n’existent pas; ils se passent.

155 Si nous continuons à traiter le discours comme une caricature de soi-même, en même temps mettant l’écrit(comme une inscription) sur un piédestal, alors il n’y a pas la manière d’arriver jamais à comprendre comment unenfant est capable d’apprendre.

156 En passant du temps avec les apprenants pendant les phases de préécriture, de rédaction, , de ré-écriture et enfinde « publication » de leur travail une approche axée sur le processus vise à aller au cœur des différentes habiletés quidevraient être employées pendant l’écriture.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 115

Harmer (Harmer, 2001, p. 258) présente graphiquement un modèle intéressant du processus d’écri-ture, celui de White et Arndt:

Selon White et Arndt, writing is re-writing; […] revision – seeing with new eyes – has a central roleto play in the act of creating text (White and Arndt, 1991, p. 5)157, comme le montre très clairementle schéma.C’est dans cette perspective qu’il faut travailler si on veut rendre les élèves conscients du processusd’écriture et de sa complexité: ce travail détaillé n’aura pas lieu chaque fois que l’on écrit – cela neserait pas possible en particulier par manque de temps –, mais l’acquisition consciente de ce pro-cessus est très importante et peut avoir des effets positifs sur toute forme d’apprentissage.Voilà donc l’importance au niveau didactique non seulement de se focaliser sur le processus plutôtque sur le produit, mais aussi de reconnaître à l’écriture le rôle de moyen et non plus seulement debut: écrire signifie se confronter avec une tâche complexe, elle se compose de sous-tâches qui cons-tituent des étapes dans un parcours de résolution de problèmes qui peut à son tour avoir un effet posi-tif sur l’apprentissage de la langue étrangère en généralComme nous le voyons dans le schéma de White et Arndt – et comme d’ailleurs nous l’observonsdans la pratique des élèves et la nôtre –, écrire est un processus avec des allers-retours, des révisions,des ajouts et des suppressions, chaque phase requiert une grande concentration et du temps à ladisposition du scripteur.Ces allers-retours comprennent deux activités fondamentales: le choix du contenu et la mise enforme dans la langue étrangère. Entre les deux un passage plus ou moins conscient à travers la lan-gue maternelle est possible et courant. On revient au modèle de Hayes et Flower qui envisagent leplanning, la mise en langue (translating), la révision comme sous-tâches centrales de l’écriture: l’é-criture est donc une tâche complexe pour laquelle il faut accomplir d’une manière plus ou moinsconsciente toute une série bien définie de sous-tâches nécessaires.Quelles sont donc les potentialités de l’écriture par rapport au processus d’apprentissage? • Avant tout il y a une grande néessité d’expliciter, car il n’y a pas la possibilité de se corriger à

la suite d’un feedback négatif, ou d’être corrigé par l’interlocuteur dans le cas de malentendus.Les élèves doivent tâcher d’écrire de manière explicite, claire, correcte et différenciée selon ledestinataire, ce qui ne peut qu’avoir un effet positif sur toute capacité d’expression en langueétrangère.

157 Écrire c’est ré-écrire; […] la révision – voir avec de nouveaux yeux – a un rôle central à jouer dans l’acte decréer un texte.

Drafting Structuring Reviewing Focusing Generating Ideas Evaluating

116 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

• Une forme d’autocorrection est mise en route avant de produire du texte, déjà au niveau mentalet de même un processus d’élaboration d’idées et de concepts, de recherche de matériel linguis-tique approprié (mots et expressions). Cette élaboration sera d’autant plus efficace qu’elle auraété insérée dans un contexte affectivement significatif pour l’apprenant.

• L’écriture donne la possibilité d’une attitude plus réflexive, autocritique de la part de l’appre-nant: il a le temps d’expérimenter avec la langue.

• Le temps à la disposition de l’apprenant peut contribuer à diminuer le stress, ce qui est souhai-té par les psychologues de l’apprentissage.

• Se confronter avec des textes diférents signifie aussi augmenter sa propre compétence intercul-turelle.

• L’écriture a enfin une fonction épistémique, car le fait même de créer et de modifier, d’adapterdes plans joue un rôle dans la construction du savoir.

Ce ne sont là que des points clés, mais il faut en avoir conscience car ils montrent que la productionécrite joue un rôle important au niveau cognitif et peut se constituer comme lieu d’émergence dusujet. Mais c’est seulement si on considère l’écriture dans toute sa complexité:

Will man solche Lernpotentiale nutzen, so reicht es nicht aus, wenn das Schreiben imFremdsprachenunterricht auf ein bloßes Aufschreiben reduziert bleibt, wenn dieAufgabenstellung sich also nur auf einen Teilbereich des Schreibens beschränkt, etwa auf dasVersprachlichen von vorgegebenen Inhalten, weil man den Lernern die Aufgabe durchReduktion von Komplexität vermeintlich erleichtern will. Vielmehr sollte ihnen immer ein« ganzer » Schreibprozess ermöglicht werden, von der Bildung einer Schreibintention bis zurFertigstellung und z.B. der gruppeninternen Veröffentlichung des Textes. Schreiben imFremdsprachenunterricht sollte in diesem Sinne produktiv und formulierend sein, also stetsdas Verfassen eigener Text im Blick behalten. (Huneke, Steinig, 1997, pp. 125-126)158

L’idée de donner à l’apprenant une tâche complexe de production écrite et de ne pas réduire la com-plexité est fondamentale dans la perspective de ma recherche. Aller du complexe au simple sembleêtre en contradiction avec ce que l’on fait (et que l’on théorise) normalement en didactique des lan-gues, mais en réalité il s’agit d’un enjeu fondamental par rapport à la créativité. J’ai souligné déjà lefait qu’une perspective holistique peut aider à une implication personnelle de l’apprenant, il s’agitdonc, dans le cas de la production écrite, d’adopter cette perspective, de faire écrire librement pourtravailler ensuite le détail des typologies textuelles et des fonctions communicatives et la modélisa-tion:

Les productions à caractère libre (par rapport à des tâches dirigées) semblent avoir pour effetde neutraliser la peur d’écrire chez l’apprenant et on y observe rarement une absence de cohé-rence (Weber 1993). Est-ce à dire qu’il faudrait encourager davantage les productions de cetype en début d’apprentissage de l’écrit? L’enjeu sera de passer ensuite à des modèles (four-nissant des éléments de méthodes) en faisant en sorte que cette confrontation n’aboutisse pasà un sentiment d’échec pour l’apprenant qui avait trouvé une certaine valorisation dans lesexpériences d’écriture libre. (Germain, 1994, pp. 134-135)

158 Si on veut exploiter ce potentiel d’apprentissage, il n’est pas suffisant de réduire l’écriture en langue étrangèreà une simple prise de notes par écrit, donc de limiter la tâche à un seul domaine partiel de l’écriture, à savoir à la miseen forme écrite d’un contenu donné à l’avance, car on veut faciliter la tâche à l’apprenant à travers une réduction sup-posée de la complexité. On devrait plutôt leur rendre toujours possible un processus d’écriture « total », à partir de laconstitution d’une intention d’écriture jusqu’à la conclusion et par ex. à la publication du texte à l’intérieur du groupe.L’écriture dans la classe de langue étrangère devrait à ce propos être toujours productive et rédactionnelle, donc visertoujours à la rédaction d’un texte personnel.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 117

Cela correspond aussi à un modèle de l’écriture publié par Bereiter en 1980159, donc avant l’ouvra-ge plus connu qu’il a écrit avec Scardamalia. Selon ce modèle, le développement de l’écriture cons-titue un processus par étapes successives

(cité d’après Steinig/Huneke, 2002, p.115, ma traduction de la partie allemande)

Dans ce schéma Bereiter envisage cinq phases d’écriture qui vont de la plus simple (associative wri-ting) à la plus complexe (epistemic writing) et qui focalisent chacune sur un aspect de l’écriture, àsavoir le processus, le produit, ou le lecteur. En allant du point 1 au point 5 la focalisation soit sur leproduit soit sur le processus a lieu à un niveau aussi bien de plus haute complexité que de plus pro-fonde implication personnelle, jusqu’à arriver à la dernière typologie dans laquelle l’écriture consti-tue un processus qui permet d’acquérir savoir et connaissance, donc « ein heuristisches Schreiben »(une écriture heuristique), comme la définissent Steinig et Huneke (id., p.116)Selon Bereiter, les enfants suivent ces phases dans leur processus d’acquisition de l’écriture et,comme on le voit, il y a une alternance de centration sur le processus et sur le produit, même s’il fautdire que, selon lui, relativement peu de personnes atteignent la phase 5.Une fois encore, la conjonction des opposés s’impose: l’écriture doit être considérée aussi biencomme centrée sur un produit que comme processus, et cela surtout si on essaie d’en faire un instru-ment efficace non seulement pour l’apprentissage de la langue étrangère, mais aussi pour son usagecréatif. Comme je le dirai dans le chapitre suivant, cette double nature de la production écrite peutêtre plus facilement mise en évidence à l’aide des nouvelles technologies qui pourront ainsi être uti-lisées dans une perspective de facilitation d’ouverture à la créativité.

3.3.4 Écriture: enjeux psychologiques et rôle de la motivation

La double nature de l’écriture renvoie à la double nature du cerveau à laquelle je me suis référée aucours du deuxième chapitre. L’écriture est un mouvement d’aller-retour entre analyse et synthèse, et

Lecteur (3) Communicative Writing S'adresser à un lecteur potentiel

Produit (2) Performative (4) Unified Writing Writing Suivre des conventions Juger sa propre production scolaires écrite en tant que lecteur

Processus (1) Associative (5) Epistemic Writing Writing Écrire au fur et à mesure Écrire pour acquérir qu'on a des idées de la connaissance

159 Bereiter, C., Development in Writing. In: Lee W. Gregg, Erwin R. Steinberg (Hgg): Cognitive Processes inWriting. Hilldale N.J., 1980, S. 73-95.

118 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

ces deux composantes sont complémentaires, toute écriture consistant en effet de diffusion ou déve-loppement (analyse) et de condensation ou résumé (synthèse)160.Il faut alterner l’emploi du cerveau droit avec celui du cerveau gauche, il faut avoir une approcheholistique avant d’aller vers le détail, il faut compter sur un côté créatif/artistique et sur un côté cri-tique/artisanal:

Quand les psychologues de la Gestalt montraient que la perception d’une nouvelle forme sefait instantanément dans un éclair d’intuition (insight), ils soulignaient (sans le savoir à l’é-poque) la propriété principale du cerveau droit de reconnaître des formes complexes par unprocessus d’incubation puis d’illumination subite dans le transfert au cerveau gauche.Quand les spécialistes modernes de la créativité soulignent l’importance d’empêcher toute cri-tique – toute censure ou autocensure – pour trouver des idées créatrices, ils ne font que tenircompte de la puissance novatrice du cerveau droit, et la force conservatrice du cerveau gau-che qui la contrarie. C’est pourquoi Alex Osborn, fondateur du brain storming, vers 1935, interdit toute critiquedans les groupes de créativité au cours de la première phase créative.(Timbal-Duclaux, 1986,p. 42)

Après avoir cité les mots de plusieurs écrivains, qui tous déclaraient de différentes manières la natu-re double du processus d’écriture, Timbal-Duclaux conclut ainsi:

On pourrait multiplier de telles citations; toutes traduiraient cette intuition fondamentale: toutécrivain de valeur réussit à faire cohabiter deux personnages en lui: l’« enfant » créatif et« l’adulte » critique. (id., p. 43)

J’ai déjà analysé cette coexistence des opposés en traitant de la créativité au cours du deuxième cha-pitre: une opposition à laquelle je me suis référée est celle adulte/enfant (voir 2.8.2.3.). Il s’agit d’uneopposition – ou plutôt d’une coexistence – importante en psychologie, il suffit de penser qu’ellereprésente un des concepts clés de l’analyse transactionnelle, et de laquelle il faudrait toujours tenircompte au niveau de travail de classe. Il faut en effet aller au-delà du sens littéral des deux mots etvoir dans le mot « enfant » la dimension émotionnelle et affective de l’individu qui, comme je l’aimontré en début de ce chapitre, joue toujours un rôle fondamental, qu’on en soit conscient ou pas. Selon l’analyse transactionnelle l’enfant qui est dans chaque individu représente une ressource trèsimportante aussi bien au niveau individuel, pour ce même individu, qu’au niveau de la communau-té dans laquelle l’individu est inséré

Il Bambino anzi è per molti aspetti la parte più preziosa della personalità e dà all’esistenzaindividuale lo stesso contributo che un bambino vero reca alla vita familiare: simpatia, gioia,creatività. (Berne, 1967, p. 28)160 bis

Eric Berne se réfère à la famille, mais la classe est aussi une communauté aux liens très profonds.On retrouve ici donc, à propos de l’écriture, cette coexistence des opposés que l’on avait remarquéeà propos de la créativité. Il est intéressant d’ailleurs de voir quelles sont les autres oppositions queTimbal-Duclaux trouve en feuilletant les journaux intimes ou les interviews des écrivains: écriturede jet et relecture, création et critique, accumulation et élimination, innocence et contrôle, côté artis-te de l’écrivain et son côté artisan et critique (voir 1986, p. 43).Pour rester dans une perspective didactique, il faut avoir conscience qu’un enseignement ne peut êtreefficace que s’il prend en compte la dimension intellectuelle/ cognitive du sujet et sa dimension émo-tive/ affective, si l’enseignant se pose comme but celui du développement de la personnalité de l’ap-

160 Ces termes sont utilisés par Louis Timbal-Duclaux, L’écriture créative, Paris, Retz, 1986.160 bis L’enfant est au contraire à beaucoup d’égards la partie la plus précieuse de la personnalité et donne à

l’existence individuelle le même apport qu’un vrai enfant donne à la vie familiale: sympathie, joie, créativité.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 119

prenant. L’écriture se présente comme une pratique dans laquelle ces dimensions peuvent (et doi-vent) être impliquées très aisément. Je n’ai pas utilisé le mot « pratique » par hasard, mais pour sou-ligner d’un côté la perspective didactique dans laquelle ma recherche se situe, de l’autre le fait quele principe de learning by doing est particulièrement applicable à l’écriture: on n’apprend à écrire…qu’en écrivant. Mais il y faut une condition, et c’est que l’activité d’écrire réalise tout son potentield’innovation et d’invention.Piaget disait que « les fonctions essentielles de l’intelligence consistent à comprendre et à inventer »(1969, p.47) et l’écriture est lieu d’invention par excellence, car celle-ci se manifeste dans toute pro-duction écrite qui va au-delà de la simple copie, en entendant le mot copie dans une acception plusample que celle littérale (je me réfère par exemple à des rédactions très conventionnelles produitesà partir de modèles figés).S’il est vrai que les caractéristiques d’innovation et d’invention de l’écriture sont présentes à desdegrés différents – certaines tâches d’écriture gardant en effet un caractère plus routinier que d’aut-res – il est vrai aussi qu’elles ne présupposent pas forcément une création totale qui n’utilise riend’existant. L’écriture utilise aussi bien des savoir-faire que du matériel ou des idées existantes.

Le SE [savoir écrire] est un méta savoir-faire cognitif. Il organise sous l’orientation donnéepar le projet d’un scripteur, des SF [savoir-faire] disponibles, particuliers et complexes. Il secaractérise par un haut degré d’inventivité (Halté 1989, p. 8, en gras dans l’original)

Pour eux [les écrivains de l’Oulipo161], écrire c’est avant tout combiner des textes – ou desfragments de textes – anciens pour en faire des nouveaux. Donc écrire c’est d’abord prendrebeaucoup de notes, puis dans un second temps les combiner en un arrangement original pourproduire un texte nouveau. Et ceci est capital. Comme l’indique son étymologie, un texte estun tissu fait de l’entrecroisement de fils existants. Je ne crée pas les fils, je les utilise seule-ment pour créer un motif. Mon originalité ne vient pas des idées (les fils) mais de leur combi-naison (leur structuration). (Timbal-Duclaux, 1986, p. 101)

3.3.4.1 Écriture comme lieu d’émergence du sujet

L’idée de relier créativité et capacité combinatoire/organisationnelle permet aussi d’éviter l’impassedans laquelle peut se trouver l’enseignant quand il s’efforce de faire de l’écriture créative.Le terme « écriture créative » suggère des tâches de type imaginatif, telles que l’écriture de poèmes,de contes, d’histoires. Il s’agit d’activités très souvent proposées lors des ateliers d’écritures, les-quels ont commencé à se développer à partir des années 80 en langue maternelle pour gagner ensui-te l’enseignement de la langue étrangère. Une grande impulsion à ce type d’atelier est venue desEtats-Unis, où l’écriture créative a sa place parmi les enseignements offerts par les universités. Les activités d’écriture créative ont le grand mérite de prendre en compte le côté personnel de l’ap-prenant, de se relier à sa personnalité, donc de constituer un facteur remarquable de motivation: l’é-criture créative est un « journey of self-discovery, and self-discovery promotes effective learning »(Gaffield-Vile, 1998, p. 31)162.

161 Oulipo, sigle de l’Ouvroir de littérature potentielle, avait été fondé par François Le Lyonnais et RaymondQueneau. Autour des fondateurs il y avait des collaborateurs de valeur parmi lesquels George Perec. L’Oulipo est connudu grand public surtout par Zazie dans le métro et Exercice de style.

162 Un voyage de découverte de soi, et la découverte de soi promeut l’apprentissage efficace.

120 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Ils ont énormément contribué à ouvrir une nouvelle perspective en classe de langue:L’écriture en classe de langue étrangère est presque toujours une écriture de type scolaire –utilitaire, informative, communicative. Or, l’écriture poétique ou créatrice est une écriturefondamentalement opposée à cette dernière, et qui repose sur la notion de plaisir, de jeu, sus-ceptible de modifier l’attitude des apprenants face à l’écrit en général, de lever ce qui pour-rait faire obstacle à l’écriture, même à l’écriture scolaire. Notre activité d’enseignante de FLEnous a plus d’une fois permis de constater qu’il est plus facile, lorsqu’on se donne des tech-niques appropriées, de « débloquer » l’écriture poétique que l’écriture scolaire, cette deuxiè-me ne participant en très grande mesure que de la seule réalité objective, ne faisant interve-nir que très rarement les aspects moins superficiels de la subjectivité des apprenants, déclen-cheurs plus certains de l’écriture. Et non seulement de l’écriture poétique d’ailleurs. (Werly,1990, p. 30)

Ils ont aussi contribué à focaliser l’attention sur des aspects procéduraux de l’écriture qui jouent euxaussi un rôle fondamental:

Les apports [des ateliers d’écriture] sont importants sur de multiples dimensions: intégrationde la dimension psychologique, attention portée au texte, dispositifs de travail et surtout intro-duction forte des notions de règle, de durée et de réécriture dans l’enseignement de l’écriture.(Reuter, 1996, p.38)

Mais il est vrai aussi que limiter l’écriture créative à l’écriture littéraire – ce qui a été souvent le casdans les ateliers d’écriture – c’est courir le risque de ne pas impliquer la totalité des apprenants

There is always a danger that students may find writing imaginatively difficult. Having« nothing to say » they may find creative writing a painful and de-motivating experience, asso-ciated in their minds with a sense of frustration and failure. (Harmer, 2001, p. 260)163

Or, ce qui me semble justement représenter une limite des ateliers d’écriture c’est la distinction netteentre écriture imaginative/poétique et écriture utilitaire qui caractérise en général ce type de pratique.Il me semble au contraire qu’il ne faudrait pas se limiter à cette acception d’écriture créative: il fau-drait plutôt introduire la notion d’approche créative à l’écriture, ce qui permettrait d’ouvrir sur l’i-dée d’implication subjective et personnelle de l’apprenant dans tout processus d’écriture. Pourreprendre la démarche d’écriture proposée par Timbal-Duclaux que j’ai citée dans le paragraphe pré-cédent, l’écriture créative pourrait se placer dans une ligne qui va de la création ex novo de textesqui relèvent de l’intériorité de l’apprenant et de son vécu jusqu’à la combinaison originelle et per-sonnelle de matériels, de textes, d’idées que l’apprenant a pu saisir au cours de son processus d’ap-prentissage.Cette vision élargie de l’écritue créative dérive aussi de l’observation de ma pratique d’enseignantoù j’ai vérifié que, face à toute activité d’écriture créative au sens large du mot, normalement les élè-ves s’engagent beaucoup dans la tâche, souvent ils puisent leur matériel dans leur histoire person-nelle ou dans leur propre vision du monde qu’ils cherchent à représenter de façon le plus possibleappropriée et détaillée. Enfin ils sont normalement très fiers de leur « produit » qu’ils aiment mon-trer ou lire aux autres, cela constituant une valeur adjointe à la motivation initiale. Dans l’étude de cas qui est à la base de ma recherche et qui sera l’objet de la cinquième partie jedévelopperai plus en détails ces quelques « points forts » de l’écriture par rapport à l’utilisation desNTIC.

163 Il y a toujours un danger que les élèves puissent trouver l’écriture difficile du point de vue imaginatif. N’ayant« rien à dire » ils peuvent trouver l’écriture créative une expérience pénible et démotivante, associée dans leur espritavec un sens de frustration et d’échec.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 121

Ce qui me semble très efficace est la philosophie de base de l’écriture créative: en didactique deslangues il faudrait aborder toute écriture avec la fluidité qui caractérise les ateliers d’écriture et avecl’attitude du problem solving qui mène à la liberté de choix, de prise de risques, de travail sur et avecla langue, en un mot avec une relation de confiance par rapport à la parole écrite. Cette idée pourraitbien être appliquée de même à l’écriture de genre: la reconnaissance de l’extrême variété des typo-logies textuelles et leur appropriation à travers un processus d’écriture visant à l’appropriation desspécificités de chaque typologie peut être très efficace pour affiner les compétences scripturales del’apprenant. Le problème du décalage entre connaissance passive d’un genre textuel et capacité deproduction active d’un texte conforme au même genre textuel est autant commun que sous-estimé:ceci a été souligné par Privat et Vinson dans leur étude du probléme du genre faite à l’intérieur d’unprojet d’écriture de fables en classe.164

Voulant aborder la problématique du genre en classe de langue, il me semble très intéressant de sui-vre la position de Schaeffer165, qui déplorant le manque de consistance théorique de toute théorie degenre à sa connaissance, dégage, comme le dit Halté, les « quatre logiques indépendantes » dontl’entrecroisement aléatoire traverse les différentes théories:- tout texte est un acte communicationnel (impliquant qui parle à qui et avec quel effet);- tout texte a une structure (contenu sémantique et organisation syntaxique particuliers) à partir

de laquelle on peut extrapoler des règles ad hoc;- tout texte possède une dimension hypertextuelle (toute filiation possible qu’on peut établir entre

un texte et un ou plusieurs ensembles textuels antérieurs ou contemporains…définit une relationhypertextuelle);

- tout texte ressemble à d’autres textes (est passible d’une ressemblance avec d’autres, construi-te selon des relations de causalité indéterminées, établies du point de vue du lecteur…) (1992,pp. 115-116)

Il me semble que ces quatre « logiques » soient très indiquées pour être utilisées en classe de lan-gues à l’intérieur d’un travail visant à la prise de conscience de la part de l’apprenant des contrain-tes des différents genres textuels.Le type d’écriture qui se place dès le début à l’intérieur d’un genre est normalement perçu commeplus prescriptif dans l’enseignement de la langue étrangère. Cela est particulièrement fréquent dansle cas du FOS (français pour objectifs spécifiques), qui semble être incompatible avec tout ce quej’ai dit à propos de l’implication profonde du sujet dans l’apprentissage.Si on revient par contre à la définition de créativité que j’ai donnée dans le premier chapitre, donc sion la considère comme

faculté – tout à fait intrinsèque à la nature humaine et susceptible d’amélioration – de pro-duction et reproduction riche et originelle, de restructuration personnelle de concepts et dedonnées, d’usage autonome et non banal de tout élément même de nature différente (textes,images, musique…), de capacité de libre association et dissociation, tout cela dans le cadred’une dimension de plaisir, d’humour, de jeu (infra, 1.2.4.),

alors on s’aperçoit que toute écriture peut devenir créative parce qu’elle peut fonctionner comme lieude mémoire, d’appropriation, de créativité pour le sujet apprenant.Le travail d’entraînement à l’écriture fait à l’intérieur d’un cours de FOS devra donc (et peut êtred’autant plus) tenir compte de la nécessité d’implication subjective de l’apprenant afin qu’il puissecontribuer lui aussi à son projet expressif.

164 Privat J.-M. et Vinson M.-C., « Tableau de genre: travailler les critères en lecture écriture », Pratiques, n°59, sep-tembre 1988.

165 Schaeffer, J-M., Qu’est-ce qu’un genre littéraire?, Paris, Seuil, 1989.

122 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

Dans son œuvre sur l’écriture créative166, Brenner présente six thèses qui expliquent les raisons dubesoin d’un plus grand appel à la subjectivité des élèves dans l’institution scolaire.Le milieu scolaire est selon lui marqué par une Entsubjektivierung der Kommunikation (déperson-nalisation de la communication), dont il envisage la raison principale dans la centration sur lesaspects cognitifs et dans la pratique scolaire courante qui vise à faire en sorte que tous les élèves seconcentrent en même temps sur un même thème ou sujet. Cette dépersonnalisation de la communi-cation scolaire se produit à partir du Sekundarstufe I (l’équivalent du collège) mais elle est particu-lièrement évidente dans le Sekundarstufe II (l’équivalent du lycée) et trouverait son explicationdans une centration sur la capacité de pensée logique et abstraite (pensée formelle au sens piagétien)de l’adolescent. En réalité, il est clair que pour Brenner ce type de pensée n’exclut pas l’autre: ilpense que la dimension subjective, l’expression personnelle des élèves adolescents ne peut être quecomplémentaire à la dimension rationnelle, à la pensée logique, ce qui equivaut à dire qu’une for-mation efficace devrait impliquer les deux modalités de fonctionnement de l’esprit. Brenner présente aussi une autre raison pour justifier le besoin d’expression écrite de la part des élè-ves: l’envie d’expression personnelle, d’implication subjective représenterait un trait typique de l’a-dolescence. Brenner fonde ses considérations sur des études spécifiques167 et se réfère au domainede la langue maternelle, mais il me semble que ses considérations expliquent très bien les raisons, etles conséquences, de cette dépersonnalisation. J’ai montré d’ailleurs qu’en ce qui concerne l’écritu-re créative la langue étrangère partage avec la langue maternelle bien plus que des caractères super-ficiels.De l’avis de Brenner, on assiste à un manque de motivation de l’apprenant qui provient d’un côté dela perte d’autorité de l’adulte enseignant (l’apprenant ne veut plus accumuler du savoir statique dansl’attente de sa mise en pratique), de l’autre de la disparition de toute expérience d’apprentissageimpliquant les sens (les élèves perçoivent une abstraction croissante, une dévalorisation de l’expé-rience sensorielle), enfin toute cette dépersonnalisation ne fait que rendre plus vif le besoin d’uncontact authentique que l’élève tente de satisfaire d’abord avec ses amis, mais qu’il recherche aussi,même si avec des modalités différentes, avec l’enseignant.Par réaction vers l’éducation autoritaire beaucoup d’enseignants ont, selon Brenner, tâché de tenirsous contrôle le pouvoir qui leur venait de leur rôle, mais en faisant cela ils ont souvent tenu souscontrôle leur personnalité aussi: ils ont melé limitation de l’autorité avec limitation de la personali-té, dans la conviction qu’en laissant plus d’espace libre aux élèves, ceux-ci auraient pu s’exprimerdavantage. Mais cela n’est en général pas arrivé: l’espace est resté vide. Le besoin de subjectivité del’élève requiert selon Brenner une plus grande présence personnelle de l’enseignant, qui ne doit passe cacher derrière la prétention à l’objectivité, derrière un rôle figé, mais au contraire s’impliquerdans une relation personnelle authentique.

Offensichtilch belebt sich das Subjekt des Lernenden nur dann, wenn auch der Lehrende mitseiner Persönlichkeit deutlich im Bildungsprozeß präsent ist (Brenner, 1990, p.37)168

Il ne s’agit pas d’éliminer complètement la distance entre l’enseignant et l’apprenant qui, elle, déri-ve du différent niveau de compétence, mais d’établir une relation authentique entre deux personnes,deux individus, il s’agit à un niveau plus vaste de choisir une conception de l’enseignement qui n’im-plique pas une réification de l’apprenant.

166 Brenner, G., Kreatives Schreiben.Ein Leitfaden für die Praxis, Frankfurt am Main, Scriptor Verlag, 1990.167 En ce qui concerne ce dernier point mentionné il s’agit de la Shell-Studie: JUGENDWERK DER DEUTSCHEN

SHELL(Hrsg.): Jugend 81, Lebensentwürfe, Alltagskulturen, Zukunftsbilder, Bd. 1, Hamburg, 1981, une vaste recher-che sur le comportement des jeunes âgés de 15 à 24 ans, selon laquelle la pratique de l’écriture serait assez repandueparmi les jeunes, et elle est aussi assez variée.

168 Apparemment la subjectivité de l’apprenant ne se dégage que quand l’enseignant avec toute sa personnalité estprésent dans le processus éducatif de manière claire.

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 123

Freire169 propose une conception de « l’apprenant comme partenaire » qu’il oppose à une conception« bancaire » de l’éducation selon laquelle les apprenants seraient comme des comptes courants surlesquels l’argent est régulièrement déposé et prélevé à certaines occasions (par exemple pour desexamens).La conception de Freire se base sur l’idée de partage

The assumption here is not one of equality but one of a sharing relationship within which tea-chers recognise that they are also learners. The starting point for this kind of teachers is notone of « I’m in charge! », but one of « Let’s decide together how we can all benefit from ourtime together ». The underlying notions are of mutual trust and respect leading to growth anddevelopment for teachers and all their learners. (Williams and Burden, 1997, p. 59)170

Cette atmosphère de mise en commun, de confiance et de respect réciproques constitue sans doutele meilleur des cadres possibles pour favoriser l’expression libre et personnelle, donc la créativité del’apprenant et l’expression écrite pourrait vraiment devenir le lieu d’émergence du sujet, en particu-lier de l’adolescent, et ainsi répondre à son énorme besoin d’implication personnelle. En se référantaux travaux de ses élèves qu’il présente dans son livre Brenner écrit:

Die Praxis des Schreibens, die im folgenden dokumentirt wird, rückt das Subjekt desJugendlichen in den Mittelpunkt, seine situativen, affektiven und intellektuellen Bedürfnisse.Die thematischen und gestalterischen Impulse der Texte […] sind von den Jugendlichen selbstausgegangen (1990, p. 8)171

Mais en même temps il rappelle:Sofern das Interesse Jugendlicher an kreativem Schreiben […] in der Schule wirksam werdensoll, muß es deshalb befreit werden von gegenläufigen Befürchtungen, die sich aus den bishe-rigen Erfahrungen der Jugendlichen mit entfremdetem Schreiben ergeben. (ibidem)172

Il ne faut pas demander aux élèves des productions écrites dépersonnalisées, il faut leur demanderde s’impliquer dans leurs textes. Or, la langue étrangère, au lieu de constituer un obstacle à la pro-duction écrite plus ou moins libre, peut, dans cette prise en compte des besoins des adolescents, avoirune fonction de protection, en tant que code autre, initiatique pour ainsi dire, et de prise de distancepar rapport à sa propre personnalité. On pourrait même envisager un renversement de ce que j’aiexpliqué auparavant (voir 3.2.3.3): au lieu de se concentrer sur la tension entre vouloir dire et savoirdire, l’adolescent peut, dans un contexte sécurisant, vivre la langue étrangère comme un moyen quilui permet d’exprimer ce qu’il n’oserait pas faire dans sa langue maternelle.

169 Freire, P., Pedagogy of the Oppressed, New York, Continuum, 1970.170 La thèse ici n’est pas celle de l’égalité mais celle d’une relation de partage à l’intérieur de laquelle les ensei-

gnants reconnaissent qu’ils sont eux aussi des apprenants. Le point de départ pour ce type d’enseignant n’est pas celuide « Je suis chargé! », mais une relation du type « Décidons ensemble comment nous pouvons tous bénéficier du tempsque nous passons ensemble ». Les notions qui sont à la base de cela sont celles de confiance et respect réciproques quimènent à une croissance et à un devéloppement pour les enseignants et leurs apprenants.

171 La pratique de l’écriture, qui est documentée ici, met au centre l’adolescent en tant que sujet, ses besoins situa-tifs, affectifs, intellectuels. Les impulsions thématiques et organisationnelles du texte ont été données par les adolescentsmêmes.

172 Afin que l’intérêt des adolescents à l’écriture créative […] à l’école puisse devenir efficace, il doit être libéré descraintes actuelles, qui dérivent de l’expérience d’une écriture dépersonnalisée que les jeunes ont eue jusqu’à présent.

124 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

3.3.5 L’écriture, pratique individuelle ou sociale?

La pratique de l’écriture, que j’ai définie comme créative peut être non seulement le lieu d’émer-gence d’instances subjectives, mais aussi devenir un moyen de socialisation.L’écriture, comme je viens de le montrer (voir 3.3.3.), se présente comme un processus d’allers-retours sur son propre texte finalisé à l’accomplissement d’un projet expressif individuel, mais ellepeut aussi être vue comme un processus d’aller-retour entre deux pôles, le pôle individuel et le pôlerelationnel-interactionnel.Francis Vanoye parle de quatre « sources » de l’écriture, et il les présente dans un ordre qui va del’« intériorité » à « l’extériorité », tout en observant qu’elles ne sont pas cloisonnées sur elles-mêmeset qu’elles ne s’excluent pas l’une l’autre:

(Vanoye, 1989, p. 57)

Le choix du mot « source » me semble particulièrement intéressant dans la perspective de ma recher-che: le sujet apprenant écrira en puisant de différentes sources, en impliquant de différents aspectsde son être, en réalisant des activités différentes, en produisant des textes différents.Et il fera cela en travaillant seul ou avec d’autres. L’écriture comme activité coopérative s’est révé-lée très efficace dans un entraînement de l’apprenant à la maîtrise de l’habileté de production écritecentrée sur le processus d’écriture plutôt que sur le produit de cette même écriture, à savoir sur l’é-crit, et cela est arrivé aussi bien dans le cas de l’écriture expressive plus ou moins libre que dans le

SOURCES ASPECTS

DU SUJET

ACTIVITÉS TEXTES

Expérience

passée et

présente (1)

Affectif,

émotionnel,

corporel

Introspection,

remémorisation,

auto-analyse,

expression de

soi

Autobiographies

, lyrismes

Imaginaire (2)Cerveau droit

Rêverie,

associations,

inventions

Fictions et

"fantaisies"

Savoir et

connaissances

(3)

Cerveau

gauche,

Pôle idéal

Observation,

recherche,

théorisation,

raisonnements

divers…

Description,

argumentation,

réalismes…

PÔLE

IND

IVID

UEL

Langage et

textes

Cerveau

gauche

Pôle matériel

Manipulations,

jeux

Ré-écritures,

collages,

formalismes

PÔLE

REL

ATI

ON

NEL

-IN

TER

AC

TIO

NN

EL

Troisième Partie CREATIVITÉ ET ÉCRITURE 125

cas de l’écriture de genre. L’écriture coopérative contribue à l’accroissement de la motivation et à lacréation de liens sociaux forts et authentiques: à l’intérieur du groupe l’élève se sent plus libre, etl’activité de groupe l’aide à générer des idées qu’il aurait peut être eu des difficultés à trouver toutseul. Mais le rôle de l’enseignant est aussi modifié par l’activité de groupe: Boughey173 signale quele feedback est plus détaillé et plus constructif.L’écriture est donc une pratique sociale aussi parce qu’elle peut être un moyen pour reconsidérer lerôle de l’enseignant et sa relation avec l’élève, ce qui – comme l’a justement souligné Brenner – estfondamental. Pendant l’activité d’écriture l’enseignant sera surtout motivator, resource, feedbackprovider (celui qui fournit la motivation, qui constitue une ressource et qui donne un feedback)(Harmer, 2001, pp. 261-262). Ce sont des rôles délicats, qui impliquent vraiment l’enseignant en tantque personne et qui requièrent un effort spécial et durable, particulièrement dans les séquences d’é-criture prolongées, mais qui pour cela contribuent à lutter contre la dépersonnalisation de l’institu-tion scolaire et à aider un processus de croissance personnelle de l’élève.L’écriture comme phénomène social présente un grand intérêt du point de vue didactique. Voilà ladéfinition de l’écriture donnée par Reuter, qui se place explicitement dans une perspective didac-tique:

L’écriture est une pratique sociale, historiquement construite, impliquant la mise en œuvregénéralement conflictuelle de savoirs, de représentations, de valeurs, d’investissements et d’o-pérations, par laquelle un ou plusieurs sujets visent à (re)produire du sens, linguistiquementstructuré, à l’aide d’un outil, sur un support conservant durablement ou provisoirement de l’é-crit, dans un espace socio-institutionnel donné. (Reuter, 1996, p. 58)

Il fait suivre ces lignes d’une explicitation des notions contenues dans sa définition (je résume):• L’écriture transforme le support et produit des signes.• Elle est complexe, car elle articule du cognitif, du psycho-affectif et du socioculturel; des

savoirs, des investissements, des représentations, des valeurs et des opérations; de l’individuelet du collectif: toutes ces dimensions sont impossibles à isoler pratiquement.

• Il s’agit d’une pratique située physiquement, dans une situation donnée, dans un espace-tempsdéfini, par des postures, des gestes et des procédures, par des outils et des supports…

• Elle est inscrite dans l’ensemble de la vie sociale. Elle est socialisée et socialisante.• Elle s’inscrit dans l’histoire individuelle du sujet et dans l’histoire collective.• Elle s’exerce toujours en relation avec les autres pratiques du sujet, son rapport au monde, son

trajet, ses projets… (id., p. 59)

La production écrite relève donc du domaine de la complexité: complexité technique, en tant qu’ha-bileté, qu’activité qui comporte des savoir-faire précis pour réaliser des sous-tâches plus ou moinsstructurées; complexité individuelle en tant qu’activité qui implique toutes les dimensions du sujet;complexité sociale en tant que produit d’une activité de coopération ou au moins destinée à une com-munauté réelle ou virtuelle.Elle constitue à mon avis une habileté idéale pour une véritable prise en compte du sujet, pour unevalorisation des composantes créatives au sens général du mot, pour un lieu d’expérimentation de ladimension non purement utilitariste de la langue étrangère.Dans l’habileté de l’écriture on retrouve donc les composantes du schéma représentant les facteursde créativité esquissé par Gardner et encore plus celles contenues dans le schéma deCsikszentmihalyj, auxquels je me suis référée dans le deuxième chapitre (voir 2.8.3.1). Ces schémasprésentent la créativité comme liée à l’interdépendance de trois facteurs, à savoir l’individu, lechamp/la discipline et le milieu constitué par les autres individus avec lesquels on est en contact: l’é-

173 Boughey, C., « Learning to write by writing to learn: a group-work approach », ELT Journal, 51/2, 1997.

126 CREATIVITÉ ET ÉCRITURE Troisième Partie

criture peut donc constituer le cadre idéal pour libérer le potentiel créatif de l’élève, ainsi que pourun apprentissage actif et significatif.Je reviendai sur ce point en traitant des nouvelles technologies, car comme je le montrerai par lasuite, elles peuvent être employées comme support de créativité, surtout au niveau de l’écriture.

3.3.6 Écriture de projets ou projets d’écriture?

Lorsque l’on parle d’écriture créative, d’implication personnelle de l’élève et d’écriture collaborati-ve, il semble naturel de mentionner le travail de projet. J’utilise ici ce terme de « projet » dans unsens plutôt général, à savoir un travail de recherche, analyse, synthèse, et structuration conduit parun ou plusieurs apprenants sur un thème établi, organisé dans de différentes phases dont la dernièreest forcement la présentation des résultats du projet même, mais j’y reviendrai en détail dans la qua-trième partie pour rendre compte de ses caractéristiques spécifiques et pour le mettre en relation avecl’emploi des nouvelles technologies en classe de langue. Ce qui m’intéresse pour le moment, c’estde souligner à quel point le projet peut constituer le mode de travail idéal pour le développement dupotentiel créatif de l’élève, pour la prise en compte des différents types d’intelligence, pour unaccroissement de la motivation des élèves.Dans la perspective actionnelle présentée dans le Cadre européen de référence, donc dans une per-spective qui postule qu’on apprend une langue « en faisant », le projet apparaît comme une modali-té idéale d’apprentissage, mais, comme on l’a vu, l’écriture implique aussi une action, une manipu-lation du matériel linguistique, une utilisation de supports concrets, un produit plus ou moins dura-ble. Le projet et l’écriture semblent liés l’un à l’autre: la créativité de l’élève peut trouver un terrainfertile dans un travail de projet. Un projet passe toujours à travers des phases différentes qui impli-quent des activités communicatives langagières différentes, parmi lesquelles la production écritepeut jouer un rôle fondamental: à une phase de brain storming succèdera un brouillon, un plan duprojet qui sera modifié au fur et à mesure que le travail de repérage d’information et de matériauxse poursuivra. Un deuxième plan sera préparé ensuite et le travail sur le matériel sera lui aussi faitpar écrit, en alternant des moments de simple traitement de textes avec d’autres d’invention person-nelle, enfin il y aura une phase de révision et encore d’autres modifications possibles. Dans un telprojet, l’écriture est amenée à jouer naturellement un rôle de support, de mise au clair, de structura-tion, la production écrite créative pouvant être supportée et rendue plus expressive à travers un tra-vail sur d’autres codes sémiotiques, comme par exemple l’image. L’écriture peut aussi devenir cen-trale dans le projet même par exemple dans un projet d’écriture où les élèves produisent des textesécrits suivant la démarche que je viens de décrire.Comme je le montrerai plus en détail dans le prochain chapitre, les nouvelles technologies peuventencadrer, faciliter et favoriser le processus surtout à l’intérieur d’une didactique de projet, en don-nant une impulsion énorme à la créativité des élèves.

Quatrième partie

LES SUJET APPRENANTFACE AUX NOUVELLESTECHNOLOGIES:DÉFI OU SYNERGIE?

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 129

We shall not cease from exploration,and the end of all our exploring

will be to arrive where we startedand know the place for the first time

T.S.Eliot

4.1 Technologies et perspective didactique

Avant d’entrer dans le détail de la relation entre nouvelles technologies et apprentissage des langueset de baliser le champ de réflexion à l’intérieur de la perspective que j’ai choisie tout au long destrois premiers chapitres, il me semble essentiel de bien définir les mots et les sigles que j’utiliseraipar la suite. Cela me semble d’autant plus nécessaire car le domaine des « nouvelles technologies »est lié à un grand nombre de nouveaux termes et acronymes, ce qui risque d’être très désorientantpour le lecteur, compte tenu surtout de l’impossibilité de garder une certaine distance par rapport àces mêmes technologies. En effet, nous sommes tous submergés par la (ou les) technologie(s), lemanque de perspective étant donc inévitable. De plus ces mêmes technologies évoluent si rapide-ment que la recherche continue de nouvelles définitions et plus appropriées s’impose.Avant tout il faudrait se demander si l’utilisation de l’adjectif « nouvelles » a encore un sens, ou biens’il vaudrait mieux l’éliminer, évitant ainsi le risque d’ambiguïté. L’expression « nouvelles techno-logies » ne se justifie à présent que par le souci de différencier toute technologie comprenant la pré-sence d’un ordinateur, par rapport aux instruments qu’il y avait avant (magnétophone, télé/vidéo,laboratoire de langues…), qui automatiquement finissent par se définir comme « ancienne techno-logie », ce qui les accuse d’obsolescence. Or, avant tout il faut dire que cette accusation est tout àfait injuste, les mots clés de l’utilisation de tout support dans la didactique des langues étant intégra-tion et flexibilité, il n’y a donc pas, à la limite, de technologies obsolètes, en outre l’adjectif même« nouvelles », si d’un côté apparaît trop abusé et presque ridicule – ces technologies semblent des-tinées à rester nouvelles pour toujours – de l’autre engendre dans l’enseignant une sensation de n’ê-tre jamais suffisamment « à jour », d’être constamment en train de poursuivre quelque chose qu’iln’atteindra jamais, ce qui évidemment n’est pas le meilleur des présupposés pour lui donner l’envied’une introduction de ces mêmes technologies dans sa pratique professionnelle.Pour ces raisons je préfère plutôt utiliser dorénavant les expressions TIC (Technologie de l’infor-mation et de la communication) et TICE (Technologie de l’information et de la communication auservice de l’éducation). J’ai décidé de garder la différenciation et de ne pas me limiter à l’utilisation

130 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

du sigle TICE, ce qui pourrait sembler plus logique, car je pense que la différenciation entre les deuxn’est pas banale, mais implique aussi bien une différente perspective de la part de l’enseignant quela nécessité pour lui d’opérer des choix bien définis et de jouer un rôle actif par rapport aux moyensqu’il emploie.174 Dans un certain sens on commence à envisager, déjà au niveau terminologique, unecaractéristique des documents que l’enseignant peut (ou doit) utiliser en classe de langues qui a faitcouler des flots d’encre: je me réfère à la différenciation fondamentale entre document authentiqueet document non authentique. On pourrait dire que les TIC correspondent au document authentique,tandis que les TICE correspondent au document non authentique, mais comme je le montrerai aprèsla différenciation est bien plus subtile et plus complexe que cela.À l’intérieur du grand domaine TIC, qui fonctionne comme un cadre de référence, bien d’autres ter-mes sont utilisés couramment. Je tâcherai de définir ceux qui me semblent essentiels pour ma recher-che et que je citerai plusieurs fois au cours de mon travail, car le balisage de la signification adop-tée contribue à clarifier la perspective choisie pour la recherche.Le premier terme est celui de « multimédia ». Il s’agit là aussi d’un mot plutôt abusé; par la suite jel’utiliserai chaque fois que je ferai référence à l’emploi d’une combinaison de codes sémiotiques dif-férents (verbal, graphique, sonore, vidéo), soit dans le cas d’une utilisation simultanée, soit dans lecas d’une utilisation non simultanée, mais finalisée à un but précis et spécifique. Un autre terme important est « hypertexte »: il s’agit dans ce cas d’un document informatique, com-posé de plusieurs « pages ». Il permet une lecture non linéaire de la part de l’utilisateur qui peut sedéplacer comme il veut par des « clics » de la souris sur des zones de l’écran indiquées comme sen-sibles (« mots chauds », boutons, images…). Pour plus de précision il faudrait distinguer « hyper-texte » d’« hypermédia », ce dernier indiquant un hypertexte qui comprend aussi des codes sémio-tiques différents tels que sons ou images, il faut noter toutefois que le premier est souvent utiliséaussi pour indiquer le second, ce qui sera aussi le cas dans la suite de ce travail.Ensuite il y a le mot « logiciel » qui mérite une attention particulière. Il s’agit évidemment des pro-grammes, des instructions qui contrôlent ce que la machine, le disque dur, fait, mais le point fonda-mental n’est pas là, il se trouve plutôt dans toutes les différentes spécifications du terme logiciel. Onparle de logiciel fermé ou de logiciel ouvert selon que l’on puisse ou pas en modifier le contenu, dedidacticiel, s’il s’agit d’un logiciel spécialement conçu pour des finalités didactiques, de logicielintégrateur ou intégré selon la possibilité d’inclure, ou bien l’inclusion proprement dite d’outils dif-férents (de référence, d’organisation, de réflexion…). Or toute cette différenciation, si intéressanteque ce soit du point de vue technique, n’aide pas ma réflexion qui sera toujours fortement axée surles aspects pédagogiques, comme il a été évident tout au long de trois premiers chapitres. Je parle-rai donc en général de logiciels pour marquer la distinction de ceux-ci avec le disque dur, et je n’en-trerai dans le détail que quand cela est strictement nécessaire.Enfin il me semble nécessaire de dédier quelques lignes à ce que l’on entend par le mot « ordina-teur », même si cela peut paraître tout à fait inutile. Celui-ci est en fait utilisé par les non-techniciens– et les enseignants, tout comme les élèves, n’appartiennent pas normalement à cette catégorie –comme mot passe partout, non seulement pour indiquer la machine, mais aussi les logiciels de base,comme par exemple ceux de traitement de texte. Cette appellation qui reste dans le flou (tout commecelle de nouvelles technologies d’ailleurs) mérite une attention particulière car elle constitue unsignal de l’attitude envers l’instrument qui est encore la plus fréquente au moins au niveau scolaire.L’ordinateur est perçu comme un tout unique constitué du disque dur et des logiciels qui y sont nor-malement installés au moment de l’achat. On n’a pas de difficulté à percevoir les cédéroms commedes logiciels détachés de l’ordinateur, tandis que pour d’autres logiciels de base qui nécessitent d’uneinstallation sur le disque dur la perception reste tout à fait différente. Dans la logique de ma recher-

174 Je montrerai pourquoi et comment il vaut la peine d’utiliser les instruments les plus divers comme stimuli à untravail didactique.(voir 4.3.)

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 131

che je suis volontairement partie de la perception des non-techniciens, donc j’entends l’ordinateurcomme un instrument présentant trois fonctions de base: source de matériel autentique, outil de trai-tement de textes, moyen de communication.

4.1.1 L’ordinateur: source de matériel authentique

4.1.1.1 Internet et les documents authentiques

La notion de « document authentique » est loin d’être liée aux TIC: elle est au contraireassez ancienne. Elle apparaît dans les années 1920 et réapparaît un demi-siècle plus tard dansles années 1970 dans le même cadre d’une réaction contre les textes de base fabriqués (directs,puis audio-visuels) ainsi que d’une revalorisation de la composante culturelle dans l’ensei-gnement des LVE [langues vivantes étrangères] (Puren, 1988, p. 255)

et même si les querelles n’ont pas manqué sur le quoi et le quand utiliser des documents authentiquesen classe de langue175, il faut souligner que l’importance du document authentique n’a jamais étéremise en cause, ceci ayant au contraire eu un rôle encore plus déterminant à partir de l’introductionen didactique des langues du concept de compétence interculturelle: la réflexion didactique actuel-le accorde une très large place à l’utilisation pédagogique de documents authentiques (Bertin, 2001,p. 125). Sur la nature même du document authentique il y eut pas mal de discussion, la position plus claireétant à ce propos celle bien connue de Galisson, qui questionne l’authenticité de ce même documentune fois introduit dans la pratique de classe176. Besse parle aussi de documents plus ou moins « dés-authentifiés » par l’usage didactique qui en est fait et Widdowson, de son côté, parle d’illusion d’au-thenticité car il affirme que le sens dans la réalité est créé par un agent humain et n’est pas entière-ment contenu dans le texte.177

Ce qui m’intéresse ici n’est pas toutefois de parcourir les querelles qui se sont produites autour dece concept, ni de reconsidérer sa fortune historique, je voudrais au contraire mettre en évidence lanouvelle perspective qui se crée avec l’ordinateur par rapport aux documents authentiques.D’un côté il y a l’énorme offre constituée par Internet178, qui représente una fonte inesauribile dimateriali autentici il cui contenuto culturale può facilitare la comprensione della cultura veicolata

175 voir Puren C., Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, Paris, Clé International, 1988, p. 368.176 Ce concept a été exprimé dans plusieurs œuvres de Robert Galisson.Pour une bibliographie complète de l’œuv-

re de Galisson voir « De la méthodologie à la didactyologie. Hommage à Robert Galisson », in Études de lingistiqueappliquée, n°123-124, juillet-décembre 2001, coordonnée par Christian Puren, pp. 501-512.

177 Besse H., « Documents authentiques et enseignement/apprentissage de la grammaire d’une langue étrangère »,in Cortès (éd.) Une introduction à la recherche en didactique des langues, 1987, pp. 181-214.Widdowson, H.G., Aspectsof language teaching, Oxford, Oxford University Press, 1990.

178 Je ne ferai pas de distinction dans l’usage terminologique entre Internet et W3 (ou World Wide Web), en realitéle premier indique un réseau mondial d’ordinateurs public ou privé, le seconde se réfère à un des outils permettant d’ex-ploiter ce même réseau.

132 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

dalla lingua target179 (Vergaro, 1998, p. 317). Même si ceci n’est pas une nouveauté pour bien desenseignants qui sont conscients de la valeur potentielle de cette grande ressource, il faut remarquerque, en général, l’optique est encore celle de considérer Internet comme une immense biblio/média-thèque de laquelle on peut à l’occurrence télécharger un document pour y travailler d’une façon plusou moins traditionnelle en classe de langue. La valeur ajoutée d’Internet est au contraire le fait qu’ildonne l’occasion d’introduire une façon tout à fait nouvelle de travailler

L’uso di internet favorisce un tipo di apprendimento attivo, costruttivo e collaborativo. Attivoperché implica la decisione su quali percorsi seguire; costruttivo perché permette di integra-re le nuove conoscenze con quelle già acquisite; collaborativo perché i discenti possono vede-re e usare ciò che altre persone hanno immesso sulla rete e a loro volta mettere le proprie espe-rienze a disposizione degli altri creando anch’essi un sito180 (id., p. 318, je souligne)

Cette façon de travailler constitue une véritable révolution en classe de langues et redéfinit force-ment le rôle de l’enseignant

…cette évolution modifie fondamentalement l’enjeu didactique: il ne s’agit plus pour les ensei-gnants de choisir le bon document et de le didactiser pour enseigner avec, mais de construiredes dispositifs dans lesquels les apprenants auront à choisir eux-mêmes leurs documents, et àapprendre avec en manipulant et transformant leurs données pour produire eux-mêmes denouveaux documents. Ce qui repose en des termes nouveaux le problème de la cohérence d’en-seignement/apprentissage, puisque celle-ci ne peut plus ête réalisée, comme jusqu’à présent,au moyen de l’intégration didactique autour d’un support d’enseignement.(Puren, SymposionSprachen u. Medien, Saarbrücken, 8-10 Oktober 2001, à paraître, souligné par l’auteur )

cette révolution ne regarde justement pas seulement l’enseignant: l’élève y est impliqué de façonspéculaire car il devient sujet actif de son propre apprentissage, l’aspect le plus frappant reste toute-fois le rapport qui se crée inévitablement avec le document authentique quand celui-ci est sur unsupport numérique.L’élève n’a pas la même réaction face au document authentique sur support numérique que devantun document authentique sur support papier. Déjà le fait d’être inconsistant et virtuel semble impli-quer la perte de cet aura que forcément tout document authentique possède et semble autoriser uneaugmentation de la confiance de la part de l’apprenant: le document semble inviter l’apprenant àl’appropriation, à la manipulation, bref à une intervention personnelle et pour cela créative.La manipulation d’un document authentique sur support papier se limite plus ou moins au souligne-ment, à la prise de notes, tandis que le document sur support numérique peut être fait l’objet d’untas de manipulations énormes qui aident l’appropriation profonde du matériel de la part de l’appre-nant. L’intervention sur le document de la part des élèves peut devenir tellement forte que le docu-ment d’origine en est complètement transformé, il s’agit d’un autre document au sens propre.

179 Une source inépuisable de matériels authentiques dont le contenu culturel peut faciliter la compréhension de laculture véhiculée par la langue cible.

180 L’emploi d’Internet favorise un type d’apprentissage actif, constructif et collaboratif. Actif parce qu’il impliquela décision sur quels parcours suivre; constructif parce qu’il permet d’intégrer les nouvelles connaissances à celles déjàacquises; collaboratif parce que les apprenants peuvent voir et utiliser ce que les autres personnes ont mis sur la toileet à leur tour mettre leurs propres expériences à la disposition des autres en créant eux aussi un site.

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 133

La relation classique:

Devient bien plus riche:

L’enseignant peut proposer des documents de départ (documents 1) sur lesquels l’élève travaille jus-qu’à en créer des différents (documents 2), mais le choix des documents peut aussi être fait par l’é-lève en autonomie et la relation enseignant/élève peut passer ou pas à travers les documents, dans cedernier cas l’enseignant joue un rôle de guide et de support tout en laissant à l’élève le choix du tra-vail. Entre les documents de départ et ceux d’arrivée il y a aussi une relation, qui peut être très dif-férente, allant de la quasi-identité à la différenciation totale.Cette approche aux documents ne doit pas toutefois mener à une sorte de libre service du matérielpour parvenir à la composition plus ou moins personnelle d’un collage de la part de l’apprenant (voirau chapitre 3 – par.3.2.2.4.- ce que dit en propos Serra Borneto): face à l’énorme choix disponible lerôle de guide et de moniteur assumé par l’enseignant devient d’autant plus important, tout commel’encadrement de la recherche et de la consultation du matériel à l’intérieur d’un projet. Ce qui estimportant c’est la logique dans laquelle l’apprenant travaille: il sélectionne, organise, modifie desdocuments authentiques, il s’en approprie en vue de l’accomplissement d’une tâche ou d’un projetdidactique complet.Un usage ciblé d’Internet peut vraiment aider à introduire en classe de langue l’approche par la tâchequi est envisagé par les documents européens et dont je vais parler au paragraphe 4.4.2.: non seule-ment il peut aider à passer d’un curriculum form-based à un curriculum content-based ou task-orien-ted et donc de focaliser l’action didactique sur l’action et le contenu plutôt que sur une progressionlinéaire des structures allant du simple au complexe, mais peut être l’occasion de développer chezl’apprenants des habiletés de type cognitif outre que celles de type linguistique.

Enseignant

Document

Élève

Document(s)1

Enseignant élève

Document(s)2

134 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

Oltre ad esercitare le abilità di lettura e comprensione, essa [la ricerca di informazioni suinternet] richiede infatti abilità come quelle dell’individuazione, della selezione e della valu-tazione degli argomenti, come lo scarto di quelli inutili, la scelta di quelli interessanti, l’ap-profondimento di quelli rilevanti. Ed ancora capacità di revisione, di sintesi e di organizza-zione per la presentazione dei risultati della ricerca. Dal punto di vista glottodidattico la lin-gua viene usata in un contesto autentico e comunicativo; essa non è l’oggetto dell’apprendi-mento, ma uno strumento per conoscere il mondo. Dal punto di vista cognitivo vengono eser-citate e sviluppate strategie di studio connesse con il processo di apprendimento in genera-le.181 (Porcelli, Dolci, 1999, p. 93)

Cette nouvelle perspective offerte par Internet est très intéressante car elle relie des tendances fon-damentales de la recherche pédagogique récente. Avant tout il faut souligner que le processus derecherche sur Internet peut être vu comme une possible application de la théorie du constructivismepiagetien, selon laquelle l’apprenant construit ses connaissances de manière active au lieu de lesacquérir sous la forme proposée par l’enseignant

Secondo il costruttivismo l’apprendimento implica la riorganizzazione delle conoscenze in retiassociative che permettono all’apprendente di combinare idee, fare estrapolazioni ed estrarreinferenze. Queste reti sono costituite dalle informazioni preesistenti e dai legami tra di esse.L’apprendimento sarebbe il risultato dell’inserimento di nuovi dati e dell’istituzione di colle-gamenti con la struttura conoscitiva preesistente. Questa attività di collocazione di dati e dielaborazione di reti di associazioni sarebbe per il costruttivismo, del tutto soggettiva e quindinon può essere insegnata ma semmai favorita dalla discussione, dal richiamo di esperienzeprecedenti, dall’incoraggiamento a rielaborare in modo personale le informazioni e cosìvia.182 (Vergaro, 1998, pp. 311-312, je souligne)

La perspective Vygotskyenne elle aussi est mise en cause par un usage actif d’Internet: selonVygotsky l’interaction sociale est la source primaire du comportement et de la cognition, or Internetpeut être utilisé dans le cadre d’un apprentissage collaboratif aussi bien à l’intéreur d’un travail parprojets que comme véritable instrument de communication interpersonnelle (voir 4.4.4 et 4.1.3.).Tout cela ne doit toutefois pas faire oublier qu’Internet reste un moyen, un outil qui, même s’il pos-sède des potentialités didactiques énormes, n’est pas capable, tout seul, de générer de l’apprentissa-ge. L’aspect pédagogique reste toujors central, il devient même, si possible, plus central, car une pro-grammation très précise joue un rôle clé, tout comme la capacité de la part de l’enseignant de chan-ger, face aux TIC, son rôle et sa fonction parvenant à devenir de plus en plus guide et support

L’insegnante ha il compito di sostenere le attività dell’allievo dapprima con una puntualedimostrazione ed esemplificazione di come si svolgono certi particolari compiti, quale meto-dologia utilizzare, fino ad una progressiva emancipazione dello studente che conquista unapropria e specifica competenza e una indipendenza di pensiero e di azione. Il sostegno offer-

181 Outre qu’exercer les habiletés de lecture et compréhension, elle [la recherche d’information sur Internet] néces-site en fait des habiletés comme celle de l’individualisation, de la sélection et de l’évaluation des thèmes, tout commel’élimination de ceux inutiles, le choix de ceux intéressants, l’approfondissement de ceux relevants. Et encore la capa-cité de révision, de synthèse et d’organisation pour la présentation des résultats de la recherche. Du point de vue glot-todidactique la langue est utilisée dans un contexte authentique et communicatif: elle n’est pas l’objet de l’apprentis-sage, mais un instrument pour connaitre le monde. Du point de vue cognitif on exerce et développe des stratégies d’é-tudes liées au processus d’apprentissage en général.

182 Selon le constructivisme l’apprentissage implique la réorganisation des connaissances dans des réseaux associa-tifs qui permettent à l’apprenant de combiner des idées, de faire des extrapolations et des inférences. Ces réseaux sontconstitués par les informations préexistentes et par les liens entre elles. L’apprentissage serait le résultat de l’insertionde nouvelles données et de l’institution de connexions avec la structure de connaissance précédente. Cette activité decollocation des données et d’élaboration de réseaux associatifs serait pour le constructivisme complètement subjectiveet donc elle ne peut pas être enseignée mais tout au plus favorisée par la discussion, par le rappel d’expériences pré-cédentes, par l’encouragement à reélaborer les informations de façon personnelle et cetera.

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 135

to dall’insegnante è simile a quello delle impalcature dei « lavori in corso » (il cosiddetto scaf-folding): man mano che « l’edificio » si va costruendo, l’impalcatura viene tolta fino a spari-re completamente. Gli studenti sono incoraggiati a procedere nelle attività di apprendimentosempre più autonomamente, pur confrontandosi continuamente con i propri pari e sapendo diavere l’insegnante comunque pronto per una guida e un aiuto.183 (Ligorio, in Trentin, 1996, p.74)

4.1.1.2 Les logiciels comme documents authentiques

Le document authentique est normalement conçu comme un document destiné aux parlants natifs,donc par exemple un journal, une émission radiophonique, une publicité peuvent être considérésdocuments authentiques, tandis qu’on définit des documents non authentiques ceux qui ont été créésexprès pour des apprenants de langues, des parlants non natifs (voir Harmer, 1983, p.146 et suiv.).Henri Besse définit le document authentique à posteriori:

En didactique des langues étrangères, on entend le plus souvent par « document authentique »des messages (verbaux ou verbo-iconiques) prélevés au sein d’échanges ayant réellement eulieu entre des natifs de la langue enseignée et donc, par nature, conformes aux pratiques com-municatives attestées de ceux-ci. (Besse, 1987, p. 183)

Bertin en donne une définition synthétique et qui peut être considérée comme une médiation entreles deux: « Extrait représentatif de la communication réelle » (Bertin, 2001, p. 176)Or, s’il est évident que les documents tirés d’Internet sont en général des documents authentiques (àl’exception évidemment des textes et exercices expressément conçus pour l’apprentissage, quid’ailleurs peuvent eux-mêmes s’appuyer sur des documents plus ou moins authentiques), et commeje viens de dire la relation de l’apprenant avec ces documents tend à être plus libre et personnelle, ilfaut pousser la réflexion un peu plus loin pour pouvoir se référer aux logiciels, car il faut considérerla double nature de beaucoup de logiciels, à savoir celle d’outils et de sources documentaires.Par analogie avec les documents, je subdiviserais les logiciels en deux grandes catégories: les logi-ciels non authentiques et les logiciels authentiques.Parmi les premiers je mettrais non seulement tous les didacticiels, à savoir les logiciels destinés àl’enseignement ou à l’apprentissage, comme par exemple cédéroms ou diquettes comme support desméthodes, cours de langue sur support numérique, mais aussi tout logiciel qui intègre des outilsvisant à favoriser l’apprentissage d’une langue, comme par exemple dctionnaires d’apprentissage enligne ou sur cédérom, sites web pédagogiques ou cours de langues en ligne, systèmes-auteur pré-sentant des outils spécifiques de support à l’apprentissage.Dans le second groupe je mettrai tous les logiciels grand public allant des cédéroms de divulgationculturelle ou scientifique, aux encyclopédies et aux dictionnaires destinés aux parlants natifs, mais

183 L’enseignant a le devoir de soutenir les activités de l’élève tout d’abord avec une démonstration et une illustra-tion ponctuelle de la manière dans laquelle on accomplit certaines tâches particulières, quelle méthodologie utiliser, jus-qu’à une progressive émancipation de l’étudiant qui conquiert une propre compétence spécifique et une indépendancede pensée et action. Le soutien offert par l’enseignant ressemble à celui d’un échafaudage des « travaux en cours » (ceque l’on appelle scaffolding): au fur et à mesure que le bâtiment est construit, l’échafaudage est enlevé jusqu’à dispa-raître complètement. Les étudiants sont encouragés à procéder dans les activités d’apprentissage de façon toujours plusautonome, tout en se confrontant continuellement avec leur égaux et en sachant d’avoir en tout cas l’enseignant prêt àêtre un guide ou à donner de l’aide.

136 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

aussi les logiciels de traitement de textes, ceux de présentation, les logiciels destinés à la gestion ducourrier électronique et ceux spécifiques pour la création de pages web. Dans ce dernier groupe, cédéroms, encyclopédies et dictionnaires appartiennent à la catégorie« documents authentiques » tandis que les autres logiciels (de traitement de textes, de présentation,de gestion du courrier électronique et de création de pages web) peuvent être considérés des outils.

4.1.1.3 Le concept d’outil authentique

Ce concept d’outil mérite à mon avis une réflexion plus approfondie, car dans le cas des logiciels ilne s’agit pas d’un outil n’importe lequel, seulement plus performant. S’il est vrai que beaucoup d’ac-tivités peuvent être faites même à l’aide de crayon et d’un papier, il est vrai aussi que les logi-ciels/outils transforment radicalement la façon de faire ces mêmes activités. Ce discours est valableaussi pour les systèmes auteur, que j’ai inclus parmi les logiciels non authentiques car ils sont conçuspour l’apprentissage des langues, mais ce sont aussi des outils avec lesquels on peut créer des acti-vités et je montrerai que dans une perspective renversée par rapport à l’usage courant en classe delangue, à savoir une perspective dans laquelle l’apprenant devient l’auteur, ils finissent par partagerla même nature des autres logiciels/outils.La notion d’authenticité, qui est devenue centrale par rapport à l’apprentissage des langues étrangè-res, se réfère en principe au domaine de la communication: elle semble donc en général choisir lalinguistique comme science d’appui, les documents authentiques étant des textes (écrits ou oraux).Un autre code souvent impliqué est celui visuel: les documents peuvent être aussi audio-visuels, pré-senter des images sous forme de photos, dessins, symboles, icônes etc., mais en général le texte joueun rôle fondamental.Il faut à mon avis élargir le concept d’authenticité jusqu’à y investir tout ce qui n’a pas été créé dansle but d’enseignement/apprentissage, ce qui d’un côté nous éloigne de la linguistique, mais de l’au-tre nous ouvre le reste du monde, car tout peut être utilisé pour apprendre (et donc pour enseigner)une langue étrangère.Authentique est à mon avis tout ce qui apporte de l’authenticité dans la classe de langue, qui appor-te la dimension de la vie réelle, de la (ou des) culture(s) cible(s), mais aussi qui apporte l’investis-sement du sujet apprenant dans la vie de la classe, sa réalité, son expérience, son vécu.Sur cette idée s’appuie aussi bien l’utilisation des realia (objets de la vie réelle) en classe de langue,que celle des Cuisinaire rods (voir Scrivener, 1994b, pp. 169-171), des matériels « faits maison »tels que des collages, des marionnettes ou pourquoi pas des ombres chinoises ou de la musique et engénéral tout ce qui fait appel aux autre sens, non seulement à la vue et à l’ouïe.Or, les logiciels que je viens de définir « outils » participent eux aussi de l’authenticité: ce sont deslogiciels que les parlants natifs utilisent pour « faire des choses » avec leur langue maternelle, unfrançais par exemple écrira une lettre à un ami en utilisant la version française de Winword ou la ver-sion française de Outlook express dans le cas d’un mél et même si l’apprenant qui vit hors de laFrance utilise en général la version de son pays de ces mêmes logiciels, il fait les mêmes opérationsque son collègue français.L’effet de rupture des logiciels de traitement de texte, de présentation, de gestion et de compositionsur les pratiques de classe est potentiellement énorme et il faut ne pas oublier cette double nature quiles caractérise.

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 137

Les TIC relèvent d’un côté de la nature des documents authentiques qui ont été introduits en classede langues dans les années 70 et de l’autre de la nature du laboratoire de langue utilisé à partir de laméthodologie audio-orale. Comme ceux-ci toutefois elles peuvent avoir deux côtés opposés, l’unpositif et l’autre négatif. Comme les documents authentiques les TIC peuvent donner aux élèves lesens de la réalité de la langue étrangère, ils peuvent aider à en considérer la caractéristique de moyende communication et fournir un ancrage aux buts sociaux de ce moyen, donc ils peuvent contribuerà la hausse de la motivation des élèves, en leur donnant une sensation de liberté, d’autonomie opé-rationnelle, d’ouverture sur l’extérieur, d’interactivité. Elles peuvent vraiment aider à franchir lesmurs de la classe, mais en même temps elles peuvent engendrer beaucoup de frustration si elles n’ontpas été choisies d’une manière attentive et cohérente avec le niveau de compétence des élèves et lesbuts d’apprentissage.Comme le laboratoire de langues, les TIC peuvent aider l’apprenant à travailler en autonomie, sui-vant son rythme et son niveau, faisant recours à l’enseignant seulement quand il en a besoin et viceversa elles peuvent permettre à l’enseignant d’agir comme un facilitateur, un conseiller, une res-source; de l’autre côté les TIC peuvent être banalisées à instrument pour faire de simples exercicesstructuraux, pour suivre un parcours rigide et structuré à l’avance, dans lequel les élèves feront tousla même chose en même temps dans le but de parvenir aux mêmes résultats.Les TIC présentent donc de grandes potentialités pour l’apprentissage, mais c’est la réflexion péda-gogique qui doit rester centrale: elles fournissent une impulsion à l’action, à « faire avec » la langue,il ne s’agit pas seulement d’un instrument plus performant que le papier et le crayon, mais il faut quel’enseignant porte son attention « non soltanto su ciò che si fa con il computer, ma anche su quelloche si ha nella testa quando lo si usa »184 (Antonietti, Cantoia, 2001, p. 9).

La semplice introduzione del computer, non accompagnata da operazioni psicoeducative utilia rendere [gli apprendenti] consapevoli delle specificità, delle risorse e dei limiti dello stru-mento che si vuole impiegare rischia, dopo gli iniziali entusiasmi, di non portare alcun pro-gresso nell’apprendimento. […] pare opportuno che l’uso del computer sia accompagnatodalla consapevolezza dei set di apprendimento che vengono messi in atto nelle situazionididattiche e dalla capacità di renderli rispondenti agli scopi prefissati.185 (ibidem)

Je reviendrai sur ce point plus en détail en parlant de la perspective actionnelle et de la pédagogie deprojet tout comme de leurs relations avec les TIC.

4.1.2 L’ordinateur comme outil de traitement de textes

La fonction de l’ordinateur comme outil de traitement de textes est justement centrale dans la listeque je propose, car en effet elle est presque toujours impliquée dans le cas d’une approche active àl’ordinateur, quand il est conçu en tant qu’instrument qui permet de « faire », de « produire » deschoses.

184 Non seulement sur ce que l’on fait avec l’ordinateur mais aussi sur ce que l’on a dans la tête quand on l’utilise.185 La simple introduction de l’ordinateur, qui ne s’accompagne pas d’opérations psychoéducatives utiles à rendre

[les apprenants] conscients des spécificités, des ressources et des limites de l’outil que l’on veut employer risque, aprèsles enthousiasmes initiaux, de n’apporter aucun progrès dans l’apprentissage[…] il semble convenable d’accompagnerl’emploi de l’ordinateur à la conscience des sets d’apprentissage que l’on met à exécution dans les situations didac-tiques et à la capacité de les rendre respondants aux objectifs préfigés.

138 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

Les fonctions de base d’un outil de traitement de textes sont à l’apparence universellement connueset donc considérées comme acquises, mais si elles le sont peut-être dans le domaine de l’ office auto-mation, leur application au domaine de l’apprentissage requiert une réflexion plus approondie en ter-mes d’implications et de retombées qu’elles peuvent avoir sur le processus même d’apprentissage.Ces fonctions sont différentes car elles concernent des niveaux plus ou moins profonds du traitementde texte; à la même manière leurs effets sur le processus d’écriture peuvent concerner de différentsaspects de l’écriture, allant de la dimension éditoriale à celle de la structuration des textes propre-ment dite. Chacune de ces fonctions peut toutefois avoir des implications profondes sur l’apprenant,dans le sens qu’elles peuvent influencer la relation individuelle avec le phénomène écriture. Si parexemple l’apprenant pense avoir une mauvaise graphie et ne pas être capable de rédiger une bonnecopie des textes à présenter à l’enseignant, le fait même de pouvoir dactylographier son texte et depouvoir l’améliorer en utilisant toutes les fonctions de rédaction contribuent à améliorer sa confian-ce par rapport à la production écrite. À un niveau plus profond, le fait de pouvoir modifier son textejusqu’à le changer complètement, de pouvoir l’organiser sous forme de liste, de pouvoir combinerdeux textes différents en en faisant un seul, pour ne donner que quelques exemples, et de pouvoirfaire tout cela avec des fonctions élémentaires telles que copier/coller ou simplement en appuyantsur une touche de la souris aide l’apprenant à acquérir un sens de confiance par rapport au texte écritqu’il n’a pas quand il utilise du papier et un crayon.Enfin le texte visualisé sur l’écran n’est qu’un texte virtuel, l’hypothèse d’un texte, qui pourra «prendre vie », devenir réel dès qu’il sera imprimé, ou qu’il sera publié sur le web, ou sauvé sur unsupport tel qu’une disquette ou un CD: ce caractère de virtualité appliqué à l’écriture présente desaspects très intéressants. D’un côté il renforce la caractéristique de fluidité et de souplesse liée à lapossibilité de transformer indéfiniment le texte, de l’autre ouvre sur la formalisation du texte même,sur la possibilité de le publier, de le rendre semblable à un texte professionnel: encore une fois lamotivation à écrire se trouve renforcée par les caractéristiques du moyen.Dans un article paru en 1987, Piper soutenait que l’utilité majeure d’un ordinateur en classe consis-tait en l’usage de cet appareil en tant qu’outil de traitement de textes186 parce qu’il donne la possibi-lité à l’apprenant d’écrire de la même façon qu’il pense et de changer d’opinion dans le cours de l’é-criture. Il en soulignait aussi les potentialités d’aide au travail coopératif, en considérant le fait quel’écran, contrairement au papier, se trouve dans une position qui se prête bien au travail en petitsgroupes.Harmer commente ainsi l’opinion de Piper: « There is no reason to revise Alison Piper’s judgementeven though many years have elapsed since it was made »187 (2001, p. 150) et en se référant à la pos-sibilité d’emploi de l’ordinateur aussi bien pour le travail coopératif que pour le travail individuel ilobserve:

Though computers are ideal for students working on their own, they also have enormouspotential for students working together, either operating a program or offering suggestionsabout what to do next. Word processing is the simplest and most obviously cost-effective wayof tapping into this potential. However […] there is also scope for individually word-proces-sed work which the teacher can give feedback on using the editing program which comes withthe word processor. Students can now send such work as attached documents via e-mail so thatteachers can give feedback at their leasure and « hand back » the work the moment they havefinished. (ibidem, je souligne)188

186 Piper A., « Helping learners to write: a role for the word processor », ELT Journal 41/2, 1987.187 Il n’y a pas de raison pour réviser le jugement de Alison Piper même si beaucoup d’années sont passées depuis

qu’il a été exprimé.188 Même si les ordinateurs sont idéaux pour le travail autonome des étudiants, ils présentent aussi un potentiel

énorme pour des étudiants qui travaillent ensemble, soit en utilisant un logiciel ou en offrant des suggestions sur quoi

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 139

L’utilisation de l’ordinateur en tant qu’outil de traitement de textes pour l’amorce d’une activité d’é-criture, surtout d’écriture créative, contribue aussi à une approche de l’appareil qui d’un côté consi-dère ce dernier comme pur instrument d’apprentissage au service de l’apprenant et doncà l’intérieurd’une perspective qui voit le sujet (apprenant supporté par l’enseignant) et non la machine au cent-re du travail scolaire et qui de l’autre contribue à l’acquisition d’une compétence technique à partirde l’expression personnelle. La nécessité d’une alphabétisation technique peut sembler désormaisobsolète, mais cette conviction est loin d’être confirmée par la réalité comme je dirai aussi en rela-tion à l’étude de cas que j’ai fait en parlant non seulement d’enseignants, mais aussi d’apprenants,qui vivent et travaillent dans la réalité italienne et comme d’ailleurs a été souligné avec décision parun écrivain américain, donc en se référant à une réalité apparemment très technologiciste:

There are about as many kids born computer-proficient as there are born piano-proficient orpoetry-proficient. It is mere folklore that all children born since 1980 have mutated intobrilliant computer-users (Roszak, 1996, p. 14, cité d’après Harmer, 2001, p. 150)189

4.1.2.1 L’ordinateur: magister ou paedagogus?

L’idée de considérer l’ordinateur comme un instrument au service de l’apprenant, comme un outil àla connotation neutre qui ne peut avoir un sens qu’en tant que support, qu’aide au processus d’ap-prentissage peut sembler elle aussi acquise, mais en réalité le débat me semble encore ouvert surtoutau niveau social, ce qui a une influence sur l’attitude que les enseignants ont par rapport à l’ordina-teur.La métaphore qui oppose magister et paedagogus a été utilisée pour la première fois par Higginsdans son œuvre Language, Learners and Computers: Human Intelligence and ArtificialUnintelligence 190: dans le domaine de l’éducation le rôle de l’ordinateur change complètement si onle considère comme magister ou comme paedagogus. Le premier est quelqu’un qui non seulementdispose d’une connaissance plus vaste, mais qui en même temps entretient avec ses disciples unerelation d’autorité, il leur dispense son savoir et garde une position d’infaillibilité, ce qui malheu-reusement me semble être encore assez présent dans l’imaginaire de certains enseignants, le secondest au contraire au service de celui qui apprend, c’était l’esclave des sociétés anciennes qui devaitaider les disciples dans leur processus d’éducation.Il est évident que le choix pour l’ordinateur d’un rôle ou d’un autre change complètement la per-spective d’intégration des TIC dans la classe de langue (et non seulement dans la classe de langue),il me semble d’autant plus évident d’ailleurs que dans la vision didactique que je viens de présenterle rôle du sujet doit garder une place centrale, ce qui implique forcément le choix de la seconde fonc-tion pour l’ordinateur, celle de paedagogus.

faire après. Le traitement des textes est évidemment la manière plus simple et plus rentable d’ atteindre ce potentiel.Toutefois il y a aussi la possibilité d’un travail de traitement de texte individuel sur lequel l’enseignant peut donner unfeedback en utilisant le logiciel de révision qui fait partie de l’ordinateur. Les étudiants peuvent maintenant envoyer desdocuments en fichier joint par courrier électronique de façon que les enseignants peuvent donner un feedback à leuraise et « rendre » le travail quand ils ont terminé.

189 Il y a à peu près autant d’enfants qui sont usagers compétent de l’ordinateur de naissance qu’il y a d’enfantsjoueurs de piano ou poètes de naissance. C’est du pur folklore le fait que tous les enfants nés après 1980 ont changédevenant de brillants usagers d’ordinateur.

190 Higgins, J., Language, Learners and Computers: Human Intelligence and Artificial Unintelligence, Harlow,Longman, 1988.

140 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

Ce choix me semble présenter un double avantage: d’un côté il libère l’enseignant de la préoccupa-tion d’être toujours à la recherche du logiciel plus complet et plus performant, ce qui comporte aussile souci d’être à la hauteur du logiciel, sans mentionner la crainte plus ou moins consciente d’êtremis de côté ou substitué par « la machine », de l’autre la conception de l’ordinateur comme outil auservice de l’apprentissage implique une vision dans laquelle l’enseignant est capable d’exploiterpour le mieux la machine. Son exploitation est envisagée dans le but d’aider les élèves du point devue didactique et en même temps de les aider à devenir capables à leur tour d’effectuer des choixappropriés à leurs besoins d’apprentissage (voir Porcelli, Dolci, 1999, p. 2): la machine n’assumepas une connotation de deus ex machina capable de résoudre tous les problèmes de l’apprenant, maisau contraire elle nécessite d’un guide et de choix opérationnels humains.L’ordinateur n’est qu’un des instruments au service de l’enseignant de langue et il doit être utilisé àl’intérieur d’un paradigme didactique bien clair où tous les choix trouvent leur justification d’appli-cation « Il paradigma del paedagogus è coerente con l’approccio eclettico alla didattica delle linguemoderne ora propugnato da molti metodologi »191 (ibidem).

4.1.2.2 L’ordinateur: un outil pédagogique?

L’ordinateur n’est qu’un outil, « il sert à agir sur la matière, à exécuter quelque chose, à faire quelquetravail »192, mais cet outil n’a pas de pouvoir per se: il peut, selon l’usager qui s’en sert, servir pourcréer des chefs d’œuvres ou être complètement inutil, il a une fonction d’aide, une fonction instru-mentale, mais il est loin de constituer la solution à tous problèmes d’apprentissage et, par consé-quent, d’enseignement.Dans cette logique l’ordinateur ne peut pas être considéré comme l’outil présentant toutes les carac-téristiques qui en font soit une source d’apprentissage soit un moyen idéal de résolution de problè-mes. Le rêve de trouver ce que Stevick appelle, avec une métaphore très prégnante, the philosophe-r’s stone (la pierre philosophale) qui a traversé tout développement de la didactique des langues, aété appliqué aux ordinateurs aussi. Les enseignants ont toujours été, selon Stevick, à la recherched’un outil simple et rapide à utiliser qui pourrait les aider à accomplir des miracles193 et il donne desexemples de ces soi-disant pierres philosophales en incluant des techniques ou des principes didac-tiques et des outils parmi lesquels l’ordinateur.Ce que suggère Stevick, et qui me semble représenter une vision très équilibrée, c’est de ne pas nierl’importance de toute nouvelle contribution à la didactique des langues, mais de ne pas considérerchacune de ces contributions comme la seule valable, celle capable de faire oublier tout ce qui exis-tait auparavant.Au lieu de se placer dans une perspective de recherche d’un idéal qui n’existe pas il faut ne pas sous-estimer l’importance d’une réflexion pédagogique sur tout matériel ou principe pédagogique quelqu’il soit

191 Le paradigme du paedagogus est cohérent avec l’approche éclectique de la didactique des langues modernessoutenu aujourd’hui par beaucoup de méthodologues.

192 Voir définition d’outil dans le dictionnaire le Robert. 193 Stevick, E. W., « Affect in learning and memory: from alchemy to chemistry », in Arnold, Jane, Affect in

Language Learning, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 43.

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 141

…l’espoir de trouver LE didacticiel approprié limite souvent les horizons d’une imaginationcréative qui pourrait trouver, sous des formes variées et inattendues, des solutions aux ques-tions posées. Ainsi, bien des logiciels seront rejetés simplement du fait d’une approche diffé-rente des habitudes pédagogiques de l’enseignant, qui voit en eux des objets aussi figés qu’unmanuel ou une cassette vidéo, en oubliant qu’il est parfois possible d’en remanier le contenuou d’en imaginer une utilisation originale. (Bertin, 2001, p. 15)

Il est intéressant de noter que Bertin propose une distinction entre « support pédagogique » (manuel,projecteur, magnétophone, ordinateur…) et « matériau pédagogique » pour introduire la notion« d’outil pédagogique »:

La notion « d’outil pédagogique », liée à l’originalité de l’informatique multimédia, naît de lacombinaison de ces deux éléments en un tout cohérent. Si le matériau prime sur le support, lanature du premier doit toutefois être repensée en fonction de la spécificité du second. En cesens, son choix ou son élaboration implique une réflexion didactique en préalable à toute réfé-rence technologique. (ibidem)

La notion d’outil pédagogique me semble bien intégrer la perspective qui est la mienne, à savoircelle de considérer l’ordinateur et certains logiciels comme des instruments qui, à l’intérieur d’untravail ciblé et d’une réflexion approfondie de la part aussi bien de l’enseignant que de l’apprenant,peuvent contribuer au développement de l’apprentissage et en particulier de l’expression écrite créa-tive avec un apport considérable en termes de souplesse et de flexibilité.

4.1.3 L’ordinateur en tant que moyen de communication

La troisième fonction de l’ordinateur que je considère très liée au développement de la productionécrite et qui me semble présenter des potentialités considérables par rapport à la dimension créativeet personnelle de l’écriture est celle d’instrument qui rend possible la communication. L’utilisationde l’ordinateur pour communiquer est très liée à celle de traitement de textes dans laquelle l’ordina-teur est utilisé comme support au processus d’écriture. Dans son œuvre Éducation et nouvelles technologies. Théorie et pratiques, Perriault distingue entre« les instruments pour les techniques de consultation et de traitement de l’information et les outilsqui permettent la communication entre maître et élèves et entre élèves » (2002, pp. 29-30, soulignépar l’auteur): parmi les premiers il compte didacticiels et cédéroms, logiciels de mise en forme del’information tels que Powerpoint et Word, bases de données documentaires et textuelles, consulta-tion de sites sur le web, parmi les seconds il compte forums, groupes de discussion, chats, guidageà l’apprentissage à distance, audio- et visioconférnces, vidéoconférences interactives et courrierélectronique. L’utilisation des deux mots distincts, instruments et outils, ne semble toutefois pasimpliquer une différence conceptuelle entre les deux groupes si l’on considère que l’auteur utilise leterme outils pour tous quand il les classifie dans une grille proposant la distinction entre usage indi-viduel ou collectif et outils synchrones et asynchrones. Or, il me semble en fait que même la dis-tinction entre traitement de l’information et communication reste un peu dans le flou au moins pourcertains outils, en particulier pour le courrier électronique.

142 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

4.1.3.1 Communication écrite médiatisée par ordinateur

À l’état actuel l’intégration des TIC au niveau scolaire relève surtout du domaine de l’écrit. Mêmesi on peut envisager les énormes potentialités des TIC dans le domaine de la communication orale,cela est loin d’être une pratique courante et généralisée en milieu scolaire (je me réfère surtout à laréalité européenne et je laisse de côté certains phénomènes particuliers, tels que l’école à distance,pratiquée dans certaines régions australiennes, dont le développement et l’application ont été stimu-lés par les conditions extrêmes du milieu). La communication médiatisée par ordinateur passe presque toujours par l’écrit et donc elle impliqueforcément un traitement de textes. Celui-ci devient d’autant plus important car il doit se charger enquelque mesure de la dimension non verbale de la communication: il suffit de penser au phénomè-ne des emoticons, néologisme dérivant de la crase de emotional icons, qui se refère à la combinai-son de symboles graphiques pour exprimer des états d’âme, des émotions. Ce phénomène ne cons-titue d’ailleurs que le sommet de l’iceberg, l’utilisation de différents caractères, la répétition de let-tres, la distribution des espaces et l’organisation de la page présentant, elles aussi, un fort potentielexpressif, qui est utilisé d’une façon plus ou moins consciente. Dans ce cas il me semble que l’écri-ture aide la communication et l’expression, mais on pourrait renverser le concept et dire que la com-munication aide l’écriture: l’envie de communiquer est tellement forte que l’individu, dans ce casl’apprenant, accepte d’écrire pour pouvoir communiquer. Cela pourrait aussi aider à comprendre lesraisons d’une syntaxe et d’une grammaire simplifiée, telle que celle utilisée dans le courrier électro-nique: le but de communication devient central et cela donne de l’impulsion à la motivation.C’est Warschauer, à présent peut être le chercheur qui a travaillé avec le plus d’intensité sur la com-munication médiatisée par ordinateur, qui en souligne le rôle de facteur de motivation pour l’appre-nant. En s’appuyant à son tour sur d’autres études dans ce domaine il dit:

One of the main alleged benefits of CMC [Computer-mediated communication] is that itenhances student motivation, supposedly by providing students a less threatening means tocommunicate (Kelm, 1992; Kroonenberg, 1994/95; Wang, 1993), providing stimulating inter-national contact (Soh and Soon, 1991), and facilitating work on meaningful projects (Barson,et al., 1993; Vilmi, 1995). (Warschauer, 1996, p. 31)194

L’étude de Warschauer est particulièrement importante pour ma recherche car non seulement il ana-lyse les aspects motivationnels concernant l’apprentissage assisté par ordinateur, ce qui avait déjàfait l’objet de plusieurs études précédentes, mais parce qu’il prend en considération à la fois l’utili-sation de l’ordinateur pour écrire et pour communiquer et il fait seulement référence au domaine del’apprentissage des langues étrangères, ce qui n’vait pas été le cas pour beaucoup d’études qui l’a-vaient précédé.Selon Warschauer les TIC qui sont entrées dans l’usage commun à partir du début des années 90, enparticulier les programmes multimédias et la communication médiatisée par ordinateur, peuvent êtreintégrées de façon différente dans la classe et donc peuvent fournir une nouvelle motivation aux élè-ves.

Word processing in the second and foreign language class has been common for at least tenyears. Many composition and language teachers believe that word processing encourages new

194 Un des principaux avantages estimés de la CMC [Computer-mediated communication, communication médiati-sée par ordinateur] est le fait qu’elle augmente la motivation des élèves, probablement mettant à la disposition des élè-ves un moyen de communication moins menaçant (Kelm, 1992; Kroonenberg, 1994/95; Wang, 1993), mettant à leurdisposition un contact international stimulant (Soh and Soon, 1991), et facilitant le travail sur projets significatifs(Barson, et al., 1993; Vilmi, 1995).

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pedagogical relationships in the class, by facilitating student revision and collaborative wri-ting […].Computer-mediated communication (CMC), like word processing, also involves the use of thecomputer as a tool, rather than as a deliver of instructional material. Many claim that CMCis the most revolutionary development in computer-assisted language learning, since it is theonly one which involves direct human-to-human communication rather than human-to-machi-ne […]. (id., pp. 30-31)195

Encore une fois on retrouve donc l’idée d’ordinateur comme outil, cette fois visant à la communica-tion, à savoir à la mise en contact entre des individus, deux ou plus, à l’échange d’informations, d’o-pinions, de matériels.L’utilisation d’un logiciel de gestion du courrier électronique, tel que Outlook express, qui, commeceux de traitement de textes, de présentation ou qui permettent de se connecter à la toile, fait partiedes logiciels normalement inclus dans les configurations de base des ordinateurs aussi bien au niveaupersonnel que scolaire, présente des caractéristiques très intéressantes par rapport à la dimensioncréative liée à l’habileté de production écrite. La possibilité d’utiliser l’ordinateur comme moyen decommunication est très importante car elle aussi présente un caractère d’authenticité, et cela pas seu-lement si la communication a lieu avec d’autres apprenants qui se trouvent dans des endroits trèséloignés, qui sont des parlants natifs ou qui apprennent la même langue étrangère tout en apparte-nant à des cultures différentes. Bien sûr cela ajoute de l’authenticité, mais une communication parcourrier électronique avec son propre enseignant relève aussi d’une certaine authenticité, mêmequand il s’agit de demander des explications supplémentaires, des conseils, ou d’envoyer des copiesà corriger, et le même type d’authenticité existe dans le cas par exemple d’un groupe d’apprenantsengagés dans un travail collaboratif pour l’accomplissement duquel ils se servent du moyen électro-nique.Le courrier électronique contribue à augmenter considérablement la motivation des élèves à faire desactivités qui constituaient déjà une pratique courante dans beaucoup de classes telles que les échan-ges épistolaires ou qui étaient envisagées comme potentiellement très utiles au développement del’écriture en langue étrangère tels que les Journal diaries196, devenus désormais des E-mail dialoguejournals197

Au sujet des échanges épistolaires Harmer rappelle que l’utilisation des ordinateurs pour envoyer etrecevoir du courrier électronique, qui est une des fonctions les plus répandues d’Internet, et donc lapossibilité d’avoir aisément accès aux usagers du monde entier contribue énormément à la hausse dela motivation de la part des élèves.

195 Le traitement de textes dans la classe de langue seconde et étrangère a été d’usage courant pendant dix ans aumoins. Beaucoup d’enseignants de composition et de langue croient que le traitement de textes encourage des nouvel-les relations pédagogiques dans la classe en facilitant la révision de la part des étudiants et l’écriture collaborative.[…].

La communication médiatisée par ordinateur (CMC), comme le traitement de textes, implique aussi l’utilisation del’ordinateur comme outil, plutôt que comme un moyen qui fournit du materiel d’instruction. Beaucoup de personnessoutiennent que la CMC représente le développement plus revolutionnaire dans l’apprentissage de la langue assisté parordinateur, étant le seul qui implique une communication directe d’un être humain à l’autre plutôt que d’un être humainà une machine.

196 On entend par Journal diaries une série d’échanges écrits, faite normalement dans un cahier réservé à ce but, quia lieu entre l’apprenant et l’enseignant sur les thèmes les plus variés, et dans laquelle l’enseignant ne corrige pas les fau-tes au sens traditionnel du mot, mais au contraire donne une correction/feedback sous forme par exemple de reformula-tion tout en s’impliquant dans une communication authentique et personnelle.

197 Voir Warschauer M. (ed), Virtual Connections. Online activities & projects for networking language learners ,Honululu, Second Language Teaching & Curriculum Center, University of Hawai’i, 1995.

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Il fait remarquer toutefois que e-mails are often written in a special speaking-like informal style. There is less of an obliga-tion for grammatical correctness or even correct spelling. So while e-mailing may promotewritten fluency, and while it may give students a real chance to communicate, it may notenhance accuracy or help students to write in more than one or two genres. (2001, p. 148)198

juste après il ajoute toutefois qu’une caractéristique particulièrement intéressante du courrier électro-nique est la possibilité d’envoyer en fichier joint des textes (word-processed work) que l’enseignantpeut faire l’objet d’un feedback de sa part.Or, il me semble que si l’on s’éloigne pour un instant de la pratique scolaire tout court, on s’aperçoitque l’idée de pouvoir envoyer n’importe quel matériel en fichier joint élargit d’un coup les possibi-lités d’emploi du courrier électronique, permettant ainsi de dépasser le problème de la limitation desgenres mentionné par Harmer. La possibilité d’une coexistence de moments de centration sur la flui-dité (fluency) et de centration sur l’exactitude (accuracy) me semble constituer une condition quipeut efficacement favoriser le processus d’écriture créative, car elle reflète le processus typique del’écriture tel que je l’ai présenté dans le troisième chapitre.

4.1.3.2 L’ordinateur comme moyen de stimulation de la communication

Le rôle de moyen de communication joué par l’ordinateur en classe de langue ne se limite toutefoispas à l’utilisation des logiciels permettant les échanges épistolaires, les forums, les chats et cetera: àun niveau plus immédiat l’ordinateur devient un moyen de communication, dans le sens qu’il repré-sente un outil qui stimule la communication. Les élèves ont tendance à travailler à l’ordinateur parpetits groupes et cela arrive déjà pour des raisons techniques ou contingentes (numéro réduit d’ap-pareils à la disposition des classes), mais il apparaît presque naturel surtout dans le travail sur pro-jet. Le fait de travailler par petits groupes ne doit pas être considéré comme un inconvénient: les élè-ves s’engagent plus spontanément dans un travail collaboratif qui implique une planification plusdétaillée, une mise en texte plus consciente et partagée, une révision mutuelle et continue, ce qui alieu à travers une communication précise et une interaction constante, qui à leur tour favorisent ledéveloppement de stratégies métacognitives. Il y a donc une utilisation accrue de la langue étrangè-re, une réflexion plus consciente sur cette langue en tant que système, une mise en commun et négo-ciation visant à l’accomplissement d’une tâche, ce qui a un effet final de retombée positive sur toutle processus d’apprentissage199.

198 Les méls sont écrits souvent dans un style informel proche de la langue parlée. Il n’y a même pas une vraie obli-gation d’exactitude grammaticale ou même d’orthographie correcte. Pourtant si l’emploi du courrier électronique peutpromouvoir la fluidité dans l’écrit, et s’il peut donner aux étudiants une chance réelle de communiquer, il peut ne pasfavoriser l’exactitude ou aider les étudiants à écrire dans plus d’un ou deux genres.

199 Voir à ce propos Legenhausen L., Wolff D., « Der Micro-Computer als Hilfsmittel beim Sprachenlernen.Schreiben als Gruppenaktivität », in: Praxis des neusprachlichen Unterrichts, 38-4, 1991, pp. 346-356.

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4.2 Les trois fonctions de l’ordinateur et le processus de l’écriture

Les trois fonctions de l’ordinateur que je viens d’analyser, à savoir celle de source de matérielauthentique, de traitement de textes et de moyen de communication, sont évidemment plus interre-liées que cela ne puisse apparaître à première vue: en appliquant à ces trois fonctions un des princi-pes fondamentaux de la Gestalt on peut dire qu’en réunissant ces composantes on obtient plus quela somme de trois fonctions. On obtient un environnement d’apprentissage riche et adaptable auxobjectifs envisagés par l’enseignant et aux styles et stratégies d’apprentissage de chaque apprenant.Non seulement écriture et communication sont reliées comme l’a souligné Warschauer dans ses étu-des, mais recherche de documents sur Internet et écriture sont reliées aussi, la première constituantune source d’inspiration et de matériel à manipuler pour la seconde. Et on parvient à joindre les deuxbouts de la boucle: l’apprenant puise d’Internet, éventuellement en appliquant des stratégies derecherche basées sur une utilisation consciente de mots clés, s’approprie des documents téléchargésà travers un processus de manipulation plus ou moins évident et approfondi, il utilise ces documentsà l’intérieur d’une tâche à accomplir qui souvent prévoit un travail collaboratif, il ajoute des textespersonnels appartenant à des genres différents, il négocie, met en commun, modifie, rédige et enfinil « publie » son produit.Ces passages, ou une combinaison de quelques-uns de ces passages, qui constituent aussi le noyaudu travail par projet sur lequel je reviendrai ensuite, se retrouvent dans le processus dont je relatedans mon étude de cas et soulignent l’importance pour l’apprenant d’un travail par étapes quimarque son chemin personnel qui va de l’appropriation à la réélaboration à la création plus ou moinspersonnelle. Comme les différentes phases sont caractérisées par une centration en alternance surl’accuracy ou sur la fluency, il y a l’espace d’émergence de phases de créativité et de phases decontrôle et par conséquent d’une bimodalité efficace car les deux modalités de travail cérébral sontconstamment impliquées. Cela ne peut que représenter une synergie positive pour l’apprentissage etune aide incontournable au facteur motivationnel.

4.2.1 Les TIC et l’écriture

Le lien TIC et écriture est à présent un lien fort non seulement car cette activité reste l’une des plusconcernées – comme je viens de souligner le scénario technique actuel, surtout en milieu scolaire,montre un développement très faible de l’oralité médiatisée par ordinateur – mais aussi grâce auxmodifications fondamentales que ces mêmes technologies apportent aux processus d’écriture et, parconséquent, aux processus et aux stratégies employées dans l’activité d’écriture

Un punto che mi sembra […] importante considerare è la non neutralità degli strumenti chesi usano rispetto ai processi cognitivi che si pongono in atto scrivendo. Anche se nella nostracultura è diffusa la tendenza ad ignorare l’influenza che gli strumenti hanno sui nostri meto-di di lavoro e sui nostri processi mentali, chiunque sia passato dalla scrittura manuale a quel-la su wp può testimoniare dei cambiamenti avvenuti, non tanto nella qualità dei testi prodottiquanto nei modi con cui procede la loro produzione.200 (Ferraris, 1994, p.71)

200 Un point qu’il me semble […] important de considérer est la non neutralité des outils que l’on emploie par rap-port aux processus cognitifs que l’on met à exécution dans l’acte d’écrire. Même si dans notre culture la tendance àignorer l’influence que les outils ont sur nos méthodes de travail et sur nos processus mentaux est diffusée, tous ceux

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Il est intéressant à ce propos de lire les considérations suivantes parues dans un numéro spécial duFrançais dans le monde dédié à la relation entre apprentissage des langues et technologies qui suli-gnent non seulement la tendance généralisable à l’allègement dans toute innovation, mais aussi l’in-fluence que chaque évolution comporte sur les processus cognitifs reliés.Les auteurs affirment que

…toute nouvelle technique est souvent le résultat d’un processus d’« assimilation » puisd’« accommodation » (Piaget, 1937, p. 307)201 l’érigeant progressivement du domaine del’« extra-ordinaire » à celui de l’ordinaire puis à celui de l’« infra-ordinaire »; et mêmelorsque l’on atteint ce dernier palier, il ne faut en rien croire à une prétendue fossilisation.Toute époque a sa propre matérialité, ses propres formes, ses propres sonorités et odeurs.Notre quotidien se modifie constamment par au moins trois forces de renouveau différentes. Lapremière, extrême, est de l’ordre des grandes évolutions médiologiques comme, dans le domai-ne qui nous intéresse ici, l’apparition de l’écriture. […]Vient, ensuite, le support, la matière, qui rend ces évolutions tangibles et en assure la divul-gation.[…] La tendance générale est l’allègement. Ainsi nous sommes passés de la tabletted’argile au rouleau de papyrus, au codex, à l’écrit d’écran.En sus de l’évolution diachronique du support intervient en dernier lieu la troisième force derenouveau, qui porte, dans le cas des surfaces du lisible, sur la diversification progressive dela nature de leurs canaux, l’aménagement interne des sources du savoir, le remaniement desrégimes discursifs qui caractérisent chaque genre. (Potolia, Mochet, 2002, p. 27)

Et elles concluent que…au-delà de la dimension technique, se modifient également, au cours de ces ajustementssémiotiques, ergonomiques ou autres, nos modes de communication, de perception, de fonc-tionnement cognitif. (ibidem)

Cette perspective me semble intéressante car elle souligne la dématérialisation progressive du texteécrit, facteur qui, comme je l’ai dit, ouvre sur la dimension créative: plus le texte est fluide et vir-tuel, plus il est maniable, facile à l’appropriation. Elle est intéressante aussi pour la gradation desnotions d’extra-ordinaire, d’ordinaire et d’infra-ordinaire, qui révèle un processus d’appropriationdu moyen qui à son tour finit par devenir une partie intégrante de notre vie.Le lien entre caractère infra-ordinaire du moyen technique et notion d’outil authentique que j’aiintroduit avant me semble possible: au niveau didactique il me semble même envisageable un pro-cessus qui, en partant de l’intériorisation des caractéristiques techniques du moyen vise à libérer àtravers leur exploitation le potentiel créatif et imaginatif du sujet apprenant.Je reviendrai encore sur ce concept clé de ma recherche, mais je voudrais déjà anticiper une compa-raison plutôt audacieuse, mais qui me semble pouvoir contribuer à l’analyse des résultats auxquelsje suis parvenue: comme dans l’évolution humaine une théorie assez partagée par les spécialistespostule que la position bien droite, et donc la libération des mains pour d’autres buts qui n’étaientpas la marche ou le mouvement en général, a aidé le développement de fonctions supérieures dansnos ancêtres, de la même manière la libération des obstacles et des schémas rigides de l’écriture plusou moins linéaire sur papier ouvre sur l’utilisation de tout potentiel associatif, créatif, manipulatif dusujet, qui arrive presque à pouvoir suivre le rythme de sa pensée ou au moins de ne pas voir des obs-tacles majeurs à son envie de production libre. Ceci ne signifie pas forcément un processus d’élimi-

qui sont passés de l’écriture manuelle à celle sur ordinateur peuvent témoigner des changements qui ont eu lieu, pastellement en ce qui concerne la qualité des textes produits mais dans les manières selon lesquelles procède leur pro-duction.

201 Piaget J., La construction du réel chez l’enfant, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1937.

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nation de l’écriture sur papier, mais seulement le fait que l’écrit d’écran présente des caractéristiquesspécifiques, exploitables d’un point de vue didactique, dont il faut bien prendre conscience.Sur le concept de progression, de changement apporté par les innovations techniques/technologiquesà l’écriture à travers les époques d’autres considérations s’imposent. La perspective historiqueconcernant l’évolution des moyens d’expression de la pensée humaine montre bien la valeur inno-vatrice énorme de chaque étape.

Les historiens s’entendent sur l’idée que l’invention de l’imprimerie en 1440 a permis le pas-sage de la civilisation orale à la civilisation écrite. Considérant l’ampleur de ce passage,Peyrefitte (1995)202 estime qu’il s’agit d’une révolution sans précédent, qui a été irréversible,qui a entraîné une multitude de changements dans toutes les sphères de la vie en société et dontnous ressentons encore les effets aujourd’hui. […]Dans un certain sens, l’imprimerie pourraitêtre considérée comme la première grande technologie de l’information. (Tardif, 2002, p. 16-17)

La conséquence de cette révolution a été une énorme augmentation et diffusion de la parole écrite,l’écrit a acquis un caractère moins sacré, plus familier. Non seulement les croyances et les supersti-tions qui forcément accompagnaient la tradition orale n’ont plus trouvé un grand espace, mais aussila diffusion de l’écrit à mis à la disposition d’un grand nombre de personne un tas d’informations etdonc d’idées que l’on n’arrivait pas à imaginer avant et ces idées étaient marquées par un caractèred’individualité: l’écrivain était reconnaissable derrière l’écrit, ses idées tout comme celles de la tra-dition pouvaient dorénavant être discutées et évaluées.

Les technologies actuelles partagent essentiellement la même logique et elles visent entreautre à ce que les savoirs, tant codifiés que non codifiés, soient disponibles au plus grand nom-bre de personnes possibles. Avec les technologies toutefois, la vitesse de transmission de l’in-formation diffère grandement et l’instantanéité est de première importance. Puisqu’elles per-mettent non seulement la transmission d’information, mais également la communication, à lafois en temps différé et en temps réel, et qu’elles changent profondément les rapports sociaux,il est vraisemblable de penser que les historiens considèreront les technologies telles que nousles connaissons comme étant à la source du passage de la civilisation de l’écrit à celle de lanumérisation. (id., p. 17, je souligne)

Ces passages de civilisation sont selon Tardif « des progrès d’esprit », et si le passage à la civilisa-tion de l’écrit a impliqué le développement de certaines habiletés de la part de l’être humain tellesqu’un esprit critique nouveau, ou de structures logiques et de capacités d’analyse différentes, le pas-sage à la civilisation de la numérisation implique la capacité de faire face au problème de la désin-formation et de la surinformation qui caractérisent cette civilisation même.

La civilisation de la numérisation requerrait donc de nouveaux « progrès de l’esprit », entreautres: la capacité de déterminer la validité des sources documentaires de toute nature; lacapacité d’analyser en profondeur l’information véhiculée non seulement par l’écrit, maisaussi par l’image et le son; la capacité de trianguler diverses sources documentaires et diffé-rentes données à fin de se construire une représentation personnelle, argumentée et flexible;la capacité de relier et d’organiser des données éparses. (id., p. 18)

202 Peyrefitte, A., La société de confiance, Paris, Éditions Odile Jacob, 1995.

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4.2.2 Les TIC et la lecture

Donc non seulement l’écriture est fortement modifiée par l’introduction des TIC, la lecture subitaussi de son côté un processus de changement remarquable: c’est en effet tout le mode de se mettreen relation à la connaissance qui change à la suite de l’introduction des TIC.Les deux activités, de lecture et d’écriture, sont, dans le cas d’une intégration des TIC en classe delangue, plus liées que l’on ne pense à première vue. En laissant un instant d’un côté la possibilitéd’écrire pour imprimer qui constitue le lien entre ordinateur et papier, l’écriture d’écran finit parassumer des caractéristiques particulières qui sont les mêmes que l’on retrouve dans les textes mul-timédias efficaces.Chaque page sur l’écran doit être bien structurée et contenir des blocs informatifs qui ne dépassentle 15/20 lignes. Les phrases doivent être claires et simples (le lecteur doit déjà faire face à la fatigueconstituée par le fait de lire sur écran) et en même temps attractives, complètes du point de vuesémantique et en même temps unies aux autres. Ce sont les caractéristiques idéales des parties d’unhypertexte selon Cangià qui ajoute:« Felici quei paragrafi che contengono una sola idea, precisa eben raccontata. Questo permette al lettore di assimilarla prima di peregrinare al paragrafo successi-vo »203 (Cangià, 2001, p.135). Et il est intéressant de voir quel exemple elle choisit pour faire com-prendre quel est l’idéal de perfection « multimédia » : il s’agit des pages des codes de Leonardo, cequi pourrait mener à une réflexion sur l’occasion fournie par les TIC de récupération d’une traditionde synthèse et de structuration dans l’écrit qui a quand même toujours existé dans la culture occi-dentale.Lecture d’écran comme lecture de l’essentiel donc, mais aussi comme lecture différenciée dans lesens d’exploitation de différents codes, des images, des sons parmi lesquels il peut aussi y avoir lec-ture enregistrée du texte quasi comme un conte.Lecture allégée mais aussi lecture aux multiples possibilités grâce à la mise en évidence des motsqui permettent des approfondissements au choix.Lecture comme parcours, comme ouverture aux différentes associations, comme construction per-sonnelle du sens.Il est vrai en dernière ligne que la lecture peut être toujours considérée comme hypertextuelle, il suf-fit de rappeler le décalogue de Pennac pour s’en apercevoir, par exemple quand il soutient le droitdu lecteur de sauter des pages, de relire, de ne pas finir un livre.

Lire en effet, c’est actualiser un objet virtuel qu’on appelle le texte. Un texte, comme un hyper-texte, n’est jamais lu en entier. Un lecteur unique ne peut jamais, à lui seul, actualiser la tota-lité d’un texte. Comme l’hypertexte, le texte est troué, percé, des pans entiers de la texture res-tent dans l’ombre, dans l’attente d’un lecteur à venir. Lire un texte ce n’est pas dérouler dulinéaire, mais faire des rapprochements, des sauts, guidés ou non par l’auteur.Lire un texte, comme le dit si bien Pierre Lévy, c’est le mettre en rapport avec « toute l’im-mense réserve fluctuante de désirs et de signes qui nous constitue ». (Clément, 2001, p. 19)

La linéarité de la lecture traditionnelle est un mythe tout comme la linéarité de l’écriture tradition-nelle, dans ce domaine aussi les exemples littéraires plus ou moins conscients ne manquent pas:parmi les conscients il y a la tentative de Calvino d’écrire un roman hypertextuel avec Se una notted’inverno un viaggiatore, tentative que l’on peut considérer – au moins partiellement – réussite.Malgré ces tentatives, qui sont d’ailleurs significatives car elles expriment le besoin de pluridimen-sionalité du roman et d’une attitude flexible par rapport à ce genre littéraire et à la lecture/écriture

203 Heureux les paragraphes qui contiennent une idée seulement, précise et bien racontée. Cela permet au lecteurde l’assimiler avant d’errer au paragraphe successif.

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en général, on reste encore dans la dimension papier, donc dans une dimension réelle, non virtuelle,dans laquelle par exemple on retrouve toujours sa voie sans problèmes.Dans le cas d’un hypertexte au contraire, si on reste au niveau de la lecture, donc si l’apprenant selimite à exercer le rôle d’usager, les risques ne manquent pas.

En fait, les supports multimédias peuvent aider, mais aussi rendre plus complexe la compré-hension. Les difficultés que représentent leur usage doivent être prises en compte dans leurconception, en particulier la distraction due à une surcharge cognitive et la désorientation(Maître de Pembroke, Legros, 2002, p. 82)

La distraction est due à la présence d’autres formes de présentation des informations, telles que cel-les visuelles qui peuvent aussi être polysémiques et donc rendre la compréhension plus complexe aulieu de la simplifier; la désorientation peut arriver au cours de la navigation d’un hypertexte, à l’oc-casion de laquelle il est difficile d’exploiter la richesse du texte sans « se perdre » ou de construireune cohérence de la signification du texte même.L’introduction d’hypertextes dans la didactique requiert donc une attention considérable surtout dansle cas d’un public d’apprenants adolescents qui peuvent ne pas disposer de stratégies d’étude effica-ces.

4.2.3 De l’apprenant usager à l’apprenant créateur à travers l’écriture: implica-tions psychologiques

C’est justement en renversant la perspective par rapport à l’hypertexte que l’écriture offre au contrai-re une aide considérable. Le renversement de perspective impliqué par la transformation de l’appre-nant d’usager en créateur contribue énormément à éliminer les risques mentionnés qui redeviennentdes avantages.

Più significative appaiono invece […] situazioni in cui è lo studente stesso il produttore delproprio ipertesto, così come nel campo della scrittura lo studente è il produttore del propriotesto. Ed è, a mio avviso, in questa logica di produzione attiva che l’elaboratore può svolgereun’importante funzione di supporto all’acquisizione artigianale di capacità di scrittura e let-tura, nel senso che esso si presenta come una sorta di « bottega » di lavoro piena di strumen-ti che consentono di dare corpo completo ad un testo, o vuoi ad un ipertesto. Una bottega chenon solo stimola approcci didattici in cui si apprende a scrivere « scrivendo » ma anchemeglio si adatta alla varietà di strategie che uno scrittore può scegliere di utilizzare.204

(Ferraris, 1994, p. 70)

L’apprenant créateur, qui est toujours aussi un peu un apprenant écrivain, a, à sa disposition, un outilauthentique et aux possibilités multiples, pour suivre son parcours personnel, pour extérioriser son

204 Plus significatives apparaissent au contraire […] des situations dans lesquelles l’étudiant même est le produc-teur de son propre hypertexte, tout comme dans le domaine de l’écriture l’étudiant est le producteur de son propre texte.À mon avis c’est justement dans cette logique de production active que l’ordinateur peut avoir une fonction importan-te de support à l’acquisition artisanale d’habileté d’écriture et de lecture, dans le sens qu’il se présente comme une sorted’ « atelier » de travail plein d’outils qui permettent de donner corps à un texte, voir à un hypertexte. Un atelier qui nonseulement stimule des approches didactiques dans lesquelles on apprend à écrire « en écrivant » mais encore mieux onadapte à la variété de stratégies qu’un écrivain peut choisir d’utiliser.

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texte intérieur – pour utiliser encore une fois la belle expression de Rinvolucri –, pour faire des asso-ciations libres, bref pour construire son savoir.Les TIC favorisent alors vraiment le processus d’écriture telle que je l’ai montré dans le chapitre pré-cédent

Es gibt deutliche Hinweise darauf, dass die Benutzung von Textverarbeitungsprogrammen zudurchaus wünschenswerten Veränderungen im Schreibprozess führt. Sie bieten dieMöglichkeit, problemlos, beliebig häufig und an jeder Stelle im entstehenden Text etwas zutilgen, zu ergänzen, zu ändern oder umzustellen. Damit ist der Zwang zur Linearisierung derGedanken beim Schreiben für die Dauer des Schreibprozesses stark abgeschwächt. Wenn manmit Papier und bleistift schreibt, ist die Tendenz stärker, Einfälle, Assoziationen, sich ein-stellenden Formulierungsfetzen und Revisionen nur dann zuzulassen, wenn sie sich unmittel-bar in die Zwangsläufig linearisierte Gedankenkette eines Textes einordnen lassen, und zwaran die Stelle im Text, an der gerade geschrieben werden.205 (Huneke, Steinig, 1997, p. 187)

Ce qui semble être une difficulté dans l’écriture sur papier, à savoir la possibilité de changer, ajou-ter, modifier, déplacer, mais aussi réduire, augmenter, ordonner, devient une richesse de l’écriture àl’écran et le processus d’aller retour typique de l’écriture, surtout de celle créative, y est fortementfavorisé. Le texte apparaît constamment comme un brouillon et le logiciel est un outil, un moyen auservice du processus d’écriture. Cette condition non seulement peut contribuer à intensifier le processus d’écriture mais surtout peutaider à éviter le découragement chez les jeunes « écrivains »206

Comme je l’ai montré au sujet des aspects psychologiques liés à la créativité (voir 2.8.3.1.) et je l’aisouligné en me référant à l’approche humaniste, le milieu et l’atmosphère d’apprentissage jouent unrôle fondamental. Or, l’intégration des TIC dans une perspective d’appropriation et de manipulationcontinue, de déconstruction et de construction, de flexibilité des règles et des contraintes, qui souli-gne le caractère de processus de l’écriture plutôt que celui de produit, s’insère parfaitement dans unevision humaniste finalisée au développement de la créativité.

La multimedialità interattiva suscita il piacere dell’imparare per la varietà di codici – visivi euditivi – che avviluppano e presentano i concetti e perché chiede di « decostruire » la cono-scenza per poi ricostruirla insieme. Una classe che realizza ipertesti o pacchetti multimedialivive un’esperienza unica e felice; i soggetti che ne fanno parte si affinano esercitando flessi-bilità cognitiva. Se nella prospettiva tradizionale l’accentuazione era posta sul recupero deidati informativi, nella prospettiva costruttivista l’attenzione è posta sull’abilità riflessiva. Ilmio è un modo di utilizzazione « plurale » della macchina, la quale diventa sia strumento(tutor) che docile alunno (tutee) nelle mani di giovani e giovanissimi utenti. L’altro-alunno, ecompagno, e l’altro-insegnante non vengono più considerati destinatari ma risorse e interlo-cutori. In questo contesto da « Bottega », la conoscenza si « tratta », si manipola, si deco-struisce e si ricostruisce dopo averla conosciuta, commentata, condivisa e riappropriata in

205 Il y a des signes clairs du fait que l’emploi de logiciels de traitement de texte conduit à des modification sou-haitables dans le processus d’écriture. Ces logiciels offrent la possibilité d’effacer, d’ajouter, de modifier, de déplacerà l’intérieur du texte que l’on est en train d’écrire, sans problème, aussi souvent que l’on veut et à n’importe quel point.De cette façon il y a une forte diminution de la nécessité de linéariser sa pensée au moment d’écrire pendant toute ladurée du processus d’écriture. Quand on écrit avec un crayon et du papier il y a une plus forte tendance à ne pas don-ner de place aux idées, associations, morceaux de formulations qui peuvent se présenter ou révisions que dans le casoù ceux-ci se laissent insérer exactement dans la chaîne logique d’un texte qui est forcément linéaire, à savoir dans laposition dans le texte dans laquelle ils sont justement écrits.

206 Voir à ce propos les études de Barbara Kochan: « Schreibprozeß, Schreibentwiklung und Schreibwerkzeug.Theoretische aspekte des Computergebrauchs im entfaltenden Schreibunterricht », in: Hofmann W., Müsseler J.,Adolphs H. (Hgg.), Computer und Schriftspracherwerb. Programmentwicklungen, Anwendungen, Lernkonzepte.Opladen, 1993, pp. 57-91, et « Der computer als Herausforderung zum Nachdenken über schriftsprachliches Lernen undSchreibkultur in der Grundschule » in: H. Mitzlaff (Hg), Handbuch Grundschule und Computer, Basel, Weinheim,1996, pp. 131-151.

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 151

modo personale e collaborativo. In una rispettosa e vivace reciprocità.207 (Cangià, 2001, p.106)

Dans un milieu d’apprentissage qui privilégie le « faire », l’apprfondissement, l’exploration, la pro-duction, il y a une grande possibilité d’activation de ce que le psychologue américain Bandura appel-le « self-efficacy », à savoir le sentiment d’efficacité personnelle208. « Ce sentiment est une facettede l’image de soi qui correspond à une perception de capacité: il s’agit de l’évaluation que se faitune personne de sa capacité à atteindre un but déterminé » (Desmette, 1999, p. 213) cette évaluation,qui intéresse non seulement les capacités intellectuelles, mais celles affectives et physiques aussi, estparticulièrement importante car très souvent d’elle dépend la réussite ou l’échec de l’accomplisse-ment d’une tâche. Desmette explique encore, en citant Bandura, qu’« il s’agit d’un mécanisme quirelève de la métacognition, étant donné qu’il s’agit d’un jugement sur ‘ce que l’on croit pouvoir faireavec les capacités que l’on a’, et non de la mesure de ses capacités réelles » (ibidem).Le sentiment d’efficacité personnelle présente des caractéristiques différentes, selon qu’il est plus oumoins lié à une situation spécifique, et des déterminants différents d’ordre interne, tels que l’expé-rience personnelle antérieure et le degré de responsabilité du succès que l’on s’attribue, ou externe,tels que ceux relatés à la tâche ou au contexte. Il est évident qu’à cet égard le domaine d’apprentis-sage scolaire joue un rôle fondamental Au niveau scolaire en effet il y a la possibilité d’offrir desmodèles positifs et un haut degré de support social, qui se matérialise dans une série de comporte-ments visant à aider l’individu à parvenir à des expériences personnelles réussites, ce qui à son tourimplique une hausse du sentiment d’efficacité personnelle. Tout cela peut représenter un cercle ver-tueux qui conduit au succès scolaire et à un apprentissage efficace présent et futur

C’est ansi qu’un individu qui possède un sentiment d’efficacité personnelle élevée visera desobjectifs plus ambitieux, dans des situations plus diversifiées; son investissement dans la tâchesera également plus élevé et le risque d’abandon moindre, même face à une situation d’échec,où il fera preuve d’une plus grande flexibilité dans ses modes de résolution des problèmes, etpar laquelle il sera moins affecté sur le plan émotionnel. (id., p. 214)

Le sentiment d’efficacité personnelle n’est pas à confondre enfin avec l’estime de soi, le premierétant en effet ciblé et étroitement dépendant de la tâche, donc ne mettant pas en cause les autres com-pétences de l’individu.Avec ce concept l’importance des facteurs affectifs et motivationnels auxquels j’ai fait référencedans les deux chapitres précédents est soulignée et acquiert une valeur nouvelle. Le rôle, et l’im-portance, de la motivation en didactique des langues ont été plusieurs fois soulignés, un sentimentd’efficacité personnelle élevée de son côté joue un rôle fondamental au niveau de la motivation, il

207 La multimédialité interactive suscite le plaisir de l’apprentissage pour la variété de codes – visuel et auditif –qui entourent et présentent les concepts et parce qu’elle demande de « déconstruire » la connaissance pour la recons-truire ensuite ensemble. Une classe qui réalise des hypertextes ou des paquets multimédias vit une expérience unique etheureuse; les sujets qui en font partie s’affinent en exerçant une flexibilité cognitive. Si dans la perspective tradition-nelle l’accent était mis sur la récuperation des données informatives, dans la perspective constructiviste l’attention estmise sur la capacité réflexive. La mienne est une manière d’utilisation plurielle de la machine, laquelle devient aussibien instrument (tutor) qu’élève docile (tutee) dans les mains des utilisateurs jeunes et très jeunes. L’autre-élève, etcamarade, e l’autre-enseignant ne sont plus considérés des destinataires mais des ressources et des interlocuteurs. Dansce contexte d’« atelier » la connaissance est « traitée », manipulée, déconstruite et reconstruite après l’avoir connue,commentée, partagée et s’en être réapproprié de manière personnelle et collaborative. Dans une reciprocité vive etrespectueuse.

208 Voir: Bandura A., « Self-efficacy theory: Toward a unifying theory of behavioural change », PsychologicalReview, 1977, n° 84, pp. 191-215; A. Bandura, Social learning theory, 1977, Englewood Cliffs (NJ); A.Bandura, « Self-efficacy mechanismes in human agency », American Psychologist, 1982, n° 37(2), pp. 122-147; A.Bandura, Social foun-dations of thought and action: A social cognitive theory, 1986, Englewood Cliffs, (NJ), Prentice Hall; A. Bandura, Self-efficacy in changing societies, 1995, New York, Cambridge University Press.

152 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

faut se demander donc en quoi les TIC peuvent contribuer à la hausse de ce sentiment et quel est lecadre pédagogique qu’il faut suivre pour favoriser une retombé vraiment efficace.Il serait en effet très naïf de considérer les nouvelles technologies en tant que telles comme le moyende résolution des problèmes de la didactique des langues et de répéter ainsi l’erreur d’évaluation quel’on a faite lors de l’introduction du laboratoire de langues, mais ces mêmes technologies peuventconstituer une ressource inestimable et un instrument qui non seulement ne se substitue pas à l’élé-ment humain, mais qui, au contraire, se met au service de l’apprenant, parvenant à le soulager dansles tâches les plus mécaniques pour lui laisser libre l’espace de création et qui, dans ce sens, lui offredes instruments potentiellement infinis, qu’il peut manier comme il veut.

4.3 Avec les TIC vers l’autonomie: un parcours de motivation

Bien sûr on peut n’utiliser les logiciels que pour faire des exercices à trous, mais le risque est celuid’annuler complètement le potentiel créatif des TIC, de ne pas vouloir saisir l’occasion de renou-vellement pédagogique qu’elles offrent.Les mots clés d’une utilisation ouverte et authentique des TIC au contraire sont ceux de collabora-tion et coopération dans l’apprentissage, de créativité, curiosité, prise de risque, exploration et ima-gination. Il s’agit d’une pédagogie de l’autonomie et de l’intérêt, bref, d’une pédagogie du choix.Cangià compare les caractéristiques des deux principaux paradigmes que l’on peut employer par rap-port à l’utilisation de l’ordinateur en classe de langues

(2001, p. 107, je traduis)

Le choix non seulement des contenus et des instruments, mais aussi des objectifs à atteindre joue unrôle essentiel au niveau de la motivation de l’apprenant. Il ne s’agit pas toutefois de banaliser ceconcept en pensant que l’apprenant puisse faire comme il veut sans guide ni contrôle, il s’agit plu-tôt de tenir compte des facteurs motivationnels outre que cognitifs, de passer d’une logique externe,

Paradigme comportementaliste Paradigme constructiviste

Machines "fermées" du type CAI

(Computer Assisted Instruction), CAL

(Computer Assisted Learning) et CBT

(Computer Based Training), jeux vidéo,

environnements de réalité virtuelle:! nombre limité de possibilités créatives

et autonomes;! parcours préfixés et contrôlables.

Machines "ouvertes" du type hypertextes,

hypermédia, multimédialité interactive:

! possibilité de redéfinition continue

d'objectifs et de règles;! enchaînement de processus formatifs

valables qui conduisent à la

compétence, à l'autonomie et à la

flexibilité cognitive.

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 153

scientifique, de l’enseignement à une logique interne, humaine de ce même enseignement qui tientcompte des représentations personnelles de l’apprenant.

« Demander à l’élève », c’est accepter de passer d’une logique scientifique cognitive etrationnelle, à une logique humaine qui n’est pas toujours rationnelle. En supposant que l’en-seignant fasse les bons choix du point de vue scientifique, ce ne seront pas nécessairement lesbons choix du point de vue humain: ce que l’enseignant considère important du point de vuedu curriculum, n’est pas nécessairement ce que l’élève perçoit comme important (utile, amu-sant, valorisant, etc.); ce que l’enseignant considère comme difficile pour l’élève, n’est pasnécessairement ce que l’élève considère comme difficile. La logique humaine est influencée par la perception et la représentation que l’individu se faitdu réel. (Laveault, 1999, p. 63)

Selon la théorie de Bandura un individu est prêt à s’engager dans une tâche seulement s’il estimeavoir des chances de l’accomplir avec succès, ce qui, il faut le souligner, ne correspond pas forcé-ment à une capacité réelle d’accomplissement de la tâche.

Le choix qui doit se faire se situe entre une activité choisie par l’élève, qui n’est peut-être pasla meilleure, mais dans laquelle il est susceptible de s’engager cognitivement et une activitéchoisie par le maître, qui est peut-être la meilleure mais dans laquelle il risque de ne pas s’in-vestir.Mais que faut-il précisément « demander à l’élève »? D’abord de choisir lui-même les objec-tifs qu’il veut atteindre. La motivation débute par l’appropriation par l’élève des objectifs. (id.,pp. 63-64, je souligne)

Pour que ce choix soit efficace il faudrait aussi demander à l’élève de choisir le niveau de perfor-mance à atteindre: un autocontrôle efficace implique une responsabilisation de l’élève.Bandura souligne bien la double nature de la motivation de soi, toujours suspendue entre besoind’assurance, de confirmation positive et besoin de défi, de se mettre à l’épreuve.Laveault donne un exemple très révélateur de cette nature avec ce qu’il appelle l’effet Nintendo209

L’effet Nintendo, c’est ce qui conduit l’enfant à accroître progressivement la difficulté des dif-férents scénarios de jeu. L’engagement cognitif de l’enfant dans ce jeu d’adresse fait l’enviede tous: enseignants comme parents. Des enfants incapables de concentration en classe ymanifestent des habiletés exceptionnelles. Mais ce qui caractérise sans doute le plus l’effetNintendo, c’est cette caractéristique tout à fait humaine de la motivation: sa nature proactivequi consiste à fixer sans cesse des objectifs plus difficiles à atteindre, de nouvelles frontières,de nouveaux sommets. (id., pp. 64-65)

Selon Bandura « Human self-motivation relies on both discrepancy production, and discrepancyreduction. It requires feedforward control as well as feedback control »* (1988, p. 38, souligné dansle texte), il s’agit donc non seulement de considérer si l’on a ou pas, et dans quelle mesure, atteintles buts que l’on s’était posés, mais aussi de se poser de nouveaux buts, ce qui implique une mise àl’épreuve des potentialités de l’individu.Il faut dire que les résultats atteints ne sont pas les seuls facteurs qui jouent un rôle dans la motiva-tion personnelle et dans l’envie de se mettre en jeu et de se donner des buts toujours plus élévés, maisque cette motivation personnelle est en fonction du sentiment d’efficacité personnelle général, quide son côté est influencé, comme je l’ai montré, par des déterminantes internes et externes et doncpar des facteurs assez complexes remontant aussi à toute l’histoire personnelle de l’individu, toute-

209 Nintendo est un jeu électronique très connu et repandu chez les adolescents dans lequel le joueur peut accroîtreprogressivement le niveau de difficulté du jeu même.

* « La motivation personnelle humaine se base aussi bien sur la production de différence que sur la réduction dedifférence. Elle a besoin d’un contrôl en avant et d’un contrôl en arrière »

154 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

fois la possibilité d’une autodétermination des buts d’apprentissage et, comme évidencié dans leschéma, se référant au paradigme constructiviste, la possibilité d’une redéfinition continue d’objec-tifs et règles peuvent contribuer énormément à la motivation de soi.Or, l’intégration des TIC en classe de langues peut être l’occasion de prise en compte de l’impor-tance de la motivation de l’apprenant, mais dans le sens d’une motivation profonde qui peut influen-cer le sentiment d’efficacité personnelle.À l’intérieur d’une pédagogie du projet l’élève sera tout naturellement mené vers un apprentissaged’autant plus efficace que lié à des aspects motivationnels. Un projet efficace sera celui qui permetun réemploi du feedback au service du feedforward: à la suite d’une prise de conscience de ses pro-pres erreurs et difficultés qui a lieu à la fin d’une séquence d’apprentissage, normalement à l’aide del’enseigant, ou pendant la séquence même, normalement à l’aide des autres apprenants et en inter-action avec eux, l’apprenant se donnera de nouveaux objectifs qui seront réinvestis dans les projetset qui en même temps deviendront une partie de son projet personnel, du développement de son sen-timent d’efficacité personnelle et d’une plus grande prise de conscience de son apprentissage auniveau métacognitif.L’apprenat ne sera pas orienté vers la performance mais vers l’apprentissage.Cette différence est fondamental dans l’intégration efficace des TIC en classe de langues. Il faut,pour ainsi dire, être capables de dépasser l’effet Nintendo dans le sens de prendre la partie positivede cela, à savoir l’envie d’autoinvestissement dans la tâche, le défi avec soi même, et en même tempssavoir impliquer en profondeur l’apprenant dans une conscience métacognitive de son processusd’apprentissage. Il est intéressant de noter que le premier paradigme, souvent utilisé dans le cas d’un emploi des TICen classe de langues, non seulement ne conduit pas, si l’on veut garder la distinction de Krashen, àune réelle acquisition, mais souvent ne comporte pas néanmoins un apprentissage, l’aspect formel,à savoir le logiciel, et ses caractéristiques graphiques et d’animation l’emportant sur le contenu lin-guistique. Il s’agit d’une expérience concrète dont je vais relater dans mon étude de cas qui suit, maisj’aimerais aussi citer une anecdote que Janitza réfère dans son article paru récemment dans Le fran-çais dans le monde.

Au salon Expolangues, j’observe un adolescent affairé à faire fonctionner un logiciel« ludique » consacré à l’acquisition (?) de la rection de certains verbes en allemand (exem-ple: denken + an + accusatif, penser à quelque chose ou quelqu’un). Il s’agit, dans le jeu enquestion, d’empêcher un oiseau d’aller dans son nid en lançant dans sa direction des « obus »à partir de prépositions proposées en bas de l’écran. Lorsque le choix de la préposition estcorrect, l’oiseau est abattu. Au bout de cinq minutes, je demande: « Quelle préposition aprèsdenken? » Réponse: « Je ne sais pas. » Le jeu à l’aveuglette avait manifestement pris le passur l’apprentissage et les objectifs pédagogiques du logiciel « ludique » n’étaient pas atteints.(2002, p. 58)

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 155

4.3.1 Intégration des TIC et facteur humain

Le débat sur le rôle de l’ordinateur dans l’apprentissage est loin d’être conclu et j’y revendrai pourdes considérations sur une expérience ciblée visant à analyser les différences entre une même acti-vité exécutée à l’ordinateur et de manière traditionnelle210, ce qui m’intéresse souligner pour l’ins-tant c’est la nécessité de garder comme prioritaire la dimension humaine, personnelle et subjectivedans l’intégration des TIC pour en faire un outil efficace à un véritable renouvellement didactique.Janitza, dans l’article que je viens de citer, part justement de deux anecdotes, dont celui que j’ai cité,pour faire le point sur ce qu’il appelle « le désarroi institutionnel, pédagogique et didactique »: ilconcentre son analyse dans le domaine de l’enseignement des langues vivantes qu’il définit comme« l’un des plus difficiles qui soit » et se réfère à la situation française, mais ce qu’il affirme me sem-ble pouvoir très bien s’adapter à la réalité italienne dans laquelle cette recherche s’est déroulée.Selon l’auteur il faudrait mettre ensemble les théories de pédagogie générale relativement anciennes(et il cite à titre d’exemple Freinet et Piaget sans pour autant oublier les contributions de SaintAugustin et de Saint Thomas d’Aquin) avec les réflexions les plus actuelles sur les TIC et desréflexions didactiques portant sur les mêmes problématiques, telles que la nécessité pour un appre-nant de langues vivantes de construire son savoir et son savoir-faire, la nécessité de donner un sensà son apprentissage en s’appropriant de la culture « étrangère » en termes d’enrichissement dulexique et approche de la réalité sociale autre à travers des échanges verbaux authentiques. Tout cela,selon lui, aboutirait tout naturellement à une pédagogie de projet, qu’il exemplifie dans une série depropositions de projets didactiques qui à leur tour engendreraient l’accomplissement d’une série detâches et d’activités différentes.

Ces propositions redéfinissent implicitement le rôle de l’enseignant de langues vivantes: ildevra s’engager résolument dans une pédagogie de projet incluant ou non les éléments d’unmanuel; il devra construire ses documents ou mieux, les faire construire par ses élèves sous sadirection, la conséquence extrême de ce profil nouveau étant une « conduite ou une gestion dela classe à risques », une gestion ouverte sur l’imprévu ou l’imprévisible, sur l’immédiatetédes interactions langagières.Ces propositions, enfin, récusent d’une certaine manière les produits commerciaux de typecédérom actuellement sur le marché, forcément déconnectés du projet pédagogique personnelde l’enseignant tel qu’il est conçu ici, c’est-à-dire au plus près des intérêts des élèves.L’enseignant de langues vivantes devra assumer le rôle de « concepteur pédagogique », danssa classe, dans son établissement. (2002, p. 63)

Et il souligne la notion d’authenticité de la communication aussi bien dans le sens de communica-tion avec des partenaires-élèves d’un pays étranger que de communication engendrée par le com-mentaire d’un document réalisé par les élèves.Sa conclusion, si problématique qu’elle soit, est aussi la mienne, car, tout en remarquant les diffi-cultés d’une introduction des TIC à l’intérieur d’un paradigme constructiviste, elle souligne l’im-portance de la mise en place d’une véritable pédagogie de projet qui aboutira à l’élaboration d’undocument comme occasion de profonde réflexion sur les théories didactiques, les pratiques de ter-rain et les mécanismes cognitifs qui tous sont impliqués dans le processus d’apprentissage.

C’est en effet à une vraie « révolution » dans l’enseignement des langues qu’appellent cesréflexions sur l’utilisation des TICE en classe de langues vivantes. Cet appel est-il utopique?Certes, il est plus simple, plus sécurisant, de suivre la progression et la méthodologie établiespar les auteurs d’un manuel; certes, les établissements scolaires ne sont pas équipés pour une

210 Voir Antonietti A., Cantoia M., Imparare con il computer, Trento, Erickson, 2001, en particulier le chapitre« Che differenza fa usare il computer? », pp. 61-71.

156 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

telle mise en œuvre pédagogique; certes les règlements intérieurs des établissements ne sontpas forcément adaptés à une pédagogie d’ouverture; certes les enseignants ne sont pas formésà cette « révolution », mais surtout résistent, pour beaucoup d’entre eux, à une telle évolution;certes, les étudiants lauréats des concours de recrutement sont plus formés à la « reproduc-tion » qu’à l’innovation…La mise en œuvre des propositions formulées paraît cependant à terme réalisable, voireindispensable, car il s’agit d’une réponse possible au désarroi institutionnel, pédagogique etdidactique évoqué en entrée. Il y va quasiment de la survie d’une discipline menacée de tou-tes parts, y compris par les technologies, elles-mêmes accaparées par la société civile privée.Les enseignants de langues vivantes doivent absolument s’emparer des outils mis à leur dispo-sition, mobiliser leur capacité de réflexion didactique et se poser les questions cognitives nou-velles engendrées par ces technologies et les activités qu’elles rendent possibles. (id., p. 65)

Non seulement les TIC ne sont pas un deus ex machina capable de résoudre les problèmes d’appren-tissage, mais l’effort que l’on requiert de l’apprenant s’annonce comme particulièrement considéra-ble: il s’agit en effet de dépasser largement la formation des jeunes à un rôle d’utilisateurs, capablesde consulter des sites, de produire ou de communiquer à travers l’ordinateur, il s’agit plutôt d’agirsur les capacités cognitives, de former de nouvelles capacités cognitives, celles que Tardif définiten empruntant l’expression de Brunswick et Danzin211, les « progrès de l’esprit ». Cela correspondà une tâche fort complexe car il implique un travail d’approfondissement professionnel et humaincontinu de la part de l’enseignant, qui doit savoir aller « au-delà de l’écran » et prendre consciencedes implications pédagogiques d’une intégration des TIC de ce type.

Il est donc capital que, dans les situations d’apprentissage, les enseignants interviennent su ladétermination de la validité des sources documentaires consultées, sur l’analyse en profon-deur de l’information véhiculée par l’écrit, l’image, le son et le mouvement, sur la triangula-tion de diverses sources documentaires et différentes données ainsi que sur la mise en relationstructurante des données éparses et sur leur organisation hiérarchique. Tout cela requiert lacréation d’environnements pédagogiques particuliers et le respect de certaines conditionspédagogiques. (Tardif, 2002, pp.20-21, je souligne)

4.3.1.1 TIC et environnements pédagogiques

L’aspect central reste donc l’environnement pédagogique dans lequel les TIC sont intégrées: celaéquivaut à dire qu’il faut aider l’apprenant à garder un rôle actif par rapport aux TIC et cela non seu-lement quand il produit des documents multimédias, mais aussi quand il les utilise. Ce qui est impor-tant est sa capacité de se servir des TIC pour structurer, pour construire son (ou ses) apprentissage(s).Si l’attention est sur le renouvellement cognitif engendré par les TIC, l’attention au niveau de per-formance du/des logiciel(s) est sans doute relativisée: un logiciel plus performant pourra bien sûrfaciliter certains processus ou la création de certains produits, toutefois, le facteur déterminantconsistant dans le procédé mental activé, des résultats comparables au moins du point de vue de lastructuration seront atteignables avec des logiciels moins performants aussi, ce qui revient à dire quel’apprenant s’engage dans un processus d’acquisition d’instruments fondamentaux et qu’il pourratoujours les implémenter, élargir, modifier selon les nécessités auxquelles il devra faire face.

211 Brunswick Y., Danzin A., Naissance d’une civilisation. Le choc de la mondialisation, 1998, Montréal,VLB/Unesco.

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 157

Quels sont donc les environnements pédagogiques auxquels se réfère Tardif et qui permettraientl’activation de stratégies actives par rapport aux TIC?Tardif explique ce point fondamental en partant de la distinction entre environnements pédagogiquesminimalistes et environnements pédagogiques maximalistes introduite par Perkins212.Cette distinction me semble fondamentale car elle se rattache à ce que j’ai expliqué au sujet de lanécessité d’une prise en compte de la complexité dans l’enseignement tout comme aux critiques quej’ai avancées à la pratique scolaire de l’enseignement des langues, y inclus à l’approche définiecomme communicative.Pour mieux expliquer les différences entre les deux types d’environnements pédagogiques envisa-gés avant d’aller dans le détail des implications des deux scénarios au sujet de l’intégration des TIC,je tâche d’esquisser une grille de comparaison de leurs caractéristiques principales partant de l’ex-plication que Tardif même donne de ces caractéristiques

(élaboré à partir de Tardif, 2002, p.21)

Les conditions nécessaires pour que l’on puisse parler de domaine pédagogique maximaliste sontplusieurs comme le même Tardif l’avait souligné dans un œuvrage précédent écrit en collaborationavec Presseau213, il s’agit en particulier de six caractéristiques, à savoir l’authenticité des situationsd’apprentissage, la transdisciplinarité, le déséqilibre cognitif, la constance de l’apprentissage et lavariation du temps, les interactions constantes entre la théorie et la pratique, l’enchâssement des éva-luations dans les situations d’apprentissage elles-mêmes.

Environnements pédagogiques

minimalistes

Environnements pédagogiques

maximalistes

Logique qui va du simple au complexe Logique qui va du complexe au simple

Propédeuticité des apprentissages En partant de la complexité prise en

compte des éléments particuliers

Fréquence de pratiques algorithmiques

et exercices répétitifs

Apprentissage à partir de problèmes,

projets, recherches…

Apprentissages décontextualisés Contextualisation des apprentissages

La théorie précède la pratique La pratique précède la théorie

Savoirs considérés comme objets Savoirs considérés comme outils

Apprentissages très morcelés Tâches complexes (longues périodes de

temps)

Enseignements très disciplinarisés Enseignement

multidisciplinaire/transdisciplinaire

Importance considérable de la

constance du temps

Importance considérable de la

constance de l'apprentissage

212 Perkins, D.N., « Foreword: Minds in the Hood », in Wilson, B.G., Constructing Learning Environments: CaseStudies in Instructional Design, 1996, Englewood Cliffs, Educational Technologies Publications, pp. 5-9.

213 Tardif, J. En collaboration avec A. Presseau, Intégrer les nouvelles technologies de l’information. Quel cadrepédagogique?, 1998, Issy-les-Moulineaux, Éditions sociales françaises.

158 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

Il me semble pouvoir dire en général que la philosophie qui est à la base de ces caractéristiques sesitue sur la même ligne de ce que j’ai décrit au chapitre précédent, qui à son tour se rattache auconcept de créativité tel que je l’ai esquissé en précédence.Pour aller un peu plus dans le détail, la notion d’authenticité, par exemple, à laquelle je me réfère endébut de ce chapitre: il ne suffit pas d’insérer des documents authentiques dans une classe de lan-gues pour pouvoir dire qu’il y a authenticité, c’est la situation d’apprentissage qui doit être authen-tique et donc comme le dit Tardif, qui doit avoir du sens pour que l’apprenant puisse s’y investir. Lecontexte doit être authentique tout comme ce que l’apprenant fait avec la langue étrangère doit avoirun sens pour lui: il doit y avoir un espace de création et d’investissement personnel pour pouvoir yêtre un transfert positif, ce qui assure un vrai apprentissage.Les autres caractéristiques enviagées par Tardif tournent selon moi autour de ce concept d’authenti-cité: s’il y a une situation d’apprentissage authentique il y a transdisciplinrité car tout apprentissageest multidisciplinaire et transdiciplinaire, le cerveau ne travaillant pas par compartiments séparésmais à travers l’activation de liens entre les différents concepts et notions et la réalité étant non plusdélimitée par des frontières rigides, il y a aussi un déséquilibre cognitif, un apprentissage efficacemodifiant en effet la mappe mentale de l’apprenant.Mais les autres caractéristiques sont aussi liées au facteur authenticité: si l’apprentissage est authen-tique, donc central pou l’apprenant, il n’est pas à soumettre au facteur temporel, c’est l’apprentissa-ge qui est important, non pas la variable temporelle. Et dès que l’on apprend en faisant, la pratiquea autant d’importance que la théorie, celle-ci donnant une signification et une systématisation à l’au-tre: le processus d’aller/retour entre théorie et pratique est essentiel pour un apprentissage efficace,la pratique permettant l’application de ce que l’on a appris en théorie, la théorie permettant de situerles données tirées de la pratique dans les réseaux cognitifs de l’apprenant.Dans un contexte de ce type il est naturel aussi de penser à l’évaluation comme à un facteur qui doitforcément s’intégrer dans la situation d’apprentissage, l’évaluation efficace, elle aussi, étant un phé-nomène complexe qui s’étend en horizontal dans une dimension pluri/transdisciplinaire et en verti-cal en allant de la perception subjective de l’apprenant à l’analyse plus ou moins objective de don-nées recueillies de l’extérieur.Il est intéressant de voir les principes de l’apprentissage signifiant selon Tardif que je reproduis ci-dessous:Principes composant la dynamique de l’apprentissage signifiant

(1998, p. 43)

Une construction personnelle

Un ancrage sur des connaissances antérieures

Une construction sociale

Une perception de valeur et de « pouvoir »

Une recherche de viabilité

Une forte contextualisation initiale

Une structuration hiérarchique

Une indexation conditionnelle

Une opérationalisation stratégique

Une gestion métacognitive

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 159

La complexité en tant que phénomène général qui investit tout domaine de la connaissance et en tantque condition préalable à tout apprentissage efficace est ici bien déclinée dans les modalités cou-rantes qui rendent un apprentissage efficace.Si la finalité fondamenale de l’enseignement reste celle de créer, pour utiliser les mots de Montaigne,une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine, il est évident que l’enseignant devra fournir à l’ap-prenant des instruments pour maîtriser la complexité et pour acquérir la connaissance d’une maniè-re active. Or, les TIC pourront vraiment constituer dans ce sens un instrument formidable à la dispo-sition des enseignants.

4.4 Pourquoi les TIC et non pas les TICE?

J’avais annoncé que je garderais la différenciation entre TIC et TICE, qui signifie technologies del’information et de la communication au service de l’éducation, je voudrais donner maintenant lesraisons de ce choix.TICE implique quelque chose qui a été conçu pour un usage exclusif dans un contexte d’apprentis-sage, TIC n’a pas ce caractère exclusif. Cette définition peut être considérée plutôt partielle et super-ficielle, mais en réalité elle souligne le point fondamental de ce qui différencie les TICE par rapportaux TIC, qui est justement ce caractère d’exclusivité: on peut donc arriver à penser que la premièredénomination comprenne la seconde, celle-ci étant un sous-ensemble de celle-là. Il me semble tou-tefois qu’une précision s’impose à ce sujet car la distinction dont il est question ici est fondamenta-le pour comprendre la perspective de ma recherche.Or, on pourrait se demander s’il est sensé de parler d’outils conçus exclusivement pour l’apprentis-sage, ou bien en renversant la question, si les outils génériques ne peuvent pas être utilisés pour l’ap-prentissage. Le point central c’est le fait que tout peut être au service de l’éducation et que, particulièrement dansles langues étrangères c’est justement le besoin de s’affranchir de ce qui est conçu pour l’enseigne-ment qui a ouvert les portes à l’introduction des documents authentiques. Même en restant auxinstruments les plus traditionnels tels que les livres d’exercices ou de grammaire, on les a longtempsperçus comme des maux nécessaires et ont a tâché d’y introduire autant que possible de l’authenti-cité par exemple à travers des exemples ou des illustrations. Pour rester aux matériels authentiques,le plan d’une ville, qui n’a sûrement pas été créé pour l’apprentissage d’une langue, n’est pas un desmelleurs instruments pour apprendre les expressions qui servent pour s’orienter, pour demander etdonner des renseignements?On peut continuer ce type de raisonnement et réfléchir un instant sur les outils que les apprenantsutilisent, à partir simplement du papier et du crayon, pour s’apercevoir que l’éducation, l’apprentis-sage n’est qu’un des buts de ces instruments et que pour bien des individus dans le monde ce but estlimité à une partie très brève de leur vie.Partant de ces prémisses je reviens sur le concept d’outil authentique que j’ai introduit en début dechapitre: l’outil est authentique dans la mesure où on l’utilise dans la vie réelle pour faire des cho-ses réelles. L’authenticité qu’il introduit dans la classe de langue est cette possibilité même d’êtreutilisé hors de la classe. Dans cette optique les TIC sont un outil authentique et toutes TIC, non seu-lement celle expressément conçues pour l’éducation, peuvent être mises au service de l’éducation.Il faut toutefois, à mon avis, aller au-delà de cette considération. Il faut se demander quel est l’ins-trument le plus efficace: celui qui a été créé dès le début « au service de l’éducation », ou bien celui

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qui, créé pour des objectifs tout à fait différents, a été ensuite utilisé en classe de langues à la suitede l’initiative de quelques didacticiens, ou de quelques enseignants ou encore, pourquoi pas, dequelques apprenants?La réponse n’est pas si univoque qu’elle semble, car il y a aussi de bons produits créés pour l’ap-prentissage, le point fondamental est: pour en faire quoi? Parmi les logiciels créés pour l’apprentissage il y en a des soi-disant interactfs qui, même si en géné-ral ne sont pas vraiment interactifs car ils proposent un parcours figé à l’intérieur duquel l’apprenantpeut seulement suivre des indications et faire des exercices qui n’ont qu’une réponse correcte, sontquand même souvent agréables et peuvent être utilisés pour des activités définies, pour des exerci-ces surtout de type structural ayant des finalités de révision et pour rendre plus intéressant l’entraî-nement de quelques structures.

4.4.1 Matériel non structuré et créativité dans les TIC

Mais cela n’est que le sommet du grand iceberg constitué par une réelle intégration des TIC.Si l’ordinateur n’est qu’un instrument et les logiciels doivent être des « outils authentiques », l’inté-gration des TIC dans la classe ne doit pas constituer une parenthèse, une activité tout à fait différentede la routine quotidienne. Cela impliquerait, de façon automatique, une focalisation sur l’outil plu-tôt que sur l’apprenant. Si c’est l’apprenant qui doit garder son rôle central, par contre, il est sur sonactivité qu’il faut se concentrer.Je voudrais introduire à ce point un des concepts clés de la pédagogie steinerienne qui se réfère aujeu d’enfants.Il s’agit d’un domaine qui peut sembler très éloigné de la didactique des langues en contexte lycéen,mais qui au contraire ne l’est pas tellement.Selon Steiner le matériel de jeu doit être le moins structuré possible pour laisser de la place à l’ima-gination et à la créativité et permettre son éclosion.Cette exigence n’a été que partiellement prise en compte par l’industrie du jouet (il suffit de penseraux Lego) ou par l’école maternelle traditionnelle aussi bien d’état que privée où la tendance domi-nante reste malheureusement plutôt orientée vers des objets très structurés, vers des jouets reprodui-sant la réalité dans les moindres particuliers.Il est vrai d’ailleurs que ce principe, celui de la non-structuration, existe aussi dans la pédagogie engénéral et qui ne serait donc pas exclusif de la pédagogie steinerienne, mais je voudrais quand mêmefaire remarquer une différence fondamentale: le matériel non structuré est normalement constitué pardu matériel expressément conçu pour le jeu, donc par des jouets qui laissent à l’enfant la possibilitéde construire, organiser, structurer. Steiner, tout en ne refusant pas cette solution qu’il offre dans sapédagogie – il suffit de penser aux pièces en bois – va au-delà en intégrant parmi les matériels nonstructurés toute une série d’objets naturels, tels que les pierres, les pommes de pin, les écorces d’ar-bre etc., qui n’ont aucun lien avec le jeu si non celui que l’enfant peut ou veut créer.L’idée qui est à la base de cette conception est vraiment une idée de créativité: c’est l’esprit qui crée,ce n’est pas le matériel, et l’esprit crée avec n’importe quoi. Il est vrai que le résultat sera moins «parfait » que dans le cas de matériel expressément conçu pour la création, mais il sera d’autant plusintéressant, car d’autant plus ouvert, modifiable, passible d’adaptation et de restructuration. Unepetite maison faite avec des Lego est plus belle, plus définie, qu’une petite maison faite avec despierres mais celle ci nécessite d’un travail plus profond de conception et de mise en œuvre et une

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 161

plus grande implication personnelle. Le produit nécessite peut être d’une explication, ce qui contri-bue à un processus de révision des contenus à des buts métacognitifs.Cette idée de l’absence, ou presque, de structuration comme condition indispensable au développe-ment de la créativité est une idée très intéressante que l’on peut appliquer en tant que base philoso-phique à l’intégration des TIC en classe de langues.Cela n’implique pas une diabolisation des derniers produits techniques offerts par le marché, il s’a-git plutôt d’une relativisation de ces mêmes produits: l’élément humain demeurant central, il n’estpas nécessaire de poursuivre les gadgets les plus performants de la technique, comme si la perfor-mance était une garantie d’apprentissage efficace.C’est Stevick qui stigmtise très bien cette recherche qu’il définit ancient quest: il utilise la métaphorede la pierre philosophale et après en avoir esquissé les différentes étapes, il conclut ainsi:

When I was getting started as a language teacher back around 1948 or 1949, the philosophe-r’s stone was thought to be the principle of minimal contrast. A few years later it was mimi-cry- memorization and overlearning of basic dialogues, or perhaps it was the double-tracktape recorder which allowed learners to compare their version of a sentence with a nativespeaker’s version. More recent candidates for the status of philosopher’s stone have beencognitive code learning, computers, communicativeness, and comprehensible input. I wouldlike to emphasize that I’m not denying the value of any of these – not the value of contrast, orof comprehensible input, or of any of the others in between. The danger in all of these, I thinkwas not that they had no value, but that their proponents and their new converts tended to denythe value of anything else. « Before us nothing was » has been a slogan taken up by more thanone party. The second half of the same slogan is « and after us nothing else need ever be ».(1999, p. 43)214

Bertin aussi en s’appuyant sur Sauvignon215 mentionne le problème de « la quête d’un idéal où l’ou-til serait paré de toutes les vertus » et commente ainsi en se référant au matériel multimédia:

Si la plupart des enseignants ont maintenant réalisé la vanité d’un tel rêve, leur découverte etleur appréciation des matériaux multimédias semblent souvent tentées de ce fantasme: l’espoirde trouver LE didacticiel approprié limite souvent les horizons d’une imagination créative quipourrait trouver, sous des formes variées et inattendues, des solutions aux questions posées.Ainsi, bien des logiciels seront rejetés simplement du fait d’une approche différente des habi-tudes pédagogiques de l’enseignant, qui voit en eux des objets aussi figés qu’un manuel ou unecassette vidéo, en oubliant qu’il est parfois possible d’en remanier les contenus ou d’en ima-giner une utilisation originale. (2001, p. 15)

L’ordinateur peut donc jouer un rôle fondamental pour une amélioration de l’apprentissage, mais ilne peut pas être au centre du processus: ce n’est pas lui qui dirige le jeu, c’est l’apprenant.Et pour cette raison la valeur du produit que l’apprenant créera sera surtout en fonction de ses choixet de son processus cognitif.

214 Quand j’ai commencé comme enseignant de langue autour de l’année 1948 ou1949, la pierre philosophale sem-blait être le principe du contraste minimal. Quelques années plus tard l’imitation-mémorisation et l’apprentissageredondant et repété de dialogues de base, ou peut-être que c’était le magnétophone à double bande qui permettait auxapprenants de confronter leur version d’une phrase avec celle d’un parlant natif. Des candidats plus récents pour lestatus de pierre philosophale ont été l’apprentissage à travers le code cognitif, les ordinateurs, l’habileté de communi-quer et l’input de compréhension. Je voudrais souligner que je ne renie la valeur d’aucun de ceux-ci, ni la valeur ducontraste ou de l’input de compréhension ni celle des autres qui sont entre ces deux extrêmes. Le danger dans tous, jepense, n’était pas le fait qu’ils n’avaient pas de valeur mais le fait que ceux qui les proposaient et ceux qui se conver-tissaient à eux avait la tendance à nier la valeur de toute autre chose. « Avant nous il n’y avait rien » a été le sloganadopté par plusieurs parties. La seconde moitié du même slogan est « et après nous il n’y aura plus besoin d’autre ».

215 Savignon, S., Communicative Competence: Theory and Classroom Practice, Reading, Addison Wesley, 1983.

162 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

C’est l’apprenant qui écrit un texte en utilisant Word, qui décide quand et comment couper et collerles différentes parties du texte, quand et comment les structurer, les modifier de toute manière. C’estl’apprenant qui crée un hypertexte et qui écrit ou qui adapte de façon personnelle les textes que l’onretrouvera sur les différentes « pages », qui décide les liens, les images, le son. C’est l’apprenant quicrée une présentation en Power Point en passant de la synthèse des contenus à l’élaboration person-nelle, en ajoutant des textes, des images, des sons, de l’animation pour mieux expliciter ses associa-tions mentales.À l’aide d’outils authentiques tels que les logiciels grand public l’apprenant, libre de suivre son ima-gination, soulagé dans les tâches les plus pénibles telles que la correction orthographique, capablede transformer toute production personnelle dans un petit produit multimédia, se trouve ouvert etpréparé à une expérience d’apprentissage réelle, profonde, durable.

4.4.2. Approhe par les tâches et TIC

L’expérience d’apprentissage devient encore plus profonde dans le cas où l’apprenant est appelé às’engager dans l’accomplissement d’une tâche.Je cite ci-dessous la définition de tâche donnée par le Cadre commun de référence, à l’intérieurduquel elle occupe, avec la définition de « texte », une position centrale. Cette position est d’autantplus centrale si l’on considère la perspective adoptée par le Cadre qui est – comme l’explique Trim– une perspective actionnelle, ce qui implique un « faire » avec la langue.

Les tâches ou activités sont l’un des traits de la vie quotidienne dans les domaines personnel,public, éducationnel et professionnel. La réalisation d’une tâche par un individu suppose lamise en œuvre stratégique de compétences données afin de mener à bien un ensemble d’ac-tions finalisées dans un domaine donné avec un but définit et un produit particulier […]Lanature de tâches peut être extrêmement variée et exiger plus ou moins d’activités langagières;elles peuvent être créatives (la peinture, l’écriture créative), fondées sur des habiletés (brico-ler), de résolution de problèmes (puzzles, mots croisés), d’échanges courants, mais aussi tel-les que l’interprétation d’un rôle dans une pièce, la participation à une discussion, la réalisa-tion d’un exposé, un projet, la lecture d’un message et la réponse à y apporter (courrierélectronique par exemple) etc. Une tâche peut être tout à fait simple ou au contraire extrême-ment complexe (par exemple l’étude d’un certain nombre de plans et d’instructions pour mon-ter un appareil compliqué et inconnu). Le nombre d’étapes ou de tâches intermédiaires peutêtre plus ou moins grand et, en conséquence, il peut être difficile de définir les limites d’unetâche donnée. (2001, paragraphe 5.1 Description de la tâche)

Comme on le voit bien la tâche, par rapport à l’exercice ou à l’activité, relève du domaine de la com-plexité non seulement car elle peut impliquer toute une série de sous tâches ou d’activités, mais carelle est par nature transdisciplinaire et pluricodique, elle peut impliquer du linguistique et du non lin-guistique, elle présente un objectif fondamental, pour atteindre lequel toute une série de décisionsdoivent être prises et d’actions menées à terme.Pour rester dans le domaine des langues étrangères et dans la production écrite qui a fait l’objet prin-cipal de mon étude de cas, un apprenant (ou un groupe d’apprenants) qui doit préparer une présen-tation en Power Point pour la montrer face à un public (de collègues ou d’enseignants) prendra touteune série de décisions plus ou moins amples selon que la tâche soit plus ou moins structurée (lethème est donné par l’enseignant ou pas? la durée de la présentation est fixée ou pas? etc.), il suivra

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 163

des étapes qui peuvent partir de la recherche des matériels (sur papier ou virtuels) pour aboutir à unproduit à publier par exemple sur le web.L’ordinateur peut contribuer énormément à ce processus: ses trois fonctions que j’ai décrites endébut de ce chapitre, à savoir celle de source de matériel authentique, celle d’outil de traitement detextes et celle de moyen de communication, peuvent être toutes impliquées. La possibilité de télé-charger, stocker, modifier, transformer, éditer et partager rend la tâche plus intéressante et le résultatplus satisfaisant.L’emploi de l’ordinateur peut favoriser une perspective plus active de l’apprenant face à l’apprentis-sage:

…un élément essentiel semble être l’instauration d’une relation dynamique et créative entrel’apprenant et le matériau linguistique. Dans cette perspective, la meilleure approche pourfavoriser l’acquisition est l’approche heuristique, dont Socrate avait en son temps soulignél’importance, qui consiste à faire découvrir par l’apprenant ce que l’on veut lui enseigner.Cette approche implique une démarche didactique qui place l’activité de l’apprenant au cen-tre du processus d’apprentissage: activité de découverte, mais ausi activités induites deréflexion et de structuration, dont nous avons vu à quel point elles influent sur l’ensemble duprocessus. (Bertin, 2001, p. 38)

C’est l’apprenant qui reste au centre du processus, c’est lui qui, en travaillant de façon autonome etresponsable, construit son apprentissage à l’aide de l’ordinateur

…l’échec de l’Enseignement Assisté par Ordinateur (E.A.O.), tel qu’il fut présente et pratiquédans sa première époque (à partir des années 1980) est en grande partie imputable à un inté-rêt plus marqué pour la technologie que pour la réflexion didactique. Ceci pourrait se formu-ler de la façon suivante: la machine ne doit pas remplacer l’homme dans le processus d’ap-prentissage, ni même lui faciliter par trop la tâche, mais susciter sa réflexion et activer sescapacités opératoires. (id., p. 40)

Les potentialités énormes des TIC qui permettent un travail collaboratif en présentiel et à distancepeuvent vraiment favoriser le changement en didactique des langues qui est constitué par une véri-table approche par les tâches. Selon Puren

dans le Cadre européen commun de référence (1996 et 1998) s’amorce – en particulier dansson chapitre 3.2. consacré à ce qui est appelé une « perspective actionnelle » – une seconderupture fondamentale dans la conception de la cohérence didactique (après celle de la métho-dologie directe des années 1900-1910), avec un passage à une « entrée par les tâches ». Lemoteur du changement est l’évolution de l’objectif social de référence del’enseignement/apprentissage des langues en Europe […] La perspective actionnelle cor-respond à la prise en compte d’un nouvel objectif social lié aux progrès de l’intégration euro-péenne, celui de préparer les apprenants à travailler, dans leur propre pays ou dans un paysétranger, avec des natifs de différentes langues-cultures étrangères (comme c’est déjà le caspar exemple d’entreprises en Allemagne ou des Allemands, des Espagnols, des Français tra-vaillent ensemble en anglais). Il ne s’agit plus de communiquer avec l’autre (de s’informer etd’informer) mais d’agir avec l’autre en langue étrangère (2002 « Vers une perspective co-actionnelle-co-culturelle », à paraître, souligné par l’auteur)

La tâche devient une occasion véritable de se mettre en jeu, de construire ensemble, de partager, decréer, et surtout elle favorise l’autonomie et la prise d’initiative de l’apprenant.

164 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

4.4.3 Rôle de l’enseignant dans une intégration active des TIC

Et quel est le rôle de l’enseignant dans un processus de ce type? Le rôle fondamental est celui decréer un environnement favorable à l’apprentissage, donc, comme je l’ai montré aux chapitres 2 et3, ouvert à la prise de risques et non menaçant, présentant une atmosphère d’« atelier« plutôt quede classe, dans lequel l’enseignant est aussi curieux et prêt à la découverte, à se mettre en jeu, àapprendre lui-même avec ses élèves.Cette condition peut paraître idyllique mais elle me semble en effet pouvoir être très favorisée parles TIC, en considérant aussi la nécessité de travailler individuellement, mais plus souvent en cou-ple ou par petits groupes devant les ordinateurs qui est à l’opposé de la modalité frontale, avec l’en-seignant qui assure un rôle de conseiller, ressource, guide, aide.Bertin s’interroge sur les changements qu’il faut prendre en compte dans le cas d’un type d’intégra-tion des TIC qui offre un espace de créativité pour l’apprenant et souligne:

…la nécessité d’organiser l’apprentissage non de manière autoritaire et unilatérale par l’en-seignant ou le didacticiel, mais en offrant à l’apprenant un environnement propice, qui devranotamment assurer:

- l’intérêt du sujet (pertinence par rapport aux objectifs et aux motivations);- une exposition variée à la langue (métalangue, niveau de langue et de difficulté, présenta-

tion des données, découpage en thèmes, …);- une présentation de la langue et des activités didactiques organisée de manière à favoriser

la structuration interne et la mémorisation;- un guidage en ce qui concerne les choix en matière de cheminement;- un environnement positif, encourageant, particulièrement en ce qui concerne le traitement de

l’erreur; - la mise à disposition dans un espace donné (le bureau virtuel de l’écran) des outils néces-

saires à la réflexion, à la compréhension et à l’accomplissement des tâches;- par ces biais la mise en œuvre d’une véritable démarche heuristique centrée sur l’apprenant

qui débouche sur une « interaction créative » (2001, pp. 40-41, je souligne)

Ce rôle fondamental de l’environnement n’est qu’une confirmation au niveau pratique/opératoire desprincipes exposés par Csikszentmihalyj dans son schéma et l’enseignant est celui qui a le plus d’in-fluence sur l’environnement. L’enseignant dans une intégration des TIC en classe de langues visantà la créativité, peut vraiment devenir pour ses élèves un modèle d’apprentissage tout au long de lavie.

Felicemente, dal software che stimola la realizzazione di progetti, si coglie a vista che l’inse-gnante impara anch’esso e continuamente. E questo lo rende uno stupendo esempio di stu-dente a vita, curioso e appassionato, che fa « lega » con i suoi studenti per « battere » la mac-china216 (Cangià, 2001, p. 129)

Dans un environnement propice la perspective change et, par conséquent, la relation de classe chan-ge. L’apprenant devient un partenaire impliqué dans toute prise de décision. Je reviens sur la concep-tion de Freire cité par Williams et Burden à laquelle je m’étais déjà référée (voir 3.3.4.1) pour l’ex-primer plus en detail:

216 Heureusement, en regardant les logiciels qui stimulent la réalisation de projets, on s’aperçoit tout de suite quel’enseignant apprend lui aussi et de façon continue. Et cela le rend un exemple merveilleux d’étudiant tout au long dela vie, curieux et passionné, qui fait une « alliance » avec ses élèves pour « vaincre » la machine.

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 165

An alternative conception is that of learner as partner, where the emphasis is shifted fromconsultation to negotiation and where it is possible in Freire‘s terms for the teacher to « takeon the role of student amongst students ». The assumption here is not one of equality but oneof a sharing relationship within which teachers recognise that they are also learners. The star-ting point for this kind of teacher is not one of « I’m in charge! », but one of « Let’s decidetogether how we can all benefit from our time together ». The underlying notions are of mutualtrust and respect leading to growth and development for teachers and all their learners. Thisapproach is best exemplified by humanist teachers such as Carl Rogers. In the language class-room, learners can be treated as partners by involving them in decisions about what activitiesto carry out, asking them what topics they are interested in or allowing them to select booksto read. It is also a view that has underpinned work on the use of process syllabuses in lan-guage teaching. (Williams and Burden, 1997, p. 59, souligné par l’auteur)217

4.4.4 De l’approche par les tâches à la pédagogie du projet

Il ne s’agit pas, dans un contexte comme celui que je viens de décrire, de diminuer le prestige, l’im-portance ou la fonction de l’enseignant, qui reste au contraire la figure indispensable, il s’agit plutôtde reconsidérer son rôle qui n’est plus celui de détenteur de la connaissance, mais celui de guide d’unparcours.Bertin définit la nouvelle figure d’enseignant concepteur de façon très intéressante, je propose d’endonner une interprétation extensive pour y inclure tout enseignant intégrant les TIC dans sa classedans une optique de didactique par projet.

Le concepteur est à la croisée des chemins entre des activités spécifiques: tour à tour didacti-cien, linguiste ou informaticien, sa démarche est par essence pluridisciplinaire. Le concepteurest un médiateur qui reste avant tout enseignant, au sens originel du terme: c’est lui qui mon-tre la voie, lui qui, par sa pratique et son expérience, relativise les différents apports et reste,de fait, seul maître d’œuvre du projet. (2001, p. 123)

La didactique par projet est vraiment l’ébauche naturelle d’une intégration des TIC finalisée au déve-loppement de la créativité.J’ai déjà donné une première définition générale de projet 218, je voudrais ici aller plus dans le détailcar le terme est déjà très désabusé, presque tous les livres d’anglais langue étrangère par exempleprésentent des pages de « project work », qui normalement tendent à banaliser la notion de projet enen faisant une petite parenthèse plus ou moins amusante à l’intérieur du cursus « normal », par cont-re la didactique par projet implique une véritable révolution copernicienne en classe de langue.

217 Une conception alternative est celle d’apprenant comme partenaire, où l’on met en évidence la consultation plu-tôt que la négociation et où il est possible comme le dit Freire que l’enseignant « assume le rôle d’ètudiant parmi d’au-tres ètudiants ». La thèse ici n’est pas celle de l’égalité mais celle d’une relation de partage à l’intérieur de laquelle lesenseignants reconnaissent qu’ils sont eux aussi des apprenants. Le point de départ pour ce type d’enseignant n’est pascelui de « Je suis chargé! », mais une relation du type « Décidons ensemble comment nous pouvons tous bénéficier dutemps que nous passons ensemble ». Les notions qui sont à la base de cela sont celles de confiance et respect réci-proques qui mènent à une croissance et à un développement pour les enseignants et leurs apprenants.La meilleure exem-plification de cette approche on la trouve chez des enseignants humanistes comme Carl Rogers. Dans la classe de lan-gue les apprenants peuvent être traités comme partenaires en les implicant dans les décisions concernant quelles acti-vités introduire et accomplir, en leur demandant quels thèmes les intéressent ou en leur permettant de selectionner leslivres qu’ils doivent lire. C’est aussi une vision qui a soutenu le travail sur l’utilisation de programmes de langue baséssur le processus.

218 Voir 3.3.6.

166 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

Les caractéristiques essentielles du software de projet que Cangià explicite en s’inspirant à l’œuvrede Morsund219 est, à mon avis, généralisable au projet en tant que tel dont le(s) logiciel(s) consti-tue(nt) le moyen de mise en œuvre ou parfois l’élément catalyseur.Ces caractéristiques sont les suivantes:

- un contenu et un but du projet qui doivent être authentiques, car seulement les projets focalisantsur des problèmes réels et pour la résolution desquels il faut s’engager, aident l’apprenant à pro-gresser;

- une certaine durée, ce qui implique un élément de défi car pour mener à terme un projet long ilfaut bien planifier les temps, les ressources, l’accomplissement des tâches etc.;

- un apprentissage par découverte, l’analyse de ses propres erreurs, le « problem solving », lamétacognition, l’autorégulation émotive et cognitive;

- un résultat final visible, concret, qui peut être présenté et transformé dans un produit et donnerlieu à une performance et qui entre dans le portfolio des élèves;

- la nécessité d’une collaboration et d’un apprentissage coopératif aussi bien à l’intérieur d’unemême classe qu’à un niveau plus ample (plusieurs classes, plusieurs écoles);

- des tâches amples et complexes qui impliquent une alternance d’action et de pensée, uneréflexion critique, passibles de révision et correction continue;

- un rôle de facilitateur pour l’enseignant qui est impliqué dans l’apprentissage, qui trouve desmoments d’apprentissage individuel;

- une individualisation du curriculum, de l’instruction et de l’évaluation et une focalisation surchaque sujet apprenant qui construit sa connaissance. (voir Cangià, 2001, p. 129)

Il y a une certaine possibilité de superposition entre éléments caractérisant un projet et éléments quicaractérisent l’apprentissage tels que les présentent De Margerie et Pelfrêne

Demandons-nous quelles sont les opérations qui nous sont familières et nécessaires lorsquenous cherchons à apprendre. Quelque chose comme, on a besoin de COMPRENDRE certai-nes notions, d’ACQUÉRIR des connaissances ou des méthodes, de RENFORCER certainsacquis, de S’INFORMER sur certaines questions, de CONCEVOIR son travail, d’ANALYSERcertains phénomènes, de GÉRER ses tâches, de PRÉSENTER son œuvre. Ce sont des opéra-tions évidentes et « éternelles » de l’acte pédagogique. (1990, p. 17)

Ils esquissent une échelle d’objectifs qui part d’« inculquer », impliquant un entraînement à traversun exercice programmé, passe à travers « provoquer », qui implique déjà une forme d’expérimenta-tion se concrétisant par une simulation pédagogique, pour arriver à « réaliser », donc à suivre desétapes différentes finalisées à un produit bien précis. Et ils expliquent ainsi les trois objectifs:

Les trois grands objectifs recensés marquent, dans une certaine mesure, le parcours de l’in-formatique pédagogique.

- « Inculquer », c’est considérer la relation d’apprentissage comme une relation univoque,unilatérale, du maître vers l’élève.

- « Provoquer » signifie provoquer une construction délibérée du savoir […]. La démarcheexpérimentale met [l’apprenant] en situation de practicien et de chercheur.

219 Morsund D., « Editorial » in Learning and Leading with Technology n°25, (8) 1998

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- « Réaliser » regroupe toutes ces tâches qui entrent dans la conception et le développementd’un travail particulier: chercher des informations, organiser son travail, rédiger, analyserdes problèmes… (de Margerie et Pelfrêne, 1990, pp. 18-19)

Et il n’est pas difficile de reconnaître dans ce parcours la même évolution qui a eu lieu dans ledomaine des TIC avec un passage de la centration sur la machine à la centration sur l’apprenant etsur son projet.

L’apprenant de langue ne doit-il pas, tel l’artiste, créer son monde et ses lois (son interlan-gue)? Se pose alors la question de redéfinir la place de l’ordinateur, dont la fonction n’estplus, dans une telle perspective, de superviser l’ensemble du processus d’apprentissage. Il doitcéder sa place à l’apprenant et se mettre à son service. (Bertin, 2001, p. 51)

L’intégration des TIC doit donc s’enrichir d’une démarche heuristique qui va compléter celle algo-rithmique qui avait caractérisé la première introduction des ordinateurs en classe de langue.Et cette approche heuristique peut bien trouver un terrain fertile dans une didactique de projet quivoit l’apprenant à la fois rechercher, découvrir, sélectionner, modifier, ajouter, hiérarchiser, systé-matiser, enrichir, éditer.

4.4.4.1 Démarche de projet et démarche d’écriture: une affinité élective?

Il n’est pas difficile de reconnaître dans cette liste la ressemblance avec le processus d’écriture dontj’ai traité dans le chapitre précédent.Crinon relate des résultats d’une recherche menée dans des classes françaises du cycle 3 utilisant unlogiciel de type « environnement d’écriture »220 et affirme:

Une différence entre l’aide sur ordinateur et l’aide sur papier est le grand nombre de textesofferts à l’utilisateur dans le premier cas (plus qu’il ne peut en lire!). La multiplicité de textesdu logiciel permet à chacun de trouver les ressources qui correspondent à ses besoins prop-res, tout en restant dans la logique de son propre texte. Le guidage dans le choix des ressour-ces est fait du sujet lui-même. En fournissant un grand nombre de modèles possibles pour laréécriture, on détruit la notion même de modèle unique, on libère l’élève, on l’encourage à tra-vailler sur son propre modèle mental de texte. La situation d’écriture mise en place et l’outilfourni « autorisent ». (2001, p. 91)

Même si le logiciel dont Crinon parle est sûrement une aide précieuse pour un travail ciblé sur l’é-criture, il est aussi possible d’envisager une situation dans laquelle la richesse de modèles est four-nie par des ressources tirées d’Internet ce qui permet de viser à des résultats semblables.Cela est justement ce qui est arrivé dans l’étude de cas que je vais présenter dans le chapitre suivant.La richesse de textes et de stimuli de départ a aidé les élèves à s’ouvrir, à choisir, créer et présenterleur propre texte original.Crinon affirme encore:

Écriture personnelle donc, et pas seulement parce qu’on a invité les enfants à parler d’eux-mêmes et de leur vie, directement ou de manière romancée. Écriture personnelle, surtout au

220 Il s’agit de Scripertexte qui est un logiciel expérimental conçu par une équipe de l’IUFM de Créteil sous ladirection de Jacques Crinon. Le logiciel vient d’être édité par le CRDP de Créteil sous le titre Ecrire en lisant.

168 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

sens d’une activité personnelle de création de signification et de sens. Des ressources linguis-tiques et stylistiques en contexte sont fournies. Nulle obligation de les utiliser, et le choix estsuffisamment large pour que chacun trouve ce qui correspond à ce qu’il est en train d’écrire.La place donnée au sujet est un des points essentiels des pratiques d’écriture que nous propo-sons: un sujet qui écrit et réécrit, et, dans ce travail d’écriture, élabore un contenu, donne unsens à une expérience en même temps qu’il la raconte. (ibidem)

Le sujet dans un travail de ce type apprend, s’il est vrai que, comme je l’ai montré, apprendre c’est« construire » activement. Une autre expérience que je trouve intéressante car elle souligne les affinités électives entre travailde projet et écriture dans le cas d’une intégration de supports multimédias est un projet centré sur untravail coopératif en science conduit par des élèves d’école élémentaire qui devaient concevoir la« maison du futur ».Voilà les remarques concernant le rôle de l’écriture:

L’écriture a été présente à toutes les étapes du travail réalisé par les élèves: pour proposer deshypothèses, pour organiser les activités d’investigation, pour débattre, pour enregistrer lesrésultats de recherche et pour publier les travaux. Elle est passée par des formes variées,depuis des échanges courts fonctionnant un peu à la manière d’un dialogue oral jusqu’à desécrits plus longs et structurés utilisant souvent des médias complémentaires (textes, images,tableaux…). L’écriture n’a pas seulement accompagné les activités scientifiques et techniques,elle a aussi été l’élément constitutif d’une construction sociale des connaissances. La mise encommun d’un large ensemble textuel pouvant être consulté et modifié en permanence a facili-té les révisions et les mises en relations cognitives et textuelles. Cet ensemble textuel a consti-tué en quelque sorte le précurseur de l’hypertexte final. L’utilisation d’Internet et de la basedocumentaire commune a facilité l’organisation du travail coopératif et a amené les élèves àécrire plus et mieux que dans les pratiques scolaires habituelles. La constitution d’un auditoi-re réel pour les activités langagières et le couplage avec les activités de recherche scientifiqueont donné un enjeu véritable à l’écriture. D’autre part, les possibilités offertes par l’outilinformatique ont permis de s’affranchir en partie des contraintes imposées par la rédaction detextes linéaires et ont ouvert la voie à de nouvelles formes d’écriture (Bisault, 2001, p. 134)

4.4.4.2 Une pédagogie du projet pour diminuer les risques des TIC

L’intégration des TIC en classe de langue à travers la didactique de projet aide à diminuer les risquespotentiels de ces mêmes technologies.Voulant faire une liste des risques principaux liés aux TIC je mettrais les suivants dans un ordrecasuel:

- le zapping

- l’idéalisation de l’outil

- la mécanisation de l’apprentissage

- le manque d’interaction

- le manque de feedback

- le manque de réflexion pédagogique

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 169

Il est évident, à partir de tout ce que je viens de dire, que la didactique de projet est le cadre idéalpour ne pas tomber dans les sables mouvants de ces risques, il faut toutefois que le projet présenteles caractéristiques que j’ai indiquées au paragraphe 4.4.4. Si cela arrive l’apprenant (ou le grouped’apprenants) est tellement concentré sur l’accomplissement de la tâche qu’il mobilisera toutes lesstratégies nécessaires pour atteindre son but.Les risques que j’ai mentionnés présentent un caractère de gravité s’il y a une persistance des phé-nomènes: il est clair en effet que ceux que j’ai indiqués comme des risques peuvent même constituerla caractéristique spécifique d’une première phase de prise de contact avec les TIC

Un des risques liés à ce type de produit est le « zapping », vagabondage superficiel sans pro-jet ni tâche à réaliser, encouragé par la richesse et le foisonnement des cédéroms et d’Internet:même si cette pratique n’est pas critiquable en soi (elle constitue en effet une sorte de bain delangue), on ne peut pas considérer qu’elle aboutisse à des véritables apprentissages.(Mangenot, 2001, p. 68)

Et comme le zapping les autres « risques » mentionnés présentent aussi quelques aspects qui ne sontpas négatifs en général mais qui le deviennent si on ne modifie pas le niveau d’intégration des TICdans la classe.Un certain degré d’idéalisation de l’outil peut contribuer à donner de l’impulsion à la motivation,tout comme la mécanisation de l’apprentissage peut résulter positive pour certains élèves qui seule-ment à travers des activités de type mécanique peuvent se familiariser avec l’ordinateur.Le manque d’interaction avec les autres apprenants peut être lui aussi sécurisant dans la mesure oùune confrontation n’est pas demandée, l’interaction serait à ce niveau remplacée par une plus oumoins forte interactivité avec la machine.Le manque de feedback et de réflexion pédagogique enfin peuvent contribuer à une première intro-duction « souple » des TIC, comme élément ayant un caractère ludique et de divertissement. Mais ilest évident que tous ces éléments se transforment à plus ou moins longue durée en un facteur trèsnégatif, capable de neutraliser tout effet positif des TIC.On assiste au niveau de directives ministérielles, recommandations européennes, revues de forma-tion à « une vision utopique qui se concrétise dans une espèce de fétichisme technologique qui pré-sente les NTIC comme incontournables et parées de toutes les vertus » (Lancien, 1998, p. 400)La problématique de l’interactivité apparaît d’ailleurs assez complexe en général:

D’un côté beaucoup de cédéroms d’apprentissage et de programmes en ligne, pauvres en ter-mes de contenus, d’analyse de réponse et d’interactivité imposent […] leur normes et rendentpeu probable l’autonomie de l’usager tandis que dans les meilleurs, l’interactivité devraitfavoriser l’individualisation. On sait pourtant que la notion même d’interactivité est elle-même complexe et qu’il peut par exemple y avoir des niveaux d’interactivité machinique outechnique relativement sophistiqués qui n’impliquent pas pour autant de réelles interactions(id., p. 399)

Les limites de la machine ne relevant pas du domaine de l’interactivité, mais étant d’ordre bien plusgénéral, la réflexion pédagogique doit donc avoir lieu si on veut passer du niveau d’introduction desTIC à celui d’intégration, ce qui implique une exploitation des moyens pour des buts clairs, définis,importants pour le sujet apprenant qui peut les utiliser de façon personnelle et plus ou moins créati-ve.

170 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

4.5 Exploiter les outils pour des finalités créatives

Il faut réfléchir beaucoup sur les implications pédagogiques de l’intégration des TIC et cetteréflexion pédagogique doit se poser la question de ce qui caractérise l’outil et de comment gérer etexploiter ses caractéristiques pour atteindre des buts d’apprentissage et surtout pour offrir un espacede créativité à l’apprenant.S’il est vrai que chaque logiciel a une propre logique qui le caractérise, il est vrai aussi qu’il y a descaractéristiques de base qui sont communes à tout produit multimédia. La première de ces caracté-ristiques est la complexité.Les textes que l’on trouve sur le web, ceux qui font partie des cédéroms grand public comme d’ap-prentissage, et en général les textes d’écran, présentent un niveau de complexité élevé dans un espa-ce d’écriture réduit.Même les textes les plus simples comme ceux écrits avec Word relèvent, au moins partiellement, dela complexité: la barre des instruments cristallise à l’écran la richesse du processus d’écriture, toutcomme dans le courrier électronique la messagerie cristallise à l’écran les phases caractéristiques deséchanges: il y a des espaces dédiés (lis, envoies, réponds, etc.) qui sont en relation avec la tempora-lité, donc qui ouvrent sur une toute autre dimension.Cette complexité, qui se décline sous forme de structuration et de présence d’éléments visuels etsonores, constitue une énorme richesse car la possibilité d’intégration de différents langages permetune flexibilité remarquable de composition, donnant un effet de redondance qui intègre et en mêmetemps relativise le texte écrit.Il s’agit d’un cadre idéal pour une production créative de l’apprenant qui peut exploiter cette com-plexité pour exprimer ses concepts et ses idées de façon globale, pour entrer ensuite dans le détailen enrichissant les différentes parties, par exemple en ajoutant des expressions et en allongeant letexte.Le processus d’apprentissage holistique, qui va du complexe au simple, du général au particuliertrouve ici une base idéale sur laquelle il peut se développer.Parmi les caractéristiques communes il y a donc la pluralité des codes et la flexibilité de combinai-sons qui se rattachent strictement à la complexité.Une autre caractéristique intéressante pour une approche active aux TIC qui est présente dans touslogiciel, même si sous des formes différentes, est constituée par les contraintes.Or, l’importance des contraintes en tant qu’éléments qui permet un accroissement si non une vérita-ble éclosion de la créativité a été clairement démontrée dans le domaine de la production écrite libreet/ou poétique221.Dans le cas des logiciels il y a aussi des contraintes qui font partie du logiciel même ou qui peuventêtre imposées par l’enseignant comme dans le cas du travail sur papier. Il suffit de penser dans lepremier cas aux diapos de Power Point et dans le second cas à certaines fonctions de Word qui seréfèrent à la structuration des textes (mais aussi à l’insertion de tableaux). Ces contraintes peuventdonner une grande impulsion à une approche active au matériel à produire et donc à la créativité:l’apprenant auteur doit prendre constamment des décisions concernant la structuration, le choix desmots clés, des images, des documents sonores et de leur combinaison, la longueur du texte, sa faci-lité de lecture, les informations à déplacer sur une autre « page » et à connecter, etc.

Learners are conceived and treated as the active and acting agents who will assert their cre-ativity in the process of « doing », and learning through « doing ». The principal role of the

221 Voir entre autres Bing E., …et je nageais jusqu’à la page (vers un atelier d’écriture), Paris, Éditions des fem-mes, 1976, Oriol-Boyer C., (sous la direction de) Ateliers d’écriture, Actes du Colloque de Cérisy-La-Salle (23 juillet-2 août 1983), Grenoble, L’Atelier du texte-Ceditel, 1993, Werly N., Imaginaire et didactique du français langue étran-gère ou Le pourquoi et le comment d’un atelier décriture poétique, Torino, Tirrenia Stampatori, 1990.

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 171

teacher is to see to it that this comes about. The principal role of the classroom, equipped withcomputers and giving access to networked resources, is to assure that a mediational facility isavailable to enhance student efforts, as these manifest themselves in various disciplines(Barson&Debski, 1996, p. 51)222

Cette conception est strictement liée à l’idée brunerienne concernant l’apprentissage d’une langue.Dans son œuvre Acts of Meaning Bruner affirme:

The first [claim] is that the child’s acquisition of language requires far more assistance fromthe interaction with caregivers than Chomsky (and many others) had suspected. Language isacquired not in the role of spectator but through use. Being « exposed » to a flow of languageis not nearly as important as using it in the midst of « doing » Learning a language, to borrowJohn Austin’s celebrated phrase, is learning « how to do things with words ». The child is notlearning simply what to say but how, where, to whom, and under what circumstances (Bruner,1992, pp. 70-71)223

Le rôle fondamental de l’ordinateur peut donc être celui de facilitateur d’un usage constructif de lalangue de la part de l’apprenant

Students should remain free to exercise control, engineer their engagement, and make choicesabout how to proceed in achieving their goals (Barson&Debski, 1996, p. 52)224

Les TIC peuvent constituer un outil parfait pour passer d’un scénario d’apprentissage transmissif àun paradigme constructiviste225, d’un Formal Language Environment à un Natural LanguageEnvironment226 et ce paradigme constructiviste est fortement lié à l’approche psychosociale et inter-actionniste de l’apprentissage de Vygotsky et de Piaget. Il suffit de regarder la liste des points fon-damentaux caractérisant ce type d’approche tels que les décrivent Grossen et Porchon:

- L’individu apprend au sein d’activités sociales finalisées et dans des groupes sociaux qui don-nent sens à ses activités. Apprentissage et socialisation sont liés.

- L’individu n’apprend jamais seul mais dans l’interaction avec d’autres personnes. La capacitéde comprendre le point de vue de l’autre (intersubjectivité) est un aspect essentiel de l’activitéd’enseignement- apprentissage.

222 Les apprenants sont conçus et traités comme les agents « actifs et acteurs » qui affirmeront leur créativité dansle processus de « faire » et d’apprendre à travers le « faire ». Le rôle principal de l’enseignant est celui de viser à laréalisation de tout cela. Le rôle principal de la classe, équipée avec des ordinateurs et donnant accès à des ressourcesen ligne, est celui d’assurer la disponibilité d’un appareillage multimédia pour intensifier les efforts des élèves, quandils se manifestent dans les différentes disciplines.

223 La première [thèse] est celle selon laquelle l’acquisition d’une langue requiert bien plus d’assistance sous formed’interaction avec ceux qui sont chargés de l’enseignement de ce que Chomsky (et beaucoup d’autres) n’avaient suspec-té. La langue n’est pas acquise dans le rôle de spectateur mais à travers l’usage. Etre « exposé » au flux de la languen’a absolument pas la même importance qu’utiliser cette langue au cours d’actions, en « faisant ». Apprendre une lan-gue, pour emprunter la célèbre phrase de John Austin, c’est apprendre « comment faire des choses avec la langue ».L’enfant n’apprend seulement ce qu’il doit dire mais comment, où, à qui, et dans quelles circonstances.

224 Les élèves devraient être libres d’exercer un certain contrôle, de structurer leur engagement, d’opérer des choixsur la façon de procéder pour atteindre leurs buts.

225 voir Barbot Marie-José, « Présentation: évolutions didactiques et diversifications des ressources », dans ELA,n°112, 1998, p. 394.

226 A Formal Language Environment is one where the language used in educational settings is contrieved. Thisallows the instructor, for exemple to focus on specific grammatical patterns. However most researchers agree that aNatural Language Environment, which focuses on content rather than form, is more advantageous for language learn-ing (Oller, 1993). A natural language environment provides students with the context necessary to associate the lan-guage with the situation. (Kelm, 1996, p. 21).

172 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

- Les représentations et savoirs quotidiens jouent un rôle important dans les apprentissages sco-laires. C’est en effet à partir de leur expérience sociale que les élèves donnent un sens aux acti-vités d’apprentissage et aux savoirs.

- L’apprentissage s’appuie sur des outils et signes (le langage en particulier) culturellement ethistoriquement construits. Ceux-ci font partie intégrante du fonctionnement de l’intelligencehumaine.

- L’intelligence résulte de l’interaction entre un individu, son environnement social et les outilset signes qui sont à sa disposition.

- L’apprentissage engage l’identité sociale de l’individu et la modifie. Apprendre c’est changer(cité d’après Perriault, 2002, p. 24)

Dans une situation idéale l’apprenant construit activement son savoir à l’intérieur d’une situationd’interaction sociale, en s’appuyant sur les TIC qu’il emploie selon ses choix personnelles en par-tant de la logique du logiciel.Pour rester à l’exemple de Power Point, à savoir le logiciel qui a été employé de façon plus exten-sive dans le travail pratique dont je vais parler dans l’étude de cas, la logique du logiciel imposera àl’apprenant un travail de déstructuration et de restructuration de connaissances, concepts, textes etdocuments produits de façon autonome, ou bien disponibles sur papier ou encore tirés d’Internet.Cela impliquera une réflexion métacognitive qui deviendra encore plus consciente dans le cas d’untravail coopératif finalisé à l’accomplissement d’une tâche, ou, encore mieux, à la définition et struc-turation d’un projet.Dans le cas de Power Point la logique est celle de grande synthèse, de structuration claire, de sub-division en éléments homogènes, de richesse sémiotique, de flexibilité, de recherche de l’essentiel.Les processus cognitifs à activer pour prendre en compte cette logique sont complexes et impliquentl’apprenant de façon profonde.

De l’instrument technique, tout d’abord, qui porte sur l’action, il devient rapidement instru-ment psychologique portant sur le psychisme, puisque grâce à lui, selon Vygotsky, le sujetcontrôle et règle sa propre activité, [dans Rabardel 1995: 87].De plus selon les perspectives, il devient tour à tour:

- Outil sémiotique, c’est-à-dire une aide pour l’activité cognitive de l’opérateur en apportantl’information utile à l’action et en guidant le déroulement des séquences opératoires [ibid.:87], dans une perspective d’enseignement;

- Outil cognitif du point de vue de l’apprenant: dispositif artificiel conçu pour conserver, pré-senter de l’information ou la traiter afin d’assurer une fonction représentative [de la languedans le cas présent] [Norman 1992]. Rogalski et Samuray [1993] complètent cette définitioncomme suit: les outils cognitifs prennent en charge une partie de l’activité cognitive des uti-lisateurs et contribuent ainsi à la réalisation de la tâche [dans Rabardel 1995: 87]

- L’une des questions qui reste ouverte concerne la capacité de l’ordinateur à développer cettefonction cognitive [Zähner 1995]: la recherche en Intelligence Artificielle et les futursréseaux neuronaux, offrent peut-être dans ce domaine des espoirs d’avancée significative, eneffectuant le lien entre simulation et stimulation des processus d’apprentissage (Bertin, 2001,p. 82, souligné par l’auteur)

Quatrième Partie LES SUJET APPRENANT 173

4.6 Ergonomie cognitive et ergonomie didactique

L’ordinateur peut vraiment devenir dans cette optique un instrument d’ergonomie cognitive.Je pars de la définition d’ergonomie que Bertin fournit dans son glossaire227 « science de l’adapta-tion des outils à l’homme et aux conditions de travail » pour l’élargir au concept d’ergonomie cogni-tive que j’interprète comme la science permettant au sujet apprenant de mieux apprendre, la sciencede l’adaptation de l’outil – dans ce cas l’ordinateur – au fonctionnement de l’esprit de l’individu –dans ce cas l’apprenant.La définition d’ergonomie cognitive donnée par la Société européenne d’ergonomie cognitive228 estla suivante:

L’ergonomia cognitiva ha come oggetto di studio l’interazione tra il sistema cognitivo umanoe gli strumenti per l’elaborazione di informazione. La conoscenza prodotta da questo studio èutilizzata per supportare la progettazione di strumenti appropriati per i più svariati usi, dallavoro, all’educazione, al divertimento 229(tirée du Statut de l’association).

Le but de l’ergonomie cognitive est celui de rendre l’interaction homme-machine le plus flexible etfiable possible, il s’agit donc en dernière ligne de projeter une technologie en fonction de l’activitéhumaine qu’elle devra supporter: ce n’est pas la technologie qui détermine l’environnement danslequel elle est insérée ou qui influence les interactions ou les activités humaine, c’est plutôt lecontraire.Le concept d’ergonomie cognitive, si intéressant et important qu’il soit, n’est pas suffisant pour ren-dre compte des problématiques liées à la didactique: il faut le reconsidérer à la lumière des spécifi-cités de l’apprentissage

Intendiamo dunque qui sottolineare l’importanza di un nuovo ambito specifico di ricerca,situato all’intersezione tra ergonomia, teoria e tecnologia dell’apprendimento che per como-dità chiameremo « ergonomia didattica » […]. Una « ergonomia didattica », cioè un’ergono-mia finalizzata a favorire apprendimento […], ha necessità di distinguersi dall’ergonomia insenso stretto […]l’obiettivo primario da conseguire non è l’alleggerimento del carico cogni-tivo in sé bensì che il sistema uomo-macchina riesca ad operare garantendo un’attivazionecognitiva di buona qualità nei soggetti coinvolti, senza la quale difficilmente si possono avereapprendimenti significativi.230 (Calvani, 2002, « Per una ergonomia didattica », publié sur leWeb)

La finalité première de l’ergonomie didactique est celle de mettre au centre la croissance cognitivedu sujet, en particulier il faut valoriser des habiletés cognitives de niveau haut et éviter une satura-tion technologique qui distrait l’apprenant en l’éloignant de la poursuite des buts d’apprentissage. Lerisque toujours présent d’une monopolisation de l’attention de la part de la machine doit être évitéau profit d’une synergie entre esprit et machine qui ensemble travaillent pour une solution des pro-blèmes.

227 Bertin, 2001, p. 176.228 EACE: European Association of Cognitive Ergonomy, année de constitution 1987.229 L’ergonomie cognitive a comme objet d’études l’interaction entre le système cognitif humain et les instruments

pour l’élaboration de l’information. La connaissance produite par cet étude est utilisée pour supporter la mise en pro-jet d’outils appropriés pour les usages les plus variés, du travail à l’éducation à l’amusement.

230 Nous voulons donc souligner ici l’importance d’un nouveau domaine spécifique de recherche situé à l’intersec-tion entre ergonomie, théorie et technologie de l’apprentissage que pour commodité nous appelerons « ergonomiedidactique » […]. Une « ergonomie didactique » , à savoir une ergonomie finalisée à favoriser apprentissage […], abesoin de se distinguer de l’ergonomie au sens strict du terme […] l’objectif principal à poursuivre n’est pas l’allège-ment de la charge cognitive toute seule mais que le système homme-machine puisse opérer et donc une activation debonne qualité dans les sujets impliqués, sans laquelle il peut y avoir difficilement des apprentissages significatifs.

174 LES SUJET APPRENANT Quatrième Partie

Nella scuola i rischi connessi alle introduzioni « selvagge » delle nuove tecnologie sono evi-denti.L’effetto « diretto » cui tendono le tecnologie, quello cioè dell’alleggerimento e distribuzioneall’esterno del carico cognitivo non è di per sé congruente con quelle che comunemente sonole finalità dell’educazione, che deve in primo luogo mirare a mantenere sufficientemente altol’ impegno e la capacità di affrontare problemi complessi; in generale un’’introduzione « sel-vaggia » delle tecnologie favorisce una tendenza « al ribasso », un alleggerimento del carico(in senso lato) con un conseguente « appiattimento sulla macchina »:l’introduzione dei nuovimedia nella scuola, al di fuori di un contesto educativo consapevolmente riorganizzato, indur-rà un progressivo impoverimento dell’attività cognitiva, in buona parte catalizzata dalle formedi adescamento esteriore delle interfacce.(ibidem) 231

Pour aboutir à une amélioration de l’activité cognitive du sujet il faut rester à l’intérieur d’un para-digme de conscience didactique, de poursuite d’objectifs clairs et définis, de programmation desactivités qui voit une coexistence de technologie et de travail de type « traditionnel » et un grand rôlejoué par la métacognition. Il faut saisir, rechercher et utiliser consciemment toute opportunité dedéveloppement de la pensée à travers la technologie, en allant au delà de l’extériorité de l’interfacetechnologique.Calvani donne quelques exemples de synergie possible esprit/machine parmi lesquels le principal estcelui de l’écriture qui « permette un ‘andirivieni’ sul linguaggio e lo sviluppo di una consapevolez-za linguistica » et souligne le rôle important d’allègement opéré par les technologies qui permettentune réduction de la charge cognitive. Cette perspective souligne, une fois de plus, la prééminence de l’élément humain sur la machine, quise présente alors comme un déclencheur de créativité dans une perspective de « basse technologie »et de « haute créativité ».Hébuterne-Poinssac, applique à l’ordinateur les mots que Jacques Bertin avait écrit dans son œuvreSémiologie graphique232 selon lequel

« […] Tout individu scolarisé saura construire une image, indépendamment de la qualité deson trait de plume, comme il sait construire une phrase indépendamment de la calligraphie desmots ». Il ajoute que beaucoup de très beaux dessins ne communiquent hélas qu’une informa-tion dérisoire et inutile alors que les croquis malhabiles mais correctement construits devien-nent les meilleurs instruments de la découverte et de la pédagogie (2000, p. 40, je souligne)

Je trouve ce concept extrêmement pertinent à tout ce que j’ai montré dans ma recherche qui est par-tie de la pratique, dont je vais donner un compte rendu dans le chapitre suivant, pour procéder àrebours dans la réflexion et la théorisation: c’est justement sur le processus mental de l’apprenantqui est à la base des produit multimédias que le didacticien doit focaliser son attention.

231 À l’école les risques liés aux introductions « sauvages » des nouvelles technologies sont évidentes. L’effet« direct » visé par les technologies, à savoir celui de l’allègement et de la distribution à l’extérieur de la charge cogni-tive n’est pas en soi même congruent avec celles qui normalement sont les finalités de l’éducation qui doit avant toutviser à maintenir suffisamment haut l’engagement et la capacité de faire face à des problèmes complexes: en général uneintroduction « sauvage » des technologies favorise une tendance « à la baisse », un allègement de la charge ( au senslarge) avec par conséquent un « aplatissement sur la machine »; l’introduction des nouveaux médias dans l’école, horsd’un contexte éducatif réorganisé de façon consciente impliquera un appauvrissement progressif de l’activité cognitive,en bonne partie catalysée par les formes de seduction extérieure des interfaces.

232 J. Bertin, Sémiologie graphique, 1965, Paris, Gauthier-Villars/Mouton.

Cinqième partie

ETUDE DE CAS

Cinquième Partie ETUDE DE CAS 177

Quando l’allievo è prontoarriva il maestroProverbio Cinese

5.1 Typologie de l’étude

L’étude de cas qui fait l’objet de ce chapitre est une étude pratique-applicative, dans le sens que jesuis partie de la pratique scolaire, de mon activité dans les classes pour expérimenter des modalitésde travail et en observer les conséquences.Le domaine de mon étude a été celui de l’intégration des nouvelles technologies dans la classe delangues et la raison d’un travail ciblé sur les TIC a été la conséquence de certains problèmes qui ontémergé dans la pratique scolaire quotidienne.- Le premier de ces problèmes a été le manque d’une retombée forte de ces mêmes technologies

sur le niveau de compétence linguistique des élèves. - Le deuxième problème a été la vitesse « de consommation » des TIC de la part des élèves, ce

qui était évident surtout dans le cas de certains logiciels tels que les cédéroms. - Le troisième problème a été la difficulté, souvent incontournable, constituée par certains aspects

techniques des TIC dans le sens qu’un investissement énorme en termes d’argent, de temps etde mise à jours des compétences techniques était souvent nécessaire pour obtenir des résultatsnon complètement satisfaisants.

- Enfin une des points auxquels j’étais intéressée était celui de voir si et dans quelle mesure lesTIC pouvaient favoriser une attitude plus active par rapport à la langue étrangère de la part desélèves surtout dans le domaine de la production écrite.

Une des thèses auxquelles je me suis référée tout au long de ce travail, à savoir celle d’une relationinverse entre matériel structuré et développement de la créativité dans l’apprenant, n’a pas été lerésultat d’un choix extérieur à la réalité du travail scolaire, mais au contraire elle a été une tentatived’explication partielle des problèmes auxquels je viens de me référer.Cette thèse a été à son tour graduellement expérimentée dans la pratique scolaire à travers des acti-vités différentes: de cette façon j’ai eu la possibilité d’observer la retombée de ces mêmes activitésen partant des réactions des élèves et j’ai pu corriger certains aspects jugés insatisfaisants. Ce processus d’essai et erreur m’a permis de réfléchir sur chaque phase de l’introduction des TIC etde modifier la séquence et la typologie de leur introduction dans le travail scolaire.

178 ETUDE DE CAS Cinquième Partie

Une autre thèse fondamentale de ma recherche a été, elle aussi, esquissée à partir des données expé-rimentales, je me réfère à celle de l’introduction des TIC dans une perspective de développement lacréativité comme condition préalable à une véritable acquisition de la langue étrangère, le caséchéant montrant en effet un apprentissage de niveau très superficiel qui n’arrivait pas à modifier lacarte cognitive de l’apprenant. Pour passer d’une hypothèse initiale, faite sur la base d’une observa-tion superficielle et tout à fait non structurée à une thèse proprement dite, plusieurs tentatives ont étéfaites, pendant lesquelles je proposais aux élèves une alternance d’activités créatives et structurées,ce qui me permettais d’en comparer les réactions et de parvenir à considérer la créativité commecomposante fondamentale de l’apprentissage et donc d’en étudier ensuite les implications au niveaudidactique et psychologique.Tout ce travail a abouti à des présentations en Power Point crées par les élèves et présentées par eux-mêmes qui ont fait l’objet d’une successive analyse détaillée concernant aussi bien la productionécrite que celle orale. Le choix final de la recherche est tombé sur ce logiciel car il présentait lemeilleur rapport entre modalité d’emploi – qui apparaissait claire et potentiellement très riche enmême temps – et stimulation de la production écrite, de la créativité et de l’implication personnelledes élèves.La méthodologie de travail étant évidemment celle de la recherche-action, une alternance de pratiqueet réflexion a été nécessaire, ce qui a impliqué une extension dans les deux directions de la recher-che même: d’un côté la dimension temporelle, car, comme je vais le montrer, l’étude des cas s’estétalée sur un temps plutôt long, de l’autre la dimension spatiale au sens large, à savoir l’extensionsur plusieurs groupes d’élèves montrant des caractéristiques différentes. Pour souligner cette deuxième dimension et en même temps pour chercher une confirmation auxconclusions auxquelles je parvenais à travers ce que j’appellerai métaphoriquement une substancede contraste, en empruntant le terme au domaine de la médecine, j’ai travaillé sur la dimension créa-tive dans deux cours de formation d’enseignants, respectivement de formation initiale et de forma-tion continue. Cela m’a permis d’un côté d’élargir ma perspective, de l’autre de relever similitudeset différences entre la tranche d’âge des adolescents et celle des adultes par rapport à l’acquisitionde compétences nouvelles. Je n’ai pas toutefois concentré ma recherche théorique sur ce type depublic, ni en particulier sur les similitudes et différences entre adolescents et adultes car cela auraittrop débordé le cadre de ma recherche, des observations que j’ai faites j’ai retenu seulement ce queje considérais relevant pour les contenus spécifiques de ma recherche. Le travail avec les stagiairesa été d’autant plus important car il m’a donné la possibilité d’appliquer au domaine spécifique duFLE ce que je venais d’expérimenter avec mes élèves en anglais langue étrangère. À ce sujet il fautsouligner que malgré ma formation universitaire et le fait d’avoir été reçue aux concours d’état pourl’enseignement des langues française, anglaise et allemande, je n’avais pas poursuivi l’enseignamentdu FLE à cause du manque de postes. Au temps de ma recherche j’étais enseignante d’anglais, lesystème scolaire italien ne permettant malheureusement pas d’enseigner plusieures langues étrangè-res à la fois et j’étais en même temps formatrice pour le Ministère italien de l’éducation nationale.Cette activité de formatrice m’a permis donc d’opérer une double vérification: d’un côté celle fon-damentale sur les modalités d’intégration des TIC en classe de langues et sur les implications de cesmêmes modalités, de l’autre la vérification sur la transférabilité potentielle des résultats de l’étuded’une langue étrangère à l’autre, cela est d’ailleurs est très cohérent avec la ligne suivie par les tra-vaux du Conseil de l’Europe qui ont mené à la définition d’un Cadre Européen Commun deRéférence à partir duquel on dispose de bases opératoires communes capables de dépasser, dans ledomaine de la didactique des langues, certaines divisions souvent très spécieuses qui s’étaient crééesentre l’enseignement/apprentissage des différentes langues.

Cinquième Partie ETUDE DE CAS 179

5.2 Groupes d’apprenants concernés

L’école dans laquelle la recherche a été conduite est un lycée technique (Istituto TecnicoCommerciale), qui présente à son intérieur de différents cours de spécialité (parmi les autres coursP-programmeurs d’ordinateur, cours ERICA-expert dans les relations interpersonnelles de la com-munication d’entreprise) L’étude a intéressé 87 élèves au total subdivisés en quatre classesTrois classes ont travaillé et ont fait l’objet d’observation pendant une période supérieure à uneannée scolairea.s. 1997/98 a.s. 1998/99 a.s. 1999/00 a.s. 2000/01 a.s.2001/02

Classe I ERICA - 10 élèves,

filles (classe bilingue)

- 1 heure par semaine (33 heures environ au total)

Groupe de

formation

initiale

- 27 stagiaires - 32.5 heures

(séances de trois heures et demie + une séance intensive de 6 heures)

Groupe de

formation

continue - 31 stagiaires -

- 28 heures (séances de trois heurs + une séance intensive de 6 heures)

Classe III A/P

- 16 élèves,

dont 7 filles et

9 garçons - 1 heure par

semaine (33 heures environ au total)

Classe IV A/P

- 17 élèves,

dont 8 filles et

9 garçons - 1 heure par

semaine (33 heures environ au total)

Classe IV A/P

- 21 élèves, dont 12 filles et 9 garçons

- 1 heure par semaine (33 heures environ au total)

Classe V A/P

- 19 élèves, dont 11 filles et 8 garçons

- 1 heure par semaine (33 heures environ au total)

Classe V ERICA

- 12 élèves, dont 11 filles et 1 garçon

- 1 heure par semaine (33 heures environ au total)

Classe III

ERICA

- 21 élèves, dont 19 filles et 2 garçons

- 1 heure par semaine (33 heures environ au total)

180 ETUDE DE CAS Cinquième Partie

Le public scolaire intéressé était entièrement dans la période de l’adolescence, la tranche d’âge desélèves allant de quatorze ans de la première classe à dix-neuf ans de la cinquième.Les groupes de formation étaient constitués de 27 personnes (formation initiale) et 31 personnes(formation continue).La tranche d’âge était variée, présentant un âge plus jeune en moyenne dans la formation initiale etplus élevé dans la formation continue, sans pour autant y avoir la différence considérable que l’onpourrait imaginer, (l’âge moyen des stagiaires en formation initiale était en effet plutôt élevé et celaà cause de la situation italienne où une véritable école de formation initiale des enseignants a été fon-dée justement à partir de l’année académique 1999/2000). Une différence remarquable existait parcontre au niveau des compétences techniques, le groupe de formation initiale possédant des compé-tences en général plus amples et une familiarité avec l’ordinateur augmentée par une utilisationextra-professionnelle de l’instrument.

5.2.1 Niveau de compétence linguistique-culturel et niveau de compétencetechnique des élèves

Les compétences des élèves étaient assez différenciées non seulement pour des raisons d’ordre per-sonnel – les classes n’étant pas en Italie subdivisées par niveaux, mais se présentant toujours commedes classes à compétences hétérogènes – mais aussi à cause de la caractéristique des cours auxquelsces élèves appartenaient. Les classes de la spécialité « programmeurs » étant bien plus marquées parun curriculum orienté vers les sciences exactes et l’informatique, les élèves possédaient une compé-tence d’utilisation de l’instrument technique allant d’un niveau moyen à un niveau excellent, maisen même temps étaient en général plus orientés vers une modalité d’étude et de résolution des pro-blèmes de type « digital », donc qui procédait par algorithmes, et qui ne laissait pas une grande placeà la libre association, à l’interdisciplinarité surtout entre des sujets de type humaniste et de typescientifique.Les classes de la spécialité ERICA, dont le but formatif est celui de préparer des cadres d’entrepri-se qui puissent s’occuper des relations sociales et interpersonnelles, présentaient la caractéristiqueopposée: leur curriculum était focalisé sur l’interdisciplinarité avec une grande place aux sujetshumanistes, les élèves en fait apprennent trois langues étrangères (anglais, français et allemand) his-toire de l’art et géographie, tandis que les sujets caractérisant la typologie de l’école, à savoir droitet économie, ont une place moindre, tout comme les matématiques d’ailleurs.En ce qui concerne les connaissances techniques des instruments informatiques, elles sont limitéesau traitement de texte dont l’étude est inséré dans les deux premières années de l’école.233

Ce scénario diversifié apparaissait très intéressant car il permettait de mettre en relation les modali-tés de travail et les résultats obtenus par les élèves avec les conditions spécifiques de départ, et donc

233 L’étude du traitement de texte en tant que sujet spécifique est prévu seulement dans les lycées techniques car ila substitué la dactilographie et la sténographie, devenue désormais obsolètes. Mais le type de travail fait pendant lescours de traitement de texte a gardé la même nature que celui fait pendant le cours de dactilographie: il s’agit en géné-ral de familiariser les élèves avec l’ordinateur et ses fonctions afin qu’ils soient capables de rédiger les documents qu’ilsseront censé rédiger lors d’un emploi dans un bureau, tels que des lettres commerciales. Ce qu’ils font donc en généralc’est de copier des documents en faisant attention à la forme rédactionnelle, ou, même quand ils doivent rédiger lesdocuments eux mêmes, ils partent de données bien précises et leur attention est toujours tournée vers la forme plutôt quevers le contenu, il s’agit dans la plupart des cas d’activités de type mécanique.

Cinquième Partie ETUDE DE CAS 181

de relever si et dans quelle mesure il y avait une relation de causes et effet entre typologie des com-pétences préalables et réalisation des objectifs.À la même manière un scénario diversifié était relevable au niveau des stagiaires: entre les deuxgroupes d’enseignants en formation en effet existaient des différences dans quelque cas considéra-bles.Dans ce cas la différenciation entre typologie des compétences préalables était celle entre une plusou moins grande compétence technique d’utilisation de l’instrument d’un côté et une plus ou moinsvaste expérience d’enseignement à laquelle se mêlait une compétence disciplinaire plus ou moinsapprofondie. Dès que le groupe d’enseignants a été utilisé comme révélateur pour vérifier certaineslignes de tendance qui ont émergé de la recherche conduite dans les classes, la présence de cette dif-férenciation à l’intérieur du groupe des stagiaires a représenté un facteur particulièrement intéres-sant. Voulant généraliser pour arriver à mieux comprendre on pourrait faire une confrontation enparallèle entre les élèves « programmeurs » et les stagiaires plus jeunes d’un côté et les élèves ducours ERICA et les stagiaires plus « âgés » de l’autre. Les deux premiers groupes présentaient engénéral un meilleur niveau de compétence technique et un plus faible niveau de compétence linguis-tique/culturelle (dans le cas des élèves) ou moins d’expérience didactique (dans le cas des stagiai-res), les deux derniers groupes présentaient par contre un plus faible niveau de compétence techniqueet un meilleur niveau de compétence linguistique/culturelle (dans le cas des élèves) ou plus d’expé-rience didactique (dans le cas des stagiaires). Même s’il s’agit, comme je l’ai annoncé, d’une maniè-re un peu simpliste de catégoriser les situations, chaque système classe et/ou groupe relevant –comme je l’ai expliqué dans la deuxième et la troisième partie de cette thèse – du domaine de la com-plexité et donc présentant à son intérieur bien plus que deux typologies de situations, le fait de sou-ligner les deux spécificités fondamentales garde toute son importance car ces spécificités serontmises en relation avec les résultats finaux de la recherche (comme je le montrerai au point 5.7) dontcontribueront à rendre plus claires les implications.

5.2.2 Cas particuliers

Un autre hasard qui a contribué à la complexification et donc à l’approfondissement de la recherchea été la présence parmi les élèves d’un garçon reconnu par la direction de l’école comme relevant dela problématique de l’intégration des élèves handicapés. Cette modalité de travail représente unepéculiarité du système éducatif italien, où, depuis plus de vingt ans, on poursuit l’intégration des élè-ves qui présentent des handicaps non seulement du point de vue physique, mais aussi du point de vucognitif et comportemental, en les plaçant à l’intérieur des classes normales auxquelles on fournit lesupport d’un enseignant spécialisé pour un certain pourcentage de l’horaire, variable selon la gravi-té du handicap. Dans ce cas le handicap n’était pas grave, dans le sens qu’il n’empêchait pas l’inté-gration de l’èlève dans un établissement d’enseignement du secondaire, l’élève se trouvant en effetdans un lycée technique, mais il s’agissait quand même d’une difficulté reconnue de type cognitif etcaractériel.L’élève avait des problèmes de logique, ce qui impliquait de grandes difficultés en mathématiques,il arrivait à faire des exercices très structurés de type applicatif, mais il trouvait très difficile de pas-ser du niveau de l’exécution à celui de la production personnelle, ce qui le gênait particulièrementdans les langues étrangères, qu’il n’aimait pas car il se sentait très insécurisé, n’arrivant pas à maî-triser le code, difficulté qui s’ajoutait à l’effort d’abstraction et de reélaboration qui lui était exigé.

182 ETUDE DE CAS Cinquième Partie

En outre le souci du jugement de ses camarades était en lui encore plus fort que dans la moyennedes adolescents, et cela lui rendait l’étude de la langue étrangère encore moins en accord avec sanature, étant donnée la caractéristique de cette étude qui comporte la nécessité de se mettre en jeu,de prendre des risques, de n’avoir peur d’un certain degré de ridicule. Tout cela représentait pour luiun obstacle si fort qu’il comportait souvent une renonciation à priori de toute activité en langueétrangère.Cet élève ressentait par contre un intérêt énorme pour les nouvelles technologies, qu’il maîtrisaitassez bien, même s’il les avait jusqu’à ce moment-là utilisées de manière non créative.Son caractère était en général très retenu, et il était plutôt difficile de comprendre quels étaient sesintérêts principaux.Dans le cas de cet élève les résultats ont été extraordinaires, le travail arrivant à le réconcilier avecl’idée d’étudier une langue étrangère qui lui avait apparu toujours comme inachevable et inutile enmême temps.

5.3 Durée de l’étude

L’étude de cas sur les classes s’est étalée sur une période de quatre années scolaires, allant de1997/98 à 2000/01. L’étude avec les enseignants a été conduite pendant les années 2000/01 et2001/02.À l’intérieur de cette période des différences considérable émergent par rapport au travail effectuéaussi bien en termes quantitatifs qu’en termes qualitatifs.L’année scolaire 1997/98 a été la plus intense et en même temps la plus difficile, car elle a été lemoment dans lequel les problèmes connectés aux activités structurées ont émergés à l’intérieur dedeux classes parmi celles intéressées par l’étude. À la suite de cette prise de conscience des limitesdes TIC dans le cas d’une utilisation non créative, la troisième classe, qui ne faisait pas tout au débutpartie du groupe intéressé par l’étude, a été impliquée suivant un parcours d’introduction des TICqui pourrait être considéré à rebours, à savoir caractérisé par une absence de phase structurale, ce quin’a été ni facile ni complètement satisfaisant du point de vue de l’acquisition de compétences lin-guistiques, tout en gardant une grande valeur motivationnelle.La fin de l’année scolaire 1997/98 et le début de celle suivante 1998/99 a vu l’éclosion d’une appro-che créative aux TIC, venue de la part des élèves à la suite d’un minimum de stimulus de ma part.J’ai en effet conseillé des modalités de travail ou donné des suggestions tout en laissant les élèveslibres d’opérer des choix personnels par rapport aux différents aspects concernés (choix du thème,modalité de travail, forme sociale, typologie du produit, modalité de présentation et cetera). Cette période a été centrale pour ma recherche car elle a constitué le moment de prise de conscien-ce d’un grand domaine d’application des TIC qui était resté jusqu’à ce moment-là presque inexplo-ré au niveau scolaire et qui au contraire a donné une forte impulsion au travail de recherche-action,à savoir celui de l’exploitation des logiciels de bases pour des buts didactiques, en particulier pourla manipulation, la structuration et la production de textes en langue étrangère.Ces années ont été celles qui ont vu le plus de travail en termes d’épreuves et erreurs que j’ai men-tionnés, mais aussi celles qui ont préparé le terrain pour une prise de conscience des potentialités desTIC et du rôle de l’élève par rapport à elles.

Cinquième Partie ETUDE DE CAS 183

L’année scolaire 1998/99 a vu en effet l’affermissement d’une modalité de travail autonome par rap-port aux TIC, avec une exploitation plus consciente de leurs potentialités et des tentatives d’appro-priation de certains modèles d’apprentissage et de leur transférabilité à des domaines différents.Mais c’est à partir de l’année scolaire 1999/2000 que les premières conclusions de la recherche, pro-visoires mais plutôt satisfaisantes, ont été tirées. Cela a permis une extension du processus de recher-che-action à une autre classe, qui, dans son travail, a pris en compte les résultats de la rechercheconduite à l’intérieur des classes précédentes, et a permis aussi d’élargir l’étude pour y comprendrel’observation d’autres aspects, tels que l’influence du niveau de compétence technique, ou de l’ex-périence précédente des élèves pour n’en mentionner que les plus marquants.La phase successive, et aussi celle finale de la recherche, a vu l’extension de certaines lignes fonda-mentales de la recherche à deux groupes d’adultes en situation d’apprentissage, à savoir un groupeen formation initiale et un groupe en formation continue. La scansion temporelle du travail a été trèsdifférente par rapport aux situations de classe de lycée – ce qui a été pris en compte au niveau deréflexion – car elle a aussi joué un rôle: au lieu de s’étaler sur une période longue avec une cadencehebdomadaire ou presque, les deux cours ont eu lieu dans une période brève dans laquelle le travaila été très concentré, avec des séances de trois ou quatre heures en moyenne.L’organisation temporelle joue un rôle fondamental, car les modalités de travail sont différentes etpour cette raison les résultats le sont eux aussi, comme j’expliquerai dans le paragraphe spécifique(voir 5.5.).

5.4 Technologie et matériels employés

Le lycée dans lequel l’étude des cas s’est déroulée est très bien équipé du point de vue technique, iln’y avait donc que l’embarras du choix. Non seulement on pouvait utiliser le laboratoire où les élè-ves pouvaient travailler par couples car ils avaient à leur disposition treize ordinateurs, mais il y avaitla possibilité de se connecter à Internet, et, en plus, ils pouvaient projeter leur travail sur grand écrandans un autre laboratoire. Toutes ces technologies ont été utilisées dans des combinaisons différentes par les élèves qui ontdécidé au fur et à mesure que leurs projets progressaient.En ce qui concerne les matériels employés il faut distinguer entre matériels multimédia et matérielsur support papier. Pour le premier groupe les élèves ont utilisé la disquette du texte Stepping intobusiness 234 et les cédéroms World Wide English235et A World of Opportunities236, Speak up interac-tive237, les cédéroms Storia della Letteratura Inglese,238 pour le deuxième ils ont utilisé les manuels,et selon leur nécessité des livres empruntés de la bibliothèque de l’école, ils ont utilisé aussi despolycopiés fournis par l’enseignant.La classe Ière ERICA a utilisé le logiciel Amico 3239 pour construire son petit hypertexte.Les classes du cours Programmeurs avaient utilisé en précédence des disquettes et de cédéroms degrammaire.240

234 Shelly Janet, Poppiti Raffaele, Stepping into Business, Bologna, Zanichelli, 1997. 235 Waterhouse Valerie, World Wide English, Milano, Elemond Interactive Education, 1997.236 S.a., A World of opportunities, Milano, Elemond Editori Associati, 1996.237 Speak up interactive,CD Rom 4, Milano, De Agostini-Rizzoli Periodici,-Rizzoli New Media, 1998.238 Storia della letteratura Inglese, ACTA, Casa editrice D’Anna, 2000.239 Amico 3.1, ed Garamond.240 Freebairn I., Rees Parnall H., The Grammar Rom. Intermediate Language Study, Harlow, Longman, 1995.

184 ETUDE DE CAS Cinquième Partie

Il faut aussi dire que quelques élèves ont effectué des recherches sur Internet à partir des moteurs derecherche Altavista et Yahoo.Comme je vais l’expliquer toutefois les cédéroms ont eu un rôle marginal par rapport à la produc-tion: ils n’ont été en effet que le point de départ pour un travail individuellement organisé de la partdes élèves. Si l’emploi des cédéroms de grammaire avait eu une retombée positive car il avait contribué à ren-dre l’étude de la grammaire plus agréable et avait permis d’effectuer un nombre d’activités bien plusélevé que celui que l’on arrive à faire sur support papier, l’utilisation des cédéroms de civilisationn’avait pas mis en évidence les mêmes aspects positifs, les élèves mettant en évidence une tendan-ce généralisée à ne pas exploiter le contenu du cédérom, mais à « arriver au but le plus vite possi-ble », ne parvenant pas de facto à augmenter ni leur niveau de compétence ni celui de connaissance.Parmi les matériels utilisés il faut donc, à mon avis, insérer plutôt les logiciels de base utilisés parles élèves, à savoir Winword et Outlook Express (celui-ci presque exclusivement pour l’échange dematériels et pour demander des conseils concernant la structuration des projet), mais surtout PowerPoint qui a fourni aux élèves un cadre et une modalité de structuration des contenus sur lesquels ilsavaient décidé de travailler.

5.4.1 Première phase

L’étude de cas étant dans une première phase finalisée à l’observation des retombées des TIC surl’apprentissage en termes de compétence et de motivation, les technologies que je viens de présen-ter ont été employées de manière différente, et en particulier les élèves ont suivi, au début du pro-cessus d’introduction des TIC, des parcours proposés par les didacticiels (disquette ou cédérom) quiétaient soit proposés par les méthodes (ou bien constituaient des supports pour l’enseignement de lagrammaire, ce qui revient plus ou moins à la même typologie), soit contenaient des parcours plus oumoins « interactifs » de type varié allant de la civilisation à la littérature.Entre les deux typologies il y a eu toutefois une différence remarquable au niveau du développementdes compétences chez les élèves, qui a aussi constitué un des points de départ pour le déroulementsuccessif de la recherche: si dans le cas des disquettes ou cédéroms du premier type (support aumanuel ou à la grammaire), les parcours très structurés proposés étaient suivis par les élèves avecassez de systématicité, ce qui garantissait au moins une certaine efficacité de ces mêmes parcours entermes de réemploi des structures et d’acquisition d’automatismes dans l’usage de la langue, dans lesecond cas les parcours « interactifs » proposés par les cédéroms faisaient l’objet d’un usage trèshâtif de la part des élèves qui n’arrivaient pas à exploiter toutes les potentialités offertes par le logi-ciel car ils se plaçaient dans l’optique de la recherche la plus rapide possible de la solution. Cela n’é-tait pas causé par le manque de temps à la disposition des élèves, mais c’était plutôt la conséquenced’une habitude acquise à travers les jeux électroniques, et ne se modifiait pas à la suite des sollici-tations de ma part. Il faut dire aussi, au bénéfice des élèves, que la prétendue interactivité des cédé-roms était plus ou moins inexistante, et cela est valable pour tout cédérom d’apprentissage, le par-cours ne pouvant être que plus ou moins figé à cause des exigences de programmation du cédérom.Non seulement ce type d’interactivité ne favorisait pas le développement de la créativité, mais iln’apportait les bénéfices des logiciels plus structurés non plus, car les parcours proposés ne présen-taient aucun caractère de systématicité. Les effets sur l’apprentissage étaient limités, une intégration

Cinquième Partie ETUDE DE CAS 185

efficace de ce matériel apparaissant donc possible à l’intérieur d’un projet plus ample capable derécupérer toutes les données offertes et d’élargir les potentialités des cédéroms.Avant d’arriver au début de la deuxième phase, qui a eu lieu vers la fin de l’année scolaire 1997/98,dès que les élèves ont montré les premiers signes de manque d’attention et d’intérêt pour le contenudes cédéroms proposés, il faut aller dans le détail de chaque classe, la situation étant en effet diffé-renciée.Dans la classe III A/P, au cours du premier quadrimestre, les élèves avaient travaillé sur des logi-ciels241 proposant des exercices de type différent, mais tous à réponse fermée, à la présentation gra-phique plus ou moins séduisante. Même si, dans ce cas aussi, il y avait une certaine tendance à nepas exploiter complètement le travail effectué au laboratoire (par exemple dans le cas d’erreurs répé-tées, peu d’élèves prenaient des notes ou allaient revoir la règle, se limitant dans la plupart des casà répéter l’exercice autant de fois que nécessaire pour obtenir un score positif par le logiciel), leniveau de motivation restait quand même haut: les élèves considéraient ce type d’activité gratifian-te et utile pour leurs progrès, donc personne ne manquait de s’appliquer au travail pendant toute ladurée de la séance.Cette démarche était liée au programme prévu par le Ministère pour ce type d’école et ce niveau, àsavoir un approfondissement de la compétence linguistique, qui comprend la connaissance des struc-tures et du lexique à un niveau plus élevé (pour une exigence de clarté il s’agit du début d’un par-cours allant du niveau B1 du Cadre européen – qui constitue l’objectif des deux premières annéesdu lycée – vers le niveau B2 intégré par la langue de spécialité – qui constitue l’objectif final prévupour le lycée).L’introduction d’un travail sur la civilisation et le lexique à l’aide de cédéroms proposant des par-cours spécifiques se présentait comme la suite naturelle de ce que les élèves avaient fait jusqu’à cemoment-là, j’ai donc travaillé sur cela jusqu’au début de la deuxième phase.La classe IV A/P avait déjà abandonné l’étude systématique des structures linguistiques, qui carac-térisait la troisième classe pour aborder celle de la langue de spécialité qui était prévue, avec cellede la civilisation, par le Ministère pour les deux dernières années du lycée.Le travail au laboratoire s’était déroulé au cours du premier quadrimestre à l’aide de cédéroms et dedisquettes qui proposaient des activités focalisant surtout sur la langue du commerce (disquette deStepping into Business et cédérom de A World of Opportunities voir 5.4.): cela avait vu les élèvestravailler selon des modalités assimilables à celles du travail avec les exercices structuraux.L’introduction intermittente des cédéroms de civilisation, effectuée comme intégration du program-me à partir du début du second quadrimestre, avait au contraire comporté une réaction très sembla-ble à celle observée dans la classe III A/P.Dans la classe I ERICA, où l’étude de la langue étrangère joue un rôle plus important, la compéten-ce plurilingue constituant la caractéristique fondamentale du cours d’études, il y avait eu dès le débutun travail sur didacticiels proposant des exercices de type structural. J’avais donc utilisé TheGrammar Rom régulièrement pour renforcer la connaissance des structures linguistiques.

241 Il s’agit de The Grammar Rom, de niveau intermédiare, voir note 240, et de Focus on Grammar and Functions,une disquette pièce annèxe du manuel portant le même titre de Tiziana Badiali, Treviso, Canova, 1996.

186 ETUDE DE CAS Cinquième Partie

5.4.2 Deuxième phase

Au printemps 1998, une nouvelle modalité de travail a été envisagée à la suite des difficultés que jeviens de mentionner. La classe III A/P a été celle dans laquelle le phénomène est apparu de façonplus évidente: c’est à ce moment-là que le matériel existant sur cédérom a été vu comme ressourceà exploiter, comme point de départ plutôt que comme parcours figé à suivre. La décision de s’éloigner du chemin connu pour en aborder un encore inconnu a été discutée avecles élèves qui ont manifesté la volonté d’aller au-delà de ce que les cédéroms proposaient, mais quin’avaient pas une idée claire de comment structurer un nouveau parcours et quels contenus choisir.Les élèves n’étaient pas intimidés par l’idée d’acquérir un rôle actif, de créer quelque chose à l’or-dinateur, et cela grâce à leurs compétences techniques, mais ils montraient très peu de confiance dansleur capacité de jouer un rôle actif par rapport à la langue qu’ils considéraient toujours commequelque chose à apprendre à travers l’exercice et la réélaboration plus ou moins guidée de matérieldonné par l’enseignant.Cet aspect a été aussi pris en compte, et on a décidé ensemble de privilégier le travail sur la languepar rapport au travail technique, donc d’exploiter des compétences dont les élèves disposaient au lieude se donner des objectifs techniques trop ambitieux pour éviter de disperser des énergies sur lesaspects techniques et pour les concentrer, au contraire, sur la langue afin de parvenir à considérercelle-ci comme un instrument flexible dont l’élève peut se servir de manière personnelle. Cette déci-sion allait aussi dans le sens de mon hypothèse de recherche, mais j’ai décidé de ne pas mettre lesélèves au courant de cela pour ne pas les influencer.La technologie employée a été donc limitée aux logiciels de base (Winword et Power Point) à l’uti-lisation d’Internet et au courrier électronique (qui a joué seulement un rôle d’appui pour l’échangeet la mise en commun du matériel). Une démarche très semblable a été suivie dans la classe IV A/P, dès que les mêmes problèmes ontémergé. Là aussi il y a eu une discussion initiale visant à l’organisation d’une nouvelle phase de tra-vail, dans laquelle j’ai aussi proposé aux élèves la modalité de travail décidée par la classe III A/P,qui a été jugée intéressante par cette classe aussi. On a décidé donc de procéder de façon tout à faitparallèle en ce qui concerne les technologies employées et de différencier les contenus linguistiques,la troisième classe travaillant sur des thèmes au choix, la quatrième classe sur de thèmes inclus dansle programme.La démarche suivie dans la classe I ERICA a été, par contre, différente pour deux raisons: la pre-mière était l’idée de ma part de pouvoir éviter dès le début les problèmes que j’avais vus normale-ment surgir après la « lune de miel » des TIC, l’autre était la présence dans ce groupe, malgré le nom-bre reduit d’élèves, de deux éléments particulièrement problématiques à cause d’un comportementdifficile et d’une attitude hostile envers l’étude de la langue étrangère et vers l’école en général.Dans ce cas c’est moi qui ai proposé l’utilisation du logiciel Amico.3 (une version très simplifiée deToolbook) pour la réalisation d’un simple hypertexte dans lequel les élèves se présentaient et parlaitd’eux-mêmes, de leur vie, de leurs goûts, etc. Comme je l’expliquerai en parlant des difficultés relévées cette idée a été bonne et mauvaise enmême temps, dans le sens qu’elle a aidé à résoudre le problème des élèves problématiques en aug-mentant considérablement leur motivation, tout comme celle des autres élèves d’ailleurs, et elle a euune retombée très positive en terme de créativité et d’amélioration de l’habileté de production écri-te, mais les difficultés techniques ont parfois gêné le travail ou, de toute façon, ont requis une gran-de quantité de temps, qui évidemment a été soustrait à celui dédié au travail linguistique.Ce type de travail avec la classe I ERICA a été fait dans un temps plutôt bref, à savoir le secondquadrimestre, tandis que le travail commencé avec les autres classes s’est poursuivi pendant l’annéesuivante.

Cinquième Partie ETUDE DE CAS 187

La même technologie expérimentée dans les deux classes du cours A/P a été transférée sur une autreclasse la V ERICA, qui l’a utilisisée sur un arc temporel d’une année scolaire.À la suite des résultats de l’observation d’autres emplois partiels de ces technologies ont été faits àpartir de l’année scolaire 1999/2000 dans la classe III ERICA et en formation initiale et continuedans les deux années suivantes.

5.5 Conditions, organisation et modalités de travail

La fréquence d’utilisation du laboratoire est normalement d’une heure hebdomadaire pour chaqueclasse et cela pendant toute la durée de l’année scolaire. Une certaine répétition est à mon avisimportante pour parvenir à une véritable intégration des TIC en didactique, celles-ci perdant de cettefaçon l’aura d’exceptionnalité qu’elles conservent dans le cas d’un usage irrégulier. Cette fréquencea été aussi celle qui a caractérisé toute la recherche effectuée dans et par les classes, tandis que letravail de formation initiale et continue a eu lieu au cours de deux modules de 28 heures et 32.5 heu-res respectivement, donc avec une modalité intensive.Les ordinateurs installés dans le laboratoire que j’utilisais à ce moment-là avec les classes ne dispo-saient pas d’une connexion propre à Internet, les élèves devaient donc prévoir dans leur travail de sedéplacer dans le laboratoire Internet pour télécharger et sauver du matériel qu’ils transféraient ensui-te sur l’ordinateur sur lequel ils travaillaient à travers le réseau d’établissement. En ce qui concernele courrier électronique, qui n’a d’ailleurs pas été utilisé par tous les élèves, ils avaient la possibili-té d’utiliser une adresse électronique de l’école pour envoyer et recevoir des documents et ils pou-vaient m’envoyer des messages sur mon adresse personnelle dans le cas où ils avaient besoin dedemander des conseils ou de communiquer quelque chose.Tous les ordinateurs utilisés normalement disposaient évidemment des logiciels Winword et PowerPoint qui font partie de l’ensemble « Office » de Microsoft.En ce qui concerne le logiciel Amico.3 a été installé sur les ordinateurs sur lesquels les élèves tra-vaillaient.Le choix des formes sociales a été complètement laissé aux élèves dont la plupart a décidé de tra-vailler à deux, certains à trois et seulement un très petit pourcentage individuellement. S’agissantd’un travail de projet que je demandais aux élèves, j’aurais voulu leur proposer de chercher toujoursà travailler avec un partenaire, mais j’ai respecté les exigences de chacun.Il est intéressant de noter à ce sujet que les élèves qui présentaient des situations difficiles pour dedifférentes raisons ont en général opté pour un travail individuel, cela pouvant s’interpréter d’un côtécomme une forme de peur de la confrontation avec un partenaire, de l’autre aussi comme une sortede défi envers soi-même, car en fait ils étaient, à la fin de leur travail, particulièrement orgueilleuxdes résultats. Parmi les autres qui ont décidé de travailler à deux ou à trois, il y en a eu quelques-unsqui ont voulu répéter l’expérience en préparant un micro-projet individuel. Cela pourrait être inter-prété comme un besoin de la part des élèves d’être rassurés quant à leur capacité de parvenir seul àdes résultats semblables.Le travail a donc été organisé par projets: dans le cas de la classe III A/P de 1997/98 (IV A/P de l’an-née suivante) les groupes d’élèves s’accordaient sur un thème en s’inspirant des contenus des cédé-roms et à partir de là ébauchaient un projet, qui comprenait avant tout la recherche de matériel (surpapier ou sur Internet), le choix de ce matériel, sa modification, son adaptation aux objectifs du pro-jet, ou simplement son appropriation à travers la lecture et la compréhension, qui constituait une base

188 ETUDE DE CAS Cinquième Partie

de départ, une sorte de remue-méninges pour les élèves en vue d’une production plus créative. Celle-ci se faisait à l’aide des deux autres logiciels, Winword et Power Point. La même démarche a été sui-vie par la classe IV A/P de 1997/98 (V A/P de l’année suivante) mais sur le thème qui les avait inté-ressés le plus parmi ceux traités au cours de l’année scolaire, dont ils finissaient par devenir des« experts ».L’utilisation de Winword et de ses fonctionnalités a été très variable, car chaque groupe a décidé siet dans quelle mesure insérer cette phase intermédiaire, mais il faut dire que peu d’élèves y ont com-plètement renoncé car la manipulation, la création, la mise en commun, la réduction et la structura-tion de textes faite à travers Word leur a permis de se familiariser avec l’écriture et d’avoir une visiondynamique du code linguistique, dans le sens que tout ce qu’ils faisaient en Word était considérécomme un brouillon, une manière de s’approprier de l’écrit en tant qu’instrument d’expression quipouvait être changé à tout instant. Le produit final devant être pour tout le monde une présentation en Power Point exposée oralementdevant la classe et en même temps enregistrée au magnétoscope pour pouvoir ensuite la revoir et l’a-nalyser ensemble, une phase très importante et délicate a été celle de la création de la présentationproprement dite, à partir du travail préalable, auquel on pouvait ajouter des images, des clip arts, descouleurs, de l’animation, des sons, le tout avec un but très clair: celui de rendre le plus transparentet efficace possible le message que l’on voulait communiquer.Le travail fait en 1999/2000 avec la classe V ERICA a été du même type que le deuxième que j’aidécrit. La classe disposait de cinq heures de langue par semaine, ce qui aurait pu signifier un travailplus tranquille et plus ample du point de vue linguistique, mais l’habitude jusqu’à l’année précédented’un enseignement fondé exclusivement sur la mémoire a exigé une phase préalable intense de ren-forcement de l’habileté de production écrite guidée et ensuite libre, pour assurer aux élèves la com-pétence et l’autonomie nécessaire à un travail de projet. Le travail effectué a eu donc plus ou moinsla même durée en termes de nombre d’heures consacrées que celui fait par les autres deux classes,mais il s’est déroulé selon une modalité plus intensive, ayant été placé dans la seconde moitié del’année scolaire.Dans la classe III ERICA, qui comprenait le groupe d’élèves constituant l’ancienne I ERICA de l’année scolaire 1997/98 auxquels s’était ajouté un nombre important d’élèves ayant étu-dié le français comme seconde langue étrangère à la Scuola Media (correspondant aux trois premiè-res années du Collège), j’ai procédé de façon encore différente car les élèves ont travaillé indivi-duellement ou à deux sur la production écrite créative en n’utilisant pendant cette année scolaire queWord, et leur production a consisté dans la production d’un conte (sur un thème au choix, tiré de leurexpérience ou non, réel ou conte de fées), suivie d’une phase de mise en commun, de correction réci-proque, de modification, d’editing, de création de liens hypertextuels renvoyant de l’un à l’autre,d’explication des mots, etc. Ce travail avait le but de familiariser les élèves à l’utilisation de Wordpour une activité de production écrite créative et d’augmenter leur confiance par rapport aux TIC envue d’un travail par projets qui aurait dû commencer l’année suivante.Dans les deux stages d’adultes en formation le travail a été organisé de manière différente: après uninput de ma part sur les potentialités des TIC dans la classe de langue et une discussion sur les pos-sibilités d’emploi des logiciels de base et sur les objectifs envisageables pour ce même emploi, lesstagiaires ont travaillé dans une première phase sur chaque logiciel pris singulièrement, et ils ontensuite relié leurs connaissances pour donner lieu à un projet appliqué à la pratique scolaire réelleou virtuelle. Il faut dire que surtout le groupe de formation continue a travaillé aussi sur l’exploita-tion d’un système auteur ( ou pour mieux dire un exerciseur sur le Web) à savoir Hot Potatoes del’University of Victoria Language Center au Canada 242. Cela leur a permis d’intégrer dans leur pro-

242 Hot Potatoes, http://web.uvic.ca/hrd/halfbaked , University of Victoria Language center. Il s’agit d’un logicielgratuit (freeware) pour un usage non commercial qui offre six types d’exercices en ligne et qui supporte un nombreimpressionant de langues.

Cinquième Partie ETUDE DE CAS 189

jet certaines activités à proposer aux élèves faites à l’aide de ce logiciel. Ce choix a été fait parquelques enseignants et il a été intéressant d’observer les interactions et les modalités de travailappliquées dans ce cas par rapport aux contenus linguistiques à insérer. Comme je le dirai en parlantde la transférabilité de l’expérience ce travail pourrait bien être proposé aux élèves car il représenteune modalité efficace d’utilisation créative de la langue.

5.6 Difficultés relevées

Les principales difficultés relevées ont été de deux types, concernant le domaine de la méthodolo-gie, le premier, et de la technique, le second.Je n’ai pas choisi cet ordre par hasard car le premier type de problèmes a été bien plus significatifque le second et cela non seulement à cause des connaissances techniques préalables possédées parles élèves de la filière « programmeurs », ou, en général, de l’emploi de logiciels de base, dont l’u-tilisation ne requérait pas des compétences techniques de niveau très élevé. Ce que j’ai pu remarqueren effet, en comparant les différents groupes d’élèves et de stagiaires a été le poids différent des dif-ficultés qui ont émergé au cours de la recherche.Les difficultés techniques semblaient se situer à un niveau inférieur dans la hiérarchie, elles sem-blaient être plus faciles à dépasser, comme si elles ne représentaient qu’un obstacle de type méca-nique, qui, une fois franchi, ne se présenterait plus sur le chemin de l’apprenant, ou dans tout casplus de manière preoccupante. Le dépassement des difficultés méthodologiques semblait au contrai-re impliquer un effort bien plus considérable, il demandait une restructuration totale de la façon detravailler et de s’impliquer en tant qu’apprenant.Pour comprendre ce point – qui est fondamental pour ma thèse – je vais analyser ces difficultés plusen détail.

5.6.1 La peur de la manipulation et de la création des textes

Une des difficultés fondamentales a été la relation que la plupart des élèves semble avoir avec l’é-crit et qui se présente sous des formes différentes: d’un côté une considération trop haute du texteécrit qui finit par assumer une connotation de produit définitif, impossible à modifier, devant lequell’élève ne peut qu’assumer un rôle passif, au plus il se permet d’en souligner quelques parties; del’autre l’idée – qui est d’ailleurs reliée à la précédente – qu’il est très difficile pour un élève de pro-duire en langue étrangère un texte significatif, et même intéressant, qui aille au-delà d’une compo-sition liée à ce qui a fait l’objet des cours scolaires.Cette attitude envers le texte écrit ne se produit pas toutefois automatiquement: beaucoup d’élèves,dès qu’ils se sentent libres de la dimension « leçon », « apprentissage » commencent à produire, àmanipuler, à écrire. Pour se rendre compte de cela il suffit de regarder n’importe quel agenda desélèves du lycée: à la fin de l’année on se trouve devant un produit original, personnellement élabo-ré, que l’on pourrait presque définir un chef d’œuvre d’art populaire.

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Mais il n’est pas facile de transférer cette envie de créer à la dimension du cours, à l’apprentissage,les élèves se sentant plus rassurés dans la dimension reproductive, ou au moins dans une dimensionapparemment productive, mais qui en réalité est tellement guidée qu’elle ne donne guère de chancesà l’apprenant de pouvoir vraiment s’exprimer de façon personnelle.La difficulté majeure a été donc celle de franchir cette barrière et là vraiment tout un travail ciblé àété nécessaire dans lequel le rôle de l’enseignant – le mien dans ce cas – a été fondamental. Il s’a-gissait de créer une atmosphère favorable à la prise de risques, à la mise en jeu de soi-même, à l’en-gagement personnel et cela a été possible grâce à la synergie de différents éléments: mon investis-sement personnel dans les projets des élèves en tant que conseiller, ressource, instructeur, incitateur,correcteur selon les cas. Paradoxalement l’apprenant était aidé à devenir autonome en n’étant jamaislaissé seul avec ses problèmes. Même si cette phase a été épuisante pour moi, il faut dire qu’il valaitla peine de l’assumer, car, une fois dépassée, le travail est devenu bien plus souple et simple.

5.6.2 Le problème de la synthèse

Il a été intéressant de voir que, une fois que les élèves ont commencé à écrire, ils y ont pris goût etils ont écrit beaucoup. Les difficultés qu’ils ont trouvées ont été celles de parvenir à des produits bienstructurés, et surtout d’être synthétiques.C’est justement là que l’emploi de Power Point s’est révélé très utile grâce surtout à ses caractéris-tiques techniques. Il s’agit en fait d’un logiciel de présentation qui offre des typologies de diapositi-ves différentes mais toutes impliquant un travail de réduction du texte afin de pouvoir l’insérer dansun espace non seulement limité, mais aussi très souvent déjà structuré.L’emploi de ce logiciel a comporté des phases successives avec une alternance d’enthousiasme pourles effets spectaculaires qu’il permet et de difficulté pour la capacité de synthèse et de mise en évi-dence des mots et des concepts clés qu’il requiert. Un travail patient d’un côté de réduction des tex-tes à leur structure essentielle et de l’autre au contraire de construction de textes linéaires et essen-tiels a été effectué de la part des élèves sous ma direction constante le travail a été poursuivi jusqu’aumoment où les élèves ont intériorisé la méthodologie de travail et acquis l’autonomie nécessaire àprocéder tous seuls dans la tâche. Une fois qu’ils avaient maîtrisé cette modalité de travail sur et avec les textes et la langue écrite, ila été intéressant d’observer que les élèves ont été capables de la transférer naturellement et sans dif-ficulté aux autres langages, surtout à celui iconique et plus tard à celui sonore. C’est ainsi que lesprésentations se sont peu à peu enrichies jusqu’à devenir des produits multimédias complets, expri-mant de façon claire et structurée le point de vue des auteurs. L’acquisition d’une grande familiarité avec la philosophie qui est à la base du logiciel Power Pointet avec ses potentialités, quoi qu’à des niveaux différents selon les points de départ, a été évidentedans la vitesse d’usage du logiciel même et dans la volonté manifestée par bien des élèves de répé-ter l’expérience et donc de créer d’autres produits multimédias plus ou moins reliés aux thèmes dela recherche. À la suite des résultas de la recherche, je pense pouvoir affirmer que le logiciel Word présente parrapport à Power Point un caractère propédeutique du point de vue didactique: le premier aidant lesélèves à se familiariser avec l’instrument de l’écriture, à la voir comme quelque chose qu’il est pos-sible de manipuler, de modifier, de transformer autant de fois que l’on veut, l’écran se présentantcomme un tableau « à l’usage amical », dont les fonctions constituent un support, une aide à la mise

Cinquième Partie ETUDE DE CAS 191

sur page d’idées, de concepts, d’arguments et cetera. Des fonctions de base ont été exercées avec lesélèves, telles que copier et coller, couper et coller, passer d’un texte à un tableau et d’un tableau àun texte, mettre en évidence, changer de couleur, changer de caractère typographique, souligner,ordonner, structurer en paragraphes, et cela soit en transférant à l’ordinateur des parties de textestirées du manuel ou de matériels authentiques divers, soit en partant de textes tirés d’Internet, pourarriver ensuite à créer des textes personnels. Cette phase intermédiaire a été insérée dans toutes les classes, mais elle a été en général trop courteaussi bien dans les classes de la filière programmeurs, où les élèves en ont sous-estimé l’utilité, étantdonné qu’ils possédaient déjà un niveau élevé de compétence technique, que dans la classe V ERICAoù, à cause de la situation générale de la classe que j’ai décrite, tout le travail a été un peu réalisédans l’urgence. C’est justement pour cela que j’ai décidé d’insérer dans la recherche la classe IIIERICA, où le travail a été limité à l’utilisation de Word considérée comme propédeutique à celle dePower Point, envisagée pour les deux années suivantes.La simplicité et la linéarité de Word permettent en fait de concentrer l’attention sur la langue et doncfavorisent de manière très efficace l’apprentissage: le but de l’intégration des TIC dans la classe delangue reste prioritairement celui d’améliorer l’apprentissage des langues plutôt que celui d’amélio-rer les compétences informatiques. Cela reste le point fondamental, la seule perspective à mon avisacceptable pour ne pas tout sacrifier sur l’autel de la nouveauté. Cela ne signifie pas que des com-pétences techniques ne seront pas acquises au cours du travail sur la langue, mais celle-ci doit res-ter au centre du processus et non être marginalisée.

5.6.3 Difficultés techniques

Ce dernier point que j’ai mentionné se rattache à la problématique des difficultés techniques ren-contrées au cours de la recherche.Il faut distinguer à ce sujet entre les différentes réalités des classes. Pour les classes de la filière« programmeurs », j’ai déjà mentionné le fait que les élèves possédaient en général des compéten-ces techniques élevées. Il faut ajouter toutefois que si cela était vrai pour la plupart des logiciels ilne l’était pas forcément pour Power Point, considéré plutôt secondaire par les collègues informati-ciens. La compétence générale possédée par les élèves leur a toutefois permis de se familiariser trèsvite avec le nouvel instrument.La situation était très différente dans l’autre filière, ERICA, où les élèves ne possédaient que descompétences de base des TIC. Il faut dire d’ailleurs que la familiarisation avec les TIC, et surtoutavec Power Point, a été un phénomène très souple et naturel, et ce que j’ai dit au paragraphe précé-dent est valable pour ce cas: les élèves ont acquis des compétences techniques au cours d’une acqui-sition de compétences linguistiques et pas l’enverse.Les difficultés techniques plus évidentes se sont manifestées dans la I classe ERICA, au cours du tra-vail sur le logiciel Amico.3, qui même s’il présente un usage très simple, a requis une aide de ma partet de celle du technicien de l’école qui s’est occupé de la phase de scannerisation des images. Lesproblèmes techniques dans ce cas ont surgi car les élèves se donnaient des objectifs trop ambitieuxpar rapport à leurs possibilités et cela a fini par être un peu frustrant pour eux. Les difficultés tech-niques ont fini par jouer quand même un rôle, ce qui n’a pas été très positif. Une des difficultés étaitla grande mémoire requise par ce logiciel qui supporte seulement des images de format *.bmp, et par

192 ETUDE DE CAS Cinquième Partie

conséquent l’impossibilité de sauvegarder les produits sur des disquettes, une autre le nombre limi-té de produits individuels que l’on pouvait relier sur le même « livre » hypertextuel, et donc l’im-possibilité de créer des hypertextes individuels et de les relier tous ensemble une fois terminés. Enréalité ce problème a été résolu en créant des regroupements de niveau intermédiaire, mais l’ensem-ble de tous ces facteurs a comporté un investissement en temps trop important par rapport aux résul-tats linguistiques. Dans le cas particulier de cette classe le travail a quand même valu la peine d’être réalisé car il a euune retombée positive énorme en termes de motivation et d’implication personnelle des élèves, maisen ce qui concerne le rapport temps employé/résultats obtenus en termes de compétence linguistiqued’autres activités auraient été plus efficaces.

5.7 Relation entre compétences techniques et niveau des produits multimédias.

Un des résultats plus intéressants de la recherche est la relation entre niveau de compétence tech-nique et niveau de compétence linguistique. Cette relation a eu des conséquences aussi bien sur laphase opératoire des projets que sur le niveau et la typologie des produits multimédias. Tout ce queje viens de dire à propos de la perspective choisie pour l’intégration des TIC dans la classe de lan-gue étrangère a trouvé ici une sorte de confirmation et à l’inverse la pratique a bien alimenté maréflexion.Les situations de départ des groupes d’élèves se présentaient en effet comme j’ai dit différenciéesaussi bien du point de vue de la compétence technique que des compétences linguistique et cultu-relle. Je souligne que la filière « programmeurs » présentait des compétences techniques élevées etune formation générale orientée sur les sciences exactes, une grande place étant accordée dans cecurriculum aux mathématiques, à l’informatique, à l’économie, tandis que la filière ERICA étaitdans la situation opposée: compétences techniques très limitées, bonne compétence de type huma-niste due à la présence dans le curriculum de trois langues étrangères (les élèves y étudiaient aussides textes tirés de la littérature des deux derniers siècles), de l’histoire de l’art et de la géographie.Il me semble utile de rappeler le scénario de départ car cela me permet d’envisager des lignes de ten-dence utiles à faire progresser dans mon étude.Dans une situation de départ de ce type, une perspective privilégiant les aspects techniques auraitsans doute favorisé le premier groupe d’élèves et défavorisé le second groupe, tandis que la per-spective adoptée, centrée sur les compétences linguistiques/culturelles, a contribué considérable-ment à rendre la situation plus équilibrée. Le premier groupe d’élèves, ayant dédié moins de tempsaux aspects techniques, a eu à sa disposition plus de temps à se consacrer à la conception. La phasede structuration de chaque projet, de mise en commun des idées, de création des matériels et des tex-tes a été faite avec beaucoup de soin (et quelques difficultés de la part de quelques élèves), et a occu-pé une bonne partie du temps à la disposition des élèves, la phase de mise à l’œuvre technique a étéfaite vers la fin et de manière vite et concentrée.Le deuxième groupe d’élèves a exploité ses connaissances linguistiques et possibilités de renvoisinterdisciplinaires et a procédé de manière parallèle en tenant compte des aspects contenu et tech-nique, le besoin de se sentir rassuré sur les implications techniques des projets étant toujours fort.L’utilisation de logiciels de base a, dans un certain sens, mis tout le monde sur le même plan, en obli-geant les élèves à se concentrer sur le contenu des projets, sur ce qu’ils étaient capables de créer enlangue étrangère, sur l’organisation et la structuration de leurs idées, plutôt que sur l’aspect plus oumoins spectaculaire des produits finaux.

Cinquième Partie ETUDE DE CAS 193

La possibilité de se former vite aux habiletés techniques dans le cas de logiciels de base et de par-venir à des produits satisfaisants déclenche un cercle vertueux, qui implique l’envie de la part desapprenants de « continuer dans le jeu », de créer d’autres produits, ce qui les fait progresser dans leuracquisition de compétences linguistiques et culturelles.Cette idée fondamentale qui a émergé du travail conduit par les élèves a été confrontée avec les obs-ervations faites pendant le travail avec les adultes en formation et cette confrontation s’est révéléetrès intéressante, car, dans ce contexte, si différent de celui des classes du lycée, une situation sem-blable s’est produite.Les deux groupes observés, celui des stagiaires en formation initiale et celui de ceux en formationcontinue, présentaient un différent niveau de compétence technique: le groupe de formation initialeavait en général un niveau de familiarité avec les TIC plus avancé que le groupe de formation conti-nue, par contre les compétences professionnelles étaient en relation inverse.La modalité de travail observée a été assimilable à celle que j’ai décrite à propos des classes dulycée, avec une analogie entre la filière « programmeurs » et les stagiaires en formation initiale demême qu’entre les classes ERICA et les stagiaires en formation continue.Les résultats de l’observation mettent en évidence qu’il n’y a pas de correspondance directe entrefamiliarité avec les TIC et produits multimédias créés par les apprenants dans le cas d’une intégra-tion des TIC finalisée à l’amélioration des compétences langagières, surtout de l’habileté de produc-tion écrite créative.Cette conclusion est très significative dans une optique d’intégration des TIC à l’intérieur d’une per-spective humaniste, dont j’ai souligné les caractéristiques et le rôle pour un enseignement efficaced’une langue étrangère.Cela me semble particulièrement intéressant et j’oserais dire qu’il ouvre une troisième voie entre unemploi mécanique et structuré des TIC d’un côté et de l’autre une vision idéaliste, initiatique, inac-cessible de ces même TIC.

5.8 Résultats observés dans les classes

5.8.1 Motivation et implication personnelle

Les résultats plus évidents de la recherche ont été ceux concernant la sphère affective de l’apprenant.Je me réfère d’un côté à la dynamique qui s’est créée au niveau macro (classes) et au niveau micro(groupe de projet), et de l’autre à la modalité dans laquelle ce type d’utilisation des TIC a influencéchaque apprenant.Le niveau de motivation et d’implication personnelle a été toujours très élevé et cela pour des rai-sons différentes au début du travail avec les TIC et en cours du travail. La motivation initiale étaitplutôt superficielle: de façon un peu simpliste on pourrait dire qu’il s’agissait de l’attrait pour l’or-dinateur et les TIC que tous les élèves ressentent et qui leur fait normalement accepter même un tra-vail de type structuré et mécanique. Il est évident toutefois qu’une motivation de ce type n’est pas

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suffisante pour soutenir un travail de projet long et approfondi tel que celui dont il est question danscette étude, surtout si l’on considère que les logiciels employés n’exerçaient pas une grande fasci-nation de leur part, puisqu’il s’agissait de logiciels de base. Il faut donc se demander quel type demotivation a été présente et a soutenu constamment les élèves dans leur travail.Je pense qu’il faut distinguer à ce sujet entre la motivation fondamentale fournie par l’implicationdans un travail collaboratif sur un thème au choix qui devait conduire à la définition d’un projet etensuite à la création d’un produit multimédia, et la valeur ajoutée fournie par les TIC: ces dernièresont en effet permis de valoriser le travail de projet en offrant un instrument flexible, adaptable auxdifférentes exigences au fur et à mesure qu’elles se présentaient, en constituant une mine de maté-riel à la disposition des élèves, en permettant la mise en commun et l’échange de toute sorte de maté-riel, en stimulant la manipulation et la création personnelle, en offrant un cadre simple pour structu-rer et organiser les résultats de chaque projet. J’ai déjà mentionné l’effet éclatant obtenu par ce type de travail au niveau de la motivation et del’implication personnelle des élèves en difficulté, aussi bien de celui de la classe des programmeursque de ceux (un garçon et une fille) de la classe ERICA: dans les deux cas l’intégration des TIC dansune perspective de créativité a débloqué leur rapport avec l’étude de la langue étrangère et poten-tiellement leur rapport avec l’école en général. L’idée de pouvoir mettre sur écran leurs textes et enplus de pouvoir les intégrer dans un produit ayant quand même une valeur esthétique appréciableleur a permis de dépasser le handicap que représentait leur faible compétence linguistique et celui deleur position non satisfaisante à l’intérieur de la classe et même de l’établissement.Mais la retombée en termes de motivation et d’implication personnelle a été très positive pour lesautres élèves aussi. Cela s’est remarqué pendant toutes les phases du travail: pendant la structurationdu projet et la recherche du matériel, où les élèves ont fait appel à toutes leurs stratégies, se sont misd’accord à la suite de discussions très animées, ont distribué des tâches précises à l’intérieur du grou-pe et se sont donnés des échéances à respecter, pendant la phase de mise en œuvre véritable du pro-jet, où l’atmosphère collaborative a donné une grande impulsion à la progression du travail et a per-mis aux élèves de s’aider réciproquement, cela jouant un rôle fondamental dans le déblocage de l’é-criture créative de la part des élèves plus faibles ou plus timides, enfin pendant la phase finale duprojet lorsque le produit était prêt et ils ont pu le projeter et le présenter aux autres de manière for-melle.

5.8.2 Développement de la créativité

Un des résultats plus positivement intrigants de la recherche a été le développement de la créativitéqui s’est vérifié à la suite du type proposé d’intégration des TIC. C’est ce résultat en effet qui a amor-cé toute la réflexion théorique qui est à la base de ma thèse.Si, comme je l’ai dit, le démarrage du travail par projets a été plutôt pénible et a demandé de ma partun haut degré d’implication personnelle et de suivi, une fois l’obstacle franchi, le changement d’at-titude de la part des élèves par rapport à l’écriture a été extraordinaire: les élèves semblaient avoirdépassé la peur de la page blanche qui se présente déjà en langue maternelle, et qui arrive en langueétrangère à bloquer toute production écrite de la part des élèves.Par contre la virtualité du texte sur écran qui lui confère un caractère de souplesse et de flexibilitéextrêmes et qui le rend non menaçant, avec le cadre rassurant constitué par les structures proposéespar Power Point, ont provoqué une étonnante envie de produire de la part des élèves: tout le monde

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avait quelque chose à écrire – le thème, il faut le rappeler, étant au choix – mais surtout n’avait paspeur de le faire en langue étrangère. La possibilité d’utiliser le correcteur orthographique, de seconfronter avec d’autres élèves et de modifier et changer jusqu’à la dernière minute, d’utiliser desparties de texte et d’en supprimer d’autres, en particulier pour ne retenir que les concepts clés, maisen même temps d’avoir la possibilité de garder toutes les versions produites et de s’en servir pourallonger son texte à volontè, tout cela libérait la créativité de l’apprenant et lui rendaient l’envie dese servir de l’écriture comme d’un instrument parmi d’autres pour extérioriser son « texte intérieur ».Cela était renforcé par la possibilité et l’extrême facilité que l’apprenant avait d’intégrer d’autres lan-gages dans son produit, des langages, comme celui visuel/iconique ou sonore, avec lesquels il avaitplus de familiarité et qui, grâce à leur nature apparemment moins réglementée, se présentaientcomme moins menaçants et susceptibles de l’aider à mieux exprimer sa pensée et à la rendre aussiplus séduisante.Cette forme de libération engendrait à son tour une amélioration de la capacité d’écriture: commej’ai dit dans la partie dédiée à la production écrite on n’apprend à écrire qu’en écrivant et j’ajoute-rais ici, à la suite de l’observation, on ne découvre son potentiel de créativité qu’en ayant l’occasionde créer.Je voudrais reprendre ici ma définition personnelle de créativité à laquelle je suis parvenue au coursde ce travail car elle me semble vraiment très pertinente avec les résultats de l’observation:

faculté – tout à fait intrinsèque à la nature humaine et susceptible d’amélioration – de pro-duction et reproduction riche et originelle, de restructuration personnelle de concepts et dedonnées, d’usage autonome et non banal de tout élément même de nature différente (textes,images, musique…), de capacité de libre association et dissociation, tout cela dans le cadred’une dimension de plaisir, d’humour, de jeu. (voir1.2.4.)

Dans cette définition j’ai tâché de mettre ensemble ce qui me semblait important au niveau didac-tique dans les différentes définitions de créativité présentées par différents auteurs qui ont étudié ceproblème. Je l’ai reprise ici pour souligner comment ce type de créativité trouve un terrain fertiledans les TIC, une fois que les élèves perçoivent de manière claire que ces mêmes TIC sont et doi-vent rester un instrument à leur service.

5.8.3 Acquisition de la langue

L’autre résultat observé et dont la valeur est fondamentale est le processus d’acquisition linguistiqueque ce type de travail a engendré dans les élèves. Cette acquisition s’est manifestée de deux maniè-res différentes: d’un côté il y a eu un enrichissement de la compétence lexicale, de l’autre un usageplus sûr des structures de la langue.Le premier type d’acquisition a bénéficié énormément de la recherche sur le Web: le besoin de com-prendre au moins les concepts clés et de retrouver plusieurs fois les mêmes concepts a poussé lesélèves à mémoriser des mots et des expressions qu’ils ont peu à peu intériorisés jusqu’à les employerde façon active dans leurs productions. L’acquisition de mots a été aussi favorisée par l’effet syner-gique de la multiplicité de codes qu’ils trouvaient sur le Web et qu’ils avaient ensuite la possibilitéd’exploiter personnellement avec les instruments offerts par Word, mais surtout par ceux offerts parPower Point.

196 ETUDE DE CAS Cinquième Partie

Différents types de mémoire et différents styles d’apprentissage ont été mis en œuvre par les appre-nants.L’usage plus sûr des structures linguistiques a été favorisé par certains instruments de Word, tels quele correcteur orthographique, mais encore plus par l’apprentissage collaboratif et par une implicationactive de ma part en tant qu’expert, que ressource linguistique à la disposition des élèves. Le pro-cessus engendré était celui de formulation d’hypothèses et de leur vérification continuelle en vued’une ou plusieurs modifications possibles. Cela comportait une analyse des fautes permanente, faitede manière plus ou moins explicite.Il a été intéressant de noter une forme de correction naturelle aussi des fautes qui sont plus difficilesà éliminer, telles que certains accords ou des temps verbaux: la frustration due à la présence dessignes rouges de la part de l’enseignant, qui représente la modalité de correction plus répandue a étésubstituée dans ce cas par une discussion sur les typologies des fautes faite sur la base des premiersjets, ce qui a contribué à intérioriser les corrections pour les productions suivantes.

5.8.4 Transférabilité de l’expérience

L’utilisation des TIC au lieu des TICE, de logiciels de base (ceux que j’ai défini « outils authen-tiques ») faciles à utiliser au lieu de logiciels spécifiquement conçus pour l’apprentissage en généralet pour l’apprentissage des langues en particulier, le grand espace donné aux choix autonomes desélèves, l’importance de l’acquisition d’une méthodologie de projet faite à travers la pratique ont per-mis un bon niveau de transférabilité de l’expérience.Cela a été clair par rapport à deux types de situations: l’une interne, l’autre externe. Dans le premiercas les élèves ont voulu continuer l’expérience dans la classe de langue étrangère, soit sur d’autresthèmes, soit avec d’autres partenaires ou individuellement. Ayant appris à exploiter ses caractéris-tiques ils ont même commencé à utiliser l’ordinateur comme aide à des exercices pour lesquels sonutilisation n’était pas requise, par exemple des résumés ou des compte-rendus. Dans le second cas les élèves ont envisagé l’application à d’autres disciplines des logiciels qu’ilsavaient appris à apprécier en classe de langue. La V classe ERICA a préparé un projet sur un thèmed’économie avec une présentation en Power Point, la V classe A/P a utilisé ce logiciel en appui à unprojet interdisciplinaire auquel elle travaillait dans le cadre d’un échange européen.La transférabilité s’est révélée aussi dans l’attention que les élèves ont donnée ensuite aux possiblesconnexions interdisciplinaires, et en général à la possibilité d’élargir leurs moyens d’expression àtravers l’intégration de codes expressifs différents: c’est comme s’ils voyaient prendre corps devanteux un possible hypertexte présentant simultanément les thèmes qui les intéressaient ou les idéesqu’ils voulaient exprimer.On pourrait aisément envisager une autre forme de transférabilité en partant de l’expérience effec-tuée en stage de formation et des produits créés par les stagiaires. Il s’agit dans ce cas de produitsenvisageant un parcours d’apprentissage à travers l’exploration de sites Web et/ou la résolutiond’exercices créés avec le logiciel Hot Potatoes, on pourrait demander aux élèves de créer eux mêmesdes parcours et/ou des exercices en renversant donc leur rôle, d’executeurs à créateurs, ce qui seraittrès cohérent avec les lignes de ma recherche. Je n’ai pas abordé cette phase dans ma recherche parmanque de temps – le travail avec les stagiaires s’étant conclu à la fin de novembre 2001 –, mais ilserait envisageable de poursuivre l’étude dans cette direction car cela pourrait constituer une étapeultérieure du processus de recherche-action.

Cinquième Partie ETUDE DE CAS 197

5.8.5 Retombée en termes de confiance dans les TIC et de confiance en soi

La valeur de tout le travail que j’ai fait dans les classes a été à mon avis évidente dans les résultatsauxquels les élèves sont parvenus en termes d’acquisition de la langue, de connaissance plus sûredes contenus, mais surtout de dépassement de la peur de se mettre en jeu, de structurer, de manipu-ler, bref de créer en langue étrangère, ce qui a sûrement contribué à changer la perspective des élè-ves en leur montrant l’efficacité et l’importance d’une véritable perspective actionnelle, à savoir dela possibilité d’utiliser la langue pour agir et créer, ce à quoi ils seront précisément confrontés à l’a-venir.Mais l’aspect que j’ai trouvé le plus intéressant de tout mon travail dans les classes a été celui qui serattache à la dimension psychologique des élèves, à savoir le changement que ce type d’intégrationdes TIC dans l’activité scolaire a apporté dans leur processus d’apprentissage.J’ai expliqué aux deuxième et au troisième chapitre respectivement les implications de l’utilisationdes deux modalités cérébrales sur l’apprentissage et le rôle fondamental qu’une perspective huma-niste peut jouer en termes d’efficacité du processus d’enseignement/apprentissage. L’observation desdynamiques qui ont eu lieu dans les réalités que j’ai prises en considération, l’implication person-nelle toujours croissante des élèves, la prise en compte de la dimension affective dans les projets, àpartir du choix des thèmes, en passant par la phase de structuration et de production créative, pourterminer avec la phase de présentation d’un produit original, m’ont fait réfléchir sur les potentialitésque les TIC présentent justement par rapport à la bimodalité cérébrale et à la perspective humanistede l’apprentissage.Bien que cela puisse sembler contradictoire, les élèves ont mis en œuvre spontanément devant lamachine des qualités tout à fait humanistes, ils ont utilisé toutes leurs potentialités cognitives demême que les potentialités d’un travail collaboratif. Ils ont découvert qu’ils pouvaient exploiter dif-férents documents, les découper, les modifier jusqu’à les transformer en quelque chose de nouveau,se les approprier en apportant toutes les modifications qu’ils jugeaient nécessaires. Ils ont découvertqu’ils pouvaient créer quelque chose d’original en exploitant aussi des codes sémiotiques différents,et que pour faire cela ils disposaient d’un autre type de pensée qui n’était pas seulement vertical. Ilsont enfin compris qu’ils pouvaient maîtriser la machine au lieu de se laisser maîtriser par elle.Cette nouvelle perspective a eu une forte retombée psychologique sur les élèves en termes de cons-cience augmentée non seulement dans la valeur des TIC, mais surtout d’une augmentation de laconscience en soi, ce qui apparaît fondamental si tant est que l’une des finalités principales de l’en-seignement de toute discipline doit être la formation à l’autonomie de l’apprenant.

5.9 Comparaison avec les résultats de l’observation des stagiaires

Comme je l’avais anticipé en début de cette étude de cas, l’observation de l’expérience conduite avecles adultes en formation a été effectuée de manière moins structurée et moins systématique, son butfondamental étant celui de constituer une sorte de révélateur pour les résultats obtenus à la suite del’observation des classes.Mais elle a constitué un moyen intéressant de vérification de certaines hypothèses, car les stagiairesen tant qu’adultes ne présentaient pas cette fascination pour les TIC qui caractérisait la majorité desélèves adolescents; au contraire, surtout dans le cas des stagiaires appartenant au groupe de forma-

198 ETUDE DE CAS Cinquième Partie

tion continue, ils se méfiaient des TIC, les considérant comme un énnième moyen technique exi-geant préalablement une longue, et souvent frustrante, phase d’apprentissage.Dans une telle situation il est d’autant plus intéressant de remarquer que les résultats ont été tout àfait comparables à ceux relevés à propos des élèves: une fois dépassée la « peur de la machine » ilsont commencé à savourer le goût de la créativité et du jeu. N’ayant pas de problèmes linguistiques,l’obstacle à franchir était la peur de ne pas être capables de créer un produit à la hauteur de la situa-tion, pour les uns en termes de caractéristiques techniques, pour les autres en termes de consistancedidactique. Mais comme les élèves ont balancé la situation en se concentrant sur ce qu’ils perce-vaient comme leur côté faible, de la même manière les stagiaires se sont dédiés à soigner la partieplus problématique pour eux. De cette façon les stagiaires en formation continue se sont familiari-sés avec les TIC en les appliquant petit à petit au projet auquel ils étaient en train de travailler, et dece fait ils les ont ressenties comme moins menaçantes qu’ils ne l’imaginaient au début.Des résultats semblables ont été obtenus en ce qui concerne la motivation des stagiaires et leur impli-cation personnelle: une épreuve étant le fait que beaucoup d’entre eux ont poursuivi sur la voie entre-prise, en intégrant les TIC dans leurs réalités scolaires ou en créant eux-mêmes d’autres produitsmultimédias.Un point très important du processus a été pour les stagiaires la transférabilité de l’expérience, quidans ce cas avait une double dimension: tranférabilité dans leur réalité scolaire en restant des créa-teurs de produits multimédias et transférabilité à leurs élèves, présents et futurs, pour les aider àdevenir à leur tour des créateurs de produits multimédias. Il faut dire que les deux modalités ont étémises en pratique et que les résultats observés par les enseignants stagiaires dans leurs réalités sco-laires ont été aussi satisfaisants243. Enfin l’affinité plus remarquable a été à mon avis la retombée que le travail avec les TIC a eu en ter-mes de confiance. Paradoxalement le problème de la confiance se présentait dans le cas des adultesencore plus marqué que dans le cas des lycéens: même si en partant de deux différents angulations– plus technique l’une, plus didactique l’autre – ils manquaient de confiance en eux mêmes. Ils nevoyaient pas dans l’intégration des TIC en classe une occasion d’impulsion au travail par projets, nile moyen d’augmenter l’autonomie des élèves par rapport à l’apprentissage, ils avaient une visiondes TIC plus liée à la consommation d’un produit pré-confectionné, devant lequel ils ne pouvaientque se mettre dans une perspective d’utilisateurs. Avoir eu l’occasion de partir d’une perspective dif-férente, dans laquelle ils devaient créer des produits (activités, parcours guidés de recherches sur leWeb, présentations de thèmes de civilisations ou de structures linguistiques, etc.) leur a permis dedécouvrir la grande flexibilité des logiciels de base tels que Word et Power Point ou gratuits et d’u-tilisation très simple tels que Hot Potatoes, de comprendre la valeur d’un travail collaboratif finali-sé à la création d’un produit, de se réjouir d’avoir créé eux-mêmes un produit nouveau. Tout celaleur a permis non seulement d’augmenter leur confiance dans les TIC mais surtout leur confiance eneux-mêmes et aussi de se mettre dans la peau de leurs élèves (réels ou virtuels) et d’imaginer l’effetqu’une intégration des TIC faite dans la même perspective pourrait avoir sur eux justement en ter-mes d’augmentation de la confiance et donc de la motivation à apprendre et progresser.

243 À la fin du cours je leur ai demandé de remplir un questionnaire ouvert d’appreciation du travail et les reponsesmontrent en générale une perte de la peur des TIC grace à une reconsidération de leur rôle dans la classe de langue. Ceque les stagiaires ont apprecié davantage c’était la découverte des potentialités de logiciels qu’ils n’avaient jamais consi-dérés avec beaucoup d’intéresse et dont ils disposaeient dans leurs écoles, ou qu’ils pouvaient télécharger gratuitementd’Internet . Et la conséquence de cela a été pour beaucoup d’entre eux le début d’une véritable intégration des TIC dansla classe.

Sixième partie

CONCLUSION

Sixième Partie CONCLUSION 201

Les objectifs énoncés en introduction dans le cadre de cette recherche sur la relation entre créativi-té et Technologies de l’Information et de la Communication dans l’enseignement/apprentissage deslangue étrangères incluaient:- L’analyse de la composante non spécifiquement utilitariste de la langue et en particulier la natu-

re de cette composante et sa relation avec le domaine de la didactique;- La justification de la nécessité d’une prise en compte forte de la composante affective et psycho-

logique en didactique des langues comme condition à laquelle on ne peut pas renoncer pour uneimplication personnelle et profonde de l’apprenant, capable de favoriser une attitude créativepar rapport à la langue même;

- La reconsidération de l’habileté de production écrite en tant que lieu favorisé d’émergence detoute instance de créativité;

- La prise en compte de l’introduction des TIC en classe de langues en tant qu’instrument capa-ble de fournir l’occasion de reconsidérer la production écrite dans une perspective de créativitéet la retombée que cela peut avoir en termes d’influence sur la motivation et le sentiment d’ef-ficacité personnelle de la part de l’apprenant.

Les raisons d’une recherche de ce type sont liées à la pratique qui a constitué aussi bien la base dedépart de toute réflexion théorique que le domaine d’application des stimuli que les différentes théo-ries étaient en mesure de fournir.À partir du travail pratique dans les classes il a été possible de reléver certains problèmes que l’ap-proche dominante, à savoir l’approche communicative, laissait irrésolus.Ces problèmes relevaient de la motivation des apprenants qui en principe n’arrivaient pas à s’impli-quer profondément dans le processus d’apprentissage.L’idée selon laquelle la seule introduction des TIC en classe de langues serait en mesure de fournirun facteur motivationnel s’était révélée inexacte dans la pratique de classe. Ce type de motivationrestait à un niveau plutôt superficiel n’ayant pas un caractère de durabilité, ni une influence remar-quable sur les processus cognitifs de l’apprenant.C’était plutôt l’intégration des TIC dans un parcours didactique axé sur la créativité qui semblaitpouvoir favoriser de manière considérable une véritable motivation de l’apprenant, ce qui à son tourpouvait déclencher un processus efficace d’acquisition de compétences linguistiques.Tout ce qui avait fait l’objet d’observation empirique dans les classes, et ensuite dans des groupesde stagiaires en formation, a été analysé à la lumière des apports théoriques pour en rechercher lesraisons et en envisager les conséquences.Les résultats de ma recherche ont mis en évidence une multiplicité de facteurs tous strictement inter-réliés qui contribuent à expliquer les raisons des observations de classe.- Le premier facteur est celui de la spécificité de la fonction poétique-imaginative de la langue et

de sa nécessaire prise en compte dans l’enseignement/apprentissage. La réduction de l’appren-tissage d’une langue étrangère à l’appropriation d’un instrument visant à un but concret et doncfinalisé à une dimension plus ou moins utilitariste de la langue même se revèle tout à fait incom-

202 CONCLUSION Sixième Partie

plet: la dimension « autre » ne peut pas être ignorée car elle n’est pas quelque chose de limité àun usage cultivé, plus ou moins élitaire, mais elle constitue au contraire une partie intégrante dela langue dès le début, à savoir à partir des gazouillements.

- Cette reconsidération de la composante non utilitariste de la langue contribue à placer la dimen-sion linguistique de la créativité – dans le sens de jeu avec et sur la langue – à un niveau« moyen », « courant », ce qui signifie éviter aussi bien sa surévaluation que sa dévalorisation.

- Les mécanismes d’acquisition d’une langue étrangère relèvent du domaine de la complexité etcela pour une série de facteurs de type linguistique (la multiplicité de fonctions qui composentla langue),neurologique (le fonctionnement du cerveau et de la mémoire), psychologique (lacomposante affective de l’apprentissage et l’implication du sujet apprenant), sociologique (l’ap-prentissage, surtout celui d’une langue étrangère, étant en principe un phénomène social la rela-tion entre sujet et environnement apparaît fondamentale). Dans un tel cadre toute théorie reduc-tionniste semble tout à fait inadaptée à donner des points de repère efficaces. Le dépassementde la métaphore cartesienne en tant que moyen d’explication des problèmes et les apports de lathéorie systémique et du pragmatisme semblent au contraire convenables à la gestion de cettecomplexité. Dans ce cadre la créativité acquiert un rôle de prééminence en tant que ressourcepour maîtriser la complexité.

- La créativité étant strictement liée à une implication personnelle du sujet apprenant, la dimen-sion psychologique joue un rôle fondamental qui doit être pris en compte dans toute approcheet non seulement représenter une qualité exclusive des approches que l’on définit comme « nonconventionnelles ».

- L’écriture en tant qu’activité complexe et ayant une nature recursive apparaît comme une desactivités les plus aptes à l’expression de la créativité et lieu favorisé d’émergence du sujet appre-nant. Au niveau scolaire la dimension non utilistariste de la langue peut émerger plus aisémentdans la production écrite, cela étant encore une fois lié à des facteurs d’ordre psychologique.

L’élucidation et la compréhension de tous ces facteurs m’a permis d’analyser les spécificités des TICpar rapport à la didactique des langues étrangères et de reconsidérer aussi bien les caractéristiquesde l’ordinateur et de ses multiples fonctions que les liens entre TIC, écriture et créativité.À ce sujet j’ai relevé aussi des concepts clés qui m’ont aidé à comprendre les raisons de certains phé-nomènes observés dans la pratique.- Le premier concept est représenté par la relation profonde entre écriture et ordinateur, presque

une affinité élective qui permet à l’apprenant d’assumer une attitude active envers l’écrit, repré-senté aussi bien par les textes sur support numérique que par les textes potentiels de l’apprenantmême. Cette attitude active se manifeste sous la forme d’impulsion à la manipulation, à la struc-turation, à l’hypertextualité, à l’intégration de différents codes sémiotiques. L’écriture à l’ordi-nateur présente donc toutes les potentialités pour devenir le lieu d’émergence de la créativité del’apprenant.

- Le deuxième concept est représenté par la relation inverse entre structuration figée du logicielet intervention créative de l’apprenant, ce qui revient à dire que paradoxalement plus le logicielest « grand public » plus il peut stimuler une amélioration des compétences linguistiques del’apprenant et, de la même manière, plus il est structuré avec un but déclaré d’apprentissaged’une langue étrangère, moins il favorise un processus de véritable acquisition de cette mêmelangue.

- Le troisième concept concerne les modalités d’intégration des TIC en classe de langues qui nesont pas indifférentes: dans une optique de prise en compte de la complexité et qui considère laclasse comme système, les modalités d’introduction de l’ordinateur doivent être elles aussicohérentes avec les approches adoptées. À ce sujet il faut relever la synergie entre utilisationcréative des TIC et pédagogie de projet.

Sixième Partie CONCLUSION 203

La modalité de recherche que j’ai adoptée est celle de la recherche-action qui est caractérisée par unprocessus recursif d’action pratique et de réflexion sur la pratique finalisée à une nouvelle action,selon une typologie à spirale bien connue. L’étude que j’ai effectuée concernant le relation entre production écrite créative et TIC dans une per-spective de motivation et de réelle acquisition de la langue a impliqué une démarche allant de la sim-ple introduction de didacticiels à une véritable intégration des TIC à l’intérieur d’un travail collabo-ratif finalisé à la création de produits multimédias à partir de logiciels grand public.Au cours de la première phase de l’étude, celle concernant le travail avec les didacticiels les problè-mes suivants ont émergé:- vitesse excessive d’exploitation des didacticiels de la part des élèves dans une optique de « jeu

électronique »;- manque de véritable implication personnelle et, par conséquent, influence faible sur les proces-

sus cognitifs de l’apprenant, ce qui implique à son tour une faible acquisition de compétenceslinguistiques;

- décalage entre les aspects techniques des logiciels (coûts, temps d’installation, temps d’appren-tissage du fonctionnement, etc.) et leur retombée didactique en termes d’acquisition linguis-tique.

Les changements de route apportés au travail pratique en cours d’étude, selon la modalité spécifiquede la recherche-action ont au contraire mis en évidence plusieurs aspects positifs, tels que la moti-vation des élèves, leur implication personnelle et leur engagement pour mener à terme les projets.À la suite de l’observation de ces phénomènes et en conformité avec les recherches théoriquesconduites parallèlement, les réponses apportées en relation au sujet de l’étude peuvent être ainsirésumées:- les logiciels de base, tels que ceux qui sont insérés dans l’ensemble Office de Microsoft, offrent

des potentialités très intéressantes pour une exploitation didactique visant à l’acquisition descompétences linguistiques;

- la richesse et la flexibilité d’Internet peuvent être mises au service de l’apprenant en tant qu’ai-de et ressource à exploiter dans une perspective de travail par projet et de classe-atelier. Lescédéroms grand public peuvent contribuer aux mêmes buts;

- la vitesse et la facilité d’emploi des logiciels de base permettent à l’apprenant de se concentreraussi bien sur l’expression écrite créative que sur le travail linguistique, cela est favorisé par lefait qu’il ne rencontre pas trop de difficultés à la fois;

- les résultats techniques assez satisfaisants que l’apprenant atteint même à l’aide des logiciels debase contribuent à augmenter son « sentiment d’efficacité personnelle », ce qui déclanche uncercle vertueux ayant une retombée positive sur la motivation;

- le travail effectué sur des logiciels de base tend à être interdisciplinaire dans le sens que l’ap-prenant en comprend intuitivement la possibilité d’application à d’autres langues et à d’autresdisciplines et s’empare d’une nouvelle stratégie d’apprentissage;

- la confrontation avec un travail de projet intégrant les TIC et visant à la production écrite créa-tive, avec une focalisation sur les processus de recherche, sélection, création, structuration etprise en compte de différents codes sémiotiques, aide l’apprenant à se familiariser avec la ges-tion de la complexité, ce qui a une retombée positive sur l’acquisition de la langue étrangère quiest un phénomène complexe.

En tenant compte de tout cela un des concepts clés de la recherche est donc la prise en compte durisque que la machine monopolise l’attention de l’apprenant, on peut donc éviter ce risque à traversune attention particulière au contexte et aux modalités d’utilisation des TIC.

204 CONCLUSION Sixième Partie

La perspective à adopter est celle de considérer les TIC en tant que matériel non structuré au servi-ce de l’apprenant qui, dans un cadre de « basse technologie » et « haute créativité », peuvent cons-tituer un efficace déclencheur du potentiel créatif de l’apprenant.

Même si beaucoup de reponses et de stimuli à la pratique de classe peuvent être retrouvés dans cetterecherche, d’autres aspects mériteraient une phase d’exploration ultérieure.

Un des domaines à étudier serait celui de la créativité appliquée à l’habileté de production orale, pourvoir si les mêmes concepts sont applicables à d’autres typologies d’activité apparemment plus éloi-gnées de l’ordinateur.

L’étude de la motivation se présentant comme particulier à cause de la dimension floue qu’il garde,le problème de l’évaluation scientifique de données expérimentales reste non complètement résolu.La typologie d’approche adoptée de son côté, qui relève du domaine de l’affectivité et de la dimen-sion psychologique du sujet apprenant, ne permet qu’une observation des résultats d’apprentissageà longue terme. Ce qui peut être relevé dans l’immédiat est le changement d’attitude par rapport à lapratique de classe. Ce problème reste fondamental d’ailleurs chaque fois que l’on tâche d’étudier ladimension de l’affectivité dans l’apprentissage.

Le travail à la fois théorique et pratique effectué ne peut donc qu’être considéré comme une base dedépart. Il pourrait permettre aux recherches futures de progresser dans l’étude du côté affectif reliéau travail en classe de langue étrangère et aussi dans celui de la relation inévitable que ce même côtéaffectif garde par rapport à l’intégration des TIC.

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INDEX DES AUTEURS CITÉS 223

AAbdallah-Pretceille 86-87Anderson 211, 217, 219Antonietti 47, 137, 155Aristote 28Arndt 115Asher 79-80

BBachelard 28Balboni 17, 24Bandura 151, 153Barbot 171, 211-212, 218-220Barson 142, 171Bateson 41, 44-45, 67, 79, 212Baudelaire 29Baylon 18, 21Benveniste 18-19Bereiter 110, 112, 117Berne 118Bertin 131, 135, 141, 161, 163-165, 167, 172-

174Besse 131, 135Bettelheim 26Bing 170Bisault 168Bogaards 57-58, 84, 102Bowers 41, 44-45Brenner 122-123, 125Breton 32Bruner 42-44, 51, 54, 171Brunswick 156Bühler 19-20Buonadonna 91Burden 46, 76, 89-90, 99, 123, 164-165

CCalvani 173-174Cangià 148, 151-152, 164, 166Cantoia 137, 155Caré 25-26, 32-33, 73-74

Cassirer 46Chapelle 38-39Chardenet 78Chomsky 42-43, 171Clément 148Cocteau 64Coïaniz 90, 94-95, 98, 101-102, 104Comte 28Crinon 167, 212, 214Csikszentmihalyj 54-55, 64, 125Curran 79-80

DDamasio 57, 99Danzin 156De Bono 61-63de Margerie 166-167Debski 171Debyser 25-26, 32-33Descartes 28, 39, 52Deschênes 110, 112-114Desmette 151Dewey 71, 77, 95Di Pietro 27Dolci 134, 140Donnay 99Dortier 40, 42Duborgel 29, 34Ducrot 18-19, 30Dufeu 73, 77-80, 82, 84-85, 87, 92, 94, 105-107Durand 28-29

FFaure 33Ferraris 145, 149Flinders 41, 44-45Flower 110, 112-113, 115Foucault 95Freddi 60, 86Freinet 155Fromm 38

224 INDEX DES AUTEURS CITÉS

GGaffield-Vile 119Galisson 131Gallien 29-30, 32-33Gardner 48, 54-56, 64, 71-72, 79, 125,Germain 112, 116Girard 96Grabe 110Graves 110-111Greenall 32Guildford 64Guiora 102

HHalliday 17, 21-25, 71, 110, 114Halté 30, 119, 121Hamachek 105Harmer 76, 81-82, 85, 114-115, 120, 125, 135,

138-139, 143-144Hayes 110, 112-113, 115Higgins 139Huizinga 25Humboldt 18-19Hume 39Huneke 109, 113, 116-117, 150

JJakobson 17, 19-21, 24-26, 71Janitza 154-155Jean 25, 28, 64Jensen 59

KKaplan 110Krashen 83-86, 154Krings 113

LLa Borderie 77, 86, 101Lahire 56Lancien 169

Landry 33Laveault 153Le Lyonnais 119Legros 149Leibniz 39Ligorio 135Lozanov 79

MMaître de Pembroke 149Malinowsky 20Mangenot 169Marchand 38Martinet 18-19Maslow 51, 75-76Medgyes 107Michel 29Mignot 18, 21Miller 42Mochet 146Montaigne 159Montessori 77Morin 39-40, 48-50, 52-53, 67Moskowitz 75-76, 106Mounin 17

OOriol-Boyer 170

PPelfrêne 166-167Perec 119Perriault 141, 172Peyrefitte 147Piaget 26, 77, 119, 146, 155, 171Piper 138Porcelli 134, 140Potolia 146Presseau 157Privat 29, 121Puren 72-73, 96-97, 105, 131-132, 163

INDEX DES AUTEURS CITÉS 225

QQueneau 119

RReuter 120, 125Revuz 101Richterich 94-95, 97, 105Rinvolucri 73-74, 92, 98, 105-106, 150Rodari 30, 47Rogers 51, 75-76, 100, 165Rorty 46-47, 95Rosati 45, 47, 50-51, 53, 56, 61

SSartre 28Scardamalia 110, 112, 117Schaeffer 18-19, 30, 121Schmidt 85Searle 42Serra Borneto 88, 91, 133Steiner 77, 160Steinig 109, 113, 116-117, 150Stevick 57-59, 67, 72, 74-75, 99, 103, 107, 140,

161Storr 51-52

TTardif 147, 156-158Tiezzi 45Timbal-Duclaux 118-120Trentin 135Trim 162Tudor 81

VVan Lier 83Vanoye 124Vergaro 132, 134Vester 58Vinson 121Von Humboldt 18

Vygotsky 30, 32, 53, 65, 86, 89, 134, 171-172

WWarschauer 142-143, 145Weiss 27, 34Werly 120, 170White 115Wiener 40Williams 76, 89-90, 99, 123, 164-165Winnicott 26

YYaiche 27

INDEX DES MOTS CLÉS

INDEX DES MOTS CLÉS 229

Aacquisition 17, 59, 83-86, 115, 117, 139, 149,

154, 156, 163, 171, 178, 182, 184, 190-191, 193, 195-197, 201-203, 214, 218

affectivité 49, 57, 85-86, 95, 102, 104-105, 204,212

apprenant 21, 24, 27, 34, 37, 51, 65-66, 74, 76,78-92, 94-97, 99, 102, 104-109, 112, 116,118-124, 132-142, 145-146, 149, 152-156,158-164, 166-167, 169-174, 177-178, 189-190, 193, 195, 197, 201-204, 212, 220

apprentissage 21-22, 24-27, 29, 32, 37, 43-44,54, 56-59, 65-67, 73, 75-87, 89-90, 92, 94-102, 104-106, 108, 112, 115-117, 120-122,126, 129, 132, 134-142, 145-146, 150-152,154-164, 166

apprentissage collaboratif 134, 196Apprentissage communautaire des langues 77,

79-80, 82Apprentissage par la Réaction physique totale

77approche communicative 72, 81, 87-88, 91-92,

94, 96-98, 102, 105, 107, 109-110, 201approche holistique 78, 89, 118, 230Approche naturelle 77-78Approche relationnelle 73, 77, 80, 91, 100, 105-

107approches humanistes 67, 72approches non conventionnelles 76-80, 82, 87,

89-91, 105-108, 215atmosphère 76, 78, 80, 83, 85, 87, 91, 123, 150,

164, 190, 194, 204authenticité 103, 131, 136, 143, 155, 157-159autonomie 74, 78, 87-88, 90, 133, 137, 152,

163, 169, 188, 190, 197-198, 215

Bbesoin 19-20, 25, 49-51, 59, 75-76, 82, 95, 100,

102-103, 105, 108-109, 111, 122-123, 137,148, 153, 159, 161, 166, 173, 187, 192, 195

besoins 26, 46, 53, 59, 72, 75-76, 85, 88, 92,94-96, 105, 123, 140, 167, 221

besoins langagiers 92, 94-95, 105, 221

Ccédéroms grand public 170, 203centration sur l’apprenant 87-88, 91, 95-97,

167, 220cerveau 38-45, 49-50, 56-57, 59-61, 64, 79-80,

99, 108, 117-118, 158, 202champ 20, 48, 52, 54-56, 61, 71, 80, 125communication 17-21, 24, 27, 37, 44, 50-51,

60, 64-65, 71, 78, 82, 88, 91-92, 96-97, 99,101-102, 104-105, 108-109, 122, 129, 131,134-137, 141-147, 155, 159, 163, 179, 201,212, 214

compétence linguistique 31, 95, 109, 177, 180-181, 185, 192, 194

complexité 37, 39-40, 44-45, 47-48, 50, 52-53,56, 59-61, 66-67, 71, 75, 84-85, 87, 89-90,95-96, 99, 101, 103, 105, 107-108, 111,114-117, 125, 157, 159, 162, 170, 181,202-203

confiance de soi-même 75courant humaniste 73, 100, 105, 108créativité 15, 21, 24-28, 30-35, 37-38, 40-42,

47-48, 50-57, 59-64, 67, 69, 71-75, 77-78,80, 87-91, 95, 106-108, 116-119, 121, 123,125-126, 145, 150, 152, 158, 160-161, 164-165, 170-171, 174, 177-178, 184, 186, 194-195, 198, 201-202, 204, 213-214, 216, 218

cybernétique 38, 40-41

Ddimension affective 59, 71, 83, 104, 197dimension éthique 86dimensions intellectuelle 86document authentique 130-132, 135documents authentiques 97, 103, 131, 133, 135-

137, 158-159, 212

Eécriture 22, 108-122, 124-126, 138-139, 141-

150, 162, 167-168, 170, 174, 194-195, 202,211-212, 214, 216, 219-221, 223

égodynamique 65-66émotion 43-44, 59enseignement humaniste 73, 75

230 INDEX DES MOTS CLÉS

environnement 22, 44-45, 48, 52-54, 56, 61, 71,76, 78, 83, 85-86, 90, 112, 145, 156, 164,167, 172-173, 202, 212, 215

environnements pédagogiques 156-157ergonomie cognitive 173, 231filtre affectif 58, 83-85, 107

Ffonction 17-26, 28, 30-31, 49, 60, 64-65, 71,

87-88, 92, 98, 116, 123, 134, 137, 140-141,149, 153, 161, 165, 167, 172-173, 201

fonction imaginative 17, 21-25fonction poétique 17, 20-21, 24-26, 64, 71, 201fonction poétique-imaginative 17, 24-25, 64,

71, 201fonctions 17-24, 49-50, 58-60, 91, 116, 119,

131, 138, 143, 145-146, 163, 170, 180,190-191, 202

GGestalt 49, 89, 118, 145

Hhabileté 27, 30-32, 49, 108-111, 114, 124-125,

143, 149, 161, 186, 188, 193, 201, 204hémisphère 50, 60-61hémisphère cérébral 60holistique 40, 49-50, 60, 78, 85, 89-91, 112,

116, 118, 170hypermédia 130, 214-215hypertexte 130, 148-149, 162, 168, 183, 186,

196, 207, 214

IIA 42-43imaginaire 17, 28-30, 34, 98, 104, 139, 170,

215, 219, 223imagination 25, 27-34, 46, 52-53, 90, 108, 141,

152, 160-162, 211, 215-216, 229individu 28, 39, 44-45, 48, 51-53, 55-56, 59,

61, 64, 74, 76-77, 79-80, 85, 90, 94, 96-97,100-102, 118, 125, 142, 151, 153, 162,171-174

intégration 17, 34, 50, 53, 66, 83, 97-98, 107,120, 129, 132, 139, 142, 148, 154-157,160-161, 163-165, 167-170, 177-178, 181,184-185, 187, 191-194, 196-198, 201-204

Intelligence Artificielle 41-42, 172interaction sociale 134, 172Internet 131-135, 143, 145, 167-169, 172, 183-

184, 186-187, 191, 198, 203, 207, 212,214, 219-220

Jjeu 17, 24-27, 30, 32, 47, 51, 56, 60-61, 81, 86,

98, 120-121, 153-154, 160-161, 163-164,182, 190, 193, 195, 197-198, 202-203, 213,224

Llatéralité cérébrale 57, 59, 71linguistique 17-22, 24-25, 30-32, 35, 37-67, 71-

72, 77-78, 88, 92, 95-98, 103-104, 107-110,116, 126, 133, 136, 154, 162-163, 177,180-181, 185-186, 188, 192, 194-196, 202-203, 211-212, 214-217, 219-220

logiciels de base 130, 184, 186, 188-189, 192-194, 196, 198, 203

logiciels de bases 182

Mmanipulation 126, 132, 145, 150, 182, 188-189,

194, 202matériel autentique 131matériel non structuré 160, 204mécanismes cognitifs 38, 71, 108, 155mémoire 31-32, 38, 44, 56-59, 80, 99, 112-113,

121, 188, 191, 196, 202Méthode silencieuse 77, 79, 87modèle 19, 21, 38, 40-43, 58, 61-66, 88, 96,

100, 104, 110-112, 114-115, 117, 164, 167modèles 17, 38, 42-43, 45, 57, 61-63, 104, 110-

111, 114, 116, 119, 151, 167, 183, 215, 218motivation 26-27, 75, 85, 89, 91, 110-112, 117,

119-120, 122, 125-126, 137-138, 142-143,151-154, 169, 184-186, 192-194, 198, 201,203-204, 219

INDEX DES MOTS CLÉS 231

multimédia 88, 130, 141, 148, 161-162, 170-171, 183, 194, 212, 214, 219

Nneurolinguistique 78-80, 107niveau égo-dynamique 66nouvelles technologies 37, 58, 83, 107-108,

113, 117, 126, 129-130, 141, 152, 157, 174,177, 182, 211, 215-216, 220

Oolodynamique 65-66opposition 39-42, 50-51, 60-61, 84, 105, 118outil authentique 136, 146, 149, 159outil pédagogique 140-141

Ppaedagogus 139-140paradigme constructiviste 154-155, 171pédagogie 25, 29, 31-32, 34, 47, 74-75, 77, 79,

87, 92, 94, 105, 107, 137, 152, 154-156,160, 165, 168, 174, 202, 215, 220, 223

pédagogie de l’avoir 92pédagogie de l’être 92, 105, 215pédagogie steinerienne 160pédagogie Waldorf 77pensée 17-19, 21, 28-30, 37, 39, 41-44, 50, 56-

57, 59-64, 71, 76, 79, 103, 122, 135, 146-147, 150, 166, 174, 195, 197, 219, 223

pensée divergente 57, 61, 64, 71pensée latérale 61, 63-64pensée verticale 62-64perspective actionnelle 92, 126, 137, 162-163,

197philosophie pragmatiste 95polarité 50, 53, 59pragmatisme 37, 46, 67, 72, 202, 229production écrite 27, 75, 107-114, 116-117, 119,

123-126, 138, 141, 143, 162, 170, 177-178,186, 188, 193-195, 201-203, 214, 216

Programmation neurolinguistique 78-80projet 97-98, 100-101, 104, 119, 121, 124, 126,

133, 137, 144-145, 154-155, 162, 165-169,

172, 184-185, 187-188, 192-194, 196, 198,202-203, 223

psychodramaturgie linguistique 78, 107psycholinguistique 64, 107psychologie 25-26, 32, 35, 37-39, 43, 49, 57,

67, 74-76, 78-79, 92, 103, 107, 118, 220psychologie humaniste 75-76, 92psychologique 29, 37, 57, 64-65, 67, 75, 78, 80,

82, 97-99, 107, 113, 120, 172, 178, 197,201-202, 204

Rréaction physique totale 77, 79recherche-action 178, 182-183, 196, 203relation interpersonnelle 78, 82-83Réponse physique totale 80rôle de l’enseignant 78, 81-82, 125, 132, 155,

164, 190

Sself-efficacy 151, 211self-esteem 75sentiment d’efficacité personnelle 151, 153-154,

201, 203, 215subjectivité 43, 45, 47, 78, 90-91, 95, 102, 120,

122, 214Suggestopédie 77, 79-81sujet 26-29, 31, 34, 37-38, 41, 48, 51-54, 56,

65-66, 73, 78, 81-82, 87, 90, 94, 96, 98,100-102, 104, 107-109, 111, 113, 116, 118-119, 121-125, AL 127, 129-174, 178, 180,187, 191, 194, 202-204, 211, 220

synthèse 117-118, 126, 134, 148, 162, 172, 190

Ttâche 27, 31, 41, 43, 74, 97, 112-113, 115-116,

120, 133, 144-145, 151, 153-154, 156-157,162-163, 169, 172, 190, 204

théorie de la Gestalt 89théorie des systèmes 40, 42, 108théorie systémique 44-45, 65, 83, 202TIC 129-131, 134, 137, 139, 142, 145, 148,

150, 152, 154-157, 159-165, 167-172, 177-178, 182-184, 186-188, 191-198, 201-204

232 INDEX DES MOTS CLÉS

TICE 129-130, 155, 159, 196, 219transférabilité 178, 183, 189, 196, 198, 235travail collaboratif 143-145, 163, 194, 197-198,

203

TABLE DES MATIÈRES

0 INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50.1 OBJET DE LA RECHERCHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60.2 OBJECTIFS DE LA RECHERCHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70.3 OUTILS DE LA RECHERCHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90.4 MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

1 PREMIÈRE PARTIE:LA GALAXIE CRÉATIVITÉ:UNE CARTE CONCEPTUELLE POUR SE REPÉRER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

1.1 INTRODUCTION DU CONCEPT DE FONCTION POÉTIQUE-IMAGINATIVE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171.1.1 Le modèle de Bühler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191.1.2 Le modèle de Jakobson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191.1.3 Le modèle de Halliday . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

1.2 DE LA FONCTION POÉTIQUE-IMAGINATIVE À LA CRÉATIVITÉ:DÉFINITION DES CONCEPTS CLÉS DE LA RECHERCHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241.2.1 Créativité et jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241.2.2 Du jeu à l’imagination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271.2.3 Vers une définition de créativité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301.2.4 Définition de créativité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

2 DEUXIÈME PARTIE:CRÉATIVITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE:LES APPORTS DE LA PSYCHOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

2.1 DE LA PSYCHOLOGIE À LA DIDACTIQUE À TRAVERS LA THÉORIE DE LA COMPLEXITÉ:ÉBAUCHE D’UN PARCOURS DE CRÉATIVITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

2.2 L’ÉTUDE DES MÉCANISMES COGNITIFS:À LA RECHERCHE DE MODÈLES DE FONCTIONNEMENT DU CERVEAU . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

2.3 DES DÉBATS PHILOSOPHIQUES AUX NOUVELLES SCIENCES DE LA COGNITION:PANORAMA HISTORIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 472.3.1 Deux théories du fonctionnement du cerveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

2.3.1.1 La cybernétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402.3.1.2 L’Intelligence Artificielle: lumières et ombres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

2.4 NAISSANCES DES « SCIENCES COGNITIVES » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 432.5 DE LA RECHERCHE D’UN MODÈLE À LA PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE . . . . . . . . . . . . . . 432.6 LA THÉORIE SYSTÉMIQUE ET LE PARADIGME DE LA COMPLEXITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

2.6.1 Apports du pragmatisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 462.7 LA CRÉATIVITÉ COMME RESSOURCE POUR MAÎTRISER LA COMPLEXITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . 472.8 POURQUOI LA COMPLEXITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

2.8.1 Le premier facteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482.8.2 Le deuxième facteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

2.8.2.1 Séparation entre fonction émotive et cognitive . . . . . . . . . . . . . . . . . . 492.8.2.2 Opposition des deux hémisphères cérébraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 502.8.2.3 Polarité enfance/âge adulte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 502.8.2.4 Opposition entre envie d’isolement et envie de contact . . . . . . . . . . . . 512.8.2.5 Autres polarisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

2.8.3 Le troisième facteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 522.8.3.1 La relation sujet/champ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

TABLE DES MATIÈRES 235

2.9 AUTRES CONCEPTS-CLÉS POUR UNE APPROCHE PSYCHOLOGIQUE DE LA CRÉATIVITÉ . . . . . . 572.9.1 Mémoire et affectivité: quelle relation? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 572.9.2 Latéralité cérébrale et spécialisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 592.9.3 Pensée divergente ou pensée latérale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

2.10 DE L’ANALYSE PSYCHOLOGIQUE À L’ANALYSE PSYCHOLINGUISTIQUE:UN MODÈLE DE LA COMMUNICATION AXÉ SUR LA PERSONNALITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

2.11 VERS UNE INTÉGRATION DE LA DIMENSION HUMANISTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66

3 TROISIÈME PARTIE:CRÉATIVITÉ ET ÉCRITURE: LA PERSPECTIVE DIDACTIQUE . . . . . . . . . . 69

3.1 DE LA PERSPECTIVE UTILITARISTE À LA PERSPECTIVE DU DÉVELOPPEMENT DE LA PERSONNE 853.1.1 Considérations initiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 713.1.2 Le courant « humaniste » et l’enseignement des langues . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

3.1.2.1 Idées fondamentales de l’enseignement humaniste . . . . . . . . . . . . . . . 753.2 LES APPORTS DES APPROCHES NON CONVENTIONNELLES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

3.2.1 Entrée sur scène des Approches non conventionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 773.2.2 Dénominateurs communs des Approches non conventionnelles . . . . . . . . . . . . 78

3.2.2.1 Références explicites à la psychologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 793.2.2.2 Rôle de l’enseignant et relation enseignant/apprenant . . . . . . . . . . . . . 813.2.2.3 Importance de la relation interpersonnelle et au sein du groupe . . . . . 823.2.2.4 Différents types de facteurs pouvant influencer l’apprentissage . . . . . 83

3.2.2.4.1 Le coté affectif et les hypothèses de S. Krashen . . . . . . . . 833.2.2.4.2 Les dimensions intellectuelle et éthique . . . . . . . . . . . . . . . 86

3.2.2.5 L’autonomie par rapport au manuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 873.2.2.6 Choix d’une approche holistique et stimulation

de la spontanéité et/ou de la créativité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 893.2.3 Réévaluation de l’être, de la subjectivité, de la personnalité de l’apprenant . 91

3.2.3.1 Peut on vraiment tout déterminer à l’avance? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 923.2.3.2 Apprenant ou sujet? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 943.2.3.3 Spécificité de l’apprentissage d’une langue étrangère . . . . . . . . . . . . . 993.2.3.4 La problématique du « positionnement du sujet » . . . . . . . . . . . . . . . . 1013.2.3.5 Liens entre didactique et prise en compte du sujet . . . . . . . . . . . . . . . . 104

3.2.4 Approche relationnelle et courant humaniste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1053.3 LA PRODUCTION ÉCRITE: LE POURQUOI ET LE COMMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108

3.3.1 La production écrite: une habileté à revaloriser? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1093.3.2 Émergence d’études sur la production écrite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

3.3.2.1 Le modèle de Deschênes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1123.3.3 L’écriture: produit ou processus? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1143.3.4 Écriture: enjeux psychologiques et rôle de la motivation . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

3.3.4.1 Écriture comme lieu d’émergence du sujet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1193.3.5 L’écriture, pratique individuelle ou sociale? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1243.3.6 Écriture de projets ou projets d’écriture? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126

236 TABLE DES MATIÈRES

4 QUATRIÈME PARTIE:LE SUJET APPRENANT FACE AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES:DÉFI OU SYNERGIE? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

4.1 TECHNOLOGIES ET PERSPECTIVE DIDACTIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1294.1.1 L’ordinateur: source de matériel authentique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

4.1.1.1 Internet et les documents authentiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1314.1.1.2 Les logiciels comme documents authentiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1354.1.1.3 Le concept d’outil authentique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136

4.1.2 L’ordinateur comme outil de traitement de textes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1374.1.2.1 L’ordinateur: magister ou paedagogus? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1394.1.2.2 L’ordinateur: un outil pédagogique? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140

4.1.3 L’ordinateur en tant que moyen de communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1414.1.3.1 Communication écrite médiatisée par ordinateur . . . . . . . . . . . . . . . . . 1424.1.3.2 L’ordinateur comme moyen de stimulation de la communication . . . . 144

4.2 LES TROIS FONCTIONS DE L’ORDINATEUR ET LE PROCESSUS DE L’ÉCRITURE . . . . . . . . . . . . 1454.2.1 Les TIC et l’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1454.2.2 Les TIC et la lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1484.2.3 De l’apprenant usager à l’apprenant créateur à travers l’écriture:

implications psychologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1494.3 AVEC LES TIC VERS L’AUTONOMIE: UN PARCOURS DE MOTIVATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152

4.3.1 Intégration des TIC et facteur humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1554.3.1.1 TIC et environnements pédagogiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156

4.4 POURQUOI LES TIC ET NON PAS LES TICE? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1594.4.1 Matériel non structuré et créativité dans les TIC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1604.4.2 Approche par les tâches et TIC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1624.4.3 Rôle de l’enseignant dans une intégration active des TIC . . . . . . . . . . . . . . . . 1644.4.4 De l’approche par les tâches à la pédagogie du projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

4.4.4.1 Démarche de projet et démarche d’écriture: une affinité élective? . . . 1674.4.4.2 Une pédagogie du projet pour diminuer les risques des TIC . . . . . . . . 168

4.5 EXPLOITER LES OUTILS POUR DES FINALITÉS CRÉATIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1704.6 ERGONOMIE COGNITIVE ET ERGONOMIE DIDACTIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173

5 CINQUIÈME PARTIE:ETUDE DE CAS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175

5.1 TYPOLOGIE DE L’ÉTUDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1775.2 GROUPES D’APPRENANTS CONCERNÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

5.2.1 Niveau de compétence linguistique-culturelet niveau de compétence technique des élèves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180

5.2.2 Cas particuliers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1815.3 DURÉE DE L’ÉTUDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1825.4 TECHNOLOGIE ET MATÉRIELS EMPLOYÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

5.4.1 Première phase . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1845.4.2 Deuxième phase . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186

5.5 CONDITIONS, ORGANISATION ET MODALITÉS DE TRAVAIL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1875.6 DIFFICULTÉS RELEVÉES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189

5.6.1 La peur de la manipulation et de la création des textes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1895.6.2 Le problème de la synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190

TABLE DES MATIÈRES 237

5.6.3 Difficultés techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1915.7 RELATION ENTRE COMPÉTENCES TECHNIQUES

ET NIVEAU DES PRODUITS MULTIMÉDIAS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1925.8 RÉSULTATS OBSERVÉS DANS LES CLASSES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

5.8.1 Motivation et implication personnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1935.8.2 Développement de la créativité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1945.8.3 Acquisition de la langue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1955.8.4 Transférabilité de l’expérience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1965.8.5 Retombée en termes de confiance dans les TIC et de confiance en soi . . . . . . 197

5.9 COMPARAISON AVEC LES RÉSULTATS DE L’OBSERVATION DES STAGIAIRES . . . . . . . . . . . . . . 197

6 CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199

7 BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

8 INDEX DES AUTEURS CITES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221

9 INDEX DES MOTS CLES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227

10 TABLE DES MATIERES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233

238 TABLE DES MATIÈRES