Boulestin B. (2012) – Champ de la discipline : concepts et mise en œuvre. In : Bonnabel L....

13

Transcript of Boulestin B. (2012) – Champ de la discipline : concepts et mise en œuvre. In : Bonnabel L....

Archéologie de la mort en France

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 11/01/12 17:15 PageII

Archéologie de la mort en France

SOUS LA DIRECTION

DE LOLA BONNABEL

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 10/01/12 17:01 Page2

Sommaire

7 Avant-propos

CHAPITRE I

25 Champ de la discipline : concepts et mise en œuvre

CHAPITRE II

43 Les pratiques funéraires au fil du temps

CHAPITRE III

63 Percevoir le temps des funérailles : le cas des crémations

MISE EN PERSPECTIVE

83 Les lieux des morts pour les vivants

92 Tableau chronoculturelCartographie

CHAPITRE IV

97 Autour du mort

CHAPITRE V

119 Le corps, un témoignage objectif

CHAPITRE VI

139 Déchiffrer l’organisation des sociétés

159 Conclusion

163 Bibliographie

173 Index

ISBN 978-2-7071-6651-7

En application des articles L.122-10 à L.122-12 du Code de la propriété intellectuelle,toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement,du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitationdu droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre formede reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation del’éditeur.

© Éditions La Découverte, Paris, 2012.

Les auteurs Lola Bonnabel (L.B.), InrapIsabelle Le Goff (I.L.G.), InrapBruno Boulestin (B.B.), université de Bordeaux

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 10/01/12 17:01 Page4

Chapitre I

Indien kwakiutl (Colombie-Britannique)fumant le cadavre d’un parent défunt,photographié par Edward Sheriff Curtisen 1910. Malgré l’immense variabilitéqui les caractérise, tous les traitementsfunéraires, aussi étranges qu’ilspuissent nous paraître, ont en communla volonté de rendre hommage audéfunt. Mais tous les traitements desmorts sont loin d’être funéraires.Les archéologues sont ainsi confrontésen permanence à la question de savoirce qui est une sépulture et ce qui n’enest pas une.

Champ de la discipline :concepts et mise en œuvre

Bruno Boulestin

Il est paradoxal que malgré l’âge respectable de l’archéo- logie funéraire, au moins une centaine d’années, la ques-tion de la définition de son principal objet d’étude, lasépulture, n’ait été posée qu’il y a peu. Qu’est-ce qu’unesépulture ? Et, au-delà, qu’est-ce qui est funéraire ? Certes,nos prédécesseurs du XIXe siècle s’étaient bien interrogés surla réalité des sépultures néandertaliennes, mais il s’agissaituniquement d’un questionnement dicté par des motifsd’ordre idéologique : il importait surtout d’établir si Néan-dertal était assez humain pour avoir réalisé des sépultures.Cette interrogation mise à part, jusqu’à récemment leschoses n’étaient guère compliquées, puisque en général laprésence d’os humains dans un endroit un minimum struc-turé impliquait pour les archéologues sépulture et pratiquefunéraire. À leur décharge, il faut bien dire que les ethno-logues et sociologues ne se sont pas plus souciés de définirce qu’est exactement une sépulture, sans doute parce queleur démarche fait que la question ne se pose pas vraiment :ils décrivent ou analysent les pratiques funéraires parce qu’ilssavent que telles elles sont.

24

25

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 10/01/12 17:01 Page24

ont tenté d’en donner une définition archéologique, dans leDictionnaire de la préhistoire publié sous la direction d’AndréLeroi-Gourhan en 1988. Cette première approche a ensuitefait l’objet de plusieurs commentaires et développements quiont été synthétisés à l’occasion d’une table ronde qui s’est tenueà Sens en 2006, alors même que la communauté archéologiqueprenait progressivement conscience que tous les dépôtshumains ne pouvaient être funéraires. De fait, l’archéologiequi traite des morts ne peut plus non plus, ou plus seulement,être qualifiée par ce terme : sans que ni les faits ni le champ dela discipline n’aient changé, il est devenu trop restrictif. Enaffinant les concepts qu’elle mobilise, cette archéologie estdevenue une archéologie de la mort, élargissant sa réflexion etoffrant un accès à des pratiques sociales qu’elle méconnaissaitauparavant. On tend parallèlement à qualifier globalement cespratiques autour de la mort de « mortuaires », terme auquelon accorde un sens plus étendu que funéraire.

Funéraire et sépulture : les basesIntuitivement, chacun a une idée plus ou moins claire de cequ’est une cérémonie funéraire, sans nécessairement pouvoirdéfinir précisément ce qui la caractérise, et chacun est capabled’en reconnaître une lorsqu’il y assiste ou en lit la description.Il est moins évident dans certains cas d’identifier une pratiquenon funéraire mettant en jeu un mort, ou de dire pourquoielle ne l’est pas. Parce que pour définir A il est nécessaire decomprendre ce qu’est non-A, avant de préciser les notions defunéraire et de sépulture, il est utile de rappeler quelles peuventêtre les principales pratiques autour de la mort qui ne ressor-tissent pas au domaine funéraire.

Extrêmement répandues à travers le monde et à toutes lesépoques, il y a avant tout deux catégories de pratiques quiconduisent à ne donner à un mort ni cérémonie funéraire nitombe : le rejet ou l’abandon de cadavre et la privation desépulture. La première catégorie concerne les personnes à qui,pour une raison ou pour une autre, on estime ne pas avoir àoffrir de funérailles ; le corps est alors traité comme un simpledéchet. Ce sont notamment les gens de rien, les dépendants,en particulier les esclaves, les enfants en bas âge, les sacrifiés,pour ne citer que les cas les plus classiques. Parce qu’elle nediffère guère du rejet ou de l’abandon, on peut y adjoindre ladissimulation de cadavre, cas particulier du criminel quicherche à éviter que l’on retrouve sa victime. Cette démarche

26

27

CHAMP DE LA DISCIPLINE : CONCEPTS ET MISE EN OEUVRE

Tous les dépôts humains sont loind’être funéraires. Par exemple, encore àla fin du XVIIe siècle en France, le Codenoir de Louis XIV, de 1685, stipuledans son article XIV que les esclavesnon baptisés doivent être enterrésla nuit dans un champ, donc sanssépulture. Ce n’est que récemment quece point a été pris en compte dansla réflexion sur les pratiques autour dela mort en archéologie, ce qui constitueun progrès important.

De l’archéologie funéraire à l’archéologie de la mortDéfinir ce qui est funéraire conduit à prendre conscience qu’ily a des pratiques autour de la mort qui ne relèvent pas de cedomaine. Ce point, évident pour un ethnologue ou un socio-logue, l’est beaucoup moins pour un archéologue confronté àla présence de restes humains dont, a priori, il ignore toute l’histoire. Réaliser que cette présence ne signe pas nécessaire-ment une pratique funéraire et peut ne pas correspondre à unesépulture permet de prendre en considération et d’étudier descomportements autour du cadavre autrement insoupçonnés, caridentifiés faussement. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit paslà d’une simple question de vocabulaire : c’est le sens même dela recherche qui est en cause. Prétendre faire de la palethno logie,de l’archéologie funéraire sociale, implique de connaître quellepratique on analyse véritablement. Et se tromper sur un termeou lui donner un sens qu’il n’a pas, ce n’est pas seulement setromper sur la qualification des faits, mais sur les idées qu’il repré-sente. Pour donner un exemple, on peut citer la pratique desmorts d’accompagnement (voir chapitre IV), qualifiée jusqu’àrécemment – et malheureusement parfois encore – de sacrifice.Or, l’anthropologue social Alain Testart l’a bien montré, les deuxpratiques s’opposent en tout : elles ne relèvent pas de la mêmesphère et traduisent des rapports sociaux différents.

La question de savoir ce qu’est réellement une sépulture avraiment été posée il y a à peine plus de deux décennies enFrance, quand les préhistoriens Jean Leclerc et Jacques Tarrête

ARCHÉOLOGIE DE LA MORT EN FRANCE

La question de savoir si des dépôtshumains étaient réellement dessépultures ne s’est pendant longtempsposée que pour le Paléolithique,en particulier à propos desNéandertaliens. Pour cette période,il est admis aujourd’hui qu’une partied’entre eux sont bien funéraires, maisd’autres demeurent d’interprétationdifficile, notamment ceux qui ne sontpas structurés et où les restesprésentent des modificationsanthropiques. Ici, une calotte crâniennefaçonnée en « coupe » de la grottedu Placard en Charente, datéedu Paléolithique supérieur (Muséed’archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye.)

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 10/01/12 17:01 Page26

CHAMP DE LA DISCIPLINE : CONCEPTS ET MISE EN OEUVRE

Dame de Paris de Victor Hugo, Esméralda, jetée dans le char-nier de Montfaucon –, parias, hérétiques, traîtres, sacrilègeset bien d’autres encore. Il faut leur rajouter les personnesprivées de funérailles parce que ce sont les circonstances deleur mort, ce que l’on appelle la malemort, et non plus leurstatut qui font d’elles des êtres coupables d’infamie : les plusclassiques sont les suicidés, mais il y a bien d’autres cas et danscertaines sociétés ils sont tellement nombreux qu’on sedemande si on peut y mourir normalement !

D’autres circonstances, plus rares, peuvent être à l’originede dépôts humains qui n’ont rien de funéraire, parce que lescadavres n’ont pas été inhumés avec les cérémonies d’usage.Ainsi en va-t-il de ceux abandonnés, par obligation cette fois,sur un champ de bataille. Dans le cas des sacrifices de fonda-tion, les sacrifiés ne sont pas jetés, mais ils sont déposés, dansdes espaces qui peuvent être très structurés. Le complexe d’offrandes no 2 de la pyramide de la Lune à Teotihuacán(Mexique, Ier-IIe siècle de notre ère) en donne un fabuleuxexemple. Ici non plus, pas de rite funéraire : les cérémoniessont attachées au culte de la divinité (personne ne qualifieraitde funérailles les cérémonies qui accompagnent le sacrifice d’unanimal, pourquoi le faire avec l’humain dont le statut d’offrande n’est pas différent ?). Enfin, si jusque-là ont été

28

29

Complexe d’offrandes no 2 dela pyramide de la Lune à Teotihuacán,Mexique, daté des Ier-IIe siècles denotre ère. L’individu sur la droite (2-A)a été sacrifié, au même titre que lesanimaux présents dans le dépôt.Le rite ne lui était pas destiné, il n’étaiten rien funéraire, et ce n’est donc pasune sépulture, bien que le dépôt soittrès structuré (fouille Saburo Sugiyama,The Moon Pyramid Project).

Dans la très grande majorité dessociétés, les condamnés à mort fontpartie des personnes privées desépulture. À Montfaucon, principalgibet des rois de France jusqu’à LouisXIII situé au nord-est de Paris, lesrestes des suppliciés étaient ainsi jetéssans cérémonie dans le charnieraménagé dans la base de l’édifice(d’après la reconstitution d’EugèneViollet-le-Duc datée de 1856).

Ci-dessousAu Trou qui Fume à La Rochette, enCharente, un jeune homme d’environ25 ans a été enfoui à l’époquecarolingienne sous un ressaut de paroidans une faille, les mains liées dans ledos et sans aucun mobilier. Il s’agitprobablement d’un acte crapuleux quia conduit à cacher ou à se débarrasserd’un cadavre ; en aucun cas ce dépôtne peut être considéré comme unesépulture (fouille Bruno Boulestin,université Bordeaux I).

ARCHÉOLOGIE DE LA MORT EN FRANCE

n’a, elle non plus, strictement rien de funéraire et les fossescreusées dans leur jardin ou dans la forêt par certains crimi-nels notoires ne sont pas des sépultures ! Le cas du jeunehomme carolingien inhumé dans la faille d’entrée du Trouqui Fume, à La Rochette en Charente, sans aucun mobilieret les mains liées dans le dos, illustre assez vraisemblablementun tel fait. À la différence de ces pratiques, qui sont neutresvis-à-vis du mort, la privation de sépulture, dont Polynice,l’un des fils d’Œdipe, est le symbole le plus classique, rajouteune dimension négative au traitement du cadavre. Elle reposesur le principe, présent dans nombre de sociétés, que la mortn’est pas la destruction complète de l’être et qu’elle n’éteintpas la peine. Ainsi, non seulement le « mauvais » défunt est-il au minimum privé de toute cérémonie funéraire, mais onpeut en plus le couvrir d’infamie (la « sépulture de l’âne » desCarolingiens : on déshonore le mort en l’enterrant comme onenterrerait un âne), lui faire un procès, comme en Grèceantique, lui jeter quelque malédiction – ce qui constitue unevéritable inversion du rituel –, comme au Moyen Âge, outra-ger son cadavre, etc. Nombreuses sont les catégories depersonnes concernées par cette pratique, en tout lieu et entout temps : ennemis (dont les prisonniers de guerre), mortsendettés, condamnés – que l’on pense à l’héroïne de Notre-

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 10/01/12 17:01 Page28

CHAMP DE LA DISCIPLINE : CONCEPTS ET MISE EN OEUVRE

logue, qui fouillerait la sépulture de l’empereur romain Galba,pourrait reconstituer le parcours de son cadavre tel que nousle rapporte Suétone dans les Vies des douze Césars ? On peutdonc très bien mettre au jour les restes de personnes qui ontbénéficié de funérailles régulières, mais sans que ce que l’onfouille reflète en quoi que ce soit le rite funéraire. Pour expli-citer ce point, prenons l’exemple d’un archéologue martienqui, ne sachant rien de nos coutumes mortuaires, fouilleraitles catacombes parisiennes. S’il en déduisait que jusqu’au XIXe

siècle les Français pratiquaient des funérailles en plusieurstemps, il serait totalement dans l’erreur. Cela pour trois raisons :1/ la constitution des ossuaires n’avait rien à voir avec lespratiques funéraires en usage ; 2/ il ne s’agit même pas d’une

pratique funéraire, mais de rangement/conservation ; 3/ il estimpossible à partir des ossuaires de remonter aux tombes quiles ont précédés, et bien sûr aux pratiques qui accompagnaientla mise en terre. Sans doute pourra-t-on trouver cet exemplecaricatural. Pourtant, quand il s’agit d’étudier des sociétés sansécriture, nous ne sommes guère différents de l’archéo loguemartien…

Funéraire et sépulture : les conceptsAyant vu à quoi pouvait correspondre non-A, il est mainte-nant possible de définir ce qui caractérise A. Pour ce faire, nouspouvons partir de la définition archéologique de sépultureproposée par J. Leclerc et J. Tarrête : « Lieu où ont été déposésles restes d’un ou plusieurs défunts, et où il subsiste suffisam-ment d’indices pour que l’archéologue puisse déceler dans ce

30

31

Premier monument élevé dansl’ossuaire municipal (catacombes) deParis, en 1809 ou 1810, la « lampesépulcrale » servait en réalité à activerla circulation d’air dans les galeriesavant le creusement des puitsde service ; les carriers y entretenaientun brasier permanent à cet effet.Le transfert des restes n’étant pasprogrammé dans le rituel funéraire etne donnant pas lieu à des funérailles,un ossuaire ne peut pas être considérécomme une sépulture.

À Herculanum, en Italie, 270personnes ont été découvertes dansdes abris à bateaux au fond desquelselles s’étaient réfugiées au moment del’éruption du Vésuve de l’an 79 denotre ère et où elles ont trouvé la mort.Au premier abord, rien ne distingue undépôt comme celui-ci d’une sépulturemultiple. Pourtant, ce n’en est pas uneet il ne traduit même aucune pratiquesociale.

ARCHÉOLOGIE DE LA MORT EN FRANCE

évoquées des pratiques qui, à un degré plus ou moins élevé,reflètent des comportements et des rapports sociaux, il est desévénements qui conduisent à ce que la présence de resteshumains ne traduise aucun phénomène social : ce sont les acci-dents ou autres faits divers. Pour n’en citer qu’un exemple,personne encore ne dirait que les pièces d’habitation quicontiennent les corps des morts de Pompéi, ensevelis en 79 denotre ère, sont des sépultures…

Avant d’aller plus loin, deux remarques s’imposent. Lapremière est que, encore une fois, les pratiques d’abandon, derejet, de dissimulation du cadavre ou de privation de sépulturesont extrêmement répandues dans la plupart des sociétés nonmodernes et il est probable que dans certaines d’entre cellesque nous étudions, le nombre de personnes concernées fut nonnégligeable. Paradoxalement, en archéologie ces pratiques nesont quasiment jamais évoquées. Sans doute peut-on en partieimputer cette apparente discordance à une conservation diffé-rentielle des restes et il est vrai qu’un corps abandonné à lasurface de la terre a moins de chances de nous parvenir qu’uninhumé. Mais il est aussi probable que certains cas soient malinterprétés et qu’il soit conclu à une sépulture là où il n’y en apoint. Ne pas avoir réfléchi trop longtemps à la notion desépulture a conduit à identifier par défaut tout dépôt humaincomme tel et par là à surinterpréter. La seconde remarque estque, dans tous les cas évoqués, absence de sépulture ne signi-fie aucunement absence d’inhumation ou, plus largement, delieu structuré de dépôt. On perçoit déjà un fait fondamental :si les dictionnaires fournissent deux principales définitions dumot sépulture, celle qui désigne le lieu où l’on dépose un mortet celle qui qualifie ce dépôt en tant qu’action, avec une réfé-rence plus ou moins explicite aux cérémonies qui l’accompa-gnent, c’est la seconde qui donne tout son sens à la première.Ce qui consacre le lieu en tant que sépulture, ce sont les céré-monies ; ce qui fait que le lieu n’en est pas une, c’est l’absencede cérémonie. Ne pas avoir de sépulture (lieu), ce n’est pasnécessairement voir son cadavre abandonné sur le sol, c’est nepas avoir de funérailles.

Ainsi, dans un certain nombre de cas, un archéologue peutexhumer les restes de personnes qui n’ont jamais bénéficié d’unrite funéraire. Mais il est un autre biais susceptible de fausserles interprétations, qui tient à ce que l’état révélé lors de lafouille n’est qu’un état final qui ne dit rien, ou peu de chose,sur l’histoire des corps avant leur dernier dépôt. Quel archéo-

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 10/01/12 17:01 Page30

CHAMP DE LA DISCIPLINE : CONCEPTS ET MISE EN OEUVRE

32

33

événements ponctuels séparés par un temps qui lui aussi estfunéraire. Mais même pour nous, veiller un défunt dans unechapelle ardente est un acte funéraire qui n’appartient pas auxfunérailles. Reste à définir ce que sont ces dernières. Sur cepoint, les dictionnaires, le sens commun et la sociologie serejoignent, ce qui permet de leur attribuer trois caractéristiquesprincipales, qu’elles soient uniques, premières ou secondes : 1/ce sont des cérémonies, qu’elles soient pompeuses ou réduitesà une extrême simplicité ; 2/ elles accompagnent la gestionmatérielle des restes du défunt et plus particulièrement leurdépôt, transitoire dans le cadre de doubles funérailles ou défi-nitif ; 3/ elles sont destinées à honorer ces restes et, à traverseux, la personne du mort. C’est ce dernier point, fonda mental,

qui explique pourquoi toutes les pratiques mortuaires évoquéesplus haut ne sont pas funéraires et ne conduisent pas à unesépulture. Qu’il s’agisse d’abandon, de rejet, de dissimulation,de privation, de sacrifice, jamais il n’est question de rendrehommage au mort : abandon, rejet et dissimulation sontneutres (on n’honore ni ne déshonore un déchet et le crimineln’a d’autre souci que le salut de sa propre personne) ; dans laprivation il s’agit au contraire de mépriser ; quant au sacrifice,la seule honorée dans l’affaire, c’est la divinité à laquelle onsacrifie (être sacrifié peut parfois être honorable, mais le ritene rend jamais hommage à la victime ; en d’autres termes il nelui est pas destiné). Enfin, il y a le cas un peu moins évidentde l’ossuaire municipal de notre martien. Ici, le transfert desrestes exhumés s’est déroulé dans un cadre cérémoniel, des

Relevé du Marae (sanctuaire de pleinair) Ta’ata à Paea (Tahiti, Polynésiefrançaise) daté du XVIIIe siècle.Une fosse contient un corps incompleten connexion, d’autres des restesosseux partiellement ou totalementdéconnectés, d’autres encore des oslongs rangés. Sépultures établies dansle cadre de doubles funérailles ?Pratiques de conservation ? Reliques ?En l’absence de source orale ou écrite,les dépôts secondaires de ce type sontd’interprétation extrêmement difficile(fouille Emmanuel Vigneron, Orstom).

dépôt la volonté d’accomplir un geste funéraire ; de manièreplus restrictive, structure constituée à l’occasion de ce gestefunéraire. » Une sépulture, c’est donc avant tout un lieu définiet il ne peut y avoir de sépulture dans un espace illimité : lesmorts incinérés dont les cendres sont dispersées dans la naturen’en ont pas, ni les Tibétains dont les restes sont confiés auxvautours. On peut donc très bien avoir des funérailles, maispas de sépulture. C’est ensuite un ou des défunts. Ce critèrepeut paraître trivial, mais il soulève en réalité deux problèmes.Le premier est théorique : si l’on s’en tient aux définitions, uncénotaphe n’est pas une sépulture et il n’est en principe pasconsidéré comme tel ni par les auteurs antiques ni par lesethnologues, mais c’est un point qui fait toujours l’objet de

discussions. Le second est pratique et tient à l’interprétationde certaines structures archéologiques qui ont tout d’unetombe, mais où les restes humains sont absents : ont-ils étédétruits ou n’en ont-elles jamais contenu ?

Le dernier critère mis en avant par J. Leclerc et J. Tarrêteest « la volonté d’accomplir un geste funéraire ». Il nécessited’être précisé et c’est en ce sens que la définition proposée peutêtre considérée comme incomplète. Nous l’avons vu, ne pasavoir de sépulture c’est ne pas avoir de funérailles. Le terme estun peu plus précis que « geste funéraire » dans la mesure oùfunéraire ne qualifie pas seulement ce qui concerne les funé-railles, mais l’ensemble des pratiques et des cérémonies réali-sées à l’occasion d’un décès. Cela est particulièrement explicitedans le cas des funérailles doubles : elles ne sont que deux

ARCHÉOLOGIE DE LA MORT EN FRANCE

Pour entretenir la mémoire des marinsdisparus en mer, il est d’usage d’érigerun cénotaphe, individuel ou collectif(ici dans le cimetière marin deGruissan dans l’Aude). Ces monumentsne contenant pas de corps et ayantune fonction commémorative, ils nedevraient en principe pas être qualifiésde sépulture.

À droiteLa nécropole chalcolithique de Varna,en Bulgarie, du Ve millénaire avantnotre ère, a livré, à côté de véritablessépultures, des structures uniquementremplies d’objets ou, comme ici (tombe2), contenant des reconstitutions devisages en argile. Elles sonthabituellement qualifiées decénotaphes, mais en réalité nous neconnaissons pas leur sens exact(Musée national d’histoire de Sofia).

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 10/01/12 17:01 Page32

34

35

CHAMP DE LA DISCIPLINE : CONCEPTS ET MISE EN OEUVRE

Dans certaines tribus amérindiennes,par exemple les Powhatans de Virginie,les morts étaient déposés sur deséchafaudages puis, une fois leurschairs disparues, leurs os étaientrassemblés et conservés jusqu’à leurenfouissement définitif à l’occasion desecondes funérailles collectives. Cesdépôts ne sont pas considérés commedes sépultures et on leur donne le nomde « dépôts transitoires ». Ici, unéchafaudage crow, dans le Montana,photographié par Richard Throssel,en 1905.

mettre en parallèle témoinsarchéologiques et données ethno-graphiques. En archéologie, ladémonstration de funérailles doubles est une véritable gageurequi se heurte à de nombreuses difficultés. Une réflexion sur ce quipourrait nous permettre de lesreconnaître reste encore à meneret constitue probablement l’un desprincipaux challenges de l’archéo-logie de la mort pour les années àvenir. Le problème majeur est quel’état du cadavre au moment deson dépôt, qualifié de primaire siles éléments du squelette sont en

connexion complète, de secon-daire dans le cas contraire, ne permet pas de statuer : dépôts primaire et secondaire peuvent l’unet l’autre aussi bien correspondreà des funérailles simples que doubles et un dépôt secondairepeut renvoyer à des pratiques qui sortent du temps funéraire. On nesaurait donc assimiler, comme celaa longtemps été le cas, sépultureprimaire à funérailles simples etsépulture secondaire à funéraillesdoubles : en aucun cas ces termesne peuvent décrire une pratique.

ARCHÉOLOGIE DE LA MORT EN FRANCE

Doubles funérailles :de l’ethnologieà l’archéologie

Dans notre société, la mortest vécue comme instan -tanée, mais il en va autre-

ment dans bien des sociétéstraditionnelles. Elle y dure le tempsnécessaire au défunt pour transi-ter du monde des vivants à celuides morts et, parallèlement, à sesproches pour traverser la phase dedeuil, au cours de laquelle ils ontun statut particulier. Ce passagedicte les deux moments majeursdu rituel funéraire, l’un corres - pondant à la séparation, l’autre àl’intégration (du mort et des« deuilleurs » dans leur monde

respectif), moments qui sont sépa-rés par un délai de longueur trèsvariable dénommé marge, qui cor-respond souvent aussi – mais pastoujours – au temps de transfor-mation physique du cadavre. Lepremier conduit à un dépôt tran-sitoire du mort, le second à sasépulture et l’un et l’autre s’accompagnent de funérailles, d’oùl’appellation « doubles funérailles »employée pour désigner cette pratique. Extrêmement répandu depar le monde, ce rituel a été théo-risé à peu près au même momentpar Robert Hertz (1907) et, de

façon plus générale, par Arnold VanGennep (1909), mais il est docu-menté depuis le XVIIe siècle chezles peuples du nord-est de l’Amé-rique du Nord par les mission- naires jésuites. Fait remarquable etsans doute unique en archéologie,l’un d’entre eux, Jean de Brébeuf,assiste en 1636 à des secondesfunérailles chez les Hurons- Wendats, à Ossossané, dans l’actuelOntario (Canada), dont il fait uneformidable description, et la sépul-ture correspondante sera retrou-vée en 1948 puis fouillée, de sorteque pour cet événement on peut

Fête générale des morts – cérémoniedes secondes funérailles – chez lesHurons et les Iroquois telle qu’illustrée dans l’ouvrage du R.P. J.-F. Lafitau intitulé Mœurs des sauvages amériquains…publié en 1724. Les restes des défunts,dans des états de décompositiondivers, du cadavre presque frais aux oscomplètement secs, viennent d’êtreexhumés et sont transportés à dosd’homme pour être réenterrés dansune grande fosse. Les descriptionsethnographiques des missionnairesjésuites, souvent remarquables, sontpar leur ancienneté et leur précisiondes documents précieux pour aborderle problème de la reconnaissance dedoubles funérailles en archéologie.

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 10/01/12 17:01 Page34

36

37

prêtres en procession chantant l’office des morts durant letrajet, et il s’agissait bien de leur gestion matérielle. Pourtant,nul n’a jamais considéré, y compris les contemporains desfaits, que ce fussent des funérailles, pour une raison simple,c’est que chacun savait qu’un tel transfert ne s’inscrivait pasdans le rituel funéraire chrétien. Ce rituel était clos, depuisbien longtemps pour certains, et les cérémonies n’avaient pluspour but d’hono rer les morts, mais de les commémorer. Cequi est au-delà du temps funéraire, ce qui n’est pas programmédans le rituel, ne peut par définition donner lieu à des funé-railles et il n’y a pas plus de funéraire dans les réductions oules transferts de restes qu’il n’y en a dans le culte des ancêtreschez ceux qui le pratiquent. C’est en archéologie tout leproblème pour distinguer, quand des restes ont été transportés,ce qui peut relever de doubles funérailles avec un dépôt secon-daire partiel et ce qui peut renvoyer à une idéologie qui n’a riende funéraire. En résumé, une sépulture pourrait être définieainsi : « Lieu où sont déposés les restes d’un ou de plusieursdéfunts, ce dépôt étant conçu comme définitif et intervenantdans le cadre d’une cérémonie dont la finalité est d’honorer aumoins un des défunts au travers de sa dépouille. »

De la théorie à la pratique : reconnaître une sépulture en archéologieC’est une étape délicate de la réflexion autour des resteshumains, d’autant plus que la sépulture correspond au seultemps des funérailles définitives qui ne représentent qu’unefraction peu importante du rituel funéraire et dont nous nevoyons en outre que la partie matérielle qui s’est conservéejusqu’à nous. Mais cette réflexion est indispensable : elle seulepermet de s’assurer que l’on étudie bien un rite funéraire ou,au contraire, une autre pratique sociale. Heureusement, dansbien des cas l’interprétation est évidente, soit du fait ducontexte (cimetière organisé par exemple), soit que la struc-ture et son contenu ne laissent place à aucun doute. Mais il enva parfois bien autrement, quand la structure et les dépôts sontambigus et que le contexte fait défaut ou n’est pas détermi-nant. Dans ces cas-là, il y a deux approches possibles, reposantsur le fait que dans l’appellation « pratique funéraire » il y a« pratique » plus « funéraire ».

Une pratique, c’est, au sens social du terme, une manièrede procéder, un comportement habituel dans telle ou tellecirconstance. Or, qui dit habituel dit nécessairement, au moins

CHAMP DE LA DISCIPLINE : CONCEPTS ET MISE EN OEUVREARCHÉOLOGIE DE LA MORT EN FRANCE

Les pièces osseuses les plusencombrantes de ce dépôt secondaire,le crâne et les os des cuisses et desbras, furent agencées en fagot puisrecouvertes par des os moinsvolumineux. Sur l’un des côtés del’amas osseux, la superposition despièces osseuses et leur situation enéquilibre instable évoquent un effet deparoi – peut-être celle d’un contenant–, qui ne résulte pas de la proximitédes bords de la fosse (fouille ThierryDucrocq, Inrap).

Les défuntsmésolithiques de

La Chaussée-Tirancourt

ossements les plus anciens. Dévo-lue à un homme âgé, elle contientdes os transportés probablementdans un contenant puis inhuméssans l’ajout d’autres éléments impu-trescibles. Le dépôt comprend l’ensemble du squelette disloqué àl’exception des petits os (mains,pieds, sternum…) et d’un os de lajambe. Les extrémités des os desavant-bras (radius et ulna) déta-chées par fracturation, n’y figurentpas non plus, ce qui conforte l’hypo -thèse d’un squelette manipulé horsdu lieu d’inhumation définitif. Si le

Localisés à la confluence de laSomme et de l’Acon, sur uneberge peu pentue, les niveaux

mésolithiques de La Chaussée-Tirancourt (Somme) ont bénéficiéd’une fossilisation par des tourbesliées à une remontée du plan d’eau.D’une superficie de 200 mètres car-rés, la fouille a livré des vestiges de plusieurs phases d’occupationsdatées entre 8000 et 7000 avantnotre ère. La densité des artefacts,leur diversité et la présence de plusieurs foyers posent la questiond’éventuels séjours longs avec unspectre d’acti vités étendu (campsde base ?). Si la présence des cinqindividus découverts correspond àtrois moments distincts, il s’agit àchaque fois de dépôts secondaires.C’est dans une petite fosseoblongue que furent rassemblés les

traitement des autres défunts dif-fère, des interventions ont néan-moins été effectuées sur les corpsavant ensevelissement. Dans le casdu vieil homme, il convient mieuxd’envisager une décomposition passive des chairs en l’absence detraces d’une décarnisation (actionde détacher la chair des os) réaliséeà l’aide d’outils. Pour deux autresadultes et un enfant âgé d’environ3 ans, l’usage du feu a été préféré eta conduit à l’obtention d’ossementsmajoritairement blancs. Leurs restesosseux brûlés et mélangés furentensuite déversés dans une mêmefosse, mêlés à des résidus de combus tion, des outils et des élé-ments de parure. Les intentionssépulcrales peu perceptibles laissentplaner un doute quant à la vocationde cette fosse. Il en est de mêmepour le statut des restes osseux du cinquième individu, attribuables àune occupation plus récente dequelques siècles, car il n’est repré-senté que par un fragment decalotte trouvé hors structure.

T.D., I.L.G. et F. V.

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 11/01/12 17:18 Page36

38

39

plutôt négative, ce qui doit amener à mettre en doute lasépulture. Sans entrer dans les détails, on portera notam-ment attention à l’agencement général des restes et des arte-facts dans la structure et à l’emplacement du mort en sonsein, à l’adéquation contenu / contenant, à la position dudéfunt, à la présence ou à l’absence de mobilier associé et àsa nature, en retenant qu’aucun critère ne peut être consi-déré comme absolu : chacun à une valeur indicative, maisc’est la conjonction de plusieurs allant dans le même sensqui apporte présomption forte ou assurance. On peut ainsitrouver des arguments qui permettent de tirer l’interpréta-tion dans un sens ou dans l’autre quand celle-ci n’est pasévidente d’emblée. Dans d’autres cas, l’analyse conduit à une

indécidabilité, qu’il faut savoir accepter : il est plus admis-sible de ne rien conclure que de se tromper en voulant direà tout prix.

J. Leclerc le disait fort bien : « Reconnaître une sépulture,ce n’est jamais une simple constatation ; ce ne peut être qu’uneinterprétation des vestiges. » La palethnologie ne peut s’affranchir de cette interprétation et la question de la natureréelle d’un dépôt ambigu doit toujours être posée. Elle néces-site d’abord de comprendre les idées qui sont liées aux termesfunéraire et sépulture que, parce que nous les employons tousles jours, nous croyons connaître. Il y a là un principe que l’onpeut généraliser : les concepts sociaux sont rarement simples,mais il serait illusoire de croire que nous pouvons nous passerde les connaître.

CHAMP DE LA DISCIPLINE : CONCEPTS ET MISE EN OEUVRE

Inhumation double dans un silo dusecond âge du Fer mise au jourà Pont-sur-Seine dans l’Aube (fouilleVincent Desbrosse, Inrap). Malgré leurgrand nombre qui signevraisemblablement une pratique,les inhumations en silo de l’âge du Ferfont partie des dépôts humains dontl’interprétation reste indéterminée.La difficulté qu’il y a à leur trouver descaractères réguliers et des élémentsdénotant une orientation positive versles défunts fait que leur naturefunéraire est loin d’être avérée, sansque l’on puisse formellement la rejeter.

ARCHÉOLOGIE DE LA MORT EN FRANCE

dans une certaine mesure, régularité des faits matériels. Recon-naître une pratique ne peut donc passer que par la mise enévidence d’une répétitivité, de la position du mort, du mobi-lier qui l’accompagne, de l’architecture de la tombe, etc. Ontraduit assez souvent cela en disant que la reconnaissanced’une pratique funéraire implique la mise en évidence d’unenorme (au sens d’une règle et non statistique). Ce recours àla notion de norme n’est ni nécessaire ni même souhaitable :la récurrence des faits relève de l’observation et signe directe-ment une pratique, tandis que sa traduction en tant quenorme est affaire d’interprétation, d’autant plus difficile qu’enréalité nombre d’aspects des pratiques funéraires, même forte-ment récurrents, peuvent ne pas être normés : comment alorsfaire la part entre ce qui ressortit à la règle et ce qui relève del’usage ? Mais la reconnaissance du fait funéraire au travers dela pratique trouve un certain nombre de limites. D’abord, lamise en évidence de régularités n’est pas suffisante : toutepratique autour de la mort n’est pas forcément funéraire. Ellen’est pas non plus nécessaire : partout, il y a des façons suffi-samment inhabituelles, voire uniques, d’enterrer ses mortspour que l’on ne puisse plus parler de pratiques, mais simple-ment d’actes funéraires (nul doute qu’inhumer un soldatinconnu sous un arc de triomphe n’est pas une pratique).Enfin, une manière de procéder a pu être habituelle sans quenous puissions nous en rendre compte aujourd’hui. Soitqu’elle était moins répandue qu’une autre ou qu’elle était tellequ’elle n’a laissé que de rares traces matérielles, nous parais-sant ainsi, à tort, exceptionnelle. Soit que nous ne sachionspas en reconnaître la répétitivité si à côté les aspects variablesprédominent. Il ne faut en effet pas oublier que dans la plupartdes sociétés les pratiques funéraires varient en tout ou partieen fonction des individus à qui elles sont destinées et descirconstances de la mort, et qu’en l’absence de dogme oud’idéal fort, les changements d’un groupe à un autre et mêmed’un individu à un autre peuvent être importants. Cesremarques conduisent à envisager le second terme, celui defunéraire.

Démontrer archéologiquement qu’un dépôt est funérairerevient donc à rechercher les éléments matériels, intrinsèquesou contextuels, indiquant que ce dépôt reflète une pratiquedont le but était d’honorer le mort. Autrement dit, le dépôtdoit montrer une orientation positive vers le défunt. À l’inverse, des éléments peuvent indiquer une orientation

Sépulture à Auzay, en Vendée, datée duNéolithique récent. Elle fait partied’un groupe de trois sépultures doublesd’hommes décédés de mort violente.Pour cet ensemble unique etexceptionnel, on ne peut pas parler depratique, mais simplement d’acte etil n’est pas possible d’argumenterle caractère funéraire sur la répétitivitédes faits. Qu’il s’agisse de sépulturesest d’ailleurs toujours discuté, même sicela est très probable, les dépôts nemontrant aucune orientation négative– l’organisation des structures,les positions des corps, la présence devases vont tous dans le sens d’unhommage rendu aux défunts (fouillePatrice Birocheau et Jean-Marc Large).

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 10/01/12 17:01 Page38

40

41

CHAMP DE LA DISCIPLINE : CONCEPTS ET MISE EN OEUVRE

L’un des Gaulois inhumés assis dusanctuaire de Saint-Just-en-Chausséedans l’Oise (fouille François Malrain etNathalie Descheyer, Inrap).

tion est la même pour tous sur unmême site. Leur nombre varie d’unsite à l’autre, de un – mais on nepeut affirmer qu’il était seul – àvingt-deux, généralement de deuxà cinq. Allant souvent par paire oupar trois, ils sont dans ce derniercas alignés. Enfin, lorsqu’il peut êtreétabli, le contexte des inhumationsparaît ou est cultuel ; aucune n’esten contexte funéraire avéré. Parcontre, l’hypothèse d’une procé-dure complexe de momificationdes corps avant inhumation évo-quée à Acy-Romance (Ardennes)est trop faiblement argumentéepour être retenue. Ces morts mysté rieux sont interprétés tour àtour comme des personnages parti culiers ou sacralisés inhumésselon un rite funéraire spécial (ona parlé de druides), comme des

sacrifiés ou comme des condamnésmis à mort et exposés. Pouraucune des trois suppositions lesarguments avancés ne sont réelle-ment décisifs et il est difficile d’enprivilégier ou d’en écarter une,même si celle du pénal paraîtmoins probable. En définitive, enl’état des données la sagesse inviteà considérer que l’interprétationest indécidable et l’énigme desGaulois assis reste entière.

ARCHÉOLOGIE DE LA MORT EN FRANCE

Vue en cours de fouille et propositionde restitution d’un des trois Gauloisinhumés assis découverts à Soyaux, enCharente (fouille Isabelle Kerouanton,Inrap). Parfaitement alignés sur un axenord-sud et régulièrement espacés de3 mètres, ils faisaient face au soleillevant. Cette configuration se retrouveà l’identique à Acy-Romance, dansles Ardennes, un site distant de plus de500 kilomètres.

L’énigmedes Gaulois assis

Enterrer ses morts en positionassise n’est pas une pratiqued’une extrême rareté : on la

retrouve sur tous les continents età pratiquement toutes les époquesdepuis le Mésolithique, même sielle n’est qu’exceptionnellementprédominante. Une série dedécouvertes réalisées au cours desvingt dernières années et datées dusecond âge du Fer ne cesse cepen-dant d’intriguer. Elle illustre le typede problèmes que peut poser l’inter prétation de dépôts humainshors contexte funéraire évident,même dans le cas où il paraît s’agird’une pratique réglée. D’abord, cesinhumés assis gaulois sont rares :on en dénombre quarante-six (enexcluant les mentions anciennesinvérifiables et les cas du Mormontà La Sarraz, en Suisse, qui ne sontpas stricto sensu assis), répartis sursix sites en France et deux enSuisse. Même en tenant comptequ’une partie d’entre eux a pu disparaître, c’est excessivementpeu au regard des centaines demorts que l’on connaît par ailleurs

pour la même période. Cetterareté contraste avec une largerépartition, de la Charente auxArdennes et du Calvados à laSuisse, et on les retrouve dans desterritoires et chez des peuplesdont les pratiques, notammentmortuaires, sont par ailleurs trèsdifférentes, ce qui suggère un phénomène outrepassant leslimites culturelles classiques. Celui-ci semble de plus avoir été relati-vement bref : les datations auradiocarbone placent pratiquementtous les cas dans le IIe siècle avantnotre ère, mais la pratique a pudurer moins du siècle. Ces défuntsont en outre plusieurs points communs. Tous ont été inhumés enpleine terre dans des fosses immé-diatement comblées, sans parure nimobilier. À une exception près, cene sont que des adultes et tousceux dont le sexe a pu être déter-miné sont des hommes. Leurs posi-tion et orientation sont variables,mais non aléatoires : toutes lespossibilités ne sont pas représen-tées et, sauf dans un cas, l’orienta-

Mort_relecture_10-01-2012_Inrap 10/01/12 17:01 Page40