La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite – Mémoire de...

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Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite Mémoire de Master 1 Article publié le 12 juin 2015. Pour citer cet article : Claire Guillon, « La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite Mémoire de Master 1 », Carnet de recherche, 12 juin 2015 [en ligne]. http://cgcesr.wordpress.com/la-pensee-esoterique-de-leonard-de-vinci Ce contenu est sous Licence Creative Common de libre diffusion CC-BY-NC-SA Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International L’œuvre peut être librement utilisée, à la condition de l’attribuer à l’auteur en citant son nom. Le titulaire de droits peut autoriser tous les types d’utilisation ou au contraire restreindre aux utilisations non commerciales (les utilisations commerciales restant soumises à son autorisation). Le titulaire a la possibilité d’autoriser à l’avance les modifications ; peut se superposer l’obligation pour les œuvres dites dérivées d’être proposées au public avec les mêmes libertés (sous les mêmes options Creative Common) que l’œuvre originale. Pour contacter l’auteur : [email protected] ou http://cgcesr.wordpress.com

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Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci :

étude de son œuvre manuscrite – Mémoire de Master 1

Article publié le 12 juin 2015. Pour citer cet article :

Claire Guillon, « La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite –

Mémoire de Master 1 », Carnet de recherche, 12 juin 2015 [en ligne].

http://cgcesr.wordpress.com/la-pensee-esoterique-de-leonard-de-vinci

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Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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AVANT-PROPOS

Cet écrit reprend l’ensemble des recherches effectuées cette année durant mon Master 1

« Renaissance et Patrimoine » au Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance à Tours.

L’idée de ce mémoire était d’examiner l’œuvre manuscrite de Léonard de Vinci afin d’y

déceler les mentions d’ésotérisme et de mettre en lumière les affinités, ou non, de ce dernier

avec notamment des pratiques telles que l’alchimie et l’hermétisme. Les annexes de ce

mémoire constituent l’aboutissement de ces recherches, fruit d’un long travail d’inventaire et

d’étude philologique. Le mémoire en tant que tel consiste en un commentaire du corpus formé

d’une cinquantaine de notes tirées de l’ensemble des manuscrits de Léonard de Vinci. Ce

commentaire ne peut être qu’une étude préliminaire, et donc forcément non exhaustive, sur un

sujet aussi complexe que Léonard de Vinci et l’ésotérisme. De nombreuses questions,

concernant notamment l’accès à de telles connaissances ou bien encore l’étude de son

entourage, méritent approfondissements. Ce mémoire donne des pistes quant à la façon de

penser de de Vinci, je souhaite qu’il puisse être utile à tous ceux qui suivront les chemins,

maintenant défrichés, dans cette quête de connaissances, si chère à Léonard.

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Pascal Brioist pour m’avoir soufflé l’idée de ce mémoire, imaginé

comme un « anti-Da Vinci Code » ; je ne suis pas certaine que le résultat soit aussi manifeste

qu’attendu, qu’importe, Léonard reste un sujet d’étude passionnant, surtout à l’aune des

traditions ésotériques. Je suis également reconnaissante à Benoist Pierre pour sa présence dans

ce jury de soutenance, ses recommandations en termes de méthodologie et d’historiographie

m’ont été grandement bénéfiques et le resteront dans les années à venir. Je remercie aussi

Andrea Bernardoni et Stéphane Toussaint pour leurs conseils avisés sur l’alchimie et

l’hermétisme, en attendant de pouvoir leur exprimer ma gratitude de vive voix à Florence très

bientôt. Je ne peux terminer ces remerciements sans mentionner Laëtitia Barrué et Jean

Thirion pour leur aide précieuse en matière d’ésotérisme durant toute cette recherche, j’espère

que vous apprécierez la lecture du fruit de mon esprit ; ainsi que Bastien Rissoan et Sophie

Degioanni, consoeur de relecture, pour nos discussions éclairées qui m’ont permis de toujours

avancer un peu plus loin dans ma réflexion, et réciproquement je l’espère. Ce mémoire était

un challenge, reprendre mes études après 10 ans loin des bancs universitaires, c’est chose

faite ! Merci à tous ceux qui ont rendu cela possible.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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INTRODUCTION

Léonard de Vinci, peintre, sculpteur, architecte, musicien, ingénieur, anatomiste,

mathématicien…C’est une œuvre monumentale que laisse à la postérité cet homme de la

Renaissance. Que savons-nous réellement de ce personnage devenu légendaire aujourd’hui,

qui nourrit l’imaginaire collectif, et autour duquel circulent tous les fantasmes ? Il suffit de

parcourir les rayons des librairies, ou d’effectuer la moindre recherche sur la toile pour

découvrir un Léonard ésotérique, féru d’occultisme, franc-maçon, quand il n’est pas un être

venu d’ailleurs ou un voyageur temporel. C’est dans le but de découvrir si de Vinci

s’intéressait réellement aux traditions ésotériques que ce mémoire a été conçu.

Nos recherches sur le sujet nous ont amenée à la remarque suivante : la plupart des

études, académiques ou non, concernant Léonard se préoccupent généralement de Léonard

artiste ou Léonard scientifique. Seul un ouvrage traite explicitement de la pensée ésotérique

de Léonard : il s’agit d’un manifeste de Paul Vulliaud1 en faveur de la pensée philosophique

et religieuse de de Vinci, s’appuyant sur l’étude des peintures de ce dernier. Les travaux de

Paul Vulliaud s’intéressent tous à la religion et l’ésotérisme, notamment à la Kabbale et aux

traditions juives. Son étude sur Léonard est à replacer dans le contexte du début du XXe siècle,

l’auteur cherchant avant tout à défendre l’art de la Renaissance, qu’il considère comme

supérieur à l’art de ses contemporains, en insistant sur le fait que de Vinci était un bon

chrétien, malgré tout ce qui a pu être dit à ce propos.

Il apparait ainsi que peu d’études scientifiques ont été menées jusqu’à présent sur la

pensée ésotérique de Léonard. Nous avons choisi de nous arrêter sur l’œuvre manuscrite de de

Vinci afin d’examiner les propos originaux de ce dernier, et ainsi proposer une réflexion

inédite à partir de sources primaires : les écrits de Léonard. Le thème de l’ésotérisme étant en

effet sujet à controverse, il nous est apparu important d’appuyer notre démonstration sur des

arguments précis, afin de permettre au lecteur d’avoir tous les éléments nécéssaires pour

apprécier notre démarche. L’étude de l’ésotérisme est un domaine encore peu représenté et

très récent dans le monde universitaire ; seules trois chaires sont consacrées à cette spécialité

en Europe : Wouter Jacobus Hanegraaff à l’université d’Amsterdam, Nicholas Goodrick

Clarke à Exeter, et la plus ancienne à l’École Pratique des Hautes Études avec Antoine Faivre.

C’est justement en nous appuyant sur les connaissances de ce dernier, et les quatre

caractéristiques données dans sa définition de l’ésotérisme2, que nous allons envisager l’étude

de la pensée de Léonard dans son œuvre manuscrite :

l’existence de correspondances universelles entre les différents niveaux de la

réalité

la Nature considérée comme un être vivant

1 Paul Vulliaud, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci, Paris, Grasset, 1910. 2 Jean-Marc Font, Comprendre l’ésotérisme, Paris, Eyrolles, 2008, p. 183/3338 (Version numérique).

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la possibilité d’établir des ponts entre les niveaux de la réalité (médiations)

l’expérience de la transformation intérieure (transmutation spirituelle)

Nous avons de fait parcouru les manuscrits de de Vinci1 de diverses façons, par le biais de

traductions et transcriptions2, afin d’en extraire une cinquantaine de citations pouvant

correspondre à une de ces quatres caractéristiques. Afin de rendre la lecture de ce mémoire

plus agréable, nous avons constitué des annexes par thème3 regroupant ces citations à la fin de

notre démonstation. Nous proposons dans cette étude un commentaire de ces écrits de

Léonard en recourant à la philosophie naturelle mais également aux traditions hermétiques et

néoplatoniciennes.

Nous avons choisi de présenter le fruit de nos recherches de la façon suivante : dans un

premier temps, nous détaillerons la bibliothèque de Léonard afin de mieux comprendre son

environnement intellectuel, puis en second lieu nous analyserons la façon dont de Vinci

envisage l’homme dans l’univers, notamment à travers la peinture, avant d’examiner plus

précisement la place que tient la quête de connaissances dans la vie et l’œuvre de ce dernier.

1 Pour plus de détails, se réferer aux Annexes 1 et 2. 2 Pour plus de détails, se réferer à Bibliographie : Sources primaires. 3 Pour plus de détails, se réferer aux Annexes 3 à 7.

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1. COMPRENDRE LE MONDE POUR MIEUX LE RECRÉER

Notre première approche pour étudier la pensée ésotérique de Léonard consiste à

s’intéresser à ses influences, notamment à travers ses lectures. Dans son œuvre manuscrite,

nous retrouvons régulièrement des listes d’ouvrages, probablement dressées avant un

déménagement ou un voyage. À ses inventaires s’ajoutent des notes éparses au sein de

l’ensemble de ses carnets faisant référence à des auteurs ou des livres. En s’appuyant sur

l’étude de Romain Descendre, « La biblioteca di Leonardo »1, nous sommes en mesure de

mieux comprendre la nature des manuscrits contenus dans la bibliothèque de de Vinci. Nous

avons ainsi choisi d’analyser certains inventaires2 et notes permettant de donner un aperçu

général de la culture littéraire et la curiosité scientifique de Léonard, afin d’utiliser cette base

bibliographique pour expliciter la pensée de de Vinci dans la suite de cette étude.

1.1 DÉVELOPPER SES CONNAISSANCES INITIALES

Léonard nait au printemps 1452. Il est un enfant naturel issu d’une famille de notable de

Vinci, petite ville de toscane. Son père Pietro est un provincial cultivé et lettré très souvent

absent. Léonard grandit auprès de son oncle Francesco et son grand-père Antonio, au contact

de la vie artisanale et agricole d’un village de campagne, avant d’être pris en charge par

l’atelier d’Andrea de Verrocchio à Florence, recevant ainsi une formation technique et

artistique pluridisciplinaire, comme il était coutume à l’époque. Il n’a de fait aucune éducation

universitaire, ses connaissances du trivium – la grammaire, la dialectique, la rhétorique – et du

quadrivium – l’arithmétique, la musique, l’astronomie, la géométrie – sont donc acquises de

façon autodidacte. Il se qualifie lui-même d’« homme sans lettres »3 et cette distinction est un

trait de caractère récurrent dans ses notes, comme nous le verrons dans la suite de cette étude.

Cet apprentissage solitaire révèle plusieurs caractéristiques propres à Léonard en ce qui

concerne l’acquisition de savoirs mais aussi de savoir-faire, la plus notable étant

probablement son écriture spéculaire. Léonard est en effet gaucher. N’ayant pas été contraint

par l’instruction académique d’utiliser sa main droite, il a naturellement pris l’habitude

d’écrire de droite à gauche, en utilisant une graphie « en miroir ». Ses manuscrits sont ainsi

rédigés sous cette forme remarquable en langue italienne, un mélange de dialectes toscan et

lombard, ce qui est un autre signe distinctif de l’éducation populaire reçue par Léonard, à une

époque où l’homme de lettres s’exprime en langue latine.

Il n’est donc pas étonnant de retrouver dans les inventaires de Léonard des ouvrages

relatifs à l’apprentissage du latin tels que Ars grammatica maior d’Elio Donato, Doctrinale

puerorum d’Alexandre de Villedieu ou bien encore Vocabolista de Luigi Pulci. Au-delà de la

1 Romain Descendre, « La biblioteca di Leonardo », in Atlante della letteratura italiana, S. Luzatto et G. Pedullà

(ed.), vol. I, Turin, Einaudi, 2010 p. 592-95. 2 Annexe 3.2 : Codex de Madrid II, 3 ro. et Annexe 3.8 : Codex Atlanticus, 559 ro. 3 Annexe 6.11 : Codex Atlanticus, 327 vo.

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maitrise de la langue latine, Léonard s’applique également à améliorer son éloquence en

langue italienne, à travers l’utilisation de livres relatifs aux écrits épistolaires et rhétoriques

tels que Epistolae de Francesco Filelfo, Formulario di epistole vulgare missive e responsive et

altri fiori de ornati parlamenti de Cristoforo Landino, Fiore di rettorica de Guidotto da

Bologna ainsi que Elegantiolae d’Agostino Dati. Ces œuvres afférentes à la linguistique et la

syntaxe tant latine qu’italienne dénotent l’intérêt de Léonard pour communiquer de façon

convenable auprès de ses pairs mais aussi des différents mécènes qu’il côtoiera tout au long

de sa vie. Cela permet également à Léonard de s’appuyer sur le pouvoir des mots afin de

mettre en garde son lectorat contre les raisonnements spécieux, comme nous l’approfondirons

dans la partie « Être en quête de connaissance » de cette étude.

Un autre champ de connaissances crucial pour Léonard est l’acquisition d’une culture

mathématique, à travers l’arithmétique et la géométrie. Nous relevons dans ses inventaires

bibliographiques des mentions telles que D’abaco, Libro d’abaco, l’ha Giovan del Sodo,

Quadratura del circolo ou bien encore Arismetrica di Maestro Luca, cette dernière note

faisant référence à Luca Pacioli, mathématicien de renom. Sa rencontre avec ce dernier à la

cour de Ludovic Sforza lors de son premier séjour milanais sera le point de départ non

seulement d’un enseignement scientifique mais aussi d’une collaboration éditoriale avec la

publication du De Divina proportione1. Léonard participe à l’illustration de cet ouvrage en

dessinant une soixantaine de figures géométriques explicitant les propos du mathématicien.

Les thèmes abordés dans ce livre s’attardent sur la proportion mathématique et son usage en

géométrie, ainsi que dans les arts et l’architecture. Le titre renvoie aux théories

mathématiques telles que le nombre d’or ou la suite de Fibonacci, et à l’idée qu’une certaine

proportion universelle présente dans le macrocosme se retrouve dans le microcosme,

l’Homme de Vitruve étant souvent utilisé comme un exemple de cette correspondance. Nous

nous pencherons sur cette question des correspondances de façon plus précise dans la partie

« Être et apparaître : la question de l’engendrement » de cette étude.

Pour parfaire sa formation dans les arts libéraux, Léonard va également s’intéresser à la

météorologie et l’astronomie. Il est important de rappeler qu’à cette époque, les planètes et

leurs influences étaient étudiées de façon scientifique et ésotérique ; la distinction entre

astronomie et astrologie est ici un contresens historique, c’est pourquoi nous utiliserons le

terme « astronomie » dans la polysémie qui était sienne à la Renaissance. De nombreux

ouvrages d’auteurs antiques mais aussi contemporains de Léonard sont ainsi listés dans ses

carnets : Meteorologia d’Aristote et Cosmografia de Ptolémée côtoient Il quadrante d’Israele

de Jacob ben Machis ben Tibbon, l’Acerba de Cecco d’Ascoli, Kalendario de Regiomontano

1 Luca Pacioli & Léonard de Vinci, Divina proportione : opera a tutti glingegni perspicaci e curiosi necessaria

ove ciascun studioso di philosophia : prospettiva pittura sculptura : architectura : musica : e altre

mathematice : suavissima : sotile : e admirabile doctrina consequira : e delecterassi : co[n] varie questione de

secretissima scientia, Venise, A. Paganius Paganinus, 1509.

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et Oposculum repertorii pronosticon in mutationes aeris tam via astrologica quam

metheorologica de Firmin de Beauval.

Ces livres dénotent l’intérêt porté par Léonard pour comprendre les choses de l’univers,

le macrocosme et l’influence que ce dernier peut avoir sur terre, et particulièrement sur

l’homme, le microcosme. C’est précisément à ce niveau inférieur que nous allons à présent

analyser les lectures et références de de Vinci.

1.2 S’INTÉRESSER À LA PHILOSOPHIE NATURELLE

Léonard développe une curiosité pour le monde qui l’entoure, et l’astronomie, matière

noble du quadrivium, n’est qu’un sujet parmi d’autres. Il est délicat de vouloir catégoriser

précisément les champs de savoir étudiés par Léonard, les sciences humaines et exactes

formant un ensemble cohérent de recherches méthodiques que nous désignons ici par

l’expression philosophie naturelle. Cette approche prédomine auprès des savants et ingénieurs

jusqu’au XVIe siècle ; dans un contexte où le dogme religieux propose une cosmogonie et des

réponses aux questions rationnelles, observer le monde environnant et s’interroger sur les

rapports entretenus par les choses de la Nature, tant au niveau du vivant que de l’inerte, du

visible et de l’invisible, devient une démarche scientifique à part entière.

Il est de ce fait intéressant de noter deux allusions que fait Léonard à des hommes du

passé correspondant à cet archétype du savant en quête de compréhension du monde. Nous

trouvons ainsi dans le Codex Arundel la mention « Rugieri Bacon fatto in istampa »1 ainsi

qu’une inscription en forme de rappel « Cerca in Firenze della Ramondina »2. La première

désigne explicitement Roger Bacon, philosophe, savant et alchimiste anglais du XIIIe siècle,

considéré comme un précurseur de la science expérimentale. Il propose en effet d’accéder à la

connaissance du monde par le biais de l’esprit mais aussi au moyen d’instruments pour mettre

en pratique raisonnements et intuitions3. La seconde renvoie à Raymond Lulle, philosophe,

théologien et missionnaire catalan des XIIIe et XIV

e siècles, qui s’inscrit dans la lignée de

Roger Bacon. Son œuvre majeure Ars magna4 présente une façon d’envisager un

raisonnement sur la compréhension du monde en se basant sur une logique à la fois

géométrique et spirituelle. Cette forme d’organisation rigoureuse et démonstrative se retrouve

également dans des ouvrages tels que Liber de ascensu et descensu intellectus5, dans lequel à

l’aide d’« échelles de la connaissance » l’homme en quête de savoir peut percer les secrets de

1 Annexe 3.6 : Codex Arundel, 71 vo. 2 Annexe 3.7 : Codex Arundel, 192 vo. 3 « Sed duplex est experentia : una est per sensus exteriore, et sic experimenta ea, quae in coelo sunt… et haec

inferiora… experimur… Et haec experentia est humana et philosophica, quantum homo potest facere secundum

gratiam ei datam ; sed haec experentia non sufficit homini, quia non plene certificat de corporalibus propter sui

difficultatem, et de spiritualibus nihil attingit. […] Et qui in his experientiis vel in pluribus eorum est diligenter

exercitatus, ipse potest certificare se et alios non solum de spiritualibus, sed omnibus scientiis humanis…

necessaria est nobis scientia, quae experimentalis vocatur. » Roger Bacon, Opus majus, 1267, t. II, John Henry

Bridges, Oxford, Clarendon Press, 1897, p. 169-171. 4 Raymond Lulle, Ars magna : compendiosa inveniendi veritam, 1277. 5 Raymond Lulle, Liber de ascensu et descensu intellectus, 1304.

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l’univers, ou bien encore Arbre de ciència1, livre encyclopédique écrit en catalan à destination

d’un public non érudit, reprenant à travers l’analogie végétale de l’Arbre les différentes

disciplines structurant le monde visible et invisible. Roger Bacon et Raymond Lulle, tous

deux moines franciscains – comme Luca Pacioli – intègrent systématiquement un aspect

mystique à leurs recherches, cette association entre le monde concret et le monde éthéré

témoigne d’une approche à la fois savante et ésotérique de l’univers. Ces deux auteurs par

l’ampleur de leur curiosité scientifique mais également par leurs idées, révolutionnaires pour

leur époque, peuvent être envisagés comme des références pour Léonard. Il fait preuve lui

aussi d’un intérêt sans limite pour les choses de la Nature et envisage de transmettre son

savoir au plus grand nombre, comme nous pouvons le déduire à la lecture des nombreuses

allusions à des traités prévus par de Vinci au sein de son œuvre manuscrite.

L’appétence de Léonard pour mieux comprendre son environnement ne s’arrête pas aux

écrits médiévaux de ses deux hommes de science, elle se retrouve aussi dans des ouvrages

traitant spécifiquement d’Histoire tels que Le Deche de Tite Live, Istorie di Giustino,

abbreviatore di Trogo Pompeio ou bien encore Cronica d’Isidore di Siviglia, mais également

de géographie comme La Sfera de Leonardo et Goro Dati ou Tractato delle più maravegliose

cosse e più notabile che si trovano in le parte del mondo de John Mandeville. Cette approche

à la fois temporelle et physique du monde rejoint les considérations parsemant les écrits de

Léonard sur la conception des choses sensibles et insaisissables, comme nous le

développerons dans les parties « Décomposer les énergies vitales » et « Percevoir les

dimensions temporelles » de cette étude.

L’analyse du monde terrestre, et notamment des règnes animal, végétal et minéral se

traduit par la présence dans la bibliothèque de Léonard de livres tels que Historia naturale di

C. Plinio secondo tradocta di lingua latina in fiorentina per C. Landino, Il Lapidario o la

forza e la virtù delle pietre preziose delle erbe e degli animali et aussi Libro delle virtù delle

erbe e pietre quale fece Alberto Magno vulgare… insieme con il trattato degli secreti de la

natura umana. Nous pouvons remarquer que Léonard cultive un intérêt pour les pierres, et

peut-être également pour leurs pouvoirs supposés. En effet, il n’est pas rare à l’époque de

considérer les minéraux – pierres précieuses et métaux – comme des éléments du microcosme

correspondant à ceux du macrocosme – planètes, divinités ou signes zodiacaux. Cette

utilisation des minéraux en fonction de leurs effets analogiques est employée en alchimie,

notamment dans la quête de la Pierre Philosophale. Nous savons que Léonard a côtoyé durant

de nombreuses années un personnage qui reste encore aujourd’hui relativement mystérieux :

Tommaso di Giovanni Masini plus connu sous le surnom de Zoroastre2. Il apparaît à la fois

1 Raymond Lulle, Arbre de ciència, 1295-96. 2 Pour plus de détails sur Zoroastre, se référer au chapitre éponyme dans l’ouvrage de Charles Nicholl, Léonard

de Vinci biographie, Arles, Actes Sud, 2006, p. 174-178.

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comme artisan travaillant le métal, philosophe alchimiste et artiste extravagant. Son épitaphe1

laisse à penser qu’il a pu être un compagnon d’expériences intéressant pour Léonard, qui lui-

même artisan peintre et sculpteur, s’adonnait à la préparation de composés alchimiques pour

élaborer des peintures à la pigmentation ou texture toujours plus audacieuses.

Parmi les créations de la Nature, Léonard se passionne plus particulièrement pour la

plus complexe d’entre elles : l’être humain. Nous retrouvons plusieurs mentions ayant trait à

la médecine ou l’anatomie dans ses inventaires : Cyrurgia de Guy de Chauliac, Tractato

utilissimo circa la conservatione de la sanitade d’Ugo Benzi, Libro terzo d’Almansore,

Cibaldone de Mohammed Rhasis, De natura humana d’Antonio Zeno, Liber physiognomiae

de Michele Scoto et Chiromantia scientia. Ces deux derniers ouvrages nous amènent à

réfléchir une fois de plus sur la théorie des correspondances entendue à l’époque. En effet, le

corps humain était considéré comme une version miniature de l’univers, les choses de la

Nature – visibles et invisibles – avaient ainsi logiquement un écho organique chez l’homme.

Des livres traitant de la découverte de traits de caractères – invisibles – à travers l’étude de

traits physiques – visibles – sont largement répandus à l’époque, et le resteront durant

plusieurs siècles. La curiosité de Léonard à propos de la chiromancie, l’interprétation des

lignes et autres signes distinctifs de la paume de la main, et de la physiognomonie,

l’observation de l’apparence physique d’une personne – et plus particulièrement des traits de

son visage, peut être envisagée à travers ses qualités de peintre.

Il est intéressant de noter que la quasi-totalité des ouvrages possédés par Léonard sont

des œuvres écrites, traduites ou abrégées en langue italienne ; il n’acquiert donc pas ses

connaissances en langue latine mais à travers la médiation d’un traducteur, qui peut parfois

interpréter de façon très personnelle les propos originaux de l’auteur. Nous reviendrons sur la

façon dont Léonard s’intéresse aux abréviateurs et commentateurs au cours de notre étude.

1.3 NOURRIR L’ESPRIT ET L’ÂME

Au-delà des considérations scientifiques, et dans une perspective humaniste de la

connaissance des choses de la Nature, Léonard possède également une importante

bibliothèque d’œuvres littéraires, morales, religieuses et philosophiques. Il n’est pas étonnant

de retrouver dans les manuscrits de de Vinci, parmi les démonstrations scientifiques, des

fables, devinettes, maximes, prophéties et autres pensées philosophiques ou morales lorsque

nous connaissons la nature de ses inventaires.

Léonard apprécie visiblement la littérature des auteurs antiques mais également de ses

contemporains : Le Pistole d’Ovide, Favole d’Esope, Facetiae du Pogge, Canzoniere e

Trionfi de Petrarque, Il Morgante de Luigi Pulci, Il Driadeo de Luca Pulci, Sonetti de

Burchiello pour ne citer que les plus illustres. Parmi ses ouvrages littéraires, nous pouvons

1 « Zoroastro Masino, homme exceptionnel pour sa probité, sa sincérité et sa libéralité, et vrai philosophe qui

scruta les ténèbres de la Nature au bénéfice admirable de la Nature elle-même », Ibid., p. 177.

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considérer deux d’entre eux plus singulièrement, quant à leur portée morale : il s’agit de deux

textes anonymes Il Manganello et Fior di virtù la quale tracta de tutti li vitii humani […] et

insegna come se debia acquistar le virtù. Le premier est un poème misogyne imité de la

Sixième satire de Juvénal et le second un traité de morale comportant trente-cinq chapitres

relatifs aux vices et aux vertus. Ces deux livres, loin d’être anecdotiques, renvoient à un

conflit interne avec lequel Léonard bataillera toute sa vie : la lutte contre ses désirs

homosexuels et la nécessité d’être un homme vertueux1. L’œuvre manuscrite de de Vinci

abonde ainsi en notes relatives aux mensonges et à la vérité, comme nous l’examinerons dans

la partie « Faire preuve d’esprit critique », mais aussi en mentions s’attachant à l’importance

de laisser une trace vertueuse dans les mémoires, comme nous l’analyserons dans la partie

« Devenir meilleur par le savoir » de cette étude.

Cette quête pour devenir un homme meilleur est également présente dans les livres

religieux et philosophiques listés dans les carnets de Léonard. La Bible et les Psaumes

côtoient La vitae ei i miracoli del beatissimo Ambrogio de Paolo di Milano et Libro della vita

dei filosofi e delle loro elegantissime de Diogene Laerzio, ou bien encore un sermon de

Savonarole sur le temple de Salomon et Theologia Platonica sive de animarum immortalitate

de Marsile Ficin. Ce dernier ouvrage peut être mis en relation avec une note contenue dans le

Manuscrit M, dont la signification reste incertaine : « Ermete filosafo »2. En effet, Cosme de

Médicis confie la tâche en 1463 à Marsile Ficin de traduire des manuscrits contenant des

révélations rapportés de Macédoine, l’auteur de ses manuscrits étant envisagé comme membre

de la secte des premiers théologiens, qui serait antérieure à toutes les traditions théologiques

et donc imprégnée de mystères primordiaux. Cette prisca theologia aurait pour point de

départ Hermès [Trismégiste], se poursuivrait avec Orphée, Aglaophème, Pythagore, Philolaos

et se terminerait avec Platon. Marsile Ficin n’aura de cesse durant toute sa vie de traduire et

commenter des textes empreints d’ésotérisme – notamment hermétique – et de platonisme3.

Le fait de trouver une référence explicite à Hermès Trismégiste dans l’œuvre manuscrite de

Léonard nous amène à envisager un intérêt certain porté par ce dernier aux préceptes du

philosophe ésotérique, dont la théorie des correspondances et la compréhension des choses de

la Nature sont au cœur de l’œuvre, comme nous pouvons le constater dans la Table

d’émeraude (Tabula Smaragdina), texte alchimique et hermétique attribué à Hermès

Trismégiste :

Verum, sine mendacio, certum et verissimum : quod est inferius est sicut

quod est superius; et quod est superius est sicut quod est inferius, ad

perpetranda miracula rei unius. Et sicut omnes res fuerunt ab uno,

1 Pour plus de détails sur Léonard et son homosexualité, se référer au chapitre intitulé « L’affaire Saltarelli »

dans l’ouvrage de Charles Nicholl, Léonard de Vinci biographie, Arles, Actes Sud, 2006, p. 144-153. 2 Annexe 3.11 : Manuscrit M, I cop vo. 3 Pour plus de détails sur Marsile Ficin et l’hermétisme, se référer à l’ouvrage d’Eugenio Garin, Hermétisme et

Renaissance, Paris, Allia, 2001.

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mediatione unius, sic omnes res natae fuerunt ab hac una re, adaptatione.

Pater ejus est Sol, mater ejus Luna; portavit illud Ventus in ventre suo;

nutrix ejus Terra est. Pater omnis telesmi totius mundi est hic. Vis ejus

integra est si versa fuerit in terram. Separabis terram ab igne, subtile a

spisso, suaviter, cum magno ingenio. Ascendit a terra in caelum, iterumque

descendit in terram, et recipit vim superiorum et inferiorum. Sic habebis

gloriam totius mundi. Ideo fugiet a te omnis obscuritas. Haec est totius

fortitudinis fortitudo fortis; quia vincet omnem rem subtilem, omnemque

solidam penetrabit. Sic mundus creatus est. Hinc erunt adaptationes

mirabiles, quarum modus est hic. Itaque vocatus sum Hermes Trismegistus,

habens tres partes philosophiae totius mundi. Completum est quod dixi de

operatione Solis1.

À travers ces inventaires et notes disséminées dans son œuvre manuscrite, Léonard nous

donne un aperçu de sa curiosité non seulement scientifique mais également intellectuelle. Il

s’intéresse en effet aussi bien au Latin et à la syntaxe qu’aux mathématiques et à l’astronomie,

s’appuie sur les connaissances du passé avec Roger Bacon ou Raymond Lulle, mais

également sur les recherches de ses contemporains avec l’Histoire et la géographie physique.

Il se passionne surtout pour les sciences de la Nature, et plus particulièrement celles

concernant l’être humain, cet aspect scientifique étant mis en balance avec son appétence pour

la littérature et les écrits moraux, religieux et philosophiques. C’est précisément à l’aune de

ces préceptes philosophiques que nous allons à présent envisager la pensée ésotérique dans

l’œuvre manuscrite de Léonard.

1 « Il est vrai, sans mensonge, certain, et très véritable: ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut; et ce qui

est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d'une seule chose. Et comme toutes les choses ont

été, et sont venues d’un, par la médiation d’un : ainsi toutes les choses ont été nées de cette chose unique, par

adaptation. Le soleil en est le père, la lune est sa mère, le vent l’a porté dans son ventre ; la Terre est sa nourrice.

Le père de tout le telesme [volonté] de tout le monde est ici. Sa force ou puissance est entière, si elle est

convertie en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement, avec grande industrie. Il monte de

la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures. Tu auras

par ce moyen la gloire de tout le monde ; et pour cela toute obscurité s’enfuira de toi. C'est la force forte de toute

force : car elle vaincra toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé. De ceci

seront et sortiront d'admirables adaptations, desquelles le moyen en est ici. C’est pourquoi j'ai été appelé Hermès

Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde. Ce que j’ai dit de l'opération du Soleil est

accompli, et parachevé. », trad. Hortulain, XVIe siècle.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

13

2. ANALYSER LE MONDE POUR MIEUX SE L’APPROPRIER

C’est par une citation de Paul Vulliaud tirée de La pensée ésotérique de Léonard de

Vinci1 que nous souhaitons débuter cette partie :

Cependant il y a en tout un mystère ; ce sont les lois harmoniques de la

Nature exprimées sous les apparences sensibles, les étudier pour remonte à

leur Auteur comme l’Artiste en a témoigné maintes fois, c’est là s’adonner à

l’étude du seul et vrai Mystère. Léonard de Vinci s’est révélé grand fidèle

de l’école cosmique.

L’auteur de ses lignes s’intéresse à l’œuvre picturale de de Vinci lorsqu’il émet cette

remarque ; nous allons tenter de savoir si cette observation peut s’appliquer à l’étude de

l’œuvre manuscrite de Léonard. Ainsi à travers la question des créations naturelles et

artificielles, nous serons amenés à examiner les structures qui ordonnent le monde d’un point

de vue physique et métaphysique, avant de considérer les aspects linéaires et universels de ce

dernier, en lien avec la nature cyclique du temps.

2.1 ÊTRE ET APPARAITRE : LA QUESTION DE L’ENGENDREMENT

Dans la tradition chrétienne, la création à partir du néant est l’acte d’autorité absolu de

Dieu : « Lorsque Dieu commença la création du ciel et de la terre, la terre était déserte et

vide »2 ; à l’inverse dans la tradition mythologique et philosophique gréco-romaine, la

création naît à partir d’un élément originel. Ainsi Lucrèce, s’inscrivant dans une lignée de

philosophes antiques incluant Hermès Trismégiste, Pythagore, Aristote, mais aussi Platon,

exprime ce nécessaire principe primitif dans De rerum natura3 : « Principium cuius hinc nobis

exordiasumet, nullam rem e nihilo gigni divinitus umquam »4. Léonard, à travers son œuvre

manuscrite, tente de concilier ces deux aspects pourtant contradictoires de la création, en

reconnaissant la nature hégémonique de Dieu, créateur de toutes choses, mais en établissant

également une filiation entre la Nature et l’homme, création suprême, qui concentre toutes les

possibilités offertes par l’univers, notamment la plus noble : la reproduction.

2.1.1 S’INCLINER DEVANT LA CRÉATION DIVINE

La position de Léonard vis-à-vis de Dieu est celle d’un homme de son époque, éduqué

dans une culture chrétienne présente à tous les niveaux de l’existence ; nous retrouvons

différentes mentions de Dieu et de son œuvre dans les manuscrits de de Vinci. Ces références

sont de plusieurs ordres. Léonard reconnaît la nature prépotente de Dieu et s’indigne contre

1 Paul Vulliaud, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci, Paris, Grasset, 1910, p. 28-29. 2 La Bible, la Genèse 1.1 et 1.2. 3 Lucrèce, De rerum natura, livre I, l. 149-50. 4 « Voici donc le premier axiome qui nous servira de base, rien ne sort du néant, fût-ce même sous une main

divine. », trad. Henri Clouard, XXe siècle.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

14

ceux qui cherchent à s’affranchir de sa puissance. Dieu est en effet créateur de toutes choses :

la Nature est son œuvre et l’homme sa main.

Il est intéressant de s’attarder sur une note contenue dans le Codex Forster1 :

Io t’ubbidisco, Signore, prima per l’amore che ragionelomente portare ti

debbo, secondaria che tu sai abbreviare o prolungare le vite a li omini.

Léonard vient alors d’entamer la quarantaine, il est au service de Ludovic Sforza à Milan

depuis déjà plus d’une décennie et travaille sur une œuvre monumentale qui ne verra jamais le

jour faute de matériaux disponibles : une sculpture équestre aux proportions gigantesques

nécessitant une centaine de tonnes de bronze. Cette supplique dépeint remarquablement la

personnalité de Léonard, pour qui l’obéissance à Dieu est un devoir raisonnable, car ce

dernier est le seul à pouvoir influer sur la vie des hommes. Nous reconnaissons ici des qualités

tant scientifiques que morales concernant la raison et le temps qui seront développées plus en

détail ultérieurement.

Nous retrouvons une autre mention de ce caractère supérieur de la puissance divine dans

une note en forme de rappel du Codex Atlanticus2 : « Ancora si po dire delli influssi de’

pianeti e di Dio ». Dieu est alors envisagé au même niveau que les planètes quant à

l’influence exercée sur la Nature et les hommes. Cette approche à la fois divine et

astronomique rejoint les doctrines ésotériques qui ont cours depuis l’Antiquité, toujours

présentes au Moyen Âge et à la Renaissance, notamment en ce qui concerne les sciences

médicales. En effet, la santé du corps et de l’esprit est alors envisagée comme un équilibre

entre différentes humeurs, correspondant chacune à un élément fondamental – air, feu, eau,

terre – et à un état – chaud, froid, sec, humide. Cette théorie développée dans le Corpus

Hippocraticum admet l’influence des planètes, des saisons ou bien encore des âges de la vie

pour effectuer un diagnostic ou un traitement médical. Léonard s’inscrit donc dans une école

de pensée représentative de son époque, pour laquelle divin et ésotérique ne sont pas

antinomiques, puisque toute chose procède de l’univers, et de ce fait, de Dieu.

Loin de s’adonner aux pratiques ésotériques, Léonard critique même celles-ci de façon

explicite dans une longue note présente dans le Corpus sur les études anatomiques3,

probablement écrite à la fin de sa vie. Il s’offusque des hommes qui cherchent à s’approprier

la puissance de Dieu : les nécromants. Dans une démonstration propre à l’esprit rationnel de

de Vinci, la nécromancie est pour lui le fait du plus stupide des discours humains, puisque ces

esprits crédules espèrent maîtriser les choses de l’univers, contre toutes lois scientifiques et

naturelles. Léonard décrit ainsi de nombreux exemples des actions supposées permises par la

nécromancie et d’ajouter cyniquement : « Quale è quella cos ache per tale artefice far non si

possa ? Quasi nessuna, eccetto il levarsi la morte. » Si un tel art était réel, pourquoi donc

1 Annexe 7.1 : Codex Forster III, 29 ro. 2 Annexe 4.16 : Codex Atlanticus, 543 vo. 3 Annexe 5.18 : Corpus sur les études anatomiques, 49 vo [II].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

15

aurait-il disparu ? Nombreux en effet sont les hommes qui désirent maîtriser un pouvoir si

grand, qui les placerait au-dessus de Dieu et de l’univers. Pour Léonard, se soustraire à la

puissance divine est ainsi pure folie ; il conclut en toute logique que tout élément possède un

corps matériel, et de ce fait il est impossible que la magie, s’appuyant sur des choses

invisibles et immatérielles, existe :

E s’ella non è rimasta infra li omini, essendo a lui tanto necessaria, essa

non fu mai, nè mai è per dovere essere, per la difinizion dello spirito, il

quale è invisibile, incorporeo, e dentro alli elementi non è cose incorporee,

perchè dove non è corpo, è vacuo, e il vacuo non si dà dentro alli elementi,

perchè subito sarebbe dall’elemento riempiuto.

Toujours dans le Corpus sur les études anatomiques1, nous trouvons une note étonnante

mettant en parallèle le travail de de Vinci et celui de Dieu. Léonard s’adresse ainsi de façon

solennelle à l’humanité : s’il est criminel de détruire ses œuvres, qui sont le reflet du travail de

la Nature, il l’est encore plus de détruire la plus divine d’entre elles, l’homme. Pour lui, ceux

qui n’accordent pas de valeur à la vie d’un homme, ne méritent pas de vivre eux-mêmes, la

douleur et les pleurs n’étant pas des signes générés sans raison. Il est intéressant de constater

que Léonard, pourtant ingénieur militaire au service de nombreux hommes de guerres –

Laurent de Médicis, Ludovic Sforza, Cesare Borgia, Julien de Médicis, François Ier – ne

cautionne pas la mort d’être humain, et comme nous le verrons plus tard dans cette étude,

envisage du reste les hommes comme des créatures arrogantes par leur suffisance et leur

bêtise.

Cette filiation entre les œuvres de de Vinci et celles de Dieu est reprise dans deux notes

du Manuscrit A2, composé en 1492, Léonard étant alors âgé de 40 ans. La première réflexion

débute par cette phrase : « Noi per arte possiamo essere detti nipoti a dio », et se poursuit par

une comparaison entre la poésie qui traite de la philosophie morale et la peinture qui traite de

la philosophie naturelle. Léonard assume ainsi que concernant l’art, l’homme est le petit-fils

de Dieu, et la peinture le moyen de figurer les créations divines. Il poursuit cette idée

concernant l’art pictural dans la seconde note en s’appuyant plus encore sur la Nature :

E veramente questa è scientia, e legittima figliuo la di natura, perchè la

pittura è partorita da essa natura.

La peinture est envisagée comme une science, fille légitime de la Nature, puisqu’elle-même

(la peinture) est engendrée par celle-ci (la Nature). Et de conclure cette filiation par l’aspect

divin de cette dernière : « Adunque rettamente la dimanderemo nipote di natura, parente di

dio. »

1 Annexe 4.22 : Corpus sur les études anatomiques, 136 ro [IX]. 2 Annexe 4.1 : Manuscrit A, 99 vo et Annexe 4.2 : Manuscrit A, 100 ro.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

16

Léonard envisage ainsi la peinture comme un art enfanté par la Nature, elle-même

parente de Dieu. Les hommes se doivent alors d’obéir au créateur suprême, en ne cherchant

pas à le remplacer, comme peuvent le faire les nécromants. Au-delà de cette lignée céleste, il

conçoit la Nature comme mère de toute chose, le peintre devant non seulement s’en inspirer

mais aussi tenter de les reproduire. C’est précisément cette imitation des créations naturelles

que nous allons à présent étudier.

2.1.2 IMITER LA NATURE MATRICIELLE

Léonard envisage dès 1490 la publication d’un traité sur la peinture, afin d’enseigner au

plus grand nombre les fruits de ses recherches sur les choses de la Nature, permettant de

dépeindre cette dernière de la façon la plus fidèle possible. Son œuvre manuscrite abonde en

références concernant ce traité, et bien qu’aucune publication ne nous soit parvenue, il

semblerait que Léonard soit malgré tout l’auteur d’un écrit de son vivant, Luca Pacioli y

faisant allusion dans De Divina proportione1.

C’est à l’époque de cette collaboration entre de Vinci et le mathématicien que nous

pouvons relever deux évocations contenues dans le Manuscrit A2 examinant le caractère

imitateur du peintre face à la Nature. Ainsi, Léonard s’interroge : « Qual è meglio, o ritrarre di

naturale o d’antico », faut-il mieux dessiner selon les modèles antiques ou ceux de la Nature ?

Cette question de l’imitation des Anciens est au cœur de la philosophie humaniste des XVe et

XVIe siècle. En effet, la redécouverte des textes des auteurs gréco-romains – notamment

rhétoriques avec Cicéron – mais également la prise de conscience des qualités esthétiques des

ruines peuplant le territoire italien – Leon Battista Alberti en tête – amènent les

contemporains de Léonard à considérer la création artistique et littéraire de l’Antiquité

comme un âge d’or. L’imitation est alors sujette à de nombreuses discussions. Comment

imiter les Anciens sans devenir grotesque ? Paolo Cortesi propose une piste de réflexion,

proche de l’idée de Léonard concernant la filiation : « Similem volo, mi Politiane, non ut

simiam hominis, sed ut filium parentis3. » À ce questionnement ontologique sur la peinture,

Léonard ajoute un point d’ordre technique : « O qual è più fatica, o i proffili o l’ombra o

lumi. », est-ce plus facile de reproduire des profils ou bien l’ombre et la lumière ? Cette

interrogation portant à la fois sur l’aspect concret de choses (le profil) et leur aspect éthéré

(l’ombre et la lumière) canalise à elle seule toute l’ambiguïté de Léonard face à la Nature. De

Vinci s’adonne ainsi à l’étude raisonnée du monde physique afin de découvrir les éléments

invisibles qui le peuplent, dans une volonté toujours affichée de s’approprier les mécanismes

1 « E non de queste satio alopa inextimabile del moto locale dele pcussioni e pesi dele force tutte cioe pesi

accidentali (havendo gia con tutta di ligentia al degno libro de pictura e movimenti humani posto fine) quella con

ogni studio al debito fine attende de condure. », transcription personnelle, Luca Pacioli, De Divine proportione,

Prima, p. 1. 2 Annexe 4.3 : Manuscrit A, 105 vo et Annexe 4.4 : Manuscrit A, 111 vo. 3 « Je veux que la ressemblance, mon cher Politien, soit non pas celle du singe avec l’homme, mais celle du fils

avec son père », trad. Laurent Hersant, Ange Politien, Épîtres, VIII, 17.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

17

de l’univers pour mieux les imiter. Cette énergie créatrice peut se résumer en ces mots :

« Come per tutte vie si può imparare. Questa benigna natura ne provede in modo che per tutto

il mondo tu trovi dove imitare. »

Cette relation entre le peintre et la Nature se retrouve dans une fable présente dans le

Codex Forster1 :

Favole.

Il dipintore disputa e gareggia colla natura.

Il coltello, accidentale armadura, caccia d’all’omo le sua unghie,

armadura naturale.

Lo specchio si groria forte tenendo dentro a sé specchiata la regina e,

partita quella, lo specchio riman vile.

Léonard en quelques lignes restitue ce lien équivoque entre l’artiste, l’homme et la Nature. Le

peintre lutte et rivalise avec la Nature ; l’homme en effet ne peut créer que des choses

artificielles (ici l’exemple du couteau) par rapport aux substances naturelles (ici l’exemple des

ongles). Ainsi, tel un miroir qui a une haute opinion de lui-même lorsqu’il renvoie le reflet

d’une reine, le peintre se considère comme la main de la Nature lorsqu’il reproduit cette

dernière. Pourtant lorsque la reine s’éloigne, le miroir ne renvoie plus aucun reflet, il reprend

alors son état initial, qui n’est point celui d’un créateur, mais d’un simple imitateur.

Ce thème de la reproduction est, pour Léonard, la caractéristique essentielle qui

différencie l’artiste des autres hommes. Ainsi, il discute dans le Corpus sur les études

anatomiques2 des qualités qu’un poète doit avoir afin d’être l’égal du peintre :

Quando il poeta cessa del figurare colle parole quel che in natura è in fatto,

allora il poeta non si fa equale al pittore.

Ce dernier doit figurer aux moyens de mots ce qui existe dans la Nature, de la même manière

que le peintre le fait avec des pinceaux. De Vinci différencie la description de la discussion :

« E se lui parla de’ celi, egli si fa astrologo e filosofo, e teologo parlando delle cose di natura

o di dio. ». Si l’analyse est nécessaire pour s’approprier les choses de la Nature, c’est un

moyen et non pas un but, afin de créer pour le peintre une harmonie pour l’œil comme la

musique pour l’oreille.

La position de Léonard quant à la création artistique est intimement liée à l’exploration

scientifique de l’univers. Nous pouvons ainsi nous demander si à travers l’étude de l’homme

et de la Nature qu’il s’applique à comprendre et reproduire durant toute sa vie, de Vinci ne

s’imagine pas en artiste et savant démiurge :

1 Annexe 4.7 : Codex Forster III, 44 vo. 2 Annexe 4.23 : Corpus sur les études anatomiques, 197 vo [X].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

18

C’est un sentiment véritablement démiurgique qui s’empare du chercheur et

lui donne l’impression intime qu’il ne produit pas seulement une

description du monde mais qu’il participe à sa création même1.

2.1.3 PENSER L’HOMME DANS L’UNIVERS SUBLUNAIRE

Comme nous l’avons déjà évoqué, les manuscrits de Léonard contiennent plusieurs

ouvrages et mentions relatifs à la théorie des correspondances, qui peut se résumer en ces

mots « ce qui est en bas est comme ce qui est en haut; et ce qui est en haut est comme ce qui

est en bas ». En s’intéressant plus particulièrement à la place occupée par l’être humain dans

l’univers, mais aussi aux actions créatrices dont il est l’auteur, de Vinci dépeint l’homme

comme la créature suprême, la plus belle invention de la Nature.

L’ensemble des notes sur l’homme et la Nature se concentrent dans le Corpus sur les

études anatomiques. Léonard est alors âgé de plus de soixante ans, au service de Julien de

Médicis à Rome. Il termine son quatrième traité sur l’anatomie, et envisage la façon de

présenter le fruit de ses recherches, notamment en empruntant l’organisation du monde selon

les principes de Ptolémée dans Cosmographia pour proposer une structure similaire en ce qui

concerne le corps humain :

Ordine del libro. […]

Adunque qui con quindici figure intere ti sarà mostrata la cosmografia del

minor mondo col medesimo ordine che inanzi a me fu fatto da Tolomeo

nella sua cosmografia, e cosi dividero poi quell in membra, come lui divise

il tutto in provincie.2

Il met ainsi en correspondance le microcosme et le macrocosme, les membres du corps

humain se retrouvant dans les provinces du monde. Une autre référence à cette vision

ptolémaïque de l’univers est mentionnée par de Vinci un peu plus haut dans ce manuscrit,

concernant cette fois plus précisément la circulation sanguine :

Anatomia venarum

Qui si farà l’albero delle vene in generale, sì come fe’ Tolomeo l’universale

nella sua Cosmografia, poi si farà le vene di ciascun membro in

particulare, per diversi aspetti.3

Le fait de représenter le système sanguin de l’homme tel la sève parcourant un arbre est une

analogie végétale logique pour l’époque. L’arbre est un symbole particulièrement usité, qui

1 Jean-Marc Levy-Leblond, La science (n’)e(s)t (pas) l’art, Paris, Hermann, 2010, p. 29. 2 Annexe 3.10 : Corpus sur les études anatomiques, 154 ro [II]. 3 Annexe 3.9 : Corpus sur les études anatomiques, 97 ro [I].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

19

renvoie à l’Arbre de la connaissance de la Genèse1, mais aussi à l’arbre en tant que pont entre

les différents niveaux de la réalité : le ciel et la terre, la matière et l’esprit, le sensible et

l’invisible.

Lors d’une longue réflexion sur la langue2, Léonard va justement dériver – à son

habitude – vers des considérations mêlant réalité et métaphysique. Ainsi, il estime que

l’homme est le principal instrument de la Nature, car celle-ci ne s’occupe que de la production

des corps élémentaires, et l’homme utilise ses composants de façon illimitée :

E questo non è in alcuno altro senso, perchè sol s’astendano nelle cose, che

al continuo produce la natura, la qual non varia le ordinarie spezie delle

cose da lei create, come si variano di tempo in tempo le cose create

dall’omo, massimo strumento di natura, perchè la natura sol s’astende alla

produzion de’ semplici ; ma l’omo con tali semplici produce infiniti

composti, ma non ha potestà di creare nessun semplice, se non un altro sè

medesimo, cioè li sua figlioli.

Léonard souligne le fait que l’homme n’a pas le pouvoir de créer des corps naturels hormis

d’autres semblables à lui-même. Il considère alors le travail des alchimistes, qu’il sépare en

deux catégories distinctes. D’une part, il loue l’utilité des inventions que certains alchimistes

ont créées. Nous pouvons trouver un écho pour ce groupe d’alchimistes dans un autre extrait

de ce même manuscrit3 :

Il che non ne interviene nella archimia, la quale è ministratrice de’ semplici

prodotti dalla natura ; il quale ufizio fatto esser non può da essa natura,

perchè in lei non è strumenti organici, colli quali essa possa operare quel

che adopera l’omo (il quale ha moto locale) mendiante le mani, che in tale

ufizio ha fatti e vetri, ecc.

L’alchimiste y est décrit comme la main de la Nature, qui remplit les fonctions qu’elle ne peut

elle-même effectuer, faute de posséder les instruments organiques nécessaires, la création du

verre par l’homme par exemple. D’autre part, Léonard blâme les alchimistes en quête d’une

chimère – créer de l’or – qui n’ont réussi ni fortuitement, ni au moyen d’expériences

délibérées, à créer la moindre chose qui puisse égaler la Nature :

Della quale lor non sono esenti, conciò si ache, con grande studio e

esercitazione, volendo creare non la men nobile produzion di natura, ma la

più eccellente, cioè l’oro, vero figliol del sole, perchè più ch’a altra

1 La Bible, la Genèse, 3, 4-5. 2 Annexe 4.19 : Corpus sur les études anatomiques, 50 vo [I-IV]. 3 Annexe 5.18 : Corpus sur les études anatomiques, 49 vo [II].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

20

creatura a lui s’assomiglia, e nessuna cosa creata è piu eterna… (segue

quel manca di sotto) d’esso oro.

À la lecture de ses propos, nous pouvons déduire que Léonard distingue de fait la chimie de

l’alchimie ; cependant il est important de garder à l’esprit qu’à l’époque le terme alchimie

était employé indifféremment. L’homme ne peut donc qu’imiter les choses de la Nature, et

vouloir prendre la place de cette dernière est une folie. Nous retrouvons néanmoins une fois

de plus l’idée de filiation, la Nature crée l’homme, qui lui-même ne peut créer qu’une seule

chose : son enfant.

Dans une note, toujours contenue dans le Corpus sur les études anatomiques, Léonard

décrit ainsi le processus d’engendrement de la vie chez l’homme, par le biais de la Nature :

Ma vi mette dentro l’anima d’esso corpo componitore, cioè l’anima della

madre che prima conpone nella matrice la figura dell’omo, e al tempo

debito desta l’anima, che di quel deve essere abitotare1.

La Nature met dans les corps, créée dans le ventre de la mère, l’âme de tout être, et l’éveille

en temps voulu pour qu’elle habite le corps qui lui est destiné. L’homme, même s’il a la

possibilité d’engendrer sa progéniture, ne peut le faire que par le biais de la Nature

matricielle. Il est intéressant de remarquer que Léonard conclut cette réflexion de façon

laconique sur la définition de l’âme, laissant le soin aux moines d’en préciser la nature,

puisque ces derniers connaissent tous les mystères par révélation. Et d’ajouter cette phrase

étonnante, qui ne semble avoir été écrite que dans le but de justifier la bonne foi de Léonard

face aux réserves de l’Église : « Lascio star le lettere incoronate, perchè son somma verità. »

Nous constatons que de Vinci envisage donc la question de l’engendrement comme une

filiation hiérarchisée prenant naissance avec Dieu ou l’univers, se déployant par la suite dans

la Nature, qui elle-même crée les hommes en tant qu’instruments capables de repoduire les

autres créations l’entourant. Ce processus est dès lors appréhendé à travers la théorie des

correspondances : ce qui est présent dans le macrocosme se retrouve dans le microcosme,

jusque dans la plus petite unité de vie.

2.2 DÉCOMPOSER LES ÉNERGIES VITALES

Nous avons jusqu’à présent étudié de façon générale la manière dont Léonard envisage

la création, notamment artistique ; intéressons-nous à présent particulièrement aux aspects

physiques et métaphysiques structurant l’univers. Léonard s’applique à identifier les différents

composants présents dans le monde mais aussi dans l’homme, afin de mieux saisir les liens

qui traversent la Nature, en faisant usage à la fois de la sensibilité et de la raison, avant de

constater l’influence incontestable de l’astre solaire sur toutes les choses terrestres.

1 Annexe 4.20 : Corpus sur les études anatomiques, 114 vo [IX-XI].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

21

2.2.1 DISCERNER LES ÉLÉMENTS NATURELS

Dans certaines notes étudiées précédemment, nous avons pris conscience de l’intérêt de

Léonard pour la composition des créations de la Nature. Il accepte l’idée selon laquelle dans

chaque élément, il n’y a aucune chose immatérielle, car où il n’y a pas de corps, il y a vide, et

le vide n’existe pas dans les éléments, car il serait aussitôt comblé par eux1. La question de

l’âme, mais aussi de l’énergie vitale, est ainsi considérée par Léonard comme un principe

organique universel, qui habitent toutes choses créées, inertes comme sensibles.

Ainsi, Léonard s’appuie sur des considérations physiques pour réfuter les arguments des

alchimistes, ces derniers considérant le mercure comme un élément présent dans tous

métaux :

I bugiardi interpitri di natura affermano lo argento vivo essere communa

semenza a tutti i metalli, non si ricordando che la natura varia le semenze

secondo la diversità delle cose che essa vole produrre al mondo2.

Pour de Vinci, la Nature produit au contraire une multitude d’éléments suivant les propriétés

de ses créations, il est donc impossible qu’un élément soit commun à l’ensemble. C’est

pourquoi, dans une note que nous avons déjà étudiée auparavant3, il conseille cyniquement

aux alchimistes qui cherchent à créer de l’or de se rendre plutôt dans une mine pour observer

la Nature à l’œuvre :

La qual fedelmente ti guarirà della tua stoltizia, mostrandoti come nessuna

cosa da te operata nel foco non sarà nessuna di quelle, che natura adoperi

al generare esso oro ; quivi non argento vivo, quivi non zolfo di nessuna

sorte, quivi non foco, nè altro caldo, che quel di natura vivificatrice del

nostro mondo, la qual ti mosterrà le ramificazioni dell’oro sparse per il

lapis, overo azzurro oltramarino, il quale è colore esente dalla potestà del

foco.

La Nature n’utilise ni mercure (vif argent), ni soufre, ni feu pour engendrer l’or, elle utilise

uniquement la chaleur vitale, et dote chaque chose d’une âme, ici végétative, qu’il est

impossible de produire pour l’homme : « e nota che quivi v’è un’anima vegetativa, la qual

non è in tua potestà di generare. ». Ce point concernant l’âme végétative renvoie à la vision

d’Aristote dans De anima4 qui établit une hiérarchie des âmes parmi les êtres vivants : une

âme végétative, qui offre les fonctions de nutrition et de croissance, une âme sensitive, qui

permet de se mouvoir et ressentir, et une âme rationnelle qui habite uniquement l’homme,

capable de raisonner et ainsi devenir meilleur.

1 Annexe 5.18 : Corpus sur les études anatomiques, 49 vo [II]. 2 Annexe 4.14 : Codex Atlanticus, 207 vo. 3 Annexe 4.19 : Corpus sur les études anatomiques, 50 vo [I-IV]. 4 Aristote, De anima, II 3, 414 a 29 – b 19.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

22

C’est précisément cette singularité de l’être humain que Léonard examine dans une note

du Codex Atlanticus1 : « Dov’è vital ì è calore, e dov’è calore vitale, quivi è movimento

d’umori. » ainsi que du Codex Forster2, mentionnant les rapports entre les membres, les

humeurs et la chaleur vitale nécessaires au bon fonctionnement de tout corps :

Ogni corpo è composto di quelli membri e omori, i quali sono necessari al

suo mantenimento. La quale necessiyà è bene conosciuta e a quella

riparato dalla anima che tal forma di corpo a sua abitazione per uno tempo

ha eletta.

Ces deux notes font référence à la théorie des humeurs exposée antérieurement. Léonard

mentionne une fois de plus l’âme, qui comme nous l’avons déjà vu, lors de la procréation3,

choisit la forme corporelle comme lieu temporaire pour habiter ce monde. Afin d’exposer au

mieux le rapport complexe entre les différentes âmes et leurs formes corporelles, nous nous

appuyons sur les recherches de Joseph Moreau4 reprenant les idées de Thomas d’Aquin et sa

définition de l’âme chez l’homme :

L’âme humaine se distingue des âmes animales par sa faculté intellective ;

mais celle-ci ne pouvant s’exercer en nous sans le concours des fonctions

sensitives, il faut que l’âme humaine soit la forme d’un corps vivant, comme

l’âme animale. Seulement, pour être capable d’intellection, pour exercer

une opération où le corps n’a point de part, il faut qu’elle subsiste par soi,

qu’elle puisse exister indépendamment du corps. L’âme intellective est donc

la forme du corps humain, une forme individualisée, en rapport avec un

organisme, mais capable d’exister en dehors de lui ; par là, elle se

distingue des âmes animales, qui sont aussi des formes, des principes

d’action, mais incapables de subsister en dehors d’une matière.

En indiquant que l’âme prend forme de façon temporaire dans un corps, Léonard partage cette

vision d’une âme rationnelle, insufflée par la Nature lors de la procréation, permettant d’user

de la raison et de s’élever en tant qu’homme, avant de retourner à un état originel immatériel.

Nous explorerons plus en détail cette spiritualité de l’âme à travers la philosophie

néoplatonicienne dans les parties suivantes de cette étude.

2.2.2 PÉNÉTRER LES RELATIONS SENSIBLES

La Nature dote toutes les créatures d’une âme, à des degrés différents, selon que sa

création soit végétale, animale ou humaine. Intéressons-nous plus précisément à cet aspect

1 Annexe 4.15 : Codex Atlanticus, 218 ro. 2 Annexe 4.6 : Codex Forster III, 38 ro. 3 Annexe 4.20 : Corpus sur les études anatomiques, 114 vo [IX-XI]. 4 Joseph Moreau, « L'homme et son âme, selon saint Thomas d'Aquin » in Revue Philosophique de Louvain,

quatrième série, tome 74, n°21, Louvain, 1976, p. 11-12.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

23

rationnel de l’âme. Léonard donne des pistes de réflexions pour comprendre comment

l’homme perçoit et conçoit le monde sensible, et par quels moyens il saisit les subtilités

naturelles présentes dans le monde.

De Vinci rappelle tout d’abord que rien ne naît là où il n’y a ni vie sensitive, végétative

ou rationnelle dans une note du Codex Leicester1 : « Nessuna cosa nasce in loco, dove non sia

vita sensitiva, (intelletiva), vegetativa e razionale. ». Son propos n’a rien d’étonnant après ce

que nous venons d’exposer ci-dessus. Deux autres mentions cependant, présentes dans le

Codex Trivulzio, sont plus mystérieuses quant à leurs significations : « Ogni nostra

cognizione prencipia da’ sentimenti »2 et « I sensi sono terresti, la ragione sta for di quelli

quando contempla3. » Léonard déclare que la raison vient des sentiments, qu’elle est

contemplative, là où les sens sont eux terrestres. Cette approche concorde avec les principes

exposés par Thomas d’Aquin. De Vinci considère ainsi que la raison est une qualité éthérée,

puisqu’issue de l’âme rationnelle chez l’homme, là où le corps sensible n’est qu’une forme

temporaire accueillant cette âme. Contrairement à ce qu’il prétend, Léonard s’intéresse bien à

la nature de l’âme, et ne laisse pas uniquement cette prérogative aux moines.

De Vinci cependant s’attache plus à l’aspect rationnelle que spirituelle de l’âme, qui

permet à l’homme d’observer et de comprendre la Nature créatrice. Ainsi, nous retrouvons

dans le Codex Atlanticus4 cette mention : « Nessuno effeto è in natura sanza ragione, intendi

la ragione e non ti bisogna sperienza. » Pour Léonard, il n’y a pas d’effet sans cause dans la

Nature, et si l’on comprend la cause alors l’expérience devient inutile. Il est étonnant de

trouver une telle note de la part de Léonard, pourtant fervent défenseur de l’expérience,

laquelle expérience repose principalement sur ce même principe de cause à effet. Qu’entend-il

donc par cela ? Sans apporter de réponse à cette question, nous pouvons malgré tout émettre

une hypothèse en remarquant que de Vinci attache de l’importance au fait que la Nature

choisit toujours le plus court chemin pour arriver à ses fins. En effet, nous retrouvons par

deux fois des allusions à ce concept dans le Codex Arundel, « Ogni azione facta dalla natura è

fatta nel più brieve modo » 5 et « Data la causa, la natura opera l’effetto nel più breve modo

che operar si possa » 6, ainsi qu’une fois dans le Corpus sur les études anatomiques, « Ogni

azione di natura è fatta per la più brieve via ch’è possibile7. ». Léonard suggèrerait-il qu’en

observant la Nature, qui n’utilise aucun artifice pour fonctionner, l’homme en quête de

connaissances doit plutôt chercher à comprendre les mécanismes simples du monde et non

prouver par des théories et expériences complexes des intuitions empiriques ? Nous

1 Annexe 4.10 : Codex Leicester, 34 ro. 2 Annexe 6.2 : Codex Trivulzio, 20 vo. 3 Annexe 4.9 : Codex Trivulzio, 33 ro. 4 Annexe 6.12 : Codex Atlanticus, 398 vo. 5 Annexe 4.12 : Codex Arundel, 85 vo. 6 Annexe 4.13 : Codex Arundel, 174 vo. 7 Annexe 4.21 : Corpus sur les études anatomiques, 117 vo [I].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

24

approfondirons plus en détails les idées de Léonard sur l’expérience plus en avant dans cette

étude.

2.2.3 RECONNAITRE LA PUISSANCE SOLAIRE

C’est en utilisant ce processus de compréhension pour les choses de la Nature que

Léonard relève plusieurs observations concernant le Soleil, particulièrement son rapport avec

la terre, sa place dans l’univers et son effet sur les créatures vivantes.

De Vinci ainsi remarque, en 1508, dans une note du Manuscrit F1 que la terre n’est pas

au centre du cercle du Soleil, ni au centre de l’univers, mais au milieu des éléments qui

l’accompagnent et lui sont unis :

Come la terra non è nel mezzo del cerchio del sole, né nel mezzo del mondo,

ma è ben nel mezzo de’ sua elementi, compagni e uniti con lei, e chi stessi

nella luna, quand’ella insieme col sole è sotto a noi, questa nost[r]a terra

coll’elemento dell’acqua parrebbe e farebbe offizio tal qual fa la luna a noi.

Cette vision non géocentrique de l’univers est en opposition avec les théories astronomiques

de l’époque, qui s’appuient sur Aristote et Ptolémée. En effet, selon les partisans du

géocentrisme, la Terre est immobile au centre de l’univers, et que toutes les planètes et étoiles

effectuent des mouvements concentriques autour de celle-ci. Il est intéressant de noter que

Nicolas Copernic, qui propose une version héliocentrique de l’univers dans son ouvrage De

revolutionibus orbium coelestium2 publié au milieu du XVIe siècle, voyage en Italie lorsque

Léonard écrit cette note. Il n’est pas impossible que ce dernier ait eu connaissance des idées

novatrices de ce jeune étudiant polonais, au moment où il effectuait lui-même des

observations remettant en cause le géocentrisme de son temps.

De la même façon, de Vinci considère les rayons du Soleil et la façon dont la chaleur

générée par l’astre solaire arrive jusque sur terre :

Tu vedi il sole quando si trova nel mezzo del nostro emisperio e essere le

spezie della sua forma per tutte le parte dove si dimostra, vedi essere le

spezie del suo splendore in tutti quelli medesimi lochi, e ancora vi

s’aggiugne la similitudine della potenza del calore, e tutte queste potenzie

discendano dalla sua causa per linie radiose, nate nel suo corpo e finite ne

li obbietti oppachi sanza diminuizione di sé. La tramontana sta

continuamente colla similitudine della sua potenzia astesa e incorpora non

che ne’ corpi rari, ma d’ densi, transparenti e oppachi, e non diminuis[c]e

però di sua figura3.

1 Annexe 4.11 : Manuscrit F, 41 vo. 2 Nicolas Copernic, De revolutionibus orbium coelestium, Nuremberg, J. Petreium, 1543. 3 Annexe 4.17 : Codex Atlanticus, 729 vo.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

25

Il compare les rayons du Soleil au vent qui souffle continuellement, avec la même puissance,

de façon immatérielle. Pour Léonard, la chaleur, qui est un élément vital pour les créatures

vivantes, ne perd pas de sa puissance solaire lorsqu’elle atteint les choses de ce monde.

Ces considérations sur le Soleil et son pouvoir générateur prennent une importance

encore plus forte dans une note intitulée « Lalde del sole » dans le Manuscrit F1. Dans une

démonstration étonnante, Léonard commence par blâmer les Anciens, parmi lesquels Épicure

et Socrate, pour n’avoir pas su reconnaître la grandeur de l’astre solaire, ainsi que ceux qui

mettent le culte des hommes au-dessus du Soleil, qu’il considère comme le plus important et

puissant corps de l’univers :

Ma io vorrei avere vocaboli che mi servissino a biasimare quelli che vollon

laldare più lo adorare li omini che tal sole, non vendento nell’universo

corpo di maggiore magnitudine e virtù di quello.

Pour de Vinci, tous les principes vitaux procèdent du Soleil, puisqu’ils sont générés par la

chaleur et la lumière qui découlent de l’astre solaire. De ce fait, adorer les hommes est une

erreur, car un homme, aussi grand soit-il, n’en reste pas moins qu’un point dans l’univers, qui

plus est mortel :

E certo costoro che han voluto adorare omini per iddei, come Giove,

Saturno, Marte e simili, han fatto grandissimo errore vedendo che ancora

che l’omo fussi grande quanto il nostro mondo, che parrabbe simile a una

minima stella la qual pare un punto nell’universo, e ancora vedendo essi

omini mortali e putridi e curruttubili nelle lor sepolture.

Et comme pour appuyer son argumentation, Léonard conclut en faisant référence à des

ouvrages dans lesquels le Soleil est selon lui loué : La Sfera2 et Liber hymnonum3. Cette

louange au Soleil est proche de la philosophie hermétique ; nous retrouvons ainsi dans le traité

hermétique XVI Définitions d’Asclépius au roi Ammon4 une vision semblable de l’astre

solaire :

Le Soleil […] diffuse sans arrêt sa lumière et ainsi continue-t-il

indéfiniment à créer la vie sans jamais s’interrompre quant au lieu et quant

à la production […]. C’est le Soleil qui lie ensemble le ciel et la terre5.

Nous pouvons même pousser plus loin cette réflexion quant à la façon d’envisager l’univers

de Léonard, en s’appuyant sur notre démonstration concernant la filiation entre Dieu, père de

1 Annexe 3.3 : Manuscrit F, 5 ro et 4 vo. 2 Leonardo et Gregorio Dati, La Sfera, 1478. 3 Michel Tarcaniota (Marullo), Liber hymnorum, 1497. 4 Lodovico Lazzarelli, Définitions d’Asclépius au roi Ammon, 1507. 5 Eugenio Garin, Hermétisme et Renaissance, Paris, Allia, 2001, p. 36.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

26

la Nature, elle-même mère de toutes choses, y compris de l’homme qui en est la main. Nous

retrouvons toujours dans le texte de Lazzarelli la conclusion suivante :

C’est pourquoi […] Dieu est le père de toutes choses, le Soleil est le

créateur, et le monde est l’instrument de cette action créatrice. […] Et de

même que Dieu n’a pas de fin, son activité créatrice n’a pas non plus ni de

commencement ni de fin1.

L’étude de notes contenues dans les manuscrits de Léonard laisse ainsi penser que ce dernier

envisage non seulement l’univers mais également la création de manière ésotérique, dans une

démarche hermétique. L’âme est en effet présente en toute chose en tant que principe

organique universel, une âme rationnelle habite l’être humain de façon temporaire, lui

permettant de pacourir le monde sensible. Tout comme l’âme est insufflée dans toute chose

par la Nature, le Soleil déploie par ses rayons les principes vitaux sur terre, et cela de façon

irrémédiable. En nous penchant sur l’aspect éternel, « ni de commencement ni de fin », nous

allons à présent analyser la façon dont Léonard appréhende le temps.

2.3 PERCEVOIR LES DIMENSIONS TEMPORELLES

Au XVe siècle, la doctrine chrétienne demeure la référence en termes d’exposés

cosmogonique et eschatologique, la Genèse représentant Dieu créateur du monde et

l’Apocalypse selon Saint-Jean décrivant la fin des temps. Le temps est ainsi envisagé avant

tout comme une histoire de l’humanité, ponctuée de récits mythologiques, et les

correspondances avec la réalité physique ne sont pas si importantes, puisque le temps fait

partie d’un mystère, d’une révélation divine. Les notes contenues dans l’œuvre manuscrite de

Léonard témoignent de l’interêt de ce dernier pour les dimensions temporelles, au-delà des

dogmes de l’Église. Il s’interroge sur les qualités du temps, à travers la perception du passé,

mais également en considérant ses ramifications dans le futur, ce qui l’amène à réfléchir à la

place de toute créature dans la nature cyclique du temps.

2.3.1 DÉCOUVRIR QUE LE MONDE A ÉTÉ ET SERA

C’est en se penchant sur les traces du passé que de Vinci approche la notion de

distanciation dans le temps. Nous avons déjà remarqué que Léonard se passionne pour

l’Histoire en parcourant ses inventaires ; pour lui le passé permet de mieux appréhender le

présent, mais également de réfléchir sur le processus même de perception des choses passées

dans un temps présent.

Ainsi, nous trouvons cette note sous forme de maxime dans le Corpus Atlanticus2 : « La

gognizion del tempo pretert[t]o e del sito della terra è ornamento e cibo delle menti umane. »

Il est intéressant de s’attarder sur les différents termes de cette phrase. Léonard considère la

1 Ibid., p. 37-38. 2 Annexe 7.16 : Codex Atlanticus, 1040 vo.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

27

connaissance du temps passé mais également celle de la position de la terre, dans une

conception du temps tout aussi linéaire qu’universelle. C’est pour lui à la fois un ornement et

une nourriture pour l’esprit humain. Nous retrouvons ici deux aspects qui suivent un

cheminement logique, sans pour autant l’être systématique : une connaissance peut embellir

l’esprit mais ne pas permettre à ce dernier de s’en imprégner afin de se développer. Léonard

prolonge sa réflexion sur les traces du passé dans une observation contenue dans le Codex

Leicester1 :

Perché molto son più antiche le cose che le lettere, non è maraviglia, se alli

nostri giorni non apparisce sc[r]iptura delli predetti (co) mari essere

occupatori di tanti pa(esi, e se tu)[esi], e se pure alcuna scrittura apparia,

le guerre, l’incendi, le mutazioni delle lingue e delle leggi, li diluvi

dell’acque ànno consumato ogni antichità, ma a noi basta le testimonanzie

delle cose nate nelle acque salse rit[r]ovarsi nelli alti monti, lontani dalli

mari talor.

De Vinci postule que les choses du passé sont bien plus anciennes que l’écriture, et que par

conséquent, il est normal de ne trouver aucune mention des mers ayant recouvert les terres

durant les siècles passés. Si de telles archives avaient existé, les aléas du temps auraient de

toute façon fait disparaitre toute trace, la sauvegarde d’un patrimoine aussi ancien étant

impossible pour Léonard. Il s’appuie alors sur les preuves matérielles pour étayer cette

théorie, puisque, dit-il, il suffit de s’arrêter sur les indices laissés dans les hautes montagnes,

où l’on retrouve des coquillages qui n’ont pu être déposés en ces lieux que par les mers de

l’ancien temps.

Cette conception du temps passé perceptible dans le temps présent est un sujet d’étude

qui intéresse Léonard. Il affirme ainsi dans le Codex Atlanticus2 que notre jugement n’évalue

pas dans l’ordre exact les choses qui se sont passées à des périodes différentes :

Il giudizio nostro non giudica le cose fatte in varie distanzie di tempo nelle

debite e proprie lor distanzie, perché molte cose passate di molti anni

parranno propinque e vicine al presente, e molto cose vicine parranno

antiche, insierne coll’antichità della nostra gioventù. E così fa l’occhio

indra le cose distanti, che, per essere alluminate dal sole, paiano vicine

all’occhio, e molto cose vicine paiano distanti.

En effet, des événements qui se sont produits il y a des années semblent toucher au présent, et

inversement, des événements plus récents paraissent remonter à une époque plus lointaine.

Cette élasticité du temps dans la façon dont l’homme se remémore les choses du passé est

1 Annexe 7.6 : Codex Leicester, 31 ro. 2 Annexe 7.10 : Codex Atlanticus, 81 vo.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

28

approfondie dans une autre note de ce manuscrit1 où Léonard reproche aux hommes leurs

lamentations sur la fuite du temps :

A torto si lamentan li omini della fuga del tempo, incolpando quello di

troppa velocità, non s’accorgendo quello esser di bastevole transito, ma

bona memoria, di che la natura ci ha dotati, ci fa che ogni cosa lungamente

passata ci pare essere presente.

Pour de Vinci, accuser le temps d’être trop rapide est un tort, car sa durée est suffisante ;

parce que l’homme se remémore les choses passées, il a l’impression qu’elles deviennent

présentes, et ainsi accélère le cours du temps. Il estime par conséquent qu’il y a une différence

entre le temps vécu et le temps physique.

Dans une des pages étonnantes du Codex Trivulzio2, couvertes de suites de mots ne

faisant pas forcément sens, nous pouvons discerner les deux définitions suivantes :

Scientia – notitia delle cose che sono possibili, presenti e preterite ;

prescientia – notitia delle cose che possin venire.

Ce manuscrit accompagna les deux dernières décennies de la vie de Léonard, qui envisage ici

la science et la prescience comme les deux aspects complémentaires des choses possibles à

travers le temps : la science en tant que connaissance des choses possibles passées et

présentes, la préscience comme connaissance des choses possibles à venir. De Vinci considère

ainsi le temps d’un point de vue à la fois scientifique et philosophique. C’est toute l’ambiguïté

inhérente à ce double caractère de l’espace-temps que nous allons à présent examiner.

2.3.2 PRENDRE CONSCIENCE DE LA NATURE DU TEMPS

Léonard s’interroge sur la façon dont l’homme perçoit le temps, et utilise pour cela des

analogies ou bien des notions physiques pour saisir les qualités temporelles. Cependant, il a

conscience que les outils à sa disposition sont limités pour sonder l’abstraction d’un tel

concept.

Ainsi dans le Codex Trivulzio3, nous retrouvons une série de réflexions menées par de

Vinci sur le temps, dont la principale compare le présent à un fleuve, l’eau que l’on touche

étant la dernière des ondes écoulées et la première à venir :

Punto non è parte di linia.

L’acqua che tocchi de’ fiumi è l’ultima di quella che andò, e la prima di

quella che viene. Così il tempo presente.

1 Annexe 7.12 : Codex Atlanticus, 207 ro. 2 Annexe 4.8 : Codex Trivulzio, 17 vo. 3 Annexe 7.5 : Codex Trivulzio, 34 vo.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

29

La vita bene spesa lunga è.

Cette analogie aquatique est encadrée par deux remarques : la première d’ordre mathématique

« Le point ne fait pas partie de la ligne » et la seconde telle une maxime « Bien remplie, la vie

est longue ». Ce double intérêt du temps pour Léonard se retrouve dans l’ensemble de son

œuvre manuscrite : il s’agit de comprendre la nature humaine aujourd’hui en utilisant ses

connaissances, afin de vivre une existence la plus vertueuse possible et laisser une trace

honorable dans le futur. Nous reviendrons en détails sur ces préoccupations de de Vinci dans

la partie suivante de notre étude. Léonard se questionne également sur le temps à travers

l’observation de la lumière dans le Manuscrit F1. Ainsi, il remarque que lorsqu’on cligne des

yeux, ce que l’on voit n’était pas là avant, et ce qu’on voyait n’y est plus :

Guarda il lume e considera la sua bellezza. Batti l’occhio e riguardalo. Ciò

che di lui tu vedi, prima non era, e ciò che di lui era, più non è. Chi è quel

che lo rifà, se ‘l fattore al continuo more ?

Il se demande alors qui donc renouvelle cette lumière, si celui qui l’a faite meurt

continuellement.

Les considérations de Léonard sur la nature du temps aboutissent à une note contenue

dans le Codex Atlanticus2, qui résume à elle seule toutes les implications temporelles, tant

d’un point de vue linéaire qu’universel :

Infra les cose grandi che infra noi si trovano, l’essere del nulla è

grandissima. Questo risiede nel tempo e distende le sue membra nel

preterito e futuro, co’ le quali occupa tutte l’opere passate e che hanno a

venire, sì di natura come delli animali, e niente possiede dello indivisibile

presente. Questo non s’astende sopra l’essenzia d’alcuna cosa.

De Vinci émet l’hypothèse que de toutes les choses qui se trouvent parmi nous, l’existence du

néant est la plus grande, et qu’elle réside dans le temps, qui prolonge ses membres dans le

passé et dans l’avenir. Cependant le néant ne possède rien du présent indivisible et n’atteint

pas l’essence même des choses. Cette remarque très dense quant aux concepts développés

peut être mise en parallèle avec une autre mention du temps dans le Codex Arundel3 où

Léonard note qu’il doit écrire sur la qualité du temps qui est différente de la géométrie :

« Scrivi la qualità del tenpo separata dalla geometrica. » Ces deux remarques proposent une

réflexion sur la relativité du temps, et Léonard envisage probablement une géométrie non

euclidienne4 pour expliquer l’espace-temps. En effet, Léonard considère le néant comme

1 Annexe 7.7 : Manuscrit F, 49 vo. 2 Annexe 7.17 : Codex Atlanticus, 1109 ro (b). 3 Annexe 7.8 : Codex Arundel, 176 ro. 4 « L'intérêt de l'étude de ces géométries est que nous ne pouvons déterminer si l'Univers dans lequel nous vivons

est fait d'un type de géométrie plutôt que d'un autre car étant donné notre taille (physique), plongés que nous

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

30

axiome temporel, le néant étant l’absence d’existence, différent du vide qui est l’absence de

matière dans un espace défini. C’est pourquoi il précise que le temps n’a pas de prise sur

l’essence même des choses, puisqu’il considère l’âme de toutes choses comme un élément

organique originel, comme nous avons déjà pu le constater précédemment dans cette étude1. Il

estime en outre le présent indivisible, semblable comme nous l’avons vu à un point sur une

ligne, ou à une main qui touche l’eau à un moment donné.

Léonard pense de fait le temps comme une notion abstraite, à la fois science et

préscience, dans laquelle la Nature évolue, et ses créations avec. C’est cette idée de continuité

du temps que nous allons à présent développer en considérant l’éternel recommencement de la

vie et de la mort.

2.3.3 ACCEPTER LE CERCLE DE LA VIE

Après avoir décomposé les énergies vitales et pris conscience de la qualité du temps,

Léonard accepte logiquement le caractère cyclique de la vie, dans une vision somme toute

organique des créatures peuplant ce monde.

Ainsi, nous trouvons dans le Codex Atlanticus2 cette note qui condense tous les

concepts que nous avons pu aborder jusqu’à présent :

Ogni cosa vien da ogni cosa e d’ogni cosa si fa ogni cosa e ogni cosa torna

in ogni cosa, perchè ciò ch’é nelli elementi, è fatto da essi elementi.

Pour Léonard, toute chose naît de toute chose, et toute chose se fait de toute chose, et toute

chose redevient toute chose, parce que tout ce qui existe dans les éléments est composé de ces

éléments. De Vinci adopte une vision du monde atomiste, qui n’est pas sans rappeler la

pensée de Démocrite, philosophe grec matérialiste de l’ère Présocratique :

Si tout corps est divisible à l'infini, de deux choses l'une : ou il ne restera

rien, ou il restera quelque chose. Dans le premier cas, la matière n'aurait

qu'une existence virtuelle, dans le second cas on se pose la question : que

reste-t-il ? La réponse la plus logique, c'est l'existence d'éléments réels,

indivisibles et insécables appelés donc atomes3.

sommes dans quelque géométrie que ce soit à faible courbure, toute surface de l'espace nous semble localement

euclidienne (deux droites parallèles ne se coupent pas). Cependant, la relativité générale […] montre qu'il existe

des zones de l'espace où la géométrie est très fortement courbée et donc localement non-euclidienne […]. »,

Vincent Isoz, « Géométries non euclidiennes » in Sciences.ch (date de dernière consultation 15/05/2015),

http://www.sciences.ch/htmlfr/geometrie/geometreisnoneuclidiennes01.php. 1 Annexe 5.18 : Corpus sur les études anatomiques, 49 vo [II]. 2 Annexe 4.18 : Codex Atlanticus, 1067 ro. 3 Référence non connue (Wikipedia).

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

31

Léonard poursuit sa réflexion quant à cet aspect matériel des éléments constituant toute chose

dans deux remarques ayant trait à la mort des créatures. Ainsi dans le Manuscrit H1, composé

entre 1493 et 1494, de Vinci considère que nous tirons notre vie de la mort d’autrui :

Facciàno nostra vita coll’altrui morte.

In nella cosa morta riman vita dissensata, la quale ricongiunta alli stomaci

de’ vivi ripiglia vita sensitiva e ‘ntellettiva.

Il poursuit en explicitant son propos : dans la matière inerte, une vie insensible existe et,

assimilée par l’estomac des vivants, elle reprend la vie des sens et de l’intellect. Nous

retrouvons ici l’intérêt à la fois scientifique et philosophique de Léonard concernant l’être

humain, à la fois matière organique et vaisseau de l’âme. De Vinci s’évertuera durant toute sa

vie à comprendre les mécanismes du corps humain, comme en témoigne les nombreux traités

sur l’anatomie qui nous sont parvenus2. Il faut noter qu’à une époque où la dissection des

corps humains était une pratique encore marginale, Léonard brave les condamnations morales

pour mieux comprendre la machine humaine. Ainsi Charles Nicholl explicite dans Léonard de

Vinci biographie3 les idées qui entourent cette pratique à l’époque de de Vinci :

La dissection restait toutefois une activité contreversée. Elle était autorisée

sous licence mais continuait de susciter rumeurs et superstitions, et d’être

aisément associée à la « magie noire », aux pratiques et recettes occultes

du Moyen Âge.

Nous pouvons comprendre cette note dans le Codex Atlanticus4 comme une allusion à ce

travail d’anatomiste, lorsque de Vinci observe que l’homme et les animaux ne sont qu’un

canal à aliments, qui entretiennent leur vie grâce à la mort d’autrui :

L’omo e li animali sono propi[o] transito e condotto di cibo, sepoltura

d’animali, albergo de’ morti, facendo a s évita dell’altrui morte, guaina di

corruzione.

Le ton de cette remarque est cependant sombre, « sépulture pour d’autres animaux »,

« auberge de morts », « graine de corruption » ; pouvons-nous voir ici ce que Léonard sous-

entendait déjà dans une note précédente5 à propos des hommes qui n’accordent pas

d’importance à la vie des autres ? Nous retrouvons un certain fatalisme dans une autre

mention du Codex Atlanticus6 : « Quando io crederò imparare a vivere, e io imparerò a

1 Annexe 4.5 : Manuscrit H, 89 vo. 2 Annexe 1 : Dessins et manuscrits (Royal Library, Windsor). 3 Charles Nicholl, Léonard de Vinci biographie, Arles, Actes Sud, 2006, p. 499. 4 Annexe 4.14 : Codex Atlanticus, 207 vo. 5 Annexe 4.22 : Corpus sur les études anatomiques, 136 ro [IX]. 6 Annexe 7.15 : Codex Atlanticus, 680 ro.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

32

morire. » De Vinci constate qu’alors qu’il croyait apprendre à vivre, il apprenait de fait à

mourir. Cette réflexion sur la nature humaine, et le passage du temps, nous amène à nous

questionner sur la façon dont Léonard envisage de remplir au mieux cette vie, qui n’est qu’un

passage temporaire pour l’âme en ce monde.

À travers la lecture de son œuvre manuscrite, nous découvrons un peintre scientifique,

un philosophe savant, un Léonard démiurge qui cherche à percer les mécanismes de l’univers

pour mieux les imiter. Il est certain que de Vinci envisage les traditions hermétiques comme

un moyen d’accéder pleinement à la compréhension des choses de ce monde, visibles et

invisibles. Nous pouvons pousser notre réflexion plus loin en nous demandant si cette quête

obsessionnelle de la vérité et du savoir ne représente pas pour de Vinci une façon de

transcender son enveloppe temporaire, et charnelle, vers une forme sublimée, et intengible, de

celle-ci. Ainsi nous conclurons cette partie par une autre citation de Paul Vulliaud :

La seule réflexion que j’exprimerai au sujet des critiques faites sur

Léonard, c’est que le côté scientifique de ce grand homme est apprécié avec

exagération, je veux dire au détriment de sa pensée philosophique,

religieuse et esthétique1.

Sans remettre en cause les qualités scientifiques et picturales de Léonard, nous considérons

également que les œuvres passées à la postérité ne révèlent qu’en partie l’immense originalité

protéiforme de de Vinci. En se penchant sur l’étude spécifique de ses manuscrits, et son

œuvre scripturale, comme nous l’avons fait dans le cadre de cette étude, nous prenons

réellement conscience de l’importance des concepts philosophiques et religieux dans son

mode de pensée. C’est ce que nous allons à présent étudier en nous appuyant principalement

sur les doctrines philosophiques issues de Platon et ses commentateurs Plotin et Proclus.

1 Paul Vulliaud, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci, Paris, Grasset, 1910, p. 70.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

33

3. SUBLIMER LE MONDE POUR MIEUX L’HABITER

Tout comme pour la partie précédente de cette étude, c’est par une citation que nous

souhaitons commencer celle-ci :

La vie et la vérité d’une doctrine sont avant tout par une pure et simple

nécessité historique, réductibles à celles de ses traces, c’est-à-dire à la

vérité et à l’histoire des textes qui l’ont fait vivre.

Cette remarque de Bertrand Schefer1 nous rappelle à quel point l’œuvre manuscrite de

Léonard est une source inestimable pour comprendre la pensée de ce dernier. L’écriture

prolifique de de Vinci nous a laissé les traces d’un homme versé tant dans la recherche d’une

compréhension du monde physique que métaphysique, le visible pour saisir l’invisible. C’est

pourquoi en examinant les propos de Léonard, nous pouvons reconnaître les idées d’autres

avant lui, particulièrement développées dans les philosophies néoplatoniciennes : faire preuve

d’esprit critique à travers la Vérité, être en quête de connaissance à travers le Bon, devenir

meilleur par le savoir à travers le Beau.

3.1 FAIRE PREUVE D’ESPRIT CRITIQUE

Dans l’œuvre manuscrite de Léonard, nous découvrons un grand nombre de remarques

mettant en avant l’importance de la vérité. Sous différentes formes, de Vinci traite du

mensonge en blâmant notamment les imposteurs qui abusent des esprits faibles. Il met

également en garde les esprits raffinés contre les erreurs de jugements qui les détournent de

leur quête de compréhension du monde.

3.1.1 FUIR LES MENSONGES

Nous retrouvons dans l’œuvre manuscrite de Léonard de nombreuses références à la

vérité et au mensonge, sous forme de maximes ou bien de développements plus longs. La

vérité touche tous les domaines pour de Vinci, aussi bien le temps, que l’homme, le savoir et

même Dieu.

Le rapport de Léonard au temps est complexe, comme nous avons pu l’étudier, et

lorsqu’il inclut les notions de vrai et faux aux dimensions temporelles, c’est toujours de façon

très laconique. Ainsi, nous distinguons dans le Manuscrit M2, composé en 1515, la maxime

suivante : « La verità sola fu figliola del tempo. » Nous reconnaissons ici une fois de plus

l’intérêt de Léonard pour la filiation entre les choses de la Nature, lorsqu’il déclare que seule

la vérité fut fille du temps. De Vinci est alors dans ses dernières années de vie, et cette

maxime sonne comme un conseil donné par un sage aux générations futures. Afin de mieux

comprendre cet intérêt de Léonard pour les choses vraies, nous pouvons nous appuyer sur

1 Bertrand Schefer, « Avant-propos » in Hermétisme et Renaissance, Eugenio Garin, Paris, Allia, 2001, p. 10. 2 Annexe 5.9 : Manuscrit M, 58 vo.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

34

l’allégorie de la caverne présente dans la République1 de Platon. En effet, ce dernier dans un

dialogue entre Socrate et Glaucon dépeint des hommes enchaînés dans une caverne, qui ne

peuvent percevoir des objets qu’à travers les ombres projetés sur les murs de celle-ci. Après

avoir expliqué les difficultés rencontrées par celui qui se libère de ses chaînes pour

contempler la réalité des choses, Socrate conclut ainsi :

Pour moi, telle est mon opinion : dans le monde intelligible, l’idée du Bien

est perçue la dernière et avec peine, mais on ne peut la percevoir sans

conclure qu’elle est la cause de tout ce qu’il y a de droit et de beau en toute

chose ; qu’elle a, dans le monde visible, engendré la lumière et le seigneur

de la lumière ; que, dans le monde intelligible, c’est elle-même qui est

souveraine et dispense la vérité et l’intelligence ; et qu’il faut la voir pour

se conduire avec sagesse dans la vie privée et dans la vie publique. (…) Ne

t’étonne pas que ceux qui se sont élevés à ces hauteurs ne veuillent plus

s’occuper des affaires humaines, et que leurs âmes aspirent sans cesse à

demeurer là-haut.

Nous retrouvons ici des éléments importants dans la vie de de Vinci, qui jalonnent l’ensemble

de son œuvre manuscrite : la vérité, l’intelligence, la sagesse. Cette préoccupation de Léonard

pour les choses vraies est décelable relativement tôt, dès 1493, dans le Manuscrit H2, avec ces

réflexions décousues dont il a l’habitude :

La memoria de’ beni fatti appresso l’i[n]gratitudine è fragile.

Reprendi l’amico in segreto e laldalo in palese.

Chi teme i pericoli, non perisce per quagli. Non esserre bugiardo del

preterito.

Dans cette suite de pensées, de Vinci expose que la mémoire de ce qui est bien fait sans

gratitude est fragile, et continue en conseillant de reprendre un ami en secret mais de le louer

en public, avant de conclure que ceux qui craignent les dangers, ne périront pas par ces

derniers, et qu’il ne faut pas mentir sur le passé. Beaucoup de périphrases qui révèlent

l’agitation de Léonard concernant les relations humaines, le manque de reconnaissance, et le

mensonge.

Cette inquiétude est exprimée de différentes façons dans le Manuscrit F, écrit en 1508, à

travers deux mentions, la première sur la couverture même du carnet3 :

Persona nuda che calpesta lingue ( ?)

1 Platon, République, VII, 514a-517c. 2 Annexe 5.2 : Manuscrit H, 16 vo. 3 Annexe 5.5 : Manuscrit F, II cop ro.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

35

La verità fa qui che la bugia affrigge le lingue bugiarde.

De Vinci propose ainsi cette phrase énigmatique, « personne nue qui piétine les langues ( ?) »

suivie de la constatation suivante non moins obscure : « La vérité fait qu’ici le mensonge

affecte les langues menteuses ». Est-ce une étude pour un emblème ? Un avertissement quant

au contenu de ce carnet ? Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses sur la nature de ce

discours. Nous retrouvons une autre mention d’étude dans un des manuscrits conservé à la

Royal Library de Windsor1. Nous y percevons les différentes étapes de réflexion de Léonard

quant à l’élaboration probable d’un emblème :

Vertià Il sole

Bugia Maschera

Innocentia

Malignità

Il foco distrugie la bugia, cioè il sofistico, e rende la verità, scacciando le

tenebre. Il foco è da essere messo per consumatore d’ogni sofistico e

scopritore e dimostratore di verità, perchè lui è luce, scacciatore delle

tenebre occultatrici d’ogni essentia.

Il foco destrugie ogni soffistico cioè lo ingano, e sol mantiene la verità cioè

l’oro. La verità al fine non si cela.

Non val simulatione. Simulatione è frustrata avanti a tanto giudice. La

bugia mette maschera. Nulla occulta sotto il sole.

Il foco è messo per la verità, perchè destrugge ogni soffistico e bugia, e la

maschera per la falsità e bugia, - ocultatrice del vero.

Il est intéressant de s’arrêter sur cette suite d’idées. Nous voyons qu’à partir de six mots :

vérité, mensonge, innocence, malignité, Soleil, masque, Léonard essaye de composer une

maxime, et s’y reprend à plusieurs fois, pour proposer diverses tournures. En reprenant le

contenu sémantique de ces différents essais, nous pouvons arriver à la conclusion suivante : la

vérité est symbolisée par le feu, le mensonge est symbolisé par le masque, la vérité détruit les

le mensonge, tout comme la lumière détruit les ténèbres, ainsi en est-il du Soleil. Nous

pouvons distinguer ici un symbolisme proche des traditions ésotériques, la quête de la vérité

est au cœur des préoccupations de celui qui cherche à s’élever vers une meilleure

compréhension de la Nature :

1 Annexe 5.3 : Études sur les proportions du corps humain, II a.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

36

C’est ainsi une démarche : la mise en mouvement individuelle d’une

recherche de la Vérité, qui en réalité ne sera que celle, pour chacun, de

« sa propre vérité », ell-même partielle et jamais atteinte1.

Léonard ne s’intéresserait-il pas finalement à la supériorité de la Vérité sur toutes autres

choses dans cette optique ?

En revenant au Manuscrit F2, nous découvrons une autre mention ayant trait au

mensonge, comparant cette fois l’homme et l’animal :

L’uomo ha grande discorso, del quale la più parte è vano e falso ; li

animali l’hanno piccolo ma è utile e vero, e meglio è la piccola certezza che

la gran bugia.

Léonard annonce que l’homme a une grande puissance de parole, en majeure partie vaine et

fausse, tandis que les animaux en ont peu, mais ce peu est utile et vrai, et de conclure alors

qu’il vaut mieux une chose petite et certaine qu’un grand mensonge. Nous décelons ici ce que

nous analyserons plus en détail dans la suite de cette étude concernant le pouvoir de la parole

et la crédulité des faibles d’esprit face aux imposteurs. Léonard ne s’attache pas à la quantité,

mais à la qualité des propos. Cette constance quant à l’importance de la vérité se retrouvait

déjà quelques années auparavant, en 1505, dans le Codex sur le vol des oiseaux3 :

Ed è tanto vilipendio la bugi ache s’ella dicessi be[n] gran cose di Dio, ella

to’ di grazia a sua deità ; ed è di tanta eccellenzia la verità che s’ella

laldassi cose minime, elle si fanno nobili.

Pour Léonard, le mensonge est d’une abjection telle, que même en l’utilisant pour célébrer les

œuvres de Dieu, il serait une offense à sa divinité ; à l’inverse, la vérité est d’une excellence

telle que si elle loue la moindre chose, celle-ci s’en trouve ennoblie. De Vinci poursuit en

blâmant ceux qui se répandent en discours redondants faits de sophismes et de faussetés :

Perchè la mente nostra, ancora ch’ell’abbia la bugia pel quinto elemento,

no[n] resta però che la verità delle cose non sia di sommo notrimento delli

intelletti fini, ma non di vagabundi ingegni.

De Vinci considère que notre esprit a fait du mensonge le cinquième élément, mais que la

vérité des choses est le nutriment essentiel des intellects raffinés, à l’inverse des esprits qui

errent. Et de conclure ainsi envers ces esprits :

1 Jean-Marc Font, Comprendre l’ésotérisme, Paris, Eyrolles, 2008, p. 441/3338 (Version numérique). 2 Annexe 5.8 : Manuscrit F, 96 vo. 3 Annexe 5.4 : Codex sur le vol des oiseaux, 11 ro.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

37

Ma tu che vivi di sogni, ti piace più la ragion soffistiche e barerie de’

pa[r]lari nelle cose grandi e incerte, che delle certe, naturali e non di tanta

altura.

Ce reproche adressé à celui qui vit dans les songes, et préfère parler des choses grandes et

incertaines par sophismes plutôt que de ce qui est naturel et moins grand de façon certaine se

retrouve dans divers écrits de de Vinci, particulièrement à partir de 1508. C’est ce que nous

allons étudier à présent.

3.1.2 DÉCELER LES IMPOSTEURS

La vérité est une qualité indispensable à l’entendement pour Léonard, elle se pose en

adversaire du mensonge et des sophismes. De Vinci distingue ainsi plusieurs types

d’imposteurs dont l’esprit raffiné doit se méfier, notamment les manipulateurs de la réalité.

En feuilletant le Manuscrit F1, nous découvrons qu’il se pose en défenseur de la vérité

avec la remarque suivante :

E molti fecen bottega con inganni e miraculi finti ingannando la stolta

moltitudine, e se nessun si s[c]opria cognoscitore de’ loro inganni, essi gli

puniano.

En effet, Léonard déclare que nombreux sont ceux qui en faisant commerce de supercheries et

miracles simulés, duperaient la multitude insensée et en imposeraient à tous, si personne ne

dénonçait leur subterfuges. De Vinci s’en prend de façon virulente aux imposteurs qui

profitent de la crédulité des esprits faibles pour s’enrichir, et considère comme un devoir de

révéler les mensonges de ces derniers. Ainsi, dans le Corpus sur les études anatomiques2, il

conseille d’éviter les médecins et leurs remèdes pour garder la santé :

E ingegnati di conservare la sanità, la qual cosa tanto più si riuscirà

quanto più da’ fisici ti guarderai, perché le sue composizione son di speczie

d’archimia, della qual non è men numero di libri ch’esista di medicina.

Pour lui, leurs compositions sont une sorte d’alchimie pour laquelle il n’existe pas moins de

livres que de médecines. Il faut rappeler qu’à cette époque, beaucoup de charlatans

fabriquaient des onguents ou des drogues dans le seul but de vendre leur production à des

esprits crédules, sans aucune garantie de résultat quant à la maladie, sans parler de la toxicité

possible pour le corps humain. Cette notion d’enrichissement personnel est dénoncée

également dans une autre remarque de ce manuscrit3 où Léonard affirme que les choses

mentales qui ne sont pas passées par la compréhension sont vaines et ne donnent naissance

1 Annexe 5.6 : Manuscrit F, 5 vo. 2 Annexe 5.20 : Corpus sur les études anatomiques, 136 ro [X]. 3 Annexe 5.19 : Corpus sur les études anatomiques, 113 ro [X].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

38

qu’à une vérité nuisible ; semblables discours dérivent de l’indigence de l’intellect, et ceux

qui les tiennent sont toujours pauvres, et s’ils sont nés riches, mourront pauvres dans leur

vieillesse. De Vinci s’appuie alors sur la Nature pour argumenter son propos :

Perché pare che la natura si vendichi con quelli che voglio far miraculi ; -

abbi <n>men che li altri omini più quieti. E quelli che vogliono arricchirsi

‘n un dì ; vivi nel lungo tempo in gran povertà, come interviene e interverrà

in etterno alli alchimisti, cercatori di creare oro e argento, e all’ingegnieri

che vogliono che l’acqua morta dia vita motiva a se medesima con continuo

moto.

E al sommo stolto negromante e incantatore.

La Nature, dit-il, se venge de ceux qui veulent faire des miracles, et il donne alors en exemple

les alchimistes qui prétendent créer l’or et l’argent, les nécromants et les incantateurs, mais

aussi les ingénieurs qui cherchent à percer le secret du mouvement perpétuel. Léonard se

considère différent de ces imposteurs, qui contrairement à lui, n’essayent pas de comprendre

la Nature pour l’imiter, mais tentent de la dominer.

Ainsi de Vinci développe plus en détail cet aspect de l’esprit humain face à la Nature

dans une note de ce même manuscrit1 :

O stoltizia umana ! Non t’avvedi tu che tu se’ stato con teco tutta la tua età

e non hai ancora notizia di quella cos ache tu più possiedi, cioè della tua

pazzia ? E volli poi con la moltitudine de’ sofistichi ingannare te e altri,

splezzando le matematiche scienze nella qual si contiene la vera notizia

delle cose che in loro si contengano. O voi poi scorrere n’ miracoli e

scrivere e dar notizia di quelle cose di che la mente umana non è capace e

non si posso<n>dimostrare per nessuno esemplo naturale ?

Léonard s’attarde sur la bêtise humaine, qui est cause de folie, les hommes préférant mépriser

les sciences mathématiques, qui renferment la vérité et la connaissance de toutes choses, au

profit des sophistes et de leurs miracles, qui écrivent sur des choses fausses, ne pouvant être

prouvées en s’appuyant sur l’exemple de la Nature.

Nous remarquons que pour Léonard, la Nature est toujours la base de toute recherche de

savoirs, et que les théories qui ne se fondent pas sur les choses naturelles sont vouées au

mensonge pour de Vinci. C’est ainsi qu’il met en garde contre les raisonnements fallacieux

des esprits soit disant raffinés.

1 Annexe 5.23 : Corpus sur les études anatomiques, 173 ro [IV].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

39

3.1.3 DISCERNER LES JUGEMENTS ERRONÉES

Léonard reconnaît différents types d’individus qui font fausse route quant à l’acquisition

de savoirs, des abréviateurs d’œuvres aux savants en quête de chimères.

Ainsi, dans le Corpus sur les études anatomiques1, de Vinci s’en prend aux abréviateurs

qui nuisent non seulement au savoir mais à l’amour, puisque l’amour de toute chose est le

fruit de la connaissance de cette dernière, et l’amour grandit au fur et à mesure que la

connaissance croît :

La qual certessa nasce dalla cognizione integrale di tutte quelle pa<r>te le

quali essendo insieme unite compongano il tutto di quella coe che debbono

essere amate. Che vale a quel che per abbreviare le parte di quelle cose che

lui fa professione di darne integral notizia, che lui lasci indirieto la

maggior parte delle cose di che il tutto è composto ?

Léonard se demande alors quel est l’intérêt de celui qui abrège les choses qu’il prétend

détailler quand il laisse de côté l’essence même de ce qui compose ces choses. Nous

retrouvons ici l’attachement de de Vinci à la vérité – et non à la dissimulation, qui va de pair

avec le mensonge. Pour lui, l’impatience est mère de stupidité, et c’est dans une comparaison

mêlant à la fois science et philosophie que Léonard conclut cette observation :

Egli è vero che la impazienzia, madre della stoltizia, è quella che lalda la

brevità, come se questi tali non avessino tanto di vit ache li servissi a potere

avere una intera notizia d’un sol particulare, come è un corpo umano. E poi

vogliano abracciare la menti di dio, nella quale s’include l’universo,

caratando e minuzzando quella in infinite parte come se l’avessino a

natomizzare

Vouloir connaître les choses à travers les abréviateurs équivaut pour de Vinci à vouloir

comprendre l’esprit de Dieu dans lequel l’univers réside, sans commencer par s’intéresser à

une partie plus infime de celui-ci, comme le corps humain par exemple. Toujours dans ce

même manuscrit2, Léonard estime que les propos des auteurs vulgarisant les connaissances ne

sont que douceurs aux oreilles pour mieux endormir l’audience, puisque les choses

démontrables sont visibles par l’œil et n’ont point besoin de discours verbeux :

O scrittore, con quali lettere scriverai tu con tal perfezione la intera

figurazione qual fa qui il disegno ? Il quale tu, per non avere notizia, scrivi

confuso e lasci poca cognizione delle vere figure delle cose, la quale tu,

ingannandoti, ti fai credere poter saddisfare appieno all’ulditore, avendo a

parlare di figurazione di qualunche cosa corporea circundato da superfizie.

1 Ibid. 2 Annexe 5.21 : Corpus sur les études anatomiques, 162 ro [V].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

40

Ma io ti ricordo che tu non t’impacci colle parole se non di parlare con

ordbi, o, se pur tu voi dimostrar con parole alli orecchi e non all’occhi delli

omini, parla di cose di sustanzie o di nature e non t’impacciare di cose

appartenenti all occhi col farle passare per il orecchi, perché sarai

superato di gram lunga dall’opera del pittore.

Ainsi de Vinci considère que celui qui manie les lettres en écrivant à profusion ne fait que

brouiller l’esprit de son public et que le recours à l’expérience est la voie la plus brève et

certaine pour convaincre de la vérité d’une chose :

Con quali lettere descriverai questo core che tu empia un libroe, quanto più

lungamente scriverai alla minuta, tanto più confonderai la mente dello

ulditore e sempre arai bisogno d’isponitori o di titornare alla sperienza, la

quale in voi è brevissima e dà notizia di poche cose rispetto al tutto del

subbietto di che desideri integral notizia.

Ce plaidoyer en faveur de l’expérience, seule détentrice de la vérité des choses de la Nature,

va se retrouver dans l’ensemble de l’œuvre manuscrite de Léonard. Il prend soin cependant de

mettre en garde les savants en quête du savoir véritable contre les mésusages de l’expérience

dans différentes notes du Codex Atlanticus.

Ainsi, en feuilletant le manuscrit1, nous découvrons une réflexion de de Vinci déclarant

que celui qui attend de l’expérience ce qu’elle ne possède pas dit adieu à la raison : « Chi si

promette dalla sperienzia quel che non è in lei, si discosta dalla ragione. » Cette idée est

développée dans une autre page du Codex2 où Léonard affirme que l’expérience n’est jamais

en défaut, seul l’est notre jugement, qui attend d’elle des choses étrangères à son pouvoir :

A torto si lamentan li omini della isperienza, la quale con somme rampogne

quella accusano esser fallace. Ma lasciano stare essa sperienza e voltate

tale lamentazione contro alla vostra ignoranza, la quale vi fa transcorrere

co’ vostri vani e instolti desideri a impromettervi di quella cose che non

sono in sua potenzia.

Pour Léonard, les hommes se plaignent à tort de l’innocente expérience, qu’ils accusent de

mensonge et de démonstration fallacieuse, alors que c’est du fait de leur ignorance et de leurs

désirs vains et insensés qu’ils attendent d’elle des choses qu’elle ne peut pas faire. De Vinci

donne ainsi en exemple sur cette même page3 la façon dont un raisonnement doit être mis en

œuvre pour le bon déroulement d’une expérience :

1 Annexe 6.16 : Codex Atlanticus, 820 ro. 2 Annexe 5.15 : Codex Atlanticus, 417 ro (côté droit). 3 Annexe 5.14 : Codex Atlanticus, 417 ro (côté gauche).

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

41

La sperienza non falla mai, ma sol fallano i vostri giudizi promenttendosi di

quella effetto tale che in e nostri experimenti causati non son. Perché, dato

un principio, è necessario che ciò che siguita di quello, è vera conseguenza

di tal principio, se già non fussi impedito, e se pur seguita alcuno

impedimento, l’effetto che doveva seguire del predetto principio, participa

tanto più o meno del detto impedimento, quanto esso impedimento è più o

men potente del già detto principio.

Léonard explique qu’étant donné un principe, il faut que sa conséquence en découle

naturellement à moins d’un empêchement. Dès lors, si ce principe est affecté par une

influence contraire, l’effet qui devrait résulter de ce principe procédera de cette influence

contraire. Il avertit donc les expérimentateurs des dangers d’un jugement erroné, qui vouerait

à l’échec dès le départ les résultats d’une expérience donnée. C’est pourquoi, nous retrouvons

sur un autre page du manuscrit1 des conseils concernant l’utilisation d’instruments lors

d’expérimentation :

Quando voi fare un effetto per istrumento, non ti allungare in confusione di

molti membri, ma cerca il più brieve modo, e non fare come quelli che, non

sapiendo dire una cosa per lo suo proprio vocabulo, vanno per via di

circuizione e per molte lunghezze confuse.

Pour le de Vinci, il ne faut pas compliquer les choses en ayant recours à des moyens

subsidiaires, mais procéder le plus brièvement possible. Et de blâmer une fois de plus les

personnes qui utilisent des propos confus pour masquer leur ignorance des choses. Léonard

envisage donc l’expérience comme le meilleur moyen de comprendre la Nature ; tout comme

cette dernière, elle doit emprunter le chemin le plus court pour démontrer son action, et

surtout prendre appui sur le savoir et la raison, et non pas les jugements erronés.

C’est un Léonard insurgé que nous dévoile son œuvre manuscrite, s’opposant

systématiquement aux manipulateurs et aux esprits qui troublent les plus faibles par des

propos fallacieux. De Vinci abhorre le mensonge et revendique la Vérité en toute chose, car

elle seule peut permettre d’arriver à la compréhension du monde.

3.2 ÊTRE EN QUÊTE DE CONNAISSANCE

Le dessein qui émane de l’ensemble de l’œuvre manuscrite de Léonard peut finalement

se résumer en ces mots : atteindre un niveau de connaissance tel que les mécanismes de la

Nature n’aient plus aucun secret. Cependant, une certaine éthique est nécessaire pour arriver à

cette compréhension suprême : seul celui qui fera preuve de probité intellectuelle, observera

des préceptes vertueux et usera de la raison pourra parvenir à percer les principes de l’univers.

1 Annexe 6.13 : Codex Atlanticus, 549 vo.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

42

3.2.1 LOUER LA PROBITÉ INTELLECTUELLE

Léonard non seulement condamne les menteurs, imposteurs, abréviateurs et esprits

faibles, mais il fait valoir son parcours autodidacte comme garantie de son intégrité, car en

s’appuyant sur l’expérience et non la parole, lui seul est digne de confiance.

Ainsi, nous lisons dans le Codex Atlanticus1, un Léonard qui se considère comme

« homme sans lettres », reconnaissant que ce manque d’éducation peut amener certains à

considérer qu’il n’a aucune légitimité quant aux choses qu’il avance :

So bene che per non essere io litterato, che alcuno presuntuoso gli parrà

ragionevolmente poterni biasimare coll’allegare io essere omo sanza

lettere. Gente stolta ! […] Diranno che, per non avere io lettere, non potere

ben dire quello di che voglio trattare. Or non sanno questi che le mie cose

son più da esser tratte dalla sperenzia che d’altrui parola, la quale fu

maestra di chi bene scrisse, e così per maest[r]a la piglio e quella in tutt’i

casi allegherò.

De Vinci annonce que ce n’est pas avec des paroles qu’il souhaite comprendre le monde mais

avec l’expérience, et que cette dernière est la maîtresse de ceux qui savent bien écrire ; c’est

pourquoi elle sera sa source d’inspiration qu’il citera à chaque fois. Léonard poursuit son

engagement pour la droiture intellectuelle dans une autre page du manuscrit2 où il remet en

cause le fait d’invoquer des auteurs au cours d’une discussion. Cela ne constitue pas selon lui

une preuve d’intellect mais simplement de mémoire :

Chi disputa allegando l’alturità, non adopera lo ‘ngegno ma più tosto la

memoria.

Le buone lettere so’ nate da un bono naturale, e perché si de’ più laldare la

cagion che l’effetto, più lalderai un bon naturale sanza lettere, che un bon

litterato sanza naturale.

Il continue en déclarant que la bonne littérature a pour auteurs des hommes doués d’intégrité

naturelle, et qu’il vaut mieux accorder des louanges à l’homme probe mais peu lettré qu’à

celui qui manie les lettres mais est dénué de probité. Nous pouvons remarquer une certaine

amertume de la part de Léonard dans ces deux notes. Il est probable que malgré l’ardeur avec

laquelle il s’est forgé une éducation de façon autonome, son esprit curieux et novateur lui ait

valu des critiques de la part de la communauté intellectuelle et scientifique de l’époque. Nous

saisissons ainsi, toujours dans le Codex Atlanticus3, d’autres observations acerbes où Léonard

1 Annexe 6.11 : Codex Atlanticus, 327 vo. 2 Annexe 5.10 : Codex Atlanticus, 207 ro. 3 Annexe 5.12 : Codex Atlanticus, 323 ro.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

43

considère qu’il n’est pas apprécié à sa juste valeur, et que les honneurs sont donnés à ceux qui

ne les méritent pas :

Se bene como loro non sapessi allegare gli altori, molto maggiore e più

degna cosa allegherò allengando la sperienza, maestra ai loro maestri.

Costoro vanno sconfiati e pomposi, vestiti e ornati non delle loro, ma delle

altrui fatiche e le mie a me medesimo non concedano. E se me inventore

dispresseranno, quanto maggiormente loro, non inventori ma trombetti e

recitatori delle altrui opere, [p]otranno essere biasimati.

Ainsi, il avoue son incapacité à citer d’autres auteurs, comme eux savent le faire, mais il

estime qu’il peut s’appuyer sur une chose bien plus grande et digne, l’expérience, qui est elle-

même la maîtresse des Anciens. Léonard juge en effet qu’il est méprisé en tant qu’inventeur

par ceux qui récoltent les fruits du travail mené par d’autres, et que ces derniers méritent de ce

fait bien plus de mépris que lui. Nous avons des traces de l’incompréhension que de Vinci

suscite à l’époque dans une correspondance entre Pietro da Novellara et Isabelle d’Este, en

date du 3 avril 1501. Celui-ci peut ainsi écrire à cette dernière :

La vie de Léonard […] est fortement instable et irrésolue [varia et

indeterminata], à tel point qu’il semble vivre au jour le jour1.

Dans le Corpus sur les études anatomiques2, nous remarquons une note ayant trait, une

fois encore, à l’homme vertueux qui mérite honneurs, ce dont le plus grand nombre n’a pas

conscience, et qui se retrouve alors obligé de fuir la fourberie en se réfugiant dans une caverne

ou en devenant ermite :

E se alcuno ne se trova vertuoso e bono, nollo scacciate da voi, fàtteli

onore, acciò che non abbia a fuggirsi da voi e ridursi nelli er<e>mi o

spelonche, o altri lochi soletari, per fuggirsi dalle vostre insidie.

S’ensuit une digression étonnante sur la religion, où de Vinci compare ces hommes vertueux à

des saints descendus sur terre, qui méritent statues et images, mais précise-t-il, ces images ne

doivent pas être ingérées, comme c’est le cas dans certaines parties de l’Inde. Léonard décrit

alors en détail cette pratique spirituelle, et termine sa démonstration en questionnant de telles

croyances :

Che ti pare, omo, qui della tua spezie ? Se’ tu così savio come tu ti tieni ?

Son queste cose da esser fatte da omini ?

1 Charles Nicholl, Léonard de Vinci biographie, Arles, Actes Sud, 2006, p. 395. 2 Annexe 5.22 : Corpus sur les études anatomiques, 173 ro [III].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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« Que penses-tu alors, homme, de ta propre espèce ? Es-tu aussi sage que tu penses l’être ?

Ces pratiques ont-elles leur place parmi les hommes ? » De Vinci blâme ici la crédulité de

personnes faibles d’esprit, qui pensent recevoir le savoir et la vertu en ingérant une image

bénie. Nous pouvons cependant nous demander si cette réflexion ne peut être élargie à la

manière dont Léonard envisage le savoir acquis par l’expérience par rapport au dogme

religieux de manière générale. Nous revenons ainsi à la République1 où Platon, avec

l’analogie de la ligne, sépare le visible de l’invisible. Dans le monde visible se trouvent les

images et les objets qu’elles représentent, dans le monde invisible se trouvent les originaux du

monde visibles, qu’on peut atteindre par hypothèses, afin de conduire aux Formes. Les

Formes sont des réalités immatérielles et immuables, demeurant éternellement identiques à

elles-mêmes, universelles et intelligibles ; contrairement aux choses sensibles, dont la réalité

est changeante, les Formes sont l’unique et vraie réalité : ce sont les véritables objets de la

définition de la connaissance.

Ainsi, pour Léonard, l’homme vertueux, l’homme probe, ne laisse pas son esprit

s’ouvrir aux mensonges et sottises professés par d’autres, et suit plutôt ses propres principes

qui le mènent sur la voie du savoir universel. À travers ce discours, ne pouvons-nous pas

envisager que de Vinci soit en quête des Formes décrites par Platon ?

3.2.2 SUIVRE LES PRÉCEPTES VERTUEUX

Léonard s’élève contre ceux qui ne font pas usage de leur intelligence dans la

compréhension des choses de la Nature, mais donne également des recommandations pour

mieux suivre les principes que tout sage à la recherche de connaissances devrait observer.

Nous retrouvons dès 1490 dans le Manuscrit B2 un conseil que Léonard doit

probablement suivre : « Fuggi i precetti di quelli speculatori, che le loro ragioni non son

confermate dalla isperienza. » Une fois encore, de Vinci recommande de fuir les préceptes des

spéculateurs dont les arguments ne sont pas confirmés par l’expérience. Dans le Manuscrit F3,

il s’en prend également aux commentateurs qui blâment les anciens inventeurs, auxquels nous

sommes redevables des grammaires et des sciences :

Contro alcun commentatori che biasiman li antichi inventori, donde

nasceron le gramatiche e le scienze e fansi cavalieri contro alli morti

inventori, e perché essi non han trovato da farsi inventori per la piegrizia, e

come di ta[n]ti libri attendano al continuo con falsi argumenti a riprendere

li lor maestri.

1 Platon, République, VI, 509d-510c. 2 Annexe 5.1 : Manuscrit B, 4 vo. 3 Annexe 5.7 : Manuscrit F, 27 vo.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

45

Pourquoi, par paresse, n’ont-ils pas réussi à se faire eux-même inventeurs, se demande alors

Léonard, eux qui préfèrent s’appliquer à confondre leurs maîtres au moyen d’arguments

fallacieux.

Concernant les auteurs du passé, Léonard adopte en effet une attitude pragmatique,

comme nous pouvons le découvrir dans le Manuscrit F1 et le Codex Atlanticus2. Il n’hésite pas

à défendre l’opinion de Platon concernant la nature des éléments, contre les commentateurs

qui critiquent cette théorie, à l’aide non seulement d’arguments mais bien entendu

d’expériences :

Della figura delli elementi, e prima contro a chi niega l’oppennione di

Platone, che dicano che se essi elementi vestissin l’un l’altro colle figure

che mette Platone, che si causerebbe vacuo in fra l’uno e l’altro. Il [ch]e

non è vero e qui lo provo, ma prima bisogna proporre alcuna conclusione.

Mais il reconnaît également les lacunes des Anciens, à propos de la nature de l’âme et de la

vie par exemple, qui sont des choses improuvables pour Léonard :

Or guarda, lettore, quello che noi potremo credere ai nostri antichi, i quali

hanno voluto difinire che cosa s[ia] [a]nima e vita, cose improvabili,

q[uando] quelle che con isperienzia ognora si possano chiaramente

conoscere e provare, sono per tanti seculi ignorate e falsamente credute.

L’occhio, che così chiaramente fa sperenzia del suo ofizio, è insino ai mia

tempi per infiniti altori stato difilato in un modo, troco per isperienzia

essere ‘n un atltro.

Il rappelle ainsi que les choses qui peuvent être connues et prouvées clairement grâce à

l’expérience sont restées inconnues durant tant de siècles ; ce n’est pas parce qu’une chose est

longuement dissertée que cela la rend vraie pour autant, seule l’expérience peut montrer la

véritable nature des éléments.

Nous remarquons dans le Codex Forster3, un autre conseil à suivre de la part de

Léonard : « Fuggi quello studio del quale la resultante opera more insieme coll’operante

d’essa. » De Vinci engage ainsi à fuir l’étude qui donne naissance à une œuvre appelée à

mourir en même temps que son ouvrier. Léonard, non dénué d’humour, écrit également des

recommandations sous forme de jeux d’esprit, comme nous pouvons le remarquer dans le

Codex Atlanticus4. Sous la forme d’une maxime, une note fait ainsi mention du nom de

Giovanni da Lodi, peintre italien, contemporain de Léonard :

1 Annexe 3.4 : Manuscrit F, 27 ro. 2 Annexe 5.13 : Codex Atlanticus, 327 vo. 3 Annexe 7.2 : Codex Forster III, 55 ro. 4 Annexe 6.9 : Codex Atlanticus, 207 vo (marge gauche).

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

46

Se tu volli insegnare a uno una cosa che tu non sappia, falli misurare la

lunghezza d’une cosa a te incognita e lui saprà la misura che tu prima non

sapevi. Maestro Giovanni da Lodi.

La solution suivante est proposée : si l’on veut enseigner un sujet qu’on ne connait pas soi-

même, il suffit de laisser la personne mesurer la longueur d’un objet inconnu, et celle-ci

apprendra alors quelque chose qu’on ne connaissait pas avant elle. Le fait que le nom de

Giovanni da Lodi jouxte ce trait d’humour suggère que Léonard a probablement usé de cette

technique sur son contemporain.

Léonard propose de suivre des vertus intellectuelles en faisant usage de l’intelligence, la

sagesse et la science, adossées à l’expérience, qui seule permet de mettre en pratique la

recherche de la vérité des choses du monde.

3.2.3 FAIRE USAGE DE LA RAISON

Léonard donne des conseils quant à l’entendement pour acquérir le savoir des choses de

la Nature. Ainsi il met en garde, dans le Codex Atlanticus1, contre une certaine attitude vis-à-

vis des choses qu’on ne comprend pas :

Male se laldi e peggio se riprendi, la cosa dico, se bene tu nolla intendi.

[…]

Mal fai se laldi e pegg’è istu riprendi – la cosa quando bene tu nolla

‘ntendi.

Pour de Vinci, c’est en effet un mal que de louer, mais pire encore de reprendre, une chose à

laquelle on ne comprend rien. Une fois de plus, il est probable qu’ici Léonard tire ce constat

amer de ce qu’il observa lui-même auprès de la communauté scientifique. Il développe cette

idée dans une note du Manuscrit G2, à la fin de sa vie :

O speculatore delle cose, non ti laldare di conoscere le cose che

ordinariamente per se medesima la natura conduce, ma rallegratti di

conoscere il fine di quelle cose che son disegnate dalla mente tua.

Il s’adresse aux spéculateurs des choses de la Nature, et leur rappelle que dans la quête d’une

meilleure compréhension du monde, l’essentiel est dans la façon dont l’esprit s’interroge sur

la Nature pour mieux l’étudier, et non dans la connaissance des processus effectués

d’ordinaire par celle-ci. Dans une autre note du Codex Atlanticus3, Léonard donne un

avertissement à l’inverse à tous ceux qui cherchent à atteindre un savoir absolu :

1 Annexe 5.11 : Codex Atlanticus, 207 vo. 2 Annexe 6.6 : Manuscrit G, 47 ro. 3 Annexe 6.8 : Codex Atlanticus, 112 ro (a).

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

47

La somma filicità sarà somma cagione della infilicità, e la perfezio[n] della

sapienza cagion della stoltizia.

Ainsi, pour de Vinci, le bonheur suprême sera la plus grande cause de misère, et la perfection

de la sapience une occasion de folie. Nous pouvons nous demander si Léonard à travers ces

mots ne s’adresse pas à lui-même, dans sa quête de connaissance des choses de la Nature ;

afin de l’imiter au plus près, il est amené à étudier tous les domaines de la philosophie

naturelle mais également des techniques et des sciences. Fait-il le constat que sa poursuite du

bonheur absolu à travers un savoir toujours plus grand ne le mène qu’à une vie de solitude et

d’incompréhension par ses contemporains ?

Cette obsession pour la connaissance se ressent dans une autre page du Codex1, où

Léonard commence une démonstration par l’observation suivante : « Naturalmente li omini

boni disiderano sapere. […] » Cette phrase insistant sur le caractère naturel du désir

d’apprendre pour les hommes bons, nous amène à considérer une fois de plus les

enseignements de Platon. Ainsi dans le Banquet2, le discours de Diotime souligne

l’importance du Bien :

Le principe général est le suivant : toute aspiration vers le bien et vers le

bonheur, voilà ce que qu’est l’Amour tout-puissant et plein de ruses. […]

Tant il est vrai que l’être humain n’aime rien d’autre que le bien.

Platon joue sur les notions de Bon et de Bien, en glissant de l’idée que lorsque nous désirons

une chose, nous ne pouvons la vouloir que « bonne », à l’affirmaton plus théorique que nous

désirons « le bon », c’est-à-dire le bien. Ainsi pour Léonard, l’acquisition d’une connaissance,

quelle qu’elle soit, est toujours profitable à l’intellect, parce qu’elle lui permet de bannir

l’inutile et de conserver le bon :

L’acquisto di qualunche cognizione è sempre utile allo intelletto, perché

potrà scacciare da sè le cose inutile e riservare le buone.

Perché nessuna cosa si può amare né odiare, se prima non si ha cognizion

di quella3.

Et de préciser qu’on ne saurait rien aimer ou haïr qui ne soit d’abord connu. Nous retrouvons

cette notion d’Amour déjà abordée par de Vinci lors de ses remarques sur les abréviateurs

d’œuvre4, qui empêchent ce dernier de croître au fur et à mesure des connaissances acquises.

Là encore, ce concept peut être croisé avec celui développé par Platon dans Le Banquet,

comme le révèle le discours de Diotime. Au-delà du désir premier qui est sensible, la

1 Annexe 6.11 : Codex Atlanticus, 327 vo. 2 Platon, Le Banquet, 205d-206a. 3 Annexe 6.14 : Codex Atlanticus, 616 vo. 4 Annexe 5.23 : Corpus sur les études anatomiques, 173 ro [IV].

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

48

conception platonicienne de l’Amour s’apparente à la simple volonté abstraite de posséder

quelque chose sans rien de charnel et sentimental, un élan d’ordre purement intellectuel, dont

la sublimation réside dans le plus haut degré de l’intelligible : les Formes. C’est pourquoi

pour Léonard il est important de conserver un esprit vigoureux, toujours en quête de nouveaux

savoirs, afin d’atteindre un état de connaissance toujours plus proche de l’idéal de l’âme :

Sì come il ferro s’arrigginisce sanza esercizio e l’acqua si putrefa o nel

freddo s’addiaccia, così lo ‘ngegno sanza esercizio si guasta1.

À travers une comparaison des choses de la Nature, de Vinci rappelle que l’inaction sape la

vigueur de l’esprit, de la même façon que le fer se rouille faute d’utilisation, ou que l’eau

stagnante perd de sa pureté.

Pour Léonard, cette quête de connaissance, cette poursuite de la Vérité, est donc

possible pour les hommes qui recherchent avant tout ce qui est Bon. Grâce à l’Amour du

savoir, ces hommes peuvent évoluer vers une compréhension globale de l’univers, la

contemplation de l’intelligible : les Formes.

3.3 DEVENIR MEILLEUR PAR LE SAVOIR

Nous avons pu saisir dans l’ensemble de cette étude l’importance accordée par Léonard

à l’expérience, qui est pour lui le seul moyen de réellement comprendre les mécanismes de la

Nature. C’est en analysant l’influence des mathématiques dans la pensée de de Vinci, que

nous pourrons envisager plus précisement son œuvre : l’expérience est un moyen pour lui non

seulement de s’élever vers le savoir suprême, mais aussi de laisser une trace dans la mémoire

des hommes.

3.3.1 S’APPUYER SUR L’EXACTITUDE MATHÉMATIQUE

Pour Léonard, il faut non seulement déceler les mensonges et faire usage de la raison,

mais également s’appuyer sur les mathématiques pour confirmer tout raisonnement.

Rappelons l’importance dans la bibliothèque de de Vinci des ouvrages consacrés aux

mathématiques, et sa collaboration avec son ami Luca Pacioli à l’ouvrage De Divina

Proportione.

Nous retrouvons ainsi dans le Manuscrit G2 le principe suivant :

Nessuna certezza delle scienzie è dove non si po applicare una delle

scienzie matematiche, ovver che non sono unite con esse matematiche.

De Vinci déclare que là où l’on ne peut appliquer aucune des sciences mathématiques, ni

aucune de celles qui sont basées sur ces dernières, il n’est point de certitude. Nous pouvons

probablement considérer que Léonard envisage les mathématiques dans la continuité des

1 Annexe 6.15 : Codex Atlanticus, 785 vo (b). 2 Annexe 6.7 : Manuscrit G, 96 vo.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

49

Anciens ; cet extrait d’une réflexion de David Rabouin sur la « mathématique universelle »1 à

propos du Prologue de Proclus pourrait convenir à la vision de de Vinci :

[…] tout savoir et tout niveau de réalité doivent se comprendre à partir

d’un rapport un-multiple ; une connaissance des choses divisibles n’est

donc pas possible sans une connaissance première et unifiante des

indivisés, en l’occurrence la science des Formes [F 9.11-15]. Ce schéma de

subordination des sciences « particulières » aux sciences « les plus

générales » assure de droit l’existence d’une théorie unitaire des

mathématiques, au-dessus des mathématiques particulières et en dessous de

la science de l’être en tant qu’être […] [F 9.20-21].

Cette vision néoplatonicienne trouve ses racines dans le Parmenide de Platon où le philosophe

présente une théorie de l’unicité de l’être à travers diverses hypothèses. Les commentateurs de

Platon s’inspirent de cette théorie pour développer une compréhension du monde faisant

intervenir différents ordres. Ainsi Plotin expose dans les Ennéades trois niveaux de réalité

distinctes, appelées hypostases : l’Un est le principe suprême n’ayant besoin d’aucun autre

principe d’ordre supérieur pour exister (assimilé au Bien), l’Intellect dérive de l’Un et

contient tout le monde intelligible (assimilé aux Formes), l’Âme découle de l’Intellect et

contient le monde sensible. Proclus dans les Éléments de théologie ajoute l’idée d’unité et de

multiplicité à travers les différentes hypostases, le réel se constitue ainsi par déploiement.

L’être humain procéde de l’Un à travers l’Intellect puis l’Âme et souhaite retourner à ce

principe originel dans un processus de conversion, sous forme d’une unité saturée :

Ce retour de la fin au principe rend chaque ordre un en son entier,

déterminé, concentré en lui-même, et lui donne de faire apparaître par cette

concentration l’empire de l’unité sur sa multiplicité2.

Nous pouvons ainsi supposer que Léonard, à travers l’utilisation des mathématiques, en tant

que principe fondamental du savoir, envisage dans son œuvre cette dimension métaphysique.

Nous avons déjà pu analyser la façon dont il sépare le sensible de l’intelligible, et la

connaissance est pour de Vinci le seul moyen de tendre vers un niveau supérieur de réalité,

qu’il soit nommé Un ou Bien.

Léonard développe en outre plusieurs observations concernant l’usage des

mathématiques dans le Corpus sur les études anatomiques. Il considère les mathématiques

comme la seule façon de réduire au silence les sophistes :

1 David Rabouin, « La « mathématique universelle » entre mathématique et philosophie, d’Aristote à Proclus »,

Archives de Philosophie 2/2005, Tome 68, p. 258. 2 Proclus, Élements de théologie, 146.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

50

Chi biasima la somma certezza della matematica, si pasce di confusione e

mai porrà silentio alle contraditioni delle soffistiche scientie, colle quali

s’inpara uno eterno gridore1.

Méconnaître la suprême certitude des mathématiques, c’est se repaître de confusions. C’est

pourquoi il donne ce conseil aux générations futures : « E però, o studianti, studiate le

matematiche e non edificate sanza fondamenti2 ». Non seulement il demande aux élèves

d’étudier les mathématiques et de ne pas construire sans fondations, mais il ajoute à cela que

connaître les sciences mathématiques est un prérequis pour comprendre son œuvre : « Non mi

legga chi non è matematico nelli mia principi3. » Cette phrase est à rapprocher de l’inscription

qui aurait été gravée sur le fronton de l’Académie de Platon : « Que nul n’entre ici s’il n’est

géomètre4 ». Les mathématiques, et notamment la géométrie, sont un outil de réflexion avant

tout mental, et non physique, comme Léonard le mentionne dans le Manuscrit F5 en donnant

l’exemple de Platon :

L’altra prova che dette Platone a que’ di Delo, non è geometrica, perché si

va con istrumento di seste e di riga, e la sperienza poil lo mostra, ma questa

è tutta mentale e per conseguenza geometrica.

L’expérience ne confirme pas les preuves mathématiques, l’expérience est une manière

d’appréhender objectivement les conceptions de l’esprit.

À travers l’utilisation des mathématiques, Léonard met en avant un langage permettant

d’exprimer l’abstraction des idées développées par la raison mais également de concevoir la

structure du monde. Tout comme il envisage le temps à la fois d’un point de vue linéaire et

universel, de Vinci envisage la réalité sur un plan autant physique que métaphysique, et cet

aspect temporaire et cyclique de la vie se retrouve dans les différentes hypostases permettant à

l’Âme de remonter vers l’Intellect pour se fondre finalement dans l’Un.

3.3.2 EXPÉRIMENTER AVEC LA NATURE

Léonard se définit lui-même comme un disciple de l’expérience, nous pouvons le lire

dans le Codex Atlanticus6 : « Corpo nato della prospettiva di Leonardo Vinci, discepolo della

sperienza. » En effet, pour lui cette dernière est le truchement entre l’ingénieuse Nature et

l’espèce humaine :

La sperienza, interprete infra l’artifiziosa natura e la umana spezie, ne

‘nsegna ciò che essa natura infra’ mortali adopera da necessità constretta

1 Annexe 6.19 : Corpus sur les études anatomiques, 173 ro [I]. 2 Annexe 6.18 : Corpus sur les études anatomiques, 159 ro [II]. 3 Annexe 6.17 : Corpus sur les études anatomiques, 116 ro [IV]. 4 Jean Philopon, Commentaire sur le De anima d’Aristote, trad. Louvain, 1966. 5 Annexe 3.5 : Manuscrit F, 59 ro. 6 Annexe 5.16 : Codex Atlanticus, 520 ro.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

51

[e] [corne] non altrimenti operar si possa che la ragion, suo timone,

operare le ‘nsegni1.

Pour de Vinci, l’expérience nous enseigne ce que la Nature effectue parmi les mortels ; en

effet pour l’homme, ce qui est contraint par la nécessité ne saurait se produire autrement que

de la façon que lui enseigne la raison, laquelle est son gouvernail. Nous retrouvons cette idée

de subordination entre l’aspect mental et concret dans une autre mention contenue dans le

Manuscrit I2 : « La scienza è il capitano e la pratica sono i soldati », la science est le capitaine,

et la pratique le soldat. Cette dépendance est également présente dans le Manuscrit G3 dans

une observation intitulée « De l’erreur de ceux qui utilisent la pratique sans les sciences » :

Dell’error di quelli che usano la pratica sanza scienzia.

Quelli che s’innamoran di pratica sanza scienzia son come ‘l nocchieri che

entra in navilio sanza timone o bussola, che mai ha certezza dove si vada.

Ceux qui sont férus de pratique sans posséder la science, sont comme des pilotes qui

s’embarqueraient sans timon ni boussole, et ne sauraient jamais avec certitude où ils vont.

Léonard poursuit sur ce sujet dans le Codex Forster4 à travers la filiation entre l’expérience et

la sagesse, laquelle est fille de l’expérience, comme nous pouvons le lire dans la note

suivante : « La sapienzia è figliola della sperienzia, la quale sperienza… ».

Le couple expérience et raison est au cœur de la démarche de Léonard pour comprendre

les choses de la Nature. Nous pouvons comprendre ainsi la façon de penser de de Vinci à

travers deux notes composées probablement en 1497, cependant contenues dans deux

manuscrits différents. Dans le Manuscrit I5, Léonard observe que la Nature est pleine de

causes infinies que l’expérience n’a jamais démontrées : « La natura è piena d’infinite ragioni

che non furon mai in isperienza. » Et pourtant, nous trouvons dans le Codex Trivulzio6 la

remarque suivante : « Nulla può essere scritto per nuovo ricercare e quale cosa di te a me

stesso prometta7 ». Malgré le fait que la Nature est un champ d’expériences infinies, rien ne

peut être inscrit comme étant le résultat de recherches nouvelles. Le savoir des Anciens est un

prérequis indispensable pour s’approprier les connaissances de ce monde. La place de

l’expérience est alors de confirmer ou infirmer les postulats du passé.

L’expérience est seule capable d’expliciter les mécanismes de la Nature, et chaque

découverte nouvelle s’inscrit dans une continuité ou discontinuité nécessaire. Nous pouvons

nous demander si Léonard, à travers cette quête de compréhension du monde, ne cherche pas

1 Annexe 6.10 : Codex Atlanticus, 234 ro. 2 Annexe 6.4 : Manuscrit I, 130 ro. 3 Annexe 6.5 : Manuscrit G, 8 ro. 4 Annexe 6.1 : Codex Forster III, 14 ro. 5 Annexe 6.3 : Manuscrit I, 18 ro. 6 Annexe 3.1 : Codex Trivulzio, 14 ro. 7 Phrase tirée de Roberto Valturio « Nihil scribi omnino nova inquisitione possit » Valturio, p. 1.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

52

à laisser une trace du passage physique de son âme sur cette terre, comme les Anciens ont pu

le faire avant lui ?

3.3.3 ACCOMPLIR UNE ŒUVRE MÉMORABLE

Léonard est lucide face au passage du temps, et c’est ainsi qu’il écrit dans le Codex

Atlanticus1 qu’il faut acquérir dans la jeunesse ce qui compensera les misères de la vieillesse :

Acquista cosa nella tua gioventù che ristori il danno della tua vecchiezza. E

se tu intendi la vecchiezza aver per suo cibo la sapienza, adoperati in tal

modo in gioventù che a tal vecch[i]ezza non manchi il nutrimento.

En effet, celui qui souhaite que sa vieillesse ait la sapience comme aliment, doit étudier

lorsqu’il est encore jeune, pour qu’une fois plus âgé il ne manque pas de nourriture. Cette

opposition entre deux âges de la vie se retrouve également dans une note du Codex Forster2,

où Léonard déclare que c’est un triste disciple celui qui ne surpasse pas son maître : « Tristo è

quel discepolo che non avanza il suo maestro. » L’acquisition de savoirs permet de devenir

toujours meilleur, d’abord en surpassant son maître, puis ses contemporains, jusqu’à laisser

une trace dans le temps, comme les Anciens. Nous pouvons une fois de plus rapprocher cette

réflexion de la notion de Beau explicitée dans le Banquet de Platon, toujours dans le discours

de Diotime3 :

Tel est en effet le chemin droit qui conduit aux choses de l’Amour, un

chemin sur lequel on peut aussi être guidé par quelqu’un : il faut

commencer par les beautés de notre monde pour s’orienter vers cette

beauté-là, en s’élevant toujours comme en s’appuyant sur des échelons,

passant d’un seul beau corps à deux, et puis de deux corps à tous les corps,

ensuite des beaux corps aux belles occupations et des belles occupations

aux belles sciences, jusqu’à ce que, en se fondant sur les sciences, on

parvienne enfin à cette science unique qui n’est le savoir d’aucune autre

beauté que cette beauté unique et qu’on connaisse, en arrivant au terme, ce

qu’est en soi le Beau.

C’est ainsi cet Amour du Beau qui conduit les hommes à vouloir procurer une mémoire

impérissable de leur excellence :

[…] car je pense que c’est pour se garantir une telle gloire et une telle

immortalité attachées à leur excellence que tous les hommes accomplissent

1 Annexe 7.14 : Codex Atlanticus, 310 ro. 2 Annexe 7.3 : Codex Forster III, 66 vo. 3 Platon, Le Banquet, 211c.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

53

tous leurs actes, et cela à proportion de leur qualité propre. Car ils sont

amoureux de l’immortalité1.

Cette idée d’accomplissement d’une œuvre mémorable est importante pour Léonard, au point

d’être déclinée de plusieurs façons à travers ses manuscrits. Ainsi, nous retrouvons dans le

Codex Atlanticus2 des fragments de phrases ayant trait au fait qu’une vie misérable ne laisse

aucun souvenir dans l’esprit des mortels :

… né modi di compartire e misurare …giorni ne’ quali ci doviamo

affaticare di non trapassarli … [quest]a misera vita non trapassi sanza

alcuna …lasciare di noi alcuna memoria nelle menti de’ mortali.

…da

…do in saperlo spendere…difendere e contastare…li el più delle vol[t]e

son cagione… [que]sta nostra misera vita.

Toujours dans ce même manuscrit3, de Vinci aborde la question du temps qui passe d’un point

de vue moral :

L’ètà che vola discorre nascostamente e inganna altrui, e niuna cosa è più

veloce che gli anni e chi semina virtù, fama ricoglie.

Comme nous avons pu l’étudier, la question de la vertu et des honneurs est primordiale pour

Léonard. Ainsi il rappelle que bien que l’âge glisse en secret et leurre chaque homme, celui

qui sème la vertu récolte les honneurs. Léonard propose alors une réflexion sur le sommeil et

la mort dans une autre page de ce Codex4 :

O dormiente, che cosa è sonno ? Il sonno ha similitudine colla morte. O

perché non fai adunque tale opera che dopo la morte tu abbi similitudine di

perfetto vivo, che vivendo farsi col sonno simile ai tristi morti ?

De Vinci s’adressant à un dormeur lui pose ainsi cette question : pourquoi n’accomplis-tu pas

une œuvre telle, qu’après ta mort tu représentes une image de vie parfaite, toi qui vivant, le

fais dans le sommeil, semblable aux tristes morts ? Cette inquiétude face à sa propre

disparition se ressent également dans une note du Codex Trivulzio5, où Léonard assimile une

fois de plus le sommeil à la mort : « Sì come una giomata bene spesa dà lieto dormire così una

vita bene isata dà lieto morire. » De Vinci conclut : de la même façon qu’une journée bien

remplie apporte un sommeil tranquille, ainsi une vie bien employée apporte une mort paisible

1 Ibid., 208d-208e 2 Annexe 7.9 : Codex Atlanticus, 42 vo. 3 Annexe 7.11 : Codex Atlanticus, 195 vo. 4 Annexe 7.13 : Codex Atlanticus, 207 vo. 5 Annexe 7.4 : Codex Trivulzio, 27 ro.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

54

Est-ce pour connaître le sort qui sera le sien que Léonard, contre toute attente, va jusqu’à se

faire dire la bonne aventure ? Cette note étrange dans le Codex Atlanticus1 illustre de manière

différente cette obsession de de Vinci pour le temps qui passe : « Per dire la ventura soldi 6. »

Nous terminerons cette partie par une citation de Charles Nicholl dans Léonard de Vinci

biographie2 :

Bien sûr, Léonard de Vinci était un génie, mais ce terme tend exagérément

vers la vénération idolâtrique, incompatible avec ses propres convictions

marquées du sceau de la rigueur et du scepticisme, et c’est pourquoi je

préfère l’éviter.

À travers la lecture de son œuvre manuscrite, c’est bien l’homme et non le génie que nous

avons tenté de comprendre. Un homme avec ses obsessions, ses tourments, ses peines, un

Léonard incompris par tant, qui doit continuellement se défendre pour revendiquer sa

légitimité intellectuelle et scientifique. N’est-ce pas justement en réponse à ce qu’il considère

comme une injustice qu’il va faire en sorte de suivre durant toute sa vie cette rigueur et ce

scepticisme, pour prouver à ses détracteurs qu’ils se trompent dans leur quête de vérité ? Il

peut sembler hardi de relier les pensées de Léonard aux traditions néoplatoniciennes ; pourtant

l’analyse de ses manuscrits ne laisse aucun doute quant à la portée transcendentale de son

œuvre. De Vinci, conscient qu’il n’est qu’une enveloppe temporaire, souhaite acquérir les

connaissances de ce monde, et cela dans un objectif double après sa mort : laisser une trace de

son passage dans la postérité et sublimer son Âme pour regagner l’Un.

1 Annexe 5.17 : Codex Atlanticus, 877 vo. 2 Charles Nicholl, Léonard de Vinci biographie, Arles, Actes Sud, 2006, p. 13.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

55

CONCLUSION

Après avoir longuement commenté les écrits de Léonard, nous pouvons maintenant

envisager l’œuvre de de Vinci à l’aune des quatre caractéristiques qui définissent l’ésotérisme

selon Antoine Faivre. Ainsi, il semble indéniable que Léonard considère la Nature comme un

être vivant, et qu’il établit des ponts entre les différents niveaux de la réalité, puisque

l’homme procède de la Nature qui procède elle-même de Dieu. Cette filiation autorise

l’existence de correspondances universelles entre ces différents niveaux de la réalité, comme

de Vinci l’envisage avec le macrocosme et le microcosme. L’expérience de la transformation

intérieure est peut-être la notion la plus surprenante de la part de Léonard, et pourtant elle

semble être au cœur de sa démarche scientifique, cette quête de connaissance qui le pousse

toujours plus loin dans sa compréhension des choses de l’univers, de l’Âme vers l’Intellect

pour rejoindre l’Un.

Nous souhaitons conclure cette étude par deux citations, qui synthétisent le sentiment

général avec lequel nos recherches ont été effectuées. La première est tirée du Picatrix1 (I, VI,

I), un traité de magie et d’hermétisme médiéval :

Sachez que la science […] est quelque chose de très noble et de très élevé ;

qui s’y emploiera et agira par son moyen en retirera noblesse et grandeur.

Et la science procède par degrés ; si l’on en connaît un, un autre aussitôt

apparaît qu’il faut apprendre. Est parfait dans la science celui qui atteint

l’ultime degré, et qui apprécie et aime tous les degrés de la science. Les

Grecs l’appellent philosophe, ce qui se traduit en latin par amoureux de la

science.

La seconde de l’ouvrage Introduction aux Science Studies2 de Dominique Pestre :

Au fond, et quelles que soient ses formulations, Latour nous dit combien il

serait intéressant de ne pas avoir à partir du cadre dualiste qui est le nôtre

spontanément depuis la « révolution scientifique », cadre que la science

moderne a fait advenir en prétendant pouvoir séparer définitivement

humains et objets, faits et constructions, réalités et fictions […]. Latour

nous dit l’importance qu’il y aurait à ne pas partir de la série de grandes

dichotomies qui fondent notre culture, qui cadrent et définissent nos

manières de penser, qui sont antécédentes pour nous à toute possibilité

même de réfléchir – et qui fonctionnent binairement et nous figent dans des

tensions insurmontables, des contradictions toujours répétées : la dualité

1 Eugenio Garin, Hermétisme et Renaissance, Paris, Allia, 2001, p. 51 2 Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, Paris, La Découverte, 2006, p. 57-58.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

56

qui oppose savoir et contexte […], représenter et agir […] et au-delà, bien

sûr la distinction sujet / objet.

De Vinci s’intéressait à la compréhension du monde, à la fois tangible et intangible ; Léonard

scientifique et philosophe, scientifique car philosophe. Ce que nous considérons aujourd’hui

comme des caractéristiques propres à l’ésotérisme n’en était pas pour lui. Il n’était pas

nécromant, alchimiste, enchanteur, il ne courrait pas après des chimères qu’il condamnait lui-

même, il souhaitait simplement comprendre l’univers à une époque où tout restait encore à

découvrir. L’étude de l’œuvre manuscrite de Léonard nous amène ainsi à reconsidérer de

façon plus globale cette distinction entre science et philosophie telle que nous l’envisageons

depuis la « révolution scientifique », que nous pouvons plus généralement traduire par la

scission entre sciences exactes et sciences humaines.

Dès lors, plusieurs réflexions viennent à l’esprit. La première s’inscrit dans la lignée des

observations de Bruno Latour : pourquoi cette distinction continue-t-elle d’être aussi

pregnante aujourd’hui ? La seconde est d’ordre épistémologique : nous pouvons légitimement

nous demander si ce n’est pas un contresens historique que de considérer la compréhension de

l’univers avant la « révolution scientifique » comme faisant partie d’une démarche ésotérique.

N’est-ce pas tout simplement l’expression des hommes du passé cherchant à connaître les

processus du monde qu’ils habitaient ? Le fait que les sciences exactes et les sciences

humaines n’étaient envisagées que dans un ensemble cohérent ne devrait-il pas plutôt nous

amener à réfléchir à la façon dont nous cherchons à comprendre l’univers aujourd’hui en

cloisonnant les choses ? Léonard nous donne sûrement ici une piste à suivre.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

57

4. BIBLIOGRAPHIE

SOURCES PRIMAIRES

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Paris, Gallimard, 2014.

PACIOLI Luca & DE VINCI Léonard, Divina proportione : opera a tutti glingegni perspicaci e

curiosi necessaria oue ciascun studioso di philosophia: prospettiua pictura sculptura:

architectura: musica: e altre mathematice: suavissima: sotile: e admirabile doctrina

consequira: e delecterassi: co[n] varie questione de secretissima scientia, Venise, A.

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SOURCES SECONDAIRES

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YATES Frances, Science et tradition hérmétique, Paris, Allia, 2014.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

61

5. ANNEXES

ANNEXE 1 : LES DIFFÉRENTS MANUSCRITS ET CODEX

MANUSCRITS A À M (INSTITUT DE FRANCE, PARIS)

A : Fragments d’un manuscrit traitant de divers sujets

B : Volume relié, marqué d’un B

C : Traité sur la lumière et l’ombre, relié, marqué d’un C

D : Traité sur l’œil, reliure originale, marqué d’un D

E : Carnet, reliure originale, marqué d’un E

F : Carnet, reliure originale, marqué d’un F

G : Carnet, reliure originale, marqué d’un G

H : Carnet, relié, marqué d’un H

I : Carnet, relié, marqué d’un I

K : Carnet, volume relié, marqué d’un K

L : Carnet, reliure originale, marqué d’un L

M : Carnet, reliure originale, marqué d’un M

CODEX ARUNDEL (BRITISH LIBRARY, LONDRES) – AR.

Collection de traités et de notes, volume relié, marqué Arundel 263

CODEX ATLANTICUS (BIBLIOTECA AMBROSIANA, MILAN) – CA.

395 folios reliés contenant chacun une ou plusieurs pages manuscrites

CODEX URBINAS (BIBLIOTHÈQUE DU VATICAN, CITÉ DU VATICAN) – CU.

Manuscrit de Francesco Melzi compilant les notes de Léonard sur la peinture

CODEX FORSTER (VICTORIA AND ALBERT MUSEUM, LONDRES) – FORS.

Traité sur la stéréométrie, volume relié, marqué d’un I

Carnets, marqués d’un II

Carnet, marqué d’un III

CODEX LEICESTER (BILL GATES COLLECTION, SEATTLE) – LEIC.

Volume relié contenant principalement des observations scientifiques

CODEX DE MADRID (BIBLIOTECA NACIONAL, MADRID) – MA.

Codex I : Traité sur la statique et la mécanique, relié

Codex II : Traité sur la fortification, la statique et la géométrie

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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DESSINS ET MANUSCRITS (ROYAL LIBRARY, WINDSOR)

Corpus sur les études anatomiques contenant :

Fragments du premier traité sur l’anatomie

Second traité sur l’anatomie, feuilles volantes

Troisième traité sur l’anatomie, feuilles volantes

Quatrième traité sur l’anatomie, feuilles volantes

Études sur les proportions du corps humain, feuilles volantes

Traité sur l’anatomie du cheval, feuilles volantes

Collection de cartes et de dessins

Collection de feuilles volantes, en partie reliée

CODEX SUR LE VOL DES OISEAUX (BIBLIOTECA REALE, TURIN) – TN.

Traité sur le vol des oiseaux, feuilles volantes

CODEX TRIVULZIO (CASTELLO SFORZESCO, BIBLIOTECA TRIVULZIANA, MILAN) – TRIV.

Volume relié traitant de divers sujets

ANNEXE 2 : UNE CHRONOLOGIE INDICATIVE DES MANUSCRITS

Pour une plus grande lisibilité, nous avons choisi de découper la vie de Léonard de

Vinci en six grandes périodes.

LA JEUNESSE ET FORMATION À FLORENCE (1452-1481)

À LA COUR DE LUDOVIC SFORZA À MILAN (1481-1499)

1483-1518 : Codex Atlanticus

1489 : Premier traité sur l’anatomie

1490 : Manuscrit B

1490-1491 : Manuscrit C

1490-1495 : Études sur les proportions du corps humain

1490-1495 : Traité sur l’anatomie du cheval

1490-1495 : Second traité sur l’anatomie

1490-1499 : Codex de Madrid I

1490-1516 : Manuscrit D

1490-1516 : Collection de feuilles volantes

1492 : Manuscrit A

1493 : Codex Forster III

1493-1494 : Manuscrit H

1493-1494 : Codex Forster II

1497 : Manuscrit I

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

63

1497-1516 : Codex Trivulzio

LES VOYAGES ENTRE MANTOUE, VENISE ET FLORENCE (1499-1506)

1483-1518 : Codex Atlanticus

1490-1516 : Manuscrit D

1490-1516 : Collection de feuilles volantes

1497-1516 : Codex Trivulzio

1500-1516 : Codex Leicester

1502 : Manuscrit L

1502 : Collection de cartes et de dessins

1503-1505 : Codex de Madrid II

1504 : Manuscrit K

1505 : Codex Forster I

1505 : Codex sur le vol des oiseaux

DE RETOUR À MILAN AUPRÈS DE CHARLES D’AMBOISE (1506-1513)

1483-1518 : Codex Atlanticus

1490-1516 : Manuscrit D

1490-1516 : Collection de feuilles volantes

1497-1516 : Codex Trivulzio

1500-1516 : Codex Leicester

1508 : Manuscrit F

1509 : Codex Arundel

AU SERVICE DE JULIEN DE MÉDICIS À ROME (1513-1516)

1483-1518 : Codex Atlanticus

1490-1516 : Manuscrit D

1490-1516 : Collection de feuilles volantes

1497-1516 : Codex Trivulzio

1500-1516 : Codex Leicester

1513 : Troisième traité sur l’anatomie

1513-1514 : Manuscrit E

1515 : Quatrième traité sur l’anatomie

1515 : Manuscrit G

1515 : Manuscrit M

FRANÇOIS IER MÉCÈNE AU CLOS LUCÉ (1516-1519)

1483-1518 : Codex Atlanticus

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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ANNEXES 3 : CITATIONS SUR LES AUTEURS ANCIENS ET CONTEMPORAINS

ANNEXE 3.1 : CODEX TRIVULZIO, 14 RO

Nulla può essere scritto per nuovo ricercare e quale cosa di te a me stesso prometta.1

ANNEXE 3.2 : CODEX DE MADRID II, 3 RO

[…]

Cieco d’Asscoli, Fisonomia di Scoto, Calendario, Spera mundi, De mutatione aeri, De

natura umana, Conservation di sanità, Lapidario, Sogni di Daniello, 2 regole di Domenico

Macaneo, Vocabolisat picolo, Allegantie, De chiromantia, Del tenpio di Salomone,

Cosmografia di Tolomeo, Cornazano de re militari, l’ha Gug[li]elmo de’ Pazi, Libro d’abaco,

l’ha Giovan del Sodo, Pistole di Fallari, Vita di Sancto Anbrosio, Ari[t]metrica di Maestro

Luca, Donato gramatico, Quadrante, Quadratura del circulo, Meteura d’Aristtile, Manganello

ANNEXE 3.3 : MANUSCRIT F, 5 RO ET 4 V

O

Lalde del sole.

Se guarderai le stelle sanza razzi (come si fa a vederle per un piccolo foro fatto colla

strema punta d’une sottile acucchia, e que’ posto quasi a toccare l’occhio) tu vedrai esse stelle

essere tanto minime che nulla cosa pare essere minore, e veramente la lunga distanzia dà loro

ragionevole diminuizione, ancora che molte vi sono che son moltissime volte maggiore che la

stella, cioè la terra, coll’acqua. Ora pensa quel che parrebbe essa nostra stella in tanta

distanzia, e considera poi quante stelle si metterebbe e per longitudine e latitudine in fra esse

stelle, le quali sono seminte per esso spazio tenebroso. Mai non posso fare ch’io non biasimi

molti di quelli antichi, li quali dissono che’l sole non avea altra grandezza che quella che

mostra, fra’ quali fu Epicuro e credo che cavassi tale ragione da un lume posto in questa

nostra aria equidistante al centro : chi lo vede, nol vede mai diminuto di grandezza in nessuna

distanzia. E le ragione della sua grandezza e virtù le riservo nel quarto libro.

Ma ben mi maraviglio che Socrate biasimassi questo tal corpo e che dicessi quello

essere a similitudine di pietra infocata, e certo chi lo ponì di tal errore, poco peccò. Ma io

vorrei avere vocaboli che mi servissino a biasimare quelli che vollon laldare più lo adorare li

omini che tal sole, non vendento nell’universo corpo di maggiore magnitudine e virtù di

quello. El suo lume allumina tutti li corpi celesti che per l’universo si compartano, tutte

l’anime discendan da lui, perchè il caldo ch’è in nelli animali vivi, vien d’all’anime e nessuno

altro caldo né lume è nell’universo, come mosterrò nel quarto libro, e certo costoro che han

voluto adorare omini per iddei, come Giove, Saturno, Marte e simili, han fatto grandissimo

errore vedendo che ancora che l’omo fussi grande quanto il nostro mondo, che parrabbe

1 Phrase tirée de Roberto Valturio « Nihil scribi omnino nova inquisitione possit » Valturio, p. 1.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

65

simile a una minima stella la qual pare un punto nell’universo, e ancora vedendo essi omini

mortali e putridi e curruttubili nelle lor sepolture.

La Spera e Marullo lalda[n] con molti altri esso sole.1

ANNEXE 3.4 : MANUSCRIT F, 27 RO

Della figura delli elementi, e prima contro a chi niega l’oppennione di Platone, che

dicano che se essi elementi vestissin l’un l’altro colle figure che mette Platone, che si

causerebbe vacuo in fra l’uno e l’altro. Il [ch]e non è vero e qui lo provo, ma prima bisogna

proporre alcuna conclusione.

ANNEXE 3.5 : MANUSCRIT F, 59 RO

L’altra prova che dette Platone a que’ di Delo, non è geometrica, perché si va con

istrumento di seste e di riga, e la sperienza poil lo mostra, ma questa è tutta mentale e per

conseguenza geometrica.

ANNEXE 3.6 : CODEX ARUNDEL, 71 VO

Rugieri Bacon fatto in istampa.

ANNEXE 3.7 : CODEX ARUNDEL, 192 VO

Cerca in Firenze della Ramondina.

ANNEXE 3.8 : CODEX ATLANTICUS, 559 RO

D’Abaco Fior di virtù

Plinio Vita de’ filosofi

Bibia Lapidario

De re militari Pistole de Fidelfo

Deca prima Della conservazion della virtù

Deca terza Cecco d’Ascoli

Deca quarta Alberto Magno

G[u]idone Rettorica nova

Piero Crescenzio Zibaldone

De 4 regi Isopo

Donato Salmi

Iustino De immortalità d’anima

Guidone Burchiello

Dottrinale Driadeo

Morgante Petrarca

1 La Sfera, Leonardo et Gregorio Dati, 1478 – Liber Hymnorum, Michel Tarcaniota (Marullo), 1497.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

66

Giovan di Mandinilla

De onesta voluttà

Manganello

Cronica d’Esìdero

Pistole d’Ovidio Pistole del Fidelfo

Spera

Facezie di Poggio

De chiromantia

Formulario di pistole

ANNEXE 3.9 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 97 RO [I]

Anatomia venarum

Qui si farà l’albero delle vene in generale, sì come fe’ Tolomeo l’universale nella sua

Cosmografia, poi si farà le vene di ciascun membro in particulare, per diversi aspetti.

ANNEXE 3.10 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 154 RO [II]

Ordine del libro. […]

Adunque qui con quindici figure intere ti sarà mostrata la cosmografia del minor mondo

col medesimo ordine che inanzi a me fu fatto da Tolomeo nella sua cosmografia, e cosi

dividero poi quell in membra, come lui divise il tutto in provincie ; e poi dirò l’ufitio delle

parti per ciascun verso, mettendoti dinanti alli ochi la notitia di tutta la figura e valitudine

dell’omo inquanto a moto locale mediante le sue parti.

E così piacessi al nostro altore che io potessi dimostrare la natura delli omini e loro

costumi nel modo che io descrivo la sua figura.

ANNEXE 3.11 : MANUSCRIT M, I COP VO

Ermete filosafo.

ANNEXES 4 : CITATIONS SUR LA NATURE ET LA CRÉATION

ANNEXE 4.1 : MANUSCRIT A, 99 VO

Noi per arte possiamo essere detti nipoti a dio ; se la poesia s’astende in filosofia

morale, è questa in filosofia naturale, se quella descrive l’operationi della mente, questa

consideta quello che la mente opera ne movimenti : se quella spaventa i popoli colle infernali

fictioni, questa colle medesime cose in atto fa il simile : pongasi il poeta a figurare una

bellezza, una fierezza, una cosa nefanda e brutta, una mostruosa col pittore, faccia a suo modo

come vole trasmutationi di forme, che il pittore non sadisfacci più. Non s’è egli viste pitture

avere tanta conformità colla cosa viva ch’ell’ha ingannato homini e animali ?

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

67

ANNEXE 4.2 : MANUSCRIT A, 100 RO

Come chi sprezza la pittura non ama la filosofia ne la natura

Se tu sprezzerai la pittura, la quale è sola imitatrice di tutte l’opere evidenti di natura,

per certo tu sprezzerai una sottile inventione la quale con filosofica e sottile speculatione

considera tutte le qualità delle forme : mare e siti, piante, animali, erbe e fiori, le quali sono

cinte d’ombra e lume ; e veramente questa è scientia, e legittima figliuo la di natura, perchè la

pittura è partorita da essa natura. Ma per dire più corretto, diremo nipote di natura, perchè

tutte le cose evidenti sono state partorite dalla natura, delle quali cose partorite è nata la

pittura. Adunque rettamente la dimanderemo nipote di natura, parente di dio.

ANNEXE 4.3 : MANUSCRIT A, 105 VO

Qual è meglio, o ritrarre di naturale o d’antico.

O qual è più fatica, o i proffili o l’ombra o lumi.

ANNEXE 4.4 : MANUSCRIT A, 111 VO

Come per tutte vie si può imparare.

Questa benigna natura ne provede in modo che per tutto il mondo tu trovi dove imitare.

ANNEXE 4.5 : MANUSCRIT H, 89 VO

Facciàno nostra vita coll’altrui morte.

In nella cosa morta riman vita dissensata, la quale ricongiunta alli stomaci de’ vivi

ripiglia vita sensitiva e ‘ntellettiva.

ANNEXE 4.6 : CODEX FORSTER III, 38 RO

Ogni corpo è composto di quelli membri e omori, i quali sono necessari al suo

mantenimento. La quale necessiyà è bene conosciuta e a quella riparato dalla anima che tal

forma di corpo a sua abitazione per uno tempo ha eletta.

ANNEXE 4.7 : CODEX FORSTER III, 44 VO

Favole.

Il dipintore disputa e gareggia colla natura.

Il coltello, accidentale armadura, caccia d’all’omo le sua unghie, armadura naturale.

Lo specchio si groria forte tenendo dentro a sé specchiata la regina e, partita quella, lo

specchio riman vile.

ANNEXE 4.8 : CODEX TRIVULZIO, 17 VO

Scientia – notitia delle cose che sono possibili, presenti e preterite ; prescientia – notitia

delle cose che possin venire.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

68

ANNEXE 4.9 : CODEX TRIVULZIO, 33 RO

I sensi sono terresti, la ragione sta for di quelli quando contempla.

ANNEXE 4.10 : CODEX LEICESTER, 34 RO

Nessuna cosa nasce in loco, dove non sia vita sensitiva, (intelletiva), vegetativa e

razionale.

ANNEXE 4.11 : MANUSCRIT F, 41 VO

Come la terra non è nel mezzo del cerchio del sole, né nel mezzo del mondo, ma è ben

nel mezzo de’ sua elementi, compagni e uniti con lei, e chi stessi nella luna, quand’ella

insieme col sole è sotto a noi, questa nost[r]a terra coll’elemento dell’acqua parrebbe e

farebbe offizio tal qual fa la luna a noi.

ANNEXE 4.12 : CODEX ARUNDEL, 85 VO

Ogni azione facta dalla natura è fatta nel più brieve modo.

ANNEXE 4.13 : CODEX ARUNDEL, 174 VO

Data la causa, la natura opera l’effetto nel più breve modo che operar si possa.

ANNEXE 4.14 : CODEX ATLANTICUS, 207 VO

L’omo e li animali sono propi[o] transito e condotto di cibo, sepoltura d’animali,

albergo de’ morti, facendo a s évita dell’altrui morte, guaina di corruzione.

I bugiardi interpitri di natura affermano lo argento vivo essere communa semenza a tutti

i metalli, non si ricordando che la natura varia le semenze secondo la diversità delle cose che

essa vole produrre al mondo.

Sì come l’animosità è pericolo di vita, così la paura è sicurtà di quella.

ANNEXE 4.15 : CODEX ATLANTICUS, 218 RO

Vita.

Dov’è vital ì è calore, e dov’è calore vitale, quivi è movimento d’umori.

ANNEXE 4.16 : CODEX ATLANTICUS, 543 VO

Ancora si po dire delli influssi de’ pianeti e di Dio. Del moto da bianco a rosso, cioè de’

colori.

ANNEXE 4.17 : CODEX ATLANTICUS, 729 VO

Esemplo.

Tu vedi il sole quando si trova nel mezzo del nostro emisperio e essere le spezie della

sua forma per tutte le parte dove si dimostra, vedi essere le spezie del suo splendore in tutti

quelli medesimi lochi, e ancora vi s’aggiugne la similitudine della potenza del calore, e tutte

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

69

queste potenzie discendano dalla sua causa per linie radiose, nate nel suo corpo e finite ne li

obbietti oppachi sanza diminuizione di sé. La tramontana sta continuamente colla similitudine

della sua potenzia astesa e incorpora non che ne’ corpi rari, ma d’ densi, transparenti e

oppachi, e non diminuis[c]e però di sua figura.

ANNEXE 4.18 : CODEX ATLANTICUS, 1067 RO

Anassagora.

Ogni cosa vien da ogni cosa e d’ogni cosa si fa ogni cosa e ogni cosa torna in ogni cosa,

perchè ciò ch’é nelli elementi, è fatto da essi elementi.

ANNEXE 4.19 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 50 VO [I-IV]

Delli muscoli che movan la lingua.

Nessuno membro ha bisogno di tanto numero di muscoli, quanto la lingua ; delli quali

ce n’è 24 noti, sanza li altri che io ho trovati ; e di tutti li membri che si movan, per moto

volontario, questa eccede tutti li altri nel numero delli movimenti.

E se tu volessi dire ch’è l’ufizio dell’occhio, il quale è di ricevere tutte le spezie delle

infinite figure e colore delli obbietti a lui antiposti, e l’odorato, nella infinita mistione delli

odori, e l’orecchio de’ soni ; noi direno che la lingua sente ancore lei l’infiniti sapori, semplici

e composti, ma questo non è al proposito nostro, facendo noi professione di trattare sola

mente del moto locale di ciascun membro.

Considera bene come, mediante il moto della lingua, coll’aiuto delli labbri e denti, la

pronunziazione di tutti i nomi delle cose ci son note, e li vocaboli semplici e composti d’un

linguaggio pervengano alli nostri orecchi, mediante tale istrumento ; li quali, se tutti li effecti

di natura avessino nome, s’astenderebbono inverso lo infinito, insieme colle infinite cose che

sono in atto, e che sono in potenzia di natura ; e queste non isprimerebbe in un solo

linguaggio, anzi in moltissimi, li quali ancore lor s’astendano inverso lo infinito, perchè al

continuo si variano di secolo in seculo, e di paese in paese, mediante le mistion de’ popoli,

che, per guerre, o altri accidenti, al continuo si mistano ; e li medesimi linguaggi son

sottoposti alla obblivione, e son mortali, come l’altre cose create ; e se noi concedereno il

nosto mondo essere eterno, noi diren tali linguaggi essere stati, e ancore dovere essere

d’infinita varietà, mediante l’infiniti secoli, che nello infinito tempo si contengano, ecc.

E questo non è in alcuno altro senso, perchè sol s’astendano nelle cose, che al continuo

produce la natura, la qual non varia le ordinarie spezie delle cose da lei create, come si

variano di tempo in tempo le cose create dall’omo, massimo strumento di natura, perchè la

natura sol s’astende alla produzion de’ semplici ; ma l’omo con tali semplici produce infiniti

composti, ma non ha potestà di creare nessun semplice, se non un altro sè medesimo, cioè li

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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sua figlioli ; e di questo mi saran testimoni li vecchi archimisti, li quali mai, o a caso, o con

volontaria sperienza, s’abbattero a creare la minima cosa, che crear si possa da essa natura ; e

questa tal generazione merita infinite lalde, mediante la utilità delle cosa da lor trovate a

utilità delli omini, e più ne meriterebbono, se non fussino stati inventori di cose nocive, come

veneni e altre simili ruine di vita o di mente, della quale lor non sono esenti, conciò si ache,

con grande studio e esercitazione, volendo creare non la men nobile produzion di natura, ma

la più eccellente, cioè l’oro, vero figliol del sole, perchè più ch’a altra creatura a lui

s’assomiglia, e nessuna cosa creata è piu eterna…

(segue quel manca di sotto)

d’esso oro. Questo è esente dalla destruzion del foco, la quale s’astende in tutte l’altre

cose create, quell riducendo in cenere, o in vetro, o in fumo ; e se pur la stolta avarizia in tale

errore t’invia, perchè non vai alle miniere, dove la natura genera tale oro, e quivi ti fa suo

discepolo, la qual fedelmente ti guarirà della tua stoltizia, mostrandoti come nessuna cosa da

te operata nel foco non sarà nessuna di quelle, che natura adoperi al generare esso oro ; quivi

non argento vivo, quivi non zolfo di nessuna sorte, quivi non foco, nè altro caldo, che quel di

natura vivificatrice del nostro mondo, la qual ti mosterrà le ramificazioni dell’oro sparse per il

lapis, overo azzurro oltramarino, il quale è colore esente dalla potestà del foco.

E considera bene tale ramificazione dell’oro, e vederai nelli sua stremi, li quali co’ lento

moto al continuo crescano, e convertano in oro, quel che tocca essi stremi ; e nota che quivi

v’è un’anima vegetativa, la qual non è in tua potestà di generare.

ANNEXE 4.20 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 114 VO [IX-XI]

Ancorachè lo ingiegnio umano faccia inventioni narie, rispondendo con vari strumenti a

un medesimo fine, mai esso troverà inventione più bella, nè più facile, nè più brieve della

natura, perchè nelle sue inventiozioni nulla manca e nullo è superfluo, e non va con

contrapesi, quando essa fa le membra atti al moto nelli corpi delli animali. Ma vi mette dentro

l’anima d’esso corpo componitore, cioè l’anima della madre che prima conpone nella matrice

la figura dell’omo, e al tempo debito desta l’anima, che di quel deve essere abitotare. La qual

prima restava dormentata e in tutela dell’anima della madre, la quale la nutrisce e vivifica per

la vena ombelicale, con tutti li sua membri spirituali, e così seguirà insino che tale ombelico lì

è giunto colla secondina e li cotilido ni per la quale il figliolo si unisce colla madre. E questi

son causa che una volontà, un sommo desiderio, una paura che abbia la madre o altro dolor

mentale à potenti a più nel figliolo che nella madre, perchè spesse sono le volte, che il figlio

ne perde la vita ecc.

Questo discorso non va qui, ma si richiede nella composition delli corpi animati, e il

resto della difinitione dell’anima lascio nelle menti de’ frati, padri de’ popoli, li quiali per

inspiratione sanno tutti li segreti.

Lascio star le lettere incoronate, perchè son somma verità.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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ANNEXE 4.21 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 117 VO [I]

Ogni azione di natura è fatta per la più brieve via ch’è possibile.

ANNEXE 4.22 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 136 RO [IX]

E tu, omo, che consideri in questa mia fatica l’opere mirabili della natura, se

g<i>idicherai esse<r> cosa nefanda il distruggerla, or pensa essere cosa nefandissima il torre

la vita all’omo, del quale, se questa essere nulla rispetto all’anima che in tale architettura abita

e, veramente, quale essa si sia, ella è cosa divina sicché lasciala abitare nella sua opera a suo

beneplacito e non volere che la tua ira o malignità destrugga una tanta vit ache, veramente, chi

nolla stima nolla merita, poiché cosi mal vol<n>tieri si parte dal corpo e ben credo che ‘l suo

pianto e dolore non sia sanza cagione.

ANNEXE 4.23 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 197 VO [X]

Quando il poeta cessa del figurare colle parole quel che in natura è in fatto, allora il

poeta non si fa equale al pittore, perchè se il poeta, lasciando tal figuratione, e’ descrive le

parole ornate e persuasive di colui a chi esso vole fare parlare, allora egli si fa oratore e non è

più poeta nè è pittore. E se lui parla de’ celi, egli si fa astrologo e filosofo, e teologo parlando

delle cose di natura o di dio. Ma se esso ritorna alla figuratione di qualunche cosa e’ si farebbe

emulo al pittore, se potesse soddisfare all’ochio in parole come fa il pittore col pennello e co

un’armonia all’occhio, come fa la musica allo orecchio ‘n istante.

ANNEXES 5 : CITATIONS SUR LES IMPOSTEURS ET LES MENSONGES

ANNEXE 5.1 : MANUSCRIT B, 4 VO

Fuggi i precetti di quelli speculatori, che le loro ragioni non son confermate dalla

isperienza.

ANNEXE 5.2 : MANUSCRIT H, 16 VO

La memoria de’ beni fatti appresso l’i[n]gratitudine è fragile.

Reprendi l’amico in segreto e laldalo in palese.

Chi teme i pericoli, non perisce per quagli. Non esserre bugiardo del preterito.

ANNEXE 5.3 : ÉTUDES SUR LES PROPORTIONS DU CORPS HUMAIN, II A.

Vertià il sole

bugia maschera

innocentia

malignità

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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Il foco distrugie la bugia, cioè il sofistico, e rende la verità, scacciando le tenebre. Il

foco è da essere messo per consumatore d’ogni sofistico e scopritore e dimostratore di verità,

perchè lui è luce, scacciatore delle tenebre occultatrici d’ogni essentia.

Il foco destrugie ogni soffistico cioè lo ingano, e sol mantiene la verità cioè l’oro. La

verità al fine non si cela.

Non val simulatione. Simulatione è frustrata avanti a tanto giudice. La bugia mette

maschera. Nulla occulta sotto il sole.

Il foco è messo per la verità, perchè destrugge ogni soffistico e bugia, e la maschera per

la falsità e bugia, - ocultatrice del vero.

ANNEXE 5.4 : CODEX SUR LE VOL DES OISEAUX, 11 RO

Sanza dubbio tal proporzione è dalla verità alla bugia, qual è da la luce alle tenebre. Ed

è essa verità in sé di tanta eccellenzia, che ancore ch’ella s’astenda sopra umili e basse

materie, sanza comparazione ella [e]ccede le incertezze e bugie estese sopra li magni e

altissimi discorsi. Perchè la mente nostra, ancora ch’ell’abbia la bugia pel quinto elemento,

no[n] resta però che la verità delle cose non sia di sommo notrimento delli intelletti fini, ma

non di vagabundi ingegni.

Ed è tanto vilipendio la bugi ache s’ella dicessi be[n] gran cose di Dio, ella to’ di grazia

a sua deità ; ed è di tanta eccellenzia la verità che s’ella laldassi cose minime, elle si fanno

nobili. Ma tu che vivi di sogni, ti piace più la ragion soffistiche e barerie de’ pa[r]lari nelle

cose grandi e incerte, che delle certe, naturali e non di tanta altura.

ANNEXE 5.5 : MANUSCRIT F, II COP RO

Persona nuda che calpesta lingue ( ?)

La verità fa qui che la bugia affrigge le lingue bugiarde.

ANNEXE 5.6 : MANUSCRIT F, 5 VO

E molti fecen bottega con inganni e miraculi finti ingannando la stolta moltitudine, e se

nessun si s[c]opria cognoscitore de’ loro inganni, essi gli puniano.

ANNEXE 5.7 : MANUSCRIT F, 27 VO

Contro alcun commentatori che biasiman li antichi inventori, donde nasceron le

gramatiche e le scienze e fansi cavalieri contro alli morti inventori, e perché essi non han

trovato da farsi inventori per la piegrizia, e come di ta[n]ti libri attendano al continuo con falsi

argumenti a riprendere li lor maestri.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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ANNEXE 5.8 : MANUSCRIT F, 96 VO

L’uomo ha grande discorso, del quale la più parte è vano e falso ; li animali l’hanno

piccolo ma è utile e vero, e meglio è la piccola certezza che la gran bugia.

ANNEXE 5.9 : MANUSCRIT M, 58 VO

La verità sola fu figliola del tempo.

ANNEXE 5.10 : CODEX ATLANTICUS, 207 RO

Chi vole vedere come l’anima abita nel suo corpo, guardi come esso corpo usa la sua

cotidiana abitazione, cioè se quella è sanza ordine e confusa, disordinato e confuso fia il corpo

tenuto dalla su’ anima.

Chi disputa allegando l’alturità, non adopera lo ‘ngegno ma più tosto la memoria.

Le buone lettere so’ nate da un bono naturale, e perché si de’ più laldare la cagion che

l’effetto, più lalderai un bon naturale sanza lettere, che un bon litterato sanza naturale.

ANNEXE 5.11 : CODEX ATLANTICUS, 207 VO

Male se laldi e peggio se riprendi, la cosa dico, se bene tu nolla intendi.

[…]

Mal fai se laldi e pegg’è istu riprendi – la cosa quando bene tu nolla ‘ntendi.

ANNEXE 5.12 : CODEX ATLANTICUS, 323 RO

Se bene como loro non sapessi allegare gli altori, molto maggiore e più degna cosa

allegherò allengando la sperienza, maestra ai loro maestri. Costoro vanno sconfiati e pomposi,

vestiti e ornati non delle loro, ma delle altrui fatiche e le mie a me medesimo non concedano.

E se me inventore dispresseranno, quanto maggiormente loro, non inventori ma trombetti e

recitatori delle altrui opere, [p]otranno essere biasimati.

ANNEXE 5.13 : CODEX ATLANTICUS, 327 VO

Or guarda, lettore, quello che noi potremo credere ai nostri antichi, i quali hanno voluto

difinire che cosa s[ia] [a]nima e vita, cose improvabili, q[uando] quelle che con isperienzia

ognora si possano chiaramente conoscere e provare, sono per tanti seculi ignorate e

falsamente credute. L’occhio, che così chiaramente fa sperenzia del suo ofizio, è insino ai mia

tempi per infiniti altori stato difilato in un modo, troco per isperienzia essere ‘n un atltro.

ANNEXE 5.14 : CODEX ATLANTICUS, 417 RO (CÔTÉ GAUCHE)

La sperienza non falla mai, ma sol fallano i vostri giudizi promenttendosi di quella

effetto tale che in e nostri experimenti causati non son. Perché, dato un principio, è necessario

che ciò che siguita di quello, è vera conseguenza di tal principio, se già non fussi impedito, e

se pur seguita alcuno impedimento, l’effetto che doveva seguire del predetto principio,

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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participa tanto più o meno del detto impedimento, quanto esso impedimento è più o men

potente del già detto principio.

ANNEXE 5.15 : CODEX ATLANTICUS, 417 RO (CÔTÉ DROIT)

La esperienza non falla, ma sol fallano i vostri giudizi promettendosi di lei cose che non

sono in sua potestà.

A torto si lamentan li omini della isperienza, la quale con somme rampogne quella

accusano esser fallace. Ma lasciano stare essa sperienza e voltate tale lamentazione contro alla

vostra ignoranza, la quale vi fa transcorrere co’ vostri vani e instolti desideri a impromettervi

di quella cose che non sono in sua potenzia.

Dicendo quella esser fallace…A torto si lamentan li omini della innocente esperienza,

quella spesso accusando di fallacia e di bugiarde dimonstrazioni, ma…

ANNEXE 5.16 : CODEX ATLANTICUS, 520 RO

Corpo nato della prospettiva di Leonardo Vinci, discepolo della sperienza.

Sia fatto questo corpo sanza esemplo d’alcun corpo, ma solamente con semplici linie.

ANNEXE 5.17 : CODEX ATLANTICUS, 877 VO

Per dire la ventura soldi 6.

ANNEXE 5.18 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 49 VO [II]

Ma delli discorsi umani stoltissimo è da essere reputato quello, il qual s’astende alla

credulità della negromanzia, sorella della archimia, partoritrice delle cose semplici e naturali ;

ma è tanto più degna di reprensione che l’archimia, quanto ella non partorisce alcuno cosa, se

non (lettere e) simili a sè, (parole) cioè bugie, il che non ne interviene nella archimia, la quale

è ministratrice de’ semplici prodotti dalla natura ; il quale ufizio fatto esser non può da essa

natura, perchè in lei non è strumenti organici, colli quali essa possa operare quel che adopera

l’omo (il quale ha moto locale) mendiante le mani, che in tale ufizio ha fatti e vetri, ecc ; ma

essa negromanzia, stendado, over bandiera volante, mossa dal vento, guidatrice della stolta

moltitudine, la quale al continuo è testimonia collo abbaiamento d’infiniti effetti di tale arte, e

n’hanno empiuti i libri, affermando che li ‘ncanti e spiriti adoprino, e sanza lingua parlino, e

sanza strumenti organici, (sanza i quali parlar non si po), parlino, e portino gravissimi pesi,

faccino tempestrare e piovere, e che li omini si convertino in gatte, lupi e altre bestie ; benche

in bestia prima entran quelli, che da talc osa affermano.

E certo, se tale negromanzia fussi in essere, come dalli bassi ingegni è creduto, nessuna

cosa è sopra la terra, che al danno e servizio dell’omo fussi di tanta valitudine, perchè se fussi

vero che in tale arte si avessi potenzia di far turbare la tranquilla serenità dell’aria,

convertendo quella in notturno aspetto, e far le corruscazioni e venti, con ispaventevoli toni e

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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folgori, scorrenti infralle tenebre, e con impetuosi venti ruinare li alti edifizi, e diradicare le

selve, e con quelle percotere li eserciti, e quelli rompendo e atterando, e, oltra di questo, le

dannose tempeste privando li cultori del premio delle lor fatiche ; o qual modo di guerra po

essere, che con tanto danno possa offendere il suo nemico, aver potestà di privarlo delle sue

ricolte ? Qual battaglia marittima po essere, che si assomigli a quella di colui, che comanda

alli venti, e fa le fortune ruinose e sommergitrici di qualunche armata ? Certo, quel che

comanda a tali impetuose potenzie sarà signore delli popoli, e nessuno umano ingegno potrà

resistere alle sue dannose forze ; li occulti tesori e gemme, riposte nel corpo della terra, fieno

a costui tutti manifesti, nessun serrame o fortezze inespugnabili saran quelle, che salvar

possino alcuno, sanza la voglia di tal negromante ; questo si farà portare per l’aria dall’oriente

all’occidente, e per tutti li oppositi aspetti dell’universo. Ma perchè mi vo io più oltre

astendendo ? Quale è quella cos ache per tale artefice far non si possa ? Quasi nessuna,

eccetto il levarsi la morte.

Addunque è concluso in parte il danno e la utilità, che in tale arte si contiene, essendo

vera ; e s’ella è vera, perchè non è restata infra li omini, che tanto desiderano, non avendo

riguardo a nessuna deità, e sol che infiniti ce n’è, che, per saddisfare a un suo appetito,

ruinerebbono iddio con tutto l’universo ?

E s’ella non è rimasta infra li omini, essendo a lui tanto necessaria, essa non fu mai, nè

mai è per dovere essere, per la difinizion dello spirito, il quale è invisibile, incorporeo, e

dentro alli elementi non è cose incorporee, perchè dove non è corpo, è vacuo, e il vacuo non si

dà dentro alli elementi, perchè subito sarebbe dall’elemento riempiuto.

ANNEXE 5.19 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 113 RO [X]

Le cose mentali che non son passate per il senso son vanne e nulla verità partoriscano se

non dannosa. E perché tal discorsi nascan da povertà di genio, poveri son sempre tal discorsi,

e se saran nati ricchi e’ moriran poveri nella lor vecchiezza, perché pare che la natura si

vendichi con quelli che voglio far miraculi ; - abbi <n>men che li altri omini più quieti. E

quelli che vogliono arricchirsi ‘n un dì ; vivi nel lungo tempo in gran povertà, come interviene

e interverrà in etterno alli alchimisti, cercatori di creare oro e argento, e all’ingegnieri che

vogliono che l’acqua morta dia vita motiva a se medesima con continuo moto.

E al sommo stolto negromante e incantatore.

ANNEXE 5.20 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 136 RO [X]

E ingegnati di conservare la sanità, la qual cosa tanto più si riuscirà quanto più da’ fisici

ti guarderai, perché le sue composizione son di speczie d’archimia, della qual non è men

numero di libri ch’esista di medicina.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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ANNEXE 5.21 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 162 RO [V]

O scrittore, con quali lettere scriverai tu con tal perfezione la intera figurazione qual fa

qui il disegno ? Il quale tu, per non avere notizia, scrivi confuso e lasci poca cognizione delle

vere figure delle cose, la quale tu, ingannandoti, ti fai credere poter saddisfare appieno

all’ulditore, avendo a parlare di figurazione di qualunche cosa corporea circundato da

superfizie. Ma io ti ricordo che tu non t’impacci colle parole se non di parlare con ordbi, o, se

pur tu voi dimostrar con parole alli orecchi e non all’occhi delli omini, parla di cose di

sustanzie o di nature e non t’impacciare di cose appartenenti all occhi col farle passare per il

orecchi, perché sarai superato di gram lunga dall’opera del pittore.

Con quali lettere descriverai questo core che tu empia un libroe, quanto più lungamente

scriverai alla minuta, tanto più confonderai la mente dello ulditore e sempre arai bisogno

d’isponitori o di titornare alla sperienza, la quale in voi è brevissima e dà notizia di poche

cose rispetto al tutto del subbietto di che desideri integral notizia.

ANNEXE 5.22 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 173 RO [III]

E se alcuno ne se trova vertuoso e bono, nollo scacciate da voi, fàtteli onore, acciò che

non abbia a fuggirsi da voi e ridursi nelli er<e>mi o spelonche, o altri lochi soletari, per

fuggirsi dalle vostre insidie. E se alcun di questi tali si trova, fàteli onore perché questi son li

nostri idei terrest<r>i, questi meritan da noi le statue e li simulacri, onori. Ma ben vi ricordo

che li lor simulacri non sien da voi mangiati, come accade in alcuna regione dell’India che,

quando loro simulacri operano alcuno miraculo secondo loro, li sacerdoti lo tagliano in pezzi,

esse<n>do di legno, e ne danno a tutti quelli del paese non sanza premio, e ciascun raspa

sottilmente la sua parte e mette sopra la prima viva<n>da che mangiano. E così tengan per

fede aversi mangiato il suo santo e credan che lui li guardi poi da tutti li pericoli. Che ti pare,

omo, qui della tua spezie ? Se’ tu così savio come tu ti tieni ? Son queste cose da esser fatte da

omini ?

ANNEXE 5.23 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 173 RO [IV]

Li abbreviatori delle opere fanno ingiuria alla congnizione e allo amore. Con ciò si ache

l’amore di qualunche cosa è figliol d’essa cognizione, e l’amore è tanto più fervente quanto la

congnizione è più certa. La qual certessa nasce dalla cognizione integrale di tutte quelle

pa<r>te le quali essendo insieme unite compongano il tutto di quella coe che debbono essere

amate. Che vale a quel che per abbreviare le parte di quelle cose che lui fa professione di

darne integral notizia, che lui lasci indirieto la maggior parte delle cose di che il tutto è

composto ? Egli è vero che la impazienzia, madre della stoltizia, è quella che lalda la brevità,

come se questi tali non avessino tanto di vit ache li servissi a potere avere una intera notizia

d’un sol particulare, come è un corpo umano. E poi vogliano abracciare la menti di dio, nella

quale s’include l’universo, caratando e minuzzando quella in infinite parte come se l’avessino

a natomizzare. O stoltizia umana ! Non t’avvedi tu che tu se’ stato con teco tutta la tua età e

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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non hai ancora notizia di quella cos ache tu più possiedi, cioè della tua pazzia ? E volli poi

con la moltitudine de’ sofistichi ingannare te e altri, splezzando le matematiche scienze nella

qual si contiene la vera notizia delle cose che in loro si contengano. O voi poi scorrere n’

miracoli e scrivere e dar notizia di quelle cose di che la mente umana non è capace e non si

posso<n>dimostrare per nessuno esemplo naturale ?

ANNEXES 6 : CITATIONS SUR L’EXPÉRIENCE ET LA CONNAISSANCE

ANNEXE 6.1 : CODEX FORSTER III, 14 RO

La sapienzia è figliola della sperienzia, la quale sperienza…

ANNEXE 6.2 : CODEX TRIVULZIO, 20 VO

Ogni nostra cognizione prencipia da’ sentimenti.

ANNEXE 6.3 : MANUSCRIT I, 18 RO

La natura è piena d’infinite ragioni che non furon mai in isperienza.

ANNEXE 6.4 : MANUSCRIT I, 130 RO

La scienza è il capitano e la pratica sono i soldati.

ANNEXE 6.5 : MANUSCRIT G, 8 RO

Dell’error di quelli che usano la pratica sanza scienzia.

Quelli che s’innamoran di pratica sanza scienzia son come ‘l nocchieri che entra in

navilio sanza timone o bussola, che mai ha certezza dove si vada.

Sempre la pratica debbe essere edificata sopra la bona teorica, della qual la prospettiva è

guida e porta, e sanza questa nulla si fa bene ne’ casi di pittura.

ANNEXE 6.6 : MANUSCRIT G, 47 RO

O speculatore delle cose, non ti laldare di conoscere le cose che ordinariamente per se

medesima la natura conduce, ma rallegratti di conoscere il fine di quelle cose che son

disegnate dalla mente tua.

ANNEXE 6.7 : MANUSCRIT G, 96 VO

Nessuna certezza delle scienzie è dove non si po applicare una delle scienzie

matematiche, ovver che non sono unite con esse matematiche.

ANNEXE 6.8 : CODEX ATLANTICUS, 112 RO (A)

La somma filicità sarà somma cagione della infilicità, e la perfezio[n] della sapienza

cagion della stoltizia.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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ANNEXE 6.9 : CODEX ATLANTICUS, 207 VO (MARGE GAUCHE)

Se tu volli insegnare a uno una cosa che tu non sappia, falli misurare la lunghezza d’une

cosa a te incognita e lui saprà la misura che tu prima non sapevi. Maestro Giovanni da Lodi.

ANNEXE 6.10 : CODEX ATLANTICUS, 234 RO

La sperienza, interpetre della artefiziosa natura, ne dimostra questa figura essere per

necessità constretta a non altrementi operare che si figurato sia. E la ragione, timone d’essa

natura, ne conferma in questo modo […].

La sperienza, interprete infra l’artifiziosa natura e la umana spezie, ne ‘nsegna ciò che

essa natura infra’ mortali adopera da necessità constretta [e] [corne] non altrimenti operar si

possa che la ragion, suo timone, operare le ‘nsegni.

ANNEXE 6.11 : CODEX ATLANTICUS, 327 VO

Naturalmente li omini boni disiderano sapere. […]

Proemio.

So bene che per non essere io litterato, che alcuno presuntuoso gli parrà

ragionevolmente poterni biasimare coll’allegare io essere omo sanza lettere. Gente stolta !

Non sanno questi tali ch’io potrei, sì come Mario rispose contro a’ patr[i]zi romani, io sì

rispondere dicendo : quelli che dell’altrui fatiche se medesimi fanno ornati, le mie a me

medesimo non vogliano concedere. Diranno che, per non avere io lettere, non potere ben dire

quello di che voglio trattare. Or non sanno questi che le mie cose son più da esser tratte dalla

sperenzia che d’altrui parola, la quale fu maestra di chi bene scrisse, e così per maest[r]a la

piglio e quella in tutt’i casi allegherò.

ANNEXE 6.12 : CODEX ATLANTICUS, 398 VO

Tutte le cose che sospingano l’una altra, saranno infra loro d’equal moto e contingenti

evver continue.

Nessuno effeto è in natura sanza ragione, intendi la ragione e non ti bisogna sperienza.

ANNEXE 6.13 : CODEX ATLANTICUS, 549 VO

Quando voi fare un effetto per istrumento, non ti allungare in confusione di molti

membri, ma cerca il più brieve modo, e non fare come quelli che, non sapiendo dire una cosa

per lo suo proprio vocabulo, vanno per via di circuizione e per molte lunghezze confuse.

ANNEXE 6.14 : CODEX ATLANTICUS, 616 VO

L’acquisto di qualunche cognizione è sempre utile allo intelletto, perché potrà scacciare

da sè le cose inutile e riservare le buone.

Perché nessuna cosa si può amare né odiare, se prima non si ha cognizion di quella.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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ANNEXE 6.15 : CODEX ATLANTICUS, 785 VO (B)

Sì come il ferro s’arrigginisce sanza esercizio e l’acqua si putrefa o nel freddo

s’addiaccia, così lo ‘ngegno sanza esercizio si guasta.

ANNEXE 6.16 : CODEX ATLANTICUS, 820 RO

Chi si promette dalla sperienzia quel che non è in lei, si discosta dalla ragione.

ANNEXE 6.17 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 116 RO [IV]

Non mi legga chi non è matematico nelli mia principi.

ANNEXE 6.18 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 159 RO [II]

E però, o studianti, studiate le matematiche e non edificate sanza fondamenti.

ANNEXE 6.19 : CORPUS SUR LES ÉTUDES ANATOMIQUES, 173 RO [I]

Chi biasima la somma certezza della matematica, si pasce di confusione e mai porrà

silentio alle contraditioni delle soffistiche scientie, colle quali s’inpara uno eterno gridore.

ANNEXES 7 : CITATIONS SUR LE TEMPS ET LA MORT

ANNEXE 7.1 : CODEX FORSTER III, 29 RO

Io t’ubbidisco, Signore, prima per l’amore che ragionelomente portare ti debbo,

secondaria che tu sai abbreviare o prolungare le vite a li omini.

ANNEXE 7.2 : CODEX FORSTER III, 55 RO

Fuggi quello studio del quale la resultante opera more insieme coll’operante d’essa.

ANNEXE 7.3 : CODEX FORSTER III, 66 VO

Tristo è quel discepolo che non avanza il suo maestro.

ANNEXE 7.4 : CODEX TRIVULZIO, 27 RO

Sì come una giomata bene spesa dà lieto dormire così una vita bene isata dà lieto

morire.

ANNEXE 7.5 : CODEX TRIVULZIO, 34 VO

Punto non è parte di linia.

L’acqua che tocchi de’ fiumi è l’ultima di quella che andò, e la prima di quella che

viene. Così il tempo presente.

La vita bene spesa lunga è.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

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ANNEXE 7.6 : CODEX LEICESTER, 31 RO

Perché molto son più antiche le cose che le lettere, non è maraviglia, se alli nostri giorni

non apparisce sc[r]iptura delli predetti (co) mari essere occupatori di tanti pa(esi, e se tu)[esi],

e se pure alcuna scrittura apparia, le guerre, l’incendi, le mutazioni delle lingue e delle leggi,

li diluvi dell’acque ànno consumato ogni antichità, ma a noi basta le testimonanzie delle cose

nate nelle acque salse rit[r]ovarsi nelli alti monti, lontani dalli mari talor.

ANNEXE 7.7 : MANUSCRIT F, 49 VO

Guarda il lume e considera la sua bellezza. Batti l’occhio e riguardalo. Ciò che di lui tu

vedi, prima non era, e ciò che di lui era, più non è. Chi è quel che lo rifà, se ‘l fattore al

continuo more ?

ANNEXE 7.8 : CODEX ARUNDEL, 176 RO

Scrivi la qualità del tenpo separata dalla geometrica.

ANNEXE 7.9 : CODEX ATLANTICUS, 42 VO

… né modi di compartire e misurare …giorni ne’ quali ci doviamo affaticare di non

trapassarli … [quest]a misera vita non trapassi sanza alcuna …lasciare di noi alcuna memoria

nelle menti de’ mortali.

…da

…do in saperlo spendere…difendere e contastare…li el più delle vol[t]e son cagione…

[que]sta nostra misera vita.

ANNEXE 7.10 : CODEX ATLANTICUS, 81 VO

Il giudizio nostro non giudica le cose fatte in varie distanzie di tempo nelle debite e

proprie lor distanzie, perché molte cose passate di molti anni parranno propinque e vicine al

presente, e molto cose vicine parranno antiche, insierne coll’antichità della nostra gioventù. E

così fa l’occhio indra le cose distanti, che, per essere alluminate dal sole, paiano vicine

all’occhio, e molto cose vicine paiano distanti.

ANNEXE 7.11 : CODEX ATLANTICUS, 195 VO

L’ètà che vola discorre nascostamente e inganna altrui, e niuna cosa è più veloce che gli

anni e chi semina virtù, fama ricoglie.

ANNEXE 7.12 : CODEX ATLANTICUS, 207 RO

A torto si lamentan li omini della fuga del tempo, incolpando quello di troppa velocità,

non s’accorgendo quello esser di bastevole transito, ma bona memoria, di che la natura ci ha

dotati, ci fa che ogni cosa lungamente passata ci pare essere presente.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

81

ANNEXE 7.13 : CODEX ATLANTICUS, 207 VO

O dormiente, che cosa è sonno ? Il sonno ha similitudine colla morte. O perché non fai

adunque tale opera che dopo la morte tu abbi similitudine di perfetto vivo, che vivendo farsi

col sonno simile ai tristi morti ?

ANNEXE 7.14 : CODEX ATLANTICUS, 310 RO

Acquista cosa nella tua gioventù che ristori il danno della tua vecchiezza. E se tu intendi

la vecchiezza aver per suo cibo la sapienza, adoperati in tal modo in gioventù che a tal

vecch[i]ezza non manchi il nutrimento.

ANNEXE 7.15 : CODEX ATLANTICUS, 680 RO

Quando io crederò imparare a vivere, e io imparerò a morire.

ANNEXE 7.16 : CODEX ATLANTICUS, 1040 VO

La gognizion del tempo pretert[t]o e del sito della terra è ornamento e cibo delle menti

umane.

ANNEXE 7.17 : CODEX ATLANTICUS, 1109 RO (B)

Infra les cose grandi che infra noi si trovano, l’essere del nulla è grandissima. Questo

risiede nel tempo e distende le sue membra nel preterito e futuro, co’ le quali occupa tutte

l’opere passate e che hanno a venire, sì di natura come delli animali, e niente possiede dello

indivisibile presente. Questo non s’astende sopra l’essenzia d’alcuna cosa.

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

82

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS ........................................................................................................... 2

REMERCIEMENTS ...................................................................................................... 3

INTRODUCTION ........................................................................................................... 4

1. COMPRENDRE LE MONDE POUR MIEUX LE RECRÉER ...................... 6

1.1 DÉVELOPPER SES CONNAISSANCES INITIALES ...................................................... 6

1.2 S’INTÉRESSER À LA PHILOSOPHIE NATURELLE ..................................................... 8

1.3 NOURRIR L’ESPRIT ET L’ÂME ............................................................................. 10

2. ANALYSER LE MONDE POUR MIEUX SE L’APPROPRIER ................. 13

2.1 ÊTRE ET APPARAITRE : LA QUESTION DE L’ENGENDREMENT .............................. 13

2.1.1 S’incliner devant la création divine ......................................................... 13

2.1.2 Imiter la nature matricielle ...................................................................... 16

2.1.3 Penser l’homme dans l’univers sublunaire .............................................. 18

2.2 DÉCOMPOSER LES ÉNERGIES VITALES................................................................ 20

2.2.1 Discerner les éléments naturels ............................................................... 21

2.2.2 Pénétrer les relations sensibles ................................................................ 22

2.2.3 Reconnaitre la puissance solaire ............................................................. 24

2.3 PERCEVOIR LES DIMENSIONS TEMPORELLES ...................................................... 26

2.3.1 Découvrir que le monde a été et sera ....................................................... 26

2.3.2 Prendre conscience de la nature du temps ............................................... 28

2.3.3 Accepter le cercle de la vie....................................................................... 30

3. SUBLIMER LE MONDE POUR MIEUX L’HABITER ............................... 33

3.1 FAIRE PREUVE D’ESPRIT CRITIQUE ..................................................................... 33

3.1.1 Fuir les mensonges ................................................................................... 33

3.1.2 Déceler les imposteurs ............................................................................. 37

3.1.3 Discerner les jugements erronées ............................................................ 39

3.2 ÊTRE EN QUÊTE DE CONNAISSANCE ................................................................... 41

3.2.1 Louer la probité intellectuelle .................................................................. 42

3.2.2 Suivre les préceptes vertueux ................................................................... 44

3.2.3 Faire usage de la raison ........................................................................... 46

3.3 DEVENIR MEILLEUR PAR LE SAVOIR .................................................................. 48

3.3.1 S’appuyer sur l’exactitude mathématique ................................................ 48

3.3.2 Expérimenter avec la nature .................................................................... 50

3.3.3 Accomplir une œuvre mémorable ............................................................. 52

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

83

CONCLUSION ............................................................................................................. 55

4. BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................. 57

SOURCES PRIMAIRES .................................................................................................... 57

SOURCES SECONDAIRES ............................................................................................... 57

5. ANNEXES ........................................................................................................... 61

ANNEXE 1 : LES DIFFÉRENTS MANUSCRITS ET CODEX .................................................. 61

Manuscrits A à M (Institut de France, Paris) ......................................................... 61

Codex Arundel (British Library, Londres) – Ar. ..................................................... 61

Codex Atlanticus (Biblioteca Ambrosiana, Milan) – CA. ....................................... 61

Codex Urbinas (Bibliothèque du Vatican, Cité du Vatican) – CU. ........................ 61

Codex Forster (Victoria and Albert Museum, Londres) – Fors. ............................ 61

Codex Leicester (Bill Gates Collection, Seattle) – Leic. ........................................ 61

Codex de Madrid (Biblioteca Nacional, Madrid) – Ma. ........................................ 61

Dessins et manuscrits (Royal Library, Windsor) .................................................... 62

Codex sur le vol des oiseaux (Biblioteca Reale, Turin) – Tn. ................................. 62

Codex Trivulzio (Castello Sforzesco, Biblioteca Trivulziana, Milan) – Triv. ........ 62

ANNEXE 2 : UNE CHRONOLOGIE INDICATIVE DES MANUSCRITS ................................... 62

La jeunesse et formation à Florence (1452-1481) .................................................. 62

À la cour de ludovic Sforza à Milan (1481-1499) .................................................. 62

Les voyages entre Mantoue, Venise et Florence (1499-1506) ................................ 63

De retour à Milan auprès de Charles d’Amboise (1506-1513) .............................. 63

Au service de Julien de Médicis à Rome (1513-1516) ............................................ 63

François Ier mécène au Clos Lucé (1516-1519) ..................................................... 63

ANNEXES 3 : CITATIONS SUR LES AUTEURS ANCIENS ET CONTEMPORAINS ................... 64

Annexe 3.1 : Codex Trivulzio, 14 ro ........................................................................ 64

Annexe 3.2 : Codex de Madrid II, 3 ro .................................................................... 64

Annexe 3.3 : Manuscrit F, 5 ro et 4 vo ..................................................................... 64

Annexe 3.4 : Manuscrit F, 27 ro .............................................................................. 65

Annexe 3.5 : Manuscrit F, 59 ro .............................................................................. 65

Annexe 3.6 : Codex Arundel, 71 vo ......................................................................... 65

Annexe 3.7 : Codex Arundel, 192 vo ....................................................................... 65

Annexe 3.8 : Codex Atlanticus, 559 ro .................................................................... 65

Annexe 3.9 : Corpus sur les études anatomiques, 97 ro [I] .................................... 66

Annexe 3.10 : Corpus sur les études anatomiques, 154 ro [II] ............................... 66

Annexe 3.11 : Manuscrit M, I cop vo ...................................................................... 66

ANNEXES 4 : CITATIONS SUR LA NATURE ET LA CRÉATION .......................................... 66

Annexe 4.1 : Manuscrit A, 99 vo ............................................................................. 66

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

84

Annexe 4.2 : Manuscrit A, 100 ro ............................................................................ 67

Annexe 4.3 : Manuscrit A, 105 vo ........................................................................... 67

Annexe 4.4 : Manuscrit A, 111 vo ........................................................................... 67

Annexe 4.5 : Manuscrit H, 89 vo ............................................................................. 67

Annexe 4.6 : Codex Forster III, 38 ro ..................................................................... 67

Annexe 4.7 : Codex Forster III, 44 vo ..................................................................... 67

Annexe 4.8 : Codex Trivulzio, 17 vo ........................................................................ 67

Annexe 4.9 : Codex Trivulzio, 33 ro ........................................................................ 68

Annexe 4.10 : Codex Leicester, 34 ro ...................................................................... 68

Annexe 4.11 : Manuscrit F, 41 vo ........................................................................... 68

Annexe 4.12 : Codex Arundel, 85 vo ....................................................................... 68

Annexe 4.13 : Codex Arundel, 174 vo ..................................................................... 68

Annexe 4.14 : Codex Atlanticus, 207 vo .................................................................. 68

Annexe 4.15 : Codex Atlanticus, 218 ro .................................................................. 68

Annexe 4.16 : Codex Atlanticus, 543 vo .................................................................. 68

Annexe 4.17 : Codex Atlanticus, 729 vo .................................................................. 68

Annexe 4.18 : Codex Atlanticus, 1067 ro ................................................................ 69

Annexe 4.19 : Corpus sur les études anatomiques, 50 vo [I-IV] ............................. 69

Annexe 4.20 : Corpus sur les études anatomiques, 114 vo [IX-XI] ........................ 70

Annexe 4.21 : Corpus sur les études anatomiques, 117 vo [I] ................................ 71

Annexe 4.22 : Corpus sur les études anatomiques, 136 ro [IX] .............................. 71

Annexe 4.23 : Corpus sur les études anatomiques, 197 vo [X] ............................... 71

ANNEXES 5 : CITATIONS SUR LES IMPOSTEURS ET LES MENSONGES ............................. 71

Annexe 5.1 : Manuscrit B, 4 vo ............................................................................... 71

Annexe 5.2 : Manuscrit H, 16 vo ............................................................................. 71

Annexe 5.3 : Études sur les proportions du corps humain, II a. ............................. 71

Annexe 5.4 : Codex sur le vol des oiseaux, 11 ro .................................................... 72

Annexe 5.5 : Manuscrit F, II cop ro ........................................................................ 72

Annexe 5.6 : Manuscrit F, 5 vo ............................................................................... 72

Annexe 5.7 : Manuscrit F, 27 vo ............................................................................. 72

Annexe 5.8 : Manuscrit F, 96 vo ............................................................................. 73

Annexe 5.9 : Manuscrit M, 58 vo ............................................................................. 73

Annexe 5.10 : Codex Atlanticus, 207 ro .................................................................. 73

Annexe 5.11 : Codex Atlanticus, 207 vo .................................................................. 73

Annexe 5.12 : Codex Atlanticus, 323 ro .................................................................. 73

Annexe 5.13 : Codex Atlanticus, 327 vo .................................................................. 73

Annexe 5.14 : Codex Atlanticus, 417 ro (côté gauche) ........................................... 73

Annexe 5.15 : Codex Atlanticus, 417 ro (côté droit) ............................................... 74

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

85

Annexe 5.16 : Codex Atlanticus, 520 ro .................................................................. 74

Annexe 5.17 : Codex Atlanticus, 877 vo .................................................................. 74

Annexe 5.18 : Corpus sur les études anatomiques, 49 vo [II] ................................. 74

Annexe 5.19 : Corpus sur les études anatomiques, 113 ro [X] ............................... 75

Annexe 5.20 : Corpus sur les études anatomiques, 136 ro [X] ............................... 75

Annexe 5.21 : Corpus sur les études anatomiques, 162 ro [V] ............................... 76

Annexe 5.22 : Corpus sur les études anatomiques, 173 ro [III] ............................. 76

Annexe 5.23 : Corpus sur les études anatomiques, 173 ro [IV] .............................. 76

ANNEXES 6 : CITATIONS SUR L’EXPÉRIENCE ET LA CONNAISSANCE ............................. 77

Annexe 6.1 : Codex Forster III, 14 ro ..................................................................... 77

Annexe 6.2 : Codex Trivulzio, 20 vo ........................................................................ 77

Annexe 6.3 : Manuscrit I, 18 ro ............................................................................... 77

Annexe 6.4 : Manuscrit I, 130 ro ............................................................................. 77

Annexe 6.5 : Manuscrit G, 8 ro ............................................................................... 77

Annexe 6.6 : Manuscrit G, 47 ro ............................................................................. 77

Annexe 6.7 : Manuscrit G, 96 vo ............................................................................. 77

Annexe 6.8 : Codex Atlanticus, 112 ro (a) .............................................................. 77

Annexe 6.9 : Codex Atlanticus, 207 vo (marge gauche) ......................................... 78

Annexe 6.10 : Codex Atlanticus, 234 ro .................................................................. 78

Annexe 6.11 : Codex Atlanticus, 327 vo .................................................................. 78

Annexe 6.12 : Codex Atlanticus, 398 vo .................................................................. 78

Annexe 6.13 : Codex Atlanticus, 549 vo .................................................................. 78

Annexe 6.14 : Codex Atlanticus, 616 vo .................................................................. 78

Annexe 6.15 : Codex Atlanticus, 785 vo (b) ............................................................ 79

Annexe 6.16 : Codex Atlanticus, 820 ro .................................................................. 79

Annexe 6.17 : Corpus sur les études anatomiques, 116 ro [IV] .............................. 79

Annexe 6.18 : Corpus sur les études anatomiques, 159 ro [II] ............................... 79

Annexe 6.19 : Corpus sur les études anatomiques, 173 ro [I] ................................ 79

ANNEXES 7 : CITATIONS SUR LE TEMPS ET LA MORT .................................................... 79

Annexe 7.1 : Codex Forster III, 29 ro ..................................................................... 79

Annexe 7.2 : Codex Forster III, 55 ro ..................................................................... 79

Annexe 7.3 : Codex Forster III, 66 vo ..................................................................... 79

Annexe 7.4 : Codex Trivulzio, 27 ro ........................................................................ 79

Annexe 7.5 : Codex Trivulzio, 34 vo ........................................................................ 79

Annexe 7.6 : Codex Leicester, 31 ro ........................................................................ 80

Annexe 7.7 : Manuscrit F, 49 vo ............................................................................. 80

Annexe 7.8 : Codex Arundel, 176 ro ....................................................................... 80

Annexe 7.9 : Codex Atlanticus, 42 vo ...................................................................... 80

Claire Guillon, La pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite

86

Annexe 7.10 : Codex Atlanticus, 81 vo .................................................................... 80

Annexe 7.11 : Codex Atlanticus, 195 vo .................................................................. 80

Annexe 7.12 : Codex Atlanticus, 207 ro .................................................................. 80

Annexe 7.13 : Codex Atlanticus, 207 vo .................................................................. 81

Annexe 7.14 : Codex Atlanticus, 310 ro .................................................................. 81

Annexe 7.15 : Codex Atlanticus, 680 ro .................................................................. 81

Annexe 7.16 : Codex Atlanticus, 1040 vo ................................................................ 81

Annexe 7.17 : Codex Atlanticus, 1109 ro (b) .......................................................... 81

TABLE DES MATIÈRES ............................................................................................ 82