Les pratiques mises en œuvre dans la gestion responsable des impacts sociaux dans les chaines...

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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Les pratiques mises en œuvre dans la gestion responsable des impacts sociaux dans les chaines d'approvisionnement mondiales ESSAI PRÉSENTÉ COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAITRISE ÈS SCIENCES DE LA GESTION PAR LUCE BEAULIEU AVRIL 2014

Transcript of Les pratiques mises en œuvre dans la gestion responsable des impacts sociaux dans les chaines...

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

Les pratiques mises en œuvre dans

la gestion responsable des impacts sociaux

dans les chaines d'approvisionnement mondiales

ESSAI

PRÉSENTÉ

COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA

MAITRISE ÈS SCIENCES DE LA GESTION

PAR LUCE BEAULIEU

AVRIL 2014

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RÉSUMÉ

L'approvisionnement est une fonction stratégique dans toute entreprise produisant des biens et opérant mondialement. Pour celles qui désirent épouser les tenants et aboutissants du développement durable et de la responsabilité sociale, l'approvisionnement responsable est devenu une pratique incontournable. Depuis une dizaine d'années, praticiens et théoriciens estiment que les enjeux sociaux sont des sujets saillants pour l'approvisionnement dit responsable. Mais qu'en est-il des variables qui influencent l’approvisionnement responsable ? Comment synthétiser les meilleures pratiques de gestion des impacts sociaux sur les chaines d’approvisionnement mondialisées ? C'est dans une optique d'amélioration des conditions socio-économiques des travailleurs ainsi que dans une perspective cycle de vie que nous répondons à ces questions. Méthodologiquement, nous nous inscrivons dans une approche qualitative de la recherche et nous appuyons sur une revue de littérature raisonnée. À partir des bases de l'approvisionnement responsable que sont les approches, outils, dimensions et cadres RSO, nous expliquons la pratique sous l'égide du modèle d'affaires et de la gouvernance éthique. Nous introduisons deux variables importantes du volet social de l'approvisionnement : la mondialisation et les risques sociaux. Nous innovons ensuite avec une définition de l'approvisionnement socialement responsable, en nous appuyant sur diverses définitions répertoriées dans la littérature. Après avoir abordé les modèles d'implantation, nous répertorions les vingt meilleures pratiques qui sont, théoriquement, garantes de succès en approvisionnement socialement responsable. Ces pratiques sont suivies d'une discussion sur les enjeux de l'opérationnalisation de l'approvisionnement socialement responsable et une mise en parallèle avec le commerce équitable. Nous concluons avec une brève synthèse des principaux concepts et pratiques. Mots-clés : approvisionnement socialement responsable, approvisionnement responsable, meilleures pratiques, responsabilité sociale des organisations.

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TABLE DES MATIÈRES

1. Introduction............................................................................................................. 1 1. L’approvisionnement responsable ......................................................................... 1

2. Le but, les objectifs et La méthodologie ................................................................ 4

2.1 But de l’essai ....................................................................................................... 4

2.2 Objectif et sous-objectifs ..................................................................................... 6

2. 3 Méthodologie de recherche ................................................................................ 8

2.3.1 L’essai interprétatif en recherche qualitative ................................................ 8

2.3.2 La revue de la littérature ............................................................................... 9

2.3.3 La compilation et la synthèse des meilleures pratiques .............................. 10

2.4 Présentation du plan de l’essai .......................................................................... 11

3. Fondements de la responsabilité sociale .............................................................. 12

3.1 De Silent Spring à la gestion responsable des achats ........................................ 12

3.2 L’approvisionnement responsable et son lien avec la responsabilité sociale .... 14

3.3 La RSO et les parties prenantes ......................................................................... 15

3.4 Cadres des droits de l’homme et des droits du travail ....................................... 19

3.4.1 La Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation

équitable et l’Agenda du travail décent ............................................................... 20

3.4.2 Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la

politique sociale de l’OIT et Déclaration universelle des droits de l’homme ..... 21

3.5 Cadres normatifs de RSO : opérationnalisation et reddition de comptes .......... 22

3.6 La gestion en mode RSO ................................................................................... 22

3.6.1 ISO 26000 ................................................................................................... 24

3.6.2 GRI G3 et G4 .............................................................................................. 25

4. Fondements épistémologiques et conceptuels de l’approvisionnement ........... 30

4.1 La stratégie et les modèles d’affaires ................................................................ 30

4.1.1 Modèle d’affaires ........................................................................................ 30

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4.1.2 Création de valeur partagée ........................................................................ 31

4.2 La gouvernance éthique ..................................................................................... 33

4.3 L’approvisionnement : concepts, définitions et influences dominantes ............ 36

4.3.1 Pourquoi et comment faire appel à des fournisseurs .................................. 37

4.3.2 La chaîne de valeur ..................................................................................... 38

4.4 La chaîne d’approvisionnement ........................................................................ 40

4.4.1 La mondialisation ....................................................................................... 41

4.4.2 La gestion des risques ................................................................................. 42

5. L’approvisionnement socialement responsable .................................................. 47

5.1 Définitions, motivations et approches ............................................................... 47

5.2 Les facteurs de motivation et les approches ...................................................... 48

5.3 Les pratiques d'approvisionnement socialement responsable ........................... 51

5.4 Les facteurs favorisant la mise en place des pratiques ...................................... 59

5.4.1 Facteurs internes ......................................................................................... 59

5.4.2 Facteurs externes ......................................................................................... 61

5.4.3 Le leadership et la culture organisationnelle .............................................. 62

5.5 Les facteurs entravant la mise en place des pratiques ....................................... 63

5.6 Les modèles d'implantation ............................................................................... 68

5.6.1 Les modèles séquentiels .............................................................................. 68

5.6.2 Les modèles intégrés ................................................................................... 69

5.7 Conditions optimales et meilleures pratiques .................................................... 72

5.7.1 Conditions optimales de base ..................................................................... 72

5.7.2 Meilleures pratiques .................................................................................... 74

5.8 Discussion .......................................................................................................... 83

6. Conclusion .............................................................................................................. 88

Bibliographie ............................................................................................................. 90

Annexe 1 ................................................................................................................... 100

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 Définitions du concept d'approvisionnement responsable tirées de la littérature................................................................................................................. 103 Tableau 2 Dispositifs de gestion répertoriés en approvisionnement responsable............................................................................................................... 57 Tableau 3 Facteurs favorisant ou entravant la mise en place d'une initiative d'approvisionnement responsable............................................................................. 65 Tableau 4 Meilleures pratiques intégrées pour l'approvisionnement socialement responsable............................................................................................................... 79

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LISTE DES FIGURES

Figure 4.1 Équation du risque social selon Kytle et Ruggie (2005) ........................ 44 Figure 4.2 Modèle de l’évolution des enjeux sociaux en risques sociaux selon Kytle et Ruggie (2005) .............................................................................................. 45 Figure 5.1 Figure tirée de Reeve et Everdene (2007) illustrant différentes approches de calcul du coût complet de possession ................................................................... 54 Figure 5.2 Le processus d'introduire, implanter et maintenir un approvisionnement socialement responsable selon Leire et Mont (2010) ................................................ 70 Figure 5.3 Les trois étapes de la mise en place de chaînes d’approvisionnement durables mondiales selon Brammer, Hoejmose et Millington (2011) ....................... 71 Figure 5.4 Cadre des pratiques de base selon Brammer, Hoejmose et Millington (2011) ......................................................................................................................... 71 Figure 5.5 Cadre des meilleures pratiques selon Brammer, Hoejmose et Millington (2011) ......................................................................................................................... 72

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LISTE DES SIGLES ET ABBRÉVIATIONS

CVP : Création de Valeur Partagée, expression qui désigne la théorie « Creating Shared Value » (CSV) de Porter et Kramer (2011)

ECPAR : Espace québécois de concertation sur les pratiques d’approvisionnements responsable

EIS : Études d’impacts sociaux

EIRIS : Experts In Responsible Investment Solutions

ESS : European Social Survey

ETI : Ethical Trading Initiative

FLA : Fair Labor Association

GSCP : Global Social Compliance Program

GRI : Global Reporting Intitative

IR: Integrated Reporting

ISO : Organisation Internationale de Normalisation

OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Économiques

OIT : Organisation Internationale du Travail

ONG : organisation non gouvernementale

TCO : Total Cost of Ownership

USAS : United Students Against Sweatshops

WRC : Workers’ Rights Consortium

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REMERCIEMENTS

La rédaction de tout document qui synthétise des études de niveau maîtrise exige un

haut niveau d'engagement personnel, de même qu'un soutien important sur les plans

académique, financier et personnel.

J'aimerais remercier en tout premier lieu mon directeur de maîtrise, Jean-Pierre

Revéret, qui par sa guidance souple et fine a su tirer le meilleur de moi et faire de cet

essai un exercice intellectuel enrichissant et stimulant. Je tiens à remercier

particulièrement Francette Hamaide qui, lors de son stage à la Chaire internationale

sur le cycle de vie, a agi comme éclaireur à travers les méandres des grands cadres

internationaux sur les droits humains et les droits du travail. Merci également à

Hélène Olland de l'ECPAR pour sa bibliographie et à mon amie Maria Del Mar

Rufino pour la révision.

En ce qui concerne le support financier, j'aimerais remercier la Fondation de l'UQAM

pour la bourse d'excellence FARE pour les cycles supérieurs qui, jointe à la bourse

d'excellence Robert Sheitoyan en Stratégie, responsabilité sociale et

environnementale, m'ont permis d'accorder un maximum de temps à mes études.

Lorsqu'on est mère de famille, un projet universitaire devient de facto un projet

familial. Sur le plan personnel, je tiens donc à rendre hommage à mon mari et père de

mon enfant, Régis, ainsi qu'à ma mère, Louisette, qui m'ont appuyée et accompagnée

durant tout ce projet d'études. Leur enthousiasme pour mon parcours et mes succès,

leur soutien dans les moments difficiles et surtout, l'immense flexibilité dont ils ont

fait preuve ont été les clés de voûte de mon cheminement réussi.

Merci !

1. INTRODUCTION

1. L’approvisionnement responsable

Depuis le rapport Brundtland de 1987, le terme « développement durable » est entré

dans le vocabulaire et la logique non seulement des institutions, des organisations

onusiennes, mais aussi du monde des affaires et de la gestion. Les concepts sous-

tendant le développement durable réfèrent généralement aux trois dimensions du

développement (économique – environnemental – social) ainsi qu’au triple bilan1.

Les entreprises qui considèrent que leur contribution sociétale va au-delà de la

génération de profits créent ou adhèrent à des initiatives diverses que l’on peut classer

sous le terme « responsabilité sociale ». La responsabilité sociale des organisations

(ou RSO) consiste, largement, à prendre en considération les besoins légitimes de

parties prenantes externes à l’entreprise dans les décisions d’affaires.

Parmi toutes les facettes de la RSO, une des dimensions qui peut permettre de lier les

intrants et les activités de l’entreprise avec les impacts qu’elle génère est

l’approvisionnement dit « responsable », ou durable. Carter et Rogers (2008)

définissent ainsi une chaîne d’approvisionnement durable :

L’intégration des objectifs sociaux, environnementaux et économiques dans la coordination des processus inter-entreprises dans le but d’améliorer le rendement économique à long terme de chaque entreprise et de ses chaînes d’approvisionnement. (Carter et Rogers, 2008)2

Cette dimension de l’approvisionnement est en lien direct à la fois avec les pratiques

de RSO mais aussi avec les objectifs de la production et consommation durables

(PCD). Les gestionnaires qui pratiquent l’approvisionnement responsable mettent

donc en place un levier qui influe directement sur les impacts de la chaine de valeur,

surtout en amont, mais également en aval.

1 Le triple bilan est un concept attribué à John Elkington (1997) 2 Définition adaptée en français par le REDD, 2011

2

Dans les 15 dernières années, la littérature scientifique a surtout traité de la gestion

des impacts environnementaux, en s’attardant peu aux impacts sociaux générés. Les

impacts sociaux négatifs sont caractérisés par des situations où des travailleurs

impliqués dans les chaines d’approvisionnement sont victimes de situations mettant

en cause leurs droits fondamentaux, leur dignité et leur santé. Ces enjeux, que l’on

peut rassembler sous la bannière « violations des droits fondamentaux » (incluant les

droits humains et le droit au travail décent) commencent à peine à être pris en

considération par les entreprises les plus avancées en termes de RSO. Les pratiques

de l’approvisionnement responsable, en ce qui a trait aux enjeux sociaux et plus

spécifiquement en ce qui concerne les droits et libertés des travailleurs, sont encore

peu documentées dans la littérature scientifique comme dans la littérature grise. Elles

constituent donc des pratiques avant-gardistes.

Dans l’évaluation de la performance corporative liée aux enjeux sociaux on parle

souvent de la notion « d’impacts », sous-tendant que les retombées des activités des

entreprises sont de nature plutôt négative (réduction de l’intégrité physique,

psychologique et morale d’une personne ou d’un groupe de personnes). Selon

Broche, Capron et Quairel-Lanoizelé (2005), les impacts sociaux dans le cadre d’une

évaluation des impacts sociaux (EIS) sont catalogués selon une logique d’évaluation

des risques, autant du point de vue de l’entreprise que du point de vue de la société

civile (Broche, Capron et Quairel-Lanoizelé, 2005). Cependant, il peut aussi avoir des

impacts positifs et ceux-ci devraient idéalement constituer le but des activités RSO

d’une organisation. Cet accent mis sur les impacts est aussi vrai pour une grande

partie de la littérature scientifique traitant des enjeux sociaux sur les chaines

d’approvisionnement. Il existe cependant un outil qui permet de donner une

représentation plus entière des retombées sociales des produits et services : l’analyse

sociale du cycle de vie (AsCV). En effet, l’AsCV s’intéresse autant à la mesure des

impacts négatifs qu'à ceux qui sont positifs. Cet outil, dont les premières lignes

directrices ont vu le jour en 2009 sous l’égide du Programme des Nations Unies pour

3

l’environnement (PNUE) et de la Société de toxicologie et chimie de l’environnement

(SETAC), cherche à donner un portrait complet des comportements des entreprises en

matière de performance sociale. L’AsCV cherche à « développer et diffuser des outils

pratiques permettant d’évaluer les solutions, risques, avantages et inconvénients

associés aux produits et services tout au long de leur cycle de vie afin de réaliser un

développement durable » (PNUE-SETAC, 2009, p.28). Une des critiques faites à

l’analyse environnementale du cycle de vie (AeCV) est son orientation « anti-

développement », dans la mesure où cet outil ne fait que décrire les effets néfastes sur

l’environnement et non pas les effets bénéfiques potentiels (PNUE-SETAC, 2009).

C’est en partie pour arrimer cette double dimension des impacts que les lignes

directrices pour l’analyse sociale du cycle de vie des produits tentent « d’établir un

cadre pour inclure les avantages socio-économiques d’une ACV » (PNUE-SETAC,

2009, page 18).

Conséquemment, il serait utile d’explorer ce potentiel qu’ont les entreprises d’aller

au-delà de la simple réduction des risques sociaux, puisqu’elles ont aussi ce pouvoir

de bâtir les capacités des individus et de leurs communautés3. Nous faisons donc le

postulat que les nouvelles frontières de l’innovation en RSO, en ce qui concerne les

enjeux sociaux, exigent d’aller au-delà du degré zéro de conformité et de privilégier

les instruments de gestion qui favorisent au maximum les retombées sociales et socio-

économiques positives pour les parties prenantes issues de la société civile, et plus

spécifiquement sur les travailleurs.

3 Nous n’entrerons pas ici dans les débats entourant le paternalisme que certaines entreprises peuvent entretenir avec leurs parties prenantes ou du lobbyisme économique (voire : de la démagogie) dont elles peuvent se prévaloir.

4

2. LE BUT, LES OBJECTIFS ET LA MÉTHODOLOGIE

Les facteurs qui influencent les entreprises à devenir plus performantes d’un point de

vue des impacts sociaux sont complexes et encore difficiles à cerner. Pour mieux

circonscrire un terrain de recherche, il convient d’établir un but, un objectif, des sous-

objectifs et les questions de recherche appropriées.

2.1 But de l’essai

Il est à propos de revenir sur la définition du développement durable : Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : • le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et • l’idée des « limitations » que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et futurs. (WCED, 1987)

Ce qui se dégage de cette définition institutionnelle est que la croissance économique

n’est pas le problème, mais les biens (comment ils sont produits et consommés)

qui constituent le cœur du problème des limites à la croissance et de la dégradation de

la planète. En 1992, lors du Sommet de Rio, la « modification des modes de

production et de consommation » est inscrite à l’agenda politique international. Lors

de la Conférence d’Oslo en 1994, le Ministère de la Norvège définit ainsi la

Production et consommation durable (PCD) : « utilisation de services et de produits

qui répondent à des besoins essentiels et contribuent à améliorer la qualité de vie tout

en réduisant au minimum les quantités de ressources naturelles et de matières

toxiques utilisées, ainsi que les quantités de déchets et de polluants rejetés tout au

long du cycle de vie du service ou du produit de sorte que les besoins des générations

futures puissent être satisfaits. ». La PCD conceptualise trois variables : les modes de

production, les modes de consommation et les niveaux de consommation. La

variable « modes de production » est sans contredit celle sur laquelle les entreprises

5

ont le plus d’emprise. L’objectif ultime de la PCD est de découpler la croissance

économique de la dégradation de l’environnement par le biais de l’écoefficience.

Mais qu'en est-il de ce que nous pourrions nommer la « socioefficience » ?

Dans le but de formuler un cadre conceptuel adapté au dépistage des pratiques

d’approvisionnement qui prennent en compte les retombées sociales, il est nécessaire

d’apparier quelques concepts et définitions déjà évoqués. La première étape est

d’adapter l’objectif de la PCD pour qu’il devienne : réduire (voire : éliminer) les

violations aux droits du travail et aux droits humains des travailleurs des chaînes

d’approvisionnement mondialisées via l’approvisionnement responsable. Ici, la

réduction ou l'élimination de violations tient lieu de « découplage » tel que compris

dans la littérature sur la PCD. Cette « PCD sociale » teinte donc la variable « modes

de production » en l’associant davantage à un comportement d’entreprise plutôt qu’à

des technologies extrinsèques se rapportant à l’efficience.

La deuxième étape est d’introduire la dimension « cycle de vie » dans le but d’établir

un portrait complet de la performance de l’entreprise sur plusieurs étapes de la

production d’un bien ou d’un service, tout en évitant les transferts d'impacts. En effet,

un des fondements de toute ACV (qu’elle soit sociale ou environnementale) est de

prendre en compte les impacts d’un produit ou d’un service du berceau au tombeau

(Jolliet, Saad et Crettaz, 2005). C’est une des logiques que peut adopter l’entreprise

afin d’étendre les frontières de sa responsabilité sociale en englobant les

performances agrégées de ses fournisseurs (PNUE-SETAC, 2009). En dernière étape,

cette « PCD sociale » peut constituer un cadre conceptuel où il est possible d’inscrire

le but suivant, qui servira de guide normatif à cet essai : « Contribuer à éliminer les

violations des droits humains et améliorer les conditions socio-économiques des

travailleurs œuvrant dans les chaînes d’approvisionnement mondialisées, et ce,

sur toute la chaîne de valeur, dans une perspective cycle de vie. »

6

On crée ainsi un cadre conceptuel où il est possible de contribuer à éliminer les

violations des droits humains et améliorer les conditions socio-économiques des

travailleurs œuvrant dans les chaînes d’approvisionnement mondialisées et ce, sur

toute la chaîne de valeur, dans une perspective cycle de vie.

2.2 Objectif et sous-objectifs

Avec un tel but, il est logique de se tourner vers les grands cadres internationaux sur

les droits de l’homme (Nations Unies) et le concept du travail décent (Organisation

internationale du Travail), élaborés dans le but de guider les gouvernements qui les

ratifient et les entreprises mondialisées soucieuses de leur réputation sur le sujet des

droits fondamentaux des travailleurs. Les instruments politiques et légaux issus des

pays concernés encadrent les activités des entreprises susceptibles d’entrer en conflit

avec les droits humains. Cependant, avec l’avènement de la globalisation des

marchés, le lobbying agressif en faveur du « marché libre » et l’effritement des

pouvoirs politiques (particulièrement ceux des pays dits en voie de développement), il

devient de plus en plus difficile pour les gouvernements nationaux de légiférer sur les

activités des entreprises transnationales. Or, il est de plus en plus fréquent que les

grands cadres internationaux s’adressent directement aux entreprises. Un document

récent de ce type, issu du haut secrétariat aux Droits de l’homme, est le rapport

« Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux Droits de l’homme » (Ruggie,

2011) pour la mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer »

des Nations Unies. Sous la rubrique « Responsabilités incombant aux entreprises de

respecter les droits de l’homme », le premier principe est le suivant :

Les entreprises devraient respecter les droits de l’homme. Cela signifie qu’elles devraient éviter de porter atteinte aux droits de l’homme et remédier aux incidences négatives sur les droits de l’homme dans lesquelles elles ont une part. (Ruggie, 2011, p.15)

Dans le commentaire, on peut lire que le respect des droits de l’homme prévaut sur le

respect des normes et règlements nationaux. Par son aspect volontaire, c’est donc dire

que la RSO (et plus spécifiquement les politiques d’approvisionnement responsable)

7

est la pierre angulaire des entreprises qui veulent améliorer leur bilan social en termes

de respect des droits de l’homme. Le deuxième principe se lit comme suit :

La responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’homme porte sur les droits de l’homme internationalement reconnus − à savoir, au minimum, ceux figurant dans la Charte internationale des droits de l’homme et les principes concernant les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de l’Organisation internationale du Travail. (Ibid)

On comprendra donc que les responsabilités des entreprises ne se limitent pas à

respecter les lois en vigueur dans les juridictions où elles opèrent, mais bien de cerner

les enjeux sociaux inhérents à leurs activités et d’adapter leurs normes internes pour

que les droits des travailleurs soient respectés. À ce titre, le principe suivant est

particulièrement éloquent :

La responsabilité de respecter les droits de l’homme exige des entreprises: a) Qu’elles évitent d’avoir des incidences négatives sur les droits de l’homme ou d’y contribuer par leurs propres activités, et qu’elles remédient à ces incidences lorsqu’elles se produisent; b) Qu’elles s’efforcent de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme qui sont directement liées à leurs activités, produits ou services par leurs relations commerciales, même si elles n’ont pas contribué à ces incidences. (Ibid, p.16)

On y précise que sont inclus dans ce principe les impacts négatifs tributaires des

activités des partenaires commerciaux des entreprises, ce qui inclut au premier plan

les fournisseurs. La réduction des impacts sociaux et le respect des droits

fondamentaux sont donc devenus de nouveaux impératifs pour les entreprises

mobilisant des chaînes d’approvisionnement globalisées.

L’un des aspects les plus difficiles à cerner en approvisionnement responsable est le

lien d'influence entre la gestion des achats et la RSO. En effet, l’orientation éthique

d’un approvisionnement dit responsable peut provenir de diverses sources, mais on

peut faire l’hypothèse qu’elle passe par les valeurs déterminées par l’éclairage RSO.

C’est cette « boîte noire » de la gestion de l’approvisionnement responsable qui est le

point focal de cet essai. Conséquemment, l’objectif principal est de documenter les

pratiques d’approvisionnement d’entreprises mondialisées qui cherchent à agir sur les

8

enjeux sociaux tout au long de leur chaîne de valeur. Les différents sous-objectifs de

cet essai seront les suivants :

sous-objectif 1 : documenter les variables d'influence de l’approvisionnement

responsable ;

sous-objectif 2 : synthétiser les meilleures pratiques de gestion des impacts sociaux

sur les chaînes d’approvisionnement mondialisées.

2. 3 Méthodologie de recherche

2.3.1 L’essai interprétatif en recherche qualitative

Un essai est, par définition, un ouvrage subjectif. Dans ce type de recherche, il est

possible d’observer, analyser, expliquer, et juger de la réalité afin d’échafauder un

argumentaire sur un sujet et proposer des pistes de solutions (Bibliothèques UQAM,

2010). Il s’inscrit donc tout naturellement dans la dimension qualitative de la

recherche en sciences de la gestion. Les forces de la recherche qualitative sont sa

richesse, sa flexibilité, la compréhension qu’il est possible d’en tirer. Par le fait que

cet essai a pour objectif de dégager un sens et des enseignements idéalement

reproductibles en situation de gestion, il procède par induction et s’inscrit dans un

cadre épistémologique interprétatif. Savoie-Zajc (2013) décrit trois courants du cadre

interprétatif : l’interactionniste, l’herméneutique et le socioconstructivisme. C’est à ce

dernier courant que le construit de cet essai appartient.

L’école socioconstructiviste s’intéresse à la façon dont un individu va comprendre et

donner sens à ses expériences, plus qu’au sens de l’expérience elle-même. Ce sens se

construit à l’intérieur de cadres sociétaux et sociaux qui, eux, trouvent racines dans

les pratiques, us et coutumes (Savoie-Zajc, 2013). On étudie donc à la fois le sens

d’un phénomène ou d’une pratique, mais aussi ses contextes (politiques, culturels,

légaux) ; le but ultime étant de documenter un ou des cas spécifiques (dimension

9

singulière) tout en tenant compte des cadres structurants (dimension globale) dans le

but d’en tirer un savoir universel (Ibid).

La combinaison d’un véhicule subjectif (l’essai) et d’une approche scientifique

souple (la recherche qualitative) représente à la fois des opportunités d’explorations et

de compréhensions nouvelles, mais également des défis, voire des dangers.

L’ambiguïté, l’idiosyncrasie et bien entendu, la subjectivité sont autant de pièges à

éviter. De même, comme le présent ouvrage fonde ses postulats sur une revue de

littérature, l’hétérogénéité des méthodologies de recherche des divers auteurs peut

constituer une limite à constituer un corps de conclusions ou à proposer des pratiques

stables.

2.3.2 La revue de la littérature

La revue de littérature est une méthode de recherche qui a pour but de rendre compte

de l’état des lieux sur un sujet donné, dans une perspective donnée et à un moment

dans le temps. C’est la méthodologie retenue pour répondre aux deux sous-objectifs

évoqués au point 2.2. La grande majorité des auteurs recensés s’accordent pour dire

que la littérature du domaine de l’approvisionnement socialement responsable est très

récente et peu abondante (Carter et Jennings, 2004 ; Quairel et Auberger, 2007 ;

Hutchins et Sutherland, 2008 ; Keating et al, 2008 ; Seuring et Müller, 2008 ; Leire et

Mont, 2010 ; Gimenez et Tachizawa, 2012; etc.). Dans le cadre d’exploration réduit

d’un essai, une revue de littérature raisonnée a été privilégiée par rapport à une revue

de littérature systématique. Néanmoins, il est possible de tirer un maximum

d’enseignements d’une revue réduite, mais bien focalisée sur un sujet précis.

Au niveau de la méthodologie de recherche et de sélection des articles scientifiques

pertinents, nous avons privilégié la méthode en cascades et la méthode de la remontée

de la filière bibliographique, de même qu’un choix raisonné basé sur la présence de

10

mentions sur les aspects sociaux ou la diffusion de la RSO dans la gestion des chaînes

d’approvisionnement. Aussi, une autre recherche a dû être menée, dans le but de

documenter les pratiques empiriques. Pour ce faire, nous avons mobilisé les

organisations et les consultants qui semblent de prime abord les plus crédibles, tant au

Québec et en France que dans le monde anglo-saxon.

Une première lecture de diverses revues de littérature existantes sur le sujet des

impacts sociaux sur les chaînes d’approvisionnement a été effectuée, dans le but de

commencer à cerner le sujet et favoriser une remontée de la filière bibliographique

efficace. Deuxièmement, une sélection d’une quarantaine d’articles pertinents a été

effectuée, selon la pertinence du sujet et suite à la lecture des résumés et de l’analyse

des mots-clés. Les critères étaient : est-ce que l’article apporte un éclairage sur la

question des impacts sociaux ou la question du lien entre la RSO et

l’approvisionnement responsable ou le lien entre l’approvisionnement responsable et

les méthodes d’évaluation des fournisseurs, ou de collaboration. Cette quinzaine

d’articles a été lue et analysée et a donné lieu à une deuxième et une troisième vague

de sélection de nouveaux articles. L'objectif de ces deux vagues supplémentaires était

de répertorier les pratiques d'approvisionnement en ce qui a trait aux enjeux sociaux.

2.3.3 La compilation et la synthèse des meilleures pratiques

La littérature scientifique (qu’elle soit de nature empirique ou théorique) peut avoir

une limite au niveau de l’applicabilité des pratiques répertoriées au domaine pratique.

Cette limite peut être effective ou perceptuelle par les praticiens qui sont, ultimement,

le public cible de cet essai. Dans cette perspective, les rapports émanant du domaine

de la pratique des achats responsables et faisant un certain état des lieux sur les

pratiques actuelles ont été privilégiés pour compléter le portrait des meilleures

pratiques tirées de la littérature scientifique. Par exemple, le Baromètre de

l’approvisionnement responsable (Europe et Québec) a été mobilisé.

11

Malgré le fait que les enjeux environnementaux soient plus saillants dans les

pratiques de gestion en général comme dans les pratiques d’approvisionnement, les

enjeux sociaux sont tout de même bien cernés par les deux types de littérature. Nous

espérons que l’analyse et la compilation proposées apporteront une contribution

valable aux praticiens comme à la communauté scientifique.

2.4 Présentation du plan de l’essai

L’essai est structuré de la façon suivante. En premier lieu, nous tracerons la

trajectoire de la responsabilité sociale des entreprises, des fondements jusqu'à la

gestion en mode RSO, en passant par les théories, cadres et outils dominants en lien

avec les aspects sociaux de l'approvisionnement. À la section quatre, nous entrerons

dans les fondements épistémologiques et conceptuels de l’approvisionnement, à

travers les concepts du modèle d'affaires, de la gouvernance éthique, des différents

concepts et définitions pour terminer sur les variables dominantes des chaînes

d'approvisionnement mondialisées en termes d'enjeux sociaux. La section cinq sera

dédiée à l'approvisionnement socialement responsable comme tel. En premier lieu,

nous proposons une définition inspirée de divers auteurs. Ensuite, nous explorons les

approches, pratiques et facteurs qui influencent l'approvisionnement responsable.

Ensuite, nous explorons deux types de modèles d'implantation et enfin, nous

proposons un bloc de vingt meilleures pratiques pour l'approvisionnement

socialement responsable. Une discussion sur différents paradigmes de

l'approvisionnement suit les vingt meilleures pratiques. Nous concluons, en section

six, avec quelques considérations sur le rôle de l'état.

12

3. FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE

3.1 De Silent Spring à la gestion responsable des achats

En 1962, Rachel Carson publiait aux États-Unis « Silent Spring », ouvrage analysant

les impacts négatifs des pesticides sur l’environnement. Il déclencha l’émergence du

mouvement écologiste américain basé sur une résistance citoyenne envers les actions

et les conséquences des pratiques des entreprises sur les écosystèmes. Puis en 1968,

un ouvrage sur les dangers sociaux et environnementaux liés à l’augmentation de la

population voyait le jour, « The Population Bomb » de Paul Ehrlich. Le Club de

Rome publiait en 1972 « Limits to Growth », un ouvrage soulignant la capacité

limitée de la planète à supporter les activités humaines. Cet argument des limites des

capacités écologiques trouve écho en 1987 lorsque la Commission mondiale sur

l’environnement et le développement publie le Rapport Brundtland qui propose le

« développement durable », concept qui tente d’allier croissance économique et

respect de l’environnement. Une définition acceptable de ce concept, à la fois pour les

entreprises, les gouvernements et la société civile est proposée :

Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts y sont imbriqués : • le concept de « besoins », plus particulièrement ceux des plus démunis, auxquels une importance primordiale doit être accordée ; et • la notion des limitations imposée par l'état de la technologie et de l'organisation sociale sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et futurs.4 (WCED, 1987)

Lors du Sommet de Rio en 1992, la communauté internationale adopte l’Agenda 21.

On y stipule que la modification des modes de consommation exigera de mettre en

place une stratégie à plusieurs objectifs, axée sur la demande, la satisfaction des

besoins essentiels des groupes les plus défavorisés et la réduction du gaspillage et de

l’utilisation des ressources limitées dans le processus de production. Au chapitre 4 de

l’Agenda 21, on précise que les secteurs public et privé sont appelés à : « mettre au 4 Traduction libre

13

point des critères et méthodes permettant d’évaluer l’impact sur l’environnement et

les besoins en matière de ressources pour l’ensemble du cycle de vie des produits et

procédés » (PNUE-SETAC, 2009, p.24). Mais il faut attendre le Symposium d’Oslo

sur la consommation durable en 1994 pour avoir une définition qui allie le concept de

développement durable avec la partie « consommation » de la notion de PCD :

L’utilisation de services et de produits qui répondent à des besoins essentiels et contribuent à améliorer la qualité de la vie, tout en réduisant au minimum les quantités de ressources naturelles et de matières toxiques utilisées, ainsi que les quantités de déchets et de polluants tout au long du cycle de vie du service ou du produit, de sorte que les besoins des générations futures puissent être satisfaits. (Norwegian Ministry of the Environment, 1994)

En 2002, lors du Sommet de Johannesburg, Kofi Annan (ex-secrétaire général des

Nations Unies) déclarait :

...les gouvernements ne peuvent tout faire à eux seuls. Les groupes de la société civile ont un rôle essentiel à jouer, en tant que partenaires activistes et observateurs vigilants. Les sociétés commerciales sont elles aussi concernées. Sans le secteur privé, le développement durable restera un rêve hors d'atteinte. Nous ne demandons pas aux entreprises de faire autre chose que de mener leurs activités normales : nous leur demandons de mener leurs activités normales autrement. (Annan, 2002)

C’est cette différence entre le « business as usual » et un nouveau contrat social entre

les entreprises et la société qui constitue une énigme pour bien des dirigeants

d’entreprises et qui a mené plusieurs organisations et chercheurs à tenter de proposer

des définitions plus opérationnelles. C’est en réponse aux interrogations des chefs

d’entreprises que Hutchins et Sutherland (2008) proposent un compas décisionnel

pour le secteur privé, afin d’opérationnaliser le concept de développement durable.

Les auteurs proposent à ce titre la définition de Mihelcic (2003) qui nous apparaît

comme congruente avec les visées de cet essai :

[la conception et le fonctionnement] des systèmes humains et industriels ayant pour but de garantir que l'utilisation des ressources et des cycles naturels par les êtres humains ne mène pas à une qualité de vie diminuée, due à des pertes de possibilités économiques futures ou à des impacts négatifs sur les conditions sociales, la santé humaine et l’environnement. (Hutchins et Sutherland, 2008, p.1688)

14

De l’avis des auteurs, cette définition met l’accent sur les mesures de performance de

la RSO, permettant ainsi d'évaluer l’efficacité de toute décision liée au

développement durable. Ces métriques et les instruments de gestion qui les sous-

tendent font directement référence à la dimension « production durable » telle

qu’entendue par la PCD. Elle a aussi l’avantage de mettre l’accent sur les impacts

sociaux en faisant référence à la fois aux conditions sociales (dimension

communautaire englobant les questions d’éthique, de développement, de droits et de

justice sociale) et à la santé humaine (dimension individuelle).

Parmi toutes les fonctions managériales, une des plus susceptibles d’influencer la

performance de l’entreprise en termes d’impacts sociaux est la gestion des achats.

Mais qu’est-ce qu’impliquent concrètement des achats plus responsables pour une

entreprise ? Quels sont les tenants et aboutissants qui permettent de comprendre les

actions à poser et les finalités à privilégier ? Et enfin, sur quelles bases une entreprise

peut-elle prétendre opérationnaliser le développement durable ?

3.2 L’approvisionnement responsable et son lien avec la responsabilité sociale

Les achats constituent une fonction stratégique qui contribue à la performance

concurrentielle de l’entreprise, à son corps de métier et à la création de valeur (Bruel,

2007 in Menuet et Rambaud-Paquin, 2011). Comme toute fonction managériale, la

fonction des achats est influencée par des tendances variées (Nollet et Tchokogué,

2010). Au Québec, une de ces tendances est définitivement l’approvisionnement

responsable, puisque cette pratique est jugée importante par 82% des gestionnaires

achats des entreprises interviewées pour le compte du Baromètre de

l’approvisionnement responsable (Saulnier, Olland et Menuet, 2012, p.7).

15

La façon qu’ont les entreprises d’opérationnaliser le développement durable est la

responsabilité sociale. Pasquero (2013) définit ainsi la RSO: « l’ensemble des

obligations, légalement requises ou volontairement choisies, qu’une entreprise doit

assumer afin de passer pour un modèle imitable de bonne citoyenneté dans un milieu

donné » (Gendron et Girard, 2013, p.48). La responsabilité sociale correspond donc à

la participation des acteurs privés (les entreprises) à un projet de société, le

développement durable (Pasquero, 2008). Ce projet de société, la RSO moderne, s'est

transformé en vagues successives, des années 1950 à aujourd'hui et a toujours été

fortement lié à un questionnement sur le rôle de l'entreprise dans le libre marché

(Pasquero, 2013). Dans ce questionnement, c'est sans doute la dimension éthique, que

soulève Pasquero (2013), qui est déterminante dans l'inclusion, petit à petit, des

préoccupations d'une catégorie d'acteurs couramment appelées « parties prenantes »

dans les décisions des entreprises qui a permis l'émergence d'initiatives multipartites

de prendre forme. Nous brossons un tableau de ce qu’est la responsabilité sociale en

lien avec les parties prenantes au prochain point.

3.3 La RSO et les parties prenantes

Comme pour la définition du développement durable, il existe de nombreuses

définitions de la RSO. Une des plus complètes à ce jour et celle que nous mobilisons

dans cet essai émane des lignes directrices d’ISO 26000 :

Responsabilité d'une organisation (2.12) vis-à-vis des impacts (2.9) de ses décisions et activités sur la société et sur l'environnement (2.6), se traduisant par un comportement éthique (2.7) et transparent qui ⎯ contribue au développement durable (2.23), y compris à la santé et au bien-être de la société; ⎯ prends en compte les attentes des parties prenantes (2.20); ⎯ respecte les lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les normes internationales de comportement (2.11); ⎯ est intégré dans l'ensemble de l'organisation (2.12) et mis en œuvre dans ses relations (ISO, 2010, p.4).

16

Afin de documenter les retombées positives des comportements organisationnels sur

les êtres humains, nous complétons avec Gendron (2008) qui ajoute la dimension

suivante à la définition de la RSO : qu’une organisation, pour être socialement

responsable, doit contribuer positivement à la société. Ce qui est d’intérêt pour notre

étude est que la RSO ramène les entreprises au respect des droits de l’homme et des

travailleurs (ISO, 2010).

Un concept fondamental de la RSO qui mérite qu’on s’y attarde est celui des « parties

prenantes ». Les parties prenantes sont au cœur de toute initiative de RSO et sont

largement définies comme étant : « tout groupe ou individu qui peut affecter ou être

affecté par la mise en œuvre des objectifs de l’organisation » (Freeman, 2010, p.25) 5.

Les parties prenantes ont été théorisées dans une ample littérature scientifique sous le

terme « théorie des parties prenantes » et en anglais « Business & Society » (Acquier,

2013). Dans ce pan de la littérature, cette théorie ferait d’ailleurs contrepoids à une

des théories dominantes en gestion : la théorie de l’agence (Acquier, 2013). Cette

dernière consiste en un effort de minimisation des coûts dans le cadre de relations

transactionnelles entre certains participants évoluant à l’intérieur d’une entreprise (les

agents, ou employés) et d’autres acteurs (les dirigeants, ou cadres supérieurs)

(Donaldson et Preston, 1995), excluant d’emblée toute considération autre que les

variables économiques, évinçant toute considération de responsabilité sociale.

De façon générale, on peut classer les parties prenantes en deux catégories : les

parties prenantes internes (employés et direction) et externes (investisseurs,

fournisseurs, consommateurs, concurrents, médias, assureurs, gouvernements,

citoyens, groupes d’intérêt, groupes de pression, assureurs, etc.). Nous suivons

Maignan, Hillebranda et McAlister (2002) prenant appui sur la typologie d’Henriques

et Sadorsky (1999) pour proposer quatre catégories de parties prenantes principales :

5 Traduction libre

17

(1) les parties prenantes issues de l’univers règlementaire (tous les paliers de

gouvernements, les organisations professionnelles et les concurrents) ; (2) les

intervenants communautaires (groupes environnementaux et de défense des droits

humains, regroupements de consommateurs, et autres activistes) ; (3) les médias ; et

(4) les acteurs organisationnels (clients, employés, actionnaires et fournisseurs)

(Maignan, Hillebranda et McAlister, 2002, p.642). De nombreux auteurs se sont

également penchés sur la façon de classifier les préoccupations et les actions des

parties prenantes. L’une des plus connues est le classement selon la saillance,

déterminée selon les variables dynamiques du pouvoir, de la légitimité et de l’urgence

(Mitchell, Agle et Wood, 1997). Malgré l’influence importante que peuvent avoir des

parties prenantes externes comme les investisseurs ou les ONG, la catégorie générale

qui demande des explications supplémentaires est ce qu’on appelle la « société

civile ».

Terme plurivoque sans définition largement acceptée, la société civile peut se

schématiser selon trois conceptions différentes : (1) la société évoluée (ou

progressiste) ; (2) la société face à l'État (en réaction aux excès de l'État, cogestion de

l'intérêt général face aux États affaiblis) et (3) la société contre le marché (défense de

l'intérêt général contre la mondialisation néolibérale) (Planche, 2007, p. 18, d'après un

concept de Daniel Neu). C’est généralement la sphère de la troisième conception de

la société civile (société civile contre le marché) qui influence le plus les entreprises.

Selon Planche (2007), cette société progressiste est constituée de la convergence entre

le mouvement altermondialiste et les nouveaux mouvements sociaux. Ces parties

prenantes (parmi lesquelles on peut compter de façon prédominante les ONG)

militent pour des valeurs humaines comme une meilleure qualité de vie pour tous,

l’équité, un environnement sain, des conditions de travail décentes, etc.

C’est souvent sous l’impulsion des campagnes créées par les ONG que les citoyens

(doublement importants, car membres de la société civile et parties prenantes des

18

entreprises en tant que consommateurs et travailleurs) vont exercer des pressions sur

les entreprises. Comme exemple, on peut penser à Nike qui a subi les contraintes

d’une association formée des étudiants de cinq grandes universités américaines

(United Students Against Sweatshops (USAS), plus tard devenu le Workers’ Rights

Consortium, ou WRC), entre 1997 et 2000 et qui, sous la pression du boycottage, a

fini par établir un code de conduite et à procéder à des audits (Doorey, 2011). De

même, l’influence des médias est déterminante. À ce titre, on peut penser aux

pressions qu’ont subies de grandes marques de vêtements suite aux événements du

Rana Plaza au Bangladesh, dues entre autres aux informations relayées dans les

médias et à l’implication d’ONG qui ont exigé la signature d’un accord sur la sécurité

et les incendies des bâtiments. Cet accord légal a été créé et négocié largement par

des travailleurs bangladais, des organisations syndicales du domaine de la confection

de vêtements et des ONG, mais a été signé par à peine un tiers des entreprises qui ont

été impliquées dans les événements tragiques de Rana Plaza (Clean Clothes

Campaign, 2012) (CBC News, 2013).

Les pressions qui sont prises le plus au sérieux sont celles qui ont des conséquences

économiques directes. Ces pressions peuvent prendre la forme de boycottages6, de

signatures de pétitions, de marches publiques, d’occupations d’espaces, de

dénigrement des marques dans le cyberespace, etc. Depuis l’avènement d’Internet et

impulsées par l’instantanéité des réseaux sociaux, ces pressions se sont intensifiées et

démultipliées. Bozonnet (2010) s’appuyant sur les résultats d’une enquête de

l'European Social Survey (ESS), déduit qu’avec 17,4% d’Européens qui ont boycotté

des marques pour des raisons morales, politiques ou environnementales7, l’achat

citoyen est devenu une pratique de masse. Cette pratique serait une forme de

6 Bozonnet (2010, p. 38) inclut le terme boycott dans la définition de « consommation écocitoyenne » qu’il décrit comme étant un : « acte de consommation, soit d’achat, le buycott, soit de refus d’achat, le boycott, avec une finalité autre qu’exclusivement économique et liée à un bien collectif social ou environnemental. » 7 Cette étude a été tenue en 2002-2003 dans 21 pays européens.

19

participation politique engagée (Bozonnet, 2010). Une combinaison d’image de

marque détériorée et de pertes de profits via le boycottage de leurs produits ou

services constitue donc les pressions par excellence puisqu’elles opèrent au cœur de

la dimension économique et influencent directement la chaîne d’approvisionnement.

La prise en compte des parties prenantes est donc basée sur un désir de stabiliser,

voire contrôler, l’environnement de l’entreprise. Ultimement, la façon dont les

entreprises prendront en compte leurs parties prenantes définira et qualifiera leur

crédibilité et leur engagement en tant qu’acteurs RSO (ISO, 2010). En ce qui a trait

aux enjeux sociaux, les parties prenantes de la société civile exercent des pressions en

faveur d’autres parties prenantes privées de voix et privées de leurs droits. Dans une

grande majorité de cas, les travailleurs des chaînes d’approvisionnement mondialisées

constituent ces parties prenantes bâillonnées.

3.4 Cadres des droits de l’homme et des droits du travail

Dans les dernières années, les dispositifs légaux et normatifs tentant de

responsabiliser les activités des chaînes d’approvisionnement mondialisées se sont

multipliés : le Frank Dodd Act, le California Transparency Act et les Principes de

l’OCDE à l’intention des multinationales en sont quelques exemples. Ces instruments

sont apparus en congruence avec les pressions des ONG internationales. Ces ONG

font le travail de terrain nécessaire pour documenter les violations des droits humains

et des droits du travail.

Dans le domaine agroalimentaire par exemple, la plupart des ONG s’entendent pour

dire que les conditions des travailleurs sur les chaînes d’approvisionnement

s’aggravent au lieu de devenir meilleures (Amnesty International, 2012) (Anti-

Slavery International, 2006) (Farmworker Justice, 2011) (Farmworker Justice et

OXFAM America, 2010) (FIDH, 2012) (MSF, 2008) (Free the Slaves and Human

Rights Center, 2004) (OXFAM America, 2004) (Human Rights Watch, 2011).

20

L’industrie minière fait aussi état de nombreuses violations des droits humains et des

droits du travail selon plusieurs ONG (CHRLA, 2010) (HRW, 2011) (Kabemba,

2012) (HRW, 2013a) (HRW, 2013b) (Amnesty International, 2013). Le domaine de

la confection de vêtements est également tristement connu pour ses pratiques

irrespectueuses des droits humains et des droits du travail (Clean Clothes Campaign,

2012) (Collectif Éthique sur l'étiquette, 2012) (Kernaghan, 2013) (SOMO et ICN,

2011). Toute la gamme des violations des droits humains et des droits du travail est

présente dans ces chaînes d’approvisionnement, incluant les pires formes du travail

des enfants.

La majorité des ONG qui documentent les violations des droits humains et des droits

du travail sur les chaînes d’approvisionnement mondialisées s’appuie sur les cadres

normatifs de l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour déterminer s’il y a,

ou non, violation. Nous aborderons donc les dispositifs principaux de l’OIT en ce qui

concerne les multinationales et leurs fournisseurs.

3.4.1 La Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation

équitable et l’Agenda du travail décent

Cette Déclaration a été adoptée en 2008 par la Conférence internationale du Travail,

où étaient présents les gouvernements et organisations d’employeurs et de travailleurs

de 182 États membres. « La Déclaration de 2008 est l’expression de la vision

contemporaine de la mission de l’OIT à l’ère de la mondialisation. » (OIT, 2008, p.1).

Elle émane d’un double constat : (1) qu’il est nécessaire d’infuser une dimension

sociale aux échanges commerciaux ; et que (2) les retombées économiques ne sont

pas partagées équitablement par tous les participants à la mondialisation ; il est donc

nécessaire de promouvoir le progrès et la justice sociale. La Déclaration se fonde sur

21

l’Agenda du travail décent de l’OIT. (OIT, 2008, p. 2). L’Agenda du travail

décent s’articule autour de 4 objectifs :

Créer des emplois : l’économie doit générer des possibilités d’investir, d’entreprendre, de développer les compétences, de créer des emplois et des moyens de subsistance durables, Garantir les droits au travail : obtenir la reconnaissance et le respect des droits des travailleurs. Tous les travailleurs, et en particulier les travailleurs pauvres ou défavorisés, ont besoin d’être représentés, de participer, et que des lois justes soient appliquées et servent leurs intérêts,

Étendre la protection globale : promouvoir l’insertion et la productivité en garantissant à chaque homme et chaque femme des conditions de travail sures, la jouissance de temps libre et de repos, la prise en compte de la famille et des valeurs sociales, l’accès à une juste indemnisation en cas de perte ou de diminution de revenus et l’accès à des soins médicaux adaptés,

Promouvoir le dialogue social : La participation d'organisations d’employeurs et de travailleurs fortes et indépendantes, est vitale pour améliorer la productivité, éviter les conflits au travail et construire des sociétés solidaires.

Ces objectifs sont indissociables, interdépendants et se renforcent mutuellement dans une démarche qui se doit donc être globale et intégrée. (OIT, 2013)

3.4.2 Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la

politique sociale de l’OIT et Déclaration universelle des droits de l’homme

Adoptée en 2006 par le Bureau International du Travail (BIT), cette déclaration de

l’OIT a été modifiée par rapport à la déclaration originelle de 1977 « pour renforcer

les effets positifs des activités des entreprises multinationales dans le domaine social

et le domaine du travail » (OIT, 2006, p.V). Cinq domaines d’obligations sont

abordés : les politiques générales, l’emploi, la formation, les conditions de travail et

de vie, et les relations professionnelles. Elle repose sur divers dispositifs

internationaux ainsi que sur la Déclaration universelle des droits de l’homme

(Hamaide, 2013). Cette déclaration, adoptée le 10 décembre 1948 par les 58 États

membres qui constituaient alors l’Assemblée générale, contient 30 articles qui

réfèrent aux fondements mêmes de la liberté humaine en évoquant le droit à la

dignité, à l’égalité des droits inaliénables ainsi qu’à la justice et la paix dans le monde

(ONU, 1948). Il n’est donc pas exagéré de déclarer que la gestion responsable d’une

22

chaîne d’approvisionnement mondialisée se doit de respecter les aspirations de

dignité et de décence auquel tout être humain est en droit de s’attendre.

Les acteurs de la société civile font pression directement sur les entreprises pour

améliorer les conditions sociales et environnementales. Ils s’appuient sur des cadres

normatifs internationalement négociés et reconnus pour faire pression sur les

entreprises, ce qui donne lieu à de nouvelles façons pour les gestionnaires de naviguer

dans l’univers de la conformité sociale.

3.5 Cadres normatifs de RSO : opérationnalisation et reddition de comptes

Les mécanismes formels de responsabilité sociale foisonnent et plusieurs présentent

un intérêt en termes d’applicabilité pour influencer les chaînes d’approvisionnement.

Nous présentons les concepts centraux de deux de ces cadres qui font consensus : ISO

26000 (cadre d’opérationnalisation) et la GRI (reddition de comptes et

communication). Nous insisterons davantage sur les façons dont ces deux cadres

peuvent influer sur les enjeux sociaux et sur l’approvisionnement, faisant ainsi le pont

avec les cadres internationaux sur les droits humains et les droits du travail.

3.6 La gestion en mode RSO

Pasquero (2002) soutient que le « gestionnaire responsable » est un professionnel qui

saisit les impacts de ses décisions. À ce titre, la gestion responsable ne serait pas une

gestion nécessairement empreinte de morale, mais plutôt d’un souci de compétence.

L’auteur soutient également que la gestion responsable ne serait qu’une réponse

nouvelle à un problème vieux comme le monde : le rôle de l’entreprise dans la

société. Par gestion responsable, Pasquero entend donc : « gestion propre à limiter les

risques sociétaux évitables. » (Pasquero, 2002, p.32). Ce même gestionnaire est un

agent à l’intérieur d’une entreprise qui opère dans toute une série de contextes

23

superposés, dont deux : le contexte de l’entreprise-octroi et celui de l’entreprise-

contrat (Pasquero, 2002, page 33). Avec comme toile de fond le concept de l’octroi,

l’entreprise est tributaire (et tire sa légitimité) de la société environnante. Dans le cas

de l’optique contractuelle, l’entreprise ne doit répondre qu’à des règles minimales,

enchâssées dans les lois et règlementations. Entre ces deux pôles, l’entreprise doit

apprendre à naviguer dans l'étendue rarement balisée de la responsabilité de

l’entreprise. Cette tension entre « normes de base » et « prise en compte d’intérêts

autres » est une occasion pour les gestionnaires responsables de positionner leur

entreprise parmi les acteurs d’une économie postmoderne basée sur un véritable

dialogue social. Les mécanismes de base pour négocier cette posture sont le marché,

le pouvoir et les valeurs (Pasquero, 2002). Le marché, car c’est le dispositif

économique par excellence, malgré ses dérives potentielles qui doivent être encadrées

par d’autres mécanismes. Le contrôle social par les acteurs sociétaux, car il crée une

meilleure symétrie entre le pouvoir de l’entreprise par le biais de l’État et des groupes

de pression et parfois même, de groupes d’investisseurs responsables. Et enfin, les

valeurs, car ce sont elles qui, au travers d’attentes communiquées, négociées et

ultimement partagées entre une multiplicité d’acteurs, sont garantes d’un

fonctionnement à peu près satisfaisant pour tous (Pasquero, 2002). Les cadres

normatifs ainsi que les pratiques de la gestion responsable se situent au confluent du

marché, du contrôle social et des valeurs, et servent de levier multifactoriel au

gestionnaire responsable.

Les gestionnaires sont donc des acteurs dans la nouvelle gouvernance des entreprises,

qui prend en compte la société civile et d’autres parties prenantes. Nous verrons dans

la prochaine section que ces mêmes acteurs sont présents dans la gouvernance RSO

des entreprises (ISO 26000) et dans leur reddition de comptes extra-financière (GRI).

24

3.6.1 ISO 26000

Les années 1990 ont vu éclore de nombreuses initiatives de responsabilisation du

monde des affaires en ce qui concerne les enjeux sociaux. Il faut néanmoins attendre

2010 pour que l’Organisation internationale de Normalisation (ISO) donne naissance

à un cadre d’opérationnalisation de la responsabilité sociale : ISO 26000. Cette norme

est selon Turcotte et al. (2011) « la définition de ce qu’est la RSO telle que validée

par des experts venant de tout type d’organisations et d’entreprises de partout dans le

monde » (Turcotte et al., 2011, pVII). En effet, six groupes de parties prenantes ont

été établis : les entreprises, les gouvernements, le monde du travail, les

consommateurs, les ONG, et un groupe rassemblant le domaine universitaire ainsi

que les bureaux de consultants. De même, un souci d’équilibre homme femme et de

représentation géographique a été recherché. Au plus fort du travail en 2010, 450

experts et 210 observateurs, en provenance de 99 pays membres de l’ISO ont travaillé

de concert (Vidal, Erickson et L’Espagnol, 2012).

ISO 26000 incarne donc l’essence même de ce qu’est la responsabilité sociale et fait

aujourd’hui consensus en ce qui concerne la façon la plus appropriée

d’opérationnaliser la RSO en entreprise. Cette norme est non certifiable, puisqu’elle

propose un encadrement des questions relativement au comportement volontaire de

l’entreprise, et non pas des pratiques normées et donc certifiables. ISO 26000

comporte deux pratiques fondamentales (l’identification de sa responsabilité sociétale

et l’identification de ses parties prenantes), sept questions centrales (dont les droits de

l’homme et les conditions de travail) et 36 domaines d’action. En ce qui concerne les

droits de l’homme, ISO 26000 s’appuie sur la Charte internationale des droits de

l’homme des Nations Unies et sur sept cadres internationaux qui, ensemble,

constituent le socle des normes universelles relatives aux droits de l’homme. ISO

2600 s’appuie sur l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour toutes

25

questions relatives aux relations et conditions de travail. ISO 26000 stipule que la

sous-traitance est incluse dans la portée de la norme.

3.6.2 GRI G3 et G4

En 1997, la Coalition pour des économies environnementalement responsables

(CERES) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) créent

la Global Reporting Initiative (GRI). La GRI a pour but de constituer un niveau de

reddition de comptes extra-financière équivalant, ou mieux, que la reddition de

comptes financière, dans une optique de comparabilité, crédibilité, rigueur,

périodicité et vérifiabilité des informations. La GRI version 3.1 compte trois

catégories d’indicateurs : Économie, Environnement et Social. La catégorie Social est

éclatée en quatre sous-catégories : Emploi, Droits de l’homme, Société et

Responsabilité du produit (GRI, 2013a).

Parmi tous ces indicateurs, un s’applique directement aux droits de l’homme et à ceux

du travail dans un contexte de chaîne d’approvisionnement : l’indicateur « Droits de

l’homme ». L’indicateur « Emploi » dans son essence se réfère au concept du travail

décent, mais n’inclut pas explicitement les travailleurs employés par les fournisseurs.

Nous l’avons donc écarté de notre analyse. L’indicateur « Droits de l’homme »

s’inspire de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU (1948) et des

déclarations, convention et principes suivants :

• Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, 1998.

• Déclaration de principes tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et la

politique sociale, 2001, troisième édition.

26

• Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales,

révision de 2000.

• Déclaration universelle des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies,

1948.

• Convention n° 169 de l’OIT, Convention concernant les peuples indigènes et

tribaux dans les pays indépendants, 1989 (GRI, 2006).

L’indicateur « Droits de l’homme » compte sept volets : (1) pratiques

d’investissement et d’achat (dont le sous-volet « pourcentage de fournisseurs et de

sous-traitants majeurs dont le respect des droits de l’homme a fait l’objet d’un

contrôle ; mesures prises ») ; (2) non-discrimination ; (3) liberté syndicale et droit de

négociation collective ; (4) interdiction du travail des enfants ; (5) abolition du travail

forcé ou obligatoire ; (6) pratiques de sécurité ; et (7) droits des populations

autochtones. L’indicateur cherche à rendre compte de trois domaines généraux :

• les incidents relatifs aux aspects fondamentaux des droits de l’homme ; • la capacité et les connaissances permettant à l’organisation de considérer efficacement les droits de l’homme, notamment via la formation et les procédures internes en place ; • l’intégration des droits de l’homme dans ses relations opérationnelles externes, via ses investisseurs ou ses fournisseurs (GRI, 2006).

Ainsi, on voit que dans la version 3.1 de la GRI, les droits fondamentaux des

travailleurs sur les chaînes d’approvisionnement mondialisées sont pris en compte de

façon explicite. Mais la version G4 de la GRI, parue en mai 2013, va beaucoup plus

loin au niveau de la portée. Tout d’abord, la G4 améliore la compatibilité de la GRI

avec les principes directeurs de l’OCDE à l'intention des entreprises multinationales

ainsi qu’avec les instruments de l’ONU à l’intention des entreprises, soit le Pacte

mondial et le guide « Affaires et droits humains ». Selon une note de KPMG portant

sur les nouveautés de la GRI4, cinq aspects sont vraiment saillants : (1) l’accent

renouvelé sur la matérialité ; (2) la redéfinition de la frontière d’impacts de

l’entreprise; (3) l’introduction de deux niveaux d’application (au lieu de quatre) ;

27

(4) de nouvelles obligations d’informations sur la gouvernance ; et (5) de nouvelles

exigences en matière de reddition sur la chaîne d'approvisionnement (KPMG, 2013).

Pour nourrir notre analyse, nous nous intéresserons à la matérialité, aux frontières

d’impacts et aux exigences en matière de chaîne d’approvisionnement. La matérialité

est définie par la GRI comme étant :

Les enjeux qui ont un impact direct ou indirect sur la capacité d'une organisation à créer, préserver ou éroder la valeur économique, environnementale et sociale pour elle-même, ses parties prenantes et la société au sens large.8 (GRI, 2013c)

Dans la version G4, les rapports GRI devront communiquer uniquement sur les

aspects matériels de l’entreprise. Les entreprises devront identifier et décrire où les

impacts se produisent pour chaque aspect matériel identifié (GRI, 2013b), ce qui

alimentera la définition des frontières d’impacts. Les frontières d’impact sont en

adéquation avec le concept de la sphère d’influence, présent en AsCV. On peut donc

dire que la GRI4 insuffle une pensée cycle de vie dans les nouvelles exigences de

redditions de comptes extra financières.

Le processus de définition des aspects matériels de même que des frontières

d’impacts seront évalués (et devront donc être documentés) au même titre que les

données elles-mêmes (KPMG, 2013). Les frontières d’impacts sont donc directement

reliées aux exigences de reddition sur les chaînes d’approvisionnement, puisque

celles-ci peuvent être comprises dans les frontières d’impact et être totalement

matérielles à la création de valeur (CAP Conseil, 2013).

Enfin, en ce qui concerne les chaînes d’approvisionnement comme telles, la G4 exige

une déclaration beaucoup plus complète, comprenant les détails des évaluations de la

chaîne d'approvisionnement et de la gestion des risques (identification des risques,

performance de l’organisation en ce sens et processus de gestion mis en place).

8 Traduction libre

28

Les points à divulguer spécifiquement sont :

• Le nombre de fournisseurs triés sur la base de critères d'impacts environnementaux et sociétaux, y compris les pratiques de travail et les droits de l’homme ; • les impacts négatifs significatifs, réels et potentiels, identifiés dans la chaîne d'approvisionnement ; • les mesures prises pour prévenir, atténuer ou corriger les impacts identifiés ; • le nombre de griefs relatifs aux impacts négatifs sur la chaîne qui sont déposés, examinés et résolus par des mécanismes officiels. (KPMG, 2013, p. 6)

Les implications des exigences de la G4 pour les entreprises qui sont engagées dans

la reddition de comptes sont vastes et profondes. Les aspects de matérialité ainsi que

la redéfinition des frontières d’impact révolutionneront la façon dont les entreprises

vont procéder pour la gestion de leurs chaînes d’approvisionnement mondialisées.

Les organisations qui ont déjà mis en place des mécanismes de collecte de données et

de respect des fondements de l’approvisionnement responsable n’auront qu’à

s’acclimater avec la nouvelle façon de construire les rapports, qui sont appelés à

devenir plus concis et précis. Les entreprises qui auront bâti du capital de réputation

avec des rapports faisant abstraction des impacts sociaux sur leurs chaînes

d’approvisionnement devront se tourner vers des outils d’évaluation de la

performance sociale, tels que l’AsCV ou les études d’impact sociaux (EIS), pour

prouver la matérialité des enjeux abordés. Ces entreprises auront tout de même

quelques années pour réajuster leurs modes de gestion, puisque la G4 sera applicable

à partir de 2015.

C’est donc partant d’une entreprise qui prend part à un projet de société, de

gestionnaires soucieux d’intégrer les préoccupations des diverses parties prenantes,

sous de nombreuses pressions sociétales, prenant en compte les droits de l’homme et

les droits du travail, selon un cadre largement négocié et dans l’objectif de rendre

compte de leurs actions dans des rapports extra-financiers que les organisations

s’engagent dans l’approvisionnement responsable.

29

Avant de plonger dans ces questions, nous mettrons un peu mieux en contexte le type

d’entreprises qui sont les plus susceptibles d’épouser cette série de pratiques. À ce

titre, la littérature sur les modèles d’affaires, la stratégie, les variables de la chaîne

d’approvisionnement et les forces déterminantes de la mondialisation seront

éclairantes.

30

4. FONDEMENTS ÉPISTÉMOLOGIQUES ET CONCEPTUELS DE L’APPROVISIONNEMENT

4.1 La stratégie et les modèles d’affaires

Dans le but d’en arriver à comprendre les dynamiques de gestion entourant les enjeux

sociaux, reportons notre attention sur les bases de la gestion et de la stratégie

classiques, en passant par le modèle d’affaires qui peut justifier (ou non) une chaîne

d’approvisionnement mondialisée.

Selon Allaire et Firsirotu (2004), la stratégie d’entreprise est « un ensemble cohérent

de choix et de mesures à prendre pour réaliser une certaine vision de l’entreprise et

créer une valeur économique durable dans un contexte de marché donné » (Allaire et

Firsirotu, 2004, p.2). L’une des façons d’organiser de façon systémique cet ensemble

de choix est à travers l’élaboration, le suivi et l’évolution d’un modèle d’affaires

conforme avec les objectifs d’affaires visés.

4.1.1 Modèle d’affaires

Le modèle d’affaires d’une entreprise peut influer grandement sur la façon dont celle-

ci va envisager sa responsabilité sociale en lien avec ses fournisseurs. Certains

modèles d’affaires peuvent modifier, de façon plus ou moins appuyée, sur la capacité

d’une entreprise de prendre en compte les enjeux sociaux dans sa gestion de la chaîne

d’approvisionnement.

Chesbrough et Rosenbloom (2002) définissent le modèle d’affaires comme un cadre

cohérent qui transforment les intrants en extrants économiques à travers le prisme des

demandes des clients et des impératifs des marchés. Les auteurs avancent que le

modèle d’affaires cherche à créer de la valeur pour les clients ainsi que pour

l’organisation en soi et non pas uniquement pour les actionnaires (Chesbrough et

31

Rosenbloom, 2002). Casadesus-Masanell et Ricart (2011) estiment que la définition

du modèle d’affaires repose sur une série de choix managériaux ayant certaines

conséquences sur l’organisation. Les choix faits par les gestionnaires sont de trois

types : des choix de politique organisationnelle, des choix de déploiement d’actifs

tangibles et des choix de gouvernance, qui servent notamment à arbitrer entre les

deux premiers choix (Casadesus-Masanell et Ricart, 2011, p.103). Casadesus-

Masanell et Ricart estiment qu’à la base des avantages compétitifs à long terme se

trouvent les choix et conséquences qui doivent déboucher sur la création et la

maintenance de cycles vertueux. Lecocq, Demil et Warnier (2006) proposent trois

dimensions essentielles du modèle d’affaires : d’abord les ressources et compétences,

ensuite la conception de l’offre faite aux clients et enfin, l’ensemble des organisations

internes et des transactions externes (Lecocq, Demil et Warnier, 2006).

On peut donc dire que les auteurs évoqués proposent une vision du modèle d’affaires

au confluent des deux grandes écoles de pensée dans la littérature des modèles

d’affaires. Il s’agit de celle de Michael Porter (Porter, 1979, 2008) qui postule que

l’environnement externe modèle l’entreprise et de l’école d’Edith Penrose (Penrose,

1959) qui argue pour la prédominance de l’influence des ressources et compétences

internes. La pensée de Porter, à ce titre, a évolué dans les dernières années, ouvrant la

porte aux besoins de la société par le prisme de la valeur partagée.

4.1.2 Création de valeur partagée

Michael Porter et Mark Kramer (2011) tentent de créer ce pont avec leur théorie de

« Creating Shared Value » (Création de Valeur Partagée, ou CVP). Selon Porter et

Kramer, l’idée centrale est que « ce qui est bon pour la société est bon pour les

affaires »9. Ils établissent donc un lien causal théorique entre compétitivité sur les

9 Traduction libre

32

marchés et progrès des conditions économiques et sociales dans les communautés au

sein desquelles l’entreprise opère. La création de valeur est donc partagée puisqu’elle

se concentre sur l’identification et l’élargissement des liens entre le progrès social et

la sphère économique (Porter et Kramer, 2011). Porter et Kramer évoquent également

le besoin de transformer les cercles vicieux des organisations (les « fruits

empoisonnés du capitalisme » en ce qui a trait au progrès social) en cercles vertueux.

Pour ce faire, ils proposent de relégitimer le concept même des entreprises privées

(on pourrait même avancer : leur modèle d’affaires) à travers trois dimensions : 1) la

reconception des produits et des marchés ; 2) la redéfinition de la chaîne de valeur ; et

3) la création de grappes de développement local dans les communautés où sont

implantées les unités de production ou de gestion des entreprises mondialisées (Porter

et Kramer, 2011). L’innovation n’est donc plus liée qu’à des notions de capture de

valeur latente d’une technologie ou l’élaboration d’une architecture des revenus

nouvelle, mais consiste bien en la satisfaction d’un besoin social (par exemple :

l’accessibilité à l’eau potable, des logements décents, moins de dommages

environnementaux, etc.) (Porter et Kramer, 2011). Cependant, les auteurs opposent

« création de valeur partagée » (CVP) à RSO en affirmant que la CVP crée de la

« valeur » (sous-entendu : économiquement quantifiable), tandis que la RSO repose

sur « faire le bien » et ne crée aucune « valeur ». Selon Pierre Batellier (2012) :

Le modèle de valeur partagée place de manière quasi exclusive la capacité d’innovation entre les mains des grandes entreprises. Ces dernières ont le privilège de disposer de marges de manœuvre et le (sic) pouvoir politique voulu pour mener les expérimentations nécessaires. Cela ferme quelque peu la porte à tout débat sur la forme et la nature même de l’entreprise. (Porter et Kramer, 2012, et commentaire par Pierre Batellier)

Malgré l’opinion réductrice de la RSO exprimée par les auteurs, la grande valeur de

ce discours consiste à introduire les considérations sociales et environnementales

fondamentales à un système qui pourrait ressembler à une révolution du modèle

d’affaires de bien des entreprises mondialisées. Une grande limite de ce discours est

le danger de légitimiser, sous le sceau de la CVP, des pratiques d’affaires

instrumentalisantes, voire prédatrices.

33

Après avoir vu la façon dont le modèle d’affaires est conceptualisé, on peut poser la

question : qu’est-ce qui influence le choix (ou l’évolution) d’un modèle plutôt qu’un

autre ? Comment un modèle d’affaires peut-il évoluer pour devenir congruent avec

des visées de RSO et éviter les déviations inhérentes au modèle de CVP ?

L’explication d’une pratique managériale peut être offerte en réponse à ces deux

questions : la gouvernance éthique de l’entreprise.

4.2 La gouvernance éthique

Les dérives spectaculaires de certaines multinationales comme Enron, Vivendi,

Parmalat, Siemens, SNC-Lavalin et d’autres ont permis au grand public de

comprendre qu’éthique et affaires ne font pas toujours bon ménage. Selon Dionne-

Proulx et Larochelle (2010), l’éthique « permet d’établir des critères pour déterminer

si une action est bonne ou mauvaise et pour juger des motifs et des conséquences

d’un acte » (Dionne-Proulx et Larochelle, 2010, p.38). Le terme « gouvernance » a

été défini dans les années soixante-dix par des économistes, et désigne des

mécanismes de coordination interne dont le but est de réduire les coûts de transaction

(Dionne-Proulx et Larochelle, 2010). Charreaux désigne ainsi la gouvernance :

…le gouvernement des entreprises recouvre l’ensemble des mécanismes organisationnels qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui « gouvernent » leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire. (in Dionne-Proulx et Larochelle, 2010, p.32)

Cette définition prend une tournure plus normative lorsqu’en 1997, la Banque

mondiale lui accole le qualificatif « bonne », sous-tendant que le marché, sous

l’influence de la mondialisation, n’est peut-être plus en mesure de jouer son rôle

historique d’allocation optimale des ressources (Dionne-Proulx et Larochelle, 2010).

L’éthique des affaires « concerne le désirable et l’indésirable en matière de gestion »

(Pasquero, 2007). Cette branche d’étude de l’éthique est dite « appliquée » ou

34

empirique et appartient au paradigme fonctionnaliste. Sa finalité est le développement

d’un système de règles pour gouverner la conduite humaine en entreprise (Cherré,

2013).

Arnold et Bowie (2007) apportent un éclairage sur l’éthique des affaires

spécifiquement par rapport à la gouvernance d’une chaîne d’approvisionnement ayant

pour but d’améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs. À la base, les

auteurs soutiennent que les multinationales dirigeant des chaînes

d’approvisionnement ont les devoirs suivants : respecter les lois locales du travail,

s'abstenir de toute contrainte (physique ou morale), satisfaire aux normes minimales

de sécurité et verser aux travailleurs un salaire décent. Leur argument sur la

gouvernance éthique prend appui sur une interprétation kantienne d’un argument

moral de Thomas Hill Jr.

Kant affirmait: « Chaque homme a un droit légitime au respect de ses semblables et

est à son tour tenu de respecter les autres » (in Arnold et Bowie, 2007, p. 224). Hill

soutient que le respect de la dignité humaine est une fin en soi, qui nécessite le

soutien et le développement de certaines capacités humaines. En se basant sur La

Métaphysique des Mœurs d’Immanuel Kant, Arnold et Bowie étendent le concept de

Hill en ajoutant deux éléments centraux à la gouvernance éthique des réseaux

d’approvisionnement. Premièrement, l’importance fondamentale du respect des

personnes, qui signifie que le gestionnaire ne peut demeurer indifférent à la

souffrance humaine ; ensuite, la capacité humaine de se sentir concerné par le bien-

être physique et moral d’autres êtres humains (Arnold et Bowie, 2007). Or, il est clair

que de nombreuses violations aux droits humains et aux droits du travail existent sur

les chaînes d’approvisionnement mondialisées. De même, des cadres internationaux

largement négociés existent auxquels les gestionnaires peuvent se référer.

35

Un dirigeant qui désire pratiquer une gouvernance éthique doit donc être sensible à la

morale, doit savoir identifier ce qu’il convient de faire envers autrui lorsque face à

des choix et doit pouvoir encourager la création d’une culture propre au déploiement

des comportements éthiques chez ses employés (Cherré, 2013), le tout dans le but

d’assurer le bien-être des parties prenantes effectivement ou potentiellement

affectées. Dans le but de rendre plus congruente cette pratique avec le but du présent

essai, nous ajouterons que la gouvernance éthique comporte également la volonté

d’étendre la sphère d’influence éthique au-delà des murs de l’entreprise et d’englober

les activités des fournisseurs, spécifiquement en ce qui a trait aux enjeux sociaux.

Dans cette perspective, peu de normes existent qui peuvent guider la gouvernance

éthique des chaînes d’approvisionnement mondialisées. Les Principes directeurs de

l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales proposent, à ce titre, 15 préceptes

assimilables à des règles d’éthique, applicables aux activités des multinationales. Les

Principes directeurs ont fait l’objet d’un consensus entre 42 pays membres et non

membres de l’OCDE et constituent un des seuls codes multilatéraux exhaustifs que

les gouvernements nationaux impliqués se sont engagés à promouvoir. En ce qui a

trait aux enjeux sociaux des travailleurs et aux fournisseurs, les entreprises sont

tenues de suivre les prescriptions suivantes :

• Respecter les droits de l’homme internationalement reconnus vis-à-vis des personnes affectées par leurs activités.

• S'abstenir de rechercher ou d'accepter des exceptions non prévues dans le dispositif législatif ou réglementaire concernant les droits de l’homme, l'environnement, la santé, la sécurité, le travail, la fiscalité, les incitations financières ou d'autres domaines.

• S’efforcer d’empêcher ou d’atténuer une incidence négative, dans le cas où elles n’y ont pas contribué, mais où cette incidence est néanmoins directement liée à leurs activités, à leurs produits ou à leurs services en vertu d’une relation d’affaires. Ceci ne doit pas être interprété comme transférant la responsabilité de l’entité à l’origine d’une incidence négative sur l’entreprise avec laquelle elle entretient une relation d’affaires.

• En plus de répondre à des incidences négatives dans des domaines visés par les Principes directeurs, encourager dans la mesure du possible leurs partenaires commerciaux, y compris leurs fournisseurs et leurs sous-traitants, à appliquer des principes de conduite responsable conformes aux Principes directeurs. (OCDE, 2011, p. 19-20)

36

L’OIT est reconnue par l’OCDE en tant que « l’organe compétent pour établir les

normes internationales du travail et s’en occuper » et « pour promouvoir les droits

fondamentaux au travail tels qu’ils sont reconnus dans la Déclaration de l’OIT de

1998 sur les principes et droits fondamentaux au travail » (OCDE, 2011, p.44). De

son côté, l’OIT met de l’avant sa Déclaration sur les entreprises multinationales, qui

propose des normes dans le domaine de l’emploi, de la formation, des conditions de

travail et des relations professionnelles. Au niveau de la reddition de comptes, tel que

vu au point 3.6.2, la version G4 de la GRI exige maintenant une divulgation complète

au niveau de la chaîne d’approvisionnement, mais également au niveau de la

gouvernance et de l’éthique. L’entreprise doit divulguer comment l'organe de

gouvernance le plus élevé est établi et structuré et comment les dimensions

économiques, environnementales et sociales sont prises en compte dans les décisions

de cet organe (GRI, 2013b, p.36). De même, la G4 exige la divulgation des

mécanismes internes et externes afin d’obtenir des conseils sur le comportement

éthique et légal, de même que sur la façon de communiquer une préoccupation quant

à la légalité ou à l’éthique d’un comportement (GRI, 2013b, p.41). Pris comme un

tout, les Principes de l’OCDE, la Déclaration de l’OIT et la version G4 de la GRI

envoient des signaux éloquents aux multinationales, quant à la gouvernance de leurs

chaînes d’approvisionnement.

Ces quelques fondements normatifs des modèles d’affaires et de la gouvernance

éthiques articulés, il est pertinent maintenant de poser les balises de la chaîne

d’approvisionnement et de quelques-unes de ses influences dominantes dans le

contexte de la prise en compte des enjeux sociaux.

4.3 L’approvisionnement : concepts, définitions et influences dominantes

Dans le but de définir et expliquer les concepts centraux de la chaîne

d’approvisionnement, il est nécessaire de décrire les concepts l’entourant. Sans

37

proposer une revue de littérature systématique sur le sujet, nous retiendrons les

dominantes nécessaires à la caractérisation des entreprises susceptibles, pour des

raisons économiques et stratégiques, d’intégrer la notion d’approvisionnement

socialement responsable. Nous aborderons brièvement les coûts de transaction ainsi

que les notions d’externalisation et d’impartition avant de plonger dans les concepts

de chaîne de valeur et de chaîne d’approvisionnement.

4.3.1 Pourquoi et comment faire appel à des fournisseurs

Nous nous référons à Nathanson et Cassano (1982) (in Dumitriu, 2013) pour

expliquer que la performance opérationnelle d’une entreprise se fonde sur sa taille, le

degré de diversification de ses activités, ses caractéristiques organisationnelles et sa

performance financière. De même, Nathanson et Cassano ont été les premiers auteurs

à mettre de l’avant les aspects de diversification au niveau des produits (offre de

gammes de produits selon la segmentation d’acheteurs) et de diversification au niveau

des marchés géographiques (gammes de produits destinés à différents marchés

géographiques) (Dumitriu, 2013).

Le choix d’intégrer ou non certaines fonctions ou opérations est souvent guidé par les

coûts de transactions qui forment un ensemble de coûts économiques et non

économiques reliés à l’externalisation de certaines opérations sous forme

d’impartition ou de sous-traitance (Allaire et Firsirotu, 2004). En gros, une entreprise

ne devrait conserver à l’interne que les activités pour lesquelles elle a une véritable

valeur ajoutée ou qui auraient un coût transactionnel vers l’extérieur trop élevé

(Allaire et Firsirotu, 2004).

Selon Quairel et Auberger (2007), les grandes entreprises ayant mis en place des

opérations mondialisées vivent un mouvement de balancier. D’une part, elles

recentrent leurs activités sur leur corps de métier et d’autre part, elles ont un recours

38

croissant aux fournisseurs (Quairel et Auberger, 2007). L’externalisation consiste en

une relation commerciale basée sur l’achat, par une entreprise cliente, d’intrants

stratégiques nécessaires à la fabrication d’un produit. L’externalisation diffère de

l’impartition par le fait que le contrat est négocié à long terme, est mutuellement

satisfaisant, et est basé sur le fait que l’intrant en question est absolument stratégique

à la fabrication du produit.

En contraste, un sous-traitant est un fournisseur plus captif de son client, puisque

l’intrant qu’il fournit est plus simple ou plus générique (Dumitriu, 2012). Le sous-

traitant ne jouit pas d’un contrat d’exclusivité et son contrat le lie de façon temporaire

et variable à son client (Dumitriu, 2012). Conséquemment, il ne jouit pas d’une

relation stable avec son client, et sa performance économique peut en être affectée à

tout moment. Le fournisseur sous contrat en mode externalisation jouit donc d’un

pouvoir plus important qu’un fournisseur en mode impartition. Cette catégorie de

fournisseur est donc plus susceptible d’utiliser toutes les variables d’ajustement

économique à sa portée pour améliorer ses marges (Morice, 2006), ceci incluant de

fermer les yeux sur (ou même de soutenir activement) certaines violations des droits

du travail (tel qu’un salaire décent, la sécurité d’emploi, le paiement des charges

sociales, etc.). La différence entre fournisseur en impartition et en sous-traitance est

donc majeure au niveau des exigences qu’une entreprise cliente peut avoir envers

eux.

4.3.2 La chaîne de valeur

Le terme « chaîne de valeur » (ou « value chain ») est attribué à Michael Porter

(1985). La chaîne de valeur a été conceptualisée par Porter en 1985 dans le but de

comprendre l’effet de chaque activité d’une entreprise donnée sur sa marge

bénéficiaire (Porter et de Lavergne, 1986). Kaplinsky (in Herr et Muzira, 2012)

définit la chaîne de valeur comme étant :

39

La gamme complète des activités nécessaires pour amener un produit ou un service, de la conception à l’élimination finale après usage, en passant par la production (impliquant un ensemble de transformations physiques ainsi que l’intervention de divers services) et la livraison au consommateur final. (Herr et Muzira, 2012, p.3)

Les activités sont catégorisées par Porter comme étant, soit des activités principales

(logistique interne, production, logistique externe, commercialisation et vente,

services) ou des activités de soutien (approvisionnements, développement

technologique, gestion des ressources humaines et infrastructures de la firme) (Porter

et de Lavergne, 1986). Dans une perspective classique, des mécanismes

d’optimisation ou de coordination lient ces différentes activités, dont les coûts

impactent plus ou moins fortement la performance financière de l’entreprise (Porter et

de Lavergne, 1986). Chaque étape de la production ajoute donc, en principe, de la

valeur à un produit ou un service, jusqu’à la livraison ultime au consommateur. Cette

valeur totale reflètera donc les coûts encourus par l’entreprise ou ses partenaires

commerciaux tout au long de la chaîne de valeur.

Il est donc clair que dans la perspective « porterienne » les fournisseurs sont des

variables à gérer uniquement dans une optique économiquement avantageuse pour

l’entreprise, sans nécessairement tenir compte des impératifs du développement

durable. A contrario, dans une perspective de gestion du cycle de vie, les acteurs

d’une chaîne de valeur forment une catégorie à part entière de parties prenantes qui

doivent être incluses dans les frontières d’influence de toute entreprise qui désire

produire de façon durable et responsable (PNUE-SETAC, 2009, p.29). Une chaîne de

valeur est alors comprise comme étant formée d’entreprises, en amont et en aval

d’une entreprise de transformation, qui lui fournissent des intrants physiques et

techniques nécessaires à la production et à la commercialisation d’un produit ou d’un

service (Quantis et Agéco, 2011). Cette notion d’amont et d’aval nous amène au

concept de « position dans la chaîne de valeur » d’une entreprise donnée, notion qui

se rattache au modèle d’affaires choisi. Selon Lecocq et al (2006), le modèle

d’affaires est en partie tributaire de la position que choisira l’entreprise dans la chaîne

40

de valeur, position qui sera déterminée par son choix de fonctions qu’elle remplira et

conséquemment, des fonctions qui seront assumées par des partenaires externes

(Lecocq, Demil et Warnier, 2006).

En assumant une certaine position dans la chaîne de valeur, une entreprise délègue ou

choisit d’assumer plus ou moins de fonctions dans cette chaîne. L’entreprise focale

est celle qui selon Seuring et Müller (2008) (en référence à Handfield et Nichols,

1999 et à Schary et Skjøtt-Larsen, 2001) « (1) gouverne ou régit la chaîne

d'approvisionnement (2) fournit le contact direct avec le client, et (3) est responsable

de la conception du produit ou du service offert. »10 (Seuring et Müller, 2008,

p.1699). Il s’agit donc de l’entreprise qui influe le plus l'ensemble du réseau

d'approvisionnement en raison de sa position et de sa puissance (van Bommel, 2011).

C’est donc du point de vue de l’entreprise focale que seront abordés les facteurs

favorisant ou entravant l’adoption et l’opérationnalisation de l’approvisionnement

responsable.

4.4 La chaîne d’approvisionnement

Une chaîne d’approvisionnement existe à l’intérieur d’une chaîne de valeur :

Une chaîne d’approvisionnement, ou réseau logistique est le système qui englobe les organisations, les personnes, la technologie, les activités, les informations et les ressources nécessaires pour mener un produit ou un service du fournisseur au client. Les activités de la chaîne d’approvisionnement transforment les ressources naturelles, les matières premières et les composants en un produit fini proposé au client final. Les chaînes d’approvisionnement relient des chaînes de valeur. (Nagurney, 2006, in UNEP-SETAC, 2009)

Une chaîne d’approvisionnement peut également être comprise en tant que réseau,

défini comme : « un système harmonisé de personnes, d'organisations, d'information,

d’activités et de ressources impliquées dans la fourniture d'un produit ou d'un

service » (Hutchins et Sutherland, 2008, p.1692). Cette notion de réseau se substitue à

10 Traduction libre

41

la vision traditionnelle de « chaîne », impliquant des relations dyadiques avec certains

fournisseurs, dans une équation séquentielle. En effet, les chaînes

d'approvisionnement ne sont plus linéaires, mais forment des réseaux complexes où

de nombreux liens unissent de non moins nombreux acteurs (Hutchins et Sutherland,

2008). De plus, il existe une cession du droit de regard sur la nature des opérations

des fournisseurs, par cause du remplacement d’une structure hiérarchique (dans le cas

d’opérations verticalement intégrées) par une relation commerciale négociée. Le

terme « Supply Chain Management » (ou SCM) apparaît dans la littérature

scientifique au début des années 1990, venant ainsi solidifier la fonction corporative

de gestionnaire des achats (Svensson, 2007). Le « Sustainable Supply Chain

Management » (SSCM) apparaît vers 2005, (notamment, dans l'article de Teuscher,

Grüninger et Ferdinand, 2006) mais les différents termes décrivant la gestion

responsable de l'approvisionnement apparaissent au début des années 2000. C'est dire

combien la recherche scientifique sur la gestion responsable des achats est jeune.

Par la recherche d’avantages stratégiques, les entreprises inter et transnationales

s’approvisionnent mondialement, dans un contexte d’instabilités macroéconomiques

systémiques (PwC, 2013). Parallèlement, les entreprises mondiales deviennent peu à

peu conscientes de la nécessité d’étendre leurs procédés de gouvernance responsable

au-delà de leurs propres limites en incluant leurs fournisseurs (Keating et al., 2008)

puisque leur performance RSO est tributaire non seulement de leurs propres

comportements, mais aussi de ceux de leurs fournisseurs (Hutchins et Sutherland,

2008). Nous explorons ci-après ces deux variables d’influence, soit la mondialisation

et la gestion des risques sociaux, avant d’aborder les pratiques d’approvisionnement

socialement responsables.

4.4.1 La mondialisation

Vue en filigrane jusqu’ici, la mondialisation est sans contredit une variable

42

structurante fondamentale pour les multinationales. Suite aux nombreux accords de

libre-échange des 20 dernières années, les marchandises subissent plus que jamais de

nombreux mouvements transfrontaliers, ce qui occasionne l’émergence d’une

concurrence mondiale tant au niveau des pays producteurs que des entreprises et des

marques (Mentzer, Stank et Myers, 2007). De nombreuses denrées sont de plus en

plus produites dans les pays en voie de développement, principalement à cause des

salaires plus bas et du laxisme de certains gouvernements en ce qui a trait au respect

des droits du travail et des droits humains, ou par les limites de leurs pouvoirs et

responsabilités dans les zones franches.

Il est plus difficile que jamais de savoir où commence et où se termine une chaîne

d’approvisionnement (Kytle et Ruggie, 2005, p.2) ce qui rend la gestion socialement

responsable des achats complexes, au mieux. Les chaînes de valeur s’étendent sur de

vastes zones géographiques et englobent une myriade d’acteurs locaux et

internationaux. Un changement dans l’une ou l’autre des relations du réseau se

répercute irrémédiablement sur tous les autres intervenants, ce qui entraîne des

conséquences souvent imprévisibles pour l’entreprise focale. C’est ce phénomène que

l’entreprise cherche à contrôler par l’implantation d’un système intégré de gestion des

risques, qui fait maintenant presque partie intégrante du rôle du gestionnaire achats

(Menuet et Rambaud-Paquin, 2011).

4.4.2 La gestion des risques

La notion classique du risque prend racine dans la conjonction entre l’incertitude

qu’un évènement se produise, sa probabilité et l’incidence qu’il aura dans le cas où il

se produirait. L’équation classique suivante résume bien cette posture :

risque = probabilité × impact. Dumitriu (2012) estime que les variables suivantes

sont en lien avec la définition du risque : les gains ou pertes possibles si l’entreprise

encourt un risque, la probabilité et l’impact d’un événement s’il se produit et

43

l’influence de cet événement sur les résultats de l’entreprise (Dumitriu, 2012). Selon

le COSO (Committee of Sponsoring Organizations of the Treadway Commission), la

gestion intégrée des risques est un cadre de gestion stratégique transversal mis en

place par la haute direction afin d’aider les gestionnaires à identifier les facteurs de

risque qui pourraient empêcher l’entreprise d’atteindre ses objectifs, conformément à

l’appétence qu’a l’organisation pour le risque (COSO, 2004). C’est sur cette base que

la plupart des matrices de gestion intégrée des risques sont conçues.

Les risques économiques et politiques (deux des trois grandes catégories de risques

les plus fréquemment citées et gérées) regroupent la plupart des risques techniques

liés aux fournisseurs (discontinuités, délais de livraison, inventaires, etc.). Ces risques

peuvent à leur tour induire un risque de réputation à l’entreprise cliente. Mais cette

imbrication des risques fournisseurs avec les risques politiques et économiques

n’arrive pas à cerner tout ce que représentent les enjeux sociaux et leur présence sur

les chaînes d’approvisionnement mondialisées. Les pratiques managériales des

fournisseurs envers leurs employés peuvent également constituer un risque majeur en

termes d’enjeux sociaux. L’humain a donc un impact sur la performance économique

d’une entreprise non seulement par son implication dans la production, mais

également par la façon dont il est traité dans sa dignité humaine (Gallenga, 2013).

À ce titre, Kytle et Ruggie (2005) introduisent la notion des « risques sociaux » qui

selon eux, sont induits par la pression de parties prenantes influentes sur les

vulnérabilités des entreprises. Ce type de risques provient de la complexité inhérente

au modèle d’affaire impliquant des chaînes d’approvisionnement mondiales dans

lesquelles les interrelations de nombreux acteurs augmentent la vulnérabilité de

l’entreprise (Ibid). Les entreprises sont à risque de violation des normes

fondamentales du travail dans leurs chaînes d'approvisionnement, car elles ont moins

de contrôle et de connaissance des conditions de travail chez leurs fournisseurs, par

rapport à leurs propres activités (EIRIS, 2009). La gestion des risques selon Froment

44

(2013) serait une procédure similaire à la gestion des parties prenantes :

identifications des enjeux (risques ou préoccupations, selon l’approche),

compréhension des enjeux et établissement d’un plan d’action (Froment, 2013). Cette

opinion est supportée par Kytle et Ruggie (2005) qui préconisent par ailleurs une

approche RSO pour gérer les risques sociaux de façon transversale dans l’entreprise.

Pour eux, il est clair que la participation des parties prenantes à l’identification des

risques (approche bottom up, totalement compatible avec ISO 26000), et toute

l’intelligence collective qui peut être mobilisée est un avantage incalculable dans la

gestion des risques sociaux. Ainsi, Kytle et Ruggie proposent une équation revisitée

de l’équation classique « probabilité × impact » :

Figure 4.1 Équation du risque social selon Kytle et Ruggie (2005)

Selon Kytle et Ruggie, les enjeux sociaux sont, dans un premier temps, pris en

considération par la gestion RSO de l’entreprise. Avec le relais de la société civile et

des médias, ces enjeux peuvent devenir des risques sociaux majeurs pour l’entreprise.

Kytle et Ruggie proposent un modèle de l’évolution des enjeux sociaux en risques

sociaux pour l’entreprise, qui confirme l’articulation entre la gestion RSO et la

gestion des achats illustrée dans notre modèle.

45

Figure 4.2 Modèle de l’évolution des enjeux sociaux en risques sociaux selon Kytle et Ruggie (2005)

Ce modèle illustre parfaitement l’adéquation entre l’engagement avec les parties

prenantes et la gestion des risques sociaux (Kytle et Ruggie, 2005). Il démontre

notamment que la vulnérabilité d’une entreprise peut être réduite (entre autres) par

une meilleure communication et compréhension interne et externe des enjeux,

conduisant à une allocation des ressources optimisée, grâce aux processus inhérents à

la RSO (Kytle et Ruggie, 2005).

Dans une étude de 500 entreprises mondiales dans le domaine manufacturier et des

services, PricewaterhouseCoopers dénote que la stabilité et la prévisibilité sont choses

du passé. Elle évoque les contractions et expansions irrégulières des cycles

macroéconomiques et les catastrophes naturelles comme étant des variables de plus

en plus présentes et qui affectent tout le cycle de l’approvisionnement, de même que

les ventes (PwC, 2013). Selon l’indice d’exploitation de l’organisation Impactt, les

46

conditions de travail se sont dégradées dans les sept dernières années sur les chaînes

d’approvisionnement mondiales pour les pays où ils interviennent (Inde, Bangladesh,

Chine, Thaïlande, Turquie et Grande-Bretagne). De même, tous les indicateurs du

travail non décent sont bien présents, entre autres dans les sites visités par

l’organisation en Asie (Impactt, 2013).

Selon une étude d’EIRIS, 13% des entreprises à moyenne et grande capitalisation

originaires de pays développés présentent un risque moyen ou élevé en ce qui

concerne les normes du travail sur leurs chaînes d'approvisionnement mondiales. Les

évènements au Bangladesh, évoqués au point 3.3, mettent parfaitement en lumière les

conséquences des risques que prennent ces entreprises. Une étude quantitative de

PricewaterhouseCoopers, EcoVadis et INSEAD a démontré en 2010 que la valeur

boursière d’une action pouvait être réduite de 12% suite à un risque RSO avéré sur la

chaîne d’approvisionnement (PwC, EcoVadis et INSEAD, 2010, p.4). À titre

d’exemple, l’étude cite le cas de Wal-Mart, qui a vu sa valeur boursière chuter de

11% en un mois et demi en 2006, suite à la vente en masse des actions du détaillant,

pour une valeur de 414 millions d’euros, par le Fonds souverain norvégien. Le Fonds

avait découvert que des problèmes avérés de travail des enfants existaient sur

certaines chaînes d’approvisionnement du détaillant (PwC, EcoVadis et INSEAD,

2010, p.13). Il est donc clair que la saine gestion des risques sociaux comme

composante de l’approvisionnement responsable devient un avantage économique clé

pour les entreprises désirant optimiser la qualité de leurs intrants (et donc de leurs

produits), devenir plus efficientes dans l’allocation de leurs ressources et mieux

contrôler les coûts liés à la perte de réputation.

47

5. L’APPROVISIONNEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE

5.1 Définitions, motivations et approches

Nous avons constaté qu’une entreprise qui comporte une ou plusieurs chaînes

d’approvisionnement s’inscrit dans un réseau l’abouchant à des entités juridiquement

indépendantes, mais liées par contrats commerciaux. C’est entre autres la nature des

entités, leur pouvoir dans le réseau et les relations que toutes ces entreprises vont

entretenir, qui vont affecter le succès de la mise en place de ce qu’Acquier nomme

une « initiative transversale de responsabilisation » (Acquier, Daudigeos et

Valiorgue, 2011). Un telle initiative, centrale à cet essai, est évidemment

l’approvisionnement dit « responsable ».

Différents termes existent pour désigner un approvisionnement qui considère plus que

les aspects fondamentaux de qualité, de coûts et de temps de livraison. Le terme

« approvisionnement responsable » en côtoie plusieurs autres dans le lexique des

achats, provenant tant de l’univers anglo-saxon que de la francophonie. Le tableau 1

(en annexe) retrace, dans leur langue d'origine, quelques-uns des termes les plus

populaires répertoriés dans la littérature, et qui touchent aux variables et pratiques

entourant les achats prenant en compte de façon appuyée les aspects sociaux (nous

excluons donc de facto les définitions comme « green purchasing », terme se référant

uniquement aux achats dits « verts » ou écoresponsables).

Nous avons élaboré à partir du tableau de définitions utilisées par Miemczyk, Johnsen

et Macquet (2012) au niveau du réseau d’approvisionnement et y avons ajouté des

définitions que nous jugions appropriées dans le but de démontrer le foisonnement de

conceptualisations d’un ensemble de pratiques constituant l'approvisionnement

responsable (Miemczyk, Johnsen et Macquet, 2012). Nous avons créé des catégories

en fonction de la dimension sur laquelle l’accent est mis, soit sur l’aspect social, de

48

responsabilité, d’éthique ou d’équité. À noter que ce tableau synthèse n’a pas la

prétention d’être exhaustif.

Après avoir exploré le flou sémantique des différentes postures adoptées par divers

auteurs, nous nous tournons vers une définition intégrée de l’approvisionnement

responsable qui prend en compte l’aspect social et l’aspect gestion RSO de façon

prédominante. À ce titre, nous privilégierons la définition de l’ICLEI (2007)

combinée avec celle de Leire et Mont (2010) et de certains aspects soulevés par

Drumright (1994), Maignan et al (2002), Carter (2004), Lobel (2006), et PwC,

EcoVadis et INSEAD (2010) qui, reconstruite selon les considérations de cet essai et

traduite par nos soins, se présente ainsi :

L’approvisionnement socialement responsable est celui qui se recommande à l'utilisation du pouvoir d'achat des organisations qui, tenant compte (1) de leur propre résilience économique et de celle de leurs partenaires commerciaux ; (2) des grands cadres internationaux sur les droits de l'homme et les droits du travail ; (3) des préoccupations des parties prenantes concernées et (4) des conséquences négatives des achats en termes de gestion des enjeux sociaux, créent des relations commerciales mutuellement avantageuses avec leurs fournisseurs et procèdent à l’achat de produits, travaux et services ayant un impact socio-économique et social positif sur les parties prenantes affectées par les opérations des fournisseurs et ce, sur tout le cycle de vie du produit ou du service.

Cette définition ainsi posée, les facteurs favorisant ou entravant l’approvisionnement

socialement responsable seront abordés dans les sections suivantes. Puis, nous

proposerons une synthèse des meilleures pratiques à partir de la littérature

scientifique formelle et de la littérature grise.

5.2 Les facteurs de motivation et les approches

La motivation est composée de tous les éléments qui poussent, expliquent et justifient

un ou des individus à agir dans un certain sens. Hutchins et Sutherland (2008)

soulignent que la principale raison pour les entreprises de s’engager dans

l’approvisionnement responsable est que les fournisseurs peuvent affecter la

49

réputation et la performance de l’entreprise focale et mettre en cause sa capacité à

remplir sa mission (« license to operate ») (Hutchins et Sutherland, 2008). Brammer,

Hoejmose et Millington (2011) proposent les cinq C comme catégories de facteurs de

motivation : les Clients (attraction, rétention, etc.), la Conformité (légale et selon les

diverses pressions sociales), les Coûts (gestion des risques, efficacité, productivité), la

Conscience (morale, valeurs, éthique) (Brammer et al., 2011). Alvarez, Pilbeam et

Wilding (2010) déterminent quant à eux trois variables de motivation : le besoin

d’assurer un influx constant d’intrants de haute qualité, l’indépendance dans la

gestion des relations fournisseurs11 et l’enthousiasme pour le projet de

l’approvisionnement responsable à tous les échelons de l’entreprise (Alvarez,

Pilbeam et Wilding, 2010). Seuring et Müller (2008) dans leur revue de littérature

répertorient les facteurs de motivations et de pression suivants (en ordre décroissant

d'importance) : (1) les exigences légales/la réglementation ; (2) les exigences des

clients ; (3) la réponse aux parties prenantes ; (4) l'avantage concurrentiel ; (5) les

groupes de pression environnementaux et sociaux ; et (6) la perte de réputation.

Spécifiquement pour l'approvisionnement socialement responsable, Mont et Leire

(2009) répertorient l'influence des parties prenantes, les valeurs organisationnelles,

les pressions des médias et des ONG ainsi que les pressions venant des employés

(Mont et Leire, 2009).

Du côté des praticiens, PricewaterhouseCoopers, EcoVadis et INSEAD (2010)

avancent qu’il existe trois principales motivations (« drivers ») à l'approvisionnement

responsable : (1) la réduction des coûts ; (2) la réduction des risques ; et (3) la

croissance des revenus (PwC, EcoVadis et INSEAD, 2010). Menuet et Rambaud-

Paquin (2011) répertorient les pressions des clients, des employés, des cadres légaux,

de la société civile et des investisseurs comme étant les principaux facteurs qui

motivent les entreprises à agir. Les opportunités liées aux coûts, à la fidélisation des

11 Les auteurs font référence au fait que Nespresso avait pu se dissocier du système d’approvisionnement de Nestlé, ce qui leur a donné la marge de manœuvre pour créer le programme de café équitable Nespresso AAA.

50

clients, à l’innovation et à la mobilisation sont évoquées comme des facteurs de

création de valeur.

Au niveau des approches, Gimenez et Tachizawa (2012) font une différence entre

l’approche « hands on » (ou collaborative) et l’approche « hands off » (ou évaluative)

de l’approvisionnement responsable. Leur revue de littérature aborde uniquement la

première approche, qui nécessite une mobilisation importante de temps et de

ressources de la part des entreprises. Selon les auteurs, l’approche « hands off » (ou

indirecte) se résume à l’utilisation de normes privées (labels et certifications) pour

évaluer les fournisseurs. Alvarez, Pilbeam et Wilding (2010) proposent une typologie

similaire : les mécanismes formels et les mécanismes informels (Alvarez, Pilbeam et

Wilding, 2010). Prenant appui sur Gulati et Singh (1998) et Dekker (2004), Alvarez,

Pilbeam et Wilding déterminent que les mécanismes formels prennent la forme de

systèmes de contrôle et de reddition de comptes explicites (Alvarez, Pilbeam et

Wilding, 2010). Citant Jones et al. (1997) et Powell (1990), les auteurs soulignent

que les mécanismes informels s’ajoutent aux mécanismes formels et prennent la

forme de relations plutôt que de structures bureaucratiques (Alvarez, Pilbeam et

Wilding, 2010). Ce postulat rejoint Seuring et Müller (2008) qui, dans leur revue de

littérature, dégagent eux aussi deux types de stratégies distinctes : la gestion des

fournisseurs en fonction des risques et de la performance, et la gestion de la chaîne

d'approvisionnement en faveur des produits durables (Seuring et Müller, 2008).

Quairel et Auberger (2007) expriment de façon plus expressive cette binarité des

approches. Elles utilisent les termes « messianique » pour évoquer une approche plus

normative basée sur la diffusion des valeurs auprès des fournisseurs, et « défensive »

pour décrire une approche en fonction de la gestion des risques que représentent les

fournisseurs. Dans une recherche subséquente, Quairel et Ngaha (2009) répertorient

cependant trois voies d'institutionnalisation de la RSO dans les achats : le modèle «

relationnel » (logique marchande, relations opportunistes) et « de conscientisation »

51

(évolution des valeurs avec comme finalité, le « bien commun ») (Quairel et Ngaha,

2009) qui peut se regrouper sous l'approche « messianique ». La troisième approche

dite « de l'expert » s'incarne dans un discours de gestion du risque, prend comme

moyens les techniques et technologies managériales et repose, selon les auteures, sur

une restructuration complète du processus achats (Quairel et Ngaha, 2009).

Du côté des praticiens, l’Espace québécois de concertation sur les pratiques

d’approvisionnement responsable (ECPAR) détermine deux approches : l’approche

produit (sélection d’un fournisseur basé sur sa performance) et l’approche fournisseur

(mobilisation ou sélection de fournisseurs dans une perspective d’amélioration

graduelle, appropriée pour leur secteur) (ECPAR, 2013). De façon générale, on peut

donc en déduire que les entreprises focales qui désirent mettre en place un

approvisionnement responsable sont motivées soit par leur perception des

fournisseurs en tant que source de danger à maîtriser ou au contraire, en tant que

partenaires en vue de créer ou maintenir un avantage concurrentiel. Shift (2013)

milite en faveur d'une évolution de la relation entre fournisseurs et entreprise focale,

suggérant que cette dernière passe de « policier » à « partenaire » (Shift, 2013) auprès

de ses fournisseurs.

5.3 Les pratiques d'approvisionnement socialement responsable

Au niveau des dispositifs de gestion mis en place par les entreprises, nous en

répertorions cinq grandes catégories : les instruments normatifs, d'évaluation/

sélection/contrôle, de coordination/support et correctifs/coercitifs.

Les dispositifs normatifs réfèrent aux demandes codifiées, contraignantes ou non, qui

sont mises en place par les entreprises focales et qui régissent les relations avec leurs

fournisseurs en ce qui a trait à l'approvisionnement responsable. Dans la plupart des

cas, ces normes sont présentées sous forme de codes de conduite (Gimenez et

52

Tachizawa, 2012, citant Keating et al., 2008 et Andersen et Skjøtt-Larsen, 2009 ;

Brammer, Hoejmose et Millington, 2011 ; Seuring et Müller, 2008 ; Bruel, Menuet et

Thaler, 2011 et ECPAR, 2013). Les codes de conduite, et les clauses spécifiques à la

RSO dans les contrats et l'auto-évaluation par les fournisseurs sont bien implantés par

les deux tiers des entreprises faisant partie de l'étude (Bruel, Menuet et Thaler, 2011).

Les dispositifs d'évaluation, sélection et contrôle des fournisseurs comprennent à très

forte majorité les audits (Brammer, Hoejmose et Millington, 2011 ; Kytle et Ruggie,

2005 ; Bruel, Menuet et Thaler, 2011) ; ECPAR, 2013 ; Andersen et Skjøtt-Larsen,

2009) et les certifications émises par de tierces parties (Brammer, Hoejmose et

Millington, 2011 et ECPAR, 2013). L'autoévaluation est nommée par Bruel, Menuet

et Thaler (2011) et également par Keating et al. (2008), qui spécifient dans leur étude

de cas que la banque Westpac, après avoir évalué le temps de gestion des fournisseurs

moins stratégiques, a mis en place un système d'auto-évaluation moins gourmand en

temps pour les gestionnaires des achats (Alvarez, Pilbeam et Wilding, 2010).

Gimenez et Tachizawa (2012) estiment quant à eux que toute forme d'évaluation doit

être mise en œuvre de concert avec les fournisseurs, car elle améliore sensiblement la

performance environnementale et sociale. Cette estimation rejoint l'étude de Shift

(2013) en collaboration avec le Global social Compliance Project (GSCP) qui met en

garde les entreprises contre l'utilisation des audits comme seul outil de conformité et

d'évaluation de la performance. Selon Shift, malgré des centaines de milliers d'audits

répartis sur de nombreuses années, peu d'améliorations notables ont été constatées sur

des questions comme la santé et sécurité des travailleurs, les salaires, les heures de

travail, ou la liberté d'association (Shift, 2013). Shift propose une alternative qui est

de miser plutôt sur un ensemble de pratiques basées sur la confiance et la mutualité,

telles que l'évaluation collaborative (Ibid), que nous verrons ultérieurement.

L'ECPAR, PricewaterhouseCoopers et Bruel, Menuet et Thaler insistent tous sur les

mécanismes formels que sont les politiques et cadres d'approvisionnement et

53

l'intégration de clauses RSO aux contrats d'appels d'offres (ECPAR, 2013 ;

PricewaterhouseCoopers (2013) et Bruel, Menuet et Thaler, 2011).

PricewaterhouseCoopers souligne l'importance de l’optimisation et amélioration de

l'empreinte carbone, signe de l'engouement des entreprises mondialisées pour

l'échange des crédits carbone. Kytle et Ruggie (2005), tel que vu au point 4.4.2,

soulignent l'importance de la gestion intégrée des risques sociaux, qui fait écho à la

posture défensive de Quairel et Auberger. L'ECPAR répertorie des dispositifs tels que

l'identification des enjeux en fonction des différentes catégories de produits, services

ou lieux de production (idéalement dans une pensée cycle de vie), le calcul des coûts

totaux de propriété et l'utilisation d'une marge préférentielle. Ces pratiques

innovantes, peu répertoriées ailleurs dans la littérature, méritent qu'on s'y attarde.

L'identification des enjeux sociaux en fonction des produits, services ou lieux de

production dans une perspective cycle de vie peut s'effectuer grâce à l'analyse sociale

du cycle de vie (AsCV). Selon la Chaire internationale sur le cycle de vie :

L’AsCV réfère à une série de méthodes permettant l’évaluation des enjeux sociaux associés aux produits, procédés ou services sur l’ensemble du cycle de vie (extraction des matières premières, production, transport, utilisation, fin de vie) (Chaire internationale sur le cycle de vie, 2013a)

L'un des principes de l'AsCV est d'éviter le transfert d'impacts, un risque important si

les processus de production et les comportements des fournisseurs sont étudiés en

silo. L'une des approches de l'AsCV permet de cibler où, dans une chaîne

d'approvisionnement, des comportements d’entreprises peuvent affecter les parties

prenantes. Dans le cas de comportements non conformes aux normes sociales, on

parle de points chauds avérés (basés sur une collecte de données terrain) ou potentiels

(basés sur une collecte de bureau). L'AsCV se positionne donc comme un outil

essentiel à la modélisation des risques sociaux sur toute la chaîne

d'approvisionnement. Seuls deux auteurs proposent une approche basée à la fois sur

la pensée cycle de vie et sur une méthode plus classique. Il s'agit de Hutchins et

54

Sutherland (2008) qui ont développé un dispositif théorique visant à comparer les

ratios de performance RSO des fournisseurs à partir d'indicateurs sociaux basés sur

des thèmes et sous-thèmes mis de l'avant par les Nations Unies (Hutchins et

Sutherland, 2008). La grande originalité de leur article réside dans le lien entre la

performance individuelle des fournisseurs et la performance agrégée de l'entreprise

focale, assumant d'emblée l'interrelation de ce type de système ainsi que l'éclatement

des frontières du système de responsabilité sociale de l'entreprise focale.

Un autre outil qui s'inspire de la pensée cycle de vie est le calcul des coûts totaux de

propriété, mieux connu sous l'acronyme TCO ou « Total Cost of Ownership ». Le

TCO consiste en l'analyse du coût total d'un produit ou d'un service, incluant les coûts

directs, indirects, cachés, potentiels et plus difficiles à quantifier (Reeve et Everdene,

2007).

Figure 5.1 Figure tirée de Reeve et Everdene (2007) illustrant différentes approches de calcul du coût complet de possession Le TCO pourrait (et devrait) logiquement être une extension managériale du

« business case » de l'approvisionnement socialement responsable. Le TCO peut

55

aussi théoriquement servir au calcul des coûts sociaux et sociétaux sur tout le cycle de

vie. C'est pourquoi le TCO est particulièrement utile dans les situations où la décision

comporte un grand risque et où les coûts indirects et cachés peuvent être importants et

difficiles à quantifier (Reeve et Everdene, 2007), ce qui est souvent le cas avec les

enjeux sociaux sur les chaînes d'approvisionnement mondialisées. Articulé avec la

gestion intégrée des risques sociaux telle qu'entendue par Kytle et Ruggie (2005) et

avec l'AsCV comme moteur, le TCO a le potentiel d'être un dispositif de calcul et de

prise de décision puissant dans le cadre de l'approvisionnement socialement

responsable. Cependant il n'existe pas encore, à notre connaissance, d'étude en

mesure d'étayer ce postulat. Du côté empirique, Bruel, Menuet et Thaler (2011)

répertorient en Europe une adoption de seulement 12% de la TCO dans les entreprises

pratiquant l'approvisionnement responsable (Bruel, Menuet et Thaler, 2011). Enfin, la

marge préférentielle est un mécanisme utilisé pour favoriser certains fournisseurs

répondant à des critères précis de responsabilité sociale (par exemple, un fournisseur

local) qui bénéficieront de la part de l'entreprise focale d'une marge additionnelle par

rapport à leurs concurrents pour un même produit ou service (habituellement pas plus

de 10%). Ce dispositif est souvent utilisé pour favoriser le commerce local ou le

commerce équitable.

Il existe deux catégories pour les dispositifs de coordination : la collaboration externe

avec les fournisseurs (Gimenez et Tachizawa, 2012 citant Keating et al., 2008 et

Andersen et Skjøtt-Larsen, 2009 ; Alvarez, Pilbeam et Wilding, 2010 ; Seuring et

Müller, 2008 ; Kytle et Ruggie, 2005 ; Carter et Jennings, 2004) et la collaboration

interdépartementale (Carter et Jennings, 2004) ou interne. Les instruments de support

réfèrent à la façon qu'aura l'entreprise focale de soutenir les efforts des fournisseurs

qui désirent se conformer aux normes de RSO afin de répondre aux cahiers des

charges de l'approvisionnement responsable. Ainsi, l'accompagnement et les systèmes

de motivation font partie de ces mécanismes informels qui, de l'avis de plusieurs

auteurs, sont garants d'une relation saine et ouverte entre l'entreprise focale et ses

56

fournisseurs (Alvarez, Pilbeam et Wilding, 2010 ; Leire et Mont, 210 ; ECPAR.2013;

Brammer, Hoejmose et Millington, 2011). Afin de combler les lacunes de leurs

programmes en termes d'enjeux sociaux, certaines entreprises décident également de

s'associer avec des ONG spécialisées (Shift, 2013). Ce dispositif est particulièrement

important en ce qui concerne les enjeux sociaux sur la chaîne d'approvisionnement,

puisque la nature sensible des violations des droits humains et des droits du travail

peuvent être assez difficiles à modifier si des pratiques systémiques de violations

existent déjà.

Moins fréquemment mentionnés, les dispositifs de rectification des non-conformités

sont soulignés par Seuring et Müller (2008) et Alvarez, Pilbeam et Wilding (2010).

Généralement, ce type d'instruments est peu populaire et est utilisé en dernier recours,

mais semble nécessaire, selon ces auteurs, afin d'éliminer les fournisseurs

récalcitrants qui présentent un risque pour l'entreprise focale. Cette pénurie dans le

répertoire peut dénoter un fort souci pour l'entreprise focale de représenter

publiquement sa responsabilité sociale, mais un empressement plus faible à s'assurer

que les fournisseurs sont effectivement conformes et ce, dans la durée. Elle peut aussi

dénoter un manque de ressources pour établir un suivi régulier et rigoureux de la

performance et de la conformité des fournisseurs.

57

TABLEAU 2

Dispositifs de gestion répertoriés en approvisionnement responsable

Dispositifs

DISPOSITIFS NORMATIFS

Les codes de conduite

Gimenez et Tachizawa (2012) citant Keating et al. (2008) et Andersen et Skjøtt-Larsen (2009)

Brammer, Hoejmose et Millington (2011)

Seuring et Müller (2008)

Bruel, Menuet et Thaler (2011)

ECPAR (2013)

L’adhésion des fournisseurs à des normes éthiques élevées PricewaterhouseCoopers (2013)

Les normes d’opérationnalisation Alvarez, Pilbeam et Wilding (2010)

Une politique d’approvisionnement responsable PricewaterhouseCoopers (2013)

Le respect d’un cadre d’approvisionnement responsable ECPAR (2013)

Les structures de commande Alvarez, Pilbeam et Wilding (2010)

La gestion intégrée des risques sociaux Kytle et Ruggie (2005)

L’optimisation/amélioration de l'empreinte carbone PricewaterhouseCoopers (2013)

DISPOSITIFS D'ÉVALUATION, SÉLECTION ET CONTRÔLE

Les outils d’évaluation des fournisseurs

Gimenez et Tachizawa (2012) citant Keating et al. (2008) et Andersen et Skjøtt-Larsen (2009) ECPAR (2013)

Les processus pour la sélection des fournisseurs Brammer, Hoejmose et Millington (2011)

Les dispositifs d'évaluation/contrôle Seuring et Müller (2008)

L'autoévaluation par les fournisseurs Bruel, Menuet et Thaler (2011)

L'autoévaluation par les plus petits fournisseurs Keating et al. (2008)

58

Les audits

Brammer, Hoejmose et Millington (2011) Kytle et Ruggie (2005)

Bruel, Menuet et Thaler (2011)

ECPAR (2013)

Andersen et Skjøtt-Larsen (2009)

Les clauses spécifiques à la RSO dans les contrats Bruel, Menuet et Thaler (2011)

L'intégration de critères de développement durable aux appels d’offres et autres étapes du processus d’approvisionnement ECPAR (2013)

Les incitations commerciales Shift (2013)

L'utilisation d'une marge préférentielle ECPAR (2013)

L'identification des enjeux environnementaux, sociaux ou économiques en fonction des différentes catégories de produits, services ou lieux de production (idéalement sur la base d’une approche cycle de vie) ECPAR (2013)

Le calcul des coûts totaux de propriété

Les bases de données de fournisseurs en matière de RSE Bruel, Menuet et Thaler (2011)

Le recours aux certifications émises par des tierces parties indépendantes

ECPAR (2013) Brammer, Hoejmose et Millington (2011)

La sélection des fournisseurs basée sur leur ratio de responsabilité sociale, calculée à partir d'indicateurs sociaux Hutchins et Sutherland (2008)

DISPOSITIFS DE COORDINATION ET DE SUPPORT

La collaboration avec les fournisseurs

Gimenez et Tachizawa (2012) citant Keating et al. (2008) et Andersen et Skjøtt-Larsen (2009) Alvarez, Pilbeam et Wilding (2010) Seuring et Müller (2008)

Kytle et Ruggie (2005)

Carter et Jennings (2004)

La coordination interdépartementale Carter et Jennings (2004)

Les systèmes de motivation Alvarez, Pilbeam et Wilding (2010)

59

Le soutien aux fournisseurs PME L'accompagnement et formation des fournisseurs ECPAR (2013)

Le renforcement des capacités des fournisseurs Les différentes formes de partenariats entre les entreprises et les ONG

Shift (2013)

DISPOSITIFS CORRECTIFS ET COERCITIFS

Les dispositifs de sanctions Seuring et Müller (2008)

Les procédures de règlement des différends Alvarez, Pilbeam et Wilding (2010)

5.4 Les facteurs favorisant la mise en place des pratiques

Les variables qui favorisent l'approvisionnement responsable excluent les pratiques

elles-mêmes ou la façon de les pratiquer, mais touchent plutôt à la façon de créer les

conditions propices au succès du projet d'approvisionnement responsable. Selon la

revue systématique de Brammer, Hoejmose et Millington, sept catégories de facteurs

facilitent ou entravent les efforts d’approvisionnement responsable. Les auteurs

différencient les facteurs internes (procédures de gestion) et les facteurs externes

(actions et relations avec des parties prenantes externes). Gimenez et Tachizawa

(2012) également répertorient les facteurs comme étant internes ou externes à

l'entreprise. Nous suivons donc cette typologie pour répertorier les facteurs relevés

dans la littérature.

5.4.1 Facteurs internes

Les variables inhérentes aux modes de gestion des entreprises sont de loin les facteurs

les plus cités par les auteurs. Les facteurs internes qui déterminent le succès d'une

initiative d'approvisionnement responsable sont tributaires, en premier lieu, de la

présence antérieure de systèmes de gestion de la RSO (Quairel et Auberger, 2007;

Seuring et Müller, 2008 ; Brammer, Hoejmose et Millington, 2011) ainsi que de

60

l'appui de la haute direction (Bruel, Menuet et Thaler, 2011 ; Gimenez et Tachizawa,

2012 ; Brammer, Hoejmose et Millington, 2011). Ces deux facteurs sont liés par le

fait qu'une expérience préalable d'implantation de systèmes de gestion tels qu’ISO

14001 ou SA8000 crée des conditions d'acceptation plus favorables à une nouvelle

initiative de nature similaire. L'engagement envers le développement durable

(Gimenez et Tachizawa, 2012) et la vision (PwC, Ecovadis et INSEAD, 2010) ont été

soulignés comme facteurs de succès, ce qui vient renforcir et compléter les deux

premières variables.

Ensuite, c'est l'opérationnalisation de l'engagement qui est tributaire de succès, que ce

soit la modification des politiques existantes en faveur de l'approvisionnement

responsable (Gimenez et Tachizawa, 2012 ; Seuring et Müller, 2008 ; Brammer,

Hoejmose et Millington, 2011), l'attribution des budgets et ressources nécessaires

(PwC, Ecovadis et INSEAD, 2010 ; Brammer, Hoejmose et Millington, 2011 ;

Gimenez et Tachizawa, 2012) ou l'élévation des achats à un positionnement

stratégique dans l'entreprise (Hervani et Helms, 2005 in Keating et al. , 2008 ;

Gimenez et Tachizawa, 2012). Les méthodes d'implantation sont directement liées

aux personnes et groupes d'individus qui feront vivre l'initiative. Quairel et Auberger

(2007) déterminent que les facteurs relationnels et partenariaux entre l'entreprise

focale et les fournisseurs sont une clé importante du succès de l'approvisionnement

responsable. À l'interne, une équipe dédiée et une gouvernance transfonctionnelle

(Bruel, Menuet et Thaler, 2011) ainsi qu'un chef de projet efficace (Gimenez et

Tachizawa, 2012) sont des variables importantes. Le développement des capacités de

gestion des employés aux achats (Gimenez et Tachizawa, 2012) ainsi que la

formation et la sensibilisation des employés et des fournisseurs est soutenu par la

grande majorité des auteurs (Quairel et Auberger, 2007 ; Seuring et Müller, 2008 ;

Bruel, Menuet et Thaler, 2011 ; Brammer, Hoejmose et Millington, 2011). Cette

amélioration des capacités doit se combiner, selon Brammer, Hoejmose et Millington

(2011) à la présence d'agents de changement ainsi que d'un personnel fortement

61

engagé. La culture organisationnelle et le leadership sont particulièrement importants

pour Brammer, Hoejmose et Millington (2011). Nous y reviendrons au point 5.4.3.

Les instruments normatifs à l'intention des fournisseurs tels que les déclarations et les

codes de conduite (Brammer, Hoejmose et Millington, 2011), les systèmes de mesure

de la performance (Gimenez et Tachizawa (2012), le suivi, l'évaluation, la reddition

de comptes, les sanctions auprès des fournisseurs (Seuring et Müller, 2008) et les

mesures incitatives (Brammer, Hoejmose et Millington, 2011) sont bien représentés

dans la littérature. La communication sous forme de système interne (Seuring et

Müller (2008) et à propos de sujets spécifiques comme les pressions externes et les

succès (Bruel, Menuet et Thaler, 2011) est jugée comme un outil important à intégrer

pour le succès de l'approvisionnement responsable. Enfin, la reddition de comptes

(Quairel et Auberger, 2007) des résultats de façon transparente et équilibrée

(Brammer, Hoejmose et Millington, 2011) peut fortement contribuer au succès de

l'approvisionnement responsable.

5.4.2 Facteurs externes

Brammer, Hoejmose et Millington (2011) répertorient les quatre facteurs externes

suivants : (1) les Pairs (collaboration de l’industrie) ; (2) les Partenaires (confiance

dans l’engagement des fournisseurs, mesures incitatives, dialogue, collaboration,

relations à long terme, vision partagée et retours d'expériences avec eux, certifications

par des organismes extérieurs) ; (3) les Politiques publiques (règlementation

favorable) ; et (4) le Pouvoir (taille de l’organisation, pouvoir sur les fournisseurs).

Gimenez et Tachizawa (2012) citent des facteurs principalement en rapport avec les

caractéristiques de la relation de la chaîne logistique : (1) la confiance ; (2) la culture

nationale ; (3) l'intégration logistique et technologique ; et (4) l'intégration et la clarté

des objectifs.

62

5.4.3 Le leadership et la culture organisationnelle

Dans une étude longitudinale sur plus de 200 entreprises, Kotter et Heskett (1992) ont

constaté que les entreprises qui avaient travaillé certains aspects centraux de leur

culture avaient amélioré leurs recettes de 682% et augmenté leurs revenus nets de

756% sur une période de 11 ans (Kotter et Heskett, 1992, p.11). Carter et

Jennings (2004) établissent le leadership et la culture organisationnelle comme des

éléments essentiels de la mise en place et du succès d’une fonction d’achats

responsables. Les résultats des auteurs suggèrent que les hauts dirigeants ont une

relation causale forte sur la mise en œuvre de l’approvisionnement responsable via

leur attitude et leurs actions en faveur de la RSO (« walk the talk »), et ont également

une influence puissante sur le directeur des achats en faveur de l’approvisionnement

responsable (Carter et Jennings, 2004). Treviño et Nelson (2004), faisant allusion à

Eden (1984), confirment l'importance de l'effet de Pygmalion sur les employés

(Treviño et Nelson, 2004). Quant au niveau des caractéristiques personnelles du

leader, Conger et Kanungo (2002) affirment que les deux principales qualités à

cultiver par un dirigeant ou un haut gestionnaire sont le caractère (la conscience

morale) et la compétence (l'ensemble des caractéristiques personnelles et

professionnelles nécessaires pour bien performer) (in Mendonca et Kanungo, 2007).

Les hauts dirigeants ont également un effet significatif sur la culture

organisationnelle, qui devrait être axée sur les gens afin d’influencer positivement des

comportements congruents avec la RSO (Carter et Jennings, 2004). De même, les

auteurs avancent que l’embauche d’employés dont les valeurs personnelles sont

alignées avec celles de l’approvisionnement responsable est, dans une mesure

moindre que l’influence du dirigeant, un facteur de succès de cette pratique. Schein

(2004) confirme que le leadership et la culture organisationnelle ne peuvent être

63

dissociés et affectent directement le comportement des employés (Schein, 2004). Il

est donc nécessaire d'être au fait des caractéristiques de la culture organisationnelle

(et au besoin, de les modifier) avant d'implanter des pratiques d'approvisionnement

socialement responsables, afin de créer les conditions nécessaires au succès de

l'initiative.

5.5 Les facteurs entravant la mise en place des pratiques

En contrepartie, ils démontrent que les obstacles suivants sont nocifs à l'établissement

d'une initiative d'approvisionnement responsable : (1) les attentes (non négociées,

rigides, mal communiquées, et dont la mise en œuvre ne respecte pas le contexte

culturel du fournisseur) ; (2) la sélection (certains critères de sélection peuvent

favoriser des fournisseurs aux capacités déjà développées au détriment d'autres ou de

même, les coûts souvent élevés de la conformité sont souvent difficiles à assumer) ;

(3) la vérification (certains processus de vérification de la conformité peuvent saper la

confiance des fournisseurs envers leur client ; ainsi, le sentiment d'être constamment

surveillé peut mener à des comportements déviants) ; et (4) le rejet (les aléas

économiques du marché, les ressources limitées et la contradiction entre les besoins

de bas prix et les contraintes RSO font que les fournisseurs investissent peu dans ces

initiatives ; de même, le rejet de certains fournisseurs peut réduire considérablement

la base d'approvisionnement de l'entreprise focale et mener à une trop grande

dépendance de la part d'un nombre réduit de fournisseurs puissants).

En premier lieu, c'est le confort des entreprises (focales et fournisseurs) dans leurs

pratiques habituelles, ainsi que les difficultés d'opérationnalisation de

l'approvisionnement responsable, qui entravent son adoption (Leire et Mont, 2010).

Ensuite, la contrainte économique est répertoriée par Seuring et Müller (2008),

Quairel et Auberger (2007), Mont et Leire (2009), Leire et Mont (2010) et Brammer,

Hoejmose et Millington (2011). Chez Seuring et Müller (2008), Leire et Mont (2010)

64

et Brammer, Hoejmose et Millington (2011), elle prend la forme de coûts

d'implantation plus élevés chez l'entreprise focale tandis qu'il s'agit plutôt des

contraintes économiques qui, pour les fournisseurs, agissent comme variable toute

puissante face aux demandes RSO (Quairel et Auberger, 2007 ; Brammer, Hoejmose

et Millington, 2011). Conséquemment, pour Brammer, Hoejmose et Millington

(2011), la réduction de la base d'approvisionnement de l'entreprise focale peut mener

à une trop grande dépendance sur un nombre réduit de fournisseurs puissants. Mont et

Leire (2009) rapportent également le manque de ressources pour les audits et les

coûts élevés des pratiques d'assurance et de contrôle liés aux faibles niveaux de

normes sociales et au niveau élevé de corruption dans certains pays où opèrent les

fournisseurs (Mont et Leire, 2009). Ce type d'obstacle milite fortement en faveur

d'une gestion intégrée des enjeux sociaux.

En plus des coûts, les auteurs répertorient la complexité de l'arrimage des pratiques

existantes à de nouveaux paramètres (Seuring et Müller, 2008 ; Mont et Leire, 2009)

et les difficultés reliées à la différence de culture ou de gestion (Mont et Leire, 2009).

Quairel et Auberger affirment que les fournisseurs se trouvent dans une impasse

économique : d’un côté des pressions de la part des clients pour baisser les prix, de

l’autre des pressions pour être plus responsables, ce qui entraîne des frais plus élevés

(Quairel et Auberger, 2007). De même, la volatilité des relations, la contrainte

économique et le faible pouvoir de négociation font que le fournisseur va choisir la

contrainte la plus forte, qui sera la plupart du temps économique (Quairel et

Auberger, 2007).

Enfin, on peut répertorier des contraintes de nature procédurales. Leire et Mont

(2010) parlent de la vérification des informations issues des audits ainsi que de la

collecte et de la vérification des données de la part des fournisseurs. Brammer,

Hoejmose et Millington (2011) avancent quant à eux que les attentes (non négociées,

rigides, mal communiquées, et dont la mise en œuvre ne respecte pas le contexte

65

culturel du fournisseur), la sélection (critères de sélection favorisant des fournisseurs

aux capacités déjà développées, au détriment d'autres ; coûts élevés de la conformité,

souvent difficiles à assumer) et la vérification (processus de vérification de la

conformité sapant la confiance des fournisseurs envers leur client ; le sentiment d'être

constamment surveillés menant à des comportements déviants) sont des facteurs

entravant le bon déroulement de l'initiative. L'absence ou l'insuffisance de la

communication dans la chaîne d'approvisionnement (Seuring et Müller, 2008) est

également un facteur qui entrave la mise en place de l'approvisionnement

responsable.

Tableau 3

Facteurs favorisant ou entravant la mise en place d'une initiative d'approvisionnement responsable

Auteur(s) Facteurs internes (+ pour favorisant et - pour entravant)

PwC, Ecovadis et INSEAD (2010) + La vision, l'organisation et le budget nécessaire

Brammer, Hoejmose et Millington (2011) +

Le Projet (antécédents RSO et harmoniser le développement durable avec la stratégie organisationnelle)

Les Politiques internes (déclarations/codes de conduite clairs, politiques, ressources financières, formations et ateliers, mesures incitatives, résultats transparents et mesurés)

Les Personnes (leadership/soutien de la direction, culture organisationnelle favorable, présence d'agents de changement, personnel fortement engagé et compétent)

Seuring et Müller (2008) +

Un système de communication intra-entreprise très performant

Des systèmes de gestion RSO déjà implantés (par exemple, ISO 14001, SA 8000)

Le suivi, l'évaluation, la reddition de comptes et les sanctions (auprès des fournisseurs)

La sensibilisation et la formation des employés et des fournisseurs

L'intégration de l'approvisionnement responsable dans la politique de l'entreprise

66

-

Les coûts plus élevés

La complexité de la coordination / l'effort

L'absence ou l'insuffisance de la communication dans la chaîne d'approvisionnement

Quairel et Auberger (2007)

+

Facteurs relationnels et partenariaux

Reddition de comptes

Présence antérieure de systèmes de gestion de la RSO

Formation/sensibilisation des employés et des fournisseurs

-

La volatilité des relations

La contrainte économique comme variable plus forte que les paramètres RSO

Gimenez et Tachizawa (2012) +

L’engagement envers le développement durable (incluant l'opérationnalisation de politiques adéquates et l'allocation des ressources nécessaires)

Le soutien de la haute direction

La disponibilité des ressources

Le rôle stratégique de la fonction achats

Le développement des capacités de gestion du personnel aux achats

Le rôle du chef de projet

Des systèmes de mesure de la performance appropriés

Hervani et Helms (2005) in Keating et al. (2008) + Le positionnement stratégique de la fonction achat dans

l'entreprise

Bruel, Menuet et Thaler (2011) +

Obtention du support de la haute direction

Une équipe dédiée et une gouvernance trans-fonctionnelle

Programmes de formation en approvisionnement responsable

Communiquer à propos des pressions externes

Communiquer à propos des premiers succès de l'initiative

Mont et Leire (2009) -

Le manque de ressources pour les audits

Les difficultés à faire adhérer tous les fournisseurs aux codes de conduite

La différence de culture et de style de gestion

Les coûts élevés des pratiques d'assurance et contrôle vu les faibles niveaux de normes sociales et le niveau élevés de

67

corruption dans certains pays où opèrent les fournisseurs

Leire et Mont (2010) -

Le manque de ressources

Les pratiques organisationnelles actuelles

Passer des valeurs à l’opérationnalisation dans le développement des critères sociaux

La vérification des informations issues des audits

La collecte et la vérification des données de la part des fournisseurs

Auteur(s) Facteurs externes (+ pour favorisant et - pour entravant)

Brammer, Hoejmose et Millington (2011)

+

Les Pairs (collaboration de l’industrie)

Les Partenaires (confiance dans l’engagement des fournisseurs, mesures incitatives, dialogue, collaboration, relations à long terme, vision partagée et retours d'expériences avec eux, certifications par des organismes extérieurs)

Les Politiques publiques (réglementation favorable)

Le Pouvoir (taille de l’organisation, pouvoir sur les fournisseurs)

-

Les attentes (les attentes non négociées, rigides, mal communiquées et dont la mise en œuvre ne respecte pas le contexte culturel du fournisseur)

La sélection (certains critères de sélection peuvent favoriser des fournisseurs aux capacités déjà développées, au détriment d'autres ou encore ; de même, les coûts souvent élevés de la conformité sont souvent difficiles à assumer)

La vérification (certains processus de vérification de la conformité peuvent saper la confiance des fournisseurs envers leur client ; ainsi, le sentiment d'être constamment surveillé peut mener à des comportements déviants)

Le rejet (les aléas économiques du marché, les ressources limitées et la contradiction entre les besoins de bas prix et les contraintes RSO font que les fournisseurs investissent peu dans ces initiatives ; en conséquence, la réduction de la base d'approvisionnement de l'entreprise focale peut mener à une trop grande dépendance sur un nombre réduit de fournisseurs puissants)

Gimenez et Tachizawa (2012) +

La confiance dans les fournisseurs

La culture nationale des fournisseurs

L'intégration logistique et technologique des fournisseurs

L'intégration avec les fournisseurs et la clarté des objectifs

68

5.6 Les modèles d'implantation

Les pratiques d'approvisionnement responsables étant somme toute fort nouvelles,

tous les modèles intègrent à la fois une phase d'implantation, une phase

d'opérationnalisation et une phase de rétroaction, formant un modèle plus ou moins

dynamique.

5.6.1 Les modèles séquentiels

Keating et al. (2008) proposent six phases pour opérer un changement durable en

faveur d’un approvisionnement responsable : (1) élaboration d'un cadre durable pour

la chaîne d'approvisionnement (y compris les politiques et le développement) ; (2)

collecte des données sur la performance des fournisseurs actuels ; (3) collecte de

données et de criblage de nouveaux fournisseurs potentiels ; (4) conformité au sein

des unités d'affaires afin d'assurer une approche universelle d’engagement des achats

du groupe dans tous les choix de fournisseurs ; (5) gestion des fournisseurs et

influence ; et (6) amélioration des futurs rapports de reddition de compte sur l'impact

de la chaîne d'approvisionnement sur la RSO (Keating et al., 2008).

Du côté praticien, Bruel, Menuet et Thaler (2011) proposent un processus de gestion

du changement lié à l'approvisionnement responsable en trois étapes : (1)

communication (sensibiliser les employés en ce qui concerne le changement à venir,

les avantages et les mesures à mettre en œuvre) ; (2) formation et soutien à la

performance (faire en sorte que l'initiative soit bien comprise par les parties prenantes

clés afin d'obtenir leur adhésion) ; (3) récompenses et reconnaissance (veiller à ce que

les employés et les fournisseurs qui intègrent adéquatement le changement soient

correctement reconnus, récompensés et célébrés). Menuet (2012) propose également

une implantation en six étapes : (1) diagnostiquer les enjeux RSO liés aux achats

69

(cartographier les impacts et les risques associés, prendre en compte les attentes des

parties prenantes, mettre à plat les réalisations, déduire les enjeux spécifiques ; (2)

formaliser une vision en lien avec l'entreprise et la démarche RSO (politique d’achat

responsable) ; (3) décliner cette vision en domaines d’actions et d’engagements ; (4)

élaborer un plan d’action opérationnel : définir ses objectifs, un calendrier, des

modalités de pilotage ; (5) définir un plan de déploiement (choisir la stratégie de

déploiement en fonction de l’urgence et de l’ampleur du changement, orchestrer

actions et sensibilisation, outils, etc. et rendre visible la démarche à l’externe) ; et (6)

se doter d’indicateurs pour piloter la démarche (distinguer indicateurs de moyens

d’impacts et d’effet sur la performance, exploiter les résultats pour ajuster la

démarche) (Menuet, 2012).

5.6.2 Les modèles intégrés

Leire et Mont (2010) mettent de l'avant bon nombre de pratiques séquentielles, mais

proposent également un tableau d'intégration de ces pratiques (figure 5.2). Ce modèle

est intéressant, car il permet au gestionnaire des achats de visualiser où, dans

l'organigramme institutionnel, il doit introduire les processus et pratiques nécessaires.

La grande utilité de leur modèle réside dans le fait qu'il est basé sur des recherches

qui prennent particulièrement en compte les spécificités des enjeux sociaux.

70

Figure 5.2 Le processus d'introduire, implanter et maintenir un approvisionnement socialement responsable selon Leire et Mont (2010)

De loin le plus complet, le système de Brammer, Hoejmose et Millington (2011) se

base sur la plus récente et la plus complète des revues de littérature systématiques sur

les chaînes d'approvisionnement durables mondiales. Leur recherche se concentre sur

des enjeux sociaux/éthiques (44%), environnementaux (21%) et une combinaison des

deux (35%) (Brammer et al., 2011, p.19). La forte proportion d'études portées sur les

enjeux sociaux et les enjeux combinés de la RSO en fait une source d'informations

particulièrement intéressante pour les praticiens désireux d'implanter

l'approvisionnement socialement responsable tel que défini dans cet essai.

71

Figure 5.3 Les trois étapes de la mise en place de chaînes d’approvisionnement durable mondiales selon Brammer, Hoejmose et Millington (2011)

Figure 5.4 Cadre des pratiques de base selon Brammer, Hoejmose et Millington (2011). Ce cadre fait partie de l'étape 3

72

Figure 5.5 Cadre des meilleures pratiques selon Brammer, Hoejmose et Millington (2011). Ce cadre fait partie de l'étape 3, suite au cadre des pratiques de base

5.7 Conditions optimales et meilleures pratiques

Au-delà des pratiques spécifiques qui peuvent, ou non, s'appliquer à un secteur ou à

un autre, il nous a semblé judicieux de dénombrer les principes, valeurs et méta-

pratiques les plus utiles et récurrentes dans notre revue de littérature. Ces pratiques

adressent les fondements de l'approvisionnement responsable et mettent également

l'accent plus spécifiquement sur le volet social. Des sources diversifiées ont été

mobilisées afin d'offrir un panorama à la fois pratique et théorique.

5.7.1 Conditions optimales de base

De nombreux auteurs mentionnent que l’élévation de la fonction RSO à un haut degré

stratégique dans l’entreprise est nécessaire afin de garantir le succès de

73

l’approvisionnement responsable (Keating et al. 2008 ; Kytle et Ruggie, 2005, etc.)

Ceci implique, pour la totalité des auteurs, l'adhésion de la haute direction dans

l'initiative. Certains auteurs mentionnent que la création du plan d'affaires, ou encore

le calcul des coûts totaux constituent une meilleure pratique pour aller chercher cette

adhésion (Keating et al., 2008). Cette quantification, bien que plus difficile à faire

pour le volet social de l'approvisionnement responsable, est toutefois possible grâce à

l'arrimage d'outils tels l'AsCV, le TCO et la gestion intégrée des risques sociaux.

Kytle et Ruggie (2005), faisant référence aux enjeux qu'a vécus Nike dans sa

recherche de la conformité sociale sur ses chaînes d'approvisionnement, mettent les

donneurs d'ordres en garde contre le danger de traiter d'une question sociale avec des

moyens isolés (par exemple, les audits) tout en ignorant le contexte plus large de

l'activisme des parties prenantes et les avantages de l'information partagée. En outre,

le cas de Nike démontre que les activités de RSO ne sont pas des dépenses

discrétionnaires et que la gestion de la RSO doit être liée de façon stratégique avec les

fonctions opérationnelles stratégiques afin de tirer pleinement parti des efforts en

approvisionnement socialement responsable. Ceci vient confirmer l'importance

d'attribuer des ressources adéquates à l'initiative et ne fait que souligner à quel point

le positionnement de l'approvisionnement responsable dans l'organigramme est

crucial.

Par rapport aux valeurs et aux mécanismes plus immatériels, la confiance et la

collaboration avec les fournisseurs ont généralement été répertoriées comme étant des

facteurs essentiels à la mise en place de l'approvisionnement responsable (Alvarez,

Pilbeam et Wilding, 2010 ; Brammer, Hoejmose et Millington, 2011 ; Kytle et

Ruggie, 2005 ; Menuet, 2012). De même, l'importance cruciale de l'apprentissage

mutuel comme variable de médiation du succès d'une nouvelle initiative

d'approvisionnement équitable a été établie par Alvarez, Pilbeam et Wilding (2010),

s'appuyant sur le modèle de Doz (1996). Les auteurs soulignent que les alliances

performantes formées de partenaires durablement engagés dans des cycles

74

d'apprentissage itératifs et interactifs créent plus de confiance, de souplesse dans

l'adaptation et d'engagement de part et d'autre (Alvarez, Pilbeam et Wilding, 2010).

Ce constat milite fortement pour une approche négociée entre partenaires plutôt

qu'une imposition unilatérale de la part de l'entreprise focale.

Nous établissons donc que la position accordée à l'initiative dans les priorités

stratégiques de l'entreprise focale, l'appui des hauts dirigeants, le traitement des

enjeux sociaux avec une lentille holistique, l'adoption d'une posture collaborative

avec les fournisseurs et enfin, la création d'un environnement d'apprentissage itératif

où la confiance est présente, représentent les bases des meilleures pratiques qui

suivent. Ces bases démontrent, entre autres, l'importance de cultiver une attitude

corporative adéquate, qui rejoint les notions de leadership et de culture

organisationnelle vues précédemment, et sur lesquelles nous ne saurions trop insister.

5.7.2 Meilleures pratiques

Tel qu'abordé précédemment, les dispositifs normatifs que sont les politiques et

processus de gouvernance sont essentiels à mettre en place. En termes d'enjeux

sociaux et de droits du travail, les normes minimales sont essentiellement celles

préconisées par l'OIT, tel que vu au point 3.4.1. Mais au-delà de ces prescriptions, les

mécanismes de gestion doivent être adaptés aux réalités des fournisseurs. Cette

adaptation ne peut que se baser sur un portrait équilibré de la situation, ce qui passe

par la gestion des risques sociaux et par une vision holistique de ceux-ci (Kytle et

Ruggie, 2005). De même, une veille stratégique doit être mise en place afin de cibler

dans les meilleurs délais les enjeux ou les parties prenantes susceptibles d'influencer

le processus de conformité sociale de l'entreprise focale et de ses fournisseurs (Kytle

et Ruggie, 2005). Ces mesures prises, il s'agit ensuite d'établir des critères d'achat

socialement responsables (Leire et Mont, 2010) en conformité avec les politiques

établies, les informations provenant de la veille stratégique (Menuet, 2012) et selon

75

une approche cycle de vie (Hutchins et Sutherland, 2008). Menuet (2012) suggère de

veiller à fixer et suivre les objectifs en lien avec ces critères et à en communiquer les

résultats à l'interne.

Parallèlement à la création du socle économique, normatif et procédural de

l'approvisionnement socialement responsable, de nombreux auteurs soulignent

l'importance de sensibiliser et développer les capacités et les connaissances de

l'équipe des achats sur les enjeux et questions pertinentes (Menuet, 2012 ; Leire et

Mont, 2010 ; Andersen et Skjøtt-Larsen, 2009 ; Bruel, Menuet et Thaler, 2011) ainsi

que d'impliquer les autres départements (Menuet, 2012). Menuet (2012) souligne plus

spécifiquement de constituer une équipe dédiée et d'en professionnaliser les membres,

en plus de sensibiliser la haute direction, ce qui vient pérenniser son appui. Menuet

(2012) considère comme étant une clé de succès le fait de lier le salaire de l'équipe

d'approvisionnement à l'atteinte des objectifs RSO. Bruel, Menuet et Thaler (2011)

précisent l'importance de souligner et célébrer les succès de l'initiative et des gens.

Les relations avec les fournisseurs constituent une catégorie de meilleures pratiques

fondamentales que la grande majorité des auteurs soulignent avec plus ou moins

d'emphase et sont en lien avec la confiance et la collaboration. L'évaluation de la

conformité et de la performance des fournisseurs est répertoriée partout dans la

littérature et plusieurs auteurs confirment qu'il s'agit d'une bonne pratique (Keating et

al., 2008 ; Leire et Mont, 2010 ; Gimenez et Tachizawa, 2012). Cependant, Shift

(2013) dans son étude récente auprès d'entreprises mondialisées souligne que les

audits sociaux comme processus d'évaluation, utilisés seuls, ne garantissent

aucunement la conformité, ni la performance sociale des fournisseurs. Ils préconisent

une approche d'amélioration continue sous la forme de processus d'évaluation

collaborative, associés à une recherche et une analyse des causes profondes des non-

conformités chez les fournisseurs (Ibid). EIRIS, dans ses recommandations aux

investisseurs socialement responsables, suggère de regarder le niveau de

76

développement des relations à long terme des entreprises focales en Bourse avec leurs

fournisseurs. Comme les capacités des fournisseurs sont de nature différente selon

leurs niveaux technologiques ou de développement, il importe d'accorder toute son

importance à une approche sinon personnalisée, du moins contextuelle (Keating et

al., 2008). Le contexte est également une variable majeure dans l'étude d'Andersen et

Skjøtt-Larsen (2009).

Keating et al. (2008) recommandent une approche séquentielle et incrémentale

permettant à tous les fournisseurs de se qualifier de façon équitable (PME comme

grandes entreprises). En effet, le premier essai de politique d'approvisionnement

responsable de Westpac a culminé dans un processus trop ardu pour la grande

majorité des fournisseurs qui ne se qualifiaient pas, en grande majorité. Les

gestionnaires des achats de Westpac ont alors dû adopter une vision à plus long terme

et ont décidé de travailler en collaboration avec leurs fournisseurs afin d'identifier les

avantages de l'adoption d'une orientation RSO avant même de redévelopper des

critères d'achats responsables (Keating et al., 2008). Cette approche leur a permis

entres autres d'avoir une meilleure compréhension des risques dans la chaîne

d'approvisionnement et d'influencer positivement les fournisseurs aux variables de la

RSO (Keating et al., 2008). Une approche progressive est aussi prônée par Andersen

et Skjøtt-Larsen (2009).

Afin de faciliter l'évolution des pratiques chez les fournisseurs, la mise en place d'une

communication bidirectionnelle a été évoquée par certains auteurs (Seuring et Müller,

2008 ; Bruel, Menuet et Thaler, 2011). La communication a déjà été évoquée comme

le quatrième pilier du développement durable en raison de son importance comme

composante spécifique permettant un processus de mise en relation entre parties

prenantes (Libaert, 2010). Cette posture évite de cantonner la communication dans

une perspective utilitariste comme courroie de transmission, voire d'outil de

propagande (Libaert, 2010). Nous incluons la création d'un canal de communication

77

symétrique bi-directionnel, doublé d'un processus d'engagement comme meilleure

pratique en nous appuyant sur Morsing et Schultz (2006) qui affirment que le sens est

co-créé entre l'entreprise et ses parties prenantes externes par un processus itératif

d'engagement et de communication dialogique (Morsing et Schultz, 2006).

Contribuer à bâtir les capacités des fournisseurs par la formation, les incitatifs positifs

et le soutien sont des pratiques cruciales pour certains auteurs (Bruel, Menuet et

Thaler, 2011 ; Andersen et Skjøtt-Larsen, 2009 ; Brammer, Hoejmose et Millington,

2011), spécifiquement en ce qui concerne les fournisseurs dans les pays en

développement ou n'ayant pas d'expérience préalable avec les critères RSO. Bruel,

Menuet et Thaler (2011) mettent l'accent sur les pratiques qui consistent à célébrer et

souligner les succès des fournisseurs qui intègrent adéquatement le changement,

bonnes pratiques que confirme Menuet (2012). Gimenez et Tachizawa font mention

spécifiquement que la collaboration avec les fournisseurs, de concert avec des

dispositifs d’évaluation, constitue un arrimage indispensable au succès d’une

initiative d’approvisionnement responsable. A contrario, les résultats mitigés de

l’étude des auteurs en ce qui concerne des pratiques d’évaluation sans collaboration

démontrent clairement l’insuccès à long terme de relations uniquement prescriptives

de type gestion des risques. Que nous disent ces données ? Entre autres, que les

relations humaines et donc, les dispositifs de coordination entre parties prenantes,

sont tout aussi importants que la robustesse et le respect des normes.

Développer des relations formelles et informelles avec un large éventail d'acteurs

externes qui peuvent à la fois informer l'entreprise des avancées en termes d'enjeux

sociaux et influencer sur la réputation de l'entreprise concernant ces mêmes enjeux est

primordial pour plusieurs auteurs (Brammer, Hoejmose et Millington, 2011 ; Kytle et

Ruggie, 2005 ; Menuet, 2012 ; EIRIS, 2009 et Keating et al., 2008). Certains

dénotent l'importance de travailler de concert avec des acteurs externes pour obtenir

un point de vue différent (Kytle et Ruggie, 2005) ou pour collaborer (Menuet 2012,

78

EIRIS, 2009). D'autres proposent que l'organisation focale peut profiter de ces

relations afin d'améliorer la résolution d'enjeux, mieux comprendre les entraves,

développer des pratiques plus spécifiques (Brammer, Hoejmose et Millington, 2011)

et tout simplement, partager de l'information (Kytle et Ruggie, 2005). Menuet (2012)

estime important de prendre un engagement public tandis que la rétroaction avec les

parties prenantes externes est importante selon Keating et al. (2008). Shift (2013)

considère que devenir membre d'une initiative sectorielle sur les droits humains et les

droits du travail, telle que le Global Social Compliance Program (GSCP), est une

pratique exemplaire.

L'amélioration continue consiste, pour certains auteurs, à créer les processus qui

permettent de continuellement ajuster les dispositifs formels de l'approvisionnement

responsable (Keating et al., 2008) tandis que pour d'autres, il s'agit plutôt d'incarner le

changement en intégrant la réflexion et l'apprentissage afin de capitaliser sur ce savoir

communautaire (Brammer, Hoejmose et Millington, 2011) et surtout, dans le temps

(Menuet, 2012). Conséquemment, nous faisons le postulat que l'implantation des

processus d'évaluation des pratiques réguliers et minutieux ainsi que le

développement des plans d'action et d'amélioration en lien direct avec les résultats est

une meilleure pratique, au niveau des mécanismes formels. Quant aux mécanismes

plus informels, l'établissement d'une boucle de rétroaction et de communication

permettant de partager les expériences internes afin de bâtir les capacités de l'équipe

en continu représente une pratique à privilégier. Afin de partager cet enrichissement

d'expériences à l'interne comme à l'externe, nous proposons de consigner les

meilleures pratiques dans un guide. Enfin, EIRIS considère qu'un rapport de reddition

de comptes complet, transparent et équilibré sur les questions des droits humains et

des droits du travail sur la chaîne d'approvisionnement, préférablement dans un

rapport de type GRI ou IR, constitue une pratique exemplaire.

79

Ces données, ainsi que des considérations spécifiques au volet social évoquées au

début de cet essai, nous permettent donc de proposer un ensemble intégré de 20

meilleures pratiques, synthétisées au tableau 4. Ces pratiques ont cependant deux

prémisses. La première est l'existence d'une culture organisationnelle permettant

l'éclosion de l'approvisionnement responsable, culture stimulée par un ou des leaders

exemplaires en matière de RSO. La seconde prémisse est la formation et

l'engagement préalable du gestionnaire des achats aux pratiques RSO et sa

constitution en un acteur d'influence capable de mener une initiative

d'approvisionnement socialement responsable. Quairel et Ngaha (2009) nomment

« entrepreneur institutionnel » le gestionnaire qui possède la position sociale, la

légitimité, la connaissance, l'influence et le talent pour créer les liens et les

conversations nécessaires entre divers acteurs intra et extra-institutionnels et ainsi,

avoir accès aux ressources matérielles, immatérielles et financières adéquates

(Quairel et Ngaha, 2009) pour impulser l'approvisionnement socialement responsable.

Tableau 4

Meilleures pratiques intégrées pour l'approvisionnement socialement responsable

Meilleures pratiques répertoriées Meilleures pratiques proposées

DÉVELOPPEMENT INTERNE

Lier la RSO avec l'approvisionnement (Kytle et Ruggie, 2005)

1. En utilisant une analyse de rentabilité basée sur les pertes potentielles de parts de marché dues à des enjeux sociaux ainsi qu'à des questions de perte d'image de marque, aller chercher l'adhésion de la haute direction. Accorder une place stratégique à l'approvisionnement dans la gestion intégrée de la RSO de l'entreprise.

Créer l’analyse de la rentabilité pour la gestion responsable des chaînes d’approvisionnement (« business case ») (Keating et al., 2008) Utiliser l’analyse de rentabilité pour générer un engagement de la part des hauts dirigeants en vue de dédier des ressources à l’initiative (Keating et al., 2008)

Obtenir le soutien des dirigeants (Menuet, 2012)

Positionner les achats responsables au niveau stratégique (Menuet, 2012) Vérifier la vulnérabilité de l’entreprise à la question des risques sur les chaînes d’approvisionnement et,

2. Veiller à intégrer les risques sociaux dans la gestion intégrée des risques de l'entreprise et

80

le cas échéant, vérifier qu’elle est au courant des problèmes particuliers concernant ses produits et les pays d’où ils sont issus (EIRIS, 2009)

créer un portrait global de ceux-ci. 3. À la lumière du portrait des risques sociaux, développer une vision holistique de ces questions en ce qui a trait à l'approvisionnement.

Traiter les questions sociales de façon holistique (Kytle et Ruggie, 2005)

Développer des politiques internes (Leire et Mont, 2010)

4. Développer des politiques internes en termes de droits humains et droit du travail, des outils de gouvernance et des processus de vérification de gestion des enjeux sociaux à l'échelle de toute l'entreprise, avec un accent sur le volet social de l'approvisionnement responsable. Établir une veille stratégique sur les questions sociales pertinentes pour l'approvisionnement de l'entreprise.

Développer des outils de gouvernance stratégique congruents avec les requis RSO des fournisseurs (Keating et al., 2008)

Intégrer le développement durable dans l’ensemble des processus achats (Menuet, 2012)

Vérifier que les systèmes de gestion sont complets et qu’ils encouragent les meilleures pratiques (EIRIS, 2009)

Établir des critères d'achat (Leire et Mont) 5. Établir des critères d'achat socialement responsable en conformité avec les politiques établies, les informations provenant de la veille stratégique et en accord avec une pensée cycle de vie. Veiller à fixer et suivre les objectifs en lien avec ces critères et à en communiquer les résultats à l'interne.

Se fixer des objectifs, les suivre et communiquer sur les résultats (Menuet, 2012)

Être en veille (Menuet, 2012)

Adopter une approche cycle de vie (Hutchins et Sutherland, 2008)

Bâtir les capacités internes d'approvisionnement responsable (Leire et Mont, 2010)

6. Sensibiliser et développer les capacités et les connaissances de l'équipe des achats sur les questions sociales pertinentes et impliquer les autres départements.

La formation des employés et le partage d'expérience (Andersen et Skjøtt-Larsen, 2009)

Constituer une équipe dédiée (Menuet, 2012)

Professionnaliser les équipes (sensibiliser, former, qu'ils deviennent des agents de changement) (Menuet, 2012) Communication (sensibiliser les employés en ce qui concerne le changement à venir, les avantages et les mesures à mettre en œuvre) (Bruel, Menuet et Thaler, 2011) Formation et soutien à la performance (faire en sorte que l'initiative est bien comprise par les parties prenantes clés afin d'obtenir leur adhésion) (Bruel, Menuet et Thaler, 2011) Sensibiliser donneur d’ordres et utilisateurs (Menuet, 2012)

81

Impliquer les autres services en interne (Menuet, 2012)

Intégrer les dimensions de l'approvisionnement responsable au système de management (lier la paie à la performance, évaluation, etc.) (Menuet, 2012) 7. Associer la rémunération avec l'atteinte des

objectifs de la conformité sociale de l'approvisionnement et souligner/célébrer les succès.

Récompenses et reconnaissance (veiller à ce que les employés et les fournisseurs qui intègrent adéquatement le changement soient correctement reconnus, récompensés et célébrés) (Bruel, Menuet et Thaler, 2011)

RELATIONS AVEC LES FOURNISSEURS

Développer différents outils d’évaluation et de mesure de la performance et de la conformité des fournisseurs (Keating et al., 2008) 8. Développer et appliquer différents outils

d'évaluation de la conformité et de la performance sociale des fournisseurs.

appliquer les pratiques d'assurance de la conformité (Leire et Mont) Dispositifs d'évaluation (Gimenez et Tachizawa, 2012) La collaboration avec les fournisseurs (Gimenez et Tachizawa, 2012)

9. Considérer les fournisseurs comme des partenaires à part entière et à long terme dans le succès de l'initiative d'approvisionnement socialement responsable. À ce titre, sensibiliser les fournisseurs aux nouveaux critères sociaux et établir des canaux de communication bidirectionnels afin de partager l'information.

Partager l'information (Kytle et Ruggie, 2005)

Gérer les relations avec les fournisseurs (Leire et Mont, 2010)

Encourager l'entreprise à développer des relations à long terme avec ses fournisseurs (EIRIS, 2009)

Communication bidirectionnelle (Seuring et Müller, 2008 ; Bruel, Menuet et Thaler, 2011)

Processus itératif d'engagement et de communication dialogique (Morsing et Schultz, 2006)

Adopter une approche incrémentale et progressive d'amélioration de la conformité des fournisseurs (Andersen et Skjøtt-Larsen, 2009) 10. Introduire les nouveaux critères de façon

incrémentale et mobiliser des incitatifs positifs plutôt que des menaces de sanctions. Les incitations positives pour les fournisseurs sous

la forme de contrats à long terme et de contrats d'achat élargis (Andersen et Skjøtt-Larsen, 2009)

Formation et soutien à la performance (faire en sorte que l'initiative est bien comprise par les parties prenantes clés afin d'obtenir leur adhésion) (Bruel, Menuet et Thaler, 2011)

11. Contribuer à bâtir les capacités des fournisseurs afin qu'ils puissent répondre aux attentes, spécifiquement les fournisseurs dans les pays en développement ou n'ayant pas

82

Le développement des fournisseurs (aller au-delà du premier réflexe de retirer des contrats aux fournisseurs non conformes et faire preuve d'un soutien auprès des fournisseurs afin de les aider à bâtir la capacité à répondre à des demandes nouvelles) (Brammer, Hoejmose et Millington)

d'expérience préalable avec des critères RSO ; retirer des contrats en dernière instance seulement. Veiller à célébrer et souligner les succès des fournisseurs.

La formation du personnel clé au niveau des fournisseurs (Andersen et Skjøtt-Larsen, 2009)

Récompenses et reconnaissance (veiller à ce que les employés et les fournisseurs qui intègrent adéquatement le changement soient correctement reconnus, récompensés et célébrés) (Bruel, Menuet et Thaler, 2011) Processus d'évaluation collaborative ; recherche et une analyse des causes profondes des non-conformités chez les fournisseurs (Shift, 2013)

12. Privilégier des programmes d'amélioration continue des fournisseurs tout en s’assurant que la politique des normes du travail de la chaîne d'approvisionnement couvre au minimum l'ensemble des normes du travail décent telles que préconisées par l'OIT.

La vérification de la performance des fournisseurs sous la forme d'audits réguliers (Andersen et Skjøtt-Larsen, 2009)

COLLABORATION AVEC LES PARTIES PRENANTES EXTERNES

La collaboration avec un éventail d'acteurs externes (s'entourer de nombreux acteurs afin d'améliorer la résolution d'enjeux, de mieux comprendre les entraves et de développer des pratiques plus spécifiques) (Brammer, Hoejmose et Millington, 2011)

13. Développer des relations formelles et informelles avec un large éventail d'acteurs externes qui peuvent à la fois informer l'entreprise des avancées en termes d'enjeux sociaux et influencer sur la réputation de l'entreprise concernant ces mêmes enjeux.

Considérer les points de vue des parties prenantes et des activistes (Kytle et Ruggie, 2005)

Collaborer avec des experts externes (Menuet, 2012)

Partager l'information (Kytle et Ruggie, 2005) 14. Développer des canaux de communication bidirectionnels avec des acteurs sectoriels et gouvernementaux internationaux ainsi que dans les régions d'approvisionnement affectées par des enjeux sociaux ou à risque de l'être. 15. Devenir membre d'une initiative sectorielle sur les droits humains et les droits du travail. S'engager publiquement en faveur de l'approvisionnement socialement responsable.

La collaboration sectorielle afin de s'attaquer aux problèmes sociaux systémiques (Shift, 2013)

Encourager l’entreprise à se joindre à une initiative multipartite (EIRIS, 2009)

Prendre des engagements externes (Menuet, 2012)

83

Fournir un retour de qualité aux parties prenantes de la RSO sur la performance des fournisseurs en relation avec les attentes de performance de leurs pairs (Keating et al., 2008)

16. Fournir de l'information aux parties prenantes sollicitées de façon transparente et collaborative.

AMÉLIORATION CONTINUE

Développer des plans d’action RSO afin de faciliter les améliorations là où c’est nécessaire (Keating et al., 2008)

17. Implanter des processus d'évaluation des pratiques réguliers et minutieux et développer des plans d'action et d'amélioration en lien direct avec les résultats.

Assumer des examens périodiques des politiques et pratiques en gestion des chaînes d’approvisionnement durable et faire les ajustements nécessaires (Keating et al., 2008)

La réflexion et l'apprentissage (pratique de communication interne itérative qui doit être encastrée dans le modèle dans son ensemble, afin de capitaliser sur l'apprentissage pour développer une pratique toujours plus robuste) (Brammer, Hoejmose et Millington, 2011)

18. Bâtir une boucle de rétroaction et de communication permettant de partager les expériences internes afin de bâtir les capacités de l'équipe en continu, de façon pérenne. 19. Consigner les meilleures pratiques dans un guide et le partager afin d'obtenir de la rétroaction et de contribuer à l'avancement de tous les acteurs de l'industrie.

Faire vivre la dynamique dans le temps (Menuet, 2012)

REDDITION DE COMPTES ET RÉSULTATS

Encourager l'entreprise à présenter un rapport complet sur cette question (EIRIS, 2099)

20. Présenter un rapport complet, transparent et équilibré sur les questions des droits humains et des droits du travail sur la chaîne d'approvisionnement, préférablement dans un rapport de type GRI ou IR. Benchmarker les résultats en vue des performances futures.

5.8 Discussion

Le but de cet essai est de contribuer à un outil, l'approvisionnement responsable, afin

qu'il puisse aider à « éliminer les violations des droits humains et améliorer les

conditions socio-économiques des travailleurs œuvrant dans les chaînes

d’approvisionnement mondialisées, et ce, sur toute la chaîne de valeur, dans une

perspective cycle de vie. » C'est dans cette optique que nous orienterons la discussion

qui suit sur les enjeux auxquels doit faire face l'approvisionnement socialement

responsable.

84

Selon Auroi (2003), les programmes RSO ont un potentiel d'impact positif significatif

sur les pratiques d'approvisionnement (Auroi, 2003). Effectivement, on constate une

trajectoire nouvelle pour l'approvisionnement, impulsée par la RSO et ses instruments

(ISO 26000, GRI). Mais le postulat d'Auroi a dix ans, et la pratique de

l'approvisionnement responsable fait face à de nombreux enjeux.

Bruel, Menuet et Thaler (2011) affirment que les motivations des entreprises focales

sont encore et toujours de nature défensive. Les obstacles auxquels doivent faire face

les gestionnaires des achats peuvent se résumer aux injonctions paradoxales évoquées

par Quairel et Auberger (2007). Conséquemment, Bruel, Menuet et Thaler (2011)

plaident pour que les gestionnaires implantent, dans leurs équipes, des indicateurs de

performance axés sur les résultats. Pour mesurer des résultats, on doit établir des

objectifs basés sur des indicateurs de performance. Or, en termes de droits humains et

de violations des droits du travail, comment établir ce type de métriques ? Une partie

de la réponse pourrait venir des outils susmentionnés, les points chauds établis à

partir de l'AsCV, confirmés par l'analyse des risques sociaux et quantifiés par la TCO.

Certains auteurs appuient l'utilisation d'outils complémentaires de type gestion du

risque (Teuscher, Grüninger et Ferdinand, 2006) et selon une pensée cycle de vie

(Hutchins et Sutherland, 2008 ; Hauschild, Dreyer et Jørgensen, 2008) dans la gestion

responsable de l'approvisionnement. La TCO quant à elle est fortement recommandée

par Bruel, Menuet et Thaler (2011). Dans la plupart des cas, cet arrimage de pratiques

concourra à mettre à jour de nombreux enjeux sociaux avec des coûts difficiles à

assumer à court terme. Dans cette perspective, comment établir des priorités ? Ces

priorités s'investiguent, à notre avis, sous deux éclairages : selon la capacité

d'influence de l'entreprise focale et selon un processus de priorisation parmi les

enjeux sociaux.

En ce qui concerne les priorités corporatives, l'ECPAR (2009) soutient que les

capacités de l'entreprise focale à influencer ses fournisseurs sont cruciales. Ces

85

fournisseurs étant diversifiés, les meilleures pratiques peuvent s'avérer difficiles à

cerner. Notre essai tente de répondre à cette difficulté par quelques pratiques et une

proposition de posture partenariale et collaborative. Au niveau des priorités

normatives des enjeux sociaux, le terrain est plus glissant. La priorisation sous-tend

une hiérarchisation des enjeux, qui peut se faire sur deux plans inter-reliés : normatif

et corporatif. L'optique corporative peut s'effectuer selon un agenda privé, basé sur les

valeurs de l'entreprise et sur ses objectifs spécifiques. Mais lorsqu'il s'agit d'enjeux

affectant significativement la dignité humaine comme les pires formes du travail des

enfants ou le travail forcé, sur lequel se baser pour justifier une telle priorisation ? À

ce titre, les grands cadres mondiaux sur les droits humains et les droits du travail

peuvent servir de guides et viennent nourrir la dimension normative. Plus

spécifiquement, l'OIT privilégie sa Déclaration relative aux principes et droits

fondamentaux qui est le socle de nombreuses déclarations12, de principes directeurs

(de l’ONU et de l’OCDE) et d’initiatives en RSO. De nombreuses certifications sont

basées sur ces principes et permettent, en théorie, de se prémunir contre les violations

qu'elles sont censées combattre. Leur instrument d'évaluation et de suivi de la

performance principal est l'audit social.

Le rapport de Shift (2013) démontre que l'audit social constitue souvent un « jeu du

chat et de la souris », fruit d'une relation basée sur une vision défensive de

l'approvisionnement responsable, où les fournisseurs courent des risques très élevés et

encourent des pertes significatives s'ils ne sont pas en mesure de se conformer. C'est

la pure logique « pass or fail ». Il a aussi été démontré que le domaine professionnel

de l'audit social est devenu un commerce lucratif où la performance et la marge

bénéficiaire entreraient en conflit avec la rigueur (Clifford et Greenhouse, 2013). De

même, le zèle démontré par certaines entreprises mondialisées, couplé à leur souci de

couper dans les frais d'évaluation de la conformité afin (entre autres) d'éviter aux 12 Déclaration sur la justice sociale et une mondialisation équitable, Agenda du travail décent, Déclaration tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

86

investisseurs des pertes trop importantes au profit de la RSO, aurait comme

conséquence de pousser les auditeurs à passer moins de temps dans chaque

installation et à combiner de nombreuses visites épuisantes (Ibid). C'est la pure

logique du marché « libre ». De même, les audits seraient basés sur un système

normalisé de cases à cocher qui les rendraient moins efficaces et constituerait ainsi un

risque réputationnel (Ibid). En entrevue, Auret van Heerden, président-directeur

général de la Fair Labor Association (FLA), avance qu'il est impossible de visiter les

installations des fournisseurs assez souvent et d'envoyer assez d'inspecteurs pour

pallier à tout manquement et éviter les violations (Ibid). À son avis, la seule solution

est d'impliquer les travailleurs dans le processus de conformité et de responsabilité

(Ibid). En plus de l'efficience des audits sociaux, le foisonnement des labels et

certifications sociales et leur manque de coordination entre elles constituent un autre

obstacle à l'opérationnalisation de l'approvisionnement socialement responsable. Cet

ensemble de données nous indique donc qu'il existe de nombreux enjeux à

solutionner afin que l'approvisionnement socialement responsable puisse contribuer à

l'amélioration des conditions de travail et à la dignité des travailleurs sur les chaines

d'approvisionnement mondiales. La question se pose donc : l'approvisionnement

socialement responsable est-il la meilleure avenue pour solutionner les enjeux

sociaux, plus spécifiquement ceux dont souffrent les moins bien nantis de ce monde ?

Selon l'OIT (2011), le commerce équitable13 est une réponse à l'échec du commerce

conventionnel à fournir des moyens de subsistance durables et des opportunités de

développement pour les populations des pays les plus pauvres du monde (in

Karjalainen et Moxham, 2013, p.269). Les produits certifiés Fairtrade (ou FLO)

doivent obligatoirement contribuer à soutenir les producteurs dans l'amélioration de

13  «  Le  commerce  équitable  est  un  partenariat  commercial  fondé  sur  le  dialogue,  la  transparence  et  le  respect,  dont  l'objectif  est  de  parvenir   à  une  plus   grande  équité  dans   le   commerce  mondial.   Il   contribue  au  développement  durable  en  offrant  de  meilleures   conditions   commerciales   et   en   garantissant   les   droits   des   producteurs   et   des   travailleurs   marginalisés,   tout  particulièrement   au   sud   de   la   planète.   Les   organisations   du   commerce   équitable   (soutenues   par   les   consommateurs)  s'engagent  activement  à  soutenir  les  producteurs,  à  sensibiliser  l'opinion  et  à  mener  campagne  pour  des  changements  dans  les  règles  et  pratiques  du  commerce  international  conventionnel.  »  Équiterre,  Définition  et  historique  du  commerce  équitable    

87

leurs pratiques et ce, de façon incrémentale, adaptée aux réalités de chacun et dans un

esprit de relation collaborative à long terme. FLO exige également l'utilisation de la

marge préférentielle, et considère que la conformité doit être évaluée, suivie et

auditée. De même, par sa présence globale, sa crédibilité, l'expérience de son organe

de certification et son respect des contextes, FLO permet des retombées sociales

positives nombreuses pour les fournisseurs et leurs employés (Chaire internationale

sur le cycle de vie, 2013b).

Ces deux approches, l'approvisionnement socialement responsable et le commerce

équitable, peuvent sembler être des initiatives mutuellement exclusives. Néanmoins,

Auroi (2003) affirme que l'écart entre les principes éthiques des grandes entreprises

mondialisées et les visées des organisations du commerce équitable sont moins

importantes qu'on pourrait le croire. En effet, si on compare les deux systèmes, on

constate qu'in fine leur but est similaire : améliorer les conditions socio-économiques

des travailleurs œuvrant dans les chaînes d'approvisionnement mondialisées. Ce but

fait partie de l'ADN du commerce équitable tandis qu'il est, on l'a vu, difficile à

greffer à l'approvisionnement socialement responsable. Souvent peu habituées ou

outillées à appréhender les conditions socio-économiques des travailleurs extra-

muros, les entreprises inscrites dans le paradigme néo-libéral sont inévitablement

poussées dans cette trajectoire par les pressions de la société civile.

La littérature demeure très peu abondante sur la nature et l'impact des retombées

socio-économiques résultant des initiatives d'approvisionnement socialement

responsable, tandis que de nombreuses études de cas existent sur les retombées du

commerce équitable. Cet état de fait est dû sans aucun doute au peu de maturité de

l'approche et à ses paradoxes inhérents. Il est néanmoins porteur d'un fort appel à la

recherche et nous ne pouvons que souhaiter que des exemples probants alimentent la

réflexion et la rétroaction afin de développer l'approche plus avant.

88

6. CONCLUSION

Fonction des plus stratégique dans l'entreprise de produits, l'approvisionnement est

appelé à modifier ses objectifs et à embrasser plus que les variables prix-qualité-

temps, impulsée par les pressions de la société civile et par des impératifs de

gouvernance morale, pour inclure des critères qualitatifs issus des impératifs du

développement durable. L'adjectif « responsable » décrit adéquatement un

approvisionnement qui prend en compte les visées de la RSO mais un flou continue

d'exister sur les critères nécessaires afin que les conditions socio-économiques des

travailleurs œuvrant sur les chaines d'approvisionnement mondialisées soient

améliorées, sur tout le cycle de vie du produit ou du service. Cet essai contribue à cet

effort en proposant une analyse, basée sur une revue de littérature raisonnée, qui

s'attarde spécifiquement à mettre en lumière les motivations, conditions de base,

approches et dispositifs de gestion qui permettent théoriquement d'atteindre de tels

objectifs.

Les entreprises approchent l'initiative d'approvisionnement responsable de deux

façons fort différentes, qui teintent la façon qu'elles auront de le gérer. D'une part,

elles optent pour une posture « policière » en traitant les fournisseurs comme des

risques potentiels ou a contrario de façon « partenariale », en considérant les

fournisseurs comme des sources d'avantage concurrentiel. Ces deux postures sont

exemplifiées par les dispositifs de gestion de l'approvisionnement responsable les

plus fréquents qui sont les codes de conduite et les audits. Les motivations principales

pour les entreprises de démarrer une telle initiative sont la pression venant des clients,

les exigences légales, les raisons économiques, la réputation et la pression des parties

prenantes. Les conditions de base optimales sont grandement affectées par

l'importance attribuée à l'initiative d'approvisionnement responsable, ce qui implique

que les hauts dirigeants la supportent pleinement et que des ressources adéquates lui

89

soient allouées. Avec les fournisseurs, il s'agit de les approcher de façon partenariale

et non défensive. Les facteurs internes de succès se résument à la professionnalisation

des équipes et à la volonté de l'entreprise de favoriser l'initiative en traitant les enjeux

sociaux de façon holistique, ce qui nécessite une culture organisationnelle qui

favorise la congruence entre le leadership et la RSO. Les facteurs externes sont quant

à eux tributaires d'un contexte légal favorable et d'une solide collaboration avec des

parties prenantes externes de type sectoriel ou associatif. Les facteurs qui entravent la

mise en place de l'approvisionnement responsable sont le plus souvent d'ordre

économique, mais sont aussi tributaires de l'entropie managériale, ou « business as

usual ». Des modèles d'application sont également proposés. À la lumière de cette

analyse, une série de vingt meilleures pratiques sont proposées afin de, théoriquement

et idéalement, mettre en œuvre un approvisionnement socialement responsable. En

discussion, nous mettons en évidence les difficultés d'appliquer les principes de

l'approvisionnement responsable sur le terrain et comparons les visées de cette

approche avec le commerce équitable.

Ce qui est mis en lumière dans cet essai est que la prise en compte des impacts

sociaux et socio-économiques causés par les entreprises aux travailleurs œuvrant sur

les chaines d'approvisionnement mondialisées est difficile à opérationnaliser hors de

la sphère d'influence directe de l'entreprise focale. À ce titre, nous misons sur un type

de contribution future qui serait utile afin d'élucider ces difficultés et de proposer des

ajustements pragmatiques. Il s'agit d'études de cas dont l'objet principal serait

l'analyse des retombées sociales et socio-économiques effectives, dans une

perspective cycle de vie, afin de mesurer l'effet que les entreprises peuvent avoir sur

les travailleurs via la variable modératrice de l'approvisionnement socialement

responsable. En attendant, nous espérons que la contribution de cet essai pourra

néanmoins être d'une certaine utilité aux praticiens comme aux théoriciens.

90

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100

ANNEXE 1

Tableau 1

Définitions du concept d'approvisionnement responsable tirées de la littérature

TERME DÉFINITION SOURCE

Achats solidaires …concernent les produits fabriqués par des associations d’insertion professionnelles, des personnes handicapées ou des associations de réinsertion.

(Poissonnier et Francillette, 2012)

Achats responsables …correspond à tout achat intégrant dans un esprit d’équilibre entre parties prenantes des exigences, spécifications et critères en faveur de la protection et de la mise en valeur de l’environnement, du progrès social et du développement économique. L'acheteur recherche l’efficacité, l’amélioration de la qualité des prestations et l’optimisation des coûts globaux (immédiats et différés) au sein d’une chaîne de valeur et en mesure l'impact. » L’Observatoire fait le postulat que achats durables + achats solidaires = achats responsables. On peut donc en déduire que leur définition d’un achat où les enjeux sociaux sont pris en compte serait « achats solidaires »…

(L'Observatoire des achats responsables, 2013)

Approvisionnement responsable

…est un mode d’approvisionnement qui intègre des critères environnementaux et sociaux aux processus d’achat des biens et services, comme moyen de réduire l’impact sur l’environnement, d’augmenter les bénéfices sociaux et de renforcer la durabilité économique des organisations, tout au long du cycle de vie des produits

(Sustainability Purchasing Network, 2006 repris et traduit par l’ECPAR, 2013)

Socially responsible purchasing (SRP)

…refers to the utilization of the purchasing power of public and private organizations to purchase products, works and services that have a positive social impact

(ICLEI, 2007 in Leire et Mont, 2010)

101

Purchasing social responsibility (PSR)

... are “purchasing activities that meet the ethical and discretionary responsibilities expected by society.”

(Carter et Jennings, 2004)

Socially responsible buying (SRB)

...Take into account the public consequences of organizational buying or bring about positive social change through organizational buying behavior. [It] fits under the general rubric of noneconomic buying criteria i.e. criteria other than price or the trade-offs made between price and the many, varied dimensions of quality.

(Drumwright, 1994 in Miemczyk, Johnsen et Macquet, 2012)

…can be defined as the inclusion in purchasing decisions of the social issues advocated by organizational stakeholders. In this perspective, stakeholders are the agents that bring broad social demands to the attention of individual firms.

(Maignan, Hillebranda et McAlister, 2002)

Sustainable purchasing The practice adopted by some large purchasing organizations (LPOs) of promoting greater diversity in the supply chain by intentionally providing selling opportunities for traditionally under-represented suppliers (e.g. small firms, ethnic minority businesses, women-owned enterprises), a process known as supplier diversity

(Worthington et al., 2008, in Miemczyk, Johnsen et Macquet, 2012)

Sustainable procurement Sustainable procurement is consistent with the principles of sustainable development, such as ensuring a strong, healthy and just society, living within environmental limits and promot- ing good governance.

(Walker and Bram- mer, 2009 in Miemczyk, Johnsen et Macquet, 2012)

… means taking into account economical, environmental and social impacts in buying choices. This includes optimizing price, quality, availability… but also environmental life-cycle impact and social aspects linked to product/services origin.

PwC, EcoVadis, INSEAD (2010)

Sustainable supply chain (SSC) The sustainable supply chain discourse differs

from mainstream supply chain management, as it involves the recognition of stakeholders within and beyond the supply chain

(Hall and Matos, 2010, in Miemczyk, Johnsen et Macquet, 2012)

102

Sustainable supply chain management (SSCM)

... a philosophy of management that involves the management and integration of a set of selected key business processes from end user through original suppliers, that provides products, services and information that add value for customers and other stakeholders through the collaborative efforts of supply chain members (Ho et al., 2002, p. 4422)”

(Font et al., 2008, in Miemczyk, Johnsen et Macquet, 2012)

... the strategic, transparent integration and achievement of an organization’s social, environmental, and economic goals in the systemic coordination of key interorganizational business processes for improving the long-term economic performance of the individual company and its supply chains.

(Carter et Rogers, 2008)

Achats éthiques les « achats éthiques » tentent de promouvoir le respect des Droits de l’Homme dans les pays fournisseurs. Il est alors possible de ne sélectionner que des fournisseurs respectant les droits sociaux et conditions de travail de base, de sorte à inciter les autres à respecter ces conditions. Il est aussi possible d’adopter une attitude davantage proactive visant à accompagner le fournisseur dans une démarche d’amélioration des conditions de travail.

(Poissonnier et Francillette, 2012)

Ethical trading …involving codes of conduct for minimum labor standards in supply chains, contrasts markedly with the more radical, developmental project of fair trade, which has the goals of producer empowerment and equitable trading. However, there can be a blurring of the boundaries between the two movements in some cases (Smith and Barrientos, 2005)

(Hughes et al., 2007, in Miemczyk, Johnsen et Macquet, 2012)

Achats équitables …se fondent, à l’instar du commerce équitable, sur la volonté de proposer une rémunération juste aux petits producteurs des pays du Sud. Les principaux produits en faisant l’objet sont des produits issus de l’agriculture : le chocolat, le café, la banane… mais aussi, de plus en plus des produits textiles (vêtements).

(Poissonnier et Francillette, 2012)