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Book Reference Le trust de "common law" et l'exécution forcée en Suisse PEYROT, Aude PEYROT, Aude. Le trust de "common law" et l'exécution forcée en Suisse. Genève : Schulthess, 2011, 377 p. Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:105980 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. 1 / 1

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Reference

Le trust de "common law" et l'exécution forcée en Suisse

PEYROT, Aude

PEYROT, Aude. Le trust de "common law" et l'exécution forcée en Suisse. Genève :

Schulthess, 2011, 377 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:105980

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A Lian-Huey et Nicolas, mes parents

7Table des matières

REMERCIEMENTS

Ma plus grande reconnaissance s’adresse à mes directeurs de thèse, le Pro-fesseur Luc Thévenoz et le Professeur Nicolas Jeandin de l’Université de Genève. Ce fut un privilège que d’être guidée par deux personnalités que j’estime tout particulièrement sur le plan académique et humain. Je suis sensible à l’infinie bienveillance qu’ils m’ont témoignée et aux perspectives qu’ils m’ont ouvertes. Mes remerciements vont aux membres de mon jury de thèse, le Profes-seur Bénédict Foëx de l’Université de Genève et le Professeur Paul Matthews de l’Université King’s College de Londres pour leur lecture critique et leurs précieuses observations. Les propos introductifs du Professeur Christian Bovet, Doyen de la Faculté de droit de l’Université de Genève, lors de ma soutenance de thèse m’ont touchée et je tiens à l’en remercier. Divers professeurs d’universités étrangères et praticiens du droit ont contribué à enrichir mes réflexions au travers d’échanges de vues ou d’infor-mations. Je songe en particulier au Professeur Robert Sitkoff de la Harvard Law School, au Professeur Blandine Mallet-Bricout de l’Université Jean Moulin Lyon III, à Me Mark Barmes ou encore à Me David Wilson. Qu’ils en soient ici remerciés. Mes recherches ont également grandement béné-ficié de deux séjours auprès de la Harvard Law School et du Max-Planck-Institut für auslandisches und internationales Privarecht de Hambourg. Je remercie le Fonds national suisse, ainsi que toutes les personnes qui ont rendu ces expériences possibles. Plusieurs personnes méritent en outre d’être citées pour avoir joué un rôle essentiel dans l’élaboration de cette thèse. Je n’oublie pas l’im-pulsion positive de Me Olivier Sigg quant au choix de la thématique dans la phase initiale de mes recherches. M. Sevan Antreasyan m’a fourni un soutien technique et moral dans la phase finale de rédaction. Me Béatrice Stückelberg et ma sœur, Me Laure Peyrot, m’ont assistée dans la relecture du manuscrit. Mme Ariane Tschopp a mis en forme le présent ouvrage avec efficacité et précision. Je leur exprime à tous ma reconnaissance sincère. Je remercie enfin mes amis et mes proches pour leur amitié, leur sou-tien et leur affection, qui m’ont portée durant ces années de thèse, en parti-culier la dernière, qui fut la plus difficile. J’ai une pensée particulière pour Virginie, Cédric, Audrey et Alexandre. Enfin, mes parents, pour m’avoir soutenue depuis toujours, ont amplement mérité que je leur dédie cette thèse. Elle leur est adressée en témoignage de ma plus profonde gratitude.

8 Aude Peyrot

9

SoMMaIRE

Introduction 11

Première PArTieLe trust et L’effet de ring-fencing en droIt suIsse

Chapitre 1Le trust dans la perception civiliste 19

Chapitre 2 La distraction des biens du trust 57

Chapitre 3L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust 81

Deuxième PArTieLes dettes du trust : responsabILIté patrImonIaLe et poursuIte en suIsse

Chapitre 4La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust 115

Chapitre 5La poursuite en suisse pour les dettes du trust 145

Troisième PArTie La saIsIe de L’equitable interest et La reconnaIssance des trusts de protectIon en suIsse

Chapitre 6L’equitable interest et les trusts de protection anglo- américains 183

Chapitre 7L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse 211

Chapitre 8La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse 241

10 Aude Peyrot

QuATrième PArTieLes créancIers du settLor : atteIntes par Le trust et actIon révocatoIre du droIt suIsse

Chapitre 9Les atteintes aux droits des créanciers du settlor 267

Chapitre 10L’action révocatoire du droit suisse 299

conclusion 323

Table des abréviations 333

Bibliographie 337

11introduction

INTRoduCTIoN

I. objectif, intérêt et cadre de l’étude

La ratification de la Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance intervenue le 1er juillet 2007 a marqué une étape dans l’évolution de la pensée juridique suisse. Même s’il ne s’est agi que de reconnaître le trust et non de l’intégrer en droit interne, l’ordre juridique suisse ne s’en est pas moins ouvert au particularisme de la common law. Par la ratification de l’instrument conventionnel, la Suisse a accepté de re-connaître les trusts per se, i.e. sans requalification de l’institution selon les catégories de rattachement de son droit international privé. Concrètement, elle s’est engagée à donner effet aux caractères du trust hérités de la logique et de l’histoire de la common law, dont certains prennent le contresens de la perception civiliste. Mais la Suisse ne s’est pas pour autant obligée à ad-mettre inconditionnellement et sans réserve toute forme de trusts et toute finalité sous-jacente. La Convention de La Haye veille au contraire à mé-nager aux Etats parties des issues diverses lorsque leurs principes sont trop fortement contrariés par les effets d’un trust. La réception du trust dans l’ordre juridique suisse procède ainsi d’un subtil équilibre entre ouverture et préservation de ses conceptions socio-juridiques traditionnelles. Cet équilibre délicat se manifeste pleinement lorsque le trust interagit avec l’exécution forcée pour les dettes d’argent. Cette dernière est enten-due dans le cadre de cette étude au sens le plus large comme englobant l’ensemble des problématiques liées à l’insolvabilité et la gestion anticipée de ce risque. Elle recouvre donc mais ne se limite pas à la procédure de mainmise officielle sur les biens du débiteur. Les recoupements entre un trust et le droit de l’exécution forcée sont divers et variés. L’on en donnera un aperçu ci-après. La constitution d’un trust opère une réorganisation patrimoniale dans la sphère de ses divers intervenants (settlor, trustee, bénéficiaires). Ce réa-ménagement se répercute sur la situation de leurs créanciers respectifs. Concrètement, les avoirs mis en trust ne sont plus accessibles aux créan-ciers du settlor, au vu de son dessaisissement en faveur du trustee. Ils ne le sont pas davantage aux créanciers personnels du trustee, car ce dernier ne les détient pas pour lui-même mais au profit exclusif des bénéficiaires

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du trust. Les actifs du trust forment en ses mains une masse distincte et séparée de ses biens personnels. Cet effet de ségrégation est désigné dans la doctrine anglo-saxonne par le terme évocateur de “ring-fencing”, qui si-gnifie littéralement “cloisonnement”. Enfin, et malgré l’affectation du trust à la jouissance économique des bénéficiaires, leurs créanciers respectifs ne peuvent venir y puiser directement, car les bénéficiaires ne possèdent dans le trust que des prérogatives individuelles et déterminées à la remise d’avantages patrimoniaux. En outre, certaines formes de trusts, en sus de la protection des ac-tifs du trust qu’ils opèrent naturellement, cherchent à soustraire les droits individuels des bénéficiaires à l’action de leurs créanciers. Il en va ainsi du protective trust du droit anglais et du spendthrift trust du droit amé-ricain, lesquels restreignent directement ou indirectement la saisissabi-lité de l’equitable interest. Ils sont admis par leur ordre juridique respectif pour autant qu’ils servent à protéger le droit d’un bénéficiaire qui n’est pas simultanément le settlor. Une même finalité est poursuivie par les asset protection trusts issus de la loi de certaines juridictions offshore, à cette différence près qu’ils visent précisément, quant à eux, à protéger les droits économiques établis en faveur du settlor, en tant que bénéficiaire de son propre trust. Comment l’ordre juridique suisse appréhende-t-il ces divers effets du trust touchant aux droits des créanciers ? Doit-il les mettre en œuvre ? Si oui, comment, et dans quelles limites ? Et si non, pourquoi et en raison de quels principes ? Par ailleurs, dans quelle mesure les biens du trust ou les droits individuels des intervenants sont-ils saisissables, par qui, à quelles conditions et selon quelle procédure ? Telles sont les interrogations qui ani-ment et justifient la présente étude. La thématique est en grande partie nouvelle. Jusqu’ici, elle n’a fait l’objet que d’une attention partielle dans la doctrine. Le présent travail espère ainsi apporter un éclairage utile sur le trust de common law dans ses divers aspects touchant à l’exécution forcée en Suisse. Le sujet a d’abord un intérêt pratique, dans la mesure où un grand nombre de trusts sont créés par ou en faveur de résidents suisses et/ou sont administrés sur le territoire helvétique. Il présente également un vif intérêt théorique. L’exécution forcée a ceci de particulier qu’elle permet de tester la solidité des mécanismes mis en place. Une institution n’est en ef-fet véritablement efficace que lorsque sa finalité et sa structure résistent à l’épreuve de l’exécution forcée. En outre, si cette dernière éprouve les

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limites du trust, l’inverse est également vrai. L’institution de common law requiert en effet d’interpréter les principes à la base du droit suisse de l’exé-cution forcée, voire d’identifier leur raison d’être, pour savoir s’ils rejettent ou admettent l’effet du trust en cause et, le cas échéant, de quelle façon. Relevons encore que simultanément à la ratification de la Convention de La Haye, la Suisse a adopté diverses normes d’accompagnement dans son droit interne. Elles ont pour double finalité de régler le statut du trust en droit international privé (loi applicable, for judiciaire, reconnaissance des décisions étrangères) et de faciliter sa mise en œuvre dans l’exécution forcée. Ces normes ont pris place aux art. 149a à 149e LDIP et 284a et 284b LP. Les règles conventionnelles et les quelques normes internes précitées forment le cadre juridique à travers lequel la Suisse appréhende l’institu-tion du trust. C’est à l’intérieur de ce cadre que s’inscrit notre étude.

II. méthodologie

Trois remarques méthodologiques s’imposent. En premier lieu, notre étude n’est pas un exposé général sur le trust de common law. Elle vise très spécifiquement le thème de l’exécution forcée relative aux créances pécuniaires. Nous avons donc limité la présentation des traits généraux de l’institution au strict nécessaire : seules sont déve-loppées les caractéristiques du trust qui intéressent directement la problé-matique. Nous avons au surplus pris le parti de ne les traiter qu’au moment où elles se révèlent le plus utile, et non de façon condensée au début du travail. Chacune des quatre parties de l’étude comprend un exposé des contours pertinents du trust au regard de la loi étrangère applicable, puis s’attache à les examiner dans une perspective suisse. En second lieu, nous avons choisi d’examiner le trust à travers le droit de deux ordres juridiques, à savoir, d’une part, le droit anglais et, d’autre part, le droit américain, tel qu’illustré par les législations uniformes et les œuvres de codification. Notre travail s’intéresse aussi ponctuellement à la loi de certaines juridictions offshore et de façon plus substantielle dans le cadre du chapitre 9 relatif aux assets protection trusts. L’analyse croisée de ces divers droits permet d’appréhender l’essentiel des solutions prévues par le droit de common law. Le droit anglais constitue le droit originel du trust. Il incorpore la vision traditionnelle qui prévaut en la matière et se place en

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gardien des concepts classiques. Le droit américain, tout en restant tradi-tionnel, a parfois emprunté des voies divergentes dont certaines ont une incidence directe sur l’exécution forcée. Quant au droit des juridictions offshore, il a fait évoluer le concept de trust vers des horizons nouveaux sur la base de considérations essentiellement commerciales. Tout en re-connaissant l’importance capitale de ce droit en pratique, nous avons dû renoncer à l’idée de le présenter de façon systématique, au vu de la multi-tude de juridictions offshore et la variété de solutions qui entrent en ligne de compte. En troisième lieu, nos réflexions se concentrent sur les trusts privés exprès (private express trusts) créés volontairement par le settlor, entre vifs, dans un but de planification patrimoniale, et en faveur de bénéficiaires déterminés. Notre étude laisse délibérément de côté les trusts charitables (charitable trust), les trusts testamentaires (testamentary trust), les trusts d’affaires (business trusts), les trusts implicites résultant d’une opération de la loi (resulting trust), etc. Les traiter tous n’aurait pas été envisageable dans le cadre limité de cette recherche. Notons toutefois qu’ils posent des problèmes similaires et appellent des solutions semblables aux trusts pri-vés exprès créés entre vifs. Il convient de réserver le cas des constructive trusts, créés par décision de justice, qui répondent à une logique propre et ne relèvent pas du champ de la Convention de La Haye. Dans la mesure où ils ont été examinés par la jurisprudence suisse, il se justifiera néanmoins de leur consacrer quelques brèves considérations (cf. infra p. 41).

III. plan

Notre étude est conçue en quatre parties qui s’organisent autour du trust et de ses divers protagonistes. Ces parties peuvent être appréhendées distinc-tement les unes des autres. C’est toutefois dans leur mise en parallèle que se révèle l’essence de la thématique. La première partie est consacrée à l’effet de ring-fencing immanent au trust, soit au caractère séparé des avoirs du trust dans le patrimoine du trustee et à leur indisponibilité corollaire vis-à-vis des créanciers person-nels du trustee. Le chapitre 1 expose le régime de propriété qui prévaut dans un trust, la justification théorique de l’effet de ring-fencing, et la façon dont le régime patrimonial du trust peut être transposé dans la logique

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civiliste. Le chapitre 2 traite de la concrétisation de l’effet de ring-fencing en droit suisse via l’octroi d’un droit de distraction à l’art. 284b LP. Il examine la conformité de ce droit avec la systématique suisse et ses modalités pro-cédurales. Le chapitre 3 examine les rapports entre l’effet de ring-fencing et le principe suisse de publicité. Il propose une clé de lecture du nouvel art. 149d LDIP, qui s’écarte de l’interprétation donnée par le Message du Conseil fédéral et de la doctrine majoritaire suisse. La deuxième partie porte sur la problématique des dettes issues de l’ad-ministration régulière du trust et des “créanciers du trust”. Le chapitre 4 présente la dualité d’approches (traditionnelle et moderne) qui prévaut en matière de responsabilité pour dettes en droit des trusts et en tire quelques observations sur la nature de l’institution. Le chapitre 5 transpose ces deux approches dans le droit suisse de l’exécution forcée et examine les mo-dalités de la poursuite. Nous entreprendrons dans ce cadre une analyse critique du nouvel art. 284a LP. La troisième partie traite de la situation des créanciers du bénéficiaire d’un trust. Le chapitre 6 expose la nature de certains droits (parmi les plus fréquents en pratique) que le bénéficiaire peut détenir dans un trust. Il traite également des protective et spendthrift trusts, dont on a vu qu’ils tendent à soustraire les prérogatives du bénéficiaire à la mainmise des créanciers. Le chapitre 7 passe en revue la saisissabilité des divers types d’equitable interests à la lumière du droit suisse. Le chapitre 8 étudie la question de la reconnaissance des trusts de protection en droit suisse sur la base des règles de la Convention de La Haye. La quatrième et dernière partie traite des créanciers du settlor. Le cha-pitre 9 évoque en premier lieu la façon dont leurs droits peuvent être mis en danger par la constitution d’un trust, en particulier d’un asset protec-tion trust reposant sur la loi d’une loi offshore moderne. Le chapitre 10 visite enfin le moyen révocatoire du droit suisse et son application au trust. Nous achèverons cette étude en dressant un bilan de la rencontre des trusts et de l’exécution forcée dans l’ordre juridique suisse.

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171. Le trust dans la perception civiliste

PREMIèRE PaRTIE

LE TRuST ET L’EffET dE ring-fencing EN dRoIT SuISSE

18 Aude Peyrot

19Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

Chapitre 1

LE TRuST daNS La PERCEPTIoN CIvILISTE

Ce premier chapitre vise à exposer le régime des biens qui prévaut dans un trust de common law et la façon dont il peut et doit être transposé dans la logique civiliste. La première section brosse un portrait général de l’ins-titution à travers trois définitions et présente son régime de propriété en mettant l’accent sur l’effet de ségrégation qu’il opère (ci-après I). La se-conde étudie le concept de patrimoine, tel qu’il existe en droit civil, dans ses versions subjective et objective. Elle examine par ailleurs la notion de patrimoine séparé développée en droit suisse (ci-après II). La dernière section traite de la façon dont le trust doit être reçu dans la systématique civiliste, en particulier quant à savoir s’il peut être transposé dans ladite notion de patrimoine séparé (ci-après III).

I. Les fondements du trust

A. Définition et caractéristiques fondamentales

Il n’existe pas de définition unique du trust. Compte tenu de la variété de contours qu’elle peut prendre, l’institution se laisse difficilement enfermer dans une définition stricte 1. Le terme “trust” a été décrit comme “versatile and chameleon-like, taking its meaning from its context, which has to be closely examined to reveal the full ramifications of the concept.”2 Le trust ne se prête pour cette raison qu’à des quasi-définitions 3. Celles-ci varient au surplus en fonction de leur finalité. Celles qui ont une vocation internatio- nale sont formulées de façon volontairement large, voire floue, afin d’englo-ber dans leur champ une certaine diversité d’institutions juridiques 4. Elles

1 mitchell, Hayton & mitchell, p. 5, N 1-16 ; Von overbeck (Convention), p. 32.2 Principes de Droit européen du Trust, commentaire, p. 29. 3 mitchell, Hayton & mitchell, p. 5, N 1-16 ; Von overbeck (Convention), p. 32.4 Dyer (Introductory Note), p. 279 ; Von overbeck (Convention), p. 32.

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favorisent en outre la technique descriptive à des fins didactiques. Quant aux définitions anglo-saxonnes, elles ont l’avantage d’un plus grand degré de précision, mais sont parallèlement plus complexes à saisir dans leur es-sence, car elles s’appuient sur des notions techniques propres à la common law. Aussi se justifie-t-il, pour appréhender l’institution, de se référer à plu-sieurs définitions. Nous en retiendrons trois. L’on se référera en premier lieu à l’art. 2 de la Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance du 1er juillet 1985 (ci-après la Convention de La Haye ou la Convention), qui lie la Suisse de-puis le 1er juillet 20075. L’art. 2 § 1 décrit le trust comme suit :

“Aux fins de la présente Convention, le terme ‘trust’ vise les relations ju-ridiques créées par une personne, le constituant – par acte entre vifs ou à cause de mort – lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d’un trustee dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé.”

Cette définition est complétée par une énumération des caractéristiques essentielles que doit revêtir une institution pour être qualifiée de trust au sens de la Convention. L’art. 2 § 2 prévoit à cet égard :

“Le trust présente les caractéristiques suivantes :

a) les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du trustee ;

b) le titre relatif aux biens du trust est établi au nom du trustee ou d’une autre personne pour le compte du trustee ;

c) le trustee est investi du pouvoir et chargé de l’obligation, dont il doit rendre compte, d’administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust et les règles particulières imposées au trustee par la loi.”

L’on s’arrêtera en second lieu sur l’art. I des Principes de Droit Européen du Trust (ci-après Principes de Droit Européen) 6, qui constitue une ex-cellente introduction à l’étude du régime de propriété prévalant dans un trust :

5 A ce jour, la Convention de La Haye a été ratifiée par les etats suivants : Austra-lie, Canada, italie, Liechtenstein, Luxembourg, malte, monaco, Pays-Bas, Grande- Bretagne et irlande du Nord, saint-marin, suisse. elle a par ailleurs été étendue aux unités territoriales suivantes (liste non-exhaustive) : Bermudes, Gibraltar, Guerne-sey, ile de man, iles Vierges Britanniques, Jersey, montserrat, sainte-Hélène, Turks et Caicos.

6 Ces principes sont non-contraignants et visent à assister les pays de droit civil à inter-préter et mettre en œuvre la Convention de La Haye.

21Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

“(1) Dans un trust, une personne appelée ‘trustee’ est propriétaire de biens séparés de son patrimoine personnel ; le trustee doit affecter ces biens (le fonds du trust) à l’intérêt d’une autre personne appelée ‘béné-ficiaire’ (beneficiary) ou à l’accomplissement d’un but d’intérêt général 7.

(2) Il peut y avoir plus d’un trustee et plus d’un bénéficiaire ; un trustee peut lui-même être un des bénéficiaires.

(3) La séparation du fonds du trust a pour effet de soustraire celui-ci aux prétentions du conjoint du trustee, de ses héritiers et de ses créanciers personnels.

(4) Le bénéficiaire a, sur le fonds du trust, un droit personnel propre contre le trustee et contre des tiers auxquels une partie du fonds aurait été transférée sans droit, il se peut aussi qu’il ait un droit réel à l’encontre du trustee et à l’encontre de ces tiers.”

L’on reproduira enfin la définition classique donnée par l’ouvrage anglais Underhill & Hayton, qui reflète la façon dont le trust est traditionnelle-ment appréhendé en droit anglo-saxon : “A trust is an equitable obligation, binding a person (called the trustee) to deal with property (called trust pro-perty) owned by him as a separate fund, distinct from his own private pro-perty for the benefit of persons (called beneficiaries or, in old cases, cestuis que trust), of whom he may himself be one, and any one of whom may en-force the obligation.”8 Le trust est ainsi classiquement décrit comme une obligation particulière issue des règles de l’equity qui oblige le trustee à détenir et administrer la propriété du trust de façon séparée de ses propres biens au profit des bénéficiaires du trust. Bien que ces trois définitions mettent l’accent sur des aspects distincts du trust, il en résulte de façon explicite ou implicite les éléments communs suivants. Primo, le trust est une relation juridique particulière sur une masse de biens, dénommée “fonds du trust” (trust fund) 9, qui a pour ca-ractéristique d’être dépourvue de toute personnalité juridique 10. L’absence

7 La version anglaise, plus précise, se lit comme suit : “In a trust, a person called the trustee owns assets segregated from his personal patrimony and must deal with those assets (the ‘trust fund’) for the benefit of another person called ‘the beneficiary’ or for the furtherance of a purpose.”

8 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 2, art. 1.1 (1).9 Principes de Droit européen, art. i (3) ; Pearce / stevens, p. 112 s. Quant aux carac-

téristiques du fonds du trust, cf. infra p. 28 s.10 Böckli, p. 26 s. ; Danon, p. 15 ; Hayton (Law of Trusts), p. 32 ; Thorens (Trust de

common law), p. 329.

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de personnalité juridique distingue fondamentalement le trust de la per-sonne morale. Concrètement, le trust n’a donc nulle capacité de s’engager, de posséder, d’acquérir, d’agir ou d’être actionné en justice 11. Secundo, le fonds du trust est formellement détenu par le trustee, qui est en est le plein propriétaire à l’égard de l’extérieur. A cet égard, la Convention fait im-parfaitement état du “contrôle” du trustee, ce que l’art. I des Principes de Droit Européen vise précisément à corriger. En sa qualité de propriétaire, le trustee assume les droits et les obligations qui naissent dans l’exercice du trust. Il lui incombe notamment d’agir en justice pour faire valoir les intérêts des bénéficiaires. Tertio, le trustee ne détient pas le fonds du trust pour lui-même mais pour les bénéficiaires du trust qui en ont la jouissance économique exclusive. Concrètement, cette dernière est matérialisée par des distributions du fonds du trust selon les modalités fixées par les termes du trust 12. Ces différentes caractéristiques seront développées au fur et à mesure de ce travail, au moment où elles se révèleront les plus pertinentes.

B. Le régime de propriété

1. L’approche instrumentale du droit de la propriété anglo-saxon

Le régime de propriété dans un trust est complexe. Cette complexité tient au contexte juridique dans lequel l’institution a pris naissance et s’est dé-veloppée, qui n’est autre que le droit de la propriété foncière dans l’Angle-terre médiévale et l’évolution parallèle de deux corps de règles, soit la com-mon law et l’equity 13. Il n’est pas dans notre propos de relater l’évolution historique du trust, celle-ci ayant déjà été traitée ailleurs et de façon très complète 14. Nous nous contenterons d’exposer brièvement l’approche du

11 Fratcher, p. 77, N 95 ; Hayton / mitchell, Hayton & marshall (2005), p. 8, N 1-21 ; Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 3, art. 1.1 (3).

12 sur les différents droits des bénéficiaires dans un trust, cf. infra chapitre 6, p. 183 ss.13 Cf. notamment Thorens (Trust de common law), p. 325 : “en effet pour des raisons

historiques la notion de propriété en pays de droit civil […] est fondamentalement étrangère au droit de propriété de common law qui est lui l’aboutissement d’une évo-lution plusieurs fois séculaires du droit féodal de la terre qu’a connue l’Angleterre après Hastings.”

14 sur le droit anglais des biens, cf. Papandréou-Deterville. sur le développement historique du trust à travers les règles de l’equity, cf. Barrière, p. 57 ss ; Dyer (Inter-national Recognition), p. 1000 ; Dyer / Van Loon, p. 12 ss ; Fratcher, pp. 8 à 23.

23Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

droit anglais en matière de propriété. Elle éclaire utilement sur l’aménage-ment des droits dans un trust. Auteur d’une thèse remarquée sur la réception du trust à travers la fiducie française, F. Barrière relève que le droit anglais procède d’une approche instrumentale de la propriété, qui permet des utilisations éco-nomiques diverses et simultanées sur une même chose. Selon l’auteur : “Le droit anglais de propriété est utilisé afin d’exploiter au mieux l’utilité éco-nomique de la chose. La chose est avant tout analysée dans une perspective économique. Les différent estates ne sont que des traductions en termes juridiques d’une certaine valeur, de certaines prérogatives permettant à son bénéficiaire de bénéficier d’une certaine richesse. […]. Il n’y a donc rien d’anormal dans cette logique à trouver des simultanéités de prérogatives portant sur un même fonds : ceci est une rationalisation maximum des différentes valeurs que le fonds peut receler.” 15 Il ressort de cette descrip-tion que le droit anglais permet de créer des droits multiples et variés sur une même chose – qualifiés d’estates, lesquels se divisent eux-mêmes en interests 16 –, de façon à ce que chaque individu puisse en tirer simultané-ment profit en fonction de l’emploi économique souhaité. Les comparatistes relèvent que la notion de propriété (ownership) de la common law ne correspond en rien au concept absolu que connaissent les systèmes civilistes 17. Il convient ainsi d’éviter de traduire ou de transposer la notion d’ownership dans celle de propriété du droit civil. L’on observera qu’à la suite de certains auteurs anglo-américains 18, la doctrine civiliste a pris l’habitude de décrire la propriété dans un trust comme étant “divisée” ou “dédoublée” 19. Cette approche, en tant qu’elle évoque l’existence d’un droit de propriété absolu divisé en deux sous-ensembles, est considérée comme inadéquate par la doctrine anglo-saxonne 20. Le même point de vue

15 Barrière, p. 278 s. sur l’approche instrumentale de la propriété anglaise, qualifiée de “market-based”, cf. matthews (Compatibility), p. 3.

16 sur ces notions, cf. les développements de Thorens (Trust de common law), p. 326.17 Dyer (International Recognition), p. 1000 ; matthews (Compatibility), p. 3 ss ;

Thorens (Civil Law Lawyer), p. 309 ; idem (Trust de common law), p. 325.18 Fratcher, p. 8, N 4 : “[…] the creation of a trust normally involves a splitting of own-

ership of the subject matter between the trustee, who has some or all of the powers of a proprietor, and the beneficiary, who has beneficial ownership of the subject matter.” ; Pearce / stevens, p. 97.

19 Cf. par ex. Gubler, p. 468a ; Guillaume (incompatibilité), p. 4 ; Jauffret-spinosi, p. 25.

20 Dyer (International Recognition), p. 1000 ; Dyer / Van Loon, p. 17, N 10 ; smith, p. 333.

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est partagé par J. Thorens : “Lorsque le juriste de droit civil ne voit, par une simplification et un parallélisme aussi abusifs que dangereux, dans le trust qu’une suite de la division de son propre droit de propriété en no-tions analogues à la legal et à l’equitable ownership, il fait abstraction de tout ce qui se trouve en aval et ne peut donc saisir la richesse et les poten-tialités de l’institution telle qu’elle existe et est comprise par le juriste de common law.”21

Il apparaît ainsi qu’au vu de l’approche instrumentale prônée par le droit anglo-américain, le régime de la propriété dans un trust doit plutôt s’entendre comme un cumul de droits divers (interests) aménagés entre le trustee et les bénéficiaires. Les auteurs de Snell’s Equity indiquent à cet égard que les bénéficiaires et le(s) trustee(s) se partagent les “incidents de la propriété” (“the incidents of ownership”) 22.

2. Les droits du trustee et des bénéficiaires dans le trust

a. Le legal title du trustee

Comme indiqué, le droit anglo-saxon de la propriété permet de créer des droits simultanés sur une même chose. C’est ce qui se produit dans un trust. Selon l’expression consacrée, le trustee est investi du titre juridique, appelé “legal title” ou “legal interest”, sur le fonds du trust 23. La notion de “title” découle du terme “entitled” et n’est qu’une façon de désigner le droit détenu in casu par le trustee 24. Les expressions “title” et “interest” sont à cet égard synonymes. Le legal title du trustee le légitime en tant que plein propriétaire à l’égard du monde extérieur et lui confère tous les pouvoirs d’un propriétaire. Le trustee détient toutefois cette propriété dans l’intérêt exclusif des bénéficiaires 25. Comme évoqué plus haut dans la définition de Underhill & Hayton 26, il est soumis à cet égard à une obligation particu-lière découlant des règles de l’equity qui le contraint à agir dans le meilleur intérêt des bénéficiaires.

21 Thorens (Trust de common law), p. 325.22 Conaglen [et al.], snell’s equity, p. 463 s., N 19-02.23 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 73, N 2.1 ; Thomas / Hudson, p. 17 s., N 1.14. 24 Pearce / stevens, p. 91.25 mitchell, Hayton & mitchell, p. 11, N 1-40. 26 Cf. supra p. 21.

25Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

Lorsqu’il y a une pluralité de trustees, ceux-ci détiennent les biens du trust en tant que joint tenants, ce qui s’apparente en termes civilistes à une forme de propriété en main commune (Gesamthand) 27. D. Hayton et P. Matthews décrivent le régime de la “ joint tenancy” comme suit : “There is not only unity of possession, but also of interest (all co-owners’ interest the same), title (all interests derive from the legal event), and time (all interests start at the same time). The co-owners in this case together comprise a single owner. Hence in principle they can only act together.”28 Il apparaît ainsi que chaque trustee possède un droit sur l’ensemble du fonds du trust, à l’exclu-sion d’une part déterminée, de sorte qu’ils ne peuvent disposer de la chose qu’en commun. Par ailleurs, en cas de décès de l’un des trustees, la part de propriété de l’un vient en principe accroître celle des autres et n’entre pas dans son régime successoral 29. Les droits et obligations entre co-trustees et à l’égard du fonds du trust sont régis par la loi applicable au trust 30.

b. L’equitable title du bénéficiaire

Les bénéficiaires du trust sont pourvus, quant à eux, de l’ “equitable title” ou “equitable interest”, dit aussi “beneficial interest”31. Le terme “equitable” est sans correspondant en français, puisqu’il dérive directement de l’equity, corps de règles dont sont issus à l’origine les droits des bénéficiaires. L’equi-table title confère aux bénéficiaires la pleine jouissance économique des avoirs du trust 32. Ce droit de jouissance est assorti de divers moyens vi-sant à garantir son effectivité. Certains de ces moyens ont un caractère personnel, tandis que d’autres ont une nature réelle 33. Le bénéficiaire peut notamment faire valoir des droits personnels (in personam) à l’encontre du trustee, afin de garantir l’exécution régulière des termes du trust par ce dernier 34. En outre, il dispose de certains moyens à caractère réel (in rem)

27 mayer (Trust), p. 66 ; reymond (Trust), p. 132 ; Thévenoz (Trusts), p. 128 s.28 Hayton / matthews, p. 51, N 112.29 Danon, p. 17 s. ; Fratcher, p. 30, N 36 ; singer, p. 571.30 mayer (Trust), p. 76 ; Thévenoz (Trusts), p. 128 s.31 Hayton / matthews, p. 79, N 181 ; Pearce / stevens, p. 97 ; singer, p. 503 ;

Thomas / Hudson, p. 11, N 1.01.32 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 5, art. 1.1(10).33 Cf. Principes de Droit européen, art. i (4).34 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 77, N 2.11.

26 Aude Peyrot

qui lui permettent de suivre les biens du trust en mains de tiers lorsqu’ils ont été aliénés par le trustee en violation des termes du trust 35. Ce droit de suite vaut à l’égard de tous, à l’exception du tiers acquéreur de bonne foi et à titre onéreux (bona fide purchaser for value) 36. Cette mixité de genres dans les moyens à disposition du bénéficiaire rend l’appréhension de la nature de son droit particulièrement complexe. Cette question a du reste fait l’objet d’intenses controverses au sein de la doctrine anglo-saxonne 37. En majorité, la doctrine contemporaine semble toutefois reconnaître dans le droit du bénéficiaire un “proprietary right”38, c’est-à-dire un droit in rem sur le fonds du trust 39. Selon Underhill & Hayton : “Because a beneficiary […] ha[s] proprietary remedies against third parties owning substituted trusts assets ascertained via the tracing process, it is proper to regard beneficiaries under either type of trust as having pro-prietary in rem rights.”40 Notons incidemment que la question de la nature du droit des bénéficiaires se révèle encore plus complexe lorsqu’il s’agit de distinguer selon le type de trusts en cause, en particulier eu égard au trust discrétionnaire. Cet examen ne sera pas entrepris ici, notre propos se voulant avant tout introductif. La problématique sera en revanche abordée dans le chapitre 6 de cette étude (cf. en particulier infra p. 183 ss). Les incertitudes quant à la nature du droit des bénéficiaires se réper-cutent logiquement dans sa transposition dans la systématique suisse. Cela étant, la majorité des auteurs qualifient le droit du bénéficiaire de réel ou quasi réel 41, certains précisant qu’il ne faut pas y voir un véritable droit in rem au sens civiliste du terme 42.

35 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 77, N 2.12.36 Hayton (Law of Trusts), p. 169 ; Pearce / stevens, p. 105 s.37 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 76, N 2.10 ; mitchell, Hayton & mitchell,

p. 12, N 1-47 ; Pettit, p. 83 ss ; reymond (Trust), p. 136 ; Thomas / Hudson, p. 159, N 7.01.

38 Cf. notamment Fratcher, p. 8, N 4 ; Hayton [et al.], p. 77, N 2.12 ; mitchell, Hayton & mitchell, p. 13, N 1-52 ; scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 808.

39 Cf. Pearce / stevens, p. 92 ; Thomas / Hudson, p. 26, N 1.41 : “Typically, a proprie-tary right is considered to be a right in a specific item of property.”

40 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 79, N 2.15.41 moosmann, p. 14 ; Pannatier Kessler, p. 28 s. ; reymond (Trust), p. 133 ss. Contra :

message (Trusts), p. 571 ; mayer (Trust), p. 67 ss ; idem  (Haager Trust-Übereinkom-men), p. 158 ss ; idem (Organisierte Vermögenseinheit), p. 118 ss, en particulier p. 122.

42 Böckli, p. 20 ; Watt, p. 23.

27Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

c. L’effet de ring-fencing et le fonds du trust

La ségrégation des biens du trust (dans la terminologie anglo-saxonne ring-fencing) est une conséquence directe du régime de propriété. Dans la mesure où le trustee ne détient pas ces avoirs pour son propre profit mais pour les bénéficiaires, ceux-ci forment en ses mains une masse distincte qui ne se confond pas avec ses biens personnels. Le lien qui existe entre le proprietary interest du bénéficiaire et la séparation du fonds du trust est mis en exergue par la doctrine anglo-saxonne. Selon A. Dyer et H. Van Loon, “[l]e procédé du trust, grâce à la théorie selon laquelle le trust appartient en equity au bénéficiaire, empêche les avoirs du trust de se confondre avec les avoirs personnels du trustee, si celui tombe en faillite ou décède.”43 Selon Underhill & Hayton : “Trust property within the separate fund is immune from claims of the trustee’s private creditors because the beneficiaries have equitable proprietary interests in such property, […].”44 Selon D. Hayton et P. Matthews : “In the case of trusts for persons, the segregated ring-fencing is the corollary of the beneficiaries having equitable proprietary interests in the property owned by the trustees as trustees and not as part of their private estate or patrimony.”45 Il apparaît ainsi que la propriété du trust est sous-traite à l’action des créanciers privés du trustee en raison des droits que les bénéficiaires ont dans celle-ci. Ces prérogatives constituent la justification fondamentale de la ségrégation du fonds du trust. L’effet de ring-fencing est une caractéristique essentielle du trust. Elle est inhérente à toute définition ou description de l’institution. Comme déjà indiqué, l’art. 2 § 2 lit. a de la Convention de La Haye la place en tête des traits fondamentaux que doit revêtir une institution pour être quali-fiée de “trust” au sens de la Convention. Selon la règle conventionnelle, les actifs forment une masse distincte (separate fund) et ne font pas partie du patrimoine du trustee (trustee’s own estate). Cette ségrégation est évoquée en des termes similaires à l’art. I (1) des Principes de Droit Européen et dans la définition anglaise classique du trust d’Underhill & Hayton 46.

43 Dyer / Van Loon, p. 20, N 16.44 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 2, art. 1.1(2) ; mitchell, Hayton & mitchell,

p. 3, N 1-04 : “The priority of the beneficiaries’ interest over the trustee’s private credi-tors is achieved by giving the beneficiaries an equitable proprietary interest in the trust fund.”

45 Hayton / matthews, p. 77, N 177.46 Cf. supra p. 21.

28 Aude Peyrot

L’effet de ring-fencing se manifeste dans diverses circonstances et à l’endroit de diverses catégories de personnes : à l’égard de l’épouse ou de l’époux du trustee dans le cadre de son régime matrimonial, à l’égard des héritiers du trustee au moment du règlement de sa succession, enfin, et surtout, envers les créanciers personnels du trustee en cas d’insolvabilité de celui-ci. L’on se référera ici à l’art. 11 de la Convention, norme centrale qui détermine les effets minimaux de la reconnaissance d’un trust dans les Etats parties. Selon l’art. 11 § 2, “[l]a reconnaissance implique au moins que les biens du trust soient distincts du patrimoine personnel du trustee […]”. L’art. 11 § 3 concrétise cette règle générale en précisant que, lorsque la loi applicable au trust le prévoit, cette reconnaissance implique notamment : a) que les créanciers personnels du trustee ne puissent pas saisir les biens du trust, b) que les biens du trust soient séparés du patrimoine du trustee en cas d’insolvabilité ou de faillite de celui-ci, et c) que les biens du trust ne fassent pas partie du régime matrimonial, ni de la succession du trustee. Rappelons au surplus la teneur de l’art. I (3) des Principes de Droit Euro-péen, selon lequel “la séparation du fonds du trust a pour effet de sous-traire celui-ci aux prétentions du conjoint du trustee, de ses héritiers et de ses créanciers personnels.” Le fonds du trust est indifféremment qualifié de “ring-fenced” fund 47, de “masse distincte”, de “fonds séparé” ou “ségrégué”, voire de “protected fund”48, termes qui seront utilisés de façon équivalente dans la suite de cette étude 49. Il est sujet au mécanisme de la subrogation patrimoniale 50. Il comprend non seulement les biens transférés par le settlor (lors de la création du trust ou subséquemment) mais également ceux acquis en remploi 51. Sont ainsi soumis à l’effet de ring-fencing tous les biens qui ont été transférés par le settlor au moment de la constitution du trust ou sub-séquemment, de même que tous les avoirs qui ont été acquis par le trustee

47 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 9, N 1.4.48 sur cette notion, cf. les propositions de directives établies par le Groupe international

de travail à l’origine des Principes de Droit européen du Trust, visant à réguler les “protected funds”, publiée in Towards an EU directive on protected funds, s.C.J.J. Kort-mann, D.J. Hayton [et al.] (édit.), Deventer (Kluwer) 2009.

49 Pour une différenciation des termes “séparation”, “autonomie” et “ségrégation”, cf. Lupoi (Comparative study), p. 377 ss.

50 Thévenoz (Trusts), p. 25 ; Thorens (Trust de common law), p. 329.51 Principes de Droit européen, art. iii (1). Cf. aussi Hayton [et al.], underhill & Hayton,

p. 2, art. 1.1 (2).

29Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

au cours de l’administration du trust. En pratique, la séparation du fonds du trust est facilitée par l’obligation qui est faite au trustee de maintenir les biens du trust distincts de son patrimoine personnel, mais aussi des autres fonds de trusts. L’on rappellera à cet égard la teneur de l’art. III (3) des Prin-cipes de Droit Européen : “Sauf disposition contraire des termes du trust, un trustee de plusieurs trusts doit tenir chaque fonds de trust séparé, non seulement de son patrimoine personnel, mais aussi du fonds de chacun des autres trusts.” Au surplus, il appartient au trustee de tenir une comptabi-lité qui rende précisément compte des biens du trust sous gestion 52. Le trustee est ainsi à la tête de deux ensembles de biens soumis à des régimes juridiques distincts. Sur le plan patrimonial, cela signifie que le fonds du trust ne répond pas des dettes privées du trustee, qui viennent exclusivement grever son patrimoine personnel. Concrètement, en cas d’exécution forcée, les biens du trust ne peuvent ni ne doivent être saisis en faveur des créanciers personnels du trustee ou tomber dans sa masse en faillite. Inversement, le fonds du trust n’est tenu que des dettes contractées régulièrement dans l’exercice du trust et touchant à son but 53. Cela ne si-gnifie toutefois pas que les deux masses de biens soient absolument et tota-lement séparées. Nous verrons en effet que dans l’approche traditionnelle du droit anglais, les dettes contractées par le trustee à l’égard des tiers et dans l’exercice régulier du trust grèvent en première ligne son patrimoine personnel 54. L’importance de la ségrégation du fonds du trust a été unanimement mise en avant par la doctrine, que ce soit à titre général55 ou dans le cadre de l’art. 11 de la Convention56. Elle est considérée comme un élément es-sentiel au concept de trust, sans lequel sa reconnaissance serait largement vidée de son sens. Cette vision est partagée tant par la doctrine civiliste qu’anglo-saxonne. Selon J. Thorens : “La caractéristique essentielle du trust actuel à mes yeux est double ; elle consiste bien sûr dans la division de la propriété de certains biens déterminés en legal et equitable rights ayant des titulaires différents mais aussi dans le fait que la gestion et la jouissance de ces biens sont également séparées, la gestion étant dans les

52 Principes de Droit européen, art. iii (3) ; Thévenoz (Trusts), p. 25 s.53 Principes de Droit européen, art. iii (2).54 sur l’approche traditionnelle, cf. infra p. 117 ss.55 Principes de Droit européen, commentaire, p. 30. 56 Harris, p. 311 ; Jauffret-spinosi, p. 55 s. ; von overbeck (rapport explicatif),

p. 394, N 108.

30 Aude Peyrot

mains, en général, du propriétaire légal et les avantages dans celles du ou des equitable owners.”57 D. Piotet relève pour sa part : “Le point qui to-lère le moins de dérogation nous paraît être celui d’un patrimoine séparé soumis à l’administration du trustee ou encore d’une personne agissant pour lui (art. 2 al. 2). Le pouvoir et l’obligation d’administrer du trustee portant sur un patrimoine séparé de ses autres biens nous paraît être l’élément le plus sûr qui permette de caractériser l’institution du trust, tel que soumis à la Convention.”58 Dans le prolongement de cette idée, J.  Harris indique que le principe de ségrégation ne saurait être affecté par les art. 15 ou 16 de la Convention – qui réservent les règles impératives du for et les lois d’application immédiate 59 – de peur d’anéantir l’essence du trust 60. Les juridictions de droit civil ont également admis un effet de ségré-gation patrimoniale dans certaines circonstances limitatives, mais elles ne l’acceptent pas de façon générale. Cette réticence tient à la conception du patrimoine qu’elles ont généralement adoptée et que nous verrons ci-après.

II. Le patrimoine en droit civil

La notion de patrimoine occupe une place centrale dans les ordres juri-diques civilistes. Le droit suisse en est fortement imprégné. Le Code ci-vil et le Code des obligations sont émaillés de références au patrimoine 61,

57 Thorens (Traits caractéristiques), p. 97.58 D. Piotet (Convention), p. 5.59 A propos des art. 15 et 16 de la Convention de La Haye, cf. infra chapitre 8, p. 184 ss.60 Harris, p. 315 ss, en particulier p. 317 : “However, such an interpretation, which would

not recognise the separate status of the trust assets from the trustee’s private assets, might be thought to undermine the whole nature of the English-model trust. Article 2 stresses that the separate nature of the assets is a fundamental characteristic of a trust ; a view strongly reinforced by Article 11, which also stresses the protection of the trust assets from the claims of the trustee’s personal creditors. Article 15 should not derogate from these central characteristics, without which ‘the trust, as developed in courts of equity in common law jurisdictions’ is stripped of its very essence.” Cf. aussi Koppenol-Laforce (Convention), p. 37.

61 Cf. notamment art. 189 CC, 342 CC, 481 CC, 745 CC, art. 181 Co, art. 330 Co, art. 521 Co.

31Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

tandis que le Code pénal lui consacre un titre entier62, et il constitue bien évidemment un concept-clé du droit de l’exécution forcée. Nonobstant son caractère fondamental, le patrimoine a étonnamment peu occupé la doc-trine suisse. A l’inverse, la notion a fait l’objet d’une attention soutenue dans la doctrine française. Cette dernière s’est employée à en rechercher les fondements dogmatiques et à la systématiser. Il y a ainsi lieu de se référer ci-après aux développements qui lui ont été consacrés dans la littérature juridique française, lesquels reflètent plus globalement la façon dont le pa-trimoine est appréhendé dans la systématique civiliste. Notons que notre propos restera modeste. Il vise à présenter de façon très générale la notion de patrimoine (ci-après A) et les différentes théories qui ont été conçues autour de celui-ci (ci-après B). Cette mise en contexte nous permettra d’in-troduire ensuite le concept de patrimoine séparé tel qu’il existe en droit suisse (ci-après C) et de déterminer s’il peut recevoir le trust de common law (ci-après D).

A. notion

Le patrimoine est traditionnellement défini dans la doctrine française comme “l’ensemble des biens et des obligations d’une personne, envisagé comme formant une universalité de droit”63. Il faut comprendre par cette dernière expression que “le patrimoine constitue une unité abstraite, dis-tincte des biens et des charges qui le composent”64. La doctrine tire de cette nature d’ “entité abstraite” au moins deux conséquences. D’une part, les éléments du patrimoine peuvent fluctuer, notamment ses actifs et passifs peuvent croître ou diminuer jusqu’à disparaître entièrement, sans que cela n’affecte son existence. Il se veut ainsi une entité abstraite parfaitement distincte de ses composantes. D’autre part, le patrimoine est perçu comme une “masse mouvante, sujette à des transformations” qui comprend à ce titre tant les biens présents que les biens futurs de son titulaire 65. L’on re-lèvera que la présence des actifs comme des passifs au sein du patrimoine semble désormais acquise parmi les auteurs français, même si la question a fait, voire fait encore, l’objet de certaines discussions 66.

62 Cf. art. 137 à 172ter CP.63 Carbonnier, p. 3. Cf. aussi Colin / Capitant, p. 110 ; Planiol / ripert, p. 19.64 Planiol / ripert, p.19. Cf. aussi Carbonnier, p. 5 ; Colin / Capitant, p. 110.65 Carbonnier, p. 5. Cf. aussi Colin / Capitant, p. 110 ; Planiol / ripert, p. 19 s.66 Cf. à cet égard raimon, p. 11 ss.

32 Aude Peyrot

En Suisse, la notion de patrimoine est présentée de façon similaire. Elle est décrite comme l’ensemble des droits d’une personne 67, constituant une universalité juridique 68. Un flottement existe quant à la composition du patrimoine. Selon la doctrine suisse, il serait généralement perçu comme représentant la totalité des actifs du titulaire, à l’exclusion de ses passifs 69. L’on trouve toutefois des propositions doctrinales divergentes qui incluent ces derniers 70. A vrai dire, ainsi que le relèvent certains auteurs, la notion peut s’entendre dans les deux sens en fonction du contexte dans laquelle elle est employée, à savoir soit en tant que patrimoine brut (Bruttovermö-gen) soit en tant que patrimoine net (Nettovermögen) 71. Au surplus, en sa qualité d’universalité juridique, le patrimoine est perçu, à l’instar du droit français, comme un cadre distinct des éléments qu’il renferme, lesquels sont soumis au mécanisme de subrogation patrimoniale 72. Il comprend en outre tant les biens actuels que les biens futurs de son titulaire 73.

B. Théories du patrimoine

1. La théorie classique

La théorie “subjective” ou “personnaliste” du patrimoine a été développée par les juristes français C. Aubry et C. Rau durant la première moitié du XIXe siècle 74. Elle s’est imposée en France comme la théorie classique. Elle est dite “subjective”, en ce sens qu’elle justifie l’existence du patrimoine par son appartenance à un sujet de droit. Le patrimoine est perçu comme

67 meier-Hayoz, p. 78, N 151 : “Vermögen (universitas bonorum) ist nach herrschender Ansicht die Gesamtheit der einer Person zustehenden Geldwertengüter”. De façon iden-tique : steinauer, p. 57, N 84 ; Von Tuhr, p. 318 : “Das Vermögen im juristischen Sinn des Worts ist die Summe der einem Subjekt zustehenden Rechte.”

68 meier-Hayoz, p. 77, N 148 ; steinauer, p. 57, N 83.69 Dunand, p. 28 ; meier-Hayoz, p. 78, N 151 ; steinauer, p. 57, N 85 ; Von Tuhr,

p. 324. C’est en effet ainsi que la notion est définie par marville, p. 77, et rey, p. 38.70 Cf. engel (Traité), p. 36 s. ; Thévenoz / Dunand, p. 491.71 meier-Hayoz, p. 78, N 151 ; Von Tuhr, p. 324.72 engel (Traité), p. 37 ; steinauer, p. 57, N 87.73 engel (Traité), p. 37.74 La théorie a été développée dans l’ouvrage Cours de droit civil français d’après la mé-

thode de Zachariae dès sa première édition en 1839. La dernière édition à faire état de la théorie de l’unité du patrimoine est la 5e édition par etienne Bartin, à laquelle nous nous référerons ci-après. La 6e édition par Paul esmein ne la mentionne plus.

33Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

une “émanation de la personnalité” dont il est indissociable 75. Le caractère nécessaire de ce lien est illustré par la formule laconique de A. von Tuhr : “ein Subjekt, ein Vermögen” 76. Le patrimoine est envisagé comme le moyen externe nécessaire à la réalisation des aspirations personnelles du sujet. Il est inhérent à la personnalité, de sorte qu’il apparaît avec l’individu et disparaît avec lui (par sa transmission aux héritiers) 77. La cohésion de ses éléments et leur réunion en une universalité juridique résulte de leur sou-mission à la volonté d’un même titulaire 78. Selon la formule de C. Aubry et C. Rau, ceux-ci sont soumis au “libre arbitre d’une seule et même volonté, à l’action d’un seul et même pouvoir juridique” 79. La théorie subjective se décline en trois postulats distincts, à savoir que seules les personnes juridiques peuvent avoir un patrimoine, que toute personne possède nécessairement un patrimoine, et que chaque per-sonne n’a qu’un seul patrimoine 80. Cette dernière proposition, qui est la plus importante, est couramment désignée “unité” ou “unicité” du patri-moine. Le terme “unité” (Einheit) se réfère à ce qui n’est pas susceptible de division 81. Dans la théorie personnaliste, le patrimoine est en effet in-divisible, à l’image de la personnalité dont il est une émanation. Selon C. Aubry et C. Rau, en raison de l’unité de la personne, le patrimoine ne saurait se partager en plusieurs universalités juridiques se distinguant les unes des autres. L’indivisibilité du patrimoine permet notamment d’expliquer deux phénomènes juridiques centraux communs à diverses traditions civilistes : d’une part, le principe de la succession universelle en droit successoral et, d’autre part, le droit de gage général des créanciers sur le patrimoine du débiteur 82. En premier lieu, le patrimoine conserve son caractère d’uni-versalité juridique au décès de son titulaire et c’est sous cette forme qu’il est transmis à ses héritiers. Les personnes qui prolongent la personna-lité juridique du défunt en lui succédant sont précisément qualifiées de

75 Aubry / rau, p. 335.76 von Tuhr, p. 313 ss.77 Aubry / rau, p. 372.78 Carbonnier, p. 6 : “si l’unité se dégage de l’hétérogène, ce n’est que parce que tous

les éléments sont soumis au libre arbitre d’une seule et même volonté.”79 Aubry / rau, p. 334.80 Aubry / rau, p. 336. 81 raimon, p. 32. 82 Colin / Capitant, p. 110 s.

34 Aude Peyrot

“ successeurs universels”83. Ils reçoivent conjointement la succession indi-vise qui ne se dissout qu’au moment du partage 84. En deuxième lieu, l’unité du patrimoine se manifeste dans la responsabilité pour dettes. Le débiteur répond en effet de ses dettes de façon personnelle et sur l’ensemble de son patrimoine, lequel constitue le gage général de ses créanciers 85. Ce principe est exprimé dans divers systèmes civilistes, notamment dans le Code civil français et le Code civil italien 86. En Suisse, la théorie personnaliste a été embrassée avec moins d’ardeur que dans le système français 87. Le lien entre la personne et le patrimoine est néanmoins relevé par certains auteurs. Selon P.-R. Gilliéron, le patri-moine constitue une universalité de droits patrimoniaux qui se caractérise par le fait qu’ils ont le même titulaire 88. Ceux-ci “assurent à l’être humain les moyens économiques de son existence et de l’accomplissement de sa volonté”89. Selon A. Meier-Hayoz, “[d]ie in einem Vermögen zusammen-gefassten Rechte sind insofern eine Einheit, als sie ein und demselben Rechts-subjekt zustehen.”90 De la même façon, aux yeux de A. Von Tuhr, “[d]as Vermögen wird zu einer Einheit zusammengefasst durch das Subjekt”91. Les éléments du patrimoine tirent ainsi leur unité et leur cohésion de leur ap-partenance à un même sujet de droit.

83 Aubry / rau, p. 373.84 Aubry / rau, p. 376.85 Aubry / rau, p. 366 : “Le patrimoine étant une émanation de la personnalité, les

obligations qui pèsent sur une personne doivent naturellement aussi grever son patri-moine.” Cf. aussi p. 368 : “L’indivisibilité du droit de gage établi par l’art. 2092 conduit à reconnaître que tous les biens faisant partie du patrimoine d’une personne sont indistinctement affectés à l’acquittement de toutes ses obligations, […].” en suisse : Gilliéron (Commentaire), N 19 ad remarques introductives aux art. 1-37.

86 Cf. art. 2284 (anciennement art. 2092) du Code civil français : “Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir.” Cf. aussi art. 2285 (anciennement art.  2093) du même Code : “Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers […]” Cf. en outre art. 2740 al. 1 du Code civil italien : “Il debitore risponde dell’adempimento delle obbligazioni con tutti i suoi bene presenti e futuri.”

87 La théorie subjective est expressément évoquée par spinner, p. 18. Cf. au surplus meier-Hayoz, p. 78, N 153 ; Von Tuhr, p. 320 ss, qui restituent la thèse personnaliste sans toutefois la nommer expressément.

88 Gilliéron (Commentaire), N 21 ad remarques introductives aux art. 1 à 37. 89 Gilliéron (Poursuite), p. 5, N 23.90 meier-Hayoz, p. 78, N 153. 91 Von Tuhr, p. 320.

35Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

Quant au principe de l’unité du patrimoine, bien qu’il ne soit pas ex-primé dans nos codes, il n’en demeure pas moins un principe-clé de l’ordre juridique suisse 92. Selon la doctrine, il trouve une expression dans le concept de succession universelle en matière successorale 93 et commerciale 94 (i.e. en cas de fusion de sociétés). Il constitue surtout le socle du régime suisse de la responsabilité pour dettes. Cette dernière est en effet dite personnelle, générale et illimitée 95, ce qui restitue l’idée d’une responsabilité uniforme sur l’entier du patrimoine. Le principe est sous-jacent à l’art. 197 al. 1 LP, selon lequel tous les biens saisissables du failli, quel que soit le lieu où ils se trouvent, viennent former au moment de la faillite une seule masse desti-née à désintéresser les créanciers 96. Tel qu’il est développé et perçu en droit suisse, le principe de l’unité du patrimoine interdit de diviser le patrimoine ou de distinguer en son sein des masses qui seraient accessibles à des caté-gories différentes de créanciers 97. Il convient de relever que la théorie classique a été fortement critiquée dans la doctrine française en raison de son caractère jugé trop absolu, en particulier en tant qu’elle postule la totale indivisibilité du patrimoine cal-quée sur celle de la personne 98. Il lui a été reproché de ne pas savoir expli-quer le phénomène de certaines masses de biens distinctes du patrimoine général, dont elle relève elle-même l’existence, en se contentant d’y voir de simples anomalies 99. La doctrine française a dès lors cherché à faire évoluer la thèse classique, voire à lui trouver des substituts dogmatiques. Certains ont fait appel dans cette perspective à la doctrine objective du patrimoine que nous verrons ci-après (ci-après 2), tandis que d’autres n’ont pas voulu se résoudre aux extrémités auxquelles cette dernière conduit et prônent

92 eichner, p. 91 s. ; Thévenoz / Dunand, p. 491 s.93 Cf. art. 560 CC : “ 1 Les héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession

dès que celle-ci est ouverte.  2 ils sont saisis des créances et actions, des droits de propriété et autres droits réels, ainsi que des biens qui se trouvaient en la possession du défunt, et ils sont personnellement tenus de ses dettes ; le tout sous réserve des exceptions prévues par la loi.”

94 Cf. art. 181 al. 1 Co : “Celui qui acquiert un patrimoine ou une entreprise avec actif et passif devient responsable des dettes envers les créanciers, dès que l’acquisition a été portée par lui à leur connaissance ou qu’il l’a publiée dans les journaux.”

95 Dunand, p. 29 ; Gilliéron (Commentaire), N 31 ss ad remarques introductives aux art. 1 à 37 ; meier-Hayoz, p. 78, N 153 ; Von Tuhr, pp. 323 et 325.

96 meier-Hayoz, p. 78, N 153 ; steinauer, p. 57, N 87. 97 Thévenoz / Dunand, p. 491 s. ; Von Tuhr, p. 321.98 Cf. notamment Geny, p. 141 ss ; Planiol / ripert, p. 21 s.99 Aubry / rau, p. 338 s. ; Von Tuhr, p. 331.

36 Aude Peyrot

une approche médiane dont les contours semblent toutefois mal définis (ci-après 3). Quoi qu’il en soit, l’on peut retenir que la thèse personnaliste, même largement frappée par la critique, n’en demeure pas moins en l’état la théorie classique en France 100. J. Carbonnier lui reconnaît notamment une certaine valeur didactique, en ce qu’elle permet d’expliquer de façon satisfaisante le droit de gage général des créanciers chirographaires sur le patrimoine du débiteur et le mécanisme de la succession universelle 101.

2. La théorie objective du patrimoine

La théorie objective du patrimoine, désignée sous le nom de “Zweckvermö-genstheorie” ou “théorie des patrimoines à but” 102 est traditionnellement attribuée à une partie de la doctrine pandectiste allemande 103. Elle a vu le jour dans le cadre du débat sur la personnalité morale qui a animé la doctrine allemande au XIXe siècle 104 et a servi par la suite à véhiculer une certaine variété d’idées 105. Vu la complexité de ses origines et la diversité de ses applications, il serait tout à fait illusoire d’envisager de la restituer de façon précise dans le cadre de cette étude. Notre seul but est de relever très brièvement son existence en la présentant dans ses grandes lignes, telles que décrites par la doctrine contemporaine. Dans la conception “objective”, la notion de patrimoine n’est pas expli-quée par son rattachement à une personne, mais par son affectation à un certain but. Cette dernière lie les divers éléments patrimoniaux entre eux et leur donne leur cohésion106. L’accent n’est donc pas mis sur la personna-lité, mais sur la finalité. La théorie objective revient ainsi à désolidariser le patrimoine de la personnalité : celui-ci se conçoit comme une masse de biens qui se justifie avant tout par son but. Poussée à l’extrême, la doctrine objective aboutit au résultat abrupt de l’existence possible de patrimoines

100 Comme le relève Cohet-Cordey, p. 819 s.101 Carbonnier (1969), p. 14.102 sur la théorie des patrimoines à but, cf. en particulier Bellivier, pp. 165-177. 103 mallet-Bricout, p. 326 ; Thomat-raynaud, p. 7.104 Cette théorie a été soutenue par certains pandectistes allemands pour contester l’uti-

lité de la théorie de la fiction et de la personnalité morale. Cf. Bellivier, p. 167 ; Dawe, p. 7.

105 en France, elle a été reprise et discutée dans des thèses consacrées diversement à la personnalité juridique. Cf. notamment saleilles.

106 Cohet-Cordey, p. 820 ; D. Piotet (Pluralité de patrimoines), p. 565.

37Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

sans titulaire 107. Ce déplacement du centre de gravité du sujet vers l’objet a des conséquences directes sur la divisibilité du patrimoine : il n’est plus perçu comme un tout indivisible. Au contraire, une personne peut détenir plusieurs patrimoines affectés à des fins différentes. Cette conception, en tant qu’elle postule l’existence de choses sans maître (res nullius) ne s’est jamais imposée ni en France, ni en Suisse. Même si elle présente l’intérêt de proposer une explication dogmatique ra-tionnelle à l’existence de masses distinctes au sein d’un même patrimoine, sa compatibilité avec les droits français et suisse est mise en doute 108. M. Planiol et G. Ripert résument l’intérêt et les défauts de cette théorie comme suit : “[…] la théorie du patrimoine sans maître est en elle-même aussi abstraite que la théorie classique ; elle ne peut expliquer pourquoi le droit peut considérer les biens indépendamment de ceux qui les possèdent et elle apparaît comme une construction purement technique. Certes, elle a habitué les esprits à séparer les deux concepts de patrimoine et de person-nalité et par là même permis de concevoir comment une personne pour-rait avoir plusieurs patrimoines et comment chacun de ces patrimoines pourrait être transmis séparément. Mais l’idée du patrimoine d’affectation est parfaitement conciliable avec les conceptions traditionnelles du droit français ; c’est vers elle qu’il s’oriente et doit s’orienter, et l’interprète peut trouver là de précieuses indications.” 109 Relevons néanmoins que la théorie du patrimoine sans maître n’est pas restée un pur exercice de style. Elle a trouvé certaines applications dans la doctrine et même dans la législation québécoise. Nous y reviendrons plus loin 110.

3. La notion de patrimoine d’affectation

De ces discussions complexes sur la nature du patrimoine a émergé une notion particulière qui est celle du “patrimoine d’affectation”. Cette notion

107 une telle conclusion est notamment attribuée à Brinz. Cf. à cet égard Lehmann / Hübner : “Nach Brinz gehören die Rechte bei der juristischen Person in Wahrheit nie-mandem ; sie sind nur für einen Zweck bestimmt. Es handelt sich um Zweckgebunden-heiten, Zweckvermögen.” sur ce thème, reprenant les pandectistes allemands, cf. aussi Lepaulle (Traité), p. 34 ss.

108 Barrière, pp. 344 et 346 ; Planiol / ripert, p. 26 ; Thévenoz (Cendrillon), p. 328.109 Planiol / ripert, p. 27.110 Cf. infra p. 51.

38 Aude Peyrot

se rencontre fréquemment dans la littérature juridique française, mais ne semble pas être définie ni même entendue de façon uniforme. Elle est tan-tôt employée en lien avec la théorie du patrimoine sans maître et désigne tantôt un patrimoine certes affecté à un but mais néanmoins rattaché à un titulaire. Cette ambiguïté est exprimée par F. Barrière : “Certes, le patri-moine affecté, au sens strict, a comme particularité d’exister indépendam-ment de tout lien avec quelque personne que ce soit. Une masse affectée à un but permet à elle seule de créer ipso facto un patrimoine. Toutefois, le titulaire d’un droit est classiquement un sujet de droit, personne ayant la capacité de détenir des droits. La personne est ainsi support du droit. Elle est donc aussi appelée titulaire.” 111 Il semble dès lors exister un certain flottement dans l’emploi dudit vocable, auquel il convient d’être attentif dans une perspective de droit comparé, surtout lorsqu’il s’agit d’appliquer le concept à une institution étrangère, telle que le trust. Quoi qu’il en soit, la doctrine française semble communément en-tendre la notion de patrimoine d’affectation comme une masse de biens distincte du patrimoine général et affectée à un certain but, mais néan-moins sujette à la propriété du titulaire. Le lien avec le sujet de droit est maintenu, dans la mesure où la figure du patrimoine sans maître n’est pas jugée compatible avec les fondements juridiques français 112. C’est ainsi plutôt vers une version subjective du patrimoine d’affectation que la doc-trine française tend à se diriger 113. Ce que certains appellent la “théorie du patrimoine d’affectation” serait ainsi une forme atténuée ou adoucie de la théorie allemande des patrimoines à but 114. Par la mise en lumière d’une telle notion, la doctrine cherche à justifier l’existence de masses séparées telles qu’elles existaient déjà ou ont été récemment introduites en droit français (sous la forme notamment de l’entreprise individuelle à responsa-bilité limitée 115 ou de la fiducie 116). Ainsi défini, le patrimoine d’affectation

111 Barrière, p. 345.112 Cf. notamment mallet-Bricout, p. 302 : “Pour le législateur français et la majorité

des auteurs, notre conception du patrimoine est en lien direct et nécessaire avec la propriété : un patrimoine ne saurait en effet se concevoir sans un propriétaire à sa tête.”

113 Planiol / ripert, p. 27. Cf. leur propos reproduit supra p. 37.114 Bellivier, p. 177 ; Thomat-raynaud, p. 7.115 Cf. Loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité

limitée.116 Cf. Loi n° 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie, dont les règles ont été

incorporées dans le Code civil français (cf. art. 2011 à 2030). selon mallet-Bricout,

39Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

se rapproche de la notion de patrimoine séparé du droit suisse, que nous verrons ci-après.

c. Les patrimoines séparés en droit suisse

1. Notion

Le concept de patrimoine “séparé” ou “spécial” (Sondervermögen, patri-monio separato) a relativement peu occupé la doctrine suisse 117, présentant apparemment à ses yeux un intérêt marginal. Elle a néanmoins fait l’objet d’une attention renouvelée depuis les discussions sur la reconnaissance des trusts étrangers 118. La notion est définie de façon identique par les quelques auteurs qui s’y sont arrêtés. Selon P.-H. Steinauer, un patrimoine séparé constitue un “ensemble de droits pécuniaires, détachés du patrimoine général d’une personne et soumis à un régime juridique particulier” 119. Selon A. Meier-Hayoz, “Sondervermögen liegt vor, wo die Rechtsordnung zulässt oder ge-radezu anordnet, dass Rechte zu einem bestimmten Zweck vom allgemei-nen Vermögen ausgeschieden und in gewisser Hinsicht besonders behandelt werden.” 120 Pour H. Rey, “Ein Sondervermögen umfasst Rechte, die zu einem bestimmten Zweck vom allgemeinen Vermögen einer Person ausgeschieden und in gewisser Hinsicht besonders behandelt werden.” 121 Les patrimoines spéciaux du droit suisse présentent ainsi la double caractéristique d’être soumis à un régime juridique distinct du patrimoine général et d’être af-fectés à une finalité particulière. Ce régime légal distinct peut avoir trait à des aspects plus ou moins variés et variables selon les cas, de sorte qu’il est difficile de définir le phénomène de façon plus précise ou uniforme. La

p. 302 : “on sait en effet que l’objectif de l’introduction de la fiducie en droit français est avant tout de permettre la mise en place d’une patrimoine ‘séparé’, la possibilité pour une même personne d’être titulaire de plusieurs patrimoines.”

117 D. staehelin (Sondervermögen), p. 89. 118 sur le sujet, cf. D. Piotet (Pluralité de patrimoines) ; D. staehelin (Sondervermögen) ;

Thévenoz (Patrimoines fiduciaires).119 steinauer, p. 57, N 88 ; Thévenoz (Patrimoines fiduciaires), p. 346 : “Chaque juriste

sait que notre ordre juridique reconnaît néanmoins certaines masses patrimoniales particulières qui sont, dans une mesure plus ou moins grande, soumises à un régime juridique distinct du patrimoine général de son propriétaire.”

120 meier-Hayoz, p. 79, N 156. 121 rey, p. 38, N 135.

40 Aude Peyrot

différenciation peut notamment s’opérer sur la base de l’un ou plusieurs des critères suivants : l’administration du patrimoine, la jouissance de son bénéfice économique, la transmissibilité du patrimoine dans le cadre suc-cessoral ou la question de la responsabilité pour dettes 122. Relevons encore que les patrimoines séparés présentent des caracté-ristiques communes, telles que la subrogation patrimoniale, l’absence de confusion entre les obligations incombant à chacune des masses en mains du sujet de droit ou encore le système de récompenses opérant entre ces diverses masses 123. Ces caractéristiques s’entendent comme suit. Primo, chaque masse comporte ses propres actifs. En cas d’aliénation d’un ac-tif appartenant au patrimoine spécial, le nouveau bien acquis en remploi ou le produit de réalisation du bien aliéné vient se substituer au sein de cette même masse, sans que l’autre masse ne soit touchée. Secundo, chaque masse assume en principe ses propres passifs. Les obligations de l’une ne sont pas les obligations de l’autre et ne se confondent pas. Cette situation se distingue donc de celle prévue à l’art. 118 al. 1 CO, lequel pose le prin-cipe de l’extinction d’une obligation par confusion lorsque les qualités de créancier et de débiteur se trouvent réunies dans la même personne. Cette disposition vise les obligations qui sont imputables à une même masse, et non à celles qui incombent à des fonds distincts. Tertio, même si chacune des masses supporte ses propres passifs, il n’est pas exclu que l’une soit amenée à prendre en charge des dettes incombant à l’autre. Dans un tel cas, la masse qui a subi la sortie de fonds doit en principe être compensée par celle qui en a bénéficié. L’une des caractéristiques les plus fondamentales de la notion de pa-trimoine séparé est sa désolidarisation du patrimoine général en matière de responsabilité pour dettes. Celle-ci se manifeste à un double égard : né-gativement, le patrimoine spécial ne répond pas des dettes qui grèvent le patrimoine général ; positivement, il ne répond (directement ou indirec-tement) que des dettes qui sont à sa charge, c’est-à-dire des dettes qui ont été contractées de façon régulière et dans son intérêt 124. L’on relèvera au surplus que le fonds séparé assume une responsabilité patrimoniale in-

122 meier-Hayoz, p. 79, N 156 ; D. Piotet (Pluralité de patrimoines), p. 562.123 D. Piotet (Pluralité de patrimoines), p. 570 ss ; Thévenoz (Patrimoines fiduciaires),

p. 353 s.124 Dans ce sens, cf. meier-Hayoz, p. 79, N 156 : “Die Gläubiger des Hauptvermögens ha-

ben unter Umständen keinen oder nur einen subsidiären Anspruch auf Befriedigung aus dem Sondervermögen.”

41Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

directe lorsque les dettes sont prises en charge par le patrimoine général du titulaire, lequel dispose ensuite – conformément au principe exposé ci-dessus – d’un droit de remboursement sur le patrimoine spécial. C’est no-tamment ce qui se produit en matière de fonds de placement contractuels, dont nous verrons qu’ils constituent le meilleur exemple de patrimoine séparé en droit suisse 125.

2. illustrations

Conformément à la définition de la doctrine suisse, les patrimoines sé-parés sont des masses qui se distinguent du patrimoine général par leur régime juridique. Cette définition large permet d’englober toute une série d’institutions, qui présentent, comme on l’a vu, des caractéristiques va-riables. La doctrine relève notamment l’existence de divers patrimoines séparés en droit matrimonial et en droit successoral (par ex. la succession en cas de liquidation officielle) 126. De tels patrimoines sont aussi présents en droit commercial, à l’instar des sociétés en nom collectif ou en com-mandite, des fonds de placement contractuels ou des opérations fiduciaires des banques 127. L’on mentionnera également le cas de la masse en faillite 128, dont les biens demeurent formellement la propriété du débiteur (bien que ce dernier n’en ait plus la disposition 129) elle-même étant destinée à satis-faire les créances produites dans la faillite et les dettes de la masse, à l’ex-clusion des autres créances dirigées contre le débiteur. Nous illustrerons, pour notre part, la problématique des patrimoines séparés par la mise en parallèle de deux institutions juridiques du droit suisse. Nous examinerons successivement le régime des biens dans la fi-ducie de droit commun (ci-après a), ainsi que les fonds de placement contractuels (ci-après b). Relevons d’emblée que les premiers ne sont pas (suffi samment) distincts du patrimoine du titulaire pour être qualifiés de patrimoine séparé, tandis que les seconds en constituent au contraire une forme particulièrement aboutie. Cette mise en perspective permet de mieux comprendre ce qui fait l’essence du patrimoine spécial.

125 Cf. infra p. 46 ss. 126 D. Piotet (Pluralité de patrimoines), p. 567 ; D. staehelin (Sondervermögen), p. 92 ;

steinauer, p. 57, N 88 ; Thévenoz (Patrimoines fiduciaires), p. 351.127 Thévenoz (Patrimoines fiduciaires), p. 352.128 Thévenoz (Patrimoines fiduciaires), p. 351. 129 Art. 204 à 207 LP.

42 Aude Peyrot

a. La fiducie de droit commun

Admise et développée par le droit prétorien dès le début du XXe siècle 130, la fiducie se définit en droit suisse comme le contrat par lequel une per-sonne (le fiduciant) confère à une autre (le fiduciaire) la pleine titularité d’un droit, le fiduciaire étant contractuellement tenu d’en user confor-mément aux indications du fiduciant et de le retransférer dans certaines conditions 131. La jurisprudence a conçu l’institution comme la combinai-son de deux actes juridiques, à savoir (1) un acte translatif de propriété par lequel le fiduciant transfère au fiduciaire le droit de propriété sur une chose ou la titularité d’une créance et (2) une convention de fiducie (pactum fidu-ciae) déterminant inter partes les obligations du fiduciaire 132. L’acte translatif de propriété a été fondé sur la théorie du transfert in-tégral des droits (Vollrechtstheorie), de sorte qu’il entraîne un transfert ab-solu et complet du droit de propriété vers le fiduciaire. Ce dernier est donc le plein propriétaire ou titulaire des droits patrimoniaux qui lui sont trans-férés, non seulement à l’égard du monde extérieur, mais aussi à l’encontre du fiduciant lui-même, lequel est dépossédé de toute prérogative réelle sur ceux-ci. Corollairement, le fiduciant (ou, le cas échéant, le bénéficiaire de la fiducie) ne dispose que de droits personnels à l’endroit du fiduciaire issus du pactum fiduciae. L’on relèvera que la Vollrechtstheorie a été retenue par le Tribunal fédéral au détriment d’une théorie concurrente consistant à reconnaître au fiduciaire la qualité de propriétaire à l’égard des tiers mais non à l’égard du fiduciant, ce qui aurait conduit à faire coexister une pro-priété “externe” du fiduciaire et une propriété “interne” du fiduciant 133. Au lieu de cela, le droit suisse reconnaît au fiduciaire un titre de propriété total et indivis assorti d’obligations de nature personnelle à l’égard du fiduciant (ou des bénéficiaires de la fiducie). La responsabilité pour dettes dans la fiducie ordinaire est fondamen-talement gouvernée par le principe de l’unité du patrimoine, dont on rap-

130 L’on fait généralement remonter l’acte de la naissance de la fiducie à la décision Grüring-Dutoit c/ Kappeler de 1905, publiée à l’ATF 31 ii 105.

131 ATF 71 ii 99, JT 1945 i 472, cons. 2. Cf. aussi la définition de reymond (Acte fidu-ciaire), p. 7.

132 Dunand, p. 18 s. ; rapp, p. 27 ; reymond (Acte fiduciaire), p. 22. 133 ATF 31 ii 105, cons. 3 ; Gubler, p. 260a ; Thévenoz (Cendrillon), p. 265. L’absence de

division de la propriété en droit suisse a également été relevée dans l’arrêt Harrison c/ Crédit suisse, publié à l’ATF 96 ii 79, JT 1971 i 329, cons. 7a.

43Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

pellera qu’il constitue un principe-clé dans l’exécution forcée 134. Appliquée strictement, l’unité du patrimoine implique que les biens en fiducie (i.e. les biens reçus du fiduciant ou ceux acquis ultérieurement dans le cadre de l’activité fiduciaire) intègrent pleinement le patrimoine du fiduciaire et partagent le même régime juridique. Autrement dit, en cas d’insolvabilité du fiduciaire, les biens de la fiducie sont en principe solidaires du patri-moine général du fiduciaire. Ils sont attraits dans sa masse en faillite, et peuvent être amenés à désintéresser ses créanciers personnels 135. Cette solution a été louée par certains auteurs et critiquée par d’autres. Ceux qui la soutiennent font valoir qu’il appartient au fiduciant d’assu-mer tant les avantages que les inconvénients de la fiducie : s’il entend tirer parti de la détention juridique de ses biens par l’intermédiaire d’autrui, il doit aussi accepter le risque qu’ils soient sujets à la responsabilité patrimo-niale du fiduciaire 136. Cette approche procède toutefois selon L. Thévenoz d’une “volonté proprement moralisatrice” et ne serait actuellement plus de mise 137. Egalement à l’appui de la solution précitée, il a été avancé que le gage des créanciers généraux ne doit pas seulement porter sur ce qui appartient véritablement au débiteur, mais également sur ce qui semble lui appartenir d’un point de vue externe 138. Nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement sur cet argument qui fait appel au principe de publicité 139. Parmi les auteurs qui fustigent l’approche précitée, L. Thévenoz fait valoir qu’il serait indu de désintéresser les créanciers privés du fiduciaire au moyen de biens qui appartiennent économiquement à autrui. Il relève à cet égard que l’opération fiduciaire est “à somme nulle” pour la fortune du fiduciaire, puisque que les actifs intègrent certes son patrimoine, mais qu’il est simultanément grevé d’une dette de valeur égale, consistant dans

134 sur la théorie classique du patrimoine, cf. supra p. 32 ss.135 Dunand, p. 29 ; Thévenoz / Dunand, p. 492.136 Cf. notamment Haab [et al.], N 23 ad art. 641 CC ; Gilliéron, note au JT 1986 ii,

pp. 12-13 ; Von Tuhr / Peter, p. 205 s.137 Thévenoz (Cendrillon), p. 324. 138 Cf. notamment Handschin / Hunkeler, N 71 ad art. 197 LP ; Jaeger, N 25 ad art. 197

LP (5e tiret) : “Unser Gesetz, so findet sie, versteht unter ‘Konkursvermögen’ alles, was nach außen, für Dritte, als Eigentum des Konkursiten auftritt. Wollte man einer pri-vaten Abmachung, dass nach ‘innen’, d.h. lediglich im Verhältnis des Konkursiten zur andern Vertragspartei und in ihrem Interesse, dieses ‘äußere’ Eigentumsverhältnis seiner Wirkungen entkleidet werden könne, Geltung im Konkursverfahren gegen die Konkurs-gläubiger beimessen, so würde für diese bald nicht mehr viel zu verteilen übrigbleiben.”

139 sur cette question, cf. infra chapitre 3, p. 81 ss.

44 Aude Peyrot

l’obligation de restituer les biens au terme du contrat de fiducie. L’auteur conclut que l’opération fiduciaire ne devrait corollairement ni enrichir ni appauvrir les créanciers du fiduciaire 140. Quoi qu’il en soit, le régime strict de l’unité du patrimoine en ma-tière de fiducie a fait l’objet d’un assouplissement jurisprudentiel dès les années 70. L’arrêt de principe a été rendu dans l'affaire Feras Anstalt c/ Banque Vallugano de 1973 141, où le Tribunal fédéral a pour la première fois octroyé un droit de ségrégation au fiduciant dans la faillite du fiduciaire. In casu, les parties avaient conclu un contrat fiduciaire, par lequel la Banque s’engageait à placer à l’étranger des fonds déposés par la Feras Anstalt, en son propre nom mais pour le compte (i.e. aux risques et profits) de sa cliente. Des contrats identiques avaient été passés avec d’autres clients. Les fonds étaient crédités sur des comptes spéciaux et comptabilisés hors bi-lan. La Banque fit par la suite l’objet d’un concordat par abandon d’actifs. La question était donc de savoir si les comptes fiduciaires des clients de la banque devaient être inclus dans la masse concordataire. En l’espèce, le Tribunal fédéral a répondu par la négative, nonobstant le principe exposé ci-dessus selon lequel les biens remis en fiducie devraient suivre le sort des biens propres dans l’insolvabilité du fiduciaire. Pour parvenir à ce résultat, notre haute Cour a étendu à la fiducie ordinaire le bénéfice de l’art. 401 CO, qui régit initialement le mandat par représentation indirecte. Le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre le man-dat par représentation indirecte et la fiducie, celle-ci “déployant entre les parties les effets d’un mandat” 142. Il a ainsi appliqué au rapport de fiducie l’art. 401 al. 2 et 3 CO, dont on rappellera qu’il confère au mandant la possi-bilité de revendiquer dans la faillite du mandataire certains types de biens que ce dernier a acquis en son propre nom mais pour le compte du man-dant. Depuis cette décision, il est admis que le fiduciant peut réclamer dans l’exécution forcée contre le fiduciaire certains biens qu’il a acquis pour son compte, mais dans les limites exposées ci-après. Ce droit de distraction est soumis à de strictes conditions qui limitent sa portée et son intérêt 143. Primo, à teneur du texte de l’art. 401 al. 2 et 3 CO, il ne couvre que les actifs reçus de tiers pour le compte du fiduciant, à l’ex-

140 Thévenoz (Cendrillon), p. 291.141 ATF 99 ii 393, JT 1974 i 588.142 ATF 99 ii 393, JT 1974 i 588, cons. 6.143 Pour une critique de ces limitations, cf. Honsell, p. 73 ss.

45Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

clusion des biens que ce dernier a initialement transférés au fiduciaire 144. Secundo, il ne porte que sur les droits patrimoniaux consistant en une créance ou un bien meuble, à l’exclusion des immeubles. Tertio, sa mise en œuvre suppose que les avoirs fiduciaires soient individualisables, voire individualisés 145, ce qui implique une comptabilisation et/ou une déten-tion séparée de ces biens. Enfin, la distraction n’intervient pas d’office 146, mais requiert au contraire une revendication expresse du fiduciant au sens des art. 106 ss LP dans la saisie, respectivement 242 LP dans la faillite. Ces strictes et diverses limitations empêchent les avoirs fiduciaires de constituer un patrimoine séparé 147. Les avoirs sont certes séparables mais dans une mesure trop limitée et à des conditions trop onéreuses. Dès lors, même si elle bénéficie de certaines dérogations, la fiducie reste fondamentalement soumise au principe de l’unité du patrimoine. Au sur-plus, ce droit de distraction reste fragile car tributaire de la jurisprudence, même si une remise en question des acquis jurisprudentiels paraît peu vraisemblable 148. L’on relèvera incidemment que le projet de codifier la fi-ducie ordinaire et d’améliorer son régime juridique a été envisagé par les autorités suisses simultanément à la ratification de la Convention de La Haye 149. Elles ont toute fois renoncé à procéder dans ce sens, considérant d’une part qu’une telle codification n’était pas nécessairement souhaitable et d’autre part qu’elle était de nature à retarder inutilement la ratification de la Convention 150. Relevons néanmoins que, dans le sillage de la jurisprudence Vallugano, le législateur suisse a institué dans la loi fédérale sur les banques, une dé-rogation expresse au principe de l’unité du patrimoine en faveur des opé-rations fiduciaires des banques. Ces opérations, en tant qu’elles permettent

144 Cette limitation est très disputée en doctrine. Cf. à cet égard Hofstetter, p. 125 s. ; Honsell, p. 73 s. ; oberhammer / schwaighofer, p. 326 s. ; Watter, p. 223. elle a néanmoins été confirmée à l’ATF 117 ii 429, JT 1994 ii 2.

145 Cette exigence a notamment été posée à l’ATF 102 ii 103 (fr.) pour les sommes d’argent.

146 sur cette notion, cf. infra p. 66 s. 147 rapp, p. 27 s. ; Thévenoz (Trusts), p. 144 ; idem (Cendrillon), p. 291.148 une telle remise en question a été amorcée dans un obiter dictum du Tribunal fédéral

à l’ATF 117 ii 429, JT 1994 ii 2, cons. 3a, pour être ensuite abandonnée dans l’arrêt du TF 5C.95/1999 du 10 septembre 1999. Cf. aussi dans ce sens ATF 130 iii 312, JT 2005 i 260, cons. 5.1.

149 Cf. Thévenoz (Trusts), p. 141 ss. 150 message (Trusts), p. 593.

46 Aude Peyrot

à la banque de détenir et de gérer des valeurs en son propre nom pour le compte de ses clients, reposent sur un contrat fiduciaire. Les plus connues parmi celles-ci sont les placements fiduciaires, par lesquels la banque s’en-gage à investir des fonds sur le marché international des capitaux, en son nom mais aux risques et profits de ses clients. L’avantage bilatéral de l’opé-ration consiste à ouvrir aux clients un marché qui ne leur serait pas acces-sible à défaut et de permettre à la banque de procéder à des investissements sans exigences de fonds propres, puisqu’ils ne sont pas opérés pour son propre compte. L’art. 37d LB (anciennement art. 37b LB) cum art. 16 ch. 2 LB prévoient in casu la distraction d’office des valeurs (choses mobilières, titres, créances) que la banque détient à titre fiduciaire pour le compte des clients déposants, en cas de faillite de la banque 151. Autrement dit, la loi instaure ici une exception à la mise en œuvre de l’exécution forcée sur la base du critère de l’appartenance juridique. Les valeurs détenues à titre fiduciaire, qui appartiennent formellement à la banque mais économique-ment aux clients investisseurs, sont exclues de la masse en faillite de la banque et sont par conséquent soustraites à la mainmise de ses créanciers personnels. Cette dérogation se justifie par le besoin de protection des in-vestisseurs et en raison du fait que les établissements bancaires sont sou-mis à une surveillance prudentielle stricte.

b. Les fonds de placement contractuels

La doctrine spécialisée relève qu’au moment d’introduire les fonds de pla-cement contractuels dans le droit suisse en 1966, le législateur choisit de les faire reposer sur une structure fiduciaire 152. Ce choix, dont la loi ne fait pas expressément état, ne fut plus remis en cause par la suite, ni dans la révision de 1994, ni dans la loi sur les placements collectifs de capitaux (LPCC) qui lui succéda en 2007. La direction est ainsi la pleine titulaire des valeurs patrimoniales du fonds, mais à titre fiduciaire pour le compte des investisseurs. Conformément à ce qui se produit dans la fiducie ordinaire,

151 Bertschinger, p. 432, à propos de l’ancien art. 37b LB ; Hess, N 2 et N 17 ad art. 37d LB ; schwob / müller, N 3 ad art. 37d LB (mise à jour septembre 2010). sur la notion de distraction d’office, cf. infra p. 66 s.

152 Cf. notamment Dunand, p. 15 ; Thévenoz (Cendrillon), p. 281. La structure fiduciaire a notamment été préférée à un régime de copropriété entre la direction du fonds et les porteurs de parts.

47Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

les porteurs de parts sont dépourvus de tout droit réel sur la fortune du fonds ; ils ne détiennent au contraire que des droits personnels à l’encontre de la direction. Sans aménagement législatif particulier, les valeurs du fonds auraient été soumises – à l’instar de ce qui se produit dans la fiducie ordinaire – au principe de l’unité du patrimoine, avec le risque d’être appelées à ré-pondre des dettes personnelles de la direction, de façon solidaire avec le patrimoine général de celle-ci 153. Pour éviter cet écueil, le législateur intro-duisit expressément dans la LFP de 1966, puis dans la LPCC, un droit de distraction en faveur des porteurs de parts (cf. art. 16 al. 1 aLFP et art. 35 LPCC). Celui-ci est conçu largement. En premier lieu, il constitue un droit de distraction d’office (Absonderung). La distraction d’office signifie que les actifs concernés sont automatiquement ségrégués par l’administration de la faillite, indépendamment d’une requête dans ce sens 154. Elle se dis-tingue à cet égard du droit de revendication classique (Aussonderung) qui n’opère par définition que sur requête de l’intéressé et selon des modalités spécifiques. En sus d’être automatique, ce droit de distraction s’applique à l’ensemble des actifs fiduciaires. A la différence du droit de revendication, octroyé à la fiducie ordinaire par la jurisprudence Vallugano, ce privilège englobe toutes les valeurs patrimoniales (créances, meubles, immeubles, espèces) sans distinction du fait qu’elles aient été reçues initialement des fiduciants (in casu les investisseurs) ou acquises subséquemment pour leur compte. Notons au surplus que cette distraction est facilitée par le régime de détention séparée imposé par la loi : la fortune collective est conservée séparément auprès d’une banque dépositaire (cf. art. 19 al. 1 aLFP, art. 73 al. 1 LPCC) et la direction du fonds est contrainte de tenir une compatibi-lité distincte (art. 87 LPCC). Quant au régime des passifs, il est organisé de la façon suivante. Les en-gagements pris dans l’intérêt du fonds incombent à la direction, laquelle en répond à l’égard des tiers sur sa fortune personnelle. La direction dispose toutefois du droit d’être libérée de ces engagements s’ils ont été contractés dans l’accomplissement régulier de ses tâches, et d’être remboursée des frais encourus au titre de leur exécution (cf. art. 33 al. 1 lit. b et c LPCC). Ce remboursement s’effectue par un débit opéré sur les valeurs du fonds

153 Ce d’autant plus que l’arrêt Vallugano (cf. supra p. 44, note 141) datant de 1973 n’avait pas encore été rendu au moment de l’introduction des fonds de placement contrac-tuels en droit suisse.

48 Aude Peyrot

(cf. art. 33 al. 2 LPCC). Le système, tel qu’il est prévu par la loi, fait ainsi peser sur la direction une responsabilité primaire à l’égard des tiers pour les dettes contractées même régulièrement dans la gestion du fonds 155. Il ressort de ces considérations que les fonds de placement contractuels représentent une forme “spéciale” de fiducie qui se distingue de la fiducie de droit commun à divers égards, mais surtout par le fait que les valeurs du fonds sont en principe strictement ségréguées des avoirs personnels de la direction, notamment en cas d’insolvabilité de cette dernière. La doc-trine voit dans le régime juridique auquel la fortune du fonds est soumise [i.e. la détention séparée de ses valeurs, le régime distinct de responsabi-lité pour dettes, l’absence de compensation possible entre les créances du fonds et les dettes de la direction ne découlant pas du contrat du fonds de placement 156, ainsi que la subrogation réelle] les traits d’un véritable patri-moine séparé 157. Ce patrimoine serait par ailleurs affecté, en ce sens qu’il sert spécifiquement et uniquement au placement de valeurs dans l’intérêt des porteurs de parts 158. T. Mayer indique à cet égard que les fonds de placement contractuels des art. 25 ss LPCC peuvent être qualifiés de trusts au sens de la Convention de La Haye 159. Précisons encore qu’un tel droit de distraction d’office vaut également pour les portefeuilles collectifs internes des banques. Cette appellation dé-signe les portefeuilles constitués par les banques et les négociants en va-leurs mobilières aux fins de gérer en commun les avoirs de leurs clients (cf. art. 4 LPCC). Ils se distinguent des placements collectifs de capitaux par le fait qu’ils ne sont offerts qu’aux clients existants de la banque, laquelle

154 A propos de l’art. 16 aLFP, cf. message (révision LFP), p. 239 : “Les articles 17 LFP et 16 Prj. LFo sont identiques pour ce qui touche au fond. Par souci de conformité à la doctrine et à la pratique, on a remplacé dans la version allemande le terme de ‘Ausson-derung’ par celui de ‘Absonderung’, qui répond mieux aux intérêts des investisseurs du fait que leurs prétentions sont d’office distraits de la masse en cas de faillite. ils n’ont donc pas à intenter d’action individuelle, comme sous le régime de l’ ‘Aussonderung’.” Cf. aussi Bertschinger, p. 432 ; Thévenoz / Dunand, p. 501 s.

155 Thévenoz (Patrimoines fiduciaires), p. 360, propose dans le prolongement du texte légal de reconnaître aux créanciers dont la créance est issue du contrat de fonds de placement la possibilité de se désintéresser sur les avoirs du fonds.

156 Cf. art. 35 al. 2 LPCC.157 Guillaume (incompatibilité), p. 34 ; D. Piotet (Pluralité de patrimoines), p. 569 ;

D. staehelin (Sondervermögen), p. 94 ; Thévenoz (Cendrillon), p. 281 et p. 315.158 Thévenoz (Cendrillon), p. 281.159 mayer (IPRG-Bestimmungen), p. 14 s.

49Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

ne peut procéder à aucune publicité ou appel au public 160 et qu’ils ne sont, pour ce motif, pas soumis à autorisation. Ces portefeuilles collectifs sont exclus du champ de la LPCC à des conditions prédéfinies (cf. art. 4 al. 1 LPCC). La LPCC ne s’applique en fin de compte que pour leur conférer, à son art. 4 al. 3, un droit de distraction sur les avoirs et les droits liés au portefeuille collectif interne, qui prévaut dans la faillite de la banque ou du négociant en valeurs mobilières.

3. L’utilité d’une systématisation

A ce jour, la doctrine a relevé la présence de divers patrimoines spéciaux en droit suisse, en offrant un début de classification. Comme certains auteurs l’ont déjà observé, il n’existe toutefois pas, en l’état, de véritable théorie des patrimoines séparés 161. L’ordre juridique suisse semble être demeuré en marge des discussions doctrinales sur la nature du patrimoine. Il a admis le concept de patrimoine séparé sans véritable débat d’idées sur le fond 162. L’on pourrait y voir deux raisons. D’abord, comme indiqué plus haut, la Suisse n’a pas embrassé la théorie personnaliste et le principe de l’indivisibilité patrimoniale avec autant d’ardeur qu’en France. Il est donc probable que la prémisse subjective n’ait pas été suffisamment solide et tan-gible pour être sérieusement disputée. Par ailleurs, il n’est pas exclu que le débat ait manqué d’occasion pour éclore. Notamment, l’entorse à l’unité du patrimoine impliquée par le régime juridique spécial accordé aux fonds de placements contractuels et aux opérations fiduciaires des banques n’a pas soulevé d’émoi particulier, car indiscutablement justifiée par le besoin de protection des investisseurs, outre le fait que tant les fonds de place-ment contractuels que les banques sont soumis à autorisation ou à une surveillance stricte. La récente reconnaissance des trusts en Suisse a néanmoins révélé un certain intérêt à la conceptualisation de la notion de patrimoine séparé,

160 Communication FiNmA 16 (2010) du 1er décembre 2010 sur les placements collectifs de capitaux, p. 5.

161 D. Piotet (Pluralité de patrimoines), p. 566 ; Thévenoz (Patrimoines fiduciaires), p. 350.

162 La doctrine les présente en tant qu’universalité juridique, à côté de la notion de patrimoine général, sans que ces concepts ne soient confrontés. Cf.  notamment steinauer, p. 56 s.

50 Aude Peyrot

notamment quant à leur place dans notre ordre juridique. Cet intérêt pourrait croître si la fiducie suisse ordinaire devait être codifiée et recevoir les traits d’un véritable patrimoine séparé apte à concurrencer le trust de common law, comme certains l’appellent de leur vœux 163. Dans ce cas, le phénomène de ségrégation des patrimoines gagnerait en importance, de sorte à requérir éventuellement une assise conceptuelle. Il y aurait notam-ment lieu d’identifier ce qui lie les divers éléments du patrimoine entre eux et leur confère leur cohésion. De tels considérations – aussi intéressantes soient-elle – dépassent toutefois de beaucoup le cadre de notre propos, dont le but se limite à examiner la façon dont le trust anglo-saxon doit être trans-crit dans la logique civiliste, ce dont il sera question au point suivant.

III. La transposition civiliste du régime des biens en trust

A. La théorie du patrimoine sans maître

Le juriste français P. Lepaulle marqua les esprits en traduisant l’insti-tution du trust comme un patrimoine sans maître. Dans son traité théo-rique et pratique des trusts de 1932, il conçut en effet le trust comme un patrimoine existant indépendamment de toute personne, que ce soit du settlor, des bénéficiaires et même du trustee. Le trust serait, selon lui, une “institution juridique qui consiste en un patrimoine indépendant de tout sujet de droit et dont l’unité est constituée par une affectation qui est libre dans les limites des lois en vigueur et de l’ordre public” 164. Pour justifier cette large entorse à la théorie personnaliste, il fit valoir un triple argu-ment. Premièrement, le droit anglo-saxon n’aurait jamais songé à unir les notions de patrimoine et de personnalité. Deuxièmement, la dissociation serait un fait presque accompli dans la doctrine française. Troisièmement, le droit positif français connaîtrait divers patrimoines ne s’expliquant que par la notion de patrimoine affecté 165.

163 Cf. surtout la proposition de L. Thévenoz de codifier la fiducie, présentée dans son ouvrage “Trusts en suisse : Adhésion à la Convention de La Haye sur les trusts et co-dification de la fiducie”, schulthess (Zurich) 2001. Cf. aussi Chappuis, p. 34.

164 Lepaulle (Traité), p. 31.165 Lepaulle (Traité), p. 32.

51Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

La théorie de P. Lepaulle fut toutefois, et reste encore, fortement cri-tiquée par la doctrine anglo-américaine, puisque le trust n’a jamais été conçu comme un patrimoine sans titulaire. L’institution ne remet en effet pas en cause le lien fondamental existant entre le fonds du trust et son propriétaire juridique. Au contraire, le droit anglo-américain prescrit una-nimement la propriété du trustee sur ce dernier. La thèse de P.  Lepaulle a été qualifiée à cet égard de non-historique et sociologiquement fausse, ainsi que d’invention particulièrement malheureuse 166. L’on relèvera qu’en raison des fortes réactions doctrinales suscitées par sa doctrine, P.  Lepaulle préféra finalement l’abandonner. Cela étant, plutôt que d’ad-mettre la propriété formelle du trustee sur le fonds du trust, il choisit d’y voir une personne morale 167, ce qui n’est pas davantage admis par la doc-trine traditionnelle 168. Il mérite d’être relevé que la première théorie de P. Lepaulle a reçu une concrétisation inattendue lors de la réforme de la fiducie en droit québécois 169. Rompant abruptement avec la théorie personnaliste, la fidu-cie a été conçue comme un patrimoine sur lequel aucun sujet n’a de droit réel. Selon l’art. 1261 du Code civil du Québec : “Le patrimoine fiduciaire, formé des biens transférés en fiducie, constitue un patrimoine d’affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéfi-ciaire, sur lequel aucun d’entre eux n’a de droit réel.” Force est toutefois de constater que telle n’est pas la vision traditionnelle du droit anglo-saxon. La fiducie québécoise se présente à cet égard comme une institution parti-culière et unique.

166 Cf. matthews  (French Fiducie), p. 23 :  “The problem with this approach is at least twofold. In the first place, it is unhistorical and sociologically false. In the second, it minimises, almost to vanishing point, the true role of the trustee in the institution, and the reasons for that role.” Cf. aussi rheinstein, p. 1050 : “Mr. Lepaulle’s newly invented doctrine seems to be particularly unfortunate as an explanation of the Anglo-American trust. In its beginnings as well as in present day theory and practice, the trust fund was and is invariably regarded as being in the legal ownership of the trustee, and not as an ‘ownerless fund’.” Parmi les auteurs civilistes, cf. aussi reymond (Trust), p. 127a.

167 Lepaulle (Notion de trust), p. 206 ss.168 Cf. supra p. 21 s.169 Cette révision de la fiducie a été opérée dans le cadre de l’introduction du Code civil

du Québec au 1er janvier 1994. sur l’influence de la théorie de Lepaulle sur la solution québécoise, cf. Barrière, p. 291.

52 Aude Peyrot

B. Le trust en tant que patrimoine séparé

La réception du trust de common law en droit suisse soulève la question de sa transposition dans nos concepts juridiques. En Suisse, le trust a généra-lement été qualifié de patrimoine séparé 170. Rappelons que cette dernière notion vise en droit suisse un ensemble de droits détenus formellement par un titulaire mais assujetti à un régime juridique distinct de son patrimoine personnel et affecté à un but particulier 171. Le patrimoine spécial se carac-térise notamment par le fait qu’il est soumis au mécanisme de la subro-gation patrimoniale, que ses obligations ne se confondent pas avec celles du patrimoine général et qu’il s’inscrit dans un système de récompenses avec ce dernier. Ces caractéristiques se retrouvent dans le trust. Le fonds du trust est en effet assujetti à un régime juridique distinct du patrimoine général du trustee : il forme en ses mains une masse de biens séparée ne participant ni à son régime matrimonial, ni à sa succession, ni à sa responsabilité pour dettes (cf. art. 2 § 2 lit. a de la Convention de La Haye et art. I (3) des Prin-cipes de Droit Européen). Les biens du trust doivent être détenus et comp-tabilisés de façon séparée du patrimoine du trustee et des autres fonds de trusts (cf. art. III (3) des Principes de Droit Européen). Le fonds du trust est affecté à une finalité particulière, dans la mesure où il est établi en faveur

170 Cf. arrêt du TF 2C_409/2009 du 15 janvier 2010, cons. 3.2, publié in rNrF 91 (2010) p. 338, où le Tribunal fédéral a qualifié le trust de “verselbständigtes Sondervermögen”, en reprenant à son compte les termes de la version allemande du message (Trusts), p. 559. La version française du message (Trusts), p. 569, se réfère quant à elle à un “pa-trimoine distinct et autonome”. A notre avis, l’adjectif “autonome” prête à confusion. il est erroné s’il sous-entend que le fonds du trust est dépourvu de tout titulaire, car le fonds du trust relève de la pleine propriété du trustee. sur la qualification du trust en tant que patrimoine séparé dans la doctrine suisse, cf. notamment Berger, p. 154 ; Böckli, p. 26 ; Bopp, N 2 ad art. 284a LP et N 3 ad art. 284b LP ; mayer (Trust), p.  66 ; D. Piotet (Pluralité de patrimoines), p.  562 ; Thévenoz (Trusts), p.  25. en France, le trust est similairement qualifié de “patrimoine d’affectation”, pour autant qu’on entende par cette dernière expression un patrimoine rattaché à un titulaire mais affecté à un certain but. Cf. notamment Barrière, p. 382 : “Le patrimoine d’affecta-tion est la traduction en droit civil du trust fund.” Cf. aussi emerich, p. 62 : “inconnu du droit romain, le concept de patrimoine d’affectation est généralement analysé comme l’équivalent conceptuel le plus proche du trust de la common law.”

171 meier-Hayoz, p. 79, N 156 ; rey, p. 38, N 135 ; steinauer, p. 57, N 88 ; Thévenoz (Patrimoines fiduciaires), p. 346. sur la notion de patrimoine séparé en droit suisse, cf. supra p. 39 ss.

53Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

des bénéficiaires du trust ou en vue de la poursuite d’un but déterminé. Il forme en outre une masse cohérente qui répond au principe de la subro-gation patrimoniale : les biens acquis en remploi ou le produit de réalisa-tion des biens aliénés viennent se substituer automatiquement au sein du fonds 172. A priori, le fonds du trust réunit ainsi les caractéristiques d’un patrimoine séparé. Mais encore faut-il examiner son régime de responsa-bilité pour dettes. Le régime des passifs du trust est relativement complexe. Nous aurons l’occasion de l’examiner en détail au chapitre 4, auquel il est renvoyé en tant que de besoin (cf. infra p. 115 ss). L’aperçu qui suit vise uniquement à présenter le régime de la responsabilité pour dettes dans les grandes lignes, afin de déterminer si le trust est pleinement transposable dans le concept suisse de patrimoine séparé. Nous relèverons ici trois points. Primo, la responsabilité pour les dettes qui naissent dans l’exercice d’un trust est une question de droit matériel interne au trust, qui est logiquement sou-mise à la loi applicable au trust 173. Secundo, traditionnellement, le droit des trusts anglo-saxon prévoit que les dettes issues de l’administration du trust grèvent le patrimoine personnel du trustee, en sa qualité de propriétaire du fonds du trust. A l’égard des tiers, le trustee répond ainsi des dettes du trust sur son patrimoine personnel. Sur le plan interne, il dispose toute-fois d’un droit d’indemnité (indemnity right) sur la base duquel il peut soit directement prélever les fonds nécessaires pour acquitter l’obligation, soit se rembourser s’il a préalablement payé la dette de ses propres deniers. En d’autres termes, le patrimoine général du trustee assume une responsabi-lité directe à l’égard des tiers créanciers, tandis que le fonds du trust n’as-sume qu’une responsabilité indirecte. Tertio, certains ordres juridiques de common law se sont détachés de cette approche traditionnelle pour adop-ter une solution plus pragmatique. Cette approche moderne prône, à cer-taines conditions et dans certaines limites, une exonération du trustee de toute responsabilité personnelle pour les dettes du trust. Dans un tel cas, le fonds du trust assume ainsi une responsabilité directe pour les dettes qui sont issues de son administration régulière, à l’exclusion du patrimoine personnel du trustee.

172 sur le principe de la subrogation patrimoniale, cf. supra p. 28 s.173 message (Trusts), p. 609 : “C’est le statut du trust qui détermine si le patrimoine

du trust, ou celui du trustee, répond d’une dette donnée.” Cf. aussi Bopp, N 7 ad art. 284a LP ; Gutzwiller, p. 182, N 284a-3 ; Panico, p. 271, N 6.116 ; schwander, N 4 ad art. 284a LP.

54 Aude Peyrot

De l’avis de certains auteurs anglo-saxons contemporains, le fait que le fonds du trust ne réponde pas dans l’approche traditionnelle directement de ses passifs n’est pas en ligne avec le concept civiliste de “patrimoine”

ou de “patrimoine séparé”. Pour L. Smith, la notion de patrimoine du droit civil se réfère notamment à l’ensemble des actifs et des passifs d’une personne. Pour être qualifié comme tel, un fonds doit être en mesure de contenir ses propres actifs comme ses propres passifs 174. Or, cette dernière circonstance ne serait pas réalisée dans un trust, puisque les passifs du trust incombent en première ligne au trustee sur son patrimoine person-nel. L. Smith en conclut : “[…] this does not mean that the trust forms a patrimony ; quite the opposite, since clearly trust creditors do have access to personal assets of the trustee.” 175 Cette même circonstance est invoquée par P. Matthews en rapport avec la qualification du trust en tant que patri-moine séparé. A ses yeux, un fonds n’est véritablement séparé que s’il ne répond pas des dettes personnelles du titulaire et si le patrimoine général du titulaire ne répond pas des dettes du fonds 176. L’auteur fait valoir au surplus que la notion de patrimoine, telle qu’elle a été développée en droit civil, est totalement étrangère à la common law et ne saurait pour cette raison expliquer le trust 177. Il relève que la common law connaît le concept d’estate, mais que celui-ci ne correspond pas à la notion civiliste de patri-moine. Notamment, l’estate ne serait composé que des avoirs actuels du débiteur, à l’exclusion de ses biens futurs. En outre, il ne s’agirait pas d’une masse fluctuante, mais au contraire d’une représentation instantanée des

174 smith, p. 336.175 smith, p. 342 ; cf. aussi p. 346 : “And another consequence is that the common law

trust does not constitute a distinct patrimony. The attempt to understand the com-mon law trust in terms of the civilian idea of patrimony, however, allows us to draw an interesting conclusion. The juristic nature of the common law trust is such that we can say that only assets, and never liabilities, are held in trust in a common law trust.”

176 matthews (Compatibility), p. 10 : “If the trust formed a separate patrimony from that of the trustee, one would of course expect that the assets of that patrimony should be immune from action by the personal creditors of the trustee. And it is so. What one would not expect is that the assets of the trust would also be immune from execution of judgments against the trustee in respect of debts contracted on behalf of the trust. Yet that is the law.”

177 L’on relèvera toutefois que le droit écossais, qui est un système légal mixte à mi- chemin entre le droit civil et le droit de common law, perçoit quant à lui le trust comme un véritable patrimoine qui est distinct et séparé du patrimoine général du trustee. Cf. à cet égard scottish Law Commission, Discussion Paper No 133, p. 10 ss. Cf. aussi Gretton, p. 610 ss.

55Chapitre 1 : Le trust dans la perception civiliste

biens appartenant au débiteur au moment de sa faillite ou de son décès. Au surplus, l’estate ne comprendrait en principe que les actifs d’une personne à l’exclusion de ses passifs 178. Ces positions doctrinales appellent les commentaires suivants. Il faut admettre en premier lieu avec P. Matthews que la notion civiliste de “patrimoine” n’est pas forcément adaptée à la réalité du trust. En effet, le concept est loin d’être neutre et ne s’explique que par référence au sys-tème civiliste pris dans sa globalité. M. Lupoi a eu l’occasion de relever : “Italian writings has been led astray by the term ‘patrimonio’, full as it is of meta- juridical shades of meaning […]” 179. L’on peut donc questionner l’op-portunité d’appliquer la notion de patrimoine à une institution issue du système de common law, étant précisé qu’une telle association de termes a notamment été faite par le législateur suisse (cf. l’expression “patrimoine du trust” employée aux art. 284a LP et 149b al. 2 lit. b LDIP). D’un autre côté, la désignation du trust en tant que “patrimoine” présente peut-être l’avantage de le faire apparaître comme une masse de biens cohérente dont les éléments sont intrinsèquement liés les uns aux autres et soumis au mé-canisme de subrogation. Surtout, il semblerait que le droit civil n’ait, à vrai dire, rien de mieux à offrir au trust que sa notion – aussi imparfaite soit-elle – de patrimoine, dans une perspective de transposition. Quoi qu’il en soit, d’un point de vue terminologique, l’on privilégiera dans cette étude l’expression “fonds du trust” à celle de “patrimoine du trust”. En deuxième lieu, il ne semble pas que le régime particulier de res-ponsabilité pour dettes prôné par l’approche traditionnelle (responsabilité primaire et directe du trustee pour les dettes du trust) soit un obstacle pour qualifier le trust de “patrimoine séparé” dans la perspective suisse. D’abord, comme indiqué plus haut, en Suisse, la notion de patrimoine est en majorité décrite et perçue comme l’ensemble des actifs d’une personne, à l’exclusion de ses passifs 180. Cette définition correspond ainsi à la réalité du trust dans la vision traditionnelle. En outre, le droit suisse connaît déjà des cas où les obligations du patrimoine séparé incombent au titulaire. Il en va ainsi pour les fonds de placements contractuels : les obligations nées dans la gestion régulière du fonds sont prises en charge par la direction qui possède ensuite un droit de remboursement sur les valeurs du fonds

178 matthews (Compatibility), p. 10 ; idem (From Obligation to Property), p. 213 s.179 Lupoi (Comparative study), p. 377.180 Cf. supra p. 32.

56 Aude Peyrot

(cf. art. 33 lit. b et c LPCC). Le fonds n’assume ainsi ses passifs que de façon indirecte. Cette caractéristique ne le disqualifie nullement en tant que pa-trimoine séparé. Ajoutons au surplus qu’en l’état la notion de patrimoine spécial du droit suisse est une notion souple, pour ne pas dire floue, qui s’attache à des formes diverses et non à une situation juridique précise et figée. En conclusion, il apparaît que le trust peut être transposé dans la no-tion de patrimoine séparé du droit suisse. Les considérations qui précèdent permettent néanmoins d’introduire à ce stade un constat qui sera repris plus loin, à savoir que l’approche moderne de responsabilité pousse la lo-gique du patrimoine séparé à un degré plus avancé que celle de l’approche classique 181. L’on relèvera pour le surplus que la qualification du trust en tant que patrimoine séparé a probablement eu un effet bénéfique sur la décision de ratifier la Convention de La Haye. En effet, la possible transposition du trust dans une catégorie connue du droit suisse, dont il existait déjà des spéci-mens (fonds de placement, opérations fiduciaires des banques) a permis de rassurer quant à la compatibilité du trust avec notre système légal 182. L’effet de ring-fencing n’est ainsi pas apparu totalement étranger à la lo-gique de notre droit.

181 Cf. infra p. 140 ss.182 Comme en témoignent les diverses références du message (Trusts), p. 576 s., aux

fonds de placement et aux opérations fiduciaires des banques.

57Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

Chapitre 2

La dISTRaCTIoN dES bIENS du TRuST

Le premier chapitre a été l’occasion de visiter l’institution du trust et la question de sa transposition en droit suisse, en particulier au vu de l’effet de ring-fencing qui lui est inhérent. Ce second chapitre vise à décrire la fa-çon dont cet effet est matérialisé dans notre droit interne, à l’art. 284b LP. Nous examinerons d’abord ladite norme dans ses fondements théoriques, quant à sa justification et sa conformité à l’ordre juridique suisse (I). Nous verrons ensuite sa mise en œuvre par le biais des mécanismes spécifiques de la distraction d’office et de la revendication (II).

I. L’art. 284b Lp et ses fondements théoriques

A. en général

La concrétisation de l’effet de ring-fencing constitue, comme on l’a vu, un effet minimal de la reconnaissance d’un trust qui s’impose à tous les Etats ayant ratifié la Convention (cf. art. 11 § 2 de la Convention), sous réserve de l’art. 15 (règles impératives du for), de l’art. 16 (lois d’application im-médiate) et de l’art. 18 (ordre public). Les Etats contractants doivent en principe garantir la soustraction du fonds du trust à l’action du conjoint, des héritiers, et surtout des créanciers personnels du trustee dans la saisie ou la faillite (cf. art. 11 § 3 lit. a et b de la Convention). C’est ce dernier effet que nous examinerons ici. Le législateur suisse a concrétisé ses engagements conventionnels en adoptant un nouvel art. 284b au sein de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (ci-après LP). Ce dernier, entré en vigueur en même temps que la Convention, le 1er juillet 2007, a été libellé comme suit :

Art. 284b Faillite du trustee

“Dans la faillite d’un trustee, le patrimoine du trust est distrait de la masse en faillite après déduction des créances du trustee contre ce patrimoine.”

58 Aude Peyrot

L’adoption de cette règle n’était pas strictement nécessaire, puisque l’art. 11 de la Convention déploie des effets immédiats pour les Etats parties 1. La ségrégation du fonds du trust constitue un principe général qui découle directement du droit matériel étranger et de la Convention de La Haye 2. Cela étant, l’art. 284b LP a le mérite d’ancrer clairement l’effet de ring- fencing du trust au cœur de l’exécution forcée suisse et d’en fixer le fonc-tionnement dans ses grandes lignes. Même si la norme ne vise expressément que l’hypothèse de la faillite, elle exprime une idée générale qui trouve aussi application pour les autres modes d’exécution forcée dirigée contre le trustee (saisie, séquestre, etc.) 3. Cela découle directement de l’art. 11 de la Convention de La Haye qui constitue, comme déjà indiqué, une règle immédiatement applicable 4. L’on rappellera en particulier la teneur de l’art. 11 § 3 lit. a et lit. b de la Conven-tion, selon lequel la reconnaissance d’un trust implique au moins, lorsque la loi applicable le prévoit, que “les créanciers personnels du trustee ne puissent pas saisir les biens du trust” et que “les biens du trust soient sépa-rés du patrimoine du trustee en cas d’insolvabilité ou de faillite de celui-ci”. L’art. 284b LP est une concrétisation partielle de la norme conventionnelle.

B. Justification

1. Les exceptions au principe de la responsabilité patrimoniale

Le principe de la responsabilité patrimoniale veut que chacun réponde de ses dettes sur l’ensemble de ses biens. Comme indiqué plus haut, il s’agit d’une concrétisation en droit suisse de l’unité du patrimoine, selon lequel le patrimoine d’une personne forme un tout juridique, soumis au gage général de ses créanciers. Dans la faillite, ce principe est exprimé à l’art. 197 LP. Il prévoit que tous les biens du débiteur forment au moment du prononcé de la faillite une seule masse destinée à désintéresser ses

1 D. staehelin (Trusts), p. 76 ; Thévenoz (Créer et gérer), p. 98.2 Bopp, N 1 ad art. 284b LP. 3 Cf. message (Trusts), p. 611 s., qui relève également son application à la saisie. Cf. aussi

dans ce sens schwander, N 3 ad art. 284b LP et N 13 ad art. 284a LP.4 Dans ce sens, cf. Vogt, N 85 ad Vorbemerkungen zu Art. 149a-e LDiP : “Bei natürliche

Personen, die als Trustee nicht der Konkursbetreibung unterliegen, wird die Aussonde-rung allein durch die Vorschriften von Art. 2 Abs. 2 lit. a und Art. 11 Abs. 3 lit. a HTÜ angeordnet.”

59Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

créanciers. Bien évidemment, l’exécution forcée ne saurait en principe porter que sur les biens du débiteur qui lui appartiennent 5. Traditionnel-lement, le critère qui détermine l’assujettissement des biens à l’exécution forcée est la titularité juridique 6. Rentrent ainsi dans la masse en faillite tous les biens dont le débiteur est le propriétaire légal. Telle est la solution qui prévaut fondamentalement pour la fiducie de droit commun : le fiduciaire répond de ses dettes privées sur tous ses biens, y compris en principe sur les biens en fiducie qui lui appartiennent juridi-quement, quand bien même il n’en jouit pas économiquement 7. Comme on l’a vu, certains auteurs ont loué la cohérence de cette solution, dans la mesure où elle reporte sur le fiduciant tant les avantages de l’opération fiduciaire (soit la détention et la gestion des biens par autrui mais pour son propre compte) que ses inconvénients (à savoir le risque que ses biens soient réalisés en cas d’insolvabilité du fiduciaire). L. Thévenoz la cri-tique, en tant qu’elle confère aux créanciers un avantage indu sur des biens dont le débiteur n’a pas lui-même la jouissance économique 8. Quoi qu’il en soit, il convient de relever que l’assujettissement à l’exé-cution forcée d’après le critère de l’appartenance juridique n’est pas absolu et comporte certaines exceptions. Le droit suisse connaît en effet divers droits de distraction qui ont pour effet, s’ils sont efficacement exercés, de soustraire les biens en cause à la procédure d’exécution forcée contre le titulaire légal du patrimoine. Il en va notamment ainsi des art. 35 LPCC (valeurs d’un fonds de placement), 37d LB (valeurs déposées des banques), 401 al. 2 et 3 CO (biens acquis en représentation indirecte et par exten-sion dans le cadre d’un rapport fiduciaire) et 201 LP (titres au porteur et valeurs à ordre). Ces normes sont justifiées par la situation juridique par-ticulière des biens qu’elles visent : quoique formellement détenus par le dé-biteur, ils relèvent de la jouissance économique d’autrui. Le droit suisse reconnaît ainsi la légitimité de cette situation et le besoin de protection des

5 Cf. notamment ATF 105 ii 112, JT 1982 ii 25, cons. 3a.6 Cf. notamment Fellmann, N 81 ad art. 401 Co, qui parle de “Rechtszugehörigkeit”.

Dans la jurisprudence, ce principe a été rappelé en matière de séquestre contre le fiduciant. selon le Tribunal fédéral, la propriété juridique du fiduciaire sur les biens remis en fiducie est déterminante, de sorte qu’ils ne sauraient être affectés par un séquestre à l’encontre du fiduciant, même s’ils “appartiennent” économiquement à ce dernier. L’abus de droit est réservé. Cf. ATF 107 iii 103, JT 1983 ii 66, cons. 1 ; ATF 106 iii 86, JT 1982 ii 80, cons. 2 ; ATF 105 ii 112, JT 1982 ii 25, cons. 3a.

7 Ce que relève notamment Gautschi (BeKo-ZGB), N 12c ad art. 401 Co.8 Thévenoz (Cendrillon), p. 291. Cf. supra p. 43 s.

60 Aude Peyrot

ayants-droits économiques. Il exclut ou atténue le principe de la subordi-nation de ces biens à l’exécution forcée sur la base du critère juridique.

2. L’avènement d’un nouveau droit de distraction

Le droit suisse connaît désormais avec le trust un droit de distraction sup-plémentaire consacré à l’art. 284b LP. Il est fondé sur la justification sui-vante : si le fonds du trust appartient juridiquement au trustee, il forme en réalité au sein de son patrimoine général une masse de biens distincte dont le bénéfice économique revient exclusivement aux bénéficiaires du trust. Le fonds du trust ne profite donc pas au trustee, à moins qu’il ne soit simul-tanément l’un des bénéficiaires du trust et sous réserve de sa rémunération. Traduite dans le contexte de l’exécution forcée, cette situation juridique implique que les biens du trust, même s’ils sont formellement détenus par le trustee, ne participent pas à son exécution forcée, ce que reconnaît ex-pressément l’art. 284b LP. C’est précisément dans cette situation que le pro-prietary right du bénéficiaire manifeste l’un de ses principaux intérêts (à côté du droit de suite). En effet, l’effet réel attaché à son droit lui permet si nécessaire d’aller rechercher les biens dans la faillite du trustee. Sa position est à cet égard largement plus forte que s’il ne s’était vu reconnaître par le droit des trusts que des droits personnels contre le trustee 9. Il n’est pas inintéressant de constater que le droit anglo-américain des trusts fait largement état de l’effet de ring-fencing inhérent au trust, mais ne semble pas mentionner l’existence d’un droit de distraction spécifique au profit des bénéficiaires. La raison tient, à notre avis, au fait qu’il n’en a pas l’utilité. Le système anglo-saxon n’est en effet pas bâti sur l’unité du patri-moine. Il ne prescrit pas la responsabilité totale et indivise du débiteur sur l’ensemble de ses biens sur la base du critère de l’appartenance juridique 10. La

9 Pearce / stevens, p. 95 : “[…] the significance of the distinction between personal and proprietary rights is especially important where the person against whom a right is claimed is insolvent. If it can be shown that the claimant enjoys a proprietary right to some specific asset in the bankrupt’s possession, it will not form part of the bankrupt’s general assets for distribution amongst his creditors. As such he will gain priority over all the other creditors, and avoid the basic principle that all unsecured creditors should share their losses pari passu (ie equally).” Cf. aussi Penner, p. 45.

10 Cf. matthews (French Fiducie), p. 25, selon lequel : “[…] it is a rule of English law that only assets belonging beneficially to a person can be taken to pay his debts […].”

61Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

ségrégation du fonds du trust est un principe intégré et, comme tel, au-tomatiquement mis en œuvre. Il n’y a nul besoin de prévoir un droit de distraction spécifique. En définitive, un droit de distraction ne semble avoir de sens que dans les juridictions civilistes qui connaissent l’unité du patrimoine et observent dans l’exécution forcée le critère de la propriété juridique. L’on relèvera incidemment qu’en accordant aux bénéficiaires un droit de distraction dans la faillite du trustee, le droit suisse octroie à une ins-titution étrangère un privilège qu’il refuse en l’état à sa fiducie de droit commun 11. Cette situation peut certes paraître paradoxale, mais elle est en réalité relativement typique en droit international privé. Les ordres juri-diques sont généralement plus souples à l’égard d’une institution étrangère valablement créée selon le droit applicable, dans la mesure où elle déploie des effets en dehors de la Suisse 12. Au surplus, comme il sera exposé ci-après, le Tribunal fédéral a jugé – plusieurs années avant la ratification de la Convention – que cette différence de traitement n’était pas contraire à l’ordre public 13. Cette conclusion doit être approuvée et sera reprise ci-dessous.

c. conformité à l’ordre juridique suisse

Préalablement à la ratification de la Convention de La Haye, la doctrine s’est posée la question de la conformité de l’effet de ring-fencing du trust avec l’ordre juridique suisse, en particulier sous l’angle de l’ordre public 14. Celle-ci semble aujourd’hui dépassée en raison de la ratification du texte

11 C. reymond (réflexions), p. 20 : “Avec la Convention, le bénéficiaire d’un trust se verra accorder des droits dont celui d’une fiducie ne bénéficie pas. il est possible qu’à long terme cette différence de traitement paraisse de moins en moins acceptable et que le droit suisse accorde au fiduciant un droit de revendication général dans la faillite du fiduciaire comme le fait le droit allemand. mais pour l’instant tel n’est pas le cas.”

12 C’est le raisonnement sous-jacent à l’art. 17 LDiP. 13 Arrêt du TF 5C.169/2001 du 19 novembre 2001, rendu dans l’affaire x. c. usA.14 sur la problématique de la compatibilité du droit de distraction et de l’ordre public

selon l’art. 17 LDiP, cf. notamment eichner, p. 157 ss ; Zobl (Treuhand), p. 128 s. Cf. aussi message (Trusts), p. 576. sur le trust en général et l’ordre public, cf. Barthold, p. 161.

62 Aude Peyrot

conventionnel et de l’adoption de l’art. 284b LP. Sur un plan général, l’on ne peut donc plus affirmer que cet effet est ipso facto contraire à notre droit, du seul fait de son existence. Il reste néanmoins pertinent d’examiner si tel ou tel postulat particulier du droit suisse est susceptible d’être heurté par le droit de distraction ou si ce dernier doit être concrètement restreint par tel ou tel principe. L’on relèvera que la Convention de La Haye permet précisément de limiter la reconnaissance des effets d’un trust en cas de contrariété avec l’ordre public (art. 18), avec les lois d’application immé-diate (art. 16), ou avec les règles impératives du for (art.  15). Autrement dit, la reconnaissance et la concrétisation de l’effet de ring-fencing s’impose aux Etats parties mais à l’intérieur de certaines limites. La doctrine a identifié deux principes – attribués à l’ordre public suisse – qui seraient susceptibles d’être contrariés par le droit de distrac-tion. Il s’agit, d’une part, de l’égalité de traitement entre créanciers dans la faillite et, d’autre part, du principe de publicité 15. Quant au premier, les créanciers du trustee pourraient être lésés par la distraction des biens du trust, en tant qu’elle opère un rétrécissement de la masse active au pro-fit exclusif des bénéficiaires du trust 16. Quant au second, la soustraction effective des biens du trust, qui interviendrait par hypothèse sans que le rapport de trust n’ait été publié, serait de nature à tromper les créanciers personnels du trustee dans la confiance qu’ils ont que les biens du trust lui appartiennent effectivement et serviront à les désintéresser. Ces arguments appellent diverses remarques sur un plan général et sur un plan particu-lier. La problématique de la publicité fera, quant à elle, l’objet spécifique du chapitre 3 (cf. infra p. 81 ss). Sur un plan tout général, comme le Message et la doctrine le relèvent, la réserve de l’ordre public ne peut être invoquée que dans la mesure où le droit suisse n’est pas déjà restreint dans les principes sus-évoqués 17. Il est, à cet égard, admis que tant le postulat de l’égalité de traitement des créanciers que celui de la publicité sont relativisés par les normes suisses consacrant un droit de distraction (en particulier les art. 35 LPCC et

15 eichner, p. 158 ; D. staehelin (Trusts), p. 75. sur le deuxième principe, cf. aussi message (Trusts), p. 576.

16 Dans ce sens, D. staehelin (Trusts), p. 75 et p. 63. Faisant valoir le même type d’ar-gumentation sans toutefois se référer à l’ordre public, cf. Jaeger, N 25 ad art. 197 LP (5e tiret).

17 message (Trusts), p. 576. eichner, p. 158 ; D. staehelin (Trusts), p. 74 s.

63Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

37d LB) 18. Il faut au surplus rappeler que la réserve de l’ordre public doit être appliquée restrictivement et ne saurait être admise que si le résultat résultant de l’application du droit étranger est fondamentalement incom-patible avec le sentiment d’équité et de justice qui prévaut en Suisse 19. La doctrine a considéré – préalablement à la ratification de la Convention de La Haye – que tel n’était pas le cas du droit de distraction prescrit par le droit des trusts 20. Une même conclusion a été prise par le Tribunal fédéral dans l’arrêt 5C.169/2001 rendu dans l’affaire X. c. USA. Il a été admis que le droit de distraction n’était pas contraire à l’ordre public suisse (examiné à l’époque sous l’angle de l’art. 17 LDIP). En particulier, le fait que le bénéficiaire d’un trust soit mieux protégé en cas d’insolvabilité du trustee que le fiduciant ne l’est dans celle du fiduciaire n’a pas été perçu comme problématique. Sur un plan plus général, cet arrêt doit toutefois être considéré avec prudence vu la situation juridique particulière qu’il implique. Sans développer la solution de l’arrêt dans le détail, puisque ce n’est pas ici le propos, nous relèverons simplement que le Tribunal fédéral a admis l’existence d’un constructive trust en faveur des Etats-Unis d’Amérique, ainsi que sa reconnaissance en droit suisse. Par ce biais, les Etats-Unis se sont vus octroyer un propri-etary right, qui leur ont permis d’aller rechercher les biens litigieux dans la faillite du constructive trustee. L’on peut se demander si cette décision, rendue en 2001, serait tranchée de la même façon aujourd’hui. Relevons que, dans l’intervalle, la Suisse a ratifié la Convention de La Haye, laquelle exclut expressément de son champ d’application les trusts créés par une décision de justice (cf. son art. 3). La Convention réserve certes aux Etats parties la possibilité d’étendre les normes conventionnelles à ces trusts (cf. son art. 20), mais la Suisse n’a pas souhaité procéder dans ce sens. Elle s’est ainsi réservée la faculté de fixer souverainement la façon dont les con-structive trusts doivent être appréhendés dans l’ordre juridique suisse. Quant au principe de l’égalité de traitement évoqué par certains auteurs 21, son application suppose de considérer les bénéficiaires du trust comme des créanciers personnels du trustee. A défaut, il n’y aurait

18 Ibidem. sur le droit de distraction que ces normes consacrent respectivement, cf. supra p. 46 s.

19 eichner, p. 158 ; Zobl (Treuhand), p. 128 s.20 eichner, p. 158 ; Zobl (Treuhand), p. 129.21 eichner, p. 158 ; D. staehelin (Trusts), p. 75.

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précisément pas de motif de les traiter de façon égale aux autres créanciers de ce type. Cela étant, il n’est pas certain qu’ils puissent être perçus comme tels. Les bénéficiaires ont la jouissance économique d’un fonds juridique-ment séparé du patrimoine du trustee22. A ce titre, leur droit aux distribu-tions grève directement le fonds du trust, sans détour par le patrimoine personnel du trustee. En cas de refus du trustee de procéder à des distribu-tions, le bénéficiaire lésé peut et doit l’actionner en justice23, mais le trustee sera assigné en sa qualité de propriétaire formel du fonds du trust et non à titre personnel. Les bénéficiaires ne sont donc pas des créanciers du trustee à strictement parler. Leur situation se distingue en cela de celle du fiduciant en droit suisse (ou des bénéficiaires de la fiducie, s’il y en a). Rappelons que notre fiducie est fondamentalement ancrée dans le droit des contrats. Le fiduciant n’a que des créances personnelles contre le fiduciaire, et non un droit qui serait directement attaché aux biens de la fiducie 24. A ce titre, le fiduciant est bien un créancier personnel du fiduciaire. La reconnaissance en sa faveur d’un droit de revendication sur la base de l’art. 401 CO soulève effectivement la question de l’égalité de traitement 25, dans la mesure où la norme l’autorise à revendiquer les biens de la fiducie (exclusivement les meubles et créances acquises pour son compte auprès de tiers), plutôt que de concourir à droits égaux en 3e classe avec les autres créanciers du fiduciaire. La situation est autre dans un trust, qui constitue une institution du droit des biens, ac-cordant des prérogatives de nature (quasi-)réelle aux bénéficiaires 26. Au demeurant, comme exposé ci-dessus, cette différence de traitement n’est pas problématique aux yeux du Tribunal fédéral.

22 Cf. supra p. 25 s.23 Cf. supra p. 25. 24 Cf. supra p. 42 ss.25 Fellmann, N 86 ad art. 401 Co ; Hofstetter, p. 122 s. ; D. staehelin (Trusts), p. 63

s. selon ce dernier, un tel droit de revendication est admissible dans la saisie du fidu-ciaire, mais discutable dans la faillite, dans laquelle prévaut le principe de l’égalité de traitement.

26 sur la nature du droit du bénéficiaire d’un trust, cf. supra p. 25 ss.

65Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

II. La mise en œuvre du droit de distraction

Le droit de distraction, qui est la concrétisation en droit suisse de l’effet de ring-fencing immanent au trust, vise à garantir que les biens du trust, formellement détenus par le trustee, ne soient pas réalisés dans le cadre d’une poursuite dirigée contre celui-ci à titre personnel 27. Comme déjà in-diqué, ce principe vaut tant dans l’hypothèse de la faillite que dans celle de la saisie du trustee, ainsi que cela découle de l’art. 11 § 3 lit. a et b de la Convention de La Haye 28. Nous examinerons ci-après la mise en œuvre du droit de distraction dans ces deux types de procédures. Avant cela, notons que la distraction des biens du trust – lorsque ses conditions sont réalisées – vaut à l’égard de deux types de créanciers : primo, à l’égard des créanciers du trustee dont la créance découle de son activité privée (“créanciers personnels du trustee”) ; secundo, à l’égard des créanciers dont la prétention est issue de l’administration du trust (“créanciers du trust”29), mais qui grève – à teneur de la loi étrangère appli-cable au trust et des circonstances du cas d’espèce – le patrimoine person-nel du trustee. Pour ces deux types de créances, la procédure de réalisation forcée ne doit porter que sur les biens personnels du trustee 30, à l’exclusion des biens du trust. Le droit de distraction vise à le garantir.

A. Dans la faillite du trustee

Le droit de distraction de l’art. 284b LP opère en principe d’office, selon le mécanisme que nous exposerons ci-après au point 1. Lorsque les condi-tions de la distraction d’office ne sont pas réalisées, il peut être exercé par les intéressés au moyen d’une procédure de revendication, laquelle sera examinée au point 2.

27 Par opposition à une poursuite dirigée contre le trustee, en sa qualité de trustee, au sens de l’art. 284a LP (pour une dette du patrimoine du trust). Cette poursuite d’un genre particulier sera examinée dans la deuxième partie de notre étude, au cha- pitre 5/iii. Cf. infra p. 151 ss.

28 Cf. supra p. 58.29 sur cette expression et la terminologie employée dans cette étude, cf. infra p. 116.30 A propos de cette poursuite, cf. infra deuxième partie, chapitre 5/ii, p. 147 ss.

66 Aude Peyrot

1. La distraction d’office du fonds du trust

a. Notion

L’art. 284b LP octroie au trust un droit de “distraction d’office” (Abson-derung) dans la faillite du trustee 31. La loi suisse confère ainsi au trust un privilège procédural semblable à celui qui prévaut pour les valeurs d’un fonds de placement en cas de faillite de la direction du fonds 32 et pour les avoirs fiduciaires des banques en cas de faillite de la banque 33. La notion est commune à ces trois domaines, de sorte qu’elle peut être expliquée à l’aide des développements intervenus dans ces deux dernières matières. Comme son nom l’indique, la “distraction d’office” signifie que la sé-paration des biens du trust doit être entreprise d’office par l’administration de la faillite, sans qu’une requête ne soit nécessaire dans ce sens 34. Dans son étude consacrée aux fonds de placement, U. Mätzener précise que cette séparation intervient ex lege : “Hier geht es nämlich um mehr als um eine bloße Aussonderung, indem das Fondsvermögen im Konkurs der Fondslei-tung ex lege ein anderes Schicksal als das Eigenvermögen derselben erfährt, mit dem es bis anhin eine rechtliche Einheit bildet : Während dieses zur Kon-kursmasse zusammengefasst und nach den Vorschriften des formellen Kon-kursrechtes zwecks Befriedigung der Gläubiger liquidiert wird, bleibt das Fondsvermögen von den Wirkungen der Konkurseröffnung grundsätzlich unberährt [recte : unberührt] ; […].”35 Les biens appartenant au fonds spécial ne tombent donc pas dans la masse en faillite du titulaire. Cette solution est fondée sur le texte allemand de l’art. 17 de l’ancienne LFP de 1966 36. Elle

31 message (Trusts), p. 611 : “Lorsqu’un trustee est poursuivi personnellement et non pas en tant que représentant du trust, le patrimoine du trust est d’office distrait de la masse en faillite.” Cf. aussi schwander, N 4 ad art. 284b LP.

32 mayer (Schweizer Perspektiven), p. 108. sur la distraction d’office en matière de fonds de placement contractuels, cf. art. 35 LPCC, art. 16 aLFP (1994) et art. 17 aLFP (1966).

33 Bopp, N 3 ad art. 284b LP ; Vogt, N 83 ad Vorbemerkungen zu Art. 149a-e LDiP. sur la distraction d’office des valeurs fiduciaires des banques, cf. art. 37d LB (anciennement art. 37b LB).

34 Bertschinger, p. 432 ; Handschin / Hunkeler, N 72 ad art. 197 LP ; Zobl (Kollisio-nen), p. 555. en matière de trusts, cf. aussi Bopp N 3 ad art. 284b LP.

35 mätzener, p. 103 s.36 Art. 17 al. 1 LFP (1966) : “Sachen und Recht, die zum Anlagefonds gehören, fallen im

Konkurs der Fondsleitung nicht in die Konkursmasse, sondern werden zugunsten der Anleger abgesondert.” A noter que le texte de l’ancien art. 37b LB va dans le même sens  : “Depotwerte gemäss Artikel 16 werden im Konkurs der Bank nicht zur Konkurs-

67Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

est par ailleurs évoquée par divers auteurs 37 et correspond à ce qui prévaut dans d’autres systèmes juridiques, notamment dans la procédure anglaise d’insolvabilité du trustee 38. Selon U. Mätzener, cette caractéristique permet précisément de distinguer la distraction d’office (“Absonderung”) de la revendication (“Aussonderung”), cette dernière devant être réservée aux situations où un bien tombé dans la masse est ensuite séparé sur la base d’une requête des intéressés : “[…] richtigerweise sollte man denn auch […] von Abson-derung sprechen und den Begriff Aussonderung jenen Tatbeständen vor-behalten, bei denen kraft dinglichen oder obligatorischen Rechts bereits admassierte Vermögenswerte aus der Konkursmasse des Gemeinschuldners befreit werden.”39 Concrètement, les biens du trust ségrégués d’office doivent être remis au co-trustee ou au trustee de remplacement 40.

b. Modalités

Le fait que les biens du trust ne rentrent pas dans la masse en faillite n’em-pêche pas qu’ils soient inscrits à l’inventaire au sens des art. 221  ss LP41 (cf. art. 34 OAOF). Cette inscription ne porte pas à conséquence, dans la

masse gezogen, sondern unter Vorbehält sämtlicher Ansprüche der Bank gegenüber dem Deponenten zu dessen Gunsten abgesondert.” Les textes des règles de la LPCC et de la LB sont en revanche moins précis, en ce qu’ils font état de la distraction des valeurs sans évoquer leur indépendance par rapport à la masse en faillite.

37 Cf. Bopp, N 1 et N 3 ad art. 284b LP ; russenberger, N 23 ad art. 242 LP ; D. staehe-lin (Trusts), p. 80. Contra : Tschumy (revendication), p. 255.

38 L’art. 283(3)(a) insolvency Act 1986 prévoit en effet que les biens du trust ne font pas partie du “bankrupt’s estate”.

39 mätzener, p. 103.40 Cf. la proposition de Thévenoz (Trusts), p. 77, d’introduire un nouvel art. 242a al. 1

LP dont la teneur aurait été la suivante : “Les biens qui font l’objet d’un trust sont distraits de la masse en faillite pour être remis aux autres trustees ou à un nouveau trustee, sous déduction des prétentions du failli grevant ces biens.” Cf. aussi Hess, N 17 ad art. 37d LB en ce qui concerne les valeurs déposées des banques.

41 C’est ce qui se passe pour les fonds de placements et les valeurs déposées des banques. Cf. Gilliéron (Commentaire), N 40 ad art. 221 LP ; Hess, N 17 ad art. 37d LB ; schwob / müller, N 14 ad art. 37d LB (mise à jour septembre 2010). en matière bancaire, cf. aussi art. 14 al. 3 de l’ordonnance de la FiNmA sur la faillite bancaire (oFB-FiNmA).

68 Aude Peyrot

mesure où l’inventaire constitue un document de travail de l’administra-tion de la faillite qui fixe son champ d’investigation 42. Elle permet au sur-plus d’informer les créanciers de l’existence de ces biens et leur donne la possibilité de remettre en cause leur appartenance au trust.par la voie de la plainte au sens de l’art. 17 LP. Le droit de distraction instauré par l’art. 284b LP doit être accordé aussi largement que les droits de distraction déjà existants en droit suisse. Dès lors, similairement à ce qui prévaut pour les art. 35 LPCC et 37d LB, l’art. 284b LP s’applique indistinctement aux créances, aux biens meubles et aux immeubles 43. Il concerne tant les biens reçus initialement du settlor que les biens acquis de tiers pour le compte du trust et qui font automa-tiquement partie du fonds du trust conformément au principe de subro-gation patrimoniale 44. Est réservée la question de savoir si la ségrégation effective du fonds du trust dépend d’une mesure de publicité, laquelle sera spécifiquement traitée au chapitre 3 (cf. infra p. 81 ss). La distraction d’office est soumise à certaines conditions d’exécution. Primo, le fait que la distraction intervienne automatiquement ne signifie pas que l’administration de la faillite doive proprio motu rechercher un éventuel rapport de trust sur les biens litigieux. Aussi appartient-il au failli ou à toute personne intéressée d’annoncer l’existence du trust au sens de l’art. 232 al. 2 ch. 2 LP (cf. aussi art. 45 OAOF) 45. In casu, cette démarche peut être entreprise indifféremment par le trustee insolvable, le co- trustee, le bénéficiaire, le settlor ou encore le protecteur du trust 46. Secundo, la dis-traction d’office n’intervient que si le rapport de trust sur l’objet litigieux est “suffisamment établi”47. Dans l’appréciation de ce critère, l’administra-tion de la faillite peut notamment se fonder sur les inscriptions ressor-

42 ATF 114 iii 21, JT 1990 ii 43, cons. 5b ; ATF 90 iii 18, JT 1964 ii 8, cons. 1 ; ATF 54 iii 18, JT 1928 ii 101 ; Gilliéron (Commentaire), N 9 ad art. 242 LP ; Vouilloz, N 14 ad art. 221 LP.

43 mätzener, p. 106.44 sur la subrogation patrimoniale en matière de trusts, cf. supra p. 28 s.45 message (Trusts), p. 611.46 Gutzwiller, p. 187, N 284b-6. Cf. aussi (mais relatif à la procédure de distraction

dans le cadre de la saisie), D. staehelin (Trusts), p. 77 ; Thévenoz (Trusts), p. 71.47 message (Trusts), p. 611. A noter que la version allemande du message, p. 600, em-

ploie l’expression “hinreinchend ausgewiesen” et la version italienne, p. 566, celle de “insufficientemente comprovato”, par quoi il faut comprendre que le rapport de trust doit être suffisamment démontré. Cf. aussi Gutzwiller, p. 187, N 284b-6.

69Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

tant des registres publics 48. A titre d’exemple, le rapport de trust sur un immeuble doit être tenu pour suffisamment établi lorsque la mention de l’appartenance au trust a été portée au registre foncier en application de l’art. 149d al. 1 LDIP49. La distraction n’aura, en revanche, pas lieu d’office si l’administration de la faillite tient l’appartenance du bien litigieux au trust pour insuffi-samment établie 50. Dans ce cas, le bien en cause ne pourra être soustrait à l’exécution forcée qu’au moyen d’une action en revendication au sens de l’art. 242 LP 51. Elle sera examinée au point 2 ci-après.

c. Déduction des créances du trustee contre le fonds

A teneur de l’art. 284b LP, la distraction du fonds du trust n’intervient qu’après déduction des créances du trustee contre ce dernier. Ce principe est logique. Il se serait imposé même sans précision de la loi. Il va en effet de soi que les droits du trustee sur le fonds du trust constituent des actifs personnels du trustee qui doivent rentrer dans sa masse au bénéfice de ses créanciers. Il serait à l’inverse inéquitable qu’ils échappent à l’exécution forcée par le biais de la distraction au profit des bénéficiaires. L’on relè-vera au demeurant qu’une réglementation similaire existe pour les fonds de placements et les valeurs déposées des banques (cf. art. 35 al. 1 in fine LPCC et art. 37d al. 1 in fine LB). Sont visées toutes les créances que le trustee possède contre le fonds du trust. L’on peut principalement son-ger à sa créance d’honoraires pour l’activité qu’il a déployée en qualité de trustee, ainsi qu’à son droit d’indemnité pour les dettes qu’il a acquittées avec ses propres fonds.

48 Gutzwiller, p. 188, N 284b-13 ; schwander, N 4 ad art. 284b LP, qui précise que l’administration peut aussi se fonder sur la documentation interne : “Die Konkurs-verwaltung hat insb. die sich aus Büchern und Registern gem. Art. 149d IPRG ergeben-den Rechte von Amtes wegen zu beachten, ohne dass sie deren Richtigkeit überprüfen dürfte.”

49 Gutzwiller, p. 188, N 284b-13 ; schwander, N 4 ad art. 284b LP. Ces auteurs pré-cisent que l’administration de la faillite n’a pas la compétence de remettre en cause le rapport de trust qui serait mentionné dans le registre public. sur la réglementation de la publicité en matière de trusts, cf. infra chapitre 3, p. 81 ss.

50 Bopp, N 3 ad art. 284b LP ; Gutzwiller, p. 187, N 284b-7.51 Gutzwiller, p. 187, N 284b-7 ; schwander, N 4 ad art. 284b LP.

70 Aude Peyrot

2. La revendication des biens du trust dans la faillite

Les procédures de revendication en matière de faillite sont réglées à l’art. 242 LP. Elles ont pout but de trancher les différends relatifs à l’appar-tenance de tel ou tel bien à la masse active, lorsque la situation juridique apparaît incertaine ou litigieuse 52. Elles offrent l’occasion à celui qui pré-tend détenir un droit sur l’actif litigieux de le faire valoir auprès de l’admi-nistration de la faillite, respectivement auprès du juge, et d’obtenir le cas échéant sa distraction de la masse. Les motifs qui peuvent être invoqués à l’appui de la revendication sont notamment la propriété de la chose et un droit de distraction/revendication reconnu par la loi 53.

a. Le déroulement de la procédure

Traditionnellement, le déroulement de la procédure de revendication est déterminé par le critère de la “possession” au sens de la maîtrise effective sur la chose, i.e. du droit d’en disposer effectivement 54. Cette maîtrise re-pose sur la possession (au sens strict) pour les biens meubles et sur l’ins-cription au registre foncier pour les immeubles 55. Si la chose se trouve en mains du failli ou est inscrite à son nom, la procédure à suivre est celle de l’art. 242 al. 2 LP. Si au contraire elle se trouve en mains du tiers re-vendiquant ou est inscrite au nom de ce dernier, la procédure est celle de l’art. 242 al. 3 LP 56. Ces principes généraux sont applicables à la procédure en revendica-tion impliquant un trust, sous réserve de certaines adaptations rendues nécessaires par les particularités de l’institution. L’on relèvera à cet égard que c’est généralement le trustee, en tant que propriétaire juridique des biens du trust, qui en a la maîtrise effective 57. Cela étant, sous réserve des prescriptions de l’instrument du trust ou de la loi applicable, il est suscep-

52 Amonn / Walther, p. 407, N 28 ; Jeandin / Fischer, N 1 et N 3 ad art. 242 LP ; marchand (Poursuite), p. 135 s. ; russenberger, N 1 ad art. 242 LP.

53 Gilliéron (Poursuite), p. 363, N 1930 ; Jeandin / Fischer, N 5 ad art. 242 LP ; russenberger, N 14 ss ad art. 242 LP.

54 Gilliéron (Commentaire), N 41 ad art. 242 LP ; Jeandin / Fischer, N 2 ad art. 242 LP.55 Gilliéron (Poursuite), p. 364, N 1934 s. ; Jaeger, N 6 ad art. 242 LP ; Thévenoz

(Trusts), p. 68 s.56 Amonn / Walther, p. 408, N 30 ss ; marchand (Poursuite), p. 135.57 Bopp, N 6 ad art. 284b LP.

71Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

tible de les détenir soit en son nom propre, soit en sa qualité de trustee. C’est sur cette distinction qu’il convient à notre avis de se fonder pour fixer le déroulement de la procédure 58. L’on distinguera sur cette base les deux hypothèses suivantes :(i) Si un bien ou un droit est détenu par le trustee en son nom propre (par

ex. inscription d’un immeuble au registre foncier à son nom sans men-tion simultanée de l’existence du trust), il peut être considéré comme se trouvant dans la maîtrise exclusive du trustee en tant que débiteur. Les apparences sont défavorables au revendiquant. Dans ce cas, c’est donc à la personne qui revendique l’appartenance du bien au trust qu’il incombe d’intenter l’action en revendication au sens de l’art. 242 al. 2 LP (Aussonderungsklage) 59.

(ii) Si, au contraire, la chose est détenue par le trustee en cette qualité (par ex. inscription de l’immeuble à son nom au registre foncier avec men-tion simultanée du rapport de trust), elle peut être considérée comme se trouvant dans la “sphère” du trust. Les apparences sont favorables au revendiquant. Dans ce cas, c’est donc à la masse qu’il revient d’in-troduire une action en contestation de la revendication au sens de l’art. 242 al. 3 LP (Admassierungsklage) 60.

b. Les parties au procès et la qualité pour agir/défendre

Les parties au procès en revendication de l’art. 242 al. 2 LP (Aussonde-rungsklage) sont le tiers revendiquant en tant que partie demanderesse, et

58 A noter que ce critère distinctif correspond dans sa substance à celui de la “reconnais-sabilité” du rapport de trust pour les tiers proposée par Thévenoz (Trusts), p. 68 s.

59 Cf. dans ce sens Thévenoz (Trusts), p. 69, mais à propos de la revendication dans la saisie : “si le trustee a pris les précautions qui rendent reconnaissables aux tiers qu’un bien ne fait pas partie de son patrimoine personnel, il se justifie de mettre à la charge des créanciers saisissants l’initiative de l’action civile relative au statut juridique du bien saisi.” D’un avis différent : Bopp, N 6 ad art. 284b LP ; schwander, N 5 ad art. 284b LP. Ces auteurs ne font pas de nuance sur la base des apparences et examinent la répartition des rôles au regard du seul art. 242 al. 3 LP, indiquant que le trustee a toujours la maîtrise effective sur les biens du trust.

60 Cf. dans ce sens Thévenoz (Trusts), p. 69, relativement à la revendication dans la saisie : “A l’inverse, si le trustee n’a pas pris les précautions nécessaires de sorte que les tiers peuvent de bonne foi considérer que ce bien appartient au patrimoine personnel du trustee, l’apparence joue en faveur des créanciers saisisissants ; ceux qui ont intérêt à soustraire le bien à l’exécution forcée ont alors la charge d’introduire cette action.” 

72 Aude Peyrot

la masse en faillite en tant que partie défenderesse 61. Les parties sont les mêmes mais les rôles inversés dans le cadre de l’Admassierungsklage de l’art. 242 al. 3 LP. Concrètement, la légitimation active et passive, et corollairement la qualité pour agir et pour défendre, dépend de la titularité du droit. A ainsi qualité pour agir en revendication tout titulaire d’un droit de nature à soustraire le bien litigieux à la masse. Comme indiqué plus haut, ce droit peut consister notamment dans un droit de propriété ou un droit de dis-traction prévu par la loi. Dans la mesure où la question touche au droit de fond, elle se détermine au regard du droit matériel qui régit la relation juri-dique en cause 62, in casu de la loi applicable au trust 63. Selon le Message, la qualité pour revendiquer appartiendra généralement au(x) (co-)trustee(s) ou aux bénéficiaires du trust 64. Relevons que le trustee insolvable se trouve dans un conflit d’intérêts résultant de sa double qualité de trustee et de débiteur65. Tant qu’il n’a pas été révoqué et remplacé, il reste soumis à son devoir fiduciaire qui lui com-mande de servir loyalement les intérêts des bénéficiaires, tandis qu’il peut avoir simultanément intérêt à ce que les biens du trust servent à déchar-ger ses propres dettes et soient donc maintenus dans la masse. Certains auteurs relèvent à juste titre que cela ne l’empêche pas de participer au procès en revendication en tant que tiers revendiquant, dans l’attente de son remplacement 66. Ceci dit, le problème peut et doit être circonscrit en ouvrant largement la qualité pour agir ou pour défendre (voire la qualité d’intervenant) aux bénéficiaires du trust 67. Quant aux bénéficiaires, ils sont les titulaires directs du droit de dis-traction de l’art. 284b LP. L’on rappellera que ce droit vise à garantir la mise en œuvre effective de l’effet de ring-fencing du trust, lequel trouve sa justification directe dans l’equitable proprietary right des bénéficiaires

61 Jeandin / Fischer, N 20 ad art. 242 LP.62 Knoepfler / schweizer / othenin-Girard, p. 374.63 message (Trusts), p. 611. Cf. aussi Bopp, N 5 ad art. 284b LP ; schwander, N 4 ad

art. 284b LP ; Thévenoz (Trusts), p. 70.64 message (Trusts), p. 611. Cf. aussi Bopp, N 5 ad art. 284b LP.65 Gutzwiller, p. 187, N 284b-10.66 Bopp, N 5 ad art. 284b LP ; Thévenoz (Trusts), p. 71 cum p. 77. Contra : Gutzwiller,

p. 187, N 284b-10 ; D. staehelin (Trusts), p. 78, lequel s’exprime toutefois dans le cadre de la saisie et sous réserve du cas où le trustee insolvable serait le seul tiers revendiquant possible.

67 Thévenoz (Trusts), p. 71 cum p. 77.

73Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

sur le fonds du trust 68. A ce titre, ils ont dès lors la légitimation active et passive et la qualité pour agir/défendre. Cette solution vaut sur un plan général. Dans un cas concret, il y a lieu d’examiner la question au vu du type de prérogatives dont le bénéficiaire dispose dans le trust. Certains auteurs relèvent que la qualité des bénéficiaires pour revendiquer peut être calquée sur celle qui prévaut en matière de droit de suite 69. Cette solution se justifie dans la mesure où la revendication des biens du trust et le droit de suite peuvent être perçus comme deux actions parallèles qui prennent toutes deux leur origine dans le proprietary right du bénéficiaire. D’autre part, elle a l’avantage de déplacer la problématique sur un terrain large-ment mieux exploré dans la doctrine anglo-américaine. Comme on l’a vu, le droit anglo-saxon ne prévoit pas de droit de revendication en faveur du bénéficiaire, dans la mesure où il n’en a pas l’utilité, la ségrégation étant un principe inhérent au trust respecté en tant que tel 70. Il conviendrait dès lors de reconnaître la qualité de tiers revendiquant à tout bénéficiaire pouvant faire valoir un droit de suite, le cas échéant, via un recours au juge 71. L’on relèvera à cet égard que tous les bénéficiaires d’un trust, même constitué sous une forme discrétionnaire, peuvent faire appel au juge pour obtenir la sauvegarde de leurs intérêts, lorsque des biens du trust ont été aliénés fautivement en mains de tiers 72. Il s’agit là d’une simple mise en œuvre de la compétence générale des tribunaux (in-herent jurisdiction) 73. Il apparaît ainsi que tous les bénéficiaires d’un trust peuvent indifféremment requérir la protection de leur equitable interest en cas d’aliénation fautive des biens du trust. Il convient dès lors de leur

68 sur la notion de proprietary right et le lien avec l’effet de ring-fencing, cf. supra p. 26 s.

69 Thévenoz (Trusts), p. 71 cum p. 77 ; schwander, N 13 ad art. 284b LP.70 Cf. supra p. 60 s.71 sur la question, cf. notamment Pannatier Kessler, p. 53 s. et p. 340 ss.72 Cf. Pannatier Kessler, p. 53, qui précise que les bénéficiaires d’un trust discrétion-

naire ne peuvent qu’exiger la restitution du bien au patrimoine du trust (et non à eux-mêmes), dans l’espoir de recevoir par la suite des distributions du fonds du trust.

73 Hayton (Law of Trusts), p. 178 : “However, beneficiaries under discretionary trusts […] all have a right to invoke the inherent jurisdiction of the court to safeguard their interests and to supervise and, if necessary to intervene in, the exercise of the trustee’s functions.” L’auteur poursuit, p. 179 : “In favour of the claimant beneficiaries […] it can order the third party to transfer the traced property to the trustees of the trust fund. This proprietary in rem remedy ensures that the proper full amount of the trust property is then available to benefit the discretionary beneficiaries or objects to the extent, if any, to which the trustees choose in their discretion to benefit a particular beneficiary or object.”

74 Aude Peyrot

reconnaître, dans une même mesure, la qualité pour revendiquer les biens du trust en cas d’insolvabilité du trustee. Au demeurant, une ouverture large de la qualité pour agir des bénéficiaires en matière de revendication permet de limiter les conflits d’intérêts liés à la participation du trustee insolvable à la procédure, lorsqu’il est l’unique trustee. L’on relèvera enfin qu’il n’y a pas de rapport de consorité nécessaire entre les bénéficiaires au sens de l’art. 70 CPC 74. Cette dernière intervient lorsque plusieurs personnes sont ensemble le titulaire du bien litigieux, de sorte qu’un jugement unique s’impose à l’égard de tous 75. Tel n’est pas le cas des bénéficiaires d’un trust. En effet, ceux-ci peuvent généralement faire valoir un droit qui leur est propre dans le fonds du trust. Cette conclusion s’impose pour les bénéficiaires qui jouissent d’un droit fixe (fixed interest), de même que pour ceux qui ont un droit conditionnel (contingent interest) 76. Le droit de ces bénéficiaires donne ainsi lieu à une qualité pour agir ou pour défendre distincte. Une conclusion identique s’impose en outre pour les bénéficiaires d’un trust discrétionnaire, dont on a vu qu’ils peuvent requé-rir à titre individuel la protection de leur interest dans le fonds du trust via un droit de suite octroyé par le juge. Par analogie, ils doivent se voir recon-naître un droit de distraction individuel, leur permettant d’obtenir la sous- traction des valeurs du trust et leur réintégration dans le fonds du trust. Notons enfin que le settlor – à moins d’être simultanément le trustee ou l’un des bénéficiaires du trust, ou de s’être réservé valablement et spéci-fiquement un pouvoir correspondant dans l’instrument du trust – n’a pas la qualité pour agir ou pour défendre dans le procès en revendication 77. En effet, au moment du transfert au trustee, il est complètement dessaisi du titre de propriété sur les biens du trust. Sous les réserves précitées, il ne dé-tient en outre aucun droit sur le fonds du trust. Il n’est pas le destinataire de l’effet de ring-fencing opéré par le trust. Autrement dit, il ne peut invoquer aucune qualité de propriétaire et aucun droit de distraction spécifique.

74 Dans ce sens, D. staehelin (Trusts), p. 79 : “Jeder Dritter muss eine eigene Klagefrist erhalten und kann eine eigene Klage einreichen.”

75 Cf. notamment arrêt du TF 4P.226/2002 du 21 janvier 2003, publié in sJ 2003 i 299, cons. 2.1. Cf. aussi Haldy, p. 28.

76 sur la notion de “fixed” et de “contingent interest”, cf. infra pp. 185 et 189.77 Contra (mais à propos de la saisie) : schwander, N 13 ad art. 284a LP ; D. staehelin

(Trusts), p. 78, qui reconnaît une telle qualité au settlor, lorsque la loi applicable au trust lui octroie un droit correspondant. il nous semble toutefois peu probable que la loi étrangère applicable au trust prévoie un tel cas de figure.

75Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

c. Preuve, moyens de défense et issue du procès

La répartition des rôles à la procédure n’a pas d’incidence sur le fardeau de la preuve. Conformément à l’art. 8 CC, c’est toujours au tiers revendiquant qu’il appartient de prouver la réalité du droit qu’il invoque 78. Comme déjà indiqué, les motifs de revendication prévalant dans la faillite sont no-tamment la propriété et un droit de distraction reconnu par la LP ou le droit matériel 79. En matière de trust, il appartient au tiers revendiquant de prouver principalement l’existence du trust, son droit dans le trust (i.e. par exemple la qualité de trustee ou de bénéficiaire), ainsi que l’appartenance du bien litigieux au fonds du trust. Quant à la masse en faillite, elle peut s’opposer à la revendication, soit en contestant l’existence de l’une ou plu-sieurs des circonstances précitées, soit en faisant valoir que nonobstant le droit avéré du tiers, les biens du trust doivent servir au désintéressement des créanciers personnels du trustee 80. En cas de succès de la revendication, le bien du trust est définitivement soustrait à la faillite et remis en la possession du co-trustee ou du trustee de remplacement. En cas d’échec, le bien est acquis à la masse en faillite et sera à terme réalisé en faveur des créanciers personnels du trustee.

B. Dans la saisie contre le trustee

1. Principe : absence de saisie sur les biens du trust

Nous avons vu de façon générale que les biens du trust ne participent pas à l’exécution forcée en faveur des créanciers personnels du trustee 81. Il convient de rappeler à cet égard la teneur de l’art. 11 § 3 lit. a de la Conven-tion, selon lequel la reconnaissance d’un trust implique notamment, lorsque la loi applicable le prévoit, que “les créanciers personnels du trustee ne puissent pas saisir les biens du trust”. Par conséquent, dans l’exécution de la saisie contre le trustee, les avoirs du trust ne sauraient en principe être mis sous main de justice.

78 Gilliéron (Commentaire), N 73 ad art. 242 LP.79 Gilliéron (Poursuite), p. 363, N 1930 ; Jeandin / Fischer, N 5 ad art. 242 LP ;

russenberger, N 14 ss ad art. 242 LP.80 D. staehelin (Trusts), p. 79 ; Thévenoz (Trusts), p. 73 s.81 sur l’effet de ring-fencing, cf. supra p. 27 ss.

76 Aude Peyrot

En sus d’être directement requise par la Convention de La Haye, cette solution procède d’une logique identique à celle qui anime la distraction d’office des biens du trust en cas de faillite du trustee conformément à l’art. 284b LP. A strictement parler, la distraction d’office est un concept exclusivement réservé à la faillite. On le sait, l’ouverture de la faillite a pour effet d’intégrer tous les biens saisissables du débiteur dans une seule masse destinée au paiement de ses créanciers. La distraction d’office vise précisé-ment à prévenir la réunion du fonds du trust à cette masse (Admassierung). La saisie, au contraire, n’a pas cet effet universel. Elle opère de façon indi-viduelle et spéciale sur les biens du débiteur. Il n’est donc pas nécessaire de recourir au concept de distraction d’office. Cela étant, l’idée qui lui est sous-jacente trouve également application dans la saisie : les biens du trust doivent être tenus en dehors de l’exécution forcée. Dans la mesure du pos-sible, il s’agit d’éviter qu’ils n’aient à être revendiqués ultérieurement. A l’instar de ce qui se produit pour la faillite, ce privilège ne doit toute-fois être accordé que lorsque le rapport de trust est suffisamment établi 82. Si cette condition est réalisée, l’office des poursuites doit alors s’abstenir de saisir les biens du trust au moment d’exécuter la saisie 83. A notre avis, il appartient au fonctionnaire de l’office des poursuites d’indiquer sur le procès-verbal (par exemple sous la forme d’une remarque) le fait que ces biens n’ont pas pas été saisis en raison de leur appartenance à un trust conformément à l’art. 11 de la Convention de La Haye. Une telle mention permet d’informer les créanciers de l’existence de ces biens et leur réserve la possibilité de contester l’absence de saisie par la voie de la plainte au sens de l’art. 17 LP. En revanche, si le rapport de trust n’est pas suffisamment établi, l’office devra alors procéder à la saisie des biens du trust. Dans ce cas, leur distrac-tion ne pourra intervenir qu’au moyen d’une procédure de revendication que nous verrons ci-après.

82 Cf. supra p. 68 s. 83 selon la jurisprudence, l’office doit s’abstenir de saisir un bien qui est détenu par le

débiteur mais qui est désigné comme appartenant à un tiers, lorsqu’il est certain qu’il relève de la propriété de ce dernier. une saisie opérée en dépit de la propriété mani-feste d’autrui est nulle. Cf. à cet égard ATF 84 iii 79, JT 1958 ii 82. Lorsque l’office a un doute, il lui appartient de saisir le bien, mais dans l’ordre prévu à l’art. 95 al. 3 LP, à savoir en dernier lieu ; cf. ATF 120 iii 49, JT 1996 ii 185. en présence d’un trust, ce dernier principe doit être appliqué de façon prudente et mesurée, de peur de vider de sa substance le principe de la séparation des patrimoines prévu par la Convention de La Haye.

77Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

2. La revendication des biens du trust

a. Procédure préliminaire

La procédure de revendication est habituellement déclenchée par l’an-nonce de la prétention du tiers auprès de l’office des poursuites. Elle peut émaner de tout intéressé, ce qui résulte de la formulation large de la loi (cf. art. 106 al. 1 LP : “lorsqu’il est allégué […]”) 84. En matière de trust, l’ap-partenance du bien au trust peut donc être communiquée par toute per-sonne interessée, que ce soit le settlor, le trustee, l’un ou l’autre des bénéfi-ciaires du trust ou encore le protecteur du trust 85. Le déroulement de la procédure, en particulier le rôle respectif de cha-cune des parties, dépend traditionnellement de l’apparence du droit pré-férable. Le critère déterminant est ordinairement la “possession” entendue au sens large, à savoir la maîtrise effective sur la chose, qui consiste dans le droit d’en disposer effectivement 86. Les deux principales hypothèses qui peuvent se présenter sont les suivantes :(i) Le bien litigieux se trouve en la possession exclusive du débiteur, in

casu du trustee saisi. Tel sera le cas par exemple si l’immeuble est ins-crit à son nom au registre foncier sans mention simultanée du rapport de trust, ou s’il est titulaire d’une créance (par ex. compte bancaire) en son propre nom et non en sa qualité de trustee. Dans cette hypothèse, c’est la procédure de l’art. 107 LP qui s’applique. Les parties à la pour-suite (débiteur et créanciers poursuivants) sont invitées à se détermi-ner sur l’appartenance des biens au trust dans un délai de 10 jours fixé par l’office (art. 107 al. 1 et 2 LP). S’ils ne la contestent pas, la prétention est réputée admise dans la poursuite en cours et le bien du trust sera soustrait à la saisie. Si, au contraire, ils la contestent, le tiers revendi-quant aura la charge d’introduire une action en revendication au sens de l’art. 107 al. 5 LP dans le délai de 20 jours fixé par l’office.

(ii) Le bien litigieux se trouve en la (co-)possession du tiers, par quoi il faut comprendre que les biens se trouvent dans la “sphère” du trust. Tel sera par exemple le cas si l’immeuble est inscrit au nom du trustee avec la mention simultanée de son appartenance au trust, ou si le trustee

84 D. staehelin (Trusts), p. 79 ; Thévenoz (Trusts), p. 71. 85 Gutzwiller, p. 187, N 284b-6, à propos de la faillite ; D. staehelin (Trusts), p. 77 s. ;

Thévenoz (Trusts), p. 71.86 Gilliéron (Commentaire), N 41 ad art. 242 LP.

78 Aude Peyrot

est désigné comme le titulaire d’une créance en cette qualité. Dans de telles circonstances, la procédure applicable est celle de l’art. 108 LP. Il appartient à celui qui conteste la revendication d’introduire une action au sens de l’art. 108 al. 1 LP (action en contestation de revendication) dans le délai de 20 jours fixé par l’office. S’il n’agit pas à l’intérieur de ce délai, la distraction du bien du trust est réputée admise dans la pour-suite en cours en application de l’art. 108 al. 3 LP.

b. Les parties au procès et la qualité pour agir/défendre

La répartition concrète des rôles procéduraux est fixée dans la phase pré-liminaire. Dans le procès en revendication (art. 107 LP), le rôle de deman-deur incombe au tiers revendiquant ; celui de défendeur au créancier saisis-sant et/ou au débiteur poursuivi. Ces rôles sont inversés dans le procès en contestation de revendication (art. 108 LP) 87. Comme indiqué plus haut, les qualités pour agir et défendre dépendent de la légitimation active et pas-sive, et donc de la titularité du droit. L’on renverra ici aux considérations développées dans la faillite qui valent mutatis mutandi pour la saisie 88. La légitimation appartient en substance au (co-)trustee et aux bénéficiaires du trust, mais non pas à notre avis au settlor pour les raisons invoquées plus haut 89. Notons toutefois que lorsque le trustee insolvable est l’unique trustee, le risque de conflit d’intérêts est accru (par comparaison au cas de la faillite), puisque la loi reconnaît ici au débiteur la qualité de partie (cf. art. 107 al. 1 et 5 LP et 108 al. 1 LP) 90. Autrement dit, le trustee insolvable peut être partie au procès soit en tant que tiers revendiquant (en sa qualité de propriétaire du fonds du trust) soit en tant que débiteur poursuivi. Au vu de ce conflit immanent, D. Staehelin le disqualifie par principe de la première de ces qualités, sauf lorsqu’à titre exceptionnel il n’y a personne d’autre qui puisse endosser ce rôle 91. Cette position nous paraît ambiguë. Il

87 Tschumy (Cr-LP), N 2 ad art. 109 LP.88 Cf. supra p. 71 ss.89 Cf. supra p. 74. Contra : schwander, N 13 ad art. 284a LP ; D. staehelin (Trusts),

p. 78.90 Le texte de la l’art. 108 al. 1 LP est clair : “Le créancier et le débiteur peuvent ouvrir

action contre le tiers en contestation de sa prétention […]”.91 D. staehelin (Trusts), p. 78.

79Chapitre 2 : La distraction des biens du trust

faut à notre avis privilégier une approche uniforme sur le fond : soit le trustee a la qualité de revendiquant, soit il ne l’a pas ; la solution ne doit pas dé-pendre des circonstances. Pour sa part, L. Thévenoz reconnaît au trustee insolvable la qualité de revendiquant, jusqu’à ce qu’il soit remplacé 92. Cette dernière solution nous semble préférable. Primo, la légitimation active du trustee découle directement de sa qualité de propriétaire et de la loi ma-térielle applicable et ne peut être ignorée comme telle. Secundo, tant qu’il n’a pas été révoqué, le trustee reste – au moins théoriquement – lié par un devoir fiduciaire qui lui impose d’agir dans l’intérêt des bénéficiaires de façon générale et, si nécessaire, dans le cadre d’un procès en revendi-cation. Une violation de ce devoir engagerait sa responsabilité et ne ferait qu’alourdir son passif dont il pourrait avoir à répondre sur ses biens futurs. En définitive, les situations susceptibles de se présenter sont les suivantes.Dans le procès en revendication (art. 107 LP) : (i) Le bénéficiaire d’un trust peut agir contre le créancier saisissant, s’il

allègue que le bien litigieux appartient au trust, alors que le créancier soutient qu’il relève des biens propres du débiteur.

(ii) Le bénéficiaire d’un trust peut agir contre le trustee dans sa capacité privée (en tant que débiteur), s’il allègue que le bien litigieux appartient au trust, alors que le trustee revendique au contraire sa propriété per-sonnelle sur ce bien.

(iii) Le trustee (en sa qualité de trustee, et non à titre personnel) peut agir contre le créancier, s’il entend faire valoir que le bien litigieux appar-tient au trust et ne relève pas de sa fortune personnelle. Cette solu-tion présente principalement un intérêt (mais ne se limite pas à ce cas) lorsqu’aucune autre personne ne peut ouvrir l’action. Le trustee peut être tenu d’entreprendre une telle démarche sur la base de son devoir fiduciaire. Il convient au surplus de permettre aux bénéficiaires d’in-tervenir dans la suite de la procédure et de procéder à une substitu-tion de partie dès que le trustee insolvable aura été, le cas échéant, remplacé.

Dans le procès en contestation de revendication (art. 108 LP) :(iv) Le créancier peut agir contre le bénéficiaire du trust s’il conteste que

le bien litigieux appartient au trust.(v) Le créancier peut agir contre le trustee (en sa qualité de trustee, et

non à titre personnel) lorsqu’il conteste que le bien litigieux relève du

92 Thévenoz (Trusts), p. 71.

80 Aude Peyrot

trust. Il s’agit du pendant de l’hypothèse évoquée sous (iii). Elle pré-sente un intérêt lorsqu’aucun bénéficiaire ne peut endosser le rôle de défendeur.

(vi) Le trustee (à titre personnel, et non en tant que trustee) peut agir contre le bénéficiaire du trust, s’il conteste que le bien litigieux appartient au trust. Il s’agit du pendant de l’hypothèse évoquée sous (ii).

c. Preuve, moyens de défense et issue du procès

Il est renvoyé ici aux considérations développées dans le cadre de la faillite (cf. supra p. 75), lesquelles s’appliquent mutatis mutandi.

81Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

Chapitre 3

L’INCIdENCE dE La PubLICITé SuR La dISTRaCTIoN dES bIENS du TRuST

Le chapitre précédent a montré que le droit suisse reconnaît et met en œuvre l’effet de ring-fencing à travers un droit de distraction qui permet de soustraire les biens du trust à l’exécution forcée dirigée contre le trustee à titre personnel. Dans ce prolongement, il convient à présent d’exami-ner plus spécifiquement le lien qu’entretient ce droit de distraction avec le principe de publicité du droit suisse, en particulier quant à savoir si son exercice effectif dépend d’une mesure de publicité du rapport de trust. Dans cette perspective, nous introduirons au préalable les règles des art. 12 de la Convention de La Haye et 149d LDIP (ci-après I), pour nous at-tarder ensuite plus longuement sur les effets de l’absence de publicité sur le droit de distraction (ci-après II). Relevons d’emblée que la position qui sera défendue sur ce dernier point s’écarte du Message et de la doctrine majo-ritaire qui prévaut en Suisse 1. Aussi conviendra-t-il d’exposer les différentspoints de vue et de discuter la question dans le détail, afin de pouvoir pro-poser à terme une interprétation de l’art. 149d LDIP, de même qu’une solu-tion à cette problématique.

I. La réglementation de la publicité du trust

A. L’art. 12 de la convention de La Haye

L’art. 12 de la Convention prévoit que “le trustee qui désire faire inscrire dans un registre un bien meuble ou immeuble, ou un titre s’y rapportant, sera habilité à requérir l’inscription en sa qualité de trustee ou de telle

1 Notre position a déjà été exposée plus succinctement in Peyrot A., “La mention du trust dans les registres publics et la protection des créanciers de bonne foi : un regard critique” in rsDA 81/5 (2009), pp. 366-373.

82 Aude Peyrot

façon que l’existence du trust apparaisse, pour autant que ce ne soit pas interdit par la loi de l’Etat où l’inscription doit avoir lieu ou incompatible avec cette loi.” Le but de cette norme est de favoriser la reconnaissance du trust dans les pays qui ne connaissent pas l’institution. Elle vise à faciliter l’administration du fonds du trust par le trustee en faisant reconnaître ses droits et pouvoirs sur celui-ci, et ce faisant à assurer une meilleure protec-tion des droits des bénéficiaires 2. Dans la mesure où l’art. 12 est une norme de facilitation, la publicité est logiquement prévue sous une forme faculta-tive. La norme conventionnelle laisse le choix au trustee de tirer parti de la publicité du trust ou au contraire d’y renoncer (par exemple pour des motifs de confidentialité 3). En particulier, le défaut de publicité du rapport de trust n’est pas assorti de quelconques effets juridiques. L’on relèvera en outre que selon l’art. 12 in fine de la Convention, la publicité n’est pos-sible que si elle n’est pas interdite ou incompatible avec la loi de l’Etat de l’inscription. En effet, dans certaines juridictions, le système tabulaire ne permet pas de faire mentionner le rapport de trust, en sus de l’inscription du trustee en tant que propriétaire 4. Cette précaution vise essentiellement les juridictions de common law, pour lesquelles la publicité du trust peut être, au contraire, considérée comme un obstacle à l’aliénation des biens du trust, puisqu’elle entraîne un devoir d’information de l’acheteur quant au pouvoir de disposition effectif du trustee 5.

2 Jauffret-spinosi, p. 60 : “Dorénavant, la tâche des conservateurs des hypothèques sera clarifiée et les trustees administrant et gérant des biens à l’étranger pourront, s’ils le désirent et s’ils pensent que l’inscription sera favorable à l’administration du trust et assurera une meilleure protection des droits des bénéficiaires, faire connaître la nature et la consistance des biens mis en trust en les soumettant à inscription.” Dans ce sens également, Van Loon, p. 31 : “Article 12 of the Convention aims at facilitating the life of a trust, which under trust law is in principle ‘veiled’ in a civil law environment where registration and publicity of right is often essential.” Cf. aussi Gaillard / Trautman (Convention), p. 29.

3 Cf. à cet égard Böckli, p. 28 : “Der Trust ist strickte privat, und das ist eine der Eigen-heiten, die ihn für die private Vermögensverwaltung so anziehend machen. Der Treuhän-der ist Volleigentümer (‘legal owner’), tritt als solcher auf und ist im Allgemeinen nicht verpflichtet, seine “intern”, gegenüber den Begünstigten nach Massgabe der Teuhandur-kunde geltende Treuepflicht offen zu legen.”

4 Cf. dans ce sens Kötz (Kollisionsrecht), p. 583. La question s’est notamment posée en italie où la possibilité de mentionner le rapport de trust a finalement été admise par la doctrine majoritaire ; cf. notamment Bartoli, p. 571 ss.

5 Harris, p. 338 et p. 340 ; Hayton (Hague Convention), p. 277 : “A trustee or trustees need not take advantage of the facility and may, instead, register ordinarily as owner or

83Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

Pour le surplus, la norme conventionnelle fixe un cadre général. Il appartient aux Etats parties de réglementer les modalités de la publicité, notamment dans sa portée et ses effets 6. Selon l’art. 12 de la Convention, la publicité peut porter tant sur des titres, des biens meubles ou des im-meubles. Sont par ailleurs visés tant les registres publics que les registres privés, tel que le registre des actionnaires 7. Les Etats parties peuvent agir à l’intérieur de ce cadre.

B. L’art. 149d LDiP

1. Teneur

L’art. 12 de la Convention a été concrétisé dans notre droit à l’art. 149d LDIP, qui régit de la sorte la publicité du trust en Suisse. Ce dernier est formulé comme suit.

Art. 149d Dispositions spéciales concernant la publicité

“ 1 Lorsque les biens d’un trust sont inscrits au nom d’un trustee dans le registre foncier, le registre des bateaux ou le registre des aéronefs, le lien avec le trust peut faire l’objet d’une mention.2 Le lien avec un trust portant sur des droits de propriété intellectuelle enregistrés en Suisse est, sur demande, inscrit dans le registre pertinent. 3 Le lien avec un trust qui n’a pas fait l’objet d’une mention ou qui n’a pas été inscrit n’est pas opposable aux tiers de bonne foi.”

En tant que titulaire juridique du fonds du trust, le trustee est nécessai-rement le propriétaire inscrit ou enregistré dans le registre pertinent 8. Cela ressort notamment de l’art. 2 § 2 lit. c de la Convention de La Haye qui prévoit que le titre des biens du trust est établi au nom du trustee (ou d’une autre personne pour son compte). Le trust est, quant à lui, dépourvu d’une telle capacité faute de personnalité juridique. L’inscription ou l’en-registrement du trustee comme propriétaire dans le registre pertinent est

co-owner if it is considered that the marketability and value of the assets would other-wise be detrimentally affected – on the basis that foreign purchasers would not want the aggravation of worrying about trustee’s powers of disposition and beneficiaries’ rights.” Cf. aussi Koppenol-Laforce (Convention), p. 40.

6 Koppenol-Laforce (Convention), p. 35. 7 Gutzwiller, p. 98, N 12-4 ; Jauffret-spinosi, p. 59 ; von overbeck (rapport expli-

catif), p. 396, N 121.8 Wolf / Jordi, p. 72.

84 Aude Peyrot

au surplus une formalité nécessaire pour lui permettre d’acquérir le titre sur le bien ou le droit en cause 9. Dans cette perspective, l’art. 149d LDIP vise à informer les tiers que le trustee détient le bien ou le droit en cette qualité, et non pas à titre privé. Les biens du trust sujets à publicité en Suisse sont les immeubles, les bateaux et aéronefs, ainsi que les droits de propriété intellectuelle, soit les biens et les droits soumis à une publicité tabulaire via un registre public. Le législateur suisse a en revanche renoncé à prescrire la publicité d’un rapport de trust existant sur des biens meubles ou des créances. La publicité du rapport de trust est prévue sous une forme potestative. L’art. 149d al. 1 et 2 LDIP indique en effet que le lien de trust “peut” être mentionné ou inscrit dans le registre pertinent 10. L’intention du législa-teur suisse a été de laisser aux intéressés le libre choix de révéler ou non l’existence d’un rapport de trust sur un bien donné. En réalité, il ne s’agit toutefois pas d’une simple faculté, car le défaut de publicité n’est pas sans conséquences. L’art. 149d al. 3 LDIP prévoit en effet que le rapport de trust qui n’a pas été mentionné ou inscrit n’est pas opposable aux tiers de bonne foi. En cela, la norme suisse s’écarte de l’art. 12 de la Convention de La Haye, lequel n’assortit le défaut de publicité d’aucun effet juridique. Dans la mesure où elle est facultative, l’indication du rapport de trust n’est pas entreprise d’office. Elle doit faire l’objet d’une requête. La loi n’in-dique toutefois pas quelles sont les personnes habilitées à la former. En matière immobilière, selon les lignes directrices de l’Office fédéral chargé du droit du registre foncier et du droit foncier 11, une telle demande peut émaner du trustee en tant que propriétaire de l’immeuble 12. Elle peut éga-lement être faite par le settlor au moment du transfert de l’immeuble dans le fonds du trust 13. Quant aux bénéficiaires, ils ne peuvent requérir la men-tion directement. Cela étant, si la loi applicable prévoit l’obligation pour le

9 Guillaume (Trust), p. 41.10 A noter que l’expression “lien de trust” n’est pas adéquate. il conviendrait plutôt de se

référer à la “relation de trust” ou au “rapport de trust”.11 Ces lignes directrices ont été émises le 28 juin 2007 et s’adressent aux divers inspecto-

rats et offices cantonaux du registre foncier. elles reposent sur de simples recomman-dations et n’ont ainsi pas force contraignante.

12 Lignes directrices de l’office fédéral chargé du droit du registre foncier et du droit fon-cier, p. 3 ; Foëx (mention du trust), p. 84 ; Guillaume (Trust), p. 43 ; Gutzwiller, p. 173 s., N 149d-8.

13 Lignes directrices de l’office fédéral chargé du droit du registre foncier et du droit foncier, p. 3 ; Foëx (mention du trust), p. 84 ; Wolf / Jordi, p. 73.

85Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

trustee de procéder à la publicité du trust, ils peuvent obtenir judiciaire-ment que la mention soit portée au registre foncier 14. Certains auteurs font également référence au protecteur du trust dans certaines circonstances 15. En ce qui concerne les immeubles, la réglementation de la publicité du rapport de trust à travers la forme de la mention est relativement atypique en droit suisse. En effet, selon la jurisprudence 16 et la doctrine majoritaire 17, les mentions portées au registre foncier n’ont en principe qu’une fonction purement informative. A l’inverse, elles n’ont en règle générale ni effet constitutif ni effet déclaratif, en ce sens que le rapport juridique concerné existe indépendamment de la mention et est opposable aux tiers même à défaut de celle-ci. L’art. 149d al. 3 LDIP s’écarte toutefois de ce régime, en prévoyant que le rapport de trust n’est pas opposable aux tiers de bonne foi à défaut de mention, ce qui revient à attribuer à cette dernière un effet déclaratif. Fondée ou non 18, cette solution n’a pas lieu d’être discutée ici, puisqu’elle est désormais ancrée dans la loi.

2. Processus législatif

L’art. 149d LDIP a fait l’objet de diverses modifications au cours du proces-sus législatif. La portée de la publicité était prévue à l’origine de façon très large et a été restreinte au fur et à mesure. Nous examinerons ci-après les différentes étapes du processus législatif, du premier avant-projet d’arrêté fédéral à l’adoption de l’art. 149d LDIP.

14 Lignes directrices de l’office fédéral chargé du droit du registre foncier et du droit fon-cier, p. 3 ; cf. aussi Foëx (mention du trust), p. 84 s. ; Gutzwiller, p. 174, N 149d-8 ; Vogt, N 5 ad art. 149d LDiP.

15 Foëx (mention du trust), p. 85 ; Gutzwiller, p. 174, N 149d-8 ; Vogt, N 5 ad art. 149d LDiP.

16 ATF 124 iii 211 (fr.), JT 1999 ii 122, cons. 1a. 17 Cf. notamment Deschenaux, p. 578 ss ; Guillaume (Trust), p. 43 ; schmid, N 71 ad

art. 946 CC ; steinauer, p. 293, N 839a ; Thévenoz (Trusts), p. 128. Pour un exposé détaillé des effets des mentions et des diverses tendances doctrinales, cf. Pannatier Kessler, p. 128 ss.

18 Le choix de la mention a été largement critiqué dans la procédure de consultation. L’office fédéral a toutefois maintenu sa position, considérant qu’ “une inscription au registre foncier qui signale des relations déjà existantes et dont le seul effet juridique est d’exclure la bonne foi d’un tiers qui bénéficierait autrement d’une protection à ce titre, devrait prendre la forme d’une mention.” ; cf. message (Trusts), p. 606. Pour une critique doctrinale sur le choix de la mention, l’on renverra à Pannatier Kessler, p. 140 ss.

86 Aude Peyrot

Le premier avant-projet d’arrêté fédéral datant du 18 décembre 2003 a été soumis à une pré-consultation informelle au sein des milieux intéres-sés. Il prévoyait une réglementation de la publicité très large. Pas moins de quatre dispositions spéciales étaient consacrées à la publicité (cf. art. 149c à 149f 1erAP-LDIP) portant respectivement sur les immeubles, bateaux et aéronefs 19, le patrimoine mobilier d’un trust 20, les valeurs à ordre 21, ainsi que les droits immatériels22. Dans chaque cas, la publicité du rapport du trust était prévue sous une forme contraignante. Chacune des règles pré-cisait en outre qu’en l’absence d’indication du rapport de trust, ce dernier n’aurait aucun effet juridique à l’égard des tiers de bonne foi. Quant aux meubles, le premier avant-projet prévoyait d’assurer la publicité du lien de trust à travers un registre public à instituer par le Conseil fédéral, par ana-logie avec le pacte de réserve de propriété. Pour les immeubles, bateaux et aéronefs, l’indication du rapport de trust était initialement prévue sous la forme d’une annotation obligatoire dans le registre pertinent. Le pre-mier avant-projet contenait également un art. 242a 1erAP-LP (devenu par la suite l’art. 284b LP) qui assujettissait expressément le droit de distraction à l’observation des dispositions spéciales sur la publicité 23.

19 Art. 149c 1erAP-LDiP : “ 1 Lorsque des biens du trust sont inscrits au nom du trustee dans le registre foncier, le registre des bateaux ou dans le registre des aéronefs, l’exis-tence d’une relation de trust doit faire l’objet d’une annotation. 2 une relation de trust qui n’a pas fait l’objet d’une annotation n’a aucun effet juridique à l’égard des tiers de bonne foi.”

20 Art. 149d 1erAP-LDiP : “1 Lorsqu’un patrimoine mobilier fait partie intégrante des biens du trust, l’existence d’une relation de trust doit être inscrite dans un registre public à instituer par le Conseil fédéral. 2 une relation de trust qui n’a pas été inscrite dans le registre n’a aucun effet juridique à l’égard des tiers de bonne foi.”

21 Art. 149e 1erAP-LDiP : “ 1 s’agissant des valeurs à ordre, l’existence d’une relation de trust doit faire l’objet d’une mention auprès de l’endossement. 2 une relation de trust qui n’a pas été mentionnée n’a aucun effet juridique à l’égard des tiers de bonne foi.”

22 Art. 149f 1erAP-LDiP : “ 1 Les relations de trust qui existent s’agissant de brevets, de designs, de marques et d’obtentions végétales enregistrés en suisse doivent être ins-crites dans le registre pertinent.  2 une relation de trust qui n’a pas été inscrite n’a aucun effet juridique à l’égard des tiers de bonne foi.”

23 Art. 242a 1erAP-LP : “ 1 en cas de faillite d’un trustee, les biens du trust sont distraits de la masse en faillite, après déduction des droits du trustee sur ces biens, dans la mesure où les prescriptions des Art. 149dc-f LDiP concernant la publicité ont été ob-servées. 2 si le débiteur ou un tiers fait valoir qu’un élément du patrimoine fait partie des biens d’un trust et si l’administration conteste le bien-fondé de cette prétention, elle impartit au trust un délai de 20 jours pour intenter action au for de la faillite. L’art. 65, al. 1bis est applicable par analogie. Passé ce délai, la revendication du débi-teur ou du tiers est périmée.”

87Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

A la suite des critiques exprimées lors de la pré-consultation infor-melle, la réglementation de la publicité a fait l’objet de diverses modifi-cations dans le second avant-projet, soumis à une procédure de consul-tation formelle 24. Les quatre dispositions spéciales ont été ramenées à une seule norme, à savoir l’art. 149c 2eAP-LDIP, traitant de la publicité du lien de trust sur les immeubles, bateaux et aéronefs, et sur les droits de propriété intellectuelle 25. L’idée – fortement critiquée – d’un registre des biens meubles détenus en trust a au contraire été abandonnée, de même que la publicité relative aux valeurs à ordre 26. A propos des pre-miers, l’Office fédéral de la justice a reconnu qu’il n’était de nos jours plus possible de déduire de la possession d’une chose une apparence de droit sur celle-ci 27. La publicité sur les immeubles, bateaux et aéronefs fut cette fois prévue sous la forme d’une mention (et non d’une annotation), res-tée obligatoire à ce stade. En outre, l’art. 242 1erAP-LP fut converti en un art. 284b 2eAP-LP et la référence à l’observation des prescriptions sur la publicité supprimée. La réglementation de la publicité fut encore une fois modifiée dans le projet d’arrêté fédéral de décembre 2005. L’art. 149c 2eAP-LDIP devint l’art. 149d P-LDIP. Ce dernier prévoyait désormais la mention ou l’inscrip-tion du rapport de trust sous une forme facultative. Selon le Message : “En réaction à la procédure de consultation, l’objectif est d’établir clairement que l’inscription au registre n’est pas une obligation à proprement parler mais une simple formalité, dont la violation entraîne les inconvénients ci-tés à l’al. 3.”28 Cet assouplissement est probablement dû à l’argument, dé-fendu notamment par L. Thévenoz, selon lequel l’instrument du trust ou la loi étrangère applicable peut imposer, interdire ou laisser à la discrétion du trustee l’indication de la relation de trust dans les registres publics et

24 Les résultats de la procédure de consultation formelle ont été consignés dans le rap-port du Département fédéral de justice et police d’avril 2005.

25 Art. 149d 2eAP-LDiP : “ 1 Lorsque les biens meubles d’un trust sont inscrits au nom du trustee dans le registre foncier, le registre des bateaux ou dans le registre des aéro-nefs, l’existence d’une relation de trust doit faire l’objet d’une mention. 2 Les relations de trust liées à des brevets, designs, marques, obtentions végétales enregistrées en suisse doivent être inscrites dans le registre pertinent. 3 une relation de trust qui n’a pas fait l’objet d’une mention ou qui n’a pas été inscrite n’est pas opposable aux tiers de bonne foi.”

26 message (Trusts), p. 586. 27 message (Trusts), p. 587.28 message (Trusts), p. 606.

88 Aude Peyrot

qu’il n’appartient pas au droit suisse de transformer la faculté prévue par l’art. 12 de la Convention en une obligation 29. Outre de légères modifications de forme, l’art. 149d P-LDIP n’a pas été modifié depuis le projet du Conseil fédéral de décembre 2005. Quant aux débats parlementaires, l’on relèvera que la question des effets de l’absence de publicité sur les droits des créanciers personnels du trustee n’a pas fait l’objet de discussions particulières devant les Chambres fédérales.

3. Les effets généraux de la mention du trust au registre foncier

Lorsque l’existence du trust est portée au registre foncier, la mention a pour effet de détruire la bonne foi du tiers. En effet, conformément à l’art. 970 al. 4 CC, applicable par analogie, nul ne peut se prévaloir du fait qu’il ignorait l’existence de la mention 30. Ainsi informés, les tiers traitant avec le trustee devront s’assurer que ce dernier dispose des pouvoirs néces-saires pour entreprendre l’acte envisagé. Dès lors, par exemple l’acheteur d’un immeuble, dont le registre foncier relève qu’il appartient à un trust, doit s’assurer que le trustee dispose effectivement du pouvoir de vendre l’immeuble. S’il ne le fait pas et que le trustee n’était en réalité pas autorisé à l’aliéner selon l’instrument du trust ou la loi applicable au trust, le tiers n’est pas protégé dans son acquisition, faute d’être de bonne foi. Il s’expose ainsi à une revendication de l’immeuble par les bénéficiaires du trust sur la base de leur droit de suite. Autrement dit, la publicité effective du trust garantit l’exercice effectif du droit de suite sur le territoire suisse 31. En revanche, lorsque le rapport de trust n’est pas indiqué dans le re-gistre pertinent, les tiers ne sont pas censés connaître l’appartenance du bien à un trust. Dès lors, le tiers acquéreur n’est pas tenu de se renseigner sur le pouvoir effectif du trustee de procéder à l’acte juridique en cause. L’acquéreur sera maintenu dans son acquisition, même si le trustee n’avait pas les autorisations nécessaires, à moins qu’il ne puisse être prouvé que l’acquéreur connaissait ou aurait dû connaître l’existence du trust par un autre biais. En définitive, le défaut de publicité du trust permet en principe

29 Thévenoz (Trusts), p. 121.30 Foëx (mention du trust), p. 85 s. ; Guillaume (Trust), p. 43. 31 Lignes directrices de l’office fédéral chargé du droit du registre foncier et du droit

foncier, p. 3 ; Pannatier Kessler, p. 143 s. et p. 197 ss.

89Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

d’établir la bonne foi du tiers acquéreur (sauf preuve contraire) et paralyse ce faisant le droit de suite des bénéficiaires 32. Plus complexe est la question de savoir quels sont les effets de la publi-cité et surtout de son omission sur les droits des créanciers et inversement sur le droit de distraction des bénéficiaires. Elle sera examinée au point suivant.

II. Les effets de l’absence de mention sur le droit de distraction

A. La teneur du Message

La position exprimée dans le Message du Conseil fédéral est claire. Il fait valoir que le principe de publicité du droit suisse, qui relève de l’ordre pu-blic suisse 33, “protège notamment les créanciers potentiels du propriétaire d’un bien dans la confiance qu’ils ont que la personne concernée-ci dis-pose effectivement du droit de disposer du bien en question”34. A propos de l’art. 149d al. 3 LDIP, il est indiqué en particulier que “[c]ette règle sert à protéger tant les créanciers de bonne foi du trustee que les acquéreurs de bonne foi de biens du trust qui ont été aliénés. Dans le premier cas, elle a pour effet de permettre aux créanciers de faire saisir les éléments du pa-trimoine du trust qui n’ont pas fait l’objet d’une inscription, dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée ouverte à l’encontre du trustee”35. Il est encore précisé que l’art. 149d al. 3 LDIP va plus loin que l’art. 973 CC “en ce qu’il protège et couvre ainsi non seulement l’acquisition de bonne foi, mais aussi l’octroi de crédit de bonne foi”36.

32 sur les effets de l’absence de mention, cf. Pannatier Kessler, p. 142 et p. 202 ss.33 message (Trusts), p. 576 : “La reconnaissance du trust, en particulier de l’exclusion de

responsabilité prévue par le droit applicable, est soumise à la réserve de l’ordre public (art. 17 LDiP). Le tribunal inclut dans cette réserve les art. 715 CC (non-validité d’un pacte de réserve de propriété qui n’est pas inscrit dans un registre public) et 717 (une chose transférée ne peut être retenue par l’aliénateur) CC et, partant, probablement aussi, de manière générale, le principe de la publicité régissant le droit civil suisse en matière de droits réels.”

34 message (Trusts), p. 576.35 message (Trusts), p. 606.36 message (Trusts), p. 607.

90 Aude Peyrot

B. L’avis de la doctrine en Suisse et à l’étranger

1. L’opinion majoritaire

Dans sa très grande majorité, la doctrine suisse s’est alignée sur le Mes-sage 37. La plupart des auteurs indiquent sans développement particulier que la distraction effective des biens du trust est sujette à l’existence d’une mention du rapport de trust dans le registre pertinent 38. D’autres appro-fondissent davantage la question, comme nous le verrons ci-après. R. Gassmann fait valoir que l’art. 149d al. 3 LDIP s’appuie sur l’art. 15 de la Convention et limite les effets de l’art. 11 al. 3 lit. a à d de celle-ci, notamment quant au principe de ring-fencing en cas d’exécution forcée contre le trustee. Selon l’auteur, la bonne foi du tiers créancier doit être examinée dans la procédure de revendication au sens des art. 106  ss LP en cas d’exécution individuelle contre le trustee. Dans l’hypothèse d’une faillite, la protection des seuls créanciers de bonne foi porterait atteinte à l’égalité de traitement dans la faillite et impliquerait un travail administra-tif disproportionné si l’on voulait distinguer entre les créanciers de bonne et de mauvaise foi. L’auteur suggère dès lors de refuser systématiquement la distraction du bien du trust concerné, dès lors qu’un seul créancier peut se prévaloir de sa bonne foi39. Se référant au Message, B. Foëx indique que “l’appartenance de l’im-meuble au patrimoine séparé que constitue le trust dépend d’une mesure de publicité, à l’égard des tiers de bonne foi”40. De ce fait, le créancier chirographaire de bonne foi peut requérir la saisie ou le séquestre de l’im-meuble concerné. Comparant cette solution avec le régime qui prévaut en matière de fiducie ordinaire, il considère qu’elle “n’a rien de choquant”41. L’auteur reconnaît toutefois que le système est malaisé à appliquer en cas de faillite. Notamment, la solution de R. Gassmann ne semble pas emporter

37 Berger, p. 155 ; Dutoit (supplément), N 4 ad art. 149d LDiP ; eichner, p. 200 s. ; Foëx (mention du trust), p. 86 s. ; idem (Trust et registre foncier), p. 264 s. ; Gass-mann, N 6 ss ad art. 149d LDiP ; Gutzwiller, p. 176, N 149d-20 ; schmid, N 47a ad art. 946 CC ; Vogt, N 16 ad art. 149d LDiP ; Wolf / Jordi, p. 73.

38 Gutzwiller, p. 176, N 149d-20 ; mayer (IPRG-Bestimmungen), p. 82 ; schmid, N 47a ad art. 946 CC ; Vogt, N 16 ad art. 149d LDiP ; Wolf / Jordi, p. 73.

39 Gassmann, N 6 ss ad art. 149d LDiP.40 Foëx (mention du trust), p. 86 s. ; idem (Trust et registre foncier), p. 264 s.41 Foëx (Trust et registre foncier), p. 265.

91Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

sa conviction, dans la mesure où l’immeuble ne doit en principe être réa-lisé qu’au profit des créanciers de bonne foi 42. Quoi qu’il en soit, l’auteur considère qu’il serait délicat de revenir sur les assurances données sur ce point dans le Message du Conseil fédéral et qu’il appartiendra à la juris-prudence de clarifier la situation 43. Selon P. M. Gutzwiller, ne peuvent être revendiquées et sont dès lors acquises à la masse en faillite les valeurs patrimoniales du trust qui n’ont pas été mentionnées comme telles dans le registre public pertinent. Lorsque certains créanciers ignorent de bonne foi l’existence du trust, alors que d’autres la connaissent (pour avoir par exemple été informés par le trustee), l’auteur considère – contrairement à R. Gassmann – que le pro-duit de réalisation des biens du trust ne peut profiter qu’aux premiers. Il favorise en cela le principe de la protection de la bonne foi sur celui de l’égalité de traitement entre créanciers 44. Enfin, d’après M. Eichner, le législateur suisse a choisi, à travers l’art. 149d LDIP, de privilégier le principe de publicité tabulaire sur celui de la distraction des biens du trust prôné par la Convention de La Haye. L’art. 149d LDIP consisterait à cet égard en une loi d’application immédiate suisse réservée par l’art. 16 de la Convention de La Haye 45. Cela étant, se-lon cet auteur, le défaut de mention au registre foncier n’entraîne pas une exclusion générale de la distraction, ce qui serait incompatible avec l’art. 11 § 3 lit. a à c de la Convention. Elle empêche la distraction d’office, mais non la procédure de revendication, dans le cadre de laquelle le tiers revendi-quant peut prouver que le tiers était de mauvaise foi, i.e. qu’il connaissait l’appartenance du bien au trust 46.

42 Foëx (mention du trust), p. 87 : “mais en bonne logique, cet immeuble devrait alors être réalisé au profit de ce seul créancier ou des seuls créanciers du trustee qui sont de bonne foi : il n’y a de raison que les autres créanciers du trustee, qui savaient par hypothèse que l’immeuble est en trust (nonobstant l’absence de mention), puissent bénéficier de cette réalisation alors même qu’ils ne sont pas protégés par l’art. 149d al. 3 LDiP. Force est de reconnaître que cela paraît fort compliqué, même si les créan-ciers pourront se prévaloir de la présomption de bonne foi ancrée à l’art. 3 al. 1 CC.”

43 Foëx (mention du trust), p. 87.44 Gutzwiller, p. 188, N 284b-15 ss.45 eichner, p. 200.46 eichner, p. 201.

92 Aude Peyrot

2. Des avis divergents

Dans sa thèse consacrée au droit de suite en matière de trust et à sa re-connaissance en Suisse, D. Pannatier Kessler examine attentivement la question des effets de l’absence de mention du trust sur les créanciers de bonne foi 47. Au terme de son analyse, elle s’exprime en défaveur d’une interprétation de l’art. 149d LDIP allant dans le sens d’une protection des créanciers de bonne foi 48, partageant ainsi le point de vue que nous avons eu l’occasion d’exprimer ailleurs 49. Nous nous référerons à l’argumenta-tion de cet auteur dans le cadre de la discussion de la problématique, qui sera entreprise sous le point C. Dans son rapport destiné à l’Office fédéral de la justice, L. Thévenoz a prôné une solution allant dans un sens divergent de celui du Message (qu’il a précédé dans le temps). Selon cet auteur, le droit de distraction peut être efficacement exercé indépendamment de la mention de l’existence du trust au registre foncier, dans la mesure où il constitue un effet d’un acte juridique fondé sur une loi étrangère qui doit être reconnu en Suisse en raison de la ratification de la Convention de La Haye 50. Il précise qu’il n’y a pas lieu de craindre que les créanciers personnels du trustee soient in-duits en erreur par la solvabilité apparente de ce dernier du fait de l’ab-sence de publicité du trust. Selon lui, “le créancier qui se préoccupe de la surface financière de son débiteur ne se contente pas de vérifier ses actifs au moment où il lui fait crédit ; il demande des gages, qui seuls lui garan-tissent la possibilité de les faire réaliser à son profit en cas de défaillance de son débiteur.”51

L’auteur fait du reste valoir le même type d’arguments à propos du droit de distraction conféré aux fonds de placement contractuels et aux opérations fiduciaires des banques. Il indique ce qui suit : “Primo, la sé-grégation effective et reconnaissable aux tiers des avoirs fiduciaires n’est

47 Pannatier Kessler, pp. 147 à 173.48 Pannatier Kessler, p. 156 ss, en particulier p. 160 : “en résumé, nous sommes d’avis

que l’article 149d al. 3 LDiP ne protège que les acquéreurs de bonne foi et non pas les créanciers de bonne foi, la lettre de la loi n’étant pas suffisamment claire pour admettre la création d’un postulat inexistant du droit suisse et de surcroît contraire à la reconnaissance des trusts prévue par la Convention de La Haye.”

49 Voir la référence supra p. 81, note 1.50 Thévenoz (Trusts), pp. 121 s. et 127. 51 Thévenoz (Trusts), p. 122.

93Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

pas une condition de leur distraction dans la faillite du fiduciaire. C’est là une différence notable par rapport à l’art. 401 CO tel qu’interprété par la jurisprudence. La solution est tout à fait cohérente avec la notion même de patrimoine fiduciaire.”52

Certains de ces arguments avaient déjà été exprimés par G. Nickel-Schweizer en 1977 en rapport avec l’art. 401 CO. Prônant de lege ferenda une extension de la norme aux immeubles, l’auteur fait valoir que la foi publique du registre foncier vise à protéger l’acquéreur d’un droit sur un immeuble, mais non à garantir au donneur de crédit de bonne foi que l’immeuble fait effectivement partie de la fortune personnelle du débiteur. Celui-ci a au contraire la possibilité de requérir des sûretés pour se proté-ger du risque correspondant. A défaut d’y procéder, il lui incombe d’assu-mer les conséquences 53. L’examen de la doctrine étrangère révèle également certains avis al-lant dans le même sens. En droit luxembourgeois, A. Prüm, T. Revet et C. Witz dénient tout effet à l’absence de publicité sur le principe de distraction, alors même que la mention de la qualité de trustee dans les registres y est obligatoire (sans être assortie de sanction)54. Les auteurs re-lèvent à cet égard : “L’art. 11 de la Convention de La Haye est particuliè-rement net quant à l’automaticité du respect des effets minima du trust qu’impose la ratification ou l’adhésion. Il est donc difficilement conce-vable que des créanciers personnels d’un trustee puissent saisir un bien du trust situé au Luxembourg sur le seul fondement du défaut de mention de la qualité de trustee du propriétaire dans le registre public relatif à ce

52 Thévenoz (Patrimoines fiduciaires), p. 366.53 Nickel-schweizer, p. 110 : “Der öffentliche Glaube des Grundbuchs will die rechtsge-

schäftlichen Erwerber von Rechten an Grundstücken schützen, nicht aber dessen Zuge-hörigkeit zur Haftungsmasse garantieren. So wird z.B. bei unrichtiger Eintragung zwar der gutgläubiger Erwerber von Rechten am Treugut geschützt, nicht aber der Gläubiger, der im Vertrauen auf die Haftungsqualität des Grundstücks Kredit gewährt hat. Wer Kredit gewährt, hat die Möglichkeit, sich Sicherheiten geben zu lassen – und auf diesem Wege den Schutz des rechtsgeschäftlichen Erwerbes für sich in Anspruch zu nehmen – tut er es nicht, ist dies sein Risiko.” Contra : Gautschi (BeKo-ZGB), N 6b ad art. 401 Co et Hofstetter, p. 126 s., en particulier note 23.

54 Cf. art. 11 de la loi luxembourgeoise du 23 juillet 2003 sur le trust et les contrats fiduciaires : “Dans tout registre public  sur lequel est inscrite la qualité de proprié-taire, pour quelque cause et à quelque occasion que ce soit, le fiduciaire et le trustee doivent demander que soit mentionnée leur qualité, après l’indication de celle de propriétaire.” sur l’absence de sanction, cf. Prüm / revet / Witz, p. 59.

94 Aude Peyrot

bien.”55 Selon ces auteurs, le défaut de mention n’est toutefois pas sans ef-fet, puisqu’il peut entraîner la responsabilité du trustee négligent. Rele-vons au surplus l’existence de l’art. 2 al. 2 de la loi luxembourgeoise sur le trust et les contrats fiduciaires, à teneur duquel l’inscription du trustee en tant que propriétaire ne porte pas atteinte à la séparation du fonds du trust 56. Les auteurs précités font valoir que cette règle permet de couper court aux prétentions des créanciers personnels du trustee qui excipe-raient de la position de propriétaire du trustee pour demander la saisie des biens du trust 57. En droit hollandais, la mention du trust dans les registres publics est permise par la loi. L’art. 3 Wet conflictenrecht trusts reprend en effet l’art. 12 de la Convention de La Haye, sans l’adjonction de la deuxième phrase, in-diquant par là que la mention du trust est parfaitement compatible avec le système tabulaire néerlandais. M. Koppenol-Laforce fait valoir que la distraction des biens du trust n’est, de façon générale, pas subordon-née à la publicité du trust, dans la mesure où l’appartenance des biens au trust peut être prouvée d’une autre manière : “The system of the public reg-ister is not such that it would be necessary to register the trust to achieve the separateness of the goods. The proof that some specific assets are trust property may be established in any manner whatsoever. In my opinion the trustee need not have the assets transferred to him with specific mention of his trusteeship in order to secure the separateness of the trust property.”58

L’auteur précise en particulier que les registres publics hollandais pro-tègent les acquéreurs de bonne foi du bien du trust, mais non les créanciers personnels du trustee 59. Il ressort de ce qui précède qu’en dépit du Message et de la tendance majoritaire suisse qui s’en est fait l’écho, divers avis divergents ont été ex-primés en Suisse et à l’étranger. Il y a donc de la place pour une discussion de la problématique, à laquelle nous procéderons ci-après.

55 Prüm / revet / Witz, p. 59.56 La norme dispose ce qui suit : “La référence à la situation d’un propriétaire ne préjudi-

cie pas au principe de séparation entre le patrimoine formé par les biens du trust et le patrimoine constitué par les biens personnels du trustee, conformément à l’art. 11 de la Convention du 1er juillet 1985.”

57 Prüm / revet / Witz, p. 59.58 Koppenol-Laforce (Trustverdrag), p. 272 ; idem (Convention), p. 39.59 Koppenol-Laforce (Trustverdrag), p. 196 ss.

95Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

c. Discussion

La discussion portera spécifiquement sur la mention du trust dans le cadre du registre foncier, dans la mesure où il s’agit du registre public le plus complètement réglé par la loi suisse. Les considérations développées ci-après sont toutefois valables mutatis mutandi pour le registre des ba-teaux et aéronefs et ceux de la propriété intellectuelle, dans la mesure où – comme le relève D. Pannatier Kessler – ils opèrent de façon similaire à celle du registre foncier60.

1. Principes généraux pertinents

a. Les effets du registre foncier à l’égard des tiers

En matière immobilière, le principe de publicité est réalisé par le registre foncier. Sa fonction consiste à rendre manifestes les droits divers qui sont attachés à un immeuble 61. Il déploie des effets distincts en fonction des tiers visés. En premier lieu, à l’égard des tiers en général, il entraîne une présomption d’exactitude et de “complétude”. En deuxième lieu, à l’endroit des acquéreurs d’un droit réel de bonne foi, il déploie plus particulièrement un effet renforcé de foi publique. Ces deux aspects sont exposés succinc-tement ci-après. En premier lieu, à l’égard du public en général, et conformément à ce qui prévaut pour les registres publics (art. 9 CC), le registre foncier est pré-sumé exact et complet (937 CC) 62. Cette présomption s’attache à l’existence des droits inscrits et à leur contenu (titularité du droit, modalités, étendue, etc.). Elle constitue un effet général du registre foncier dont chacun peut se prévaloir. Une présomption peut toutefois être renversée par la preuve du contraire, c’est-à-dire par la preuve que l’écriture est inexacte ou incom-plète. Le fardeau de la preuve incombe à celui qui conteste le bien-fondé de l’inscription 63. L’on relèvera incidemment qu’en matière d’exécution

60 Pannatier Kessler, p. 123 : “[…] les considérations faites en matière de biens im-mobiliers inscrits au registre foncier et de mention du lien de trust sont applicables mutatis mutandi à ces biens, étant donné que ces derniers sont soumis à un système de publicité tabulaire calqué sur le système du registre foncier.”

61 steinauer, p. 194, N 526.62 steinauer, p. 310, N 883 ss.63 steinauer, p. 310, N 885.

96 Aude Peyrot

forcée, la présomption résultant du registre foncier a pour unique fonction de répartir les rôles dans la procédure de revendication de la LP64 : le rôle de demandeur revient à celui auquel l’inscription est défavorable 65. En deuxième lieu, à l’égard plus particulièrement des acquéreurs d’un droit réel de bonne foi, les inscriptions du registre foncier déploient un ef-fet de “foi publique” (öffentliche Glaube) 66. Le principe est (partiellement) régi à l’art. 973 al. 1 CC, selon lequel : “Celui qui acquiert la propriété ou d’autres réels en se fondant de bonne foi sur une inscription du registre foncier, est maintenu dans son acquisition.” La foi publique signifie que les inscriptions au registre sont réputées exactes et complètes à l’égard des tiers acquéreurs, nonobstant le fait qu’elles ne correspondraient pas à la réalité matérielle. Elle remédie en cela aux éventuels défauts de l’inscrip-tion. Concrètement, cela implique deux choses. Positivement, l’acquéreur d’un droit réel est maintenu dans son acquisition, même si le transférant n’avait pas le pouvoir d’en disposer faute d’en être le véritable propriétaire. Négativement, l’acquéreur acquiert le droit réel libre des droits qui n’ont pas été inscrits au registre alors qu’ils auraient dû l’être 67. En d’autres termes, à l’égard du tiers acquéreur d’un droit réel, la présomption issue du registre foncier est érigée en fiction irréfragable 68. En cela, le principe de la foi publique sert à garantir la sécurité des transactions immobilières : il est dans l’intérêt général qu’une transaction opérée de façon régulière sur la base du registre ne soit plus remise en cause. N’est toutefois protégé que le tiers de bonne foi, i.e. celui qui s’est fié aux indications du registre, en ce sens qu’il ne connaissait pas son carac-tère inexact ou incomplet 69. Cette bonne foi est présumée conformément à l’art. 3 al. 1 CC. Elle ne peut néanmoins être invoquée si elle est incom-patible avec l’attention requise par les circonstances au sens de l’art. 3 al. 2 CC. Autrement dit, la bonne foi suppose donc cumulativement l’ignorance du défaut de l’inscription et l’absence de raisons d’en douter 70. Il n’est en revanche pas nécessaire que le tiers démontre avoir effectivement consulté

64 steinauer, p. 310 s., N 886.65 Cf. également infra p. 109.66 Deschenaux, p. 613 s. ; steinauer, p. 319, N 917.67 Homberger, N 19 s. ad art. 973 CC ; Jenny, p. 64 ; ostertag, N 19 ad art. 973 CC ;

schmid, N 24 ss ad art. 973 CC.68 steinauer, p. 319, N 917.69 schmid, N 28 ad art. 973 CC ; steinauer, p. 321, N 922.70 Deschenaux, p. 637.

97Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

le registre foncier, car les inscriptions sont supposées être connues (art. 970 CC). Il en résulte que le principe de foi publique protège les tiers acqué-reurs indépendamment de toute consultation effective 71. L’on relèvera que la bonne foi du tiers est une condition de la mise en œuvre de l’effet de foi publique dans le cadre de l’art. 973 CC, alors qu’elle est sans incidence sur la présomption de l’art. 937 CC. La raison est à notre sens la suivante. Dans la première situation, l’acquéreur d’un droit réel est mis au bénéfice d’une véritable fiction d’exactitude du registre foncier. Ce privilège ne se justifie toutefois que si le tiers est de bonne foi. Autrement dit, la bonne foi joue à cet égard un rôle de correctif. En raison de la fiction précitée, il n’est pas possible de contester le bien-fondé de l’inscription ; en revanche, la mauvaise foi du tiers peut encore être démontrée pour en-rayer l’effet de foi publique. A l’inverse, dans le cadre de l’art. 937 CC, la présomption est vulnérable à la preuve du contraire. Tout intéressé dispose ainsi d’un moyen direct et immédiat de faire valoir le caractère inexact ou incomplet de l’inscription et corollairement ses droits sur l’immeuble. Dans ce cas, il n’est nul besoin de faire appel à titre complémentaire au critère de la bonne foi.

b. La portée de la foi publique

La doctrine spécialisée s’accorde sur le fait que le principe de la foi pu-blique, tel qu’il ressort de la règle générale de l’art. 973 CC, ne protège que l’acquéreur d’un droit réel de bonne foi 72. Les autres tiers n’entrent pas en considération. En particulier, celui qui acquiert un droit personnel en relation avec l’immeuble n’est pas protégé dans l’acquisition de ce droit 73. A fortiori, celui qui acquiert un droit personnel sans relation avec l’im-meuble est encore moins digne de cette protection. La doctrine précise en

71 Deschenaux, p. 638 ; Homberger, N 15 ad art. 973 CC ; ostertag, N 18 ad art. 973 CC.

72 Deschenaux, p. 616 s. et p. 630 ; Jenny, p. 4 ; ostertag, N 12 ad art. 973 CC ; steinauer, p.  323, N 930. Contra : Gautschi (BeKo-ZGB), N 6b ad art. 401 Co ; Hofstetter, p. 126 s., en particulier la note 23, lesquels sont d’avis que la foi pu-blique protège également les créanciers du débiteur qui est inscrit comme propriétaire au registre foncier. Ces derniers auteurs parviennent à ce résultat sans toutefois pro-céder à une véritable analyse du principe de la foi publique.

73 selon Deschenaux, p. 630 : “La foi publique ne profite pas à celui qui se fait pro-mettre une prestation ou qui acquiert un droit personnel.”

98 Aude Peyrot

particulier que les créanciers poursuivants dans la saisie ou la faillite ne sont pas des tiers acquéreurs de bonne foi, car ils ne peuvent acquérir plus de droits que leur débiteur n’en a. L’apparence de propriété du débiteur ne suffit pas à leur conférer des droits sur l’immeuble. Le créancier poursui-vant doit être désintéressé sur le patrimoine appartenant véritablement au débiteur et non sur la chose d’autrui 74. F. Jenny fait valoir en outre que la procédure de revendication reste ouverte à celui qui peut faire valoir des droits préférables sur l’immeuble saisi ou tombé dans la masse 75. Cette distinction opérée dans le champ de protection de la foi publique tient à notre sens à la différence de nature qui existe entre un droit réel et une simple créance. Une créance, en tant que droit du créancier d’exiger une prestation (pécuniaire ou non pécuniaire) de son débiteur, est un droit par définition personnel et relatif. Elle se dirige contre une personne dé-terminée et n’est valable qu’entre les parties. Elle n’entretient aucun lien et ne confère aucun droit sur des biens spécifiques du débiteur, sauf à être garantie au moyen d’un gage qui n’est précisément rien d’autre qu’un droit réel. Le droit réel est, quant à lui, un droit attaché (par une relation de fait) à une chose, qui est absolu, en ce sens qu’il déploie des effets erga omnes, c’est-à-dire à l’égard de tous 76. Cette différence de nature entre créances et droits réels doit être obser-vée dans le cadre du registre foncier et du principe de la foi publique. Ce dernier ne peut et ne doit déployer ses effets qu’en rapport avec l’acquisi-tion d’un droit réel, à l’exclusion de l’acquisition d’une créance. A défaut, si l’on rendait les inscriptions du registre efficaces à l’égard des créanciers sur la seule base de la foi publique, il n’y aurait plus besoin de constituer de sûreté réelle, puisque la confiance dans le registre (in casu dans l’absence

74 Deschenaux, p. 634 ; Homberger, N 11 ad art. 973CC ; Jenny, p. 36 : “Vorerst ist zu bemerken, dass die Pfändungs- und Konkursgläubiger mit Rücksicht auf ein gepfän-deter oder zur Konkursmasse geschlagenes Grundstückrecht nicht ein vom Schuldner unabhängiges, besseres Recht, als diesem zustand, erwerben können. Der innere Grund für diese Stellungnahme dürfte die Erwägung sein, dass die Gläubiger sich aus dem wirk-lichen Vermögen des Schuldners zu befriedigen haben, nicht auf Kosten eines andern. Auch liegt in der Pfändung und Beschlagnahme zur Konkursmasse noch kein Erwerb vor, wie er in Art. 973 gedacht ist. Für diese Verfügungen der Vollstreckungsbehörden würde eine negative Rechtskraft des Grundbuches genügen. Vor der Verwertung kann der wirk-lich Berechtigte noch sein besseres dingliches Recht gegenüber den Gläubigern durch die Vindikationsklage geltend machen […].” Cf. aussi Wieland, p. 582.

75 Jenny, p. 36.76 steinauer, p. 39, N 4 et p. 40, N 9 et N 13.

99Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

d’inscription) suffirait à assortir une simple créance (non garantie) d’un droit de distraction sur l’immeuble. Cette solution n’a toutefois pas lieu d’être. Elle reviendrait à vider la raison d’être des sûretés réelles et à altérer la différence fondamentale qui existe entre une créance et un droit réel. Cela aboutirait également à contourner les exigences relatives à la consti-tution des sûretés réelles, puisqu’une telle garantie pourrait naître sur la simple base du registre, sans qu’aucune des modalités de constitution n’ait été respectée. A notre avis, il ne peut en être ainsi. Ni le registre foncier, ni la bonne foi ne sauraient pallier l’absence de gage. A titre d’exemple, le locataire qui conclut un contrat de bail avec la personne indûment inscrite en tant que propriétaire au registre foncier n’est pas protégé par l’art. 973 CC 77. Il n’acquiert qu’un droit personnel contre son bailleur, à l’exclusion de tout droit réel sur l’immeuble. Si le bailleur ne s’exécute pas, le locataire aura une créance en exécution à son encontre qu’il peut au besoin faire valoir au moyen de l’exécution forcée. En revanche, il est exclu qu’il puisse réclamer la saisie de l’immeuble ap-partenant au tiers en sa faveur ni son inclusion dans la masse en faillite. Il n’y pas de raison de traiter différemment le créancier qui fait crédit à un (futur) débiteur, en se fiant par hypothèse de bonne foi à l’inscription de celui-ci en tant que propriétaire d’un immeuble. Il n’acquiert à ce titre qu’un droit personnel à son encontre, qui plus est sans lien objectif avec l’immeuble. Rien ne justifie de lui attribuer le droit de requérir la réalisa-tion de l’immeuble, en l’absence de la constitution de tout gage. L’on relèvera par ailleurs que le registre foncier n’est pas propre à pro-téger efficacement le donneur de crédit de bonne foi, puisque cela n’est précisément pas sa fonction. Cette déficience se manifeste à divers égards. Primo, le fait que le débiteur soit indument inscrit comme propriétaire de l’immeuble au registre n’empêche pas une action en rectification en fa-veur du véritable propriétaire. Le créancier qui se serait fié à la première inscription ne peut pas s’opposer à cette rectification et verra ainsi l’objet promis à titre de garantie informelle se dérober à sa mainmise. Secundo, le créancier n’est pas davantage protégé contre une aliénation de l’immeuble qui peut intervenir en tout temps par le débiteur indûment inscrit au re-gistre foncier (sur la base de l’art. 973 CC). Tertio, même si l’immeuble inscrit au nom du débiteur devait par hypothèse être réalisé dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée contre celui-ci (notamment faute de

77 Deschenaux, p. 630 s. ; ostertag, N 12 ad art. 973 CC ; steinauer, p. 324, N 930.

100 Aude Peyrot

revendication par le véritable ayant-droit), le créancier ne serait pas pour autant assuré de toucher un dividende quelconque, en fonction du nombre des autres créanciers présents (gagistes et chirographaires). Ces diverses situations démontrent que ni la foi publique du registre foncier ni la bonne foi du créancier ne protège efficacement la croyance de celui-ci dans la sol-vabilité du débiteur. Une protection efficace passe nécessairement par la constitution d’un gage sur l’immeuble. Précisons encore que le principe de foi publique sert à garantir la sécurité des transactions immobilières, i.e. des opérations liées à un immeuble. L’octroi de crédit de bonne foi ne constitue pas une telle opération et n’entre donc pas dans le but de protec-tion de la règle.

c. L’absence de portée autonome de la théorie de l’apparence efficace

L’idée générale qui sous-tend la position du Message consiste en ce que la détention de la propriété pour le compte d’autrui engendre une appa-rence trompeuse de solvabilité qui ne doit pas préjudicier les créanciers 78. La même idée a été exprimée en doctrine 79. Elle semble se rattacher de près ou de loin à la théorie de l’apparence efficace (Rechtsscheinlehre) ou à une théorie similaire fondée sur la confiance dans les apparences créées 80, sans

78 message (Trusts), p. 576.79 A propos de la fiducie, cf. Gilliéron, note au JT 1986 ii, pp. 12-13 : “Les autres

créanciers du fiduciaire doivent pouvoir se fier aux présomptions de droit ou de fait : l’inscription au registre foncier pour un immeuble acheté avec les fonds confiés par le fiduciant ; la possession pour les choses mobilières, y compris les papiers-valeurs, achetés avec les fonds confiés par le fiduciaire ; l’apparence du droit de disposer d’une créance, par exemple la titularité résultant du titre de créance, telle qu’une créance en remboursement d’un prêt consenti avec les fonds confiés par le titulaire.” Cf. éga-lement Gautschi (Art. 401 or), p. 154, à propos de la représentation indirecte : “Unbelastetes oder mäßig belastetes Grundeigentum erweckt den Schein einer Kredit-würdigkeit bei den Gläubigern eines Strohmannes. Wer durch Übertragung einer Liegen-schaft an den indirekt beauftragten Stellvertreter oder durch Zulassung des Erwerbes im eigenen Namen durch diesen einen Rechtsschein veranlasst hat, muss ihn auch ge-gen sich selbst wirken lassen.” Thévenoz (Cendrillon), p. 319, indique par ailleurs de façon générale à propos de la fiducie : “si les créanciers communs ne doivent pas profiter de l’opération fiduciaire, ils ne doivent pas non plus être trompés par une apparence de solvabilité accrue qu’elle pourrait créer.” Ce dernier auteur s’est toutefois distancé de cette opinion depuis lors ; cf. en effet Thévenoz (Trusts), p. 121, reproduit supra p. 92.

80 Dans le même sens, Pannatier Kessler, p. 157.

101Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

qu’un ralliement à l’une ou l’autre doctrine ne soit revendiqué ou puisse être clairement identifié. Nous discuterons ici succinctement la question de savoir si la théorie de l’apparence efficace peut constituer un remède pour les créanciers qui auraient été induits en erreur par l’apparence de solva-bilité résultant de la détention de la propriété mobilière ou immobilière. Selon P. Piotet, cette théorie a la signification suivante : “quand un justiciable croit acquérir une certaine situation juridique en se fiant à l’ap-parence imputable à une autre personne, tout se passe dans certains cas comme si l’apparence correspondait à la réalité ; et c’est ainsi le responsable de l’apparence trompeuse qui en supporte les conséquences.”81 La théorie de l’apparence efficace est un précepte général qui traverse le droit suisse et qui trouve des concrétisations ponctuelles dans l’ordre juridique suisse 82. En sont des exemples l’acquisition de bonne foi d’une chose confiée au sens de l’art. 933 CC ou le principe de la foi publique de l’art. 973 CC 83. Cela si-gnifie corollairement que la théorie de l’apparence efficace n’a pas de portée additionnelle et autonome par rapport aux règles qui la concrétisent. Selon P. Engel : “Le principe de la foi publique veut que celui qui acquiert un droit en se fondant de bonne foi sur une inscription au registre foncier est protégé dans son acquisition, même si l’inscription est indue. Je ne m’at-tache un instant ici qu’à ce dernier principe qui est l’expression du principe de l’apparence efficace dans le système tabulaire des droits réels.”84 L’on conviendra ainsi que l’art. 973 CC permet précisément de rendre “efficace” une inscription indue ou incomplète à l’égard des tiers qui s’y sont fiés de bonne foi. Aussi ne peut-on pas tirer de l’apparence efficace une portée propre qui irait au-delà du champ de protection de la norme qui l’incorpore. Ainsi, par exemple, l’art. 933 CC, généralement considéré comme une ma-nifestation normative de la théorie de l’apparence efficace 85, ne protège que l’acquéreur de bonne foi d’une chose confiée. L’on ne peut prétendre,

81 P. Piotet (Choses mobilières), p. 287. Cette définition a également été reprise par Guisan, p. 211. Cf aussi Leumann, p. 3 : “Beim Vorliegen der typischen Erscheinungs-form soll der Schein als Sein gelten.”

82 engel (Apparence efficace), p. 79.83 engel (Apparence efficace), p. 86 s.84 engel (Apparence efficace), p. 86. sur le recoupement de la théorie de l’apparence

efficace et du principe de foi publique, cf. aussi Leumann, p. 3 ; Pfister, p. 32.85 Ce que relève Guisan, p. 211. Cf. aussi engel (Apparence efficace), p. 86 ; P. Piotet

(Choses mobilières), p. 287.

102 Aude Peyrot

et personne ne semble le faire, qu’elle protégerait en outre le donneur de crédit de bonne foi qui se serait fié à l’apparence de solvabilité découlant de la possession de la chose. De la même façon, comme il a été démontré précédemment 86, le principe de la foi publique de l’art. 973 CC ne protège que l’acquéreur de bonne foi d’un droit réel sur l’immeuble, à l’exclusion du donneur de crédit de bonne foi 87. On ne peut ainsi déduire au bénéfice des créanciers des conséquences juridiques additionnelles de la théorie de l’apparence efficace, qui épuise l’intégralité de ses effets dans le cadre de la norme précitée. Relevons enfin que, de façon générale, la doctrine spéciali-sée n’applique la théorie de l’apparence efficace qu’en rapport avec l’acqui-sition de droits réels et non l’octroi de crédit de bonne foi 88. Ces quelques considérations peuvent être encore utilement complétées par une référence jurisprudentielle. Dans un ancien arrêt de 1946, le Tri-bunal fédéral a eu l’occasion de préciser que le droit de la faillite suisse ne connaît aucun principe général selon lequel tomberaient dans la masse en faillite les biens d’autrui se trouvant – avec l’accord du véritable proprié-taire – en la possession du débiteur, de telle façon que les tiers auraient été amenés à lui faire crédit en raison de l’apparence de solvabilité ainsi créée 89. L’affirmation revêt une portée générale, étant précisé que l’arrêt a été rendu en rapport avec une requête en distraction d’un immeuble dans le cadre d’une faillite. En conclusion, il n’est pas possible de fonder une protection quelconque des créanciers de bonne foi sur la base de la théo-rie de l’apparence efficace, ni probablement sur le fondement d’une autre théorie équivalente qui se heurterait aux mêmes obstacles.

86 Cf. supra p. 97 ss.87 Dans le même sens, Nickel-schweizer, p. 110. Contra : Gautschi (BeKo-ZGB), N 6b

ad art. 401 Co ; Hofstetter, p. 126 s., en particulier note 23.88 Cf. par ex. Pfister, p. 14 à propos de la Rechtsscheinlehre : “Nach dieser Theorie ist der

Rechtsschein eigentlicher Grund, maßgebende konstruktive Voraussetzung und zugleich Rechtfertigung des Rechtserwerbs vom Nichtberechtigen.”

89 ATF 72 ii 358, c. 2, rés. JT 1947 i 617 : “Freilich kennt das schweizerisches Konkursrecht keinen allgemeinen Grundsatz des Inhaltes, dass Sachen, die einem Andern gehören, sich aber mit dessen Einwilligung in solcher Weise im Besitz des Schuldners befinden, ‘dass Dritte zur Ansicht geführt werden, sie würden dem Schuldner gehören, und dass Dritte infolge dessen dem Schuldner Kredit schenken’, unter Konkursbeschlag fallen, als ob sie Eigentum des Schuldners wären [...].” il convient toutefois de réserver l’abus de droit au sens de l’art. 2 CC, comme nous le verrons plus loin. Pour les détails de cet arrêt et sur l’abus de droit, cf. infra p. 110 ss.

103Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

2. interprétation de l’art. 149d LDiP

a. Interprétation littérale

L’art. 149d al. 3 LDIP prévoit que le rapport de trust qui n’a pas été men-tionné ou inscrit dans le registre pertinent n’est pas opposable aux “tiers de bonne foi”. La question se pose de savoir s’il faut entendre par là les seuls tiers acquéreurs de bonne foi ou si l’expression inclut également d’autres personnes (en particulier les créanciers de bonne foi). Le texte de la loi ne permet pas d’y répondre clairement. Par comparaison, la note marginale de l’art. 973 CC se réfère aux “tiers de bonne foi”. Il ressort du texte de l’alinéa premier qu’il faut entendre par là les seuls acquéreurs d’un droit réel (cf. art. 973 al. 1 CC : “[c]elui qui ac-quiert la propriété ou d’autres droits réels […]”), interprétation confirmée en majorité par la doctrine spécialisée 90. Il apparaît ainsi que l’on ne peut pas nécessairement tirer du terme “tiers” une formulation large qui irait au-delà des acquéreurs de bonne foi. L’art. 973 CC le démontre 91. Toujours à titre comparatif, il convient par ailleurs de s’arrêter briève-ment sur l’art. 102 al. 3 LDIP, qui recourt également à la notion de “tiers de bonne foi”. La norme ne s’inscrit pas dans le contexte du registre fon-cier mais dans celui du registre des pactes de propriété. Elle rend inoppo-sable au tiers de bonne foi la réserve de propriété sur un bien transporté de l’étranger en Suisse, lorsqu’elle a été valablement constituée à l’étranger mais qu’elle ne répond pas aux exigences d’inscription prévues par le droit suisse (cf.  art. 715 CC) 92. Le texte de l’art. 102 al. 3 LDIP ne précise pas qui est ce “tiers de bonne foi”, de sorte que l’interprétation littérale n’est pas d’un grand secours. Pour sa part, la doctrine interprète en majorité l’expression comme incluant également les créanciers de bonne foi 93. Une

90 Deschenaux, p. 616  s. et p. 630 ; Jenny, p. 4 ; ostertag, N 12 ad art. 973 CC ; steinauer, p.  323, N 930. Contra : Gautschi (BeKo-ZGB), N 6b ad art. 401 Co ; Hofstetter, p. 126 s., en particulier note 23. sur cette question, cf. supra p. 97 ss.

91 Dans ce sens également, Pannatier Kessler, p. 157.92 Cette disposition est considérée comme d’ordre public par la jurisprudence fédérale ;

cf. à cet égard ATF 131 iii 595, JT 2007 ii 16 ; ATF 106 ii 197, JT 1982 ii 75 ; ATF 93 iii 96. Pour une critique de l’attribution du caractère d’ordre public à l’inscription du pacte de réserve de propriété dans le registre, cf. notamment Fisch, N 27 ad art. 102 LDiP ; Lalive / Bucher, p. 434 ss.

93 Bucher, p. 321 ; Dutoit (Commentaire), N 9 ad art. 102 LDiP ; Hanisch, p. 45 s. ; Heini, N 16 ad art. 102 LDiP. Plus nuancé : Fisch, N 27 ad art. 102 LDiP.

104 Aude Peyrot

analyse plus approfondie de la portée de l’art. 102 al. 3 LDIP dépasse le champ de notre étude. Sur un plan général, l’on relèvera toutefois que la protection de la bonne foi des créanciers sur la base des registres publics conduit à notre avis à d’importantes difficultés de mise en œuvre 94. Quoi qu’il en soit, il apparaît que l’on ne peut dégager une interpré-tation claire de la lettre de la loi, que ce soit dans le cadre de l’art. 149d al. 3 LDIP ou par comparaison avec d’autres normes du droit suisse 95. Il se justifie ainsi de recourir à des méthodes d’interprétation et à des considé-rations additionnelles.

b. Interprétation historique

L’Office fédéral de la justice entendait à l’origine conférer une portée aussi large que possible au principe de publicité. Cette volonté a été battue en brèche au fur et à mesure du processus législatif. Les quatre dispositions consacrées à la publicité ont été fondues en une seule norme. L’idée d’un registre des biens meubles a été abandonnée. Toute référence à la publicité a été supprimée dans la disposition consacrée à la distraction des biens du trust. Dans la loi elle-même, il ne reste rien de la position initiale de l’Of-fice fédéral de la justice. Cela étant, la protection des créanciers de bonne foi demeure clairement exprimée dans le Message 96. Au surplus, devant les Chambres fédérales, la question de la publicité, en général ou en lien avec la distraction des biens du trust, n’a pas fait l’objet de débat particu-lier. Quoi qu’il en soit, l’interprétation historique, telle que fondée sur le Message du Conseil fédéral, va très clairement dans le sens d’une protec-tion des créanciers de bonne foi 97. L’on peut toutefois se demander si cette interprétation historique s’impose ipso facto ou si elle doit céder devant d’autres considérations. Tel est le cas, à notre avis, comme nous le verrons ci-après.

94 A ce propos, cf. infra p. 108 s.95 De façon intéressante, Pannatier Kessler, p. 157, examine les art. 174 al. 3 CC, 375

al. 3 CC et 34 al. 3 Co et conclut : “La notion de ‘tiers de bonne foi’ recouvre ainsi des réalités différentes, palliant tantôt le défaut de pouvoir de representation, tantôt celui de disposer, tantôt encore celui de contracter, mais portant toujours sur l’objet du contrat.”

96 A cet égard, cf. supra p. 89.97 Cf. aussi Pannatier Kessler, p. 156 s.

105Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

c. Interprétation conforme à l’art. 973 CC et au système du registre foncier

Nous avons développé précédemment le principe de la foi publique, tel qu’il découle de l’art. 973 CC 98. Nous avons vu qu’à teneur du texte de l’art. 973 al. 1 CC et de la doctrine majoritaire 99, la foi publique ne protège que les acquéreurs d’un droit réel de bonne foi, à l’exclusion des créanciers de bonne foi. Il convient à notre avis d’interpréter l’art. 149d LDIP à la lumière de cette norme, de sorte à exclure la protection des créanciers de bonne foi. Certes, le Message décourage-t-il tout rapprochement entre ces deux dispositions, puisqu’il fait valoir que l’art. 149d LDIP va précisément plus loin que l’art. 973 CC 100. Cela étant, ce dernier constitue une norme de portée générale, qui pose le principe même de la foi publique du registre foncier. Il nous semble dès lors délicat de ne pas interpréter l’art. 149d al. 3 LDIP à la lumière de l’art. 973 CC, voire de ne pas faire coïncider les effets de ces deux normes. A défaut, l’on créerait une rupture dans la logique du registre foncier et une différence de traitement difficilement justifiable : la foi publique ne protégerait pas, à titre général, l’acquisition d’une créance de bonne foi, mais une telle protection serait néanmoins donnée en pré-sence d’un trust non mentionné au registre foncier. Cette solution prête le flanc à la critique. De façon plus générale, l’interprétation de l’art. 149d al. 3 LDIP dans le sens d’une exclusion de la protection des créanciers de bonne foi semble davantage conforme au système du registre foncier. Comme indiqué pré-cédemment, ce dernier ne permet pas de protéger efficacement les créan-ciers, car tel n’est précisément pas son but 101. Ainsi, le principe de la foi publique du registre foncier ne protège pas le donneur de crédit contre, par exemple, les conséquences d’une aliénation de l’immeuble à un tiers ou de son (re)transfert à la suite d’une action en rectification. Dans les deux cas, le créancier perd le bénéfice de l’immeuble sur lequel il escomptait par

98 Cf. supra p. 97 ss.99 Deschenaux, p. 616 s. et p. 630 ; Jenny, p. 4 ; ostertag, N 12 ad art. 973 CC ;

steinauer, p.  323, N 930. Contra : Gautschi (BeKo-ZGB), N 6b ad art. 401 Co ; Hofstetter, p. 126 s., en particulier 23.

100 message (Trusts), p. 607 : “L’art. 149d, al. 3, LDiP, tel qu’il est prévu dans le projet, va plus loin que l’art. 973 CC en ce qu’il protège également les créanciers dans la procé-dure d’exécution forcée et couvre ainsi non seulement l’acquisition de bonne foi, mais aussi l’octroi de crédit de bonne foi.” sur la conception du message, cf. supra p. 89.

101 A cet égard, cf. supra p. 99 s.

106 Aude Peyrot

hypothèse un désintéressement. Le seul moyen de se prémunir contre ces risques est de constituer un gage sur l’immeuble. Il ne devrait pas en aller autrement en cas de faillite personnelle du trustee. Dans ce cas également, le créancier ne doit se voir reconnaître un droit sur l’immeuble que s’il a constitué un gage sur ce dernier. Comme déjà relevé plus haut, il n’y a pas lieu d’attribuer à une simple créance, sur la seule base de la foi publique, les attributs d’un droit réel. Telle ne nous semble pas être la fonction du registre foncier. Rappelons au surplus que le but du registre foncier est de protéger la sécurité des transactions immobilières et non l’octroi de crédit de bonne foi 102.

d. Interprétation restrictive de la protection de la bonne foi

Le législateur aurait certes été libre de déroger à l’art. 973 CC (avec toute-fois les inconvénients évoqués au point précédent) et d’instaurer la pro-tection des créanciers de bonne foi à l’art. 149d LDIP. Cela aurait toutefois nécessité, à notre avis, une référence expresse dans la loi elle-même 103. Rap-pelons que la protection de la bonne foi constitue une dérogation à la situa-tion matérielle réelle et qu’à ce titre elle doit être admise restrictivement. Selon la jurisprudence, elle n’est protégée qu’en vertu d’une disposition particulière qui en précise la portée 104. A l’évidence, l’art. 149d LDIP ne satisfait pas à ces exigences, puisqu’il ne prévoit pas clairement et ouverte-ment un régime dérogatoire dans le texte même de la loi.

e. Interprétation conforme à la Convention de La Haye

Il convient également d’interpréter l’art. 149d LDIP conformément à la Convention de La Haye. Comme on l’a vu, la séparation des biens du trust trouve sa source directe dans la Convention, laquelle ne la subordonne point à la publicité du rapport de trust. La publicité est prévue à l’art. 12 de la Convention comme une simple faculté, dont l’inobservation est dénuée de tout effet juridique. L’on rappellera surtout que le principe de séparation en cas d’exécution forcée personnelle contre le trustee relève du standard

102 Pour des considérations plus détaillées sur le principe de la foi publique et le fonction-nement du registre foncier, cf. supra p. 97 ss.

103 Pannatier Kessler, p. 158 s.104 ATF 96 ii 161, JT 1971 ii 76, cons. 4c ; cf. aussi P. Piotet (Bonne foi), p. 82.

107Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

minimal de reconnaissance imposé par l’art. 11 de la Convention, sans le-quel la reconnaissance d’un trust serait vidée de son sens 105. Il est ainsi conforme aux engagements internationaux de la Suisse de ne pas chercher à restreindre la portée du droit de distraction. L’ordre juridique suisse aurait certes été libre d’adopter un régime plus restrictif, notamment sur la base de l’art. 15 de la Convention de La Haye, qui réserve les règles nationales impératives. C’est la solution suggérée par R. Gassmann 106. Cela étant, cette proposition se heurte à deux obstacles. Primo, il est douteux qu’on puisse attribuer à la protection des créanciers de bonne foi le caractère de règle impérative, puisqu’à notre avis et comme relevé par D. Pannatier Kessler, elle ne repose pas sur une base légale suffisante 107. Secundo, les commentateurs de la Convention de La Haye considèrent que la séparation des biens du trust ne doit pas être restreinte au moyen de l’art. 15. En effet, selon Harris : “[…] Article 15 does not detract from the separate status of the trust assets from the trustee’s personal wealth and that this separation of the trust assets is required by the Convention.” 108

Le même raisonnement est valable pour l’art. 16 de la Convention que le Message invoque à l’appui d’une dérogation de la reconnaissance des effets du trust 109. Au demeurant, il n’est pas certain que l’art. 149d LDIP puisse entrer dans la notion de “loi d’application immédiate” ou “loi de police” au sens de l’art. 16 de la Convention, lequel vise des dispositions impératives qualifiées, en ce sens qu’elles demandent à s’appliquer même lorsque la loi matérielle du for n’est pas désignée comme applicable à la cause 110. La vue selon laquelle le droit interne ne doit pas restreindre les effets minimaux de la reconnaissance d’un trust selon l’art. 11 de la Convention, auxquels appartient au premier chef le principe de séparation des biens du trust dans l’exécution forcée personnelle contre le trustee, est également soutenue dans la doctrine luxembourgeoise et hollandaise 111. L’on rappel-lera notamment la position de A. Prüm, T. Revet et C. Witz, qui dénient

105 sur l’importance de l’effet de ring-fencing en général et dans le cadre de l’art. 11 de la Convention, cf. supra p. 29 s.

106 Gassmann, N 6 ad 149 LDiP. sur le point de vue de cet auteur, cf. supra p. 90.107 Pannatier Kessler, p. 159.108 Harris, p. 318.109 Cf. eichner, p. 200.110 Cf. notamment von overbeck (rapport explicatif), p. 403 s., N 149. A propos de

l’art. 16 de la Convention, cf. infra p. 251 s.111 Koppenol-Laforce (Trustverdrag), p. 272 ; Prüm / revet / Witz, p. 59.

108 Aude Peyrot

à l’absence de mention tout effet sur le principe de distraction, alors même que celle-ci est obligatoire en droit luxembourgeois 112.

f. Considérations fondées sur la praticabilité

Une dernière raison vient encore renforcer la position défendue ici. Celle de la praticabilité. L’art. 149d LDIP ne vise à protéger que les tiers de bonne foi. Or, comment distinguer entre les créanciers de bonne et de mauvaise foi ? Faut-il exiger qu’ils prouvent avoir effectivement consulté le registre ? L’admettre irait à l’encontre de la fiction de connaissance des écritures foncières statuée par l’art. 970 al. 4 CC, qui opère indépendamment de toute consultation effective 113. Mais si la consultation du registre n’est pas requise, où donc commence et finit la protection de l’art. 149d al. 3 LDIP ? Se limite-t-elle au donneur de crédit qui s’est fié à l’apparente solvabilité tabulaire du trustee ? Englobe-t-elle au contraire les autres créanciers contractuels et personnels du trustee (médecin, assurance, fournisseur de biens, etc.) qu’ils aient consulté le registre ou non ? Quid par ailleurs du titulaire d’une créance d’origine délictuelle ? Est-il également englobé dans le champ de l’art. 149d al. 3 LDIP, alors que la protection du registre foncier ne lui est pas destinée ? Quel doit être en définitive le critère distinctif ? La consultation effec-tive du registre n’est pas requise par la loi. Quant à la bonne foi, il faut admettre qu’elle n’est un critère ni pertinent ni praticable pour attribuer des droits sur l’immeuble aux uns, à l’exclusion des autres. Un tel critère ne peut ni raisonnablement ni équitablement être mis en œuvre. Avantager certains créanciers au détriment d’autres serait constitutif d’une inégalité de traitement dénuée de tout fondement objectif. Au contraire, favoriser indifféremment tous les créanciers viderait totalement de son sens le prin-cipe de distraction prôné par la Convention de La Haye. A nouveau, toutes ces difficultés tiennent à la volonté du Message d’établir au moyen de la bonne foi un lien quasi forcé entre une créance et un immeuble, alors qu’ils n’entretiennent pas de lien naturel. Mis en situa-tion concrète, le critère de la bonne foi révèle l’étendue de ses limites, ce qui

112 Prüm / revet / Witz, p. 59. sur l’opinion de ces auteurs, cf. au surplus supra p. 93 s.113 Cf. supra p. 96 s.

109Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

renforce l’idée qu’il n’a pas sa place dans le cadre de la réalisation forcée en faveur des créanciers.

3. Proposition de solution

a. Effet de la mention ou de son défaut sur le sort des biens du trust

Il ressort des développements qui précèdent que l’art. 149d al. 3 LDIP ne peut, à notre avis, être interprété comme protégeant les créanciers de bonne foi. Le rapport de trust reste ainsi opposable aux créanciers per-sonnels du trustee, même s’il n’a pas été mentionné au registre foncier (ou dans un autre registre public). L’appartenance du bien litigieux au trust pourra corollairement être invoquée par le (co-)trustee ou les bénéficiaires du trust, en vue de le soustraire à la procédure d’exécution forcée (saisie ou faillite) qui aurait lieu contre le trustee à titre personnel 114. L’on relèvera toutefois que la mention ou l’absence de mention du rap-port de trust au registre foncier a une incidence directe sur le déroulement de la procédure de revendication et la répartition des rôles à l’action judi-ciaire au sens des art. 106 ss LP, respectivement de l’art. 242 LP 115. On le sait, ces éléments sont traditionnellement déterminés sur la base du critère de la “possession”, à savoir, pour les immeubles, au regard des inscriptions du registre foncier 116. Pour mémoire, si la mention a été omise, la procédure est celle de l’art. 107 LP (respectivement de l’art. 242 al. 2 LP) et l’initiative de l’action (in casu en revendication) incombe au tiers. Si, au contraire, la mention a été portée au registre foncier, la procédure est celle de l’art. 108 LP (respectivement 242 al. 3 LP) et l’action (in casu en contestation de re-vendication) est à la charge du créancier saisissant, du débiteur, ou de la masse en faillite117.

114 sur les modalités procédurales du droit de distraction dans l’exécution forcée contre le trustee, cf. supra pp. 70 ss et 77 ss.

115 D. staehelin (Trusts), p. 79 : “Ist eine derartige Anmerkung erfolgt, hat dies einen Wechsel der Parteirollenverteilung im Widerspruchsprozess zur Folge, denn dann ergibt sich das Trustverhältnis aus dem Grundbuch.”

116 Gilliéron (Poursuite), p. 364, N 1934 s., qui note que la notion de “possession” est la même qu’en matière de revendication dans la saisie. Cf. aussi Tschumy (Cr-LP), N 4 ad art. 107 LP. sur la répartition des rôles au procès, cf. supra pp. 71 et 78.

117 Pour la procédure de revendication dans le cadre de la faillite, cf. supra p. 70 ss ; quant à la procédure en cas de saisie, cf. supra p. 77 ss. sur les détails de la procédure, cf. au surplus les développements de Pannatier Kessler, p. 162 ss.

110 Aude Peyrot

Il convient de préciser par ailleurs que dans le cadre du procès en re-vendication ou en contestatation de revendication, il appartient au tiers revendiquant de prouver le bien-fondé du droit qu’il allègue, soit notam-ment l’existence du trust et l’appartenance du bien au trust. En revanche, la bonne foi du créancier est, quant à elle, sans pertinence sur l’issue du procès, puisqu’à notre sens elle ne joue aucun rôle sur la distraction des biens du trust et ne peut y faire obstacle. Relevons que ces quelques consi-dérations sont faites sous réserve du cas de l’abus du droit, que nous exa-minerons ci-après.

b. L’interdiction de l’abus de droit

Le fait que les créanciers de bonne foi ne soient pas protégés dans le cadre de l’art. 149d LDIP ne les empêche pas d’invoquer les principes généraux du droit, lorsque ceux-ci peuvent leur être d’un quelconque secours. Tel est notamment le cas de l’interdiction de l’abus de droit au sens de l’art. 2 CC. Une telle solution s’est notamment imposée dans l’affaire Konkursmasse der Verlassenschaft Bucher c. Witwe Bucher jugée par le Tribunal fédéral en 1946 118, qui a déjà été évoquée précédemment 119. L’état de fait est le suivant. Dans le cadre de la liquidation, selon les règles de la faillite, de la succession répudiée de Walter Bucher, sa veuve, fit valoir un droit de distraction sur un immeuble tombé dans la masse. Elle alléguait qu’elle avait vendu cet immeuble au défunt en 1923 avant leur mariage survenu quelques années plus tard. Le contrat de vente fut instru-menté par acte notarié et le changement de propriétaire inscrit au registre foncier. Selon la demanderesse, ce contrat de vente aurait toutefois été si-mulé, dans la mesure où les parties s’étaient mises d’accord par convention interne sur le fait que ce contrat était nul et sans effet inter partes. Le but du transfert de la propriété immobilière aurait été de conférer au défunt une apparence de solvabilité. Cette situation aurait perduré durant une vingtaine d’années jusqu’au décès de Walter Bucher et la liquidation de sa succession en 1944. La demanderesse allégua ainsi qu’elle était restée la propriétaire de l’immeuble, dans la mesure où la vente était nulle, et qu’elle était donc fondée à requérir la rectification du registre foncier (art. 975 CC)

118 ATF 72 ii 358, rés. JT 1947 i 617.119 Cf. supra p. 102, note 89.

111Chapitre 3 : L’incidence de la publicité sur la distraction des biens du trust

et corollairement la distraction de l’immeuble dans la liquidation par voie de faillite de la succession de son défunt époux. Cette requête fut admise par les instances cantonales, mais rejetée par le Tribunal fédéral sur appel de l’administration de la faillite. Le Tribunal fédéral considéra que le contrat de vente immobilière était simulé et donc invalide. De même, l’acte réellement voulu, i.e. un transfert de propriété à titre fiduciaire, était également nul faute d’avoir été instrumenté. La de-manderesse était donc bel et bien restée propriétaire. Cela étant, le Tribu-nal fédéral rejeta la requête en distraction au motif que le comportement de la demanderesse relevait de la tromperie et était constitutif d’un abus de droit au sens de l’art. 2 CC. Selon notre haute Cour, le droit de la faillite suisse ne connaît aucun principe général selon lequel les biens appartenant à autrui mais se trou-vant – avec l’accord de ce dernier – en possession du débiteur tombent dans sa masse en faillite, même si les tiers ont été amenés à faire crédit au débiteur sur la base de cette apparence. Ce principe peut toutefois devenir valable en présence d’une création d’apparence juridique aussi marquée qu’en l’espèce, contraire à l’interdiction de l’abus de droit au sens de l’art. 2 CC. L’arrêt fait en effet valoir ce qui suit : “Freilich kennt das schweizerisches Konkursrecht keinen allgemeinen Grundsatz des Inhaltes, dass Sachen, die einem Andern gehören, sich aber mit dessen Einwilligung in solcher Weise im Besitz des Schuldners befinden, ‘dass Dritte zur Ansicht geführt wer-den, sie würden dem Schuldner gehören, und dass Dritte infolge dessen dem Schuldner Kredit schenken’, unter Konkursbeschlag fallen, als ob sie Eigen-tum des Schuldners wären […]. Dieser Rechtsgedanke kann jedoch, in einem so ausgeprägten Falle der Schaffung eines Rechtsscheines wie hier, nach Art. 2 ZGB zur Geltung kommen.” 120 In casu, la demanderesse permit au défunt d’apparaître comme propriétaire au registre foncier pendant plus de vingt ans sur la base d’un contrat de vente simulé, dans le but exprès de tromper les créanciers présents et futurs. La requête en distraction fut ainsi écartée. Le principe veut ainsi que l’apparence de propriété résultant du re-gistre foncier n’entraîne pas la réalisation de l’immeuble en faveur des créanciers du débiteur inscrit en qualité de propriétaire. Cela étant, en pré-sence de manœuvres visant à tromper les créanciers, la distraction peut être refusée, si ce comportement est constitutif d’un abus de droit au sens

120 ATF 72 ii 358, cons. 2, rés. JT 1947 i 617.

112 Aude Peyrot

de l’art. 2 CC. Il s’agit ici d’une simple application des principes géné-raux du droit suisse, dans la mesure où l’objection de l’abus de droit peut toujours être invoquée pour entraver l’invocation d’une prétention. Cette objection doit toutefois être admise restrictivement. Ces règles peuvent être appliquées au trust, moyennant la prise en considération des particularités de l’institution. Le trustee est le proprié-taire juridique du fonds du trust. Les biens du trust doivent être inscrits à son nom, comme le prescrit notamment l’art. 2 § 2 lit. c de la Convention. L’inscription du trustee au registre foncier ne saurait donc en elle-même constituer une manœuvre destinée à tromper les créanciers sur sa surface financière. En outre, le simple fait pour un bénéficiaire de tolérer l’ins-cription du trustee sans mention du rapport de trust n’est pas constitutif d’un abus de droit, étant rappelé que le bénéficiaire (non-settlor) n’a pas la faculté de requérir spontanément cette mention au registre foncier 121. Un abus de droit au sens de l’art. 2 CC ne peut donc être retenu que dans des circonstances exceptionnelles, notamment si le revendiquant (co-trustee, bénéficiaire du trust) a eu un comportement actif visant à faire croire au tiers que l’immeuble appartient en propre au trustee, de sorte à l’inciter à faire crédit à ce dernier. Un tel cas de figure paraît toutefois essentiellement théorique, car le co-trustee ou les bénéficiaires du trust n’ont en principe aucun intérêt à agir de la sorte.

121 Cf. supra p. 84 s.

1131. Le trust dans la perception civiliste

dEuxIèME PaRTIE

LES dETTES du TRuST : RESPoNSabILITé PaTRIMoNIaLE ET PouRSuITE EN SuISSE

114 Aude Peyrot

115Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

Chapitre 4

La RESPoNSabILITé PaTRIMoNIaLE PouR LES dETTES du TRuST

I. problématique et terminologie

L’administration du trust donne nécessairement lieu à une grande variété de dettes. Le trustee peut, par exemple, être amené à contracter un crédit dans l’intérêt du trust, ce qui génère une obligation de payer des intérêts et de rembourser à terme le capital emprunté. Il lui incombe d’assurer les valeurs du trust contre des dommages divers, assurance pour laquelle il doit payer des primes. Il est, par ailleurs, tenu d’acquitter toutes sortes d’impôts occa-sionnés par la détention des biens du trust. Les exemples sont innombrables. La question se pose de savoir qui, ou plutôt quel patrimoine en mains du trustee, doit répondre des dettes issues de l’administration du trust. S’agissant d’une problématique interne au trust, elle relève de la loi qui le gouverne 1. Cette dernière est en premier lieu la loi désignée par le settlor (cf. art. 6 de la Convention de La Haye) ou, à défaut, celle avec laquelle le trust entretient les liens les plus étroits (cf. art. 7 § 1 de la Convention). L’in-tensité de ces liens s’apprécie selon les critères suivants : le lieu d’adminis-tration du trust désigné par le constituant, la situation des biens du trust, la résidence ou le lieu d’établissement du trustee, ainsi que les objectifs du trust et des lieux où ils doivent être accomplis (cf. art. 7 § 2 lit. a à d de la Convention). En fonction de la loi applicable et des circonstances du cas d’espèce, la dette peut incomber soit au trustee sur son patrimoine person-nel soit directement au fonds du trust 2.

1 message (Trusts), p. 609 : “C’est le statut du trust qui détermine si le patrimoine du trust, ou celui du trustee, répond d’une dette donnée.” Cf. aussi Bopp, N 7 ad art. 284a LP ; Gutzwiller, p. 182, N 284a-3 ; Panico, p. 271, N 6.116 ; schwander, N 4 ad art. 284a LP.

2 Quant à cette distinction, cf. message (Trusts), p. 608 : “Dans le contexte des pour-suites pour dettes liées à des trust, il faut distinguer deux types de dettes, à savoir les dettes contractées en ‘représentation indirecte’ du trust par le trustee lui-même, pour lesquelles il répond avec sa fortune personnelle, et les dettes dont répond le patrimoine du trust, soit parce que le trustee l’engage directement, soit parce que la dette est rattachée, de par sa nature, au patrimoine du trust.”

116 Aude Peyrot

Une remarque terminologique s’impose à ce stade. Nous emploierons l’expression “dettes du trust” pour désigner les dettes issues de l’adminis-tration régulière du trust 3. La formule se veut générale et ne vise pas à ré-pondre à la question de savoir quelle masse (patrimoine du trustee ou fonds du trust) est concrètement grevée par la dette. Similairement, l’expression “créancier du trust” désigne de façon large toute personne dont la créance résulte de l’exercice régulier du trust. Relevons que ces deux expressions sont employées par pure commodité. L’on gardera en effet à l’esprit que le trust est dépourvu de toute personnalité juridique et qu’à ce titre il ne peut, à strictement parler, répondre de ses dettes à l’égard des tiers dans une pers-pective externe. Même lorsque la dette grève matériellement le fonds du trust (en fonction de la loi applicable et des circonstances du cas d’espèce), formellement, c’est le trustee qui en est le répondant vis-à-vis des tiers 4. Chaque juridiction qui a intégré l’institution du trust est libre d’amé-nager la question de la responsabilité pour dettes comme elle l’entend, de sorte qu’il existe potentiellement autant de régimes pertinents que de lois applicables. Cela étant, l’on observe en pratique l’existence de deux ap-proches principales en la matière, la plupart des juridictions se rattachant à l’une ou à l’autre d’entre elles. L’on distingue, d’une part, l’approche tra-ditionnelle de responsabilité pour dettes qui est celle du droit anglais et, d’autre part, l’approche moderne adoptée par la plupart des Etats améri-cains et diverses juridictions offshore. Le présent chapitre vise à introduire les principes et les règles à la base de ces deux approches. Il entend poser les bases théoriques nécessaires à l’étude de l’exécution forcée pour les dettes du trust, qui sera entreprise au chapitre suivant. La détermination de la responsabilité patrimoniale pour une dette donnée est en effet une démarche préliminaire à toute poursuite. La question détermine non seulement le patrimoine qui devra à terme être réalisé pour satisfaire les créanciers, mais aussi la procédure à suivre pour parvenir à ce résultat. Celle-ci change radicalement en fonction du patri-moine qui répond de la dette. Nous examinerons ci-après l’approche traditionnelle de responsabilité pour dettes, telle qu’elle existe en droit anglais (ci-après II), pour nous pen-cher ensuite sur l’approche moderne à la lumière du droit américain et de certaines juridictions offshore (ci-après III).

3 Pour un aperçu schématique des dettes encourues par le trustee, cf. infra p. 145.4 Bopp, N 9 ad art. 284a LP ; Gutzwiller, p. 182, N 284a-3 ; mayer (Trust), p. 67.

117Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

II. L’approche traditionnelle à la lumière du droit anglais

A. La responsabilité primaire du trustee

Le trust n’a pas la personnalité juridique. Le droit anglais lui dénie co-rollairement toute capacité d’être propriétaire, d’acquérir des droits, de s’engager, d’actionner ou d’être actionné en justice 5. Seul le trustee détient ces prérogatives et assume les obligations résultant de l’exercice du trust. A l’égard des tiers, il agit non pas en tant que représentant du trust, faute de personne à représenter, mais uniquement comme propriétaire du fonds du trust. Selon Lewin on Trusts : “A trustee is in a different position from an agent. In general terms an agent acts on behalf of his principal and does not incur any personal liability provided that he acts within the scope of his authority : it is the principal, not the agent, who is liable. By contrast, a trustee acts as principal in connection with the administration of the trust and consequently does incur personal liabilities to third parties, whether or not he is acting in accordance with his powers and duties as trustee.”6 A l’in-verse d’un représentant direct pouvant contracter une obligation sur la tête du représenté, le trustee n’a pas, en droit anglais, la faculté de faire naître une dette immédiatement à charge du fonds du trust. L’approche traditionnelle ne reconnaît qu’une seule capacité au trustee, à savoir sa capacité personnelle. Inversement, et contrairement à ce qui prévaut dans l’approche moderne que nous verrons plus loin 7, elle lui dé-nie toute capacité “représentative”, ce que relève C. Mitchell : “A trustee has no distinct legal personality in his representative capacity separate from himself in his personal capacity.”8

5 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1066, N 81.5 ; Hayton / mitchell, Hayton & marshall (2005), p. 8, N 1-21 : “A trust, unlike a company, has no legal personality, thus, it cannot own property or enters into contracts, sue or be sued. It is the trustees who own the trust property, enter into contracts, sue or are sued. A trustee as such has no distinct legal personality in his representative capacity separate from himself in his personal capacity.”

6 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 677, N 21-10. Cf. aussi Trust Law Committee re-port, p. 2 : “Because a trust is not a legal entity like a company, it cannot be a principal and so cannot have an agent.”

7 Cf. infra p. 132 ss.8 mitchell, Hayton & mitchell, p. 12, N 1-45.

118 Aude Peyrot

Il en découle, et c’est le principe de base, que le trustee assume une responsabilité personnelle pour les dettes encourues dans l’administration du trust, faute de pouvoir engager ce dernier 9. Cette responsabilité person-nelle présente deux caractéristiques. D’une part, elle est illimitée, puisque le trustee répond des dettes sur l’ensemble de ses biens. D’autre part, elle n’est pas restreinte à la durée de son activité 10. En cas de changement de trustee, le trustee “sortant” demeure personnellement responsable pour les dettes générées par son activité et durant celle-ci 11. Quant au nouveau trustee, il répondra des obligations du trust dès sa prise de fonction. Le droit anglais reconnaît traditionnellement trois sources d’obliga-tions dont le trustee a en principe à répondre, à savoir les contrats, les préjudices causés aux tiers et la détention de la propriété. Cette dernière engendre diverses obligations pour le trustee. Il est par exemple personnel-lement tenu des dettes fiscales relatives aux biens du trust. En tant que dé-tenteur inscrit des actions, il est par ailleurs tenu de toutes les obligations découlant de ce statut, notamment en cas d’appel au paiement de la part non libérée (call on shares) 12. Ces trois chefs de responsabilité fonctionnent sur la base des mêmes principes : le trustee assume sur le plan externe une responsabilité personnelle sur l’ensemble de ses biens, tout en ayant droit sur le plan interne à une indemnisation sur le fonds du trust, si les condi-tions en sont réalisées. Ce droit d’indemnité sera examiné ci-après.

B. Le droit d’indemnité du trustee

1. Contours et justification

En contrepartie de la responsabilité qu’il assume à l’égard des tiers, le trustee dispose d’un droit d’indemnité (right of indemnity) à l’encontre du fonds du trust. Il peut exercer ce droit soit à titre préalable pour prélever les montants nécessaires à acquitter la dette, soit à titre subséquent pour obte-

9 mitchell, Hayton & mitchell, p. 12, N 1-45 : “Thus, he is personally liable to the extent of his whole personal fortune for debts contracted in managing the trust fund, whether contracting in his own name or as trustee […].” Cf. aussi mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 771, N 22-20.

10 mitchell, Hayton & mitchell, p. 12, N 1-45 et p. 350, N 8-80.11 smith, p. 347.12 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 681, N 21-15.

119Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

nir le remboursement de ses dépenses, s’il a payé lui-même la dette avec sa fortune propre. Cette règle générale a été édictée par le législateur anglais et c’est actuellement la section 31(1) du Trustee Act 2000 qui en régit les modalités. Elle prévoit ce qui suit :

“A trustee –

(a) is entitled to be reimbursed from the trust funds, or

(b) may pay out of the trust funds expenses properly incurred by him when acting on behalf of the trust.”

Le droit d’indemnité du trustee trouve sa justification dans le fait qu’il n’appartient pas au trustee d’assumer en fin de compte les charges surve-nues dans l’intérêt du trust et des bénéficiaires. La jurisprudence anglaise l’exprime en ces termes : “Persons who takes the onerous and sometimes dangerous duty of being trustees are not expected to do any of the work on their own expenses ; they are entitled to be indemnified against the costs and expenses which they incur in the course of their office ; of course, that necessarily means that such costs and expenses are properly incurred…The general rule is quite plain ; they are entitled to be paid back all they have paid out.” 13 Ce droit d’indemnité est une règle générale du droit des trusts, qui trouve son fondement dans l’accord de base entre le settlor et le trustee, plus particulièrement dans la nomination de ce dernier par le settlor 14.

2. La garantie du droit : le trustee’s lien

Ce droit d’indemnité est doublé d’un privilège, dénommé lien. Le trustee’s lien constitue un equitable lien. Ce dernier prend généralement sa source dans un rapport juridique entre les parties et naît par une opération d’equity 15. Il apparaît dans des circonstances très diverses qui sont diffi-ciles à délimiter 16. A défaut de pouvoir en donner une définition précise, la doctrine anglaise s’emploie à dégager les caractéristiques de l’equitable lien

13 Re Grimthorpe [1958] Ch 615, [1958] 1 WLr 381, at 623.14 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 674, N 21-03 et p. 711 s., N 21-63.15 Calnan, N 10.12. 16 Calnan, N 10.12, indique à cet égard : “[…] and it is difficult to find any guiding prin-

ciple for their creation, other than the wish of the court concerned to give the creditor a proprietary interest, and therefore give him priority, in the debtor’s insolvency.”

120 Aude Peyrot

et à le différencier des autres catégories de sûretés. Il est décrit comme une sûreté qui n’entraîne pas, ni ne nécessite, la possession du bien concerné et qui ne confère aucun titre sur celui-ci. Il donne néanmoins à son titulaire un proprietary interest sur le bien concerné, à savoir un droit in rem qui déploie ses effets non seulement contre la personne qui possède la chose, mais en principe également contre tout possesseur subséquent 17. Le trustee’s lien trouve sa justification dans le fait que le trustee qui assume des dépenses sur ses deniers personnels dans l’intérêt exclusif du trust doit pouvoir obtenir la garantie d’être indemnisé. Il lui confère divers droits sur la propriété du trust en garantie de ses prétentions. Selon Lewin on Trusts : “The trustee’s right of indemnity as secured by the charge or lien comprises rights of reimbursement, exoneration, retention, and realisation, […].” 18 Le trustee peut donc notamment retenir les biens du trust ou ses revenus jusqu’à ce qu’il ait été concrètement indemnisé en raison d’obliga-tions actuelles, conditionnelles ou même futures dont il aurait à répondre. Corollairement, un bénéficiaire ne peut pas exiger un transfert du fonds du trust tant que les prétentions du trustee n’ont pas été satisfaites. Par ailleurs, lorsque les actifs du trust sont mobilisés ou immobilisés, il ne lui est pas nécessaire d’attendre qu’ils soient à nouveau liquides. Il lui est loi-sible de faire réaliser les biens du trust et de s’indemniser sur la produit de la vente, si nécessaire, sur la base d’une décision judiciaire 19. En cas de changement de trustee, l’equitable lien continue à lier les trustees subséquents 20. Avantage non négligeable, cette sûreté ne se rat-tache pas à un bien en particulier, mais porte sur l’ensemble du fonds du trust. De la sorte, une dette qui a été contractée par le trustee en relation avec une certaine partie du fonds du trust peut en principe être acquittée au moyen de toute autre partie de celui-ci 21. Le trustee’s lien constitue par ailleurs un véritable privilège puisqu’il attribue aux prétentions du trustee la priorité non seulement par rapport aux droits des bénéficiaires, mais aussi à ceux des acheteurs ou des créanciers hypothécaires 22.

17 Cf. à cet égard Calnan, N 10-79 ss.18 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 691, N 21-33.19 Ibidem. 20 Hayton / mitchell, Hayton & marshall (2005), p. 692, N 9-340.21 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 692, N 21-34.22 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1072 s., N 81.27 ; mowbray [et al.], Lewin on

Trusts, p. 690, N 21-33.

121Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

3. Conditions et causes de déchéance du droit

La section 31(1) du Trustee Act 1925 prévoit un droit au prélèvement direct ou au remboursement sur le fonds du trust pour les dépenses régulière-ment encourues par le trustee (properly incurred). Le droit d’indemnité est ainsi subordonné à la condition que le trustee ait agi de façon diligente et loyale. Si le trustee s’engage de façon irrégulière, il est déchu de son droit. Les causes de déchéance sont notamment les suivantes 23 : (i) Le trustee a procédé à l’acte litigieux sans disposer du pouvoir corres-

pondant à teneur de l’instrument du trust ou de la loi applicable (lack of power).

(ii) Le trustee a agi sans les autorisations internes nécessaires stipulées par l’instrument du trust (lack of due authorisation). Tel sera par exemple le cas si le trustee a procédé à l’acte litigieux seul et de son propre chef, alors que ce dernier nécessitait une décision unanime de tous les trustees ou le consentement du bénéficiaire.

(iii) En procédant à l’acte litigieux, le trustee a violé ses devoirs fiduciaires qui l’obligent à agir dans le meilleur intérêt des bénéficiaires (breach of equitable duties). Tel est par exemple le cas si le trustee n’a pas suffi-samment diversifié les investissements du fonds du trust ou s’il a pris des décisions inadéquates en la matière 24.

(iv) Le trustee est endetté à l’égard du fonds du trust en raison d’une vio-lation du trust commise dans un autre contexte que celui de l’acte litigieux (unconnected indebtedness of trustee to the trust).

(v) Le droit d’indemnité est exclu dans l’instrument du trust.

4. Le droit d’indemnité contre les bénéficiaires

Relevons incidemment que lorsque le droit d’indemnité du trustee ne peut être exercé sur le fonds du trust faute d’actifs disponibles ou suffisants, celui-ci dispose exceptionnellement d’un droit personnel contre les bénéfi-ciaires du trust (trustee’s personal right of indemnity against beneficiaries) 25. Un tel droit existe dans deux cas. D’une part, lorsque le bénéficiaire a

23 Trust Law Committee report, N 2.4 et N 2.5. Cf. aussi Hayton / mitchell, Hayton & marshall (2005), p. 691, N 9-338.

24 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1080, N 81.50.25 smith, p. 339.

122 Aude Peyrot

expressément accepté d’indemniser le trustee, ce qui attribue un caractère contractuel au droit d’indemnité. D’autre part, lorsque les dépenses encou-rues par le trustee ont bénéficié au fonds du trust et que le beneficial interest appartient intégralement ou est entièrement réparti entre un ou plusieurs bénéficiaire(s), majeurs et capables de discernement 26. La jurisprudence anglaise en donne la justification suivante : “The plainest principles of jus-tice require that the cestui que trust who gets all the benefit of the property should bear its burden unless he can show some good reason why his trustee should bear himself. The obligation is equitable and not legal […].”27

c. La limitation de la responsabilité du trustee

En matière contractuelle, le trustee se voit reconnaître la faculté de limiter sa responsabilité personnelle, pour autant que cela soit compatible avec la nature du contrat. Il est fondé par exemple à la restreindre à un montant déterminé ou à concurrence des biens en trust disponibles pour couvrir les prétentions de tiers 28. Contracter “as trustee” ne suffit pas à limiter la responsabilité personnelle du trustee. Il faut à tout le moins l’adjonction d’un terme supplémentaire tel que “as trustee only” ou “as trustee and not otherwise”. En présence de l’une ou l’autre de ces mentions, l’on peut consi-dérer que les obligations du trustee sont limitées à concurrence des avoirs en trust disponibles 29. L’on relèvera incidemment que certains auteurs anglo-saxons font état de la possibilité pour le trustee d’exclure totalement sa responsabilité per-sonnelle en matière contractuelle 30. Pour ce faire, le contrat doit stipuler que le trustee a pour seule obligation de prélever les montants nécessaires

26 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 698, N 21-44.27 Hardoon v Belilios [1901] AC 118, at [123-124].28 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1066, N 81.5 : “[…] as a matter of contract

law the trustee can persuade a third party to agree that the trustees’ liability should be limited or excluded, or that the trustees should only pay the debt out of the trust property under the statutory right to indemnity in s 31(1) of the Trustee Act 2000.” Cf. aussi mitchell, Hayton & mitchell, p. 12, N 1-45 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 678, N 21-11.

29 mitchell, Hayton & mitchell, p. 350, N 8-81 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 678, N 21-11.

30 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 679, N 21-12 : “Moreover, a trustee may, at any rate if so authorised by the trust instrument, and if the contract is of a character which

123Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

sur le fonds du trust et non de répondre de la dette sur sa fortune propre. Les conditions de validité et les effets d’une telle exclusion ne sont pas clai-rement définis en droit anglais 31. Cela étant, même en présence d’une telle stipulation, le créancier ne semble pas disposer d’un droit direct contre les biens du trust. Selon L. Smith : “In others, it might be the case that the credi-tor, if he is a consensual creditor, has expressly agreed with the trustee that the creditor’s only right will be against trust assets and against personal assets. […]. Even this contractual stipulation does not give the creditor any direct access to the trust assets, it has effect only between the parties and all it does is to deny the creditor any access to the trustee’s personal assets.”32 Le co-contractant doit actionner le trustee en exécution des termes du contrat, afin qu’il soit judiciairement contraint de prélever le montant dû sur le fonds du trust. Alternativement, à certaines conditions strictes, il peut être subrogé au trustee dans son droit d’indemnité à l’encontre de ce fonds 33. Au surplus, en matière délictuelle, dans ses rapports externes avec le lésé, la responsabilité personnelle du trustee est toujours engagée. Il n’est pas possible de la restreindre à concurrence des biens du trust qui seraient disponibles pour couvrir la prétention du tiers lésé. Le trustee est par ailleurs tenu de réparer le préjudice causé au lésé, indépendamment du fait qu’il ait agi conformément à ses devoirs ou non. Cette question est pertinente dans le cadre de ses relations internes avec les bénéficiaires et se réglera lors de l’examen du droit à l’indemnité 34.

D. Le droit de subrogation des créanciers

Il ressort de ce qui précède que les créanciers qui détiennent une créance née dans l’exercice du trust doivent en principe se retourner contre le trustee à titre personnel, puisque lui seul assume une responsabilité à leur égard. Il existe néanmoins des exceptions à cette règle, et donc des cas où le droit anglais positif confère au créancier une mainmise directe ou indi-recte sur les biens en trust.

admits of limited liability, contract that he will not be liable to make payment person-ally, but be liable only to make payment out of the trust fund.” ; cf. aussi Panico, p. 240, N 6.16 ss ; smith, p. 339.

31 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 679, N 21-12.32 smith, p. 339.33 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 679, N 21-12 ; smith, p. 339. 34 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 680, N 21-14.

124 Aude Peyrot

Les créanciers qui disposent d’un gage sur tout ou partie de la propriété du trust ont une mainmise directe sur les biens du trust concernés. La situation des créanciers non garantis (unsecured creditors) est en revanche moins avantageuse, puisqu’ils ne peuvent faire valoir aucune prétention directe contre la propriété du trust. Le trustee qui traite avec des tiers pour le compte du trust n’engage en effet que lui-même. Cela étant, pour pallier la précarité de la situation de ces créanciers en cas de défaillance du trustee, le droit anglais leur accorde dans certaines circonstances un accès indi-rect aux biens du trust au moyen d’un droit de subrogation : les créanciers peuvent être subrogés au trustee dans son droit d’indemnité à l’encontre du fonds du trust 35. Lewin on Trusts l’exprime en ces termes : “Although unsecured creditors and other claimants do not have a direct claim against the trust property in respect of unsecured liabilities incurred by trustees in the administration of the trust, and cannot levy execution upon the trust fund property they may by subrogation have a right to stand in the place of the trustee and enforce their liabilities against the trust property to the extent that the trustee would be so entitled.”36

Les circonstances qui donnent naissance à un tel droit de subroga-tion sont incertaines 37. Il est en tout cas admis en cas d’insolvabilité du trustee. Par ailleurs, certains auteurs font valoir qu’il est également donné lorsqu’un jugement à l’encontre du trustee serait vain 38. Dans l’affaire Raybould v Turner, Lord. J Byrne semble avoir ouvert assez largement les circonstances dans lequel ce droit peut naître : “When once a trustee is en-titled to be thus indemnified out of his trust estate, I cannot myself see why the person who has recovered judgment against the trustee should not have the benefit of this right to indemnity and go direct against the trust estate or the assets, as the case may be, just as an ordinary creditor of a business carried on by a trustee or executor has been allowed to do, instead of having to go through the double process of suing the trustee, recovering the damages from him, and leaving the trustee to recoup himself out of the trust estate.”39 La matière semble en l’état incertaine.

35 mitchell Hayton & mitchell, p. 350, N 8-80 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 694, N 21-38.

36 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 694, N 21-38.37 Bogert, p. 460.38 se fondant sur diverses jurisprudences, cf. Hayton [et al.], underhill & Hayton,

p. 1081, N 81.52.39 Raybould v Turner [1900] 1 Ch 199, 69 LJ Ch 249.

125Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

Quant à l’objet du droit de subrogation, celui-ci peut se rapporter non seulement au droit d’indemnité du trustee à l’égard du trust estate, mais également à son droit d’indemnité personnel à l’encontre des bénéficiaires 40. L’efficacité de ce moyen est toutefois relativement limitée, s’agissant d’un droit dit dérivé (derivative right). Par la subrogation, le créancier se substitue au trustee et dispose à ce titre ni plus ni moins des mêmes droits que celui-ci 41. Ce droit dépend donc entièrement de l’existence d’un droit d’indemnité du trustee, qui peut ne jamais naître ou disparaître en raison de diverses pathologies (défaut d’autorisation, défaut de capacité, etc.) 42. Il appartient ainsi au créancier de prouver que le droit d’indemnité n’est pas exclu par l’instrument du trust, que la dette a été contractée de façon régulière (le cas échéant, selon la procédure interne requise), que le trustee n’a pas commis de violation de ses equitable duties en concluant le contrat et qu’il n’est pas non plus endetté à l’égard des bénéficiaires en raison d’un breach of trust 43. Une telle démonstration, qui requiert l’accès à des don-nées internes et souvent confidentielles, est assurément très difficile à faire. L’on peut ainsi conclure que les créanciers qui traitent avec un trustee sont relativement mal équipés pour obtenir la satisfaction de leurs prétentions sur les biens en trust.

e. Appréciation et perspectives futures du droit anglais

1. Les propositions du Trust law committee

Il ressort des considérations qui précèdent que l’approche traditionnelle du droit anglais est très protectrice à l’égard du fonds du trust. Cette protection intervient d’abord au détriment des créanciers, dont l’accès au fonds du trust est exclu voire très limité étant sujet à un mécanisme de

40 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1077, N 81.40. Cf. aussi mowbray [et al.], Lewin on Trusts, N 21-39. sur le droit personnel du trustee contre les bénéficiaires, cf. supra p. 121 s.

41 Re British Power Traction & Lighting Co. Ltd [1910] 2 Ch. 470.42 Cf. supra p. 121 s.43 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1080, N 81.50 ; mowbray [et al.], Lewin on

Trusts, p. 694 s., N 21-39. A noter toutefois que s’il y a plusieurs trustees et que l’un deux au moins n’est pas endetté à l’égard du trust, et si les autres conditions sont remplies, le créancier pourra s’en prendre à son droit d’indemnité. Cf. à cet égard les références citées.

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subrogation difficile à mettre en œuvre. L’approche traditionnelle est sur-tout défavorable aux trustees qui doivent personnellement répondre des dettes nées dans l’exercice du trust, sans avoir eux-mêmes bénéficié de la prestation du tiers et sans avoir toujours la possibilité d’être indemnisés (par exemple si le fonds du trust est insuffisant). Le constat de la fragilité de la position des créanciers a incité un groupe d’experts rassemblés au sein du Trust law committee 44 à se pencher sur une réforme du droit anglais positif. Le groupe s’est attaché à recenser les problèmes liés à la situation actuelle et à leur trouver des solutions afin de renforcer les droits des créanciers. Il se justifie d’examiner ces propositions dans le détail, dans la mesure où elles pourraient être le reflet du régime de responsabilité pour dettes en droit anglais d’ici quelques années. Les propositions de réforme du Trust law committee portent no-tamment sur deux problématiques majeures qui font obstacle au droit de subrogation des créanciers : d’une part, l’endettement du trustee à l’égard du trust (unconnected indebtedness) et, d’autre part, la violation par le trustee de ses devoirs fiduciaires (equitable duties). Elles seront examinées ci-après.

a. La problématique de l’endettement du trustee

Le principe selon lequel le créancier ne peut être subrogé au droit d’in-demnité du trustee qu’à condition que celui-ci ne soit pas endetté à l’égard du trust est perçu comme très problématique 45. L’endettement du trustee peut en effet n’entretenir aucun lien avec la conclusion du contrat litigieux (unconnected indebtedness) et résulter par exemple d’une violation du trust antérieure, voire même postérieure à ce contrat 46. Le créancier n’a donc aucune influence sur le sort qui sera réservé à ses prétentions 47.

44 Le Trust law committee regroupe d’éminents théoriciens et praticiens du trust. il s’est donné pour objectif d’identifier et de remédier aux faiblesses du droit anglais en matière de trusts. son activité consiste à formuler des propositions de réforme, consignées dans des Consultation Papers et mises en circulation parmi les milieux intéressés, et à publier des rapports de synthèse, destinés aux instances officielles, notamment la Law Commission.

45 Trust Law Committee report, N 3.4.46 Trust Law Committee report, N 2.5 et N 3.4.47 Trust Law Committee report, N 2.6.

127Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

Deux propositions ont été formulées pour remédier à ces inconvé-nients. La première vise à conférer au trustee le pouvoir de créer un gage en faveur d’un créancier, sous la forme d’une fixed charge sur des biens spéci-fiques du trust ou d’une floating charge 48 sur le fonds du trust 49. Un tel gage permettrait au créancier d’avoir accès au fonds du trust, indépendamment de l’état des comptes entre le trustee et le trust. Il appartiendrait par ail- leurs au trustee de vérifier au cas par cas si l’exercice de ce pouvoir est conforme à ses equitable duties, qui commandent d’agir dans le meilleur intérêt des bénéficiaires 50. La deuxième proposition tend purement et simplement à abolir la problématique de l’unconnected indebtedness. Elle vise à spécifier dans la loi qu’un endettement du trustee simultané à une demande d’indemnité d’un créancier contractuel ou d’une victime d’un préjudice n’y fait pas obstacle 51.

b. La violation par le trustee de ses devoirs fiduciaires

Le deuxième obstacle, soit la violation d’un equitable duty par le trustee, est perçu comme l’un des plus insatisfaisants. D’une part, au moment de procéder à l’acte, le cocontractant n’a aucun moyen d’établir si le trustee agit conformément à ses devoirs. D’autre part, le droit anglais le place assez curieusement dans la position d’un fiduciaire (fiduciary) 52 : lors de la conclusion du contrat, il appartient au cocontractant qui pense tirer le meilleur parti du contrat de le faire savoir au trustee. A défaut, le trustee est susceptible de conclure un contrat négligeant les intérêts des bénéfi-ciaires et de commettre un manquement à ses equitable duties, causant

48 Conaglen [et al.], snell’s equity, p. 778, N 34-02, définit les charges comme des sûretés, qui viennent grever la propriété concernée, en vue du paiement de dettes ou d’autres obligations, et qui permettent de requérir judiciairement la réalisation des biens. Les fixed charges et les floating charges sont toutes deux des types de sûreté. Les secondes se distinguent des premières en ce qu’elles ne sont pas attachées à des biens spécifiques, mais sont au contraire “flottantes”. elles ne se “cristallisent” sur des biens particuliers que lors de la survenance de circonstances déterminées. L’avantage de ces sûretés par rapport aux premières réside dans le fait qu’elles n’empêchent pas le débiteur du gage de disposer d’un bien dans le cadre de son activité, puisqu’aucun bien précis n’est grevé.

49 Trust Law Committee report, p. 5, N 3.1 et p. 18, N 10.1.50 Trust Law Committee report, p. 5, N 3.1.51 Trust Law Committee report, p. 6 s., N 3.4 et p. 18, N 10.2.52 Trust Law Committee report, p. 9, N 3.9.

128 Aude Peyrot

ainsi la perte de son droit d’indemnité 53. Pour remédier à ce problème tout en préservant les intérêts tant des créanciers que des bénéficiaires, le Trust law committee recommande l’insertion d’une norme prévoyant expres-sément que la violation par le trustee de l’un de ses devoirs fiduciaires lors de négociations avec un tiers, ne porte pas atteinte à son droit d’être in-demnisé sur la base du fonds du trust. Le dol du créancier est réservé 54.

c. Autres propositions

Le Trust law committee vise encore d’autres améliorations du régime de la responsabilité pour dettes 55, telle que l’harmonisation du sens juridique de certains termes avec le sens commun. Comme on l’a vu, contrairement à la croyance commune, contracter “as trustee” ne suffit pas à limiter la res-ponsabilité personnelle du trustee. Pour parvenir à un tel résultat, le droit anglais actuel exige l’emploi des termes “as trustee and not otherwise” ou “as trustee only”56. Pour éviter toute méprise, il est recommandé d’adopter une norme disposant qu’en l’absence d’intention contraire dans le contrat, lorsqu’une personne contracte “as trustee”, elle n’est tenue personnelle-ment à l’égard du tiers qu’à concurrence de la valeur du fonds du trust au moment de la demande en paiement. Si toutefois le trustee diminue la va-leur du fonds du trust en procédant à des distributions aux bénéficiaires ou en contractant de nouvelles obligations non nécessaires à sa préservation, alors qu’il sait qu’une dette est due ou deviendra exigible à une date ulté-rieure, il demeure tenu personnellement à concurrence de la diminution en cause 57. Relevons que cette proposition paraît être davantage qu’une ré-

53 Trust Law Committee report, p. 9, N 3.9 : “It is far short of astonishing that if C knows that T is a trustee but desires to be able to have recourse to the trust assets (in case T cannot personally satisfy a judgement obtained by C) then, if C believes he is clearly getting the better of the bargain with T, C has to disclose this to T in order that T does not become guilty of breach of trust for negligently failing to safeguard the interests of the beneficiaries. Creditors are this effectively placed in the position of a fiduciary.”

54 Trust Law Committee report, p. 10, N 3.11 et p. 19, N 10.3.55 Les deux propositions de réforme relatives au rang des créanciers et à la compensation

de créances, dans le cadre de l’exécution forcée d’un trust, ne sont pas abordées ici, l’examen des recommandations du Trust Law Committee étant limité à la probléma-tique de la responsabilité pour dettes.

56 Cf. supra p. 122.57 Trust Law Committee report, N 3.14 et N 10.4.

129Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

volution cosmétique, puisque la portée des clauses de limitation de respon-sabilité serait de la sorte largement étendue. D’autres réformes sont proposées que nous mentionnerons ici unique-ment pour mémoire : d’une part une clarification du rang des créanciers en cas d’insolvabilité du trust 58, d’autre part des règles précisant le système de compensation de créances entre le trustee et les créanciers 59.

2. Vers une réforme plus fondamentale ?

L’on constate qu’un large consensus s’est formé outre-Manche sur la né-cessité de revoir et améliorer la situation des créanciers traitant avec un trustee. La question de l’ampleur de la réforme divise cependant les mi-lieux intéressés. Une tendance minoritaire plaide en faveur d’une réforme plus fondamentale du régime anglais de la responsabilité pour dettes et souhaite faire du trust une entité qui répondrait des dettes en première ligne, le trustee n’assumant qu’une responsabilité personnelle subsidiaire, à moins que le contrat ne l’exclue, respectivement seulement si le contrat le prévoit. Ce courant n’entend pas revenir sur l’absence de personnalité juridique du trust, mais suggère de le considérer comme un patrimoine séparé couplé avec des responsabilités. Cette position est résumée comme suit : “The Chancery Bar Association ‘regards reform of this area of the law as highly desirable’ stating ‘The law is ill-understood und uncertain, and clarification is the least required. More importantly, the law does not match the reasonable expectations of parties dealing with trustees or of trustees themselves and their beneficiaries, and should be modified to match those expectations’. While favouring modification and clarification of the existing law on the lines indicated in the preceding section of this Report, the CBA states ‘more fundamental reform’ is needed along the lines canvassed in our Consultation Paper viz. regarding the trust fund as the primarily liable entity (albeit having no legal personality, but being treated like a separate patrimony of assets coupled with liability) with the trustee having a second-ary personal liability unless excluded by the contract with the creditor or perhaps if included in the contract.”60

58 Cf. Trust Law Committee report, N 5.1 et N 10.5 (a), (b).59 Cf. Trust Law Committee report, N 6.1- N 6.6 et N 10.5 (c).60 Cf. à cet égard Trust Law Committee report, N 4.1.

130 Aude Peyrot

La tendance majoritaire 61 s’oppose quant à elle à un tel remaniement du système, notamment au motif qu’une responsabilité primaire du fonds du trust serait inadéquate dans certaines situations. Compte tenu des op-positions, une révision aussi fondamentale du droit anglais ne doit pas être attendue ces prochaines années. Le Trust law committee a renoncé quant à lui à faire des recommandations sur ce point 62.

f. Mise en œuvre de l’exécution forcée (aperçu)

Un rapide survol des principes généraux présidant à l’exécution forcée des dettes encourues dans l’exercice du trust nous semble propice pour conclure l’examen de la règle classique. Cet aperçu sera effectué à la lu-mière du droit anglais. Il est utile d’observer dans les grandes lignes com-ment ces ordres juridiques traitent lesdites dettes, en particulier quant au droit de subrogation des créanciers. Selon le principe de base, la partie qui a eu affaire à un trustee en cette qualité détient une créance qui grève son patrimoine personnel. L’exécu-tion forcée doit être dirigée contre le trustee, et non contre le fonds du trust. Dans le cas où le trustee ne s’exécute pas spontanément, le créan-cier peut requérir l’exécution forcée à son endroit. Le trustee est sujet à la faillite (bankruptcy) s’il est une personne physique et à la procédure de liquidation (winding-up) s’il est une société 63. La procédure anglaise diffère donc à cet égard de la procédure suisse, où les personnes physiques sont en principe assujetties à la saisie (sous réserve des cas prévus à l’art. 39 LP) et les personnes morales à la faillite. En cas de faillite du trustee individuel, ses biens tombent dans une masse (bankrupt’s estate). Cette masse est transférée à l’administrateur de la faillite, dit trustee in bankruptcy, en vue de réalisation au profit des créanciers du trustee 64. En cas de procédure de liquidation d’une société agissant comme trustee, ses biens ne sont pas automatiquement trans-férés au liquidateur, mais peuvent demeurer en ses mains. Ses avoirs se-ront également réalisés au profit des créanciers 65. Selon la section 283(3)(a)

61 Trust Law Committee report, N 4.3. 62 Trust Law Committee report, N 4.4.63 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 771, N 22-20.64 sections 305(2) et 306 insolvency Act 1986.65 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 772, N 22-21.

131Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

Insolvency Act 1986, les biens détenus en trust pour le compte d’autrui ne rentrent pas dans la masse en faillite. Il en va de même dans le cadre de la procédure de liquidation 66. Bien que le fonds du trust soit exclu des biens réalisables, les créan-ciers ont néanmoins un accès indirect sur ceux-ci par le biais du droit de subrogation, qui naît de l’insolvabilité du trustee. Le droit d’indemnité du trustee à l’encontre du fonds du trust appartient à son patrimoine person-nel. A ce titre, et comme ses autres biens, ce droit est transféré à son trustee in bankruptcy 67, qui se chargera de distribuer son produit parmi les divers créanciers. Il faut préciser encore que seuls les créanciers qui ont eu affaire au trustee en cette qualité peuvent bénéficier du produit de la réalisation, à l’exclusion des créanciers strictement privés du trustee 68. En dehors du cas d’insolvabilité du trustee, les créanciers subrogés peuvent en principe faire valoir leur droit dérivé dans le cadre d’une pro-cédure spéciale et individuelle contre le fonds du trust insolvable 69. Leurs créances ne bénéficient d’aucun privilège dans cette procédure. Le Trust Law Committee est d’avis que ces créances doivent être colloquées en dernier rang, après les prétentions des créanciers au bénéfice de sûretés sur la propriété du trust et après les créanciers préférentiels 70.

66 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 772, N 22-21.67 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1082s, N 81.57 ; cf. aussi la décision austra-

lienne Octavo Investments Pty Ltd v Knight (1979) 144 CLr 360, Aus. HC, at 370 : “The trustee’s interest in the trust property amounts to a proprietary interest, and is sufficient to render the bald description of the property as ‘trust property’ inadequate. It is no longer property held solely in the interests of the beneficiaries of the trust and the trustee’s interest in that property will pass to the trustee in bankruptcy for the benefit of the creditors of the trust trading operation should the trustee become bank-rupt. […]. The fact that the trust property itself cannot be taken in execution by the creditors of the trustee is not to the point. Those creditors are nevertheless subrogated to the rights of the trustee in relation to that property, and in the event of the trustee becoming bankrupt, it is those rights which are to be realized in their favour.”

68 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 772, N 22-24.69 Trust Law Committee report, p. 13 : “No insolvency regime applicable to individuals or

to companies is applicable to trusts, so that an administration order under RSC Order 85 will need to be sought where recourse is sought against the assets of an insolvent trust fund.” A noter que la règle précitée a été remplacée par les Civil Procedure rules, part 64, complétées par les Practice Direction 64. Cf. également le Chancery Guide, chapter 26.

70 Trust Law Committee report, p. 13.

132 Aude Peyrot

III. L’approche moderne à l’exemple du droit américain et des lois offshore

A. L’abandon progressif de la règle classique

Le droit anglais a été pendant longtemps le droit de référence en matière de trusts pour toutes les juridictions de common law. Cela a notamment été le cas aux Etats-Unis. Le régime de responsabilité pour dettes était conçu dans les divers Etats américains selon le modèle anglais. Toutefois, ses règles rigides et défavorables aux trustees et aux créanciers ont suscité progressivement des mécontentements au sein des milieux concernés. Des règles plus libérales ont ainsi peu à peu vu le jour dans les divers Etats amé-ricains, puis dans les juridictions offshore. C’est ainsi qu’un concept plus moderne et plus pragmatique de responsabilité pour les dettes encourues dans l’exercice du trust est apparu. Le Restatement (Second) of Trusts 71, publié en 1959, est un bon témoin du glissement d’idées, déjà entamé à cette époque dans les diverses juri-dictions américaines. Certes, l’ouvrage reproduit encore la règle classique selon laquelle le trustee est personnellement responsable à l’égard des tiers des dettes encourues dans l’exercice du trust 72, que la dette découle d’un contrat 73, d’un préjudice causé à un tiers, même sans sa faute 74, ou qu’elle dérive de son statut de propriétaire juridique du trust 75. De même, il pré-voit encore un droit d’indemnité du trustee dans ces diverses situations, en contrepartie des dettes assumées sur sa fortune propre 76. Mais à y regarder de plus près, on y décèle déjà les premières brèches opérées dans le système

71 Le restatement of the Law of Trusts émane de l’American Law institute. il s’agit d’une œuvre d’harmonisation et de compilation majeure en matière de trusts. il a fait l’objet de trois versions successives relativement éloignées dans le temps. Le restate-ment (second) of Trusts de 1959 fait suite au restatement of the Law, Trusts, publié en 1935, qui en est la version initiale. La dernière version en date, connue sous le nom de restatement (Third) of Trusts, a été publiée en 2003 (vol. 1 et 2) et en 2007 (vol. 3).

72 restatement (second) of Trusts § 261.73 restatement (second) of Trusts § 262. sont réservées les clauses d’exclusion de res-

ponsabilité, cf. § 263.74 restatement (second) of Trusts § 264 et cmt a.75 restatement (second) of Trusts § 265. 76 restatement (second) of Trusts § 244-248.

133Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

traditionnel. Des exceptions viennent en effet libéraliser la règle stricte. En tant que détenteur de la propriété du trust, le trustee doit assumer person-nellement les dettes qui résultent de cette détention, mais seulement dans la mesure où les biens en trust sont suffisants pour l’indemniser 77. Cette règle est dite correspondre à la “tendance moderne” 78. Une telle libéralisation est également vraie eu égard aux droits des créanciers. S’il est encore prévu que les créanciers ne peuvent pas agir par une action at law pour obtenir la satisfaction de leurs prétentions sur les biens en trust 79, il est admis qu’ils peuvent y parvenir par une suit in equity 80. Cette possibilité est certes limitée à cinq hypothèses 81, mais il est frappant de constater que ces hypothèses couvrent en réalité toutes ou presque toutes les situations. Le créancier est admis à rechercher le fonds du trust en cas de défaillance du trustee 82 si le trust a bénéficié de la pres-tation du tiers 83 ou encore si une clause de l’instrument du trust 84 ou du contrat 85 le prévoit. La dernière règle veille, quant à elle, à ne pas laisser sans moyen un créancier qui ne tomberait pas dans l’un de ces cas : “A person to whom the trustee has incurred a liability in the course of the ad-ministration of the trust may be permitted to obtain satisfaction of his claim out of the trust estate if it is equitable to permit him to do so, although his claim does not fall within the rules stated in §§ 268-271.”86 Ces quelques règles sont une bonne illustration du vent de libéralisme qui souffle sur le Restatement (Second) of Trusts, et qui voudrait qu’à l’ins-tar d’un représentant le trustee puisse engager la responsabilité du trust 87. Cette vision s’appuie à cette époque sur les réglementations de certains Etats américains considérant le trustee non comme le propriétaire du

77 restatement (second) of Trusts § 265.78 restatement (second) of Trusts § 265, cmt a.79 restatement (second) of Trusts § 266.80 restatement (second) of Trusts § 267.81 restatement (second) of Trusts § 268-271A.82 restatement (second) of Trusts § 268. sont notamment visés ici l’insolvabilité du

trustee et le fait qu’il ne soit pas soumis à la juridiction du tribunal compétent. en principe, il faut toutefois que le trustee ait un droit d’indemnité sur le trust estate.

83 restatement (second) of Trusts § 269. Peu importe dans ce cas que le trustee n’ait aucun droit d’indemnité sur les biens en trust.

84 restatement (second) of Trusts § 270.85 restatement (second) of Trusts § 271.86 restatement (second) of Trusts § 271A.87 restatement (second) of Trusts § 271A, cmt a.

134 Aude Peyrot

trust mais comme son représentant, de sorte à permettre aux créanciers d’obtenir satisfaction sur le fonds du trust par une action contre le trustee pris dans sa capacité “représentative” : “It is coming to be recognized that just as an agent or servant acting within the general scope of his authority can subject his principal to liability, so a trustee acting within the general scope of his authority can subject the trust estate, although not the beneficia-ries personally, to liability. In a few States it is expressly provided by statute that a trustee is a general agent for the trust property and that his acts, within the scope of his authority, bind the trust property to the same extent as the acts of an agent bind his principal.”88 Le dogme traditionnel, de plus en plus ébréché, a perduré en tout cas jusqu’à la fin des années 80. Les théoriciens du trust en font encore l’écho dans leurs ouvrages datant de cette époque 89. Ces auteurs relèvent toute fois des règles dissidentes dans de nombreux Etats, qui permettent au créan-cier contractuel du trustee de l’actionner at law dans sa capacité de re-présentation et d’obtenir un jugement contre la propriété du trust 90. Scott and Ascher on Trusts résume l’émergence d’un nouveau concept en ces termes : “There is a growing tendency today, however, to regard the trustee as not the owner of the trust estate but the administrator of the trust, even where the rights of third persons are concerned. […]. But there is a growing feeling that third persons should also, if necessary, be permitted to obtain satisfaction of their claims out of the trust estate.”91

Le modèle classique a donc progressivement fait place à un nouveau concept de responsabilité pour dettes dans le cadre d’un trust. Le concept moderne a érigé en principe ce qui était auparavant des exceptions. Cette tendance a frappé les divers postulats à la base du régime de responsabilité pour dettes : la responsabilité contractuelle, délictuelle, et celle dérivant de la qualité de propriétaire juridique du trust, les prérogatives des créanciers, ainsi que les aspects procéduraux.

88 Ibidem.89 Cf. notamment Bogert, p. 450 ss. 90 Cf. Bogert, p. 452, note 14, qui donne parmi d’autres l’exemple de l’Alabama, du

Connecticut, de l’indiana ou du massachussetts. Cf. également p. 452, n. 19, qui relève l’existence de certaines réglementations qui permettent au cocontractant d’ac-tionner soit le trustee dans sa capacité de représentation, soit à titre personnel.

91 scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 1870 s.

135Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

B. Le droit positif

1. Les règles de l’uniform Trust Code

Le concept moderne sera examiné sur la base de l’Uniform Trust Code. Ce dernier relève des “lois uniformes” (Uniform Laws), qui visent à unifor-miser le droit des divers Etats américains. Ce droit repose sur un système fédéraliste, où la compétence pour légiférer est partagée entre les Etats (state law) et le gouvernement fédéral (federal law). Diverses démarches pour uniformiser le droit ont été entreprises afin de faciliter les échanges commerciaux et la mobilité des individus à travers le territoire améri-cain. En particulier, la National conference of commissioners on uniform state laws fut créée en 1892, afin de préparer et proposer des “lois uniformes” dont l’adoption est recommandée aux Etats. Les Uniform Laws ne constituent pas du droit directement applicable. Pour déployer des effets, elles doivent être intégrées dans le droit interne de chaque Etat. Ceux-ci sont libres de les adopter en tout ou en partie ou de les modifier à leur guise. L’Uniform Trust Code a été adopté en 2000 et révisé pour la dernière fois en 2010. Comme pour les autres lois uniformes, il est né du constat que la réglementation des trusts dans les divers Etats américains était géné-ralement fragmentaire et hétéroclite. A ce jour, vingt-quatre d’entre eux l’ont promulgué (enacted), en tout ou en partie, dans leur droit interne 92. Trois l’ont par ailleurs introduit (introduced) 93. Le texte est encore à l’étude dans plusieurs autres Etats. Certains se montrent plus réticents à son endroit, parce qu’ils possèdent déjà une législation très complète sur les trusts ou parce qu’ils n’adhèrent pas à l’une ou l’autre des règles uni-formes proposées. Dans la mesure où cette codification est la plus récente et la plus représentative dans le domaine des trusts, il paraît opportun de s’y référer. Le concept moderne s’articule autour des trois sources d’obligations traditionnelles : contrats, préjudices, détention du titre de la propriété,

92 Virginie-occidentale, michigan, Vermont, Kansas, Nebraska, Wyoming, Nouveau mexique, District de Columbia, utah, maine, Tennessee, New Hampshire, missouri, Arkansas, Virginie, Caroline du sud, oregon, Caroline du Nord, Alabama, Floride, ohio, Pennsylvanie, Dakota du Nord, Arizona.

93 Connecticut, massachussetts, New Jersey.

136 Aude Peyrot

comme cela ressort de la section 1010 de l’Uniform Trust Code, reproduit ci-après.

Section 1010 Limitation on personal liability of trustee

“(a) Except as otherwise provided in the contract, a trustee is not person-ally liable on a contract properly entered into in the trustee’s fiduciary ca-pacity in the course of administering the trust if the trustee in the contract disclosed the fiduciary capacity.

(b) A trustee is personally liable for torts committed in the course of ad-ministering a trust, or for obligations arising from ownership or control of trust property, including liability for violation of environmental law, only if the trustee is personally at fault.

(c) A claim based on a contract entered into by a trustee in the trustee’s fiduciary capacity, on an obligation arising from the ownership or control of trust property, or on a tort committed in the course of administering a trust, may be asserted in a judicial proceeding against the trustee in the trustee’s fiduciary capacity, whether or not the trustee is personally liable for the claim.” 94

En matière contractuelle, le principe est désormais que le trustee, sauf clause contraire du contrat, n’est pas personnellement tenu des obliga-tions en découlant, lorsqu’il a agi de façon régulière, dans sa “capacité fiduciaire” (“fiduciary capacity”) et qu’il l’a dévoilée au cocontractant 95. Il suffit pour cela qu’il signe le contrat en tant que trustee ou qu’il se réfère au trust. Cette règle n’est toutefois valable que si la conclusion du contrat s’inscrit dans le cadre des pouvoirs du trustee et s’il agit conformément à ses devoirs. Le trustee qui commet un breach of trust ne bénéficie donc pas de cette exonération 96. Quant aux préjudices commis dans l’admi-nistration du trust, le trustee n’en est tenu responsable que s’il est per-sonnellement en faute 97. Cette faute peut survenir intentionnellement ou par négligence 98. Il s’agit ici d’une amélioration notable par rapport au Restatement (Second) of Trusts, qui prévoyait que la responsabilité per-

94 Des règles similaires existent également dans divers etats américains qui n’ont pas promulgué l’uniform Trust Code. Cf. par ex. sections 18000-18005 du California Pro-bate Code ; section 633.4601 de l’iowa Code (2001) ; section 3328 du Delaware Code. en matière contractuelle ; cf. également section 53-12-199 du Georgia Code.

95 section 1010 (a) uniform Trust Code.96 section 1010 uniform Trust Code, cmt.97 section 1010 (b) uniform Trust Code.98 section 1010 uniform Trust Code, cmt.

137Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

sonnelle du trustee était engagée indépendamment de toute faute. Il en va de même pour les obligations découlant de la détention de la propriété du trust, y compris pour la responsabilité liée à une violation d’une loi environnementale 99. Dans la mesure où le trustee agit à l’égard des tiers dans une “capa-cité fiduciaire” et non dans sa capacité personnelle, il ne s’engage que sur le fonds du trust, et non sur sa fortune propre. L’approche moderne lui confère ainsi la faculté de faire naître des dettes directement à charge du fonds du trust, lorsque les conditions prescrites par la loi sont réalisées. Dans un tel cas, le trustee n’assume lui-même aucune responsabilité indi-viduelle pour ces passifs. Il en résulte, et c’est le principe qui prévaut dans l’approche moderne, que les créanciers peuvent faire valoir des prétentions directes contre le fonds du trust. Cette solution vaut de façon générale. A la différence du Restatement (Second) of Trusts, il n’est donc plus nécessaire de se trouver dans l’un des régimes d’exception 100. Dans la perspective des créanciers, l’Uniform Trust Code prévoit qu’une dette découlant des trois chefs de responsabilité précités peut être invoquée dans une procédure judiciaire contre le trustee dans sa “capa-cité fiduciaire” que celui-ci soit ou non tenu personnellement de la dette 101.

Le fait que le trustee puisse être actionné en cette qualité dans tous les cas, et donc même si le fonds du trust ne répond pas de la dette, est un véritable bouleversement de la règle classique. La position des créanciers s’en trouve grandement améliorée, puisqu’ils ne courent plus le risque que leur action soit mal dirigée. Le settlor ne peut pas déroger à ces diverses règles dans l’acte constitu-tif du trust. En particulier, il ne peut pas limiter les droits des tiers prévus aux sections 1010 à 1013 de l’Uniform Trust Code 102.

2. Les réglementions offshore

De nombreuses juridictions offshore se sont rattachées à l’approche mo-derne de responsabilité pour dettes. Tel est notamment le cas de Jersey 103,

99 section 1010 (b) uniform Trust Code.100 Cf. supra p. 132 ss.101 section 1010(c) uniform Trust Code.102 Article 10 uniform Trust Code, gen. cmt.103 Cf. section 32 Trusts (Jersey) Law 1984.

138 Aude Peyrot

Guernesey 104, Anguilla 105, Malte 106, des Seychelles 107, de l’île Maurice 108, du Belize 109 ou encore de Turks and Caicos 110. Les lois respectives de ces juridictions sont assorties de clauses prévoyant expressément que le trustee n’assume aucune responsabilité personnelle pour les obligations contractées dans l’exercice du trust et/ou que les prétentions des tiers s’étendent exclusivement au fonds du trust. Il faut généralement pour cela que le trustee ait dévoilé sa qualité de trustee au tiers ou que le tiers en ait connaissance d’une façon ou d’une autre. A défaut, le trustee est person-nellement tenu à l’égard du tiers, tout en possédant en contrepartie un droit d’indemnité à l’encontre du fonds du trust, sauf s’il a commis une violation du trust. L’on relèvera que la loi des Iles Vierges Britanniques a mis en place, quant à elle, un régime de responsabilité pour dettes détaillé, qui a pour particularité d’être laissé à la libre disposition du settlor. Le settlor et le trustee ont en effet la faculté d’incorporer dans l’instrument du trust – pour autant qu’il soit soumis à la loi de cette juridiction – la section 97 Trustee Act 1961 111. Dans un tel cas, le trustee est exonéré de toute res-ponsabilité personnelle et les obligations issues de l’exercice du trust in-combent exclusivement au fonds du trust. En cas de procédure judiciaire, le

104 Cf. section 42 Trusts (Guernsey) Law 2007.105 Cf. section 26 Trusts ordinance 1994.106 Cf. section 32 Trusts and Trustees Act 1988 (as amended, 2004).107 Cf. section 47 international Trusts Act 1994.108 Cf. section 36(1)(2)(5) Trusts Act 2001.109 Cf. section 26(1)(2)(3)(6) Trusts Act 1992.110 Cf. section 31(2) Turks and Caicos ordinance.111 section 97 Trustee Act 1961 (as amended, 2003) : “(1) This section applies to a trust

where the terms of the trust expressly so provide. (2) Where this section applies to a trust, the provisions of subsections (3) and (4) shall have effect. (3) Except as otherwise provided in the contract, a trustee of the trust shall not be personally liable under or by virtue of a contract with any party properly entered into by the trustee in the trustee’s fiduciary capacity in the course of administering the trust if the trustee disclosed in the contract the fiduciary capacity, or if the party was otherwise aware of that capacity. (4) A claim based on (a) a contract entered into by a trustee of the trust, (b) an obliga-tion arising from ownership or control of trust property, or (c) a tort committed in the course of administering the trust, may be asserted by a party in a judicial proceeding against the trustee in the trustee’s fiduciary capacity, whether or not the trustee is personally liable for the claim, and so that the claimant shall be entitled to satisfac-tion out of the trust fund directly rather than by way of subrogation to any right of indemnity of the trustee.”

139Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

tiers exerce sa prétention contre le trustee pris dans sa “capacité fiduciaire”, indépendamment de savoir quel patrimoine en répond sur le plan interne. Sa créance est au surplus directement satisfaite sur le fonds du trust, et non par le biais d’un quelconque mécanisme de subrogation quant au droit d’indemnité du trustee. Alternativement, à défaut pour l’instrument du trust d’incorporer la section 97 Trustee Act 1961, le régime de la responsabilité pour dettes est celui de la section 98 112. Dans ce cas, le trustee est personnellement tenu responsable de toutes les obligations nées dans l’exercice du trust, mais seulement à concurrence de la valeur du fonds du trust au moment où la créance devient exigible. Conformément à la section 100 Trustee Act 1961, le trustee possède en contrepartie un droit d’indemnité à l’encontre du fonds du trust, auquel les créanciers peuvent être subrogés. Leur situation est notablement améliorée par rapport à l’approche du droit anglais, en ce sens que leur droit de subrogation n’est pas anéanti par un éventuel endet-tement du trust à l’égard du fonds du trust 113.

112 section 98 Trustee Act 1961 (as amended, 2003) : “(1) Where section 97 does not apply to a trust, this section shall apply to it. (2) Subject to subsection (3), where, in a contract properly entered into by a trustee, the trustee discloses his fiduciary capacity, or the other party is otherwise aware of that capacity, the trustee is per-sonally liable for any sum payable under the contract only to the extent of the value of the trust fund when the payment falls due. (3) When computing the value of the trust fund for the purposes of subsection (2), the fund shall be treated as still includ-ing any property which, since the contract was entered into, has been distributed. (4) Subsections (2) and (3) shall have effect subject to any contrary provision in the contract. (5) For the purposes of subsection (3), property shall be taken to have been distributed if it has ceased to be subject to the trust otherwise than on a disposal in good faith for valuable consideration in the management or administration of trust property.”

113 section 100(1) Trustee Act 1961 (as amended, 2003) : “Subject to the terms of the trust and without prejudice to section 97 where applicable, (a) where a trustee of a trust has incurred a liability in favour of another party (‘the third party’) under or by virtue of a contract properly entered into by the trustee, the trustee shall have a right of indem-nity against the trust fund and against distributed property or its traceable product, to which right the third party shall be subrogated ; and (b) in computing the amount of the indemnity any indebtedness of the trustee shall be disregarded.”

140 Aude Peyrot

Iv. synthèse : mise en perspective des approches moderne et classique

Les approches moderne et classique admettent en commun l’absence de personnalité juridique du trust, la propriété légale du trustee sur le fonds du trust, ainsi que le caractère ségrégué de ce dernier (“ring-fenced fund”), elles appréhendent néanmoins de façon fondamentalement différente la question de la responsabilité pour les dettes encourues dans l’exercice du trust. La doctrine classique tire la conséquence logique des caractéristiques précitées. Dans la mesure où le trustee est le propriétaire du fonds du trust, il ne peut en être le représentant (“agent”), faute de personne à représen-ter. Le trustee n’a donc aucune “capacité représentative” (“representative capacity”). Cela signifie que, lorsqu’il contracte des obligations à l’égard des tiers, c’est toujours à titre personnel, et ce quand bien même il agit dans l’exercice du trust et non dans son intérêt privé. Il en découle que les dettes du trust incombent à son patrimoine personnel, en contrepartie d’un droit d’indemnité qu’il peut exercer à l’encontre du fonds du trust, soit de façon préalable pour acquitter la créance du tiers, soit de façon subséquente pour se rembourser de ses dépenses et de ses frais. Dans la mesure où la respon-sabilité du trustee est exposée en première ligne, le système est relative-ment défavorable aux personnes qui exercent cette charge. Il est également dés avantageux pour les créanciers, dans la mesure où les fonds personnels du trustee sont généralement sensiblement inférieurs à la valeur des actifs en trust et qu’un accès à ces derniers n’est ouvert que de façon très limitée et moyennant un mécanisme compliqué de subrogation. En définitive, l’on peut observer que la vision traditionnelle présente l’avantage de la cohé-rence juridique, mais est relativement peu adaptée aux impératifs écono-miques de la société moderne, ce qui explique certaines propositions de réforme qui sont en cours d’étude en Angleterre 114. L’approche moderne s’écarte du modèle traditionnel en reconnaissant au contraire au trustee une double capacité, à savoir une capacité person-nelle et une “capacité fiduciaire” (“fiduciary capacity”). Lorsqu’il agit en qualité de trustee dans l’exercice du trust, il s’engage en principe dans

114 Cf. supra p. 125 ss.

141Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

sa “capacité fiduciaire”, et non dans sa capacité personnelle. Cela revient concrètement à faire naître des dettes à la charge immédiate du fonds du trust, si toutes les prescriptions légales ont été observées 115. En cela, le ré-gime moderne de responsabilité pour dettes peut être considéré comme plus simple et plus équitable que son équivalent traditionnel. Plus simple pour le créancier, parce qu’il peut accéder directement au fonds du trust sans devoir faire le détour par le mécanisme compliqué de la subrogation. Plus équitable pour le trustee, parce qu’il semble juste qu’une dette donnée vienne grever le patrimoine qui a bénéficié de la contre prestation ou en lien avec lequel elle est née. L’on peut observer que l’approche moderne pousse la logique du fonds séparé plus loin que ne le fait l’approche traditionnelle. Le fonds du trust est en effet perçu comme une masse entièrement ségréguée qui assume une responsabilité patrimoniale propre et cohérente. Négativement, le fonds du trust ne répond pas des obligations des parties au trust (en particulier des dettes personnelles du trustee). Positivement, il assume directement ses propres passifs. Dans l’approche moderne, le trust prend ainsi la forme d’une masse patrimoniale qui, bien qu’elle soit dépourvue de personnalité juridique, répond de ses propres obligations. A vrai dire, l’approche moderne constitue en cela un certain pas dans la direction d’une “personnification” du trust, et donc vers une dénatu-ration de l’institution. Le Restatement (Third) of Trusts constate à cet égard une tendance croissante des Etats américains à traiter implicite-ment le trust comme une entité juridique, fondée notamment sur la re-connaissance d’une capacité fiduciaire du trustee, à côté de sa capacité personnelle : “Increasingly, modern common-law and statutory concept and terminology tacitly recognize the trust as a legal ‘entity’, consisting of the trust estate and the associated fiduciary relation between the trustee and beneficiaries. This is increasingly and appropriately reflected both in lan-guage (referring, for example, to the duties or liability of a trustee to ‘the trust’) and in doctrine, especially in distinguishing between the trustee per-sonally or as an individual and the trustee in a fiduciary or representative capacity.” 116 P.  Panico pose un constat général similaire : “The limitation of trustee liability, in the most radical cases by imposing liability directly on the trust fund, is an instance of a general trend towards the ‘reification’ of

115 Panico, p. 253, N 6.61 ; Thévenoz (Trusts), p. 26.116 restatement (Third) of Trusts, § 2, cmt a.

142 Aude Peyrot

trusts, letting them acquire some of the features of corporate entities.” 117 De la même façon, L. Smith relève : “Even in the common law, it is not uncom-mon to speak of the trust as if it were a distinct legal person.” 118

L’on relèvera qu’un tel phénomène a également été observé en droit écossais. Il a acquis au demeurant une ampleur suffisante pour que la Scottish law commission se penche sur l’opportunité d’attribuer au trust la personnalité juridique, dans le cadre d’une étude plus globale consa- crée à la nature et la constitution d’un trust 119. La Scottish law com-mission a observé à cet égard une forte tendance à appréhender le trust comme une personne morale dans le langage courant, étant par ailleurs précisé qu’un tel statut est conféré au trust par le droit fiscal et que la loi écossaise sur la faillite se réfère aux “dettes encourues par un trust” 120. En l’occurrence, la Scottish law commission a toutefois considéré qu’il ne se justifiait pas d’attribuer la personnalité juridique au trust en raison d’un abus de langage ou sur la simple base d’une perception erronée de la nature du trust et de la responsabilité personnelle du trustee : “There was general agreement that the use of language which tended to personify a trust and implied an incorrect understanding of the legal analysis of a trust was not in itself a convincing argument for reform of the law. It did not fol-low that when a trust was being reified, it was being regarded as an entity with legal or juristic personality. If as a result of their administration, lay trustees incurred personal liability to third parties under the mistaken belief that ‘the trust’ would be liable, the rules on liability could be changed : it was not necessary to give trusts legal personality.” 121

De façon générale, les juridictions de common law ne semblent pas remettre en cause l’absence de personnalité juridique du trust. L. Smith relève notamment qu’une telle démarche reviendrait à gommer les spéci-

117 Panico, p. 267 s., N 6.105.118 Cf. smith, p. 348, et les divers exemples cités.119 Cf. scottish law commission, Discussion Paper No 133.120 scottish law commission, Discussion Paper No 133, p. 15, N 2.36 : “In these cir-

cumstances, there is again an understandable temptation to create a structure that appears better to represent the economic and social realities of how a trust operates in practice : namely, that it is ‘the trust’ which owns the trust fund which is only managed by trustees. This is reinforced by the fact that trusts are treated as separate entities for most tax purposes. And in the context of the sequestration of a trust estate in respect of debts incurred by the trustees on behalf of ‘the trust’, section 6(1)(a) of the Bankruptcy (Scotland) Act 1985 refers to ‘a trust in respect of debts incurred by it’.”

121 scottish law commission, Discussion Paper No 133, p. 16, N 2.40.

143Chapitre 4 : La responsabilité patrimoniale pour les dettes du trust

ficités du trust et à faire disparaître l’institution du paysage juridique 122. Cela étant, diverses juridictions ont édicté des règles dans des contextes spécifiques (en particulier en matière d’exécution forcée) qui prêtent au trust certains attributs de la personnalité juridique. L’on observe ainsi un désir de conserver au trust son statut de simple masse de biens, tout en supprimant les inconvénients résultant d’une telle situation, notamment la responsabilité patrimoniale personnelle du titulaire pour les dettes du trust. Tel qu’appréhendé dans l’approche moderne, le trust se situe quelque part entre le simple patrimoine et la personne morale 123. Entre ces deux pôles s’exerce une certaine tension qui rejaillit sur la question de la nature juridique du trust et par ricochet sur sa qualification en droit civil 124. Elle se manifeste également au moment de la mise en œuvre de l’exécution for-cée pour les dettes du trust. Ce sera l’objet du chapitre suivant.

122 smith, p. 349 s. : “Conversely, treating the trust as one of those things – in particular, treating it as a legal person will, in the long run, threaten to destroy its status as a fundamental institution.”

123 une conclusion similaire est adoptée par Gaillard, p. 312, au vu du caractère sé-paré du fonds du trust, sans que l’auteur ne vise spécifiquement l’approche moderne : “Cette caractéristique ne signifie pas, dans les systèmes de common law, que le trust ait la personnalité morale et c’est précisément ce qui heurte, en droit continental, le dogme hérité d’Aubry et rau. il faut reconnaître toutefois que tout se passe comme si le trust était une personne morale distincte et qu’il n’y a plus guère d’intérêt pratique à maintenir la fiction de l’unicité du patrimoine dans des droits où ce principe a déjà été passablement écorné.”

124 L’on renverra à ce propos au chapitre 1, en particulier au point iii, p. 50 ss.

144 Aude Peyrot

145Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

Chapitre 5

La PouRSuITE EN SuISSE PouR LES dETTES du TRuST

I. remarques introductives et aperçu schématique

Le chapitre précédent a permis de mettre en exergue divers éléments qu’il n’est pas inutile de rappeler ici. Primo, le trustee est amené à encourir des obligations diverses et variées dans l’exercice du trust sur la base de trois chefs de responsabilité (contrats, délits, détention de la propriété). Secundo, c’est à la loi applicable au trust qu’il appartient d’organiser la responsabi-lité pour ces dettes et de déterminer quelle masse en assume la charge. Le trustee peut être tenu d’en répondre sur sa fortune propre ou sur le fonds du trust. Tertio, les juridictions de common law se rattachent généralement soit à l’approche traditionnelle, soit à l’approche dite “moderne” de res-ponsabilité pour dettes, chacune reposant sur des fondements théoriques qui lui sont propres. La première prône une responsabilité personnelle du trustee pour les dettes du trust 1. La seconde lui reconnaît la capacité de s’engager dans une capacité fiduciaire, ce qui revient concrètement à faire naître la dette directement à charge du fonds du trust et à l’exonérer de toute responsabilité individuelle. Ces bases théoriques posées, il y a désormais lieu d’examiner com-ment la poursuite peut et doit être mise en œuvre en Suisse pour ces deux catégories distinctes de dettes. Les créanciers doivent en effet pouvoir re-courir à l’exécution forcée lorsque le trustee n’acquitte pas volontairement les dettes nées de la gestion du trust. La question a une incidence pratique, dans la mesure où nombre de trustees individuels et sociétés trustees (trust companies) sont actifs en Suisse et que nombre de trusts y sont créés et administrés. Elle devient concrètement pertinente lorsque la masse patri-moniale qui répond de la dette (le patrimoine personnel du trustee ou le fonds du trust) est d’une valeur insuffisante pour y faire face, qu’elle ne comprend pas les liquidités nécessaires à cet effet et/ou que le trustee fait

1 sur l’expression “dettes du trust”, cf. supra p. 116.

146 Aude Peyrot

preuve de négligence. Cette problématique présente au surplus un grand intérêt théorique, car elle montre comment la Suisse, juridiction de droit civil sans tradition du trust, a concrétisé tant l’approche traditionnelle que l’approche moderne dans son droit de l’exécution forcée. Le présent chapitre est organisé comme suit :– Le point II traite de la poursuite pour les dettes du trust dont le trustee

répond sur son patrimoine personnel. Nous verrons le type de dettes qui peuvent se côtoyer dans une telle procédure (A), le déroulement de la poursuite dans ses grandes lignes (B) et les effets de l’insolvabilité du trustee sur la marche du trust (C).

– Le point III examine la poursuite pour les dettes du trust dont le trustee répond sur le fonds du trust. Elle fait l’objet du nouvel art. 284a LP. Après une présentation de la norme (A) et de son histoire législa-tive  (B), nous en examinerons les principaux aspects, notamment la qualité de poursuivant (C), celle de poursuivi (D), le for de la poursuite (E) et son mode de continuation (F). Nous verrons que la norme repose sur des solutions originales, dont certaines se trouvent en rupture avec les solutions existantes de la LP ou avec la logique du trust.

Les dettes encourues par le trustee et les poursuites auxquelles elles don-nent respectivement lieu peuvent être synthétisées comme suit :

Trustee agissantà titre privé

Trustee agissantdans l’exercice

du trust

dettes privéesà charge du patrimoine

du trustee

dettes du trustà charge du fonds

du trust

Poursuite selon les règles

existantes de la Lp(cf. infra ii)

Poursuite selon l’art. 284a Lp(cf. infra iii)

dettes du trustà charge du patrimoine

du trustee

147Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

II. La poursuite pour les dettes à charge du patrimoine du trustee

A. Les dettes en poursuite

Lorsque la loi applicable le prévoit, le trustee est tenu des dettes du trust sur sa fortune propre. Il s’agit là de la situation courante dans l’approche traditionnelle 2. Elle peut également se produire lorsque la loi applicable au trust observe l’approche moderne mais que l’une des conditions de la mise en œuvre de l’imputation directe de la dette au fonds du trust n’est pas réalisée. Tel sera par exemple le cas lorsque les actes du trustee ont causé un préjudice à un tiers pour lequel il est personnellement fautif 3. Simultanément, le trustee continue d’assumer des obligations diverses dans le cadre de son activité privée dont il a également à répondre sur son patrimoine personnel. Elles sont toutes des dettes du trustee et doivent pouvoir faire l’objet d’une exécution forcée lorsque le trustee ne s’exécute pas volontairement. Autrement dit, la procédure d’exécution forcée contre le trustee, en particulier s’il est soumis à la faillite, rassemblera généralement tant ses créanciers privés, i.e. ceux dont la créance est issue de son activité privée, que les créanciers du trust dont la prétention incombe personnellement au trustee 4. Est également susceptible d’y prendre part tout intervenant au trust qui peut faire valoir des prétentions contre le trustee lui-même, à commencer par les bénéficiaires du trust, lorsque le trustee a causé un dommage en raison d’une violation du trust (breach of trust), dont il doit répondre à titre personnel 5.

B. Le déroulement de la poursuite

1. L’application des règles existantes

Dans la mesure où le trustee est recherché pour des dettes qui lui in- combent personnellement, il est poursuivi pour lui-même au même titre

2 sur l’approche traditionnelle en matière de responsabilité pour dettes, cf. supra p. 117 ss.3 Cf. par ex. section 1010(b) uniform Trust Code.4 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 772, N 22-04.5 Dans ce sens, cf. Peyrot / Barmes, p. 133.

148 Aude Peyrot

que n’importe quelle autre personne physique ou morale. La procédure à suivre est une poursuite classique en application des règles existantes de la LP 6. Une poursuite contre le trustee peut avoir lieu en Suisse, si un for de la poursuite y est ouvert. Cette question s’examine à la lumière des tra-ditionnels art. 46 ss LP. Tel sera notamment le cas si le trustee a son do-micile ou son siège en Suisse (art. 46 al. 1 et 2 LP) ou s’il est domicilié à l’étranger mais qu’il a un établissement en Suisse au sens de l’art. 50 LP. Dans cette dernière hypothèse, la poursuite est limitée aux dettes de l’établissement. Le mode de continuation de la poursuite (saisie ou faillite) se déterminera à la lumière de l’art. 39 LP en fonction du statut du trustee. Il faut néanmoins compter avec quelques particularités dans le déroulement de cette poursuite, étant donné que le débiteur détient, à côté de ses avoirs propres, un ou plusieurs fonds de trusts, qui constituent des masses distinctes.

2. Le sort du fonds du trust et le droit d’indemnité

Les créanciers du trustee doivent pouvoir être satisfaits sur l’ensemble des actifs de ce dernier. En revanche, ils ne sauraient en principe l’être sur le fonds du trust, lequel ne répond pas des dettes personnelles du trustee. Concrètement, le fonds du trust doit ainsi être distrait de la pro-cédure d’exécution forcée dirigée contre le trustee 7. L’on se référera ici à l’art. 284b LP et à la procédure de distraction décrite au chapitre 2 (cf. supra p. 57 ss). L’on rappellera que la distraction d’office ou la revendication ne peut intervenir que sous déduction des prétentions du trustee contre le fonds du trust (cf. le texte de l’art. 284b LP) 8. Comptent notamment parmi celles-ci le droit aux honoraires du trustee et son droit d’indemnité à l’encontre du fonds du trust pour les obligations qu’il a encourues dans l’exercice de sa charge 9. Ces droits, lorsqu’ils sont donnés au regard de la loi étrangère ap-plicable, représentent des créances du trustee et donc des actifs réalisables

6 message (Trusts), p. 608.7 message (Trusts), p. 608 et p. 611.8 Cf. supra p. 69.9 sur le droit d’indemnité du trustee, cf. supra p. 118 s.

149Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

qui doivent servir à désintéresser ses créanciers 10. Le échéant, ils peuvent être invoqués dans le cadre de la procédure de revendication pour faire obstacle à la soustraction du fonds du trust en tout ou en partie 11. Plus particulièrement, la clé de répartition du produit issu du droit d’indemnité dépend de savoir si le trustee a effectivement payé ou non la dette du trust au moyen de ses propres fonds. Lorsque tel est le cas, ses actifs ont subi une perte correspondante qui se répercute sur l’ensemble de ses créanciers, de sorte que le produit doit leur profiter à tous, que leur prétention soit issue de l’administration régulière du trust ou de l’activité privée du trustee 12. En revanche, lorsque le trustee n’a pas mis en œuvre son patrimoine personnel pour acquitter les obligations touchant au trust, ses actifs ne sont pas amoindris. Il s’agit pour son patrimoine d’une opéra-tion neutre sans sortie de fonds. Le produit issu du droit d’indemnité doit dans ce cas être réservé aux créanciers dont les prétentions sont issues de l’administration régulière du trust et qui ont donné lieu à un tel droit. En effet, si le trustee était resté solvable, les montants tirés du fonds du trust auraient été employés au paiement exclusif des prétentions des créanciers du trust 13. L’on rappellera pour le surplus que le droit d’indemnité du trustee est selon le droit anglo-saxon doublé d’un gage (lien) et qu’il est prioritaire sur les droits des bénéficiaires. En d’autres termes, le fonds du trust devra d’abord servir à acquitter le droit d’indemnité en faveur des créanciers. Son (éventuel) solde pourra être employé à la continuation du trust en fa-veur des bénéficiaires.

10 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1082 s., N 81.57 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 694, N 21-38.

11 sur la procédure de revendication, cf. supra p. 70 ss (faillite) et p. 77 ss (saisie).12 Cf. mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 773, N 22-24.13 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 773, N 22-24 : “On principle, therefore, in the

trustee’s bankruptcy or winding-up, the proceeds of his right of indemnity are available to all creditors without distinction only so far as those proceeds represent reimburse-ment of payments made out of the trustee’s own funds ; if the trustee had remained solvent, he could have done as he pleased with monies reimbursed to him. But otherwise the proceeds of the right of indemnity can be applied only in paying the trust creditors, not the personal creditors. If the trustee had remained solvent he could properly have had recourse to the trust assets only for the purpose of paying trust liabilities, not his own.” Cf. aussi Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1082 s., N 81.57.

150 Aude Peyrot

c. Les effets de l’insolvabilité du trustee sur le trust

L’insolvabilité du trustee peut intervenir indifféremment en raison de dettes résultant de son activité privée (au même titre que n’importe quelle autre personne physique ou morale) ou en raison de dettes découlant de son activité de trustee. L’un des scénarios susceptibles de conduire à ce résultat est la condamnation du trustee, sur la base d’une violation du trust (breach of trust), à verser aux bénéficiaires des dommages-intérêts pour un montant qui dépasse ses capacités financières 14. Dans une telle situation, le trustee est parallèlement déchu de son droit d’indemnité à l’encontre du fonds du trust et ne pourra généralement pas obtenir la couverture du dommage par ses assurances, au vu de son comportement fautif. Les effets de l’insolvabilité du trustee sur la marche du trust sont ré-gis par la loi applicable au trust 15. Cela découle de l’art. 8 § 2 lit. a de la Convention, qui soumet à cette loi “la désignation, la démission et la ré-vocation du trustee, l’aptitude particulière à exercer les attributions d’un trustee ainsi que la transmission des fonctions de trustee”. En général, le trustee insolvable s’expose à une révocation de sa charge et à la désignation d’un nouveau trustee. Les modalités de la révocation et du remplacement du trustee peuvent être prévues dans l’instrument du trust, notamment quant à la personne compétente pour prendre les décisions y relatives (par exemple co-trustee ou protecteur). A défaut, la révocation du trustee est soumise à une décision du tribunal compétent, qui l’ordonnera s’il consi-dère le trustee comme “unfit to act” 16. Au besoin, le juge désignera un nou-veau trustee en son lieu et place 17. Tant qu’il n’a pas été remplacé, le trustee insolvable continue à fonctionner en tant que tel 18. Dans cet intervalle, le trustee est ainsi simultanément le débiteur poursuivi et la personne char-gée d’administrer les intérêts du trust, ce qui peut donner lieu à certains conflits d’intérêts auxquels il convient d’être attentif 19.

14 Peyrot / Barmes, p. 133.15 Bopp, N 4 ad art. 284b LP.16 Cf. section 36(1) Trustee Act 1925.17 Cf. section 41(1) Trustee Act 1925.18 sur cette problématique, cf. mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 763, N 22-01.19 A propos des conflits d’intérêts en matière de revendication du fonds du trust, cf. supra

p. 72 s. (faillite) et p. 78 ss (saisie).

151Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

III. La poursuite pour les dettes du fonds du trust (art. 284a Lp)

A. généralités

Le régime de la responsabilité patrimoniale pour une dette encourue dans l’exercice du trust, tel qu’il est prévu par la loi étrangère applicable au trust, doit être observé dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée qui au-rait lieu en Suisse, puisque la question est d’ordre matériel et ressortit à cette loi 20. L’organisation de la poursuite est en revanche du ressort du droit suisse. Il lui appartient notamment de fixer la procédure par laquelle les créanciers peuvent exercer leur mainmise sur le fonds du trust, lorsque celui-ci est directement grevé de la dette résultant de son administration (sans détour par le patrimoine du trustee) 21. Contrairement à ce qui pré-vaut pour les dettes du trust incombant personnellement au trustee 22, il est apparu que les normes existantes de la LP n’étaient pas suffisantes pour régler la poursuite pour les dettes directement à charge du fonds du trust. Il a donc été nécessaire d’introduire de nouvelles règles à cet effet. Cela a été fait à travers l’adoption de l’art. 284a LP, entré en vigueur au 1er juillet 2007, en même temps que la ratification de la Convention de La Haye. La norme dispose ce qui suit :

Art. 284a LP Poursuite pour dettes du patrimoine d’un trust“ 1 Lorsque le patrimoine d’un trust au sens du chap. 9a de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP) répond d’une dette, la poursuite doit être dirigée contre un trustee en qualité de repré-sentant du trust.2 Le for de la poursuite est le siège du trust selon l’art. 21, al. 3, LDIP. Lorsque le lieu de l’administration désigné n’est pas en Suisse, le trust est poursuivi dans le lieu où il est administré en fait.3 La poursuite se continue par voie de faillite. La faillite est limitée au patrimoine du trust.”

20 message (Trusts), p. 609. Cf. aussi Bopp, N 7 ad art. 284a LP ; Gutzwiller, p. 182, N 284a-3 ; Panico, p. 271, N 6.116 ; schwander, N 4 ad art. 284a LP.

21 Thévenoz (Avant-projet), p. 98. sur la problématique de la responsabilité patrimo-niale du fonds du trust et l’approche moderne de responsabilité aux dettes, cf. supra chapitre 4/iii, p. 132 ss.

22 sur cette question, cf. supra p. 147 ss.

152 Aude Peyrot

La poursuite de l’art. 284a LP est particulière en ce qu’elle vise un simple patrimoine qui est directement grevé de ses dettes. Il faut donc compter avec quelques originalités dans la poursuite, voire avec certaines difficultés d’harmonisation avec la logique existante. Nous verrons ci-après le pro-cessus législatif de la norme (ci-après B), et ses diverses modalités procé-durales (ci-après C à F) pour terminer avec quelques observations sur le système mis en place (ci-après G).

B. Processus législatif

Il n’est pas inutile de passer en revue les diverses modifications dont l’art. 284a LP a fait l’objet au cours du processus législatif pré-parlemen-taire. Ce dernier donne de précieux renseignements sur les contours de la norme actuelle.

1. Le premier avant-projet d’arrêté fédéral

Le premier avant-projet d’arrêté fédéral du 18 décembre 2003 portant rati-fication de la Convention de La Haye (non publié) comportait trois normes relatives à la poursuite d’un trust traitant respectivement du mode de la poursuite (art. 39 al. 4 1erAP-LP), du for (art. 46 al. 2bis 1erAP-LP), et de la notification des actes de poursuite (art. 65 al. 1bis 1erAP-LP). Elles étaient formulées comme suit :

Art. 39 1erAP-LP (nouvel alinéa)“ 4 Sont également soumis à la poursuite par voie de faillite les trusts au sens du chapitre 9a de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé.”

Art. 46 1erAP-LP (nouvel alinéa)“ 2bis Le trust est poursuivi au domicile ou au siège d’un trustee. Lorsque aucun des trustees a son domicile ou son siège en Suisse, le trust est pour-suivi au siège principal de son administration.”

Art. 65 1erAP-LP (nouvel alinéa)“ 1bis S’agissant de trusts, la notification doit être faite à l’un des trustees.”

Les caractéristiques principales de la poursuite, telles que prévues par le premier avant-projet, étaient les suivantes. Premièrement, selon l’art. 46 al. 2bis 1erAP-LP, le trust pouvait être poursuivi de façon séparée et pour lui-

153Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

même, indépendamment du ou des trustee(s). Cette solution était calquée sur la poursuite contre la succession indivise, dont on rappellera qu’elle peut être poursuivie en tant que telle, indépendamment de la communauté des héritiers (cf. art. 49 LP) 23. Deuxièmement, le for de la poursuite était prévu au domicile ou au siège du trustee en Suisse, et à défaut au “siège principal de l’administration” du trust. En d’autres termes, le principal cri-tère de rattachement était fonction du trustee, quand bien même l’objet de la poursuite était le trust. Troisièmement, les actes de poursuite devaient être notifiés à l’un des trustees (cf. art. 65 al. 1bis 1erAP-LP). Enfin, le trust était soumis à la poursuite par voie de faillite, conformément à l’art. 39 al. 4 1erAP-LP.

2. Le second avant-projet d’arrêté fédéral

Dans le second avant-projet soumis à la procédure de consultation formelle, les trois dispositions précitées furent remaniées et fondues en une seule norme, devenue l’art. 284a 2eAP-LP. Ce dernier était formulé comme suit :

Art. 284a 2eAP-LP (nouveau) Poursuite pour dettes du patrimoine d’un trust“ 1 Les poursuites pour les dettes dont répond le patrimoine d’un trust au sens de … LDIP doivent être dirigées contre un trustee en qualité de représentant du trust.2 La poursuite se continue par voie de faillite. La faillite est limitée au patrimoine du trust.3 Demeurent réservées la poursuite en réalisation de gage ainsi que la poursuite pour effets de change.”

Contrairement au premier avant-projet non publié, le second avant-pro-jet prévoyait que la poursuite pour les dettes du trust devait être dirigée contre un trustee “en qualité de représentant du trust” (cf. alinéa 1er). Selon le Message, ce changement repose sur l’observation – émise lors de la pro-cédure de consultation – que dans les juridictions qui connaissent le trust, c’est en principe toujours contre le trustee qu’il faut agir, le trust n’ayant pas lui-même la capacité d’être partie. Une poursuite formellement dirigée contre le trust entrerait donc en conflit avec le droit anglo-américain, ce

23 messages (Trusts), p. 608. sur la poursuite contre une succession indivise, cf infra p. 161 s.

154 Aude Peyrot

qui serait susceptible de poser problème lors d’une procédure de recon-naissance d’un jugement suisse à l’étranger 24. L’Office fédéral a été sensible à cet argument et a modifié l’organisation de la poursuite. Selon le Mes-sage : “Le projet soumis à consultation prévoyait donc un autre système : le patrimoine du trust peut et doit toujours être poursuivi de manière indé-pendante. Toutefois, la poursuite doit formellement être dirigée contre le trustee ou contre l’un des trustees en tant que représentant du trust. Ainsi c’est le trustee qui est poursuivi, non pas en qualité de débiteur, mais uni-quement comme représentant du trust.”25 Quant à la réglementation du for de la poursuite, elle a été supprimée dans le second avant-projet sur la base de la justification suivante : “Etant donné que la poursuite doit être dirigée contre le trustee, il est évident que toutes les notifications doivent être adressées à ce dernier et que la pour-suite doit être engagée au for ordinaire du trustee.”26 Enfin, la règle sur la notification des actes de poursuite contenue dans le premier avant-projet n’a pas été reprise, probablement en raison du fait qu’elle était devenue superflue, puisque la poursuite devait être formellement dirigée contre le trustee.

3. Le projet d’arrêté fédéral

Par la suite, d’autres modifications de forme et de fond ont été apportées dans le projet d’arrêté fédéral. L’art. 284a P-LP, dont la teneur est identique à la norme actuelle, prévoyait ce qui suit :

Art. 284a P-LP Poursuite pour dettes du patrimoine d’un trust“ 1 Lorsque le patrimoine d’un trust au sens du chap. 9a de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP) répond d’une dette, la poursuite doit être dirigée contre un trustee en qualité de repré-sentant du trust.2 Le for de la poursuite est le siège du trust selon l’art. 21, al. 3, LDIP. Lorsque le lieu de l’administration désigné n’est pas en Suisse, le trust est poursuivi dans le lieu où il est administré en fait.3 La poursuite se continue par voie de faillite. La faillite est limitée au patrimoine du trust.”

24 message (Trusts), p. 608 ; cf. aussi mayer (Schweizer Perspektiven), p. 108.25 message (Trusts), p. 609.26 message (Trusts), p. 609.

155Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

L’on observe que la réglementation du for a finalement été réintroduite mais modifiée. Plutôt que le domicile ou le siège du trustee, c’est le “siège du trust” qui a été choisi comme critère de rattachement. Selon le Message, ce choix se justifie principalement par le fait que le trust – en vertu du principe de territorialité – doit être mis en faillite au lieu où se trouve le centre principal de ses intérêts 27, et non pas en fonction du trustee. Nous y reviendrons plus loin 28.

c. Les dettes soumises à la poursuite de l’art. 284a LP

Une poursuite au sens de l’art. 284a LP peut être introduite par tout créan-cier dont la créance est issue de l’administration du trust et qui, à teneur de la loi qui le gouverne, incombe directement au fonds du trust 29. Comme exposé dans le chapitre précédent, les conditions et les circonstances de la mainmise d’un créancier sur le fonds du trust varient sensiblement en fonction de la loi qui gouverne le trust 30. Cette question particulièrement complexe pour un juge suisse peut déjà être réglée préalablement à la pour-suite si le créancier bénéficie par exemple d’un jugement étranger en force établissant ses droits sur le fonds du trust. A défaut, elle doit être tranchée dans le cadre de la poursuite préalable (à notre avis au moyen d’une action au fond, telle que l’action en reconnaissance ou en libération de dettes), voire dans la procédure de collocation en cas de faillite (art.  244 ss LP) lorsqu’elle n’a pas été examinée auparavant 31. En premier lieu, peuvent faire l’objet d’une poursuite au sens de l’art. 284a LP les dettes que la loi étrangère gouvernant le trust impute directement au fonds du trust, excluant par là même toute responsabilité personnelle du trustee. Tel est le cas lorsque la loi applicable est celle d’une juridiction qui suit l’approche moderne de responsabilité pour dettes et que les conditions sous-jacentes à la responsabilité patrimoniale directe du trust sont in casu réalisées 32.

27 sur cet argument, cf. Thévenoz (Avant-projet), p. 98.28 Cf. infra p. 173 ss.29 Bopp, N 7 ad art. 284a LP ; Gutzwiller, p. 182, N 284a-5 : “Art. 284a bezieht und

beschränkt sich auf andern Fall, wo auf Grund des Trustsstatuts der Trust direkt als Schuldner verpflichtet ist.”

30 Thévenoz (Avant-projet), p. 98.31 D. staehelin (Sondervermögen), p. 108 ; Thévenoz (Avant-projet), p. 98. 32 sur l’approche moderne, cf. supra p. 132 ss.

156 Aude Peyrot

En second lieu, sont également visées par l’art. 284a LP les dettes qui incombent à l’origine au patrimoine personnel du trustee, mais pour les-quelles le créancier n’a pas été désintéressé (ou seulement partiellement) et en vertu desquelles il dispose d’un droit de subrogation à teneur de la loi applicable au trust et des circonstances du cas d’espèce 33. Cette dernière situation peut survenir lorsque la loi gouvernant le trust est celle d’une ju-ridiction qui observe l’approche traditionnelle en matière de responsabilité pour dettes ou lorsqu’elle suit la tendance moderne mais que les condi-tions relatives à une responsabilité patrimoniale directe du trust ne sont pas réalisées. En outre, selon la doctrine, constituent également des obligations à charge du fonds du trust les prétentions des bénéficiaires du trust à des dis-tributions sur les revenus ou le capital du trust 34. Ces prétentions peuvent être produites dans la procédure d’exécution forcée au sens de l’art. 284a LP pour autant qu’elles soient suffisamment concrètes 35. L. Bopp précise qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération les prétentions d’un bé-néficiaire, lorsqu’elles ne représentent que de simples expectatives à des distributions du fonds du trust 36.

D. L’organisation de la poursuite et la qualité de poursuivi

1. La poursuite contre les patrimoines spéciaux

Selon D. Staehelin, il y a lieu de distinguer les patrimoines spéciaux qui peuvent être directement poursuivis en tant que tels (qualifiés de “betrei-bungsfähig” dans la doctrine germanophone 37) et ceux qui ne peuvent faire l’objet d’une telle poursuite, celle-ci devant viser le titulaire du patrimoine :

33 Dans ce sens, cf. supra p. 131, en particulier note 69.34 Bopp, N 7 et N 26 ad art. 284a LP ; mayer (Trust), p. 66, qui relève que les prétentions

des bénéficiaires grèvent directement le fonds du trust. 35 Bopp, N 26 ad art. 284a LP.36 Bopp, N 26 ad art. 284a LP : “Blosse Anwartschafrechte der Beneficiaries können m.E.

jedoch nicht eingeben werden.” Cela semble s’appliquer aux expectatives discrétion-naires, voire à un droit conditionnel, lorsque la condition dont il dépend paraît (très) aléatoire. sur les droits des bénéficiaires dans un trust, cf. chapitre 6, p. 183 ss.

37 sur la notion de “Betreibungsfähigkeit”, cf. notamment Fritzche / Walder, p. 75, N 8 s.

157Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

“In der Zwangsvollstreckung muß, wie im Zivilprozess, zuerst abgeklärt wer-den, ob das Sondervermögen betreibungsfähig ist, oder ob die Betreibung gegen den Inhaber zu richten ist.”38 Appartiennent à la première catégorie la société en nom collectif, la so-ciété en commandite, la communauté des propriétaires par étage, la masse en faillite et la succession indivise 39. Ces patrimoines peuvent être direc-tement poursuivis pour leurs propres dettes. Savoir si la dette incombe au patrimoine spécial doit être déterminé lors de la procédure préalable ou, en cas de faillite, dans la procédure de collocation au sens des art. 244 ss LP, lorsque la question n’a pas été réglée auparavant 40. Quant aux autres patrimoines spéciaux, ils ne peuvent en principe pas faire directement l’objet d’une poursuite. Celle-ci doit être dirigée contre le titulaire. Dans ce cas, il n’est pas besoin de déterminer dans la procédure préalable sur quel patrimoine (i.e. le patrimoine général ou le patrimoine spécial) le débiteur répond de la dette 41. Il en va par exemple ainsi d’une poursuite pour les dettes d’un conjoint soumis au régime de la commu-nauté de biens (art. 221 ss CC) 42. La poursuite sera dirigée contre l’époux débiteur (en conformité des prescriptions des art. 68a et 68b LP) sans qu’il ne soit nécessaire d’identifier quelle masse de biens, à savoir les biens com-muns ou les biens propres, répondra en définitive de la dette. Nous verrons successivement le cas des sociétés en nom collectif et en commandite (ci-après a), celui de la communauté des propriétaires par étages (ci-après b), et celui de la succession indivise (ci-après c). Ils consti-tuent des spécimens particulièrement intéressants de patrimoines spé-ciaux qui sont grevés de leurs propres dettes et qui peuvent faire l’objet d’une poursuite séparée. Nous examinerons ensuite le régime qui prévaut en matière de trusts (ci-après 2).

38 D. staehelin (Sondervermögen), p. 107.39 D. staehelin (Sondervermögen), p. 107 s. sur le patrimoine séparé de la société en

nom collectif, cf. Plattner, p. 21.40 D. staehelin (Sondervermögen), p. 108.41 Ibidem. 42 sur la qualification de la masse des biens communs en tant que patrimoine spécial,

cf. D. staehelin (Sondervermögen), p. 97 : “Das Gesamtgut ist somit ein Sondervermö-gen, welches primär für die Vollschulden haftet.”

158 Aude Peyrot

a. La société en nom collectif et la société en commandite

La société en nom collectif (art. 552 ss CO) et la société en commandite (art. 594 ss CO) sont décrites comme des quasi-personnes morales 43. Elles sont dépourvues de la personnalité juridique 44, mais la loi leur en confère certains attributs. Elles ont en effet la capacité d’acquérir des droits et de s’engager sous leur raison sociale propre, ainsi que celle d’actionner et d’être actionnées en justice (art. 562, 602 CO). Elles sont engagées par les actes de leurs représentants et assument des obligations propres 45. Dans les rapports externes avec les tiers, elles disposent ainsi d’une large auto-nomie qui les rapproche des personnes morales 46. Dans les rapports in-ternes, elles sont en revanche considérées comme des communautés en main commune (Gesamthandgemeinschaften) : les biens sociaux ne sont point détenus par la société elle-même, mais de façon collective par les associés 47. Ces biens forment en leurs mains un patrimoine séparé de leurs avoirs personnels 48. Quant aux dettes sociales, elles grèvent en première ligne les biens sociaux, avec une responsabilité subsidiaire des associés. Le patrimoine social ne répond au surplus que des dettes de la société en nom collectif et sont donc inaccessibles aux créanciers personnels des associés (cf. art. 570 CO) 49. Cela conforte son statut de patrimoine séparé. La poursuite pour les dettes sociales est directement dirigée contre la société en nom collectif ou la société en commandite 50. Le législateur en a décidé ainsi à l’art. 39 al. 1 ch. 6 et 7 LP, en les soumettant in casu au mode de la faillite. Ces deux sociétés constituent donc des exemples de patri-moines séparés qui ont pour particularité d’être soumis à la faillite, bien qu’ils soient formellement dépourvus de la personnalité juridique.

43 recordon, p. 9 ; Vautier, p. 52.44 meier-Hayoz / Forstmoser, p. 340, N 18 ; Plattner, p. 23 ; recordon, p. 9 ;

Vautier, p. 51. 45 recordon, p. 19.46 meier-Hayoz / Forstmoser, p. 341, N 24 ; Plattner, p. 19 ; recordon, p. 9 ;

Vautier, p. 52.47 recordon, p. 9 ; Vautier, p. 53.48 meier-Hayoz / Forstmoser, p. 340, N 19 ; Plattner, p. 21.49 meier-Hayoz / Forstmoser, p. 340, N 19.50 Ibidem.

159Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

b. La communauté des propriétaires par étages

La situation juridique de la communauté des propriétaires par étages se rapproche de celle des sociétés en nom collectif et en commandite 51. La communauté des propriétaires par étages, formée – comme son nom l’in-dique – des propriétaires par étages 52, est dépourvue de la personnalité juridique 53. Elle se voit néanmoins reconnaître par la loi certains des at-tributs de la personnalité morale 54. L’art. 712l al. 1 CC prévoit en effet que “[l]a communauté acquiert, en son nom, les avoirs résultant de sa ges-tion, notamment les contributions des copropriétaires et les disponibilités qui en sont tirées, comme le fonds de rénovation”. En outre, à teneur de l’art. 712l al. 2 CC, elle peut, en son nom, actionner et être actionnée en justice, ainsi que poursuivre et être poursuivie. Puisque la communauté peut acquérir en son propre nom les avoirs résultant de sa gestion (cf. art. 712l al. 1 CC), elle est pourvue de la capacité de détenir son propre patrimoine (Vermögensfähigkeit) 55. Cette capacité est décrite par A. Meier-Hayoz et H. Rey comme étant avant tout for-melle, car les propriétaires par étages restent matériellement les titulaires des droits et obligations sur les éléments du patrimoine 56. La communauté a aussi la capacité d’agir en son propre nom à l’égard des tiers pour ce qui concerne ses activités de gestion (Handlungsfähigkeit), ce qui facilite ses rapports avec les tiers 57. Les droits acquis par la communauté, de même que les obligations encourues par elle, peuvent être invoqués en justice par

51 Dans ce sens meier-Hayoz / rey, N 4 ad art. 712l CC.52 marchand (Propriété par étages), p. 196.53 ATF 114 ii 239, JT 1989 i 162 ; cf. aussi marchand (Propriété par étages), p. 192 ;

meier-Hayoz / rey, N 4 ad art. 712l CC.54 marchand (Propriété par étages), p. 193.55 Bösch, N 3 ss ad art. 712l CC ; meier-Hayoz / rey, N 5 et N 10 ad art. 712l CC.56 meier-Hayoz / rey, N 5 et N 11 ad art. 712l CC : “Indem Abs. 1 von Art. 712l die Ge-

meinschaft der Stockwerkeigentümer für fähig erklärt, im Bereich gemeinschaftlicher Verwaltung Vermögen zu erwerben, wird in diesem limitierten Bereich die Zuständig-keit der einzelnen Stockwerkeigentümer formell zurückgedrängt. Sie wird jedoch mate-riell nicht aufgehoben, weil jeder Stockwerkeigentümer notwendigerweise Träger der Rechte und Pflichten bleibt. Es liegt daher nicht die bei einer Körperschaft typische Aufhebung der Rechtszuständigkeit des Einzelnen und deren Übertragung auf einen selbständigen und damit rechtsfähigen Vermögensträger vor.” Cf. aussi Bösch, N 7 ad art. 712l CC.

57 Bösch, N 9 ad art. 712l CC ; meier-Hayoz / rey, N 6 ad art. 712l CC.

160 Aude Peyrot

ou contre la communauté elle-même, celle-ci ayant la capacité d’être partie (Parteifähigkeit) 58, ce qui découle de l’art. 712l al. 2 CC. Le patrimoine de la communauté constitue un patrimoine séparé et affecté à un certain but (zweckgebundenes Sondervermögen) 59. Il obéit à un régime juridique distinct du patrimoine général des propriétaires par étages pour ce qui touche à la responsabilité pour dettes, l’administration ou encore la jouissance 60. Il est spécifiquement affecté à la gestion com-munautaire de la propriété par étages 61. Le patrimoine communautaire se compose notamment des créances de la communauté contre les proprié-taires par étages (lesquels doivent verser des contributions en vue d’en-tretenir les parties communes) et du fonds de rénovation, s’il y en a un (cf. art. 712l al. 1 CC). Tombent aussi dans le patrimoine communautaire les créances de la communauté envers les tiers lorsqu’elles ont été conclues dans le cadre de son activité de gestion 62. Dans les rapports externes, c’est ce patrimoine communautaire que la société engage en première ligne à l’égard des tiers 63, à l’exclusion en principe de la fortune personnelle des propriétaires par étages. Ces derniers ne répondent à titre subsidiaire des dettes communautaires que s’ils s’y sont spécifiquement engagés 64. Les dettes qui découlent de l’activité de gestion de la communauté constituent des dettes communautaires pour lesquelles elle peut être pour-suivie en tant que telle, et non au travers de ses membres (cf. art. 712l al. 2 CC) 65. L’art. 46 al. 4 LP le confirme 66, tout en fixant le for de la poursuite au lieu de situation de l’immeuble. La communauté est ainsi légalement pour-vue de la capacité de poursuivre et d’être poursuivie (“Betreibungsfähig-keit”), bien qu’elle n’ait pas la personnalité juridique. Selon la doctrine, qui semble unanime sur ce point, et contrairement à ce qui se produit pour les

58 Bösch, N 11 ad art. 712l CC.59 meier-Hayoz / rey, N 10 ad art. 712l CC ; cf. aussi Bösch, N 4 ad art. 712l CC. sur la

notion de patrimoine séparé, cf. supra p. 39 ss.60 Bösch, N 4 ad art. 712l CC ; meier-Hayoz / rey, N 10 ad art. 712l CC.61 Hayoz / rey, N 13 ad art. 712l CC.62 Bösch, N 6 ad art. 712l CC.63 meier-Hayoz / rey, N 8 ad art. 712l CC, qui qualifient le patrimoine communautaire

de “primäre Haftungssubstrat”. 64 schüpbach (Cr-LP), N 81 ad art. 46 LP.65 meier-Hayoz / rey, N 46 ad art. 712l CC, parlent de la communauté en tant que

“selbständige Einheit”. Cf. aussi marchand (Propriété par étages), p. 203.66 schüpbach (Cr-LP), N 81 ad art. 46 LP.

161Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

sociétés en nom collectif et en commandite, la poursuite se continue par voie de saisie 67.

c. La succession indivise

La succession indivise vise la situation où les actifs du de cujus n’ont pas encore fait l’objet d’un partage entre ses héritiers. Cet état de fait est décrit à l’art. 602 al. 1 CO : “S’il y a plusieurs héritiers, tous les droits et obligations compris dans la succession restent indivis jusqu’au partage.” Conformé-ment à l’art. 602 al. 2 CO, les héritiers sont propriétaires et disposent en-semble des biens de la succession. Cette dernière forme une masse de biens en main commune de tous les héritiers, mais simultanément distincte de leur patrimoine personnel respectif. Elle est dépourvue de la personnalité juridique. Ne disposant ni de la jouissance ni de l’exercice des droits civils, elle ne peut ni être titulaire de droits et d’obligations, ni acquérir de droits ou s’engager par ses propres actes. Par voie de conséquence, elle ne possède pas non plus la capacité d’être partie dans une procédure judiciaire. Les procès touchant à la succession non partagée doivent ainsi être entrepris par ou contre tous les héritiers en tant que consorts nécessaires. Au vu de ce qui précède, la succession indivise ne devrait pas pouvoir être partie à la poursuite. La loi en a toutefois décidé autrement. L’art. 49 LP prévoit en effet qu’ “[a]ussi longtemps que le partage n’a pas eu lieu, qu’une indivision contractuelle n’a pas été constituée ou qu’une liquidation offi-cielle n’a pas été ordonnée, la succession est poursuivie au lieu où le défunt pouvait être lui-même poursuivi à l’époque de son décès et selon le mode qui lui était applicable.” Selon H.-R. Schüpbach, la LP procède ici à un raccourci, la poursuite visant en réalité la communauté des héritiers 68. Il

67 Cf. notamment Bösch, N 17 ad art. 712l CC, qui exclut la faillite sur la base de l’art. 39 LP a contrario et de l’art. 42 LP ; marchand (Propriété par étages), p. 203 ; meier-Hayoz / rey, N 66 ad art. 712f CC ; schüpbach (Cr-LP), N 93 s. ad art. 46 al. 4 LP, qui n’exclut pas en soi la faillite de la communauté, mais la décrit comme peu probable en raison de la responsabilité indirecte de ses membres.

68 schüpbach (Cr-LP), N 8 ad art. 49 LP : “Le sujet passif n’étant pas la masse, sinon comme manière raccourcie de la désigner, ne peut être que ses composants, les hoirs dans leur ensemble ou pris individuellement comme débiteurs solidaires. […]. La pour-suite de la succession, sur le seul actif successoral, ne peut donc intimer que les héri-tiers en commun, avec cette particularité, ingénieuse ou tour de passe-passe, qu’elle est dispensée de les énumérer et qu’en dérogation à la règle qu’il y autant de pour-suites que de poursuivis (art. 70 al. 2) les actes sont signifiés à un seul d’entre eux, comme s’il était seul poursuivi alors que tous le sont mais sur le seul actif successoral !”

162 Aude Peyrot

est toutefois contredit par la jurisprudence fédérale et par divers auteurs, lesquels reconnaissent à la succession la capacité d’être poursuivie pour elle-même indépendamment de ses titulaires 69. Selon le Tribunal fédéral : “[L]a succession peut être poursuivie en tant que telle sur la base de l’art. 49 LP, explicable historiquement, et ce sur les biens de la succession, à l’exclu-sion de la responsabilité personnelle des héritiers pour les dettes de celles-ci. Lors même qu’elle n’a pas la personnalité juridique et qu’elle repose sur la communauté des héritiers en main commune, une telle poursuite est néanmoins possible. Par l’art. 49 LP, le législateur a en effet conféré à la succession la capacité d’être poursuivie. Ce patrimoine séparé dispose ainsi de la légitimation passive dans la procédure de poursuite.” 70 L’on observera que l’art. 49 LP entraîne une distorsion de la légiti-mation passive et de la capacité d’être partie entre les phases judiciaires relevant du pur droit matériel et celles relevant de la poursuite. Dans les premières (notamment action en reconnaissance de dettes), la succession indivise, faute de disposer de la jouissance et de l’exercice des droits civils, n’est pas légitimée à agir ou à défendre dans la procédure judiciaire. Dans les secondes (notamment action en mainlevée d’opposition 71), elle se voit au contraire reconnaître la légitimation passive et peut défendre en son propre nom 72. La succession indivise est ainsi un cas très particulier de pa-trimoine dépourvu de la personnalité juridique qui est néanmoins soumis à la poursuite pour elle-même, indépendamment de ses titulaires.

2. La poursuite pour les dettes à charge du fonds du trust

a. La poursuite ordinaire

L’organisation de la poursuite pour les dettes incombant au fonds du trust est réglée à l’art. 284a al. 1 LP. Sa teneur est rappelée ci-après.

Art. 284a al. 1 LP

“ Lorsque le patrimoine d’un trust au sens du chap. 9a de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP) répond d’une

69 ATF 116 iii 4 (fr.), JT 1992 ii 86 ; ATF 102 ii 385, JT 1978 i 34, cons. 2 ; cf. aussi spinner, p. 70 ss ; D. staehelin (Sondervermögen), p. 108.

70 ATF 116 iii 4 (fr.), cons. 2a, JT 1992 ii 86 ; cf. aussi ATF 102 ii 385, JT 1978 i 34, cons. 2.71 ATF 102 ii 385, JT 1978 i 34, cons. 2.

163Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

dette, la poursuite doit être dirigée contre un trustee en qualité de repré-sentant du trust.”

La poursuite pour les dettes du fonds du trust doit ainsi être dirigée contre l’un des trustees en qualité de représentant du trust. Le Message observe à cet égard ce qui suit : “[L]e patrimoine du trust peut et doit toujours être poursuivi de manière indépendante. Toutefois, la poursuite doit formelle-ment être dirigée contre le trustee ou contre l’un des trustees en tant que représentant du trust.” 73 Autrement dit, l’art. 284a al. 1 LP instaure une poursuite visant matériellement le trust et dont la disponibilité se déter-mine en fonction des critères de rattachement propres au trust, mais qui est – d’un point de vue purement formel – dirigée contre le trustee en qua-lité de “représentant” du trust 74. L’on rappellera que cette prescription for-melle a été introduite afin d’aligner la procédure suisse sur la procédure anglo- américaine, dans la perspective d’une reconnaissance d’un juge-ment suisse à l’étranger 75. L’art. 284a LP instaure à cet égard une construction juridique originale qui se distingue des solutions mises en place pour les autres patrimoines spéciaux. Comme indiqué plus haut, un patrimoine spécial peut et doit être poursuivi en tant que tel, mais seulement lorsque la loi le prévoit (cf. le cas des sociétés en nom collectif ou en commandite et de la succession indivise) 76. A défaut, la poursuite est dirigée contre le titulaire du patri-moine, dans sa capacité personnelle, et non dans une quelconque capacité de représentation du patrimoine. Nous avons donné l’exemple de la pour-suite contre un époux placé sous le régime de la communauté de biens au sens des art. 221 ss CC 77. Il va de soi qu’une telle poursuite n’est pas dirigée contre l’époux en qualité de représentant de la masse des biens communs. La poursuite du trustee en tant que “représentant” du trust est donc une création originale du droit suisse conçue spécifiquement pour les besoins du trust et selon sa logique.

72 sur cette question, cf. schüpbach (Cr-LP), N 9 ad art. 49 LP.73 message (Trusts), p. 609 ; cf. aussi mayer (Schweizer Perspektiven), p. 108 : “Das Treu-

gut kann als selbständiges Vermögen separat betrieben werden. Die Betreibung muss sich aber formell gegen den Trustee richten, was der Lösung im anglo-amerikanischen Recht entspricht.”

74 Cf. notamment Bopp, N 2 ad art. 284a LP. 75 sur le processus législatif de l’art. 284a LP, cf. supra p. 152 ss, en particulier p. 153 s.76 Cf. supra p. 158 ss.77 Cf. supra p. 157.

164 Aude Peyrot

Concrètement, une poursuite pour les dettes d’un trust doit donc toujours être dirigée contre le trustee en sa qualité de “représentant du trust”. Comme le relève la doctrine, la formule ne correspond pas au statut traditionnel du trustee, puisque ce dernier est le propriétaire du fonds du trust et non son représentant 78. Cela étant, elle n’a pas pour prétention de transcrire le statut juridique du trustee, tel qu’il existe en droit des trusts, mais vise uniquement à organiser la poursuite pour les besoins spéci-fiques de l’exécution forcée 79. In casu, elle entend signaler que le trustee est recherché sur le fonds du trust, et non à titre personnel. Au demeu-rant, elle n’est pas sans rappeler la solution de la section 1010(c) de l’Uni-form Trust Code qui permet au créancier d’actionner le trustee dans sa “capacité représentative” (“representative capacity” ou “fiduciary capac-ity”) distincte de sa capacité personnelle 80. En pratique, tous les actes de poursuite doivent être dirigés contre le trustee et notifiés à ce dernier, avec la précision qu’il est recherché en tant que tel et pour une dette du trust 81. Le créancier doit notamment mentionner ces éléments dans la réquisition de poursuite (art. 67 LP) et dans la réquisition de continuer la poursuite (art. 88 LP). Lorsque le trustee réside ou a son siège à l’étranger, la noti-fication peut s’opérer par les divers moyens prévus à l’art. 66 al. 3 et 4 LP (notification par l’intermédiaire des autorités de résidence, par la poste, voire à travers une publication) 82. Lorsque le trust est administré par plusieurs trustees, ils détiennent le fonds du trust sous une forme de propriété collective (joint tenancy) qui s’apparente dans la conception civiliste à une propriété en main commune 83. Les droits de chaque co-trustee s’étendent à la chose entière. En principe, tous devraient donc être poursuivis lorsque la dette en pour-suite incombe au fonds du trust. Cela étant, pour éviter aux créanciers la tâche d’aller rechercher l’ensemble des trustees, l’art. 284a al. 1 LP confère la possibilité au créancier poursuivant de désigner l’un d’entre eux en tant que représentant de la main commune et de diriger la poursuite contre lui

78 Böckli, p. 37 ; Thévenoz (Avant-projet), p. 98.79 Gutzwiller, p. 183, N 284a-7.80 Panico, p. 271, N 6.115. sur l’art. 1010 uniform Trust Code, cf. supra p. 136 s.81 message (Trusts), p. 609. Cf. aussi Bopp, N 10 ad art. 284a LP ; schwander, N 4 ad

art. 284a LP.82 Bopp, N 11 ad art. 284a LP ; Gutzwiller, p. 184, N 284a-17 ; schwander, N 5 ad

art. 284a LP.83 mayer (Trust), p. 66 ; reymond (Trust), p. 132 ; Thévenoz (Trusts), p. 128 s. sur la

notion de “joint tenancy”, cf. supra p. 25.

165Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

seul 84. Une réglementation similaire existe pour la succession indivise aux art. 65 al. 3 et 67 al. 2 ch. 2 LP 85. Le trustee poursuivi est donc à la fois le “représentant du trust” et le représentant de la main commune.

b. La poursuite en réalisation de gage

Lorsqu’un créancier est au bénéfice d’un gage sur un ou plusieurs biens du trust et que la dette sous-jacente n’est pas acquittée au moment où elle est due, il lui est loisible d’introduire une poursuite en réalisation de gage. Cette dernière est réglée aux art. 151 à 158 LP. A suivre la loi, la réquisition de poursuite doit notamment mentionner le débiteur (art. 67 al. 1 ch. 2 LP), ainsi que le tiers propriétaire du gage si la créance a été garantie au moyen de la propriété d’autrui (cf. art. 151 al. 1 lit. a LP). Dans ce cas, le commandement de payer est notifié tant au débiteur qu’au tiers propriétaire (cf. art. 153 al. 2 lit. a LP). Ce système n’est pas trans-posable tel quel à la réalité du trust. Le trust implique une situation parti-culière qui appelle certaines adaptations. L’on relèvera en effet qu’in casu la dette et le gage se rapportent l’un comme l’autre à un patrimoine séparé en mains du trustee. Il n’y a donc pas à proprement parler de “débiteur” ou de “tiers propriétaire” au sens où ces notions sont entendues traditionnel-lement. La poursuite en réalisation du gage doit, à notre avis, se dérouler selon les prescriptions de l’art. 284a al. 1 LP, qui semble donner l’orienta-tion générale quant à l’organisation de la poursuite pour les dettes d’un trust. Tous les actes de poursuite devront ainsi être dirigés contre le trustee en tant que “représentant du trust”, sans qu’il y ait lieu de rechercher qui doit être considéré comme le débiteur ou le tiers propriétaire du gage.

e. Le for de la poursuite

1. un critère de rattachement autonome

Le for de la poursuite (Betreibungsort) désigne le lieu où la poursuite doit être introduite, i.e. concrètement les autorités qui sont compétentes pour recevoir la réquisition de poursuite du créancier et diligenter la procédure

84 message (Trusts), p. 609.85 Gutzwiller, p. 183, N 284a-8.

166 Aude Peyrot

contre le débiteur 86. Il s’agit d’une condition préalable nécessaire. Si aucun for de la poursuite n’est ouvert, une poursuite ordinaire ne saurait avoir lieu en Suisse. Le for de la poursuite pour les dettes d’un trust est régi à l’art. 284a al. 1 LP. Il prévoit ce qui suit :

Art. 284a al. 2 LP

“ Le for de la poursuite est le siège du trust selon l’art. 21 al. 3 LDIP. Lorsque le lieu de l’administration désigné n’est pas en Suisse, le trust est poursuivi dans le lieu où il est administré en fait.”

Le critère de rattachement choisi par le législateur pour déterminer le lieu de la poursuite est le “siège du trust”. Ce choix peut surprendre dans la mesure où le trust n’a pas de siège faute d’être une personne morale 87. La formule n’a donc aucune valeur en soi et ne peut être comprise qu’à l’aide de l’art. 21 al. 3 LDIP que nous examinerons plus loin. L’on peut néan-moins approuver le fait que l’art. 284a al. 1 LP fixe un critère de ratta-chement propre au trust, qui se détermine indépendamment du ou des trustee(s) 88. A propos de ce rattachement autonome, le Message observe ce qui suit : “On se rapproche ainsi de la réglementation qui prévaut pour les personnes morales et les sociétés de personnes, ce qui est logique, si l’on considère qu’il s’agit de facto de poursuites contre le trust lui-même, qui constitue, à l’instar d’une personne morale ou d’un [recte : d’une] société, un patrimoine distinct et autonome.”89 La comparaison avec les personnes morales n’est pas nécessairement adéquate, puisque le trust n’a pas la per-sonnalité juridique, mais la justification est néanmoins convaincante : même formellement dirigée contre le trustee, la poursuite vise en réalité le trust en tant que tel, de sorte que le for doit être déterminé en fonction de ce dernier.

86 Amonn / Walther, p. 87, N 1 ; Gilliéron (Poursuite), p. 73, N 372 ; marchand (Pour-suite), p. 9.

87 Cf. arrêt du TF 2C_409/2009 du 15 janvier 2000, cons. 3.2, publié in rNrF 91 (2010) p. 338 : “Nach der traditionellen Auffassung des common law hat der Trust keinen Sitz. Das HTÜ verwendet diesen Begriff deshalb auch nicht. Die schweizerische Umsetzungs-gesetzgebung hat den Begriff in Art. 21 IPRG aber als ‘Hilfsmittel’ eingeführt, nament-lich als Anknüpfungspunkt für die gerichtliche Zuständigkeit.” Cf. aussi Gutzwiller, p. 149, N 21G-22 ; mayer (IPRG-Bestimmungen), p. 7.

88 Bopp, N 12 ad art. 284a LP.89 message (Trusts), p. 609 ; cf. aussi mayer (IPRG-Bestimmungen), p. 7, à propos du

“siège du trust” : “Was darunter zu verstehen ist, soll der neue Art. 21 Abs. 3 IPRG klären. Die dort enthaltene Definition lehnt sich an die für den Sitz von Gesellschaften verwendete Begriffsumschreibung im bisherigen Abs. 2 von Art. 21 an.”

167Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

Selon le Message, le critère du “siège du trust” se justifie avant tout dans la perspective de la mise en faillite du fonds du trust : “En outre, le trust n’est ainsi poursuivi que dans le lieu où ses activités sont concen-trées et dans lequel, bien souvent, se trouve son patrimoine, ce qui facilite, d’une part, le déroulement de la procédure et permet, d’autre part, de tenir compte du principe de territorialité qui sous-tend le droit régissant l’exécu-tion forcée. Ce dernier point est important dans la mesure où, selon l’al. 3, la poursuite se continue par voie de faillite. Le simple fait que le trustee poursuivi habite en Suisse ne fonde pas un rapport suffisant du trust avec la Suisse pour que l’ensemble du patrimoine de celui-ci soit mis en faillite.”90 Selon les principes généraux, la faillite ne peut en effet être prononcée qu’au for ordinaire de la poursuite, soit – dans le cas d’une société – au lieu de son siège 91. Le choix du critère du “siège du trust” vise ainsi précisément à conférer aux tribunaux suisses la compétence pour déclarer le trust en faillite, lorsque le siège est en Suisse. Nous verrons toutefois qu’il ne règle pas tous les problèmes qui peuvent se poser à cet égard, notamment dans une perspective de reconnaissance du jugement de faillite 92.

2. La notion de siège du trust et son correctif

L’art. 284a al. 2 LP ne définit pas la notion de “siège du trust”. Elle renvoie à cet égard à l’art. 21 al. 3 LDIP tout en y dérogeant partiellement. Ce dernier prévoit ce qui suit :

Art. 21 al. 3 LDIP

“ Le siège d’un trust est réputé se trouver au lieu de son administration désigné dans les termes du trust par écrit ou sous une autre forme qui permet d’en établir la preuve par un texte. A défaut de désignation, le siège se trouve au lieu où le trust est administré en fait.”

Le “siège du trust” se trouve ainsi au lieu d’administration désigné par le settlor 93 et, à défaut, au lieu où il est administré en fait. Le settlor peut

90 message (Trusts), p. 609.91 Thévenoz (Avant-projet), p. 99.92 Cf. infra p. 177 ss.93 Ce critère est également employé à l’art. 7 § 2 lit. a de la Convention et sert, dans ce

contexte, à déterminer la juridiction avec laquelle le trust entretient les liens les plus étroits, en vue d’identifier la loi applicable au trust.

168 Aude Peyrot

donc choisir librement le siège du trust par la simple désignation d’un lieu d’administration, quand bien même ce dernier ne correspondrait pas au lieu où le trust est géré dans les faits. L’administration effective est ici un simple critère subsidiaire qui n’intervient que pour pallier l’absence de désignation. Si l’on s’en tient au renvoi à l’art. 21 al. 3 LDIP et à la définition qu’il contient, le for de la poursuite pour les dettes du patrimoine d’un trust devrait donc être au lieu d’administration désigné et, à défaut, au lieu où le trust est géré de facto. Cela n’est toutefois que partiellement vrai. En réa-lité, l’art. 284a al. 2, 2e phrase LP vient nuancer le régime consacré par la LDIP 94. Il prévoit en effet que si le settlor a désigné un lieu d’administration à l’étranger, alors que le trust est de facto géré en Suisse, c’est ce dernier lieu qui prime. Autrement dit, l’administration effective est dans ce contexte un correctif et non un simple critère subsidiaire. Selon le Message, la fina-lité de cette règle est d’empêcher qu’un trust effectivement administré en Suisse ne puisse être soustrait à une procédure d’exécution forcée en Suisse par la désignation d’un siège à l’étranger 95. A titre d’exemple, si l’instru-ment du trust prévoit que le trust doit être administré à Jersey mais qu’en réalité il est entièrement géré à Genève, la poursuite pour les dettes du trust pourra être requise auprès des autorités de poursuite genevoises.

3. La notion d’administration effective du trust

Quant au critère de l’administration effective d’un trust, la question se pose de savoir à partir de quel moment ou sur la base de quels critères l’on doit considérer que le trust est effectivement géré en Suisse. A vrai dire, le législateur a introduit dans la LP une notion fondamentale, qui déter-

94 Gutzwiller, p. 183, N 284a-11.95 message (Trusts), p. 610 : “en conformité avec l’art. 21, al. 3, LDiP du projet, c’est

en premier lieu le siège ‘statutaire’ qui doit être pris en compte, d’abord parce qu’il est facile à déterminer et, ensuite, parce que le trust, avec la désignation de ce lieu, s’est soumis pour ainsi dire volontairement à l’autorité du for de poursuite. Ce n’est qu’à défaut de siège ‘statutaire’ que le trust sera poursuivi dans le lieu de son siège effectif, c’est-à-dire le lieu où il est administré en fait. il n’en va cependant pas de même lorsque le siège ‘statutaire’, contrairement au siège effectif, ne se trouve pas en suisse. Dans ce cas, c’est ce dernier qui devient le for de la poursuite. Cette règle permet d’empêcher un trust de se soustraire à une procédure d’exécution générale en suisse en désignant un siège dans un autre pays.”

169Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

mine la possibilité même d’introduire une poursuite en Suisse, mais il ne la définit nulle part. Comme indiqué plus haut, elle est également présente à l’art. 21 al. 3 LDIP, qui ne la précise pas davantage. La doctrine propose, quant à elle, divers critères d’appréciation, lesquels ne semblent toutefois pas uniformisés. Nous les verrons ci-après. Dans le cadre de l’art. 21 LDIP, T. Mayer fait valoir que la notion d’administration effective d’un trust peut être interprétée à la lumière des développements consacrés aux sociétés 96. P. N. Vogt propose, quant à lui, de s’inspirer des critères de l’art. 7 § 2 de la Convention de La Haye ou de ceux développés en rapport avec l’art. 152 lit. b LDIP (lequel fixe le for pour l’action en responsabilité visant une société étrangère sur la base du critère subsidiaire de l’administration en fait) 97. Selon cet auteur, l’ad-ministration effective, au sens de l’art. 21 al. 3 LDIP, se trouve au lieu où les décisions essentielles relatives au sort du trust sont prises, telles que la décision de passer des contrats avec des tiers, de procéder à des investisse-ments ou à des distributions du fonds du trust, ou encore celle de fournir des informations sur le trust, etc.98 Selon D. Schramm, est pertinent le lieu de la résidence ou de l’établissement du trustee, mais non pas celui où se trouvent les biens du trust 99. Se prononçant dans le cadre de l’art. 284a al. 2 LP, L. Bopp et I.  Schwander font valoir – similairement à P. N. Vogt – que l’administra-tion effective d’un trust se trouve au lieu où sont prises les décisions impor-tantes quant au sort du trust (citant également les décisions relatives aux investissements ou à la conclusion de contrats avec des tiers) 100. L. Bopp

96 mayer (IPRG-Bestimmungen), p. 7.97 Vogt, N 3 ad art. 149b LDiP. 98 Vogt, N 3 ad art. 149b LDiP ; cf. aussi Jakob / Gauthey Ladner, p. 457. 99 schramm, N 5 ad art. 21 LDiP : “In Ermangelung einer solchen Bezeichnung ist der Sitz

an dem Ort, an dem der Trust tatsächlich verwaltet wird. Angesichts der Vertretung des Trusts durch den Trustee wird hierfür wohl in der Regel auf den gewöhnlichen Aufent-halt oder die Niederlassung des Trustees (=Ort des Verwaltungshandelns ; s. HTÜ 7 II c) abzustellen sein und nicht auf die Belegenheit des Trustvermögens (=Ort des Verwal-tungserfolgs ; s. HTÜ 7 II b).” A noter que selon Thévenoz (risques), p. 166, pour qu’un trust soit effectivement administré depuis la suisse, il faut à tout le moins un trustee établi en suisse. A noter que ce point de vue a été exprimé dans le contexte spécifique de l’art. 159 LDiP (responsabilité pour une société étrangère), alors qu’il était encore question d’assimiler le trust à un patrimoine organisé au sens des art. 154 ss LDiP.

100 Bopp, N 12 ad art. 284a LP ; schwander, N 5 ad art. 284a LP : “[…] kann an dem Ort in der Schweiz betrieben werden, wo der Trust tatsächlich verwaltet wird (d.h. von wo aus die massgeblichen Entscheide für den Trust getroffen werden).”

170 Aude Peyrot

réfute à cet égard tout rapprochement avec la notion de siège effectif d’une société 101. P. M. Gutzwiller indique, pour sa part, que la notion d’ad-ministration effective est sujette à interprétation, tout en proposant d’at-tribuer un poids plus grand aux éléments factuels qu’à la construction juridique 102. Le critère proposé par certains des auteurs précités (lieu où les déci-sions essentielles relatives au sort du trust sont prises) nous semble per-tinent, mais peut-être est-il simultanément un peu trop restrictif. A lui seul, il ne permet en effet pas d’appréhender le cas de figure où, pour la pure forme et dans le but de préserver les apparences, les décisions sont formellement prises par le trustee au lieu de l’administration désignée à l’étranger, alors que dans les faits la gestion courante du trust est conduite en Suisse par une ou plusieurs tierce(s) personne(s). L’on peut toutefois se demander s’il n’est pas justement dans l’intention du législateur d’appré-hender un tel cas de figure dans le cadre de l’art. 284a LP. Comme indiqué ci-dessus, le critère de l’administration effective est un véritable correctif dans le contexte de l’art. 284a al. 2 LP 103, et non pas un simple critère sub-sidiaire comme à l’art. 21 al. 3 LDIP. L’on pourrait ainsi songer à affiner le critère proposé. Une possibilité serait à cet égard de s’inspirer des développements du droit fiscal relatifs à la notion d’administration effective d’une société 104. Dans un arrêt du 4 décembre 2003, le Tribunal fédéral a examiné et admis l’assujettisse-ment illimité d’une société offshore (in casu établie aux Iles Vierges Bri-tanniques) à l’impôt fédéral direct suisse au sens de l’art.  50 LIFD. La norme assujettit les personnes morales à l’impôt en raison de leur ratta-chement personnel lorsqu’elles ont leur siège ou leur administration ef-fective en Suisse. L’arrêt fait valoir ce qui suit : “La détermination du lieu de l’administration effective s’effectue à l’aide d’indices dont la résidence des organes directionnels de la société, le lieu où les opérations de ges-

101 Bopp, N 12 ad art. 284a LP : “In Anlehnung an den tatsächlichen Verwaltungssitz bei Gesellschaften kann der tatsächliche Verwaltungsort bei einem Trust an dem Ort lo-kalisiert werden, an dem der Trustee eines Trusts die wesentlichen Entscheide über die Geschicke des Trusts fällt  (Entscheide über Investitionen, über Vertragsschlüsse mit Dritten im Aussenverhältnis etc.) ; […].”

102 Gutzwiller, p. 150 s., N 21G-31 : “Wo sich dieser befindet, ist durch Auslegung zu ermittlen, wobei dem Sinn dieser Auslegung – das Finden eines Faktums – folgend, faktische Umstände schwerer zu gewichten sind, als juristische Konstruktionen.”

103 message (Trusts), p. 610.104 Cf. à cet égard Peyrot / Barmes, p. 142 s.

171Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

tion s’effectuent, voire celui où les documents sont conservés. La doctrine définit l’administration effective comme la direction courante, notion qui s’oppose à une simple activité administrative d’exécution ainsi qu’à une activité des organes sociaux suprêmes de la société limitée soit à la prise des décisions fondamentales de principe, de caractère stratégique, soit au contrôle de la direction courante proprement dite. Elle ne considère comme nécessairement déterminants ni le lieu où se tiennent les séances du conseil d’administration ou les assemblées générales, ni le domicile des actionnaires. Enfin, lorsque cette activité de direction courante est exercée en plusieurs endroits, est déterminant celui où elle est déployée de manière prépondérante, celui où se situe son centre de gravité.” 105 Tel que défini par le Tribunal fédéral dans le contexte fiscal international, le lieu de l’admi-nistration effective correspond en substance au lieu où s’exerce la direction courante ou le day to day business, et non pas seulement au lieu où les dé-cisions stratégiques sont prises 106. Il se justifie à notre avis de s’inspirer de l’approche fiscale relative à l’art. 50 LIFD dans la détermination du lieu d’administration effective d’un trust au sens de l’art. 284a al. 2 LP. Ces règles semblent en effet poursuivre une finalité analogue, à savoir corriger la désignation d’un siège statutaire, respectivement d’un lieu d’administration qui ne correspond pas à la situa-tion factuelle. P. Böckli relève à cet égard : “Betreibungsort ist der Sitz des Trusts, und als solcher gilt der im Errichtungsakt bezeichnete Ort der Ver-waltung. Dazu gibt es einen Zusatz, der auch die Steuerrechtler aufhorchen läßt : wenn der bezeichnete Ort der Verwaltung nicht in der Schweiz ist, wird der Trust an dem Ort betrieben, an dem er ‘tatsächlich verwaltet’ wird.” 107 L’auteur fait ainsi le rapprochement entre la notion du droit des poursuites et celle du droit fiscal, ce qui conforte la thèse de l’applicabilité des critères fiscaux à l’art. 284a al. 2 LP. Cela étant, dans la mesure où le trust n’est pas une société, les critères développés ci-dessus doivent être adaptés. L’on tiendra compte non pas de la direction courante de la société, mais plutôt de la gestion courante des

105 Arrêt du TF 2A.321/2003 du 4 décembre 2003, cons. 3.1, publié in AsA 75 (2006) 294.106 oberson, p. 178, N 11 : “Certes, la délimitation du lieu de direction effective est avant

tout une analyse de toutes les circonstances du cas d’espèce et s’effectue sur la base d’indices. Cela dit, le critère déterminant est celui où se déploie [recte : déploient] les activités courantes de la société (“day to day business”), soit l’endroit où sont effec-tués les actes qui, dans leur ensemble, servent à la réalisation du but statutaire.”

107 Böckli, p. 38.

172 Aude Peyrot

affaires du trust. Ainsi, le lieu où les décisions essentielles quant au sort du trust sont prises demeure un critère central, sans toutefois être nécessai-rement décisif à lui tout seul. En fonction des circonstances, il peut se jus-tifier de procéder à une appréciation plus large et de tenir compte d’autres éléments qui ont trait à la gestion courante du trust (par ex. lieu de la cor-respondance régulière, lieu des contacts avec le settlor ou les bénéficiaires du trust, lieu où la documentation relative au trust est conservée, lieu où la comptabilité du trust est établie, etc.). Quoi qu’il en soit, il convient de relativiser la problématique de la détermination du lieu de l’administration effective d’un trust, car dans la plupart des cas l’on peut s’attendre à ce que le lieu où les décisions principales sont prises coïncide avec le lieu de la gestion courante. Dès lors, lorsque le trustee (dont le domicile ou le siège est à l’étran-ger) laisse une société ou une personne située en Suisse agir à sa place, il existe un risque que le trust soit considéré comme y étant géré de facto. Il convient d’examiner dans le détail les circonstances de cette délégation et l’étendue des tâches accomplies par cette personne. Cela étant, la simple délégation des décisions d’investissement sur les actifs du trust sous la forme d’un mandat de gestion discrétionnaire ne suffit pas, à notre sens, à fonder une administration effective du trust en Suisse au sens de l’art. 284a al. 2 LP. En effet, même dans ce cas, le trustee reste lié par diverses obliga-tions en rapport avec la gestion des avoirs du trust, telles que le contrôle des performances. Il conserve surtout ses devoirs et pouvoirs relatifs aux distributions du fonds du trust aux bénéficiaires 108.

4. Le rapport avec les fors des art. 46 ss LP

La doctrine relève que l’art. 284a al. 2 LP est une lex specialis par rapport à l’art. 46 LP 109, lequel fixe le for ordinaire de la poursuite au domicile ou au siège du débiteur. En matière de poursuite pour les dettes à charge du fonds du trust, le for se détermine donc à la lumière de l’art. 284a al. 2 LP, tout recours à l’art. 46 LP étant simultanément exclu.

108 sur ce thème, cf. aussi Peyrot / Barmes, p. 143. Apparemment du même avis, Bopp, N 12 ad art. 284a LP.

109 Bopp, N 15 ad art. 284a LP ; schwander, N 5 ad art. 284a LP, qui fait valoir, pour sa part, que tel est le cas seulement lorsque la poursuite se continue par la voie de la faillite.

173Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

En revanche, selon L. Bopp, l’art. 284a al. 2 LP ne supplante pas les art. 48 à 52 LP, lesquels sont dès lors susceptibles de fonder des fors al-ternatifs de poursuite 110. Ainsi, par exemple, selon P. M. Gutzwiller et I. Schwander, la poursuite en réalisation de gage peut (également) être introduite au lieu de situation du gage conformément à l’art. 51 LP 111. Se-lon L. Bopp, la poursuite après séquestre peut s’opérer – en application de l’art. 52 LP – au lieu de situation des biens du trust séquestrés 112. L’on pré-cisera toutefois que la faillite du trust au sens de l’art. 284a al. 3 LP ne peut être prononcée qu’aux fors (ordinaires) de l’art. 284a al. 2 LP, à l’exclusion de tout for spécial 113.

f. La continuation de la poursuite par voie de faillite

1. Le choix de la faillite

A teneur de l’art. 284a al. 3 LP, la poursuite pour les dettes du fonds du trust se continue par voie de faillite, laquelle est limitée au patrimoine du trust. C’est ainsi le mode collectif que le législateur suisse a choisi pour régler l’exécution forcée des dettes du trust. Est réservée la poursuite en réalisation de gage (art. 151 ss LP), de même que la poursuite pour les dettes prévues à l’art. 43 LP qui se continue toujours par voie de saisie 114. Sont notamment concernées les créances de droit public (en particulier créances fiscales) et la constitution de sûretés, lorsque le créancier est un sujet de droit public 115. La faillite constitue une procédure d’exécution forcée collective qui vise à garantir le désintéressement simultané de tous les créanciers. Pour cette raison, elle s’attache aux situations où le débiteur est généralement amené à faire face à une grande quantité de créanciers, à savoir concrè-tement aux cas où le débiteur exerce une activité commerciale. Sont ainsi concernées les personnes physiques inscrites au registre du commerce en une certaine qualité et les sociétés de droit suisse (cf. art. 39 LP). Dans

110 Bopp, N 15 ad art. 284a LP. 111 Gutzwiller, p. 183, N 284a-15 ; schwander, N 6 ad art. 284a LP. 112 Bopp, N 15 ad art. 284a LP.113 Bopp, N 18 ad art. 284a LP. Dans ce sens, également schwander, N 6 ad art. 284a

LP. sur ce point, cf. également infra p. 178 s.114 message (Trusts), p. 610. sur l’organisation de la poursuite en réalisation de gage,

cf. supra p. 165.115 Gilliéron (Poursuite), p. 105, N 516.

174 Aude Peyrot

les travaux préparatoires, le trust a précisément été comparé à une “entité juridique” régulièrement confrontée à une multitude de créanciers, dont l’égalité de traitement ne pouvait être assurée que par une poursuite par voie de faillite 116, ce qui explique le choix de la faillite à l’art. 284a al. 3 LP. Ce choix est toutefois problématique à divers égards. En premier lieu, sa justification pêche à la base. Outre le fait qu’il est inadéquat de compa-rer le trust à une entité juridique 117, celui-ci semble rarement confronté à un grand nombre de créanciers, en particulier lorsqu’il est créé dans un but de planification patrimoniale. La situation d’endettement excessif, qui constitue le scénario ordinaire justifiant la faillite, n’est au contraire pas typique du trust 118. Pour cette raison, la saisie aurait été plus adaptée à l’insolvabilité d’un trust et aurait permis de mieux conserver sa substance, notamment en considération d’éventuels bénéficiaires futurs 119. En deuxième lieu, la solution retenue par le législateur suisse n’est pas en harmonie avec le droit des pays qui connaissent le trust. Bien que la question soit relativement occultée, c’est apparemment par le biais d’une procédure individuelle équivalente à la saisie que s’opère généralement la poursuite pour les dettes nées de l’administration du trust 120, à tout le moins dans les juridictions observant l’approche traditionnelle en matière de responsabilité pour dettes 121. La doctrine étrangère n’a du reste pas

116 message (Trusts), p. 611 : “Pour ce qui est des autres objections, un poids plus grand a été accordé à l’argument selon lequel il convient, dans le contexte de l’exécution forcée dirigée contre des entités juridiques qui sont régulièrement opposées à une multitude de créanciers, d’éviter qu’un créancier devance les autres lors de l’exécution de sa créance et se voit ainsi indûment privilégié. La poursuite par voie de faillite garantit la satisfaction simultanée et équitable des créanciers, et donc l’égalité de traitement de ceux-ci, du moins pour ce qui est du patrimoine se trouvant en suisse.”

117 Ce que font les versions française et italienne du message ; cf. à cet égard message (Trusts), p. 611 (version française) et p. 566 (version italienne).

118 Thévenoz (Avant-projet), p. 100. L’auteur réserve le cas des trusts employés pour émettre des titres de dettes dans les opérations de titrisation.

119 Thévenoz (Avant-projet), p. 100.120 schwander, N 9 ad art. 284a LP ; Thévenoz (Avant-projet), p. 99 s. L’on relèvera toute -

fois qu’en droit écossais, qui perçoit le trust comme un véritable patrimoine séparé (cf. supra p. 54, note 177), le trust est soumis à la faillite. Cf. à cet égard Gretton, p. 614.

121 A propos du régime prévalant en Angleterre, cf. supra p. 131, note 69. smith, p. 349, qui dénie au trust la qualité de personne et même de patrimoine, fait valoir à cet égard : “Of course, if the trust were a person, or even a patrimony, it would have liabili-ties as well as assets, and it could become bankrupt ; but changing the definition sec-tion of a bankruptcy statute is not apt to change the juridical nature of a fundamental legal institution.”

175Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

manqué de relever le caractère peu conventionnel de la “faillite du trust”. Selon P. Panico : “Most notably, some amendments to Swiss bankruptcy law were introduced under the ratification of the Hague Trusts Convention in order to provide for the rather unconventional notion of the ‘bankruptcy of a trust’ ” 122.

2. Le sujet de la déclaration de faillite

La poursuite de l’art. 284a LP vise à soumettre le fonds du trust à la faillite, en vue de désintéresser les créanciers qui peuvent faire valoir des préten-tions à son encontre. La question se pose toutefois de savoir qui du trustee ou du trust doit formellement être déclaré en faillite. L’art. 284a al. 3 LP, en tant qu’il se contente de prévoir que “la faillite est limitée au patrimoine du trust”, ne permet pas d’y répondre clairement. Divers auteurs semblent soutenir, de façon plus ou moins explicite, la seconde solution. Selon P. Böckli : “die Betreibung geht auf Konkurs, und zwar – und das ist nun neu – auf den Sonderkonkurs des Trustvermögens. Der Trustee, obwohl Volleigentümer, wird als ‘Vertreter’ des Trusts betrieben und geht selber nicht in Konkurs.” 123 L. Thévenoz fait état, quant à lui, du “prononcé d’une faillite sur le fonds du trust” 124. Quant à P. Panico, c’est bien à la faillite du trust (“bankruptcy of a trust”) qu’il se réfère dans ses observations consacrées à la solution légale suisse 125. A l’inverse, L. Bopp soutient pour sa part que la faillite doit être formellement dirigée contre le trustee 126. Nous examinerons ci-après les arguments qui militent en faveur et en défaveur de la première solution et verrons que la seconde solution

122 Panico, p. 236, N 6.04 et p. 270, N 6.113.123 Böckli, p. 38.124 Thévenoz (Créer et gérer), p. 99. 125 Panico, p. 236, N 6.04, p. 270, N 6.113. L’auteur indique par ailleurs, p. 271, N 6-116 :

“An even more radical innovation in the Swiss approach is that claims brought against trustees in their representative capacity, ie against the trust fund, may be continued by way of bankruptcy procedure extending to the trust, or indeed the trust fund, as if were separate legal entity.”

126 Bopp, N 21 ad art. 284a LP : “Obwohl daher der Konkurs formell über den Trustee eröf-fnet wird, beschlagen die Konkurswirkungen nur das Vermögen des jeweiligen Trusts.” Cf. aussi N 17 ad art. 284a LP : “Ob der Trustee selber der Konkursbetreibung unterliegt spielt keine Rolle, die Konkursfähigkeit des Trustees in Bezug auf das Trustvermögen gründet allein auf Abs. 3.”

176 Aude Peyrot

doit lui être préférée. Le prononcé de la faillite du trustee se fonde sur les arguments suivants. Le trustee est le propriétaire du fonds du trust, qui représente en ses mains une masse de biens ségréguée dépourvue de la personnalité juridique. Il pourrait ainsi sembler logique de prononcer la faillite du titulaire, plutôt que celle du patrimoine. Encore faut-il préciser que le trustee n’a pas à répondre des dettes faisant in casu l’objet de la poursuite, de sorte qu’il devrait par hypothèse être mis en faillite, non à titre personnel, mais en sa qualité de représentant du trust. Cette solution aurait l’avantage de s’inscrire dans le prolongement de la procédure suivie jusqu’alors : la poursuite étant de façon générale dirigée contre le trustee dans sa “capacité fiduciaire”, il paraîtrait cohérent d’en faire le sujet de la déclaration de faillite dans cette même capacité. L’on peut toutefois objecter à cette solution divers arguments. Primo, la LP connaît déjà des cas de faillite dirigée contre des patrimoines séparés dépourvus de la personnalité juridique. Tel est le cas des sociétés en nom collectif et en commandite toutes deux soumises à la poursuite par voie de faillite (cf. art. 39 al. 1 ch. 6 et 7 LP) 127. La poursuite indépendante du fonds du trust par la voie de la faillite était du reste la solution prévue à l’origine dans le premier avant-projet d’arrêté fédéral du 18 décembre 2003. Elle a ensuite été modifiée pour des motifs d’uniformisation avec les règles pro-cédurales anglo-américaines et non pour des raisons de contrariété avec l’ordre juridique suisse 128. La faillite du ou des titulaire(s) du patrimoine ne s’impose donc pas nécessairement. Au demeurant, il peut paraître relative-ment insolite de prononcer la faillite d’une personne non à titre personnel mais en qualité de “représentant” d’un patrimoine séparé. Secundo, l’on rappellera que le tribunal compétent pour prononcer la faillite est celui du “siège du trust” au sens de l’art. 284a al. 2 LP. Ce der-nier ne correspond pas nécessairement au siège ou au domicile du trustee. Il n’est donc pas certain que le trustee puisse être mis en faillite – si l’on appliquait la première solution – ailleurs qu’à son for ordinaire, même s’il devait l’être en tant que “représentant du trust”. Tertio, il convient de relever que la faillite est assortie d’un effet de publicité. Aussi, déclarer un trustee en faillite, même dans une capacité de représentation, serait de nature à porter atteinte à sa réputation, alors

127 sur le sort de la société en nom collectif ou en commandite dans la poursuite, cf. supra p. 158 s.

128 sur l’histoire législative de l’art. 284a LP, cf. supra p. 152 ss.

177Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

que celui-ci poursuit parallèlement son activité de gestion pour les autres trusts. Enfin, il n’est pas rare que le trust soit administré par plus d’un trustee. Les déclarer tous en faillite à raison du fonds du trust paraît peu praticable. La solution alternative consistant à ne prononcer que celle du trustee désigné par le créancier poursuivant comme le représentant de la main commune (cf. art. 284a al. 1 LP) semble quant à elle difficilement justifiable du point de vue de l’équité. Ces diverses considérations plaident ainsi en faveur de la mise en faillite du trust, comme préconisée par la doctrine exposée ci-dessus. Elle se justifie par le fait que la poursuite de l’art. 284a LP, même si elle est formellement dirigée contre le trustee, vise effectivement le fonds du trust. Il paraît à cet égard cohérent de prononcer la faillite du patrimoine qui répond directement des dettes en poursuite et d’après lequel le for de la faillite est déterminé.

3. Portée et reconnaissance de la faillite

A teneur de l’art. 284a al. 3 LP, la faillite se limite au fonds du trust. Cette règle découle de l’effet de ségrégation qui anime les différentes masses en mains du trustee. Le fonds du trust est distinct et séparé tant du patri-moine personnel du trustee (cf. art. 2 § 2 lit. a et art. 11 § 2 et § 3 lit. a et b de la Convention) que des autres fonds de trusts sous gestion de ce dernier (cf. art. III des Principes de Droit Européen). La faillite est donc circonscrite au patrimoine insolvable ; elle ne saurait contaminer les autres masses. Concrètement, il appartient à l’administration de la faillite de veiller à ce que les avoirs appartenant aux autres trusts et au patrimoine person-nel du trustee ne rentrent pas dans la masse en faillite du trust insolvable. Une telle distraction doit être entreprise d’office par une application ana-logique de l’art. 284b LP 129. Cette norme est l’expression et la traduction en droit suisse de l’effet de ring-fencing prescrit par le droit de trust. Elle a,

129 Cf. Amonn / Walther, p. 83, N 3a : “Die gegen einen Trustee als Vertreter eines Trust-vermögens geführte Betreibung wird ebenfalls – unter Vorbehalt der Betreibung auf Pfandverwertung und von SchKG 43 – auf Konkurs fortgesetzt, wobei aber der Konkurs auf das Trustvermögen des betriebenen Trustee unterliegt somit nicht der Konkursbe-treibung und ist von Amtes wegen auszusondern (SchKG 242).” Le message (Trusts), p. 610, ne mentionne pour sa part que la revendication des biens du trustee selon les règles habituelles.

178 Aude Peyrot

à notre avis, une portée générale, de sorte qu’elle s’applique aussi bien à la faillite du trustee qu’à l’hypothèse inverse, i.e. à la faillite du trust. Lorsque l’appartenance d’un bien ou du droit au patrimoine personnel du trustee ou aux autres fonds de trusts n’est pas suffisamment établie, il incombe aux intéressés d’introduire une procédure de revendication au sens de l’art. 242 LP. Sur le mécanisme de la distraction d’office et de la revendication, il y a lieu de se référer au chapitre 2 de la présente étude (cf. supra p. 57 ss). Comme indiqué plus haut, le choix du législateur suisse de soumettre le trust à la faillite est discutable quant à sa justification. Il donne par ailleurs lieu à deux incertitudes majeures. Premièrement, il est incertain de savoir ce qu’il advient du trust frappé par la faillite. En règle générale, celle-ci conduit à la liquidation des entités juridiques qu’elle vise. Qu’en est-il dans le cas d’un trust ? Prend-t-il fin ipso facto ou peut-il subsister, et si oui, à quelles conditions ? La difficulté consiste dans le fait que ces questions ne relèvent pas du droit suisse, mais de la loi qui gouverne le trust 130, dont il est peu probable qu’elle règle expressément le sort d’un trust déclaré en faillite. En effet, comme on l’a vu, le recouvrement des dettes incombant au fonds du trust passe généralement dans les pays anglo-saxons par le mode individuel et spécial, et non par la faillite 131. Quoi qu’il en soit, il y a lieu de penser qu’un trust qui ne comprend plus (suffisamment) d’actifs prendra généralement fin de facto. Les biens résiduels, s’il y en a, seront au préalable distribués aux bénéficiaires. La deuxième incertitude a trait à la reconnaissance d’un jugement de faillite à l’étranger, non seulement pour la raison évoquée ci-dessus qui a trait au mode de l’exécution forcée 132, mais aussi pour des motifs de compétence ratione loci. Les instruments de trust comprennent sou-vent une clause désignant les tribunaux compétents pour connaître des litiges et des questions touchant à l’administration du trust. Les tribunaux désignés sont souvent ceux de la juridiction dont la loi gouverne le trust, puisqu’ils connaissent cette loi mieux que quiconque. Il s’agit donc souvent de tribunaux étrangers. Il est dès lors incertain de savoir si un jugement de faillite émanant d’un tribunal suisse qui ne dispose pas simultanément de la compétence générale sur le trust puisse être reconnu à l’étranger. La

130 Cf. message (Trusts), p. 611.131 Cf. supra p. 131, note 69.132 Wilson, NA 52.92, fait valoir que la reconnaissance à l’étranger d’un jugement de

faillite suisse est peu vraisemblable.

179Chapitre 5 : La poursuite en suisse pour les dettes du trust

question se pose avec particulièrement d’acuité lorsque la faillite est pro-noncée au lieu où le trust est administré en fait 133. La reconnaissabilité de la décision de faillite suisse prend toute son importance lorsqu’une partie des biens du trust se trouvent sur le territoire d’une juridiction étrangère et qu’une mainmise sur ceux-ci passe nécessairement par une décision de reconnaissance.

g. Observations

Deux observations générales viendront conclure cette partie consacrée à la responsabilité patrimoniale et à la poursuite pour les dettes incombant au fonds d’un trust. Primo, l’on relèvera le caractère singulier de la nouvelle poursuite de l’art. 284a LP. Celle-ci vise matériellement un patrimoine sé-paré qui répond de ses propres dettes tout en étant formellement dirigée contre son titulaire recherché en qualité de “représentant” du patrimoine. Elle constitue une solution sui generis, sans équivalent en droit suisse, conçue spécifiquement pour les besoins du trust de common law. La nou-veauté n’est pas tant la faillite du patrimoine spécial à laquelle la poursuite aboutit, puisqu’une telle figure – même si elle est exceptionnelle – existe déjà en droit suisse. Il s’agit plutôt de l’assujettissement formel à la pour-suite d’une personne dans une capacité de représentation d’un patrimoine. L’art. 284a LP instaure à cet égard un système qui est fonctionnel, mais qui peine à s’harmoniser avec les solutions existantes de la LP. Secundo, l’on observera une certaine inclination de la loi suisse à as-similer le trust à une personne juridique dans le cadre de l’exécution for-cée. Elle se manifeste à travers le recours à divers concepts empruntés aux personnes morales, tel que le siège ou l’administration effective du trust, le mode de la faillite ou encore le rôle de “représentant” reconnu au trustee dans la poursuite. Elle est par ailleurs confirmée par le Message 134. Cette

133 sur la notion d’administration effective d’un trust, cf. supra p. 168 ss.134 message (Trusts), p. 609 : “on se rapproche ainsi de la réglementation qui prévaut

pour les personnes morales et les sociétés de personnes, ce qui est logique, si l’on considère qu’il s’agit de facto de poursuites contre le trust lui-même, qui constitue, à l’instar d’une personne morale ou d’un [recte : d’une] société, un patrimoine distinct et autonome.” message (Trusts), p. 610 s. : “Pour les sociétés et les fondations, avec lesquelles le trust doit être comparé dans ce contexte, c’est également du siège que dépend, in fine, la possibilité de les poursuivre par voie de faillite en suisse.”

180 Aude Peyrot

tendance de la loi suisse à la “personnification” du trust, dont il faut préci-ser qu’elle se limite au cadre strict de l’exécution forcée, n’a pas échappé à la doctrine étrangère. P. Panico relève notamment : “The Italian and Swiss laws referred to above are examples of a more general trend extending to trusts some of the features of separate legal entities, for tax purposes in Italy and in the context of debt enforcement and bankruptcy in Switzerland. As a result, trustees are deemed to act in a representative capacity for the pur-poses of the rules in question.” L’auteur fait à cet égard état d’une “tendency towards a ‘reification’ of trusts” 135. Cette inclination du droit suisse trouve probablement une partie de sa justification dans le fait qu’il peut paraître plus simple aux ordres juridiques d’assimiler les trusts aux personnes mo-rales, pour lesquelles le cadre juridique est déjà bien défini. En définitive, il apparaît que la réglementation suisse vient alimenter les réflexions sur la nature du trust, qui ont déjà cours dans certaines juridictions anglo- américaines 136. Elle pousse en tout cas très loin la logique du trust en tant que patrimoine séparé, puisqu’elle en fait une masse qui peut tomber en faillite pour elle-même.

135 Panico, p. 272, N 6.119.136 Cf. supra p. 140 ss.

1811. Le trust dans la perception civiliste

TRoISIèME PaRTIE

La SaISIE dE L’equiTABLe inTereST ET La RECoNNaISSaNCE dES TRuSTS

dE PRoTECTIoN EN SuISSE

182 Aude Peyrot

183Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

Chapitre 6

L’equiTABLe inTereST ET LES TRuSTS dE PRoTECTIoN aNgLo-aMéRICaINS

I. problématique

La problématique engendrée par la poursuite du bénéficiaire d’un trust est double. Elle requiert d’abord de fixer si et à quelles conditions les créan-ciers peuvent mettre la main sur l’equitable interest du bénéficiaire, plus précisément sur son droit à la remise de valeurs patrimoniales dans le fonds du trust. Comme nous le verrons, cette question dépend concrète-ment du type d’interest que le bénéficiaire s’est vu attribuer dans le trust, ce qui fait appel à une analyse individualisée pour chacun d’eux. Le présent chapitre vise à exposer les principaux types de droits qui peuvent lui être octroyés (ci-après II) et les principes applicables à leur réalisation forcée en droit anglo-américain (ci-après III). Cette présentation servira de pré-alable théorique à l’examen de la saisissabilité des droits du bénéficiaire dans une poursuite en Suisse, lequel sera entrepris au chapitre 7. En second lieu, le droit anglo-américain a mis à jour certaines formes de trusts dont la fonction première est de protéger le bénéficiaire contre la perte de son droit, que ce soit à travers une aliénation volontaire ou une procédure d’exécution forcée. Ces trusts de protection en faveur du bénéficiaire heurtent dans une mesure plus ou moins forte les droits des créanciers. L’on en distingue deux formes : d’une part, le protective trust du droit anglais, mécanisme également connu aux Etats-Unis sous le nom de forfeiture provisions, et d’autre part, le spendthrift trust issu du droit amé-ricain. Ces trusts peuvent-ils être reconnus en Suisse au vu de l’atteinte aux droits des créanciers qu’ils impliquent ? Cette question doit être résolue sur la base d’une analyse couplée des règles de la Convention de La Haye et des principes de l’exécution forcée suisse. L’ordre juridique helvétique est ici contraint à une démarche d’introspection, visant à déterminer dans quelle mesure il est apte à absorber les caractéristiques de certaines formes de trusts venant bousculer ses conceptions fondamentales. Le présent chapitre vise à exposer les fondements théoriques et les caractéristiques

184 Aude Peyrot

des protective et spendthrift trusts (ci-après IV). Quant à la question de leur reconnaissance en Suisse, elle fera l’objet du chapitre 8.

II. Les divers types d’equitable interests

Le settlor peut attribuer une très large variété d’interests aux bénéficiaires du trust en fonction des objectifs de planification patrimoniale qu’il pour-suit. Le settlor voudra typiquement réserver à son épouse ou à sa veuve le droit aux revenus du trust pour la durée de son existence ou jusqu’à ce qu’elle se remarie. A ses enfants, il souhaitera peut-être attribuer le bé-néfice du capital du trust, une fois le dernier parent disparu. A la limite, subordonnera-t-il le droit de l’un ou l’autre des bénéficiaires à certaines conditions ou à un terme, afin de les inciter dans une certaine voie (réussite de leurs études, mariage, etc.). Alternativement, s’il n’entend pas faire de prédispositions fixes, il lui est également loisible de déléguer au trustee le pouvoir décisionnel quant aux distributions, en fonction des circonstances personnelles et de l’évolution de chaque bénéficiaire. On ajoutera à cela que le settlor entendra peut-être faire lui-même partie des bénéficiaires du trust 1, ce qui est admis mais dans certaines limites 2. Ces différentes possi-bilités, loin d’être exhaustives, se traduisent par des aménagements divers de l’equitable title entre les bénéficiaires 3. Le système de classification des equitable interests du droit des trusts est une transposition de celui qui prévalait dans l’Angleterre à l’époque féodale en matière de propriété immobilière 4. Il a donc hérité de sa grande complexité. Pour cette raison, une description exhaustive de tous les inter-ests existants et possibles serait particulièrement délicate 5. Notre analyse

1 Hayton (Law of Trusts), p. 136 : “The settlor may also be a trustee or sole trustee, and even beneficiary as well, but it is impossible for him to be sole trustee and sole benefi-ciary.” Cf. aussi Böckli, p. 29.

2 Certains types de trusts ne peuvent en principe pas être créés dans l’intérêt (exclu-sif) du settlor. A propos des protective trust, forfeiture provision et spendthrift trust constitués en faveur du settlor, cf. infra respectivement, p. 199 s.

3 sur la notion d’equitable title, cf. supra p. 25 ss.4 Gallanis / Waggoner, p. 7 ss ; Thorens (Trust de common law), p. 326 s. ; idem

(Traits caractéristiques), p. 95. 5 sur les divers types d’interests dans un trust, l’on renverra notamment à l’étude dé-

taillée de Thorens (Traits caractéristiques), en particulier pp. 44 à 79.

185Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

se limitera à certains droits parmi les plus fréquents en pratique, à savoir le droit fixe (fixed interest) présent ou futur, le droit conditionnel (contingent interest) et le “droit” discrétionnaire (discretionary interest).

A. Le droit fixe (fixed interest)

1. Notion

Constitue un “droit fixe” (fixed interest) le droit du bénéficiaire dont l’exis-tence et les modalités sont déjà déterminées dans l’instrument du trust, dès la constitution de ce dernier6. Si les droits des bénéficiaires sont tous préétablis, le trust est qualifié de “trust fixe” (fixed trust) ou de “trust à droits fixes” (fixed interest trust). A. J. Oakley en donne la description suivante : “In the case of a fixed trust, each of the beneficiary is entitled in equity to a fixed pre-determined share of the trust property at the appropri-ate time and he may enforce his rights to that share against the trustees.” 7 Un droit fixe, comme les autres types de droits, peut indifféremment por-ter sur les revenus ou sur le capital du trust 8. Le trust à droits fixes s’entend par opposition au trust discrétionnaire (discretionary trust) 9, dans lequel les prérogatives des bénéficiaires poten-tiels ne sont pas fixées dans l’instrument du trust, mais sont au contraire soumises à l’exercice effectif du pouvoir discrétionnaire du trustee 10. Contrairement au bénéficiaire d’un trust discrétionnaire, le titulaire d’un droit fixe peut contraindre judiciairement le trustee à procéder à des dis-tributions telles qu’elles sont prévues dans l’instrument du trust11.

6 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 97 s., art.  5.1(1)(2) ; Pearce / stevens, p. 394 ; Penner, p. 53 ; Pettit, p. 76. Cf. aussi Böckli, p. 24 ; Thévenoz (Trusts), p. 81 ; Vogt, N 53 ad Vorbemerkungen zu Art. 149a-e LDiP ; Weingart, p. 26.

7 oakley, Parker and mellow, p. 43, N 2-010. 8 Cf. notammen Böckli, p. 25.9 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 97, art. 5.1(1) ; mitchell, Hayton & mitchell,

p. 34 s., N 1-140 ss ; Penner, p. 53. A propos du trust discrétionnaire, cf. infra p. 192 ss.

10 Cf. infra p. 192.11 Cf. Hayton (Law of Trusts), p. 51 ss ; Hudson, p. 50.

186 Aude Peyrot

2. Distinctions

a. Le droit non-conditionnel (vested) par opposition au droit conditionnel (contingent)

Lorsque la prise de possession du droit octroyé au bénéficiaire ne dépend pas d’une condition (autre, le cas échéant, que l’extinction du droit précé-dent) et qu’il est établi en faveur d’une personne déterminée et déjà née, le droit fixe est qualifié de “vested” 12. Ce terme est difficilement traduisible, car il repose sur les particularités du droit anglo-américain de la propriété. L’expression signifie en substance que le droit n’est pas conditionnel. Il s’oppose en cela à un “contingent interest”, sur lequel nous reviendrons au point B (cf. infra p. 189 ss). A propos de la distinction entre vested et contingent interest, le Profes-seur J. Thorens relève : “Cette distinction est fondamentale, et ne peut être passée sous silence ici malgré son caractère difficile à saisir pour un juriste continental et les limites de cette étude, car elle joue un rôle essentiel en common law. En simplifiant beaucoup, et sans doute de façon abusive, on peut dire qu’un future interest est vested quand son titulaire existe et qu’il entrera en possession du bien sur lequel porte son estate (interest) à l’expi-ration normale de l’estate (interest) actuellement en possession ; dans tous les autres le future interest est contingent.” 13

b. La possession immédiate (possessory right) ou future (non-possessory right)

Parmi les droits fixes non-conditionnels, l’on peut encore distinguer les droits actuels dont la prise de possession est immédiate, en ce sens qu’elle intervient dès la constitution du trust (possessory rights) 14, et ceux dont la prise de possession est différée dans le temps (non-possessory rights). Le

12 Cunningham / stoebuck / Whitman, p. 94 ; Danon, p. 46 ; Penner, p. 65 ; singer, p. 510. Le Black’s law dictionary (9e éd.) définit le verbe “to vest” comme suit : “to give (a person) an immediate, fixed right of present or future enjoyment”.

13 Thorens (Trust de common law), p. 328. Cf. aussi Cunningham / stoebuck / Whitman, p. 94.

14 Gallanis / Waggoner, p. 15 : “ ‘Possessory estate’ means an ownership interest in property granting the owner the current right to possession or enjoyment”. Cf. aussi Danon, p. 41 ; Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 97, art. 5.1(2).

187Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

droit anglo-américain qualifie les droits dont la jouissance n’est pas ac-tuelle de droits futurs (“ future interests”) 15. Deux précisions d’ordre maté-riel et terminologique s’imposent toutefois à ce stade. Premièrement, il faut garder à l’esprit que, même s’il est qualifié de “futur”, un tel droit existe en réalité déjà : seule la prise de possession de son objet est reportée à plus tard 16. Deuxièmement, il y a lieu de préciser qu’en droit anglo-américain, le vocable “ future interest” est généralement utilisé de façon large pour désigner tous les droits qui ne sont pas actuels (non-possessory), c’est-à-dire non seulement les droits qui existent déjà et dont la prise de possession est future, mais aussi les droits conditionnels (contingent interests). Sans autre précision, l’adjectif “futur” sera employé dans cette étude en rapport avec les premiers d’entre eux. Relevons au surplus qu’un trust combine souvent des droits actuels et des droits futurs simultanés sur le fonds du trust, ainsi que nous le verrons dans l’illustration qui suit. Une telle combinaison de droits sur une même chose montre le caractère morcelable de la propriété anglo-saxonne 17. La propriété “équitable” est ici fragmentée dans sa dimension temporelle en différents droits successifs (successive interests) 18.

3. illustration : le life interest et l’interest in remainder

Nous illustrerons la problématique du trust fixe (fixed trust) au moyen du life interest trust, qui en est une forme classique. Un tel trust peut être li-bellé de diverses façons en fonction des objectifs concrètement poursuivis par le settlor. Il sera par exemple formulé comme suit : “to A for life, then to B and C in equal shares”. Dans cet exemple, les parts respectives de A, B et C sont déjà prédéterminées dans l’instrument du trust et représentent à ce titre des droits fixes (fixed interests).

15 Thorens (Traits caractéristiques), p. 58 ; idem (Trust de common law), p. 328.16 Gallanis / Waggoner, p. 3 s. ; Hayton / matthews, p. 25, N 35 ; Thorens (Trust de

common law), p. 328 : “Ces interests sont appelés des future interests. en réalité ces future interests sont des interests actuels qui existent dès l’origine et qui ne sont fu-turs qu’en ce qui concerne la jouissance et la possession du bien sur lequel ils portent.”

17 sur le caractère divisible de la propriété en droit anglo-saxon, cf. supra p. 22 ss.18 Hayton / matthews, p. 25, N 36 ; Penner, p. 63 : “Successive interests are interests

in the same property that take effect one after another, usually following the succes-sive deaths of the beneficiaries.”

188 Aude Peyrot

Les caractéristiques du droit de A sont les suivantes. Il s’agit d’un droit aux revenus du trust (income interest) 19 destiné à durer en principe jusqu’au décès de son titulaire (life interest) 20. Le droit est “vested”, puisqu’il ne dé-pend pas de la réalisation d’une condition et que son titulaire est déjà né et déterminé. Au surplus, le droit de A est actuel, étant donné qu’il lui bénéficie immédiatement dès la création du trust (possessory right). A est qualifié, en droit anglo-américain, de life tenant, soit littéralement de bé-néficiaire viager. Un tel droit peut être attribué à l’épouse, à la veuve du settlor, voire au settlor lui-même, et vise à assurer son entretien durant son existence. L’on ne manquera pas de relever qu’un life interest peut être sou-mis à une condition résolutoire (par ex. remariage de la veuve du settlor), voire assujetti à une condition suspensive. Quant à B et C, ils sont titulaires de droits égaux sur le capital du trust (capital interests) 21. Ces droits sont “vested”, puisqu’ils ne sont soumis à aucune condition. En revanche, leur prise de possession effective n’inter-viendra que dans le futur (non-possessory interest) à l’extinction naturelle du droit de A, soit au moment de son décès. Le capital du trust leur sera dévolu en deux parts égales et le trust prendra fin. Les droits respectifs de B et C sont qualifiés en droit anglo-américain de vested “interests in remainder”22, leurs titulaires étant les “remaindermen”. Il n’existe pas de traduction adéquate de ces termes, de sorte que nous les utiliserons exclu-sivement dans leur acception originale.

4. Aliénabilité et saisissabilité en droit anglo-américain

Un droit fixe non-conditionnel, au vu de son caractère déterminé, peut être librement aliéné pas son titulaire, que sa jouissance soit actuelle ou future 23. G. Thomas et A. Hudson relèvent à cet égard : “A beneficiary un-der a fixed interest trust has an equitable, proprietary interest and, as such,

19 Penner, p. 63.20 Gallanis / Waggoner, p. 27 ss. 21 Penner, p. 63.22 singer, p. 504. sur la notion de remainder, cf.  Thorens (Traits caractéristiques),

p. 63 ss.23 en droit anglais : Thomas / Hudson, p. 167, N 7.16. en droit américain : restatement

(Third) of Trusts § 51 ; Gallanis / Waggoner, p. 91 ; scott [et. al.], scott and Ascher on Trust, p. 857.

189Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

it possesses the usual characteristics of property. Thus, the beneficiary may use or enjoy it or its fruits, charge it or assign it to another.”24 De la cessibilité du droit découle en principe son caractère saisissable. La règle veut en effet qu’un droit aliénable à titre volontaire le soit aussi sur une base involontaire, comme l’indiquent T. Gallanis et L. Waggoner : “The general principle followed by the courts under these statutes is that if the future interest is voluntarily alienable, it is also subject to the claims of creditors.”25 En droit anglo-américain, un droit fixe non-conditionnel peut ainsi être en principe librement assujetti à la mainmise des créanciers de son titulaire dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée.

B. Le droit conditionnel (contingent interest)

1. Notion

Un droit conditionnel (contingent interest) est un droit dont la prise de pos-session est soumise à la réalisation d’une condition suspensive (condition precedent) ou dont le titulaire n’est pas encore né ou déterminé 26. Par défi-nition, un droit conditionnel n’est pas fermement acquis au bénéficiaire au moment de la création du trust. Il est qualifié de nonvested, par opposition à un interest in remainder, qui constitue un droit futur dont la prise de pos-session ne dépend pas de la survenance d’un événement (autre que l’exinc-tion du droit précédent) 27. Le droit conditionnel ne devient vested, selon la terminologie consacrée, que lorsque la condition suspensive se réalise, soit par la survenance de l’événement déterminé, soit par la venue au monde ou la détermination du titulaire du droit.

24 Thomas / Hudson, p. 167, N 7.16.25 Gallanis / Waggoner, p. 97. Cf. aussi restatement (Third) of Trusts § 56, qui relève

de façon générale : “[…] creditors of a trust beneficiary […] can subject the interest of the beneficiary to the satisfaction of their claims […].”

26 Danon, p. 46 ; Gallanis / Waggoner, p. 72 ; moffat, p. 5 ; singer, p. 509 ; Thorens, p. 66. A noter que la nature conditionnelle du droit peut également résulter dans une condition résolutoire (condition subsequent).

27 sur cette question, cf. notamment Thorens (Traits caractéristiques), p. 66 : “un re-mainder est donc contingent si pour devenir une present estate il faut qu’une condi-tion quelconque autre que la fin normale de la particular estate se produise : naissance de son titulaire, détermination de ce titulaire, autre condition quelle qu’elle soit.” A propos de l’interest in remainder, cf. supra p. 187 s.

190 Aude Peyrot

2. Aliénabilité et saisissabilité en droit anglo-américain

A l’origine, la common law voyait dans le contingent interest une simple expectative, à l’exclusion d’un droit existant. Elle en déduisait à titre co-rollaire le caractère incessible de l’interest 28. Les Etats américains se sont toute fois progressivement écartés de cette analyse pour admettre finale-ment qu’un contingent interest dont l’incertitude repose sur la survenance d’un événement déterminé est un droit existant 29 et susceptible d’aliéna-tion volontaire 30. Relevons notamment que le contingent interest donne lieu à certaines prérogatives avant la réalisation de la condition, telles que la possibilité de le défendre judiciairement s’il est mis en danger par le trustee ou le bénéficiaire d’un droit antécédent 31. La situation est moins claire pour le droit conditionnel dont le titulaire n’est pas né ou non en-core identifié. Selon la doctrine américaine, un tel droit semble exister sous une forme potentielle qui entraîne tout de même certaines prérogatives, en particulier la possibilité de représenter l’éventuel futur titulaire dans une procédure touchant à son droit 32. Le droit positif anglais est plus hésitant et plus discret sur la question de savoir si un contingent interest donne lieu à un droit existant avant la survenance de la condition 33. Cela étant, à l’instar du droit américain, il s’est lui aussi distancé de la position de la common law sur le point spéci-

28 Halbach, p. 218 ; Harpum [et al.], megarry & Wade, p. 295, N 7-007 ; Gallanis / Waggoner, p. 92 : “Contingent remainders were traditionally considered by the com-mon law as inalienable inter vivos on the ground that they were too speculative ; they were mere possibilities of receiving an interest in the future, rather than property interests in their own right.”

29 restatement of Property (1936) § 157, cmt on clause d, w : “Under these circumstances the existence of the condition precedent does not mean that this condition precedent must be fulfilled before an interest begins to exist. It signifies merely that the condi-tion precedent must be fulfilled before any certainty exists that the interest ever will become a present interest.” Cf. aussi Halbach, p. 220 s.

30 scott [et. al.], scott and Ascher on Trust, p. 857 : “A beneficiary can transfer an inter-est inter vivos or by will, in whole or in part, absolutely, as security, or in trust, to a third person, another beneficiary, or the trustee. A beneficiary can make such a transfer whether the interest is a present or future interest, vested or contingent.”

31 restatement of Property (1936) § 157, cmt on clause d, w.32 Ibidem.33 Harpum [et al.], megarry & Wade, p. 295, N 7-007 : “And in one sense a contingent

remainder is future, but is not interest : it is only a possibility that an interest may arise if some contingency happen.”

191Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

fique de l’aliénabilité et semble l'admettre aujourd’hui 34. Par ailleurs, on relèvera que le Trustee Act de 1925 confère au trustee la faculté de procé-der à des distributions anticipées en faveur du bénéficiaire d’un contingent interest avant l’avènement de la condition 35. Cet élément, s’il ne suffit pas à tirer de conclusion catégorique, tend toutefois à démontrer qu’un contin-gent interest se voit reconnaître une certaine existence en droit anglais. Quant à la question de savoir si un contingent interest est saisissable, elle est réglée différemment dans les divers Etats et requiert de procéder à une analyse au cas par cas. Il semble que la tendance générale consiste à tirer du caractère cessible du contingent interest la possibilité de le saisir 36. Le principe sous-jacent est qu’un créancier doit pouvoir saisir les droits futurs que son débiteur est en mesure d’aliéner à titre onéreux 37. Il apparaît qu’une majorité d’Etats américains admettent actuellement sur le principe la saisissabilité d’un contingent interest 38. Cela étant, en droit américain, même lorsque la saisissabilité du contin-gent interest est admise sur le principe, sa réalisation forcée peut être in casu refusée s’il apparaît qu’elle entraînerait un gaspillage inutile des ressources du débiteur. En fonction du caractère plus ou moins certain de la réalisa-tion de la condition suspensive, la valeur de réalisation attendue peut s’avé-rer relativement faible ou à tout le moins largement inférieure à la valeur que le bénéficiaire pourrait en retirer si la condition venait à se réaliser 39. Dans certains cas, les tribunaux américains ont simplement refusé de pro-céder à la vente 40. Dans d’autres, ils ont octroyé au créancier un gage (sous la forme d’un lien) sur l’interest du bénéficiaire, destiné à n’être réalisé que lorsque et si le bénéficiaire entre en possession de son droit 41. Cette

34 oakley, megarry’s manual, p. 212 : “Contingent interests are more clearly entitled to be described as future interests, for until the contingency occurs, the person entitled has no estate but merely a possibility of acquiring one. They can, however, be assigned, devised or otherwise disposed of.” Cf. aussi Hayton, Hayton & marshall (1986), p. 222.

35 Cf. sections 31 et 32 Trustee Act 1925.36 Halbach, p. 220 s.37 restatement of Property (1936), Chapter 10, introductory Note.38 restatement (Third) of Trusts § 56, cmt e ; Gallanis / Waggoner, p. 93 ; Halbach,

p. 227.39 restatement (Third) of Trusts § 56, cmt e ; Gallanis / Waggoner, p. 96, note 2 ;

Halbach, p. 232.40 Bogert, p. 148 ; Gallanis / Waggoner, p. 96, note 2.41 restatement (Third) of Trusts § 56, cmt e et illustration 2 ; Gallanis / Waggoner,

p. 96, note 2.

192 Aude Peyrot

dernière solution permet de préserver les droits du créancier tout en évi-tant un sacrifice de l’interest du bénéficiaire et arbitre équitablement les intérêts contradictoires en présence 42. Quant au droit anglais, il semble également admettre la saisissabi-lité d’un contingent interest sur le principe. L’on se référera à cet égard à la section 406 de l’Insolvency Act 1986 qui mentionne parmi les valeurs patrimoniales sujettes à l’exécution forcée (au sens par exemple de la sec-tion 283 de la même loi) les divers types d’equitable interests, qu’ils soient présents ou futurs, “vested” ou conditionnels (“every description of inte-rest, whether present or future or vested or contingent”). Quoi qu’il en soit, dans la mesure où les solutions sont susceptibles de varier d’un ordre juridique à un autre, il est impératif de consulter la loi applicable au trust, afin de savoir si le droit conditionnel est considéré comme un droit patrimonial potentiellement saisissable.

c. Le “droit” discrétionnaire (discretionary interest)

1. Notion et contours

Un trust discrétionnaire est un trust dans lequel le trustee a le pouvoir de procéder à des distributions en revenus ou en capital de façon discré-tionnaire en faveur d’une ou de plusieurs personnes parmi une classe de bénéficiaires, aucun d’eux n’ayant de droit avant que le trustee n’exerce effectivement son pouvoir d’appréciation en sa faveur43. L’on se référera ici à la description de P. Pettit : “[…] the phrase ‘discretionary trust’ means a trust under which the trustees are given a discretion to pay or apply income or capital, or both, to or for the benefit of all, or any one or more exclusively of the others, of a specified class or group of persons, no beneficiary being able to claim as of right that all or any part of the income or capital is to be paid to him or applied for his benefit.”44 Contrairement à un fixed interest qui confère à son titulaire un droit préétabli à des distributions en revenus ou en capital 45, un discretionary in-

42 restatement (Third) of Trusts § 56, reporter’s notes ad cmt e.43 Böckli, p. 24 ; Bogert [et al.], Bogert & Bogert, § 228, p. 562 ss ; Hayton [et al.],

underhill & Hayton, p. 97, art. 5.1(1) ; sheridan, p. 165 ; Weingart, p. 28, N 53.44 Pettit, p. 76. 45 sur la notion de fixed interest, cf. supra p. 185.

193Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

terest n’implique pas de véritable droit à de telles distributions, mais donne uniquement lieu à un simple espoir (“mere hope”) d’être privilégié 46. Les potentiels bénéficiaires d’un discretionary trust n’ont pas de droit fixe à des distributions dont ils pourraient exiger judiciairement l’exécution 47. Un tel droit ne naît que lorsque le trustee a exercé son pouvoir d’appréciation en faveur d’un bénéficiaire déterminé. Selon L. Sheridan, chaque décision du trustee de procéder concrètement à une distribution est perçue comme une donation séparée 48. L’étendue du pouvoir discrétionnaire du trustee dépend de la volonté du settlor consignée dans l’instrument du trust. Elle est sujette à de consi-dérables variations. Le trustee peut être tenu, sur le principe, de procé-der à des distributions, mais être libre d’arrêter leur moment et/ou leur mode. Alternativement, il peut être habilité à décider du principe même et de l’étendue des distributions aux bénéficiaires et peut donc choisir le cas échéant de ne rien attribuer à l’un ou l’autre d’entre eux 49. Le discretionary trust est dit exhaustif, lorsque le trustee est tenu de distribuer l’intégralité des revenus parmi la classe de bénéficiaires et non-exhaustif dans le cas contraire, notamment s’il a le pouvoir d’accumuler les revenus du trust (power of accumulation) 50. Quant à la classe des bénéficiaires, elle peut être définie de façon extrêmement variée en fonction de la volonté du settlor. Elle est dite fermée lorsque les bénéficiaires sont déjà tous nés et connus et ouverte lorsque certains bénéficiaires sont encore à naître ou lorsque l’identité de tous les bénéficiaires n’est pas déterminée 51. Le fait que le bénéficiaire d’un trust discrétionnaire n’ait qu’un simple espoir de recevoir des distributions ne signifie pas qu’il soit dépourvu de tout droit et de tout moyen contre le trustee. La décision anglaise Gartside v Inland Revenue Commissioners a montré qu’il a le droit d’être

46 Conaglen [et al.], snell’s equity, p. 507, N 20-51 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 179, N 5-132 ; Weingart, p. 28, N 53.

47 Angleterre : Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 98, art. 5.1(2). etats-unis : scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 935 : “When the terms of a trust entitle a ben-eficiary to only so much of the income or principal as the trustee, in its uncontrolled discretion, chooses to distribute, the beneficiary is generally unable to compel the trustee to pay or apply anything, unless the trustee abuses its discretion.”

48 sheridan, p. 165.49 Angleterre : Pettit, p. 79. etats-unis : Griswold, p. 367.50 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 98, N 5.1(2) ; Pearce / stevens, p. 116 ;

ridall, p. 283.51 Thomas / Hudson, p. 172 ss, N 7.30 ss.

194 Aude Peyrot

concrètement considéré comme un bénéficiaire par le trustee (ce dernier devant régulièrement évaluer si sa situation justifie une distribution) et de soumettre sa cause à un contrôle judiciaire en cas d’abus du pouvoir d’appréciation 52. Il peut également exiger que le fonds du trust soit ad-ministré de façon diligente et que des comptes lui soient rendus 53. Même dans un discretionary trust, le trustee reste soumis à une obligation fidu-ciaire, qui le contraint à prendre en compte et à agir dans l’intérêt des bénéficiaires 54.

2. La nature et la saisissabilité du discretionary interest

La nature du discretionary interest fait l’objet de controverses, en parti-culier en droit anglais. Selon divers auteurs, le discretionary interest ne constitue pas un “proprietary right”55, à tout le moins au sens strict, et ce à la différence d’un droit fixe 56. Ce point de vue s’appuie sur le fait que le bé-néficiaire ne peut pas se prévaloir d’un droit déterminé à des distributions dont il pourrait requérir l’exécution judiciaire. L’on relèvera à cet égard les propos de Lewin on Trusts : “The beneficiary has no equitable proprietary interest in the narrow sense, and of course no equitable ownership, if either his rights or the assets in which they are to be enjoyed are not sufficiently

52 Gartside v I.R.C. [1968] AC 553 ; Pettit, p. 78 s.53 Schmidt v Rosewood Trust Ltd [2003] uKPC 26, [2003] 2 AC 709.54 restatement (Third) of Trusts § 50, cmt on subs. (2), e(1) ; sheridan, p. 166.55 sur la notion de proprietary right, cf. supra p. 12 s.56 Niant le caractère de “proprietary interest” au sens étroit, mais l’admettant au sens

large, mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 8, N 1-08. Plus catégorique : oakley, Parker and mellow, p. 43 s., N 2-010 : “Whatever the discretion, unless and until it is exercised, no individual beneficiary or potential beneficiary has any proprietary rights.” Dans le même sens, Pearce / stevens, p. 459 : “Although the class of beneficiaries of a discretionary trust may be regarded as having a collective proprietary entitlement to the fund, it is clear that members of the class cannot claim an individual propri-etary entitlement to the fund or any part of the fund unless the trustees exercise their discretion to appoint property in their favour.” Cf. aussi Pettit, p. 76 : “A potential beneficiary cannot be said to be the owner of an equitable interest unless and until the trustee exercise their discretion in his favour.” Cf. encore sheridan, p. 166 s. Dans la doctrine suisse : cf. notamment Vogt, N 50 ad Vorbemerkungen zu Art. 149a-e LDiP ; Weingart, p. 28, N 53 : “Die beneficiaries erwerben keinen vermögensrechtlichen An-spruch in Form des equitable title, sondern lediglich eine Aussicht bzw. eine Hoffnung, dass der trustee sein Ermessen zu ihren Gunsten ausübt.”

195Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

ascertained. For instance, a discretionary beneficiary who is merely a mem-ber of a class to whom the trustee have a discretion to apply trust capital or income, has no interest in the narrow sense.”57

L’on trouve toutefois dans la doctrine anglaise des avis divergents. P. Matthews qualifie pour sa part le discretionary interest, détenu à titre individuel, de “beneficial interest” et de “proprietary right”58. Il fonde sa position sur les diverses prérogatives qui y sont attachées, telles que le droit à l’information, le droit d’obtenir le contrôle judiciaire du trustee, la possibilité de renoncer à l’interest, voire de le transférer à titre onéreux, le fait qu’il soit opposable aux tiers acquéreurs d’un bien du trust de mau-vaise foi et qu’il puisse être transmis, selon lui, à l’administrateur de la faillite en cas de faillite du bénéficiaire. Il s’appuie également sur la règle Saunders v Vautier 59, qui permet aux bénéficiaires de mettre fin au trust et d’obtenir le transfert des biens (à condition que les bénéficiaires soient tous déterminés, majeurs, capables de discernement et qu’ils possèdent ensemble un droit “absolute”, “vested” et “indefeasible” au capital et aux revenus du trust 60), étant précisé que ladite règle a été déclarée applicable à un trust discrétionnaire 61. Certains auteurs anglais font valoir que, dans un trust discrétionnaire, un tel “proprietary right” peut être considéré comme appartenant à la classe des bénéficiaires prise dans son ensemble (chacun des bénéficiaires en détenant une portion), pour autant qu’elle soit fermée, ses membres dé-terminés et que le trustee soit tenu de distribuer l’entier de la propriété du

57 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 8, N 1-08.58 Cf. en particulier matthews (From Obligation to Property), p. 212 : “On the other

hand, it confers the positive right to information, and the negative rights to restrain the trustee in what he does in relation to the assets. It can be renounced, or sold and transferred for value, and it will pass on the beneficiary’s bankruptcy to his trustee’s bankruptcy. It is binding on successor trustee and third parties who are not bona fide pucharsers for value of the legal estate without notice.” Cf. aussi Pannatier Kessler, p. 25.

59 Saunders v Vautier (1841] eWHC Ch J82, (1841) 4 Beav 115.60 Thomas / Hudson, p. 161, N 7.05.61 matthews (From Obligation to Property), p. 212 : “And every such beneficiary or ob-

ject is a necessary party to a saunders v. Vautier application to the trustee to convey as the beneficiaries direct. As a result, in other contexts, and for other purpose, it is regarded as proprietary, and can properly be termed a ‘beneficial interest’.” A propos de cette règle et de son application à un trust discrétionnaire, cf. aussi matthews (Saun-ders v Vautier), p. 269 s. A noter qu’elle n’existe qu’en droit anglais. elle a été rejetée en droit américain, ce qui constitue une différence notable entre les deux systèmes.

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trust 62. Ces auteurs prennent également appui sur le précédent Saunders c Vautier, selon lequel les bénéficiaires d’un trust discrétionnaire peuvent de concert mettre fin au trust, s’ils sont tous connus, sui juris et que la classe est fermée 63. L’on relèvera que cette controverse relative à la nature du discre -tionary interest entraîne corollairement des incertitudes quant à son sort dans l’exécution forcée. Il semble toutefois que la tendance majoritaire perçoive un tel interest comme une simple expectative, et non comme un droit patrimonial susceptible d’être mis sous main de justice en tant que tel 64. P.  Matthews fait valoir l’opinion inverse 65. Nous y reviendrons plus loin 66.

III. Les trusts de protection en droit anglo-américain

Le terme “trusts de protection” n’est pas une expression consacrée tirée du droit des trusts. Elle est employée dans la présent chapitre par pure com-modité pour désigner deux formes de mécanismes de protection, à savoir, d’une part, les protective trusts et les forfeiture provisions (ci-après A) et, d’autre part, les spendthrift trusts (ci-après B).

A. Le protective trust et les forfeiture provisions

Institution du droit anglais aujourd’hui consacrée à la section 33 du Trustee Act de 1925, le protective trust confère au bénéficiaire un droit (générale-ment un life interest ou un droit de plus courte durée) qui prend fin lors de la survenance d’événements déterminés (tels que sa faillite, une tentative

62 Hudson, p. 159 ; Pearce / stevens, p. 459 ; ridall, p. 285 ; Thomas / Hudson, p. 172 ss, N 7.29 ss.

63 Thomas / Hudson, p. 173, N 7.32. 64 en droit anglais : Conaglen [et al.], snell’s equity, p. 507 s., N 20-51 ; Thomas /

Hudson, p. 177 s., N 7.40. en droit américain : restatement (second) of Trusts § 155, cmt on subs. (1), b ; Bogert, p. 160 ; Waggoner / Alexander / Fellows / Gallanis, pp. 14-17. Cf. aussi Dyer / Van Loon, p. 25 ; Lupoi (Comparative study), p. 132.

65 matthews (From Obligation to Property), p. 212, citant à l’appui les affaires Re Coleman (1888) 39 ChD 443 et Re Ashby [1892] 1 QB 872.

66 Cf. infra p. 235 ss.

197Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

de saisie par ses créanciers ou tout autre événement de nature à le priver de son droit aux revenus) pour être remplacé par un trust discrétionnaire 67. Un protective trust s’articule autour de trois composantes distinctes : (i) un life interest 68 ou un droit de moindre durée soumis à extinction en fonction d’événements déterminés, (ii) une clause de déchéance, dite “ for-feiture clause”, et (iii) un trust discrétionnaire survenant à l’extinction du droit fixe 69. L’événement extinctif prend la forme de toute tentative d’alié-nation volontaire du droit par le bénéficiaire lui-même ou tout dessaisisse-ment forcé par des tiers 70. Le trust fixe est remplacé par un trust de nature discrétionnaire qui vise à favoriser le bénéficiaire principal dont le droit fixe a pris fin, ainsi que ses proches (époux et descendants) ou, à défaut, le bénéficiaire principal et le remainderman 71. Le life interest peut éventuelle-ment renaître une fois que la procédure d’insolvabilité est close. Comme son nom l’indique, la finalité d’un tel trust est en principe de protéger le droit d’un bénéficiaire contre des événements qui entraîne-raient la perte de celui-ci 72. La substitution du life interest par un discre-tionary interest peut en effet avoir pour conséquence de contrecarrer les visées des créanciers sur l’interest du bénéficiaire 73. Selon Maudsley & Burn, cette situation est délicate, car elle met en présence deux intérêts contradictoires : d’un côté, il appartient à chaque individu de répondre de ses dettes sur l’ensemble de ses biens ; de l’autre, il est tenu pour légitime qu’un débiteur cherche à subvenir aux besoins financiers des membres de sa famille au-delà de sa propre insolvabilité : “It represents a compromise between two forces : the desire on the one hand to make a person’s property available for the creditors ; and on the other to en-able family property to be available for the support of the family in the event of the insolvency of the head of the family.” 74 Cette institution représente

67 Conaglen [et al.], snell’s equity, p. 508, N 20-52 ; mitchell, Hayton & mitchell, p. 35, N 1-145 ; oakley, Parker and mellow, p. 284, N 8-003.

68 sur la notion de “life interest”, cf. supra p. 187.69 moffat, p. 276 s.70 sur les évènements entraînant l’extinction du droit, cf. section 33(1)(i) Trustee Act

1925 ; Conaglen [et al.], snell’s equity, p.  510, N 20-54 s. ; mitchell, Hayton & mitchell, p. 37, N 1-151 ; oakley, Parker and mellow, p. 286 ; Pettit, p. 83 ss.

71 section 33(1)(ii) Trustee Act 1925. sur la notion d’ “interest in remainder” et de “re-mainderman”, cf. supra p. 187 s.

72 section 33(1)(ii) Trustee Act 1925.73 Cf. supra p. 194 s. et infra p. 235 ss.74 Virgo / Burn, maudsley and Burn’s Trusts and Trustees, p. 60.

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à cet égard l’extrême limite de la tolérance du droit anglais à l’égard des mécanismes de protection patrimoniale. Dans une édition antérieure, R. Maudsley la justifiait néanmoins par le fait qu’un trust est destiné à favoriser les bénéficiaires et non leurs créanciers 75. Le protective trust trouve son origine dans la jurisprudence anglaise. Sa validité fut consacrée pour la première fois par Lord Eldon dans la décision Brandon v Robinson de 1811 76. Un tel mécanisme de protection fut tenu pour admissible au motif qu’il n’opérait qu’une restriction indirecte à l’aliénabilité et à la saisissabilité d’un droit (intervenant par son extinction naturelle). Cette situation fut distinguée des clauses excluant directement et expressément la cessibilité ou la saisissabilité du droit, qui sont quant à elles prohibées en droit anglais. La raison de la prohibition de telles clauses d’incessibilité en droit anglais est la suivante. Dans l’approche tradition-nelle, le droit de propriété ne peut être privé de l’un de ses attributs essen-tiels, à savoir le pouvoir de disposer de son objet. Cette règle s’applique aussi bien à la propriété légale qu’ “équitable” 77. En substance, elle a pour but d’éviter l’immobilisation d’un patrimoine et de limiter la mainmise du donateur/testateur sur celui-ci au-delà de sa mort (dead hand’s reach). La même idée est du reste contenue dans l’interdiction des trusts de durée illimitée (rule against perpetuity), qui tend elle aussi à limiter la mainmise du settlor sur un patrimoine 78. La formulation de la clause de protection est essentielle. Pour être valable, la tentative d’aliénation volontaire ou involontaire doit être ex-primée comme une limite temporelle, au terme de laquelle le life interest expire naturellement, et non comme une condition résolutoire 79. Autre-ment dit, le droit existe “jusqu’à” la survenance de l’événement déterminé à l’occasion duquel il prend naturellement fin, mais ce dernier ne doit pas être la cause directe de sa déchéance. A défaut, l’extinction du droit ap-paraîtrait comme prématurée et artificielle et équivaudrait à une fraude aux créanciers, frappée de nullité 80. En pratique, il est néanmoins admis

75 maudsley (1978), p. 130 s.76 (1811) 18 Ves. Jr. 429, 433-434 ; moffat, p. 275 ; sheridan, p.168.77 matthews (Saunders v Vautier), p. 274 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 177,

N 5-128 et p. 1184, N 33-04. 78 sur cette question, cf. les développements de matthews (Saunders v Vautier),

p. 276 ss.79 mitchell, Hayton & mitchell, p. 35, N 1-145 s. ; ridall, p. 286 ; Watt, p. 197 s.80 ridall, p. 286 ; Watt, p. 197 s.

199Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

que le résultat est similaire que la restriction soit directe ou indirecte 81. Quoi qu’il en soit, les anglo-saxons sont très sensibles à la formulation. L’on aura compris que ces exigences de forme sont directement liées à la différence de régimes existant entre les restrictions indirectes (admises) et les restrictions directes (non admises) à l’aliénabilité et à la saisissabilité d’un droit. L’on relèvera enfin qu’un protective trust peut être mis en place par le simple emploi du terme correspondant dans l’instrument du trust, ce qui l’assujettit à la section 33 du Trustee Act 1925, lorsque le trust est soumis au droit anglais. Un settlor ne peut créer un protective trust en sa propre faveur, une telle clause étant tenue pour radicalement nulle, car contraire aux prin-cipes fondamentaux de l’exécution forcée. Dans de telles circonstances, la clause de protection n’est pas valable – ce qui n’affecte toutefois pas la validité du trust lui-même – avec pour conséquence que le créancier ou l’administrateur de la faillite (trustee in bankruptcy) peut saisir le droit que le settlor s’est réservé dans le trust 82. L’ordre juridique américain connaît et recourt à un mécanisme simi-laire au protective trust sous une autre appellation. Une “ forfeiture pro-vision”, littéralement “clause de déchéance”, est une clause insérée par le settlor dans l’instrument du trust prévoyant la fin du droit du bénéficiaire dans le trust au moment de la survenance d’évènements déterminés, par exemple lors d’une tentative d’aliénation par le bénéficiaire, de saisie par ses créanciers ou lors de sa faillite. Le cas échéant, le life interest peut être remplacé par un trust discrétionnaire 83. Ces clauses sont considérées comme des minima, dans la mesure où elles sont permises en toutes cir-constances, en particulier lorsque la loi de l’Etat en question prohibe les clauses de spendthrift, qui sont de nature plus incisive quant aux droits des créanciers. La formulation de la clause n’est pas soumise aux mêmes contraintes qu’en droit anglais. La tentative de saisie ou la faillite du bénéficiaire peut être stipulée comme étant la cause immédiate de l’extinction du life interest

81 Béraudo, p. 167, N 297 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 1184, N 33-05. 82 Re Burroughs-Fowler [1916] 2 Ch. 251 ; Watt, p. 198.83 restatement (Third) of Trusts § 57 : “Except with respect to an interest retained by

the settlor, the terms of a trust may validly provide that an interest shall terminate or become discretionary upon an attempt by the beneficiary to transfer it or by the beneficiary’s creditors to reach it, or upon the bankruptcy of the beneficiary.”

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sans constituer pour autant une fraude aux créanciers. Une clause de dé-chéance est tenue pour entièrement compatible avec l’ordre public, dans la mesure où – contrairement au spendthrift trust – elle n’a pas pour effet de permettre au bénéficiaire de jouir des revenus du trust pendant qu’elle in-terdit aux créanciers de les saisir, mais vise simplement à prévenir la main-mise de ces derniers en provoquant la fin du droit 84. Cette solution ne vaut toutefois pas si le trust a été constitué en faveur du settlor. A défaut, le transfert de propriété dans le trust équivaudrait à un transfert frauduleux anticipé, destiné à opérer ultérieurement au moment de l’insolvabilité du settlor 85. En effet, au moment de la création du trust, le transfert de propriété ne constitue pas à proprement parler un trans-fert frauduleux, puisque le settlor n’est pas encore insolvable, mais il le devient dès que celui-ci tombe en faillite ou est saisi et que le life interest est soustrait à la mainmise des créanciers par sa transformation en un intérêt discrétionnaire.

B. Le spendthrift trust du droit américain

1. Notion

Un spendthrift trust est un trust dans lequel l’aliénation volontaire ou invo-lontaire de l’interest de tous ou certains des bénéficiaires est expressément et directement exclue, en ce sens que le bénéficiaire ne peut disposer de son interest, ni les créanciers du bénéficiaire le saisir 86. Une clause de spendthrift, de par la seule volonté du settlor, prive donc l’interest de tout caractère alié-nable, alors même que le bénéficiaire peut librement continuer d’en jouir. Signifiant littéralement “trust du prodigue”, un tel trust a pour finalité de protéger le bénéficiaire contre son incapacité à gérer ses affaires. Cela

84 scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 894.85 restatement (Third) of Trusts § 57, cmt b.86 Bogert [et al.], Bogert & Bogert, § 221, p. 385 ; scott [et al.], scott and Ascher

on Trusts, p.  898. une clause de spendthrift est typiquement rédigée de la façon suivante : “No beneficiary of this trust shall have the power to assign his or her inter-est, nor shall such interest be reachable by the beneficiary’s creditors by attachment, garnishment, or other legal process”, ou encore : “To the extent permitted by law, the principal and income of this trust shall not be liable for the debts of any beneficiary or subject to alienation or anticipation by a beneficiary.” Cf. notamment Danforth, p. 292.

201Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

étant, il ne se limite pas à ce type de circonstances. Au contraire, son em-ploi est conçu largement et peut être imposé à tout bénéficiaire quelle que soit sa capacité à veiller sur ses intérêts 87. Il sert donc en fin de compte à protéger les bénéficiaires contre les aléas de l’existence 88. En tant que restriction directe et immédiate à l’aliénabilité du droit, les spendthrift trusts ne sont pas permis en droit anglais 89. En droit amé-ricain, dont ils sont originaires, ils sont en revanche admis dans la loi de la quasi-totalité des Etats 90. En pratique, la très grande majorité des trusts américains sont des spendthrift trusts 91. J.-P. Béraudo avance à cet égard le chiffre de 90% 92. On relèvera en outre que la loi de quatre Etats amé-ricains (New York, Tennessee, Washington, Illinois) présume que tout trust constitue un spendthrift trust, à moins d’une stipulation contraire expresse 93. De tels trusts constituent ce qu’on appelle des “statutory spend-thrift trusts”. Leurs modalités varient selon la loi applicable 94. On relèvera enfin que les clauses de spendthrift sont expressément admises par la section 541(c)(2) du Bankruptcy Code 95. Une telle clause, lorsqu’elle est reconnue valable par la loi de l’Etat en question, est ipso facto observée dans la procédure d’exécution forcée. Concrètement, l’interest du bénéficiaire est donc soustrait à la saisie ou à la masse en faillite dans une procédure américaine.

87 restatement (Third) of Trusts § 58, gen. cmt a. 88 scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 898 s.89 Cf. supra p. 198.90 Pour un recensement des lois et de la jurisprudence, cf. scott [et al.], scott and

Ascher on Trusts, p. 905 s.91 Dukeminier / sitkoff / Lindgren, p. 614.92 Béraudo, p. 166, N 296.93 restatement (Third) of Trusts § 58, gen. cmt a ; cf. aussi Hirsch, p. 4.94 Cf. Hirsch, p. 4, note 9. Les lois de New York (cf. section 7-1.5 N.Y. estates, Powers

and Trusts Law) et du Tennessee tiennent le droit aux revenus pour automatiquement inaliénable, que ce soit sur une base volontaire (par ex. vente) ou involontaire (saisie, faillite). Dans les etats de Washington et de l’illinois, les trusts sont protégés automa-tiquement contre la saisie des créanciers, mais non contre une cession volontaire du droit. selon Hirsch, ces normes constituent des règles d’interprétation non contrai-gnantes (non mandatory rules of construction) sujettes à une clause contraire dans l’instrument du trust.

95 section 541(c)(2) Bankruptcy Code : “A restriction on the transfer of a beneficial inter-est of the debtor in a trust that is enforceable under applicable nonbankruptcy law is enforceable in a case under this title.”

202 Aude Peyrot

2. Développement et controverse sur sa légitimité

Les clauses de spendthrift ont fait leur apparition durant la seconde moitié du XIXe  siècle aux Etats-Unis 96. Elles trouvent leur origine et leur justi-fication dans le libéralisme du droit américain en matière de pouvoir de disposition d’un individu par acte entre vifs ou pour cause de mort 97. L’un des premiers et plus célèbres plaidoyers en faveur des spendthrift trusts re-monte à un obiter dictum de Justice Miller dans l’affaire Nichols v Eaton ju-gée par la Cour Suprême en 1875 98. Son caractère extraordinaire résulte de la force de l’affirmation, alors même qu’in casu la Cour n’avait nullement été requise de s’exprimer sur la question de la validité d’un spendthrift trust (le trust en cause n’en étant pas un) 99. Cette position a été immédiatement suivie et reprise dans de nombreux arrêts ultérieurs 100. La justification est en substance la suivante : “We concede that there are limitations which public policy or general statutes impose upon all disposi-tions of property, such as those designed to prevent perpetuities and accu-mulations of real estate in corporations and ecclesiastical bodies. We also admit that there is a just and sound policy peculiarly appropriate to the jurisdiction of courts of equity to protect creditors against frauds upon their rights, whether they be actual or constructive frauds. But the doctrine, that the owner of property, in the free exercise of his will in disposing of it, cannot so dispose of it, but that the object of his bounty, who parts with nothing in return, must hold it subject to the debts due his creditors, though that may soon deprive him of all the benefits sought to be conferred by the testator’s affection or generosity, is one which we are not prepared to announce as the doctrine of this court.” 101

La volonté du settlor est la clé de voûte des spendthrift trusts. Il est considéré que le settlor, dans la mesure où il est libre de procéder ou non à la donation, peut a fortiori restreindre son étendue en empêchant les alié-nations volontaires ou involontaires de son objet. Cette idée repose sur la maxime “cujus est dare, ejus est disponere”, selon laquelle celui qui donne a

96 Bogert [et al.], Bogert & Bogert, N 222, p. 393 ; stark, p. 216.97 Fellows / Alexander, p. 1073. 98 Nichols v. Eaton, 91 u.s. 716 (1875).99 scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 901 s.100 Cf. notamment Broadway National Bank v Adams, 133 mass. 170 (1882) ; Re Morgan’s

Estate, 223 Pa. 228, 72 A. 498 (1909). 101 91 u.s. 716, p. 725.

203Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

le droit de choisir comment le bien doit être employé 102. La question relève exclusivement de la sphère privée du donateur/testateur et ne concerne en rien l’ordre public : “It is always to be remembered that consideration for the beneficiary does not even in the remotest way enter into the policy of the law. It has regard solely to the rights of the donor. Spendthrift trusts can have no other justification than is to be found in considerations affecting the donor alone.” 103 Selon cette approche, il n’est pas contraire aux droits fondamentaux des créanciers d’exclure leur mainmise sur l’interest du bénéficiaire, car les largesses du settlor ne leur sont pas destinées 104. En définitive, leur situation n’est pas moins bonne que si le settlor n’avait pas favorisé le bénéficiaire. Cette justification n’a toutefois pas été accueillie en droit américain sans objections. Quelques décisions 105 et auteurs de doctrine ont contesté le bien-fondé des clauses de spendthrift. Le plus célèbre et virulent parmi ceux-ci fut le Professeur J. C. Gray, qui affirma avec force son indigna-tion à l’égard de celles-ci. La préface de la seconde édition de son ouvrage Restraints on the Alienation of Property de 1895 est un long et vibrant plai-doyer contre les clauses de spendthrift et leur motivation sous-jacente. Elle s’ouvre sur le propos suivant : “The people of the United States have many virtues, but all nations have their failings, and there are passages in the history of every country which is painful for its citizens to contemplate.” 106 Selon J. C. Gray, le fait que le bénéficiaire puisse jouir impunément de son droit au détriment des créanciers, et ce par la seule volonté du settlor, est particulièrement choquant et contraire à la morale 107. La même position a été défendue dans quelques jurisprudences 108. Il est incontestable qu’une clause de spendthrift a pour effet de ségréguer l’interest du bénéficiaire de

102 Bogert [et al.], Bogert & Bogert, § 222, p. 395 s. 103 Re Morgan’s Estate (cf. supra note 100), p. 231 ; scott [et al.], scott and Ascher on

Trusts, p. 904, relève toutefois que la démonstration de la conformité des clauses de spendthrift à l’ordre public n’a en réalité pas été faite et que cette question ne trouve probablement pas de réponse claire.

104 Cf. à cet égard scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 903.105 Sherrow v Brookover, 174 ohio st. 310 (1963) ; Tillinghast v Bradford, 5 r.i. 205 (1858).106 Gray, Preface to the second edition, p. iii. 107 Gray, Preface to the second edition, p. iii ss. Cf. aussi Haskell, p. 32.108 Cf. notamment Tillinghast v Bradford (cf. supra note 105) : “Certainly no man should

have an estate to live on, but not an estate to pay his debts with. Certainly property available for the purposes of pleasure or profit should be also amenable to the demands of justice.”

204 Aude Peyrot

son patrimoine général, qui constitue le gage commun de ses créanciers. A ce titre, il établit une importante dérogation au principe de la responsabi-lité patrimoniale 109. Malgré l’ancienneté du débat, la question de la compatibilité des spendthrift trusts avec l’ordre public ne semble toujours pas épuisée au-jourd’hui : divers auteurs continuent soit de contester leur bien-fondé, soit de réclamer davantage d’exceptions à la règle 110. Cela a de quoi sur-prendre, car le nombre élevé de spendthrift trusts qui peuplent la pra-tique des affaires devrait en principe décourager de lui-même tout débat résiduel sur leur légitimité.  La question demeure pourtant qualifiée de “philosophical and policy debate […] that has continued for generations, still without consistent or enduring resolution in the various states” 111. D.  English indique par ailleurs que les règles correspondantes de l’Uni-form Trust Code sont celles qui ont fait l’objet des plus vifs débats 112. Au surplus, les auteurs de Bogert & Bogert relèvent l’émergence d’une ten-dance nouvelle qui cherche à atténuer, voire à exclure, l’effet d’une clause de spendthrift 113. Au-delà de la discussion de la légitimité d’une clause de spendthrift à l’égard des créanciers, la question a également été débattue de savoir si l’aliénabilité de l’equitable interest peut faire l’objet d’une pareille limita-tion. Comme indiqué plus haut 114, le droit anglais, qui constitue la position traditionnelle, interdit les restrictions directes à l’aliénabilité, que celles-ci portent sur un legal ou un equitable interest. Le but de la règle est d’éviter l’immobilisation d’un patrimoine et de limiter la mainmise du donateur/testateur sur celui-ci au-delà de sa mort (dead hand’s reach). L’approche traditionnelle anglaise est également fondée sur le postulat que le droit de propriété ne peut être privé de l’un de ses attributs essentiels, soit le droit de disposer de son objet. En admettant les spendthrift trusts, le droit américain s’est clairement écarté de la position traditionnelle sur les points précités. L’ouvrage Bogert & Bogert justifie cet écart comme suit. En premier lieu, il est large-

109 Cf. dans ce sens, stark, p. 215.110 stark, p. 218. Cf. aussi la discussion et les auteurs cités par scott [et al.], scott and

Ascher on Trusts, p. 902 ss.111 restatement (Third) of Trusts, chapter 12, introduction.112 english, p. 324.113 Bogert [et al.], Bogert & Bogert, § 222, p. 393.114 Cf. supra p. 198.

205Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

ment moins dommageable d’exclure l’aliénabilité d’un equitable interest que celle d’un legal interest, dans la mesure où le titulaire du beneficial interest n’a de toute façon pas le pouvoir de disposer des biens du trust, n’en étant pas le propriétaire formel. En deuxième lieu, l’intérêt public à pré-server l’aliénabilité de l’equitable interest lui-même est en soi relativement faible. Enfin, le postulat selon lequel la propriété ne peut être privée de l’un de ses attributs essentiels, soit la cessibilité, est décrit comme discutable car “frisant le formalisme médiéval”. Selon cette approche, il est possible de concevoir un equitable interest de deux ou plusieurs sortes en fonction des besoins de la vie moderne 115. Il est toutefois intéressant de relever que même si les clauses de spend-thrift ne sont pas permises en droit anglais, étant contraires aux principes fondamentaux de l’exécution forcée et aux postulats du droit de la pro-priété, la doctrine indique qu’un spendthrift trust créé valablement selon le droit d’une autre juridiction serait néanmoins reconnu et mis en force en Angleterre 116. Ce constat n’est pas anodin, car il montre qu’un Etat, même opposé aux restrictions directes à l’aliénabilité, pourrait néanmoins procé-der à la reconnaissance d’une clause étrangère de spendthrift.

3. Portée de la clause de spendthrift

Une clause de spendthrift doit en principe exclure tant les transferts vo-lontaires qu’involontaires de l’interest. En particulier, elle est tenue pour nulle et sans effet, si elle tend uniquement à protéger le droit du bénéfi-ciaire contre la mainmise des créanciers 117. Cela étant, si la clause ne men-tionne que l’un ou l’autre des cas de figure, il est généralement présumé, sauf intention expresse contraire, que le settlor entendait couvrir les deux hypothèses 118.

115 Bogert [et al.], Bogert & Bogert, § 222, p. 396 s.116 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 1184, N 33-04, citant la décision anglaise Re

Fitzgerald [1904] 1 Ch. 573, CA, reconnaissant la validité d’une donation comprenant une restriction à l’aliénabilité d’un legal interest selon le droit écossais, quand bien même une telle restriction ne peut être établie en droit anglais.

117 restatement (Third) of Trusts § 58, cmt on subs. (1), b(2) ; section 502(a) uniform Trust Code. Pour les exceptions à ce principe, cf. scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 913, note 5, et les références citées.

118 Bogert [et al.], Bogert & Bogert, § 222, p. 411.

206 Aude Peyrot

En premier lieu, toute forme de transfert volontaire de l’interest (vente, donation, échange, mise en gage, etc.) est exclue. Le bénéficiaire ne peut donc céder son droit et son cocontractant ne peut l’acquérir. Cela étant, la convention entre le bénéficiaire et le tiers déploie néanmoins certains effets : elle autorise le trustee à verser aux tiers toutes les distributions aux-quelles le bénéficiaire a droit. Cette autorisation vaut tant qu’elle n’a pas été révoquée par le bénéficiaire 119. En revanche, la convention est dépourvue de tout caractère exécutoire, de sorte que le cocontractant ne peut obtenir judiciairement son exécution si les distributions cessent. Dans un tel cas, il peut néanmoins réclamer le remboursement de sa propre prestation, voire réclamer des dommages-intérêts pour inexécution du contrat 120. La créance en résultant grèvera tout autre bien du débiteur que son interest dans le trust, en raison de la limitation simultanée à la saisissabilité du droit. En second lieu, la clause de spendthrift exclut catégoriquement toute tentative de mainmise sur l’interest par les créanciers du bénéficiaire, qu’elle intervienne dans ou hors faillite 121. La restriction est catégorique : il n’existe pas d’effet “par défaut”, à la différence d’une aliénation volontaire. Toutefois, dans la mesure où elle protège l’interest lui-même, une clause de spendthrift n’empêche évidemment pas les créanciers de saisir les valeurs distribuées, une fois en mains du bénéficiaire 122. Elle prévient donc une acquisition anticipée des droits du bénéficiaire, mais ne déploie pas d’effets après la distribution. Une telle clause n’en demeure pas moins d’une effi-cacité redoutable, puisqu’elle contraint les créanciers à rechercher chaque montant distribué individuellement, le cas échéant par le biais de procé-dures successives 123. A noter que la distribution est saisissable comme si elle avait été effectivement faite au bénéficiaire, si le trustee retarde indû-ment le versement au-delà d’un laps de temps raisonnable ou sur instruc-tion spécifique du bénéficiaire 124.

119 restatement (Third) of Trusts § 58, cmt on subs. (1), d(1). Bogert [et al.], Bogert & Bogert, § 222, p. 412 ; scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 912.

120 restatement (Third) of Trusts § 58, cmt on subs. (1), d(1), illustration ; scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 922 s.

121 restatement (Third) of Trusts § 58, cmt on subs. (1), d(2). Certains etats atténuent toutefois la rigueur de cette règle, en n’admettant l’insaisissabilité qu’à hauteur des montants nécessaires à l’entretien du bénéficiaire. Cf. à cet égard scott and Ascher on Trusts, p. 904.

122 section 502(c) uniform Trust Code.123 stark, p. 216.124 section 506 uniform Trust Code ; restatement (Third) of Trusts § 58, cmt on subs. (1),

d(2). scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 921.

207Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

La clause de spendthrift se rapporte en principe au droit aux revenus du trust (par ex. life interest). En fonction de la loi applicable, elle peut en outre s’attacher au droit au capital du trust (par ex. interest in remainder donnant droit au fonds du trust au décès du life tenant 125). Enfin, elle peut également être associée à un discretionary interest 126. Dans ce cas, elle paralyse ou elle limite le droit des créanciers d’obtenir par la voie judiciaire la saisie des distributions en mains du trustee, une fois qu’elles ont été décidées (mais non pas encore versées) en faveur du bénéficiaire 127. On relèvera que certains Etats américains ont tenté de limiter la portée de la clause de spendthrift. Ils n’autorisent l’insaisissabilité de l’interest qu’à concurrence de ce qui est nécessaire à la formation et à l’entretien du bénéficiaire 128. Cette limitation a toutefois été vidée de sa substance par l’interprétation particulièrement large de la notion d’entretien retenue par les tribunaux américains, ceux-ci l’ayant généralement assimilée à un maintien du niveau de vie du bénéficiaire (“station in life”)129. En pra-tique, cette interprétation conduit à soustraire à la mainmise des créan-ciers la quasi-totalité, voire l’intégralité, des distributions accordées au bénéficiaire.

4. restrictions à la clause de spendthrift

Une clause de spendthrift est soumise à diverses restrictions. Celles-ci ont trait respectivement au beneficial interest retenu par le settlor (ci-après a), à d’éventuelles prérogatives exorbitantes du bénéficiaire dans le trust (ci-après b), ainsi qu’à l’identité des créanciers du bénéficiaire (ci-après c).

125 sur ces notions, cf. supra p. 187 s.126 sur le discretionary interest, cf. supra p. 192 ss.127 Bogert [et al.], Bogert & Bogert, § 228, p. 573.128 Cf. notamment la loi de New York (section 7-3.4 N.Y. estates, Powers and Trusts

Law).129 Waggoner / Alexander / Fellows / Gallanis, p. 14, citant l’arrêt Kilroy v Wood,

42 Hun. 636 (N.Y. sup. Ct. 1886), particulièrement symbolique à cet égard : “[The beneficiary is] a gentleman of High social standing, whose associations are chiefly with men of leisure, and is connected with a number of clubs, with the usages and customs of which he seems to be in harmony both in practice and expenditure, and it is insisted of his behalf that his income is not more than sufficient to maintain his position according to his education, habits and associations.”

208 Aude Peyrot

a. Le settlor-bénéficiaire

En premier lieu, il est généralement dénié toute validité et tout effet à une clause de spendthrift qui s’attacherait à l’interest détenu par un bénéficiaire qui serait en même temps le settlor du trust 130. Dans cette perspective, est tenu pour settlor non seulement celui qui a constitué le trust et pro-cédé au transfert de propriété, mais aussi celui qui a fourni une presta-tion à un tiers destinée à la constitution du trust ou en lien direct avec celle-ci 131. Cette exception prévaut dans la majorité des Etats américains, qu’elle soit instaurée par une loi écrite ou par la jurisprudence. Il est en effet considéré comme éminemment contraire à l’ordre public de créer un beneficial interest sur son propre patrimoine et de le déclarer unilatéra-lement insaisissable. Dans un tel cas, la clause de spendthrift est ignorée et les créanciers sont habilités à saisir les droits du settlor dans le trust. En cas de faillite du settlor, le droit aux revenus ou au capital tombe dans sa masse en faillite, conformément à la section 541(c)(2) Bankruptcy Code, lequel prévoit que seules les limitations valables selon le droit matériel peuvent être appliquées. L’on relèvera qu’une clause de spend-thrift sans effet à l’égard du settlor demeure valable à l’endroit des autres bénéficiaires 132. L’on relèvera que les spendthrift trusts créés en faveur du settlor lui-même (“self-settled spendthrift trusts”) constituent une forme d’asset pro-tection trusts. Les quelques Etats américains qui autorisent lesdits as-set protection trusts n’ont ainsi pas adopté l’exception précitée, aussi incontestable qu’elle paraisse133. La loi de ces Etats tient donc une clause de spendthrift en faveur du settlor pour parfaitement valable. Dans un tel cas, l’interest du settlor sera en principe soustrait à la mainmise des créanciers, notamment en cas de faillite de celui-ci.

130 section 505(a) uniform Trust Code ; restatement (Third) of Trusts § 58, cmt on subs. (2), e.

131 restatement (Third) of Trusts § 58, cmt on subs. (2), f.132 restatement (Third) of Trusts § 58, cmt on subs. (2), e.133 Cf. Bogert [et al.], Bogert & Bogert, § 223, p. 472, note 6, citant les etats de l’Alaska,

Delaware, Nevada, oklahoma, rhode island, south Dakota, utah.

209Chapitre 6 : L'equitable interest et les trusts de protection anglo-américains

b. Les prérogatives exorbitantes du bénéficiaire non-settlor

En second lieu, une clause de spendthrift est également dépourvue de toute validité si elle s’attache à un trust dans lequel le bénéficiaire a l’équivalent d’un titre de propriété complet lui permettant d’exiger des distributions immédiates. Il en va notamment ainsi si le bénéficiaire d’un droit aux re-venus détient un pouvoir général de distributions (general power of ap-pointment), qui l’autorise à ordonner au trustee la distribution du fonds du trust comme bon lui semble. Tel est également le cas si le seul bénéfi-ciaire est simultanément le seul trustee, car il concentre alors en ses mains le legal interest et l’equitable interest, soit le titre de propriété total sur le fonds du trust, ce qui met un terme au trust conformément à la théorie dite de la fusion (doctrine of merger) 134. Cette limitation sert le même but que la restriction touchant le settlor : le bénéficiaire ne peut pas avoir simulta-nément le pouvoir de s’attribuer des distributions et de les soustraire à ses créanciers 135.

c. Les créanciers protégés

Enfin, une clause de spendthrift demeure sans effet à l’égard de certaines classes de créanciers. Concrètement, ces exceptions dépendent de la loi de chaque Etat. Le Restatement (Third) of Trusts et l’Uniform Trust Code protègent quant à eux trois catégories de créanciers 136. La première ca-tégorie comprend les personnes dépendantes du bénéficiaire (enfants, époux et ex-époux) au bénéfice d’une décision judiciaire condamnant celui-ci à verser une contribution alimentaire ou d’entretien. La deuxième englobe les créanciers au bénéfice d’un jugement qui ont fourni au béné-ficiaire des services nécessaires à la défense de ses intérêts dans le trust 137, voire également à son entretien et à sa santé 138. Enfin, la troisième catégo-rie est restreinte aux autorités gouvernementales, dont les prétentions sont

134 restatement (Third) of Trusts § 58, cmt on subs. (1), b(1). Pour un exposé plus détaillé de la question, cf. scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 930 ss.

135 scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 931.136 Cf. à cet égard section 503(b) uniform Trust Code ; restatement (Third) of Trusts

§ 59. 137 section 503(b)(2) uniform Trust Code. 138 restatement (Third) of Trusts § 59(b), qui diffère de l’uniform Trust Code sur ce

point.

210 Aude Peyrot

exemptées des effets d’un spendthrift trust par une disposition légale 139. La clause ne peut pas être exécutée contre ces divers créanciers protégés et ceux-ci peuvent obtenir la saisie, directement en mains du trustee, des distributions actuelles ou futures en faveur du bénéficiaire 140. Les raisons qui motivent ces exceptions varient fortement. Il a été sou-tenu dans le premier cas qu’il serait contraire à l’ordre public de permettre au bénéficiaire de percevoir et de jouir des ressources financières du trust sans qu’il ne doive simultanément assumer l’entretien de ses proches 141. Ce d’autant plus qu’à la différence des créanciers contractuels, ceux-ci n’ont pas la possibilité de se prémunir contre un défaut du bénéficiaire au moyen de la constitution d’un gage 142. Dans le second cas, la finalité n’est pas de protéger les intérêts des prestataires de biens ou de services, mais uni-quement de conserver au bénéficiaire leurs services en garantissant qu’ils soient payés 143. Enfin, les raisons sous-jacentes à la dernière hypothèse sont relativement évidentes et n’ont pas besoin d’être commentées ici. L’on relèvera que les “créanciers délictuels” (tort creditors) ne sont com-pris ni dans la liste d’exemptions du Restatement (Third) of Trusts ni dans celle de l’Uniform Trust Code. Cette solution a été critiquée par certains auteurs, selon lesquels il est contraire à l’ordre public de permettre au béné-ficiaire de jouir d’un train de vie confortable tout en excluant la réparation du dommage du lésé au moyen de l’interest. Ce d’autant plus qu’à l’instar des proches du bénéficiaire qui détiennent une créance d’entretien contre celui-ci, ils ne peuvent se prémunir contre un défaut du débiteur 144. Cela étant, seule la loi de trois Etats américains 145 et quelques jurisprudences 146 admettent une exception pour ce type de créanciers.

139 restatement (Third) of Trusts § 59, gen. cmt, a(1). 140 section 503(c) uniform Trust Code.141 restatement (Third) of Trusts § 59, cmt on clause (a), b. Pour des décisions retenant

la solution inverse, cf. scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 994, note 10.142 scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 989.143 section 503 uniform Trust Code, cmt ; restatement (Third) of Trusts § 59, cmt on

clause (b), d. 144 scott [et al.], scott and Ascher on Trusts, p. 1007 ss.145 stark, p. 228, note 117, cite les etats de la Californie, la Géorgie et de la Louisiane. 146 Cf. le recensement du restatement (Third) of Trusts § 59, reporter’s notes, cmt a-a(2).

211Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

Chapitre 7

L’equiTABLe inTereST daNS La PRoCéduRE d’ExéCuTIoN foRCéE SuISSE

Le chapitre précédent a été consacré aux caractéristiques des formes les plus courantes d’equitable interests et aux trusts de protection en droit anglo-américain. Les bases ont ainsi été posées pour appréhender la pro-cédure d’exécution forcée suisse dirigée contre le bénéficiaire d’un trust. Le présent chapitre examine la saisissabilité d’un equitable interest à la lu-mière de la LP. Les formes multiples d’equitable interests qui peuvent exister dans un trust (fixe, présent, futur, conditionnel, discrétionnaire, etc.), en tant qu’ils revêtent des caractéristiques fort différentes, ne sont pas soumises au même régime dans l’exécution forcée. Il convient dès lors d’examiner leur saisissabilité respective à la lumière du droit suisse. Dans la mesure utile, des références seront faites à la procédure appliquée en Angleterre et aux Etats-Unis, lesquels sont familiers de l’institution. Le présent chapitre est divisé en deux sections. Seront abordés en pre-mier lieu les conditions et les principes relatifs à la saisissabilité en droit suisse (I). En second lieu, sera concrètement examiné le sort des divers types d’equitable interests dans l’exécution forcée suisse (II).

I. conditions et principes de la saisissabilité en droit suisse

La saisissabilité détermine dans quelle mesure une valeur patrimoniale peut être assujettie à la mainmise de l’autorité en vue de sa réalisation for-cée en faveur des créanciers du débiteur 1. Elle constitue un concept cen-tral du droit des poursuites, qui s’applique tant dans le cadre d’une pro-cédure individuelle, i.e. en cas de saisie (art. 92 et 93 LP) et de séquestre (cf. art. 275 LP), que dans la faillite (cf. art. 197 al. 1 LP). Selon la doctrine,

1 Gani, p. 13.

212 Aude Peyrot

la saisissabilité d’une valeur patrimoniale répond aux quatre conditions suivantes : (i) elle doit relever de la propriété ou de la titularité juridique du débiteur ; (ii) elle doit revêtir une valeur de réalisation ; (iii) elle ne doit pas être incessible à teneur du droit matériel ; (iv) elle ne doit pas être déclarée insaisissable par une norme relative à l’exécution forcée 2.

A. Première condition : la titularité juridique du débiteur

Seules les valeurs patrimoniales appartenant juridiquement au débiteur sont saisissables. Cette règle résulte logiquement du caractère personnel de la responsabilité patrimoniale. En effet, dans la mesure où le débiteur répond de ses dettes sur ses propres biens, la mise sous main de justice ne doit porter que sur ceux-ci, sous réserve des sûretés constituées par des tiers (par ex. caution) 3. Cette première condition ne soulève pas de diffi-culté particulière et ne sera pas examinée plus en avant, sauf pour ce qui est de son application aux trusts dont il sera question plus loin 4.

B. Deuxième condition : l’existence d’une valeur de réalisation

Seuls sont saisissables les droits patrimoniaux qui peuvent être réalisés, donc qui possèdent une valeur de réalisation 5. Cette condition découle de la finalité de la saisie, qui consiste à mettre la main sur les actifs du débiteur permettant de désintéresser les créanciers 6. Si un droit n’a aucune valeur, il n’y a pas d’intérêt à le saisir. La saisie qui aurait par hypothèse été effectuée ce nonobstant est frappée de nullité 7. Il découle de ce qui précède que la saisie ne devrait porter en prin-cipe que sur les valeurs actuelles et existantes du débiteur, à l’exclusion des

2 Cf. dans ce sens Amonn / Walther, p. 195 ss, N 1 ss ; Gani, p. 70 ; Thévenoz (Trusts), p. 81.

3 Gani, p. 70 s.4 Cf. infra p. 228. 5 ATF 113 iii 34, JT 1989 ii 99 ; ATF 108 iii 101, JT 1984 ii 156 ; ATF 106 iii 104, JT 1982 ii

139 ; ATF 72 iii 77, JT 1946 ii 43 ; ATF 60 iii 224 (fr.), JT 1935 ii 63 ; Amonn / Walther, p. 65 s., N 5 ; Gani, p. 80 ; Gilliéron (Commentaire), N 15 ad art. 92 LP ; mathey, p. 19, N 1 ; stoffel / Chabloz, p. 153, N 32.

6 ochsner, N 46 ad art. 92 LP. Cf. aussi marville, p. 82, N 84 ; mathey, p. 112, N 216.7 ATF 108 iii 94, JT 1984 ii 98, cons. 5, et arrêts cités.

213Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

valeurs patrimoniales futures 8. Cela étant, ce principe n’est pas appliqué de façon stricte. L’ordre juridique suisse tolère à certaines conditions la saisie d’un droit qui n’est pas encore né 9. Tout dépend concrètement de la possibilité de lui attribuer une valeur de réalisation, celle-ci se révélant un élément critique pour admettre la mainmise officielle. En fonction de son caractère plus ou moins aléatoire, un tel droit se voit ou non attribuer une telle valeur. Sur la base de ce critère, nous distinguerons trois principales catégo-ries de “créances futures”, à savoir les simples espérances (ci-après 1), les expectatives (ci-après 2) et les créances dont l’exigibilité est soumise à un terme (ci-après 3). Toutes trois répondent en Suisse à un régime de saisis-sabilité distinct. Cet exposé sera utile pour l’appréhension de la saisissa-bilité du droit du bénéficiaire d’un trust, lorsqu’il prend une forme future ou aléatoire, comme c’est le cas de l’interest in remainder, du contingent interest ou du discretionary interest 10.

1. Les simples espérances

Les simples espérances (bloße Hoffnungen) ne procèdent d’aucun rap-port juridique obligatoire entre les parties 11. A proprement parler, elles ne constituent donc pas des créances. Le bénéficiaire ne détient aucun droit, dont il peut requérir l’exécution en justice. Il est tout à fait incertain de savoir si ces espérances donneront lieu un jour à une créance et, le échéant, dans quelle mesure 12. Elles sont donc considérées comme insaisissables, car dépourvues de toute valeur de réalisation 13.

8 mathey, p. 111, N 213 et p. 112, N 217 ; A. staehelin (Grenzbereich), p. 26 ss.9 sur cette problématique, cf. surtout A. staehelin (Grenzbereich), p. 28 ss.10 sur la saisissabilité des divers equitable interests dans un trust, cf. infra p. 227 ss.11 Gilliéron (Commentaire), N 18 ad art. 92 LP. Cf. aussi marville, p. 84, N 87 : “Quand

diverses exigences de l’hypothèse complexe d’un droit sont concrétisées sans que la position juridique de l’acquéreur apparaisse assurée, notamment parce qu’elle dépend d’une manifestation unilatérale de volonté de l’aliénateur, il s’agit simplement d’une espérance (‘erwartung’ ou ‘erwerbsaussicht’).” 

12 Gani, p. 81 ; Gilliéron (Commentaire), N 18 ad art. 92 LP ; Jaeger, N 10 ad art. 92 LP ; mathey, p. 112, N 216. Contra : marville, p. 84, N 87 : “il est erroné de pré-tendre que les expectatives ou les espérances n’ont pas de valeur patrimoniale ac-tuelle. s’agissant d’une donnée économique, seul le marché est susceptible de fournir une telle indication.”

13 Fritzsche / Walder, p. 352, N 97 ; Gani, p. 81 ; Jaeger, N 10 ad art. 92 LP.

214 Aude Peyrot

Il en va ainsi, selon la jurisprudence et la doctrine, des espérances suc-cessorales avant le décès du de cujus 14. Le Tribunal fédéral a en effet jugé que les droits futurs d’un fils dans la succession de son père n’étaient pas sujettes à l’exécution forcée, quand bien même elles auraient été mises en gage avec l’assentiment du de cujus, comme le permet l’art. 636 CC. Il faut bien admettre qu’avant le décès, l’héritier légal n’a point de créances à faire valoir contre le testateur. Il n’a aucun droit à ce que celui-ci conserve la substance de son patrimoine : le testateur est libre de disposer de sa fortune comme il l’entend. Le droit futur revêt à ce titre un fort caractère aléatoire.

2. Les expectatives

L’expectative (Anwartschaft) désigne la créance dont la naissance est sou-mise à une condition suspensive 15. Avant l’avènement de celle-ci, le droit est dit imparfait et en état de suspension (Schwebezustand) ; il ne peut être invoqué en justice par son titulaire. La relation juridique entre les parties déploie néanmoins certains effets même pendant la période dite de sus-pension (Schwebezeit) : le débiteur doit notamment s’abstenir de tout acte qui pourrait compromettre l’obligation et le créancier peut requérir des mesures conservatoires en cas de mise en péril de son droit (cf. art. 152 CO) 16. Lorsque la condition se réalise, le droit devient parfait et donne lieu à une créance qui peut être exercée contre le débiteur. La notion d’expec-tative est souvent – mais non nécessairement 17 (ce qui donne du reste lieu à des confusions) – employée pour désigner des créances soumises à des conditions suspensives dont l’avènement est relativement vraisemblable, voire certain 18.

14 ATF 73 iii 149, JT 1948 ii 105 ; Gani, p. 81 ; P. Piotet (expectatives), p. 237.15 ehrat, N 3 ad art. 151 Co ; Gani, p. 81 ; Gauch / schluepp / schmid / rey, vol. 2,

p.  347, N 3995 ; Gilliéron (Commentaire), N 19 ad art. 92 LP ; Honsell, p. 67, N 12.01 ; schwenzer, p. 67, N 12.01 ; Von Tuhr / escher, p. 264.

16 engel (Traité), p. 857.17 Cf. notamment ATF 105 iii 4, JT 1980 ii 130, qui traite l’expectative comme une

créance conditionnelle incertaine. Cf. aussi Kren Kostkiewicz, N 5 ad art. 92 LP : “[…] Anwartschaften, d.h. rechtlich begründete, aber unsichere Aussichten auf einen künftigen Rechtserwerb.”

18 Foëx (Numerus clausus), p. 235 s., N 555 ; Gauch / schluepp / schmid / rey, vol. 2, p. 347, N 3995 ; Gilliéron (Commentaire), N 19 ad art. 92 LP ; Zobl (Anwartschaft),

p. 499 : “[w]irtschaftlich und rechtlich gesehen stellt die Anwartschaft somit ein qua-lifiziertes Entwicklungsstadium auf dem Wege zum Vollrecht dar.” Cf. aussi l’arrêt de

215Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

Lorsqu’il est question de sa réalisation forcée, il est généralement ad-mis qu’une expectative, au sens défini ci-dessus, constitue en principe un droit patrimonial doté d’une valeur de réalisation et revêt à ce titre un ca-ractère saisissable 19. Selon A. Von Tuhr et A. Escher : “[da] das bedingte oder bedingte erworbene Recht zum Vermögen des bedingt Berechtigten gehört, unterliegt es dem Zugriff seiner Gläubiger in der Vollstreckung und gehört zu seiner Konkursmasse.”20 Ce principe est notamment confirmé par les art. 264 al. 3 et 305 al. 3 LP. Il en va toutefois différemment lorsque le nombre et l’importance des obstacles à l’avènement de la condition sont tels que la détermination de la valeur de réalisation devient impossible 21. Dans ce cas, la créance condi-tionnelle est qualifiée d’ “expectative incertaine”, de “simple expectative” (“bloße Anwartschaft”), ou encore d’ “expectative de fait”. Elle est insai-sissable au même titre qu’une simple espérance 22. Selon la jurisprudence, cette solution se justifie par le fait que les biens du débiteur ne doivent pas être soumis à un gaspillage insensé 23. Cette règle sert l’intérêt du débiteur, mais aussi celui de ses créanciers futurs dont l’intérêt commande de ne pas dissiper par avance et à vil prix les expectatives du débiteur, qui intégre-ront plus tard son patrimoine et répondront de ses dettes futures 24. En pratique, il faut bien reconnaître que la distinction entre expec-tative certaine et incertaine peut être particulièrement malaisée. Selon la doctrine, le caractère saisissable doit en fin de compte être établi sur une base empirique : la réponse est fonction de la possibilité d’attribuer une valeur de réalisation approximative à la créance conditionnelle 25. Un tel critère est certes peu compatible avec la sécurité juridique, mais il s’impose à défaut de pouvoir établir une règle unique d’application générale, au vu de la notion vague d’expectative et de la multitude de situations qu’elle recouvre.

l’Autorité de surveillance en matière de poursuites et faillites du canton de Berne du 24 février 1999, publiée in BlschK 2001, pp. 10-12.

19 ATF 53 iii 31 ; engel (Traité), p. 856 ; ehrat, N 8 ad art. 151 Co ; Gani, p. 82 ; mathey, p. 113, N 219 ; Pichonnaz, N 44 ad art. 151 Co ; A. staehelin (Grenzbereich), p. 30 ; Von Tuhr / escher, p. 269.

20 Von Tuhr / escher, p. 269.21 Gilliéron (Commentaire), N 20 ad art. 92 LP ; A. staehelin (Grenzbereich), p. 30 ;

Vonder mühll, N 2 ad art. 92 LP.22 Gani, p. 82 ; Jaeger, N 10 ad art. 92 LP ; mathey, p. 113, N 219.23 ATF 97 iii 23, JT 1971 ii 103.24 A. staehelin (Grenzbereich), p. 27 ; Vonder mühll, N 2 ad art. 92 LP. 25 Gilliéron (Commentaire), N 20 ad art. 92 LP.

216 Aude Peyrot

Selon la jurisprudence, constitue une expectative incertaine non sai-sissable le livret d’épargne, alimenté par l’employeur et l’employé, affecté à des buts de prévoyance professionnelle et dont on ne sait ni si ni quand l’employé pourra librement disposer 26. Constitue également une simple expectative, voire une simple espérance, les recettes futures générées par des rencontres sportives à venir, dans la mesure où ni le nombre, ni l’iden-tité des spectateurs (i.e. des débiteurs de la créance future) ne sont connus, et ce nonobstant le fait que les dates et les lieux seraient déjà déterminés 27.

3. Les créances dont l’exigibilité est soumise à un terme

Les créances dont l’exigibilité est soumise à un terme sont les moins aléa-toires des créances futures. De telles créances existent déjà. Seule leur exi-gibilité est reportée dans le temps et dépend d’un événement futur dont la survenance est certaine (par opposition à une condition dont l’avènement est incertain) 28. Le terme peut être fixe (dies certus quando), à l’exemple d’un jour du calendrier, ou il peut correspondre à un événement qui ad-viendra tôt ou tard sans que l’on ne puisse dire exactement quand (dies incertus quando), à l’instar du décès d’une personne 29. Dans la mesure où elles existent déjà, ces créances font partie du patrimoine du débiteur. Elles revêtent une valeur de réalisation évidente et sont corollairement saisis-sables si toutes les autres conditions sont satisfaites 30. Les éventuelles dif-ficultés liées à l’incertitude quant au moment de la survenance du terme peuvent être au besoin résolues par une estimation de la valeur à l’échéance la plus lointaine 31. Relève, selon la jurisprudence, de ce type de droits la

26 ATF 97 iii 23, JT 1971 ii 103.27 Arrêt de l’Autorité de surveillance en matière de poursuites et faillites du canton de

Berne du 24 février 1999, publiée in BlschK 2001, pp. 10-12.28 sur la notion de terme, cf. Von Tuhr / escher, p. 46. 29 engel, p. 624 ; Von Tuhr / escher, p. 46.30 ATF 99 iii 52, JT 1974 ii 116, cons. 3 ; ATF 64 iii 181 ; ATF 55 iii 187 ; ochsner, N 51

ad art. 92 LP, qui fait état de “créances futures certaines” ; A. staehelin (Grenzbe-reich), p. 29 : “Die noch nicht fällige (betagte) Forderung gilt im allgemeinen als bereits entstanden. Auf jeden Fall rechtfertigt es sich, die noch nicht fällige Forderung wie ein gegenwärtiges Vermögensstück der Pfändung und Admassierung zu unterwerfen.” Cf. aussi dans ce sens Gilliéron (Commentaire), N 20 ad art. 92 LP, qui admet quant à lui la saisissabilité de créances dont l’exigibilité n’est pas simplement soumise à un terme mais à une condition.

31 ATF 99 iii 52, JT 1974 ii 116, cons. 4.

217Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

créance contre une institution de prévoyance, dont seul le terme (i.e. le moment où la prestation sera due à l’assuré) est incertain 32.

c. Troisième condition : le droit n’est pas incessible

1. en général

La saisie d’un droit est généralement exclue si ce dernier est incessible se-lon le droit matériel 33. En effet, selon un principe jurisprudentiel établi de longue date, un droit qui ne peut être cédé à titre volontaire ne peut pas davantage être transféré à un tiers sur la base d’une réalisation forcée. Le Tribunal fédéral a établi ce postulat en 1897 dans la cause Kocher 34 et l’a réaffirmé à plusieurs reprises par la suite 35. Selon la doctrine, cette règle trouve sa justification dans le fait que l’exclusion de la cessibilité ne peut être atteinte que si cette dernière empêche simultanément sa saisie, le droit devant être incessible à tous points de vue 36. Le lien entre la cessibilité et la saisissabilité a été abondamment exa-miné entre la fin du XIXe et la seconde moitié du XXe siècle en particu-lier par la doctrine française et, dans une moindre mesure, par la doc-trine suisse 37. Le droit français, à tout le moins tel qu’il existait à l’époque, prône un rapport particulièrement étroit, voire une nécessaire corrélation, entre les concepts de cessibilité et de saisissabilité 38. Le droit suisse est

32 ATF 99 iii 52, JT 1974 ii 116, cons. 3. In casu, à teneur du règlement du fonds, la pres-tation de prévoyance constituait une créance en mains du bénéficiaire même avant sa sortie du fonds, son décès ou son invalidité, celle-ci pouvant être mise en gage ou servir à compenser un prêt hypothécaire.

33 Gani, p. 84 s. ; Gilliéron (Commentaire), N 24 ad art. 92 LP ; mathey, p. 19, N 2. 34 ATF 23 i 420.35 ATF 84 iii 21, JT 1958 ii 16 ; ATF 60 iii 224 (fr.), JT 1935 ii 63 ; ATF 39 i 261, JT 1913 ii

91 ; ATF 24 i 392 (fr.).36 schneebeli, p. 66. 37 Cf. les nombreux ouvrages français cités dans la bibliographie de schneebeli. en

suisse, outre l’auteur précité, cette thématique a été développée par reichlin.38 Cf. schneebeli, p. 65, en particulier l’arrêt de la Cour de cassation française de 1863

cité : “Considérant que l’insaisissabilité des biens donnés est une conséquence natu-relle, logique et légale de leur inaliénabilité ; qu’en effet, les créanciers du donataire ne sauraient exercer un droit qui n’appartient pas à leur débiteur, lequel ne peut pas être admis à faire par autrui ce qu’il ne lui est pas permis de faire lui-même ; qu’autrement, par une collusion trop facile, il pourrait rendre vaines et illusoires les sages précautions prises soit dans son intérêt propre, soit dans celui du donateur […].”

218 Aude Peyrot

moins absolu en la matière. Comme nous le verrons ci-après, la règle se-lon laquelle l’incessibilité d’un droit emporte son insaisissabilité s’applique lorsque l’incessibilité résulte de la loi ou de la nature de l’affaire (ci-après 2 et 3), mais elle ne vaut plus lorsque l’incessibilité résulte d’un acte privé (ci-après 4). Par ailleurs, même dans les deux premiers cas, elle est soumise à certaines limitations.

2. incessibilité résultant d’une norme légale

Certains droits sont rendus incessibles par des prescriptions de droit civil 39. Lorsque l’incessibilité repose sur le caractère strictement personnel du droit, elle entraîne son insaisissabilité. En effet, selon L. Gani, “ces droits pourraient difficilement être transférés à une personne autre que leur ti-tulaire ; ils ne sont dès lors pas considérés comme des biens patrimoniaux, car, n’étant pas susceptibles d’appropriation ou d’échange, ils ne font pas partie du patrimoine répondant des dettes du débiteur”40. En revanche, de l’avis de certains auteurs, si le droit est déclaré inces-sible par la loi pour un autre motif que sa nature hautement personnelle, il n’est pas nécessairement insaisissable 41. Il se peut en effet que la loi entende uniquement restreindre les aliénations volontaires et irréfléchies du droit par son titulaire, mais non sa saisie et sa réalisation en faveur des créan-ciers. L’on peut citer en exemple le cas des salaires futurs, dont la cession est interdite par l’art. 325 CO (sauf pour garantir une obligation d’entretien), alors que la saisie est autorisée aux conditions de l’art. 93 LP 42. Ce point de vue fait exception au principe qui voudrait que l’incessibilité légale d’un droit emporte son insaisissabilité. On relèvera que cette problématique a

39 Tel est notamment le cas de l’art. 776 al. 2 CC (droit d’habitation), de l’art. 681 al. 3 CC (droits de préemption légaux), de l’art. 758 al. 1 CC (droit d’usufruit strictement personnel), de l’ancien art. 93 al. 2 CC (prétention à la réparation du tort moral en cas de rupture de fiançailles), ou de l’art. 331b Co (créance en prestations de prévoyance futures). Cf. par ailleurs les cas cités par Probst, N 30 ad art. 164 Co et Girsberger, N 28 ad art. 164 Co.

40 Gani, p. 84 s.41 A. staehelin (Grenzbereich), p. 5 s. ; Vonder mühll, N 7 ad art. 92 LP.42 Cf. dans ce sens A. staehelin (Grenzbereich), p. 6, qui ne fait toutefois pas expressé-

ment référence à l’art. 325 Co.

219Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

été succinctement évoquée par la jurisprudence, mais à notre connaissance jamais clairement tranchée 43. Quant à la jurisprudence, elle a également formulé certaines restric-tions au principe susmentionné. Dans les affaires Bonhôte et Héritier Müller de 1938, le Tribunal fédéral a en effet jugé que l’incessibilité légale n’entraîne l’insaisissabilité que pour les créances dont la réalisation passe nécessairement par une aliénation effective à un tiers (vente aux enchères ou dation en paiement au sens de l’art. 131 al. 1 LP). En revanche, lorsque la valeur patrimoniale peut être réalisée sans aliénation, son incessibilité ne fait pas obstacle à sa saisie. Il en va ainsi pour toutes les prétentions qui sont réalisées via leur encaissement par l’office (art. 99 et 100 LP) 44, en particulier pour les salaires et pensions futurs. Cette solution jurispruden-tielle relativement ancienne a été également soutenue dans la doctrine plus récente. A. Staehelin et G. Vonder Mühll font en effet valoir que les droits incessibles qui peuvent être encaissés directement par l’office selon l’art. 100 LP ou qui peuvent être liquidés par un créancier conformément à l’art. 131 al. 2 LP sont en principe saisissables 45. Qu’en est-il d’une norme matérielle étrangère prévoyant l’incessibilité d’un droit ? Peut-elle faire obstacle à l’insaisissabilité de ce dernier dans une procédure d’exécution forcée suisse ? Le seul auteur qui ait évoqué cette question est, à notre connaissance, D. Staehelin. Selon lui, si la question de la cessibilité d’un droit ressortit à lex causae, il appartient in fine au droit suisse de déterminer si le droit incessible au regard de la loi étrangère est insaisissable dans la procédure suisse. Il réserve donc aux au-torités suisses la possibilité d’apprécier librement et de concrétiser ou non le cas d’incessibilité prévu par la loi étrangère 46.

43 Cf. ATF 64 iii 5, cons. 2, rés. JT 1938 ii 34, dans la cause Héritier Müller : “Ein ge-setzliches Abtretungsverbot hat zwar Geltung auch gegenüber dem Vollstreckungsrecht, anders als ein bloß rechtsgeschäftlicher Ausschluss der Abtretung, der die auf öffent-lichem Recht beruhende Vollstreckungsgewalt nicht auszuschalten vermöchte. Jedoch fragt sich zunächst, ob nicht das vorliegende Abtretungsverbot sich entsprechend dem Schutzweck der Bestimmung lediglich gegen Abtretungsgeschäft des Pensionsberechtig-ten selbst richtet, wodurch Maßnahmen der Vollstreckungsbehörden nicht betroffen würden, [...].” 

44 ATF 64 iii 1 (fr.) ; ATF 64 iii 5, rés. JT 1938 ii 34. Ainsi, dans la cause Bonhôte, le Tribu-nal fédéral a admis la saisissabilité d’une pension de retraite en conformité à l’art. 93 LP, quand bien même le droit cantonal avait exclu sa saisissabilité.

45 A. staehelin (Grenzbereich), p. 7 s. ; Vonder mühll, N 7 ad art. 92 LP. 46 D. staehelin (Zuständigkeit), p. 277.

220 Aude Peyrot

3. incessibilité résultant de la nature de l’affaire

En dehors de toute base légale, la nature de l’affaire peut également entraî-ner l’incessibilité d’un bien ou d’un droit (cf. art. 164 al. 1 CO). Sans sur-prise, un tel caractère incessible est attribué par la jurisprudence aux droits essentiellement personnels qui sont inséparables de leur ayant droit quant à leur existence et leur exécution. Il est en effet considéré que le transfert modifierait le genre, l’objet ou le but de l’obligation. Quant à la saisissa-bilité, il est relativement logique que le droit qui est incessible de par sa nature ne puisse corollairement être saisi 47. A notamment été déclarée insaisissable parce qu’intransmissible la contribution due par la femme séparée de biens à son époux pour sa part aux charges du ménage en vertu de l’ancien art. 246 CC. Cette obligation n’existe qu’à l’égard du mari et ne peut être réclamée que par lui, de sorte que s’il renonce à l’exiger, les créanciers ne peuvent se substituer à ce der-nier, à moins que la dette se rapporte à l’entretien du ménage commun 48. En revanche, dans la cause Zingre de 1934, le Tribunal fédéral a admis, sur le principe, la saisissabilité d’une promesse de vente considérant que celle-ci était cessible en raison de sa nature juridique 49.

4. incessibilité résultant d’une convention privée

Conformément à l’art. 164 al. 1 CO, une convention privée peut exclure la cessibilité d’un droit 50. Toutefois, un tel acte privé n’emporte pas pour au-tant, à titre corollaire, son insaisissabilité, et ce contrairement à ce qui pré-vaut pour les cas d’incessibilité prévus par la loi ou découlant de la nature de l’affaire. Cette solution, conforme à l’esprit du droit de l’exécution forcée suisse, découle de la jurisprudence 51. Elle est confirmée par la doctrine 52.

47 ATF 127 V 439 (fr.), cons. 2b ; ATF 109 ii 445, JT 1984 i 206, cons. 2. 48 ATF 39 i 261, JT 1913 ii 91.49 ATF 60 iii 224 (fr.), rés. JT 1935 ii 63.50 Art. 164 al. 1 Co : “Le créancier peut céder son droit à un tiers sans le consentement

du débiteur, à moins que la cession n’en soit interdite par la loi, la convention ou la nature de l’affaire.”

51 Cf. notamment ATF 84 iii 21, JT 1958 ii 16 ; ATF 72 iii 77, JT 1946 ii 43, cons. 2 ; ATF 64 iii 5, cons. 2, rés. JT 1938 ii 34 et l’extrait cité supra sous note 43.

52 A. staehelin (Grenzbereich), p. 5 s. ; reutter, p. 342 s. ; Vonder mühll, N 9 ad art. 92 LP ; Von Tuhr / escher, p. 350 s. L’on relèvera que l’opinion inverse a été

221Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

Dans un arrêt de 1958, le Tribunal fédéral jugea qu’un acte privé, in casu les statuts d’une société, étaient inaptes à exclure la saisissabilité d’un droit. Les faits succincts de l’arrêt sont les suivants. En août 1957, l’office des poursuites de Winterthour saisit la part du débiteur dans une société coopérative et requit du débiteur qu’il lui remette les certificats relatifs à ses parts. Le débiteur porta plainte contre cette requête, de même que contre la saisie elle-même. Il invoquait le fait que les statuts de la société coopérative interdisaient la cession et le nantissement des certificats, de sorte que ces derniers étaient insaisissables. Il fut débouté par les deux ins-tances cantonales, ainsi que par le Tribunal fédéral. Confirmant la décision de l’instance inférieure, celui-ci fit valoir ce qui suit : “l’Autorité supérieure de surveillance, aux motifs de laquelle il y a lieu de se reporter, a très juste-ment relevé que, […], un bien, qu’il soit corporel ou incorporel, ne pouvait être soustrait à la saisie en vertu d’une convention privée et en particulier qu’un droit ne devient pas insaisissable du fait qu’un contrat ou les statuts d’une personne morale le déclareraient incessible ou non susceptible d’être donné en gage”53. Ainsi, sous réserve du cas de l’ancien art. 519 al. 2 CO que nous verrons au point D, l’incessibilité en tant que cause de l’insaisissabi-lité ne peut résulter que de la loi ou de la nature du droit. Par ailleurs, dans la cause Wieser de 1946, le Tribunal fédéral jugea qu’un légataire ne peut opposer à ses créanciers une disposition testa-mentaire l’interdisant de disposer des droits patrimoniaux légués avant d’avoir atteint un certain âge, car ce serait créer une catégorie de droits patrimoniaux absolument ou relativement insaisissables non prévus par les art. 92 et 93 LP 54. Les faits, qui ne sont pas sans rappeler la problé-matique du spendthrift trust 55, sont les suivants. Sur requête d’un créan-cier, les offices des poursuites de Zurich et Lugano saisirent auprès de la Banque cantonale de Zurich des obligations hypothécaires d’une valeur de Frs 13 000, ainsi qu’une créance de Frs 637.30 du débiteur poursuivi contre la Banque, sous la forme d’un carnet d’épargne. Cette dernière fit valoir que ces biens étaient grevés d’un droit de gage à concurrence de Frs 2000

soutenue par reichel, p. 68, qui tient pour insaisissable en vertu du droit civil les droits patrimoniaux dont la saisissabilité a été exclue par une déclaration de volonté entre vifs ou pour cause de mort.

53 ATF 84 iii 21, JT 1958 ii 16.54 ATF 72 iii 77, JT 1946 ii 43.55 sur le spendthrift trust, cf. supra p. 200 ss.

222 Aude Peyrot

et constituaient pour le surplus un legs en faveur du poursuivi, dont ce dernier ne pouvait disposer avant ses 25 ans. La Banque refusa dès lors de les délivrer à l’office. Ces valeurs furent néanmoins vendues aux enchères publiques et adjugées à l’un des créanciers poursuivants pour une somme de Frs 2500. La vente fut remise en cause par plainte d’une autre créancière poursuivante. Le Tribunal fédéral fit droit à la plainte et constata que la vente était nulle. Les obligations hypothécaires étaient des papiers-valeurs et, comme tels, sujets à l’art. 129 LP (réalisation de biens meubles). A ce titre, ils au-raient dû être remis à l’adjudicataire contre versement du prix comptant lors de la vente. Or, l’office ne disposant pas de ces papiers-valeurs – vu le refus de la Banque de les remettre –, il n’avait vendu que le droit d’obte-nir leur délivrance, lequel n’était pas susceptible de réalisation. Quant au carnet d’épargne, dans la mesure où il ne constituait pas un papier-valeur mais une simple créance, il aurait pu être réalisé par la voie suivie par l’of-fice. Mais parce qu’il avait été réalisé en bloc avec le droit à la délivrance des obligations hypothécaires, la vente était également nulle sur ce point. Quant à la Banque, le Tribunal fédéral constata qu’elle ne pouvait se re-trancher derrière la restriction prévue par le testament pour refuser de délivrer à l’office les biens saisis. A propos de ce dernier, il fut relevé ce qui suit : “Les erreurs qu’il a commises par la suite sont dues au refus de la Banque de délivrer le legs dont elle était l’administrateur avant que le légataire ait atteint l’âge de vingt-cinq ans fixé par le testament. Mais un tel refus supposerait que le testateur eût le droit de créer des catégories de biens absolument ou relativement insaisissables non prévues par la loi. Or les art. 92 et 93 LP indiquent quelles sont les catégories de biens insaisis-sables et aucune d’elles ne comprend les biens qui ont fait l’objet de legs. La restriction imposée par le testateur au droit de disposition du légataire ne saurait en particulier être considérée comme un usufruit au sens de l’art. 93 LP ni comme une rente viagère au sens de l’art. 92 al. 1 ch. 7 LP. La Banque Cantonale de Zurich ne peut par conséquent se retrancher derrière la restriction prévue par le testament pour se soustraire à l’obligation de délivrer les biens saisis (art. 98 LP).”56

Il ressort clairement de ces deux arrêts que le droit suisse de l’exécu-tion forcée ne tolère pas que la saisissabilité d’un droit soit exclue par un

56 ATF 72 iii 77, JT 1946 ii 43, cons. 2.

223Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

acte privé. La doctrine est également d’avis qu’une exclusion contractuelle de la cessibilité d’une créance ne peut faire obstacle à l’attraction de cette dernière dans l’exécution forcée 57. A défaut, les parties seraient libres de déterminer de façon autonome la saisissabilité des valeurs patrimoniales et leur inclusion dans la masse en faillite. Une telle autonomie privée est exclue, l’exécution forcée revêtant dans cette mesure un caractère im pé-ratif. M. Reutter relève à cet égard : “Vertragliche Vereinbarungen können im Rahmen der Zwangsvollstreckung ganz allgemein dann keine Beach-tung finden, wenn sie direkt oder indirekt zu einer Derogierung materiellen Zwangsvollstreckungsrechts führen würden. Das Zwangsvollstreckungsrecht ist insofern zwingender Natur.”58 Dans une logique purement interne, une telle règle ne fait aucun doute. Comme on l’a vu, l’ordre juridique suisse accepte certaines exceptions au principe de la responsabilité personnelle et illimitée, mais non pas une intrusion aussi directe de la volonté privée dans une matière aussi strictement réglementée que l’exécution forcée. On relèvera en outre sur le plan du droit des obligations que l’un des cocon-tractants peut certes s’obliger à ne pas transférer l’objet du contrat à un tiers, mais en vertu du principe de la relativité des conventions la clause d’incessibilité est sans effet à l’égard des tiers 59. Il ressort de ce qui précède que l’exclusion de l’autonomie privée dans la question de l’insaisissabilité doit être considérée comme relevant du droit impératif.

D. quatrième condition : le droit n’est pas insaisissable

1. en général

En principe, le débiteur est responsable de ses dettes sur l’entier de son pa-trimoine en vertu du principe de la responsabilité personnelle et illimitée

57 reutter, p. 342 s. ; A. staehelin (Grenzbereich), p. 5 s. ; Vonder mühll, N 9 ad art. 92 LP ; Von Tuhr / escher, p. 350 s.

58 reutter, p. 342 s. ; A. staehelin (Grenzbereich), p. 5 : “Rechte können gepfändet oder admassiert und durch Veräußerung verwertet werden, auch wenn sie durch Vereinba-rung als unübertragbar erklärt worden sind. Zum Schutz der Gläubiger ist nämlich von Bundesrechts wegen zwingend vorgeschrieben, dass der Schuldner mit seinem ganzen Vermögen haftet. Ausnahmen bedürfen einer gesetzlichen Grundlage, wie sie z.B. in den Bestimmungen von SchKG Art. 92 und 93 (Kompetenzstücke) enthalten ist.”

59 reichel, p. 50 s.

224 Aude Peyrot

à la base du droit suisse de l’insolvabilité. Le principe connaît toutefois certaines exceptions énumérées par le législateur fédéral à l’art. 92 LP, ainsi que dans d’autres normes éparses du droit fédéral (cf. notamment les dis-positions réservées par l’art. 92 al. 4 LP) 60. Ces exceptions sont pour la plupart dictées par des considérations morales, sociales ou économiques 61. L’art. 92 LP établit la liste des biens absolument insaisissables, tandis que l’art. 93 LP traite des biens relativement saisissables, c’est-à-dire qui ne peuvent être saisis qu’à concurrence d’une certaine somme et pour une période limitée dans le temps.

2. inobservation des normes d’insaisissabilité étrangères

L’énumération des biens insaisissables est une prérogative exclusive du lé-gislateur fédéral. Sous réserve de certaines exceptions 62, les cas d’insai-sissabilité directe ne peuvent être établis hors de ce cadre. Notamment, les immixtions directes du droit étranger ne sont en principe pas tolérées. Dans la cause Degrandi de 1898, le Tribunal fédéral jugea que les normes d’insaisissabilité prévues par une loi étrangère ne déploient pas d’effets sur le territoire suisse. In casu, il refusa de mettre en œuvre une norme italienne déclarant l’insaisissabilité de carnets de la Caisse d’épargne pos-tale italienne. Il constata qu’une telle règle était induite par des motifs de droit public, de politique sociale ou d’ordre administratif. Or, la question de savoir si de telles considérations pouvaient limiter le droit des créanciers de saisir les biens du débiteur devait être tranchée exclusivement d’après le droit suisse. En l’espèce, il constata que le droit suisse ne reconnaissait pas l’insaisissabilité des livrets de Caisse d’épargne sociale, de sorte que ceux-ci pouvaient donc être valablement saisis dans le cadre d’une pour-suite entreprise sur le territoire suisse 63. Il faut appréhender cette décision avec la prudence usuelle qui s’im-pose à l’égard des décisions anciennes. Cela est d’autant plus vrai que le Tribunal fédéral ne semble pas avoir eu l’occasion de confirmer le prin-

60 Cf. notamment les art. 79 al. 2 et 80 LCA.61 Amonn / Walther, p. 167, N 12 ; Vonder mühll, N 3 ad art. 92 LP.62 L’insaisissabilité de certains biens est établie sur la base d’une convention internatio-

nale (par ex. navires d’etats). 63 ATF 24 i 392 (fr.).

225Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

cipe établi dans cet arrêt, de sorte que ce dernier reste, à notre connais-sance, l’unique source jurisprudentielle du postulat de l’inobservation des normes d’insaisissabilité étrangères. Cet arrêt conserve néanmoins à notre avis son actualité et sa pertinence. On relèvera notamment qu’il est in-voqué par la doctrine actuelle, même si elle est particulièrement rare sur le sujet 64. A l’appui de cet arrêt, D. Staehelin fait valoir que les normes d’insaisissabilité étrangères constituent des règles de nature procédurale qui, comme telles, n’ont pas force dans l’exécution forcée suisse, et ce même lorsqu’elles sont incorporées dans une loi matérielle 65. Elles ne se rapportent pas à la relation juridique elle-même, mais à l’éviction du droit patrimonial de la procédure d’exécution forcée qui est l’apanage du légis-lateur suisse 66.

3. inobservation des conventions privées stipulant l’insaisissabilité

L’insaisissabilité en tant que telle ne peut résulter de la volonté privée. A défaut, cela signifierait qu’un individu pourrait délibérément soustraire un bien à l’exécution forcée, ce que le droit suisse exclut de façon impérative 67. Cela vaut tant à l’égard du débiteur lui-même qu’à l’égard des tiers qui auraient effectué en sa faveur une donation entre vifs ou une disposition pour cause de mort (par ex. legs), en imposant simultanément une res-triction directe ou indirecte à la saisissabilité. La cause Wieser a en ef-fet été l’occasion de rappeler qu’un testateur n’est pas admis à créer des catégories de biens absolument ou relativement insaisissables non prévues par la loi 68. Il est intéressant de relever que le droit suisse a tout de même connu pendant une période relativement longue de son histoire une norme per-mettant à la volonté privée d’imposer l’insaisissabilité d’un droit. L’ancien art. 519 al. 2 CO prévoyait en effet que celui qui constitue à titre gratuit une rente viagère en faveur d’un tiers a le droit de stipuler son insaisissabilité à l’égard de ses créanciers. Dans le prolongement de cette norme, l’ancien art. 92 al. 1 ch. 7 LP excluait la saisissabilité des rentes viagères stipulées

64 Gilliéron (Commentaire), N 30 ad art. 92 LP ; D. staehelin (Zuständigkeit), p. 277.65 D. staehelin (Zuständigkeit), p. 277.66 D. staehelin (Verfügungen), p. 133, n. 30.67 Cf. supra p. 223.68 ATF 72 iii 77, JT 1946 ii 43. Cf. supra p. 221 s.

226 Aude Peyrot

insaisissables en vertu de ladite norme. Cette disposition fut la seule du droit suisse à autoriser un cas d’insaisissabilité directement fondée sur l’autonomie privée. Selon A. Reichel, l’ancien art. 519 al. 2 CO reposait sur l’idée que le créancier poursuivant ne souffrait en réalité aucun désavantage du fait de l’insaisissabilité, dans la mesure où l’acquisition de la rente était inter-venue à titre gratuit sans amoindrissement du patrimoine du débiteur. A défaut d’autorisation de la loi de déclarer la rente incessible, le donateur se serait tout simplement abstenu de la constituer69. Cette justification n’est pas sans rappeler celle qui est avancée à l’égard des spendthrift trusts 70. Il est intéressant de voir que les motivations se rejoignent par delà les ordres juridiques et les caractéristiques de l’institution en cause. L’ancien art. 519 al. 2 CO fut toutefois interprété de façon particulière-ment restrictive chaque fois qu’il en fut question dans la jurisprudence 71. Le Tribunal fédéral refusa notamment de l’appliquer par analogie à des institutions poursuivant un but plus ou moins équivalent. La règle fut décrite par notre haute Cour comme “exceptionnelle”, tant d’un point de vue formel que matériel : “au point de vue formel, parce qu’ici la saisis-sabilité ou l’insaisissabilité ne dépend pas, comme en général, d’un cri-tère objectif, mais de la volonté subjective d’un tiers (le constituant de la rente) ; au point de vue matériel, parce que, contrairement au principe à la base des art. 92 et 93 LP, le créancier peut être ainsi forcé, suivant les cir-constances, de laisser à son débiteur plus que ce qui lui est indispensable, soit absolument nécessaire, à son entretien et à celui de sa famille. Une disposition aussi exceptionnelle doit, cela va sans dire, être interprétée strictement […].” 72

Déjà largement restreinte dans sa portée, la disposition précitée fut for-mellement abrogée par la révision de la LP de 1994. L’ancien art. 92 al. 1 ch. 7 LP fut simultanément reformulé pour stipuler uniquement l’insaisissabilité du droit principal (Stammrecht) à la rente viagère, les rentes elles-mêmes étant au contraire relativement saisissables au sens de l’art. 93 LP. Le Message relatif à cette révision révèle que l’intention du législateur fut d’ “empêcher que la personne qui touche une rente élevée, même si celle-ci a été consti-

69 reichel, p. 57.70 sur la justification des spendthrift trusts, cf. supra p. 200 ss.71 Cf. notamment ATF 120 iii 121, JT 1997 ii 84 ; ATF 70 iii 65 ; ATF 51 iii 171, JT 1926

ii 77.72 ATF 51 iii 171, JT 1926 ii 77 cons. 1. Cf. aussi ATF 38 i 212, JT 1912 iii 51.

227Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

tuée par un tiers à titre gratuit, puisse, grâce à ces rentrées de fonds, mener un train de vie dispendieux alors que ses créanciers n’ont rien obtenu.” 73 Il n’est pas inintéressant de relever que la règle selon laquelle l’incessi-bilité vaut insaisissabilité a été développée à l’origine par A. Reichel sur la base de l’art. 521 CO et de l’ancien art. 92 al. 1 ch. 7 LP, celui-ci consi-dérant, d’une part, qu’ils constituaient la preuve que le droit civil pouvait également être source d’insaisissabilité et, d’autre part, qu’en édictant ex-pressément ces dispositions le législateur n’avait pas voulu exclure d’autres cas d’insaisissabilité issus du droit civil 74. La règle a donc été adoptée sur la base d’une application extensive d’une disposition dont la jurisprudence a, en réalité, toujours voulu restreindre la portée. Ces considérations dé-montrent une fois de plus que le droit suisse n’admet pas l’immixtion de la volonté privée dans le droit de l’exécution forcée, en particulier dans la détermination de la saisissabilité.

II. La saisissabilité de l’equitable interest à la lumière du droit suisse

Après avoir examiné au chapitre 6 (cf. supra p. 183 ss) la nature et les ca-ractéristiques de certains equitable interests dans un trust (fixed interest, contingent interest, discretionary interest), puis développé, au point précé-dent, les conditions sous-jacentes à la saisissabilité en droit suisse (cf. supra p. 211 ss), il est désormais temps de combiner ces deux aspects et d’étudier ceux-là à la lumière de celles-ci. La question a été jusqu’ici très peu exami-née en doctrine 75.

A. Observations générales

L’equitable interest dont le bénéficiaire d’un trust dispose sur le fonds du trust peut être réalisé en faveur des créanciers du bénéficiaire, à condition

73 message (révision LP), p. 91.74 reichel, p. 57 s.75 Dans la doctrine suisse, à notre connaissance, seul Thévenoz (Trusts), pp. 80 à 86, y

a consacré quelques développements.

228 Aude Peyrot

i) qu’il constitue un droit patrimonial et ii) que ce dernier soit saisissable. L’existence d’un droit en faveur du bénéficiaire se détermine à la lumière de la loi applicable au trust, conformément à l’art. 8 § 2 lit. g & i de la Convention 76. Quant à la saisissabilité de ce droit, elle s’examine au re-gard du droit suisse selon les conditions que nous avons développées au point précédent. Pour mémoire, ces conditions sont les suivantes : le droit doit relever de la titularité juridique du débiteur et revêtir une valeur de réalisation ; il ne doit pas être incessible au regard du droit matériel et sa saisissabilité ne doit pas être exclue par une norme de l’exécution forcée. Nous ferons d’abord quelques observations générales qui sont com-munes aux types d’equitable interests auxquels nous avons limité notre analyse, puis examinerons aux points suivants la saisissabilité de chacun d’eux de façon plus spécifique (ci-après B à D). La condition de la titularité juridique du débiteur ne soulève pas de difficulté particulière 77. Elle se pose de la même façon pour tous les trusts. Elle implique que seul l’equitable interest du bénéficiaire, c’est-à-dire son droit à la remise de distributions (en revenus ou en capital) peut être mis sous main de justice, à l’exclusion du fonds du trust lui-même 78. Cela dé-coule logiquement du fait que les créanciers du bénéficiaire ne sauraient saisir plus de droits que le débiteur n’en a lui-même. Le fonds du trust, dans la mesure où il relève de la propriété juridique du trustee, n’est susceptible d’être appréhendé que dans le cadre d’une poursuite dirigée contre ce der-nier pour une dette du trust 79. La condition tirée de l’existence d’une valeur de réalisation est plus délicate. Elle peut sensiblement varier en fonction du caractère présent, futur ou conditionnel du droit. Aussi la question doit-elle être examinée de façon distincte pour chaque type de prérogative en cause. La condition de la cessibilité est généralement réalisée, puisqu’un equi-table interest est en principe librement aliénable en droit des trusts. L’on réservera à cet égard le cas du spendthrift trust, qui stipule des restrictions directes à l’aliénabilité 80. Celui-ci fera l’objet d’une analyse distincte 81. No-

76 Thévenoz (Trusts), p. 82.77 sur cette condition, cf. supra p. 212.78 Thévenoz (Trusts), p. 80.79 sur la poursuite pour les dettes du patrimoine d’un trust (art. 284a LP), cf. supra

p. 151 ss.80 Pour une présentation du spendthrift trust, cf. supra p. 200 ss. 81 A propos de la reconnaissance du spendthrift trust en suisse, cf. infra chapitre 8/iii,

p. 256 ss.

229Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

tons par ailleurs que des restrictions à la cessibilité peuvent découler du droit suisse. Comme exposé plus haut, sont notamment considérés comme incessibles par nature, et corollairement insaisissables, les droits éminem-ment personnels 82. Un equitable interest ne revêt toutefois pas, à notre avis, un caractère strictement personnel qui le rendrait incessible. Sa nature est, au contraire, essentiellement patrimoniale, puisqu’il consiste à procurer à son titulaire des avantages patrimoniaux sur le fonds du trust. Le fait qu’il repose par hypothèse sur un rapport de parenté ou un lien matrimonial avec le settlor n’y change rien. A défaut, cela signifierait que dans un trust familial, les droits des bénéficiaires seraient toujours incessibles et corol-lairement insaisissables, ce qui n’a pas lieu d’être et n’est du reste pas admis en droit anglo-américain 83. Enfin, un equitable interest ne tombe pas sous le coup d’une exclusion générale de la saisissabilité en droit des trusts. En effet, dans toutes les ju-ridictions de common law, l’equitable interest du bénéficiaire d’un trust est en principe soumis à réalisation forcée en faveur de ses créanciers, comme n’importe quel autre de ses biens, sous réserve des particularités du droit en cause 84. Ici encore, il convient de réserver le cas du spendthrift trust, qui comporte une restriction directe à la saisissabilité. Pour pouvoir être concrètement appréhendé dans une procédure d’exécution forcée suisse, la saisissabilité du droit ne doit au surplus pas être exclue au sens de l’art. 92 LP (insaisissabilité absolue). La question se pose en particulier pour le life interest qui présente des similitudes avec la rente viagère et qui peut ainsi potentiellement tomber sous le coup de l’art. 92 ch. 7 LP. Nous y revien-drons ci-après 85.

B. Le droit fixe non-conditionnel (fixed and vested interest)

Comme relevé dans le chapitre précédent 86, constitue un “droit fixe” le droit du bénéficiaire dont l’existence et les modalités sont déjà déterminées dans l’instrument du trust. Lorsqu’il est établi en faveur d’une personne

82 Cf. supra p. 218 s.83 Cf. supra pp. 188 et 191.84 Angleterre : maudsley (1978), p. 130. etats-unis : section 501 uniform Trust Code ;

restatement (Third) of Trusts § 56 ; restatement (second) of Trusts § 147 ; Bogert, p. 145. De façon générale : Thévenoz (Trusts), p. 80.

85 Cf. infra p. 231.86 sur la notion et les caractéristiques du droit fixe, cf. supra p. 185 ss.

230 Aude Peyrot

déjà née et qu’il n’est pas soumis à une condition suspensive (autre que l’extinction naturelle du droit précédent), il est qualifié de “vested”, ce qui signifie en substance qu’il n’est pas conditionnel. Au surplus, l’entrée en possession du droit fixe non-conditionnel peut être soit actuelle (possessory right), soit future (non-possessory right) 87. Un droit fixe non- conditionnel représente un droit patrimonial qui peut être pris en considération dans une procédure d’exécution forcée. La saisissabilité d’un fixed interest dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée suisse ne semble pas poser de problème particulier, les conditions posées par le droit suisse étant à première vue toutes réalisées. La réalisation forcée peut porter soit sur l’interest lui-même (ci-après 1), soit sur son exercice, i.e. sur les distributions auxquelles le droit de base donne lieu (ci-après 2) 88. Seule l’éventuelle application de l’art. 92 ch. 7 LP à un droit constitué sous la forme d’un life interest, de même que l’estima-tion de la valeur de réalisation d’un droit futur peuvent éventuellement poser problème et méritent une attention particulière 89. Ces aspects feront l’objet des développements qui suivent (ci-après 1/a et 1/b).

1. La réalisation forcée de l’interest lui-même

a. En général

En droit anglo-américain, la réalisation forcée peut porter en premier lieu sur l’equitable interest en tant que droit de base, soit concrètement sur le droit même du bénéficiaire à la remise d’avantages patrimoniaux issus du fonds du trust 90. Cette solution a néanmoins l’inconvénient de faire perdre au titulaire le bénéfice de son droit, de sorte qu’il lui est généralement pré-féré un procédé moins incisif, telle que la saisie des distributions futures. La vente de l’interest peut néanmoins être jugée appropriée en présence d’un droit futur dont le terme est lointain, car les créanciers encourent, à défaut, le risque de ne pas être désintéressés dans un laps de temps raisonnable 91.

87 sur l’interest in remainder, cf. supra p. 187.88 Cf. restatement (Third) of Trusts, § 56, cmt e. 89 sur la notion de “droit futur”, tel qu’employé dans cette étude, cf. supra p. 187.90 restatement (Third) of Trusts, § 56, cmt e ; cf. aussi Bogert, p. 148.91 Cette solution est celle qui prévaut selon le restatement (Third) of Trusts, § 56,

cmt e : “In some circumstances, the court may order a sale of the beneficiary’s interest and payment of the creditor’s claim from the proceeds. Sale may be appropriate when it

231Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

Ces principes, en tant qu’ils répondent à une logique d’efficacité et de proportionnalité de l’exécution forcée, doivent à notre avis être observés dans une procédure suisse. Dans la mesure du possible, il convient ainsi de privilégier un mode de saisie et de réalisation qui conserve au bénéficiaire le bénéfice de son droit, lequel pourra à nouveau lui profiter pleinement lorsque ses dettes auront été acquittées. En cas de poursuite individuelle et lorsque l’equitable interest donne lieu à des prestations régulières, la vente forcée du droit nous semble devoir être subsidiaire à la saisie des distribu-tions futures, laquelle sera examinée ci-après au point 2. Encore faut-il s’assurer qu’il n’existe pas, dans le cas d’espèce, de mo-tif d’insaisissabilité résultant du droit des poursuites suisse, en particulier au sens de l’art. 92 LP. Cette norme tient notamment pour absolument insaisissable le droit à la rente viagère (cf. art. 92 al. 1 ch. 7 LP). Or, cer-tains types de droits dans un trust peuvent présenter des similitudes avec la rente viagère. Tel est le cas du life interest qui constitue un droit via-ger aux revenus du trust, destiné à durer en principe toute la vie du bé-néficiaire (sous réserve d’une condition résolutoire) 92. Il convient dès lors de déterminer si le life interest tombe sous le coup de cette disposition. Comme l’indique L. Thévenoz, la norme suisse se réfère toutefois très spécifiquement aux “rentes viagères constituées en vertu des art. 516 à 520 CO”. Cette formule paraît exclure les droits créés en dehors de ce cadre juridique et donc notamment les equitable interests soumis à une loi étran-gère. Au surplus, en tant qu’elle prévoit une exception au principe général de la saisissabilité des biens du débiteur, la disposition doit être interprétée restrictivement 93. Le droit du bénéficiaire constitué sous la forme d’un life interest ne semble dès lors pas pouvoir bénéficier de l’exception de l’art. 92 al. 1 ch. 7 LP et demeure pleinement assujetti à l’exécution forcée.

b. Le cas du droit futur

Dans une perspective suisse, un droit fixe non-conditionnel futur (fixed, vested, non-possessory interest) peut être rangé dans la catégorie des droits

appears unlikely that the debt can be satisfied from distribution(s) within a reasonable time, particularly when the beneficiary’s interest is a future interest.”

92 sur le life interest, cf. supra p. 187 ss.93 Thévenoz (Trusts), p. 85.

232 Aude Peyrot

dont l’exigibilité est soumise à un terme 94. Il revêt à ce titre une certaine valeur de réalisation, ce qui justifie de le soumettre à la réalisation for-cée en faveur des créanciers du bénéficiaire même s’il faut s’attendre à ce que cette valeur décroisse à mesure que le terme est lointain. Comme déjà évoqué au point précédent, un droit futur a une vocation naturelle à être réalisé par le biais d’une vente aux enchères, lorsqu’il ne donne pas lieu à des prestations périodiques qui pourraient être saisies de façon à pouvoir désintéresser les créanciers dans un laps de temps raisonnable. Conformé-ment à la solution évoquée par le Tribunal fédéral, les éventuelles difficul-tés d’estimation du droit résultant de l’incertitude quant au moment de la survenance du terme peuvent être au besoin résolues par une estimation de sa valeur à l’échéance la plus lointaine 95.

2. La saisie des distributions futures

Le droit suisse fait la distinction entre le droit de base (Stammrecht dans la terminologie germanophone) et les produits auxquels il donne le cas échéant lieu. En fonction des circonstances, la réalisation forcée peut por-ter sur le premier ou sur les seconds, comme cela ressort de l’art. 93 LP 96. La question se pose de l’application de l’art. 93 LP à la saisie des distri-butions futures générées par l’equitable interest du bénéficiaire d’un trust. L’art. 93 al. 1 LP vise “tous les revenus du travail, les usufruits et leurs pro-duits, les rentes viagères, de même que les contributions d’entretien, les pensions et prestations de toutes sortes qui sont destinées à couvrir une perte de gain ou une prétention découlant du droit d’entretien, en parti-culier les rentes et indemnités en capital qui ne sont pas insaisissables en vertu de l’art. 92 LP”. P.-R. Gilliéron relève que l’art. 93 LP s’applique non seulement à l’usufruit stricto sensu, mais aussi à tous les revenus pro-venant d’un capital dont le poursuivi ne peut disposer pour une raison ou

94 A propos de ces droits, cf. supra p. 216 s.95 ATF 99 iii 52, JT 1974 ii 116, cons. 4 ; cf. supra p. 216.96 on distingue par exemple entre le droit à la rente viagère (déclaré insaisissable en

vertu de l’art. 92 al. 2 ch. 7 LP) et les rentes viagères elles-mêmes, qui sont saisis-sables pour une année sous réserve du minimum vital du débiteur (cf. art. 93 al. 1 et 2 LP). La distinction est également faite entre l’usufruit et ses produits (cf. le texte de l’art. 93 al. 1 LP). sur la question, cf. notamment Gilliéron (Commentaire), N 149 ss ad art. 92 LP.

233Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

pour une autre 97. Il faut ainsi inclure dans cette large définition les revenus perçus par le bénéficiaire d’un trust, puisque celui-ci ne peut précisément disposer du fonds du trust qui appartient juridiquement au trustee 98. L’on relèvera en outre que dans la cause Saunders de 1963 99, qui consti-tue l’une des premières décisions suisses impliquant un trust, le Tribunal fédéral a appréhendé la saisie des prestations perçues par le bénéficiaire d’un trust sous l’angle de l’art. 93 LP. Cette décision ne sera pas exposée ici dans le détail, vu le caractère incomplet et approximatif de l’exposé en fait. Ce dernier n’indique notamment pas de quel type de trust Margareth Saunders était la bénéficiaire, mais fait seulement valoir que les versements étaient irréguliers, ce qui ne suffit pas à déterminer avec certitude la na-ture de l’interest. Quoi qu’il en soit, si l’on ne peut percevoir cette décision comme un arrêt de principe en matière de saisie d’un equitable interest, l’on retiendra néanmoins la possibilité d’assujettir les revenus du trust à l’exécution forcée aux conditions de l’art. 93 LP, ce qui confirme la solution susmentionnée 100. Autrement dit, conformément à l’art. 93 al. 1 et al. 2 LP, lorsque la saisie porte sur les distributions futures, celles-ci peuvent être mises sous main de justice pour une année à compter de l’exécution de la saisie et sous dé-duction du montant indispensable au débiteur et à sa famille. Comme déjà indiqué, lorsqu’elle est possible et qu’elle paraît adéquate, la saisie des distributions futures doit généralement être préférée à la vente forcée de l’equitable interest lui-même, puisqu’elle permet de conserver au bénéficiaire le bénéfice de son droit une fois ses dettes liquidées 101. Une telle solution se justifie en particulier en présence d’un droit fixe (fixed in-terest) donnant lieu à des prestations régulières et immédiates sur le fonds du trust. L’on peut songer par exemple à un equitable interest qui confère à

97 Gilliéron (Commentaire), N 46 ad art. 93 LP. 98 Cf. Gilliéron (Commentaire), N 46 ad art. 93 LP.99 ATF 89 iii 12, rés. JT 1963 ii 40.100 Dans son considérant unique, l’arrêt précise que : “[p]eu importe à cet égard que le

versement effectif soit irrégulier et ne respecte pas toujours les échéances mensuelles. Cette particularité n’empêche pas la saisie, qui se réalisera lors de la perception des aliments. Le cas est analogue à celui où le débiteur ne gagne pas pendant un certain temps (ro 78-iii-128 sv). La seule conséquence est que la mesure ne produit pas son effet, et que l’on ne saurait donc punir la recourante, aussi longtemps que celle-ci ne peut s’acquitter du montant saisi, faute de recevoir les aliments.”

101 Cf. supra p. 230.

234 Aude Peyrot

son titulaire un droit aux revenus du trust pour une durée plus ou moins longue, voire jusqu’à son décès (life interest) 102. En application de l’art. 99 LP, lorsque le trustee est domicilié ou a son siège en Suisse, il appartient à l’office de lui notifier que, à compter de l’exé-cution de la saisie, il ne pourra s’acquitter des distributions qu’en ses mains, et non plus en celles du bénéficiaire. En revanche, si le trustee est situé à l’étranger, le bénéficiaire pourra être sommé de verser toute distribution qu’il aura perçue du trustee, sous la menace des peines de l’art. 292 CP 103.

c. Le droit conditionnel (contingent interest)

Le contingent interest constitue un droit conditionnel à des distributions du fonds du trust qui ne devient, le cas échéant, acquis au bénéficiaire que lors de la survenance de l’événement déterminé ou au moment de la nais-sance ou de l’identification de son titulaire 104. Seul le droit dont l’incerti-tude repose sur la réalisation d’un événement déterminé est pertinent au regard de l’exécution forcée, à l’exclusion du cas où le titulaire n’est pas encore né ou identifié, puisqu’un tel bénéficiaire ne peut logiquement faire l’objet d’une poursuite. Comme indiqué, la question de savoir si le droit conditionnel repré-sente un droit qui existe déjà et fait partie de son patrimoine se détermine à la lumière de la loi applicable au trust 105. Les solutions peuvent varier d’un ordre juridique à un autre. En droit américain, lorsque l’incertitude repose sur la survenance d’un événement déterminé, le droit condition-nel est généralement considéré comme existant et pourvu d’une valeur patrimoniale. La saisissabilité d’un contingent interest est corollairement admise sur le principe dans la majorité des Etats américains, mais peut être refusée si le prix de vente attendu est trop faible en raison d’une forte incertitude entourant la réalisation de la condition 106. L’on retrouve ici les mêmes difficultés qu’en droit suisse et de façon implicite la discussion sur les expectatives certaines et incertaines 107. Quant au droit anglais, on a vu qu’il est plus discret sur la question de savoir si un contingent in terest

102 sur la notion de life interest, cf. supra p. 187 s.103 ATF 89 iii 12, rés. JT 1963 ii 40.104 sur les caractéristiques du droit conditionnel, cf. supra p. 189 ss.105 Cf. supra p. 190.106 Cf. supra p. 191.107 sur ces notions, cf. supra p. 214 ss.

235Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

donne lieu à un véritable droit avant la survenance de la condition. La ces-sibilité et corollairement la saisissabilité d’un tel droit semblent néanmoins admises 108. Une analyse du droit étranger applicable au trust s’impose en tous les cas. En droit suisse, une expectative peut ou non être sujette à l’exécution forcée en fonction du degré plus ou moins certain de la réalisation de la condition 109. L’expectative certaine est en principe saisissable, tandis que l’expectative incertaine ne l’est pas. En application de ces règles, et sous réserve d’un examen de la loi applicable au trust quant à la nature du droit, le contingent interest, qui est sujet à une condition suspensive dont il est relativement certain qu’elle se réalisera, doit pouvoir être soumis à l’exécu-tion forcée. Concrètement, tout dépend de la possibilité de pouvoir déter-miner l’existence d’une valeur de réalisation suffisante 110.

D. Le “droit” discrétionnaire (discretionary interest)

La saisissabilité d’un discretionary interest dans une procédure d’exécu-tion forcée suisse dépend de la question de savoir s’il constitue un droit patrimonial. Cette question doit être déterminée à la lumière de la loi qui gouverne le trust, ce qui résulte de l’art. 8 § 1 lit. g et i de la Convention de La Haye 111. L’examen du droit étranger s’impose ainsi aux autorités suisses. La problématique se révèle à vrai dire particulièrement délicate dans l’optique d’un juriste helvétique. D’abord précisément parce qu’elle dépend de la solution prévue par le droit étranger, celle-ci pouvant varier selon les juridictions. Ensuite, parce que la nature d’un discretionary in-terest est controversée dans certains ordres juridiques, en particulier en droit anglais, de même – corollairement – que son sort dans la procédure d’exécution forcée dirigée contre le bénéficiaire. Comme on l’a vu plus haut, divers auteurs britanniques font valoir que le bénéficiaire d’un trust discrétionnaire ne possède qu’un simple espoir de

108 Quant à la cessibilité du droit, cf. Hayton, Hayton & marshall (1986), p. 222 ; oakley, megarry’s manual, p. 212. Au surplus, cf supra p. 190 s.

109 Cf. supra p. 214.110 Cf. aussi Thévenoz (Trusts), p. 81. 111 Thévenoz (Trusts), p. 81 : “il résulte de l’article 8, al. 2 lit. g et i de la Convention que

c’est la loi applicable au trust qui détermine si et depuis quand le bénéficiaire dispose d’un véritable droit à l’encontre du trustee.”

236 Aude Peyrot

recevoir des distributions, lequel ne se transforme en un véritable droit que lorsque le trustee exerce son pouvoir discrétionnaire en sa faveur 112. Ils en déduisent que l’expectative du bénéficiaire ne constitue pas un véritable droit patrimonial, à la différence d’un droit fixe 113. P.  Matthews attribue, au contraire, dans certains contextes, un tel caractère au discretionary in-terest détenu par un bénéficiaire individuel, en partant des diverses préro-gatives auxquelles il donne lieu 114. La tendance majoritaire qui se dessine semble toutefois aller dans le sens de la première solution. Cette différence de vues quant à la nature du discretionary interest se répercute sur l’appréhension du sort de l’interest dans l’exécution forcée anglo-américaine. De nombreux auteurs anglais et américains font valoir qu’une telle expectative, faute de constituer un véritable droit, ne peut être soumise à l’exécution forcée 115. G. Bogert résume la situation comme suit : “Therefore the nature of the trust gives the beneficiary no interest subject to assignment or to the claims of his creditors, before the time when the trustee has elected to pay or apply some of the property for the beneficiary. Alien-ation and attachment are prevented, not by an express prohibition in the trust instrument but by the character of the interest given the beneficiary.” 116

D’un avis divergent, P. Matthews fait valoir pour sa part que le discretion-ary interest du bénéficiaire insolvable, en tant que droit patrimonial, est transmis comme ses autres biens à l’administrateur de la faillite 117 (étant

112 sur le discretionary interest en droit anglo-américain, cf. supra p. 192 ss.113 Cf. notamment mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 8, N 1-08 ; oakley, Parker and

mellow, p. 43 s., N 2-010 ; Pearce / stevens, p. 459 ; sheridan, p. 166 s. Cf. aussi Thévenoz (Trusts), p. 81 : “L’interest du bénéficiaire d’un trust discrétionnaire (discre-tionary trust) reste une simple expectative en tant que le trustee reste libre, selon son appréciation souveraine (in his sole absolute discretion), de procéder ou non à une distribution en faveur dudit bénéficiaire. un droit patrimonial ne naît qu’au moment où le trustee a exercé ce pouvoir et décidé une distribution.”

114 matthews (From Obligation to Property), p. 212.115 en droit anglais : Conaglen [et al.], snell’s equity, p. 507 s., N 20-51 : “The benefi-

ciary thus has no more than a mere hope that the discretion will be exercised in his favour, and so, except as to any money which has already been paid to him, there is nothing which his creditors or assigns can claim, […].” Cf. aussi mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 179, N 5-134 ; Thomas / Hudson, p. 177 s., N 7.40. en droit amé-ricain : restatement (second) of Trusts § 155, cmt on subs. (1), b ; Bogert, p. 160 ; rounds, p. 192 ; Waggoner / Alexander / Fellows / Gallanis, pp. 14-17. Cf. au sur-plus Dyer / Van Loon, p. 25 ; Lupoi (Comparative study), p. 132.

116 Bogert, p. 161.117 matthews (From Obligation to Property), p. 212, citant à l’appui les affaires re Cole-

man (1888) 39 Ch. D 443 et re Ashby [1892] 1 QB 872.

237Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

rappelé que les particuliers sont soumis dans le système anglo- américain à la faillite, les sociétés étant quant à elles sujettes à la procédure de liquida-tion dénommée “winding-up”). Dans ce cas, l’administrateur de la faillite, substitué au bénéficiaire en faillite, percevra les distributions qui seront par hypothèse décidées par le trustee en faveur du bénéficiaire (nonobstant la procédure d’insolvabilité) 118. En définitive, la solution qui semble prévaloir en Angleterre et aux Etats-Unis est la suivante. Tant que le trustee n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en faveur du bénéficiaire, ce dernier ne possède aucun droit qui puisse être assujetti à l’exécution forcée. Le trustee ne peut, au de-meurant, être contraint d’exercer son pouvoir d’appréciation119. Cela étant, en droit anglais et américain, lorsque le trustee, qui s’est vu signifier la pro-cédure d’exécution forcée, décide volontairement de procéder à une distri-bution en faveur du bénéficiaire insolvable, le droit à la distribution passe à l’administrateur de la faillite 120 ou peut être appréhendé par ses créanciers 121 (sous réserve du montant nécessaire à l’entretien du débiteur et à celui de sa famille). Dans ce cas, le trustee peut être tenu personnellement respon-sable s’il verse la distribution directement en mains du bénéficiaire 122.

118 matthews (From Obligation to Property), p. 212, note 66.119 en droit anglais : Pettit, p. 79. en droit américain : section 504 (b) uniform Trust

Code, réservant toutefois les cas prévus à la section 504 (c); Bogert, p. 160 s.120 en droit anglais, cf. mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 180, N 5-134; Pettit, p. 80.

Les auteurs citent notamment à cet égard l’affaire re Bullock (1891) 60 LJ Ch. 341 ; 64 LT 736.

121 en droit américain, cf. restatement (Third) of Trusts, § 60: “[…] a transferee or a creditor of the beneficiary is entitled to receive or attach any distributions the trustee makes or is required to make in the exercise of that discretion after the trustee has knowledge of the transfer or attachment.” Cf. aussi Bogert, p. 161 : “If however, the trustee does elect to pay trust income to the beneficiary, or to apply it for the his ben-efit, then the beneficiary has a property interest which […] is assignable or reachable by his creditors.”

122 en droit anglais : Hayton, Hayton & marshall (1986), p. 253 : “If the trustees do exer-cise their discretion in favour of B by paying money to him or delivering goods to him then B’s assignee or trustee in bankruptcy is entitled to the money or goods. Indeed, where the trustees have had notice of the assignment or bankruptcy but have still paid money to B they have been held liable to his assignee or trustee in bankruptcy for the money so paid.” Cf. aussi mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 180, N 5-134 ; Pettit, p. 79 s. en droit américain, cf. Bogert, p. 160 : “If […] a trustee of such a trust has received notice of an assignment by the beneficiary, or has been served with process by a creditor of the beneficiary attempting to reach the beneficiary’s interest, and the trustee thereafter pays or applies trust property to or for the beneficiary, he will be liable to the assignee or creditor for the amount paid or applied.”

238 Aude Peyrot

Quoi qu’il en soit, dans une perspective suisse, comme déjà indiqué, il appartient aux autorités, confrontées à la question de la saisissabilité d’un discretionary interest de déterminer s’il peut être considéré comme un droit patrimonial en fonction de la loi applicable au trust et des circons-tances du cas d’espèce. Lorsque tel n’est pas le cas (ce qui paraît être la solu-tion généralement – mais non unanimement – acceptée en droit anglais et américain), l’expectative discrétionnaire, avant qu’elle ne soit concréti-sée, ne semble pas pouvoir être assujettie, en tant que telle, à la mainmise officielle dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée en Suisse. Cette solution est du reste conforme à la conception du droit suisse en matière de droits futurs ou incertains. Dans la typologie suisse, le discretionary inte-rest semble se rapprocher d’une simple espérance qui ne procède d’aucun rapport juridique obligatoire (pour ce qui touche aux distributions), voire d’une expectative incertaine, qui dépend d’une condition suspensive dont l’avènement apparaît trop aléatoire pour qu’on puisse lui attribuer une va-leur de réalisation 123. L’une comme l’autre sont tenues pour insaisissables en droit suisse faute de constituer un droit patrimonial ou de revêtir une valeur de réalisation suffisante. En revanche, si par hypothèse le trustee choisit d’exercer effective-ment son pouvoir discrétionnaire en faveur du bénéficiaire non obstant la procédure d’exécution forcée, l’expectative discrétionnaire se transforme en un véritable droit à une distribution 124, lequel peut en principe être sou-mis à la procédure d’exécution forcée en Suisse, à condition qu’il soit au surplus saisissable au regard des règles suisses. L’on relèvera au surplus que si le trust discrétionnaire a été créé en faveur d’un bénéficiaire unique et que le trustee a l’obligation de lui verser l’intégralité des revenus du trust (à défaut de posséder un pouvoir d’ac-cumulation), l’interest correspond en réalité à un droit fixe, puisqu’il est certain que le bénéficiaire recevra régulièrement des distributions. Le droit matériel anglo-saxon reconnaît dans ce cas l’existence d’un véritable droit patrimonial 125, de sorte que cette solution s’impose à l’ordre juridique

123 sur la notion de simple espérance et d’expectative incertaine en droit suisse, cf. supra p. 213 ss.

124 Thévenoz (Trusts), p. 81.125 Pettit, p. 80 : “The position is quite different where the trustee are bound to apply the

whole fund for the benefit of a particular person, even though they may be given a dis-cretion as to the method in which the fund is to be applied for his benefit. In this case the beneficiary, if sui iuris, is entitled to demand payment of the whole fund, which

239Chapitre 7 : L’equitable interest dans la procédure d’exécution forcée suisse

suisse. Dans un tel cas, la question de sa saisissabilité devra être examinée à la lumière des principes applicables à un droit fixe, lequel est en principe librement assujetti à l’exécution forcée 126.

III. synthèse

Le principe voudrait que tous les biens du débiteur soient saisissables, y compris les droits qu’il possède le cas échéant dans un trust sous la forme d’un equitable interest. Concrètement, la position des créanciers du béné-ficiaire d’un trust est toutefois fonction de la nature et des modalités de cet interest. Lorsque le droit est fixe (fixed) et fermement acquis au bé-néficiaire (vested), à l’instar d’un life interest ou d’un interest in remain-der, la situation juridique est relativement simple, les seules questions à résoudre étant éventuellement le mode de réalisation et/ou l’estimation concrète de la valeur du droit, en particulier dans le second cas. Elle se complique en revanche en présence d’un contingent interest ou d’un dis-cretionary interest. De par sa nature conditionnelle, le premier constitue un droit aux contours flous et incertains. Dans la systématique suisse, il relève, en fonction de ses caractéristiques concrètes, soit de l’expectative certaine saisissable, soit de l’expectative incertaine insaisissable. Sa mise sous main de justice dépend en fin de compte de la possibilité d’établir une valeur de réalisation suffisante. La saisissabilité du discretionary in terest dépend quant à elle de savoir si, au regard de la loi applicable au trust et des circonstances du cas d’espèce, il constitue un droit patrimonial qui puisse faire l’objet d’une mainmise officielle. La tendance majoritaire en droit anglo-américain ne semble pas voir dans le discretionary interest un droit patrimonial saisissable en tant que tel.

will pass to as assignee or trustee in bankruptcy.” L’auteur cite à cet égard les affaires Green v Spicer (1830) 1 russ & m 395, Younghusband v Gisborne (1844) 1 Coll 400 et Re Smith [1828] Ch. 915.

126 Cf. supra p. 229 ss.

240 Aude Peyrot

241Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

Chapitre 8

La RECoNNaISSaNCE dES PrOTecTive ET SPenDTHrifT TruSTS EN SuISSE

La notion et les caractéristiques des protective et spendthrift trusts ont été développées au chapitre 6 (cf. supra p. 183 ss). Nous avons vu qu’ils pour-suivent tous deux, à titre direct ou indirect, la protection des droits du bénéficiaire insolvable dans le trust. Cette protection a ceci de particu-lier qu’elle découle de la seule volonté du settlor. Les systèmes juridiques qui connaissent le trust acceptent plus ou moins largement de telles im-mixtions de la volonté privée dans le droit de l’insolvabilité. La question qui se pose à ce stade est celle de savoir si ces mécanismes de protection issus de la volonté du settlor déploient également des effets dans une procédure d’exécution forcée suisse. En d’autres termes, la Suisse doit-elle reconnaître ces institutions spécifiquement destinées à soustraire directement ou indirectement l’equitable interest à la mainmise des créan-ciers ? La question se pose en des termes différents pour le protective trust (et les forfeiture provisions) et pour le spendthrift trust, de sorte que nous les examinerons successivement et de façon distincte. Les considérations rela-tives à la Convention de La Haye sont toutefois communes à ces derniers et feront donc l’objet d’un exposé préalable. Il convient de préciser que tout trust étranger peut potentiellement soulever un problème de reconnaissance en Suisse. Cela étant, il n’y a gé-néralement pas lieu de remettre en cause la reconnaissabilité d’un trust ordinaire (fixed interest trust, contingent trust, discretionary trust) qui est en principe donnée sous réserve de clauses particulières atypiques. La question se pose en revanche concrètement pour les trusts de protection, dans la mesure où ils entraînent une restriction (directe ou indirecte) à la saisissabilité qui constitue un effet particulier touchant aux droits des créanciers.

242 Aude Peyrot

I. La convention de La Haye sur les trusts

A. La loi applicable au trust et sa portée (art. 6 à 8 de la convention)

La Convention de La Haye sur les trusts détermine la loi applicable au trust. Cette dernière correspond en premier lieu à la loi choisie par le settlor (art. 6). La Convention consacre ici le principe de l’autonomie de la volonté du settlor : ce dernier peut soumettre son trust à n’importe quelle loi sans qu’un quelconque rapport objectif ne soit requis entre ces deux éléments 1. Si aucune loi n’a été choisie dans les formes requises 2, le trust est régi par la loi avec laquelle il présente les liens les plus étroits (art. 7). La Convention propose à cet égard quatre critères visant à faciliter l’identification de cette loi, à savoir le lieu d’administration désigné par le constituant, le lieu de situation des biens du trust, celui de la résidence ou de l’établissement du trustee, ainsi que le lieu où les objectifs du trust doivent être accomplis (art. 7 § 2). L’art. 8 de la Convention définit quant à lui la portée de la loi applicable au trust et les éléments qui tombent dans son champ d’appli-cation. Enfin, ainsi qu’il en sera question plus loin, la Convention pose les principes et les exceptions à la reconnaissance d’un trust valablement constitué selon la loi applicable (art. 11, 15, 16 et 18). Il va de soi que toutes les problématiques soulevées par un trust ne relèvent pas nécessairement de la loi applicable au trust. Cela résulte de l’existence même de l’art. 8 de la Convention. Si toutes les questions tou-chant de près ou de loin au trust étaient ipso facto appréhendées par la loi applicable au trust, la disposition précitée serait inutile. Autrement dit, en présence d’un différend, il faut nécessairement déterminer si la question litigieuse constitue ou non une “trusts matter”3, i.e. une question relevant

1 Dutoit (supplément), N 8 et N 17 ad art. 149c LDiP ; Gaillard / Trautmann (Conven-tion), p. 17 s. ; Gutzwiller, p. 56, N 6-14 ; Lupoi (Comparative study), p. 348 s. ; von overbeck (Convention), p. 34.

2 sur cette question, cf. les développements de Gutzwiller, p. 56 ss, N 6-16 ss.3 L’expression est notamment employée par Harris, pp. 238 et 239. L’art. 149b LDiP re-

latif à la compétence des tribunaux suisses établit également une distinction entre les “affaires relevant du droit des trusts” et les autres, celle-ci étant également invoquée par le message (Trusts), p. 603, dans le commentaire de l’art. 149c LDiP relatif au droit applicable.

243Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

spécifiquement des trusts. Dans l’affirmative, la question est régie par la loi applicable au trust ; à défaut, elle est soumise à la loi désignée par les règles de conflit du for et doit être examinée hors du cadre de la Convention. Les éléments relevant typiquement du trust (“trusts matters”) sont ceux de l’art. 8 § 1 de la Convention, à savoir la validité, l’interprétation, l’administration et les effets du trust. Selon la doctrine, par “effets du trust”, il faut entendre essentiellement les aspects énumérés aux art. 8 § 2 et 11 de la Convention 4. L’art. 8 § 2 fournit la liste exemplative suivante : la désignation, la démission et la révocation du trustee, l’aptitude particu-lière à exercer les attributions d’un trustee ainsi que la transmission des fonctions de trustee (lit. a) ; les droits et obligations des trustees entre eux (lit. b) ; le droit du trustee de déléguer en tout ou en partie l’exécution de ses obligations ou l’exercice de ses pouvoirs (lit. c) ; les pouvoirs du trustee d’administrer et de disposer des biens du trust, de les constituer en sûretés et d’acquérir des biens nouveaux (lit. d) ; les pouvoirs du trustee de faire des investissements (lit. e) ; les restrictions relatives à la durée du trust et aux pouvoirs de mettre en réserve les revenus du trust (lit. f) ; les relations entre le trustee et les bénéficiaires, y compris la responsabilité personnelle du trustee envers les bénéficiaires (lit. g) ; la modification ou la cessation du trust (lit. h) ; la répartition des biens du trust (lit. i) ; l’obligation du trustee de rendre compte de sa gestion (lit. j). L’on relèvera que la notion d’ “effets du trust” ne va pas sans limites et n’inclut pas toutes les implications du trust sur les tiers 5. L’exemple ty-pique est celui de l’art. 11 § 3 lit. d de la Convention : selon cette norme, la possibilité de revendiquer (sur le plan civil) les biens du trust est régie par la loi applicable au trust, mais les droits et obligations du tiers acquéreur sont soumis à la loi déterminée par les règles de conflit du for. De la même façon, ne relève pas spécifiquement des “trusts matters” la responsabilité du trustee à l’égard des tiers 6. Il est donc essentiel de déterminer dans chaque cas si l’aspect litigieux entre ou non dans le champ de l’art. 8 de la

4 Harris, p. 234 ; Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1358, N 100.166.5 Harris, p. 234.6 Harris, p. 254 ; Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1361, N 100.76 : “Art. 8(2)(g)

does not deal with the liability of the trustees to third parties. Von Overbeck makes clear that this is quite deliberate. If a trustee harms a third party’s interest eg by break-ing a contract with him or wrongfully misappropriating his property and mixing it with the trust fund, there is no reason why the third party’s personal or proprietary right of recovery should in any way be affected by a trust to which he was not party.”

244 Aude Peyrot

Convention. La tâche n’est pas simple car très souvent l’aspect du trust concerné est à l’intersection de deux ou plusieurs domaines du droit (par exemple droit des trusts et droit de la propriété ou droit de l’exécution forcée). Ces quelques considérations mettent en lumière le rapport existant entre l’art. 8 et les art. 15, 16 et 18 de la Convention. Sans trop anticiper sur les développements relatifs à ces derniers, dont il sera question plus loin (cf. infra C à E), l’on relèvera que l’effet litigieux d’un trust peut être soumis à la solution d’une loi autre que celle qui gouverne le trust notamment dans les hypothèses suivantes : – Premièrement, l’effet litigieux n’est pas une “trust matter” au sens de

l’art. 8 de la Convention. Il est corollairement exclu de son champ et tombe sous le coup de la loi désignée par les règles de conflits du for.

– Deuxièmement, l’aspect litigieux est une “trust matter” au sens de la disposition précitée. Il relève à ce titre du champ conventionnel et est régi par la loi applicable au trust. Il doit en principe être reconnu au sens de l’art. 11 de la Convention. Cette dernière réserve toutefois les règles impératives du for (art. 15), les lois d’application immédiate (art.  16) et l’ordre public (art. 18), lesquels l’emportent sur l’effet liti-gieux du trust en cas de conflit.

La logique commande ainsi d’examiner en priorité si tel ou tel aspect du trust constitue une “trust matter” relevant de la loi applicable au trust au sens de l’art. 8 de la Convention, car à défaut, la question de sa reconnais-sance (et de l’application des clauses de réserve) ne se pose pas.

B. Le principe de reconnaissance (art. 11 de la convention)

L’un des buts principaux de la Convention de La Haye, si ce n’est son ob-jectif premier, est d’encourager et de faciliter la reconnaissance des trusts dans les pays ne connaissant pas l’institution 7. Cet aspect est réglementé par son art. 11, qui prévoit qu’ “[u]n trust créé conformément à la loi déter-minée par le chapitre précédent sera reconnu en tant que trust.” Ainsi, les Etats contractants sont en principe tenus de reconnaître un trust étranger qui a été constitué valablement selon la loi qui lui est applicable (cf. art. 6

7 Lupoi (Comparative study), p. 329 s.

245Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

et 7 de la Convention), c’est-à-dire en premier lieu selon la loi choisie par le settlor. Pour les pays de droit civil, la reconnaissance du trust requiert d’accepter une institution étrangère en tant que telle, sans chercher à lui donner des contours particuliers ou à la déformer pour la faire entrer dans une catégorie pré-existante 8. Il convient de préciser que ce n’est pas le trust lui-même qui est re-connu mais ses effets, tels qu’ils sont prévus par la loi précitée 9. Le trust n’est, rappelons-le, pas une personne morale. Il est un ensemble de rela-tions juridiques associées à un simple patrimoine. Il y aurait dès lors aussi peu de sens à reconnaître un trust qu’à reconnaître un contrat 10. Quoi qu’il en soit, le principe de reconnaissance signifie que le trust doit se voir en principe attribuer tous les effets que la loi applicable lui confère 11. La Convention de La Haye a une portée erga omnes 12. Cela signifie que l’Etat de reconnaissance doit accepter les effets d’un trust étranger au sens de l’art. 11 de la Convention, même s’il est issu d’un ordre juridique n’ayant pas ratifié la Convention. Autrement dit, la Suisse est par exemple tenue de reconnaître un trust valablement créé au regard du droit américain, étant précisé que les Etats-Unis ont signé l’instrument international mais ne l’ont pas ratifié à ce jour. Le principe de reconnaissance ne va toutefois pas sans exceptions. La Convention prévoit diverses clauses de sauvegarde, qui peuvent concrè-tement faire obstacle à la reconnaissance des effets d’un trust. Elles sont notamment contenues aux art. 15, 16 et 18 de la Convention, qui seront exa-minés ci-après. Les art. 16 et 18 sont des clauses usuelles des conventions internationales de La Haye. L’art. 15 est en revanche une particularité de celle consacrée aux trusts.

8 Jauffret-spinosi, p. 54.9 Harris, p. 312 ; Kötz (Hague Convention), p. 44 ; Thévenoz (Trusts), pp. 15 et 33. 10 Harris, p. 312. 11 Harris, p. 312 ; Kötz (Hague Convention), p. 44 : “The so-called ‘recognition of the

trust’ merely concerns the fact that the trust has to be given in principle all those effects which the foreign law governing the trust attaches to it.” De même, Kötz (Kollisionsrecht), p. 578.

12 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1319, N 100.48 ; Thévenoz (Trusts), p. 140 ; von overbeck (rapport explicatif), p. 378, N 35.

246 Aude Peyrot

c. La réserve des normes impératives (art. 15 de la convention)

1. en général

L’art. 15 § 1 de la Convention prévoit que celle-ci “ne fait pas obstacle à l’application des dispositions de la loi désignée par les règles de conflit du for lorsqu’il ne peut être dérogé à ces dispositions par une manifestation de volonté, notamment dans les matières suivantes : a) la protection des mineurs et des incapables ; b) les effets personnels et patrimoniaux du ma-riage ; c) les testaments et la dévolution des successions, spécialement la réserve ; d) le transfert de propriété et les sûretés réelles ; e) la protection des créanciers en cas d’insolvabilité ; f) la protection des tiers de bonne foi à d’autres égards.” Sont principalement protégées ici les normes de la loi matérielle du for, mais également celles de la loi d’un Etat tiers, lorsque cette dernière est désignée par les règles de conflit du for 13. Ces matières sont toutes susceptibles d’interagir de façon plus ou moins forte avec le trust, entraînant un risque d’incompatibilité entre la loi applicable au domaine en cause et la loi applicable au trust 14. Dans cette perspective, l’art. 15 de la Convention offre une clé de résolution des conflits potentiels. En l’occurrence, il donne la préférence à la loi désignée par les règles de conflit du for dans les autres domaines que le trust, mais seulement dans ses dispositions impératives (mandatory rules) 15. Autre-ment dit, si le trust ou l’un de ses aspects entre en collision avec, par exemple, une règle impérative du droit des successions (cf. art. 15 § 1 lit. c) ou une règle visant la protection des créanciers (cf. art.  15 § 1 lit. e), ces dernières s’appliquent au détriment du trust. L’art. 15 de la Convention représente un compromis entre divers intérêts contradictoires 16. Selon J. Harris, il aurait été disproportionné d’attendre des Etats parties (particulièrement des pays de tradition civiliste) qu’ils

13 von overbeck (rapport explicatif), p. 401, N 138.14 Harris, p. 355.15 von overbeck (rapport explicatif), p. 400, N 136. Cf. aussi von overbeck (Conven-

tion), p. 37 : “L’article 15 veut empêcher la loi du trust de déborder sur le domaine de la loi désignée par d’autres règles de conflit du for. […]. mais cette sauvegarde ne s’ap-plique qu’aux dispositions à caractère impératif des lois ainsi désignées, c’est-à-dire aux règles auxquelles il ne peut pas être dérogé par une manifestation de volonté. Cela signifie que les dispositions du constituant l’emporteront sur les règles dispositives dans les domaines mentionnés.”

16 Gaillard / Trautman (Trusts in Non-Trust Countries), p. 337 ; Harris, p. 359 s.

247Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

acceptent la prédominance absolue du trust sur l’ensemble de leur ordre juridique, solution qui aurait du reste contribué à tromper les attentes de tiers non parties au trust. A l’inverse, l’impact de la Convention aurait été très fortement amoindri si toutes les règles de cet ordre juridique de vaient prévaloir sur le trust 17. Il fut ainsi décidé que la Convention réserverait les dispositions de la loi applicable dans d’autres domaines que le trust mais seulement dans la mesure où elles revêtent un caractère impératif. L’impérativité d’une norme résulte du fait qu’il ne peut y être dérogé par une manifestation de volonté. Est surtout visée ici la volonté unilaté-rale du settlor, car les bénéficiaires de la protection de la norme sont quant à eux libres d’y renoncer dans certains cas 18. A. von Overbeck illustre le propos au moyen des règles sur la réserve héréditaire que les héritiers peuvent écarter (par exemple en ne faisant pas valoir leur réserve) mais non le testateur 19. Selon la doctrine suisse, le caractère impératif d’une règle peut ressortir expressément de sa formulation même, mais souvent il doit être dégagé au moyen d’une interprétation du but de la norme 20. Concrètement, comme indiqué, l’art. 15 de la Convention a pour ré-sultat qu’en cas de heurt entre le trust et les prescriptions impératives de la loi désignée par les règles de conflit du for, le trust ou son aspect litigieux n’est pas reconnu et ne déploie pas d’effet dans l’Etat de reconnaissance. L’art. 15 § 2 de la Convention atténue toutefois la rigueur de ce système, en prévoyant que si et lorsque l’application de l’art. 15 § 1 fait obstacle à la re-connaissance du trust, le juge doit s’efforcer dans la mesure du possible de donner effet aux objectifs du trust par d’autres moyens juridiques. Plutôt que d’une règle stricte, il s’agit selon A. von Overbeck d’un “appel à la bonne volonté du juge”21.

2. Critique et portée de l’art. 15 de la Convention

La réception de l’art. 15 de la Convention par la doctrine a été diverse. M. Lupoi considère que la règle est d’une extrême sagesse, car elle permet

17 Harris, p. 359.18 Harris, p. 355 ; von overbeck (rapport explicatif), p. 400, N 137.19 von overbeck (rapport explicatif), p. 400, N 137.20 engel (Traité), p. 107.21 von overbeck (rapport explicatif), p. 403, N 147. Pour une analyse critique de cette

disposition, cf. Harris, p. 378 s.

248 Aude Peyrot

de contrebalancer la très large latitude du settlor eu égard au choix de la loi applicable 22. On rappellera en effet que ce dernier est libre de soumettre le trust à une loi qui n’entetient aucun lien avec le trust en question 23, qu’il peut choisir différentes lois pour gouverner différents aspects du trust (dé-peçage : art. 9) et que la loi applicable au trust peut être changée en cours de route si la loi initialement choisie le permet (art. 10). L’art. 15 de la Conven-tion garantit ainsi que les normes impératives d’un Etat ne soient pas heur-tées par le choix d’une loi applicable trop tolérante, voire laxiste. La loi sélectionnée régit certes le trust et la plupart de ses effets, mais non néces-sairement l’intégralité de ceux-ci. En particulier, les effets qui ne sont pas typiques du trust sont paralysés par la norme conventionnelle, laquelle sert en cela, selon M. Lupoi, l’ordre juridique de tous les Etats contractants 24. Certains auteurs craignent pour leur part que l’art. 15 de la Convention soit de nature à remettre en cause l’essentiel de l’art. 11 de la Convention et du principe de reconnaissance. Ils prônent dès lors une interprétation restrictive de la notion de droit impératif. A. von Overbeck relève lui-même que “non sans raison il a été dit qu’un juge hostile pourrait toujours trouver dans l’art. 15 de la Convention un moyen de mettre le trust en échec.” D. Hayton insiste sur le fait que cette norme ne doit être appli-quée que dans des cas exceptionnels et moyennant la preuve qu’une norme incompatible avec le trust ou l’un de ses effets demande impérativement à s’appliquer, au vu de sa nature, de son but et des conséquences qui ré-sulteraient de sa non-application 25. J. H arris indique pour sa part que les règles impératives doivent avoir pour but de protéger un intérêt pu-blic (public interest) de nature morale et politique en faveur de groupes de personnes vulnérables. Que l’on estime l’interprétation de J. Harris comme souhaitable ou non, elle ne ressort point, à notre avis, du texte de la Convention ou du rapport explicatif 26. La Convention ne fait état que des “lois auxquelles il

22 Lupoi (Comparative study), p. 363 s. ; cf. aussi Gaillard / Trautman (Trusts in Non-Trust Countries), p. 323.

23 Gaillard / Trautmann (Convention), p.  17  s. ; Gutzwiller, p. 56, N 6-14 ; Lupoi (Comparative study), p. 348 s. ; von overbeck (Convention), p. 34. Cf. supra p. 242.

24 Lupoi (Comparative study), p. 363 s.25 Hayton (Hague Convention), p. 278. 26 on relèvera que ce rapport est considéré, même par les tribunaux anglais, comme un

texte de référence en cas de doute dans l’interprétation des termes de la Convention ; cf. Tod v Barton [2002] eWHC 506 (Ch), [2002] WTLr 469, at [30] : “If there were any ambiguity in the Convention I have no doubt that resort could be had to the Report

249Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

ne peut être dérogé par une manifestation de volonté”. Une interprétation plus stricte ne semble pas requise par le texte conventionnel et ne serait pas nécessairement conforme à l’esprit de la disposition qui a été adoptée pour garantir aux Etats de droit civil non familiers du trust la préserva-tion de leur droit impératif 27. Par ailleurs, à notre avis, la conception de J. Harris a pour effet de rapprocher de facto les dispositions impératives des lois d’application immédiate de l’art. 16 de la Convention, alors que les premières ont une existence et une portée qui leur sont propres. On relè-vera à cet égard que les prescriptions impératives du droit interne forment un ensemble plus large que les lois d’application immédiate d’un Etat 28. Quoi qu’il en soit, les autorités judiciaires de chaque Etat contractant sont probablement libres de conférer à la notion de droit impératif une por-tée plus restreinte et, ce faisant, de favoriser la reconnaissance des trusts étrangers. Il leur appartient de mettre en balance deux intérêts tous deux légitimes mais contradictoires, à savoir le principe de reconnaissance en vue du respect des engagements internationaux et la sauvegarde de leur ordre juridique. J. Harris fait valoir que l’art. 15 est d’application facultative par les tri-bunaux de l’Etat de la reconnaissance 29. Selon lui, la disposition est en effet formulée en des termes permissifs et non pas obligatoires, de sorte que le juge compétent est libre d’appliquer ou non les dispositions impératives du droit désigné par les règles de conflit. Cependant, le point de vue contraire est soutenu par d’autres auteurs 30. A notre avis, une norme impérative est contraignante en soi et à l’égard de tous, y compris du juge. L’on peine

(which superseded his previous report as rapporteur to the Special Commission’s first draft) either as an essential part of the travaux préparatoires or because of Professor von Overbeck’s standing in the field of private international law.”

27 von overbeck (rapport explicatif), p. 401, N 141, qui relève à propos d’une propo-sition de la délégation américaine qui aurait eu de facto pour effet de soumettre la compatibilité d’un trust uniquement au contrôle des lois d’application immédiate : “Cette proposition ne fut pas discutée à fond et ne fut pas mise au vote ; elle était certainement contraire aux intentions des etats ne connaissant pas le trust, qui vou-laient faire respecter de façon générale les dispositions impératives de la loi désignée par les règles de conflit du for, et non seulement les lois d’application immédiate.”

28 Knoepfler [et al.], p. 174, N 354 ; othenin-Girard, p. 87.29 Harris, p. 361 s. La même opinion est avancée par Gaillard / Trautmann (Trusts in

Non-Trust Countries), p. 337.30 Hayton (Recognition), p. 133 ; Koppenol-Laforce (Trustverdrag), p. 270 ; idem

(Convention), p. 36 : “In my view the court does not have the option of not applying art. 15.”

250 Aude Peyrot

à imaginer que ce dernier puisse unilatéralement décider de l’écarter ou d’y déroger.

3. La protection des créanciers (art. 15 § 1 lit. e de la Convention)

La “protection des créanciers en cas d’insolvabilité” est expressément ré-servée par l’art. 15 § 1 lit. e de la Convention. Concrètement, une norme impérative de la loi applicable à l’insolvabilité et servant la protection des créanciers l’emporte donc sur l’effet du trust qui lui serait par hypothèse contraire. La formulation de l’exception est particulièrement large. Elle a donc la qualité et le défaut simultanés d’être flexible et source d’une cer-taine insécurité juridique. Il aurait toutefois été difficile et probablement inopportun de préciser davantage la formule à l’échelle conventionnelle. Pour chaque ordre juridique, il y a lieu de déterminer quelles sont les règles qui servent à protéger les créanciers en cas d’insolvabilité et lesquelles sont impératives. Sur cette question, les auteurs avancent des opinions diverses. Certains se réfèrent à l’ensemble du droit de la faillite d’un Etat 31. D’autres font réfé-rence aux règles visant la protection des créanciers du settlor qui a consti-tué un trust à leur détriment 32. D’autres encore aux normes protégeant les créanciers d’un bénéficiaire, en particulier la possibilité de remettre en cause un protective trust 33. Compte tenu de la formulation large de l’art. 15 § 1 lit. e de la Convention, il convient d’admettre toutes ces interprétations et de reconnaître au surplus que cette énumération n’est pas exhaustive. La référence à l’insolvabilité contenue dans la norme conventionnelle vise au minimum celle du settlor et des bénéficiaires, très probablement éga-lement celle du fonds du trust lorsque ce dernier répond directement des dettes à teneur de la loi applicable. En revanche, comme l’indique Harris, l’art. 15 de la Convention ne peut pas servir à remettre en cause l’effet de ring-fencing immanent au trust, et ce même dans l’intérêt des créanciers personnels du trustee 34. La séparation des patrimoines est l’un des effets minimaux de la reconnaissance d’un trust au sens de l’art. 11 de la Conven-

31 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 414, N 11-80(e) ; D. staehelin (Trusts), p. 77.32 Hayton (Hague Convention), p. 277 ; Thévenoz (Trusts), p. 66.33 Gutzwiller, p. 113, N 15-44 ; Harris, p. 318 et p. 376 ; Hayton [et al.], underhill &

Hayton, p. 1370, N 100.199. 34 Harris, p. 318.

251Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

tion. L’évincer par le biais de l’art. 15 reviendrait à vider le principe de reconnaissance d’une grande partie de sa substance. Au demeurant, un tel procédé irait à l’encontre de l’art. 284b LP, qui concrétise le principe de ring-fencing en droit suisse. Dès lors, même si elle constitue un principe fondamental du droit de l’insolvabilité suisse, l’unité du patrimoine n’entre pas dans le champ de protection de l’art. 15 de la Convention lorsqu’elle vise à remettre en cause l’intégrité du fonds du trust 35. C’est un choix que le législateur suisse a fait consciemment lorsqu’il a ratifié et mis en œuvre la Convention de La Haye dans le droit interne. Quant à la question de savoir quelles normes du droit de l’insolvabilité sont impératives, il convient de se référer aux considérations générales dé-veloppées plus haut 36. Le caractère obligatoire de la règle résulte soit de son texte même soit de l’interprétation de son but. Dans l’optique de l’art. 15 de la Convention, il suffit que la norme ne puisse être écartée par une mani-festation de volonté du settlor pour qu’elle prime sur la clause du trust qui la heurte. Il n’est pas nécessaire qu’elle poursuive en sus un but d’intérêt public. Cela étant, l’on relèvera qu’en matière d’exécution forcée la norme cumule souvent les deux caractéristiques. De façon générale, l’exécution forcée permet en effet de maintenir l’ordre dans les relations sociales, en veillant à ce que le créancier puisse obtenir de son débiteur qu’il s’acquitte de ses dettes 37.

D. Les lois d’application immédiate (art. 16 de la convention)

L’art. 16 § 1 de la Convention réserve lesdites “lois d’application immédiate” (également dites “lois de police”) du for, c’est-à-dire les dispositions dont l’application s’impose sur le plan international, indépendamment de ce que prévoit la lex causae. Il s’agit de dispositions impératives “qualifiées” en ce sens qu’elles demandent à s’appliquer même lorsque la loi matérielle du for n’est pas désignée comme applicable à la cause 38. Parmi les lois appar-tenant à cette catégorie sont citées les lois visant à protéger le patrimoine

35 sur l’effet de ring-fencing, cf. supra p. 27 s. sur le principe de l’unité du patrimoine, cf. supra p. 33 ss.

36 Cf. supra p. 246 ss.37 Gilliéron (Commentaire), N 116 ad remarques introductives aux art. 1-37 LP.38 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1371, N 100.202 s. ; von overbeck (rapport

explicatif), p. 404, N 149.

252 Aude Peyrot

culturel d’un pays, la santé publique, certains intérêts économiques vitaux, ainsi que la protection de la partie faible dans un autre contrat 39. Selon l’art. 16 § 2 de la Convention, peuvent également être prises en compte, mais à titre facultatif et exceptionnel, les normes de même nature issues de la loi d’un Etat tiers (ni celui du for, ni celui de la lex causae) qui présente un lien suffisamment étroit avec l’objet du litige. Sous réserve de certaines exceptions, les lois d’application immédiate expriment et concrétisent gé-néralement une valeur essentielle de l’ordre juridique suisse.

e. La réserve de l’ordre public (art. 18 de la convention)

La réserve de l’ordre public est une clause usuelle des conventions inter-nationales. Dans la Convention de La Haye sur les trust, elle est ancrée à l’art. 18. Ce dernier prévoit que les dispositions de la Convention peuvent être écartées si leur application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for. Selon la définition donnée par S. Othenin-Girard, la réserve de l’ordre public constitue “une clause générale qui permet d’as-surer le respect de principes, d’un ensemble de valeurs fondamentales qui ne sont pas toujours exprimées sous la forme de règles de droit”40. Ce qui tombe concrètement sous cette notion est évidemment propre à chaque Etat. En Suisse, selon le Tribunal fédéral, la réserve de l’ordre public entre en jeu lorsque des principes fondamentaux de l’ordre juridique suisse sont méconnus, lorsque le sentiment du droit est blessé dans une mesure intolé-rable ou lorsque les conceptions juridiques suisses exigent impérieusement que priorité leur soit donnée sur la loi étrangère applicable 41. L’ordre public est susceptible d’intervenir dans deux contextes : premièrement, lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi étrangère désignée par les règles de conflit du for, deuxièment, lorsqu’il s’agit de reconnaître un jugement étranger. Selon la jurisprudence, la réserve doit faire l’objet d’une interprétation plus large

39 von overbeck (rapport explicatif), p. 404, N 149.40 othenin-Girard, p. 76.41 ATF 93 ii 379, JT 1968 i 338 ; ATF 84 i 119, JT 1959 i 215. Dans le premier de ces arrêts,

le Tribunal fédéral relève que les conditions d’application de la réserve d’ordre public ont été généralement développées à propos de décisions relatives à l’exécution de jugements étrangers en suisse, mais qu’elles valent dans l’essentiel aussi pour l’appli-cation directe de la loi par le juge suisse.

253Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

dans le premier cas que dans le second. Quoi qu’il en soit, dans tous les cas, elle doit être interprétée restrictivement et appliquée avec rigueur 42. Dans le contexte spécifique des trusts et de la Convention de La Haye, J.  Harris indique que le fait qu’un mécanisme prescrit par le trust soit étranger et inconnu de l’Etat de reconnaissance ne suffit pas à justifier un recours à l’ordre public. Il serait inapproprié d’invoquer ce dernier lorsque l’effet litigieux d’un trust n’est pas une particularité de la loi applicable dans le cas d’espèce, mais constitue au contraire une caractéristique commune aux diverses lois connaissant l’institution. Selon lui, l’ordre public ne de-vrait par exemple pas servir à écarter la reconnaissance du trust en tant que patrimoine séparé, afin de favoriser les créanciers personnels du trustee 43.

II. La reconnaissance des effets du protective trust et des forfeiture provisions

Les caractéristiques et les effets du protective trust et des clauses de dé-chéance (forfeiture provisions) ont été exposés au chapitre 6 (cf. supra p. 183 ss). Nous avons vu qu’ils opèrent une restriction indirecte à l’alié-nabilité et à la saisissabilité du droit. Ils prévoient l’extinction du droit fixe du bénéficiaire et sa transformation en un discretionary interest lors de la survenance d’un événement déterminé telle qu’une tentative d’aliénation volontaire, de saisie ou la faillite du bénéficiaire. En fonction de ce que pré-voit le droit applicable au trust, la nature discrétionnaire de l’interest peut avoir pour effet de le soustraire à la saisie des créanciers, faute de consti-tuer un droit patrimonial saisissable 44. Quant au bénéficiaire, il continue de jouir des ressources du trust, mais à la discrétion du trustee. Selon les circonstances, le protective trust ou la clause de déchéance peut donc être perçu(e) comme un moyen de frustrer les créanciers d’une ressource finan-cière de leur débiteur, potentiellement substantielle. La question se pose de savoir si un tel trust ou une telle clause doit être reconnu(e) en Suisse, conformément à l’art. 11 de la Convention ou si la reconnaissance est paralysée par l’application de l’art. 15, 16 ou 18. On

42 ATF 93 ii 379, JT 1968 i 338.43 Harris, p. 391.44 sur le sort du discretionary interest dans l’exécution forcée, cf. supra p. 235 ss.

254 Aude Peyrot

relèvera en revanche qu’il n’est pas nécessaire de s’interroger préalable-ment sur leur rapport avec l’art. 8 de la Convention, puisque cet aspect du trust est bel et bien une “trusts matter” au sens défini plus haut 45. Cela ressort incidemment des considérations qui suivent. Les quelques auteurs qui se sont exprimés sur le rapport entre le pro-tective trust et les art. 15, 16 et 18 font valoir des opinions contrastées. L. Thévenoz considère qu’une clause prévoyant l’extinction des droits des bénéficiaires lors de la survenance d’une condition résolutoire déterminée n’est pas contraire à l’ordre public suisse, à tout le moins lorsque l’interest lui est acquis à titre gratuit, car dans ce cas “[l]es créanciers du bénéficiaire ne sont pas privés d’un actif auquel ils auraient eu accès en l’absence d’un trust ; seule leur échappe une libéralité à laquelle le bénéficiaire n’avait pas un droit inconditionnel”46. L’auteur ne s’exprime en revanche pas spécifi-quement sur le rapport qu’entretient le protective trust avec l’art. 15 de la Convention. Selon J. Harris, le protective trust pourrait soulever des problèmes en matière de reconnaissance dans les Etats qui ne connaissent pas le trust et fléchir devant leurs règles impératives réservées par l’art. 15 de la Convention : “The protective trust may be viewed as a means of frustrating the claims of a creditor and may be vulnerable to the mandatory rules of the designated foreign law.”47 Il évoque également la possibilité qu’il soit considéré comme contraire à l’ordre public d’un Etat au sens de l’art. 18 de la Convention 48. D. Staehelin indique de la même façon que le protec-tive trust est problématique dans une perspective de reconnaissance, dans la mesure où il est susceptible d’heurter le droit contraignant en matière d’exécution forcée : “Problematisch sind schließlich Bestimmungen in einem ausländischen ‘protective trust’ wonach der Anspruch des Beneficiarys auf Leistungen aus dem Trustvermögen dahinfällt, wenn er insolvent wird. Der-artige Bestimmungen können gegen zwingendes Schweizer Konkursrecht verstoßen.”49 Ces deux propos semblent toutefois procéder d’un sentiment général plutôt que d’une affirmation catégorique. Elles laissent la place à une analyse plus approfondie de la problématique.

45 Cf. supra p. 242 ss.46 Thévenoz (Trusts en suisse), p. 83.47 Harris, p. 376.48 Ibidem.49 D. staehelin (Trusts), p. 75.

255Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

Le système mis en place par la Convention requiert d’examiner suc-cessivement si le protective trust ou les clauses de déchéance sont incompa-tibles avec une règle impérative suisse au sens de l’art. 15 de la Convention, une loi d’application immédiate au sens de l’art. 16 ou la réserve de l’ordre public suisse de l’art. 18 de la Convention. Comme on l’a vu, la jurisprudence suisse a développé diverses règles en matière de cessibilité et de saisissabilité. Il a notamment été clairement établi qu’une convention privée ne peut valablement stipuler ou résulter dans l’insaisissabilité d’un droit 50. Il s’agit d’une règle stricte relevant du droit impératif de l’exécution forcée au sens de l’art. 15 § 1 lit. e de la Convention. La question se pose toutefois de savoir si elle trouve applica-tion ici. La réponse est à notre avis négative. In casu, l’instrument du trust ne stipule ni l’incessibilité ni l’insaisissabilité de l’interest du bénéficiaire. Il ne régit pas directement la question de la saisie des droits du bénéficiaire. L’insaisissabilité n’est que le résultat indirect d’une transformation du trust et n’est rendue possible qu’au prix d’une modification matérielle de la na-ture de l’interest. Cette situation n’est pas, à notre avis, appréhendée par la règle jurisprudentielle sus-évoquée, qui ne vise que les conventions stipu-lant directement l’insaisissabilité ou l’incessibilité du droit. En outre, on ne voit pas quelle autre règle impérative de l’exécution forcée ou d’un autre domaine du droit suisse pourrait être concrètement heurtée ici. Il en va a fortiori de même des lois d’application immédiate au sens de l’art. 16 de la Convention, qui ne constituent rien d’autre que des règles impératives qualifiées, dont la portée est simplement plus vaste et plus contraignante, puisque leur application s’impose même lorsque la loi matérielle du for n’est pas désignée comme applicable à la cause 51. Quant à la réserve de l’ordre public de l’art. 18 de la Convention, elle ne peut être invoquée que lorsque des principes fondamentaux de l’ordre juridique suisse sont méconnus ou que le sentiment du droit est blessé de façon intolérable. Elle revêt un caractère exceptionnel et doit être inter-prétée de façon restrictive. In casu, il est douteux que le protective trust ou les clauses de déchéance heurtent l’ordre public suisse. Comme le relève L. Thévenoz, dans de telles circonstances, les créanciers ne sont pas pri-vés d’une ressource auquel leur débiteur a un droit inconditionnel, à tout

50 Cf. supra p. 220 ss et p. 225 ss.51 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 1371, N 100.202 s. ; von overbeck (rapport

explicatif), p. 404, N 149. Cf. supra p. 251 s.

256 Aude Peyrot

le moins lorsque le trust est établi à titre gratuit, ce qui est généralement le cas d’un trust familial 52. Si le droit fixe du bénéficiaire cesse en vertu des termes du trust, cette situation s’impose de facto aux créanciers qui ne peu-vent plus le saisir. Cette solution est juridiquement cohérente et homogène, car elle s’applique de la même façon à tous les intéressés. Le bénéficiaire perd autant que ses créanciers le bénéfice de son droit fixe et devient tribu-taire du pouvoir discrétionnaire du trustee. Enfin, le fait que le bénéficiaire puisse potentiellement continuer à jouir des ressources du trust sur une base discrétionnaire n’est pas juridiquement critiquable. L’on revient ici au fonctionnement de base du trust discrétionnaire. Un tel mécanisme étant admis dans des circonstances ordinaires, il nous semble qu’il n’y a pas de raison de le remettre en cause dans ce contexte. En conclusion, malgré les craintes exprimées par certains auteurs, le protective trust du droit anglais ou son équivalent américain n’est à notre avis pas contraire au droit suisse, que ce soit dans ses règles impératives ou dans son ordre public. De façon générale, l’on relèvera qu’en ratifiant la Convention de La Haye sur les trusts, la Suisse a accepté d’ouvrir son ordre juridique à une institution étrangère, qui peut revêtir des formes diverses et variées. Tant que le trust en question n’excède pas le cadre posé par la Convention (notamment art. 15, 16 et 18), il convient de ne pas paralyser sa reconnaissance au simple motif que les conceptions étrangères ne cor-respondent pas aux conceptions suisses. Un sentiment diffus d’injustice ou d’insatisfaction ne doit pas entraver l’application de la Convention si l’on ne peut simultanément identifier une règle impérative ou un principe fondamental heurté par le trust en question. L’implication internationale souhaitée par la Suisse en matière de trusts implique corollairement d’ad-mettre, dans une certaine mesure, les conceptions juridiques tierces.

III. La reconnaissance des effets du spendthrift trust

L’institution du spendthrift trust, telle qu’elle est admise aux Etats-Unis, a été exposée en détail plus haut 53. La présente partie est consacrée à la reconnaissance de cette forme de trust en Suisse. A vrai dire, comme déjà

52 Thévenoz (Trusts en suisse), p. 83.53 sur la notion, l’origine et les caractéristiques du spendthrift trust, cf. supra p. 200 ss.

257Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

indiqué, il s’agit d’examiner si le droit suisse est tenu de reconnaître sur son territoire les effets qu’il déploie ou vise à déployer 54. Un spendthrift trust entraîne tous les effets de base d’un trust classique (division de la propriété, séparation du patrimoine, etc.), mais il poursuit en outre une finalité qui lui est propre, à savoir l’exclusion des aliénations volontaires et involontaires de l’interest, autrement dit l’incessibilité et l’insaisissabilité du droit du bé-néficiaire. Seul ce dernier aspect nous intéressera directement ici, dans la mesure où il touche immédiatement les droits des créanciers. La cessibilité du droit nous occupera également mais seulement à titre indirect. Dans le cadre d’une poursuite en Suisse contre le bénéficiaire d’un spendthrift trust, la saisissabilité de l’interest doit être examinée selon le droit suisse, compte tenu de la nature procédurale de la question 55. Les au-torités compétentes appliqueront en effet les règles du droit suisse au mo-ment de procéder à la mise sous main de justice des biens du débiteur. La saisissabilité de l’interest protégé par une clause de spendthrift est ainsi su-bordonnée aux quatre conditions vues précédemment56, à savoir : (1) la ti-tularité juridique du débiteur, (2) une valeur de réalisation, (3) la cessibilité du droit, (4) l’absence d’exclusion de la saisissabilité. Les deux premières conditions ne soulèvent pas de problèmes particuliers dans l’optique d’un spendthrift trust, de sorte qu’elles ne seront pas envisagées ici. Les troisième et quatrième conditions appellent en revanche une analyse détaillée, qui sera entreprise ci-après. Ce sont d’elles que dépend la question de savoir si un spendthrift trust peut déployer les effets escomptés en Suisse. A cet égard, les deux principales difficultés qu’il y a lieu de résoudre sont les suivantes : – L’incessibilité du droit prévue par la clause de spendthrift emporte-

t-elle un quelconque effet sur la saisissabilité ? (ci-après A)– La stipulation immédiate et expresse de l’insaisissabilité de l’interest

prévue parallèlement par la clause de spendthrift est-elle admissible en droit suisse ? (ci-après B)

54 La reconnaissance porte en effet sur les effets du trust, et non le trust lui-même, ce dernier n’étant qu’un ensemble de relations juridiques. Cf. notamment Harris, p. 312 ; Kötz (Hague Convention), p. 44.

55 D. staehelin (Anerkennung), p. 132 : “Bestimmungen des anzuwendenden auslän-dischen Rechts über die Pfändbarkeit resp. Unpfändbarkeit dieser Forderungen sind, selbst wenn in einem materiellen Gesetz kodifiziert sind, verfahrensrechtlicher Natur und daher in der Schweiz nicht zu beachten.”

56 sur les conditions de la saisissabilité en droit suisse, cf. supra p. 211 ss.

258 Aude Peyrot

A. La stipulation de l’incessibilité du droit et ses effets

Nous avons vu qu’en droit suisse un droit n’est en principe saisissable que s’il est cessible 57. Puisque la clause de spendthrift prévoit également l’inces-sibilité du droit du bénéficiaire, on ne peut échapper à la question de savoir si celle-ci entraîne un quelconque effet sur sa saisissabilité. La réponse est à notre avis négative. La clause tombe en effet sous le coup du principe jurisprudentiel développé à l’ATF 84 III 21 et approuvé en doctrine 58, selon lequel l’incessibilité d’un droit résultant d’un acte privé ne permet pas d’exclure sa saisissabilité. Cette solution s’impose de la même façon lorsque le droit a été conféré au débiteur par donation ou testament, comme cela ressort également de l’arrêt Wieser 59. Dans cette affaire, un légataire tenta d’opposer au créancier poursuivant une dispo-sition testamentaire le favorisant et selon laquelle il ne pouvait disposer des droits patrimoniaux légués avant d’avoir atteint un certain âge. Le Tribunal fédéral fit valoir que le légataire ne pouvait invoquer cette clause testamentaire pour échapper à la réalisation forcée, car cela reviendrait à permettre au testateur de créer une catégorie de droits patrimoniaux ab-solument ou relativement insaisissables non prévus par les art. 92 et 93 LP. En définitive, que ce soit de façon directe ou indirecte, le droit suisse pro-hibe catégoriquement la substitution d’une volonté individuelle au régime légal de saisissabilité. En outre, même lorsqu’in casu le trust est un statutory spendth-rift trust 60 (pour être soumis à la loi de l’un des quatre Etats américains connaissant ce type de trusts) et que la loi le gouvernant impose l’inces-sibilité de l’interest, cette dernière n’entraîne pas automatiquement son insaisissabilité dans la poursuite en Suisse. En effet, selon D. Staehelin, même si l’incessibilité relève de la loi matérielle étrangère, le droit suisse demeure compétent pour décider de la saisissabilité du droit dans son exécution forcée 61. A cela s’ajoute le fait qu’en droit suisse seule l’incessibilité qui résulte de la nature strictement personnelle du droit est pertinente dans l’exécu-

57 sur la condition de la cessibilité selon le droit matériel, cf. supra p. 217 ss.58 reutter, p. 342 s. ; A. staehelin (Grenzbereich), p. 5 ; Vonder mühll, N 9 ad

art. 92 LP.59 ATF 72 iii 77, JT 1946 ii 43, cons. 2. A propos de cet arrêt, cf. aussi supra p. 221 s.60 sur cette notion, cf. supra p. 201.61 D. staehelin (Züstandigkeit), p. 277. sur ce point, cf. aussi supra p. 219.

259Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

tion forcée 62, ce qui n’est pas le cas de l’equitable interest. Comme indi-qué plus haut, le fait qu’il soit fondé, le cas échéant, sur un lien de parenté ou matrimonial ne suffit pas à lui conférer un tel caractère éminemment personnel 63. En définitive, l’on peut affirmer que l’incessibilité de l’equi-table interest stipulée par une clause de spendthrift ou résultant de la loi applicable n’empêche pas sa mise sous main de justice.

B. La stipulation de l’insaisissabilité et sa reconnaissance

1. Détermination du droit applicable au regard de l’art. 8 de la Convention

A l’évidence, l’on ne peut répondre à cette question sans fixer au préa-lable la loi au regard de laquelle elle doit être examinée. Certes, la clause de spendthrift, en tant que partie intégrante de l’instrument du trust, est soumise à la loi applicable au trust, laquelle sera le plus souvent celle que le settlor a choisie en vertu de l’art. 6 de la Convention. Mais dans un tel contexte, la volonté privée n’a pas nécessairement cours. Comme indiqué plus haut 64, les aspects qui sont soumis à la loi applicable, et donc à la vo-lonté du settlor, ne sont pas sans limites. L’art. 8 de la Convention offre cer-tains critères de délimitation. Très concrètement, tout dépend de savoir si l’aspect litigieux constitue une “trusts matter”, à savoir un élément relevant typiquement des trusts. En l’occurrence, comme on l’a vu précédemment, la justification de la clause repose en droit américain sur la liberté du donateur d’assortir l’objet de sa donation de certaines limitations, sur la base d’un raisonnement équivalant à “qui peut le plus, peut le moins”65. A cet égard, l’on pourrait à première vue considérer l’insaisissabilité du droit comme un effet intrin-sèquement attaché à la donation du settlor au bénéficiaire, et donc comme un effet du trust au sens de l’art. 8 § 1 de la Convention.

62 Cf. supra p. 218 ss.63 Cf. supra p. 229.64 sur le champ d’application de la loi applicable au trust selon l’art. 8 de la Convention

et la notion de “trust matter”, cf. supra p. 242 ss.65 Cf. supra p. 202 s.

260 Aude Peyrot

Cela étant, l’instrument du trust ne peut prétendre régir et imposer des réponses à des problématiques qui ne relèvent pas ou qui ne sont pas dans un rapport direct avec le trust. In casu, à la différence des clauses de déchéance du droit ( forfeiture provisions), une clause de spendthrift im-pose une restriction directe à la saisissabilité, sans entraîner aucune modi-fication de la structure matérielle du trust. Elle n’opère donc pas au cœur du trust lui-même, mais s’immisce au contraire dans le rapport juridique externe impliquant un créancier. Elle tend à régir une question qui res-sortit en réalité au droit de l’exécution forcée. A ce titre, il semble donc qu’elle déborde largement du cadre strict du trust. Nous examinerons par conséquent ci-après l’admissibilité de la clause de spendthrift à la lumière du droit suisse. L’on relèvera au demeurant qu’une telle clause ne constitue pas un ef-fet traditionnel des trusts. Sa validité a certes été progressivement admise par la jurisprudence ou la loi dans divers Etats américains, mais elle est tenue pour nulle en droit anglais, qui continue de représenter le modèle traditionnel. Ces quelques considérations conduisent à penser que l’insaisissabilité de l’interest imposée par la clause de spendthrift n’est pas une question re-levant typiquement des trusts au sens où l’art. 8 de la Convention l’entend implicitement (trusts matter). Si l’on suit ce raisonnement, son admissibi-lité doit être examinée au regard de la loi désignée par les règles de conflit du for et non au regard de la loi applicable au trust. A notre avis, c’est la solution qui doit prévaloir. On relèvera incidemment qu’en application de cette solution lorsque le trust en question constitue un “statutory spendthrift trust”, c’est-à-dire lorsque l’insaisissabilité est dictée (expressément ou implicitement) par la loi elle-même (plutôt que par l’instrument du trust) 66, cette réglementation peut et doit être ignorée, dans la mesure où l’aspect précité ne ressortit pas à la loi applicable au trust.

2. Admissibilité de la clause de spendthrift à la lumière du droit suisse

Comme indiqué ci-dessus, dans la mesure où la clause de spendthrift touche à la saisissabilité, c’est selon le droit suisse qu’il faut examiner la

66 Cf. supra p. 201.

261Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

valeur et les effets pouvant être attribués à une telle clause. En l’occurrence, le droit suisse exclut très clairement les stipulations privées en matière d’in-saisissabilité d’un droit ou d’un bien. Cette règle est absolue et ne souffre pas d’exceptions. Il en va ainsi même si une telle stipulation n’émane pas du débiteur lui-même mais de celui dont il a reçu ou hérité de l’actif en question. Cela ressort notamment de la cause Wieser, où le Tribunal fédé-ral a rappelé qu’un individu (il s’agissait in casu de l’auteur d’un legs) n’est pas admis à soustraire l’objet de sa générosité à la mainmise des créanciers du légataire, car cela reviendrait à créer des catégories de biens absolument ou relativement insaisissables non prévues par la loi 67. Cela ressort égale-ment de l’abrogation de l’ancien art. 519 al. 2 CO, qui permettait au consti-tuant d’une rente viagère en faveur d’un tiers et à titre gratuit de stipuler son insaisissabilité. Considérée comme une norme tout à fait exception-nelle par la jurisprudence au temps où elle était encore en vigueur 68, elle a été abrogée au motif qu’elle était inéquitable à l’égard des créanciers 69. La doctrine suisse exclut également l’immixtion de la volonté privée en matière de saisissabilité 70. L’on voit ici que l’approche suisse diffère fondamentalement de celle du droit américain. De façon générale, le droit suisse ne fait pas preuve du même libéralisme à l’égard du droit de propriété et du pouvoir de disposi-tion d’un individu 71. Il n’admet pas que celui qui transfère la propriété d’un bien à autrui, même à titre gratuit, puisse valablement soustraire ce bien à la mainmise des créanciers du donataire au simple motif que le dona-teur aurait pu tout aussi bien ne pas procéder à la donation ou au legs. Les prérogatives de la propriété privée ne sauraient donc prévaloir sur le prin-cipe de saisissabilité, qui sert l’intérêt général. En conclusion, la clause de spendthrift, en tant qu’elle stipule l’insaisissabilité d’un equitable interest, n’est pas admissible en droit suisse et n’y déploie aucun effet.

67 ATF 72 iii 77, JT 1946 ii 43, cons. 2. Pour un exposé de son état de fait, cf. supra p. 221 s.68 ATF 51 iii 171, JT 1926 ii 77 cons. 1 ; ATF 38 i 212, JT 1912 iii 51 ; cf. supra p. 226.69 message (révision LP), p. 91 : “on veut ainsi empêcher que la personne qui touche une

rente élevée, même si celle-ci a été constituée par un tiers à titre gratuit, puisse, grâce à ces rentrées de fonds, mener un train de vie dispendieux alors que ses créanciers n’ont rien obtenu. C’est pourquoi on a également abrogé l’article 519, 2e alinéa, Co.”

70 reutter, p. 342 s. ; A. staehelin (Grenzbereich), p. 5 ; cf. supra p. 223.71 sur la justification des spendthrift trusts, cf. supra p. 200 ss.

262 Aude Peyrot

3. La clause de spendthrift au regard de l’art. 15 de la Convention

Nous avons vu au point 1 ci-dessus que l’insaisissabilité de l’equitable in-terest imposée par une clause de spendthrift n’est pas un aspect typique du trust, de sorte qu’elle est soustraite à la loi gouvernant le trust pour être assujettie à la loi désignée par les règles de conflit du for, in casu le droit suisse. Il est montré ci-après que même s’il fallait retenir la solution inverse, i.e. examiner et le cas échéant admettre la clause de spendthrift au regard de la loi applicable au trust, la reconnaissance de ses effets n’en serait pas moins bloquée par l’art. 15 de la Convention. On rappellera au préalable que les éléments qui relèvent typique-ment du trust et qui sont valables au regard de la législation le gouvernant doivent en principe être reconnus dans l’Etat requis sur la base de l’art. 11 de la Convention. Sont toutefois réservées les dispositions impératives de la loi désignée par les règles de conflit du for dans une autre matière que le trust, au sens de l’art. 15 de la Convention. Cette norme ouvre sans conteste une brèche, dans laquelle le droit impératif a le loisir de s’engouffrer pour enrayer les effets du trust qui lui seraient incompatibles. En l’espèce, la clause de spendthrift cède devant l’art. 15 § 1 lit. e de la Convention, lequel réserve les normes impératives servant la protection des créanciers en cas d’insolvabilité. Elle se révèle en effet directement contraire au principe selon lequel la volonté privée ne peut stipuler l’in-saisissabilité d’un droit, que ce soit à titre direct ou indirect. Ce principe a été longuement développé ailleurs, de sorte qu’il ne se justifie pas d’y revenir une nouvelle fois ici 72. Rappelons simplement le caractère impé-ratif de cette règle d’origine jurisprudentielle, lequel fait logiquement écho à la nature généralement contraignante du droit des poursuites, dont la finalité première, à savoir le désintéressement des créanciers, sert le bon fonctionnement de la société et l’intérêt public. En définitive, l’insaisissa-bilité de l’equitable interest prescrite par la clause de spendthrift ne doit pas être observée en droit suisse. Cette conclusion fait certes obstacle à l’un des effets du trust qui est pleinement valable selon le droit étranger, mais elle est dictée par l’application des règles impératives suisses expressément réservées par la Convention de La Haye. On relèvera au surplus que cette solution a l’avantage de l’uniformité : elle est la même pour tous les créanciers. A l’inverse, si l’on admettait la reconnaissance des clauses de spendthrift en Suisse, se poserait inévita-

72 Cf. supra p. 220 ss (exclusion de la cessibilité) et p. 225 ss (insaisissabilité).

263Chapitre 8 : La reconnaissance des protective et spendthrift trusts en suisse

blement la question de la prise en considération des exceptions du droit américain en faveur de certaines catégories de créanciers 73. Une réponse affirmative conduirait à introduire dans la procédure suisse une différence de régime entre eux, ce qui heurterait le postulat de l’égalité de traite-ment prévalant notamment dans la faillite. A l’inverse, une réponse né-gative renforcerait l’effet d’une clause de spendthrift en la rendant efficace à l’égard de tous les créanciers. La solution précitée permet d’éviter cette alternative qui n’est satisfaisante dans aucune de ses propositions. En conclusion, que ce soit par le biais de l’art. 8 ou de l’art. 15 de la Convention, la question de la saisissabilité est invariablement attraite dans le giron du droit suisse et reste soumise à ses principes légaux et juris-prudentiels. On relèvera que cette solution tranche probablement avec l’approche du droit anglais, qui selon Lewin on Trusts, reconnaîtrait le spendthrift trust du droit américain, nonobstant le fait que cette figure est prohibée dans son droit matériel 74. Cette divergence de vue n’est toutefois pas gênante. La reconnaissance ou la non-reconnaissance d’une institution étrangère relève de l’appréciation souveraine de chaque ordre juridique ; elle s’établit en fonction des règles et des principes propres à chacun. La sanction de l’art. 15 de la Convention ne s’applique qu’à la clause li-tigieuse elle-même. Pour le surplus, le trust sera en principe reconnu. Il est en effet conforme à l’esprit de la Convention de La Haye de ne sanctionner que ce qui nécessaire. Ecarter le trust dans son entier constituerait proba-blement une solution disproportionnée non requise par la protection des créanciers. Quant à la question de savoir si, en vertu de l’art. 15 § 2 de la Conven-tion, le juge doit donner effet aux objectifs du trust par d’autres moyens ju-ridiques, il s’agit, comme on l’a vu, d’un “appel à la bonne volonté du juge” plutôt que d’une stricte injonction 75. La question est donc laissée à la libre appréciation du tribunal compétent. Cela étant, il serait probablement en-visageable de convertir la clause de spendthrift en une clause de déchéance (forfeiture provision), ce qui reviendrait matériellement à transformer le spendthrift trust en une institution équivalente au protective trust, lequel est quant à lui compatible avec le droit suisse. Une telle conversion serait au demeurant conforme au droit américain : les “ forfeiture provisions” sont

73 Cf. supra p. 207 ss.74 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 1184, N 33-04, citant la décision anglaise Re

Fitzgerald [1904] 1 Ch. 573, CA. Cf. supra p. 205.75 von overbeck (rapport explicatif), p. 403, N 147 ; cf. supra p. 247.

264 Aude Peyrot

admises en tant que minima en toutes circonstances, et même lorsque la loi de l’Etat en question prohibe les clauses de spendthrift. En tous les cas, c’est aux tribunaux qu’il appartiendra concrètement de décider de l’oppor-tunité d’une telle conversion.

Iv. synthèse

L’objectif respectif avoué des protective et spendthrift trusts est de protéger les droits du bénéficiaire contre la mainmise des créanciers. Le droit an-glais fait preuve d’une certaine retenue en n’admettant que les restrictions indirectes à la saisissabilité du droit (via le protective trust), tandis que le droit américain va jusqu’à acquiescer aux restrictions expresses et immé-diates à celle-ci (par le biais d’un spendthrift trust). Dans une perspective suisse, l’extinction du droit du bénéficiaire et sa transformation en un dis-cretionary interest, prescrites par le protective trust (et les forfeiture pro-visions), constituent un mécanisme interne au trust qui doit être, à notre avis, reconnu en Suisse au sens de l’art. 11 de la Convention. Il ne heurte ni le droit impératif, ni l’ordre public suisse, réservés par les art. 15, 16 et 18 de la Convention. Il en va en revanche différemment, à notre sens, du spendthrift trust. En stipulant l’insaisissabilité du droit du bénéficiaire, celui-ci empiète très largement sur le domaine de l’exécution forcée. Selon nous, une telle clause est disqualifiée du champ de la Convention et de la loi applicable au trust par l’art. 8 de la Convention. Attraite de ce fait dans le giron du droit suisse, elle heurte le principe posé par la jurisprudence, selon lequel un acte privé ne peut entraîner l’insaisissabilité d’un droit. Subsidiairement, à supposer que la stipulation de l’insaisissabilité relève de la loi applicable au trust, la reconnaissance de cet effet n’en serait pas moins barrée par l’art. 15 de la Convention. La règle jurisprudentielle précitée est en effet d’application impérative et prime l’effet litigieux du trust.

2651. Le trust dans la perception civiliste

QuaTRIèME PaRTIE

LES CRéaNCIERS du SETTLoR : aTTEINTES PaR LE TRuST ET aCTIoN

RévoCaToIRE du dRoIT SuISSE

266 Aude Peyrot

267Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

Chapitre 9

LES aTTEINTES aux dRoITS dES CRéaNCIERS du SETTLoR

I. champ d’étude et exclusion des moyens touchant à la validité du trust (notamment “sham trust” et “piercing the veil”)

Cette quatrième partie est consacrée aux créanciers du settlor. Le cha-pitre 9 examine les effets qu’un trust produit sur les droits des créanciers, que ce soit de façon involontaire (i.e. à titre incident) ou volontaire. Dans cette optique, nous traiterons d’abord brièvement des trusts “classiques”, qui ne sont pas exclusivement ou principalement constitués dans un but de protection d’actifs, pour nous arrêter plus longuement sur les “asset pro-tection trusts”, proposés par certains centres financiers offshore, qui visent très spécifiquement un tel objectif. Nous verrons par la suite, dans le cadre du chapitre 10, le principal moyen que le droit suisse met à disposition des créanciers lésés par la constitution d’un trust, à savoir l’action révocatoire des art. 285 ss LP. Les moyens qui touchent à la validité du trust débordent du cadre de cette étude et seront pour cette raison laissés à l’écart. Ils constituent en effet des éléments de droit matériel ressortissant à la loi applicable au trust (cf. art. 8 § 1 de la Convention de La Haye) qui n’entretiennent pas de lien immédiat et nécessaire avec l’exécution forcée. Cela étant, l’on ne manquera pas de relever l’importance en pratique du moyen tiré du “sham trust”, connu de la plupart des ordres juridiques de common law 1. Ce grief peut être invoqué par tout un chacun (notamment l’épouse du set-tlor, ses héritiers, etc.) pour remettre en cause la validité d’un trust et peut donc également être utile aux créanciers dans le cadre d’une procédure

1 sur le concept du “sham trust” en droit anglo-saxon, cf. notamment Conaglen matthew, “sham Trusts”, The Cambridge Law Journal No 67/1 (2008), pp. 176-207 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 92 ss ; oakley, Parker and mellows, p. 92 ss.

268 Aude Peyrot

judiciaire qui aurait lieu en Suisse 2. Relevons succinctement que le grief consiste en substance dans le fait que les parties (settlor et trustee) n’ont pas eu l’intention de créer un trust, mais ont seulement cherché par là à créer de fausses apparences à l’intention des tiers 3. En fonction des cir-constances, un sham trust peut être révélé par l’étendue du contrôle que le settlor conserve sur les biens du trust 4. L’on notera toutefois que la conser-vation de certains pouvoirs par le settlor n’affecte pas ipso facto la validité du trust, comme l’indique l’art. 2 § 3 de la Convention de La Haye 5. La question doit avant tout être appréciée à la lumière de la loi étrangère qui gouverne le trust, étant précisé que certaines législations contiennent des règles qui autorisent expressément la retenue de pouvoirs plus ou moins étendus par le settlor (“reserved powers”) 6. Pour la raison évoquée ci-dessus, nous laisserons également de côté la question de l’applicabilité de la théorie du Durchgriff (“piercing the veil”) au trust. Elle est au demeurant particulièrement délicate et controversée. Certaines décisions étrangères et certains auteurs anglo-saxons ont nié l’applicabilité de ce moyen au trust, principalement au motif que le trust n’a pas la personnalité juridique et qu’il n’y a donc pas à proprement par-ler de voile à transpercer 7. D’autres décisions judiciaires l’ont en revanche

2 Pour une application du sham trust par les tribunaux suisses (in casu dans le cadre d’une action en contestation de l’état de collocation), cf. jugement FB920075 du 1er fé-vrier 1994 du Bezirksgericht de Zurich dans la cause Banque oD en liquidation contre la masse en faillite de WKr (Werner K. rey), publié in Zr 98 (1999) N. 52, pp. 226-250. Cf. aussi les développements de Weingart, pp. 56-62.

3 Cf. mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 92, N 4-19 : “a declaration of trust is inef-fective as a sham, or pretence, if the parties to the declaration intended not to create a trust, but instead to give a false impression to third parties and ultimately the court.” Cf. aussi Vogt, N 64 ad Vorbemerkungen zu Art. 149a-e LDiP : “Ein Sham Trust liegt vor, wenn der Settlor gar nicht die Absicht hatte, einen Trust zu errichten, und der Trustee die Vermögenswerte zwar für den Settlor hält, aber nur gemäss den unmittelba-ren Weisungen des Settlors (wie ein Vertreter) darüber verfügt.”

4 Cf. dans ce sens Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 91, N 4.9 : “Where the set-tlor does wish to exercise much significant influence over the conduct of the trustee, an informal arrangement with the trustee may leave the trust wide open to allegations that it is a sham.” Cf. aussi Vogt, N 64 ad Vorbemerkungen zu Art. 149a-e LDiP.

5 Cf. aussi Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 91, N 4.9 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 96 s., N 4-25.

6 Cf. par ex. art. 9A Trusts (Jersey) Law 1984, à teneur duquel le settlor peut se réserver divers pouvoirs, sans risque de voir la validité du trust affectée. sur la question des pouvoirs réservés, cf. notamment Hayton (Law of Trusts), p. 135 s.

7 L’application de la théorie dite “piercing the veil” été très clairement niée par la royal Court of Jersey dans l’affaire Re Esteem Settlement (Abacus (C.I.) Limited as Trustee)

269Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

admise 8. Malgré le vif intérêt de la question, nous devrons laisser là pour notre part ces quelques considérations d’ordre matériel 9. Relevons enfin que lorsque le settlor est également l’un des bénéfi-ciaires du trust, le droit dont il dispose dans le trust à la remise de distri-butions peut être soumis à l’exécution forcée, à l’instar de ce qui prévaut pour n’importe quel autre bénéficiaire. Il est renvoyé à cet égard aux règles développées dans la troisième partie de cette étude, en particulier au cha-pitre 7 (cf. supra p. 211 ss).

II. Les trusts classiques

Tout trust – en tant qu’acte d’aliénation – est susceptible de préjudicier les créanciers du settlor. La constitution d’un trust est en effet un acte de disposition de propriété. Lorsqu’il est valablement créé et que toutes les formalités relatives au transfert ont été respectées, le settlor est dessaisi de ses biens. Le titre de propriété est transféré au trustee qui en devient le propriétaire juridique (cf. art. 1 § 2 lit. b Convention de La Haye) 10. Ce dessaisissement est opposable aux tiers, et notamment aux créanciers du settlor. Les biens mis en trust ne sont corollairement plus disponibles pour répondre de ses passifs et sont ôtés à la mainmise de ses créanciers 11. Lorsque le trust est constitué en échange d’une contrepartie, le settlor n’est pas appauvri du fait de sa création : la contre-prestation, si elle est

Grupo Torras SA and Culmer v. Al Sabah and four others, 2003 JLr 188, et par les tribunaux néo-zélandais dans l’arrêt Official Assignee v Wilson [2008] NZCA 122. Cf. par ailleurs Hayton (shams), N 9 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 97, N 4-25 ; Palmer (2007), p. 92.

8 La théorie de la transparence a notamment été appliquée, sous le nom de “alter ego doctrine”, à un trust dans deux décisions néo-zélandaises : Prime v Hardie [2003] NZ-FLr 481 et Glass v Hughey [2003] NZFLr 865. en suisse, elle a été appliquée à un trust dans le cadre d’une procédure de séquestre par le Bezirksgericht Zurich dans la décision eQ 0600061/u du 13 février 2007. Cf. également Limburg / supino, p. 205. Quant au Tribunal fédéral, il s’est penché sur l’application de la théorie de la transpa-rence dans le contexte d’un trust dans l’ATF 5C.23/2000 du 13 mars 2000, mais l’a surtout examinée par rapport à la société sous-jacente et non au trust lui-même. il l’a niée dans le cas d’espèce.

9 Pour quelques développements sur la question, cf. Weingart, pp. 63-71. 10 Cf. aussi Principes de Droit européen, art. i (2).11 Thévenoz (Trusts), p. 87.

270 Aude Peyrot

équivalente, se substitue aux biens sortis du patrimoine du settlor 12. En revanche, lorsque le trust est établi à titre gratuit, il implique un rétrécis-sement de la surface financière du settlor sans contrepartie 13. Tel est le cas de nombreux trusts, notamment ceux qui sont créés pour pourvoir aux besoins de la famille du settlor (trusts familiaux) ou des trusts charitables établis dans un but altruiste. Cet appauvrissement volontaire peut s’avérer préjudiciable aux créanciers lorsque la fortune résiduelle du settlor ne suffit pas à honorer l’intégralité de ses dettes. Deux intérêts s’affrontent dans cette situation : le droit du settlor de disposer librement de ses biens, qui découle de son droit de propriété, et celui du créancier d’être désintéressé sur tous les actifs de son débiteur 14 conformément au principe de la responsabilité patrimoniale qui se veut personnelle, générale et illimitée. Cette opposition entre droit de propriété et responsabilité patrimoniale n’est toutefois pas spécifique aux trusts. Elle résulte de tout acte d’aliénation de propriété effectuée sans contrepartie équivalente, à l’instar d’une simple donation 15. Le trust n’est qu’une mani-festation supplémentaire de cette collision d’intérêts. En définitive, la situation des créanciers du constituant d’un trust or-dinaire n’est pas davantage problématique que celle des créanciers d’une personne qui aurait disposé de ses biens d’une autre façon. Elle se règle de la même façon, à savoir au moyen des règles sur la révocation que nous examinerons ultérieurement 16.

III. Les asset protection trusts

La situation des créanciers, lesquels sont déjà potentiellement prétérités par la constitution d’un trust classique, est parfois aggravée par des consi-dérations subjectives. La création d’un trust peut en effet poursuivre un dessein spécifique de préservation d’actifs, le settlor cherchant à mettre en place une structure hermétique à l’action (légitime ou non) de ses créan-

12 Parmi les trusts constitués à titre onéreux, Thévenoz (Trusts), p. 87, donne notam-ment l’exemple du security trust constitué pour garantir un prêt octroyé au settlor.

13 Thévenoz (Trusts), p. 87.14 Cf. edwards / stockwell, p. 152.15 Thévenoz (Trusts), p. 87.16 Cf. infra chapitre 10, p. 299 ss.

271Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

ciers. Les trusts poursuivant un tel objectif répondent au nom générique de “asset protection trusts”, littéralement “trusts de protection d’actifs”. La création de tels trusts n’est pas tolérée dans la loi anglaise, ni dans celle de la plupart des Etats américains. Plus précisément, le droit anglais ou les lois américaines contiennent des règles particulièrement strictes contre les transferts frauduleux (rules against fraudulent conveyances) qui limitent fortement, voire excluent, toute possibilité de créer des asset pro-tection trusts. A l’inverse, certains centres financiers offshore ont considé-rablement assoupli leur réglementation en matière de transferts fraudu-leux de façon à favoriser la création et le développement de tels trusts 17. Notre propos se concentrera sur la notion d’asset protection trust (ci-après A), sur les obstacles traditionnels à leur création en droit anglais et dans les lois américaines (ci-après B), et sur leur développement et leur réglementation dans certains centres financiers offshore (ci-après C).

A. notion et mécanisme de base

La situation des créanciers du settlor devient plus délicate lorsque la pré-servation des actifs du trust n’est pas un effet incident de la structure mise en place mais le but poursuivi par le settlor. Cette situation n’est pas rare en pratique, car la préservation d’actifs est l’une des finalités couramment re-cherchées. Des trusts visant spécifiquement cette finalité ont fait leur appari- tion dès la fin des années 80 18. Le terme “asset protection trusts” ne désigne pas une catégorie nouvelle de trusts mais fait référence à tout trust spécifiquement constitué pour protéger des actifs contre des risques économiques futurs, et tout parti-culièrement contre des prétentions de créanciers : “The expression ‘asset protection trust’ is not a term of art. It does not describe or refer to a spe-cific kind of trust or settlement. The expression is generally used to refer to any trust or arrangement which is designed and intended to protect assets from claims by creditors (and others). It is a means of organising one’s affairs and assets in advance in order to safeguard against potential losses arising from some future calamity.” 19 Cette définition de G. Thomas révèle que le

17 rothschild (Asset protection trusts), p. 423 ss.18 Antoine, p. 38, N 3.03.19 Thomas, p. 337 ; Vogt, N 40 ad Vorbermerkungen zu Art. 149a-e LDiP : “Der Asset

Protection Trust bezweckt den Schutz und Erhalt von Vermögenswerten des Settlors gegenüber seinen gegenwärtigen oder zukünftigen Glaübigern.”

272 Aude Peyrot

qualificatif d’asset protection trust est davantage fonction de la motivation sous-jacente du settlor que de la forme du trust. Il s’agit avant tout d’un moyen d’organiser ses affaires en avance pour parer un risque futur. Dans la mesure où les modalités structurelles dépendent de la vo-lonté du settlor, elles peuvent sensiblement varier d’un trust à l’autre. Les caractéristiques suivantes peuvent néanmoins être mentionnées à titre exemplatif : – Le trust est généralement soumis à la loi d’une juridiction (offshore)

dotée de règles favorables à la préservation d’actifs 20.– Le trust est de préférence constitué sous une forme irrévocable 21. Aux

Etats-Unis, le caractère révocable d’un trust l’expose au risque que le settlor soit contraint par un tribunal d’exercer son pouvoir de révoca-tion, afin de faire revenir ses actifs dans sa sphère pour désintéresser ses créanciers. Le risque existe aussi que ce pouvoir soit exercé, en cas de faillite du settlor, par l’administrateur de la faillite (“trustee in bank-ruptcy”) qui se substitue au settlor dans ses droits sur le trust.

– Le trustee ne détient pas les actifs du trust directement mais par l’in-termédiaire d’une société sous-jacente (underlying company) 22, de façon à les isoler davantage des créanciers du settlor.

– L’instrument du trust est souvent doté d’une clause de fuite (flee clause), qui permet la migration du trust en cas de péril juridique ou économique dans la juridiction à laquelle il est rattaché, tel que la me-nace d’une action par un créancier 23.

– Enfin, l’asset protection trust est généralement constitué au profit du settlor. Celui-ci peut être l’un des bénéficiaires, voire l’unique bénéfi-

20 il s’agit généralement de la loi d’un centre financier offshore qui a adopté des règles permissives en la matière. Cf. infra p. 288 ss.

21 solomon / saret, p. 330, N 6.05[A]. 22 Antoine, p. 20, N 2.20-2.22 ; Thomas / Hudson, p. 1076, N 40.10.23 matthews (Asset Protection Trust), p. 66 ; solomon / saret, p. 709, N 14.02[N].

rothschild (Establishing and Drafting), p. 65 ss, donne l’exemple de clause suivant : “The Trustees may by a signed declaration in writing, at any time or times and from time to time, during the Trust Period, as they deem advisable in their discretion for the ben-efit or security of this Trust Fund or any portion hereof, remove (or decline to remove) all or part of the assets and/or the situs of administration thereof from one jurisdiction to another jurisdiction and/or declare that this Settlement shall from the date of such declaration take effect in accordance with the law of some other state or territory in any part of the World, and thereupon the courts of such other jurisdiction shall have the power to effectuate the purposes of this Settlement to such extent. […].”

273Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

ciaire du trust 24. En revanche, dans une optique de préservation d’ac-tifs, le settlor évite généralement d’endosser le rôle de trustee ou de co-trustee du trust 25.

Il y a lieu de préciser que la présence de l’un ou plusieurs de ces éléments ne révèle pas ipso facto l’existence d’un asset protection trust. Savoir si l’on est en présence d’un tel trust requiert une appréciation globale de la situation et des circonstances dans lequel il a été créé.

B. Limitations dans les juridictions onshore

La constitution d’un trust à des fins de pure préservation d’actifs est perçue différemment dans les divers ordres juridiques qui connaissent le trust. Une nette distinction peut être faite entre les juridictions anglo-saxonnes onshore et les centres financiers offshore 26. Les droits anglais et américain

24 Bove, p. 168 ; matthews (Attacking and Defending), p. 236 ; rothschild (Asset pro-tection trusts), p. 423 : “[...] the settlor can name himself as a discretionary beneficiary of the trust while at the same time protecting the trust corpus from the claims of future creditors.” Cf. aussi Vogt, N 40 ad Vorbermerkungen zu Art. 149a-e LDiP.

25 on mentionnera à cet égard l’affaire Federal Trade Commission v Affordable Media, LLC, 179 F.3d 1228 (9th Cir. 1999). Les époux Anderson avaient constitué un asset protection trust selon la loi des iles Cook, dont ils étaient co-trustees aux côtés d’une société établie dans cette juridiction. Dans le cadre d’une action introduite aux etats-unis contre les époux par la Federal Trade Commission, le tribunal de district du Nevada leur enjoignit d’exercer leur pouvoir de co-trustees et de rapatrier les actifs du trust sur le sol américain. Les époux ne s’exécutèrent pas dans un premier temps, faisant valoir le refus du trustee local de transférer les biens en raison d’une “anti-duress clause”, laquelle avait pour effet, dans l’hypothèse d’un cas de contrainte, de décharger les Anderson de leur fonction de trustee et d’empêcher le rapatriement des biens. Les époux furent dès lors emprisonnés pour “contempt of court” par décision du tribunal de district, dans la mesure où ils n’avaient pas démontré à satisfaction de droit une impossibilité non-fautive de rapatrier leurs biens. Cette décision fut confir-mée en appel sous la référence précitée. L’arrêt fait valoir ce qui suit : “In the asset protection trust context, moreover, the burden on the party asserting an impossibility defence will be particularly high because of the likelihood that any attempted compli-ance with the court’s orders will be merely a charade rather than a good faith effort to comply. Foreign trusts are often designed to assist the settlor in avoiding being held in contempt of a domestic court while only feigning compliance with the court’s orders.”

26 Le terme “offshore” fait référence aux centres financiers offshore qui ont promulgué des législations modernes en matière d’asset protection, afin de permettre et d’encou-rager cette finalité. Le terme “onshore” est employé par opposition à cette première notion.

274 Aude Peyrot

contiennent des règles strictes contre les transferts frauduleux au préjudice des créanciers du disposant (fraudulent conveyances), qui les rendent peu propices à la constitution d’un asset protection trust 27. Ces juridictions sont depuis longtemps conscientes du danger que peut représenter un trust pour les créanciers du settlor. Selon G. Moffat : “It has long been recognised that property-owner might try to hinder or defeat their own actual or potential creditors by means of absolute gifts or by transferring property into trust, and statutory restraints have been imposed to nullify such attempts.”28 Les transferts frauduleux font l’objet de strictes réglementations dans les divers ordres juridiques, et ce depuis la fin du XVIe siècle déjà. Celles-ci consti-tuent des limites naturelles à la constitution d’un asset protection trust.

1. Les règles traditionnelles du “Statute of Elizabeth”

L’une des premières réglementations en la matière a vu le jour en Angleterre en 1571. Il s’agit d’un décret de la reine Elizabeth 1re, intitulé “an Act against fraudulent deeds, gifts, alienations, etc.”29. Ce décret, mieux connu sous le nom de “Statute of Elizabeth”, a été adopté pour remédier aux nombreuses situations abusives de l’époque dans lesquelles un individu transférait ses actifs à un tiers aux fins de les soustraire à ses créanciers 30. Cette réglemen-tation a été déclarée applicable en Angleterre et dans tous les territoires dé-pendants de la Couronne britannique 31. Elle a été en outre appliquée dans plusieurs Etats américains, en Australie et en Nouvelle-Zélande et dans une partie du Canada 32. Outre sa portée géographique, elle est également remarquable par sa longévité, puisqu’elle a traversé plusieurs siècles et a été l’objet de très nombreuses décisions à travers le monde anglo-saxon 33. Malgré son ancienneté, elle reste aujourd’hui d’une certaine actualité 34. Elle est toujours en vigueur – au moins en théorie – dans les juridictions offshore de common law, réputées avoir hérité du droit anglais et de ses lois

27 sous réserve des “domestic asset protection trusts” qui existent dans certains etats américains, cf. infra p. 281, note 79.

28 moffat, p. 291. 29 13 eliz Cap 5. 30 may, p. 4 ; ross, p. 29 ss ; Thomas / Hudson, p. 1076, N 40.09.31 Hobson, pp. 22 et 25 ; may, p. 10.32 may, p. 2 s.33 may, p. 9.34 Antoine, p. 154, N 9.04.

275Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

écrites, qui ne l’ont pas remplacée par des règles modernes 35. Elle a été en outre le modèle de plusieurs textes normatifs subséquents 36, notamment en Angleterre 37 et aux Etats-Unis 38. L’étude de cette réglementation est donc fondamentale, compte tenu de son envergure territoriale et temporelle et dans la mesure où elle est à l’origine du droit anglo-saxon en matière de fraudulent conveyances. Aussi la portée et la teneur des règles modernes ne peuvent-elles être appréciées que par comparaison avec celle-ci 39. Le Statute of Elizabeth sanctionne de façon très large les transferts de propriété entrepris par une personne dans l’intention de frauder ou d’en-traver un créancier. Il déclare nul et de nul effet (“utterly void, frustrate, and of non effect”) tout acte de disposition (donation, acquisition sans contrepartie équivalente, constitution de sûretés, création d’un trust 40, etc.) 41, relatif à tout type de propriété (argent, meubles, immeubles, po-lices d’assurances, etc.) 42, entrepris aux dépens de tout créancier. Le terme “void” (“nul”) a toutefois été interprété comme signifiant “voidable” (“an-nulable”), de sorte que l’annulation de l’acte doit être requise par les créan-ciers lésés auprès des tribunaux compétents 43. Le cercle des créanciers protégés par le Statute of Elizabeth est large. Cette protection s’adresse d’abord aux créanciers actuels du débiteur, i.e. ceux dont la créance est née avant l’acte de disposition. La règle générale, telle qu’elle a été établie par la jurisprudence anglaise, dispose que tout transfert de propriété opéré à titre gratuit est présumé frauduleux, s’il a été effectué par une personne endettée. L’idée sous-jacente consiste dans le fait que la générosité ne doit pas avoir lieu aux dépens d’autrui ou, plus concrètement, qu’il y a lieu d’acquitter ses dettes avant de procéder à des largesses : “As to the first class of cases, it may be stated generally that all voluntary transfers of property by a person ‘indebted’ […] are void against creditors. The mere fact of a man ‘indebted’ giving away part of his estate is, by presumption and construction of law, a fraudulent act. The principle

35 rothschild (Establishing and Drafting), p. 65 ss. 36 Lupoi (Comparative study), p. 117 ; rothschild (Asset protection trusts), p. 429 ;

Thomas / Hudson, p. 1075, N 40.06 s.37 Cf. infra p. 277 ss.38 Cf. infra p. 281.39 Antoine, p. 162, N 9.29 ; Thomas / Hudson, p. 1186, N 38.07.40 Cf. Thomas, p. 341, et la jurisprudence citée.41 may, p. 7.42 Cf. Thomas, p. 340, et la jurisprudence citée.43 Thomas, p. 339.

276 Aude Peyrot

[…] on which the statute of 13 Eliz. c.5 proceeds is this that persons must be just before they are generous, and that debts must be paid before gifts can be made.”44 Le degré d’endettement nécessaire pour déclencher l’applica-tion de cette règle a été envisagé de façon variable dans la jurisprudence anglo-saxonne. En principe, l’existence d’une (voire de plusieurs) dette(s) au moment de l’acte de disposition n’a pas été jugée suffisante. Pour autant, il n’est pas nécessaire que le débiteur se trouve en état d’insolvabilité 45. L’application de la règle est sujette à un examen de l’ensemble des circons-tances au moment du transfert de propriété 46. Outre les créanciers actuels du disposant, le Statute of Elizabeth pro-tège également ses créanciers futurs, i.e. ceux dont la créance est née pos-térieurement à l’acte de disposition 47. De ce fait, si, au moment du trans-fert, le débiteur avait l’intention de soustraire ses actifs à la mainmise de potentiels futurs créanciers, l’acte est pareillement annulable 48. L’intention frauduleuse du débiteur (fraudulent intent) est une condition essentielle 49. La décision Re Twine’s Case 50, rendue dans un litige impliquant un trust, a mis en évidence les indices sur la base desquels cette intention pouvait être établie. Ces indices, qualifiés de “badges of fraud”, sont notamment les suivants : l’absence de contrepartie adéquate, le fait que le débiteur soit devenu insolvable après le transfert, l’existence d’un lien entre l’auteur et le destinataire du transfert, le fait que le débiteur ait continué à jouir de la chose malgré son dessaisissement, la rétention d’un pouvoir de révocation par le settlor d’un trust, ou encore le fait que le transfert soit intervenu après la naissance d’une dette 51. La protection des créanciers futurs, telle qu’interprétée par les tribu-naux anglais de l’époque, a notamment conduit à sanctionner la constitu-tion d’un trust par une personne sur le point de s’engager dans une entre-

44 may, p. 35 s. ; cf. aussi ross, p. 1.45 Thomas, p. 347.46 may, p. 37 ss.47 rothschild (Asset protection trusts), p. 429.48 may, p. 65 ss, citant un extrait de la décision Stileman v. Ashdown (1742) 2 Atk. 477,

at [481] : “It is not necessary that a man should be actually indebted at the time he enters into a voluntary settlement ; for it a man does it with a view of being indebted at a future time it is equally fraudulent, and ought to be set aside.” ; Thomas, p. 347.

49 Thomas / Hudson, p. 1075, N 40.06. 50 (1601) 30 Co 80.51 Cf. décision citée sous note précédente ; cf. aussi rothschild (Asset protection

trusts), p. 429.

277Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

prise économiquement risquée, aux fins de protéger ses actifs. Le principe correspondant a été posé dans l’affaire Re Butterworth (1882) par Lord Jessel MR : “The principle […] is this, that a man is not entitled to go into hazardous business and immediately before doing so settle all his property voluntarily upon trust, the object being this : ‘If I succeed in business, I make a fortune for myself. If I fail, I leave my creditors unpaid. They will bear the loss’. That is the very thing which the Statute of Elizabeth was meant to prevent. The object of the settlor was to put his property out of the reach of his future creditors. He contemplated engaging in this new trade and he wanted to preserve his property from his future creditors. That cannot be done by a voluntary settlement. That is to my mind a clear and satisfac-tory principle.”52 Il ressort ainsi que le Statute of Elizabeth réprime jusqu’à l’opportunisme économique consistant à vouloir tirer profit d’une activité considérée comme risquée, tout en laissant aux créanciers la charge de subir les éventuelles pertes en cas de déconfiture. Dans la mesure où le trust vise et permet d’atteindre ce but au détriment des créanciers futurs du settlor, il contrevient à la réglementation précitée.

2. Le droit anglais positif

Le  Statute of Elizabeth a été remplacé en Angleterre par la section 172 du Law of Property Act de 1925, ainsi que par la section 42 du Bankruptcy Act de 1914. Ces deux normes ont ensuite été intégrées dans l’actuel In-solvency Act de 1986 53. Ce dernier texte régit les diverses procédures d’insolvabilité, mais ne se limite pas à celles-ci. Contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser entendre, il contient également des règles qui s’appliquent en dehors de toute procédure d’insolvabilité. Il en va ainsi des règles relatives aux transferts frauduleux. Ceux-ci font l’objet d’une double réglementation : la section 423 Insolvency Act 1986 s’applique indé-pendamment de l’existence d’une faillite, tandis que les sections 339-340 Insolvency Act  1986 trouvent exclusivement application dans une telle circonstance 54. Elles seront examinées ci-après.

52 Re Butterworth (1882) 19 Ch D 588, 51 LJ Ch 521.53 moffat, p. 293 ; Thomas, p. 338 s. et p. 370 s.54 L’insolvency Act 1986 contient également des normes pénales contre les transferts

frauduleux aux sections 352 et 357.

278 Aude Peyrot

a. La section 423 Insolvency Act 1986 : l’intention frauduleuse du transférant

La constitution d’un trust peut en premier lieu être appréhendée par la section 423 Insolvency Act 1986. Cette norme s’inscrit dans la continuité du Statute of Elizabeth et de la section 172 du Law of Property Act 1925 55. Elle revêt une portée générale, en tant qu’elle s’applique en toutes circons-tances, que le débiteur soit en faillite ou non 56. Elle vise à sanctionner les transactions faites par le débiteur sans contrepartie équivalente (at under-value), dans l’intention de porter préjudice à ses créanciers. La création d’un trust à titre gratuit – en particulier d’un asset protection trust – peut dès lors tomber sous le coup de cette disposition, lorsqu’une telle intention peut être démontrée. Tel est le cas lorsque le settlor a cherché, en procédant à la transaction litigieuse, à mettre ses actifs hors de la portée d’un créan-cier susceptible d’introduire une action à cette date ou ultérieurement ou à le léser d’une autre façon en relation avec la prétention qu’il entendait faire valoir 57. Il suffit que ce résultat ait constitué une motivation importante pour le settlor (“substantial purpose”), sans qu’il n’ait été son seul objectif, ni même son but prépondérant. En revanche, le simple fait que le débiteur ait envisagé ce résultat de façon accessoire n’est pas suffisant 58. L’intention est établie à partir de circonstances objectives 59, dont la plus importante est la situation financière du settlor au moment de la transaction 60. Bénéficient de la protection de la section 423 Insolvency Act 1986 non seulement les créanciers actuels, mais aussi dans certaines circonstances les créanciers futurs du settlor, i.e. ceux dont les prétentions n’étaient pas encore nées au moment du transfert d’actifs au trustee 61. Ladite norme a hérité cette règle du Statute of Elizabeth et de la jurisprudence y rela-tive : “[The new statutory section] probably encapsulates the effect of the old

55 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 402, N 17.9 ; Lupoi (Comparative study), p. 177 ; moffat, p. 293 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 191, N 5-176.

56 mitchell, Hayton & mitchell, p. 608, N 14-152 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 192, N 5-158.

57 Cf. section 423(3) insolvency Act 1986.58 moffat, p. 297 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 192 s., N 5-159. 59 mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 192, N 5-159.60 moffat, p. 298.61 edwards / stockwell, p. 158 ; Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 402, N 17.9 ;

mitchell, Hayton & mitchell, p. 609, N 14-153 ; mowbray [et al.], Lewin on Trusts, p. 192, N 5-158.

279Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

case law so that an attempt to prejudice future creditors, even though there may be no existing creditors, will suffice to make a transaction impeachable […].”62 La protection des potentiels créanciers futurs a notamment été af-firmée dans l’affaire Midland Bank v Wyatt, où il a été jugé qu’une dispo-sition volontaire effectuée en vue de soustraire des biens à leur mainmise, était sujette à la section 423 Insolvency Act 1986 63. Strictement appliquée, la protection des créanciers futurs implique que tout trust créé dans l’optique d’abriter les actifs d’un individu contre un risque potentiel futur est susceptible de révocation. Une application aussi sévère de la règle ne semble toutefois pas faire l’unanimité 64. Même si la portée de la section 423 Insolvency Act 1986 fait l’objet de discussions en doctrine et pourrait être amenée à évoluer dans le futur, elle rend, en l’état, le droit anglais extrêmement peu attrayant pour la constitution d’un asset protection trust 65.

b. Les sections 339 ss Insolvency Act 1986 : les actes du débiteur en faillite

Outre la section 423 Insolvency Act 1986 qui est un remède de portée gé-nérale, le droit anglais est doté d’autres moyens qui prévalent spécifique-ment lorsque le débiteur a été déclaré en faillite. Notamment, la section 339 de la même loi sanctionne les transactions effectuées sans contrepartie adéquate 66 (transactions at undervalue) dans un certain laps de temps avant la requête en faillite 67. Elle ne suppose en revanche pas d’intention frauduleuse de la part du débiteur 68.

62 Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 402, N 17.9, se référant à Mackay v Douglas (1872) Lr 14 eq 106, 26 LT 721, et Re Butterworth (1882) 19 Ch D 588, 51 LJ Ch 521.

63 Midland Bank plc v Wyatt [1997] 1 BCLC 242, [1995] 1 FLr 696.64 Cf. notamment Hayton [et al.], underhill & Hayton, p. 402 s., N 17.10. 65 moffat, p. 295. Pour des cas de révocation d’un trust sur la base de la section 423

insolvency Act 1986, cf. notamment I.R.C. v Hashmi [2002] eWCA Civ 981, [2002] 2 BCLC 489 ; Midland Bank plc v Wyatt [1997] 1 BCLC 242, [1995] 1 FLr 696.

66 section 339(3) insolvency Act 1986. 67 La section 340 insolvency Act 1986, qui vise les privilèges accordés à certains créan-

ciers, n’est pas abordée ici. elle peut trouver application en présence d’un trust consti-tué à titre de sûreté en faveur des créanciers du settlor.

68 Haley / mcmurtry, p. 503, N 16-28.

280 Aude Peyrot

L’acte est mis en cause s’il est intervenu dans les 5 ans précédant le dépôt de la requête sur la base de laquelle le débiteur a été déclaré en faillite et pour autant que le débiteur ait été insolvable au moment de la transaction ou le soit devenu de son fait 69. L’insolvabilité se réfère à l’im-possibilité dans laquelle se trouve une personne de payer ses dettes au moment où elles deviennent exigibles ou, alternativement, à la situation dans laquelle la valeur de ses actifs est inférieure à celle de ses passifs 70. Curieusement, le droit anglais présume la réalisation de cette condition en fonction de l’identité de la personne avec laquelle le débiteur a traité. Elle est notamment présumée lorsque la transaction a été passée avec un “com-plice” du débiteur (“ associate”) 71, par quoi il faut notamment entendre le conjoint du débiteur, un membre de sa famille, un associé, un employé, son employeur, etc.72. Ainsi, dans le cas d’un trust créé en faveur de la famille du settlor, il est présumé que le settlor était insolvable ou l’est devenu à la suite du transfert de ses biens au trustee. S’il a été en outre constitué dans les 5 ans précédant la faillite du settlor, un tel trust est irrémédiablement soumis aux sanc-tions de la section 339 Insolvency Act 1986, à moins que la présomption d’insolvabilité ne soit renversée. In casu, sur requête de l’administrateur de la faillite (“trustee in bankruptcy”), le juge peut prendre toutes les me-sures qu’il juge opportunes pour rétablir la situation qui aurait prévalu si la transaction litigieuse n’avait pas eu lieu, c’est-à-dire si le trust n’avait pas été créé 73. Notamment, il peut ordonner la réintégration du fonds du trust dans la masse en faillite. En définitive, la section 339 Insolvency Act 1986 n’est pas un obstacle à la constitution d’un asset protection trust (s’agissant d’un moyen qui n’est donné a posteriori qu’en cas de faillite), mais elle vient compléter le catalogue des remèdes à disposition des créanciers et déploie par là un certain effet de dissuasion.

69 section 341(1) et (2)(a)-(b) insolvency Act 1986. Cf. edwards / stockwell, p. 153. selon la loi, la condition de l’insolvabilité n’est toutefois pas requise si la transaction a eu lieu dans un délai de 2 ans précédant la faillite.

70 section 341(3)(a)-(b) insolvency Act 1986.71 section 341(2) insolvency Act 1986.72 sur la notion d’ “associate”, cf. section 435 insolvency Act 1986 ; edwards / stock-

well, p. 154.73 section 339(1)-(2) insolvency Act 1986.

281Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

3. Le droit américain positif

Comme le droit anglais, le droit américain moderne des fraudulent con-veyances dérive du Statute of Elizabeth de 1571 74. Dans certains Etats, ce décret a été directement appliqué à titre de common law. Dans d’autres, il a été expressément adopté ou promulgué en des termes plus ou moins similaires 75. Chaque Etat a toutefois développé ou interprété les principes du décret à sa manière, ce qui a donné lieu à des réglementations disparates. Afin de remédier aux incertitudes résultant de ce manque d’homogénéité, la National conference of commissioners on uniform state laws a édicté l’Uniform Fraudulent Conveyances Act (UFCA) en 1918 76. Ce texte a ensuite été modifié et remplacé par l’Uniform Fraudulent Transfer Act (UFTA) en 1984. La plupart des Etats américains ont promulgué soit l’un, soit l’autre de ces actes 77. L’UFTA est en vigueur dans quarante-cinq d’entre eux 78. Il est ainsi largement représentatif du droit moderne des Etats américains 79, ce qui justifie d’examiner ses règles. Celles-ci ont une portée générale et valent indépendamment d’une faillite du débiteur. Notons qu’il existe pa-rallèlement d’autres règles contre les fraudulent conveyances qui prévalent, pour leur part, dans le cadre de la faillite. Elles sont contenues dans le Bankruptcy Code, applicable à l’ensemble des Etats américains en tant que droit fédéral. En particulier, la section 548 du Bankruptcy Code traite des transferts frauduleux qui sont le fait d’un débiteur en faillite 80. Elle sera examinée plus loin (cf. point c).

74 uFTA, prefatory note, p. 1 ; epstein, p. 63 ; Garrard, p. 79 ; sterk, p. 1043, note 50 et p. 1045.

75 uFTA, prefatory note, p. 1 ; epstein, p. 63 ; may, p. 2 ; Garrard, p. 80.76 uFTA, prefatory note, p. 1. sur le rôle et la nature des lois uniformes, cf. supra p. 135.77 sterk, p. 1045.78 Les seuls etats qui ne l’ont pas intégré dans leur loi interne sont les suivants : Alaska,

south Carolina, Kentucky, Virginia, maryland, New York.79 A noter toutefois que certains etats américains ont aménagé leurs lois, dès la fin

des années 90, pour permettre la constitution d’asset protection trusts. Cf. à ce sujet, rounds, p. 184 ; solomon / saret, chapitres 5 et 13. il s’agit des etats suivants : Alaska, Delaware, Nevada, oklahoma, rhodes island, utah, south Dakota, missouri, Wyoming, Tennessee.

80 La section 548 du Bankruptcy Code est la plus connue et la plus fréquemment citée. elle n’est toutefois pas la seule à régir les transferts frauduleux. il faut également prendre en considération la section 544(b) du Bankruptcy Code. Cf. notamment à cet égard, epstein, p. 230 ss.

282 Aude Peyrot

a. La section 4(a) UFTA : l’intention frauduleuse du transférant

La section 4(a) UFTA vise les transferts frauduleux effectués au préjudice des créanciers actuels et futurs du transférant (“transfers fraudulent as to present and future creditors”). Outre son intitulé parfaitement clair, le texte précise que le transfert est frauduleux à l’égard d’une personne, indépen-damment du fait que sa prétention soit née avant ou après le transfert. Le caractère frauduleux d’une transaction se manifeste dans deux types de circonstances. Premièrement, est frauduleux au sens de la sec- tion 4(a)(1) tout transfert effectué dans l’intention concrète et réelle (“with actual intent”) de léser les créanciers. La preuve directe d’une telle inten-tion est particulièrement difficile à faire, raison pour laquelle la section 4(b) UFTA énumère, de façon non-exhaustive (cf. les termes “amongst other factors”), les circonstances qui peuvent être prises en considération dans l’apport de cette preuve. Il en va ainsi du fait que le destinataire du trans-fert de propriété est un “initié” (“insider”) 81, que le débiteur a conservé la possession ou la propriété de la chose après en avoir disposé, que l’acte de disposition a été dévoilé ou caché, que le débiteur a fait l’objet d’une ac-tion ou a été menacé d’une telle action préalablement à celui-ci, que l’acte de disposition a porté sur une grande partie des biens du débiteur, que le débiteur s’est enfui, qu’il a transféré ou caché ses actifs, qu’il était insol-vable ou est devenu insolvable peu de temps après le transfert de propriété ou que ce transfert a eu lieu avant ou peu après la naissance d’une dette importante 82. Ces circonstances “suspectes” sont directement héritées des “badges of fraud” mis en lumière dans la jurisprudence relative au Statute of Elizabeth, en particulier dans Re Twine’s Case 83, ce qui témoigne de la continuité existant entre ces deux réglementations. En deuxième lieu, est frauduleux au sens de la section 4(a)(2) UFTA tout transfert qui peut être considéré comme “constructively fraudulent”. Cette expression se réfère au fait que le caractère frauduleux de l’acte re-pose sur une interprétation de la loi, plutôt que sur l’intention réelle du débiteur 84. Est considéré comme tel tout acte de disposition effectué sans contrepartie adéquate (without reasonably equivalent value) si l’une

81 Le terme “insider” est défini à la section 1(7) uFTA. 82 Cf. section 4 uFTA, cmt (6)(a)-(j) pour l’énumération de décisions relatives à chacun

de ces éléments. 83 section 4 uFTA, cmt (5). Cf. supra p. 276.84 uFTA, prefatory note, p. 3. epstein, p. 66 ; sterk, p. 1047.

283Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

des deux circonstances suivantes est réalisée : (i) le débiteur, au moment du transfert, s’était engagé (ou était sur le point de s’engager) dans une activité ou une transaction dont l’ampleur excédait clairement ses res-sources résiduelles ou (ii) le débiteur savait ou devait savoir que ses dettes, lorsqu’elles deviendraient exigibles, dépasseraient largement sa capacité de paiement 85. Il résulte ainsi de ce qui précède que la section 4(a) UFTA protège les créanciers (existants ou futurs) d’un settlor qui établit un trust à titre gra-tuit dans l’intention de soustraire ses actifs à leur mainmise, s’ils peuvent prouver l’effectivité de cette intention ou plus simplement s’il apparaît que le settlor était sur le point de s’engager dans une activité pour laquelle ses actifs résiduels n’auraient pas été suffisants. L’on insistera sur le fait que la création du trust peut être tenue pour frauduleuse, même si le settlor n’avait aucun créancier à cette époque. Selon S. Sterk : “Both the statutory language and history of the UFTA, support the view that a transfer can be fraudulent even if the transferor had no creditors at the time of the transfer. Therefore, so long as a creditor can prove that the settlor transferred prop-erty into trust with the intent to defraud some present or future creditor, any creditor – even one whose claim had not arisen, and was not anticipated, at the time of the transfer – may set aside the transfer”86. En cela, l’UFTA pose de très strictes barrières à la constitution d’un asset protection trust. Sous réserve des limitations mentionnées à la section 8, les moyens à disposition des créanciers lésés sont ceux de la section 7. Ils peuvent no-tamment obtenir la révocation (“avoidance”) du transfert de propriété dans la mesure nécessaire à satisfaire leur prétention, le blocage d’avoirs transférés, l’interdiction de tout transfert subséquent, ainsi que toute autre mesure adéquate 87.

b. La section 5(a) UFTA : le transfert de biens par un insolvable

La section 5(a) UFTA sanctionne, quant à elle, les transferts d’actifs effec-tués sans contrepartie adéquate (without reasonably equivalent value) par un débiteur insolvable au moment du transfert ou qui l’est devenu de son fait. Cette section repose ainsi sur un état de fait objectif, qui est l’absence

85 section 4(a)(2) uFTA.86 sterk, p. 1046.87 Concernant le délai pour agir, cf. section 9 uFTA.

284 Aude Peyrot

d’une juste contrepartie et l’insolvabilité du transférant. Cette dernière se manifeste lorsque les passifs du débiteur sont supérieurs à ses actifs. L’insolvabilité est présumée lorsque le débiteur ne paie pas ses dettes au moment où elles deviennent exigibles 88. Seuls les créanciers actuels sont protégés par cette section, c’est-à-dire ceux dont la prétention est née avant le transfert litigieux, à l’exclusion des créanciers futurs, comme l’indique son intitulé (“transfers fraudulent as to present creditors”). On retiendra ainsi que la section 5(a) UFTA protège les créanciers exis-tants de celui qui constitue un trust à titre gratuit, alors qu’il est insolvable ou s’il devient insolvable en raison du transfert d’actifs. A nouveau, les créanciers peuvent obtenir la révocation (“avoidance”) du trust dans la me-sure nécessaire à satisfaire leur prétention, le blocage d’avoirs transférés, l’interdiction de tout transfert subséquent, ou toute autre mesure adéquate (cf. section 7 UFTA).

c. La section 548 du Bankruptcy Code : l’intention frauduleuse du failli

La section 548(a)(1)(A) rend inopposable à l’administrateur de la faillite (“trustee in bankruptcy”) tout transfert de propriété effectué par un débi-teur dans les deux ans précédant la requête en faillite et dans l’intention réelle et concrète (“with actual intent”) de léser ses créanciers actuels ou futurs 89. Quant à la section 548(a)(1)(B), elle déploie les mêmes effets à l’égard d’un transfert intervenu dans le même laps de temps et effectué sans contrepartie équivalente, s’il peut être considéré comme “constructively fraudulent”90. Tel est le cas dans les hypothèses suivantes : (i) lorsque le débiteur était insolvable au moment du transfert ou s’il est devenu de son fait 91 ; (ii) s’il s’était engagé ou était sur le point de s’engager dans une acti-vité pour laquelle ses fonds résiduels n’étaient pas raisonnablement suffi-sants (“unreasonably small capital”) ; (iii) s’il envisageait la survenance de dettes dépassant sa capacité de paiement au moment où elles deviendraient exigibles ; ou (iv) lorsque le transfert a été opéré en faveur d’un “initié”

88 section 2(a) et (b) uFTA.89 epstein, p. 223.90 epstein, p. 223. sur cette notion, cf. supra p. 282.91 L’insolvabilité est définie à la section 101(32) du Bankruptcy Code comme la situation

financière où les passifs du débiteur sont supérieurs à ses actifs.

285Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

(“insider”), par quoi il faut notamment entendre les membres de la famille du transférant 92. Relevons encore que la section 548(e) du Bankruptcy Code porte la durée de la période critique à dix ans lorsque l’acte de disposition est inter venu dans la situation suivante : le débiteur a transféré ses biens dans un self-settled trust ou dans un dispositif similaire, dont il est lui-même l’un des bénéficiaires, avec l’intention concrète et réelle (“actual intent”) d’entraver ou de léser ses créanciers actuels ou futurs, étant précisé qu’un tel transfert peut par exemple intervenir en anticipation d’un jugement condamnatoire portant sur une somme d’argent, d’un arrangement amiable, de dommages-intérêts civils ou d’une amende pénale 93. Il apparaît ainsi que la section 548 du Bankruptcy Code est conçue de façon particulièrement large. Un trust constitué dans un but de pré-servation d’actifs aura ainsi toutes les chances de tomber sous le coup de cette règle. En théorie, même un trust qui aurait été créé dix années avant la faillite du settlor peut être sanctionné, si une intention frauduleuse concrète peut être démontrée. A défaut, tout trust créé dans les deux an-nées précédant la faillite est vulnérable à la révocation.

4. synthèse

Il ressort des considérations qui précèdent que le Statute of Elizabeth de 1571, remarquable par son étendue temporelle et géographique, est à l’ori-gine de diverses réglementations modernes contre les fraudulent convey-ances. Il repose sur l’idée selon laquelle un individu n’est pas légitimé à soustraire ses biens à la mainmise de ses créanciers, que leur prétention soit antérieure ou postérieure au transfert d’actifs. Il entretient en cela une vision absolue du principe de responsabilité patrimoniale, selon lequel chacun répond sur ses propres biens de façon illimitée. L’esprit rigoureux du décret de 1571 a marqué le droit positif de diverses juridictions anglo-saxonnes. Tel est le cas des droits anglais et américain contemporains. Tous deux contiennent des réglementations très strictes contre les transferts frauduleux 94. Elles sont étonnantes par la diversité des situations qu’elles appréhendent et par le fait qu’elles sont opérantes non

92 Pour la définition de cette notion, cf. section 101(31) du Bankruptcy Code. 93 Cf. section 548(e)(2) du Bankruptcy Code.94 Le droit américain est toutefois considéré comme moins contraignant que le droit

anglais ; cf. notamment matthews (Asset Protection Trust), p. 68.

286 Aude Peyrot

seulement dans la faillite, mais également en dehors de celle-ci, dans des circonstances ordinaires. Leur protection s’adresse logiquement en pre-mier lieu aux créanciers existants du disposant. Dans le sillage du décret précité, elles s’opposent également aux transferts de propriété au détriment de ses créanciers futurs, à certaines conditions et dans certaines circons-tances. Pour cette raison, les droits anglais et américain sont à l’évidence très peu propices à la constitution d’un asset protection trust 95. En défi-nitive, ils tolèrent la fonction de préservation d’actifs lorsqu’il s’agit d’un effet incident, presque purement accidentel du trust, mais la repoussent généralement lorsqu’il s’agit d’une finalité en soi. Il est apparu dès lors très clairement que la poursuite de cette finalité devait être entreprise en de-hors de ces juridictions, autrement dit dans les juridictions dites offshore.

c. Avènement dans les juridictions offshore

1. introduction aux trusts offshore

Le terme “offshore” a deux acceptions. En premier lieu, il fait référence à toute juridiction autre que celle à laquelle le settlor est rattaché. Dans ce sens, un “trust offshore” est un trust formé dans un pays différent de celui du settlor. Alternativement, le terme vise les centres financiers offshore (offshore financial centers) qui ont entrepris de créer et de développer une industrie de services visant à pourvoir spécialement aux besoins financiers ou économiques de personnes ou de sociétés ayant leur domicile, leur siège ou leur résidence dans d’autres juridictions 96. Ces centres ont notamment adopté des législations modernes en matière de trusts qui visent à offrir à un settlor étranger des possibilités qui ne lui sont pas ouvertes dans sa propre juridiction 97. Dans cette perspective, un “trust offshore” est un trust soumis à la loi de l’un des centres financiers offshore 98. C’est dans ce sens que nous emploierons l’expression dans la suite de notre étude. Les juridictions offshore ont opéré une transformation progressive du trust traditionnel à divers points de vue. Comme le relève M.-B. Antoine : “This new creation, the offshore trust, is in many ways extraordinary. On

95 sous réserve des assets protection trusts de certains etats américains évoqués supra p. 281, note 79.

96 Thomas / Hudson, p. 1073, N 40.01.97 rothschild (Asset protection trusts), p. 423 ; Thomas / Hudson, p. 1073, N 40.01.98 Antoine, p. 5, N 1.05 ; Thomas / Hudson, p. 1073, N 40.01

287Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

the one hand, it borrows heavily from the traditional trust, created and fashioned by the principles of equity. Yet, on the other hand, it embodies unique concepts radical to the traditional trust. It has attempted to sur-mount the forced heirship regime of the civil law. It has created the original entity that is the ‘purpose trust’. It has attempted to exploit universal prin-ciples of tax law which advance tax mitigation. It has promoted the cause of the freedom of disposition of property, even to the extent of prioritizing the interests of named beneficiaries and trust purposes over future, un-identifiable creditors. As the challenge to its existence mounts, its creators constantly seek to reshape it to enable it to adapt to its changing environ-ment.”99 Il apparaît ainsi que le trust offshore est une institution hybride qui emprunte largement ses traits au trust traditionnel et aux principes de l’equity, mais qui s’en dis tingue aussi radicalement. Il cherche à surmonter les obstacles économiques ou juridiques auxquels le settlor est confronté dans l’Etat de son domicile ou de sa résidence (réserves héréditaires, inter-diction des “purpose trust”, c’est-à-dire des trusts qui sont établis en vue de la poursuite d’un but autre qu’un but charitable, etc.). Dans la perspective qui nous intéresse, il confère surtout au settlor le pouvoir de disposer libre-ment de ses biens, sans égard à ses créanciers futurs et non-identifiables. La protection des actifs compte parmi les utilisations les plus courantes de ce type de trusts 100. Les lois de certaines juridictions offshore encoura-gent cette finalité en restreignant dans une mesure plus ou moins grande les possibilités d’action d’un créancier lésé par la constitution d’un trust. Elles ont ainsi donné naissance et développé des trusts visant spécifique-ment la protection des biens du settlor.

2. origine

L’apparition des asset protection trusts s’explique par le contexte judi-ciaire instable qui prévalut aux Etats-Unis dans les années 80, en parti-culier par l’explosion du nombre de procès en responsabilité pour des cas de négligence professionnelle, couplée avec un accroissement massif des primes et une limitation des couvertures d’assurance. Ce sont avant tout les domaines médical et environnemental qui furent touchés par ce phéno-mène. Dans ce contexte judiciaire et économique incertain, les individus

99 Antoine, préface.100 Antoine, p. 14, N 2.03 ; Thomas / Hudson, p. 1074, N 40.02.

288 Aude Peyrot

et les entreprises concernés ont cherché des moyens propres à endiguer les conséquences d’une débâcle économique et à garantir une certaine pé-rennité financière. Les trusts sont apparus comme un moyen efficace d’at-teindre ce but 101. Face à ce fort besoin en matière de protection d’actifs, certains centres financiers offshore ont entrepris de modifier le cadre législatif prévalant sur leur territoire, de façon à créer un environnement propice aux asset protection trusts. Ils sont plusieurs à avoir adopté, dès la fin des années 80, des législations modernes qui s’écartent des règles traditionnelles répri-mant les transferts frauduleux (fraudulent conveyances) 102. L’on citera no-tamment les juridictions suivantes : Anguilla, les Bahamas, la Barbade, le Belize, les Bermudes, les Iles Caïmans, les Iles Cook, Chypre, Gibraltar, Grenade, Labuan, les Iles Marshall, l’Ile Maurice, Montserrat, Nevis, les Seychelles et Turks & Caicos 103. Ces juridictions se sont attachées à renverser la tendance des règles traditionnelles consistant à favoriser les créanciers au détriment du settlor et leur ont substitué un régime pro-débiteur (“pro-debtor”) 104. Ce faisant, elles sont parvenues à se démarquer des juridictions onshore et à attirer la clientèle qui en est originaire.

3. réglementation (aperçu)

La création d’un cadre propice aux asset protection trusts dans les juridic-tions offshore a nécessité l’abrogation des règles traditionnelles du Statute of Elizabeth 105. Comme indiqué plus haut, ce décret a été à l’origine déclaré applicable dans tous les royaumes dépendant de la Couronne britannique, ce qui a concerné un grand nombre de juridictions offshore 106. Pour s’en

101 Grundy / Briggs / Field, p. 1, N 1.1 à N 1.3 ; Lupoi (Comparative study), p. 119 ; matthews (Asset Protection Trust), p. 62 ; Thomas, p. 337.

102 Antoine, p. 25, N 2.37 ; Grundy / Briggs / Field, p. 31, N 5.1.1 ; Thomas / Hudson, p. 1076, N 40.09. sur les règles traditionnelles en matière de fraudulent conveyances, cf. supra p. 274 ss.

103 Grundy / Briggs / Field, p. 31, N 5.1.1. Cf. par ailleurs la liste (légèrement différente) établie par rothschild (Asset Protection Trusts), p. 431, qui cite en outre Guernesey, Jersey, le Liechtenstein, sainte-Lucie et saint-Vincent-et-les-Grenadines.

104 Antoine, p. 177, N 9.83.105 rothschild (Establishing and Drafting), p. 407 ; Thomas / Hudson, p. 1076, N 40.09. 106 A propos du Statute of Elizabeth, cf. supra p. 274 ss.

289Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

départir, les juridictions qui y étaient soumises l’ont l’abrogé et remplacé par des règles modernes 107. Certaines l’ont toutefois maintenu tout en res-treignant son application 108. Le décret est, en théorie, toujours en vigueur dans les juridictions offshore de common law qui ne l’ont pas aboli. Des incertitudes règnent notamment sur l’applicabilité de ce décret dans les juridictions des Iles Vierges Britanniques et de l’Ile de Man qui n’ont pas adopté de législation moderne en la matière 109. La finalité sous-jacente des règles modernes est principalement de contrecarrer la protection accordée par le décret de 1571 aux créanciers futurs non encore identifiés au moment du transfert de propriété 110. Cet élément a en effet été perçu comme l’obstacle premier au développement des asset protection trusts 111. En dehors de cette finalité commune, cha-cune des législations modernes possède des contours et des limites qui lui sont propres. Afin de restreindre la protection accordée aux créanciers, les juridictions ont généralement recouru à l’un ou plusieurs des éléments suivants : limitation des créanciers habilités à requérir la révocation, éta-blissement du fardeau de la preuve à la charge du créancier, accroissement du degré de la preuve quant à l’intention dolosive du settlor, soumission de l’action à un délai plus ou moins court, limitation ou exclusion de la re-connaissance et de l’exécution des jugements étrangers, restrictions à l’ac-cès aux informations concernant le trust 112. Cette énumération n’est pas exhaustive. Ces éléments seront exposés ci-après dans les grandes lignes à la lu-mière de lois spécifiques, principalement celle des Iles Caïmans et celle des Iles Cook. La Fraudulent dispositions Law (1996 Revision) des Iles Caïmans est une loi relativement modérée, qui a servi de modèles à d’autres textes légaux, notamment au Fraudulent Dispositions Act 1991 des Bahamas 113. A l’inverse, les règles des Iles Cook, incorporées aux sections 13A ss de

107 A l’instar des iles Caïmans, cf. section 3 Fraudulent Disposition Law (1996 revision).108 A l’instar de Gibraltar, cf. section 2(a) Bankruptcy (Amendment) ordinance 1990,

désormais intitulée Bankruptcy Act. 109 Antoine, p. 177 s., N 9.84 ; Hobson, p. 22, pour l’ile de man.110 Antoine, p. 162, N 9.28 et p. 178, N 9.85 ; Thomas / Hudson, p. 1076, N 40.09.111 Dans ce sens, Antoine, p. 162, N 9.27.112 Antoine, p. 178, N 9.85 ; matthews (Attacking and Defending), p. 246.113 A noter toutefois que sur divers points, la loi des Bahamas diverge du modèle cay-

manais. De façon générale, elle est plus favorable au débiteur. Pour un exposé dé-taillé et spécifique aux diverses législations modernes offshore, cf. Thomas / Hudson, p. 1077 ss, N 40.14 ss.

290 Aude Peyrot

l’International Trusts Act 1984 (as amended) sont désignées comme étant les plus hostiles aux créanciers 114. L’on relèvera enfin que plusieurs juridictions réservent la protection des règles modernes aux settlors étrangers et ont maintenu, dans le contexte domestique, des règles restrictives en matière de fraudulent conveyances 115. Ces règles modernes relèvent généralement du droit matériel et s’ap-pliquent indépendamment de toute procédure d’insolvabilité 116. Elles sont contenues dans une loi de portée générale 117 ou dans une loi spécifique aux trusts 118.

a. Principes et restrictions

Les législations contemporaines condamnent toutes, sur le principe, les transferts d’actifs frauduleux au préjudice des créanciers 119. Cela inclut tant la création d’un trust (i.e. le transfert initial de biens au trustee) que les apports subséquents au fonds du trust. Ce sont les restrictions qui sont apportées au principe de base, en nombre et en intensité, qui font le carac-tère plus ou moins favorable d’une loi à l’égard des asset protection trusts. La loi des Iles Caïmans pose pour principe que tout acte de disposition effectué sans contrepartie adéquate (“at an undervalue”) avec l’intention de porter préjudice aux créanciers (“with an intent to defraud”) peut être annulé à la requête d’un créancier lésé 120. Ainsi formulée, cette règle géné-rale ne s’écarte pas fondamentalement des principes traditionnels en ma-tière de protection des créanciers : l’annulation de l’acte préjudiciable est soumise à des conditions standards. C’est davantage au niveau des autres modalités que la loi s’en distingue (notamment fardeau de la preuve, créan-ciers protégés, délai pour agir). Nous y reviendrons plus loin.

114 Cf. notamment Antoine, p. 177, N 9.82 ; Grundy / Briggs / Field, p. 34, N 5.3.1 ; rothschild (Asset protection trusts), p. 430.

115 Thomas, p. 412 ; Thomas / Hudson, p. 1076, N 40.09.116 Certaines juridictions possèdent en outre d’autres dispositions qui s’appliquent en cas

de procédure d’insolvabilité contre le settlor introduite sur leur territoire. 117 Cf. notamment la Fraudulent Disposition Law (1996 revision) (Caïmans) et le Fraudu-

lent Dispositions Act 1991 (Bahamas).118 Cf. notamment sections 13B ss international Trusts Act 1984 (Cook) et sections 3 ss

international Trusts Law 1992 (Chypre).119 Antoine (Trusts), p. 177, N 9.82. 120 section 4(1) Fraudulent Disposition Law (Caïmans). La section 2 de la loi définit les

notions contenues dans cette norme.

291Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

La loi des Iles Cook énonce, pour sa part, un principe très édulcoré, assorti de très strictes conditions. Elle prévoit que le créancier du settlor peut obtenir le recouvrement de sa créance sur certains biens du trust, s’il prouve au-delà de tout doute raisonnable que la constitution du trust ou le transfert d’actifs a eu pour effet de rendre le settlor insolvable ou de pri-ver les créanciers de biens sur lesquels ils auraient pu obtenir satisfaction, et qu’elle a été faite dans l’intention principale de lui porter préjudice 121. Elle veille simultanément à disqualifier ou affaiblir toutes sortes de cir-constances temporelles ou factuelles suspectes qui seraient susceptibles d’asseoir la preuve d’une intention dolosive du settlor. Ainsi par exemple, l’intention de porter préjudice ne peut être déduite du seul fait que :(i) le settlor a procédé au transfert litigieux dans un délai de 2 ans dès la

date où la prétention du créancier est née ;(ii) il a retenu un certain nombre de pouvoirs ou de profits dans le trust ;(iii) il est l’un des bénéficiaires, le trustee ou le protecteur du trust ; (iv) il a effectué ledit transfert à un moment où le créancier avait déjà intro-

duit son action à l’encontre du settlor devant le tribunal compétent 122. De même, le transfert d’actifs est réputé ne pas avoir été effectué dans l’in-tention de léser les créanciers s’il est intervenu  :(i) avant la naissance de la prétention susceptible de fonder une action du

créancier (“before that creditor’s cause of action accrued”) 123 ;(ii) après l’expiration d’un délai de 2 ans dès la naissance de cette pré-

tention 124 ;(iii) à l’intérieur de ce délai, mais que le créancier n’a pas introduit d’action

dans un délai d’une année dès l’acte de disposition 125. Dans ces conditions, il est extrêmement difficile pour un créancier de dé-montrer une intention frauduleuse du settlor sous l’empire de la loi des Iles Cook.

121 section 13B(1) international Trusts Act 1984. 122 section 13B(5)(a)-(d) international Trusts Act 1984. sur les pouvoirs et bénéfices que

peut garder un settlor dans un trust soumis au droit des iles Cook, cf. section 13C international Trusts Act 1984.

123 section 13B(4) international Trusts Act 1984. sur la notion de creditor’s cause of ac-tion et le moment de sa survenance, cf. section 13B(8) international Trusts Act 1984.

124 section 13B(3)(a) international Trusts Act 1984. 125 section 13B(3)(b) international Trusts Act 1984. Cette règle est curieuse, dans la me-

sure où elle lie l’intention dolosive du settlor à la diligence du créancier.

292 Aude Peyrot

b. Protection limitée aux créanciers existants

La protection des législations offshore modernes ne s’adresse qu’aux créan-ciers actuels du settlor. Même si sa mise en œuvre est soumise à des limita-tions plus ou moins fortes, celle-ci n’est pas fondamentalement remise en cause dans son principe. En revanche, la protection des créanciers futurs et non-identifiés au moment de l’acte de disposition, garantie par le Statute of Elizabeth, a été totalement supprimée par ces lois 126. Cet aspect consti-tue le cœur des réglementations modernes et a été le préalable nécessaire à l’apparition des asset protection trusts. L’approche générale adoptée par les juridictions offshore consiste à préserver le trust dès qu’il a été créé par une personne solvable au moment de le constituer et qui l’est restée à la suite du transfert d’actifs 127. En pratique, il n’est pas rare que le trustee requière du settlor une attestation certifiée de solvabilité (“affidavit of sol-vency”) au moment de la constitution du trust. Le document vise notam-ment à attester qu’il n’y a aucune action pendante contre le settlor et qu’il n’est pas dans l’expectative d’une telle action. Il vise également à établir que le settlor est solvable au moment du transfert d’actifs et qu’il conserve les ressources nécessaires à couvrir les dettes pouvant être raisonnable-ment anticipées. La remise d’une telle attestation est préconisée par cer-taines lois offshore128. Dans la loi des Iles Caïmans 129 et des Bahamas 130, n’est ainsi considéré comme un créancier protégé que celui à qui une obligation est due, étant précisé que cette obligation devait exister au moment de l’acte de disposi-tion et que le transférant devait en avoir connaissance. Il en va de même de la loi des Iles Cook au vu notamment de la règle, évoquée précédem-ment, selon laquelle le trust est réputé ne pas avoir été créé dans l’intention de léser un créancier si la constitution a eu lieu avant la naissance de la prétention 131.

126 Antoine (Trusts), p. 162, N 9.28 et p. 178, N 9.85 ; matthews (Asset Protection Trust), p. 72 ; Thomas / Hudson, p. 1076, N 40.09.

127 Grundy / Briggs / Field, p. 32. 128 Cf. notamment section 4 Trustee Companies (due diligence) regulations 1996 (Cook). 129 section 2 Fraudulent Disposition Law. 130 section 2 Fraudulent Dispositions Act 1991. 131 section 13B(4) international Trusts Act 1984.

293Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

c. Durcissement des conditions procédurales

Dans toutes les législations modernes, le fardeau de la preuve relatif à l’in-tention dolosive du settlor a été mis à charge du créancier demandeur 132. Cela constitue un changement procédural notable par rapport au Statute of Elizabeth, qui prescrivait l’apport de la preuve de l’absence d’intention do-losive par le défendeur, dans les cas où l’acte de disposition était intervenu à titre gratuit 133. Par ailleurs, cette règle a été accompagnée, dans certains cas, d’un durcissement du degré de preuve requis. La loi des Iles Cook impose par exemple au créancier un degré de preuve très élevé, puisque l’intention dolosive doit être démontrée au-delà de tout doute raisonnable (“proof beyond reasonable doubt”) 134. En outre, comme indiqué plus haut, certaines circonstances ne peuvent être exploitées dans l’apport de cette preuve, malgré le fait qu’elles peuvent être propres à éveiller des soupçons. En outre, dans le but de préserver le trust d’une responsabilité illimitée, les législations modernes ont soumis les créanciers lésés à un délai pour faire valoir leurs droits en justice. Elles empêchent que la constitution d’un trust ou un transfert d’actifs subséquent ne soit remis en cause de nombreuses années plus tard, comme cela est, en théorie, possible sous le Statute of Elizabeth, faute de règle contraire. Le délai varie selon les juridictions. Il est de 6 ans depuis la date de l’acte de disposition litigieux aux Iles Caïmans 135 et aux Bermudes. Il est de 2 ans aux Bahamas et aux Iles Cook 136.

d. Limitation des effets de l’action

En cas de succès de l’action du créancier, les conséquences sur le trust ou le transfert d’actifs ont été largement atténuées dans les législations mo-dernes. Il ne s’agit plus, comme sous l’empire du Statute of Elizabeth, d’une annulation ab initio de l’acte dans son entier, avec toutes les conséquences qu’une telle invalidation peut avoir sur les distributions faites ou les dé-penses encourues par le trustee sur le fonds du trust.

132 Cf. notamment section 4(2) Fraudulent Disposition Law (Caïmans) et section 13(B)(1) international Trusts Act 1984 (Cook). A cet égard, cf. Antoine (Trusts), p. 180, N 9.90.

133 Cf. Thomas, p. 344. 134 section 13B(1) international Trusts Act 1984. 135 section 4(3) Fraudulent Disposition Law (Caïmans).136 Thomas / Hudson, p. 1076 s., N 40.11 s.

294 Aude Peyrot

Selon la loi des Iles Caïmans, lorsque le créancier triomphe dans son action, la disposition ne peut être révoquée que dans la mesure néces-saire pour le satisfaire 137 ; elle est maintenue pour le surplus. Dès lors, si sa créance est inférieure aux actifs transférés dans le trust, ce dernier conti-nuera d’exister après les prélèvements qui s’imposent. La loi atténue par ailleurs, à certaines conditions, les conséquences de la révocation pour le trustee et les bénéficiaires du trust. Si le juge est convaincu que le trustee n’a pas agi de mauvaise foi, celui-ci a droit à la constitution d’une sûreté sur les actifs litigieux pour les frais qu’il a encourus dans la procédure et pour ses prétentions diverses (honoraires, créance en remboursement, etc.) 138. Si le juge a la même conviction à l’égard des bénéficiaires du trust, la révoca-tion de l’acte n’aura lieu que sous réserve des distributions antérieures qui leur ont été faites régulièrement 139. Selon la loi des Iles Cook, la conséquence n’est pas non plus l’invali-dation du trust constitué au préjudice des créanciers ou de la disposition subséquente. Le trustee est tenu de satisfaire le créancier sur les biens qui auraient été disponibles si le transfert d’actifs n’avait pas eu lieu. Cette res-ponsabilité n’existe qu’à hauteur des droits que le settlor avait sur les biens avant leur transfert et des revenus générés par ceux-ci, à l’exclusion de tout autre actif 140. Il est précisé en outre qu’aucun autre remède ne peut être octroyé au créancier 141.

e. Non-application du droit étranger et non-reconnaissance des jugements étrangers

La plupart des juridictions offshore ne sont pas soumises à la Convention de La Haye sur les trusts et possèdent généralement leurs propres règles de conflit de lois 142. Celles-ci viennent souvent renforcer la protection accor-dée aux asset protection trusts, en sus des règles matérielles sur les fraudu-lent conveyances. Elles tendent en effet à étirer le champ d’application de la loi domestique à (presque) toutes les questions liées au trust et inversement

137 section 6 Fraudulent Disposition Law.138 section 5(a) Fraudulent Disposition Law.139 section 5(b) Fraudulent Disposition Law.140 sections 13B(1) et 13B(6) international Trusts Act 1984.141 section 13B(10) international Trusts Act 1984.142 Pour une liste des juridictions offshore soumises à la Convention de La Haye, cf. supra

p. 20, note 5.

295Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

à réduire au maximum les immixtions d’une loi étrangère dans la sphère du trust. Elles imposent son application à des situations qui pourraient être, à défaut, du ressort d’une loi étrangère moins favorable 143. A titre d’exemple, la section 90 (a) à (d) de la Trusts Law (2009 Revi-sion) des Iles Caïmans soumet expressément à la loi applicable au trust les points suivants, sans qu’il ne soit tenu compte d’une quelconque autre loi avec laquelle le trust pourrait avoir des connections : la capacité du settlor, les aspects relatifs à la validité du trust ou à celle de la disposition de pro-priété, l’administration du trust, l’existence et l’étendue de pouvoirs confé-rés ou retenus par le settlor et la validité de leur exercice. Cette règle ne peut toutefois pas anéantir totalement l’applicabilité des lois étrangères et la section 90 (i) à (vi) réserve donc malgré tout certaines questions qui peuvent être examinées à la lumière d’un droit étranger. Les éléments suivants sont expressément exclus du champ de la loi applicable au trust : le transfert au trust de biens n’appartenant pas au settlor, la ca-pacité d’une société de transférer des biens dans un trust, les formalités à respecter pour les actes de disposition de biens, les immeubles situés à l’étranger et la validité d’un trust testamentaire. Sous cette réserve, la sec-tion 91(b) précise qu’un trust gouverné par la loi des Iles Caïmans ne peut être déclaré nul, annulé ou remis en cause du fait que le trust porte atteinte à des droits conférés par une loi étrangère à une personne qui est liée au settlor par un rapport de nature personnelle ou sur la base de droits suc-cessoraux réservataires ou du fait que le trust contrevient à une règle du droit étranger protégeant ces droits 144. Les Bahamas ont édicté des règles semblables 145. Certaines juridictions restreignent par ailleurs la reconnaissance et l’exécution d’un jugement étranger qui viserait à invalider un acte de dis-position valable selon leur loi 146. La section 13D International Trusts Act 1984 des Iles Cook exclut toute reconnaissance ou exécution d’un juge-ment étranger qui serait incompatible avec les règles locales en matière de fraudulent conveyances ou qui se rapporterait à un aspect régi par la

143 matthews (Attacking and Defending), p. 245 ; cf. aussi Perrin, p. 292 ss.144 section 91(b) Trusts Law (2009 revision).145 Cf. section 7-8 Trusts (Choice of Governing Law) Act 1989 (Bahamas).146 matthews (Attacking and Defending), p. 254 ss ; rothschild (Asset Protection

Trusts), p. 412 : “Therefore, it is important that the trust be settled in a jurisdiction which has negated the potential application of judicial comity through a statute pro-viding that foreign judgements are unenforceable to the extent that the foreign judge-ments conflicts with the substantive law of such jurisdiction.”

296 Aude Peyrot

loi domestique, et ce nonobstant les prescriptions d’un quelconque traité, d’une loi formelle ou de toute autre règle en la matière. Dans de telles conditions, la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement étranger qui donnerait gain de cause à un créancier sur la base de prescriptions plus larges que celles des Iles Cook est exclue.

f. Autres dispositions

Les éléments précités sont parmi les plus fréquents dans les législations modernes. Celles-ci peuvent toutefois contenir d’autres dispositions ayant pour effet d’entraver l’action des créanciers. La loi des Iles Cook contient par exemple une disposition sur le secret, qui érige en acte illicite toute divulgation d’informations relatives à l’établissement, à la constitution ou aux affaires d’un trust 147.

4. observations

Les considérations qui précèdent laissent apparaître que les législations modernes des centres financiers offshore ont fondamentalement boule-versé l’institution du trust à plusieurs égards. Elles ont permis certaines utilisations qui n’étaient pas tolérées traditionnellement et qui sont restées généralement exclues dans les juridictions onshore. Sous leurs auspices, le trust est devenu un outil de préservation d’actifs particulièrement ef-ficace. Cette finalité a été rendue possible par l’exclusion des créanciers futurs du cercle des personnes protégées par les règles contre les fraudulent conveyances. Parallèlement, ces mêmes juridictions ont promulgué des règles visant à garantir à ces trusts une certaine immunité contre les actions, légitimes ou non, des créanciers existants du constituant. Cette tâche a été menée à des degrés différents selon les juridictions. Certaines sont restées rela-tivement mesurées dans cette démarche, tandis que d’autres ont adopté une position véritablement hostile aux créanciers. Celle-ci se traduit no-tamment par une forte limitation des possibilités de contester un transfert frauduleux devant les tribunaux locaux et par le refus de reconnaître les

147 section 23(1) international Trusts Act 1984.

297Chapitre 9 : Les atteintes aux droits des créanciers du settlor

jugements étrangers fondés sur des règles plus favorables aux créanciers. Il apparaît ainsi que leur position peut se révéler particulièrement délicate en présence d’un asset protection trust soumis à ce type de législation, ce d’autant plus si le trust a été constitué selon des modalités structurelles particulières visant sa protection 148. Cela étant, il est intéressant de constater que l’hostilité de cette loi à l’égard des créanciers n’a pas toujours rencontré l’approbation des tribu-naux locaux. Dans la célèbre affaire Orange Grove, la Haute Cour des Iles Cook a notamment indiqué, sous la plume de Sir Duncan McMullin, qu’elle n’entendait pas interpréter la loi dans un sens défavorable aux créanciers lé-gitimes du débiteur : “[…] we would be loathe to interpret the International Trusts Act as a statute which was indented to give succour to cheats and fraudsters by totally excluding the legitimate claims of overseas creditors.” 149 Cela démontre qu’il ne suffit pas d’avoir un législateur complaisant à l’égard des desseins du settlor, il faut que cette même complaisance soit partagée par les autorités judiciaires. Quoi qu’il en soit, un asset protection trust n’est véritablement efficace que si tous ou la plupart de ses rattachements se trouvent dans une juridic-tion offshore qui lui est favorable. C’est la raison pour laquelle, en pratique, la soumission du trust à la loi d’un centre financier offshore déterminé va en principe de pair avec la désignation d’un trustee local, l’attribution de la compétence juridictionnelle aux tribunaux de cette juridiction, la locali-sation des biens en cet endroit et la constitution d’une société sous-jacente dans cette juridiction ou dans une autre juridiction offshore 150. Cette configuration n’est toutefois pas toujours exécutée à la lettre en pratique. Outre le settlor, il n’est en effet pas rare que des biens du trust soient situés onshore (immeubles, comptes bancaires, etc.), par exemple en Suisse, ce qui laisse aux créanciers certaines ouvertures sur le trust. Ce sera l’objet du chapitre suivant.

148 Cf. supra p. 271 ss.149 515 South Orange Grove Owners Association v Orange Grove Partners [1995] CKHC 9,

208.1994. 150 Grundy / Briggs / Field, p. 49, N 7.1 ; matthews (Attacking and Defending), p. 236.

298 Aude Peyrot

299Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

Chapitre 10

L’aCTIoN RévoCaToIRE du dRoIT SuISSE

I. problématique et champ d’étude

S’il est important de reconnaître la liberté du settlor de constituer un trust, il est tout aussi fondamental de mettre en lumière les limites de celle-ci. La recherche d’un équilibre entre ses intérêts et ceux de ses créanciers est en effet l’indispensable gage d’un système équitable et efficient. Les juridic-tions classiques l’ont compris depuis longtemps, raison pour laquelle elles ont édicté des règles contre les fraudulent conveyances que nous avons eu l’occasion de décrire au chapitre précédent dans le cadre de la présentation des asset protection trusts 1. Nous laisserons de côté la question de savoir si les règles étrangères contre les transferts frauduleux sont – pour celles qui relèvent du droit matériel – invocables devant les tribunaux suisses. Il s’agit en effet là d’une question de pur droit international privé. L’on se contentera de relever que la problématique semble à première vue échapper à la Convention de La Haye, compte tenu de son art. 4 qui exclut du champ conventionnel les questions préliminaires, soit notamment la validité (matérielle et formelle) du transfert des biens au trustee 2. C’est donc probablement sur la base de la LDIP que l’applicabilité des règles matérielles étrangères doit être exa-minée et ce n’est a priori que si une règle de conflit de la LDIP mène à leur application qu’elles deviennent pertinentes dans une perspective suisse 3. Cette question ne sera pas étudiée plus en avant.

1 Cf. supra p. 277 ss (Angleterre) et p. 281 ss (etats-unis). 2 Art. 4 de la Convention de La Haye : “La Convention ne s’applique pas à des questions

préliminaires relatives à la validité des testatements ou d’autres actes juridiques par lesquels des biens sont transférés au trustee.” Von overbeck (rapport explicatif), p. 382, N 55, précise à cet égard que l’art. 4 “entend exclure du champ d’application de la Convention aussi bien la validité au fond que le validité en la forme des actes juridiques préliminaires à la création du trust.” Cf. aussi D. Piotet (Convention), p. 6, qui soumet à l’art. 4 de la Convention le moyen révocatoire au bénéfice des créanciers du settlor.

3 Cf. dans ce sens Pannatier Kessler, p. 79.

300 Aude Peyrot

Notre analyse se concentrera dans le cadre du présent chapitre sur l’action révocatoire du droit suisse au sens des art.  285 ss LP, laquelle constitue l’équivalent fonctionnel des règles étrangères sur les fraudulent conveyances. Nous examinerons en particulier l’applicabilité de ce moyen aux trusts au regard de l’art. 15 de la Convention de La Haye (I), sa nature et sa fonction (II), ses conditions d’application et ses effets (III).

II. La réserve de l’art. 15 de la convention

L’art. 15 § 1 de la Convention réserve les règles impératives du droit désigné par les règles de conflit du for dans des matières autres que le trust 4. Von Overbeck relève que cette disposition vise principalement la loi matérielle du for, sans exclure toutefois les règles matérielles étrangères auxquelles le droit international privé du for conduirait 5. La protection des créanciers appartient à ces matières réservées, comme l’indique l’art. 15 § 1 lit. e de la Convention. En Suisse, la doctrine a exprimé des avis différenciés sur la teneur de cette disposition. L. Thévenoz l’interprète dans le sens d’une protection des créanciers du settlor6 ; P. M. Gutzwiller en faveur d’une protection des créanciers des bénéficiaires du trust 7 ; D. Staehelin l’ex-plique par référence au droit de la faillite de chaque Etat, et notamment le principe d’égalité de traitement des créanciers dans la faillite 8. Ces avis ne s’excluent pas les uns les autres 9. A notre sens, la formule est assez large pour appréhender ces diverses réalités. En tous les cas, l’action révocatoire suisse tombe clairement dans la réserve de l’art. 15 § 1 lit. e de la Conven-tion, compte tenu de sa nature et de sa fonction, que nous évoquerons ci-après. Par ailleurs, indépendamment de la Convention de La Haye, l’appli-cabilité des art. 285 ss LP à un trust est confirmée par divers auteurs 10.

4 Gutzwiller, p. 107, N 15-7 ; von overbeck (rapport explicatif), p. 400, N 136.5 von overbeck (rapport explicatif), p. 401, N 138.6 Thévenoz (Créer et gérer), p. 66.7 Gutzwiller, p. 113, N 15-41 et N 15-44.8 D. staehelin (Trusts), p. 77.9 Cf. notamment D. Piotet (Convention), p. 8, qui considère que la protection de

l’art. 15 § 1 lit. d de la Convention vise tant les créanciers des bénéficiaires que ceux du settlor.

10 Cf. notamment staehelin (Trusts), p. 76 ; Wilson, NA52.95.

301Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

III. nature et fonction

L’action révocatoire (Anfechtungsklage) vise à protéger les créanciers lésés par un acte de disposition du débiteur. Elle a pour but de soumettre à l’exé-cution forcée les droits patrimoniaux qui lui ont été soustraits en raison d’un tel acte (cf. art. 285 al. 1 LP), c’est-à-dire de replacer le patrimoine du débiteur dans sa composition antérieure à l’acte 11. Elle est l’équivalent fonctionnel de l’ “action paulienne” d’autres ordres juridiques issus du droit romain et des règles anglo-saxonnes contre les “ fraudulent conveyances”, évoquées dans le précédent chapitre. Selon les ordres juridiques, le moyen révocatoire peut prendre place dans une loi matérielle et/ou dans le droit de l’exécution forcée. Contrai-rement à d’autres systèmes légaux qui ont simultanément consacré le principe dans et en dehors du droit de l’insolvabilité 12, la révocation est en Suisse un pur remède du droit des poursuites 13. Le législateur a en ef-fet considéré que le dommage causé par l’acte incriminé ne peut pas être démontré sans poursuite préalable 14. Le rapport dans lequel s’inscrivent l’insolvabilité et le moyen révocatoire se manifeste à divers égards. Pre-mièrement, ce dernier ne peut être invoqué qu’en lien avec une poursuite passée ou présente 15. L’art. 285 LP ne confère en effet la qualité pour agir qu’au porteur d’un acte de défaut de biens après saisie (poursuite passée) ou, en cas de faillite, à l’administration de la faillite ou à tout créancier cessionnaire de la prétention de la masse (poursuite présente). En outre, les art. 286 ss LP font de la saisie ou de la faillite le moment-clé pour calculer rétrospectivement les périodes suspectes. P.-R. Gilliéron voit à juste titre dans la révocation un corollaire et un moyen de mettre en application le principe de la responsabilité patrimo-niale, dont on rappellera qu’il soumet le débiteur à l’obligation de payer ses dettes sur tous ses biens 16. Ce principe rattrape, en effet, le débiteur dans

11 Gilliéron (Commentaire), N 1 ad remarques introductives aux art. 285-292 LP ; Peter, N 9 ad art. 285 LP ; A. staehelin (BsK-schKG), N 1 ad art. 285 LP.

12 Cf. supra p. 277 ss (Angleterre) et p. 281 ss (etats-unis).13 ATF 131 iii 227 (fr.) ; A. staehelin (BsK-schKG), N 8 ad art. 285 LP. 14 message (Adoption LP), p. 54.15 A noter que la révocation peut également être demandée dans le cadre d’un concordat

par abandon d’actifs, cf. art. 331 LP.16 Gilliéron (Commentaire), N 1 et N 8 ad remarques introductives aux art 285-292 LP.

302 Aude Peyrot

sa liberté de disposition. Comme déjà relevé 17, il existe une tension entre le droit privé et les règles sur la protection des créanciers. Le droit civil permet au propriétaire de biens d’en disposer librement, mais cette liberté est circonscrite par les règles prévoyant la révocabilité des actes portant préjudice aux créanciers du disposant. Le système repose sur un fragile équilibre entre ces deux intérêts divergents 18.

Iv. L’application du moyen révocatoire au trust

L’action révocatoire est une limite posée aux trusts, en particulier aux asset protection trusts 19. Il ressort de ce qui précède qu’elle ne constitue pas un obstacle initial qui pourrait faire échec à leur constitution mais n’inter-vient au contraire qu’a posteriori dans le cadre ou à la suite d’une procé-dure d’exécution forcée, lorsque le préjudice du créancier est établi. Elle n’a par ailleurs d’intérêt que lorsque tout ou partie des biens du trust se trouvent en Suisse, puisqu’elle a concrètement pour effet de soumettre les biens à la réalisation forcée en faveur du créancier demandeur. Sont révocables les actes accomplis par le débiteur au préjudice de ses créanciers qui réalisent les conditions particulières des art. 286, 287 ou 288 LP. Ces conditions générales et particulières seront rappelées ci-après et transposées aux trusts.

A. conditions générales

A titre préalable, il convient de s’assurer que la révocation est requise en lien avec une procédure d’exécution forcée, que ce soit à la suite d’une sai-sie infructueuse ayant abouti à la délivrance d’un acte de défaut de biens ou ensuite d’une déclaration de faillite. Aux yeux de certains auteurs, il s’agit là d’une condition générale préliminaire, même si elle n’est évoquée par

17 Cf. supra pp. 290 et 299.18 on relèvera du reste que le législateur suisse a dû procéder à certains correctifs des

normes sur la révocation lors de la révision de 1994, afin d’affiner cet équilibre. Cf. message (révision LP), p. 202 ss.

19 Lupoi (Comparative study), p. 135.

303Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

la loi que de façon indirecte (i.e. dans le cadre de la légitimation active) 20. Autrement dit, un trust n’est sujet à révocation au sens des art. 285 ss LP que dans les trois cas de figure suivants : (1) lorsqu’une poursuite a été in-troduite en Suisse contre le settlor (ce qui suppose l’existence d’un for de la poursuite au sens des art. 46 ss LP) et que la saisie s’est révélée infruc-tueuse ; (2) lorsque la faillite du settlor a été déclarée en Suisse ; (3) lorsque la faillite du settlor a été prononcée à l’étranger et reconnue en Suisse au sens de l’art. 166 LDIP 21. Au surplus, la révocation est soumise aux conditions générales sui-vantes. En premier lieu, l’acte doit avoir été effectué par le débiteur lui-même (cf. art. 286 al. 1, 287 al. 1 et 288 al. 1 LP) ou par son représentant 22. Cette condition ne donne pas matière à discussion dans le cadre de la créa-tion d’un trust. Il ne fait pas de doute que le settlor est à l’origine de l’acte hypothétiquement révocable, puisqu’il est par définition le constituant du trust. Il en va au demeurant de même lorsque le trust est établi non par une convention entre le settlor et le trustee (trust deed), mais par une dé-claration unilatérale du trustee, par laquelle il déclare détenir les biens en trust (“declaration of trust”). Une telle déclaration a pour but de conserver l’anonymat du settlor et ne change rien au fait que le transfert de ses biens est un acte personnellement imputable à ce dernier. En second lieu, l’acte du débiteur doit avoir causé un préjudice à un ou plusieurs créanciers. Cette condition n’est pas expressément prévue par la loi, mais découle du but de l’action révocatoire qui consiste à réparer le dommage causé à un créancier, et non à punir le défendeur à l’action23. Le préjudice se manifeste par une diminution du produit de la réalisation forcée ou encore par l’aggravation de la situation des créanciers dans l’exé-cution forcée 24. Les créanciers peuvent être affectés de manière directe ou indirecte, en étant confrontés soit à une diminution des actifs soit à une augmentation des passifs du débiteur 25. L’existence d’un préjudice est

20 Gilliéron (Poursuite), p. 448, N 2926 s. ; Peter, N 20 ad art. 285 LP. 21 Cf. art. 171 LDiP.22 ATF 95 iii 83, JT 1970 ii 115, cons. 4a ; schüpbach (Droit et action révocatoires), N 74

ad art. 285 LP.23 ATF 99 iii 27, JT 1975 ii 52, cons. 3.24 ATF 101 ii 91, JT 1976 ii 111 ; ATF 99 iii 27, JT 1975 ii 52 ; ATF 96 iii 111, JT 1971 ii 66 ;

Gilliéron (Commentaire), N 19 ad remarques introductives aux art. 285-292 LP ; Zobl (Aussonderung), p. 29.

25 Peter, N 15 ad art. 285 LP ; schüpbach (Droit et action révocatoires), N 4 ad art. 288 LP ; Zobl, p. 29.

304 Aude Peyrot

présumée en faveur des créanciers porteurs d’actes de défaut de biens et de la masse en faillite, mais la preuve du contraire est ouverte au défendeur à l’action révocatoire. Ce dernier est libre d’établir que l’opération n’a pas entraîné de dommage, dans la mesure où le demandeur aurait subi une perte même sans l’acte litigieux 26. La condition du préjudice est générale-ment réalisée dans le cadre d’un trust constitué à titre gratuit. Le transfert d’actifs au trustee entraîne, dans pareilles circonstances, un appauvrisse-ment financier du settlor sans contrepartie équivalente et diminue, dans la même mesure, le produit de réalisation disponible pour ses créanciers dans le cadre de la poursuite. Il appartient au défendeur à l’action d’appor-ter la preuve, le cas échéant, que le dommage serait survenu même sans la création du trust, ce qui paraît néanmoins difficile à faire.

B. conditions particulières

Pour être révocable, l’acte du débiteur, in casu la constitution du trust ou le transfert d’actifs subséquent au trustee, doit en outre remplir les condi-tions particulières des art. 286, 287 ou 288 LP.

1. Art. 286 LP : la création d’un trust à titre gratuit

L’art. 286 al. 1 LP sanctionne les libéralités faites par le débiteur dans l’an-née qui précède la saisie ou la déclaration de faillite, sous la forme de do-nations ou de toutes autres dispositions à titre gratuit , à l’exception des cadeaux usuels 27. L’art. 286 al. 2 LP assimile aux donations les donations mixtes, i.e. les actes en échange desquels le débiteur a reçu une contre-prestation dont la valeur est largement inférieure à la sienne, ainsi que la constitution d’une rente viagère, d’un entretien viager, d’un usufruit ou d’un droit d’habitation en sa faveur ou en faveur d’un tiers. La ratio legis de l’art. 286 LP réside dans le fait que le débiteur ne doit pas être admis à faire des libéralités au détriment de ses créanciers à la

26 ATF 99 iii 27, JT 1975 ii 52, cons. 3 ; ATF 85 iii 185, JT 1960 ii 94, cons. 2a ; ATF 39 ii 368 (fr.) ; Jaeger, N 6 ad art. 285 LP ; A. staehelin (BsK-schKG), N 14 ad art. 285 LP ; Zobl (Aussonderung), p. 29.

27 Le délai était auparavant de 6 mois. il a été étendu à une année lors de la révision de 1994. Cf. message (révision LP), p. 203.

305Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

veille de sa déconfiture 28. Le reproche légal est entièrement objectivé : il n’est pas nécessaire que le débiteur ait eu pour dessein de léser ses créan-ciers ou de favoriser certains d’entre eux, ni même qu’il ait eu conscience de sa situation obérée. De même, il est indifférent que l’autre partie ait connu cette situation ou l’éventuelle intention dolosive du débiteur 29. Il suffit que la libéralité ou l’acte assimilé ait été accompli pendant la période dite “sus-pecte” d’une année 30. La proximité temporelle de l’acte avec la procédure d’insolvabilité entraîne ipso jure le soupçon qu’elle a été faite pour léser les créanciers ou favoriser l’un d’eux 31. Il s’agit d’une présomption irréfra-gable : l’acte entrepris pendant la période suspecte est sanctionné dès que les autres conditions sont remplies. Il n’y a pas de défense possible. La question de l’applicabilité de l’art. 286 LP au trust peut être résolue sans difficulté. Si le trust a été créé à titre gratuit, sans contrepartie des bénéficiaires, il est une libéralité du settlor à leur égard au sens de la dis-position précitée 32. C’est notamment le cas de tous les trusts familiaux, où le trust est créé dans le but de subvenir aux besoins de la famille du settlor ou à ses besoins propres. Les asset protection trusts visant simultanément la protection des actifs du settlor et l’entretien de la famille tombent ainsi dans cette catégorie. En application des règles évoquées ci-dessus, le trust est révocable s’il a été créé dans l’année qui précède l’exécution de la saisie à l’encontre du settlor ou le prononcé de sa faillite, sans qu’il ne soit besoin d’examiner l’état d’esprit du settlor ou celui du trustee ou de toute autre personne.

2. Art. 287 LP : le surendettement du settlor

L’art. 287 ch. 1 à 3 LP appréhende les trois types d’actes suivants, s’ils ont été effectués par un débiteur surendetté dans l’année qui précède la sai-sie ou la faillite 33 : (1) la constitution de sûretés pour une dette existante

28 Gilliéron (Commentaire), N 15 ad art. 286 LP.29 Gilliéron (Commentaire), N 9 ad art. 286 LP.30 A noter que certaines périodes, qualifiées de “temps morts”, ne sont pas prises en

compte dans le calcul des délais rétrospectifs des art. 286 à 288 LP. Cf. art. 288a LP. il en va ainsi, notamment, de la durée de la poursuite préalable qui s’étend du comman-dement de payer à la réquisition de continuer la poursuite (art. 288a ch. 4 LP).

31 Amonn / Walther, p. 481, N 6.32 Bonnard / Ciola-Dutoit, p. 1513 ; Thévenoz (Trusts), p. 90. 33 Pour le calcul de la “période suspecte”, cf. supra note 30.

306 Aude Peyrot

que le débiteur ne s’était pas auparavant engagé à garantir ; (2) tout paie-ment opéré autrement qu’en numéraires ou valeurs usuelles ; de même que (3) tout paiement de dette non échue. Ces trois types d’actes favorisent un créancier déterminé. Le grief adressé ici au débiteur consiste dans le fait qu’en privilégiant un créancier au détriment des autres, alors qu’il était surendetté, il a porté atteinte à l’égalité de traitement entre eux 34. Contrairement à l’art. 286 LP, l’art. 287 LP n’instaure pas un cas de ré-vocation purement objectif, une défense étant disponible 35. L’art. 287 al. 2 LP exclut en effet la révocation si le bénéficiaire de l’acte établit qu’il ne connaissait pas, ni ne devait connaître, le surendettement du débiteur. Dès lors, il ne suffit pas que l’un des actes précités ait été accompli pendant la période suspecte par un débiteur surendetté ; il faut encore que le défen-deur ait été de mauvaise foi. La loi la présume, mais cette présomption peut être renversée. S’il apporte la preuve libératoire de sa bonne foi, le défendeur est exonéré de l’effet révocatoire. Un trust peut tomber sous le coup de l’art. 287 al. 1 ch. 1 LP, lorsqu’il a été constitué pendant la période suspecte dans le but de fournir des sû-retés à certains des créanciers du settlor (security trust) pour une dette qu’il ne s’était pas auparavant engagé à garantir, alors que celui-ci était sur-endetté 36. La portée de la norme est toutefois limitée par les circonstances très particulières qu’elle suppose. Quant au chiffre 3 de l’art. 287 LP, il peut éventuellement trouver application dans le cas d’un trust constitué, dans le même délai, par une personne en état de surendettement, en faveur de ses créanciers, dans le but d’éteindre une dette non échue. La preuve libé-ratoire de l’art. 287 al. 2 LP est à la disposition du bénéficiaire du transfert.

3. Art. 288 LP : l’intention frauduleuse du settlor

Enfin, l’art. 288 LP sanctionne tous les actes accomplis par le débiteur dans les cinq ans qui précèdent la saisie ou la faillite dans l’intention reconnais-sable par l’autre partie de porter préjudice à ses créanciers ou d’en favori-ser certains au détriment des autres. Par rapport aux dispositions légales précédentes, la norme est plus large quant aux actes visés et à la période suspecte, mais plus stricte par l’ajout de conditions subjectives.

34 Peter, N 1 ad art. 287 LP.35 Gilliéron (Commentaire), N 10 ad art. 287 LP.36 Thévenoz (Trusts), p. 90.

307Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

La norme n’identifie pas de comportements spécifiques, mais en-globe au contraire tous les actes du débiteur qui sont préjudiciables à ses créanciers 37. Sont visés non seulement les états de fait des art. 286 et 287 LP, mais aussi d’autres actes qui débordent de leur cadre 38. La période suspecte est portée à cinq ans, lesquels se comptabilisent rétrospectivement à partir de l’exécution de la saisie ou de la déclaration de faillite 39. L’art. 288 LP per-met donc notamment d’appréhender les actes qui échappent aux art. 286 et 287 LP, parce qu’ils n’ont pas été accomplis dans la période suspecte d’une année. A ces conditions objectives viennent s’ajouter deux conditions subjec-tives. Premièrement, le débiteur doit avoir eu l’intention de porter préju-dice à ses créanciers en procédant à l’acte litigieux. Il n’est pas pertinent de savoir s’il a eu l’intention de tous les léser ou seulement certains d’entre eux 40. La disposition protège par ailleurs tant les créanciers existants que les créanciers futurs du débiteur 41. La preuve du dol étant particulièrement difficile à faire, le Tribunal fédéral en a atténué la rigueur : il suffit que le débiteur ait pu ou dû prévoir que son acte aurait pour effet de léser les créanciers ; il n’est pas nécessaire que ce résultat ait constitué son objectif même 42. Cet élément subjectif peut être déduit d’indices externes, tels que la situation financière du débiteur, un lien de parenté avec le bénéficiaire de l’acte, le caractère gratuit de l’acte, des préparatifs de fuite, etc.43. La pré-carité de la situation financière constitue tout particulièrement un indice sérieux d’une intention frauduleuse 44.

37 A. staehelin (BsK-schKG), N 3 ad art. 288 LP.38 Pour une liste d’exemples d’actes hors du champ des art. 286 et 287 LP et appréhendés

par l’art. 288 LP, cf. Gilliéron (Commentaire), N 15 ad art. 288 LP. 39 sous réserve des “temps morts” de l’art. 288a LP, cf. supra p. 305, note 30.40 ATF 99 iii 27, JT 1975 ii 52, cons. 3.41 Castella, p. 69 : “il n’est pas nécessaire que le débiteur ait eu l’intention de porter

préjudice précisément au créancier qui attaque l’acte soumis à révocation. il suffit au contraire que l’intention frauduleuse soit dirigée en général contre les créanciers actuels ou futurs. La jurisprudence et la doctrine admettent en effet de façon absolu-ment unanime que tout créancier qui remplit les conditions fixées par la loi possède la qualité pour demander la révocation d’un acte du débiteur lors même que sa créance n’aurait pris naissance qu’après l’opération incriminée.” Cf. aussi Gilliéron (Com-mentaire), N 35 ad art. 288 LP ; schüpbach (Droit et action révocatoires), N 11 ad art. 288 LP.

42 ATF 134 iii 615 (fr.) ; ATF 89 iii 14, JT 1963 ii 57 ; ATF 83 iii 82 (fr.). 43 Gilliéron (Commentaire), N 38 ad art. 288 LP ; schüpbach (Droit et action révoca-

toires), N 86 ss ad art. 288 LP.44 Peter, N 12 ad art. 288 LP.

308 Aude Peyrot

La deuxième condition subjective de l’art. 288 LP porte sur la recon-naissabilité de l’intention dolosive par l’autre partie à l’acte révocable. Est reconnaissable tout élément ou fait qui peut être décelé en usant de l’atten-tion commandée par les circonstances. Il suffit à cet égard que le tiers ait pu ou dû prévoir, en faisant preuve de l’attention requise, que l’acte litigieux aurait pour conséquence naturelle de porter préjudice aux créanciers 45. La condition subjective est donc également pertinente sous la forme de la né-gligence. Par ailleurs, elle peut être établie à l’aide d’indices extérieurs, tels que des liens de parenté ou des liens personnels entre le débiteur et le tiers, car ceux-ci sont mieux à même de connaître la situation du débiteur et ses intentions 46. En application des principes qui précèdent, le trust peut être révoqué au sens de l’art. 288 LP, s’il a été constitué dans les cinq ans précédant l’exé-cution de la saisie ou de la faillite, lorsque le settlor a eu l’intention de léser ses créanciers par ce biais et que cette intention était reconnaissable par le trustee. La norme inclut non seulement les trusts qui interviennent sous la forme d’une libéralité, mais également ceux qui n’ont pas ce caractère parce qu’ils ont été effectués en échange d’une contre-prestation. L’intention dolosive du settlor est une condition centrale. Il suffit toute-fois d’établir que le settlor pouvait ou devait prévoir que la constitution du trust aurait pour effet de porter atteinte aux droits de ses créanciers. Une telle intention peut être établie sur la base d’un ensemble d’indices, tels qu’une situation financière précaire au moment de la création du trust, le caractère gratuit du trust, ou le fait que celui-ci profite au settlor ou à ses proches. Autrement dit, un trust créé par un settlor en mauvaise santé financière, à titre gratuit, au profit de sa famille ou de lui-même, est tout particuliè-rement exposé à l’art. 288 LP, car il présente à première vue tous les signes d’un acte dolosif. Cela étant, une telle conclusion ne peut être prise qu’au regard de l’ensemble des circonstances entourant la constitution du trust. Il appartient par ailleurs au demandeur de prouver que l’intention dolosive du settlor était reconnaissable par “l’autre partie”, soit par le trustee 47. Lorsque, in casu, le settlor a dévoilé spontanément ses intentions

45 ATF 134 iii 452, JT 2009 ii 107, cons. 4.2 ; ATF 99 iii 89, JT 1975 ii 27 ; ATF 89 iii 50, JT 1963 ii 120.

46 Peter, N 14 ad art. 288 LP ; schüpbach (Droit et action révocatoires), N 92 ad art. 288 LP.

47 selon Thévenoz (Trusts), p. 90, la condition est également remplie si l’intention était reconnaissable par les bénéficiaires du trust à l’insu du trustee. A notre sens, cette

309Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

au trustee au moment de la constitution du trust, ce dernier réalise plei-nement la condition subjective. Dans l’hypothèse où le settlor n’a pas expressément indiqué ses desseins au trustee, mais que celui-ci aurait pu ou dû les déceler en usant de l’attention commandée par les circons-tances, la condition subjective est pareillement réalisée. Il appartient en tous les cas au trustee d’entreprendre toutes les démarches que l’on peut raisonnablement attendre de lui, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, pour déterminer la solvabilité du settlor et d’identifier une éven-tuelle intention dolosive de sa part. L’existence d’une attestation certifiée de solvabilité que le settlor aurait par hypothèse signée préalablement à la mise en place du trust peut contribuer à la preuve qu’il n’a pas entendu léser ses créanciers actuels 48. Un tel document ne prouve en revanche rien quant à l’intention du settlor de léser ou non ses créanciers futurs, i.e. ceux dont la créance n’était pas encore née au moment de la créa-tion du trust. Le juge devra tenir compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce 49.

c. Péremption

A ces diverses conditions matérielles générales et particulières vient s’ajou-ter un délai de péremption. Conformément à l’art. 292 LP, l’action révoca-toire doit être introduite dans un délai de 2 ans dès la notification de l’acte de défaut de biens après saisie ou le prononcé de la faillite du débiteur, in casu du settlor, sous peine d’extinction du droit.

D. Légitimation active

La légitimation active, et par ricochet la qualité pour agir qui en est la concrétisation procédurale, est réglée à l’art. 285 LP. Il établit qui peut de-mander la révocation. Cette prérogative appartient à tout créancier porteur d’un acte de défaut de biens provisoire ou définitif après saisie (art. 285 al. 1

dernière hypothèse n’est toutefois pertinente que lorsque l’action révocatoire est va-lablement dirigée contre eux.

48 Cf. supra p. 218.49 ATF 134 iii 452, JT 2009 ii 107, sJ 2009 i 281, cons. 4.2.

310 Aude Peyrot

ch. 1 LP), à l’administration de la faillite 50 ou au créancier cessionnaire de la prétention dans les cas visés aux art. 260 et 269 al. 3 LP 51 (art. 285 al. 1 ch. 2 LP). Rappelons que l’action révocatoire est en Suisse un moyen spé-cifique à l’exécution forcée qui n’est ouvert que lorsqu’un dommage a été concrètement subi ou risque très vraisemblablement de l’être. Tel est le cas pour le porteur d’un acte de défaut de biens après saisie, alors qu’une telle perte est généralement présumée dans la faillite, de sorte qu’il n’est point besoin d’attendre la clôture de la procédure 52. La légitimation active dans le cadre d’un trust suppose une simple ap-plication de ces principes et ne soulève pas de difficulté particulière. Est lé-gitimé à requérir la révocation d’un trust tout créancier du settlor qui s’est vu délivré un acte de défaut de biens à l’issue de la procédure de saisie. En outre, lorsque le settlor est soumis à la faillite, l’administration de la faillite (ou un créancier cessionnaire) peut également demander au tribunal com-pétent de révoquer le trust aux conditions des art. 286 ss LP.

e. Légitimation passive

La légitimation passive, et corollairement la qualité pour défendre à l’ac-tion révocatoire, est fixée à l’art. 290 LP. Sa teneur est la suivante : “L’action révocatoire est intentée contre les personnes qui ont traité avec le débiteur ou qui ont bénéficié d’avantages de sa part, contre leurs héritiers ou leurs autres successeurs à titre universel et contre les tiers de mauvaise foi. Elle ne porte pas atteinte aux droits des tiers de bonne foi.” Selon la doctrine, sont notamment visés par l’art. 290 LP (i) celui qui a traité avec le débiteur tout en bénéficiant de l’acte révocable, à savoir le

50 ici aussi, la loi est approximative, car le droit de requérir la révocation appartient en réalité à la masse en faillite. L’administration de la faillite n’est que la représentante de la masse. Cf. Gilliéron (Commentaire), N 45 ad art.  285 LP ; Peter, N 34 ad art. 285 LP.

51 L’art. 260 LP se rapporte à la cession des droits de la masse en faillite aux créanciers qui en font la demande à titre individuel. L’art. 269 al. 3 LP a trait à une telle cession, en présence de biens découverts après la clôture de la faillite dont le droit est dou-teux. en cas de cession, la masse en faillite qui est titulaire de la légitimation active transfère la qualité pour agir au créancier cessionnaire. il y a donc une scission de ces deux qualités, qui se confondent généralement chez une seule et même personne.

52 ATF 53 iii 214 ; Amonn / Walther, p. 488, N 30 s. ; Gilliéron (Commentaire), N 8 ad remarques introductives aux art. 285-292 LP ; schüpbach (Droit et action révoca-toires), N 57 ad art. 285 LP.

311Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

“partenaire-bénéficiaire”, (ii) celui qui a traité avec le débiteur sans tirer lui-même profit de l’acte, à savoir le “partenaire non-bénéficiaire”53, ainsi que (iii) celui qui a bénéficié de l’acte, sans y avoir lui-même participé, i.e. le “bénéficiaire non-partenaire”. Dans le cas du “bénéficiaire-partenaire”, l’acte de disposition est réalisé avec et en faveur de la même personne. Une telle situation survient notam-ment en cas de donation simple, donation mixte, octroi d’un usufruit ou d’un droit d’habitation ou constitution de sûretés 54. Le “partenaire non-bénéficiaire” peut, quant à lui, être assigné ou non en fonction de la nature et l’intensité de sa participation. S’il est un simple instrument, messager ou représentant du débiteur, il ne dispose pas de la légitimation passive 55. Il en va autrement s’il est plus intensément impliqué dans l’acte révocable, par exemple parce qu’il assume une obligation de gestion du patrimoine du débiteur ou parce qu’il participe à l’élaboration de ses décisions. Dans ce cas, l’intéressé est une sorte de complice du débiteur dans la commission de l’acte révocable et il peut être assigné en révocation 56. Par ailleurs, l’action révocatoire peut également être dirigée contre le “bénéficiaire non-partenaire”, terme qui désigne celui qui a tiré profit de l’acte révocable sans y avoir lui-même participé. L’art. 290 LP n’exige, en effet, pas nécessairement une participation à l’acte révocable (cf. la formu-lation alternative contenue dans le texte de loi). La légitimation passive ré-sulte ici du seul fait de l’avantage tiré. La doctrine précise en outre que l’in-téressé peut avoir bénéficié de l’acte de façon directe ou indirecte 57. Dans ce dernier cas, l’avantage lui est acquis par l’intermédiaire d’un tiers qui a traité avec le débiteur 58. Le consentement ou la collaboration du bénéficiaire à l’acte révocable n’est pas exigé 59. Il doit, en revanche, remplir la condition subjective de l’art. 287 LP ou de l’art. 288 LP pour pouvoir être intimé 60.

53 Peter, N 6 ad art. 290 LP ; schüpbach (Droit et action révocatoires), N 40 ss ad art. 290 LP ; D. staehelin (BsK-schKG), N 4 ad art. 290 LP ; Zobl, p. 27.

54 Ibidem.55 Par exemple, la banque qui ne fait qu’exécuter un ordre de virement du débiteur ne

peut être intimée.56 schüpbach (Droit et action révocatoires), N 43 ss ad art. 290 LP.57 Gilliéron (Commentaire), N 11 ad art. 290 LP, Peter, N 6 ad art. 290 LP ; D. staehe-

lin (BsK-schKG), N 5 ad art. 290 LP.58 Gilliéron (Commentaire), N 11 ad art. 290 LP ; Peter, N 6 ad art. 290 LP.59 Peter, N 6 ad art. 290 LP ; schüpbach (Droit et action révocatoires), N 49 ad

art. 290 LP.60 Jaeger, N 1 ad art. 290 LP ; D. staehelin (BsK-schKG), N 5 ad art. 290 LP.

312 Aude Peyrot

L’on relèvera au surplus que l’art. 290 LP reconnaît également la légi-timation passive et la qualité pour défendre au tiers de mauvaise foi. Selon la doctrine, il ne s’agit pas de n’importe quel tiers, mais uniquement d’un successeur à titre dérivé de celui qui a traité avec le débiteur ou bénéficié de l’acte révocable, pour autant qu’il soit de mauvaise foi 61. Cette dernière condition est réalisée lorsque le tiers savait ou devait savoir, en prêtant l’at-tention commandée par les circonstances, que l’avantage découlait d’un acte sujet à révocation 62. La mauvaise foi s’apprécie au moment où le tiers a acquis l’avantage. Une connaissance ultérieure des faits pertinents ne lui nuit pas. Pour que le tiers successeur de mauvaise foi puisse être recherché, il faut en outre que l’acte précédent dont a bénéficié ou auquel a participé son prédécesseur soit (encore) révocable sur la tête de ce dernier 63.

1. Trustee

L’action visant à révoquer la constitution du trust doit être dirigée contre le trustee 64. L’on rappellera à cet égard l’art. 11 § 2 de la Convention de La Haye, à teneur duquel la reconnaissance d’un trust implique au moins que le trustee puisse agir comme défendeur dans une procédure judiciaire. Sa légitimation passive et sa qualité pour défendre reposent en outre direc-tement sur l’art. 290 LP. Il est en effet “celui qui a traité avec le débiteur”, puisqu’il est la contrepartie du settlor lors de la constitution du trust. Il est également dans une certaine mesure “celui qui a bénéficié de l’acte”, étant donné que les actifs du settlor sont transférés dans son patrimoine, même s’il n’en bénéficie pas économiquement (sous réserve de sa rémunération). A vrai dire, le trustee est le défendeur “naturel” à l’action révocatoire. Dans la mesure où il a traité avec le settlor, il connaît les circonstances ayant entouré la constitution du trust. Il est également en possession de

61 Jaeger, N 6 ad art. 290 LP ; Peter, N 11 ad art. 290 LP ; schüpbach (Droit et action révocatoires), N 112 ad art. 290 LP.

62 Peter, N 11 ad art. 290 LP ; schüpbach (Droit et action révocatoires), N 114 s. ad art. 290 LP.

63 Jaeger, N 9 ad art. 290 LP : “Damit der Dritte belangt werden kann, ist ferner vor allem notwendig, dass die ursprüngliche Rechtshandlung seines Vorgängers anfechtbar ist, und zwar muss im Moment der Rechtsnachfolge noch ein Anfechtungsanspruch gegen den ersten Erwerber zu Recht bestanden haben.”

64 Thévenoz (Trusts), p. 91.

313Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

la documentation y relative. Lorsqu’il s’agit de prouver dans le cadre de l’art. 288 LP que l’intention dolosive du débiteur était reconnaissable pour l’autre partie, c’est in casu le trustee qui est visé par la formule. Il est donc le mieux placé pour répondre aux allégations du demandeur et/ou fournir les informations et les pièces idoines. Au surplus, dans la mesure où le trustee est l’administrateur des biens et le propriétaire légal inscrit dans les re-gistres officiels et privés, il est celui auquel l’obligation de restituer ou de to- lérer l’exécution forcée sur les biens du trust s’impose tout naturellement.

2. Bénéficiaire du trust

La question se pose de savoir si les créanciers du settlor peuvent en outre intimer en révocation tel ou tel bénéficiaire du trust pour une distribution qu’il aurait reçue du trustee 65. Elle suppose de déterminer si le bénéficiaire possède la légitimation passive au sens de l’art. 290 LP en l’une des quali- tés prévues par la norme. Le bénéficiaire du trust peut-il, en premier lieu, être perçu comme “celui qui a bénéficié” d’un avantage du settlor, à savoir comme un “bé-néficiaire non-partenaire” de l’acte selon la terminologie établie par la doctrine 66 ? Cela requiert d’examiner si la distribution litigieuse faite au bénéficiaire constitue ou non un acte du settlor. Il est vrai que les distri-butions trouvent leur raison d’être dans le désir du settlor de favoriser les bénéficiaires. Celles-ci sont opérées conformément à sa volonté, telle qu’établie dans l’instrument du trust, voire dans la lettre de vœux (letter of wishes). Il est par ailleurs admis en doctrine que l’avantage en cause peut être perçu du débiteur non pas directement mais par le truchement d’un tiers 67. Aussi pourrait-on être tenté d’admettre que les distributions constituent des actes du settlor opérés par l’intermédiaire du trustee. Il convient néanmoins de retenir la solution inverse. En effet, l’hy-pothèse visée par la doctrine ne semble pas s’appliquer au cas du trust, étant donné que le fonds du trust – d’où sont tirées les distributions – est

65 en faveur d’une telle solution, cf. Thévenoz (Trusts), p. 91 et sa note 265, qui indique succinctement que l’action révocatoire peut être dirigée contre le trustee et, pour les distributions déjà faites, contre les bénéficiaires du trust, lesquels ont bénéficié d’avantages de la part du settlor au sens de l’art. 290 LP.

66 Cf. supra p. 311.67 Gilliéron (Commentaire), N 11 ad art. 290 LP, Peter, N 6 ad art. 290 LP ; D. staehe-

lin (BsK-schKG), N 5 ad art. 290 LP ; cf. supra p. 311.

314 Aude Peyrot

formellement passé dans la propriété juridique du trustee. La nuance peut paraître assez fine. Elle ressort mieux de l’exemple qui suit. Supposons qu’un trust ait été constitué en mai 2000, que le trustee ait procédé à une distribution à l’un des bénéficiaires en décembre 2009 et qu’une saisie ait été exécutée contre le settlor en janvier 2010. Peut-on considérer que la dis-tribution intervenue en 2009 est un acte du settlor qui a favorisé son réci-piendaire ? L’important écart temporel existant in casu entre la création du trust et la distribution litigieuse permet d’en douter, ce d’autant plus que le trust n’est lui-même pas révocable, car constitué largement en deçà de la période suspecte. Cet exemple montre qu’une fois que les biens du trust ont quitté le patrimoine du settlor, les distributions qui en découlent ne sont pas, à strictement parler, des actes de celui-ci. Cela signifie-t-il qu’un bénéficiaire ne peut point être recherché en révocation pour une distribution qu’il a reçue ? Le bénéficiaire peut bel et bien être assigné dans le cadre de l’art. 290 LP, mais dans une qualité autre que celle de “bénéficiaire non-partenaire” examinée ci-dessus. Il doit en effet être appréhendé, à notre avis, en tant que tiers successeur à titre singulier et de mauvaise foi du trustee. En d’autres termes, le bénéficiaire du trust est recherché à titre dérivé pour les distributions qu’il a reçues du trustee, et non point à titre originaire comme s’il avait été directement gra-tifié par le débiteur. Dans ce cas de figure, la distribution litigieuse s’inscrit dans le prolongement de l’acte de base (i.e. la constitution du trust et le transfert initial des biens au trustee), sans être un acte distinct du settlor. Dans la mesure où les distributions du trust ne sont appréhendées que parce qu’elles s’inscrivent dans la continuation du transfert initial au trustee, elles ne peuvent être révoquées que si l’acte de base est lui-même révocable 68. Cela procède de la simple logique : si la constitution du trust est exempte de reproches, il n’y a pas de raison de stigmatiser les distri-butions subséquentes. En d’autres termes, une distribution faite au béné-ficiaire d’un trust n’est sujette à révocation que si la constitution du trust tombe elle-même sous le coup de l’art. 286, 287 ou 288 LP. Comme exposé plus haut, est de mauvaise foi celui qui savait ou aurait dû savoir en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances que l’avantage provenait d’un acte révocable, au moment où il l’a reçu 69. Le demandeur devra donc prouver que le bénéficiaire du trust savait ou au-

68 sur le principe général, cf. Jaeger, N 9 ad art. 290 LP. Cf. aussi supra p. 312.69 Peter, N 12 ad art. 290 LP ; schüpbach (Droit et action révocatoires) ; cf. supra

p. 312.

315Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

rait dû savoir au moment de recevoir la distribution que la constitution du trust réalisait les conditions de l’art. 286, 287 ou 288 LP. Cette condi-tion subjective peut être relativement délicate à prouver dans le cadre de l’art.  288 LP, car elle suppose la connaissance (ou le défaut de connais-sance fautif) par le bénéficiaire de l’intention frauduleuse du settlor. Cette condition sera nécessairement réalisée lorsque le settlor est lui-même l’un des bénéficiaires du trust et le récipiendaire de la distribution litigieuse. Elle pourra également l’être, en fonction des circonstances du cas d’espèce, lorsque le bénéficiaire est un proche du settlor susceptible de connaître ses motivations (par exemple épouse, concubine, voire enfants).

f. for

1. Principes généraux

L’art. 30a LP réserve les conventions internationales et les dispositions de la LDIP, les premières étant prioritaires sur les secondes (cf. art. 1 al. 2 LDIP). Le for doit donc être déterminé à la lumière de celles-ci ou de celles-là, si elles sont applicables. A défaut, la compétence ratione loci est régie par l’art. 289 LP. L’ordre de subsidiarité précité commande d’abord d’examiner si la Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des déci-sions en matière civile et commerciale, telle que révisée au 1er janvier 2011 (ci-après Convention de Lugano révisée, CLrév.), est applicable à l’action révocatoire suisse 70. Cette question se pose dans une double perspective. Premièrement, à l’égard de l’action révocatoire dite “collective” qui serait exercée, à la suite de l’ouverture de la faillite, par l’administration de la faillite ou par les créanciers cessionnaires de la prétention (cf. art. 285 al. 2 ch. 2 LP). Deuxièmement quant à l’action révocatoire dite “individuelle” qui serait introduite par un créancier porteur d’un acte de défaut de biens (cf. art. 285 al. 2 ch. 1 LP). Le Tribunal fédéral a tranché par la négative la question de l’applica-bilité du texte conventionnel à l’action révocatoire dite “collective” 71. Selon

70 message (révision LP), p. 205 ; Jucker, p. 5771 ATF 131 iii 227 (fr.) ; ATF 129 iii 683, JT 2004 ii 111, cons. 3.2 ; Dodge, p. 44 s. ;

rohner / Lerch, N 93i ad art. 1 CLrév. Favorable à cette solution : Bommer, p. 121 ; D. staehelin (BsK-schKG), N 9 ad art. 289 LP ; idem (Zuständigkeit), p. 282. Contra : Donzallaz, N 6395 ; schüpbach, N 89 ad art. 289 LP.

316 Aude Peyrot

lui, l’action trouve son fondement dans la faillite avec laquelle elle est en étroite connexité et dont elle dépend. Elle constitue pour cette raison une procédure analogue à la faillite au sens de l’art. 1 al. 2 lit. b aCL et CLrév., qui l’exclut du champ d’application de la Convention. Cette jurisprudence devrait rester valable sous l’empire de la CLrév., dans la mesure où la norme précitée est restée inchangée. L’applicabilité de la Convention de Lugano à l’action révocatoire dite “individuelle” n’a pas, à notre connaissance, été tranchée par la juris-prudence fédérale. Selon la doctrine, la clause d’exclusion de l’art. 1 al. 2 lit. b CLrév. est sans pertinence pour l’action révocatoire individuelle, de sorte que le for d’une telle action se détermine au regard des règles conventionnelles 72. La doctrine s’accorde sur l’application de la norme gé-nérale de l’art. 2 al. 1 CLrév.73, mais reste divisée sur l’éventuelle application d’une norme spéciale 74. La question est en l’état incertaine. Lorsque le texte conventionnel précité n’est pas applicable ratione ma-teriae ou ratione loci à la détermination du for de l’action révocatoire, il y a lieu d’examiner si la LDIP s’applique, conformément à l’ordre de subsidia-rité évoqué ci-dessus. La réponse est négative, car la loi ne contient aucune règle de compétence en matière de révocation. Le législateur suisse a en effet choisi de régler la question directement à l’art. 289 LP 75. La norme revêt ainsi une double portée internationale et interne et vise à régir le for compétent que le défendeur soit domicilié en Suisse ou à l’étranger, autre-ment dit même en présence d’un élément d’extranéité. Dans la première hypothèse, la compétence revient au juge du domicile suisse du défen-

72 Jucker, p. 124 ; Peter, N 11 ad art. 289 LP ; schüpbach (Droit et action révoca-toires), N 88 ad art. 289 ; D. staehelin (BsK-schKG), N 10 ad art. 289 LP.

73 Peter, N 11 ad art. 290 LP ; schüpbach (Droit et action révocatoires), N 71 ad art. 289 LP ; D. staehelin (Zuständigkeit), p. 282.

74 La question est souvent abordée en rapport avec deux arrêts de la Cour de justice des communautés européennes, rendus sous l’empire de l’ancienne Convention de Lugano dans la cause Reichert contre Dresdner Bank : arrêt du 10 janvier 1990 dans l’affaire C-115/88 in recueil de jurisprudence 1990, p. i-27 et arrêt du 26 mars 1992 dans l’affaire C-261/90 in recueil de jurisprudence 1992, p. i-2149. La Cour a notamment exclu dans ces arrêts l’application de l’art. 5 § 3 aCL (resté inchangé dans la CLrév.), de l’art. 16 § 1 et § 5 aCL (devenu l’art. 22 § 1 et § 5 CLrév.) et de l’art. 24 de la Convention de Bruxelles (correspondant à l’art. 31 CLrév.) à l’action paulienne du droit français. A noter que cette dernière relève du droit civil, à la différence de l’action révocatoire suisse. sur cette problématique en général, cf. D. staehelin (BsK-schKG), N 10 ss ad art. 289 LP.

75 Chenaux, p. 234 ; D. staehelin (BsK-schKG), N 9 ad art. 289 LP.

317Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

deur ; dans la seconde au juge du lieu où la saisie a été exécutée ou la faillite prononcée.

2. Action dirigée contre le trustee

Lorsque l’action révocatoire vise la constitution du trust par le settlor ou tout apport de biens ou de fonds subséquent, le for se détermine comme suit. Si l’action est introduite par l’administration de la faillite ou un créan-cier cessionnaire, le for est fixé en fonction de l’art. 289 LP, puisque la CLrév. est inapplicable ratione materiae. Le tribunal compétent sera en première ligne celui du domicile ou du siège du trustee en Suisse. Si le trustee n’a pas de domicile ou de siège en Suisse, l’action peut être introduite devant les tribunaux suisses du lieu où la saisie a été opérée contre le settlor ou la faillite de ce dernier prononcée, ou encore au lieu où la faillite ancillaire a été ouverte au sens des art. 166 ss LDIP, soit au lieu de situation des biens en Suisse (cf. art.  167 LDIP). Si aucune de ces hypothèses n’est réalisée, l’action révocatoire ne peut être introduite en Suisse, faute de rattachement suffisant avec notre pays. Lorsque l’action est exercée par un créancier individuel du settlor au bénéfice d’un acte de défaut de biens, le for se détermine à la lumière de l’art. 2 CLrév., à supposer que la Convention soit applicable rationae loci. L’action révocatoire doit être introduite au domicile ou au siège du trustee. L’existence d’un for alternatif fondé sur une norme spéciale reste en l’état réservée, vu les incertitudes en la matière qu’il ne nous appartient pas de trancher dans cet exposé.

3. Action dirigée contre l’un des bénéficiaires du trust

Lorsque l’action révocatoire vise la distribution effective de revenus ou de capital du fonds du trust à l’un des bénéficiaires du trust, dans les circons-tances évoquées précédemment 76, le for se détermine comme suit. L’action de l’administration de la faillite ou de tout créancier cession-naire doit être introduite devant le juge du lieu du domicile suisse du béné-ficiaire ayant reçu la distribution litigieuse. A défaut d’un tel domicile en

76 sur la question de la légitimation passive du bénéficiaire, cf. supra p. 313 s.

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Suisse, l’action peut être introduite au lieu en Suisse où le settlor a été saisi, au lieu où il a été déclaré en faillite, ou au lieu où sa faillite prononcée à l’étranger a été reconnue (cf. art. 167 LDIP). Le créancier au bénéfice d’un acte de défaut de biens contre le settlor peut introduire une action révocatoire contre le bénéficiaire au lieu du do-micile de ce dernier, conformément à l’art. 2 CLrév. (à supposer qu’elle soit applicable ratione loci), tout autre for spécial alternatif étant réservé.

g. effets

Les effets de la révocation relèvent exclusivement de l’exécution forcée 77. Elle tend à reconstituer la fortune du débiteur dans l’état précédant l’acte sujet à révocation 78. Elle n’emporte en revanche pas directement d’effets de droit matériel. En particulier, elle n’affecte pas la validité de l’acte de disposition au sens du droit civil 79, contrairement à ce qu’indique l’art. 291 al. 1 LP qui fait référence à un “acte nul”80. Elle ne procure pas non plus au demandeur la propriété ou la possession du droit patrimonial soustrait 81. L’art. 291 al. 1 1re phr. LP détermine l’effet principal de l’action ré-vocatoire en indiquant que “celui qui a profité d’un acte nul est tenu à restitution”82. La notion de “restitution” s’entend ici dans un sens large et signifie plus justement la “réintégration en l’état antérieur”83. Elle se tra-duit concrètement par une obligation de souffrir l’exécution forcée sur les actifs concernés 84. Ceux-ci sont réalisés comme s’ils n’avaient pas quitté le patrimoine du débiteur 85. Une restitution à proprement parler de la chose n’est ainsi pas nécessaire, ni une modification de l’inscription au registre

77 Amonn / Walther, p. 490, N 39.78 ATF 132 iii 489, JT 2007 ii 81.79 ATF 98 iii 44, JT 1974 ii 18 ; ATF 81 iii 98, JT 1956 ii 16.80 message (révision LP), p. 202. La révision de la LP a expressément abandonné la théo-

rie de la nullité, qui avait déjà été écartée par la jurisprudence.81 message (révision LP), p. 202. A. staehelin (BsK-schKG), N 8 ad art. 285 LP.82 A noter que l’expression “celui qui a profité” est malheureuse, car non-conforme à

l’art. 290 LP qui confère la légitimation passive à des personnes autres que le bénéfi-ciaire direct de l’acte. Cf. à cet égard Jaeger, N 2 ad art. 291 LP ; schüpbach (Droit et action révocatoires), N 1 ad art 291 LP.

83 schüpbach (Droit et action révocatoires), N 8 ad art. 291 LP.84 Amonn / Walther, p. 490, NN 43 et 45.85 schüpbach (Droit et action révocatoires), N 12 ad art. 291 LP.

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foncier 86. Selon la jurisprudence, la chose doit être restituée avec ses fruits, ses produits et ses intérêts 87. De façon générale, la restitution n’a lieu que dans la mesure nécessaire à désintéresser les créanciers 88. Au surplus, se-lon l’art. 291 al. 3 LP, lorsque le donataire est de bonne foi, il n’est tenu de restituer que le montant dont il se trouve enrichi. A contrario, lorsqu’il est de mauvaise foi, il doit le tout, indépendamment de son enrichissement effectif. Si la restitution (lato sensu) est impossible parce que le défendeur n’est plus en possession des actifs en question (destruction, aliénation, etc.), son obligation peut être convertie en une obligation subsidiaire de verser des dommages-intérêts, au sens de l’art. 97 CO 89. Cela s’explique par le fait que la révocation est une action personnelle qui déploie des effets in personam et non in rem 90. Le défendeur est tenu dans cette hypothèse à un versement en espèces 91, correspondant à la valeur de la chose au moment de sa dispa-rition ou de son aliénation 92. Il est toutefois libéré de cette obligation s’il prouve que la chose ne se trouve plus en sa possession sans sa faute 93. En application des principes développés ci-dessus, lorsque l’action ré-vocatoire dirigée contre le trustee aboutit, celui-ci est tenu d’accepter la réintégration en l’état antérieur. Autrement dit, les biens du trust seront considérés n’avoir jamais quitté le patrimoine du settlor. Ils pourront ainsi

86 Cela étant, lorsque l’acte révoqué a consisté dans le versement d’une somme d’argent, le défendeur est tenu à la restitution stricto sensu des espèces reçues. Cf. Bauer, N 15 ad art. 291 LP ; Lorandi, p. 155.

87 ATF 132 iii 489, JT 2007 ii 82 ; ATF 98 iii 44, JT 1974 ii 18. Par exemple, la restitution des actions d’une société, lorsqu’elles ont été acquises en vertu d’un acte révocable, est accompagnée d’une rétrocession des dividendes perçus (cf. le premier des arrêts cités).

88 Amonn / Walther, p. 490, N 40.89 ATF 132 iii 489, JT 2007 ii 82 ; ATF 98 iii 44, JT 1974 ii 18 ; Bauer, N 20 ad art. 291

LP ; Jaeger, N 2 ad art. 290 LP ; Peter, N 6 ad art. 291 LP. Gilliéron (Commentaire), N 9 ad art. 291 LP, précise que la restitution doit avoir lieu en nature, si le droit pa-trimonial se trouve toujours dans le patrimoine du défendeur. Ce n’est que s’il ne se trouve plus dans l’un de ses patrimoines, parce que la chose a été détruite, consom-mée, aliénée à un tiers de bonne foi, ou ne peut plus être individualisée, ou que le défendeur refuse de procéder à la restitution en nature, que des dommages-intérêts peuvent être réclamés.

90 D. staehelin (BsK-schKG), N 11 ad 289 LP.91 Berz, p. 120 ; Lorandi, p. 159.92 ATF 132 iii 489, JT 2007 ii 82.93 Amonn / Walther, p. 492, N 47 ; Bauer, N 20 ad art. 291 LP.

320 Aude Peyrot

être réalisés en faveur du ou des créanciers demandeurs. Quant au trustee, il sera tenu de tolérer la réalisation forcée des actifs litigieux. Si les biens du trust ont été détruits ou aliénés fautivement, le trustee pourra être tenu de payer au créancier-demandeur des dommages- intérêts, quand bien même le trustee n’aurait jamais lui-même tiré profit de ces biens. Selon H.-R. Schüpbach, celui qui a traité avec le débiteur sans avoir lui-même bénéficié de l’acte répond en effet à hauteur de ce qui est néces-saire pour replacer le demandeur dans la position qui aurait été la sienne si l’acte n’avait pas eu lieu 94. Cette responsabilité financière du défendeur, in casu du trustee, se justifie par le fait qu’il a prêté main forte à un acte révocable du settlor. Sa seule issue est de prouver que l’impossibilité de res-titution in natura est non-fautive, auquel cas il est libéré de son obligation de verser des dommages-intérêts. Quant aux effets de la révocation sur le trust, ils doivent être distingués en fonction de l’acte révoqué. Lorsque la révocation porte sur un trans-fert d’actifs subséquent à la phase de mise en place du trust, l’intégrité du trust n’est pas menacée. Il peut en aller autrement lorsque la révocation est dirigée contre le transfert de biens initial qui a constitué le trust. Ce qu’il advient du trust dans cette hypothèse doit être déterminé selon la loi appli-cable au trust, à l’instar du sort d’un trust qui aurait été déclaré en faillite au sens de l’art. 284a al. 3 LP 95.

v. synthèse

Toute création de trust affecte la situation des créanciers du settlor, puisqu’une partie (souvent substantielle) de la fortune du débiteur est soustraite à leur mainmise. Les actes de disposition, y compris la constitu-tion d’un trust, sont tolérés par les ordres juridiques, mais dans certaines limites. En Suisse, ces limites sont posées par les normes révocatoires des art. 285 ss LP. Elles sanctionnent les actes de disposition du débiteur effec-tués dans le voisinage temporel de l’exécution forcée. Ce moyen peut servir aux créanciers du settlor ou à l’administration de la faillite suisse ou étran-

94 schüpbach (Droit et action révocatoires), N 54 ad art. 291 LP.95 message (Trusts), p. 51. sur la faillite du trust, cf. supra p. 178.

321Chapitre 10 : L’action révocatoire du droit suisse

gère pour remettre en cause le transfert de biens litigieux. Il présente un intérêt marqué lorsque des biens du trust se trouvent sur le territoire helvé-tique. En outre, les créanciers peuvent diriger l’action révocatoire contre le bénéficiaire d’un trust pour une distribution qu’il a perçue. Celui-ci devra être recherché en tant que “tiers de mauvaise foi” au sens de l’art. 290 LP. Le moyen révocatoire n’a pas de portée générale. Il suppose au contraire l’existence d’une procédure d’insolvabilité contre le settlor en Suisse. Cela étant, une fois les conditions d’exercice réalisées, la loi définit de façon re-lativement large les actes sujets à révocation. La constitution d’un trust ou un transfert d’actifs subséquent du settlor au trustee peut être appréhendé à divers égards par les art. 286 à 288 LP. Un asset protection trust constitué à titre gratuit par un settlor insolvable pour son profit exclusif ou princi-pal et dans les cinq ans précédant la saisie ou la faillite du settlor est tout particulièrement exposé à l’art. 288 LP. La principale difficulté consistera probablement dans l’apport de la preuve de la reconnaissabilité de cette intention par le trustee.

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323Conclusion

CoNCLuSIoN

Nous sommes parvenus au terme de cette étude consacrée à la rencontre du trust de common law et du droit de l’exécution forcée suisse. Il est temps de faire la synthèse de nos réflexions et de formuler les résultats auxquels elles conduisent. La diversité des situations traitées appelle des conclusions spécifiques et distinctes.

I. Le trust et l’effet de ring-fencing en droit suisse

La clé du succès du trust…

Le trust de common law repose sur un régime de propriété très particulier, qui prend ses racines dans l’évolution du droit anglais féodal. La pleine propriété juridique des avoirs du trust (legal title) est acquise au trustee. Il ne les détient toutefois non pour lui-même, mais au profit exclusif des bénéficiaires, qui ont la jouissance économique du fonds du trust. Ceux-ci détiennent concrètement sur le fonds du trust un beneficial interest, que la doctrine anglo-saxonne qualifie généralement de droit in rem (proprietary right). Cette situation se traduit sur le plan patrimonial par la formation en mains du trustee d’une masse séparée et distincte de ses biens personnels. La doctrine anglo-saxonne désigne ce phénomène par le terme évocateur de “ring-fencing” qui signifie littéralement “cloisonnement”. Une clôture juridique et abstraite vient ainsi entourer les biens du trust et les singula-riser au sein du patrimoine général du trustee. Cet effet de cloisonnement empêche ses créanciers personnels de venir puiser dans le fonds du trust, bien que leur débiteur en soit formellement le propriétaire juridique. Les actifs en trust ne participent donc pas à la responsabilité patrimoniale in-dividuelle du trustee et sont préservés de l’exécution forcée contre ce der-nier. Cette dissociation entre la détention juridique des actifs et le risque d’insolvabilité du titulaire fait l’un des intérêts majeurs de l’institution et l’une des raisons principales de son succès.

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… sous stricte surveillance civiliste

Cet effet de cloisonnement, si utile à la pratique des affaires, est envisagé avec une certaine cautèle dans les juridictions de droit civil, notamment en Suisse. Il contrarie à vrai dire le principe de l’unité du patrimoine, qui – sans avoir la même ampleur dogmatique qu’en France – ne constitue pas moins un principe cardinal de notre droit. Le principe pose une responsa-bilité personnelle, générale et illimitée du débiteur sur l’entier de sa fortune et exclut donc tout compartimentage patrimonial. Ce n’est ainsi qu’à dose homéopathique, voire avec une certaine réticence, que la Suisse admet la dissociation entre la titularité juridique et le risque d’insolvabilité. Le lé-gislateur suisse – car la démarche requiert une intervention législative – n’a attribué ce privilège qu’à deux institutions, à savoir les fonds de placement contractuels (cf. art. 35 LPCC) et les opérations fiduciaires des banques (cf. art. 37d LB). Une telle dissociation constitue sans doute la marque la plus emblématique des “patrimoines séparés” (Sondervermögen) du droit suisse. Depuis la reconnaissance de l’institution, le trust de common law vient compléter le catalogue restreint des patrimoines séparés, puisque c’est ainsi qu’il peut et doit être transposé dans notre ordre juridique. La notion permet en effet de traduire assez fidèlement le régime patrimonial qui prévaut dans un trust, soit une masse de biens qui ne répond pas des dettes personnelles de son titulaire mais seulement (de façon directe ou indirecte) de ses propres passifs.

Une concrétisation totale ou limitée ?

Ainsi, il est désormais acquis que le droit suisse reconnaît l’effet de ring- fencing immanent au trust de common law. A vrai dire, l’effet de ségré-gation relève à ce point du noyau dur de l’institution qu’il aurait semblé impossible de l’écarter par le biais des clauses de réserve de la Conven-tion de La Haye. A défaut, le principe de reconnaissance aurait été très largement vidé de son sens. Le législateur suisse l’a bien compris. L’effet de ring- fencing est désormais ancré et matérialisé à l’art. 284b LP. Ce der-nier prescrit la distraction d’office (Absonderung) des biens du trust dans l’exécution forcée contre le trustee, et à défaut, leur revendication (Aus-sonderung) par toute personne légitimée, soit in casu par tout co-trustee, tout bénéficiaire, voire par le trustee insolvable lui-même sous réserve d’un conflit d’intérêt concret.

325Conclusion

La reconnaissance de l’effet de ring-fencing dans l’exécution forcée soulève la question de son rapport avec le principe suisse de publicité. L’in-dication du rapport de trust dans les registres publics suisses officiels est désormais rendue possible, voire prescrite, par le nouvel art.  149d LDIP. Nous avons défendu la position selon laquelle l’effet de ségrégation n’est pas subordonné à une mesure de publicité du trust. A notre avis, la dis-traction des avoirs du trust doit pouvoir être opérée indépendamment de la connaissance effective de l’existence du trust par les créanciers. Cette solution va certes à contre-courant du Message du Conseil fédéral du 2 dé-cembre 2005 et de la doctrine dominante suisse, lesquels prônent l’inoppo-sabilité du rapport de trust non mentionné au registre foncier aux créan-ciers de bonne foi. Cela étant, à notre sens, l’art.  149d LDIP, à défaut de prévoir un régime dérogatoire exprès, doit être interprété conformément à la norme générale de l’art. 973 CC, qui n’inclut pas dans son champ de protection les créanciers de bonne foi. Cette interprétation est par ailleurs davantage conforme à l’esprit de la Convention de La Haye et au caractère central, voire quasi contraignant, de l’effet de ring-fencing. Elle a en outre le mérite d’éviter les inextricables difficultés découlant de la mise en œuvre de la protection des seuls créanciers qui sont de bonne foi.

II. Les dettes du trust : responsabilité patrimoniale et poursuite en suisse

Vers une dénaturation du concept de trust ?

L’étude de la responsabilité pour les dettes qui sont nées dans l’exercice du trust prolonge la réflexion sur l’essence du trust de common law. Cette question ne fait pas l’objet d’une réglementation uniforme dans les divers droits étrangers qui connaissent l’institution. Elle constitue au contraire un point fondamental de divergence. Certaines juridictions suivent une approche traditionnelle, qui consiste à mettre les dettes issues de l’exercice du trust à la charge personnelle du trustee, en tant que propriétaire des biens du trust. Celui-ci répond donc à l’égard des tiers de façon primaire sur sa fortune propre, et dispose en contrepartie d’un droit d’indemnité sur les avoirs en trust. D’autres juridictions suivent une approche plus prag-matique et moderne. Elles reconnaissent au trustee la faculté de s’engager

326 Aude Peyrot

dans une “capacité fiduciaire” (fiduciary capacity), ce qui a concrètement pour effet de mettre les obligations qui en résultent à la charge immédiate du fonds du trust. Dans cette approche moderne, le trustee agit en quelque sorte en tant que “représentant” du trust. Cette solution peut heurter le sens juridique commun, dans la mesure où le trust – en tant que simple masse de biens dépourvue de la personnalité juridique – ne saurait à stric-tement parler être “représenté”. L’approche moderne pousse de la sorte le raisonnement du fonds séparé à un degré plus avancé que ne le fait la vi-sion traditionnelle : le trust se présente en effet comme une masse de biens directement grevée de ses propres passifs. Simultanément, elle représente une certaine dérive du concept de trust dans la direction de la personne morale.

Une bien curieuse poursuite

Cette double approche en matière de responsabilité pour dettes s’impose à tout Etat tenu, en raison de la Convention de La Haye, de mettre en œuvre les effets du trust sur son territoire. Le législateur suisse s’est ainsi attaché à régler l’exécution forcée pour les dettes nées dans l’exercice du trust, en distinguant selon le patrimoine grevé par la dette. L’approche tradition-nelle anglaise ne suscite pas de difficultés particulières. Elle se traduit dans l’exécution forcée suisse par une poursuite contre le trustee à titre person-nel, de la même façon que s’il était poursuivi pour ses dettes privées. Cette poursuite n’a pas été régie expressément par le législateur suisse. Elle fait appel aux règles existantes de la LP. En revanche, plus délicate est la transposition du régime moderne de responsabilité. Elle a requis l’adoption de règles nouvelles qui ont été réu-nies dans le nouvel art. 284a LP. Celui-ci régit la “poursuite pour les dettes du patrimoine d’un trust”. Balançant entre la conformité au droit étran-ger et la préservation de la logique suisse existante, le législateur suisse a tranché en faveur de la première en adoptant une poursuite pour les dettes grevant le trust devant être formellement dirigée contre le trustee en tant que “représentant” du trust. Cette faculté d’être poursuivi en qualité de “représentant” d’un patrimoine séparé, au “siège” de ce dernier, constitue une solution sui generis et ad hoc, créée de toutes pièces pour les besoins du trust. Si l’on ne peut vanter sa conformité à la logique du droit suisse, l’on doit à tout le moins lui reconnaître le mérite d’être fonctionnelle. Notons enfin que cette poursuite aboutit à la faillite du fonds du trust, solution qui

327Conclusion

prête le flanc à la critique pour des raisons diverses, mais qui doit néan-moins être observée, puisque tel a été le choix du législateur suisse. Ce der-nier n’a pas craint d’adopter des solutions originales qui ne manquent pas de venir alimenter les discussions sur la nature du trust, vu les emprunts que la nouvelle réglementation fait au droit des sociétés (siège du trust, administration effective, représentant, faillite).

III. La saisie de l’equitable interest et la reconnaissance des trusts de protection en suisse

Saisir ou ne pas saisir…

Le trust se présente comme un instrument de planification patrimoniale particulièrement flexible. Il offre un vaste éventail de possibilités en ma-tière de gestion et de répartition d’un patrimoine à moyen ou long terme. Le trustee acquiert du settlor la propriété des avoirs en trust dans le but exclusif de les administrer et de les distribuer en faveur des bénéficiaires du trust. La jouissance économique de ces derniers se manifeste dans un “equitable interest” ou “beneficial interest”, termes qui se réfèrent au droit reconnu et octroyé historiquement par l’equity anglaise aux bénéficiaires dans le trust. L’equitable interest peut être aménagé de façons diverses et variée en fonction des buts de planification poursuivis par le settlor. Les droits respectifs de chacun des bénéficiaires, qui consistent principalement en des distributions en revenus ou en capital du fonds du trust, peuvent se cumuler ou se succéder dans le temps. Ils sont à choix actuels, futurs ou seulement conditionnels (possessorery, non-possessory, contingent inter-ests). Souvent, ils ne prennent pas la forme d’un droit fixe à des distribu-tions mais seulement d’une expectative dont la concrétisation est laissée à la discrétion du trustee (discretionary interest). Le bénéficiaire d’un trust peut faire l’objet d’une poursuite en Suisse en raison de son domicile ou sur la base d’un autre critère de rattachement. Se pose alors la question de savoir si son equitable interest peut être saisi au profit des créanciers poursuivants. L’examen est double. Primo, il faut que la prérogative du bénéficiaire soit suffisamment “substantielle” au regard de la loi applicable au trust pour être considérée comme un véritable droit. L’exécution forcée suisse est à cet égard liée par la nature de l’interest du

328 Aude Peyrot

bénéficiaire. Secundo, il faut que les conditions de la saisissabilité du droit suisse soient réalisées en l’espèce. Cette double analyse conduit aux résultats suivants. Lorsque le béné-ficiaire a dans le trust un fixed interest, qu’il soit actuel ou futur, le droit est en principe saisissable. La saisie peut porter sur l’interest lui-même ou sur les distributions futures. De préférence, l’on évitera de réaliser le droit pour conserver sa substance au bénéficiaire une fois ses dettes acquittées. Lorsque le droit est conditionnel (contingent interest), il est sur le principe saisissable, mais sa mise sous main de justice dépend concrètement de la possibilité de déterminer une valeur de réalisation suffisante. L’exécution forcée cherche généralement à éviter le bradage anticipé et à vil prix des valeurs patrimoniales du débiteur. Le véritable nœud de la problématique se rapporte au discretionary interest. Sa saisissabilité dépend de la question de savoir si la loi étrangère applicable au trust lui reconnaît le caractère de droit patrimonial. La tendance majoritaire en droit anglais et américain semble le percevoir comme un simple espoir de recevoir des distributions, lequel ne peut, en tant que tel, être mis sous main de justice.

Un débat plus moral que juridique

Le trust n’est pas seulement employé à des fins de gestion et de réparti-tion d’un capital ou des revenus qu’il génère. Il sert parfois des objectifs plus controversés. L’on observe en pratique des structures visant à abriter le beneficial interest de l’action des créanciers du bénéficiaire. Tel est le cas du protective trust du droit anglais et des clauses de spendthrift (clauses de prodigalité) du droit américain. Le premier octroie au bénéficiaire un droit ferme à des distributions sur le fonds du trust qui se termine en cas d’in-solvabilité de son titulaire pour être remplacé par un discretionary interest. Les secondes stipulent quant à elles ouvertement et sans détour l’incessibi-lité et l’insaisissabilité du droit du bénéficiaire quelle que soit la forme qu’il revêt. Il verrouille de la sorte le beneficial interest à l’intérieur du trust, hors de la portée des créanciers. Ces deux types de trusts participent d’une certaine organisation de l’insolvabilité. Ils reposent tous deux sur l’idée très empreinte de libéralisme que les largesses du settlor sont destinées à favoriser les bénéficiaires du trust et non leurs créanciers. Dans la perspective suisse, cette collision d’intérêts entre le trust et les droits des créanciers est arbitrée et encadrée par les règles de la Convention de La Haye. Cette dernière pose le principe de la reconnaissance des effets

329Conclusion

d’un trust valablement constitué selon la loi applicable au trust (art.  11), sauf lésion du droit impératif, des lois d’application immédiate et de l’ordre public du for (art. 15, 16 et 18). Les clauses d’exception à la reconnaissance concentrent l’essentiel de la réflexion. L’effet du trust litigieux ne doit, à notre avis, être écarté que si l’on peut identifier une règle ou un principe clair, de nature impérative ou d’ordre public, concrètement heurté(e) par le trust. Le droit suisse ne partage certes pas la pensée libérale des juridic-tions anglo-américaines en matière d’acte de disposition entre vifs ou pour cause de mort. Mais doit-il pour autant rejeter leurs conceptions dans une pure optique de reconnaissance ? Le protective trust du droit anglais et les clauses de spendthrift du droit américain reposent sur un régime matériel distinct qui justifie à notre avis une appréciation différenciée. Nous avons prôné l’exclusion de la reconnaissance en Suisse des clauses américaines de spendthrift. Celles-ci constituent en effet une intrusion di-recte de la volonté privée dans le régime de saisissabilité, qui constitue une matière strictement réglementée. Nous avons montré que le droit suisse n’admet pas ce type d’ingérence. Cette interdiction est de droit impératif et fait donc directement obstacle à la reconnaissance des clauses de spend-thrift. La clause de réserve de l’art. 15 de la Convention de La Haye s’ap-plique ici en plein. En revanche, le protective trust du droit anglais (et les forfeiture provi-sions du droit américain) appelle, à notre avis, une solution distincte. Il ne stipule point l’insaisissabilité directe du fixed interest, mais prévoit son extinction et son remplacement par un discretionary interest au moment de l’insolvabilité du bénéficiaire ou d’une tentative de mainmise par un créancier. Cette transformation de la situation matérielle s’impose à notre ordre juridique : si le bénéficiaire ne dispose plus d’un droit ferme, ce der-nier ne saurait logiquement être saisi. Un examen attentif du droit suisse n’a pas permis d’identifier une règle ou un principe clair et déterminé qui serait heurté par ce mécanisme. Cela conduit ainsi à l’inapplication des clauses de sauvegarde de la Convention et à la reconnaissance du protective trust en Suisse au regard de l’art. 11 de l’instrument conventionnel. Certes, l’institution anglaise se trouve-t-elle à la limite de la réflexion sur l’admis-sibilité des structures de protection étrangères. Mais, la ratification de la Convention de La Haye implique dans une certaine mesure d’accepter les conceptions socio-juridiques étrangères, lorsqu’il n’est pas possible d’iden-tifier un clair motif excluant la reconnaissance.

330 Aude Peyrot

Iv. Les créanciers du settlor : atteintes par le trust et remèdes judiciaires

Un trust peut en cacher un autre…

Au moment de la création du trust et du transfert des biens au trustee, le settlor est dessaisi de la propriété de ses avoirs. Ce dessaisissement est opposable aux tiers et notamment à ses créanciers, lesquels sont confron-tés à un rétrécissement de la surface financière de leur débiteur. Cette dif-ficulté peut être exacerbée par des considérations subjectives. Il n’est en effet pas rare que le settlor cherche à se prémunir spécifiquement contre un risque d’insolvabilité future par la création d’un asset protection trust. Une telle structure s’appuie généralement sur une loi offshore moderne. Divers centres financiers offshore se sont en effet écartés du régime tra-ditionnel de common law en adoptant des règles modernes relativement souples en matière de transfert frauduleux (fraudulent conveyances). Ils ont adopté, ce faisant, une approche “pro-débiteur” contrastant avec la vi-sion “pro-créancier” des juridictions onshore, notamment l’Angleterre et la grande majorité des Etats américains. Un asset protection trust, dont les attaches (droit applicable, for compétent, localisation des biens, adminis-tration) se trouvent en tout ou en partie dans une des juridictions offshore ayant adopté une loi moderne, constitue une structure (très) hermétique aux créanciers : les possibilités de disputer la structure sont sensiblement restreintes ; les jugements étrangers ne sont pas nécessairement reconnus dans leur pleine mesure.

L’action révocatoire : une frappe ciblée

En Suisse, les créanciers du settlor lésés par la création d’un trust classique ou d’un asset protection trust peuvent recourir à l’action révocatoire des art. 285 ss LP. Elle ne constitue pas un moyen à portée générale mais re-lève très spécifiquement de l’exécution forcée et suppose pour cette raison l’existence d’une procédure d’insolvabilité contre le settlor. Elle offre par ailleurs un intérêt lorsque des biens du trust se trouvent sur le territoire helvétique. Bien qu’elle soit un moyen ciblé, elle est conçue de façon relativement large et permet de révoquer une diversité d’actes du débiteur entrepris

331Conclusion

dans le voisinage temporel de l’insolvabilité. La création d’un trust peut être appréhendée objectivement par l’art. 286 al. 1 LP si elle est intervenue dans l’année précédant la saisie ou la faillite du settlor. Par ailleurs, un as-set protection trust constitué selon la loi d’une juridiction offshore, par une personne insolvable ou devenue insolvable à la suite du transfert, pour son propre profit, et dans les cinq ans précédant sa saisie ou sa faillite est tout particulièrement menacé par l’art. 288 LP, car il laisse entrevoir une inten-tion dolosive du settlor. La véritable difficulté consistera pour les praticiens à démontrer la reconnaissabilité de cette intention par le trustee.

v. L’avenir des trusts en suisse

La réception du trust de common law suppose probablement pour les tra-ditions civilistes de sacrifier un peu de leur cohérence juridique. Tel est sans doute le tribut à payer au maintien d’un droit adapté aux impératifs économiques modernes. Le législateur suisse en a pris conscience. Il n’a pas craint d’adopter en matière d’exécution forcée des règles novatrices dé-rogeant à certains principes-clé du droit suisse, voire à sa logique interne, à travers notamment les art. 284a et 284b LP. Depuis lors, le témoin a été transmis à la jurisprudence des tribunaux suisses. C’est à eux qu’il appar-tient désormais d’aménager l’équilibre entre ouverture et préservation du système légal suisse. L’avenir dira comment ils décideront de concrétiser l’exercice et dans quelle mesure ils seront ouverts aux conceptions socio-juridiques étrangères que le trust incorpore nécessairement.

332 Aude Peyrot

333Table des abréviations

TabLE dES abRévIaTIoNS

A. Atlantic ReporterAbt. AbteilungAC Appeal Cases (Law Report)aCL Convention du 16 septembre 1988 concernant la compétence

judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale

al. alinéaaLFP Loi fédérale du 1er juillet 1966 sur les fonds de placement All ER All England Law ReportsAP Avant-projetart. ArticleASA Archives de droit fiscal suisseATF Arrêt du Tribunal fédéral suisseAtk. Atkyns ReportsAus. HC High Court of AustraliaBCLC Butterworths Company Law CasesBd BandBeav Beavan’s ReportBGB Bürgerliches Gesetzbuch BlSchK Blätter für Schuldbetreibung und Konkurs c/ contreCC Code civil suisse du 10 décembre 1907Cir. Circuitcf. conferch. chiffreCh Chancery (Law Report)ChD Chancery Division CKHC Cook Island High Court

334 Delphine Pannatier Kessler

CLrév. Convention du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale

CLR Commonwealth Law ReportsCiv Civil Divisioncmt commentCO Code des obligations suisse du 30 mars 1911Coll Collyer’s English Chancery Casescons. considérantCP Code pénal suisse du 21 décembre 1937CPC Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008éd. éditionédit. éditeuret al. et aliietc. et cæteraEWCA England and Wales Court of AppealEWHC High Court of England and Wales DecisionsFF Feuille fédérale FLR Family Law Reportfr. françaisFrs Francsgen. generalHun. Hun’s New York Supreme Court Reportsi.e. id estJLR Jersey Law ReviewJT Journal des TribunauxLB Loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses

d’épargneLDIP Loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international

privélit. litteraLJ Ch Law Journal Reports, Chancery

335Table des abréviations

LJPC Law Journal Privy CouncilLP Loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la

failliteLPCC Loi fédérale du 23 juin 2006 sur les placements collectifs de

capitauxMass. Supreme Court of MassachusettsMN MinnesotaN NuméroN.E. North Eastern ReporterN.Y. Court of Appeals of New YorkN.Y. Sup. Ct Supreme Court of New YorkNZCA New Zealand Court of AppealNZFLR New Zealand Family Law ReportsOhio St. Supreme Court of Ohiop. pagepp. pagesP ProjetPa. Supreme Court of Pennsylvaniaphr. phraseR.I. Supreme Court of Rhode Islandrés. résuméRNRF Revue suisse du notariat et du Registre foncierRSDA Revue suisse de droit des affairesRuss & M Russell and Mylne’s Chancery Reportss. et suivant(e)ss et suivant(e)sSJ Semaine Judiciairesubs. subsectiont. tomeTeilbd TeilbandTF Tribunal fédéralUFCA Uniform Fraudulent Conveyances Act

336 Delphine Pannatier Kessler

UFTA Uniform Fraudulent Transfer ActUKPC United Kingdom Privy Council DecisionsU.S. Supreme Court of the United Statesv versusVes. Jr. Vesey, Junior’s, English Chancery Reportsvol. volumeWLR The Weekly Law ReportsWTLR Wills and Trust Law ReportsZR BlätterfürZürcherischeRechtsprechung

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Message concernant le projet de loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, du 6 avril 1886, in Feuille Fédérale 1886, pp. 1-156. Cité Mes-sage (Adoption LP).

B. Divers

Trust Law Committee, Rights of Creditors against Trustees and Trust Funds, Londres, 1999. Cité Trust Law Committee Report.

Scottish Law Commission, Discussion Paper No 133 on the Nature and the Constitution of Trusts, Edimbourg, octobre 2006.

361Table des matières

TabLE dES MaTIèRES

IntroductIon 11-15

i. objectif, intérêt et cadre de l’étude -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 11ii. méthodologie -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 13iii. Plan -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 14

premIère partIe

Le trust et L’effet de ring-fencing en droIt suIsse

chapitre 1

Le trust dans La perceptIon cIvILIste 19-56

i. Les fondements du trust ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 19 A. Définition et caractéristiques fondamentales 19 B. Le régime de propriété 22 1. L’approche instrumentale du droit de la propriété anglo-saxon 22 2. Les droits du trustee et des bénéficiaires dans le trust 24 a. Le legal title du trustee 24 b. L’equitable title du bénéficiaire 25 C. L’effet de ring-fencing et le fonds du trust 27ii. Le patrimoine en droit civil ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 30 A. Notion 31 B. Théories du patrimoine 32 1. La théorie classique 32 2. La théorie objective du patrimoine 36 3. La notion de patrimoine d’affectation 37 C. Les patrimoines séparés en droit suisse 39 1. Notion 39 2. illustrations 41 a. La fiducie de droit commun 42 b. Les fonds de placement contractuels 46 3. L’utilité d’une systématisation 49iii. La transposition civiliste du régime des biens en trust -------------------------------------------------------------------------- 50 A. La théorie du patrimoine sans maître 50 B. Le trust en tant que patrimoine séparé 52

362 Aude Peyrot

chapitre 2

La dIstractIon des bIens du trust 57-80

i. L’art. 284b LP et ses fondements théoriques --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 57 A. en général 57 B. Justification 58 1. Les exceptions au principe de la responsabilité patrimoniale 58 2. L’avènement d’un nouveau droit de distraction 60 C. Conformité à l’ordre juridique suisse 61ii. La mise en œuvre du droit de distraction ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 65 A. Dans la faillite du trustee 65 1. La distraction d’office du fonds du trust 66 a. Notion 66 b. modalités 67 c. Déduction des créances du trustee contre le fonds 69 2. La revendication des biens du trust dans la faillite 70 a. Le déroulement de la procédure 70 b. Les parties au procès et la qualité pour agir/défendre 71 c. Preuve, moyens de défense et issue du procès 75 B. Dans la saisie contre le trustee 75 1. Principe : absence de saisie sur les biens du trust 75 2. La revendication des biens du trust 77 a. Procédure préliminaire 77 b. Les parties au procès et la qualité pour agir/défendre 78 c. Preuve, moyens de défense et issue du procès 80

chapitre 3

L’IncIdence de La pubLIcIté sur La dIstractIon des bIens du trust 81-112

i. La réglementation de la publicité du trust -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 81 A. L’art. 12 de la Convention de La Haye 81 B. L’art. 149d LDiP 83 1. Teneur 83 2. Processus législatif 85 3. Les effets généraux de la mention du trust au registre foncier 88ii. Les effets de l’absence de mention sur le droit de distraction ------------------------------------------- 89 A. La teneur du message 89

363Table des matières

B. L’avis de la doctrine en suisse et à l’étranger 90 1. L’opinion majoritaire 90 2. Des avis divergents 92 C. Discussion 95 1. Principes généraux pertinents 95 a. Les effets du registre foncier à l’égard des tiers 95 b. La portée de la foi publique 97 c. L’absence de portée autonome de la théorie de l’apparence efficace 100 2. interprétation de l’art. 149d LDiP 103 a. interprétation littérale 103 b. interprétation historique 104 c. interprétation conforme à l’art. 973 CC et au système du registre foncier 105 d. interprétation restrictive de la protection de la bonne foi 106 e. interprétation conforme à la Convention de La Haye 106 f. Considérations fondées sur la praticabilité 108 3. Proposition de solution 109 a. effet de la mention ou de son défaut sur le sort des biens du trust 109 b. L’interdiction de l’abus de droit 110

deuxIème partIe

Les dettes du trust : responsabILIté patrImonIaLe et poursuIte en suIsse

chapitre 4

La responsabILIté patrImonIaLe pour Les dettes du trust 115-143

i. Problématique et terminologie -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 115ii. L’approche traditionnelle à la lumière du droit anglais --------------------------------------------------------------------------- 117 A. La responsabilité primaire du trustee 117 B. Le droit d’indemnité du trustee 118 1. Contours et justification 118 2. La garantie du droit : le trustee’s lien 119 3. Conditions et causes de déchéance du droit 121 4. Le droit d’indemnité contre les bénéficiaires 121

364 Aude Peyrot

C. La limitation de la responsabilité du trustee 122 D. Le droit de subrogation des créanciers 123 e. Appréciation et perspectives futures du droit anglais 125 1. Les propositions du Trust law committee 125 a. La problématique de l’endettement du trustee 126 b. La violation par le trustee de ses devoirs fiduciaires 127 c. Autres propositions 128 2. Vers une réforme plus fondamentale ? 129 F. mise en œuvre de l’exécution forcée (aperçu) 130iii. L’approche moderne à l’exemple du droit américain et des lois offshore ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 132 A. L’abandon progressif de la règle classique 132 B. Le droit positif 135 1. Les règles de l’uniform Trust Code 135 2. Les réglementions offshore 137iV. synthèse : mise en perspective des approches moderne et classique ----------------- 140

chapitre 5

La poursuIte en suIsse pour Les dettes du trust 145-180

i. remarques introductives et aperçu schématique ------------------------------------------------------------------------------------------------ 145ii. La poursuite pour les dettes à charge du patrimoine du trustee ------------------------------ 147 A. Les dettes en poursuite 147 B. Le déroulement de la poursuite 147 1. L’application des règles existantes 147 2. Le sort du fonds du trust et le droit d’indemnité 148 C. Les effets de l’insolvabilité du trustee sur le trust 150iii. La poursuite pour les dettes du fonds du trust (art. 284a LP) ---------------------------------------- 151 A. Généralités 151 B. Processus législatif 152 1. Le premier avant-projet d’arrêté fédéral 152 2. Le second avant-projet d’arrêté fédéral 153 3. Le projet d’arrêté fédéral 154 C. Les dettes soumises à la poursuite de l’art. 284a LP 155 D. L’organisation de la poursuite et la qualité de poursuivi 156 1. La poursuite contre les patrimoines spéciaux 156 a. La société en nom collectif et la société en commandite 158 b. La communauté des propriétaires par étages 159

365Table des matières

c. La succession indivise 161 2. La poursuite pour les dettes à charge du fonds du trust 162 a. La poursuite ordinaire 162 b. La poursuite en réalisation de gage 165 e. Le for de la poursuite 165 1. un critère de rattachement autonome 165 2. La notion de siège du trust et son correctif 167 3. La notion d’administration effective du trust 168 4. Le rapport avec les fors des art. 46 ss LP 172 F. La continuation de la poursuite par voie de faillite 173 1. Le choix de la faillite 173 2. Le sujet de la déclaration de faillite 175 3. Portée et reconnaissance de la faillite 177 G. observations 179

troIsIème partIe

La saIsIe de L’equitable interest et La reconnaIssance des trusts de protectIon en suIsse

chapitre 6

L’equitable interest et Les trusts de protectIon angLo- amérIcaIns 183-210

i. Problématique ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 183ii. Les divers types d’equitable interests ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 185 A. Le droit fixe (fixed interest) 185 1. Notion 185 2. Distinctions 186 a. Le droit non-conditionnel (vested) par opposition au droit conditionnel (contingent) 186 b. La possession immédiate (possessory right) ou future (non-possessory right) 186 3. illustration : le life interest et l’interest in remainder 187 4. Aliénabilité et saisissabilité en droit anglo-américain 188 B. Le droit conditionnel (contingent interest) 189 1. Notion 189 2. Aliénabilité et saisissabilité en droit anglo-américain 190

366 Aude Peyrot

C. Le “droit” discrétionnaire (discretionary interest) 192 1. Notion et contours 192 2. La nature et la saisissabilité du discretionary interest 194iii. Les trusts de protection en droit anglo-américain ------------------------------------------------------------------------------------------ 196 A. Le protective trust et les forfeiture provisions 196 B. Le spendthrift trust du droit américain 200 1. Notion 200 2. Développement et controverse sur sa légitimité 202 3. Portée de la clause de spendthrift 205 4. restrictions à la clause de spendthrift 207 a. Le settlor-bénéficiaire 208 b. Les prérogatives exorbitantes du bénéficiaire non-settlor 209 c. Les créanciers protégés 209

chapitre 7

L’equitable interest dans La procédure d’exécutIon forcée suIsse 211-239

i. Conditions et principes de la saisissabilité en droit suisse ------------------------------------------------------------ 211 A. Première condition : la titularité juridique du débiteur 212 B. Deuxième condition : l’existence d’une valeur de réalisation 212 1. Les simples espérances 213 2. Les expectatives 214 3. Les créances dont l’exigibilité est soumise à un terme 216 C. Troisième condition : le droit n’est pas incessible 217 1. en général 217 2. incessibilité résultant d’une norme légale 218 3. incessibilité résultant de la nature de l’affaire 220 4. incessibilité résultant d’une convention privée 220 D. Quatrième condition : le droit n’est pas insaisissable 223 1. en général 223 2. inobservation des normes d’insaisissabilité étrangères 224 3. inobservation des conventions privées stipulant l’insaisissabilité 225ii. La saisissabilité de l’equitable interest à la lumière du droit suisse ---------------------- 227 A. observations générales 227 B. Le droit fixe non-conditionnel (fixed and vested interest) 229

367Table des matières

1. La réalisation forcée de l’interest lui-même 230 a. en général 230 b. Le cas du droit futur 231 2. La saisie des distributions futures 232 C. Le droit conditionnel (contingent interest) 234 D. Le “droit” discrétionnaire (discretionary interest) 235iii. synthèse ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 239

chapitre 8

La reconnaIssance des protective et spendthrift trusts en suIsse 241-264

i. La Convention de La Haye sur les trusts ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 242 A. La loi applicable au trust et sa portée (art. 6 à 8 de la Convention) 242 B. Le principe de reconnaissance (art. 11 de la Convention) 244 C. La réserve des normes impératives (art. 15 de la Convention) 246 1. en général 246 2. Critique et portée de l’art. 15 de la Convention 247 3. La protection des créanciers (art. 15 § 1 lit. e de la Convention) 250 D. Les lois d’application immédiate (art. 16 de la Convention) 251 e. La réserve de l’ordre public (art. 18 de la Convention) 252ii. La reconnaissance des effets du protective trust et des forfeiture provisions ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 253iii. La reconnaissance des effets du spendthrift trust -------------------------------------------------------------------------------------- 256 A. La stipulation de l’incessibilité du droit et ses effets 258 B. La stipulation de l’insaisissabilité et sa reconnaissance 259 1. Détermination du droit applicable au regard de l’art. 8 de la Convention 259 2. Admissibilité de la clause de spendthrift à la lumière du droit suisse 261 3. La clause de spendthrift au regard de l’art. 15 de la Convention 262iV. synthèse ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 264

368 Aude Peyrot

QuatrIème partIe

Les créancIers du settLor : atteIntes par Le trust et actIon révocatoIre du droIt suIsse

chapitre 9

Les atteIntes aux droIts des créancIers du settLor 267-297

i. Champ d’étude et exclusion des moyens touchant à la validité du trust (notamment “sham trust” et “piercing the veil”) ---------------------------------------------------------- 267ii. Les trusts classiques --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 269iii. Les asset protection trusts -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 270 A. Notion et mécanisme de base 271 B. Limitations dans les juridictions onshore 273 1. Les règles traditionnelles du “Statute of Elizabeth” 274 2. Le droit anglais positif 277 a. La section 423 insolvency Act 1986 : l’intention frauduleuse du transférant 278 b. Les sections 339 ss insolvency Act 1986 : les actes du débiteur en faillite 279 3. Le droit américain positif 281 a. La section 4(a) uFTA : l’intention frauduleuse du transférant 282 b. La section 5(a) uFTA : le transfert de biens par un insolvable 283 c. La section 548 du Bankruptcy Code : l’intention frauduleuse du failli 284 4. synthèse 285 C. Avènement dans les juridictions offshore 286 1. introduction aux trusts offshore 286 2. origine 287 3. réglementation (aperçu) 288 a. Principes et restrictions 290 b. Protection limitée aux créanciers existants 292 c. Durcissement des conditions procédurales 293 d. Limitation des effets de l’action 293 e. Non-application du droit étranger et non-reconnaissance des jugements étrangers 294 f. Autres dispositions 296 4. observations 296

369Table des matières

chapitre 10

L’actIon révocatoIre du droIt suIsse 299-321

i. Problématique et champ d’étude -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 299ii. La réserve de l’art. 15 de la Convention -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 300iii. Nature et fonction ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 301iV. L’application du moyen révocatoire au trust -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 302 A. Conditions générales 302 B. Conditions particulières 304 1. Art. 286 LP : la création d’un trust à titre gratuit 304 2. Art. 287 LP : le surendettement du settlor 305 3. Art. 288 LP : l’intention frauduleuse du settlor 306 C. Péremption 309 D. Légitimation active 309 e. Légitimation passive 310 1. Trustee 312 2. Bénéficiaire du trust 313 F. For 315 1. Principes généraux 315 2. Action dirigée contre le trustee 317 3. Action dirigée contre l’un des bénéficiaires du trust 317 G. effets 318V. synthèse ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 320

concLusIon 323-331i. Le trust et l’effet de ring-fencing en droit suisse ------------------------------------------------------------------------------------------------- 323ii. Les dettes du trust : responsabilité patrimoniale et poursuite en suisse ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 325iii. La saisie de l’equitable interest et la reconnaissance des trusts de protection en suisse -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 327iV. Les créanciers du settlor : atteintes par le trust et remèdes judiciaires --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 330V. L’avenir des trusts en suisse -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 331

table des abréviations 331

bibliographie 337i. Doctrine -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 337

370 Aude Peyrot

ii. Documents officiels ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 360 A. suisse 360 B. Divers 360

Index alphabétique 371

371index alphabétique

action révocatoire (voir révocation)

administration effective du trust For de la poursuite 165 ssPrononcé de la faillite au lieu de l’~ 173,

178 s.Notion 168 ss

aliénabilité de l’equitable interest (voir cessibilité)

apparence efficace (théorie)signification et portée 100 ss

asset protection trustsen faveur du settlor 272 s.Finalité 271, 289Flee clause 272inadmissibilité en droit anglo- américain

onshore 271, 273 ss (voir aussi règles contre les transferts frauduleux)

Notion et caractéristiques 271 ssorigine 271 ss, 287 ssréglementations offshore 288 ss– Non-application du droit étranger

294 s.– Non-reconnaissance des jugements

étrangers 294 s.– Principe et restrictions 290 s.– Protection limitée aux créanciers

actuels 292 s.– révocation des transferts fraudu-

leux (procédure et effets) 293 ssStatute of Elizabeth (voir rubrique cor-

respondante)

cessibilitéDe l’equitable interest – Contingent interest 190 ss– Fixed interest 188 s.

en tant que condition de la saisissabilité en droit suisse 217 ss

– en général 217 s.– incessibilité résultant d’une norme

légale 218 s.– incessibilité résultant de la nature

de l’affaire 220– incessibilité résultant d’une conven-

tion privée 220 ssexclusion de la ~ dans un spendthrift

trust 200 ss, 205, 258 s.rapport avec la saisissabilité 217 s.

convention de La HayeDéfinition du trust 20effet de ring-fencing 28, 29, 57, 58, 65,

75, 90, 91, 107, 177, 250 s. (voir aussi rubrique correspondante)

Loi applicable au trust (art. 6 à 8) 242 ssNotion de “trust matters” 242 s.reconnaissance des trusts (art. 11) 244 s.réglementation de la publicité du trust

81 ss (voir aussi publicité du rap-port de trust)

réserve de l’ordre public (art. 18) 252 s.réserve des normes impératives (art. 15)

246 ss, 300– Protection des créanciers 250 s.réserve des lois d’application immé-

diates (art. 16) 251 s.

contingent interestNotion 189Aliénabilité 190saisissabilité 190, 234 s.

dettes du trustPoursuite pour les ~ (voir exécution

forcée)Problématique et terminologie 115 s.

INdEx aLPhabéTIQuE

372 Aude Peyrot

discretionary interestNature 194 ss, 235 s.Notion 192 sssaisissabilité 194 ss, 235 ss

distractionDistraction d’office (Absonderung)– Des biens du trust 66 ss – Conformité à l’ordre juridique

suisse 61 ss – Conformité au principe de l’éga-

lité de traitement 62 ss – Conformité au principe de pu-

blicité 62 ss – Dans la saisie contre le trustee

75 s. – Dans la faillite du trustee 65 ss – Des biens personnels du trustee

dans la faillite du trust 176– Généralités 60 ss – Justification 60 s.– Des valeurs fiduciaires des banques

45 s.– Des actifs des fonds de placement

contractuels 46 ss– Des valeurs des portefeuilles collec-

tifs des banques 48 s.– Notion 66 s. revendication (Aussonderung) (voir ru-

brique correspondante)

droit conditionnel (voir contingent in-terest)

droit discrétionnaire (voir discretion-ary interest)

droit d’indemnité du trustee (right of indemnity)

Causes de déchéance 121 Contours et justification 118 s.Droit d’indemnité contre les bénéficiaires

du trust 121 s.

Garantie du droit (trustee’s lien) 119 s.subrogation des créanciers – en général 123 ss– mise en œuvre dans la procédure

anglaise 131– mise en œuvre dans la procédure

suisse 148 s.

equitable title (interest) du bénéfi-ciaire

Cessibilité (voir rubrique correspondante)Généralités 25 ss, 184 s.Nature 26Proprietary right 26, 60, 72, 73, 194 s.,

323saisissabilité (voir rubrique correspon-

dante)Types– Contingent interest 186, 189 ss– Discretionary interest 192 ss– Fixed interest 185 ss– Interest in remainder 187 s.– Life interest 187 s.– Non-possessory interest 186 s.– Possessory interest 186 s.– Vested interest 186

exécution forcée (voir aussi poursuite)Assujettissement selon l’appartenance

juridique 59

flee clause (voir asset protection trusts)

faillite du trustDistraction des biens personnels du

trustee 177 s.For de la faillite 165 ss, 168 s., 173Justification et critiques 173 ssreconnaissance du jugement de faillite

178 s.sort du trust 178sujet de la déclaration de faillite 175 ss

373index alphabétique

fiducieCodification 50Notion et caractéristiques 42responsabilité pour dettes 42 ss, 59, 61,

64

fixed interest (voir aussi equitable title)Aliénabilité et saisissabilité 188 s., 229 ssNotion 185Types 186 ss

fonds de placement contractuelsDistraction des valeurs du fonds 47 ssGénéralités 46 ssrégime de responsabilité pour dettes

47 ss

fonds du trustDéfaut de personnalité juridique (voir

personnalité juridique)Notion 21Ring-fencing 27 ss (voir aussi rubrique

correspondante)subrogation patrimoniale 28, 53, 68

for de la poursuite Poursuite pour les dettes à charge du

fonds du trust 165 ss– Critère de l’administration effective

du trust 167 ss– Critère du siège du trust 165 s.– rapport avec les fors traditionnels

172 s.Poursuite pour les dettes à charge du

patrimoine du trustee 148

forfeiture provisionsen faveur du settlor 200Notion et caractéristiques 199Formulation 199 s.

fraudulent conveyances (voir transferts frauduleux)

legal title du trusteeNotion et caractéristiques 24Pluralité de trustees 25, 164

mention du trust dans les registres publics (voir publicité du rapport de trust)

patrimoineimportance en droit civil 30 s.Notion 31 s.Patrimoine d’affectation 37 s.Patrimoine sans maître 37, 50Patrimoine séparé (voir rubrique corres-

pondante)Théorie objective 36 s.Théorie des patrimoines à buts 36 s.Théorie subjective (classique) 32 ssunité du patrimoine 33

patrimoine séparé (sondervermögen)illustrations 41Notion et caractéristiques 39 ssQualification du fonds du trust en tant

que ~ – Perspective américaine et offshore

141 s.– Perspective anglaise 54, 140– Perspective suisse 52 ssPoursuite contre un ~– Communauté des propriétaires par

étages 159 ss– Généralités 156 s.– responsabilité pour dettes 40, 156 s.– société en nom collectif et société

en commandite 158– succession indivise 161 s.– utilité d’une systématisation 48 ss

personnalité juridiqueDéfaut de ~ dans un trust 21 s., 116, 117,

129, 140, 142 s., 176, 268, 326Personnification du trust 141 ss, 179 s.

374 Aude Peyrot

piercing the veil 268

poursuite Poursuite contre un patrimoine séparé

(voir patrimoine séparé)Poursuite pour dettes à charge du fonds

du trust 151 ss– Continuation par voie de faillite

(voir faillite du trust)– Dettes concernées 155 s.– Déroulement 156 ss, 163– For de la poursuite 165 ss– Généralités 151 s.– Pluralité de trustees 164 s.– Poursuite en réalisation de gage 165– Processus législatif de l’art. 284a LP

152 ss– réglementation en droit anglais 131Poursuite pour dettes à charge du patri-

moine personnel du trustee 147 ss– Dettes concernées 147– Déroulement de la poursuite 147 s.– effets de l’insolvabilité du trustee

sur le trust 150– réglementation en droit anglais 130– règles applicables en suisse 147 s.– sort du droit d’indemnité 148 s.– sort du fonds du trust 148 s.

pouvoirs réservés (voir reserved powers)

propriété dans un trust (voir régime de propriété dans un trust)

propriété par étagesresponsabilité pour dettes et poursuite

159 ss

protective trusten faveur du settlor 199Notion et caractéristiques 196 ssFormulation de la clause 198 s.

Justification et origine 197 ssProblématique 183 s.reconnaissance en suisse 253 ss

publicité du rapport de trust (voir aussi registre foncier)

effets sur la bonne foi du tiers acqué-reur 88 s.

effets sur le droit de distraction 89 ssinterprétation de l’art. 149d LDiP 103 ssréglementation selon la Convention de

La Haye 81 ssréglementation en droit suisse 83 ss– Forme facultative 84– Généralités 83 ss– mention 85– meubles 86 s.– Processus législatif de l’art. 149d

LDiP 85 ss– requête auprès de l’office compé-

tent 84 s.

régime de propriété dans un trust Approche du droit anglo-saxon 22 ssComparaison avec la propriété du droit

civil 23 s.Distinction entre legal et equitable title

24Droit de propriété du trustee (voir legal

title)Droit de propriété du bénéficiaire (voir

equitable title)Pluralité de trustees 25

registre foncier (voir aussi publicité du rapport de trust)

effets du ~ à l’égard des tiers 95 ssPortée de la foi publique du ~– en général 97 ss– rapport avec la théorie de l’appa-

rence efficace 102

375index alphabétique

règles contre les transferts fraudu-leux (fraudulent conveyances)

réglementation américaine 281 ss– section 4(a) uniform Fraudulent

Transfer Act 282 s.– section 5(a) uniform Fraudulent

Transfer Act 283 s.– section 548 Bankruptcy Code 284 s. réglementation anglaise 277 ss– section 339 ss insolvency Act 279 ss– section 423 insolvency Act 278 s.réglementations offshore 288 ssStatute of Elizabeth 274 ss, 285 s.– Protection des créanciers actuels

275 s.– Protection des créanciers futurs

276 s.

reserved powers 268

responsabilité patrimoniale (principe)Caractéristiques 35Corollaire de l’unité du patrimoine 33,

35, 58Limitation au pouvoir de disposer 270exceptions 58 ss

responsabilité pour dettesDans un trust – Aperçu schématique 146– Approche moderne (américaine et

offshore) 132 ss – Abandon progressif de la règle

classique 132 ss – réglementations offshore 137 ss – uniform Trust Code 135 ss– Approche traditionnelle (anglaise)

117 ss – Présentation générale 117 ss – Propositions de réforme 125 ss– Chefs de responsabilité 118, 135 s.– Droit d’indemnité du trustee (voir

rubrique correspondante)

– mise en perspective des approches classique et moderne 140 ss

– Présentation générale 29, 53, 115– responsabilité du fonds du trust – Droit américain 132 ss – réglementations offshore 137 ss– responsabilité personnelle du trustee

117 ss (voir aussi droit d’indemnité du trustee)

en matière de fiducie 42 ssen rapport avec un patrimoine séparé

40, 156 s. (voir aussi patrimoine séparé)

revendication Dans la faillite du fiduciaire 44 ssDans la faillite du trustee 70 ss– Généralités 70– Procédure préalable 70 ss– Procès en revendication 71 ss – Preuve et moyens de défense

75 – Qualité pour agir et défendre

71 ssDans la saisie contre le trustee 77 ss– Procédure préalable 77 s.– Procès en revendication 78 ss – Preuve et moyens de défense

80 – Qualité pour agir/défendre 78 ss

révocation du trust (droit suisse)Cas d’application 302 ss– Constitution d’un trust à titre gra-

tuit (286 LP) 304 s.– surendettement du settlor (287 LP)

305 s.– intention frauduleuse du settlor

(288 LP) 306 ss Conditions 302 sseffets de l’action 318 s.

376 Aude Peyrot

For 315 ss– De l’action contre le trustee 316– De l’action contre le bénéficiaire

317 s.Légitimation active 309 ssLégitimation passive 310 ss– Du trustee 312 s. – Du bénéficiaire 313 s. Nature et fonction 301 s.Péremption 309Problématique générale 299 s.réserve de l’art. 15 de la Convention de

La Haye 300

ring-fencing (voir aussi distraction)Dans la faillite du trust 177 s.Dans la faillite du trustee 65 ssDans la saisie contre le trustee 75 s.Fonctionnement 28 ssimportance 27, 29 s.Notion et justification 27rapport avec les art. 15 à 18 Conven-

tion de La Haye 29 s., 107, 250 s.Terminologie 28

saisissabilité Conditions de la ~ en droit suisse 211 ss– Cessibilité 217– Pas d’exclusion de la saisissabilité

223 ss– Titularité juridique 212– Valeur de réalisation 212 ss – Créance dont l’exigibilité est

soumise à un terme 216 – expectative 214 ss – simple espérance 213exclusion de la saisissabilité dans un

spendthrift trust 200 s., 205 ss, 259 ss

Lien avec la cessibilité 217 s.saisissabilité de l’equitable interest – en droit anglo-américain – Contingent interest 190 ss

– Discretionary interest 194 ss, 235 ss

Fixed interest 188 ss– en droit suisse – Contingent interest 234 s. – Discretionary interest 235 ss – Fixed interest 229 ss – observations générales 227 sssaisissabilité des distributions futures

232stipulation de l’insaisissabilité dans un

spendthrift trust 259 ss

séparation des patrimoines (voir Ring-fencing)

sham trust 267

siège du trustFor de la poursuite 165 ssNotion 167 s.Processus législatif 152 ss

spendthrift trustControverse sur sa légitimité 202 ssCréanciers protégés 209 ssen faveur du settlor 208origine et justification 202 ssNotion et caractéristiques 200 ssPortée de la clause de spendthrift 205 ssrapport avec l’art. 8 de la Convention

de La Haye 259 s.rapport avec l’art. 15 de la Convention

de La Haye 262 s. reconnaissance en suisse 256 ss– stipulation de l’incessibilité 258 s.– stipulation de l’insaisissabilité 259 s.reconnaissance en Angleterre 205restrictions à la clause de spendthrift

207 ssStatutory spendthrift trust 201, 258, 260

377index alphabétique

société en nom collectif et en com-mandite

Capacité d’être poursuivie 157Poursuite 158

subrogation des créanciers au droit d’indemnité du trustee (voir droit d’indemnité du trustee)

subrogation patrimonialeCaractéristique du patrimoine 32Caractéristique du patrimoine séparé 40Du fonds du trust 28

succession indiviseCapacité d’être poursuivie 157Notion 161Poursuite 161

théorie de la transparence (voir piercing the veil)

trustDéfinition et caractéristiques 19 ssen tant que patrimoine sans maître 50 s.

en tant que patrimoine séparé 52 ssoffshore 286 s.

trustee(s) Capacité représentative 117, 134, 136 ss,

140 ssDroit d’indemnité (voir rubrique corres-

pondante) Pluralités de ~ 25, 164Propriété sur le fonds du trust 22, 24 s.,

51, 64, 82 s., 94, 117, 132 s., 140, 164, 176, 269

rôle dans la poursuite (voir aussi pour-suite)

– représentant de la main commune 164

– représentant du fonds du trust 163 responsabilité pour dettes (voir rubrique

correspondante)

unité (unicité) du patrimoineen droit français 33en droit suisse 35en matière de fiducie 42 ss

378 Aude Peyrot

publications du centre de droit bancaire et financier, genèveparues chez schulthess médias Juridiques, genève · Zurich · bâle

Aude Peyrot : Le trust de common law et l’exécution forcée en Suisse (2011).

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2010 de droit bancaire et fi-nancier (2011). Avec des contributions de Christian Bovet, Louis Gaillard, Lucia Gomez richa, maurice Harari, Jacques iffland, Nicolas Jeandin, Fabien Liégeois, isabelle romy, Luc Thévenoz et Dario Zanni.

ursula Cassani & Anne Héritier Lachat (éd.) : Lutte contre la corruption in-ternationale – The never ending story (2011). Avec des contributions de Bernard Bertossa, ursula Cassani, Christine Chappuis, Paul H. Dembinski, maurice Harari, Anne Héritier Lachat, Valsamis mitsilegas et mark Pieth.

Delphine Pannatier Kessler : Le droit de suite et sa reconnaissance en Suisse selon la Convention de La Haye sur les trusts – Tracing en droit suisse (2011).

samantha meregalli Do Duc : Rémunération et conflits d’intérêts dans la distribution des placements collectifs de capitaux (2010).

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2009 de droit bancaire et financier (2010). Avec des contributions de rashid Bahar, Yaël Benmenni, Alessandro Bizzozero, Christian Bovet, Anath Guggenheim, Anne Héritier Lachat, isabelle Lebbe, xavier oberson, Alexandre richa et Luc Thévenoz.

Luc thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2008 de droit bancaire et financier (2009). Avec des contributions de Lionel Aeschlimann, Gerhard Auer, Christian Bovet, ursula Cassani, Benoît Chappuis, Bénédict Foëx, Lucia Gomez richa, Nicolas de Gottrau, Anne Héritier Lachat, Philipp m. Hildebrand, Luc Thévenoz et Jean-Baptiste Zufferey.

Luc thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2007 de droit bancaire et financier (2008). Avec des contributions de mark Barmes, Pierre Besson, Christian Bovet, Jacques iffland, Carlo Lombardini, samantha meregalli Do Duc, Aude Peyrot et Luc Thévenoz.

Alexandre richa : Pensions de titres (repos) et autres cessions temporaires (2008).

Luc Thévenoz & rashid Bahar (eds) : Conflicts of Interest – Corporate Gover-nance and Financial Markets (2007). Avec des contributions de sandro Abegglen, rashid Bahar, Guido Bolliger, michel Dubois, Pascal Dumontier, Tamar Frankel, manuel Kast, marc Kruithof, Karim maizar, Leo Th. schrutt, Luc Thévenoz, rolf Watter, stefan Wieler, eddy Wymeersch, et Jean-Baptiste Zufferey.

BF 2007 : Réglementation et autoréglementation des banques, bourses, négo-ciants, placements collectifs, assurance et marchés financiers en Suisse. Publié par Luc Thévenoz & urs Zulauf (2007).

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2006 de droit bancaire et financier (2007). Avec des contributions de Christian Bovet, mario Giovanoli, Nicolas Jeandin, saverio Lembo, Vincent martenet, xavier oberson, Luc Thévenoz et urs Zulauf.

Bénédict Foëx, Luc Thévenoz & spiros V. Bazinas (éd.) : Réforme des sûretés mobilières : Les enseignements du Guide législatif de la CNUDCI – Re-forming Secured Transactions : The UNCITRAL Legislative Guide as an Inspira-tion (2007). Avec des contributions de Lionel Aeschlimann, Georges Affaki, spiros V. Bazinas, Antoine eigenmann, Bénédict Foëx, Nicolas de Gottrau, Nicolas Jeandin, Gerard mcCormack et Henricus J. snijders.

BF Assurance : Réglementation et autoréglementation de l’assurance en Suisse. Publié par Luc Thévenoz & urs Zulauf (2006).

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2005 de droit bancaire et financier (2006). Avec des contributions de Lionel Aeschlimann, Alessandro Bizzozero, Christian Bovet, Bénédict Foëx, Anne Héritier Lachat, syvain marchand, Jean-Christophe Pernollet, François rayroux, Alexandre richa et Luc Thévenoz.

Claude Laporte : La titrisation d’actifs en Suisse – Asset-Backed Securisation (2005).

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2004 de droit bancaire et financier (2005). Avec des contributions de Christian Bovet, Claude Bretton-Chevallier, ursula Cassani, Jacques iffland, romain marti, Luc Thévenoz et Alexandre richa.

rashid Bahar : Le rôle du conseil d’administration lors des fusions et acquisi-tions – Une approche systématique (2004).

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2003 de droit bancaire et financier (2004). Avec des contributions de Christian Bovet, Claude Bretton- Chevallier, Jean-Claude Dufournet, xavier Favre-Bulle, Bénédict Foëx, Daniel Girsberger, Florence Guillaume, Jacques iffland et Luc Thévenoz.

BF Blanchiment : Réglementation et autoréglementation de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme en Suisse. Publié par Luc Thévenoz & urs Zulauf (2004).

publications du centre d’études juridiques européennes, genève parues chez schulthess médias Juridiques, genève · Zurich · bâle

Daniel Kraus : Les importations parallèles de produits brevetés (2004).

Julia xoudis : Les accords de distribution au regard du droit de la concurrence (2002).

Claude Bretton-Chevallier : Le gérant de fortune indépendant : Rapports avec le client, la banque dépositaire, obligations et responsabilités (2002).

Luc Thévenoz : Trusts en Suisse : adhésion à la Convention de La Haye sur les trusts et codification de la fiducie – Trusts in Switzerland : ratification of the Hague Convention on trusts and codification of fiduciary transfers (2001).

Christine Chappuis & Bénédict Winiger (éd.) : La responsabilité fondée sur la confiance – Vertrauenshaftung (2001). [Journée de la responsabilité civile 2001].

Vincent Jeanneret (éd.) : Aspects juridiques du commerce électronique (2001). [séminaires de l’Association genevoise de droit des affaires].

Christine Chappuis, Henry Peter & Andreas von Planta : Responsabilité de l’actionnaire majoritaire (2000). [séminaires de l’Association genevoise de droit des affaires].

Christian Bovet (éd.) : Libéralisation des télécommunications : concentrations d’entreprises (1999). [Journée du droit de la concurrence 1998].

Luc Thévenoz & marcel Fontaine (éd.) : La monnaie unique et les pays tiers – The euro and non-participating countries (1999). [Colloque international].

Vincent Jeanneret (éd.) : Le séquestre selon la nouvelle LP (1997).

Gérard Hertig (éd.) : Le fonctionnement des sociétés et le respect des règles (colloque Alain Hirsch) – Die Führung der Gesellschaften und die Einhaltung der Regeln (Kolloquium Alain Hirsch) (1996).

martin Anderson & thierry Hertig : Institutional investors in Switzerland : their behavior and influence on financial markets and public companies (1992).

Annette Althaus : Die Lex Friedrich im Lichte der EG. Julia xoudis : La demeure de débiteur de l’acheteur ayant conclu un contrat de vente internationale (1992).

Gérard Hertig & marina Hertig-Pelli (éd.) : L’avant-projet de loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (colloque) – Vorentwurf eines Bundesgesetzes über die Börsen und den Effektenhandel (Kolloquium) (1992).

oliver Guillod (éd.) : Développements récents du droit de la responsabilité ci-vile (col loque) – Neuere Entwicklungen im Haftpflichtrecht (Kolloquium) (1991).

Luc Thévenoz : Error and fraud in wholesale funds transfers : U.C.C. article 4A and the uncitral harmonization process (1990).

xavier oberson : Issues in the tax treatment of international interest rate and currency swap transctions : ananalysis of the tax treatment of interest rate and currency swap transactions in the United States, Switzerland and under the OECD model (1990).

Anne-Catherine imhoff-scheier & Paolo michele Patocchi : Torts and un-just enrichment in the new Swiss conflict of laws – L’acte illicite et l’enrichisse-ment illégitime dans le nouveau droit international privé suisse (1990).

Bernd stauder (éd.) : Liberalization and regulatory reform in the field of ban-king services in Europe : the Swiss consumer’s point of view (symposium) – Libéralisation des services financiers bancaires en Europe : le point de vue du consommateur suisse (col loque) (1989).

Journées de droit bancaire et financier parues chez staempfli editions sa, berne

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2002 de droit bancaire et fi-nancier (2003). Avec des contributions de Giorgio Behr, Christian Bovet, Nicolas Jeandin, Henry Peter, François rayroux, Luc Thévenoz et Daniel Zuberbühler.

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2001 de droit bancaire et financier (2002). Avec des contributions de Christian Bovet, Louis Gaillard, Nicolas de Gottrau, olivier Hermand, Jacques malherbe, xavier oberson, marc siegel, Luc Thévenoz et urs Zulauf.

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2000 de droit bancaire et financier (2001). Avec des contributions de Christian Bovet, Jacques iffland, Catherine Kessedjian, Luc Thévenoz, Gilles Thieffry, Henri Torrione, rita Trigo Trindade et Jean- Baptiste Zufferey.

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 1999 de droit bancaire et financier (2000). Avec des contributions de rashid Bahar, Christian Bovet, Claude Bretton- Chevallier, Hans Caspar von der Crone, Daniel Guggenheim, maurice Harari, Jacques iffland, sylvain matthey, Nicolas merlino, Peter Nobel, xavier oberson et Henry Peter.

Luc Thévenoz (éd.) : Journée 1997 de droit bancaire et financier (1997). Avec des contributions de André Cuendet, marco Franchetti, Anne Héritier Lachat, Jacques iffland, Claude-Alain margelisch, xavier oberson, shelby du Pasquier, riccardo sansonetti et Blanche sousi.

Luc Thévenoz (éd.) : Journée 1996 de droit bancaire et financier (1996). Avec des contributions de Alessandro Bizzozero, Christine Chappuis, Alain Hirsch, Alain B. Lévy, Patrizio merciai, Andreas von Planta, Luc Thévenoz et Jean- Baptiste Zufferey.

Luc Thévenoz (éd.) : Journée 1995 de droit bancaire et financier (1995). Avec des contributions de Daniel Guggenheim, Alain Hirsch, Gabrielle Kaufmann-Kohler, sylvain matthey, xavier oberson, renate Pfister-Liechti, Bernhard strauli, Luc Thévenoz et urs Zulauf.

Luc Thévenoz (éd.) : Journée 1994 de droit bancaire et financier (1994). Avec des contributions de richard Barbey, ursula Cassani, maurice Harari, xavier oberson, urs Philipp roth, Claudia spiess et Luc Thévenoz.