Approches méthodologiques de la tragédie grecque

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Anna ZOUGANELI, Approches méthodologiques de la tragédie grecque, intervention du 5 novembre 2013 (18 : 00 - 20 : 00), dans le cadre du séminaire de méthodologie de l’ED1 de la Sorbonne 1 Séminaire de méthodologie de l’ED1 Compte-rendu de la séance du 5 novembre 2013 Présents : Amarande Laffon, Anna Zouganeli, Georges Vassiliades, Konstantinos Aspiotis, Sharif Bujanda, Néféli Papakonstantinou, Diego Gariazzo Lechini, Pierre-Alain Caltot, André Rehbinder, Catherine Gillibert, Maité Fernandez-Faband Objet de la séance : Approches méthodologiques de la tragédie grecque (Intervenant : Anna Zouganeli) Qu’est-ce que la science ? La science : i. désigne un réseau complexe de processus visant à la « conquête » cognitive d’un domaine ou d’un « objet » de la réalité établi d’une manière scientifique par des processus basés sur un système sémantique et sur des méthodes de la pratique scientifique ; ainsi, la science ne conquiert pas simplement son objet mais également sa propre constitution scientifique ii. cherche la vérité en se fondant sur l’argumentation et sur l’exactitude des énoncés, sur la documentation systématique ainsi que sur les processus rationnels de contrôle et de correction de la recherche dans toutes ses étapes. iii. et est toujours indissociable de l’éthos scientifique qui prémunit contre le plagiat et l’improvisation. Dans le cadre de la postmodernité, la science n’est pas conçue comme l’agglomération des connaissances, mais comme l’action et le processus de la « production » de la connaissance. Cependant, le modèle classique de la science comme un système d’énoncés vrais, autour d’un sujet, construits en ordre rationnel, s’oppose à cette nouvelle conception de la science. Cette distinction entre connaissance acquise et processus de « production » de la connaissance est liée aussi à la distinction entre les sciences de la nature et les sciences humaines. Les sciences exactes ont pour but la transmission de la connaissance de leur objet. Au contraire, dans les Sciences Humaines l’important est « l’acte critique de la connaissance », qui, en Philologie, est fondé sur la participation de l’individu/du particulier et du général, puisque son objet - c’est-à-dire les œuvres littéraires n’est pas que le fruit d’un individu, mais également le résultat de sa parenté interlocutoire. L’objet, la terminologie et la méthodologie constituent la science. Comme la science essaie, au fil du temps, de résoudre des nouveaux problèmes et de vérifier des hypothèses en

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Anna ZOUGANELI, Approches méthodologiques de la tragédie grecque, intervention du 5 novembre 2013 (18 :

00 - 20 : 00), dans le cadre du séminaire de méthodologie de l’ED1 de la Sorbonne

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Séminaire de méthodologie de l’ED1

Compte-rendu de la séance du 5 novembre 2013

Présents : Amarande Laffon, Anna Zouganeli, Georges Vassiliades, Konstantinos Aspiotis,

Sharif Bujanda, Néféli Papakonstantinou, Diego Gariazzo Lechini, Pierre-Alain Caltot, André

Rehbinder, Catherine Gillibert, Maité Fernandez-Faband

Objet de la séance : Approches méthodologiques de la tragédie grecque

(Intervenant : Anna Zouganeli)

Qu’est-ce que la science ?

La science : i. désigne un réseau complexe de processus visant à la « conquête » cognitive d’un

domaine ou d’un « objet » de la réalité établi d’une manière scientifique par des processus basés

sur un système sémantique et sur des méthodes de la pratique scientifique ; ainsi, la science ne

conquiert pas simplement son objet mais également sa propre constitution scientifique

ii. cherche la vérité en se fondant sur l’argumentation et sur l’exactitude des énoncés,

sur la documentation systématique ainsi que sur les processus rationnels de contrôle et de

correction de la recherche dans toutes ses étapes.

iii. et est toujours indissociable de l’éthos scientifique qui prémunit contre le plagiat et

l’improvisation.

Dans le cadre de la postmodernité, la science n’est pas conçue comme l’agglomération

des connaissances, mais comme l’action et le processus de la « production » de la

connaissance. Cependant, le modèle classique de la science comme un système d’énoncés vrais,

autour d’un sujet, construits en ordre rationnel, s’oppose à cette nouvelle conception de la

science. Cette distinction entre connaissance acquise et processus de « production » de la

connaissance est liée aussi à la distinction entre les sciences de la nature et les sciences

humaines. Les sciences exactes ont pour but la transmission de la connaissance de leur objet. Au

contraire, dans les Sciences Humaines l’important est « l’acte critique de la connaissance », qui,

en Philologie, est fondé sur la participation de l’individu/du particulier et du général, puisque

son objet - c’est-à-dire les œuvres littéraires – n’est pas que le fruit d’un individu, mais

également le résultat de sa parenté interlocutoire.

L’objet, la terminologie et la méthodologie constituent la science. Comme la science

essaie, au fil du temps, de résoudre des nouveaux problèmes et de vérifier des hypothèses en

Anna ZOUGANELI, Approches méthodologiques de la tragédie grecque, intervention du 5 novembre 2013 (18 :

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créant une rupture avec ses acquis et en se fondant sur le principe de réfutabilité, elle modifie

son système de termes et ses méthodes, en ébranlant, de cette manière, la conception de la

science comme une connaissance assurée et constante des vérités immuables.

Bibliographie sélective :

Aggelatos, D. (2011), Η Αλφα Βήτα του Νεοελληνιστή : Οδηγός για το εισαγωγικό μάθημα στην

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Mπαλτάς, A. (1991), « Aπέναντι στην επιστήμη: Πρόταση για τη συγκρότηση της έννοιας »

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BOLLACK, M., éd., (1981), Poésies et poétiques de la modernité, 11-29.

Qu’est-ce que la philologie classique ?

Philologie - d’après Judet de la Combe1, au sens européen de « science des œuvres de langage »,

« considérée dans l’ensemble de ses opérations, depuis l’établissement critique de la lettre des

textes jusqu’à l’interprétation et à la réflexion sur les conditions générales de l’interprétation, et

non au sens français (actuellement moins courant, il est vrai) de science des manuscrits ou de

science historique des usages de la langue ».

1 JUDET DE LA COMBE, P. (2010), Les tragédies grecques sont-elles tragiques ? Théâtre et théorie, Paris, p. 21,

n. 5

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- la philologie classique : la science dont l’objet est l’étude de tous les documents écrits en grec

ancien et latin.

- Ses buts principaux sont : i. l’édition des textes littéraires via certains processus

systématiques (i.e. collation des manuscrits, des papyrus, création du stemma, de l’apparat

critique, etc.)

ii. l’analyse et l’interprétation de l’organisation textuelle des textes littéraires, c’est-à-dire de

la manière unique de leurs formes, des choix de l’auteur,

iii. ainsi que l’étude de leur visée communicative, autrement dit leur but et le public auquel ils

s’adressent.

L’analyse reconnait, distingue et classe les éléments du matériel textuel (par exemple, le

signifiant et le signifié, des métaphores et d’autres figures de discours) ainsi que les paramètres

extratextuels.

De l’autre côté, l’interprétation concerne les processus par lesquels on donne et on extrait

de la signification du matériel textuel et des paramètres extratextuels.

Bibliographie sélective :

Adam, J.-M. (1992), Les textes : types et prototypes. Récit, description, argumentation,

explication, dialogue, Paris.

Calder, William M., (1998), Men in Their Books: Studies in the Modern History of Classical

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Calder, William M., (2010), Men in Their Books: Studies in the Modern History of Classical

Scholarship. Spudasmata Band 129. Edité par Thomas J. Rohn. Hildesheim : Georg Olms

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Judet de la Combe, P. (2010), Les tragédies grecques sont-elles tragiques ? Théâtre et théorie,

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Sandy, J. E., (1903-1908), A History of classical scholarship : From the VIth century B. C. to

the end of the middle ages, (1903) vol. 1 ; From the revival of learning to the end of the XVIIIth

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Germany and the XIXth century in Europe and the United States of America, (1908), vol. 3 ;

Cambridge.

Schaps, D. M. (2011), Handbook for classical research, London and New York.

von Wilamowitz-Moellendorf, U. (1959), Geschichte der Philologie, Leipzig.

Qu’est-ce que la méthodologie et les méthodes ?

On définit comme méthodes, les procédures particulières qu’un chercheur utilise dans ses

pratiques scientifiques. Les méthodes guident le processus de la production des connaissances

scientifiques (observation, expériences, raisonnement) et sont utilisées pour développer la

connaissance scientifique. Elles jouent un rôle important en science, car elles sont le fruit d’une

longue tradition de recherche et définissent surtout la manière scientifique d’étude des objets de

chaque science. Mais, la grande diversité des processus et des disciplines scientifiques rendent

l’idée d’une unité de la méthode très problématique.

Les méthodes de la pratique scientifique en Philologie classique sont définies par rapport

aux domaines dans lesquels ses buts sont réalisés ; grosso modo, on peut signaler les axes

suivants autour desquels ses méthodes sont déterminées : histoire, langue/grammaire, théorie,

critique et comparaison. On peut donc constater ici, que les méthodes de la philologie sont

caractérisées par une pluralité de point de vue.

La tragédie grecque et les diverses approches méthodologiques d’étude

A cause de l’énormité et la diversité de l’étude de la tragédie grecque nous ne pouvons pas

présenter, dans le cadre de cette séance, la totalité de son histoire en détail. D’après Simon

Goldhill, la méthodologie d’un spécialiste de la tragédie grecque est plutôt le résultat d’un

réseau d’influences de la part de ses enseignants, d’échanges entre collègues, de ses lectures et

d’étude des textes liés aux lettres classiques. Néanmoins, la méthodologie n’est pas qu’un ajout

à une analyse ou/et une interprétation et la théorie littéraire ne s’oppose pas à la pratique

scientifique. Au contraire, la méthodologie est ce qui rend une analyse et une interprétation

possibles.

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University Press

Storey, I. C. et Allan, A. (2004), A Guide to Ancient Greek Drama : Blackwell Guides to

Classical Literature, Malden, MA : Blackwell (et plus précisément « Approaching Greek

Drama », 230-240)

I. Editions critiques, éditions accompagnées de traductions et de commentaires et éditions

avec un commentaire très détaillé

Les spécialistes doivent rétablir le texte d’une manière autant que possible exacte, en

collationnant les manuscrits et les papyrus conservant le texte, en recherchant l’histoire de la

transmission du texte et en comparant la langue de ce texte avec la langue des autres œuvres du

même corpus. Les éditeurs des textes de l’antiquité envisagent de récupérer le texte « original »,

le texte que le dramaturge a vraiment (ou enfin approximativement) écrit et de résoudre les

problèmes textuels (i.e. grammaticaux, métriques, de sens, fautes liées au processus de

transcription, etc.).

En ce qui concerne les éditions critiques, elles comprennent dans la plupart des cas les

éléments suivants :

i. une introduction générale concernant l’auteur, les sources et la tradition des manuscrits

ii. une liste de sigles et abréviations

iii. le texte grec

iv. un apparat critique, souvent accompagné d’une liste de testimonia

v. un ou plusieurs index

Maas, P. (19604), Textkritik. Leipzig und Berlin. : Teubner

Mioni, E. (1973), Introduzione alla paleografia greca, Padova : Liviana

Most, G. W., éd. (1998), Editing Texts, Texte Edieren. Aporemata, Kritische Studien zur

Philologiegeschichte, Band 2. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht

Renehan, R. (1969), Greek Textual Criticism : A Reader, Cambridge

Timpanaro, S. (2005), The Genesis of Lanchmann’s Method, Most, G. W. éd., Chicago London

: University of Chicago

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West, M. L. (1973), Textual Criticism and editorial technique applicable to greek and latin

texts, Stuttgart.

Les éditions avec un commentaire très détaillé

Gibson, R. K. et Shuttleworth Kraus, C. éd., (2002), The Classical Commentary : History,

Practices, Theory. Mnemosyne Supplement 232. Leiden: Brill.

Goulet-Lazé, M.-O. et al. dir. (2000), Le commentaire entre tradition et innovation, Vrin,

« Bibliothèque d'Histoire de la Philosophie », Paris.

Irigoin, J. (1972), Règles et recommandations pour les éditions critiques, Paris : Belles Lettres

Kresis, S. (1981), Contemporary Literary Hermeneutics and Interpretation of Classical Texts/

Herméneutique littéraire contemporaine et interprétation des textes classiques, Ottawa

Most, G. W., éd., (1999), Commentaries-Kommentare. Aporemata : Kritische Studien zur

Philologiegeschichte, Band 4. Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht

L’histoire de la transmission des tragédies grecques

Garland, R. (2004), Surviving Greek Tragedy, London : Duckworth

II. La langue de la tragédie

La tragédie est composée d’un style et d’un vocabulaire très particuliers et multiples. Trois

paramètres qui contribuent à la langue de la tragédie : 1. la tradition de la langue littéraire (les

épopées homériques et la poésie archaïque lyrique) ; 2. la religion et les rites ; 3. le monde de la

cour de justice et de l’Assemblée (la rhétorique et la sophistique).

Goldhill, S. (1984), Language, sexuality, narrative : the Oresteia, Cambridge University Press

Goldhill, S. (1997), « The language of tragedy : rhetoric and communication » dans Easterling,

P. (1997), The Cambridge Companion to Greek Tragedy, Cambridge University Press, 127-150

D’après Jean-Pierre Vernant, dans la langue des tragiques existent des niveaux multiples et de ce

fait, un seul terme peut appartenir à des champs sémantiques différents. Les mots, selon la

manière dont ils sont utilisés et selon la personne qui les utilise, prennent des significations

différentes ou même opposées. Ainsi, les mots au théâtre ne stabilisent pas la communication

entre les personnages mais signalent notamment les impasses et les barrières, afin de démontrer

les points de conflit et de discorde.

Vernant, J.-P. (1986) « Tensions et ambiguïtés dans la tragédie grecque » dans Vernant, J.-P. &

Vidal-Naquet, P. (1986), Mythe et tragédie en Grèce ancienne, vol. 1, Paris, 19-41.

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- Narration

Barrett, J. (2002), Staged Narrative: Poetics and the Messenger in Greek Tragedy, Berkeley :

University of California Press.

Goward, B. (1999), Telling Tragedy: Narrative Technique in Aeschylus, Sophocles, and

Euripides, London: Duckworth.

De Jong, I. J. F. (1991), Narrative in Drama: The Art of the Euripidean Messenger-Speech,

Leiden.

Markantonatos, A. (2002), Tragic Narrative: A Narratological Study of Sophocles' Oedipus at

Colonus, Berlin: de Gruyter.

- Des études sur l’agôn des tragédies

Castelli, C. (2000), Μήτηρ σοφιστῶν : La tragedia nei trattati greci di retorica, Milano : Led

Duchemin, J. (19682

rev. et corr.), L’agôn dans la tragédie grecque, Paris : les Belles Lettres

Durand, M. (2005), Agôn dans les tragédies d’Eschyle, Paris : l’Harmattan

III. New criticism (Nouvelle critique)

Vers la deuxième guerre mondiale, une nouvelle tendance de la théorie de la littérature a été

développée notamment aux Etats Unis et en Angleterre : le « New Criticism ». Cette théorie a

joué un rôle social et littéraire important dans les Universités et a aussi influencé les spécialistes

de la littérature grecque et latine. D’après le « New Criticism », le poème est un objet autonome

(self contained en anglais), contenant toutes les informations nécessaires pour qu’il puisse être

apprécié et étudié et n’est pas lié à l’histoire. Au centre de ce type d’étude se trouvent la langue

et la forme de l’œuvre littéraire. Les spécialistes envisagent d’identifier la structure, les motifs,

les ironies, l’imagerie, les tensions, les figures du discours etc., et de déterminer l’intrigue, les

épisodes, le climax et le dénouement. Ils essayent de démontrer la relation entre la langue et la

structure et de clarifier comment tous ces éléments contribuent à l’ensemble de l’œuvre

littéraire.

Reinhardt, K. (1933), Sophokles, Frankfurt am Main : V. Klostermann [trad. de l’allemand en

1990 par E. Martineau, Paris : éd. de Minuit]

Kitto, H. D. F. (19391

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IV. Structuralisme et Anthropologie ; Tragédie, Rituel et Dionysos

Les anthropologues de Cambridge (« Cambridge Ritualists ») ont vécu pendant les premières

décennies du 20ème

siècle. D’après eux, la tragédie est un rite ; ils élaborent la théorie du

Eniautos-Daimon (the Year Spirit) : la religion vient de la magie et plus précisément de l’effort

de contrôler la nature et le cycle annuel de la nature, dès la fructification jusqu’à la mort, et est

représentée dans le rite du sacrifice du roi (ou du Year Spirit). Gilbert Murray pensait que la

tragédie venait d’un rite dansant en rapport avec Dionysos, et que l’on peut percevoir dans la

tragédie un tel schéma : la lutte entre le Year Spirit et son ennemi ; le sacrifice et la mort du Year

Spirit ; l’annonce de la mort du Year Spirit par un messager ; la lamentation pour sa mort ; la

résurrection et l’épiphanie du dieu. Cette approche fut finalement rejetée.

Selon René Girard : le sacrifice est vu comme un processus social et il doit être compris

comme une institution qui fonctionne pour diriger et pour contrôler la violence de la société. La

tragédie met en scène d’une manière dramatique la force de la violence, qui, quand elle devient

menaçante, est exercée afin d’être expulsée de la cité. En outre, Girard croyait que la base de la

tragédie se trouvait dans les rites.

Jean Pierre Vernant analyse lui la tragédie comme une institution de la cité démocratique et

comme un genre de création esthétique nouveau et original. Vernant et Vidal-Naquet pensent

que le sacrifice, le bouc émissaire, etc. sont des éléments fondamentaux de la narration tragique.

Ainsi, la tragédie est considérée comme une exploration et une expression de l’ordre et du

désordre du monde, des schèmes typiques des rites.

Une autre version de structuralisme se focalise sur les bipôles comme des parties fondamentales

et structurelles de chaque civilisation et sur le mythe.

Burkert, W. (1966), « Greek tragedy and sacrificial ritual », GRBS, 7, 87-121

Evans, A. J., Lang, A., Murray, G., et al. (1908), Anthropology and the classics : six lectures

delivered before the University of Oxford, Oxford : Clarendon Press

Girard, R. (1972), La violence et le sacré, Paris : B. Grasset

Vernant, J.-P. & Vidal-Naquet, P. (1986), Mythe et tragédie en Grèce ancienne, 2 vol., Paris

Structuralisme et post-structuralisme

L’œuvre complète de J.-P. Vernant, de P. Vidal-Naquet, M. Detienne et de N. Loraux a

énormément influencé une grande partie des spécialistes de la tragédie grecque.

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D’après Segal : la méthodologie de Lévi-Strauss, selon laquelle le mythe est un système

composé de valeurs opposées, est utile pour l’étude de la littérature grecque et notamment pour

l’étude de la tragédie grecque où le conflit entre des contraires est d’une importance centrale.

Ainsi, grâce aux techniques structuralistes on peut comprendre le fonctionnement de

l’expression des ordres qui gouvernent le monde représentés dans les tragédies. Les buts d’une

approche structuraliste sont les suivants : 1) la compréhension du système des relations d’une

société, dans lesquelles un symbole donné fonctionne, et pas son « sens absolu », 2) le décodage

de ce système, 3) la révélation de l’« enclenchement » parallèle entre les codes divers de l’ordre

social, familial, rituel, linguistique, sexuel, biologique, etc. La tragédie procure un dérangement

violent des codes, une déconstruction des systèmes familiers de l’ordre. Dans la tragédie,

comme dans chaque forme de la littérature en général, un « message » textuel est capable de

« détruire » le code même.

Goldhill, S. (1986), Reading Greek Tragedy, Cambridge : Cambridge University press

Segal, C. (1981), Tragedy and civilization : An interpretation of Sophocles, Cambridge, MA

Segal, C. (1986), Interpreting Greek Tragedy : Myth, Poetry, Texts, Ithaca & London

Zeitlin, F. (1982), Under the sign of the Shield : Semiotics and Aeschylus’ Seven Against

Thebes, Rome

Tragédie et religion

Comme les tragédies grecques étaient mises en scène dans le cadre de fêtes en l’honneur de

Dionysos, de nombreux spécialistes ont étudié la relation entre la tragédie et la religion, mais ils

sont arrivés à des résultats opposés. Les deux questions les plus importantes auxquelles les

spécialistes ont essayé de répondre sont les suivantes : 1) La tragédie grecque vient-elle du culte

dionysiaque ? 2) Les tragédies grecques étaient-elles des performances purement théâtrales ou

également rituelles ?

Redmond, J. éd. (1983), Drama and Religion, Cambridge, 159-223

Redmond, J., « Everything to do with Dionysos? Ritualism, the Dionysiac, and the tragic », dans

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P. (1986), Mythe et tragédie en Grèce ancienne, t. II, Paris, 17-24

V. Politique et social

Sur l’aspect politique de la tragédie athénienne des études contradictoires sont publiées (les unes

soulignent le caractère rituel et dionysiaque de la tragédie et les autres son caractère politique et

social).

Goldhill, S. (1987), « The Great Dionysia and Civic Ideology », Journal of Hellenic Studies,

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Goldhill, S. (2000), « Civic Ideology and the problem of Difference : The Politics of Aeschylean

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VI. Psychanalyse

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Au 20ème

siècle, l’approche psychanalytique a beaucoup influencé l’étude de la littérature et par

extension celle des tragédies grecques à travers des études concernant l’esprit, le désir et

l’inconscient. Elles expliquent que la force de la tragédie est le désir et l’horreur que les

spectateurs ressentent en voyant sur la scène la représentation de leurs désirs inconscients.

Alford, C. F. 1992, The Psychoanalytic theory of Greek tragedy, New Haven: Yale University

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Andrieu, G. (2013), Œdipe sans complexe : les dessous cachés de la mythologie grecque, Paris :

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Freud S. (1953), « Psychopathic Stage characters » dans Standard Edition of the Complete

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VII. Féminisme

D’autres spécialistes se sont focalisés sur la représentation des femmes dans les drames, la

construction des caractères des rôles féminins, les actions des femmes, leurs attitudes, la façon

dont les autres personnages les ont critiquées et la relation entre les deux sexes.

Cawthorn, K. (2008), Becoming female: the male body in Greek tragedy, London: Duckworth.

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VIII. Performance

Une autre perspective vise à reconstituer la forme des représentations des tragédies au

cinquième siècle. Les problèmes posés par une telle approche sont nombreux. Toutefois, les

tragédies grecques ont été écrites pour être représentées sur la scène et doivent donc être

interprétées comme telles.

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XIII. La phénoménologie

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Chapel Hill: University of North Carolina Press.

Enfin, nous avons évoqué la difficulté de la reconstitution des tragédies fragmentaires et

nous avons proposé une reconstitution de l’intrigue des Cypriens de Dicaeogenes. Que

soient remerciés pour leur aide : mon directeur de thèse, Paul Demont, et mes collègues

Amarande Laffon et Georges Vassiliades pour leur aide.