LE DURCISSEMENT DE L'EUROPE : IMMIGRER ENTRE LA FRONTIÈRE GRECQUE ET LE CENTRE BELGE

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Décembre 2013. Tous droits réservés ©Jozef Fleury-Berthiaume. 1 LE DURCISSEMENT DE L'EUROPE : IMMIGRER ENTRE LA FRONTIÈRE GRECQUE ET LE CENTRE BELGE Jozef Fleury-Berthiaume Étudiant au doctorat à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa Mots-clés : Grèce, Belgique, extrême droite, immigration illégale, multiculturalisme, citoyenneté, Vlaams Belang, Aube Dorée, Europe, Union européenne. Résumé — Les efforts d'européanisation en matière d'immigration sont toujours à l'oeuvre, tandis que les États membres protègent le dernier bastion de leur souveraineté : l'immigration et le contrôle des frontières. Fini le temps du bon travailleur immigré, infériorisé certes, mais intégré. Comment les différents modèles d'incorporation des États de l'UE se sont-ils mis au diapason de la menace de l'autre, de l'illégal, dans un contexte de montée de l'extrême droite? La convergence des politiques migratoires est partielle, mais la convergence idéologique est bien plus complète. Comment ce durcissement politique influe-t-il sur le quotidien des migrants irréguliers dans un vieux pays d'accueil au cœur du continent comme la Belgique et un nouveau pays d'accueil-frontière comme la Grèce? Cet article traite aussi de l'échec de la Forteresse Europe devant les flux migratoires irréguliers toujours constants et de la thèse utilitariste de la tolérance informelle des immigrants illégaux pour satisfaire les besoins du marché en main-d’œuvre à rabais, corvéable, et malléable. INTRODUCTION La lutte que mène l'Union européenne contre les flux migratoires irréguliers est devenue un des éléments centraux de sa politique étrangère et intérieure. « La question de l’asile est progressivement devenue centrale dans la politique migratoire européenne et elle a fortement contribué à la judiciarisation croissante de la gestion des migrations » (Legoux, 2006 : 95). Les taux de rejets des demandes d'asile augmentent sans cesse depuis les années 1970 et l'Europe émet simultanément des directives 1 pour assurer le respect des droits humains des migrants et les conditions minimales de l'accueil. Pendant ce temps, la Forteresse s'édifie et d'autres mesures spéciales prolifèrent, créant des 1 La directive 2003/9/CE faisait état des normes minimales de l'accueil des demandeurs d'asile. Les États doivent garantir : les conditions matérielles minimales de l'accueil, « notamment le logement, la nourriture et l’habillement, qui seront fournis en nature ou sous forme d’allocations financières. Les allocations seront suffisantes pour empêcher que le demandeur tombe dans une situation d’indigence; les dispositions appropriées afin de préserver l’unité familiale; les soins médicaux et psychologiques; l’accès des mineurs au système éducatif et aux cours de langues lorsque c’est nécessaire pour assurer une scolarité normale ». Elle a fait l'objet de proposition de refonte en 2008 qui adoptée en 2013 (2013/33/UE) afin de satisfaire aux conditions de protection internationale.

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Décembre 2013. Tous droits réservés ©Jozef Fleury-Berthiaume. 1

LE DURCISSEMENT DE L'EUROPE : IMMIGRER ENTRE LA FRONTIÈRE GRECQUE ET LE CENTRE BELGE

Jozef Fleury-BerthiaumeÉtudiant au doctorat à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa

Mots-clés : Grèce, Belgique, extrême droite, immigration illégale, multiculturalisme, citoyenneté, Vlaams Belang, Aube Dorée, Europe, Union européenne.

■ Résumé — Les efforts d'européanisation en matière d'immigration sont toujours à l'oeuvre, tandis que les États membres protègent le dernier bastion de leur souveraineté : l'immigration et le contrôle des frontières. Fini le temps du bon travailleur immigré, infériorisé certes, mais intégré. Comment les différents modèles d'incorporation des États de l'UE se sont-ils mis au diapason de la menace de l'autre, de l'illégal, dans un contexte de montée de l'extrême droite? La convergence des politiques migratoires est partielle, mais la convergence idéologique est bien plus complète. Comment ce durcissement politique influe-t-il sur le quotidien des migrants irréguliers dans un vieux pays d'accueil au cœur du continent comme la Belgique et un nouveau pays d'accueil-frontière comme la Grèce? Cet article traite aussi de l'échec de la Forteresse Europe devant les flux migratoires irréguliers toujours constants et de la thèse utilitariste de la tolérance informelle des immigrants illégaux pour satisfaire les besoins du marché en main-d’œuvre à rabais, corvéable, et malléable.

INTRODUCTION

La lutte que mène l'Union européenne contre les flux migratoires irréguliers est devenue un des

éléments centraux de sa politique étrangère et intérieure. « La question de l’asile est progressivement

devenue centrale dans la politique migratoire européenne et elle a fortement contribué à la

judiciarisation croissante de la gestion des migrations » (Legoux, 2006 : 95). Les taux de rejets des

demandes d'asile augmentent sans cesse depuis les années 1970 et l'Europe émet simultanément des

directives1 pour assurer le respect des droits humains des migrants et les conditions minimales de

l'accueil. Pendant ce temps, la Forteresse s'édifie et d'autres mesures spéciales prolifèrent, créant des

1 La directive 2003/9/CE faisait état des normes minimales de l'accueil des demandeurs d'asile. Les États doivent garantir : les conditions matérielles minimales de l'accueil, « notamment le logement, la nourriture et l’habillement, qui seront fournis en nature ou sous forme d’allocations financières. Les allocations seront suffisantes pour empêcher que le demandeur tombe dans une situation d’indigence; les dispositions appropriées afin de préserver l’unité familiale; les soins médicaux et psychologiques; l’accès des mineurs au système éducatif et aux cours de langues lorsque c’est nécessaire pour assurer une scolarité normale ». Elle a fait l'objet de proposition de refonte en 2008 qui adoptée en 2013 (2013/33/UE) afin de satisfaire aux conditions de protection internationale.

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zones de non-droit où le monopole de la violence étatique reprend ses lettres de légitimité au sens de

Weber. La peur sert cet appareil de contrôle et le retour en force de la protection de la souveraineté

étatique. Pour plusieurs figures politiques, le multiculturalisme est allé trop loin et les demandeurs

d'asile en paient le prix.

On constate depuis une trentaine d'années un durcissement du discours politique qui

s'accompagne d'une médiatisation sensationnaliste des offensives de l'extrême droite ainsi que du

combat contre les clandestins, les faux réfugiés, les travailleurs illégaux, les chercheurs de sécurité

sociale à la carte. Comment sommes-nous passés de l'image du « bon travailleur » au « présumé

criminel » en 30 ans? Andrea Rea affirme qu'« un changement de dénomination s'est opéré au cours de

la période de la politique d'immigration zéro (1974-1993), la notion classique de 'travailleur immigré'

cède le pas à celle de 'clandestin' ou de 'réfugié', laissant entendre que le premier était un producteur

alors que les deux autres figures sont des profiteurs » (Rea, 2005 : 34). Salvatore Palidda (1999)

soutient aussi que la croissance continue des taux d'incarcération des immigrés dans l'UE traduirait

l'attitude délinquante des migrants selon la pensée du nouvel ordre social européen. Dans les faits, « la

grande majorité des délits attribués aux immigrés concernent des infractions aux normes sur

l'immigration » (Palidda, 1999 : 40). L'anxiété culturelle règne en Europe. Tant de référents constituent

le nouvel imaginaire collectif alimenté par la montée de l'extrême droite dans l'UE. Ce durcissement du

discours est transposé dans les politiques, les réformes de l'immigration et le tournant national-

sécuritaire des États membres. Entre 2000 et 2012, le nombre de lieux de détention pour les étrangers

serait passé de 324 à 473 en Europe et dans les pays méditerranéens2. Tout en ouvrant les frontières

internes, la Forteresse Europe élève ses murs encore plus haut. Cependant, les chercheurs d'espoir

frappent toujours plus nombreux à la porte des frontières et on compte par milliers les morts qui

échouent dans la grande aventure ou une fois arrivés sur place. On estime le nombre de décès liés au

parcours migratoire vers l'Europe à 14 037 de 1988 à nos jours3. Ces décès sont survenus sur le

territoire de l'UE, dans les pays candidats ou dans les pays voisins.

Afin de mieux cerner les contours de ce durcissement politique, nous nous pencherons sur les

concepts de multiculturalisme et de citoyenneté dans les États membres, la montée de l'extrême droite à

travers le continent, le nouveau paradigme sécuritaire de l'UE et la dynamique de convergence

2 Voir le site internet http://www.migreurop.org pour une cartographie thématique sur l'immigration en Europe. Les sources des lieux de détention proviennent principalement des agences nationales gérant les flux migratoires.

3 Voir carte 1 en annexe. Source : http://www.unitedagainstracism.org/pages/map_FortressEurope_OWNI.htm

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idéologique (et politique) en matière d'immigration qui semble s'opérer. D'une part, nous analyserons

les composantes et facteurs historiques de ce durcissement à l'échelle européenne et d'autre part, nous

proposons d'évaluer ses effets sur le quotidien des immigrants illégaux en Grèce et en Belgique – et

dans une mesure élargie tous ceux qui font désormais partie du « eux ». Quelles formes ce

durcissement prend-il au sein d'États aussi différents que la Grèce et la Belgique; un « nouveau pays

d'accueil » frontalier et un « ancien pays d'accueil » au cœur de la Forteresse Europe? Depuis 1988,

UNITED4 a dénombré 311 décès directement liés au parcours migratoire sur le territoire de la Grèce

frontalière contre 20 pour la Belgique continentale. Au-delà de la position géographique, ces deux pays

n'ont pas les mêmes conceptions de la citoyenneté ni les mêmes expériences en matière de

multiculturalisme. Deux acteurs qui tentent, tant bien que mal, de participer au processus

d'harmonisation de la politique migratoire européenne, mais qui se voient attribuer des fonctions

différentes. Deux États où les partis d'extrême droite ont acquis une légitimité politique par leur entrée

au parlement, notamment le Vlaams Belang5 (1991) en Belgique et Aube Dorée (2012) en Grèce.

Le durcissement politique ne s'effectue pas partout de façon linéaire et la violence anti-

immigration, les conditions de détention, les contrôles policiers et la détérioration globale du quotidien

des immigrants (il)légaux ne se mesurent pas avec la même intensité non plus. Le paysage et le

discours politique diffèrent. Nous verrons comment cette violence institutionnelle6 mine le quotidien de

ces gens, mais aussi la violence symbolique et physique engendrée par l'appareil de contrôle européen

et la montée de l'extrême droite en Grèce comme en Belgique. « Ces pratiques et discours performatifs

légitiment les politiques migratoires restrictives […] : majoration des conditions d'accès au territoire,

renforcement des contrôles, traitement expéditif des demandes d'asile, rafles, enfermements,

expulsions, surveillance panoptique et fichage superpanoptique... » (Biétlot, 2003 : 62). Finalement,

nous explorerons différentes théories sur l'inefficacité des politiques migratoires restrictives ainsi que

les politiques utilitaristes et/ou de tolérance informelle relatives au marché du travail au noir dans ces

deux pays.

4 UNITED for Intercultural Action est un réseau européen contre le nationalisme, le racisme et le fascisme et pour le soutien des migrants et des réfugiés. Le réseau se base sur la coopération volontaire de plus de 560 organisations de 46 pays européens qui travaillent ensemble — unies dans le plus grand réseau d'antiracisme.

5 À l'époque, le parti s'appelait Vlaams Blok. Suite à une condamnation pour discours racial en 2004, il fut interdit et se reforma sous la bannière du Vlaams Belang.

6 Nous exposerons notamment le concept de « spirale du rejet » des demandes d'asile, expliqué par Jérôme Valluy dans « La nouvelle Europe politique des camps d'exilé : genèse d'une source élitaire de phobie et de répression des étrangers », Cultures & Conflits, No 57 (printemps 2005), pp. 13-69

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MULTICULTURALISME ET CITOYENNETÉ

Cette section fera un survol des théories sur le multiculturalisme et la citoyenneté, tout en

dépeignant les spécificités grecques et belges.

Remise en question du modèle multiculturaliste

Jeffrey Alexander (2013) affirme que l'Europe est témoin d'un recul du multiculturalisme et

nombre d'auteurs mentionnent l'échec de l'intégration des primo-arrivants au sein des sociétés d'accueil.

Ce constat repris par les décideurs politiques a évidemment des répercussions sur l'ensemble des

« étrangers » et offre une fenêtre pour des réformes en matière d'immigration, ou encore des

« politiques de correction ». Cela représente également une structure d'opportunité pour les partis

d'extrême droite, mais également pour l'ensemble du spectre politique qui réaffirme son hégémonie

culturelle, aussi complexe soit-elle. Les races ne sont plus à l'ordre du jour, les cultures priment.

Cependant, toutes les cultures ne se valent plus, ni ne sont compatibles dans le discours anxiogène des

acteurs politiques nationaux et supranationaux. La culture sert dorénavant le même discours racial

d'antan, mais en des termes différents : « The culturalization of politics identifiable today, of which the

multiculturalism-integration axis is symptomatic, bears similarities to the idea that 'race is all' that came

to dominate European politics in the 19th century » (Lentin et Titley, 2012 : 132). Christian Joppke

(2005) ajoute que l'Europe subit les contrecoups du multiculturalisme et qu'on assiste au rejet anxieux

du fait multiculturel, plutôt que le rejet du montage complexe des politiques multiculturelles et

initiatives développées pour le gérer. Bien que cette déclaration de l'échec du multiculturalisme soit

devenue la tendance européenne au sein des décideurs politiques centristes, Mulcachy (2011) précise

que tous ne lui attribuent certainement pas la même signification : « their rhetoric has most surely been

inflamed by out-spoken extremist politicians who have broken taboos long thought to be out of bounds

in European politics » (2011 : 2).

Dorénavant, il convient de parler de « nous » et « eux » : « the Council of Europe carefully

circumscribed its mandate as creating ‘conditions conducive to the peaceful co-existence between

migrants and other residents’. Peaceful coexistence is a condition applied to a truce between warring

parties. It is hardly a description of the relations one envisions within a democratic and inclusive social

order » (Alexander, 2003 : 535). Rainer Baubock (2009), quant à lui, étudie différentes visions libérales

de la citoyenneté. L'auteur affirme que la protection de la souveraineté territoriale et de la citoyenneté

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démocratique — le contrôle de l'immigration stricto sensu — prend le pas sur d'autres visions plus

libérales associées à la libre circulation et la justice globale.

Afin de mieux comprendre les cas belges et grecs, il est essentiel de revenir sur leurs

expériences multiculturelles respectives, ainsi que sur leurs conceptions de la citoyenneté. La Belgique

est un des modèles et initiateurs du multiculturalisme, étant donné sa situation démographique d'après-

guerre en tant que pays d'accueil des migrants. Cependant, plusieurs auteurs comme Jacobs et

Swingednouw (2002) dénoncent les stratégies des gouvernements successifs des années 1970 aux

années 2000, qui consistaient à balayer le problème sous le tapis. Bien que la question de l'immigration

au sens large ait été débattue depuis les années 1970 en Belgique, la question de l'intégration fut

négligée au profit de concessions multiculturalistes sans envergure inclusive à long terme. Jane

Freedman (2004 : 89) explique que le concept d'intégration a été brouillé par l'octroi de droits formels,

qui dans la pratique, ne pouvaient prétendre à intégrer les migrants : « the notion of what constitutes

'integration' has often been confused and blurred, and the push towards integration has not always been

accompanied by a parallel expansion of the rights that might be deemed necessary to this integration,

nor the conditions for the realisation of these rights ».

Dans le cas grec, la question ne se posait pas à l'époque où sa propre population émigrait. Les

pays du sud de l'Europe paient les pots cassés de leur manque d'expérience, mais également d'un

manque de gestion à l'échelle régionale, voire mondiale. Aujourd'hui, ils se retrouvent pourtant aux

premières loges d'une immigration qui concerne toute l'UE et pas uniquement les États nationaux :

« The non-stop arrival of boatloads of Africans in the small islands of the Mediterranean is a

humanitarian crisis, but it is the logical outcome of nearly 30 years of mismanagement of world

migration » (Baldwin-Edwars, 2008 : 1457).

L'expérience migratoire belge et le multiculturalisme

Le projet multiculturaliste s'est d'abord imposé dans les vieux pays d'accueil, comme la

Belgique, la France ou l'Allemagne, qui ont une longue tradition d'immigration et ont été confrontées

plus rapidement à la nécessité de gérer les relations interculturelles. Devant la présence de certaines

minorités depuis plusieurs décennies, ils se sont vus dans l'obligation de réfléchir à des modèles

d'incorporation. Au fil des ans, les politiques multiculturelles ont mené à un problème nouveau :

l'intégration de la culture religieuse de groupes migrants installés comme élément constitutif d'une

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nouvelle identité européenne (Leveau et al., 2001 : 12). D'abord, il faut revenir sur l'histoire migratoire

de la Belgique.

Dans le contexte suivant la Seconde Guerre mondiale, l'industrie lourde de la Belgique est

demeurée intacte (ou presque) et le recours à des travailleurs étrangers était indispensable pendant les

Trente Glorieuses. De 1945 à 1974, on voit émigrer des milliers de travailleurs italiens, grecs,

espagnols et par la suite marocains et turcs. Dès les années 1960, la Belgique prend conscience que la

migration de travail débouche sur la migration de peuplement avec l'arrivée de 263 000 « inactifs »,

femmes et enfants, qui viennent rejoindre les travailleurs masculins (Goldman, 2009). Au niveau

continental, le Conseil de l'Europe prend plusieurs mesures d'après-guerre pour protéger les droits

humains, mais il n'est pas encore question des droits des étrangers. Ces mesures s’étendront aux

minorités dans les années 1980. Malgré leur statut précaire et leur force de travail exploitée, 7000

étrangers en situation illégale (90% des candidats) eurent accès à la citoyenneté en 1974 en Belgique,

ce qui semble une opération herculéenne pour la plupart d'entre eux aujourd'hui. Ceux qui ne l'avaient

pas jouissaient tout de même d'un élargissement de leurs droits contrairement à la situation actuelle :

« Il ne s'agit plus de maintenir les immigrés dans une position intégrée, bien qu'infériorisée comme ce

fut le cas durant les années 1960-70. Au contraire, ils doivent être maintenus à la marge de l'État de

droit et de l'État social » (Rea, 2005 : 120).

Devant la crise pétrolière et le chômage endémique qui sévit en Belgique au début des années

1970, on promulgue la politique d'« immigration zéro » en 1974. Les immigrants arrivés avant 1974

jouiront d'une attitude positive à leur égard et seront au centre d'un consensus national visant à mieux

les intégrer dans le contexte de flux migratoires décroissants qui perdurera jusqu'en 1983. Ils sont

certes infériorisés, mais ils le sont dans l'enceinte de l'État de droit et de la société. Le débat sur le

religieux, la laïcité et le multiculturalisme « reflètent une tendance généralisée à une plus grande prise

en compte des modes d'intégration collective face aux schémas qui privilégiaient le rapport entre l'État

et l'individu dans la constitution d'une communauté nationale » (Leveau et al., 2001 : 12).

Les deux premières phases de la politique migratoires belges (1945-1983) sont donc

caractérisées par un contrôle des flux migratoires et consacrent l'efficacité des politiques proactives.

Malgré la volonté politique d'intégration, la fermeture des frontières en 1974 annonce le début d'un

changement de dénomination de l'immigrant, comme nous l'indique Andrea Rea (2005). Il représente

une menace, suscite une suspicion plutôt qu'une contribution économique et sociale. L'immigration

illégale fut discutée pour la première fois au niveau européen en 1976 : « when the European

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Comission presented a proposal for a directive on the harmonization of laws in EU in order to combat

illegal migration and illegal employment » (Triandafyllidou et Illies, 2010 : 24). La période de 1983 à

1999 sera celle de l'avènement de la Forteresse Europe. Les demandes d'asile vont s'accroître sans cesse

pour atteindre un pic dans les années 2000, avec 42 691 demandes (Goldman, 2009). C'est le contexte

de la fin de la Guerre froide et de la mondialisation de la crise de l'asile que la politique belge se

durcira : « Tout au long des années 1990, les autorités belges régularisent chaque année au compte-

gouttes et sur une base exclusivement individuelle quelques centaines voir un peu plus d'un millier de

sans-papiers » (Martiniello, 2001 : 74). Tout en ne contrôlant plus l'immigration légale, mais bien en

gérer la menace de l'immigration devenue illégale devant les portes closes de l'UE, on consent à la

reconnaissance des différences culturelles, sans vraiment proposer de solutions pour une meilleure

intégration. Selon les critiques : « multiculturalism was a product of minority demands for cultural

recognition, and elite political implementation of a project of cultural relativism and favouritism, that

relativized national culture and universal liberal values simultaneously » (Lentin et Titley, 2012 : 133).

Comme nous le rappelle Scott (2007) dans son ouvrage The Politics of the Veil, la conception de

l'« étranger » renvoie à toute une trame symbolique (ici le voile) qui définit plus ou moins

consciemment le « nous » et le « eux ». Que l'on définisse notre « nous » en fonction de principes

républicains comme en France ou d'un héritage commun judéo-chrétien, il n'en demeure pas moins

cette distinction à des degrés divers.

Le multiculturalisme grec au temps de la critique

Dès les années 1970, on observe les premiers flux de migration nette, redevable principalement

aux travailleurs agricoles du Soudan et de l'Égypte et au retour de nombreux exilés grecs pour des

raisons économiques et/ou politiques après la fin de la dictature. Il n'en demeure pas moins que la

réalité n'est en rien comparable à la Belgique et que le débat sur l'immigration était absent ou presque

jusqu'au début des années 1990, où il y eut la première vague d'immigration substantielle. La politique

d'immigration grecque se développera de 1991 à 2001. De fait, il n'existait même pas de politique

migratoire avant 1991. Déjà à l'époque, on commence à critiquer le projet multiculturaliste en Europe

de l'Ouest, auquel la Grèce n'a jamais participé activement : « globalement, les pays du sud de l'Europe

ne sont pas encore concernés par les conséquences sociales de ces évolutions engagées depuis quelques

dizaines d'années par les vieux industriels de l'Europe du Nord » (Leveau et al., 2001 : 12). On

reproche au multiculturalisme d'être allé trop loin, précisément en regard des politiques normatives

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adoptées par les gouvernements ouest-européens de la fin des années 1960 aux années 1990. Cette

vision s'imbrique dans celle de la menace sécuritaire qui guette l'UE. Le projet multiculturaliste, sous-

tendu par une conception libérale de la citoyenneté, s'est « invité » dans les nouveaux pays d'accueil du

sud de l'Europe, sous les efforts d'européanisation en matière d'immigration et de respects des droits

humains et des minorités.

Comme le débat politique sur la question n'avait jamais vu le jour en Grèce avant cette

« invasion » d'étrangers, principalement des Albanais (plus de la moitié), l'opinion publique a vite

tranché en défaveur des valeurs multiculturalistes et a perduré aujourd'hui : « The haunting image of

Albanian men crossing the Greek mountains […] fleeing from prisons has given way during the last

years to that of apprehended migrants, usually of African and Asian origin, being smuggled into

Greece » (Triandafyllidou, 2010 : 14). Les pays de l'Europe du Sud sont confrontés à de nouvelles

populations dans les années 1990 avec lesquelles ils n'entretiennent aucun lien historique ou culturel.

Dans ce contexte de crise des Balkans et ayant été traditionnellement un pays d'émigration, la Grèce

répondit à l'immigration de masse par l'adoption d'une politique d'immigration zéro. La législation de

1991 – la responsabilité des droits et statuts des étrangers incombant entièrement au Ministère de

l'Ordre public – consistait principalement au contrôle de l'immigration. Elle était directement

restrictive : « legal provisions, characterized as 'draconian', were directed towards controlling external

borders; restricting immigration of third-country nationals of non-Greek origin; safeguarding internal

security; and fighting illegal immigration » (Mavrodi, 2007 : 158). En raison de l'absence de contrôle et

de gestion de l'immigration devant la situation de crise, on s'explique mieux la réaction musclée du

pays. En dépit de la sévérité de la loi – dont, entre autres choses, l'interdiction de tous contacts entre les

services publics et les étrangers - les flux migratoires continuèrent dans les années 1990.

Ce n'est qu'à partir de la moitié de la décennie qu'on observa une légère tendance à la

libéralisation de la politique migratoire, notamment avec l'intensification du processus

d'européanisation en Grèce. Ces changements étaient significatifs considérant l'extrême dureté de la

conception de la nation grecque, de la citoyenneté et des droits des étrangers. Le changement le plus

notable est l'abrogation, en 1998, de l'article 19 du code sur la citoyenneté. Cet article visait à retirer la

citoyenneté à tous les gens qui n'étaient pas ethniquement grecs (allogeneis), et quittaient le pays sans

intention d'y revenir (Agnanostou, 2005 : 337). Ces changements s'opérèrent en dépit d'un climat

politique caractérisé par la montée du nationalisme dans les années 1990. Après la fin de la Guerre

froide, l'UE considéra l'élargissement des droits des minorités (du moins sur papier), notamment par

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l'adoption de la Convention européenne sur la nationalité de 1997, qui avait pour mission de réguler

l'acquisition de la citoyenneté, de prévenir l'apatridie et le retrait arbitraire de celle-ci. L'UE empruntait

déjà deux voies simultanées : celle de l'amélioration des conditions de vie et de l'inclusion

(reconnaissance sociale) des migrants déjà sur le territoire; et celle de la sécurisation de la menace des

flux migratoires irréguliers et de la fermeture des frontières. Ces mesures étaient calibrées pour les pays

traditionnellement ouverts à l'immigration et redessinaient les contours de la conception classique de la

citoyenneté : « The proliferation of such norms presents a ‘misfit’ for member states where the history

and development of state institutions and laws has systematically privileged the interests of national

unity often at the expense of individual rights and minorities. Greece is such a case in point»

(Agnanostou, 2005 : 336).

Depuis 1999, la Grèce montre une inertie face aux normes migratoires européennes. De plus, le

développement d'une politique migratoire « commune » entre 1991 et la fin de la décennie se fit sous

l'impulsion des conditions relatives à l'accord de Schengen. Les conditionnalités européennes en étaient

le mécanisme prédominant, en dépit d'une opinion publique hostile aux étrangers (Maroukis, 2010). En

ce sens, l'Europe, les valeurs libérales et les négociations multiculturelles apparaissaient comme des

composantes d'un projet imposé par des élites, pour le mieux du pays pensait-on à l'époque. C'était le

prix à payer pour bénéficier des avantages de l'UE. L'abrogation de l'article 19 en est un bon exemple :

« The prevailing logic on the basis of which the abrogation of Article 19 was defended in parliament

was largely instrumental: to deprive Turkey, the minority and other European states of another reason

to criticise Greece for discriminatory treatment of minorities » (Agnanostou, 2005 : 351).

Un premier programme grec de régularisation « légalisa » 212 000 individus en 1998 suivis de

deux autres programmes en 2001 et 2005. Les autres façons de se régulariser passent par l'invitation de

travailleurs migrants et l'émission (ou le renouvellement) d'un permis de travail. Avant 2001,

contrairement à la Belgique, la Grèce ne constituait pas une destination finale pour plusieurs migrants

étant donné l'impossibilité de réunification familiale : « all the more often there are cases where

migrants 'buy' their journey, not only to Greece but further north » (Maroukis, 2010 : 94). En dépit des

efforts de conformité avec les normes européennes, des campagnes de régularisation et des permis de

travail pour étrangers, la Grèce n'avait pas amorcé cette tendance intégrationniste : « integration

becomes a 'present' or perhaps a 'prize' that the state and the society of settlement may or may not

concede to the newcomers. Naturalisation is 'offered' only to those of ethnic Greek origin, under certain

conditions and following a specific 'hierarchy of Greekness' » (IDEA, 2009 : 13). L'État grec acceptait

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mal son statut soudain de pays d'immigration massive : « a striking feature of the Greek Case is the

magnitude of its unexpected, undesired and rapid transformation from a country of emigration to one of

immigration, directly connected to the collapse of the former communist regimes in the Balkan »

(Mavrodi, 2007 : 157). De plus, son dispositif institutionnel n'était pas prêt à ce grand bouleversement

ni à l'européanisation de la politique migratoire : « Greece did not have a legal framework for

controlling and managing migratory inflows until the beginning of the 1990s » (IDEA, 2009).

L'approche globale devant l'échec du multiculturalisme national

Considérant l'échec du multiculturalisme national annoncé clairement7 sur la scène politique

européenne, l'UE se pose aujourd'hui en acteur supranational qui essaye d'élaborer des solutions

communes afin de promouvoir une intégration des migrants et de leurs descendants. « Furthermore, as

co-operation on immigration and border-control measures intensified at EU level, there was a sense that

integration of those immigrants already present in European societies also needed to be addressed at a

supranational level » (Mulcachy, 2011 : 3). Ces normes et directives sont parfois contradictoires dans

leur essence et surtout dans leur application. Nous verrons plus loin l'exemple de la norme européenne

sur l'intégration civique de 2004, qui fut reprise par les partis d'extrême droite, dont le Vlaams Belang.

Les discours de politiques inclusives étaient déjà au coude-à-coude avec des pratiques exclusives, il y a

de cela 40 ans. Dès 1974, on annonçait la politique d'immigration zéro devant la libéralisation des

facteurs de production : « while governments have lost control of their currencies and capital flows,

and have opened up markets to global trade, they have seized upon immigration policy – the protection

of the country's borders – the last bastion of sovereignty » (Baldwin-Edwards, 2008 : 1456).

Aujourd'hui, les États sont réceptifs dans leurs discours au concept d'asile et toujours fervents

défenseurs de la sécurité territoriale. Oui à l'asile, mais les conditions seront plus strictes que jamais.

Cependant, ils demeurent réticents à la migration économique, du moins légalement, qui menacerait

leur souveraineté. Les trois volets de l'approche globale que sont l'asile, la sécurité et la migration

7 Suzanne Mulcachy (2011 : 1) reprend quelques déclarations de politiciens européens près du centre dans un premier temps et situés à l'extrême droite par la suite : « Angela Merkel for the first publicly dismissed the policy of multiculturalism as having 'failed, failed utterly' in October 2010, and this was followed swiflty by David Cameron's call for a 'more active, more muscular liberalism' and Nicolas Sarkozy's statement that multiculturalism is a 'failed concept'. […] Geert Wilders, leader of the Freedom Party, now a real force in Dutch politics, has made no apologies for arguing that Christians 'should be proud that our culture is better that Islamic culture' for example. Horst Seehofer, Bavaria's Christian democratic premier, likewise declared 'immigrants from other cultures' to be damaging to Germany and has called for a halt to immigration 'from Turkey and Arab countries'. His compatriot Thilo Sarrazin, a politician form tha Social Democratic Party who sat on the Bundesbank board and is former Finance Senator for Berlin, has argued in a best-selling book that Germany is becoming 'naturally more stupid on average' as a result of immigration from Muslim countries ».

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économique donnent des résultats ambivalents. Les taux de rejets de demandes d'asile ne cessent

d'augmenter en tendance depuis les années 1970 partout en Europe. On observe aujourd'hui des taux de

rejets en Grèce qui approchent le 100% et en Belgique autour des 70%. Valluy avance deux

explications qui se jouent au niveau institutionnel et social : la spirale du rejet et la construction de

l'exilé comme menace. La spirale du rejet est illustrée par la hausse des taux de rejet et s'explique par la

stigmatisation du faux réfugié : « l'image de demandeur d'asile […] inventant son histoire de

persécution pour trouver du travail est devenue une évidence indiscutée » (Valluy, 2005 : 4). L'auteur

dépeint très bien les processus de justification qui mènent à ces taux de rejets vertigineux : la rhétorique

de l'incrédulité (appréciation personnelle de la validité du récit menant à la demande); la rhétorique de

l'exclusion (soupçons d'activités criminelles, terrorisme, etc.); la rhétorique du déni d'asile (demandes

« manifestement infondées » basées sur une liste de pays dits sécuritaires); et la rhétorique de

l'externalisation (relocalisation dans des camps de transit pour le traitement de la demande). Bien que

certains pays aient adopté une politique d'asile très sévère dès les années 1980 (Italie, Suisse,

Royaume-Uni), d'autres pays les rejoignirent dans les années 1990 (France, Autriche, Allemagne) et les

derniers à la fin de la décennie (Belgique) avec les nouveaux pays d'immigration (Grèce, Espagne)

(Valluy, 2005). Où cette tendance mènera-t-elle, quelle est sa limite?

Total des demandes selon le type de protection et total des décisions rendues en première instance (Eurostat, 2012)

Demandes totales

Décisions positives

Statut réfugié reconnu

Protection subsidiaire accordée

Raisons humanitaires accordées

Rejets en absolu (%)

BE 24 525 5555 3985 1565 -- 18 970 (77,3 %)

GR 11 195 95 30 45 20 11 095 (99,1 %)

UE27 268 500 71 580 37 245 27 920 6415 196 920 (73,3 %)

En observant les données d'Eurostat de 2012, on remarque qu'une seule limite est absolue :

100%. De plus, il faut souligner que parmi les décisions positives, on compte un taux de protection

subsidiaire de 28,2% en Belgique et 47,4% en Grèce. Les protections subsidiaires sont apparues au

début des années 2000 et « ne sont pas pertinentes dans des séries statistiques de longue période. [...]

S’agissant de protection de courte durée, elles peuvent s’analyser comme des rejets différés dans le

temps » (Valluy, 2005 : 7).

Le discours sécuritaire et protecteur de la souveraineté chemina aux côtés de celui en faveur de

l'intégration et de la reconnaissance des demandes culturelles pendant les quatre dernières décennies.

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Aujourd'hui, les frontières devraient être plus étanches que jamais, mais ne le sont pas. On intensifie,

en vain, les mesures de dissuasion, la judiciarisation de la migration et réaffirme un accueil à la carte,

selon les valeurs européennes et nationales. Cet accueil n'est plus sélectif, mais plutôt exclusif en

termes de droit. L'intégration fait place à l'appréciation culturelle de la part de la nation d'accueil. La

réification des cultures et l'anxiété culturelle ont engendré un changement de paradigme qui prend

forme dans une zone de non-droit, en Belgique comme en Grèce. Cependant, la situation est différente

et cette zone de non-droit s'élargit dans un pays frontalier comme la Grèce débordée par sa fonction

protectrice de l'Europe, la crise économique qui sévit depuis 2008, et la percée spectaculaire du parti

d'extrême droite Aube dorée (et de sa « milice »). Ce changement qualitatif du migrant illégal s'opère

sur le terrain politique : « the paradigm has changed from a full-status recognition paired with complete

social rights and long-term settlement, to one which maximises exclusion on entry and undermines

status and rights with the perspective of a short-term stay for refugees » (Joly, 2001 : 189). Nous

verrons plus loin comment se transpose matériellement et symboliquement cette zone de non-droit par

les camps de détention, l'accès aux services sociaux et la violence sociale quotidienne. Comme nous

l'avons mentionné précédemment, le concept de citoyenneté est aussi à considérer, notamment en lien

avec les bricolages que proposent plusieurs États membres afin de compliquer son obtention.

La citoyenneté, les valeurs exigées et l'extrême droite

Dans son étude, Howard démontre comment la présence de l'extrême droite peut constituer un

obstacle important dans la libéralisation de la citoyenneté. Cependant, il ajoute que d'autres contextes

politiques peuvent aussi jouer sur la transformation de la citoyenneté, comme une réaction des partis

conservateurs plus « grand public » face à la montée de l'extrême droite ou encore une mobilisation

sociale. Le résultat n'en demeure pas moins le même, c'est-à-dire l'absence de libéralisation. Toutefois,

un régime plus libéral ne signifie pas une opinion publique plus favorable à l'intégration. Dans le cas

grec, la conception de la citoyenneté était et demeure une des plus restrictives de l'UE et la montée

actuelle de l'extrême droite ne risque pas de faciliter sa libéralisation. Malgré sa conception libérale de

la citoyenneté, on observe aussi en Belgique une forte résistance au multiculturalisme de nos jours :

« three decades of liberal immigration policies did not translate into general societal acceptance of

immigrants, particularly those who arrived from outside Europe » (Karolewski et Suszycki, 2010 : 25).

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CLASSIFICATION DES RÉGIMES DE CITOYENNETÉ (BELGIQUE ET GRÈCE) (Mulcachy, 2011 : 198)

Citoyenneté par la naissance : jus soli simple ou double

Résidence pour la naturalisation

Durée de mariage ou de cohabitation

Test de citoyenneté

Citoyenneté double pour immigrants

Classement selon Howard

Réformes récentes

Grèce NON Minimum de 10 ans

3 ans OUI OUI Restrictif – score (2)

2004 Restriction - naturalisation via mariage

Belgique OUI 3 ans (jusqu'à 7 ans)

6 mois NON OUI Libéral – score (8)

2000 Abolition - exigences linguistiques*

*Il faut remarquer que l'abolition des exigences linguistiques en Belgique a pris une nouvelle forme avec l'adoption de la

norme européenne sur l'intégration civique de 2004.

Mulcachy analyse les liens entre l'européanisation des normes en matière d'immigration et

d'intégration et les modèles nationaux existants. Son étude est particulièrement pertinente pour notre

analyse puisqu'elle met en lumière les différences nationales et la présence de partis d'extrême droite

dans 15 pays, dont la Belgique et la Grèce. Elle pose aussi la question de l'échec du multiculturalisme

en tentant d'évaluer dans quelles mesures le soft power de l'UE a fait intégrer (ou non) des normes en

totalité, en partie ou en substance, dans les modèles nationaux d'intégration.

La Grèce (2) a le régime le plus restrictif après l'Autriche (0) tandis que la Belgique a le régime

le plus libéral avec le score maximal de 8. Malgré ces positionnements aux extrémités du spectre des

valeurs qui forment les régimes de citoyenneté, l'opinion publique se durcit partout sur le continent : la

Grèce occupe le premier rang sur 15 pays européens (UE15)8 en pourcentage de la population qui

considère que les « immigrants constituent une menace à leur style de vie » avec 69% et qui offre une

« résistance publique au multiculturalisme » avec 59%. Pour les mêmes questions posées par

l'Eurobaromètre de 2004, la Belgique occupe respectivement le troisième et le deuxième rang avec

53% et 37,3%. L'observation sommaire de ces résultats nous indique que la libéralisation de la

citoyenneté à elle seule ne peut garantir l'acceptation du multiculturalisme. Au contraire, cet état de fait

devient en Belgique un élément discursif pour le Vlaams Belang qui propose une nouvelle conception

de la citoyenneté ethnique : « membership in the nation is based on blood, or Flemish descent, not

language […] and cannot be acquired from birth in Flemish territory or by marriage » (Laible, 2010 :

143). C'est d'ailleurs sur ce point que les acteurs politiques se situant à l'extrême droite martèlent leur

discours anti-immigration, attaquant le projet multiculturaliste des élites au service de l'UE. Les

politiques libérales sur l'immigration furent particulièrement ciblées par les partis de centre droit et

8 Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède

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d'extrême droite dans les années 1990 suite à la fin de la guerre froide et la peur d'un déferlement

d'immigrants et suite à l'élargissement de l'UE en 2004 (Kuzio, 2010 : 24). Cette dynamique

idéologique s'inscrit dans une escalade discursive alimentée par les figures politiques qui dénoncent les

tabous entourant l'immigration et se présentent en vrais défenseurs des intérêts du peuple.

Bricolage de la citoyenneté contre l'intégration

Le projet inclusif n'a pas porté ses fruits et l'opinion publique se durcit. Le contexte politique

actuel semble déjà loin des valeurs libérales et humanistes, de justice globale et de primauté des droits

humains en Europe. L'anxiété sociale qui sévit aurait jadis pu s'expliquer en des termes économiques

comme le mentionne Baldwin-Edwards (2008 : 1456) : « a liberalisation of immigraiton policy has to

be a political position; if the electorate is not convinced of the need for immigrant labour, or fells

threatened in terms of job competition or wage, this policy is unlikely to be pursued ». L'auteur

poursuit en affirmant que ce type de réaction face à l'immigration était autrefois une réponse rationnelle

à une crise économique tandis que les politiques restrictives actuelles s'inscrivent dans un discours

nationaliste, lequel étant idéologique plutôt que pragmatique. On note que dans les pays historiquement

libéraux comme la Belgique et la France, la popularité de l'extrême droite depuis les années 1990 tend

à remettre en question les « acquis » citoyens : « These two countries have either experienced (in the

case of France in the mid-1990s) or are currently experiencing (in the case of Belgium) some tinkering

with their citizenship laws as a result of the pressure of the far right » (Howard, 2010 : 748). Dès lors

s'opposent le concept de citoyenneté nationale et celui de droits humains dans le discours politique

grand public. En Grèce, le retrait de la citoyenneté est un instrument de protection de l'unité nationale

depuis son époque moderne (Anagnostou, 2005). Pendant, la dictature, on ciblait les communistes et de

tout temps, les musulmans de Thrace et autres minorités juives. En Grèce, on a historiquement opposé

l'unité nationale aux droits individuels : « the hard core of state sovereignty, which, despite the

country's democratisation after 1974, continued to place an undisputed premier on the interests of

national unity over the rights of individual citizens » (Anagnostou, 2005 : 340). Malgré les concessions

libérales que la Grèce put faire dans les années 1990, sa citoyenneté est encore plus restrictive en 2008

que dans les années 1980 selon l'index de la politique de citoyenneté (CPI) repris dans l'étude de Marc

Morjé Howard en 2010.

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ÉVOLUTION DE L'INDEX DE LA CITOYENNETÉ (EUROPE) (Howard, 2010)

Un double jeu s'opère donc au sein de l'UE. On accepte l'idée de droits humains fondamentaux

et les valeurs libérales, mais l'obtention de la citoyenneté nationale semble devenue le seul moyen d'y

accéder complètement. On extrait donc la citoyenneté de ces valeurs libérales chères au

multiculturalisme. Il est fini le temps où les travailleurs italiens, grecs, polonais, arrivaient en Belgique

et pouvaient prétendre à être citoyen. En Grèce, il est inutile d'en parler. Malgré les opérations de

régularisation d'urgence, en 2000 en Belgique et en 1997 en Grèce, il n'est pas à l'ordre du jour de gérer

l'immigration, on gère maintenant la menace. Comment accorder des droits, et encore moins la

citoyenneté, à des gens qui constituent la nouvelle menace publique?

La norme d'intégration civique de l'UE et l'extrême droite

Qui plus est, l'UE participe elle-même au bricolage d'une citoyenneté plus restrictive et s'inscrit

dans cette convergence idéologique sur l'immigration. En plus de mesures exceptionnelles pour limiter

les droits existants, justifiées par l'état d'urgence, on invite les législations nationales à mettre sur pied

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un programme d'« intégration » basée sur les valeurs européennes. En 2004, l'UE émet la norme

européenne sur l'intégration civique. L'adoption de cette norme met en lumière cette rhétorique libérale

de l'intégration, mais en même temps, un rejet dissimulé du multiculturalisme et finalement, une

opportunité pour l'extrême droite de faire valoir ses idées. Dans un premier temps, cette norme consiste

à favoriser l'intégration. Dans un second temps, elle constitue une politique assimilationnisme et

finalement, elle rejoint le discours de l'extrême droite qui profère sa supériorité culturelle. Tous les

États membres ont signé le programme commun pour l'intégration qui stipulent que « member states

should develop national integration programmes, which emphasise civic integration and transmit 'EU

value' to newcomers » (Mulcachy, 2011: 88). « The civic dimension of integration requires [migrants]

to demonstrate that they know, understand and respect the receiving society’s history and institutions,

as well as its common shared values and way of life » (Carrera et Wiesbrock, 2009 : 2).

Suzanne Mulcachy teste plusieurs hypothèses sur l'adoption de cette norme et elle conclut que

la diffusion des normes européennes (interactive europeanization) n'est pas son moteur premier. En

fait, l'auteure constate que les facteurs nationaux sont très importants et qu'une convergence politique

s'opère en fonction de l'existence ou non de partis de l'extrême droite, et non à l'échelle supranationale.

Elle souligne aussi que l'opinion publique devient un élément à considérer seulement s'il y a présence

de tels partis extrémistes, et si les partis traditionnels s'engagent à une collaboration ou une cooptation

avec eux. Autrement dit, les élites ne considèrent pas l'opinion publique sauf s'il y a une pression

politique de la droite radicale. Mulcachy affirme par ailleurs que le cadre normatif européen représente

une opportunité pour les partis à tendance libérale, dans l'adoption de mesures plus restrictives et de

remise en question du multiculturalisme : « civic integration is the perfect strategy for the political

mainstream to adopt, […] but at the same time it clearly delineates the immigrants as 'other' and

demands that they recognise and adapt to national values and thus can be used to allay public fears

about the disintegration of multicultural societies » (2011 : 118). Cette norme provoque plusieurs effets

inattendus qui illustrent bien cette convergence idéologique sur l'immigration. Plutôt que de s'attendre à

plus d'inclusion sociale, un accès facilité à des droits et à la non-discrimination, « this concept of

integration is therefore progressively mutating into a mechanism of social exclusion and insecurity of

[migrants] in the EU » (Carrera et Wiesbrock, 2009 : 3). Le cas belge en est un bel exemple. Le Vlaams

Belang a contribué à la politisation du débat sur l'immigration et en siégeant au parlement, s'est vu

accorder une légitimité politique. C'est aussi en raison de l'attitude d'engagement d'autres partis

traditionnels par la cooptation que le Vlaams Belang put avoir une certaine influence sur la question et

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« faire adopter » la norme européenne. En Flandre, depuis 2004, les cours d'intégration civique sont

obligatoires pour la plupart des nouveaux arrivants hors UE et optionnels à Bruxelles. Suite à un décret

de 2006, les immigrants d'origines hors UE, incluant les citoyens belges nés à l'extérieur de la

Belgique, font aussi partie des groupes cibles. Ceux qui ne se conforment pas à la norme s'exposent à

des amendes allant de 50 à 5000 euros. Toujours en Flandre, l'importation de la catégorie statistique

« allochtone » a aussi suscité tout un débat quant à l' « ethnicisation » de la société : « la catégorie

mobilisée pour différencier ethniquement implique d’une part, un jugement d’évaluation par rapport à

un groupe de référence représentant la norme et d’autre part, un renforcement de la représentation de la

division ethnique du monde social » (Jacobs et Rea, 2005 : 14). Les chercheurs critiques dénoncent

l'amalgame des classes « étrangers » et « nationaux d'origine étrangère » (jusqu'à la troisième

génération), réduisant ainsi la référence à la nationalité et regroupant des gens qui n'ont pas accès aux

mêmes droits. On reproche le contenu culturaliste de cette catégorie ainsi qu'un problème définitionnel

de la catégorie autochtone par rapport à l'allochtone. Finalement, « la construction de cette catégorie

procède d’une essentialisation des groupes sociaux qui risque de renforcer la racialisation des rapports

sociaux » (ibid). Les chercheurs flamands se défendent de racisme en précisant que le Vlaams Belang,

utilise la catégorie « étranger » plutôt qu'allochtone. Rappelons que le Vlaams Belang joue avec le

concept de nation ethnique flamande, en dissimilant ses prétentions exclusivistes sous un accès

universel au groupe ethnique respectif (par le rapatriement des étrangers), et ce, pour le bien de tous

évidemment. Cette catégorie statistique n'est pas utilisée en Wallonie et les cours d'action civique sont

centrés sur les acquis linguistiques et non obligatoires. La présence de l'extrême droite y est aussi

beaucoup moins significative.

La Grèce n'a pas développé de programme national d'intégration civique et n'a pas pris de

décisions claires en regard de son acceptation ou de son rejet en principe de la norme européenne. Elle

est donc considérée comme ayant « ignoré » la norme. On peut supposer que cette situation répond à

deux réalités. La première est que la Grèce refuse toute politique traitant de l'intégration selon une

vision néo-libérale, en dépit des effets réels de la norme qui sont plus restrictifs. La deuxième étant

qu'elle n'a pas besoin d'instrumentaliser une telle norme pour rendre sa politique migratoire plus

restrictive, possédant déjà un des régimes de citoyenneté les plus restrictifs de l'UE. Rappelons que la

très timide libéralisation de la citoyenneté grecque est toujours confrontée en pratique à l'appréciation

nationale de la profondeur de l'identité hellénique. Agnanostous (2005 : 338) insiste aussi sur les

pratiques informelles qui persistent encore aujourd'hui quant à la pleine jouissance de ses droits en tant

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que citoyen grec étranger : « Unofficial but elaborate practices and networks of employees and interest

groups linked to state administration, as well as to banks and enterprises, systematically prevented most

Muslims from acquiring property or even routine matters such as receiving bank loans or driving

licences, and finding employment ».

Finalement, l'étude de Mulcachy révèle que les États membres qui ont adopté la norme

d'intégration civique ont une longue histoire d'immigration et qu'un manque d'intégration a récemment

été publiquement perçu comme un problème social. Ceci étant dit, la Grèce qui a une récente histoire

d'immigration reste peut-être sur ses gardes et préfère ignorer la norme. De plus, à l'époque de l'étude,

le parti populiste de droite LAOS avait une représentation parlementaire en Grèce, mais pas le parti

d'extrême droite Aube dorée.

Tout ceci pour revenir sur l'impact politique de l'extrême droite dans des conditions

particulières, qui nous aide à comprendre l'attitude politique nationale au regard d'une norme migratoire

« restrictive » : « the combination of public opinion opposing multiculturalism, along with the presence

of a far-right party which spurs mainstream parties to adopt a strategy of engagement with the themes

of the far-right, thus shifting to a more restrictive stance on issues of immigration and integration »

(Mulcachy, 2011 : 119). À la lumière de cette analyse, on est en mesure d'affirmer qu'un recul du

multiculturalisme s'effectue en Belgique et que la présence de l'extrême droite y contribue, même au

niveau des normes européennes. Par contre, il faudrait être plus nuancé dans le cas de la Grèce

puisqu'elle n'a jamais vraiment amorcé de projet multiculturaliste. Au contraire, elle s'est repliée sur sa

citoyenneté restrictive. Cependant, l'apparition spectaculaire sur la scène politique du parti Aube Dorée

en 2012 traduit la même dynamique qu'en Belgique. Rapidement après son entrée au parlement grâce à

un discours sur la mise en tutelle de la Grèce, le parti a politisé l'opinion publique sur

l'immigration : « immigration continues to be partly overshadowed by more pressing concerns about

the ongoing economic crisis but has moved steadily up on the list of party political priorities and

especially media coverage » (Kallis, 2013 : 223).

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CONVERGENCE IDÉOLOGIQUE

Droite versus droite

Selon Valluy (2005), la xénophobie contestataire de l'extrême droite trouve écho dans une

xénophobie gouvernementale, bien que l'on retrouve cette dernière dans le camp opposé « des élites

corrompues au service de l'Europe ». Cependant, ces élites se rétractent et plusieurs d'entre elles

estiment que l'expérience multiculturelle est allée trop loin tout en se défendant d'être racistes,

populistes ou exclusivistes. Lentin et Titley (2012) estiment que l'ère postraciale dans laquelle nous

vivons permet cette résurgence du « eux » et du « nous ». Le langage de la race et du racisme a été

abandonné pour celui de la reconnaissance des différences culturelles. Chacun possède une culture,

mais certaines cultures sont dépeintes comme indignes d'être traitées avec une parité relative,

notamment celles issues du monde arabo-musulman. Il n'est plus question de racisme essentialiste et le

débat public sur l'intolérable culturel n'est plus l'otage de l'accusation raciste : « It it this that enables

the Right and liberals alike to base resurgent ideas of hierarchy and practices of coercive civilization on

the fact of being post-race » (Lentin et Titley, 2012 : 134).

Dès lors s'opère une convergence idéologique sur la question de l'immigration, entre les tenants

du néo-libéralisme et du néonationalisme. La culture arabo-musulmane est devenue plus spécialement

un symbole d'incompatibilité. Le discours politique ambiant n'est pas sans rappeler le choc des

civilisations de Samuel Huntington, non pas en des termes de déficit démocratique, mais plutôt

d'incompatibilité culturelle approfondie par une rhétorique anxiogène. Il est venu le temps du

redressement culturel à défaut de pouvoir pallier la conjoncture économique défavorable. Et toutes les

ailes politiques s'y mettent, soutenues par l'opinion publique, les tabloïds et les besoins sécuritaires.

Selon un sondage9 réalisé par le German Marshall Fund, « les Français évaluent à 25% la population

immigrée alors qu'elle n'est que de [9]% » selon les chiffres de l'OCDE de 2011. Il est intéressant de

constater comment les partis d'extrême droite réussissent non seulement à faire élire des députés dans

plusieurs pays, mais en plus, à saisir des enjeux politiques (l'immigration en premier lieu) comme seuls

représentants crédibles. Ces questions deviennent des enjeux électoraux et sont reprises par des partis

plus centristes : « the resultant backlash has been tighter immigration controls, the incorporation of

many extreme-right anti-immigration policies into platforms of the moderate center-right parties […],

9 Les chiffres de ce sondage sont repris dans un article de la revue hebdomadaire Le Point : « Immigration, l'enquête qui dérange », no 2149, par Pierre-Antoine Delhommais, paru le 21 novembre 2013

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the rise of the populist right, and greater surveillance by intelligence agencies » (Kuzio, 2010 : 24).

Leur entrée au parlement légitime leur action d'une part, et les met dans une position délicate d'autre

part. Comment ces partis critiquant l'élite peuvent-ils siéger dans les parlements? Quoi qu'il en soit, au

parlement ou pas, les auteurs reconnaissent qu'ils contribuent au durcissement politique des acteurs

plus près du centre et peuvent même avoir une influence au niveau européen sur les questions de

l'immigration. Pour les défenseurs de la thèse élitiste (Mosca et Pareto; Agamben), la droite et la

gauche ne représentent plus que les noms de deux pôles au sein de la même machine gouvernementale.

C'est d'ailleurs le constat qui est repris par des partis comme Aube Dorée ou Vlaams Belang, dénonçant

les élites européennes qui imposent leurs normes. À la différence d'Aube Dorée, le Vlaams Belang,

n'est, pas contre l'Europe en soi, mais contre le modèle européen actuel. Il prône une Europe basée sur

des États ethniques souverains, rejette le Traité de Maastricht et la liberté de mouvement, et dénonce la

corruption politique (Laible, 2010: 142).

Au niveau de la question de l'immigration, les discours des élites et des partis populistes

semblent se rapprocher, notamment en Grèce : « mainstream parties of the center-right and center-left

had endorsed the discourse of immigration problem » (Kallis, 2013:223). Gregory Feldman (2012 : 25)

fait état de cette situation, non pas entre l'élite et les citoyens, mais plutôt entre les décideurs politiques

néolibéraux et néonationalistes : « If triangulation is the measuring of the distance to an unknown third

point based on the angles to it two fixed points, then neo-nationalists and neoliberals represent the fixed

points from which the 'migrant' is kept at a marked and convenient distance ». Les débats sur la

politique migratoire sont contenus à l'intérieur de ces deux positions et peu de figures publiques

incarnent purement l'une ou l'autre. Indépendamment de leurs accusations mutuelles et de leurs valeurs

publiquement défendues, ces deux acteurs génériques partagent un terrain philosophique commun et

des intérêts communs. Tous deux ne laisseront pas la parole aux migrants, du moins de façon à ce qu'ils

influencent substantiellement la politique migratoire.

La thèse utilitariste et la fausse tolérance

Feldman (2012) suggère que les différences entre ces deux camps n'existent que selon le degré,

mais pas en essence. Plusieurs auteurs mentionnent cette rhétorique hypocrite et contradictoire néo-

libérale. Réa, Martiniello et Calavita soulignent chacun les politiques utilitaristes informelles de pays

européens et la « fausse » tolérance des travailleurs illégaux, qui combleraient ni plus ni moins les

besoins en main-d’œuvre bon marché. La montée de l'extrémisme et le durcissement politique national

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s'accompagnent aussi d'une violence institutionnelle incarnée par la vision utilitariste de l'Europe :

« D’abord parce qu’elle focalise sur la répression : si l’Europe mène une guerre aux migrants, dont les

morts se comptent par milliers [...], on oublie trop souvent que la politique européenne est aussi fondée

sur l’utilitarisme » (Saint-Saëns, 2004 : 66). Ce double standard est sélectif et pour le moins hypocrite :

« le patronat aspire à une réduction des procédures administratives, qui sont des garanties de droits

pour les travailleurs, pour retrouver la forme idéale du travail immigré : malléable, corvéable et

exploitable » (Réa, 2004 :42). La demande formulée par le patronat belge pour une ouverture des

frontières à l'immigration économique est restée prudente « en raison de la pression exercée par

l’extrême droite en Flandre, où le Vlaams Blok y atteint un score électoral de 18 %, les acteurs

politiques (gauche et droite) formulent des propositions très prudentes » (Réa, 2004 : 43). Notons la

tolérance dont font preuve les autorités quant au travail au noir, qui n'est pas sans rappeler l'image du

« bon immigrant productif » de Réa : « S’ils craignent fréquemment d’être contrôlés par la police, ils

ressentent une relative tolérance quant à leur activité professionnelle. L’illégalité de leur séjour est

moins bien tolérée que leur irrégularité dans le travail » (Martiniello et Réa, 2002). En Grèce par

exemple, le renouvellement des permis de travail est si difficile que les travailleurs migrants deviennent

complètement dépendants de leurs employeurs qui les exploitent. Plusieurs travailleurs légaux

basculent donc dans l'illégalité et trouvent leur place dans une niche économique leur étant

« destinée » : « internal controls do not follow any specific plan apparently, but rather adapt to

pressures by local employers in need of foreign workers, such that police forces tolerate their presence

even if they are not legal » (IDEA, 2009:13). L'économie souterraine représentait 28,6% en Grèce en

2000 et semble refléter la thèse utilitariste d'une part et l'attrait des migrants d'autre part : « there seem

to be many opportunities in Greece […]. For example, discretion of public sector staff, including

immigration enforcement officers, varies greatly and can either lead to overt discrimination or to giving

advantages to selected immigrants (Greece) » (Düvell, 2006 : 44). Andrea Rea (2005 : 123) incarne

parfaitement la thèse utilitariste :

« On est en droit de se demander si le recours à une immigration clandestine ne répond pas aux

exigences des deux mains droites de l'État : d'une part, la main conservatrice des

gouvernements qui craignent d'aborder de front la question de la nécessité de l'immigration en

raison de la pression des partis d'extrême droite et d'une politique anti-immigrés, et d'autre part

la main libérale du marché qui a besoin de nouveaux travailleurs flexibles, corvéables et

faiblement rémunérés ».

Décembre 2013. Tous droits réservés ©Jozef Fleury-Berthiaume. 22

Kitty Calavita (2005) mentionne l'écart entre les lois et la rhétorique des politiciens en Europe

du Sud, qui souligne l'urgence de faciliter l'intégration des migrants. L'auteure affirme notamment que

les élites politiques sont enclines à l'adoption des politiques migratoires plus restrictives,

indépendamment de l'opinion publique et des partis populistes, mais que leur discours ne reflète pas

cette position. Cet angle d'analyse révèle ce que dénonce Aube Dorée et le Vlaams Belang : « Political

correctness, [neo-nationalists] also assert, mutes any voice arguing that multiculturalism has dimished

the life chances of the titular nation » (Feldman, 2012 : 25). Par contre, il est important de rappeler que

les discours enflammés de l'extrême droite encouragent certains acteurs politiques de droite (et dans

une moindre mesure de gauche) à se prononcer plus durement sur la question migratoire, au risque de

voir perdre son électorat au profit de partis qui ne pratiquent pas la politique de la langue de bois.

Comme nous l'avons vu précédemment, ce discours libéral glisse tranquillement vers un rejet du

multiculturalisme, qui est maintenant devenu acceptable.

Peu importe l'angle d'attaque — qu'on l'on brise les tabous ou qu'on emploie un discours

politiquement correct —, les deux acteurs génériques considèrent l'immigration comme solution

instrumentale temporaire ou menace nuisible permanente. Ces dynamiques s'opposent dans l'immédiat,

mais minent les chances d'intégration dans l'absolu. Et par-dessus tout, la logique sécuritaire devient

l'excuse commune à tous.

2012 : les thèmes de l'extrême droite sont à l'honneur

En Belgique comme en Grèce, on observe aussi un rapprochement entre les partis de la matrice

idéologique de droite. En Belgique, la NV-A, parti démocratique conservateur de droite,

économiquement libéral, a ravi d'importants votes au Vlaams Belang en 2012 en adoptant un discours

similaire et une attitude politique propre aux partis populistes. Il a refusé de faire partie de la majorité

parlementaire et a défendu les mêmes sujets que le Vlaams Belang : « revendication d'indépendance

flamande, le soutien aux néerlandophones au plan des revendications linguistiques et institutionnelles,

l'inscription dans l'histoire du mouvement national flamand ainsi qu'une attitude de grande fermeté à

l'égard de l'immigration » (Camus, 2012 : 494). Ivarsflaten (2008) nous rappelle que la question de

l'immigration, au-delà de la corruption, des changements économiques et de l'élitisme politique, est le

seul enjeu commun à tous les partis d'extrême droite qui ont connu un succès électoral significatif. Le

Vlaams Belang doit son succès historique au changement discursif qu'il entreprit dans les années

1980. : « Recoginzing the potential for success from campaigning on immigrant questions, Blok leaders

Décembre 2013. Tous droits réservés ©Jozef Fleury-Berthiaume. 23

took their long-standing interest in defining the Flemish nation along linguistic and cultural lines and

turned this into a comprehensive immigration policy for Flanders » (Laible, 2010 : 142). David Art

(2008:428) nous apprend qu'aux élections de 1999, « only 4 percent of the VB's electorate mentioned

Flemish nationalism as a reason to vote for the radical right party, as opposed to 27 percent who

mentioned immigration ». Malgré la défaite électorale de 2012, rappelons que le Vlaams Belang est un

parti établi depuis sa percée politique de 1991, lorsqu'il se nommait encore le Vlaams Blok, avant d'être

condamné pour incitation au racisme et interdit en 2004. Il connut d'ailleurs un succès significatif en

2004 : « the newly reconstituted Vlaams Belang won the second largest share of the vote in the Flemish

regional elections in June 2004, as well as the second largest number of seats, 32 out of 124 seats in the

Flemish Parliament » (Ibid).

Dans le cas grec, c'est en quelque sorte le contraire qui s'est produit en 2012. Le parti populiste

de droite LAOS a accepté de faire partie du gouvernement en 2011 qui était chargé de mettre en

application le plan d'austérité imposé à la Grèce par l'UE et le FMI. « Il perd par ce choix même sa

fonction de parti antisystème à tonalité ultranationaliste et eurosceptique » (Camus, 2012 : 491). Aube

Dorée aspira intégralement le vote du LAOS et ses 16 députés. L'émergence soudaine d'Aube Dorée

s'explique par la structure d'opportunité qui s'est présentée en Grèce. Le parti a pu s'implanter et

s'institutionnaliser « facilement » en raison de la présence établie du LAOS, qui avait déjà créé cet

espace politique de droite radicale : « chances are higher that there will be a strong far-right party, for

the established parties, in closer competition with the extreme right, leave open a broad political space

that can be exploited by the latter » (Koopmans et al., 2005 : 189).

Camus (2013) nous rappelle que les facteurs internes jouent pour beaucoup dans le succès des

partis d'extrême droite et que leurs succès futurs sont loin d'être garantis, comme nous le démontrent les

élections de 2012 en Belgique. Cependant, il mentionne aussi qu'en dépit de scores peu reluisants de

certains partis d'extrême droite en Europe, leur visibilité médiatique est souvent supérieure à l'influence

politique. Les thèmes de l'extrême droite font aussi l'objet d'une couverture sensationnaliste de la part

des médias. Cet état de fait contribue aussi au durcissement politique global. La judiciarisation des

migrants vient appuyer l'image d'une criminalité qui serait liée au « délinquant étranger ». Tsoukala

estime que les médias de masse font un traitement idéologique de la criminalité étrangère qui contribue

à creuser l'écart culturel en Grèce : « Il est à cet égard révélateur que, depuis la première régularisation

massive d’immigrés clandestins en Grèce, une partie de la presse nationale ait commencé à mettre en

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avant la possession éventuelle d’un titre de régularisation par des délinquants étrangers (le kidnappeur

était titulaire de la carte verte, on régularise même des assassins potentiels) » (Tsoukala, 2002:72).

LA JUDICIARISATION DE L'IMMIGRATION

La criminalisation des étrangers et les médias : le cercle vicieux du discours haineux

Les nouveaux arrivants en Europe sont confrontés à un contexte anxiogène et cette nouvelle

logique sécuritaire de la Forteresse Europe. Comme nous l'avons mentionné précédemment, les médias

sont aussi au cœur de cette perception négative et criminelle des migrants. Plusieurs auteurs se sont

penchés sur la question de la médiatisation des migrants et il n'est pas aisé d'établir le lien direct entre

la hausse de la violence raciste et les médias. Par contre, force est de constater que les médias

contribuent à l'objectivation de la menace étrangère et à une mésinterprétation du processus légal de

demande d'asile : « l’établissement de l’image de la menace de l’invasion étrangère et de la hausse de

la criminalité qui en résultera ne se limite pas aux seuls immigrés clandestins, mais couvre également

les demandeurs d’asile » (Tsoukala, 2002 : 67). Ces transformations de l'imaginaire collectif sont

renforcées par les taux effectivement à la hausse de l'incarcération des étrangers, qui à leur tour,

alimente les discours politiques justifiant le besoin sécuritaire. Selon Maroukis (2012), on compterait

une grande proportion de migrants irréguliers en 2011 en Grèce, soit 31,5% (environ 390 000) d'une

population totale immigrante estimée à 1 239 472. Le cercle vicieux de la clandestinité et de campagne

de dénigrement est facilité par cette situation : « Furthermore, legal and illegal categories of immigrants

have been regularly conflated by commentators from across the centre and far-right of the political

spectrum » (Xenakis, 2013 : 300). Les migrants sont coupables de crimes liés à l'immigration, en dépit

du fait que les autorités grecques portent aussi une part de la responsabilité « having systematically

avoided putting in place an effective and timely system for processing asylum and residence

applications » (Ibid).

L'immigration devient le bouc-émissaire des maux sociaux : « une des raisons de cette

négativation de l’image de l’immigré est sa 'contamination' par de très nombreux sujets, comme l’Islam

'de l’extérieur', la démographie, les banlieues, l’éducation, le terrorisme, etc. » (Bonnafous, 1999 : 3).

En 1993, le Vlaams Belang a organisé une conférence nommée « Crime : The Tough Approach » et en

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1999, la question du crime est devenue le centre de sa campagne électorale en lien avec l'immigration :

« since the moral decay among immigrants is the direct result of their being uprooted, the party calls

for their repatriation as part of its crime prevention plan » (Mudde, 2000 : 108). Tsoukala (2002 : 70)

mentionne aussi le sensationnalisme des médias : « Cette présentation de la criminalité étrangère va de

pair avec l’usage systématique de phrases sensationnelles [...] ou à des images fortes renvoyant soit à

un contexte de désordre et d’anomie généralisé ». Mudde (2013) affirme aussi que la montée des partis

populistes radicaux de droite (PRRPs) a contribué partiellement, avec la transformation des médias de

masse, à la « tabloidisation » du discours politique dans les dernières décennies. Bistis (2013 : 44)

relève d'ailleurs cette situation en Grèce : « Greek media also gave prominent coverage to some

extracurricular activities pursued by Blue Army (Galazia Stratia), a hooligan 'fan club' formed in 1999

by Golden Dawn members ». Ces deux acteurs (PRRPs et médias) partageraient des attitudes et des

enjeux similaires, qui ont fini par dominer le discours politique en Europe. « Concerns amongst the

public about the relationship between immigrants and crime have been fuelled in large part by political

and media discourse pointing to the significant over-representation of non-Greeks in police-recorded

crime statistics and the country’s prison population » (Xenakis, 2013 : 299). Mudde (2013 : 15)

n'établit pas de lien de causalité directe avec l'opinion publique, mais considère son impact certain sur

les PRRPs : « While this does not necessarily translate into changing public attitudes and policy

changes, it provides at the very least a more favourable ‘discursive opportunity structure’ ». Valluy

affirme que l'image du faux réfugié mène à des traitements biaisés des demandes d'asile, consciemment

ou non, et que les médias ont aussi un poids. La « spirale du rejet » décrit « un processus social continu

d'interactions entre l'univers technocratique et l'espace public politique et médiatique » (Valluy, 2005:

9).

La mise à l'écart : une mesure exceptionnelle ou la norme?

Dans cette perspective, l'incarcération des migrants devient un élément central des politiques

restrictives antimigratoires. Comme Palidda (1999) le mentionne, la plupart des délits menant à

l'enferment des étrangers concernent l'immigration en soi, et les détentions préventives deviennent la

norme considérant que les étrangers ne possèdent pas les « garanties requises (stabilité et légalité du

séjour, du domicile de la situation familiale, de l'emploi, de la scolarité, etc.) pour bénéficier de

mesures alternatives » (Valluy, 2005 : 13). On remarque que les durées de détention ont augmenté dans

plusieurs pays de l'UE et que la « politique des camps » (Bietlot, 2005) ne peut contenir l'augmentation

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du nombre de détentions des migrants irréguliers. C'est pourquoi des pays comme la Grèce aux prises

avec une surpopulation des camps détiennent parfois les demandeurs d'asile en attente de décision dans

les centres de détentions normaux.

Source : Pavlou, Miltos. ANNUAL REPORT 2007. Racism and Discrimination against Immigrants and Minorities in Greece: The State of Play.

La durée de détention à la hausse s'observe partout. Claire Rodier explique que le ministre de l'intérieur

français défendit sa réforme de la loi sur le prolongement de la rétention administrative des étrangers en

2003 en comparant la France avec d'autres pays européens. « Autour de nous – on le constate pour la

Grèce, mais c’est vrai aussi en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne – c’est en effet en mois, voire

en années plutôt qu’en jours, qu’il faut calculer les délais pendant lesquels on prive de liberté, en

attendant de les expulser, des étrangers au seul motif qu’ils ont franchi illégalement une frontière ou

qu’ils sont sans papiers » (Rodier, 2003:103). La politique de déportation est aussi utilisée de façon

courante et l'attente du retour forcé insinue donc une détention provisoire.

Les délits d'immigration ont donc un effet direct sur les taux d'incarcération des étrangers et

traduisent « une mesure sociologiquement pertinente du degré de criminalisation de l'exilé dans une

société » (Valluy, 2005 : 13). Selon Palidda (1999), dans les pays de l'Europe du Sud, l'augmentation

des incarcérations et condamnations des immigrés a été constante et supérieure à celle de la population

immigrée elle-même. Pire, « au cours des dernières années, en Italie comme en Espagne et en Grèce,

on observe même une certaine diminution du nombre de détenus nationaux alors qu'augmente le

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nombre des détenus immigrés » (Palidda, 1999 : 40).

Proportions d'étrangers dans les prisons européennes selon le Conseil de l'Europe (Valluy, 2005)

1983 1988 1991 1997 2000

Belgique 22 30 34 38 40,4

Grèce 12 19 22 39 48,4

Selon les chiffres de l'OCDE (Palidda, 1999), le ratio en 1997 entre les taux d'étrangers incarcérés et les

taux d'autochtones incarcérés est de 6 en Belgique et de 7 en Grèce. La composition ethnique des

immigrés est respectivement caractérisée par une forte présence de Marocains dans les prisons belges et

d'Albanais dans les prisons grecques. Selon Dario Melossy, une tendance nette se profile entre les pays

du sud de l'Europe et les autres pays (Valluy, 2005). En rapportant la proportion d'étrangers dans la

population selon leur proportion carcérale, l'Europe du Sud a des ratios nettement plus élevés (Grèce :

19,4; Espagne : 18,8; Italie: 15; et le Portugal: 13,5). La Belgique compte un ratio intermédiaire de 10,

comparativement aux autres pays où les ratios se situent entre 2 et 7.

Cette situation qui prévaut dans le sud de l'Europe est particulièrement accentuée par l'arrivée

massive des flux migratoires et une réaction brutale à ce phénomène nouveau dans les années 1990.

Comme nous l'avons vu dans l'historique de la politique migratoire grecque, le pays n'avait aucune

législation antimigratoire avant que les pressions de l'UE se fassent sentir. La Grèce s'est alors vu

confier la mission de protéger le fort, sous les pressions des autres États membres qui « considèrent ces

pays du sud comme les gardiens laxistes d'une frontière commune au sud de l'Europe » (Valluy, 2005 :

14). La Grèce — qui fut exclue dans un premier temps — dut redoubler d'efforts pour intégrer l'Espace

Schengen, puis adopta sa première législation sur l'immigration en 1991 et intégrée en 1992. Elle

présente aujourd'hui des taux de rejets des demandes d'asile frôlant le 100%, des taux d'incarcération

d'étrangers et une disproportion d'étrangers emprisonnés énormes. Tous ces éléments dressent le

portrait du contexte grec dans lequel Aube Dorée a émergé et l'opinion publique s'est forgée.

Cette nouvelle priorité de l'UE est née « du construit du 'déficit de sécurité' que causerait

l'ouverture des frontières au sein de l'Espace Schengen » (Bietlot, 2003 : 62). La libre circulation

s'accompagne effectivement d'une extension de la collaboration policière, de l'informatisation des

données, de mesures et discours qui approuvent ce que Didier Bigo appelle le continuum sécuritaire,

« par transfert d'illégitimité, 'de la lutte contre la drogue et le terrorisme jusqu'à l'immigration et au

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droit d'asile' » (Ibid). C'est dans ce contexte que l'Europe se crispe et l'imaginaire collectif se

transforme, et ce, plus rapidement depuis la fin des années 1990 et la montée de l'extrême droite.

L'immigrant – légal ou illégal... là, ne semble plus être l'enjeu réel – est la nouvelle menace.

Les camps de détention et autres mesures exceptionnelles

Les réformes des politiques migratoires et l'état de crise proclamé par l'UE et ses États membres

engendrent de nombreuses pratiques qui relèvent simplement de l'illégalité. La Belgique comme la

Grèce ont été reconnues coupables à plusieurs reprises de violations des conditions de détention

(notamment pour les mineurs étrangers non accompagnés), de représentation juridique, de délais de

détention, d'expulsions dans des pays à risque. Un cas qui représente tristement la situation complexe

de la politique migratoire interétatique est celui de l'expulsion d'immigrants illégaux par la Belgique en

direction de la Grèce. Les deux pays ont été impliqués et reconnus coupables dans cette cause : Mr

M.S.S vs Belgium and Greece10. La Belgique fut reconnue coupable de renvoyer ce demandeur d'asile

afghan vers la Grèce, un pays dont elle connaissait les pratiques inadéquates de la procédure d'asile et

les risques associées : « in exposing the applicant to risks linked to the deficiencies both in the asylum

procedure and in the detention and living conditions in Greece » (Costello, 2012 : 321). Le jugement fit

état d'éléments attestant de la pratique systématique de détention des demandeurs d'asile dès leur

arrivée pour une période de quelques jours à quelques mois. En Belgique, la loi prévoit une détention

maximale cumulée de 8 mois tandis qu'en Grèce, cela peut aller jusqu'à 18 mois. Le délai de rétention a

triplé en 2003, passant de 12 à 32 jours. « Objectif affiché : laisser du temps à l'administration pour

organiser les expulsions » (Intrand et Perrouty, 2005 : 7). Cette situation n'est peut-être pas étrangère à

l'élargissement des frontières de 2004.

Migreurop a recensé 6 lieux de détention en Belgique et 52 en Grèce en 2012. Outre l'écart du

nombre entre les deux pays, il existe une autre différence, celle de l'information sur les camps. La

Belgique a communiqué la capacité de détention de chacun de ses camps tandis que la Grèce ne l'a fait

que pour 8 d'entre eux. Le pays qui est constamment accusé de mauvaises conditions de détention et de

surpopulation a tout intérêt à ne pas divulguer ces chiffres trop rapidement, du moins pour les centres

qui présentent une surpopulation. La dernière différence marquante réside dans le type de lieux de

détentions. En Belgique, sur les 6 lieux de détentions, 5 combinent la fonction de traitement des

demandes et détention des gens en instance d'expulsion. En Grèce, on ne compte que 2 lieux de

10 Consulté en ligne : http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-103050#{"itemid":["001-103050"]}

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détention pour le traitement des demandes et le reste servant de détention pour les individus en instance

d'expulsion qu'on appelle les camps d'éloignement. Dans toute l'Europe, les camps (sans distinction

typologique) sont passés de 324 à 473 de 2000 à 201211.

Les législations nationales prévoient un certain nombre de droits aux demandeurs d'asile

(représentation juridique, ressources matérielles minimales, libre circulation dans le camp, accès

minimal aux soins de santé, etc.), mais dans la pratique, l'exercice de ces droits est « soumis à un fort

aléa […]. Cet aléa repose sur l'imprécision et la complexité des législations qui laissent une grande

marge de manœuvre à l'administration, et également sur le manque de volonté de reconnaître les

détenus comme sujets de droits » (Intrand et Perrouty, 2005 : 6). Une véritable zone de non-droit s'est

installée avec la prolifération de ces camps, dont on ne connaît pas précisément les rouages dans la

plupart des cas. L'état d'exception est proclamé. À la différence que l'exception dans un pays frontalier

récemment devenu une terre d'accueil semble bien plus la norme que dans un pays comme la Belgique,

qui est confronté à un problème somme toute plus doux. En Belgique, les autorités agissent souvent à la

limite de la loi, ou selon ces mesures exceptionnelles. En Grèce, l'exception est devenue la norme, et

les droits des migrants sont artificiels.

VIOLENCES RACISTES ET XÉNOPHOBES

Les structures d'opportunité de l'extrême droite

Koopmans et al. (2010 : 196) testent plusieurs hypothèses sur la prévalence de l'action violente

des partis d'extrême droite en fonction des structures d'opportunités politiques. Le cas du Vlaams

Belang confirme ses hypothèses. En effet, l'auteur affirme que le modèle multiculturaliste belge, qui

diminue la légitimité de l'extrême droite, modère le radicalisme du Vlaams Belang contrairement au

modèle assimilationnisme grec, qui légitime Aube Dorée, et tend à radicaliser le parti. De plus, la

violence raciste tend à être amoindrie lorsque le parti extrémiste est fort puisque la stratégie violente

peut s'avérer très coûteuse pour un parti bien établi. Plusieurs auteurs (Düvell, 2006; Laible, 2010;

Karolewski et Suszycki, 2010) ont d'ailleurs souligné la stratégie du Vlaams Belang qui consiste à jouer

les règles du jeu démocratique, malgré un discours « exclusiviste » et xénophobe. L'action du Vlaams

11 Voir le document « La carte des camps » en ligne : http://www.migreurop.org/IMG/pdf/Carte_Atlas_Migreurop_19122012_Version_francaise_version_web.pdf

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Belang se situe au niveau des déclarations publiques et d'actions politiques conventionnelles (réunion,

action judiciaire, action de démocratie directe, et pétitions). De plus, depuis quelques années, le parti

proclame la nécessité d'une Europe basée sur des États ethniques, qui seraient bénéfiques pour toutes

les ethnies (même hors UE) et pas uniquement les Flamands. De cette façon, il s'évite les

condamnations pour racisme. La stratégie d'Aube Dorée se situe en plus au niveau des protestations,

des confrontations et des démonstrations violentes. Dans le cas d'Aube Dorée, il est trop tôt pour dire si

les nombreux actes de violences publiques constitueront une stratégie gagnante après son succès

électoral de 2012. Par contre, la théorie du grief (grievance thory) émet une autre hypothèse qui

confirme l'attitude violente du parti, en attendant d'en mesurer les conséquences politiques : « the more

intense the objective conditions or problem (for example, a sizable migrant population or increasing

flows of immigrants), the stronger the grievances and the more radical or violent the collective

response » (Koopmans et al., 2005:195).

Plusieurs auteurs (Antonopoulos, 2006; Bistis, 2013; Kallis, 2013) font état d'un climat social

favorable aux actions violentes du parti Aube Dorée. De nombreuses démonstrations violentes du parti

ont eu lieu sans que la police, présente sur les lieux, n'intervienne. Pire, elle se trouve coupable de

plusieurs pratiques racistes et discriminatoires qui relèvent d'une zone de non-droit: « these are

especially common during operations ostensibly aimed at tackling illegal immigration, which often

result in the confiscation of personal legal documents, such as passports, and the destruction (for no

apparent reason) of residence and employment documents, such as the prasini karta (green card) »

(Antonopoulos, 2006 : 95). Dans le même ordre d'idée, on assiste à la construction d'une justification

de la violence raciste par les corps policiers : « a significant number of detectives provided an array of

extreme violence cases [...], such as beatings, shootings or even killings of migrants, in order to defend

themselves from the criminal 'other' » (Antonopoulos, 2006 : 98). Inversement, ce même discours

affirme que la violence causée par les migrants contre les Grecs serait motivée par un sentiment de

jalousie, créé par la qualité de vie supérieure des nationaux. Plusieurs membres du Golden Dawn ont

été publiquement impliqués dans des attaques violentes contre des immigrants ou des

« résistants » : « [in december 1992] thirty of its members attacked university students during a large

demonstration in Athens » (Bistis, 2013: 44). De plus, le contexte de la crise économique a accentué

l'anxiété sociale générale et Aube Dorée a proposé des solutions aussi radicales que d'installer une

ceinture de mines terrestres explosives le long des frontières grecques. La violence réelle s'accompagne

d'une violence symbolique lorsque le parti met sur pied des programmes de « providence » (distribution

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de nourriture) destinés aux citoyens grecs uniquement, en dépit des critiques. La stratégie fut payante :

« the beneficiaries paid back Golden Dawn for the free food with the only thing they could afford to

give : their votes » (Bistis, 2013 : 49). Kallis précise que les erreurs stratégiques d'Aube Dorée

(notamment des attaques violentes commises par des membres du parti au parlement) semblent avoir

été pardonnées par la population grecque. L'auteur ajoute même qu'une demande sociale s'est forgée

pour ce type d'attitude : « in post-2008 Greece, there was a growing social demand and political

opportunities for this kind of hyper-nationalist, populist, and exclusivist political discourse that the GD

has succeeded in articulating and largely legitimizing » (Kallis, 2013 : 225).

L'accès aux soins de santé : indicateur de la violence institutionnelle

Médecins du Monde a publié un rapport sur ses activités dans le contexte xénophobe en hausse

en Europe. Dans les années 1990, l'ONG était une des « seules organisations ayant les moyens

d'intervenir en faveur des exilés face aux afflux ponctuels » de migrants en Grèce. Elle fait aujourd'hui

état de son inquiétude par rapport au racisme en Grèce et partout en Europe, dont en Belgique.

En Belgique, plus du deux tiers des patients de MdM limite ses déplacements dans la crainte

d'être arrêté et en Grèce, à Patras, c'est 87,5% des patients qui ont répondu par l'affirmative à cette

question (MdM, 2013 : 19). Bien que la législation belge soit une des plus libérales en matière d'accès

aux soins de santé pour les migrants, l'ONG rencontre de nombreux problèmes sur le terrain avec les

autorités. La loi prévoit un accès aux soins de santé (forfait de base) aux personnes autorisées de séjour

et aux demandeurs d'asile pendant le traitement de leur demande. De plus, les sans-papiers bénéficient

du programme de l'aide médicale d'urgence (AMU) en se soumettant à une enquête sociale au domicile

de la personne. Cependant, cette procédure comporte de nombreux obstacles administratifs (notamment

la domiciliation) et une appréciation subjective de l'enquête sociale compliquent la situation : « De

nombreux CPAS [Centres publics d'action sociale] exigent désormais des documents d’identification

comme condition préalable. Le CPAS d’Anvers refuse souvent l’AMU en raison d’un prétendu 'refus

de collaborer à l’enquête sociale' des demandeurs, décision dont les critères sont purement subjectifs »

(MdM, 2013 : 37).

En Grèce, la crise économique assombrit le tableau de l'accès aux soins de santé et le climat

social. En principe, les résidents autorisés et les demandeurs d'asile ont accès aux soins de santé,

moyennant des frais d'entrée de 5 euros et de consultation de 30 euros dans les hôpitaux. Ils doivent

également prouver leur statut de demandeurs d'asile. En pratique, la situation est différente : « cette

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condition est difficile à respecter pour les demandeurs d’asile, en raison des problèmes rencontrés par

les migrants pour déposer une demande d’asile en Grèce » (MdM, 2013 : 42). Les sans-papiers n'ont

pas accès aux soins de santé, sauf s'il existe un risque pour la vie du patient. Ils ont cependant accès à

des soins pour le VIH jusqu'à ce que leur état soit stabilisé, jugement qui est laissé à la discrétion du

corps médical. Il n'existe pas de règlement définissant la notion de « stabilisation ». On remarque les

effets du durcissement politique avec la modification d'une loi de 2005 : « la directive du 2 mai 2012

indique clairement que les services publics, les personnes morales publiques, les collectivités locales et

les institutions de sécurité sociale n’ont pas à fournir de services aux ressortissants de pays tiers qui

sont sans-papiers » (ibid).

On observe également ce durcissement politique dans un amendement du décret présidentiel de

2010 qui a comme conséquence de faire de l'état de santé des sans-papiers et les demandeurs d'asile un

motif légal de détention. S'ils représentent un risque pour la santé publique ou « appartiennent à des

groupes vulnérables particulièrement exposés au risque de maladies infectieuses (ce "risque" est évalué

en fonction de leur pays d’origine, de l’usage de drogues par voie intraveineuse, d’activités de

prostitution) » (ibid). La même logique s'applique si ces personnes ne respectent pas les normes

minimales d'hygiène. « En outre, depuis 2012, le risque pour la santé publique représenté par les

migrants sans papiers ou les demandeurs d’asile est devenu une raison justifiant l’expulsion de Grèce »

(ibid).

L'action de la société civile devant un État xénophobe : 2 exemples

Comme dans le cas de l'accès aux soins, de nombreux projets sont mis sur pied par la société

civile et les ONG, devant un manque de ressources de l'État grec et la montée de la xénophobie. MdM

a mis sur pied un programme qui se concentre en particulier sur les jeunes, « directement visés par les

extrémistes de droite qui les impliquent dans des actes criminels » (MdM, 2013 : 32). L'ONG, en

concertation avec le Conseil grec pour les réfugiés organise des visites dans les écoles publiques « dans

les zones qui sont les plus touchées par les violences racistes pour discuter de ces questions

ouvertement et sensibiliser les jeunes sur les conséquences négatives de la xénophobie pour l’ensemble

de la société » (ibid).

D'autres projets citoyens ont été mis en place devant l'ampleur du problème, parfois en lien avec

des organisations internationales ou institutions étrangères. Une de ces initiatives consiste à recenser

toutes les attaques racistes à Athènes, sur la base de témoignages. Ce projet12 nommé « The City at a

12 Http://map.crisis-scape.net/main .

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Time of Crisis. A map of attacks on migrants in Athens » est fait en partenariat avec le département

d'anthropologie de l'Université de Sussex et le Economic and Social Research Council au Royaume-

Uni. Voici la réflexion qui a motivé ce projet : « While the rise of neo-nazism in Greece has been

reported widely, the extent of the violence and the spread of everyday racism is not very well

understood in the rest of Europe. The aim of this map is to act as a constantly updated public record of

these attacks and as a tool for organising and communicating amongst anti-fascist/ anti-racist

initiatives »13.

CONCLUSION

La montée de l'extrême droite traduit un sentiment d'insécurité qui répond à deux dynamiques :

la « menace culturelle » interne et l'insécurité face à une perte de contrôle nationale dans le processus

de mondialisation. L'européanisation des politiques est le symbole de cette mondialisation, de

l'effritement décisionnel national au profit de considérations supranationales. Comme les facteurs de

production ont « échappé » aux États membres et que l'économie nationale semble être à la merci du

marché mondial, le dernier bastion de la souveraineté est la frontière physique. Cependant, les contours

de cette frontière se trouvent maintenant à l'intérieur des espaces politiques nationaux : le non-citoyen.

Voilà la nouvelle frontière symbolique qui naît de l'anxiété identitaire et de la prétendue dilution

culturelle. L'économie nationale est le rouage des marchés financiers internationaux, les politiques

internes sont diluées dans le corps européen, les frontières sont poreuses. Que faire devant cette

situation d'impuissance? Définir les nouvelles frontières à protéger. Ces nouvelles frontières deviennent

l'enjeu d'une incompatibilité culturelle proclamée.

L'enjeu de l'immigration est le sujet de l'heure dans l'arène politique européenne. On renforce

sans cesse les moyens de contrer cette invasion et on dénonce simultanément l'inefficacité des

politiques restrictives devant l'afflux constant de migrants. Une des problématiques soulevées par

plusieurs auteurs est le manque d'imagination gestionnaire et l'hypocrisie politique. Trente ans de

gestion multiculturelle superficielle ne suffisent-ils pas à réfléchir à des modèles réels d'incorporation?

La tendance ne semble pas fléchir et la demande de travailleurs clandestins est une réalité. Les États

sont-ils conscients de la problématique ou plutôt sont-ils pervertis par une perception généralisée de

13 Site web consulté le 2 décembre 2013 en ligne: http://map.crisis-scape.net/main

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l'immigration? Quoi qu'on en dise, que l'on veuille rapatrier les immigrants, les exploiter sur le marché

noir ou encore leur offrir des conditions minimales de l'accueil pendant le traitement de leur demande,

ils demeurent les premières victimes de cette politique inefficace et aveugle. Il n'est pas question ici

d'ouvrir les frontières au premier venu, mais considérons au moins la réalité pour ce qu'elle est :

toujours plus de migrants, des coûts financiers exorbitants à l'échelle nationale et une dégradation de la

cohésion sociale. Plus les frontières se ferment et plus rapidement les migrants basculent dans la

clandestinité.

Par ailleurs, les efforts irréguliers d'européanisation en matière d'immigration confirment cette

irresponsabilité décisionnelle en faisant incomber le fardeau de la protection de la Forteresse Europe

aux pays frontaliers comme la Grèce et en condamnant régulièrement son attitude délinquante afin de

détourner le problème qui sévit au cœur de l'Europe. Devrons-nous attendre une large coalition

paneuropéenne de l'extrême droite pour nous asseoir et réfléchir à une réelle gestion de l'immigration,

de l'intégration et de la cohésion sociale? Le discours xénophobe a déjà contaminé (pour reprendre les

termes de l'extrême droite) l'imaginaire collectif dans plusieurs tranches de la société européenne et

seule une action politique relevant d'une reconnaissance publique de l'enjeu réel peut ouvrir un débat

alternatif. Le débat alternatif, en fait réel, de l'intégration et non de la fortification. Au-delà des

considérations humanistes et libérales quant à la citoyenneté, il y a une réalité d'autant plus vraie : les

morts par milliers. Ce n'est pas de la faute de l'Europe si les gens émigrent. Cependant, plusieurs des

demandeurs d'asile et autres migrants n'entreprennent pas seulement une grande aventure, ils

entreprennent l'aventure finale. En voulant externaliser sa politique migratoire sécuritaire, l'Europe est

la première victime du syndrome NIMBY (not in my back yard).

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