« Vous êtes tous des gagnants ». Étoile des aînés et le vieillissement réussi au Québec

21
Recherches sociologiques et anthropologiques 44-1 (2013) Production et rapport aux normes contemporaines du vieillir ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Line Grenier et Fannie Valois-Nadeau «Vous êtes tous des gagnants». “Étoile des aînés” et le vieillissement réussi au Québec ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Line Grenier et Fannie Valois-Nadeau, ««Vous êtes tous des gagnants». “Étoile des aînés” et le vieillissement réussi au Québec », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 44-1 | 2013, mis en ligne le 20 septembre 2013, consulté le 15 octobre 2013. URL : http://rsa.revues.org/951 ; DOI : 10.4000/rsa.951 Éditeur : Université catholique de Louvain (Unité d'anthropologie et de sociologie) http://rsa.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://rsa.revues.org/951 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © Recherches sociologiques et anthropologiques

Transcript of « Vous êtes tous des gagnants ». Étoile des aînés et le vieillissement réussi au Québec

Recherches sociologiques etanthropologiques44-1  (2013)Production et rapport aux normes contemporaines du vieillir

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Line Grenier et Fannie Valois-Nadeau

«Vous êtes tous des gagnants». “Étoiledes aînés” et le vieillissement réussiau Québec................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'éditionélectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Référence électroniqueLine Grenier et Fannie Valois-Nadeau, « «Vous êtes tous des gagnants». “Étoile des aînés” et le vieillissement réussiau Québec », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 44-1 | 2013, mis en ligne le 20 septembre2013, consulté le 15 octobre 2013. URL : http://rsa.revues.org/951 ; DOI : 10.4000/rsa.951

Éditeur : Université catholique de Louvain (Unité d'anthropologie et de sociologie)http://rsa.revues.orghttp://www.revues.org

Document accessible en ligne sur : http://rsa.revues.org/951Ce document est le fac-similé de l'édition papier.© Recherches sociologiques et anthropologiques

Recherches sociologiques et anthropologiques 2013/1 L. Grenier, F. Valois-Nadeau : 137-156

«Vous êtes tous des gagnants» “Étoile des aînés” et le vieillissement réussi au Québec

Line Grenier, Fannie Valois-Nadeau * Cet article s’intéresse à “Étoile des aînés”, un concours de musique réservé aux citoyens canadiens de 65 ans. Organisé et commandité par Chartwell, le plus gros réseau de résidences pour personnes âgées au Canada, ce concours vise à «célébrer le talent des retraités». Fruit d’un projet pilote réalisé sous le mode d’une ethnographie multi-sites, l’étude explore comment “Étoile des aînés”, en tant qu’événement sis à l’intersection de la musique, des médias et du marché en pleine expansion de l’habitation pour aînés, met en évidence des articulations particulières du “bien vieillir” au Québec. Nous proposons qu’ “Étoile des aînés” agit comme une médiation du “vieillissement réussi”, comme une forme distincte du “bien vieillir”, en insistant sur les enjeux que pose la mise à l’épreuve publique du vieillissement. Nous y examinons deux modalités qui confèrent au vieillissement réussi un caractère collectif : l’ex-périence publique et l’engagement partagé. Ce concours-spectacle est un ter-rain privilégié pour comprendre les manières dont le vieillissement actif se déploie hors des domaines de la santé et de la sécurité.

Mots-clés : vieillissement réussi, vieillissement actif, Étoile des aînés, concours mu-sical, engagement partagé, visibilité, résidences pour aînés, culture populaire

I. Introduction Depuis 2009, Chartwell résidences pour retraités1, le plus gros réseau de résidences pour personnes âgées au Canada, organise et commandite “Étoile des aînés”, un concours musical réservé aux personnes âgées de 65 ans et plus, qui vise à «célébrer le talent des retraités» comme le pré-cise le matériel promotionnel. L’entreprise investit d’importantes res-sources financières, humaines et techniques pour conférer du prestige à

______________________________ * Département de communication, Université de Montréal. 1 Entre 2009 et 2012, le concours a été organisé par Chartwell-Québec, une filiale de Chartwell-Reit. En janvier 2013, dans la foulée d’importants changements organisationnels, dont l’acquisition d’une quarantaine de résidences au Québec, l’entreprise a changé de nom et de logo. http://www.chartwell.com/about/welcome/index.php.

138 R. S. & A., 2013/1 – «Vous êtes tous gagnants». Etoile des aînés et…

ce concours, l’organiser de manière professionnelle dans ses propres locaux et garantir qu’il attire l’attention des principaux médias de la pro-vince. Si l’indéniable popularité du concours2 suggère que les efforts consentis par Chartwell portent leurs fruits, elle signale aussi la réson-nance du discours “optimiste” sur la vieillesse développé et entretenu par “Étoile des aînés”. Nous nous proposons d’en examiner les princi-paux constituants et l’effectivité3. Cet article a pour but d’explorer comment “Étoile des aînés”, en tant qu’événement sis à l’intersection de la musique, des médias et du mar-ché en pleine expansion de l’habitat pour les aînés, met en évidence une articulation particulière du “bien vieillir” au Québec. Ce concours spec-tacle, l’un des rares consacrés exclusivement aux aînés, constitue un ter-rain privilégié pour comprendre les manières singulières dont le vieillis-sement actif, devenu depuis peu partie prenante de l’agenda politique au Québec, se déploie et est mis en œuvre hors des domaines de la santé et de la sécurité qui en sont souvent les espaces de prédilection. Nous pro-posons qu’au sein d’ “Étoile des aînés”, les injonctions au “bien vieillir” se traduisent par des injonctions à la réussite du vieillissement et à la célébration de cette réussite – que celles-ci concernent la performance des concurrents, la mémorisation de la chanson interprétée, le “courage” de monter sur une scène, la présence des résidents comme auditoire ac-tif, l’implication de la famille comme soutien et partenaire, ou la persé-vérance à poursuivre ses rêves, par exemple. Nous étayons cette propo-sition par une analyse des façons dont, par et à travers les pratiques cul-turelles et les processus communicationnels qui informent du concours, le “bon” vieillissement s’avère tributaire d’une “activité” (Katz, 2009 ; Marhankova, 2011) qui se déroule devant un public et dès lors, sans pour autant cesser de constituer une responsabilité personnelle imputée aux aînés (Rozanova, 2010), acquiert un caractère résolument collectif. Très peu de travaux ont jusqu’ici traité du “bien vieillir” en lien avec la culture et la communication, et encore moins avec la musique. Nous souhaitons pallier, ne serait-ce que partiellement, cette absence en pro-posant une réflexion qui, d’une part, s’inspire des courants anglophones critiques de la gérontologie ainsi que des études culturelles (cultural stu-dies) et, d’autre part, émane d’un projet pilote consacré à “Étoile des aînés”4. Cette réflexion est le fruit d’une ethnographie multisites (Rob-

______________________________ 2 Depuis le début, plus de 850 concurrents se sont inscrits dans douze compétitions régionales – une treizième est prévue pour l’édition 2013 – tenues chacune devant environ 250 personnes (Notes d’entretien avec la coordonnatrice pour le Québec, juin 2012). 3 La notion d’effectivité «describes an event’s place in a complex network of effects – its effects elsewhere on other events, as well as their effects on it ; it describes the possibilities of the practice for effectuating changes or differences in the world. Such a description then asks how something comes to exists in its singularity (what Foucault calls its ‘rarity’) and how it functions» (GROSSBERG L., 1992, p.50). 4 D’une durée de trois ans, il fait partie des activités de recherche du réseau “Ageing, Communication and Culture” (a-c-m.ca) financées par le programme de développement de partenariat du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (2011-2014).

L. Grenier, F. Valois-Nadeau 139

ben, 2012), en cours depuis octobre 2011, mais ayant connu l’une des phases les plus intensives d’avril à juin 2012, moment où les compéti-tions battaient leur plein ; elle fut réalisée conjointement par trois cher-cheures travaillant sous le mode de la strong collaboration (Matsutake Worlds Research Group, 2012)5. À cette démarche de terrain6 s’ajoute l’analyse d’une archive composée de documents hétérogènes relatifs à l’existence médiatique du concours (articles de journaux, sites web, émissions de radio et de télé) et au matériel promotionnel conçu par Chartwell (vidéos corporatives, publicité, affiches). Enfin, pour tenter de comprendre “Étoile des aînés” à l’aune de la conjoncture7 à laquelle il participe, le travail empirique interroge aussi le discours social relatif au vieillissement actif et à sa promotion au Québec par le biais d’une ana-lyse de documents produits par différents organismes (para)gouverne-mentaux, communautaires et privés. L’article s’ouvre sur une esquisse des pourtours d’une problématique du vieillissement réussi en tant que forme spécifique du “bien vieillir”. Nous en évoquons d’abord les ancrages empiriques dans le discours so-cial sur le vieillissement actif au Québec, dans le sillage duquel nous inscrivons “Étoile des aînés”. La présentation d’une généalogie compré-hensive du “vieillissement actif” au Québec débordant les limites du présent article, nous nous contentons d’en évoquer certaines des modali-tés d’intégration récente au vocabulaire courant afin de mettre en lu-mière les obligations et normes qui accompagnent le discours “positif” ambiant et, plus spécifiquement, le vieillissement réussi. Ceci nous amène à distinguer le vieillissement réussi d’autres formes du “bien vieillir”, en insistant notamment sur les enjeux que pose la mise à l’é-preuve publique du vieillissement. Nous poursuivrons ensuite par l’exa-men critique de deux modalités particulièrement saillantes qui confèrent au vieillissement réussi un caractère collectif à travers “Étoile des aî-nés” : l’expérience publique et l’engagement partagé.

______________________________ 5 Reposant sur la présence simultanée des chercheurs, cette pratique implique une immersion inter-subjective «in which explicit attention to the process is part of the project» (MATSUTAKE WORLDS RESEARCH GROUP, 2012, p.141). 6 Outre la réalisation de deux entrevues conjointes avec la responsable nationale et le concepteur initial du concours (de la maison mère de Toronto), elle est centrée sur l’observation de huit compéti-tions (six régionales, deux nationales) tenues dans sept villes (dont six au Québec). L’observation implique la prise de notes et de photos, l’enregistrement vidéo partiel des prestations et des commen-taires des juges, la réalisation d’une vingtaine d’entretiens libres avec la coordinatrice québécoise (surtout sur le site des concours, mais quelques-uns au téléphone), plusieurs autres avec des organisa-teurs, des bénévoles locaux et la juge de tournée (systématiquement après chaque compétition), des échanges avec deux participants et autant de spectateurs, ainsi qu’une conversation avec le président de Chartwell-Québec (lors de la finale nationale). 7 «A conjuncture is a description of a social formation as fractured and conflictual, along multiple axes, planes, and scales, constantly in search of temporary balances or structural stabilities through a variety of practices and processes of struggle and negotiations» (GROSSBERG L., 2010, p.41).

140 R. S. & A., 2013/1 – «Vous êtes tous gagnants». Etoile des aînés et…

II. Éléments de problématisation du vieillissement réussi Ce n’est que depuis quelques années que l’usage de l’expression “vieillissement actif” est devenu courant au Québec, notamment grâce aux échos qu’ont eus auprès de la population différentes actions gouver-nementales. Sont de ce nombre les consultations publiques sur les con-ditions de vie des aînés tenues en 2007, la diffusion d’un guide voué à la promotion du vieillissement actif en 2009 et la création du premier pro-gramme d’infrastructure “Québec-Municipalités amies des Aînés”8 en 2010. La notion est toutefois particulièrement utilisée dans les médias depuis le lancement, en mai 2012, de la première politique québécoise intégrée sur le vieillissement. Cette politique apparaît comme l’aboutissement de diverses mesures publiques qui, chacune à sa manière, concourent à poser le vieillisse-ment comme un enjeu social d’envergure. Intitulée “Vieillir et vivre en-semble. Chez soi, dans sa communauté, au Québec”, la politique vise particulièrement à promouvoir l’autonomie des aînés, et ce principale-ment par le maintien à domicile rendu possible par la collaboration et la concertation d’une multitude d’acteurs. Comme tant d’autres initiatives inspirées par la notion de “vieillissement actif”, la politique cherche à contrer une vision de la vieillesse en tant que dépendance ou déprise (Barthes/Clément/Druhle, 1988 ; Clément/Mantovani, 1999) afin de fa-voriser une approche “positive” (et productive) du vieillissement. Fai-sant de la participation “constante” dans différents volets de la vie (éco-nomique, intellectuelle, civique, culturelle) une condition du “bien vieil-lir”, cette approche encourage notamment «la pratique de loisirs actifs –qu’il s’agisse de découvrir de nouveaux centres d’intérêt, de pratiquer un sport, de faire des voyages ou d’exercer des activités créatives» (Gouvernement du Québec, 2009 :11), comme chanter ou jouer d’un instrument de musique. La participation y est conçue comme condition à l’inclusion sociale et, dès lors, outil pour lutter contre l’âgisme :

La politique vise à contrer les perceptions négatives par rapport à l’âge dans la société, notamment par l’approche participative et in-clusive qu’elle propose. Encourager les personnes âgées à pour-suivre leurs projets de vie, selon leurs propres intérêts, favorise l’inclusion sociale (Gouvernement du Québec, 2009 :19).

Cet appel à la participation et à l’inclusion sociale trouve d’ailleurs écho dans la façon dont Chartwell présente les objectifs d’ “Étoile des aînés”. Si l’un des buts principaux est d’honorer le talent des retraités, encourager l’appartenance à la communauté par l’entremise du concours semble non moins important :

L’objectif du concours “Étoile des aînés” est de mettre en vedette le talent musical ou de chanteur de nos retraités, mais il est tout

______________________________ 8 Ce programme vise à rendre les villes plus adéquates et à l’écoute des besoins des aînés en matière de logement, de mobilité et d’insertion sociale, notamment. Voir http://www.vadaquebec.ca.

L. Grenier, F. Valois-Nadeau 141

aussi important d’avoir du plaisir et de les honorer. Le talent se re-trouve dans tous les groupes d’âge. Faire partie de la communauté et avoir un but précis sont des éléments cruciaux pour le bien-être de chacun, mais c’est d’autant plus important pour les retraités (Chartwell, 2012).

De tels discours sur le vieillissement revêtent un caractère discipli-naire dans la mesure où ils contribuent à réguler, orienter, sinon même contrôler, les conduites des personnes âgées (Katz, 1996). Tel que le soutient Laliberte Rudman à propos des personnes retraitées, les dis-cours “positifs” sur le vieillissement encouragent certes les sujets qui possèdent les ressources adéquates à combattre les attitudes âgistes et à se libérer des perceptions de corps en pur déclin, mais ils créent aussi «a new set of obligations associated with being autonomous, responsible and active ‘retirees’» (Laliberte Rudman, 2006 :196). Nous proposons qu’au nombre de ces obligations figure celle de réussir son vieillisse-ment ou, à tout le moins, d’orienter les conduites de soi et des autres de manière à tendre vers sa réussite. Dans les milieux nord américains de la recherche gérontologique, l’expression vieillissement réussi (successful ageing) renvoie générale-ment aux travaux de Rowe et Kahn (1987, 1997, 1999). Leur influent modèle fait de la réduction de la maladie et du handicap, du maintien d’un haut niveau des fonctionnements physique et cognitif ainsi que de l’engagement actif dans la vie, les trois conditions de ce qu’ils jugent être une vieillesse réussie. Dans ce contexte théorique, le vieillissement réussi complémente le vieillissement actif en intégrant au maintien d’une bonne condition de santé physique et psychologique des éléments propres à la réalisation de soi. À l’instar de plusieurs gérontologues d’al-légeance critique (Martinson/Minkler, 2006 ; Martinson, 2006 ; Rozano-va, 2010 ; Katz, 1996), nous n’utilisons pas cette expression pour référer et encore moins souscrire au projet normatif que fonde et légitime ce modèle qui, dans les termes de Rozanova (2010 :213) consiste à attacher «moral values to busy lifestyles and declare[s] this frenzy of activity as a normative ideal» pour lui attribuer une plus grande valeur morale. Nous l’utilisons plutôt pour désigner une des formes concurrentes du “bien vieillir”9, un objet discursif contingent qui émerge dans la foulée du retrait de l’État providence (Singing/Gray, 2005) et énonce certaines modalités du vieillissement devenu partie intégrante d’une «bio-demographic politics and its enforced ethics of self-care and individual responsability» (Katz, 2009 :19). Nos analyses suggèrent qu’ “Étoile des aînés” participe à configurer de manière singulière le vieillissement ré-ussi puisqu’il y est l’objet d’une mise à l’épreuve devant un public qui médie la formation des collectifs dans lesquels les sujets vieillissants peuvent légitimement être inclus.

______________________________ 9 Outre le vieillissement actif, Chapman inclut dans cette liste les vieillissements sain, productif et optimal (CHAPMAN S. A., 2005, p.10).

142 R. S. & A., 2013/1 – «Vous êtes tous gagnants». Etoile des aînés et…

Il a été démontré que, dans le contexte du néo-libéralisme avancé, le vieillissement paraît découler d’une série de choix personnels raisonnés (Rozanova, 2010) – sans prendre en considération que le fait de prendre les “bonnes” décisions ou faire des choix “appropriés” n’est possible qu’en vertu de la possession (restreinte) ou de l’accès (limité) à certaines ressources (Biggs, 2001) et à certains savoirs (Katz, 1996). Mais, selon nous, il n’a pas été clairement mis en évidence que le caractère plus ou moins “heureux” du “bien vieillir”, en tant que construit culturel (Gul-lette, 2004), apparaît de quelque manière tributaire d’une évaluation so-ciale qui s’avère déterminante pour mesurer le résultat atteint et sa re-connaissance par l’individu concerné comme par autrui. C’est ainsi que dans les configurations contemporaines du vieillissement actif, la parti-cipation n’autoriserait et ne conditionnerait l’inclusion sociale que dans la mesure où cette participation serait validée, et ses “bénéfices” prou-vés. De plus, si comme l’ont notamment démontré Blaikie (1999) et Katz (2009), une éthique de l’affairement (busyness) anime le “bon” sujet vieillissant, le constant engagement dans des activités productives ou créatives nous semble avoir comme corollaire une certaine collectivi-sation obligée de l’éthique de responsabilité comme condition de réus-site. Ainsi, en tant que «subjects of autonomy, equiped with a psycholo-gy aspiring to self-fulfilment and actually or potentially running their lives as a kind of enterprise of themselves», comme le propose Rose (2011 :1390), les sujets âgés continuent à assumer la responsabilité indi-viduelle de leur propre vieillissement, mais en voient les résultats plus ou moins “heureux” dépendre des collectifs qui créent les activités dans lesquels ils et elles s’engagent. Penser le vieillissement en termes de ré-ussite signifie en ce sens porter attention aux dispositifs dans et à travers lesquels s’éprouvent par essai sa valeur et ses qualités, attestées par des témoins autorisés – qu’il s’agisse de prix “hommage” remis aux aînés-bénévoles dont un organisme à vocation caritative reconnaît publique-ment l’apport ; d’encadrés “célébrités” publiés dans des quotidiens dans lesquels paraissent les photos d’individus ou de couples âgés célébrant un anniversaire dont des amis ou des membres de la famille veulent sou-ligner le caractère remarquable ; ou, comme dans le cas qui nous occu-pe, d’un concours destiné à célébrer le talent musical des aînés du Qué-bec que révèlent et attestent tout à la fois son commanditaire et ses diffé-rents “partenaires” (concurrents, familles et communautés locales, no-tamment). Ce sont ces dimensions que nous explorons en nous intéressant au concours spectacle en tant que médiation (Hennion, 2007) de la réussite en matière de vieillissement. “Étoile des aînés” mesure et reconnaît l’en-gagement de la personne par le fait même qu’elle ose poser sa candida-ture, trouve le courage d’aller au bout de ses rêves en chantant ou jouant d’un instrument sur scène, et montre sa capacité à éblouir, épater ou émouvoir l’auditoire. Le vieillissement réussi y prend la forme d’une victoire sur la déprise, d’un succès obtenu en compétition, d’un exploit

L. Grenier, F. Valois-Nadeau 143

réalisé en performance, et d’un tour de force accompli en surmontant des obstacles ou en vainquant ses peurs ou ses craintes. Comme d’autres épreuves musicales populaires (“American Idol”, “Eurovision”, “The Voice”, “The X Factor”), ce concours met sous les projecteurs la présen-tation de soi d’individus considérés comme vrais, dignes d’estime et crédibles (Stahl, 2004). Mais contrairement à ces épreuves souvent télé-visées où téléréalité et concours de talent s’entremêlent, “Étoile des aî-nés” n’élimine pas de concurrents en cours de route, pas plus qu’il ne les choisit par des auditions diffusées et qui s’avèrent parfois très humilian-tes. En ce sens, le dispositif ne fait pas du rêve des aînés et aînées qui s’inscrivent une double construction sous le mode de la «realization for a happy few and […] corresponding failure of thousands of hopeful» (Meizel, 2009 :476). En d’autres termes, la réussite qui s’y produit n’est associée à l’échec d’aucune manière : comme nous l’avons entendu à de multiples reprises lors des compétitions et comme l’ont souligné les ac-teurs rencontrés, tous les concurrents d’ “Étoile des aînés” sont des ga-gnants, qu’ils se classent ou non parmi les trois “meilleurs” auxquels sont décernés des prix. C'est donc à un examen sommaire des conditions et modalités de réalisation du concours que nous procéderons en consi-dérant les principales formes de vieillissement réussi que notre analyse d’ “Étoile des aînés” nous a permis d’identifier à ce jour : l’expérience publique et l’engagement partagé.

III. Modalités du vieillissement réussi A. Une expérience publique “Étoile des aînés” s’inspire fortement de concours musicaux télévisés, tout particulièrement de “Star Académie”10 dont les concurrents seraient exclus en vertu des limites d’âge qu’imposent les producteurs des nou-veaux “supermarchés du divertissement” (Honan, 2006). De tels règle-ments ne sont guère étonnants compte tenu du biais pro-jeunesse qui, dans les sociétés nord-occidentales notamment, accompagne l’émer-gence de la culture de consommation (Blaikie, 1999) et marque le déve-loppement des musiques populaires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (Taylor, 2010). Mais le fait que la forme du concours soit clai-rement associée par la presse locale à une sorte de “vent de fraîcheur” paraît cohérent avec les standards culturels du “bien vieillir” comme l’antivieillissement et ses injonctions à rester jeune, à masquer son vieil-lissement, voire à «growing older without ageing» comme le suggère Katz (2009 :17). Dans la mesure où le concours fait de la compétition devant des juges de renom11 et de l’interaction directe avec un auditoire des éléments pivots du dispositif technique, l’effet, sinon la visée, du ______________________________ 10 Voir le site officiel de l’édition québécoise, adaptée de la version française “Star Academy” : http://www.staracademie.ca. 11 Les jurys sont composés de deux personnalités de la musique et des médias des localités où se tiennent les compétitions régionales ainsi que de la porte-parole et juge de tournée, Claudette Dion, chanteuse populaire et sœur de Céline Dion.

144 R. S. & A., 2013/1 – «Vous êtes tous gagnants». Etoile des aînés et…

recours à cette forme particulière est de servir de vitrine, en quelque sorte, à l’expérience publique d’un “bon” vieillissement. Nous utilisons l’expression “expérience publique” pour désigner “Étoile des aînés” en tant qu’événement dont l’expérience est compara-ble à celle que procurent diverses formes du spectacle live (musical, dans ce cas). Cette expérience gravite en l’occurrence autour d’une in-terprétation musicale livrée devant et pour un public composé essentiel-lement d’aînés, dont plusieurs sont des résidents de Chartwell, ainsi que des proches des concurrents, réunis en un même lieu pour l’occasion. Comme nous l’avons constaté, il s’agit d’une expérience à géométrie variable alors que la prestation se déroule devant ou avec le public. Ain-si, lors de la finale provinciale, le concours se déroule à guichet fermé dans une salle d’une capacité de 1200 places. La scène surélevée, les gradins, les projecteurs poursuite et autres équipements participent à éta-blir le lieu d’un spectacle où interprète et public occupent chacun une zone désignée de cet espace et entre lesquels, lors des performances par-ticulièrement appréciées de la foule comme des juges, la distance est vite franchie. Lors des compétitions régionales, la salle à manger (et, dans un cas, la cour intérieure) est réaménagée – petite estrade décorée aux couleurs du concours, chaises pliantes placées en rangées, console en fond de salle pour la sonorisation, table d’honneur pour les juges. La taille de la salle ainsi que la proximité physique entre la scène et le pu-blic, jointes à la relative familiarité des échanges entre les juges, les con-currents et la foule, font que la compétition, non moins sérieuse, mais beaucoup moins formelle, tend à prendre les allures d’une fête plus ou moins intime. En parlant d’ “expérience publique”, nous voulons aussi évoquer comment le concours, dans les moments de sa matérialisation, devient l’occasion de performances “à découvert”,

out in the open, in the koinos cosmos where discussion with others is possible [...] but also where one is exposed and vulnerable, where one’s limitations and fallibilities are all too apparent (Casey, 2004 :25).

Comme tout événement relevant du domaine des arts de la scène en général et se déroulant “en direct”, “Étoile des aînés” est à la merci de différents problèmes organisationnels (un animateur qui annonce le mauvais concurrent, un juge qui arrive en retard) ou techniques (diffi-culté de branchement d’un instrument à l’amplificateur, distorsion dans le rendu sonore) qu’une équipe professionnelle a pour mission de solu-tionner. Dans le cas plus particulier d’un concours présentant des “ama-teurs”, les candidats ne sont pas à l’abri des effets de l’inexpérience, du trac. Il arrive donc que l’on assiste à des contre-performances ou à des interprétations moins “bonnes” (par exemple, à St-Jean-sur-Richelieu, un candidat peine à respecter la mélodie ; à Sorel, une participante doit s’y reprendre à trois fois parce qu’elle ne parvenait pas à débuter au bon endroit). À chaque fois, la vulnérabilité des concurrents est palpable,

L. Grenier, F. Valois-Nadeau 145

tout comme le respect complice du public qui applaudit tout de même chaudement les concurrents. Ces épisodes sont des occasions au cours desquelles les juges, tout en évitant la complaisance, trouvent les mots pour souligner le problème rencontré ou la limite atteinte, mais aussi pour saluer les interprètes. Par exemple, à St-Hyacinthe, la performance d’une candidate, qui n’est parvenue qu’à la toute fin à chanter en syn-chronie avec la bande sonore est accueillie par des remarques telles que : «On sait toutes les deux que vous avez eu de la difficulté, mais vous avez essayé sans que personne s’en rende compte. Vous êtes restée solide» ; «Dans votre visage, on ne voyait pas la difficulté, vous avez continué de sourire. Bravo pour l’attitude !» ; «Je sais que c’est plus dif-ficile que de chanter ça juste devant son mari. J’ai noté la difficulté, mais j’ai aussi vu la reprise» (Sorel, 5 juin 2012). Enfin, la compétition est publique dans la mesure où elle est publici-sée : sites web de diverses organisations d'aînés ou s'y intéressant, jour-naux tant locaux que nationaux, émissions de radio et de télé, affiches dans les centres communautaires, sont quelques-uns des supports à tra-vers lesquels “Étoile des aînés” (et dans une certaine mesure Chartwell) prend vie au-delà des seuls espaces-temps des compétitions en rési-dence, et s'inscrit dans le domaine public au Québec. Ces trois axes distincts, mais inter-reliés, informent sur le vieillisse-ment réussi en tant qu'il se déploie comme expérience publique, mon-trée, vue et reconnue. Leur prise en compte nous amène à interroger la participation à laquelle le concours invite, mais aussi l’activité par la-quelle s’actualise cette participation – les deux nœuds du “bien vieillir”. Qu’en est-il en effet des modalités et formes que prend la participation lorsque celle-ci s’affiche et se montre, devient et parfois même se donne en spectacle et fait l’objet d’une évaluation ? S’ils adjoignent tous les aînés à une participation soutenue, accrue, constante, le discours social comme les politiques publiques ne font guère de cas des conditions mêmes de cette participation. Loin d’être homogène et univoque, faire l’expérience publique du vieillissement en participant à “Étoile des aî-nés” prend différentes formes. Pour certains concurrents, cela ne signifie rien de plus, rien de moins que de chanter devant d’autres un air qu’on a chanté tant de fois auparavant chez soi, pour soi ou pour ses proches. C’est le cas du gagnant de la finale de Sorel-Tracy qui n’ouvre pour ain-si dire la bouche que pour interpréter “Coucouroucoucou Paloma”, réa-gissant à peine aux commentaires des juges qui, se référant à ses origi-nes, à sa langue et à son accent français, soulignent pourtant l’altérité de son vieillissement. Pour d’autres, c’est se présenter sous son plus beau jour : à Saint-Jean, une dame toute menue, la plus âgée de tous les con-currents, se présente vêtue d’une robe rouge, un diadème d’argent fixé à sa blanche chevelure pour chanter “L’anneau d’or”, «sobrement», «di-gnement», comme le relèvent les juges, soulignant unanimement sa force. Enfin, pour plusieurs candidats, c’est une performance en bonne et due forme, un moment planifié, répété, pendant lequel ils prennent lit-

146 R. S. & A., 2013/1 – «Vous êtes tous gagnants». Etoile des aînés et…

téralement possession de la scène, interpellent la foule, discutent avec les juges, blaguent et badinent, et incarnent par leur voix, comme par leurs corps, une danseuse espagnole, un crooner des années 1950, un cow-boy en quête d’aventures, pour ne nommer que quelques-uns des personnages de scène que nous avons observés. Aux divers niveaux et formes de participation des concurrents s’ajou-tent ceux des membres de l’auditoire. Pour certains, la compétition est une instance privilégiée de musique «for seniors, by seniors» (Forman, 2012 :4), un moment de partage, de complicité et de solidarité créé par des pièces ou des répertoires puisés dans les souvenirs individuels et les mémoires culturelles. Pour d’autres, c’est un divertissement : on rit, on frappe des mains, on commente son appréciation à voix haute à sa voi-sine de banc, on fredonne pour aider le concurrent qui a oublié les paro-les, et on approuve de la tête, si ce n’est en paroles, les commentaires des juges. Enfin, il y a aussi des résidents pour qui l’événement consti-tue un moment parmi d’autres dans une journée – entre la messe, le bin-go et le repas du soir, comme le précisait par exemple l’affiche “horaire de la journée” (Gatineau, 16 mai 2012). Certains somnolent, d’autres semblent imperméables à l’événement auquel ils assistent. L’hétérogénéité de l’expérience publique signalée par les différences de niveaux d’investissement et de modes de participation se manifeste aussi par une différenciation au sein des aînés impliqués dans le con-cours et, plus largement, de tous les aînés de la province – une popula-tion que le discours public tend à poser comme homogène. Comme l’a déjà noté Marhankova, participer aux activités organisées par un centre communautaire ou, dans le cas qui nous occupe, une résidence pour re-traités, suffit à créer une “communauté” (2011 : 26) qui distingue un nous/actifs versus un eux/non-participants. Lorsque l’injonction à parti-ciper devient aussi injonction à réussir publiquement, d’autres divisions opèrent qui sont tributaires de la conjoncture dans laquelle s’inscrivent le concours et ses participants. Par exemple, nous avons relevé des dis-tinctions hiérarchisantes entre les aînés de “chez nous au Québec” et ceux “d’ailleurs” dont les mémoires culturelles diffèrent ; entre les parti-cipants qui parlent “avec un accent” n’ayant pas la même “musicalité” ; entre les concurrents dont les juges ont relevé soit la «beauté du voyage intérieur», soit les qualités vocales et la maîtrise technique – sans parler, bien entendu, de la création de la “famille” d’ “Étoile des aînés”, dont les membres ont compris l’importance qu’il y a à rêver et à continuer à rêver, quel que soit leur âge. En tant que mise en forme d’une expérience publique, le concours fait aussi réfléchir aux différentes déclinaisons que prennent les activités (Henaff-Pineau, 2009) dans lesquelles les populations de seniors ou de retraités sont invitées à s’engager. On l’a vu, la politique québécoise promeut le “vieillissement actif ” en encourageant les “loisirs actifs”, au nombre desquels figurent les activités créatives. En organisant le con-cours et en tenant dans ses locaux les compétitions d’ “Étoile des aînés”,

L. Grenier, F. Valois-Nadeau 147

Chartwell encourage à son tour de telles activités qui, si elles se veulent “productives” pour les concurrents et les spectateurs qui s’impliquent, le sont éventuellement moins pour certains membres de l’auditoire pour-tant invités à prendre part à l’événement. Il serait illusoire de ne pas te-nir compte du fait que dans de telles résidences, l’intégration de la musi-que à des programmes récréatifs répond aussi aux objectifs d’instrumen-talisation qui animent, au moins en partie, les services commerciaux de soins aux aînés (Forman, 2012)12. Ici encore, l’appel à l’activité laisse présumer qu’il s’agit de quelque chose d’évident et d’universel par son unicité. Mais «qu’est-ce qu’une activité ?», demande judicieusement Katz (2009 :122) qui, considérant les formes auxquelles se réfèrent les gérontologues, distingue l’activité en tant que mouvement physique, poursuite d’intérêts quotidiens et par-ticipation sociale. Comment alors qualifier l’activité à laquelle la com-pétition invite en tant que moyen pour réussir son vieillissement ? Quels en seraient les attributs particuliers ? D’une certaine manière, “Étoile des aînés” paraît constituer l’activité par excellence puisqu’en plus d’impliquer un “faire” intégré à maints régimes thérapeutiques (et dont quelques concurrents ont d’ailleurs souligné les vertus), il en combine les trois dimensions. Le travail ethnographique réalisé à ce jour nous incite à réfléchir plus avant à l’assemblage singulier des trois dimen-sions de l’activité en une action significative visible. “Étoile des Aînés” comme expérience publique ne contribuerait-il pas à l’élaboration d’une “scène du visible”, d’un espace d’apparence, suggère Voirol en s’inspi-rant de Harendt, «où les acteurs se rendent saisissables les uns aux autres, se rencontrent et interagissent» et «où les actions et les paroles sont rendues publiques et reçues par une pluralité d’acteurs non néces-sairement présents sur les lieux de leur articulation» (2005 :93, 98) ? Dans cette perspective, réussir son vieillissement consiste à accéder à cette scène, sachant que la visibilité est enjeu de pouvoir, déterminante de l’existence soit aux yeux des autres, les uns pour les autres, soit en marge de l’existence publique, dans l’ombre, dans le silence. Certes, dans l’arène où se déroulent les compétitions, les aînés bénéficient d’une certaine visibilité médiatique, comme l’affirme Denis Lagueux, alors président de Chartwell-Québec :

Plusieurs aînés entretiennent toujours une passion pour la musique et le chant. Or, ils n’ont pas toujours eu l’occasion de réaliser leur rêve. Parce que nous croyons qu’il n’y a pas d’âge pour se réaliser, Chartwell a voulu créer un événement leur permettant de s’épa-nouir, mais surtout d’être reconnus par leurs pairs. Cette année seulement, plus de 250 personnes ont participé aux 10 compéti-tions régionales (Chartwell, 2012).

______________________________ 12 Nous avons maintes fois observé dans les résidences des affiches au mur présentant l’horaire des activités de la journée où “Étoile des aînés” figurait juste avant le repas du soir et après une cérémo-nie religieuse ou un bingo. Les multiples déambulateurs alignés dans le corridor attenant à la “salle de spectacle” sont un autre signe que la compétition “occupe” bien des résidents à mobilité réduite.

148 R. S. & A., 2013/1 – «Vous êtes tous gagnants». Etoile des aînés et…

Mais la “scène du visible” à laquelle pourraient aspirer les aînés “ac-tifs” qui réussissent leur vieillissement se résume-t-elle à la scène que leur fournit le concours ? B. Un engagement partagé Le vieillissement réussi, tel que nous l’entendons, est tributaire d’un processus d’évaluation sociale, du jugement émis par autrui, de la pré-sence nécessaire de tierces personnes qualifiées pour être réalisé. Si le concours se prête particulièrement bien à cette formule, ne serait-ce que par la mise en scène publique de la compétition, cette présence d’autrui ne se limite toutefois pas à l’évaluation des performances musicales des aînés. Tel que mentionné précédemment, même si les juges ont rigou-reusement commenté toutes les performances musicales, ne sont pas considérés gagnants les seuls finalistes élus, mais plutôt tous les partici-pants qui ont eu le courage et l’audace de s’inscrire. À partir du moment où la simple participation à “Étoile des aînés” est considérée comme une forme de victoire sur la déprise, le processus d’évaluation, bien qu’au cœur du concours, devient un (ou le ?) critère par lequel cette réussite se mesure et se matérialise. Nous souhaitons interroger comment le fait de réussir “son” et “le” vieillissement (des autres) constitue une forme d’engagement partagé, au-delà du processus méritocratique qui placerait seul l’aîné concerné devant la conscience de son vieillissement. Bien que, selon Rozanova (2010), le vieillissement actif est une responsabilité individuelle imputée aux aînés, nous proposons que réussir “son” et “le” vieillissement dans “Étoile des aînés” relève d’une responsabilité partagée entre aînés, la famille et la communauté – autant de collectifs auxquels peut légitime-ment accéder le “bon” sujet vieillissant. Que ce soit par les interventions des juges ou celles de l’auditoire du concours, ou encore par les disposi-tifs techniques et médiatiques instaurés afin de faire valoir le “talent”, nous estimons que, dans ce contexte, la réussite du vieillissement s’opère de manière relationnelle. Cette relationalité par laquelle se con-çoit la réussite est d’ailleurs partie prenante du discours social sur le vieillissement. En attribuant un aspect pédagogique à la vieillesse, ce discours fait la promotion de l’importance de la transmission du savoir et de l’héritage des aînés. C’est notamment en qualifiant les aînés de «bâtisseurs de la société québécoise» (Ministère de la Famille et des Aî-nés, 2012 :15) que la politique québécoise sur le vieillissement promeut leur inclusion sociale et professionnelle, puisqu’elle insiste sur l’expé-rience que ces personnes ont à transmettre. Le concours fait de même en applaudissant, par exemple, un candidat originaire de Sorel, venu chan-ter pour montrer ce dont il est capable à ses petits-enfants :

Vous savez que nos jeunes manquent énormément d’exemples. Vous savez, élever des enfants, ce n’est pas leur dire quoi faire, c’est leur montrer quoi faire. Chapeau Monsieur ! (Sorel, 6 juin 2012).

L. Grenier, F. Valois-Nadeau 149

La vieillesse se trouve dès lors construite comme l’occasion de redon-ner à la communauté la possibilité d’exprimer une générativité du type de celle que l’on attribue souvent aux personnes en milieu de vie13. D’autre part, vieillir étant conçu comme un défi collectif, le discours fait de la participation de chacun, voire d’un engagement mutuel ou du par-tage d’une responsabilité distribuée, la condition de sa réussite. Cette seconde dimension se manifeste entre autres par des appels répétés à la mobilisation et la conscientisation de tous les intervenants concernés. S’impliquer, s’investir et prendre part sont les mots d’ordre du vieillis-sement mis en avant par “Étoile des aînés”, soit un projet pour les aînés, mais également pour tous les autres – «un projet politique même, à cause du coût réel ou supposé qu'a ou qu'aurait un ‘mal vieillir’ pour soi et pour la collectivité» (Billé/Martz, 2010 :14). La participation complice de tous les acteurs impliqués dans la com-pétition se réalise selon différentes modalités. Nous en présentons trois qui rendent saillantes différentes relations d’engagement dans et par le vieillissement. Une première modalité de l’engagement partagé se réa-lise dans la performance des concurrents. Si le fait de donner une presta-tion devant un public réalise une forme de vieillissement réussi, le projet dont cette réussite est le fruit relèverait d’un rêve caressé par le concur-rent, mais aussi par son entourage. Pour de nombreux compétiteurs, chanter à “Étoile des aînés” devient l’occasion d’exprimer un lien fami-lial, très souvent intergénérationnel. Au cours de la grande finale québé-coise du 26 septembre 2012, deux des trois lauréats ont identifié un membre de leur famille comme étant à la base de leur inscription au concours. À maintes reprises, la gagnante a remercié son mari de l’avoir incitée à reprendre ses activités musicales :

Je n’aurais jamais cru pouvoir me rendre à la finale provinciale, a-t-elle confié, et je remercie mon mari pour ses encouragements à reprendre le chant après une trêve de quarante ans. J’ai adoré l’expérience (Chartwell, 2012).

Le concours met ainsi l’accent sur cette volonté de réussir pour les autres, mais également, il fait de la performance musicale un moment signifiant dans lequel plusieurs participants démontrent leur engagement envers leur famille. En présentant le participant de Sorel auquel nous faisions allusion plus haut, l’animatrice soulignait que «démontrer à ses enfants, petits-enfants, que l’on peut aller au bout de ses rêves… Wow, c’est beau !» (Sorel, 6 juin 2012). L’engagement des aînés envers les plus jeunes a aussi été souligné par une autre juge, directrice du collège de Sorel-Tracy :

______________________________ 13 Considérée comme ayant une incidence positive sur le “bien vieillir”, la générativité est définie comme «a psychological construct that reflects the midlife concern for, and care of, future genera-tions as a legacy of the self. This is most obviously reflected in the act of parenting, but may also be manifested in other pursuits such as teaching, mentoring, religious involvement, and civic or political engagement» (HEBBLETHWAITE S., NORRIS J., 2011, p.122).

150 R. S. & A., 2013/1 – «Vous êtes tous gagnants». Etoile des aînés et…

Moi, j’aimerais ça qu’on puisse montrer aux jeunes que quand on vieillit, on garde non seulement la passion, mais on garde encore le pouvoir, l’habileté, les compétences pour faire passer les émotions et c’est fantastique le message que vous donnez. Je suis d’accord avec Claudette [Dion] : cessons de dire et faisons, et les jeunes vont comprendre. L’intergénérationnel, c’est ce qui se passe au-jourd’hui, bravo tout le monde (Sorel, 6 juin 2012).

En ce sens, dans le cadre d’ “Étoile des aînés”, le vieillissement réussi s’avère un modèle à suivre pour les générations suivantes. Réussir son vieillissement dans cette optique se réalise par une mixité des âges, un projet dans lequel les personnes âgées seraient impliquées non seule-ment pour elles-mêmes, mais aussi pour les générations qui suivent. Cet engagement partagé au cours de la performance s’est aussi mani-festé entre les participants eux-mêmes. Bien qu’étant en concurrence les uns contre les autres, ils ont démontré tout au long du concours une ca-maraderie solidaire. Le gagnant du volet de Trois-Rivières et troisième à la finale provinciale de 2011, déclarait :

J’y ai senti une extraordinaire solidarité et même de l’amitié entre les concurrents, en plus de découvrir l’importance d’une approche professionnelle, que j’applique aujourd’hui dans mes diverses ac-tivités (Anonyme, 2012).

L’épreuve musicale permet de partager une passion commune pour la musique, mais également de vivre cette expérience aux côtés d’autres aînés. Si le but premier n’est pas forcément de remporter la compétition, du moins pas pour tous, il n’empêche que les finalistes, notamment, ont pris goût à la scène et rêvent désormais à un projet de spectacle, comme la grande gagnante d’ “Étoile des aînés” 2012 l’annonçait en entrevue à l’émission “PM” diffusée sur les ondes de la radio publique :

Moi j’ai découvert ça, nous étions dans la loge en arrière, après tout le groupe était là, on parlait, comment dans le temps de Noël, ils vont dans des centres pour aînés et y’en a un qui dit ‘on devrait y aller tous les dix faire un spectacle, le faire ensemble et se trou-ver une salle’, ça serait extraordinaire. La passion réunie, c’est in-croyable (PM, 7 septembre 2012).

Une troisième modalité d’engagement partagé est incarnée par le ré-seau Chartwell qui, depuis le début, conçoit le concours comme un pro-jet destiné à toute la communauté. Remercié à maintes reprises par les participants au cours des compétitions, Chartwell s’impose en quelque sorte comme un créateur de nouvelles possibilités pour la vieillesse – qui s’inscrivent dans la stratégie de branding dont “Étoile des aînés” devient ainsi un pivot. Comme nous le confiait en septembre 2012 le PDG de Chartwell-Québec, Denis Lagueux, le soir de la finale provin-ciale, l’entreprise est convaincue de l’importance du concours pour tout le Québec et continuera à s’y investir, mais non sans perdre de vue que : «Nous, on n’est pas là pour faire du showbizness. Notre affaire à nous, ce sont les résidences» (Montréal, 26 septembre 2012). Trophées, fleurs,

L. Grenier, F. Valois-Nadeau 151

plaques commémoratives, mais aussi photographe professionnel, ingé-nieur du son et technicien de scène, entre autres, sont présents à chaque compétition et contribuent au climat de respect, de déférence et de pro-fessionnalisme dont sont entourés les concurrents. En se présentant comme leader dans le développement d’une scène culturelle accessible à tous les aînés, et le maître d’œuvre d’un concours d’envergure ouvert aux populations de diverses régions, Chartwell agit comme facilitateur pour une vieillesse réussie, tout en en posant les balises. En offrant un tel “cadeau” aux aînés, pour reprendre une expression chère à Claudette Dion, Chartwell consoliderait sa position dans la communauté :

“Étoile des Aînés” valorise nos gens âgés et, surtout, il nous sensi-bilise tous au bien-être de ce groupe très important de notre société (Anonyme, 2011).

IV. Conclusion L’exploration empirique d’ “Étoile des aînés”, dont cet article est le fruit, a permis de mettre en évidence les caractéristiques d’une certaine manière de vieillir dont le concours assure en quelque sorte la promotion par la participation qu’il propose. Cette compétition musicale constitue un événement où le vieillissement se réussit publiquement puisqu’il est soumis à la présence et au regard des autres. Elle instaure un espace où un “bon” vieillissement est célébré, mais est également produit à travers différents dispositifs spectaculaires qui l’orientent et le constituent en phénomène public. Le vieillissement réussi tel que promu par “Étoile des aînés” fait des sujets aînés le maillon d’un engagement collectif, so-cial, communautaire et familial, dont la réalisation nécessite l’interven-tion et la collaboration distinctes de différents acteurs. Objet d’appels répétés à l’intergénérationnel et à la responsabilité partagée sur laquelle repose sa réussite, le vieillissement est produit comme un phénomène nécessitant la considération obligatoire par tous. Ces premiers constats soulèvent maintes questions quant aux enjeux constitutifs de la production normative du vieillissement au Québec au-jourd’hui. Nous aimerions en partager quelques-unes en guise de con-clusion. Elles concernent l’apport des personnes âgées aux dispositifs et aux discours du vieillissement, l’importance accrue du secteur privé comme intervenant investi dans le vieillissement et l’émergence de nou-velles solidarités. Si la réalisation des potentialités des aînés est conditionnelle à la réus-site de leur vieillissement, il faut souligner qu’elle se produit toujours à l’intérieur d’un certain cadre institué, d’un lieu déjà organisé dans lequel les aînés ont peu de voix et d’espace pour créer leurs propres conditions de vieillissement réussi – à l’exception du rêve qui les anime et qu’ils matérialiseront par leur participation. Si on se réfère à une idée assez répandue, il semble que les personnes vieillissent dans des conditions qu’en grande partie elles ne contrôlent pas. “Étoile des aînés” offre certes une des rares scènes d’allure professionnelle exclusive aux aînés,

152 R. S. & A., 2013/1 – «Vous êtes tous gagnants». Etoile des aînés et…

mais les lieux, le déroulement et la mise en scène sont décidés et balisés par l’équipe de Chartwell. Ainsi, bien que le vieillissement réussi soit l’affaire de tous, tous n’ont pas le même poids dans la production de l’événement, sa réalisation, et la mise à l’épreuve. Dans quelle mesure les rapports de force constitutifs du vieillissement réussi comme produc-tion normative tendraient-ils à exclure les aînés des espaces où est défini ce qui serait “bon pour eux” ? À travers l’engagement témoigné par les membres de l’équipe Chart-well envers les aînés s’observe une transformation du rôle de l’entre-prise, qui devient non seulement un fournisseur de soins et de services, mais aussi un citoyen à part entière, avec des droits et devoirs à l’égard de la collectivité (Tracey/Nelson/Haugh, 2005). À Chartwell, cette “re-devabilité” envers les aînés de la communauté se matérialise à travers la création de projets culturels, tels “Étoile des aînés”. Une telle initiative permet, bien entendu, d’accroître la visibilité et la légitimité de Chart-well envers les autres résidences pour personnes âgées. Elle contribue aussi à en faire une entreprise qui s’estime partie prenante de la vie so-ciale, avec des obligations morales à respecter et à incarner, mais égale-ment avec une mission sociale à réaliser, à promouvoir. Dans cette op-tique, comment le vieillissement réussi constitue-t-il un des lieux d’in-tervention de ces formes d’entreprise socialement responsable articulant des objectifs stratégiques commerciaux et sociaux ? Enfin, comme on l’a vu, “Étoile des aînés” encourage les personnes de plus de 65 ans à poursuivre des rêves dont la réalisation implique l’apport de plusieurs acteurs, collectifs notamment. La manière dont les gens vieillissent continue à être perçue comme le résultat de conduites et de choix personnels ; mais ces conduites et choix sont appuyés, confor-tés, soutenus par différents collectifs. Dans quelle mesure cet engage-ment partagé relève-t-il d’une nouvelle solidarité émergente ? Comment imaginer un “vieillissement solidaire” qui serait compatible avec les in-jonctions à la réussite qui accompagnent de plus en plus le “bien vieil-lir”, et ce dans une conjoncture néolibérale résolument centrée sur la responsabilité individuelle ?

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ANONYME, 2011 “Lancement de la deuxième édition du concours ‘Étoile des aînés’ – Une

scène unique pour faire découvrir le talent artistique des 65 ans et plus”, Journal en ligne : http://journalenligne.wordpress.com/2011/04/09/

lancement-de-la-deuxieme-edition-du-concours- %c2%abetoile-des-aines%c2%bb-une-scene-unique-pour-faire-decouvrir-le-talent-artistique-des-65- ans-et-plus.

2012 “À la recherche de l’Étoile des aînés”, Granby Express - Portail régional : http://www.granbyexpress.com/Actualites/2012-03-31/article-2998543/A-la-recherche-de l%26rsquoEtoile-des-aines/1.

L. Grenier, F. Valois-Nadeau 153

BARTHES J.-F., CLÉMENT S., DRUHLE M., 1988 “Vieillesse ou vieillissement ? Les processus d’organisation des modes de

vie chez les personnes âgées”, Les Cahiers de la recherche sur le travail social, 15, pp.11-31.

BIGGS S., 2001 “Toward Critical Narrativity : Stories of Aging in Contemporary Social

Policy”, Journal of Aging Studies, 15 (4), doi:10.1016/S0890-4065(01) 00025-1, pp.303-316. BILLÉ M., MARTZ D., 2010 La tyrannie du bien vieillir, Lormont, Le Bord de l’eau, coll. “Clair &

Net”. BLAIKIE A., 1999 Ageing and Popular Culture, Cambridge, Cambridge University Press (1st

ed.). CASEY E. S., 2004 “Public Memory in Place and Time”, in KENDALL R. P. (Ed.), Framing

Public Memory, Tuscaloosa (AL), University of Alabama Press, pp.17-43. CHAPMAN S. A., 2005 “Theorizing about Aging Well : Constructing a Narrative”, Canadian

Journal of Aging, 24 (1), doi:10.1353/cja.2005.0004, pp.3-18. CHARTWELL, 2012 Étoile des aînés - Q & R 2012, Chartwell Senior Housing Reit,

http://www.chartwellreit.ca/senior_star/senior_star_2009/index_fr.php. CLÉMENT S., MANTOVANI J., 1999 “Les déprises en fin de parcours de vie”, Gérontologie et société, 90,

pp.95-108. FORMAN M., 2012 “ ‘How We Feel the Music’ : Popular Music by Elders and for Eiders”,

Popular Music, 31 (Special Issue 02), doi:10.1017/S0261143012000037, pp.245-260. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, 2009 Favoriser le développement actif au Québec, Ministère de la Famille et

des Aînés, http://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/publication/Documents/ DocReferenceMADA_final.pdf.

GROSSBERG L., 1992 We Gotta Get Out of This Place : Popular Conservatism and Postmodern

Culture, New York, Routledge. 2010 Cultural Studies in the Future Tense, Durham (NC), Duke University

Press Books. GULLETTE M. M., 2004 Aged by Culture, Chicago, University Of Chicago Press (1st ed.). HEBLETHWAITE S., NORRIS J., 2011 “Expressions of Generativity through Family Leisure : Experiences of

Grandparents and Adult Grandchildren”, Family Relations, 60 (1), pp.121-133.

HENNION A., 2007 La passion musicale ? Une sociologie de la médiation, Paris, Éditions

Métailié (éd. revue et corrigée).

154 R. S. & A., 2013/1 – «Vous êtes tous gagnants». Etoile des aînés et…

HONAN S., 2006 Access All Eras : Tribute Bands and Global Pop Culture, Milton Keynes,

The Open University Press. KATZ S., 1996 Disciplining Old Age : The Formation of Gerontological Knowledge,

Charlottesville, University of Virginia Press. 2009 Cultural Aging : Life Course, Lifestyle, and Senior Worlds, Toronto, Uni-

versity of Toronto Press (2nd ed.). LALIBERTE RUDMAN D., 2006 “Shaping the Active, Autonomous and Responsible Modern Retiree : An

Analysis of Discursive Technologies and their Links with Neo-liberal Po-litical Rationality”, Ageing & Society, 26 (02), doi:10.1017/S0144686X05

004253, pp.181-201. MARHÁNKOVA J. H., 2011 “Leisure in Old Age – Disciplinary Practices Surrounding the Discourse

of Active Ageing”, International Journal of Ageing and Later Life, 6 (1), doi:10.3384/ijal.1652-8670.11615, pp.5-32.

MARTINSON M., 2006 “Opportunities or Obligations ? Civic Engagement and Older Adults”,

Generations, 30 (4), pp.59-65. MARTINSON M., MINKLER M., 2006 “Civic Engagement and Older Adults : A Critical Perspective”, The Ge-

rontologist, 46 (3), doi:10.1093/geront/46.3.318, pp.318-324. MATSUTAKE WORLDS RESEARCH GROUP, 2012 “A New Form of Collaboration in Cultural Anthropology : Matsutake

Worlds”, in ROBBEN A. C. G. M., SLUKA J. A. (Eds.), Ethnographic Fieldwork. An Anthropological Reader, Oxford, Wiley-Blackwell (2nd

ed.), pp.409-439. MEIZEL K., 2009 “Making the Dream a Reality (Show) : The Celebration of Failure in

American Idol”, Popular Music and Society, 32 (4), doi:10.1080/0300776 0802217725, pp.475-488. MINISTÈRE DE LA FAMILLE ET DES AÎNÉS, 2012 Vieillir et vivre ensemble. Chez soi, dans sa communauté au Québec,

Gouvernement du Québec, http://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/publication/ Documents/politique-vieillir-et-vivre-ensemble.pdf. ROBBEN A. C. G. M., 2012 “Multi-sited Fielwork. Introduction”, in ROBBEN A. C. G. M.,

SLUKA J. A. (Eds.), Ethnographic Fieldwork. An anthropological Reader, Oxford, Wiley-Blackwell (2nd ed.), pp.367-373.

ROSE N., 2011 “Identity, Genealogy, History”, in HALL S., DU GUAY P. (Eds.), Questions

of Cultural Identity, London, Sage, pp.128-150. ROWE J. W., KAHN R. L., 1987 “Human Aging : Usual and Successful”, Science, 237 (4811), doi:10.11 26/science.3299702, pp.143-149 . 1997 “Successful Aging”, The Gerontologist, 37 (4), doi:10.1093/geront/37.4. 433., pp.433-440. 1999 Successful Aging, New York, Dell.

L. Grenier, F. Valois-Nadeau 155

ROZANOVA J., 2010 “Discourse of Successful Aging in The Globe & Mail : Insights from Cri-

tical Gerontology”, Journal of ageing studies, 24, pp.213-222. SINGING C., GRAY R., 2005 “Active Aging — Spunky Survivorship ? Discourses and Experiences of

the Years beyond Breast Cancer”, Journal of Aging Studies, 19, pp.147-161.

STAHL M., 2004 “A Moment like This. American Idol and Narratives of Meritocracy”, in

WASHBURNE C. J., DERNO M. (Eds.), Bad Music : The Music We Love to Hate, New York, Routledge, pp.212-232.

TAYLOR J., 2010 “Queer Temporalities and the Significance of ‘Music Scene’ Participation

in the Social Identities of Middle-aged Queers”, Sociology, 44 (5), doi:10. 1177/0038038510375735, pp.893-907. TRACEY P., NELSON P., HAUGH H., 2005 “Beyong Philanthopy : Community Enterprise as a Basis for Corporate

Citizenship”, Journal of Business Ethics, 58, pp.327-344. VOIROL O., 2005 “Les luttes pour la visibilité. Esquisse d’une problématique”, Réseaux,

1 (129-130), pp.89-121. Résumé long Chartwell, le plus gros réseau de résidences pour personnes âgées au Canada, orga-nise et commandite depuis 2009 “Étoile des aînés”, un concours musical réservé aux 65 ans et plus. Visant à “célébrer le talent des retraités”, ce concours spectacle est l’un des rares qui soit exclusivement dédiés aux aînés. Cet article a pour but d’explorer comment “Étoile des aînés”, en tant qu’événement sis à l’intersection de la musique, des médias et du marché en pleine expansion de l’habitat pour les aînés, met en évidence une articulation particulière du “bien vieillir” au Québec. Nous ar-guons qu’au sein d’ “Étoile des aînés”, les injonctions au “bien vieillir” se traduisent par des injonctions à la réussite du vieillissement et à la célébration de cette réussite. Nous proposons qu’ “Étoile des aînés” participe à configurer de manière singulière la réussite du vieillissement puisqu’il y est l’objet d’une mise à l’épreuve devant un public, un jury et une scène. “Étoile des aînés” constitue donc un terrain privilégié pour comprendre les manières singulières dont les discours sur le vieillissement se déploient et sont mis en œuvre hors des domaines de la santé et de la sécurité qui en sont souvent les espaces de prédilection. Très peu de travaux ont jusqu’ici traité du “bien vieillir” en lien avec la culture et la communication, et encore moins avec la musique. Nous souhaitons pallier, ne serait-ce que partiellement, à cette absence en proposant une réflexion qui, d’une part, s’inspire des courants anglophones critiques de la gérontologie (tels ceux de Katz, 2009 et de Rozanova, 2010) ainsi que des études culturelles (cultural studies), où la démarche de contextualisation occupe une place prépondérante. Plus précisément, à l’instar de ces auteurs, nous envisageons le vieillissement réussi comme un discours qui s’inscrit et prend forme dans le contexte actuel néolibéral, où les sujets âgés doi-

156 R. S. & A., 2013/1 – «Vous êtes tous gagnants». Etoile des aînés et…

vent assumer la responsabilité individuelle de leur propre vieillissement. Nous pro-posons qu’au nombre de ces obligations figure celle de réussir son vieillissement ou, à tout le moins, d’orienter les conduites de soi et des autres de manière à tendre vers sa réussite. L’exploration empirique de cet article émane d’un projet pilote consacré à “Étoile des aînés”. Cette réflexion est le fruit d’une ethnographie multisites (Robben, 2012), en cours depuis octobre 2011. Elle fut réalisée conjointement par trois chercheures travaillant sous le mode de la strong collaboration (Matsutake Worlds Research Group, 2012), une pratique qui implique une immersion intersubjective et qui repose sur la présence simultanée des chercheurs. À cette démarche de terrain s’ajoute l’analyse d’une archive composée de documents hétérogènes relatifs à l’existence médiatique du concours et au matériel promotionnel conçu par Chartwell. C'est donc à un examen sommaire des conditions et modalités de réalisation du concours que nous procédons en considérant les principales formes de vieillissement réussi que notre analyse d’ “Étoile des aînés” nous a permis d’identifier à ce jour : l’expérience publique et l’engagement partagé. D’abord, loin d’être homogène et univoque, faire l’expérience publique du vieillissement en participant à “Étoile des aînés” prend différentes formes, que ce soit pour les participants, l’auditoire ou les membres de l’organisation. Nous interrogeons ensuite comment le fait de réussir “son” et “le” vieillissement (des autres) constitue une forme d’engagement partagé, au-delà du processus méritocratique qui placerait seul l’aîné concerné devant la conscience de son vieillissement. Que ce soit par les interventions des juges ou celles de l’auditoire du concours, ou encore par les dispositifs techniques et média-tiques instaurés afin de faire valoir le “talent”, nous estimons que, dans ce contexte, la réussite du vieillissement s’opère de manière relationnelle. L’exploration empi-rique d’ “Étoile des aînés”, a permis de mettre en évidence les caractéristiques d’une certaine manière de vieillir dont le concours assure en quelque sorte la promotion par la participation qu’il propose.