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L'abbé Jacques-François Dicquemare (1733-1789), un zoologiste havrais et ses découvertes sur les anémones de mer. Pr. Olivier PERRU. EA n°4148, S2HEP, Université de Lyon, Université Lyon 1, 43, boulevard du 11 novembre 1918, 69622 VILLEURBANNE CEDEX. [email protected] Résumé L’abbé Jacques-François Dicquemare (1733-1789) est un ecclésiastique de la fin du XVIIIème siècle qui fut un naturaliste de terrain, résidant au Havre et explorant les côtes du pays de Caux pour décrire et classer les animaux marins. Au Havre, il étudia et expérimenta en astronomie, en géographie et en zoologie marine. C’est surtout ce dernier domaine qui nous intéressera ici. Les observations et expérimentations de Dicquemare font penser à tous les travaux menés au XVIIIe siècle depuis la découverte des hydres de Tremblay et de leurs propriétés. Dicquemare ne ferait qu’étendre aux anémones de mer les propriétés de mobilité, de régénération et de potentialité des tissus que l’on avait découverte depuis 1744 sur les hydres. Cependant, ses travaux revêtent une certaine originalité du fait des méthodes employées et résultats obtenus dans l'investigation des côtes de la Manche et de l'estuaire de la Seine au XVIIIe siècle, et dans le rôle de pionnier qu'il eût dans la description des anémones de mer.

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L'abbé Jacques-François Dicquemare (1733-1789), un zoologiste

havrais et ses découvertes sur les anémones de mer.

Pr. Olivier PERRU. EA n°4148, S2HEP, Université de Lyon, Université Lyon 1, 43, boulevard du 11 novembre 1918, 69622 VILLEURBANNE CEDEX. [email protected] Résumé L’abbé Jacques-François Dicquemare (1733-1789) est un ecclésiastique de la fin du XVIIIème siècle qui fut un naturaliste de terrain, résidant au Havre et explorant les côtes du pays de Caux pour décrire et classer les animaux marins. Au Havre, il étudia et expérimenta en astronomie, en géographie et en zoologie marine. C’est surtout ce dernier domaine qui nous intéressera ici. Les observations et expérimentations de Dicquemare font penser à tous les travaux menés au XVIIIe siècle depuis la découverte des hydres de Tremblay et de leurs propriétés. Dicquemare ne ferait qu’étendre aux anémones de mer les propriétés de mobilité, de régénération et de potentialité des tissus que l’on avait découverte depuis 1744 sur les hydres. Cependant, ses travaux revêtent une certaine originalité du fait des méthodes employées et résultats obtenus dans l'investigation des côtes de la Manche et de l'estuaire de la Seine au XVIIIe siècle, et dans le rôle de pionnier qu'il eût dans la description des anémones de mer.

1 – Vie de l’abbé Dicquemare. On oublie trop souvent qu’à la fin du XVIIIe siècle, dans la période précédant immédiatement la

Révolution française, de nombreux ecclésiastiques firent encore œuvre de naturalistes. Giraud-

Soulavie ou Latreille figurent parmi les exemples les plus connus. Mais, pour le sujet qui nous occupe

dans ce chapitre et qui est l’histoire de la zoologie, il y eut des modestes qui firent avancer la science

de leur temps. Ainsi en fut-il de l’abbé Dicquemare.

L’abbé Jacques-François Dicquemare (1733-1789) est un ecclésiastique de la fin du XVIIIème siècle

qui fut un naturaliste de terrain, résidant au Havre et explorant les côtes du pays de Caux pour

décrire et classer les animaux marins. L’abbé Dicquemare est né au Havre le 7 mars 1733.

D’Ambournay (de l’Académie de Rouen) écrit qu’il étudia la philosophie et la physique à Paris et qu’il

eût comme professeur l’abbé Nollet1. L’abbé Lecomte, dans un ouvrage du XIXe siècle, écrit : « Il

entra de bonne heure dans l’état ecclésiastique ; mais son goût ou plutôt sa passion dominante pour

les sciences et les arts, jointe à l’idée qu’il s’était faite du ministère, ne lui permirent jamais d’entrer

dans les ordres sacrés. Il resta constamment dans le rang des lévites, et porta la modestie jusqu’à

n’oser s’élever jusqu’aux dignités du sacerdoce2. Il honora la cléricature par la pureté de sa vie et par

sa prodigieuse érudition. Il rendit de grands services à la religion par ses écrits et par ses découvertes

en proclamant les merveilles de la Nature, inconnues jusqu’à lui »3. Dicquemare fut donc un de ces

clercs non-prêtres que l’on retrouve si souvent dans ces recherches. Mais on ne peut pas dire qu’il ait

négligé le ministère, au contraire, il fit un choix cohérent avec ses aspirations. L’abbé Lecomte ajoute

quelques anecdotes, comme le fait que Dicquemare « vivait simplement et paisiblement au milieu de

sa ménagerie marine et de ses livres »4, mais en même temps, il reçoit des visites de savants français

et étrangers et est même reçu à Versailles en 1786 par le roi Louis XVI qui s’intéressait à ses travaux.

Au Havre, il étudia et expérimenta en astronomie, en géographie et en zoologie marine. C’est surtout

ce dernier domaine qui nous intéressera ici. L’abbé Dicquemare enseigna la physique, et sans doute

l’histoire naturelle au Havre, mais ce fut un semi échec qui le décida à se retirer dans la

contemplation de la Nature. Dicquemare fut membre associé de l’Académie de Rouen à partir de

1770 comme adjoint et le 7 février 1781 comme titulaire ; il fut également nommé correspondant de

Cadet à l’Académie des Sciences le 21 août 17825. D’abord connu par ses travaux d’astronomie et par

l’édition de cartes marines, Dicquemare se consacra surtout après 1770 à la recherche sur les

animaux marins, en particulier sur les actinies ou anémones de mer. C’est ce qu’explique

1 D. d’Ambournay, 1790, « Notes biographiques sur la vie et les écrits de M. l’abbé Dicquemare », Précis

analytique des travaux de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, vol. 5, 325-327, 1821, p. 326.

2 Cette phrase ne se comprend que si on a présent à l’esprit le fait que de nombreux ecclésiastiques de

l’époque en restaient aux ordres mineurs et n’accédaient jamais au sacerdoce ; ce qui leur donnait certains devoirs mais leur laissait assez de liberté pour cultiver une activité comme l’enseignement, la recherche ou l’écriture.

3 J.-B. Lecomte (abbé), Les églises et le clergé de la ville du Havre de grâce (1516-1851), Paris, Derache, 1851, p.

149.

4 Ibid. p. 150.

5 Louis-Claude Cadet de Gassicourt (1731-1799), était pharmacien, apothicaire-major à l’Hôtel des Invalides et

membre de l’Académie des Sciences depuis 1766.

D’Ambournay : « Mais ces ouvrages, très utiles d’ailleurs, convenaient moins au génie de notre

confrère que la contemplation de la nature qu’il avait toujours fait concourir avec ses autres travaux.

Il publia des Mémoires qui depuis, ont enrichi divers ouvrages… »6. Dicquemare est dépeint comme

un naturaliste type du XVIIIe siècle, marqué aussi par la physiocratie et par une morale humaniste ;

d’autres textes rapportent qu’il prit position contre l’esclavage, lequel donnait lieu au Havre à des

trafics inhumains. L’article de D’Ambournay se termine ainsi : « Le Roi, auquel on fit voir le

portefeuille de notre confrère [ses collections], ordonna que l’on prît sur son trésor les fonds

nécessaires pour la gravure des planches et l’impression de cet ouvrage dont il lui permit de diriger

l’exécution. Le laborieux auteur s’occupait à l’augmenter et à le perfectionner lorsqu’une maladie

occasionnée par les fatigues, par des immersions dans la mer trop prolongées, le réduisit à

l’extrémité. Sentant approcher le terme fatal, il employa trois jours à indiquer à Mlle Le Masson le

Golft, son élève, le dernier ordre qu’il croyait nécessaire à ses écrits, dont il lui fit présent, à charge

de les achever. Il ne s’occupa plus que des rapports de l’homme avec son Créateur, au sein duquel il

expira, le 29 mars dernier »7. La notice de D’Ambournay s’efforce de montrer, sur un ton un peu

apologétique, l’activité d’un prêtre naturaliste, refusant les honneurs mais rejoint par le pouvoir qui

veut faire publier son œuvre, donnant dans les idées du temps (la physiocratie, la prise de position

contre l’esclavage, l’humanisme des Lumières) et adorant le Créateur jusque dans sa mort. Le

portefeuille de Dicquemare est une collection de dessins des diverses espèces d’Actinies qu’il a

découvertes, ce portefeuille ne fut jamais édité mais il se trouve toujours à la bibliothèque de Rouen

où Mlle Le Masson le Golft, sa nièce, les a déposés.

Les archives de l’Académie des Sciences conservent une Lettre de l’abbé Dicquemare, du 17

septembre 1771, à l’occasion de l’envoi de son cosmoplane monté et du projet de publication par

l’Académie d’un dictionnaire de la marine. Elle évoque une ligne directrice du projet scientifique de

l’abbé Dicquemare : favoriser le partage d’un langage scientifique commun, « une langue devenue

celle de l’Europe entière », fixer « le sens des mots d’une Science qui fait d’elle-même tant d’honneur

à l’homme ». Certes, il pense sans doute à la marine, mais probablement cette intuition fait-elle

partie de ce qui guide son action scientifique et pédagogique. « Le but des académies étant la

perfection des Sciences qui font leur objet, vous avez pensé Messieurs, qu’il fallait commencer par

s’entendre, quoi de plus naturel et de plus juste ? »8.

Cyril Le Meur a récemment exhumé l’histoire et les descriptions naturalistes de l’abbé Dicquemare9.

L’abbé Dicquemare fit des observations et découvertes sur les côtes de la Manche, sur les anémones

de mer, les moules et les huîtres. L’importance du personnage pour notre sujet est qu’il fut

explicitement encouragé par la hiérarchie catholique. Durant l’Assemblée générale du Clergé de

France de 1786, l’archevêque d’Arles, Jean-Marie du Lau, qui préside la Commission pour la religion

6 D. d’Ambournay, 1790, « Notes biographiques sur la vie et les écrits de M. l’abbé Dicquemare », op. cit., p.

326.

7 Ibid.

8 J.-F. Dicquemare (abbé), « Lettre du 17 septembre 1771 à l’Académie des Sciences », Dossier Jacques-François

Dicquemare, Archives de l’Académie des Sciences.

9 C. Le Meur, « Epigones provinciaux de l’écriture apologétique de la nature : l’abbé Dicquemare et Marie Le

Masson Le Golft », Ecrire la nature au XVIIIème siècle. Autour de l’abbé Pluche, Françoise Gevrey, Julie Boch et Jean-Louis Haquette, Ed., Presses de l’Université de Paris – Sorbonne, Paris, 2006.

et la juridiction en faveur des gens de Lettres, lit un rapport sur le « département de trente mille

livres en faveur des écrivains ecclésiastiques et laïques, qui auront bien mérité de la religion et des

meurs » et il énumère différents auteurs et savants, surtout des prêtres, qu’il s’agirait de remercier,

c'est-à-dire, de pensionner. Le rapport se termine ainsi : « Qu’il nous soit permis en terminant ce

rapport de remercier au nom du Clergé, Monsieur l’abbé Dicquemare, connu dans le monde savant

par une multitude d’expériences et d’observations sur l’histoire naturelle. Elles lui ont fourni de

précieux témoignages pour montrer plus d’une fois l’alliance des vérités physiques avec les vérités

révélées, objet bien important dans le siècle où nous vivons et que les théologiens négligent

quelquefois faute d’avoir creusé comme M. Dicquemare, les profondeurs de la nature »10.

Dicquemare est cité tout à fait à la fin, après les théologiens, linguistes, historiens ou grammairiens.

On regrettera au passage de ne pas toujours voir de semblables prises de conscience de l’importance

des connaissances scientifiques chez les hommes d’Église d’aujourd’hui. Cyril Le Meur commente

ainsi ce passage : « C’est donc l’institution, comme on le voit, qui encourage les prêtres à se mêler de

sciences et à concurrencer sur ce terrain les laïcs déistes ou athées. Le but est de reconquérir

l’hégémonie dans le discours des causes : les découvertes physiques sont des témoignages… »11. Il

s’agit donc, encore en 1786, de relier les connaissances naturalistes en pleine expansion à un

discours théologique sur la création (ce que l’on qualifierait aujourd’hui de créationnisme). Mais cet

encouragement de l’institution, pour réel qu’il fut à la fin du XVIIIe siècle, demeure bien timide aux

regards des enjeux de société.

Un contemporain et compatriote havrais de Dicquemare, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre a

laissé dans Harmonies de la Nature, un éloge des découvertes zoologiques de Dicquemare : « On

trouve, collées à nos rochers, des anémones de mer, espèce de fleur vivante ou animale, qui s’ouvre

et se ferme comme une bourse, et lance un jet d’eau si on vient à la toucher. On prétend que c’est un

polype, c’est-à-dire une agrégation d’un grand nombre de petits animalcules qui travaillent

ensemble, comme les abeilles dans une ruche. Un concert de travaux et de défenses si parfait est

sans doute digne d’être admiré par les hommes. L’abbé Dicquemare, mon laborieux compatriote, en

a fait une histoire curieuse »12.

2 – Son œuvre zoologique. Dès le début des années 1770, on trouve des communications de Jacques-François Dicquemare sur

les anémones de mer. Ainsi, dans le journal encyclopédique, parmi les faits remarquables, le

rédacteur rapporte la découverte par Dicquemare d’une anémone de mer qui montre des propriétés

de régénération et de plasticité semblables à celles des polypes. « M. l’abbé Dicquemare, professeur

de physique expérimentale au Havre, a fait sur les anémones de mer des observations et des

découvertes singulières. On en rapportera une seule. Il trouva, le 8 juin dernier, dans le sable, une

espèce de petite anémone, dont le corps semblable pour la forme et pour la couleur au pédicule d’un

champignon, est terminé, à la partie inférieure, par une base que l’animal attache aux cailloux sous le

10

C.-M. de Talleyrand-Périgord, « Vingt-neuvième Rapport du Bureau de la Religion et de la Juridiction en faveur des gens de Lettres », Procès-Verbal de l’Assemblée générale du clergé de France tenue à Paris, au couvent des Grands-Augustins, Paris, Guillaume Desprez, 1789, 1208-1214, pp. 1208 et 1214.

11 C. Le Meur, « Epigones provinciaux de l’écriture apologétique de la nature : l’abbé Dicquemare et Marie Le

Masson Le Golft », op. cit., p. 178.

12 J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la Nature, tome II, Paris, Méquignon-Marvis, p. 144-145.

sable, tandis que le corps, en s’allongeant, permet à la partie supérieure, où sont les membres et la

bouche, de s’ouvrir à la superficie. M. l’abbé Dicquemare retrancha avec des ciseaux toute cette

partie supérieure. Au bout de 8 jours, il vit des membres renaissants. Le 3 juillet, l’animal marcha.

Vers le milieu du même mois, la partie supérieure était totalement reproduite, avec la même forme

et la même couleur que la partie retranchée ; cette dernière a donné, pendant 9 jours, des marques

de sensibilité, se contractant et se dilatant ; mais elle était diminuée de beaucoup. M. L’abbé

Dicquemare a répété cette expérience et a toujours eu le même résultat »13. Ces observations et

expérimentations font penser à tous les travaux menés au XVIIIe siècle depuis la découverte des

hydres de Trembley et de leurs propriétés. Dicquemare ne fait qu’étendre aux anémones de mer les

propriétés de mobilité, de régénération et de potentialité des tissus que l’on avait découverte depuis

1744 sur les hydres. Il est à noter que l’on a ici une reprise d’un texte déjà publié dans la Gazette de

France du 25 septembre 177214.

Dans Les beautés de la Nature à l’épreuve de l’analyse : programmes scientifiques et tentations

esthétiques dans l’histoire naturelle du XVIIIe siècle (1744-1805), Nathalie Vuillemin retrace l’œuvre

de Dicquemare qui, dès 1772, envoie régulièrement ses observations au Journal de physique de

l’abbé Rozier. Dicquemare s’opposa à la représentation continuiste de la Nature, il voyait sans doute

un risque de matérialisme ; pour lui, les manifestations même les plus ténues de l’animalité signifient

une rupture nette entre le végétal et l’animal. L’animal est sensible, ce que n’est pas le végétal et les

Anémones de mer ne peuvent pas être un simple intermédiaire entre les règnes, ce sont nettement

des animaux. Dicquemare écrivit en 1776 : « Les trois règnes forment à la vérité un tout et un tout

harmonique ; mais ce tout a ses parties si bien distinguées l’une de l’autre, qu’il ne sera peut-être

jamais possible de prouver à ceux qui y regardent de près, qu’entre l’animal et la plante, il n’y ait

point d’intervalle ; cependant, en enchérissant l’un sur l’autre, on a prononcé que la nuance était

imperceptible . (…) Sentir, discerner, agir, travailler, c’est être animé. Etre insensible, mais croître et

se reproduire, c’est végéter »15. Nathalie Vuillemin considère que, chez Dicquemare, les vers marins,

anémones de mer, polypes et autres, obligent le naturaliste à envisager de nouveaux modèles du

vivant, « à déployer une logique d’interprétation nouvelle ». « En ce sens, Dicquemare est, comme

Daubenton, en quête d’un plan de la Nature ou du germe de l’animalité, mais à l’autre extrémité de

l’échelle animale, parmi les organismes les plus élémentaires »16. On pourrait dire plus simplement

que Dicquemare reprend la distinction de l’animal et du végétal en se basant sur la sensibilité et la

locomotion, laquelle distinction remonte à Aristote. « Si les animaux qu’on a jusqu’ici regardés

comme les dernières et comme les premières plantes, sentent qu’on les touche, ils sont d’un ordre

supérieur qui ne tient point à celui des plantes : la chaîne reste interrompue jusqu’à ce qu’on trouve,

ce qui ne paraît guère possible, quelque chaînon, quelque maille propre à la rétablir »17.

Contrairement à l’optique des philosophes matérialistes, Dicquemare veut se baser sur l’observation

13

Journal encyclopédique, tome 7, partie 3, Bouillon, novembre 1772, p. 454-455.

14 Gazette de France, 25 septembre 1772, Imprimerie de la Gazette de France.

15 J.-F. Dicquemare (abbé), « Dissertation sur les limites des règnes de la Nature », Observations sur la Physique,

sur l’Histoire naturelle et sur les Arts, dédiées à Mgr le Comte d’Artois, 1776, 371-376, p. 372-373.

16 N. Vuillemin, Les beautés de la Nature à l’épreuve de l’analyse : programmes scientifiques et tentations

esthétiques dans l’histoire naturelle du XVIIIe siècle (1744-1805), Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, p. 165.

17 J.-F. Dicquemare (abbé), « Dissertation sur les limites des règnes de la Nature », op. cit., p. 373.

des êtres vivants pour maintenir l’irréductibilité de la sensation, propriété qualifiant le degré de vie

des animaux. L’ortie de mer change de lieu pour échapper à l’anémone de mer, son prédateur, une

anémone de mer dispute sa proie à sa voisine : ces mouvements caractérisent bien des animaux.

De nombreux textes retraçant les découvertes de Dicquemare se trouvent donc dans le Journal de

physique, renommé ensuite Observations et Mémoires sur la physique, sur l’Histoire naturelle et sur

les Arts, de l’abbé François Rozier ainsi que dans l’Encyclopédie méthodique18. On trouve

essentiellement de nombreux articles sur les anémones de mer. L’abbé Dicquemare publie

régulièrement ses découvertes au cours de l’année 1776, dans les Observations sur la physique, sur

l’Histoire naturelle et sur les Arts, dédiées à Mgr le Comte d’Artois. C’est ainsi qu’en octobre 1776, on

trouve deux textes, l’un concernant les anémones de mer, l’autre sur les reproductions animales. En

fait, les deux articles portent sur la reproduction, les anémones de mer constituant un exemple et un

point de départ pour le travail de l’auteur. Le début du Mémoire sur la génération de la quatrième

espèce repose sur une admiration philosophique envers la génération : « De tous les objets que la

nature offre à l’esprit méditatif, il n’en est point de plus grand, de plus respectable que celui de la

génération des êtres, et surtout des êtres animés ; c’est aussi vers cette merveille que les

philosophes les plus distingués ont dirigé leurs regards. Avec quelle avidité n’auraient-ils pas saisi

l’occasion d’êtres témoins de ce qui se passe dans la première organisation des fœtus, dans le

premier développement des plantes ? Quelle eût été leur surprise et leur vénération, en apercevant

les premières évolutions qui s’opèrent ? »19. Sur la base de réflexion de la multiplication des polypes

de Trembley, la régénération des anémones de mer fait l’objet du texte de Dicquemare. L’abbé

havrais décrit une expérience de reproduction d’une anémone à partir d’un phénomène de

bourgeonnement ; une sorte de bourgeon est laissé par l’animal contre la paroi d’un vase, le 26

octobre 1775. L’abbé continue ses observations durant plus de deux mois, jusqu’à observer

l’anémone formée : « Au commencement de janvier 1776, le pli du corps s’est formé ; c’était donc

alors une petite anémone qui, à l’exception du nombre des membres, ressemblait parfaitement à

celle dont elle était provenue, mais se développait peu à peu. La demi-transparence, qui gêne parfois

dans les observations, m’a permis de distinguer le progrès par lequel les petites fibres sont devenues

convergentes ; j’ai vu aussi les angles du segment se raccourcir, et rien ne m’a paru périr, tout s’est

refoulé dans la masse »20. L’abbé conclut à l’impossibilité de trouver un germe dans ses observations,

est-ce « un simple lambeau qui devenait anémone » ?

18

Jean-Baptiste François Rozier est un botaniste et agronome (1734-1793) qui fut ordonné prêtre en 1758 pour le diocèse de Lyon. Prêtre apparemment sans vocation, refusant d’aller en paroisse, il gère le domaine familial où il pratique l’agronomie et la botanique. En 1761, il est professeur de Botanique dans la nouvelle Ecole vétérinaire de Lyon, créée par Bourgelat ; il y crée un jardin botanique, puis devient directeur de l’enseignement (1765) avant de quitter cette institution en 1769 à la suite de désaccords avec Bourgelat. Il devient alors directeur du Journal de Physique, qui sera renommé Observations et Mémoires sur la Physique, l’Histoire naturelle et sur les Arts et Métiers. Il dirige cette revue pendant dix ans et devient ainsi un diffuseur essentiel des travaux des savants européens de l’époque. Rentré à Lyon à la veille de la Révolution, Rozier sera curé constitutionnel de Saint-Polycarpe et sera tué par l’explosion d’un boulet, lors du siège de Lyon en 1793. L’abbé François Rozier est une figure de certains de ces prêtres savants de la fin du XVIIIe siècle, très ouverts aux progrès des Sciences, ayant un rôle moteur sans doute plus dans le développement technique et économique et dans la diffusion des Sciences que dans la recherche scientifique stricto sensu.

19 J.-F. Dicquemare (abbé), « Mémoire sur la génération de la quatrième espèce », Observations sur la Physique,

sur l’Histoire naturelle et sur les Arts, dédiées à Mgr le Comte d’Artois, Octobre 1776, 305-313, p. 305.

20 Ibid., p. 307-308.

La suite de ses réflexions est tout à fait dans la logique de l’histoire naturelle du XVIIIe siècle, où l’on

cherche à cerner ces potentialités de régénération et de bourgeonnement des invertébrés

aquatiques et marins. Dicquemare explique qu’il s’agit de distinguer la reproduction par

l’intervention des deux sexes et la reproduction, y compris dans le monde animal, par une forme de

bouturage. « Qu’est-ce qui fait, qu’étant détachée, cette petite portion se recourbe et prend de

l’épaisseur ? Par quelle cause tend-t-elle visiblement à former un animal ? Sent-elle alors la nécessité

de le devenir ? Le principe de vie serait-il dans ces animaux, particulier à chacune de leurs parties ? Et

comment est-il ou n’est-il pas, selon les circonstances que nous pouvons faire naître, subordonné à

l’organisation générale de l’individu ? Oh, si on était tenté de donner l’essor à l’imagination, que de

choses à dire ! Tout ce qui me semble qu’on peut conclure de ces observations, et plus encore de

celles qui vont suivre, c’est qu’il est vraiment des êtres animés qui se multiplient comme des

boutures ; mais j’attends à être instruit par de nouvelles expériences sur l’inutilité du concours des

deux sexes ; (…). Déjà nous nous accoutumons à toutes ces idées nouvelles, elles nous frappent

moins ; cependant, combien sont-elles éloignées de celles que nous avions de l’animal ? »21. A partir

de plusieurs anémones, Dicquemare détache lui-même de petites parties et note ses observations.

Au bout d’environ trois mois, chaque petite anémone est pourvue de membres, les plus gros

segments initiaux donnant des êtres plus développés. « Sommes-nous donc les maîtres, non

seulement de faire naître les anémones quand nous voulons, mais même de leur donner plus ou

moins de grosseur ? L’anémone qui multiplie, en dispose-t-elle aussi à son gré ? »22.

La question fondamentale de Dicquemare demeure vitaliste et suppose l’arrière-plan d’une théologie

naturelle : le principe de vie est-il relatif à toute l’organisation de l’animal ou est-il circonscrit à ses

partie ? Telle était déjà la question qu’Aristote se posait dans le De anima. Mais alors qu’Aristote

résout la question par l’acte et la puissance (le principe est potentiel dans les parties et en acte dans

la totalité de l’animal), le XVIIIe siècle bute sur la forme, l’organisation, les circonstances ; et

Dicquemare ne tranche pas sur la subordination du principe de vie à l’organisation et aux

circonstances. A l’arrière-plan de ces régénérations successives, se situe l’Etre premier qui

communique la vie : est-ce lui, nous ou l’animal lui-même qui est maître de multiplier les anémones ?

Malgré le côté un peu rapide et initial de ces observations, Dicquemare cherche à tirer plusieurs

conclusions scientifiques : « D’abord, on doit regarder comme des faits certains, dont j’ai été témoins

plusieurs fois, 1°, que les anémones de cette espèce se multiplient naturellement et artificiellement

par des lambeaux ; 2°, que ces lambeaux deviennent souvent une, quelquefois plusieurs anémones ;

3°, que de ces petites anémones, formées d’un même lambeau, plusieurs restent unies entre elles,

quoique le plus grand nombre se séparent par étranglement ; 4°, qu’entre celles qui restent unies, il y

en a qui deviennent de la plus belle grosseur, comme l’anémone monstrueuse dont j’ai parlé dans

mon second Mémoire, dans laquelle trois individus étaient confondus, et une autre moins grosse en

forme d’Y représentée dans la planche du même Mémoire, qui produisit devant moi une petite

anémone non monstrueuse, en déchirant elle-même un lambeau du bord de sa base »23.

21

Ibid., p. 308.

22 Ibid., p. 309.

23 Ibid., p. 310.

Dans le même journal, on lit la « Suite des découvertes de M. l’abbé Dicquemare sur quelques

reproductions animales »24. L’auteur y fait quelques considérations sur les vers mais donne surtout

l’affirmation de la reproduction végétative de certains animaux et la finalité pratique des études

naturalistes. Il écrit : « L’histoire des reproductions animales s’augmentera et fera époque si le goût

des observations succède à celui des systèmes. La Nature, toujours la même, s’offre et semble

quelquefois se prêter à nos observations ; elle nous découvre souvent, dans un seul objet, le fil qui

circonscrit une suite nombreuse de connaissances, et nous invite à le suivre ; mais c’est souvent au

travers des ténèbres les plus épaisses ; aussi, la forme singulière de certains animaux qui possèdent

la faculté de reproduire les parties qu’on leur a retranchées, ou chez lesquels la partie même

reproduit le tout, qu’on soupçonnerait peut-être mal à propos de n’avoir pas un centre unique et

bien distinct de sensibilité, a-t-elle laissé en suspens les esprits timides et fourni aux plus hardis le

prétexte tant désiré et sitôt saisi de prendre l’essor au-delà du vrai »25. Il s’agit donc de mieux

connaître ce mode de reproduction plastique où la partie peut régénérer le tout, objet universel

d’étonnement au XVIIIe siècle.

La collection d’Actinies et d’animaux marins de l’abbé Dicquemare acquit une célébrité à l’époque et

l’ensemble des planches reproduisant des animaux s’appelait « le Portefeuille de l’abbé

Dicquemare ». Ainsi, en janvier 1789, les Observations sur la Physique, sur l’Histoire naturelle et sur

les Arts, dédiées à Mgr le Comte d’Artois, publient la « Suite des extraits du portefeuille de l’abbé

Dicquemare »26. Dicquemare s’attache à montrer dans ce texte que les Actinies sont, certes, des

floriformes, mais qu’ils sont bien doués de la nature animale, ils réagissent positivement ou

négativement à la nourriture qu’on leur propose et sont bien capables de l’ingérer et de la digérer ;

leur ressemblance avec des fleurs n’est donc qu’un leurre, mais leur appartenance au monde animal

est attestée par leur sensibilité. En 1789, la question de l’anatomie et surtout du plan d’organisation

est très présente à l’esprit des naturalistes. Cette notion de plan d’organisation des animaux était

très répandue et déjà mise en valeur par Louis-Jean-Marie Daubenton et par Félix Vicq d’Azyr. Après

la Révolution, elle sera profondément retravaillée comme on sait, par Cuvier, puis par Geoffroy Saint-

Hilaire. Donc, l’abbé Dicquemare s’intéressait à la découverte possible du plan d’organisation des

Actinies : « Quant au plan d’organisation intérieure sur lequel notre petit animal est formé, ce serait

une chose fort curieuse et sans doute très propre à nous éclairer, que de le bien connaître ; y

parviendrons-nous jamais dans un animal aussi délicat et aussi petit ? Pourrions-nous oublier quelles

difficultés nous ont présenté à cet égard les orties marines de plus d’un pied de diamètre ? Quoi qu’il

en soit, nous devons penser que ce plan est le plus propre à conserver l’individu et l’espèce par les

fonctions les mieux appropriées au lieu qu’il occupe entre ceux dont il se nourrit et ceux dont il est

lui-même la proie, et à soutenir les secousses d’une mer agitée aux efforts de laquelle nous le voyons

résister malgré son extrême délicatesse. D’abord, nous y apercevons un district de nutrition et un de

sensibilité. Le premier pourrait être soupçonné de n’avoir pour base que la seule organisation, mais

24

Jacques-François Dicquemare (abbé), « Suite des découvertes de M. l’abbé Dicquemare sur quelques reproductions animales », Observations sur la Physique, sur l’Histoire naturelle et sur les Arts, dédiées à Mgr le Comte d’Artois, Octobre 1776, 314-315.

25 Ibid., p. 314.

26 J.-F. Dicquemare (abbé), « Suite des extraits du portefeuille de l’abbé Dicquemare », Observations sur la

Physique, sur l’Histoire naturelle et sur les Arts, dédiées à Mgr le Comte d’Artois, tome XXXIV, partie I, 1789, p. 206-210.

nous avons eu souvent occasion de conclure que la seule organisation ne peut élever l’être matériel à

la sensibilité, au sentiment de son existence, ni conséquemment lui donner la faculté de manifester

ce sentiment par l’admission et le refus ; notre floriforme se dévoilant d’une manière non équivoque,

nous devons conclure qu’il a non seulement un district d’organisation destiné à la sensibilité, mais

même que ce district, comme dans les autres animaux, a pour terme un être sensitif, … »27. Il s’agit

de découvrir le plan d’organisation des Actinies, l’existence de ce plan d’organisation étant conforté

par la répartition dans l’animal de tissus ou d’organes ayant une fonction de sensibilité à l’égard de

l’extérieur, et de tissus ou d’organes ayant une fonction de nutrition. L’auteur évoque simplement

deux districts distincts. Dicquemare évoque alors d’autres « districts » spécialisés de l’animal, un

district consacré à la circulation et un autre voué à la propagation de l’espèce. Ce sont là des rapports

avec les plans d’organisation des autres animaux. « L’animal que nous considérons a donc même

jusques dans son plan d’organisation beaucoup plus de complication et de rapports avec les autres

que sa forme semble l’indiquer »28. L’idée de plan d’organisation semble donc, entre autres dans

cette publication de Dicquemare en 1789, une ouverture vers un nouveau programme de recherche

en anatomie comparée, déjà entrevu à l’époque mais qui ne prendra sa vraie dimension que dans les

premières décennies du XIXe siècle.

L’article « Actinie » du tome VI de l’Encyclopédie méthodique reprend le travail de Jacques-François

Dicquemare. L’auteur du tome VI est Bruguière, médecin-botaniste et naturaliste du roi29. L’article

est très descriptif et s’étend beaucoup sur les tentacules et les mouvements des Actinies et sur leur

nutrition. Par exemple, reliant les travaux de Dicquemare à ceux de Réaumur, Bruguière introduit

ainsi la locomotion de l’Actinie : « Lorsque l’animal veut changer de place, il a plusieurs manières

d’exécuter ce mouvement ; ou bien il glisse lentement sur son pédicule, comme l’avait observé M. de

Réaumur, ou bien détachant en totalité sa base, il se gonfle d’eau, et devenant alors plus léger que le

volume d’eau qu’il déplace, la moindre agitation suffit pour le pousser autre part ; quelquefois,

suivant M. de Réaumur, après avoir détaché sa base, il trouve le moyen de se retourner sens dessus

dessous, et ses tentacules lui servent alors comme de véritables jambes, jusqu’à ce qu’il juge à

propos de se fixer sur une place plus convenable »30. L’auteur conclut sur cette activité de pompage,

de rejet et de locomotion : « C’est donc en pompant ou en rejetant l’eau que ces animaux

augmentent ou diminuent leur volume, comme c’est en relâchant les muscles d’une partie de leur

surface, et en contractant ceux d’une autre qu’ils font prendre à leur corps les formes et la situation

qu’ils souhaitent ; mais comment leur adhérence sur les corps a-t-elle lieu ? S’opère-t-elle par l’effet

d’une succion, comme on le croit des astéries, ou bien par l’effet de l’humeur visqueuse dont toute la

surface de leur corps est enduite, et qui s’extravase par leurs pores comme dans les limaces ? Ce fait

est encore douteux, malgré que l’affirmative ait été soutenue pour l’un et l’autre sentiment, par des

personnes également propres à les faire adopter ; mais nous penchons vers le dernier, surtout depuis

27

Ibid., p. 208.

28 Ibid., p. 209.

29 J.-G. Bruguière, Histoire naturelle des vers, Encyclopédie méthodique, tome VI, Panckouke, Paris, 1789.

30 Ibid., p. 4.

que M. l’abbé Dicquemare a découvert que l’adhérence des Actinies sur les corps où elles s’étaient

fixées, ne cessait pas même après leur mort »31.

Une nouveauté par rapport au regard morphologique que l’on trouve habituellement dans de

nombreux textes zoologiques du XVIIIe siècle, est que Dicquemare s’est intéressé à l’anatomie des

Actinies ; dans les années 1780, l’anatomie est de plus en plus à l’ordre du jour, y compris chez les

invertébrés : ainsi l’auteur décrit le « boyau » interne à l’Actinie, et dont la grosseur « paraît égaler

celle d’un fil de soie »32. Des observations diverses sur la nutrition, je jeûne, la réaction de l’animal

aux différences de température et de pression sont ensuite rapportées. L’auteur résume ensuite les

expériences sur la régénération des Actinies qui ont été menées vers 1772-1776 et que nous avons

partiellement évoquées. Ces expériences ouvrent à une longue discussion sur la multiplication

végétative et la reproduction sexuée. Jean-Guillaume Bruguière maintient la norme et le primat

d’une reproduction sexuée contre Dicquemare qui affirme une régénération purement végétative à

partir des tissus de l’Actinie. « Quelque surprenant que paraisse ce résultat, il a lieu de même,

suivant cet auteur, si on sépare plusieurs parcelles de la base de cette Actinie avec la pointe d’un

bistouri ; les parties ainsi détachées deviennent peu à peu des animaux entiers, et présentent

successivement les mêmes phénomènes ; la seule différence qu’il a remarquée, c’est que les plus

grandes parcelles détachées, par incision de la base de cette Actinie, lui ont toujours produit des

Actinies d’un plus grand volume que celles dont elles avaient été détachées, et que celles qui

proviennent des lambeaux qui se séparent naturellement. Il s’en trouve même sur le nombre d’où

naissent deux Actinies qui restent quelquefois unies, tandis que d’autres finissent par se détacher»33.

Puis suit la discussion sur la régénération des Actinies. Dicquemare pense qu’il n’y a ni germe ni œufs

impliqués dans ce type de régénération. Au contraire, l’auteur de l’article pense « qu’il paraît plus

conforme à la loi générale de la Nature de supposer de véritables œufs attachés autour de la base de

l’animal »34. On voit ici la difficulté des débats de l’époque sur le mode de reproduction, l’auteur

cherchant à prouver que ces animaux sont vivipares et que les Lois de la Nature commanderaient

finalement surtout la reproduction sexuée. L’article se termine par une utilisation des Actinies assez

étonnante qu’aurait promue Dicquemare : leurs mouvements pourraient prévoir le temps qu’il fera…

Enfin, en annexe en quelque sorte à cet article, les diverses espèces d’Actinies énumérées au début

sont brièvement décrites. Dicquemare sera reconnu longtemps après sa mort comme le spécialiste

des Actinies. En 1822, dans le Dictionnaire classique d’Histoire naturelle, de Bory de Saint-Vincent,

Jean Vincent Lamouroux écrit : « L’abbé Dicquemare a étudié les Actinies avec une sagacité digne des

plus grands éloges ; il les a observées dans tous les états ; il a multiplié les expériences et ne nous a

rien laissé de nouveau à découvrir ; ainsi, l’on ne doit pas être étonné que la plupart des auteurs

aient parlé d’après lui »35.

31

Ibid., p. 5.

32 Ibid., p. 5.

33 Ibid., p. 7.

34 Ibid., p. 7.

35 J.-V. F. Lamouroux, « Actinies », Dictionnaire classique d’Histoire naturelle, tome I, Paris, Baudouin Frères,

1822, p. 107.

3 – Conclusion. L’abbé Dicquemare fut un savant physicien et naturaliste assez complet, comme il en existait encore

à la fin du XVIIIe siècle. Astronome, géographe, zoologiste, par certains aspects un peu précurseur de

l’écologie, mais aussi intéressé par la paléontologie naissante. Le paléontologue Eric Buffetaut signale

ses travaux de recherche d’ossements fossiles dans les falaises bordant la Manche, non loin de

l’embouchure de la Seine36. En 1776, Dicquemare signale la découverte dans ces falaises normandes

d’ossements pétrifiés qu’il nomme ostéolithes et auxquels il attribue une origine vivante, mais sans

pouvoir les identifier correctement37. Buffetaut, se rapportant à l’évolution ultérieure des

connaissances, écrit : « Une de ses illustrations suggère qu’il eut entre les mains un fémur de

plésiosaure. Les difficultés rencontrées par l’abbé Dicquemare n’ont d’ailleurs rien de surprenant à

une époque où les connaissances en anatomie comparée étaient encore embryonnaires. Les choses

changent à l’aube du XIXe siècle, avec les travaux de Georges Cuvier qui fournissent la clé permettant

d’interpréter scientifiquement les restes de Vertébrés disparus »38. De fait, ce sont non seulement les

travaux de Cuvier, mais l’ensemble des travaux d’anatomie comparée de la période 1780-1810 qui

vont fondamentalement changer les données du problème. Si Dicquemare ne parvient pas à bien

identifier les restes fossiles qu’il a entre les mains, c’est qu’il ne sait pas relier ces restes à un organe

d’un groupe zoologique connu et qu’il ignore évidemment la loi de corrélation des formes que Cuvier

mettra en valeur. Toutefois, il sut reconnaître des coquillages fossiles, sans cependant bien

comprendre leur origine. Dans le cas du Nautilus, il écrit : « On conclura sans doute que cette

pétrification, comme beaucoup d’autres, s’est opérée dans la coquille d’un Nautile renfermé depuis

longtemps dans ces falaises, laquelle avait auparavant servi de logement propre à un être vivant ;

donc on connaît encore l’analogue dans l’Océan indien, puisque on aperçoit des restes non

équivoques de l’état primitif qui dévoile son origine et son usage… »39. Dans ce cas, l’origine est

relativement simple à apercevoir, par contre reconnaître, comme le fera Cuvier, des restes de

crocodiles dans les quelques ossements fossiles des falaises normandes est beaucoup plus ardu et

relève proprement du développement du raisonnement paléontologique.

36

E. Buffetaut, « Á l'aube de la paléontologie des Vertébrés : Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire et les "gavials" de Honfleur, du Havre et de Caen », Bulletin de la Société Géologique de Normandie et des Amis du Muséum du Havre, tome 95, fasc. 2, p. 153-162.

37 J.-F. Dicquemare (abbé), « Suite des observations sur la nature & l’origine des coquilles fossiles »,

Observations sur la Physique, l’histoire naturelle et les arts, vol. 7, 1776, p. 38-41.

J.-F. Dicquemare (abbé), « Ostéolithes », Observations sur la Physique, l’Histoire naturelle et les Arts, vol. 7, 1776, p. 406-414.

38 E. Buffetaut, « Á l'aube de la paléontologie des Vertébrés : Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire et les "gavials" de

Honfleur, du Havre et de Caen », op. cit., p. 154.

39 J.-F. Dicquemare (abbé), « Suite des observations sur la nature & l’origine des coquilles fossiles », op. cit., p.

41.