« Échec au roi (1 Samuel 15). Le récit biblique comme échiquier de la vérité », in...

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Qu'est-ce que lavérrté ? Sous la direction de srNofr nouRGINE, JosEpu rarrarnÉe ETPAULSCOLAS resÉomoNsDUCERF ulnvrnsrrecArnoI-reuE PARI DELOTIVAIN FACT'LTE DE TTIEOLOGIE 2W

Transcript of « Échec au roi (1 Samuel 15). Le récit biblique comme échiquier de la vérité », in...

Qu'est-ce que lavérrté ?

Sous la direction desrNofr nouRGINE, JosEpu rarrarnÉe

ETPAULSCOLAS

resÉomoNsDUCERF ulnvrnsrrecArnoI-reuEPARI DELOTIVAIN

FACT'LTE DE TTIEOLOGIE

2W

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ÉcuEC AU Ror (1 sAMUEL 1s).rs RÉcm BrBLreuB couMÈ ÉònrQuren

DE LA vennÉ

JEAN-PIERRE SONNET

Les dictiohnaires théologiques, et notamment de théologiebiblique, ont tous une entrée ,, vérite >>. Mais ils fort |id"ir"sur l'expérience première de la vérité dans les écritures biblià;,celle-là qui se vit dans I'acte de (Ieur) lecture- s'embarquer dansle récit de la Bible, c'est sc iurprendre en effet a " faire ia'v*;J;;,en démélant l'écheveaudes prbpositions des uns et des autres, ense pronongant sur la vérité relative de leurs reparties aux tour-nants de l'intrigue, en se surprenant à émettre dès jugements, ouencore l$flnerdesjugements, bref en se découvrait éngage aansun travail de vérité. si tout récit fait jouer cet exercice"- éommeun transcendairtal de.la lecture--, il_irend une tournure particu-lière dans le récit biblique, car il s'y fait en contexte de ré*lationl nrolimitC du personnage de Diéu er de ses pr.ptei"i

";-À;;9*r l".r patgr de I'absoru. L'exercice obfigé ,ir rtr,i"ia"ti."des vérités relatives (qui dit vrai, et pu. .uppo.tÉ qui 1 s,y mue enfpproche de la vérité en ce qu'elle à d'abiòlu : dàns ces histoires,Ie personnage de Dieu croisè toujours l,entre-vérité_"id;*;;;;des hommes et des femmes mii en scène. C,est fa, uouÀrirjàTlnTo: une dramatique de la vérité entièrement."rrrir" à Ia sagà_clté du lecteur. Nous ne.nous. savions pas à ce point impliqiésdans Ia vérité scripturaire, pu1ti" p.enuné O" ,u.eVeladon-'- '-

80 QU'EST.CE QUE LA VÉRITÉ ?

souvrENs_Tor p'AMALEQ

. J'ai parlé d'exercice. Transportons-nous sur Ie terrain d,exer-cice que j'ai choisi, en l'occurrènce le chapitre 15 du pràmi;rii;r"de samuel- En suivant de près ra lecture qu'"n piopose ùeirsternberg r, je voudrais .. ré-èffectuer >> ra aràatiqieÉe ru uoi,equi se vit dans la lecture de ce récit. Le texte choisi est ae ceux àtDieu nous apparait theo-rogicaily incorrect (puisqu'il o"rnàno^*ude massacrer un peuple) et arbitraire, énònqant ,r" ,à"ti"nùsproporttonnée par ppport aux actes commis. Envoyé par Dieufrapper Apu§q, Saiil a, découvrons-nous, épargne i, alug Èid'Amaleql et le meilleur du petit et du gros Ueiaif l, (r. q).E;qi;àicet écart j_ustifie+-il la punition divine, qui arraòhe É,' suù-ruroyauté ? saiil n'a-t-il pas suivi l'essentiei des instructiorr,

"ndétruisant Amaleq, .et

cela n,excuse-t-il pas le reste ? Wy a_t_ifpas. une flagrante dsnrotrortion entre eiécution et rétriÉuiion,péc-h-9 et punition ? Ce chapitre, comme d'autres qri ,or, ?ortproblème, est aussi de ceux où la Bible sort son grrnàj"u, et nousdit:<<Jugezparvous-mèmesr-, " --J--'

_ 1. voirM. STERNBER., The poetics of Bibrica! Nanative. Ideorogicar literature and

tlt1D-r7ryo _d R?ad.n* Bloomington, Ldiana University press, tbSS, p. qAa_ii{' j"

dois. à lvl. Stemberg non seulemènt l,essentiel du « cktse nodins » dé I Samuel 15repris dans ces pages, mais aussi la philosophie de Ia lecture (bibriqìe; qu'eues Àea.ntenGuvrc.

. 2.?* I'appréciation par Ie lecteur de l'épisode du rejet de saiil en r samuer 15mreryrent necessauement une première scène de destitution, racontée en I samuel 13 .en raison de sa désobéissance au prophète pendant le co-u"t

"o"r" io i{"rrrri"r,T"iiiest révoqué en tant que fondateurà" àyr*ù" 1uoi, i s-ii, r:-ral. r, droite ainsi tracéeentre. ces deux scènes n'esr pas sans rappeler àes précédents bibliques - airs r"s Jerxreci§

!u 1e1v9rj,-ry39r ri_§a1a (cn t6 etzr, sliii "i

oe i" aepJràrr* à;#ipi.son frère (G*25,29-34 et 27). comme l'écrit M. STERNBERG, « ce n,est nullement oarlm*::::::_Itle paire se place à des poinrs de l,r,ir,"i* É,i rji, il;ffi;#';;r numaurc pourart éprouver co.me arbiuaires, sinon injustes, tant ils vont a l'encontredespriorités sociales ou naturelles {...1. saiil a perdu sa piacedès sonp."mi".oeiit-urà1j[ll1f"_yl"{ei eui du.1e.st; Ismael a peidu la sieàne sans étre rri_o,e-"

"n r"oi",

e[ È,saù er rarson de Ia complicité entre Rébecca et Jàcob. Mais une série de deux permetau Écit de renforcer, de diversifier ou d'équilibrer les motivations conoulr*t oo'."io*_nement, et de prolonger son.exécution. Ismaèl n,est pas.respo*;bbi;-;;;;*comportement de sa mère, mars il est responsable du sià. Ésaii a été aép"riiiJa"ì,bénédiction p-ar tromperie, mais seulementiprès avoir vendu son droit d,aìnesse a Jacobpour une bouillie..saiil, ayant regu une première mise en garde en matière de désobéis-sarrce' aggrave son cas et souffre proportionnellement. partout" le redoublement /e /ozgde-l'ax3 du temps amplifie Ie choix divin et re fait passer de l'acte uu procoro!- deuxième chance incluse: tout en atténuant le coup imparti au non+rr, en aètir.anti"coup par étapes, et s'il le faut en ordre ascendant.

^Et ui, *o*"nt où Ie second.rouzd

Écssc AU Ror (t sAMUEL 15) 81

rsamuel dit à saùl : << C'est moi que yswH a envoyé pour t,oindrecomme roi sur,son peuple, sur IsraéI. Maintenant donò, éioute la voixdes paroles de YHwn.2Ainsi parle yuwu des armées : Je vais demandercompte à A1{eq de ce qu'il a fait à IsraéI, en lui barrant Iu.out. quunall montalt d'Egypte. 'Maintenant donc, va et frappe Amaleq. Vousvouerez à I'interdit tout ce qu^i lui appartient. Tu ne f èpargneras pas. Tumettras à mort hommes et femmes, enfants et nouràss6ns, bàufs etmoutons, chameaux et ànes. >>

I a fin du chapitre précédent a évoqué les guerres de Saùl<< contre tous ses ennemis » (1 s 14, 47).Le chapitre 15 nous lemontre aux prises avec le dernier d'entre eux, Amàleq, qui occuoeune place à part dans la mémoire d,IsraéI, ainsi qué i'expliqueMoise dans le Deutéronome :

17« souviens-toi de ce qu'Amaleq t'afaitsur votre route, à la sortied'Égypte, tslui qui est venu à ta rencontre sur ra route

"t à aZt uìt, a

I'arrière de ta colonne, tous ceux,qui trainaient, alors que t, etar Éfuìseet fourbu ; il n'a pas craint Dieu. 'eArors, quand yuwrton Dieu t'ui"or-d"r49 repos face à tous tes ennemis d'alentour, dans le pays qu" i*,ton Dieu te donne comme patrimoine pour Ie posséder, tu erf*".* a"sous le ciel la mémoire d'Amaleq. Tu nioublieias pas ! » [Dtz7, i-1i.1

Le moment de ce << devoir de mémoire >> semble étre venu. I,ecombat << fondateur >> avecAmaleq, lors de la sortie d Égyp" G,raconté en Exode 17, 8-16), a mis en lumière la médiitiìn àeMoi'se, leader << aux mains levées ». Voici à présent que lepremier roi d'Israèl est confronté lui aussi à Amaleq,

"o-ril". itavait à passgr ule épreuve identique. Représentant-d'une rormenouvelle de leadership,:"11" de la royaute, satit sera-t-il le garant,cornme le fut Moise, de l'existencé du peuple fac" a ailÈq,l'ennemi qui ne fait pas nombre avec res iutrès ? Dans la losiouèdu récit, qui esten effet cetAmaleq q}i, en Exode 17, a surgidansle désert après le passage de la Mérl, alors qu,au no manis Land

réalise ou mène à terme la chute du personnage, le premier nous y avait déjà pÉpaÉs »(I o Grande Chronologie. Temps et espace dans le iécit biblique àe lhistoire,

"oir. " L

livrc et le rouleau >> 31, Bruxe[es, l,essius, 200g). Au paramètre temporel se joinrleparamètre spatial, puisque les deux scènes se passent à Gilgal ;.à propos du reiour desafl a Gilgal après la campagne conrre les Amalécites (1 s ti tz), i. pòrrcr-rueN cat :<< une forme de mauvaise conscience le ramène à lendroit de sa condarnnation; itnepeùt pas échapper à ce lieu sacÉ, à la manière d'un meurtrier revenant à l,endroit àuc'jme >>(NarrativeArtandPoetry inthc Booksof samuel.vol.Il.rhecrossins pi;s,tiSaru 13-31 and2 Sam I l, Assen. Van Gorcum, 19g6, p.95 [ie traduis]).

1. Si Amaleq est Iié en Nb 13, 29 et 14 ; 394s à la frontière sud du Négeu, le lieu du

82 QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ?

du désert Israèl ne rencontre aucun peuple et n'est affronté qu'àlui-méme t ? Q.ui est cet Amaleq, sinon I'autre le plus intimed'IsraéI, sinon Esaù redivivus - Amaleq est en effet le descendantdirecr d'Esaii, le fils de son fils 2 (Gn 36, 12.16). Qui est Amaleq,sinon le << revenant >> d'Esaù, le fantÒme du jumeau avec quiJacob-Israèl s?est battu dans le sein maternel (Gn 25, 22), unjumeau en forme de nation, comme l'a d'ailleurs précisé l'oracledonné à Rébecca: << Deux nations sont dans ton sein, deux peuplesse détacheront de tes entrailles. L'un sera plus fort que I'autre etle grand servira le petit » (Gn 25, 23).Qui est cet Amaleq sinon leaouble d'IsraéI, le double mortifère3, pour une part projeté ouconvoqué par Israél lui-méme, lorsqu'il n'y croit plus. Amaleqentre en scène en Exode 17, 8, juste après la mention, au v. 7, dela parole des fils d'Israèl : << YHwH est-il au milieu de nous, oui ounon' ? >> Les doutes d'Israèl font surgir Amaleq comme un djinnen plein désert, là où le peuple fait en éalité face à lui-mème. Undouble mortifère donc, à la fois imaginaire et réel, comme cesimages de soi qui agressent réellement le soi, à la fois soi et autreque soi - Amaleq surgit par surprise et, comme le dit le Deutéro-nome, agresse Israél par-derrière, en attaquant son point le plusfaible. Si Israél nait à la vie de son rapport de lutte avec Dieu (voirEx 32,29), Amaleq, qui lui en veut à mort, est lui aussi en lutteavec Dieu, comme le déclare Moise au terme du combat fonda-teur : << C'est la guerre entre Yuwn et Amaleq d'àge en àge >>

(Ex 17, 16)5. Le combat avec Amaleq, auquel Dieu envoie Saiil,

combat avec Amaleq en Ex 17, 8, Refidim, n'est localisable qu'à partir des paramètres

du Écit : le peuple est alors en plein désert, entre le désert de Sin (Ex 17,l-7) et I'arrivéeaumontSinai(Ex 19, l).

l. C'est en sortant du désert qu'Israél se heurtera aux peuples de Canaan d'abord(Nb 13-14), de Transjordanie ensuite §b 2G31) et de Canaan a nouveau (en Nb 21, 1-3,ainsi qu'au long du livre de Josué).

2. Lr commèntateur juif médiéval Hizquni va jusqu'à dire : Ésaù « attendit Amaleq,le fils de son fils, jusqu'a ce qu'ils sortent d'EgSpte », pour régler ses comptes avec sonfrère Jacob.

3. Il s'agit alon d'un retour typologique de (ou d'une régression à) l'Éjsaù déterminé à

tuer son frère (Gn 27,41), celui qui obsMe d'ailleurs Jacob lors de la traversée duYabboq (voir Gn 32,7-25), et non de l'Ésaù fraternel de la surprise des retrouvailles(Gn33,t-17).

4. Ainsi que l'écrit Rashi, l'épisode d'Amaleq << s'appuie sur le verset [quipÉcMe] » : I'apparition d'Amaleq procède des doutes du peuple, et la legon donnée parla victoirc sur Amaleq est la réponse divine aux doutes en question.

5. Outre Ex 17, 8-16 etDt27,.17-19, voir aussi l{b24;20; I S 28, 18 ; I Ch 4,43,ainsi que le'livre d'Esther (Haman, en Es 3, l.l0;_8, 3.5:9,24, est en effet présenté

comrre descendant d'Agag). À la différcnce de l'Égypte et de Babylone, dont Is 19,

22-25 etPs 87, 4 annoncent la bonvenion, Amaleq n'est promis à aucune Éhabilitatioridans l'histoire biblique. Dans une ouverture caracÉristique, la tradition rabbinique

ECHECAUROI(I SAMUEL 15) 83

est différent de tous les autres, sans concession ni compromissionpossible.. Avec ses symétries, l'ordre de Dieu à Saùl esf on ne peutplus clair et ne laisse pas de place aux incompréhensions et^auxexcuses : << va et frappe Amaleq. vous vouerei à l'interdit tout cequi lui appartient. Tu ne l'épargneras pas. Tu mettras à morthommes et femmes, enfants et nourrissòns, bceufs et moutons,chameaux et ànes >>. Pas d'exception humanitaire dans ce combairadical, alors que les lois de la guerre en Dt 20, 10-14 mettent lesfemmes et les enfants de l'ennemi à I'abri des << frappes >> mili_taires (avec « le bétail et tout ce qu'il y a dans ta^vitte », cesfemmes et ces enfants feront tout au pluÀ l,objet du butin). Toutce qui constitue Amaleq doit étre voué à l,anaihème, ou encore àl'interdit - l'interdit de mettre la main sur les fruits d'une victoireconsacrée à Dieu, ce qu'est de manière éminente une victoire surAmaleq(voirEx 17,16)-

SAÙLDANS sES GUVRES

Le récit d'exécution cortmence de manière inattendue. Ils'ouvre en racontant une initiative qu'il faut mettre au crédit desatil, car elle manifeste sa magnanimìté et sa capacité à distinguerles choses :

5saiil vint à la ville d'Amaleq, saiir se mit en embuscade dans le litdu torrent. 6satil dit aux eénités : << partez, écartez-vous, qoitt", fèìp1rgs d'43aleq, de qgu_r què;e ne te fasse un sort comme lui, alon quetoi, tu as fait pre.ve de bienveillance envers tous les fils d'Isiaél quàdils montaient d'Egypte. » Les Qénites s'écartèrent donc du milieu desAmalécites.

En racontant cette initiative (il aurait pu la passer sous silence),le narrateur se complique sans doute la fache, car il manifeste quele persornage de SaùI, lientÒt condamné, n,est pas intrinsèqùe-ment vil : le roi est capable de noblesse- Mais rapporter

"" geìt",

c'est manifester aussi que saùl est présent sur le ihamp de bitailleavec toutes ses facultés de juger. Au lecteur de tenii compte decette donnée. Vient ensuite I'exécution proprement dite-de lamission, qui commence sous les meilleuri arispices, puisqu,elle

osera toutefois aller plus loin : << un jour, les fils d'Haman étudieònt la Torah avec lesenfants d'Israèl à Bnei Brak » (falmud de Babylone ,GittinlTb).

84 QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ?

fait écho - << Saùl frappa Amaleq » - à l'ordre divin << frappeAmaleq », avant de prendre un cours inattendu :

'Saùl frappa Amaleq,^ depuis Hawila jusqu'à l'entrée de Shour, quiest en face dè l'Égypte. 8Il saisit Agag, roi d'Amaleq, vivant, et il vouatout Ie peuple à I'interdit, au fil de I'épée. 'Mais il épargna- Satil et lepeuple - Agag et le meilleur du petit bétail, du gros bétail et dessecondes portées, les agneaux et tout ce qu'il y avait de bon, et ils neconsentirent pas à les vouer à l'interdit. Mais toute la marchandise sansvaleur et de mauvaise qualité, ils la vouèrent, elle, à l'interdit.

Ces trois versets constitueront une pierre de touche pourI'ensemble de l'épisode, puisqu'ils émanent de I'instance qui,dans le récit biblique, est de part en part fiable (comme le sont lavoix de Dieu et de ses prophètes, lorsque ces derniers intervien-nent en tant que prophètes). Dans le concert des voix du récit, oùbien des personnages humains ont toutes sortes d'intérèts àtravestir la vérité, le narrateur est celui qui, conformément aucontrat de lecture spécifique à la Bible, dit le vrai r. C'est à l'aunede sa version des choses que toutes les autres versions, humaines,trop humaines, doivent ètre vérifiées. L'expédition, nous dit lenarrateur, a pris un cours inattendu, qui infléchit l'ordre divin.Dieu avait dit : « Tu ne l'épargneras pas >>, nous lisons « mais ilépargna >>. Ce verbe est ausii une .. vuè intérieure >>, nous donnantaccès aux sentiments de Saùl : fuml, << épargner >>, signifie égzle-ment << avoir compassion >>. Mais une telle compassion nous laisseperplexes. « Il épargna » - Qui ? Le faible ? Le sans-recours ? -« Agag et le meilleur du petit et du gros bétail ». Comme l'écritSternberg, foml fonctionne ici comme un euphémisme pour fumd,le verbe de la convoitise 2. Nous entrons d'ailleurs dans le point dewe de cette convoitise : << tout ce qu'il y avait de bon [aux yeuxdes pilleurs, bien s0r] >>, contre-distingué de la marchandise(< sans valeur et de mauvaise qualité >>. Si I'action est collective, lasynta(e a mis en évidence un sujet : << Mais il épargna - Saùl et lepeuple... », la préséance dans la phrase traduisant une préséancedans l'action. Fin de la scène. Remarquons que nous avonsentamé notre travail d'élucidation, relevant le retour d'un verbe,« épargner >>, à contre-pied de l'ordre divin, re1Érant le passage au

l. lrvrai,on l'auracompris, dans l'économiedu récit ; voirà ce propos J.-P. SoNr.re-r,

« Y a-t-il un narrateur dans la Bible ? La Genèse et le modèle narratif de la Bible », dans

Bible et littérature. Dieu et l'homme mis en intrigue, Fr. Mies (éd.), coll. [r livre et lerouleau 6, Bmxélles, Irssiug 1999, p. 9-27 .

2. M. Srr.nxsER.c,The Poetics of Biblical Nanative, p. 490,

ECHECAUROI(I SAMUEL 15) 85

pgint d9 vue très intéressé de Saùl et de ses hommes, notant lahiérarchie dans l'ordre des sujets - << Saiil et le peuple >>. Autantd'opérations que nous avons faites en nous fiànt àu naoat"ur.Mais remarquons aussi que ce dernier n,a formulé aucuncommentaire,

-auc_uJl jugement, aucune condamnation (comme il

lui arrive de le faire.:_.,,Ce que fit untel déplut aux yeux deYgws »). C'est que l'évaluation morale des ihoses va prendreune autre voie-

L'ELLIPSE DE LA NI.JIT

tT-a parole de Ynws fut adressée à Samuel pour dire : rr.<.< Je merepens d'avoir fait de satil un roi, car il s'est aétourné de moi et il n,apas mis à exécution mes paroles. » samuel entra en colère, et il cria versYHwu toute la nuit.

Communiqùée au prophète, la réaction divine - << Je merepens >> - est aussi communiquée au lecteur par les soins dunarrateur; le lecteur devient en outre témoin de la réaction duprophète, qui « cale >> devant l'attitude divine. C,est que Samuelest devenu 9n q3glque sorte le sponsor de SaùI. Le prophète acertes résisté initialement à l'adoption de la royauté,^màs, unefois celle-ci ratifiée par Dieu, it a fait du roi sa créature. samuel aeu - et aurajusqu'au bout - un attachement désordonné à l,ésarddu roi Sai.il. Brèl Samuel crie toute la nuitr, estrÉrant, ;*;;ìl_1.u91To.-o}-teg{-un reviremenr divin, un repentir du repentir deDieu' (la Bible hébrareue est familière de l,intercession prophé_tique, implorant Dieu de « se repentir du mal >> qu,il u *rioréé r;.Mais c'est là une nuit interminable résumée en i"u de mots, et fenarrateur fait l'impasse sur la réponse de Dieu à I'intercession duprophète, créant ainsi.une belle ellipse narrative - de celles quiappellent des hypothèses de la part du lecteur : Dieu s'est'_ilrepenti de son repentir ? A-t-il opposé un refus à la demande du

1. En I s 7,8-9, Ie mème verbe a été utirisé pour décrire l'intercession de samuel enfaveur d'IsraèI, intercession couronnée de succès : « samuel cnz vers ynwn pour IsraèI,etYnwrluirépondit. »

_ 2 voir à ce propos J. FoxrcruvraN, Narrative Art, p. 93 ; srrnNaen c, The poetics ofB*w"l Nanative, p- 502 ; J.-P. sor.nve-r, « God's Repentance and "False sturt"- inliblical History », dats Froceedings of the xN congiss of the losor, J. Krasovec(ed.), tryde, Brill, 2008.

3. Voir Ex 32, 12.14 ; 2 S 24, 16 ; Jr 18, 8.10 ; 26, 3. 13.19 ; 42, tO ; \2, 13 ; Jon 3,lO;4,2;Am7,3.6; I Ch2l, 15.

86

LACONFRONTATION

La confrontation se joue dans un rythme binaire que met enlumière la disposition en deux colonnej I

:

QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ?

IaSamuel dit : « Quels sont cesbèlements que j'entends et cesmeuglements qui frappent mesoreilles ? >>

l6Samuel dit à Saùl : << Arréte. Jevais t'annoncer ce que m'a ditYHwH cette nuit. >> Il lui dit :<< Parle. >>

rTSamuel dit: << Bien quetu sois peu de chose à tes propiesyeux, n'es-tu pas à la téte des tribusd'Israél ? Ygwu't'a oint comme roid'IsraèI. tsYswH t'a envoyé enexpédition et il a dit : 'Ya. Tuvoueras à I'interdit ces pécheurs;Amaleq, et tu les combattrasjusqu'à leur exténuation." >>rePourquoi n'as-tu pas écouté l4

prophète ? Lui a{-il donné une réponse autre encore ? Il nous fautaller de I'avant dans la lecture pour espérer élucider I'ellipse. Enaccueillant d'abord la surprise : au matin de cette nuit drarnatique- << Samuel se leva de bon nqatin » (v.lZ) -, le prophète va dàitvers Saùl pour-engager une_confrontation, dans un r,àpport qui n,aplus rien à voir avec une {orq" de lobbying. eue i est_il^passépendant cette nuit pour qu'au prophète .é"urcitrant succcal sanstransition un prophète déterminé àlaire lavéité,toute la vénté ?

r3Samuel se rendit auprès de Saiil,et Saùl lui dit : << Sois béni deYsws ! J'ai mis à exécution laparoledeYnwu. >>

r5satil dit : « Ils les ont ramenés dechez Amaleq. C'est que le peuple aépargné le meilleur des brebis etdes baufs pour les offrir en sacri-fice à YHwu ton Dieu. Quant aureste, nous I'avons voué Al'interdit. »

1..^P^oy^".*-*ise en page, voir M. Srenlrnexa, The poetics of Biblical Nanative,p. 49-500' qui commente : << verticalement, nous.avons dans thaque colonne uneséquence de variations dans le.rapport [que fait saiil de son intervention contre Amaleq]qui conduit graduellement mais inexorablement vers un point culminant. satil fait touiéla route d'un 'T'ai mis à exécution la parole de yrwn; exultantjusqu'a h volte-faced'un 'T'ai peché" ; et Samrrcl, de I'interrogation anodine à propos àe bèlements demoutons à l'afiirmation brutale du rejet. Horizontalement, nòus avons une séquenced'échanges dont la logique de discours et de contre-discours motive de manière drama-tique la nature, I'extension et le mouvement de la épétition et produit I'un des dialoguesles plus élaborés de la Bible » (p. 500 [e traduis]).

-

2osatil dit à Samuel : << J'ai écoutéla voix de Yswu. Je suis parti enexpédition là où Yuwn m'avaitenvoyé. J'ai ramené Agag, roid'Amaleq, etAmaleq lui-méme, jel'ai voué à l'interdit. zrle peuple apris sur le butin du petit et du grosbétail, le meilleur de ce que frap-pait I'interdit pour sacrifier àYHwH, ton Dieu, à Gilgal. »

2osai.il dit à Samuel : « J'ai péché,j'ai transgressé l'ordre [a bouche]de Ynwu et tes paroles- C'est quej'ai eu peur du peuple etj'ai écoutéIeur voix. DMaintenant, je t'enprie, pardonne mon'péÉhé etreviens avec moi, que je me pros-teme devant YHWH. >>

2'Quand Samuel se retouma pourmanteau, qui fut arraché.

ÉcupcAURor(l SAMUEL 15) g7

voix de YHws, pourquoi t'es-tujeté sur le butin et as-tu fait ce quiest mal aux yeux de Ygwu ? >>

22Samuel dit alors : « Yuwu aime-t-il les holocaustes et les sacrihcesautant que l'écoute de Ia parole deYuwu ? Voici : l'écoute est préfé-rable au sacrifice, la docilité à lagraisse des béliers. z3Mais la rébel-lion est péché de divination, etI'obstination, iniquité et idolàrrie.Puisque tu as rejeté la parole deYy*r, il t'a rejeté, tu n'es plusrol. >>

26Samuel dit à Saiil: << Je ne revien-drai pas avec toi, car tu as rejeté laparole de Ynws ; Yuwu t'arejeté,et tu n'es plus roi d'IsraèI. »

partir, il attrapa le pan de son

4samuel ]ui dit : << YuwH t'aarraché la royauté d'IsraéI,aujourd'hui, et il l'a donnée à unautre, meilleur que toi. » %t aussi :.

« La Splendeur d'Israèl ne ment paset ne se repent pas, car Il n'est pinsun homme, lui, pour se repentir » 'ssatil dit : « J'ai péché. Mainte-

nant je t'en prie, rends-moihonneur devant les anciens de monpeuple et devant IsraèI. Reviensavec moi : je me prosterneraidevant YnwH, ton Dieu. >>

3rsamuel revint à la suite de Saiil, et Saiil se prosterna devant ynwst...1.3ssamuel

ne revit plus Saùl jusqu'au jour de sa mort : c'est que Samuelpleurait Satil, car Ynwu s'était reperrti d'avoir tait régner Satil sur IsraéI.

88 QU,EST-CEQUELAVÉRITÉ ?

vERsroNS RÉvlsÉss

r3Samuel se rendit auprès de Saiil, et Saùl lui dit : « Sois béni deYsws ! J'ai mis à exécution la parole de yuwu. »

À cette déclaration du roi exultant, Samuel aurait pu opposer lavérité symétrlqu", qu'il tient de Ia bouche de Dieu^: ...iiì,a pasmis à exécution mes paroles» (v. ll); il préfère contrer le^roiavec une question toute rhétorique : << Quels sont ces bèlementsque j'entends et ces meuglements qui frappent mes oreilles ? >>Laquestion est rhétorique, car Samuél connait l,origine de ce butinqui meugle e! Oui béIe - il a appris de Dieu que ùnterdit n,a pasété exécuté. Saiil, lui, ne sait pas que Samuef sait, et de Ia soùce!a plus- autorisée qui soit. Se fiant à I'appel que vient de faireSamuel au témoignage des sens (« ces bélèmenis que j,entends etc.es meuglements qui frappent mes oreilles »), Saùi ndpergoit pasI'ironie du prophète, et prend la question comme unè démanOed'informations empiriques. Alors qu,une réponse morale _ uneconfession des choses, une reconnaissance dè sa faute - serait laseule démarche à mème de le sauver, Satil opte pour le rapportfactuel. fepglag que Samuel ignore tout des òhos*s, il espèie sesauver par le biais d'une version révisée des faits :

t5saùl dit : << Ils Ies ont ramenés de chez Amaleq. C'est que le peuple3-épargné

le meilleur des brebis et des baufs pour Iàs onrir én sacinc! àYnwu ton Dieu. Quant au reste, nous I'avonjvoué à l,inlerdit. >>

La version est fortement révisée. Adroitement, Saiil ne faitauglng allusion au plus grave - le fait d,avoir épargnéAgag _ etse limite aux données qui étaient directement iàptilqueeioins laquestion (les brebis et les beufs), passant sous silìnòe le reste dupqtin - << tout ce qu'il y avait de bon » (v. 9). Aux omissions sejoint une addition, un élément que nous n,avons pas lu dans lerapport du narrateur : <( pour [lesJ sacrifier à ynwn ion Dieu ,. Lelecteur peut hésiter un instant et mettre les choses en balance : lenqrr?jgu.r a-t-il passé sous silence cette intention ? Saiil parle_rait-il ici sincèrement ? Après tout, la scène se passe au san"tuuir"de Gilgal qui fut, plus haut dans l,histoire, ie lieu où Samueldonna rendez-vous à Saùl pour y offrir des sacrifices I (voir I S 10,

l - k rendez-vous à Gilgal a toutefois mal to,rné, et l'épisode a débouclÉ sur la prcmière

Écurc AU Ror (l sAMUEL 15)

8 et 11, 8-15 ; cf. 11, I4). « Faire la vérité >> du texte, c'estaccueillir les hypothèses que la narration fait naitre. Prenant Saùlau mot, certains commentateurs ont donné à cette hypothèse uneportée maximale, défendant la bonne foi du roi et du peuple dansl'affaire : ce qu'ils avaient en téte en mettant la main sur le meil-leur des troupeaux, c'était offrir un sacrifice désintéressé àYgwu ; ils ont cru que << vouer à l'interdit >>, c'était mettre à parten vue d'un sacrifice r. Le lecteur hésite, remonte alors à I'oidrede Dieu, relit l'injonction divine - elle ne prète pas au malen-tendu - et au récit d'exécution - ce dont il rend compte est undébordement de convoitise qui ne laisse pas de place à la perspec-tive édifiante d'un sacrifice2. L'intention du sacrificeàppàraitbien plut6t comme un motif pieux ajouté par Saùl après coup,destiné à blanchir l'offense, en flattant d'ailleurs Samuel aupassage : << pour sacrifier à YuwH ton Dieu3 ,r. Relevons égale-ment le recours subtil que fait Saiil aux pronoms personnels et auxsujets d'actions : << 1/s les ont ramenés de chez Amaleq. C'est quele peuple aépargné le meilleur des brebis et des beufs pour sacri-fier à YuwH ton Diev. Quant au reste, nous l'ayons voué àl'interdit ». Au sujet collectif, dont se démarque le roi (« ils >>, << lepeuple >>), succède le << nous » final : << Quant au reste, nousl'avons voué à l'interdit >>. La première personne, incluant lapersonne royale, resurgit lorsque réapparait l'action explicitementdemandée par Dieu (<< vouer à l'interdit »). Dans cette affaire,insinue SaùI, tout le monde a pensé bien faire (en vue d'un sacri-fice), et personne n'a bien fait autant que le roi, personnellementengagé dans l'<< interdit >>. Le lecteur, Iui, ne peut oublier, laversion autorisée du v. 9 : << Mais il épargna - Saiil et le peuple -éviction de Saiil de la royauÉ (voir p. 80, n. 2). Est-ce ce. souvenir firneste qui pousseSamuel a une forme de maladroit raurapage, en revenant sur le motif du sacrifice ? -

1. Voir D. M. GuNu, The Fate of King.§au( coll. JSOT Sup 14, Sheffrel( JSOTPress, 1980, qui soutient que Saùl a agi de part en part de bonne foi, ayant cru que<< vouer à I'interdit » requérait de « sacrifier >> culhrellement (voir notamment p. 49-54 àpropos de la pÉtendue compatibilité entre f;rm, << vouer a I'interdit », et zbfu, << saci-fier »). L'hypothèse de Gunn est adoptée par J. CHenvl Exurra, Tragedy and BiblicalNanative. Arrows of the Almighty, Cambridge University Press, 1992, mais critiquéepar FoxxeurlaN , Narrative Art,p. 104, n. 28.

2..8n s'érigeant << un rRoìument à lui-mème » (l S 15, 12) pour commémorer sonhaut fait avant de descendre à Gilgal lieu du pétendu sacrifice, Saùl trahit ses proprespriorités, toutes centrées sur lui-meme et non sur son Dieu, ainsi que l'écrit Foxru-rvreN(Nanative Art, p. 95)- Beau contraste dès lors avec Moise qui, apès la victoié contreAmaleq, « bàtit un autel, lui donna le nom de "Ynwn mon étendard" » @x 17, l5).

3. Et non << mon Dieu » ou << leur Dieu ». Ainsi que l'écrit ForxrrNan : « avec ledoucereux 'ton Dieu", Saùl essaie d'impliquer Samuel dans le scénario >> (NarrativeArt, p.96 [je traduis]).

89

90 QU'EST-CE QUE LA VÉRITE ?

Agag et le meilleur du petit bétail, du gros bétail... >> En d,autrestermes : nous comparons, nous décelons les demi-vérités, Iessuppressions et les additions, nous surprenant à effectuer uneenquète parallèle à celle de Samuel.

LE PROPHÈTE Se OÉUasque

À ce point de l'échange, Samuel coupe court :

r6Samuel dit à Saiil : « Arréte. J_e vais t'annoncer ce que m,a dit ynwucette nuit. » Il lui dit : « Parle. ,> rTSamuel dit : « Bien que tu sois peu dechose à tes propresyeux, r'es-tu pas à la téte des tribus d'Israél ? yswHt'a oint cofiìme roi d'Israèl. r8Yswu t'a envoyé en expédition et il a dit :"Va. Tu voueras à l'interdit ges pécheurs, Amaleq, et tu Ies combattrasjusqu'à leur exténuation." lePourquoi n'as-tu pas écouté la voix deYnws, pourquoi t'es-tu jeté sur le butin et as-tu fait ce qui est mal auxyeux de Ynwu ? »

Coup de tonnerre pour SaùI, qui découvre qu'il a en face de Iuiun -prophète dans ses euvres, muni d'informations d,originedivine qui le prennent en défaut - <<jusqu'à leur exténuation », adit Dieu, c'est-à-dire : tu as oublié Agag. Il fait face à un prophètequi débusque son mensonge - " fourquoi t'es-tu jetè sir lebutin ? >>, toi et non Ie peuple, conune tu l'insinues dani ta versiondes choses. << Toi >> : tout le discours est adressé au << tu » du roi ;le prophète a e*arté du revers de la main les jeux sophistiqués duroi sur les pronoms, comme sans pertinence et indignes-du roi(<< n'es-tu pas à la tète des tribus drlsraèl ? »). La reJponsabilitédes choses incombe d'abord au roi: « Pourquoi n'as-tu pas écoutéla voix de Ynws ? >>Laquestion traduit une déceptionl mais elleest aussi une invitation à la repentance, qui seirle permettraitencore d'éviter le désastre.

Saiil, toutefois, ne regoit aucun de ces signaux, à la différenced'autres personnages proches de lui dans le récit, qrri se distin-guent par leur capacité à reconnaitre les choses ou à confesser leurfaute, à commencer par son propre fils, Jonathan, au chapitreprécédent r. Dans unelofie aveugè - Satil sait à présent qui iù enface de lui ! -, il commence par démentirplatemènt : << J'ai écoutéla voix de Ynwu ». Et il conieste ensuite point par point : << Je suis

l. Voir I S 14, 43; cf. Ia confession d'Achan en Jos 6, 2l-22 (en contexted'anathème) et celle de David en 2 S 12, 13.

ECHECAUROI(I SAMUEL 15) 9I

partl en expédition là où yHwH m,avait envoyé. J,ai ramenéAgag, roi d'Amal"q, "l Amaleq lui_méme, j" f i ""ià al'interdit' » saùr ne-cherche ptus a'piJsent à passer sous silencel'épisode d'4qug- Mais pourquoi le àentionn"'-t-ii ra,rrli r" l"ì, zEs.t-ce pour faire passeicette initiative en contrebande, entre lesactes méritoires qui précèdent et qui suivent f" i. ,ui. ,r."r;'

« j'ai voué à I'interdii») ? oy "rp#; ;il"àiàt ili#r::il:;11

caftyle- {.Agug puisse d,uné cerraine maruere redorer sonblason ? V-oilà pour m p31t En contr"partie, I,affaire de la ruée surle butin er l'infraction à. I'interdit ,onir"pté". ,r.1" t;;i":, ; l"peuple -a

pris sur re butin du petit et du lros bérail, rè #ill;rr;"ce que frappait l'interdit " 1v.zt)- maiJsaùl retient r"-Jirutt,:_nuant - << pour sacrifier à yswH, ton Dieu, à Gilgal

" _ ;;"i;-* _

tissant d'une locarisation qui le rena prus ptuuiiut",. ii^"nLà.apparemment à créer une òpposition maximale ehtre rri_*l*"gui es.t dans Ie !on, ej.le^peirfte qui u,"u to.rt au plus Ae Oonnesintentions, sur fond d,infiaction a t,unuitarn". O;;;,"iirr,ìil::l :::f: r s es_répon se s d e s an g_ froi d ; d;; J ; ;;; d;

" :;"" i,ce qur devrent de plus en plus-suspect est son aptitudà à h,r;jr;;É.C'est en effet Ia conclusi,on à laquelle pu*r"nt <( notre homme >>dans Ie drame, Samuel : r --

zsamuel dit alors : « ynwn-aime-ril les holocaustes et Ies sacrificesautant que I'écoute de la parole ae VnwH i Voici : l,écoute;;;;;rable.au sacrifice, Ia docliìé à Ia graisse a"r ueiior. àffi;i";à:ffi;est péché de divinarion, et I'obsriiation, iriqritJ"i;"iffi;.;#r;;;as rejeté la parole de yHwH, it t,u ,"j"te,iril"r'ptr, .oi. ,

§é.f.ospectivement, quelque chose de l,ellipse du v. l l s,éclaire-.liellipse -qyi nous faisai^t nous demunàer : sur quoi a doncdébouché I'intercession de samuel .. ioute ra nuit » ? Nouscomprenons à présent que-si_Samuel, le propt

"t"?"ri"i^r.iir,s'est:transformé en avoiat de l,accusaiior,i,"'rt pdd" il;,pouvons-nous infére4 I'a invité à jugerparrui-méme "rà

iirJri"Jpropres conclusions d'une confrontatiori.

l. Voirp 88, n. l.

92 QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ?

UNE CONFESSION PATHÉTIQUE

Mais c'est au moment où la vérité à démontrer _ << tu n,es plusroi >> - se trouve démontrée que vient la surprise. Dans un,"rir"_ment que rien ne laissait prévoir, Satil s'écriè en effet :

'or:J'^ péché, j'ai transgressé l'ordre [la bouche] de yswH et tesparoles. C'est que j'ai eu peur du peuple et j'ai écouté leur voix. rMain_tenant, je t'en prie, pardonne mon péché et reviens avec moi, que je meprosterne devant YHwH. )>

Saiil confesse son péché mais, ce faisant, il récidive et jette ànouveau le blàme sur autre e9e lui : << j'ai eu peur (yr, ) dupeupleetj'ai écouté leur voix >>. Parler ainsi, c,est en effetie disqualifierplus encore pour la royauté, c'est reconnaitre que le roi craint sonpeuple et non son Dieu r, en choisissant par aill"urs la phrase lamoins heureuse pour le dire : « j'ai écoutè leur voix ». L'épisodea commencé au v. 1 avec l'invitation << Maintenant donc, ècoutela voix des paroles de Ygwu >>, invitation qui s'est transformée enaccusation au v. 19 « Pourquoi n'as-tu pas écouté la voix deYswu ? >>, à quoi a répondu l'autojustificàtion de Saùl au v. 20 :<< J'ai [bel et bien] écouté Ia voix de yuwH >>, mais aussi le rappeldoctrinal du prophète au v. 22: << << yHwH aime-t-il les holo_caustes et les sacrifices autant que l,écoute de la parole deYHwu ? >> C'est toute cette chaine qui est présente à la-mémoire{es protagonistes et à celle du lecteui lorsqùe saùl se déclare sousI'emprise de lavox populi,une vox populi qui joue ici contre la yoxDei'-

SaùI, cependant, espère Ioujours un happy end : il se voit pros-terné devant Dieu, la main dans la main du prophète. Sarnuelrefuse : << Je ne reviendrai pas avec toi », et r"peè presque motpour mot : (< car tu as rejeté la pqole de ynwu ; ynwu t;arejeté,et{u n'esplus roi d'Israèl » (v- 26).I*prophète joint alors le §esteà la parole, arrachant Ie manteau royàI, qui se déchire; SaÉrueld'expliciter : << YHwH t'a arraché la royauié d,IsraèI, au.iourd,hui,

1. Et cela contre GuNN, Fate ofKingsaul, p. 53, qui interprète le verbe yr,de manièrepositive comme « respecter » et « .honorer », et ce en conformité avec son interpÉtationd'ensemble (queje rejette) comme quoi satil aurait agi de bonne foi de part en parr

2. Alors gue vox populi et vox Dei alraient de concert lors de l'èbctio; de satil(« sam.el dit àtout le peuple : 'Avez-vous vu celui qu'a choisi yHwH ? n n'.a pas sonpareil dans tout le peuple." Tout le peuple fit une ovàtiòn en criant : 'fvive le roi .!',, »).

ECHEC AU ROI (I SAMUEL 15) 93

et il l'a donnée à un autre, meilleur que toi I >>. Devant Saùl quivient de mentir de manière répétée,le prophète ajoute alors : ,, LaSplendeur d'Israél ne ment pas et ne se repent pai, car il n'est pasun-homme, lui, pour se repentir. » Ce disant, le prophète fait éòhoà l'affirmation de Dieu au v. 11 - « je me repeni ,, -, mais pour lanier : Dieu << ne se repent pas >). Si Samuei a sans doute^essayéd'obtenir- un_ repentir de Dieu - un repentir de son repentii -comme l'a obtenu le prophète Moise en son temps (voii Ex 32,12.14), il se mue à présent en prophète de l,irréversibilité deDieu 2, à la manière dè Jérémie rapportant l,oracle divin : << Je l,aidécrété, j'en ai congu le projet; je ne me repens pas, et je nerwfens pas en arrière >> (lr 4,28). Dieu auraii pu rèvenir sur sadécision - la confrontation, après tout, donnait une secondechance à Saiil -, mais Samuel doit se rendre à l,évidence etconclure : s'agissant de SaùI, Dieu n'a pas à revenir, ou à serepentir, de son repentirr. SaùI, par ses paroles autant que par sonaction sur le terrain, s'est rendu improprè à la royauté. Maijce queSamuel énonce ici de manière solennèle, comme une vérité bienbala.ncée - << La Splendeur d'Israél ne ment pas et ne se repent pas,car_il n'est pas un homme, lui, pour se repentir >» - est en faitinevérj.té ad hominem, tout entière rhétorique. Nous le savons lrouravoir entendu l'affirmation opposée de là bouche de Dieu (« jè merepens 1), et le narrateur se chargera de nous rappeler en finaleque « Ynwu s'était repenti d'avoir fait régner Satil sur Israèl >>

(v. 35). En parlant cofitme il parle - « la Splendeur d'IsraèI... nese repent pas » - Samuel entend marquer un point, asséner ungoup'à Saiil, mais le récit environnant nòus permet dene pas fairede cette vérité ad hominem une vérité tout còurt- Bref, la narrationbiblique nous demande Ron seulement de débusquer lesmensonges, mais aussi de relativiser certaines vérités qui se

1. « Un autre, meilleur (IdAl que toi » : ainsi que le fait remarquer FoxxeuvrN, le mot7òb, «bon», a une pertinence particulière dans le contexte de I Samuel 15 : iI a étéutilisé par Saùl à propos du butin' (v. 15; cf. v. 9), dans une action que Samuel adénoncée comme << mauvaise » (ra') (v.19) ; l'annonce d'un successeur « meilleur » estainsi d'autant plus cuisante pour Saiil (Narrative Art,p. 106).

2- Ainsi que l'écrit FoKKELMAN, samuel comprend qu'il n'y a désorrnais plus à fairevaloir I'auribut de repentance en Dieu (« se repentant du mal »), ni à trahir quoi que cesoit de sa propre lutte en faveur de cette repentance, << et nous coflu)renons que la àuretéde samuel en face de saùl fonctionne aussi comme une fagade derrière laquèle se cachel'engagement du prophète, comme sans doute aussi la sympathie qu,il éprouve, en tantqu'homme, pour leroi» (Narrative Art,p.107 [ie traduis]).

3. Voir Fr I. ANornsni.r, Fr. I. et D. N- FREEDMAN , Amos..A New Translation withIntroduction and Commentary, coll. Anchor Bible 24A, New york, Doubleday, 19g9,p. 654; D. T. Tsurraune, The First Book of Samuel, co[. NICOT, Grand Rapids,Eerdmans, 2007 ,p. 407.

94 QU'EST-CE QUE LA vÉRrrÉ ?

donnent comme absolues, alors qu'elles sont simplement rhéto-{e-ues. Et cela pour que soit sauve une autre vérité de Dieu, plusriche en paradoxes (parce que semée de repentirs), dans la déhis-cence et la relance de I'histoire, conformément à la révélation auBuisson, en Ex 3, 14 : « Je serai qui je serai. >>

LE DERNIER SAMUEL : HYPOTHÈSCS CONCUNNBX-rES

Saiil réédite son aveu au v. 30, en faisant comprendre qu,ildésire une manifestation de solidarité publique de la part dup.rophèle, au profit de sa légitimité politique : « Maintenanr, jet'en prie, rends-moi honneur devant les anciens de mon peupleètdevant IsraéI. Reviens avec moi : je me prostemerai devant ynwn,ton Dieu » (v. 30). Le prophète accède à cette demande- << Samuel revint à la suite de Saùl et Sai.il se prostema devantYsws » (v. 31) -,lui qui avait dit << Je ne reviendiai pas avec toi >>

(v. 26). Est-ce dire, comme le soutient R. polzin, que Samuel,vaincu par les demandes repétées de SaùI, est repris par sacomplaisance en faveur du roi (cf_ v. 35 : << Samuel pieuraitSaiil ») ? Espère{-il contre tout espoir (et contre sa proprè décla-1ution du v. 29) que Dieu se repentira devant le .. revinii >> (shùb)du prophète aux cdtés du roi repentant ? Va-t-il jusqu,à croire quel'exécution d'Agag de sa propre main pèsera dans 6 balance ,

? Sitel est le cas, la tentative est vaine, le verset final - << ynwn s,étaitrepenti d'avoir fait régner Saiil sur Israél » (v. 35) - manifestantque rien ne force la main de Dieu, y compris dans le sens dupardon 2. Le portrait final de Samuel péut touiefois ètre aussi celuid'un prophète déchiré entre ses allégeances humaines (il revientavec Saiil, et le pleure) et divines (par fidélité à Dieu, Samuelprend également se! distances avec le roi rejeté). Exécuter Agag,cornme le rappelle Fokkelman, c'est suppléer de manière " exém-pfaye >> à l'inachèvement de f interdit, et rappeler que I'ordredivin n'a pas été révoqué3. Si Samuel pleure SìùL c,eit en ayantrompu avec lui : il ne le verra plus de son vivant (v- 35) ; le derniermot du prophète au roi a été celui du v.29, enforme de renchéris-sement prophétique sur la décision divine. Les hypothèses

l. Voir R. Pcl.z*l, Samuel and the Deuteronomkt. A literary Study of the Deutero-nomistic Hisary. Part Two- I Samuel, Bloomington, Indiana University press, 19g9,p.t4Gl47.

2. Y ok Pot-an, Samue l, p. I 47 .

3. VoirForxeuuen, Narrative Art, p- lA9.

ECHECAUROI(I SAMUEL 15) 95

concurrentes que fait naitre la finale de l'épisode sont de cellesque. suscite régulièrement Ie récit bibliquè, nous obligeant àexplorer la complexité des choses, et notarnment des ceuis. Maisles hypothèses sophistiquées ne peuvent compromettre la comprà-hension minimale du récit, celle qu'assure le narrateur en répéiantau prolt du lecteur : << mais yHwn s'était repenti d,avoir faitrégnerSaùl surlsraèl » (v. 35).

CONCLUSION

.. Dans nos-théologies de la vérité, nous ne mesurons pas assezl'audace qu'a la Bible de confier à ses lecteurs _ à'tous seslecteurs, dans un exotérisme radical I - des histoires complexes,p-roblématiques, voire énigmatiques, dans lesquelles il'y a àdémèler l'écheveau des vérités, dè vérités parfoii trop hurnaines,et souvent très relatives, gravitant autourie la révélation de lavérité de Dieu. Certes, cofltme l'a montré M. Sternberg, le narra_teur fait en sorte qu'une vérité minimale du récit parviJnne à tous..en 1. S1ryu9l lf , 19 point d'orgue du récit .. ynwn s,était repentid'avoir fait saùl roi sur Israèl » est ce qui assure cette intelligibi-lité minimale. Mais le méme narrateurì'a de cesse de menef seslecteurs de cette vérité minimale à la vérité tout (ou plus) entière,en misant sur leur intelligence et en sollicitant de ieur'part deslectures toujours plus fines 2. Et puisque le récit biblique ," donn"à lire comme un « échiquier » dè laiéité,le plus important pournous est de jouer aux échecs, de nous exercer à

^etucidei les

histoires bibliques - pour espérer élucider celles de nos vies -dans leur complexité : la radicalité de Dieu sly joue dans lacomplexité de l'histoire humaine. une intelligenci théologiqueformée à la lecture de-ces textes ne peut d'aillerirs que dével6pperdes distinctions dans l'épaisseur du réel, comme te nt u traaitionrabbinique. La première distinction sera sans doute de reconnaitrequ'un texte comme le ndtre n'énonce pas une noflne pour l,agir(ce serait du fondamentalisme), mèmè pour l,agir

"n t"*ps "d"

guelre ; ces nonnes, il y a à les trouver dans les loii, et notanimentles lois relatives à la guerre dans le Deutéronome, ei dans ce que la

_- -l- voìr a ce propos J'P. soxNe'r, « L'arliance de la lecture : lorsque la Bible refuse

l'ésotérisme », dqos l4 Bible sans avoir peur,J.-Fr. Bouthors (éd.); iì*ir, I*tÌri"ll"o*,2005,p.129-151.

2- c'est I'argument du chapitrc de M. srenNsrnc, « Between the Tmth and theWhole Trutli », dans The Poetics of Biblical Nanative, p. 230_263.

96 eu'EST-cE euE LA vÉnrre u

l. P. Rrccun, Du turte à l'action. Essak d'herméneutique,Il, paris, Éd. du Seuil,1986,p.223.

tradition interprétante en a extrait. Ce que le texte met devant nousest bien plut6t une parabole historique, qui fait méditer sur la radi-calité du combat contre le mal, notamment lorsque ce dernierprend la forme du double mortifère; une parabole qui rappellecombien l'exercice du pouvoir est menacé par la convoitise et parla peur, et qui met sofs nos yeux le dramè d'une yox poputi seretournant contre la vox Dei à cause de la complaisance du princeet de ses mensonges. Et parce que dans la Bible le roi est tou.loursaussi l'Adam, ce récit parle également de nous; il nous fournit,comme l'écrit Paul Riccur, une << carte de l'action I >>, où nousavons à reconnaitre un trajet possible, extréme, de la libertélorsqu'elle se fourvoie dans son combat contre le mal.

En matière d'expérience de la vérité - d'expérience différen-ciée de lavéité -, nous avons hérité d'un trésor dans notre propretradition biblique. Dans le texte que nous avons lu, Samuel a èté<< notre homme >> sur la scène du récit, relayant notre tàche dansl'élucidation des choses. Mais nous n'avons pas toujours un telrelais sur scène ; il nous faut parfois redoubler de curiosité et desagacité, nous prenant aujeu de la vérité, en recevant ces histoirescomme autant d'exercices nous apprenant à mieux penser. Enremarquant ceci : aux tournants du récit, lorsque lavéljrté de Dieuest en jeu,la Bible met dans nos mains toutes les cartes qui comp-tent. La vérité ne se fera pas sans nous.