« Deux « pieds-forts » en argent émaillé de Philippe VI : un premier essai de monnaie-médaille...

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Héraldique et numismatique II

Moyen Âge – Temps modernes

Sous la direction d’Yvan Loskoutoff

Presses universitaires de Rouen et du Havre

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Deux « pieds-forts » en argent émaillé de Philippe VI : un premier essai de monnaie-médaille ?

Marc Gil

Marie-Madeleine Gauthier en 1972, puis Danielle Gaborit-Chopin en 1981 ont mis en lumière le « pied-fort » en argent émaillé du denier d’or, dit lion d’or, de Philippe VI de Valois, frappé en novembre 1338 et retiré en juin ������ÀJ�����D�E�����D�E���FRQVHUYp�DX�%ULWLVK�0XVHXP 1. Bien daté, cet objet précieux, qui constitue un repère chronologique important pour l’histoire de l’émaillerie parisienne de la première moitié du xive siècle, était présenté alors comme un unicum 2 ; Marie-Madeleine Gauthier parlant d’« une curieuse expé-rience pratiquée par un émailleur parisien qui coucha des émaux translucides sur un pied-fort 3 ». Nos recherches pour la présente étude nous ont permis de retrouver un second « pied-fort » en argent émaillé de la même époque, inédit 4, conservé au Staatliche Münzsammlung de Munich 5��ÀJ�����D�E���6RUWL�

1. Londres, British Museum, Inv. no OA.316. Voir : Ferdinand de Lasteyrie, « Notice sur un pied-fort émaillé », Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, no 19, 1869, p. 15-20 ; Mariam Campbell, « The Campion Hall Triptych and its Workshop », Apollo, vol. cxi, no 220, juin 1980, p. 418-423, ici p. 422 ; Marie-Madeleine Gauthier, Émaux du Moyen Âge occidental, )ULERXUJ��2IÀFH�GX�OLYUH��������S������HW������FDW������� Danielle Gaborit-Chopin, dans Les fastes du gothique. Le siècle de Charles V, cat. expo. (Paris, Grand-Palais, 1981), françoise Baron (dir.), Paris, Éditions de la RMN, 1981, p. 235, cat. 189 ; « Les émaux translucides parisiens dans la première moitié du xive siècle », Archeologia, no 162, janvier 1982, p. 32-37, ici, p. 36.

2. Danielle Gaborit-Chopin, dans Les fastes du gothique, op. cit., p. 235 ; et « Les émaux… », art. cité, p. 36.

3. Émaux du Moyen Âge, op. cit., p. 257.4. L’objet est cité pour la première fois par Hoffmann au xixe siècle, indiquant qu’il est conservé

au cabinet royal de Munich, puis par Dieudonné (en note) au début du siècle suivant ; ensuite il tombe dans l’oubli, les spécialistes de l’orfèvrerie ne connaissant que le « pied-fort » conservé au British Museum. Voir aussi Henri Hoffmann, Les monnaies royales de France depuis Hugues Capet jusqu’à Louis XVI, Paris, H. Hoffmann, 1878, p. 33 ; Adrien Blanchet et Adolphe Dieudonné, Manuel de numismatique française, Paris, A. Picard, 1912-1936, [reprint, Paris, 1988], 4 vol., t. II, p. 69, note 2, renvoyant à Hoffmann.

5. Sans numéro d’inventaire, poids 19,34 g. Dans la note qui accompagne l’objet, dans les archives du musée, deux références sont citées, mais elles ne concernent en réalité que les écus d’or. Tous mes remerciements au Dr Martin Hirsch, conservateur à la Staatliche Münzsammlung, pour ces informations, et à mes collègues Markus Späth et Christine Descatoire.

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du même atelier d’orfèvre que le médaillon londonien, il reproduit l’écu d’or, dit écu à la chaise, connu par six émissions entre janvier 1337 et mai 1349 6 �ÀJ�����D�E���'·XQ�GLDPqWUH�GH�WUHQWH�PLOOLPqWUHV��FHV�GHX[�ÁDQV�G·DUJHQW�pSDLV�(3 mm), gravés et ciselés en basse-taille, sont recouverts d’émaux translucides et opaques, à l’exception de certaines parties laissées en réserve. S’il s’agit bien d’essais monétaires, ils en constituent une catégorie à part, même unique, les habituels pieds-forts de monnaies d’or étant simplement en argent ou en bronze, parfois doré. Mais peut-on vraiment les considérer comme de simples essais, sur lesquels un émailleur se serait essayé à « coucher des émaux », pour reprendre l’expression de Marie-Madeleine Gauthier, ou faut-il plutôt y voir des « pièces de plaisir » destinées à être offertes comme « monnaies-médailles 7 » et, dans ce cas, dans quel but ? Commémoraient-elles un événement particulier ?

LE « PIED-FORT » DU LION D’OR (FIG. 17 A-B)

Au droit, le roi est assis de face sur le banc d’un trône architecturé, à balda-quin ouvrant par un arc trilobé, qui s’apparente à la façade d’un transept d’église gothique. Couronné et revêtu du manteau royal, Philippe VI tient la main de MXVWLFH�HW�XQ�VFHSWUH�ÁHXUGHOLVp�WUqV�FRXUW��OD�virga. Ses pieds reposent sur un lion couché, qui a donné son nom à la monnaie correspondante. À l’arrière-plan, la OpJHQGH�GH�W\SH�VLJLOODLUH��VpSDUpH�GX�FKDPS�SDU�XQ�JUqQHWLV��LGHQWLÀH�OH�VRXYH-rain : � pH(ilippus) : dei : gra(cia) : rex : franc(orum). Le revers est frappé d’un TXDGULOREH��ERUGp�LQWpULHXUHPHQW�G·XQ�JUqQHWLV�HW�ÁDQTXp�GH�TXDWUH�FRXURQQHV�RXYHUWHV��&H�TXDWUH�IHXLOOHV�FRQWLHQW�XQH�FURL[�ÁHXURQQpH��ÁHXUGHOLVpH�HW�FKDUJpH�de cinq petits quadrilobes. La légende, � xpc : vincit : xpc : regnat : xpc : inpe-rat [sic], est ornée d’un grènetis. À l’exception de la ponctuation qui diffère de la monnaie correspondante, les mots étant ici séparés par des doubles points à la place de triples annelets superposés, la légende du revers reproduit le verset tiré des Acclamations carolingiennes��FULp�DX�PRPHQW�GX�VDFUH��HW�GH�O·RIÀFH�GHV�ODXGHV�de Pâques 8. Sa première occurrence sur une monnaie d’or remonte à l’Agnus Dei frappé par Bohémond VI, prince d’Antioche, pour la venue de Louis IX en Syrie franque, entre 1250 et 1254 9. Le roi la reprit pour son denier d’or à l’écu qui inaugurait la série des monnaies d’or royales françaises 10.

6. Jean Duplessy, Les monnaies françaises royales de Hugues Capet à Louis XVI (987-1793), Paris, Platt, 1988, 2 vol., t. I, p. 108, nos 249-249e ; Françoise Dumas et Henri Dubois, « Une énigme monétaire au xive siècle : mention d’écu dans un fouage de Normandie en 1374 », Revue numismatique, 6e série, t. 155, 2000, p. 245-260, ici p. 250-257.

7. Pour citer Albert Dieudonné (Adrien Blanchet et Adolphe Dieudonné, op. cit., t. II, p. 73) qui TXDOLÀH�DLQVL�GHV�©�PRQQDLHV�QRQ�XVXHOOHV�GHVWLQpHV�j�rWUH�GLVWULEXpHV�HQ�FDGHDX�ª��VXUWRXW�j�partir de Charles VII (ibid., t. III, p. 4).

8. Arthur Engel et Raymond Serrure, Traité de numismatique française du Moyen Âge, Paris, E. Leroux, 1891-1905, 3 vol., t. 1, p. lix.

9. Jacques Yvon, « Monnaies et sceaux de l’Orient latin », Revue de numismatique, vol. 6, no 8, 1966, p. 89-107, ici, p. 89-91. Ce verset passe pour avoir été le cri de guerre des croisés : voir Jean-Philippe Cormier, MRQQDLHV�PpGLpYDOHV��5HÁHWV�GHV�SRXYRLUV, Paris, Rempart-Desclée de Brouwer, 1996, p. 69.

10. Henri Hoffmann, op. cit., p. 19, no 3 et pl. X.3 ; Adrien Blanchet et Adolphe Dieudonné, op. cit., t. II, p. 226 et pl. I.1.

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Deux « pieds-forts » en argent émaillé de Philippe VI

LE « PIED-FORT » DE L’ÉCU D’OR (FIG. 19 A-B)

Le droit du « pied-fort » de l’écu montre Philippe VI couronné, assis dans une stalle gothique à la base ornée de quatre croisettes en sautoir, dans un polylobe DX[�UHGHQWV�FDQWRQQpV�GH�WUqÁHV��5HYrWX�GH�O·DUPXUH�VRXV�XQ�VXUFRW��LO�WLHQW��de la main droite, l’épée dressée en pal et, de la gauche, l’écu de France ancien. La légende 11, pHilippus : dei | xgra(cia)x | francorum : rex, est séparée du polylobe par un grènetis circulaire. Le revers présente une croix dont les EUDV��ERUGpV�G·XQ�JUqQHWLV��VRQW�ÁHXURQQpV�GH�WUqÁHV�HW�FKDUJpV�GH�FLQT�SHWLWV�TXDGULOREHV��&HWWH�FURL[�V·LQVFULW�GDQV�XQ�TXDWUH�IHXLOOHV�j�UHGHQWV�ÁHXURQQpV�GH�IHXLOOHV�GH�YLJQH��ERUGp�LQWpULHXUHPHQW�G·XQ�JUqQHWLV�HW�ÁDQTXp�GH�WUqÁHV�VDQV�queues à lobes lancéolés, la pointe vers le centre (contreval). Séparée du champ par un grènetis, la légende, � xp’c+vincit+xp’c+regnat+xp’c+inperat [sic], reproduit la même faute que sur le « pied-fort » de Londres, un n à la place du m pour le mot imperat, déjà soulignée par Lasteyrie en 1869 12.

La comparaison du « pied-fort » de Munich avec les différentes émissions de l’écu d’or permet de donner une datation relative à l’objet entre 1338/1339 et 1343. $LQVL��OHV�UHGHQWV�GH�OD�URVDFH�GH�O·DYHUV�QH�VRQW�SDV�ÁHXURQQpV��FRQWUDLUHPHQW�aux émissions ultérieures à celle du 1er janvier 1337 qui inaugure la série. Par sa forme, le siège architecturé est beaucoup plus proche de celui du « pied-fort » du lion d’or de 1338-1339 – exceptée l’absence de baldaquin – que des pièces correspondantes, quelle que soit la frappe. D’autre part, dans l’inscription de l’avers, à l’exception des deux croisettes en sautoir encadrant le mot gra[cia], qui se retrouvent uniquement sur les deux premières émissions des 1er janvier 1337 et 10 avril 1343 et qui s’apparentent plutôt à des croix pattées en relief, le graveur a fait usage, à la place des croix de la première émission ou des annelets des cinq suivantes, d’une ponctuation simple et double, comme sur les sceaux et sur les deux faces du « pied-fort » du lion d’or. Par ailleurs, dans la légende du revers, les mots sont séparés par quatre points carrés en relief dessinant en creux une croisette droite, à la place des annelets (1re émission) ou des croisettes en sautoir (2e-6e émissions).

ICONOGRAPHIE DES DEUX « PIEDS-FORTS »

Malgré les différences constatées précédemment, le « pied-fort » de Mu-nich reprend dans sa composition générale l’écu d’or dont le modèle est �LQFRQWHVWDEOHPHQW�OH�ÁRULQ�j�OD�FKDLVH��GLW�Chaise d’or, de Philippe IV le Bel,

11. Les deux petits sautoirs qui encadrent le « GRA » sont simplement appelés « croisettes » dans les registres des argentiers et des changeurs du xive siècle. Voir : Félicien de Saulcy (éd.), Recueil de documents relatifs à l’histoire des monnaies frappées par les rois de France, depuis Philippe II jusqu’à François Ier, Mâcon, Protat frères, 1879-1892, 4 vol., t. I, p. 70 ; Paris, Bibliothèque nationale de France, Ms. n. a. f. 4139, Registre de changeur languedocien (milieu du xive siècle), fol. 14 vo (description en langue d’Oc et dessin dans les marges des différentes monnaies de Philippe VI), reproduit dans Jean-Philippe Cormier, op. cit., p. 24.

12. Art. cité, p. 17.

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émis en 1303 13��ÀJ�����D�E����OHV�PRGLÀFDWLRQV�LQWHUYHQDQW�GDQV�OD�VXEVWLWXWLRQ�GH�l’épée au sceptre, d’une part, et de l’écu de France. Étrangement, par le dessin du trône architecturé et l’aplatissement de la composition, le « pied-fort » est encore plus proche de la chaise d’or que l’écu lui-même. Par ailleurs, un simple ÀOHW�OLVVH�UHPSODFH�O·KDELWXHO�JUqQHWLV�TXL�ERUGH�OHV�SLqFHV�G·RU��,O�IDXW�QRWHU��également, que, sur le médaillon, le roi porte une armure sous le surcot, alors que, sur la monnaie, il a revêtu une cotte de maille.

Des différences plus importantes encore existent entre le lion d’or et son pTXLYDOHQW�G·DUJHQW�pPDLOOp��ÀJ����������&RPPH�VXU�OH�©�SLHG�IRUW�ª�SUpFpGHQW��RQ�note l’absence de grènetis sur le bord circulaire de l’objet. De plus, comme l’avait fort justement remarqué Ferdinand de Lasteyrie, dès 1869 14, le roi du « pied-fort » a troqué le sceptre à long manche ou masse, présent sur les différents types du lion d’or 15, pour la main de justice, déjà utilisée sur le parisis d’or de 1329 16.

De plus, si en apparence le baldaquin architecturé paraît identique sur les deux pièces, il diffère dans le détail. Il est plus massif et large sur l’émail et VHPEOH�FRPPH�pFUDVp��FRLQoDQW�OHV�GHX[�SHWLWHV�JXLYUHV��DFFURFKpHV�j�VHV�ÁDQFV��FRQWUH�OH�ÀOHW�SHUOp�GX�UHERUG��DORUV�TXH��VXU�OD�PRQQDLH��FHV�GHX[�SHWLWV�PRQVWUHV�glissent avec aisance le long des parois latérales. Le dais est aussi légèrement GLIIpUHQW��6XU�O·XQH��OH�ÁHXURQ�VRPPLWDO�SUHQG�O·DVSHFW�G·XQH�ÁHXU�pSDQRXLH�j�WURLV�SpWDOHV�HW��VXU�O·DXWUH��FHOXL�G·XQ�ERXUJHRQ�ÁDPPp��/H�JUDYHXU�GX�©�SLHG�fort » n’a pas non plus pris la peine de reproduire l’épaisse crinière bouclée GX�OLRQ�G·RU��(QÀQ��GDQV�OHV�GHX[�LQVFULSWLRQV�GH�OD�PRQQDLH��GH�PLQXVFXOHV�annelets superposés séparent les mots 17, alors que, sur l’émail, le graveur a usé des deux points traditionnels, propres à l’art sigillaire. C’est là une différence fondamentale avec les pieds-forts attestés des monnaies d’or de Philippe VI, qui, tous, comportent ces deux ou trois annelets superposés.

Néanmoins, dans sa composition générale, l’émail londonien reprend l’iconographie du lion d’or, dont le droit est une synthèse entre le parisis d’or GH�������ÀJ������HW�OH�UR\DO�G·RU�GH�������ÀJ�������3DU�OD�SUpVHQFH�GX�FHUFOH�GH�grènetis qui sépare la légende du champ, le revers du lion d’or est, en revanche,

13. Adrien Blanchet et Adolphe Dieudonné, op. cit., t. II, p. 236 et pl. I.2 ; Chantal Beaussant, 0RQQDLHV�UR\DOHV�GH�VDLQW�/RXLV�j�+HQUL�,9����������, Paris, Banque de France, 1989, p. 19, no 5 (Chaise d’or de Philippe IV), p. 29, no 10 (écu d’or de Philippe VI).

14. Art. cité, p. 17.15. Il existe au moins deux émissions différentes de cette monnaie, se distinguant par certains

GpWDLOV�LQÀPHV��FRPPH�OH�VRPPHW�HQ�DSSHQWLV�GX�PRQWDQW�LQWHUPpGLDLUH�GX�WU{QH��TXL��GDQV�une première frappe, monte jusqu’à la base du dernier registre du montant intérieur, alors que, dans une seconde émission ce toit prend appui au centre du troisième registre. Par ailleurs, le petit sceptre touche le montant vertical du trône dans l’une et en est nettement dégagé dans la VHFRQGH��(QÀQ��OH�GHVVLQ�GX�OLRQ�GLIIqUH�OpJqUHPHQW�GH�O·XQH�j�O·DXWUH��/H�©�SLHG�IRUW�ª�HVW�SOXV�proche, dans l’ensemble, de la première émission, sans que l’on puisse établir de chronologie entre les deux frappes.

16. Henri Hoffmann, op. cit., pl. XVI.2 ; Chantal Beaussant, op. cit., p. 29, no 2.17. Jean Duplessy, op. cit., t. I, p. 106-113.

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Deux « pieds-forts » en argent émaillé de Philippe VI

une reprise du revers de la Chaise d’or de Philippe le Bel 18��ÀJ�����E���GRQW�O·DYHUV�avait déjà inspiré, nous l’avons vu, l’écu d’or de 1337 19.

Sur l’avers, la main de justice mise dans la main droite, plutôt que dans la gauche comme c’était la tradition depuis la réintroduction de l’objet dans les sceaux de majesté de Louis X le Hutin 20, pourrait renvoyer au grand sceau d’Hugues Capet, le fondateur de la dynastie, ou plus proche à saint Louis, par l’image duquel s’opère une véritable mutation idéologique, pour reprendre l’expression de Michel Pastoureau, qui voit dans l’objet, « appelé, jusqu’au xve siècle, baston a seigner (à bénir), la main de Dieu déléguée à la monarchie française par l’intermédiaire de son roi saint […] [, l’]image de Salomon rex sedens pro tribunali 21 ».

Les guivres ou les petits dragons, qui rampent le long des montants du trône, rappellent les gargouilles de l’architecture rayonnante. Elles appartiennent au vocabulaire décoratif des graveurs de sceaux parisiens aussi bien que des orfèvres ou des enlumineurs, depuis la seconde moitié du xiiie siècle. En témoignent deux reliquaires architecturés, l’un récemment redaté des années 1250-1258, cadeau supposé de Thibault V de Champagne, roi de Navarre, à la cathédrale de Pampelune 22, le second traditionnellement daté vers 1280-1300, mais qui pourrait être plus ancien 23, certains sceaux de princesses françaises des années 1290-1320, tel celui de Marie de Hongrie (1290), reine de Sicile et de Jérusalem,

18. Adrien Blanchet et Adolphe Dieudonné, op. cit., t. II, p. 236 et pl. I.2 ; Chantal Beaussant, op. cit., p. 19, no 5 (Chaise d’or de Philippe IV), p. 29, no 3 (lion d’or de Philippe VI).

19. Contrairement à ce qui a été avancé par Blanchet et Dieudonné, il n’est pas une copie du revers du royal d’or du début du règne de Philippe VI ; revers qui s’inspire lui-même du royal d’or de Charles IV le Bel : voir Henri Hoffmann, op. cit., pl. XV.2 (royal d’or de Charles IV), pl. XVI.1 (royal d’or de Philippe VI) ; Adrien Blanchet et Adolphe Dieudonné, op. cit., t. II, p. 250 ; Chantal Beaussant, op. cit., p. 29, no 1 (royal d’or de Philippe VI).

20. Martine Dalas, Corpus des sceaux français du Moyen Âge, t. II : Les sceaux des rois et de régence, Paris, Archives nationales, 1991, p. 173-174, nos 91-92 ; Olivier Guyotjeannin, « “Captio sigilli” : note sur le sceau de majesté de Charles V, roi de France », Bibliothèque de l’École des chartes, ������W���������S�����������LFL�S�������/D�PDLQ�GH�MXVWLFH�pWDLW�UpDSSDUXH��SDU�DLOOHXUV��j�OD�ÀQ�du xiiie siècle, dans l’iconographie de Louis IX sur le sceau du couvent dominicain d’Évreux (empreinte de 1300), fondé par le roi et, depuis 1299, placé sous son patronage ; également dans un vitrail de la Trinité de Vendôme (vers 1300-1305). La main de Justice fut également posée sur la dépouille de Philippe le Bel, exposée au couvent des Bernardins de Paris ; voir : Michel Pastoureau, « Le roi des lis. Emblèmes dynastiques et symboles royaux », dans Martine Dalas, op. cit., t. II, p. 35-48, ici p. 48 ; Hervé Pinoteau, Vingt-cinq ans d’études dynastiques, Paris, Christian, 1982, p. 454-456 ; et, du même, « La main de justice des rois de France : essai d’explication », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 1978-1979, p. 262-265.

21. Michel Pastoureau, art. cité, p. 48 ; Hervé Pinoteau, op. cit., p. 454, note 1 ; pour le sceau d’Hugues Capet, voir Olivier Guyotjeannin, art. cité, et Martine Dalas, op. cit., t. II, p. 139, no 60.

22. Reliquaire du saint Sépulcre, Pampelune, musée diocésain. Voir : en dernier lieu, Robert Suc-NDOH��©�5pÁH[LRQV�VXU�OD�VFXOSWXUH�SDULVLHQQH�j�O·pSRTXH�GH�VDLQW�/RXLV�HW�GH�3KLOLSSH�OH�%HO�ª��Revue de l’art, no 128, 2000, p. 33-48, ici p. 36-37 ; et surtout : Javier Martinez de Aguirre, « Los reliquarios góticos del Santo Sepulcro (siglo xiii) y de la Santa Espina (siglo xv) de la catedral de Pamplona », Principe de Viana, no 63, 2002, p. 295-326.

23. Reliquaire avec saint François et sainte Claire, Assise, trésor de la basilique San Francesco. Voir Danielle Gaborit-Chopin, dans L’art au temps des rois maudits, op. cit., p. 193-195, no 120. Si l’on suit la datation de 1280-1300, donnée par l’auteure, il pourrait alors s’agir d’une commande de la reine de France Jeanne de Navarre. Cependant, par ses caractéristiques générales et le style du revers, l’œuvre pourrait tout aussi bien appartenir aux années 1260-1280. Pour ces

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grand-mère de Philippe VI de Valois 24��ÀJ�������HW�FHUWDLQV�PDQXVFULWV�HQOXPLQpV��entre 1315-1330, par Richard de Verdun 25 (le Maître de Jean Papeleu) et surtout le célèbre Jean Pucelle, dont les rapports avec le milieu des orfèvres ont été montrés depuis longtemps 26��'DQV�OH�GRPDLQH�GHV�PRQQDLHV��HQÀQ��OH�PRWLI�DSSDUDvW�GpMj�VXU�OD�FKDLVH�G·RU�GH�3KLOLSSH�,9�OH�%HO��ÀJ�����D���SXLV�VXU�OH�royal d’or de Charles IV (1326), qui présente pour la première fois le roi debout VRXV�XQ�EDOGDTXLQ�DUFKLWHFWXUp��ÀJ�����D���V·LQVSLUDQW�VDQV�GRXWH�GH�O·RUIqYUHULH�contemporaine, à l’image de ce petit médaillon émaillé de saint Paul conservé au Musée de Cluny 27��ÀJ������

Pour les comptables royaux comme pour les changeurs de l’époque, la différence visuelle entre le parisis d’or de septembre 1329 et le denier d’or de novembre 1338 est essentiellement la présence, pour le premier, de la « chaère », c’est-à-dire le trône monumental, et des deux lions sous les pieds du souverain, la VHFRQGH�PRQQDLH�pWDQW�LGHQWLÀpH�SDU�XQ�XQLTXH�OLRQ��TXDOLÀp�SDUIRLV�GH�©�JUDQG�lyon 28 ». Le décor architecturé du lion d’or passait totalement inaperçu, sans doute parce qu’il ressemblait trop à celui des royaux d’or de Philippe VI et de VRQ�SUpGpFHVVHXU��LGHQWLÀpV��TXDQW�j�HX[��SDU�O·LPDJH�HW�OH�QRP�GX�URL�JUDYpV�VXU�OH�ÁDQ 29��6L�OD�ÀJXUH�G·XQ�URL�²�RX��SOXV�H[FHSWLRQQHO��G·XQH�UHLQH�²�GHERXW�VRXV�XQ�GDLV�DUFKLWHFWXUp��OHV�SLHGV�VXU�XQ�OLRQ��ÀJ�������UDSSHOOH�OHV�WRPEHDX[�royaux de Saint-Denis, mis en place à partir de Louis IX, celle d’un roi trônant sur un grand lion, renvoie directement à l’art sigillaire, en particulier le sceau de majesté de Philippe d’Évreux, roi de Navarre, en 1329. Œuvre d’un atelier parisien, son sceau, dont le dessin général 30 s’inspire du sceau de Louis X le

problèmes de datation relatifs aux sculptures et à l’orfèvrerie parisiennes exposées en 1998, voir Robert Suckale, art. cité.

24. En 1270, elle avait épousé Charles II d’Anjou, roi de Naples (1285) et pris le titre de reine de Hongrie après la mort, sans héritier, de son frère Ladislas IV, en 1290. Son sceau, datable après 1290 et avant 1295 (empreinte de 1295, Archives nationales [AN], sc/D 11769) montre la reine debout dans une niche architecturée, les pieds posés, non pas sur un ou deux chiens comme on SRXUUDLW�V·\�DWWHQGUH�SRXU�XQH�HIÀJLH�IpPLQLQH��FRPPH�VXU�OHV�WRPEHDX[�GH�UHLQHV�j�6DLQW�'HQLV�ou sur d’autres sceaux féminins), mais sur un lion couché.

25. Par exemple, une Bible historiale (1er-2e quart du xive siècle), Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 157, fol. 127 vo, Zacharie ; sur le Maître de la Bible de Jean Papeleu, son identi-ÀFDWLRQ�DYHF�5LFKDUG�GH�9HUGXQ�HW�VRQ�FRUSXV��YRLU��HQ�GHUQLHU�OLHX���5LFKDUG�HW�0DU\�5RXVH��Illiterati et Uxorati. Manuscripts and Their Makers: Commercial Book Producers in Medieval 3DULV�����������, Turnhout, Harvey Miller, 2000, 2 vol.

26. Voir, entre autres, certaines miniatures des Heures de Jeanne d’Évreux (vers 1325-1328), New York, Cloisters Museum ; et, sur Jean Pucelle : Marc Gil, « Jean Pucelle and the Parisian Seal-Engravers and Goldsmiths » dans, Jean Pucelle: Innovation and collaboration in Manuscript Painting, J. Kyunghee Pyun et Anna Russakoff (dir.), Harvey Miller Publishers-Brepols, Turnhout, 2013, p. 27-52.

27. Paris, Musée de Cluny, inv. no Cl. 19973, cuivre champlevé, gravé, doré et émaillé d’émaux opaques, Paris, 2e quart du xive siècle, diamètre : 55 mm. Voir Élisabeth Taburet-Delahaye, L’orfèvrerie gothique au musée de Cluny (xiiie – début xv siècle). Catalogue, Paris, RMN, 1989, p. 123, no 44.

28. Félicien de Saulcy, op. cit., t. I, p. 31 et 71.29. « Royaux d’or où il y a ung roy tout droit et y a escript Philippus rex » (ibid.)30. Probablement par l’artiste qui a dessiné le grand sceau de Jeanne de Navarre, l’épouse de Phi-

lippe d’Évreux ; voir Marc Gil, « L’enlumineur Jean Pucelle et les graveurs de sceaux parisiens : l’exemple du sceau de Jeanne de France, reine de Navarre (1329-1349) », Pourquoi les sceaux ? La

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Deux « pieds-forts » en argent émaillé de Philippe VI

Hutin, montre un roi assis sur un siège à avant-corps de lions au naturel, leurs crinières au vent, et les pieds posés sur un seul lion 31��ÀJ�������(Q������GpMj��OH�sceau de l’empereur Henri VII de Luxembourg, s’inspirant pour la composition générale du second sceau du roi de Sicile Charles II d’Anjou 32��ÀJ�������LQQRYDLW�en présentant une lionne couchée au pied du souverain 33��ÀJ������

Les autres sceaux de majesté français et étrangers, qui reprennent l’idée d’un lion comme repose-pieds, adoptent les deux lions couchés dos-à-dos, comme sur le parisis d’or de Philippe VI de 1229. Ils forment une belle série continue, qui est inaugurée, en 1324, par le sceau de l’empereur Louis IV de Bavière, sur lequel les deux lions couchés sont toutefois affrontés 34. Ces innovations iconographiques de la première moitié du xive siècle se jouent autour de la cour de France, dans les luttes G·LQÁXHQFHV��OHV�DOOLDQFHV�RX�OHV�ULYDOLWpV��HQWUH�O·(PSLUH��OD�)UDQFH��O·$QJOHWHUUH�et les royaumes du sud, Navarre, Majorque, Aragon, et Naples, tous liés à des degrés divers aux Capétiens, d’une part, et aux Plantagenêt, de l’autre ; le pape avignonnais jouant tour à tour l’arbitre ou le boutefeu. Ainsi, le troisième sceau de -DFTXHV�,,��URL�GH�0DMRUTXH��ÀJ�������UHÁHW�GH�OD�SHUVRQQDOLWp�UDIÀQpH�HW�FXOWLYpH�de son possesseur, est une synthèse magistrale entre la tradition française des sceaux de majesté du premier quart du siècle et l’innovation iconographique avec les deux hommes sauvages, qui, se substituant aux avant-corps léonins et prenant appui sur la tête des lions couchés, forment le siège royal 35. Cette idée d’introduire, dans l’art sigillaire, le couple d’hommes sauvages aux pieds du sigillant, lui est peut-être venue après avoir contemplé l’extraordinaire grand sceau de la reine de France Jeanne de Bourgogne, sur lequel, cependant, les deux sauvages jouent le rôle de support d’armoiries 36��ÀJ�������&·HVW�j�O·pYLGHQFH�OH�VFHDX�GH�-DFTXHV�,,�qui inspira à son tour celui de Charles II de Navarre, en 1351 37��ÀJ�������QRQ�

sigillographie nouvel enjeu de l’histoire de l’art, actes du colloque (Lille, 2008), Marc Gil, Jean-Luc Chassel (dir.), Villeneuve d’Ascq, CEGES-Université Lille 3, 2011, p. 422-435.

31. Faustino Menendez Pidal, Mikel Ramos Aguirre et Esperanza Ochoa de Olza Eguiraun, Sellos medievales de Navarra: estudio y corpus descriptivo, Pamplona, Gobierno de Navarra, 1995, p. 126, no 1/57. L’empreinte conservée aux AN (J 635/6) a malheureusement perdu la partie inférieure gravée du lion couché.

32. AN, sc/D 11768. Voir christian de Mérindol, Le roi René et la seconde maison d’Anjou, Paris, Le Léopard d’or, 1987, pl. XXIII-83.

33. Otto Posse, Die Siegel der deutschen Kaiser und Könige, Dresden, W. Bænsch, 1909-1913, 5 vol., t. I, pl. 47, no 1 ; t. V, p. 35, no�����5REHUW�+HQUL�%DXWLHU��©�eFKDQJHV�G·LQÁXHQFHV�GDQV�OHV�FKDQ-celleries souveraines du Moyen Âge, d’après les types des sceaux de majesté », Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 112e année, 2, 1968, p. 192-220, ici S�����������ÀJ�����

�����5REHUW�+HQUL�%DXWLHU��DUW��FLWp��S�������ÀJ�����35. 1338/1342-1346, AN, sc/D 11242, empreinte de 1342 ; Robert-Henri Bautier, art. cité, p. 217-

�����ÀJ������-DFTXHV�,,�DGRSWH�HQVXLWH�XQH�TXDWULqPH�PDWULFH�GRQW�OH�GHVVLQ�LPLWH�OH�SUHPLHU�grand sceau de Louis X le Hutin : AN, sc/D 11243 (empreinte de 1349) ; Robert-Henri Bautier, ibid.��ÀJ�����

36. AN, J 358. Le motif des hommes sauvages porteurs d’armoiries aux pieds de la sigillante, se trouvait déjà sur le sceau de Jeanne de Bretagne (1322-1326 ?), femme de Robert de Flandre, seigneur de Cassel. Voir Pierre Bony, « De l’honneur d’être Montfort au début du xive siècle : le grand sceau de Jeanne de Bretagne-Montfort, dame de Cassel », Revue française d’héraldique et de sigillographie, no�������������������S�����������ÀJ�����S������

�����5REHUW�+HQUL�%DXWLHU��DUW��FLWp��S�������ÀJ���������3RXU�FRPSDUDLVRQ���)DXVWLQR�0HQHQGH]�3LGDO et al., op. cit., p. 128, no 1/61.

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seulement parce que le roi de Majorque, manipulé par Pierre IV d’Aragon, fut un adversaire de Philippe VI, comme le roi de Navarre, mais surtout parce que OH�VFHDX�PDMRUTXLQ�HQWUDLW�HQ�UpVRQDQFH�DYHF�FHOXL�GH�-HDQ�,,�OH�%RQ��ÀJ�������/H�grand sceau du roi de France, gravé quelques mois avant celui du roi navarrais, renforçait symboliquement la rivalité entre les deux cousins 38. Cette « captation 39 » du sceau de Jacques II se double d’une autre référence avec le drap d’honneur tendu derrière le souverain. Adopté par Philippe V le Long puis par Philippe VI de Valois, cet élément de l’apparat royal remonte probablement au sceau du roi GH�6LFLOH��&KDUOHV�,,�G·$QMRX���������SHWLW�ÀOV�GX�URL�/RXLV�9,,,��&KDUOHV�G·$QMRX�était le grand-père de Philippe VI de Valois et l’arrière-grand-père de Pierre IV d’Aragon 40, beau-frère du roi de Navarre. Le sceau de majesté du roi de Sicile est d’une qualité plastique remarquable, nullement dépassée au milieu du xive siècle 41 �ÀJ�������3DU�DLOOHXUV��FRPPH�O·D�ELHQ�PRQWUp�5REHUW�+HQUL�%DXWLHU 42, le sceau de Jean II, unique par les deux aigles johanniques qui forment le trône et prennent appui sur les deux lions couchés, est quant à lui une synthèse originale du sceau impérial de Louis IV de Bavière et de son successeur Charles IV de Luxembourg, frère de Bonne, l’épouse de Jean II. C’est à partir de ce souverain que les sceaux de majesté français adoptent les deux lions couchés aux pieds du roi 43.

LE STYLE DES DEUX « PIEDS-FORTS »

/HV�GHX[�PpGDLOORQV�Q·RIIUHQW�SDV�OD�PrPH�ÀQHVVH�GH�JUDYXUH�TXH�OHV�PRQQDLHV�correspondantes, contrairement aux pieds-forts d’argent doré ou de bronze. Cette différence est due essentiellement à la technique des émaux sur basse-taille, propre à l’orfèvrerie, qui diffère de la frappe au marteau des pieds-forts classiques et des monnaies. Dans la technique du monnayage, l’ouvrier sculpte le type monétaire en positif sur un poinçon en métal malléable. Après avoir été

38. Olivier Guyotjeannin, art. cité, p. 455-456 ; Martine Dalas, op. cit., t. II, p. 203, no 121 : la plus ancienne empreinte valide un acte d’octobre 1250.

39. Pour reprendre l’expression que Gérard de Montaigu, notaire et secrétaire du roi Charles V, appliquait au sceau de son maître, qu’il rapprochait du second sceau de majesté de Louis X le Hutin, voir Olivier Guyotjeannin, art. cité, p. 451 : « Sigillum regis Ludovici Hutini valde pulchrum [ces quatre derniers portés en interligne, pour corriger les mots Philippi Longi, rayés] super quod fuit captum, ut videtur, sigillum regis Karoli, dalphini Viennensis, ut videtur in tribus litteris simul junctis in scrineo xiiixxixo, et ibi est suum testamentum sub eodem sigillo » (AN, JJ l24, fol. 55).

40. On retrouve d’ailleurs les deux lions couchés dans son deuxième sceau de majesté (AN, sc/D 11230, empreinte de 1353) dont le style général est emprunté aux sceaux épiscopaux et cardinalices des années 1330-1350 (par exemple ceux de Pierre Bertrand, cardinal de Saint-Clément, de Richard de Bury, évêque de Durham ou de Humbert, ancien dauphin, patriarche de Jérusalem). Le rapprochement avec les grands sceaux d’Édouard III d’Angleterre, opéré par Bautier (art. cité, p. 217), nous paraît moins convaincant.

41. Christian de Mérindol, op. cit., pl. XXIII-83. À notre connaissance, le premier grand sceau arbo-rant un drap d’honneur derrière le siège est celui de Jean de Flandre (†1291), évêque de Metz puis de Liège, voir Marc Gil, « Les sceaux de Jean de Flandre, chancelier de Flandre (1263), évêque de Metz (1279-1282) puis de Liège (1282-1291) : portrait sigillaire d’un prince ecclésiastique à la ÀQ�GX�xiiie siècle »��$QQDOHV�GX�&RPLWp�ÁDPDQG�GH�)UDQFH, t. 67, 2011, p. 137-160.

�����5REHUW�+HQUL�%DXWLHU��DUW��FLWp��S�����������ÀJ��������43. Henri VI d’Angleterre s’y conformera quand il fera graver deux sceaux de majesté successifs pour

la France, après la mort de Charles VI, voir Martine Dalas, op. cit., t. II, p. 261-263, nos 181-182.

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Deux « pieds-forts » en argent émaillé de Philippe VI

trempé pour le durcir, ce poinçon sert à frapper la surface d’un coin, sur lequel le motif apparaîtra en léger creux. Le coin est à son tour durci par trempage, DYDQW�GH�VHUYLU�j�HPERXWLU�OH�PpWDO�ÀQ��SDU�OD�IUDSSH�GX�PDUWHDX��'DQV�OHV�pPDX[�WUDQVOXFLGHV�VXU�EDVVH�WDLOOH��OH�ÁDQ�G·DUJHQW��DSODWL�LFL�VXU�XQH�pSDLVVHXU�GH���PP��HVW�LQFLVp�HW�JUDYp�j�O·DLGH�GH�ÀQV�EXULQV�HW�GH�FLVHOHWV��SRXU�FUpHU�XQ�EDV�UHOLHI��GDQV�OHTXHO�O·pPDLO�YLHQGUD�V·LQFUXVWHU�RX�FRXYULU�OD�VXUIDFH�HQ�ÀQH�couche, laissant certains reliefs en réserve sur le champ du métal. Profondeur et volume sont rendus par la polychromie et les jeux de lumière entre les émaux translucides et les fonds guillochés du bas-relief.

Les deux objets ont à l’évidence une origine commune. Ils ont été émaillés de manière identique, tant pour la composition que par l’emploi restreint des trois mêmes couleurs aux mêmes endroits. Malheureusement, les émaux ont EHDXFRXS�VRXIIHUW��SOXV�SDUWLFXOLqUHPHQW�VXU�OH�GURLW�GHV�GHX[�ÁDQV���OD�JUDYXUH�au recto du médaillon de Londres est très usée. En revanche celle du médaillon de Munich est intacte, mais la couche d’émail est ruinée. Cette usure de la face principale est probablement due à son exposition prolongée. Quelques micro-pFUDVHPHQWV�j�FHUWDLQV�HQGURLWV�GH�O·DUrWH�GX�ÁDQ�GX�©�SLHG�IRUW�ª�PXQLFKRLV�pourraient laisser penser que celui-ci avait peut-être été transformé, à une FHUWDLQH�pSRTXH��HQ�ELMRX��HQ�©�SLqFH�SHQGDQWH�ª�RX�À[p�j�XQH�pWRIIH 44. Les émaux translucides, beaucoup plus fragiles que le rouge opaque, ont disparu sur les trois quarts des surfaces. Le bleu recouvre encore par endroits le manteau royal sur le « pied-fort » londonien. Pour celui de Munich, seules quelques traces de bleu, devenues noires, sont encore visibles sur le surcot. Le bleu a été aussi incrusté entre les lettres, au relief en réserve, et, au revers du médaillon londonien, dans OH�ÀOHW�JUDYp�HQWUH�OH�FRQWRXU�GX�TXDWUH�IHXLOOHV�HW�OH�JUqQHWLV��/H�YHUW�D�pWp�XWLOLVp�pour les creux des plis et le revers du manteau et du surcot royaux, ainsi que pour les articulations de l’armure. Il couvre par ailleurs, sur les deux pièces, OH�FKDPS�GH�O·DYHUV�HW�O·LQWpULHXU�GX�TXDWUH�IHXLOOHV��(QÀQ��OHV�FUHX[�GHV�GHX[�trônes architecturés et les redents du polylobe sont émaillés d’un rouge opaque qui couvre également le champ du revers, les petits quadrilobes de la croix, ainsi que les espaces ponctués entre chaque terme des légendes.

/H�VW\OH�GH�FHV�GHX[�PpGDLOORQV�FRQÀUPH�O·LGHQWLWp�G·H[pFXWLRQ��,OV�VRQW�l’œuvre du même atelier. La surface intacte du « pied-fort » de l’écu d’or permet encore d’apprécier le style puissant du graveur, malgré un certain manque de ÀQHVVH�GDQV�OH�WUDLW��&HV�GHX[�©�SLHGV�IRUWV�ª�VRQW�SRXUWDQW�PRLQV�UDIÀQpV�TXH�FHU-tains émaux contemporains, tel le médaillon de saint Paul évoqué plus haut, en FXLYUH�FKDPSOHYp�HW�pPDX[�RSDTXHV��ÀJ�������RX��SOXV�SUHVWLJLHX[��OH�Pendentif-reliquaire de la Sainte Épine��ÀJ�������H[pFXWp�SUREDEOHPHQW�SRXU��3KLOLSSH�9,�HW�Jeanne de Bourgogne 45 et dont les volets mobiles, historiés d’émaux translucides

44. En 1422, Pierre Pietement, orfèvre de Bourges, avait été payé « pour avoir baillé 16 marcs d’argent doré et ouvré en manière de grandes pièces pendantes à deux chaînes sur une robe de drap » destinée au roi Charles VII, mention citée dans Adrien Blanchet et Adolphe Dieudonné, op. cit., t. III, p. 4.

45. Londres, British Museum, Inv. no MLA 1902, 2-10,1. H. : 36 mm ; L. : max. 29 mm (fermé), voir Danielle Gaborit-Chopin, dans Les fastes du gothique, op. cit., p. 235-236, cat. 190.

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dont, grande nouveauté, un rouge cler, ont pratiquement les mêmes dimensions que les « pieds-forts 46 ».

À qui le roi a-t-il pu commander ces deux objets précieux ? La technique particulière des émaux translucides sur argent basse-taille appelle un orfèvre-émailleur plutôt qu’un simple ouvrier monnayeur. Les rapports étroits qu’entretiennent les deux « pieds-forts » avec leurs modèles monétaires comme avec l’art sigillaire princier impliquent que cet orfèvre-émailleur touche de près au milieu des monnayeurs royaux comme des graveurs de sceaux. Certains orfèvres étaient installés sur le Grand Pont avec les changeurs qui concurrençaient parfois les premiers pour le commerce de vaisselles précieuses 47. D’autre part, plusieurs orfèvres travaillant pour les derniers Capétiens directs et le premier Valois exerçaient les deux métiers, tel Gilles de Medunta 48 (1323-1325). Danielle Gaborit-Chopin a montré, par ailleurs, que nombre d’orfèvres parisiens émaillaient leur propre production, mais faisaient également commerce de pièces déjà émaillées ou de la matière première nécessaire aux émailleurs 49. De nombreux orfèvres étaient également graveurs de sceaux, tels les Parisiens Guillaume Julien, au service de Philippe IV, Jean et Pierre de Montpellier, auteurs du grand sceau de Charles IV pour son avènement, ou Jean de Tournai qui a travaillé pour le même roi 50��&H�GHUQLHU�HVW�SHXW�rWUH�j�LGHQWLÀHU�DYHF�le Jean de Tournai, orfèvre, qui, en 1327, est tailleur, c’est-à-dire graveur de coins, à l’atelier monétaire du duc de Bourgogne à Auxonne 51. Certains orfèvres apparaissent donc à la fois comme graveurs de sceaux et de monnaies. Sur les

�����9RLU�pJDOHPHQW�OH�PpGDLOORQ�GH�OD�MHXQH�ÀOOH�j�OD�OLFRUQH��0XQLFK��%D\HULVFKHV�1DWLRQDOPXVHXP��Inv. no MA 2202 (Danielle Gaborit-Chopin, ibid., p. 231-232, cat. 185).

47. Philippe Henwood, « Les orfèvres parisiens pendant le règne de Charles VI (1380-1422) », Bulletin DUFKpRORJLTXH�GX�FRPLWp�GHV�WUDYDX[�KLVWRULTXHV�HW�VFLHQWLÀTXHV, nouv. série, no 15, [1979] 1982, p. 85-180, ici p. 100, 132-133 et 153.

48. Jules Viard, Les journaux du trésor de Charles IV le Bel, Paris, Imprimerie nationale, 1916, nos 3344 (juin 1323), « Egidius de Medunta, campsor Parisiensis », et 8025 (16 juin 1325), « Egidius de Medonta, aurifaber et civis Parisiensis » ; Danielle Gaborit-Chopin, dans L’art au temps des rois maudits, op. cit., p. 179. Gilles de Medunta avait été l’orfèvre de Philippe V le Long, puis de Charles IV. En 1349, l’angevin Jean de Fourques était également orfèvre et changeur : voir Jules Viard, Les journaux du trésor de Philippe VI, Paris, Imprimerie nationale, 1894, no 675 �PDUV��������­�&DPEUDL��O·RUIqYUH�&OpPHQW�HVW��j�OD�ÀQ�GX�xive siècle, garde des monnaies de l’évêque. Voir : Chrétien Dehaisnes, Histoire de l’art dans la Flandre, l’Artois et le Hainaut avant le xve siècle, Lille, Quarré, 1886, p. 466.

49. Danielle Gaborit-Chopin, « Orfèvres et émailleurs parisiens au xive siècle », dans Catherine Arminjon et alain Erlande-Brandenburg (dir.), Les orfèvres français sous l’Ancien Régime, Paris, L’Inventaire, 1994, p. 29-35. L’auteure cite également (p. 31) un certain Johannes de Medici, apparemment Jean le Mire, émailleur parisien, qui est payé, en 1343, pour la livraison d’une cassette pour ranger le sceau royal. Voir Jules Viard, Les journaux du trésor de Philippe VI, op. cit., no 3067.

50. Marc Gil, « L’enlumineur Jean Pucelle… », art. cité, p. 422. Pour les orfèvres-graveurs de sceaux pendant le règne de Charles VI, voir Philippe Henwood, art. cité, p. 115 (Pierre Blondel), p. 118 (Arnoul Bourel), p. 128 (Hance Croist ou Karast), p. 143 (Pierre Huve), p. 164 (Mathelin Neveu) ; voir aussi, p. 164, Jehan Mignot, orfèvre sur le Pont-au-change, qui casse, en juin 1410, les sceaux de Guillaume de Dormans, archevêque de Sens mort en 1405.

51. Françoise Dumas-Dubourg, Le monnayage des ducs de Bourgogne, Louvain-la-Neuve, 1988, p. 167 : Dijon, archives départementales de la Côte-d’Or, série B (fonds de la chambre des comptes de Dijon), no 11210.

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Deux « pieds-forts » en argent émaillé de Philippe VI

quatorze orfèvres-monnayeurs parisiens ou dijonnais au service des ducs de Bourgogne, aux xive et xve VLqFOHV��LGHQWLÀpV�SDU�)UDQoRLVH�'XPDV�'XERXUJ��trois apparaissent, dans les sources, à la fois graveurs de sceaux et tailleurs de coins 52. Ce dernier métier relève d’ailleurs, semble-t-il, toujours de l’orfèvrerie 53.

LES DEUX « PIEDS-FORTS » ÉMAILLÉS, ÉLÉMENTS DE LA PROPAGANDE ROYALE DE PHILIPPE VI OU OBJETS DE COLLECTION ?

À notre connaissance, ce sont les seuls objets de ce genre conservés et les savants du xixe siècle, en particulier Hoffmann, puis ceux du siècle dernier n’en n’ont pas repéré d’autres. La fragilité et le métal de tels objets peuvent expliquer leur disparition. Jusqu’en 1918, la maison de Gœthe à Weimar conservait une monnaie-médaille en argent émaillé, frappée par Charles VII en 1457 pour commémorer l’expulsion des Anglais, mais elle s’apparentait déjà à une médaille moderne par son diamètre (100 mm) et ses inscriptions commémoratives 54. Au contraire, les deux « pieds-forts » s’inspirent directement de monnaies qui ont cours, à la fois par l’iconographie et les dimensions.

Lorsque l’écu d’or, qui a servi de modèle à l’émail conservé à Munich, est IUDSSp�HQ�MDQYLHU�������3KLOLSSH�9,�SUpSDUH��GHSXLV�OD�ÀQ�GH�O·DQQpH�SUpFpGHQWH��OD�FRQÀVFDWLRQ�GH�OD�*X\HQQH�TXL�LQWHUYLHQGUD�HQ�MXLQ��/D�FUpDWLRQ�GH�FHWWH�PRQQDLH�précède de 10 mois l’entrée en guerre, puisque c’est le 7 octobre qu’Édouard III FHVVH�GH�UHFRQQDvWUH�3KLOLSSH�9,�FRPPH�URL�GH�)UDQFH�HW�OXL�HQYRLH�VRQ�GpÀ�(19 octobre).

L’iconographie particulière de l’écu, le roi en armure, trônant et brandissant l’épée de Justice, d’un côté, et tenant l’écu de France est une image puissante TXL�DIÀUPH�OH�GURLW�HW�OD�OpJLWLPLWp�GX�9DORLV��PDLV�DXVVL�VD�IRUFH�PLOLWDLUH��L’iconographie du lion d’or, en apparence différente, ne dit pas autre chose, par

52. Ce qui ne veut pas dire que les autres ne gravaient pas de matrices. Ibid., p. 153 : Hennequin d’Ast, originaire du diocèse de Liège (1399-†1413) est sans doute ce Hennequin, graveur de sceaux dijonnais en 1401, repéré par Jules Roman, Manuel de sigillographie française, Paris, A. Picard HW�ÀOV��������S��������)UDQoRLVH�'XPDV�'XERXUJ��op. cit., p. 155 : Jean Fovet ou Fouhet, orfèvre parisien puis dijonnais (†1401) – voir également Chrétien Dehaisnes, Documents et extraits divers concernant l’histoire de l’art dans la Flandre, l’Artois et le Hainaut avant le xve siècle, Lille, Quarré, 1886, p. 108 ; Jules Roman, op. cit., p. 363, et Philippe Henwood, art. cité, p. 136 et 157 : Gérard Loyet, orfèvre lillois – sur cet artiste, voir, en dernier lieu, Henri Van Den Velden, The Donor’s Image: Gerard Loyet and the Votive Portraits of Charles the Bold, Turnhout, Brepols, 2003. Pour OD�ÀQ�GX�0R\HQ�ÇJH�HW�OD�5HQDLVVDQFH��YRLU�OHV�PHQWLRQV�SXEOLpHV�SDU�$OH[DQGUH�3LQFKDUW��SDU�exemple ce Jean Le Roy, orfèvre brugeois (cité entre 1470 et 1478), tailleur de coins et graveur de certains sceaux du duc Maximilien d’Autriche (Recherches sur la vie et les travaux des graveurs de médailles, de sceaux et de monnaies des Pays-Bas, Bruxelles, Auguste Decq, 1858, p. 142-143).

53. Françoise Dumas-Dubourg, op. cit., p. 132-133. Parmi les nombreux orfèvres et monnayeurs publiés par Pinchart, voir par exemple l’orfèvre et graveur de coins Pierre van der Calster, de Louvain, dont la veuve vendit, à un autre graveur, 173 fers pour servir à graver, à Anvers, les coins des monnaies de Limbourg pour Antoine de Bourgogne, duc de Limbourg (juillet 1405). (Q�������Q��V����-HDQ�,9�GH�%UDEDQW�FRQÀDLW�O·DWHOLHU�PRQpWDLUH�GH�0DDVWULFKW�j�O·RUIqYUH�/RXLV�van Walderen (Alexandre Pinchart, op. cit., p. 50-51 et 98-99).

54. Adrien Blanchet et Adolphe Dieudonné, op. cit., t. III, p. 6-7.

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les attributs royaux, sceptre, masse ou sceptre de justice, couronnes et lis, et par le lion couché aux pieds du souverain, symbole de la force et du droit, un topos de l’iconographie médiévale. Dans ce contexte, la substitution de la main de justice à la masse, sur le « pied-fort », renforce ce symbolisme de la légitimation du Valois et la propagande royale ; l’association main de justice, trône et lion couché, renvoyant à Salomon et, à travers lui, à saint Louis, nouveau Salomon, RX�SOXV�SURFKH�j�3KLOLSSH�,9�OH�%HO�GRQW�XQ�FRQWHPSRUDLQ�DYDLW�TXDOLÀp�O·LPDJH�gravée sur son grand sceau de Rex sedens pro tribunali 55.

L’écu de Philippe VI, « ecus bons a l’œil et doulx a la main 56 », est une monnaie forte pendant près de 10 ans 57 et connaît immédiatement un véritable succès, imité en Navarre, en Aquitaine, au Portugal et aux Pays-Bas 58. Produit en abondance pour alimenter les subsides versés aux alliés du roi de France au début de la guerre de Cent Ans, il est aussitôt imité à la fois par ces mêmes alliés, comme le comte de Bourgogne Eudes IV et le comte de Flandre Louis de Nevers, mais aussi par certains ennemis du moment, alliés d’Édouard III d’Angleterre, tel le duc Jean III de Brabant qui est autorisé par l’empereur Louis de Bavière, autre ennemi du roi de France, à battre monnaie d’or en son nom 59. Le roi d’Angleterre suit son allié brabançon, même s’il tarde à créer ses SURSUHV�PRQQDLHV�G·RU��4XDQG�LO�V·\�UpVRXW�HQ������HQ�FUpDQW�VRQ�SUHPLHU�ÁRULQ�d’or, il s’inspire de deux monnaies d’or de Philippe VI, le pavillon d’or, pour le thème principal, et l’ange d’or, pour l’encadrement. Après la victoire de Crécy, mais peut-être dès 1344 60, il fait frapper, pour ses territoires français, son propre écu d’or, imitant en tous points celui de son rival 61.

Dans ce contexte des débuts de la guerre et jusqu’à la défaite navale française de l’Écluse, près de Bruges, le 24 juin 1340, le succès de l’écu d’or de Philippe VI, dont les qualités plastiques sont à souligner, est probablement conforté par le fait que le roi paraît dominer la situation. Ce succès participe de la propagande de légitimation du Valois, au même titre que l’image que véhicule cette monnaie. La création des deux « pieds-forts » émaillés entre alors parfaitement dans cette stratégie publicitaire du roi. Ils ne sont pourtant pas des pieds-forts à propre-ment parler. En effet, on sait, par Hoffmann, qu’il existait encore au xixe siècle,

55. Michel Pastoureau, art. cité et Hervé Pinoteau, op. cit. et art. cité.56. Françoise Dumas et Henri Dubois, art. cité, p. 251.57. Maryse Blet-Lemarquand et Marc Bompaire, « L’affaiblissement des écus d’or de Philippe VI

et Jean II (1348-1355) : perspectives ouvertes par les analyses », Actas del 13 Congreso Inter-nacional de Numismática, (Madrid, 2003), Madrid, Ministerio de Cultura, 2005, 2 vol., t. II, p. 1281-1287, ici p. 1281.

58. Pierre Cockshaw, « L’écu à la chaise, succès et imitations », Revue belge de numismatique, 1999, p. 269-284, ici p. 271 ; Yves Coativy, « La représentation du souverain sur les monnaies d’or en France du xiiie au xve siècle (royaume et principautés) », Revue européenne des sciences sociales, t. XLV, 2007, no 137, p. 31-44 ; Françoise Dumas et Henri Dubois, art. cité, p. 253-255.

59. Pierre Cockshaw, art. cité, p. 271-272 et 274-275.60. Pierre J. Capra, « Les espèces, les ateliers, les frappes et les émissions monétaires en Guyenne

anglo-gasconne aux xive et xve siècles », Numismatic Chronicle, 1979, p. 139-154, ici p. 141.61. $JH�RI�&KLOYDU\��$UW�LQ�3ODQWDJHQHW�(QJODQG����������, cat. expo. (Londres, Royal Academy of

Arts, 1987-1988), Jonathan Alexander et Paul Binski (dir.), Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1987, p. 476-477, no 615.

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Deux « pieds-forts » en argent émaillé de Philippe VI

un pied-fort en argent de l’écu d’or 62. Les deux pièces émaillées s’apparentent plutôt à des monnaies-médailles ou à des pièces de plaisir offertes par le roi à des alliés ou des parents 63. Elles symbolisent, en quelque sorte, ce moment du début des hostilités où le roi de France, sûr de son droit comme l’iconographie de l’écu veut nous le laisser croire, pense remporter la guerre rapidement. Si elles ne commémorent rien, à la différence des monnaies-médailles de Charles VII fêtant l’expulsion des Anglais, elles veulent annoncer la victoire du Valois sur le Plantagenêt.

Leurs caractéristiques communes, tant techniques, stylistiques qu’épigraphiques laissent penser que ces deux émaux ont été exécutés dans un temps assez rapproché, probablement avant la création du denier d’or au pavillon, le 8 juin 1339, si l’on se réfère à la manière dont s’est déroulée la frappe de l’écu d’or, entre la première émission de janvier 1337 et la deuxième d’avril 1343. En effet, cette frappe s’interrompt avec la création, sur un rythme qui s’accélère, d’une série de huit monnaies d’or : le lion en novembre 1338, le pavillon en juin 1339, la couronne en janvier 1340, le simple et le double denier en avril 1340, suivis en mai de l’émission du second type du double, l’ange et le demi-ange en janvier 1341, suivis de deux autres types de l’ange en août 1341 HW�MXLQ�������HQÀQ�OH�ÁRULQ�DX�VDLQW�*HRUJHV�HQ�IpYULHU����� 64. Cette création monétaire se double à partir de 1241 d’une pénurie d’or 65, qui suit d’ailleurs de près les premiers revers guerriers de Philippe VI. Les deux médaillons émaillés Q·RQW�LOV�SDV�pWp�FRQoXV��HQ�GpÀQLWLYH��GDQV�O·LGpH�GH�IRUPHU��j�WHUPH��XQH�VpULH�des plus belles monnaies du règne, c’est-à-dire les monnaies d’or, dont les chercheurs ont souligné depuis longtemps les grandes qualités plastiques, un sommet du monnayage médiéval ? D’autant plus que la technique fait de ces objets singuliers de véritables bijoux d’orfèvrerie. L’expérience évoquée par 0DULH�0DGHOHLQH�*DXWKLHU�QH�UpVLGHUDLW�HOOH�SDV��HQ�GpÀQLWLYH��j�OD�IRLV�GDQV�OD�technique et dans l’idée de collection 66 ? Ces deux médaillons sont d’autant plus

62. Henri Hoffmann, op. cit., p. 33, no 4.63. Il est à noter que la reine Jeanne de Boulogne (†1361), seconde épouse de Jean II le Bon, conser-

vait parmi ses bijoux trouvés au château de Vadans (Jura), trois pieds-forts d’argent doré, dont l’un du royal d’or de France. Ces essais de monnaies étaient, semble-t-il, conservés avec plusieurs sceaux et signets, dont certains sertissant probablement une intaille. Parmi eux, le grand sceau d’argent de la reine et son contre-sceau d’or : « Item, une fourme d’argent des royaulx que l’en fait en France ; et est dorée ; item, deux autres moustres [sic] d’argent dorées ; item Le grant seel d’argent de la Royne ; et est cournus ; item, son seel d’or commun, à tout la chaîne d’or, pesans environ vi onces ; item, deux signes d’or, un grant et un petit, et a chascum une teste dedans ; item, le viefs seel de monseigneur le Duc. Et sont les diz séeaulx en une bourse ouvrée des armes de France et de Boulloigne, seellée de Monseigneur de Grancy » (Louis Douët d’Arcq, « Inventaire des meubles de la reine Jeanne de Boulogne, seconde femme du roi Jean (1360) », Bibliothèque de l’École des chartes, no 40, 1879, p. 545-562, ici p. 553, nos 28-33).

64. Jean Duplessy, op. cit., t. I, p. 108-112 ; Françoise Dumas et Henri Dubois, art. cité, p. 251, note 14.

65. Françoise Dumas et Henri Dubois, art. cité, ibid.66. Sur cette question de la collection princière au xive siècle, voir notamment : Ronald William

Lightbown, Secular Goldsmiths’ Work in Medieval France: A History, London, Society of Anti-quaries of London – Thames and Hudson, 1978 ; Danielle Gaborit-Chopin « Les collections d’orfèvrerie des princes français au milieu du xive siècle d’après les comptes et inventaires », Hommage à Hubert Landais. Art, objets d’art, collections, Paris, Blanchard, 1987, p. 46-52 ;

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précieux qu’ils sont de très petites dimensions, à l’instar du bijou-reliquaire de -HDQQH�GH�%RXUJRJQH������[����PP���ÀJ�������GHV�pPDX[�GX�VRFOH�GH�OD�Vierge de Jeanne d’Évreux 67 (63 x 43 mm) ou du livre d’heures de cette même reine, dont les mentions successives dans les inventaires soulignent le petit format (miniatures : 53 x 45 mm pour les plus grandes) et la technique picturale 68. Cette miniaturisation des images, qui faisait le bonheur des collectionneurs princiers, mettait en valeur l’habileté et le talent de l’orfèvre-émailleur ou du peintre responsable des dessins préparatoires. On sait à quel point, au xive siècle, les princes français raffolaient, parfois jusqu’à outrance, des objets précieux et tout SDUWLFXOLqUHPHQW�GH�O·RUIqYUHULH�pPDLOOpH��,O�VXIÀW��SRXU�V·HQ�FRQYDLQFUH��GH�OLUH�les inventaires et les comptes des maisons royales et princières 69. Cependant, si projet de collection il y a eu, il ne fut, semble-t-il, jamais mené à terme.

L’inventaire du trésor du dauphin futur Charles V, 1363. Les débuts d’un grand collectionneur, Nogent-le-Roi, J. Laget, « Archives de l’art français, 32 », 1996 ; Eva Kovacs, L’âge d’or de l’orfèvrerie parisienne : au temps des princes de Valois, Paris, Faton, 2004.

67. Paris, musée du Louvre. En dernier lieu : Marc Gil, « Jean Pucelle and the Parisian Seal-En-gravers and Goldsmiths », art. cité.

68. New York, Metropolitan Museum of art, The Cloisters, Inv. no Acc. 54.1. 2. Voir : F. Avril dans Les fastes du gothique, op. cit., p. 292-293, cat. 239 ; B. Boehm, dans Jean Pucelle, op. cit.

69. Ces princes étaient friands d’exploits artistiques et techniques, dans une recherche à la fois de miniaturisation et de monumentalité des pièces d’orfèvrerie, dont témoignent à la fois les interminables inventaires et les pièces encore conservées : entre autres, la Fontaine de table (The Cleveland Museum of Art), le Tableau de la Trinité (Paris, Musée du Louvre) ou l’Image de Notre-Dame dite Goldenes Rössl (Bavière, Altötting, Helligen Kapelle) ; voir les études de Danielle Gaborit-Chopin déjà citées ; et Paris 1400. Les arts sous Charles VI, cat. expo., Élisabeth Taburet-Delahaye (dir.), Paris, RMN, 2004.

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