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MONASTÈRES ET ESPACE SOCIAL

Genèse et transformation d’un système de lieuxdans l’occident médiéval

Illustration de couvertureExtrait du Plan de Saint-Gall, ms. Saint-Gall, Stiftsbibliothek 1092.

Illustration de la quatrième de couverturePlan du complexe de Christchurch, Canterbury,

ms. Cambridge, Trinity College, R.17.1, f. 284v-285r.

COLLECTION D’ÉTUDES MÉDIÉVALES DE NICE

Collection fondée par Rosa Maria dessì, Michel lauwers et Monique Zerner

Cultures et Environnements. Préhistoire, Antiquité, Moyen ÂgeUmr 7264, Université Nice Sophia Antipolis – CNRS

Pôle Universitaire Saint-Jean-d’AngélySJA3

24, avenue des Diables-BleusF-06357 Nice Cedex 4

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TraductionsMélanie démeraux

RelectureGaëlle le dantec

MaquetteAntoine Pasqualini

HF

Direction Michel lauwers

Comité éditorialGermain Butaud, Cécile Caby, Yann Codou,Rosa Maria Dessì, Stéphanie le briZ-orGeur

Comité scientifiqueEnrico Artifoni (Università di Torino), Jean-Pierre Devroey (Université Libre de Bruxelles),

Patrick J.Geary (Institute for Advanced Study, Princeton), Dominique IoGna-Prat (EHESS, Paris), Florian MaZel (Université de Rennes 2), Didier Méhu ( Université Laval, Québec),

Jean-Claude Schmitt (EHESS, Paris), Élisabeth Zadora-rio (CNRS, Tours)

CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUECultures et Environnements. Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge

MONASTÈRES ET ESPACE SOCIAL Genèse et transformation d’un système de lieux

dans l’occident médiéval

ÉTUDES RÉUNIES PARMICHEL LAUWERS

COLLECTION D’ÉTUDES MÉDIÉVALES DE NICE

VOLUME 15

HF

© 2014 F H G, Turnhout, Belgium.All rights reserved. No part of this book may be reproduced,stored in a retrieval system, or transmitted, in any formor by any means, electronic, mechanical, photocopying, recordingor otherwise, without the prior permission of the publisher.

D/2014/0095/220ISBN 978-2-503-53581-4

Printed in the E.U. on acid-free paper

LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS

Abréviations usuelles

Abréviations des titres de collection et de revue

AA SS = Acta SanctorumAB = Analecta BollandianaBAV = Biblioteca Apostolica VaticanaBHL = Bibliotheca Hagiographica LatinaBML = Biblioteca Medicea-LaurenzianaBNC = Biblioteca nazionale centraleBnF = Bibliothèque nationale de FranceCC Ser. Lat. = Corpus Christianorum. Series LatinaCC Cont. Med. = Corpus Christianorum. Continuatio MedievalisCCM = Cahiers de Civilisation MédiévaleDACL = Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de liturgieDBI = DizionariobiograficodegliItalianiDHGE = Dictionnaire d’Histoire et de Géographie ecclésiastiquesDS = Dictionnaire de SpiritualitéDTC = Dictionnaire de Théologie CatholiqueMEFRM = Mélanges de l’École française de Rome. Moyen ÂgeMGH = Monumenta Germaniae HistoricaPG = Patrologie grecquePL = Patrologie latineRHE = Revue d’histoire ecclésiastiqueRIS = Rerum Italicarum Scriptores

cf. conferchap. chapitrecol. colonne(s)f. folioL. livrel. lignems. manuscrit(s)

n. notenº numérop. page(s)r rectot. tomev versovol. volume

AVANT-PROPOS

Le projet de cet ouvrage est né d’une collaboration entre plusieurs chercheurs qui ont entrepris ou repris, dans la dernière décennie, l’étude de quelques

sites monastiques majeurs de l’histoire occidentale, entre l’Antiquité tardive et la fin du Moyen Âge. Cette collaboration liait au départ des archéologues et des historiens de l’UMR 7264 CEPAM (Université Nice Sophia Antipolis / CNRS) (travaux sur l’île monastique de Lérins), de l’UMR 7324 CITERES (Université de Tours / CNRS) (travaux sur Marmoutier), de l’UMR 6298 ARTeHIS (Université de Dijon / CNRS) (travaux sur les monastères du Jura et de Bourgogne), de l’Uni-versité de Vercelli (travaux sur Novalaise), de l’Université Suor Orsola Benincasa de Naples (travaux sur Saint-Vincent-au-Volturne), soucieux de croiser leurs interrogations et leurs méthodes d’investigation. Elle s’est ensuite élargie à l’UMR 5138 Archéologie et Archéométrie (Lyon 2 / CNRS), en direction de col-lègues suisses, et a reçu en 2008-2011 le soutien de l’École française de Rome. Plusieurs rencontres, organisées à Nice, Rome, Turin et Vercelli, ont favorisé cette collaboration.

Les dossiers que nous avons examinés posent la question du lieu ou complexe de lieux que constitue le monastère : mise en œuvre spatiale de la rupture avec le monde, aménagement de bâtiments protégés par une clôture, modalités d’organi-sation de la vie commune et du culte, processus de polarisation. Les recherches ont porté sur la genèse et les transformations qu’ont connues les ensembles reli-gieux au fil des siècles, mais aussi sur la place qu’ils ont occupée dans le paysage et dans l’organisation sociale : comment le microcosme monastique, ancré en un lieu, s’est-il projeté dans son environnement, tant par la mise en place de dépen-dances, de prieurés et de territoires, que par l’élaboration de modèles spatiaux pouvant s’imposer à l’ensemble de la société ?

L’ouvrage que nous proposons s’attache donc à l’espace monastique comme espace social. Au cours des dernières années, tandis que certains archéologues s’interrogeaient sur les fonctions et les usages des lieux, en traitant par exemple des rapports entre architecture ecclésiale et liturgie1, les historiens médiévistes se sont intéressés aux phénomènes de localisation du sacré, soulignant la part prise

1. Développée de longue date en Allemagne, explorée jadis en France par Carol Heitz, cette ques-tion fait à nouveau l’objet de travaux scientifiques : C.M. Malone, Saint-Bénigne de Dijon en l’an mil, totius Galliae basilicis mirabilior. Interprétation politique, liturgique et théologique, Turnhout, 2009 ; A. Baud (dir.), Espace ecclésial et liturgie au Moyen Âge, Lyon, 2010. La notion d’« espace liturgique » a été récemment utilisée dans plusieurs synthèses de P. Piva, « Lo “spazio liturgico” : architettura, arredo, iconografia (secoli IV-XII) », dans P. Piva (dir.), L’arte medievale nel contesto (300-1300).Funzioni,iconografia,tecniche, Milan, 2006, p. 141-180 ; id. (dir.), Arte medievale. Le vie dello spazio liturgico, Milan, 2012.

10 Michel lauwers

par l’Ecclesia dans l’organisation sociale et spatiale de l’Occident médiéval2. Ces derniers travaux se sont appuyés sur un certain nombre de données archéo-logiques relatives aux lieux de culte et aux pratiques funéraires – en raison de l’importance des édifices ecclésiaux et des sépultures comme pôles de vie sociale. Dans ce contexte historiographique, les monastères ont été surtout envisagés du point de vue de leur fonction cultuelle et, plus rarement, de leur rôle dans la fixation de l’habitat. Ils ont en tout cas été examinés en tant que lieux de culte parmi d’autres3. En dépit de quelques programmes de recherche récents relatifs à la topographie des établissements religieux, dont plusieurs étaient mis en place au moment même où nous développions notre enquête4, la question de l’espace monastique entendu au sens large de complexe cultuel et social – articulant lieu de culte, lieu de vie, lieu de production, lieu de domination – n’a guère encore été explorée. Nous tenterons de le faire, en nous attachant aux structures matérielles et aux sens dont celles-ci ont été investies au cours du Moyen Âge.

La notion de circulation intervient de manière récurrente dans les pages qui suivent. Utilisée par les archéologues pour évoquer des accès, des seuils, des couloirs et des espaces de cheminement, elle représente l’un des fils conduc-teurs de notre enquête. Le terme semble, en effet, désigner toutes les formes de déplacement des personnes au sein des monastères, déambulations liturgiques ou trajets pragmatiques, les réseaux de circulation des hommes et des biens mis en évidence par Jean-Pierre Devroey et même les parcours mentaux propres à la « rationalité monastique » jadis évoquée par Max Weber. Faisant tout à la fois écho au circuitus-pèlerinage, au circuitus rituel de consécration des lieux de culte et au circuitus juridique délimitant des possessions, la circulation des religieux au sein de leurs lieux de vie et de culte a véritablement constitué ou structuré les

2. Voir notamment les recherches (dont certaines ont été réalisées au CEPAM) rassemblées dans plu-sieurs volumes récents : M. lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005 ; D. iogna-Prat, La Maison-Dieu. Une histoire monumentale du christianisme au Moyen Âge, Paris, 2006 ; D. Méhu (dir.), Mises en scène et mémoires de la consé-cration de l’église au Moyen Âge, Turnhout, 2007 ; Lieux sacrés et espace ecclésial (ixe-xve siècle) (Cahiers de Fanjeaux, nº 46), Toulouse, 2011.

3. À moins qu’ils n’aient été étudiés dans un tout autre contexte historiographique, lié à l’histoire des formes architecturales et à l’histoire de l’art, sans rapport avec leur environnement social.

4. Concernant la topographie monastique dans le haut Moyen Âge, il faut mentionner deux ouvrages collectifs récents : F. de ruBeis, F. Marazzi (dir.), Monasteri in Europa occidentale (secoli VIII-XI) : topografiaestrutture, Rome, 2008, et H. dey, E. Fentress (dir.), Western Monasticism ante litteram. The Spaces of Monastic Observance in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Turnhout, 2011, ainsi que la Collection publiée à Spolète, intitulée De re monastica : vol. 1, Committenza, scelte inse-diative e organizzazione patrimoniale nel Medioevo, dir. L. erMini Pani, 2007 ; vol. 2, Cantieri e maestranze nell’Italia medievale, dir. M. C. soMMa, 2010 ; vol. 3, Le Valli dei monaci, dir. L. erMini Pani, 2012. Les recherches menées au CEPAM sur les espaces monastiques, leur organisation et leur environnement ont également abouti à un recueil d’études publiées par Cécile Caby dans les Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 124/1, 2012, sous le titre « Espaces monastiques et espace urbain de l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge ».

avant-ProPos 11

complexes monastiques5. Il conviendra de s’interroger sur les processus de monu-mentalisation favorisés par ces circulations (et donnant naissance à des galeries, à des cloîtres, à des galilées par exemple) : dans quelle mesure les déambulations des moines ont-elles contribué à l’institution d’une structure hiérarchisée, tout en intégrant le complexe abbatial dans son environnement, par d’autres circulations définissant des zones d’immunité ou d’exemption, des circuitus de possessions foncières ou un réseau de prieurés ?

Dans les contributions de ce volume, la genèse et la transformation des com-plexes monastiques sont donc saisies à travers les usages de l’espace, par un va-et-vient entre les monuments, les textes et les images. Nous nous efforçons ainsi de suivre la mise en place d’un système de lieux singulier, qui a très cer-tainement représenté l’un des principaux laboratoires des représentations et des pratiques de l’espace dans l’Occident médiéval.

Michel LauwersCEPAM, UMR7264 (Université Nice Sophia Antipolis / CNRS)

5. Les « circulations » ont été notamment évoquées par les archéologues à propos des espaces d’accueil (C. saPin dir., Avant-nefs et espaces d’accueil dans l’église, entre le ive et le xiie siècle, Paris, 2002) et des cryptes (C. saPin, « Cryptes et sanctuaires. Approches historiques et archéologiques des cir-culations », dans Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 34 (Liturgie, arts et architecture à l’époque romane), 2003, p. 51-62). Sur les « parcours mentaux » et la « rationalité monastique » : J.-P. devroey, Puissants et misérables. Système social et monde paysan dans l’Europe des Francs (vie-ixe siècles), Bruxelles, 2006, p. 591-600. Sur les différents sens de circuitus : M. lauwers, Naissance du cimetière, cit. n. 2, p. 137-139.

COMME UN POISSON DANS L’EAU… PROPOSITUM VITAE ET LIEUX DE VIE

MONASTIQUE (xie-XIIIe SIÈCLE)

CéCile CaByCEPAM, UMR7264 (Université Nice Sophia Antipolis / CNRS)

Dans son très riche commentaire aux constitutions dominicaines, le maître général Humbert de Romans relève – pour le regretter – le fait que, dans son

ordre, persistent encore au milieu du xiiie siècle des différences dans l’habillement mais aussi dans les constructions (édifices cultuels et autres bâtiments), voire les coutumes liturgiques1. Le lieu de vie, tout comme l’habit et la liturgie représentent donc, à ses yeux, les principaux critères de différenciation de son ordre qui, de ce fait, réclamaient un urgent effort d’uniformisation comme garantie d’unité.

Ce bref texte, émanant d’un clerc que ses missions dans son ordre et au service de la papauté avaient habitué à la comparaison entre divers usages réguliers2, résume bien le point de départ de ma démarche. En effet, je souhaite m’interroger ici sur la part accordée au cadre spatial dans la définition de l’identité et du statut du monachisme et des ordres religieux dans la société médiévale, notamment dans un contexte – celui des xie-xiiie siècles – d’explosion de la diversitas religionum3. Il ne s’agit donc en aucun cas d’établir une correspondance immédiate entre une règle ou une coutume et un type d’architecture monastique, ou pire un plan de monastère idéal. Mon propos relève bien d’une analyse des discours produits entre le xie et le xiiie siècle par les moines principalement, mais également par des chanoines réguliers, voire des clercs séculiers en polémique avec les premiers, à

1. Humbert de Romans, Commentaire des constitutions dominicaines, éd. J. J. Berthier, dans Opera de vita regulari, Rome 1889, II, p. 332.

2. À ce propos, voir en particulier J. duBois, « Les ordres monastiques au xiiie siècle en France d’après les sermons d’Humbert de Romans, maître général des frères prêcheurs (mort en 1277) », Sacris Erudiri, 26, 1983, p. 187-220.

3. Sur ce type d’approche, G. Melville, « Unitas e diversitas. L’Europa medievale dei chiostri e degli ordini », dans G. CraCCo, J. le goFF, H. keller, G. ortalli (dir.), Europa in costruzione. La forza delle identità, la ricerca di unità (secoli ix-xiii), Bologne, 2007, p. 357-384 ; et pour la part des repésen-tations de l’espace, les propositions encore très tatonnantes de A. Müller, « Presenting Identity in the Cloister : Remarks on Benedictine and Mendicant Concepts of Space », dans A. Müller et K. stöBer (dir.), Self-Representation of Medieval Religious Communities : The British Isles in Context, Berlin, 2009, p. 167-188.

Monastères et espace social. Genèse et transformation d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, éd. par Michel lauwers, Turnhout, 2014, (Collection d’Études Médiévales de Nice, 15), pp. 111-146. © BREPOLS H PUBLISHERS DOI 10.1484/M.CEM-EB.5.102886

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propos de leurs espaces et de leurs cadres de vie4. La question étant de tenter de comprendre quelle place occupent ces discours dans le contexte de redéfinition dont la vita religiosa fait alors l’objet et à quel titre ils y participent5.

i. ProlégoMènes : stabilitas loci et Mansio quieta

Poser le cadre de vie comme un critère identitaire du moine n’est pas sans soulever un certain nombre de problèmes en amont. On aurait beau jeu de sou-ligner la part somme toute très réduite des indications et des recommandations concernant les espaces de vie dans les règles primitives et surtout leur traitement sur un mode très schématique6. Le monachisme occidental des origines et le monachisme médiéval, à sa suite, héritent à vrai dire des rapports paradoxaux et des évolutions, tantôt parallèles, tantôt contradictoires au sein du christianisme, entre, d’une part, la définition du monachisme comme vie contemplative, présup-posant la mise à l’écart du renonçant hors du monde, et, d’autre part, de la très progressive inscription spatiale de l’Église7. Il s’agit a priori de deux sphères indépendantes. D’un côté, celle de la définition du monachisme par son refus du monde terrestre – d’ailleurs d’emblée interprété de deux façons qui se combinent souvent et en tous cas ne s’excluent jamais totalement l’une l’autre, à savoir concrètement comme une exigence topographique et symboliquement comme une disposition de l’esprit –, mais aussi par la revendication d’une fonction spéci-fique dans l’Église8. De l’autre, celle de la conception de l’Église, dans sa double dimension de vaste communauté spirituelle et de lieu de culte, de la définition du sacré et de son inscription dans l’espace. En réalité, il s’agit de deux mouve-ments étroitement liés. En effet, dans le mouvement global de territorialisation du sacré et d’inscription matérielle de l’Église dans la société en Occident, les ascètes eux-mêmes, seuls ou en communauté, puis les lieux de vie monastiques

4. Par le terme cadre de vie ou cadre spatial, j’engloberai un large éventail de points de vue concentriques sur les lieux de vie fréquentés et perçus par les moines, qui vont de ce que la géographie moderne désigne comme site ou situation, à l’agencement des édifices à l’intérieur de l’espace claustral, ou, pour le dire avec les mots du chanoine Hugues de Fouilloy du locus fundamenti à la positio, jusqu’à la dispositio et enfin la compositio : De claustro animae, II 4, dans PL 176, col. 1053.

5. Sur l’articulation entre forme de vie et textes normatifs voir les travaux de E. CoCCia, « Regula et vita. Il diritto monastico e la regola francescana », Medioevo e Rinascimento, 20, 2006, p. 97-147 (qui va bien au-delà du cas franciscain) et G. agaMBen, De la très haute pauvreté. Règles et forme de vie, trad. française, Paris, 2011.

6. Voir les bilans dressés dans P. noisette, « Usages et représentations de l’espace dans la Regula Benedicti. Une nouvelle approche des significations historiques de la Règle », Regulae Benedicti Studia. Annuarium Internationale, 14/15, 1988, p. 69-80 ; P. Bonnerue, « Éléments de topographie historique dans les règles monastiques occidentales », Studia Monastica, 37, 1995, p. 57-77 et la contribution de Sofia uggè dans ce volume.

7. Sur ces dynamiques, voir D. iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au MoyenÂge(v.800-v.1200), Paris, 2006 et l’article de Michel lauwers dans ce volume.

8. J. leClerCQ, Études sur le vocabulaire monastique du Moyen Âge, Rome 1961.

coMMe un Poisson dans l’eau… ProPosituM vitae et lieux de vie Monastique 113

acquièrent très tôt un statut privilégié et contribuent, plus que tout autre lieu, à la constitution d’une géographie du sacré, comme autant de lieux saints polarisant le paysage social9.

Dans ce processus de valorisation des lieux de vie monastique, qui connaît une nette accélération à l’époque carolingienne, en lien avec un mouvement de regroupement communautaire, plusieurs éléments entrent en ligne de compte dont deux me semblent essentiels ici. En premier lieu, l’exaltation de la stabilitas loci et, à l’inverse, les réticences dont font l’objet la peregrinatio érémitique et plus globalement toute forme de divagatio dans le cadre d’un monachisme franc stabilisé par la Règle de saint Benoît10. En second lieu, la cléricalisation du mona-chisme et sa spécialisation dans la prière, et en particulier la prière eucharistique pour les défunts, qui fait du monastère un lieu privilégié de communication avec l’au-delà, ce qui n’est pas sans conséquences sur la centralité du lieu de culte dans la représentation et la structuration matérielle de l’espace de vie du moine. Dans l’Occident médiéval postcarolingien, parce que les moines se définissent par leur fonction de commémoration eucharistique des défunts, le monastère tend (jusqu’en plein xiie siècle) à s’identifier au bâtiment cultuel consacré au service divin. En ce sens, il n’y a pas lieu de s’étonner que les collections canoniques des xie et xiie siècles comptent les monastères parmi les autres lieux vénérables réservés à la prière et consacrés par des pontifes. Ainsi Jean Beleth énumère-t-il indiffé-remment, au nombre des lieux sacrés, ecclesia, basilica, capella, monasterium et cenobium, tandis que sont dits saints les espaces d’immunité circa monasteria11.

Indépendamment de cette réduction du monastère à son cœur cultuel, il est clair que, au carrefour entre processus d’ancrage territorial de l’Église et disci-plinement communautaire du monachisme bénédictin, le cadre de vie du moine acquiert une importance nouvelle qui s’exprime de diverses façons, dont certaines ont d’ailleurs fait l’objet de relectures très récentes. On peut citer par exemple l’émergence carolingienne d’« une rhétorique de la description des lieux monas-tiques, envisagés dans une perspective systémique, sur fond de réorganisation de

9. M. lauwers, L. riPart, « Représentation et gestion de l’espace dans l’Occident médiéval », dans J.-Ph. genet (éd.), Rome et l’État moderne européen, Rome, 2007 (Collection de l’École française de Rome, 377), p. 115-171, en part. p. 121-144 ; M. lauwers, Naissance du cimetière : lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005, avec renvois à la bibliographie antérieure.

10. J. leClerCQ, « Monachisme et pérégrination du ixe au xiie siècle », Studia Monastica, 3, 1961, p. 33-52 ; L. Mayali, « Du vagabondage à l’apostasie. Le moine fugitif dans la société médiévale », dans D. siMon (éd.), Religiöse Devianz : Untersuchungen zu sozialen, rechtlichen und theologischen Reaktionen auf religiöse Abweichung im westlichen und östlichen Mittelalter, Francfort, 1990, p. 121-142, en part. p. 121-129 ; A.-M. helvetius, « Ermites ou moines ? Solitude et cénobitisme du ve au xe siècle (principalement en Gaule du Nord) », dans A. vauChez (dir.), Ermites en France et en Italie (xie-xve siècle), Rome, 2003 (Collection de l’École française de Rome, 313), p. 1-27. Pour les périodes postérieures, voir Th. Füser, MönchimKonflikt : zum Spannungsfeld von Norm, Devianz und Sanktion beidenCisterziensernundCluniazensern,12.bisfrühes14.Jahrundert, Münster, 2000 (Vita regula-ris, 9), p. 260-339.

11. Jean Beleth, SummaDeEcclesiasticisOfficiis, éd. H. douteil, Turnhout, 1976, p. 5-6. Sur ce texte avec des interprétations légèrement divergentes, voir D. iogna-Prat, La Maison Dieu, cit. n. 7, p. 427 et M. lauwers, Naissance du cimetière, cit. n. 9, p. 107-108 (dont j’adopte l’interprétation).

114 cécile caby

la vie religieuse et de campagnes de constructions »12, mais aussi l’inflation des discours des moines sur la propriété du lieu de vie monastique : le locus congruus, aptus ou idoneus des récits de fondation, notamment des Vies de fondateurs ou d’abbés réformateur et constructeurs, si nombreux à partir des dernières décen-nies du xe siècle, puis des récits de consécration et des développements narratifs des chartes de donation, de fondation ou de consécration qui se multiplient dans les années 1050-114013. Mais on peut également souligner l’attention renouvelée (dans les discours, mais aussi dans la réalisation concrète partiellement connue pas les fouilles) portée à la rationalisation de l’agencement des bâtiments de la vie communautaire, au premier rang desquels le réfectoire et le dortoir. Si le moine se définit désormais par son locus proprius, qui est le monastère dont il ne doit pas sortir, conformément à l’interprétation très restrictive que les réformateurs caro-lingiens donnent du chap. lxvi 6-7 de la Règle de saint Benoît14, il n’est en effet pas surprenant que l’agencement de ce lieu fasse l’objet d’une attention renouve-lée, voire de descriptions de ce lieu réinventé : des textes, des représentations, des traces matérielles qui soulignent unanimement une tendance générale à la rationa-lisation des espaces de vie et à leur hiérarchisation autour du lieu de culte15. Enfin, rappelons tout ce qui, par le truchement combiné des discours (hagiographiques notamment), des rituels16 et des interdits juridiques17, contribue à la mise hors espace des espaces monastiques, et à la délimitation d’espaces de pureté monas-tique réservés aux moines en vertu de leur virginité, de leur fonction de prière et de leur vie de contemplation : un thème particulièrement cher à l’historiographie des dernières décennies, notamment à propos du ban sacré de Cluny18.

12. Voir la contribution de Michel Lauwers dans ce volume.13. Voir A. reMensnyder, Remembering Kings Past : Monastic Foundation Legends in Medieval Southern

France, Ithaca, 1995 ; D. iogna-Prat, La Maison Dieu, cit. n. 7, p. 331-351.14. M. D. Ponesse, « Smaragdus of St Mihiel and the Carolingian Monastic Reform », Revue bénédictine,

116, 2006, p. 367-392, en part. p. 376 et 386.15. D. iogna-Prat, La Maison Dieu, cit. n. 7, p. 329-330 ; C. saPin, « Archéologie de l’architecture caro-

lingienne en France, état de la question », Hortus Artium Medievalum, 8, 2002, p. 57-70 ; ainsi que la contribution de M. lauwers dans ce volume.

16. Voir à ce propos les remarques sur les rituels de consécration dans D. Méhu (éd.), Mises en scène et mémoires de la consécration de l’Église dans l’Occident médiéval, Turnhout, 2007 (Collection d’études médiévales de Nice, 7).

17. À ce propos, on soulignera la façon dont la législation monastique et en général le droit canon identi-fient monastère et lieu de pureté, devant être exempt d’un certain nombre de vices que le fait d’avoir été commis intra monasteria rend plus odieux : cf. E. lusset, Non monachus, sed demoniacus. Recherches sur la criminalité dans les communautés régulières en Occident (France et Angleterre principalement) xiie-xve siècle, doctorat sous la direction de F. Collard, Université Paris Ouest Nanterre, 19 octobre 2011 (en part. chap. V-1).

18. B. rosenwein, Negotiating space : power, restraint, and privileges of immunity in early medieval Europe, Manchester, 1999 ; D. Méhu, Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny (xe-xve siècle), Lyon, 2001 ; D. iogna-Prat, La Maison Dieu, cit. n. 7, p. 387-394 et, en général, M. lauwers, « De l’incastellamento à l’inecclesiamento. Monachisme et logiques spatiales du féodalisme », dans D. iogna-Prat, M. lauwers, F. Mazel, i. rosé (dir.), Cluny, les moines et la société au premier âge féodal, Rennes, 2013, p. 315-338.

coMMe un Poisson dans l’eau… ProPosituM vitae et lieux de vie Monastique 115

Au total, d’une manière ou d’une autre, l’une des innovations de la politique monastique du tournant des années 800, aux effets les plus durables, est préci-sément d’amplifier l’importance accordée au système clos du monastère dans la définition du monachisme et de conjuguer définition du propos de vie monastique et projet architectural. Tout se passe comme si, au gré de la politique monastique carolingienne, puis dans le contexte néo-carolingien jusqu’au xie siècle au moins, le monastère et ses espaces gagnaient définitivement droit de cité dans la défi-nition du moine et de son projet de vie. On peut s’interroger sur ces bases, sur la façon dont ce paradigme évolue et résiste au contexte fortement polémique qui caractérise le monachisme des xie et xiie siècles, en lien avec le débat sur la fonction pastorale des moines et avec l’émergence de formes diversifiées de vita religiosa.

Dans un opuscule intitulé De incendio qu’il rédige au lendemain de l’incendie qui détruisit le 28 août 1128 le castrum de Deutz (en surplomb de la vallée du Rhin, en face de la cité de Cologne), Rupert, abbé de la riche et puissante abbaye de Deutz, raconte le désastre qui n’épargna miraculeusement que le monastère et quelques objets sacrés (sacras supellectiles). Cet événement est l’occasion pour Rupert de reprendre, à travers son opuscule, une bataille qui lui tient à cœur et qui l’a mobilisé depuis 1126 au moins. De fait, le De incendio, est un plaidoyer pro domo, sans doute d’abord prononcé devant les moines au cours du chapitre, et son style acéré est celui qui caractérise les libelles de lite produits en milieu germa-nique dans le cadre de la lutte entre papauté et empire. L’enjeu de ce plaidoyer est de faire valoir les revendications des moines sur la totalité du castrum de Deutz dans lequel se trouve leur abbaye, contre toute forme d’intrusion extérieure, celle de l’archevêque de Cologne, du comte Adolphe iii de Berg ou des laïcs habitants le castrum19.

Rupert commence par décrire l’incendie providentiel, notamment ses ravages contre les tours du castrum (turres circumstantes odiosas nobis) réduites en cendre par la victrixflama et, à l’inverse, le fait que les flammes aient épargné un linge liturgique, tout juste marqué par les flammes d’un stigmate roussi (signum habeat non indecorum, videlicet lineam subrufam), les hosties consacrées de l’église paroissiale du castrum située hors de l’enceinte monastique, face à ses portes (ante valvas monasterii), son autel majeur resté inviolatum, et enfin le monas-tère qui pourtant avait été circumdatum et coopertum par les flammes (§ 1-7). C’est alors qu’il entre dans le cœur du sujet en exposant les motifs de sa haine envers les tours. Une haine qui n’est pas celle des pierres ou des murs, mais de l’injustice qui les habite (odio non lapides sive parietes sed iniustitiam que in illis habitat), à savoir du refus de se plier à la revendication des moines d’exercer

19. Le texte a été réédité par H. grundMann, « Der Brand von Deutz 1128 in der Darstellung Abt Ruperts von Deutz : Interpretation und Text-Ausgabe », Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 21, 1965, p. 441-471 ; on consultera à son propos le travail de J. van engen, Rupert of Deutz, Berkeley, 1983, en part. p. 248-261. Sur le contexte rhénan, voir U. Brunn, Des contestataires aux “cathares” discours de réforme et propagande antihérétique dans les pays du Rhin et de la Meuse avant l’Inqui-sition, Paris, 2006, en particulier le premier chapitre, p. 35-106.

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leur juridiction sur la totalité du château, et non sur le seul espace de la clôture monastique. L’argumentation est serrée, exclusivement fondée sur des sources scripturaires, ce qui n’a somme toute rien d’étonnant de la part de l’exégète qu’est Rupert. Certaines – comme les références classiques du Deutéronome sur les lieux consacrés – ont en outre été amplement relayées par les canons des conciles et les grandes compilations carolingiennes, comme Burchard de Worms. Une seule exception à cette exclusivité des autorités bibliques : l’auto-référence à la Vita du fondateur du monastère, Héribert, dans laquelle Rupert avait déjà tenté d’imposer son point de vue. Le raisonnement tourne principalement autour de deux notions complémentaires. Premièrement, celle du caractère consacré et donc inviolable des espaces monastiques (§ 8-9), qui garantit le cadre d’une quies indispensable à l’actualisation de la profession monastique. Il s’agit donc avant tout – c’est en effet l’argument le plus longuement développé – d’une affaire ayant trait à la pureté identitaire des moines, ce dont atteste bien l’usage des termes emundare ou contaminatio : une pureté contenue spatialement dans les limites de l’enceinte du monastère-castrum et garantie traditionnellement par la possession des clefs du castrum par le prieur du monastère ; une pureté souillée par la perte de ce droit, par l’intrusion des laïcs dans les espaces du circuitus monastique (in circuitu nostro) et par la construction d’édifices militaires à l’angle même, et au contact, de l’en-clos monastique. Rupert invite alors à la destruction des tours, se réclamant, à la suite d’une longue tradition remontant à Jérôme, des châtiments bibliques réser-vés aux fondateurs des villes terrestres – les conditores civitatum terrenarum, à savoir Caïn ou Nemrod –, doubles inversées de la Jérusalem céleste, la cité du Dieu vivant, réservée à Abraham, Isaac et Jacob qui ne fondèrent, quant à eux, ni civitates, ni castella mais des autels pour le Seigneur. C’est face à la menace tan-gible de la reconstruction en cours des tours odieuses et haïes, que Rupert déploie son dernier argument : si les moines par leur projet de vie ont besoin d’un cadre de vie garantissant le silence, la solitude et la liberté, et si le Christ, tel Ionadab exhortant les Récabites à vivre dans des tentes, n’a pas souhaité que ses prêtres se délectent des civitates et castella, que dire des moines qui cumulent précisé-ment propositum et sacerdotium ? Et de conclure par une phrase en forme de petit adage : « de même que les petits poissons ont besoin d’eau, de même les hommes de notre profession ont besoin d’une mansio quieta »20. Pas de poissons sans eau, pas de moines sans monastère.

20. Rupert de Deutz, De incendio, § 13, éd. H. grundMann, « Der Brand von Deutz 1128 », cit. n. 19, p. 441-471 : Sicut ille Ionadab quod nomen interpretatur spontaneus Domini, filiis suis utiquesacerdotibus ipse sacerdos in tabernaculis habitare precepit, ita dominus Iesus Christus sacerdos eternus spontanea caritate nobis factus sacerdotes suos civitatibus et castellis nequaquam delectari vult et maxime nos, quorum et sacerdotium proposito et propositum ornatur sacerdotio, id est qui et monachicamvitamprofitemuret sacrialtarisministerio fungimur.Sedquidopusest subtilioribusargumentis ? Ipse oculus meus scit et vos fratres mei scitis, quia sicut pisciculis aqua, sic nostre professionis hominibus congruit et optabilis est mansio quieta. Sur ces figures bibliques fondateurs diaboliques de la cité terrestre et en général sur le paradigme culturel de la civitas diaboli, il faut désormais se référer aux travaux de E. Brilli, Une cité si proche. Histoire du paradigme de la « ciuitas diaboli » dans l’Occident médiéval, thèse de doctorat sous la dir. de J.-Cl. sChMitt et G. inglese, Paris,

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L’intérêt de ce texte est, à mes yeux et dans le cadre de ce volume, de proposer une synthèse de l’articulation carolingienne et néo-carolingienne entre cadre de vie monastique et propositum vitae des moines-prêtres, autour du double thème de l’espace de pureté et du cadre de vie propre, alors même que cette articu-lation est sur le point d’être radicalement redéfinie, voire remise en cause, par l’explosion de la diversitas religionum et du « nouveau monachisme ». Rupert est le représentant par excellence d’un monachisme réformé mais fidèle au cadre de l’Église impériale, tout comme l’abbé Cuno réformateur de Siegburg qui, avec l’archevêque de Cologne, a soutenu la nomination abbatiale de Rupert à Deutz. Mais Rupert appartient aussi à la génération qui voit et vit l’explosion de la diversitas religionum et le passage de la position de monopole des moines dits noirs sur la vita religiosa à un état de concurrence, voire de dépréciation de ces mêmes moines en tant que bastions d’un conservatisme opposé aux forces vives de la réforme, incarnée par les différentes voies de l’érémitisme prédicateur et du nouveau monachisme. À l’époque où il défend les droits de la puissante abbaye de Deutz, dans le même diocèse de Cologne, l’archevêque Frédéric – désigné comme « mon œil droit » dans le De incendio – soutient également les chanoines réguliers de Norbert de Prémontré et les premiers cisterciens, deux ordres qui représentent la phase finale et institutionnalisée de ce vaste renouveau de la vie religieuse qui met précisément en cause les paradigmes monastiques défendus par Rupert.

Dans ce contexte de renouvellement polymorphe de la vita religiosa et d’infla-tion et de diversification des discours qui en découlent – des chartes d’origine monastiques, à la littérature polémique et à la législation interne ou externe, notamment pontificale, destinée à définir la spécificité de chaque forme de vie vis-à-vis des autres et la fonction de chacune au sein de la societas christiana –, la question du cadre de vie et des lieux de vie monastiques est à première vue assez marginale. Ce n’est pas sur ce point que se jouent les principaux conflits ou que se dénouent les litiges. Rien à voir avec d’autres thématiques comme l’habit (sa couleur, sa forme etc.), le travail manuel, ou le régime alimentaire. Il s’agit pour-tant d’une question qui mérite d’être envisagée en ce qu’elle s’articule la plupart du temps à d’autres objets absolument centraux, comme le montre le passage du De incendio que nous venons de commenter. C’est en particulier le cas du thème très débattu de la fonction pastorale des moines, au cœur de l’allusion de Rupert aux moines dont le propositum est orné par le sacerdoce et le sacerdoce par le propositum monastique, ou encore de celui de la part des choix économiques au sein de la définition du propositum monastique : bref, de ce qui a globalement trait aux rapports entre moines et laïcs. De ce point de vue, il vaut la peine de revenir un instant sur l’expression employée par Rupert pour clore son argumen-tation contre la reconstruction des tours : « Mais quel besoin y-a-t-il d’ajouter des

EHESS, Roma, La Sapienza, 2009 (en part. vol. 2, p. 343-347 à propos du De incendio consulté grâce à la disponibilité d’Elisa Brilli que je remercie vivement) dont on trouvera un résumé en ligne : ead., « Une cité si proche. Histoire du paradigme de la ciuitas diaboli dans l’Occident médiéval », L’Atelier du Centre de recherches historiques [En ligne], 2009 [consulté le 28 avril 2011], disponible sur : http ://acrh.revues.org/1867.

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arguments plus subtiles ? Mon œil lui-même sait et vous aussi, mes frères, vous savez que, tout comme l’eau pour les poissons, ce qui convient et est souhaitable aux hommes de notre profession est une maison de quiétude21 ». En effet, cette formule, qui semble établir un lien organique entre stabilité dans la mansio quieta du monastère et professio monastique, rencontre, à l’époque où Rupert l’emploie, une certaine faveur qui pourrait même expliquer son usage quasiment proverbial sous sa plume.

ii. sicut Pisces sine aqua : usages et enJeux d’une sentenCe PolyséMiQue

L’expression de Rupert renvoie en fait très probablement à un passage de la Vie d’Antoine relayée par les Vitae patrum, qui fait sans doute lui-même écho à un verset biblique tiré du Livre d’Isaïe (50, 2). La Vie du père des ermites (rédigée par Athanase après 356 et avant 380) narre au chapitre 85 le désarroi d’Antoine face au public qui l’assaille et le contraint à abandonner sa solitude et la justification qu’il oppose à ceux qui lui demandent de ne pas regagner sa cellule : « Comme les poissons meurent lorsqu’ils restent trop longtemps sur la terre sèche, de même à s’attarder avec vous et à séjourner chez vous, les moines se relâchent. Il faut donc que, comme le poisson vers la mer, nous nous hâtions vers la montagne, pour ne pas oublier, en nous attardant, les choses intérieures »22. À en croire les bases de données textuelles courantes (PL, CLCLT, MGH, et Acta Sanctorum), la comparaison d’Antoine n’eut pas grand succès en Occident dans les premiers siècles du christianisme, en tout cas rien de comparable avec la diffu-sion des traductions latines de la Vie grecque d’Athanase23. On la trouve citée une fois chez un auteur carolingien, Sedulius Scotus, pour exalter la solitude monas-tique et en particulier proscrire la collusion avec la ville, en un sens donc qui coïncide assez bien avec la politique carolingienne de fixation des moines en des

21. Rupert de Deutz, De incendio, § 13, éd. H. grundMann, « Der Brand von Deutz 1128 », cit. n. 19, p. 457, l. 11-12 : Sed quid opus est subtilioribus argumentis ? Ipse oculus meus scit et vos fratres mei scitis, quia sicut pisciculis aqua, sic nostre professionis hominibus congruit et optabilis est mansio quieta.

22. Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine abbé, § 85, éd. Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine, éd. et trad. G. J. M. Bartelink, dans SC, textes grecs 400, Paris, 1994, p. 354-355 et Atanasio di Alessandria, Sant’Antonio abate : la sua vita, introduzione, testo critico, note e indice a cura di G. J. M. Bartelink, traduzione italiana, note e aggiornamento di L. Bruzzese, Bologne, 2013, p. 408-409. L’épisode est relayé en des termes presque identiques dans les Apophtegmes des Pères II 1 : Les Apophtegmes des Pères. Collection systématique, chapitre I-IX, éd. et trad. J.-C. guy, dans SC, textes grecs 387, Paris, 1993, p. 124-125.

23. La plus ancienne est anonyme et très littérale (H. hoPPenBrouwers, La plus ancienne version latine de la Vie de S. Antoine par S. Athanase, Nimègue, 1960) ; la plus diffusée est due au prêtre Évagre d’Antioche disponible dans Patrologia Graeca 26, col. 837-976, en part. 961-962 : […] ait non posse se diutius ibidem morari, grato usus exemplo, quod, sicuti pisces ab aqua extracti mox in arenti terra morerentur, ita et monachos cuma saeculatibus retardantes humanis statim resolvi confabulationibus. Ob id ergo, inquit, convenit ut pisces ad mare, ita nos ad montem festinare.

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lieux qui leur soient propres24. En revanche, les faussaires qui forgèrent vers 1090 le diplôme en faveur de Saint-Yrieix attribué à Charlemagne (794)25 utilisèrent la citation de façon assez surprenante pour justifier l’impossibilité de restaurer une communauté monastique à Saint-Yrieix et au contraire les propriétés du lieu pour y établir une communauté canoniale. À l’empereur (sic) souhaitant rétablir la monachorum normam à Saint-Yrieix, on oppose qu’y fait défaut le victus mona-chorum à savoir le poisson, par manque d’eau : or, ajoute le prologue fantaisiste du pseudo-privilège, sicut piscis sine aqua sic monachus sine aqua et sine regula. La citation réduite au statut de réminiscence est donc vidée de toute référence directe à la stabilitas loci comme facteur essentiel de la vocation du moine, sinon par le renvoi implicite au chapitre de la Règle de Benoît prescrivant l’installation des futurs établissements monastiques en un lieu doté de tout le nécessaire à l’au-tarcie communautaire, notamment l’eau, pour éviter les sorties des moines. Elle est en outre détournée au service d’une interprétation qui insiste sur une définition du moine et de son respect de la règle qui fait prévaloir non le cadre de vie mais, plus classiquement, les interdits de la règle, en particulier les interdits alimen-taires26. Indépendamment du contexte documentaire et de la forme surprenante prise par la réminiscence de la Vie d’Antoine dans ce faux diplôme carolingien, le type d’usage qu’il met en œuvre, au gré de la comparaison implicite entre l’eau indispensable à la vie des poissons et la règle, garantie de la nature monastique et essentielle à son existence, n’est pas totalement isolé. En témoigne l’emploi autrement plus raffiné qu’Anselme de Cantorbéry (1033-1109) en aurait fait dans un contexte monastique, selon le témoignage de son hagiographe Eadmer (v. 1060-v. 1124). Eadmer – repris de façon très proche sinon totalement identique par le compilateur du Liber de sancti Anselmi similitudinibus27 – rapporte dans

24. Sedulius Scotus, Collectaneum miscellaneum, éd. D. siMPson, dans CC Cont. Med., 67, Turnhout, 1988-1990, diuisio : 26, 8: Beatus Antonius dicebat pisces per humectam nutriri substanciam, monachis autemornatum ferre solitariamuitam.Et, sicut pisces terrae tactu tabefiunt, sic gloriamonachorum ad urbes accedendo foedatur.

25. MGH, Diplomata Karolinorum, I, n° 251, p. 355-357 (en part. p. 356) : Volens igitur ibi restituere monachorum normam, sed nonnulli obnixe adclamantes melius illic vigere canonicorum regulam ; dicunteniminibideficerevictusmonachorum,abundantiamauquarumsivepisciumdeesse,fluminadeesse, sytagna ac alia quam plura monachis necessaria, quia s icut piscis s ine aqua s ic monachus s ine aqua et s ine regula ; cf. A. reMensnyder, Remembering kings past, cit. n. 13, p. 146-148.

26. Sur la part des interdits alimentaires dans la définition de l’identité monastique, voir C. CaBy, « Abstinence, jeûnes et « pitances » dans le monachisme médiéval », dans Pratiques et discours alimentaires en Méditerranée de l’Antiquité à la Renaissance, Actes du xviiie colloque de la Villa grecque Kérylos, Beaulieu-sur-Mer, 4-5-6 octobre 2007, éd. J. leClant, A. vauChez, M. sartre, Paris, 2008, p. 271-292 et I. rosé, « Le moine glouton et son corps dans les discours cénobitiques réformateurs (début du ixe – début du xiiie siècle) », dans K. karila-Cohen, F. Quellier (dir.), Le corps du gourmand, d’Héraklès à Alexandre le Bienheureux, Rennes, 2012, p. 191-219.

27. Liber de sancti Anselmi similitudinibus, chap. 123, dans PL 159, col. 605-708, en part. col. 676-677 ; I. BiFFi et al. (éd), Anselmo d’Aosta nel ricordo dei discepoli. Paraboli, detti, miracoli, Milan, 2008, p. 122-123 et note 70, p. 123-125) ; sur ce texte, R. W. southern, Saint Anselm and his biographer : a study of monastic life and thought 1059-c. 1130, Cambridge, 1963, p. 217-226. Le même auteur sou-ligne avec justesse dans son édition de la Vie d’Anselme (Eadmer, The life of St Anselm, Archbishop

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la Vita de son maître (vers 1110-1116) que, pour exhorter les moines à respecter les normes de la règle, y compris dans ses aspects les plus infimes, de peur que la négligence des détails n’entraîne le mépris de la règle dans son ensemble, Anselme aurait utilisé une analogie – celle du vivier – très probablement construite sur la réminiscence de celle d’Antoine28. Les berges (clausuram) du vivier sont sem-blables aux restrictions de la vie monastique29 : « En effet – disait-il –, comme les poissons meurent si l’eau du vivier s’écoule et que ses berges, qui se rompent lentement et continuellement, ne sont pas réparées, de même la vie monastique tombe en ruine si, en raison de la négligence envers les petits manquements, la ferveur de sa discipline tiédit progressivement, selon la parole de l’Écriture Qui modica despicit, paulatim decidit »30.

En dépit de la postérité probable de l’exemplum d’Anselme pour la prédi-cation31, c’est au succès de l’analogie sous une forme beaucoup plus proche

of Canterbury, éd. et trad. R. W. southern, Oxford, 1972, p. 55 n. 2) que le contexte d’apparition des deux épisodes est légèrement différent : si dans le De similitudinibus l’essentiel réside dans le contrôle des inclinaisons naturelles au moyen de la règle, dans la Vie, comme nous le verrons, c’est l’attention scrupuleuse aux détails de l’observance qui est au cœur du sujet.

28. Sur l’usage des exempla et des similitudes dans la Vie d’Anselme, voir J.-F. Cottier, « Autorité et figures d’autorité autour de la Vita Anselmi d’Eadmer de Cantorbéry », dans J.-F. Cottier, D.-O. hurel, B.-M. toCk (dir.), Les personnes d’autortié en milieu régulier. Des origines de la vie régulière au xviiiie siècle, Saint-Étienne, 2012, p. 47-60, en part. p. 50-51.

29. Eadmer, Vita sancti Anselmi, IX, éd. et trad. I. BiFFi, A. toMBolini, dans Vite di Anselmo di Aosta, Milan, 2009, p. 92-93 : Dicta enim sua sic unicuique ordini hominum conformabat, ut auditores sui nichil moribus suis concordius dici posse faterenrentur. Ille monachis, ille clericis, ille laicis, ad cuiusque propositum sua verba dispensabat. Monachos ut ne quidem minima sui ordinis contemnerent admonebat, contestans quia per contemptum minimorum, ruerent in destructioneù et despectum omnium bonorum. Quod dictum sub exemplo vivarii proponebat, dicens clausuram illius distric-tioni ordinis monastici assimilari. « “Quoniam quidem” inquit “sicut pisces decurrente aqua vivarii moriuntur,siclausuraeipsiusminuatimacsepecrepantnecreficiuntur,itaomnisreligiomonasticiordinis funditus perit, si custodia eius per modicarum contemptum culparum paulatim a fervore sui tepescit, attestante scriptura quae dicit, ‘Qui modica despicit, paulatim decidit” ».

30. Cf. Sir. 19, 1 (Vulg. Qui spernit modica paulatim decidet) ; Anselme utilise cette même citation, sous la même forme, dans une lettre à l’abbesse Eulalie et aux moniales de Shaftesbury pour les avertir que le progrès spirituel n’autorise aucune négligence pas même celle des plus petits préceptes et que rien de ce qui est commis à l’encontre de l’obéissance ne peut être considéré comme une faute légère : Anselmo d’Aosta, arcivescovo di Canterbury, Lettere, éd. I. BiFFi, C. MaraBelli, vol. 2, Milan, 1988, n° 403, p. 371-372. Pour d’autres lettres développant le même thème apparemment cher à Anselme, cf. Anselmo d’Aosta nel ricordo dei discepoli, cit. n. 27, n. 70, p. 122-123.

31. Dans la première partie du Tractatus de diversis materiis predicabilibus (I, IV, 7 ; Étienne de Bourbon, Tractatus de diversis materiis predicabilibus. Prologus, prima pars De dono timoris, éd. J. Berlioz et J.-L. eiChenlauB, dans CC Cont. Med., 124, Turnhout, 2002, p. 119, l. 1430-1433), Étienne de Bourbon utilise la métaphore du poisson dans l’eau du vivier pour signifier la joie et les délices du Paradis : Hic est introitus paradisi per quem pisces sancti squamis morum ornati, pennulis uirtutum eleuati, sicut piscis in aqua uiuarii, intrabunt in gaudium Domini sui, habentes in paradiso undique gaudium et delicias ut piscis in uiuarii aquas. Hugues de Digne y fait une allusion ramassée dans son commentaire de la règle : Ut stagni acqua sic disciplinae censura : si negligenter solvi permittitur, tota perit (D. Flood, Hugh of Digne’s Rule Commentary, Grottaferrata, 1979, l. 24-25, p. 112). Il faudrait poursuivre l’enquête.

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du dit d’Antoine et dans un contexte autrement plus polémique que celui des enseignements d’Anselme que je souhaite revenir ici. En effet, sans atteindre la renommée, ni surtout l’autorité, de certaines sentences qui lui sont parfois asso-ciées, comme la très fameuse citation de Jérôme Monachus non doctoris, sed plangentishabetofficium, la comparaison attribuée à Antoine entre le moine hors de son monastère et le poisson hors de l’eau finit par connaître une certaine heure de gloire entre le milieu du xie et la fin du xiie siècle, selon une chronologie et un itinéraire qui ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ceux de la citation hiérony-mienne récemment reconstruits par Thierry Kouamé32. Son occurrence la plus fameuse – et d’ailleurs celle par le biais de laquelle elle sera ensuite systématique-ment citée sous forme proverbiale à la fin du Moyen Âge – est le décret de Gratien (v. 1139). La citation du Décret (C. 16. q. 1 c. 8) prend place dans un ensemble de douze canons ouvrant la première question de la cause 16, qui rassemblent des textes contraires à l’exercice des fonctions sacerdotales par les moines33. Comme cela a été mis en évidence par les spécialistes du droit, ce recueil de canons témoigne de l’extraordinaire créativité en la matière des collections cano-niques reprises par Gratien, que ce soit sur la base d’étymologies plus ou moins fantaisistes du nom de moine ou de références à des lois anciennes plus ou moins authentiques34. C’est le cas, pour ce qui est des textes antimonastiques, de l’énig-matique concile de Nicée de la C. 16, q. 1 c. 1, qui aurait invoqué l’étymologie du nom de moine (monachus enim grece, latine dicitur unus. Unde monachum per omnia singulariter vivere, agere oportet) pour interdire aux moines de délivrer la pénitence et d’ensevelir les défunts35. Mais c’est également le cas du chapitre 8 de la C. 16, q. 1 qui invoque l’autorité d’un concile réuni sous un mystérieux Eugène (II ? 824-827) pour leur interdire ces mêmes fonctions pastorales mais aussi l’administration du sacrement du baptême, la visite des malades et toute sorte de negotium. Bref, poursuit le même canon, le moine doit se contenter de son monastère car de même que le poisson meurt hors de l’eau, de même le moine

32. Jérôme, Adversus Vigilantium, 15 (S. Hieronymi presbyteri opera, III/5, Adversus Vigilantium, éd. J.-L. Feiertag, dans CC Ser. Lat., 79C, Turnhout, 2005, p. 28, l. 14-16) ; cf. T. kouaMé, « Monachus nondoctoris,sedplangentishabetofficium », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 18, 2009, p. 9-39.

33. Sur la structure et la logique de cette quaestio, C. dereine, « Le problème de la cura animarum chez Gratien », Studia Gratiana, 2, 1954, p. 305-318, en part. p. 308. Sur le débat sur la fonction pastorale des moines, outre les références citées ci-dessous, on remontera le fil de la très riche biblio-graphie à partir des deux récents articles de T. kouaMé, « Monachus non doctoris », cit. n. 33, note 1, p. 9-10 et P. MontauBin, « Les chanoines réguliers et le service pastoral xie-xiiie siècle », dans Les chanoines réguliers : émergence et expansion, xie-xiiie siècles, Actes du sixième colloque international du CERCOR, le Puy-en-Velay, 29 juin-1er juillet 2006, textes réunis par M. Parisse, Saint-Étienne, 2009, p. 119-157.

34. C. dereine, « Le problème de la cura animarum chez Gratien », cit. n. 33, qui étudie la fortune de deux faux pro-monastiques ; J. leClerCQ, Études sur le vocabulaire de la vie monastique, Rome, 1961, p. 20 et P. landau, « Seelsorge in den Kanonessammlungen von der Zeit der gregorianischen Reform bis zu Gratian », dans La Pastorale della Chiesa in Occidente dall’età ottoniana al Concilio lateranense IV, Milan, 2004, p. 93-123.

35. Sur ce point voir P. landau, « Seelsorge in den Kanonessammlungen », cit. n. 34, p. 102-103 et 112.

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sans monastère (sit claustro contentus, quia sicut piscis sine aqua caret vita, sine monasterio monachus). Le canon se conclut enfin par l’inévitable recours à l’une des multiples étymologies du mot monachus qui signifierait unus tristis. Peter Landau a montré de façon exhaustive que, tout comme le canon 1 invoquant un prétendu concile de Nicée, le canon 8 est un faux forgé dans le dernier tiers du xie siècle en Toscane, en réponse d’ailleurs à d’autres faux, pro-monastiques cette fois, forgés un peu avant. Il circule dans la recension A’ de la collection d’An-selme de Lucques juste avant une décrétale de Pascal ii qui figurera à sa suite dans le Décret de Gratien et dans d’autres recensions du nord de l’Italie ; enfin, il est vraisemblablement connu à la curie autour de 1120.

Indépendamment de cette utile contextualisation de l’apparition de ce canon fortement hostile à l’exercice de cura animarum par les moines, arrêtons-nous sur l’usage qu’il fait de la citation de la Vie d’Antoine qui n’a pas en revanche retenu l’attention des spécialistes. La citation apparaît, comme chez Rupert, mais aussi chez Anselme du Bec, sous forme de réminiscence implicite ce qui soulève d’emblée la question de la connaissance diffuse des traductions latines de la Vie d’Antoine, en particulier de ce passage, qui figure aussi sous une forme légère-ment différente dans le recueil des Vitae patrum36 et dans l’Histoire ecclésiastique de Sozomène (375-vers 450)37, et qui avait peut-être déjà acquis dès le début du xiie siècle un statut proverbial. Mais à cette similitude près, les différents usages sont diamétralement opposés. Rupert, partisan chaleureux de la fonction pasto-rale des moines, utilise la sentence dans un contexte qui n’est pas directement, ni exclusivement lié à la défense de cette fonction, contrairement par exemple à d’autres de ses prises de position destinées à pourfendre l’usage antimonastique de la maxime de Jérôme monachusnondoctorissedplangentishabetofficium38 ; son objectif consiste davantage dans la défense de la pureté et de la sacralité des espaces monastiques. Reste que, compte tenu de la circulation de la citation dans un canon antimonastique et de la part prise par Rupert dans la dispute sur le sacerdoce des moines en Bavière, on peut s’interroger sur l’éventuelle charge polémique implicitement introduite par Rupert dans le choix de cette citation et de son usage renversé par rapport à celui des collections canoniques. Comme nous l’avons déjà souligné, Rupert adopte une position spécifique qui tourne le dos à l’idéal d’un monachisme absolument étranger au monde, mais qui refuse égale-ment la perte d’identité monastique implicitement contenue dans un modèle de monachisme cléricalisé totalement investi dans le monde et dans le modèle bipar-tite d’une société divisée entre deux catégories, celle des laïcs et celle des clercs

36. Cf. supra n. 22.37. sozoMène, Histoire ecclésiastique, Livres I-II, texte grec de l’éd. J. Bidez, dans SC, 306, Paris, 1983, I,

13, 10 (p. 174-175) : « Mais s’il était contraint un jour de se rendre à la ville pour aider des gens qui le demandaient, ayant réglé l’affaire pour laquelle il était venu, aussitôt il repartait pour le désert. Il disait en effet que si l’élément humide nourrit les poissons, c’est le désert (eremos) qui fait l’ornement des moines ; et que comme les poissons, s’ils touchent terre, quittent la vie, les moines, s’ils approchent des villes perdent la gravité monastique ».

38. T. kouaMé, « Monachus non doctoris », cit. n. 33, note 1, p. 29-30.

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englobant les moines. Pour lui, le moine cumule les mérites de sa fonction et de son statut : son propositum est enrichi par le sacerdoce et le sacerdoce par son propositum. Or c’est cette double nature qu’est en mesure de contenir la mansio quieta du monastère, en tant qu’espace de pureté et de liberté. À l’inverse, pour la tradition antimonastique et philo-épiscopale, dont Gratien se fait l’écho dans le canon C. 16, q. 1, c. 8, le monastère s’efface en tant que tel au profit de la clôture séparant le moine des affaires du siècle quelles qu’elles soient, mais en premier lieu de celles qui relèvent du clergé séculier : le moine doit rester dans son monas-tère comme un poisson dans l’eau parce que les affaires du siècles et notamment la cura animarum ne sont pas de son ressort39.

Indépendamment du caractère éventuellement volontaire de ce renversement d’usage sous la plume de Rupert dans le but hypothétique de vider la réminis-cence de la Vie d’Antoine de la charge antimonastique que lui avaient conférée les collections canoniques de la seconde moitié du xie siècle, il n’y a pas lieu de s’étonner outre mesure de cette fluidité d’usage. Elle constitue en effet une des caractéristiques de la littérature polémique des xie et xiie siècle, notamment de ce que Giles Constable a désigné comme une « rhétorique de la réforme » qui se construit sur la base d’un stock d’arguments et de citations bibliques ou patris-tiques alternativement employés en faveur de positions parfois antagonistes, à nos yeux au moins40. Les débats sur les pratiques monastiques de la dîme atteignent de ce point de vue un sommet inégalable41, mais le parcours de notre petit dicton réserve également quelques surprises éclairantes.

De façon quasi-concomittente à ces occurrences – dont il est difficile d’af-firmer si elles sont totalement indépendantes l’une de l’autre – d’une part dans les collections canoniques du début du xiie siècle, ensuite reprises dans celle de Gratien, et d’autre part dans le De incendio de Rupert de Deutz, le centon de la Vie d’Antoine apparaît dans la lettre 8 d’Abélard à Héloise où il s’inscrit dans un refus généralisé des excès de la présence monastique au milieu des affaires du siècle. Malgré les apparences qui semblent plaider en faveur d’un point de vue comparable à celui des collections canoniques hostiles à la fonction pastorale des moines, l’usage que fait Abélard de la sentence est en réalité diamétralement différent et renvoie à l’idéal d’un monachisme hors du monde, pauvre, en rupture avec le modèle carolingien et clunisien de l’investissement social des moines. Bref, en un mot et au risque de surprendre, à un « nouveau monachisme » tel que le définissent les premières générations cisterciennes, contre les dérives aussi

39. Sur la tradition tardo-antique de ces positions, voir l’anthologie de textes conciliaires signalée dans R. BarCellon, S. PriCoCo, « Legislazione conciliare e monachesimo nella Gallia tardo-antica », dans M. BelloMo, O. Condorelli (éd.), Proceedings of the Eleventh International Congress of Medieval Canon Law, Cité du Vatican, 2006 (Monumenta Iuris Canonici, Series C : Subsidia, 12), p. 471-503, en part. p. 478-480.

40. G. ConstaBle, The Reformation of the Twelfth Century, Cambridge, 1996, p. 125-167.41. G. ConstaBle, Monastic Tithes from their Origins to the Twelfth Century, Cambridge, 1964 ; C. CaBy,

« Les moines et la dîme (xie-xiiie siècle). Construction, enjeux et évolutions d’un débat polymorphe », dans M. lauwers (dir.), La dîme dans l’Occident médiéval. Prélèvement seigneurial, Église et terri-toires, Turnhout, 2012 (Collection d’études médiévales de Nice, 12), p. 361-401.

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bien du modèle clunisien de vie religieuse que de celui des ermites prédicateurs. On trouve de nombreuses allusions au cadre de vie dans cette longue lettre pro-grammatique, souvent intitulée Institutio sive regula monialium et qui est censée répondre aux questions d’Héloïse sur l’origine et l’organisation de la vie monas-tique des femmes, en général et dans le cadre spécifique de la communauté du Paraclet fondée par Abélard et ses protecteurs dans le diocèse de Troyes42. Sans masquer, peut-être en écho à une citation de Grégoire le Grand, le rôle très secon-daire de la question des lieux dans la recherche du salut, Abélard admet toutefois que, ces derniers pouvant tantôt aider tantôt bloquer la progression vers le salut, il est justifié de s’y arrêter : « Bien que ce ne soit pas le lieu qui sauve, il est des lieux cependant qui offrent plus d’avantages pour observer aisément et garder fidèle-ment la piété ; des lieux où l’on trouve tous les secours et point d’obstacles »43. Il énumère alors diverses citations bibliques et patristiques (Jérôme et les Vies des pères du désert en tête) pour soutenir l’idéal de vie solitaire du moine, s’arrêtant sur certaines, comme les versets de Job 39, 5-8 longuement glosés en assimilant à l’onagre le moine qui secularium rerum vinculis absolutus ad tranquillam vite solitarie se contulit44. Ce répertoire de sources en faveur de l’isolement monastique s’achève par une double diatribe. D’une part, contre les dérives de l’hospitalité monastique et contre les moines qui « multipliant les résidences sous prétexte d’hospitalité, finissent par transformer en ville le désert où ils s’étaient réfugiés », et qui, rassemblant « un troupeau de serviteurs et de servantes », ont « édifié de vastes demeures dans ces lieux destinés à la retraite », oubliant le sens du nom de moine, c’est-à-dire solitaire, et l’essence de la vie monastique45. D’autre part contre les ermites qui, prétendant s’affranchir totalement des contraintes du monastère (districtionem monasterii), se dispersent per villas, castella, civitates, sans la moindre règle46. À ce point, estimant avoir montré ubi construi monasteria

42. Lettres d’Abélard et Héloïse, éd. E. hiCks, T. Moreau, p. 376-567, en part. p. 393 et suiv. Sur cette lettre, outre l’introduction de J.-Y. Tiliette à cette traduction, on partira de J. dalarun, « Nouveaux aperçus sur Abélard, Héloïse et le Paraclet », Francia, 32, 2005, p. 19-66.

43. On doit sans doute reconnaître ici une influence de Grégoire le Grand, In Ezechiel, IX 22-23 (PL 76, col. 880-881) : Saepe vero cum de vita proximorum querimur, mutare locum conamur, secretum vitae remotioris eligere ; videlicet ignorantes quia si desit spiritus, non adiuvat locus. Idem enim Lot de quo loquimur, in Sodomis sanctus exstitit, in monte peccavit [Gn 19, 2, 30]. Quia autem loca mentem non muniunt, ipse humani generis primus testatur parens, qui et in paradiso cecidit [Gen 3, 7]. Sed minus sunt omnia quae loquimur ex terra. Nam si locus salvare potuisset, Satan de coelo non caderet. Unde Psalmista ubique in hoc mundo tentationes esse conspiciens, quaesivit locum quo fugeret, sed sineDeoinvenirenonpotuitmunitum.Exquareetipsumsibilocumfieripetiit,propterquemlocumquaesivit dicens : Esto mihi in Deum protectorem, et in locum munitum, ut salvum me facias [Ps 30, 3]. Tolerandiergoubiquesuntproximi,quiaAbelfierinonvaletquemCainmalitianonexercet.

44. Lettres d’Abélard et Héloïse, cit. n. 42, p. 394 ; voir aussi le sermon 33 sur Jean-Baptiste : dans Petrus Abaelardus, Opera, éd. V. Cousin, avec C. Jourdain et E. desPois, vol. 1, Paris, 1849 [reprint Georg Olms Verlag 1970], p. 566-592. Sur ce sermon et ses points communs avec la lettre 8, cf. J. Miethke, « Abaelards Stellung zur Kirchenreform. Eine Biographische Studie », Francia, 1, 1973, p. 158-192, en part. p. 177-181.

45. Lettres d’Abélard et Héloïse, cit. n. 42, p. 402-403.46. Ibid., p. 404-405.

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conveniat, Abélard conclut par quelques recommandations sur l’aménagement des lieux monastiques (loci positio) calquées sur la Règle de Benoît (lxvi 6-7) : autant dire très peu47. De toute évidence, la question des modalités de construction monastique et de l’agencement des monastères n’était pas porteuse, en termes de fonctions sociales des moines, des mêmes enjeux que celle du choix du lieu. Plus avant dans le texte, après avoir entre autres traité de l’administration monastique et avoir mis en garde contre les divers excès en matière de vêtement, de nourri-ture ou encore inedificiisautquibuslibetpossessionibus, Abélard s’en prend à ceux qui ne savent pas, ni ne veulent imposer de « justes limites aux dépenses de nos maisons », et notamment au prosélytisme imprudent de certains abbés qui se font une gloire du grand nombre de leurs recrues. S’introduisant dans les cours séculières auprès des potentes seculi et préférant le bavardage des hommes que la conversation avec Dieu, ils finissent par devenir des courtisans et non plus des cénobites (iam magis curiales esse quam cenobite didicerunt)48. C’est alors qu’est convoqué et glosé l’avertissement d’Antoine cité dans la version des Vitae patrum : « Ils ont lu cet avertissement de saint Antoine sans profit ou sans chercher à le comprendre, sans y prêter attention et en tout cas sans en tirer parti. Celui-ci dit en effet : “Comme les poissons qui meurent s’ils s’attardent sur le sable, de même les moines qui vivent trop longtemps hors de leurs cellules ou au milieu des laïcs, laissent se faner leur vœu de solitude. Il nous faut donc nous empresser de regagner nos cellules, tel le poisson la mer, de peur que, nous attardant au dehors, nous ne devenions incapables de vivre à l’intérieur” » 49.

Le contexte de cette affirmation, celle d’une lettre à Héloïse et de conseils pour le gouvernement de femmes, pourrait avoir incité Abélard à forcer le trait et à tirer l’avertissement dans le sens d’une clôture stricte alors que ce dernier n’est pas toujours aussi hostile à la proximité entre les moines et le monde allant ailleurs – et sans doute pour d’autres motifs polémiques – jusqu’à justifier le monachisme in civitatibus vel castellis50. Reste que le caractère récurrent dans cette lettre des attaques visant le monachisme de son temps, qu’il s’agisse du modèle clunisien visé par la condamnation de l’accumulation des richesses ou des excès édilitaires, ou du modèle érémitique, visé en revanche par les critiques contre une économie mendiante et parasitaire (vivre de alieno labore), ou enfin des succès cisterciens condamnés comme l’effet d’un prosélytisme fondé sur la fierté de soi-même et du carriérisme de certains abbés, me semble plaider en faveur d’un usage polémique

47. Ibid.48. Ibid., p. 530-535.49. Ibid., p. 534-535 : Illud sepe frustra legentes atque negligentes vel audientes, sed non exaudientes quod

beatus Antonius ammonet, dicens : « Sicut pisces, si tardauerint in sicco moriuntur, ita et monachi tar-dantes extra cellulam aut cum uiris saecularibus immorantes, a quietis proposito resoluuntur. Oportet ergo sicut piscem in mari, ita et nos ad cellam recurrere, ne forte foris tardantes obliuiscamur interio-ris custodiae ». Ceux qui négligent l’admonition d’Antoine sont les abbés courtisans.

50. L. J. engels, « Adtendite a falsis prophetis (Ms. Colmar 128, ff. 152v-153v). Un texte de Pierre Abélard contre les Cisterciens retrouvé ? », dans Corona Gratiarum : miscellanea patristica, historica et liturgica Eligio Dekkers O.S.B. XII lustra complenti oblata, Bruges, 1975, vol. 2, p. 195-228, en part. p. 200.

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de la sentence de la Vie d’Antoine. Un usage polémique qui va bien au-delà d’un simple, et somme toute banal, plaidoyer en faveur de la clôture monastique ou de l’isolement rural, pour proposer la vision complexe et articulée d’un projet monastique fondé sur un idéal de modération étendu au mode de gouvernement communautaire, à la nourriture, au vêtement, aux bâtiments, enfin au patrimoine et à son exploitation. Ce n’est donc pas tant, ou pas seulement, une réalité topogra-phique qui est recherchée derrière le recours à la sentence d’Antoine, sans doute choisie parmi d’autres possibles pour l’efficacité de sa formulation, qu’un modèle alternatif de propositum monastique qui, tout en adoptant certaines critiques et certaines solutions proches de celles du « nouveau monachisme » réformateur, n’en stigmatise pas moins – ici implicitement et ailleurs plus explicitement – le protagonisme et l’ambition de ses principaux représentants, tels Bernard de Clairvaux ou Norbert de Xanten51.

Après cette période, l’épisode de la Vie d’Antoine réapparaît ça et là dans le contexte du nouveau monachisme, mais il tend progressivement à perdre sa force, sans doute en raison de l’épuisement des conflits l’ayant promu à ce rang52, mais aussi en raison de l’évolution des usages qui en sont faits. Dans les der-nières années du xiiie siècle le chartreux, ancien chanoine de Prémontré, Adam Scot (mort en 1212) utilise une sentence proche de celle de la Vie d’Antoine, sans toutefois signaler sa source dont il s’éloigne d’ailleurs par certains détails. Il en fait en outre un usage principalement symbolique pour valoriser la cellule comme résidence idéale de l’ermite qui ne peut pas davantage vivre spiritualiter éloignée de celle-ci, que le poisson ne peut corporaliter survivre hors de l’eau53. Dans le contexte scolaire et à l’époque des ordres mendiants, le texte de la Vie d’Antoine finit par être vidé de l’autorité doctrinale qui lui avait brièvement été reconnue dans les collections canoniques précédant Gratien. Victime du travail

51. À ce propos, voir L. J. engels, « Adtendite a falsis prophetis », cit. n. 50, p. 226-227 (l. 31-67) ; ou encore le sermon 33 sur Jean-Baptiste (Petrus Abaelardus, Opera, cit. n. 44, vol. 1, p. 573, 579, 590) et la lettre 8 à Héloïse (Lettres d’Abélard et Héloïse, cit. n. 42, p. 530-535).

52. Dans les Summae decretorum telle celle de Rufin, le canon incluant la réminiscence à la Vie d’Antoine est supprimé ; dans la Somme de Cologne il est déclassé par rapport à l’usage qu’en faisait Gratien puisqu’il sert principalement à interdire aux moines d’être parrains, cf. Summa Elegantius in iure divino seu Coloniensis, éd. S. kuttner, vol. 3, Cité du Vatican, 1986, p. 129.

53. Adam Scot, De quadripertito exercitio cellae, 9, dans PL 153, col. 815 : De quiete cellae, et quod non expediat ei qui in ea habitat, ut curiositate temeraria nimis diu extra eam moretur. Hoc autem unicuique qui moratur in cella sciendum, et diligenter est ei in tenaci memoria recondendum, quod non vult haec de qua loquimur cella, ut qui in ea conversatur, nimis diu extra eam temere demoretur. Et quis diu extra eam temere morari amat, nisi qui quanta ei insunt bona penitus ignorat ? Et quidem quantum in ea morari fructuosum, tantum extra eam longe vel diu vagari periculosum. Non enim diutius habitator cellae vivere potest spiritualiter extra cellam, quam corporaliter piscis extra aquam. Considerate quia pisciculo illi, qui halec dicitur, unum idemque momentum est, et extra aquam esse, et exspirare. Et cella quidem formatur ex hac dilectione halec cum convertitur ; sur cet auteur, voir les travaux de F. PallesChi dont je n’ai pu consulter que « L’acédie dans l’œuvre d’un prémontré devenu chartreux au xiie siècle. Adam Scot et le Liber de quadripertito exercitio cellae », dans N. naBert (dir.), Tristesse, acédie et médecine des âmes, Paris, 2005, p. 61-83.

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de contextualisation des textes patristiques dans les écoles, il finit par sembler un peu désuet et dépassé, comme le souligne son usage, vers 1270-1271, dans une double question quodlibétique du franciscain Jean Pecham (v. 1230-1298)54. Les deux questions – « Un moine doit-il obéir à son abbé qui lui ordonne de demeurer dans les écoles ? » et « En supposant que la profession soit formulée ainsi ‘moi je promets obéissance selon la Règle de saint Basile et le changement de mœurs dans le respect de la stabilité dans ce lieu’ peut-il en bonne conscience demeurer au studium ? »55 – mettent en jeu non la licéité des études en elles-mêmes, mais celle des études in studio publico ou in scholis qui ouvre sur diverses interro-gations annexes, systématiquement rapportées à la question de l’obéissance en tant que substantialis religioni, du vœu et de ses rapports à la règle. Or, dans ce cadre, l’un des deux principaux points de la règle en cause est la stabilitas loci. Entendue dans un premier temps comme stabilité in claustro, sur la base du Décret de Gratien prescrivant la résidence des moines dans leur monastère quia sicut piscis sine aqua caret vita, ita sine monasterio monachus56, la stabilité est ensuite envisagée sur la base de la coutume et de l’institution commune qui autorisent au contraire les moines à sortir du cloître pour de multiples motifs, ce qui permet de conclure en faveur de la licéité de la fréquentation des écoles par les moines qui stantes in scholis ab hac stabilitate non degenerant57. La force polémique de l’exemplum de la Vie d’Antoine est pour ainsi dire désamorcée et son autorité marginalisée : la stabilité entendue comme la nécessaire résidence in claustro à l’image des poissons condamnés au milieu aquatique a pour ainsi dire perdu toute réalité concrète et si la formule perdure, et pour longtemps encore, c’est principalement en raison de la qualité rhétorique de sa formulation, en par-ticulier sous la forme ramassée et percutente du Décret de Gratien qui lui assure une postérité en tant que proverbe58.

54. Fr. Ioannis Pecham, o.f.m., Quodlibeta quatuor. Quodlibeta I-III, éd. G. J. etzkorn ; Quodlibet IV (Romanum), éd. F. delorMe, G. J. etzkorn, Grottaferrata, 1989 (Bibliotheca franciscana scholastica Medii Aevii, 25), p. 123-128 (correspondant aux questions 27-31 du Quodlibet II).

55. Il s’agit des quaestiones 28 et 29 du Quodlibet II : ibid., p. 124-128. Sur la question du vœu, cf. A. Boureau, « Le vœu monastique et l’émergence de la notion de puissance absolue du pape (vers 1270) », Cahiers du centre de recherches historiques, 21, octobre 1998, p. 23-34 ; id., Théologie, science et censure au xiiie siècle : le cas de Jean Peckham, Paris, 2008, p. 143-160 et id., Le Désir dicté, Histoire du vœu religieux dans l’Occident médiéval, Paris, 2014.

56. Decretum Gratiani, C. 16, q. I, c. 8, éd. E. FriedBerg, I, 763.57. Pour plus de détails, voir C. CaBy, « Non obstante quod sunt monachi. Être moine et étudiant au

Moyen Âge », Quaderni di storia religiosa, 16, 2009, p. 45-81.58. Parmi les nombreuses occurrences repérables, on peut citer, sans la moindre prétention à l’exhaustivité,

l’usage qu’en fait Gilles le Muisit (1272-1352) dans le poème Li Maintiens des Monnes composé de quatrains d’alexandrins monorimes en langue vulgaire, scandées de maximes latines : « […] Sicut picis sine aqua, sic monachus sine claustro // Nient plut li pissons poroit sans yawe vivre, / Ne peut monnes sans cloistre, ce dient aucun livre./ C’est tout pour nient : des gens on aime trop le quivre,/ Mais que dou sir ou cloistre on puist estre delivre.// […] » (Poésies de Gilles li Muisis, publiées pour la première fois d’après le manuscrit de Lord Ashburnham par M. le baron kervyn de lettenhove, 2 vol., Louvain, 1882, I, p. 147) ; ou Catherine de Sienne dans une lettre au moine olivétain frate Nicolò di Ghida (1328-1331) : Caterina da Siena, Le Lettere, nº 37, éd. P. MisCiattelli, Florence, 1939

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Mais ce qui me semble fondamental dans ce rapide parcours de quelques-unes des occurrences du dicton des petits poissons (par-delà les conclusions parfois antagonistes que chaque auteur en tire) est d’abord la concentration chronolo-gique qui renvoie à la vivacité des débats sur la fonction des moines dans le cadre du renouveau de la vita religiosa de la fin du xie et du xiie siècle. Dans ce contexte, la citation a toujours pour but d’identifier le moine par la stabilité en un cadre de vie propre et distinct du monde environnant et d’affirmer par conséquent un idéal monastique de la séparation. Mais cette séparation a des issues extrêmement variables puisqu’elle peut déboucher aussi bien sur l’exaltation d’une sacralité des espaces monastiques protégeant la supériorité aussi bien statutaire que fonc-tionnelle du moine contemplatif, qui cumule vertus du sacerdoce et vertus du propositum monastique (Rupert), que sur leur imperméabilité à tout contact pas-toral avec les laïcs.

iii. in civitatibus vel castellis vel villis

La comparaison entre les moines sine claustro et les poissons sine aqua ne semble pas avoir eu de succès parmi les plus fameux émules du nouveau mona-chisme qui, dans un premier temps au moins, privilégièrent d’autres formules pour décrire leur résidence dans les monastères et les présupposés identitaires auxquels ils renvoyaient : des formules qui, on le verra, mettent moins l’accent sur la clôture monastique que sur l’éloignement du monde. Non que les cister-ciens aient été indifférents au premier aspect comme en témoigne notamment un riche corpus d’exempla qu’une étude approfondie permettrait certainement d’enrichir59. Mais c’est un autre aspect de la fidélité à la Règle de Benoît qu’ils

p. 115-119, en part. p. 117 : « E veramente il monaco fuore della cella muore, siccome il pesce fuore dell’acqua. Oh quanto è pericolosa cosa al monaco l’andare a torno ! Quante colonne abbiamo veduto essere date a terra, per discorrere e stare fuore della cella sua, di fuere del tempo debito e ordinato ! O quando il mandasse l’obedienza o una stretta espressa carità ! » ; la traduction que donne Cavalca du dit d’Antoine (Domenico Cavalca, Vite dei santi padri, éd. C. delCorno, 2 vol. Florence, 2009, vol. 1, p. 593 : « [...] rispondea che non potea più stare, dicendo che come i. pesci tratto dell’acqua non può molto star vivo in sulla rena così ‘l monaco che fa dimoransa coiseculari è bizogno perda la sua quiete, e resolvasi a pparlare le cose seculari. E però si conviene che come ‘l pesce all’acqua, così ‘l monaco troni alla sollotudine, se vuole perseverare la sua devottione » ; l’auteur anonyme du traité Philosophia monachorum (cité par J. leClerCQ, Études sur le vocabulaire, cit. n. 34, p. 145-148 qui signale que ce traité, conservé dans deux manuscrits du xive et xve siècle, n’est pas très original mais atteste de la permanence de certains thèmes et d’une terminologie) ; enfin Thomas a Kempis (1380-1471) écrit dans l’opuscule Vallis lillorum : Sicut enim piscis extra aquam cito moritur : ita monachus extra cellam leviter distrahitur et inquinatur (Thomas a Kempis, Opera omnia, IV, éd. M. J. Pohl, Fribourg, 1918, p. 53-134 en part. p. 86). Pour d’autres occurrences et sur l’évolution proverbiale de la sentence, cf. Thesaurus proverbiorum medii aevi = Lexikon der Sprichwörter des romanisch-ger-manischen Mittelalters, VIII, Berlin, 1999, p. 225-226.

59. Cf. M. Cassidy-welsCh, Monastic Spaces and their Meanings : Thirteenth-Century English Cistercian Monasteries, Turnhout, 2001 (Medieval Church Studies, 1), p. 25-35 et p. 196-198.

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privilégièrent pour construire leur identité, celui de l’éloignement de toute forme d’occupation humaine.

Dans un sermon pour la Saint André intitulé De mundis piscibus, Bernard de Clairvaux emploie bien la métaphore des poissons pour exorter à la stabilitas loci, mais l’usage qu’il en fait – notamment l’identification du moine au poisson d’étang par opposition au poisson de rivière assimilé aux prédicateurs changeant perpétuellement de lieu – renvoie tout autant au registre métaphorique du vivier d’Anselme qu’à celui du verset de la Vie d’Antoine60. Ce n’est à ma connais-sance qu’au début du xive siècle que les abbés cisterciens, répondant au projet de réforme du pape Benoît xii, brandiront le vœu de stabilité contre certaines propositions pontificales accusées de fournir aux moines une dangereuse mate-riam evagandi, convoquent toutes les autorités possibles et notamment les petits poissons du Décret C. 16 q. I c. 161.

À cette très banale exception près, il me semble que c’est par un autre biai que les cisterciens ont choisi de signifier et de revendiquer, dans le contexte polémique du xiie siècle, les conséquences spatiales de leur propositum. Dans les Instituta des moines de Cîteaux, il est rappellé que « puisqu’ils savaient que le bienheu-reux Benoît n’avait pas construit de monastère in civitatibus, nec in castellis aut in villis sed in locis a frequentia populi semotis, ils se promirent de l’imiter ». L’interdiction est ensuite reprise dans les Capitula sous la forme in civitatibus, castellis, villis nulla construenda esse coenobia62. La caution de Benoît, très natu-rellement invoquée dans le cadre de la revendication primordiale des cisterciens de revenir à la règle ad litteram63, ne renvoie toutefois pas tant, dans le cas précis, à la règle qu’au modèle de vie de Benoît décrit dans la Vita du deuxième livre des Dialogues de Grégoire le Grand. Les Instituta tendent d’ailleurs à confondre

60. Bernard de Clairvaux, Sermo 1 in natali sancti Andree. De mundis piscibus, dans Sancti Bernardi Opera, V, éd. J. leClerCQ, H. roChais, Rome, 1968, p. 427-433, en part. p. 429, l. 8-19 : Habet enim etiam mare hoc magnum et spatiosum pisces mundos et dominica dignos mensa, quia ex his qui in saeculi latitudine habitu actuque versantur, reliquit sibi multa millia, quos apostolica sagena trahit, ut, cum educta fuerit, segregentur a malis. Ubi sane sedebit et hic noster piscator hominum, qui totam nuncpostseAchaiamtrahit.Habetetflumenpiscesmundos,quicumqueinterdispensatoresfidelesinveniuntur. Fluvius quippe est praedicatorum ordo, non in eodem permanens loco, sed extendens se et currens, ut diversas irriget terras. Sunt e t in s tagnis mundi pisces , qui in c laustr is Deo serviunt in spir i tu e t v ir tute . Meri to s iquidem stagnis monasteria, comparantur, ubi quodammodo incarcerat i pisces evagandi non habeant l ibertatem, quo vide-l icet parat i s int semper ad epulas spir i tuales [...]. Le sermon est cité dans P. Meyvaert, « The Medieval Monastic Claustrum », Gesta, 12, 1973, p. 53-59, en part. p. 57.

61. J.-B. Mahn, Le pape Benoît XII et les cisterciens, Paris, 1948, p. 94.62. Capitula IX 3, éd. C. waddell, Narrative and Legislative Texts from Early Cîteaux, Brecht, 1999

(Cîteaux, Commentarii cistercienses, Studia et documenta, 9) : […] in civitatibus castellis villis nulla construenda esse coenobia.

63. Sur ce point, voir G. CariBoni, « “Il nostro ordine è la carità”. Osservazioni sugli ideali, i testi nor-mativi e le dinamiche istituzionali presso le prime generazioni cistercensi », dans C. andenna et G. Melville (éd.), Regulae – Consuetudines – Statuta. Studi sulle fonti normative degli ordini religiosi nei secoli centrali del Medioevo, Münster, 2005 (Vita regularis, Abhandlungen, 25), p. 277-310.

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les deux, comme à propos d’autres interdits, tels celui de la possession d’autels, d’oblations, de droits de sépulture ou de dîmes64.

L’arrière-plan textuel de cette interdiction attribuée à Benoît mérite d’être reconstruit, d’autant plus que l’assocation entre l’attitude des moines à l’égard de la triade civitates, castella, villae, sous cette forme ou sous de multiples variantes affectant l’ordre d’exposition ou certains vocables (avec la substitution de vici à villae par exemple), jouissait d’un succès évident, notamment comme critère de reconnaissance, voire de mise en ordre, des différentes formes de vie religieuse ayant surgi dans l’Église. Bien avant l’occurrence cistercienne, on trouve la triade civitates, castella, vici en lien étroit avec son incompatibilité avec la Règle de Benoît dans une décrétale d’Alexandre II (1064) fortement polémique à l’égard des moines vallombrosains et de leurs excès envers le clergé florentin65. Il s’agit clairement pour le pape, de rejeter l’attitude radicale des vallombrosains et de rompre le rapport instauré entre les moines et la masse des fidèles, pour ramener la réforme dans un cadre discipliné par la papauté. Les moines, qui s’étaient jetés dans l’arène du monde qu’embrassent les trois types de regroupements humains que sont, depuis la littérature antique, civitates, castella et vici, sont renvoyés intra claustrum, c’est-à-dire, dans ce contexte, la clôture monastique. Or, cette décrétale est ensuite intégrée dans la plupart des collections canoniques jusqu’à Gratien qui l’adopte dans l’anthologie de canons hostiles à l’exercice monastique de la cura animarum qui ouvre la cause 16 (C. 16, q. 1, c. 11). C’est sans doute par ces biais que la triade revient comme un leitmotiv dans de très nombreux textes monas-tiques du xiie siècle, au sein desquels les textes primitifs cisterciens ne constituent qu’une occurrence, fut-elle de loin la plus fameuse. Elle est par exemple fréquente à propos des ermites, pour désigner leur continuelle pérégrination et renvoyer à leur prédication itinérante. L’expression employée par Alexandre II pour disci-pliner la prédication vallombrosaine fait d’ailleurs elle-même probablement écho – ou au moins pouvait probablement susciter chez tout lecteur son souvenir – à la péricope évangélique se référant aux enseignements du Christ dans les villes de Galilée66. Dans le contexte du renouveau évangélique, la prédication itinérante

64. Exordium Parvum, cap. 15, éd. C. waddell, NarrativeandLegislativeTexts,cit.n.62, p. 434-435 : Et quia nec in Regula nec in Vita sancti Benedicti eumdem doctorem legebant possedisse ecclesias vel altaria seu oblationes aut sepulturas vel decimas aliorum hominum seu furnos vel molendina, aut villas vel rusticos, nec etiam feminas monasteriorum eius intrasse, nec mortuos ibidem, excepta sorore sua, sepelisse, ideo hec omnia abdicaverunt, dicentes : « Ubi beatus pater Benedictus docet ut monachus a sæcularibus actibus faciat alienum, ibi liquido testatur hæc non debere versari in actibus vel cordibus monachorum qui nominis sui etymologiam hæc fugiendi sectari debent ».

65. Alexandri II Epistolae et diplomata, n° 120, dans PL 146, col. 1406 : Iuxta Chalcedonis tenorem optimi concilii, monachis, quamvis religiosis, ad normam sancti Benedicti, intra claustrum morari precipimus : v icos , castel la , c iv i tates peragrare prohibemus, nisi forte quis, de suae animae salute sollicitus, ut eorum habitum assumat, eos intra claustrum consulere voluerit. Sur le contexte, voir N. d’aCunto, L’età dell’Obbedienza. Papato, Impero e poteri locali nel secolo XI, Naples, 2007, p. 117, 140-145.

66. Mt 9, 35 (Et circuibat Iesus omnes civitates et castella docens in synagogis eorum […]) ou Lc 9, 12 (Dies autem cœperat declinare, et accedentes duodecim dixerunt illi : Dimitte turbas, ut euntes in castella villasque quæ circa sunt, divertant, et inveniant escas : quia hic in loco deserto sumus ). Le

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per civitates et castella devient assez naturellement un des emblèmes de la vie apostolique, notamment celle des Wanderprediger67. On trouve ainsi la triade, ou ses multiples avatars, dans les polémiques antiérémitiques, comme la fameuse lettre d’Yves de Chartes aux moines de Colombs, reprochant aux ermites du temps leur manque de stabilité dont le signe le plus tangible est, aux yeux d’Yves, leurs perlustrations dans les vicos, castella, civitates68, ou la lettre d’Abélard citée plus haut69. Mais on la trouve également – en un sens positif cette fois – dans les Vitae de ces mêmes ermites comme trait saillant de leur imitation à la lettre du modèle du Christ. Ainsi selon la Vita A de Norbert (vers 1118-1120), le saint et son compagnon parcouraient les châteaux, les villages et les bourgs (circuibat castella, villas et oppida), prêchant, réconciliant les ennemis, pacifiant les haines et les guerres invétérées70.

L’un des usages les plus développés de cette triade et, surtout, l’un des usages les plus directement lié à la représentation des nouvelles formes de vie religieuse du temps se trouve dans un traité anonyme, probablement rédigé dans les milieux canoniaux du diocèse de Liège dans les années 1130-1140 et intitulé De diversis ordinibus et professionibus qui sunt in Ecclesia. Ce petit livret, qui constitue en réalité la première partie d’un traité sur les différences entre les divers groupes religieux, présente ces différences selon le critère à première vue insolite du lieu de résidence des religieux (habitatio) et de la distance de ces lieux par rapport aux centres d’agrégation humaine, comme en une mise en scène spatialisée des rapports sociaux entre moines et laïcs71. Selon une pratique caractéristique de l’exégèse biblique, l’auteur établit systématiquement une analogie entre chaque propositum vitae et un modèle vétéro-testamentaire d’une part et un épisode de la vie du Christ d’autre part. Ainsi, les ermites vivent-ils isolés et seuls ou en petits

lien entre vie dans les civitates et les castella et apostolat est déjà bien fixé dans la lettre de Jérôme au prêtre Paul : Siofficiumvisexercerepresbyteri,siepiscopatustevelopusvelonusfortedelectat,vivein urbibus et castellis et aliorum salutem fac lucrum anime tue (Ep 58, 5 ; PL 22, col. 582).

67. Voir à ce propos P. henriet, LaparoleetlaprièreauMoyenÂge.LeVerbeefficacedansl’hagiogra-phie monastique des xie et xiie siècles, Bruxelles, 2000, en part. p. 243-246.

68. Lettre 192 dans PL 162, col. 198-202 (201) : Verum cum quidam ex hac professione in melotis suis, vicos, castella, civitates gyrando perlustrent [...] La décrétale d’Alexandre II est d’ailleurs citée dans le Décret d’Yves de Chartres (Ivo D. 7. 151 : De prohibenda vagatione monachorum) ; cf. G. PiCasso, « Monachesimo e canoniche nelle silloge canonistiche e mei concili particolari », dans id., Sacri canones et monastica regula. Disciplina canonica e vita monastica nella società medievale, Milan, 2006, p. 161-189, en part. 176.

69. Lettres d’Abélard et Héloïse, cit. n. 42, p. 404-405. 70. Cf. Vie A de Norbert (BHL 6248), § 6, éd. R. wilMans, dans MGH, Scriptores XII, p. 670-703, en part.

p. 675 : Cuius contubernio gaudens Norbertus simul cum eo circuibat castella, villas et oppida, prae-dicans et reconcilians dissidentes, inveterataque odia et bella ad pacem reducens ; nichil a quoquam expetebat, sed si qua oblata fuissent, pauperibus et leprosis erogabat. Cf. C. dereine, « Les origines de Premontré », Revue d’histoire ecclésiastique, 42, 1947, p. 352-378.

71. Libellus de diversis ordinibus et professionibus qui sunt in aecclesia, éd. G. ConstaBle, B. sMith, Oxford, 1972 ; ce texte est très souvent commenté mais je renverrai principalement au bel article d’A. Boureau, « Hypothèse sur l’émergence lexicale et théorique de la catégorie de séculier au xiie siècle », dans Le Clerc séculier au Moyen Âge. Actes du 22e congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Paris, 1993, p. 35-43, en part. p. 39-43.

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groupes : comme Abel, ils n’ont pas de lieu fixe, puisque rien de tel n’existait avant que Caïn dans sa fuite ne dusse en fonder72. Quant aux moines, certains, comme les clunisiens, vivent au contact des hommes et de leurs habitats (iuxta homines in civitatibus et castellis et villis) tandis que d’autres, comme les cisterciens s’en éloignent (longe se ab hominibus faciunt [...] in abditis et remotis terrarum suarum locis mittunt). En réalité, nous ne devons pas nous laisser tromper par cette expli-cation en apparence topographique, que l’on retrouve par exemple, en des termes à chaque fois beaucoup plus polémiques, dans le De institutione clericorum de Philippe de Harveng pour expliquer l’abandon par les moines du travail manuel et à l’inverse leur confiscation des revenus du clergé séculier73, ou dans le dialogue rédigé dans les années 1150 par Idung de Prüfening, ancien moine noir devenu cistercien74. L’écart du lieu de vie vis-à-vis des résidences des hommes est en effet un critère d’ordonnancement de la diversité monastique qui va bien au-delà, voire est somme toute indépendant, de toute distance concrète et mesurable selon nos critères contemporains. L’auteur du Libellus n’exclut d’ailleurs pas que l’éloi-gnement des hommes puisse être garanti par le cadre monumental du monastère comme maison de quiétude (mansio quieta) – expression présente chez Rupert de Deutz et qui est en fait récurrente dans les sections des collections canoniques consacrées aux moines, intitulées de vita monachorum et quiete75. C’est d’ail-leurs ce qui permet de rendre acceptable le paradoxe du monachisme urbain, pour autant que soient préservées l’unité de la societas des frères et l’exclusivité de leur dedicatio à Dieu, ce qui suppose le respect de la séparation spirituelle et maté-

72. Libellus de diversis ordinibus et professionibus, cit. n. 71, p. 8 : [...] locum vero certum eos nequaquam tenuisseeomodoconitioquianonanteCaïndomusvelcivitatesaedificatafuitetIosephus[Antiq. Jud. I.2.2] eundem metas terris et limites primum imposuisse asserit [...].

73. Philippe de Harveng, De institutione clericorum, dans PL 203, col. 665-1206, en part. col. 770 : Est et alia causa, cur ecclesiatici redditus ad monachos transferuntur, et quae fuerant propria clericorum, illorum etiam usibus conceduntur. Cum ordo monachicus, suburbiis et solitudinibus contentus non fuisset sed crescente numero civitates et oppida, castella et viculos occupasset, ad eum plerique deli-caticonversionisgratiaconfluxeruntquicorporisetanimiteneritudinepraepediti,nequaquamtenererigorem pristinum potuerunt. Laxis quippe habenis, cum propter circumstantiam populi inter quos habitabant, tum propter praedictam temeritudinem, qua praecipue laborabant, laborem manuum quem priores tenuerant, reliquerunt, et in claustris commorantes, sed umbra quietis et otii remissus latere voluerunt.

74. Idung, Dialogus duorum monachorum, éd. R. B. C. huygens, Le moine Idung et ses deux ouvrages : « Argumentum super quatuor questionibus » et « Dialogus duorum monachorum », Spolète, 1980, p. 168 : Et quia vestra monasteria [ceux des moines noirs] non solum in villis, sed etiam in civitatibus et in locis quae sunt contigua civitatibus sita sunt, nostra [ceux des cisterciens] vero minime, idcirco nos, in respectu vestri, solitarii et contemplativi recte dici possumus, quamvis tu dixeris : noster ordo est contemplativus et vester activus.

75. Sur ce dernier point, J. leClerCQ, Otia monastica : études sur le vocabulaire de la contemplation au Moyen-Âge, Rome, 1963, p. 88-90 et G. PiCasso, « “Quam sit necessarium monasteriorum quieti prospicere” (Reg. 8. 17) : sulla fortuna di un canone gregoriano », dans id., Sacri canones et monastica regula. Disciplina canonica e vita monastica nella società medievale, Milan, 2006, p. 191-204.

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rielle76. Le Libellus – ce n’est pas la seule occurrence à l’époque – propose d’ailleurs des solutions pratiques et concrètes pour faire en sorte que les différents espaces des monastères urbains échappent aux désagréments de la société des hommes, comme la vue et les bruits des laïcs : autant de questions d’aménagement relevant de la dispositio des édifices monastiques, indépendam-ment de leur positio, selon la distinction et la terminologie du chanoine régulier Hugues de Fouilloy (v. 1153)77. Mais les enjeux de l’antagonisme établi par l’au-teur du Libellus entre clunisiens proches des hommes et cisterciens éloignés des hommes dépassent ces questions matérielles et concernent fondamentalement la fonction pastorale des moines et les conséquences sociales et économiques liées à cette fonction. Si les clunisiens, vivent près des hommes, c’est parce qu’ils vivent de dons et de revenus ecclésiastiques, en particulier de dîmes, juste rétribution de leur service sacerdotal (deeleemosynisfideliumetreditibusecclesiarumdeci-misque sustentatur) ; alors que les cisterciens refusent ces fonctions et le modèle économique qui en découle. Par sa mise en scène spatialisée de la diversité monastique, l’auteur synthétise en fait efficacement un changement radical dans le monde monastique au tournant des xie et xiie siècles qui affecte en priorité sa place et sa fonction dans la societas christiana, et en ce sens met en cause des rapports de pouvoirs, des modes de domination sur la terre et les hommes, et enfin des formes d’agrégation de l’habitat et des types de paysages.

En définitive, derrière la condamnation – par les cisterciens mais aussi par Abélard citant Jérôme78 – des implantations monastiques in civitatibus, castellis,

76. À propos des moines qui vivent près des hommes (Libellus de diversis ordinibus et professionibus, cit. n. 71, chap. II, p. 18) : Liceteniminterhominesaliquandocontingateosaedificiaconstruere,tamennon perdit prerogativam nominis, si frater cum fratribus quorum bona et iocunda in unum habitan-tium societas est secularia postponat et blandientes sirenas in huius vitae pelago constitutus surda aure petransiens horrescat et plus loin dans le chapitre VI (ibid., cit. n. 71, p. 76) : Et quia de loco et modo habitationis eorum [i.e. canonicorum qui in civitatibus vel castellis vel villis habitant] fecimus mentionem, sicut superiusdemonachisqui incivitatibusvel castellisdeguntdiximus,utofficinaeeorum habitationem hominum non repisciant, ita hic canonicis similiter faciendum esse decerno, et istis id est canonicis rationem illam quae de monachorum habitatione reddita est, custodiendam esse pronuntio.

77. Hugues de Fouilloy, De claustro animae, II 4, dans PL 176, col. 1053 : Sic igitur servanda sunt tria in aedificiis,idestpositio,dispositio,compositio:utpositionesuaremoveantursaecularibus,disposi-tioneverosaecularesremoveant,compositionenonsuperfluasintsedutilia ; sur ce texte, voir http ://www.arlima.net/no/102 (qui énumère 514 manuscrits de l’œuvre ou d’une de ses parties) et F. negri, « Il De claustro animae di Ugo di Fouilloy : vicende testuali », Aevum, 80, 2006, p. 389-421 et id., « Ancora sul De claustro animae di Ugo di Fouilloy : tradizione manoscritta », Aevum, 83-2, 2009, p. 401-409. Abélard quant à lui parle de loci positio pour préciser la disposition du monastère sur la base de la Règle de Benoît LXVI 6-7 (Lettres d’Abélard et Héloïse, cit. n. 42, p. 404-405).

78. Dans la lettre 8 citée plus haut (Lettres d’Abélard et Héloïse, cit. n. 42, p. 404-405), mais aussi dans le sermon 33 sur saint Jean-Baptiste (Petrus Abaelardus, Opera, cit. n. 44, vol. 1, p. 573) : Tabernacula praedicti onagri in solitudine a Domino praeparari dictum est. Isti autem e contrario, suggerente diabolo, solitudinis quietem fugientes, et saeculi tumultibus se impudenter ingerentes, in ciuitatibus et castellis habitare laetantur, non tam monachi, hoc est solitarii, quam ciues appellandi. Quorum impu-dentiam maximus ille monachorum et ecclesiasticorum doctorum Hieronymus arguens, et nostram ac clericorum uitam diligenter distinguens, ait : « Si episcopatus te uel opus uel onus forte delectat, uiue

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villis se dresse, au-delà d’un assez banal et illusoire appel à la recherche de la solitude rurale, le refus de plusieurs modèles monastiques concurrents, voire anta-gonistes, dont certains proches des modèles stigmatisés ailleurs par le truchement de la métaphore des poissons hors de l’eau. D’une part, un modèle monastique attaché aux fonctions sacerdotales, au service paroissial, voire à toute forme de cura animarum, ce qui l’autorise à revendiquer des revenus ecclésiastiques notamment ceux liés au service de l’autel ; d’autre part, le modèle des prédicateurs gyrovagues, c’est-à-dire en priorité certains ermites qui, au nom de l’évangélisme, prennent à la lettre le modèle du Christ parcourant les villes, villages et places fortes et l’appel de Pierre (1 P 2, 11) à n’être que des pélerins et des hôtes sur cette terre. Un idéal incompatible avec l’interprétation spatiale de la stabilité comme résidence continue en un monastère.

iv. excursus FranCisCain : Pèlerins et étrangers ou Poissons de haute Mer ?

Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de souligner la proximité entre certains arguments utilisés contre les ermites gyrovagues avec ceux que les séculiers bran-dissent au milieu du xiiie siècle contre les mendiants et leur revendication à imiter la prédication apostolique, jusqu’à faire – et à interpréter littéralement, dans cer-taines franges de l’ordre franciscain au moins – de l’exhortation de Pierre (1 P 2, 11) à être pèlerins et hôtes un précepte de la règle79. Dans ce contexte radicale-ment nouveau – mais qui pose « d’une façon nouvelle et plus aiguë que jamais la question, séculairement irritante, du ministère des moines »80 –, certaines des modalités de représentation des espaces réguliers mises au point par la littérature monastique connurent un écho durable : parmi elles, précisément, l’anecdote de la Vie d’Antoine.

in urbibus et castellis, et aliorum salutem, fac lucrum animae tuae. Si cupis esse quod diceris mona-chus, id est solus, quid facis in urbibus, quae utique non sunt solorum habitacula, sed multorum ? ». Idem alibi : « Interpretare uocabulum monachi, hoc est nomen tuum. Quid facis in turba, qui solus es ?

79. François d’Assise, Regula bullata VI 2 et Testament 24 (traduction française dans J. dalarun (dir.), François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, Paris, 2010, vol. 1, p. 265 et 311) ; sur ces textes, voir P. Maranesi, « “Pellegrini e Forestieri” : l’itineranza nella proposta di vita di Francesco d’Assisi », Collectanea Franciscana, 70, 2000, p. 346-390. Bonaventure, dans la lettre à Roger Bacon (1254), adopte une interprétation symbolique de l’exhortation, qui exclut en tout cas qu’il puisse s’agir d’une invitation au nomadisme des frères (Bonaventure, Epistola de tribus quaestionibus, § 8, dans id., Opera omnia, éd. A. lauer, VIII, Quaracchi, 1898, en part. p. 333-334) : Si dicas, nos tamquam advenas et peregrinos debere ire de domo in domum ; parcat illi Deus, qui primo hanc stultitiam cogitavit […] Sed hoc dictum intellige, non ut currat similitudo quattuor pedibus, sed ut domos, in quibus habitamus, parum diligamus nec proprias reputemus, sicut peregrinus, qui transit in patriam, domum non diligit in via tanquam propriam, sed utitur tamquam aliena. […] Quomodo enimposset esse regimen et ordo praelatorum, qui ita districte manet in Ordine beati Francisci, si omnes essent instabiles et vagabundi per orbem ?

80. Y. M.-J. Congar, « Aspects ecclésiologiques de la querelle entre mendiants et séculiers dans la seconde moitié du xiiie siècle et le début du xive », Archives d’histoire et littérature du Moyen Âge, 28, 1961, p. 35-151, en part. p. 80.

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Comme l’a souligné A. Boureau, et que confirme d’ailleurs la question quod-libétique de Jean Peckam citée plus haut, l’usage des exempla tirés des Vies des Pères dans les ordres mendiants est l’histoire d’une fascination qui évolue progressivement vers un abandon, voire un refus, destinés à désamorcer les poten-tialités radicales de ces textes orientaux dont l’usage avait peu à peu été confisqué – tout au moins dans l’ordre franciscain – par les milieux les plus extrêmistes et zélés81. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si l’on trouve une occurrence très polémique de l’exemplum de la Vie d’Antoine dans la bouche d’Hugues de Digne, dans un contexte anticurial qui n’est pas sans rappeler celui où il apparaît sous la plume d’Abélard82. Selon le récit qu’en livre Joinville dans le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis, rédigé entre la fin de l’année 1305 et octobre 1309, Le roi Louis IX, attiré par la renommée du francis-cain, aurait rencontré Hugues de Digne à Hyères de retour de la Croisade (juillet 1254). En cette occasion, Hugues aurait prêché pour le roi à propos des religieux, s’inquiétant de leur nombre à la cour et dans la compagnie du roi, en raison du péril que ces religieux, et lui le premier, faisaient ainsi courir à leur âme « car – aurait-il dit, selon Joinville – les saintes Écritures nous disent que le moine ne peut vivre hors de son cloître sans péché mortel, pas plus que le poisson ne peut vivre sans eau. Et si les religieux qui sont avec le roi disent que c’est un cloître, je leur dis, moi, que c’est le plus large que j’ai jamais vu, car il s’étend de ce côté de la mer et de l’autre. S’ils disent que dans ce cloître-là on peut mener une vie rude pour sauver son âme, sur cela je ne les crois pas. Mais je vous dis que j’ai mangé avec eux grande quantité de toutes sortes de plats de viande et bu de bons vins forts et clairs ; après cela je suis certain que, s’ils avaient été dans leur cloître, ils n’auraient pas eu leurs aises comme ils les ont avec le roi ». Et de fait, Hugues se serait irrité de ce que Joinville envoyé par le roi l’eusse prié « de ne pas le laisser partir de sa compagnie » et lui aurait répondu en ces termes : « Certes messires, je ne le ferai pas, mais j’irai en tel lieu où Dieu m’aimera mieux qu’il ne le ferait en compagnie du roi »83. S’il faut certainement faire la part dans cet épisode de l’éventuelle hostilité de Joinville envers les conseillers mendiants, la

81. A. Boureau, « Le désert fleurit, puis se dessécha... Les exempla des Vitae patrum dans les contro-verses du xiiie siècle », dans M.-A. Polo de Beaulieu, P. ColloMB, J. Berlioz (dir.), Le tonnerre des exemples. Exempla et médiation culturelle dans l’Occident médiéval, Rennes, 2010, p. 103-111.

82. Tous les deux convoquent l’anecdote pour critiquer les religieux vivant dans des cours : cf. Lettres d’Abélard et Héloïse, cit. n. 42, p. 534-535 (Hinc et ipsi abbates vel qui maiores in monasteriis videntur, potentibus seculi et mundanis curiis sese importune ingerentes, iam magis curiales esse quam cenobite didicerunt […]. Il est toutefois difficile d’en dire plus sur les rapports entre les deux occurrences. Hugues de Fouilloy consacre un paragraphe De curiali monacho à leur condamnation (Hugues de Fouilloy, De claustro animae, II 16, dans PL 176, col. 1067-1069).

83. Joinville, Vie de saint Louis, éd. J. MonFrin, Paris, 1995, § 657 et 660, p. 326-329 ; sur ce texte, voir J. Paul, « Hugues de Digne », dans Franciscainsd’Oc.LesSpirituels,ca1280-1324, Toulouse, 1975 (Cahiers de Fanjeaux, 10), p. 69-97 (en part. p. 72-80) qui écrit d’ailleurs non sans quelque embar-ras « Le sermon d’Hugues de Digne [...] porte plus la marque de l’expérience séculaire de l’Église que celle de la spontanéité franciscaine » (p. 78) et D. ruiz, Frère Hugues de Digne, O. Min., et son œuvre (édition critique). Une histoire par les sources narratives, la codicologie et la doctrine

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mise en scène qu’il propose de l’anecdote de la Vie d’Antoine me paraît inté-ressante à plus d’un titre. D’une part, en ce qu’elle est rapportée comme tirée des Écritures, ce qui témoigne – si besoin était – de son degré de canonisation à cette date. D’autre part, l’anecdote semble être appliquée indifféremment aux reli-gieux, qu’ils soient soumis à la stabilitas loci bénédictine, en tant que moines, ou non, en tant que frères mendiants. Enfin, l’anecdote donne lieu à un commentaire inattendu, voire paradoxal dans le contexte mendiant. D’un côté, la condamnation de l’incompatibilité entre profession religieuse et mode de vie courtisan, notam-ment, et une fois de plus, dans ses aspects ayant trait à l’alimentation, renvoie à une prise de position ascétique bien présente dans l’hagiographie de François84 et qui connut par la suite de nombreux avatars, notamment dans le cadre des conflits avec les séculiers85. De l’autre, l’ironie sur la clôture s’étendant d’une rive à l’autre de la mer oriente la compréhension de l’anecdote en un sens favorable à une stabilité monastique très traditionnelle. Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de retrouver ce même type d’ironie sous la plume de Matthieu Paris (v. 1200-1259) dans un paragraphe de sa Chronique consacré aux conflits entre séculiers et Mendiants à l’Université de Paris, comme en contrepoint vengeur aux difficultés des Mendiants qu’il attribue à leur condition de mendicité et donc d’instabilité. Toujours prêt à mettre en évidence la supériorité de l’ordo monasticus face au nouvelles formes de vie religieuse, Matthieu Paris n’hésite pas à mettre entre parenthèses sa méfiance envers le tournant universitaire monastique pour louer le succès de la domus monachorum Cisterciensium Parisius studentium qu’il attribue à l’honesta et ordinata conversatio des moines dont les expressions les plus remarquables sont précisément la stabilité et l’obéissance : « En effet, ils n’erraient pas dans les cités et les campagnes. Ils ne prenaient l’océan pour limite de leurs cloîtres, mais enfermés entre leurs murs et vivant dans la stabilité, ils obéissaient à leur supérieur conformément à la Règle de saint Benoît… »86.

(xiiie-xve siècles), sous la direction d’André vauChez et d’Antonio rigon, Université de Paris Ouest Nanterre La Défense / Università degli Studi di Padova, 5 vol., 2008, en cours de publication sous le titre : Erat unus de maioribus clericis de mundo. Vie et œuvres d’Hugues de Digne, Spolète, 2014.

84. Voir par exemple l’épisode de la flagellation de François par des démons pendant sa résidence auprès du cardinal Hugolin à Rome, selon le récit de la Compilation d’Assise, sans doute rédigée par frère Léon en grande partie avant 1246 : présentation et traduction française dans François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, cit. n. 79, vol. 1, p. 1185-1412, en part. p. 1398-1403 ou, dans une perspective assez différente, les chapitres 84 et 85 de la Vita secunda de Thomas de Celano, cit. infra n. 89 et 90. Je remercie Damien Ruiz d’avoir attiré mon attention sur ces textes également cités dans J. Paul, « Hugues de Digne », cit. n. 83, p. 75-76.

85. Y. Congar, « Aspects ecclésiologiques », cit. n. 80, p. 82-83.86. Matthaei Parisiensis, monachi Sancti Albani Chronica majora, V, p. 528-529 : Domus autem mona-

chorum ordinis Cisterciensis Parisius studentium que per abbatem Clarevallensium, videlicet Stephanum de Lexintona, natione Anglicum, propter obprobria fratrum Praedicatorum et Minorum initiata est, felix diatim suscepit incrementum. Et placuit Deo, prelatis, et populo eorum honesta et ordinata conversatio, non enim vagabantur per civitates et pagos. Non erat e is pro claustral i maceria oceanus, sed infra muros suos clausi e t s tabi les conversantes suo secun-dum regulam sanct i Benedict i obediebant superiori [...] ; sur ce passage et son contexte, voir notamment R. siCkert, « Extra obedientiam evagari...: Zur zeitgenössischen Deutung der

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La réponse d’Hugues de Digne aux réguliers – ses propres frères ? – qui fré-quentent les cours et prétendent que « ce soit cloistre », lorsqu’il leur objecte « que c’est le plus large que je veisse onques, car il dure de ça mer et de la », semble à vrai dire prendre le contre-pieds d’une méfiance bien connue de la part des premiers frères mineurs à l’égard des couvents, voire de toute forme de sédentarisation et de conventualisation. Les termes de la réponse renversent en effet ceux d’un épisode du Sacrum commercium sancti Francisci cum domina Paupertate, composé par un frère mineur anonyme dans le second quart du xiiie siècle et qui exprime un point de vue farouchement hostile à la construction de la basilique d’Assise. Des frères, à la demande de Dame Pauvreté de lui montrer leur cloître – en un sens qui désormais recouvre probablement l’ensemble des bâtiments communautaires inclus dans la clôture –, l’auraient conduite « sur une colline » et lançant un regard circulaire sur « la totalité du monde », ils lui auraient répondu : « Voici notre cloître, ô Dame »87. En 1254, date à laquelle Hugues de Digne est censé avoir prêché devant Louis IX, les débats au sein de l’ordre franciscain sont désormais redoublés par des débats avec les membres du clergé séculier : dans ce contexte, le choix de l’exemple de la Vie d’Antoine, dont la circulation et le succès avaient été assurés aux xie et xiie siècle par les débats monastiques, me semble répondre à des intentions franchement polémiques. Il contribue en effet à souligner la conti-nuité de la position adoptée par Hugues de Digne à l’égard de la résidence des frères avec les traditions monastiques de la stabilitas loci, et sa radicale extranéité – dans la ligne du maître général Bonaventure – aux interprétations littérales de l’invitation adressée par François à ses frères à vivre en pèlerins et étrangers sans résidence fixe88.

Quelques années avant qu’Hugues n’ait – à en croire Joinville – tenu ces propos, la Vita secunda de François rédigée par Thomas de Celano entre l’au-tomne 1246 et le printemps 1247 met bout à bout deux chapitres stigmatisant les frères « palatins » ou de curia curiosi. Le premier raconte la façon dont François aurait été battu par les démons parce qu’il séjournait à Rome, certes dans une tour à l’écart, mais comme hôte d’un cardinal, ce que le saint comprend aussitôt en

Mobilität von Franziskanern und Dominikanern im 13. Jahrhundert », dans S. Barret, G. Melville (éd.), Oboedientia, Münster, 2005, p. 159-180 et C. CaBy, « Non obstante quod sunt monachi », cit. n. 57.

87. Adducentes eam [Dame Pauvreté] in quodam colle ostenderunt ei totum orbem quem respicere pote-rant, dicentes : « Hoc est claustrum nostrum, domina » : Sacrum commercium sancti Francisci cum Domina Paupertate, éd. S. BruFani, Assise, 1990, p. 173 ; traduction française François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, cit. n. 79, vol. 1, p. 861-916, en part. p. 911. La date de rédaction de ce texte est, comme pour tous les textes franciscains, très controversée mais tend désormais à être placée dans la décennie 1230, cf. l’introduction de Jacques Dalarun à la traduction du texte, ibid., p. 845-859, en part. p. 856-857. Voir aussi A. kehnel, A. Müller, « Dauer durch Wandeln. Von Mönchen und Mauern - von Wandelgängen im Kloster und von Wanderungen durch die Welt », dans S. Müller-gary, S. sChaal, C. tiersCh (éd.), Dauer durch Wandel : Institutionelle Ordnungen zwis-chen Verstetigung und Transformation, Cologne, Weimar, Vienne, 2002, p. 107-119.

88. Sur ces débats, voir L. Pellegrini, Insediamenti francescani nell’Italia del Duecento, Rome, 1984 et G. G. Merlo, Au nom de saint François. Histoire des frères mineurs et du franciscanisme jusqu’au début du xvie siècle, Paris 2006, p. 57-66. Sur la position de Bonaventure, voir supra n. 79.

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un sens ascétique comme une condamnation des risques de s’y livrer aux délices curiales. Dans une des versions du texte, l’hagiographe conclut le récit en des termes – « Qu’ils en soient avertis, ceux qui habitent les palais, et qu’ils sachent qu’ils sont comme des avortons tirés du ventre de leur mère (sciant abortivos se esse, tractos ex utero matris sue) » – qui déplacent l’attention sur la question des lieux de vie des frères, ce que confirme le chapitre suivant – présent dans les deux versions de la Vita – présenté comme un exemplum destiné à éclairer le récit précédent89. Un frère attiré par d’autres qui vivent à la cour décide de devenir lui aussi « palatin » (fieripalatinus), mais il voit en songe « ces mêmes frères placés hors du lieu des frères et séparés de leur compagnie. Il voit en outre qu’ils mangent dans une auge à porcs très laide [et impure] : ils y mangeaient des pois chiches mélangés avec des excréments humains. Voyant cela, le frère fut frappé d’une violente stupeur et, se levant au point du jour, il n’eut plus cure de la cour »90.

La comparaison de Thomas de Celano entre le franciscain vivant hors du couvent et l’avorton arraché du ventre de sa mère n’est pas sans rappeler le poisson hors de l’eau de la Vie d’Antoine utilisée par Hugues de Digne. Les deux comparaisons et leurs mises en scène ont le même but polémique, mais il n’est pas exclu que le choix de la comparaison des poissons par Hugues de Digne puisse avoir quelque rapport avec son usage bien établi au service de l’exaltation de la stabilitas loci monastique, compte tenu de l’idéal fortement claustral de ce dernier. Sur ce point, le témoignage de Joinville est en effet parfaitement cohérent avec ce qu’écrit Hugues de Digne dans son Commentaire de la Règle franciscaine (Expositio super Regulam fratrum minorum, 1252-1254). À ceux qui interprètent à la lettre les conseils de la règle de vivre en pèlerins et en étrangers allant d’une maison à l’autre, il oppose, tout comme Bonaventure, un idéal communautaire de discipline et d’obéissance : le sicut advenae et peregrini de la Regula bullata (vi 2) et du testament de François doit être compris comme une exhortation ascétique à respecter les conseils en matière de pauvreté des édifices et de détachement à leur égard91. En définitive, l’usage de l’anecdote tirée de la Vie d’Antoine par le

89. Thomas de Celano, Vita secunda, chap. 84-85 : Thomas de Celano, Memoriale, éd. F. aCCroCCa, A. horowki, Rome, 2011, p. 206-211 ; traduction française François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, cit. n. 79, vol. 1, p. 1610-1613 (que je modifie ponctuellement ici).

90. Occurit animo, quod nullatenus puto. Frater quidam, cum fratres videret in quadam curia commo-rantes,illectusquaglorianescio,desideravitunacumeisfieripalatinus.Etcumdecuriacuriosusexisteret, nocte quadam videt in compnis fratres predictos extra locum fratrum positos et ab eorum consortio separatos. Videt insuper eos comedentes in vase porcorum turpissimo, in quo cicera mandu-cabant humanis stercoribus intermixta. Cernens hoc, frater vehementer obstupuit et, diliculo surgens, amplius de curia non curavit : Thomas de Celano, Memoriale, cit. n. 89, p. 210-211 ; traduction fran-çaise François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, cit. n. 79, vol. 1, p. 1613.

91. Pour les références aux textes normatifs, voir la traduction française, ibid., vol. 1, respectivement p. 265 et 311. D. Flood, Hugh of Digne’s Rule commentary, cit. n. 31, p. 134, 137 et 157. Cf. J. Paul, « Hugues de Digne », cit. n. 83, p. 76-77 ; T. J. Johnson, « Ground to Dust for the Purity of the Order. Pastoral Power, Punishment, and Minorite Identity in the Narbonne Enclosure », Franciscan Studies, 64, 2006, p. 293-318 ; en attendant le livre à paraître de Damien Ruiz que je remercie pour m’en avoir livré les conclusions sur ce point.

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franciscain Hugues de Digne vient pour ainsi dire couronner et consacrer la para-bole que le récit connaît depuis la fin du xie siècle, tout en lui restituant son sens proprement spatial, largement masqué au cours du xiie siècle par une interpréta-tion qui privilégie la réflexion sur la fonction ecclésiologique des moines plus que sur la matérialité de leurs lieux de vie.

v. retour au Cadre de vie : utilitas vs. suPerfluitas

Si j’ai paru, en définitive, mettre de côté le cadre spatial de la vie monastique, c’est en réalité pour mieux y revenir, en conclusion, débarrassée d’un certain nombre de pistes sans issue. En effet, la critique radicale d’une certaine forme de monachisme fortement cléricalisée, partageant avec le prêtre fonction sacerdotale et revenus du desservant de l’autel, telle que l’on peut la lire sous la plume des partisans de la réforme de la vie religieuse, peut et doit être reliée à d’importantes évolutions dans la représentation des espaces monastiques que promeuvent ces mêmes acteurs.

Poussée à l’extrême, elle peut aboutir, comme nous venons de le voir, à un refus total de la sédentarisation des moines en un lieu de vie, un refus total de la fixation sur une terre en ce qu’elle implique nécessairement l’instauration de liens avec la société seigneuriale et avec le pouvoir en général : une contestation de l’ancrage foncier et terrestre des espaces de quiétude des moines et plus encore de leur articulation étroite aux cercles de la domination seigneuriale, en faveur de l’instauration d’une autre façon de vivre le propositum monastique plus évan-gélique, idéellement plus proche de l’Ecclesia primitiva et donc – au moins dans un premier temps – moins stable et moins localisée, qui traverse l’ample mouve-ment érémitique qui se développe dans tout l’Occident à partir de l’extrême fin du xe siècle, englobant la fraternité franciscaine des origines. En effet, l’ermite, sans toit ni loi, se caractérise par son instabilitas (contre la stabilitas loci bénédictine) et sa conformité à l’idéal des hôtes et des étrangers, voire (c’est l’option choisie par l’auteur du Libellus) aux modèles bibliques des hommes d’avant Caïn et d’avant la civitas terrena92.

En revanche, ramené dans les limites de la communauté fraternelle et de la stabilitas loci bénédictine, comme c’est le cas dans l’ordre cistercien, principale machine à institutionnaliser le mouvement érémitique, et dans la plupart des ordres qui naissent de l’érémitisme et confluent dans les nouveaux ordres monastiques et canoniaux93, le contexte monumental retrouve une centralité essentielle en tant que symbole et vecteur de l’unité de la communauté dans sa double composante

92. M. B. Bruun, Parables : Bernard of Clairvaux’s Mapping of Spiritual Topography, Leiden, 2007, p. 92-94 ; E. Brilli, « Une cité si proche », cit. n. 20.

93. Sur ce mouvement, voir C. CaBy, « Finis eremitarum ? Les formes régulières et communautaires de l’érémitisme », dans A. vauChez (dir.), Ermites de France et d’Italie (xie-xve siècle), Rome, 2003, p. 47-80 qui signale la bibliographie antérieure.

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– moines et convers94 – et cadre exclusif de la vraie contemplation en polémique contre les excès et les risques de l’instabilité érémitique95. Face à l’impossibi-lité, proclamée par Geoffroy d’Auxerre dans son commentaire au Cantique des Cantiques (début de la décennie 1190), de trouver de vrais lieux de solitude, le monastère, muni du rempart de l’observance, peut seul la garantir : « Et parce que le genre humain s’est tellement multiplié qu’on ne peut plus trouver de lieux de solitude dans pratiquement aucune région habitable, mais que ceux qui veulent, ou semblent vouloir, se retirer de la fréquentation régulière des hommes soit entretiennent, soit attirent une foule plus ample encore, il n’y a pas de meilleure solution que la solitude artificielle et construite du monastère »96. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre au moins trois tendances de l’architecture régu-lière du xiie siècle que j’esquisse rapidement en guise de conclusion.

En premier lieu, s’accentue et s’impose – au terme d’une lente apparition97 – un modèle de polarisation des différentes composantes du périmètre monastique autour du cloître au sens strict98, et des bâtiments communautaires qu’il dessert, notamment ceux qui représentent l’unité de la communauté en vertu de laquelle le moine est ce que son nom indique – réfectoire, dortoir et désormais chapitre99 –,

94. On peut articuler à cet aspect l’un des principaux changements de l’architecture monastique introduite par les cisterciens, à savoir l’insertion d’un dispositif édilitaire destiné aux convers dans l’enceinte monastique, comme le souligne d’ailleurs Idung de Prüfening (Dialogus duorum monachorum, cit. n. 74, p. 179, l. 882-885) : Nos modo habemus infra ambitum monasterii duo monasteria, unum scilicet laicorum fratrum et aliud clericorum ideoque etiam non proprie vocamus coronatos laicos monachos, nisi laicos accipiamus pro “illitteratos”. Les recherches sur les bâtiments des convers mériteraient d’ailleurs d’être multipliées, comme le souligne fort justement Franck tournadre, « De l’aile conventuelle à destination des convers au bâtiment agricole à fonction multiple : le cas des abbayes cisterciennes de Chaloché (Maine-et-Loire), Preuilly (Seine-et-Marne) et Valence (Vienne) », In Situ [En ligne], 5, 2004 [consulté le 14 juin 2014], disponible sur : http ://insitu.revues.org/2393 ; DOI : 10.4000/insitu.2393. Voir aussi M. Cassidy-welsCh, Monastic Spaces, cit. n. 59, p. 171-175.

95. Sur la conception bernardine du désert, voir les récentes remarques de M. B. Bruun, Parables, cit. n. 92, p. 72-80 (je ne suis pas parvenue à consulter son article M. B. Bruun, « The Cistercian Rethinking of the Desert », Cîteaux. Commentarii Cistercienses, 53, 2002, p. 193-212).

96. Goffredo di Auxerre, Expositio in Cantica canticorum, éd. F. gastaldelli, 2 vol. Rome, 1974 (Temi e testi, 19-20), livre 5, vol. 2, p. 460 : Et quia sic multiplicatum est genus hominum ut in nulla propemodum habitabili regione solitudines valeant inveniri, sed qui volunt sibi secedere seu velle videnturcrebravisitationeturbamvelcolentvelatrahantapliorem,artificiosaomninoetaltissimoquodam inventa consilio est solitudo claustralis ; cité dans J. leClerCQ, « Le témoignage de Geoffroy d’Auxerre sur la vie cistercienne », Analecta Monastica, II, Rome, 1953 (Studia Anselmiana, 31), p. 174-201, en part. 180.

97. Sur les évolutions de cette polarisation des bâtiments communautaires par le cloître entre le viiie et le xie siècle, voir W. horn, « On the Origins of the Medieval Cloister », Gesta, 12, 1973, p. 13-52 ; A. davril, E. Palazzo, La vie des moines au temps des grandes abbayes, Paris, 2000, p. 196-250 et la contribution de M. lauwers dans ce volume.

98. Cf. M. Cassidy-welsCh, Monastic Spaces, cit. n. 59, p. 47-65.99. À propos du chapitre, on rappellera la phrase d’Hélinand de Froimond (mort en 1237) dans la lettre

à Gauthier (PL 212, col. 758) : Nullus locus sit sanctior capitulo, nullius reverentia dignior, nullus diabolo remotior, nullus Deo proximior ; cf. M. B. Bruun, « Mapping the Monastery. Hélinand of Froidmont’s Second Sermon or Palm Sunday », dans Prédication et liturgie au Moyen Âge. Études réunies par N. Bériou et F. Morenzoni, Turnhout, 2008, p. 183-199 ; M. Cassidy-welsCh,

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ou en faveur d’autres bâtiments emblématiques du propositum vitae comme, dans les ordres semi-érémitiques, les cellules. Le tout aux dépens de la centralité exclusive de l’église, qui avait contribué à en faire une sorte de métonymie du monastère dans son ensemble. Dans ce contexte, l’église – la plupart du temps désignée comme oratorium – redevient, très nettement dans certains ordres comme ceux des chartreux ou des cisterciens au xiie siècle, un oratoire fermé en façade et réservé à la familia monastique (sur le modèle des oratoires tardo-antiques destinés au culte privé d’une famille)100, sans pour autant que ne soient remises en question les prérogatives désormais bien établies de sa sacralité, liée à la présence de l’autel et à la sainteté de ses habitants101.

En second lieu, et dans le même temps, on exalte un critère d’utilité dans la construction monastique, entendue au sens large, contre la superfluitasconçue comme rapina pauperum102. Sans exclure la reprise d’un certain nombre de

« Incarceration and Liberation : Prisons in the Cistercian Monastery », Viator, 32, 2001, p. 23-42 ; ead., Monastic Spaces, cit. n. 59, p. 105-132 ; H. stein-keCks, « Claustrum and Capitulum : Some Remarks on the Façade and Interior of the Chapter House », dans P. K. klein (dir.), Der mittelal-terliche Kreuzgang = The Medieval Cloister = Le cloître au Moyen Âge : Architektur, Funktion und Programm, Regensburg, 2004, p. 157-189 ; A. Müller, « Presenting identity in the cloister », cit. n. 3, p. 177-182 ; E. lusset, Non monachus, sed demoniacus, cit. n. 17, chap. V/3.

100. Sur l’accès des laïcs aux églises monastique entre viie et xie siècle et l’impact sur leur architecture, voir les remarques de HR. sennhauser, « À propos de l’architecture monastique entre Saint-Gall et Cluny II », dans D. iogna-Prat, M. lauwers, F. Mazel, I. rosé (dir.), Cluny, les moines et la société au premier âge féodal, Rennes, 2013, p. 527-548, en part. p. 541-545.

101. Sur les églises cisterciennes, cf. M. Cassidy-welsCh, Monastic Spaces, cit. n. 59, p. 73-96. Les cis-terciens développent particulièrement l’idée que ce n’est pas le lieu qui sanctifie les hommes mais les hommes qui sanctifient le lieu. Voir par exemple le premier sermon pour la dédicace de Bernard (Sancti Bernardi Opera, V, éd. J. leClerCQ, H. roChais, Rome, 1968, p. 370) et le sermon 30 (Bernard de Clairvaux, Sermons divers, vol. 2 (sermons 23-69), texte latin J. leClerCQ, H. roChais et Ch. H. talBot ; traduction par P.-Y. éMery, F. Callerott, dans SC, 518, Paris, 2007, p. 137) ; ou encore le sermon 23 d’Hélinand de Froidmond pour la Toussaint (PL 212, col. 668-678, en part. col. 678) : Licet enimhaecipsaaedificiatumpropterinhabitantiumreligionem,tumobdivinicultuscelebrationemvere sancta sint ; tamen quia nimis sumptuosa sunt, non tantam apud saeculares lucrantur reveren-tiam, quantam invidiam de nimia sumptuum quantitate.

102. Ainsi dans le Dialogus duorum monachorum, Idung place-t-il dans la bouche du cistercien l’affirma-tion suivante : Quicquidexpendetisnonnecesariosedsuperfluousu,rapinapauperumest,sicutsuntalbae et manipuli, quibus a minimo usque ad supremum, tam conversi vestri quam monachi, etiam ipsi homicidae, in festis diebus induuntur, quid dunt ista nisi rapina pauperum ? (p. 133-134) ; de même, Abélard met-il en garde les moniales du Paraclet contre le superflu en des termes comparables : Quicquid enim necessitati superest, in rapina possidemus et tot pauperum mortis rei sumus, quot inde sustentare potuimus (Lettres d’Abélard et Héloïse, cit. n. 42, p. 528-529) ; enfin Hélinand de Froidmont, sermon 23 in festo omnium sanctorum i, PL 212, col. 676-678. En général, voir les textes cités par Victor Mortet, « Hugues de Fouilloi, Pierre Le Chantre, Alexandre Neckam et les critiques dirigées au xiie siècle contre le luxe des constructions », Bibliothèque numérique [en ligne] [consulté le 10 mars 2014], disponible sur : http://bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/tires-a-part/064056198 et A. diMier, « Architecture et spiritualité cisterciennes », Revue du Moyen Âge latin, 3, 1947, p. 237-274 (dont les traductions sont parfois très arrangées).

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motifs anciens103, cette polémique contre la curiositas et la superfluitas des édi-fices monastiques (églises, cloîtres et autres bâtiments) doit, dans le contexte du xiie siècle, être reliée à la critique d’un modèle d’économie monastique de type clunisien, impliquant des formes de domination sociale seigneuriale, comme le souligne d’ailleurs très bien son articulation au refus de l’incastellamento – un terme fréquemment employé sous une forme verbale en latin – de ces mêmes édifices, et en particulier des granges, dont est fréquemment stigmatisée la trans-formation en castra et en monuments de la domination seigneuriale des moines104. En effet, ce qui est visé à travers la critique des excès de la construction et de l’or-nementation monastique – par les cisterciens105, mais aussi par certains chanoines réguliers comme Hugues de Fouilloy106, par Abélard107 ou par un théologien sécu-lier comme Pierre le Chantre108 – est à la fois un type d’usage de l’argent, qui le

103. Voir les remarques de Michel Lauwers dans ce volume sur les critiques adressées à Ratgar par les moines de Fulda pour sa libido architectonique et les « édifices immenses et superflus » dont il prétend doter l’abbaye.

104. Sur ce thème qui mériterait d’être approfondi, voir infra n. 108.105. Voir les textes très fameux cités par A. diMier, « Architecture et spiritualité cisterciennes », cit. n. 103,

et étudiés par C. rudolF, « Things of Greater Importance » : Bernard of Clairvaux’s Apologia and the Medieval Attitude Toward Art, University of Pennsylvania Press, Philadelphia, 1990 et « La resistenza all’arte nell’Occidente », dans Arti e storia nel Medioevo, éd. E. Castelnuovo, G. sergi, 4 vol., Turin, 2002-2004, III, p. 49-84 ; M. unterMann, Forma Ordinis. Die mittelalterliche Baukunst der Zisterzienser, Munich, Berlin, Deutscher Kunstverlag, 2001, en part. chap. 1.

106. Hugues de Fouilloy, De claustro animae, II 4 (Utaedificatiofratrumextracohabitationemsaecula-riumfiat,etsitmodesta), dans PL 176, col. 1053.

107. Cf. les instructions pour les moniales de Paraclet : Lettres d’Abélard et Héloïse, cit. n. 42, p. 454-455 et 528-535.

108. Voir son manuel de théologie morale de très large diffusion, Le Verbum Abbreviatum, au chapitre I 84 (Contracuriositatemetsuperfluitatemedificiorum) qui débute par un rappel des exemples de la sim-plicitas antiquorum in constituendis domibus – les cabanes et cavernes des patriarches, jamais mansor ou civis et toujours viator peregrinus ; celles des pères du désert comme Antoine – et des péricopes évangéliques attendues à ce propos, comme Vulpesfoveashabentetvolucrescelinidos,filiusautemhominis non habet ubi capud suum reclinet (Mt 8, 20 ; Lc 9, 58). Plus loin Pierre le Chantre insère un exemplum dont le personnage principal n’est autre que Bernard de Clairvaux (ce n’est évidemment pas un hasard) décrit en train de pleurer à chaudes larmes devant la cabane d’un berger tandis qu’il se remémore le projet primitif de son ordre de n’avoir que des édifices semblables à cette cabane et qu’il confronte ce souvenir à l’adoption progressive d’édifices de pierre, choix attribué dans l’exemplum à la volonté du comte Thibault ; et de conclure que tandis que Dieu était avec les cisterciens dans les premières cabanes, il s’en est éloigné ensuite ; à partir de cet exemplum (qui fait écho à un épisode de la Vita prima évoquant le pape pleurant devant la simplicité de l’église de Clairvaux), l’auteur déve-loppe une critique acerbe de tous les excès de la construction ecclésiatique et notamment monastique financée par les larmes des pauvres (« N’est-il pas vrai que c’est de l’usure et du vol que sont faites les nombreuses officines et granges des monastères ? ») et dont le coût aurait été mieux employé à nourrir les pauvres et libérer les prisonniers ; sans parler des risques auxquels on s’expose en construisant des édifices excitant la convoitise ([…] sedethocmorboedificandiosepeipsireligiosisicutetaliiinstrumento sue offensionis puniuntur. Constructio enim amplarum et pulcrarum domorum invitacio est superborum hostium et grangie eorum pro munimine sepe incastellantur [...]) ou des conséquences détestables du mélange entre lieux sacrés et éléments de construction inappropriés (Item incastel-lanturmultociensecclesie turriteet locaDeosacrataetmultamalaexhacedificatione superflua

coMMe un Poisson dans l’eau… ProPosituM vitae et lieux de vie Monastique 143

multiplie en le répandant dans le luxe et crée la richesse à partir de la richesse109, et un type de fonction sociale des moines dans la société, qui inclut la cura anima-rum. On ne s’étonnera d’ailleurs pas que l’unique justification à l’ornementation picturale des églises concédée par Hugues de Fouilloy, dans le deuxième livre de son traité d’exégèse du cloître souvent intitulé dans la tradition manuscrite De aedificationeclaustrimaterialis, soit précisément – sans doute à la suite de l’Apo-logie de Bernard – leur usage pour l’édification des laïcs illettrés, qui peut motiver le recours à des formes iconiques de substitution à la lecture des textes sacrés110. Or c’est cette cura animarum que les cisterciens, et d’autres avec eux, refusent comme contraires aux sancta monachorum sabbata et à la pureté monastique.

Enfin, en troisième et dernier lieu, si le cadre de vie monastique peut retrou-ver une centralité tant idéelle que matérielle dans ce contexte, c’est aussi parce qu’il est l’objet d’une intense lecture symbolique qui englobe l’ensemble des bâti-ments claustraux, jusque dans le détail de certains bâtiments emblématiques, pour souligner leur contribution à l’intériorité du moine mais aussi – notamment chez les cisterciens – à l’unanimité de la communauté111. Au gré d’une lecture exégé-tique des monuments monastiques selon les divers sens de l’Écriture, le cloître, comparé au temple de Salomon112, devient le symbole de l’édification spirituelle de l’âme, et l’homme intérieur se transforme en cellule. L’idée d’une solitude intérieure garantissant l’isolement et l’édification indépendamment de l’environ-

proveniunt ; iusticia spiritualis minus exercetur, religio minus observatur et fere omnia pervertuntur [...]). Cf. J. W. Baldwin, Masters, princes and merchants : the social views of Peter the Chanter & his circle, Princeton, 1970, vol. 1, p. 66-69 et 256 ; M. unterMann, Forma Ordinis, cit. n. 105, p. 97-98.

109. Bernard, Apologia XII 28 : Sancti Bernardi Opera, III, Tractatus et opuscula, éd. J. leClerCQ, H. M. roChais, Rome, 1963, p. 61-108, en part. p. 105-106. Sur ce texte et en général les positions de Bernard à l’égard de l’esthétique édilitaire monastique, voir C. rudolPh, The things of greater importance : Bernard of Clairvaux’s Apologia and the Medieval Attitude Toward Art, Philadelphia, 1990 et le bilan récent de M. unterMann, Forma Ordinis, cit. n. 105, p. 99-104 ; sur le modèle écono-mique sous-jacent, cf. G. todesChini, Ricchezza francescana. Dalla povertà volontaria alla società del mercato, Bologne, 2004, p. 39-45.

110. Hugues de Fouilloy, De claustro animae, II 4, dans PL 176, col. 1053 : Liceat hoc (si cui licitum essedebeat) illis,qui inurbibusaut invicismorantur,adquosconfluitpopuli frequentia,ut sim-plicitas eorum teneatur delectatione picturae, qui non delectantur subtilitate Scripturae. Nobis autem, qui solitudine delectamur, utilior est equus, aut bos in agro, quam in pariete. Hic satiant oculos videndo, ibi laborant necessitati subveniendo ; sans doute d’après Bernard, Apologia XII 28, éd. cit. n. 110, p. 104-105 : Et quidem alia causa est episcoporum, alia monachorum. Scimus namque quod illi, sapientibus et insipientibus debitores cum sint, carnalis populi devotionem, quia spirituali-bus non possunt, corporalibus excitant ornamentis. Nos vero qui iam de populo exivimus, qui mundi quaeque pretiosa ac speciosa pro Christo reliquimus [...] quorum, quaeso, in his devotionem exci-tare intendimus ?

111. On trouvera de nombreuses indications dans M. Cassidy-welsCh, Monastic Spaces, cit. n. 59, p. 65-71; également L. Pressouyre, « St. Bernard to St. Francis : Monastic Ideals and Iconographic Programs in the Cloister », Gesta, 12, 1973, p. 71-92 et P. Meyvaert, « The Medieval Monastic Claustrum », cit. n. 60, p. 57-58.

112. W. dynes, « The Medieval Cloister as Portico of Solomon », Gesta, 12, 1973, p. 61-69 qui part des développements d’Honorius Augustodunensis (vers 1095-1135), Sicard de Crémone (1160-1215) et Guillaume Durand (1230-1296) mais ne mentionne pas Hugues de Fouilloy.

144 cécile caby

nement extérieur, et son expression par la métaphore monumentale n’apparaissent évidemment pas avec le nouveau monachisme, mais elles sont nettement ampli-fiées par les réformateurs monastiques et canoniaux, entre la fin du xie et le début du xiiie siècle, précisément en lien avec le développement d’une riche exégèse des bâtiments ecclésiastiques à l’aune des bâtiments décrits dans l’Écriture113. En outre, dans ce contexte, la correspondance traditionnelle entre l’âme et la maison – ou temple – de Dieu tend à évoluer en un sens monastique puisque c’est le monastère, voire le cloître au sens technique, qui devient le lieu de l’âme. De ce point de vue, le troisième livre du traité De claustro animae d’Hugues de Fouilloy, consacré ad ea, quae de claustro sunt animae dicenda, constitue un jalon essen-tiel114. L’auteur, en effet, propose chapitre après chapitre une exégèse mystique du carré claustral, contenu dans le mur d’enceinte du monastère (claustri septa) fermé d’une porte qui interdit l’entrée à l’âme vagabonde, mais aussi de toutes les composantes du cloître (les colonnes qui en rythment le périmètre, les bases qui le soutiennent, les quatre murs qui le composent), et des officines qu’il dessert (coadiacentes spiritualis aedificii officinas) en particulier la hospitum domus identifiée à la mens compatiens, le chapitre, le réfectoire avec ses tables, ses ali-ments et ses ustensiles, le dortoir et évidemment l’oratoire115. Au chapitre 7 du troisième livre De claustro animae, l’âme – telle les frères après le chapitre – est invitée à abandonner la quies de la contemplation et à sortir des limites claustrales :

113. h. de luBaC, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, 4 vol. Paris, 1959-1964, chap. 4, p. 41-60 ; D. iogna-Prat, La Maison Dieu, cit. n. 7, p. 575-605, en part. p. 601-602 où sont commentés les sermons de dédicace de Bernard (Bernard de Clairvaux, Sermones in dedicatione ecclesiae, dans Sancti Bernardi Opera, V, éd. J. leClerCQ, H. roChais, Rome, 1968, p. 370-398 ; voir également M. B. Bruun, Parables, cit. n. 92, p. 58-63. Sur la lecture exégétique des espaces monastiques, quelques remarques sans grande nouveauté dans M. rainini, « Disposizioni e ordinamenti simbolici degli spazi monastici », Rivista di storia del Cristianesimo, 7, 2010/2, p. 365-390.

114. Hugues de Fouilloy, De claustro animae, éd. PL 176, col. 1017-1182. On soulignera que si l’opus-cule jouit globalement d’un énorme succès, le livre III, qui circule très souvent seul dans la tradition manuscrite, est particulièrement prisé : je n’ai pas pu consulter I. goBry, Hugonis de Folieto « De claustro animae », thèse complémentaire pour le doctorat ès lettres présentée devant la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Paris, 2 vol. Paris, Service de reproduction des thèses de l’Université de Paris, 1965 qui propose une édition critique du livre III restée inédite.

115. Hugues de Fouilloy, De claustro animae, III 1-6 et 8-10, dans PL 176, col. 1085-1094 et 1095-1113. Les chapitres III 11-29, ibid., col. 1113-1130, développent la comparaison avec le portique de Salomon et la construction du Temple. Quant au livre IV, il est consacré à la Jérusalem céleste présentée comme le modèle du cloître terrestre en particulier aux chapitres 29 (De claustro coeles-tis Hierusalem) à 36 où est explicité le sens anagogique des diverses composantes du monastère (par ex. IV 29, ibid. col. 1167 : In coelesti Hierusalem claustrum perfectae beatudinis ponitur, quod quatuorgeneralibusofficinisundiquemunitur.Inunosiquidemlatereponituroratorium,inaliocel-larium,intertiorefectorium,inquartodormitorium,utores,utabundes,utreficiaris,utquiescerepossis. Pax aeterna per similitudinem quasi oratorium dicitur, quia qui vincula seu carcerem hujus mundi evaserunt, ad illud confugiunt ut salventur. Hic oratorio perfectae pacis jungitur cellarium abundantiae divinae suavitatis. Cellarium vero abundantiae divinae divinitatis sequitur refectorium satietatis aeternae. Sed licet in pace sis, licet abundes divitiis, licet fruaris ad libitum possessis ; nihil tamen proderit, nisi quiescas in dormitorio tranquillae mentis) et du carré claustral (colonnes, carré, pré central, crucifix en son centre).

coMMe un Poisson dans l’eau… ProPosituM vitae et lieux de vie Monastique 145

laissant momentanément la quies, il s’agit de répondre aux nécessités corporelles par le travail agricole, dont les détails donnent lieu, à leur tour, à des développe-ments allégoriques qui mériteraient d’être approfondis116. De fait, par delà cette œuvre singulière, la lecture spiritualisée et intériorisée des cadres de vie et de leurs rituels de fondation – notamment sous forme de fondations ou de consé-crations oniriques soulignant l’analogie entre le cloître matériel et la Jérusalem céleste117 – englobe également, dans la littérature monastique et canoniale du xiie siècle, le cercle plus large des patrimoines qui, par la force juridique d’actes de vente, d’échange, d’expulsion, de bornage ou de mise en défens118, mais aussi par l’efficacité des récits ou des représentations figurées119, dessinent les contours

116. Ibid., III 7, dans PL 176, col. 1094-1095 : Post capitulum ad laborem manuum fratres egredi solent : sic post quietem contemplationis egreditur animus ad providendum laborem corporeae necessita-tis […].

117. L’un des plus fameux de ces songes concerne précisément le site de la nouvelle abbaye de Clairvaux (reconstruite à partir de 1135) où un novice « fut conduit dans une vision nocturne à ce lieu même où les bâtiments sont maintenant construits ; et celui qui l’avait conduit et qui tenait en main une canne à mesurer prescrivait que l’oratoire et le dortoir fussent bâtis de telle et telle manière » : Geoffroy d’Auxerre, Notes sur la vie et les miracles de Saint Bernard. Fragmenta i, i 30, éd. et trad. Fr. R. Fassetta, dans SC, 548, Paris, 2011, p. 130-131. Ce type de récit eut un succès durable, y compris dans les ordres mendiants, cf. C. CaBy, « Couvents et espaces religieux chez Géraud de Frachet et Bernard Gui. Une topographie légendaire des origines dominicaines ? », dans Moines et religieux dans la ville (xiie-xve siècles), Toulouse, 2009 (Cahiers de Fanjeaux 44), p. 357-388 et ead., « Constructions et sacralisation des espaces conventuels dans l’ordre des frères Prêcheurs (xiiie-début xive siècle) », dans Lieux sacrés et espace ecclésial (ixe-xve siècle), Toulouse, 2011 (Cahiers de Fanjeaux, 46), p. 131-171.

118. Cf. les travaux de S. Excoffon sur les déserts chartreux (en part. S. exCoFFon « Les chartreuses et leurs limites, xie-xve siècle », dans Construction de l’espace au Moyen Âge : Pratiques et représentations. xxxviiecongrèsdelaSHMES,Mulhouse,2-4juin2006, Paris, 2007, p. 87-101), mais surtout ceux de Martha newMan (TheBoundariesofCharity:CistercianCultureandEcclesiasticalReform,1098-1180, Stanford, 1996, en part. p. 67-96) qui, sans pour autant minimiser la matérialité des pratiques agricoles cisterciennes et leur effets économiques (pas plus d’ailleurs qu’on ne pourrait nier les effets monumentaux des refus cisterciens en matière de construction monastique), a souligné de façon extrê-mement convaincante le parallélisme entre d’une part la manipulation et la transformation progressive des propriétés laïques, avec leurs droits et leurs revenus, en domaines monastiques compacts virtuel-lement déconnectés de la société voisine et exploités par le travail des moines, de leurs convers ou de leurs salariés et, d’autre part, la transformation intérieure des moines. De même que les terrains acquis par les cisterciens doivent être libérés de tout usage séculier et de toute contamination du monde, les moines doivent se libérer de toute distraction séculière et de tout lien avec le monde ; à ce propos voir également M. B. Bruun, Parables, cit. n. 92, p. 76-78.

119. Il faudrait reprendre dans cette optique la question de la vagandi voluptas ou, à l’inverse, de la pérennité de clôture en esprit, en dépit de son interruption corporaliter, de la part des convers (cf. M. Cassidy-welsCh, Monastic Spaces, cit. n. 59, p. 175-180) mais surtout des moines chargés des exteriora, cf. Galand de Régny, Parabolaire, éd. C. Friedlander, J. leClerCQ, G. raCiti, dans SC, 378, Paris, 1992, 5 (les moines qui demeurent dans le cloître et ceux qui ont des obédiences), p. 103-113, également cité dans J. leClerCQ, Otia monastica, cit. n. 75, p. 165-169 ou Exordium magnum IV 13 (Conradus abbas Eberbacensis, Exordium Magnum Cisterciense siue Narratio de initio Cisterciensis Ordinis, éd. B. griesser, Turnhout, 1994 ; traduction Conrad d’Eberbach, Le Grand Exorde de Cîteaux : ou récit des débuts de l’ordre cistercien, traduit du latin par A. PiéBourg, Turnhout, 1998, p. 238) sur le désespoir d’un convers que son maître grangier a assigné au contrôle de la grange, ce qui lui interdit de se rendre à l’abbaye pour célébrer une fête mariale, mais dont

146 cécile caby

d’un territoire placé hors des logiques du siècle, que le droit tend d’ailleurs à doter d’un statut de sacralité comparable à celui des atria ecclesiarum120.

En définitive, plus sans doute que par l’invention d’un modèle d’architecture monastique radicalement nouveau et que l’on pourrait attribuer à un promoteur unique – le mythique « plan bernardin » des cisterciens121 –, c’est par l’exalta-tion de la clôture monastique comme cadre exclusif de la vraie vie monastique (contre l’instabilitas érémitique et l’ouverture aux laïcs des églises clunisiennes) et à travers l’apologie du désert construit du cloître et des domaines monastiques comme seul cadre authentique de la solitude, que les discours réformateurs du xiie siècle, et en premier lieu ceux des cisterciens, contribuent à conférer une fonc-tion déterminante au cadre architecturé du monastère – jusque dans le détail de son agencement centré autour du cloître – dans la définition du propositum monas-tique comme idéal communautaire. Un propositum monastique que les cisterciens entendent libérer dans le même temps des effets pervers de la fonction pastorale des moines et de la logique thésaurisatrice d’une économie monastique de type seigneurial, qui avait soutenu la construction des basiliques de Saint-Denis ou de Cluny, mais aussi la transformation des prieurés en bourgs castraux.

l’intensité de la prière est telle que Bernard en a la révélation, ce dont les frères quos obedientia tam festiuis quam priuatis diebus frequenter in diuersa opera trahebat se réjouissent, sûrs désormais que sicut saepta claustri et parietes templi sanctum non faciunt timorem Domini negligentem, sic etiam negotia, quae causa terrenae necessitatis obedientia iniunxerit, nihil obesse poterunt puras manus in oratione leuanti pura que conscientia Domino seruire cupienti. Sur les représentations figurées, voir la contribution de U. kleine dans ce volume, en part. ses remarques sur la figure de Zwettl.

120. Voir les termes de la confirmation de l’observance, des coutumes et des privilèges de Prémontré par Innocent III (Die Register Innocenz III., I. Pontifikatsjahr, 1198-1199, éd. O. hageneder, A. haidaCher, Cologne, 1964, nº 331, p. 481-487 : De cetero quoniam a strepitu et tumultu secularium remoti pacem et quietem diligitis, grangias vestras et curtes, sicut et atria ecclesiarum, a pravorum incursu et violentia libera fore sancimus, prohibentes ut nullus ibi hominum capere, spoliare, verbe-rareseuinterficereautfurtumvelrapinamcommitteretaudeat ; un formulaire immédiatement repris par les premières codifications cisterciennes de 1202 (B. luCet, Lacodificationcisterciennede1202et son évolution ultérieure, Rome, 1964, IV 11, p. 55).

121. Sur ce point, voir le bilan historiographique et la mise au point de M. unterMann, Forma Ordinis, cit. n. 105, passim.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Première partie. Modèles, représentation, figures

Lieux, espaces et topographie des monastères de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge : réflexions à propos des règles monastiques Tab. 1. Principales règles monastiques occidentales entre le ve et le viie siècle. ……………………… 17Tab. 2. Structures monastiques évoquées dans les principales règles étudiées. ……………………… 19Fig. 1. Müstair, monastère Saint-Jean. Planimétrie du complexe monastique. ……………… 41

Circuitus et figura. Exégèse, images et structuration des complexes monastiques dans l’Occident médiéval (ixe-xiie siècle) Fig. 1. Propositions de restitution du site monastique de Jumièges

à partir de la description de la Vie de Philibert. ……………………………………………… 56Fig. 2. Proposition de restitution du complexe monastique de Fontenelle

à partir des Gestes des abbés de Fontenelle. …………………………………………………… 59Fig. 3. Gravure représentant le complexe monastique de Centula / Saint-Riquier. …………………… 61Fig. 4. Reconstitution du complexe monastique de Saint-Vincent au Volturne,

en Italie centrale, au ixe siècle. ………………………………………………………………… 62Fig. 5. Plan de Saint-Gall, ms. Saint-Gall, Stiftsbibliothek 1092. …………………………………… 65Fig. 6. Plan de Saint-Gall, ms. Saint-Gall, Stiftsbibliothek 1092. Détail : le cloître. ………………… 71Fig. 7. Détail du Plan de Saint-Gall, secteur occidental,

avec indication des accès et lieux de filtrage ou répartition des visiteurs……………………… 73Fig. 8. Image du Tabernacle dans le Codex Amiatinus (monastère de Jarrow, viiie siècle).

Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, ms. Amiatinus 1, f. 2v-3r. ……………………… 76Fig. 9. Image de l’église du sépulcre du Christ, à Jérusalem, dans le traité d’Adomnan, De locis

sanctis. Zurich, Zentralbibliothek, Codex Rhenaugensis 73, f. 5r (début ixe siècle). ………… 81Fig. 10. Image de la basilique du mont Sion, à Jérusalem, dans le traité d’Adomnan, De locis sanctis.

Zurich, Zentralbibliothek, Codex Rhenaugensis 73, f. 9v (début ixe siècle). ………………… 82Fig. 11. Image de l’église de l’Ascension, à Jérusalem, dans le traité d’Adomnan, De locis sanctis.

Zurich, Zentralbibliothek, Codex Rhenaugensis 73, f. 12r (début ixe siècle). ………………… 82Fig. 12. Image de l’église de Sichem, au Puits de Jacob, dans le traité d’Adomnan, De locis sanctis.

Zurich, Zentralbibliothek, Codex Rhenaugensis 73, f. 18v (début ixe siècle). ………………… 82Fig. 13. Colophon du Livre de Mulling (fin viiie ou début ixe siècle).

Dublin, Trinity College Library, ms. 60, f. 94v. Le colophon, très effacé, est ici retouché pour le faire ressortir. ………………………………………………………… 84

Fig. 14. Schéma de consécration d’église (xe siècle). Angers, Bibliothèque municipale, ms. 477 (461), f. 9r. ……………………………………… 85

Fig. 15. Schéma de l’abbaye de Cluny réalisé à partir des mesures données (en pieds) dans le Liber tramitis (1re moitié xie siècle). ………………………………………………………………… 93

Fig. 16. Gunzo voyant en songe des saints mesurer le plan de la nouvelle église de Cluny (fin xiie ou xiiie siècle). Paris, BnF, ms. latin 17716, f. 43r. …………………………………… 94

Fig. 17. Plan de la triple enceinte du complexe du Temple de Jérusalem (3e quart xiie siècle). Paris, BnF, ms. latin 14516, f. 211v. …………………………………………………………… 95

Fig. 18. Plan de l’atrium du Temple (3e quart xiie siècle). Paris, BnF, ms. latin 14516, f. 212r. ……… 95

612 Table des illusTraTions

Fig. 19. Plan de l’ensemble du complexe : Temple, atrium et portiques (3e quart xiie siècle). Paris, BnF, ms. latin 14516, f. 213r. …………………………………………………………… 96

Fig. 20. Plan de l’intérieur du Temple (3e quart xiie siècle). Paris, BnF, ms. latin 14516, f. 244v. …… 96Fig. 21. Plan en élévation du portique d’entrée du complexe du Temple (3e quart xiie siècle).

Vue de face. Paris, BnF, ms. latin 14516, f. 240r. ……………………………………………… 96Fig. 22. Plan en élévation du portique d’entrée du complexe du Temple (3e quart xiie siècle).

Vue de côté. Paris, BnF, ms. latin 14516, f. 240v. …………………………………………… 96Fig. 23. Plan du complexe de Christchurch, Canterbury, dans le Psautier d’Eadwine.

Cambridge, Trinity College, Cambridge, ms. R.17.1, f. 284v-285r. ………………………… 98Fig. 24. Plan du complexe de Christchurch, Canterbury. Cambridge, Trinity College,

ms. R.17.1, f. 284v-285r. Détail : au-delà de l’enceinte, les champs, les vignes et les arbres fruitiers. ……………………………………………………………… 99

Fig. 25. Plan du complexe de Christchurch, Canterbury. Cambridge, Trinity College, ms. R.17.1, f. 284v-285r. Détail : le vestiarium. ………………………………………………100

Fig. 26. Plan du complexe de Christchurch, Canterbury. Cambridge, Trinity College, ms. R.17.1, f. 284v-285r. Détail : l’aula nova. …………………………………………………100

Fig. 27. Image du monastère de Vivarium dans une copie des Institutiones de Cassiodore (viiie siècle). Bamberg, Staatsbibliothek, ms. Patr. 61, f. 29v. …………………………………103

Fig. 28. Image du monastère de Vivarium dans une copie des Institutiones de Cassiodore (ixe siècle). Kassel, ms. Hess. Landesbibl. Ms. Theol. 2° 29, f. 27v. ………………………………………104

Fig. 29. Tympan de l’église abbatiale de San Clemente a Casauria (dernier quart du xiie siècle). ……………………………………………………………………105

Fig. 30. Tympan de l’église abbatiale de San Clemente a Casauria. Détail du linteau : l’église abbatiale-île entourée de cours d’eau. …………………………………………………106

Fig. 31. Tympan de l’église abbatiale de San Clemente a Casauria. Détail du linteau : dons et bénédiction du monastère-île. …………………………………………………………107

Fig. 32. Porche occidental de l’église abbatiale de San Clemente a Casauria, portes de bronze (fin xiie siècle) : images des possessions monastiques symbolisées par des castra. ……………108

La terre vue par les moines. Construction et perception de l’espace dans les représentations figurées de la propriété monastique : Marmoutier (Alsace) et Zwettl (xiie-xive siècle) Fig. 1. Gilbert de Limerick, De statu ecclesiae : représentation de l’ecclesia universalis (vers 1185). 148Fig. 2. Charte-plan de Marmoutier (vers 1142), copie du xviiie siècle. ………………………………154Fig. 3. Charte-plan de Sindelsberg, exemplaire A (1146). ……………………………………………157Fig. 4. Miniature centrale du plan de Sindelsberg, exemplaire A. ……………………………………158Fig. 5. Carte des possessions enregistrées par le plan de Sindelsberg. ………………………………159Fig. 6. Charte-plan de Sindelsberg, exemplaire B (1146). ……………………………………………160Fig. 7. Circulus magnus représentant les biens de fondation de Zwettl,

Liber fundatorum (“Bärenhaut”) (1326-1329). ………………………………………………173Fig. 8. Carte des biens de la dotation et des acquisitions de Zwettl jusqu’en 1159. …………………175

Les représentations des pêcheries de Maguelone, Saint-Gilles et Lérins ou les usages de la figura dans les milieux ecclésiastiques du milieu du xive siècle à la fin xve siècle Fig. 1a. Plan des étangs de Mauguio, milieu du xive siècle, parchemin. ………………………………186Fig. 1b. Maniguières et marque de validation (?). Détail du plan des étangs de Mauguio (fig. 1a). …190Fig. 2. Plan de l’étang de Scamandre, copie c. 1612 d’un original c. 1479, papier. …………………197Fig. 3a. Figure de la mer de Lérins. Détail de la consultation de François Gaufredi,

milieu du xve siècle, papier. ……………………………………………………………………201Fig. 3b. Figures de la mer de Lérins. Détail de la consultation de Jean Flote,

seconde moitié du xve siècle, papier. …………………………………………………………201

MonasTères eT espace social 613

Deuxième partie. lieux, CirCulation, HiérarCHie

L’organisation spatiale des grands monastères d’Irlande médiévaleFig. 1. Carte de l’Irlande : noms de lieux mentionnés. ………………………………………………213Fig. 2. Division de l’espace dans les monastères d’Inishmurray et de Reask. …………………………218Fig. 3. Les enceintes des monastères de Nendrum et de Clonfad. ……………………………………220Fig. 4. Plan d’Armagh et de Kildare. …………………………………………………………………221Fig. 5. Plan de Kildare d’après la Vita Brigitae de Cogitosus …………………………………………224

La règle et le projet. Réflexions sur la topographie du monastère de Saint-Vincent au Volturne à l’époque carolingienneFig. 1. Vue (de l’est) de la plaine de Rocchetta et du site de Saint-Vincent au Volturne ……………227Fig. 2. Situation de Saint-Vincent au Volturne dans la géographie de l’Italie méridionale. …………228Fig. 3. Chronicon Vulturnense (Bibliothèque Apostolique Vaticane, cod. Barb. lat. 2724, f. 9v) :

le moine chroniqueur Jean implore la protection du Christ pour son œuvre. …………………229Fig. 4. La Méditerranée centrale vers 830 et la situation de Saint-Vincent au Volturne. ………………230Fig. 5. Planimétrie générale de l’aire archéologique de Saint-Vincent au Volturne. …………………232Fig. 6. Saint-Vincent au Volturne : les bâtiments monastiques avant la construction

de la basilique majeure (dernier quart du viiie siècle). …………………………………………232Fig. 7. Restitution de la partie nord du claustrum principal vers 850.

Sur la gauche, les galeries ouest et nord ; sur la droite, le lavatorium. …………………………233Fig. 8. Restitution de l’intérieur du réfectoire monastique au début du ixe siècle ……………………234Fig. 9. Restitution de la « salle des prophètes » au début du ixe siècle. ………………………………234Fig. 10. Reconstitution virtuelle de la « cour-jardin » située entre le réfectoire

et l’« église méridionale », vers 850. …………………………………………………………235Fig. 11. La crypte annulaire de la basilique majeure de Saint-Vincent (1re-2e décennie du ixe siècle). …236Fig. 12. Planimétrie de la basilique majeure et de la zone des ateliers,

dans les vingt premières années du ixe siècle. …………………………………………………238Fig. 13. Le complexe de Saint-Vincent mineur au milieu du ixe siècle,

avec indication des structures préexistantes. …………………………………………………239Fig. 14. Dessin reproduisant le Plan de Saint-Gall, avec indication

des différents secteurs fonctionnels. …………………………………………………………240Fig. 15. L’abbaye de Saint-Gall après la reconstruction de l’église abbatiale par l’abbé Gozbert

(vers 830). Planimétrie schématique avec indication de la distribution des différents édifices ecclésiaux. ……………………………………………………………………………242

Fig. 16. Vue de l’île de Reichenau. ……………………………………………………………………243Fig. 17. Planimétrie générale de l’abbaye de Saint-Denis vers 870. ……………………………………243Fig. 18. Planimétrie générale de l’abbaye de Müstair vers 820. ………………………………………243Fig. 19. Reconstitution de la planimétrie de la zone claustrale

de l’abbaye de Centula / Saint-Riquier vers 800. ………………………………………………244Fig. 20. Reconstitution des itinéraires processionnels

au sein de l’abbaye de Centula / Saint-Riquier. A. Frisetti. ……………………………………244Fig. 21. Planimétrie du palais carolingien d’Aix-la-Chapelle, dans la première décennie du ixe siècle. 246Fig. 22. Reconstitution axonométrique des restes du palais carolingien d’Ingelheim. …………………247Fig. 23. Reconstitution volumétrique du palais carolingien de Paderborn vers 840.……………………247Fig. 24. Le palais pontifical du Latran à l’époque carolingienne ………………………………………248Fig. 25. Distribution des bâtiments et des parcours au sein du palais impérial de Constantinople. ……249Fig. 26. Le palais impérial de Ravenne à l’époque de Théodoric. ………………………………………250Fig. 27. L’église abbatiale de Fulda vers 830. …………………………………………………………250Fig. 28. Reconstitution planimétrique de l’abbaye de Cluny à l’époque de l’abbé Odilon :

Cluny II, début du xie siècle. …………………………………………………………………251Fig. 29. Planimétrie idéale d’un monastère cistercien (xiie siècle). ……………………………………253

614 Table des illusTraTions

L’établissement et l’histoire de l’abbaye de Novalaise Fig. 1. Schéma des routes menant de Turin vers la France à travers la vallée de Suse

et les cols du Montcenis et du Montgenèvre. …………………………………………………255Fig. 2. Le Val Cenischia avec l’abbaye au premier plan. ………………………………………………256Fig. 3. Topographie de l’abbaye, plan schématique. …………………………………………………256Fig. 4. La chapelle Saint-Eldrade, vue vers la vallée de Suse. …………………………………………256Fig. 5. Turin, Archivio di Stato, Museo Storico dell’Archivio : acte de fondation de l’abbaye de

Novalaise (30 janvier 726) (Corte, Abbazie, Novalesa, mazzo 1, n. 1). ………………………257Fig. 6. L’église abbatiale, état de la fouille en 1981. …………………………………………………259Fig. 7. Les possessions de l’abbaye d’après le testament d’Abbon. …………………………………260Fig. 8. Novalaise, Musée : détail d’une stèle funéraire romaine (ier-iie siècle). ………………………262Fig. 9. Novalaise, Musée : bloc de corniche d’un monument funéraire (ier siècle),

remployé comme mensa ponderaria. ……………………………………………………………262Fig. 10. Cour, aile ouest du cloître : restes des édifices antérieurs à la phase carolingienne.……………263Fig. 11. Novalaise, Musée : peigne en os (vie-viie siècle). ………………………………………………264Fig. 12. Susa, Museo Diocesano di Arte Sacra : reliquiaire en os (viie siècle). …………………………264Fig. 13. Vue aérienne de l’abbaye. Au fond, le village de Novalaise. …………………………………266Fig. 14. Vue aérienne de l’abbaye. ………………………………………………………………………267Fig. 15. Église abbatiale et cloître : plan des fouilles (1978-2007),

avec indication des phases préromanes et romanes. ……………………………………………268Fig. 16. Abbatiale, collatéral sud de l’église romane : vestiges du mur sud de l’église du viiie siècle. …268Fig. 17. Chapelle Sainte-Marie, chevet, mur oriental. …………………………………………………268Fig. 18. Abbatiale : plan schématique et restitution de la phase romane. ………………………………270Fig. 19. Abbatiale, mur périmétral nord : vestiges de la phase romane. ………………………………270Fig. 20. Abbatiale : vestiges de la chapelle Sainte-Trinité. ……………………………………………271Fig. 21. Abbatiale, fouille de la nef centrale : à droite, mur de façade du viiie siècle ;

au centre, mur de la façade romane ; à gauche, piliers de l’avant-nef. …………………………272Fig. 22. Abbatiale, plan de l’avant-nef : position des sépultures. ………………………………………272Fig. 23. Intérieur de l’abbatiale, après les restaurations. ………………………………………………273Fig. 24. Chapelle Sainte-Marie, vue du nord-ouest. ……………………………………………………275Fig. 25. Plan des différentes phases de la chapelle Sainte-Marie. ……………………………………275Fig. 26. Chapelle Sainte-Marie, intérieur : structures antérieures à la chapelle. ………………………275Fig. 27. Chapelle Sainte-Marie, vue du sud-est. ………………………………………………………275Fig. 28. Chapelle Saint-Michel, vue du sud-ouest. ……………………………………………………276Fig. 29. Chapelle Saint-Eldrade, vue du nord-est. ………………………………………………………277Fig. 30. Plan des différentes phases de la chapelle Saint-Eldrade. ……………………………………277Fig. 31. Chapelle Saint-Eldrade : abside. ………………………………………………………………277Fig. 32. Chapelle Saint-Eldrade, vue du nord-ouest. ……………………………………………………277Fig. 33. Chapelle Saint-Sauveur, vue du sud-est. ………………………………………………………279Fig. 34. Chapelle Saint-Sauveur : intérieur. ……………………………………………………………279Fig. 35. Chapelle Saint-Sauveur et avant-corps : vue du nord. …………………………………………279Fig. 36. Plans comparés des chapelles : 1. Chapelle au nord de l’église abbatiale ;

2. Saint-Michel ; 3. Sainte-Marie ; 4. Saint-Eldrade. …………………………………………280Fig. 37. Cloître, galerie nord. ……………………………………………………………………………283Fig. 38. Réfectoire : vestiges du réfectoire carolingien. …………………………………………………283Fig. 39. Réfectoire roman, relevé du plan et des élévations. …………………………………………284Fig. 40. Réfectoire roman : photographies redressées des parois. ………………………………………285Fig. 41. Réfectoire roman : restitution axonométrique. …………………………………………………286

Circulation et hiérarchie au sein des établissements monastiques : à propos de MarmoutierFig. 1. La localisation du monastère de Marmoutier et des habitats de la rive droite

de la Loire, face à Tours. ………………………………………………………………………289Fig. 2. Plan général du monastère à la fin du xviiie siècle. ……………………………………………291Fig. 3. Marmoutier en 1811 ; D : bâtiments détruits après cette date. …………………………………292

MonasTères eT espace social 615

Fig. 4. Le monastère de Marmoutier sur la vue de Siette, 1619 ………………………………………294Fig. 5. Vue cavalière du monastère de Marmoutier, dessinée du sud, extraite du Monasticon

Gallicanum, gravure du xviie siècle (après 1638), planche 162. ………………………………294Fig. 6. Vue cavalière du monastère de Marmoutier, dessinée de l’est, 1699. …………………………295Fig. 7. Marmoutier, le portail méridional dit portail de la Crosse, vu du sud. …………………………299Fig. 8. Plan du xviiie siècle de la rive droite de la Loire à hauteur de Marmoutier

et du bourg de Sainte-Radegonde. ……………………………………………………………300Fig. 9. Marmoutier, reconstitution de la topographie au début du xie siècle. …………………………305Fig. 10. Marmoutier, plan des trois églises abbatiales. …………………………………………………307Fig. 11. Marmoutier, plans des bâtiments de l’Antiquité et du haut Moyen Âge

sous-jacents aux églises abbatiales des xe-xive siècles. ………………………………………308Fig. 12. Marmoutier, le Repos de saint Martin intégré au bras nord du transept

de l’église abbatiale des xiiie-xive siècles. ……………………………………………………310Fig. 13. Marmoutier, le coteau et la tour des cloches, vus du sud. ……………………………………319Fig. 14. Marmoutier, les principaux états des constructions identifiées à des bâtiments d’accueil. ……326Fig. 15. Marmoutier, les lieux de culte et la restitution du cimetière Saint-Nicolas. ……………………333

Circulation et hiérarchie au sein des établissements monastiques médiévaux : à propos de la grande galerie de l’abbaye de Saint-Claude (Jura)Fig. 1. Plan de l’abbaye de Saint-Claude vers 1750. …………………………………………………354Fig. 2. Vue depuis l’ouest du grand cloître de Saint-Claude en cours de fouille. ……………………355Fig. 3. Saint-Claude, relevé en plan de la galerie et des tombes associées :

phase xie s. / 1re moitié du xiie s. ………………………………………………………………357Fig. 4. Saint-Claude, détail du premier sol de terre battue de la galerie marqué

d’une dépression longitudinale. ………………………………………………………………357Fig. 5. Saint-Claude, détail de la maçonnerie romane du grand cloître (parement interne)

avec ses joints tirés au fer. ……………………………………………………………………358Fig. 6. Saint-Claude, détail du décor en pietra rasa de l’enduit externe du grand cloître. ……………358Fig. 7. Saint-Claude, relevé pierre à pierre des élévations nord et sud du segment fouillé

de la galerie : identification et phasage des baies ………………………………………………358Fig. 8. Plan du sous-sol du palais abbatial dans la première moitié du xviiie s.. ………………………359Fig. 9. Proposition de restitution en 3D de la grande galerie au xiie s., vue depuis le nord-est. ………359Fig. 10. Saint-Claude, détail des tombes maçonnées le long du mur nord de la galerie. ………………360Fig. 11. Restitution de la file de tombes au pied du mur nord de la galerie. ……………………………361Fig. 12. Proposition de restitution en 3D de la grande galerie au xie s., vue depuis le sud-ouest. ………364Fig. 13. Galerie de Gemiler Ada. ………………………………………………………………………365Fig. 14. a. Galerie d’Alahan monastir. b. Galeries de Saint-Denis. ……………………………………366Fig. 15. Restitution de la topographie des sanctuaires de l’abbaye de Saint-Claude au xiie s. ;

superposition et ajustement du plan de l’abbaye du xviiie s. sur le plan cadastral actuel. ……366Fig. 16. a. Plan et vue cavalière de Saint-Riquier. b. Galerie de San Vincenzo al Volturno. ……………367Fig. 17. a. Galerie de Wearmouth. b. Galerie de Saint-Alban …………………………………………369Fig. 18. Prieuré Saint-Pierre de Carluc (Alpes de Haute-Provence, France),

galerie semi-rupestre vue depuis le sud. ………………………………………………………370Fig. 19. a. Galerie de la Charité-sur-Loire. b. Galerie de Cluny (plan anonyme de 1700).

c. Galerie-cryptoportique d’Aoste ……………………………………………………………371Fig. 20. Galerie de Saint-Claude dans le sous-sol archéologique du Musée de l’Abbaye. ……………374

L’abbaye de Cluny et l’évolution de l’architecture claustrale entre le xie et xviiie siècleFig. 1. Plan anonyme de 1700 (environ), copie de M.-N. Baudrand, 1998. …………………………388Fig. 2. Plan de Philibert fils de 1790, copie de M.-N. Baudrand, 1998. ………………………………389Fig. 3. Extrait du plan anonyme de 1700. DAO à partir du plan original. ……………………………391Fig. 4. Restitution hypothétique du claustrum de l’abbaye Saint-Pierre de Cluny,

état xiiie-milieu xviie siècle. ……………………………………………………………………396Fig. 5. Abbaye de Cluny, galerie est-ouest au nord des bâtiments conventuels. ……………………399

616 Table des illusTraTions

L’organisation spatiale à Fontevraud vers la fin du xiie siècleFig. 1. Plan général de Fontevraud au milieu du xviiie siècle, montrant les rapports

entre les différents monastères d’après le plan conservé au Centre Culturel de Fontevraud. …402Fig. 2. Vue générale du site prise du sud.………………………………………………………………404Fig. 3. Plan de l’abbatiale et des différents secteurs d’inhumation. ……………………………………405Fig. 4. Vue de l’intérieur de l’abbatiale ; l’opposition entre le chœur et la nef est bien marquée. ……407Fig. 5. Plan du Grand-Moûtier et des infirmeries. ……………………………………………………409Fig. 6. Ailes sud et ouest du grand cloître. ……………………………………………………………413Fig. 7. Vue de la cuisine et du réfectoire. ………………………………………………………………415Fig. 8. Restitution du plan de l’aile sud du Grand-Moûtier vers la fin du xiie siècle. …………………416Fig. 9. Plan de Saint-Lazare. …………………………………………………………………………421Fig. 10. Plan de Sainte-Marie-Madeleine et de Saint-Jean-de-l’Habit. …………………………………423

Troisième partie. espaCes, fonCtions, environneMent

Nihil operi Dei praeponatur. À propos des premières étapes de la construction des monastères bénédictinsFig. 1. Le monastère bénédictin de Saint-Jean à Müstair, vu de l’ouest. ………………………………428Fig. 2. Müstair, monastère Saint-Jean. Église et partie orientale du carré claustral carolingien. ……429Fig. 3. Schaffhouse, monastère sancti Salvatoris, situation initiale : la baraque à côté de l’église

conventuelle en construction. Le point gris indique la position de la Urständkapelle. ………430Fig. 4. Schaffhouse, plan du couvent sancti Salvatoris. La chapelle à trois absides (Urständkapelle)

à la tête de la cour trapézoïdale (cour de la Sainte-Croix ) fut consacrée par le pape Léon IX le 22 novembre 1049. ……………………………………………………431

Fig. 5. Au milieu, sur la droite, l’abbaye de Marienberg (Vinschgau). À la même hauteur, à gauche, la chapelle Saint-Étienne. Au premier plan, le château de Fürstenberg, construit par l’évêque Conrad de Coire (1272-1282). Vue depuis la route du col de Resia. …………………………432

Espaces monastiques sacrés et profanes à Hamage (Nord), viie-ixe sièclesFig. 1. Hamage et les monastères mérovingiens de la vallée de la Scarpe. …………………………436Fig. 2. Le secteur de Marchiennes et de Hamage vers 1734. La carte met bien en valeur la place

prépondérante des marais et des bois. …………………………………………………………439Fig. 3. Essai de restitution des “domaines primitifs” de Marchiennes et de Hamage.…………………441Fig. 4. L’ « îlot » de Hamage, les chemins anciens et les occupations antiques et haut médiévales. …443Fig. 5. Hamage, « Le Champ Bailly », un témoin d’activité sidérurgique :

scories externes coulées issues de bas fourneaux. ……………………………………………446Fig. 6. Hamage, « Rue du Chemin de Halage », « débarcadère » carolingien,

amas de cailloux et de déchets domestiques stabilisés par des piquets de bois. ………………447Fig. 7. Hamage, « Rue du Chemin de Halage », patins à glace en os, certains à l’état d’ébauche. ……448Fig. 8. Hamage, cloître. Témoins d’artisanat verrier. …………………………………………………450Fig. 9. Vignette représentant l’église paroissiale Saint-Pierre

et l’église Sainte-Marie de Hamage au xvie s. …………………………………………………454Fig. 10. L’église Sainte-Marie de Hamage dans son état du viiie s., plan et essai de restitution.

L’annexe nord correspond très vraisemblablement au locellus où étaient déposées les reliques de sainte Eusébie. ……………………………………………………………………455

Fig. 11. L’angle sud-ouest de la clôture monastique dans la seconde moitié du viie s. À l’intérieur de la palissade, les seuls bâtiments identifiés sont de petite taille (cellules ?), bâtis sur poteaux de bois ou sur solins de pierre. ………………………………………………460

Fig. 12. Hamage, plan général de synthèse de l’enclos monastique. ……………………………………461Fig. 13. Hamage, essai de restitution de l’angle sud-ouest de l’enclos monastique

dans la seconde moitié du viie s. ………………………………………………………………462Fig. 14. Hamage, extrémité orientale de l’enclos monastique (fouille 2002). Palissade de la clôture

mérovingienne et base de l’enclos palissadé carolingien. ……………………………………464

MonasTères eT espace social 617

Fig. 15. Hamage, « Les Champs de Hamage », section de l’agglomération laïque haut médiévale et palissade de l’enclos carolingien. ……………………………………………………………465

Fig. 16. Hamage « Rue du Chemin de Halage », plan général avec le « débarcadère et la palissade de l’enclos carolingien. Répartition des poteaux par diamètre. ………………467

Fig. 17. Hamage « Rue du Chemin de Halage », alignement des poteaux de l’enclos carolingien. ……468Fig. 18. Hamage, croquis de synthèse de l’environnement de l’enclos monastique

et proposition de restitution de l’enclos palissadé carolingien. ………………………………470

La mise en défense des établissements religieux à l’époque caroligienne : les exemples de Saint-Hilaire de Poitiers (Vienne) et de Saint-Maixent (Deux-Sèvres) Fig. 1. Monastères et collégiales du diocèse de Poitiers antérieurs à l’an mil ………………………475Fig. 2. La ville de Poitiers et son environnement proche : repérage des lieux cités. …………………482Fig. 3a. Sanctuaires précoces et voiries du quartier Saint-Hilaire de Poitiers.

b. Hypothèse de restitution du castrum de Saint-Hilaire. ………………………………………484Fig. 4. Saint-Maixent, le quartier de l’abbaye d’après le plan du xviiie siècle. ………………………493Fig. 5. Les fortifications de Saint-Maixent, d’après le plan cadastral de 1831 corrigé

géométriquement à l’aide du cadastre actuel et complété par les plans du xviiie siècle. ……496

Les espaces funéraires dans les ensembles monastiques du haut Moyen ÂgeFig. 1. Saint Gall, Stiftsbibliothek, cod. 1092 : plan du monastère de Saint-Gall. ……………………504Fig. 2. Saint Gall, Stiftsbibliothek, cod. 1092 : plan du monastère de Saint-Gall,

détail : le cimetière des moines. ………………………………………………………………505Fig. 3. Rome, basilique Sainte-Agnès : épitaphe de Serena abbatissa. ………………………………508Fig. 4. Reichenau, monastère Sainte-Marie-et-Marc. Le cimetière monastique à l’est de l’abbatiale. … 513Fig. 5. Müstair, monastère Saint-Jean. Plan de la phase carolingienne. ………………………………515Fig. 6. Ganagobie, monastère Sainte-Marie. Plan de deux premiers états

de l’église et du cimetière proche. ……………………………………………………………515Fig. 7. Brescia, monastère Saint-Sauveur. Plan des zones d’inhumations

pendant la seconde moitié du viiie siècle. ………………………………………………………517Fig. 8. Hamage, monastère Saint-Pierre-et-Paul. Plan de l’état du viiie siècle et du cimetière proche. 518Fig. 9. Pavie, monastère Saint-Sauveur. Plan de l’église et du cimetière devant sa façade. …………519Fig. 10. Saint-Vincent au Volturne. Le cimetière monastique

devant la façade de l’église abbatiale. …………………………………………………………520Fig. 11. Pavie, monastère Saint-Sauveur, peinture dans la tombe de l’abbesse Ariperga ;

Saint-Vincent au Volturne, monastère Saint-Vincent, dessin de la peinture dans la tombe de l’abbé Talaric. ………………………………………………………………521

Fig. 12. Saint-Gall, monastère Saint-Gall. Plan du site au haut Moyen Âge. …………………………522Fig. 13. Farfa, monastère Sainte-Marie. Plan de l’abbatiale du haut Moyen Âge

et lunette peinte sur le mur gouttereau nord de l’église (H). …………………………………530Fig. 14. Wearmouth, monastère Saint-Pierre. Plan du cimetière au sud de l’église abbatiale

pendant le haut Moyen Âge et de l’édifice B. …………………………………………………534Fig. 15. Farfa, monastère Sainte-Marie. Le cimetière à l’ouest de l’église abbatiale

pendant le haut Moyen Âge, fouille 1982. ……………………………………………………535Fig. 16. Saint-Vincent au Volturne. Les zones d’inhumation

dans le secteur nord de l’abbaye au ixe siècle. …………………………………………………538Fig. 17. Novalaise, église abbatiale. Plan archéologique du secteur nord-est de la fouille. ……………542Fig. 18. Novalaise, église abbatiale, collatéral sud : le mur méridional de l’église du viiie siècle,

en bas la tombe intégrée dans le mur (T 43). …………………………………………………544Fig. 19. Novalaise, église abbatiale, collatéral sud : la tombe intégrée dans le mur méridional

de l’église du haut Moyen Âge viiie siècle (T 43, tombe du fondateur ?). ……………………544Fig. 20. Novalaise, église abbatiale : tombe accolée à la façade du viiie siècle (à droite, T 29)

et tombe coupée par la façade romane (à gauche, T 28). ………………………………………544Fig. 21. Novalaise, église abbatiale : tombe accolée à la façade du viiie siècle (T 29),

détail du mortier de scellage. …………………………………………………………………545

618 Table des illusTraTions

Fig. 22. Novalaise, Musée : fragment de pluteus, du terrain de remplissage de la tombe T 29. ………545Fig. 23. Novalaise, église abbatiale : tombes T 28 et T 29, dessin. ……………………………………545Fig. 24. Novalaise, église abbatiale : tombe T 13, dessin. ………………………………………………546Fig. 25. Novalaise, église abbatiale : tombe T 5, au début de la fouille. ………………………………546Fig. 26. Novalaise, église abbatiale : tombe T 5, dessin. ………………………………………………547Fig. 27. Novalaise, Musée : fragment de sarcophage avec chrismòn (inv. 90073). ……………………548Fig. 28. Novalaise, Musée : fragment de fond de sarcophage avec décor de peltes. ……………………548Fig. 29. Novalaise, chapelle Saint-Eldrade : intérieur, au terme de la fouille. …………………………549Fig. 30. Novalaise, chapelle Saint-Eldrade : tombe au centre de la chapelle du haut Moyen Âge (T 5). 550Fig. 31. Novalaise, chapelle Saint-Eldrade : tombe au centre de la chapelle du haut Moyen Âge (T 5),

détail de l’intérieur. ……………………………………………………………………………551Fig. 32. Novalaise, chapelle Saint-Eldrade : autel de la chapelle romane,

au centre la dalle scellant le reliquaire. …………………………………………………………551Fig. 33. Novalaise, chapelle Sainte-Marie : plan archéologique. ………………………………………552Fig. 34. Novalaise, cloître, aile nord : tombe fragmentaire. ……………………………………………553

Morphogenèse de l’espace monastique au Moyen Âge : le rôle des héritages et des contraintes Fig. 1. Plan d’églises mariales clunisiennes (grisées). ………………………………………………568Fig. 2. La priorale d’Anzy-le-Duc restituée dans son état de la fin du xie siècle. ……………………570Fig. 3. Le prieuré de Marcigny restitué dans son état de la fin du xie siècle. …………………………572Fig. 4. Abbaye de Cluny, restitution des circulations au xiie siècle entre la troisième abbatiale

et l’espace claustral, d’après le plan de 1700. …………………………………………………577Fig. 5. Ancienne priorale de Nantua, plan archéologique. ……………………………………………579Fig. 6. Le prieuré Saint-Pierre de Nantua. ……………………………………………………………580Fig. 7. Priorale de Paray-le-Monial, plans superposés de l’état du xiie siècle

et de l’état du début du xie siècle. ……………………………………………………………581Fig. 8. Prieuré de Paray-le-Monial. ……………………………………………………………………583

Églises multiples et identité monastique dans la Provence médiévaleFig. 1. Décor de stuc du xviiie siècle, conservé dans l’église de Saint-Pons de Cimiez,

présentant la topographie héritée du Moyen Âge, en bordure du fleuve Paillon. ………………590Fig. 2. Ensemble monastique de Saint-Victor et, en arrière-plan, la ville de Marseille

avant les destructions révolutionnaires. ………………………………………………………591Fig. 3. Montmajour, vue générale du centre abbatial. …………………………………………………593Fig. 4. Montmajour, vue intérieure de l’église Saint-Pierre. …………………………………………594Fig. 5. Vue cavalière du monastère de Montmajour, extraite du Monasticon Gallicanum, 1684. ……595Fig. 6. Plan général du site de Villeneuve-lès-Avignon ………………………………………………596Fig. 7. Vue de l’église Saint-Michel, Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon (cliché Y. Codou). ……598Fig. 8. L’île de Lérins et ses monuments, d’après la gravure insérée au début de V. Barralis,

Chronologia sanctorum et aliorum illustrium virorum ac abbatum sacrae insulae Lerinensis, Lyon, 1613. ……………………………………………………………………………………599

Fig. 9. Vue aérienne du centre abbatial depuis le nord. ………………………………………………600Fig. 10. Lérins, relevé de l’ensemble abbatial dans son état actuel

avec l’insertion du plan de l’église Saint-Honorat détruite au xixe siècle. ……………………600Fig. 11. Lérins, ancienne salle du chapitre reliant Sainte-Marie et Saint-Honorat ……………………601Fig. 12. Plan du monastère de Ganagobie vers l’an mil, présentant les églises doubles

et les bâtiments monastiques. …………………………………………………………………604Fig. 13. Plan du monastère de Ganagobie, premier quart du xiie siècle. ………………………………604Fig. 14. Saint-André-de-Rosans, plan des églises doubles préromanes. ………………………………605Fig. 15. Saint-André-de-Rosans, plan de la partie orientale de l’église romane. ………………………605Fig. 16. Crypte de La Madone-des-Prés, xie siècle, Levens, Alpes-Maritimes.…………………………607

Liste des sigles et Abréviations ……………………………………………… 7

Michel Lauwers, Avant-propos ……………………………………………… 9

Première partie. Modèles, représentation, figures

Sofia Uggé, Lieux, espaces et topographie des monastères de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge : réflexions à propos des règles monastiques … 15

Michel Lauwers, Circuitus et figura. Exégèse, images et structuration des complexes monastiques dans l’Occident médiéval (ixe-xiie siècle) ……… 43

Cécile Caby, Comme un poisson dans l’eau… Propositum vitae et lieux de vie monastique (xie-xiiie siècle) ……………………………… 111

Uta Kleine, La terre vue par les moines. Construction et perception de l’espace dans les représentations figurées de la propriété monastique : Marmoutier (Alsace) et Zwettl (xiie-xive siècle) ………………………… 147

Paul Fermon, Les représentations des pêcheries de Maguelone, Saint-Gilles et Lérins ou les usages de la figura dans les milieux ecclésiastiques du milieu du xive siècle à la fin xve siècle ………………… 185

Deuxième partie. lieux, CirCulation, HiérarCHie

Jean-Michel Picard, L’organisation spatiale des grands monastères d’Irlande médiévale ……………………………………………………… 213

Federico Marazzi, La règle et le projet. Réflexions sur la topographie du monastère de Saint-Vincent au Volturne à l’époque carolingienne …… 227

Gisella Cantino Wataghin, L’établissement et l’histoire de l’abbaye de Novalaise ………………………………………………… 255

Élisabeth Lorans, Circulation et hiérarchie au sein des établissements monastiques : à propos de Marmoutier …………………………………… 289

Sébastien Bully, Circulation et hiérarchie au sein des établissements monastiques médiévaux : à propos de la grande galerie de l’abbaye de Saint-Claude (Jura) ……………………………………………………… 353

Alain Rauwel, Circulations liturgiques, circulations dévotes dans l’espace abbatial : autour de Guillaume de Dijon …………………… 377

TABLE DES MATIÈRES

620 Table des MaTières

Anne Baud, L’abbaye de Cluny et l’évolution de l’architecture claustrale entre le xie et xviiie siècle ………………………………………………… 387

Daniel Prigent, L’organisation spatiale à Fontevraud vers la fin du xiie siècle …………………………………………………… 401

Troisième partie. espaCes, fonCtions, environneMent

Hans Rudolf Sennhauser, Nihil operi Dei praeponatur. À propos des premières étapes de la construction des monastères bénédictins ………… 427

Étienne Louis, Espaces monastiques sacrés et profanes à Hamage (Nord), viie-ixe siècles ………………………………………… 435

Luc Bourgeois, La mise en défense des établissements religieux à l’époque caroligienne : les exemples de Saint-Hilaire de Poitiers (Vienne) et de Saint-Maixent (Deux-Sèvres) ……………………………………… 473

Gisella Cantino Wataghin et Eleonora Destefanis, Les espaces funéraires dans les ensembles monastiques du haut Moyen Âge …………………… 503

Nicolas Reveyron, Morphogenèse de l’espace monastique au Moyen Âge : le rôle des héritages et des contraintes …………………………………… 555

Yann Codou, Églises multiples et identité monastique dans la Provence médiévale ……………………………………………… 585

Table des Illustrations ……………………………………………………… 611