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GéocarrefourNuméro Vol. 82/4 (2007)Les parcs nationaux entre conservation durable et développement local
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David Goeury
Place et rôle des ONG dansl’acceptation des parcs nationaux : lecas du Haut-Atlas oriental marocain................................................................................................................................................................................................................................................................................................
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Référence électroniqueDavid Goeury, « Place et rôle des ONG dans l’acceptation des parcs nationaux : le cas du Haut-Atlas orientalmarocain », Géocarrefour [En ligne], Vol. 82/4 | 2007, mis en ligne le 31 décembre 2010. URL : http://geocarrefour.revues.org/3452DOI : en cours d'attribution
Éditeur : Association des amis de la Revue de Géographie de Lyonhttp://geocarrefour.revues.orghttp://www.revues.org
Document accessible en ligne sur : http://geocarrefour.revues.org/3452Ce document est le fac-similé de l'édition papier.© Géocarrefour
David GOEURY
U F R Géographie université de Montpellier III
Place et rôle des ONG dans
l’acceptation des parcs nationaux :
le cas du Haut-Atlas oriental
m a r o c a i n
délaissés par les populations locales. Le Marocreste un pays encore marqué par le rural et lemaintien des traditions pastorales que sont lenomadisme et la grande transhumance. Ainsi,pour reprendre, l’affirmation du zootechnicienAlain Bourbouze, spécialiste de la transhumance,“aucun espace n’est vide d’homme, même lesendroits les plus désolés et apparemment les plushostiles sont régulièrement traversés etmomentanément exploités” (1997)2.
La mise en place de parcs nationaux est un acte dedépossession du local au profit du global, il estsource de conflits entre des acteurs aux logiquesdivergentes car positionnés à des échellesdifférentes. La prévention et la résolution de cesconflits passe, ou pourrait passer, par l’émergencede nouveaux acteurs qui ont un rôled’intermédiations, les ONG (Organisations nongouvernementales) qui se multiplient depuis 1991.Elles se veulent transcalaires, articulant local etglobal au profit des populations considéréescomme les plus démunies. Or, cette action debonne volonté permet-elle réellement l’intégrationdes populations locales au projet de parc nationalen tant que bénéficiaires, ou permet-elle juste uneacceptation de la dépossession du territoire ?
À travers le cas du Haut-Atlas oriental marocain, etplus particulièrement du parc du Haut-Atlasoriental, qui encadre une superficie de 49 000hectares à cheval sur les provinces de Khenifra auNord et d’Errachidia au Sud (région de Meknès-Tafilalet), et du futur parc de Tamga, qui devrait sedéployer sur une superficie de 3 000 ha dans laprovince d’Azilal (Région de Tadla-Azilal), il estpossible de présenter les mécanismes deconstruction d’un parc national visant à mettre endéfens des espaces forestiers, chênaie et cédraie,de haute-montagne, le rôle croissant joué par lesONG et les enjeux des recompositions spatiales àl ’ œ u v r e .
Alain Karsenty dit des forêts d’Afrique centrale quece sont des espaces pris dans un nouvelencadrement par le haut qui est celui de “lasouveraineté encadrée par la globalisation” (2004,p. 222). Cette idée est transposable à tous lesespaces dits protégés.
La création, puis la multiplication, des parcsnationaux au Maroc est intimement liée àl’affirmation d’un État centralisé et à saparticipation au processus de globalisation. D’unepart, l’État central, colonial puis post-colonial,affirme son autorité sur de nouveaux espaces avecune force légale dans un nouveau domaine qui estl’environnement et, d’autre part, le modèlefrançais, puis les grandes conférencesinternationales, établissent une nouvelle légitimitéà l’action, en faisant de la conservation de labiodiversité un devoir de l’humanité. La mise enplace d’un parc national délie légalement etlégitimement une portion de l’espace de sadimension locale, au nom du bien commun qui estsupérieur à celui de la collectivité. Lesrevendications locales à un juste et plein droit depropriété traditionnel, apparaissent commeillégitimes et deviennent, brutalement, illégales.Or, dans un contexte de grande pauvreté et decroissance démographique, est-il possible demettre en place des configurations spatiales demise en défens qui se sont imposées dans despays en pleine industrialisation et urbanisation ?En effet, le processus de recomposition spatiale,accéléré dans les premiers pays créant des parcsnationaux, est encore en marche au Maroc et estloin d’être achevé. Le double mouvement deconcentration des populations et des moyens deproduction dans des espaces délimités, d’une part,et de déprise rurale dans les territoires les pluscontraignants d’autre part, n’est pas arrivé austade des pays dits développés. Les espaces cibléspour établir les parcs nationaux, même s’ils sontsouvent enclavés1, ne sont pas pour autant
231ÉOCARREFOUR VOL 82 4/2007
R É S U M É
La constitution de parcs nationaux est liée aux processus de l’internationalisation du territoire
marocain et d’affirmation de la souveraineté du pouvoir central. Les populations locales sont
légitimement et légalement dépossédées et perdent leur liberté d’aménager leur territoire
traditionnel. L’espace « parc national » devient un espace d’affrontement entre deux univers
différents, l’un globalisé et l’autre enclavé. Les ONG deviennent des intermédiaires nécessaires en
raison de leurs qualités d’acteurs transcalaires et inter culturels. Dotées d’une forte légitimité locale
et internationale, elles développent des projets d’accommodation pour faire accepter la structure
Parc National, en permettant aux populations locales de devenir actrices du processus.
A B S T R A C T
The decision to create national parks is related to the processes of internationalizing Moroccan
territory and of asserting the state’s sovereignty. Local populations are legitimately and legally
dispossessed of their land and lose their freedom to use this traditional territory. The areas
designated as national parks become the locus of conflict between two different worlds: one that is
globalized and the other that is isolated. NGOs become necessary intermediaries on account of
their ability to act on different scales. Due to their strong local and international legitimacy, they
develop projects to render the national park structure acceptable by enabling local populations to
become stakeholders in the process.
MOTS CLÉS
Parc nationaux,
globalisation, ONG, Haut-
Atlas, Maroc
KEY WORDS
National parks, globalization,
NGO, High-Atlas, Morocco
1 - Nous considérons comme
enclavé un territoire
déconnecté des réseaux de
transports, ici la route
goudronnée. L’enclavement ne
signifie pas l’absence de
mobilité des individus mais
leur difficulté à accéder à des
services, normalement
garantis par l’État, et des
biens, largement présents sur
le marché national. Ceci se
traduit par un surcoût qui
exclus toute ou partie de la
population. Le degré
d’enclavement est alors
mesuré par les inégalités
(niveau de vie, santé et
éducation) grandissantes avec
les territoires environnants
(Goeury, 2006).
2 - Nous ne traiterons pas en
détail des usages traditionnels
qui ont été largement
développés par Alain
Bourbouze (Bourbouze ,1997),
suite à son travail en tant
qu’expert pour l’élaboration du
plan directeur des aires
protégées.
3 - Il n’est pas inintéressant de
noter que les espaces fores-
tiers en France furent les
premiers espaces à être
étatisés autour de la figure du
monarque comme seul garant
de ces territoires considérés
comme vides de communau-
tés, mis à part des groupe-
ments de parias comme les
charbonniers. Au Maroc, le
Dahir de 1917 vise à assurer
une exploitation optimale des
ressources forestières. Le
Dahir de 1976 permet aux
communes rurales de parti-
ciper de la gestion des
ressources forestières en les
faisant bénéficier des recettes
forestières à condition qu’elles
affectent 20% de ces revenus
à des actions d’investissement
forestier.
4 - Tout terrain cultivé et planté
de façon « paisible, saine et
durable » sans contestation de
la communauté devient une
propriété individuelle appelé
melk, Par contre, les terrains à
usage intertribal, tribal, de
fraction ou de village qui n’ont
pas été transformés en melk
ou domaine forestier ont été
doté par la colonisation du
statut de terres collectives.
Pour le parc national du Haut-
Atlas oriental, 500 ha sont de
statut melk, 7 400 ha sont
domaniaux, 21 000 ha sont
présumés domaniaux et
20 500 sont présumés
collectifs. Certaines terres
collectives sont désignées par
le terme d’agdal qui corres-
pond à un espace de pelouses
d’altitude très productives mis
en défens au printemps et au
début de l’été afin d’assurer
une production maximale.
L’agdal est géré par les
jamaas, associations tradition-
nelles d’usagers, qui ont
recours, en cas de conflit, à
des instances d’arbitrages qui
étaient les zawyas à la période
précoloniale puis les officiers
des affaires indigènes à la
période coloniale.
5 - L’article premier du Dahir
du 11 septembre 1934 est on
ne peut plus explicite : « Les
régions ou sections de régions
naturelles de la zone française
de l’empire chérifien dont il
importe, pour des raisons
scientifiques ou touristiques,
et d’une manière générale,
d’utilité sociale caractérisée,
d’assurer le maintien de leur
état existant, peuvent être
érigées en « parcs nationaux ».
mis en application dans le massif du Toubkal dès1 9 4 2 .
La “nature” devient une affaire d’État et s’inscritdans une nouvelle logique qui est celle du nationalet surtout de l’international. En effet, les parcsnationaux sont définis avant tout par desadministrateurs français qui y voient ainsi unélément de leur mission civilisatrice passant parun nouveau contrat entre l’humanité et la nature.Le progrès présuppose une protection desespaces dits naturels, pour ne pas seulement lesexploiter de manière traditionnelle, mais surtoutpour les préparer à recevoir des touristes avidesd’exo-tisme. Les parcs nationaux sont, dèsl’origine, considérés comme des conservatoiresde la biodiversité et des modes de vietraditionnels, à protéger au profit de populationsexogènes, allant à l’encontre des besoins despopulations allogènes5.
L’INTERNATIONALISATION DE LA « NATURE »
FACTEUR DE RENFORCEMENT DE L’ÉTAT
Cet héritage se perpétue, aujourd’hui, sous desformes légèrement différentes et des principesidentiques. En effet, l’État marocain indépendant,à travers ce qui est actuellement appelé le Hautcommissariat aux eaux et forêts et de la luttecontre la désertification (HCEFLCD), poursuit unepolitique de création de parcs nationaux selon unedynamique nationale et surtout sous l’impulsiondes grandes institutions internationales après lamise sous-tutelle du pays par le Fonds monétaireinternational. L’État marocain participe auxgrandes conférences internationales et signe les
L’HÉRITAGE COLONIAL : UN NOUVEAU PACTE
ENTRE « LA NATURE » ET L’ÉTAT
Le Maroc pré-colonial fut souvent présenté, pourlégitimer la colonisation, comme un pays nongouverné où l’autorité sultanienne restait faible etsans-cesse menacée. Le territoire est, alors, distin-gué selon deux catégories, le “bled el Makhzen” ,sous l’autorité du sultan et le “bled es-Siba” ,dominé par des tribus indépendantes et contesta-taires. Cette vision politique mérite d’être nuancéeen présentant davantage cette situation commeune gestion décentralisée du territoire. Le sultanconservait les pouvoirs régaliens (armée, diploma-tie, justice) auxquels s’ajoutait son pouvoirreligieux comme commandeur des croyants. Lespopulations géraient localement les ressources dup a y s .
La colonisation, en 1912, et la mise en place duprotectorat, enclenchent un processus deconstruction d’un État dit moderne, centralisé etinterventionniste dans l’ensemble des domainesde la société. Les administrateurs français, sousl’impulsion du résident général, le maréchalLyautey, reproduisent les structures institution-nelles françaises, dont la législation sur laprotection d’espaces spécifiques. Dès 1917, und a h i r définit un statut particulier pour les espacesforestiers en réglementant leur usage et leure x p l o i t a t i o n3. D’espaces collectifs, ils deviennentdes espaces publics gérés par le pouvoir central.Les populations locales ne conservent qu’unsimple droit d’usage comme réminiscence de leurdroit de propriété4. Ce d a h i r est prolongé, en 1934,par celui qui définit le statut des parcs nationaux
232 Place et rôle des ONG dans l’acceptation des parcs nationaux du Haut-Atlas oriental marocainVOL 82 4/2007
Figure 1 : Les parcs naturels
au Maroc
amène les populations à augmenter la pressionsur les ressources naturelles.
La montagne est une addition de terroirsdifférents, exploités de manière complémentaire.Ainsi, les vallées irriguées abritent l’habitat fixeautour de terrasses exploitées de façon intensive,les a g d a l s des sommets accueillent lestranshumants avec leurs troupeaux et peuventêtre mis en culture, les forêts et les bassinsversants sont des terrains de parcourssupplémentaires permettant un complémentindispensable de pâture. Les arbres sont étêtéspour nourrir le bétail, ébranchés pour alimenter lefoyer domestique.
Or, la pression croissante sur la ressource enmilieu de montagne favorise une accélération del’érosion, multipliant les coulées de boue et lesglissements de terrain qui dévastent les valléesnourricières irriguées, remettant en cause leséquilibres mis en place sur les dernièresdécennies, poussant ainsi les populations àaugmenter l’élevage, et les faisant entrerprogressivement dans le cycle infernal de ladégradation radicale des ressources naturellesdisponibles et de la désertification, c’est-à-direl’abandon d’espaces devenus non-productifs.L’élevage de caprins de boucherie estgénéralement le dernier stade de cette économiede la misère, les éleveurs privilégiant ces animauxà faible rentabilité, mais à même de se nourrir detous les éléments végétaux présents : capables demonter dans les arbres, de digérer même l’écorce,ces chèvres laissent un sol à nu qui sera encoreplus sensible au phénomène d’érosion.
Cette stratégie de survie est d’autant plus légitimepour des populations qu’elles se sentent oubliéespar l’État et s’y trouvent soudainement contraintes.En effet, les parcs nationaux, comme celui duHaut-Atlas oriental ou celui, en projet, de Tamga,sont déterminés dans des espaces enclavés, c’est-à-dire non reliés aux réseaux de transportsmodernes comme la route goudronnée. Jusqu’il ya quelques années, il fallait plusieurs heures demauvaises pistes pour accéder aux limites du parc.Aujourd’hui certains villages, comme celuid’Anfgou, au cœur du Haut-Atlas oriental, restentdistants de la route goudronnée de plus de 3heures de véhicule tout-terrain. Le village n’estrelié à la ville-marché de Tounfite que par delourds et lents camions fonctionnant seulement lejour du souk. Cet enclavement se traduit parl’absence de services publics fondamentaux : lesvillages ont, certes, vu des écoles se construiredans les années 1990 mais, devant les conditionsextrêmes de la vie quotidienne, de nombreuxjeunes instituteurs refusent de séjourner sur place.Le taux d’analphabétisme est supérieur à 87%pour les hommes et à 97% pour les femmes8. Lesinfrastructures sanitaires sont inexistantes, levillage ne dispose ni de dispensaire ni d’infirmieret ne reçoit la visite d’aucun médecin. Le villaged’Anfgou est même devenu, en janvier 2007, le
accords internationaux pour participer des grandsprogrammes de conservation des écosystèmes etde la biodiversité, comme le programme Ramsarde 1971 ou le Sommet de la Terre de Rio en 1992.L’application sur le territoire national se fait enpartenariat avec les grandes organisationsinternationales comme le Fonds pourl’environnement mondial (FEM), la Banquemondiale, la Banque africaine de développement,le Programme des Nations Unies pour ledéveloppement (PNUD), qui sont, avant tout, desbailleurs de fonds indispensables. En effet, l’Étatmarocain désire à la fois respecter sesengagements internationaux, mais surtout assurerle fonctionnement de ses institutions par lesfinancements extérieurs, en pouvant ainsimaintenir voire augmenter les effectifs de sesfonctionnaires, et enfin trouver de nouvellesressources pour les populations locales délaisséespar manque d’investissement étatique6.
En réponse au sommet de Rio de 1992, est lancéeune enquête sur les aires marocaines à protéger,achevée en 1994, qui aboutit au Plan directeur desaires protégées en 1996. 1 080 000 ha sontidentifiés comme Sites d’intérêt biologiques etécologiques (SIBE) soit 1,5% du territoire (régionssahariennes comprises). Ces sites sont répertoriésà partir de leurs qualités écologiques. Est définicomme SIBE, un espace qui abrite une espècemenacée, un écosystème spécifique ou dont lacomplexité mérite qu’il soit protégé. Ces espacesdoivent bénéficier, à terme, de mesures deprotection par leur classement soit en tant queparcs nationaux, parc naturels, ou réservesnaturelles et réserves biologiques Dès lors, lenombre de parcs nationaux se multiplie : à ceuxdu Toubkal et de Tazekka, hérités de lacolonisation, s’ajoutent ceux d’Al Hoceima, deSouss-Massa, du Haut-Atlas oriental et deKhenifiss. Les parcs d’Ifrane et de Talassemtane,trop marqués par les activités humaines, sontclassés “parcs naturels”.
LES PARCS NATIONAUX OU L’ENCADREMENT
DU DÉLIT DE PAUVRETÉ
Les parcs nationaux sont donc, par essence,délimités au sein d’espaces considérés commepeu humanisés, lieu où a pu se maintenir une fortebiodiversité. Cependant, il faut noter que les parcsnationaux terrestres de montagne et plusparticulièrement ceux du Toubkal, du Haut-Atlasoriental, ne sont pas des espaces vides. En effet,dans un pays marqué par le nomadisme et latranshumance, ces territoires sont souventconsidérés comme des espaces indispensables àla survie des communautés pastorales qui lesinscrivent dans leurs territoires de parcours étalés,parfois, sur plusieurs centaines de kilomètres7. Deplus, la croissance démographique constantemalgré le fort exode rural, la disparitionprogressive de règles collectives du fait del’individualisation liée à la sécurité croissante,
6 - Dans la majorité des
conventions, le Haut
commissariat aux eaux et
forêts bénéficie de 20% des
sommes allouées aux projets
pour assurer son
fonctionnement.
7 - Le Haut-Atlas oriental est
reconnu pour être un des
espaces pastoraux offrant la
plus grande diversité de
situation, des nomades ou
grands semi-nomades, aux
doubles-transhumants, aux
transhumants d’été, aux
bergers faisant Ifrilil
(littéralement loger dans les
grottes) et aux sédentaires se
limitant aux parcours proches.
8 - Ce chiffre est celui du
recensement de 2004.
233Place et rôle des ONG dans l’acceptation des parcs nationaux du Haut-Atlas oriental marocain VOL 82 4/2007
au bon fonctionnement du parc (destruction despistes, arrachage de la signalétique, jets de pierresur les véhicules des fonctionnaires des Eaux etForêts), mais est surtout lié à la terrible nécessitédu quotidien. À proximité des parcs nationaux,des comportements de dégradation volontaire sedéveloppent : certaines communautés refusent dereboiser les bassins versants, ou s’acharnent surles grands mammifères sauvages de peur de voirle classement de leur territoire en espace protégé,ce qui amènerait l’installation d’un garde forestier.Par exemple, le sanglier a brutalement disparu deszones proches du parc national du Haut-Atlasoriental, comme dans le SIBE de Tamga où il n’apas été aperçu depuis trois ans. En effet, les tribus,qui se retrouvent lors du grand m o u s s e md’Imilchil, appelé le “m o u s s e m des fiancés” par etpour les touristes, et surtout “souk l’am” (lemarché de l’année) par les transhumants de lamontagne, rapportent la situation des habitants duparc national qui racontent comment ils sontobligés de se relayer des nuits entières pendantl’été pour protéger leurs champs du terribleprédateur qu’est le sanglier1 4. De ce fait, ellesorganisent des battues dès que l’animal fait uneincursion hors du parc et l’éliminents y s t é m a t i q u e m e n t .
UNE SOLUTION ? LA DÉPOSSESSION SPATIALE
P R O G R E S S I V E
Conscient de cette situation, le Haut commissariataux eaux et forêts, sur les recommandationsd’experts internationaux, met en place unestratégie d’implantation des parcs à même demener une action de protection et se devant degarantir le développement économique despopulations locales1 5. Les parcs nationaux ne sontpas, en leur sein, des espaces uniformes, maisdavantage un emboîtement d’espaces aux statutsdifférents. Cette “zonation par objectifs”, pourreprendre les termes du Haut commissariat,permet de créer un gradient progressif dans lamise en défens et la conservation de labiodiversité. Ainsi, les parcs nationaux veulentconcilier les intérêts divergents entre conservationet exploitation, en étant au plus près des pratiquesterritoriales des hommes et des animaux.
Au cœur du parc, sont établies les zones naturellesprotégées où toute activité, autre que l’étudescientifique, est interdite, afin de permettre lemaintien d’écosystèmes remarquables et surtoutla préservation et le développement d’une espècemenacée d’extinction, comme le Mouflon àmanchette. Cet espace devient un lieusymboliquement fermé dont la population localese sent exclue. Toutes les activités traditionnelles ysont interdites et des gardes forestiers suspicieuxles sillonnent régulièrement. Tout autochtone yest perçu comme un contrevenant éventuel. Seulsles touristes, encadrés par un guide officiel, y sontlégitimement acceptés.
Ensuite, sont déterminés des sanctuaires naturelsgérés où les activités traditionnelles sont
symbole des villages abandonnés à leur sort demisère et qui se meurent en silence, suite au décèsde plus d’une vingtaine d’individus,essentiellement des enfants en bas âge et desjeunes mères9. Le seul représentant del’administration est le garde forestier. Or, du fait desa mission de contrôle et de protection desressources, il est souvent haï : il surveille et limitela coupe sauvage du bois d’œuvre et de chauffage,seule source d’énergie, il protège les grandsmammifères, dont les sangliers, qui viennentdévaster les champs de maïs et de pommes deterre. Son action coercitive est ressentie commeparticipante du carcan de misère.
L’État à Anfgou, comme dans de nombreuxvillages des parcs nationaux, représente, pour lespopulations locales, un cadre injuste, contraignantet incapable de remplir ses devoirs. Certainsn’hésitent pas à dire : “l’État nous préfère mortsque vivants”1 0.
LA FIN DES DERNIERES RÉSISTANCES ?
L’action de transformation d’un espace en parcnational, forte de sa légalité et de sa légitimité àl’échelle internationale, écrase les revendicationslocales sur l’idée de propriété collective acquise etdéfendue dans le sang pendant des générations1 1.Le projet étatique est l’application nationale dedirectives internationales définies comme ultralégales et ultra légitimes, dans un contexte demobilisation croissante autour des grandesquestions environnementales. Les expertsnationaux et internationaux, sollicités pour ladélimitation et le bien fondé du classement, sontmassivement formés selon ces mêmesprésupposés. Ces écologues, de formationfrançaise, sont surreprésentés, privilégiant levégétal et l’animal sur l’humain1 2. Ce phénomèneest accentué par la centralisation de la prise dedécision, dans la capitale Rabat, extrêmementéloignée de ces espaces classés comme parcsn a t i o n a u x .
Les revendications des populations locales sontdélégitimées et rejetées au rang des archaïsmesde populations non conscientes des grands enjeuxactuels de civilisation. La population est mêmeconsidérée comme un élément perturbateur, voireprédateur. Par conséquent, les populations localestrouvent peu de relais pour plaider leur cause faceà la dépossession de leurs droits de propriététraditionnels. La contestation ne devient légitimeque dans le cadre de revendications identitairesa m a z i g h1 3, mais elle ne fait que remettre enquestion l’autorité et la démarche de l’État centralet non le bien fondé du principe de protection del ’ e n v i r o n n e m e n t .
Les populations sont obligées de se plier à lalégislation qui leur est imposée ou de se lancerdans des stratégies de contournement. Le non-respect n’est pas seulement fondé sur l’idée denuisance au processus en cours, même si certainsn’hésitent pas à réaffirmer leur droit par l’entrave
234 Place et rôle des ONG dans l’acceptation des parcs nationaux du Haut-Atlas oriental marocainVOL 82 4/2007
9 - Le journaliste Mohamed
Zainabi, envoyé spécial du
journal le Reporter, a mis en
ligne sur son blog une vidéo
qui raconte son périple et la
misère de la population
d’Anfgou. Le passage le plus
commenté fut le décompte
des nouvelles tombes des
victimes de l’hiver par manque
d’encadrement sanitaire
élémentaire. La vidéo est
immédiatement reprise sur
tous les sites de militants
amazighs au point qu’une
manifestation est organisée
devant le parlement à Rabat
pour demander une action
d’urgence.
10 - Cette phrase revint
comme un slogan lors de la
mobilisation autour du drame
d’Anfgou.
11 - Les tribus ayt Yiahya et
ayt Haddidou du Haut-Atlas
oriental et Iansalen et Ayt Abdi
de Tamga furent les dernières
à se rendre à l’armée française
après plus de dix années de
résistance en 1933 à la guerre
de conquête appelée pacifica-
tion des confins. Les sites de
ces deux aires protégées
furent les derniers conquis par
la France.
12 - Il est d’ailleurs intéressant
de comparer les rapports
effectués par ces groupes
d’experts et ceux produits par
l’institut agronomique Hassan
II de Rabat qui, sous la figure
tutélaire de Paul Pascon, a
forgé l’école de sociologie
marocaine et surtout une
approche au plus près des
intérêts des populations
locales qui sont privilégiées
comme garantes des
équilibres des écosystèmes.
13 - Le terme “amazigh”
supplante peu à peu le terme
de “berbère” catalysant
actuellement l’affirmation
politique. La création de
l’Institut royal de la culture
amazighe en 2001 donne
désormais à ce terme une
reconnaissance institutionnelle
au Maroc.
14 - Les experts du Plan de
approchée et intégrée au projet. La relation directeentre l’institution étatique, via le Hautcommissariat aux eaux et forêts – et la structurecommunautaire, ou même la commune, estsouvent marquée par des conflits et n’arrive pas àse transformer en un espace de projet commun.Par conséquent, le Haut commissariat déploie denouvelles stratégies, en s’appuyant sur denouveaux acteurs, les ONG, qui sont à même deservir d’intermédiaires et de déployer des projetsconcrets avec efficacité. Ainsi, depuis 2001, sousl’impulsion du Fonds pour l’environnementmondial et de la Banque mondiale, il met en placeune nouvelle méthode d’approche etd’accommodation des populations concernées parla mise en place d’un parc national ou d’un SIBE,par le biais de conventions avec des ONG apex1 8.Puis, à partir de 2006, devant les multiplesrelations possibles entre ces trois acteurs que sontle haut commissariat, les ONG et la populationlocale, l’ensemble des projets est encadré dans unplan d’action communautaire. En effet, depuis ledébut des années 1990, se développe un nouvelencadrement dans les espaces ruraux enclavés,par le biais des associations. Ces nouvellesstructures juridiques prennent des formes trèsvariées. Les premières sont des associationsd’usagers comme les Associations d’usagers del’eau agricole (AUEA) qui avaient pour objectif demoderniser un système traditionnel comme celuide la séguia. Leur but, très limité, fut rapidementatteint : bien souvent, elles ont bétonné la séguia,créé des petites retenues ou des bassinsrépartiteurs, et ont considéré que leur tâche étaitachevée. De ce fait, actuellement, ellesapparaissent comme inactives fautes de projet àporter. Les autres associations sont desassociations plus généralistes appeléesAssociations de développement local (ADL). Ellesont épousé les logiques de fraction et de village etse sont multipliées. Leurs objectifs associentdéveloppement économique, santé, éducation,religion, patrimoine, culture et environnement1 9.La majorité de ces associations de développementlocal sont créés sous l’impulsion d’une éliteintellectuelle ou économique originaire du village.Un certain nombre d’entre elles ont été mises enplace en dehors des espaces enclavés, parexemple à Rabat pour l’ADL (même remarque quepour APEX), ou d’abord en Europe puis, ensuite,au Maroc pour Adrar, ou uniquement en Europepour l’Association de développement du Haut-Atlas central. Les membres fondateurs ontsouvent un haut niveau d’étude et deresponsabilité et possèdent un lien affectifprivilégié avec la région concernée, soit par leurorigine familiale, soit par leurs activitésprofessionnelles (anthropologue, sociologue,agronome, géologue) ou de loisirs (randonnée).Toutes ces associations ont une action interstitielleet occupe un espace laissé libre par l’État qui n’apas les moyens d’intervenir. Si une écrasantemajorité, par manque de moyens ou de cohésion,n’a mené qu’un seul projet, souvent lareconstruction de la mosquée, et des actions dedistributions de menus objets aux plus
considérées comme participantes du paysage etde l’équilibre des écosystèmes. Cependant ellessont étroitement contrôlées et généralementlimitées au pastoralisme extensif traditionnel et àla collecte de bois mort ou de quelques plantesmédicinales. Ces terroirs sont généralementlocalisés, avant tout, à proximité des zonesnaturelles protégées, pour servir d’espace tampon(trois sur quatre dans le parc du Haut-Atlasoriental). Certaines d’entre elles doivent permettrela réhabilitation ou le maintien d’un écosystèmeparticulier, comme par exemple une cédraie.
Enfin, le reste du parc est composé d’une zone degestion des ressources naturelles, qui a la plusgrande emprise spatiale. Les activitésd’exploitation y sont autorisées et encadrées afinque leur productivité soit optimisée, tout enfavorisant le maintien des équilibres entre lesactivités humaines et les écosystèmes. Denouvelles activités, essentiellement récréatives etliées au tourisme, y sont implantées.
Par ailleurs, le parc national est entouré d’une zonepériphérique où sont menées des actions deconservation des qualités paysagères etpatrimoniales du territoire. Cette zone comprendgénéralement les villages limitrophes, où viventnombre d’usagers et, surtout, le point d’entrée del’espace parc où sont implantées lesinfrastructures touristiques nécessaires, commeles structures d’hébergement et le bureau desguides. Ce village prend la forme d’une stationtouristique, comme Imilchil pour le parc du Haut-Atlas oriental.
Cette stratégie permet de graduer de façonprogressive la dépossession dans l’espace. Lespossédants, devenus usagers, passentprogressivement des espaces de l’accompa-gnement (les zones de gestion des ressourcesnaturelles), à ceux de la contrainte (les sanctuairesnaturels gérés) avant de faire face à ceux del’interdit (les réserves naturelles protégées).
Malheureusement, l’action de classement et dedélimitation progressive n’est pas suffisante etpeut parfois être mal comprise par les populationslocales. Ainsi, de nombreux habitants sont parfoispersuadés que les zones naturelles protégées, quileur sont interdites et où sont réintroduits degrands mammifères, comme le Mouflon àmanchette ou la Gazelle de Cuvier, sont desespaces destinés à constituer une réserve dechasse pour de riches casablancais ou émiratis quiopèrent au Sud dans le désert1 6. Malgré l’absencede chasseurs, ce mythe se répand1 7, et lapopulation se sent ainsi véritablementdépossédée, non plus au nom de principes, maisau nom d’inégalités sociales.
LES ONG, DES INTERMÉDIAIRES LÉGITIMES,
UNE VISION PARTAGÉE DE BAS EN HAUT
L’espace parc ne peut pas être réduit à un espaceréglementaire. La population locale doit être
gestion des aires protégées
avaient déjà observé en 1995
plus d’une centaine d’abris de
fortune pour le village
d’Anfgou.
15 - Il est difficile d’évaluer les
résultats des actions
spécifiques au parc national vu
que, parallèlement, l’État
multiplie les grandes politiques
de développement à l’échelle
nationale qui concerne
l’ensemble du territoire.
Cependant, nous proposons
dans les pages suivantes
quelques éléments de
réflexion. Cette situation est
comparable à celle observée
par Sophie Moreau en pays
Betsileo à Madagascar
(Moreau, 2004, 2006).
16 - La population confond le
statut de réserve de chasse
soit l’interdiction de cette
activité avec celui de lot de
chasse amodié qui est loué à
des associations de chasseurs
ou à des sociétés de chasse
touristique.
17 - Les enquêtes successives
depuis 1992 insistent sur le fait
que les chasseurs exogènes
sont quasi-inexistants ce qui
facilite la mise en défens et
que seule la population locale
se livre à des activités de
braconnage surtout contre les
sangliers considérés comme
des nuisibles.
18 - Ce terme d’ONG apex qui
se diffuse actuellement dans
les publications grises des
Organisations Internationales
désigne une ONG relais,
littéralement au sommet (apex
en latin) de la société civile.
19 - La liste des objectifs enfle
dans le temps pour coller au
plus prêt des thèmes à la
mode à l’échelle nationale et
internationale. Ainsi,
l’association Jbel Moriq
d’Anergui créée après les
attentats du 16 mais 2003 a
rajouter le thème de la lutte
contre le terrorisme.
235Place et rôle des ONG dans l’acceptation des parcs nationaux du Haut-Atlas oriental marocain VOL 82 4/2007
homme qui associe deux qualités : d’abord, il estoriginaire de la région où il intervient, parle leTamazight, comprend les problématiques localeset ressent les attentes des populations ; parailleurs, il a une solide formation d’ingénieuragronome à l’Institut agronomique et vétérinaireHassan II (IAVH) de Rabat, et a travaillé pourl’administration provinciale, il connaît à la fois lesmécanismes administratifs, les grandesorientations internationales et surtout il peutsoutenir un discours de professionnel en langueeuropéenne (le français le plus souvent) qui luidonne une forte crédibilité auprès des obser-vateurs ou des experts nationaux et inter-nationaux. Par conséquent, il est l’interlocuteurprivilégié entre les deux échelles de mondes quesont les populations locales et les institutionsinternationales. Il est à même de pouvoir traduireles attentes de chacun des partenaires et de lestransmettre à l’autre. Il devient une personneressource essentielle, un individu lien, uneinterface entre les deux systèmes.
Les ONG apparaissent comme un encadrementpar le bas, car elles semblent nées des besoinslocaux auxquels elles répondent. Cependant, ceciest à nuancer car, pour les associations commeAdrar ou l’ADL, il est important de noter que cesont des structures désormais sises à Rabat,proches des centres de décisions ; de plus lesmembres fondateurs sont plus proches par leurformation et leurs principes, des institutionsnationales et internationales que des populations
nécessiteux, certaines, et surtout celles qui ont desrelais nationaux ou internationaux, ont commencépar développer de multiples actions sociales,scolaires et sanitaires au bénéfice des populationsles plus démunies : elles ont d’abord travaillé surl’accès à des services de base, comme leraccordement au réseau d’eau potable,l’électrification, la scolarisation, puis elles ontpoursuivi avec des projets créateurs d’activitésgénératrices de revenus, en améliorant lesactivités traditionnelles comme l’apiculture,l’arboriculture, l’élevage, l’artisanat féminin. Cesmultiples actions tournées vers des populationsqui se sentent abandonnées ont doté cesassociations d’une forte légitimité vis à vis de lapopulation locale mais aussi des institutionsnationales et des bailleurs de fonds internationaux,qui n’ont pas hésité à les subventionner pour desprojets de plus en plus ambitieux, comme lacréation, par l’association Adrar, d’un internat dejeunes filles à Imilchil. D’association dedéveloppement local, elles se transforment enONG à même de mener des projets en dehors deleur territoire d’origine. Elles deviennent lesinterlocutrices privilégiées et reconnues pourmener à bien des projets de développement. Ellesacquièrent des compétences qui, à l’image deleurs chefs de projets, leur permettent d’articulerdeux échelles, le local et le national oul’international, faisant le lien entre deux mondesressentis comme différents.
Pour mieux le comprendre, il suffit d’analyser leparcours du chef de projet d’Adrar. C’est un
236 Place et rôle des ONG dans l’acceptation des parcs nationaux du Haut-Atlas oriental marocainVOL 82 4/2007
Figure 2 : Le Parc National du Haut-Atlas Oriental, entre
dépossession progressive des populations et création de
nouvelles activités périphériques
place du parc national du Haut-Atlas oriental. En2006, elle a été reconduite jusqu’en 2008 etétendue à trois autres sites, qui sont les SIBE deChakhar, de Jbel Grouz et de Tamga.
Parallèlement, à cette démarche impulsée par lehaut, certaines ONG sont poussées par leursbailleurs de fonds à entrer en contact avec le HautCommissariat dans un souci de convergence desactions et de cohérence dans les domainesd’intervention. L’ONG ADL de Rabat, fondée pardes cadres de l’Institut agronomique et vétérinaireHassan II pour développer des projets dans laprovince d’Azilal, a étendu son domained’intervention vers la vallée de l’Assif Ahansal, oùdoit être prochainement créé le parc national deTamga. Financée en partie par le PNUD, ce dernierlui a demandé, en 2006, d’entrer en contactdirectement avec le Haut commissariat pourassocier son action à celle déjà entreprise. Enfin,les ONG sont aussi à même d’entreprendre unedémarche autonome par le bas. Ainsi, sur lemême site, l’ONG française ADDHAC, qui soutientdes associations locales par la mise en place desmicro-centrales hydrauliques et le développementd’activités comme l’apiculture ou l’élevage depoulets, découvre le projet de Parc nationalannoncé sur de grands panneaux à proximité de lamaison forestière. À la demande des associationslocales partenaires qui s’interrogent sur la futuremise en place d’une telle structure, les cadres del’ONG décident d’entrer en contact avec lesinstitutions nationales et internationales. Ilsrencontrent les délégués de la Banque mondiale àRabat, qui les orientent directement vers le Hautcommissariat avec lequel ils prennent contact en2005. Ils proposent un projet d’extension du futurparc, selon une logique différente de celle dugroupe d’experts qui avait sélectionné le site, etqui intègre les intérêts et les demandes despopulations locales. L’association organise unevisite sur le terrain avec les cadres du Hautcommissariat et les représentants des différentesassociations locales.
HCEFLCD ET ONG, DES ACTEURS
C O M P L É M E N T A I R E S
Le Haut Commissariat s’appuie donc sur lalégitimité des ONG qui occupent une positiond’intercesseur entre les institutions et la populationlocale et sur leurs compétences acquises sur plusde dix ans pour développer les projets de typeparc national. Cette collaboration est d’autant plusaisée que les cadres des deux organisationspartagent les mêmes principes. Même s’ils sontissus de formations professionnelles différentes,ils ont été sensibilisés aux mêmes questions deprotection de la biodiversité et de sauvegarde desécosystèmes. Ils partagent une même culture,administrative, qui associe terrain local,administration nationale et institutionsinternationales ; de plus, ils sont conscients de leurcomplémentarité, les fonctionnaires des Eaux etforêts revendiquant des compétences techniquescentrées sur l’identification et la protection des
locales, même s’ils sont d’une extrême sensibilitéenvers leurs attentes. D’ailleurs, elles nefonctionnent pas de façon indépendante ettendent à se rapprocher des structuresinstitutionnelles, pour développer une action plusefficace et de plus grande ampleur. Elles neremettent pas en cause les principes de la créationdu parc national et sont même très favorables à cetype de projet, lequel s’inscrit dans leursfondements éthiques de développement durableraisonné. Ce qu’elles contestent c’est davantage laméthode de mise en place. Par conséquent, ellessont prêtes à participer au projet et prennentmême l’initiative de proposer leurs services auHaut commissariat aux eaux et forêts.
HAUT COMMISSARIAT, ONG ET BAILLEURS DE
FONDS, UNE LOGIQUE DE CONVERGENCE
L’entrée en contact entre le Haut Commissariat etles ONG peut se faire selon trois scenarii différentsqui ont été observés pour le parc du Haut-Atlasoriental et le Site d’intérêt biologique et écologiquede Tamga.
En 2000, le Fond pour l’environnement mondialpousse le Haut commissariat à développer uneapproche plus participative en s’appuyant sur lasociété civile. Il lance donc un appel à candidatureà des ONG à même de devenir des relais dans lamise en place d’une structure parc. Les ONG sontsélectionnées selon leurs compétences et leursréalisations concrètes. Une convention cadre estsignée entre le Haut commissariat et l’ONGsélectionnée qui est désignée comme “apex”. LeHaut commissariat finance l’ONG qui doit mettreen place un programme de développement desdouars (hameaux) concernés par le Parc national àtravers un programme de petits dons, qui consistedans le financement de micro-projets nedépassant pas les 50 000 dirhams (soit 4 500 eurosen 2007). Elle doit développer des actions desensibilisation et de développement d’activitésgénératrices de revenus nouveaux,complémentaires de la protection de labiodiversité, permettant de maintenir laproductivité des écosystèmes. Elle est contrôléerégulièrement et une étude d’impact est menéepar les agents des Eaux et Forêts. Les micro-projets sont construits avec des publics désignés,comme les femmes, les propriétaires de gîtes, lesarboriculteurs, qui doivent se constituer, s’ils ne lesont pas déjà, sous une forme juridique soitd’association, soit de coopérative. Ce travail deterrain est mené par le chef de projet qui rencontrelonguement les habitants. Il détermine avec euxles projets qui sont à la rencontre des intérêts desdifférentes parties. Par conséquent, l’ONG génèreet réactive de multiples associations locales quideviennent une société civile constituée etidentifiable, différente des institutionscommunautaires traditionnelles2 0. Il ne s’agit pasd’une substitution mais davantage d’unesuperposition. Ainsi, en 2002, une premièreconvention de partenariat est signée entre l’ONGAdrar et le Haut Commissariat pour la mise en
20 - L’ONG apex permet aux
Associations d’usagers comme
les AUEA de définir de
nouveaux objectifs et aux
autres Associations de
développement local de
trouver un financement.
237Place et rôle des ONG dans l’acceptation des parcs nationaux du Haut-Atlas oriental marocain VOL 82 4/2007
21 - Nous pouvons observer
que les guides et les
propriétaires de gîte ayant le
mieux réussi leur insertion
économique sont souvent des
Chorfas soit des descendants
de saints ou du prophète qui
ont un fort capital spatial. Ils
réinvestissent leur capacité à
articuler le proche et le
lointain, à accueillir les
étrangers et surtout à se
déplacer librement au sein des
confédérations de tribus du fait
de leur renommée.
22 - Il faut noter que devant la
faible affluence directe, les
guides officiels d’Imilchil ont
tous investi dans un espace
d’hébergement pour
compléter leur activité.
D’ailleurs, le chiffre d’affaires
du gîte devient plus important
que celui de
l’accompagnement.
le numéro 4 de la revue M o n t a g n e est consacré auHaut-Atlas et au massif du Toubkal. En 1938, JeanDresch et Jacques Lepiney rédigent, pour lecompte de l’Office chérifien du tourisme, unpremier Guide alpin de la montagne marocainedédié au massif du Toubkal. L’article premier duD a h i r du 11 septembre 1934 insiste sur ladimension touristique du parc national. D’ailleursle modèle de zonage des parcs nationauxcomprend systématiquement, à sa proximité,dans la zone dite périphérique, un village qui estconsidéré comme le lieu de concentration desactivités nécessaires au tourisme. Relié aux routesgoudronnées, il abrite à la fois les structuresd’hébergements comme les gîtes et les hôtels et lebureau des guides. Il est considéré comme lepoint de départ vers la découverte du parcnational. Cependant, il faut noter que le tourismenécessite un certain professionnalisme et aussiune envie de se lancer dans une activité différenteet complexe. Seuls certains individus, générale-ment dotés d’un capital économique et surtoutspatial (Lévy, 2003, p.124)2 1 suffisant, ou ayantdéveloppé des compétences spatiales, peuvents’intégrer dans cette activité. L’association Adrarpropose dans le cadre du plan d’accompagne-ment communautaire autour du parc du HautAtlas oriental des actions de formation pour lespropriétaires de gîtes, d’auberges ou d’hôtels etsoutient l’association des guides.
Parallèlement, les flux financiers générés par letourisme ont un profil spatial extrêmementconcentré et délimité. En effet, de nombreuxtouristes viennent dans le cadre de voyagesorganisés par des tour-opérateurs européens quitravaillent avec des agences marocainesgénéralement implantées pour leur majorité àMarrakech (Lessmeister, 2005, p. 165). Mis à partle parc national du Toubkal qui, du fait de saproximité de Marrakech et de son aéroport,bénéficie d’une certaine autonomie, les autresparcs sont sous la dépendance des agences deMarrakech. Les agences, perçues commefacilitatrices de mobilité, sont les seules à pouvoiramener massivement des touristes dans desespaces éloignés et peu accessibles (Bourdin,2000, p. 95). Or, elles travaillent avec un guideofficiel, qui peut-être originaire de la région ounon, et qui va recruter les muletiers et autrescuisiniers. De ce fait, les dépenses touristiquessont concentrées autour du guide, des quelquesmuletiers et du gîte, si le bivouac n’est pasprivilégié. Ce phénomène est encore plus fort pourles touristes motorisés qui pratiquent le fly anddrive et qui peuvent parfois ne rien dépenser,intégrant leur passage dans un large circuit dontles lieux d’étapes sont forcément des grandesvilles. De ce fait, à Imilchil, seule une vingtaine depersonnes (hôteliers, giteurs, guides, muletiers ets e r v e u r s )2 2 vont vivre directement du tourisme,pour une population de 8 222 habitants en 2004.De plus, les revenus sont davantage liés auxprestations d’hébergement qu’aux prestationsd’accompagnement, les randonnées organiséesdirectement par les guides locaux étant inférieures
espèces. La question du développement de projetsavec les populations locales étant absente de leurformation initiale, s’ils y ont été sensibilisés, cen’est que ponctuellement, dans le cadre de projetsmis en place sur le terrain. Ils reconnaissent queles chefs de projets associatifs ont les savoir-fairenécessaires pour communiquer et travailler avecles populations locales. De plus, les gardesforestiers présents localement ne souhaitent pasvoir leur charge de travail augmenter et veulent seconcentrer sur leur métier. Enfin, à Rabat, lesfonctionnaires préfèrent s’appuyer sur lasouplesse des associations, par rapport à lagestion administrative lourde, de soutien à desparticuliers qui doit respecter des démarchescontraignantes de contrôle générant une perted’énergie colossale dans la rédaction, lajustification et la vérification de bons dec o m m a n d e s .
Par conséquent, le Haut commissariat établit pourchaque espace un plan d’action communautaire. Ildétermine le cadre et les grandes orientations desactions à mener selon les spécificités locales. LesONG s’intègrent dans ce plan d’action soit par desconventions longues, soit ponctuellement sur desprojets ciblés. Par contre, le Haut commissariatconserve l’autorité pour le développement deprojets avec des associations locales nécessitantdes investissements supérieurs aux petits dons de50 000 dhs.
Les ONG et l’administration s’inscrivent dans unemême optique convergente de développementlocal durable dans le respect des grands principesmondiaux et ces principes subsument le local.Pour les ONG, le parc national n’est pas un espaceétatique, mais un espace citoyen où la sociétécivile à un rôle fort. Le véritable enjeu reste ledevenir de la population locale car le classementcomme parc national sous-entend une diminutionde la pression sur les ressources. Cette diminutionse traduit par une déprise de certaines activités,comme l’élevage, au profit de nouvelles activitésconsidérées comme moins consommatrices deressources et moins prédatrices. Les nouvellesactivités envisagées autour et dans le parc nationalsont de deux catégories : le redéploiementd’activités traditionnelles et le développement dut o u r i s m e .
Or, ce processus peut-il assurer le développementéconomique des populations locales ?
LE TOURISME, UNE ALTERNATIVE
ÉCONOMIQUE LIMITÉE
Les parcs nationaux sont intimement liés à leurexploitation en tant qu’espace de récréation pourdes populations exogènes. Le parc national duToubkal est lié au Club alpin français : en 1922, unesection marocaine du CAF est créée et pousse lecongrès national à se tenir au Maroc en 1923, alorsque les espaces de montagne sont encore deslieux de résistance à la pénétration militairefrançaise (Dresch, 1938, p. 20). Ainsi en juillet 1929,
238 Place et rôle des ONG dans l’acceptation des parcs nationaux du Haut-Atlas oriental marocainVOL 82 4/2007
Haut commissariat, ou des associations critiquentle développement du tourisme qu’ils ont pourtantsouhaité car il est jugé comme une invasion tropb r u t a l e2 6. Le parc national reste, de toute manière,un site touristique et ces promoteurs ne souhaitentpas qu’il devienne une station touristique. Au-delàdes représentations, c’est surtout la structuremême du parc national qui est remise en question.En effet, au-delà d’un certain seuil defréquentation, très loin d’être atteint2 7, lesressources du parc risquent d’être à nouveaud é g r a d é e s .
L’ACCUMULATION DES MICRO-PROJETS POUR
SORTIR DE LA MISERE
L’activité touristique ne peut être qu’une activité decomplément. Cette idée, qui peu à peu se diffusedans les institutions, est surtout défendue par lespopulations locales qui demandent d’autresprojets que le seul tourisme. En effet, denombreux individus ne se sentent pas à même demener des projets touristiques et préfèrent lerenforcement d’activités traditionnelles ensollicitant l’aide des associations. Les ONGsoutiennent ce type d’activités en les intégrantsaux grandes directives : ainsi l’apiculture est-ellel’activité privilégiée pour le maintien de labiodiversité florale comme la baie jaune sur lesbords du lac Tislit, le tissage de tapis devient-il uneactivité de type “genre” pour l’autonomiefinancière des femmes.
Ces activités complémentaires sont, elles aussi,soumises à des contraintes. En effet, seuls lesindividus les plus volontaires peuvent les mettreen place. L’apiculture considérée comme idéalepour les parcs nécessite des individus qui aimenttravailler avec les abeilles et à même decomprendre leur cycle biologique. Le tauxd’abandon sur les deux premières années estparfois supérieur à 50% et seuls quelquesagriculteurs persistent avec succès. L’impactéconomique est encore à évaluer, car là encore leseffets sont souvent limités ne permettantl’enrichissement que de quelques familless e u l e m e n t .
Aucune solution radicale ne permet ledéveloppement économique de l’ensemble descommunautés et c’est davantage l’accumulationde micro-projets, offrant des opportunitésnouvelles à des groupes spécifiques, qui permetune légère amélioration des revenus globaux. Lamise en place du parc national devient, en fait, unmoyen de multiplier les micro-investissementsdans ces régions, auparavant délaissées etconsidérées comme inutiles. Désormais, ilsdeviennent légitimes et utiles, pas seulement pourlutter contre la misère, mais pour empêcher lesmiséreux de dégrader le patrimoine naturelmondial. Par conséquent, pour reprendrel’expression de Sylvie Brunel, en Afrique la terreest préférée aux hommes, mais tôt au tard, ilfaudra privilégier les hommes si l’on veut protégerla terre (Brunel, 2005, p. 352).
à une dizaine certaines années. Les retombées dutourisme sont donc très concentrées et neconcernent que quelques individus (Goeury, 2006).Pour le site de Tamga, le phénomène est encoreplus concentré. En effet, il n’existe qu’un seul gîte,au pied du site fameux des falaises dit de “lacathédrale”. Il a réalisé 450 nuitées en 2005, soit unchiffre d’affaires estimé à 67 500 dirhams (6 000e u r o s )2 3. Ceci en fait un des gîtes les plusfréquentés de la région car il est le seul àl’intersection de deux pistes, l’une venantd’Anergui, l’autre de Zaouïa Ahansal, et les autreslieux d’hébergement (Beni Mellal au Nord,Anergui à l’Est, Zaouïa Ahansal au Sud) sont enmoyenne à trois heures de routes. Or de ce chiffred’affaires doivent être retirés l’amortissement de laconstruction et des aménagements nécessaires augîte, le coût de fonctionnement hors salaires,l’achat de la nourriture, ce qui laisse un bénéficeestimé à moins de 30 000 dhs par an, soit unsalaire mensuel brut de 2 500 dhs (220 euros) pourle propriétaire2 4.
De nombreux touristes et experts exogènes,généralement dotés de fortes compétencesspatiales, désirent aider les professionnels dutourisme local à avoir une plus grandeindépendance vis à vis des agences de Marrakech.Ainsi, des sites Internet sont développés, desbrochures sont distribuées, des annonces sontdiffusés dans les guides spécialisés. Cependant,les touristes à même de venir par leurs propresmoyens sont des individus soit eux-mêmes dotésd’une forte autonomie, soit encadrés et conseilléspar des proches. Il faut noter que leur venue nechange pas le circuit de redistribution de l’argent,mais ne fait qu’en augmenter le volume2 5. Enfin, etsurtout, il faut revenir sur le problème qu’est lacapacité de charge des parcs nationaux.Quantitativement, la fréquentation est encore trèsfaible, mais symboliquement, certains critiquent lapression croissante du tourisme (Peyron, 2006,p . 5). Les dégradations observées, comme le non-respect du ramassage systématique des déchetsnon organiques, sont davantage liés à descomportements qui peuvent être facilementcorrigés plutôt qu’à une surcharge touristique.Cependant, inconsciemment, de nombreuxacteurs des parcs nationaux comme les cadres du
23 - Nous estimons qu’une
nuitée équivaut à 150 dhs,
sachant que la nuitée est
facturée 50 dhs, chaque repas
50 à 60 dhs et le petit déjeuner
15 à 20 dhs. En effet, les
touristes sont pour la plupart
en demi-pension et quelques-
uns en pension complète.
24 - Le salaire minimum
interprofessionnel garanti est
de 1826 dhs par mois sauf
pour les activités agricoles qui
sont rémunérées à partir de 50
dhs par jour. Cependant, il faut
noter que le propriétaire du
gîte n’est pas seul à travailler,
souvent il est aidé par son
épouse ou d’autres membres
de sa famille. De plus, ce
revenu brut n’est associé à
aucune cotisation sociale
permettant de faire face aux
aléas de la vie.
25 - L’écotourisme est encore
fragile dans le Haut-Atlas
oriental. Pour l’instant seul le
parc national du Toubkal, et le
parc naturel de Talassemtane,
du fait de sa proximité de
Chefchaouen, bénéficie de la
mise en place de structures
opérationnelles associant
découverte et consommation
de produits locaux à haute
valeur ajoutée comme l’huile
et le miel.
26 - Ceci est lié au syndrome
des touristes vus comme des
“panzer divisions”, qui est
davantage lié à une rupture
des représentations, entre un
espace de parc nouvel Eden
vierge peuplé de bons
sauvages, accessible à une
élite de voyageurs, et un
239Place et rôle des ONG dans l’acceptation des parcs nationaux du Haut-Atlas oriental marocain VOL 82 4/2007
Photo 1 : Le lac Tislit (la fiancée), un haut lieu du parc. Cet agdal est le point le plus
accessible et le plus visité du parc. L'association Adrar propose divers projets pour
concilier pastoralisme, tourisme et protection de la biodiversité
espace de parc aménagé et
structuré pour être accessible
au plus grand nombre.
27 - Les statistiques sont
difficiles à connaître et sont
très variables selon les
espaces. En effet, le lac d’Islit,
tout proche de la route
goudronnée, est le lieu le plus
fréquenté, avec plusieurs
milliers de visiteurs mais
l’écrasante majorité prend
juste une photo avant de
repartir tout aussi vite. Le
second site hors parc est celui
du moussem des fiancées. La
traversée du parc, en elle-
même, ne concerne que
quelques milliers d’individus,
dont très peu s’écartent de la
piste.
28 - Actuellement, les
programmes diffusés sur les
deux chaînes nationales RTM
et 2M multiplient les
références patrimoniales pour
mettre en image la richesse et
la diversité du territoire
national. Parallèlement, de plus
en plus, de touristes nationaux
choisissent de visiter ces
espaces.
conservation de caractéristiques patrimoniales etenvironnementales désormais valorisées àl’échelle mondiale. Le Haut-Atlas oriental devientun espace du mérite, incarnant l’hétérotopie,projeté idéellement au cœur des grandsmouvements internationaux (Goeury, 2006, p.108). De ce fait, la création d’un Parc national nevient qu’achever un état de fait en renforçant larésonnance internationale de ce territoire commel’incarnation d’un “autre monde”, où les touristespeuvent revivre “le merveilleux contact” avec la“nature”. Les contraintes matérielles de la viequotidienne deviennent des “expériences” dedépaysement. L’espace est “disneylandisé”abritant de joyeux “berbères”, fiers, indépendants,vivant dans un paradis agraire (Brunel, 2006).Cependant, l’État et les ONG mettent en place unnouveau modèle de développement économiquebasé sur la multiplication des microprojetspermettant d’intégrer la population tout en faisantémerger une nouvelle élite relais. Ensemble, ilsvont faire du parc national un espace identitaire,préservant le patrimoine naturel et culturel desMarocains, sur lequel va s’ancrer la mémoirenationale, la mémoire amazighe et de nouvellesrevendications politiques permettant aux Locauxde se réapproprier leur territoire2 8.
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CONCLUSION : CONSTRUIRE UN PARC, EST-CE
FAIRE LE TRI DES ÉLÉMENTS DU DÉCOR OU
FAIRE PARTICIPER LES POPULATIONS À LA
GLOBALISATION ?
Le processus de constitution de parcs nationauxtransforme profondément les relations entre leshommes et un espace. Les intérêts des usagersexogènes potentiels sont privilégiés par rapportaux usagers allogènes captifs. Pour cela, il fautqu’il y ait une véritable transformation desstructures économiques à même d’accompagnercette recomposition spatiale ; sinon, cela induitl’idée que l’espace parc doit se vider d’une partiede sa population de résidents pour êtresimplement un espace de fréquentationtouristique et atteindre, ainsi, les objectifs deprotection. Les populations locales sont,indirectement, incitées à se réorganiserspatialement autour du parc. Ce phénomène estfavorisé par l’implantation de nouveaux servicesconcentrés dans les villages périphériques,comme les établissements d’enseignementprimaire et secondaire, ou les dispensaires.
En fait, la structure parc accentue la dimension decontrôle des populations locales par un nouvelencadrement très dur, par le haut. L’action deconservation, considérée comme ultra-légitime àl’échelle nationale et internationale, dépossède lespopulations de leur droit de propriété traditionnel,c’est-à-dire de leur liberté d’agir sur l’espace.Même si elles déploient des stratégies decontournement, elles restent néanmoins toujourspassibles de sanctions par la loi. De ce fait, mêmesi les individus sont très rarement condamnés, ilsne se sentent plus maîtres de leur territoire et au-delà de l’amende à payer, c’est surtoutl’humiliation d’être rappelés à l’ordre et d’êtretraités comme des délinquants, voire des arriérésincapables d’intégrer la modernité internationale.Les habitants ne sont plus que des usagers devantrespecter une législation coercitive qui définit etfige la circulation, les méthodes de production, lestechniques de construction. La conservation de latradition est décidée par le haut, au nom de savaleur patrimoniale et dépaysante, alors que le basréclame un droit à la modernité (c’est-à-dire auchangement) pour quitter ce qui évoque,désormais, la misère. Les ONG apparaissentcomme les intermédiaires et les médiateurs àmême de résoudre les conflits. Cependant, ellesparticipent des encadrements par le haut etrelaient l’action de l’État au nom de principesinternationaux qu’elles partagent. Elles changentjuste les formes de l’intervention, instrumen-talisant l’action de providence pour créer unespace d’éducation et d’acceptation de cesprincipes internationaux qui justifient la mise enplace du parc national.
Ainsi, l’enclavement, comme mise à l’écart desgrands projets de développement à l’échellenationale, et comme déconnexion matérielle desgrands circuits d’échanges, a favorisé la
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