Post on 21-Jan-2023
Corona, 2002, céramique, ciment, bois, peinture, 350x490 cm.
Marion Duquerroy,
Doctorante Paris 1 Panthéon Sorbonne, Cirhac, Hicsa,
Chargée de cours Paris 1 & 8
Natures Mortes, Fleurs Animales et autres experimentations
dans l’oeuvre de Mat Collishaw.
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Bullet Hole, voilà l’œuvre qui lança la carrière de Mat Collishaw, artiste britannique
né en 1966 à Nottingham. Dès 1988, il expose cette photographie d’un impact de balle sur un
crane humain à la maintenant fameuse Freeze, exposition de fin d’année des étudiants du
Goldsmith’s College of Art, organisée par son contemporain Damien Hirst. Achetée
immédiatement par Charles Saatchi, elle sera la seule œuvre représentative du travail de
l’artiste à la non moins fameuse, voire « infâme » ou « infamous » Sensation presque dix ans
plus tard à la Royal Academy. Avec ce cliché, penchant vers le mauvais goût ou le gore, Mat
Collishaw s’inscrit parfaitement dans la mouvance sensationnaliste réclamée par le marchand
d’art et soulève son poids de contestations et de controverses. Cependant Mat Collishaw ne
reste pas aussi longtemps que ces amis, Sarah Lucas, Damien Hirst ou Gary Hume dans les
tabloïds pour des raisons artistiques. Il devient pendant cinq ans le compagnon de Tracey
Emin, artiste connue pour ses excès en tout genre et ses appariations télévisées surprenantes,
et, en dépit de former le couple le plus glamour des soirées londoniennes, Collishaw se vautre
dans l’ombre de sa compagne. Pourtant il produit toujours et beaucoup et tente de s’écarter de
l’univers trash, base de son succès.
Bullet Hole, 1988, transparent, boîte lumineuse, 243,8 x 365,8 cm.
Son œuvre reste néanmoins sombre, montrant une société cruelle où les humains sont
victimes de leurs propres perversions ou acteurs de barbaries. Qu’est-ce qui fait alors dire que
Mat Collishaw s’est assagi ? Peut être simplement la beauté des images qu’il utilise ou la
grâce de l’iconographie. Alors que la figure humaine est quasi absente de son travail, il
approche ses questionnements par le biais de la nature. Ici, des fleurs aux couleurs
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chatoyantes là, des animaux fragiles et délicats. Mais cet étalage de beauté n’est rien qu’un
vernis, il faut s’approcher de plus près, regarder en détail les œuvres pour comprendre
qu’aucune n’offre à voir une image paradisiaque. Il joue avec les anachronismes, traitant de
sujets d’actualité tout en s’inspirant de l’imagerie du 19ème siècle britannique, de ses
inventions, de son esprit. Il allie la science à l’art et, avant tout, la photographie. Il est sans
dire, que les anglais sont proches d’une certaine forme de science, une science populaire qui
met en avant une dimension pédagogique. La science n’est nullement sacrée, il suffit de voir
le spectacle des enfants se précipitant au British Museum, et sa vulgarisation n’est
aucunement péjorative. En questionnant les artistes britanniques, et plus particulièrement les
yBas, les visites au muséum apparaissent comme un dénominateur commun de leur jeunesse
et d’une influence considérable. Il n’est qu’à se rappeler du nombre d’évènements
transdisciplinaires organisés autour de l’anniversaire de Charles Darwin l’année dernière,
motivant aussi bien les biologistes que les historiens d’art ou artistes entre autres.
Mat Collishaw nous offre à voir la nature, mais toujours en détails, de l’ordre de la macro
observation ; il l’enferme dans des bulles de verres, accumule les artéfacts à la manière d’un
collectionneur pour son cabinet de curiosités, il la photographie au plus prêt. Et ses références
au 19ème siècle, à la période victorienne ne cessent de se décliner. Ne nous trompons pas pour
autant, et je pense pouvoir le soutenir ; nous ne sommes pas devant un artiste rompu
d’érudition, mais bien, et tout comme ses contemporain, devant une personne influencée par
une certaine culture et imagerie populaires britanniques, allant des livres d’anatomie pour
grand public aux encyclopédies de jardinage. Certains auteurs, cite Baudelaire ou Bataille en
regard de l’œuvre de Collishaw ; je ne suis pas certaine qu’on puisse toujours se le permettre.
Il faudrait regarder davantage vers les littératures plus communes en Angleterre telles Oscar
Wilde ou celle de science fiction.
Par ailleurs, il pourrait être avancé, que les anachronismes récurrents dans son œuvre, les
empreints aux techniques anciennes, à l’imagerie victorienne etc. pourraient être motivés par
son éducation. Elevé chez les Christadelphes, communauté religieuse classifiée comme secte,
il est, entre autre, privé de télévision et forcé à une éducation chrétienne stricte et évidemment
aux lectures bibliques quotidiennes. Alors que les artistes de sa génération, puisent leurs
influences, en grande majorité, dans la publicité, la lecture facile, les tabloïds, les héros de
bande dessinée, il est aisé d’imaginer que la culture de Collishaw diffère sensiblement,
influençant très certainement sa pensée artistique.
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En outre Mat Collishaw utilise la faune et la flore dans son œuvre mais jamais à des fins
écologiques, elles sont plutôt des métaphores de la condition humaine dans la société
contemporaine, peut être, plus précisément, dans la société britannique. Il s’inscrirait alors
dans la seconde définition de la nature dans la pensée contemporaine que propose Kate Soper
dans son ouvrage intitulé What is Nature ?1 Selon l’auteur, une distinction de la nature est à
faire entre d’un côté les préoccupations pratiques de l’écologie et, d’un autre côté, les
emphases théoriques du post modernisme. La première concernant la nature que nous sommes
en train de détruire, gâcher et polluer, la seconde, la façon dont les relations avec le monde
non-humain sont toujours historiquement arbitrées2.
Patrick Keiller, réalisateur britannique, avance dans le texte accompagnant le catalogue
Landscape, exposition organisée par le British Council en 2000, et traitant de la thématique
du paysage par des artistes vivants au Royaume Unis, que :
“In the UK, the subjective transformation of landscape seems to offer the individual way to
oppose the poverty of everyday surroundings. As individuals, we can’t rebuild the public
transport system, or re-empower local democracy, but we can poeticise our relationship with
their dilapidation. Perhaps this is a legacy of the 1980s when, in London at least, large parts of
the city were visibly altered by a political force that was shocking, especially after the
stagnation of the 1970s. Perhaps the impulse to poeticise landscape in this way coincides with
times of heightened political tension3”.
En 1997, Mat Collishaw commence la série des Infectious Flowers. Ses boîtes lumineuses
contiennent les clichés de fleurs en pleine maturité, parfaitement écloses et offrant alors leurs
plus belles couleurs et, facilement imaginable, leurs meilleures odeurs. Leur chatoiement est
leur forme sont sublimés par la technologie même du médium. Le titre pourtant nous intrigue
et force notre curiosité. Il faut s’approcher davantage pour comprendre en quoi, ces fleurs sont
infectieuses. Chacune a été informatiquement modifiée et greffées d’une maladie de peau
contagieuse. De belles, ces fleurs deviennent monstrueuses, répugnantes, tueuses même mais
sous des formes aguicheuses. Elles attirent notre regard pour mieux nous attraper, nous piéger 1 Kate Soper, What is Nature: Culture, Politics and the Non-Human, London, Blackwell Publishers, 1995. 2 Steve Baker, the Post Modern Animal, London, Reaktion Books, p.8. 3 “Popular Science” Patrick Keiller, Landscape, cat exp. 2000, pp.8-9.
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et nous tombons dans ce piège esthétique avec facilité et naïveté. Il ne nous reste qu’à nous
mordre les doigts d’avoir été si crédules, d’avoir cédé à la tentation facile. Avec cette série
Mat Collishaw explore les bas fonds des jardins et parcs urbains la nuit, la pollution des
espaces verts par la vermine et les maladies contagieuses que transporte l’humain.
Infectious Flowers, 2004, impressions numériques.
Je ne suis pas certaine, comme il est avancé parfois, que l’artiste cherche à montrer les
dommages des nouvelles biotechnologies sur la nature - argument qui se fonde sur la
combinaison fleurs/retouche informatique - mais plutôt qu’il se sert de cette imagerie afin de
témoigner d’une certaine décadence de la période actuelle.
Il faudrait alors appréhender cette série en regard d’une autre œuvre Shooting Stars.
Shooting Stars, 2008, installation, dimension variable.
Cette installation se compose d’images trouvées sur internet d’enfants prostitués de la période
Victorienne dans des poses tout aussi aguicheuses que vulnérables. Projetées sur le mur de la
galerie, ces images sont complétées par une autre série, quasi identique, mais cette fois
rejouée par un modèle plus âgé. L’ensemble apparaît brusquement, explosions saccadées
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d’images, sur un fond de peinture phosphorescente avant de s’effacer, disparaître. Là encore,
la maladie est au centre des recherches, montrant des enfants, en un flash, tels des fantômes,
des vies fragiles habituées trop jeunes à la violence et aux maladies sexuelles. Pour ces petites
filles avance l’artiste « leurs vies ne sont pas plus longues que leur exposition rapide à
l’obturateur de l’appareil photographique 4».
Son contemporain Marc Quinn utilisera les fleurs dans un but quasi similaire. En 2000, la
Fondation Prada commissionne Garden se composant de centaines de plantes venant de par le
monde, placées dans un aquarium géant et conservées dans du silicone à -20°c. Aucune des
plantes n’est censée vivre avec les autres, elles ne viennent pas du même environnement et ne
fleurissent pas à la même saison. C’est une nature idyllique et improbable que nous propose
Marc Quinn, une sorte de perfection arrêtée dans son plus beau moment grâce à la magie de la
congélation. Ni mortes ni vivantes, ces fleurs « (…) quand elles congèlent deviennent une
image pure. Elles deviennent une image de fleurs parfaites parce qu’en réalité leur matière est
morte et elles sont suspendues dans un état de transformation entre l’image et la matière
pure. 5»
Décadence de la période contemporaine encore, ces fleurs malgré leur beauté et vivacité, sont
pétrifiée et alors signe de mort. Dépendantes du caisson frigorifique, elles s’adressent à nous
tel un memento mori, nous mettant en garde de la fragilité de notre existence. Collishaw
comme Quinn corroborent les dires de Nicholas Alfrey sur la question du jardin contemporain
qui, selon lui, est « un site de contradictions et d’incertitudes […] un jardin de délices
immatériels et d’imperfections matérielles6 ».
Dans un ouvrage consacré à l’art des fleurs du 17 au 20ème siècle, Hans-Michael Herzog,
traitant, dans une dernière partie, de la période contemporaine, souligne un changement
d’appréhension de la nature morte à partir des années 80 avec l’avènement du Sida. Selon
l’auteur, Roberts Mapplethorpe et les photographies de fleurs qu’il prendra en fin de vie, se
sachant condamné, changent toute vision que nous pouvons, dès lors, avoir sur l’iconographie
florale. « Depuis la mort de Mappelthorpe, aucune présentation de nature morte florale en
photographie, vidéo, image numérique et média interactif ne peut faire autre chose qu’allusion
à la mort7 ». La photographie ne pourrait alors ni continuer dans la tradition de la nature
4 http://www.independent.co.uk/arts-entertainment/art/reviews/mat-collishaw-shooting-stars-haunch-of-venison-london-869587.html 5 « Marc Quinn’s suspended garden », en ligne http://humanflower.com (n’existe plus). 6 Nicholas Alfrey, Stephen Daniels, Martin Postle, Art of the Garden, the garden in British art, 1800 to the present, Londres, Tate Britain, 2004, p.188. 7 Hans-Michael Herzog, “Flowers placed in the medium: Nature Staged in Technical Documentation Media”, The art of the Flower : the floral still life from the 17th to the 20th century, Stemmle, Zurick, 1996.
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morte florale ni proposer de simples clichés de nature ; elle s’approcherait en revanche de la
tradition du portrait. Du portrait ou de la tradition picturale, plus précisément de la tradition
hollandaise du 17ème siècle qui multipliait les tableaux de bouquets et vases de fleurs comme
rappel de notre condition de mortel. Ces images de plantes expriment l’anxiété face à la perte
ou la mort. Et la tradition photographique de reprendre ce thème montrant des images de
fleurs en train de faner, toujours belles mais marquées alors d’imperfections qui signalent et la
pourriture et la mort approchante. Elles peuvent être aussi la représentation de l’innocence,
celle de ces fillettes qui, trop tôt confrontées à la vue adulte, seront, sous peu victimes de
maladies sexuelles, celle aussi d’une génération qui devra vivre avec la pandémie sidéenne et
la multiplication des cancers.
Nombreux sont les artistes britanniques qui, dès les années 70, uniront les thèmes de la mort,
la sexualité à celui de la nature. Gilbert & George ne sont pas en reste mais, peut être, faudrait
il voir une plus grande influence en l’artiste féministe britannique Helen Chadwick. Avec
Viral Landscapes, groupe de cinq photographies, Chadwick décide de ne plus utiliser son
corps comme modèle – les féministes critiquèrent vivement l’utilisation de son corps dans son
travail car selon elles l’esthétique féminin ne devaient plus faire partie de leurs préoccupations
– mais plutôt des échantillons de cellules prélevés de ses vagin, bouche et oreilles. Les images
d’échantillons sont alors informatiquement ajoutées aux clichés de paysage puis, l’ensemble
est immergé dans la mer alors que l’artiste jette de la peinture dessus laissant le mouvement
des vagues faire le travail. Vivement influencée par les écrits de Sontag, et entre autres Aids
and its Metaphors8, qui analyse les transferts métaphoriques entre le concept de virus et les
autres formes de traumatismes sociaux ou environnementaux, Chadwick se penche sur le
concept d’habitation de corps étrangers, de maladies et autres dans notre corps en le
comparant à notre invasion et/ou dissolution dans le paysage.
Dans le cas de Mat Collishaw, Chadwick ou Quinn, nous avons toujours à faire à des images
d’une beauté suspicieuse, celle qui ne nous révulse pas, mais au contraire, nous attire pour
mieux nous faire détailler l’horreur. Avec les pièces Infectious Flowers, Collishaw a « essayé
de faire des images comme celles qu’on trouve dans les manuels de jardinage. Votre réponse
immédiate à ces images (dit-il) devrait s’apparenter à celle d’une aisance relative, pas à une
répulsion instantanée. Cependant, quelque part, au bout, la contradiction entre ce qui a été mis
ensemble et comment, devrait soulever des doutes. Plus que tout, j’essaie de générer un air
8 Susan Sontag, Aids and its Metaphors, London, Allen Lane, 1989.
7
d’indifférence ou une tension ambiguë envers les images que j’utilise en accentuant puis en
mortifiant leur beauté.9 »
En cela Mat Collishaw se rapproche de la littérature du 19éme siècle, de la période décadente
et on ne peut que se remémorer, face à ces orchidées, amaryllis contaminées, la fragilité des
dandys qui s’adonnaient à la collecte obsessionnelle des fleurs, exhibant avec joie et
délectation les pétales malades, la faiblesse de la beauté.
Dorian Gray, chapitre XVII du livre d’Oscar Wilde, assis dans la serre de Selby Royal,
s’entretien avec la duchesse de Monmouth concernant son prénom :
- « Ma chère Gladys, je ne voudrais changer aucun de vos deux noms pour tout au monde ; ils
sont tous deux parfaits... Je pensais surtout aux fleurs... Hier, je cueillis une orchidée pour ma
boutonnière. C'était une adorable fleur tachetée, aussi perverse que les sept péchés capitaux.
Distraitement, je demandais à l'un des jardiniers comment elle s'appelait. Il me répondit que
c'était un beau spécimen de Robinsoniana ou quelque chose d'aussi affreux...
Et plus loin :
- La laideur est alors un des sept péchés capitaux, s'écria la duchesse.
Qu'advient-il de votre comparaison sur les orchidées ?...
- La laideur est une des sept vertus capitales, Gladys. Vous, en bonne Tory, ne devez les
mésestimer. »
Mat Collishaw ne cache pas sa fascination pour la période victorienne, les préraphaélites et la
littérature fin de siècle. Il en fait, bien au contraire la base de tout son œuvre, transfigurant les
problèmes sociétaux actuels en les enjolivant d’histoires, de contes du temps passé. Alors que
ces contemporains s’engouffrent, pour la plupart, dans le documentaire social cher à
l’Angleterre pour témoigner des dommages causés pas la politique de Thatcher, Collishaw
biaise ses revendications et les enrobe d’une atmosphère tout aussi féérique que morbide,
recevant les influences de Jack l’Eventreur, en passant par la confrérie préraphaélite ou la
prostitution infantile. « Men and women, chocking of ennui, cry for blood-blood-bood”,
declare William T Stead en réponse à l’augmentation des ventes journaux alors que régnait la
terreur de Jack l’Eventreur dans les rues de Londres. Leur désir pour la passion, la folie, le
9 Gregor Muir, Mat Collishaw,
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meurtre et la mort était une indication choquante qu’une société éduquée pouvait partager
avec un désir collectif de sang, avance Jessica Lack dans un article consacré à l’artiste10.
Ancré dans l’histoire de son pays, Collishaw oscille toujours entre cruauté et beauté et la
nature est son meilleur terrain de jeu. Avec la photographie Who Killed Cock Robin/Duty Free
Spirits (1997), il utilise une fois de plus les fleurs comme leurre pour attirer notre attention et
nous attendrir. Au milieu de liserons, fleurs et fruits de muriers et autre végétation semi
sauvage, trois enfants miniatures semblent payer hommage à un rouge gorge mort en lui
apportant des bouquets de fleurs.
Who killed Cock Robin/Duty Free Spirits, 1997, Iris print, 121,9x81,3 cm.
Cette image est directement influencée par la peinture préraphaélite et plus particulièrement
par Richard Dadd (1819-87), peintre victorien de fées qui fut tout aussi connu pour ses
troubles mentaux et son internement après avoir assassiné son père. Lors d’un entretien, Mat
Collishaw montre le tableau de Dadd représentant trois enfants regardant avec tristesse le
corps d’un rouge gorge géant. En rapprochant les deux images, on devine alors que ces
enfants, qui pourraient être qualifiés de modèles au premier coup d’œil, viennent, en fait, de
tuer l’oiseau en lui offrant des baies vénéneuses à manger. En petits démons, ils s’apprêtent à
fêter joyeusement cette cérémonie macabre.
Toujours, avec une envie similaire de montrer une nature à la fois sublimée et décadente, Mat
Collishaw propose une série de photographies le mettant en scène tentant d’attraper des fées
dans un canal londonien à l’est de la ville. Voulant emprisonner le rêve dans son filet, l’artiste
enjolive alors la nature urbanisée, environnante et polluée. L’effet est similaire dans son
œuvre Narcissus (1990). Avec Catching Fearies, l’œuvre prend de nouveau source dans une
10 Jessica Lack, « Appetite for Corruption », in Dazed and Confused, août 2008.
9
série de cinq clichés prise au début du 19ème siècle par Elsie Wright and Frances Griffiths,
deux jeunes cousines (10 et 16 ans sur les premiers clichés), se mettant en scène dans des
poses romantiques entourées de petites fées. Enthousiaste à la vue de ces photographies, Sir
Conan Doyle, auteur de Sherlock Holmes, croyant à leur véracité, les utilise pour illustrer un
article consacré aux fées et le publie dans The Strand Magazine, lors du noël 1920. Les
images continuèrent à être reproduites et à susciter un vif engouement. La supercherie est
révélée, par les cousines, elles mêmes, des décennies plus tard, expliquant le découpage des
figures dans des cartons et la mise en scène, à part, soit disant, pour la cinquième et dernière
age qu’elles soutiennent être vraie.
im
Catching fairies, 1996, photographies couleur, 45x65 cm.
ars) étaient pris dans la rue et exploités pour les fantasmes des d’hommes vieux et
st bien connu pour avoir abusé des drogues ; mettant incessamment son
corps en danger.
S’expliquant sur ce travail en regard de l’installation Shooting Stars, que j’ai présentée plus
tôt, Mat Collishaw s’exprime en ces mots : « Avec les Cottingley Fairies, on donnait aux
enfants le temps et la liberté de laisser aller leur imagination. Mais ces enfants (ceux de
shooting st
sales. 11»
Et l’artiste de continuer à utiliser l’imagerie populaire avec les Little Miss, montrant des
petites filles telles des fées dans des paysages bucoliques. Gracieuses et les cheveux ornés de
fleurs, elles rappellent les photographies que Lewis Carroll à prises d’Alice. De nouveau, on
pourrait être pris d’un sentiment ambigu connaissant les extrapolations faites au sujet de la
relation qu’entretenait Carroll avec sa muse ; et cela rappelle une fois de plus la thématique de
l’exploitation infantile chère à Collishaw. L’ensemble de la série est entourée de lourds cadres
dorées à volutes accentuant encore le jeu d’anachronisme. Alice au Pays des Merveilles
encore, mais cette fois, traitée avec humour dans Dream Pipe. Collishaw, allongé sur une
amanite phalloïde, prend la place de la chenille fumant le narguilé. Humour, ou plutôt humour
noir car l’artiste e
11 Jessica Lack, « Appetite for Corruption », in Dazed and Confused, août 2008.
10
Little Miss Chief, 2002, photographie couleur, 20,3 x 25,4 cm.
Mat Collishaw continue sans relâche à accumuler les références au passé, à collectionner les
images et histoires anciennes pour mieux les actualiser, à collecter et échantillonner la nature
tel un biologiste. Il fait venir des papillons de Chine et les écrase entre les verres du scanner
afin de faire éclater la poudre irisée de leurs ailes. Cruauté d’enfant qui s’adonne au sadisme
sur les insectes ou fascination du collectionneur face à un étalage d’espèces qu’il domine et
exhibe comme richesse ; on penchera plutôt pour la seconde hypothèse. Une fois mis sous
lames, la nature est, et immortalisée et dominée. Dominée encore, dans cette œuvre qui
reproduit virtuellement l’expérience du vide d’air sur les animaux et peinte par Joseph Wright
of Derby. Dans In an experiment on a Bird in the air pump (1768), l’oiseau, privé d’oxygène,
est entouré d’une famille dont chaque membre dévoile différentes réactions : la curiosité, le
dégout, le désintérêt etc. Collishaw reprend l’idée en, cette fois, filmant un canari et
l’enfermant virtuellement par le biais de la projection dans un globe de verre. L’oiseau ne
meurt pas mais est condamné à errer sans fin dans sa nouvelle prison. Et c’est nous qui
suffoquons, face à cette interminable torture.
Antique, 1994, projection vidéo, verre, bois, acier.
11
La nature humaine n’est pas en reste et, elle aussi, est mise sous cloche avec Snow
Storm/Homeless Dome (1994). Collishaw projette des courtes vidéos d’un sans-papier
irlandais dans des boules de neige en verre. La féérie des flocons tourbillonnants
accompagnée d’une petite musique d’orgue de barbarie, une fois encore nous détourne du
sujet principal, la pauvreté, que discute ici l’artiste. Et c’est encore un grand écart entre les
époques et les sujets que fait Collishaw. Le clochard est traité tel un motif dans cet objet
supposé avoir été inventé lors de l’exposition universelle de 1878 à Paris. Au contraire de sa
contemporaine Gilliam Wearing et de ses clichés de sans-abris et street drinkers pris crument
et frontalement dans les rues de Londres, Collishaw poétise la cruauté, enjolive le quotidien
en l’inscrivant dans une enveloppe d’antiquaire.
Homeless Dome, 1994, projection vidéo, verre, bois.
L’éclectisme de ses inspirations prend enfin la forme d’un cabinet de curiosités avec le projet
commissionné par le Freud Museum à Londres. En 2009, il est invité à se réapproprier le
bureau du célèbre psychologue. Face au divan, aux nombreux livres et objets collectionné,
Collishaw surcharge l’espace, le réinvestit en ajoutant à l’accumulation. Au milieu de la
pièce, trônent trois troncs Total Recall qui semblent voir pris racine dans le tapis. Ces arbres
sont en fait les bases de tournes disques, les vinyles prennent la forme de tranche de bois,
comme celles utilisées pour la dendrochronologie. Quand joués, ces troncs musicaux offrent à
entendre des bruits d’oiseaux, mémoire de la nature, de l’enfance, des soirs d’été passés
jusque tard dans les parcs.
12
Total Recall, 2009, résine, tourne-disques, disques vinyles.
En somme, tout l’œuvre de Mat Collishaw prend la forme d’un cabinet de curiosités géant :
anachronisme des références, hybridité des médiums, imbrication du merveilleux à la
représentation codifiée de la réalité, il se joue des codes esthétiques et formels, du bon ou du
mauvais goût. La nature est prétexte à la réalisation d’objets hétérogènes qu’il regroupe en un
même endroit, qu’il porte en réponse les uns des autres. Il collectionne aussi bien les
échantillons, les images photographiques que les références au passé, et plus précisément
celui du 19ème siècle, celui de l’époque victorienne. Il rejoue l’époque où les sciences étaient
populaires, surprenantes, extraordinaires, mêlant la pensée cartésienne aux arts, où les
photographes se voulaient biologistes. Il brouille les frontières temporelles et greffe du
merveilleux aux sujets actuels les plus sombres. Chercherait-il alors à reclassifier cette nature,
cette curiosité ou monstruosité modernes, et proposerait-il alors une nouvelle définition de la
nature, la sienne ? Mat Collishaw collecte, collecte et attend de comprendre comment ces
artéfacts pourraient interagir ensemble, fonder un tout, une idée, une définition, comme sa
toute récente installation commissionnée par le BFI à Londres, patchwork d’images, et de
vidéos filmées par l’artiste ou prises sur internet et imbriqués dans un retable en bois sculpté.
L’homme laisse une nouvelle fois sa place au paon, hibou, mouton, oiseau en cage, paysage et
autre. De l’ensemble, une atmosphère anxiogène se dégage, nous laissant face à nos propres
peurs, cauchemars et responsabilités.
Peut-être pourrions-nous alors apercevoir, une ébauche de revendication écologique dans son
œuvre. Mais si elle existe, elle se dilue instantanément, elle est englobée et elle refait la
boucle avec ses préoccupations humanistes premières :
« Mais si je suis malade, je pense que ça doit être ainsi parce que je suis le produit de mon
environnement, de la société dans laquelle je vis. Montrer ces choses, c’est reconnaître que
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toute chose n’est pas comme elle apparaît dans le catalogue Petrolium sur la vie sauvage. […]
Aussi, je ressens en trouvant ces images et en essayant d’aller de plus en plus loin dans mon
art avec elles, qu’il y a l’idée de cette pollution qui n’est pas seulement physique au sens du
monde naturel et minéral, mais qu’il y a une pollution de l’esprit, bien présente. La
pornographie s’apparente à la pollution écologique en ce sens que de façon perverse elle
prend des choses naturelles, les tord dans tous les sens et les rejette.12»
Retrospecte, 2010, bois, acier, miroir de surveillance, ordinateur, vidéoprojecteurs.
12 Mat Collishaw, Gallery Analix, entretien avec Alison Sarah Jacques, pp.61-2.
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