SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES AU MAROC : L’INSTITUTIONNALISATION ET LES PRATIQUES – LE CAS DE LA...

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SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES AU MAROC : L’INSTITUTIONNALISATION ET LES PRATIQUES – LE CAS DE LA SOCIOLOGIE Pr. Abdelfattah Ezzine Chef de Département des Sciences Humaines Ecole Nationale d’Architecture – Maroc I- En guise de cadrage théorique : Exergue(s) 1. a. « Dans les sciences de l’Homme, l’affaire est plus complexe : le réglage du texte ne répond pas que de très loin à un protocole scientifique, car il entre dans une bataille de la représentation idéologique au Maroc. Il ne faut pas le regretter, ni s’en indigner. Il faut, je pense, prendre la chose comme elle est, comme un constat, comme un arrangement avec lequel on doit accepter de vivre, au moins encore pour longtemps, pour plus longtemps que nous en tout cas ».[1] 2. b. « La fin de l’orientalisme — et de l’africanisme — n’a pas seulement sonné le glas d’une conception européocentrique de l’homme mais elle a opéré une mise en question de concepts, méthodes et théories utilisées en sciences sociales et en histoire pour justifier la domination coloniale et expliquer le retard de nos sociétés et leur inéluctable « colonisabilité ». Le vrai progrès à faire accomplir à la connaissance de nos sociétés consiste à récuser tout autant l’ontologisme de l’historiographie traditionnelle que la prétention occidentale à l’universalité ».[2] 3. c. « Une sociologie absolument dépourvue du sens de sa propre histoire se prive du même coup de tout ce que ses savants illustres ont vécu et des conclusions auxquelles ils sont parvenus avant elle. C’est une sociologie qui n’a aucune idée de ses propres acquis, une sociologie des croyances

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SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES AU MAROC : L’INSTITUTIONNALISATION ET LES PRATIQUES – LE CAS DE LA SOCIOLOGIE

Pr. Abdelfattah EzzineChef de Département des Sciences Humaines

Ecole Nationale d’Architecture – Maroc

I-              En guise de cadrage théorique : Exergue(s)1. a.       « Dans les sciences de l’Homme, l’affaire est plus complexe : le réglage

du texte ne répond pas que de très loin à un protocole scientifique, car il entredans une bataille de la représentation idéologique au Maroc. Il ne faut pas le regretter, ni s’en indigner. Il faut, je pense, prendre la chose comme elle est, comme un constat, comme un arrangement avec lequel on doit accepter de vivre, au moins encore pour longtemps, pour plus longtemps que nous en toutcas ».[1]

2. b.        « La fin de l’orientalisme — et de l’africanisme — n’a pas seulement sonné le glas d’une conception européocentrique de l’homme mais elle a opéré une mise en question de concepts, méthodes et théories utilisées en sciences sociales et en histoire pour justifier la domination coloniale et expliquer le retard de nos sociétés et leur inéluctable « colonisabilité ». Le vrai progrès à faire accomplir à la connaissance de nos sociétés consiste à récuser tout autant l’ontologisme de l’historiographie traditionnelle que la prétention occidentale à l’universalité ».[2]

3. c.       « Une sociologie absolument dépourvue du sens de sa propre histoire seprive du même coup de tout ce que ses savants illustres ont vécu et des conclusions auxquelles ils sont parvenus avant elle. C’est une sociologie qui n’a aucune idée de ses propres acquis, une sociologie des croyances

« totalement aveugles » de chaque nouvelle génération d’apprentis chercheurs. Partant, en dépit de toutes ses prétentions méthodologiques au statut scientifique « pur », elle est non scientifique ».[3]

Analyser l’institutionnalisation et les pratiques du savoir sociologique au Maroc nécessite une démarche historique qui essaie non seulement de réécrire l’histoire de ce savoir mais aussi de le situer dans la cadre des sciences humaines et sociales que ce soit au niveau académique ou au niveau intellectuel sans oublier de mentionner l’incidence du processus socio-politique sur son devenir. La question de cettehistoriographie pose des problèmes concernant aussi bien le choix des ressources et la construction du corpus bibliographique que le choix des concepts opératoires. Pour cela les questions idéo-culturelles soulevées par ces exergues sont d’une actualité qui ne concerne pas seulement la généalogie marocaine (voire maghrébine, arabe et aussi musulmane) de cette sociologie mais aussi sa pratique. Il est vrai que certaines tentatives d’écriture de l’histoire de cettesociologie[4], sous forme de bilans ou autres, ont essayé à mettre en valeur les caractéristiques saillantes de cette sociologie ou de celle-ci au sein des sciences humaines et sociales. Cependant, il faut noter à la lumière des exergues que si certains travaux ont abordé la sociologie au Maroc, d’autres se sont étalés à la production sociologique au Maroc et sur le Maroc[5].Dans ce contexte, la production espagnole reste sous-analysée surtout celle de la période coloniale. En plus, comme nous l’avons constaté à travers la majorité des références citées dans la note infrapaginale 4, la question de l’histoire de cette discipline reste perçue comme une affaire d’historiographie. « Notons simplement ]comme l’a dit Jerzy Szacki[ qu'en pratique tout historien de la sociologie postule un certain progrès effectif des connaissances en matière de société : on le voit à ce qu'il commence par distinguer nettement la « pensée sociale », d'une part, et la « sociologie» ou « analyse sociologique », d'autre part, et évoque ensuite les notions d' « enrichissement », « amplification », « affinement de l'analyse », « résultats de pointe », etc. Il est vrai que les critères d'un tel progrès sont rarement formulés avec suffisamment de précision. Et il est admis, tacitement et parfois expressément, que le processus de cumulation des savoirs sociaux est commandé par des régularités

différentes de celles qui caractérisent les sciences exactes » [6]. D’ailleurs, il faut signaler que derrière les débats d’idées entourant l’histoire de toute discipline se cachent d’autres débats souvent plus profonds qui mettent en cause les méthodes, les théories, les façons de pratiquer la sociologie, de même que la capacité des sociologues à définir ces grandes tendances méthodologiques ou théoriques, ou du moins à les infléchir. C’était le cas du feu Abdelkébir Khatibi qui n’a jamais pratiqué le terrain, mais qui a critiqué les techniques d’enquête ; en l’occurrence : l’enquête d’opinion au Maroc (le questionnaire)[7]. Aussi, dans le cadre de l’écriture de l’histoire de la sociologie, certains fondateurs de cette sociologie, absorbés par l’enseignement, la formation et l’encadrement n’ont pas pu laisser assez de traces écrites, malgré leur grand impact sur le devenir de cette discipline, comme c’est le cas de Mohammed Guessous.Ces observations nous pousse à soulevé d’abord non la question de scientificité comme elle a été traitée dans le N° de la RISS[8] qui a été consacrée à l’épistémologie des sciences sociales ; mais une affaire collatérale concernant le nom qu’on

donne à cette science. Il s’agit de « ‘Ilm Al-Ijtima’ » ( ع�لمتماع littéralement « science du social ». Cette nomination (الاج��est utilisée couramment et officiellement (même dans le cadre académique) comme équivalent de « sociologie ». Or, on sait quela naissance de la sociologie est concomitante de l’émergence de la « question sociale » et de « l’invention du social », dans le contexte de sociétés industrielles qui se caractérisentpar l’autonomisation du marché et la naissance d’une « société civile », distincte et autonome de la « société politique ». Dans le cas français, Jacques Donzelot souligne que le « social », tel que découvert, ou plutôt inventé, par Durkheim,serait « une fiction efficace dont la portée explicative quant au fonctionnement des sociétés ne vaut que par relation avec ces deux fictions que sont l’individu en tant que principe d’intelligibilité de la réalité sociale et la lutte des classesen tant que moteur de l’histoire »[9]. Dans le monde arabe, le contexte socio-historique ne présentait pas les mêmes caractéristiques, c’est la situation coloniale qui a rendu possible l’émergence de cette science dans le monde arabe.

D’abord, c’est en Egypte que Rifa’at At-Tahtawi (( اعة ال�طهطاوي� ,رف��

en relation avec Sylvestre de Sacy reconnu pour sa découverte d’Ibn Khaldoun, a présenté celui-ci comme le « Montesquieu de l’Orient » dans son ouvrage Takhlis Al-Ibriz[10]. Plus que

cela, « Les prolégomènes » (( دمة livre d’Ibn Khaldoun a été ,ال�مقimprimé par l’imprimerie Boulaq au Caire en 1857 sous la

direction du Cheikh Nasr Al-Houwaïni  ( ي� ن� ي#� صر ال�هو خ� ن�� ي� ,Aussi .(ال�ش-Mohamed Abdou (ده a-t-il proposé l’enseignement des (م�حمد ع�ب�Prolégomènes aux étudiants d’Al-Azhar, mais le Cheikh Al-

Inebabi ي� ب6� ا ب� ي�6 خ� الا8 ي� en sa qualité de recteur à cette époque, s’est , ال�ش-opposé sous prétexte que cela n’était pas de tradition. Ce qui a poussé M. Abdou à l’enseigner aux étudiants de Dar Al-‘Ouloum

(La maison des sciences دار ال�علوم). Certains chercheurs ont, d’ailleurs, relevé une influence khaldounienne chez M. Abdou lors de son exégèse coranique … Cependant, il faut noter que la1ère conférence en sociologie a été faite en 1908 ; l’année de

la fondation de la 1ère université civile ( ة ه�لي� Aالا ام�عة .en Egypte (ال�ج�Dix ans après, Taha Hussein ( Fن a soutenu à la Sorbonne, en (ط�ه ج�سي�1918, sa thèse sur la philosophie sociale d’Ibn Khaldoun sous la direction de Durkheim puis, à la mort de celui-ci, de Fauconnier. Et, depuis, Ibn Khaldoun[11] a été érigé au classe de fondateur de la sociologie et le terme ‘Ilm Al-Ijtima’ est devenu le label d’une science dont la situation est restée précaire non seulement au niveau de la réception – comme nous allons le voir – mais aussi de la perception.Si Abdelkébir Khatibi, dans l’avant-propos de son bilan, a notifié l’amalgame des documentalistes entre « études sociales » et « études sociologiques », il ne l’a pas soulevé selon une approche épistémologique. Cependant, il a constaté qu’on « a classé dans la même catégorie « études sociales » et « études sociologiques ». Cette confusion est, bien sûr, le pendant de celle qui a longtemps entouré – et qui entoure encore – l’objet même de la sociologie. Pour le documentaliste qui n’est pas familiarisé avec cette discipline et qui se trouve devant une multiplicité de conceptions de la sociologie,le classement ne peut être qu’approximatif. Il revient dans ce

cas aux chercheurs d’établir des bibliographies spécialisées encollaboration avec les documentalistes ».Aussi, il faut noter que cette « science du social » n’est pas l’égale de la sociologie, dans le sens où celle-ci se distinguepar ce qui suit ;-    Elle a pour but d’expliquer et de comprendre scientifiquement la vie sociétale et non seulement sociale, c’est-à-dire tout ce qui se rapporte à l’Homme vivant en société et son devenir d’un « être vivant » à un « être social ». Dans le sens où « si la sociologie est une science comme les autres qui rencontre seulement une difficulté particulière à être une science comme les autres, c’est, fondamentalement, en raison du rapport particulier qui s’établit entre l’expérience savante et l’expérience naïve du monde social et entre les expressions naïve et savante de ces expériences. Il ne suffit pas en effet de dénoncer l’illusion de la transparence et de se donner les principes capables de rompre avec les présupposés de la sociologie spontanée pour en finir avec les constructions illusoires qu’elle propose. »[12]-    Pour cela, elle se distingue des autres sciences humaines et sociales et des autres types de savoir, dans l’étude des faits et des phénomènes sociaux, par la méthode qu’elle adopte pour expliquer ces faits et ces phénomènes. Ce qui pousse le sociologue à s’interroger et interroger sans cesse. En parallèle à ces observations, nous pouvons dire qu’il n’y apas d’un côté des chercheurs et des professeurs qui réfléchissent ; d’un autre, les acteurs et les événements historiques. Parce que le travail théorique est toujours déterminé par le devenir des rapports sociaux, la genèse sociale des concepts englobe et détermine leur genèse théorique[13]. Il faut aussi attirer l’attention sur le fait que le champ de la sociologie n’est pas exactement coextensif àcelui du travail social, le champ de l’observation sociologiquen’est plus celui de l’observation sociale. Certes, il est vrai que la sociologie, comme la philanthropie, a pour but le « contrôle social ». Seulement, il s’agit de contrôler les événements sociaux ou pour être plus précis : la sociologie traite de la société dans son fonctionnement normal, alors que la pathologie sociale étudie les conditions morbides, les remèdes, etc. Pour la sociologie, font problème aussi le statu quo non mis en question, et la nature de la reproduction du statu quo.

Par-dessus le marché, la sociologie au Maroc est bilingue dans sa majorité, et ce malgré, l’arabisation de son enseignement audébut des années 70. Ce bilinguisme n’a pas été retenu comme critère dans les différents travaux sur la sociologie au Maroc[14]. Il est notoire de mentionner dans ce contexte que laproduction en langue française reste la plus imposante non pas seulement par la qualité des œuvres mais surtout par les lois du « marché linguistique »[15] qui prévalent au Maroc. Dans ce sillage, nous posons la question sur la validité scientifique de tout travail abordant la sociologie au Maroc en se basant sur les écrits dans une langue (que ce soit l’arabe ou le français) tout en niant les interférences avec la production dans l’autre langue[16]. Ces tendances « francophoniques », quenous pouvons assimiler à une attitude francophile, contribuent plus à une fragmentation du champ sociologique au Maroc qu’aux idéaux qui faisaient militer la majorité des sociologues marocains pour la décolonisation de la sociologie (!!) au Maroc. II-           L’institutionnalisation :L’institutionnalisation est définit ici, de manière générale, comme un processus de transformation des habitudes sociales en habitudes d’un type reconnu par les membres de la communauté età devenir les modèles de comportement acceptables par les membres de cette communauté (=scientifique/académique). De ce fait, elle dispense l’individu de prendre de décisions et/ou d’hésitation. L’institutionnalisation débute à travers les relations sociales (=de formation), puis se transforme en habitude quand les modes comportementaux communs, dont les membres de certaines fonctions ont adopté, ces modes sont reconnus comme acceptables par les membres de la communauté ou de la société. Le terme d’institutionnalisation est utilisé dans la sociologie pour désigner le processus de formalisation,de pérennisation et d’acceptation d’un système de relations sociales. Ce système de relations sociales peut prendre des formes très variées, par exemple, il peut être une organisation, un rôle social, voire une série de valeurs et ou de norme. Cette affirmation de la sociologie comme corps de connaissances autonome est assez récente au regard de l’histoire de la science. L’idée d’une science de la société, objective et détachée de son inscription sociale s’est imposée aux esprits et devenue presque aussi naturelle que celle d’une science de la matière émancipée des questions morales et

religieuses au 19ème siècle. Si la sociologie, qui a été perçue comme une endo-ethnologie, était vu comme science pour comprendre le monde occidental, l’ethnologie (voire même l’anthropologie) comme exo-sociologie a été l’outil d’analyse du monde non-occidental. Il a fallu le début du 20ème siècle, avec le besoin de la construction d’une théorie de domination et non seulement de compréhension afin de mettre en place le système de colonisation,  pour que la sociologie soit appliquéeau monde non-occidental (y compris le Maroc). Malgré cela, cette sociologie a continué de souffrir de l’ethnocentrisme quia accompagné sa naissance et son développement, ainsi que de son instrumentalisation[17].La sociologie a connu au Maroc le même processus. Elle a été institutionnalisée comme un outil non seulement au service de la colonisation mais aussi à rendre la colonisabilité possible[18]. Ce processus d’institutionnalisation peut être résumé en deux grandes étapes :A-    L’étape coloniale   : Le Maroc, divisé en trois territoires d’occupation de législation distincte, s’était constitué comme objet d’étude qui n’a cessé de se développer en relation avec cette division.Ainsi sont nés le « Maroc français », connu sous le vocable protectorat française où siège le sultan marocain (zone sultanienne), qui a ratifié le traité du protectorat[19], dans une capitale choisie pour les circonstances d’une éventuelle évacuation militaire ; à savoir : Rabat ; le « Maroc espagnol », connu sous le vocable de la « zone khaléfale » ou « zone d’influence » et Tanger : la « zone internationale ». Cette situation a été prolifique pour d’autres problématiques qui ont eu leurs impacts sur la « question sociologique » au Maroc et sur la « morphologie » de la recherche en sciences humaines et sociales au Maroc[20]. C’est dans ce cadre socio-historique et socio-politique que la sociologie va se développer au Maroc.Il ne faut pas oublier, comme l’a dit Hannah Arendt[21], que l’impérialisme moderne a transformé la sociologie de l’espace colonial en la rendant accessible à une classe moyenne métropolitaine appelée à diriger une bureaucratie coloniale. A la différence des négociants, des traitants ou des colons, pources hommes – issus de l’école de Jules Ferry et animés d’un zèle républicain – administrer c’est connaître. Cela a fait quecette sociologie s’est vue institutionnalisée en nette coupure

avec les traditions académiques et universitaire. Dans la zone de protectorat français – si on omet l’existence d’un jeune sociologue formé à l’Ecole des Hautes Etudes[22] – la sociologie, dans son volet français, a été l’œuvre de militaires et de contrôleurs civils qui se sont attelés à élaborer une « théorie de la domination ». Puisque cette colonisation avait comme fer de lance le colon, son 1er intérêta été de « pacifier » le monde rural. Ce qui explique le nombrede « missions scientifiques » destinées à collecter des informations et des données sur les institutions et la culture marocaines dont la collection « Villes et tribus du Maroc » était l’emblème d’une mission plutôt politique !! Et, c’était normal que Robert Montagne faisait partie du quartier général qui a conduit la guerre franco-espagnole contre Mohamed ben Abdelkrim Khattabi[23]. Ces sociologues étaient plus des experts au service de la « pacification »[24]. Sur le front espagnol, la production de l’époque n’a été que l’ombre de sa jumelle française avec une différence non dans l’essence mais au niveau des ingrédients. La différence majeure était la « politique arabe » que l’Espagne a prôné dans sa « zone d’influence » pour tempérer en se distinguant de la France que les marocains prenaient pour la force colonisatrice essentielleet en utilisant les marocains non seulement comme colonisée pour effacer son « déshonneur colonial » mais aussi dans la guerre civile comme armée d’appoint pour tuer dans l’œuf le rêve républicain espagnol.Il est vrai que chaque colonisation avait son mobile :¨    La colonisation espagnole se nourrissait d’une mission historique en Afrique que la littérature espagnole désignait sous le vocable « el africanismo español ». cet africanisme, avant d’être un principe méthodologiquement construit et institutionnellement ordonné, il fut cependant une pratique spontanée et individuelle, plus philosophique que scientifique.Cette idéologie puisait ces ressources dans le foie chrétien qui défendait « les droits de l’Espagne au Maroc ». D’ailleurs,le député au cortès Gabriel Maura a écrit qu’ « en l’an 1494 lepape Alexandre VI partageait le monde entre les Portugais et les Espagnols. Presque toute l’Afrique nous était dévolue et lafoi exaltée de la Reine catholique non moins que l’ardeur religieuse de Cisneros nous poussaient à la conquête de ce continent, qui, par sa nature, fait pour ainsi dire partie de l’Histoire de l’Espagne[25] ». Lorsque l’Europe, lors de la

Conférence de Berlin de 1885, a commencé la répartition du continent africain ; enthousiastes, les africanistes espagnols ont estimé que pour des raisons historiques (susmentionnées) etgéopolitiques, l’Espagne devrait avoir sa part du gâteau. Ce gotha, qui animait plusieurs sociétés savantes, s’est allié auxsoldats, qui se sont accaparés de cet africanisme. Ces derniersfaisaient une partie de leur carrière dans l’armée coloniale dans la région établie le Protectorat du Maroc, se sont emparésde cette idéologie pour en faire une constante dans leur bataille surtout contre les tribus du Rif organisées sous le commandement d’Abdelkrim. Jusqu’à la guerre civile espagnole, cet africanisme a été orienté presque exclusivement vers le Protectorat espagnol du Maroc. Il a fallu attendre le 28 Juin 1945 pour assister à la création d’El Instituto de Estudios Africanos à Madrid. Il est vrai que cet établissement « très marqués par l’idéologie franquiste … et sa revue (Africa),qui diffusaient les nostalgies hispaniques d’un empire lilliputien décadent, puis défunt, ont disparu en 1978. Et c’est aujourd’hui en termes européens que pensent les quelques africanistes espagnols de la nouvelle génération, soucieux de sortir de leur marginalité et de leur « ghetto » »[26]. Seulement, cet africanisme est resté sous l’emprise des organismes à caractère religieux et les africanistes espagnols peinent pour faire entendre leur voix en-deçà comme au-delà desPyrénées surtout dans le cadre du Conseil européen des études africaines (CEEA).¨    La colonisation française, s’appuyant sur sa mission civilisatrice et ses intérêts géostratégiques outre-mer (surtout en Afrique du Nord), a développé une idéologie de protection qui devra, selon les articles du traité de protectorat, assurer la réforme de l’Etat marocain et sa modernisation. Seulement cette « ruse de la raison »[27] s’est transformée d’une gestion indirecte du Maroc et en coordinationavec l’autorité suprême du pays ; en l’occurrence : le Sultan, à une gestion directe lors de la « grève du Sceau » et qui va déboucher sur une destitution du Feu Mohammed V que le mouvement national, soutenue par la résistance armée, a réinstaurer comme roi légitime du Maroc indépendant.Cette sociologie, désignée dans ces deux variantes (française et espagnole) comme « science de la colonisation », s’est institutionnalisée comme savoir au service des visées coloniales non seulement dans les instances administratives

concernant la formation des cadres et fonctionnaires de l’appareil colonial et la mise en œuvre de la politique des pays colonisateurs, mais aussi  au sein des structures académiques  en France, en Espagne et au Maroc.Cependant, il faut noter que cette sociologie, avec sa « théorie de domination » a construit une société fragmentée avec une organisation politique dualiste où le Maroc est une aire géographique beaucoup plus qu’un territoire socio-politique qui sera laminé et dont la colonisabilité n’a cessé de faire sentir ses séquelles. La sociologie coloniale nous a offert à travers sa littérature deux Maroc(s) qui se confrontent et dont les caractéristiques saillantes sont comme suit :-          Le « pays du siba » où les tribus rebelles contestent le pouvoir du sultan. Il a été institué comme « zonemilitaire » couvrant les régions montagneuses où vivent les berbères[28]. C’est le pays du ‘Orf (la tradition coutumière). Il sera désormais connu sous le nom du « Maroc inutile ».-          Le « pays Makhzen[29] », reconnaissant la légitimitédu sultan, est le pays couvrant les plaines atlantiques et les plateaux entourant les grandes villes et impériales (Fès, Marrakech, Oujda, etc.). C’est une région où vivent les arabes,elle est soumise à l’administration des contrôleurs civils. Le Chraâ (législation musulmane) est le régime en vigueur. Il seraconnu sous le nom du « Maroc utile ».Cette dualité va transcender l’époque coloniale avec toutes lesproblématiques adjacentes (voire sous-jacentes). Notons, aussi,que cette sociologie au sein du « Maroc français »  a été exclusivement la production de français, car celui-ci était unechasse gardée. Par contre, la production concernant la « zone espagnole » a été aussi l’œuvre de certains chercheurs étrangers comme l’anthropologue Carleton C. Coon[30]. Il est connu par sa méthode qui consistait à émettre des thèses en anthropologie sur la base d’un matériel archéologique. D’ailleurs, son livre (note 30 ci-dessous) est basé sur un matériel recueilli lors de ces deux visites de terrain (192-1927 et 1928) où il traite une population, qui est non seulement était peu étudiée à l’époque, mais dont la situation géographique et historique restent un enseignement de première importance pour l’étude des relations entre les peuples de l’Europe et d’Afrique. L’enquête a été l’objet d’une analyse ethnographique de la culture du Rif ainsi que l’étude des types

physiques rifains. Un autre anthropologue finlandais,Edward Westermarck (1862-1939) a brillé par ses études comparatives etses théories sur le mariage[], sur l’exogamie et sur l’inceste.D’ailleurs, sa théorie sur l’inceste concurrence les théories freudiennes : on la surnomme « l’effet Westermarck ». Pionnier des travaux de terrains, il a observé et étudié les coutumes etles croyances chez des citadins (de Fès et de Tanger), des tribus arabophones (Jbala et Anjra) et berbérophones (les rifains, les berbères de l’Atlas, les Chleuhs du Souss …).B-    L’étape de l’indépendance   : Cet héritage de colonisation a été objet d’étude et d’analyse critique par les jeunes chercheurs marocains. Le but était la déconstruction de cette « théorie de domination ». Ce travail marocain a débuté dans le cadre de structures héritées de la colonisation. Ainsi, suite à une mission de Jaques Berque en 1958 dans le cadre de l’UNESCO, la création de l’Institut de sociologie (Décret N° 2-60-661 du 11/09/1961) a été mise en œuvre. La sociologie et les sciences connexes deviennent un enjeu national. L’article 1 dudit décret stipule qu’ « Il est créé auprès de l’Université de Rabat, un Institut de Sociologie(IS) chargé de développer l’enseignement et de promouvoir la recherche dans le domaine de la sociologie générale et des sociologies spéciales nommément désignées comme telles, de l’anthropologie culturelle, de la démographie et de la statistique sociale. ». Abdelkébir Khatibi a été désigné directeur jusqu’à sa fermeture en 1970 (Décret N° 2-70-621 du 8/10/1970). Ce qui a amené à la création d’une licence en philosophie, sociologie et psychologie, depuis, au sein de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines (FLSH) à Rabat, puis quelques années après un département similaire a été ouvert au FLSH à Fès-Dhar El-Mehraz. Et, la sociologie commencesa traversée de désert. Traitée de science dérangeante, elle a vécu ses « années de plomb ». Il a fallu attendre 1996, qu’ellese voit rétablie dans le contexte de l’euphorie du processus del’alternance politique.Malgré son arabisation, la sociologie a pu s’émanciper en dépassant le clivage entre les arabisés et ceux formés en français. La traduction ne s’est pas transformée en outil de production du savoir sociologique comme dans d’autres pays arabes. Malgré cela, la langue française s’est imposée grâce aux lois du « marché linguistique » comme nous l’avons expliquéplus haut[31].

Malgré sa vigueur scientifique, cette sociologie n’a pas pu jouer pleinement son rôle dans le management des transformations sociales, sauf à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (IAV-Hassan II) où Feu Paul Pascon au sein du département des Sciences Humaines avec un groupe de chercheurs (Hammoudi, Naciri, Bouderbala, Herzenni, Zouggari, etc.) ont procédé à mettre en place une formation répondant à une demande sociale et à développer la recherche dans ce domaine. Si la sociologie à la FLSH a vécu dans une pauvreté logistique, à l’IAV-Hassan II, les élèves ingénieurs (section sociologie) ne souffraient d’aucun manque non seulement au niveau de la formation (stages, sorties, etc.), mais aussi au niveau du recrutement.Au niveau de l’encadrement civil, des sociétés savantes ont vu le jour. Ainsi, Pascon, avec d’autres collègues, a crée en 1958l’Equipe Interdisciplinaire de Recherche en Sciences Humaines (EIRESH), première équipe travaillant pour l’Etat marocain. Elle a été dissoute par la suite. A son tour, A. Khatibi, lui aussi avec d’autres intellectuels, a crée l’Association pour laRecherche en Sciences Humaines (ARSH). Elle aussi n’a pas résisté. C’est l’Association Marocaine de Sociologie (AMS) qui a pu rassembler les diplômés en sociologie et qui s’intéressentà l’approche sociologique dont le président est Mohamed Guessous. Cette association a subi les aléas de la traversée dedésert que la sociologie a connu. Les différentes générations n’ont cessé de la garder en vie, mais ils n’ont pas pu la fairesortir de sa léthargie. Emblème avec l’IS d’un embargo idéo-culturel[32], tous les deux deviennent le symbole d’un acharnement dont l’espace universitaire continue à payer les frais[33]. Aujourd’hui, avec cette euphorie pour la sociologie avec la transition politique de 1996, les étudiants en Master de sociologie et d’autres doctorants à Rabat et à Casablanca sesont organisés dans des associations de jeunes chercheurs en sciences humaines et sociales, faisant de ces structures des espaces de débat et d’échange. D’autres « sociologues en herbe » (étudiants et jeunes chercheurs) ont formé à Tétouan une association qui porte le nom « Les amis de la Sociologie »

ا) ب� ول�وج�� اء ال�سوس�ي� ص�دف� Aا) qui mène un plaidoyer pour la sociologie à travers l’organisation des journées de commémoration des chercheurs et figures de la sociologie au Maroc, la célébrationde l’édition des ouvrages … Le centre Paul Pascon à Bengrir au

Haouz essaie de jouer le rôle d’un pôle d’animation de la recherche locale et régionale en s’appropriant l’héritage « pasconien » et en œuvrant pour la continuité de la tradition de la recherche-développement que Pascon prônait dans le Haouz.Même l’Ecole Nationale d’Architecture s’est doté d’un département des Sciences Humaines dont la sociologie reste un savoir emblématique de l’ouverture de la formation des architectes sur le milieu social, politique, culturel et économique.Malgré ce contexte socio-politique, la sociologie a pu tailler sa place dans le milieu socio-culturel et académique national. D’abord, par la critique de l’héritage colonial surtout dans sacomposante française, puisqu’avec la langue française, qui a été généralisée dans l’enseignement marocain après l’indépendance, le débat avec la production espagnole est devenue difficile. Cette production est restée jusqu’à nos jours mal appropriée par les chercheurs marocains. A cela s’estajoutée une production anglo-saxonne, surtout depuis l’indépendance. Celle-ci a été intégrée dans le travail sociologique par les marocains à travers la lecture, la traduction et la formation[34]. La sociologie au Maroc a participé aussi à l’animation du débat autour des modes de production, des formations sociales et économiques, de la jeunesse, la femme … malgré que ce débat a pris parfois une allure polémique ou s’est transformé à des querelles idéo-politiques[35].La sociologie avait en plus ses revues. Si les Annales Marocaines de Sociologie ont disparu de la circulation avec la fermeture de l’IS[36], Le Bulletin Economique et Sociale du Maroc (BESM) dans sa version française et arabe a pris le relais. Crée en 1933 par un groupe d’économistes et de statisticiens sous le protectorat, Il a été repris, après l’indépendance, par un groupe de jeunes chercheurs marocains dans la 2ème moitié des années 60 ; à savoir : A. Khatibi, Lahbib El-Malki et Fathallah Oualalou. L’Institut Universitairede la Recherche Scientifique (IURS)[37]. Dans les années 90, Khatibi a changé le nom du BESM en « Signes de présent ». Seulement quatre numéros ont vu le jour. Puis, une autre fois le BESM réapparaît.  Une fois Directeur de l’IURS, il décide detransformer le BESM en « Rapport social » annuel. Le BESM repris, par la nouvelle direction de l’IURS, continue avec moins d’éclat sa parution. D’autres publications périodiques à

caractère sociologique ont évolué à côté du BESM. Il s’agit de Lamalif et d’Al-Assas. La 1ère éditée en langue française, tandis que la 2nde a été éditée en deux versions distinctes : française et arabe. Elles ont été censurées en 1984. Cette censure a touché un grand nombre de revues surtout de langue arabe comme Attakafa Al-jadida (la nouvelle culture), Al-Joussour (les ponts), Azzamane Al-maghribi (le temps marocain),etc. De nouvelles publications périodiques ont vu le jour. La plus renommée reste Abhath (Recherches) ; publiée par le politologue A. Saaf. Les revues des FLSH, surtout de Rabat et de Fès, n’ont pas pu tenu. La revue Hespèris est restée plus detendance historique que sociologique.Au niveau des problématiques, cette sociologie n’a pas pu dépasser ce qui a été proposé par le legs colonial. C’est vrai,elle a pu développer certains axes de recherche comme la question de la femme, la sexualité, la jeunesse[38], le systèmeéducatif, le monde urbain et la ville … mais au niveau de la théorisation, elle est restée piégée par les propositions des chercheurs étrangers. Cependant, Pascon reste avec la formulation du concept de la « société composite »[39] le plus en vue à côté de Khatibi avec sa « double lecture » et Hammoudiavec son ouvrage « Le cheikh et le disciple ». Quant à l’analyse de Mohamed Guessous concernant les modèles sociétales[40], elle reste mésanalysée, pas assez diffusée et passe donc inaperçue.Une nouvelle génération de sociologues a pris la relève. Nous pouvons citer à titre d’exemple : Ahmed Cherrak avec sa sociologie de la culture dont l’intérêt au graffiti constitue l’apport majeur ; Abdellatif Kidaï qui s’intéresse aux questions de la délinquance et de la violence, Youssef Belal dans le domaine de la sociologie politique … D’autres chercheurs d’origine marocaine se sont spécialisés dans les questions de la communauté marocaine résidant à l’étranger comme Chadia Arab qui s’est spécialisée dans la migration. La sociologie avec cette nouvelle génération est devenue plurilingue, plus spécialisée et transdisciplinaire. Mais plusieurs champs restent non couverts comme le temps libre et le loisir[41]. Cependant, nous devons noter que jusqu’à aujourd’hui le Maroc manque de spécialiste d’autres territoiresétrangers[42]. Même dans la formation à l’étranger, le chercheur marocain n’a pas de possibilités à se spécialiser sur

les questions du pays d’accueil. Il n’a de terrain que le Marocou les marocains résidant à l’étranger !!!????III-        Les pratiques sociologiques :La sociologie au Maroc a été, depuis l’indépendance, la production de cadres académiques (dans le cadre de la préparation de différentes diplômes) aussi bien que dans le cadre de structures non académiques comme dans le domaine de larecherche-action qui accompagne l’activité de la société civile. Ainsi, les domaines de la femme, la famille, l’enfance,la migration et les droits de l’Homme, entre autres sont devenues les lieux de développement d’expertises et de production d’un savoir et d’un savoir-faire. Si la sociologie aété boycottée par le décideur politique institutionnel, elle a été récupérée par les acteurs de la société civile partenaires d’ONG étrangers et internationaux offrant ainsi un terrain d’action et de recherche qui est devenu un « vivier sociologique ».Seulement, il faut distinguer entre le chercheur, l’expert et le consultant, surtout en ce qui concerne le processus de la production du savoir et de sa « sous-traitance ». Si le chercheur est libre dans le choix de ses problématiques, qui sont généralement dictées par le champ de recherche auquel il adhère et des directives des structures où il évolue ainsi que des enjeux et défis qu’il privilégie, l’expert/le consultant reste un simple exploitant de cette production. Il ne vise pas la théorisation ou la recherche des lois qui administrent le phénomène étudié, mais s’intéresse plus à la mobilisation de cesavoir pour répondre à des questions de gestion ou répondre à des demandes formulées selon des termes de référence. Le recours à des consultants sociologues par des bureaux d’étude et autres organismes montre la dynamique d’un marché en plein essor.Cette réalité nous permet de distinguer 4 types de pratiques[43] dans le champ sociologique au Maroc indépendant que nous pouvons formuler comme suit :a-      Le développeur   : Il s’agit du sociologue intervenant dans le cadre de la recherche-développement. C’est la pratique que Paul Pascon a privilégié dans le cadre de son travail d’enseignement et d’encadrement au sein de l’IAV Hassan II. Cestravaux sont réalisés dans le cadre de son travail sur le Haouzqui a été son terrain (préparation de sa thèse de Doctorat d’Etat) et son laboratoire (formation des agronomes).

L’activité de recherche visait l’intervention pour le développement et la mise en place d’une politique en faveur despauvres et contre toute forme de vulnérabilité et de précarité.Cette pratique reste similaire à l’intervention du contrôleur civil. Elle s’inscrit dans les termes de la mission scientifique selon la tradition coloniale. On peut dire que cette pratique est une sorte de marocanisation de la tradition coloniale dans le sens où elle respecte les préconisations maiselle reste diamétralement opposée quant à l’idéologie et les objectifs politiques qui l’anime ; à savoir la modernité, le progrès, la justice sociale … On peut dire que l’activité sociologique du développeur s’inscrit dans la ligne de la politique de l’Etat, mais essaie de la réformer en ce qui concerne sa démarche et ses retombées. Si la politique de l’Etat visait la modernisation de l’activité agricole, l’actiondu développeur vise la modernité non de l’activité mais des relations de production. L’action du développeur essaie de couvrir tous les aspects de ces relations de production dans lemonde rural.Dans le cadre de cette pratique, Paul Pascon a élaboré le concept de « société composite » opposée au concept de « société de transition ». Ce concept de « société composite » ne décrit pas une situation dynamique car il présente un diagnostic des formes sociales, économiques et politiques. Ce concept reste mal construit à cause de ses composantes hétéroclites : par exemple la caïdalité, comme forme de pouvoirne peut être perçue comme mode de production. Par-dessus le marché cette relation composite relève de la psychologie plus que des rapports de production.b-     L’essayiste   : il s’agit d’Abdelkébir Khatibi[44]. C’est plus un penseur qu’un chercheur. Il n’a jamais pratiqué le terrain, malgré cela, il a pu formuler des critiques pertinentes à l’encontre des enquêtes par questionnaire. Sa thèse pour l’obtention de Diplôme des Etudes Supérieures (DES) sur Le roman maghrébin l’a consacré comme « littérateur ». A son  retour au Maroc, ayant été désigné directeur de l’IS, il s’est consacré à la sociologie. Ses textes scientifiques ne sont pas de longue haleine par rapport à ses travaux littéraires. Pour cela, je l’ai décrit comme : « un homme que la littérature a perdu sans que la sociologie l’a gagné » !! Ila pu développer une forme d’analyse et d’écriture hybride, qui est devenue sa griffe en tant qu’essayiste.

Ses travaux ont couvert toutes les formes d’expression et les aspects socio-culturels et artistiques. La « double critique »,comme mode opératoire d’analyse, reste son apport le plus reconnu. C’est une démarche critique et épistémologique qui vise la déconstruction de la production de l’autre ainsi que desoi afin de construire une nouvelle connaissance de l’objet (voire le sujet) étudié.c-      L’expert/consultant   : Il s’agit de Fatima Mernissi. Qui, après avoir terminé ses études à l’IS, a pu avoir une bourse pour suivre ses études aux USA. Professeur de sociologie à la FLSH de Rabat, elle enseignait la psychologie sociale et la méthodologie. Elle s’est spécialisée dans la question féminine à laquelle elle a dédié toute sa carrière scientifique. C’étaitun sujet international que l’ONU défendait. Ce dévouement lui apermis de devenir une référence internationale notoire en la matière. Son aura au sein de la société civile et la gente féminine l’a aidée à être écoutée. Elle a mis tout son talent et son savoir au service des acteurs de la société civile. Ellea bénéficié de la vague féministe, de l’époque, surtout dans lecadre des orientations de l’ONU et ses agences pour surfer en imposant son cachet d’experte et consultante. Le grand reprochequ’on peut formuler envers les travaux de Mernissi, c’est que ses études sur la femme n’ont pas pu approcher la situation de la femme comme « question sociale »[45].d-     Le formateur/le maître   : C’est Mohamed Guessous qui a incarné ce modèle. Depuis son retour du monde anglo-saxon (Canada et les USA) bardé de diplômes, il est rentré au Maroc au moment même où l’IS a été dans l’œil du cyclone. Son action d’enseignant et d’encadreur en sociologie, à laquelle s’est dévoué dans le cadre du département de philosophie, psychologieet sociologie (FLSH-Rabat), ne lui a pas permis d’avoir plus detemps pour publier des ouvrages. Il a formé la majorité des sociologues marocains qui ont pris la relève aujourd’hui.Ces cours et conférences étaient très prisées. Connu par son hardiesse et son franc-parler, il a été objet de certaines persécutions, mais aussi à cause de son appartenance politique,ce qui lui a valu aussi la place de l’intellectuel du parti (onle taxe même de l’idéologue du parti).L’essentiel de son œuvre sociologique a été publié grâce au soutien de ses étudiants devenus ses collègues.En comparant ces quatre chercheurs, nous pouvons dire que deux parmi eux sont issus de l’école française (Pascon et Khatibi),

tandis que les deux autres sont de formation anglo-saxonne (Guessous et Mernissi). Si Khatibi est arrivé à la sociologie àtravers l’analyse littéraire, Pascon a débuté sa carrière de chercheur de terrain de manière précoce. « A dix-neuf ans, après deux mois de terrain seul et à pied, il écrit deux mémoires sur le système des droits d’eau dans l’Oued Drâa et l’Oued Ziz et les présente au Musée pédagogique de Paris. Inscrit à l’Institut des Hautes Études Marocaines, il participeen 1954 à des enquêtes d’« anthropologie coloniale » sur l’émigration dans le Sous, à Jerada. La licence de sociologie n’existant pas encore, il décide de se former aux disciplines d’observation en suivant une licence de sciences naturelles en même temps qu’il participe à une enquête de l’Institut des Sciences Sociales du Travail dans l’Est de la France sur l’attitude des ouvriers de la sidérurgie à l’égard des changements techniques (1955-1957) avec Touraine, Reynaud, Dofny et Mottez. Avec d’autres étudiants originaires du Maroc, il fonde un groupe interdisciplinaire de recherche et prépare un mémoire de sociologie rurale sur un village corse. Mais il ne conçoit pas de vivre et travailler ailleurs qu’au Maroc »[46].Aussi, Mernissi n’a pas milité dans aucun parti de l’époque. C’était le cas de Guessous avant son retour au Maroc dans la fin des années 60. Mais Khatibi et Pascon militaient dans le Parti de Libération et Socialisme (l’actuel Parti Progrès et socialisme PPS). Une fois ce parti interdit, plusieurs intellectuels ont gelé leur activité politique dont Pascon et Khatibi. Mais, c’est Guessous «le « Ziegler[47] marocain » qui affiche son appartenance à l’USFP.Si les trois ont rédigé l’essentiel de leurs ouvrages en français[48], seul Guessous, qui maîtrise bien la langue arabe,a été publié essentiellement en arabe. Dans leurs intérêts aux sciences humaines, la question de la langue n’a pas pu être posée comme variable méthodologique. Khatibi a abordé la languemais non dans une approche épistémologique dans le cadre de la production sociologique. D’ailleurs, il a même publié un de sestextes intitulé « la sociologie du tiers-monde » en langue arabe sous le titre « la sociologie du monde arabe » (sic !) enne changeant, dans ce texte, que le terme « tiers-monde » en terme « monde arabe ».IV-        Les handicaps de la recherche sociologique :

A ce niveau, nous devons distinguer entre  les conditions exogènes qui concernent le milieu où cette sociologie évolue, ainsi que les conditions endogènes qui concernent le champ sociologique et la relation que ses acteurs sont appelés à donner naissance à une relation. Ces handicaps concernent le statut des sciences humaines et sociales par rapport aux sciences « exactes » non seulement en tant que telles, mais aussi en tant que questionnement sur la société. Le fait que lasociologie dérange, elle a été combattu de manière symbolique et indirecte. D’ailleurs, si l’Instance d’Equité et de réconciliation (IER)[49] n’a pas prêté l’attention à la question de la production du savoir sur la société marocaine etle traitement politique dont a été victime la sociologie.Une fois l’IS a été fermé, la sociologie s’est vue marginalisée. Elle va subir les aléas de la réforme universitaire ainsi que la précarité au sein de l’enseignement dans les établissements supérieurs comme l’Institut Royale des Formations des Cadres de la jeunesse et des Sports, l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication (l’ex-Institut de journalisme), etc. Elle a été enseignée de manière formelle par des vacataires n’ayant pas de formation sociologique.La création du Centre Nationale de la Coordination de la Recherche Scientifique et Technique n’a pas pu résoudre la situation de la recherche dans le domaine des sciences humaineset sociales et ce malgré la rencontre nationale organisée par le Secrétariat d’Etat chargé de la recherche scientifique et lavolonté du gouvernement de la transition politique a promouvoirla recherche en général.Aussi, l’IURS n’a pas été doté de tous les moyens institutionnels et financiers pour jouer le rôle attendu de lui. Malgré ses attributions (Dahir 1975) et en le rattachant àl’Université Mohamed V, il s’est trouvé avec un statut d’un simple établissement universitaire. A l’IURS, les chercheurs deformation sociologiques n’ont pas pu former une masse critique pouvant jouer le rôle de levier dans ce domaine. Par contre, ladynamique de ces chercheurs était de taille hors des cadres universitaires, puisque les structures académiques manquaient de motivations et d’encouragements.V-           Conclusions & recommandations :

 Pour promouvoir la sociologie au Maroc, la formation et la recherche doivent bénéficier non seulement d’un climat propice mais aussi de moyens incitatifs institutionnels ; à savoir :-       Donner à l’IURS un rôle d’institution pôle en sciences humaines et sociales au niveau national encadrant tous les centres régionaux de recherche avec un Département de sociologie de manière à constituer un réseau national ;-       Création d’un fichier national pouvant assurer la production d’une information administrative non seulement sur les structures scientifiques et académiques mais aussi les ressources humaines selon leur spécialité, en plus d’un suivi de la production scientifique institutionnelle et hors des institutions ;-       Œuvrer pour une synergie entre les savoirs au niveau institutionnel (entre établissements) et au niveau disciplinaire (une politique soutenue pour la transdisciplinarité) à travers la création d’équipes pluridisciplinaires, des passerelles entre les établissements universitaires et supérieurs dans le cadre de la formation et le décloisonnement des formations ;-       Assurer une formation adéquate en matière de sociologie non seulement dans le cadre des départements au seindes FLSH mais surtout par la création d’un Institut national desociologie pouvant assurer la formation des formateurs ainsi que l’accompagnement de la recherche dans le cadre de la formation des chercheurs par la recherche.

[1] Paul Pascon .- « Le réglage du texte ». In 30 ans de sociologie au Maroc. Bulletin Economique et Social du Maroc (BESM), N° 155-156, Rabat, Janvier 1986.[2] Abdelwahab Bouhdiba .- « Les sciences sociales à la recherche du temps ». In Revue Internationale des Sciences Sociales (RISS), UNESCO, Paris, Vol. XXXIII, N° 4 / 1981.[3] Ernest Becker cite par Ronald Fletcher dans son ouvrage Themaking of sociology. Vol. I, London, Nelson, 1972.[4] Voir les références suivantes :-   Jacques Berque .- « Cent vingt-cinq ans de sociologie maghrébine », Annales ESC, Vol. 11, n° 3, juillet/septembre, 1956.-   Abdelkabir Khatibi .- Bilan de la sociologie au Maroc. Publication de l’Association pour la Recherche en Sciences Humaines (ARSH), Imprimerie Agdal, rabat, 1967.

-   Actes du colloque « La Sociologie marocaine contemporaine :Bilan et perspectives ». Publications de la Faculté des Lettreset Sciences Humaines, Rabat, 1988, (en arabe et en français).

ل  - ب� ق ، ال�مشت ه لي ال�مرح�لة ال�راه�ي� ة ا8 شي� ة ال�ف�رن�� ع�لانF ال�حماي�� ي� ال�مغ�رب� : م�نF ا8 ا ف� ب� ول�وج�� ال�سوس�ي� : Fن ي�6 اح ال�ر� ب د ال�ق� " ع�ب� "

ه ي� ، ال�شي� �nب ل 146 ، ع�دد 13ال�غر ي#� ب��ر A1991 ، ا.-   Abdelfattah Ezzine & Ahmed Cherrak .- Sociologie marocaine : Bibliographie bilingue (Arabe & Français). Revue dela Science de l’Information, Edité par l’Ecole des Sciences de l’Information, N° 4 (N° spécial) juillet 1996-   Abdelfattah Ezzine (sous ma direction) .- Les sciences humaines et sociales au Maroc : Etudes et arguments. Institut Universitaire de la Recherche Scientifique (IURS), 2 volumes (arabe + français), Rabat, 1998.

ه   - احF س�ي� ب x6ي ي� ا8 راءه ف� ة : ق� تماع�ي� ة والاج�� ي� ي�6 سا ن�� ل ال�علوم الا8 ي� ح�ق ة ف� ي� ي|} ص�داراب ال�مغ�ر الا8 -. Fن ي�6 اح ال�ر� ب د ال�ق� ".2000" ع�ب�صال، ع�دد ة والان� اف� ق اره ال�ت- صدره�ا ور� ، ن� ة ي� ي|} ة ال�مغ�ر اف� ق لة ال�ت- و 11م�ج� ول�ي� .2001- ي��

-   Khadija Zahi .- « La pratique de la sociologie au Maroc : évolution institutionnelle et nouveaux défis ». In Lettre de l’AISLF, publiée par l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française, N°10, janvier /juin 2010.-   Hassan Rachik& Rahma Bourqia .- « La sociologie au Maroc ».In SociologieS [En ligne], Théories et recherches, mis en ligne le 18 octobre 2011, URL : http://sociologies.revues.org/3719[5] Voir les thèses soutenues à la faculté des Sciences Juridiques, économiques et sociales (FSJES) à Rabat-Agdal. A titre d’exemple :-          Mohammed Houroro .- Sociologie politique de Michaux-Bellaire. Afrique-Orient, Casablanca, 1985.-          Mohammed Berdouzi .- Structure du Maroc précolonial,Critique de Robert Montagne. Thèse soutenue en 1981, Publication posthume par le CNDH, Editions la Croisée des Chemins, Rabat, 2012.-          Mohamed Berdouzi .- Structures et dynamiques sociales du Maroc : Evaluation des analyses anglo-américaines. Thèses de Doctorat d’Etat, FSJES, Rabat-Agdal, Publication posthume par le CNDH (Voir : http://www.ccdh.org.ma/spip.php?article7384).[6] Jerzy Szacki .- « Réflexions sur l’histoire de la sociologie ». In RISS, UNESCO, Paris, Vol. XXXIII, N° 2 / 1981.

حث- [ 7 ] حF ال�ب� مود� حث- ال�علمي� )ن�� اك�ل ال�ب� ة ل�مس- اري�� نF ال�صمث : م�ق ي� واي�� ق واص�ل و ال�ي -. Fن ي�6 اح ال�ر� ب د ال�ق� ع ع�ب� " راح�� " "

. ع�دد حث- ال�علمي� ام�عي� ل�لب� ،� ال�معهد ال�ج� حث- ال�علمي� لة ال�ب� . م�ج� ا( ب� ول�وج�� ي� ال�سوس�ي� �ي� ف� داب6 .1995-42/1994"ال�مب�[8] RISS (publiée par l’Unesco), Vol. XXXVI, N° 4, 1984. L’éditorialiste (Ali Kazancigil) a fait savoir que « la théoriede la connaissance offre la possibilité de jeter un regard salutaire sur les sciences sociales, à condition  d’éviter, d’un côté, le Charybde de l’obsession épistémologique et, de l’autre, le Scylla d’un empirisme borné ».Il a fait savoir que si « l’univers social peut-il être étudié scientifiquement, ou faut-il laisser cela aux philosophes et aux poètes? ».[9] J. Donzelot, L’invention du social, Essai sur la fin des passions politiques, Paris, Seuil, coll. Points/Essais (1e éd., Fayard), 1984.

ع، [ 10 ] ي|� ور� ر وال�ي ش- اعة وال�ن� وار ل�لطب� ي#� Aدار الا . ب#�ر� ار ص ب�� ي� لح� ي� ب� ب#�ر�� ف� ب#�ر ص الا8 لي� ج� اعة ال�طهطاوي� .- ت� .2003 رف��[11] Au Maroc, Ibn Khaldoun est reconnu beaucoup plus comme précurseur que comme fondateur. D’ailleurs, lors du Colloque organisé par la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines à Rabat sur « Ibn Khaldoun », les 14-17 février 1979, aucun sociologue n’y avait participé. Aussi, Abdelkébir Khatibi, dansson bilan de la sociologie, a-t-il dit que : « Le choix de cette période ]l’historique de la sociologie au Maroc de 1912 ànos jours[ s’explique par le fait qu’il n’existait pas de littérature sociologique sur ce pays avant 1912, c'est-à-dire avant l’établissement du Protectorat » (P. 6). Il a déclaré que« De toutes les manières, la sociologie n’est pas sortie dans ce pays du cerveau d’Ibn Khaldoun ni même d’une influence indirecte de son œuvre. Il y’a une coupure nette entre la pensée sociale antécoloniale et l’importation de nouvelles techniques et méthodes d’investigation. Certes, les orientalistes du Maghreb connaissaient l’importance de l’œuvre khaldounienne qui était souvent citée comme source fondamentale, mais Ibn Khaldoun était considéré avant tout comme un historien » (P. 9). Ces constatations du Feu Khatibi ont été respectés et n’ont jamais étaient objet d’aucune critique.[12] Pierre Bourdieu et al. .- le métier du sociologue. Mouton,La Haye, 1980.[13] Voir Georges Lapassade & René Lourau .- Clefs pour la sociologie. Seghers, 1967[14] Seul une esquisse a été présentée par le Professeur Mohamed Guessous, voir son texte :

". ة اف� ق اره ال�ت- وراب ور� س- . م�ن� ال�مغ�رب� ي� ب�� ول�وج� كر ال�سوس�ي� اب ال�ق� ة ره�اب�� اي�� منF ك�ب ال�مغ�رب� ض�� ي� ب�� ول�وج� حث- ال�سوس�ي� ة ال�ب� عي� "وض��

خ� ارت�6 .دونF ب�[15] Voir P. Bourdieu .- « Le marché linguistique ». In Questions de sociologie. Editions de Minuit, Paris, 1984.[16] C’est le cas de l’étude de Rachik & Bourquia.- Idem.[17] Voir surtout l’ouvrage de Rodolfo Stavenhagen .- Sept thèses erronées sur l’Amérique latine ou Comment décoloniser les sciences humaines. Éditions Anthropos, Paris, 1ère édition, 1972.http://classiques.uqac.ca/contemporains/stavenhagen_rodolfo/sept_theses_erronnees/sept_theses_erronnees.pdf[18] Nous entendons par « colonisabilité », non le concept auquel a eu recours Malek Bennabi et qui rend compte de la dialectique qui explique que l’indépendance politique n’a pas suffi à dépasser radicalement le rapport colonial. Le concept bennabien de « colonisabilité » rappelle celui de « complexe dedépendance » de Frantz Fanon. Mais la différence entre les deuxconcepts reste importante : chez Fanon, le « complexe de dépendance » renvoie à un rapport psychologique (complexe d’infériorité) que le colonisé ou l’ex-colonisé continue à entretenir avec le colonisateur. Chez Bennabi, en revanche, le concept de « colonisabilité » rend compte d’une réalité socialecomplexe qui fait que l’ancienne société colonisée continue à construire son présent et son avenir sur la base d’un schéma hérité de la colonisation qui la condamne au mal-développement.Le concept de « colonisabilité » reste donc essentiellement marqué par une connotation culturelle forte. L’importance du facteur culturel est attestée a-contrario par l’entreprise de déculturation et de dépersonnalisation que le colonialisme a tenté d’organiser à grande échelle dans les colonies. Aussi, Feu Alain Roussillon a relevé dans une de ses études (« Mondialisation, mobilités transnationales et perceptions identitaires » In Afers Internacionals, N° 50), que « la question … de la « colonisabilité » des sociétés colonisées, susceptible de lectures à la fois opposées et structurellement homologues : lecture « externaliste », l’intervention européenne serait venue avorter des processus de renaissance endogènes, impulsés par des élites en contact avec les « idées nouvelles » et visant au réarmement indissolublement moral, économique, militaire… de leurs sociétés face à l’expansionnisme européen … ». Pour nous, la colonisabilité est

un phénomène qui résulte non seulement de facteurs endogènes qui facilitent l’œuvre de la colonisation mais aussi de facteurs exogènes qui contribuent à la mise en place de la colonisation, de son instauration et de son processus qui fait que la période d’indépendance peut être perçue comme période « post-coloniale ».[19] Feu Abdelhadi Boutaleb dans son cours inaugural de l’annéeuniversitaire 2003-2004 à la faculté de Médecine de Casablanca (10/04/2003) a déclaré que « le sultan Abdelhafid a refusé l’offre  française, et tardé longtemps à accepter menaçant d’abdication si on lui impose la signature du traité de protectorat. Le dialogue entre le Sultan et le représentant du gouvernement français (Regnault) mandaté pour signer ce traité a pris beaucoup de temps. Le Sultan contestait le traité qui est contraire, selon lui, aux décisions de la conférence internationale d’Algésiras (Espagne) en 1906 où a été décidée l’indépendance du Sultan, l’intégrité territoriale du Maroc et la liberté économique des États ou ce qui a été connu sous le vocable « la porte ouverte ». Aucun historien ne peut confirmeravec certitude que le sultan Abdelhafid a ratifié le traité du Protectorat. Puisqu’au long de la période du protectorat français, qui a duré une cinquantaine d’années, le Maroc n’a pas trouvé le document officiel ratifié. En plus,  le Quai D’Orsay ne briguait que le texte français du traité non ratifié. Je ne pense pas que le sultan l’avait ratifié. Il est aussi inconcevable d’avoir seulement la copie française, alors qu’au Maroc la langue arabe est restée la seule langue officielle ». (Pour plus d’informations voir : https://groups.google.com/forum/#!msg/fayad61/oYcSG-ffHtI/3w0X2QkTuqAJ). Aussi, il est notoire d’attirer l’attention sur l’article 9 dudit traité qui reste ambigu en ce qui concerne les mesures à prendre après la ratification ( !??).[20] Abdelfattah Ezzine .- Les sciences humaines et sociales auMaroc : Etudes et arguments. Idem.[21] Hannah Arendt .- Les origines du totalitarisme : l’impérialisme. Paris, 1982.[22] Il s’agit de Charles Le Cœur (1903-1944). Etudiant de Marcel Mauss et de tradition socialiste à la Jean Jaurès, il s’installe au Maroc où il est appelé à enseigner au collège Moulay Youssef à Rabat et subsidiairement à l’Institut des hautes Etudes Marocaines (IHEM). Ayant une bourse de la Fondation Rockefeller pour une recherche au Sahara (Tchad), il

s’est absenté du Maroc pendant 3 ans. Mobilisé durant la seconde guerre mondiale, il est mort en Italie.[23] R. Montagne, conseiller de la Résidence, Dans son œuvre  Révolution au Maroc (Editions France-Empire, Paris, 1953) a relevé le caractère tribal du gouvernement constitué par Abdelkrim. Ce caractère a été instrumentalisé pour affaiblir le« front rifain ». D’ailleurs, Daniel Rivet, dans son livre « LeMaroc de Lyautey à Mohamed V » (Denoël, Paris, 1999), a rapporté la confidence livrée par Abdelkrim à R. Montagne (sic !), intervenant en tant qu’expert lors de sa reddition (R.Montagne a passé 24 heures avec Abdelkrim avant sa reddition !), selon laquelle son échec était dû à l’action contre-révolutionnaire des « chorfas » et des Marabouts, tout en reconnaissant fort lucidement d’être venu trop tôt au Maroc.[24] Cette pacification, qui a essayé d’avoir un visage humaniste, s’est organisée sur le fond d’une « guerre civile » orchestrée par la force colonisatrice. Voir dans ce cadre, le livre 1er (en arabe) :

ة ام�عي� اط، رس�الة ح�� ال�رب6� ة ب�� ي� ي�6 سا ن�� داب� وال�علوم الا8 ة الا° اط . ك�لي� حور� ال�رب6� ة ت�� ادي�� ه وال�ب� ي� ي�² ي³نF ال�مد ة ي�� نF .- ال�علاف ي�6 اح ال�ر� ب د ال�ق� ع�ب� ، ة ام�عي� ه ال�ج� تماع، ال�شي� صص ع�لم الاج�� خ� ا، ت� لوم ال�دراس�اب ال�علب� ل دب�} ب� .1987-1986ل�ن�

[25] Gabriel Maura .- La question du Maroc au point de vue espagnol. Traduit de l’espagnol par Henri Blanchard De Farges (Ministre plénipotentiaire). Augustin Challamel éditeur, Paris,1911.[26] Christian Coulon .- « Initiatives africanistes en Espagne ». In revue Politique africaine, N° 25 (Spécial : Afrique du Sud ambiguë), Karthala, Paris, 1987.[27] Abdallah Laroui .-  Islamisme, modernisme, libéralisme. Centre culturel arabe, Casablanca-Beyrouth, 1997.[28] Le passage du terme « berbère » au terme « amazigh » a étél’apanage d’un débat idée-politique plus que d’un débat scientifique basé sur des travaux épistémologique.[29] Abdallah Laroui nous livre une analyse méticuleuse du Makhzen (p.-p. 81-91) dans son ouvrage : Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (1830-1912). Librairie François Maspero, Paris, 1977.[30] Son ouvrage le plus connu sur cette région est: Tribes of the Rif. Harvard African Studies, Cambridge, 1931.[31] Selon les documents et les informations que j’ai pu collecter, les noms d’A. Khatibi et M. Guessous ont été cités dans les rapports de l’UNESCO comme possibles directeurs de

l’IS. C’est Khatibi qui a pu décrocher le poste une fois sa thèse de D.E.S en 1965 (la 1ère thèse sur le roman maghrébin, publiée en 1968) et de retour au Maroc. Pour M. Guessous, ayantson Master au Canada et déconnecté de ce qui se passe au Maroc,a envoyé une lettre au ministre de l’éducation nationale Mr. Abdelkrim Benjelloun lui demandant une bourse pour préparer sonPHD à Princeton tout en formulant le vœu de retourner au Maroc pour créer un institut d’études et de recherches sur le Maroc. On peut dire, à partir de cela et d’autres faits historiques contingents comme le 1er discours du 1er ambassadeur marocain à l’ONU, Feu Mahdi Benaboud prononcé en anglais, le choix de la langue française comme seule 2ème langue au Maroc, etc., que l’institutionnalisation de la sociologie s’est fait dans un cadre francophone.[32] Dans le cadre de cette lutte contre la philosophie, la sociologie et la psychologie, des mesures ont été prises : D’abord, les licenciés de la sociologie se sont vus interdit d’entrer à l’Ecole Normale Supérieure pour se former comme professeur du secondaire en philosophie en 1975. Après la mobilisation des étudiants concernés par cette mesure et des grèves de solidarité des autres sections du même département, cette mesure a été suspendue. La création des départements des études islamiques au sein des FLHS nouvellement créées dans lesnouvelles universités a été perçue comme une sorte de freinage du mouvement de laïcisation qui a commencé à imbiber la société.

ي� [ 33 ] �nب كر ال�غر لة ال�ق� نF .- م�ج� ي�6 اح ال�ر� ب د ال�ق� ع�ب�[34] Le professeur Mohamed Guessous a joué un rôle majeur dans l’appropriation de cette production par les étudiants de la sociologie. Il a formé la majorité des sociologues marocains.[35] A titre d’exemple, on peut citer le débat entre Feu Paul Pascon, Thami El-Khiyari et Driss Benali dans la Revue de la Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales de Rabat-Agdal dans les années 70.[36] L’IS avait publié au début un seul N° d’une revue qui portait le nom « Les cahiers du Maroc », puis 3 N° des Annales Marocaines de Sociologie. Toutes ces revues étaient bilingues (français & arabe). Seulement, il faut noter que la partie française était plus développée que celle dédiée à la production en langue arabe.

[37] A l’époque, il était appelé le Centre Universitaire de la Recherche Scientifique (CURS) jusqu’en 1975. Il avait sa revue arabe « Al-Baht Al-‘Ilmi » (La Recherche Scientifique), l’une des plus anciennes publications universitaires au Maroc. Elle couvrait le champ des sciences sociales et humaines. Depuis lesannées 90, la revue commence à publier des textes en langues étrangères.[38] Voir dans ce cadre le papier présentée par Abdelfattah Ezzine sur « La jeunesse au miroir de la recherche marocaine » In Séminaire national sur « Jeunesse, politiques de jeunesse etrecherche scientifique » organisé par l’IURS en partenariat avec le Minsitère de la Jeunesse et des Sports, la Commission Nationale Marocaine pour l’Education, la Culture et les Sciences, l’UNICEF et l’ISESCO. Publication IURS, 2009.[39] Nous avons relevé une certaine similitude entre la « société composite » chez Paul Pascon et la proposition de Charles Le Cœur dans son ouvrage Le rite et l’outil. D’ailleurs, Pascon, juste avant sa mort, avait pensé la révision de ce concept. Pour plus d’informations, voir :

ع�داد Aاط، ا ، ال�رب6� ي� اق ال�وط�ن� ب- ي� ل�لمن� اف� ق . ال�ملحق ال�ت- Fاس�كون ول ب�� ع�مال ي�� Aح�ول ا ة ول�ي� Aا اب م�لاح�ط¾ -. Fن ي�6 اح ال�ر� ب د ال�ق� "ع�ب� "24-ب�ر 25 ن� ب�ر31 و 1989 دح�� ن� اب��ر 1-1989 دح�� ب� .1990 ي��

[40] Cette esquisse de théorisation a été publiée sur les pagesdu journal Almouharir. Pour Guessous la société marocaine est partagée entre 4 grands modèles de sociétés : le modèle précolonial, le modèle de colonisation, le modèle colonial, le modèle démocratique.[41] Voir notre étude :

ا. ب� ³nي ر ر ق� ش- xن . س�ب حث- ة ال�ب� عي� ة ووض�� كال�ي� ش�- ال�مغ�رب� : الا8 ث ال�حر ب�� ا ال�وق� ب� س�وس�ول�وج�� -. Fن ي�6 اح ال�ر� ب د ال�ق� "ع�ب� "[42] Même l’Institut des Etudes Africaines à l’Université Mohammed V-Souissi (Rabat) n’a pas pu développer un savoir sociologique sur l’Afrique. Il reste piégé par la prédominance d’historiens. C’est le cas du jeune Institut des Etudes Hispano-Lusophones à l’Université Mohammed V-Agdal (Rabat) qui reste prisonnière la tradition des départements de langues et littératures espagnoles dans les FLSH.[43] Il faut noter que cette typologie a été faite dans un souci de compréhension de cette institutionnalisation qui s’estréalisée dans le cadre académique (formation et recherche). Il ne vis aucunement un sorte de hiérarchie préférentielle.

[ 44 ] . ي� ن� طي³ كر ال�خ� xي� ف� راءه ف� دوه ق� ع�مال ب�� Aا Fمن . ض�� ي� ن� طي³ ع�مال ال�خ� Aي� ا حث- ف� اه�خF ال�ب� الاب وم�ب� م�ج� -. Fن ي�6 اح ال�ر� ب د ال�ق� " ع�ب� "

ور� ول�ي� ، ي�� ده دب�6 ه ال�ج� ي� ي�² لدي� ل�مد لس ال�ب� Voir aussi mes interventions lors des. 1990ال�مج�discussions

[45] Voir dans ce contexte les critiques de Mohamed Guessous.[46] Pierre-Robert Baduel.- « Paul Pascon (1923-1985) ». In Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, N°38, 1984.[47] Jean Ziegler, né Hans Ziegler[], le 19 avril 1934 à Thounedans le canton de Berne en Suisse, est un homme politique et sociologue suisse. Auteur de nombreux ouvrages dont « la Suisselave blanc » reste le plus connu.[48] Certains de leurs travaux ont été traduits en arabe. Khatibi reste le plus traduit. Fatima-Zahra Zriouil a traduit l’essentiel des œuvres de Mernissi.[49] http://www.ier.ma/index.php?lang=fr