Protégée ou condamnée ? Les politiques publiques à l'égard de la petite industrie

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Loraine Kennedy Protégée ou condamnée ? Les politiques publiques à l'égard de la petite industrie In: Tiers-Monde. 2001, tome 42 n°165. La libéralisation économique en Inde: inflexion ou rupture? (sous la direction de Frédéric Landy). pp. 105-128. Citer ce document / Cite this document : Kennedy Loraine. Protégée ou condamnée ? Les politiques publiques à l'égard de la petite industrie. In: Tiers-Monde. 2001, tome 42 n°165. La libéralisation économique en Inde: inflexion ou rupture? (sous la direction de Frédéric Landy). pp. 105-128. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_1293-8882_2001_num_42_165_1471

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Loraine Kennedy

Protégée ou condamnée ? Les politiques publiques à l'égard dela petite industrieIn: Tiers-Monde. 2001, tome 42 n°165. La libéralisation économique en Inde: inflexion ou rupture? (sous la directionde Frédéric Landy). pp. 105-128.

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Kennedy Loraine. Protégée ou condamnée ? Les politiques publiques à l'égard de la petite industrie. In: Tiers-Monde. 2001,tome 42 n°165. La libéralisation économique en Inde: inflexion ou rupture? (sous la direction de Frédéric Landy). pp. 105-128.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_1293-8882_2001_num_42_165_1471

PROTÉGÉE OU CONDAMNÉE?

LES POLITIQUES PUBLIQUES

À L'ÉGARD DE LA PETITE INDUSTRIE

par Loraine Kennedy*

Le secteur de la petite industrie bénéficie en Inde, depuis cinquante ans, d'une attention politique considérable, tant pour des raisons idéologiques qu'économiques et sociales. L'analyse des stratégies adoptées révèle deux travers majeurs : l'importance disproportionnée de la taille des entreprises par rapport à d'autres critères économiques dans la définition de ce secteur, donc des bénéficiaires de mesures de protection, et l'insuffisance de l'action publique en faveur de l'amélioration technique propice aux gains de productivité. La protection de la petite industrie s'est soldée par un manque à gagner en matière de demande et d'emploi. En outre, les politiques n'ont pas préparé ce secteur à l'ouverture actuelle des marchés et à l'environnement plus concurrentiel qui prend place dans le pays.

Dans le cadre d'une réflexion sur la libéralisation, le court terme et le temps long en Inde, il s'agit ici d'examiner les politiques publiques à l'égard du secteur que l'on appelle la « petite industrie », à partir des années 1950 et jusqu'au présent, et d'en faire une lecture critique1. Naturellement, cinquante ans ne constituent pas le « temps long » comme on l'entend généralement, sauf si l'on prend comme échelle l'Inde indépendante, marquée par la grande continuité des politiques menées. En effet, même aujourd'hui où la libéralisation de l'économie va bon train, on ne peut parler d'une rupture nette dans la politique envers ce secteur - on y décèle cependant un changement sensible d'orientation en faveur des forces du marché.

* Chargée de recherche au cnrs, umr regards (cnrs-ird), Pessac. 1. Je remercie Jacques Pouchepadass, discutant pour ma communication à la Journée du ceias, et

les lecteurs anonymes pour leurs remarques et suggestions. Revue Tiers Monde, t. XLII, n° 165, janvier-mars 2001

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Une des raisons justifiant l'intérêt à l'égard de la petite industrie est son poids social et économique dans l'économie indienne, un héritage historique qui s'est renforcé dans les cinquante dernières années (cf. tableau 1). Plus de 55 millions de personnes travaillent dans ce secteur, qui contribue à 65 % des exportations du pays. Par ailleurs, le secteur de la petite industrie a occupé une place importante dans le modèle indien de développement, et encore aujourd'hui le gouvernement promeut un grand nombre de politiques en sa faveur. Cette démarche originale combine des mesures de promotion et de protection.

Enfin, les PMI sont redevenues à la mode, y compris en Inde, dans la mesure où elles peuvent revêtir des caractéristiques de la « spécialisation flexible », identifiée comme un des facteurs de compétitivité dans des échanges internationaux. Aussi partout dans le monde, dans les pays développés et en développement, la petite échelle commence-t-elle à être perçue comme un avantage et non pas a priori comme une contrainte.

Il convient de souligner d'emblée le caractère hétérogène du secteur de la petite industrie en Inde, qui englobe aussi bien des activités traditionnelles d'artisanat que des petites entreprises modernes, capables de fournir des intrants intermédiaires à la grande industrie. Pour toutes ces activités, regroupées en raison de leur taille réduite et qui se distinguent par les techniques employées, les marchés finaux, les conditions du travail, etc., l'État développe une ligne politique commune. Trois critiques principales sont soulevées à l'égard de ces politiques : la place trop importante accordée à la taille des entreprises par rapport à d'autres critères économiques dans la définition du secteur ; la négligence envers la modernisation, c'est-à-dire l'amélioration technique de la production ; et le prix social de ces choix, notamment en termes de conditions de l'emploi. Des exemples issus de mes recherches de terrain au Tamil Nadu et au Kerala fournissent des illustrations concrètes de la mise en œuvre de cette politique dans des secteurs particuliers d'activité, dont le cuir, le tissage manuel du coton et le coïr (fibre de coco).

La première partie de cet article esquisse un rapide historique des politiques publiques concernant la petite industrie et les logiques qui les sous-tendent. Ensuite sont présentés les changements survenus à la suite des réformes économiques des années 1990, notamment des glissements informels ou implicites dans l'application des mesures. Nous verrons que l'État indien assume difficilement les conséquences de ses choix économiques et qu'il maintient à l'égard de la petite industrie un double discours, afin de concilier les différents intérêts économiques. Enfin, sont soulignés quelques-uns des défis auxquels fait face ce secteur aujourd'hui, avec en premier lieu une concurrence accrue, domestique et étrangère, qui résulte de la libéralisation.

Illustration non autorisée à la diffusion

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Tableau 1. — Caractéristiques de la petite industrie en Inde

1

2

3

4

5

6

Critère

Nombre d'unités enregistrées Nombre d'unités non enregistrées

(estimé) (1998-1999) Emploi : nombre de personnes

(1997-1998) Part dans la production

manufacturière (1998-1999) Part dans le total

des exportations (1998-1999) Localisation :

Secteur « moderne »

2 352 000

662 000

20 500 000

40%

39% 42 % rural 48 % urbain 10 % métropoles

Secteur « traditionnel »

n.d

n.d

35 700 000

n.d

26% n.d

Sources : Government of India, 1999, et SIDBI, 1999.

LE «COMPROMIS» ENTRE DEUX VISIONS OPPOSÉES DU DÉVELOPPEMENT

Dans le modèle de développement indien qui se met en place dans les années 1950, et surtout à partir du second plan quinquennal (1956- 1961), le secteur de la petite industrie est considéré comme complémentaire de la grande industrie et à ce titre appelé à jouer un rôle majeur. Rappelons les grandes lignes de ce modèle.

Nehru et Gandhi, des objectifs divergents

L'Inde adopte, comme d'autres pays à cette même époque, une stratégie axée sur les industries dites « industrialisantes », et compte fonder sa croissance sur le développement d'une industrie lourde. L'État se propose de prendre en charge le développement de ce secteur, sans pour autant en exclure les entreprises privées existantes. Les nouvelles capacités, exigeant de gros investissements, concernent donc principalement la production des biens d'équipements, alors que les petites entreprises sont chargées des industries légères. Le but à terme

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étant de construire une industrie nationale diversifiée et autosuffisante, des mesures de protection vis-à-vis des productions étrangères sont mises en place.

Ainsi est née la conception originale d'une complémentarité, d'une division du travail, entre les secteurs « grand » et « petit », le premier spécialisé dans les biens de production, le second dans les biens de consommation1. L'origine en est l'adaptation du modèle de croissance soviétique (de Feldman), où le problème entre une augmentation de la consommation présente et le taux de croissance futur avait été posé. Le choix de l'URSS a été, on le sait, de favoriser les investissements dans les biens d'équipement pour assurer un taux de croissance plus rapide à l'avenir. Or en Inde le modèle de Mahalanobis2, qui fonde le second plan, propose un moyen d'éviter, ou du moins de détourner, le conflit potentiel que représente un modèle de croissance axé sur le développement de la grande industrie aux dépens de la consommation présente.

Une des hypothèses fortes sur laquelle reposait ce modèle était que le secteur de la petite industrie avait une surcapacité de travail et de capital, et qu'il n'avait donc pas besoin de nouveaux investissements3. Ceci est crucial, et constitue un facteur important pour comprendre la suite. En effet toute l'épargne du pays devait être dirigée vers l'industrie lourde, sur laquelle allait reposer la croissance. La petite industrie devait, sans requérir de capital, absorber la main-d'œuvre des campagnes et fournir des biens de consommation bon marché à la population. En même temps, le développement économique des campagnes devait créer à terme des marchés pour les biens d'équipement et durables, et ainsi tirer davantage la croissance.

D'autres motivations contribuent également à expliquer l'attention précoce qu'a reçue la petite industrie. D'abord le problème de l'emploi : l'Inde se présentait comme le cas classique d'une économie ayant un surplus de main-d'œuvre (labour-surplus economy). Les dirigeants indiens avaient une certaine familiarité avec le monde rural, gagnée pendant le mouvement pour l'indépendance nationale, et étaient sensibles à sa grande pauvreté. Les premiers plans exprimaient ainsi une préoccupation pour les « chômeurs » des campagnes, pour une offre toujours croissante de la main-d'œuvre. On considérait qu'un appui aux petites industries, situées principalement en milieu rural, était la meilleure façon de stimuler le développement socio-économique. Enfin, le

1. Ce modèle de complémentarité, qui fait l'originalité du modèle indien, n'a pas reçu beaucoup d'attention dans la littérature théorique. 2. Pour une bonne présentation, voir S. Chakravarty, 1987. 3. Mazumdar, 1991, p. 1199.

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soutien aux villages et aux petites industries était une manière de réaliser l'objectif d'un développement régional équilibré, préoccupation naturelle dans un contexte de construction nationale.

Pour les partisans de Gandhi, qui jouissaient d'une influence considérable, les enjeux étaient différents car la priorité était pour eux de jeter les bases d'une économie décentralisée, programme pour lequel les petites industries traditionnelles (et néo-traditionnelles)1 jouaient naturellement un rôle clé. Guidés par leur conviction du bien-fondé d'une économie à base villageoise et autosuffisante, ils avaient moins besoin de justifications économicistes pour soutenir et protéger ce secteur.

Aussi, la politique qui émerge, surtout à partir de 1956, paraît-elle au premier abord comme un compromis entre les deux idéologies dominantes : celle, « modernisatrice », de Nehru et celle, « traditionaliste », de Gandhi. Or, une analyse plus approfondie montre au contraire une absence de compromis car, avec des moyens identiques, chacun des camps compte poursuivre ses propres objectifs : une économie décentralisée à base villageoise pour les uns et une économie industrielle capitaliste pour les autres. Ces objectifs, fondamentalement opposés, pouvaient se concilier, mais seulement dans une phase transitoire. Ceci explique peut-être que la politique concernant les petites industries n'a jamais été fondamentalement révisée. La phase suivante, qui consistait à retirer certaines protections, n'a jamais été entreprise.

L'organisation en coopératives

Afin de mettre en œuvre une politique à l'égard de la petite industrie, un des premiers obstacles à franchir était de s'accorder sur les bénéficiaires. Il fallait définir ce que l'on entendait par « petit », une tâche qui n'était pas si simple. La distinction entre petites entreprises traditionnelles et modernes, en rapport avec les techniques employées, allait être particulièrement épineuse et entraîner des divisions parmi les décideurs politiques au fil des ans. Dans un premier temps, la catégorie était définie à la fois en termes d'investissement initial (en capital fixe et équipements) et de nombre d'emplois (jusqu'à 50 employés avec électricité, 100 sans électricité). Mais en 1960, le cri-

1. Gandhi a admis qu'il n'avait jamais vu un rouet ou un métier à tisser manuel lorsqu'il les a préconisés en 1908 comme solution contre la paupérisation en Inde. Il a ressuscité certaines industries villageoises, comme le khadi qui désigne l'étoffe fabriquée à partir de la filature et du tissage manuels, devenues par la suite des symboles politiques et culturels. Voir Little et al, 1987, p. 22.

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tère de l'emploi a été retiré de façon à ne pas décourager l'expansion de ce dernier1.

L'action publique à l'égard des petites industries comporte deux volets : un cadre administratif et institutionnel d'une part, et des outils politiques de promotion et de protection d'autre part. Le cadre administratif nécessaire pour la conduite de la politique se met en place dès le premier plan quinquennal (1951-1956), avec la création d'agences spécialisées pour les principales industries traditionnelles et pour le secteur dit « moderne »2. Ces agences sont rejointes dans les années suivantes par une myriade d'institutions spécialisées, comme celles consacrées à la formation ou au financement. La mission assignée aux agences est assez vaste car elle comprend la commercialisation de la production, y compris à l'étranger, l'application des diverses réglementations, la recherche et le développement, etc. De plus, au niveau des États, il existe des départements spéciaux, chargés de veiller à la mise en œuvre de la politique nationale ainsi que des programmes propres de la politique régionale.

Sur le plan institutionnel, la promotion de l'organisation coopérative est une pièce centrale de la politique nationale, qui traduit un des objectifs globaux de la jeune nation, à savoir le renversement des inégalités sociales par la transformation des structures institutionnelles. L'organisation coopérative était perçue comme un moyen de casser les liens de dépendance qui caractérisent les rapports sociaux traditionnels entre artisans et intermédiaires. Dans le même temps, elle devait permettre aux petits producteurs d'accéder à des économies d'échelle, à la fois pour acheter la matière première et pour vendre les produits finaux, et encourager l'utilisation de meilleures méthodes et techniques de travail3. Au travers des banques publiques (qui constituent la majorité depuis la nationalisation des plus grandes banques en 1969), des crédits sont réservés au seul secteur coopératif.

Pour appuyer la croissance de la petite industrie, le gouvernement met en place un ensemble de mesures positives : des incitations financières, qui comprennent des subventions directes, par exemple pour les fonds de roulement, pour l'énergie et l'eau, pour importer les intrants ou les équipements, pour moderniser l'appareil productif, ainsi que des taux d'intérêt réduits. Les facilités pour importer donnent à la petite industrie un avantage significatif vis-à-vis du « grand » secteur, qui est

1. Bala Subrahmanya, 1998, p. 37. 2. Il s'agit des industries suivantes : khadi (Khadi and village industries board), tissage manuel (han-

dloom board), artisanat (handicrafts board), fibre de coco (coïr, coir board), soie (silk board), et diverses industries modernes (small-scale industries board).

3. Kennedy, 1994, p. 157 et sq.

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soumis à un régime strict de contrôles. Diverses incitations fiscales exemptent la petite industrie des taxes indirectes (excise) et locales (sales). À la différence des moyennes et grandes entreprises, la petite industrie est dispensée de s'immatriculer auprès de l'administration1, ce qui lui confère une liberté pour produire ce qu'elle veut où elle veut, et d'appliquer la législation sur le travail qui régit, par exemple, les licenciements. Selon sa taille, elle peut également être exemptée de payer le salaire minimum et les charges sociales.

La protection vis-à-vis de la concurrence

Les premiers plans évoquent explicitement la « modernisation » de la petite industrie, mais n'indiquent pas d'orientation nette : les opinions diffèrent non seulement sur le rythme optimal de cette modernisation, mais même sur son bien-fondé. Cette position ambiguë des dirigeants reflète un débat important dans les années 1950 sur le choix des techniques pour les petites industries, débat qui n'a jamais été tranché2. Un autre facteur qui contribue aux hésitations à l'égard de la modernisation de ce secteur provient du poids politique des gandhiens, qui luttent en faveur d'un soutien aux industries traditionnelles, par opposition au secteur de la petite industrie dans son ensemble et aux entreprises modernes en particulier. Par ailleurs, et nous y reviendrons plus loin, la modernisation est parfois entrée en conflit avec l'objectif de promotion de l'organisation coopérative.

La question de la modernisation de la petite industrie n'est donc pas absente, mais on décèle un malaise qui traduit une méfiance à l'égard du changement technique, notamment à cause de sa capacité à provoquer le chômage, la substitution du travail par le capital. Tout se passe comme si la modernisation devait être subordonnée à l'emploi, sans se préoccuper des liens entre les deux, notamment des effets indirects d'une production à plus grande valeur ajoutée. La qualité de l'emploi, y compris le niveau des salaires, est également négligée : ce secteur se caractérise par la précarité et par l'absence de protection sociale. Au village comme à la ville, il s'agit souvent de petits ateliers

1. En principe les entreprises employant au moins 20 ouvriers, ou 10 ouvriers si elles utilisent une source d'énergie, sont obligées de se déclarer aux autorités. Assimilées alors au « secteur organisé », elles sont censées appliquer la législation régissant le travail. En réalité, la plupart des petites industries ne se déclarent pas ; pour celles qui le font, les autorités sont plus laxistes en ce qui concerne le respect des lois sociales.

2. Voir, par exemple, l'Economie Weekly (devenu plus tard Economie and Political Weekly), surtout les numéros des 7 et 14 avril et du 23 juin 1956.

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où les travailleurs sont embauchés sans contrat, payés à la pièce, à la tâche ou au pourcentage.

La protection de la petite industrie constitue sans doute l'élément central de la politique, et s'avère particulièrement originale. En effet, un grand nombre de mesures politiques et de réglementations sont créées pour protéger la petite industrie de la concurrence en provenance de la grande industrie. Trois moyens principaux doivent l'assurer : a) les contrôles physiques sur la capacité productive des grandes industries présentes dans les secteurs entrant en concurrence avec la petite industrie (biens de consommation) ; b) les produits réservés (reservations), du ressort exclusif de la petite industrie - exception faite pour les entreprises qui exportent une forte proportion de leur production, l'argument étant qu'elles ne font pas concurrence à la petite industrie ; c) la notification d'une liste de produits que le gouvernement est censé acheter exclusivement à la petite industrie (reserved purchase) ! .

À quelques nuances près, cette politique s'est poursuivie telle quelle jusqu'aux années 1990. De plan quinquennal en plan quinquennal, presque de façon automatique, elle a été reconduite. On remarque toutefois des inflexions selon les gouvernements : ainsi dans les années 1970, le développement de la petite industrie s'articule avec le thème de la pauvreté et de l'emploi rural, et dans la décennie suivante avec les exportations. La tendance générale va vers un renforcement de la protection. Les produits réservés sont en augmentation constante : ils démarrent en 1967 avec 47 articles, puis croissent jusqu'à atteindre 873 en 1984 (812 en 2000). Cependant le soutien politique des activités « traditionnelles » perd du terrain au sein du secteur - reflétant en partie la baisse d'influence des gandhiens ; le dernier grand moment pour ce secteur fut le gouvernement Janata élu en 1977. Au fur et à mesure que l'Inde ouvre son économie à partir de la décennie 1980, l'objectif principal progressivement assigné à la petite industrie est d'exporter. Pour cela, la préférence est donnée aux plus importants.

Force est de constater que la persistance de cette politique, et surtout la protection cuii est de plus en plus contestée, traduit moins l'engagement de l'Etat vis-à-vis de ce secteur qu'une absence de volonté politique de s'en désengager. L'analyse de l'action publique sur le long terme, fait apparaître « en creux » ce désengagement, surtout vis-à-vis des activités traditionnelles.

1. Pour d'autres produits en provenance de ce secteur, le gouvernement accorde une préférence, allant jusqu'à payer un prix majoré de 1 5 %.

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UNE POLITIQUE STATIQUE POUR UN SECTEUR DYNAMIQUE

Cette lecture critique de la politique indienne en matière de petite industrie s'appuie sur la littérature spécialisée sur l'Inde, qui contient un grand nombre d'évaluations des différentes mesures et programmes1, ainsi que sur mes recherches de terrain au sud du pays, portant sur trois types de petites industries. D'autre part, le cas indien est analysé à la lumière de la récente littérature internationale sur les pmi (district industriel, systèmes productifs localisés, etc.), qui concerne le petit secteur manufacturier en particulier. En effet il y a un renouveau d'intérêt pour les petites entreprises que l'on représente comme dynamiques, innovatrices et plus capables que les grandes firmes de s'adapter aux exigences des économies « mondialisées »2. De leurs contraintes innées, l'attention s'est déplacée vers leurs avantages. Il peut être intéressant de confronter à ces nouvelles perspectives la démarche indienne à l'égard de la petite industrie.

Une trop grande place pour le critère taille

Ce n'est pas tant le principe d'un soutien particulier à l'égard de la petite industrie qui pose problème. Ce qui peut être questionné est le bien-fondé de la taille comme critère unique pour définir les bénéficiaires d'une politique. Les mesures de protection, notamment les produits réservés aux petites entreprises -parce qu'elles sont petites -, sont moins justifiables d'un point de vue économique, en termes d'allocation efficace des ressources, et peut-être même d'un point de vue social3.

Le problème de la définition de ce secteur est présent depuis le début de la planification, notamment du fait qu'il regroupe des activités très différentes. Entre les entreprises traditionnelles, qui comprennent des activités exercées au foyer (tissage, fabrication d'artisanat, de cigarettes (beedis), d'allumettes, etc.) et les entreprises modernes (ingé-

1. Voir Suri, 1988. La revue Economie and Political Weekly est une source très riche d'études. Il est utile de rappeler cependant, comme le font beaucoup d'auteurs travaillant sur ces questions, que les analyses fines sont limitées par l'absence et la fiabilité des données concernant ce secteur.

2. L'ouvrage qui a lancé ce programme de recherche est celui de Piore et Sabel, 1984. Depuis lors, de nombreux auteurs ont participé aux débats. Le BIT a publié quelques ouvrages de synthèse dont Руке, Becattini et Sengenberger (1990), et Руке et Sengenberger (1992).

3. Kashyap (1988), Little, Mazumdar et Page (1987).

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nierie, produits industriels), la distance est grande, et leurs besoins différents. Même une seule industrie peut être hétérogène, composée de sous-secteurs utilisant des technologies différentes comme le textile (tissage manuel, semi-mécanisé, automatique). C'est une des raisons pour lesquelles la politique a donné lieu à des distorsions et à des effets inattendus. L'explosion de la petite industrie du tissage mécanique (powerloom weaving) est probablement l'exemple le plus souvent évoqué1, et pour cause. Contre le gré du gouvernement qui cherchait à promouvoir le tissage manuel, l'usage de métiers mécaniques a connu une expansion extraordinaire entre 1960 et 1990. Il est désormais admis que cette évolution s'est produite aux dépens du tissage manuel : le secteur mécanique a progressé car il a bénéficié en premier des mesures protectrices destinées à l'industrie traditionnelle2. Au fil des années pendant lesquelles l'expansion a continué et où l'État a opté à plusieurs reprises pour la légalisation des métiers mécaniques (qui doivent être immatriculés), force est de reconnaître une certaine connivence de la part des pouvoirs publics. Nous y reviendrons.

En se préoccupant principalement de la taille des entreprises, la politique a négligé d'autres facteurs économiques fondamentaux. Ainsi, la protection à l'égard de la petite industrie n'est pas étayée par des justifications économiques. Les produits réservés ont été décidés sans études économiques des industries particulières, par exemple en ce qui concerne leurs économies d'échelles ou les technologies utilisées3. Dans le secteur des textiles, une étude affirme que le secteur des métiers mécaniques, qui aurait le plus bénéficié de la politique de protection, utilise des métiers de qualité inférieure à ceux des usines textiles de moyenne et grande échelles, et avec une moindre efficience économique4. Cette perte en termes d'efficience économique, en manque à gagner, doit faire partie de toute évaluation en matière de choix politique. En optant pour une définition non-économique de ce secteur, la porte est ouverte à toutes sortes de dérives, comme le montrent les augmentations périodiques des plafonds à l'investissement.

La définition de la « petite » industrie repose depuis 1960 sur le critère de l'investissement. Est établie une limite supérieure du montant de l'investissement initial de l'entreprise en capital fixe et équipements. Bien qu'il soit normal de revoir périodiquement ce montant, sa révision est le résultat d'un processus décisionnel bureaucratique dont le

1. Voir, par exemple, Jain (1985) et Mazumdar (1991). 2. Kurien (1992) affirme que les différences entre ces deux sous-secteurs étaient si importantes qu'ils

auraient dû faire l'objet de politiques distinctes. 3. Mazumdar, 1991, p. 1199. 4. Mazumdar, 1991, p. 1210. Cette affirmation est mise en doute par Roy, 1998.

Les politiques publiques à l'égard de la petite industrie 115

fondement économique n'apparaît pas très clairement. Ainsi, par exemple, en 1997 il a été augmenté 5 fois, de 6 millions de roupies à 30 millions de loin la plus grande augmentation depuis 1955 : les révisions précédentes, environ tous les cinq ans, avaient en général doublé le montant1. Il semble que cette augmentation importante visait à favoriser en premier lieu les entreprises dites « ancillaires »2, celles qui travaillent comme fournisseurs ou sous-traitants pour les grandes entreprises publiques et privées3. Si c'est le cas, cela soulève des questions intéressantes en ce qui concerne l'engagement du gouvernement par rapport à la protection des plus petites entreprises ; la catégorie « ancillaire » ne représente qu'une proportion infime des entreprises de la petite industrie : selon un recensement du gouvernement publié en 1992, 98 % des entreprises avaient un investissement initial de moins de 1 million de roupies, par rapport à un plafond qui était alors de 3 millions4.

Un des effets relativement prévisible de cette politique a été d'inhiber la croissance organique des petites entreprises, leur progression naturelle en moyennes puis en grandes unités. Rappelons que dans un processus « normal » d'industrialisation, le nombre des petites entreprises s'accroît dans un premier temps et décline par la suite par rapport à la production industrielle de grande échelle5. Ce processus a probablement été faussé en Inde par des politiques qui ont dissuadé les entreprises de s'engager dans cette direction. En effet, le coût du passage à la taille supérieure est prohibitif pour les petites entreprises : elles seraient obligées de renoncer aux privilèges et d'affronter le régime des licences, et elles feraient face à des coûts de travail et à des impôts indirects plus élevés6. Bien évidemment, de nombreux entrepreneurs désireux de s'agrandir ont simplement multiplié le nombre de petites unités de production. De même, certaines grosses sociétés ont éclaté afin d'échapper à la taxation et de capter les subventions publiques octroyées à la petite industrie.

1. Ce plafond a été ramené à Rs. 10 millions en 1999 (lRs : 0,166 F environ). 2. À partir de 1966, cette catégorie de la petite industrie avait son propre plafond qui était légèr

ement plus élevé que celui du reste du secteur. 3. La pression politique en faveur d'un plafond plus élevé serait venue notamment de la part des

entreprises qui fournissent les firmes internationales. Ces dernières requièrent des équipements performants, souvent certifiés iso, qui doivent être importés. (Entretiens auprès du Directorate of Industries & Commerce, gouvernement du Tamil Nadu, Chennai, septembre 1999).

4. Cité par Bala Subrahmanya, 1998, p. 42. 5. Anderson, 1982. 6. Little, Mazumdar et Page, 1987, p. 31 et sq.

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Le scepticisme à l'égard de la modernisation

Ces remarques rejoignent une autre critique, la plus sérieuse, qui porte sur l'insuffisante attention prêtée à la modernisation de la petite industrie. L'ambiguïté des hommes politiques sur la question, évoquée plus haut, commence seulement maintenant à disparaître. La modernisation n'a pas été traitée comme une priorité en partie à cause du scepticisme des décideurs vis-à-vis d'une capitalisation croissante qui entraînerait du chômage technologique ; argument moins avouable, l'État était réticent également à cause du coût qu'engagerait la modernisation de ce secteur. Ce choix suppose en effet des investissements lourds, donc un plus grand accès au crédit. Or, les gouvernements successifs ont préféré éviter une telle orientation car elle aurait conduit à des arbitrages difficiles avec d'autres secteurs de l'économie : vis-à-vis de la grande industrie, d'une part, dans la mesure où cela lui enlèverait une partie de l'épargne, vis-à-vis de l'agriculture, d'autre part, qui n'arrive pas à employer de manière permanente la main-d'œuvre rurale : le niveau de spécialisation étant resté faible, conséquence logique de cette politique, le secteur de la petite industrie a accès à une réserve de main-d'œuvre non qualifiée en provenance du secteur agricole qu'il peut employer selon ses besoins.

Cette dernière remarque amène J. Pouchepadass à poser l'hypothèse selon laquelle l'absence d'incitation officielle à la modernisation du secteur de la petite industrie était une façon pour l'État de répondre implicitement à un double objectif: — permettre à ce secteur de contribuer à absorber les sureffectifs per

manents ou saisonniers de l'agriculture ; — faciliter son expansion à court terme en préservant l'extrême sou

plesse de l'offre de main-d'œuvre dont elle bénéficiait1.

Ainsi, pendant presque cinquante ans a-t-on persisté à considérer ce secteur comme statique ; la protection du petit étant envisagée comme une fin en soi, l'amélioration technique et économique des entreprises n'a pas reçu l'attention qu'elle méritait. Une étude récente portant sur l'efficience économique de la petite industrie indique des tendances inquiétantes : entre 1972 et 1989, la valeur ajoutée par unité de production a diminué et l'amélioration de la productivité du capital reste marginale2. Ces données confirment bien que le secteur n'a pas

1. Remarques de J. Pouchepadass, présentées lors de la discussion autour de l'exposé de l'auteur, à la Journée du CEIAS.

2. Subramanian, 1995, cité par Bala Subramanya, 1998, p. 44.

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connu d'amélioration technique notoire pendant cette période. Une autre étude parle même de « régression technologique » à propos du textile1.

Cette discussion suggère un problème plus général en matière de politique à l'égard de la petite industrie, évident sur le terrain et confirmé dans des discussions avec les fonctionnaires, à savoir une absence de hiérarchisation des différents objectifs politiques : ici, la modernisation par rapport à la protection.

Au Kerala, nous avons observé les conséquences de cette lacune dans l'action publique à l'égard de l'industrie du coïr (fibre de coco)2. La modernisation des techniques et le soutien à l'organisation coopérative de la production, deux volets poursuivis simultanément, sont entrés en conflit lorsque le gouvernement national a fourni des aides à des entreprises privées pour qu'elles se mécanisent, alors que ces mêmes entreprises étaient en concurrence directe avec les sociétés coopératives qui, elles, employaient des techniques manuelles. En effet, la main-d'œuvre fortement syndicalisée des sociétés coopératives avait obtenu - au moyen de mouvements sociaux - le maintien des techniques manuelles dans la production du coïr, afin de protéger l'emploi.

La contradiction entre une aide au secteur privé et une politique de promotion des sociétés coopératives a donné lieu en parallèle à une confrontation entre les gouvernements à New Delhi et au Kerala, dirigés alors par des formations politiques différentes. En principe, ils devaient mettre en application les mêmes politiques, en pratique ils défendaient des programmes politiques opposés. La priorité du gouvernement du Kerala était de soutenir le secteur coopératif, forme d'organisation qui s'étendait au début des années 1990 à environ la moitié de la production. En revanche, l'Office du Coïr, qui dépend du gouvernement central, a donné sa préférence aux mesures d'appui à la modernisation. Chacun a agi selon ses propres intérêts : l'intérêt du gouvernement du Kerala se rangeait du côté des sociétés coopératives dont la main-d'œuvre constituait une partie importante de l'électorat. L'Office du Coïr avait un grand nombre de marchands-exportateurs dans son conseil d'administration, favorables aux subventions pour l'achat des équipements, mais surtout il dépendait du ministère central de l'Industrie et se devait d'exprimer la position de celui-ci. Cet exemple illustre les enjeux politiques sous-jacents dans les choix de stratégies et laisse deviner les accrochages qui peuvent se produire

1. Mazumdar, 1991, p. 1210. 2. Kennedy, 1995.

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entre gouvernements régional et central, surtout lorsqu'ils sont dirigés par des formations politiques différentes.

Un second exemple fondé sur l'industrie du cuir montre une contradiction d'un ordre différent : il ne s'agit plus ici de modernisation versus organisation coopérative, mais d'une politique protectrice à l'égard des petites industries versus une stratégie de croissance par les exportations. La politique des produits réservés à la petite industrie est entrée en conflit avec d'autres politiques destinées à augmenter la valeur ajoutée dans l'industrie du cuir et à promouvoir ainsi les exportations.

L'industrie indienne du cuir est tournée vers l'exportation depuis son développement au siècle dernier, une orientation que le gouvernement cherche explicitement à appuyer. La fabrication du cuir, le tannage, ainsi que la manufacture de chaussures de cuir sont du ressort exclusif de la petite industrie ; c'est un produit réservé. En 1973, afin d'augmenter la valeur ajoutée, le gouvernement décide d'interdire l'exportation des peaux brutes et du cuir semi-fini. Il met en place un grand nombre de mesures incitatives pour promouvoir les exportations de cuir fini et surtout des articles fabriqués (chaussures, vêtements). Mais d'emblée apparaissent des contradictions : pour augmenter la valeur ajoutée il faut s'équiper, y compris de machines importées, afin d'honorer les spécifications des contrats en provenance de l'étranger. Naturellement, seules les grandes firmes peuvent investir à cet effet.

Les tanneries du pays tamoul, en particulier, ont été très durement frappées par cette politique car elles s'étaient spécialisées depuis plus d'un siècle dans la fabrication du cuir semi-fini, produit intermédiaire qu'elles exportaient en grande partie. Un des premiers centres de production du cuir est situé dans la vallée de la Palar au nord du Tamil Nadu. Bien que la grande majorité des tanneries soient des petites entreprises, elles fabriquent environ 45 % de la production totale du cuir de l'Inde. Elles peuvent donc légitimement être évoquées pour illustrer les tendances dans cette industrie.

Ces tanneries de la vallée de la Palar sont géographiquement concentrées dans plusieurs petites villes. Pas vraiment « modernes », elles ne sont pas non plus artisanales : certaines étapes de production sont mécanisées et le chrome a remplacé les tanins végétaux presque partout au cours des vingt dernières années, ce qui permet un tannage plus rapide et plus régulier. Ces améliorations techniques, réalisées avec des capitaux locaux pour la plupart, découlent principalement des politiques publiques des années 1970. Obligée de trouver des débouchés pour sa production, l'industrie locale s'est adaptée et a appris le finissage, beaucoup plus intensif en capital que la transfor-

Les politiques publiques à l'égard de la petite industrie 119

mation de base car il requiert l'usage de machines spécialisées. Certaines entreprises ont même opéré une intégration verticale, regroupant sous un seul toit toutes les étapes de production : du tannage jusqu'à la fabrication de chaussures ou de vêtements. Ces grosses entreprises sont tolérées - bien que le cuir soit réservé à la petite industrie - car elles exportent les trois quarts de leur production.

Ainsi coexistent petites et grandes entreprises au sein de chacun de ces « districts industriels ». Les petites tanneries, la grande majorité, travaillent en sous-traitance pour des plus grosses tanneries ou pour des marchands de cuir, du moins une partie du temps. Elles peuvent aussi travailler à leur propre compte, mais cela dépend, entre autres, du marché des matières premières, les peaux, dont les prix sont fluctuants et saisonniers. Comme les petites entreprises d'autres industries, elles souffrent d'un déficit chronique de fonds de roulement, pour lequel elles peinent à obtenir des crédits bancaires1. Il n'est donc pas surprenant que lors de la sous-traitance, le donneur d'ordre fournisse le plus souvent la matière première. Le tanneur prend en charge la transformation de la peau en cuir semi-fini, pour laquelle il est habituellement rémunéré à un certain taux par pièce, en général très bas. En fait, le marché international du cuir est très compétitif et le coût plus élevé des intrants ne peut être répercuté sur le prix final sans faire diminuer les parts de marché. Les fluctuations du marché des intrants et produits finaux, les creux saisonniers ou d'autres raisons encore peuvent expliquer l'externalisation de la production : la sous-traitance présente des avantages de souplesse évidents, surtout en ce qui concerne la gestion du travail.

Comme le montre cet exemple, il existe une contradiction évidente au sein d'une politique visant à augmenter la valeur des exportations dans un secteur d'activité qui est par ailleurs « protégé » contre la « grande industrie ». Pour augmenter la valeur ajoutée il faut un équipement performant et des pratiques de production capables de garantir les normes de qualité exigées dans les marchés à l'exportation. Certaines des grandes firmes de la vallée fabriquent des produits à haute valeur ajoutée, et ont obtenu des certifications ISO pour la qualité (série 9000), mais il ne s'agit que des plus grosses, peu nombreuses. Elles ont toutes, sans exception, recours à la sous-traitance, à des degrés différents. En maintenant en place les produits réservés, l'État incite l'industrie du cuir à bâtir sa compétitivité sur la souplesse, laquelle repose sur des bas salaires et une grande précarité d'emploi.

1. Ce problème est explicitement reconnu par la commission spécialisée chargée d'enquêter sur les finances envers le secteur de la petite industrie, cf. RBi, 1998.

120 Lor aine Kennedy

La non-protection de la main-d'œuvre

L'idée que les manufactures villageoises et les petites industries en général peuvent jouer un rôle crucial dans la lutte contre le chômage et la pauvreté est prépondérante dans la stratégie indienne du développement depuis ses débuts. Cette capacité supposée de la petite industrie à contribuer au développement socio-économique, surtout en milieu rural, constituait donc une des justifications majeures de l'important dispositif politique mis en place à cet effet. Cinquante ans après, le bilan est mitigé : sur le plan de la croissance (nombre d'emplois, taux de croissance par rapport aux autres secteurs, etc.) il est positif, mais sur le plan social il l'est beaucoup moins, surtout en ce qui concerne la qualité de l'emploi proposé (salaires, conditions du travail, etc.).

Le nombre d'emplois dans ce secteur n'a pas cessé d'augmenter. Cela étant, une part croissante de ces emplois se situe dans le nébuleux secteur informel. Selon des estimations officielles1, 364 millions de personnes travaillaient dans le secteur informel en 1993-1994, toutes activités confondues, dont plus de 100 millions dans l'industrie et les services, parmi lesquels 38 millions dans les activités manufacturières. Selon cette même source, le travail informel contribuait à environ 60 % du ив en 1996-1997, dans des proportions variables selon les secteurs d'activités : 33 % de la valeur totale de la production manufacturière proviendrait du secteur informel ; en y ajoutant la contribution de la partie organisée du secteur de la petite industrie, estimée à 40 %, l'importance économique de la petite industrie est encore plus remarquable2.

La performance économique du secteur de la petite industrie semble résister à la récente libéralisation, qui l'expose à une plus grande concurrence. Par rapport aux autres composantes du secteur industriel, son taux de croissance est nettement plus élevé (tableau 2). Il faut préciser cependant que les entreprises les plus dynamiques ne sont pas celles qui sont protégées dans le cadre des produits réservés (dont le taux de croissance a été moindre) et que ces dernières ne représentent que 30 % environ de la production totale du secteur3.

1. A. С Kulshreshtha, et G. Singh 1999. Je remercie M.-C. Saglio pour cette référence. 2. Déjà dans la décennie 1980, la petite industrie contribuait à plus de 50 % de la valeur ajoutée du

secteur manufacturier, cf. Kashyap, 1988, p. 669. 3. Bala Subrahmanya, 1995, p. 53.

Les politiques publiques à l'égard de la petite industrie 121

Tableau 2. — La croissance récente de la petite industrie par rapport au secteur industriel dans son ensemble

Année

1991-1992 1992-1993 1993-1994 1994-1995 1995-1996 1996-1997

Taux de croissance annuel dans l'industrie (tous secteurs*)

0,6 2,3 6,0 9,4

12,1 74

Taux de croissance annuel dans la manufacture

- 0,8 2,2 6,1 9,8

13,6 8,6

Taux de croissance annuel dans la petite industrie « moderne »

15,0 17,1 15,5 21,7 21,2 15,8

* Ici la production industrielle comprend trois secteurs pondérés : les mines (11,46%), la ture (77,11 %) et l'électricité (11,43 %).

Sources : adapté des tableaux 1 . 3 et 1 . 3 . 1, RBI (1998), p. 3, où il est noté que les chiffres pour 1996-1997 sont fondés sur des estimations.

L'explication de la croissance de ce secteur ne fait pas l'unanimité. Pour certains économistes, elle repose davantage sur le déclin relatif de la grande industrie que sur une croissance « saine », tirée par la demande. En effet, la croissance agricole, déterminant principal de la demande en milieu rural, n'a pas tant progressé. Aussi la croissance de la petite industrie serait-elle davantage une conséquence des politiques biaisées contre la grande industrie, qu'un résultat des politiques « positives » de promotion ou de protection à son égard1. Pour certaines activités du moins, comme le sucre et les textiles où la production à petite échelle a été moins efficiente2, ceci veut dire que la croissance a été achetée au prix fort : il est incontestable que la protection des petites industries - et des processus traditionnels de production - a augmenté les emplois directs, mais si l'on prend en compte les effets indirects, il n'est pas évident que la demande de travail ait vraiment crû. En interdisant aux grandes entreprises une partie de la production, les produits réservés ont réduit le potentiel des exportations de textiles, par exemple, ce qui a sans doute eu un coût très lourd en termes d'emploi.

1. Kashyap, 1988. 2. Little, Mazumdar et Page, 1987, p. 314.

122 Lor aine Kennedy

Quantité versus qualité du travail

Au-delà des critiques techniques portant sur l'efficience de la production s'abritent des considérations sociales, car, de manière générale, l'amélioration des salaires et des conditions de travail dépend des gains de productivité. Le choix de techniques faiblement capitalisées, l'insuffisance des efforts de formation et d'adaptation de la production à la demande ont maintenu de bas salaires et une grande précarité d'emploi. Par ailleurs, les mauvaises conditions du travail dérivent en partie de la mise à l'écart des petites industries de la législation sociale. Non réglementé, ce secteur multiplie les infractions de toute sorte : environnement de travail insalubre et dangereux, recours massif au travail des enfants, etc.

La main-d'œuvre des tanneries de la vallée de la Palar connaît des bas salaires et des conditions très précaires de travail (statut d'ouvrier temporaire), surtout dans les plus petites unités où les marges sont extrêmement étroites. Les techniques ne sont que partiellement mécanisées, car les investissements en équipements ne sont guère rentables pour la production à petite échelle. En revanche, la main-d'œuvre, gérée avec une plus grande souplesse, reste toujours bon marché. Comme dans d'autres activités manufacturières, le surplus de l'offre de travail fait que les employeurs des petites tanneries ont tendance à considérer les ouvriers comme aisés à remplacer, même s'ils reconnaissent l'apport indispensable des qualifications spécialisées1. Par ailleurs, les attitudes conservatrices persistent en Inde vis-à-vis du travail manuel, a fortiori dans la mégisserie, déconsidéré car associé à un statut social inférieur.

Le cas du Kérala est assez exceptionnel : les travailleurs du coïr y ont amélioré leurs conditions du travail et leurs salaires au sein de l'organisation coopérative, au moyen d'une syndicalisation massive et militante qui reste rare dans la petite industrie. Or, compte tenu de la productivité basse des techniques manuelles, la production est devenue trop chère pour être compétitive. Les parts du marché du coïr kéralais ont diminué au profit du coïr fabriqué avec des techniques mécanisées, une activité qui connaît une croissance rapide dans les États limitrophes producteurs de coco. En conséquence les ouvriers du coïr sont obligés de chercher des emplois dans d'autres domaines de l'économie, moins protégés, comme la construction.

1. Entretiens de l'auteur, vallée de la Palar 1997-1999.

Les politiques publiques à l'égard de la petite industrie 123

La faible productivité de la petite industrie en Inde est souvent présentée comme une nécessité, mais rien n'oblige qu'il en soit ainsi. Ce n'est pas parce que les techniques sont traditionnelles qu'elles ne peuvent s'améliorer. De même, une petite industrie ne signifie pas une productivité basse ni une mauvaise qualité de production, comme le montre à volonté la littérature spécialisée sur les petites entreprises manufacturières. En s'appuyant sur des études de cas1, cette littérature montre que la qualité de la production et la qualité des emplois sont interdépendantes, qu'une amélioration de l'efficience économique et de la capacité innovatrice des entreprises peut conduire à de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail2. Or, cela suppose des investissements, y compris en matière de formation, trop souvent négligée dans les industries dites « intensives en travail ».

Enfin, en ce qui concerne la politique en faveur d'une organisation coopérative de production, l'impact est resté en général assez faible. Sur le plan institutionnel, le rôle des intermédiaires persiste dans de nombreux secteurs, comme le montrent des études de terrain3. Cependant le bilan est variable selon les régions. Pour le tissage manuel, par exemple, au niveau national seulement 23 % des tisserands sont membres d'une société coopérative, mais dans l'État du Tamil Nadu, ce chiffre s'élève à 65 %. Au Kerala, le militantisme politique a accompagné le mouvement coopératif et de nombreuses activités, comme le coïr et le tissage manuel, se sont organisées selon le principe de la coopération. Mais la contrepartie, observée également dans d'autres régions, est un contrôle étroit des sociétés coopératives par les partis politiques, une entrave à leur bon fonctionnement.

PERSPECTIVES POUR LA PETITE INDUSTRIE DANS L'ÈRE DE LA LIBÉRALISATION

L'adoption de réformes en 1991 a remis en question l'ensemble des politiques économiques, y compris les stratégies sectorielles. À l'égard de la petite industrie, il s'est agi d'un changement d'orientation mais pas d'une rupture brutale. En fait, au lieu d'être engagé dans une nouvelle stratégie, ce secteur fait l'expérience de la libéralisation surtout à

1. Pour les pays en développement, voir Nadvi et Schmitz, 1994. 2. Pour une discussion sur l'Inde, voir Holmstrôm, 1998. 3. Cf. Dupont (1995) sur les textiles au Gujarat, Knorringa (1996) sur l'industrie des chaussures à

Agra, et des études de cas in Cadène et Holmstrôm (1998).

124 Lor aine Kennedy

travers ses effets indirects, en particulier les réformes qui touchent la grande industrie. Avec la fin du système d'autorisations régissant leur activité, les grandes entreprises connaissent plus de liberté pour importer, pour augmenter leur capacité productive, etc., ce qui induit pour la petite industrie un environnement plus concurrentiel qu'auparavant.

Dans le contexte actuel, les divers outils de protection, et les produits réservés en particulier, apparaissent comme incompatibles avec une politique libérale et d'ouverture. C'était l'opinion d'une récente commission gouvernementale chargée d'étudier la question, qui a estimé que les produits réservés ont finalement peu fait pour développer le secteur de la petite industrie, tout en ayant un effet néfaste vis-à-vis des moyennes et grandes entreprises1. En conséquence, elle a recommandé leur abolition pure et simple. Le gouvernement a opté cependant pour une application plus progressive, retirant peu à peu des produits de la liste, afin de laisser un temps d'ajustement aux petites industries et d'éviter les risques sociaux qu'une telle décision impliquerait. Entre temps, la proportion de la production que les moyennes et grandes entreprises sont obligées d'exporter lorsqu'elles fabriquent des articles réservés à la petite industrie a été un peu assouplie depuis quelques années, passant de 75 % de la production totale à 50 %.

Dans les documents officiels, mais surtout dans les discussions informelles avec des décideurs politiques2, un changement d'orientation politique à l'égard de la petite industrie est perceptible. L'accent porte davantage sur la compétitivité que sur la protection, sur la nécessité donc de renforcer financièrement les petites industries et de leur apporter une aide technique en matière de commercialisation. L'importance d'une amélioration des techniques de production commence à être reconnue, traduisant un changement d'horizon de la planification dans ce secteur, l'objectif étant maintenant la croissance à long terme3. Or, cela suppose des investissements considérables. La commission spéciale chargée d'évaluer l'accès de ce secteur au crédit (dite Commission Kapur) montre que les difficultés demeurent : alors qu'en termes absolus le montant de crédits qu'il reçoit des banques publiques a augmenté depuis le début des réformes (de 15,9% du total au début de 1991 à 17,2 % à la fin de 1997), le montant relatif, rapporté à leur contribution à la production, a enregistré un déclin

1. Il s'agit de la Commission Hussain, cité par RBI, 1998. 2. Entretiens au ministère de l'Industrie, gouvernement du Tamil Nadu, Chennai, septembre 1999,

juin 2000. 3. Remarques de J. Pouchepadass, présentées lors de la discussion autour de l'exposé de l'auteur, à

la journée du CEIAS.

Les politiques publiques à l'égard de la petite industrie 125

(de 8,1% en 1991-1992 à 7,7% en 1996-1997)1. Quel que soit leur dynamisme, les petites entreprises sont perçues comme des clients à risque.

L'appareil administratif, dont la vocation est d'encadrer la petite industrie, n'a pas subi de réformes pour le moment. Sans surestimer la capacité de la bureaucratie d'engager le changement, on peut penser que ce dispositif important sera mobilisé pour aider le secteur en question à s'adapter à un régime plus concurrentiel. Au Tamil Nadu par exemple, le gouvernement fait preuve actuellement d'efforts intéressants et innovants en matière de textile, une industrie majeure dans l'économie régionale. Le département du textile et du tissage manuel (Directorate of Handloom and Textiles) a adopté une stratégie qu'il veut « offensive » vis-à-vis de la concurrence accrue qui va apparaître dans le cadre des accords commerciaux avec Гомс2 : l'accord sur le textile prévoit la suppression, dans les cinq prochaines années, des restrictions sur les importations qui avaient fait l'objet de l'Accord multi- fibres, en vigueur depuis 1974 dans le cadre du gatt. En 2002, 51 % des importations seront libéralisées et en 2005, toutes les restrictions doivent être levées, ce qui veut dire que l'Inde ne pourra plus bénéficier d'une protection de son secteur textile.

La stratégie du gouvernement du Tamil Nadu comprend plusieurs volets : informer les producteurs de ces accords et de leurs implications ; lancer un vaste programme de modernisation en vue d'améliorer la technologie employée par les petites unités ; proposer un programme de formation ; renforcer la commercialisation de la production. Pour ce dernier objectif, il est envisagé d'établir dans toutes les sociétés coopératives de tissage manuel une marque qui portera le nom du village. À la manière des appellations géographiques, ces noms seront enregistrés pour être protégés {sari en soie de Kan- cheepuram, lunghi (pagne) de Gudiyatham, etc.).

Dans le contexte actuel de libéralisation, les petites entreprises sont exposées à un marché de plus en plus concurrentiel, situation à laquelle elles ont été mal préparées par la politique antérieure. Par rapport aux grandes entreprises, leurs coûts de production restent élevés pour la qualité qu'elles fournissent, et la stratégie de compétitivité fondée sur de bas salaires, largement pratiquée dans le secteur manufacturier, semble atteindre ses limites.

C'est le cas de l'industrie indienne du cuir, en très forte concurrence avec la Chine, qui est devenue dans les dix dernières années un

1. rbi, 1998, p. 5. 2. Entretien avec le Directeur, P. W. С Davidar, I. A. S., 2 septembre 1999 à Chennai.

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des premiers producteurs de chaussures de la planète. La plupart des spécialistes de la profession s'accordent pour dire que la manufacture indienne ne pourra plus être compétitive dans les segments les plus bas du marché, et qu'elle doit désormais chercher à s'imposer dans les segments à plus grande valeur ajoutée. Or, cela suppose un grand effort, entre autres, dans les domaines de la standardisation et de la qualité.

Ce n'est pas parce que les politiques adoptées jusqu'à présent ont mal préparé l'industrie à la libéralisation, et a fortiori à la mondialisation, qu'il faut envisager d'éliminer l'État. En revanche, son rôle est appelé à évoluer, en particulier en mettant l'accent sur la demande. Une des caractéristiques propres à l'après-fordisme est la production tirée par la demande. Une qualité constante constitue de plus en plus une condition indispensable pour accéder à la concurrence internationale. L'artisanat, par exemple, est très apprécié dans les marchés à l'exportation à condition qu'il soit de très bonne qualité. Ces contraintes commencent à jouer à l'intérieur de l'Inde aussi où un environnement économique plus libéral s'instaure. Le défi paraît considérable surtout pour le secteur traditionnel qui se trouve de plus en plus marginalisé dans la conjoncture actuelle par rapport aux pmi modernes.

Lorsque les petites entreprises sont regroupées physiquement en districts et spécialisées dans une même activité, l'État peut aider les producteurs à se mobiliser eux-mêmes en facilitant, par exemple, la mise en place de structures communes d'action (coordination de production, centres techniques collectifs, marketing), suivant en cela l'idéal type du district industriel. Ce type d'intervention a l'avantage de ne pas requérir de moyens financiers importants, correspondant en cela aux normes libérales que préconise désormais l'État indien. Cependant des investissements publics plus importants, pour la formation professionnelle et la modernisation des techniques, seront tout aussi nécessaires pour améliorer la performance globale de la petite industrie.

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