La petite sirène

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La littérature jeunesse perce vers la fin du 17 e siècle par l’entremise des contes de Charles Perrault. À ses débuts, elle n’était que tradition orale et c’est par son écriture qu’elle évolue. Nombre de contes sont issus de cette tradition et ont été transcrits dont ceux de Grimm en Allemagne et de Perrault en France. Toutefois, ces histoires n’étaient pas destinées à être racontées à un jeune public. Au fil des siècles, ceux-ci sont devenus les balbutiements d’une littérature jeunesse. Un peu plus au Nord, au Danemark, Andersen est considéré comme l’écrivain de contes modernes puisqu’il est le chef de file de l’écriture de contes destinés pour enfants. La Petite Sirène (1837) en est un qu’Andersen a inventé. Selon Vigroux, professeur certifié de lettres modernes, les contes d’Andersen se divisent en deux grandes catégories qui se subdivisent en deux autres : les eventyrs (contes de fées qui font appel à des évènements merveilleux et surnaturels) et les histoires (récits réalistes, où les héros sont des êtres humains « confrontés à des situations de la vie quotidienne » 1 ). À partir de ces deux types d’écrits, il y a ceux qu’Andersen a entendus lorsqu’il était enfant, appartenant à la tradition orale danoise, transcrits et adaptés par lui et ceux qui sont le fruit de son imagination qui s’inspirent « de sa vie, comme La Petite 1 Vigroux, Albine. Andersen. La Peite Sirène, et autres contes. Paris, Éditions Librairie Larousse, coll. Classiques Larousse, 1990, p. 11

Transcript of La petite sirène

La littérature jeunesse perce vers la fin du 17e siècle par

l’entremise des contes de Charles Perrault. À ses débuts,

elle n’était que tradition orale et c’est par son écriture

qu’elle évolue. Nombre de contes sont issus de cette

tradition et ont été transcrits dont ceux de Grimm en

Allemagne et de Perrault en France. Toutefois, ces histoires

n’étaient pas destinées à être racontées à un jeune public.

Au fil des siècles, ceux-ci sont devenus les balbutiements

d’une littérature jeunesse. Un peu plus au Nord, au Danemark,

Andersen est considéré comme l’écrivain de contes modernes

puisqu’il est le chef de file de l’écriture de contes

destinés pour enfants. La Petite Sirène (1837) en est un

qu’Andersen a inventé. Selon Vigroux, professeur certifié de

lettres modernes, les contes d’Andersen se divisent en deux

grandes catégories qui se subdivisent en deux autres : les

eventyrs (contes de fées qui font appel à des évènements

merveilleux et surnaturels) et les histoires (récits réalistes,

où les héros sont des êtres humains « confrontés à des

situations de la vie quotidienne » 1). À partir de ces deux

types d’écrits, il y a ceux qu’Andersen a entendus lorsqu’il

était enfant, appartenant à la tradition orale danoise,

transcrits et adaptés par lui et ceux qui sont le fruit de

son imagination qui s’inspirent « de sa vie, comme La Petite

1 Vigroux, Albine. Andersen. La Peite Sirène, et autres contes. Paris, Éditions Librairie Larousse, coll. Classiques Larousse, 1990, p. 11

Sirène, « Danse , danse, ma poupée! » ou Le Vilain Petit Canard.»2 Le

conte La Petite Sirène, publié en 1837, suscite donc notre

attention pour l’objet d’analyse de ce travail. Il fait

partie de la catégorie des eventyrs et il est issu de

l’imagination de l’auteur. Ce récit est d’autant plus un

miroir sur la vie d’Andersen, selon Alison Lurie, professeure

de littérature à Cornell University, qui affirme « qu’il y

avait prédit son propre avenir. Il fut rejeté (…) par ceux

qu’il aimait le plus, mais contrairement à la petite sirène,

il n’abandonna jamais sa voix, et le meilleur des histoires

qu’il raconta allait lui survivre de nombreuses années « (là)

où il y a des enfants. »3 Ainsi, nous analyseront le texte,

les personnages principaux et le paratexte de ce conte.

Choix du livre 

« Dans tous les âges l'exemple a un pouvoir étonnant ; dans

l'enfance, l'exemple peut tout.»4 En effet, lorsqu’on est

enfant, tout semble possible : tous les rêves semblent

palpables et aucun, aux yeux de l’enfant, n’est irréalisable.

Par le biais des livres, des films et des personnes de leur

entourage que les enfants mettent en branle leurs rêves, leur

imagination et à se créer des objectifs. Dès lors, ils sont2 Ibid, p. 113 Lurie, Alison. Il était une fois…et pour toujours. À propos de la littérature enfantine. Londres, Éditions Payot & Rivages, coll. essais, 2003, p. 31

4 Fénélon, Œuvres complètes de Fénélon, Paris, 1852, p.520

1

amenés à comprendre de manière consciente ou inconsciente que

pour avoir ce que l’on veut, et pour atteindre ses objectifs,

il faut travailler fort et ne jamais abandonner. Cela dit,

nous avons choisi d’étudier La Petite Sirène d’Hans Christian

Andersen parce que le protagoniste du livre, étant la petite

sirène, est prêt à tout pour réaliser son rêve : vivre parmi

les humains. Comme nous le démontre le récit, nous croyons

qu’il est primordial que les enfants et les personnes de tous

âges réalisent que les rêves se concrétisent par un travail

acharné. De plus, nous trouvons captivant d’analyser un récit

que nous avons connu par l’intermédiaire des films de Disney

et de retourner à la genèse du récit et le revivre sous sa

forme et écriture originelles. Ayant suscité en nous

plusieurs rêves de par les multiples visionnements du film La

Petite Sirène, il est plaisant de revoir ce récit alors que nous

sommes présentement en parcours vers l’acheminement d’un rêve

qui nous est cher : transmettre notre passion de la

littérature.

2

Récit

Schéma actanciel :

Dans les années soixante, Greimas présente un dispositif,

inspiré des théories de Vladimir Propp, nommé le modèle

actantiel. Celui-ci permet, « en principe, d’analyser toute

action réelle ou thématisée »5. Ainsi, le modèle de Greimas

décompose chaque action en six composantes nommées actants :

destinateur, objet, destinataire, sujet, opposant et

adjuvant. L’analyse actantielle « consiste à classer les

éléments de l’action à décrire dans l’une ou l’autre de ces

classes actantielles »6.

5 Louis Hébert, Le modèle actanciel, http://www.signosemio.com/greimas/modele-actantiel.asp (page consultée le 12 décembre 2012)6 Ibid

Sujet :

La petitesirène

Objet :

L’obtentiond’une âmeéternelle

Destinataire :

La petitesirène

Destinateur :

L’absence depossibilité

d’avoir une âmeéternelle

Opposant :

La formephysique de la

sirène, salangue coupée,

le temps

Adjuvant :

Les sœurs de lapetite sirène,la sorcière, lagracieuseté de

Axe du

3

- Sujet : La petite sirène

- Adjuvant : Les sœurs de la petite sirène sont des

adjuvants puisqu’elles permettent à celle-ci de se

rapprocher du prince et lui permettent de concrétiser sa

quête. De plus, on peut classer la gracieuseté de la

sirène comme adjuvant puisque cela lui permet d’attirer

l’attention du prince. Aussi, le personnage de la

sorcière, puisqu’il permet à la petite sirène de revoir le

prince, peut se classer comme adjudante, et ce malgré le

fait qu’elle soit aussi opposante.

- Opposant : La forme physique de la sirène est opposante

puisque c’est à cause du fait qu’elle est une sirène

qu’elle se retrouve dans l’impossibilité d’obtenir une âme

éternelle. Or, l’inverse est tout aussi valable puisque la

transformation que lui fait subir la sorcière lui nuit

également : la langue coupée lui empêche de séduire le

prince par sa voix. La femme que le prince choisit

d’épouser possède elle-même une voix que la petite sirène

aurait pu facilement surpasser si elle avait eu sa

langue : « À entendre cette voix qui était loin d’égaler

Axe de la Lutte

4

celle qu’elle avait jadis, la petite sirène devint

mélancolique. »7 Par ailleurs, le temps peut être un

opposant puisque la sirène doit arriver à séduire le

prince avant le lever du soleil soit avant de se

transformer en écume de mer.

- Objet : L’objet ou la quête de la petite sirène est de

vivre sur la terre des hommes, de marier le prince et

conséquemment, d’avoir une âme éternelle.

- Destinateur : L’élément déclencheur du récit est sans nul

doute le fait que la petite sirène aimerait posséder une

âme éternelle. Elle la désire tout au long de sa quête.

- Destinataire : Le destinataire de ce récit est la petite

sirène puisqu’elle est celle qui profitera de l’âme

éternelle si elle parvient à séduire le prince.

Narration :

Le mode de ce récit est de focalisation zéro. En effet, il y

a lieu de « vision de omnisciente » puisqu’Andersen, avec la

Petite Sirène, propose le regard sur le parcours de l’enfance à

l’âge adulte. Andersen choisit ce mode afin de se distancier7 Andersen, Hans Christian, ill. Eva Frantova –Frühaufova. La Petite Sirène.

Paris, Éditions Gründ, coll. Les Petits conteurs, 1999, p. 38.

Adaptation française de Lionel Monéger. Première parution 1837.

5

du personnage principal lorsqu’il décède. Effectivement,

puisque ce n'est pas le personnage qui perçoit, cela empêche

l’attendrissement envers la sirène, mais sur

l’accomplissement de son rêve. La narration influence donc le

sens du récit puisque la perception du lecteur en est

affectée. De plus, la structure du récit alterne

régulièrement entre des passages de narration, de

descriptions et de dialogues. Les descriptions s’attardent

particulièrement aux lieux, aux décors et notamment au

Royaume des Mers, paradis aquatique. Ainsi, de par les

descriptions que l’on y retrouve, le narrataire de cette

histoire semble être un public « cible » jeune. On le présume

ainsi par les multiples comparaisons entre les éléments

aquatiques (normalement inconnus des jeunes) avec des

éléments terrestres, ce qui leur permet d’actualiser au fur

et à mesure de leur lecture les informations qui leurs sont

présentées. La répétition du terme « comme » le démontre

justement : « L’eau y était bleue comme l’azur et

transparente comme le cristal »8 et « Des poissons, grands et

petits, venaient s’y réfugier, comme sur terre les oiseaux

dans les arbres »9. La comparaison procède à un rapprochement

entre ce qu’ils connaissent et ce qui est nouveau. Elle y est8 Andersen, Hans Christian, ill. Eva Frantova –Frühaufova. La Petite Sirène.

Paris, Éditions Gründ, coll. Les Petits conteurs, 1999, p. 8. Adaptation

française de Lionel Monéger. Première parution 1837.9 Ibid, p.8

6

aussi afin de cibler le narrateur de cette histoire.

Effectivement, le narrateur, bien qu’il ne prenne pas part à

l’histoire d’un point de vue interne mais bien en

focalisation externe, est défini comme étant un être humain

qui vit sur terre parce qu’il est interpellé par des

embrayeurs tels que « comme […] chez nous »10, impliquant

nécessairement qu’il réside au même endroit que le lecteur.

Éléments du récit :

Le conte de La Petite Sirène ne commence pas par le traditionnel «

Il était une fois », mais par « Il existait au fond de

l’océan »11 qui a la même instance auprès du jeune lecteur,

c’est-à-dire entrer dans un texte qui se veut merveilleux et

très loin de lui. Ce conte débute dans un lieu, mais évolue

dans deux espaces distincts qui délimitent les différentes

parties du récit. La composition du texte est faite en trois

parties qui sont indépendantes les unes des autres et

facilement perceptibles si l’on s’attarde aux descriptions

corporelles du héros du récit : la petite sirène. Ces parties

correspondent à trois royaumes spécifiques (mer, terre et

ciel) liés à ses trois états corporels. Au royaume de la mer,

10 Ibid, p.1411 Andersen, Hans Christian, ill. Eva Frantova –Frühaufova. La Petite Sirène.

Paris, Éditions Gründ, coll. Les Petits conteurs, 1999, p. 8. Adaptation

française de Lionel Monéger. Première parution 1837.

7

celle-ci est une ondine caractérisée d’une queue de poisson,

tandis qu’au royaume de la terre elle est une femme avec des

jambes, pour finalement, au royaume du ciel, devenir une

fille de l’air invisible à l’œil humain. La puissance des

éléments (eau, terre, et ciel) inscrit la petite sirène dans

une dimension universelle puisque chaque être humain doit

franchir ces dimensions. Tout d’abord, à la naissance, le

foetus sort du liquide amniotique. « [L]’eau est donc le

premier élément contenant qui, lorsqu’on le quitte, permet la

naissance à la vie. Puis, la naissance à la vie psychique

représente un parcours à travers lequel l’enfant gravit les

étapes de son développement accompagnées de régressions,

d’avancées spectaculaires suivies parfois de « plongées »

dans l’infantile, pour ensuite, à travers le choix de ses

actes, devenir un adulte. »12 Ce sont là les trois étapes

successives de la petite sirène qui traverse son passage de

fille de la mer à celle de la terre pour ensuite se

métamorphoser en la fille de l’air, par ses choix et son

rêve.

De plus, chaque partie du récit est caractérisée par un

12 Chantal Constantini. Conte la Petite Sirène, http://www.pedagopsy.eu/these_silence_conte_petite_sirene.htm (page consultée le 20 mai 2013)

8

groupe d’individus qui, en plus d’être physiquement

différents, le sont aussi quant aux attributs liés à leur

royaume. Chez les ondines, il semble important de spécifier

qu’elles n’ont pas d’âme éternelle et qu’après 300 ans, elles

deviennent de l’écume de mer. Au contraire, chez les hommes,

ils ont une espérance de vie qui est variable et ils ont une

âme qui est éternelle. Puis finalement, au royaume des airs,

les filles de l’air n’ont pas d’âme éternelle, mais ont la

possibilité de s’en acquérir une de par leurs bonnes actions.

Ainsi, ces différences en rapport à l’âme de chaque royaume

sont fort importantes puisqu’elles constituent

essentiellement la quête de la petite sirène : s’acquérir une

âme. En effet, même s’il est vrai de dire qu’une partie de la

quête de la cadette des sœurs est justifié par son désir de

devenir humaine et de marier le prince, c’est bien le désir

d’avoir une âme qui motive ses actions: « Ne puis-je rien

faire pour gagner une vie éternelle ? »13 De plus, c’est ce

dessein qui motive la fin du récit, où elle refuse de tuer le

prince et se voit offrir la chance d’avoir une âme

immortelle. Spécifiquement à cette quête de l’âme éternelle,

il semble important de spécifier qu’on parle ici de

spiritualité et non de religion, et ce, même si Hans

Christian Anderson était catholique.

13 Andersen, Hans Christian, ill. Eva Frantova –Frühaufova. La Petite Sirène.Paris, Éditions Gründ, coll. Les Petits conteurs, 1999, p. 15. Adaptation française de Lionel Monéger. Première parution 1837.

9

Écriture :

Le texte est de quarante-sept pages : émaillé de descriptions

très détaillées et imagées avec un vocabulaire riche et

soutenu qui mérite qu'on s'y attarde. En effet, de nombreuses

phrases sont assez difficiles à comprendre en raison de leur

longueur, de l'abondance des virgules et de l'absence

fréquente de marqueurs de liaison. Toutefois, les multiples

comparaisons entre les descriptions d’éléments plus complexes

permettent aux jeunes une meilleure compréhension. L’écrivain

s’adresse au lecteur dans « une sorte de parole marine et

maternelle, peu à peu aimante, une parole de « sous la

surface de l’eau » (…). Une parole qui lui raconte, étape par

étape [le] périple [ de la petite sirène] pour se donner un

corps, une âme ».14 Ce qui aurait pu être long et très éloigné

des préoccupations d’un lecteur jeune devient alors captivant

et simple car le récit est écrit de manière imagée et

expressive. « La mer, la liberté, la relation aux autres,

l’amour, (…) les incertitudes, la solitude et bien d’autres

thèmes encore apparaissent dans ce livre »15, thèmes qui

14 Pascale Pineau, L’avis de Ricochet, http://www.ricochet-jeunes.org/livres/livre/35708-la-petite-sirene (page consultée le 18 mai 2013)15 Pascale Pineau, L’avis de Ricochet, http://www.ricochet-jeunes.org/livres/livre/35708-la-petite-sirene (page consultée le 18 mai 2013)

10

diminuent l’écart entre texte et lecteur parce qu’ils relient

et interpellent chaque lecteur.

Message :

La Petite Sirène transmet à la fois l’irréalité du rêve et la

nécessité de croire en lui, la douleur de grandir et

l’impossibilité d’une enfance éternelle. Plus précisément, il

présente la frontière floue de l’adolescence. Dès le début du

récit d’Andersen, on présente une enfant qui aspire au rêve

d’obtenir une âme éternelle. En traversant divers obstacles

qui l’entrave de son but, ce n’est qu’en faisant des choix

mûrs qu’elle peut y parvenir : en devenant adulte. Alors

qu’au début du récit ses choix sont définis par le rêve et

l’émotion, à la fin ils sont définis par la raison. Au

départ, elle rêve au monde des adultes et se laisse guider

par son « désir »16 et à la fin, elle refuse de tuer le prince

et « s’élèv[e] [jusqu’au monde des esprits] de l’air »17. Ses

décisions retracent le passage naïf de l’enfance jusqu’à

l’âge adulte. Toutefois, il est péremptoire de croire en ses

rêves. La petite sirène n’abandonne jamais même si elle doit

faire face à plusieurs obstacles. Elle est prête à quitter sa

famille, à sacrifier sa forme physique, à souffrir à chaque16 Andersen, Hans Christian, ill. Eva Frantova –Frühaufova. La Petite Sirène.Paris, Éditions Gründ, coll. Les Petits conteurs, 1999, p. 28. Adaptation française de Lionel Monéger. Première parution 1837.17 Ibidmp.46

11

pas qu’elle fera pour réaliser son rêve. La Petite sirène livre

comme message qu’il ne faut jamais baisser les bras.

Paratexte

Le livre que nous avons choisi d’analyser est un album pour

enfants du célèbre conteur Andersen, La Petite Sirène. Ce livre a

été illustré maintes fois, mais c’est sous l’illustration

d’Eva Frantova – Frühaufova que nous l’analyserons en

profondeur. Sur la première de couverture, il y a des

informations pertinentes inscrites telles que le nom de

l’auteur (Hans Christian Andersen), le titre de l’œuvre (La

Petite Sirène), la maison d’édition (Gründ) ainsi que le nom de la

collection (Les Petits Conteurs). Livre à la reliure rigide et aux

pages glacées, on nous présente dès la page couverture le

protagoniste de l’histoire qui est la petite sirène. Elle se

trouve de côté en regardant au loin, d’un air pensif. Elle

porte un voile sur la tête et elle est ornementée de bijoux.

Ainsi, en observant la couverture, on comprend immédiatement

qu’il ne s’agit pas d’une histoire enfantine, mais bien d’un

récit plus songé. Le fait que les couleurs ne soient pas

vives et que le personnage ne semble pas particulièrement

joyeux nous place tout de suite dans une ambiance plus

énigmatique et spirituelle. Toutefois, le fait que l’image

12

soit encadrée et bordée d’une bordure de coquillages dans la

teinte de bleu-vert, tout comme la quatrième de couverture,

permet de comprendre aussitôt que le récit s’adresse

également aux plus jeunes. Toujours dans cet ordre d’idées,

contrairement à plusieurs œuvres, la quatrième de couverture

ne présente pas de résumé ou critique du livre, mais une

brève description des tâches de cette collection (faire

entrer « dans l’univers magique des contes! »). De plus, il

est inscrit que la collection Les Petits Conteurs propose de

passionnants récits pour faire des premiers pas dans la

lecture, ce qui rappelle encore une fois qu’on s’adresse à un

public plus jeune. La page de crédits et la page de faux

titres sont encadrées d’une algue avec des poissons, des

coquillages, un bateau et des perles. Ces figures amènent

donc le lecteur-enfant dans une ambiance des fonds marins.

Ainsi, cela attire le lecteur, puisque cela représente un

ailleurs : quelque chose de mystérieux et d’inconnu que l’on

a envie de découvrir. Même la page de titre, où l’on présente

l’auteur et l’illustratrice amène à cette ambiance des fonds

marins. L’on y voit une image de la petite sirène assise sur

un rocher qui rappelle le fond marin par l’utilisation de

l’aquarelle et la dominance du bleu et du vert qui se trouve

dans cette illustration et dans la majorité des autres images

de l’album.

13

Illustrations

Lorsqu’on lit le texte La Petite Sirène, on ne peut s’empêcher de

ressentir un sentiment obscur d’inconfort. En effet, il

s’agit d’un conte relativement dramatique où l’héroïne, même

si elle réussit partiellement à atteindre son but, doit

passer à travers de terribles obstacles, souffrir et même

mourir. Ainsi, lorsqu’on observe les illustrations de ce

conte, alors on comprend qu’elles permettent de dédramatiser

le texte. En effet, les couleurs pastel adoucissent la

noirceur du récit. En effet, même si le personnage de la

petite sirène ne semble jamais vraiment très heureux, sauf à

la dernière image du récit, cela apaise malgré tout. En

effet, si l’on observe attentivement les images on peut

déduire que cela sert à minimiser l’obscur du texte puisqu’on

nous présente des animaux aquatiques qui eux semblent

heureux. De plus, voyons que même la mort de la sirène est

dédramatisée par l’image puisque la mort de la sirène, au

lieu d’être accueillie par une image sombre, est inversement

présentée par l’image de la petite sirène qui sourit et qui

s’envole vers le ciel. Au surplus, lorsque la sirène se fait

couper la langue et lorsqu’elle ressent « une douleur

terrible, comme si une épée fendait son corps »18, on ne

18 Andersen, Hans Christian, ill. Eva Frantova –Frühaufova. La Petite Sirène.Paris, Éditions Gründ, coll. Les Petits conteurs, 1999, p. 36. Adaptation française de Lionel Monéger. Première parution 1837.

14

présente pas la douleur qu’elle ressent, mais on la présente

couchée sur la plage, de manière paisible, une fois ces

événements terminés.

Circuit de lecture :

Dans ce récit, les images ont comme fonction de créer

l’imaginaire du lecteur en ce sens où l’illustratrice

démontre ce qu’elle voit, ce qu’elle imagine de ce monde

imaginaire. Cela permet de donner une représentation entre

autres des fonds marins, des objets et de l’identité des

personnages. Les images sont donc un support à la

compréhension du texte pour un jeune lecteur ou un jeune qui

se fait lire cette histoire. Plus particulièrement, l’album

est construit de sorte que le texte se trouve toujours à

gauche alors qu’à sa droite, sur une page distincte, se situe

une image permettant de supporter le texte. L’image prend à

chaque fois la page en entier avec des teintes colorées et

pastel. Par exemple, à la page onze, le texte nous présente

plusieurs descriptions du château du roi de la mer alors qu’à

la page adjacente, on y retrouve une illustration de celui-ci

15

qui renchérit la diégèse. Ainsi, l’enfant a devant lui le

portrait de ce monde marin simultanément à la lecture qu’il

en fait. Toutes les images prennent une place considérable

dans l’album et empiètent même sur la page de texte ainsi

qu’on le voit lorsque la petite sirène fait la rencontre du

prince, alors que son bateau fait naufrage. Étant un élément-

clé de l’histoire, cette rencontre a une grande résonnance

pour la petite sirène qui le rencontre. L’image, liée à

l’importance de ce moment pour le récit, illustre bien ceci

puisqu’elle déborde même sur la page du texte.

Couleur :

Tout au long du récit, la prédominance de la couleur bleue

permet d’illustrer la mer, le rêve et le voyage alors que les

couleurs vertes et jaunes représentent les éléments auxquels

la petite sirène n’est pas familière. En effet, que ce soit

lors de la présentation de la sorcière, du monde des hommes

ou même du monde des filles de l’air, alors les couleurs se

veulent plus vives. Ainsi, non seulement les couleurs

tranchent elles avec les éléments de la vie quotidienne de

l’héroïne, mais elles illustrent aussi les transformations

qu’elle subit. Même les personnages adjuvants et opposants

rappellent cette formule de couleur. Alors que la grand-mère

de la petite sirène lui parle du monde extérieur, elle est

16

illustrée en rouge. L’illustration est donc en contradiction

avec la page de couverture sur laquelle la petite sirène est

représentée dans les teintes de bleues.

Contraste :

De plus, d’un point de vue corporel, il semble important de

préciser que la petite sirène est tournée vers la droite

alors que sa grand-mère et la vieille sorcière sont tournées

vers la gauche. Il est important de le préciser puisque la

position du regard vers la droite pourrait symboliser

l’ouverture vers le changement et une nouvelle vie (tel que

désiré par le personnage de la petite sirène) alors que le

regard tourné à gauche pourrait traduire le désir de garder

les choses telles qu’elles le sont et qu’elles ont été (tel

que désigné par la grand-mère et par la sorcière qui ne

comprennent pas le désir de la petite sirène de changer sa

forme physique). Effectivement, on pourrait l’interpréter

ainsi puisque la grand-mère affirme qu’il est bien mieux de

vivre sous l’eau, car les hommes « n’atteignent pas trois

cents ans »19. Elle désire que sa petite-fille reste dans les

profondeurs marines et qu’elle y reste pour toujours alors

que la petite sirène, elle, rêve au monde des hommes. Dans le

19 Andersen, Hans Christian, ill. Eva Frantova –Frühaufova. La Petite Sirène.Paris, Éditions Gründ, coll. Les Petits conteurs, 1999, p. 28-29. Adaptation française de Lionel Monéger. Première parution 1837.

17

même ordre d’idées, la sorcière dit à la petite sirène

qu’elle ne comprend pas son choix de vivre chez les hommes et

la met en garde sur ce qu’elle y trouvera.

Mise en perspective

La lecture de La Petite Sirène a modifié la perception que l’on en

avait. En effet, connaissant ce conte par la seule entremise

du film de Disney, et étant la première fois que nous le

lisions, une telle relecture de ce conte nous a fait repenser

l’entièreté du message de l’auteur. En effet, après plusieurs

adaptations tant au cinéma, en série télévisuelle et en

livre, différentes versions et plusieurs illustrateurs qui

s’y sont attardés, une question demeure : est-ce que ce récit

est encore pertinent de nos jours? Tout converge pour dire

qu’effectivement, le conte de La Petite Sirène d’Andersen est

encore lisible aujourd’hui malgré qu’il ait été écrit en

1837. En effet, même de nos jours, la majorité des valeurs

véhiculées par l’œuvre sont jugées appropriées. Or, plusieurs

jeunes ne connaissent ce conte qu’à travers l’adaptation de

Disney. Force de constater que les aventures sont modifiées

18

afin, probablement, de plaire davantage à l’adulte. Dans une

époque où l’on cherche à surprotéger les jeunes, lire un

récit dont la jeune fille ne se marie par avec le prince

charmant et meure parce que celui-ci n’est pas tombé en amour

avec elle ne pourrait être accepté. Le récit a donc été

modifié pour satisfaire les revendications actuelles. L’œuvre

danoise est un classique par ses thèmes universels. La Petite

Sirène a un rêve qui est de vivre sur la terre ferme et de

rencontrer le prince. Afin d’arriver à son but, elle doit

toutefois faire de gros sacrifices qui sont de donner sa voix

et de souffrir à chaque pas qu’elle fait. Le conte permet

ainsi au jeune lecteur de s’interroger sur des questions

telles que l’amour, l’amitié, la différence entre différentes

espèces, la volonté d’aller jusqu’au bout afin de concrétiser

un projet qui nous est cher, de croire en ses rêves, famille,

etc. Somme toute, la lecture du conte d’Andersen est encore

pertinente de nos jours de par la richesse de son récit, des

idéologies et des valeurs qui y sont transmises.

Au terme de ce travail, il semble juste de dire que

l’histoire de La Petite Sirène, telle que l’a écrite Andersen,

n’est pas une histoire d’amour, mais bien celle d’un grand

rêve. La petite sirène n’est pas que guidée par un sentiment

19

abstrait envers le prince, mais par quelque chose de bien

plus grand : une quête spirituelle. L’héroïne, à travers ses

péripéties, grandit, se transforme, mais réalise sa quête.

Par l’entremise d’illustrations, on nous raconte le récit,

qui par ses multiples versions, démontre son évolution et

retrace les valeurs qui y sont transmises et qui restent

actuelles dans leurs façons d’être octroyées. Il n'est

d’ailleurs pas surprenant que ce conte soit connu de tous. Le

message et l’effet sur le lecteur et/ou visionneur sont

toujours les mêmes d’année en année : stupéfaction. C’est la

raison pour laquelle il est un classique et le restera

probablement, nous le souhaitons, toujours.

20

Médiagraphie

ANDERSEN, Hans Christian, ill. Eva Frantova –Frühaufova. La

Petite Sirène. Paris, Éditions Gründ, coll. Les Petits conteurs,

1999, 48p. Adaptation française de Lionel Monéger. Première

parution 1837.

CONSTANTINI, Chantal. Conte la Petite Sirène,

http://www.pedagopsy.eu/these_silence_conte_petite_sirene.htm

, page consultée le 20 mai 2013

FÉNÉLON. Œuvres complètes de Fénélon, Paris, Au bureau de la bibliothèque ecclésiastique, 1852, 663p.

HÉBERT, Louis. Le modèle actanciel, [en ligne] http://www.signosemio.com/greimas/modele-actantiel.asp (page consultée le 12 décembre 2012)

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