les politiques publiques

303
LES POLITIQUES PUBLIQUES A L'EPREUVE DE L'ACTION LOCALE Critiques de la territorialisation

Transcript of les politiques publiques

LES POLITIQUES PUBLIQUES

A L'EPREUVE DE L'ACTION LOCALE

Critiques de la territorialisation

Questions ContemporainesCollection dirigée par J.P. Chagnollaud,

B. PĂ©quignot et D. Rolland

Chômage, exclusion, globalisation... Jamais les « questionscontemporaines» n'ont été aussi nombreuses et aussi complexes àappréhender. Le pari de la col1ection « Questions contemporaines»est d"offrir un espace de réflexion et de débat à tous ceux, chercheurs,mil itants ou praticiens, qui osent penser autrement, exprimer des idéesneuves et ouvrir de nouvelles pistes à ta réflexion collective.

Dernières parutions

USANNAZ Emile, Refaire société, 2007.BOURSE Michel, Eloge du métissage, 2007.FERRAND Eric, Quelle école pour la République, 2007.POITOU Philippe, Le livre noir du travail, 2007.HE.LDENBERGH Anne (sous la dir.), Les dé111arches qualitédans l'enseignement supérieur en Europe, 2007.Gilbert VINCENT, L'avenir de l'Europe sociale, 2007.Paul KLOBOUKOFF, Rénover la gouvernance écono111ique etsoc iale (le la France, 2007.Claude FOUQUET, Histoire critique de la modernité, 2007.Gérard POUJADE, Une politique de développen1ent durable.Acteur d'une vie digne, 2007Noël JOUENN E,Dans l'ombre du Corbusier, 2007.Jean-Jacques PROMPSY, Traité des corruptions, 2007.Mohalnad K. Salhab, Éducation et évolution des savoirsscientifiques, 2007.P. LEPRETRE, B. URFER, Le principe de précaution. Une clefpour le.futur, 2007.Ibrahilna SARR, La démocratie en débats, 2007.Cyri I LE TALLEC, Sectes pseudo-chrétiennes, 2007.Julien GUELFI, Non à l'euthanasie, 2007.Sébastien ROFFAT, Disney et la France. Les vingt ans d'EuroDisneyland,2007.Francis JAUREGUYBERRY, Question nationale etInouve111ents sociaux en pays basque, 2007.

Sous la direction

d'Alain Faure et Emmanuel NĂ©grier

LES POLITIQUES PUBLIQUES

A L'EPREUVE DE L'ACTION LOCALE

Critiques de la territorialisation

L'Harmattan

@ L'Harmattan, 20075-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris

http://[email protected]

harmattan [email protected]

ISBN: 978-2-296-04229-2EAN : 9782296042292

,............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .I Cet ouvrage est le fruit d'une dynamique collective qui trouve son origine au sein de II l'Association Française de Science Politique lorsque deux de ses groupes, «Local & II Politique» d'une part et « Politiques Publiques» d'autre part, ont décidé de lancer un II appel commun à communications en janvier 2006 pour débattre sur «Les politiques I

publiques à l'épreuve de l'action territoriale». La rencontre s'est tenue les 15 & 16 juin2006 à l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble avec plus de 30 intervenants et unecentaine de participants. L'idée de départ était ciblée sur un bilan des recherches récentesconsacrées à la territorialisation des politiques publiques. La démarche se voulait en mêmetemps résolument décloisonnée puisque nous appelions de nos vœux un dialogue inéditentre les disciplines, entre les courants d'analyses et entre les terrains d'investigation.

L'extrême diversité des réponses et la forte mobilisation de la «jeune recherche» ontparfaitement répondu à cette attente mais ils nous ont aussi placés dans l'embarras pourstructurer la rencontre. Nous avons finalement opté pour une formule privilégiant destextes courts (15000 signes) qui ont tous été mis sur les sites Internet de PACTE(www.pacte.cnrsfr/) et de l'AFSP (www.afsp.msh-parisfr/) avant le début du colloque.Les débats se sont ensuite uniquement déroulés en séance plénière. En hommage auxsermons de la rhétorique dominicaine, nous avons imposé aux intervenants de présenterleurs communications en sept minutes, pas une de plus. Le pari était hasardeux et deprime abord assez frustrant pour les orateurs. Il a fonctionné au-delà de nos espérances,générant des controverses très toniques et favorisant une réelle interactivité avecl'assistance.

Aussi avons-nous tenté de garder cet état d'esprit de concision et de percussion dans leprésent ouvrage. Il s'agit d'un document composé de chapitres courts et avec plusieursmodes de consultation possibles. Ses trois parties reflètent trois façons d'ouvrir lacontroverse académique, les auteurs ayant tous accepté de revoir leur communication dedépart pour mettre en discussion leurs résultats et leurs grilles d'analyse avec les au trescontributeurs. L'ambiance chaleureuse et joueuse des deux journées est difficile à mettre enmots, mais gageons que la formule éditoriale retenue en restitue le souvenir et donne legoût et l'envie à ses lecteurs de prolonger le mouvement et d'explorer plus avant cettefaçon collective de concevoir la critique scien tifique.

Enfin, nous adressons un grand merci aux membres de l'AFSP, de PACTE et de l'Institutd'Etudes Politiques de Grenoble qui ont, par leur soutien logistique, financier et humain,joué un rôle déterminant pour que soit menée jusqu'à son terme cette belle aventurecollective.

i

Alain Faure & EmmanuelNĂ©grierL j

LES POLITIQUES PUBLIQUESA L'EPREUVE DE L'ACTION LOCALE

Critiques de la territorialisation

INTRODUCTION GENERALE: PENSER LA CONTINGENCE TERRITORIALE 9Emmanuel NĂ©grier

lERE PARTIE: A L'EPREUVE DES TERRITOIRES

UNIVERSITE ET TERRITOIRE. NOUVELLES RELATIONS, ANCIENNES LOGIQUES? 19JĂ©rĂ´me Aust

LA TERRITORIALISATION PROBLEMATIQUE DE L'ACTION UNIVERSITAIRE 27Christelle Manifet

LES POLITIQUES D'EMPLOI AU RISQUE DE LA TERRITORIALISATION CONCURRENTIELLE...35Jean-Raphaël Bartoli & Olivier Mériaux

L'ETAT SOCIAL A L'EPREUVE DE L'ACTION TERRITORIALE 43Thierry Berthet

LA IMISE EN ORDRE' DE L'ACTION POUR L'EMPLOI PAR LA TERRITORIALISATION 53JĂ©rome Godard

LA TERRITORIALISATION PROBLEMATIQUE DE L'ACTION JUDICIAIRE 61Anne-CĂ©cile Dou illet & Jacques de Maillard

TERRITORIALISATION(S) ET PARCS NATURELS REGIONAUX 69Romain Lajarge

LES POLITIQUES RURALES GAGNEES PAR LA TERRITORIALISATION 79Dominique Vallet, Jean-Marc Callais, Patrick Moquay & VĂ©ronique Roussel

EXTENSION DES AEROPORTS: L'ACTION PUBLIQUE ENTRE SECTEUR ET TERRITOIRE 87Charlotte Halpern

L'INTERVENTION RESIDUELLE DES ÉTATS FACE AU LIBRE MARCHE 93Frédéric Dobruszkes

2EME PARTIE: DANS LA BOITE A OUTILS

REDISTRIBUTION DES POUVOIRS, REDISTRIBUTION DES CARTES 107Grégoire Feyt

ENTRE POLITIQUE PUBLIQUEET ACTION PUBLIQUE: L'INGENIERIE TERRITORIALE 117Pierre-An toine Landel

L'EVALUATION ENTRE OPPORTUNITE ET EFFETS 123Nicolas Matyjasik & Ludovic MĂ©asson

LA TERRITORIALISATION DES NORMES DU DEVELOPPEMENT DURABLE 133Lauren Andres & Benoit Faraco

POLITIQUES CONTRACTUELLES: LA QUESTION LOCALE SOUS TENSION? 141Domitien DĂ©trie

RAISONNER PAR LE TERRITOIRE: LES MODALITES PRATIQUES DE LA COOPERATION 147Elvire Bornand

PRESAGE, UN LOGICIEL DE GESTION OU DE RECOMPOSITION DES TERRITOIRES? 153Xavier Marchand-Tonel & Vincent Simoulin

LES IMPROBABLES BILANS DES /LABORATOIRES/ ..159Mireille Pongy

UNE 'CULTURE' PARTAGEE DU TERRITOIRE? 167Rémi Lefèbvre

DECONSTRUIRE LES LEGITIMATIONS TECHNIQUES DE L'ACTION PUBLIQUE 175Hélène Reigner

3EME PARTIE: SUR LE TERRAIN POLITIQUE

PRODUCTION DES POLITIQUES PUBLIQUES ET MOBILISATION ELECTORALE 183Virginie Anquetin

LA PARTICIPATION HABITANTE, VECTEUR DE DEMOCRATISATION? 191Yolaine Cultiaux

DEMOCRATISER LES POLITIQUES TERRITORIALES? ..199Philippe T eillet

POLITIQUES LOCALES DE SECURITE ET ACTEURS POLITIQUES 209Tanguy Le Goff

FAUT-IL QUE 'RIEN NE CHANGE' POUR QUE LES INTERCOMMUNALITES CHANGENT? 219Fabien Desage

UNE POLITIQUE PUBLIQUE LOCALE SANS POLITIQUE? 229Elisabeth Dupoirier, Martial Foucault, Abel François, Emiliano Grossman & Nicolas Sauger

D'UNE REGION A L'AUTRE, LA GESTION INTEGREE DU LITTORAL 241Marion RĂ©au

LA VENDEE VILLIERISTE SAISIE PAR LA CONTRACTUALISATION REGIONALE 249Olivier Gau tier

L'ACTION PUBLIQUE TERRITORIALE SOLUBLE DANS LE NEO-INSTITUTIONNALISME ? 255Sylvain Barone

LA SYNTHESE D'UN POLITISTE : SIX QUESTIONS EN SUSPENS 263Pierre Muller

POLITISTES ET GEOGRAPHES, A L'EPREUVE DE L'EPREUVE 269Martin Van ier

CONCLUSION GENERALE: UNE NOUVELLE CRITIQUE TERRITORIALE ? 275Alain Faure

BIBLIOGRAPHIE GENERALE .285

8

INTRODUCTION GENERALE:

PENSER LA CONTINGENCE TERRITORIALE

Emmanuel NĂ©grier

Les débats sur la territorialisation de l'action publique marquent unenouvelle étape. Cet ouvrage en traduit tout le bouillonnement théorique etempirique, sans avoir la prétention d'en figer l'analyse. La nature de ces débatsa connu, depuis les années 1970, une évolution que l'on peut rapidementretracer pour apprécier les controverses et pistes de recherche actuelles.

Ils ont d'abord été alimentés par une dialectique verticale. En onttémoigné les paradigmes en usage dans les années 1970 et 1980, où la critiquescientifique était à la recherche de points d'équilibre ou de tension entre centreet périphérie. La régulation croisée aura été l'un des instruments les plusheuristiques (Grémion 1976) pour qualifier cette première période d'une critiquede la territorialisation. Elle s'attaquait elle-même à la domination d'un discoursnormatif, souvent d'ordre juridique, qui produisait une fausse naturalité d'unterritoire réduit à l'expression de la puissance publique d'État (Alliès 1980). Auxcôtés de ces travaux de science politique, la géographie, la sociologie etl'économie qui s'intéressaient à ces enjeux territoriaux utilisaient des démarchesvoisines. Les recherches sur la planification urbaine (Lojkine 1972), sur la ville(Castells 1974, Lefèbvre 1973), ou sur les rapports socio-économiques à l'échelleglobale (Amin 1973) étaient orientées vers un dévoilement des fausses évidencesdu couple central/local, qu'elles soient d'essence normative (fausse égalité,Dulong 1978) ou localiste (fausse identité, Sfez 1977). Cette critique s'estappuyée sur les premiers mouvements de décentralisation, avant d'êtredépassée par leur dynamique même. C'est que les visions néo-marxistes ousystémiques, fondées sur les acquis de la sociologie des organisations,conduisaient elles-mêmes à promouvoir un ordre, une tendance à la stabilisationdont la mise en œuvre des politiques locales allait subir la loi de différenciationssecondaires. Celles-ci, montant en importance, ont complexifié la donne au pointde rendre un peu artificielle primat de la négociation verticale et publique.

La deuxième période a été considérablement enrichie par une générationde chercheurs en science politique, en géographie ou en sociologie, qui ont prisau sérieux la territorialité des enjeux politiques et sociaux. Elle a conduit àl'émergence d'une deuxième dialectique, que l'on peut plus communémentdéfinir comme horizontale. Les années 1990 ont produit, dans cet ordre d'idées,les notions de gouvernement urbain (Borraz 1998, Jouve et Lefèvre 1999), degou vernance (John 2001, Leresche 2001), d'échange poli tique terri torialisé(Négrier 1998), de relations public-privé (Le Galès 1997) ou encore desubsidiarité (Faure 1998) qui ont, toutes, cherché à mettre en évidencel'influence de variables jusque-là restées dans l'ombre d'une appréhensionverticale des enjeux d'action publique et des jeux de pouvoir. On trouve des

perspectives voisines dans la sociologie du politique, avec le développementd'analyses localisées du politique (Briquet 1997, Sawicki 1997) en sociologie,mais également en anthropologie, à la faveur du «retour» de l'ethnologiefrançaise sur le territoire national (Abélès 1989, Pourcher 1995). L'idée communeà l'ensemble de ces courants est que le regard fondé depuis le centre (desorganisations partisanes, des bureaucraties et professions, des réglementations)était devenu largement insuffisant pour aborder un chantier de recherche surdes objets aussi centraux, pour les disciplines, que l'espace, le pouvoir, lalégitimité, le territoire. Si la première période tentait de compenser la force desrelations verticales par une certaine horizontalité des pratiques (les relationspréfet-notables, par exemple), la deuxième a tenté d'échapper au« localisme analytique» par d'autres dimensions verticales ou inter-locales. Lacompétition économique, le benchmarking territorial, l'européanisation ou lareprésentation des intérêts privés sont des variables qui naissent à la fin desannées 1990 pour contextualiser la territorialité et la faire échapper à unecomplaisante autosuffisance. Cette deuxième critique s'est largement appuyéesur le cadre de la globalisation et sur l'émergence de politiques locales pourmontrer tous les bénéfices, mais aussi toutes les limites de la territorialité desÉtats en action.

Dans la construction de ces deux critiques successives, une différencefondamentale a trait aux travaux qui constituent l'environnement intellectuel dela pensée sur la territorialisation. La première s'appuie presque exclusivementsur une littérature critique française, et raisonne en contrepoint deformalisations juridiques également nationales. Si l'approche organisationnellepuisait naturellement ses racines dans des fondements anglo-saxons, elle restaitfondamentalement française dans la structure de son débat conceptuel etempirique. La deuxième critique est par contre fortement informée des travauxinternationaux. Elle se réfère à un large spectre de travaux, du renouveau del'analyse institutionnelle (Hall 1993, Hall & Taylor 1996), aux réflexionsnaissantes en termes de gouvernance Gessop 1997, Marks 1996), ou de régimeurbain (Harding 1994). L'évolution de l'analyse régionale s'appuie sur desprogrammes de recherche comparatifs (Keating & Loughlin 1996, Jeffery 1997)dans lesquels s'inscrivent désormais les travaux français (Le Galès & Lequesne1997, Négrier & Jouve 1998). Les questions métropolitaines s'émancipent d'unestricte vision nationale pour se situer dans des débats (reform vs public choice, parexemple) qui sont parfois fort anciens dans le monde anglo-saxon (Ostrom,Tiebout & Warren 1961, Wood 1958).

L'importation de modèles d'analyse ou de concepts (governance, urbanregimes, new-regionalism ou new-institutionalism, par exemple) ne se fait pas sansdébat au sein du champ scientifique français. La gouvernance urbaine en est l'undes plus clairs exemples Gouve & Lefèvre 1999, Lorrain 2000, Gaudin 2002, LeGalès 2002). Cette importation intègre cependant, de plus en plus, la diversitéinterne des positions abusivement considérées, parce qu' anglo-saxonnes,comme cohérentes entre elles. En outre, d'autres emprunts, plus continentaux,font en même temps leur apparition dans la science française du territoire. Onpeut ici mentionner la fortune qu'a connue la littérature italienne des districtsindustriels autour de Carlo Trigilia (1986) notamment (Ritaine 1989, Benko &Lipietz 1992); ou de celle sur l'échange politique (Pizzorno 1977, Ceri 1981).

10

Dans ses premiers pas, l'importation de modèles extérieurs à la traditionfrançaise des sciences sociales suscite débats et incompréhensions. Au carrefourde ces positions, la France continue d'incarner une spécificité radicale, et lestentatives d'intégrer le cas français autrement qu'en bloc, au sein d'un chapitresingulier, restent excessivement rares. Si elles le restent encore aujourd'hui, onpeut estimer que les conditions sont réunies pour aller plus loin.

UN NOUVEAU CYCLE DE TERRITORIALISATION

La troisième période qui s'est ouverte aujourd'hui, et dont témoigne cetouvrage, tire les bénéfices des deux précédentes, mais s'engage dans des voiesnouvelles. Elle se présente comme une conciliation incertaine entre horizontalitéet verticalité des modes d'analyse. Ses objets ne sont pas forcément nouveaux.La décentralisation et l'européanisation sont ainsi au cœur de plusieurschapitres. Mais elles se situent dans un environnement critique qui aglobalement changé d'âme. Les déplacements de centre de gravité de l'actionpublique imposent une double réflexion. La première concerne l'hypothèsed'une fin de cycle de l'action publique territoriale. La seconde a trait auxinstruments d'analyse pour en rendre compte.

La notion de fin de cycle est souvent critiquée, en ce qu'elle faitprécisément l'hypothèse de cycles eux-mêmes abusivement simplifiés ethistoriquement bordés. Elle doit donc être utilisée avec prudence, pour qualifierdes inversions de tendance dans plusieurs secteurs d'un même domaine,inversions qui participent, par hypothèse, d'un même mouvement de fond. Enmatière de territorialisation, on peut s'appuyer sur plusieurs phénomènessimultanés, qui concernent les jeux d'échelle, la substance des relations entreacteurs et la nature des instruments propres à leur mise en œuvre.

Les changements d'échelle qui marquent la territorialisationd'aujourd'hui sont à la fois administratifs, politiques et spatiaux. Ladécentralisation a connu de nouvelles impulsions, au travers, par exemple, de laloi du 13 août 2004. Mais ce qui la caractérise est aussi la fin d'une croyance à sesvertus intrinsèques en termes de démocratisation, d'économie d'échelle,d'efficience. Les destinataires des nouvelles compétences n'ont pas été lesderniers à incarner un scepticisme inédit, mal compensé par une contrepartie detype constitutionnel sur l'économie des transferts de charge. La fin du mythedécentralisateur, qui coïncide avec la progression de la décentralisation,s'accompagne d'un autre changement. Alors que les processus antérieursavaient coïncidé avec une intensification de la déconcentration des services del'État, les nouveaux s'en distinguent. Au lieu d'un accompagnement de l'unepar l'autre se produit un transfert de l'une vers l'autre. La crise de ladéconcentration signale ainsi le crépuscule d'un cycle français, assez original enEurope.

Quant aux échelles du gouvernement local, elles ont également connu unconsidérable changement de régime. Après des résultats plus que limités dansles années 1990 - la loi Joxe Baylet de février 1992 n'ayant par exemple conduitqu'à la création de trois communautés de ville -la loi Chevènement, portant surle même objet, a connu un succès considérable, avec la création, en six ans, de

Il

plus de 180 intercommunalités urbaines et de plus de 2300 communautés decommunes, à un niveau démographique plus modeste. C'est l'absence decoopération interc~mmunale qui est devenue l'exception, alors qu'elle était larègle à la fin du xxeme siècle. Bien sûr, il convient d'observer toutes les limites decette « révolution intercommunale », à commencer par la grande diversité entresituations que cache un tel mouvement. Mais elles ne sauraient contester laréalité d'une transformation profonde de l'économie politique des pratiquesgouvernementales locales.

Quant aux relations entre échelles, elles suggèrent également quelquestransformations conséquentes. Qu'en est-il de la relation des territoires à l'Etatdans un contexte de décentralisation? Pour la comprendre, examinons lamanière dont la pratique de l'État est comprise dans des pays qui ont, plus tôt,renoncé à la raison jacobine. En Espagne, l'administration centrale, d'ailleurstour à tour qualifiée d'espagnole ou de castillane, apparaît porteuse d'intérêtschaque fois plus spécifiques, et reçus comme tels dans les communautésautonomes, terrains d'impulsion de politiques publiques de plus en plus...centrales (Subirats & Gallego 2002). En France, la croyance résiduelle en l'État sejauge au travers de plusieurs indices, à commencer par le fait qu'à l'occasion dela multiplication des baromètres d'opinion localisés, il continue de figurercomme porteur de politiques (RMI, formation) qu'il a pourtant entièrementconfiées aux collectivités territoriales. Mais que dire de l'analyse contemporainede l'État territorial en action? On trouve ici un autre cycle en émergence, celuiqui revient sur une période de relative stabilité dans le jeu entre l'Etat et lespouvoirs locaux, où le premier se distingue des derniers par l'importancequ'ont, pour lui, les politiques publiques et pour eux la politique. Plusprécisément, l'État régulait la territorialisation par la négociation subsidiaire deses politiques au niveau local. Les élites territoriales appréciaient dans le rapportà l'Etat les perspectives de leur propre reproduction sociale et politique.

Ce jeu s'est considérablement transformé aujourd'hui. Les élites locales sesont professionnalisées, dotées qu'elles sont de techniques et de personnels quiétaient auparavant l'apanage de la haute et centrale administration. Elles sontaussi en charge d'une proportion croissante de ce que l'on dénomme encorel'État providence, et qui se réfère aujourd'hui aux politiques de formation,d'éducation, de transport ou de culture qui sont massivement le fait descollectivités territoriales. Ces secteurs sont tous présents dans l'ouvrage, et toustémoignent des transformations en cours. Nous souhaitons, de façontransversale, signaler une inversion de tendance politique dans ce jeu entreéchelles.

À l'idée communément admise d'un État maître de ses politiquespubliques devant les négocier avec la politique incarnée par les pouvoirs locauxs'oppose aujourd'hui une vision beaucoup plus politisée de l'État territorial,quand les pouvoirs locaux font face, avec leurs nouvelles attributions, à deslogiques croissantes de gestion de politiques publiques (Borraz & Négrier 2007).Cette inversion revient sur la relative étanchéité que la vème Républiquenaissante avait développée à l'égard des intérêts poli tiques locaux. Elle rappelleune structure de l'influence directe du politique dans les enjeux territoriaux quiavait été caractéristique des IIIèmeet rvèmeRépubliques (Le Lidec 2001).

12

Aussi la croissance de l'interdépendance entre l'État et les collectivitésterritoriales donne-t-elle un visage assez différent de celui qui pouvait encoreêtre décrit dans les années 1990. Il pourrait, en forçant quelque peu le trait,s'énoncer aujourd'hui comme suit. La repolitisation de l'État territorial s'opèreau travers de la pénétration croissante d'enjeux propres aux conditionspartisanes et localisées de mise en œuvre de ses programmes. On a pu l'observerdans la mise en œuvre de la Loi Chevènement, à titre d'illustration (Négrier2007). Réciproquement, la dépolitisation des collectivités territoriales s'opère autravers des contraintes croissantes d'efficience dans la mise en œuvre de leursattributions. Naturellement, cela ne signifie nullement que l'État ne met plus enœuvre de politiques publiques territoriales, ni que les pouvoirs locaux ne fontplus de politjque. Mais le jeu combiné de ces deux tendances (politisation del'action de l'Etat et dépolitisation du pouvoir local) conduit à penser autrementl'interdépendance entre niveaux.

Parmi les conséquences de ce changement se trouve l'hypothèse de ladifférenciation croissante des configurations territoriales et de la part que lespolitiques nationales prennent à cette différenciation, alors qu'elles étaient, dansune tradition centraliste puis «déconcentriste », plutôt conçues comme unfacteur de régulation ou de compensation des différences. À ce titre, lacomparaison entre la France décentralisée et l'Allemagne fédérale montre que lapéréquation entre territoires, pour être au principe d'un certain discourségalitaire français, est beaucoup plus développée outre-Rhin. Plusgénéralement, la thèse de l'irréductibilité d'un modèle français devient chaquefois plus introuvable, tandis que progresse, par l'examen comparatif entreterritoires, la thèse de sa comparabilité.

PENSER LA CONTINGENCE TERRITORIALE

L'un des acquis de cette nouvelle étape de l'analyse territoriale estincontestablement la croissance de l'interdépendance entre niveaux et logiquesd'acteurs. La conséquence en est que la spécificité du « territoire» comme objetest de moins en moins évidente. On peut s'en convaincre en mentionnantquelques-unes des notions empruntées par les auteurs des différents chapitres.Référentiel, néo-institutionnalisme, échange politique, instruments, évaluation,culture politique se réfèrent tous à des modes d'analyse d'abord forgés dansl'étude de politiques publiques de caractère national ou international, avantd'être aujourd'hui appliqués à des objets d'étude localisés. Naturellement, cetteacclimatation suppose une certaine adaptation. Mais elle signale la possibilité depenser l'action publique, à l'échelle territoriale, avec des clefs de lecture jusque-là réservées à des politiques d'une autre envergure. La contingence territoriale,c'est d'abord l'affaiblissement de la spécificité du territoire (comme notion,comme niveau d'analyse), en même temps que son importance croissante pouranalyser les politiques publiques en action. De cette nouvelle importancedécoule un changement de ton dans beaucoup des analyses proposées dans cetouvrage. Plus que dans la tradition de science politique à la française, on trouvele souci d'une démarche empirique. Celle-ci, loin de ne se poser que lesquestions cardinales du pouvoir ou de la légitimation dans l'espace, s'applique àadresser des enjeux d'efficience et d'efficacité gouvernementale. Elle le fait au

13

prix, parfois, du risque bien connu de normativité, même si chacun jauge labonne distance qui doit demeurer entre la démarche scientifique et celle,managériale, des bonnes recettes. Il n'en reste pas moins que ce ton témoigned'un lien, construit de façon différente, entre sciences humaines et sociales, d'uncôté, pouvoir et société, de l'autre.

Cet ouvrage pose une multitude de questions. Parmi celles-ci, on peutainsi mentionner les suivantes: comment articuler l'analyse stratégique despolitiques territoriales et leur dimension cognitive? Le politique est-il solubledans les intérêts des seuls acteurs politiques? L'institution trame-t-elle leschangements? Y a-t-il continuité d'empowerment entre décentralisation etdémocratie participative? Comment penser la territorialisation des politiquespubliques sans céder à une forme de réification du territoire? Ces questionsportent, à partir d'études empiriques, sur la plupart des interrogations centralesde la science politique: légitimité, pouvoir, institutions, action publique. Ellescroisent les questions clefs de la géographie: spatialité des organisationshumaines, cartographie et territorialité du politique et des sociétés.

Les communications ne s'accordent pas toujours sur la manière d'yrépondre. Cela est dû à la diversité des écoles de pensée et disciplines qui sontici actives sur la critique de la territorialisation. Dans la boîte à outils deuxgrandes familles de notions sont utilisées. Les premières visent à traduire, avecdes termes de récent usage sur la question territoriale, de nouvelles tendances enémergence. On peut se référer, par exemple, aux notions de développementdurable, de gouvernance participative, de pluralisation des valeurs, deréférentiels, d'instruments, d'acteurs hybrides, etc.

Le second groupe de notions appartient plutôt à la catégorie des «bonsvieux» standards des sciences sociales: droit, institutions, jeu politique,domination sociale, intérêts économiques, contraintes budgétaires et techniques,etc.

Pour apprécier la diversité des postures de nos communications, on peut,pour conclure cette introduction et orienter un peu la lecture des chapitres,partir de ces deux groupes de notions et indiquer les différentes relations que leschercheurs définissent entre eux. On peut distinguer, pour ce faire, quatreapproches.

La tendance incrémentaliste estime que les nouvelles tendances nuancentl'impact des vieux standards sans toutefois laisser penser au grandretournement. À titre d'exemple, on indiquera que les conditions d'exercice duleadership évoluent dans un nouveau cadre, sans toutefois êtrefondamentalement remises en cause par les innovations: réformes financières,démocratie participative, évaluation par exemple.

La tendance réformiste prétend au contraire que les nouvelles tendancesinfluent et modifient les standards anciens jusqu'à les priver de l'efficacitéantérieure. Par exemple, on parle, dans certains papiers, du déplacement d'unedomination sociale à une domination territoriale. C'est la nature même de ladomination qui change ici de substance et de cadre.

L'approche sceptique s'inscrit en faux contre les deux prétentionsprécédentes, en indiquant que les bonnes vieilles notions rendent illusoire, par

14

leur résilience, la pertinence des nouvelles tendances. On serait en présence d'unpur discours, sans autre effet que de tendre un voile de mystification sur lapersistance de formes classiques d'inégalités, de domination, de contraintescollectives.

L'approche dialectique cherche à transiger avec les trois précédentes, enposant que les nouvelles tendances sont la condition même de recompositiondes vieux standards. On est bien en présence d'un discours, certes en partieperformatif, mais aussi face à des actes qui conditionnent le maintien dupouvoir: les changements de processus peuvent, ainsi, aller de pair avec unecontinuité de substance ou d'attributaire du pouvoir.

Nous allons voir ces postures analytiques présentes dans la plupart desthèses soutenues par les auteurs des différents chapitres. On notera quecertaines sont simultanément présentes au sein d'un même papier, preuve sansdoute de l'incertitude qui marque aujourd'hui les recompositions en cours, maisaussi les manières de les prendre en compte. Nul doute pourtant que c'est ausein d'une telle critique que se définit ce que territorialiser veut dire, enassociant les acquis de longue durée de la verticalité du pouvoir et del'horizontalité de sa légitimation.

15

1ERE PARTIE:

A L'EPREUVE DES

TERRITOIRES

UNIVERSITE ET TERRITOIRE.

NOUVELLES RELATIONS,

ANCIENNES LOGIQUES?

JĂ©rĂ´me Aust

JĂ©rĂ´me Aust est docteur en science politique. Il a soutenu en 2004 unethèse portant sur l'Ă©volution du gouvernement des politiques d'implantationuniversitaire depuis le dĂ©but de la vème RĂ©publique. Il est actuellement post-doctorant INRETS au Croupe d'analyse du risque routier et de sa gouvernance(CARIC) et travaille sur le rĂ´le de l'Union europĂ©enne dans la politique desĂ©curitĂ© routière. Courriel : [email protected]

,..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................1 1i 1

A lafin desannées 1980, le lancement du plan Université 2000 marque la généralisationde l'investissement des collectivités locales dans le financement des politiquesd'implantation universitaire. La prédominance de l'Etat sur le domaine semble avoir vécu.L'adoption d'une perspective diachronique et microscopique dans l'analyse desnégociations conduit cependant à relativiser ce mouvement de perte d'influence étatique et

1 de montée en puissance des collectivités locales. Plus qu'à une consécration du pouvoir des 1collectivités locales, l'investissement croissant des autorités locales aboutit à unrenforcement de l'autonomie des présidents d'université.

Abstract

At the end of the 1980's, French local authorithies and the State join their forces tofinanceuniversity development.The state dominationseems to end in thisfield. This paper take acriticallook at this evolution. If the analyst adopts a diachronic and microscopic approach,the decline of state influence and the strengthening of local autorithies are not so evident.The local investissment is essentially benefit to the university's presidents who increasetheir authonomy.

19

« Les contrats Université 2000 qui ont été signés (le dernier en décembre1992)entre l"Etat et les collectivités territoriales marquent une discontinuité importante dansl1zistoire universitaire de notre pays. Pour la première fois" des collectivités territoriales"régions d"abord" mais aussi souvent départements et villes" sont devenues despartenaires officiels et à part entière de la politique universitaire. Le tout-Etat fait placeau partenariatavec les collectivitésterritoriales.» (Allègre 1993,p. 139)

A suivre l'ancien ministre de l'Education nationale, les politiquesuniversitaires n'échapperaient pas à la montée en puissance des collectivitéslocales dans la conduite de l'action publique. La thèse trouve incontestablementdes éléments d'accréditation. C'est dans le champ du financement del'immobilier universitaire qu'ils nous semblent les plus nombreux. A la fin desannées 1980, le ministère de l'Education nationale lance le schéma Université2000. Incapables de faire face à l'accroissement prévu des effectifs étudiants, lesservices ministériels doivent faire appel aux collectivités locales pour financer ledéveloppement des capacités d'accueil universitaire (Aust 2004, Baraize 1996).Alors que l'enseignement supérieur reste une compétence strictement étatique,les élus locaux répondent favorablement à l'appel ministériel. Ce partenariatentre l'Etat et les collectivités locales se pérennise tout au long de la décennie1990. Le plan Université du 3èmemillénaire (U3M), lancé en 1998 et basé sur unephilosophie identique d'association, rencontre le même succès qu'U2000. Laconfiguration universitaire française, historiquement dominée par une relationtriangulaire entre le ministère de l'Education nationale, les universités et lesinstances de représentation des disciplines (Musselin 2001) s'amenderait donc àla fin des années 1980 pour s'ouvrir aux intérêts locaux. Suivant en cela unmouvement général repérable dans de nombreuses politiques publiques (Duranet Thoenig 1996, Muller 1992), les politiques universitaires seraient marquéespar le recul des capacités d'intervention du centre étatique, la montée enpuissance des collectivités locales et la prégnance accrue des références au(x)territoire(s) dans la conduite de l'action publique (Filâtre, Manifet 2003, DATAR1998).

Séduisante, la thèse d'un passage du secteur au territoire dans lespolitiques d'implantation universitaire s'appuie cependant rarement sur uneconnaissance fine des logiques dominant l'intervention de l'Etat dans les années1960. En nous appuyant sur les résultats d'un travail doctoral achevé comparantla conduite de deux projets d'implantation universitaire avant et après ladécentralisation (Aust 2004)1 et en mobilisant les outils de l'analyse de l'actionpublique, nous chercherons à montrer que l'adoption d'une focale d'analyse à lafois microscopique et diachronique conduit à relativiser notablementl'hypothèse d'une territorialisation des politiques d'implantation universitaire.A bien y regarder, le domaine d'analyse retenu n'est pas tant marqué que celapar les tendances constitutives de la notion de territorialisation (Douillet 2005b) :le recul de l'influence du centre étatique, le pouvoir croissant des élus locaux (1)

1 Le premier projet analysé est celui de Lacroix Laval (1958-1973),le second celui de laManufacture des Tabacs (1989-2004). Le corpus de sources mobilisé associe ledépouillement des archives relatives à la gestion des deux dossiers et la réalisationd'entretiens avec des acteurs ayant directement participé à leur conduite.

20

et le débordement des logiques sectorielles d'intervention (2) ne semblent pasvéritablement caractériser ce champ d'intervention.

1. UN RECUL DU CENTRE MINISTERIEL?

Dès lors que l'analyste s'appuie sur une comparaison diachronique, lerepli du pouvoir central apparaît moins fort qu'il n'y paraît. Une plongée dansles archives ministérielles relativise en effet singulièrement le poids des acteurscentraux dans les années 1960. Au début de la vème République, les directionscentrales du ministère de l'Education nationale s'avèrent largement incapablesd'être de véritables centres d'impulsion des politiques. Les initiatives viennentbien plus du recteur d'académie, du préfet ou du directeur départemental de laConstruction qui, en se coordonnant au niveau déconcentré, disposent d'unpouvoir d'initiative important. Même quand ils parviennent à définir desobjectifs propres, les acteurs centraux restent dépendants des acteurs locauxpour les institutionnaliser dans l'action publique. Après la crise de 1968, latentative portée par la direction de l'enseignement supérieur de rompre avec lapolitique des campus2 est un exemple emblématique des limites du pouvoirministériel. Sans le soutien des élus locaux, les acteurs centraux ne parviennentpas à réinsérer les bâtiments universitaires en centre-ville. Il faut attendre lelancement du plan Université 2000 pour que, avec cette fois l'appui dupersonnel politique local, l'université retrouve le cœur des agglomérations.Dans la période contemporaine, la situation des directions centrales n'a pasbeaucoup changé. Leurs membres souffrent toujours d'un déficit patentd'informations et de cloisonnements administratifs. La décentralisation ne faitici que renforcer des tendances déjà repérables dans les années 1960 et quitiennent à une position organisationnelle centrale, peu favorable à l'initiative età l'administration quotidienne des dossiers (Crozier 1963).

Le déficit d'influence centrale au début de la vème République ne doitcependant pas être surestimé: si les bureaux des directions pèsent margina-lement sur l'action publique, le cabinet ministériel dispose de marges demanœuvre sensiblement plus importantes. L'obtention du soutien ministérielpermet ainsi souvent d'accélérer la gestion des dossiers et de dépasser lesblocages administratifs. Mais, là encore, le pouvoir du ministre ne semble guèrealtéré par la décentralisation. Loin de ne promouvoir qu'un cadre institutionnelpermettant d'encadrer les négociations locales (Duran Thoenig 1996), le ministrereste un acteur incontournable de l'instruction des dossiers. Il est l'interlocuteurdes élus locaux dans la négociation financière. Il reste capable d'énoncer despriorités (comme le logement étudiant, la recherche et la vie étudiante pourU3M) qui orientent les négociations locales. Surtout, il conserve un droit decontrôle sur les opérations arrêtées au niveau local. Pas plus qu'ils ne sont tout-

2 Archives nationales section contemporaine, série 1977 0535, carton nOl, noted'information « la préparation du Vlème plan », 4 juin 1969, p. 4.

21

puissants au début de la Vème République, les services centraux ne sont doncpas exclus des négociations dans la période contemporaine.

Symétriquement, le comparatisme diachronique permet de relativiserl'actuelle montée en puissance des élus locaux. Les notables locaux bénéficientdans les années 1960 d' un droit à l'abstention. Même sollicités par le préfet, lesuniversitaires et le recteur d'académie, les élus rhodaniens restent largementinsensibles aux demandes d'intervention3. En mettant en avant leur absence decompétences dans le domaine, ils se défaussent sur l'Etat et refusent demobiliser les finances locales pour intervenir. Dans ce cadre, ils peuvent, sur lesprojets qui leur apparaissent prioritaires, se comporter en mécène. Après ladécentralisation, si le personnel politique local est un partenaire incontournablede l'Etat, ces interventions ciblées semblent beaucoup plus difficiles à opérer.Dès lors qu'une institution locale s'engage dans le financement des politiquesd'implantation universitaire, le retrait devient difficile à jouer. L'abstention surun champ de politiques qui est souvent présenté comme essentiel pour assurerle développement économique et la compétitivité internationale des territoires,le risque de voir les crédits initialement prévus par l'Etat investis sur d'autresterritoires poussent les élus locaux à accepter le cofinancement. La difficulté duretrait est bien attestée par le retournement des collectivités locales d'Ile-de-France entre le début et la fin des années 1990: quasiment absentes du planUniversité 2000, elles se sont massivement engagées dans le financementd'U3M.

En ne constituant pas un âge d'or (ou un âge de pierre) dufonctionnement de l'action publique avant la décentralisation, le comparatismediachronique permet donc de relativiser le double mouvement de perted'influence des services centraux et de montée en puissance des collectivitésterritoriales. De manière convergente, l'adoption d'une perspective microsco-pique dans l'analyse des négociations contribue à remettre en cause l'hypothèsed'une subversion des frontières sectorielles impulsée par la présence accrue desélus locaux dans les négociations.

2. UN DEBORDEMENT DES FRONTIERESSECTORIELLES?

Si elle associe bien de nombreux acteurs en région, la discussion desplans U2000 et U3M à Lyon n'illustre que bien peu la thèse d'une coproductiondes politiques publiques porteuse d'une transversalité accrue. Les frontièressectorielles résistent largement à la présence croissante des élus locaux dans lesnégociations.

3 Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n034, lettre du directeurdépartemental du ministère de la Construction au recteur de l'académie de Lyon du 27septembre 1958.

22

Pourtant, à Lyon, le contexte semble particulièrement favorable audébordement des frontières sectorielles. Les élus locaux ne font en effet pas querépondre à l'appel ministériel en s'engageant dans le financement des politiquesd'implantation universitaire. Par la mise en place de groupes de réflexionprospectifs, ils cherchent, dès la fin des années 1980 pour la Communautéurbaine de Lyon, au début des années 1990 pour la région Rhône-Alpes, àdéfinir les objectifs qu'ils poursuivent en finançant les politiques d'implantationuniversitaire. Le Grand Lyon, en soutenant l'université, cherche àinternationaliser l'agglomération et à renforcer sa place dans la concurrenceeuropéenne des territoires4. L'institution régionale tente de promouvoirl'équilibre de son territoire en finançant des locaux universitaires dans les villesmoyennes5. Pourtant, même armés d'objectifs définis, les élus locaux peinent àorienter l'action publique. Une analyse minutieuse des négociations montre eneffet qu'ils participent uniquement au montage financier des projets sanss'immiscer dans la détermination des objectifs. Les opérations à réaliser sont eneffet arrêtées dans des négociations entre le recteur d'académie, les directeursdes grandes écoles lyonnaises et les présidents d'université. Ces acteurs utilisentdes critères sectoriels pour définir les projets prioritaires: le nombre d'étudiantsde chaque filière et la qualité des équipes de recherche à soutenir sont les deuxéléments qui leur permettent de sélectionner les opérations immobilières àeffectuer. Signe de l'influence très relative des élus locaux dans la négociation,les implantations réalisées correspondent bien peu aux objectifs qu'ilspromeuvent. Elles répondent avant tout aux besoins universitaires etaboutissent d'abord à la construction de locaux pour les premiers cycles dans lesgrandes agglomérations que sont Lyon et Grenoble. L'engagement des éluslocaux n'impulse donc pas une réinscription des politiques étudiées dans desobjectifs transversaux définis à un niveau infranational.

L'investissement des collectivités locales dans le financement despolitiques d'implantation universitaire n'est cependant pas sans conséquencesur la localisation du pouvoir à l'intérieur du secteur. A l'inverse des années1960 où les établissements d'enseignement supérieur entretiennent des relationsquasi-exclusives avec les services centraux, les exécutifs universitairesdéveloppent leurs liens entre eux. Les présidents d'université et les directeurs degrandes écoles lyonnaises parviennent à définir en se coordonnant une listed'opérations à réaliser qu'ils imposent ensuite aux financeurs. Tout au long desannées 1990, ils font preuve d'une capacité inédite à réguler entre pairs leursintérêts divergents. Cette stratégie du front commun universitaire leur permettout à la fois de se protéger de l'interventionnisme politique local et dedévelopper leurs marges de manœuvre à l'égard des services centraux. Enmettant en avant une autonomie universitaire reconnue par le droit et parl'histoire, ils parviennent à imposer une division du travail dans lesnégociations qui leur est profitable: aux universitaires la détermination desobjectifs; aux autres partenaires le montage financier des projets. Déjà confortés

4 Archives du Grand Lyon, série 1297W, carton n01, conseil de communauté du 18décembre 1989, p. 4-5.

5 Archives du Conseil régional Rhône-Alpes, carton 207W31, compte-rendu de la réuniondu groupe de travail enseignement supérieur du 22 avril 1992.

23

par la mise en place des contrats quadriennaux avec le ministère de l'Educationnationale (Musselin 1997, Musselin Mignot-Gérard 2003), les présidentsd'université profitent à plein de l'investissement des collectivités locales. Ce nesont pas ici les capacités à intégrer l'action publique qui glissent du centre versla périphérie, des hauts-fonctionnaires vers les élus locaux (Faure 1994 et 1995,Muller 1992) mais une partie, et une partie seulement, du pouvoir sectoriel quis'enracine à un niveau décentralisé (Aust à paraître). En permettant de regarderles négociations comme une somme de petites décisions prises dans des espacesdistincts, la perspective microscopique permet donc de relativiser la subversiondes frontières sectorielles initiée par l'intervention croissante des élus locaux.

CONCLUSION

L'adoption d'une focale d'analyse à la fois diachronique et microscopiquepour interroger les politiques nous conduit donc à porter un regard différent surdes politiques qui a priori participent du mouvement de territorialisation del'action publique. Il ne s'agit pas ici pour nous de proposer la méthode pourinterroger les changements dans l'action publique mais plutôt d'insister sur lesrelations entre construction de l'objet, dispositif méthodologique et productiondes résultats empiriques. Les conclusions distinctes tirées, en partant d'unepolitique voisine, par Christelle Manifet (dans cet ouvrage) sont bienillustratives de ces liens. Au-delà des différences qui tiennent au caractèreidiosyncrasique des cas, la divergence des résultats résulte, nous semble-t-il,aussi de constructions de l'objet différenciées. Le double accent porté parl'auteur sur une sociologie de l'échange et sur les relations entre université etcollectivités locales lui permet d'insister, à juste titre, sur les apprentissages etles relations qui se nouent entre personnel poli tique local et universitaires.L'adoption de cette perspective écarte cependant (trop vite?) les acteurscentraux, qui restent des partenaires incontournables de l'action publique etélude des logiques sectorielles qui continuent, pour nous, à innerver les prisesde décision.

Ces résistances aux logiques de territorialisation des politiques publiquesne semblent d'ailleurs pas si rares. Nombreux sont les domaines d'intervention:par exemple, la justice (De Maillard Douillet, dans le présent ouvrage);l'équipement (Reignier 2002), les politiques de développement local (Douillet2003 et 2005a), les politiques de l'emploi (Mériaux 2005)) qui assimilentl'injonction territoriale sans abandonner les logiques d'intervention quiprévalent au début de la Vème République. Ces dernières méritent d'ailleurstout autant d'être interrogées que les recompositions contemporaines: bien deschamps d'intervention de l'Etat (pour la culture voir Saez 2005 ; pour la jeunessevoir Loncle Moriceau 2002) ne semblent avoir qu'une parenté incertaine avec lemodèle central et sectorisé présenté comme caractéristique du «modèle»français de politiques publiques (Muller 1985). L'hypothèse, par ailleursheuristique, d'un passage du secteur au territoire dans les logiques structurantl'action publique gagne à être considérée moins comme décrivant des tendancesgénérales que comme une question de recherche qui doit être confrontée à des

24

terrains empiriques. Plus qu'à des innovations conceptuelles, cette contributioninvite donc à la multiplication des analyses adoptant une perspectivediachronique et microscopique qui, nous espérons l'avoir montré, constitue unevoie prometteuse pour comprendre les recompositions de l'action publiquecontemporaine.

25

LA TERRITORIALISATION PROBLEMATIQUEDE L'ACTION UNIVERSITAIRE

DYNAMIQUES SECTORIELLES ET REPONSES POLITIQUES LOCALES

Christelle Manifet

Christelle Manifet a obtenu un doctorat de sociologie à l'Université deToulouse Le Mirai! et est associée au CERTOP. Sa thèse a porté sur les modes degouvernance des villes moyennes françaises. Elle observe le pouvoir politiquelocal dans les processus même de conduite des affaires publiques. Elles'intéresse aux effets de la périphéricité (politique, économique, territoriale)dans un système politique où la capacité d'action est cruciale. Elle s'estspécialisée sur les politiques territoriales d'enseignement supérieur et derecherche, abordant ainsi la complexité des mécanismes de la coopération autravers notamment des relations politico-universitaires, et étudiant les formesd'intervention publique territoriale et leurs effets sur la gouvernance desétablissements et les pratiques professionnelles des enseignants-chercheurs etdes chercheurs.

:............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

I Résunlé II Depuis les années 1980, les pouvoirs urbains, locaux et régionaux jouent un rôle grandissant dans les I

politiques d'enseignement supérieur et de recherche en France. La gouvernance locale de l'actionuniversitaire pose alors un problème de «territorialisation» des activités professionnelles de cesecteur en vue notanl1nent d'accroître le niveau de formation des populations locales et de stÙnuler ledéveloppetnent éconotnique territorial. Les institutions politiques locales doivent en réalité négocierav!c les logiques, les intérêts et les résistances des professionnels du secteur, avec le rôle central de

~ l'Etat et, plus globalelnent, avec la pluralisation des espaces de référence des activités universitaires. ~! Ce qui est finalement observé, au niveau des institutions politiques locales, c'est un certain i! renoncenœnt aux lnodes négociés de gouvernance au profit d'un recours grandissant aux dispositifs iI incitatifs et contractuels. De ces « nouveaux» dispositifs publics, non spécifiquement locaux, énlerge II un type de relation local-sectoriel particulier, où la réciprocité est contrôlée et où les figures!

Abstract

Since the 1980s, regional, local and urban governl1œnts play an increasing role in higher educationand research policies in France. In fulfilling this aspect of local governance, their goal is to"regionalize" university activity, that is, to increase the high-level skills of young people andemployees and contribute to econonlic development by research, technology transfers and businessstart-ups. To do so, regional and local authorities have to deal with the interests and resistance ofuniversity professionals, with the central importance of the national state in this sector and, lnoregenerally, with the fact that university activities concern a multi-level governance. What it isobserved is a groîving shift fronl negotiated fornls of governance to grants which are offered asincentives to cOlnply with governance choices, and contracts that are linked with selection criteria,such as calls for research program proposals. As a result, a particular relationship behveen localinterests and the higher education-research branch is enœrging, in which the reciprocal advantages ofthe partners are monitored and brancJ1 professionals are c01npelled to offer entrepreneurial andinnovative skills.

27

La territorialisation des politiques publiques conduit souvent à discuterde l'organisation politique territoriale. Elle donne lieu, il est vrai, à desprocessus plus complexes que la seule décentralisation des pouvoirs vers lesautorités régionales et locales, d'autant plus s'il s'agit de compétences nontransférées sur le plan législatif Ü. Aust dans cet ouvrage). Néanmoins, aborderla territorialisation du point de vue de la gouvernance locale6 rendparticulièrement visible ce qu'elle sous-tend en termes de recomposition desidentités professionnelles concernées par les programmes publics et de remiseen cause des compromis corporatistes réalisés au niveau national au profit deséchelons régionaux et/ ou locaux (Douillet de Maillard dans cet ouvrage, Vion,Le Galès 1998).

Ainsi, dans le cadre étudié ici de l'action publique locale universitaire?,« territorialiser» vise bien à ce que les équipes présidentielles des universitésmais aussi les enseignants-chercheurs et les chercheurs tiennent compte, dansleurs activités, d'enjeux territoriaux tel que le développement local, prennent enconsidération des contextes territorialisés (Manifet 2006) et admettent, in fine,l'intérêt d'organiser localement leurs activités et leurs relations avec leurspartenaires-ressources, publics et privés. C'est en cela que la territorialisation del'action publique sera ici abordée, moins comme un moyen pour faciliter lacoordination des acteurs (Duran Thoenig 1996) ou leur intégration (Le Galès1998), que comme un problème au cœur de la gouvernance locale. L'approchecognitive des politiques publiques (Jobert Muller 1987, Faure Pollet Warin 1995)sera particulièrement utile pour montrer que les politiques universitairesterritoriales véhiculent une vision de la place et du rôle de l'université dans lessociétés locales et sont donc vouées à transformer l'environnement, les missionset les pratiques des professionnels de l'université (1). La dynamique conflictuelledu rapport local/sectoriel (Faure 1995) s'exprime alors pleinement dans l'action (2).Or, l' activité médiatrice des collecti vi tés territoriales s'avère con testée et lessolutions trouvées par les pouvoirs locaux semblent accréditer la thèse d'uncertain renoncement aux démarches négociées au profit de dispositifs incitatifset contractuels (3).

6 Pour nous, la gouvernance locale désigne les systèmes d'action évolutifs constitués àpartir de programmes publics locaux-villes, pouvoirs d'agglomération, départementsou deux ou trois de ces niveaux à la fois- impliquant une cogestion avec d'autresinstitutions politiques supra locales et/ ou avec des professionnels et établissements dusecteur public et / ou des tiers.

7 Les travaux servant de base à cette réflexion portent sur la création et le développementde sites universitaires dans des villes moyennes en France et ont consisté en unereconstruction historique et comparée de politiques universitaires singulières. TIs ontété nourris par d'autres travaux sur la territorialisation des universités en France.

28

1. L'UNIVERSITE/ UN ROLE TERRITORIALEN CONSTRUCTION

LA BANALISATION DES POLITIQUES UNIVERSITAIRES LOCALES

Diverses raisons expliquent que les collectivités territoriales aient investi,à partir des années 1980, le dossier universitaire: leur autonomie juridique, laglobalisation économique et la concurrence accrue entre les territoires, lesattentes fortes des familles et des entreprises en matière de formation supérieureet d'innovation technologique. Il en est ainsi de l'engouement des élus des villesmoyennes et des conseils généraux, alliés ici à leurs chefs-lieux, pour accueillirdes délocalisations universitaires avant et pendant le Plan Université 2000 (1991-95). L'État a lui-même encouragé l'implication des Conseils régionaux dans lecadre de la contractualisation, devenue systématique, des programmesd'investissement universitaire (Plan U2000, Plan U3M et CPER). Aujourd'hui, cesont bien tous les niveaux de décision territoriaux qui, en France, se saisissent dela question universitaire: les pouvoirs d'agglomération moyenne ou grande, lesconseils généraux et les conseils régionaux. Les contributions territorialesconcernent tous les domaines d'activité de l'université (formation, recherche, vieétudiante, valorisation) pour des investissements immobiliers autant que pourdes opérations considérées co-mme «stratégiques» par les établissements(bourses pour les étudiants, soutien à la recherche, valorisation).

Tous ces éléments contribuent à doter progressivement les collectivitésterritoriales d'une certaine légitimité à piloter ce secteur public, de !açonempirique aujourd'hui et, demain peut-être, plus formellement, à côté de l'Etats.

L'UNIVERSITE, UNE « RESSOURCE»

TERRITORIALE DEVENUE CENTRALE

Deux aspects sont essentiels pour qualifier les modes d'interventionpublique territoriaux en matière universitaire: un principe de centralité et unprincipe d'utilité. Le principe de centralité rend compte d'un déplacement de laplace du dossier universitaire sur les agendas locaux. Traditionnellement,l'université et l'enseignement supérieur en général pouvaient être perçuscomme de stricts supports au développement économique local. Dans les annéesquatre-vingt, l'intérêt économique est toujours déterminant, mais il est

8 C'est ainsi que l'éventualité d'une meilleure intégration des collectivités territorialesdans la définition de l'offre d'enseignement supérieur et l'évaluation de la qualité dessites a pu être évoquée par le Directeur de l'enseignement supérieur au ministère, cequi, dans les faits, se traduirait par la transformation des contrats quadriennaux desétablissements universitaires en contrats tripartites (universités, ministère, collectivitésterritoriales): Intervention de J.-M. Montei! à la DATAR (rebaptisée depuis DIACf)dans le cadre du groupe de travail «Villes moyennes: les enjeux de l'enseignementsupérieur», séance du 28/09/2004.

29

perceptible que l'université est désormais considérée comme l'élément suffisantà partir duquel tout s'enchaîne, un facteur productif de richesses en soi. Il arrivemême que ce dossier détrône les dossiers locaux traditionnels tels que ledésenclave ment routier ou le développement économique. De plus, malgré lamassification de l'enseignement supérieur, l'université demeure une ressourcerare, source de centralité et de visibilité pour les territoires qui en sont dotés. Ace principe de centralité doit toutefois être adjoint un principe d'utilité: utilitésociale, économique, culturelle et territoriale. Ainsi, les universités doivents'ou vrir à leur environnement socio-économique et politique et répondre à desenjeux de démocratisation scolaire, d'emploi, de productivité des entreprisesautant que résoudre des problèmes de déclin économique et territorial.

Ces ambitions territoriales coïncident avec la montée de nouveauxmodèles d'organisation économique et sociale (économie de la connaissance)attribuant une place centrale au capital humain, aux qualifications et àl'innovation technologiques.

Cette relative convergence des idées, à différentes échelles, démontre lebesoin que les volontés politiques étudiées au niveau local n'entrent pasforcément en contradiction avec les volontés nationales et/ ou européennes,qu'elles peuvent aussi les renforcer.

2. LA TERRITORIALISATION PROBLEMATIQUEDE L'ACTION UNIVERSITAIRE

Les politiques universitaires territoriales forment des configurationssociales (Elias, 1991)9, qui, sans être aléatoires, sont des chaînesd'interdépendance non stabilisées qui vont des acteurs gouvernementauxjusqu'aux publics-cibles (Gustavsson cité par Kiviniemi 1986). Dans cesconfigurations, les universités constituent des porte-parole privilégiés desprojets locaux. Encore faut-il que ces acteurs adhèrent à ces projets. En effet,l'université n'est pas seulement un objet d'intervention publique, ou encore uneorganisation dotée d'un centre de décision, c'est aussi un secteur professionnel,pris ici dans le sens de la sociologie des professions (Dubar Tripier 1998). Cetteperspective sous-tend des problèmes de coordination politico-universitaire liés,d'une part, au poids historique de l'organisation centralisée du secteur et,d'autre part, à la différenciation des logiques de ces deux sphères.

9 La notion de configuration sociale telle que conceptualisée par N. Elias permetd'interpréter des phénomènes larges d'interdépendance de nature autantorganisationnelle que structurelle: voir l'utilisation qu'en fait E. Négrier (2005) pourexpliquer les changements d'échelle des territoires politiques dans des contextesterritoriaux variés.

30

LE POIDS DE LA TRADITION CENTRALISEE

D'ORGANISATION DU SECTEUR

L'État pilote le secteur dans une logique de « cogestion» avec les instancescorporatives pertinentes (syndicales, disciplinaires, catégorielles, statutaires,universités) (Musselin 2001)10. Ce système bilatéral n'est pas favorable à laterritorialisation et les relations entre les établissements universitaires et lescollectivités t"erritoriales ne se réalisent jamais sans la présence, même en arrière-plan, de l'Etat. Par exemple, lorsque les collectivités locales souhaitentcontribuer à la conception des activités de formation localisées sur leur territoire,elles font face à des circuits bien ordonnés, dont elles sont exclues, impliquanttrois acteurs: les enseignants-chercheurs porteurs de projet, les acteurs centrauxdes établissements et le ministère. De même, le recrutement des enseignants-chercheurs est souvent le lieu majeur de tension alors que les gouvernementsdes universités n'ont que partiellement la main face au pouvoir du ministère.

DES CADRES IDENTITAIRES ET DE LEGITIMITE DIFFERENCIES

La tradition centralisée d'organisation du secteur ne saurait toutefoisexpliquer seule le caractère conflictuel du rapport local/ sectoriel. Les logiquesautant que les contraintes sont distinctes entre les représentants politiques etadministratifs des collectivités territoriales et les personnels des universités. Parexemple, quand les uns pensent aménagement d'un quartier dans la ville, mixitédes activités, des équipements et des populations, les autres pensent unité defonction, de lieu et d'équipements et spécificité des missions, des services et despublics. Quand les uns souhaitent avancer rapidement, les autres ont besoin detemps pour construire des filières, monter des équipes de recherche etinstitutionnaliser des thématiques. Quand les uns voudraient bien se déchargerdes coûts de fonctionnement quotidien au profit du soutien aux projetsinnovants, aux activités internationales, aux formations professionnalisées, à larecherche et à l'innovation, les autres auraient besoin d'un accompagnementsoutenu, non finalisé ou sur des priorités différentes. De la même façon, lerecrutement des enseignants-chercheurs suppose pour les collectivités unclassement articulé à des objectifs politiques alors qu'au sein de l'université, lesclassements sont contraints par le rapport entre charges (effectifs étudiants etcoût pédagogique des filières) et potentiel de compétences professionnellesdisponibles.

La nouveauté de la relation entre les acteurs de ces deux univers autantque les méconnaissances réciproques peuvent expliquer certaines maladressesou carences stratégiques de part et d'autre. Toutefois, ces acteurs refusentd'entrer vraiment dans l'univers de l'autre. Car cette relation est aussi politique,c'est-à-dire que s'y mêle -du côté des universitaires- la crainte de l'ingérence

10 Le ministère crée les postes, les répartit entre les universités et finance les salaires,alloue les budgets de fonctionnement des établissements, habilite les formations. Lechoix des individus et la conception des formations incombent aux disciplines (ConseilNational des Universités et commissions de spécialistes locales) et aux établissements.

31

politique. Les élus locaux sont soupçonnés d'instrumentaliser l'université à leursseules stratégies communicationnelles et électorales. Une majorité d'universi-taires n'est d'ailleurs pas vraiment convaincue de l'intérêt de la territorialisationde leurs activités et y est même opposée, estimant que ce procédé participe soit àla secondarisation de l'enseignement supérieur et de la recherche, soit à samarchandisation. Le problème de la définition du contenu des activités deformation ou de recherche constitue, à ce titre, la pierre d'achoppement de lacoopération politico-universitaire. Les universitaires affirment que cettequestion est leur chasse gardée et que le politique n'a pas à s'en mêler. Or, ducôté des élus, les implications territoriales des choix universitaires en matière deformation comme d'activités de recherche sont telles qu'ils ne peuvent pas nepas se soucier de leur contenu.

Ces difficultés tendent finalement à mettre en échec les modes négociés degouvernance, conduisant les équipes politico-administratives locales à dévelo-pper d'autres stratégies de pilotage de leurs politiques.

3. VERS UNE GOUVERNANCE PAR LES DISPOSITIFS?

Ces difficultés ne sauraient atténuer les effets de la territorialisation(même partielle) des politiques universitaires. La territorialisation participelargement à en fragiliser les mécanismes néo-corporatistes traditionnels enimpliquant la pluralisation des espaces politiques de référence et la mise enconcurrence (ou la redondance) des donneurs d'ordre ou encore l'émiettementdes modes de représentation des intérêts corporatistes, désormais autant fondéssur des logiques d'établissement et régionales que sur des logiquesdisciplinaires et nationalesll. Cette complexification des contextes de l'actionpublique universitaire pose bien des problèmes de gouvernabilité à tous lesniveaux de décision. Différents travaux ont ainsi montré que les acteursgouvernementaux se réorganisaient, notamment par le biais de dispositifs« nouveaux» tels que les formes délibératives et/ ou contractuelles (LascoumesLe Galès 2004, Gaudin 1999, Lascoumes Valluy 1996). Dans le même esprit,Pinson montre comment le projet peut être instrumenté comme force demobilisation collective (2006). A priori, tous ces «nouveaux» instrumentsvalorisent une construction négociée de l'action publique et le contrat, affichécomme règle construite conjointement, est envisagé comme une solutionpolitique universelle (Berri vin Musselin 1996). Or, il n'est pas inutile, dans cettetroisième et dernière partie, et toujours au niveau territorial, d'interroger lamontée de ces dispositifs contractuels, du point de vue des contraintes qu'ils

11Sans compter avec des formes de représentation professionnelle émergentes. TIen estainsi, nous semble-t-il, de la mobilisation rapide des chercheurs français entre 2002-2004 ayant abouti à la tenue d'états généraux de la recherche en 2004 et à la créationd'une Association « Sauvons la recherche» dont la force de représentativité estlargement fondée sur Internet (voir Collectif, 2004, Les états généraux de la recherche,Tallandier Éditions).

32

représentent en termes justement de restriction du dialogue et de contrôle de laréci proci té local-sectoriel.

DES DISPOSITIFS DE COORDINATION« A DISTANCE »

Ainsi, ces dernières années, ont prospéré (au niveau des conseilsrégionaux, des conseils généraux et des pouvoirs d'agglomération) des formesparticulières d'accompagnement et de soutien aux activités universitaires:bourses sociales, bourses de mobilité, bourses de stages, bourses doctorales etpost-doctorales, prix de thèse, prix de l'innovation, bourses de chercheur-invité,appels à proposition ou à projet de recherche, etc. Ces dispositifs mis àdisposition des professionnels du secteur et des publics-étudiants sont incitatifsdans le sens où ils répondent tous aux règles de l'appel d'offre: le soumettantinvite des soumissionnaires à lui présenter des offres, qu'il aura le pouvoir desélectionner au regard des valeurs et critères qu'il aura lui-même édictés audépart. En apparence au moins, ces dispositifs n'occasionnent pas l'ingérencepolitique dans les activités sectorielles et sociales, ni ne véhiculent l'idée d'unenécessaire convergence des points de vue en présence. La différenciation socialeest assumée: les universités et les universitaires sont « libres» de répondre oude ne pas répondre à ces appels, sachant que, dans la réalité, ces mêmes acteurssont dépendants de ressources externes pour maintenir et développer leursactivités. En réalité, tes critères de financement contribuent, au-delà desopérations concernées, à juger de la pertinence, de la validité, del'environnement et de l'intérêt tant scientifique que social des activitésuniversitaires12.

DES DISPOSITIFS D'IMPULSION MAIS AUSSI DE CONTROLE

DE LA RECIPROCITE LOCAL-SECTORIEL

Toute la force du dispositif incitatif est qu'il systématise la structure deréciprocité de l'échange public: simultanément offrir (allouer) quelque chose etdemander (exiger) quelque chose et cette combinaison doit comporter un élément deproportionnalité raisonnable (Leca 1996, p. 348). Ce çontrôle de la réciprocitépublic-sectoriel n'est pas nouveau. Il est bien présent dans l'approche néo-corporatiste développée par Jobert et Muller (1987) ainsi que dans la théorie desrégimes urbains de Stone (1993) qui classifie les régimes au regard de laproblématique double de mobilisation et de contrôle des intérêts privés. Il estclair toutefois que le caractère devenu pressant de la réciprocité, au détriment dela confiance, ainsi que la contractualisation systématique des relations -ycompris entre acteurs issus de la même sphère publique- rapprochent de plus enplus ces formes d'échange publique des formes d'échange décrites ailleurs,notamment dans le monde économique (Cordonnier 1997). Les rapports de

12Les appels à projet peuvent définir les thèmes de recherche qui seront soutenus defaçon privilégiée. Dans d'autres cas, l'exigence du partenariat public-privé contribueraà formaliser les environnements «idéaux» dans lesquels les activités universitairescontem poraines devraient se développer.

33

pouvoir, d'intérêt et de rentabilité sont là attestés, sans négliger la possibilitépour l' offreur de fixer des rôles à son client par le biais de dispositifs(Dubuisson-Quellier 1999), ou, pour le sous-traitant, d'exploiter, à son avantage,le capital confiance obtenu, dans la durée, auprès de son donneur d'ordre et dedévelopper ainsi un ensemble de comportements opportunistes (Neuville 1997).

En guise de conclusion, on peut interroger le sens de ces dispositifsincitatifs, en réfléchissant au mode de pilotage public qu'ils promeuvent. Lemode de régulation politique encourage les universités et les universitaires às'inscrire dans des démarches toujours plus entrepreneuriales en même tempsqu'efficientes sur divers plans (économique, social, territorial, politique)accélérant, ainsi, l'introduction d'un référentiel du marché ou quasi marché(Slaughter Leslie 1997) au sein de ce système professionnel traditionnellementfermé et protégé (Ségrestin 1985).

Cette nouvelle gouvernance par les dispositifs soulève en tout cas unchamp de questionnement pour le chercheur travaillant sur l'action publiqueterritoriale, notamment celui-ci: qu'en est-il du processus de socialisation-territorialisation des acteurs universitaires qui, pour obtenir les aidesterritoriales, intègrent stratégiquement les préférences politiques locales aumoment de l'élaboration de leurs dossiers de candidature?

34

LES POLITIQUES D'EMPLOI AU RISQUE DE LA

TERRITORIALISATION CONCURRENTIELLE

Jean-Raphaël Bartoli & Olivier Mériaux

Jean-Raphael Bartoli (t) était directeur général du groupe AmnyosConsultants, cabinet spécialisé en évaluation des politiques publiques, conseilstratégique et opérationnel aux collectivités locales et accompagnement desacteurs du développement local.

Olivier Mériaux est chargé de recherche à Sciences-Po Grenoble (UMRPACTE). Il occupe parallèlement les fonctions de conseiller scientifique au seindu groupe Amnyos Consultants.Courriel : ()livier Jv1.eriauxC<:1!iep. 1.1pmf-grenob le.fr

................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .i

:

!

:::::

~

:::::::::

~::u: :trumen ts et procédures susceptibles d'asseoir des formes de « gouvernanc e!

::::::

~

:::::::::

négociée» des politiques territoriales d'emploi échouent très fréquemment à contrecarrerles effets de cloisonnement et de concurrence inter-institutionnelle, qui vont croissant àmesure que chaque acteur territorial développe ses propres programmes « pour l'emploi»

! en réponse à des besoins locaux. Si la territorialisation concurrentielle contribue à revisiter II:::

le /réfi

t~renti

lell d

de la pol

tit

tique de

tlt':mploi, e

tIle

lrend plus a

hlé~toire

dIa d

déclinais

t~; ;:

~::.

opera lonne e es orien a ions s ra egiques e a mise en co erence es isposi ~s

i :;:~::::'alorsmĂŞme que tous lesacteursenfont un objectifprioritaire.

i

In the field of employment policies, the trend towards territorial policy-making has createside-effects of segmentation and competition, as each actor has develop its own programsfor employmen t in response to local needs. This competitive territorialization producescontradictory effect: on one side, it contributes to modernize the statist frame of referenceof employment policies. On the other, it complicates the operational implementation ofstrategies and reduces the coherence between existing programs.

35

Comme d'autres champs de l'action publique ayant subi depuis plus dedeux décennies les effets du double mouvement de déconcentration et dedécentralisation, la politique de l'emploi offre aujourd'hui un paysagedifficilement lisible. Si la distinction entre la logique de projection propre auxpoli tiques territorialisalisées et la logique de projet des poli tiques territorialesdemeure heuristique, elle ne peut rendre compte de la diversité, de lacomplexité et du caractère mouvant des configurations observées. L'hétéro-généïté et la mutabilité des situations locales sont telles que l'on peut sedemander jusqu'à quel point il est encore raisonnable d'afficher l'ambitiond'une lecture globale de la production des politiques, dans ce domaine commedans d'autres (sauf à se rabattre sur le pis-aller de la «complexitéterritoriale» 13). Il nous semble judicieux dès lors d'en revenir à desinterrogations plus ciblées, et surtout d'essayer de mettre davantage en relationles aspects liés aux modes de conduite des politiques publiques avec lesévolutions de leur contenu normatif.

Dans cette perspective, on insistera ici sur l'un des aspects qui ressort leplus fortement de notre expérience en matière d'évaluation et d'accompa-gnement des politiques territoriales dans le domaine de l'emploi et de l'insertionprofessionnelle. Nous observons en effet que les instruments et procéduressusceptibles d'asseoir des formes de « gouvernance négociée» des politiquesd'emploi échouent très fréquemment à contrecarrer les effets de cloisonnementet de concurrence inter-institutionnelle, qui vont croissant à mesure que chaqueacteur territorial développe ses propres programmes «pour l'emploi» enréponse à des besoins locaux. Les outils de coordination ne peuvent qu'avoirune effectivité limitée, dès lors que ce qui est en jeu, le plus souvent, est ladéfinition de l'autorité légitime à assurer l'intégration territoriale des différentssegments des politiques d'emploi.

Ces jeux de concurrence territoriale ont des effets ambivalents, voireparadoxaux: sur le plan de la doctrine, ils contribuent à revisiter le référentiel dela politique de l'emploi en intégrant un certain nombre d'enjeux largementignorés par l'Etat dans ses modes d'action traditionnels; mais en pratique, ilsrendent plus aléatoire la déclinaison opérationnelle des orientations stratégiqueset la mise en cohérence des dispositifs existants, alors même que tous les acteursen font un objectif prioritaire.

1, ACTION PUBLIQUE POUR L'EMPLOI: UN NOUVEAU

RAPPORT AU TERRITOIRE

A s'en tenir à une lecture strictement institutionnelle de la répartition descompétences entre l'Etat et les collectivités locales, la dimension territoriale despolitiques de l'emploi devrait se limiter aux espaces localisés de mise en œuvre

13Voir le dossier consacré à ce thème dans la dernière livraison de Pouvoirs Locaux,n068/2006.

36

des dispositifs relevant de l'Etat et du service public de l'emploi. L'emploi eneffet n'a jamais figuré parmi les domaines de compétence transférés par l'Etat aufil des différentes phases de la décentralisation.

Mais deux processus concomitants ont progressivement amené, à partirdes années 1980, une profonde transformation du statut du territoire dans cedomaine de l'action publique.

D'une part, au sein de l'Etat, la «logique de l'offre », qui consistait àdistribuer de manière uniforme un ensemble de mesures indépendamment descaractéristiques des territoires, a peu à peu cédé la place « à une logiquefondée surl'expression d'une demande localement construite autour d'une plus grandeconcertation et d'une coordination accrue entre les acteurs, qu'ils appartiennent auservice public de l'emploi ou aux collectivités territoriales» (Berthet, Cuntigh Guitton2002, p. 29; voir aussi Berthet 2005). Ce mouvement de renforcement de ladimension territoriale des politiques de l'Etat s'ancre en grande partie dans leslignes directrices de la stratégie européenne de l'emploi, qui ont mis l'accent surla nécessité d'impliquer les autorités régionales et locales, selon « une approchetotalement décentralisée, conformément au principe de subsidiarité» (CommissionEuropéenne 2000, 2001). Les incitations et encouragements de la part de l'Unioneuropéenne, de ses fonds structurels et de la Commission, ont ainsi cherché àconforter le rôle des acteurs locaux dans la mise en œuvre d'approchesstratégiques et intégrées de l'action sur l'emploi (Amnyos consultants, 2001a).

D'autre part, les collectivités territoriales, fortes de la clause générale decompétence, n'ont pat? attendu d'hypothétiques transferts de compétences del'Etat en la matière pour développer leurs interventions. Compte tenu desdifficultés d'insertion sur le marché du travail depuis le début des années 1980,de l'ampleur du chômage et de ses effets sociaux, des risques que font peser lesrestructurations de l'appareil productif sur l'équilibre des territoires, l'intérêtpublic local en matière d'emploi s'est avéré suffisamment évident pour fonderun processus de prise en charge de ces enjeux politiques par les collectivitésterritoriales. La difficulté réside alors dans le passage d'une «préoccupationpartagée» pour l'emploi à une politique coordonnée, articulant les interventionsd'une pluralité d'acteurs locaux, tout aussi légitimes les uns que les autres àvouloir apporter une réponse.

2. LES QUATRE SCENES DE LA GOUVERNANCETERRITORIALE DES POLITIQUES D'EMPLOI

Initiée dans les deux dernières décennies, la montée en puissance de la«gouvernance locale» des politiques d'emploi se nourrit du caractère parexcellence «indissociable» des multiples facteurs à l'origine des problèmesd'emploi: exposition croissante des industries à la concurrence internationale,déficit de main d'œuvre formée, faiblesse des investissements en recherche-développement, mauvaise qualité des infrastructures, etc. En cette matière toutparticulièrement, l'absence de «congruence entre la définition des compétences

37

orga~isationnelles et institutionnelles et la nature des problèmes auxquels les pouvoirspubl1cs se trouvent confrontés» (Duran 1999, p. 119) interdit a priori de délimiterdes domaines d'intervention précis.

Dans un environnement politico-administratif aussi stratifié que lesystème français, le caractère complexe des problèmes d'emploi offre ainsi unejustification aisée à chacun des acteurs publics pour développer au planterritorial sa propre batterie de politiques « pour l'emploi». La tendance n'a faitque s'accentuer avec «l'acte II de la décentralisation », le développement del'intercommunalité et le basculement à gauche des Conseils régionaux en 2004.La gouvernance locale des politiques de l'emploi se joue essentiellementaujourd'hui dans les modalités de l'articulation entre quatre niveaux depouvoir:

En charge du développement économique et social de leurs territoires, lesPays et Agglomérations se dotent progressivement d'une politique territoriale,en affichant leur volonté de mieux articuler développement économique duterritoire et politique d'emploi et de formation. Cette doctrine d'interventionpasse par la mise en place de partenariats locaux, qui ont pour objet d'associerlargement l'ensemble des acteurs socio-économiques du territoire. Cependant, laconstruction de cette transversalité bute très fréquemment sur l'antériorité et lastructuration autonome de la politique de la ville et des services en charge dudéveloppement économique. De manière générale, le positionnement des payset agglomérations sur le champ de l'emploi demeure hésitant et surtout peulisible, aussi bien en interne que pour leurs partenaires. La non-correspondancedes périmètres de pays et d'agglomération avec les zones du service public del'emploi est un frein bien connu à la coordination des interventions publiques.

Dotés désormais de la plénitude de compétences dans le champ de laformation tout au long de la vie, mais disposant également de compétencesaccrues dans le domaine du développement économique, les ConseilsRégionaux ont, de ce fait, une légitimité renforcée pour tenter de mettre encohérence les politiques de développement économique, d'insertion et degestion des ressources humaines. L'engagement des conseils régionaux sur leterrain des politiques d'emploi, d'abord discret et très ciblé depuis le milieu desannées 1990, s'est fortement accéléré dans les derniers mois. Elus en avril 2004sur la base de programmes dans lesquels figurait en bonne place la création« d'Emplois-Tremplins» pour remplacer les « Emplois-Jeunes» supprimés parle gouvernement, les nouveaux exécutifs régionaux, à l'instar de celui de Rhône-Alpes, n'hésitent plus désormais à organiser leur communication autour del'emploi, décrété « priorité n01 de la Région ». Mais le volontarisme du discoursne peut masquer le fait que cette volonté de promouvoir une politique del'emploi «intégrée» au plan régional butte pour l'heure sur un déficitd'instrumentation et d'expertise (cf. infra). Dotées d'une pléthore de « schémas»et de «plans », au travers desquels elles peuvent à loisir redessiner l'horizonstratégique q.e l'action publique, les régions sont nettement moins bien équipéespour en décliner les orientations de manière opérationnelle (Bartoli, Mériaux,2006) .

38

Les politiques départementales d'insertion ont été fortement imEactéespar la décentralisation de l'ensemble de la gestion de l'allocation du RMI 4, alorsque prévalait auparavant un système de copilotage État - Départements. Lacréation du Contrat d'Insertion RMA (CI-RMA), ainsi que l'utilisation d'outilsnouveaux comme les « contrats d'avenir», favorisent le développement d'unepolitique départementale d'emploi et d'insertion professionnelle, qui tend à sedéployer de façon autonome, produisant sa théorie d'action et ses outilsspécifiques. La diversité des publics relevant du RMI, l'accroissement dunombre d'allocataires, favorisent l'apparition d'une politique volontariste desDépartements dans le champ de l'emploi et de la formation, alors que, jusqu'àprésent, l'essentiel de leurs initiatives se cantonnait au volet social de l'insertion.Pour l'heure, l'articulation avec les programmes de formation des Régions resteencore largement à construire.

Enfin, ainsi qu'on l'a mentionné, le service public de l'emploi joue sapropre partition territoriale, sans se départir d'un rapport assez ambigu àl'autonomie locale. Ses politiques «en surplomb» viennent fréquemmentpercuter les initiatives conduites par les autres acteurs territoriaux. Ainsi, avec leplan de cohésion sociale, et notamment la création des Maisons de l'Emploi,l'État renoue avec une posture directive dans la façon d'appréhender leterritorial. Certes, les Maisons de l'Emploi tentent d'associer fortement lesacteurs locaux dans la mise en oeuvre, notamment en instaurant le principe duportage de la Maison de l'Emploi par une collectivité territoriale. Mais la rigiditédes cahiers des charges ne favorise guère une appropriation locale du dispositifet risque de transformer une intention louable en «partenariat technique destructures », assez déconnecté des réalités locales et des enjeux territoriaux.

L'investissement croissant, et quelque peu désordonné, des collectivitésterritoriales dans l'action publique pour l'emploi, au côté de l'Etat et despartenaires sociaux (gestionnaires des fonds de la formation professionnelle etde l'assurance-chômage), tend ainsi à rendre obsolète la logique juridique derépartition des responsabilités. En-dehors des transferts de compétencesorganisés par la loi, c'est davantage désormais une logique fonctionnelle quiguide les interventions des collectivités. Or par définition, une telle logique n'apas de principe de limitation, hormis les contraintes budgétaires des collectivités(dont on sait par ailleurs combien elles se sont alourdies depuis 2004).

3. LES EFFETS AMBIVALENTS DE LATERRITORIALISATION CONCURRENTIELLE

Leitmotiv de la stratégie européenne de l'emploi, « l'approche intégrée»des politiques de l'emploi déstabilise les équilibres byzantins de ladécentralisation à la française, tout autant d'ailleurs que la distribution des

14 Loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de Revenu Minimumd'Insertion et créant un Revenu Minimum d'Activité.

39

compétences entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux15. Si le local estdésormais une composante pleinement reconnue des politiques d'emploi, desincertitudes majeures demeurent quant à la désignation de l'autorité légitime àassurer l'intégration territoriale de leurs différents segments. Ces incertitudesnourrissent des comportements de concurrence qui ne peuvent être quepartiellement résorbés par les multiples instruments pseudo-contractuels censésorganiser la « décentralisation coopérative» (De Briant 2006). Car ce qui est encause, à ce stade, ce n'est pas tant la recherche d'une meilleure coordinationfonctionnelle que la structuration des relations de pouvoir, dans un cadrejuridique qui proscrit la hiérarchie entre collectivités territoriales.

Cette situation de territorialisation concurrentielle produit des effetsambivalents, dont il importe de repérer à la fois le potentiel d'innovation dansl'ordre de la conception des politiques d'emploi, et les faiblesses évidentes dansl'ordre de la mise en œuvre opérationnelle:

Innovation dans la conception des politique d/emploi : en tentant de faire valoirune approche des problèmes d'emploi susceptible de le positionner comme« l'échelon le plus pertinent», selon l'expression consacrée, chaque acteurterritorial contribue peu ou prou à faire évoluer le référentiel des politiquesd'emploi. Au travers des Schémas Régionaux de Développement Economique,on perçoit ainsi nettement aujourd'hui que certaines Régions sont engagées dansune « course de vitesse» pour disputer aux grandes intercommunalités un rôle« d'assembleur» d'une action publique articulant stratégies de développementéconomique, d'une part, et de développement des ressources humaines, d'autrepart. Ce faisant, ces collectivités remettent en cause une partition entrel'économique et le social qui a toujours été structurante dans les politiquesétatiques. Autre aspect de cette rénovation du référentiel, la manière dontcertaines collectivités se saisissent du thème de la « sécurisation des parcoursprofessionnels », en tentant de faire valoir une conception sensiblementdifférente de celle qui informe à l'heure actuelle les initiatives de l'Etat ou despartenaires sociaux. Les politiques locales, parce qu'elles sont plus directementen prise sur le fonctionnement réel du marché du travail, peuvent ici « faire ladifférence ». Alors que la tendance globale est de reporter sur l'individu lacharge du développement de son employabilité, comme élément d'assurancecontre les risques de ruptures qui affectent de manière croissante les trajectoiresprofessionnelles, le niveau local peut être le lieu où s'inventent de nouvellesgaranties collectives de gestion de la mobilité, subie ou choisie. Encore faut-ilsouligner que jusqu'à présent, la dynamique de territorialisation des politiquesde l'emploi s'est plutôt traduite dans les faits par un renforcement du traitementindividuel sur un mode beaucoup plus coercitif que facilitateur des projetspersonnalisés (suivi renforcé par l'ANPE, profilage, « activation» del'assurance-chômage). Cette tendance, soulignée par Thierry Berthet dans sacontribution à cet ouvrage, montre que les collectivités locales, qui affichent

15 Cette redéfinition des rôles concerne en particulier le régime d'assurance-chômage,dans un contexte «d'activation» des dépenses d'indemnisation (Exertier GramainLegal Ralle, 2005).

40

fréquemment une autre approche, peinent pour l'instant à peser sur la mise enœuvre effective des politiques.

Faiblesses dans r ordre de la mise en œuvre opérationnelle: Si elle traduit sansdoute plus fidèlement l'enchevêtrement des facteurs en cause dans l'évolutionde l'emploi, la complexification du référentiel des politiques d'emploi se payed'abord d'un alourdissement des processus de production de l'action co}lective.Systèmatiquement relevée par les parties-prenantes, la lenteur des phases de« diagnostic partagé» souligne combien cette étape est cruciale pour espéreravancer vers la réalisation d'un bien commun territorial. Mais nombreuses sontles politiques « partenariales» qui finissent par se justifier essentiellement parleur capacité à maintenir des tours de tables destinés à rassembler l'ensembledes parties prenantes qui, compte tenu de l'enchevêtrement des compétences etdu caractère multi-niveaux de l'action, ont tendance à être de plus en plusnombreux et de moins en moins hiérarchisés. A terme, l'action collective estalors menacée d'inefficacité ou de défaillance, en raison d'une croissanceexcessive des coûts de transaction et de coordination (Mériaux Verdier 2006).

Même sans aller à ce type d'extrêmité, la difficulté à articuler les phasesde définition plus ou moins concertée du projet stratégique commun (de typecharte de pays, projet d'agglomération ou SRDE) avec les instruments censés ledécliner de manière opérationnelle (<<contrats» de tous ordres) est uneconstante: déficit d'expertise, portage politique aléatoire, flou dans lahiérarchisation des priorités, faiblesse du suivi et de l'évaluation. Autant deréalités courantes qui doivent inciter à prendre avec prudence les ambitionsaffichées par les acteurs des poli tiques territoriales de l'emploi. Sur desprogrammes plus circonscrits visant à l'insertion professionnelle, la situationencore la plus couramment observée est celle où les prestations de formationoffertes aux demandeurs d'emploi sont moins fonction du potentiel et desobjectifs de la personne que de son statut juridique: or celui-ci détermine unchamp de compétences et un type de prescripteur, dont rien ne dit a priori qu'ilest susceptible de mettre en place le type d'actions le plus cohérent avec lalogique du parcours d'insertion professionnelle (cf. Amnyos 2001b). De manièregénérale, la mise en œuvre d'une politique de J'emploi intégrée et pilotée auplan territorial pose non seulement la question des outils, méthodes et modesd'organisation susceptibles de « produire de la transversalité », mais égalementdes modes de pilotage et de transformation des organisations susceptibles d'ycontribuer. Or tant l'Etat que les collectivités locales peinent encore à adopterdes organisations de type «conduite de projet» qui seraient capablesd'accompagner efficacement des démarches associant actions sur la gestion desressources humaines, le développement économique et l'insertion.

41

L.ET AT SOCIAL A L'EPREUVE

DE L'ACTION TERRITORIALE

POSTMODERNITE ET POLITIQUES PUBLIQUES DE PROXIMITE DANS LECHAMP DE LA RELATION FORMATION-EMPLOI

Thierry Berthet

Thierry Berthet est chercheur CNRS au CERVL Pouvoir, Action Publique,Territoire de l'Institut d'Etudes Politiques de Bordeaux et directeur du centrerĂ©gional associĂ© au CĂ©req pour la rĂ©gion Aquitaine. Il travaille sur les politiquesd'emploi et de formation professionnelle et a rĂ©cemment dirigĂ© l'ouvrage Desemplois près de chez vous? La territorialisation des politiques d'emploi en questions(Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2005).Courriel : [email protected]

................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

1

.:

:::::::::.

~:s;o:~ulation et la mise en Ĺ“uvre des politiques publiques connaissent de profondes!

::

::::::::.:

transformations sous l'impulsion d'une série de dynamiques qui affaiblissent la régulationcentralisée des rapports sociaux. Cette contribution constitue une tentative deformalisation d'un modèle analytiquefondé sur la notion de proximité. Appliquée au .

Ichamp des politiques actives de l'emploi, elle vise à fournir des clés d'analyse des

I

mutations contemporaines de l'Etat social.

Abs tract

Public policies formulation and implementation are changing under the pressure of severaldynamics weakening the state legitimacy. This chapter presents an attempt toconceptualize these transformations by using the notion of proximity. Applied to activelabour market policies, the main goal of this contribution is to provide an analytic frame tothe understanding of contemporary mutations of the social state.

43

Qualifiée tantôt de postmoderne tantôt de modernité dépassée, radicaleou seconde, la société contemporaine semble marquée par la prégnance de lagestion des risques (Beck 2001). Dans un contexte de déstabilisation des repèrescanoniques de la modernité « classique », la gestion des risques devient centraleet le territoire tend à devenir un élément-repère de recomposition de l'actionpublique (Mériaux Verdier 2006). La compréhension des articulations entre cestransformations sociétales et leur impact sur les différents domaines concrets del'action publique constituent un défi majeur pour les sciences du politique.L'objet de ce travail est d'ébaucher les prémisses d'un modèle explicatifpermettant d'établir des liens méso-analytiques entre ces niveaux éloignésd'observation. L'importance des transformations institutionnelles, cognitives etinstrumentales à l' œuvre invite à s'intéresser plus précisément auxréagencements territorialisés des politiques publiques. La problématique de laterritorialisation des politiques publiques est ainsi au cœur de cette réflexion.Plus précisément l'hypothèse d'un registre dominant de proximité dans la miseen œuvre des politiques publiques sera avancée ici. L'intérêt de la mise enperspective analytique qu'offre la notion de proximité est de permettred'avancer d'un point de vue analytique dans la direction qu'offre Bruno Jobertindiquant que «le pont est très rarement fait entre l'analyse des systèmes decroyance et de valeurs, l'étude des cultures politiques et les pratiquesgouvernementales. Du fait de cette segmentation, il est difficile d'appréhender larelation de l'action publique à la société» (Jobert 1998, p.122). La question desmodes de légitimation dont procède fortement la référence à la proximité estune clé de compréhension de .ces liens souvent négligés dans l'analyse despolitiques publiques territorialisées. C'est à ce niveau que la référence à laproximité sera ici mobilisée. Pour reprendre les termes de Christian Le Bart etRémy Lefebvre interrogeant au fond les trois dimensions du politique - politics,polity, policy -: « A travers la proximité, il s'agit bien de restaurer la confiancepolitique (rapprocher les élus des citoyens), de rétablir du lien social(rapprocher les institutions des usagers et les usagers entre eux), de reconstruirel'efficacité publique (coller à la demande sociale, produire des réponsesappropriées, ajustées)>> (Le Bart Lefebvre 2005, p. 29). Mais quel que soitl'intérêt heuristique d'opérer cette distinction entre niveaux d'analyse dupolitique, il faut aussi signaler qu'au confluent de ces trois dimensions résideune interrogation de fond sur l'usage de la proximité: celle de la possibleconstruction d'un nouvel espace public fondé sur la proximité géographique etrelationnelle qui permette la définition d'un intérêt général local ou réticulaire.

Le champ empirique retenu pour effectuer ce travail est constitué despolitiques actives de l'emploi. A la différence de la politique de l'emploi,politique nationale qui fait l'objet d'une déconcentration accrue (Berthet 2005), laformation professionnelle se singularise par sa décentralisation en phasessuccessives - 1983, 1993, 2004 - (Berthet 1999) et sa soumission au nouveau codedes marchés publics qui structure la commandite publique en matière deformation des demandeurs d'emploi à une logique d'achat de prestations à desorganismes privés. Dans les deux cas, la référence à la proximité (Le BartLefebvre 2005, Pecqueur Zimmermann 2004) prédomine qui met au cœur del'action publique trois dynamiques entremêlées de territorialisation,d'individualisation et d'hybridation public/privé de l'action publique.

44

1. TERRITORIALISATION ET REGISTRED'ACTION PUBLIQUE

Centralisme du gouvernement et intervention sectorielle ont durablementconstitué le mode privilégié de définition de l'intérêt général. Un certain nombrede facteurs ont amenuisé la légitimité de cet édifice institutionnel- modèle dudéveloppement local, logiques communautaires de subsidiarité, effritement dela capacité redistributive de l'Etat - en soutenant une dynamique deterritorialisation croissante de l'action publique. Ce mouvement s'inscrit dansun univers d'acteurs où les qualités personnelles priment sur la représentationinstitutionnelle et où règnent le partenariat, la règle procédurale et la proximitéinstitutionnelle. La territorialisation des politiques publiques a ainsi démultipliéles centres décisionnels et effectivement « débordé» le cadre sectorielcaractéristique de l'Etat-moderne (Mériaux 2005). La diversification et lacomplexification des domaines d'action publique soulignent les limites d'uneapproche sectorielle alors que la réalité sociale apparaît sans cesse plus labile,diverse et difficile à saisir sans une connaissance fine de ses ressorts locaux.Encadrée par de nouvelles modalités de management le plus souventd'inspiration communautaire partenariat, subsidiarité, évaluation,coproduction territorialisée -, la territorialisation de l'action publique vise àreconstruire les cadres de sa légitimation. En d'autres termes, l'efficiencemanagériale supposée qu'octroie une action publique de proximité justifie lasortie progressive d'un modèle de définition stato-centré de l'intérêt général.

La territorialisation de l'action publique est ainsi facteur autant que miroirde la perte de prégnance d'une régulation centralisée des problèmes sociaux. Leschangements que cette dynamique induit interrogent fortement les modèlesclassiques d'analyse du gouvernement. Par penchant disciplinaire sans doute, cesont pourtant moins les restructurations géographiques que les nouvellesconfigurations de l'autorité et du pouvoir en leur sein qui sont au centre de larecherche en analyse des poli tiques publiques. L'analyse de la terri torialisationpar les politistes a ainsi principalement porté, pour ce qui concerne le niveau despolicies, sur les nouvelles formes de coordination d'acteurs. Les travaux conduitssur la territorialisation des politiques d'emploi et de formation n'échappent àcette orientation (Bel Dubouchet 2004, Berthet 2005).

La distance est pourtant grande entre l'ordre des bouleversementssociétaux évoqués plus haut et l'observation des changements concrets qu'onpeut réaliser dans les secteurs de l'action publique comme l'emploi et laformation. Il est dès lors nécessaire d'établir un niveau intermédiaire « méso-analytique» qui permette de ré articuler changements sociétaux et sectoriels.Conformément aux prémisses des analyses du dépassement de la modernité,c'est vers le champ de la légitimation qu'il semble possible de progresser. Ilparaît en effet important de penser l'action publique en termes de cadres delégitimité (justification à faire/ contraintes) eu égard à la nature deschangements que mettent en évidence ces théories qui soulignent la déperditionde sens qu'entraîne le doute systématique à l'égard des éléments fondant lalégitimité de la régulation stato-centrée.

45

Pour ce faire, on propose ici de travailler sur la notion de registre d'actionpublique.

Par registre d'action publique on entend une notion analytique quiagrège, dans un même schéma de compréhension, les dimensions cognitives,institutionnelles et instrumentales afin de délimiter un périmètre de définitionde la légitimité des acteurs16. En dépit d'une proximité évidente avec lesconcepts engagés dans la réflexion en termes d'approche cognitive despolitiques publiques et notamment celles de paradigme, de référentiel ou derécit, cette notion de registre vise à dépasser le seul niveau des représentationset intégrer comme variables les dimensions institutionnelles et instrumentalesde l'action publique. De la même manière l'usage du terme de registre delégitimation renvoie principalement dans l'analyse des politiques publiques àune dimension symbolique de la justification que nous envisageons d'élargir iciaux aspects liés aux systèmes d'acteurs et aux outils dont ils disposent. Cettenotion s'inscrit enfin dans l'économie épistémologique de la mouvancepostmoderne au sens où la mise en crise des systèmes de représentationsstabilisés dans une société qui subit un processus de différenciation croissanteimplique ~ue s'y substituent des systèmes de légitimation fragmentaires, parfoissectoriels 1 .

On explorera ici, à titre d'hypothèse, l'idée selon laquelle le registredominant de l'action publique en matière d'emploi et de formation pourrait bienêtre celui de la proximité. Que ce soit sous l'angle des redistributionsinstitutionnelles, des représentations de l'intérêt général ou des instruments del'action publique, la proximité offre un répertoire de légitimation qui innerveaujourd'hui toute l'architecture des dispositifs de formation et d'emploi. Onpeut ainsi en combinant ces trois éléments constitutifs (institutions,représentations, instruments) développer trois lignes de force dudéveloppement de la proximité dans la conduite des politiques d'emploi et deformation: territorialisation, individualisation et association croissante d'acteursprivés.

16 Sur le plan sémantique, la notion de registre renvoie tout autant à une perspectiveintégrant dans un même objet les dimensions cognitive, institutionnelle et instrumen-tale (le registre comme instrument de consignation d'informations propres à uneinstitution), qu'à une perspective mettant en lumière les niveaux d'interprétation (leregistre comme tessiture ou étendue des degrés et des attitudes) mobilisables selon uneperspective d'analyse stratégique.

17 Bien qu'un développement de cette perspective outrepasse le cadre de cette communi-cation, il importe de rappeler ici le rôle fondateur de la mise en crise des grands récitsde la modernité dans les hypothèses que soutiennent les tenants d'une analyse entermes de modernité avancée ou de postmodernité (Bonny 2004).

46

2. LES PILIERS DE LA PROXIMITE:

TERRITORIALISATION, INDIVIDUALISATION,HYBRIDATION

LA PROXIMITE INSTITUTIONNELLE

La territorialisation de l'action publique est la dimension la plusimmédiatement associée à la rhétorique de la proximité. Rapprocher la décisionpublique des lieux d'émergence et de règlement des problèmes sociauxconstitue en effet un élément central de la légitimation, par la proximité, despoli tiques localisées d'emploi et de formation. La terri torialisation apparaît ainsicomme une dynamique concomitante à la remise en cause de l'Etat-social quis'exprime dans les domaines de l'emploi et de la formation par des dynamiquesde décentralisation et de déconcentration.

La dimension institutionnelle occupe de ce fait une place décisive dans lesprocessus de décentralisation. La décentralisation en premier lieu mais aussi ladéconcentration génèrent des recompositions fortes des systèmes d'acteurslocaux. Emergence d'un «acteur-pivot» dans le cas de la formationprofessionnelle ou reconfigurations territorialisées du Service Public de l'Emploi(SPE), la territorialisation est avant tout affaire de réaménagementsinstitu tionnels.

Pour autant, on ne saurait négliger les dimensions symboliques etcognitives qui accompagnent ces restructurations institutionnelles. Lesreprésentations qui sous-tendent les recompositions introduites par cette doubleterritorialisation de l'action publique sont relativement proches. Le principalressort de légitimation prête aux territoires une efficacité plus grande que lesactions conduites depuis le centre. L'efficacité des politiques territoriales estsupposée meilleure parce que, soutenue par des procédés de managementadéquats, elle permet de faire valoir les avantages de la proximité. Cesavantages sont d'ailleurs largement vantés: réduction des circuits décisionnels,meilleure connaissance des problèmes traités, socialisation au milieu, etc. Cesarguments sont bien évidemment discutables, voire contestables, mais lacritique principale demeure celle du risque inégalitaire et clientélaire quel'inflation procédurière peine à faire taire. La méfiance accompagne ainsi laproximité. Méfiance que ne se recomposent des potentats locaux pour ce quiconcerne la décentralisation, méfiance marquée de l'administration centrale àl'égard de ses agents locaux pour la déconcentration.

Les représentations conditionnent les instruments de la proximité mis enœuvre dans les politiques territoriales de l'emploi et de la formation. Les décrireserait fastidieux, on se contentera d'attirer l'attention sur la relation symboliqueétablie entre proximité et connaissance. «Plus on regarde de près, mieux l'onvoit », cette formule pourrait tenir lieu de maxime dans les politiquesterritoriales. Pour le dire autrement, la proximité fait exploser la demanded'expertise. Plus il y de princes, plus il y a de conseillers surtout si la légitimité

47

politique des premiers repose sur l'action savante des seconds. Pas étonnant dèslors que dans la panoplie des dispositifs locaux une place de choix soit réservéeaux outils de connaissance: diagnostics localisés, observatoires territoriaux ousectoriels, instances d'évaluation, outils de recueil et de diffusion del'information, procédures qualités, etc. Le savoir est au cœur de l'actionpublique de proximité. Il l'accompagne dans une poursuite effrénée -concomitante à l'abandon des règles nationales - du niveau le plus find'intervention, ce qui, immanquablement, aboutit au constat que ce niveau est infine celui de l'individu,.

LA PROXIMITE RELATIONNELLE CONTRE L,1INSTITUTION

L'étape ultime des logiques subsidiaires qui animent le développementdes approches de proximité se traduit par une maximisation des responsabilitésindividuelles. Si la subsidiarité consiste bien à transférer au niveau le plusproche du « terrain» les responsabilités dont on estime qu'il peut les assumer, lerisque est grand que ce plus petit dénominateur ne soit l'individu. L'hypothèsequ'on pourrait formuler à cet égard, c'est que le développement del'individualisation mine la place des institutions publiques.

Les représentations qui soutiennent ce développement dans les politiquesd'emploi et de formation demeurent là encore de type managérial. S'il fautaccroître l'implication individuelle et rendre tous les protagonistes « acteurs »,c'est bien pour augmenter l'efficacité institutionnelle, pour maximiser les gainsproductifs de l'intervention publique.

Du point de vue des institutions, individualiser l'action publique au nomde la proximité signifie un bouleversement radical des logiques institutionnelles.Cette transformation affecte tout autant ceux qui mettent en œuvre l'actionpublique que ceux à qui elle est destinée. Côté mise en œuvre, il s'agit avant toutd'intégrer dans la culture professionnelle le passage du statut d'agent à celuid'acteur et admettre ce faisant un changement dans l'ordre de la légitimité. C'estvoir se substituer à la légitimité que procure l'appartenance à une institution,celle qui émane de la capacité individuelle à être influent. La charge de lalégitimité institutionnelle dont sont porteurs les agents était forte dans ungouvernement sectoriel, elle est fortement amoindrie dans le cadre d'unegouvernance territorialisée. Concurrencés par d'autres types de légitimité(élective, économique, associative), les agents sont sommés de devenir acteurs,de revaloriser par une plus-value individuelle leur place dans les jeuxdécisionnels locaux. Mais cette évolution ne touche évidemment pas que lesagents institutionnels, elle concerne aussi les destinataires de l'action publique.Autre glissement sémantique: on passe ici du «bénéficiaire» à « l'usager ». Onattend de l'usager qu'il concoure par son action individuelle à la réussite del'action publique. Acteur lui aussi, l'usager tend à devenir coproducteur etcoresponsable de son employabilité et, ce faisant, de la réussite des politiquesd'emploi et de formation.

De nombreux instruments viennent étayer cette évolution. Les dispositifsles plus récents en matière d'emploi et de formation s'inscrivent dans unparad'igme de l'activation qui responsabilise fortement l'individu dans son accès

48

et son maintien en emploi (Cattacin Gianni Manz 2002). Cette transformation setraduit notamment dans la valorisation de l'initiative individuelle dans lechamp de la formation. L'Accord National Interprofessionnel, le DroitIndividuel à la Formation comme le processus de construction d'une Validationdes Acquis de l'Expérience accordent à l'action du salarié un rôle central. Dansle champ de l'emploi, la volonté d'individualiser l'action publique en matière delutte contre le chômage soutient fortement sa territorialisation (Berthet CuntighGuitton 2002). Le profilage des demandeurs d'emploi autant que leuraccompagnement individualisé témoignent de cette évolution.

Soutenu dans le champ de la formation par de nombreux accords debranche et dans le champ de l'emploi par la montée en charge de l'UNEDIC ausein du SPE, l'individualisation s'accompagne d'un retrait relatif des autoritéspubliques en faveur du renforcement d'une relation duale salariés-employeursdans la coproduction de l'action publique. Pour autant, il importe de noter quesi cette individualisation semble inscrite dans une forme de régulation quasi-marchande des politiques d'emploi et de formation, elle connaît d'importanteslimites. Même s'il s'agit principalement d'équiper les individus pour le marché(Gazier 2005), il faut relever que la liberté des individus est fortement encadréepar des logiques de prescription de plus en plus présentes (les demandeursd'emploi n'ont pas le choix de leur prestataire) et les contraintesorganisationnelles des institutions (durée des stages, difficulté à développer dessystèmes d'entrée/sortie permanente des dispositifs). Cette évolution estd'ailleurs renforcée par une hybridation marquée des sphères décisionnelles quiassocient plus largement qu'auparavant acteurs privés et publics dans lemanagement de la proximité.

LA PROXIMITE DES INTERETS

Reconfigurer l'action publique à l'aune de la proximité, c'est aussi etsurtout faire du partenariat et de la gouvernance des vertus cardinales. Lesreprésentations dominantes dans l'action publique de proximité en matièred'emploi et de formation invitent à un partenariat extensif avec les acteurs del'entreprise, de l'économie sociale et du monde politique. L'hybridation desdécideurs se justifie là aussi par une exigence d'efficacité qui commande quetoutes les « forces vives» soient associées à la lutte contre le chômage.

Côté institutions, le développement des logiques de gouvernancepromeut une porosité des espaces publics et privés qui s'exprime tant au niveaude la décision que de la mise en œuvre des politiques.

Au niveau de la décision politique, cette dynamique s'incarne dansl'association d'acteurs issus de la «société civile» à des cercles auparavantréservés aux élites publiques. Si au niveau national, le partenariat social est unemodalité ancienne d'élaboration de compromis politiques dans le champ de laformation, au niveau local, l'implication des acteurs de l'entreprise ou del'action sociale se développe à la faveur de la terri torialisa tion de l'actionpublique. Ce développement se heurte à la faible structuration territoriale dupartenariat social et aux stratégies locales des acteurs économiques (Culpepper2003). Côté emploi, les partenariats locaux noués par le SPE se développent

49

lentement. A l'intérieur même du SPE, ce mouvement d'hybridation estaujourd'hui patent. Il s'illustre de manière très claire tant par l'ouverture àl'UNEDIC des différents niveaux territoriaux du SPE que dans la place offerteen son sein aux missions locales18.

Au niveau de la mise en œuvre, cette association prend une tournuredifférente: celle de l'externalisation. Réponse technique plus que politique à laquadrature du cercle des politiques de l'emploi - individualiser la lutte contreun chômage qui se massifie sans augmentation des effectifs de fonctionnaires ausein de l'administration de l'emploi - le recours à des prestataires externesreprésente une dynamique vaste et complexe encore peu étudiée (Balmary2004). Il se donne pourtant à voir comme un phénomène massif et qui affectetous les segments de la politique de l''emploi. Dans un contexte de réductionconstante des budgets publics, la sous-traitance s'avère un outil indispensablepour embrasser la complexité d'une action publique de proximité.

Du côté des dispositifs, les instruments du partenariat public-privé sontnombreux, certains anciens (Comité de bassin d'emploi, COPIRE), d'autresconnaissent un développement récent (contrat d'objectifs territoriaux, conseilsde développement, maisons de l'emploi, etc.). En matière d'externalisation, denombreux outils encadrant la commandite publique, le contrôle et l'évaluationdu service fait ont été mis au point. Ils s'accompagnent d'une mutation desprofessionnalités au sein de l'administration de l'emploi qui passe ainsi d'uneposture d'opérateur à une posture de commanditaire; d'une culture du faire àune culture du faire-faire (Berthet Cuntigh 2004). Dans le champ de laformation, cette même relation d'achat de prestation par les Conseils régionaux(qui n'ont jamais été opérateurs directs) a connu une transformation importantedu fait de la mise en œuvre du code des marchés publics. Le passage au codedes marchés publics s'est ainsi traduit par un repositionnement de la commandepublique qui passe d'une logique de subvention à une logique d'achat deprestation.

CONCLUSION

Redéfinition des relations entre gouvernement central et locaux, actionpublique hybride et subsidiarisation de l'intérêt général: la conduite d'unepolitique de proximité dans le champ de l'emploi et de la formation chambouleles édifices institutionnels, modifie les représentations du bien commun ettransforme les outils de l'intervention publique. L'action publique en matièred'emploi et de formation promeut une approche managériale de l'action socialedestinée à prévenir les risques individuels et collectifs liés au chômage. Ellecontribue aussi à en générer. Deux exemples: le risque d'enfermement localisteet d'individualisation de l'employabilité pour les bénéficiaires des politiquessociales. Le premier réside dans la fixation territoriale des plus défavorisés au

18 Même si la loi de programmation pour la cohésion sociale de janvier 2005 établit desubtiles distinctions entre ceux qui assurent le SPE, ceux qui y concourent et ceux quipeuvent y participer, la réalité demeure bien celle de l'association d'acteurs non-administratifs à son fonctionnement.

50

nom de la gestion efficace des risques sociaux, c'est à dire visant la sécurisationdes trajectoires individuelles mais aussi la sûreté de la collectivité. Le secondtient à une tendance croissante vers la responsabilisation des individus auregard de cette sécurisation. La relation étroite qui s'établit dans les politiquessociales entre proximité et individualisation est porteuse d'un second risqueainsi décrit par Zygmunt Bauman: « Encore plus incongru que de chercher desréponses locales à des problèmes globaux, on nous incite à tenter de 'résoudresur le plan biographique' les contradictions sociales» (Bauman 2005). L'enjeu estainsi de dépasser, au stade pratique autant qu'analytique, une compréhensionstrictement spatiale de la proximité pour embrasser les différentes dimensions(organisationnelle, relationnelle, institutionnelle, etc.) que soulignent leséconomistes de la proximité (Rallet Torre 2004). L'analyse économique de laproximité invite ainsi au dépassement d'une compréhension strictement spatialedu territoire: « En soi les dispositifs de coordination ne peuvent relever de laseule dimension géographique de la proximité, mais de sa conjonction avecd'au tres formes... Dès lors cette conjonction est susceptible de fonder, à traversla coordination qui en résulte, un processus de renforcement qui en assure ladurabilité. De là naît le territoire» (Pecqueur Zimmermann 2004, p. 32). Cetteappréhension interactionniste du territoire et de ses acteurs évite le traversréificateur pointé par Jérôme Godard dans cet ouvrage. Il permet de lever lepiège analytique d'un territoire normatif et de progresser dans unecompréhension des moyens par lesquels la proximité permet aux acteurs deconstruire un sens localisé des politiques de l'emploi. Il n'en demeure pas moinsqu'au concret, comme le soulignent ici Olivier Mériaux et Jean-Raphaël Bartoli,la proximité est aussi génératrice de complexité. Les scènes hybrides de laproximité sont à l'évidence des lieux de concurrence institutionnelle et desfacteurs d'alourdissement de l'ingénierie des politiques publiques. C'est pources raisons, entre autres, qu'elles participent fortement au développement deformes renouvelées de gouvernance des politiques de l'emploi qui affaiblissentla régulation stato-centrée et soutiennent une action publique constitutive etprocédurale. Elles signalent bien de la sorte une recomposition en profondeurde l'Etat social français.

51

LA 'MISE EN ORDRE' DE L'ACTION POUR

L'EMPLOI PAR LA TERRITORIALISATION

REINTRODUIRE L'HISTORICITE DANS L'ANALYSEDES POLITIQUES PUBLIQUES

JĂ©rome Godard

JĂ©rĂ´me Godard (CRPS Paris 1 - CERAPS Lille 2) Ă©tudie depuis plusieursannĂ©es les dispositifs d'emploi Ă  rĂ©fĂ©rence territoriale sur le bassin d'emploi deLille, qui constituent le terrain d'une thèse en cours de rĂ©daction, sous ladirection de D. Gaxie, intitulĂ©e «Une" drĂ´le de guerre" contre le chĂ´mage?Ressorts structurels et dynamiques de la "territorialisation" des politiques del'emploi ». Courriel : [email protected]

r "'1: :

i

Résumé IA partir d'une étude sur un dispositif expérimentalde reclassement,cette contributiondiscute certains lieux communs associésà la « territorialisation». Cette notion, « boîtenoire» plutôt que concept, tend de fait à occulter plus qu'elle ne révèle, notamment en cequ'elle contribue à une appréhension par trop uniforme des phénomènes qu'elle prétenddécrire. Réintroduire l'historicité de l'action publique à référence territoriale permet demieux saisir l'incidence des jeux sectoriels et locaux sur la structuration de celle-ci, etconstitue une piste alternative pour une analyse moins mécanique des recompositionsactuelles des dispositifs d'emploi.

Abstract

Based on an research devoted to an experimental plan designed for improving theplacement of the unemployed, this paper argues several commonplaces from themainstream way of thinking about the phenomena of 'territorialisation'. Rather a 'blackbox' than a real concept, this notion seems to disguise some social facts by standardizing

:the explanations proposed for describing them. Bringing the historicity back in provides an

:

I option to the academic analysts which allows them to grasp the impacts of both local and I

I policyfield settings on the localpublicpolicy-making. II. .1

53

La « territorialisation» constitue une évidence aux yeux des praticiens despolitiques de l'emploi, comme de leurs observateurs. Les « territoires» seraienten passe de constituer les lieux privilégiés d'élaboration et de conduite dedispositifs « à l'échelle humaine », où la fiction de l'intérêt général uniforme(Jobert 1998) s'évanouirait au profit d'arrangements localisés, négociéscollectivement (Gaudin 1999), au vu de la spécificité des situations concrètes vis-à-vis desquelles se conçoit l'action publique. Ce faisant, le processus deterritorialisation, corrélé aux transformations du contexte socio-économiqueglobal (<<mondialisation» économique, rétraction des marges de manœuvre desEtats), contribuerait à l'apparition et à la diffusion d'une multitude de pratiquesprésentées comme « nouvelles» (partenariat, expérimentation, logique de projet,etc.), elles-mêmes indices des transformations à l'œuvre - et de leur degréd'accomplissement. Cet article, articulé autour de l'observation sur la durée d'undispositif expérimental, revient sur certains angles morts empiriques etanalytiques constitutifs de certains usages mécaniques de la notion de« territorialisation ». On espère montrer comment leurs présupposés implicitesconstituent des obstacles à la compréhension des ressorts des phénomènesqu'on étudie - notamment en ce qu'ils empêchent, assez paradoxalement, desaisir la singularité de l'action publique incarnée dans une configuration locale.C'est donc une grille d'investigation alternative, qui prend en compte lapluralité des logiques d'action (Laborier 2003) des participants d'un«partenariat territorial », mais aussi les propriétés structurelles du secteur(Garraud 2000) et du terrain observé (Briquet & Sawicki 1989) qui lesconditionnent, dont on entend démontrer les profits.

1. LE DISPOSITIF ARRMEL COMME TERRAINDE REFLEXION

Mon propos s'appuie sur des recherches effectuées depuis plusieursannées sur le domaine de la lutte contre le chômage, et plus spécifiquement lesnombreux dispositifs à «référence territoriale19» (Sorbets 2005, p. 31) mis enplace dans la région Nord-Pas de Calais. Parmi eux, on s'intéressera ici à celuidit d'appui à la reconversion et au reclassement pour la métropole lilloise(ARRMEL) 20, une expérimentation menée sur l'arrondissement de Lille, pourune durée limi tée21.

19 L'usage de ce terme vise à dépasser la fausse opposition entre politiques « territo-riales » (d'initiative locale) et « territorialisées» (déclinaison de politiques nationales),ces deux aspects étant étroitement entremêlés dans la réalité.

20 Dont l'étude s'est faite dans le cadre d'un contrat de recherche avec la CFDT Nord -Pas-de-Calais. Je remercie S. Gornikowski pour son aide précieuse dans ce travail.

21 Lancé en juin 2003, les dernières entrées dans ce programme se sont arrêtées le 31décembre 2005.

54

UNE EXPERIMENT ATION TERRITORIALE EXEMPLAIRE

Il s'agissait de construire un cadre de mobilisation partenarial pourl'ensemble des acteurs potentiellement concernés par les opérations dereclassement, dans le cas des entreprises de plus de cinquante salariés, enprocédure de redressement ou de liquidation judiciaire - et donc incapables desatisfaire à l'obligation légale de financer un plan de sauvegarde de l'emploi(Bruggeman 2005, p. 217-220). Les adhérents à ARRMEL disposaient pendantdix-huit mois, grâce à des fonds d'origine variée, d'une palette de services(orientation, formation, aide sociale, prospection, mise à niveau, etc.) auxquelsils n'auraient sinon pas eu accès. Leur suivi individualisé, par une cellule decoordination animée par l'ANPE et l'administration déconcentrée du ministèrede l'Emploi (DDTEFP), devait assurer la traçabilité des actions engagées. L'enjeuétait de remédier au manque de lisibilité des procédures ordinaires dereclassement et de contrôler l'effectivité des actions menées par les cabinetsprivés de reclassement, objets de multiples critiques (Mazade 2005).

ARRMEL, expérimentation dérogatoire au droit commun sur un espacegéographique circonscrit, présentait donc les attributs d'une action territorialeexemplaire, dont le « partenariat» constituait l'axe directeur. Au total, c'est plusd'une centaine d'individus, représentants d'une trentaine d'institutions etd'organismes, qui ont participé au moins une fois aux réunions trimestrielles ducomité stratégique de pilotage (CSP) du dispositif qui formalisait lacoproduction de l'action publique par un système local «ouvert» (Balme &Faure 1999) à des acteurs de statuts variés: service public de l'emploi (DDTEFP,ANPE, Association pour la formation permanente des adultes - AFP A),collectivi tés territoriales (mairies, conseil régional) et leurs associations satellites(plans locaux d'insertion pour l'emploi, comités de bassin d'emploi),organisations syndicales et patronales et instances du paritarisme (ASSEDIC,Organismes paritaires de collecte agréés), opérateurs privés des cabinets dereclassement, tissu associatif local, etc. L'examen en amont et en aval dulancement d'ARRMEL met toutefois en évidence l'ambiguïté de certainescaractéristiques communément prêtées à l'action publique territoriale.

INNOV ATlaN OU « RECYCLAGE » ?

Au-delà des rhétoriques qui vantent la capacité d'innovation du« territoire» par la mise en réseau de ses acteurs (Pecqueur 2000, p. 42-49),souvent appropriées par ces derniers22, ARRMEL s'articule autour de processusroutiniers de coopération propres au secteur de l'emploi. Un questionnairediffusé à tous les participants des CSP révèle ainsi une interconnaissance trèspoussée entre acteurs23. Il convient de rappeler que parmi eux, certains ont

22 Un représentant régional du MEDEF affirme ainsi parmi d'autres: « on a cette culturedu partenariat assez développée (.. .), sur ce territoire, elle est assez naturelle ».

23L'échantillon du questionnaire ne représente qu'un tiers du total des participants auxesp. Cependant, la forte interconnaissance des acteurs entre eux est amplementconfirmée par les entretiens réalisés (une quinzaine), la participation à des réunions et

55

précisément pour vocation de représenter institutionnellement le partenariat -voire de le donner à voir. L'ouverture de l'action publique à la « société civile»ou au «privé» doit ainsi être fortement relativisée - sauf à confondre parexemple «patronat» et instances de représentation de celui-ci. De même, lesoutils mobilisés (bilan de compétences de l'ANPE, définition de projetprofessionnel de l'AFP A, congés de conversion État - région, etc.) préexistent audispositif4, dont les objectifs (la reconversion et le reclassement de salariésprincipalement issus d'industries en déclin) s'intègrent de longue date au«répertoire d'action» (Laborier art. cité, p. 437-s.) des politiques de l'emploi.L'expérimentation territoriale s'apparente donc à une amélioration procédurale,qui ne bouleverse pas les pratiques sectorielles, mais offre la possibilité demieux croiser des financements (européens, nationaux et locaux) d'ordinairedavantage dilués. Ce faisant, l'ingénierie du dispositif a le mérite d'avoir permispour un temps de mieux répondre aux objectifs nominaux des politiques del' emp loi.

LES LIMITES DU PARTENARIAT

La coordination «partenariale» du dispositif mérite également d'êtrereconsidérée. A rebours de certaines affirmations sur la « perte de centralité » del'État (Duran & Thoenig 1996, p. 593), et « l'horizontalité» de la gouvernance del'action publique territoriale üohn & Cole 1998, p. 387)25, c'est bien la DDTEFPqui joue un rôle moteur, et impose ses exigences à l'ensemble des partenaires.Comme l'ex:elique un de ses membres, «Là, on s'est dit: OK, tout le monde setourne vers ['Etat quand ça va mal, là, on va y aller de suite, on va mettre des moyens,mais en contrepartie, on veut piloter et contrôler ce que font les autres acteurs ». De fait,si les impératifs de la concertation et du dialogue sont mis en forme à traversdiverses procédures (CSP, cahier des charges contractuel entre les différentsopérateurs), le dispositif participe d'abord à la relégitimation du service publicde l'emploi, par la valorisation des outils à sa disposition, et renforce aussi lecontrôle qu'il exerce sur l'activité des opérateurs privés (cellules dereclassements, organismes de formation). Même si elle délègue certainesopérations à ses « partenaires », c'est bien la DDTEFP qui supervise et réclamedes comptes. C'est cette situation que décrit un opérateur: « Là, cettegouvernances'est faite par l'État et il n'y avait pas d'ambiguïté sur le rôle des uns ou des autres,c'était vraiment une gouvernance [il fait le geste de quelque chose de «carré»].Parfois, dans un certain nombre d'autres dispositifs, c'est moins évident à biencomprendre qui pilote ». Le partenariat territorial, de façon contre intuitive, aboutitainsi dans ce cas à un renforcement de la position des services déconcentrés del'État.

l'examen des PV de l'intégralité de ces dernières, ainsi que l'observation effectuée surd'autres dispositifs antérieurs.

24D'une certaine façon, celui-ci résume le processus de sédimentation des mesures pourl'emploi, sur lequel on ne peut revenir ici.

25il faut noter toutefois que les auteurs relativisent dans le cas de Lille l'effectivité decette « horizontalité ».

56

LE MAINTIEN DfUNE PLURALITE DES LOGIQUES Df ACTION

Enfin, on ne peut présupposer de la simple participation conjointe à desinstances communes un alignement des logiques d'action des différentsparticipants. Dans le domaine de la formation subsistent par exemple desoppositions clivées qui infirment la constitution à travers la « mise en réseau»des acteurs d'un «sens partagé », unanimiste ou homogénéisateur, sur lestenants et aboutissants de l'action territoriale (Desage & Godard, 2005). Ainsique le concède un représentant patronal, « le problème,c'est que parfois, (...) on estsouvent en train de justifier notre propre existence. Chacun fait ce qu'il sait faire ». Defait, les différents organismes impliqués conservent leur propre conception de cequi constitue une «bonne» formation. L'ANPE et les ASSEDIC privilégient lefinancement de mesures courtes vers les «métiers qui recrutent» (aidesménagères, call centers), pour leurs effets de court terme sur la statistique duchômage et le volume de son indemnisation. Les syndicalistes et certainsorganismes paritaires de branche entendent par contre faciliter la« reconversion}) du public majoritairement peu qualifié de ARRMEL, tandis quela direction de la formation permanente du conseil régional développe sa proprestratégie axée sur la «remise à niveau}) scolaire (DAD, DEUST, licenceprofessionnelle). Au-delà du consensus sur la formation comme étape essentielledans les parcours de reclassement, les acteurs conservent des préférences,modelées par des routines et des intérêts incorporés spécifiques, et développent« côte-à-côte }) plutôt qu'« ensemble» leur « propre batterie de politiques "pourl'emploi" }) (Mériaux & Bartoli, dans le présent ouvrage).

2. « LA » TERRITORIALISATION, UN CONCEPT ECRAN?

Ces quelques éléments tirés de l'examen d'un dispositif territorial« exemplaire}) (et qui rejoignent des observations menées sur d'autres mesures)invitent à reconsidérer certains des présupposés implicites véhiculés par bonnombre d'analyses de l'action publique territoriale, voire dans certains cas lapertinence même de la notion de « terri torialisation ».

Pour être opératoire, un concept présuppose des frontières entre ce qui enrelève, et ce qui n'en relève pas. Le terme de « territorialisation }) constitue une«boîte noire », qui tire son origine de l'argument fonctionnel que puisque les« territoires}) bénéficient d'une attention accrue, tant de la part des acteurs despolitiques de l'emploi que de leurs observateurs, il doit exister un quelconqueprocessus particulier, différencié des notions davantage éprouvées(décentralisation, déconcentration, pluralisme institutionnel) qui s'y retrouventpêle-mêle. Pointe alors le danger de cette «forme d'animisme qui fait des processusles

agents

de

l'histoire»

(Lacroix 1985,

p. 523).

«

La

»

territorialisation devient une

entité autonome dont les effets prédictibles et repérables pour touteconfiguration étudiée permettent de distinguer certains espaces locaux, plusavancés dans l'avènement des changements dont la notion prétend rendrecompte. Erigée en signe normatif de la modernité, on conçoit tous les profits

57

sy~?oli~ues que peu:,e~~ retirer les acteurs qui s'en réclament pour laleglh~ation d~ leur action. Cependant, on ne peut que contester le présupposésous-Jacent qUI postule une uniformité antérieure de l'action publique localepour mieux célébrer l'ampleur des changements de la période actuelle: destravaux socio-historiques (De Barros 2001, Payre & Pollet, 2005) concordantsavec nos propres investigations montrent combien il est fallacieux de concevoirl'activisme des acteurs locaux comme spontané, et strictement contemporain. Atraquer les «formes» qui attestent la survenue d'une «nouvelle» actionpublique territoriale, on marque davantage le changement des posturesd'observa tion scientifique légitimes, plutôt que celle de l'objet. Du reste, les jeuxsectoriels et locaux qui structurent l'action publique s'évanouissentinsidieusement derrière cette variable exogène qui confère de surcroît unecohérence artificielle à ce qu'on observe.

3. LES DYNAMIQUES SECTORIELLE ET LOCALEDES POLITIQUES DE L'EMPLOI

Car l'appropriation par les acteurs du vocabulaire associé à la thématiqueterritoriale atteste des effets réels de la diffusion de cette vulgate, qui ne peuts'assimiler à une simple rhétorique. Elle leur permet notamment de « montrer»le changement dans l'action publique, à défaut de toujours le démontrer enpratique (Alam & Godard, 2005). Une telle ressource est d'importance dans unsecteur fortement anxiogène, marqué par l'urgence, et où les pressionspolitiques s'exercent continuellement (Mathiot 2000). Au regard de lafragmentation et des effets contrastés des multiples dispositifs mis en place« pour l'emploi », la référence territoriale offre ainsi aux acteurs des perspectivesd'ordonnancement (opérationnelles, mais avant tout symboliques) de l'actionpublique. En tant que rationalisation ex post de la sédimentation d'organismes etd'outils mis en place successivement, elle constitue en effet un mode deprésentation plus valorisant d'un secteur déprécié27. C'est en ce sens qu'on peutcomprendre le soin apporté dans le cadre des CSP de ARRMEL à la présentationde documents qui formalisent des « parcours de reclassement» aux imbricationslogiques, ainsi que la production continue de nombreuses données quantitativesqui participent à l' objectivation de ceux-ci (Desrosières, 1993). Derrièrel'avalanche des chiffres soumis aux « partenaires », c'est pourtant le maintien delogiques sectorielles propres au secteur de l'emploi qui se dessine en creux.Diverses techniques écartent ainsi de la recherche d'emploi (et donc de lastatistique du chômage) un bon nombre de bénéficiaires de ARRMEL, que ce

26 Cette observation rejoint celle formulée par ailleurs sur le registre dominant de laproximité comme «répertoire de légitimation qui innerve aujourd'hui toutel'architecture des dispositifs de formation et d'emploi» (Berthet 2006, dans le présentouvrage).

27En témoignent par exemple les récurrentes critiques quant à l'inefficacité des politiquesde l'emploi publiées dans la presse généraliste.

58

soit temporairement (entrées massives en formation) ou définitivement (recoursaux préretraites et dispenses de recherche d'emploi). Le paradoxe de laprofusion de données est qu'il devient extrêmement difficile de se faire une idéeprécise du bilan quantitatif qu'elle prétend donner à voir. Outre que la causalitéentre le parcours de formation et le retour à l'emploi reste incertaine (retour àl'emploi via des relations personnelles, ou dans un domaine extérieur à celui desformations suivies), on a pu rencontrer des bénéficiaires ayant enchaînéplusieurs contrats de travail temporaires au cours de leur suivi, comptabilisésautant de fois dans les documents recensant les «offres valables dereclassement », alors même qu'ils se trouvaient au chômage à l'issue dudispositif. Le respect de modes procéduraux de production de l'action (le« partenariat », la « construction de parcours ») s'impose en critère d'évaluationde celle-ci, plutôt que ce qu'elle produit au regard de ses objectifs nominaux (lenombre de salariés licenciés ayant retrouvé un emploi à l'issue du suivi proposépar ARRMEL). Le «bricolage institutionnalisé» (Garraud 2000, p. 86-87)constitutif du secteur de l'emploi se déploie ainsi dans les usages des ressourcesvéhiculées par les références territoriales, et marque le maintien de logiquessectorielles constituées sur le temps long.

Enfin, examiner des dispositifs tels qu'ils s'incarnent dans uneconfiguration locale, c'est « se donner les moyens d'interroger, sous l'angle de cettespécificité, des réalités le plus souvent perçues comme obéissant à des logiquesunivoques» (Briquet & Sawicki 1989, p. 12). On peut ainsi rendre raison de laforme particulière prise par l'action pour l'emploi sur le territoire considéré,sous l'influence de jeux qui lui sont largement extérieurs. Les activités decourtage de certains élus de la métropole lilloise via le conseil régional (Nay2000) ou la communauté urbaine (Desage 2005) pour intégrer au dispositif desentreprises non éligibles, l'appartenance d'une fraction des «partenaires» au«milieu partisan» socialiste (Sawicki 1997) qui facilite leur enrôlement dansl'action, ou encore l'héritage incrémentaI (Lindblom 1959) d'initiativesantérieures sur le mode de fabrique de ARRMEL, constituent autant d'élémentsqui enrichissent la compréhension du secteur de l'emploi «au concret» - àrebours d'explications décontextualisées (partenariat «public-privé », mise enréseau fonctionnelle) conférant un aspect uniforme aux recompositions actuellesde l'action publique.

59

LA TERRITORIALISATION PROBLEMATIQUE

DE L'ACTION JUDICIAIRE

Anne-CĂ©cile Douillet & Jacques de Maillard

Anne-Cécile Douillet est maître de conférences en science politique àl'Université de Franche-Comté, membre du Centre de Recherche Juridique deFranche-Comté et chercheure associée à l'UMR PACTE (CNRS-Sciences PoGrenoble). Elle travaille en particulier sur l'action publique locale et sur lespolitiques de sécurité.Courriel : annec.douillet@)'\:vanadoo.fr

Jacques de Maillard est professeur de science politique à l'Université deRouen, chercheur à PACTE et chercheur associé au CERVL (Sciences PoBordeaux). Il travaille sur l'action publique en matière de prévention et sécurité,aux niveaux local et européen. Courriel :iacques.de.m.aillard@libertvsurf-fr

, ,

! ~

i Résumé IMalgré son caractère régalien, l'action judiciaire n'échappe pas à la territorialisation, dansle sens où les acteurs judiciaires sont poussés à s'inscrire dans leur environnementpolitico-institutionnel local, aussi bien par le ministère de la Justice que par lesmunicipalités, qui ont investi le champ de la sécurité. Cette territorialisation fait facecependant à d'importantes résistances, liées à la complexité des dispositifs, à la difficilearticulation des registres d'action des acteurs municipaux et des acteurs judiciaires maisaussi à la crainte d'une banalisation accrue de la Justice de la part des magistrats. Cette

I

invitation à la territorialisation produit malgré tout des effets diffus, notamment dans les I~ pratiques du Parquet. i:

;

~ Abs tract ~~ ~:

;

I Despite its regalian nature, the judicial action doesn 't exit from territories: local judicial iI

::::

:::::.

actors are pushed, by municipalities as well as their ministerial hierarchy, to be embedded ;,:

::::::.:

in their institutional local environment. This demand of Ifterritorialisation" must deal

with several impending factors such as the complexity of partnerships, the difficulty of

'

.

~

::::.

:

:::

adjusting the potential opposite repertoires of action of municipal and judicial actors,but ::.

:::::'

::.

also the fear by some judicial of a trivialization of the role of Justice in society. One canhowever note several diffuse effects of this process of If territorialisation", in the way

i :~:~:~~~.~~:.~~~::.~~.:.~~..~:~~...~:~:~~.~~~.:...~~...~:::~:. ~.~~.:.~~~~:~: .--1

61

Pour questionner la territorialisation nous avons choisi dans ce papierd'examiner un domaine d'action publique où la territorialisation ne va pas desoi, celui de la justice pénale des mineurs28. Une telle approche a l'intérêt depermettre de prendre un peu de distance vis-à-vis d'analyses qui ont tendance àprésenter la territorialisation comme une évolution généralisée et inéluctable,allant dans le «sens de l'histoire» (Godard 2006). Que l'on considère l'un oul'autre des deux sens donnés habituellement à la notion de territorialisation del'action publique (Douillet 2005), les logiques de territorialisation apparaissenten effet limitées dans le cas des institutions judiciaires. Dans un premier sens, lanotion de territorialisation renvoie à l'idée d'une définition plus localisée desproblèmes et des moyens de prise en charge de ces problèmes: de ce point devue, la faible ouverture à la prise en compte du «contexte local» favorise lapermanence d'un processus décisionnel interne à l'institution judiciaire. Dansune seconde acception, la terri torialisation signifie construçtion d'actionsconjointes, dans une logique transversale de débordement des logiquessectorielles, au service d'une approche plus globale; or, en matière de traitementde la délinquance juvénile, les partenariats apparaissent faiblement intégrés etles échanges occasionnés limités; du moins ne semblent-ils pas avoir étémarqués par une tendance à la multiplication et au renforcement au cours desdernières années, dans un domaine où l'autorité judiciaire est de toutes façonsamenée à travailler avec d'autres institutions.

Pour expliquer cette territorialisation problématique, il nous sembleessentiel de tenir compte des univers et régimes d'action qui imprègnent lesprofessionnels du monde judiciaire, dans une optique de sociologie desprofessions29. Notre travail n'en reste pas moins une contribution à la sociologiede l'action publique, dans la mesure où il s'efforce de préciser le sens de lanotion de terri torialisation dans un domaine régalien: en effet, la fonctionjudiciaire reste pleinement du ressort de l'Etat, les collectivités territoriales n'ontpas de compétence en matière d'organisation juridictionnelle et ne participentpas à l'élaboration des textes qui régissent la justice pénale. Dans un tel contexte,parler de territorialisation ne va pas de soi. Pourtant, la justice n'échappe pas àla territorialisation, qui prend ici la forme d'une invitation adressée aux acteursjudiciaires à mieux s'inscrire dans leur environnement socio-politique local.

Après avoir précisé les initiatives en faveur d'une territorialisation del'action judiciaire (1), nous soulignerons donc la mise à distance de cette logiquepar les acteurs judiciaires, qui résulte principalement du poids de leursreprésentations professionnalisées et de leur crainte d'une banalisation de lajustice (2). L'invitation à la territorialisation ne reste cependant pas totalementsans effets, même s'ils sont diffus et différenciés (3).

28 L'analyse s'appuie sur des données recueillies par entretiens approfondis auprès demagistrats, d'élus, de coordonnateurs prévention-sécurité et de professionnels encharge de mineurs délinquants. Ces entretiens ont été réalisés entre avril 2004 etseptembre 2005 dans le département de l'Isère. Pour une analyse détaillée: Roché 2006,p.132-217.

29Sur ce sujet, Ă  propos des professionnels du social: Ion 1990, de Maillard 2002. Pour lesmagistrats: Commaille 2000.

62

1. LA TERRITORIALISATION DE L'ACTION JUDICIAIRE:

UNE POLITIQUE PLUS QU'UN « MOUVEMENT »

La territorialisation de l'action publique est souvent envisagée comme unmouvement qui aurait sa dynamique propre, autrement dit une certaineautonomie. C'est notamment le cas lorsque la territorialisation est présentéecomme un produit indirect des réformes de décentralisation: elle apparaît alorscomme une sorte de «débordement» de la décentralisation, qui produit deseffets qui vont bien au-delà du transfert de compétences et qui transforment lesmodes d'action publique. C'est aussi l'impression qui ressort des travaux quiprésentent la territorialisation comme la conséquence de l'évolution de la naturedes problèmes auxquels sont confrontés les pouvoirs publics (Duran Thoenig1996). Le cas de l'action judiciaire pousse à déplacer un peu le regard et àanalyser la territorialisation plutôt comme une politique publique, autrement ditcomme une « solution» encouragée et promue par certains acteurs. Les discourscritiques et les faibles changements à l'œuvre dans la façon de faire de l'actionpublique peuvent alors être analysés comme faisant partie du processus de miseen œuvre et de réception des politiques de territorialisation.

Si l'on peut parler de politiques de territorialisation dans le domaineétudié ici, e'est que les acteurs judiciaires se voient adresser une invitation, plusou moins ferme, à mieux s'inscrire dans leur environnement politico-institutionnel local, à le prendre en compte et à dialoguer avec ses représentants.Cette invitation a deux origines. Elle est formulée d'un côté par le ministère dela Justice, en lien avec la politique de la ville (qui met en place de trèsnombreuses instances', de concertation: CCPD, CLSPD30) mais aussi dans lecadre d'une demande de nouvelles pratiques professionnelles, plus soucieusesde «pluridisciplinarité» dans le suivi des délinquants mineurs. Cettepluridisciplinarité doit être interne aux services de la Justice mais doit aussipasser par des partenariats renforcés avec d'autres institutions qui partagent lemême territoire d'action (services sociaux du Conseil général, services deprévention municipaux, établissements scolaires)31. D'un autre côté, l'invitationà inscrire la Justice dans son territoire est aussi formulée par les collectivitéslocales, qui cherchent à renforcer leurs relations avec l'institution judiciaire dansle cadre de leurs politiques de sécurité et de tranquillité publique. C'est ce qu'onpourrait appeler la «demande locale de justice» (Roché 2006), portée par lesélus et les fonctionnaires municipaux.

A travers cette double invitation adressée aux acteurs judiciaires, onretrouve bien les deux dimensions associées à la notion de territorialisation : (i)le débordement des logiques sectorielles et la construction d'actions conjointes

30 Pour plus de précisions, voir par exemple De Maillard Roché 2005.31 Notons au passage que ce que certains acteurs judiciaires appellent «territoriali-

sation », c'est d'abord le souci de décloisonnement des compétences (entrepsychologues, éducateurs, assistantes sociales...) : on est alors loin du territoire au sensspatial du terme...

63

et transversales par des acteurs d'origines diverses, qui devraient de ce fait agiren fonction des spécificités locales plus qu'en fonction de leurs référentssectoriels ou professionnels; (ii) le renforcement des collectivités locales,autrement dit la montée en puissance des acteurs politico-administratifs locaux.Cependant, dans l'une et l'autre dimension, la territorialisation reste limitée enmatière d'action judiciaire; autrement dit la politique de territorialisation prenddifficilement. Sans pouvoir les illustrer empiriquement, du fait des limitesimparties par ce texte, plusieurs indicateurs de cette territorialisation limitéepeuvent être avancés: la faible interconnaissance entre les acteurs desdifférentes institutions; la faible connaissance qu'ont les uns des missions et del'organisation des autres32; la présence limitée des acteurs judiciaires dans lesinstances de concertation; le poids limité des collectivités locales dans leprocessus de décision et de mise en œuvre des mesures judiciaires.

2. LE REFUS DE LA TERRITORIALISATION COMMEDEFENSE D'UN STATUT PROFESSIONNEL ET SOCIAL

Pour éclairer les réticences et le positionnement distant des professionsjudiciaires (magistrats, éducateurs et services de la Protection judiciaire de lajeunesse) face aux logiques de la territorialisation, trois niveaux d'explicationpeuvent être distingués, le dernier soulignant le poids des logiques de défenseprofessionnelle.

A un premier niveau, la distance et les réticences peuvent d'abords'expliquer par la technicité propre à chaque univers: la complexité desprocédures partenariales éloigne les magistrats de ces espaces, d'autant plusqu'ils disent manquer de temps, tandis que les fonctionnaires et élus desautorités locales éprouvent quelques difficultés devant les arcanes du systèmejudiciaire.

A un deuxième niveau, plus fondamental, l'explication de cette distancesemble résider dans l'existence de régimes d'action distincts, autrement dit decontraintes, d'intérêts, de valeurs, de représentations de ce qui doit être fait,foncièrement différents. L'analyse des discours des acteurs municipaux d'unepart, des acteurs judiciaires d'autre part, montre que cette différenciationcomporte plusieurs dimensions:

32 il n' est ainsi pas rare d'entendre des élus confondre le Siège et le Parquet.

64

Acteurs municipaux Acteurs judiciaires

Autorité publique Muni cipalité Intercomm unali télégitime

(pour piloter laconcertation)

Echelle d'intervention Le quartier L'individu

Temporalité (rapport au Agir vite Agir le plus prudemmenttemps) possible

Préoccupations majeures Tranquillité publique, Crimes et délits

(champ de préoccupationsincivilités, relations de

princi pal)voisinage

Obj et(s) de la De l'échange Faire comprendre leconcertation d'informations fonctionnement de la Justice(envisageables) générales au suivi des

cas individuels enpassant par uneréflexion commune surles réponses pénales

Compétence nécessaire Connaissance du Connaissance du droit(pour traiter la question de terr ainla délinquance)

Ce que ce tableau traduit, c'est une opposition entre une logiquepolitique, fondée sur le rapport avec une population vivant sur un territoiredont on est le représentant, et une logique professionnelle, qui définit descritères d'organisation et de bonne décision judiciaire. Faute de pouvoircommenter l'ensemble du tableau, un exemple des malentendus qui peuventnaître de ces logiques différentes servira d'illustration: une demande de suivide cas individuels formulée par une municipalité conduit un certain nombre demagistrats à dénoncer le partenariat territorial comme l'instauration de« tribunaux populaires de quartier », contraires aux principes d'anonymat et desouveraineté de la justice.

Le troisième niveau d'explication revient à analyser la mise à distance dela logique territoriale du partenariat comme une forme de résistanceprofessionnelle à la banalisation de la justice. En effet, l'insistance desprofessionnels de la justice à mettre en avant la différence d'appréhension desproblèmes de sécurité qui les sépare des « acteurs locaux» peut être interprétéecomme la manifestation de leur souci de réaffirmer leur identité professionnelle,pour résister à la banalisation de la Justice à laquelle l'intégration de cetteinstitution dans le magma des partenariats territoriaux leur semble contribuer. Il

65

s'agit en quelque sorte de réaffirmer une spécificité pour justifier une mise àdistance et éviter à la justice de devenir un « acteur parmi d'autres».

A l'appui de cette hypothèse, on peut relever que les magistratsrencontrés expriment des regrets face à ce qui est ressenti comme une forme debanalisation de la justice. Cette banalisation repose d'après eux d'abord sur lefait que l'on fait trop appel à la Justice. Ils défendent l'idée qu'une interventiontrop fréquente de la justice peut la banaliser, alors que la justice n'est pas la seuleautorité qui puisse et doive intervenir face aux comportements « gênants» : il ya aussi les parents, les enseignants et chefs d'établissement, la police, quidoivent intervenir en amont de la justice. Si tout est traité par la justice, des faitsles plus bénins aux actes les plus graves, la force de la réponse de la Justice peuten souffrir: si elle intervient tout le temps, la gravité de certains comportementsn'est plus soulignée par la prise en charge judiciaire. La Justice a donc le soucide rester en « bout de chaîne sociale» (Bailleau 2002, p.406), dans une positionqui lui confère une certaine autorité. C'est ce même souci de perte d'autorité quise manifeste à propos des «partenariats locaux» : pour les acteurs judiciaires,travailler avec les responsables politiques et les acteurs de la prévention, c'estd'une certaine façon mettre la justice «à niveau» avec les autres formes deréponse aux comportements déviants ou gênants. Des magistrats sont troublésde voir que les représentants de la Justice sont aujourd'hui considérés commedes acteurs administratifs «comme les autres», sans le même respect ou lamême considération qu'auparavant: certains se disent ainsi choqués que leProcureur soit convoqué comme «n'importe quelle direction administrative »,que le préfet s'adresse à lui comme aux autres, lorsqu'il s'agit par exempled'organiser une réunion sur le thème de la sécurité. Derrière la réceptiondistante des politiques de territorialisation se cache donc aussi un souci degarder sa place, professionnelle mais aussi sociale.

3. LES EFFETS DIFFUS DES POLITIQUES

DE TERRITORIALISATION DE LA JUSTICE

Malgré cette logique de résistance, l'invitation à la territorialisationproduit des effets, même si leur caractère est diffus et différencié. Il faut d'abordsouligner que, tout en distinguant bien les rôles de chacun, un certain nombrede magistrats reconnaissent l'intérêt des partenariats locaux mais avant tout entermes d'échanges d'information. Ce qui est exprimé c'est en fait l'utilité desliens faibles dans les partenariats: ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'actionconjointe, du fait de missions et de cultures différentes, qu'il ne peut pas y avoird'échanges ponctuels. De ce point de vue, une différence assez nette apparaîtentre les juges du Siège et ceux du Parquet, ces derniers étant plus positifs quantà l'intérêt de ces réunions d'échanges locales, certains les jugeant même« indispensables» et considérant qu'il est de leur rôle de s'inscrire dans cesdispositifs partenariaux pour jouer ensuite leur rôle de représentant de lasociété:

66

« Quand on connaît le quartier, comment c'est foutu, comment vivent les gens,on peut le retranscrire à l'audience, on peut l'expliquer et on peut s'en servir nous dansles décisions qu'on prend de poursuite ou pas de poursuite.» (entretien magistratParquet)

Au sein du Parquet, l'inscription dans le contexte local s'est effectivementbanalisée et elle semble être, malgré tout, intégrée aujourd'hui comme unenécessi té :

« On est dans une dynamique de partenariat, parce que c'est indispensable etpuis c'est rentré dans les mœurs. (...) On le sent bien aussi à des moments qu'il faut êtreau Palais, et rien que au Palais, et à des moments il faut aller effectivement à larencontre des gens et entendre ce qui se passe, pour mieux travailler. C'est uneévidence ». (entretien magistrat Parquet)

Du côté des autorités locales, on sent d'ailleurs une satisfaction plusgrande à l'égard du Parquet que vis-à-vis des magistrats du Siège. Les raisonsqui se profilent derrière cet investissement accru des parquets sont variables: sicertains le comprennent d'abord et avant tout dans une logique decommunication (mieux faire connaître et comprendre le rôle et les décisions duParquet), d'autres l'inscrivent plus dans une réactivité aux demandes locales etdans l'entretien d'une relation d'échange avec les autorités politiques locales,dans un souci de mieux traiter la délinquance.

Ce contraste entre le Siège et le Parquet s'explique assez facilement pardes différences de position et de fonction: les Parquets définissent une politiquepénale, en lien avec des orientations nationales, et sont chargés de représenter lasociété. Ils agissent donc dans une logique beaucoup plus politique que le Siège,qui juge des cas individuels, à partir de textes de loi, et n'est donc passusceptible de prendre des engagements collectifs; le Siège est aussi plusméfiant vis-à-vis du politique. La demande de territorialisation de la justiceaurait ainsi tendance à marquer la différence entre Siège et Parquet.

Ces relations peuvent aboutir à des jeux de soutiens croisés entrecollectivi tés locales et Parquet. C'est le cas par exemple sur la question desressources et des effectifs de la Justice. Pour un Procureur, entretenir des bonnesrelations avec «ses» élus locaux est une ressource non négligeable dans sontravail d'argumentation auprès de son administration; cela lui permet de faireentrer dans le processus de négociation de nouveaux acteurs susceptiblesd'appuyer sa demande par des canaux politiques (réseaux personnels, contactspartisans). Ces jeux coopératifs, s'ils ne sont pas nouveaux, sont facilités par lamultiplication des arènes de rencontre et de discussion liées à la politique deterri torialisa ti on.

Une telle analyse de la territorialisation de l'action judiciaire permet derevenir sur les catégories proposées par Jacques Commaille (2003), qui distinguedeux logiques différentes de territorialisation: une territorialisation top downmaîtrisée par l'Etat et une territorialisation bottom up, conforme à l'idée dedémocratie participative. Selon lui, les dynamiques actuelles correspondent àune remise en cause de la première forme de territorialisation, dans la mesureoù « les politiques de territorialisation de la fonction de justice (...) ne sont plusde l'ordre de l'exogène, de l'hétéronome mais se construisent dans les échanges

67

sociaux avec un pouvoir central qui n'est plus que partenaire et n'a pas lemonopole des initiatives». Si nous partageons l'intérêt heuristique descatégories retenues, nous n'arrivons pas nécessairement aux mêmesconclusions: en effet, force est de constater aujourd'hui la permanence de lapremière conception chez les professionnels du monde judiciaire: la spécificitéde la Justice, son extériorité par rapport aux contextes locaux est au cœur desréférents professionnels. En outre, si échanges il y a entre la Justice et le« Territoire », ils sont en définitive de même nature que ceux, caractéristiques,du système politico-administratif local dans les années 1970; les représentantslocaux des administrations centrales cherchent des soutiens auprès desreprésentants des collectivités locales, qui voient dans les premiers un moyend'accéder à des ressources pour leur territoire. En effet, si les dispositifs visant àterritorialiser la décision judiciaire ont des effets, via les magistrats du Parquet,qui disent être plus attentifs aux «données de terrain» dans les choix depoursuites et dans leurs plaidoiries, ils facilitent surtout les jeux coopératifsentre institution judiciaire et collectivités territoriales, selon un schéma assezclassique (pré-décentralisation) de relations entre collectivités locales et servicesdéconcentrés.

68

TERRITORIALISATION( S) ET

PARCS NATURELS REGIONAUX

Romain Lajarge

Romain Lajarge est Maître de conférence en géographie-aménagement àl'Institut de Géographie Alpine, Université J. Fourier - Grenoble 1 et membre del'UMR PACTE (CNRS 5194). Il a travaillé sur les recompositions territoriales etsur les dynamiques de construction de territoires par le projet, qualifiées de« territorialités intentionnelles ». Ses analyses portent sur les logiques de l'actionet la dimension politique de ces processus à l'échelon supracommunal (les ParcsNaturels Régionaux et les Pays notamment).Courriel: rom.ain.1ajarge@)ujf-grenoble.fr

Résumé

Les Parcs Naturels Régionaux existent depuis 40 ans et offrent un bel exemple de politiquepublique qui s'est progressivement territorialisée. Pour le montrer, il a fallu, tout d'abord,comprendre, par l'analyse historiographique, comment l'Etat, en réaction aux problèmestels que le local les traduisait, a inventé cette formule originale. Puis, il a été nécessaire dedissocier le processus qui a permis d'instituer les Parcs comme des instrumentsd'aménagement fin du territoire, du processus qui a constitué les Parcs comme des entitésterritoriales et comme des entités qui territorialisent par le projet. Mais une fois la petitemusique instituée et constituée, les Parcs peinent à reposer la question de leur genèse, cequi contribue à brouiller l'écoute du processus socio-politique de la territorialisation.

Abs tract

The RĂ©gional Natural Parks exists from 40 years. They give un good example of publicpolicy becamed more and more territorial. To demonstrate this processus, historiographicanalysis was used. In reaction against new local problems, the State formulate in themiddle of 60' this original sort of Pare, without constraints or limitations for space using,practices, hunting, building, and characterised by a development project for a territoryregard as a natural and cultural patrimony rich and fragile. The dissociation betwennprocessus of institution and processus of constitution was made. The first one permited thecreation of instrument for subtle space planning. The second processus maked territoryabout a local project. A critic of territorialisation need however to understand, through thegenese, the socio-politic dynamic betwenn this two processus.

69

1. LES PARCS NATURELS REGIONAUX/MODELE DE POLITIQUE TERRITORIALE?

A l'époque de la complexité territoriale (Giraut Vanier 1999) et parmi les«valeurs sûres» de la politique territoriale en France, les Parcs NaturelsRégionaux (PNR) tiennent une place tout à fait honorable, à côté notamment despays et des agglomérations. Cependant, ce n'est pas parce qu'ils existent depuis40 ans, qu'ils sont 44, qu'ils couvrent plus de 12% du territoire et représententplus de 5% de la population française, parce qu'ils possèdent un réseau solideanimé par une fédération nationale, qu'ils ont su évoluer pour coller auxattentes des époques traversées. Ce n'est pas uniquement au nom de leur succèsincontesté auprès de toutes ces communes un feu partout dans toutes lesrégions de France souhaitant créer des PNR3 que l'on peut dire qu'ilsreprésentent un « modèle de politique territoriale ». Ils peuvent être considéréscomme «modèle» parce qu'ils organisent un rapport global/ sectoriel (Muller1998, p. 24) tout à fait opérant et parce qu'ils produisent un système cohérent deréférences et de référentiels (Faure Pollet Warin 1995), de valeurs et d'effets(Debarbieux Fourny 2004), de techniques et de méthodes, de modalités d'actionet de programmations financières, de légitimations et de justifications. Mais ilsn'ont pas été pensés comme « modèle de politique territoriale» au moment deleur création à la fin des années soixante. En le devenant progressivement, ilsont fabriqué leurs spécificités en tant que politique publique et leur avantagecomparatif dans le catalogue des instruments du développement territorial.Pourquoi et comment? Dans la question posée à propos du processus deterritorialisation qui caractérise les PNR depuis 40 ans, ne trouve-t-on pas uneapplication stimulante du problème de confusion entre ce qui constitue et ce quiinstitue une politique territoriale? Autrement posée, la question serait celle desavoir si le temps long peut nous permettre de mieux comprendre commentnaissent des politiques publiques qui s'imposent progressivement commeterritoriales.

PUISQUE « POLICY SHAPES POLITICS » ...

Si la naissance de l'analyse de l'action publique, comme mode decontestation de la toute puissance des politiques publiques à régler lesproblèmes tels qu'ils se posent, date des années 60 (Dahl 1961, Easton 1974),alors les PNR pourraient en être les parangons pour au moins deux raisons.

33 Pour ne citer que quelques uns des projets en date de fin octobre 2006 : Alpilles, Golfedu Morbihan, Baronnies Provençales, Ventoux, Haut Pays Grassois, PyrénéesAriégeoises, Bastides-Gorges de l'Aveyron -Grésigne, Ardenne, Doubs, de la Brie et des2 Morin, Picardie Maritime, des Garrigues, des Boucles du Rhône, sans compter lareprise du proj et dans le Marais-Poitevin

70

Ils adviennent, à leur démarrage, d'abord et avant tout comme unréceptacle ayant vocation à accueillir des problèmes nouveaux, insolites etprobablement ingérables depuis Paris: la désindustrialisation du Nord - Pas deCalais, la crise agricole en Bretagne, le conflit environnemental en Camargue...Ces évolutions imposent de nouvelles approches: amener de la nature auxchômeurs du Nord, de la culture aux producteurs de choux-fleurs, de lareconnaissance politique aux propriétaires terriens du delta rhodanien. LesParcs représenteraient-ils un exemple de cette «institutionnalisation dudésappointement », selon l'expression de Keneth Boulding34? La difficultéeffective de l'Etat central à intervenir de manière rationnelle et avec un pilotagecentralisé sur des problèmes d'une grande diversité, explique le choix de s'enremettre à des formules inventives et originales. La DATAR naissante confie lesoin, en 1964, à une poignée de hauts fonctionnaires de rassembler quelquesidées éparses et quelques constats simples derrière l'intitulé de «Parcsrégionaux ». Ils furent pensés « régionaux» par rapport aux Parcs Nationaux(créés en 1960) en souhaitant des dispositions plus légères et directementconnectées avec les autorités locales. Ils furent des « Parcs» parce qu'ils étaientdestinés à apparaître comme des problèmes circonscrits et des recettesparticulières.

La seconde raison de les considérer comme des instruments d'une actionpublique balbutiante et tâtonnante est qu'ils renvoient les termes de l'analyse àdes principes d'intervention publique qui ne peuvent manifestement pas êtrecontenus dans une politique publique bien déterminée et inscrite dans unchapitre ministériel. Ils sont donc par essence et dès le démarrage un objetpolitique intersectoriel, si l'on entend secteurs ici comme champ d'interventionprincipal d'un ministère. De 1963 à 1966, ils apparaissent comme objet àcontours flous. Lorsqu'ils sont pensés au milieu des années 60, les Parcsrégionaux (qui s'imposeront plus tard comme étant également «naturels »)relèvent aussi bien de la politique culturelle, agricole, forestière, touristique, quede celle de la jeunesse et des sports et de la construction (ancien nom del'équipement), et pas spécifiquement de cette politique de l'environnement quipeine à éclore à l'époque.

S'INTERROGER SUR LA GENESE DES MODELES

POUR COMPRENDRE CE QU'ILS ADVIENNENT

Les PNR sont souvent considérés comme ayant été inventés en 1966, dansle giron de l'action conjointe d'Olivier Guichard (alors patron de la DATAR) etde Pompidou, à l'occasion d'un colloque, celui de Lurs en Provence, enseptembre. En fait, l'analyse des sources historiographiques de la période quiprécède (1960-1966) (travail réalisé avec Nacima Baron et l'Association Utopia-Mémoire des Parcs, aidée par la Fédération des PNR de France) montre unegenèse plus hasardeuse et moins volontariste.

34 Cité par Patrice Duran dans l'article «Genèse des politiques publiques» duDictionnaire des politiques publiques (Boussaguet Jacquot Ravinet 2006).

71

L'intérêt de ce détour par l'histoire longue, outre le besoin de fonder avecquelque robustesse des hypothèses de travail sur la dimension cumulative desprocessus de construction des politiques territoriales, s'explique par cette crised'identité que les Parcs traversent depuis l'origine, engageant des missions deréflexion sur leur devenir, des travaux de clarification stratégique, des prises deposition revendiquant plus de place et/ ou une meilleure place dansl'architecture territoriale française. L'ambition de critique de la territorialisationque poursuit cet ouvrage nous incite à considérer qu'avec les Parcs peuvent êtretirés quelques enseignement à propos d'autres modèles comparables.

2. LES PARCS N/ETAIENT PAS TERRITORIAUX/

ILS LE SONT DEVENUS

Depuis le début, inventés pour se différencier par rapport à d'autreslogiques d'intervention, les PNR sont issus d'une double conjonction. Lapremière voit se rencontrer des acteurs étatiques en recherche de formulesnouvelles pour résoudre des problèmes nouveaux. Les problèmes sonteffectivement nombreux, et à chaque fois, le constat est fait, implacable, d'unEtat qui n'a pas les outils fins qu'il lui faudrait. Car déjà à cette époque, soit prèsde 10 ans avant le début de la régionalisation et 20 ans avant la décentralisation,il était évident qu'il fallait « se rapprocher du terrain ». Les commissariats à larénovation rurale, à l'aménagement de la montagne, du littoral, envoyaientsuffisamment de signaux pour indiquer ce besoin de solutions localementadaptées.

La deuxième conjonction est celle d'hommes et de femmes de conviction,hauts fonctionnaires pour la plupart, animés par un souci très vif d'intervenirdans le domaine de ce qu'on appellerait aujourd'hui l'environnement35.Sensibles à titre personnel sur ces questions, ils s'engagent dans des directionsqui semblent largement marginales à l'époque où l'Etat dessine, prévoit,organise et/ ou lance avec une autorité peu contestée le plan neige, les villesnouvelles, les grands équipements portuaires, le plan autoroute...

LE CREDO POLITIQUE DES ANNEES 60 :DIFFERENCIER ET INVENTER

La protection de la nature n'est pas la priorité de l'époque, sinon au titredu cadre de vie pour les espaces banaux et au titre de la protection de certainesespèces qualifiées d'exceptionnelles. Obnubilées par l'équilibre de la France, lesinstitutions en charge de l'aménagement du territoire savent l'importance de larégionalisation, de la prise en compte des espaces de faible densité, notamment

35 Voir l'encart intitulé « Yves Bétolaud, un forestier fortement engagé dans la protectionde la nature» (Mauz 2003, p. 76).

72

ceux que l'on appelle à l'époque les espaces de verdure, et de tout ce quipourrait permettre d'équilibrer le rythme de croissance de la région parisiennepar rapport au reste de la France. Il fallait donc sortir des sentiers battus.

A la suite d'une mission d'étude en juillet 1964 effectuée en Allemagnefédérale à la demande du ministre de l'Agriculture (sous la direction d'YvesBétolaud), il apparaît que, s'il doit y avoir des Parcs régionaux en France, ilsdevront s'appuyer sur l'expérience allemande des Naturparks tels qu'ils ont étémis en place à partir de 1956 à l'initiative du Docteur Toepfer (mécène) et dansla lignée du 1er Naturpark allemand créé en 1910 (le Naturschutzpark LünebergHeide). Ils devraient être «des lieux de détente et de promenade, de vasteétendue, éloignés du bruit, à faible densité de population et jouissant d'unebeauté naturelle»; «aucune restriction ne doit entraver le développement del'agriculture, de l'économie forestière, de la chasse, de la pêche et des industriespréexistantes» ; « [de telles zones] doivent être aménagées afin de permettre àde nombreux touristes de les visiter, de s'y détendre et de s'y instruire, tout enrespectant une certaine discipline »36. Pourquoi une telle attirance, à cetteépoque, pour l'ordre et la discipline, pour la beauté naturelle et en tout cas pourles vertus du bel ordonnancement des choses de la nature et de l'effet qu'ilproduit sur notre instruction?

On reconnaît en tout cas au même moment l'inadéquation de se calquersur le modèle plus radical américain, dit modèle de Yellowstone, de Parcsnaturels avec constitution de secteurs excluant les pratiques humaines. Non,pour les parcs régionaux à la française, il est impératif de considérer la densitéurbaine plus déterminante que la densité des fragilités naturelles et l'extensiondésordonnée de la ville plus indésirable que la consommation effrénée desespaces dits naturels.

En 1965, le parc régional apparaît donc à la fois comme un moyen deconversion de certaines zones rurales impropres aux activités agricolesproductivistes, comme le moyen le plus sûr de préserver les plus beaux sitesfrançais contre la prolifération anarchique des résidences secondaires et ladispersion désordonnée des industries et enfin comme un élément déterminantdes structures d'accueil des métropoles régionales au même titre que lelogement ou les établissements scolaires37.

On pense alors la naissance de ces nouveaux objets comme la meilleurefaçon de prévenir le danger d'une métropolisation incontrôlée. Plutôt que devoir les pourtours des grandes métropoles transformés par l'arrivée récréativeetlou résidentielle massive d'urbains, il fallait entreprendre la patrimonia-lisation de la campagne afin que celle-ci, avec ses paysans et ses traditions, sonair pur et son silence, les « qualités de son patrimoine naturel et culturel» puisse

36Voir « Note sur les Parcs régionaux », ministère de l'Agriculture, note EF /F1 n01486 du17/09/64, Bétolaud (Y.), 9 p. [Côte Archives Contemporaines: 20030503 art 98].

37 Note sur la constitution de groupe de travail des parcs naturels régionaux etmétropolitains, janvier 1965 [Cote Archives Contemporaines: 197701105 art 11], cetravail d'archives a notamment fait l'objet d'un mémoire de Master de Pascaline Roux :« Contribution à la genèse des Parcs Naturels Régionaux », université d'Avignon, 2005

73

entrer dans la nouvelle ère urbaine, accueillir les urbains sans se dénaturer etinventer une nouvelle manière de se développer.

IMPOSER, AU SEIN DE L'ÉTAT, UNE NOUVELLE FORMULE

Bien entendu, une telle destinée teintée d'un optimisme quelque peu béatne pouvait que résonner agréablement aux oreilles d'un grand nombred'opérateurs des politiques publiques existantes à l'époque. Ceux del'agriculture, en premier lieu, ont entendu dans cet appel à réfléchir à unenouvelle formule de Parcs, une des nombreuses déclinaisons de cebouleversement que Pisani faisait subir au ministère de l'Agriculture, lesforestiers comprenaient que l'Etat attendait d'eux qu'ils inventent de nouvellesmanières d'ouvrir leurs espaces boisés aux promeneurs, les promoteurs dudispositif dit « périmètres sensibles» définis en application du décret n059-768du 26 juin1959 modifié, voient dans les Parcs régionaux une suite logique. Maisles fonctionnaires du Secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports considéraientpour leur part que les Parcs régionaux pourraient tout à fait prendre le relais deces « bases de loisir et de plein air» qui peinaient alors à trouver une applicationvalable; ceux de la Construction y reconnaissaient une initiative esquissée en1958 pour la création de «Parcs suburbains »3888.Bref, les Parcs régionauxauraient très bien pu devenir une procédure normée intégrée en tant que voletopérationnel d'une politique publique agricole dite par exemple «politiquerurale ». Mais, par le jeu des luttes d'influences au sein des administrationscentrales et la décision d'en écarter le leadership agricole, par le hasard del'arrivée un lundi matin dans le bureau du DATAR du colonel Henri Beaugé endétachement, frais arrivé du Sahara et/ ou par la conviction profonde, militanteet éclairé d'un jeune haut fonctionnaire fiable, Serge Antoine, il est décidé que lesoin de réfléchir à ce que pourrait être cette idée de Parcs régionaux, sera confiéen interne à un petit groupe piloté par Guichard lui-même. Evidemment, laprudence politique incite à doter cette nouvelle formule de budgets trèsmodestes, ce qui finira de convaincre les administrations centrales de ne pas sebattre pour obtenir le leadership de cet objet insolite et encore largement vide desens, qualifié à l'occasion du décret de mars 1967 de «droit gazeux» par lePrésident de la République.

UNE NAISSANCE DANS LE LOCAL

Mais c'est en envoyant des chargés de mission sur le terrain que va sesolidifier l'essentiel de ce que vont devenir les Parcs: il faut améliorer l'accès desgens à la nature et la nature n'existe que par le biais de la culture; les villes sontde plus en plus répulsives et les WE de plus en plus l'occasion de se déstresser ;les implantations nouvelles se font dans l'anarchie, entrées de villes, zonesindustrielles, lotissements, résidences secondaires; les campagnes se vident de

38 Voir Puget (R), 1958, "Région du Nord, premiers éléments pour une étude régionaled'aménagement", ministère de la Reconstruction et du Logement, direction del'aménagement du territoire, p. 78 [Côte Archives Contemporaines: 19790844 art 6]

74

leurs agriculteurs partout où le modèle central productiviste ne fonctionnepas... L'Etat ne peut pas rester en dehors de ces préoccupations. Les Parcsseront d'abord des occasions de mettre en place des opérations ponctuelles, del'action effective, des réalisations exemplaires.

Il faut plus d'un an pour constituer un groupe de réflexion, organiser lasélection d'une quinzaine de chargés de mission capables de traduire ce quepourraient être ces Parcs régionaux « sur le terrain» ; pour choisir la douzainede sites où ces problèmes nouveaux sont criants, pour commencer les étudespermettant d'envisager la faisabilité de telles missions: un homme, un problèmelocal, U11e appellation non normée (celle de Parcs naturels régionaux) etquelques moyens (modestes) pour mettre en œuvre ce vague principe.

LA CONSTRUCTION TERRITORIALE DE L'ACTION PUBLIQUE

C'est alors que la question locale prend toute son ampleur, parce que ceuxqui se chargent de traduire le problème en solution, le principe général enactions particulières, la logique politique en coopérations locales, rencontrentquelques difficultés. Difficultés de méthode pour faire partager la qualificationdu problème, difficultés de construction de la légitimité locale, difficultés pourconvaincre de la pertinence de cette approche.

Face à ces difficultés, les opérateurs datariens -parfois un peu esseulés -s'abritent derrière quelques principes: en renvoyant les acteurs locaux à eux-mêmes, pour qualifier le problème qui est le leur, pour choisir la voie pour ensortir, pour engager les opérations qu'ils considèreront pertinentes. Alors queles campagnes françaises commencent à bruisser de cette formule originale desPNR, dans la forêt de Bouconne à côté de Toulouse, entre Metz et Nancy, à SaintAmand Resnes, il n'est pas du tout envisagé d'engager le même type d'actionpublique. Ici, il est plutôt question de faire un espace de détente avecaménagements de plans d'eau; là, des sentiers de découverte en forêt et desrelais équestres; ailleurs, des maisons du patrimoine et des écomusées.

Et rapidement apparaissent dans le jeu local, quatre types d'acteurslocaux qui exposent des intentions et des visées éminemment territoriales: lesamis du projet de Parc, les usagers potentiels, les bénéficiaires probables et leshabitants plus ou moins organisés. Rapidement, les chargés de mission rendentcompte de la grande difficulté à faire avancer l'idée de Parc, ces acteurs-làpouvant être parfois en grande contradiction.

La première étape de ce que l'on pourrait nommer le procès del'institutionnalisation a alors consisté à renvoyer ces ordres de légitimité biencompréhensible à une autre catégorie d'acteurs représentant des instancesdécisionnelles dans le territoire: les leaders locaux, notamment départementaux,les Maires et leurs conseils municipaux faisant jouer à certaines élites locales« une place de médiation décisive dans le travail symbolique de production desréférentiels de l'action publique» (Faure 2002/ p. 204). En arguant que les Parcsnécessiteront une approbation formelle des instances locales élues, l'actionpublique envisagée pour « faire Parc» devient acte politique. Alors, les chargésde mission rendent compte de la grande difficulté à défendre auprès de ces

75

interlocuteurs-là cette idée de Parc, novatrice et inquiétante, tellement celle-cipeinait à être perceptible, lisible, interprétable.

La deuxième phase de l'institutionnalisation des Parcs vient donc de lanécessité d'améliorer l'acceptabilité de cette idée en commençant à la normer : nitrop petit, ni trop grand; ni trop rural, ni trop urbain; ni trop naturel, ni tropartificiel... La qualification de l'idée va d'abord se porter sur les termesnécessaires à la labellisation de ces territoires. Et c'est ainsi que la dimensionterritoriale des Parcs commence probablement par une opération «d'instru-mentation de l'action publique» (Lascoumes Le Galès 2004, p. 21). Cetteopération se fabrique principalement à partir des termes défendus lors desdifférentes étapes intellectuelles précédentes (Rapports BERU, Colloque de Lurs,voyage d'études, notes internes à la DATAR, Comité Interministériel d'Aména-gement du Territoire), à partir de visées bien plus techniques que strictementpolitiques, eu égard à certains attendus nationaux, étayés par une certaineconception de la modernité, du rapport ville-campagne, des besoins de la sociétéfrançaise et des maux de l'époque.

Cet encadrement normatif de ce que ne doit pas être un Parc vaprovoquer l'abandon de certains projets et la naissance de territoires de Parcsappuyés sur une « image de marque» (d'ailleurs déposée à l'INPI) née il y a 40ans et régulièrement reliftée afin de lui préserver son attrait et son indéniablepouvoir de séduction.

LA TERRITORIALISATION PAR LE CHANGEMENT D'ECHELLE

Pour que les situations locales éligibles à l'appellation de Parc NaturelRégional puissent devenir des projets de Parc en cours de constitution en tantque Charte puis en tant que territoires, deux étapes supplémentaires ont dûavoir lieu.

Tout d'abord, à partir de 1972, l'entrée des Régions (EPR) dans laprocédure de création a eu pour effet de chercher à rendre cohérente ladimension territoriale de chaque Parc dans un ensemble plus vaste. Les régionsont ainsi participé à normer les gabarits, la nature des projets, les modalitésd'intervention, les montants des budgets alloués, le type d'encadrement...

Ensuite, l'élaboration progressive d'une double instruction à la foisascendante (le local devait être demandeur) et descendante (l'Etat a le derniermot) confirmait la place déterminante du décret pris par le 1er ministre pourchaque nouvelle création de Parc; celui-ci justifiant la présence d'instancesnationales (Commission Interministérielle des PNR, Conseil National de laProtection de la Nature, Fédération Nationale des PNR -et leurs prédécesseurs-).Ainsi se créait, à une autre échelle, la garantie que ce label Parc serait piloté,contrôlé et défini par une ambition d'Etat. Mais dans le même temps,l'acceptation, par ces mêmes instances, de la grande diversité des contenus desChartes et des programmes d'action qui «remontaient» des territoiresconstituait une des dimensions indubitablement territoriales de cette politiquepublique.

76

3. TERRITORIALISER NE VEUT PAS DIRE STABILISER!

Les systèmes d'action qui vont se mettre en place pour traduireterritoriale ment ce que sont, pour les Parcs, les problèmes locaux, leursrésolutions régionales et leur acceptation nationale relèvent finalement de cettearticulation que propose Emmanuel Négrier entre les configurations territorialesfabriquées par le leadership (ici plu tôt 10ca1), celles issues de la culture politique(ici plutôt régionale) et celles issues des institutions (ici plutôt nationales)(Négrier 2005). Pour naître territorialement, les PNR semblent soumis à undouble processus: celui qui institue et celui qui constitue à ces trois échelles, cestrois configurations.

Le processus qui institue va créer, faire vivre et faire résister une structureparticulière d'action publique (en général un syndicat mixte, composéaujourd'hui en moyenne de 25 personnes, doté de 2 ME de budget defonctionnement moyen, financé en moyenne à 37% par les Régions, 20% par lesDépartements et 11% par l'Etat et membre d'une Fédération nationale) pilotéepolitiquement par des élus communaux, départementaux et régionaux.

Le processus qui constitue la substance du Parc va tenter de rassemblerautour de la figure consensuelle de la Charte, les termes d'un accord global etlégal; et, pour ce faire, va territorialiser le projet, la définition de l'intérêt généralet la légitimité de son périmètre d'intervention.

C'est donc la dimension territoriale de l'instrument Parc qui vaprogressivement prendre le dessus sur la dimension actancielle de ce que le Parcfait. Or, nous n'avons de cesse de nous méfier de «la montée en puissance desterritoires comme acteurs (collectifs) de la décision publique (...) autour de l'idée selonlaquelle c'est localement que doivent être pensées les solutions pour répondre auxproblèmes publics, pour agir de façon plus efficace, au plus proche du terrain» (Douillet2006, p.138). Le territoire institué peut effectivement parfois jouer le rôled'artefact et obérer le bilan de l'action d'une ribambelle d'arguments delégitimations, parfois scabreux. Il faudrait pouvoir rappeler que là où lesprocédés pour agir sont éteints, les moyens de l'action paralysés et les logiquesde l'action déstabilisées, il est probable que l'action publique n'aura pointd'effet. En tout cas, comme nous y invite Hélène Reignier ci-dessus, l'analyse dela pertinence de l'action publique doit se faire aussi par l'analyse de ses effetssur les territoires.

Lorsqu'ils deviennent les produits à la fois d'une politique territoriale etd'une procédure de classement national, les PNR peinent à être encoreconsidérés comme des objets politiques. Leur contestation ne peut alors venirque de la sphère technique. Or, chaque Parc ayant à produire sa propredétermination qui fait de lui un objet territorial, gravée dans le marbre de sonprojet, légèrement amendé tous les 10 ans (et à partir de 2006, tous les 12 ans),constituée par cet acte fondateur, il est difficile pour l'institution qui porte cetteCharte de défendre ses deux légitimités. Celle qui relève de la territorialitéintentionnelle (Lajarge 2000) construite dans le projet et celle défendue dansl'arène politique construite par les élus. La première se réfère à l'origine qui fait

77

de tous les PNR depuis les années 60 des objets et des territoires à part; laseconde renvoie à la pertinence de l'action territoriale et de ses effets spécifiquesconduite à côté des principales politiques publiques sectorielles générales.

En reconnaissant avec Sylvain Barone (voir sa contribution dans leprésent ou vrage) le fait que l'action publique locale n'est pas soluble dans lenéo-institutionnalisme, on peut se demander si le processus instituant le Parcpeut prendre le pas sur celui qui le constitue? Si oui, on pourrait considérer quela procédure de renouvellement de la Charte aboutirait à un refus de re-classement du territoire en Parc, obligeant un processus de déterritorialisation etéventuellement de reterritorialisation sur de nouveaux périmètres, visant larésolution de nouveaux problèmes, engageant de nouveaux systèmes d'acteurs.Si non, on doit alors pouvoir reconnaître que les problèmes qu'il y avait àrésoudre peuvent être considérés comme réglés et les solutions ainsi trouvéesgénéralisées au sein d'autres instances produisant des politiques publiques pourtous le reste de l'espace français. Dans ce cas, les institutions mettraient fin à leurexistence, satisfaites de leur mission remplie et la Nation reconnaissante lesremercierait du devoir accompli. Evidemment, il n'en est rien et on peine àtrouver des exemples de dé constructions territoriales là où les descriptions deterritorialisations nouvelles sont innombrables.

Et pour être sûr que la territorialisation ne consiste pas en une opérationde falsification des processus de changement, l'analyse des constructionsterritoriales ne peut faire l'économie d'un travail de décryptage de ce qui relève,d'une part, de l'action publique et constitue effectivement ce qu'est le territoirecomme sujet politique et donc comme occasion de fabriquer du bien commun et,d'autre part, de ce qui relève de l'administration territoriale qui instituepratiquement et £onctionnellement des acteurs qui considèrent le territoirecomme objet. L'enjeu est finalement assez simple puisqu'il s'agit d'œuvrer àfaire de la question territoriale à la fois une question politique et une questionsociale, en s'efforçant d'opérer un effort de traduction entre ces deux ordresmajeurs de la légitimité à agir.

78

LES POLITIQUES RURALES GAGNEESPAR LA TERRITORIALISATION

ILLUSTRATION PAR LES POLITIQUES AGRICOLES,GERONTOLOGIQUES ET DE DEVELOPPEMENT LOCAL

Dominique Vallet, Jean-Marc Callais,Patrick Moquay & VĂ©ronique Roussel

Dominique Vollet est ingénieur-chercheur en sciences économiques auCemagref. Ses travaux portent sur l'évaluation et l'analyse de politiquespubliques, ainsi que sur les modèles d'impact économique.Courriel : dominique. vollet@)cen1agref-fr

Jean-Marc Callois, aujourd'hui chargĂ© de mission au conseil rĂ©gionald'Auvergne, Ă©tait Ă  l'Ă©poque de la prĂ©paration de ce texte ingĂ©nieur-chercheurau Cemagref, oĂą il analysait le rĂ´le du capital social dans le dĂ©veloppementĂ©conomique local. Courriel : [email protected]

Patrick Moquay, politologue, précédemment maître de conférence àl'ENGREF, est aujourd'hui chargé de recherches au Cemagref, où il travaille surles politiques locales et les actions collectives relatives à la gestion de l'espacerural. Courriel : patrick.m.oquay<fYCe.1.11agref.fr

VĂ©ronique Roussel est professeur en amĂ©nagement rural Ă  l'ENITA deClermont-Ferrand. Elle se consacre Ă  l'Ă©valuation et l'analyse de politiquespubliques et Ă  l'Ă©tude du vieillissement en milieu rural.Courriel : [email protected]

m m ,. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

Le « territoire» est de plus en plus invoqué dans un grand nOlnbre de politiques s'appliquant àl'espace rural. Ce texte se propose de caractériser les fornœs de territorialisation à partir d'une analysedu changement de l'action publique dans diverses politiques s'appliquant à l'espace rural depuis la findes années 90 et très rarenœnt analysées simultanénœnt: second pilier de la politique agricoleconlnlune dite «politique de développenœnt rural », politiques gérontologiques et politiquesexplicitenœnt centrées sur le développement local (<<Leader» notalnnœnt). Nous nous appuyons pourcela sur des expériences d'évaluation de ces politiques publiques lnenées par les auteurs.

Abstract

NUl1lerous policies applying to the rural areas call upon the "territory". This paper proposes to clarify,to some extent, these new forms of public intervention, starting from an analysis of the changes thataffected various policies applying to the rural areas since the end of the Nineties and very seldolnanalyzed sin1ultaneously: second pillar of the Comnlon Agricultural Policy (CAP), known as " ruraldevelopnœnt policy", gerontology policies and progranls explicitly targeted on local schemes of ruraldevelopment ("Leader" in particular). The analysis relies on the authors' past evaluation experiences

of these public policies.

79

La gestion publique territoriale est progressivement érigée comme normepragmatique et idéologique de l'action publique (Duran et Thoenig 1996). Lesprocessus de territorialisation des politiques, à l'œuvre dans de multiplesdomaines (Faure et Douillet 2005) interrogent sur leur ampleur, leur efficacité etleur pérennité. Ainsi, les politiques rurales invoquent de plus en plus leterritoire. Mais dans les faits, les blocages sectoriels restent forts et les effetspositifs sur le développement économique et social ne sont pas toujoursévidents (Perrier-Cornet 2004).

L'analyse cognitive des politiques publiques offre des concepts pertinentspour analyser le changement dans les espaces ruraux, espaces complexesmarqués par le poids de l'histoire et les normes. Nous nous appuyons ici surdeux notions (Muller 2005) :

En premier lieu, celle de «secteur» (entendu comme «un ensemble deproblèmes associés de manière plus ou moins institutionnalisée à certainespopulations », sans délimitation économique ou sociale établie a priori).

En second lieu, celle de référentiel qui est «à la fois l'expression descontraintes structurelles et le résultat du travail sur le sens effectué par lesacteurs ».

La plus ou moins grande adéquation des logiques sectorielles à ce cadrecognitif et normatif global, autrement dit le rapport global-sectoriel, constituel'outil essentiel pour analyser les changements en cours et le rôle de l'actionpublique dans la gestion de ces changements. L'intérêt principal d'une telleanalyse réside dans sa capacité à prévoir, dans une certaine mesure, lechangement de politique, par l'identification des désajustements (Mény etThoenig 1989). Bien entendu, ce type d'analyse permet de prévoir le sens duchangement et non ses modalités pratiques (Dobry 1986, Duran Thoenig 1996).

Dans le cas des espaces ruraux, le cadre global s'est profondémentmodifié dans les années passées. Les analyses cognitives de politiques publiquesdéjà menées ont concerné, dans un grand nombre de cas, uniquement unsecteur, souvent le secteur agricole (Fouilleux 2003, Brun 2006), parfois le secteursocial (Palier 1998). L'intérêt et l'originalité de l'approche que nous proposonsici est de mettre en parallèle les principales politiques publiques porteusesd'enjeux pour l'avenir des espaces ruraux en s'appuyant sur des expériencesd'évaluation de ces politiques publiques menées par les auteurs (Léger VolletUrbano 2006, Hadjab Roussel VoIlet 2006, Callois Moquay 2005) :

d'abord, la politique agricole: nous nous appuierons plusspécifiquement sur les évolutions concernant le deuxième pilier de la PACdepuis la mise en place du CTE (Contrat Territorial d'Exploitation) en 1999. Cesecond pilier tente effectivement d'ouvrir les portes d'un développementdurable intégrant des préoccupations non strictement agricoles.

- ensuite, la politique sociale: nous avons retenu la politique concernantles personnes âgées et plus spécifiquement les expériences de territorialisation àtravers les CLIC (centres locaux de coordination et d'informationgérontologique). La coordination gérontologique est un terme récurrent de lapolitique médico-sociale en direction des personnes âgées: d'abord unecoordination entre institutions et services à la suite des Assises nationales des

80

retraités de 1982, puis une coordination de proximité dont l'objectif estd'organiser l'intervention en faveur des personnes âgées au plus près desbesoins.

- enfin, les politiques territoriales: la mise en place des pays constitue uneexpérience révéla trice dans la mesure où elle suppose l'existence d'uneimplication forte des différents acteurs impliqués dans le développement desterritoires. Par l'introduction de nouveaux acteurs et la valorisation de pratiquesd'élaboration et de portage collectif de projets, la politique des pays, comme lesprogrammes Leader, étaient susceptibles de modifier les modes de régulationpolitique des espaces ruraux, et notamment de bousculer les modèlesnotabiliaires qui y perdurent (Douillet 2003).

Au-delà de leurs limites ou échecs, une analyse cognitive de ces politiquesterritoriales emblématiques (CTE, CLIC, pays) montre que le rapport global-sectoriel s'est fortement modifié en une dizaine d'années. Pour rendre comptede la mise en place de politiques plus différenciées, plus territorialisées, nousmobiliserons une grille d'analyse en trois points:

- la transformation des contextes de sens concernant les politiques, setraduisant par de nouveaux dispositifs et modifiant progressivement lespratiques sectorielles,

- la place accordée à des acteurs plus nombreux et plus divers dans leursintérêts et leurs valeurs au sein de ces dispositifs,

- les évolutions fortes affectant le rapport global-sectoriel, en particuliergrâce aux actions conjointes et variables des experts et des médiateurs.

1. DE NOUVEAUX DISPOSITIFS OU INSTRUMENTS

Dans le cas de la politique agricole, le contexte de sens a profondémentévolué depuis 1999, année d'adoption de la loi d'orientation agricole (LOA)créant le CTE, qui s'est heurté à de fortes réticences du syndicalisme majoritaire(du moins, de sa branche aînée, la FNSEA -Fédération Nationale des Syndicatsd'Exploitants Agricoles). Ce dispositif innovant visait à soutenir de façonglobale les aspects économiques, environnementaux et sociaux des exploitationsagricoles couplés à la mise en avant de préoccupations redistributives (par lebiais de la modulation des aides) et territoriale (rémunération plus importantepour les contrats mis en place dans le cadre de démarches « collectives »). Laprise en compte des aspects non strictement agricoles et la territorialisation del'action publique ont au départ heurté les agriculteurs. Ceux-ci refusaient d'êtreassimilés à de simples «jardiniers de l'espace» et se montraient soucieux del'égalité d'accès à l'ensemble des aides, cette égalité pouvant d'ailleurs setraduire par des distributions très inéquitables des aides des doubles points devue sociaux et territoriaux.

En fait, au fur et à mesure de la mise en place du dispositit lesoppositions initiales se sont estompées, certes en raison de l'importance des

81

financements mobilisés et de la progressive appropriation du dispositif par laprofession, mais également parce que l'évidence a changé de camp... Avec laprise de conscience de la transformation des espaces ruraux, habités etfréquentés par un nombre croissant d'urbains, et des attentes de la société enmatière d'environnement (eau, biodiversité etc.) et de qualité des produits dansun contexte de crise sanitaire (ESB, grippe aviaire), il devenait intenable deconserver le même discours. A telle enseigne que lors de la suppression du CTEet de son évolution en CAD (contrat d'agriculture durable), le syndicalismemajoritaire est monté au créneau pour réclamer son maintien!

Sur le plan démographique, les espaces ruraux se caractérisent par unvieillissement important dans la mesure où la pénurie d'emplois locaux asouvent obligé les jeunes à partir. A l'âge de la retraite, certaines personnesreviennent au pays, et d'autres non originaires des lieux choisissent de s'yinstaller. Le maintien à domicile est un objectif affiché des pouvoirs publicsdepuis le rapport Laroque39, mais sa mise en œuvre pose différents problèmes.Les personnes âgées qui retardent l'entrée en institution ne trouvent pastoujours des réponses satisfaisantes à leurs besoins. Des difficultés pénalisent lesystème actuel d'aide: carence d'information, parcellisation des prestationsdélivrées, insuffisante coordination des professionnels. Aussi, dans ce contexte,une circulaire de 2001 a-t-elle créé les CLIC, dont la mission est de « travailler àl'adéquation des réponses aux besoins constatés et recensés en organisant uneprise en charge globale et coordonnée qui met en jeu la complémentarité desactions et des intervenants. »

Les politiques territoriales telles que les Pays ou les programmes Leaderse sont affirmées en parallèle de revendications croissantes en matière departicipation accrue des populations. Elles traduisaient la généralisation d'unenorme partenariale, reposant d'une part sur l'élaboration concertée de projets dedéveloppement, et d'autre part sur la contractualisation entre partenairesconcourant à la réalisation du projet. Héritières de dispositifs précurseurs telsque les contrats de pays ou les chartes intercommunales, elles traduisent undouble mouvement d'approfondissement de la décentralisation et de laparticipation.

2. DES ACTEURS PLUS NOMBREUX ET PLUS DIVERS

Ce mouvement d'association d'acteurs de statuts divers à la définition despolitiques marque tous les dispositifs rencontrés. La formulation des problèmesconcernant l'agriculture a ainsi profondément évolué. D'une politiqueconcernant des acteurs strictement agricoles, on est passé à une politique quiimplique un nombre croissant d'acteurs non agricoles, de par notamment ses

39 Rapport de la Commission d'Etudes des problèmes de la vieillesse présidée par PierreLaroque, 1962. Ce rapport est considéré comme le texte fondateur d'une « nouvelle»politique de la vieillesse en faveur du maintien à domicile.

82

dimensions environnementale et sociale. Ainsi, les consommateurs, lesassociations de protection de l'environnement, les chasseurs etc. ont-ils intégréles CDOA (commission départementale d'orientation de l'agriculture) du fait dela LOA de 1999. Au départ, les interventions de ces différents acteurs étaientrelativement marginales pour des raisons diverses: compétences agricoleslimitées dans le tissu associatif, faible présence de certaines associations à unniveau départemental. Progressivement, ceux-ci ont acquis une certainelégitimi té pour parler de poli tique agricole, ont souligné la nécessité de traitercertaines questions globalement dans un cadre territorial (par exemple lemaintien d'un paysage de qualité pour continuer à attirer les touristes, lanécessité d'une gestion qualitative et quantitative de la ressource en eau, etc.).Ces nouvelles formulations des problèmes productifs concernant l'agricultureont progressivement abouti à l'émergence de nouvelles solutions et normes.Ainsi, l'éco-conditionalité des aides du premier pilier dans la nouvelle réforme2006-2013 de la PAC s'est-elle imposée sans trop de difficulté en raison desévolutions des cadres cognitifs préparés par la LOA de 1999.

Les politiques de développement territorial ont fait l'objet d'une évolutionsimilaire (Douillet 2003). Aux termes de la LOADDT, les conseils dedéveloppement des pays doivent faire une large place à des acteurs non élus,représentant les activités économiques, sociales, culturelles et associatives,suscitant ainsi l'émergence d'une «ingénierie territoriale» multiforme (voir lacontribution de Pierre-Antoine Landel dans cet ouvrage). Le programme Leader+ imposait d'ailleurs des exigences similaires dans la constitution des groupesd'action locale (GAL), au sein desquels les représentants des institutionsdevaient être minoritaires.

3. LES EVOLUTIONS DU RAPPORT GLOBAL-SECTORIEL

La nouvelle génération du programme Leader, qui dans la mouture 2007-2013 devient un axe du deuxième pilier de laP AC, confirme la poursuite decette tendance, couplée à une intégration plus forte de l'agriculture dans ledéveloppement rural. Cette généralisation de l'esprit des programmes Leadertémoigne d'une tendance nette d'appréhension moins sectorielle et plus intégréedes problèmes de développement.

Au niveau global, le référentiel modernisateur des années 60 s'esttransformé en référentiel plus attentif à la proximité (censée être synonymed'une efficacité accrue) et aux questions environnementales. Les récentes lois dedécentralisation et la mise en avant du développement durable témoignent deces évolutions. Notons d'ailleurs que la prise en compte des questionsenvironnementales a été préparée au niveau sectoriel agricole par les dispositifsantérieurs tels que les PDD (plans de développement durable), les MAE(mesures agro-environnementales), le CTE.

83

Parmi les organisations professionnelles, comme dans les années 60, leCNJA 40 a joué un rôle important de médiation (avec la figure reconnue deChristine Lambert, sa présidente au moment de la mise en place du CTE). Pourles représentants agricoles, il est devenu moins «coûteux» de prendre encompte le nouveau référentiel que de se rattacher à l'ancien, La conversion estd'autant plus facile que, par la figure du contrat, la gestion publique territorialepeut relever d'un référentiel néo-libéral (voir la contribution de Domitien Détriedans cet ouvrage) ayant la faveur d'une partie importante des professionnelsagricoles. L'enjeu est alors de garder les commandes de sa traductionopérationnelle. Les tergiversations du début de 2006 au sujet du niveau degestion des aides du second pilier de la PAC sont très révélatrices. Alors que lasphère administrative, y compris les membres du cabinet imprégnés dunou veau référentiel global, sont favorables à une gestion régionalisée, lesdiscussions avec la profession ont été difficiles. Celle-ci ne remet plus en causel'importance de soutenir les actions en faveur de l'environnement mais leurniveau de gestion, une gestion régionale nécessitant une multiplication desactions de lobbying.

De surcroît, les experts de la recherche et de l'enseignement supérieuragronomique ont produit sur cette période des outils intellectuels cognitifs etnormatifs confortant le référentiel en émergence et tendant à établir le caractèreinéluctable des nouvelles politiques (Cf. par exemple le dispositif INRA-Cemagref-Cirad sur la multifonctionnalité de l'agriculture et des espaces rurauxmis en place de 1999 à 2005, ou le programme ANR Agriculture etdéveloppement durable à partir de 2005).

La montée en puissance de l'échelon local est encore plus évidente du côtédes politiques de développement régional, les lois de décentralisation de 2004conférant à la collectivité régionale des responsabilités renforcées dans lesdomaines du développement économique et de l'aménagement du territoire, ycompris la possibilité de gérer pour le compte de l'Etat certaines aides desministères chargés de l'industrie et de l'agriculture.

Dans le domaine des politiques sociales, la nouvelle loi dedécentralisation du 13 août 2004 rend le conseil général entièrement responsablede la politique sociale dans le département et de la mise en oeuvre des CLIC. Lerapport national/local s'en trouve profondément modifié, même si la mesurese situe dans le prolongement des vagues successives de décentralisation. Laquestion cruciale du financement des dispositifs territoriaux, dont les CLIC, s'entrouve posée dans des termes nouveaux.

Placés devant cette affirmation croissante de la norme décentralisatrice,des instruments nouveaux sont apparus dans un grand nombre des politiquesconcernant l'espace rural. Celles-ci ont connu d'ailleurs des fortunes variablesmais le contexte de sens a profondément évolué, poussé en cela par l'arrivée denouveaux acteurs. Au-delà des fortunes variables des dispositifs opérationnels,les évolutions du rapport global-sectoriel semblent rendre pérennes lesmouvements récents vers une plus grande territorialisation de l'action publique,

40 Centre national des jeunes agriculteurs, rebaptisé depuis Jeunes agriculteurs.

84

de façon analogue aux évolutions des référentiels observés dans les politiquesurbaines (voir la contribution de Lauren Anfres et Benoît Faraco dans cetouvrage). Cependant, tout l'enjeu pour l'échelon central sera d'éviter l'excèsinverse du centralisme: un repli trop fort sur le local, source inévitabled'inégalités entre territoires et d'inefficacités dues à une trop grande fermeture.A cet égard, des recherches récentes sur les facteurs du développement régional(Callois 2004) mettent en évidence la difficulté réelle à allier la cohésionterritoriale et l'initiative locale d'une part, et l'ouverture aux opportunitésextérieures d'autre part.

85

EXTENSION DES AEROPORTS: L'ACTION

PUBLIQUE ENTRE SECTEUR ET TERRITOIRE

L'EMERGENCE DE NOUVELLES FORMES D'INTEGRATION DES INTERETSDANS L'AVIATION CIVILE EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE

Charlotte Halpern

Charlotte Halpern a Ă©tĂ© post-doctorante (Programme Lavoisier) en sciencepolitique Ă  la Maison française d'Oxford. Elle est chercheure FNSP au PACTE Ă l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble. Ses thèmes de recherche portent surles politiques publiques comparĂ©es en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne (transport, environnement, ville).Courriel : [email protected]

,. , ,. .. .. .. .. .

! i: Résumé !: :i !

La reconfiguration des logiques sectorielles dans les Etats européens alimente lacontestation des formes d'élaboration et de légitimation de l'action publique par desacteurs aux intérêts territorialisés. A partir des exemples que constituent les conflitsautour de l'extension des aéroports Paris - Charles de Gaulle (France) et Berlin -Schonefeld (Allemagne), cette communication montre que l'intégration des dimensionssectorielle et territoriale de l'action publique est un élément central de sa légitimation; ladistorsion croissante entre ces deux dimensions est source de conflits politiques et sociauxmajeurs; le conflit constitue un vecteur d'apprentissage à double tranchant.

I Abs tract i! \

I

The restructuring of transport policies in all European States has created newI

:!:::'

opportunities to contest existing forms of policy design and legitimation. Drawing on the.

:

:.

~:.examples of conflicts around the extension of the Paris - Charles de Gaulle (France) and

1

the Berlin - Schonefeld (Germany) airports, this chapter argues that: 1) the legitimacy of1

I.public decision-making on airports depends on the relationship between sectoral and I.territorial dynamics; 2) its weakening has led to major political and social conflicts, 3)

Itheir resolution has initiated learning processes with unpredictable outcomes and

I

I constraining effects on all parties involved. Ii !: ,.................................................................................................................................................................................................

87

La recrudescence de conflits lors de l'élaboration et de la mise en œuvrede politiques publiques nationales constitue un trait caractéristique des sociétéscontemporaines (Meyer Tarrow 1998). Ils sont le produit de la distorsion deséchelles entre local et global, et de la remise en cause des arrangements quicaractérisaient les relations entre l'Etat, le marché et la société civile. Dans uncontexte de perte de centralité des Etats européens (Cassese Wright, 1996), cesconflits témoignent de la volonté d'acteurs hétérogènes de participer àl'élaboration de l'intérêt général. Dès lors, les autorités publiques nationales sontface à un enjeu crucial: comment procéder à l'élaboration et à la mise en œuvrede décisions publiques au sein de sociétés qualifiées d'ingouvernables? Sil'intérêt général ne constitue plus un facteur de légitimation suffisant pourimposer des choix politiques nationaux, comment procéder à la constructionprogressive d'un intérêt général négocié? Ce dernier point incite à dépasser leslimites des outils d'analyse des sociologies de l'action collective et de l'actionpublique pour interroger la relation entre policies et politics au prisme de ladécision publique. Cette catégorie d'analyse semble particulièrement heuristiquepour analyser l'émergence de nouvelles formes d'intégration des intérêtsrendues nécessaires par la transformation des relations entre l'Etat et la sociétécivile, entre les secteurs et les territoires. Elle permet en outre de développer uneapproche dynamique des relations qui s'instaurent entre acteurs, institutions etreprésentations. Ce cadre d'analyse constitue une réponse possible auxinterrogations soulevées dans cet ouvrage par Sylvain Barone sur les limites dunéo-institu tionnalisme.

Ainsi, plutôt que le changement lui-même, cette communication a pourobjectif d'analyser les modalités de transformation de l'action publique à l'aunede ces conflits. Ces questionnements seront appliqués aux conflits surl'extension des aéroports Paris - Charles de Gaulle (France) et Berlin -Schonefeld (Allemagne), et à leur impact sur les politiques du transport aériende ces deux Etats41. Les phénomènes décrits précédemment se manifestent eneffet de façon exacerbée dans le secteur de l'aviation civile à l'occasion des choixpolitiques portant sur l'extension des aéroports d'envergure internationale42. Àla fois produits et instruments des politiques nationales du transport aérien, cesinfrastructures sont aussi un outil essentiel des politiques d'aménagement et dudéveloppement économique des territoires nationaux. Or les transformationssurvenues à la suite de la déréglementation du transport aérien international, del'émergence d'une politique européenne autonome du transport aérien, del'effritement des frontières entre public et privé, et de la montée en puissance desous-systèmes nationaux ont conduit à la distorsion croissante entre lesdimensions sectorielle et territoriale du transport aérien, au détriment de laseconde. Ce décalage alimente des conflits politiques et sociaux majeurs dontl'ampleur reflète la fragmentation des intérêts, des acteurs et des représentationsliées au développement des territoires métropolitains (Lévy 1994). Les variations

41 Les données présentées ici sont issues d'un travail de doctorat (Halpern, 2006).42 Le secteur de l'aviation civile est entendu ici au sens de secteur d'action publique

(Muller 2005, p. 407), par opposition au secteur industriel, ou secteur aéronautiquedans le cas présent, qui recouvre l'ensemble des activités de production des biensaéronautiques civils et militaires.

88

observées en termes de résolution des conflits et de la capacité des Etats àintégrer ces intérêts incitent à dépasser l'analyse top-down de la libéralisation dutransport aérien européen proposée par Frédéric Dobruszkes dans cet ouvrage.Les phénomènes observés empiriquement portent en effet à croire que lesacteurs sectoriels nationaux ont la capacité d'investir le cadre des contraintes quipèsent sur l'action collective pour freiner la territorialisation de l'action publiquedans ce secteur.

Envisager ces deux conflits dans une perspective diachronique etcomparative permet ainsi de relativiser l'hypothèse de territorialisation del'action publique pour privilégier une hypothèse de redéfinition des frontières etdes arrangements internes à ce secteur d'action publique après deux décenniesd'instabilité. Plus précisément, ce chapitre montre la façon dont cettefragilisation a offert aux groupes issus de la société civile qui en avaient lacapacité, l'opportunité de participer à la redéfinition en cours des frontières dece secteur d'action publique. Mais la somme de ces "succès" ne suffit pas pourconclure au changement des formes et des structures de la décision dans cesecteur. Trois éléments seront développés à cette occasion: l'intégration desdimensions sectorielle et territoriale de l'action publique comme élément centralde sa légitimation; La distorsion croissante entre ces deux dimensions commesource de conflits politiques et sociaux majeurs; le conflit comme sourced'apprentissage à double tranchant.

1. L'IMBRICATION ENTRE SECTEUR ET TERRITOIRECOMME SOURCE DE LEGITIMATION

La contestation des choix politiques nationaux sur les aéroports neconstitue pas un phénomène nouveau. Cependant, jusqu'à la fin des années1980, leur impact sur les modalités d'élaboration de la décision publique restemarginal et ces mobilisations ne débouchent pas sur un mouvement antiaérienautonome (Nelkin Pollak, 1981). Ces revendications émergent dans l'espacepublic national, mais les représentants élus et associatifs des communautésriveraines ne parviennent pas à traduire leurs revendications dans des termeslégitimes du point de vue de l'action publique. En République fédéraled'Allemagne (RFA), les opposants à l'extension des aéroports de Francfort,Munich et Hambourg délaissent les dispositifs de consultation prévus par lecadre réglementaire pour privilégier le recours en justice (Rucht 1984). EnFrance, la recomposition du paysage politique national pendant les années 1970contraint les opposants à l'extension des aéroports de Paris - Orly, Marseille etLyon à privilégier la politisation du conflit à travers plusieurs tentativesavortées d'alliances avec les partis poli tiques de gauche (PS et PCF) et lemouvement environnementaliste.

L'analyse des choix politiques nationaux sur l'extension des aéroportsd'envergure internationale nous conduit dès lors à considérer ces infrastructurescomme le produit d'une relation stabilisée entre les administrations nationales,les compagnies aériennes nationales et les gestionnaires d'aéroports. Bien que

89

ces relations ne soient pas exemptes d'enjeux de pouvoir marqués, ces acteurspartagent une vision commune du développement du transport aérien: assurerson indépendance et sa compétitivité à l'échelle européenne et internationale.Leur poids est garanti à l'échelle internationale par le rôle central des Etats dansle système international de régulation du transport aérien (Merlin 2001, p.74-79)et à l'échelle nationale par la sur-représentation d'individus issus de formationstechniques qui contribuent à la diffusion de valeurs et de pratiques basées sur lecaractère apolitique des questions aériennes. La centralisation progressive dessystèmes aéroportuaires français et ouest-allemand repose sur l'imbricationétroite entre les dimensions sectorielle et territoriale du transport aérien, saprincipale source de légitimation. Elle résulte de la stratégie de concentration del'expertise et de l'information menée par la Direction générale de l'avia tion civile(DGAC) en France, et de l'action impulsée par la Lufthansa avec le soutien duministère fédéral des transports en faveur de l'aéroport de Francfort en RFA.

2. LE RENFORCEMENT PROGRESSIF DE LA DIMENSION

SECTORIELLE DU TRANSPORT AERIEN

Cette forme de régulation sectorielle connaît de profondsbouleversements au cours des années 1980 dans tous les Etats européens(Kassim Menon 1996, p. 5). La déréglementation du système international derégulation du transport aérien sous la pression des Etats-Unis contraint lescompagnies aériennes des Etats européens à adapter leurs structures definancement et leurs stratégies de développement43. L'émergence d'unepolitique européenne du transport aérien met en lumière l'opacité des relationsentre les autorités publiques nationales et leurs champions respectifs par le biaisdu dossier de la concurrence. Ces processus contribuent à la fragilisation desarrangements institutionnels qui caractérisaient les relations entre les acteursnationaux du transport aérien en France et en RFA, en fonction de leurscapacités à bénéficier des opportunités offertes par la perte d'autonomie desadministrations nationales. En RFA, la Lufthansa s'appuie sur le ministèrefédéral des Finances pour dénoncer avec succès les politiques d'aides publiquesdes Lander au transport aérien régional et négocier les conditions de saprivatisation. En France, la diffusion du programme néolibéral donne lieu à desajustements de son discours par la DGAC pour légitimer le renforcement de ladimension sectorielle de l'aviation civile au détriment de sa dimensionterritoriale. L'ampleur des restructurations engagées ou en cours dans letransport aérien freine un temps tout projet d'extension des aéroports.

Dans ce contexte, la vague de mobilisations des années 1970 s'essouffle àmesure que les opportunités de contestation s'amenuisent. En revanche, les

43 British Airways est privatisée en 1987, la Lufthansa engage sa reconversion en 1992 etprocède à une privatisation partielle par ouverture de capital en 1994, Air Franceamorce sa restructuration en 1994.

90

collectivités territoriales infrarégionales nouent, sur une base individuelle, descontacts avec les gestionnaires d'aéroports pour assurer leur accès auxretombées économiques et fiscales de ces infrastructures et compenser lescontraintes qui pèsent sur leur développement. L'extrême fragmentation desstratégies développées freine toutefois l'émergence d'un système d'acteursorganisé autour d'un intérêt commun.

3. LE CONFLIT: UNE STRATEGIE A DOUBLETRANCHANT?

La relance d'une politique aéroportuaire extensive en France et enAllemagne au début des années 1990 est légitimée par des critères économiqueset techniques; elle est initiée par la Lufthansa pour le projet Berlin BrandenburgInternational et Aéroports de Paris (ADP) pour le projet Roissy 3, avec le soutiende leurs tu telles administratives respectives. Elle marque la reprise desmobilisations dans les territoires riveraines à l'occasion des procéduresd'enquête publique.

En France, les lois de décentralisation ont conféré aux communes descompétences accrues, si tant est qu'elles soient en mesure de surmonter leursdivisions et de développer un projet alternatif à celui défendu par les services del'Etat. La consultation préalable à l'enquête publique sur l'extension del'aéroport Paris - Charles de Gaulle constitue en ce sens une mise à l'épreuve desrelations intercommunales instaurées à l'occasion de la refonte du schémadirecteur d'aménagement régional. L'expression d'un avis négatif couplé avec laproximité des élections législatives de 1993 conduit les pouvoirs publicsnationaux à bloquer le processus décisionnel pour introduire des dispositifs deconsultation ad hoc qui élargissent les critères de participation et reposent surdes procédures clairement énoncées. La stratégie d'implication adoptée par unemajorité de communes riveraines et par ADP permet l'ajustement progressif despositions autour d'une solution négociée. Celle-ci repose sur la modificationsubstantielle du projet et sur l'introduction de mesures d'accompagnement quiinstitu tionnalisent les avancées consenties par l'établissement public. Ladynamique de politisation du conflit associée à la stratégie d'implicationprivilégiée par ADP accélère son autonomisation face à sa tutelle, qui assume laresponsabilité politique du conflit, et à Air France, qui porte le coût financier dudispositif de protection des populations riveraines.

En Allemagne, le contexte politique et institutionnel propre à la RégionBerlin - Brandenburg empêche les autorités publiques concernées - les Landerde Berlin et du Brandebourg, et l'Etat fédéral- de saisir l'opportunité offerte parla Lufthansa en raison de désaccords profonds quant à la localisation et aufinancement de cette infrastructure. De ce fait, le projet d'aéroport BerlinBrandenburg International par extension de l'aéroport Berlin - Schonefeld nes'inscrit pas dans une dimension sectorielle motivée par des critèreséconomiques et techniques - d'où le retrait de la Lufthansa, mais dans unedimension territoriale motivée par des critères politiques. La gestion des

91

dispositifs de consultation des communes par l'au torité administrative encharge de l'enquête publique exacerbe les intérêts en présence, cette dernière nedisposant d'aucune marge de manœuvre dans la négociation. Les communes selancent alors dans une stratégie de contestation qui se manifeste par le dépôtsystématique de recours en justice contre les tous les documents d'urbanismevisant à constituer une empreinte aéroportuaire et à réserver ses pourtours.Cette stratégie encourage la mobilisation, selon des modalités similaires, desgrou pes issus de la société civile. De ce fait, l'ensemble des ressourcesaccumulées par les protagonistes du conflit sont mobilisées lors du « procès del'aéroport ». Les incertitudes liées à la réalisation du projet ont suscité lamobilisation, sous la houlette de la Lufthansa, des acteurs sectoriels nationauxdu transport aérien (gestionnaires des aéroports de Francfort et de Munich,l'autorité allemande de sécurité aérienne) auprès du Gouvernement fédéral pourdemander la refonte de la politique fédérale du transport aérien dans uncontexte de concurrence internationale et européenne exacerbée.

Les bouleversements qui ont marqué les secteurs de l'aviation civile desEtats européens ont conduit en premier lieu à une perte d'autonomie des Etatsdans leur capacité à piloter l'action publique. En Allemagne, cette évolution s'esttraduite par le recentrage du ministère fédéral des transports sur sescompétences régaliennes au profit des acteurs du transport aérien et desGouvernements des Lander. En France, malgré les nombreuses mises en causesubies depuis le début des années 1990, la DGAC est parvenue à bloquer toutevelléité d'externalisation des activités de contrôle vers une autoritéindépendante au prix d'une profonde réorganisation interne et del'autonomisation des organisations publiques (Air France, ADP) dont elleexerçai t la tu telle. L'analyse des conflits sur l'extension des aéroports Paris -Charles de Gaulle et Berlin - Schonefeld invite dès lors à relativiser leshypothèses de territorialisation de l'action publique. En effet, la gestion de cesconflits offre une opportunité aux acteurs nationaux du transport aérien deredéfinir un intérêt commun fragilisé et de bloquer toute velléité de redéfinitiondu problème « développement du transport aérien» par des acteurs externes ausecteur de l'aviation civile. La sortie du conflit réaffirme le poids des logiquessectorielles au détriment des acteurs partisans d'une inscription renforcée del'action publique dans les territoires.

92

L.INTERVENTION RESIDUELLE DES ÉTATS

FACE AU LIBRE MARCHE

LE CAS DES OBLIGATIONS DE SERVICES PUBLICS AERIENS EN EUROPE

Frédéric Dobruszkes

FrĂ©dĂ©ric Dobruszkes est assistant Ă  l'UniversitĂ© Libre de Bruxelles etprofesseur-invitĂ© Ă  la Haute École Francisco Ferrer. Ses recherches portent surles impacts de la libĂ©ralisation du transport aĂ©rien en Europe et sur la politiquedes transports urbains. Courriel : [email protected]

Résumé

La libéralisation du trflnsport aérien par l'Union européenne remet en causel'interventionnisme des Etats qui jadis pouvaient librement décréter des monopoles etfinancer l'exploitation de lignes. Toutefois, sous certaines conditions, des services publicssont encore possibles. L'adaptation de la France au nouveau contexte a fait disparaîtrecertains mécanismes de soutien aux dessertes aériennes (exclusivité d'Air France), mais lereste a été refondu conformément au droit européen, sauvant en particulier le coupleinitiative locale / cofinancement national. De nombreux services publics aériens ont certesdisparu, mais ce fu t en bonne partie dès avant la libéralisation et à cause des réalités duterrain, qui conditionnent l'importance et la géographie de la demande de transport. Parailleurs, la montée en puissance des Régions ne s'est pas traduite par leur implication dansles services publics aériens.

Abs tract

Air transport liberalization in the EU calls into question interventionism by States, whichin the past could freely order monopolies and finance the operation of airlines. However, oncertain conditions, public services are still possible. France's adaptation to the new contexthas challenged some mechanisms of support to air transport services (exclusive Air Francerights), but the rest was reworked in accordance with European law, saving in particularthe //local initiative/national cofinancing" couple. A lot of public air services have indeeddisappeared, but to a large extent even before the liberalization and because of the fieldrealities, which influence the size and geography of transport demand. In addition, theincrease in power of the Regions did not result in their implication in the air publicutilities.

93

Depuis ses débuts, le transport aérien fut fortement régulé par les États,auxquels les Conventions de Paris (1919) puis de Chicago (1944) conférèrent unesouveraineté totale sur leur ciel. Libre à eux d'ouvrir ou non le marché à telle outelle compagnie, d'organiser des monopoles, de protéger et sou tenirfinancièrement les compagnies, d'organiser des services publics et de négocierdes accords bilatéraux avec les autres États pour l'organisation des dessertesinterna tionales. 44

Cependant, la perte de pouvoir des États nationaux face aux instancessupranationales et infranationales se traduit par une remise en cause de ceschéma classique qui est respectivement évidente ou potentielle.

Premièrement, la «prise en main» du transport aérien par l'Unioneuropéenne (UE) fait suite à l'affirmation, par la Cour européenne de justice(1974 et 1986), puis à la reconnaissance (par l'Acte unique européen en 1986) quece secteur doit être soumis aux règles générales du Traité de Rome, et donc auxrègles de concurrence. Ceci marque le début de la libéralisation du transportaérien à l'échelle européenne, ~se en œuvre à partir de 1987 puis surtout entre1993 et 1997. S'imposant aux Etats membres et étendue à l'Espace économiqueeuropéen45 (EEE) et partiellement à la Suisse, celle-ci a totalement remis en causel'interventionnisme étatique dans les transports aériens, créant une doublerupture: liberté généralisée (accès au marché, capacités et tarifs) pour toutecompagnie communautaire d'une part, et interdiction des aides d'Etat d'autrepart (Espérou Subrémon 1997, Naveau 1992).

Deuxièmement, la tendance au transfert de compétences vers les régionsou autres collectivités locales, dans un certain nombre d'États européens, estégalement de nature à remettre en cause l'autorité de l'État dans les quelquesmatières aériennes qui ne sont pas du ressort de l'UE.

L'examen de ces deux tendances est l'objet du présent papier concernantl'une des dernières possibilités d'intervention des États membres face au libremarché aérien: les obligations de service public aériennes (OSP). Principale« atteinte» au principe général du libre marché aérien, le droit européen prévoiten effet que les États peuvent imposer des OSp46 concernant des vols réguliersdesservant des espaces périphériques, des espaces en développement ou unaéroport régional à faible trafic, ces critères devant être combinés à des enjeux dedéveloppement économique et à la non-rentabilité financière du service. Tout lereste est censé correspondre aux «lois du marché ». Il est à noter que la

44 L'auteur tient à remercier F. Théoleyre, P. Bourbon et G. Neel (DGAC), ainsi que V. Biot(ULB).

45 UE + Norvège, Islande et Liechtenstein, bien que ce dernier soit dépourvu d'aéroport etde compagnie aérienne. Rappelons que les DOM français (Guadeloupe, Guyane,Martinique et Réunion) font partie intégrante de l'UE.

46 Définies comme étant « les obligations imposées à un transporteur aérien en vue deprendre, à l'égard de toute liaison qu'il peut exploiter en vertu d'une licence qui lui aété délivrée par un État membre, toutes les mesures propres à assurer la prestationd'un service répondant à des normes fixes en matière de continuité, de régularité, decapacité et de prix, normes auxquelles le transporteur ne satisferait pas s'il ne devaitconsidérer que son seul intérêt commercial» (règlement 2408/92, article 2).

94

régulation européenne ne précise pas ce qu'il faut entendre par «zonepériphérique », «zone de développement» et «vital pour le développementéconomique », laissant ainsi aux États membres d'importantes marges demanœuvres (Kostopoulos 2005). Seule la notion d'aéroport régional est définie:il s'agit de tous les aéroports ne figurant pas dans la liste des aéroports dits depremière catégorie selon le législateur européen47.

À condition de ne pas dépasser 30 000 sièges par an, le droit européenprévoit également que, si aucun transporteur n'exploite ou n'est sur le pointd'exploiter la liaison pour laquelle une imposition d'OSP a été décrétée par unÉtat, ce dernier peut en limiter l'accès à un seul transporteur qui s'en voitconcéder l'exploitation après appel d'offre et peut bénéficier d'unecompensation financière de l'État, par périodes de maximum trois ans. Au-delàde 30 000 sièges par an, exclusivité et compensation financières ne sont autori-sées que si aucune autre forme de transport ne peut fournir « un service adéquatet continu ». Tout ceci se fait bien entendu sous l'égide de la CommissionEuropéenne, organe administratif de l'Union et traditionnelle «gardienne dutraité» qui surveille les États pour éviter les « abus ».

Après avoir présenté l'importance quantitative et la géographie des aspactuelles, notre double questionnement est le suivant: comment la France,principal pays pourvoyeur d'OSP aériennes, s'est-elle adaptée d'une part auxtransferts de pouvoirs vers rUE et vers les Régions et, d'autre part, à larestriction de ses possibilités de régulation du marché aérien? La desserte duterritoire par les services publics aériens en a-t-elle été influencée? Par servicepublic, nous entendons toute ligne financée par la puissance publique ousimplement protégée de la concurrence. En trame de fond, on retrouve bienentendu la question des politiques en prise avec le territoire. Mais il convient depréciser que le transport aérien s'inscrit d'emblée dans un cadre territorial dèslors qu'il a pour vocation première de connecter des territoires et plusprécisément leurs populations ou marchandises.

ASPECTS MÉTHODOLOGIQUES

Notre recherche est basée sur quatre éléments. Le premier est la connai-ssance des OSP passées et présentes grâce à un listing de la CommissionEuropéenne dressant la liste des communications publiées au Journal Officiel del'Union Européenne aOUE) durant la période 1994-2004 concernant les OSP(impositions, appels d'offre, modifications et suppressions) ; la publication auJOUE étant antérieure à l'exploitation des services, ceci nous permet d'analyserles asp opérées durant le mois de janvier 2005. Le deuxième élément est unrapport au gouvernement de 1990 rédigé par la DATAR48 dressant un bilan et la

47Amsterdam, Athènes, Berlin, Bratislava, Bruxelles... (annexe l du règlement 2408/92consolidé) .

48Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale. « Créée en 1963, laDAT AR a un rôle de réflexion, d'impulsion et d'animation des politiques de l'État enmatière d'aménagement du territoire. Administration de mission à caractère inter-ministériel, elle est un service du Premier ministre.» (source: DATAR). La DATAR

95

liste des lignes subventionnées par la DATAR et les collectivités locales durantla période 1971 - 1989, donc avant la libéralisation européenne. Le troisièmeélément est la connaissance de l'offre aérienne régulière globale, grâce aux basesde données GAG décrivant de manière totalement désagrégée l'offre aériennerégulière mondiale programmée pour 1991, 1995 et 2005; sont notammentconnus, pour chaque vol, les escales éventuelles, la compagnie exploitante, lafréquence et le nombre de sièges; l'offre y est décrite avec beaucoupd'exhaustivité; nous avons complété ces bases de données pour que les lignesexploitées sous le régime des asp y soient identifiées en tant que telles. Lequatrième élément enfin est une typologie économique des régions européennesdéveloppée par Vandermotten et Marissal (2000) et qui, agrégée en grandstypes, conduit à un classement centre - périphérie au sens géo-économique duterme.

Obligations de services publics aériennesJanvier 2005

b-

Avec subvention

u___u.. Sans subvention

...1

.....

:' Gu~d eleupe~

Gyann.

MartiniqueRĂ©union

~~~~:'~BJS7

Source: Commission Européenne & Journal Officiel de l'Union Européenne

Traitement et carte: F. Dobruszkes -Réalisé avec Phi/carte ~ http://perso.club-interneUr/philgeo

Figure 1

s'est récemment muée en DIACT (Délégation Interministérielle à l'Aménagement et àla Corn péti tivi té des Territoires).

96

1. SERVICES PUBLICS AÉRIENS: UNE OFFRE

MARGINALE, DOMESTIQUE ET PÉRIPHÉRIQUE

En janvier 2005, à l'échelle européenne, les asp apparaissent comme:

- marginales: 6,3 % des vols, 4,6 % des sièges offerts ou 7,9 % des pairesd'aéroports, ou si l'on ne considère que les asp subventionnées, 3,6 %, 1,9 % ou6,0 % respectivement49 ;

- presque toujours domestiques (figure 1) ; la plupart des aspinternationales concernent la desserte de Strasbourg, en contradiction avec lescritères européens mais sans que la Commission Européenne, habituellementtrès stricte sur les financements publics, s'en soit plaint dans la mesure où cetteoffre vise directement les parlementaires européens;

- desservant surtout les périphéries de l'Europe (îles, régions reculées dedifférents pays du fait de la distance ou du relief et/ ou faute de systèmesferroviaires efficaces) et la France (figure 1); en volume de sièges offerts, laFrance détient le record des asp subventionnées, bien que celles-ci n'yreprésentent que 7,5% de l'offre domestique; selon la typologie économique desrégions européennes susmentionnée, 89% des sièges exploités sous le régime desasp subventionnées desservent des régions classées en type périphérique.

En outre, en l'absence de politique européenne en la matière, donc devision globale des besoins locaux de services publics, la géographie des aspn'est qu'un patchwork de visions (ou de non-intérêt) nationales. A l'échelle desÉtats connaissant des asp, la géographie de celles-ci semble surtout le résultatd'initiatives ou de lobbyings locaux plutôt que d'une vision intégrée (WilliamsPagliari 2004).

2. ENCADREMENT INSTITUTIONNEL, ADAPTATION AUDROIT EUROPÉEN ET PÉRENNITÉ: LE CAS FRANÇAIS

UNE FORTE TRADITION DE SOUTIEN À L'ACTIVITÉ AÉRIENNE

La France a longtemps eu une importante tradition de soutien légal etfinancier de ses lignes domestiques et même européennes. Avant lalibéralisation du ciel, le mécanisme de soutien aux liaisons aériennes étaitquadruple (figure 2) (Dupéron 1996, 2000) :

- soutien puis protection du réseau Air Inter: en 1962, la compagniedémarre l'exploitation du réseau intérieur français sous couvert d'une

49 Calculs personnels d'après banque de données GAG 2005 et Union Européenne.

97

exclusivité et avec l'aide de subventions de l'État et des collectivités locales; àpartir de 1970, les subsides lui sont retirés et la compagnie doit pratiquer desfinancements croisés entre lignes rentables et non-rentables, en échange de quoielle bénéficie d'une exclusivité (et non d'un véritable monopole de droit) sur leslignes qu'elle exploite; des conventions lient la compagnie à l'État et précisent leréseau à exploiter; cependant, la compagnie peut, sous certaines conditions(dont, à partir de 1985, sa santé financière), fermer des lignes; le réseau Air Interest un réseau des principales villes françaises, reliées entre elles et en particulierà Paris;

- pour compléter ce réseau, la DATAR gère, à partir de 1971, un fondsd'aide au démarrage de lignes domestiques et européennes; l'aide nationale faitsuite à une initiative locales (collectivités locales et/ ou chambres de commerceet d'industrie [CCI]) ; si la demande est acceptée, l'aide est temporaire,dégressive et généralement complétés par les collectivités locales et CCI ; 184liaisons ont ainsi été effectivement soutenues entre 1971 et 1989, dont 60internationales (Villain Chappert 1990); le réseau ainsi tracé est un réseaucomplétant celui d'Air Inter, au profit des moyennes villes de province qui sontsurtout reliées entre elles et à diverses villes européennes (Londres, Francfort,Milan, Bruxelles) ;

- en outre, certaines collectivités locales compensent le caractère dégressifet limité dans le temps du mécanisme DATAR, voire financent seulesl'exploitation de diverses lignes qui desservent surtout des villes ou communesmoins importantes que celles aidées par la DATAR (Dinard, Vichy, Angers, LaRoche); les dessertes internationales sont proportionnellement moinsnombreuses et, surtout, les villes sont de moindre importance; on est ici dans unréseau de la dernière chance;

- enfin, à partir de 1979, Air Inter et Air France sont chargées del'exploitation des services publics aériens corses de bord à bord, suite àl'inclusion du transport aérien dans le mécanisme d'aide à la continuitéterritoriale, compétence qui sera transférée à la collectivité territoriale de Corseen 1982. A ce titre, celle-ci utilise comme elle l'entend le fonds de continuitéterritoriale qu'elle reçoit de l'État.

On constate donc que les collectivités locales sont impliquées de longuedate et, en tout état de cause, bien avant les lois de décentralisation de 1982-83.Par collectivités locales, il faut comprendre les pouvoirs publics infranationauxau sens large car si les communes et CCI dominent, les communautés urbaines,les départements voire les régions jouent parfois également dans le processus etle financement des services publics aériens.

98

Situation 2005 des réseaux ou liaisons jadis protégés ou subventionnés

Devenir des lignes soutenuespar la DATAR entre 1971 et 1989 :

Ligne aband année avant 1990 .........

Ligne abandonnée après 1990 M._.._

Ob ligations de service après 1994 pu is aba ndon ......

Ligneabandonnée avant 1990 mais à nOLNeauen service -Ligne exploitée en 1990 et en 2005 - --

Ligne exploitée avec obligation de service public subventionnée --.-

Devenir du réseau Air Inter de 1991 :

Ligne aband onnée

Ugne exploitée par Air France (monopole de fait)

Ligne exploitée par Air France et un concurrent

Ligne exploitée avec obligation de service public subventionnée

Ligne exploitée avec obligation de service public sans subvention

J7

?'\

Vi ~

~~

<7-<)~

Devenir des lignes soutenues par les seulescollectivités locales entre 1971 et 1989 :

Ligne abandonnée

. . . . .. Obligations deserviceaprès 1994 puis abandon

Ugne exploitée

Ligne exploitée avec obligation de service public subventionnée

Ligne exploitée avec obligation de service public sans subvention

Sources: Air Inler, DATAR et OAG (1991). Trailement et caries: F. Dobruszkes avec Philcarto. htlp:/fperso.club-intemeUr/philgeo.

Figure 2

99

L'ADAPTATION AU NOUVEAU CADRE EUROPEEN ET A LA

DECENTRALISATION

La libéralisation du ciel européen pose inévitablement la question del'avenir des liaisons préalablement protégées (exclusivité d'Air Inter) ousubsidiées. Le nouveau droit aérien permet, on l'a vu, des soutiens éventuels àl'exploitation, mais la forme en est renouvelée: l'aide concerne des lignes et nonplus des réseaux ou des compagnies. Ceci implique immanquablement unerefonte du système français, qui peut en outre être influencée par le mouvementde décentralisation (figure 3).

L'évolution des soutiens français au transport aérien

Avant la libéralisation Après la libéralisation

U.E. Libre marché

- - - - -- - - - - - -- - - - - - --- - -- - -- ---------------------------

Exclusivité

d'Air

Inter

sur son réseau+

transferts

financiers

entre

lignes

ÉtatDesserte internationale

de Stras bourg(Affaires

Etrangères)

Desserte de la Corse

(continuité

territoriale)

----------------Co-financement DATAR

du lancement de lignes

(initiatives locales)

-------------Co-financement DGAC

de l'exploitation(initiatives locales)

Colle ctiv itéslocale s et CCI

Financement del'exploitation de

compagnies

ou

lignes

régionales

Financement de

l'exploitation

de

lignes

régionales

(devenu très rare)

Desserte de la Corse(continuité territoriale)(Collectivité territoriale

de

Corse)

Desserte de la

Corse

(continuité

territoriale)

(Collectivité

territoriale

de

Corse)

F. Dobruszkes

Figure 3

L'exclusivité d'Air Inter sur son réseau est cassée dès avant l'applicationdu troisième et principal « paquet» de la libéralisation européenne, par un

100

accord signé en 1990 entre la Commission européenne et l'État français enéchange de la constitution du groupe Air France (voir Bonnet 1997, Folliot 1993).La péréquation entre lignes en est condamnée, car celle-ci n'est financièrementtenable que si une seule compagnie tire les bénéfices des meilleures lignes (ParisNice, Paris Toulouse) (Pavaux 1984).

Parallèlement, le principe de la subvention de lignes par l'État surdemande et initiative des collectivités locales est maintenu, sous la forme d'unFonds de Péréquation des Transports Aériens créé en 1995 et alimenté par unetaxe perçue sur tout passager embarquant en France continentale. Il se couledans le cadre européen (qu'il restreint d'ailleurs) et n'intervient que dans uncontexte de cofinancement avec les pouvoirs infranationaux. Il n'est plusdégressif ni limité dans le temps, devenant donc un soutien à l'exploitation aulieu d'une aide au démarrage. Après une mue en Fonds d'Intervention pour lesAéroports et le Transport Aérien ne changeant rien sur le fond, la compétenceest depuis peu directement exercée par la Direction Générale de l' AviationCivile (DGAC), toujours sur des bases globalement équivalentes mais financéepar le budget normal de l'État. Ce mécanisme d'aide par ligne reprend, sinécessaire, le soutien aux lignes jadis protégées d'Air Inter. Les acteursinfranationaux sont globalement les mêmes qu'avant libéralisation:prédominance des communes et CCI, implication moins fréquente desdépartements et marginale des Régions. La décentralisation n'a donc guèreincité les Régions à plus d'implication dans le soutien à l'exploitation aérienne etdans les rares cas où elles interviennent, c'est dans le cadre du cofinancementavec l'État.

L'État a par ailleurs créé un mécanisme de soutien à la desserteinternationale de Strasbourg, piloté et financé par les Affaires étrangères depuis1995 pour améliorer la position européenne de la ville.

Enfin, les collectivités locales peuvent toujours financer seules des lignesaériennes entrant dans le cadre légal européen, mais de tels cas sont devenustrès rares (Brest - Ouessant par exemple). Le système propre à la Corse est bienentendu maintenu.

LA PÉRENNITÉ DES SERVICES PUBLICS

La figure 2 montre que le réseau Air Inter, repris par Air France, amanifestement très bien traversé la perte de l'exclusivité: quasiment toutes leslignes ont été maintenues et sont aujourd'hui opérées selon le principe du libremarché, quoique Air France les exploite généralement sans concurrent(monopole de fait). Elle montre aussi que les lignes qui ont bénéficié du soutiende la DATAR ont moins bien traversé le caractère dégressif et temporaire del'aide, puis les réalités et contraintes du libre marché; de nombreuses lignes ontdisparu dès avant la libéralisation, d'autres après; certaines lignes sont passéessous le régime contemporain des obligations de service public, mais peu ontsurvécu jusqu'en 2005; seul un quart des lignes « ex-DATAR» sont aujourd'huiexploitées selon le libre marché, donc sans soutien public. La figure montreenfin que presque toutes les lignes soutenues par les seules collectivités localesont disparu.

101

La hiérarchie urbaine de la France se retrouve assez bien dans lagéographie des survies après disparition des soutiens publics. Cette dynamiquerégressive ne doit cependant pas masquer le fait que des nouveaux servicespublics ont été créés depuis la refonte de 1995, selon une géographie largementrenouvelée, les collectivités locales semblant tirer les leçons des échecs du passé.En outre, une certaine dynamique de croissance, plus ciblée, est l'œuvre descompagnies low-cost sur des segments particuliers du marché. Parmi cescompagnies, Ryanair reçoit des collectivités locales des financements occultes etpour partie illégaux (Dobruszkes 2005).

CONCLUSION

Les services publics aériens français ont traversé deux bouleversementsinstitutionnels majeurs: la libéralisation du transport aérien par l'VE, quitransforme une liberté de soutien étatique aux réseaux et compagnies en unepossibilité conditionnelle de soutien à des lignes, et la décentralisation.

La libéralisation a imposé un changement des mécanismes de soutien auxliaisons non-rentables, qui fut l'occasion de repenser le système français. Lemécanisme central est devenu un cofinancement de l'exploitation État /collectivités locales (au sens large) sur la base de l'initiative locale, initiativelocale qui était déjà significative dès les années 1970.

Cela étant rappelé, concluons sur l' évolu tion des «services publics»aériens français50 à l'aune du triangle régulation sectorielle/ territoire/ marché.

La libéralisation européenne n'y a, de ce point de vue, finalement guèrebouleversé les choses. Son principal impact fut de briser l'exclusivité dontjouissait Air Inter sur son réseau, mais les concurrents sont peu montés au front.Pour le reste, le soutien à des lignes existait déjà avant la libéralisation, et lesautorités locales étaient déjà impliquées en tant qu'initiatrices des soutienséventuellement cofinancés par l'Etat. Ce dispositif a été renouvelé, mis enconformité avec le droit européen, rendu plus durable (disparition du caractèredégressif des aides DATAR) et a permis de sauver les lignes Air Inter nonrentables. Malgré la décentralisation, les Régions ne se sont presque pas mêléesdes services publics aériens, peut-être à cause de concurrences et « jalousies»entre villes difficiles à gérer. Les autres acteurs (Corse et Affaires Étrangères)correspondent à des cas particuliers. Une partie des évolutions institutionnellesrelève de décisions franco-françaises non influencées par le droit européen.

Depuis la libéralisation du transport aérien, le territoire français, ou plusprécisément les grandes lignes de la géographie de la France, est globalementresté ce qu'il était. Il y a bien l'une ou l'autre ville qui a pu monter ou descendre

50 Service public étant toujours entendu au sens très large, englobant ainsi toutes leslignes qui ont été financées mais également simplement protégées de la concurrencepar les pouvoirs publics.

102

dans la hiérarchie des systèmes urbains, mais le centralisme parisien demeureune réalité telle que les réseaux entre petites villes de provinces ou entre villesde provinces et l'étranger ne répondent souvent pas à une demandesuffisamment importante, même avec subsidiation des services.

Ceci nous mène au dernier sommet du triangle et, selon nous, au véritablefacteur qui a conduit à la disparition de nombreux services publics: le marché.Les réalités de la géographie de la demande de transport ont sonné comme unretour de balancier face à des élus locaux qui trop souvent ont voulu des lignesaériennes comme d'autres réclament des gares TGV ou des accès autoroutiersou aménagent des zones d'activités, sous couvert de développement régional etdu supposé intérêt général. Dans une telle optique, l'intérêt général est souventplus la justification de l'intervention étatique que sa finalité. Ceci n'a puconduire, pour citer Lapautre (1982), qu'à des « formes dégénérées de servicepublic ». Comment s'étonner que celles-ci n'aient guère survécu au temps?

Finalement, si l'adaptation des soutiens publics français aux dessertesaériennes a posé un problème, ce fut entre la France et l'VE, la première s'étantdans un premier temps comportée en mauvaise élève, refusant de se plier à untexte européen qu'elle avait pourtant voté. Mais on ne décèle pas par ailleurs deconflits entre les échelons nationaux et locaux, pourtant monnaie courante (voirla communication de C. Halpern). Il n'y a pas non plus, pour renvoyer auxinterrogations de Douillet (2005), une évolution selon laquelle le territoiresupplanterait le secteur. Plus subtilement, s'agissant du transport aérien qui estpar définition territorialisé et ayant pour but de relier des espaces entre eux, leterritoire est ici présent comme variable structurante forte - structurant lademande de transport - au même titre que l'environnement légal(conditionnant les possibilités d'action des pouvoirs publics et des compagnies).

103

2EME PARTIE:

DANS LA BOITE

A OUTILS

REDISTRIBUTION DES POUVOIRS,REDISTRIBUTION DES CARTES

LA CONNAISSANCE DES TERRITOIRES,ENJEU INEDIT DE L'ACTION PUBLIQUE?

Grégoire Feyt

GrĂ©goire FEYT est maĂ®tre de confĂ©rences Ă  l'Institut de GĂ©ographie Alpinede Grenoble et chercheur Ă  l'UMR PACTE. Issu de l'analyse spatiale et dessystèmes d'information gĂ©ographique (SIG), son itinĂ©raire scientifique etprofessionnel l'a amenĂ© -Ă  des titres et dans des contextes divers- Ă  se concentrersur les questions et les enjeux liĂ©s Ă  l'Ă©mergence de la notion d'informationterritoriale, Ă  l'articulation entre expertises mĂ©tier et dĂ©cision publique, entretechnologies et usages, entre dispositifs institutionnels et initiatives locales...Courriel : [email protected]

r '

1

Appuyée sur un dispositif adnÛnistratif et technique de collecte, de nOY1nalisation et de traitementd'infornlations territoriales (statistiques et cartographiques principalenzent), la connaissance desterritoires est longtemps restée une fonction exclusive -11lais néan1110ins largel11ent subalterne- de

l'Etat. Depuis quelques années, la conjonction des évolutions technologiques d'une part et de la nIiseen œuvre « terrain» de la décentralis{1tion et de l'intercomnlunalité d'autre part, tend à faire de laconnaissance du territoire un enjeu politique autant qu'opérationnel tout à la fois pour l'Etat et pourles collectivités. Cette prise de conscience, tout C011Imeles chantiers qui l'accoI11pagnent, soulève unedouble interrogation en termes d'action publique et d'équilibre institutionnel: les collectivitésparviendront-elles à constituer les dispositifs de connaissance transversale que l'Etat n'a pas sujusqu'alors 11zettre en place? De son côté, l'Etat parviendra-t-il à l11aintenir et faire évoluer le cadre etles 1110dalités techniques et politiques d'une appréhension supra, trans et interterritoriale ?

Abstract: Historically, though held in low regard, territory knowledge used to be a state function. It1-vas based on an adlninistrative and technical system leading to collect, standardize and treatterritorial information (nwinly statistics and cartography). Nevertheless, for a few years, technologicalprogress on the first hand, and on the other hand, the /lin the field" decentralization Ùnplementationand the expansion of intermunicipallinks tended to l11ake territory knowledge beco111ea political andoperational issue for the State and the local authorities. 771is awareness and the works it brings up-rises a double question: 1-vill the local authorities succeed in building the plans of transversalknowledge that the State itself couldn't build? And will the State succeed in nlaintaining andbringing necessary evolutions to the technical and political fralne of a supra, trans and interterritorialapprehension? Pendant longtenzps, la connaissance du territoire a été un attribut régalien. Au coursdes décennies, c'est au travers et au moyen de dispositifs technico-administratifs normés et centralisésde collecte, de traite11zent et de rediffusion de données cartographiques, statistiques et foncières,l1Iétéorologiques que se sont forgées une pratique et une culture de caractérisation et de mesure duterritoire. L'Institut Géographique National, l'INSEE, la Direction Générale des Inlpôts et biend'autres services d'Etat au travers de leurs directions de la statistique, furent et restent des outils-support privilégiés pour la définition de politiques publiques sectorielles ou nationales. Ce schéma

: républicain, cartésien et égalitaire, s'est construit et appuyé sur trois assises se renforçant:I lnutuellement : une spécialisation thé111atique,un nlonopole de droit ou de fait de production ou de II diffusion des données, la constitution de corps professionnels.Aux collectivitésterritorialesétait II laissé le soin de produire et de gérer les données techniques nécessaires à l'exercice de leurs lnissions, iI en liaison parfois avec les services de l'Etat, lesquels pouvant par ailleurs se charger de centraliser et iI ~.~..~=~.~:.:.~~~~~..=.~:...~~~.~~.~~..=~.~=..[~~~~~.~..~:..:.~~.~~~.~~.~.~~...~...:~~...~.~~~.=:...~.~.~.~~.~.~~.~.~:~~..: ..J

107

Dans cette configuration, l'Etat était donc seul en mesure de produire uneconnaissance stratégique du territoire. Cependant, comme le souligne un récentrapport (Jaillet, 2004), force est de constater que même le plus territorial desministères n'avait jamais jugé utile de se doter formellement d'une doctrine etd'une politique de connaissance des territoires. Deux raisons au moinsexpliquent cette absence paradoxale de vision stratégique sur une fonctionpourtant stratégique: d'une part .la technicité des approches qui, couplée à lasegmentation des missions, ne favorise ni culturellement niorganisationnellement la construction d'une connaissance globale et partagée;d'autre part une posture institutionnelle somme toute assez confortableconsistant à voir le territoire « d'en haut» et, partant, à limiter les occasions oumotifs de confrontation problématique entre le système de connaissance établi etla singularité, la fractalité et l'hétérogénéité des territoires considérés.

Pour autant ce système a eu et conserve à l'évidence des vertus, ne serait-ce que dans sa capacité à produire une connaissance qualitativement etquantitativement homogène sur l'ensemble des territoires (pour ne citer que cetexemple, la couverture cartographique au 1/25000 de la France n'a jamais connules zones d'ombre de la couverture en téléphonie mobile ou en haut débit). Il aété et reste par ailleurs capable de faire évoluer en profondeur ses méthodes etde conduire aux plans scientifique et technique des avancées remarquables.Pour ne parler que des acteurs précédemment évoqués, la DG! avec ladématérialisation du cadastre, l'INSEE avec la rénovation du recensementgénéral de la population, l'IGN avec la constitution de bases de donnéesgéographiques très élaborées ont su poser les fondements techniques desapplications futures, certes en négligeant assez largement de prendre en comptel'évolution effective des pratiques et des besoins en la matière au sein desterritoires.

De fait, depuis une petite dizaine d'années ce modèle scienfico-administratif de production d'une connaissance territoriale unitaire et unifiée setrouve simultanément interrogé depuis l'intérieur de l'Etat, interpellé depuisl'extérieur et surtout contourné par les institutions territoriales confortées oucréées par les différentes lois de décentralisation. On se trouve ainsi face à undouble mouvement qui, à l'opposé du schéma des vases communicantsapplicable aux transferts de compétences, tend au contraire à faire de laconnaissance des territoires un enjeu simultanément pour l'Etat et pour lescollectivités territoriales «montantes ». Pour ces dernières l'impératif est dedisposer des capacités informationnelles requises pour assumer leurs missionssur des périmètres, des échelles et des thématiques largement inédites. Du côtéde l'Etat, la culture de la prescription, de la conception et du contrôle qui avaitjusqu'alors prévalu ne conférait à la connaissance sur les territoires qu'uneimportance subalterne: avec la redistribution des compétences opérée au profitdes collectivités, la connaissance supra, inter et transterritoriale devient soudainla carte à jouer pour fonder ou conserver une légitimité technique vis-à-vis descollectivi tés locales.

108

1. L'INFORMATION TERRITORIALE AU CARREFOUR DESMUTATIONS TECHNIQUES ET ORGANISATIONNELLES

Si les raisons de cette -pour l'instant- discrète recomposition etredistribution des cartes tiennent bien entendu aux mutations institutionnelleset territoriales, la manière dont cette mutation s'opère, tout comme son influencesur l'évolution globale du système territorial, ne peuvent se comprendre sansconsidérer la nature même du matériau constitutif de la connaissance desterritoires de plus en plus souvent désigné sous le terme d'information territoriale(Feyt, 2002), et dont proposera ici une brève caractérisation.

De manière très schématique, la notion de connaissance territorialecomprend trois registres consécutifs et clairement distincts à la fois en termes dedispositif technique, de temporalité et de compétences professionnellesmobilisées:

- la collecte et la gestion des données relatives au territoire ou à seshabitants, s'inscrivant nécessairement dans la durée et revendiquant une forme« d'objectivité scientifique» ;

- la compréhension des dynamiques territoriales, appuyée sur unecapacité d'analyse et d'interprétation exercée dans le cadre d'un mandat oud'une perspective, explicite ou non;

- la valorisation de cette connaissance au service des différents temps despolitiques publiques territoriales: prospective, élaboration, concertation,déclinaison, suivi, évaluation, toutes tâches dans lesquelles les critères de qualitétechnique doivent composer avec des attendus et des « entendus» divers, voiredivergents.

Tout au long de ce processus de « raffinage », le terme particulièrementambigu d'information désigne donc à la fois:

- des données ou mesures conçues comme univoques et objectives parleurs producteurs,

-le produit de leur traitement ou de leur combinaison opéré dans unobjectif particulier,

-la démarche consistant à rendre visible et lisible ces productions

Le qualificatif territorial spécifie cette information protéiforme en luiassignant une triple capacité et vocation:

- l'emboîtement des échelles spatiales voire temporelles,- l'articulation des thématiques,-la continuité territoriale.

Implicitement le caractère territorial d'une information l'associe de facto àla chose publique et à ce titre la constitue, au moins potentiellement, comme unobjet politique. Les traductions de cette qualité au plan technique sont tout saufanodines: les étapes obligées de la création d'un système d'information que sontl'identification des inputs et de leurs propriétés (tributaires des trois points ci-

109

dessus) et des objectifs qualité assignés aux outputs (statistiques, indicateurs,cartographies) deviennent alors elles-mêmes des exercices à caractèrepolitique51. On conçoit au passage la difficulté -dans le meilleur des cas- quepeuvent ressentir des ingénieurs imprégnés d'une culture de la modélisation etdu process informatiques face à des objets territoriaux et des objectifs d'actionpublique aux contours par nature souvent indécis.

Appuyée sur la maîtrise de l'information territoriale dans ses différentsregistres, la connaissance des territoires requiert donc à la fois, une importantecapacité opérationnelle et technique, une pérennité institutionnelle et unelégitimité politique. Cette triple exigence en a donc naturellement longtempsconféré à l'Etat la quasi-exclusivité. Cependant, indépendamment somme toutede l'impact des mutations territoriales déjà évoquées et sur lesquelles onreviendra, cette prééminence fonctionnelle s'est trouvée ébranlée par unphénomène d'une toute autre nature: le développement et la diffusion destechnologies de l'information, très rapide à l'échelle du sujet considéré, qui a etcontinue d'intersecter et de modifier en profondeur et parfois brutalement lesfonctionnements et rôles établis.

La fréquente conjonction d'une stratégie de « chasse gardée}) de la partdes directions informatiques ou techniques et d'un manque d'expertise etd'intérêt en la matière de la part des décideurs administratifs et politiquesexplique que la prise de conscience des effets et des enjeux de la dématérialisationde l'information territoriale n'en soit en règle générale qu'à ses prémisses. On enretiendra rapidement ici quelques aspects.

La dématérialisation, c'est-à-dire l'intégration sous une même forme (unesuite de 1 et de 0) dans un même environnement (un ordinateur ou un réseauinformatique) d'informations distinctes de par leur nature (texte, image, carte,son) ou leur support (papier, diapositive, plan, bande magnétique) a introduitdeux modifications majeures dans leur statut:

- la reprod uctibili té, et donc la possibilité (susceptible se transformer enobligation) de les diffuser largement et à un coût marginal;

- la «confrontabilité », autrement dit la capacité (susceptible setransformer en impératif) de combiner, de juxtaposer ou de situer dans l'espacedes informations jusqu'alors physiquement éparses et distinctes.

Combinée à la généralisation de l'informatique et des bases de donnéesdans l'ensemble des niveaux et des fonctions territoriales, cette doublerévolution technique et méthodologique ouvre la porte à la mise en regard ou encorrespondance parfois très ou trop crue de problématiques sectorielles etterritoriales jusqu'alors disjointes. A l'évidence le caractère parfois dérangeantcette vertu combinatoire explique en partie la diffusion somme toute assez

51 Cette difficulté d'instrumenter informatiquement les tenants et aboutissants d'unepolitique publique, tout comme son corollaire naturel qu'est « l'instrumentalisation del'instrument», trouve d'ailleurs une illustration parfaite dans l'article du présentouvrage analysant l'usage en région Midi-Pyrénées d'un logiciel spécifiquement conçupour gérer « collaborativement» les fonds structurels (Marchand, 2006).

110

poussive des systèmes d'information géographique (SIG) au sein desinstitutions territoriales, surtout si on la compare à la généralisation d'autresoutils logiciels pourtant apparus postérieurement (Roche, 2004).

On se s'attardera pas davantage sur la dimension technologique del'information territoriale et ses effets sur la manière dont se construit laconnaissance des territoires. Comme le souligne plus globalement HélèneReigner (dans le présent ouvrage) en plaidant pour une prise en compte plussystématique et approfondie de la dimension technique des objets de rechercheen science politique, il y a là à l'évidence un vrai champ de recherche dans lamesure où cette évolution diffuse et générale révèle incidemment la manièredont, dans l'intimité de ses bases de données locales ou métier, chacune desinstitu tions conçoit le territoire et ses missions. L'enjeu très concret et très actuelest de savoir si la révélation de ces différences de points de vue sur le territoiregrâce ou à cause du langage frustre mais commun qu'impose l'informatisationgénéralisée se résoudra «par le bas» dans un cloisonnement renforcé etrelégitimé par des considérations technologiques plus ou moins recevable, ou« par le haut» en s'appuyant sur les ressources inédites offertes pour construireune « couche supérieure» qui n'est ni plus ni moins que l'information territoriale.

Ces facettes très différentes de l'information territoriale permettent demieux comprendre pourquoi le déplacement ou le partage de connaissances quiaurait dû se produire avec le processus de décentralisation et de recompositionterritoriale non seulement peine à s'effectuer mais tend à révéler de façonsomme toute assez brusque des lacunes, écueils ou angles morts jusque làinsoupçonnés, occultés ou « indolores ». Les organisations, comme les individus,ont souvent tendance à conduire les mutations de façon séquentielle. Dans leprocessus de décentralisation et de consolidation de l'intercommunalité, lesquestions ont été traitées d'abord au plan politique, puis législatif, administratifet organisationnel. Au delà de ce schéma certes caricatural, force est de constaterque la problématique de la construction d'une connaissance territoriale enrapport avec les missions ne s'est souvent posée voire imposée « qu'au pied dumur» face à la nécessité fonctionnelle ou politique de disposer d'un nouveauréférentiel territorial. Les collectivités territoriales comme les ministères« territoriaux» ont ainsi pris conscience, souvent séparément mais parfoisconjointement, du caractère non plus seulement technique et subalterne maiségalement politique et stratégique des dispositifs de connaissance et de partagede connaissance sur le territoire.

2. L'ÉTAT ET LA CONNAISSANCE DES TERRITOIRES.L'ENJEU RETROUVE

Cette prise de conscience s'est forcément effectuée de manière différentepour les services de l'Etat et pour les différents niveaux de collectivités.

111

Ayant largement perdu son rôle d'aménageur, l'Etat a conservé dans sonrapport avec les territoires et leurs représentants trois domaines de légitimité(Jaillet 2004) :

- la gestion des risques et la préservation des espaces sensibles pourlesquelles s'impose la maîtrise de données à caractère scientifique et techniqueen adéquation avec sa culture réglementaire et d'ingénierie;

- dans les espaces en déclin, principalement ruraux, un rôle de soutien, deconseil et d'expertise pour l'exercice duquel il doit disposer de la connaissanceopérationnelle que ces territoires ne sont pas en mesure de produire;

- dans bon nombre de territoires « montants », une mission d'ensemblierlégitime et apte à produire un regard transversal et prospectif qui surmontedans le temps et dans l'espace les points de vue locaux, et ce en s'appuyant surune connaissance territoriale présentant non seulement une forte valeur ajoutéemais de surcroît articulée ou articulable avec la connaissance territoriale encours de construction chez ses interlocu teurs.

Dans tous les cas de figure, la question de la connaissance devient donccentrale, ce qui était loin d'être le cas du temps de l'Etat prescripteur. Lalégitimité de l'Etat à prendre ou à garder sa place dans le débat sur la définitiondes politiques publiques locales, voire dans la déclinaison des politiquesnationales, réside donc désormais dans son patrimoine informationnel et sacapacité à le mobiliser et en réalité à la partager. Cette prise de conscience52 desenjeux informationnels s'est accompagnée d'une reconnaissance, voire d'une(re)découverte des ressources internes disponibles, mais également de la mise enévidence d'un certain nombre de handicaps structurels. Ceux-ci trouvent leurorigine dans un système de valeurs et des modes de fonctionnement déjàévoqués: une culture dominante de la conception ou de l'instruction qui n'ajamais valorisé l'expertise transversale, une tendance à la rétentiond'information pouvant notamment s'expliquer par des réticences à mettre enévidence des disparités territoriales ou des imperfections dans les données; àces causes culturelles peuvent également s'ajouter des contraintes fonctionnellescomme celle faite à l'Institut Géographique National de réaliser, à peu de choseprès avec les mêmes produits et les mêmes « clients-usagers », un grand écartpermanent entre des missions de service public et un impératif de rentabilitécommerciale (Lubek 2005).

Les initiatives déjà engagées par plusieurs ministères, tout comme lespréconisations faites pour l'Equipement dans un récent rapport (Giblin 2006),témoignent d'une mutation profonde à défaut d'être encore effective:développement et valorisation des compétences relevant des sciences sociales etde leurs outils, diffusion et partage de l'information, développement descapacités de débat, production de diagnostic partagé, meilleure exploitation desressources de l'internet... Le virage est annoncé sinon amorcé mais l'issue n'enest pas encore assurée. De ce point de vue l'injonction faite au début des années2000 aux préfectures de mettre en place un système d'information territorial visant

52 Plus ou moins récente suivant les ministères territoriaux: engagée depuis plusieursannées à l'Environnement, en cours à l'Equi pement, récurrente à l' Agriculture. . .

112

à la constitution d'un référentiel commun et d'un dispositif de partaged'information entre les services déconcentrés de l'Etat dans un premier temps etau-delà avec les collectivités, s'est soldé par un bilan plus que mitigé et surtoutextrêmement variable d'un département à l'autre.

3. LES COLLECTIVITES ET LA CONNAISSANCEDES TERRITOI~ES : L'ENJEU DECOUVERT

De leur côté, les collectivités territoriales se trouvent confrontées auxenjeux et injonctions de la connaissance du territoire dans des registres et desperspectives distinctes mais parfois concomitantes voire concurrentielles aveccelles de l'Etat.

Le premier volet procède de la vocation fonctionnelle assignée à laconnaissance territoriale. Confrontés à la nécessité de disposer d'une visionopérationnelle sur l'intégralité de leur périmètre spatial et thématique, les EPCIont rapidement réalisé que le « recollement» de données communales (quandelles' existaient) ne produisait pas naturellement une connaissance d'un territoireintercommunal. La construction d'un référentiel territorial s'impose doncprogressivement comme une démarche transversale obligée allant de pair avecd'une part, la constitution d'une culture technique intercommunale, et d'autrepart, vis-à-vis des élus et habitants, la production d'une représentation à la foisphysique et mentale d'un territoire qui, s'il est bien une réalité administrative etfonctionnelle, reste encore souvent un espace abstrait au plan cognitif et affectif.

La deuxième motivation est d'ordre stratégique et concerne de ce faitplutôt les aires urbaines. C'est notamment le cas des grandes agglomérationsconduites à assumer ou afficher une vocation métropolitaine: fatalementamenées à se doter de capacités de connaissance et de représentation débordanttrès largement leur périmètre administratif, elles revendiquent alorsimplicitement une légitimité à se doter d'une expertise transterritoriale,jusqu'alors apanage de l'Etat.

De par sa dimension identitaire et fédérative, le dernier registre est plusparticulièrement investi par les Régions ainsi que, dans une moindre mesure, lesdépartements et plus rarement -surtout faute de moyens suffisants- lesterritoires de projet du type pays, Leader voire PNR. L'enjeu est en l'occurrencemoins fonctionnel que politique et symbolique: la connaissance territoriale estd'abord abordée dans sa dimension de construction collective par la mise enplace et l'animation de dispositifs partenariaux très œcuméniques se donnantcomme objectif la constitution d'un référentiel unique et commun, l'échange oula mutualisation de données, et plus si entente au travers, par exemple, deplateformes thématiques ou de portails locaux. Ce faisant, les institutionsinitiatrices se positionnent astucieusement et efficacement à un niveau trans-territorial et trans-thématique, en lien parfois avec des services de l'Etat, mais en

113

tout état de cause sur un champ que l'Etat en région n'a pas su fertiliser alorsqu'il en avait les moyens politiques et matériels53.

De manière plus générale et valable pour l'ensemble des territoires, cetteémergence de la connaissance territoriale en tant qu'enjeu technique, identitaireet stratégique est à mettre en regard de la constitution et de l'affirmationprogressive d'une ingénierie territoriale assumant -à défaut de toujours pouvoirassurer- les différentes postures et pratiques professionnelles requises parl'action et la complexité territoriales (voir la contribution de Pierre-AntoineLandel dans le présent ouvrage). De fait les attendus exprimés par lesemployeurs territoriaux en termes de compétences renvoient de plus en plussouvent et clairement à la maîtrise et à l'articulation des trois registresprécédemment évoqués d'usage de l'information territoriale. Sans mettre lemoins du monde en cause les impératifs fonctionnels justifiant cette exigence auplan professionnel, il convient et il conviendra de s'interroger sur les incidencespolitiques d'un mouvement naissant, fortement stimulé par le développementdes TIC, et visant à faire coproduire par les acteurs locaux une représentation etune connaissance du territoire par et pour lui-même54.

La connaissance des territoires relève d'un processus d'accumulation,d'agrégation et d'acculturation de longue haleine. L'ère d'une connaissance«par le haut» ne servant que très marginalement à définir des politiquespubliques marquées avant tout au sceau d'une doctrine générique est enpratique révolue. Parce que leurs missions leur en font obligation maiségalement parce que les évolutions technologiques et commerciales leur endonnent la possibilité, les collectivités territoriales sont en train de construireleur connaissance sur leur territoire. On peut espérer que l'informationterritoriale produite privilégiera une transversalité et une évolutivité desapproches que le système régalien et normé n'a jamais vraiment autorisé.Paradoxalement la question de la place et du rôle de l'Etat en la matière restepourtant plus centrale que jamais. En effet les conséquences d'un éventueleffacement de l'Etat dans la production d'une connaissance des territoiresseraient extrêmement préoccupantes en matière d'articulation cettes foisgéographique et non plus sectorielle des politiques publiques. Passer d'unpuzzle un peu terne mais globalement cohérent à un patchwork bigarré etpassablement ajouré ne constituerait pas forcément un progrès notable. Pourconjurer ce risque de balkanisation de la connaissance territoriale, il n'y pas pourl'instant de réelle subsidiarité à attendre du côté de la Communautéeuropéenne. En effet, face à la diversité et à la disparité des dispositifsinstitutionnels et techniques historiquement mis en place dans la plupart despays européens55, la Commission européenne a choisi au travers de la directive

53 En juin 2005 s'est tenu la 1ère rencontre sur les initiatives régionales en matièred'information territoriale regroupant une quinzaine de régions françaises:http:/ \v\v\:v.afigeo.asso.fr /

54Le succès croissant de Google Earth et de ses avatars ou concurrents tient avant tout àla possibilité offerte à tout un chacun de « poser» sur le socle neutre fourni n'importequel type d'information ou de représentation référée au territoire.

55 On trouvera sur le site www.ec-gis.org/ ginie/ les résultats du programme derecherche GINIE (Geographical Information Network In Europe, achevé en 2004)

114

INSPlRE56 de privilégier la constitution d'une infrastructure de données visant àéliminer les obstacles à l'utilisation et à l'échange d'informations géographiques,et ce en imposant uniquement des règles d'interopérabilité technique auxsystèmes nationaux pré-existants. A ce stade, l'Etat est donc encore et toujoursnécessaire et attendu pour assurer ce que personne d'autre ne fera à sa place entermes de connaissance inter-régionale, d'articulation et de médiation deséchelles, de couverture des espaces flous ou marginaux...

comportant une analyse comparative des systèmes de production et de diffusion del'information géographique aux niveaux européen et international.

56Infrastructure for Spatial InfoRmation in Europe, 2004.

115

ENTRE POLITIQUE PUBLIQUE ET ACTION

PUBLIQUE: L'INGENIERIE TERRITORIALE

Pierre-Antoine Landel

IngĂ©nieur en agriculture, spĂ©cialisĂ© en Ă©conomie, Pierre-Antoine Landel aexercĂ© durant 20 ans diffĂ©rentes fonctions d'encadrement dans les collectivitĂ©sterritoriales. En 2000, il a rejoint l'UniversitĂ©, en tant qu'enseignant chercheurintervenant dans le champ de l'Ă©conomie territoriale. Il est actuellement MaĂ®trede ConfĂ©rence Ă  l'Institut de GĂ©ographie Alpine au PACTE-Territoires. Sestravaux portent sur les modes de construction et de valorisation des ressourcesdes territoires. Courriel : [email protected]

................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

I Résumé i: :

i La territorialisation des politiques publiques est accompagnée de l'émergence de iI

l'ingénierie territoriale. Sont mises en avant des exigences de transversalité, d'aptitude à laI

i médiation entre des acteurs multiples et de connaissance des systèmes de normes générés iI

par chacune des institutions. Elles s'inscrivent dans des processus de constructions deI.'projets de territoires dominés par des relations de compétition. L'ingénierie territoriale ne

trouve son sens que lorsque les acteurs dépassent ces relations, pour résulter de processusde capitalisation et permettre la production de l'action publique.

Abs tract

The territorialisation of the public policies is accompanied with the emergence of theterritorial engineering. The requirements of capacity in the mediation between multipleactors and knowledge of the systems of standards generated by each of the institutions areadvanced. They join processes of constructions of territories projects dominated byrelations of competition. The territorial engineering finds good direction only when the

!

:.

~

;;::;

actors exceed these relations, to result from process of capitalization and allow theI

;;::

:;;.

production of the public action., ,

117

L'ingénierie territoriale introduit dans les collectivités territoriales desrègles de fonctionnement gestionnaires révélatrices d'une quête de« compétitivité ». Le principe de distinction tend à devenir un des facteursprépondérants de l'organisation de l'espace. En résulte une fragmentation desterritoires, à l'image d'une marqueterie qui paverait l'ensemble de l'espacenational. On peut toutefois s'interroger sur les logiques qu'elle révèle du pointde vue de la production des biens collectifs.

Malgré la diversité des modèles, notre hypothèse est que ce mode demanagement s'inscrit dans le mouvement général de mise en concurrence desterritoires, au travers d'un processus de marquage par la mobilisation deressources et de production de modes d'organisations spécifiques. La questionposée porte sur le sens de ce double processus d'ancrage territorial des activités,mais aussi de technicisation qui accompagne la territorialisation des politiquespubliques. Cette évolution transforme le système de représentation locale endiluant la dimension politique de la société dans des jeux d'acteurs complexes.

Deux étapes marqueront notre réflexion: l'observation du passage del'ingénierie publique à l'ingénierie territoriale, puis un essai de caractérisationde cette dernière. En conclusion, nous nous interrogerons sur les conditionsdans lesquelles cette ingénierie accompagne le passage de la politique publiqueà l'action publique.

1. DE L"INGENIERIE PUBLIQUE

A L"INGENIERIE TERRITORIALE

Parmi les disciplines d'application des politiques publiques, l'ingénieriepublique occupe une place importante. Après des décennies de mise en place,qui ont abouti à la construction de corps administratifs stables, ladécentralisation a été l'occasion d'une mutation qui aboutit à l'ingénierieterritoriale. Chacune des phases a été l'occasion d'une production deréférentiels, superposés avec des intensités variables selon les collectivités.

UNE MARQUE DE FABRIQUE: L'INGENIERIE PUBLIQUE

L'ingénierie publique s'est développée en parallèle au développement desbesoins de l'Etat et des collectivités territoriales. Dominée par des objectifs deservices publics, elle repose sur des corps de l'Etat, organisées selon despostures professionnelles hiérarchisées et homogènes. L'objectif est de répondreà des impératifs de planification et d'aménagement définis à un niveau central.

A partir de 1982, l'installation des nouveaux exécutifs régionaux oudépartementaux est marquée par la mobilisation de moyens humains etfinanciers. Au départ, la référence reste celle d'un positionnement vis à vis desservices de l'Etat. Elle s'exprime au travers des modes d'organisation desservices et de recrutement des cadres (Thibault de Silguy 2003). Elle traduit uneapproche de la décentralisation conçue comme un essai de fractionnement de

118

compétences, exercées par des collectivités intervenant sur des territoiresclairement délimités, sur lesquels s'affirme une autorité. Dans le principe, il n'ypas d'interrelation entre les différents niveaux de compétences (Calame 2003).

LA PERTE DE SENS ET LA PRODUCTION DE NORMES

Au-delà de l'explicite identifiable au travers des lois et décrets, la pratiquemet en évidence une impossibilité à partager les compétences de façon claire. Apartir de 1985, le principe de spécialisation se dilue. Le développement despolitiques régionales européennes incite chaque niveau de compétence à jouersur le champ des autres de manière directe ou indirecte. Se pose alors laquestion du sens des politiques locales et de l'articulation entre les différentsniveaux d'intervention.

En réponse à la confusion des rôles, les collectivités développent desmodes d'agir spécifiques, qui se traduisent par la multiplication de règles et denormes. L'identité de la collectivité est de plus en plus délicate à entrevoir autravers de effets directs de son action sur les territoires. En complément du rôledu discours, Hélène Reigner (dans le présent ouvrage) met en avant lesdimensions techniques de l'action. Les collecti vi tés vont se différencier par lesmodalités de leurs interventions tout au long du processus de production desservices collectifs. Les formes en sont évolutives. Elles peuvent être d'ordreréglementaire, organisationnelle et financière. Ainsi Xavier Marchand- Tonel etVincent Simoulin montrent-ils (dans le présent ouvrage) comment l'introductiond'un logiciel de gestion dans la gestion des fonds européens favorisait uneredéfinition du champ des acteurs dans le processus du développementrégional.

LE DEVELOPPEMENT DE PARTENARIATS AU SERVICE

DE L'OMNIPRESENCE DU PROJET

La notion de projet articule la définition d'objectifs à la mobilisation desressources permettant de les atteindre (Boutinet 2001). Elle reflète la capacité desterritoires à proposer des modes d'organisation différenciés au travers d'uneindividualisation des parcours et d'une spécification des ressources. En cela, leprojet s'inscrit dans le mouvement de mise en compétition des territoires. Leprojet implique un contenu spécifique, non reproductible d'un territoire à unautre du fait de l'organisation qui le porte et des différentes temporalités qui lescaractérisent (Garel 2003). La multiplication des conventionnements entre despartenaires de nature très diverses (Etat, collectivités, associations, entreprises)illustre cette façon d'agir commune.

L'ingénierie permet de poser la question du positionnement des acteurstout au long du cycle de l'action publique territorialisée : l'identification de lademande sociale, la mise à l'agenda de cette demande, la définition des objectifs,l'adéquation avec les moyens permettant de les atteindre, la recherche departenariats, la réalisation en conformité aux normes budgétaires,réglementaires et temporelles, l'évaluation, constituent autant de champspossibles d'intervention de cette expertise. A côté de la permanence de logiques

119

de service, la logique de projets s'impose comme le référent essentiel. L'agentterritorial y trouve l'opportunité d'afficher une spécificité au regard de l'agentde l'Etat. Il y construit aussi une possibilité de positionnement par rapport auxélus.

LA SPECIFICITE DES PROJETS DE TERRITOIRE

Ils apparaissent comme des constructions d'acteurs multiples, qu'ilssoient publics et privés, sur un espace donné doté de ressources spécifiques, leplus souvent en réponse à un ou des problèmes (Pecqueur 2000). Ces ressourcesrésultent d'un processus de construction permanent, en opposition à«d'hypothétiques ressources, traditions et savoir-faire ancestraux, quasimentfixés par la nature» (Brunet 2005).

La construction des territoires de projets pose des problèmes inédits, entermes de gouvernance au sens de l'organisation et de la répartition desresponsabilités entre les acteurs. Emerge un nouveau mode d'action: celui quedéveloppe un acteur coordinateur dont la compétence résulte plus d'unecapacité à coordonner des normes hétérogènes que d'une autorité réelle. Doté decette ressource, les porteurs du projet de territoire acquièrent une légitimité àcontractualiser avec différents intervenants. La terminologie émergente est cellede la médiation. La démarche est peu à peu affinée, au travers de la définitiondu projet de territoire, pour laquelle quatre types de compétences sontidentifiées: le diagnostic de territoire, la prospective territoriale, lacontractualisation et l'évaluation. De multiples représentations mettent enévidence la complexité de ces constructions territoriales (Debarbieux Vanier2002a). Au-delà des considérations techniques, Grégoire Feyt souligne (dans leprésent ouvrage) l'importance stratégique de la maîtrise du diagnostic.

Le questionnement principal se stabilise autour des relations entrel'expérience et la connaissance dans le champ du développement local et del'ingénierie territoriale. Les deux termes sont considérés comme étroitement liés,indispensables l'un à l'autre. Pourtant, l'expérience cumulée par les élus,techniciens et autres acteurs ne fait pas une connaissance transmissible. Si laformalisation des expériences est indispensable pour la construction et lerenouvellement des équipes, la formation des agents de développementterritoriaux, la compréhension des problèmes liés à la territorialisation despolitiques, chacune d'entre elles reste inscrite sur des espaces donnés, et résulted'un jeu d'acteurs spécifique. En parallèle, la recherche sur le territoire sedéveloppe, tout en restant confrontée à l'exigence de transdisciplinarité qu'elleimpose. En proposant le champ de la capitalisation, comme processuspermettant la confrontation entre acteurs, nous posons l'hypothèse que laconstruction de l'ingénierie territoriale nécessite de dépasser les relations decompétition qui existent entre eux (Sebillotte 2000).

120

2. UN PROCESSUS DE CAPIT ALISAYION

D'après une étude réalisée auprès d'acteurs, de prescripteurs et dechercheurs, (INDL-DIACT, 2006) le terme d'ingénierie territoriale apparaît« officiellement» lors d'un Comité Interministériel pour l'Aménagement et leDéveloppement des Territoires (CIADT), en septembre 2003. Elle y est définiecomme «l'ensemble des savoir-faire professionnels dont ont besoin lescollectivités publiques et les acteurs locaux pour conduire le développementterritorial ou l'aménagement durable des territoires» et complétée par« l'ensemble des concepts, outils et dispositifs mis à la disposition des acteurs duterritoire pour accompagner la conception, la réalisation et l'évaluation de leursprojets de territoire».

L'ingénierie territoriale résulte d'un processus d'apprentissage réciproqueet de construction propre à chaque territoire, en fonction de l'ancienneté del'organisation des acteurs et de l'accumulation de connaissances établies sur cesterritoires. Elle répond de façon différenciée et spécifique à des problèmes denatures très différentes posés à une multitude d'échelles. Pour répondre à lacomplexité, elle doit intégrer des dimensions d'incertitude, de hasard,d'imprécision. En opposition aux corps constitués, elle est le fait de « posturesprofessionnelles éclatées» au sein de structures multiples, porteursd'intentionnalités diverses (Gumuchian et al. 2003).

DES ACTEURS MULTIPLES

Au regard de ces approches, l'ingénierie territoriale est difficile àcaractériser. Si quelques points la rapprochent de l'expertise, au sens où elle estportée par des acteurs issus de champs très divers, sa production ne résulte pasd'une commande précise. Elle résulte d'un processus de capitalisation, partantcertes de l'expérience, mais intégré dans un processus de transformationnécessitant réflexion et débats contradictoires. Le terme le plus souventrencontré est celui de coconstruction plutôt que celui de commande, et traduit ànouveau cette absence de hiérarchie entre les acteurs.

En effet, si les acteurs publics conservent par définition leur légitimité àproduire de la politique publique, le désengagement de l'Etat induit desrecompositions rapides. En France, et dans nombre de pays développés, l'Etat,voire les échelons supranationaux tels que l'Union européenne accompagnentun mouvement d'élargissement de l'action publique. Ces dynamiques devraientengendrer une multitude de trajectoires. En fait, l'observation des projets deterritoire mis en place au niveau culturel dans le cadre de la procédure Leader +(Landel Teillet 2003) met en évidence une relative homogénéité des projets, enaffirmant la suprématie des approches patrimoniales. Cette observation pose laquestion de la capacité réelle des territoires à innover dans la construction desprojets.

121

LA QUESTION CENTRALE DE L'AUTONOMIE TERRITORIALE

Les territoires sont bridés par des "points de passage obligés" tels que lacompétitivité territoriale, le développement durable, la bonne gouvernance,l'égalité hommes femmes ou la démocratie participative. Ils résultentd'injonctions secrétées par d'autres niveaux de compétences, qui les instituenten tant que norme d'accompagnement de tout projet de territoire. Malgré lesbonnes intentions, en normalisant et en institutionnalisant les pratiques, l'actionpublique réduit les possibilités positives de ces concepts ou crée les conditionsde leur contournement, à la fois par les porteurs de projets, mais aussi par lesinstitutions qui ont secrété ces normes.

Le discours sur le projet de territoire amène à poser la question de lacapacité des acteurs à participer à un projet, au travers duquel ils pourront fairepreuve d'une autonomie suffisante pour leur permettre de mobiliser desressources spécifiques au territoire. En ce sens, les valeurs recherchées serontcelles de l'autonomie et de la liberté de développement. La notion d'autonomieterritoriale reste délicate à aborder, et différentes approches mettent en avantl'autonomie financière et politique. La première s'apprécie au regard du degréde dépendance financière vis-à-vis d'autres collectivités dans la définition et lamise en œuvre de projets. Le second dépend de la capacité pour un territoire àcoordonner des acteurs externes autour d'un projet clairement identifié.

Devant la multiplication des centres de décision, la complexité desprocédures, et la volonté d'expression portée par des acteurs multiples, émergela notion d'action politique locale, aux contours plus flous. Ce mouvement estcelui des acteurs territoriaux, qui inscrivent leur développement dans deslogiques de spécification de leurs produits sur les marchés, afin d'échapper auxconséquences des concurrences par les prix. Ce faisant, ils vont construire desliens au territoire et construire des stratégies transversales, avec d'autres acteurset d' au tres produits.

Ainsi, il y a une sorte de débordement de la politique publique qui nepeut plus être le fait unique du pouvoir public, avec des investissements deproducteurs privés qui comprennent l'obligation de sortir des logiques decompétition. La nécessité de développer des formes d'ancrage aux territoires,permettant d'échapper aux formes classiques de concurrence par les prix, incitenombre de nouveaux acteurs à participer à la production de l'action publiqueterritorialisée. L'ingénierie territoriale est un des opérateurs de cettetransformation.

122

L.EVALUATION ENTRE OPPORTUNITE ET EFFETS

Nicolas Matyjasik & Ludovic MĂ©asson

Nicolas Matyjasik est doctorant au CNRS-CERVL (Bordeaux). Il mène untravail de thèse sous la direction d'Andy Smith, consacré à l'institutionnalisationde l'évaluation au niveau local. Ses champs de recherche portent plusgénéralement sur l'analyse des politiques publiques et leur évaluation.Courriel : m.atyiasik.nicolas@\vanadoo.fr

Ludovic MĂ©asson est doctorant Ă  l'UMR PACTE-Territoires (Grenoble).Sous la codirection d'Olivier Soubeyran (gĂ©ographie) et d'Alain Faure (sciencepolitique), il rĂ©alise une thèse sur l'Ă©volution de la relation entre territoire etaction publique et s'interroge sur ses modalitĂ©s d'Ă©valuation.Courriel : [email protected]

................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

i

:.

~

::::::::.

:éS;a:~r des années 90, les dispositifs d'évaluation des politiques publiques se son t!

.':::::::!:'

multipliés en France, notamment en matière d'action publique territoriale. Dans ce cadre,la réalisation de l'exercice évaluatif est principalement confiée à des acteurs privés, les

I::::::

cabinets de conseil. Ces derniers proposent aux collectivités locales une approche de I::::::.

l'évaluation dont ["adéquation avec la nouvelle donne territoriale n'est pas évidente. Aprèsavoir mis en exergue la création d'une « industrie évaluative» et ses composantes,cetarticle se propose d'analyser la dichotomie entre les normes véhiculées par lesprofessionnels de la consultance et les évolutions de ['action publique territoriale.

Abs tract

Evaluations of public policy have multiplied in France since the 90's, in particular onesrelated to territorial public action. In this respect, the execution of evaluations task ismainly entrusted to the private sector, i.e. the consultancy firms. These firms offer localauthorities an evaluation approach in which does not necessarily fit with the newterritorial order. After highlighting the creation of the «evaluative industry» and itscomponents, this article proposes an analysis of the dichotomies between the normsdeveloped by consultancy professionals and the evolution of territorial public action.

................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

123

Les tendances actuelles de l'analyse des politiques publiques mettent enavant la place de nouveaux acteurs notamment les experts (Dumoulin LaBranche 2005) intervenant de manière de plus en plus prégnante dans lesprocessus de fabrication et de mise en œuvre des politiques publiques.Néanmoins, la place de ceux-ci dans la dernière phase traditionnelle d'unepolitique publique, l'évaluation, reste peu connue.

L'évaluation de l'action publique locale apparaît aujourd'hui, selon PascalLaborier et Daniel Gaxie, principalement confiée à des cabinets de consultantsprivés qui « sont souvent placés sous la dépendance commerciale du donneurd'ordre» et qui dans un souci de rapidité et de rentabilité (contrainteséconomiques) se contentent d'études relativement sommaires (Gaxie Laborier2003, p. 211). Pour autant, l'introspection du monde évaluatif local reste ensuspens et peu de travaux ont exploré le rôle des chargés d'évaluation externeS7dans le mécanisme.

Ainsi, l'origine de notre réflexion réside dans la conviction profonde queles consultants en évaluation (et plus globalement les cabinets de conseil)possèdent une responsabilité importante dans l'exercice évalua tif nonobstant larelation contractuelle, marchande, qui les noue aux commanditaires.

Quelle est alors la capacité des consultants à faire circuler des idées quiiraient transformer les croyances et les pratiques évaluatives dans lescollectivités publiques? Quelle est l'influence normative de l'évaluation sur lespolitiques publiques dans leur conception et leur conduite? Ces questionss'inscrivent dans une perspective de type « knowledge of », entendue commeune posture qui s'attache à analyser comment les normes, les théories véhiculéespar les experts affectent les politiques publiques (Saint Martin 2004, p.209). Cetteapproche postule que les instruments de l'action publique ne sont pas« axiologiquement neutres» (Lascoumes Le Galès 2004, p.13).

Nous orienterons notre contribution autour de deux axes principaux.Dans un premier temps, nous caractériserons le développement d'un espace duconseil en évaluation des politiques locales puis, dans un second temps, nousopérerons une lecture de la vision évaluative des consultants en évaluation.

LA CONSULTANCE EN EVALUATION: STRUCTURATIONET EMERGENCE D'UN SA VOIR-EXPERT

L'émergence de savoirs experts ne peut pas être étudiée indépendammentdes évolutions des groupes sociaux et des institutions qui en sont porteurs.

57 Notons à titre liminaire que nous entendons par chargé d'évaluation externe, lapersonne qui réalise les travaux d'évaluation sur la base du cahier des charges établispar les commanditaires. Selon nous, dans le cadre des évaluations des politiqueslocales, le chargé d'évaluation externe est caractérisé principalement par les traits duconsul tant privé.

124

Ainsi, il convient de mettre en exergue le fait que l'action publique adéfini en grande partie l'étendue et la nature du mandat assigné aux consultantsen évaluation. Processus de décentralisation, transfert de pouvoir vers le local,enchevêtrement des niveaux de compétence, croissance des interventionspubliques, poids grandissant des collectivités locales, mouvement derationalisation du secteur public ont, de manière cumulative, suscité unedemande évaluation au sein de l'administration territoriale et par voie de faitcontribué à la constitution d'un nouveau marché d'expertise.

DES TENTATIVES DE REPONSES

Mentionnons ici le fait que l'évaluation est apparue et s'est développée enpr~n;ïer ~ieu so~s le poi...d~des contrain~es ju~idi~ues, des textes réglementairesqUII ont Imposee aux decldeurs et fonctionnaIres 8.Par exemple, la circulaire du25 août 2000, dite "circulaire Jospin", rend obligatoire l'évaluation dans lesprocédures contractuelles (contrat de pays, d'agglomérations, Parcs NaturelsRégionaux, etc). Néanmoins, un semblant de culture évaluative (véritablesocialisation ou besoin ?), fruit des dynamiques engendrées, tend aujourd'hui àse mettre en place.

En effet, les différents acteurs de l'action publique tentent de trouver desmoyens pour gérer, organiser, piloter cette complexité croissante, ce sfumatoterritorial et à en améliorer la cohérence. L'évaluation est justement présentéecomme un outil permettant de rendre « visible» et « lisible» l'action des pouvoirspublics. En somme, plus l'environnement est incertain et instable, plusl'évaluation est utile (Monnier 1992). D'ailleurs, certains voient même à traversl'échelon territorial le champ d'action approprié de l'évaluation « car c'est à ceniveau que peuvent être appréhendés les résultats des actions publiques»(Lamarque 2004, p. 81). Ces différents arguments expliquent au moins formelle-ment pourquoi l'évaluation est de plus en plus mobilisée, soit de manièrespontanée, soit parce qu'imposée dans le règlement des politiques publiques.

Face à ces besoins des élus et de l'administration, un espace du conseil enévaluation a progressivement émergé depuis les années 80. Une dynamique del'offre a donc répondu à cette dynamique de la demande.

Pour les cabinets de conseil, l'évaluation constitue alors un marché enpleine expansion, comme le concède Reinhard Angelmar qui estime que« l'évaluation n'est pas seulement une idée, mais aussi une véritable industrie»(Angelmar 1984, p. 115). Se greffant sur les activités traditionnelles de conseilauprès du secteur public (apparues dès les années 60), les cabinets de conseil ontinvesti la brèche entrouverte.

Précisons cependant que ce schéma unilatéral « une demande engendrantune offre» est quelque peu réducteur. En effet, il apparaît que certains cabinets,pionniers en matière évaluative ont trouvé les ressources nécessaires (réseaux,

58 Malgré toutefois des initiatives « spontanées» en région et dans les conseils générauxau début des années 90 (Horaist 1992).

125

innovations méthodologiques) pour susciter une demande de certainescollectivi tés.

Cette situation évaluative constitue t-elle alors seulement « la rencontred'une conjoncture problématique et d'un savoir spécialisé» (Restier-Melleray1990, p. 549) ?

UN PREMIER VISAGE DE L'INDUSTRIE DU CONSULTING

Les conditions de développement d'un marché étant brièvementexposées, nous proposerons ici un rapide panorama des cabinets intervenantdans le champ de l'évaluation des politiques publiques59. En France, lesfrontières du marché de l'évaluation demeure encore assez floues en raison d'unmarché de création récente et fragmenté mais assez concurrentiel. Au total, prèsde 150 cabinets de conseil interviennent sur la scène évaluative. Concentrésprincipalement dans la région parisienne (une cinquantaine de structures) et enRhône-Alpes (une vingtaine de cabinets), les firmes de conseil ne semblent pasavoir pour principale activité la réalisation d'évaluation.

Ainsi, seulement une minorité de cabinets (2 entités) ont dans leur palettede compétences l'évaluation comme dominante exclusive au travers de travauxd'évaluation proprement dit, d'assistance à maîtrise d'ouvrage ou de formationà l'évaluation (les trois composantes du marché).

Au contraire, la majorité des cabinets privés mène en parallèle de leurintervention évaluative, des activités de conseil auprès du secteur public(diagnostics, études) dans des champs sectoriels diversifiés (développementéconomique, développement territorial, politiques d'emploi et d'insertion ouencore politiques sociales).

En d'autres termes, l'évaluation ne serait qu'une facette, qu'un pan dumarché du conseil auprès du secteur public. Certains consultants relevant mêmeque «pour un cabinet ou pour un consultant, ce n'est pas forcément sain d'êtreuniquement sur de l'évaluation... L'évaluation est un exercice complexe, souventcoûteux en termes d'investissementl en termes de prudencel de capacité à anticiper lesjeux d'acteurs. On a besoin souvent de souffler avec d'autres missions qui sont moinscomplexes à gérer, avec des enjeux moins forts» (entretien avec un consultantspécialisé en évaluation depuis les années 90).

De surcroît, le tissu des cabinets intervenant au niveau local est caractérisépar des entités de faible taille (moins de 20 salariés) et le poids des « big five»,les cabinets de conseil anglo-saxon, apparaît limité. Ces derniers préfèrent seconcentrer sur l'évaluation des fonds européens, probablement parce que plusrentables et rentrant dans des standards internationaux qu'ils maîtrisent mieux.

59 Les éléments produits ici sont issus d'un dépouillement des annuaires professionnelsdes consultants officiant auprès du secteur public. Ce premier travail a été égalementcouplé avec une analyse des évaluations conduites dans le cadre des CPER 2000-2006afin d'identifier les cabinets intervenus. Actuellement, nous effectuons des entretienssemi directifs auprès de consultants dans le but de mieux saisir la réalité évaluative.

126

Par ailleurs, une opposition assez tranchée doit être ici soulignée entre lescabinets qui estiment que l'on ne peut pas être «évaluateur sans êtreméthodologue» et les firmes qui posent la connaissance de la poli tique évaluéecomme condition première de l'exercice évaluatif. Autrement dit, lesméthodologues s'opposeraient aux experts.

Que traduisent concrètement ces résultats? Tout d'abord, ces donnéesprésentent bien la difficulté de saisir un ensemble homogène de pratiquesprofessionnelles, de sentiment d'appartenance à une profession tant les cabinetsde conseil possèdent des postures méthodologiques, intellectuelles disparates;comment alors considérer ces évaluateurs externes: communauté deprofessionnels? Mercenaires indépendants? Consultants spécialisés? Parconséquent, l'évaluation est-elle une activité de conseil comme les autres? Enoutre, cette hétérogénéité des situations fait apparaître des différences detrajectoires professionnelles des consultants qui réalisent des évaluations avecpour point de convergence une tendance à l'apprentissage des compétences « enmarchant» . . .

2. Ev AL UA TION ET ACTION PUBLIQUE TERRITORIALE.RELATIONS ET DIVERGENCES

La partie précédente a montré qu'un milieu professionnel propre àl'évaluation émerge progressivement et rencontre dans le même temps lamontée en puissance d'un champ spécifique, l'évaluation des politiquesterritoriales. Ce mouvement est peu structuré, évoluant au gré du marché del'expertise. L'absence en France de lieu de capitalisation des expériencesd'évaluation semble avoir une conséquence inattendue qui est à certains égardsproblématique. La formation « sur le tas» des évaluateurs favorise la diffusiond'un cadrage théorique général - l'approche française de l'évaluation - assezouvert et peu contextualisé qui apparaît de plus en plus en contradiction avecl' évolu tion de l'action publique territoriale.

ENTRE ANALYSE ET ACTION

Schématiquement, l'évaluation se trouve à l'intersection entre la recherchescientifique sur l'action publique (policy science) et l'action publique elle-même.En ce sens, elle appartient à la policy analysis (Spenlehauer 2003). La policy sciencetente de conceptualiser l'action publique en répondant à la question: « qu'est cequ'une politique publique et comment fonctionne-t-elle ? ». Sur cette base, elleproduit des «outils» pour aborder l'analyse de l'action publique quel'évaluation saisit pour construire son propre corpus théorique etméthodologique. Mais ces outils sont remis en cause par l'évolution de l'actionpublique et, par conséquent, doivent en permanence être actualisés. La vitalitéde la relation entre policy analysis et policy science assure donc la pertinence del'évaluation dans le temps (cf. schéma ci-après).

127

Relations « action publique - policy analysis - policy science»

-------------------------------------------~~~~~~

""'~

/// SOCIÉTÉ ~',, ,l ,

I \, \I J\ AcHon /" pub lique /'

""

Système

politico-

~//

", admicis~atif ~~~~

~:::_~:::----~~--~\ ,

~~ -, ~~ ~/ ~/ ,

// Expertise / "~

-,..,, Ă©valuation "~'

, --- ,// I -__, \,/

"" "

1\

"Recherche : ' ,

"~ scientifique ~ ""', Po licy !\ ' " analysis:

" Outils \"", d'analyse des:

"", politiques / //

" Policy science / /'-,-- ~',~// ,~~/

:~::~><~:~~-----------

Ce va-et-vient entre policy science et policy analysis est assez peu développéen France comme le constate Bernard Perret: «il n'existe pas en France unintérêt « autonome» du monde académique pour l'évaluation qui produise unecapacité d'accumulation, de savoirs méthodologiques et de capitalisation desrésultats de l'évaluation à l'intérieur de l'Université »60. Le potentiel de réflexionsur l'évaluation est concentré au sein de deux structures: la Société Française del'Evaluation (SFE) et le Conseil National de l'Evaluation (Conseil Scientifique del'Evaluation jusqu'en 1997). Ce dernier a accompli un véritable travail dedocumentation et de synthèse de diverses expériences au cours de la premièremoitié des années 9061. Depuis, ses productions semblent plus formelles

60Perret B., séminaire MAP, UMR PAcrE, 7 mai 2004.61 Le laboratoire CEOPS (Conception d'Evaluations pour les Organisation et les Politiques

publiques) a également participé à cet exercice entre la fin des années 80 et le début desannées 90.

128

(rapports annuels) et dressent un bilan de l'évaluation plus qu'elles neparticipent à une véritable réflexion. Par ailleurs, la SFE ne possède pas (ou pasencore?) les moyens financiers et humains pour enclencher une dynamiquestructurante et propose plutôt une animation du milieu professionnel del'évaluation.

DIVERGENCES

Le constat précédent serait moins inquiétant si l'action publiquen'évoluait pas si rapidement sous l'effet de sa territorialisation (Faure 2004). Ladécentralisation, conjointement à la complexification spatiale de la société(Debarbieux Vanier 2002a, p. 263), engendre une multiplication des espacesd'intervention publique (Giraut Vanier 1999). Au-delà du débat sur l'adéquationentre territoire fonctionnel et territoire politique, cette effervescence territorialeoffre aux acteurs de nouvelles opportunités d'action (Offner 2006). Lespolitiques publiques sont alors moins constituées que constitutives, c'est-à-direqu'elles peuvent aujourd'hui être perçues comme des cadres au sein desquels lesacteurs s'accordent progressivement sur l'action (Duran Thoenig 1996).Finalement, c'est le paradigme « un territoire, un mandat, un projet» qui se voitremis en cause (Debarbieux Vanier, 2002b, p. 20). La souveraineté territoriale(Alliès 1980) cède le pas à l'interterritorialité (Vanier 2005) et la question deslimites s'appréhende sur le registre de la membrane plus que sur celui de lafrontière (Vanier 2002). Les projets politiques deviennent multi-scalaires (JambesTizon 1997, p. 157). La relation entre les niveaux territoriaux se renouvelle ettend à une « dissociation entre l'institution et la régulation» (Behar 2002, p. 28).Enfin, les décideurs ne renoncent pas à décider mais ils assument progressi-vement une conception incrémentale de la définition des choix politiques au filde l'action (Pinson 2004, p. 208). Créer les conditions de l'action dans uncontexte devenu incertain, voilà sans doute la clef pour améliorer lacompréhension de l'action publique territoriale.

Comment les évaluateurs intègrent-ils ces tendances de fond dans leursmodèles ?62Très tôt, l'évaluation a été abordée par le prisme politique plutôt queméthodologique. C'est la légitimité des résultats autant que leur rigueurscientifique qui sont en jeu. Cette approche a le mérite de placer l'utilité socialede l'évaluation au centre de la réflexion (Monnier 1992, p. 102). Le point centralde cette démarche est l'élucidation de la «théorie de l'action» collective quifonderait - devrait fonder? - les politiques publiques63. L'évaluationorganiserait donc le partage du sens (Conan 1998, Monnier 1992) et seprésenterait comme un outil de management public visant à mettre à jour la«théorie de l'action pour la traduire en une arborescence d'objectifs» 64. Ilsemble que l'approche française de l'évaluation se retrouve pour que lespolitiques publiques respectent au plus près le schéma séquentiel de Charles O.

62Pour le détail de cette analyse et l'exposé de la méthode, se reporter à (Méasson 2005).63Perret B., Séminaire MAP, 7 mai 2004.64 Dupuis J., entretien, 20 décembre 2004.

129

Jones65: 1 - définition du problème; 2 - choix des solutions; 3 - mise en œuvredes décisions; 4 - évaluation Gones 1970). Celle-ci est même parfois qualifiée« d'évaluation conception» (Toulemonde 1997).

La territorialisation de l'action oppose des difficultés sérieuses à cetteapproche. La dimension partenariale se traduit régulièrement, au regret desévaluateurs, par une absence de stratégie collective claire. Les évaluateurs nepeuvent alors pas s'appuyer sur une arborescence d'objectifs pour cibler lerecueil d'informations. Ils considèrent souvent que cela est la conséquence de lanon-clarification des responsabilités et de l'autonomie de décision limitée desdécideurs. En réaction, certains évaluateurs développent progressivement lanotion d'évaluabilité. Une politique publique est évaluable s'il existe un certainprofessionnalisme dans l'écriture des programmes66: stratégie collective etarborescence d'objectifs. E. Monnier ajoute qu'il doit y avoir une proximité forteentre l'échelon politique et l'échelon technique, un décideur légitime (au sensquasi-juridique du terme), qui dispose d'une autonomie de décision et qu'il doitexister une communauté de valeur au sein du système d'acteurs67.

3. LA RESPONSABILITE DES EV ALUATEURS

Il Y a une quasi-contradiction entre l' évolu tion de l'action publiqueterritoriale et la manière dont l'évaluation conçoit l'action publique. La premières'émancipe progressivement de ses cadres traditionnels tandis que la secondetend à restaurer ces cadres. On pourrait penser qu'il s'agit d'un problèmeméthodologique. En fait, il s'agit aussi d'un choix politique - de philosophiepolitique - qui concerne la conception de l'exercice de l'autorité.

Pour le comprendre, il faut revenir à la relation entre évaluabilité etefficacité. L'évaluabilité, telle que présentée précédemment, suppose un degréd'intégration politique fort des territoires afin d'accéder au formalisme requispour l'évaluation. La logique est donc de tendre vers le modèle « un mandat, unterritoire, un projet» ce qui est en contraction avec les territoires mouvants etcomplexes qui émergent. La lecture de certains rapports d'évaluation laissepenser que la faible évaluabilité d'une politique serait synonyme d'une« instrumentalisation» politique et d'une «logique de guichet ». Cetteinterprétation alimente les conclusions des évaluateurs plutôt en faveur de« l'échec» des politiques que de leur «réussite ». Cette logique, évidemment

65 On peut noter à cet égard le fait que l'évaluation est abordée comme une réformeadministrative en soi en France alors qu'elle représente l'introduction d'un instrumentde pilotage parmi d'autres dans les autres pays européens; voir: Jacob Varone 2004.

66 On peut d'ailleurs observer actuellement en France la naissance d'un milieuprofessionnel autour de la notion de policy design, considérant que la conception etl'écriture d'une politique publique nécessitent des compétences particulièrement. EricMonnier fut l'un des initiateurs d'un récent colloque sur le sujet: « Comment mieuxconcevoir les politiques publiques? », 18 et 19 novembre 2004, Paris, ENA.

67 Monnier E. : entretien 2 décembre 2004, séminaire MAP, UMR PAcrE, 10 avril 2005.

130

décrite ici de manière schématique, construit discrètement une relation decausalité entre la manière de faire - le degré d'intégration politique - etl'efficacité d'une action. Pourtant, ce sont deux aspects distincts.

En définitive, au-delà des aspects méthodologiques, les évaluateurs setrouvent devant un choix de nature politique: l'évaluation doit-elle continuer àreposer sur une conception classique des politiques publiques ou s'en détacheren prenant acte de l'évolution contemporaine de la relation entre espace etpouvoir? De la réponse à cette question dépendra le rôle de l'évaluation: soitelle sera en posture d'accompagner les tendances nouvelles de l'actionterritoriale, soit, au contraire, elle visera à les contenir. L'évaluation mérite doncde clarifier son positionnement vis-à-vis de l'innovation territoriale en matièrepolitique. Les autres contributions de ce chapitre incitent à adopter uneapproche souple et pragmatique de la relation entre conduites politiques etinstruments. La territorialisation des outils produit des usages imprévus(Cultiaux Teillet) car les acteurs, notamment les élus, disposent d'une autonomieirréductible dans les faits et les principes (Anquetin). Le rôle des instrumentsdans la vie démocratique ne peut donc être exclusivement conçu a priori et extraterritorialement. Le rôle de la recherche académique est alors de préciser lanature de la relation entre l'évaluateur et le commanditaire afin de mesurer lepoids de l'évaluation sur la définition et la conduite des politiques publiques.

Enfin, les résultats présentés ici ouvrent une discussion intéressante sur larelation entre la structuration socio-politique du milieu professionnel del'évaluation et la diffusion de normes. La première partie a décrit un milieuprofessionnel peu structuré. La seconde a mis à jour les grandes lignes, lesprincipes récurrents, de l'évaluation en France. La position défendue ici est quela faible structuration du milieu et la prégnance de certains cabinets favorisent ladiffusion de ces grands principes puisqu'ils sont facilement « communicables»et sont quasi systématiquement repris dans le corpus bibliographiquefrancophone restreint sur l'évaluation. Nos premiers résultats vont dans le sensde cette hypothèse.. .

131

LA TERRITORIALISATION DES NORMESDU DEVELOPPEMENT DURABLE

AGENDA 21 LOCAUX: VERS UN MODELE EXPLICATIFDES DIFFERENCIATIONS

Lauren Andres & Benoit Faraco

Lauren Andres est doctorante Ă  l'Institut d'Urbanisme de Grenoble etgĂ©ographe de formation. Ses recherches portent sur l'analyse des frichesurbaines comme outils de relecture de la ville contemporaine. Plusparticulièrement, sa thèse vise Ă  identifier les principaux rĂ©fĂ©rentiels urbainsmobilisĂ©s au cours des trajectoires d' Ă©volu tion de ces espaces dĂ©laissĂ©spermettant d'apprĂ©hender le sens et le contenu des actions publiques etcollectives inhĂ©rentes aux dynamiques de requalifications urbaines.Courriel: [email protected]

Benoit Faraco est doctorant à Science Po Grenoble. Il travaille sur le rôledes acteurs non gouvernementaux dans la protection de l'environnement et enparticulier dans la lutte contre le changement climatique. Spécialisées enRelations Internationales, ses recherches actuelles portent sur le rôle joué par lesONG et les entreprises dans la socialisation, au niveau national, des normesenvironnementales. Courriel : benoit faracoC<:Yhotrn.ail.com

................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

!.~

::::.

~;::7t~cle vise à s'interroger sur le phénomène de territorialisation et d'appropriation parI

:~:::.:

les acteurs locaux d'un des enjeux actuels de l'action publique: le développement durable.

!Cette norme est devenue, au cours des dernières années, un élément central dans les!

I.

politiques urbaines dont la déclinaison, à différentes échelles, est hétérogène. L'analyse du i:contenu de trois agendas 21 locaux, celui de Romans, du Grand Lyon et de Lausanne, et la

répartition des volets environnementaux, économiques et sociaux, montrent que le passagede l'international vers le local induit un processus de différentiation, lié en partie à desstratégies d'acteurs diversifiés. Cette territorialisation de la durabilité est étudiée grâce àun modèle d'interprétation construit à partir d'un certain nombre de facteurs expliquantrégularités et irrégularités.

Abstract

Local actors play an important role in the socialization process of sustainable development(SO) as international norms. In the last decade, sustainable development and environmentbecame an imperative in local urban policies and politics. Nevertheless, empirical studiesshow that local actors have developed a process of socialization and appropriation of thesenorms which lead to territorial differentiation. Drawing on three case studies (Romans andLyon in France, and Lausanne in Switzerland) this article distinguishes social andpolitical factors that explain both regularities and irregularities in the territorialdifferentiation of SD norms. It underlines strategic choices made by local actors (localadministration, NGOs, etc.) that influence the process of socialization and may explain thedifferences between one city and another.

133

Le développement durable est un concept né et popularisé au niveauinternational. Basé sur des grands principes, son contenu, multithématique,implique une définition des modalités de sa mise en œuvre et un ancrage local,garant de proximité et de qualité pour les politiques publiques qui se réclamentde la durabilité. Ses grands principes prescriptifs comme ses outils de référence,tels le rapport Brundtland ou le programme d'action des Agenda 21, ont étéconstruits, par consensus, dans les arènes et forums internationaux tels que Rioou Johannesburg. De l'énonciation de ces principes, peu précis mais à forteportée symbolique, découle un haut degré d'imprécision qui laisse une grandeautonomie aux acteurs locaux pour les interpréter et les appliquer dans l'actionpublique (cf. figure 1).

Figure 1 : Processus de territorialisation des normes du développement durable:de l'échelle internationale à l'échelon micro-local (LA-BF2006)

Degré

de préd.sion

des

critères de

durabilité

J

Autonomie

d'intervention

des

acteurs

Faible

~~.; -- ĂŹ~t~;~.tl~~~ -- --- -------.

...

C<>m:ergence

des Ĺ“soours

.. Fmbledegréde précisiondes..'III

...

.

ptcscdptions

- - - - --. fl.

National.ft,.

". RĂ©gion.al1/1. .. ElahoratioJ:1 de grandes

.- 0. orierltations. PremièresdifférenciatioDs. ._

__0_

- -- -

-

- ---

-- -

--

_JL

--

- -- -

__

__ ___

. ...."

Supra Localal

croLDealEiaboratimtdétaiUéedegrandesotientatiofis

fércncintions territoirsterfJtotre

Elevé

,.Politique territoriale de

DDJPolitique territoriale de

DD2

Le développement durable est donc un concept étonnamment plastique etne peut être mieux défini qu'à l'échelon local, du fait de son impératifparticipatif (promu par la déclaration de Rio), garant de l'implication del'ensemble des acteurs territoriaux dans la prise de décision. Mais cet impératifne suffit pas, à notre sens, à expliquer les différenciations territoriales observéesd'un programme d'action à un autre. Le processus de socialisation de la normeinternationale de développement durable (Risse 1999, Finnemore 1998, PrincenFinger 1994) explicite cette hétérogénéité et conduit à une territorialisationobservable dans l'analyse de différents Agenda 2110caux (Romans, Grand Lyonet Lausanne)68. En effet, cette hétérogénéité correspond à une phase

68http://\YlY-VV .lausanne.ch / vievv .asp ?CurOS=l &DOlnld=63964

134

d'appropriation et de différenciation liée à la marge de manœuvre assez largedont les acteurs locaux disposent mais aussi des spécificités des territoires(situation géographique, économique, sociale, etc.).

1. DIFFERENCIATIONS TERRITORIALESET STRATEGIES D'ACTEURS DIVERSIFIEES

Le développement durable est devenu en peu de temps incontournable etde nombreux territoires se sont dotés d'un Agenda 21local. Or, en examinant laliste de ces démarches actuellement à l'œuvre en France, il apparaît que cescollectivités territoriales sont majoritairement à «gauche », associant, pourcertaines, des élus « verts» (majorité « gauche plurielle»). Dès lors, même si lesAgendas 21 ne sont pas pour autant le monopole de la «gauche », on peutlégitimement émettre l'hypothèse suivante: la proximité entre la «gauchesociale-démocrate» et les partis « Verts» a encouragé les exécutifs locaux àentamer ces démarches de durabilité. Néanmoins, de nos jours, les références àla durabilité se généralisent et leurs dimensions impératives semblent affectertous les bords politiques si bien que cette différence d'idéologie politique nesuffit pas à expliquer les distinctions observées. A Romans, Lausanne et auGrand Lyon, les démarches Agenda 21 ont été mises en œuvre par une majoritérose-verte, mais elles ne se ressemblent pas pour autant. Mais l'exemplelyonnais montre qu'on ne saurait résumer la mise en œuvre de la politique dedurabilité à son développement par l'exécutif PS/Verts, tant celui-ci s'inscritdans la continuité d'une politique initiée par la majorité précédente. Le modèleproposé par la ville de Romans est un modèle de développement durableenvironnementalo-centré, construit autour de la protection du milieu naturel etdu cadre de vie. Cela ne signifie pas pour autant que Romans néglige lespolitiques économiques ou sociales; celles ci ne sont pas uniquementrassemblées sous le label « développement durable ». Le modèle développé parle Grand Lyon présente une vision plus équilibrée de la durabilité, qui serapproche de celle exprimée par les grandes agglomérations européennes. Celuide Lausanne enfin offre une vision plus intégrée et aboutie; l'ensemble des troisvolets étant équitablement considéré et la question de la durabilité étant associéede fait à tous les secteurs de l'action publique.

Ces constats soulèvent donc plusieurs paradoxes. L'agglomérationlyonnaise est réputée pour être un territoire environnementalement sinistré,notamment en raison du fort développement de l'industrie pétrochimique danssa proche banlieue (problème de qualité de l'air, de l' ea u, pollution des sols, etc.)D'un point de vue économique, Lyon reste cependant une capitale régionalemajeure. Au contraire, l'agglomération romanaise peut prétendre à un cadre devie environnementalement préservé, mais subit de plein fouet la crise du secteur

http://\.V\1v\v.ville-romans.com/ article.php3?id article=295http://'\:VV\T\v.grandlvon.com /Plan-d-actions-de-l-l\genda-21.1803.0.htn11

135

de la chaussure et connaît aujourd'hui des difficultés économiques évidentes.Lausanne, quant à elle, se situe dans un contexte plus favorable. Elle n'a pas àfaire face à des problématiques environnementales, économiques ou socialesmajeures. Dès lors, autant le modèle intégré lausannois est en adéquation avec lasituation du territoire en question, autant à Romans et au Grand Lyon lesorientations des Agenda 21 ne correspondent pas aux problèmes auxquels cesterritoires font face. Or, on pourrait légitimement supposer que les principauxinstruments de durabilité mis en œuvre par les exécutifs locaux viseraient àrééquilibrer l'action publique. Cela n'est pas le cas. Certes, le fait quel'environnement soit fortement présent est compréhensible; dans les pays duNord, l'entrée environnementale a été privilégiée dans le discours politiquepour aborder les actions des Agenda 21, a contrario des pays du Sud pourlesquels le développement économique a été mis en avant (Yaker 2000). Parcontre, la répartition des autres volets met en évidence l'existence d'unprocessus d'appropriation par les acteurs locaux des normes de développementdurable. Puisqu'il existe des espaces d'appropriation hérités de l'absence decadres vraiment directifs au niveau national et communautaire, les acteurs deterrain, fonctionnaires territoriaux et élus, ont d'importantes marges demanœuvre dans la définition même de la durabilité et des politiques publiqueslui correspondant. Ce processus fait intervenir une multitude de facteurs quipermettent d'expliquer comment les acteurs du territoire traduisent les normesde portée générale, issues des forums internationaux, en principes de l'actionpublique.

2. REGULARITES ET IRREGULARITES

Le développement durable repose sur une base générale, une structurecognitive fixe qui lui confère une puissance «rhétorique» et une fonction delégitimation. En découle alors un ensemble de facteurs permettant d'expliciterles régularités et les irrégularités rencontrées (cf. figure 2). 1/ Des cadreslégislatifs et juridiques, propres à chaque nation, apportent une base générale dontla nature et la portée diffèrent selon les pays (mobilisation plus incitative etprécoce en Suisse qu'en France par exemple). Le développement durable estdevenu un impératif juridique, inscrit dans plusieurs textes de lois (loi SRU, parexemple, en France). S'ajoutent à cela 2/ des actions incitatives de la part despouvoirs publics. Au niveau national, un certain nombre de mesurescontribuent à énoncer les grandes lignes d'action et les incitations financières àla mise en œuvre de certains projets (comme les Agenda 21) et obligent à unformatage des discours sinon des pratiques. Enfin, 3/ la formation commune desacteurs chargés de la mise en œuvre des politiques de développement durable etl'appropriation techniciste qui en découle, permet une certaine uniformisationdes cadres de pensée des acteurs en charge de l'interprétation et de ladéclinaison territoriale du développement durable.

136

Figure 2 : Modèle d'interprétation de l'hétérogénéité: entre régularités etirrégularités (AL-BF 2006)

r:::::::~:::::.:::::::::::::::::::::::::::::T:::~~ĂŹ~:::::.~::~~::~:r:::~~~~;~t.~~f:::=~~f~~~~~~~~::;::;;=-~~::::~-=:=-l

I Base I « our development is I I visions communes. PartageI

!Générale! not sustainable, fair

I ! d'une base cognitive commune. II ! and equitable». I I Impératif discursif du I

f j...cacirësTégisÏatù'sef-..1..fnstitutionÏÏër I...ffi:~~~~;a:m&Ë~~~fdë;; 1

I I juridiques I I orientations générales, qui sont!

I ~MiSë-ëÏÏ...œuvrëde I..fnStitUtionnërr ~-.ii~~~ii;;~~f~~~~I:::es 1

i ! politiques publiques! Sociopolitique ! / ministères peuvent travailler!I

Régularités! au niveau national! ! avec les territoires. I! r Form.atl"on..ëümmune r..lnstltutlonneCT r...[e.s..ëadre.s..de.for'ïnatl'ün..sonf" 1I I des fonctionnaires I Cognitif I partagés par les fonctionnaires I! ! territoriaux chargés de ! ! territoriaux, qui se développent I! ! la mise en œuvre des! ! en un corps de fonctionnaires I

I Ipoli tiques de! ! partageant les mĂŞmes valeurs I

l 1 ~~~1~::~::: ]. SOCiop.ĂĽĂŻIti"Ă«ĂŻueT f-Ă‹ĂŹusquCa-ciaptentTĂ« j

! ! militant des élus ! cognitif ! développement durable en !I I I I fonction de la propre vision I

i i...ÏÏÏtërprétatiünm jsüdoprü.fësslünnerr!..Vn~~~!.aT;~~~\si~~l?e1\fë;;-.ëüï:ps j

I I disciplinaire I cognitif I sociaux vis à vis du Ii Irré gu larités! ! ! développement durable et de la !! I I ! manière d'appréhender le !! 1 ! 1 territoire. !! ! C"U"Hure..poIl.UcÏtïë..a.e.s l cogru"tlf r Atle.n.tes...spécl.fl"ques..j)"ropres...ii 1

! I populations! ! un territoire,liéesà sonhistoire Ii ~ i i Particulière i! ! ÔpportumsÏne r..'Int"éiêt" l Iffip.ératiTéfe.C"toraï~...Œèm.e 1

I ! politique I I d'actualité garant d'un certain Ii i i j d~amisme j

(...Autres l Cïira.cté.ristl.ques l t 1I éléments I géostructurelles du I I IL L...!.~.~~~.!5?.~~.~ ..1 L ..!

Se su perposen t à ces facteurs « réguliers» un ensemble de caractéristiques« irrégulières».

1/ Le positionnement militant des élus et par-delà, l'appropriationmilitante de ceux-ci, joue un rôle déterminant. Le cadre d'action prédéfini parles positionnements idéologiques des partis politiques mais aussi des individusinfluence l'interprétation du développement durable par les acteurs locaux.

2/ La fonction et la formation des responsables de la mise en œuvre despolitiques de développement durable joue aussi un rôle important.

3/ La culture politique des citoyens amène aussi une appropriationidéologique du développement durable qui interagit avec celles des décideurs.La présence ou non d'acteurs militants (ex: associations protectrices del'environnement), dans les processus de participation, oriente l'appropriationopérée.

137

4/ Un opportunisme politique enfin, peut pousser à l'appropriation dudéveloppement durable. Il s'agit en effet de « se conformer à l'air du temps », cequi peut permettre de rallier un nombre important d'électeurs.

A ces facteurs, non exhaustifs puisque qu'issus d'une première phase derecherche, s' ajou tent les caractéristiques géostructurelles et conjoncturelles inhérentesà chaque territoire étudié. En effet, les composantes inhérentes aux territoiresconcernés jouent un rôle clé. La superposition des structures politico-administratives (commune, structure intercommunale, département) et donc ladiversification des mesures en faveur du développement durable(complémentaires ou non selon les enjeux et les stratégies politiques), entraîneune démultiplication des acteurs impliqués (et donc des possibilitésd'interprétation). A cela s'ajoutent les processus participatifs (systèmeréférendaire par exemple) permettant une prise en compte inégale dupositionnement de la population. Précisons enfin que des éléments contextuels(économiques, sociaux) peuvent influer sur les positionnements et les stratégiesdes acteurs en présence en matière de durabilité.

3. CONFRONTATION DU MODELEAUX REALITES DE TERRAIN

Romans, Lausanne et le Grand Lyon illustrent cette tentative demodélisation. Le portage, à Romans, de l'Agenda 21 par Jean-David Abel, élu etmili tant vert, proche de Dominique Voynet, explique en partie l'appropriationmilitante, environnementalo-centrée du développement durable. Cettesensibilité environnementale se décline dans l'influence électorale de ce mêmeparti Vert aux élections (entre 8 et 10% aux élections ces dernières années),renforcée par la réceptivité de la population (présence d'une usine de fabricationde combustible nucléaire, à proximité). Par ailleurs, Romans, a contrario de Lyonne se situe pas dans une perspective de dynamiques urbaines concurrentielles,le contenu de son Agenda 21 étant alors interprété, localement, par les porteursdu projet, Verts en l'occurrence. Par contre, Romans affiche clairement son rôlede leadership en la matière (son Agenda 21 est un des premiers en France).L'affichage environnementalo-centré n'est pas neutre. Il a un impactcommunicationnel évident, reflet d'une certaine tradition militante écologiste.

L'Agenda 21 du Grand Lyon s'inscrit dans une logique tout autre. Certes,les élus qui le mettent en œuvre sont eux aussi, pour certains, issus de l'écologiepolitique, mais la démarche de formalisation de tels outils a été beaucoup plusprogressive. La préoccupation environnementaIe a émergé dans les majoritésprécédentes de droite, peu reconnues pour leur activisme sur ces questions. Dèslors, le facteur « cadre cognitif» des élus est moins présent, ce qui explique uncontenu de l'Agenda 21 plus équilibré. De plus, une comparaison du contenu del'Agenda du Grand Lyon avec celui d'autres grandes villes européennes commeLondres ou Madrid, illustre une similarité dans leurs grandes lignes. La logiqueconcurrentielle entre ces métropoles entraîne une construction des Agendas 21autour d'éléments plus consensuels, plus équilibrés. Elle témoigne donc d'une

138

relative uniformisation des pratiques à l'échelon européen. À ce niveau en effet,l'enjeu est donc bien plus de se situer dans un espace concurrentiel pour lespopulations et les acteurs économiques que de répondre à des demandesmili tantes.

Le modèle intégré de l'Agenda 21 de Lausanne est à relier à une doubledynamique politique locale et nationale. Le facteur politique y joue un rôle clé.La Suisse s'est engagée, de manière précoce et active, dans l'élaboration etl'application des stratégies de développement durable et l'application de ladurabilité est liée à la déclinaison d'une acception « germanique» reliée à lanotion de « nachhaltige entwicklung» (développement « tenace »). La présenced'une municipalité rose-verte (syndic socialiste depuis 1990 et Vert depuis de2001) est bien sûr importante. À cela s'ajoute un contexte culturelparticulièrement sensible aux préoccupations environnementales et à laprotection de la nature ainsi qu'un contexte économique et social relativementserein (en comparaison de Lyon et Romans). La démocratie directe Suisse peutaussi constituer un facteur favorisant une motivation supplémentaire pour lesacteurs politiques comme pour ceux issus de la société civile. Au-delà, Lausannecultive son image de capitale olympique, de ville culturelle dynamique et laréférence à la « ville durable» en fait partie en tant que stratégie de marketingterritorial, ce qui la rapproche des modèles de durabilité proposés par lesgrandes métropoles européennes.

CONCLUSION

La marge de manœuvre laissée à l'interprétation et à l'appropriation, lesstratégies et les jeux d'acteurs liés, associés au scepticisme et à la critique decertains scientifiques, poussent, dans certains cas, le développement durablevers une simple rhétorique consensuelle. Au-delà, l'appropriation etl'interprétation territoriale des normes entraînent différents stadesd'avancement des politiques urbaines de développement durable. D'unpositionnement initial centré sur le volet environnemental, les politiques enmatière de développement durable tendent à intégrer, de manière partielle etinégale, les trois volets (environnemental, social et économique), pour, à terme,atteindre un stade d'intégration de fait. Les paramètres fixes et les variablesirrégulières, précédemment énoncés comme moteurs dans la traduction spatialedonnée au concept, y jouent un rôle majeur.

139

POLITIQUES CONTRACTUELLES:

LA QUESTION LOCALE SOUS TENSION?

Domitien DĂ©trie

Domitien DĂ©trie est doctorant au CEPEL (UniversitĂ© de Montpellier 1) ettravaille sur la territorialisation des politiques publiques culturelles etĂ©ducatives en rĂ©gion. Il est Ă©galement chargĂ© de mission Ă  l'Association despetites villes de France. Courriel : [email protected]

,............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

I

::.:

~::ua:~cle présente les résultats d'une recherche, en situation d'observation participante,I.

:

::sur l'évolution des politiques contractuelles Etat-régions. Si de nombreux travauxI soulignent que les pratiques contractuelles contribuent à dessiner des logiques de référence I~ dans l'action publique territoriale" la survalorisation du paradigme de l'excellence ~

Iterritoriale tend désormais à minorer le contrat comme instrument stratégique d'une iaction publique territorialisée. Dans le même temps" elle redonne une place de premierrang aux configurations territoriales appuyées sur la construction de leadershipterritoriaux de type nouveau.

Abstract

This article presents the results of a research about the negotiation of planning contractsbetween the French government and the regions. If many studies emplosyze that thecontractual pratices contribute to determine a shared vision of territorial public actiondraw the paradigm of territorial excellence undervalues the contract as a strategicinstrument of territorial public action. Meanwhile, it gives again a major place with the

~ territorial configurations thanks to the construction of new forms of territorial leaderships. i1.. .1

141

La contractualisation de l'action publique entre l'Etat et les régions n'acessé de susciter l'intérêt des politistes car elle contribue à bien des égards àimprimer une forte spécificité au modèle français de gestion territoriale. Tantôtcaractérisée comme une clef de voûte de la décentralisation (Duran Thoenig1996), comme le ressort d'une « action publique flexible» ou encore comme levecteur d'un repositionnement de l'Etat, elle traverse aujourd'hui de fortesincertitudes. A l'heure où la politique d'aménagement du territoire est placéesous le sceau de la compétitivité, la logique «projet local, contrat global» quepromouvait jusqu'à, il y a peu, l'Etat semble écartée peu à peu au profit d'uneapproche plus sélective des interventions et d'une certaine rigidification descontrats autour des priorités nationales, comme la préparation des contrats deprojet 2007-2013 en témoigne.

L'objet de ce papier n'est pas de tenter une énième rétrospective despolitiques contractuelles mais d'aborder les évolutions qui se dessinentactuellement comme autant de questionnements sur la dynamique de ladécentralisation et sur la manière dont les politistes la traitent, à partirnotamment d'une pratique d'observation participante en situationprofessionnelle.

1. ACTION PUBLIQUE CONVENTIONNELLEET LOGIQUE DE REFERENCE

Les contrats d'action publique se présentent dans leur ensemble commeune figure centrale de la régulation publique contemporaine, associée auxnotions-clés de décentralisation, de partenariat et d'évaluation. Nombre depolitistes s'accordent pour souligner qu'ils ont joué un rôle de catalyseur de ladécentralisation (Gaudin, 1999), dans le cadre d'une dynamiqued'intensifications réciproques, notamment en assouplissant et en rendantpraticables les frontières d'action qui venaient d' être posées par les textes dedécentralisa tion.

Dans cette approche, les procédures contractuelles revêtent une fonctionde mobilisation et de coordination qui, en favorisant l'apprentissage des norInesdu développement territorial par les acteurs locaux, ont permis notamment àl'institution régionale, par le biais des contrats de plan Etat-régions et descontrats infrarégionaux (de type contrats de pays et contrats d'agglomération),de se construire et d'acquérir une légitimité institutionnelle, au travers del'affirmation d'une vocation d'intégratrice du territoire régional.

La notion de référentiel constitue alors une grille d'analyse qui peutsembler pertinente pour appréhender l'émergence et le développement despratiques contractuelles, dans la mesure où elle invite à étudier la genèse d'unepolitique publique comme une « théorie du changement social» (Meny Thoenig1989, Muller 2005). De ce point de vue, de nombreux travaux viennent nousrappeler que l'idée de contractualisation et de planification stratégique del'aménagement du territoire apparaît en réponse à un certain nombre de

142

modifications institu tionnelles et économiques, médiatisées par les experts de laDAI'AR, et qu'elle s'inscrit dans une évolution marquée par la remise en causeidéologique et financière de l'Etat keynésien en lien avec le référentiel global dell1arché.

La lecture des contrats et des circulaires régissant leur mise en œuvreselnble confirmer l'existence d'un référentiel, dans la Inesure où elles légitill1entdes représentations de référence, comme l'ont montré les recherches de MarcLeroy. Celui-ci souligne notamment que la rhétorique entourant la mise en placedes contrats, COlnme les critiques auxquels ils donnent lieu, s'appuient sur unll1êll1e intérêt accordé à la cohérence de l'action publique, à l'approchestratégique et donc aux démarches de prospective territoriale et de concertationmulti-acteurs qui en permettent la déclinaison. Une représentation de référencese définit alors selon Marc Leroy « comme un raisonnement d'action publiqueappuyé sur de bonnes raisons, à même de convaincre un auditoire universel deson caractère d'intérêt général ».

Un auteur (Gaudin 1996) prolonge cette analyse en soulignant que lacontractualisation peut produire des effets de transformation des schémasdécisionnels et relationnels, en repositionnant des organisations, en affirmant denouveaux acteurs et en produisant des normes d'action renouvelées. On en veutpour preuve l'affirmation de l'échelon régional comme espace de mise encohérence des politiques publiques au travers des contrats de plan Etat-régions,la réorganisation (inachevée) des services déconcentrés de l'Etat que ces derniersont favorisée ou encore l'émergence du triptyque diagnostic, projet, contratcomme nouveau paradigme des politiques territoriales.

Au terme de cette brève analyse, la logique contractuelle correspond bienà un référentiel dans la mesure où elle relève à la fois « d'un processus cognitiffondant un diagnostic et permettant de comprendre le réel et d'un processusprescriptif permettant d'agir sur le réel» (Muller 1998).

2. RECOMPOSITION DES PRATIQUESCONTRACTUELLES: DES CONTOURS INDECIS

De nombreuses évolutions récentes laissent à penser que la nature de ladémarche contractuelle comme sa mise en pratique sont appelées à desévolutions considérables: profonde transformation de l'architecture des contratsde plan Etats-régions pour la période 2007-2013, multiplication descontractualisations séparées et ciblées, relative marginalisation de l'outilcontractuel dans les instruments de la politique nationale d'aménagement duterritoire au profit des logiques d'excellence territoriale.

Les trois critères de la démarche contractuelle identifiés comme suit(Gaudin 1999), peuvent nous aider à appréhender ce glissement des politiquescontractuelles, dénoncé par une bonne partie des acteurs locaux. :

143

- Un accord initial sur les objectifs/ qui implique un temps de discussion explicitesur les objectifs recherchés et les moyens correspondants. L/annonce unilatérale ducontenu et de la méthode d/élaboration des futurs contrats de projet (DIACT)nous amène à conclure à une invalidité, au moins partielle, de ce critère dans lesrelations contractuelles qui irriguent la gestion publique territoriale.

- Des engagements réciproques sur un calendrier d / action et de réalisation àmoyen terme. Si un calendrier de mise en place a été rendu public pour lescontrats de projet 2007-2013, il est le seul fruit de l'impulsion étatique, ce quilaisse assez sceptique quant à sa mise en œuvre effective/ les collectivitésrégionales dénonçant notamment un calendrier de préparation extrêmementresserré qui ne laisse pas assez de temps pour conduire une concertationsubstantielle avec les acteurs infrarégionaux. En outre, le non respect chroniquedes engagements de l'Etat sur les grands projets d'infrastructure nous confirmedans cette posture de « mise en doute ».

- Des clés de contribution conjointes à la réalisation des objectifs. Lesincertitudes initiales sur le niveau d'engagement de l'Etat et les craintes quant àla position attentiste des Conseils régionaux ayant été partiellement levées, cecritère est probablement celui qui offre le moins de prises à la contestation. Cefaisant, il rejoint l'analyse de Marc Leroy quant à la prédominance d'une logiquede régulation financière au sein des contrats, qui limite la portée de l'approcheglobale, transversale, partenariale et territorialisée des problèmes publics.

Dans ce contexte, faut-il voir dans l'évolution des politiques territorialescontractuelles, qui tend à minorer le contrat comme instrument stratégiqued'une action publique territorialisée, l'expression d'un changement deréférentiel dans l'action publique territoriale?

Partons, pour apporter des éléments de réponse à cette question, de ladéfinition de Peter Hall qui considère qu'il y a changement de référentiellorsque l'on peut constater les trois changements suivants (Hall 1993): unchangement des objectifs des politiques et, plus généralement, des cadresnormatifs de l'action publique; un changement des instruments qui permettentde concrétiser et de mettre en mouvement l'action publique dans un domaine;un changement des cadres institutionnels qui structurent l'action publique dansle domaine concerné.

Par sa clarté et sa faible prise à une approche subjective, cette grilled'analyse nous semble appropriée pour analyser les recompositions de l'actionpublique territoriale de l'Etat.

A cet égard, la question des objectifs et des cadres-normatifs despolitiques de l'Etat en direction des territoires est probablement celle qui offreles prises les plus convaincantes. La recherche de l'excellence territoriale,l'abandon officiel de la démarche planificatrice au profit de l'approche parprojet procèdent ainsi du passage d'une logique de cohésion à une logique decompétitivité des territoires. Le changement de dénomination de la Délégation àl'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale (DATAR) en DélégationInterministérielle à l'Aménagement et à la Compétitivité des Territoires(DIACT) au début de l'année 2006 en est un des reflets les plus manifestes. Elle

144

peut être interprétée, dans le champ des politiques territoriales comme ladéclinaison du tournant néo-libéral (Jobert 1994).

Ce changement normatif semble trouver une certaine continuitéinstrumentale avec la multiplication des appels à projet (pôles de compétitivité,pôles d'excellence rurale, coopération métropolitaine) qui se substituentprogressivement aux politiques traditionnelles de redistribution de ressourcesen direction des territoires, par le biais de la multiplication de contrats globaux.

On peut toutefois considérer que la faible évolution de l'organisationdéconcentrée de l'Etat, qui s'est traduite dans les années récentes par une maigretentative de confier un rôle plus important au préfet de région (Circulaire du 19octobre 2004 relative à la réforme de l'administration territoriale de l'Etat), nepermet pas de conclure à un changement de cadre institutionnel significatif.

Le troisième étage analytique n'étant pas opérant, il est hasardeux deparler de changement de référentiel. Il semble plus approprié d'identifier unedynamique de changement de l'action publique territoriale articulée autourd'une restauration de la posture surplombante de la part de l'État, quirevendique désormais un pouvoir d'arbitrage au nom d'une distanciation àl'égard des compétitions territoriales (Epstein 2005). En témoignent lesconclusions du CIACT du 6 mars 2006 qui rappellent notamment au sujet duchoix des autorités de gestion pour la politique régionale européenne 2007-2013« L'Etat, qui apporte la plus grande part des cofinancements des programmes européens,est souvent alnené à jouer un rôle de mise en cohérence et d'arbitre notamment pourdéfinir

la

répartition des ressources

au sein des

progralnlne

»

(DIACT).

Ces évolutions que nous venons de décrypter sont perceptibles à l'échellecentrale au travers des discours de l'Etat et se jouent essentiellement au niveaudes représentations politiques et des symboles. Pour autant, l'étude descontextes locaux d'action publique nous conduit à faire preuve de plus demodestie dans le diagnostic. Si les ressources institutionnelles des territoiresprésentent un profil similaire, les formes de coopération entre acteurs revêtentquant à elles des formes extrêmement diverses, comme le montre laparticipation plus ou moins active et coopérative des collectivités territorialesaux démarches de préparation de la politique régionale européenne 2007-2013selon les différentes configurations régionales.

Dans le même sens, la phase de négociation des contrats de projets 2007-2013 semble confirmer le poids des configurations territoriales dans le modelagedes politiques conventionnelles. Comme en attestent de façon éloquente lesnégociations autour du contrat de projet 2007-2013 en Languedoc-Roussillon, lechangement des principes et des objectifs d'intervention de la politiqueconventionnelle est perçu comme une fenêtre d'opportunité par certains acteurspolitiques, et en particulier le Vice-président du Conseil régional en charge del'aménagement du territoire, pour affirmer un leadership au travers de laconstruction d'une vison prospective partagée du territoire. Ce leaderships'appuie moins sur des ressources de nature partisane que sur une capacité demobilisation qui doit beaucoup à l'affirmation d'une légitimité au croisement del'expertise professionnelle et des réseaux politiques. En d'autres termes, lanégociation contractuelle est l'occasion pour ces acteurs de déployer desstratégies de légitimation fondées sur la construction de territoires politiques.

145

Dans ce contexte, un des éléments de nouveauté est que la différenciationterritoriale occasionnée par les procédures de négociations de l'action publiqueconventionnelle ne s'appuie plus seulement sur les trajectoires historiquescumulatives des territoires et de leurs cultures politiques, comme RomainPasquier a pu le montrer dans ses travaux comparatifs sur le développement dela région Bretagne et de la région Centre (Pasquier 2004), mais sur l'émergencede leaderships territoriaux de type nouveau, qui reposent sur la place croissantelaissée à l'initiative individuelle et à la négociation personnalisée dans lespolitiques conventionnelles.

3. CONSEQUENCES THEORIQUES ET PRATIQUES

Notre constat est donc celui d'une déconnexion croissante entre lesreprésentations nationales de référence et les pratiques réelles qui s'opèrentdans les territoires. Ce constat relève d'une posture de mise en doute plutôt qued'une « mise en désarroi» (expression de Martin Vanier lors de la session declôture du coUoque AFSP de Grenoble, 15&16 juin 2006) de l'objet de rechercheque représentent les politiques contractuelles. De ce fait, des perspectivesheuristiques tout à fait stimulantes s'offrent à nous.

Il est d'abord nécessaire, pour prendre la mesure de ce constat, de bannirdéfinitivement les diagnostics catégoriques relatifs au « retour de l'Etat» ou, àl'inverse, au « nouveau pouvoir local ». Comme le souligne Jean-Pierre Gaudin,il apparaît en effet bien difficile à l'expérience de situer les contours d'unréférentiel global sectoriel local, municipal, départemental ou régional, qui soitstabilisé.

Ce changement de perspective, qui souligne les faiblesses d'une approchetrop institutionnelle, plaide également pour une évolution méthodologique destravaux consacrés à l'action publique territoriale, articulée autour d'unevéritable sociologie politique de l'action publique, qui soit une sociologie desacteurs et de leurs rapports de pouvoir. Conduire des observationsethnographiques qui renseignent sur ce qui se joue réellement dans les relationsd'interaction et des enquêtes qualitatives auprès des acteurs, qui permettraientd'évaluer ce qu'ils s'y approprient - ou non - et de mesurer le degré d'inflexionde leurs représentations ou de leurs préférences (voir notamment lescontributions de Fabien Desage et de Jérôme Godard dans cet ouvrage) : tellesemble pouvoir être la colonne vertébrale de cette évolution méthodologique,qui nous invite à une approche des différentes configurations territoriales à laloupe et sur le temps long. Faire ce choix méthodologique, c'est repousser lerisque d'une modélisation exagérée du milieu local car la localité retrouve alorssa signification originelle: celle d'une construction sociale permanente (Bourdin2000).

Néanmoins et en dernier lieu, il faut également veiller à y adjoindre enpermanence une dimension comparative, pour ne pas tomber dans le traversd'une hyper-territorialisation de l'analyse, qui fait la part belle à la descriptionau détriment d'une nécessaire montée en généralité.

146

RAISONNER PAR LE TERRITOIRE.

LES MODALITES PRATIQUES

DE LA COOPERATION

Elvire Bornand

Elvire Bornand est doctorante en sociologie au LAMES, Aix-en-Provence.Son travail de thèse consiste Ă  comprendre comment et pourquoi la coopĂ©rations'est imposĂ©e comme le mode de coordination des institutions, administrationset acteurs privĂ©s au niveau local en prenant comme exemple la structuration duchamp de la formation professionnelle continue et en Ă©tudiant de manièreprivilĂ©giĂ©e les liens de cette politique avec celle de l'emploi.Courriel: [email protected]

, ,........................................................................................................................................................................................... .. .. .: :. .. .. .. .. .. .

i Résumé ILa question de l'impact du processus de territorialisation sur la constitution et la conduitedes politiques publiques est examinée à partir des pratiques concrètes de coopérationinduites par une approche des enjeux politiques fondées sur un ancrage territorial. Nousdéfendons l'idée que le territoire fonctionne comme un principe d'équivalence permettantaux acteurs politiques impliqués de se mesurer et de faire émerger une communautéd'intérêts rendant possible leur coordination.

Abstact

How do institutions of local government cooperate? The so-called" territorial approach"offers new elements of response. The main argument is that the concept of "territory" isnot just a geographic definition of neighbourhoods where policies are applied but also anargument that prompts local governments to cooperate. We seek to outline a generalframework for the analysis of how the territory is instrumental in establishing a principleof equivalence between these governments. This may contribute to explaining why theprocess of cooperation succeeds at times and why it fails at others.

...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

147

. . La notion de territo~ialisation donne un cadre nouveau aux rapports quepolItique et morale entretiennent. Une action juste en moyens et en fins seraitune action pensée dans un espace géographique particulier et adaptée auxconditions économiques et sociales concrètes de ce territoire. La territorialisationcomporte aussi une idée de dynamique, un processus dans lequel une politiquepublique devient action. En ce sens, elle renvoie avant tout à des pratiquessituées, la dimension constitutive des politiques visées étant entièrementcontenue dans la sélection d'espaces appropriés pour l'action. Ces dernièresannées, on observe que le critère de justice qui servait de garant et de mesure àla légitimité des actions publiques entreprises a été remplacé par unefocalisation sur les résultats. C'est le résultat, dûment évalué par l'outilstatistique, qui justifie la politique. Bien avant la LOLF, le principe deterritorialisation a contribué à diffuser l'idée que le bienfondé d'une politiquetenait avant tout aux résultats obtenus et du simple point de vue des outilsmobilisés, il est plus aisé de quantifier l'action publique dans un espacerestreint. Objection pourrait être faite que la territorialisation ne renvoie passeulement à un espace restreint mais que l'espace en question a été sélectionnécomme un ensemble cohérent selon des variables démographiques,économiques, urbaines, sociales... Nous pensons, au contraire, que l'unité desterritoires visés par l'action publique n'est restituée qu'après coup dans lesdifférents processus d'évaluation. Nous partirons dans cet article du postulatque le territoire doit être envisagé comme « la constitution d'un espace abstraitde coopération entre différents acteurs avec un ancrage géographique pourengendrer des ressources particulières et des solutions inédites» (Pecqueur2000, pIS).

Il ressort des différents articles de ce chapitre que, lorsqu'on analysel'action publique territoriale, on ne peut se focaliser sur l'étude d'une seulepolitique. Quelle que soit l'entrée choisie, se dessine une configurationinstitutionnelle complexe où se croisent les champs de compétences desdifférentes collectivités territoriales. Le problème qui se pose au chercheur estqu'aucune régulation de type légal n'explique, à elle seule, la manière dont lesacteurs se coordonnent. De plus, si l'on peut étudier le résultat de cescoordinations, il paraît plus difficile de faire émerger les intérêts qui poussentchaque catégorie d'acteurs à mener une action conjointe. Si l'on devait résumerrapidement la question centrale qui traverse l'ensemble des articles réunis danscette partie, on pourrait dire que nous nous demandons tous «Pourquoi çamarche à tel endroit et échoue à tel autre ». Nous avons choisi d'ancrer cettequestion dans le champ de la politique de formation professionnelle. Laformation professionnelle a pour particularité d'être non seulement unepolitique de compétence régionale mais aussi un instrument, un outil, quepeuvent mobiliser tout aussi bien les politiques de l'emploi, que les politiquesd'insertion et les politiques économiques.

En rapportant l'idée de justice d'une politique à ses résultats, on metl'accent sur l'activité et les fruits de cette activité. Au niveau local cette activitéprend la forme de multiples dynamiques de coordination qui du fait de laconfrontation des champs de compétences qu'elle engendre entre les différentescollectivités territoriales, porte une importante dimension conflictuelle. De fait,c'est à l'analyse des modes de coopération plus que de coordination que nous

148

allons nous intéresser. Dans un premier temps, nous mettrons l'accent sur laquestion des pratiques, la notion de territorialisation impliquant que l'on secentre sur l'analyse de l'action concrète, pour ensuite proposer un cadre généralpermettant l'analyse des modes de coopérations dans le domaine de laformation professionnelle.

1. UNE CONFIGURATION INSTITUTIONNELLECOMPLEXE

Pour se structurer les coopérations ont besoin de temps et d'espace. Letemps et l'espace sont les deux variables qui permettent aux différents acteursde développer un langage commun. Pour que la coopération se mette en place, ilfaut que chacun des acteurs puisse légitimer sa participation à l'action, problèmed'importance pour des institutions politiques qui tiennent farouchement àpréserver leurs champs de compétences propres. Le Conseil Régional oriente etanime la politique de formation professionnelle mais concrètement il ne disposepas des ressources financières, techniques et humaines pour réaliser l'ensembledes fins qu'il poursuit.

Il est d'usage de fustiger l'encastrement et la sédimentation des dispositifsdans les différents domaines de l'action publique. Sans remettre en cause lesdysfonctionnements que ces empilements occasionnent, il ne faut pas négliger lerôle que ces multiples dispositifs jouent dans les processus d'apprentissagesnécessaire à la coopération. En termes d'espaces, ces dispositifs sont desoccasions d'apprendre à élaborer un langage de coopération, ils permettent defaire émerger une communauté d'intérêts. Le monde des politiques publiquesest petit, les acteurs qui se rencontrent dans l'animation des Plans Locauxd'Insertion par l'Economique (PLIE) sont les mêmes qui jouent un rôle dans lanégociation des contrats de ville, qui participent à la mise en place de plate-forme de services à l'échelle communale et qui peuvent se retrouver siégeantdans une Commission Locale d'Insertion. Le travail de reformulation joue unrôle central dans la conduite d'actions conjointes. Dans les Bouches-du-Rhône, leConseil Général s'est opposé pendant de nombreuses années au ConseilRégional, la querelle portait sur la définition et le rôle de la formation. Le CRdéfendait l'idée qu'en tant que politique la formation relevait de sa compétencepropre, le CG présentait la formation comme un outil, un levier de la politiqued'insertion et à ce titre s'estimait compétent à agir sur l'offre de formation.Pendant quelques années, l'argument légal a prévalu et la commission techniqueparitaire veillant au respect du cadre légal du dispositif RMI (revenu minimumd'insertion) a rejeté toutes les subventions accordées par les CLl aux formationssuivies par des rmistes. En arguant que la multiplicité des dispositifs d'actionpublique permet l'apprentissage d'un langage commun, nous voulons soulignerque ces espaces ont permis aux acteurs publics de trouver une nouvelle façon dedéfendre leurs champs de compétences tout en faisant émerger des possibilitésde coopération. Au travers de la fréquentation de ces dispositifs, les acteurspublics ont élaboré une manière de construire l'action publique non plus en

149

référence à un champ politique particulier mais en relation avec les conditionsconcrètes de vie d'individus ancrés dans des territoires particuliers. Ce quiréunit les acteurs dans ces dispositifs, c'est le fait qu'à partir d'un champ decompétence particulier, ils ont à intervenir sur les mêmes publics. Ainsi, aprèsl'échec de leur première tentative de coopération, le CR et le CG, cités enexemple, se sont entendus pour établir qu'au titre de la formation, le CR avaitvocation à entreprendre des actions en direction des rmistes mais que lesproblèmes socio-économiques dudit public étaient tels que le CR ne pouvaitmener une action rationnelle et espérer des résultats rapides sans les capacitésd'expertise du CG. Faire émerger un argument commun tel que celui despublics et donner ensuite des enjeux une définition suffisamment large pourdiminuer la source potentielle de conflit propre aux querelles de légitimité et cedans un espace géographique déterminé, voilà en quelle manière le principe deterritorialisation est propice à favoriser les coopérations.

2. LE TEMPS, CONDITION DE LA RECIPROCITE

Pour se mettre en place, ces coopérations ont besoin d'espaces mais ausside temps. Ce qui confère une certaine stabilité à la coopération, c'est la mise enœuvre d'un principe de réciprocité. Dans les coopérations qui structurentl'action publique territoriale, le principe de réciprocité est diachronique. On doitprendre en compte le fait que dans chaque coopération particulière s'échangentdes ressources, une administration publique offrant son soutien technique à tellecollectivi té territoriale en capaci té d'apporter les ressources financièresnécessaires à l'action, mais le plus important pour la compréhension de l'actionest ce qui se joue dans la répétition des coopérations. Ce qui a finalement le plusde valeur dans ces coopérations est de l'ordre du symbolique, c'est l'opportunitépour une collectivité territoriale d'apparaître comme chef de file dans laconduite de l'action. Cette rétribution symbolique est au cœur du rapport deréciprocité qui s'institue entre les différents partenaires et il ne peut semanifester que dans le temps. C'est en prenant en compte l'ensemble descoopérations, que les collectivités territoriales négocient cette réciprocité,l'intérêt pour le chercheur de s'attacher à l'étude de dispositifs qui offrent uncaractère transversal est de faire apparaître ces jeux de négociation qui restentmasqués si on étudie qu'une seule action. A la fameuse question de pourquoitelle coopération réussit là ou telle autre échoue, on peut commencer à répondrequ'il faut s'intéresser à l'horizon ouvert par ces coopérations. En ce qui concernenotre terrain d'enquête, les coopérations avortées portaient sur des objets qui nepouvaient être mobilisés dans plusieurs dispositifs de manière parallèle ouconsécutive. Il existe un mythe en matière de politique de formationprofessionnelle, il s'agit de savoir ce que veulent (en supposant unecommunauté d'intérêts) les acteurs économiques, le bon vouloir des entreprisesest au centre des débats dans de nombreux dispositifs mais les partenaireséconomiques sont le plus souvent absents des tables de négociation. Les organesde consultation faisant la part belle aux partenaires sociaux sont extrêmementpeu mobilisés. Si l'on prend en compte l'ensemble des coopérations à l' œu vre,

150

on remarque que dans chaque dispositif tout fonctionne comme si il n'était paspossible de déterminer si les acteurs économiques représentent des partenaires,des ressources éventuelles, des capacités d'expertises ou font partie du public à.satisfaire. Ne sachant que faire des acteurs économiques, les partenaires publicssont dans l'incapacité de définir avec eux une forme de réciprocité quipermettrait leur engagement dans l'action.

C~s considérations avaient pour but de dessiner le paysage de lacoopération, nous allons maintenant nous intéresser à ces modalités et définir lerôle que le territoire joue dans le processus coopératif.

3. LE TERRITOIRE COMME PRINCIPE D'EQUIVALENCE

Nous proposons de définir la coopération comme un processus d'échange(Cordonnier 1997) donc une relation dont la première caractéristique est que les« coéchangistes estiment chacun pour soi le bien à acquérir davantage que lebien à donner» (Schumpeter 1911). Les dimensions du temps et de l'espacepermettent d'expliquer comment cet échange s'organise. Estimer le bien obtenusupérieur au bien donné est une proposition commune à l'échange marchand età l'échange qui s'établit dans le cadre de la conduite des politiques publiques,l'originalité de ce dernier est qu'aux côtés des biens acquis et des biens donnés,s'ajoute un bien produit par l'acte d'échange. Le processus d'échange vise àassurer que la coopération aura lieu et que ce bien collectif sera produit.L'analyse du résultat de la coopération ne doit, cependant, pas se faire audétriment de la connaissance de la structure même de l'échange. Tout échangenécessite un moyen et un principe d'équivalence.

La multiplicité des dispositifs mobilisables par et pour l'action publiquereprésente autant de moyens potentiels pour engager des processus d'échange.On peut citer trois principaux types de moyens permettant l'échange:mobilisation d'un dispositif existant, recours à une forme de contrat (contratd'objectif) ou création d'une instance nouvelle. Dans l'exemple citéprécédemment de la coopération entre CR et CG pour la réalisation d'actions deformations spécifiques à destination du public rmiste, une association type 1901a été créée pour permettre un partenariat entre les deux collectivités territoriales.La question du principe d'équivalence a été plus délicate à déterminer que laqualification des moyens nécessaires à l'échange. Il a été difficile de trouver uneunité permettant de saisir à la fois comment les différents acteurs mesuraient lesbiens qu'ils détenaient par rapport à ceux détenus par leurs possiblespartenaires et de quelle manière ces différents partenaires arrivaient às'entendre sur au moins une chose, le fait que les parties en présence étaientlégitimement aptes à engager une coopération. Nous nous sommes aperçus quec'est le territoire qui fait fonction de principe d'équivalence dans ces processusd'échanges coopératifs. Avant tout ancrage géographique, le territoire tel qu'ilest entendu dans les politiques publiques est un espace social et économiquecohérent présentant une problématique pouvant faire l'objet d'une interventionpublique. Cette définition du territoire est partagée par l'ensemble des

151

partenaires, en premier lieu par les institutions. Le passage par une référence auterritoire leur permet de mesurer leurs actions et leurs moyens d'interventionssans que cela mette en cause les compétences propres à chacune. A minima ceprincipe d'équivalence permet à une mairie d'intervenir sur la question del'emploi dans un quartier de la commune sans mettre en cause la positiondominante de l'ANPE, sur ce même quartier le Conseil Régional pourrafavoriser l'implantation des entreprises et le Conseil général mettre en place uneaction en faveur des mères de familles isolées. Généralement, les différentesinstitutions citées n'ont pas intérêt à disperser leurs énergies et à mener ainsi desactions isolées sur le même quartier, à un degré plus élevé ce principed'équivalence va permettre une mesure des biens proposés par chaqueinstitution pour dynamiser le territoire en question et suivant la définition de laproblématique et des enjeux du territoires, l'une ou l'autre des institutions seradésignée comme chef de file et assurera la réussite de la coopération. Laréférence au territoire permet aussi de résorber les rivalités entre les coopérantset de ménager les susceptibilités, chaque institution entend garder jalousementses prérogatives, le fait de parvenir à s'entendre sur un territoire toujoursinférieur aux délimitations géographiques administratives de chaque institution(comme l'est un quartier ou un arrondissement) permet à toutes de pouvoirprétendre à participer à la coopération.

La notion de territoire met de l'ordre dans, le processus de coopération,elle lui confère aussi une lisibilité. Nous mentionnions en introduction que laterritorialisation renvoyant à une conception particulière de ce que doit être unepolitique juste. Le recours au territoire en tant que principe organisation descoopérations permet de légitimer l'action publique d'un point de vuequanti tati£. La particularité des coopérations en poli tiques publiques est qu'enplus de produire un résultat pour chaque participant, un nouveau bien estproduit par l'action collective. Ce bien doit être conforme à un certain nombrede critères pour être légitime, le plus important de ces critères est qu'il doitexprimer la rationalité de l'action. Les procédures d'évaluation ontgénéralement pour but d'évaluer cette rationalité au regard des territoiresd'action choisis: cartographie, statistiques, tableaux de bord comptables sontalors autant d'outils mobilisés pour rendre compte de la cohérence d'espacesgéographiques qui n'ont pas été sélectionnés comme cadre de la coopération enraison d'un argument de cohérence interne mais parce qu'il pouvait êtrecohérent, d'un point de vue politique, que chacun des partenaires institutionnelsy interviennent. Examiner les procédures par lesquelles le bien produit par lacoopération est reconstruit à posteriori comme la raison légitime de lacoopération complèterait l'analyse qui vient d'être proposée.

152

PRESAGE/ UN LOGICIEL DE GESTION OU

DE RECOMPOSITION DES TERRITOIRES?

Xavier Marchand- Tonel & Vincent Simoulin

Xavier Marchand-Tonel est professeur agrĂ©gĂ© (PRAC) Ă  l'UniversitĂ©Toulouse I et doctorant au LEREPS. Ses recherches portent sur l'impact despolitiques rĂ©gionales communautaires sur les systèmes politiques locaux. Il a, enparticulier, copubliĂ©, avec Vincent Simoulin, «Les fonds europĂ©ens rĂ©gionauxen Midi-PyrĂ©nĂ©es: gouvernance polycentrique, locale ou en trompe-l'Ĺ“il? »,Politique europĂ©enne, n° 12, hiver 2004, pp. 22-41.Courriel: Xavier.!\[email protected]

Vincent Simoulin est chercheur au LEREPS (UniversitĂ© de Toulouse 1Sciences sociales). Ses recherches portent sur les modalitĂ©s de l'europĂ©anisation,le changement organisationnel et les mĂ©thodes pour le saisir. Il a notammentpubliĂ© La CoopĂ©ration nordique. L'organisation rĂ©gionale de l'Europe du Nord depuisla tentative autonome jusqu'Ă  l'adaptation Ă  l'Europe (ParĂ®s: L'Harmattan,Collection Logiques Politiques, 1999) et (avec Romain Pasquier et JulienWeisbein) La gouvernance territoriale. Pratiques, discours et thĂ©ories (Paris: LCD},2007, Ă  paraĂ®tre). Courriel : [email protected]

~. .. .. .. ., .. .. .. ., ,,.,.

Cet article saisit rimpact d'un instrument (le logiciel PRESAGE) sur la mise en œuvredes fonds structurels en Midi-Pyrénées. Il compare pour cela la période antérieure à sonintroduction à la phase suivante. L'étude montre que les conséquences correspondent à uneredéfinition du champ des acteurs et de leurs relations. On peut de ce fait tenir cetinstrument pour un outil de recomposition plus que de gestion des territoires.

i Abs tract !I

The text deals with the impact of a tool (the PRESAGE software) on the implementation ofI

1 the structural funds in Midi-Pyrénées. It compares the period before its utilisation to the i

I following phase. The present study shows that the effects correspond to a redefinition of the I!

::::'::,

field of actors and of their connections. Therefore, this software is more than a management:

:::.

':::

tool: it contribu tes to the restructuring of the relationship between territories.

L ;

153

Un instrument de l'action publique peut être défini, dans un cadresociologique, comme « un dispositif à la fois technique et social qui organise desrapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires enfonction des représentations et des significations dont il est porteur»(Lascoumes Le Galès 2004). Selon ces mêmes auteurs, placer les outils au centrede l'analyse peut éclairer les mutations des politiques à deux titres au moins, àtravers les valeurs et normes qui leur sont associées et en fonction de la façondont les acteurs les intègrent - ou pas - dans leurs stratégies et leurs pratiques.

Il est rare, toutefois, de pouvoir saisir de façon quasi pure l'impact d'uninstrument en comparant la phase antérieure à son évolution et celle où semanifestent les effets qu'il induit. C'est cette perspective que nous offre l'étudede la mise en œuvre des fonds structurels en Midi-Pyrénées, puisque nousavions observé la phase de programmation 1994-1999 (Marchand-TonelSimoulin 2004) et avons renouvelé cette enquête sur le même territoire dans uneseconde période marquée par l'introduction d'un logiciel de gestion69.

Notre première étude avait conclu qu'à partir de 1998, l'attribution duFonds européen de développement régional (FEDER) a donné lieu àl'émergence d'une véritable gouvernance régionale, animée pour l'essentiel parle Secrétariat général aux affaires régionales 70 (SGAR). Cette hypothèse a étéconfortée par le fait que le champ de compétences de cet acteur a été étendu, aucours de la phase 2000-2006, par le programme FEDER Objectif 271: lesenveloppes départementales ont été supprimées et l'octroi des crédits européensest désormais effectué au niveau régional. Pour aider les membres du SGARdans leurs tâches,' un logiciel de gestion, baptisé «PRESAGE », a donc étéinstallé, qui permet à ses utilisateurs, connectés en réseau, de se transmettre desinformations sur les dossiers de demande de financements.

Constate-t-on effectivement que PRESAGE a été pris en compte par lesacteurs dans leurs pratiques et stratégies? A-t-il provoqué des changements dereprésentations? Peut-on le considérer comme un simple logiciel de gestion oudoit-on conclure qu'il a conduit à une certaine recomposition des systèmespolitiques locaux voire des territoires eux-mêmes?

69 Il est vrai, comme on le verra, que d'autres changements ont marqué le passage d'unephase de programmation à l'autre, nous nous centrerons, toutefois, ici sur la seuleintroduction de PRESAGE.

70Le Secrétariat général pour les affaires régionales regroupe les services de la Préfecturede Région. il est dirigé par un Secrétaire général, qu'on appelle aussi « le SCAR ». Dansnotre cas, toute mention du SCAR fera référence aux services et non à leur responsable.

71 Le programme européen Objectif 2 2000-2006 comprend trois volets, financésrespectivement par le FEDER, le Fonds social européen (FSE) et le Fonds européend'orientation et de garantie agricole (FEOGA), qui a été remplacé à l'automne 2006 parle Fonds européen agricole garanti (FEACA) et par le Fonds européen agricole pour ledéveloppement rural (FEADER). Notre étude porte uniquement sur le premier d'entreeux.

154

1. UNE REDEFINITION DU CHAMP DES ACTEURS

Comme tout logiciel de gestion, PRESAGE a eu pour premièreconséquence de déterminer un périmètre au sein duquel tous les acteursconcernés ne sont pas nécessairement admis et où ceux qui le sont n'ont pas lemême statut.

Il apparaît, de fait, que tous les organismes associés au programme n'ontpas un accès direct à PRESAGE et que certains doivent passer par unintermédiaire pour connaître les détails d'un dossier. C'est le cas notammentd'un Conseil général, du Conseil économique et social régional (CESR), deschambres consulaires et des mairies. Il faut distinguer, dans cet ensemble, ceuxqui, comme le CESR, souhaiteraient avoir le logiciel et à qui il n'a pas étéaccordé par le SGAR, et ceux qui, comme un Conseil général, ont refusél'installation de PRESAGE.

Ce logiciel n'offre, en outre, pas les mêmes fonctionnalités à tous ceux quisont conduits à s'y connecter. De ce point de vue, les utilisateurs de PRESAGEse répartissent en deux grandes catégories. Les services de l'État (le SGAR, lespréfectures, les directions régionales, les trésoreries générales et le Commissariatà l'aménagement des Pyrénées) et les responsables de la « subvention globale»

72

au Conseil régional assurent des saisies d'informations sur PRESAGE et fontévoluer les dossiers de demande de subvention en leur faisant franchir lesdifférentes étapes de la procédure. Les autres (les Conseils généraux, lesdirections départementales déconcentrées et les sous-préfectures) peuventseulement se tenir informés du cheminement d'une opération ou de l'état partielou total des financements déjà accordés.

Il faut souligner, en particulier, que l'étiquetage d'un dossier comme« programmé» est réservé au SGAR et que, de même, la possibilité de lire et afortiori d'écrire les informations relatives aux contrôles est très limitée.

«Seuls les agents de la CREC (Contrôle des programmes européens) sonthabilités à accéder en mise à jour de ['écran Contrôle-OLAF. La CICC et les services dela TG ont accès en lecture seule, les autres services n'ont pas ['accès même enconsultation» (note technique du SCAR).73

Signalons, enfin, que cette redéfinition de la hiérarchie des acteurs duFEDER Objectif 2 en Midi-Pyrénées est garantie par un verrouillage de lamaintenance du système: seuls deux agents du SCAR ont la capacité techniquede résoudre les dysfonctionnements que connaît parfois le logiciel.

72 La «subvention globale» est la partie, réduite, du programme Objectif 2 géréedirectement par le Conseil régional.

73 La Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC), française, etl'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) sont tous les deux chargés d'encadrer etd'examiner les contrôles réalisés au niveau local (en Midi-Pyrénées, par la CREC, unesubdivision du SCAR).

155

2. UN OUTIL D"APPRENTISSAGE COLLECTIF

Parce qu'il joue aussi un rôle de base de données, PRESAGE a égalementeu pour effet d'accroître la réflexivité et le caractère collectif du dispositif decoopéra tion.

Son installation a, en effet, mis fin à une situation où chaque départementavait son propre outil de gestion du FEDER. Elle s'est accompagnée del'acquisition progressive par l'ensemble des acteurs régionaux des codesimposés par PRESAGE. Un exemple en est fourni par le « statut» d'une opéra-tion, c'est-à-dire sa place dans le processus de programmation, qui est désignépar une simple lettre, «D » pour « dé~osé », « C» pour indiquer le passage en«Comité régional de programmation 4» (CRP), «0» pour «programmé»...

Au-delà des formulations, ce sont aussi les différentes étapes de la procédurequi ont été uniformisées par l'utilisation de PRESAGE: chacun est obligé desuivre à peu près les mêmes car le logiciel bloque toute tentative pour passer àune nouvelle étape de la vie d'un dossier sans avoir satisfait toutes les exigencesdu palier précédent.

De surcroît, PRESAGE permet de se tenir au courant de ce qui a étéprogrammé dans tous les départements et/ ou sur chaque mesure. Il contribueainsi à l'évolution et aux ajustements des comportements: d'une part, lesdossiers montés par les uns peuvent servir de modèles aux autres; d'autre part,les réactions des responsables du programme (SGAR, CICC, Commissioneuropéenne) aux informations contenues dans la base de données permettent desavoir ce qu'ils sont prêts à accepter. C'est probablement une des dimensions oùle caractère polycentrique de la gouvernance du programme est le plus marqué.Le SCAR est, cependant, le grand bénéficiaire de cette « transparence» 75car il abeaucoup moins de difficultés que par le passé à connaître la façon dont lesdépartements utilisent les crédits européens.

3. UNE DEMATERIALISATION DES RAPPORTS SOCIAUX

En ce qui concerne le traitement de l'information, le gain de temps etd'espace offert par PRESAGE est substantiel76 par rapport aux dossiersconstitués d'une chemise et de multiples feuilles. Ceux-ci n'ont pas pour autanttotalement disparu mais ils sont devenus beaucoup plus rares.

74 Les Comités de programmation sont les réunions au cours desquelles l'attribution desfonds européens est décidée.

75 C'est un des bénéfices attendus de PRESAGE, selon le document qui indique les règlesde l'organisation du programme Objectif 2 2000-2006 au niveau régional.

76D'innombrables renseignements sur le programme sont accessibles très rapidementgrâce à un simple ordinateur, pour ceux qui ont le logiciel.

156

Néanmoins, les répercussions de la dématérialisation du travail réalisépar PRESAGE ne se limitent pas à des considérations d'efficacité: le logiciel aégalement affecté la nature des interactions sociales. Il a limité la fréquence desrapports de « face-à-face» et, de ce fait, il a contribué à atténuer les tensions quine manquaient pas de naître autour de certains projets particulièrement« appuyés» - c'est la litote usuelle pour désigner une pression politique - oudans les situations de pénurie des crédits européens. Les rapports de force ontainsi été euphémisés par la médiation informatique.

Cet effet est d'autant plus marqué que PRESAGE a également accru ledécalage entre la «rationalité économique» et la «rationalité politique» duprogramme (Friedberg 1993) en éloignant du terrain les acteurs. Ceux-ci, enpartie à cause de l'utilisation du logiciel, ont consacré moins de temps à la visitedes sites des opérations et à la rencontre des porteurs de projet. Ces réalités sontdevenues des codes, des nombres et des commentaires. La matière qu'il s'agit detraiter a ainsi perdu une partie de son caractère concret pour devenir plusimmatérielle et plus aisément manipulable.

4. DES STRATEGIES DE DISSIMULATION

Tous les effets que nous venons de décrire ne doivent, toutefois, paslaisser croire que les acteurs seraient restés passifs face à l'introduction dePRESAGE et que leurs représentations et pratiques auraient changé sans qu'ilssoient en mesure d'élaborer et de mettre en œuvre de véritables stratégies à sonsujet.

PRESAGE est, de fait, le support et l'instrument de stratégies dedissimulation. Il ramène une réalité infiniment complexe à quelques caracté-ristiques et à un petit nombre de données chiffrées, ce qui autorise parfois untravestissement de la réalité par le service chargé de remplir PRESAGE: onoublie tel aspect gênant; on invente telle délibération qui n'a pas encore eu lieu,etc. La formulation et la diffusion de l'information relèvent quelquefois decomportements stratégiques pour circonvenir le SGAR, qui n'en peut mais...

Celui-ci n'est cependant pas toujours une victime de ces comportementset peut en être le complice: il s'agit pour lui de dissimuler aux autres acteurs (lesdépartements ou directions régionales déconcentrées mais aussi la CICC et laCommission) ce qu'il a accordé à tel ou tel, afin de préserver ses marges denégociation. PRESAGE peut même alors devenir une aide. En effet, une façon dene pas attirer l'attention sur une opération au cours d'un CRP est de n'y faireallusion qu'à travers son numéro et, si possible, au milieu d'une liste d'autresnuméros.

En outre, PRESAGE a permis au SGAR, à la fin de la période, d'entretenirun certain flou autour des montants encore disponibles sur les différentes sousmesures du programme ou accordés à chacun des départements de la région. Endehors du SGAR, ces calculs, évidemment stratégiques pour les acteurs, nepouvaient être réalisés qu'« à la main », pour reprendre l'expression

157

systématiquement utilisée. Ils étaient simples mais extrêmement fastidieux àréaliser quand des centaines d'opérations étaient à prendre en compte. Ilsn'étaient donc, en général, pas effectués. Le SGAR a vu ainsi se renforcer saposition d'arbitre entre les derniers dossiers à programmer dans les négociationspré-CRP.

Les conclusions de notre étude ne sont pas douteuses. Elle révèleincontestablement que les particularités de PRESAGE ont altéré et spécifié deplusieurs manières l'attribution des fonds liés au FEDER Objectif 2. Nonseulement PRESAGE a modifié les représentations et les interactions des acteurs,mais ceux-ci ont développé à son sujet des stratégies variées. De ce point de vue,ce logiciel s'apparente bien à cette « technologie invisible» dont Michel Berry(1983) et, plus largement, toute l'école du Centre de Recherche en Gestion (CRG)ont montré qu'elle n'était en rien un auxiliaire discret et efficace du pouvoirmais qu'elle influait profondément et durablement sur les comportementshumains et les structures organisationnelles.

Peut-on dire, pour autant, qu'il a effectivement provoqué unerecomposition des territoires? Qu'il a contribué à la conclusion de nouvellesalliances entre les acteurs et à une modification de la carte cognitive du systèmepolitico-administratif de Midi-Pyrénées? Répondre à ces questions supposeraitune étude systématique qui prendrait notamment en compte le développementdes intercommunalités et des pays qui s'est effectué de façon à peine antérieureà l'introduction de PRESAGE. On touche ici à la limite de notre entreprise qui,comme toute comparaison en matière politique et sociale, ne peut jamaistotalement isoler l'effet d'une seule variable. On aimerait, toutefois, esquisserl'hypothèse paradoxale que PRESAGE aurait à la fois favorisé une intégrationau niveau régional et conforté l'autonomie des acteurs locaux. Comme toutlogiciel dont le fonctionnement suppose la transmission de données et unecertaine bonne volonté des acteurs dont il est censé régir les actions, PRESAGE aconduit à un arrangement: les acteurs centraux obtenant une vue d'ensemble audétriment des éclairages ponctuels mais plus approfondis que leur offrait lecontact avec le terrain, tandis que les acteurs locaux devaient renoncer à unepleine maîtrise de la gestion des fonds européens mais y gagnaient une plusgrande visibilité et prévisibilité sur l'issue des négociations avec les acteursrégionaux. C'est en cela que nous tendrions à affirmer que PRESAGE aeffectivementcontribué à une double recomposition des territoires.

158

LES IMPROBABLES BILANS DES 'LABORATOIRES'

ET AUTRES EXPERIMENTATIONS DE LA DECENTRALISATION CULTURELLE

Mireille Pongy

Mireille Pongy est chargĂ©e de recherches au CNRS, laboratoire PACTE-Sciences Po Recherche, lEP de Grenoble. Elle conduit des recherches sur l'actionpublique dans le domaine de la culture, en particulier sur les modes degouvernance multi-niveaux et sur la dĂ©centralisation. Elle s'est Ă©galementintĂ©ressĂ©e ces dernières annĂ©es aux effets des rĂ©formes des systèmes nationauxd'enseignement supĂ©rieur en Europe (processus de Bologne) et dans l'UnioneuropĂ©enne. Elle a rĂ©cemment dirigĂ© une formation de Master Ă  l'administrationet au management culturel Ă  l'lEP de Grenoble.Courriel: [email protected]

Résumé

La fabrication de la loi de 2004 (( Acte II de la décentralisation») a bénéficié, dans le domaineculturel, de plusieurs lieux de réflexions et d'expérimentations supposés éclairer les nouvelles l1zesuresà intégrer dans la loi. Or c'est paradoxalement l'absence de cohérence des articles de loi concernant laculture qui retient l'attention. L'analyse du processus de production revèle la position défensive del'administration centrale du ministère de la Culture vis-à-vis de ce qui est vécu cOl1lme undessaisissement de ses prérogatives et de ses compétences. Face à l'avancée de la décentralisation,l'administration centrale ne semble plus en mesure de porter « l'intérêt général », autrement dit unevision globale de la politique culturelle, lorsque ses propres intérêts sont menacés. Cependant, saposition toujours dominante dans l'écriture de la loi souligne a contrario l'absence des collectivitésterritoriales et en particulier des exécutifs territoriaux chargés de mettre en oeuvre des pans croissantsde l'action publique, dans cette même écriture. Le développement de l'action publique territorialetransforllle la nature du politique au niveau local (de plus en plus impliqué dans l'action) et interrogesa représentation au niveau national (absence des collectivités territoriales au Parlement).

Abstract

Concerning the cultural field, the 'writing of the law « Decentralisation Act II» in 2004 was hiformedby several reflexions and experimentations which 'lvere supposed enlightening measures to be adoptedin the new la'lv. Paradoxically there is a lack of coherence behveen the la'lv's articles. Analyzing theproduction process sho'lvS the defensive position of the central administration of the 111inistry ofculture, 'lvitlr respect to 'lvlratis felt like a dispossession of its prerogatives and its competences. Facingadvanced decentralization, the central adl11inistration do not seem any l1lOre able to produce" thegeneral interest", in other words to produce a global vision of the cultural policy, when its O'lvninterests are threatened. HO'lvever its ahvays dominant position in the "lvriting of the la'lv, a con trariounderlines the absence of the local authorities and hl particular of the territorial executives busy 'lvithimplementation increasing sides of the public action, hl this same 'lvriting. The development of publicaction at territoriallevel transforms the nature of politics at the locallevel (more and more implied inthe action) and questions it at the nationallevel (absence of the local authorities at the Parliament).

159

Actualisation législative et juridique des responsabilités des différentescollectivi tés publiques dans certains domaines d'action publique, la loi d' aoû t2004 relative aux libertés locales, qualifiée d' « Acte II de la décentralisation »,cristallise des évolutions dans les représentations de la conduite de l'actionpublique et induit de nouveaux changements dans les domaines d'actionpublique concernés par la loi, à travers des transferts ou des clarifications deresponsabilités et de compétences.

On cherchera à montrer ici comment les modes spécifiques de productionde cette loi dans le domaine culturel renvoient à une représentation d'autantplus éclatée de la construction de l'action publique que la loi concerne lesinstruments et les cadres institutionnels mais ne reformule pas les objectifs et lecadre normatif qui auraient construit un nouveau sens de l'action.

Convié comme chaque ministère technique à nourrir le projet de loi relatifaux libertés locales et à proposer des mesures de décentralisation dans sondomaine, le ministère de la Culture a proposé des dispositions concernant lesdeux secteurs du patrimoine et des enseignements artistiques. Si les mesures quiconcernent le patrimoine relèvent d'une approche classique « top-down» d'untransfert de compétences, celles qui concernent les enseignements artistiquessont davantage une tentative de clarification des responsabilités des différentescollectivi tés publiques77.

La fabrication de cette loi a bénéficié du travail de plusieurs lieux deproduction de réflexions sur la décentralisation culturelle au cours des annéesqui en ont précédé le vote.

Le caractère novateur de l'expérience de décentralisation culturelle menéeen Corse avait été énoncé par l'Etat. De fait la politique de décentralisation et detransferts de compétences menée en direction de la Corse à l'occasion de la miseen place d'un nouveau statut de cette région en 1982, (actualisé en 1991 puis en2002)78 a notamment abouti à dessaisir l'Etat de cette politique publique et àconfier à la Collectivité Territoriale de Corse l'orientation, le pilotage et la mise

77 La loi prévoit le transfert de l'inventaire du patrimoine culturel aux Régions. Elleprévoit à titre expérimental, la délégation aux régions, ou à défaut aux départementsqui le souhaitent, de la gestion des crédits affectés par l'Etat à l'entretien et à larestauration du patrimoine classé ou inscrit qui ne lui appartient pas. La Région peut àson tour confier la délégation de la gestion de ces crédits aux départements de sonterritoire. Enfin l'échelon départemental est désigné comme responsable de laconservation du patrimoine rural non protégé. Le transfert d'une centaine demonuments historiques, appartenant à l'Etat, aux collectivités territoriales qui en font lademande, est également prévu. Dans le secteur des enseignements artistiques, la loiclarifie la responsabilité de chaque collectivité selon les niveaux d'enseignement:enseignement initial et éducation artistique aux communes et aux départements, pré-professionnel aux régions, supérieur à l'Etat. En proposant cependant le transfert auxrégions et aux départements des fonds destinés au fonctionnement des établissementsd'enseignement artistique, que l'Etat accordait jusqu'à présent aux communes, l'Etat seretire du dispositif de financement, mais conserve la responsabilité du classement desétablissements, ainsi que la définition des qualifications et l'évaluation des enseignants.

78 La mise en place des trois statuts successifs de la Corse a été menée par desgouvernements de gauche.

160

en oeuvre de la politique culturelle. «Susceptible d'intéresser l'ensemble desrégions françaises », selon les termes du contrat de plan Etat-CollectivitéTerritoriale de Corse qui la programmait, son évaluation a été réalisée à la findes années 1990.

Un Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturelinstallé en 1999, avait pour mission d'examiner les responsabilités respectives del'Etat et des collectivités territoriales et d'aborder le sujet d'une nouvellerépartition des compétences. Également créée en 1999, une Commission pourl'avenir de la décentralisation présidée par P. Mauroy devait proposer un bilandes lois de décentralisation de 1982-1983 et tracer de nouvelles perspectives.

Enfin deux dispositifs spécifiques mis en place à partir de l'année 2000par les gouvernements (gauche puis droite) qui se sont succédé jusqu'au vote dela loi en août 2004, avaient pour objectif d'informer la réflexion sur ladécentralisation culturelle que les deux gouvernements entendaient relancer.

1. LES LEÇONS DES EXPERIMENTATIONS

La politique des protocoles de décentralisation culturelle conduite àl'initiative des ministres de la Culture et secrétaire d'Etat au patrimoine et à ladécentralisation, nommés en février 2000, répondait à une incitationgouvernementale à mener des expérimentations en vue d'une nouvelle étape dela décentralisation, dont ni les objectifs, ni le contenu, ni le calendrier n'étaientalors arrêtés. Les protocoles de décentralisation culturelle mis en place en 2001-2002 liaient par contrat des collectivités territoriales volontaires et l'Etat-ministère de la Culture. Ils avaient pour objet de contribuer à la clarification et àla redéfinition des responsabilités de chacune des collectivités et de l'Etat parl'expérimentation de nouveaux rôles, dans les deux domaines du patrimoine etdes enseignements artistiques.

Une première série de protocoles (7) sera signée en 2001. La signature dela seconde sera momentanément interrompue par l'élection présidentielle demai 2002, mais le nouveau ministre reprendra la démarche à son compte et 5nouveaux protocoles seront signés. L'hétérogénéité des protocoles tient en partieau cadre ouvert de la procédure permettant à des projets territoriaux divers des'inscrire dans la procédure, à la configuration d'acteurs différents selon leslieux et à une approche pragmatique et volontariste d'une bonne partie desacteurs impliqués. Dotés d'un budget non négligeable, certains protocoles ontpermis aux collectivités territoriales de mettre en place des projets qu'ellesn'auraient pu lancer seules ou d'abonder financièrement des actions inscritesdans les contrats en cours et notamment les volets culturels des contrats de plan.

Le protocole signé par le département de l'Isère est particulièrementemblématique de la démarche, par son expérimentation d'une autre répartitiondes compétences entre collectivités, fondée sur la distinction entre intérêtnational et intérêt territorial du patrimoine. S'appuyant sur les principes desubsidiarité et de collectivité chef de file, le conseil général proposait de prendre

161

en charge l'ensemble de la politique concernant une des deux catégories dupatrimoine protégé par l'Etat: les monuments inscrits, assimilés à un patrimoined'intérêt territorial. Les monuments classés, assimilés à un patrimoine d'intérêtnational, restaient du ressort de l'Etat. La qualité et la sophistication de ladémarche tenaient notamment à la professionnalité de la conservation dupatrimoine du département, la plus développée de France. Cetteprofessionnalité permettait aux conservateurs départementaux de négocier àégal niveau de qualification avec la conservation régionale des monumentshistoriques, service déconcentré du ministère de la Culture.

Le nouveau ministre de la Culture poursuivra certes la politique desprotocoles, mais lancera surtout une autre expérimentation, s'inscrivant dansune nouvelle étape de décentralisation, alors devenue première priorité dunouveau gouvernement79. Mis en place dans deux régions gouvernées par despartis différents (Lorraine et Midi-Pyrénées), ce dispositif avait vocation àproduire des préconisations visant à préciser et simplifier les relationscontractuelles entre les différents partenaires, à contribuer à une plus grandeefficacité des actions menées et à proposer des mesures de décentralisation là oùelles semblaient nécessaires. Ces préconisations se fondaient d'abord sur laréalisation d'études et de diagnostics sur l'état des lieux des actions culturellesmenées dans les deux régions. Elles devaient émerger ensuite d'un travail demobilisation et de concertation de l'ensemble des acteurs culturels concernésdans chaque région (les professionnels, les techniciens des collectivitésterritoriales et de l'Etat, quelques élus, les enseignants...) à l'occasion d'une sériede rencontres organisées conjointement par l'Etat et le Conseil Régional.

Destinées à alimenter le contenu d'une future loi de décentralisation, cesdeux expérimentations (protocoles et expérimentations régionales) ont été prisesde vitesse par la volonté primo ministérielle de mettre très rapidement lanouvelle étape de décentralisation sur l'agenda législatif. Le projet de loi a étérendu public avant que les expérimentations ne soient terminées et sesévaluations réalisées. Les articles de loi concernant le domaine culturel faisaientapparaître que l'administration centrale de la culture avait peu tenu compte desexpériences et expérimentations menées dans sa rédaction des articles. Cettepublication a provoqué l'amertume des acteurs concernés. Le département del'Isère a refusé de poursuivre l'expérimentation et a dénoncé le protocole.

Il faut ajouter que dès le lancement de la politique des protocoles,l'administration centrale de la culture et en particulier la direction dupatrimoine avait peu apprécié cette initiative du nouvel échelon politiqueministériel qui bousculait sa réflexion et son action sur l'avenir de ladécentralisation culturelle. Peu présente au début des protocoles,l'administration centrale, soucieuse de contrôler l'évolution du processus, a

79 Sur le plan de la méthode, la seconde expérimentation était moins innovante que lapremière. Mais en abordant l'ensemble du champ culturel régional et en concernantl'ensemble des acteurs culturels, elle a mis en avant la volonté des acteursprofessionnels de la culture de contribuer à l'émergence d'un espace d'action culturelleau niveau régional et leur moindre intérêt à proposer des préconisations sur lesréformes à entreprendre au niveau national.

162

cependant rapidement rejoint les travaux du groupe de suivi et d'Ă©valuation desprotocoles.

2. LA SPECIFICITE DES SITUATIONS LOCALES

Certains arguments ont ensuite été avancés pour légitimer la non-prise encompte des leçons des expérimentations, voire les disqualifier, comme la tropgrande spécificité des situations locales. Tel est le cas pour le protocole del'Isère, la conservation du patrimoine de l'Isère étant exceptionnellement dotéede professionnels qualifiés et de financements conséquents par rapport auxautres départements8o. Tel est également le cas de l'expérience corse dontl'évaluation soulignait pourtant moins les spécificités locales81 que lesimportants dysfonctionnements révélés dans l'administration des questionspatrimoniales, à partir du moment où l'Etat n'en avait plus le monopole. Ladévolution de l'ensemble de la politique culturelle à la Collectivité Territorialede Corse en 2002, a permis à l'administration centrale du ministère de la Culturede ne pas répondre aux interrogations réitérées des services patrimoniaux de laCollectivité Territoriale de Corse face à ces dysfonctionnements. Elle lui a de faitpermis d'économiser, ou au moins de différer dans le temps82, un vaste chantierde redéfinition et de refondation de la politique du patrimoine qui auraitnécessairement bousculé les positions des corps les plus puissants de cetteadministration, déjà largement remis en cause, par les élus notamment.

D'autres raisons peuvent encore éclairer le contenu des articles de la loi.Prenons le cas de l'inventaire du patrimoine culturel, seul domaine dont la loi atransféré la conduite aux Régions. Les problèmes récurrents posés parl'intégration des services de l'inventaire au sein des conservations régionales desmonuments historiques étaient connus. La logique scientifique dans laquelle lesconservateurs de l'inventaire inscrivent leur activité de recherche et d'études,leur stratégie de publication destinée d'abord à la communauté des pairs, lalenteur des travaux menées se traduisaient par une absence de coopération deces acteurs à la politique intégrée de protection et de gestion du patrimoinemenée au sein des Directions Régionales des Affaires Culturelles. Autre facteurfacilitant la décentralisation de l'inventaire aux Régions: les conservateurs de

80 Le déficit des collectivités territoriales en moyens humains professionnalisés dans lesecteur patrimonial souligné par E. Négrier (2002) est bien réel. TI faut d'autant plussouligner qu'un des effets indirects des protocoles a été le recrutement deprofessionnels par les collecti vi tés territoriales.

81 L'énumération des «spécificités territoriales» de la Corse est tâche plus aisée quel'analyse des méandres de la politique du patrimoine dans une région où la méfiance àl'égard des évaluateurs est, pour des raisons diamétralement opposées, égale à celle del'administration centrale du ministère.

82 La délégation expérimentale aux Régions de la gestion des crédits affectés par l'Etat àl'entretien et à la restauration du patrimoine classé ou inscrit qui ne lui appartiennentpas, prévue par la loi de 2004 ne manquera pas de reposer certains problèmes

« corses».

163

l'inventaire sont un corps très peu nombreux, peu familier des media(contrairement aux acteurs du spectacle vivant) et leurs éventuelles résistancesavaient peu de chance de provoquer des problèmes politiques importants.

La régionalisation de l'inventaire a ainsi permis à l'Etat de régler certainsproblèmes, mais a été diversement accueillie par les Régions qui n'avaient pasété consultées. Leur politique culturelle est jusqu'à présent moins centrée sur lepatrimoine que sur le spectacle vivant et elles n'étaient généralement pasdemandeuses de compétences patrimoniales, alors que de nombreuxdépartements menaient une politique patrimoniale active et avaient manifestéleur intérêt pour cette compétence. En 2000, la Commission pour l'avenir de ladécentralisation présidée par P. Mauroy, avait d'ailleurs proposé le transfert del'inventaire aux départements. La volonté politique du Premier ministre derenforcer l'échelon régional a emporté la décision.

Au-delà de la question de l'inventaire, c'est l'absence de cohérence desarticles de loi concernant la culture, leur aspect de catalogue non raisonné quipose question, ce dont témoignaient les interrogations des élus, lors des travauxet des débats des Commissions du Sénat et de l'Assemblée Nationale sur leprojet de loi. ln fine c'est une représentation éclatée de la construction de l'actionpublique qui émerge, dans laquelle la définition d'orientation, d'objectifs clairset de programmes cohérents laisse place à un processus itératif et incertain deproduction de la loi et, en aval, des politiques publiques

La relative abondance des dispositifs censés informer la nouvelle étape dela décentralisation culturelle a-t-elle paradoxalement nui à sa cohérence etcontribué à sa fragmentation? Les quelques domaines concernés par la loi sontcependant ceux sur lesquels portaient déjà les débats, tant dans le domaine dupatrimoine que des enseignements artistiques et sans rechercher de vainescausalités, la loi semble avoir pris en compte l'environnement réflexif construitpar ces différentes sources.

On fera plutôt l'hypothèse que la vision fragmentée de la loi relève de laposition défensive de l'administration centrale du patrimoine dominée par lecorps des conservateurs des monuments historiques, vis-à-vis de ce qui est vécucomme un dessaisissement de leurs prérogatives et de leurs compétences. Face àl'avancée de la décentralisation, l'administration centrale est-elle encoreaujourd'hui en mesure de porter « l'intérêt général », autrement dit une visionglobale de la politique patrimoniale et plus largement culturelle, lorsque sespropres intérêts sont menacés? Et jusqu'à quand cette position de freinagetiendra-t-elle face aux contraintes du changement induit par le développementde la décentralisation?

La coconstruction d'un intérêt général partagé est-elle possible au niveaunational? Il ne s'agit pas ici de mettre en avant une vision angélique d'un senspartagé à construire collectivement, face à la perte du monopole del'administration de l'Etat, artisan et acteur central d'une politique culturelleforte depuis la création du ministère des Affaires Culturelles en 1959.L'ensemble des collectivités publiques participent aujourd'hui à la politiqueculturelle et si la réduction des financements publics inquiète nombre d'acteurs,ce sont d'abord les cadres institutionnels qu'il s'agit d'interroger. L'absence descollectivités territoriales, en tant que telles, au Parlement interdit leur

164

participation aux débats qui construisent la loi. Les élus locaux ne sontcependant plus seulement des sénateurs et les exécutifs territoriaux ont de plusen plus la charge de mettre en oeuvre les politiques publiques décidées auniveau central. Le développement toujours croissant de l'action publiqueterritoriale transforme la nature du poli tique au niveau local et interroge sareprésentation au niveau national.

165

UNE 'CULTURE' PARTAGEE DU TERRITOIRE?

LES CAPITALES EUROPEENNES DE LA CULTUREET LfEXEMPLE DE LILLE 2004

Rémi Lefèbvre

RĂ©mi Lefèbvre est professeur de science politique Ă  Reims et chercheur auCERAPS-Lille 2. Il a rĂ©cemment publiĂ© avec FrĂ©dĂ©ric Sawicki La sociĂ©tĂ© dessocialistes aux Editions du Croquant en 2006 et en direction avec Christian LeBart La proximitĂ© en politique aux PUR en 2005.Courriel : [email protected]

:............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

I

RésuméI

; En mai 1998, la ville de Lille est choisie par le conseil des ministres européens de la culture:1

ipour être capitale européenne en 2004. La redéfinition du territoire, de ses représentations,la mise en mouvement de la société locale sont posés comme les enjeux de ce projet quicombine des dimensions culturelles, touristiques, économiques et sociales. Le label« capitaleeuropéennede la culture» est construit et brandi par divers acteurs (MartineAubry, maire de Lille au premier chef) comme un projet de territoire associant l'ensembledes acteurs locaux, la dimension culturelle stimulan t et fécondant l'ensemble de ladémarche. L'analyse fait apparaître une faible mise en discussion du projet, la dilution dela dimension « culturelle» et les logiques de construction d'un leadership territorial quison t au principe de la conduite du projet.

Abstract. .. .. .

i In May 1998, the city of Lille was chosen by the Council of the European Ministers of !~ Culture as Europe's cultural capitalfor 2004. This project,combiningcultural, economic, iI

social and touristic dimensions, was associated with an agenda including the redefinitioni

! of the territory itself and of its image and the mobilisation of local associational and civic!i groups. Being awardedfor a year the title of "Europeancapital culture" was construed!I and presented by various actors, such as Martine Aubry, the mayoress of Lille, as a project II that was to gather the entire local community, with the projet' s cultural dimension acting II as an incentive and an inspiration. Our analysis highlights the fact that the project was in I! fact the object of little public discussion and that its cultural dimension ended up being!I diluted by other factors. It also delineates the dynamics concerning the construction of I

I

territorial leadership which underpin the management of the project.I

L ;

167

En mai 1998, Lille est choisie par le conseil des ministres européens de laculture pour être capitale européenne en 2004 (avec Gênes). Cette sélection estl'aboutissement d'une démarche ancienne dans laquelle le pouvoir politiques'est initialement peu inscrit. La candidature au label de capitale européenne dela culture est née au sein du Comité Grand Lille, lieu d'échanges de vue entreélus et élites économiques engagés dans le processus de /I métropolisation 11 del'aire urbaine lilloise. Créé en 1993, ce forum se donne pour ambition de créer unévénement d'envergure nationale pour positionner la métropole lilloise dans leconcert des grandes villes européennes, définir un parcours d'interna-tionalisation pour la métropole. Pierre Mauroy émet au départ des réserves surle projet présenté comme une initiative de /I la société civile 11 mais lui apportefinalement son soutien. Elue en 2001, Martine Aubry en fera un des projetsessentiels de son mandat. Le label, créé en 1985 à l'initiative de Mélina Mercouriet Jack Lang, laisse de grandes libertés aux villes qui l'obtiennent. Chaqueannée, depuis 1985, une ville d'Europe est choisie pour valoriser son patrimoine,sa créativité et ses projets.

Aucun modèle type de capitale européenne de la culture ne peut êtrerepéré. Certaines villes privilégient la restauration et la présentation dupatrimoine (Gènes), d'autres engagent d'importantes rénovations urbaines(Thessalonique ou Porto, d'autres encore proposent un festival ou deprestigieuses expositions de peinture (Rotterdam). Lille 2004, capitaleeuropéenne de la culture, recouvre un large projet à la forte transversalité qui nerelève de la seule logique de l'événementiel culturel. L'essentiel de l'opérationtient à la programmation de 2000 évènements culturels dans l'ensemble de larégion Nord-Pas-de-Calais et dans l'Eurorégion (le projet n'est pas seulementmétropolitain) dans tous les domaines artistiques. Mais la dimension culturelleest finalement assez peu présente dans la rhétorique qui porte le projet et en fixele « sens ». Le référentiel de l'excellence culturelle tend à s'effacer et à être diluéau profit de logiques de marketing territorial, de développement économique,touristique et patrimonial, de production de «lien social », de «participationcitoyenne» ou de «mobilisation de la société civile »... La redéfinition duterritoire, de ses représentations, de son devenir est posée comme un des enjeuxdu projet. Le label « capitale européenne de la culture» est construit et brandipar divers acteurs (Martine Aubry au premier chef) comme un projet deterritoire associant l'ensemble des acteurs locaux (économiques, associatifs,sociaux, institutionnels), la dimension culturelle stimulant et fécondantl'ensemble de la démarche. De multiples conventions partenariales ont étésignées autour des manifestations, avec l'Education Nationale, des organismesd'insertion, les associations... Le monde économique a été fortement associé etmobilisé, le mécénat d'entreprises atteignant 9 millions d'euros (soit le « recordeuropéen» pour une capitale européenne de la culture comme s'enenorgueillissent les organisateurs).

L'objectif est bien de valoriser et de développer un territoire à travers laconstitution d'une coalition mobilisant et solidarisant des acteurs divers autourd'une vision relativement partagée du devenir et de l'identité de la collectivitélocale. Cette dynamique est censée produire des effets de cohésion d'unecommunauté d'acteurs autour du maire qui se situe dans une positiond'intermédiation entre une pluralité d'intérêts et de secteurs d'action publique.

168

Le projet semble valoir avant tout par ce qu'il induit «d'effets latéraux decoalition, d'harmonisation cognitive, de réactualisation d'une identitécollective », la qualité du processus, à savoir la production d'un sens territorial -important autant que « la validité des fins» (Pinson 2002).

La «culture» constitue aujourd'hui, par sa plasticité et les multiplesusages qu'elle autorise, le support de la construction d'un sens partagé duterritoire. La croyance s'enracine qu'autour de la culture se joue la capacitéd'une ville à former une représentation collective unifiée, à se former commeacteur collectif et unitaire face à autres institutions comme l'Etat, l'DE oud'autres collectivités locales. La gouvernance urbaine intègre une dimensionculturelle dans la mesure où la culture permet d'intégrer des organisations, desgroupes sociaux, des intérêts différenciés et à servir de support à la constructionde stratégies collectives. La culture ouvrirait un espace de sens territorial pouratteindre des buts discutés et définis collectivement par des acteurs d'horizonsdivers. L'action culturelle fonctionnerait dès lors comme «un système decoopération» (Saez 1993) : l'espace des politiques culturelles devient un espacepolycentrique, la définition et la conduite de l'action culturelle reposant de plusen plus sur un processus d'interaction-délibération-négociation entre acteurshétérogènes. Lille 2004, capitale européenne de la culture, apparaîtemblématique de ces logiques nouvelles mais révélateur aussi de leurs limites.La légitimation de « la culture» comme support de développement territorial sefait au prix d'une dilution de son contenu, d'une hétéronomie croissante del'action culturelle et d'appropriations et bricolages multiples. Le projet revêt unedimension rhétorique essentielle, «la culture» (entendue dans une dimensionélargie) constituant un aspect essentiel de sa mise en récit et en intrigue. Enfin, lacentralité du politique et les enjeux de constitution d'un leadership local pourMartine Aubry apparaissent prégnants dans un projet qui semblait relever enpremière analyse du modèle de la gouvernance territoriale et qui participe plustraditionnellement d'une stratégie d'ancrage local. Ce qui se joue surtout àtravers ce projet c'est la construction d'une légitimité territoriale pour le mairede Lille, élue en 2001 et dont l'assise locale apparaît encore fragile.

LA MISE EN RECIT D'UN PROJET TRANSVERSAL

L'ambition de Lille 2004 excède la seule logique culturelle. On le sait, lalégitimité des politiques culturelles urbaines tient à leur capacité à constituer lesvilles et les sociétés locales en acteurs collectifs, en entités agissantes dans uncontexte de compétition internationale (Vion Le Galès 1998). Elles relèvent deplus en plus d'un modèle d'action publique attaché à manifester des valeursidentitaires et constituent à ce titre des produits d'action publique à fortrendement d'ancrage territorial. Dès lors que le territoire devient le lieu dedéfinition des problèmes publics, la culture qui peut lui donner corps, l'intégrer,en servir de support devient valorisée. Martine Aubry fait sienne la croyanceque la culture peut jouer un rôle essentiel dans la dynamisation du territoire etla mobilisation des acteurs locaux. A travers" Lille 2004 ", l'élu joue (ou pensejouer) sa capacité à construire et à porter une vision collective partagée autour

169

du territoire et à se porter garant d'un certain consensus forgée à partir d'acteursd'horizons différents. Le projet articule ainsi des dimensions identitaires, demobilisations collectives, partenariales et participatives dont la «culture»constitue le «liant» symbolique et discursif. Le projet intègre de multiplesdimensions (sociales, économiques, touristiques) qui interagissent autour de laproblématique culturelle. Les promoteurs du projet, Martine Aubry en tête,tentent de promouvoir des logiques de transversalité qui doivent mettre enmouvement la société locale en transcendant les clivages socioculturels. Lille2004 participe ainsi d'une tendance fortement soulignée par les spécialistes despolitiques culturelles à la " culturalisation" du social. Il s'agit de produire del'intégration sociale à travers la culture.

A travers Lille 2004, Martine Aubry construit la scène locale comme unlieu de concertation pertinent entre des acteurs et des arènes d'horizons diverset met en scène sa centralité dans cet espace où elle endosse un rôle demédiateur. De multiples conventions partenariales ont été signés autour desmanifestations, avec l'Education Nationale et des organismes d'insertion83.Martine Aubry s'est fortement impliquée dans le partenariat d'entreprise et metfortement en avant ses réseaux patronaux" mis à la disposition" de la ville.L'opération s'appuie sur divers dispositifs de concertation dans les" quartiers"." L'hôtel de ville ne veut pas que le projet soit un OVNI qui se pose là mais aucontraire que ce soit une démarche de coconstruction avec les habitants "8~.Lille2004 doit permettre de faire rentrer dans les quartiers le renouveau de la ville.Le concept des" métamorphoses" traduit cette territorialisation (des plasticiensinvestissent des quartiers pour les transformer). Plus de 15 millions d'euros sontconsacrés à la réalisation de "maisons folies" issues de la transformationd'anciennes friches industrielles en lieux culturels (deux sont prévues à Lilledans des quartiers populaires).

UN SENS TERRITORIAL FLOU ET PEU MIS EN DEBAT

A s'en tenir à la rhétorique du projet, le sens partagé du territoire serait àla fois le résultat et la force motrice de l'action collective. Une vision partagée duterritoire, cristallisée par la culture, serait le principe générateur de lamobilisation collective et de l'investissement d'acteurs multiples dans le projet.La culture tiendrait sa légitimité à servir de support à une entreprise deconstruction d'un sens territorial discuté et partagé. A l'examen, ce sensterritorial apparaît flou, labile et fortement bricolé. Le concept central de Lille2004 est la construction d'un «nouvel art de vivre », mot d'ordre malléablepermettant de rallier un grand nombre d'acteurs. La culture offre certes desressources identitaires, discursives, mythologiques, patrimoniales pour donner

83Le plan local d'insertion a conclu un partenariat avec la société Manpower qui formerales opérateurs de billetterie et leur proposera des contrats de travail avec une garantied'insertion.. .

84 La Voix du Nord, le 16 octobre 2001.

170

corps à des représentations unifiées du territoire. Mais ces représentationsapparaissent fragiles et équivoques. De multiples acteurs (institutionnels,associatifs, économiques ou politiques) peuvent ainsi se mobiliser pour le projet,s'y rallier et ainsi le faire exister sans en partager pour autant le « sens» ou lediscours ou une conception minimale. «Quelle inlportance accordent en fin decompte les acteurs territoriaux au 'sens partagé' des actions dans lesquelles ilss'engagent?

»

s'interrogent

JĂ©rĂ´me

Godard

et Fabien

Desage

dans leur

réflexion

critique sur l'approche des nouvelles politiques territoriales. A centrer l'analysesur le sens partagé par tous les agents, conçu à la fois comme produit et forcemotrice de l'action collective, la tentation est grande de «voiler l'existence deluttes ou d'usages différenciés des dispositifs par des acteurs aux horizons temporels, auxengage111entsinstitutionnels ou aux intérêts distincts» (Desage Godard 2005). Cesont ces usages différenciés du projet que l'on voudrait ici présenter et montrerque la rationalité procédurale mise en avant dans la conduite du projet revêt unedimension essentiellement rhétorique.

Le projet est présenté comme s'appuyant sur la définition d'un intérêtgénéral territorial construit collectivement par ces divers partenaires. De fait lescollectivités s'impliquent plus dans le projet sur la base de la croyance, relevantdu mythe ou de la prophétie (Vion Le Galès 1998), que la culture contribue audéveloppement-rayonnement des territoires que sur l'adhésion à des finscollectives partagées. Entre les institutions et collectivités locales, un consensusse dégage rapidement sur la nécessité du projet qui apparaît guère discutable etau fond suscite peu de débat (même si la légitimité de l'action culturelle faitencore problème dans une région marquée par la culture productiviste).L'implication des divers partenaires relève ainsi d'un « cela va de soi» et d'uneévidence guère discutée. Une philosophie délibérative avait présidé à la mise enplace des structures de Lille 2004. L'association Lille 2004 organisatrice desmanifestations, créée en janvier 2000, comprend quatre collèges (institutionnel,économique, culturel, «société civile »85), ces différents collèges formant leconseil d'administration. Ces divers collèges étaient initialement conçus commeles composantes d'un foruln élargi où devaient être mis en débat les orientationset les objectifs de Lille 2004. Mais très rapidement (dès mai 2002), les collègessont peu réunis, le fonctionnement de l'association devient opaque ou trèsinformel et les négociations ne sont plus explicites mais renvoyées dans descoulisses mal identifiées.

Ce que les acteurs qui participent à la mobilisation collective ont encommun est un certain nombre de croyances qui préexistent à l'action collectiveplus que celle-ci ne les génère. Pour la directrice de la communication de Lille2004, «pour tous les partenaires, c'est clair, la problématique de Lille 2004 sebase sur la volonté de se rassembler tous derrière le prisme de la culture pourdonner à la métropole et au Nord une image de modernité ». «Modernité »,« rayonnement international », « image positive du territoire », « attractivité duterritoire », « intérêt général régional », « foi en notre région» sont les finalités,les topiques, les thèmes à laquelle se réfèrent et s'adossent les acteurs. Ellesrelèvent de croyances infalsifiables ou peu mises en discussion. Le projet, s'il a

85 Ce dernier, prévu par les statuts, n'a jamais été réuni.

171

pu générer des apprentissages et du «travailler ensemble », n'a pas ainsivéritablement contribué à aligner, dans une logique processuelle dedélibération, les cadres cognitifs des divers partenaires. L'investissement dansLille 2004 des diverses collectivités obéit pour l'essentiel à des logiquesd'affichage institutionnel et de communication. De la même manière,l'implication des acteurs économiques ne vaut pas adhésion au projet ou alorssur la base d'objectifs flOUS86.La participation de nombreuses associations oustructures relève plus de l'effet d'aubaines que de l'adhésion à la « philosophie»du projet, l'association Lille 2004 fonctionnant essentiellement sur une logiquede guichet87.

USAGES POLITIQUES DE LA CULTURE ETCONSTRUCTION D'UN LEADERSHIP TERRITORIALISE

La centralité du pouvoir politique apparaît très forte dans le projet.L'investissement de Martine Aubry répond surtout à des logiques deconstitution et de renégociation d'une identité politique et de construction d'uneemprise sur le territoire. A travers ce projet qu'elle veut attacher à son nom, ellestylise son identité, accréditant des représentations de son action (" modernité"attachée à l'intervention culturelle). Il s'agit de réaménager les matériauxconstitutifs de son répertoire identitaire, d' Il adoucir" une image Il gauchie"par son expérience gouvernementale et de gommer certains traits depersonnalité (rigidité, froideur. 00).La culture apparaît comme un registre delégitimation relativement consensuelle (même s'il se heurte à une certainetradition ouvriériste). L'élue veut faire de la Il culture" une de ses marquespoli tiques. Si l'implication de l'élue va croissante au fil des mois, c'est qu'ellemesure progressivement l'absence d'autres dossiers vraiment porteurs surlesquels elle peu t s'appuyer et surtout les effets de légitilnité qu'elle peut en tirer(ou croit pouvoir en tirer) et l'imputabilité du projet (les politiques publiquessont plus ou moins Il appropriables "). Le projet confère à l'élue une centralitésymbolique très forte dans la mesure où il lui est fortement imputé. Elle faitmontre d'un activisme symbolique permanent dans sa valorisation. En activantla symbolique d'une décision coopérative, Martine Aubry essaie de construireune position transactionnelle entre le local et le national, le public et le privé,entre le pouvoir municipal et la société civile locale (Gaudin 1999). Lille 2004participe à la légitimation de sa position locale dans la mesure où elle y met enjeu sa capacité à structurer un devenir commun, à dessiner un horizon collectif.Le projet urbain est bien ici un outil symbolique qui permet de multiplier leseffets d'annonce, de démontrer un certain volontarisme, de mettre en œuvre descoalitions de cause. L'élue participe à la mise en sens de l'opération et à latraduction de ce sens dans des univers sociaux différenciés. Mais ce sens apparaît

86 L'implication des partenaires économiques tient plus aux réseaux personnels activéspar Martine Aubry que de la logique de la gouvernance territorialisée.

87Lille 2004 a labellisé et récupéré de nombreux projets ou évènements existants.

172

fragile et plus imposé que discuté. Les partenariats relèvent plus d'unethéâtralisation accrue que d'une véritable délibération et« le sens territorial»apparaît faiblement problématisé. Lille 2004 conjugue certes les nouveaux motsfétiches de l'action publique locale: codécision, coproduction, partenariatpublic-privé, proximité, participation, coordination, décloisonnement,« implication» de la « société civile»... Mais, plus fondamentalement, le projetfait l'objet d'usages politiques relativement classiques. La centralité du pouvoirpolitique demeure forte.

Le « sens» de ce projet est au final avant tout à trouver dans ses usagespolitiques. L'action publique locale devient de plus en plus bavarde et imposedes logiques de mise en récit plus élaborées. L'analyse des projets urbainsencourt toujours ainsi le risque de «prendre au mot» les rhétoriques qu'ilsmobilisent et d'accréditer une interdépendance croissante des acteurs despoli tiques locales. Là encore un certain «refroidissement théorique» est sansdoute légitime (Fontaine HassenteufeI2002).

173

DECONSTRUIRE LES LEGITIMATIONS

TECHNIQUES DE L'ACTION PUBLIQUE

Hélène Reigner

HĂ©lène Reigner est chargĂ©e de recherche Ă  l'Institut National de recherchesur les Transports et leur SĂ©curitĂ© (INRETS) et docteur en science politique (lEPde Rennes - CRAPE). Après une thèse consacrĂ©e au ministère de l'Equipementdans un contexte de territorialisation de l'action publique (Les DDE et le politique.Quelle co-administration des territoires ?, L'Harmattan, 2002), elle approfondit laquestion de l'articulation entre technique et politique dans la construction despolitiques publiques et ce, dans le domaine des transports et des politiquesurbaines. Courriel : [email protected]

I

:::.'.

~~;:;hèse est faite ici que spécifier les dimensions politiques et idéologiques de l'actionI

::::implique de déconstruire sa légitimation technique; cette opération impliquant à son tourl'appréhension des effets, réels ou supposés, de l'action publique. Les apports et les limitesd'une appréhension des effets fondée sur l'analyse des discours sont présentés. Cetteanalyse des discours et des controverses prend en effet toute sa force lorsqu'elle estaccompagnée d'une attention à l'action. Finalement, prendre au sérieux le processus deproduction des objets techniques et la spatialisation des biens collectifs produits apparaîtcomme une entrée féconde, pour apporter des éléments de réponse à la question délicate dusens des politiques territoriales.

i

Abstract

The hypothesis presen ted here is that specifying the ideological dimensions of an actionentails deconstructing its technical legitimacy; this operation in turn entailsunderstanding the real or supposed effects of public policies. The contributions and limitsof an understanding of the effects based on the analysis of the discourse are presented. Thisanalysis of the discourses and controversies in fact takes on its full strength whenaccompanied by attention to the action. Lastly, a serious consideration of the process ofproducing technical objects and the spatialization of collective property appears to be aproductive approach providing some answers to the delicate question of the political

L :~~=~=:.~~.~~~~~.i.~:.~ ., " " " " ..1

175

La quête du sens de l'action publique anime «plus que jamais», pourparaphraser Alain Faure (Faure 2005), des travaux de recherche relevant del'analyse des politiques publiques. C'est que le sens de l'action ne se donne pas àlire aisément. Plusieurs logiques alimentent une apparente dépolitisation:partout l'action publique territoriale a pour finalité de trouver un équilibreautour du triptyque attractivité économique/ développement durable/ maintiendu lien social; de plus, elle apparaît standardisée sous l'effet de la circulation de« bonnes pratiques» et de normes; elle est, par ailleurs, présentée commeconsensuelle et collective, évacuant le conflit, dans sa forme.

Face à ce constat globalement partagé, on assiste à une évolution desangles d'attaque dans des travaux de recherche récents qui tentent d'ouvrir desvoies pour ne pas mésestimer le conflit et réintroduire l'épaisseur idéologiquede l'action publique88. Au constat d'un certain silence français sur l'idéologie despolitiques territoriales, alors même que ce domaine de recherche est très investipar les courants régulationnistes et néo-marxistes anglo-saxons (Pinson, 2005),succèdent des tâtonnements théorico-méthodologiques.

Cette recherche du sens apparaît orientée vers l'exploration du contenu etdes effets de l'action publique. Or, appréhender les effets de l'action publiqueimplique une immersion dans des chaînages de raisonnements qui renvoient àautant d'univers techniques et scientifiques aux controverses nombreuses,historiquement construites et plus ou moins publicisées. D'aucuns préfèrent nepas s'y aventurer. D'autres s'en tiennent à une analyse, souvent féconde, desdiscours. Plus rares sont les travaux qui, sans ignorer les raisonnements etchaînages de causalité présents dans les registres discursifs, essaient aussi de lesconfronter à l'action effectivement mise en œuvre et aux biens collectifsprod ui ts.

L'hypothèse est faite ici que spécifier les dimensions poli tiques etidéologiques de l'action implique de déconstruire sa légitimation technique;cette opération impliquant à son tour l'appréhension des effets, réels ousupposés, de l'action publique. Les apports et les limites d'une appréhensiondes effets fondée sur l'analyse des discours sont présentés (1). Cette analyse desdiscours et argumentaires prend en effet toute sa force lorsqu'elle estaccompagnée d'une attention à l'action. Des travaux récents se sont penchés surcette question des effets et proposent quelques pistes méthodologiques pour yrépondre (2). Finalement, prendre au sérieux les objets techniques, les bienscollectifs produits est une entrée qui permet d'accéder à la fois aux dimensionscognitives, institutionnelles et instrumentales de l'action publique. (3).

88 Voir le colloque « Les idéologies des politiques territoriales», CRAPE/ AFSP, lEP deRennes, 4-5 mars 2004, et le n° spécial issu de ce colloque « Les idéologies émergentesdes politiques territoriales », Revue Sciences de la société, n065, 2005.

176

1. DES DISCOURS SUR LES EFFETS DE L'ACTION

Les politiques publiques ne sont pas des réponses instrumentalespositivistes-scientifiques déployées en vue de résoudre des problèmes publics.Elles sont les véhicules de «récits» (Radaelli 2000, Sfez 2002), de «mythes»(Barthes 1994), de «fictions dramatiques» (Gusfield 1981), ou encore de« référentiels» (Muller 1998). En effet, les discours portés sur la résolution desproblèmes publics supposent de définir ces derniers ainsi que des liens deeau sali té entre le problème, l'action publique et ses effets. Ces formesdiscursives sont des répertoires cognitifs et argumentatifs dans lesquels puisentles acteurs pour construire et légitimer l'action.

Des registres montants de la parole publique sont identifiables (Gusfield1981, François Neveu 1999, Le Bart Lefèvre 2005) qui occultent toute une série deraisonnements sur la hiérarchie des causalités économico-sociales. Ces formesdiscursives méritent donc d'être mises à jour tant elles peuvent potentiellementnous renseigner sur le sens donné à l'action, son idéologie anonyme (Barthes1994). Dans des registres différents, ces traits communs aux rhétoriques desespaces publics contemporains ont été mises à jour concernant le problème del'amiante (Henry 2000), les maux de la ville (Cadi ou 2005 ) ou la sécuritérou tière (Reigner 2005).

Ces récits peuvent «bien être de fausses représentations de la réalité, etreconnues comme telles, elles survivent cependant et parviennent à s'imposer»(Radaelli 2000, p. 257). Ces paroles peuvent diffuser des causalités artificielles,fausses, par l'association « naturelle» d'un système de faits et d'un système devaleurs, elles n'en sont pas moins communément admises (Barthes 1994). Onvoudrait pointer là un paradoxe repérable dans de nombreux travaux centréssur les discours: il s'agit souvent de mettre à jour des formes discursives enaffirmant qu'il n'est finalement pas nécessaire de se pencher sur la validité desénoncés (c'est un autre travail) alors même qu'au cœur de ces travaux, onretrouve l'idée de «fausses» causalités ou de chaînages tronqués. Pour quis'intéresse à l'idéologie de l'action publique, ces analyses des discours prennentdonc toute leur force à la condition de pouvoir se prononcer sur la robustessedes chaînages de causalités présentés. On nous rétorquera que la solutionconsiste à se tourner vers des discours qui contestent la prise en chargedominante du problème public afin d'avoir accès aux controverses. Mais cescontroverses s'appuient souvent sur des évaluations contradictoires des faits etdes effets de l'action publique qui nous font précisément sortir de l'analyse desseuls discours.

177

2. DE LA QUETE DU SENS A LA DELICATEAPPREHENSION DES EFFETS DE L'ACTION

S'il Y a bien une régularité de résultats dans la littérature, c'est quel'action publique et notamment ces dimensions territoriales sont comparables àdes « typhons dont les météorologues anticipent l'amplitude et la trajectoire sans avoiraucune certitude sur leur trajectoire et donc sur leur impact effectif» (Faure 2005,p. 5). Deux postures sont sollicitées afin d'appréhender les effets complexes del'action publique: une attention forte à la mise en oeuvre assortie d'unpanachage des outils d'analyse (I), une immersion dans les dimensionstechniques de l'action publique (2).

« Le sens de l'action publique [étant] beaucoup plus ouvert et ambigu )}, une destendances des travaux de science politique est de porter attention à l'étape deproduction de l'action (Fontaine Hassenteufel 2002, p. 26) et à une «prise encompte de plus en plus substantielle de l'implémentation comme constitutive de lapolitique publique» (Négrier 2005, p. 135). Pour saisir le sens de l'action, sonorientation générale et les conceptions qui la sous-tendent, on peut s'intéresseraux discours, aux outils ou encore, aux acteurs « sur le papier ». Reste que, leplus souvent, la mise en œuvre donne à voir une autre réalité, moins publiciséemais fondamentale pour appréhender les effets et donc le sens de l'action. Celase trouve d'autant plus renforcé que l'action publique est territorialisée et qu'onobserve un débordement territorial des cadrages sectoriels (Mériaux 2005). Cetteattention forte au terrain et aux logiques territoriales se double d'un panachagedes outils d'analyse. En effet, la différenciation croissante des contextes de miseen œuvre de l'action publique oblige à agencer les cadres théoriques de manièresouple selon la configuration territoriale (Négrier 2005) où s'entremêlent, selondes équilibres variables, les notions d'apprentissage institutionnel, de culturepolitique et de leadership territorial (Smith Sorbets 2003).

En accord avec ce constat de la complexité de l'action et de l'appréhensionde son sens, un certain nombre de chantiers se sont ouverts qui cherchent àmettre à jour les dimensions politiques des politiques publiques par l'examen deleurs dimensions techniques.

Certes, la complexité et la technicité de l'action publique, et lamobilisation de l'expertise pour y faire face (Dumoulin La Branche RobertWarin 2005), sont des rhétoriques mobilisées par les décideurs publics pourlégitimer l'action (ou la non action) publique. Certes, l'introductiond'instruments techniques et dépolitisés pourrait même, pour les gouvernants,être une stratégie très efficace, pour éviter d'assumer la responsabilité de leursactions (Weaver 1986, cité dans Lascoumes le Galès 2004 p. 367). Mais, on peutaussi penser que le désarroi des gouvernants est réel face à la complexité del'appréhension des effets de l'action et ce d'autant plus que les politiques ontdélégué à des « pilotes invisibles» (des règles de droit, des normes techniques,des instruments comptables) (Lorrain 2004) une grande partie de leur capacitéd'action. Certains peuvent y voir un renouveau de la démocratie technique(Callon Lascoumes Barthes 2001). D'autres font l'hypothèse contraire du

178

« ~éveloppement de strat~gies d1influence des acteurs les plus stratégiquesl terriblementefficacesl car elles sont dIscrètes et pèsent sur ["amont de ["amont de ["action collective»(Lorrain 2004, p. 195). Les résultats de nos propres travaux de recherche(Reigner 2002, 2005) nous font adhérer à cette hypothèse. Investir dans cette voiede recherche suppose d'avoir accès à des univers techniques et de saisir lesenjeux politiques de standards techniques souvent peu visibles car anodins etpeu lisibles pour les non-spécialistes. Cela se traduit par des mouvementsdisciplinaires qui promeuvent des frottements entre, par exemple, sciencespolitiques et sciences économiques pour appréhender les effets des techniquesfinancières et budgétaires de l'action publique (Bezès Siné 2005)1 ou encore entresciences politiques et sciences pour l'ingénieur autour de la thématiques desrisques (Gilbert 2003). Cela expliquerait, en outre, le développement de profilsde chercheurs en sciences politiques, dont il conviendrait de prendre la mesure,à double cursus (économiste/politiste, ingénieur/politiste, géographe/ politiste)ou de politistes en poste dans des instituts de recherche spécialisés (Inserm, Inra,Cemagreef, Inrets ou laboratoires des écoles d'ingénieurs).

3. PRENDRE AU SERIEUXLES OBJETS TECHNIQUES PRODUITS

De nombreux travaux de sciences politiques rendent compte d'uneimmersion technique dans leur objet, mais les objets techniques occupentrarement une place centrale en tant que tels. Si la communauté s'accorde sur lesliens étroits entre technique et politique, les cadres d'analyse et lesméthodologies mobilisés semblent porteurs d'une vision au sein de laquelle lesdeux catégories coexistent distinctement et qui finalement entérine, de manièreplus ou moins explicite, le primat du politique sur la chose technique. Nostravaux centrés sur les politiques urbaines (politiques de transport etd'urbanisme, renouvellement urbain, positionnement territorial du ministère del'équipement) nous ont conduit à revaloriser les enjeux politiques qui secristallisent sur ces objets techniques et à prendre au sérieux les modes delégitimation technique de l'action publique.

En matière de politique de transport et de déplacements urbains, produiredu «bel» objet technique tient souvent lieu de politique. Certain le regrette(Offner 2006a) au motif que cela traduit un déficit de problématisation desenjeux et problèmes fonctionnels locaux. Une posture un peu différente consisteà s'intéresser à la trajectoire de ces objets techniques et à repérer les assemblagesd'argumentaires, d'idées, d'acteurs et d'institutions qui gravitent ets'enchevêtrent autour d'eux ainsi que leurs évolutions dans le temps (Latour1992). En effet, si les différentes parties en présence ont pu s'accorder sur uneaction, toutes ne lui donnent pas le même sens et n'en attendent pas les mêmeseffets. Aussi, ce qui peut apparaître, à première vue, comme la manifestationd'un référentiel dominant renvoie à des assemblages parfois surprenants decadres cognitifs divergents voire antagonistes (Hernandez et al. 2005).Autrement dit, il ne suffit pas de s'intéresser aux réalisations projetées ou

179

planifiées, figées dans un document, pour accéder au sens de l'action maisdavantage aux argumentaires qui accompagnent le processus de production desobjets et instruments techniques.

De plus, le moment de production spatialisée des projets fait resurgir desconfrontations de représentations et d'argumentaires (Offner 2006b). Desrelations de domination sont instituées par la spatialisation et l'action publiquelocale est le siège d'enjeux politiques forts sur ce point précis: «hiérarchisationspatiale et ségrégation sociale semblent si fortement liées que Ifaction publique locale doitêtre interrogée soit dans sa fonctionnalité par rapport à ces tendances, soit dans sonincapacité à les inverser» (Préteceille 1999, p. 24). Aussi, l'analyse des politiquespubliques territorialisées ne peut se limiter à l'exploration de la complexité dujeu des acteurs, de leurs stratégies, de leurs interactions. Ces processus gagnent,à nos yeux, à être mis en relation avec la spatialisation des biens collectifsproduits. Concernant, par exemple, la politique locale de transport et dedéplacements à Marseille, un travail de cartographie des projets du Plan deDéplacements Urbains, associé à l'analyse du fonctionnement des groupes detravail, s'est avéré redoutablement efficace pour faire la démonstration du sensdes politiques de transport et de déplacements et des modes de légitimationmobilisés pour justifier une telle politique (Hernandez 2003): la somme desprojets projetés sur une carte dessine les contours de la ville qu'on veutrevaloriser par un traitement qualitatif des espaces publics et une « protection»vis-à-vis de l'automobile. Le processus de gentrification du centre-ville deMarseille se donne à voir dans le dessin de manière saisissante.

Prendre au sérieux le processus de production des objets techniques etl'inscription spatiale des équipements publics, parce qu'ils nous renseignent toutà la fois sur les dimensions cognitives, instrumentales et institutionnelles quialimentent la légitimation de l'action, apparaît comme une entrée féconde, pourapporter des éléments de réponse à la question délicate du sens des politiquesterri toriales.

La prudence des résultats sur la question du sens et de l'idéologie del'action publique n'est-t-elle pas en grande partie imputable à une incapacité àinvestir les ressorts de la légitimation technique de l'action? C'est le point devue que nous avons exposé dans cette communication en espérant qu'elle ait étésuffisamment convaincante pour être mobilisatrice en vue de futurs travaux derecherche.

180

3EME PARTIE:

SUR LE TERRAIN

POLITIQUE

PRODUCTION DES POLITIQUES PUBLIQUES

ET MOBILISATION ELECTORALE

POUR UNE SOCIOLOGIE POLITIQUE DES POLITIQUES PUBLIQUESMISES EN Ĺ’UVRE A STRASBOURG (1989-2001)

Virginie Anquetin

Virginie Anquetin, doctorante en science politique au sein du Groupe desociologie politique europĂ©enne (GSPE-PRISME UMR CNRS 7012, Strasbourg),termine une thèse consacrĂ©e Ă  la construction Ă©lectorale des politiquesmunicipales. Courriel : [email protected]

Résumé

L'étude de deux réformes de l'administration municipale strasbourgeoise montre que leurmise en œuvre obéit non pas à un souci des élus pour l'amélioration de la gestionmunicipale, mais aux contraintes du jeu politique. Pour surmonter les obstacles électorauxd'une configuration politique perçue comme défavorable, la municipalité strasbourgeoise aété amenée à promouvoir des politiques «modernes» et «dépolitisées ». Lestransformations des politiques publiques municipales et leur caractère politisé ou nonpeuvent être analysées comme étant le résultat indirect du travail électoral ordinaire desacteurs politiques pour optimiser leur image publique et leurs chances de réélection.

Abs tract

The study of two restructurations of town hall administration in Strasbourg shows thattheir implementation is not the consequence of political concern for better localmanagement, but is the result of the constraints of the political game. To overcome theelectoral hurdles of a political landscape perceived as unfavourable, the municipality haspromoted public policies and a discourse that would place them in a "modern" and"apolitical" light. The transformation of local public policies, whether or not they are"politicized", may be analyzed as the result of the day-to-day work of political agents whoaim to optimize their public image and their chances of reelection.

183

Les analyses contemporaines de l'action publique locale prennentrarement en compte les effets des contraintes de la compétition élective sur lespolitiques menées. S'ajoutant aux discours d'élus locaux qui appuient lapromotion de leur bilan sur le caractère «apolitique », dévoué au «biencommun» (Garraud 1989) de l'intervention publique, les analyses consacréesaux politiques urbaines tentent le plus souvent de reconstituer une logiquehistorique des politiques publiques locales - de la construction des logementssociaux au début du 20e siècle, au traitement social de l'exclusion ou à larecherche d'un « développement» urbanistique et économique -, ou d'établir lesconditions de leur efficacité et les causes de leur échec. La concordance de cesdiscours contribue ainsi à renforcer l'idée, en accord avec une vision étatique etadministrative de la vie politique locale, selon laquelle les politiques publiquesconstitueraient des réponses techniques, parfois biaisées par une «idéologiepartisane », à des évolutions sociales ou économiques inéluctables. Ces étudesrenoncent ainsi généralement à intégrer dans l'analyse l'intense travailsymbolique et pratique de mobilisation électorale effectué par les acteurspolitiques, alors restreint au pire à une simple activité de marketing, au mieux àun clientélisme stratégiste. De surcroît, la variété des situations locales esttoujours suspecte de ne refléter que des particularismes dont l'étudemonographique n'apporte qu'une faible plus-value scientifique.

La compétition politique ne se limite pourtant pas à la description del'horizon concurrentiel des acteurs politiques, à savoir l'affrontement toujoursrecommencé de candidats soucieux de séduire un plus grand nombred'électeurs que leurs adversaires. Le travail de mobilisation électorale obéitégalement à des règles dont la mise en évidence 'éclaire différemment lestransformations des politiques publiques. Ce ne sont ni la « volonté politique»des acteurs, ni leur capacité à imposer un leadership pour résoudre des« problèmes» sociaux ou économiques, ni leur soumission ou leur résistance àdes règles étatiques qui déterminent à eux seuls les conditions d'évolution del'action locale. Les problèmes électoraux ne se posent pas aux acteurs demanière aléatoire mais ils obéissent à des configurations politiques nationales etlocales successives, historiquement déterminées. Plus que l'utilisationconceptuelle de notions aussi différentes que la territorialisation, latechnicisation ou la contractualisation de l'action publique, il nous semble que laréintroduction de la matrice du jeu électoral dans l'analyse nous permet depercevoir d'autres processus à l'œuvre dans les transformations de l'actionpublique.

L'étude de deux politiques mises en œuvre à Strasbourg(<<modernisation» de l'administration, tentative de «territorialisation» del'action municipale) révèle que, l'essentiel de leur activité étant consacré à lamobilisation de votants, les acteurs politiques ne perçoivent comme urgents queles problèmes qui revêtent une dimension électorale. Ainsi la promotion d'uneréforme de l'institution municipale fondée sur les techniques du managementpublic puis l'ébauche d'une territorialisation des services ne peuvent êtreanalysées comme résultant d'une vision de la« bonne administration» localequi serait partagée par des élites politiques et administratives éclairées (premierpoint).

184

L'étude de la configuration politique nationale et locale dévoile aucontraire les contraintes qui pèsent sur la mobilisation des électeurs par lesacteurs poli tiques. En élargissant ainsi l'analyse, les transformations de l'actionpublique (développement de la «démocratie participative », de politiques« expertes» requérant l'intervention de «techniciens») apparaissent commeétant le fruit du travail politique ordinaire des acteurs municipaux confrontés àla nécessité permanente d'ajuster leur positionnement afin d' optimiser leurimage publique dans un but d'enrôlement électoral (deuxième point).

1. LEGITIMATION DU « CHANGEMENT » ETSUBVERSION ADMINISTRATIVE

Ce ne sont en effet ni la croyance de l'équipe municipale strasbourgeoisedans les vertus du nouveau management public, ni sa recherche d'un optimumd'efficacité administrative qui expliquent le recrutement d'un secrétaire généralardent promoteur des techniques du public management. La mise en œuvre d'uneréforme visant la «modernisation» de l'administration sous l'égide deC. Trautmann intervient au début de son premier mandat. Les challengerssocialistes succèdent à une municipalité centriste qui a effectué tous lesrecrutements depuis une trentaine d'années. Lorsqu'une équipe politiquenouvelle est élue, elle ne dispose pas d'une administration de rechange, dontchaque agent serait un militant zélé capable de fournir un catalogue d'actionspouvant être rapidement réalisées et labellisées selon le marquage partisanadéquat, à la manière d'un spoil system. A Strasbourg, l'élection de C. Trautmannoblige son équipe à intervenir directement dans les services, en contradictionavec leur hiérarchie, ce qui génère des tensions telles (grèves, fuites dans lapresse locale au sujet des erreurs ou des conflits de la nouvelle équipe,concourant à l'établissement d'une mauvaise réputation), que la mise en œuvred'une « réforme» de l'administration ayant pour but affiché sa« modernisation» apparaît aux élus après quelques mois comme un modeeuphémisé et politiquement neutralisé de sa reprise en main.

Pour les élus, cette «réforme» ne consiste pas à mettre en pratique unschéma organisationnel théoriquement plus efficace, mais à réorienter leshiérarchies de l'administration municipale autour des personnels sûrs, à faciliterla prise de contrôle des recrutements par l'édiction de nouveaux critèresadministratifs de compétence, et à fidéliser les fonctionnaires promus. Pourobtenir ces résultats sans susciter une désapprobation massive, le discours de la«réforme managériale» présente plusieurs avantages. Les reclassements quipourraient être perçus par les fonctionnaires et leurs syndicats commeprofessionnellement préjudiciables sont présentés d'une manière valorisante89 etnon conflictuelle. Il s'agit officiellemeI1.tde faciliter la « promotion interne» pourles fonctionnaires les plus « motivés» et parfois d'augmenter les salaires, et non

89Voir la contribution de JĂ©rĂ´me Godard dans cet ouvrage.

185

de marginaliser les personnels considérés comme non « sûrs» ; de renforcer laqualité du «service public» et non, dans une présentation syndicale,d'augmenter sans contrepartie le nombre d'heures travaillées; d'améliorer leniveau général des « compétences» dans l'administration par la formation, etnon d'imposer le recrutement pourtant contesté de contractuels; enfin, depromouvoir «l'égalité» entre les candidats pour les promotions ou lesrecrutements par l'instauration de « jurys », et non d'introduire des « militants»dans l'administration.

Dans ces conditions, la crédibilité « managériale » et non « politique» dusecrétaire général nommé pour mettre en œuvre la «modernisation », sacapacité à convaincre du fait que la réforme est menée au moins autant au profitdes fonctionnaires qu'à celui des élus, et ses méthodes pour intéresser lessyndicats à ses démarches sont des propriétés requises pour assurer la réussitede l'entreprise de reprise en main politique. Son profil universitaire etprofessionnel de «réformateur », l'usage du vocabulaire «savant» du publicmanagement (<<projets de service », «évaluation» des agents et des politiquespubliques, souci de « l'usager-client»), la multiplication des négociations et desconcertations avec les syndicats ou directement avec les agents municipaux9o,quel que soit leur succès, facilitent la « dépolitisation» du « changement» faceaux fonctionnaires ou aux journalistes locaux, ce qui renforce incidemmentl'image socialiste « recentrée» et «moderne» de l'équipe municipale. Le« management» remplace utilement le « partisan» lorsque celui-ci ne fait plusrecette (Payre 2003).

Les fonctionnaires ne sont pas dupes de l'impact de ces réformes surcertaines carrières. Ils interprètent en outre généralement comme une critiqueinjustifiée de leur savoir-faire le discours sur l' « indispensable modernisation»de l'administration. Cependant, les profits disciplinaires escomptés sont obtenusà partir du moment où un nombre suffisant de personnels fidélisés remplace lahiérarchie administrative antérieure (Dion 1986). Le secrétaire général« réformateur» n'est maintenu à ce poste que le temps nécessaire à l'obtentionde ce résultat.

Une autre tentative de « réforme» de l'administration strasbourgeoise neprend également sens qu'en tenant compte du travail politique ordinaire desélus, notamment des anticipations de leur intérêt électoral. S'ils sont sensiblesaux enjeux administratifs des transformations de la collectivité, les acteurspolitiques ne sont confrontés directement qu'à la résolution de problèmesélectoraux. Ainsi au début du premier mandat, les contractuels recrutés pour lamise en œuvre de la politique de développement social urbain proposent unerecension par « quartier» des équipements existants et des dépenses prévues, demanière à appréhender les différentiels d'investissements entre «centre» et« périphérie ». Les personnels chargés de la « modernisation» envisagent alorsun reclassement des dépenses des services par «quartier », aboutissantéventuellement à une

« territorialisation » de l'administration qui permettrait de

rééquilibrer automatiquement les investissements en direction des zones

90 En accord avec la « méthode Rocard », bien que celle-ci ne soit pas mise publiquementen avant.

186

« lésées ». L'équipe du maire refuse catégoriquement cette proposition qui restelettre morte: l'opposition municipale pourrait en faire usage pour montrer quela politique affichée « d'égalité urbaine» n'est pas réellement mise en œuvre; ouencore, la municipalité serait privée d'une importante marge d'affectation descrédi ts, indispensable pour se concilier les électeurs au fur et à mesure desbesoins perçus (Juhem 2006). En revanche, pour contrer les critiques des Vertsdéplorant le manque de négociation avec les associations, conjurerl'augmentation des scores du Front national et se montrer à l'écoute des« habitants », le maire lance après sa réélection91 la création de «comités dequartier », dans un souci de promotion de la « démocratie participative », quiépousent le découpage cantonal. Simultanément est créée une «direction del'action territoriale », administrativement destinée à accroître le traitement des« demandes» des habitants. Les élus perçoivent dans ces deux dispositifs despossibilités d'amélioration de leur ressources politiques collectives etindividuelles: systématiser le travail politique d'enrôlement de soutiensassociatifs, s'attacher individuellement des électeurs et renforcer la position duPS dans l'agglomération strasbourgeoise par la conquête de mandats deconseillers généraux.

2. MOBILISATION ELECTORALE ET « CHANGEMENT »DANS LES POLITIQUES PUBLIQUES

Loin de réduire l'impact du travail politique des acteurs sur l'actionmunicipale à des considérations stratégiques, l'examen de ces deux politiques etla prise en compte des conditions électorales de leur mise en œuvre éclairent destransformations plus larges survenues dans l'action publique locale au cours desvingt dernières années, en particulier sa dimension « experte» et « dépolitisée ».Les effets du travail et des stratégies des acteurs politiques pour s'ajuster auxcontraintes et aux opportunités des configurations politiques qu'ils perçoiventne sont pas circonscrits à la réussite ou à l'échec électoral. Ils ont desconséquences sur les politiques publiques, sur leurs cibles locales (Mattina 2004,Biland 2006) et sur les professions qui y sont liées.

La promotion des candidatures politiques urbaines s'effectue, à l'issue deplus d'un siècle de dévolution élective des mandats, en ayant recours à desmarqueurs partisans. Mais les contraintes d'usage des thématiques identifiéesaux marques partisanes diffèrent selon que les acteurs politiques sont ensituation oppositionnelle ou gestionnaire (Lefèbvre 2004) et selon l'intensité et laforme de la compétition. Les particularités perçues des configurations politiqueslocales et nationales contraignent les acteurs à infléchir l'identité partisane qu'ilsendossent, en radicalisant ou en euphémisant les marqueurs partisans et lespolitiques publiques qui y sont reliées. Dans la fédération bas-rhinoise du PS,

91 Plusieurs années avant l'obligation légale (loi dite de démocratie de proximité du 26février 2002).

187

dont le plus gros des effectifs se situe à Strasbourg, trois facteurs ont concouru àamener une équipe d'outsiders rocardiens à prendre le contrôle de la marquesocialiste en évinçant le groupe mitterrandien jusqu'alors majoritaire, et à latransformer en réduisant l'usage et le nombre de ses marqueurs « de gauche »92.

Nationalement, les transformations des discours de justification dugouvernement socialiste après 1983, 1'« ouverture» prônée par FrançoisMitterrand en 1988, et localement, la configuration politique marquée par unehégémonie ressentie du vote « à droite », la faiblesse des scores des partis « degauche» et la situation monopolistique du quotidien régional facilitent lapromotion d'une marque socialiste d'allure « moderne» et la prise de distanced'avec les topiques de «la gauche» d'avant 1981. Après leur élection, lemaintien de scores élevés à droite, la croissance électorale du Front national, lesrésultats du PS - imputés au «rocardisme» de la mairie - plus favorables àStrasbourg que dans les autres circonscriptions entre 1992 et 1995, latransformation des contraintes de justification de l'offre politique en position degestion face à une presse identifiée comme étant hostile, inclinent les élus etleurs auxiliaires à promouvoir des politiques publiques « neutralisées» et destechniques de production ou de mise en scène du consentement des habitants(enquêtes publiques, organisation de forums de la démocratie participative oude comités de quartier) (Blatrix 1999), accentuant ainsi la production de leurimage de «gestionnaires apolitiques» et de «bâtisseurs» plutôt que depromoteurs du « socialisme».

La municipalité autour de C. Trautmann a ainsi intensément travaillé à lamise en œuvre de politiques municipales présentées comme «innovantes» et« modernes ». Elle a contribué à l'émergence d'une représentation spécifique dumétier politique, fondée sur la « compétence dans l'action publique» et non surune vision « classiste» de l'ordre social, en promouvant, pour des raisons destratégie électorale, la généralisation d'un discours gestionnaire et ladédifférenciation relative des offres de « gauche» et de « droite ». Les politiquesmenées par la municipalité strasbourgeoise pour répondre à leur perception descontraintes électorales conjoncturelles ont abouti au développement d'activités,de procédures ou de technologies publiques spécifiques (politique de proximité,conseil des étrangers, location municipale de bicyclettes, renouvellement descaractéristiques du tramway urbain et de l'aménagement de son tracé,traitement «social» de «l'exclusion» plutôt que politique d'aide aux« travailleurs» etc.), et ont nécessité la reconversion de personnels variés dansl'action publique, induisant des savoir-faire transférables à d'au tresconfigurations municipales. On peut ainsi faire l'hypothèse que ledéveloppement d'un marché de l'expertise des politiques publiques locales a étérendu possible par la dédifférenciation au cours des années 1980 et 1990 desoffres politiques de «gauche» et de «droite ». Réciproquement, ledéveloppement des politiques expertes, non partisanes, a sans doute contribué àaccentuer cette dédifférenciation. L'accroissement de la fréquence desalternances a quand à lui amené les municipalités nouvellement élues, à« gauche» comme à «droite », à recourir à un langage de type administratif

92Vingt ans auparavant, la stratégie d'union de la gauche avait généré au contraire uneradicalisation de l'usage des marqueurs « de gauche».

188

pour euphémiser les nécessités de reprise en main politique des administrationsmunicipales.

A l'issu d'un examen de deux réformes de l'administrationstrasbourgeoise, il apparaît que ces politiques répondent avant tout auxdemandes conjoncturelles des élus, qui inventent au fur et à mesure des besoinsun ensemble de procédés ajustés à leurs objectifs et à leur perception descontraintes électorales. En s'ajustant à celles-ci, les élus municipauxstrasbourgeois ont construit une image et une offre politique présentées comme« modernes », suscitant une appréciation relativement «dépolitisée» despolitiques publiques et des modifications des priorités de l'action publique. Laperception publique de la « modernité» et du caractère dépolitisé des politiquesde l'équipe rocardienne représentent ainsi l'effet émergent de son travailpolitique ordinaire pour optimiser son image publique et ses chances deréélection, dans une configuration locale perçue comme antagonique.

189

LA PARTICIPATION HABITANTE,

VECTEUR DE DEMOCRATISATION?

Yolaine Cultiaux

y olaine Cultiaux est chercheure associĂ©e au PACTE Ă  Grenoble. Elletravaille sur les transformations de la puissance et de l'action publiques Ă l'Ă©poque contemporaine. Elle apprĂ©hende cette dynamique par l'Ă©tude de troispolitiques sectorielles (culturelle, sociale, d'infrastructures) et une politiquetransversale (dĂ©mocratie participative) en Europe de l'ouest et en AmĂ©rique dunord (Espagne, France, Canada). Courriel : [email protected]

I Résumé,

I

:::::::.

La participation habi tan te s'est récem men t beaucoup développée à l' éche lie locale. Il s'agitI

::::::::

dès lors de saisir les enjeux et de mesurer la portée de ce phénomène. Basée sur une étudede la Commission des Usagers au sein de l'agglomération chambérienne, cette contributionmet en évidence le faible impact de cette participation sur le processus décisionnelintercommunal. La démocratisation de l'action publique est donc limitée, tout comme samodern isation d'ailleurs. L'étude souligne en revanche l'importance du processusparticipatif en termes de positionnement de la structure intercommunale dans un contextede partenariat concurrentiel entre les différentes institutions locales. La problématiqueinitiale de la démocratisation évolue donc et fait apparaître la participation habitantecomme un élément nécessaire dans la construction de l'identité intercommunale.

Abstract

The inhabitan t participation, vector of democratization of the local public action. :

i The inhabitant participation has been recently developing a lot at the local scale. The aim 1

Iof this contribution is thereforeto understand the stake and to value the effects of this

I

I phenomenon. Based on a study of the Users' Commission of Chambéry Métropole, it II shows the small impact of this participation on the. in tercommunal decision making II process. The democratization and the modernization oj the public action at this scale are II minor. On the otherhand, the study underlinesthe importanceof the participativeprocess II in order to help the intercommunal structure to exist in a context of competitive II partnership between the local institutions. The initial question about democratization has II been changed and shows that the inhabitant participation is necessary to build the II.. ~~~~~~~:=:=:~.~~~=.~.~.~: ...J

191

Le développement de la participation habitante contribue-t-il àdémocratiser l'action publique à l'échelle locale? Dresser en la matière undiagnostic est d'autant moins aisé que "le discours sur la démocratie locale estindistinctement propice à la déploration et à l'exaltation" (Blondiaux et alii 1999, p.S).L'échelon local est de fait appréhendé par rapport à ce qu'il devrait être ou est"naturellement" : le lieu démocratique par essence et par excellence. Au-delà dece discours militant (Bevort 2002, Koebel 2006), et sans doute en partie grâce àlui, force est de constater le fort développement de la démocratie participativedans les collectivités locales. La législation a ainsi pris acte d'un phénomènepolitique, en même temps qu'elle l'a conforté: la conversion de la démocratieparticipative en nouveau paradigme de l'action publique (Bacqué et alii 2005).Cette évolution a donné lieu à de nombreuses études (Neveu 2003, Rui 2004,Falise 2004, Le Bart Lefebvre 2005) qui s'efforcent d'analyser diversesexpériences en fonction de différents enjeux et qui permettent d'élaborer unetypologie des modèles participatifs (Bacqué et alii op. cit.). C'est cette typologiequi sert de grille de lecture pour analyser la dynamique participative au sein dela communauté d'agglomération de Chambéry Métropole, en Savoie.

La décentralisation s'est en effet accompagnée d'un second mouvement:la montée en puissance depuis les années 90 de l'intercommunalité. Cemouvement a également donné lieu à de nombreux travaux dont une partieinterrogent les rapports entre l'intercommunalité et la démocratie. Ledéveloppement de l'une entraînerait le déficit de l'autre, suivant "l'effet ciseau"décrit par J. Chevalier (Chevalier 1997).

A la croisée de ces deux courants de réflexion, cette contribution a pourobjet d'analyser la participation habitante dans l'agglomération chambérienne. Ils'agit d'apporter des éléments de réponse aux questions suivantes: ChambéryMétropole incarne-t-elle aussi "l'intercommunalité sans le citoyen" constatéeailleurs (Bué et alii 2004)? A quel modèle participatif sa logique defonctionnement la fait-t-elle se rattacher et quel scénario d'évolution est-ilpossible d'imaginer à partir de la situation actuelle?

Afin de mieux cerner l'influence de la participation citoyenne sur leprocessus décisionnel et de mieux comprendre le sens du développement decette participation dans la structure intercommunale, les éléments d'ouvertureau pluralisme démocratique seront évoqués dans un premier temps. Leur faibleimpact sur les politiques menées sera ensuite constaté puis en dernier lieuexpliqué, confirmant l'hypothèse d'un changement mineur en termes dedémocratisation, mais plus significatif au regard d'autres enjeux.

1. UNE INSTITUTION INTERCOMMUNALEQUI S'OUVRE AU PLURALISME DEMOCRATIQUE

La coopération intercommunale remonte à 1957 dans le bassinchambérien. L'élargissement des compétences et l'extension de son périmètred'action ont marqué son histoire. Une étape importante fut la réforme de la

192

coopération intercommunale née de la loi du 12.7.1999 qui, alliée à la volontédes élus, a abouti à la création de la communauté d'agglomération (EPCI),baptisée Chambéry Métropole (CM) en février 2000. Depuis le 1er janvier 2006,elle compte 8 communes de plus, soit 24 au total. Cette nouvelle extension aentraîné une augmentation de 4% de sa population (120 000 habitants) et ledoublement de sa surface (+ de 26 000 Ha). Dans le sillage de la loi d'août 2004,ses statuts ont été révisés, ce qui lui permet d'assumer des nouvellesresponsabilités importantes comme la préservation d'activités agricoles ou lacréation et la gestion d'un établissement public foncier local.

A CM, l'implication des habitants s'est principalement traduite parl'organisation de réunions dites de concertation publique dans les quartiers oùdes travaux importants étaient prévus et par la création d'une instanceconsultative réunissant des acteurs de la vie socio-économique, des élus et de"simples habitants"93: la Commission des Usagers, sur laquelle porte l'étudepuisqu'elle permet d'aborder la question des transformations éventuelles del'action publique locale sous l'influence des ressortissants (Warin 1999).

Cette instance s'inscrit dans un cadre légal. La loi de février 2002 relative àla démocratie de proximité a pris acte de la création sans succès réel desCommissions Consultatives des Services Publics Locaux (CCSPL) créées par laloi de 1992. Elle a pour objet de les rénover et de les relancer, pour lescommunes de plus de 10 000 habitants, les départements, les régions et les EPCIde plus de 50 000 habitants. Associant des élus et des représentantsd'associations, elles doivent être consultées sur tout projet de création de servicepublic, qu'il soit délégué ou en régie dotée de l'autonomie financière.

La CCSPL de CM a ainsi été créée fin 2002. Elle est présidée par le vice-président de CM chargé des relations avec les usagers. Son objet est de favoriserle dialogue et la concertation entre l'institution qui assure un certain nombre deservices publics et les usagers.

La CCSPL est composée d'environ 130 membres, ce nombre étantfluctuant. Elle comprend 3 collèges: les représentants d'associations, desyndicats et d'organismes divers qui interviennent au nom de leur structure sontlégèrement majoritaires par rapport aux habitants de l'agglomération qui ontsouhaité participer à titre personnel. Ils sont appelés par l'institution "expertsd'usage" ou "citoyens usagers", ce qui suggère deux idées d'où pourrait surgireffectivement une petite révolution en matière d'action publique locale. Le seulfait d'être ressortissant confère/ rait une expertise reconnue comme légitime(Callon et alii 2001) ; l'usage(r) fait/ ferait de plus en plus le citoyen et c'est/ ceserait par ce biais que le système décisionnel local se démocratise/ rait. Le 3èmecollège est enfin composé d'élus municipaux et/ ou communautaires.

Ces membres se sont répartis dans 4 commissions thématiques (déchets,eau et assainissement, équipements sportifs, transports) correspondant donc àdes secteurs d'intervention publique classiques. Il s'agit-là d'une différencemajeure avec le Conseil de Développement organisé de manière plustransversale et en charge d'une véritable mission prospective. Ces commissions

93 D'après l'expression utilisée par l'institution pour présenter cette instance.

193

se réunissent exceptionnellement en assemblée générale et ordinairement demanière séparée, à raison d'environ 4 réunions par an. Des représentants desservices de l'agglomération et des élus y assistent. En fonction des thématiquesabordées et de l'ordre du jour, ils viennent présenter les dossiers, écouter lesusagers, répondre à leurs questions et remarques.

2003, première année de fonctionnement de la CCSPL, a surtout étéconsacrée à la présentation de ces services et à l'information des nouveauxmembres quant au fonctionnement et aux compétences de l'agglomération.Divers rapports et dossiers ont été étudiés et ont donné lieu à des avisconsultatifs transmis aux organes délibérants. En 2005, la CCSPL a par ailleursengagé une démarche de communication pour faire connaître son existence,d'où l'organisation de rencontres entre élus et services municipaux etcommunautaires, et la diffusion de plaquettes et de fiches usagers. Déposées àl'accueil des mairies, ces fiches sont destinées à recueillir les remarques deshabitants sur les services gérés par CM.

Le déploiement de modalités de participation habitante représenteassurément une ouverture au pluralisme démocratique de la part de CM.Toutefois, la participation habitante a peu d'emprise sur le processusdécisionnel.

2. PROCESSUS DECISIONNEL INTERCOMMUNAL: LEFAIBLE IMPACT DE LA PARTICIPATION HABITANTE

Si l'on envisage d'abord le contenu de l'une des politiques menées parCM, celle des transports, on constate un écart entre l'ensemble de cette politiqueet les thèmes discutés dans la commission transports de la CCSPL. L'ordre dujour est en effet découpé en sujets, souvent très techniques qui, additionnés lesuns aux autres, ne reflètent pas l'ensemble de cette politique. La problématiquedu vélo est ainsi peu évoquée alors même que CM mène en la matière diversesactions avec un certain succès. L'ordre du jour contient également parfois dessujets assez accessoires par rapport aux enjeux de ce type de politique. Lesdiscussions se focalisent quant à elles aussi parfois sur des points anecdotiquesqui, s'ils ont le mérite de servir de plaisant défouloir à une studieuse assemblée,ont un intérêt plutôt symbolique94.

94 Dans le cas de la grille tarifaire du réseau de transports en commun applicable à larentrée 2006, beaucoup de temps a ainsi été passé à savoir si le ticket unitaire -désormais en principe à 1,06 euros en fonction du coefficient d'actualisation- devait êtrearrondi et, si oui, à combien. Si les sommes en jeu ont une importance indéniable pourla collectivité et les usagers, la disproportion apparaît d'autant plus flagrante que, detoutes façons, la marge de proposition des membres de la CCSPL est en la matière trèslimitée. On imagine ainsi très mal des élus suivre l'avis d'une commission qui, pourdissuader dlacheter des titres individuels, proposerait d'arrondir à 1,5 euros. Cetteproposition a d'ailleurs été faite par quelques usagers lors d'une réunion. Elle a soulevé

194

Sur la façon de mener l'action publique, la CCSPL n'est pas non plussource de changement majeur puisqu'elle est intégrée à un circuit décisionnelclassique dans lequel ses travaux -dont ses avis consultatifs- ont juridiquementpeu de poids. Sur un plan interne, elle n'échappe pas au conformismeinstitutionnel puisqu'elle reproduit la division du travail (en secteurs et entreacteurs) de l'institution où elle est insérée. Cette reproduction est facilitée parune donnée extra-institutionnelle, cependant partiellement induite parl'institution: ses membres ont tous intégré les règles du jeu démocratiquedominant en France, celui de la démocratie représentative. Cela signifie, et cfestflagrant à l'observation de leur disposition "spontanée" face aux services et auxélus, et de leur comportement policé, qu'ils acceptent -non sans une frustrationparfois manifeste- comme limite à l'ouverture polyarchique du systèmedécisionnel la nécessité de définir un intérêt général et la légitimité supérieuredes élus. N'y participent donc que des personnes conscientes de cetteconfiguration et qui y adhérent. Cette sélection en amont lui enlève donc lasingularité qui aurait pu être la sienne et la fait ressembler à une assemblées'insérant dans le schéma démocratique classique. Elle est finalement un groupede pression au sein duquel les groupes constitués ont davantage voix auchapitre que les individuels, à l'exception des individus multipositionnés95. Laprise en compte des spécificités locales, premier degré de la territorialisation(Faure Douillet 2005), se fait donc assez paradoxalement par un canaltraditionnel au sein d'une instance participative présentée comme novatrice. Lapolitique des transports en direction des personnes handicapées est à ce titreéloquente puisque CM se montre dans ce domaine très réceptive au lobbying -moralement fondé- réalisé par l'Association des Paralysés de France. Plusieurscrises ont ainsi été désamorcées parce que ce groupe d'usagers identifié s'estassez mobilisé pour fournir des données sur cette problématique et faireremonter le mécontentement non seulement dans la CCSPL, mais aussidirectement auprès des élus.

3. PARTICIPATION HABITANTE ET PROCESSUSDECISIONNEL: ELEMENTS D'EXPLICATION

On peut se demander pourquoi la participation habitante a un si faibleimpact sur les décisions prises au sein de CM. Elles sont de nature exogène etendogène. Les dispositifs participatifs ont en premier lieu été impulsés par lehaut, c'est-à-dire en fonction de valeurs d'action publique et de lois extérieuresaux territoires-réceptacles. Il en découle une certaine artificialité, voire unsentiment d'étrangeté et des difficultés à investir ce nouvel outil. Il engendre

rires et protestations au sein de la CCSPL, soulignant ainsi la nécessité de rester dansles limites du raisonnable tracées par les élus, préparées et présentées par les servicestechniques.

95Comme les membres de la CCSPL participant aussi aux conseils de quartiers de la Villede Chambéry.

195

beaucoup de défiance et d'interrogations sceptiques car les acteurs locaux (éluset services) vivent en général assez mal l'imposition d'une nouvelle normed'action publique. La seconde raison liée à l'environnement confirme le caractèreassez artificiel de ces dispositifs, du moins à leur création. La concurrence entrecollectivités locales est vive et l'on peut avancer l'hypothèse d'une constructionet d'une légitimation de ces entités par l'adoption de dispositifs participatifs.Etre en retrait sur ce chapitre serait un (mauvais) signe de conservatisme, ce quiexplique la force du mimétisme institutionnel et un nouveau paradoxe: pour sedistinguer, une collectivité fait comme les autres96. La vogue, de même que lesmodalités de participation habitante doivent être appréhendées en ayant cetteproblématique du positionnement territorial à l'esprit.

En outre, CM n'échappe pas à la rigidité qui caractérise toute institution.Si elle offre des ressources et une capacité d'action, celle-ci est avant tout unensemble de contraintes construites par l'homme pour orienter l'actionquotidienne des individus (Boussaguet et alii 2004). Elle est réductrice decontradictions. Sa fonction est de limiter l'incertitude, à commencer par celle quipeut peser sur l'existence même de l'institution, mais surtout sur son identité, savisibilité, sa légitimité et l'efficacité de son action. Or c'est le cas de CM qui est,sous sa forme actuelle, une institution jeune percevant comme négatif ledifférentiel entre ses compétences et sa lisibilité locale. Elle est dans cette phasede légitimation, au tonomisation et de stabilisation au cours de laquelle "un récitmythique des origines est fabriqué, qui décrit r apparition de l'institution comme unprocessus à la fois logique, nécessaire et inéluctable" (Boussagat et alii 2004, ibidem)On peut dès lors se demander dans quelle mesure le discours sur laparticipation habitante, plus avant-gardiste et affiché que les pratiquescorrespondantes, ne fait pas partie de ce discours de naturalisation plus général.

Toute une série d'éléments endogènes sont enfin autant d'obstacles à laconversion de cette participation en vecteur de transformation des politiques deCM. Toutefois, certaines de ces caractéristiques se retrouvent dans d'autrescollectivités, notamment les conseils de quartier de la Ville de Chambéry ou deNantes (Le Galic 2004). Pour ceux qui, malgré les barrières sociales symboliqueset matérielles, ont accédé à la ces PL, il s'agit de la lassitude -parfois suivie dedéparts- liée à un sentiment d'impuissance relative. Outre la composition et lesfinalités de la ces PL, son fonctionnement n'est peut-être pas optimal, sansqu'une alternative soit facile à trouver. Le rythme de 4 réunions par an sembledifficilement compatible avec un réel investissement de la structure et desdossiers. D'un autre côté, on voit mal comment cet investissement pourraitaugmenter tant que la participation habitante conservera si peu de poids sur lesdécisions. Le paramètre temps joue aussi un rôle puisque les réunions setiennent en fin de journée, durent deux heures environ, et les habitants ne sontpas tous égaux devant la disponibilité97. Ce paramètre intervient aussi dans ledomaine de la formation des profanes puisque leur propre capital ne suffit pastoujours à la bonne connaissance de l'environnement et du fonctionnementinstitutionnels, de même qu'à des savoirs sur un secteur ou un dossier

96 Ce mécanisme a également été observé en Espagne. Cf. Cultiaux 1999.97 D'où la sous-représentation des actifs, surtout lorsqu'ils ont des enfants en bas âge.

196

particulier. Pour que la participation habitante soit plus ouverte, cette questionde la formation initiale et continue est déterminante. L'enjeu n'est pas seulementune amélioration des compétences citoyennes. Il est aussi d'augmenter lamotivation des membres potentiels et effectifs car l'éclatement en commissionssectorielles et la tenue de réunions, somme toute d'une haute teneurintellectuelle mais à la vulgarisation limitée, est un autre frein à la motivation.

CONCLUSION

Le développement de dispositifs participatifs dans l'agglomérationchambérienne s'inscrit bien dans le vaste mouvement à l'échelle planétaire de lamontée en puissance de la délibération comme norme de l'action publique.Toutefois, ce développement pose un problème d'interprétation. Au final,comment le caractériser et l'expliquer?

Le modèle dont la CCSPL se rapproche le plus est, d'après la typologiemobilisée (Bacqué et alii 2005), de celui de la "modernisation participative" danslequel la participation citoyenne ne constitue pas une priorité. L'objectif estdavantage la modernisation de l'action publique dans une optique libérale et parvoie réformiste.

Mesuré à l'aune de la démocratisation des politiques publiques locales, lechangement induit par le développement de ce dispositif est en effet mince. Ilconfirme une tendance générale, surtout dans les structures intercommunales(Sadran 2005). Il n'est cependant pas nul et conduit à dresser le même bilancontrasté que P. Teillet à propos des conseils de développement à Angers etGrenoble.

Envisagé par rapport à l'objectif de modernisation, le dispositif observéreflète la posture ambivalente de l'institution intercommunale par rapport auchangement. D'un côté il apparaît une volonté claire d'améliorer l'action menéepar une meilleure prise en compte des demandes; de l'autre, l'orientation"management public" ne s'avère être qu'un discours permettant au contraire auxélus et aux services techniques de poursuivre leurs objectifs. L'affichagemanagérial décrit par V. Anquetin à propos de la Ville de Strasbourg voit ainsison caractère fortement politique confirmé.

Au-delà de la démocratisation et de la modernisation, il est un objectifque le dispositif participatif semble chargé d'atteindre: la légitimation d'uneinstitution relativement jeune, méconnue et aux compétences croissantes.L'enjeu est alors son positionnement par rapport aux autres collectivités et à lapopulation locales. L'insertion de ce critère ne remet pas en cause la parenté dumodèle chambérien avec l'idéal-type de la modernisation participative. De cepoint de vue, le développement de la participation citoyenne participe d'une et àune entreprise politique visant l'invention d'un territoire. Là aussi l'ambivalencecaractérise la situation actuelle puisque, comme le relève E. Négrier: "Latroisièlne fonction latente que joue ce déficit démocratique de l'agglomération est enfinde préserver une identité politique construite sur le territoire. (...) Maintenir le

197

monopole urbain de la représentation municipale permet de préserver le peu qu'il restedésormais aux élus (. ..). Cela permet aussi de mettre, pendant un temps, la politiqueintercommunale à l'épreuve et sous tutelle politique, au moins symboliquement, sanssoumette ses premiers pas à une (souvent) artificielle compétition entre programmesd'appareils" (Négrier 2001). Si une identité intercommunale peut faire peur,oeuvrer pour qu'elle se construise et s'impose devient désormais une nécessitéurgente.

Malgré cette urgence, le changement ne pourra s'effectuer queprogressivement compte-tenu du mode de fonctionnement consensuel del'intercommunalité chambérienne (Guéranger 2003) et de soninstitutionnalisation sur le modèle discret et incrémentaI de l'agglomérationlilloise décrit par Fabien Desage (voir contribution dans cet ouvrage).

Parce qu'ils présentent des objectifs et des enjeux différents, parfoiscontradictoires, ambivalents et évolutifs, les dispositifs de participation doiventdonc faire l'objet d'analyses micro-sociologiques continues. Il s'agit donc depoursuivre l'effort de clarification engagé sur ces "sous-ensembles flous de la"participation "" (Neveu 2004).

198

DEMOCRATISER LES POLITIQUESTERRITORIALES?

PREMIERES OBSERVATIONS ET BILAN PROVISOIREDES CONSEILS DE DEVELOPPEMENT

Philippe Teillet

MaĂ®tre de confĂ©rence en science politique Ă  l'Institut d'Etudes Politiquesde Grenoble, membre de l'UMR PACTE (CNRS), Philippe Teillet travailleprincipalement sur les transformations de l'action publique dans le domaineculturel. Ses travaux, qui concernent Ă©galement les recompositions territoriales,la mĂ©diatisation du politique et la paritĂ©, s'orientent dĂ©sormais vers ladimension politique des politiques publiques, Ă  l'articulation des sociologies dela vie politique et de l'action publique. Courriel: [email protected]

, ,

I II

RésuméI

!

::

:

:::::::::::

Cet article a pour objet les conseils de développement (C2D) d'agglomérations urbaines.:.i

:::::::::::::

Créés depuis 2000, les C2D ont d'abord eu pour tâche de contribuer à l'élaboration desprojets de territoire les concernant. Après cette première mission, leur rôle est devenu plusdifficile à préciser, même si, globalement, ils sont considérés comme les outils de la

: démocratisation des politiques métropolitaines. A partir de l'exemple de deux d'entre eux, :

cette étude s'attache d'abord à observer les luttes politiques autour de la définition de leurposition dans le champ politique local. Elle s'intéresse ensuite à la contribution des C2Dau renouvellement des pratiques démocratiques. Plus délibératifs que participatifs, les C2 Dpourraient être considérés comme incapables de bouleverser les mécanismes socio-politiques de domination de certains groupes sur les enjeux collectifs d'agglomération. Ceserait toutefois négliger un certain nombre d'éléments nouveaux que ces instancesapporten t à la démocratie métropolitaine.

Abstract

This article concerns the councils of development (C2D) of urban areas. Created since2000, the C2D have had at first task to contribute to the building of their territory projects.After this first mission, their role became more difficult to specify, even if they are regardedas tools for the democratization of the metropolitan policies. With the exemple of two ofthem, this study is first dedicated to the political struggles around the definition of theirposition in the local political field. Then it looks at the contribution of the C2D to therenewal of the democratic practices. More deliberative than participative, the C2D could be

:

.1:::::.

regarded as incompetents to upset the socia-political mechanisms of domination of groups~

:~

::::

on urban collective stakes. It would be however to neglect some elements that these new! bodies bring to the metropolitan democracy. j

1..

..1

199

La redéfinition de la politique d'aménagement du territoire (Lois« Pasqua» et « Voynet »), puis la relance de la décentralisation (<<Acte II »), sontcontemporaines de mesures ayant introduit, dans l'élaboration des choixcollectifs territorialisés98, des formes de «démocratie participative» donnantaux représentants de la «société civile» un rôle officiel dans la définitionlocalisée du « bien commun». L'adoption de tels dispositifs confirme l'analysede Patrice Duran (Duran 2002) soulignant la dimension fondamentalementpolitique de l'aménagement du territoire et suggérant ainsi sa nécessairedémocratisation. Des conseils de développement (C2D) d'agglomération et de« pays, dont la composition a été laissée à la libre détermination des élus99,ontdonc été constitués. La représentation de la «société civile» y décline desformes variées et offre à des interlocuteurs habituels des pouvoirs publics(chambres consulaires, syndicats, associations diverses) un cadre et des objetsnouveaux de concertation. Après deux premières années consacrées à leur miseen place, les conseils de développement sont maintenant dans une situationalliant une reconnaissance accrue à une définition plus floue de leur rôle. Aprèsla fonction consultative explicitement confiée par la loi (participer à l'élaborationdu projet de territoire), leur compétence concerne désormais, pour les zonesurbaines, «toute question relative à l'agglomération, notamment surl'aménagement et sur le développement de celle-ci ».

Les conseils de développement se situent donc à la croisée de troisenjeux: la territorialisation et la démocratisation de l'aménagement duterritoire; la promotion générale d'un «nouvel esprit de l'action publiquemoderne» (Blondiaux Sintomer 2002, Bacqué Rey Sintomer 2005) valorisant ledébat et la participation; l'introduction de cet « esprit» dans le fonctionnementdes territoires recomposés (agglomérations ou « pays») dont les responsabilitéscroissantes appellent la réduction de leur « déficit démocratique» (Jouve 2003,2005, Négrier 2005). Ces différents éléments constituent de nouvelles façons defaire de la politique qui s'inventent au niveau des agglomérations, associant audépassement du modèle stato-centré, une redéfinition des modalitésd'interaction entre autorités publiques locales et groupes d'intérêt (Leresche2001, Jouve 2005, Grossman Saurugger 2006) et reconnaissant aux processus deconstruction et de mise en œuvre des politiques territoriales une contributionessentielle à la qualité de vie démocratique. Mais pour importants que soient ceschangements sur le plan théorique, les difficultés pratiques de leur mise enœuvre peuvent conduire à pronostiquer au contraire la reproduction desrapports politiques et sociaux de domination ou la réduction de ces dispositifs àdes « techniques managériales » de gestion des conflits sociaux répondant avanttout à une contrainte d'efficacité. C'est alors pour éviter le double piège del'enchantement et du désenchantement, qu'il nous a paru nécessaire d'observerconcrètement le fonctionnement de ces C2D100.Nous verrons que les latitudes de

98 Notamment: Loi AIR du 6 février 1992 et Loi du 13 août 2004 - à propos desréférendums locaux -, Loi « Démocratie de proximité », 27 février 2002.

99Article 26 de la loi na 99-533 du 25 juin 1999.100 Nos investigations ont concerné les communautés d'agglomération d'Angers et de

Grenoble. Les données, témoignages et observations recueillies ont été produites àtravers une observation participante (entre 2002 et 2005), pour la première, et

200

la définition législative de ces conseils ont laissé aux acteurs locaux une margesuffisante pour qu'il leur revienne la responsabilité d'inventer ces instances, deconstruire une nouvelle position et un nouveau rôle au sein du champ politiquelocal. Nous examinerons ensuite la question de la contribution des C2D à ladémocratisation de l'action publique métropolitaine.

1. UNE INVENTION TACTIQUE

Le souci de ne pas conférer aux C2D une organisation trop précise dans lecadre de la loi et de permettre une définition principalement territoriale de leurcomposition, de leur mode de fonctionnement et de leurs attributions (Sarda2002), a fait l'objet d'une politique institutionnelle constitutive locale, plus oumoins marquée par une dimension réflexive favorisant au sein des assembléescommunautaires et des conseils de développement eux-mêmes le retour régulierde questions existentielles (qu'est-ce que le C2D ? Que peut-il faire? A quoi sert-il ?). Surtout, les facultés laissées aux acteurs politiques locaux dans laconstruction du C2D ont déclenché un processus leur conférant la responsabilitéde produire une instance avec laquelle ils devront partager les grands choixstratégiques d'agglomération et dont la raison d'être est la crise ou les limites deleur propre légitimité. Mais au-delà des éléments fondamentaux de la définitiondes conseils de développement, qu'adoptent les élus communautaires, leursmembres disposent d'une certaine marge de manœuvre dans la conduite de leuraction et dans la construction progressive de leur position collective dans lechamp politique local.

STRATEGIE ET TACTIQUE

L'invention des conseils de développement apparaît alors comme uncomposé de stratégie et de tactique, au sens donné à ces notions par Michel deCerteau (de Certeau 1980, p. 20-21) qui définissait la stratégie comme « calcul desrapports de force qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et depouvoir (., ,) est isolable d'un 'environnement', Elle postule un lieu susceptible d'êtrecirconscrit comme un propre et donc de servir de base à une gestion de relations avecune extériorité distincte». En ce sens, la dimension « top down» de l'émergencedes C2D, le rôle du président de l'EPCI10\ des principaux membres de sonbureau et de son cabinet dans la désignation de certains membres et en

principalement à travers des entretiens avec des membres, des techniciens del'agglomération et des élus, pour la seconde (entre janvier et juillet 2006), dans le cadred'une étude réalisée avec Alain Faure. TIs'agit dans les deux cas de territoires urbainsdotés d'une ville centre de plus de 150 000 habitants et d'une population de près de300 000 habitants pour Angers Loire Métropole et de 460 000 pour Grenoble AlpesMétropole.

101 Etablissement Public de Coopération Intercommunale, Communauté d'Agglomérationou Communauté Urbaine, voire Communauté de Communes.

201

particulier de celle du président du conseil de développement, inscriventpotentiellement sa création dans le cadre d'une stratégie qui peut viser tant lalégitimation de la structure intercommunale et de ses dirigeants ou la qualitétechnique et politique des décisions qui pourront être adoptées à ce niveau, quele contrôle d'une instance dont l'existence résulte d'abord de la volontéd'acteurs politiques centraux et de dispositions législatives obligatoires. Enrevanche, la tactique est « un calculqui ne peut pas comptersur un propre(.. ,), (Elle)n/a pour lieu que celui de rautre, Elle s/y insinue/ fragmentairement/ sans le saisir enson entier/ sans pouvoir le tenir à distance, (.. ,) [llui faut constamment jouer avec lesévénements pour en faire des 'occasions', Sans cesse lefaible doit tirer parti de forces quilui sont étrangères ». De ce point de vue, la réflexion et l'activité des principauxmembres des C2D, concernant l'instance dont ils font partie, relèvent plus d'unetactique ou comme le disait aussi de Certeau, d'un art de «faire avec}) lescirconstances et les contextes de leurs activités, d'user des ressources qued'autres (le « législateur », les élus communautaires) ont mis à leur disposition,de les manipuler et au besoin de les détourner.

Dans les deux cas observés, les orientations suivies par les C2D résultentconcrètement des choix de saisine et d'auto-saisine (stratégiques et tactiques)débattus en son sein mais aussi dans le cadre d'échanges avec la présidence del'agglomérationlo2. Elles constituent une définition en acte, par tâtonnements etapprentissages, de sa position au sein du champ politique local. Ces choix sontdéterminés par des considérations où se reflète une certaine conception (voireplusieurs) du rôle du C2D, mais aussi le souci de donner à ses membres lesgratifications nécessaires au maintien de leur engagement dans une activitéexigeante en disponibilité et venant généralement s'ajouter à de nombreusesautres.

LE JEU POLITIQUE

Elus communautaires et équipes dirigeantes des conseils dedéveloppement paraissent avoir intégré les exigences résultant d'unpositionnement paradoxal: celui d'une institution constituée par des élus pourreprésenter la « société civile». Dans chacun des deux territoires observés, desliens parfois assez étroits unissent certains membres du conseil aux élus majeursdè l'agglomération. La dépolitisation de ces instances trouve ainsi vite seslimites. Mais, à l'inverse, une velléité de sélection sur des critères partisansrisquerait de faire s'évanouir tous les bénéfices symboliques attendus del'installation du C2D. Dans les deux cas observés, il semble avoir été jugé plusfructueux de réduire le contrôle direct sur les participants (notamment enrenonçant à l'idée d'un collège d'élus ou d'une présidence confiée à un élu) auprofit d'une forme de contrôle idéologique via la recherche de visions partagéesentre élus, techniciens et représentants de la société civile concernant lescontraintes de l'action publique. La possibilité de trouver ainsi des accords sur la

102 Comme à Grenoble dans le cadre d'une instance appelée «Conférence dedéveloppement» et réunissant les bureaux des deux conseils, communautaire et dedéveloppement.

202

définition des problèmes et sur les modalités possibles de leurs résolutionspouvait apparaître comme une bonne façon de limiter les risques deconfrontation aiguë avec certains groupes d'intérêt.

Les principaux responsables des C2D ont considéré que leur capacitéd'influence sur les processus décisionnels était indexée à la qualité de leursrelations avec les élus et les services. C'est pourquoi, si la création des C2D porteen elle la double critique du recours exclusif aux mécanismes de la démocratiereprésentative et du pouvoir des techniciens, leurs membres sont amenés à fairerégulièrement allégeance au principe de la domination légitime des élus sur laformulation en dernière instance de l'intérêt général et de celle des services surla dimension technique des enjeux collectifs. Dans le même sens, la coupure quiaffecte leurs relations avec les organisations dont ils émanent ou qu'ilsreprésentent n'est pas seulement l'expression d'un gap résultant de l'exercice detoute fonction communautaire. Elle leur permet également de ne pas paraîtreconstituer une forme de contre pouvoir politique en s'accaparant une fonctionde représentation sectorielle que certains élus pourraient considérer commemenaçante. Reste que le travail de définition du C2D, par delà une certainecourtoisie des échanges, des formes de complicités partielles, peut être envisagésous la forme d'une double «compétition» entre «associés-rivaux» (élus -société civile; techniciens - société civile) dont l'enjeu principal est de peser surles choix collectifs territoriaux. La mise en place des conseils de développementvient ainsi ajouter un pôle supplémentaire perturbant les relationstraditionnelles entre élus et services et « triangularisant» l'espace politique desagglomérations.

LA PERSONNALISATION DE L'INSTITUTION

A Angers comme à Grenoble, le choix du président du C2D, sous desformes diverses mais convergentes, tente de conjuguer proximité etindépendance vis-à-vis du pouvoir d'agglomération. Ces deux sources de leurcharisme leur permettent de jouer un rôle déterminant dans le processus dedéfinition endogène des conseils de développement. On peut en mesurer leseffets au travers des fortes relations apparaissant entre les personnalités de cesprésidents et le « style» donné aux C2D. Le conseil de développement angevin,sous la présidence de l'ancien directeur général des services de la ville centre,s'est orienté vers un fonctionnement sans originalité particulière, privilégiantpour cette assemblée l'application d'un modèle connu et relativement familier.On pense en particulier aux CESR103 par la distribution de fonctions derapporteurs autour des présidents de commissions et la production de rapports.Leur rédaction devant permettre en outre la mise en œuvre d'une évaluation duC2D à travers la connaissance des suites données à ses travaux. Un tel choixpermet une identification aisée du conseil de développement (par ses membrescomme par ses partenaires extérieurs), par rapprochement avec des pratiquesplus anciennes et assez bien identifiées. Il lui assurait une certaine légitimité àtravers la (re)connaissance de ses travaux et les assurances données sur son

103Conseils Economiques et Sociaux des RĂ©gions.

203

activité effective. Enfin, la rigueur de son organisation, les compétencesreconnues

de son

président,

contribuaient

Ă  donner

un sens

«

managé

rial

»

Ă  la

gouvernance que le C2D prétendait incarner.

A Grenoble, en revanche, une sorte de consensus s'est établi en faveurd'une démarche plus pragmatique, volontiers plus souple (allant jusqu'à unesituation où l'appartenance au C2D est peu marquée compte tenu des frontièresfloues de sa composition), éloignée du modèle CESR, d'ailleurs conçu ici commeun « contre modèle» : pas de véritable production de rapports, mais seulementdes comptes rendus de réunions et d'activité principalement produits par lesdeux ou trois personnels administratifs mis à sa disposition. En associant uneforte capacité d'initiative à une réflexivité sur son fonctionnement ainsi qu'unecertaine réactivité à l'actualité, les membres du conseil considèrent qu'une telle« organisation», plus dynamique qu'ordonnée, reflète la personnalité de sonprésident. On se trouve donc face à une instance plus difficile à rapprocher demodèles connus, qui tente de construire sa position spécifique, d'une part, enassociant à une expertise concurrente - voire parfois supérieure - à celle desservices, une faculté à rappeler ou à définir des objectifs politiquesfondamentaux, d'autre part, en naviguant entre des réflexions prospectives et laprise d'initiatives conduisant certains de ses membres sur un terrain plusopérationnel (nullement suggéré par la loi Voynet). Si certains participants ouobservateurs peuvent parler à son sujet d'une fonction « d'aiguillon », de « poilà gratter », d'autres évoquent un laboratoire d'idées local associé aux processusdécisionnels d'agglomération. Cette personnalisation est aussi favorisée par unedépendance relativement forte de ces conseils à l'égard de certains de leursmembres. Elle se traduit par une nette différenciation entre un petit groupe trèsinvesti (présidents des commissions ou des groupes de travail, responsables dela production de « rapports », membres du bureau, etc.) et le reste des membresdu conseil. Si l'activité et la légitimité des C2D résultent en grande partie de cesgroupes restreints, ils en font aussi la faiblesse en faisant dépendre leur avenirde l'engagement pérenne et constant de quelques individus.

Il apparaît ainsi que la courte histoire des C2D est d'abord celle del'invention, territoire par territoire, d'une institution nouvelle vouée à occuperune position inédite au sein des champs politiques locaux. A la différence desconseils régionaux (Nay 2002), il s'agit alors non seulement pour les membresdes C2D d'inventer un rôle nouveau mais aussi de participer au processuscollectif de définition de l'organisation qu'ils auront à faire exister. On se trouvealors face à des apprentissages d'autant plus délicats que l'apparition de cesinstances suscite un certain nombre de tensions et fait l'objet de projectionsdiverses de la part d'autres agents, individuels ou collectifs, des champspolitiques concernés104. Toutefois, leur dépendance à l'égard de certainespersonnalités qui les composent conduit aussi à souligner l'état d'inachèvementde leur institutionnalisation.

104 Ainsi, certains CESR ont manifesté leurs craintes ou fait part de critiques à l'égard del'activité des C2D des principales agglomérations de leur territoire.

204

2. QUEL MODELE DEMOCRATIQUE?

. Intégrés aux instruments de la démocratie participative (Bacqué ReySlntomer 2005) et de la participation des groupes d'intérêt «à rélaboration despolitiques (oo.) (afin de) combler, au moins pour partie, les déficits démocratiquesmultiples qui découlent d'une prise de décision éclatée sur plusieurs niveaux politiques»(Grossmann Saurugger 2006, p.308), la situation spécifique des conseils dedéveloppement doit être distinguée de celles d'autres instances comme lesconseils de quartier, commissions locales d'usagers de services publics,commissions locales de débat public (Blondiaux 2002). On pourra, de cettefaçon, lever un certain nombre d'ambiguïtés sur la notion de «démocratieparticipative» résultant justement de la diversité de ses dispositifs et objectifs(Blondiaux 2005). Le fonctionnement des C2D sera donc examiné au regard desenjeux de participation qu'ils sont censés servir, avant d'envisager à travers euxla mise en œuvre d'autres modèles de fonctionnement démocratique.

UNE DEMOCRATIE« PARTICIPATIVE » ?

Deux principales raisons justifient a priori le classement des conseils dedéveloppement parmi les dispositifs de participation. La montée en puissancedes agglomérations conduit d'abord à faire des structures intercommunales deséchelons essentiels car voués à des champs de compétences en phase avecl'urbanisation du monde contemporain. On est loin ici des conseils de quartiersoù la participation est déconnectée de tout niveau décisionnel déterminant.Ensuite, la composition des C2D atténue les problèmes posés par le différentield'information et de compétences techniques auxquels sont confrontés les«forums hybrides », sans cesse tenus de corriger leur organisation pouratteindre leurs objectifs de débats équitables (Callon Lascoumes Barthe 2001).Les ressources intellectuelles que peuvent mobiliser leurs membres, la carrièremilitante et la multipositionnalité de certains d'entre eux, permettent aux C2Dde se situer à un niveau de compétence comparable, voire parfois supérieur, àcelui des élus ou des services techniques.

Mais, les ressources internes des membres du C2D ne sont pasinépuisables et sauf à recourir à des expertises externes ou à procéderrégulièrement à un vaste renouvellement, la pertinence de leurs compétences vase réduire au fur et à mesure de la diversification des thèmes abordés. De plus,un tel niveau d'expertise caractérise plutôt le « noyau dur» des C2D et crée decette façon une différenciation interne qui joue souvent au détriment desreprésentants d'organisations issues d'une structuration économique et socialedes groupes d'intérêt (syndicats, chambres de commerce et d'industrie, enparticulier). Surtout, on perçoit vite les limites de la participation offerte au seinde ces conseils. Le niveau métropolitain est marqué par l'éloignement (obligeantà renoncer ici aux mirages d'une démocratie « de proximité »), les stigmates dela complexité de l'action publique territoriale et un caractère peu familiercomparativement à l'ancrage historique des communes et départements. Ilproduit un différentiel aussi sensible entre les élus communautaires et les autres

205

élus communaux, qu'au sein du C2D, entre les représentants des groupesd'intérêt locaux et les autres membres de ces groupes. En outre, lamondialisation économique et l'interdépendance des territoires mettent en périltoute tentative de définir et de stabiliser un niveau intermédiaire de régulationpolitique. A ce jeu, les membres des C2D sont conduits à faire régulièrement leconstat des limites de l'échelle d'agglomération au niveau de laquelle ils sesituent. De son côté, l'expertise intégrée par les conseils de développementinterdit d'espérer y rencontrer le citoyen ordinaire, dit « lambda ». Celui que ladémocratie participative tente d'intégrer à la vie publique locale est peu présentdans des instances où siège une notabilité non élective dont les membres ontsouvent un fort investissement syndical ou associatif et siègent fréquemmentdans plusieurs instances (CESR, conseils, unions ou associations de quartiers). Ilfaut rappeler ici que selon la loi Voynet, il s'agit de représenter la société civile etde construire au fond un mode alternatif de démocratie représentative chargé deformaliser le débat avec les groupes d'intérêt locaux.

UNE DEMOCRATIE DELIBERATIVE?

Les C2D constituent ainsi des forums institutionnalisés placés aux côtésdes organes électifs des territoires recomposés. La distinction proposée parBruno Jobert Gobert 1999), entre forums (espaces relativement ouverts de débatssur les politiques publiques) et arènes (espaces plus restreints de négociation desdécisions), correspond approximativement à la fonction des C2D105.Toutefois, ladiversité des politiques débattues pourrait aussi conduire à parler de forums deforums, voire de chacun d'entre eux comme une composante de forums moinsinstitutionnalisés. Surtout, nous voudrions ici nous attacher aux formes queprend au sein des C2D la mise en débat des projets et des politiquesd'agglomération.

La distinction récemment formulée par E. Grossmann et S. Saurugger(Grossmann Saurugger 2006) permet de penser que l'activité des conseils dedéveloppement relève moins de la délibération compétitive que de ladélibération collaborative. Dans le cadre de la première, les décideurs arrêtentleur position après que les représentants d'intérêts ont fait valoir leursarguments. Aucun accord ni compromis n'est recherché au sein de la pluralitédes intérêts en cause. C'est de leur mise en compétition que résultentprogressivement l'information et la conviction des représentants. Au-delà deslimites de ce modèle, il paraît très éloigné de la propension des C2D à constituerdes lieux de débats entre intérêts constitués qui transcendent en principe leslogiques sectorielles des uns et des autres. La définition de la seconde semblemieux s'accorder avec les pratiques des conseils de développement. Elle désignela production d'un compromis, à l'issue de débats valorisant la qualité desargumentations et où l'on cherche à modifier les préférences adverses plutôt quede les opposer. Les témoignages recueillis auprès de membres de ces conseils oude ceux qui suivent leur fonctionnement soulignent leur capacité à être des lieuxd'échanges et de compromis, du moins à ne pas être des lieux où s'affrontent

105 et non pas délibérante au sens de la production normative des assemblées locales.

206

des positions antagonistes et des clivages idéologiques structurants. On observecependant que nombre d'assemblées politiques locales apparaissent aussicomme des espaces consensuels et, en ce sens, relativement dépolitisés. Il ne fautdonc pas exagérer la spécificité des pratiques délibératives des C2D où semanifeste cette rhétorique de l'apolitisme qui de longue date caractérise lesespaces publics locaux (Kesselman 1972). Mais on peut surtout s'attacher àrepérer ce qui écarte la réalité des conseils de développement de cet idéaldélibéra tif.

En premier lieu, la répartition de leurs membres en collèges puis encommission répond à une certaine sectorisation des enjeux et des expertises.L'appel à la mise en œuvre de logiques transversales et territoriales peut trouverune certaine effectivité, mais elle peut aussi donner naissance à une constructionsous la forme d'un catalogue des propositions ou avis des conseils dedéveloppement. Leur adoption en séances plénières n'empêchant pas une fortepersonnalisation de positions réputées collectives. Le respect des positions dechacun peut être un obstacle à l'échange d'arguments ainsi qu'à la constructiond'une position commune et raisonnée. En second lieu, on ne peut pasvéritablement parler ici d'une participation des groupes d'intérêt compte tenude la faiblesse des liens rattachant leurs représentants au sein du C2D auxgroupes représentés. La faible institutionnalisation de ces conseils, la dimensionfortement personnalisée de leur fonctionnelTLent, leur confère parfois plus unedimension de club de réflexion. On est alors loin de trouver à travers eux ce lieude formation de la volonté générale (Manin, 1985) qui supposerait un plus réelinvestissement des groupes d'intérêt dans les débats dont les C2D sont porteurs.

Doit-on alors conclure sur l'échec des conseils de développement àdémocratiser les politiques territoriales? Pour tentante que soit une réponsenégative, nous voudrions proposer ici trois arguments contraires.

Premièrement, les conseils de développement trouvent leur place dansdes conceptions et pratiques de la démocratie qui prennent acte d'une visionélargie de l'activité politique ne se réduisant pas à la seule désignation desgouvernants. Une part essentielle de la politique se joue en effet dans des phasesultérieures aux élections. Or, la relative autonomie de la production despoli tiques publiques vis-à-vis de la politique électorale a pour effet de retirer del'espace public un certain nombre de choix d'importance majeure pour l'avenirdes territoires concernés. Les C2D constituent de ce point de vue un outildémocratiquement nécessaire de mise en débat des politiques territoriales. Onretrouve ici, comme au niveau européen, le jeu de complémentarité entre lesdeux formes de légitimation, par les inputs et les outputs (Scharpf 2000). Lafaiblesse des systèmes politiques d'agglomération (du point de vue des inputs, -poids des «demandes» , influence sur le choix des dirigeants -) peut êtrecompensée par la mise en débat de l'action publique métropolitaine (outputs).Quelles que soient les limites des pratiques délibératives au sein des C2D, ellestendent en effet à favoriser la prise en compte d'une gamme plus étendued'options, d'intérêts et d'enjeux (Scharpf, 2000, 29) que le seul jeu des rapportsentre élus ou entre élus et techniciens.

Deuxièmement, l'existence des C2D permet l'élargissement du nombre deceux qui sont susceptibles d'exercer une influence dans les processus

207

décisionnels des agglomérations, même si cette « couche supplémentaire» peutse restreindre à une «fine pellicule» 106.Toutefois, l'intégration de quelquesdizaines d'individus à l'activité d'élus et d'équipes administratives pose laquestion de leur légitimité. Leur prétention à exprimer autre chose que desopinions personnelles et à parler au nom de groupes divers est souventcontestée. Leur principale ressource, leur expertise, favorise d'ailleurs uneredéfinition progressive de leur position sociale et politique: de «représentants»de la société civile en « autorités ». Cette situation conduirait alors à leur déniertoute qualité « représentative ». Mais les travaux d'A. Rehfeld107(Rehfeld 2006)montrent que dans de nombreux cas, au sein de l'OMC, de l'ONU ou s'agissantd'ONG humanitaires, par exemple, le respect de normes démocratiques dedésignation est une exigence fréquemment écartée et que deux autresarguments permettent de parler au nom de « représentés» : le respect des règlesde reconnaissance utilisées au sein d'assemblées ou d'institutions diverses pourdéterminer qu'une personne plutôt qu'une autre est politiquementreprésentative; les missions dévolues à l'instance représentative (<<la manièremoralement préférable de réaliser les buts d'un cas particulier dereprésentation» p. 20). En montrant qu'elle n'est pas inéluctablement liée auxprocessus démocratiques de désignation, les analyses de Rehfeld invitent, plutôtqu'à distribuer de façon sélective des titres de « représentants », à profiter de cesnouvelles pratiques et institutions, comme les C2D, pour repenser la notion etles modalités de la représentation politique.

Troisièmement, les C2D limitent l'autonomie des représentants. Il nes'agit pas, à la différence d'autorités administratives indépendantes, desoustraire aux élus certains choix politiques, mais d'ajouter une dimension pluscollective à l'action politique métropolitaine. Le terrain où s'exerceprincipalement la concurrence des C2D à l'encontre des responsables politiquestraditionnels est, plus que celui de la technicité de l'action publique, celui de laconstruction du sens. Leur complexité et leur technicité brouillentparticulièrement la lisibilité des politiques métropolitaines. Les difficultés desacteurs politiques à donner un cadre global et des perspectives à leursinterventions laissent alors un espace pour des organisations ou des individuscapables de définir des situations et des priorités et de combler en partie un videsymbolique patent. En ce sens, nombre de nos interlocuteurs ont considéré queles C2D pouvaient pousser les élus à faire de nouveau « de la politique », façonpour eux de montrer que leur activité contribue à la fin du monopole des élussur ce qui est souvent encore considéré comme relevant de leur responsabilitéspécifique.

106 Une étude sur les conseils de développement en Poitou-Charentes, rassemblant lasituation de pays et d'agglomérations, recensait 1851 membres pour 31 conseils soitune moyenne de 60. 8 d'entre eux dépassaient cette moyenne, le plus importantcomptant 180 membres et les plus réduits en comprenaient 25. Les agglomérationscomme Angoulême et Poitiers sont dotées de C2D de 80 à 90 membres. Mais d'autrescomme La Rochelle, Rochefort ou Niort n'en ont rassemblé qu'entre 30 et 40. Cf IAAT,Les actions des conseils de développement des pays et agglomérations de Poitou-Charentes,Juillet 2006.

107 Nous remercions ici S. Saurugger de nous les avoir signalés.

208

POLITIQUES LOCALES DE SECURITE

ET ACTEURS POLITIQUES

Tanguy Le Goff

Tanguy Le Goff est docteur en sciences politiques. Il est actuellementchargĂ© d'Ă©tudes Ă  la Mission Etudes et SĂ©curitĂ© de l'Institut d'AmĂ©nagement etd'Urbanisme de la RĂ©gion Ile-deFrance (IAURIF). Ses travaux portent sur lespolitiques locales de sĂ©curitĂ© en France et en Europe.Courriel: [email protected])

................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

I

RésuméI

!

:::'

:::::::::::::

La sécurité est désormais fortement investie par les acteurs politiques qui jouent un rôle I:.:::::::::::::::.

déterminant dans les négociations des politiques contractuelles initiées par l'Etat et dansleur mise en œuvre. Ils exercent également un magistère d'influence auprès des servicesextérieurs de l'Etat désargentés. Ce dernier révèle que la dynamique de territorialisation de

.1:.

la sécurité, dont les maîtres mots sont proximité et coproduction, va de pair avec une~:.:.reconfiguration des relations de pouvoir entre les gouvernements locaux et un Etat qui

is' adapteen réinventant son art degouverner lasécurité.I

Abs tract

Crime control is increasingly the concern of politicians who are playing a determining rolein policy making. They also have a greats influence on cash-strapped public services. Thisshows that the principle of reinvesting in security at a locallevel, ofwhich the key factorsare proximity and coproduction, goes hand in hand with a reconfiguration of relationsbetween local authorities and the state, which is adapting through reinvention of itsapproach to crime security.

209

« Quelle est la ville la plus sûre? ». Cette question figure systématiquementdans les dossiers des magazines hebdomadaires consacrés au classement, àl'échelle hexagonale voire européenne, des métropoles bénéficiant du meilleurcadre de vie. Que la sécurité soit devenue un indicateur de la qualité de vied'une ville, de son attractivité, au même titre que la qualité du réseau detransport collectif ou que le dynamisme économique, est révélateur de la placequ'occupe désormais la sécurité dans l'image de marque d'un territoire urbain. Iln'est dès lors pas surprenant que les acteurs politiques locauxlo8, principalementles maires des grandes et moyennes villes, accordent une place privilégiée dansleur stratégie de marketing territorial à cet enjeu doté d'une forte valeurémotionnelle. Par l'instrumentalisation de la sécurité dans le cadre decampagnes municipales, par l'usage d'une rhétorique de la peur et pour certainsde la punitivité109, les maires tendent aujourd'hui à exercer une influencedécisive dans la construction des enjeux locaux de sécurité et le cadrage de sonmode de traitement. Leur rôle ne se limite pas à cette dimension centrale de leurtravail politique (Ferret Mouhanna 2005). Ils participent également à orienter lespolitiques locales de sécurité aussi bien par les politiques municipales qu'ilsengagent que par leur investissement dans des politiques contractuellesdéveloppées par l'Etat au nom du partenariat, de la proximité (temporelle,géographique, sociale) et d'une coproduction bien souvent plus incantatoirequ'effective. En dépit de cet investissement des acteurs politiques, leur rôleéchappe largement à l'analyse. Ceci n'est d'ailleurs pas une spécificité de cedomaine d'action publique. Bien souvent en effet les analyses des politiquespubliques, notamment celles qui adoptent une approche néo-institutionnalistede l'action collective (Duran Thoenig 1996/ Gaudin 1999)/ tendent à réduire lesacteurs politiques à des acteurs parmi d'autres, à ne leur accorder qu'une placemarginale, voire résiduelle dans la production des politiques publiques. Prenantle contrepied de la tendance à tenir dans l'analyse des politiques publiques, lerôle des acteurs politiques, pour un point aveugle, nous souhaitons ici mettre enévidence sur la base d'observations de terrainllo tout l'intérêt heuristique d'unerecherche centrée sur leur contribution propre à la dynamique detransformation de l'action publique locale en matière de sécurité. On se placeainsi dans la lignée des récents travaux de sociologie politique de l'actionpublique (Hassenteufel Smith 2002) visant à ré-articuler les deux sphères dupoli tique (politics et policies).

108 Les conseillers communautaires, les conseillers généraux et même les conseillersrégionaux sont amenés à prendre position sur ces questions. Certains ConseilsGénéraux - tels les Hauts-de-Seine ou le Val-d'Oise - bien que leurs compétences soienta priori limitées en ce domaine (si ce n'est dans le champ de la prévention spécialisée),ont placé la lutte contre l'insécurité au premier rang de leurs priorités. Toutefois, par"acteurs politiques", seront ici désignés les seuls élus municipaux investis sur lesquestions de sécurité (maire, adjoint, conseiller municipal).

109 Sur l'Ă©mergence d'un "populisme punitif en France", voir l'introduction de J.Ferret etCh. Mouhanna (Ferret Mouhanna 2005).

110 Ce texte s'appuie, sur le plan empirique, sur des recherches menées entre 1998 et 2002dans trois agglomérations: celle d'Amiens, de Nantes et de la ville nouvelle de Sénart.

210

1. LES ACTEURS POLITIQUES AU CĹ’UR DESNEGOCIATIONS DES DISPOSITIFS CONTRACTUELS

A l'instar d'autres domaines d'action publique, la technologiecontractuelle est, depuis le début des années 1990, mobilisée dans le champ de lasécurité par l'Etat au travers de différents dispositifs qui sont censés permettre lacoordination de la pluralité des acteurs impliqués dans la sécurité des villes:Plans locaux de sécurité, Plans départementaux de sécurité et, depuis 1997,Contrats locaux de sécurité. Dans le cadre des arènes de discussion de cesdispositifs contractuels où s'échangent entre décideurs locaux (directeur decabinet du préfet, maire ou son adjoint, procureur de la République) des biensmatériels, financiers et symboliques, les acteurs politiques jouent un rôle décisifd'impulsion ou de blocage.

Le cas de l'agglomération nantaise met ainsi en évidence le poids duleader politique de cette agglomération, le député maire de Nantes, Jean-MarcAyrault, dans le lancement rapide d'un contrat local de sécurité à l'échelle del'agglomération (1998). Jean-Marc Ayrault, soucieux de par son positionnementet ses engagements (proche de Jospin, il est le président du groupe socialiste àl'Assemblée Nationale), que Nantes fasse partie des premiers lieux où un contratlocal de sécurité puisse être signé, devance les propositions du préfet et l'incite àen amorcer, dès le lendemain du colloque de Villepinte, la procédured'élaboration. Il a engagé depuis le début de son second mandat (1995), unepolitique municipale qualifiée de "tranquillité publique", principalement tournéevers la mobilisation de l'ensemble des partenaires locaux de la sécurité réunisdans la cadre d'une instance partenariale municipale (la commission centrale deprévention-tranquillité publique). La nouvelle politique partenariale s'inscrivantpleinement dans sa démarche de coopération avec l'Etat sans empiéter sur sesprérogatives, il adhère au dispositif dont il voit les bénéfices matériels(allocation d'effectifs de police) et les possibles rétributions symboliques(afficher, aux yeux de ses électeurs, sa volonté d'agir par une coopération étroiteavec l'Etat). Le préfet propose au maire de Nantes de construire le CLS àl'échelle de l'agglomération, plus précisément des 12 des 21 communes dudistrict (aujourd'hui communauté urbaine). Une proposition à laquelle adhèreJean-Marc Ayrault qui, depuis plusieurs années déjà, s'était engagé dans uneInstance intercommunale de prévention de la délinquance réunissant 8 mairesde l'agglomération. Il s'agissait, dans une période de mise à l'écart des mairespar la préfecture "d'avancer groupés face à l'Etat". Pressé d'agir par Jean-MarcAyrault, le préfet fait réaliser dans de courts délais un diagnostic local desécurité par un cabinet et procède à de sommaires négociations sur le contenudu contrat. En à peine trois mois, il boucle l'affaire, sans qu'il y ait eu une réelleconcertation entre l'ensemble des institutions sur la politique qu'ellessouhaitaient mener. Les négociations se limitèrent en effet à des négociationsentre les représentants de la ville de Nantes (l'adjoint au maire chargé de lasécurité, le directeur de cabinet du maire et le chargé de mission prévention-tranquillité publique), le procureur adjoint de la République et le directeur decabinet du préfet. Qui plus est, elles se centrèrent principalement sur les

211

préoccupations du maire de Nantes comme le reconnaît le chargé de missionprévention-sécurité: "On a fait comme si les questions que Nantes posaitétaient des questions qui intéressaient tout le monde. Sachant que le souci, cen'est pas qu'elles intéressent tout le monde mais qu'elles intéressent surtoutNantes". Ce contrat intercommunal est donc fortement orienté par les intérêts deJean-Marc Ayrault. En raison de son capital politique et de son leadership dansl'agglomération nantaise, de sa stratégie d'intervention municipale congruenteavec celle des CLS couplé à un héritage institutionnel tant à l'échelle de la villede Nantes qu'au niveau intercommunal, il obtient rapidement la signature d'uncontrat local dans sa ville et les biens à la fois humains, symboliques etfinanciers mis dans la négociation par l'Etat.

Le cas de la Métropole amiénoise est intéressant en ce qu'il met enévidence, au contraire, non un pouvoir d'impulsion mais de blocage de l'acteurpolitique à la mise en œuvre d'une démarche contractuelle de sécurité. Il refusede signer le contrat si l'Etat ne s'engage pas à augmenter sensiblement seseffectifs de police jugés très insuffisants par Gilles de Robien. Cette conditionposée par le maire d'Amiens masque des motivations partisanes. Sesengagements dans l'espace politique national où il s'est imposé comme un" spécialiste" des questions de sécurité, partisan d'un accroissement despouvoirs des maires, constituent des éléments ayant contribués au durcissementde sa position à l'égard de l'Etat. Le discours qu'il tient au préfet de la Sommeau sujet du CLS est en substance le suivant: soit l'Etat donne aux maires lesmoyens juridiques et financiers de gérer la police au niveau de leur ville, soit ilen assume le fonctionnement, et doit, dans ce cas, s'en donner les moyenshumains et budgétaires. Si un accord est finalement obtenu entre les deuxparties, c'est sur la base de marchandages qui n'ont guère eu à voir avec l'enjeumême du CLS puisque l'adhésion du maire aurait été conditionnée parl'engagement du préfet à soutenir un projet d'aménagement urbain(réhabilitation de la place de la gare) souhaité par Gilles de Robien. L'accordrésulte donc moins d'une négociation explicite sur les modalités de partenariaten matière de sécurité que d'arrangements cachés sur la base d'une logique du" donnant-donnant". Pour le préfet, il s'agit de signer un contrat dans le chef-lieu du département, de montrer que la politique nationale a pris dans ceterritoire local, tandis que pour le maire, l'objectif est de montrer, malgré sonopposition initiale, qu'il s'efforce d'attirer les ressources de l'Etat dans sa ville,en mettant en scène cet accord avec l'Etat et de ne pas mettre en péril un de sesprojets urbains. Ces conditions de gestation marquées par un conflit de fondentre décideurs locaux (préfet et maire) expliquent, pour une large part, que leCLS va rapidement se résumer à une "coquille vide" et générer, au niveau desacteurs de terrain (policiers nationaux et municipaux), qui jusqu'ici collaboraientefficacement, des tensions dans les relations. La mise en place du CLS s'est donctraduite par l'émergence d'une dynamique conflictuelle entre le maire et lepréfet dans un site où, jusqu'ici, le maire avait réussi à nouer des relations decoopération étroites avec les services de l'Etat. En se gardant de verser dans"l'illusion héroïque" (Dobry 1986) d'un acteur politique seul décideur,imposant ses vues et ses attentes à ses partenaires, on peut toutefois dire qu'ilsexercent un pouvoir (d'impulsion ou de blocage) dans la phase de négociation etde définition des grands axes d'une politique locale de sécurité.

212

2. ACTEURS POLITIQUES ET ACTEURS

ADMINISTRATIFS: QUELLES RELATIONS?

Au-delà de ce rôle dans les jeux de négociation des dispositifscontractuels, il convient de saisir la manière dont les acteurs politiquesparticipent à l'orientation des politiques de sécurité, en s'intéressant à la manièredont le personnel politique oriente, encadre, structure l'action des agentsmunicipaux chargés de la sécurité mais aussi influence l'action de leurspartenaires institutionnels.

INTERDEPENDANCES ENTRE LES ELUS ET

LES TECHNICIENS MUNICIP AUX DE LA SECURITE

Pour peser sur la mise en œuvre de la politique municipale de sécurité, lesacteurs politiques s'appuient sur deux principaux interlocuteurs: le directeur dela police municipale etlou le chargé de mission prévention-sécurité (les deuxfonctions étant parfois exercées par la même personne). Rares sont aujourd'hui,parmi les grandes et moyennes villes, celles qui ne possèdent pas un servicedédié aux questions de sécurité oui et un service de police municipale. Actepolitique fortement marqué à la fin des années 1970, période où l'on assiste à larenaissance des polices municipales, la création d'une police municipale s'estincontestablement banalisée. En 2004, on dénombrait, 3288 polices municipalespour un total de 16 520 agents alors qu'ils n'étaient que 5641 en 1984. Des villesde toutes les tendances politiques se sont dotées d'une police municipale arméeou non. Il faut néanmoins souligner qu'un clivage entre droite et gauchedemeure. Une récente étudel11 réalisée sur les communes de plus de 10 000habitants montre que 80 % des communes de droite disposent d'une policemunicipale contre 65 % des communes de gauche. Si ces données mériteraientd'être croisées avec d'autres, comme le potentiel fiscal, pour préciser dans quellemesure la variable partisane est explicative, elles suggèrent que certains mairesde gauche semblent encore réticents à s'engager dans la création de ce type deservices comme s'ils étaient porteurs d'une image sécuritaire et constituaient unmarqueur partisan.

Le maire, que les policiers municipaux qualifient volontiers de «grandpatron», entretient avec ses policiers, plus particulièrement le directeur de « sa »

police municipale, des rapports fortement déterminés par trois variables: sonmode de gestion des questions de sécurité - centralisé ou délégué (parnomination ou non d'un adjoint aux questions de sécurité) ; sa conception de lapolice municipale - conception offensive revendiquant une municipalisation dela police du quotidien ou plus discrète et respectueuse du dogme régalien - et lataille de la police municipale. Les relations sont d'autant plus distanciées et

111Cette étude a été réalisée pour le compte de l'AMF par un cabinet spécialisé dansl'analyse et la communication sur la base des budgets primitifs de l'ensemble descommunes de plus de 10 000 habitants, 2005.

213

médiatisées que la commune et la police municipale sont grandes (Malochet2005). Quelle que soit la taille, un élément commun se dégage: la policemunicipale n'apparaît pas comme un service comme les autres. De manièresignificative, la police municipale peut se trouver fonctionnellement rattachée aucabinet du maire. C'est le cas, par exemple, à Savigny-Le-Temple, où le mairesouhaite avoir "la main-mise sur sa police municipale" et orienter son action endirect. Il nous précisait ainsi que, dans sa commune," la politique de sécurité estdirigée directement par (lui) et par un chargé de mission placé à (ses) côtés, aucabinet, le directeur de la police municipale qui est chargé des relations avec lapolice nationale et de l'encadrement de la police municipalel12. " Ceci est parfoisune demande expresse des policiers municipaux qui souhaitent, en ayant unerelation directe avec leur maire, se mettre à l'abri des demandes voire despressions des autres élus susceptibles d'interférer sur le fonctionnement de lapolice municipale. Tout en souhaitant être proches du maire, les policiersmunicipaux affichent leur volonté d'émancipation du politique par crainte de sevoir confier des commandes sortant de leur champ d'action et par soucid'affirmer une "identité policière" encore fragile. Outil à géométrie variable auxmains des acteurs politiques qui peuvent, en fonction des moyens juridiques(arrêtés) et matériels (armes ou non), orienter vers des tâches plus ou moinsrépressives leur police municipale, vers des missions de renseignement ou desécurité routière, une police municipale est encadrée par des "gardes-fous". Ils'agit de la tutelle du procureur de la République auquel le maire est soumis ensa qualité d'officier de police judiciaire et du double agrément - celui duprocureur de la République et du préfet - pour tout recrutement d'un agent. Unerelation de dépendance à l'égard de l'institution judiciaire qu'apprécient lesdirecteurs de police municipale y voyant un moyen de bien "borderjuridiquement leurs missions" et de se protéger des missions "politiques" quipourraient leur être confiées. Le procureur de la République est ainsi perçucomme un allié sur lequel le directeur de la police municipale pense pouvoirs'appuyer en cas de problème. L'acteur politique est bien présent dans ladéfinition des missions des polices n1unicipales mais il demeure sous lasurveillance du préfet et surtout du procureur de la République qui limite lesdérives vers des "polices poli tiques".

Le second cadre municipal, avec lequel les élus sont désormais amenés àtravailler et s'accorder pour développer une politique municipale de sécurité, estle coordonnateur de la sécurité. Apparue au début des années 1990 dans lesmunicipalités, cette nouvelle figure professionnelle s'est imposée dans lepaysage local de la sécurité avec la mise en place de la politique des contratslocaux de sécurité. Chargés de mission sécurité, sécurité-urbaine, sécuritépublique, prévention-sécurité, ou b-ien encore prévention-tranquillité publique,les désignations des postes occupés par ces coordonnateurs de la sécuritévarient sensiblement d'une ville à l'autre. Au-delà des différences delabellisation de ces postes, ces nouveaux "experts municipaux de la sécurité"partagent la maîtrise d'une "ingénierie en sécurité". Par" ingénierie ensécuri té ", on désigne un corpus de connaissances et d'outils cogni tifs relatifsaux questions de sécurité à partir desquels les détenteurs de ce savoir spécialisé

112Entretien avec Jean-Louis Mouton, maire de Savigny-le-Temple, janvier 2001.

214

peuvent se poser, d'une part, en interprètes des phénomènes de délinquance etdu sentiment d'insécurité (capacité à lire et donner sens aux statistiquespolicières, à construire des grilles d'analyse des 1/incivilités II et à s'appuyer surdes sondages pour mesurer le sentiment d'insécurité) et, d'autre part, jouer unrôle de porteur de projets d'action et des intérêts du politique dans les lieux dupartenariat local. Ils assurent ainsi le lien entre le territoire (les demandes desécurité de la population), le technique (les partenaires) et le politique. Cetteposture à la croisée du technique, du politique et du territoire, rend parfois ladichotomie des deux sphères d'activités (politique et administrative) peu lisible.Il est en effet frappant de constater que, dans le champ des politiques desécurité, les chargés de mission tendent désormais à assurer des fonctions demédiation entre le territoire et la sphère décisionnelle, traditionnellementassurées par le politique, tandis que les acteurs politiques en charge desquestions de sécurité mobilisent dans leur métier d'élu un savoir spécialisé quiles rapproche, par leurs références, des conceptions techniques de leur chargé demission. Technotables (Gaudin 1999), pour reprendre l'expression de Jean-PierreGaudin ou 1/ hauts fonctionnaires du local II comme les définit Alain Faure(Faure 1997), quelle que soit la dénomination que l'on donne à ces nouveauxchargés de mission prévention-sécurité, ils constituent désormais, par leurpouvoir d'expertise et leurs réseaux territoriaux, des acteurs charnières desscènes locales de la sécurité - tout du moins s'ils peuvent bénéficier du soutienpolitique de leur élu de référence! Sur ce point, une étude sur les "expertsmunicipaux de la sécurité", met en évidence l'existence de relations étroites etfréquentes de ces techniciens avec les élus municipaux (Baille au Faget et al.2004). Elles prennent la forme de points hebdomadaires voire d'unetransmission quotidienne d'informations via parfois un logiciel connecté àl'intranet municipal (prenant en compte la nature du fait, le lieu, la victime, lespersonnes ayant apporté une réponse, le dépôt de plainte ou non), consultableen temps réel par le maire, son adjoint à la sécurité et le directeur de cabinet.Ceci permet aux élus de cadrer l'action de ces chargés de mission qui n'endemeurent pas moins relativement libres dès lors qu'ils savent, et c'est un pointdéterminant, anticiper les attentes des élus et sentir ce qui est "politiquementacceptable" par ces derniers. D'où l'importance dans ce type de poste où lafrontière entre le politique et le technique est parfois ténue, d'entretenir debonnes relations, de constituer un tandem décisionnel, au risque autrement pourle technicien d'être amené à donner sa démission.

L'AFFIRMATION D'UN MAGISTERE D'INFLUENCE

On l'a souligné en introduction, les acteurs municipaux ne sont pas lesseuls à définir et produire la sécurité dans la ville, ils doivent composer etnégocier avec d'autres (policiers, gendarmes, magistrats, professionnels del'Education nationale, travailleurs sociaux, transporteurs, bailleurs sociaux,associations). On se limitera ici à évoquer leurs relations avec les professionnelsde la police et de la gendarmerie qui, comme le soulignent à juste titre Jacquesde Maillard et Anne-Cécile Douillet (voir leur papier dans cet ouvrage), sontplus institutionnalisées que celles entretenues avec la plupart des magistratspour lesquels la culture du "dossier" prime sur celle du "terrain".

215

Le.s acteurs P?litiques possèdent plusieurs leviers pour peser sur l'actiondes serVIces de pohce ou de la gendarmerie nationale. Le premier consiste àdévelopper une politique d'aide financière. Ainsi, et de manière croissante, lesmunicipalités (avec des financements croisés des Conseils généraux voire desRégions) viennent au secours de services de l'Etat désargentés en finançant soitun poste de police nationale ou de gendarmerie, du matériel informatique ouencore des radars pour la sécurité routière. Ce type de soutien financier nesignifie certes pas que les maires vont mécaniquement pouvoir s'immiscer dansla définition des missions de la police nationale. Toutefois, il contribue à n'enpas douter à entretenir un climat de coopération et à accroître lesinterdépendances entre ces acteurs. Ils donnent aux élus un "droit de regard" surl'implantation des forces de sécurité nationale et leurs conditions de vie etplacent la police ou la gendarmerie dans une posture de demandeur à l'égard dela municipalité (De Maillard Le Goff 2006). Ce pouvoir d'influence des acteurspolitiques sur la distribution des moyens des services de police fut bien mis enévidence par la forte opposition d'une partie des élus locaux au projet deredéploiement des forces de police et de gendarmerie défendu dans le rapportCarraz et Hyest, en 1998. Ses stratégies de défense par les acteurs politiques desintérêts de leur territoire politique peuvent ainsi conduire au maintien dudécoupage des circonscriptions de police et de répartition des forces, parfois peuen phase avec la réalité de la délinquance. Le maintien d'un commissariat àRaney plutôt que sa délocalisation dans les villes avoisinantes de Clichy-sous-Bois et Montfermeil (communes où la population est désormais deux fois plusnombreuse) en est une belle illustration.

Un second levier tient au rôle d'interface, de relais, que peut constituer uncommissaire de police. Par contraste avec les années 1970 où le maire était perçupar le commissaire de police comme un notable auquel il rendait une fois l'anune visite de courtoisie, il apparaît désormais comme un partenaireincontournable. La montée en puissance des pouvoirs locaux sur le champ de lasécurité a amené les services déconcentrés (police, gendarmerie) à se rapprocher,au nom de la recherche d'une plus grande proximité avec les demandes de lapopulation, des acteurs politiques locaux. Comme dans le domaine despolitiques de l'emploi (voir la contribution de Thierry Berthet), la proximité esten effet devenue le nouvel impératif catégorique des politiques de sécurité. Demanière étonnante, alors même que les politiques de sécurité se sont construites,depuis la loi Darlan de 1941 nationalisant les polices municipales, selon unelogique de dé-territorialisation, le local et ses représentants politiques sontaujourd'hui fortement valorisés voire courtisés. La croyance s'est en effetimposée que "plus de proximité est synonyme de plus de sécurité" (Le Goff2005). Cette injonction à jouer la proximité en se rapprochant des acteurs de laville s'applique tout particulièrement aux commissaires de police. Significativeest l'obligation qui leur est imposée, depuis 2004, de transmettre lesinformations en temps réel aux maires et de nouer des conventions departenariat avec toutes les polices municipales de plus de 5 agents. Lescommissaires de police, très attachés de longue date à leur indépendance vis-à-vis des élus locaux, doivent de plus en plus composer avec eux. La variablepolitique constitue ainsi un facteur important pour saisir pourquoi une réformepolicière, comme celle de la police de proximité initiée en 1998, prend ou nondans un territoire (Ferret 2001). Le métier des commissaires de police ne consiste

216

plus simplement à assurer la direction de services, à tenir leur rôle de « chef dela police» dans leur circonscription, mais à savoir articuler les demandes de leurhiérarchie dont ils sont les relais sur leur territoire de compétence, la gestion deleurs moyens matériels et de leurs effectifs, la demande de protection de lapopulation et la pression des élus locaux qui n'hésitent plus à les interpeller et "àleur demander de rendre des comptes". Cette interdépendance sera d'autantplus forte que des liens individuels auront pu se construire grâce à l'ancraged'un commissaire dans un territoire. Ce n'est toutefois pas la règle! L'un desproblèmes dans le fonctionnement de ce type de partenariat tient en effet àl'important "turn over" des cadres des services de la police nationale, véritableobstacle à leur insertion dans la ville dont ils se sont physiquement etsociologiquement coupés (Monjardet 1996).

Le pouvoir des acteurs politiques sur leurs partenaires prend donc laforme d'un "magistère d'influence" liée à la position d'animateur de laprévention de la délinquance désormais reconnue et endossée par les maires. Et,il Y a fort à parier que la nouvelle loi sur la prévention de la délinquance, encours de discussion au Parlement, conforte la place du politique dans lespolitiques de sécurité en octroyant plus de moyens juridiques aux maires pourexercer une fonction punitive. Cette redéfinition des rapports de force entre lesmaires, le préfet et le procureur de la République conduit l'Etat à inventer unnouvel art de gouverner la sécurité fondé sur la délégation, la négociation, maisaussi la constitution de règles et de dispositifs juridiques permettant d'encadrer,voire de surveiller les initiatives des responsables politiques locaux.

217

FAUT-IL QUE 'RIEN NE CHANGE' POUR QUE

LES INTERCOMMUNALITES CHANGENT?

PORTEE ET LIMITES DES THEORIES NEO-INSTITUTIONNALISTES. LE CAS DELA COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE (1964-2003)

Fabien Desage

Fabien Desage est maĂ®tre de confĂ©rence en science politique Ă  l'UniversitĂ©de Lille 2 et membre du CERAPS (Centre d'Ă©tudes et de recherchesadministratives, politiques et sociales de l'universitĂ© de Lille 2). Ses recherchesportent sur les modes de gouvernement du local, la production des politiquesurbaines et le fĂ©dĂ©ralisme. Courriel : [email protected]

Depuis les années 1960/ plusieurs réformes gouvernementales ont entrepris de donnernaissance à des structures intercommunales d'agglomération en France ou de renforcerleur autonomie par rapport aux communes qui les composent. Une analyse del'institutionnalisation de la communauté urbaine de Lille sur le temps long montre que lesobjectifs« supracommunaux » de ces réformesontété systématiquement neutralisésparles maires, particulièremen t mobilisés à ces occasions. A l'inverse, c/est lorsqu fil ne se« passe rien» sur le terrain réformateur que se relâche leur vigilance défensive, créant lesconditions d'une affirmation incrémentale de la communauté urbaine. L'article insistedonc

sur la temporalité

paradoxale

(car

«

con

tra-cylique

»

par rapport

aux

grandes

réformes) du changement institutionnel intercommunal.

Abstract

Since the 1960s, many governmental reforms have tried either to create some metropolitaninstitu tions for municipal cooperation or to improve their au tonomy vis-à-vis theirmember municipalities. To scrutinize the process of institutionalisation of the/I communauté urbainede Lille" in the long-termenablesto say that thefederalist aims ofthese reforms have always been neutralized by the mayors, especially involved in their localimplementation. On the contrary, in times no reforms are put on the agenda the mayor/ svigilance weakens, opening a window of opportunity for an incremental strengthening ofthe communauté urbaine. Thus, this article underlines the paradoxical way ofmetropolitan institutional change.

219

« Le paradoxe de l'institution, c'est qu'elle esttenue d'apparaître aux yeux de tous commeune totalité inerte, pour pouvoir continuer àêtre dynamique et agissante».

Jacques Chevallier, « L'analyseinstitutionnelle », dans CURAPP,L'institution, PUF / CURAPP, 1981, p. 17.

Les années 1990 ont marqué le regain en France des tentativesgouvernementales pour renforcer la coopération intercommunale. A ladifférence des réformes des années 1960, celles-ci ont abouti à la diffusion quasi-générale de l'intercommunalité sur le territoire national et au renforcementformel des compétences attribuées aux structures existantes. Si les recherches ensciences sociales sur l'intercommunalité se sont multipliées en conséquence,elles ont porté pour l'essentiel sur l'élaboration des réformes (loi ATR de 1992puis loi relative au renforcement et à la simplification de l'intercommunalité de1999113) et/ ou sur les conditions de leur inégale mise en oeuvre localisée,laissant souvent dans l'ombre le fonctionnement politique et administratif desnouvelles institutions une fois en place, et surtout celui des plus anciennesl14.

Aussi ai-je choisi dans ma thèse (Desage 2005) de me pencher sur leprocessus d'institutionnalisation de l'une d'entre elles, la CU de Lille (CUDL),créée par la loi de 1966. Ce parti pris monographique, compatible avec uneappréhension de l'institution microsociologique et longitudinale (Sawicki 2000),m'a permis d'identifier trois séquences historiques, distinctes du point de vuedu degré d'autonomie de la CUDL par rapport à ses 85 communes-membres.

Dans le cadre de cet article, je voudrais essentiellement revenir sur latemporalité « contra-cyclique» par rapport aux grandes réformes gouvernementales desdynamiques d'intégration115 de la CUDL. Pour le dire autrement, il ressort de monanalyse que les deux principales réformes censées mettre en place, puisrenforcer l'autonomie de la CUDL (respectivement la loi sur les CU de 1966 et laloi Chevènement de 1999) ont plutôt abouti à une réaffirmation des prérogativesmunicipales (1).

A l'inverse, c'est dans la décennie qui suit la création de la CUDL, à unmoment où refluent les velléités réformatrices gouvernementales, que se mettenten place les conditions d'une autonomisation relative de cette structure (2).

L'explicitation de cet apparent paradoxe passe par l'analyse desconditions d'entretien - et donc de remise en cause potentielle - de l'ordreinstitutionnel municipaliste de qui s'instaure dès la mise en place de la CUDL.

113 Dite « loi Chevènement ».114La thèse de David Guéranger fait ici exception (Guéranger 2003).115 Entendue ici, par analogie avec les travaux sur l'Union européenne, comme le

renforcement de sa capacité à produire des normes d'action publique propres,opposables aux communes.

220

Le choix d'une focale resserrée et centrée sur le cas lillois, loin decondamner à un repli monographique, permet ainsi d'engager un dialoguethéorique avec les nombreux travaux disponibles sur les processus d'intégrationdes institutions fédératives nationales ou supranationales (en particulier avecceux portant sur l'Union européenne), dont la CU apparaît dès lors comme unevariante, de type infranational. C'est cette perspective méthodologique quiouvre également la voie à une critique empirique de certaines hypothèses néo-institutionnalistes sur la résistance au changement dans les organisations (3).

1. « L'ENFER EST PAVE DE BONNES INTENTIONS » :GRANDES REFORMES ET EFFETS CONTRADICTOIRES

L'avant-projet de loi sur les CU est conçu à partir de 1964 par un groupede travail réunissant une quinzaine de hauts fonctionnaires, missionné par leministère de l'Intérieur. Ces derniers profitent de l'opportunité que leur offre lenouveau régime pour mettre à l'agenda législatif des mesures de réorganisationadministrative des agglomérations qui, si elles ne sont pas nouvelles dans leurcontenu, s'étaient heurtées jusqu'alors à l'opposition des élus locaux relayée parles parlementaires (Le Lidec 2001). Cette réforme, partie prenante d'unmouvement de « modernisation» administrative et politique plus large (Dulong1997), est empreinte d'une conception fonctionnaliste de l'intercommunalité,faisant la part belle aux objectifs d' « économies d'échelle» ou à la poursuited' « optimums dimensionnels ». Comme j'ai essayé de le montrer dans ma thèse,elle n'est cependant pas dépourvue d'une multitude d'autres objectifs plusimplicites - calculs partisans, intérêts administratifs sectoriels - quiconcurrencent en permanence les premiers cités.

Il serait trop long de revenir ici sur l'histoire des concessions successivesfaites aux élus locaux lors de la traduction législative de la réforme (désignationdes conseillers communautaires par les conseils municipaux, élargissement del'effectif du conseil et de la représentation des maires des petites communes,etc.). Je me contenterai de souligner que loin d'être imposée de manièrediscrétionnaire par l'Etat, la création des CU procède d'une série de compromis- alors perçus comme nécessaires à leur légitimation locale - qui vont largementhypothéquer la réalisation des objectifs réformateurs.

L'étude de la mise en place de la CUDL et de ses premières années defonctionnement m'a amené à parler de «municipalisation de l'inter-communalité» pour qualifier le mouvement de remise en cause rapide de sonautonomie par rapport aux communes. Plusieurs phénomènes, plus ou moinsintentionnels, y participent:

La forte mobilisation des élus municipaux qui nouent des accordsinterpartisans, avant même sa mise en place, afin d'obtenir l'assurance durespect de la souveraineté de l'ensemble des communes par le futurgouvernement intercommunal.

221

Les effets d'aubaine ouverts par la création de la CUDL. La repriseprogrammée de la compétence et des emprunts en matière de voirie pousse parexemple la plupart des maires à augmenter sensiblement leurs investissementsmunicipaux l'année précédant le transfert. Ces stratégies opportunistesanéantissent durablement les marges de manœuvre financières de la nouvellestructure.

La situation d'improvisation et d'incertitude caractéristique de la mise enplace, qui tend à favoriser le recours aux ressources disponibles et aux routinesd'action municipales.

Les résultats de la réforme, quelques années après sa mise en œuvre, sontdonc rien moins que paraâoxaux. La faiblesse de la nouvelle institution,fortement endettée, libère des marges de manœuvre financière inédites pour lescommunes qui en profitent pour se lancer dans des programmes d'équipementsculturels et sportifs. Le rôle des services extérieurs de l'Etat s'en trouve pour untemps réaffirmé. Le recours aux délégations de service public est largementgénéralisé pour pallier la faiblesse communautaire

Autant d'effets que souhaitaient justement combattre les réformateurs enfavorisant la coopération intercommunale. La mise en place de la CUDL épousedonc une voie assez comparable à celle de la Tenessee Valley Authority, telle quedécrite par Philip Selznick (1949).

La loi Chevènement de 1999 a fréquemment été présentée comme un actedécisif dans la relance de l'intercommunalité et dans le renforcement desstructures intercommunales existantes. L'observation de sa mise en œuvre,rendue possible par une immersion ethnographique sous la forme d'un staged'un an au sein de la CUDL, permet de relativiser très sensiblement ce jugementet de souligner combien la réforme a été acceptée - comme précédemment - auprix de la retraduction et de la dissolution de ses objectifs les plus« supracommunaux». Les dispositions concernant la taxe professionnelled'agglomération et la dotation de solidarité communautaire (DSC)1l6 qui en estissue font ici figure d'emblème. Sans revenir dans le détail de son application117,retenons que les multiples réunions entre élus qui précèdent le vote de ladélibération-cadre aboutissent à la multiplication progressive de.s critèresd'éligibilité à cette dotation, jusqu'à en faire bénéficier toutes les communes dela CUDL. L'affaiblissement consécutif de sa fonction de péréquation et decorrection des inégalités territoriales, telle que promue par le législateur, suscitesans surprise les protestations des élus des communes les plus pénalisées. Ellessont néanmoins insuffisantes pour infléchir une répartition qui doit beaucoup à

116Le législateur avait prévu que la progression des recettes fiscales après l'instaurationde la TPA (une fois déduites les « attributions de compensation» équivalentes à cesrecettes à tO, afin que le transfert de TP ne se traduise pas par une perte de recettesnette pour les communes) serait divisée en deux parts: l'une réservée au financementdes nouvelles compétences communautaires et l'autre au financement d'une dotationde solidarité communautaire (DSC), dont le produit serait redistribué aux communesselon un certain nombre de critères.

117 Je me permets de renvoyer id Ă  F. Desage (2006).

222

l' « accord de gouvernement» passé entre le parti socialiste et l'UMP après lesélections municipales de 2001.

En matière de transferts d'équipements sportifs et culturels, autre volet dela loi, la forte mobilisation des maires et la contrainte de négociation permanentedans le cadre du régime de grande coalition partisane placent également laCUDL devant le fait (municipal) accompli. L'institution se trouve en effetcontrainte d'accepter certains équipements, sans avoir pu déterminer aupréalable leur éventuel «intérêt communautaire» (Benchendikh 2002). Al'inverse, le «droit de veto» informel des maires l'empêche de mener à bientoute politique de transferts d'équipements volontariste.

Les moments de « grande réforme» et les perspectives de renforcementde l'intercommunalité qu'elles semblent annoncer, en favorisant une forteimplication des maires dans leur mise en œuvre localisée, aboutissent donc,dans un premier temps au moins, à la neutralisation des effets attendus. Cetteconclusion rejoint celles de certaines recherches sur les politiques européennes(Pierson 2000). Elles soulignent combien l'observation des grands « round» denégociation du conseil des ministres, parce que ces derniers sontparticulièrement propices aux investissements stratégistes des gouvernantsnationaux, donne nécessairement matière à des interprétations de typeintergouvernementaliste de l'intégration européenne. A l'instar de ces critiques, jevoudrais désormais montrer que c'est davantage dans les périodes d' « entre-deux», d'activité plus routinière, que s'observent des dynamiquesd'autonomisation de l'institution intercommunale, presque toujours à l'insu desmaires.

2. ET POURTANT ELLE CHANGE... UNEAUTONOMISATION DISCRETE ET INCREMENTALE

Si le volontarisme réformateur intercommunal aboutit à des résultats àl'opposé des attentes de ses thuriféraires, c'est au contraire quand «il ne sepasse rien» du point de vue des réformes gouvernementales que se mettent enplace les conditions d'une l'autonomisation relative de la CUDL par rapport auxcommunes.

Le reflux des velléités de réforme du local après le référendum de 1969 etla domestication rapide de la CUDL par les maires favorisent en effet unrelâchement de la vigilance et de l'implication de ces derniers dans l'entretien del'ordre municipaliste. Notre approche va donc ici à l'encontre de certainesthéories du néo-institutionnalisme sociologique (March Olsen 1989), enmontrant que la routinisation des pratiques, loin d'être nécessairement unfacteur de perpétuation de l'ordre institutionnel et un frein au changement, peutjouer dans certaines configurations un rôle exactement inverse.

Le profil du second président de la CUDL, élu par les conseillerscommunautaires en 1971, semble d'abord consacrer le processus demunicipalisation entamé depuis 1968. Maire d'une commune moyenne, il fut

223

l'un des chantres de l'opposition socialiste au projet de loi gaulliste sur les CU.Dès son arrivée à la tête de la CUDL, il endosse par ailleurs la posture du« président modeste» objectivée par son prédécesseur, garant du respect desintérêts municipaux et primus inter pares plus qu'autorité souveraine. Illustrationemblématique des concessions faites aux maires, les crédits communautaires devoirie sont divisés en autant d' « enveloppes communales », dont le montant estcalculé au prorata de la longueur des voies et dont l'affectation leur estentièrement déléguée.

C'est pourtant le même président qui, 15 ans plus tard, cristallisel'opposition de la majorité des maires, notamment des grandes communes. Cesderniers lui reprochent alors son «autoritarisme » et son opposition aufinancement communautaire de leurs « grands projets ». Ces revendicationsmunicipales, qui aboutiront à la défaite d'Arthur Notebart face à Pierre Mauroyen 1989, trahissent l'affirmation du président et de son administration qui s'estproduite entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1980. Celle-ci aconstitué l'une des énigmes de ma recherche.

Elle résulte d'un ensemble de processus dont la plupart n'étaient pasorientés vers cette fin, ce qui leur assuraient la discrétion indispensable pour nepas réactiver les mobilisations municipalistes des maires. La CUDL voit parexemple progresser rapidement certaines de ses recettes propres, sous l'effet dedynamiques fiscales difficilement prévisibles à la fin des années 1960 comme lacréation du «versement transport ». Elle y gagne de nouvelles marges demanœuvre et rend insensiblement les élus municipaux de plus en plusdépendants de ses ressources pour le financement de leurs propres projets. Lesbesoins d'expertise technique sur certaines politiques, comme au moment de lacréation d'un métro, favorisent par ailleurs le recrutement de fonctionnaires auprofil de plus en plus différent de celui des « pionniers» issus des communes.Sans expérience municipale antérieure et beaucoup plus diplômés que leursprédécesseurs, ces nouveaux fonctionnaires sont davantage en mesure d'enimposer aux élus et de construire des outils de connaissance (comme desindicateurs de vétusté de voirie ou encore des bases de données urbaines) quiassoient une position d'expertise des services communautaires.

Dernier élément inattendu, le « président modeste» soumis à une sorte decontrainte d' « oblativité » dans un premier temps, se prend progressivement aujeu de son mandat. Son fort investissement dans cette fonction - rendu possiblepar la relative faiblesse de ses ressources partisanes nationales et son mandat demaire d'une ville moyenne118, mais également par certaines dispositions socialesfavorables - alimente sa connaissance des dossiers communautaires, sonemprise sur l'administration et son ascendant sur les autres élus. L'affirmationde l'institution intercommunale qui se produit durant cette période, si elle remetsensiblement en cause la prépondérance municipale antérieure, Siappuie doncessentiellement sur la centralité croissante du président de la CUDL dans unsystème de transactions interpersonnelles avec les autres maires, notamment despetites communes. Elle Sioppose ainsi à l'émergence de normes d'actionpubliques proprement communautaires, uniformément opposables aux

118 La ville de Lomme en l'occurrence, qui corn pte alors environ 20 000 habitants.

224

communes. Cette situation de personnalisation et de «faible institu-tionnalisation» de l'autorité intercommunale explique qu'elle sera facilementremise en cause après l'élection de Pierre Mauroy en 1989, à l'origine d'unepériode de « remunicipalisation» de l'institution intercommunale.

3. LE CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ENTRE SENTIERSDE DEPENDANCE ET CHEMINS DE TRA VERSE

Si ce travail sur la CUDL s'inscrit par nombre de ses aspects dans uncadre de réflexion proche du néo-institutionnalisme historique119, il conduitnéanmoins à en critiquer certaines conclusions, à partir notamment d'optionsméthodologiques sensiblement différentes de celles - macrosociologiques -mobilisées le plus souvent dans ces travaux.

Les approches né o-institu tionnalistes, en réaction à la conception« ergonomique)) et malléable à l'envi des institutions des approchesbehavioristes et fonctionnalistes, ont souvent privilégié la mise en évidence desmécanismes de reproduction institutionnelle et du poids de l'héritage, plaçantau second plan l'analyse des facteurs de changement. Certains auteurs parmi lesnéo-institutionnalistes eux-mêmes120 ont souligné l'insuffisante prise en comptedes mécanismes microsociologiques qui assurent le maintien d'un ordreinstitu tionnel, obstacle méthodologique à la compréhension de tout ce quis'oppose à sa reproduction à l'identique121. Si les acteurs agissent dans un cadreinstitutionnalisé contraignant, qui ne dépend pas d'eux et qui les précède, c'estcependant à travers leurs interprétations et leurs pratiques qu'ils font exister cecadre. L'adoption d'une perspective micro-sociologique centrée sur les acteursest donc décisive pour percevoir des changements souvent invisibles à distanceet se débarrasser d'une conception réifiante des institutions.

De manière assez surprenante, les hypothèses de reproduction desinstitutions une fois en place reposent souvent sur le postulat implicite d'uneabsence de renouvellement des acteurs qui les peuplent et les animent. Dansmon étude de la CUDL, j'ai insisté a contrario sur la contribution privilégiée desnouveaux élus ou fonctionnaires dans les pratiques plus ou moins conscientesde subversion de l'ordre institutionnel. Les acteurs communautairesentretiennent un rapport aux prescriptions institutionnelles qui, loin d'êtreunivoque ou unanime, dépend en grande partie du moment de leur entrée dansl'institution, de leurs conditions de socialisation à celle-ci, ou encore de leurstrajectoires et dispositions antérieures.

119En appréhendant le processus d'institutionnalisation d'une organisation sur le tempslong et en accordant une attention particulière aux mécanismes institutionnels quienserrent les pratiques des acteurs.

120 Voir par exemple K. Thelen (2003).121Voir Ă©galement la critique en ce sens de E. Friedberg (1998).

225

Il faut donc faire de la transmission de l'ordre institutionnel auxnouveaux entrants un problème de recherche central dans les recherchesinstitutionnalistes, dans la mesure où la perpétuation de cet ordre se joue, endernière analyse, dans les conditions de son incorporation, qui n'a aucuneraison d'aller de soi. Le mort ne « saisit le vif », pour reprendre l'expression dePierre Bourdieu, qu'à travers la médiation du vif. De même que B. Lahire(Lahire 1998, p. 54) appelle à « prendre en charge théoriquement la question dupassé incorporé» et à dépasser son invocation rituelle, il faut prendre en charge laquestion de la reproduction de l"ordre institutionnet qui appelle le même type dequestionnements.

Loin de lui être soumis passivement, les acteurs administratifs etpolitiques de la CU entretiennent par ailleurs un rapport plus ou moins réflexif àcelui-ci, rapport qui intervient de manière décisive dans leur conformation plusou moins zélée aux prescriptions institutionnelles, voire dans la résistancediscrète qu'ils peuvent leur opposer.

Les conceptions homéostatiques des institutions reposent sur uneappréhension du changement souvent réduit à ses manifestations les plusvisibles - uniquement perceptibles dans les produits ou les transformationsformelles de l'institution122. Une institution peut pourtant paraître inchangéealors même que l'infrastructure qui la soutient s'érode à petit feu. Si ceschangements semblent de peu d'importance dans un premier temps - dans lamesure où les politiques publiques et la configuration politique de l'institutionn'en semblent pas fondamentalement affectées - ils permettent néanmoinsd'expliquer certaines transformations qui surviendront de façon beaucoup plusmanifeste ensuite, autrement qu'en termes de « chocs exogènes» ou de « criticaljunctures» 123.

Une allégorie buissonnière permettra de mieux illustrer ce point de vue:imaginons un immeuble ancien dont la structure en bois est tout doucementmais sûrement dévorée par des insectes xylophages. Les habitants del'immeuble et les passants pourront garder l'impression du caractère inchangédu bâtiment aussi longtemps que celui-ci ne connaîtra pas de désordresapparents. Quand une partie du plancher de celui-ci s'effondrera, suite à unesurcharge inhabituelle lors d'un déménagement, les habitants attribuerontd'abord la responsabilité de l'effondrement à cet événement. Pourtant, c'est bienl'œuvre invisible des bêtes xylophages qui aura rendu cet effondrement de plusen plus probable.

Les acteurs communautaires ne sont pas des insectes xylophages et lesinfrastructures des institutions politiques n'ont pas grand-chose à voir aveccelles des bâtiments. Cette parabole entend simplement convaincre de lanécessaire distinction entre ce que l'on pourrait appeler la façade de l'ordreinstitutionnel et son infrastructure, distinction rarement prise en compte dans les

122 Cf. par exemple les« trois ordres du changement» chez Peter Hall (1993).123Pour une critique de l'analyse du changement comme succession entre des phases de

ruptures et de stabilité, voir les réflexions de Michel Dobry sur la «transitologie»(2000).

226

travaux institutionnalistes. Cette confusion les incline à expliquer les crisesinstitutionnelles manifestes (comme le sinistre dans notre parabole) en termesd' « accidents », et non comme le résultat d'un long processus.

L'analyse de l'institutionnalisation de la CUDL sur le temps long invitepourtant à remettre en cause la séparation entre les phases de changements et destabilité, présente dans de nombreux travaux - pas seulement institutionnalistesmais également chez ceux qui se réclament du cognitivisme. Elle montre en effetcomment le changement institutionnel couve de façon privilégiée dans despériodes de stabilité apparente, et, a contrario, comment des périodes de réformeproclamée dissimulent bien des retours à l'ordre.

227

UNE POLITIQUE PUBLIQUE LOCALESANS POLITIQUE?

ANAL YSE EMPIRIQUE DE LA GESTION DES EQUIPEMENTS SPORTIFSPAR LES VILLES MOYENNES FRANÇAISES

Elisabeth Dupoirier, Martial Foucault, Abel François,Emiliano Grossman& Nicolas Sauger

Elisabeth Dupoirier est directrice de recherche au CEVIPOF FNSP,Martial Foucault est professeur adjoint Ă  l'UniversitĂ© de MontrĂ©al et chercheurassociĂ© Ă  l'Institut Universitaire EuropĂ©en (RSCAS) de Florence, Abel Françoisest MaĂ®tre de ConfĂ©rence Ă  l'UniversitĂ© Robert Schuman Strasbourg 3 etchercheur associĂ© Ă  Telecom Paris, dĂ©partement SES, Emiliano Grossman estchargĂ© de recherche au CEVIPOF FNSP et Nicolas Sauger est chargĂ© derecherche au CEVIPOF FNSP.Courriels : [email protected], [email protected],~::\[email protected], enliliano.grossman@)sciences-po.fr,nicolas [email protected]

,............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

I Résumé ICette contribution met en place un cadre d'analyse pour identifier les logiques politiquesderrière les investissements en équipements collectifs au niveau local. A partir de l'analysedes équipements sportifs listés dans l'inventaire communal de l'Insee, nous testonsnotamment l'incidence de la couleur politique de la majorité municipale, la stabilité dans letemps d'une même majorité et la "concordance" entre majorités à différents niveaux(région, national). L'analyse inférentielle ne permet pas d'identifier un effet politique fort.Les principaux facteurs explicatifs de la politique d'équipement municipal semblent être la

I superficie et la population. Ainsi, nos résultats nous amènent à remettre en cause le I! caractère politique de certaines politiques publiques locales, mais ils invitent aussi à i~ réfléchir à d'autres angles d'analyse pour comprendre la politisation au niveau local. j

Abs tract

This chapter analyses the role of political motivations underlying investment in localpublic equipment. Studying sports facilities in the" inventaire communnal" -database ofINSEE, we test for the importance of political factors in spending decisions. Moreparticularly we focus on left-right cleavages, fragmentation, political stability and political"convergence", i.e. the presence of same-minded political majorities at other levels ofgovernment (regions and nation). Our stastical models do not for allow for theidentification of the political determinants of public spending. The main explanatoryfactors of spending appear to be population and size. Hence, our results lead us to questionthe political motivation behind decisionmaking in certain local public policies. This resultmays also be understood, however, as an invitation to think about other possibleapproaches to politization at the locallevel.

229

La répartition des équipements collectifs n'est pas uniforme sur leterritoire français. Les inégalités ne sont sans doute pas criantes, mais un certainnombre de disparités existent. Toute tentative d'explication de ces disparitéspeut apparaître comme un exercice très périlleux au vu de ce qu'il implique surle plan politique124.

Et pourtant, les travaux sur l'action politique territoriale, tout en faisantétat d'un bouleversement profond depuis les années soixante, n'attribuent guèrece phénomène à des causes politiques. Qui plus est, la notion même de politiquesemble difficilement saisissable dans ce contexte. Là où dans les années 1960,des objectifs politiques décidés centrale ment émanaient de réseauxadministratifs et étaient mis en œuvre (ou pas) par eux, on trouve aujourd'huides rapports plus complexes, où l'Etat est toujours fortement présent, mais oùson rôle consiste essentiellement à tenter de coordonner un nombre sans cessecroissant d'acteurs (Duran Thoenig 1996). Les effets de ces transformations surl' évolu tion des politiques locales et, plus particulièrement, sur les politiquesd'équipement ne sont guère univoques. Il est en revanche indéniable que cettetransformation coïncide avec la fin des grands programmes équipementiers,caractéristiques des politiques locales des années soixante et soixante-dix.

Dans ce contexte, s'interroger sur les variables les plus classiquement« politiques» - gauche-droite, concordance de majorité, ancienneté etc. - peutparaître rédhibitoire et anachronique. N'est-ce pas l'étude de la politique localequi a alimenté la remise en cause des notions d'Etat et de gouvernement? N'est-ce pas la régulation politique locale qui est à l'origine de la notion degouvernance telle qu'elle s'est répandue depuis le début des années quatre-vingt-dix? Sans pouvoir prétendre répondre à toutes ces questions, noustenterons d'évaluer l'importance de variables politiques pour expliquer lesdisparités en matière d'équipements collectifs auprès des communes françaises.Nous discuterons successivement la constitution de l'échantillon et des donnéesutilisées (1), avant d'analyser les politiques d'équipement sportif des villesmoyennes (2) et avant de tenter d'interpréter les résultats (3).

1. CONSTITUTION DE L'ECHANTILLON

Notre étude empirique s'appuie sur le recensement exhaustif deséquipements communaux mené en 1998 par l'INSEE auprès des communesfrançaises125. A partir de cette population exhaustive, nous avons appliqué

124 Cette étude a bénéficié du soutien financier de l'ACI « économie et politique des bienspublics locaux ». Les auteurs tiennent à remercier Hubert Kempf et l'ensemble desparticipants au Workshop «Local Public Goods, Politics and Economics», Paris février2005, pour leurs fructueux commentaires.

125 TI s'agit de l'enquête «inventaire communale» de 1998, qui est récurrente sanspériodicité régulière (1970, 1980 et 1988), réalisée en collaboration avec le ministère del'Intérieur et celui de l'Agriculture. Pour plus d'informations, se reporter au site del'INSEE: http://www.insee.fr/fr / ico98 / ico98.asp

230

plusieurs filtres de sélection afin de constituer notre échantillon. En premier lieudu fait de spécificités institutionnelles et historiques, nous avons exclu lescommunes corses et des DOM. Par ailleurs il était nécessaire de restreindrel'échantillon à des municipalités dont la politique d'équipement représente unenjeu à la fois conséquent et accessible. Conséquent, car pour une ville moyenne,il s'agit d'un choix financièrement important. Accessible, car à l'inverse lamunicipalité doit avoir des capacités financières suffisantes pour que la questionde la construction et de la gestion des équipements se pose. Nous avons doncrestreint notre échantillon aux villes dont la population est comprise entre 7.000et 50.000 habitants. Au final, il comporte 505wcommunes et sa structure nes'écarte pas de manière problématique de la population totale126.

LA GESTION DES EQUIPEMENTS SPORTIFS

Afin de caractériser les politiques publiques municipales, nous avonsdécidé de nous intéresser à la gestion des équipements sportifs, et ce, pourplusieurs raisons:

- il s'agit d'équipements publics sur lesquels les mairies possèdent uneamplitude de décision totale. Même si les autres collectivités territorialespeuvent intervenir dans le financement d'une installation sportive, la décisionest du ressort unique de la commune.

- il s'agit d'équipements a priori consensuels, du moins par rapport àd'autres équipements communaux plus ciblés. Dit autrement, la demanded'équipements sportifs apparaît comme moins concentrée autour d'unepopulation que d'autres types d'équipements comme par exemple les maisonsde retraite ou les écoles de musique.

- il s'agit d'équipements diversifiés offrant des usages variés. En effet, dustade multi-sport ou de la piscine olympique au boulodrome, il existe unegrande latitude d'action pour les communes.

En première analyse, les municipalités de notre échantillon possèdent unnombre élevé d'équipements (tableau 1) dans la mesure où 50 % d'entre ellesdisposent de plus de 7 installations.

126 Une présentation détaillée des caractéristiques géographiques et socioéconomique descommunes de l'échantillon est disponible auprès des auteurs.

231

Total

Tableau 1: RĂ©paltition des COllllllUllesselOllle lliveau d'Ă©quipenlentNOlllbre

el~

Ă©quipelnents

1 "')

-'"} l1

1250

102215122

i

4

"67

8

Total 505

~>~

O~40

0.20

0..20

2.389.90

20.20

42.5724..16

100

Parmi ces équipements, les installations sportives couvertes et les grandsterrains sportifs sont les plus fréquemment représentés (tableau 2). Inversement,seules 40 %des communes disposent d'une piscine de plein air.

Tableau 2 : DĂ©tail des Ă©quipeUlents spoltiffS.

n01l1bredeconUllunes

~/o

terrain d'athlétistne

grand terrain de SpOl1(football. rugby.. . .)

petit telT8ill de SpOl1(handball. volley, )

installation sportive (gynulase. dojo. )

terrain de tennis de plein air

terrain de tennis couve11

piscine de plein air

piscille;couverte

427501486503495406204376

84.5599.2196.2499.6098.0280.4040.4074.46

Concernant l'état de ces équipements, une corrélation semble s'établiravec la charge de gestion de l'équipement (figure 3). Les trois typesd'équipements les plus souvent en mauvais état (i.e. «à rénover ») sont lesterrains d'athlétisme (24 % des équipements existants), les piscines de plein air(34 %) et les piscines couvertes (22 %). Inversement, la part des équipements « àrénover» pour les autres types d'installations est toujours inférieure à 10%.

232

100

%

80 75

6052

40

2S 24 22

20 18

Figure 1 : Etat des Ă©quipements sportifs

I0 Ĺ“uf Ilsatisfaisant . Ă  remvel' I

78

69

50

27

21

oterrain grarxiterrainde petit terrainde

d'athlétisme sport (football, sport (haIrlball,rugby, ...) volley,. . .)

imtallationsportive

terrain de tennis terrain de tennis piP£Ïœ de plein pis:iœ couverte

de pleinair couvert air

type d'Ă©quipement

UNE QUANTIFICATION DE LA GESTION

DESEQUWEMENTSSPORTĹ’S

À partir de ces informations, nous pouvons construire un indice quisynthétise l'information sur la politique d'équipement des communes selondeux dimensions: la présence ou non d'un des huit équipements, et leur étatlors de l'inventaire. L'indice exprime le caractère actif d'une politiqued'équipements sportifs à travers un nombre él~vé d'équipements et un état trèssatisfaisant. Il est construit comme une moyenne de score (Si) sur les huitéquipements sportifs répertoriés pour chaque municipalité:

Il =! ts,8B

L'échelle de scoring est indiquée par le tableau 3127.Puisque les scores

s'additionnent, l'échelle de pondération retenue est linéaire: un équipementneuf équivaut à trois équipements à rénover et à un et demi équipement d'unétat satisfaisant.

127 En utilisant une échelle exponentielle, des résultats strictement similaires sont obtenus.

233

Ét1lIipenlellt absentÉquipen:lent à rél10verÉquipelllent satisfaisantÉquipelllellt l1euf ou C0111111eneuf

Tableau 3 : Ă©chelle de scoring retenue[ Ă©cllel1e ]

oO~33333O~66667

1

Ainsi, chaque ville j peut être caractérisée par sa politique en matière

d'équipement sportif au travers de son indice (I j) qui retrace à la fois laprésence des 8 principaux types d'équipements et leur état. Au final, plus unemunicipalité a une politique active en matière d'équipements sportifs (présence,construction, rénovation et/ ou entretien) et plus son indicateur de gestion seraproche de 1. Remarquons qu'aucune municipalité n'enregistre un indice nul etque seules deux villes ont un indice unitaire12 .

CARACTERISTIQUES POLITIQUES DES COMMUNES

Concernant les caractéristiques des communes, nous avons recueilliquatre informations politiques au cours de la période allant de 1983 (date de lapremière élection municipale) à 1998 (date de l'inventaire et durée de 15 anscorrespondant à un délai habituel d'amortissement des équipements lourds). Autotal, trois élections municipales sont concernées par l'étude.

La répartition entre gauche et droite (au sens large) des communes estplutôt équilibrée dans la mesure où la proportion de municipalités de gauche estproche des 50 %. En cumulé, cela nous permet également de savoir combien demajorités de gauche, et symétriquement de droite, a connu chaque ville pour lestrois mandats.

Cette information peut également être complétée par la stabilité électoralede la ville. Nous avons donc construit un indice de fractionalisation del'électorat pour chaque élection municipale qui indique la probabilité que deuxélecteurs tirés aléatoirement parmi l'électorat votent pour deux listes différentesau premier tour de l'élection municipale. Moins le vote est concentré et plusl'indice tend vers l'unité. Cet indice nous indique la plus ou moins grandedifficulté de constitution des coalitions de gestion au sein de la municipalité.

La dernière information politique collectée porte sur la concordance decouleur politique entre les communes et deux échelons public supérieurs: larégion et le gouvernement (la majorité parlementaire). En prenant en comptel'enchevêtrement des mandats municipaux, parlementaires et régionaux, nouspouvons estimer la durée (en année) où chaque ville a la même couleurpolitique (gauche ou droite) que sa région d'une part et que le gouvernementd'autre part.

128 En moyenne, l'indice s'élève à D,59.

234

2. ANALYSE DES DETERMINANTS

L'objet de cette section est de mener une analyse statistique inférentielleafin de mettre en exergue les déterminants socioéconomiques et politiques de lagestion municipale des équipements sportifs locaux. Pour mener à bien cetteanalyse, nous utiliserons les outils de la régression multivariée qui permet demettre en évidence l'impact d'un facteur tout en contrôlant l'influence desautres facteurs.

LES VARIABLES EXPLICATIVES

Deux blocs de variables explicatives de l'indicateur de politiqued'équipement peuvent être distingués. Le premier regroupe les caractéristiquespolitiques des communes décrites précédemment. Le second rassemble lesvariables de contrôle nécessaires à la qualité de la régression et portent sur lescaractéristiques socioéconomiques de la commune. Structurellement, il estnécessaire de contrôler l'incidence de la population de la commune par lamoyenne de la population recensée en 1982, en 1990 et en 1999. Comme il estpossible que la politique d'équipement soit également influencée par lapopulation non résidente de la commune et par le tourisme, nous utilisonségalement la moyenne du nombre de résidences secondaires.

Du fait des contraintes foncières pesant sur les communes pourl'installation d'équipements sportifs plus ou moins gourmands en terrain, nousintégrons la superficie de la commune et le niveau d'agglomération dans lequelse situe la commune.

De plus, pour prendre en compte les effets possibles du free-riding(pratiqué ou vécu) concernant des équipements publics, nous intégrons troisvariables de contrôle dans ce but: le niveau d'agglomération auquel appartientla commune, le fait que la commune soit une ville centre ou non, et enfin le faitque la commune soit une ville isolée.

Enfin, nous intégrons la capacité financière de la municipalité quicontraint les décisions d'équipement par l'utilisation du montant de revenuimposable moyen par ménage dans la commune. De la même manière et pourprendre en compte l'obligation pour chaque municipalité d'arbitrer dans ceschoix d'équipements, nous tenons compte du nombre d'équipements sportifsprésents dans la commune.

RESULTATS

Nous présentons les effets des différents déterminants à l'aide d'un mêmetableau (tableau 4) en distinguant le poids de chacun des blocs de variablessocio-économiques (modèle I), puis politiques (modèle 2) et enfin les deuxsimultanément (modèle 3). Globalement, les résultats concernant les logiquespolitiques dans la gestion communale des équipements collectifs locaux sont

235

étonnants en ce qu'ils montrent une absence d'influence pour plusieursdéterminants.

1"ableau 4 : Déter111inants de la gestion 111unicipale des équipel11ents sportifs\Tariables Alodèle (}) ,Afodèle el) A10dèle (3)

D~tel'JnĂŽlHlnts socio-Ă©conomiques:

Niveau de richesse

N olnhre

el

~

Ă©quipelllents

sportifs

-1.16e-06

(0,243

)

0,0819***

(0.,000)

3.06t'-06*

(O~073)

..1.51e.-06**

(0,054)

-1.92e-06

(0.478)

0.0023

(O~336)

0,0092

(0.481

)

-0.0105

(0.509)

Superficie

PoprĂśatioIl

NOlllbre

de résidence

secondaire

Niveau

cI'

aggloluératiol1

Vîl1e

ceHtTe

"Vîlle isolée

DĂ©lerU1ĂŽUlluts

poliHques

:

InsrabiIité

politique

0_0065

(O~595)

-0,1163

(0,125)

-0.0038

(O~668)

-0,0020

(0.231

)

-0.0012

(0.843)

505

0.009

Fractionalisarioll Ă©lectorale

COllleur

politique

Concordance politique

avec la

région

Concordance

politique

avec

le

gOUVernelllenr

o bserv atiol1sR2

adj.

505

0.4918

-6.01

e-07

(0.586)

0..0814***

(0,000)

3.2t'--06*(0,061)

...1.3e-06*

(0,096)

-9.46e-07

(0~733)

0.0027

(O~ 134)

0.0034

(0.799)

-0.0084

(0,596)

-0.0102

(0,255)

-0.0765

(0,1

70)

0.0015

(0,817)

0.0001

(0,938)

0.0022

(0,621)

505

0.4924

:i<*;~

:

starisri~Ă®'lfelllent dUJĂ©rent

de zéro au seuil de 1

9/6,

**

au seuil

de

5

9-'Q

et

*

au seuil de 10

()"o.

Lecture: Dans le modèle 1, la variable Nombre d'équipements sportifs est statistiquementsignificative et indique que plus le nombre d'équipements est élevé plus l'indiced'équipements est élevé. Dit autrement, pour un équipement supplémentaire, touteschoses égales par ailleurs, l'indice d'équipement des villes augmente de 0,8 point.

En effet, l'indice global de gestion municipale des équipements sportifsn'est influencé par aucune variable politique. Dit autrement, la présence et laqualité des équipements collectifs sportifs ne sont pas affectées ni par la stabilitépolitique ou électorale de la commune, ni par la concordance politique avec lesniveaux administratifs supérieurs.

Ce résultat est renforcé par la valeur du coefficient de détermination (R2)très faible dans le modèle 2, signifiant par là même que seul 0,9 %de la variationde l'indice est expliqué par l'ensemble des variables politiques.

236

En revanche, dès lors que les variables socio-économiques sont ajoutées àla relation (modèle 3), le modèle structurant s'enrichit en mettant en évidencetrois influences significatives. Le nombre d'équipements et la superficie de lacommune affectent positivement l'indice alors que la population de la villeréduit marginalement la valeur de l'indice.

3. LA BUREAUCRATISATION CONTRE LE POLITIQUE?

Plusieurs explications peuvent être avancées pour comprendre l'absencede logiques politiques classiques dans la gestion d'équipements sportifs. Soitnotre analyse n'a pas permis de percer les logiques politiques, soit ces logiquessont effectivement devenues plus faibles, laissant la place à des logiques d'actionplus « pragmatiques» ou bureaucratiques.

A LA RECHERCHE DE LA LOGIQUE POLITIQUE

En premier lieu, raisonner en coupe instantanée (année 1998) limitegrandement l'appréhension dynamique du processus de mise en œuvre despolitiques publiques locales d'équipement. Il est vrai que l'impossibilitéd'opérer une comparaison dans le temps représente un problème de natureméthodologique129.

En second lieu, il sera intéressant de poursuivre l'analyse en cherchant àdifférencier les municipalités par la présence d'autres équipements collectifsplutôt que par la construction d'un indice synthétique. Les équipements sportifsont été sélectionnés pour la variance relativement importante dans le niveaud'équipement des communes. Il est vrai que la plupart des autres domainesrenseignés dans l'inventaire se caractérisent par une variance plus faible et desanalyses non reproduites ici ne nous ont pas permis de parvenir à des résultatsplus significatifs.

En troisième lieu, il est probable que certains phénomènes de concurrenceou de proximité locale conduisent certaines municipalités à se doterd'équipements ou à rénover ceux existant au gré des rapports politiquesintercommunaux sans que l'analyse statistique présentée ici puisse en mesurerréellement l'importance. Même avant l'intercommunalité, des collaborations surcertains équipements étaient possibles, sans qu'on puisse ici analyser ceprocessus.

Il existe donc un certain nombre de problèmes avec notre dispositif derecherche qui pourraient dissimuler des effets politiques bien réels. Mais, il estégalement possible que des logiques autres que politiques priment finalementsur les logiques poli tiques.

129 Malheureusement, les données de l'INSEE ne sont disponibles que pour 1998.

237

UNE ABSENCE DU POLITIQUE?

Du point de vue des explications politiques, la présente contributionpermet de nous éclairer sur plusieurs points importants. L'une des questions dedépart de ce projet - et qui va au-delà de cette seule contribution - était desavoir s'il existe des équipements de «gauche et de droite ». L'exemple deséquipements sportifs semble indiquer qu'il n'existe pas d'effet politiqueimportant. Les stratégies - à gauche et à droite - semblent similaires. De même,les autres variables politiques analysées l'instabilité politique, lafractionalisation électorale et la concordance entre les niveaux de décisionlocaux et nationaux - n'ont aucune incidence palpable sur la gestion deséquipements sportifs communaux.

Une explication consiste à avancer que la plus grande autonomie descollectivités territoriales se solde par un affaiblissement des clivages politiques.Ainsi, le passage de la « régulation croisée» (Duran Thoenig 1996) à un systèmeplus décentralisé semble s'être accompagné à une dépolitisation croissante despolitiques locales. Comme l'affirment Balme et Faure (1999), on assisterait nonpas à une plus grande proximité des élus, mais plutôt à une nouvelle forme detechnocratie, allant à l'encontre du « mythe du terrain» (1999,p. 21),

De même, cette évolution, si elle était confirmée par d'autres étudesempiriques, tendrait à confirmer une partie des travaux sur le «fédéralismefinancier» (pour une revue, voir Madiès et al 2005). En effet nombre de cestravaux comptent sur la décentralisation pour imposer une discipline budgétaireet en matière d'impôts à l'Etat à travers le mécanisme de concurrence fiscale. Enl'occurrence, le cas français peut difficilement confirmer cette thèse, mais il estvrai que l'émergence d'une raison politique locale différente du clivage gauche-droite peut être considérée comme un premier pas dans ce sens.

Enfin, ces résultats tendent à aller dans le sens des recherches sur lagouvernance locale (Rhodes 1997), discutées en France notamment par Le Galès(Le Galès 1998). Dans cette perspective, la politique locale est perçue commecertes autonome et significative pour tout ce qui touche à la vie locale, maisaussi comme répondant à des formes d'organisation politique radicalementdistincte de la vie politique nationale.

CONCLUSION: PISTES DE RECHERCHE

Toute recherche quantitative doit dialoguer et s'appuyer sur les résultatsde recherche adoptant d'autres démarches méthodologiques. Le problèmesoulevé ici, la faiblesse de l'impact de facteurs politiques ne doit guère êtrecompris comme un dernier mot. Plutôt, ceci peut être compris comme un appelà renouveler les travaux sur les politiques d'équipement, comme celui quelançait Edmond Preteceille en 1999. Autrement dit, il se peut que nous soyonspartis d'une vision naïve des politiques équipementières et que nous ayonslaissé de côté des variables centrales concernant la structure démographique et

238

sociale de la population. On pourrait ainsi supposer qu'en contrĂ´lant ces deuxvariables et l'influence d'une commune, le clivage gauche-droite redeviennestructurant.

Parallèlement, il est vrai que les résultats présentés ici devraientégalement interroger certaines contributions recourant à d'autres méthodes. Si lacompétition partisane n'est pas au centre de la vie politique locale, les logiqueseffectivement à l'œuvre doivent être davantage spécifiées. Il est vrai queplusieurs des travaux précités, ainsi que certaines contributions à cet ouvragevont dans ce sens (voir notamment Gautier, Le Goff). La présente contributiondans le meilleur des cas ouvre quelques perspectives sur les pistes à poursuivreet celles qu'il vaut mieux délaisser.

239

D.UNE REGION A L'AUTRE,

LA GESTION INTEGREE DU LITTORAL

Marion RĂ©au

D'une région à l'autre, la gestion intégrée du littoral.

Marion RĂ©au est ATER en science politique Ă  la FacultĂ© de droitMontpellier-I et doctorante au CEPEL. Ses recherches portent sur les politiquespubliques, l'amĂ©nagement, l'environnement, la rĂ©gionalisation et la politiquecomparĂ©e. Elles sont financĂ©es au sein du programme SYSCOLAG (systèmescĂ´tiers et lagunaires) par la RĂ©gion Languedoc-Roussillon, le CNRS(interdisciplinaire sur le littoral). Courriel : [email protected]

................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ .. .. .: :

~ 1

I

::::::::::::::

~:::~t:cle cherche Ă  comprendre le processus de territorialisation des politiques de gestionI

:::::.:::::::.

du littoral à un niveau régional, à travers un mouvement d'intégration de ces politiques ausein d'une démarche de dimension communautaire, la Gestion Intégrée des Zones Côtières.Cette étude est constru ite dans une perspective comparatiste, appuyée sur les cas

I contrastés de la Bretagne, de l'Aquitaine et du Languedoc-Roussillon. Sans aller jusqu'à la I

i::::

:

::::::::::::::

typologie, il ressort de l'analyse trois grands critères discriminants, marquant la capacitéI

:::::

'

::::::::::::.:

de ces régions à intégrer le littoral comme territoire politique: le rapport à l'E tat,l'existence d'un leadership fort et le degré d'organisation des intérêts à l'échelle de laRégion.

Abs tract

This article seeks to understand the territorialisation process of coastal gestion policies on aregional scale, through an ongoing movement of this policies to be integrated into aneuropean approach, the Integrated Coastal Zone Management. This study is build ascomparative, based on the distinct cases of Brittany, Aquitaine and Languedoc-Roussillon.We can notice threemain measures,but not in a will of typology, that stress the region's

I::::

:

::::::::

capacity to integrate the coast as a political territory: the relationship with the State, the!

:.

;::::::::::.

existence of a strong leadership, and the degree of interest's organization on a regionalscale.

t ,

241

Il deviendrait presque banal aujourd'hui de constater l'essor del'institutionnalisation d'un méso-gouvernement (Balme 1994): ce processus estanalysé aussi bien d'un point de vue empirique et diachronique que théorique etsynchronique, il est également discuté et réinterrogé, notamment par le prismedu comparatisme.

La Région, échelle de gouvernement homogène ou émergent, est aucentre des questionnements dans l'étude des politiques publiques locales,renforcé par deux phénomènes: l'approfondissement de l'intégrationeuropéenne et la décentralisation, et constitue donc un mode d'étude privilégiédu changement des politiques publiques (Hassenteufel Fontaine 2002).

De fait, les politiques communautaires d'impact territorial (fondsstructurels, PAC, environnement) favorisent la mobilisation des régions à larecherche de ressources supplémentaires susceptibles de combler leurs carenceset de valoriser leurs atouts respectifs (Smith 1995). Mais en même temps agissenten tant que relais de l'administration européenne pour la mise en œuvre de cespolitiques (Morata 1998).

On voit se dessiner ainsi, selon les secteurs, une «gouvernance» multi-niveaux où s'imbriquent les échelles institutionnelles et les acteurs publics/privés, questionnant le rapport à l'Etat.

.Ces reconfigurations sont ici étudiées dans le domaine de l'aménagementdu littoral, où plusieurs problématiques se croisent et incarnent ces évolutionsde l'action publique vers une èomplexification et une re- territorialisation. Aucroisement des secteurs de la Pêche, du portuaire, de l'aménagement duterritoire et de l'Environnement, la Gestion Intégrée du Littoral est uninstrument normatif communautaire qui s'adresse à différentes échelles degouvernement, dans une perspective «intégrée» et une définition desproblèmes par sites. La GIL encourage le montage de partenariats à une échelleterritoriale « pertinente» (principe de subsidiarité) : l'échelle régionale estvalorisée dans l'optique de favoriser la cohérence des projets et de dépasser lesconflits d'usage récurrents qui caractérisent les rapports entre acteurs sur cetespace (tourisme versus pêche, habitat permanent versus immobilier saisonnier,développement économique versus protection naturelle) (Lequesne 2001).

On voit alors s'établir des degrés dans la capacité différenciée des régionsà s'affirmer comme acteur, face aux autres niveaux territoriaux, et à s'approprierun leadership sur leur territoire, ses crises, son devenir, face à des enjeuxéconomiques de plus en plus pressants. Il apparaît toutefois que la capacité àconstituer une échelle de mise en cohérence de ces politiques territorialesdépend fortement de la constitution préalable de réseaux de leadershipterritoriaux constitués au niveau régional (Baraize Genieys Smith Faure Négrier2000).

242

1. LE NIVEAU COMMUNAUTAIRECOMME COORDINATEUR DES ACTIONS LOCALES?

Aujourd'hui, la GIL (ou gestion intégrée des zones côtières - GIZC)130entend favoriser des pratiques intégrées d'aménagement du littoral et leursapplications au niveau national et au niveau local.

Cette démarche est synthétisée dans une communication de laCommission européenne destinée à définir la position communautaireconcernant l'AIZC (aménagement intégré des zones côtières) qui est adressée enseptembre 2000 au Conseil et au Parlement. L'Union entend être « l'inspiratriceetla coordinatrice» d'une «stratégie» en matière d'aménagement et de gestionintégrée des zones côtières qui doit aboutir à l'élaboration «dans chaque paysmembre» d'une politique intégrée du littoral. Cette stratégie s'inscrit dans lesorientations plus globales de « gouvernance » qui

sous-tendent généralement les

politiques européennes: « une approcheintégréeà caractèreterritorialet participatifs'impose pour garantir la viabilité écologique et économique de l'aménagement dulittoral européen ainsi que sa cohésion et son équité sociales ».

Cette stratégie de soutien à la GIZC repose sur plusieurs actions ououtils:

- Un instrument de type cognitif et d'évaluation: un programme dedémonstration a été mené pour la Commission, identifiant un certain nombre dedomaines politiques, dont ceux déjà mentionnés, qui devront faire l'objet d'uneattention particulière, en termes de best practices et de bench marking.

- L' in tégra tion d'outils pour la GIZC à l' intérieur d'outils financiers,réglementaires et incitatifs préexistants, suivant l'approche transversaleadoptée: ceci comprend les programmes INTERREG III et URBAN ainsi que leprojet d'instrument LIFE III; des volets «littoral» sont intégrés auxprogrammes communautaires 2000-2006, programmés en 1999 : le 6èmePCRD, lapolitique communautaire de la pêche (PCP). Le récent épisode de tentative deréforme de l'IFOP (instrument financier d'orientation de la pêche) en FEP (fondseuropéen pour la pêche) du 22 mai 2006131 montre combien ces questionspeuvent diviser les Etats.

- Un instrument de financement de «bonnes pratiques»: les fondsdestinés à la politique régionale de l'VE (fonds structurels), où les territoireseuropéens peuvent concrètement solliciter le soutien économique de rUE autitre de la préservation et de l'aménagement du littoral.

130Plusieurs acronymes désignent la même politique de gestion intégrée du littoral: laGIZC (gestion intégrée des zones côtières), ou CIL (gestion intégrée du littoral), etl'AIZC (aménagement intégré de zones côtières). Ces trois expressions pourront êtreutilisées indifféremment dans cet article, selon les sources analysées par l'auteure (ex.AIZC est utilisé dans les textes officiels de la Commission européenne).

131 Article du Monde du 23/05/06 « Pas d/accord entre les ministres européens sur la pêche»

243

La politique de gestion du littoral au niveau communautaire se situe doncsur le plan de la coordination des instruments, dans une visée incitative àdestination des Etats et des territoires infranationaux.

En outre, on notera que les Fonds structurels, outil financier privilégié dela politique régionale communautaire132 et dont la captation constitue un enjeudécisif pour les collectivités, sont considérés comme facteur-clé de la(re)territorialisation de l'action publique (Smith 95).

Si l'on peut regarder de façon top-down la coordination de cette politiqueeuropéenne, à la croisée de plusieurs secteurs, qui donne l'impulsion à desactions menées au niveau local, et fournit des instruments communs aux acteursinfracommunautaires, on peut aussi considérer la remontée des pratiqueslocales vers le niveau central.

Dés les années soixante, des instruments vont être mis en place dans lesouci d'intégrer le plus grand nombre d'acteurs et de problèmes relevant de lagestion de l'espace côtier.

Dès lors, la question du changement s'incarne dans ce processus de feed-back: comment les institutions régionales s'approprient-elles aujourd'hui, dansun nouveau contexte d'action publique, les outils de coordination formulés auniveau macro, en réponse aux difficultés rencontrées à l'origine sur le terrain?

2. DES MODELES REGIONAUX VARIABLESD'APPROPRIATION DE LA GIZC

Sans velléité de typologie, les trois grands critères de différenciationterritoriale qui semblent le mieux discriminer les profils régionaux étudiés sontle rapport du territoire à l'Etat, l'existence d'un leadership territorial fort, etl'appréciation du degré d'organisation des intérêts.

On peut établir que la région Bretagne démontre (sans arbitrage de l'Etat)une capacité d'autonomie dans la production de normes. Cette capacité estclairement corrélée à l'existence préalable d'un leadership de la planificationrégionale (Pasquier 2004, Fournis 2006). Nous verrons que les régions Aquitaineet Languedoc-Roussillon ne présentent pas cette autonomie par rapport aumonopole normatif et d'expertise technique de l'Etat, bien qu'actuellementl'Aquitaine soit plus avancée sur le chemin du repositionnement.

132La vocation des Fonds structurels est ainsi définie dans le traité de Maastricht, article130 A:« Afin de promouvoir un développement harmonieux de l'ensemble de laCommunauté, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sacohésion économique et sociale. En particulier, la Communauté vise à réduire l'écartentre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions lesmoins favorisées, y compris les zones rurales. »

244

Le cas du littoral breton constitue l'exemple d'une diversité d'outils degestion, portés par une multitude d'acteurs, et parfois sans grande concertation:

Des outils d'aménagement et de gestion du littoral :SALBI, SAUM, SMVM(Trégor-Goëlo, Golfe du Morbihan. ..), Pays maritime, SCOT, PLU, outils deplanification sectorielle (éoliennes, ports, sports de pleine nature.. .).

Des outils de protection et de mise en valeur du littoral. Protection de laqualité des eaux: Contrats de baie (rade de Brest), SAGE (Vilaine). Protection de labiodiversité : Natura 2000 (Trégor-Goëlo), Réserves naturelles, ZNIEFF, ZICO.Protection et mise en valeur d/un espace de vie partagé: Parc Naturel Régional(Armorique,Golfe du Morbihan), Parc National Marin (Iroise).. .133

D'après le CESR de Bretagne, ces outils de gestion intégrée «visent tous àpromouvoir une gestion adaptée, tout en tenant compte des exigenceséconomiques, sociales et culturelles ». Cependant, si certains considèrent queleur compilation permet de mettre en oeuvre une politique de gestion intégréede la zone côtière, il semble plutôt que <<l/absenced/articulation et de cohérence entreces procédures tend à en alimenter la confusion et le manque de lisibilité» pour lesacteurs locaux. Le CESR note « un manque de cohérence (temporelle, spatiale) »entre les outils visant à parvenir à une gestion intégrée de la zone côtière, bienque la Région joue son rôle de leadership, d'entreprenariat dans le domaine deces politiques d'aménagement, dans un rapport partenarial à l'Etat.

Dans les cas de l'Aquitaine et du Languedoc- Roussillon, les outils sontsimilaire s :

- SMVM (Thau), Contrat de Baie (Thau), SCOT (Montpellier, voletlittoral), PLU, etc.

- Natura 2000, ZICO, ZNIEFF, Réserves protégées, notamment sous-marines (Banyuls), SAGE, etc.

Néanmoins, ces deux régions ne disposent pas du même niveau decapacité de coordination qu'en Bretagne. A l'instar de R. Pasquier (Pasquier2004), on pourrait confronter les trois cas régionaux en fonction de leursconfigurations institutionnelles, prises ici dans leur capacité à s'approprier dessolutions au manque de coordination entre instruments de gestion du littoral.Quels facteurs peuvent expliquer que la Bretagne se montre capable de se saisirdes outils de coordination proposés par l'UE (facteurs décisifs d'autonomiebudgétaire, par la captation des fonds structurels), et de formuler sa proprepolitique de GIZC, tandis que d'autres régions littorales ne le font pas? Laréponse semble se trouver dans les rôles différenciés joués par l'Etat en régiondans la définition et la coordination des actions de gestion du littoral régional.

Le premier élément se dégage d'une étude historique de l'actionpublique en Languedoc-Roussillon et Aquitaine: ces deux régions ont connuune intervention forte de l'Etat, sous la forme d'administrations de missionpilotées par l'Etat, entre les années 60 et les années 80. Dans les années 60, l'Etat

133Source: rapport du Conseil Economique et Sodal de la Région Bretagne, upour unegestion concertée du littoral", juin 2004.

245

gaulliste entend répondre à la crise des secteurs viticole, halieutique ettouristique par une démarche forte de planification de l'aménagement sur cesdeux côtes, dans une perspective modernisatrice. La mission « Racine134» se meten place en Languedoc-Roussillon en 1962, constituée par des élitesaménageuses de la DATAR, disposant d'un budget autonome et d'unecoordination inter-ministerielle. Sa stratégie repose sur l'élaboration techniqued'un PUIR (Plan d'urbanisme d'intérêt régional) qui spatialise les usages de lacôte (stations balnéaires, ports de plaisance, coupures « vertes », etc). Son actionmenée pendant 20 ans, articulée sur les notables locaux, va mettre durablementen place les rapports Etat / élites locales, et conditionner l'aménagement littoralà un pouvoir de décision et de financement fort.

L'Aquitaine va connaître sensiblement la même intervention, mais plustardive et plus marquée par l'émergence de préoccupations écologiques, quiviennent se mettre en concurrence avec le développement urbain. Pilotée par M.Biasini, la Mission Aquitaine s'appuie sur l'élite locale et le « système Chaban »(Chaban-Delmas, maire de Bordeaux à partir de 1967 et Premier ministre de1969 à 72), relais local de la volonté de l'Etat.

Après la dissolution successive de la Mission Racine en 82 et de la MissionAquitaine en 88 (conséquence directe de la décentralisation), rien n'est repris auniveau local. Il faut attendre la fin des années 90 pour voir réapparaître desmissions littorales en Languedoc-Roussillon et Aquitaine, à l'initiative duCIADT. Mais cette fois, suivant les lois de décentralisation, ces missions sontarticulées à un partenariat avec l'institution régionale.

On peut alors constater comment la structuration des échanges politiqueslocaux en Aquitaine porte les collectivités à s'organiser dans un partenariat avecla nouvelle Mission Littorale: dans le GIP qui se met en place en 2004, lesnégociations repartissent la présidence à la Région mais la direction à l'Etat.Paradoxalement, la Région peut assurer institutionnellement et techniquementcette charge, mais les collectivités entendent limiter le pouvoir régional engardant l'Etat en position d'arbitrage au sein du GIP.

En Languedoc-Roussillon, la constitution d'un GIP s'est avéréeimpossible. Les négociations de répartition des pouvoirs au sein du GIP entrel'Etat, la Région et les autres partenaires n'ont pas permis d'aboutir à unconsensus. Le préfet finira par mettre son veto. En mai 2006, la dissolution de lanouvelle Mission Littoral marquera la fin d'une action coordonnée de GIZC auniveau régional, sans que la Région elle-même n'ait repris le flambeau. Entretemps, elle n'a pas acquis les savoir- faire techniques qui lui permettraitd'assurer au sein de ses services le pilotage d'une GIZÇ locale. Les objectifsinscrits au CPER au volet Littoral et les actions entamées se retrouvent sanspilote technique.

Ces profils contrastés de Régions au prisme de la gestion intégrée dulittoral nous montrent des capacités variables de s'approprier la coordination,

134La mission Racine est une mission interministérielle d'aménagement du littoral,présidée par Pierre Racine et Pierre Reynaud. Elle est mise en place en 1962 et prend finen 1982.

246

bien que les outils à disposition soient les mêmes. De même que les lois dedécentralisation n'ont pas produit les mêmes effets dans toutes les Régions(Pasquier 2004), les outils communautaires ne sont pas saisis de la même façonpar les institutions. Le système politique local et les échanges politiquesterritoriaux semblent pouvoir expliquer dans une certaine mesure desdivergences dans la capacité des régions à intégrer le littoral comme un territoirepolitique.

247

LA VENDEE VILLIERISTE SAISIE

PAR LA CONTRACTUALISATION REGIONALE

LES POLITIQUES TERRITORIALES AL/EPREUVED'UNE APPROCHE INTERACTIONNISTE

Olivier Gautier

Olivier Gautier est doctorant en science politique au CRAPE et Ă l'UniversitĂ© Rennes 2. Il travaille notamment sur les transformations de la viepolitique locale, les formes et les registres de l'action territoriale et leurs effetssur l'exercice du mĂ©tier politique.Courriel : oligau [email protected]

: ,: :. .. .. .. .. .. .. .. .

I

Résumé

IDepuis les élections régionales de mars 2004, le départemen t de la Vendée a procédé à lacontractualisation originale de sa politique de développement local. Elle constitue un cadrepertinent pour une analyse interactionniste des transformations qui secouent les ordrespolitiques infranationaux. Ainsi, un lien est apparu entre la territorialisation d'unepolitique contractuelle régionale et la remise en cause du travail de légitimation villieristede la Vendée. Si ce changement a pu apparaître comme la régionalisation d'une politiquepublique, il est aussi imputable à la conversion de Philippe de Villiers à un espace régional

i plus contraignant. j~ 1I A~~~t I; ;

ISince the regional elections of March 2004, the department of Vendee has proceeded to the

I

;

:::.

:

::::::::.

original contractualization of his local development policy. It constitutes a pertinentI

:::::::::

:::.

framework for an interactionnist analysis about the transformations which are shakinginfranational political orders up. In this way a link appeared between the territorializationof the contractual policy and the dispute of the Philippe de Villiers's legitimization work

Ifor the Vendee. If change could appear as a public policy regionalization, it's also the result

I

~ of the Philippe de Villiers's conversion to a new forcing regional space. IL J

249

La Vendée est un département qui subit actuellement des transformationsétrangères à sa réputation politique. En effet, elle semble saisie par la politiquerégionale des Pays de la Loire qui défend, depuis 2004, le contrat territorialunique (CTU). Ce programme est la poursuite des actions mises en place par lecontrat de plan Etat-région (CPER) 2000-2006 en faveur des communautésd'agglomérations, des pays et des zones littorales. Se référant à la loi Voynet de1999, le CTU vise, pour une durée de trois ans, à promouvoir "des projets dedéveloppement des territoires" entre la région et certains types deregroupements locaux. Il s'est illustré notamment par la signature d'accordsavec un groupe de communes réunies autour de La Roche-sur-Yon et avec l'lle-d'Yeu.

De son côté, le Conseil général de la Vendée a relancé les contratsd'environnement littoraux (CEL). Décidés au sein du CPER 2000-2006, les CELsont des projets triennaux signés entre la région, le département et la communeconcernée. Ils visent la protection des espaces naturels et la promotion dutourisme. Lors du premier bilan effectué en 2004, les autorités vendéennes ontfait état de la signature de deux contrats et des candidatures de 20 communessur 22. Surtout, en 2005, elles ont conçu une autre politique contractuelledépartementale à travers l'élaboration des contrats d'environnement ruraux(CER). Déterminés unilatéralement par l'exécutif départemental, les CER sontdes contrats de trois ans destinés aux communes de moins de 3000 habitants.L'objectif principal est la valorisation de la ruralité vendéenne. Autrement dit,une standardisation locale des formes contractuelles du développementterritorial est visible. Elle figure en quelque sorte la régionalisation d'unepolitique publique.

La consolidation du processus dans les Pays de la Loire est imputable auxélections régionales de mars 2004 dont les résultats ont redistribué la donnepolitique locale. La reconfiguration politico-institutionnelle a renforcé la lutteentre Jacques Auxiette, nouveau président du Conseil régional, socialiste etmaire de La Roche-sur-Yon et Philippe de Villiers, président du Mouvementpour la France (MPF) et du département de la Vendée. Leur opposition s'estainsi cristallisée autour de la politique contractuelle régionale dudéveloppement local.

Toutefois, cette lecture suffit-elle à expliquer les changements politiqueset leur sens (en termes de direction et de valeurs) ? Comment comprendre lesmobilisations prophylactiques d'un programme territorial? Commentinterpréter les (sur)investissements politiques dans une action publique sur unterritoire? Qu'est-ce qui a conduit les acteurs locaux à territorialiser unepolitique contractuelle? Dans le même sens, peut-on réduire le processus à larégionalisation d'une politique publique?

Sur un plan théorique, l'approche interactionniste analyse la réalitésociale comme une construction permanente qui n'a rien d'extérieur auxindividus (Garfinkel 1990, Berger Luckmann 1996). Dans cette mesure, elleprécise comment les acteurs politiques peuvent participer à l'objectivation desphénomènes politiques. A travers les notions de domination, de légitimation ouencore d'institutionnalisation, le constructivisme peut permettre de (ré)concilierles études sur la vie politique avec celles qui interrogent les politiques

250

publiques. En effet, si la perspective interactionniste incite à s'intéresser aurapport que peuvent entretenir les acteurs locaux avec les politiquesterritoriales, elle invite aussi à entrevoir comment elles peuvent devenir desressources présumées décisives par les compétiteurs dans leur quête de trophées(Bailey 1971). Ainsi, la territorialisation d'une politique publique peut êtreétudiée à partir du rôle qu'elle parvient à tenir dans les enjeux territoriaux de ladomination politique (Montané 2001, Faure 2004). D'autre part, si, en l'espèce, laterritorialisation est aussi une forme de régionalisation, elle peut également nousrenseigner sur la participation des acteurs locaux aux changements qui secouentles ordres politiques infranationaux. C'est pourquoi nous avons été amenés àexplorer les rapports entre territorialisation et légitimation (1) puis ceux qui lientrégionalisation et conversion (2).

1. TERRITORIALISATION ET LEGITIMATION

La valorisation politique d'une action publique est liée au rôle qu'ellepeut jouer dans la fabrication d'une domination territoriale. En effet, JacquesAuxiette et Philippe de Villiers agissent sur des territoires politiques qui sontsocialement construits. Dans cette logique, ils sont des entrepreneurs deterritoire. Ils fondent leur domination territoriale sur la construction d'unterritoire politique. En nous inspirant librement des travaux de Bernard Lacroix,cette notion nous permet alors de repérer les formes élémentaires de l'actionterritoriale (Lacroix 1985, p. 513). Dans cette perspective, la construction d'unterritoire n'est pas seulement son invention mais également soninstitutionnalisation et sa légitimation par le politique. Or selon la définitiond'inspiration weberienne proposée par Jacques Lagroye : « la légitimation consisteen la démonstration d'une aptitude à assurer le triomphe des valeurs ». Il ajoute « Dansle cas précis du pouvoir politique, on peut concevoir la légitimation comme un ensemblede processus qui rendent l'existence d'un pouvoir coercitif spécialisé tolérable sinondésirable, c'est-à-dire qui le fassent concevoir comme une nécessité sociale voire commeun bienfait.» (Lagroye 1985,p. 402).

Si des acteurs locaux mobilisent des politiques publiques qui ne sont paspropres au territoire c'est parce que leur territorialisation va permettre« d'appliquer» et de «naturaliser» leur doctrine. La territorialisation d'unepolitique publique «réalise ainsi» ce que Luc Boltanski appelle «le travailidéologique de dissimulation du travail idéologique» (Boltanski 1973, p.25). En effet,l'une des propriétés de la territorialisation d'une politique publique est qu'elleconduit à brouiller le travail de mise en relation, et donc l'écart, entre uneidéologie et un territoire. Elle autorise l'entrepreneur du territoire à montrer quele triomphe de ses valeurs est le triomphe des valeurs de la population locale.Elle tend à accréditer le soutien et l'adhésion du territoire dont il a la charge àses choix publics, à sa direction politique du territoire et donc à sa dominationterritoriale.

Dans cette mesure, les mobilisations antagonistes de la politiquecontractuelle en Vendée ont induit les sur-investissements villieristes. En effet,

251

quand Jacques Auxiette utilise le CTU sur le terrain de La Roche-sur-Yon, il n'ya pas de réaction de la part du président du Conseil général. Le chef-lieu de laVendée ne fait pas partie de son territoire. C'est lorsqu'un CTU a été signé avecl'lIe d'Yeu qu'il y a alors eu l'émergence d'un danger pour la dominationvillieriste. En effet, le président du Conseil régional montre alors qu'il possèdeles ressources pour démontrer aux élus vendéens que sa politiaue et ses valeurs(<<dialogue, démocratieparticipative, le rôle positif de la Région»1 5) peuvent aussiêtre bénéfiques pour le département. A ce moment la contestation de ladomination villieriste est réelle puisqu'elle s'attaque à l'un des fondements deson action politique territoriale. L'enjeu est la légitimité d'une territorialitévendéenne réputée villieriste.

Aussi notre hypothèse invite à mieux comprendre la réaction villieriste.D'abord, la sur-activation des CEL est structurée par la volonté de lutter contrel'opération politique organisée par Jacques Auxiette. L'objectif est de contester lalégitimité de la contestation du président de la région mais également derappeler les autres élus locaux à l'ordre politique villieriste, puis de « compter»et de conserver les soutiens politiques du littoral. Ensuite, le «sur-investissement» dans les CER n'a pas pour objectif de saper la politique deJacques Auxiette. Il cherche à consolider son travail de légitimation de laterritorialité vendéenne en (re)mettant en ordre ses valeurs, celles du MPF àtravers la promotion d'une ruralité en accord avec « la civilisation des racineset laprotection des communautés de culture» (Villiers, 1990, p. 54), fondements de sonidéologie d'inspiration maurrassienne.

Si la territorialisation d'une politique publique peut donc intervenir dansla constitution et l'entretien d'une domination territoriale, elle peut aussi jouerun rôle dans sa contestation. Si elle peut légitimer l'invention etl'institutionnalisation d'un territoire politique, ne peut-elle pas dans une autremesure justifier l'émergence d'un nouvel ordre politique régional? Dans cesens, la dynamique de régionalisation n'aurait pu être lancée sans la conversiondes acteurs locaux.

2. REGIONALISATION ET CON17ERSION

Envisager dans un second temps de considérer la territorialisation de lapolitique contractuelle en termes de régionalisation, c'est vouloir penser unesérie de changements politiques infranationaux. C'est se permettre de donner unsens au processus de régionalisation des sociétés politiques notammentdépartementales. Dans cette mesure, si le processus de régionalisation peut êtrerelié aux modifications qui touchent les ordres politiques locaux, il ne peut pasêtre uniquement compris comme une imposition ou une pression à l'adaptationsuite à des divergences, des incompatibilités ou des mésajustements. C'est

135Jacques Auxiette, Le magazine des Pays de la Loire, n03, Juin-Juillet 2005 et n04,Septembre 2005.

252

vouloir comprendre que la régionalisation peut se faire par le bas. C'est orienterle regard vers la participation des acteurs locaux au processus sans le réduire àun pur produit de l'interdépendance de leurs calculs. En effet, la politisation desenjeux régionaux, à travers la lutte Villiers/ Auxiette, est repérable. Si, commenous venons de le voir dans la première partie, la régionalisation a pu remettreen cause le travail de légitimation d'une domination territoriale, nous avonségalement montré comment elle avait favorisé l'émergence de nouvellesressources politiques pour les acteurs à travers l'élaboration et la mobilisation depolitiques régionales plus ou moins originales.

Cependant, le jeu des acteurs locaux incite également à s'intéresser à larégionalisation en termes d'institutionnalisation. Pour Berger et Luckmann,« l'institutionnalisation se manifeste chaque fois que des classes d'acteurs effectuent unetypification réciproque d'actions habituelles. En d'autres termes, chacune de cestypifications est une institution. (...) Les institutions, par le simple fait de leurexistence, contrôlent la conduite humaine en établissant des modèles prédéfinis deconduite, et ainsi la canalisent dans une direction bien précise au détriment de beaucoupd'autres directions qui seraient théoriquement possibles» (Berger Luckmann 1996, p.78-79). On adopte donc ici la définition classique de l'institutionnalisation,entendue comme la stabilisation et la répétition dans le temps de manières defaire, de règles et de normes sociales.

Entrevoir la régionalisation en termes d'institutionnalisation, c'est doncs'intéresser à un certain nombre de rôles régionaux136 notamment celui deprésident du Conseil régional et sa capacité à produire une régulation régionale.C'est porter un regard sur la solidification de certaines attitudes, de méthodes etde normes propres à la direction politique d'une région. Les rôles sont doncentendus comme des conduites déterminantes pour soi mais aussi pour lesautres. Dès lors, des règles, des solutions et des systèmes de représentationspropres aux agents liés au territoire politique peuvent exister. C'est ainsi qu'ilsvont structurer des logiques d'action, des schèmes de perception et desprincipes de changement.

Ceci apparaît clairement avec la territorialisation du CTU. L'observationdes effets départementaux vendéens constitue dans cette perspective uneillustration du processus. La sur-mobilisation villieriste de plusieurs actionspubliques, en contradiction avec la tradition politique locale, peut secomprendre comme le produit de la socialisation à l'échelon politico-institutionnel régional et de l'intériorisation de son pouvoir normatif,concurrentiel et émergent. En effet s'il y a apprentissage de rôles régionaux,celui-ci n'est pas uniquement effectué par les titulaires. La compétition, lesenjeux, et les trophées en jeu contribuent aussi à l'accumulation par les nontitulaires de la connaissance précise des propriétés des positions et descontraintes des rôles politiques. La territorialisation d'une politique

136 Notre argumentaire se fonde sur la définition, inspirée par Berger et Luckmann, deJacques Lagroye. Pour lui, un rôle est « l'ensemble des comportements qui sont liés à laposition qu'on occupe et qui permettent de faire exister cette position, de la consolider et,surtout, de la rendre sensible aux autres» in « On ne subit pas son rôle », Entretien préparéet recueilli par B. Gaïti et F. Sawicki, Politix, n038, 1997, p.8.

253

contractuelle montre ainsi comment, pour la première fois, la région et JacquesAuxiette ont «obligé» Philippe de Villiers et le Conseil général de la Vendée àêtre «d'accord sur le terrain du désaccord» (Bourdieu 2000). Autrement dit, larégionalisation dépasse l'appropriation d'une politique publique. Elle est aussile fruit de la conversion à l'espace politique régional des acteurs les plusdisposés à s'y opposer.

CONCLUSION

La méthode constructiviste, en privilégiant l'analyse des formesélémentaires de l'action locale et leur imprégnation par les représentationstactiques des acteurs, présente l'intérêt heuristique de préciser le sens et lamesure des changements politiques territoriaux. Pour la première fois, unepolitique contractuelle du Conseil régional est parvenue à s'imposer en Vendéesans l'accord ni l'implication des autorités départementales. Remise en cause deleur action territoriale, elle les a contraints à mobiliser des projets contractuelslocaux. La territorialisation d'une action publique a donc conduit à lacontractualisation inédite de la politique villieriste en Vendée. Si cette évolutionpeut s'apparenter à la régionalisation d'une politique publique, elle ne s'y réduitpas dans le sens où elle correspond aussi à la conversion d'un acteur localréfractaire, Philippe de Villiers. Les Pays de la Loire sont ainsi en. train dedevenir un espace concurrent en voie d'appropriation, d'institutionnalisation etde légitimation par un nouveau leader régional, Jacques Auxiette. Néanmoins,les changements réels sont encore limités. Les modifications politico-institu tionnelles n'ont pas pour objectifs, ni pour effets de procurer lesressources nécessaires à la construction d'un ordre politique régional. Dans cettemesure, le statu quo s'enracine encore autour d'une territorialitédépartementale. En effet, la Vendée conserve sa réputation villieriste. Philippede Villiers réussit toujours à la présenter comme un territoire (ré)incarné,labellisé, désiré et accepté. Autrement dit, le département de la Vendée sera unterritoire politique accompli aussi longtemps que la région des Pays de la Loiredemeurera un territoire politique non identifié.

254

L'ACTION PUBLIQUE TERRITORIALE SOLUBLE

DANS LE NEO-INSTITUTIONNALISME ?

Sylvain Barone

Doctorant en science politique au CEPEL (UniversitĂ© de Montpellier 1),Sylvain Barone est allocataire CIFRE/ RĂ©seau FerrĂ© de France. Il rĂ©alise une thèsesur la rĂ©gionalisation du transport rĂ©gional de voyageurs en France.Courriel : [email protected].

j Résumé 1i i

Le néo-institutionnalismeproposeune approche particulièrement stimulante de l'actionpublique territoriale. Toutefois, au-delà de l'incertitude qui entoure la notion mêmed'institution et des limites inhérentes aux différents courants constitutifs du néo-institutionnalisme, cet ensemble théorique hétérogène a souvent tendance à minimiserl'importance des rapports entre action publique, politique et société locale, comme l'illustrele cas de la régionalisation ferroviaire. Cette difficulté peut être surmontée par une

j combinaison d'approches où les travaux issus du néo-institutionnalisme auraient leur j

I place. L'instauration d'une dialectique entre institution et territoire, notamment, permet I

I~:::::u:~o~~:~~:::~se:t::t::I::::S:timUlating approach to territorial public poli~.

Ij Yet, beyond the uncertainty of the very notion of institution and the limits inherent in the j

different currents making up new institutionalism, this heterogeneous theoretical trendtends to minin1ĂŹze the importance of the existing links between public policy, politics andlocal society, as the example of railway regionalization shows. This difficulty can beovercome through a combination of approaches which would include new institutionalistworks. In particular, the setting up of a dialectic relationship between institution and localor regional space allows the open ing of new analytical horizons.

255

Venu des .États-Unis où il a investi des champs disciplinaires aussi diversque la science politique, l'économie et la sociologie des organisations (Lowndes1996), le néo-institutionnalisme s'est peu à peu imposé en France comme unemanière classique d'aborder l'action publique. Cette mouvance théoriqueextrêmement hétérogène (Hall Taylor 1997, Théret 2000) partage à l'origine unemême volonté de réintroduire, face à la tradition behavioriste, la variableinstitutionnelle dans l'explication du comportement des acteurs et de la fabriquedes

politiques

publiques

-

tout

en se démarquant

du

«

vieil

institutionnalisme

»

historico-descriptif centré sur l'étude de l'organisation et du fonctionnement desinstitutions politiques. Dans cette optique, les institutions, et notamment l'État(Skocpol 1985), ne sont plus considérées comme totalement extérieures à lasociété, mais leur dépendance par rapport aux forces sociales est largementrelativisée (March Olsen 1984). Dotées d'une logique propre, elles sontprésentées comme structurant les jeux d'acteurs auxquels elles fournissent desgrilles d'interprétation du monde.

Les développements qui suivent proposent quelques pistes de réflexionsur l'intérêt et les limites de l'approche néo-institutionnaliste pour l'analyse del'action publique territoriale. Ils font suite à des questionnements qui ont émergédans le cadre d'un travail de thèse (en cours) sur la régionalisation du transportferroviaire régional en France. La démarche néo-institutionnaliste offre uneperspective de l'action publique qui paraît à bien des égards stimulante. Lestravaux sur les institutions et les politiques infranationales qui s'y rattachent enapportent la preuve. Mais la plupart des terrains conduisent en même temps àmanipuler des données situées à l'interface entre de multiples variables:institutions, certes, mais aussi identités, rapports de représentation, pratiquespoli tiques terri torialisées, etc. La question qui se pose est donc: jusqu'où le néo-institutionnalisme présente-t-il un intérêt pour l'étudiant de l'action publiqueterritoriale? Nous procèderons en trois temps. Nous verrons d'abord quellessont les principales vertus et faiblesses de cette approche de l'action publique.Nous en apprécierons ensuite la portée dans le cadre de l'analyse de l'actionpublique territoriale, en illustrant nos propos par quelques exemples tirés del'étude de la régionalisation ferroviaire. Pour terminer, nous évoquerons lesperspectives qu'ouvre l'instauration d'une dialectique entre ce qui relève del'institution et ce qui relève du territoire.

1. L'ACTION PUBLIQUE AU PRISMEDU NEO INSTITUTIONNALISME

Si l'on reprend la distinction de Peter Hall et Rosemary Taylor,l'institutionnalisme historique met avant tout l'accent sur les macro-institutionset les relations de pouvoir asymétriques dans une perspective à la foisdiachronique et comparée. La notion de path dependence (Pierson 2000, North1990), qui s'inscrit dans cette perspective analytique, souligne le poids des choixpassés sur les décisions présentes et insiste sur les relations qu'entretiennent cesprocessus cumulatifs avec les perceptions et les comportements des acteurs.

256

Mais Paul Pierson et d'autres auteurs se réclamant du même courant (Hall 1993,Steinmo Thelen 1992) ont également abordé les mécanismes de changement àl'œuvre dans les politiques publiques. De son côté, l'institutionnalisme des choixrationnels insiste sur le rôle des institutions comme facteurs de limitation deschoix possibles, de production et d'expression des préférences des acteurs.Enfin, l'institutionnalisme sociologique représente une tentative derenouvellement du savoir développé par la sociologie des organisations. Elleexplore en particulier les processus cognitifs et la dimension culturelle desinstitutions (Hall Taylor 1997). Si tant est que l'on puisse considérer le néo-institutionnalisme comme un tout, cette approche intègre donc une multiplicitéde dimensions. Ici se trouve l'un des nœuds du problème: le mot « institution»a des usages extrêmement variables et la démarche néo-institutionnaliste ouvreelle-même des perspectives intellectuelles dont il ne faut pas sous-estimerl'hétérogénéité (Friedberg 1998). Dans ces conditions, comment isoler, pour lesbesoins de l'analyse, ce qui relève ou non de la variable institutionnelle?

De plus, examiner l'action publique sous l'angle de l'un ou l'autre descourants mentionnés par Hall et Taylor revient à lui réserver un traitementparticulier. L'institutionnalisme des choix rationnels postule que les individusont une connaissance précise et ordonnée de leurs préférences, ce qui est pour lemoins discutable et difficile à vérifier empiriquement (Green Shapiro 1994). Rienn'est entrepris ici pour dé construire ces préférences. Or, accéder auxmécanismes de formation des intérêts nécessite de dépasser la postureéconomique proposée par les choix rationnels pour une posture plussociologique. La socialisation des acteurs joue en effet un rôle au moins aussiimportant que leurs calculs intéressés. Dans l'institutionnalisme sociologique, ladimension cognitive est présente, mais elle a tendance à rester déconnectée de laquestion du pouvoir. Elle est en outre de peu de secours pour expliquer lechangement en dehors des mécanismes d'adaptation institutionnelle.L'institutionnalisme historique attribue un rôle aux idées, dont il fait l'une descauses du changement (Hall 1993, Steinmo 2002) - ce qui n'est pas incompatibleavec la mise en lumière d'effets de policy feedback137.Néanmoins, cette approcheest à son tour soumise à la critique des autres déclinaisons du néo-institutionnalisme: l'institutionnalisme des choix rationnels, par exemple,récuse l'importance des idées, voire même la simple possibilité de les identifier.De surcroît, les études de cas produites dans ce cadre n'ont pas conduit àl'élaboration d'un véritable modèle théorique. On comprend dès lors pourquoicertains auteurs, comme Peter Hall (1997), ont cherché à dépasser les limitesinhérentes à chacun de ces courants en essayant d'en coupler les hypothèses etles principales variables d'analyse (idées, intérêts et institu tions - les « trois i »).

L'action publique exprime un certain rapport entre gouvernants etgou vernés - et elle en est aussi en partie à l'origine. Le néo-institu tionnalismerepose globalement sur l'idée selon laquelle les institutions sont relativementautonomes vis-à-vis des forces sociales. Cette manière d'envisager les

137Fabien Desage, dans sa contribution à cet ouvrage, nous invite à remettre en cause laséparation entre les phases de changement et de stabilité qui est au cœur, entre autres,de nombreux travaux néo-institutionnalistes.

257

institutions peut poser problème en ce qu'elle contient un risque plus ou moinslatent: celui de laisser de côté les rapports entre politique et société (Stone 1992).Or, l'action publique soulève des questions centrales, comme la légitimité ouencore la domination, qui s'inscrivent pleinement dans ces rapports et dont ils'agit de rendre compte (Smith 2000). Ce qui vient d'être dit est extrêmementschématique mais plaide pour une intégration de l'approche néo-institutionnaliste dans un cadre ouvert à d'autres perspectives d'analyse.L'enjeu est en particulier de réintroduire la place du politique, qui fait parfoisdéfaut aux productions se rattachant à ce courant. Marc Smyrl (2002) suggèreainsi de faire dialoguer le néo-institutionnalisme avec l'approche par lesréférentiels Gobert Muller 1987). Cette dernière propose une entrée dans lesrapports entre policy et politics qui constitue un modèle de relation entrereprésentations, intérêts et pouvoir et qui intègre la problématique duchangement (Muller 2005). De même, l'approche cognitive est présentée parAndy Smith (2000) comme un complément possible pour «sociologiser»l'approche institutionnelle et réintroduire le thème du sens de l'action publique.Cependant, c'est l'intérêt des thèses néo-institutionnalistes au regard del'analyse de l'action publique territoriale que nous souhaiterions dis cu ter.

2. L'ACTION PUBLIQUE TERRITORIALEENTRE INSTITUTIONS ET TERRITOIRES

Les travaux issus du néo-institutionnalisme ont beaucoup à dire surl'action publique territoriale. Rapportés à nos terrains, ils fournissent unensemble assez riche d'hypothèses en même temps qu'un cadre d'interprétationdes phénomènes observés. Dans le cas de la régionalisation ferroviaire, descommunautés d'acteurs sont en place dès les années 1980 (régions, directionsrégionales de la SNCF et de l'Équipement, Réseau ferré de France à partir de1997). Au-delà des lois successives organisant le transfert de compétence auxcollectivités régionales (de la LOTI de 1982 à la loi SRU de 2000), ces arènes sontle théâtre d'interactions qui se sont progressivement stabilisées etinstitutionnalisées138. Les politiques régionales peuvent alors être examinées demanière fructueuse sur la durée à la lumière des logiques et des arrangementsinstitutionnels, des éléments de conflit et des zones de consensus, de l'évolutiondes rapports de force et des ressources mobilisables. Un tel examen nécessiteque soient pensés les rapports entre les organisations et les individus, lesstructures et les acteurs. C'est là l'une des principales forces du néo-insti tu tionnalisme.

Au-delà des interactions stratégiques, la comparaison interrégionale faitapparaître une persistance dans le temps des représentations d'action publique

138Les travaux d'Olivier Nay sur l'institutionnalisation d'un domaine d'action agricole enAquitaine (1997) montrent qu'une grille de lecture proche du néo-institutionnalismesociologique peut être mobilisée avec profit pour rendre compte de ces mécanismes.

258

et des «solutions» envisagées par les acteurs. La région Centre a pourpréoccupation depuis les années 1970 de développer le triangle Orléans-Tours-Vierzon. En Languedoc-Roussillon, la volonté de mettre un « métro régional»en circulation le long du littoral remonte aux années 1980. Cette continuité, quiest bien sûr à relier à la morphologie de l'espace régional, à la distribution del'habitat et à la répartition des activités, peut ainsi être analysée comme un effetd'institution. Certains choix passés rendent plus difficiles et plus coûteux lechangement de trajectoire des programmes publics. Cet aspect est flagrant enmatière d'infrastructure. Celle-ci agit selon les endroits comme une contrainteplus ou moins forte de l'action régionale. Le Nord-Pas-de-Calais, par exemple,hérite d'un réseau ferré dense et en assez bon état, ce qui n'est pas le cas deMidi-Pyrénées ou de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Les caractéristiquesdu secteur imposent de fortes contraintes aux collectivités régionales. Cela estvrai en matière d'infrastructure mais également en matière de jeux d'acteurs, lespartenaires obligés de la région, peu nombreux, concentrant d'importantesressources. Malgré cela, la régionalisation ferroviaire s'est traduite par unincontestable regain d'efficacité de l'action publique par rapport à la périodeantérieure. Elle se distingue en cela d'autres politiques, comme celle de l'emploi,dont la mise en œuvre apparaît plus incertaine139.

Toutefois, l'action publique territoriale n'est pas appréhendable en termespurement institutionnels; pas plus qu'elle ne l'est, d'ailleurs, en termespurement politiques, socio-économiques, etc. Son analyse nécessite d'articulerun ensemble composite de facteurs qui ont en commun de se décliner sur unebase territoriale. L'enjeu est ici de resituer territorialement l'institution140. Nousavons vu que les rapports entre politique et société n'étaient pas centraux dansl'analyse néo-institutionnaliste. L'activité politique s'insère pourtant dans unensemble de relations sociales à chaque fois spécifique. Certes, l'institutionlégitime l'acteur individuel, le fonde à agir, voire libère son action. Mais celanous renseigne peu sur la manière dont des individus accèdent et semaintiennent à la tête d'institutions politiques locales. L'anthropologie politiqueapporte de ce point de vue d'importants éléments de réflexion. Marc Abélès(1989), notamment, a montré que le territoire était constitué d'identités enconfrontation et que les rapports représentants/représentés se nourrissaient dela mobilisation quasi-permanente d'une mémoire, d'un patrimoine, d'unimaginaire communs. Si la construction d'une carrière d'élu local passe par lamobilisation de ressources intrinsèquement liées à l'aire d'implantation, cetaspect ne doit pas conduire à occulter les effets de légitimation imputables auxpolitiques publiques. Dans un contexte où les collectivités territorialess'approprient de plus en plus la rhétorique du bien commun (Faure 2005), les

139 Cf. le chapitre d'Olivier Mériaux et Jean-Raphaël Bartoli dans ce volume.140L'étude de la régionalisation ferroviaire complexifie la problématique du rapport à

l'espace. Elle pose en particulier, à la suite des géographes, la question des interactionsentre deux de ses dimensions, l'aréolaire (l'aire dessinée par le périmètre régional) et leréticulaire (les réseaux ferrés et les flux de voyageurs). L'inscription spatiale, lalinéarité et la faible plasticité de l'infrastructure ferroviaire suscitent des interrogationsqui apparaissent moins par exemple dans le cas des politiques de transport aérienmalgré la rigueur de leurs couloirs de circulation (voir le chapitre de FrédéricDobruzkes dans cet ouvrage).

259

responsables politiques doivent montrer qu'ils agissent efficacement par le biaisde l'institution qu'ils dirigent. La régulation de problèmes collectifs légitimeceux qui passent pour en être les auteurs. Cette dimension est centrale dans lecadre du «marché des lieux », où ces derniers sont en concurrence pour lalocalisation des activités économiques et de certains groupes sociaux (Veltz1996).

Par ailleurs, les institutions ne sont pas le reflet fidèle des rapports deforce socio-économiques, ni des forums où les groupes de pression se livrent àdes luttes d'influence. Néanmoins, et bien s'ils soient faiblement organisés àl'échelle régionale (Le Galès 1997), l'action politique ne peut totalement ignorerles intérêts économiques privés. Le volontarisme ferroviaire du Nord-Pas-de-Calais, par exemple, s'explique en partie par la présence sur place de grandesindustries ferroviaires. L'élection ou la réélection des représentants dépend deleur capacité à intégrer cette dimension dans leur discours et leurs actions. Demême, les intérêts privés sont plus ou moins puissants et bien organisés selonles endroits, ce qui se traduit par une capacité variable à influer sur les relationspolitiques et à peser sur les projets qu'ils souhaitent voir aboutir. On peut voirles retombées de cette situation sur le portage politique des projets de lignesnouvelles ou de tarification/billettique intégrée, autant de dossiers dontl'avancement nécessite un minimum de coopération entre élus et collectivités.

3. LES PERSPECTIVES OUVERTES

PAR LA DIALECTIQUE INSTITUTION/TERRITOIRE

Nous avons beaucoup insisté jusqu'ici sur l'idée de différenciationterritoriale. Celle-ci est cependant largement contradictoire avec certains travauxnéo-institutionnalistes. La notion d'isomorphisme institutionnel (DiMaggioPowell 1991), notamment, exprime la tendance qu'auraient les organisations àévoluer dans le sens de la conformité: soit qu'elles subissent la pressionformelle et informelle d'autres organisations ou des attentes culturelles de lasociété (isomorphisme coercitif), soit que le contexte d'incertitude dans lequelelles s'inscrivent les conduisent à imiter d'autres organisations afin de réduireles coûts d'apprentissage (isomorphisme mimétique), soit enfin que lephénomène de professionnalisation entraîne une adhésion à des normesdominantes (isomorphisme normatif). Il est vrai que nos recherches sur larégionalisation ferroviaire conduisent au constat de convergences - favoriséespar l'existence d'un cadre juridique commun, bien sûr, mais aussi par leséchanges qui eurent lieu entre régions lors de l'expérimentation de 1997-2001.Néanmoins, cette conception ne semble pas échapper à la critique d'un certainfonctionnalisme, d'une part, et d'autre part, à celle d'un certain déterminisme.En outre, elle résiste assez mal à l'examen empirique. Pour autant, cela ne nousinterdit pas, bien au contraire, d'établir un diagnostic de portée générale sur latension observée entre différenciation et standardisation des formesinstitutionnelles et des politiques régionales.

260

Le territoire n'existe que parce que divers acteurs le font vivre en lenommant et en prétendant agir en son nom. Il émerge en même temps auconcret par la matérialisation de solidarités sociales et spatiales, à laquellepeuvent contribuer les politiques régionales de transports. L'institutioncontribue de ce point de vue à l'appropriation collective de l'espace. Ellecontribue à « faire)} le territoire. La légitimité de l'institution et celle de l'élu sontétroitement entremêlées. Il s'agit pour le représentant d'incarner des valeurscollectives et des intérêts disparates territorialement ancrés. En retour, celui-cis'assure que ce travail d'identification et de représentation lui permettrad'accéder et/ ou de se maintenir à la tête de l'institution. La promotion d'un éluest ici associée à celle d'un espace qu'il s'agit à tout prix de valoriser. Laquestion de la légitimation et celle de la domination apparaissent de ce point devue indissociables. Cette manière d'envisager le politique est bien prise encompte par les analystes du leadership politique (Smith Sorbets 2003). C'est aunom de la relation qu'il entretient avec la société locale que l'élu est habilité àconduire l'action publique. Simultanément, le leadership permet de donner dusens aux projets collectifs.

Se pencher sur les particularités constitutives du territoire et les envisagerde manière dialectique avec une approche par les institutions conduit àréintroduire la variable politique. Cette posture apporte un correctif à certainesdes critiques adressées aux thèses néo-institutionnalistes et permet d'enrichirnotre connaissance des liens entre les institutions, le jeu politique, l'actionpublique et ses ressortissants. Dans le cas des poli tiques de transports, le travailpolitique peut alors être perçu comme le moyen de répondre à la demande demobilité, voire de la susciter ou .de la réorienter, tout en comptant avec cettevariable d'évolution lente que sont généralement les réseaux-supports. Danscette optique, il arrive que des dispositifs de régulation ad hoc transcendent lespérimètres institutionnels existants (Duran Thoenig 1996) - même si l'économiede la décentralisation ne facilite guère l'action coordonnée des collectivités. Demanière générale, le travail politique peut être présenté comme le moyen degérer, avec sa temporalité propre, les décalages entre problèmes, institutions etterritoires (Borraz 1999, Nay Smith 2002).

Appréhender l'action publique territoriale dans sa complexité nécessiteque soit mise en œuvre une pluralité de cadres analytiques (où les avantagesconceptuels du néo-institutionnalisme auraient leur place) en faisant en sorte,autant que possible, que ceux-ci répondent mutuellement à leurs insuffisancesrespectives. Si certains auteurs se sont livrés à l'exercice (Négrier 2005), toute ladifficul té, ici, est d'agencer ces différentes manières de voir, de leur permettre defaire système. Il est extrêmement difficile, sinon impossible, d'évaluer la partexacte prise par la variable institutionnelle dans les processus de construction del'action publique territoriale. Plutôt que de présupposer sa prévalence, ou laprévalence de toute autre variable, il semble préférable d'en tester au préalablel'intérêt et la portée, l'étape suivante consistant à hiérarchiser les approchesmobilisées selon leurs mérites heuristiques.

261

LA SYNTHESE D'UN POLITISTE .

SIX QUESTIONS EN SUSPENS

Pierre Muller

Pierre Muller est directeur de recherche au CNRS, chercheur au Cevipof(Centre de recherches politiques de Sciences-po). Ses thèmes de rechercheportent sur les transformations des politiques publiques dans les sociĂ©tĂ©s post-industrielles et l'analyse cognitive de l'action publique.Courriel : [email protected]

~............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... .. .. .. .. .: :. .. .. .j

Résumé

j

~

~

~

~La multiplicité des terrains et la variété des questions de recherche présents dans cetouvrage témoignent du dynamisme de la recherche française sur l'action publiqueterritoriale, le risque étant que ce foisonnement se traduise par une absence de modèlesexplicatifs bien constitués proposant des interprétations relativement englobantes.Plusieurs questions se posent également comme celle de la place des recherches comparéeset de la spécificité des travaux français par rapport aux débats théoriques internationaux.

Abs tract

The multip [icity of the grounds and the variety of research' questions presen t in this work

! ~l:~f~~~~~~~i!Ă‹~i~~~~~[f:f~~~~~~~~~~~~~r~f~:::::~:~~ J

263

Réunir un nombre aussi important de communications sur un sujet aussivaste relevait évidemment du défi. Il faut remercier les organisateurs de l'avoirlancé et les participants de l'avoir relevé. Il reste que proposer une synthèse d'unouvrage d'une telle richesse est pour le coup une mission impossible! On secontentera donc de souligner quelques points qui nous ont paru saillants à lalecture des communications et à la suite des discussions qui ont animé lecolloque dont est issu ce livre.

La très grande richesse des contributions et la très grande variété despoints de vue présentent à la fois des inconvénients et des avantages. Du côtédes inconvénients, il faut évidemment mentionner le risque de dispersion, voired'incohérence qui guette toujours ce type d'entreprise. Du côté des avantages" ilne fait pas de doute qu'un tel ouvrage présente un tableau très intéressant del'état de la recherche française sur la question de l'action publique territoriale enFrance. Il faut souligner en particulier l'utilité de présenter, à côté de travauxréalisés par des chercheurs déjà confirmés, de nombreuses recherches effectuéespar de jeunes chercheurs qui donnent de ce point de vue une idée assez précisede ce à quoi on peut s'attendre au cours des prochaines années en France pource qui concerne les recherches sur l'action publique dans les territoires.

L'objet de cette conclusion n'est donc pas tant de proposer une synthèsede toute façon impossible que d'introduire une réflexion un peu prospective surles questions qui se posent aujourd'hui à la recherche française dans le domainequi fait l'objet de ce livre, mais aussi d'esquisser un bilan des forces et desfaiblesses de notre pays dans un contexte d'ouverture internationale qui n'estplus à souligner.

La première observation qui vient à l'esprit est évidemmentl'extraordinaire dynamisme dont témoigne la diversité des travaux présentés ici.Ceci se retrouve dans la multiplicité des terrains choisis: les politiquesuniversitaires" les politiques des transports, l'aménagement du littorat lespolitiques de l'espace rural, les politiques urbaines, les politiques sociales, lespolitiques judiciaires, les politiques de l'emploi, les questions de sécurité, lespolitiques culturelles... La liste est sans fin, comme dans la variété des questionsde recherche: la question des changements d'échelle qui est -dans leprolongement du Sème congrès de l'AFSP à Lyon et du colloque de Lausanne-un des fils rouges de cet ouvrage" la question de la concurrence entre lesdifférents niveaux d'intervention, la question des relations entre démocratie etterritoire, le problème de l'expertise au niveau territorial, les enjeux de laréforme administrative" de l'introduction de nouvelles normes de managementpublic et de l'évaluation des politiques territoriales, la question del'intercommunalité. A quoi il faut évidemment ajouter l'interrogation récurrenteet présente dans la quasi-totalité des chapitres: comment rendre du compte duchangement dans les formes et les contenus de l'action publique territoriale enFrance aujourd'hui?

Le revers de la médaille d'une telle richesse de terrains et deproblématiques est le risque de manque d'organisation des stratégies derecherche autour d'interrogations et de lignes de débats clairement identifiées.Et de fait" on ne voit pas vraiment apparaître aujourd'hui de modèles explicatifsbien constitués proposant des interprétations relativement englobantes du

264

changement dans l'action publique territoriale, ou de nouvelles clefsd'interprétation autour desquelles s'organiseraient des lignes de fracture clairespermettant de structurer le débat scientifique. Tout se passe comme si l'on étaitplus en mesure de poser des questions que d'apporter des réponses, mêmefragmentaires, nous permettant de mieux comprendre les relations entre actionpublique et territoires. Voici -la liste n'est certainement pas complète- six de cesquestions très saillantes dans les contributions à l'ouvrage et à propos desquellesil semble indispensable d'élaborer au moins un début de réponse.

1) La première question part d'un constat brutal: si tant est qu'on l'ait suun jour, on ne sait vraiment plus du tout ce qu'est un territoire aujourd'hui. Onest bien dans le cas de la boite de Pandore évoquée par Alain Faure. Ce que l'onpeut voir à l'œuvre dans les chapitres de ce livre, ce ne sont pas à proprementparler des territoires mais bien des processus de territorialisation de l'actionpublique autour desquels des agents (relevant de différents niveaux et dedifférents univers, publics ou privés) développent des stratégies de plus en pluscomplexes et donc de plus en plus floues. Dans cette perspective, et au moinspour le spécialiste des politiques publiques, la notion de territoire devient deplus en plus incertaine et, plus que jamais, le sentiment domine selon lequel cesont en définitive les politiques publiques qui font exister les territoires et nonl'inverse: on voit se structurer des territoires plus ou moins virtuels quin'existent que dans la mesure où ils font l'objet de politiques publiques (lelittoral, la montagne...) ou dans la mesure où ils sont "inventés" comme niveaude mise en œuvre des politiques publiques (c'est typiquement le cas desterritoires intercommunaux). La question qui est ici posée est évidemment celledes identités territoriales dans la mesure où, jusqu'à preuve du contraire, lespolitiques publiques n'ont jamais été en mesure de créer des identités globales,ou en tout cas transversales, mais seulement des identités segmentaires parceque sectorielles. Cette contradiction entre la logique fragmentaire des politiquessectorielles et la logique horizontale supposée être celle du territoire laisse doncouvertes un grand nombre d'interrogations.

2) La deuxième question concerne le problème du changement,interrogation récurrente qui a structuré les travaux de sociologie de l'actionpublique territoriale depuis les recherches fondatrices de Pierre Grémion et deJean Pierre Worms dans les années soixante. Là encore, c'est un sentimentparadoxal qui domine, comme si "trop de changement tuait le changement". Onressent ainsi parfois dans les textes comme une sorte de désenchantement parrapport aux espoirs (ou aux craintes) suscitées par la décentralisation. Lesréactions et les débats engendrés par les dernières mesures décidées par legouvernement en portent témoignage, tout comme les positionnements autourdes propositions de la candidate Ségolène Royal: observerait-on unretournement des postures idéologiques par rapport à la décentralisation?Celle-ci est-elle toujours "de gauche" ? La question de la nature du changement,ainsi que de ses modalités (incrémentaI, sous forme de rupture, etc) est en toutcas posée.

3) Troisième question incontournable: la question de l'Etat, que l'on peutformuler de la manière suivante: qui va théoriser le "retrait" de l'Etat? A lalecture des textes, c'est une fois de plus un sentiment de malaise qui saisit lelecteur dans la mesure où tout se passe comme si l'on était incapable de penser

265

la relation entre l'Etat et les territoires autrement qu'en termes de jeu à sommenulle: ce que gagneraient les uns serait perdu par l'autre et réciproquement. Oril est maintenant certain que ce raisonnement conduit à une impasse et nepermet pas de mesurer la complexité des jeux d'échelles à l'œuvre dans larelation entre l'Etat et les territoires. Non seulement l'Etat ne « disparaît» paslors des processus de décentralisation mais il peut arriver qu'il se renforce touten se dessaisissant de fonctions jugées subalternes.

4) La quatrième observation concerne la question des savoirs et del'expertise générés par cette redistribution des cartes entre les territoires et ce jeusur les changements d'échelles. Il ne semble pas faire de doute que les fonctionsd'évaluation, d'ingénierie sociale, de coordination vont prendre de plus en plusd'importance et interpeller de ce fait les métiers de la fonction publiqueterritoriale. Il s'agit là d'une question extrêmement importante, surtout si on lacouple avec la précédente: on peut pronostiquer sans trop de risque de setromper que l'on va assister à de véritables bouleversements des métiers de lafonction publique, aussi bien nationale que territoriale et qu'il y aura desgagnants et des perdants.

5) Le cinquième constat correspond à la confirmation d'une tendance bienidentifiée maintenant, c'est celle du rôle fondamental de l'Union européennedans les processus de territorialisation: par la possibilité d'obtenir desressources symboliques et matérielles et les multiples possibilités decontournement des instances nationales qu'ils permettent, les «usages del'Europe» sont une donnée essentielle du jeu de l'action publique territoriale.Reste que là encore, beaucoup reste à faire pour intégrer ces différentesdimensions de l'européanisation des politiques territoriales dans uneperspective pl us globale.

6) On en vient alors à la surprise réservée par la lecture des textesprésentés ici: il s'agit de l'étrange absence du politique. Seuls quelques papiersl'évoquent, mais plutôt en creux. Tout se passe comme si l'on retrouvait dans lestextes une sorte de point de vue implicite selon lequel au niveau local, on neferait pas de la politique de la même façon, que le clivage droite gauche seraitaffaibli. Tout ceci est évidemment à vérifier, notamment à la lumière de la façondont s'engage la campagne présidentielle en France actuellement.

Au total, on le voit, les textes proposés peuvent apparaître comme unesorte d'appel implicite à une théorisation globale du « fait territorial» en Franceaujourd'hui, pour tourner en quelque sorte définitivement la page des travauxfondateurs des années soixante. Or c'est ici qu'il faut souligner un certainnombre de difficultés qui nous semblent être apparues autour du colloque et quinous semblent représentatives d'un certain état de la science politique françaiseaujourd'hui.

La première difficulté concerne la question de la comparaison. L'un desrisques liés à la recherche sur le territoire est celui qui consiste à assimilerrecherche locale et problématique locale. Or cette relation n'a pas lieu d'être:mettre en place une recherche sur la question de la territorialisation n'impliqueen aucune façon de renoncer à une posture comparative. C'est même l'inversequi est vrai: si nous voulons réellement renouveler les approches et lesparadigmes concernant les processus de territorialisation, une telle ambition

266

passe obligatoirement par un renforcement de la dimension comparative de nostravaux sur l'action publique territoriale.

Ainsi, pour répondre aux questions que l'on a évoquées plus haut, ledétour par une perspective comparée est absolument indispensable. Autant ilétait possible, il y a une trentaine d'années, d'analyser les transformations entreles services locaux de l'Etat et les collectivités territoriales dans une perspectivefranco-française, autant l'analyse du retrait/ renforcement de l'Etat n'a pas desens si on la cantonne dans une perspective qui ignore les bouleversements queconnaissent l'ensemble des pays européens sur ce plan.

La seconde difficulté ne porte plus sur le risque d'enfermement nationalmais sur le risque d'enfermement théorique - en réalité les deux sont liés. Il n'estplus possible aujourd'hui de mettre en place une recherche sur les processus deterritorialisation en restant à l'écart des principaux paradigmes scientifiques quisont débattus au niveau international, sans se limiter d'ailleurs aux débatsconcernant les questions de gouvernance territoriale. On peut ainsi citer lesdiscussions autour des différentes approches néo institutionnalistes, de lapolitical economy, des travaux multiples sur la question de l'européanisation despolitiques et plus généralement des débats sur la convergence. On peut citerégalement les débats autour des différentes théories qui prétendent rendrecompte du changement et de ses diverses formes.

La question posée ici est double Il s'agit d'abord de la posture que l'onadopte à l'égard de ces différentes approches. Trop souvent, les différentsparadigmes de sciences sociales sont appliqués de manière mécanique sansqu'on les confronte réellement à d'autres paradigmes concurrents. C'estparticulièrement le cas pour l'approche cognitive dont l'utilisation se limite tropsouvent à l'identification d'un ou de plusieurs référentiels. Mais c'est aussi lerisque que l'on court avec la notion de chemin de dépendance ou d'instrument depolitique publique qui tendent très vite à avoir une valeur explicative universellequi du coup perd de sa capacité heuristique.

La problématisation de la question territoriale passe donc obligatoirementpar la confrontation de l'objet à plusieurs approches théoriques à différentsniveaux qui peuvent concerner l'objet proprement dit (comment se saisir de laquestion territoriale?) ou les méthodes plus générales (comment analyser lechangement et qu'est ce qu'un instrument d'action publique ?)

Le problème auquel on est alors confronté est celui de la « spécificité» del'approche française face aux approches « anglo-saxonnes ». C'est un point quiest de plus en plus soulevé pour justifier des réticences face à la confrontationaux problématiques internationales. Je crois qu'il faut ici être clair: la spécificitéfrançais sera d'autant plus mise en valeur qu'elle pourra précisément se frotteraux autres approches. Contrairement à ce que l'on entend souvent, noshomologues étrangers sont plutôt en attente d'une plus grande présence de lascience politique française dans les forums scientifiques internationaux.

L'un des aspects les plus intrigants de cette spécificité concerne laquestion des méthodes. Il est en effet tout à fait frappant de constater à quelpoint la quasi-totalité des papiers privilégie des approches qualitatives audétriment d'approches plus quantitatives -mais il faut préciser ici qu'il ne s'agit

267

en aucune façon d'une spécificité des recherches sur le territoire. Il est certain entout cas qu'une réflexion s'impose sur nos méthodes: en quoi nos questionssont-elles originales? Pourquoi avons-nous tendance à privilégier l'entretiencomme méthode d'administration de la preuve? Quelles sont les variablesexplicatives des processus de territorialisation ?

On peut donc dire, pour conclure, que la recherche française sur laquestion territoriale vit une sorte de paradoxe: faisant preuve d'un très granddynamisme et d'une indéniable inventivité d'un côté, elle court le risque nonnégligeable de s'enfermer dans ses problématiques en se coupant des grandsdébats qui traversent la science politique internationale. Il ne tient qu'à nous desurmonter ce paradoxe.

268

POLITISTES ET GEOGRAPHES,

A L'EPREUVE DE L'EPREUVE

Martin Vanier

GĂ©ographe de formation, professeur Ă  l'UniversitĂ© de Grenoble I, MartinVanier consacre ses recherches aux nouvelles formes territoriales produites parla mĂ©tropolisation et son expertise Ă  l'intelligence territoriale. Il a dirigĂ© l'UMRPACTE de 2004 Ă  2006. Courriel : [email protected]

, ,. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .

I:.

~::;reuve peut en cacher d'autres: au-delĂ  de la question qui rassemblait politistes et I

:.géographes (les politiques publiques à l'épreuve de l'action locale), une triple épreuve lesattendait: celle de l'indiscipline, celle du changement et celle du renouvellement critique.

Abstract

A test can mask others: beyond te question which brought together politists andgeographers (Policies tested by local action), an other triple test was waiting for them:indiscipline, change and renewal of criticism.

...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

269

Aux épreuves, la plupart des chercheurs préfèrent généralement lespreuves, et les mises plutôt que les mises à l'épreuve. « Les politiques publiquesà l'épreuve de l'action locale» : de cette épreuve-là, ses preuves et ses mises, lesautres textes rassemblés ici ont dit suffisamment pour cette fois. Mais uneépreuve peut en cacher une autre. Peut-on éprouver sans s'éprouver un tant soitpeu soi-même? Peut-on parler de la société à l'épreuve (ici: son systèmed'action en ses politiques et ses échelles), sans mettre à l'épreuve les sciences quien parlent? Qu'est-ce alors que l'épreuve de l'épreuve? Pour les chercheurs, il yen eut trois, durant ces deux journées: l'épreuve de l'indiscipline, l'épreuve duchangement, et l'épreuve de la (nouvelle) critique.

L'EPREUVE DE L'INDISCIPLINE

On connaît la terrible étymologie de «discipline» (punition, ravage,douleur; fouet utilisé pour se flageller, se mortifier). Organisées parl'Association Française de Science Politique, nos journées d'études furent à lafois disciplinaires et disciplinées. Première épreuve.

Lorsqu'ils abordent la question territoriale, tout se passe comme si lespolitistes adoptaient une langue étrangère. Certains la parlent avec une grandeaisance, presque sans accent, d'autres manquent de vocabulaire, n'évitent pasles faux-amis, ou pratiquent un langage tombé en désuétude. Lorsqu'ils parlentde l'Etat, de la légitimité politique, de l'institution, les géographes ne sont pasplus à l'aise, mais pas moins volontaires, un peu comme ces touristesinternationaux qui se lancent dans l'aventure linguistique dans le taxi qui lesconduit de l'aéroport à l'hôtel - alors que le chauffeur est toujours unimmigrant.

La première épreuve fut donc celle de l'interdisciplinarité, puisque lesmises et les preuves des uns et des autres émanaient toujours de constructionsdisciplinaires, légitimité scientifique oblige. Cela n'est pas nouveau, comme nele fut pas ce constat en conclusion que le recours au territoire tenait, dans uncertain nombre de contributions, davantage du gimmick que du concept.

Cette première épreuve, nous la connaissons bien, à Grenoble notamment,nous la revendiquons, nous en répétons les rendez-vous, nous en redemandons.Au risque parfois d'oublier la mise avant l'épreuve: quelques mots carrefoursde notre croisement interdisciplinaire pour lesquels il faudrait ressortir lesdictionnaires de nos disciplines respectives, pour les aérer un peu.

Par exemple «territorialisation» et « territorialités », qui impliqueraientque soient installées autrement bon nombre des analyses ici rassemblées. Maisqui impliqueraient surtout la controverse théorique avant l'éclairagethématique, le ré-investissement conceptuel avant l'étude sectorielle. Or, s'il estun exercice de démonstration de la puissance disciplinaire, c'est bien celui duréférencement théorique consanguin. En sortir fut bien la première épreuve,peut-être la plus difficile, et tous ne pouvaient pas vaincre, mais tous s'y sont-ilsfrottés? Par définition, l'indiscipline est sans maître, tandis que les disciplines

270

n'en manquent pas, et les chercheurs sont plutôt bons élèves. On ne se changepas si facilement.

L1EPREUVE DU CHANGEMENT

La seconde épreuve était donc celle du changement: changement desprocédures et des politiques, changement des postures et des acteurs,changement des échelles, changement des référentiels, voire des paradigmes,tout change, encore et toujours, à chaque colloque, chaque journée d'études,chaque rencontre scientifique. Avec parfois ce codicille prudent et élégant quirappelle que tout change tout le temps pour que rien ne change vraiment, rappelbien utile pour pouvoir en reparler la prochaine fois.

Chez le chercheur, dont le politiste ou le géographe, le changement a cecide vertigineux qu'il vient justement de se produire au moment où il se penchaitsur son objet d'étude. Il y aurait donc du nouveau, à perpétuité. L'enchaînementeffréné des changements fait un récit, qui appellerait une histoire, voire, une foisde plus, une théorie, fut-elle celle du mouvement perpétuel. Mais l'épreuve duchangement entraîne l'observateur vers la description minutieuse et délicieusede ce qui n'est décidément plus pareil, dans ses variations les plus fines, un peucomme le comparatisme le conduisit parfois au grand bazar de la diversité. « lnZanzibar, it' s different», especially today pourrait-il ajouter.

L'épreuve du changement est celle de l'histoire et de ses temporalités,exercices de mémoire et de relativisme. On leur préfère souvent la mise en scènede « l'avant / après », qui permet de tracer vite fait le camp des anciens et desmodernes, les vieilles variables versus les nouvelles tendances. La joute peutcommencer - il Y a bien toujours un chercheur plus désabusé que d'autres quiaccepte d'endosser l'habit un peu terne, mais solide, de l'ancien rappelant lesvieilles variables, contre les jeunes qui savent que le monde a enfin changé. Maisl'épreuve du changement?

Elle impliquerait pour le moins de revisiter les termes mêmes par lesquelson en fait l'hypothèse, ceux qui font qu'on se rassemble en terrain connu. Sichangement il y a, il faudrait, de là, partir vers des terres inconnues. Plus facile àdire qu'à faire, et surtout d'y entraîner les autres. Les explorateurs sont plutôtsolitaires. La terri torialisation - déterri torialisation - reterri torialisation et lasectorialisation - désectorialisation - resectorialisation des politiques publiquesont encore de beaux jours devant eux, d'autant qu'il s'agit sans doute des deuxfaces d'un même processus. A condition toutefois qu'il reste des politiquespubliques.

Et si, à l'épreuve du changement, on déployait la carte, forcément peuinformée, des terres inconnues, nous sortant résolument du territoire et despolitiques publiques? Non pour les abandonner à leur triste sort, mais pour enparler autrement? On pourrait, par exemple, explorer les modalités dudépassement territorial par un monde politique et un monde de l'actioncontraints de sortir de frontières dans lesquelles la société et son économie ne

271

ti~nnent plus. Singulière épreuve que celle de ces politiques publiques qui aprèsvIngt ans et plus de territorialisation vertueuse et appliquée se trouventconfrontées au défi nouveau ou renouvelé de l'interterritorialité. Faut-il misersur le changement d'échelle de gouvernement, ou ouvrir en priorité la boîtepassablement sombre de la gouvernance multi-échelles ?

Il semble bien qu'à cet égard, comme à l'égard des politiquesaveuglément dites publiques, d'autres mondes scientifiques que le nôtre aientdéjà franchi cette épreuve du changement, outre-Manche et outre-Atlantique,sans doute parce qu'elle s'y est présentée plus tôt, ou plus brutalement. Mais cen'est pas la seule raison. Il faut accepter maintenant de se soumettre à ladernière épreuve: celle de la nouvelle critique.

L'EPREUVE DE LA NOUVELLE CRITIQUE

La critique, les chercheurs connaissent. Lorsqu'ils ne connaissent plusqu'elle, et qu'ils ne la renouvellent plus, elle devient simple désarroi. Souvent, àl'épreuve des territoires et de l'action locale, les politiques publiques, héritièresde la technocratie sectorielle d'Etat, produisent le désarroi, et les chercheurs nemanquent jamais de preuves à cet égard. Comme à l'épreuve des politiquespubliques dont ils se sont saisis en lieu et place de l'Etat, les pouvoirs locauxreproduisent les ferments de ce même désarroi, ce qui n'a pas échappé non plusaux chercheurs. Les désarrois risquent alors de s'alimenter mutuellement.

Un mois avant notre rendez-vous, Grenoble en accueillait un autre,d'envergure nationale et puissamment médiatisé: le forum de la nouvellecritique sociale. Ses initiateurs, Pierre Rosanvallon et Martin Hirsch, yappelaient à renouveler les grandes clés de lecture des problématiquescollectives (pauvreté, solidarité, lien social, efficience de l'action publique), dontles représentations dominantes ne permettraient plus de construire le sens.L'interpellation des chercheurs y était vigoureuse, le débat fut difficile, lerenouvellement critique pas vraiment au rendez-vous.

Lorsque le réel est à l'épreuve de lui-même, il devient difficile des'extraire de l'épreuve en question pour prétendre poursuivre la simpleobservation critique. C'est du cœur de l'épreuve que la critique peut prendresens, parce que c'est là qu'elle échappe à la facilité du désarroi. Dans la mêlée, lerenouvellement critique s'impose, faute de quoi le chercheur porterait mal sontitre .

Nos journées ont-elles renouvelé la critique? Ou bien l'ont-ellesseulement illustrée, confirmée, déclinée en cas et exemples? A chacun d'enjuger, par exemple sur l'importante interrogation démocratique de la dernièrepartie, dont on sent bien qu'elle recèle des réponses essentielles, mais dont onpourrait attendre une audace qui ne sera jamais trop grande.

Au carrefour des trois épreuves, l'indiscipline, le changement, la critique,se tiennent des défis scientifiques éprouvants! Avoir entendu de jeuneschercheurs, et d'autres plus confirmés, venus de deux horizons disciplinaires

272

bien distincts, se prêter de bonne grâce et souvent avec talent, à l'épreuve del'épreuve, donne envie de les voir l'affronter plus avant encore. Ce seraitl'épreuve suprême, celle du dépassement. Territoires, territorialités,territorialisation : et après? Gageons que les prochains rendez-vous de la sciencepolitique et de la géographie sauront s'offrir ce bousculement.

273

CONCLUSION GENERALE:

UNE NOUVELLE CRITIQUE TERRITORIALE?

Alain Faure

Dans l'introduction générale, Emmanuel Négrier a souligné lebouillonnement théorique et empirique des 32 contributions en se réjouissant dela vitalité des stratégies scientifiques mobilisées. Au rang des avancées les plusvisibles, il a constaté d'une part que les analyses sonnaient le glas d'unecroyance franco-cartésienne dans les vertus intrinsèques de la décentralisation etde la déconcentration, et d'autre part que les recherches des années 2000semblaient s'émanciper heureusement de l'incomplétude des lecturessociologiques par trop verticales (années 80) ou horizontales (années 90). Enfin,il a noté que la jeune recherche s'investissait résolument et sans complexe dansla triple voie des enquêtes empiriques lourdes, du comparatisme international etdes tentatives de décloisonnement théorique. Le père de la contingence territoriale(Négrier 2007) a même observé avec quelque gourmandise la résurgence d'unesolide controverse académique opposant les Anciens, qui diagnostiquent unmouvement de standardisation de l'action publique, aux Modernes, qui repèrentles indices d'un processus de différenciation territoriale.

C'est sur ce clivage, qui n'est ni spontané ni nouveau, que noussouhaitons conclure ces travaux. Nombreux sont les ouvrages collectifs qui ontannoncé et déjà commenté cette opposition dans la communauté scientifique descience politique. A l'échelle française, il semble même presque possible d'enterritorialiser la genèse à la lecture de la littérature grise produite dans lesannées 2000 par les laboratoires de recherche du CNRS. Les Rennais duCRAPE141 ont ouvert le bal en suggérant qu'il était opportun d'opérer un« refroidissement théorique» pour raison garder face aux turbulences apparentesliées à la territorialisation des politiques publiques depuis le tournant néo-libéraldes années 80 (Fontaine Le Bart 2002). Jusque dans l'avant-titre de leur ouvrage(To change or not ta change) filtrait le message d'une nécessaire mise à distancedes analyses trop vite envoûtées par les illusions territoriales du changement.Des Bordelais du CERVL (devenu SPIRIT depuis peu142) ont contre-attaqué enorganisant un colloque qui mettait « en débat» les cadres d'analyse de l'actionpublique locale et qui confrontait ouvertement policies et politics autour desenjeux de leadership territorial (Sciences de la Société 2001, Smith Sorbets 2003).Quelques années plus tard, des chercheurs du CERAT de Grenoble (devenuPACTE en 2005143)se sont posés la question territoriale (comme on a pu parler dela question sociale ou de la question urbaine) à la lumière de travaux empiriques

141 www.crape.univ-rennesl.fr142 www.cervl.u-bordeaux.fr143www.pacte.cnrs.fr

275

récents et de thèses. Dans cet ouvrage, Olivier Mériaux avait mobilisé lamétaphore rugbystique du cadrage-débordement (cadrage sectoriel puisdébordement territorial) pour souligner le brouillage des référentiels nationaux etle retour du politique (Faure Douillet 2005). Durant la même période, la relèverennaise a organisé un colloque sur le poids de la variable partisane dans lespolitiques territoriales, constatant d'une part que les idéologies territorialesémergentes marquaient la fin des grands récits partisans (Sciences de la Société2005), et d'autre part que la professionnalisation croissante des collectivitéslocales véhiculait un pragmatisme raisonné et standardisé d'abord porté par desidéologies professionnelles (Arnaud Le Bart Pasquier 2006). En 2005 enfin, deuxcongrès de science politique (à Lyon en septembre puis à Lausanne ennovembre) ont centré une partie de leurs travaux sur la notion du changementd/échelles dans l'action publique en affichant des intentions résolumentcomparatistes et pluridisciplinaires (AFSP 2005, C4P 2005).

Cette dynamique intellectuelle possède une particularité qui mérite toutenotre attention: ses principaux instigateurs revendiquent avec vigueurl'exigence que le déroulé des grands schémas explicatifs soit précédé de solidesenquêtes empiriques à la fois microsociologiques et comparatives. Aprèsplusieurs décennies plutôt dogmatiques, statocentrées ou guère explicites dansce domaine, cette appétence méthodologique sur l'empirie comparée etl'administration par la preuve est une très bonne nouvelle. Avec sa sagesselégendaire, Pierre Muller insiste dans sa conclusion sur le danger qu'il y aurait àne concentrer ce dynamisme que sur les enquêtes qualitatives et à se couper desavancées anglosaxonnes focalisées sur les enquêtes quantitatives. Il a tout à faitraison et l'étude menée par l'équipe d'Elisabeth Dupoirier atteste de l'utilité decet éclairage. Mais ne boudons pas notre plaisir malgré ce tropismequalitativiste. Comme le souligne Martin Vanier en conclusion, le colloque des15 & 16 juin 2006 a permis à la jeune recherche (majoritaire à la tribune) de« mettre à l'épreuve» la théorisation du «fait territorial» et d'esquisser des« dépassements» interdisciplinaires et indisciplinés. C'est à l'aune de cetteperspective que nous souhaitons ausculter la controverse entre les Anciens et lesModernes. Schématiquement, on trouve d'un côté ceux qui diagnostiquent lesindices concordants d'une standardisation de l'action publique, et de l'autreceux qui décèlent plutôt les ferments d'un processus instable de différenciationterritoriale. Les premiers adoptent une lecture critique distanciée : ils mettent enavant une éthique du dévoilement pour se prémunir des mirages territoriaux du« changement ». Les seconds adoptent une lecture critique plus empathique : ilsplaident pour une morale de la dialectique qui permette d'éclairer l' étroi teimbrication entre les idées et l'action. Les deux postures se rejoignent dans leurvolonté d'engager un exercice d'introspection critique sur le pouvoir qui n'estpas nouveau puisqu'il fait même écho aux termes fondateurs du Traité de lanature humaine de Thomas Hobbes: parler politique, c'est toujours prendreposition sur les fameuses (et mystérieuses) «règles infaillibles de la raison ».Comme l'a suggéré un intervenant en citant Pierre Bourdieu, il est indispensablede se mettre d'accord, a minima, sur les terrains de désaccords. Nous conclurons

276

l'ouvrage en discutant, aux portes de la (dé)raison territorialel44 et de la thérapiecollective, les prémisses de cette « nouvelle» critique territoriale.

DEVO~ERLESDEVO~EMENTS

À l'heure du bilan sur l'ouvrage, il apparaît en premier lieu qu'une moitiédes contributions évoque sans détour la nécessité d'une éthique du dévoilementpour dépasser les lieux communs et autres effets en trompe-l'œil concernant ledegré effectif de nouveauté de l'action publique territoriale. Cette vigilanceconcerne, à 80%, des analyses qui font l'hypothèse que la territorialisation del'action publique s'accompagne en définitive, et en contradiction avec lesapparences, d'une standardisation de ses leviers techniques et de ses effetspolitiques. Les arguments, qui sont nombreux et détaillés, reflètentschématiquement trois postures de recherche: la dénonciation des illusionsrhétoriques, l'identification des réformes territoriales sans portée, et le repéragedes résistances techniques invisibles.

La charge la plus appuyée provient des études de terrain qui s'attachent àdéconstruire les discours sur le changement. L'analyse de Jérôme Godardmontre par exemple comment la territorialisation opère à la manière d'un« concept écran» transformant le recyclage en « innovation », vantant sans cessedes «partenariats» pourtant limités et unifiant sans nuance la pluralité deslogiques d'actions. Sur un registre voisin, Rémi Lefèbvre décrypte la politiqueculturelle portée par les élus d'une grande ville, repérant tous les «motsfétiches» qui balisent des stratégies limitées de marketing territorial et quirendent l'action publique locale « de plus en plus bavarde ». Yolaine Cultiauxpointe le «récit mythique des origines» inventé par une communautéd'agglomération pour promouvoir la participation habitante, soulignant ledécalage flagrant entre l'affichage et les effets. Olivier Gautier démasque les«représentations tactiques» de l'ordre politique incarné par un président deConseil Général et l'étonnante reconversion régionale qui en découle. Dans ledomaine de l'emploi, Jean-Raphaël Bartoli et Olivier Mériaux évoquent avecprécision l'écart qui sépare les orientations stratégiques régionales de leurdéclinaison opérationnelle. Ces exemples, parmi d'autres dans l'ouvrage,illustrent une posture critique sur les illusions rhétoriques de l'action publiquelocale. Le diagnostic municipal sur le « décalage effroyable qui sépare le verbede l'action» dans la première moitié du xxème siècle (Brunet 1981) semble ainsitoujours d'actualité, accréditant un verdict plutôt négatif à la question d'école« Doeslocalpolitics matter? » (Lorrain Thœnig Urfalino 1989).

La mise en œuvre des réformes décentralisées constitue un deuxièmeangle de dévoilement très présent dans l'ouvrage. Fabien Desage propose parexemple une analyse originale des effets contradictoires des réformesintercommunales sur une agglomération urbaine, avec des périodes de stabilitéet de changement sur trois décennies qui sont finalement en constant déphasage

144Blaise Pascal avait répondu aux propos de l'auteur du Léviathan que les penseurs quis'autorisaient à parler du pouvoir écrivaient «comme pour régler un hôpital defous» . ..

277

par rapport aux intentions législatives. Mireille Pongy arrive à des résultats plusprononcés encore à l'étude des dernières lois de décentralisation culturelle,constatant que les expérimentations par protocoles n'ont pas entamé la positiondéfensive et toujours très centralisée du ministère de la Culture. FrédéricDobruszkes, qui étudie l'obligation de service public promulguée par l'Unioneuropéenne pour protéger les aéroports régionaux «périphériques», constateune contradiction entre les satisfecits politiques affichés et le processus noninterrompu de libéralisation des marchés, y compris sur les territoires sensibles«protégés» par la DATAR en France. Jérôme Aust montre comment le « PlanUniversité 2000 » échoue, malgré les apparences, dans sa tentative de subversiondes frontières sectorielles. Virginie Anquetin, qui s'intéresse aux réformesengagées par des équipes municipales nouvellement élues, constate que lesaffichages volontaristes sur le «management» ou les «comités de quartier»s'apparentent surtout à une habillage moderniste pour des stratégies à viséesélectoraliste et conjoncturelle. Pris parmi d'autres, ces différents exemplesmontrent que les réformes n'ont pas la portée décentralisatrice que leursattendus suggéraient, comme si le référentiel de la décentralisation restaitdépendant de « cultures dominantes» (Bourdieu 2000) à partir d'un processusclassique d'euphémisation de la violence légitime produite par le marché, l'Etatcentral et les idéologies professionnelles.

Enfin, plusieurs contributions cherchent à engager l'entreprise dedévoilement sur les outils qui freinent ou détournent les ambitionstransformatrices de l'action publique locale. Hélène Reigner considère qu'il faut« déconstruire les légitimations techniques de l'action publique» en ouvrant unvaste chantier méthodologique et théorique pour traquer ses «pilotesinvisibles» (Lorrain 2005). Elle nous invite avec conviction à prendre au sérieuxles objets techniques, leur trajectoire et les assemblages d'argumentaires qui leurdonnent du sens. Domitien Détrie propose une stratégie d'observationparticipante pour mettre à jour la construction sociale des contrats de plan Etat-Régions. Christelle Manifet détaille les dispositifs d'accompagnement «àdistance» qui marquent la territorialisation de l'action universitaire. XavierMarchand-Tonel et Vincent Simoulin s'intéressent à la technologie invisible -mais puissamment structurante- d'un logiciel de gestion des fonds structurels enrégion. Grégoire Feyt traque les nouveaux dispositifs immatériels deconnaissance du territoire et les enjeux à la fois «retrouvés» (par l'État) et« découverts» (par les collectivités locales) qu'ils soulèvent. Nicolas Matyjasik etLudovic Méasson engagent des investigations inédites dans le milieu de laconsultance pour tenter de comprendre comment des corps de doctrine issus dumanagement calibrent les diagnostics et brident les propositions innovantes. Cesdifférentes contributions ont pour point commun de faire l'hypothèse que lesreprésentations et les interactions entre les acteurs sont fortement déterminéespar l'ingénieurie et la logistique des politiques territoriales.

Au final, ces trois postures de dévoilement montrent l'étendue desstratégies de captation, de manipulation, de subversion, de résistance et dediffusion de l'information qui conditionnent, dans chaque configurationterritoriale, les modalités de la mise en œuvre des politiques publiques. Ellesinvitent les observateurs à affûter leur vigilance par rapport aux figures duchangement telles qu'elles sont mises en scène dans les discours, à travers les

278

réformes et avec les outils. Osons une métaphore cycliste pour tirer le meilleurprofit de ces contributions. Les Anciens jouent en définitive un rôle d'alerteurs.Ils font avec rigueur le signalement des produits Inasquants qui interdisent deconnaître l'ampleur du dopage dans la compétition territoriale. Ils montrent quel'action publique locale obéit à des règles et véhicule des faux-semblants queseuls quelques initiés connaissent et orchestrent. Mais cette dénonciation desproduits masquants de la décentralisation nous permet-elle de faire la différenceentre les théâtres d'ombre et les lieux du pouvoir, entre les effets marketing et laproduction du sens, entre les rhétoriques et les référentiels, entre l'innovation etl'isomorphisme? C'est à ce stade que la critique territoriale peu t apporter sapremière pierre au débat académique. Les dévoilements méritent à leur tour unerévélation, de nature épistémologique, afin de ne pas lâcher la proie (du pouvoiret de la domination) pour l'ombre (de leur mise en scène et de leureuphémisation). La standardisation (comme la différenciation d'ailleurs, maissans doute à un moindre niveau) exige une production d'ordre qui structure lessystèmes, qui régule les tournois et qui endigue les contestations ou lesrésistances. Avec humilité, Sylvain Barone fait le constat qu'il paraît« extrêmement difficile, sinon impossible, d'évaluer la part exacte prise par lavariable institutionnelle dans les processus de construction de l'action publiqueterritoriale ». Pour savoir si cette dernière est soluble dans le néo-institutionnalisme, il faut donc résolument revisiter la batterie des outilsthéoriques traditionnellement mobilisés dans l'analyse des politiques publiqueset mettre à l'épreuve les approches par les fenêtres d'opportunité (Kingdom1984), par l'isomorphisme institutionnel (Hall 1997), par les coalitions (Sabatier1999), par les récits (Radaelli 2000), par les référentiels (Muller 2005), par les « 3i » (Palier Surel 2005), par les sentiers de dépendance (Pierson 2000) ou encorepar les styles de politiques publiques (Richardson 2000). Dévoiler lesdévoilements, c'est s'interroger sur les fondamentaux du pouvoir que lesrhétoriques, les réformes et les outils sur l'action publique territoriale masquentou travestissent.

LA DIALECTIQUE DE LA DEMOCRATIE DIFFERENTIELLE

Une autre moitié des contributions s'engage à l'opposé sur l'hypothèseque la territorialisation de l'action publique produit de la différenciation, c'est-à-dire qu'elle implique des déplacements et des recompositions différentes selonles territoires, selon le type de collectivité locale et selon le domained'intervention. Le diagnostic est souvent avancé avec prudence etcirconspection, comme en témoigne l'hétérogénéité des formules utilisées pourqualifier ce nouveau désordre territorial: mouvelnents aléatoires, sociétéingouvernable, patchwork bigarré, Inarquetterie territoriale, professions éclatées,rapports dématérialisés, représentations éclatées, construction sociale permanente,institutionnalisation du désappointement... Au cours de débats, un intervenant atesté la métaphore esthétique du sfulnato territorial pour qualifier les formesd'action publique en présence145: des tableaux vaporeux obtenus par la

145 Léonard de Vinci décrivait cette technique de peinture comme « sans lignes nicontours, à la façon de la fumée ou au-delà du plan focal ».

279

superposition de plusieurs couches de peinture extrêmement délicates, donnantau sujet des contours imprécis mais avec une impression de profondeur. Dansles contributions, on trouve la description de fresques qui illustrent sans doutedeux écoles de peinture, la première s'intéressant à la superposition descouleurs tandis que la seconde détaille la focale finalement obtenue.

Plusieurs recherches s'intéressent à la différenciation territoriale enestimant qu'il faut prendre au sérieux les nouveaux registres d'action publiquequi sont énoncés et expérimentés à l'échelon local. Thierry Berthet fait parexemple l'hypothèse que la «proximité» est en passe de devenir un registred'action publique dominant. La nouveauté provient du fait que cet « élémentrepère» ne relève pas seulement de la symbolique de la justification mais ausside celle des systèmes d'acteurs qui transforment, dans chaque configurationterritoriale, le triangle entre la confiance politique, le lien social et l'efficacitépublique. Pierre-Antoine Landel constate que « l'agent territorial» se saisit de lalogique de projet en transformant le processus de capitalisation des savoirstechniques. Comme les collectivités locales refusent le traditionnel partage descompétences, c'est l'ingénieurie territoriale qui traduit chaque projet de territoireen mode d'agir singulier. L'auteur montre que les ingénieurs font ainsi officed'opérateurs qui spécifient «les prix sur les marchés pour échapper auxconséquences des concurrences par les prix ». Lauren Andres et Benoît Faracoproposent une étude comparée qui explique comment la norme internationale«Agenda 21» est appliquée dans trois villes. Les auteurs constatent unprocessus de différenciation du principe de durabilité qui produit certes desrégularités sur les cadres juridiques, les incitations et la formation, mais quirévèle aussi de fortes irrégularités liées aux formes spécifiques de politisation dudossier dans chaque contexte local. Dominique VoUet et son équipe font leconstat que dans plusieurs domaines d'intervention en milieu rural (lespolitiques agricoles, les politiques sociales, les politiques territoriales), une sériede désajustelnel1ts est à l'œuvre qui préfigure une narIne décentralisatrice modifiantle rapport global/local et donnant à des expertises locales une légitimité inéditedans les arbitrages publics. Elvire Bornand arrive à des résultats comparables àl'étude des coopérations territorialisées sur la formation professionnelle,insistant sur le rôle que les dispositifs jouent dans l'apprentissage d'un langagecommun. Le territoire fonctionne comme un principe d'équivalence: il met del'ordre dans le processus de coopération et lui confère une lisibilité, l'ancragegéographique engendrant parfois des ressources particulières et des solutionsnouvelles. Prises parmi d'autres, ces différentes contributions font écho auxrecherches évoquées précédemment qui engagent un travail de dévoilement desrhétoriques. Mais elles s'en éloignent sur un point décisif pour l'analyse: lesauteurs établissent une relation entre le langage et ses effets sur les pratiques del'action publique. Les auteurs font l'hypothèse que les discours territoriauxvéhiculent des mots d'ordre et des figures de style évoquant une symboliquepolitique locale et participant à l'affirmation ou au rappel de vecteursidentitaires et d'idéaux collectifs. De manière ostensible (un discours surl'intérêt général) ou plus détournée (via des expertises ou des dispositifs deconcertation), les acteurs locaux construisent des récits qui remplacent parfoisl'idée par l'essence, c'est-à-dire qui suggèrent une conception de l'actionpublique attachée à des repères de mémoire, à des événements fondateurs, à desvaleurs communautaires, à une histoire politique et sociale locale. Ces résultats

280

nous invitent à réinterroger de façon plus dialectique les termes du processus depolitisation des énoncés de politiques publiques. L'entrée par le langage et sesinteractions discursives met en effet à jour une rationalité cognitive dans la façonterritorialisée dont se fait le chaînage entre un problème et la solution publiqueadoptée (Zittoun 2005).

D'autres communications abordent la différenciation sous un angle pluspolitique en tentant de voir comment les collectivités locales se saisissent de laterritorialisation des politiques publiques pour imprimer une nouvelle vision dumonde. C'est la deuxième qualité du sfumato: le flou et le désordre donnentnéanmoins un effet de profondeur et dessinent une perspective d'ensemble.Chaque collectivité locale joue avec l'échelle de représentation des problèmespour défendre l'idée qu'il existe une bonne focale permettant l'énoncé desolutions. Les travaux de Charlotte Halpern s'intéressent par exemple à latension entre les focales locale, nationale et européenne sur le dossier del'extension des aéroports à Paris et à Berlin. L'auteure montre au final quemalgré la forte imbrication entre les diagnostics sectoriels et territoriaux, c'est lepoids des logiques sectorielles qui semble prendre le dessus. A l'inverse, TanguyLe Goff nous invite à détecter le point aveugle politique de l'approche néo-institutionnelle sur les politiques locales de sécurité. Etudiant le rôle joué par lesélus locaux, il insiste au final sur le « magistère d'influence» qui permet à cesderniers d'orienter, de structurer et d'encadrer l'action des agents municipaux.Anne-Cécile Douillet et Jacques de Maillard engagent pour leur part uneréflexion sur la territorialisation de la justice en avançant trois résultatséclairants: il n'y a pas de mouvement mais la production de solutions localisées;les magistrats du Siège s'organisent pour résister à ce qu'ils considèrent commeune banalisation de la justice tandis que ceux du Parquet sont plus sensibles auxarguments de «tranquillité publique» formulés par les élus locaux; enfin lesréticences multiples n'empêchent pas l'imprégnation diffuse de nouvellesréférences et la construction de partenariats ciblés. Pour sa part, Romain Lajargenous entraîne dans une genèse des Parcs Naturels Régionaux qui montrecomment ces institutions sont devenues territoriales au fil des décennies, avecun jeu d'échelle complexe (ascendant et descendant) et une tension permanenteentre les ordres du politique et du social sur la légitimité à agir. Marion Réauaborde cette question des échelles de l'action publique à l'étude des procédureseuropéennes de gestion intégrée du littoral, soulignant que la gouvernancemulti-niveaux dessine différents modèles régionaux d'appropriation en fonctiondu leadership territorial, des groupes d'intérêts localisés et du «rapport àl'Etat» propre à chaque contexte culturel local. Enfin Philippe Teillet engageune analyse comparée sur les Conseils de Développement de deuxcommunautés d'agglomération qui montre la plasticité de la «démocratieparticipative» imposée par la loi. La période actuelle est à l'invention tactique,elle met en évidence des pratiques délibératives différenciées et dont les effetssur les «idées» adoptées par les sphères politiques décisionnelles sont loind'être négligeables. Toutes ces recherches ouvrent des chantiers théoriques toutà fait caractéristiques des débats contemporains sur les changements d'échelle etsur la relation entre policies et politics (Faure Leresche Muller Nahrath 2007). Lesdifférentes contributions revisitent utilement les analyses sur les schémasidéologiques classiques de la représentation et sur la prégnance supposée de sescomposantes catégorielles. Les acteurs locaux semblent en effet «pris dans la

281

décision» plus qu'ils ne la prennent (Arnaud Le Bart Pasquier 2004), mais,comme le concluent les mêmes auteurs, « ce qui est vrai d'un territoire peut nepas l'être d'un autre, et toute proposition appelle des contre-exemples» (p. 252).

A la différence de l'éthique du dévoilement, la morale de la dialectiquepropose une lecture qui vise moins à révéler une vérité cachée qu'à développerune interrogation sur les articulations qui relient des phénomènescontradictoires et des acteurs en conflits d'intérêts. C'est sans doute à ce stadeque la confrontation des points de vue scientifiques s'avère la plus fructueuse.Les travaux du colloque mentionnent finalement comme principaux résultatssaillants d'une part que tous les processus apparents de «coconstruction»territoriale (ou territorialisée) de l'action publique sont élaborés sur des basespolitiques qui demeurent résolument asymétriques, et d'autre part que deséquations culturelles locales (des effets de territoire) alimentent et brouillent leurrationalité cognitive et leur impact pratique. Si l'on se place dans une perspectivenéo-institutionnaliste, le triptyque institutions-idées-intérêts semble ainsiorpheline d'un 4èrne «i» avec l'identité qui deviendrait une variablepotentiellement explicative. Si l'on se place dans une perspective plusconstructiviste, le travail de dévoilement paraît assez démuni dès lors qu'il fautqualifier les facteurs territoriaux de changement qui bousculent les mécanismestraditionnels de la domination politique. Dans les deux cas se pose la questioncentrale de la démocratie, ou plus précisément du régime démocratique que lespoli tiques territoriales mettent en symboles et en actions. A ce stade, onavancera volontiers pour hypothèse que la démocratie devient différentielle dansla mesure où la tension entre le lieu de la souveraineté et l'exercice du pouvoirproduit des effets différents d'une configuration territoriale à l'autre. Au fil desenquêtes de terrain, on constate que les conceptions poli tiques de lareprésentation, de la délibération et de la participation perdent de leurrationalité nationale lorsqu'elles sont passées au crible de leur territorialisation.En termes de philosophie politique, c'est moins un débat sur la crise de ladémocratie qui s'ouvre qu'une réflexion sur la dynamique évolutive du pouvoirdémocratique. Les grandes collectivités locales s'affirment dorénavant, fût-ceparfois à leur corps défendant, comme des institutions-providence. A l'image dumodèle des Etats providence, elles fonctionnent comme des espaces deproduction de sens dans le contexte incertain de la mondialisation et durecentrement des États sur certaines de leurs missions. Et chaque gouvernementurbain ou régional traverse le processus de décentralisation avec sa propreculture politique du changement, sa propre temporalité des apprentissagesinstitu tionnels et ses propres règles du dialogue social.

En définitive, cet ouvrage esquisse le chantier intellectuel d'un doubleconstat résolument contradictoire: les scènes politiques urbaines et régionalesconstruisent une vision du monde social qui se nourrit des règles aterritoriales eteuphémisées de la domination politique, mais l'échange politique apparaît deplus en plus conditionné et structuré par les sentiers, les tournois et les récits quisont propres à chaque configuration territoriale. Nous sommes ici au cœur de labelle équation philosophique sur l'idée que « la démocratie n'existe que dans cejeu de provocation entre l'obéissance et la résistance» (Lenoir 2006, p. Il). Peut-être la «nouvelle critique» esquissée dans cet ouvrage est-elle surtout

282

éprouvante parce qu'elle suggère que la résolution de cette équation paraîtdorénavant moins dépendante des styles politiques nationaux.

283

BIBLIOGRAPHIE GENERALE

AbéIès M., 1989, Jours tranquillesen 89. Ethnologiepolitique d'un départementfrançais,Paris, O. Jacob

AFSP, 2005, V.illes, régions, E tat, Europe: 1/action publique à l'épreuve des changementsd'échelle, Lyon, Bernecongrès de l'Association Française de Science politique, 14-16septembre 2005

AIam T. & Godard J., 2005, « Rhétorique et monstration de "la réforme"administrative dans l'action publique contemporaine. L/absorption des règles dumanagement dans les secteurs de l'emploi, France) et de la sécurité sanitaire (France etGrande-Bretagne) », communication au congrès de l'AFSP de Lyon, atelier n022, 66 p.

Allègre C., 1993, L'âge des savoirs. Pour une renaissance de l'université, Paris, Gallimard,246 p.

Alliès P., 19BO, L'invention du territoire, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble,196 p.

Amin S., 1973, ..Le développement inégal. Essai sur les formations sociales du capitalismepériphérique, Paris, Editions de Minuit

Amnyos Consultants, 2001a, Les stratégies territoriales pour l'emploi, rapport pour laDélégation Générale à l/Emploi et àla Formation professionnelle,

Amnyos Consultants, 2001b, Étude de faisabilité pour la création d'un Contrat UniqueTemporaire d'Insertion en Rhône-Alpes

Angelmar R., 1984, « L'évaluation: un outil d'apprentissage? », Politiques etManagement Public, vol. 2 n° 2, p.111-121.

Anquetin V., 2005, «Du parti au cabinet du maire. La difficile conversion desressources militantes dans le travail de collaborateur» in Courty G., Le travail decollaboration avec les élus, Paris, Michel Houdiard, 312 p.

Arnaud L., Le Bart C, Pasquier R., 2006, Idéologies et action publique territoriale. Lapolitique change-t-eIle encore les politiques ?, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, ColI,Res Publica

Aust J., 2004, Permanences et mutations dans la conduite de l'action publique. Le cas despolitiques d'implantation universitaire dans l'agglomération lyonnaise (1958-2004), Thèse pourl'obtention du doctorat de science politique, Université Lumière Lyon II,336 p.

Aust J" 2007, « Le sacre des présidents d'université. Une analyse de l'application desplans Université 2000 et Université du 3èrnemillénaire en Rhône-Alpes », Sociologie dutravail, à paraître

Bacqué M.H., Rey H., Sintomer y" 2005, Gestion de proximité et démocratie participative.Une perspective comparative, Paris, La Découverte, 314 p.

Bailey F.G" 1971, Les règles du jeu politique. Etude anthropologique, PUF, 255 p.

Bailleau F., 2002, « La justice pénale des mineurs en France ou l'émergence d'unnouveau modèle de gestion des illégalismes », Déviance et société, vo1.26, n03,

Bailleau F., Faget J., Maillard de J., Pattegay P., 2004, Les experts municipaux de lasécurité, Rapport CERVL/ GRASS/IHESI.

Balmary D. 2004, Politique de l'emploi et recours à des opérateurs externes, Paris: LaDocumentation Française

.~alme R.,. ~arraud\"

Hoffmann-~artinot V., Ritaine E., 1994, Le territoire pourpolztzques : varzatzons europeennes, Paris, L Harmattan

Balme R. & Faure A., 1999, « Les politiques locales changent-elles la politique? », inBalme R., Faure A., Mabileau A., Les nouvelles politiques locales, Paris, Presses de SciencesPo, p. 15-33.

Baraize F., 1996, « L'entrée de l'enseignement supérieur dans les contrats de plan Etat-région: la mise en réseau de la décision universitaire» dans CEPEL, La négociation despolitiques contractuelles, Paris, L'Harmattan, p. 133-168.

Baraize F., Genyeis W., Faure A, Negrier E., Smith A., 2000, «Le pouvoir local endébat. Pour une sociologie du rapport entre leadership et territoire. », Pôle Sud n013.

Barthes R., 1994, Mythologies, Paris, Points Seuil.

Bartoli J-R., Mériaux O., 2006, « La Région, assembleur d'une « approche intégrée» del'action publique pour l'emploi? », Pouvoirs Locaux, n070, pp. 85-90.

Bauman, Z, 2005, La société assiégée, Rodez, Le Rouergue

Beck U., 2001, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, Alto. Paris: Aubier

Behar D., 2002, « De l'Europe au local: vers un partage de la souveraineté politique »,Les cahiers du management territorial, n012, p. 20-31

Bel M., Dubouchet L., eds. 2004, La décentralisation de la formation professionnelle: unprocessus en voie d'achèvement ?, La Tour d'Aigues: Editions de l'Aube

Benchendikh F., 2002, «Les avatars de la notion d'intérêt communautaire descommunautés d'agglomération », Revue Générale des Collectivités Territoriales, n024, p. 267-287.

Benko G. & Lipietz A., 1992, Les régions qui gagnent: districts et réseaux: les nouveauxparadigmes de la géographie économique, Paris, PUF

Berger P. & Luckmann Th., 1996, La construction sociale de la réalité, CollectionRéférences Sociologie, Armand Colin, 288 p.

Bernardy M. & Debarbieux B., 2003, Le territoire en sciences sociales approchesdisciplinaire et pratiques de laboratoires, Grenoble, publication de la MSH-Alpes

Bérrivin R., Musselin C., 1996, «Les politiques de contractualisation entrecentralisation et décentralistion: le cas de l'équipement et de l'enseignement supérieur »,Sociologie du travail, n04, p. 575-596

Berry M., 1983, Une Technologie invisible? L'impact des instruments de gestion surl'évolu tion des systèmes humains, Centre de Recherche en Gestion

Berthet T., 1999, Les régions et la formation professionnelle, Paris, Librairie Générale deDroi t et de Jurisprudence

Berthet T., Cuntigh P., Guitton C., 2002, La politique de l'emploi au prisme des territoires,DARES, Documents d'Ă©tudes n059

Berthet T., Cuntigh P., 2004, "L'insertion entre deux chaises. L'économie sociale et lapolitique de l'emploi". In Un monde en quête de reconnaissance. L'économie sociale et solidaireen Aquitaine, edited by Itçaina X., Lafore, R. and Sorbets, C. Pessac: Presses Universitairesde Bordeaux

Berthet T., 2005, Des emplois près de chez vous. La territorialisation des politiques d'emploien questio,. Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux

Berthet T. (coord.), 2005, Des emplois près de chez vous? La territorialisation des politiquesd'emploi en questions, Presses Universitaires de Bordeaux

Bevort A., 2002, Pour une démocratie participative, Paris, Presses de Sciences Po, 129 p.

Bezès P., Siné A., 2005, « Le politique et le financement des politiques publiques »,atelier 6, congrès AFSP, Lyon,14-16 septembre

286

Biland E., 2006, «La démocratie participative en banlieue rouge. Les sociabilitéspolitiques à l'épreuve d'un nouveau mode d'action publique », Politix, n075, p. 53-74

Blatrix C., 1999, « La pratique politique de l'enquête publique », in CURAPP / CRAPS,La démocratie locale, Paris, PUF, p. 161-176

Blondiaux L. et alii, 1999, La démocratie locale. Représentation, participation et espacepublic, Paris, PUF, 424 p.

Blondiaux L, Sintomer Y, 2002, « L'impératif délibératif », Politix, vol. IS, n057

Boltanski L., 1973, « L'espace positionnel. Multiplicité des postions institutionnelles ethabitus de classe », Revue française de sociologie, XIV, p. 3-26

Bonnet D., 1997, « La France et le marché intérieur du transport aérien - 1986-1996»,Revue des Affaires Européennes n01, p. 26-43

Bonny Y., 2004, Sociologie du temps présent: modernité avancée ou postmodernité ?,collection D, Sociologie. Paris: Armand Colin

Borraz, O., 1998, Gouverner une ville. Besançon, 1959-1989, Rennes, PressesUni versi taires de Rennes

Borraz O., 1999, « Pour une sociologie des dynamiques de l'action publique locale »,in Balme R., Faure A., Mabileau A., Les Nouvelles politiques locales. Dynamiques de l'actionpublique, Paris, Presses de Sciences Po

Borraz O. & NĂ©grier E., 2007, "The end of French Mayors 7", in J. Garrard (Ed), Headsof the Local State in Past and Present, London, Palgrave (forthcoming)

Bourdieu P., 2000, Propos sur le champ politique, Lille, Presses Universitaires de Lille,110 p.

Bourdin A., 2000, La question locale, Paris, PUF, 253 p.

Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P. (dir.), 2006, Dictionnaire des politiques publiques,Ă©d. Les Presses de Sciences Po, 520p.

Boutinet J.P., 2001, Anthropologie du projet, P.D.F, 350p.

Briquet, J.-L., 1997, La tradition en mouvement. Clien télisme et politique en Corse, Paris,Belin.

Briquet J.-L. & Sawicki F., 1989, « L'analyse localisée du politique. Lieux de rechercheou recherche de lieux 7 », Politix, n07/ 8, p. 6-16

Bruggeman F., 2005, «Plans sociaux: l'impossible accompagnement social deslicenciements économiques 7 », Revue de l'IRES, vol. 1 n047, p. 215-231

Brun G., 2006, L'agriculture française à la recherche d'un nouveau modèle, Paris,L'Harmattan

Brunet J.P., 1981, Un demi-siècle d'action municipale à Saint-Denis la Rouge. 1890-1939,Paris, Cujas

Brunet R., 2005, Le Développement des territoires, formes, lois, aménagement, L'Aube, 93 p.

Bué N., Desage F., Matejko L., 2004, «L'intercommunalité sans le citoyen. Lesdimensions structurelles d'une moins-value démocratique », in Le Saout R., Madoré F.,Les effets de l'intercommunalité, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, pp. 39-58

C4P, 2005, L'action publique à l'épreuve des changements d'échelle, Lausanne, 1er Congrèscommun des associations suisse, française,belge communauté francophone et québécoisede science politique, 18-19 novembre 2005

Cadiou S., 2005, «Vers une action urbaine «moderniste» : les effets du discours desexperts savants », Sciences de la Société, n065, p. 9-27

Calame P., 2003, La démocratie en miettes, pour une révolution de la gouvernance, Paris,Editions Charles Leopold Meyer, Descartes et Cie, 331 p.

287

Callois J.M., 2004, «Capital social et développement économique local: pour uneapplication aux espaces ruraux français », Revue d'économie régionale et urbaine, n04,pp.551-578

Callois J.M., Moquay P., 2005, « La territorialisation des politiques de développementrural: acquis des expériences antérieures et perspectives », Ingénieries E.A.T., numérospécial Politiques de développement rural: enjeux, modalités et stratégies, pp. 155-163

Callon M, Lascoumes P, Barthe Y, 2001, Agir dans un monde incertain - Essai sur ladémocratie technique, Le Seuil

Cassese S., Wright V. (dir.), 1996, La recomposition de l'Etat en Europe, Paris, LaDĂ©couverte

Castells, M. & Godard, F., 1974, Monopolville. L'entreprise, l'É tat, l'urbain, Paris,Mouton

Cattacin S., Gianni M., Manz M. 2002, Retour au travail, Fribourg: ÉditionsUni ver sitaires

Ceri P., 1981, "Le condizioni dello scambio politico" Quaderni di Sociologia, IV, pp.640-663

Chevallier J., 1997, « Synthèse », in CURAPP, L'intercommunalité. Bilan et perspectives,Paris, PUF, 286 p.

Collectif, 2004, Les États généraux de la recherche, 9 mars- 9 novembre 2004, Paris,Tallandier Éditions

Commaille J., 2000, Territoires de justice. Une sociologie politique de la carte judiciaire,Paris, PUF

Commaille J., 2003, « La politique de territorialisation de la fonction de justice », in J.-C. Froment et al. (dir.), Les Etats à l'épreuve de la sécurité, Grenoble, Presses universitairesde Grenoble, p.335-340

Commission Européenne, 2000, « Agir au niveau local pour l'emploi», COM, 196 p.

Commission Européenne, 2001, «Renforcer la dimension locale de la stratégieeuropéenne pour l'emploi », COM, 629 p.

Conan M., 1998, L'évaluation constructive. Théorie, principes et éléments de méthode, Paris,Ed. de L'Aube, 195 p.

Cordonnier L., 1997, Coopération et réciprocité, Paris, PUF, 209 p.

Crozier M., 1963, Le phénomène bureaucratique, Paris, Seuil, 384 p.

Culpepper P. D., 2003, "L'information privée et les politiques publiques, perspectivescomparatives". In La décentralisation de la formation professionnelle en France: quelschangements dans la conduite de l'action publique ?, in Bel M., Mériaux O., Paris,L'Harmattan

Cultiaux, Y., 1999, Le nationalisme comme différentialisme intégrateur. Le catalanisme face àl'Etat espagnol et à la construction européenne, Thèse pour le Doctorat de Science Politique,dir. Dabène O., lEP d'Aix-en-Provence, 924 pages (\VvVW.lama.u.niv-savoie.fr /",vuillon/ archives.html)

Da Cunha A, Ruegg J, 2003, Développement durable et aménagement du territoire, Pressespolytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 350 p.

Dahl R.-A., 1961, Qui gouverne?, Paris, Armand Colin, 1971 [1961 pour l'éditionaméricaine]

DATAR, 1998, Développement universitaire et développement territorial. L'impact du planUniversité 2000.1990-1995, Paris, La Documentation française, 209 p.

De Barros F., 2001, « Secours aux chômeurs et assistances durant l'entre-deux-guerres », Politix, vol. 14 n053, p. 117-144.

288

De Briant V., 2006, « La décentralisation coopérative et ses limites », Pouvoirs Locaux,n068

De Certeau M., 1980, L'invention du quotidien. 1/ Arts defaire, Paris, 10/18

Debarbieux B., Vanier M. (dir.), 2002a, Ces territorialités qui se dessinent, Editions del'Aube. Collection bibliothèque des territoires, 267 p.

Debarbieux B., Vanier M., 2002b, « Les représentations à l'épreuve de la complexitéterritoriale: une actualité? Une prospective?» in Debarbieux B., Vanier M., Cesterritorialités qui se dessinent, La Tour d'Aigues, Editions de l'aube, p. 7-27

Debarbieux B., Fourny M.-C., (dir.), 2004, L'effet géographique. Construction sociale,appréhension cognitive et configuration matérielle des objets géographiques, Publications de laMSH-Alpes, 248 p.

Desage F., le et 2e trimestre 2000, «De la défense du charbon à la gestion descorons? », in Cahiers lillois d'économie et de sociologie n03S-36, Paris, L'Harmattan, 2001,p. 245-266

Desage F., 2003, « Le leadership politique local face à la multipolarité : entre prophétieet prophylaxie », in Smith A. et Sorbets C. (dir.), Le Leadership politique et le territoire. Lescadres d'analyse en débat, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 107-123

Desage F., 2005, Le consensus communautaire contre l'intégration intercommunale.Séquences et dynamiques d'institutionnalisation de la communauté urbaine de Lille (1964-2003),Thèse pour le doctorat de science politique, université de Lille 2, 594p.

Desage F. & Godard J., 2005, «Désenchantement idéologique et réenchantementmythique des politiques locales. Retour critique sur le rôle des idées dans l'actionpublique », Revuefrançaisede sciencepolitique, vol. 55 n04, p. 633-661

Desage F., 2006, «La vocation redistributive contrariée d'une institution fédérativeinfranationale », Lien social et politiques, n° 56, 2006

Desrosières A., 1993, La politiquedes grands nombres: histoire de la raison statistique,Paris, La Découverte, 437 p.

DiMaggio P., Powell W., 1991 « The Iron Cage Revisited: Institutional Isomorphismand Collective Rationality in Organizational Fields », in Powell W., DiMaggio P. (dir.),TheNew Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago, University of Chicago Press

Dion S., 1986, La politisation des mairies,Paris, Economica, 1986,219 p.Dobruszkes F.,200S, « Compagnies low cost européennes et aéroports secondaires:

quelles dépendances pour quel développement régional? », Les Cahiers Scientifiques duTransport, n047, p. 39-59

Dobry M., 1986, Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de la Fondation nationaledes sciences politiques, 320 p.

Dobry M., 2000, « Les voies incertaines de la transitologie. Choix stratégiques,séquences historiques, bifurcations et processus de path dependence», Revue française descience politique, vol. 50, n04-5, p. 585-614.

Douillet A.-C., août 2003, « Les élus ruraux face à la territorialisation de l'actionpublique », Revue française de science politique, vol. 53, n04, p. 583-606

Douillet A.-C., 2005a, « Les politiques contractuelles de développement rural:désectorisation ou design territorial? Les recompositions de l'action publique aux prisesavec l'intérêt territorial des élus et des collectivités publiques» in Douillet A.-C. et FaureA. (dir.), L'action publique et la question territoriale, Presses universitaires de Grenoble,2005, p. 75-92

Douillet A.-C., 2005b, « Conclusion générale: fin des logiques sectorielles ounouveaux cadres territoriaux », in A. Faure et A.-C. Douillet (dir.), L'action publique et laquestion territoriale, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, p. 271-279

289

Douillet A.-C., 2006, « Les sciences sociales entre analyse et accompagnement de laterritorialisation de l'action publique », in Ih1 O., (dir.), Les 'sciences' de l'action publique,Presses Universitaires de Grenoble, Collection Symposium, pp. 133-147

Dubar C., Tripier P., 1998, Sociologie des professions, Paris, Armand Colin

Dubuisson-Quellier S., 1999, « Le client, le prestataire, le consommateur. Sociologied'une relation marchande », Revue française de sociologie, n04, p.671-688

Dulong D., 1997, Moderniser la politique. Aux origines de la Vème République, Paris,L'Harmattan

Dulong, R., 1978, Les régions, l'Etat et la société civile, Paris, PUF ColI. Politiques

Dumoulin L., La Branche S., Robert C., Warin P., 2005, Le recours aux experts. Raisons etusages politiques, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 479 p.

Dupéron O., 1996, «Le fonds de péréquation des transports aériens ou la mise enforme d'une "conception européenne du service public" dans le domaine de l'aviationdvile française », Revue Française de Droit Aérien et Spatial, n049, p. 35-64

Dupéron O., 2000, Transport aérien, aménagement du territoire et service public, Paris,L'Harmattan, 263 p.

Duran P. & Thoenig J.-C., 1996, « L'État et la gestion publique territoriale », Revuefrançaise de science politique, vol. 46 n04, p. 580-623

Duran P., 1999, Penser l'action publique, Paris, LGDJ

Duran P., 2002, « L'aménagement du territoire et l'invention d'une nouvellegrammaire de l'action publique », in Wachter S. (dir), L'aménagement durable: défis etpolitiques, Éditions de l'Aube

Easton D., 1974, Analyse du système politique, Armand Colin

Elias N., 1991, Qu'est-ce que la sociologie ?, La Tour d'Aigues, Éditions de l'Aube (léreed. fr.1981)

Epstein R., novembre 2005, « Gouverner à distance: quand l'Etat se retire desterritoires », Esprit, n0319, p. 96-111

Espérou R. & Subrémon A., 1997, La politique communau taire de transport aérien, Paris,Presses universitaires de France (coll. Que Sais-Je ?), 127 p.

Exertier A., Gramain A., Legal A., Ralle P., 2005, « Les politiques territoriales d'aideau retour de l'emploi au moment du plan d'urgence pour l'emploi: un paysage enmouvement », Droit social, n012, p. 1167-1173

Falise M., 2004, Démocratie participative, promesses et ambiguïtés: Réflexions nourries del'expérience lilloise, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, 199 p.

Faure A., juin 1994, « Les élus locaux à l'épreuve de la décentralisation. De nouveauxchantiers pour la médiation politique locale », Revue française de science politique, vol. 44,n03, p. 462-479

Faure A., Pollet G. et Warin P., 1995, La construction du sens dans les politiques publiques:débats autour de la notion de référentiel, Paris, L'Harmattan

Faure A., 1995, « Les politiques locales entre référentiels et rhétorique» dans Faure A.,Pollet G. et Warin P. (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autourde la notion de référentiel, Paris, L'Harmattan, p. 69-83

Faure A., novembre 1997, « Les apprentissages du métier d'élu local: la tribu, lesystème et les arènes », Pôle Sud, n07, p.72-80

Faure A., 1998, Territoires et subsidiarité, L'Harmattan Logiques Politiques, Paris

Faure A., 2002, La question territoriale. Pouvoirs locaux, action publique et politiquees),Habilitation Ă  Diriger des Recherches, CERAT - lEP Grenoble, 257 p.

290

Faure A., 2004, « Territoires et territorialisation» in Boussaguet L, Jacquot S. etRavinet P. (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Presses FNSP, p. 420-437

Faure A., 2005, « La "construction du sens" plus que jamais en débats », in DouilletA.-C., Faure A., L'action publique et la question territoriale, Grenoble, PUG

Faure A., Douillet A.C. (dir.), 2005, L'action publique et la question territoriale, PressesUniversitaires de Grenoble.

Faure A., Leresche J.P., Muller P., Nahrath S., 2007, L'action publique à l'épreuve deschangements d'échelles, à paraître

Ferret J., 2001, « Police de proximité en France. Une expérience de rechercheinstitutionnelle à l'IHESI entre 1998 et 2001 », Les Cahiers de la Sécurité Intérieure, n046, p.97-118

Ferret J., Mouhanna Ch., 2005, Peurs sur les villes, Paris, PUF, 229 p.

Feyt G., 2002, « La couverture cartographique nationale à l'épreuve destechnologies », in Debarbieux B., Vanier, M. (dir.), Ces territorialités qui se dessinent, LaTour d'Aigues, L'Aube

Filâtre D., Manifet C., février 2003, « Université et territoire. Nouvelles relations,nouveaux défis », Sciences de la société, nOS8,p. 74-97

Finnemore S., 1998, «International Norm Dynamics and Political », Change,International Organization, 52 (4), 887-917

Folliot M., 1993, « Les grandes tendances du transport aérien en France. Ouverture duciel et évolution de la responsabilité du transporteur », Revue Française de Droit Aérien etSpatial, n01, p. 7-12

Fontaine J., Hassenteufel P. (dir.), 2002, To change or not to change. Les changements del'action publique Ă  l'Ă©preuve du terrain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes

Fouilleux E., 2003, La politique agricole commune et ses réformes. Une politique à l'épreuvede la globalisation, Paris, L'Harmattan

Fournis Y., 2006, Les régionalismes en Bretagne, la région et l'Etat (1950-2000), P-I-E PeterLang

François B., Neveu E., 1999, «Pour une sociologie des espaces publicscontemporains », in François B., Neveu E. (dir.), Espaces publics mosaïques. Acteurs, arèneset rhétoriques des débats publics contemporains, Presses Universitaires de Rennes, p. 13-58

Friedberg E., 1993, Le pouvoir et la règle. Dynamiques de l'action organisée, Paris, Le Seuil,387 p.

Friedberg E., 1998, «En lisant Hall et Taylor: néo-institutionnalisme et ordreslocaux », Revue française de science politique, vol. 48, n° 3-4

Garel G., 2003, Le management de projet, Repères, la Découverte, 123p.

Garfinkel H, 1990, Studies in Ethnomethodologie, Polity press, Cambridge, 288 p.

Garraud P., 1989, Profession: homme politique. La carrière politique des maires urbains,Paris, L'Harmattan, 224 p.

Garraud P., 2000, Le chômageet l'action publique. Le « bricolageinstitutionnalisé, Paris,L'Harmattan, 242 p.

Gaudin J.-P. (dir.), 1996, La négociation des politiques contractuelles, Paris, l'Harmattan,227 p.

Gaudin J.-.P., 1999, Gouverner par contrat. L'action publique en question, Paris, Presses deSciences Po, 233 p.

Gaudin J.-P., 2002, Pourquoi la gouvernance ?, Paris, Presses de Science-Po, coll. Labibliothèque du citoyen.

291

Gaxie D., Laborier P., 2003, « Des obstacles à l'évaluation des actions publiques etquelques pistes pour tenter de les surmonter », in Favre P., Hayward J., Schemeil Y. (dir.),Etre gouverné. Etudes en l"honneur de Jean Leca, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 201-224

Gazier B., 2005, Vers un nouveau modèle socia".Paris: Flammarion

Giblin J.P. et alii, 2006, Le renforcement des fonctions d'observation et de connaissance duterritoire au sein des services du ministère de l'Equipement, Conseil Général des Ponts etChaussées, Ministère de l'Equipement(vv'Vv\v2.equipem.ent.gouv.fr Irappo:rtsl archive ri adn1 r.htm)

Gilbert C. (dir.), 2003, Risques collectifs et situations de crise. Apports de la recherche ensciences sociales, l'Harmattan

Giraut F., Vanier M., 1999, « Plaidoyer pour la complexité territoriale », in Gerbaux F.,Utopie pour le territoire: cohérence ou complexité, La Tour d'Aigues, Ed. de l'Aube, pp. 143-172

Godard J., 2006, «La 'mise en ordre' de l'action publique au prisme de laterritorialisation des politiques de l'emploi », Communication à la journée AFSP Lespolitiques publiques à l'épreuve de l'action territoriale, Grenoble, 15&16 juin 2006

Green P., Shapiro L, 1994, Pathologies of Rational Choice Theory. A Critique of Applicationsin Political Science, New Haven, Yale University Press

Grémion, P., 1976, Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le systèmepolitique français, Paris: Ed. du Seuil

Grossman E., Saurugger S., 2006, « Les groupes d'intérêt au secours de ladémocratie? », Revue Française de Science Politique, vol. 56, n02

Guéranger D., 2003, La coopération entre communes dans le bassin chambérien (1957-2001).Eléments pour une analyse néo-institutionnaliste des dynamiques intercommunales, Thèse deScience Politique, dire G. Pollet, Grenoble, 430 p.

Gumuchian H., Grasset E., Lajarge R., Roux E., 2003, Les acteurs ces oubliés du territoire,Anthropos, Economica, 186 p.

Gusfield J., 1981, Drinking driving and the symbolic order, The culture of public problems,Chicago, The University Press

Hadjab F., Roussel V., Vollet D., 2006, Evaluation des centres locaux d'information et decoordination de la Nièvre, Conseil Général de la Nièvre, 33 p.

Hall P., 1993, « Policy paradigms, sodallearning and the States. The caseof EconomicPolicymaking in Britain », Comparative Politics, 25 (3), p. 275-296

Hall P., Taylor R., 1996, « Political science and the three new institutionalisms »,Political studies, XLIV: 936-957

Hall P., 1997, « The Role of Interests, Institutions,. and Ideas in Comparative PoliticalEconomy of the Industrialized Nations », in Lichbach M., Zuckerman A. (dir.),Comparative Politics. Rationality, Culture, and Structure, Cambridge, Cambridge UniversityPress

Hall P., Taylor R., 1997, « La science politique et les trois néo-institutionnalismes »,Revue française de science politique, vol. 47, n° 3

Halpern C., 2006, La décision publique entre intérêt général et intérêts territorialisés : lesconflits autour de l'extension des aéroports Paris - Charles de Gaulle et Berlin - Schonefeld, Thèsede doctorat, lEP de Paris, Paris.

Harding A., 1994, "Urban Regimes and Growth Machines. Towards a Cross-NationalResearch Agenda", Urban Affairs Quarterly, vol. 29, no 3, 1994,p. 356-382

Hassenteufel P., Smith A., 2002, «Essoufflement ou second souffle? L'analyse despolitiques publiques à 'la française' », Revue française de science politique, vol. 52 (I), p.53-73

292

Henry E., 26 octobre 2000, Un scandale improbable. Amiante: d'une maladie professionnelleà une « crise de santé publique », Thèse de doctorat en sciences de l'information et de lacommunication, Université de technologie de Compiègne

Hernandez F., 8 décembre 2003, Le processus de planification des déplacements urbainsentre projets techniques et modèles de ville, Thèse de doctorat en Aménagement de l'espace eturbanisme soutenue à l'Université d'Aix-Marseille III (Institut d'Aménagement Régional

Hernandez F., Reigner H., Lucas J., Ruscher C., novembre 2005, La prise en charge localede la sécuritéroutièreen quêted'acteurset d'outils. Quelleplacepour la sécurité routièredans lesPDU-SRU ?, Rapport au Prédit

Horaist J., 1992, Partenaires pour évaluer. Organiser l'évaluation des politiques publiqueslocales, Paris, Commissariat général du Plan, 200 p.

INDL-DIACT, 8 et 9 mars 2006, «Commande publique, recherche et ingénierieterritoriale: quels enjeux, quels partenariats? », Actes du colloque d'Agen

Ion J., 1990, Le travail social à ['épreuvedu territoire,Toulouse, PrivatJacob S., Varone F., 2004, «Cheminement institutionnel de l'évaluation de

l'évaluation des politiques publiques en France, en Suisse et Pays-Bas (1970-2003) »,Revue Politiques et management public, Vol 22 N°2, pp. 135-152

Jaillet M.-C.. et alii, 2004, L'évaluation de la connaissance du territoire par les services duministère de l'Equipement, rapport établi à la demande du Ministère de l'Equipement par leConseil Général des Ponts et Chaussées,(\v\V"\t\T2.equipement.gouv.fr / rapports/ archive r / adlTI r.htm)

Jambes J-P., Tizon P., 1997, «Projets et territoire: vers de nouveaux modes degouvernement local?», in Le Saout R., L'intercommunalité, logiques nationales et enjeuxlocaux, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 147-158

Jeffery, Ch., 1997, dir., The Regional Dimension of the European Union. Towards a thirdlevel in Europe? London, Frank Cass

Jessop B., 1997, « Capitalism and its Future: Remarks on Regulation, Governmentand Governance », Review of International Political Economy,Vol. 4, n03, pp. 561-581

Jobert B., Muller P., 1987, L'État en action, politiques publiques et corporatismes, Paris,PUF

Jobert B., 1994, Le tournant néo-libéral en Europe: idées et recettes dans les pratiquesgouvernemen tales, Paris, l'Harmattan, 328 p.

Jobert A., 1998, « L'aménagement en politique - ou ce que le syndrome NIMBY nousdit de l'intérêt général », PoUtix, n042, p. 67-92

Jobert B. 1998, «La régulation politique: le point de vue d'un politiste», In Lesmétamorphoses de la régulation politique, Jobert B., Commailles J., Paris, LCDJ

Jobert B, 1999, «La régulation politique: le point de vue d'un politiste», in J.Commaille, B. Jobert (dir.), Les métamorphoses de la régulation politique, LCDJ

John P. & Cole A., 1998, « Urban Regimes and Local Governance in Britain andFrance. Policy Adaptation and Coordination in Leeds and Lille», Urban Affairs Review,vol. 33 n03, p. 382-404

John, P., 2001, Local Governance in Western Europe, London: SageJones Ch. O., 1970, An introduction to the study of public policy, Belmont, Duxbury Press,

pp. 230-231

Jouve B. & Lefèvre Ch., 1999, « De la gouvernance urbaine au gouvernement desvilles? Permanence et recomposition des cadres de l'action publique en Europe », RevueFrançaise de Science Politique, Vol. 49 n06, pp. 835-853

Jouve B. & Lefèvre Ch., 1999, Villes, Métropoles. Les nouveaux territoires du politique,Paris, Economi ca

293

Jouve B., 2005, «La démocratie en métropoles: gouvernance, participation etcitoyenneté », Revue Française de Science Politique, vol. 55, n02

Juhem P., 2006,« La production notabiliaire du militantisme au Parti socialiste »,Revue française de science politique, vo1.56, n06, p. 909-942

Kassim H., Menon A., 1996, The European Union and National Industrial Policy, London,Routledge

Keating, M., Loughlin J., 1996, dir., The Political Economy of Regionalism, London, FrankCass

Kesselman M, 1972, Le consensus ambigu. Etude sur legouvernement local, CujasKingdom P., 1984, Agendas, Alternatives and Public Policies, Boston, Brown and co

Kiviniemi M., 1986, « Les politiques publiques et leurs cibles: une typologie duconcept de mise en œuvre », Revue internationale des sciences sociales, vol. 38, n02.

Koebel M., 2006, Le pouvoir local ou la démocratie improbable, Bellecombe-en-Bauges,Editions du Croquant, 192 p.

Kostopoulos K., 2005, Les obligations de service public dans les lignes aériennes et lesaéroports en droit communautaire de la concurrence, Bruxelles, Athènes, Bruylant, Ant. N.Sakkoulas, 498 p.

Laborier P., 2003, «Historicité et sociologie de l'action publique», in Laborier P. &Trom D., Historicités de l'action publique, Paris, PUF, p. 419-462

Lacroix B., 1985, « Ordre politique et ordre social» in Grawitz M., Leca J., Traité descience politique, tome 3, p. 469-566.

Lagroye J., 1985, « La légitimation », Traitéde sciencepolitique,vol. I, p. 395-467Lagroye J., 1997, « On ne subit pas son rôle », entretien préparé et recueilli par Gaïti B.

et Sawicki F., Politix, n038, p.7-17.

Lahire B., 1998, L 'homme pluriel. Les ressorts de l'action, Paris, Nathan, 271 p.

Lajarge R., 2000, Territorialités intentionnelles. Des projets à la création des Parcs naturelsrégionaux. (Chartreuse et Monts d'Ardèche), Thèse de Géographie, Université JosephFourier, Grenoble 1, Le Pradel Mirabel (07), 663 p.

Lamarque D., 2004, L'Ă©valuation des politiques publiques locales, Paris, LGDJ, 215 p.

Landel P.A., Teillet P., 2003, La place de la culture dans la recomposition des territoires, lecas des pays issus de la loi Voynet, Grenoble, Observatoire des Politiques Culturelles

Lapautre R., 1982, « Le transport aérien, service public», Revue Française de DroitAérien, n02, p. 157-170

Lascoumes P., Valluy J., 1996, « Les activités publiques conventionnelles (APC) : unnouvel instrument de politique publique? L' exem pIe de la protection del'environnement industriel », Sociologie du travail, n04, p. 551-573

Lascoumes P., Le Bourrus J.P., 1998, "Le bien commun comme construit territorial,identités d'action et procédures", Politix, n° 42, p. 37-66

Lascoumes P., Le Galès P. (dir.), 2004, Gouverner par les instruments, Paris, Presses deScience Po

Lascoumes P. et Le Galès P., 2004, « L'action publique saisie par ses instruments », inLascoumes P. et Le Galès P., Gouverner par les instruments, Paris, Paris, Presses de SciencePo, p. 11-44.

Latour B., 1992, Aramis ou l'amour des techniques, Paris, La DĂ©couverte.

Le Bart C., Lefebvre R. (dir.), 2005, La proximité en politique. Usages, rhétoriques,pratiques, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 305 p.

Le Galès P. & Lequesne Ch., 1997, Les paradoxes des régions en Europe, Paris, LaDécouverte

294

Le Galès P., 1997, «Gouvernement et gouvernance des régions: faiblessesstructurelles et nouvelles », Le Galès P., Lequesne C. (dir.), Les Paradoxes des régions enEurope, Paris, La découverte

Le Galès P., 1997, « Quels intérêts privés pour les villes européennes? », in BagnascoA., Le Galès p. eds., Villes en Europe, Paris, La Découverte, pp. 231-254

Le Galès P., 1998, « Régulation, gouvernance et territoire» in Commaille J. & Jobert B.,Les métamorphoses de la régulation politique, Paris, L.G.D.J., vol. 24, p. 203-240

Le Galès P., 2002, Le retour des villes européennes, Paris, Presses de Science Po

Le Galic M., 2004, La démocratie participative. Le cas nantais, Paris, L'Harmattan, 221 p.

Le Goff T., 2005, « Les maires et la sécurité quotidienne. Rhétoriques et pratiques deproximité », in La proximité en politique, Le Bart Ch., Lefebvre R. dir, Rennes, Pressesuniversitaires de Rennes (Res Publica), 305 p.

Le Lidec P., 2001, Les maires dans la République. L'association des maires de France, élémentconstitutif des régimes politiques français depuis 1907, Thèse pour le doctorant de sciencepolitique, Université de Paris 1

Leca J., 1996, «La "gouvernance" de la France sous la cinquième république: uneperspective de sociologie comparative », in Arcy (d') F., Rouban L. (dir.), De la cinquièmerépublique à l'Europe: hommage à f.-L. Quermonne, Paris, Presses de science po, p. 329-365

Lefèbvre R., 2004, « Le socialisme français soluble dans l'institution municipale? »,Revue française de science politique, vol. 54 n02, p. 237-260

Lefèbvre, H., 1973, Espace et politique, Paris, Anthropos (nouvelle édition, 2001)

Leger F., Urbano G., VoIlet D., 2006, « The difficult match between a territorial policyinstrument and the industry-centred tradition of French agricultural policies: the case of"CTE" (Contrat Territorial d'Exploitation")), International Review of AdministrativeScience, vol. 72, n °3, pp 377-394.

Lenoir N., 2006, La démocratie et son histoire, Paris, PUF, 248 p.

Lequesne C., 2001, L'Europe bleue. A quoi sert une politique de la pĂŞche, Presses deSciences-Po

Leresche J.-Ph. (dir.), 2001, Gouvernance locale, coopération et légitimité. Le cas suisse dansune perspective comparée, Pédone

Leresche, J.-Ph., 2001, "Gouvernance et coordination des politiques publiques", inLeresche J.-Ph., ed., Gouvernance locale, cooperation et légitimité. Le cas suisse dans uneperspective comparée, Paris, Pédone, p. 29-65.

Leroy M., août 1999, «La négociation de l'action publique conventionnelle dans lecontrat de plan Etat-région », Revue Française de Science Politique, Vol. 49 n04 et 5, p. 573-600

Lévy J., 1994, L'espace légitime: sur la dimension géographique de la fonction politique,Paris, Presses de Sciences-Po

Lindblom C. E., 1959, « The Science of "Muddling Through" », Public AdministrationReview, vol. 19 n °2, p. 79-88

Lojkine J., 1972, La politique urbaine dans la région parisienne, Paris, Mouton

Loncle-Moriceau P., 2002, « Jeunesse et action publique: du secteur à la catégorie », inFontaine J., Hassenteufel P., To Change or not to Change. Les changements de l'action publiqueà l'épreuve du terrain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 53-70

Lorrain D., 2004, «Les pilotes invisibles de l'action publique. Le désarroi dupolitique? in Lascoumes P., Le Galès P. (dir.), 2004, Gouverner par les instruments, Paris,Presses de Science Po, p. 163-197

Lorrain D., Thœnig J.C., Urfalino P., 1989, « Does local politics matter? », Politix, n° 7-8

295

Lorrain, D., 2000, «Gouverner les villes. Questions pour un agenda de recherche», PôleSud, 13, pp.27 -40

Lowndes V., 1996, «Varieties of New Institutionalism: A Critical Appraisal », PublicAdministration, vol. 74, n02

Lubek P. et alii, 2005, Rapport d'enquête sur le référentiel àgrande échelle de l'institutgéographique national, rapport par l'inspection générale des Finances à la demande de troisministères (Intérieur, Equipement, Economie),vVvv\v2.equ.ipclnent.gouv.fr /rapports/ archive r / adm. r.htm

Madiès T, Sonia P, Rocaboy Y, 2005, « Externalités fiscales horizontales et verticales:où en est la théorie du fédéralisme financier? », Revue d'économie politique, 115(1), 17-63

Maillard J. de, 2002, « Les travailleurs sociaux en interaction », Sociologiedu travail,44(2), p. 215-232

Maillard J. de, Roché S., 2005, « La sécurité entre secteurs et territoires », in Faure A. etDouillet A.C., L'action publique et la question territoriale, Grenoble, PUG, pp.33-51

Maillard de J., Le Goff T., novembre 2006, « Le financement de la sécurité dans lesvilles », Revue d'Economie Financière, n086

Malochet V., 2005, Les policiers municipaux. Les ambivalences d'une profession, thèse dedoctorat de sociologie, université Victor Segalen, Bordeaux 2

Manifet C., 2003, Gouverner par l'action: trois villes moyennes face au développementuniversitaire, Thèse de sociologie, Université Toulouse-Le Mirail

Manifet C., 2006, « Les universités et l'action publique territoriale », in Filâtre D., Lesfigures territoriales de l'université, Toulouse, Presses universitaires du Mirail

Manin B., 1985, « Volonté générale ou délibération? Esquisse d'une théorie de ladélibération politique », Le Débat, n° 33

March J.-G., Olsen J.-P., 1984, « The New Institutionalism: Organizational Factors inPolitical Life », American Political Science Review, vol. 78, n° 3

March J.-G., Olsen J.-P., 1989, Rediscovering Institutions: the Organizational Basis ofPolitics, New York, Free Press

Marchand-Tonel X. & Simoulin V., 2004, « Les fonds européens régionaux en Midi-Pyrénées: gouvernance polycentrique, locale ou en trompe-l'œil? », Politique européenne,n° 12, p. 22-41

Marks G., 1996, "European integration from the 1980's: state-centric v. multi-levelgovernence.", in Journal ofCommon Market Studies, vo1.34,n03, pp. 341-378

Mathiot P., 2000, Acteurs et politiques de l'emploi en France (1981-1993), Paris,L'Harmattan, 343 p.

Mattina C., 2004, « Mutations des ressources clientélaires et construction denotabilités politiques à Marseille (1970-1990), Politix, n067, p. 129-156

Mauz I., 2003, « Histoire et mémoires du parc national de la Vanoise. 1921-1971: laconstruction », Revue de Géographie Alpine, Hors-Série, Collection Ascendances, 199 p.

Mazade O., 2005, « Cellules de reclassement et individualisation du traitement duchômage. Le cas de Metaleurop et des Houillères du Nord », Revue de rIRES, vol. 1 n047,p.195-214

Méasson L., 2005, «Evaluation publique, sciences sociales et expertise: l'histoirefrançaise d'un renversement normatif », Pyramides, Hiver 2005, nOlO, pp. 113-134

Médina J., Morali C., Sénik A., 1987, La philosophie comme débat entre les textes, Paris,Ed. Magnard, 616 p.

MĂ©ny Y., Thoenig J-C, 1989, Politiques publiques, Paris, PUF, 391 p.

296

Mériaux 0, Verdier E. (coord.), 2006, L'action publique et les relations professionnelles faceaux risques du travail et de l'emploi, rapport de recherche pour le Commissariat Général duPlan

Mériaux O., 2005, « Le débordement territorial des politiques sectorielles », in FaureA., Douillet A.C. (dir.), L'action publique et la question territoriale, Grenoble, Pressesuniversitaires de Grenoble, p. 27-32

Mériaux O., 2005, « La problématique inscription territoriale du dialogue sodal », inFaure A., Douillet A.C. (dir.), L'action publique et la question territoriale, Grenoble, Pressesuniversitaires de Grenoble, p. 93-106

Merlin P., 2000, Le transport aérien, Paris, La Documentation française.

Merrien F-X., 1999, « La nouvelle gestion publique: un concept mythique », Lien socialet politiques-RIAC, 41, Printemps, p. 95-103

Meyer D. S., Tarrow S. (ed.), 1998, The Protest Movement Society: Contentious Politics fora New Century, Oxford, Rowman and Littlefield Publishers

Monjardet D., 1996, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris, LaDĂ©couverte, 316 p.

Monnier E., 1992, Évaluation de l' action des pouvoirs publics, Paris, Economica, 245 p.

Montané M.-A., 2001, Leadership politique et territoire. Des leaders en campagne,L'Harmattan, 311 p.

Morata F., 1998, La Uni6n Europea. Procesos, actores y pollticas, Barcelona, Ariel Cienda,Polftica

Muller P., avril 1985, « Un schéma d'analyse des politiques sectorielles », Revuefrançaise de science politique, vol. 35, n02, p. 165-189

Muller P., avril 1992, « Entre le local et l/Europe. La crise du modèle français depolitiques publiques », Revue française de science politique, vol. 42, n02, p. 275-297

Muller P., 1998, Les politiques publiques, Paris, PUF, Que Sais-Je?, n° 2534 (3èmeédition), 127p.

Muller P., 2005, « Esquisse d'une théorie du changement dans l'action publique,Structures, acteurs et cadres cognitifs », Revue française de science politique, vol. 55, n01, pp155-188

Muller P., 2005, « Référentiel», in Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P. (dir.),Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, p. 370-376

Muller P., 2005, « Secteur », in Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P. (dir.), Dictionnairedes politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, p. 405-413

Musselin C., juillet 1997, «Etat, Université: la fin du modèle centralisé? », Esprit,n0234, p. 18-29

Musselin C., 2001, La longue marche des universités françaises, Paris, Pressesuniversitaires de France, 218 p.

Musselin C. & Mignot-Gérard S., février 2003, « L'autonomie, pas à pas », Sciencesdela société, nOS8,p. 16-35

Naveau J., 1992, Droit aérien européen, les nouvelles règles du jeu, Paris, Presses del'Institut du Transport Aérien, 326 p.

Nay O., 1997, La Région, une institution La représentation, le pouvoir et la règle dansl'espace régional, Paris, L'Harmattan

Nay O., 2000, « Le jeu du compromis. Les élus régionaux entre territoire et pratiquesd'assemblée », in Nay O. & Smith A., Le gouvernement du compromis, Paris, Economica, p.47-86

297

Nay O., Smith A. (dir.), 2002, Le Gouvernement du compromis. Courtiers et généralistesdans r action publique, Paris, Economica

Négrier E. & Jouve, B., 1998, dir., Que gouvernent les régions d'Europe ?, Paris,L'Harmattan, Logiques Politiques

Negrier E., 1998, «Echange politique territorialisé et mobilisations régionales », inNegrier E., Jouve B., Que gouvernent les régions d'Europe ?, L'Harmattan

Négrier E., 1998, «."Échange politique territorialisé et intégration européenne" inR.Balme, A.Faure et A.Mabileau (dir.), Les nouvelles politiques locales. Dynamiques de l'actionpublique, Paris, Presses de Science Po, pp. 111-134

Négrier E., 2001, L'invention politique de l'agglomération, Paris, L'Harmattan, 310 p.

Négrier E., (dir.), 2002, Patrimoine culturel et décentralisation, Paris, L'Harmattan, 321 p.

Négrier E, 2005, La question métropolitaine - Les politiques à l'épreuve du changementd'échelle territoriale, Presses Universitaires de Grenoble, collection Symposium

Négrier E., 2007, «Regard politique sur l'échelle métropolitaine: décoder lescontingences territoriales », in Faure A., Leresche JP., Muller P., Nahrath S., 2007, L'actionpublique à l'épreuve des changements d'échelle, Paris, L'Harmattan

Négrier E., 2007, « Penser les changements d'échelle territoriale. Institution,dynamiques sociales et politiques métropolitaines» in A.Faure, Ph. Leresche, P.Muller &S.Nahrath (dir.), L'action publique à l'épreuve des changements d'échelle, (à paraître)

Nelkin D., Pollack M., 1981, The Atom besieged: Antinuclear movements in France andGermany, Cambridge, the MIT Press

Neuville J.-P., 1997, « La stratégie de la confiance. Le partenariat observé depuis lefournisseur », Sociologie du Travail, n03, p. 297-319

Neveu C., 2003, Citoyenneté et espace public. Habitants, jeunes et citoyens dans une ville duNord, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 246 p.

Neveu C., septembre 2004, « Les sous-ensembles flous de la "participation", dossier"Démocratie territoriale: enjeux, défis, urgences..." », Pouvoirs Locaux, n062, pp.96-101

North D., 1990, Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge,Cambridge University Press

Offner J-M., 2006, « Les territoires de l'action publique locale. Fausses pertinences etjeux d'écarts », Revue Française de Science Politique, vol. 56 n01, pp. 26-47

Offner J.M., 2006a, Les Plans de Déplacements Urbains, La Documentation française

Offner J.M., 2006b, «L'indécision des lieux. Le surcode sfézien et l'action publiqueterritoriale », in Gras A., Musso P. (dir.), 2006, Politiques, communication et technologies:mélanges en hommage à Lucien Sfez, LGDJ

Ostrom V, Tiebout C & Warren R., 1961, « The organisation of Government inMetropolitan Areas: a Theoretical Inquiry», American Political Science Review n055,pp .831-842

Palier B., 1998, « La référence au territoire dans les nouvelles politiques sociales »,Revue Politiques et Management Public, V0116, 1998, pp 13-41

Palier B., Surel Y., Février 2005, « Les trois « I » et l'analyse de l'Etat en action », RevueFrançaise de Science Politique, Vol. 55, n01, p 7-32

Pasquier R., 2004, La capacité politique des régions, une comparaison France/Espagne, PUR

Pavaux J., 1984, L'économie du transport aérien - La concurrence impraticable, Paris,Economica, 434 p.

Payre R., avril 2003, «Les efforts de constitution d'une science de gouvernementmunicipal: la vie communale et départementale (1923-1940) », Revue française de sciencepolitique, vol. 53, n02, p. 201-218

298

Payre R. & Pollet G., 2005, « Analyse des politiques publiques et sciences historiques:quel(s) tournantes) socio-historique(s) ? », Revue française de science politique, vol. 55 nOl, p.133-154

Pecqueur B., 2000, Le développement local, Paris, Syros,2ème édition, 132 p.

Pecqueur B., Zimmermann J. B., 2004, Economie de proximité, Lavoisier. Paris: HermèsScience Publications

Perrier-Cornet P., 2004, « L'avenir des espaces ruraux français », Futuribles, n0299, p77-95.

Pierson P., juin 2000, « Increasing Returns, Path Dependence, and the Study ofPolitics », American Political Science Review, vol. 94, n02

Pinson G., 2002, « Des villes et des projets. Changement dans l'action publique etinstitutionnalisation de nouveaux territoires politiques », in Fontaine J., Hassenteufel P.,dir., To change or not to change? Les changements de l'action publique à l'épreuve du terrain,Rennes, PUR

Pinson G., 2004, « Le projet urbain comme instrument d'action publique», inLascoumes P., Le Galès P., Gouverner par les instruments, Paris, Presses de la Fondationnationale des sciences politiques, p. 208

Pinson G., 2005, « L'idéologie des projets urbains. L'analyse des politiques urbainesentre précédent anglo-saxon et « détour» italien », Revue Sciences de la Société, n065, mai,p.29-49

Pinson G., 2006, « Projets de ville et gouvernance urbaine. Pluralisation des espacespolitiques et recomposition d'une capacité d'action collective dans les villeseuropéennes », Revue française de science politique, vol. 56, n04, août, p. 619-651

Pizzorno A., 1977, "Scambio politico e identitĂ  collettiva nel conflitto di classe" inC.Crouch et A.Pizzorno, eds, Conflitti in Europa, Milan, Etas Libris, pp. 407-433

Pourcher Y., 1995, Les maîtres de granit. Les notables de Lozère du XVlllème siècle à nosjours, Paris, Plon

Préteceille E., 1999, « Inégalités urbaines, gouvernance, domination? Réflexions surl'agglomération parisienne», in Balme R., Faure A., Mabileau A., (dir .), Les nouvellespolitiques locales. Dynamiques de l'action publique, Presses de Sciences Po., p. 57-76

Princen T., Finger M., 1994, Environmental NGOs in world politics: Linking the local andthe global, Routledge, XIV-262 p.

Radaelli C., 2000, « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques del'Union européenne », Revue Française de Science Politique, vol 50, n02, avril, p. 255-275

Rallet A., Torre A., 2004, "Proximité et localisation", Economie Rurale, n0280:25-40

RĂ©gent J.-J., 2002, DĂ©mocratie Ă  la nantaise, Paris, L'Harmattan

Rehfeld A., février 2006, « Towards a General Theory of Political Representation»,The Journal of Politics, vol. 68, N°l, p. 1-21

Reignier H., 2002, « Le pluralisme limité de l'action publique territoriale: le ministèrede l'Equipement entre adaptations et continuités », in Fontaine J. & Hassenteufel P. (dir.),To Change or not to Change. Les changements dans l'action publique à l'épreuve du terrain,Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 189-209

Reigner H., 2005, « L'idéologie anonyme d'un objet dépolitisé: la sécurité routière »,Revue Sciences de la Société, n063, p. 125-143

Restier-Melleray C., 1990, «Expert et expertise scientifique. Le cas de la France »,Revue française de Science Politique, vol. 40 n04, p. 546-585

Rhodes R.A.W., 1997, Understanding Governance. Policy networks, governance, reflexivityand accountability, Buckingham, Open University Press

299

Richardson J., 2000, « Gouvernment, Interest Groups and Policy Change », PoliticalStudies, n° 48

Risse T., Ropp C., Sikkink K., 1999, The power of human rights: in ternational norms anddomestic change,_CUP, Cambridge

Ritaine E., 1989, "La modernité localisée? Leçons italiennes sur le développementregional" Revue Française de Science Politique, V01.39, n02, pp.154-178

Roché S. (dir.), 2006, Les réponses judiciaires locales à la délinquance des mineurs: ranalysede deux tribunaux pour enfants dans le département de l'Isère, Rapport final d'une recherchepour le ministère de la Justice et le conseil général de l'Isère

Rucht D., 1984, Flughafenprojekte als Politikum : Konflikte in Stuttgart" MĂĽnchen undFrankfurt, Frankfurt, Campus Verlag

Rui S., 2004, La démocratie en débat. Les citoyens face à l'action publique, Paris, ArmandColin, 263 p.

Sabatier P., 1999, Theories of the Policy Process, Boulder, Westview Press

Sadr an P., octobre 2005, «Démocratiser les structures intercommunales? », dossier"L'intercommunalité", Regards sur l'actualité, Paris, Documentation Française, pp. 5-16

Saez G., 1993, « Villes et culture: un gouvernement par la coopération », Pouvoirs, 73

Saez G., 2005, « L'action publique culturelle et la transition du système politique », inFaure A. & Douillet A.-C. (dir.), L'action publique et la question territoriale, Grenoble,Presses universitaires de Grenoble, p. 229-250

Saint Martin D., 2004, «Expertise », in Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P. (dir.),Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, p. 209-217

Sarda M., 2002, Vers une démocratie participative à l'échelle de l'agglomération. L'expériencedes conseils de développement, Mémoire de DESS Techniques de l'Information et de laCommunication, Université Paris IV Sorbonne

Sawicki F., 1997, Les réseaux du parti socialiste. Sociologie d'un milieu partisan, Paris,Belin, collection Socio-histoires

Sawicki F., 2000, « Les politistes et le microscope », in Les méthodesau concret, Paris,PUF/CURAPP, p. 143-164

Scharpf F., 2000, Gouverner l'Europe, Presses de Sciences Po

Schumpeter J., 1911, Théorie de l'évolution économique, Paris, Dalloz, Réédition 1999

Sciences de la Société, mai 2001, na 53

Sciences de la Société, mai 2005, na 65

Sebillotte M., 2000, «Des recherches pour le développement local, partenariat ettransdiciplinarité », Revue d'Economie Régionale et Urbaine, n° 3-2000

Ségrestin D., 1985, Le phénomène corporatiste - Essai sur l'avenir des systèmesprofessionnels fermés en France, (Fondation Saint-Simon), Paris, 283 p., Fayard

Selznick P., 1966 (1ère ed. 1949), The TV A and the Grass Root, New-York, HarperTorchbook, 266 p.

Sfez L., 1977, dir., L'objet local, Paris, UGE

Sfez L., 2002, Technique et idéologie. Un enjeu de pouvoir, Seuil

Skocpol T., 1985, « Bringing the State Back ln: Strategies of Analysis in CurrentResearch », in Evans P., Rueschemeyer D., Skocpol T., Bringing the State Back ln,Cambridge, Cambridge University Press

Slaughter S., Leslie L., 1997, Academic capitalism, politics, policies, and the entrepreneurialuniversity, London, The Johns Hopkins University Press

Smith A., L'Europe politique au miroir du local, L'Harmattan, 1995

300

Smith A., 2000, « Institutions et intégration européenne. Une méthode de recherchepour un objet problématisé », in CURAPP, Les Méthodes au concret. Démarches, formes del'expérience et terrains d'investigation en science politique, Paris, PUF

Smith A., Sorbets C., 2003, Le leadership politique et le territoire. Les cadres d'analyse endébat, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Coll. Res Publica

Smyrl M., 2002, «Politics et policy dans les approches américaines des politiquespubliques: effets institutionnels et dynamiques du changement », Revue française descience politique, vol. 52, n° 1

Sorbets C., 2005, «La référence territoriale: lieu commun et lignes de fuite », inBerthet T., Des emplois près de chez vous? La territorialisation des politiques d'emploi enquestions, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, p. 29-50

Spenlehauer V., 2003, « Une approche historique de la notion de "politiquespubliques". Les difficultés d'une mise en pratique d'un concept », Informations sociales,n0110, pp. 34-45

Steinmo S., mai 2002 « The Evolution of Policy Ideas: Tax Policy in the 20th Century»,British Journal of Politics and International Relations, vol. 5, n° 2

Steinmo S., Thelen K., 1992, « Historical Institutionalism in Comparative Politics », inSteinmo S., Thelen K., Longstreth F., Structuring Politics. Historical Institutionalism inComparative Analysis, Cambridge, Cambridge University Press

Stone A., 1992, « "Le néo-institutionnalisme". Défis conceptuels et méthodologiques», Politix, vol. 5, n020

Stone C.-N., 1993, « Urban regimes and the capacity to govern: a political economyapproach », Journal of urban affairs, vol. IS, n01, p. 1-28

Subirats J. & Gallego, R., 2002, dir., Veinte anos de autonomias en Espana. Leyes, polfticaspublicas, instituciones y opinion publica, Madrid, CIS

Thelen K., 2003, « How Institutions Evolve: Insights from Comparative-HistoricalAnalysis », in J. Mahoney, D. Rueschemeyer, eds., Comparative-Historical Analysis in theSocial Sciences, Cambridge, Cambridge University Press

Théret B., 2000, «Institutions et institutionnalismes. Vers une convergence desconceptions de l'institution? », in Tallard M., Théret B., Uri D., Innovations institutionnelleset territoires, Paris, L'Harmattan

Thibault de Silguy Y., 2003, Moderniser l'Etat - l'encadrement supérieur, Rapport auministre de la Fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement duterri toire, La documentation française

Toulemonde J., 1997, « Faut-il libérer l'évaluation de ses liens de causalité? Uneréponse illustrée par les politiques structurelles européennes », Gérer et Comprendre, n047,pp. 76-88

Trigilia C., 1986, Grandi partiti e piccole imprese. Comunisti e democristiani neUe regioni aeconomia diffusa, Bologne, il Mulino

Vandermotten C., Marissal P., 2000, «Une nouvelle typologie économique desrégions européennes », L'Espace Géographique, n04-2000, p. 289-300

Vanier M., 2002, « Les espaces du politique: trois réflexions pour sortir des limites duterritoires », in Debarbieux B., Vanier M., Ces territorialités qui se dessinent, La Tourd'Aigues, Editions de l'aube, p. 75-89

Vanier M., 2005, « L'interterritorialité : pistes pour hâter l'émancipation spatiale », Leterritoire est mort. Vive les territoires f, Paris, IRD, p. 317-336

Veltz P., 1996, Mondialisation, villes et territoires. L'Ă©conomie d'archipel, Paris, PUF

VĂ©ron J., 2006, L'urbanisation du monde, La DĂ©couverte

301

Villain C., Chappert J., 1990, Rapport sur raide de la DATAR à la création de lignesaériennes - Rapport au Gouvernement français, Paris, 64 p. + tableaux et annexes

Villiers (de) Ph., 1990, La chienne qui miaule, Albin Michel, 219 p.

Vion A., Le Galès P., mars 1998, «Politique culturelle et gouvernance urbaine:l'exemple de Rennes », Politiques et management public, vol16 n° 1

Vogel D., 1986, National Styles of Regulation: Environmental Policy in Great Britain andthe United States, Ithaca, Cornell University Press

Warin P., 1999, «Les ressortissants dans l'analyse des politiques publiques », RevueFrançaise de Science Politique, Paris, 49/1, pp. 103-121

Weaver R.K., 1986, «The Politics of Blame Avoidance », Journal of Public Policy, 6 (4),p. 371-398

Williams G., Pagliari R., 2004, « A comparative analysis of the application and use ofpublic service obligations in air transport within the EU », Transport Policy, nOll, p. 55-66

Wood R., 1958, « The New Metropolis: green belts, grass roots or Gargantua»,American Political Science Review, vol 52, pp.108-122

Yaker F, 15-19 décembre 2000, Les agendas 21 locaux en Francophonie Etat des lieux,acquis méthodologiques et contraintes, Atelier francophone d'échange sur la réalisation desAgendas 21locaux, Lille, France

302

L.HARMATTAN.ITALIA

Via Degli Artisti 15 ; 10124 Torino

L'HARMATTAN

HONGRIE

Konyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16

1053 Budapest

L'HARMATTAN

BURKINA FASO

Rue 15.167 Route du PĂ´ Patte d'oie

12 BP 226Ouagadougou 12

(00226) 50 37 54 36

ESPACE

L'HARMATIAN

KINSHASA

Faculté des Sciences Sociales,

Politiques et Administratives

BP243, KIN XI ; Université de Kinshasa

L'HARMATIAN

GUINEE

Almamya Rue KA 028

En face du restaurant le cèdre

OKB agency BP 3470 Conakry(00224) 6020 85 08

[email protected]

L'HARMATTAN

COTE

n'IVOIRE

M. Etien N' dab Ahmon

Résidence Karl/cité des artsAbidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03

(00225) 05 77 87 31

L'HARMATTAN

MAURITANIE

Espace El Kettab du livre francophone

N° 472 avenue Palais des CongrèsBP 316 Nouakchott(00222) 63 25 980

L'HARMATTAN

CAMEROUN

BP 11486Yaoundé

(00237) 458 67 00

(00237) 976 61 66

[email protected]