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Les politiques publiques en matière de télécommunica-

tions et de TIC (2000-2012)

Entre discours, réalisations et scandales

Olivier Sagna * Pendant les douze années durant lesquelles Abdoulaye Wade a présidé aux destinées du Sénégal, les questions liées aux technologies de l’information et de la communication (TIC), et plus globalement à la Société de l’information, ont occupé une place importante dans la sphère publique. L’adoption d’un nouveau code des télécommunications, la création d’une instance de régulation du secteur des télécommunications, le volet TIC du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), la soli-darité numérique, la fin du monopole de la Sonatel, l’introduction de l’administration électronique, la réforme de l’environnement juridique, le choix des TIC et des téléservices comme levier de croissance économique, l’attribution de nouvelles licences de télécommunications, la taxation des appels internationaux entrants, etc., ont été autant de sujets ayant suscité dis-cours, débats et polémiques. Il en a résulté, dans l’opinion publique, à tort ou à raison, la perception selon laquelle les TIC occupaient une place privilé-giée dans les politiques publiques, voire même, que des résultats significatifs avaient été enregistrés en la matière. La victoire de Macky Sall à l’élection présidentielle du 25 mars 2012 ayant mis fin au régime d’Abdoulaye Wade, l’heure est venue, loin des pressions et des passions de l’actualité, de dresser le bilan de l’action publique dans le secteur des télécommunications et des TIC durant la période 2000-2012. Cependant, avant de se livrer à un tel exercice, il importe de rappeler brièvement la situation qui prévalait lors de l’accession d’Abdoulaye Wade au pouvoir. Un développement soutenu des télécommunications (1960-2000) Il faut mettre au crédit des premiers dirigeants du Sénégal indépendant le fait d’avoir su, non seulement préserver, mais aussi et surtout développer les infrastructures de télécommunications héritées du régime colonial 1. Les gouvernements qui se sont succédé à la tête de l’État, d’abord sous la houlet-te de l’Union progressiste sénégalaise (UPS) de 1960 à 1976 2, puis sous cel-

Maître de conférences, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, École des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (EBAD).

1. Olivier Sagna (2012), mis en ligne le 18 juin 2012, consulté le 8 juillet 2012. URL : http://ticetsociete.revues.org/1030.

2. Bakary Traoré, Mamadou Lô et Jean-Louis Alibert (1966).

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le du Parti socialiste (PS) de 1976 à 2000, ont mis en place des politiques publiques qui ont donné des résultats tangibles, même si par ailleurs elles ont montré leurs limites, notamment en matière de démocratisation de l’accès au téléphone, de desserte des zones rurales et de diffusion des TIC dans la so-ciété. Le premier jalon de cette politique fut la création en 1960 d’un Office des postes et télécommunications (OPT) qui sera réformé en 1968 avec la séparation de la gestion des activités de télécommunications nationales d’une part et internationales de l’autre avec la création de TéléSénégal. Ce secteur opérera un tournant important en 1972 avec la construction de la station sa-tellite de Gandoul 1 et poursuivra sa modernisation en 1978 avec l’auto-matisation des télécommunications internationales et du télex. Dès 1977, le renforcement des liaisons internationales avait d’ailleurs été amorcé avec la mise en service des câbles sous-marins Antinéa entre le Sénégal et le Maroc, puis Fraternité entre le Sénégal et la Côte-d’Ivoire en 1978 et enfin Atlantis 1 entre le Sénégal et le Brésil et Atlantis 2 entre le Sénégal et le Portugal en 1982. Sur le plan institutionnel, les réformes s’enchaînent avec la nationali-sation de TéléSénégal en 1981 puis l’éclatement de l’OPT avec la création, d’une part, de l’Office de la poste et de la caisse d’épargne (OPCE) et, d’autre part, de la Société nationale des télécommunications du Sénégal (So-natel) en 1985. La priorité donnée aux télécommunications dans le VIIe Plan de développement économique et social (1985-1989) débouchera notamment sur la mise en service du réseau de transmission de données par paquets SENPAC en 1988. Les années 1990 seront marquées par l’importance crois-sante prise par les TIC avec le lancement en 1993 d’Afristech, la biennale africaine des sciences et de la technologie puis l’introduction de la télépho-nie mobile, la connexion du Sénégal à l’internet, la création de la Mission d’aménagement du Technopole ainsi que celle du Trade Point Sénégal (TPS) en 1996. L’infrastructure ne sera pas en reste avec le déploiement de milliers de kilomètres de fibre optique et la numérisation du réseau de télécommuni-cations qui prendront place à la veille de la privatisation de la Sonatel et de la libéralisation du marché des télécommunications en 1997 2, même si une première expérience avait été conduite en la matière avec la création des té-lécentres privés à partir de 1992 3. Ce processus se poursuivra avec l’attribution d’une seconde licence de téléphonie mobile en 1998 et l’élaboration d’une stratégie nationale de développement des téléservices en 1999. Résultat des politiques mises en place par le régime socialiste depuis l’indépendance, le Sénégal possédait en 2000, l’une des meilleures infra-structures de télécommunications du continent africain, présentait un taux de pénétration de la téléphonie fixe parmi les plus élevés d’Afrique et disposait d’une gamme diversifiée de services de télécommunications.

1. La station satellitaire de Gandoul a été la première du genre à être installée en Afrique. 2. Cf. Olivier Sagna (2010). 3. Voir Olivier Sagna (2009).

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L’avènement d’une élite politique « branchée » à la tête de l’État

C’est donc dans un contexte plutôt favorable au développement de la Société de l’information 1 qu’Abdoulaye Wade arrive au pouvoir en mars 2000. Portant depuis longtemps un grand intérêt pour les TIC, il confirme cette inclination en nommant dans son cabinet un Conseiller spécial pour les nouvelles technologies de l’information et de la communication en la per-sonne de Thierno Ousmane Sy 2. Dans l’espace présidentiel, il cohabite avec Idrissa Seck, ministre d’État et directeur de cabinet du président de la Répu-blique qui est également un féru de technologies. Ce dernier, alors qu’il était ministre du Commerce dans le gouvernement de majorité présidentielle élar-gie mis en place par Abdou Diouf, avait contribué à l’installation d’une connexion par satellite pendant la tenue du Troisième sommet africain - afri-cain-américain en mai 1995 qui avait permis à une poignée de Sénégalais de découvrir l’internet 3. Dans le gouvernement formé le 3 avril 2000 par le Pre-mier ministre, Moustapha Niasse, figurent également d’autres « techno-philes », à l’image de Mamadou Diop Decroix, ministre de la Communica-tion et de la Culture 4. Le 8 avril 2000, lors de la Fête de l’internet, il visite la Maison de la Culture Douta Seck où sont organisées un certain nombre d’activités destinées au grand public. À cette occasion, il se présente comme un membre de la grande famille des acteurs et des passionnés de technolo-gies de l’information et de la communication et déclare qu’il sera « l’avocat au sein du gouvernement d’une politique visant à multiplier les points d’accès communautaires afin que le plus grand nombre de Sénégalais et de Sénégalaises puisse accéder à l’internet dans les meilleurs délais »5.

La déclaration de politique générale faite par Moustapha Niasse, devant l’Assemblée nationale le 20 juillet 2000, met fortement l’accent sur les TIC. Il y proclame l’intention du gouvernement d’utiliser les nouvelles technolo-gies pour rapprocher l’État des citoyens et annonce la mise en place d’un système national d’information et de communication administrative, com-prenant la création de sites Web pour les ministères de même que la mise en ligne de formulaires administratifs. Il précise que pour accompagner cette politique, le gouvernement prévoit la réalisation d’un vaste programme de création d’accès à l’internet dans les lieux publics (bibliothèques, écoles, télécentres, etc.). Il indique également qu’une loi d’orientation sur les télé-

1. Lire Momar-Coumba Diop (2002). 2. Avant sa nomination, Thierno Ousmane Sy possédait une société de services en informa-

tique, dénommée Génésis. 3. Cf. Olivier Sagna (2008). 4. Informaticien de formation, Mamadou Diop Decroix avait initié, en avril 1999 alors qu’il

était député à l’Assemblée nationale, la création du réseau des parlementaires sur les technologies de l’information et de la communication.

5. Discours prononcé par Mamadou Diop Decroix, ministre de la Culture et de la Communi-cation, à la Maison de la culture Douta Seck le 8 avril 2000 à l’occasion de la Fête de l’internet. 4 p.

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services et les industries liées aux télécommunications sera soumise au par-lement avant la fin de l’année 2000 et révèle qu’il a été retenu de créer un incubateur tourné vers le développement de services à haute valeur ajoutée sur le site du Technopole 1. Enfin, il annonce la création prochaine d’une agence de régulation des télécommunications, le lancement d’un appel d’offres pour un troisième opérateur de téléphonie mobile et le déploiement de la 3G dans toutes les régions du pays 2. Jamais auparavant un chef de gouvernement sénégalais n’avait autant mis l’accent sur l’utilisation des TIC dans sa déclaration de politique générale, même si, par le passé, un rôle im-portant avait été assigné aux télécommunications dans la politique de déve-loppement économique et social. Cette posture particulière s’explique no-tamment par le renouvellement de la classe politique qui s’est opéré à l’occasion du changement de régime, avec l’arrivée d’un grand nombre de responsables politiques issus du secteur privé et de la diaspora sénégalaise. De plus, depuis la fin des années 1990, les éclarations mettant en avant le rôle moteur des TIC dans le développement et annonçant l’avènement de la société de l’information se sont multipliées, faisant de la problématique des TIC un élément incontournable du discours politique. Afin de traduire cette volonté politique en actes, le nouveau régime dit de “l’Alternance” s’attelle alors à mettre en place une architecture institutionnelle qui reposera essen-tiellement sur les trois structures que sont l’Agence de l’informatique de l’État (ADIE), l’Agence de régulation des télécommunications (ART) et l’Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux (APIX). Les ministères en charge des télécommunications et des TIC affai-blis par l’“agenciarisation” 3

Dans le gouvernement dirigé par Moustapha Niasse, la Délégation à l’Informatique (DINFO), placée auparavant sous la tutelle du ministère de la Modernisation de l’État et de la Technologie, est rattachée à la présidence de la République 4, montrant ainsi l’importance qui est désormais accordée à ce secteur. La DINFO gère essentiellement la mise en œuvre du Programme de

1. Créé par la loi n° 96-36 du 31 décembre 1996, le Technopole de Dakar se voulait une zone économique aménagée ayant pour vocation d’accueillir des centres de recherche et d’enseignement ainsi que des entreprises innovantes.

2. Déclaration de politique générale du Premier ministre Moustapha Niasse devant l’Assem-blée nationale le 20 juillet 2000 [http://www.afp-senegal.org/Declarations/decla-ration_de_pol_gen_le_20_07_2000.htm], consulté le 5 juillet 2012.

3. L’agenciarisation est la démarche consistant, pour les États où les regroupements d’États, à externaliser un certain nombre de fonctions en les confiant soit à des agences de régula-tion qui sont souvent des autorités administratives indépendantes (AAI) soit à des agences d’exécution dont l’autonomie est généralement beaucoup plus limitée.

4. Décret n° 2000-269 du 5 avril 2000 portant répartition des services de l’État et du contrôle des établissements publics, des sociétés nationales et des sociétés à participation publique, entre la présidence de la République, la Primature et les ministères.

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modernisation des systèmes d’information de l’administration (PMSIA) 1 qui sera à la base de la création de l’intranet gouvernemental. Héritage du régi-me PS, qui l’avait créée en 1987, la DINFO sera transformée en Direction informatique de l’État (DIE) en juin 2001 2. Cependant, son statut de direc-tion nationale ne lui donne pas l’attractivité suffisante pour attirer, et surtout fixer, les ressources humaines hautement spécialisées dont elle a besoin pour mettre en œuvre les projets qu’elle pilote. Afin de remédier à ce problème, elle est transformée en Agence de l’Informatique de l’État (ADIE) en juillet 2004. Structure administrative autonome rattachée au Secrétariat général de la présidence de la République, l’ADIE est « chargée de mener et de pro-mouvoir, en coordination avec les différents services de l’Administration, les autres organes de l’État et les collectivités locales, tous types d’actions per-mettant à l’Administration de se doter d’un dispositif cohérent de traitement et de diffusion de l’information » 3. Elle deviendra, au fil des ans, le bras ar-mé de l’État dans le secteur des TIC aux côtés de l’Agence de régulation des télécommunications (ART).

Dans la liste d’engagements spécifiques que le Sénégal avait pris auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) en 1997, figurait celui consis-tant à créer, au plus tard le 31 décembre 1997 4, un organe indépendant ayant pour mission de réguler le marché des télécommunications, qui venait d’être ouvert à la concurrence. Cependant, trois ans après la privatisation de la So-natel (1997) et deux ans après l’arrivée de Sentel GSM sur le marché de la téléphonie mobile (1999), cet organe de régulation n’avait toujours pas vu le jour. Ayant fait de sa création une de ses priorités, le gouvernement invite, début mai 2000, le Groupe de réflexion sur la compétitivité et la croissance (GRCC) 5 à organiser un atelier sur la régulation du secteur des télécommu-nications. Au cours de cette réunion, les débats portent notamment sur le sta-tut, le rôle, la composition et les compétences de l’organe de régulation. Sui-te à cet exercice, les textes fondateurs de la régulation seront élaborés par la Direction des études, de la réglementation des postes et télécommunications (DERPT) du ministère de la Culture et de la Communication. Au sein du gouvernement, si tout le monde s’accorde sur la nécessité de mettre en place

1. Ce projet, financé par la Banque mondiale, découle de la restructuration du « Plan de sou-tien au passage à l’An 2000 » dont l’enveloppe financière n’a pas été entièrement consommée.

2. Décret n° 2001-476 du 18 juin 2001 portant création de la Direction Informatique de l’État.

3. Décret n° 2004-1038 du 23 juillet 2004 portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de l’Agence de l’Informatique de l’État (ADIE).

4. Document GATS/SC/75/Suppl. 1 du 11 avril 1997. 5. Créé en 1995 sur proposition de la Banque mondiale, le Groupe de réflexion sur la com-

pétitivité et la croissance (GRCC) avait pour mission de promouvoir un dialogue ouvert entre le secteur privé et le secteur public pour apporter des solutions durables aux problè-mes de compétitivité et de croissance des entreprises privées.

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un tel organe, un combat se déroule en coulisses au sujet de son statut, entre le ministère de la Culture et de la Communication favorable à la création d’un organe de régulation sectoriel et le ministère de l’Économie et des Fi-nances partisan de l’érection d’une institution multisectorielle régulant à la fois l’eau, l’électricité et le téléphone à l’image des autorités de régulation multisectorielle créées, à l’inspiration de la Banque mondiale, dans des pays de la sous-région tels que la Gambie, la Mauritanie et le Niger. Les techni-ciens du ministère de la Culture et de la Communication mettent en avant la spécificité du secteur des télécommunications pour justifier la création d’une agence sectorielle qui doit pouvoir s’appuyer sur des compétences particuliè-res tandis que les agents du ministère de l’Économie et des Finances font valoir les économies d’échelle et les avantages liés à la mutualisation des ressources qui découleraient de la création d’un seul et unique organe de ré-gulation. La bataille durera des mois mais, suite au départ de Makhtar Diop, ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement en mai 2001, les partisans d’une agence sectorielle l’emporteront. En conséquence, le code des télécommunications voté en décembre 2001 prévoit, en ses articles 42 à 55, la création d’une Agence de régulation des télécommunications (ART) 1. Début 2006, avec l’extension de ses prérogatives au secteur postal, l’ART devient l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) 2. Rattachée au Secrétariat général de la présidence de la Républi-que, l’autonomie de l’organe de régulation sera régulièrement questionnée du fait notamment que l’État reste actionnaire à hauteur de 27 % dans le ca-pital de la Sonatel et que trois administrateurs le représentent au sein du Conseil d’administration 3. Suite à l’adoption d’un nouveau code des télé-communications 4, destiné à inclure les directives de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UÉMOA) et les actes additionnels au Traité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en matière de TIC et de télécommunications 5, l’ARTP changera de statut pour devenir l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes, ac-croissant ainsi, du moins en théorie, son indépendance vis-à-vis de l’État.

Aux côtés de l’ADIE et de l’ARTP, intervenant spécifiquement dans le secteur des télécommunications et des TIC, prend place l’Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux (APIX). Créée en juillet 2000 6, cette structure, dont le rôle est d’attirer les investissements étrangers,

1. Loi n° 2001-15 du 27 décembre 2001 portant code des télécommunications. 2. Loi n° 2006-15 du 4 janvier 2006 étendant les pouvoirs de l’ART à la régulation du sec-

teur postal. 3. Le Conseil d’administration de la Sonatel est composé de neuf membres dont trois nom-

més respectivement sur proposition de la présidence de la République, du ministère de l’Économie et des Finances et du ministère des Forces armées.

4. Loi n° 2011-01 du 14 février 2011 portant code des télécommunications. 5. Sur cette question, voir la contribution d’Oumar Kane dans le présent volume. 6. Décret n° 2000-562 du 10 juillet 2000 portant création et fixant les règles d’organisation

de l’Agence nationale chargée de la promotion de l’Investissement et des Grands Travaux.

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a identifié les TIC et les téléservices comme l’un des sept secteurs devant porter la croissance économique du Sénégal. Dans ce cadre, l’APIX met plus spécifiquement l’accent sur la promotion des centres d’appels 1 en partici-pant régulièrement, à partir de l’année 2003, au Salon européen des centres d’appels (SECA) où elle sponsorise la participation d’entreprises sénégalai-ses ou installées au Sénégal 2. Le choix du sous-secteur des centres d’appels, au détriment des autres segments des TIC et des téléservices, est justifié par le fait qu’il est « très important en termes d’exportation de services, mais aussi en termes de création d’emplois » 3. Entre 2003 et 2006, l’APIX réussit ainsi à convaincre cinq entreprises étrangères de s’installer au Sénégal parmi lesquelles le groupe américain TRG 4. De manière à rendre la destination Sé-négal plus attractive, l’APIX, qui assure le secrétariat du Conseil présidentiel de l’investissement (CPI) 5, œuvre également à la modification de l’environ-nement légal et réglementaire de telle sorte que les entreprises du sous-secteur des TIC et téléservices deviennent éligibles aux avantages prévus par le code des investissements 6 et puissent acquérir le statut d’entreprise fran-che d’exportation (EFE) 7.

À ces agences s’ajoute naturellement le ministère en charge du secteur des Télécommunications et des TIC. Dans le gouvernement de Moustapha Niasse, le secteur est placé sous la tutelle du ministère de la Communication et de la Culture. Cependant, le remaniement ministériel intervenu le 5 février 2001 consacre l’éclatement du ministère de la Communication et de la Culture avec la création, d’une part, d’un ministère de la Culture et d’autre part, d’un ministère de la Communication et des Technologies de l’Information. Les autorités profitent de l’occasion pour constituer un pôle fort dans ce secteur stratégique en rattachant la Délégation à l’informatique (DINFO) au ministère de la Communication et des Technologies de l’information et en y créant une Direction des Nouvelles technologies. Ce-pendant, contre toute attente, le ministère de la Communication et des Tech-nologies de l’information disparaît de l’organigramme gouvernemental suite au remaniement ministériel du 29 avril 2001. La Direction des nouvelles technologies est purement et simplement supprimée, tandis que la Direction

1. Le premier centre d’appels sénégalais a été créé par la société Africatel AVS en 2000. 2. Salon spécialisé : SECA 2006, Réussir, juin 2006. 3. « Aminata Niane (Directrice générale de l’APIX) : le Sénégal a confirmé sa place au Sa-

lon européen des centres d’appels », Walfadjri, 4 mai 2006. 4. « Ils font l’APIX », Apix Investment Newsletter, 1er trimestre 2009, n° 10. 5. Créé en novembre 2002, avec l’appui de la Banque mondiale, le Conseil présidentiel de

l’investissement (CPI) est un cadre de concertation chargé d’identifier les défis liés à la compétitivité, à la productivité et à la croissance et de proposer des réformes favorables à l’investissement.

6. Loi n° 2004-06 du 6 février 2004 portant code des investissements. 7. Décret n° 2004-1314 du 28 septembre 2004 modifiant le décret n° 96-869 portant applica-

tion de la loi n° 95-34 du 25 décembre 1995 instituant le statut d’entreprise franche d’exportation.

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des études et de la réglementation des Postes et Télécommunications (DERPT) est placée sous la tutelle du secrétariat général du gouvernement. La Mission d’aménagement du Technopole est rattachée au ministère de l’Économie et des Finances et la DINFO retourne au secrétariat général de la présidence de la République 1. Il faut attendre novembre 2002, pour voir ré-apparaître le secteur des Télécommunications et des TIC au sein du gouver-nement. Le décret de répartition des services de l’État publié à cette occasion fait ressortir l’existence d’un ministère de la Culture et de la Communica-tion, comportant notamment une direction de la communication et une direc-tion des études et de la réglementation ainsi que celle d’un ministère de la Recherche et de la Technologie coiffant la Mission d’aménagement et de promotion du Technopole de Dakar. Elle consacre également le rattachement de l’Agence de régulation des télécommunications (ART) et de la Direction de l’informatique de l’État (DIE) au Secrétariat général de la présidence de la République 2. Les leviers permettant de mettre en œuvre une politique co-hérente en matière de télécommunications et de TIC se trouvent dès lors dis-persés entre différentes tutelles avec tous les risques de conflits de compé-tences qui peuvent en découler.

Visant sans doute à anticiper ce type de problème, un décret relatif à l’or-ganisation administrative du secteur des télécommunications fait du Premier ministre, l’autorité administrative compétente en matière de télécommunica-tions avec la responsabilité d’établir des orientations générales dans le do-maine des télécommunications à travers une lettre de politique générale du secteur des télécommunications. Ce texte instaure, par ailleurs, un Comité de suivi du secteur des télécommunications (CSST), ayant un rôle consultatif, dont la présidence est confiée au directeur général de l’APIX. Parmi les res-ponsabilités confiées au CSST figurent, la détermination du calendrier de libéralisation du secteur des télécommunications, la supervision et la coordi-nation des études conduites en matière de télécommunications, l’établisse-ment de propositions stratégiques pour l’évolution du secteur des télécom-munications ainsi que le suivi du processus d’attribution des licences d’éta-blissement ou d’exploitation de réseaux de télécommunications ouverts au public 3. Rétabli mais dessaisi de nombre de ces prérogatives, le ministère en charge des Télécommunications et des TIC aura du mal à s’affirmer et ne cessera de changer de titulaire et d’appellation tout en voyant le périmètre de ses compétences se rétrécir. Recréé en août 2003, le ministère de l’Infor-

1. Décret n° 2001-386 en date du 14 mai 2001 portant répartition des services de l’État et du contrôle des établissements publics, des sociétés nationales et des sociétés à participation publique entre la présidence de la République, la Primature et les ministères.

2. Décret n° 2002-1102 du 8 novembre 2002 portant répartition des services de l’État et du contrôle des établissements publics, des sociétés nationales et des sociétés à participation publique entre la présidence de la République, la Primature et les ministères.

3. Décret n° 2002-1141 du 27 novembre 2002 relatif à l’organisation administrative dans le secteur des télécommunications.

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mation et de la Coopération panafricaine dans les nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication devient, moins d’un an plus tard en avril 2004, le ministère des Postes, des Télécommunications et des nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. En décembre 2007, il prend le nom de ministère des Infrastructures, des Transports terrestres, des Télécommunications et des TIC et en août 2008 celui de ministère de l’Information, des Télécommunications, des TIC, du NEPAD et des Rela-tions avec les institutions. Huit mois plus tard, en mai 2009, il change à nou-veau de nom, devenant le ministère des Télécommunications, des TICS, des Transports terrestres et des Transports ferroviaires. En juin 2010, le ministère est de nouveau éclaté avec, d’un part, le ministère des TIC et, d’autre part, le ministère de la Communication et des Télécommunications. Finalement, en novembre 2010, le ministère est réunifié avec la création d’un ministère de la Communication, des Télécommunications et des TIC jusqu’en mars 2012.

Ayant connu une dizaine d’appellations, disparu de l’organigramme gou-vernemental pendant près de dix-huit mois et surtout ayant changé plus d’une dizaine de fois de titulaire entre 2000 et 2012, les ministères en charge des Télécommunications et des TIC ont souffert d’une forte instabilité insti-tutionnelle, même si, par ailleurs la directrice des TIC est restée en poste pendant toutes ces années. Plus grave, les divers ministères ont été largement sevrés de moyens humains et financiers. Ainsi, alors que la Direction des TIC ne compte que cinq agents, l’ARTP en totalise près d’une centaine béné-ficiant par ailleurs d’un statut et de conditions salariales plus qu’avanta-geuses. Pour ce qui est du budget alloué au ministère des TIC, la situation n’est guère plus reluisante puisque pour l’année 2011, il s’élève à près de 488 millions de FCFA sur un budget global de l’État de 2 030 milliards de FCFA 1. Du fait de cette agenciarisation, le ministère est dépossédé de nom-bre de ses prérogatives. Pire, fortes des moyens humains et financiers dont elles disposent et jouant de leur rattachement à la présidence de la Républi-que, l’ADIE, l’ARTP et l’APIX sont en mesure d’imposer leurs points de vue sur nombre de dossiers. C’est ainsi que l’ARTP s’est vu confier la res-ponsabilité d’élaborer les lois et règlements s’appliquant au secteur des télé-communications et des TIC, empiétant ainsi sur une prérogative régalienne du ministère alors qu’elle aurait dû se contenter de veiller au respect de l’application des textes par les acteurs. De même, dans le cadre de la straté-gie de croissance accélérée (SCA), l’élaboration de la stratégie de la grappe TIC et téléservices a été confiée à l’APIX. Pire, avec la nomination d’Alas-sane Dialy Ndiaye comme ministre d’État auprès du président de la Républi-que et président de la Commission nationale à la connectivité (CNC) 2, le

1. « Entre instabilité institutionnelle et budget ridicule : le triste sort réservé au secteur des TIC », Batik, 136, novembre 2010.

2. Décret n° 2010-1532 du 24 novembre 2010 portant nomination d’un ministre d’État au-près du président de la République.

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ministère en charge des Télécommunications et des TIC voit encore son champ d’intervention se réduire puisque la CNC se voit confier des préroga-tives particulièrement étendues empiétant tant sur celles de l’ADIE et de l’ARTP que sur celles du ministère 1. Elle s’est ainsi vu attribuer la respon-sabilité de concevoir la stratégie nationale en matière de TIC, mission qui avait toujours été du ressort du ministère, ainsi que la présidence du comité de gestion du Fonds de développement du service universel des télécommu-nications (FDSUT), jusqu’ici géré par un conseiller du président de la Répu-blique. Du fait de l’instabilité institutionnelle, de l’éclatement des pôles de décisions, de l’affaiblissement du ministère et de son dessaisissement de nombre de ses prérogatives, le Sénégal sera incapable, pendant toute cette période, de se doter d’une stratégie nationale en matière de société de l’information. Certes, des chantiers importants ont été réalisés, telle la mise à niveau de la législation, mais ils n’ont pas bénéficié des synergies qui au-raient pu résulter de leur insertion dans une stratégie globale. Une adaptation réussie de la législation aux problématiques de la société de l’information

À partir du moment où le Sénégal a été connecté à l’internet de manière permanente, la nécessité de réformer l’arsenal juridique a été pointée du doigt par nombre de spécialistes. En effet, même si les juristes sénégalais refusent l’existence d’un vide juridique, il apparaît clairement que les textes en vigueur ne permettent pas d’apporter les réponses idoines aux nouveaux défis posés par l’émergence de la société de l’information. Cybercriminalité, piratage informatique, commerce électronique, protection des données à ca-ractère personnel, reconnaissance de la signature électronique, utilisation des moyens de cryptographie, etc. sont autant de problématiques qui demandent des solutions appropriées. Une des premières réponses en la matière est la reconnaissance de l’inviolabilité des communications électroniques 2 figu-rant dans la nouvelle Constitution soumise à référendum le 7 janvier 2001. De portée symbolique, elle n’en témoigne pas moins d’une certaine prise de conscience. Si l’on ajoute à cela, la volonté du gouvernement d’introduire l’utilisation des TIC dans le fonctionnement de l’administration et d’en faire un des leviers du développement économique, la nécessité d’une réforme des textes juridiques s’impose. En octobre 2004, dans sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre Macky Sall an-nonce la mise en place d’une loi d’orientation et de programmation sur l’informatique et les libertés afin d’arrimer à l’arsenal juridique existant, les

1. Décret n° 2011-1707 du 7 octobre 2011 portant création et organisation de la Commission nationale de la connectivité.

2. Article 13 du Titre II « Des libertés publiques et de la personne humaine, des droits éco-nomiques et sociaux et des droits collectifs » de la Constitution de la République du Sé-négal du 22 janvier 2001.

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préoccupations liées aux nouvelles technologies 1. Cependant, ce n’est qu’en 2005 que le gouvernement lance, avec le soutien de la coopération française, un important chantier visant à élaborer une série de textes relatifs à la société de l’information. S’appuyant sur une démarche participative, impliquant non seulement des professionnels du droit (professeurs de droit, avocats, magis-trats, etc.), mais également des chefs d’entreprises, des techniciens, des dé-fenseurs des droits de la personne, des membres de la société civile et des experts français, plusieurs ateliers sont organisés en vue d’examiner les pro-jets de textes élaborés par une équipe de juristes provenant de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB) 2.

Après un long processus législatif, les projets de lois qui avaient été examinés et adoptés par le Conseil des ministres du 18 janvier 2007 sont vo-tés par l’Assemblée nationale, le 30 novembre 2007, puis par le Sénat, le 8 janvier 2008. Parmi ceux-ci, figure une loi d’orientation sur la société de l’information (LOSI) 3 s’inscrivant dans la déclaration de principes et le plan d’actions adoptés par le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI). Elle vise essentiellement à définir les objectifs et les grandes orien-tations d’une société sénégalaise de l’information se voulant inclusive. Elle met en avant trois grands principes que sont la liberté, en ce qui concerne la communication, la participation, l’expression et la création de ressources, la solidarité à travers l’organisation d’un système d’accès universel aux TIC et la promotion de réseaux citoyens ainsi que des mécanismes de financement et de partenariat appropriés et enfin la sécurité concernant les informations relatives aux personnes physiques et morales autant que les biens (sites, in-frastructures, réseaux, etc.). Ce texte de portée générale est complété par quatre lois qui, au-delà de la protection du citoyen, concourent à renforcer la sécurité juridique 4 et judiciaire 5, critère décisif pour les firmes étrangères à la recherche d’un pays dans lequel investir. D’ailleurs, dans l’exposé des mo-tifs de la loi sur les transactions électroniques, il est clairement mentionné que, jusqu’alors, le développement de ce type de transaction a été freiné par

1. Déclaration de politique générale du Premier ministre Macky Sall devant l’Assemblée nationale le 20 octobre 2004. [http://www.ipar.sn/IMG/pdf/04_dpgms.pdf], consultée le 25 juillet 2012.

2. Cette équipe était dirigée par le Professeur Abdoullah Cissé qui avait auparavant élaboré le volet juridique des systèmes de paiement électronique de l’UEMOA et créé un Master 2 professionnel intitulé « Droit du cyber-espace africain » proposé dans le cadre d’une for-mation à distance.

3. Loi n° 2008-10 du 25 janvier 2008 portant loi d’orientation sur la société de l’informa-tion (LOSI).

4. L’objet de la sécurité juridique est de permettre au citoyen de faire la part des choses entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit par le droit sans que celui-ci ne soit soumis à des changements fréquents et surtout imprévisibles.

5. La sécurité judiciaire suppose une justice professionnelle, crédible, transparente et indé-pendante garantissant à chacun la possibilité de jouir de ses droits, sans crainte d’être lésé par quiconque ayant de l’influence.

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l’absence de réponse aux questions telles que la signature électronique, la preuve électronique, la sécurité des échanges électroniques, la protection du consommateur, la coexistence des documents papiers avec les documents électroniques, l’application des techniques électroniques aux actes commer-ciaux et administratifs ou encore les éléments probants introduits par les techniques numériques (horodatage, certification, etc.) 1. Second texte à être voté, la loi sur la cybercriminalité vise à réprimer la délinquance numérique qui se caractérise par sa transnationalité, son immatérialité, sa volatilité et l’anonymat de ses acteurs. En effet, le système pénal, avec ses réponses tra-ditionnelles et permanentes, conçues et élaborées pour un environnement matérialisé et national, était devenu inapproprié et inadapté pour traiter la cybercriminalité 2.

Le troisième texte adopté est la loi sur la protection des données à carac-tère personnel 3 générées par les services en ligne. En effet, qu’ils soient gra-tuits ou payants, leur utilisation passe obligatoirement par la fourniture de toute une série de renseignements relevant du domaine de la vie privée (nom, prénom, date de naissance, sexe, adresse, numéro de téléphone, situation ma-trimoniale, profession, etc.). De plus, une fois inscrits, les utilisateurs de ces services ont la possibilité de stocker, diffuser ou échanger des informations de toute nature (texte, photos, vidéos, etc.) dont plusieurs relèvent de « l’identité numérique » des individus. La protection des données à caractère personnel est également critique pour le secteur des centres d’appels car dans nombre de pays développés, le recours à des structures de ce type, basées à l’étranger, est subordonné à l’existence d’une législation au moins équiva-lente à celle du pays d’origine en matière de protection des données à carac-tère personnel 4. Par conséquent, c’est également un critère pris en compte par les entreprises de ces pays qui envisagent de s’installer à l’étranger. À l’image de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), créée en France en 1978, la loi prévoit la mise en place d’une Commission de protection des données à caractère personnel dite « Commission des don-nées personnelles » qui a été officiellement installée en août 2011 5. Cet en-semble de textes sera complété quelques mois plus tard par l’adoption d’une loi encadrant l’utilisation des moyens cryptographiques 6. En effet, les

1. Loi n° 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques. 2. Loi n° 2008-11 du 25 janvier 2008 portant sur la cybercriminalité. 3. Loi n° 2008-12 du 25 janvier 2008 portant sur la protection des données à caractère per-

sonnel. 4. La directive européenne 95/46 précise « qu’un responsable d’un traitement ne peut trans-

férer des données à caractère personnel vers un État n’appartenant pas à la Communauté européenne (dit « pays tiers ») que si cet État assure un niveau de protection adéquat ou suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux des personnes à l’égard du traitement dont ces données font l’objet ou peuvent faire l’objet ».

5. Décret n° 2011-929 du 29 juin 2011 portant nomination des membres de la Commission de protection des données à caractère personnel (CDP).

6. Loi n° 2008-41 du 20 août 2008 portant sur la cryptologie.

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moyens de cryptographie étant régulièrement utilisés pour la protection des échanges de données, notamment par les centres d’appels et les sociétés pro-cédant à des transferts d’argent ou à des paiements électroniques, la régle-mentation de leur utilisation est devenue indispensable. Par principe, la loi adoptée stipule que « l’utilisation des moyens et prestations de cryptologie est libre » 1, à partir du moment où ces moyens assurent exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sans pour autant assu-rer la confidentialité des échanges. Dans tous les autres cas, la fourniture, l’importation et l’exportation des moyens de cryptographie doivent faire l’objet d’une déclaration préalable devant la Commission nationale de cryp-tologie prévue par la loi.

L’État, en s’appuyant non seulement sur des professionnels du droit mais également sur des experts du secteur, a été en mesure d’élaborer des textes répondant aux questions posées et donnant des garanties juridiques aux ac-teurs, nationaux et étrangers, du secteur des TIC, comme aux simples ci-toyens. Cependant, un des éléments clés de ce dispositif, à savoir la Com-mission des données personnelles (CDP), ne dispose toujours pas des moyens nécessaires à son fonctionnement 2. Or, elle a déjà été saisie à plu-sieurs reprises 3, montrant par la même qu’elle n’est pas un gadget, mais bel et bien un instrument dont l’utilité est indiscutable. Mieux, avec les projets du gouvernement visant à informatiser les permis de conduire, les cartes gri-ses, le cadastre, voire l’État-civil et qui viennent après l’informatisation du fichier électoral ainsi que la délivrance de cartes d’identité et de passeports numérisés, sans parler de la multiplication des fichiers produits et gérés par des entreprises privées, les contentieux risquent de se multiplier. En effet, les citoyens auront de plus en plus tendance à faire valoir les garanties que leur donne la loi en matière d’accès, d’opposition, de rectification et de suppres-sion des données à caractère personnel les concernant. Dès lors, il est indis-pensable que la CDP dispose des moyens appropriés pour traiter les requêtes qui lui seront soumises compte tenu de la sensibilité et de l’importance des enjeux liés à la protection des données personnelles. Une absence préjudiciable de stratégie nationale

Alors qu’un peu partout sur le continent africain, les États se sont attelés, dès le début des années 2000, à concevoir des stratégies nationales en matiè-re de TIC, le Sénégal se distingue par le fait qu’il ne s’est jamais doté d’un instrument de ce type. Pourtant, à la fin des années 1990, les choses étaient sur la bonne voie, avec l’élaboration dans le cadre d’une initiative financée par

1. Article 12 de la loi n° 2008-41 du 20 août 2008 portant sur la cryptologie. 2. Cf. Olivier Sagna (2012). 3. La CDP a été saisie par le Rassemblement des entreprises du secteur des TIC (RESTIC)

au sujet des données biométriques collectées par la société américaine Securiport LLC qui est responsable du contrôle des passagers à l’aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar.

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le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), de la Stratégie ACACIA Sénégal 1 dont la méthodologie inspirera fortement l’éla-boration des plans nationaux d’information et de communication soutenus par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA). Par la suite, à l’initiative de la Fondation du secteur privé (FSP) et du Groupe de réflexion sur la croissance et la compétitivité des entreprises (GRCC), une étude financée par la Banque mondiale et destinée à valider les choix de la grappe « Économie des nouvelles technologies de l’information et de la com-munication en matière de société de l’information » avait été initiée 2. À la même époque, une autre étude, financée par le CRDI, avait débouché sur l’élaboration d’une stratégie nationale sur les téléservices intitulée « Perspective internationale sur les téléservices au Sénégal » 3. Enfin, une des toutes premiè-res initiatives du ministère de la Communication et des Technologies de l’Information, avait été d’impulser, toujours avec l’appui financier du CRDI, un processus visant à l’élaboration d’une stratégie nationale pour le dévelop-pement des TIC. Cette dynamique conduisit à la production d’un document de stratégie qui avait été examiné et validé par plus de 150 participants pro-venant de divers horizons lors d’une réunion organisée le 6 avril 2001. La vision adoptée à cette occasion proclamait que « Grâce à l’apport des NTIC, le Sénégal deviendra à l’horizon 2005 un pays qui, grâce à une appropriation intelligente des NTIC, développera une économie compétitive et orientée vers la solution des problèmes sociaux et culturels de sa population » 4.

Cependant, ce document de stratégie ne sera jamais validé par les autori-tés gouvernementales et aucune autre tentative de ce genre n’aboutira, fai-sant du Sénégal « un pays dont la stratégie est de ne pas avoir de stratégie » comme aimait à le dire l’ancien Directeur général de l’ADIE, Mouhamed Tidiane Seck. Certes, l’absence de stratégie nationale n’a pas empêché le Sénégal de mener à bien un certain nombre de projets significatifs tels l’intranet administratif, la mise en place d’un système de téléphonie sur IP 5 au sein de l’administration 6, le déploiement du système dédouanement élec-tronique Gaïndé, l’introduction de la télémédecine, la connexion d’établisse-ments scolaires à l’internet 7, sans parler d’une série d’opérations fortement

1. CRDI (1997). 2. Batik, 14, septembre 2000. 3. Jean-Guy Rens (2000). 4. Batik, 21, avril 2001. 5. La téléphonie sur IP ou Telephony over IP est une technologie qui utilise le protocole

internet (IP). 6. L’ADIE assure les échanges téléphoniques entre agents publics. Agence de presse sénéga-

laise, 14 juin 2011. 7. La convention signée entre la Sonatel et le ministère de l’Éducation nationale le 31 juillet

2001, prévoit la gratuité de la ligne téléphonique, la diminution de 75 % des frais de communication, une réduction de 30 % sur les abonnements Sentoo [devenu Orange], la gratuité pour l’hébergement des contenus pédagogiques et une réduction de 50 % sur les liaisons spécialisées pour les établissements scolaires et universitaires.

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médiatisées, tels les projets « un étudiant, un ordinateur » ou « un ensei-

gnant, un ordinateur » 1 qui ne s’inscriront cependant pas dans la durée faute de mécanismes pérennes de financement. Cependant, les gouvernements successifs se sont montrés incapables de mettre en œuvre des projets structu-rants ou de créer les conditions d’une véritable synergie entre les projets existants. Ainsi, au-delà du toilettage sémantique qui a transformé le Tech-nopole en Cyber-village, le Sénégal ne s’est pas doté d’un parc technologi-que fédérant enseignement, recherche, innovation et production dans le do-maine des TIC, à l’image de ce qu’ont fait des pays africains comme l’Algérie (Cyber parc de Sidi Abdalla), l’Île Maurice (Cybercité d’ébène), le Maroc (Technoparc de Casablanca) ou encore la Tunisie (Technopôle Elga-zala) et en dehors du continent, un pays comme la Malaisie (Cyberjaya). De même, l’absence de stratégie nationale a sans doute été pour beaucoup dans la mise en place de cartes d’identité, de cartes d’électeur et de passeports, présentés comme infalsifiables, mais réalisés à partir d’un état-civil n’offrant guère de fiabilité. Une vision stratégique intégrée aurait voulu que l’on sécu-rise et numérise d’abord l’état-civil, qui est la base de nombreuses procédu-res administratives, avant de se lancer dans toute autre initiative s’appuyant sur ce dernier. Enfin, concernant les infrastructures, peu de progrès ont été accomplis, compte tenu notamment des obstacles découlant d’une régulation déficiente. La question du haut débit, et a fortiori celle du très haut débit, n’a pas été prise en charge, aucun plan visant à l’aménagement numérique du territoire n’a été établi et le débit de la bande passante internationale est resté faible comparé à d’autres pays du continent 2. Malgré les nombreuses re-commandations faites dans cette direction, tant à l’échelle nationale qu’internationale, il n’a pas été procédé à la mise en place d’un point d’échange internet 3 et le projet de création d’un Réseau national Enseigne-ment et Recherche (ReNER), reliant l’ensemble des universités publiques et des centres de recherche n’a pas pu être mené à bien. Le secteur des télé-communications a connu une situation similaire puisqu’au terme de la décla-ration de politique de développement du secteur des télécommunications couvrant la période 1996-2000 4, le Sénégal est resté cinq années sans qu’un document de stratégie ne soit adopté 5. Ce n’est qu’en janvier 2005 qu’a été

1. « Un enseignant, un ordinateur » : les enseignants à l’heure de l’informatique, Sud Quoti-

dien, 8 juillet 2005. 2. Le débit de la bande passante internationale est de 5,9 Gbps alors qu’il est de 50 Gbps en

Tunisie, pays ayant une population équivalente à celle du Sénégal et ayant misé sur le dé-veloppement d’une économie numérique forte.

3. Un point d’échange internet (IXP) est un dispositif technique permettant d’augmenter l’accessibilité et la qualité des échanges internet pour une communauté d’utilisateurs don-nés en faisant en sorte que l’échange de données locales se fasse sans passer par l’étranger, ce qui diminue les coûts des télécommunications et augmente leur efficacité.

4. Ministère de la Communication / Ministère de l’Économie et des Finances et du Plan. (mars 1996).

5. Assises nationales (2009 : 96).

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rendue publique une nouvelle lettre de politique sectorielle couvrant la pé-riode 2005-2010 1 et depuis, aucun document n’a été élaboré pour réactuali-ser la vision et les politiques en la matière. À l’échelle du secteur des télé-communications et des TIC, l’absence de stratégie nationale a été fortement handicapante pour les entreprises, car elle ne leur a pas permis de disposer de la visibilité nécessaire à la planification de leurs initiatives et de leurs in-vestissements.

En ce qui concerne l’économie numérique, la politique mise en œuvre dans le secteur des télécommunications et des TIC a singulièrement manqué de lisibilité et de cohérence. La première grande décision a été prise en dé-cembre 2003 lorsque l’État a informé la Sonatel de son intention de mettre fin à son monopole sur la téléphonie fixe et internationale à compter de juil-let 2004 2. En fait, cette perspective était inscrite dans la convention de concession signée lors de la privatisation de la Sonatel 3. Cela étant, la fin du monopole ne s’est pas accompagnée d’une ouverture du marché à la concur-rence puisqu’il faudra attendre l’année 2007 pour que l’État lance un appel d’offres pour l’attribution d’une licence globale de télécommunications à un opérateur susceptible de concurrencer la Sonatel. De plus, rien n’a été tenté, en jouant notamment sur la régulation, pour casser le monopole de facto de l’opérateur historique sur les liaisons internationales et c’est ainsi que la So-natel se retrouvera à commercialiser les services offerts par le câble sous-marin Glo 1 de l’opérateur nigérian Globalcom, alors qu’elle était déjà en situation de monopole avec la gestion du câble SAT-3 et des télécommunica-tions par satellite. S’agissant de la présence de l’État dans le capital de la Sonatel, l’absence de vision stratégique a également été criante. Après avoir mentionné dans la lettre de politique sectorielle du secteur des télécommuni-cations, rendue publique en janvier 2005, que l’État envisageait de se désen-gager du capital de la Sonatel, cette perspective ne sera plus jamais évoquée jusqu’en avril 2009. À cette date, et alors qu’aucune annonce officielle n’a été faite, la presse révèle que l’État est en train de négocier la vente d’un peu moins de 10 % de ses actions à France Télécom 4. Cette nouvelle suscite immédiatement un tollé chez les travailleurs de la Sonatel, mais également dans l’opinion publique, qui refuse de voir l’opérateur historique français

1. Ministère des Postes, des Télécommunications et des nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication / Ministère de l’Économie et des Finances (2005).

2. « Téléphonie fixe : La fin du monopole aiguise les appétits », Le Quotidien, 12 janvier 2004.

3. Le cahier des charges annexé à la concession approuvée par le décret n° 97-715 du 19 juillet 1997, stipule en son alinéa 3.2.2 que la durée du monopole sur la téléphonie fixe et les communications internationales couvre une période ferme de sept ans avec la possibi-lité de reconduction éventuelle d’au plus trois années supplémentaires.

4. La géographie du capital du groupe Sonatel se répartit en quatre grands blocs d’action-naires à savoir France Télécom avec 42 %, l’Etat du Sénégal avec 27 %, les actions flottantes 25 % et les employés et retraités de l’entreprise 6 %.

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détenir la majorité absolue du capital de la Sonatel 1. Pour justifier cette dé-cision, le ministre de l’Économie et des Finances déclare tout bonnement :

« un besoin d’argent explique l’urgence de la vente des actions de l’État à la France Télécom. Tous les pays du monde rencontrent des difficultés à cause de la crise économique et financière. Le Sénégal comme tous les pays a besoin de financer son développement, ses infrastructures, payer ses dettes 2. »

Finalement, face à la mobilisation de l’Intersyndicale des travailleurs de la Sonatel, du secteur privé et d’une large frange de l’opinion publique ainsi qu’au rejet de l’opération 3 par le Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers (CREMPF), chargé du contrôle des transactions à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d’Abidjan, le gouverne-ment est obligé de surseoir à la vente.

En septembre 2011, le président de la République annonce, à la surprise générale, son intention d’introduire à l’Assemblée nationale un projet de loi instaurant une participation incompressible de l’État de l’ordre de 35 % dans le capital de toutes les sociétés de télécommunications opérant au Sénégal 4. Présentée lors du Conseil des ministres du 20 octobre 2011, cette proposition s’accompagne du projet de créer « une société anonyme dénommée Télé-com-Sen - SA, ayant pour objet la gestion de toutes les parts détenues par l’État, sans exception, dans les sociétés d’exploitation d’un réseau téléphoni-que au Sénégal » 5. Cette fois-ci, l’opposition la plus radicale vient du Direc-teur général de la Sonatel, qui déclare qu’une telle loi est irréalisable et qu’elle aurait comme conséquence d’envoyer un signal négatif aux investis-seurs potentiels qui n’ont guère envie d’avoir l’État dans leur capital et d’annihiler les efforts faits par l’APIX pour vendre la destination Sénégal aux investisseurs étrangers 6. De même, si une stratégie nationale visant à développer la grappe TIC et téléservices a bien été élaborée dans le cadre de la Stratégie de croissance accélérée (SCA) 7, elle n’a jamais bénéficié des

1. « Sonatel : l’État vend ses parts à France Télécom qui devient actionnaire majoritaire », Infotechsn, 8 avril 2009, [http://www.osiris.sn/SONATEL-L-État-vend-ses-parts-a.html], consulté le 7 août 2012.

2. « Vente des actions Sonatel de l’État : “Un droit de préemption” », selon Abdoulaye Diop. Rewmi, 16 avril 2009.

3. « Rebondissement dans la vente d’actions de l’État : le “gendarme” de la BRVM casse le deal », Le Quotidien, 11 avril 2009.

4. « Après avoir imposé la très controversée surtaxe sur les appels entrants pour ses mil-liards : Wade lorgne encore l’argent des opérateurs de téléphonie dont il veut contrôler 35 % des actions », Le Populaire, 21 octobre 2011.

5. Communiqué du Conseil des ministres du 20 octobre 2011, [http://www.gouv.sn/spip.php?article1137], consulté le 9 août 2012. 6 Cheikh Tidiane Mbaye sur la volonté de l’État de détenir 35 % de Sonatel : « Ni France

Telecom, ni le personnel, ni d’autres actionnaires ne vendraient 8 %, ce n’est pas réalisa-ble », Le Populaire, 28 octobre 2011.

7 Loi d’orientation n° 2008-03 du 8 janvier 2008 sur la stratégie de croissance accélérée.

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moyens permettant sa mise en œuvre immédiate, condition indispensable de réussite dans un secteur en permanente et rapide évolution. Ainsi, malgré les discours plaçant le secteur des télécommunications et des TIC parmi les sec-teurs prioritaires devant contribuer à la croissance économique du pays, il ne bénéficiera jamais des dispositifs d’appui ni du financement nécessaire. Or dans le secteur des TIC, où l’écrasante majorité des acteurs économiques est constituée de petites et moyennes entreprises (PME), voire de très petites entreprises (TPE) 1, la mise en place d’un dispositif d’appui du type « fonds de développement de l’économie numérique » aurait pu jouer un rôle criti-que pour les entreprises du secteur compte tenu de leurs capacités financières limitées. De plus, durant toute cette période, l’État n’a pas su utiliser la commande publique pour soutenir les entreprises spécialisées dans le domai-ne des TIC. Alors que par le passé, l’État travaillait principalement avec de grandes entreprises telles IBM, Bull, HP, Unisys, SENINFOR, ATI, etc., pour l’achat d’équipements comme pour le conseil, il s’est progressivement tourné vers des sociétés proches du secteur informel, comme “Oumou in-formatique” et “Touré Équipement”. De ce fait, sur quelque treize milliards de FCFA de commandes publiques passées dans le domaine des TIC entre 2008 et 2010, les grands noms du secteur (CFAO Technologies, Bull Séné-gal, ABM, GSIE Technology et Full Technologies) n’en ont obtenu que 36,88 % 2, ce qui a contribué à instaurer une certaine morosité chez les pro-fessionnels de l’informatique et à dévaloriser le métier. Enfin, l’État n’a pas su mettre en place une stratégie qui, tout en s’appuyant sur la Sonatel, aurait permis de favoriser la sous-traitance afin d’éviter que l’opérateur historique soit présent sur tous les créneaux et écrase les petites entreprises du secteur. La mise en place laborieuse de l’Agence de régulation des télécom-munications

Après dix années de fonctionnement, le constat qui s’impose est que l’organe en charge de la régulation du secteur des télécommunications est globalement passé à côté de son rôle et n’a pas été en mesure de gagner la confiance des acteurs du secteur ni celle des consommateurs. La raison de cet état de fait tient moins au manque de professionnalisme des agents de cette institution qu’à sa gouvernance ainsi qu’à la nature des relations qu’elle a entretenues avec sa tutelle administrative. En premier lieu, et à l’image de l’autorité gouvernementale en charge des télécommunications et des TIC, l’organe de régulation a été victime d’une instabilité institutionnelle incom-patible avec la sérénité et la stabilité exigées par la mission de régulation qui était la sienne. Créée par le code des télécommunications de décembre 2001, l’Agence de régulation des télécommunications (ART) a dû être bâtie de tou-tes pièces puisque ses fonctions étaient auparavant assurées par la Sonatel

1. Karim Sy, mars 2012. 2. Ibidem.

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puis par le ministère en charge des télécommunications à partir du moment où l’opérateur historique a été privatisé. Un des vices congénitaux de l’ART découle du fait que la première vague de son personnel était largement cons-tituée d’agents de la Sonatel alors qu’elle était censée arbitrer de manière équitable et transparente les conflits entre les acteurs du marché, voire mettre en place une régulation asymétrique au détriment de l’opérateur historique. Le fait qu’elle ne disposait ni de locaux, ni des outils techniques nécessaires à l’exercice de sa mission, notamment en matière de contrôle des fréquences ralentira par ailleurs sa montée en capacité. Enfin, elle pâtira pendant long-temps de l’absence de compétences en matière de régulation économique, ce qui aura pour conséquence de limiter son action au volet juridique avec tou-tes les conséquences néfastes qui en découleront pour les entreprises du sec-teur.

La mise en place de l’organe de régulation débute à la mi-janvier 2002 avec la nomination de son premier directeur général 1. Précédemment conseiller technique pour la régulation à la présidence de la République, il a également exercé les fonctions de secrétaire exécutif du Conseil supérieur de l’industrie (CSI) dans le cadre desquelles il avait travaillé à l’élaboration de la stratégie en matière de téléservices. À peine a-t-il le temps de se mettre à la tâche qu’il est limogé en mai 2003, Abdoulaye Wade l’accusant d’avoir voulu « vendre ses fréquences » ! Son successeur, Malick François Mamous-sé Guèye, n’a aucune expérience significative dans le domaine des télécom-munications et encore moins en matière de régulation. Âgé de 31 ans, cet ingénieur spécialisé en télécommunications et génie électronique, était pré-cédemment directeur des grands travaux au sein de l’APIX (2000-2003). Sa connaissance du secteur des télécommunications se limite à avoir travaillé, pour son premier emploi, comme chef de projet chez Cegetel pendant une année (1997-1998) puis d’avoir été responsable de la conception et de la planification réseau chez Neuf Télécom pendant deux ans (1998-2000). En réalité, la principale qualité de celui que l’on surnomme « le plus jeune DG de l’Alternance » 2 est d’être un proche de la famille présidentielle ! En juin 2005, Malick F.M. Guèye sera à son tour limogé suite à une enquête de l’Inspection générale d’État (IGE) ayant mis à nu des malversations et des actes de mauvaise gestion.

Son successeur, Daniel Goumalo Seck, ingénieur en génie électrique, a commencé sa carrière à la Radiodiffusion Télévision sénégalaise (RTS) pour ensuite travailler pendant une quinzaine d’année dans le secteur de l’informatique, principalement chez Unisys, avant d’exercer les fonctions de directeur des opérations chez Afripa Télécom (2001-2005). Début août 2007,

1. Décret n° 2002-25 en date du 17 janvier 2002 portant nomination du Directeur général de l’Agence de Régulation des Télécommunications.

2. « Passation de services à l’ART : Malick Guèye passe la ligne à Daniel Seck », Walfadjri, 25 juillet 2005.

582 Sénégal (2000-2012)

Daniel G. Seck invite les parlementaires afin de les édifier sur le contenu de la lettre de mission de l’ART, devenu Agence de régulation des télécommu-nications et des postes (ARTP). À cette occasion, ils émettent le vœu que le processus d’attribution de la troisième licence de télécommunications se dé-roule dans la transparence 1. En réponse, le directeur général de l’ARTP les rassure en précisant que le processus d’attribution est en cours de finalisation et que d’ores et déjà sept opérateurs ont été présélectionnés 2. Aucun appel d’offres public n’ayant été lancé, l’information déclenche un tollé dans la presse qui dénonce une procédure conduite “en catimini” et sans implication du secteur privé national 3. Démentie dans un premier temps par l’ARTP, qui déclare n’avoir aucun commentaire à faire à ce sujet, l’opération est finale-ment confirmée par un communiqué en date du 17 août 2007 qui donne aux opérateurs intéressés jusqu’au 31 août 2007 pour déposer leurs offres 4. En fait, dans cette opération, l’ARTP sert de paravent à une opération pilotée directement depuis la présidence de la République 5, ce que ne manque pas de dénoncer le Forum civil qui exhorte l’État à s’engager sur la voie de la transparence 6. Pour se tirer de cette mauvaise passe, le gouvernement expli-que qu’il a opté pour une consultation restreinte en lieu et place d’un appel d’offres public afin de gagner du temps et d’éliminer les opérateurs peu cré-dibles en ciblant, en amont, les opérateurs remplissant déjà les prérequis et qui sont en mesure de faire des offres financières plus intéressantes que dans le cadre d’un appel d’offres ouvert 7. Le 31 août, l’ARTP publie un commu-niqué annonçant qu’elle a reçu des offres et que l’ouverture des plis se dé-roulera le 6 septembre 2007 8. Cependant, seuls les opérateurs ayant exprimé un intérêt pour la troisième licence, lors du sommet de Tunis du SMSI, en novembre 2005, ont été retenus à savoir le koweïtien Celtel 9, le saoudien Bintel et le soudanais Sudatel ! Finalement, l’ARTP annonce le 7 septembre que Sudatel s’est vu attribuer la licence pour 200 millions de dollars (100

1. « Pour mieux s’acquitter de sa mission : l’ARTP met à contribution les parlementaires », Walfadjri, 7 août 2007.

2. « Troisième licence de téléphonie mobile : Sept opérateurs dans la course », L’As, 7 août 2007.

3. « Attribution de la troisième licence de téléphonie au Sénégal : l’État consulte des sociétés “en catimini” », Nettali, 16 août 2007. [http://www.nettali.net/spip.php?article4442], consulté le 9 juillet 2012.

4. Communiqué de l’ARTP sur la nouvelle licence globale, 17 août 2007. 5. « Attribution d’une troisième licence de téléphonie : l’ARTP confirme que le processus

est en marche », Nettali, 17 août 2007. [http://www.nettali.net/spip.php?article4458], consulté le 9 juillet 2012.

6. « Procédure d’octroi de la 3e licence de téléphonie : « Il y a une crise de confiance dans la capacité de l’État à être transparent », Nettali, 16 août 2007,

[http://www.nettali.net/spip.php?article4534], consulté le 9 juillet 2012. 7. « Nouvelle licence de télécommunications : pourquoi l’État a opté pour la “consultation

restreinte” », Walfadjri, 27 août 2007. 8. Communiqué de l’Agence de régulations des postes et des télécommunications. 31 août

2007. 9. La marque Celtel a été remplacée par l’appellation Zain en 2008.

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 583

milliards de FCFA), devançant Bintel avec 152 millions de dollars (75 mil-liards de FCFA) et Celtel avec 105 millions de dollars (52 milliards de FCFA) 1. Justifiant son choix, l’ARTP indique que les critères économiques et financiers ont pesé pour 60 %, les critères techniques pour 20 % et les cri-tères juridiques pour 20 % 2. Loin de clore le débat, ce choix marque le point de départ de « l’affaire Sudatel » qui se développera principalement autour de trois volets à savoir la polémique sur le processus d’attribution de la li-cence, la question des primes allouées aux responsables de l’ARTP et enfin les commissions qu’auraient reçues certains dignitaires du régime à cette occasion 3. Attribution de la troisième licence de télécommunications : retour sur un appel d’offres biaisé L’appel d’offres pour l’attribution d’une troisième licence de télécom-munications a donné lieu à un véritable feuilleton qui a duré des années. Le principe d’ouvrir le marché à un troisième opérateur a été énoncé dans le discours de politique générale de Moustapha Niasse du 3 juillet 2000. Ce-pendant, il faut attendre janvier 2005 et la présentation des grands axes de la lettre de politique sectorielle des télécommunications pour la période 2005-2010 4 pour que la question soit à nouveau mise à l’ordre du jour, le gouver-nement annonçant à cette occasion le prochain lancement d’un appel d’offres. En avril, dans une interview accordée au journal Walfadjri, le conseiller spécial du président de la République chargé des nouvelles Tech-nologies de l’Information et de la Communication, précise que l’attributaire de la troisième licence de télécommunications sera connu à la fin du premier semestre 2005 5. Après plusieurs reports, le directeur général de l’ART, indi-quera finalement dans un communiqué de presse publié le 14 novembre 2005 à Tunis, pendant le SMSI, que l’appel d’offres international relatif à la désignation du nouvel opérateur global de télécommunications serait lancé en janvier 2006. Il précise même que le gouvernement sénégalais a désigné les cabinets Mc Kinsey, Goldman Sachs et Clifford Chance pour être respec-tivement ses conseillers sectoriel, financier et juridique. Cependant, une fois de plus, à la date échue l’appel d’offres pour la licence globale n’est pas lan-cé, les autorités justifiant le retard par le fait que l’Agence de régulation des

1. « La nouvelle licence globale de télécommunication attribuée à Sudatel », Agence de

presse sénégalaise, 7 septembre 2007. 2. « Course pour une troisième licence globale de télécommunications : Sudatel remporte la

palme, et promet d’être opérationnelle dès janvier prochain », L’Office, 8 septembre 2007. 3. Le fait que Sudatel figurait sur une liste noire, élaborée par les autorités américaines,

d’entreprises et de personnalités soudanaises soupçonnées de soutenir la répression au Darfour, sera également agité pendant un certain temps.

4. Ibidem. 5. « Thierno Ousmane Sy, conseiller du chef de l’État chargé des nouvelles technologies : le

troisième opérateur de téléphonie sera connu dans deux mois », Walfadjri, 9 avril 2005.

584 Sénégal (2000-2012)

télécommunications et des postes (ARTP) est en train de procéder au toilet-tage du code des télécommunications dont la nouvelle mouture a été adoptée par l’Assemblée nationale depuis le 4 janvier 2006 ! Finalement, c’est en août 2007 que l’appel d’offres restreint sera lancé et débouchera sur l’attribution de la licence globale à Sudatel.

Nombre de témoignages convergent pour indiquer que l’appel d’offres en question n’était qu’une opération destinée à entériner un choix déjà fait. Selon l’hebdomadaire La Gazette, une note interne à Celtel envoyée par un haut responsable de Celtelglobe – soumissionnaire à l’appel à concurrence pour l’attribution de la troisième licence – confirme les informations selon lesquelles la décision d’attribuer la troisième licence a été prise bien avant l’ouverture de l’appel d’offres. Cette note fait le compte rendu sommaire d’une réunion tenue au Congo entre Abdoulaye Wade et Fady Kamar, chef de la planification stratégique et responsable des fusions acquisitions au sein de Celtelglobe. La note a été envoyée par Fady Amar à Keba Keinde, Pdg de Millenium Finance Corporation (Mfc) et à Amadou Hott, Pdg de UBA Capi-tal et ancien collaborateur de Keba Keinde au sein de Mfc. Datant de la mi-août 2007, elle cite nommément le président de la République qui, répondant à l’interpellation de Fady Kamar au sujet de l’adjudication de la troisième licence aurait déclaré : « J’ai déjà donné la 3ème licence. Nous avons pris la décision à propos du vainqueur » 1.

D’autres sources confirment ce scénario et selon un employé du cabinet d’avocat auquel Sudatel avait confié ses intérêts, la firme soudanaise avait loué des bureaux à Dakar bien avant la proclamation du résultat de l’appel d’offres et s’était même vu conseiller de demander aux autorités d’organiser un appel d’offres pour légaliser l’opération. L’ARTP n’a donc été qu’un ins-trument chargé de donner un cachet légal à cette opération. Pour couronner le tout, en avril 2010, une enquête menée par l’hebdomadaire La Gazette révèlera que la différence de 20 milliards de francs CFA constatée entre le prix de vente de la licence indiqué par les autorités et la somme effective-ment encaissée par le Trésor public est due au paiement de commissions que se seraient partagés des officiels sénégalais pour 15 milliards de FCFA et des experts américains et arabes pour 5 milliards de FCFA. Les fonds auraient transité par une société offshore dénommée Read Sea Holding qui serait la propriété de Karim Wade, selon un article publié dans le Sudan Tribune 2. Réagissant à cette information, Me Abdoulaye Wade indiquera que la diffé-rence s’expliquait en réalité par les variations du taux de change du dollar 3 tandis que de son côté Thierno Ousmane Sy portera plainte contre Abdou Latif Coulibaly et les auteurs de la série d’articles sur le sujet. En première

1. « Wade choisit son vainqueur avant la date », La Gazette, 21 juin 2010. 2. « Vente de la licence Sudatel : les secrets de la transaction », La Gazette, 30 avril 2010. 3. « Licence de Sudatel : Me Wade renvoie aux variations du taux de change », Le Soleil, 12

juin 2010.

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 585

instance, le Tribunal régional de Dakar condamnera Abdou Latif Coulibaly à un mois de prison avec sursis et à 20 millions de dommages et intérêts pour diffamation, les journalistes Alioune Badara Coulibaly et Aliou Niane, décla-rés coupables de complicité de diffamation, étant condamnés à payer solidai-rement les intérêts civils 1.

Daniel Goumalo Seck entre mauvaise gestion et activisme politique

Dans la soirée du 22 mars 2009, alors que les médias audiovisuels diffu-sent des émissions spéciales consacrées aux résultats des élections locales, qui s’annoncent défavorables au régime d’Abdoulaye Wade, Daniel G. Seck, directeur général de l’ARTP, politiquement étiqueté comme sympathisant de la « Génération du concret » 2, diffuse un communiqué qui fait l’effet d’une bombe. Il annonce que toutes les stations de radio et de télévision qui ne sont pas en règle vis-à-vis de leurs obligations financières verront leurs autorisa-tions de fréquence suspendues pour une durée de 45 jours à partir du lundi 23 juin 2009. Perçue comme une volonté de bâillonner les médias privés, au moment où les premiers résultats laissent entendre que le PDS a perdu la plupart des grandes villes du pays, cette annonce déclenche une véritable tempête sur les ondes des stations de radio. Sentant que la situation peut dé-générer à tout moment, des membres influents de la majorité présidentielle se désolidarisent rapidement de la mesure. Le porte-parole du gouvernement déclare ainsi que le communiqué n’engage nullement le gouvernement et annonce publiquement : « Nous venons de demander à l’ARTP de surseoir à la mise en œuvre d’une telle mesure. Elle est inappropriée. Elle ne sera donc pas appliquée » 3. Lâché par ceux-là mêmes qui lui avaient sans doute conseillé, voire ordonné de procéder ainsi, Daniel G. Seck est obligé d’aller à Canossa. Dès le lendemain, il publie un communiqué dans lequel il déclare :

Il m’a été donné de constater que la décision relayée par l’AFP et prise par l’ARTP en toute autonomie a été mal comprise et crée une situation contraire à l’effet recherché. Je tiens à préciser que ni le gouvernement ni aucune autorité de la République n’est associé de près ou de loin à cette décision. Pour éviter tout quiproquo, l’ARTP suspend provisoirement sa décision, ce qui est en parfaite adéquation avec la position de principe exprimée par les plus hautes autorités de l’État à travers les différentes ondes de radio et télévision 4.

1. « Un mois de prison avec sursis et 20 millions d’amende pour Latif Coulibaly et collabo-rateurs », Agence de presse sénégalaise, 16 novembre 2010.

2. La Génération du concret (GC) est un mouvement politique créé par Karim Wade et un certain nombre de responsables du PDS parmi lesquels Kalidou Diallo, Abdoulaye Baldé, Innocence Ntap Ndiaye et Awa Ndiaye, avec l’objectif de s’emparer du contrôle du PDS pour servir les ambitions politiques du fils d’Abdoulaye Wade.

3. « Suspension des fréquences radio et télé : la mesure de l’ARTP suspendue », Agence de

presse sénégalaise, 22 mars 2009. 4. « Mise au point du directeur général de l’ARTP », 23 mars 2009.

586 Sénégal (2000-2012)

Devenu plus gênant qu’utile, Daniel G. Seck est définitivement limogé de son poste de directeur général de l’ARTP le 10 septembre 2009, après avoir échappé, une première fois, à une rocambolesque tentative de destitu-tion. En effet, suite à l’envoi d’une lettre anonyme, il avait été limogé de son poste le 27 décembre 2007 pour être remplacé par El Hadji Mansour Tandi-né, conseiller technique à la présidence de la République 1. Cependant, suite aux vérifications opérées par les Renseignements généraux (RG), il avait été rétabli dans ses fonctions quelques heures après, avant même que son rem-plaçant n’ait eu le temps de prendre service ! 2 Cette fois-ci, non seulement il n’échappe pas au couperet, mais une semaine plus tard, un article publié dans l’hebdomadaire La Gazette révèle qu’un rapport de l’Inspection généra-le d’État (IGE) l’accuse, ainsi que les six membres du Conseil de régulation, du détournement d’une somme de 1,6 milliards FCFA 3. Au final, après avoir été inculpé le 10 mars 2010 et placé sous mandat de dépôt pour quelques jours, Daniel G. Seck, ainsi que ses co-inculpés, bénéficieront d’un non-lieu en avril 2011 4. En tout état de cause, sa gestion de l’ARTP a été loin d’être irréprochable, puisqu’un audit réalisé par l’Agence de régulation des mar-chés publics (ARMP) montre que, au seul titre de l’exercice 2009, des mar-chés d’un montant de 842 millions de FCFA ont été octroyés à des sociétés et cabinets sans le moindre appel d’offres et que ni la passation des appels d’offres ouverts, ni les demandes de renseignement de prix (DRP) n’obéissaient aux règles édictées par le code des marchés publics 5. Mauvaise gestion, attribution contestée de la troisième licence, tentative d’intimidation des médias à des fins politiques, toutes ces affaires ne contribuèrent guère à rehausser l’image de l’ARTP, institution qui a vu défiler pas moins de trois directeurs généraux en sept ans d’existence. L’ARTP sous le règne de Ndongo Diaw

Daniel G. Seck limogé, Ndongo Diaw, ancien directeur financier puis directeur des ressources humaines de la RTS, lui succède comme directeur général de l’ARTP. Né à Louga de parents originaires de Kébémer, ville na-tale d’Abdoulaye Wade, il milite dans la section communale de Kébémer du PDS où il est chargé de la communication et fait partie des proches du prési-

1. Batik, 101, décembre 2007. 2. « Viré avant-hier de la direction de l’ARTP. Comment Daniel G. Seck aurait retrouvé son

fauteuil », L’Observateur, 29 décembre 2007. 3. « Il s’était promis de fermer Walf TV : le DG de l’ARTP emporté par ses fautes de ges-

tion », Walfadjri, 11 septembre 2009. 4. Lire Abdoulaye Sakho (2012). 5. KPMG Sénégal. Mission de revue indépendante de la conformité de la passation des mar-

chés des autorités contractantes au titre de la gestion 2009. Groupe I Autorité contractan-te : Autorité de régulation des télécommunications et des postes du Sénégal ARTP. Rap-port final. [http://documents.armp.sn/IMG/pdf/ARMP_-_ARTP_07_03_2011.pdf ], consulté le 15 octobre 2012.

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 587

dent de la République 1. Quelques mois après sa nomination, il se heurte à l’Union nationale des exploitants de télécentres et téléservices du Sénégal (UNETTS) pour avoir décidé de supprimer les subventions accordées par l’ARTP à cette organisation dans le cadre de la promotion des TIC 2. Des associations consuméristes ayant également vu leurs subventions suppri-mées, dénoncent la décision du nouveau directeur général de l’ARTP. Son attitude est aussi critiquée par le Rassemblement des entreprises du secteur des TIC (RESTIC) qui déplore la « quasi absence de règles et procédures transparentes » et appelle à une large concertation en vue de définir des rè-gles consensuelles d’éligibilité 3. Cependant, ces questions ne sont que des épiphénomènes à côté de l’affaire qui mettra Ndongo Diaw sur le devant de la scène pendant plusieurs mois, à savoir l’affaire Global Voice.

Suite à l’adoption d’un décret instituant un système de contrôle et de ta-rification des communications téléphoniques internationales entrant au Sé-négal, le directeur général de l’ARTP publie, le 23 juin 2010, un communi-qué dans lequel il annonce la mise en place dudit système de contrôle 4. Conçu comme un moyen simple et efficace de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État, mais aussi et surtout dans celle de la « Génération du concret », ce projet vise à confier à Global Voice Group le contrôle et la taxation des appels internationaux entrants au Sénégal. Le « deal » est sim-ple : en échange de l’installation et de la gestion du dispositif, d’un coût de 2 milliards de FCFA, Global Voice encaisse 49 % des montants collectés qui sont estimés à quelques 60 milliards de FCFA par an 5. Cependant, ce contrat de gré à gré est annulé par l’ARMP qui estime qu’il ne s’agit pas d’un parte-nariat public – privé et nie le bien-fondé du recours à un contrat d’entente directe 6. Finalement, suite à la mobilisation de l’Intersyndicale des travail-leurs de la Sonatel, au refus de l’opérateur historique de coopérer avec Glo-bal Voice Group et à la mobilisation de l’opinion publique et de la diaspora

1. « Daniel Goumalo Seck limogé par le président Wade : Ndongo Diaw de la RTS nommé directeur général de l’ARTP ! », Nettali, 10 septembre 2009 [http://www.osiris.sn/Daniel-Goumalo-Seck-limoge-par-le.html], consulté le 9 juillet 2012.

2. « L’accusant de violation du code des télécommunications : les exploitants de télécentres et téléservices tirent sur l’ARTP... », Walfadjri, 26 mars 2010.

3. « Le Restic pour une concertation sur l’éligibilité à l’appui de l’ARTP », Le Soleil, 3 avril 2010.

4. « Le Sénégal met en place un système de contrôle des communications téléphoniques internationales », Communiqué de l’ARTP, 23 juin 2010.

5. « Global Voice au Sénégal : magouilles au bout du fil : un deal à milliards sur fond d’escroquerie », L’Observateur, 17 juillet 2010.

6. Décision n° 127/10/ARMP/CRD du 15 septembre 2010 du Comité de Règlement des différends statuant en commission litiges sur la dénonciation de la Société nationale des télécommunications (Sonatel) concernant la procédure relative au contrat dit de partena-riat entre l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) et la so-ciété Global Voice Group (GVG) SA.

588 Sénégal (2000-2012)

sénégalaise, l’application du décret est suspendue en novembre 2010 1. Continuant à instrumentaliser l’institution qu’il dirige à des fins politiques, Ndongo Diaw fait de l’ARTP, à l’occasion de la quatorzième édition du Fes-tival du cinéma africain de Khouribga (Maroc), la tête de file des structures impliquées dans le financement du Centre panafricain du cinéma et de l’audiovisuel, initiative qui n’a rien à voir avec le secteur des télécommuni-cations 2.

Cependant, les dérives les plus importantes se produisent dans le courant du premier trimestre de l’année 2012, et plus particulièrement entre les deux tours de l’élection présidentielle. Passées inaperçues sur le moment, elles apparaitront une à une dans la presse suite à l’élection de Macky Sall à la présidence de la République le 25 mars 2012 et à la nomination d’un nou-veau Directeur général de l’ARTP le 19 avril 2012 3. La presse révèle d’abord qu’une autorisation d’opérateur d’infrastructure de télécommunica-tions a été octroyée en février 2012 à la société MTL Infrastructure et Servi-ces SA sans que personne n’en soit informé 4. Bien que le montant de la concession ne soit mentionné nulle part dans le décret ni dans la convention, certaines personnes au courant de la transaction estiment celui-ci à 100 mil-liards de FCFA 5. Quelques jours plus tard, il s’avère que cette société a éga-lement obtenu, dans le cadre d’un contrat d’assistance de gré à gré signé avec l’ARTP, le contrôle des appels internationaux entrants, pour un montant de 105 milliards de francs CFA sur une période de cinq ans 6. D’autres révé-lations montreront que l’ARTP a intégralement payé la réalisation de son nouveau siège aux Almadies, alors que les travaux ne sont toujours pas ter-minés 7. Finalement, l’ampleur des actes de mauvaise gestion révélée par les audits internes menés à la demande du nouveau directeur général de l’ARTP, conduisent ce dernier à porter plainte contre X pour détournement de deniers publics 8. Cependant, il n’y a pas que la gestion de l’ARTP qui a été calami-

1. Décret n° 2010-1524 du 19 novembre 2010 portant suspension des articles 6 à 11 du dé-cret n° 2010-632 du 28 mai 2010 instituant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant en République du Sénégal.

2. « L’ARTP impliquée dans le financement du Centre panafricain du cinéma et de l’audiovisuel », Agence de presse sénégalaise, 17 juillet 2011.

3. Communiqué du Conseil des ministres du 19 avril 2012. [http://www.gouv.sn/spip.php?article1185], consulté le 15 juillet 2012. 4. Décret n° 2012-301 du 23 février 2012 portant approbation de la convention de conces-

sion passée entre l’état du Sénégal et la société MTL Infrastructure et Services SA pour l’exploitation d’infrastructures de télécommunications. Voir aussi le décret n° 2012-447 du 12 avril 2012 abrogeant ce décret.

5. « Convention de concession à MTL West Africa Infrastructures et Services SA : Wade vend la quatrième licence de téléphonie en pleine campagne », L’Observateur, 6 avril 2012.

6. « Contrôle des appels entrants : MTL décroche un gré à gré de 105 milliards », Enquête

plus, 16 avril 2012. 7. « Après MTL et les appels entrants : l’ARTP cible Cheikh Amar », Libération, 29 mai 2012. 8. « Après des audits approfondis, l’ARTP dépose une plainte contre X pour détournement

de deniers publics », Pressafrik, 30 mai 2012, [http://www.pressafrik.com/Apres-des-

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 589

teuse pendant toutes ces années car sur le plan de la régulation du secteur des télécommunications, les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes des acteurs du domaine ni de celles des citoyens. Un marché des services TIC et de télécommunications peu concurrentiel

Tant que le secteur des télécommunications a fonctionné comme un mo-nopole, à savoir un secteur dans lequel l’État estimait qu’il n’y avait pas pla-ce pour la concurrence, la problématique de la régulation ne se posait pas. À cette époque, il s’agissait simplement de réglementer le secteur des télé-communications et cette fonction était assurée par le ministère chargé des télécommunications avec l’appui technique de la Sonatel 1. Cependant, dans le cadre des discussions de l’Uruguay Round, qui déboucheront sur la libéra-lisation du commerce des services, le Sénégal s’est engagé à privatiser l’opérateur historique et à ouvrir progressivement le marché des télécommu-nications à la concurrence 2. Dès lors, il était inconcevable que le secteur continue à être régulé par la Sonatel comme par le passé et par ailleurs l’État ne pouvait s’en remettre uniquement à la loi sur la concurrence puisque le nouveau marché présentait une forte asymétrie. Il y avait en effet, d’un côté l’opérateur historique en position dominante, car possédant l’infrastructure de télécommunications, offrant une large gamme de services, disposant d’un réseau commercial étoffé, etc., et de l’autre de nouveaux entrants qui de-vaient partir quasiment de zéro pour aller à la conquête de parts de marché. Afin de gérer une telle situation, la solution retenue un peu partout à travers le monde a consisté à mettre en place des autorités administratives indépen-dantes (AAI) prenant la forme d’agences ou d’autorités de régulation.

La réforme du code des télécommunications entreprise en 1996 3 a auto-risé la privatisation de la Sonatel et introduit la concurrence dans le secteur des télécommunications avec, d’une part, une concurrence limitée à deux opérateurs dans le sous-secteur de la téléphonie mobile et, d’autre part, une concurrence totale pour les services à valeur ajoutée (SVA) 4. Dans ce contexte, le rôle de l’organe de régulation est de mettre en place des règles permettant une concurrence saine et loyale entre les différents acteurs opé-

audits-approfondis-l-ARTP-depose-une-plainte-contre-X-pour-detournement-de-deniers-publics_a83416.html], consulté le 15 juillet 2012.

1. Pour plus de précisions sur l’histoire de la régulation du secteur des télécommunications au Sénégal, voir notamment Oumar Kane (2010).

2. Sur cette question, voir Elhadji Mounirou Ndiaye (2012). 3. Loi n° 96-03 du 22 février 1996 portant code des télécommunications. 4. En avril 2004, l’ART a établi une liste identifiant dix services à valeur ajoutée pouvant

faire l’objet d’une offre publique à savoir la messagerie électronique, la messagerie voca-le, l’audiotex, l’échange de données informatisé (EDI), la télécopie améliorée, les services d’information en ligne, les services d’accès aux données, le transfert de fichiers et de don-nées, la conversion de protocole et de codes et les services internet.

590 Sénégal (2000-2012)

rant sur le marché. Pour ce faire, il aurait dû appliquer une régulation asymé-trique, privilégiant les nouveaux entrants de manière à ce qu’ils soient réel-lement capables de concurrencer la Sonatel. Cependant, une telle régulation ne sera jamais mise en place, créant de facto les conditions d’une concurren-ce biaisée dont la Sonatel sera la seule à bénéficier. Ainsi en matière de télé-phonie mobile, Sentel, opérationnel à partir de 1999, ne bénéficiera jamais d’aucune protection particulière pour affronter Sonatel mobiles, présent sur le marché depuis 1996 et bénéficiant de la réputation et de la force de frappe commerciale de sa maison-mère. Si l’on ajoute à cela les conséquences du différend qui opposera le second opérateur de téléphonie mobile à l’État du Sénégal pendant plus d’une décennie, il est aisé de comprendre pourquoi le second opérateur de téléphonie mobile ne sera jamais en mesure de vérita-blement concurrencer la Sonatel.

Titulaire d’une licence globale lui permettant de faire de la téléphonie fixe, de la téléphonie mobile et de proposer des services internet, Expresso 1 n’a bénéficié d’aucun avantage particulier lors de son arrivée sur le marché des télécommunications, si ce n’est de l’assurance donnée par l’État que ce-lui-ci n’autoriserait pas l’installation d’un quatrième opérateur avant un délai de cinq ans 2. Le seul véritable avantage, dont Expresso bénéficiera pendant un certain temps, sera de disposer d’une licence 3G, possibilité refusée à la Sonatel pendant près de deux ans et que Sentel 3 ne pouvait espérer obtenir en raison de son contentieux avec l’État. Résultat, malgré l’existence de trois opérateurs sur le marché de la téléphonie mobile, en mars 2012 celui-ci est toujours largement dominé par la Sonatel qui en contrôle 63,9 % des parts, Sentel arrivant loin derrière avec 25,1 % et Expresso avec 11 % 4. De plus, Expresso n’étant pas présent et la Sonatel conservant de fait son monopole en matière de communications internationales grâce au contrôle qu’elle exerce directement sur les câbles sous-marins et les liaisons satellitaires, la concurrence dans le secteur est fortement limitée, contrairement à ce que l’on pourrait penser.

Une situation similaire prévaut dans les neuf autres sous-secteurs définis par le régulateur, puisque la Sonatel est en position dominante dans chacun d’entre eux ! Présente et dominante sur le segment des télécommunications internationales, nationales et locales, la Sonatel contrôle de bout en bout la

1. Expresso est la marque commerciale sous laquelle sont commercialisés les produits et services d’Expresso Sénégal propriété de Sudatel.

2. Le 10 mai 2009 dans l’émission « Grand jury » de RFM, le Conseiller spécial du président de la République pour les NTIC indiquait que l’État avait garanti à Sudatel que la structu-re du marché, avec trois opérateurs, serait maintenue en l’état pendant une durée d’au moins cinq ans.

3. En novembre 2005, Sentel a remplacé la marque commerciale Hello, sous laquelle il commercialisait jusqu’alors ses produits et services, par la marque Tigo utilisée à travers le monde par le groupe Millicom International Cellular (MIC).

4. Cf. ARTP (2012).

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chaine de valeur des services internet et de télécommunications 1. Dès lors, la libéralisation du marché des télécommunications a eu pour principal résul-tat de remplacer un monopole public de jure par un monopole privé de facto. La meilleure illustration de cette affirmation est l’évolution du sous-secteur des services internet régi par un régime de concurrence totale depuis l’origine. Après la connexion du Sénégal à l’internet en 1996, le marché des services internet s’est rapidement développé. D’abord seul sur le terrain, Té-lécom-Plus, filiale de la Sonatel et de France Câbles et Radio (FCR), a été rapidement rejoint par le Metissacana 2, puis par une série d’entreprises au point qu’à l’aube des années 2000, il existait près d’une douzaine de fournis-seurs d’accès internet (FAI). Ces derniers, luttant à armes inégales contre la Sonatel, dont la filiale Internet Télécom Plus se connecte directement sur le backbone internet 3 pendant qu’ils sont obligés de passer par des liaisons spécialisées coûteuses et à faible débit, disparaitront un à un du marché. Ré-sultat, en 2012, il ne subsistait plus qu’un FAI contrôlant moins d’un pour cent des parts de marché et qui, de surcroit, devait se contenter de revendre les services ADSL fournis par la Sonatel 4. De même, sous prétexte que la fourniture de services à valeur ajoutée ne faisait pas partie des services régu-lés, l’ARTP n’apportera jamais une attention particulière aux revendications de l’Union nationale des exploitants de télécentres et téléservices du Sénégal (UNETTS) engagée dans une rude bataille contre la Sonatel pendant plu-sieurs années. Cette posture du régulateur, conjuguée à la concurrence de la téléphonie mobile, sera responsable de la disparition des 30 000 télécentres que comptait le Sénégal et avec elle de plusieurs dizaines de milliers d’emplois, sans parler de la disparition du réseau de points d’accès collectif qu’ils constituaient à travers le pays. Autre sujet sur lequel le régulateur n’a guère été efficace, les questions de sécurité liées à l’identification des pos-sesseurs de carte SIM. Pendant des années, ces cartes ont été vendues dans la rue sans qu’aucune mesure de contrôle ne soit prise pour s’assurer de l’identité des acheteurs. En mai 2007, l’ARTP lancera bien une campagne d’identification des possesseurs de cartes SIM, mais les résultats en seront si mauvais que le bilan ne sera jamais dressé et aujourd’hui encore, n’importe qui peut acheter une carte SIM dans la rue sans présenter la moindre pièce d’identité 5, alors qu’il aurait suffi d’imposer aux opérateurs de téléphonie

1. Lire Isabelle Gros (2012 : 14). 2. Fournisseur de service internet, le Metissacana, lancé le 3 juillet 1996, fut également le

premier cybercafé à ouvrir ses portes en Afrique de l’Ouest. 3. Le backbone internet ou dorsale internet, fait référence aux liaisons à haut débit sur les-

quelles circulent les données entre les grands réseaux interconnectés et les routeurs qui sont à la base de l’internet.

4. Depuis novembre 2006, les produits et services de la Sonatel sont distribués sous la mar-que commerciale Orange.

5. Il faut cependant reconnaître que cet état de fait n’est pas l’apanage de l’ARTP et que de telles pratiques sont observables dans nombre de pays africains où il semble exister un vé-ritable « deal » entre les opérateurs et les régulateurs afin que le marché de la téléphonie

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mobile de vendre des cartes SIM activables seulement après que l’identité de leur possesseur ait été enregistrée. Par ailleurs, pour ce qui est du contrôle de la qualité de service, l’ARTP n’a pas été non plus très vigilante. Exception faite de l’amende de 8 milliards de FCFA infligée à la Sonatel 1, les récrimi-nations des consommateurs relatives à la qualité des services fournis par les opérateurs de télécommunications, et plus particulièrement par la Sonatel, n’ont jamais été considérées avec l’attention nécessaire. Enfin, l’ARTP a été très peu diligente à mettre en œuvre les demandes des consommateurs et des professionnels du secteur relatives à la portabilité du numéro 2, au dégroupa-ge de la boucle locale 3, à la boucle locale radio 4, à l’autorisation d’opérateurs alternatifs 5, au déploiement de réseaux WiMax, à l’autorisation de la téléphonie sur internet, etc. qui auraient pu stimuler le développement des services internet. Conséquence de l’inaction de l’ARTP sur le marché des télécommunications et des TIC, après un fort développement d’internet entre 2000 et 2004, qui, avec un taux de pénétration de 4,5 %, plaçait le Sé-négal devant le Kenya et le Nigeria, sa croissance s’est par la suite fortement ralentie. En 2011, malgré un taux de pénétration qui avait progressé à 15,7 %, le Sénégal était loin derrière le Kenya et le Nigeria qui affichaient respectivement des taux de pénétration de 25,5 % et 29 % 6. Preuve supplé-mentaire, s’il en était besoin, de la faible empreinte de l’ARTP sur la régula-tion du secteur des télécommunications, l’attribution d’une licence à Global-com. Alors que l’attention de l’opinion publique était focalisée sur l’affaire Global Voice Group, le gouvernement accorda une licence de télécommuni-cations à la société nigériane Globalcom, pour l’atterrissage de son câble sous-marin Glo1 au Sénégal, mais également pour la fourniture de services internet haut débit destinés aux opérateurs de télécommunications, au gou-vernement et aux gros clients, sans que l’organe de régulation ne soit asso-ciée ni aux négociations, ni à la signature du contrat 7. Jouissant d’un mono-

mobile puisse se développer sans entrave, fut-ce au détriment des considérations d’ordre sécuritaire.

1. « L’ARTP inflige une amende de 8 milliards Cfa à la Sonatel », L’Observateur, 6 août 2010.

2. La portabilité du numéro autorise les clients à changer d’opérateur de téléphonie tout en gardant le même numéro.

3. La boucle locale est la partie finale de la ligne téléphonique arrivant chez l’abonné. Le dégroupage de la boucle locale permettrait aux concurrents de Sonatel d’accéder aux li-gnes téléphoniques jusqu’à l’abonné et mettrait ainsi fin au monopole de l’opérateur his-torique sur les communications locales sans que ceux-ci aient à déployer leur propre ré-seau.

4. La boucle locale radio (BLR) consiste en l’ensemble des technologies permettant à une entreprise ou à un particulier d’être relié à son opérateur de télécommunications via les ondes radios, permettant de compléter la desserte filaire.

5. Entrent dans cette catégorie les opérateurs virtuels (MVNO) proposant des services en utilisant le réseau d’opérateurs tiers.

6. Internet World Stats (http://www.internetworldstats.com/stats1.htm) [consulté le 25 sep-tembre 2012].

7. « Octroi d’une licence d’exploitation au géant nigérian des télécommunications : L’État

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 593

pole de fait, la Sonatel a profité de la situation pour imposer des prix élevés, notamment sur les liaisons nationales 1, sans que l’ARTP ne réagisse en met-tant par exemple en place un encadrement réglementaire des prix qui aurait permis de les faire baisser. Le fait qu’une concurrence saine et loyale n’ait jamais pu s’installer entre les opérateurs, que ceux-ci aient attendu en vain une série de décisions importantes et que l’ARTP ait été contournée à plu-sieurs occasions par l’État, a fait dire à certains acteurs du secteur qu’il y avait « absence d’une véritable régulation » 2. Si le terme “absence” est un peu fort, toujours est-il que la régulation du secteur des télécommunications a été pour le moins déficiente, comme l’illustre le feuilleton Sentel / État du Sénégal qui aura duré près de douze ans. Sentel / État du Sénégal : douze ans de contentieux autour d’une licence

Le 2 octobre 2000, le Conseil des ministres décide de retirer définitive-ment la licence de téléphonie mobile accordée à Sentel en avril 1998. Le mo-tif avancé par les autorités est que l’opérateur ne s’est pas conformé aux obligations stipulées dans la convention signée avec l’État, malgré une lettre de mise en demeure adressée le 17 juillet 2000. Elles lui reprochent notam-ment le non-respect de ses engagements en matière de volume d’investisse-ments, des défaillances en termes de qualité et de couverture de son réseau, l’absence d’information relative à la gestion financière et technique de sa licence et une dette de 579 millions de FCFA au titre des redevances dues à l’État 3. En conséquence, l’État indique que la licence de téléphonie mobile sera prochainement mise aux enchères et que Sentel sera autorisé à soumis-sionner si elle le désire. Réagissant à cette décision, la direction générale de Sentel GSM récuse les reproches qui lui sont adressés, déclarant avoir « satisfait à toutes ses obligations conformément à la licence », affirmant que « toutes les preuves ont été transmises à temps aux autorités sénégalaises contrairement aux déclarations faites » par celles-ci et concluant qu’elle

“gifle” Sonatel pour Globacom », L’As, 2 juin 2010. 1. Une liaison d’un débit de 155 mégabits (STM1) coûte entre 30 et 400 dollars par mégabit

par kilomètre par mois au Sénégal contre 20 dollars au Kenya, 25 dollars en Côte-d’Ivoire et 30 dollars au Nigeria.

2. Propos de Daniel Annerose, PDG de Manobi, opérateur de services à valeur ajoutée, cités dans l’article « Sonatel, un géant trop encombrant », Jeune Afrique, 2691, du 5 au 11 août 2012.

3. D’après les termes de la convention liant Sentel à l’État, l’opérateur doit s’acquitter d’une redevance annuelle de 50 millions de Francs CFA au titre des frais de gestion de l’autorisation, d’une redevance annuelle de 10 millions de Francs CFA par canal duplex utilisé au prorata de la durée d’utilisation et contribuer aux missions de recherche et déve-loppement, de formation et de normalisation en matière de télécommunications à hauteur de 2 % du montant hors taxes de ses investissements pour l’activité du réseau mobile de l’année précédente.

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« s’est acquittée correctement des montants dus » 1. En réalité, le méconten-tement des autorités découle du fait que Sentel a acquis sa licence contre le paiement d’une somme de 50 millions de FCFA en 1998 alors que la Mauri-tanie a vendu sa première licence de téléphonie mobile à 200 milliards de FCFA en mai 2000 et que le Maroc a tiré 780 milliards de FCFA de la vente de sa deuxième licence en mars 2000. Si, a posteriori, l’attitude du gouver-nement sénégalais peut se comprendre, elle n’est pas pour autant fondée, car à l’époque personne n’avait prédit le succès de la téléphonie mobile 2. C’est pourquoi, pour encourager les investissements des opérateurs de télécommu-nications, certains pays comme le Sénégal avaient choisi de ne pas exiger de ticket d’entrée élevé, préférant miser sur des revenus générés par des rede-vances et des taxes diverses.

En fait, il n’est pas difficile d’imaginer que, sollicité pour apporter un appui financier au nouveau régime alors en phase de consolidation de son pouvoir, Sentel ait fait la sourde oreille ou ne se soit pas montré assez géné-reux aux yeux des nouveaux décideurs. Il est vrai qu’à l’époque, le centre de gravité de la sphère décisionnelle en matière de télécommunications et de TIC n’était pas aisé à situer. Les différentes pressions exercées par les autori-tés sénégalaises ne leur ayant pas permis d’obtenir gain de cause, l’État dé-cide de retirer sa licence à Sentel à partir du 31 octobre 2008 et assigne l’opérateur de téléphonie mobile devant le Tribunal régional de Dakar 3. En retour, Sentel saisit le tribunal arbitral du Centre international pour le règle-ment des différends relatifs aux investissements (CIRDI) 4 au grand dam du président de la République qui estime que cette procédure est nulle et non avenue 5. Finalement, après moult rebondissements, ce contentieux ne trou-vera une solution à l’amiable qu’après la chute du régime d’Abdoulaye Wa-de, dans le cadre de discussions menées entre le ministre de l’Économie et des Finances et le directeur général de l’ARTP pour le compte de l’État et les dirigeants de Millicom International Cellular (MIC) pour le compte de Sen-tel. À l’issue de ces négociations, Sentel acceptera de s’acquitter d’un mon-tant de 53 milliards de FCFA en lieu et place des 100 milliards qui lui étaient réclamés à l’époque et obtiendra le renouvellement de sa licence jusqu’en

1. Batik, 15, octobre 2000. 2. En 1998, une étude de l’UIT estimait que le nombre d’abonnés à la téléphonie mobile au

Sénégal serait de 30 000 en 2000. À cette date, elle atteindra 231 375 abonnés, dépassant le nombre des abonnés à la téléphonie fixe.

3. Lire : « Le Gouvernement engage une procédure judiciaire pour faire constater la fin de la licence de Sentel », Agence de presse sénégalaise, 3 novembre 2008.

4. Créé par la convention de Washington du 18 mars 1965, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) est une organisation inter-nationale qui offre des moyens de conciliation et d’arbitrage pour régler les différends re-latifs aux investissements opposant des États contractants à des ressortissants d’autres États contractants.

5. Consulter : « Bras de fer État du Sénégal/Sentel : Millicom saisit la justice internationale, le gouvernement disqualifie la procédure », L’Observateur, 13 novembre 2008.

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 595

2028 ainsi que l’autorisation d’exploiter de nouveaux services dont la 3G 1. Toujours est-il que cette affaire Sentel / État du Sénégal est emblématique du régime de l’Alternance, et ce à plusieurs titres. Tout d’abord, elle met en scène des personnages comme Karim Wade et Thierno Ousmane Sy qui se-ront régulièrement cités dans les scandales qui ont émaillé la vie du secteur des télécommunications et des TIC pendant douze ans. Deuxièmement, elle est révélatrice de l’affairisme qui a régné au sommet de l’État à chaque fois qu’il a été question de contrats portant sur des milliards de FCFA. Troisiè-mement, par l’intervention de personnes que rien n’habilitait normalement à traiter de telles affaires compte tenu de leur statut de simples conseillers, fus-sent-ils ceux du président de la République, elle est symptomatique de la ca-cophonie institutionnelle et de la mauvaise gouvernance qui ont été érigées en règle dans le secteur des télécommunications et des TIC durant cette pé-riode. Le secteur des télécommunications : une vache à lait pour le Trésor public

D’un point de vue économique, le secteur des télécommunications a vé-ritablement commencé à prendre de l’importance au début des années 2000 et a crû régulièrement pendant une douzaine d’années. Cette croissance s’est notamment manifestée par la forte augmentation du nombre d’abonnés à la téléphonie mobile qui a dépassé celui des abonnés à la téléphonie fixe après seulement quatre années d’existence et atteignait 9 883 221 abonnés en mars 2012 2, soit un taux de pénétration de 81,20 % 3. Le développement de la té-léphonie mobile s’est accompagné d’une forte progression des résultats comptables des opérateurs de télécommunications. C’est ainsi que, durant cette période, le chiffre d’affaires de la Sonatel est passé de 126,06 milliards de F CFA en 2000 4 à 635,351 milliards de F CFA en juin 2011 5 (+ 504,1 %) tandis que son bénéfice net a progressé de 42,52 milliards de F CFA en 2000 à 154,377 milliards de F CFA en 2011 (+363,07 %). Confronté à d’importants besoins de trésorerie à partir de 2008, tant du fait de la crise internationale que d’une gestion peu vertueuse des deniers publics, l’État a multiplié les taxes frappant le secteur des télécommunications. La première d’entre elles a été la redevance sur l’accès ou l’utilisation du réseau des télécommunica-

1. Cf. « Accord avec Millicom sur la validité de la licence de Tigo, l’État attend 53 mil-liards », Agence de presse sénégalaise, 28 août 2012.

2. Lire ARTP (2012). 3. Ces chiffres doivent cependant être relativisés vu le développement du phénomène multi-

SIM qui fait qu’un grand nombre de personnes possèdent plusieurs cartes SIM pour bénéficier des promotions des trois opérateurs sans parler des campagnes menées par ces derniers pour vendre des puces SIM chargées d’un certain montant de crédit ni du nombre de puces devenues inactives pour différentes raisons.

4. Sonatel. Rapport annuel d’activités 2000. 5. Sonatel. Rapport annuel d’activités 2011.

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tions publiques (RUTEL) instaurée en 2008. Le gouvernement a justifié sa création par le fait que les droits et taxes perçus à l’importation sur les télé-phones portables sont faibles voire dérisoires et que, par ailleurs, l’utilisation des ressources rares qu’étaient les fréquences hertziennes devait profiter à la collectivité nationale. Dans l’exposé des motifs du texte, il précisait par ail-leurs que la RUTEL ne devait « pas être sensiblement ressentie par le consommateur final » ni « entraver le développement du secteur » 1. S’appliquant à toute personne physique ou morale accédant à ou utilisant un réseau des télécommunications publiques d’un opérateur agréé par l’État, son taux est fixé à 2 % du montant hors taxes des prestations payées aux opérateurs par les abonnés. Cette taxe s’étant avérée particulièrement fruc-tueuse et le mouvement consumériste n’ayant pas été capable de la combat-tre, son taux est porté à 5 % en juin 2010, sous prétexte de mobiliser des moyens pour lutter contre la pauvreté 2. Pour preuve de l’importance de cette taxe pour l’État, un examen de la nomenclature des recettes budgétaires opé-ré en fin octobre 2011 montrait que sur 30,2 milliards de taxes s’appliquant aux produits et services de consommation hors produits pétroliers, la RU-TEL y avait contribué à hauteur de 13,5 milliards de F CFA 3 soit de 44,7 % du total de ces ressources.

Dans ce contexte, l’instauration de la taxe sur les appels internationaux entrants à partir du 1er août 2010 4 provoque l’ire des opérateurs de télécom-munications. En effet, suite à son entrée en vigueur, le seuil minimal du tarif des communications téléphoniques internationales entrant au Sénégal passe à 141,03 F CFA la minute pour la terminaison vers les réseaux fixes et mobi-les, montant qui est bien au-dessus des tarifs pratiqués. Avec cette mesure, l’État, qui collecte 75,44 F CFA pour chaque minute de communication vers les téléphones fixes et 48,20 F CFA pour chaque minute de communication vers les téléphones mobiles, se retrouve dans une situation où il gagne plus d’argent que les opérateurs pour ce qui est des appels vers les téléphones fixes ! La conséquence directe de cette mesure est d’augmenter de 60 % le prix de la terminaison d’appels vers le Sénégal 5. De plus, cette taxe est jugée illégale par nombre d’experts qui estiment qu’elle viole la Convention de Melbourne de l’Union internationale des Télécommunications (UIT) de 1988, qui est partie intégrante de l’Accord général sur le commerce des ser-

1. Loi n° 2008-46 du 3 septembre 2008 instituant une redevance sur l’accès ou l’utilisation du réseau des télécommunications publiques (RUTEL).

2. Article 20 de la loi n° 2010-14 du 23 juin 2010 portant loi de finances rectificative pour l’année 2010.

3. « 13,5 milliards de FCFA : elle rapporte davantage, la Rutel », Sud Quotidien, 20 décem-bre 2011.

4. Décret n° 2010-0632 du 28 mai 2010 instituant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant en République du Sénégal.

5. « Les prix des appels des étrangers et des émigrés vers le Sénégal augmentent de 60 % », Politicosn, 20 juin 2010 [http://www.osiris.sn/Les-prix-des-appels-des-etrangers.html], consulté le 8 août 2012.

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 597

vices (AGCS) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et plus par-ticulièrement l’article 6 du Règlement des télécommunications internationa-les (RTI) qui écarte toute possibilité de faire payer une taxe à un client étranger 1. En signe de protestation, les travailleurs de la Sonatel, dans le ca-dre d’une journée nationale d’action, bloquent les réseaux fixe, mobile et internet durant toute la journée du 5 août 2010, rendant les communications locales et internationales difficiles, voire impossibles 2. En guise de réponse, l’État, qui a été non seulement défié, mais paralysé dans son propre fonc-tionnement, inflige une amende de huit milliards de FCFA à la Sonatel qui se voit également menacée de poursuites judiciaires 3. Le bras de fer entre l’État et l’opérateur historique, soutenu par l’Intersyndicale de la Sonatel et une large partie de l’opinion publique nationale et de la diaspora sénégalaise, dure ainsi jusqu’en novembre 2010, date à laquelle le gouvernement suspend l’application des dispositions instaurant la taxe sur les appels internationaux entrants et définissant les modalités de son recouvrement 4. Cependant, en août 2011, l’État réintroduit la taxe sur les appels internationaux entrants à compter du 1er septembre 2011 5, avec pour conséquence le déclenchement d’une nouvelle épreuve de force avec la Sonatel et ses travailleurs, mais aus-si avec les autres opérateurs de télécommunications, même si ces derniers se montrent plus discrets.

Pendant les trois mois de l’année 2010 où le texte est appliqué, la Sona-tel, Sentel et Expresso s’acquittent de quelques 18 milliards de FCFA au titre de la surtaxe sur les appels internationaux entrants 6. Lors de sa réintroduc-tion en septembre 2011, Gervais Pellissier, directeur financier de France Té-lécom estime qu’elle aura un impact négatif sur le PIB du Sénégal de l’ordre de 0,8 % 7. Poursuivant son bras de fer avec l’État, la Sonatel refuse de payer la somme de 5,2 milliards de FCFA qui lui est réclamée en septembre 2011, ce qui lui vaut de se voir infliger une pénalité de 780 millions de FCFA,

1. Cheikh Tidiane Ndiongue (Ancien directeur des études et de la règlementation des postes et télécommunications) : « Cette affaire Global voice est suspecte », Walfadjri, 31 juillet 2010.

2. « Jeudi noir au Sénégal, le pays coupé du monde », ITMag, 6 août 2010, [http://www.itmag.sn/telecom/reglementation/jeudi-noir-au-senegal-le-pays-coupe-du-

monde.html], consulté le 10 août 2012. 3. Lire : « L’ARTP inflige une amende de 8 milliards Cfa à la Sonatel », L’Observateur, 6

août 2010. 4. Décret n° 2010-1524 du 19 novembre 2010 portant suspension des articles 6 à 11 du dé-

cret n° 2010-632 du 28 mai 2010 instituant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant en République du Sénégal.

5. Décret n° 2011-1271 abrogeant et remplaçant le décret n° 2010-632 du 28 mai 2010 insti-tuant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques interna-tionales entrant en République du Sénégal.

6. « Où sont passés les 18 milliards versés à l’ARTP ? », La Tribune, 22 septembre 2011. 7. Gervais Pellissier, Directeur financier de France Telecom sur les méfaits de la surtaxe sur

les appels entrants : « Nous estimons à 0,8 point de Pib l’impact négatif de cette mesure sur l’économie sénégalaise », Le Populaire, 29 septembre 2011.

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équivalent à 15 % du montant réclamé 1, tandis que de son côté Sentel s’exécute et paye quelque 500 millions de FCFA 2. Pendant un certain temps, le mutisme de Sentel et d’Expresso laisse croire que ces deux opérateurs s’accommodent tant bien que mal de la surtaxe sur les appels internationaux entrants. Cependant, le 14 décembre 2011, à l’occasion d’un séminaire sur la tarification internationale des télécommunications organisé par la Commis-sion nationale de la connectivité, ils saisissent Alassane Dialy Ndiaye pour lui faire part de leur opposition au décret. Selon un des responsables de Sen-tel, l’application de cette mesure a induit une baisse de volume du trafic de 12 à 15 % 3, alors que de son côté, la Sonatel estime la chute du trafic inter-national entrant à 22 % depuis la réintroduction de la surtaxe 4. À la mi-février 2012, lors d’une réunion de la Conférence des télécommunications ouest-africaines (CTOA) 5 à Dakar, la Sonatel décide d’internatio-naliser le combat en proclamant son intention de saisir la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour violation par l’État séné-galais des textes communautaires en matière de télécommunications 6. À cet-te occasion, les trois opérateurs reçoivent l’appui de la CTOA qui publie une déclaration dans laquelle elle exprime « son opposition ferme à l’instauration d’une surtaxe gouvernementale sur les appels internationaux entrants » et précise que cette mesure était « un frein à l’intégration de la sous-région et qu’elle se traduit par une augmentation généralisée des tarifs au consomma-teur supportés par les populations locales et la diaspora, venant ainsi accen-tuer la fracture numérique » 7. Finalement, suite à la chute du régime d’Abdoulaye Wade, cette démarche deviendra sans objet puisque les nouvel-les autorités, après une concertation avec les opérateurs autour des ministres

1. « Surtaxe sur les appels internationaux entrants : le mois de septembre en question », Se-

neweb, 24 novembre 2011, [http://www.seneweb.com/news/Telecommunication/surtaxe-sur-les-appels-internationaux-entrants-le-mois-de-septembre-en-question_n_54746.html], 7 août 2012.

2. « Taxe sur les appels entrants : Tigo paye un demi-milliard de F Cfa à l’État », Rewmi, 15 novembre 2011.

3. « Surtaxe sur les appels entrants : Tigo et Expresso combattent au côté de Sonatel », Pres-

safrik, 19 décembre 2011, [http://www.pressafrik.com/Surtaxe-sur-les-appels-entrants-Tigo-et-Exprsso-combattent-au-cote-de-Sonatel_a73672.html], consulté le 7 août 2012.

4. « La Sonatel estime indues la facture et la pénalité reçues », Le Soleil, 3 février 2012, [http://www.lesoleil.sn/index.php?option=com_content&view=article&id=11617:appels-entrants-du-mois-de-septembre--la-sonatel-estime-indues-la-facture-et-la-penalite-recues&catid=51:economy&Itemid=63], consulté le 7 août 2012.

5. Mise en place en décembre 1996 à Lomé (Togo), la Conférence des télécommunications ouest-africaines (CTOA) a été fondée par les opérateurs historiques suivants : Bénin Télé-com (Bénin), Onatel (Burkina Faso), Citelecom (Côte-d’Ivoire), Sonitel (Niger), Mauritel (Mauritanie), Sonatel (Sénégal), Sotelgui (Guinée), Cap Vert Telecom (Cap Vert), Guinée Télécom (Guinée Bissau), Togo Télécom (Togo) et Libtelco (Liberia).

6. « Surtaxe sur les appels entrants : La Sonatel va saisir la Cedeao », Sud Quotidien, 18 février 2012.

7. « La CTOA réaffirme son opposition à l’instauration d’une surtaxe sur les appels en-trants », Agence de presse sénégalaise, 18 février 2012.

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 599

de l’Économie et des Finances et de la Communication et des Télécommuni-cations, décident d’abroger le décret du 24 août 2011 avec effectivité à partir du 15 mai 2012 1. Cet accord donne lieu à la signature d’un protocole dans le cadre duquel la Sonatel s’engage à payer dans de brefs délais 2 milliards de FCFA correspondant au montant des taxes collectées depuis octobre 2011 et à avancer les sommes non encore collectées pour la période allant du 1er oc-tobre 2011 au 15 mai 2012 2. De plus, les opérateurs acceptent de voir le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) porté de 25 % à 30 % 3 après avoir été ramené de 33 à 25 % par le gouvernement. Au final, la Sonatel estimera avoir perdu 23 milliards de FCFA du fait de l’instauration de la taxe sur les appels internationaux entrants qui a contribué à la baisse de 30 milliards de FCFA du bénéfice net enregistré en 2011, soit 16,44 % de moins que durant l’exercice 2010 4. Enfin, elle a impacté négativement le cours de l’action So-natel à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d’Abidjan (Côte-d’Ivoire), les actionnaires voyant d’un mauvais œil une décision qui ne pou-vait que réduire la rentabilité de l’entreprise 5.

Après avoir augmenté le taux de la RUTEL, puis instauré la taxe sur les appels internationaux entrants, l’État décide de taxer encore un peu plus le secteur des télécommunications en mars 2011. À cet effet, il en crée une nouvelle destinée à contribuer au développement du service universel des télécommunications et du secteur de l’énergie qui s’applique aux opérateurs de télécommunications. La justification présentée dans l’exposé des motifs du décret est que, puisque la croissance du secteur des télécommunications est tributaire de l’extension et du renforcement de la carte énergétique natio-nale, celui-ci doit se montrer solidaire du secteur de l’électricité au point de vouloir « faire du secteur des télécommunications un acteur du renforcement du secteur de l’énergie » ! Dénommée Contribution au développement du service universel des télécommunications et du secteur de l’énergie (CODE-TE), cette taxe remplace la contribution des exploitants de réseaux de télé-communications ouverts au public, initialement prévue par l’article 9 du co-de des télécommunications 6. Son taux, fixé à 3 % du chiffre d’affaires hors taxes des opérateurs de télécommunications, net des frais d’interconnexion réglés aux autres exploitants de réseaux publics de télécommunications, sera

1. Décret n° 2012-500 du 10 mai 2012 abrogeant le décret n° 2011-1271 du 24 août 2011 instituant un système de contrôle et de taxation des communications téléphoniques inter-nationales entrant en République du Sénégal.

2. « Comptes et mécomptes de la surtaxe sur les appels entrants : une hémorragie de 23 mil-liards dans les caisses de Sonatel », Libération, 15 mai 2012.

3. Lire : « Abrogation du décret sur la taxation des appels entrants : l’État va compenser le manque à gagner grâce à des mécanismes », Le Soleil, 18 mai 2012.

4. « Baisse de plus de 30 milliards FCFA du bénéfice consolidé de la Sonatel en 2011 », Agence de presse africaine, 9 février 2012.

5. Entre décembre 2010 et décembre 2011, le cours mensuel moyen de l’action Sonatel est passé de 151,118 FCFA à 120,272 FCFA.

6. Loi n° 2011-01 du 24 février 2011 portant code des télécommunications.

600 Sénégal (2000-2012)

porté à 5 %, à peine quatre mois après son entrée en vigueur 1. Cependant, si dans son intitulé la CODETE semble mettre sur un pied d’égalité le déve-loppement du service universel des télécommunications et celui du secteur de l’énergie, la clé de répartition des sommes collectées montre clairement qu’il s’agit d’un mécanisme de collecte de nouvelles recettes fiscales au pro-fit du secteur de l’électricité, puisqu’elle « est affectée pour 95 % au secteur de l’énergie à travers un Fonds spécial de Soutien au secteur de l’Énergie et pour 5 % au service universel des télécommunications » 2. Le pourcentage affecté au FSE, qui sera ultérieurement augmenté à 97,5 %, est dénoncé par les opérateurs de télécommunications qui estiment qu’elle fait doublon avec le prélèvement de 3 % opéré sur leur chiffre d’affaires pour les besoins du service universel. Au final, la politique fiscale appliquée par l’État au secteur des télécommunications aura comme résultat de faire de l’opérateur histori-que le plus gros contribuable du pays avec 180 milliards de F CFA versés au Trésor public en 2011, soit 10 % des recettes fiscales de l’État 3. La politique du service universel rendue obsolète par le développe-ment de la téléphonie mobile

À l’origine, la problématique de l’accès universel aux services de télé-communications s’est surtout posée en termes de desserte des zones rurales, celles-ci étant peu desservies par les réseaux de télécommunications, princi-palement pour des raisons de rentabilité. Afin de pallier cette situation, les États décidèrent, sur la base du principe de l’égalité de traitement due à tous les citoyens, de mettre en place des politiques d’accès universel dans le but d’élargir l’accès au téléphone et aux services de télécommunications à l’ensemble de la communauté. À une époque où la téléphonie mobile n’existait pas encore, le Sénégal avait retenu que la distance raisonnable à laquelle tout citoyen devait pouvoir accéder à un téléphone était de cinq ki-lomètres. Pendant des décennies, à travers le développement du réseau, l’installation de publiphones puis l’autorisation d’ouvrir des télécentres pri-vés, l’opérateur historique cherchera à atteindre cet objectif avec plus ou moins de réussite. Le lancement de la téléphonie mobile, à la fin des années 1990, n’a pas immédiatement changé la donne puisque les réseaux se sont, prioritairement, développés dans les agglomérations urbaines et le long des principaux axes de communication. Cependant, avec l’arrivée d’un second opérateur en 1999 et la concurrence sur les prix comme sur la couverture des

1. Décret n° 2011-1011 du 15 juillet 2011 modifiant les articles 2 et 5 du décret n° 2011-311 du 7 mars 2011 instituant une taxe parafiscale dénommée contribution au développement du service universel des télécommunications et du secteur de l’énergie (CODETE).

2. Décret n° 2011-311 du 7 mars 2011 instituant une taxe parafiscale dénommée Contribu-tion au développement du service universel des Télécommunications et du secteur de l’Énergie (CODETE).

3. « Contribution de la Sonatel sur les recettes de l’État en 2011 : 180 milliards de francs, soit 10 % », Le Populaire, 22 février 2012.

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 601

réseaux qui s’en suivit, la téléphonie mobile a cessé d’être un luxe réservé à un petit nombre de privilégiés. La couverture du réseau téléphonique s’est encore accrue avec l’arrivée d’un troisième opérateur en janvier 2009 au point que celle-ci frôle les 95 % du territoire et les 90 % de la population 1.

L’accès universel ayant été atteint et le service universel étant en voie de devenir réalité 2, un changement de paradigme s’imposait 3 . C’est ce qui a été fait avec la remise en cause de la politique publique en matière d’accès / service universel qui s’est inscrite progressivement dans les différentes ver-sions du code des télécommunications adoptées depuis 2001 4. Ainsi, dans l’exposé des motifs du code des télécommunications de 2001, le législateur indique que le secteur doit « assurer le service universel à l’ensemble du ter-ritoire national et à toutes les couches de la population », précisant que les opérateurs doivent contribuer aux « missions et charges de développement du service universel des télécommunications ». En parlant de « service uni-

versel » et non simplement d’« accès universel » et de couverture du territoi-re, le code des télécommunications prend en compte la nouvelle donne dé-coulant du développement de la téléphonie mobile. D’ailleurs, dans la défini-tion qui est donnée du service universel, il est bien précisé qu’il consiste en la « mise à disposition de tous d’un service minimum consistant en un servi-ce téléphonique d’une qualité spécifiée à un prix abordable, ainsi que l’acheminement des appels d’urgence, la fourniture du service de renseigne-ment et d’un annuaire d’abonnés, sous forme imprimée ou électronique et la desserte du territoire national en cabines téléphoniques installées sur le do-maine public et ce, dans le respect des principes d’égalité, de continuité, d’universalité et d’adaptabilité » 5. La loi précise que les opérateurs de télé-communications sont tenus de verser une contribution correspondant à « un pourcentage fixé par décret du chiffre d’affaires hors taxe net des frais d’interconnexion réglés entre exploitants de réseaux publics de télécommu-nications » 6. Elle prévoit également que les sommes doivent être collectées par l’ART et versées à un Fonds de développement du service universel des télécommunications (FDSUT) créé auprès de cette dernière. Cependant comme souvent, les dispositions prévues ne pourront pas être mises en œu-

1. « Sonatel rappelle ses acquis sociaux : création de près de 100 000 emplois », Sénégal

Médias, 27 mars 2011 [http://senegalmedias.blogspot.com/2011/03/sonatel-rappelle-ses-acquis-sociaux.html], consulté le 14 août 2012.

2. Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’accès universel consiste à mettre un téléphone à une distance raisonnable de chacun tandis que le service universel vise à mettre un téléphone dans chaque foyer.

3. Cf. Mark Goldstein & Richard Z. Gooding (1995). 4. Après le remplacement du code des télécommunications de 1996 par celui de 2001, ce

dernier a lui-même fait l’objet d’une modification en 2006 avant de voir l’adoption d’un nouveau code des télécommunications intégrant les directives de l’UEMOA et les actes additionnels au traité de la CEDEAO en 2011.

5. Cf. article 2 du code des télécommunications du 27 décembre 2001. 6. Cf. article 9 du code des télécommunications du 27 décembre 2001.

602 Sénégal (2000-2012)

vre pendant des années faute de la signature des décrets d’application y affé-rant. En effet, ce n’est qu’en 2007 que le FDSUT sera effectivement créé et le montant de la contribution annuelle des opérateurs fixé à un maximum de 3 %, le texte précisant que le recouvrement des contributions devait se faire selon des modalités arrêtées par l’ARTP 1. Quant au Comité de direction 2 et à l’administrateur du FDSUT, ils ne seront installés qu’en février 2010 3, soit plus de huit ans après sa création par le code des télécommunications et près de trois ans après la signature du décret organisant son fonctionnement !

La seule et unique initiative d’envergure en matière de service universel sera lancée en mai 2010 avec le projet-pilote de service universel de la ré-gion de Matam, deux ans après l’octroi d’une licence de service universel pour la fourniture de services de télécommunications à un Consortium du service universel (CSU) créé par le secteur privé suite à un appel d’offres international lancé par l’État en 2007 4. Au-delà de l’accès aux télécommuni-cations, le projet-pilote en question se donne pour ambition de promouvoir le développement économique et social de la région de Matam en proposant des services à valeur ajoutée comme la télémédecine, le téléenseignement, le transfert d’argent, etc. 5. Cependant, plus de deux ans après son lancement officiel, avec trois années de retard sur le calendrier initial, ce projet n’a pas été en mesure d’inscrire la moindre réalisation à son actif. Lors de l’atelier de présentation du projet-pilote organisé en décembre 2006, la Sonatel avait d’ailleurs annoncé la couleur en indiquant que 37 % des villages de la ré-gion, soient 159 sur 431, étaient déjà raccordés à la téléphonie fixe et que d’après ses plans d’investissement, elle comptait raccorder 301 autres villa-ges en fin 2007 avec la technologie CDMA 6, les 130 villages restants devant être couverts par le satellite entre 2007 et 2008 7. En somme, en livrant ces

1. Cf. article 11 du décret n° 2007-593 du 10 mai 2007 fixant les modalités de développe-ment du service universel des télécommunications ainsi que les règles d’organisation et de fonctionnement du fonds de développement du service universel des télécommunications.

2. Le Comité de direction est composé de douze membres représentant le président de la République, le Premier ministre, des ministères, le Conseil de régulation de l’ARTP, les exploitants de réseau (Orange, Sentel et Expresso), les fournisseurs de services de télé-communications et les organisations des consommateurs.

3. Lire : « Fonds de développement du service universel des télécoms : les organes constitu-tifs installés », Le Soleil, 23 février 2010.

4. République du Sénégal, Avis d’appel d’offres pour l’octroi d’une licence de service uni-versel pour la fourniture de services de télécommunications dans la région de Matam, oc-tobre 2007.

5. Fatoumata Agne Bâ, directrice du CSU : « Notre ambition est de promouvoir le dévelop-pement de Matam », Agence de presse sénégalaise, 22 février 2010.

6. Le Code Division Multiple Access (CDMA) est un système de codage des transmissions qui permet à plusieurs liaisons numériques d’utiliser simultanément la même fréquence porteuse. Utilisé dans la téléphonie mobile, il offre des débits allant jusqu’à 2 Mbits par seconde.

7. ARTP, Rapport de l’atelier de présentation du projet pilote de service universel à Matam, décembre 2006, 5 p.

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 603

informations, la Sonatel faisait savoir indirectement à l’ARTP et aux promo-teurs du projet qu’il n’était guère pertinent !

De plus, la gestion du FDSUT a été régulièrement questionnée par les acteurs du secteur, l’ARTP ayant toujours refusé de rendre compte du mon-tant des sommes collectées auprès des opérateurs ainsi que de leur utilisa-tion. À l’aube de la chute du régime d’Abdoulaye Wade, le FDSUT fera par ailleurs l’objet d’un premier bouleversement avec le remplacement du prési-dent du Comité de direction par le président de la Commission nationale de la connectivité. Mais le grand chamboulement se déroulera le 29 février 2012, entre les deux tours de l’élection présidentielle, avec la signature d’un décret modifiant la composition du Comité de direction du FDSUT désor-mais composé de sept membres au lieu de douze, tous désignés par le prési-dent de la République.

Au total, il a manqué une réflexion de fond visant à reconsidérer les mo-dalités d’intervention du service universel dans un contexte où l’écrasante majorité des Sénégalais et des Sénégalaises possède désormais un téléphone portable. Pourtant, les idées n’ont pas manqué pour revitaliser la politique du service universel des télécommunications. C’est ainsi que l’UNETTS, et d’autres, avait proposé qu’il soit utilisé pour éviter la disparition du réseau de télécentres en aidant notamment tous ceux qui avaient le potentiel ou la volonté de se transformer en cybercentres. Le FDSUT aurait également pu être mis à contribution pour connecter à l’internet les établissements scolai-res, les structures sanitaires et les collectivités locales. Enfin, à l’heure où la Sonatel a quasiment cessé d’investir dans son réseau de téléphonie fixe et où il est de plus en plus question de déployer des réseaux à large bande, le FDSUT aurait pu financer, ne serait-ce que partiellement, le déploiement d’une telle infrastructure qui aurait pu ensuite être louée aux opérateurs de télécommunications. En définitive, faute d’imagination et surtout de volonté politique, le FDSUT aura été essentiellement utilisé comme un instrument de collecte de taxes auprès des opérateurs. Une forte présence sur la scène internationale pour des résul-tats mitigés

Les prises de position répétées d’Abdoulaye Wade, dans les forums na-tionaux comme internationaux, en faveur de l’utilisation des TIC au service du développement (ICT4D) l’ont fait apparaître rapidement comme un champion de cette cause. Au-delà des discours, cet intérêt pour les TIC est également présent dans le Plan Oméga dans lequel Abdoulaye Wade met en avant la nécessité d’investir dans le secteur des télécommunications, compte tenu de son faible niveau de développement en Afrique et du rôle-clé qu’il peut jouer en faveur de l’intégration africaine en facilitant la circulation des

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personnes et des biens 1. Dans le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), résultant de la fusion du Plan Oméga et du Mille-nium Partnership for African Recovery Programme (MARP), les TIC seront d’ailleurs érigées comme le deuxième secteur prioritaire parmi les dix que comporte le NEPAD 2. Elles font l’objet d’un plan d’action dont la coordina-tion est confiée au Sénégal lors de la réunion du NEPAD tenue les 26 et 27 novembre 2001 à Abidjan (Côte-d’Ivoire). Fort de la reconnaissance, par ses pairs africains, de son leadership dans le domaine des TIC, Abdoulaye Wade participe à la réunion spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies des 17 et 18 juin 2002 consacrée à la préparation du SMSI. Lors de cette mani-festation, il présente le Sénégal comme un pays qui

nourrit l’ambition d’emprunter les autoroutes de l’information plutôt que de rester sur les bas-côtés et de s’insta1ler à la périphérie des conquêtes du nouveau Millénaire ». Mieux, il profite de cette tribune pour proposer la création d’ « un Fonds mondial des technologies de l’information et des communications pour aider l’Afrique à résorber la fracture numérique qui la sépare du monde dévelop-pé 3.

Cette proposition n’est pas nouvelle, puisqu’elle avait déjà été présentée lors de la Conférence sur le financement du NEPAD organisée en avril 2002 à Dakar (Sénégal). Cependant, à partir de ce moment, sous la houlette d’Abdoulaye Wade, le Sénégal va jouer un rôle important dans la préparation de la participation africaine au SMSI, notamment en organisant de nombreu-ses réunions de coordination des ministres africains chargés des TIC 4.

La proposition de créer le FSN est au centre des débats de la première phase du SMSI. Avec elle, l’Afrique apparaît, pour une des rares fois, com-me une force de proposition dans les instances internationales. Saluée par la société civile et l’opinion publique internationale et appuyée par les pays d’Amérique latine, les pays arabes, l’Inde, la Chine, l’Organisation interna-tionale de la Francophonie (OIF), l’Organisation de la conférence islamique (OCI) et le mouvement des pays non-alignés, le projet de création du FSN se heurte cependant à l’hostilité à peine voilée des États-Unis, de l’Union euro-péenne, du Japon et du Canada. Officiellement, ces pays ne rejettent pas le principe de la solidarité numérique, mais celui de la création du FSN, esti-mant qu’il existe déjà de nombreux mécanismes de financement permettant

1. Abdoulaye Wade. Plan Oméga pour l’Afrique, 2001. 24 p. 2. Cf. Point n° 198 du NEPAD. 3. Discours du président Abdoulaye Wade le 18 juin 2002 à l’Assemblée générale des Na-

tions unies sur le thème : « Les technologies de l’information et de la communication au service du développement ».

4. Dans ce cadre ont été organisées à Dakar, la table ronde ministérielle du NEPAD sur le SMSI (28 novembre 2003), la réunion des ministres africains en charge des technologies de l’information et de la communication visant la mise à niveau et l’harmonisation des positions africaines sur les conclusions du SMSI et le FSN (19-20 avril 2004) et la ren-contre des ministres africains en charge des TIC sur la position africaine commune sur la gouvernance de l’internet (5-7 septembre 2005).

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 605

de lutter contre la fracture numérique et qu’il s’agit tout au plus d’en amélio-rer l’efficacité 1.

Après une bataille diplomatique et d’opinion acharnée, le FSN est fina-lement créé en décembre 2003, suite à la tenue à Lyon (France), du Sommet des villes et des pouvoirs locaux sur la Société de l’information. Ayant reçu l’appui financier de quelques villes, états et organismes internationaux, la création du FSN est approuvée par la deuxième réunion préparatoire (Prep-Com 2) du SMSI en février 2005 avant d’être définitivement entérinée lors du Sommet de Tunis en décembre 2005. Le FSN connait des débuts difficiles caractérisés d’une part par son impuissance à faire adhérer massivement les États, les collectivités locales et les entreprises au principe de Genève du 1 % numérique 2, et donc à se financer, et d’autre part, par son incapacité à mettre en œuvre des projets-phares. En dehors de quelques projets pilotes conduits au Burkina Faso et au Burundi dans le but de mettre les TIC et l’accès à l’internet au service de communautés engagées dans la lutte contre le VIH/Sida ainsi qu’en Indonésie avec la reconstruction de la mairie de Banda Aceh, détruite par le tsunami de décembre 2004, très peu d’actions concrètes seront menées par le FSN. De plus, avec l’arrivée d’Alain Madelin à la présidence du FSN, l’accent est mis sur la fourniture de matériel infor-matique, notamment les tableaux blancs interactifs (TBI), au détriment de projets structurants s’attaquant à la réduction de la fracture numérique dans toute sa complexité et non pas seulement dans sa dimension infrastructurelle et matérielle. Suite au conflit survenu entre Alain Clerc, Secrétaire exécutif du Fonds de solidarité numérique et Abdoulaye Wade sur la gestion et l’orientation du FSN, l’organisation est obligée, dans un premier temps, de suspendre ses activités avant que sa dissolution ne soit prononcée suite à la réunion tenue le 27 janvier 2009 à Bamako (Mali). Au final, cette ambitieuse initiative débouche sur un énorme gâchis de temps, d’énergie, de ressources financières et d’espoirs dont la responsabilité incombe partiellement à Ab-doulaye Wade. Autant il a su vendre l’idée de solidarité numérique à la communauté internationale, autant il n’a pas été capable de prendre la dis-tance avec « son idée » pour en confier la matérialisation à d’autres. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que le principe du 1 % de solidarité numérique a été adopté au Sénégal, sans tambour ni trompette, en septembre 2008 3, soit trois années après son adoption au plan international. Pire, aucu-ne campagne de communication n’a jamais été organisée pour encourager les entreprises du secteur des TIC à faire des contributions volontaires et aucun bilan n’a été fait des sommes collectées dans ce cadre, à supposer que des

1. Cf. Olivier Sagna (2007). 2. Il consiste en une contribution de 1 % sur les marchés publics relatifs aux TIC, payée par

l’entreprise qui a obtenu le marché, n’entraîne pas de distorsion de concurrence et donne droit au label « solidarité numérique ».

3. Loi n° 2008-49 du 23 septembre 2008 instituant une contribution volontaire de un pour cent (1 %) sur les marchés publics des biens et services numériques.

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versements aient été effectivement opérés. En effet, il semble que le décret fixant les modalités d’application de cette contribution n’ait jamais été rédi-gé ! L’échec du FSN montre également, s’il en était besoin, que les causes les plus nobles ne sauraient l’emporter lorsque les intérêts des pays dévelop-pés sont en jeu, compte tenu des asymétries de pouvoir existant dans les rela-tions internationales. Au total, une des seules retombées concrètes de l’« activisme numérique » d’Abdoulaye Wade aura été le choix porté sur le Sénégal, aux côtés du Mali et du Mozambique, pour bénéficier d’un projet visant à installer une vingtaine de centres multimédias communautaires (CMC) 1.

Conclusion L’histoire de la gestion du secteur des télécommunications et des TIC entre 2000 et 2012 peut se résumer à une série d’occasions manquées. En effet, lorsqu’Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir en mars 2000, il a béné-ficié des efforts faits en la matière pendant des décennies par le régime so-cialiste. Contrairement à la situation prévalant dans nombre de pays afri-cains, il a trouvé en place non seulement une bonne infrastructure de télé-communications, un opérateur historique performant, un secteur privé entre-prenant, mais également des ressources humaines de qualité capables de concevoir et de mettre en œuvre les politiques publiques qui auraient pu permettre au Sénégal d’enregistrer des progrès substantiels dans la construc-tion de la société de l’information. Cependant, dès leur arrivée au pouvoir, les responsables du nouveau régime ont eu pour principal souci d’utiliser les moyens de l’État pour assurer leur mainmise sur le secteur de manière à y faire prospérer leurs intérêts privés. Les hauts fonctionnaires et les spécialis-tes du secteur évoluant dans les différents démembrements de l’État et dans la société civile ont été marginalisés, voire écartés, des sphères décisionnel-les. Les grandes orientations et les décisions ont été prises au niveau de la présidence de la République, dans un cercle fermé gravitant autour de Karim Wade et de Thierno Ousmane Sy. Le ministère en charge des Télécommunica-tions et des TIC a été vidé de ses prérogatives et sevré de moyens humains et financiers au bénéfice de l’ADIE, de l’ARTP, de l’APIX et plus tard de la Commission nationale de la connectivité (CNC), avec pour conséquence ma-jeure l’incapacité à définir une stratégie nationale dans le domaine des télé-communications et des TIC. Cette situation a conduit à la multiplication des initiatives, dont certaines ont sans doute produit des résultats positifs, mais avec pour principale conséquence le manque de cohérence et de suivi. Cette situation a également été un frein à l’élaboration de stratégies sectorielles

1. Consistant en une plateforme combinant une radio communautaire et l’accès à l’internet, les centres multimédias communautaires visent à permettre l’accès des communautés les plus défavorisées aux moyens d’information et de communication modernes.

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 607

dans des domaines tels que l’éducation et la santé. De même, le développe-ment de l’infrastructure de télécommunications a été négligé, qu’il s’agisse du déploiement du haut débit, de l’augmentation de la bande passante inter-nationale ou encore de l’aménagement numérique du territoire. En dehors des initiatives de la coopération internationale, les politiques publiques vi-sant à démocratiser l’accès à l’internet et promouvoir la solidarité numérique ont été bien peu nombreuses et, pour l’essentiel, la lutte contre les inégalités numériques est restée confinée dans la sphère du discours.

Si la mise en adéquation du cadre législatif et réglementaire a été condui-te avec succès, il n’en a pas été de même avec la régulation du secteur des télécommunications qui a été un échec. Manipulé à partir de la présidence de la République, l’organe de régulation n’a jamais réussi à assurer son indé-pendance. La protection des intérêts des consommateurs a été très faiblement prise en charge par l’ARTP qui a fait preuve d’une grande mansuétude en-vers les opérateurs de télécommunications dont la qualité des services a pourtant souvent laissé à désirer tant pour la téléphonie mobile que pour la fourniture de services internet. L’ARTP n’a pas su non plus mettre en œuvre une régulation asymétrique qui aurait permis aux nouveaux entrants sur le marché des télécommunications de concurrencer véritablement la Sonatel, ni aux sociétés de services de se faire une niche sur certains créneaux. En n’assurant pas la protection idoine aux fournisseurs de services à valeur ajoutée, l’ARTP les a laissés à la merci de l’opérateur historique qui, fort de son monopole de facto et de sa puissance financière, a tué dans l’œuf nom-bre d’initiatives innovantes. C’est ainsi que les fournisseurs de services in-ternet ont tous cessé leurs activités, à l’exception d’un seul qui en est au-jourd’hui réduit à revendre de services fournis par l’opérateur historique. De même, les télécentres, qui constituaient un formidable réseau de points d’accès collectif sur l’ensemble du territoire sénégalais et avaient permis la création de milliers d’emplois, ont disparu un à un sans que le régulateur ne prenne la moindre mesure pour leur venir en aide ou de faciliter leur re-conversion. Enfin, les scandales à répétition liés à la gestion de l’ARTP et à ses pratiques dans le champ de la régulation ont jeté le discrédit sur une ins-titution appelée ailleurs du qualificatif élogieux de « gendarme des télécom-munications ».

Nombre de décisions importantes, permettant d’accroître la concurrence entre les opérateurs de télécommunications ou d’encourager l’émergence de nouveaux services, et donc de favoriser le développement des entreprises évoluant dans le secteur, ont été sans cesse reportées. La combinaison des insuffisances de la régulation avec le choix fait par l’APIX de centrer le dé-veloppement de l’économie numérique sur les téléservices, et plus particuliè-rement sur les centres d’appels, a amené à la concentration des aides au pro-fit d’entreprises étrangères laissant le secteur privé national seul face à ses difficultés. Pourtant, l’observation du comportement des entreprises du sec-

608 Sénégal (2000-2012)

teur des TIC montre que nombre d’entre elles font des résultats appréciables non seulement à l’échelle nationale, mais également à l’échelle internationa-le, comme le prouve l’implantation de filiales à l’étranger par des sociétés telles que Chaka Computer ou People Input. Mieux, il existe aujourd’hui tout un écosystème, avec des structures comme l’incubateur CTIC, Jokkolabs, Mobile Sénégal, etc., au sein desquelles nombre de jeunes talents dévelop-pent des applications sans pour autant bénéficier de l’appui de l’État en ma-tière d’aide à l’innovation et à l’investissement, etc. Malgré l’élaboration d’une politique pour le développement de la grappe TIC et téléservices, le gouvernement s’est montré incapable de dérouler une stratégie cohérente en matière d’économie numérique, ainsi que l’ont montré les décisions circons-tancielles et contradictoires prises au sujet de la question critique de la pré-sence de l’État dans le capital de la Sonatel. La seule constante en la matière aura été la multiplication du nombre et l’accroissement du taux des taxes s’appliquant au secteur, le transformant en vache à lait fiscale.

Par ailleurs, l’État n’a pas joué le rôle de champion qui aurait dû être le sien, en s’inscrivant résolument dans l’utilisation intensive des TIC pour la fourniture de toute une série d’actes administratifs auxquels les citoyens au-raient pu accéder, notamment à travers des points d’accès labellisés. De mê-me, aucune politique n’a été mise en œuvre pour encourager la production d’applications et de contenus numériques. De ce fait, la pénétration des ser-vices internet n’a guère progressé durant toutes ces années et ne touche que 3,2 % de la population 1, avec un nombre d’utilisateurs d’internet limité à 15,7 % de la population 2. En dehors des dispositions législatives et régle-mentaires visant à promouvoir le service universel, aucune action concrète n’a été réalisée, le Fonds pour le développement du service universel des télécommunications (FDSUT) n’ayant servi qu’à collecter des taxes auprès des opérateurs sans pour autant offrir de solution pour démocratiser l’accès aux services de l’internet et de télécommunications. De plus, l’activisme et le volontarisme dont le Sénégal aura fait preuve sur la scène internationale au sujet des questions touchant au développement de la société de l’information, que ce soit à propos de la solidarité numérique ou encore du volet TIC du NEPAD, n’auront guère donné de résultats concrets. Tout au plus, auront-ils permis à l’expertise sénégalaise en la matière de se mettre en valeur dans les forums internationaux et au Sénégal de se voir accoler la ré-putation, quelque peu usurpée, de pays modèle en matière d’utilisation des TIC au service du développement. Au total, le bilan des politiques publiques menées dans le domaine des télécommunications et des TIC entre 2000 et 2012 est sans commune mesure avec les discours et la perception qui lui ont été associés. Certes, des réalisations importantes ont été accomplies durant

1. Lire ARTP (2012). 2. Chiffres de l’UIT au 31 décembre 2011 : http://www.internetworldstats.com/africa.htm#sn, consulté le 13 août 2012.

Les politiques publiques en matière de télécommunications et de TIC (2000-2012) 609

cette période, mais compte tenu du potentiel dont disposait le Sénégal, les résultats obtenus apparaissent nettement en deçà de ce qu’ils auraient pu être si la bonne gouvernance politique et économique avait été au rendez-vous. Références ARTP, 2006, Rapport de l’atelier de présentation du projet pilote de service universel à Ma-

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