Precarieté Urbaine et fragmentation socio espatiale> le cas de Recife
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Précarité urbaine et fragmentation socio-spatiale au sein des métropoles
brésiliennes : Le cas de Recife
Jean-Paul Carrière, Université de Tours
Luis de la Mora, Universidade Federal do Permanbuco, Recife
Précarité urbaine et fragmentation socio-spatiale au sein des métropoles
brésiliennes : Le cas de Recife.
Résumé :
La concomitance d’une segmentation forte de l’espace urbain et
d’inégalités sociales persistantes justifie que l’on utilise le concept
de fragmentation socio-spatiale comme clé de lecture des métropoles
brésiliennes. Il s’agit ainsi de se dégager des visions dichotomiques
traditionnelles opposant centre et périphérie, et, de rendre de compte
des processus de segmentation qui transforment les grandes villes du
Brésil en mosaïques, aux morphologies contrastées, composée par des
« morceaux de ville », occupés alternativement par des populations aisées
ou très aisées ou au contraire en grande précarité.
Mais si l’objectif principal de cet article est de mettre en évidence la
géographie particulière des inégalités sociales qui marque les grandes
villes brésiliennes, en particulier à travers le phénomène des favelas,
il entend également proposer des éléments de réflexion sur la portée et
les effets de l’action publique en direction des zones d’habitat
1
précaire. Depuis de nombreuses années, les politiques publiques oscillent
entre tentatives d’éradication des espaces de pauvreté, impliquant la
délocalisation de leurs habitants, et volonté de requalification avec
comme objectif le « droit à la ville » et le maintien sur place des
populations concernées. Cette question est d’autant plus prégnante que
les stratégies de marketing urbain imposées par la globalisation d’une
part, et de lutte contre la fragmentation urbaine d’autre part, restent
difficilement conciliables.
Toutefois, ne pouvant rendre compte de la question de la fragmentation
socio-spatiale dans l’ensemble des grandes villes brésiliennes, nous
privilégions dans cet article, le cas de Recife, à bien des égards
paradigmatique de la façon dont se pose la question du « droit à la
ville » au Brésil, sans nous interdire d’évoquer d’autres exemples. C’est
en particulier à Recife que, déjà sous la dictature, les habitants des
favelas, relayés par des ONG et des universitaires, ont au nom du « droit
à la ville » revendiqué des mesures de régularisation de leurs quartiers,
qui devaient se concrétiser par la suite sous des formes législatives et
réglementaires. Dans l’impossibilité également de traiter de toutes les
formes d’action publique menée en réponse aux effets de la fragmentation,
nous cherchons à évaluer plus particulièrement la portée et les limites
du Plan de régularisation des zones spéciales d’intérêt social (PREZEIS)
initié à Recife en 1987, et conçu suite aux demandes des habitants pour
consolider et régulariser les favelas et les zones de grande précarité
2
urbaine. Ainsi, après une première partie consacrée aux conséquences de
la métropolisation en termes de fragmentation urbaine telles que le cas
de la capitale du Nordeste nous les donne à voir, la seconde cherche à
analyser les modalités et les effets du PREZEIS, au regard des objectifs
de requalification des quartiers précaires et de lutte contre la
fragmentation urbaine.
Mots-clefs :
Fragmentation socio-spatiale, favelas, précarité urbaine, métropoles,
Brésil
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Title :
Urban precariousness and socio-spatial fragmentation in the Brazilian
metropolises: the Recife case
Abstract :
The simultaneity of a strong spatial segmentation and of persistent
social imbalances justifies the use of the concept of socio-spatial
fragmentation, as a key to analysing the Brazilian metropolises. This is
the way to renounce traditional dichotomised visions which oppose centre
and periphery, and to explainthe processes of segmentation, which
transform the big Brazilian cities into kinds of patchworks, with
3
contrasting morphologies and made up of “pieces of town” occupied
alternately by high-income people, or on the contrary by people in great
precariousness.
Nevertheless, even though the main aim of this paper is to display the
particular geography of social inequalities in the big Brazilian cities,
specifically focusing on the phenomenon of the favelas, it aims to
propose thinking about the outcomes and effects of public action
concerning the precarious residential areas. For many years, public
policies have wavered between attempts to eradicate the spaces of
poverty, which implies the removal of the inhabitants, and the desire to
requalify in order to ensure the “right to the city” and the right to
tenancy for the populations concerned. This issue is all the more
important, as the strategies of metropolitan marketing imposed by
globalisation on the one hand, and the fight against urban fragmentation
on the other, are difficult to reconcile.
However, as we are not able to deal with the socio-spatial fragmentation
in all big sized Brazilian cities, we focus in this paper on the case of
Recife, which is, in many respects, paradigmatic of the issue of “the
right to city” in Brazil, evoking when necessary other examples. It is in
particular in Recife that the inhabitants of the favelas, aided by NGOs
and academics, already during the dictatorship, claimed measures of
regularisation for their neighbourhoods , in the name of the “right to
the city”, which later became laws and juridicalrules. Morever, not being
4
able to deal with all the types of public action conceived to reduce
urban fragmentation, we attempt to analyse the impacts and limits of the
“Regularization Plan of the special areas of social interest” (so-called
PREZEIS), which was implemented in Recife in 1987, in order to
consolidate and regularise the favelas and the areas of great urban
precariousness, as the inhabitants had demanded.
Thus the first part of the paper is dedicated to the consequences of
metropolisation in terms of urban fragmentation, as we can observe in
Recife, whereas the second part analyses the procedures and the effects
of the PREZEIS regarding the requalification of precarious neighbourhoods
and the fight against urban fragmentation.
Keywords :
Socio-spatial fragmentation, favelas, urban precariousness, metropolises,
Brazil
Le Brésil, de plus en plus intégré à la globalisation, connaît une
croissance spectaculaire qu’accompagne un processus d’urbanisation et de
métropolisation particulièrement rapide. Parvenu au 7ème rang des
économies mondiales avec une croissance annuelle de son PIB en moyenne
supérieure à 4% depuis le milieu des années 2000, ce pays a vu son taux
d’urbanisation passer de 36% en 1950 à 84 % en 2010, et même 92% dans le
sud-est. Au dernier recensement de 2010, 21 Régions Métropolitaines
5
dépassaient le million d’habitants, les 7 principales, dont Recife,
totalisant ensemble plus de 50 millions. Le cas brésilien illustre de
façon spectaculaire l’essor des grandes villes du sud et l’élargissement
du réseau des villes de dimension mondiale aux pays émergents. Or les
grandes villes brésiliennes, à l’instar de ce que l’on peut voir dans
beaucoup de pays du sud (Bretagnolle et al. 2011), connaissent une
exacerbation de leurs contrastes en termes de niveau de vie, de qualité
du bâti, d’accès à l’emploi et aux services… Le renforcement des
inégalités à l’échelle infra-métropolitaine dans ce pays est à l’origine
de processus de fragmentation socio-spatiale, sans commune mesure avec
ce que l’on peut connaître dans les métropoles mondialisées du « nord »,
européennes ou nord-américaines, la manifestation la plus tangible en
étant la dissémination et l’extension continue des favelas au cœur-même
des villes. Mais corrélativement, on peut aussi observer que la
fragmentation s’exprime par la concentration des populations les plus
riches en des lieux exclusifs, et sécurisés, auxquels les plus modestes
n’ont accès que dans la mesure où ils exécutent des tâches matérielles au
profit des premiers (employés de maison, jardiniers, etc.)
Le concept de fragmentation mobilisé dans cet article est fortement
utilisé par la recherche urbaine sur les « villes du sud », en
particulier au Brésil, pour se détacher d’une lecture par trop duale de
l’espace urbain, reposant sur la simple dichotomie centre-périphérie, et
rendre compte des phénomènes de discontinuité du tissu urbain, et
6
d’entre-soi qui caractérise la composition sociale des quartiers ; ce qui
n’exclut pas qu’il fasse débat, dans la mesure où les pratiques urbaines
tendent à s’homogénéiser (Carrel et al. 2013) ! A travers l’usage de ce
terme, il s’agit de mieux prendre en compte les processus de segmentation
qui transforment la ville en une sorte de mosaïque, aux couleurs et aux
formes contrastées, composée par des « morceaux de ville », occupés
alternativement par des populations aisées ou très aisées ou au contraire
en grande précarité.
Certes, des travaux récents soulignent la montée d’une nouvelle « classe
moyenne » brésilienne, adoptant de nouveaux modes de consommation (CARY,
2010) et montrent que les favelas, ou a contrario les copropriétés
fermées, les condominios, ne peuvent être assimilées à de simples enclaves
de pauvres (ou de riches) sans articulation avec l’ensemble de l’espace
urbain (Chétry, 2013), ce que pourrait donner à penser une approche sans
nuances de la fragmentation. Trajectoires résidentielles, pratiques de
mobilité, modalités d’accès au marché du travail et à certains services
ou commerces extérieurs aux espaces en question, relations de travail
proprement ditesI, montrent qu’il est excessif de considérer les îlots ou
quartiers concernés comme de simples enclaves totalement fermées. Cela
peut se vérifier dans les favelas, comme dans les quartiers des plus
riches, en dépit de comportements de repli et de recherche d’entre-soi.
En ce sens, le concept de fragmentation socio-spatiale doit être utilisé
I Ce qu’illustre de façon éloquente le film récent de Kleber Mendoça Filho : “Les bruits de Recife”
7
avec précaution, mais la persistance de très grandes différences dans
les morphologies des espaces bâtis, de discontinuités brutales qui se
conjuguent avec des formes de ségrégations et d’inégalités sociales
criantes, nous conduisent à analyser l’organisation des grandes villes
brésiliennes, et tout particulièrement de Recife, en ces termes et à
conserver le concept. Si sur un plan général, le lien entre l’existence
de fortes inégalités sociales et la fragmentation physique de l’espace ne
se vérifie pas de façon systématique dans les villes du sud, comme l’a
montré NAVEZ-BOUCHANINE (2002), nous considérons qu’au Brésil la
concomitance d’une segmentation forte de l’espace et d’inégalités
sociales persistantes justifient que l’on utilise la fragmentation comme
clé de lecture.
L’objectif principal de cet article est d’en restituer les aspects
principaux en insistant sur la géographie particulière de la pauvreté qui
marque les grandes villes brésiliennes, tout en s’interrogeant sur la
portée et les effets de l’action publique en direction des zones
d’habitat précaire. Cette question est d’autant plus prégnante dans le
cas brésilien que celui-ci est profondément affecté par la tension entre
stratégies de marketing urbain et de lutte contre la fragmentation
urbaine, comme on le verra par la suite.
Ne pouvant dans le cadre limité de cet article rendre compte de
tous les aspects de la question de la fragmentation socio-spatiale dans
l’ensemble des grandes villes brésiliennes (on ne saurait parler d’un
8
modèle uniforme d’organisation de l’espace urbain au Brésil !) et des
réponses qui lui sont apportées, nous privilégierons, sans nous interdire
d’évoquer d’autres exemples, le cas de Recife, à bien des égards
paradigmatique de la façon dont se pose la question du « droit à la
ville » au Brésil.
Recife, 5ème agglomération du Brésil, nous paraît particulièrement
illustrative des dynamiques à l’œuvre dans les métropoles brésiliennes.
Regroupant 1 547 704 habitants sur 219,7 Km², cette ville est au centre
d’un vaste espace métropolitain de près de 3,7 millions (recensement de
2010), qui s’étale linéairement le long du littoral et de la route
nationale BR 101II. C’est cet espace qui s’est structuré
institutionnellement à travers la création en 1973 d’une Région
Métropolitaine qui regroupe actuellement 14 municipalités
( originellement, elles n’étaient que 9 lors de la création par la Loi
complémentaire 14/1973) III.
II Elle assure la liaison entre les principales métropoles du pays et grandes villes littorales, fondées au cours de la période colonialeIII Selon la terminologie en vigueur au Brésil, la “Région Métropolitaine” correspond à une aire fonctionnelle définie à partir des flux de personnes et des interdépendances économiques. Elle a été créée pour organiser, planifier et mettre en oeuvre des actions publiques d’intérêt commun aux municipes qui la composent. Toutefois, elle ne peut empiéter sur les compétences municipales, d’autant plus que les Municipes ont un statut d’Unités constitutives de la Fédération au même titre que les Etats fédérés depuis la Constitution de 1988. Dès lors les politiques et projets métropolitains procèdent le plus souvent par simple addition de choix municipaux, et ne peuvent en toute hypothèse apporter de réponses globales au problème posé par la fragmentation socio-spatiale (Carrière, 2012) . La RM ne doit pas être confondue avec ” l’aire métropolitaine” qui désigne l’ensemble des municipes constituant un espace urbanisé continu, sans interstices ruraux. Par exemple, l’aire métropolitaine de Recife comprend les municipes de Recife, Olinda, Camaragibe, Paulista, Sao Lourenço da Mata alors que La Région Métropolitaine (ou RM, avec des majuscules) englobe 10
9
Dans l’impossibilité de traiter à l’échelle de cet article l’ensemble de
l’action publique menée en réponse aux effets de la fragmentation, nous
avons choisi de concentrer notre attention sur l’action publique sur les
zones de précarité, et plus particulièrement sur l’expérience du Plan de
régularisation des zones spéciales d’intérêt social (PREZEIS) initié à
Recife en 1987, dans la mesure où ce plan, et les zones concernées, font
l’objet d’un programme de recherche en cours mené par des chercheurs
seniors et juniors de la Faculté d’Architecture de l’Université Fédérale
du Pernambouc en coopération avec des chercheurs de l’UMR CNRS 7324
CITERES de l’Université de ToursIV. La focalisation réalisée sur le
PREZEIS ne doit pas faire oublier que ce plan, qui procède d’une action
volontariste et d’une forme originale d’action publique, ne constitue
pas pour autant la seule forme d’intervention en direction des zones
occupées par les populations en situation de précarité, comme on le verra
par la suite. Le PREZEIS a cependant pour spécificité de s’inscrire
totalement et explicitement dans une stratégie de régularisation
Municipes supplémentaires : Abreu e Lima, Araçoiaba, Cabo de anto Agostinho, Goiana, Igarassu, Ilha de Itamaracá, Ipojuca, Itapissuma, Jabotão dos Guarapares, Moreno (cf carte en annexe). La Région Métropolitaine de Recife (RMR) occupe 3% de la superficie de l’Etat du Pernambouc, mais concentre en 2010plus de 42% de la population de cet Etat et produit plus de 50% de son PIB, selon les données de l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE)IV Le programme, piloté par le Professeur Luis de la Mora au sein du Programa de pós gradação em Desenvolvimento Urbano – MDU - associe des enseignants-chercheurs des deux universités et donne lieu à la préparation d’une thèse de doctorat d’Aménagement – Urbanisme en co-tutelle, ainsi qu’à des Mestrados brésiliens et des Projets de fin d’études d’élèves-ingénieurs du Département Aménagement de l’Ecole Polytechnique de l’Université de Tours, réalisant leurs stages de fin d’études à Recife.
10
foncière et d’aménagement en assurant le maintien sur place des
populations concernées.
La première partie de l’article revient sur la situation de la
métropolisation au Brésil et ses conséquences en termes de fragmentation
urbaine en se focalisant sur le cas de la capitale nordestine. Dans la
seconde partie, nous tenterons d’évaluer la portée et les limites du
PREZEIS, au regard des objectifs de requalification des quartiers
précaires et de lutte contre la fragmentation urbaine.
1. La fragmentation urbaine au sein des métropoles brésiliennes et à
Recife
1.1 La métropolisation, un processus inachevé mais générateur de
différenciation morphologique et sociale
La métropolisation se présente de façon générale comme « un processus par
lequel une ville, très grande le plus souvent mais pas nécessairement, acquiert des fonctions
majeures de coordination d’activités économiques complexes de portée mondiale, ou globale »
(Bourdeau-Lepage et Huriot, 2005, p.40). Or ce processus dans sa réalité
brésilienne reste inégal : dans le contexte de « polymétropolisation »
qui caractérise l’Amérique Latine (L.N. Tellier – 2012), seules São Paulo
(19,7 millions d’habitants) et Rio de Janeiro (11,8 millions) peuvent
prétendre au « statut » de métropole de premier rang, par leur taille,
les fonctions supérieures et les services hautement qualifiés qu’elles
assument : Ainsi, São Paulo concentre à elle seule 45,8% des sièges
11
sociaux des 500 plus grandes firmes installées au Brésil, 18,8 % des
agences bancaires, plus de 30% des revenus distribués dans le pays… Les
autres grandes agglomérations, en dépit d’une taille considérable – elles
sont 8, dont Recife, à dépasser les 3 millions d’habitants ! – peuvent
être définies comme des métropoles incomplètes, dont le développement est
encore marqué par le poids de l’informel et du tertiaire
« traditionnel », une influence plus de caractère régional – au sens des
grandes régions brésiliennesV - ou national qu’international, et leur
situation macrocéphale à l’échelle de l’Etat fédéré dont elles sont la
capitale (Carrière, 2012, et Carrière – De la Mora, 2012, p).
La métropolisation, «traduction spatiale de la globalisation» (Lacour, 1999, p.74)
s’accompagne d’une compétition inter-villes d’autant plus forte que les
modalités actuelles du développement économique mondialisé privilégient
l’attractivité des investissements internationalement mobiles. Au Brésil,
comme ailleurs, la globalisation est un puissant facteur de
différenciation des villes valorisant celles qui ont la capacité de
prendre place parmi les « lieux » les plus attractifs.
Dans ce contexte, les grandes villes brésiliennes sont toutes engagées
dans une tentative de dépasser leur situation de simple capitale d’Etat
fédéré, pour acquérir une visibilité internationale, la plus forte
possible. Les grands choix stratégiques d’aménagement y sont de plus en
plus influencés par le paradigme de l’attractivité et la recherche d’unV Le Brésil, Etat fédéral, composé de 27 Etats fédérés dotés d’une forteautonomie pour leurs affaires « intérieures », est découpé, notamment pour lamise en œuvre des politiques nationales d’investissement, en 5 macro-régions.
12
changement d’image. En effet, les grandes villes brésiliennes sont, elles
aussi, soucieuses de « se vendre » sur le marché mondial des
territoires, d’adapter leur centralité aux exigences de la
mondialisation, de concentrer des fonctions supérieures à même de leur
assurer un rang international et de leur permettre de capter des flux
d’investissement étrangers. La course à la verticalité, les grands «
gestes architecturaux », les opérations de marketing urbain, les grands
événements emblématiques (coupe du monde de football, J.O….) sont autant
de manifestations des effets de la globalisation sur les stratégies de
développement urbain des métropoles brésiliennes. Mais concilier de tels
objectifs avec ceux de la requalification des espaces de la pauvreté
relève d’une équation particulièrement difficile à résoudre, probablement
encore plus au Brésil que dans de nombreux pays.
L’enjeu stratégique d’une plus grande insertion à l’économie mondiale
entre en tension avec la nécessité de satisfaire les besoins d’une
population urbaine en forte croissance, sous le double effet du croît
naturel et de l’exode rural, en provenance pour l’essentiel des régions
intérieures du Nordeste, régions dont le niveau de pauvreté reste
exceptionnel, malgré une augmentation significative du revenu moyen
(entre 2000 et 2010, son augmentation a été de 5,6% par an en prix
constants de 2010 dans le Nordeste et de 4,5% dans l’ensemble du Brésil
– données IBGE in Neri et al. -2012 ). Les gains de la croissance
profitent surtout à une fraction minoritaire de la population, même si
13
les années Lula ont vu l’indice de Gini descendre à 0,526 en 2012, alors
que 20 ans plus tôt il s’élevait à 0,607 (Neri et al. 2012). Cependant,
et en dépit d’une augmentation du pouvoir d’achat des plus pauvresVI,
permise par l’instauration de la « bolsa familia » et du programme « Fome
zero »VII, le Brésil se situe toujours au 6ème rang mondial au vu de
l’indice d’inégalité du PNUD (2011), et les métropoles brésiliennes
concentrent toutes les inégalités qu’accentue encore la précarité de
l‘habitat. 78 % des favelados (habitants des favelas) sont regroupés dans
les 9 principales métropoles du pays. Il en résulte une contradiction
majeure, à certains égards paradoxale, puisque la pérennité des zones de
précarité est aussi un facteur de dégradation de l’image et de
l’attractivité des villes brésiliennes. Cette contradiction, que l’on
rencontre aussi sur d’autres continents tels que l’Afrique (Michelon,
2011), est un facteur de complexité auquel sont confrontés les pouvoirs
publics désireux à la fois de répondre aux attentes des bailleurs
internationaux en matière de compétitivité et d’attractivité urbaine, et
d’améliorer les conditions de vie des habitants des zones précaires, ne
serait-ce que pour contenir leurs révoltes potentielles. La tension,
notamment en termes d’affectation des ressources publiques, devient de
plus en plus forte entre des politiques visant à insérer les villes dans
VI Dans le Nordeste , la proportion de ménages percevant un revenu inférieur au quart du revenu minimum a régressé de 43% à 23% entre 2000 et 2009 ( de 23% à 11% au Brésil) , tandis que le taux de mortalité infantile tombait de 26,5‰ à 15,6 ‰ (de 21,3 à 13,9 au Brésil). Sources IBGE in Neri et al. (2012)VII Qui signifient respectivement “bourse famille” et “faim zéro”
14
des « espaces de flux », au sens de Castells (1991)VIII, et la volonté
d’éradiquer des concentrations de pauvreté qui sont à la fois sources
d’inégalités spatiales et d’image négative et répulsive de la ville.
C’est pourquoi, on voit beaucoup de grandes villes brésiliennes chercher
à mener simultanément des opérations, soit d’éradication, soit de
requalification des favelas, et des grands projets emblématiques de
développement urbain. A titre d’exemple, on peut évoquer la ville de Rio
qui s’est engagée à la fois dans une politique volontariste
d’interventions visant à pacifier et à restructurer des favelas, avec des
opérations audacieuses telles que la construction d’un téléphérique
desservant la favela do Alemão. Celle-ci, selon le recensement général de
2010 (I.B.G.E, 2010) comptait plus de 60 000 habitants, et son Indice du
Développement Humain était le plus bas de la ville de Rio (0,711 selon
l’I.B.G.E en 2000). Un autre exemple à Rio de Janeiro concerne la
réalisation de grands projets de requalification des zones industrialo-
portuaires, tel que le projet de Porto Maravilha, destiné entre autres à
accueillir certaines manifestations des J.O. de 2016.
VIII C’est à dire des espaces de déploiement de la société informationnelle etvalorisés par les élites, mais non intégrateurs des populations pauvresconfinées dans des « espaces de lieux » déqualifiés où se déroule leur viequotidienne. Michelon (2011) montre comment l’utilisation de la dichotomieespaces de flux – espaces de lieux, proposée par Castells, permet d’analyserl’évolution de l’urbanisation des villes africaines et des conditions de viedans les quartiers précaires. Il nous semble que les termes de l’analyseproposés par Michelon sont aisément transposables au cas des villesbrésiliennes, en dépit de fortes différences contextuelles.
15
De même à Recife, la Municipalité, cherche aussi à renouveler l’image de
la ville par de grandes opérations d’aménagement de sa façade maritime,
conçues pour lui donner une meilleure visibilité internationale La
création de nouveaux « pôles de développement » à Goiana (centre
d’industries de pointe, telle que la pharmacochimie) ou à São Lourenço da
Mata, dont les aménagements sont directement liés à l’organisation de la
coupe du monde de football relève aussi de la même volonté d’intégrer
Recife dans la liste des métropoles de niveau international. On peut
ajouter que les forces du marché et l’action très prégnante du secteur
immobilier privé voient dans la restructuration des espaces centraux
dégradés de nouvelles opportunités foncières permettant le développement
de grands projets, fort peu compatibles avec le besoin d’inclusion
sociale des populations en grande précarité. Le dilemme reste donc entier
entre la volonté de réduire la fragmentation urbaine, par des actions
spécifiques concernant la réhabilitation des espaces de précarité, et
celle de prendre place dans les réseaux métropolitains internationaux,
même si in fine la seconde présuppose la première. Les poches de
pauvreté que sont les quartiers précaires, sources elles-mêmes de
dégradation environnementale et de violence exacerbée – on dénombre plus
de 40 000 homicides par an au Brésil, dont plus de 90 % dans les zones
urbanisées – portent d’une part préjudice aux efforts de renouvellement
d’image que les stratégies urbaines cherchent à promouvoir, et, occupent,
d’autre part, au cœur même des cités, des espaces stratégiques, mais sans
16
autre valeur fonctionnelle que celle de servir « d’abri » précaire à des
populations marginalisées. Ce qui « fait métropole » à l’échelle d’une
agglomération n’englobe que des « morceaux de ville » et la
métropolisation n’est pas inclusive de tout l’espace urbain : ceci se
vérifie avec beaucoup de force au Brésil !
La métropolisation y apparaît comme un rapide processus créateur de
différenciation des lieux, de discrimination sociale et de
conflictualité, et pour tout dire « non soutenable », tant du point de
vue social qu’environnemental.
Certes, on observe au Brésil depuis la fin du 20ème siècle un relatif
infléchissement de l’expansion urbaine sous l’effet du ralentissement de
la croissance démographique et des flux migratoires en provenance de
l’intérieur. Mais les grandes villes brésiliennes, concentrent toujours
des populations particulièrement vulnérables au sein de quartiers
précaires constitués de taudis, que ceux-ci aient l’apparence de
bidonvilles, ou soient constitués d’un habitat « en dur » auto-produit,
mais ne répondant pas aux normes actuelles de salubrité, de confort et de
peuplement. Les quartiers précaires et les bidonvilles, au sens générique
du terme, qualifiés par Agier (1999) de « villes–bis », sont aussi des
lieux caractérisés par une identité et une sociabilité bien spécifiques.
Ce sont des lieux de fabrication de normes et de pouvoirs parallèles.
Or, ces lieux ne se distribuent pas spatialement selon un modèle simple
qui opposerait le centre et la périphérie. Comme dans d’autres pays ayant
17
connu une colonisation séculaire, le centre-ville des grandes villes
brésiliennes, créé à partir des noyaux coloniauxIX, reste le siège des
centres des activités de portée internationale, du système bancaire, des
activités interconnectées, etc… Mais, il offre aussi, au gré des
disponibilités foncières occupées illégalement, des opportunités de
localisation d’activités informelles et de zones de pauvreté, de
marginalisation, et de dégradation environnementale. Le quartier bien
nommé de « Crackolandia » de São Paulo, faisant face à la Pinacothèque,
en est un bon exemple. Le paradoxe est alors de voir en coprésence des
zones reproduisant les modèles urbains du « premier monde », telles que
les zones de bureaux ou de résidences de luxe regroupés dans des tours de
très grande hauteur, et des zones de précarité, horizontales telles que
les favelas. Les périphéries, elles-mêmes, laissent se développer dans
une forte proximité, des zones résidentielles de haut standing, souvent
sous forme de copropriétés closes et gardées par des vigiles en armes, et
d’immenses quartiers précaires, comme on peut le voir de façon évidente à
Brasilia (BORGES, 2014).
Dès lors, s’impose l’image d’une ville segmentée, composant une mosaïque
d’espaces identitaires, fortement différenciés par leur architecture et
leurs caractéristiques paysagères, quand ils ne sont pas physiquement
coupés par des barrières symboliques ou concrètes (murs, enceintes,
avenues…). La fragmentation laisse alors alterner, dans un voisinage sansIX Brasilia faisant ici exception, ce qui se traduit d’ailleurs par une touteautre géographie de la pauvreté, celle-ci étant en grande partie rejetée dansles villes satellites de la capitale (Bortolato, 2014) .
18
distance spatiale, les zones d’habitat précaire et les ilots d’opulence,
et paradoxalement renforce l’ancrage local des populations précarisées
qui se replient sur leur espace de quotidienneté, même si par ailleurs
diverses pratiques (travail, études, loisirs, fréquentation des malls…)
amènent une proportion importante d’habitants à sortir régulièrement des
favelas. Cette situation de contiguïté n’est pas sans incidence sur la
fonctionnalité et la compétitivité des quartiers ayant vocation à
accueillir les activités mondialisées. N’a-t-on pas vu récemment en plein
cœur de Rio de véritables opérations militaires pour tenter de prendre le
contrôle des favelas ? Véritables condensés de pauvreté, d’insécurité et
d’insalubrité du fait de l’absence de systèmes d’assainissement, celles-
ci expriment par leur ampleur, mais aussi leur dispersion dans tout le
tissu urbain, en particulier central et péricentral, l’intensité de la
fragmentation des métropoles brésiliennes.
19
Photo N°1 : Proximité spatiale et distance sociale : deux mondes cloisonnés en co-présence.
Des favelas au pied des condominios du quartier de Casa Forte, à Recife
Source: Thatiany LM Botelho (photo personnelle)
Photo N° 2 : pauvreté et insalubrité dans les favelas, à proximité des tours…
Source : Observatório das Metropoles, Recife, 2000.
1.2 Recife, un cas exemplaire de fragmentation urbaine à l’échelle
métropolitaine
Les métropoles occupent une place « privilégiée » dans la réalité
spatiale de l’inégalité sociale au Brésil, même si d’autres territoires
(notamment les territoires ruraux de l‘intérieur du Nordeste) ne sont pas
épargnés non plus par la grande pauvreté. Que la pauvreté ait reculé
significativement au Brésil depuis les années 2000 est un fait avéré,
confirmé par toutes les données statistiques disponibles à différentes
20
FONTE: AUTORA, 2010. RECIFE, BAIRRO DE CASA FORTE.
échelles. Toutefois, selon l’IBGE, on estimait encore en 2010, à partir
du recensement général de la population, le nombre de Brésiliens en
situation de pauvreté extrême, c’est-à-dire disposant d’un revenu par
tête inférieur à 70 Reais par moisX, à 16,27 millions, soit 8,5% de la
population totale. La majorité (53,3%) de cette population vivant dans
l’indigence se trouve concentrée dans les villes, principalement dans
leurs favelas. Ce sont les villes du Nordeste qui en accueillent la plus
grande proportion : 18,1 % des Nordestins vivent sous le seuil de la
pauvreté extrême. Dès lors, on comprend la persistance d’un habitat très
précaire dont le poids statistique reste considérable : selon les données
du recensement de 2010, 11,4 millions d’habitants, soit 6% des
Brésiliens, vivaient dans des favelas définies comme des «aglomerados
subnormais », c’est-à-dire selon la définition de l’IBGE, des
« agglomérats hors normes, soit des ensembles constitués par un minimum de 51 habitations
occupant ou ayant occupé jusqu’à une période récente un terrain d’autrui, public ou privé,
disposées, en général, de façon désordonnée et dense, et dépourvues, dans leur majorité, des
services publics essentiels ». A partir de cette définition statistique, qui est
loin d’épuiser toute la réalité de l’habitat précaireXI, l’IBGE recense
6359 favelas dans tout le pays, localisées dans 323 des 5565
municipalités brésiliennes.
X Soit environ 25,5 Euros en 2010XI Nombreuses sont les études à considérer cette définition statistique comme trop restrictive pour prendre en compte toute l’hétérogénéité de la réalité favelada.
21
Recife, à l’instar des plus grandes villes du pays, se distingue par une
proportion particulièrement élevée de favelados : en 2010, 852 700
habitants de la RMR vivaient dans des ilots précaires, soit 23,2 % de la
population totale, c’est-à-dire nettement plus qu’à Rio de Janeiro
(14,4%) ou São Paulo (11%).
Or, dans cette ville, les familles pauvres sont réparties sur tout le
territoire, occupant en priorité les espaces délaissés pour des raisons
topographiques (pentes, zones inondables…) ou géographiques (proximité de
nuisances diverses…) ; ceci, d’autant plus que depuis 1983, contrairement
à nombre de villes brésiliennes, l’ensemble des dispositifs législatifs
et réglementaires concernant les zones précaires concernées a pour
finalité affichée de garantir leur insertion au tissu urbain et non plus
leur éradication. Dans ces ilots éparpillés, vivent des populations sans
emploi et sans revenus formels, dans des conditions de forte exclusion
socialeXII (De la Mora et Souza, 2002). Cette constatation se confirme au-
delà des limites de la seule municipalité de Recife, et se vérifie dans
tous les municipes de la RMR : selon une étude récente croisant
traitements de relevés satellitaires et observations de terrain, le total
des îlots résidentiels précaires recensés dans la RMR s’élève à 1046,
dont 441 à Recife-même et 111 à Olinda, la seconde ville de la RMR.
XII Ce qui n’empêche pas pour autant la fréquentation par ces mêmes habitants d’équipements d’envergure, comme le Parc Dona Lindu, ou leur participation active à des évènements culturels majeurs comme le Carnaval. La situation des populations pauvres du Brésil s’analyse toujours difficilement en employant lescatégories habituelles utilisées pour caractériser la pauvreté dans d’autres pays.
22
L’ensemble de l’étude révèle une dissémination complète de ces zones de
précarité dans l’ensemble du territoire métropolitain, mais le fait
essentiel réside dans la prééminence en la matière de la ville-centre
(Alves dos Santos O. – Barbosa Mahmood, S. – 2013)
La carte des zones de pauvreté à Recife « intra-muros » (cf. Carte N° 1)
reflète parfaitement un des aspects de la fragmentation socio-spatiale de
la ville, caractéristique de toutes les métropoles brésiliennes. Pour
autant, on ne peut pas parler de distribution diffuse de la pauvreté, car
les quartiers précaires disséminés dans tout l’espace urbain sont aussi
des lieux de repli du fait d’une peur qui se propage dans les différents
groupes sociaux, chez les riches comme chez les pauvres. Que ce soit dans
les condominios, ou dans les favelas, d’un côté comme de l’autre, le
sentiment d’insécurité prévaut dans toutes les couches sociales et
incite les personnes et les groupes à se protéger dans des structures
architecturales et urbaines limitant l’accès des individus extérieurs.
Les « riches » se réfugieront dans des tours fermées, tandis que les
pauvres dans leurs favelas « de plein pied » chercheront à en limiter
l’accès, notamment en réduisant les entrées du quartier. Ceci n’exclut
pas pour autant des pratiques de mobilité entre ces espaces, mais de
façon très contrôlée, notamment à l’entrée des tours. Dès lors, les
sous-espaces de la ville fragmentée constituent autant de lieux de
sociabilité restreinte aux seuls groupes ou personnes en qui l’on a
confiance. On assiste à un véritable phénomène d’auto-ségrégation, dans
23
les quartiers précaires, comme dans les quelques cités reconstruites par
le gouvernement au bénéfice des populations à bas revenu. Au fur et à
mesure que la métropole recifense croît sous l’effet des flux
migratoires, les espaces clos se démultiplient (De la Mora, 2011, p.10),
la contradiction résultant de ces processus, qui n’est pas sans enjeu
stratégique, est que cela péjore son image internationale. Mais
inversement, au fur et à mesure que son caractère métropolitain
s’affirme, elle devient de plus en plus attirante à la fois pour des
populations pauvres provenant des régions rurales intérieures nordestines
et se réfugiant dans les favelas, mais aussi pour de nouvelles
catégories sociales supérieures, dont la seule présence attise les forces
du marché en faveur d’une production immobilière privée de standing
élevé, principalement en bord de mer. Les deux processus co-générant en
quelque sorte la fragmentation socio-spatiale…
Carte n° 1 : les zones de pauvreté à Recife
24
La distribution spatiale des
zones d’habitat précaire, en
vert sur la carte, se traduit
par l’imbrication des espaces
résidentiels « des riches et
des pauvres » dans des ilots
ou des quartiers cloisonnés.
Les zones d’occupation
illégale se distribuent dans
l’ensemble du territoire
municipal. Aucun lieu, qu’il
s’agisse du centre historique,
des pôles commerciaux modernes
ou des zones résidentielles de
haut standing ne se trouve à
plus de 1,2 km d’une favela.
Source : Observatório das Metrópoles, Recife. (2005)
On ne saurait réduire la favela au bidonville tel qu’on a pu le connaître
dans les villes européennes. Territoire de pauvreté urbaine et
d‘exclusion sociale (Valladares, 2000), la favela résulte d’un processus
25
de production spontanée, informelle, de l’habitat au sein de quartiers ou
d’ilots dépourvus d’assainissement, et de services de transport, et
souvent de voirie aménagée. Les habitations y sont souvent construites en
dur, mais à partir de matériaux de récupération ou de basse qualité, avec
le concours de la famille ou de la « communauté » (Gallart, 2011). La
construction des favelas est en soi un facteur de développement de
relations sociales entre personnes confrontées aux mêmes problèmes de
marginalisation et favorise cet « entre-soi » caractéristique des
communautés pauvres brésiliennes. Si l’accès à l’électricité est
généralement assuré, il n’en va pas de même de l’eau courante, de la
collecte des déchets et de l’assainissement, ce qui favorise
indéniablement les pollutions et un taux de mortalité élevé. Les services
publics permettant de satisfaire les besoins essentiels (éducation,
santé…) sont largement déficients, et souvent assurés de façon palliative
par les Eglises ou des ONG. Au total, l’habitat précaire dans ou hors des
favelas représenterait près du tiers du parc de logements de la RMR
(Alves dos Santos, Mahmood, 2013). Appliquer des critères d’illégalité
d’occupation des sols, de production spontanée de l’habitat, de déficit
d’équipements publics peut donner lieu à de grandes marges
d’appréciation : La réalité favelada est beaucoup plus diverse et
hétérogène que ne le suggère la seule évocation du terme.
Si en première analyse, la précarité urbaine à Recife ressort des
défaillances du système de production immobilière brésilien et de ses
26
insuffisances en matière de logement social, la compréhension de la
situation de fragmentation socio-spatiale que connaît aujourd’hui la
ville ne peut faire l’économie de la prise en compte de sa situation
géographique et de son histoire depuis ses origines. La dynamique
urbaine qui a conduit à la formation de Recife a connu ses prémices grâce
à l’essor du commerce international du coton et du sucre, et
l’agglomération a adopté sa configuration actuelle dès la fin du XIXème,
lorsqu’elle a commencé à phagocyter les villes voisines, égrenées le long
du littoral. La croissance de sa population s’est accélérée avec
l’abolition de l’esclavage (1888), une partie considérable des esclaves
libérés ayant abandonné les latifundios pour chercher du travail au sein
d’une ville qui était incapable de l’absorber. La modernisation de
l’agriculture et la sécheresse ont amplifié le phénomène d’expulsion de
la paysannerie pauvre, quittant le « sertão » et les latifundiosXIII pour cette
ville, perçue comme seul lieu de survie possible. Cette main d’œuvre
nouvelle s’est alors tournée vers des activités sporadiques et
informelles, ne permettant de dégager qu’un revenu de survie. Encore
aujourd’hui, le revenu moyen mensuel par tête y dépasse à peine les 100
Euros. La concentration des pauvres au cœur-même de la cité n’est pas
sans lien avec la situation de métropole que connaît Recife au sein du
XIII Le Sertão désigne précisémment la zone géographique du Nordeste caractérisée par un climat semi-aride, et éloignée des espaces urbanisés du littoral (le terme, dans ses origines sémantiques, renvoie à l’idée d’arrière-pays). Cette zone est le siège à la fois d’une petite agriculture de subsistance et de très grandes exploitations, souvent de plusieurs milliers, voire de dizaines de milliers d’hectares, pratiquant une agriculture extensive, sous-capitalisée et employant une main-d’oeuvre précaire, de type latifundiaire.
27
Nordeste brésilien, lui-même caractérisé par des taux de pauvreté
particulièrement élevés et des flux d’émigration massive, notamment dans
ce qu’il est convenu d’appeler le « polygone des (ou de la, selon les
auteurs) sécheresses »XIV,. Tout compte fait, le développement urbain de
Recife apparaît comme la contrepartie d’un « mal-développement » rural,
et sa croissance a plus résulté d’un phénomène de « push » rural que de
« pull » urbain. Les familles pauvres du Nordeste, à la recherche de
moyens de survie continuent à émigrer massivement vers le sud-est du Pays
(Rio et São Paulo, principalement), mais aussi toujours vers Recife, qui
en dépit d’opportunités moindres reste beaucoup plus accessible. Le
système productif de la ville est dans l’incapacité d’absorber ces
contingents de population migrante. Ceux-ci trouvent alors à s’occuper
dans les « interstices » informels de l’économie, et s’installent dans
des espaces encore vides, nombreux à Recife, qu’il s’agisse des collines
de la périphérie ou des zones inondables de la partie centrale (De la
Mora et Souza, 2002, p. 8 ).
Telle est l’origine des habitations précaires et auto-construites, que
sont les « mucambosXV » qui en 1913 représentaient déjà 43,3% du bâti, et
XIV Selon M. Molinier et E. Cadier (1984) Le Nordeste du Brésil. qui occupe une surface de 1 660 000 km², est soumis à un ensemble de mécanismes climatiques complexes. Dans le polygone de la sécheresse (950 000 km²), on observe une grande irrégularité spatiale et temporelle des précipitations et de grandes sécheresses plusieurs fois par siècle provoquant la perte des récoltes, dont leseffets sont aggravés du fait d’une croissance démographique très forte.
XV Le terme de mucambo désigne une habitation très précaire. On peut approximativement traduire « mucambo » par le terme de taudis, tels qu’on les rencontre dans les favelas ou les « palafitas » des bords de fleuve.
28
en 1939, 63,7% (De la Mora, 1993, p.18). Ces pourcentages ayant peu
évolué expliquent la dissémination dans tout le tissu urbain,
périphérique aussi bien que central, des favelas. Les recensements de la
population réalisés en 1918, 1938, 1978, 1996 ont montré la constance de
ces pourcentage au fil du temps, malgré les politiques publiques
successives destinées à éradiquer ces espaces de précarité, considérés
dès le début du XXème siècle comme autant de menaces à la santé publique,
à la sécurité et à la tranquillité des habitants des autres quartiers.
Cela étant, Recife n’est pas qu’une ville de pauvres confinés dans un
habitat précaire, même si le sociologue Gilberto Freyre déjà en 1936 la
qualifiait de « Mocambopolis »XVI ! Recife est une métropole régionale,
qui étend son aire d’influence jusqu’à d’autres capitales d’Etats du
Nordeste, comme João Pessoa, Maceió, Natal, voire Aracaju. Recife
possède de nombreux atouts à faire valoir dans la concurrence
métropolitaine, qui s’exacerbe tant à l’échelle du continent sud-
américain qu’à l’échelle mondiale : elle dispose du plus grand parc
technologique dédié aux NTIC du Brésil, le « Porto Digital », et du
second pôle médical du pays (le premier pour tout le Nord et le
Nordeste). Ouverte sur l’extérieur, elle rassemble le plus grand nombre
de consulats étrangers après São Paulo et Rio. Dotée d’une puissante
industrie du BTP, de secteurs de pointe (pharmaco-chimie, automobile…)
XVI Dans son célèbre ouvrage d’anthropologie urbaine « Sobrados e Mucambos » (que l’on pourrait traduire par : « Maisons de maîtres et taudis » – 1936, pag. 5), G. Freyre désigne la ville par l’expression de « Mocambopolis recifenses » pour souligner l’importance des taudis au cœur de la ville
29
elle dispose du grand complexe industrialo-portuaire de Suape qui abrite
des raffineries de pétrole et le plus grand chantier naval de
l’hémisphère sud, et d’un des principaux aéroports internationaux du
pays. Elle présente des indicateurs économiques positifs, notamment son
niveau de PIB/ habitant, le plus fort du Nordeste, et assure des
fonctions de niveau métropolitain, alors même que ses indicateurs sociaux
révèlent un fort taux de pauvreté et de précarité urbaine. Valoriser de
tels atouts est un objectif qui ne peut se concrétiser qu’à travers des
opérations d’urbanisme difficilement compatibles avec la persistance
simultanée de la précarité urbaine. Toutefois la mise en valeur de ces
atouts se heurte à de difficiles problèmes de gouvernance et de
définition de son périmètre, la RMR ne pouvant du fait de son statut
engager d’actions portant atteinte aux compétences municipales. Les
conditions d’une véritable gouvernance métropolitaine au sein de
périmètres transcendant les frontières municipales ne sont pas réunies à
l’heure actuelle. Or, la nécessité d’un espace unique de régulation
faisant l’objet d’un « projet métropolitain » partagé, destiné à enrayer
les processus de fragmentation urbaine se fait sentir de plus en plus.
Ajoutons à cela que le Gouvernement du Pernambouc a tenté de mettre en
place des instruments de gestion métropolitaine : Agence de
développement, plan de développement de la RMR, Fonds de Développement
Métropolitain… Mais le fonctionnement de ces outils est limité du fait de
l’autonomie municipale, amplifiée par la Constitution de 1988. Par
30
exemple, le système intégré des transports projeté par l’Etat, qui a pris
en 2008 la forme du « Consortium du Grand Recife » n’a obtenu l’adhésion
que de deux Municipes, Recife et Olinda (les deux plus importants de
l’agglomération, il est vrai !). Les autres villes ont toujours refusé
d’adhérer. Cette question de gouvernance n’est pas indifférente à la
résolution de la précarité urbaine et des discontinuités urbaines, qui
concernent l’ensemble de l’espace métropolitain.
2. Le programme PREZEIS : une réponse à la fragmentation urbaine ?
La question de la fragmentation socio-spatiale, à Recife comme dans les
autres métropoles brésiliennes, ne peut se comprendre en dehors du
contexte social général, marqué par la persistance de très fortes
inégalités, qui s’expriment également dans bien d’autres domaines (santé,
éducation, qualité de l’environnement, etc.) ; ceci malgré la montée des
classes moyennes et la croissance du PIB de ces dernières années. Cela
étant, et de façon plus directe, on doit aussi relever parmi les facteurs
explicatifs de cette situation, non seulement le lourd héritage
historique sur lequel nous reviendrons ultérieurement, mais aussi des
dysfonctionnements, toujours présents, du système de production du cadre
bâti très largement soumis aux forces des marchés immobilier et foncier.
Ces dysfonctionnements se concrétisent, entre autres, par la grande
faiblesse du marché locatif, et par l’action de la Caixa econômica
federal (CEF)XVII en matière d’habitat social, qui ne favorise queXVII La CEF est la seconde institution financière publique d’Amérique latine. Fondée en 1862, elle a pour mission de collecter l’épargne nationale, en particulier des ménages pauvres ou de la classe moyenne, tout en gérant les
31
l’accession à la propriété par ses aides dans le cadre de financements
dits « sociaux », ce qui exclut de fait les plus pauvres de l’accès à ces
logements ; tandis que la promotion immobilière privée très active au
Brésil se concentre sur la production des « condominios » réservés aux
catégories sociales supérieures ou de la « nouvelle classe moyenne »XVIII.
Depuis le début des années 2000 et surtout l’arrivée au pouvoir du
Président Lula, en janvier 2003, les initiatives, tant au niveau fédéral
que local, se sont multipliées en vue d’offrir des réponses au problème
du logement des populations les moins solvables. Le statut de la ville,
reconnaissant l’existence d’un « droit à la ville » pour tous, adopté en
2001 s’applique à l’échelle de l’Etat fédéral. En 2003, un ministère
fédéral des villes fut créé en vue de promouvoir des réformes visant une
meilleure inclusion sociale des populations urbaines à faible revenu. Les
Etats fédérés, à l’instar du Pernambouc, ont aussi lancé des politiques
du logement spécifiques d’aménagement des favelas ou en appui de celles
de l’Etat ; et l’Etat du Pernambouc a lui-même mis en place un cadre
normatif, avec la création des ZEIS et du PREZEIS, qui servira
ultérieurement de la base à la politique urbaine nationale, que ce soit à
fonds de la loterie. Gérant ainsi plus de 380 milliards de Reais (Environ 200 milliards de dollars US) elle joue un rôle majeur dans le financement des investissements publics et privés, notamment en ce qui concerne la production de logements. XVIII On relèvera cependant que la CEF a signé en 2001 une convention avec la Caisse des Dépots française pour essayer d’adapter le sytème d’aide en vue de favoriser des programmes de réhabilitation à vocation locative dans un certain nombre de centres historiques.
32
travers les dispositions constitutionnelles ou l’adoption du statut de la
ville en 2001.
La volonté politique de doter, tant l’Union que les Etats fédérés ou les
villes, d’instruments favorisant une meilleure inclusion sociale est
réellement affichée, mais sans pour autant toutefois porter vraiment
atteinte aux forces de marché toujours orientées vers une production
immobilière de standing. Le programme national le plus spectaculaire est
le programme «Minha casa, Minha vida»XIX. Ce programme, institué par la
loi n°11.977 du 7 juillet 2009 est destiné à favoriser l’accès à la
propriété des ménages modestes. L’objectif est de financer la
construction de deux millions de logements en accession, à l’horizon
2014, dont 60% pour des familles ayant un revenu inférieur à 1395 Reais
par moisXX. Même si les seuils de revenus exigés pour l’octroi des aides
sont faibles, celles-ci, d’autant plus fortes que les ressources des
familles sont modestes, ne sont pas pour autant accessibles à tous et
ne permettent pas aux plus pauvres de lever l’obstacle foncier.
Au niveau local, les villes ne sont pas non plus totalement dépourvues
d’instruments pour tenter de réduire la précarité urbaine. Elles peuvent
notamment mobiliser leur budget participatif, directement inspiré de
l’expérience de Porto Alegre initiée dans les années 90. Concrètement,
il s’agit à travers des réunions de quartiers et de « micro-régions »
(elles sont 18 au sein du Municipe de Recife) de définir des priorités
XIX “Ma maison, ma vie” en français. XX Soit 460 Euros au cours moyen du 9avril 2014
33
d’aménagement local et de planifier la répartition des investissements
publics dans la ville, et plus particulièrement dans les quartiers où
l’Indice du Développement Humain est faible, les citoyens étant in fine
invités à classer ces priorités par vote électronique. Le budget
participatif se veut donc à la fois un instrument d’inclusion sociale, et
de gestion démocratique des politiques publiques requérant la
participation des citoyens sans exclusive. A Recife, jusqu’en 2012, le
budget participatif était le plus important du pays, selon le site web de
la Municipalité.
On relèvera enfin qu’un système d’informations géoréférencées, le
SIGAP/RMRXXI a été développé pour cartographier et cadastrer toutes les
zones pauvres de la RMR (Alves dos Santos, Mahmood, 2013) pour être
couplé à une banque de données sur les ZEIS (BDZEIS) et faciliter
l’élaboration des projets d’aménagement des quartiers précaires.
Si le cas de Recife est à bien des égards exemplaire de la portée et des
limites des tentatives actuelles de requalification des favelas,
l’analyse du PREZEIS, requiert au préalable un bref rappel de l’histoire
des politiques de lutte contre la précarité urbaine au Brésil, afin de
montrer comment les gouvernements municipaux en sont progressivement
devenus les maîtres d’œuvre.
2.1 Les favelas : une préoccupation ancienne au cœur des politiques
brésiliennes. XXI Cet acronyme signifiant : “Système d’informations géoréférencées des assentamentos populaires de la Région Métropolitaine de Recife”
34
L’évolution des réponses à la précarité de l’habitat, à Recife comme
dans les autres villes brésiliennes, fut largement conditionnée par les
changements politiques intervenus à l’échelle nationale, et leurs
conséquences sur les rapports entre l’Etat Fédéral et les pouvoirs
locaux. Les premières années du XXème siècle marquées par le
développement des principes de l’urbanisme et de l’architecture
modernes, et par les recherches de Louis Pasteur, amenèrent au Brésil les
idées de l’hygiénisme. Dans ce contexte, et de façon pionnière à Recife
(1924), furent créées des institutions publiques chargées de détruire
les mocambos, en organisant le transfert de leurs habitants vers un
habitat plus salubre. Mais en 1938, un dénombrement des mocambos fut
réalisé qui donna les mêmes résultats que ceux du recensement de 1913. Le
gouvernement de l’Etat du Pernambouc décida alors de faire appel à
l’initiative privée pour créer en partenariat une fondation dédiée à
l’éradication des mocambos qui abritaient approximativement 12 000
familles, la Ligue Sociale Contre le Mocambo (LSCM). 5000 maisons furent
ainsi construites, et les 7 000 familles restantes condamnées au
« déguerpissement » n’eurent d’autres solutions que de se réfugier sur
les collines et les berges des canaux situés en périphérie, reconstituant
ainsi hors la ville des communautés faveladas. Il s’agit là d’une
première étape dans la mise en œuvre d’une politique d’éradication des
taudis marquée par de fortes connotations paternalistes et une volonté
explicite de contrôle social. Le Gouverneur à l’origine de cette
35
politique déclarait à la presse : « Ne doivent plus habiter à Recife que les familles
qui sont aptes à vivre de façon civilisée. Les autres, qui n’en sont pas capables, iront vivre dans les
macacos », et ajoutait-il : « le père de famille, honnête travailleur, qui a à payer une
mensualité pour disposer de la maison qu’il achète, va y regarder à deux fois, avant de se mêler au
tumulte de la rue » (Jornal Folha da Manhã, 16/12/1942, p. 3), c’est à dire
aux révoltes contre le pouvoir de l’époque.
Le Brésil connut par la suite, pendant une vingtaine d’années, une
période de relative stabilité démocratique, brutalement interrompue par
le coup d’état militaire de 1964, les militaires conservant le pouvoir
jusqu’en 1985. En réponse à l’augmentation constante des favelas, le
gouvernement militaire s’inspira de la proposition en faveur d’un Plan
National de l’Habitat (PNH) formulée par la députée Sandra CalvacantiXXII.
Durant tout le régime militaire, le PNH eut pour effet de supprimer les
favelas des zones centrales présentant un intérêt immobilier ou
commercial, et de transférer leurs habitants dans des grands ensembles
construits en périphérie, à de très grandes distances des centres
économiques urbains, où ces populations, dépourvues de moyens de
transport, trouvaient juste de quoi survivre, sans pour autant pouvoir
toujours satisfaire leurs besoins essentiels (santé, éducation…). Cette
période fut caractérisée par un paternalisme et un clientélisme qui
s’exprimèrent à travers l’octroi de nouvelles habitations, le
XXII Dans une lettre au Marechal Castelo Branco, leader du coup d’Etat, envoyée10 jours après la prise du pouvoir par les militaires, la députée formula laproposition d’élaboration du Plano Nacional de Habitação (Plan National del’Habitat)
36
gouvernement « achetant » ainsi des appuis au sein de communautés
pauvres. Ce fut également une période au cours de laquelle le capital
immobilier bénéficia de fonds provenant de la sécurité sociale des
salariés et de la mise à disposition de terrains dans des espaces à
forte valorisation sociale.
Le processus de démocratisation de la fin des années 70 se traduisit par
une pression accrue sur le régime militaire. De nombreux mouvements
d’étudiants, de paysans, d’habitants de favelas se développèrent, à
partir des groupes de réflexion animés par les Eglises, notamment
l’Eglise Catholique, dans les diocèses dirigés par les évêques les plus
ouverts, en particulier Dom Helder Camara, Archevêque de Recife et
Olinda. La loi d’amnistie permit d’ouvrir la discussion sur les graves
problèmes sociaux affectant la société brésilienne, et tout
particulièrement celui de l‘habitat précaire. C’est dans ce climat
qu’apparurent les mouvements de lutte en faveur des réformes agraire et
urbaine. Les leaders des communautés de base, des étudiants, des
architectes, des ingénieurs, etc., se mobilisèrent en vue de
l’amélioration des conditions de vie des populations les plus pauvres. La
chute du régime militaire permit l’adoption de la nouvelle Constitution
démocratique (1988), à l’élaboration de laquelle participèrent très
activement les mouvements sociaux organisés. Beaucoup de leurs
propositions furent reprises intégralement ou partiellement par
l’Assemblée constituante (De la Mora, 2002, p. 5 ).
37
Dans ce contexte d’effervescence démocratique se constitua le Mouvement
National pour la Réforme Urbaine, présent de façon plus ou moins active dans
l‘ensemble des Etats fédérés. Les principales revendications de ce
mouvement furent à la base de la Loi de la Réforme Urbaine. Celle-ci stipule
dans son préambule que la ville, au-delà de ses fonctions économiques,
politiques, environnementales, remplit une fonction sociale. L’habitat et
la ville ne sont plus assimilés à de simples objets marchands auxquels on
accède par le seul jeu du marché. Mais ils ne sont pas pour autant
considérés comme relevant exclusivement de l’action étatique. En outre,
la Constitution de 1988 reconnaît les habitants comme des acteurs à part
entière des politiques publiques, et dès lors la participation de la
société civile à la formulation et à la gestion de la politique urbaine
est érigée en principe constitutionnel. C’est pourquoi ont été instituées
à chaque niveau de pouvoir, municipal, étatique (à l’échelle de l’Etat
fédéré), fédéral, des «Conférences » chargées de définir les orientations
de politiques urbaines et sociales sur lesquelles les assemblées élues
ont à se prononcer, et que les exécutifs de chaque niveau auront alors à
mettre en œuvre. A Recife, le pouvoir municipal est supposé appliquer une
politique de résorption de l’habitat précaire, préalablement débattue par
les représentants de la société civileXXIII. L’affirmation du droit à la
ville emporte une autre conséquence : comme tous les droits, il impliqueXXIII L’article premier de la Constitution fédérale proclame que « Le pouvoirémane du peuple…qui l’exerce indirectement ou directement », ce qui signifiedans le dernier cas que la population est appelée à participer aux prises dedécision relatives aux affaires publiques, à travers différents mécanismes telsque le PREZEIS, comme on le verra plus loin.
38
le principe d’universalité. En d’autres termes, les droits s’appliquent à
tous ou à personne. Le droit à la ville implique également celui de la
possession du sol, de l’accès aux infrastructures de base, à un
environnement sain, à l’accessibilité et à la mobilité au moyen de
transports de qualité et bon marché, à l’éducation et à la santé, et à
tout un ensemble de services qui, d’une part, garantissent la qualité de
la vie et, de l’autre, nécessitent une gestion intégrée (De la Mora,
2005,p. 172 )
Dès lors, se pose la question de savoir comment assurer, à Recife comme
dans les autres métropoles, l’effectivité de ces droits à des citoyens
d’agglomérations comprenant des administrations locales différentes, et
dotées d’une autonomie de gestion ?
2.2 – le PREZEIS : un instrument du droit à la ville pour les habitants
des favelas de Recife ?
Le PREZEIS ne résume pas à lui seul toute l’action publique en direction
des zones pauvres de l’agglomération, mais il constitue la traduction la
plus directe de la volonté d’inhiber les effets de la spéculation
immobilière et d’intervenir dans les favelas pour les requalifier, sans
recours à l’expulsion des habitants, tout en légalisant les occupations
jusque-là illégales. Il trouve sa source dans une déjà longue histoire
faite de réponses diverses au problème de la précarité urbaine : A la fin
du régime militaire, à partir de 1982, et alors que l’administrateur de
39
la capitale de chaque Etat, le PrefeitoXXIV , était encore désigné par le
Gouverneur de l’EtatXXV, la Société civile brésilienne se mobilisa
fortement en faveur d’une proposition de réforme urbaine reconnaissant
le droit aux pauvres à rester dans les villes. C’est dans ce contexte
que, pour la première fois, des règles d’occupation d’usage et
d’occupation du sol étaient définies, et officiellement reconnue
l’existence de zones occupées par des ensembles d’habitation, produits de
façon spontanée et destinés à des communautés de pauvres, les
«assentamentos precarios», où les pouvoirs publics pouvaient mener des
actions de régularisation foncière et de requalification, et non plus
d’éradication pure et simple. Ainsi, une première loi, la Loi 14.511
adoptée en 1983, identifiait à Recife 29 quartiers répondant à ces
critères de pauvreté et de précarité, qu’elle définissait comme des
« zones spéciales d’intérêt social », des ZEIS, et pour lesquelles un
programme en vue de leur aménagement et de leur requalification, le
PREZEIS, fut proposé en 1987 à travers une seconde loi, la Loi 14.947.
Au sein de chaque ZEIS, la Loi prévoit la mise en place d’une Commission
d’Urbanisation et de Légalisation (COMUL) composée de deux représentants
de l’administration municipale, deux représentants élus des habitants
lors d’une élection spécifique et publique, et un membre d’une ONG,
choisie par la communauté des habitants de la favela concernée pour
faciliter un dialogue généralement difficile avec l’administration.XXIV Que l’on peut assimiler à un Maire XXV Celui-ci étant à son tour élu indirectement par les députés, membres de l’assemblée de chaque Etat fédéré, sur proposition du pouvoir militaire
40
La COMUL a pour mission d’identifier les problèmes de vie urbaine de la
ZEIS et les travaux d’infrastructure nécessaires à leur résolution, ainsi
que de lancer le processus de régularisation foncière de la zone, dont
l’occupation illégale n’a jamais été régularisée.
Afin de mettre leurs projets en débat, les membres de chaque COMUL
participent mensuellement à un forum public réunissant toutes les COMUL,
la Municipalité, les mouvements sociaux, etc. L’élaboration proprement
dite des plans d’aménagement urbain et des projets d’infrastructure au
sein des ZEIS est confiée à une Camara de Urbanização, constituée
également de représentants des habitants, de la Mairie et des ONG. De
même, une Commission de légalisation foncière coordonne la préparation
des dossiers, avant qu’ils ne soient transmis aux tribunaux.
Pour financer le programme, fut institué le Fonds Municipal du PREZEIS,
que le Municipe doit abonder à hauteur de 1,2% des recettes fiscales
municipales, pourcentage résultant d’un accord proposé lors d’un Forum du
PREZEIS (ARAUJO et al., 1999). Mais cette ressource propre ne pouvant
suffire, la majeure partie des grands projets sont financés par le
gouvernement fédéral, dans le cadre de projets de coopération technique
entre l’Etat et le Municipe.
La gestion démocratique des ressources est réalisée par la Camara de
FinançasXXVI constituée comme les deux autres par des membres élus au sein
des composantes du Forum du PREZEIS.
XXVI Littéralement : Chambre des Finances41
En 2012, on dénombre 61 ZEIS, dans lesquelles résident plus de 40 % des
habitants de Recife, sur un peu moins de 12 % de la superficie de la
ville, ce qui laisse entrevoir ce que peut être le degré de sur-
peuplement et de promiscuité des espaces concernés.
Tableau 1 : Population et superficie des zones ZEIS et de la Municipalité
de Recife en 2010
Superficie Habitants
KM2 % N %
RECIFE 218,75 100 1.422.905 100
ZEIS 25.92 11,85 583.724 41,03
Source : IBGE (Institut Brésilien de Géographie et de Statistique, 2010)
42
Carte N° 2 : Les ZEIS (Zones spéciales d’intérêt social)
les ZEIS sont réparties sur
tout le territoire municipal,
mais privilégient les zones de
collines ou les berges des
rivières et des canaux, comme
le montre la carte ci-jointe,
présentant peu d’intérêt pour
les opérateurs du marché
immobilier. Toutefois,
certaines d’entre elles
occupent une position
stratégique, du fait de leur
Localisation des 67 ZEIS de
Recife
43
localisation très centrale, ce
qui peut expliquer des
pressions visant à mettre en
cause leur existence (Lucienne,
2014, p 29)
La loi portant création des
ZEIS a ralenti le « boom »
immobilier des 25 dernières
années en mettant un frein à la
réalisation de projets de
moyen et haut standing à
l’emplacement même des îlots
précaires.
Source : Atlas Municipal (2005)
L’exemplarité de cette loi municipale, portant création des ZEIS fut
rapidement reconnue par le gouvernement fédéral. Elle fut reprise au
niveau national, en 2001, avec la création évoquée plus haut du “Statut
de la ville”, afin de donner au pouvoir local les instruments permettant
de mettre en application les principes constitutionnels du droit à la
ville pour tous. Depuis lors, toute ville peut avoir recours sur son
territoire à cet instrument.
44
Le PREZEIS illustre la volonté de faire face à la gravité extrême de la
précarité de l’habitat et de contribuer à l’amélioration de la qualité de
vie des habitants des ZEIS selon trois axes :
- La résolution des conflits fonciers, en privilégiant le droit au
logement par rapport au droit de propriété, à travers des
négociations conduites par la municipalité et des expropriations
des parcelles occupées avec indemnisation des propriétaires fixée
par la justice. Mais dans un pays où règne l´informalité, les
processus de régularisation foncière sont généralement lents. Cela
explique que le processus de régularisation ne soit arrivé à terme
que dans une seule ZEIS, à ce jour.
- La reconnaissance institutionnelle du droit à la participation des
habitants dans la définition des politiques urbaines au sein du
périmètre concerné. Ceci se concrétise dans chaque ZEIS par une co-
gestion de fait et de droit du programme par les représentants de l
´administration locale, ceux des familles résidentes, et des
membres de la COMUL. Les co-décisions relatives aux processus de
régularisation foncière, d´aménagement et d’amélioration du
quartier, sont prises au cours de réunions bi-hebdomadaires.
- La promotion de meilleures conditions de logement pour les
habitants à travers des interventions non seulement sur le bâti,
mais aussi relatives à l’assainissement, aux espaces collectifs et
de loisir, aux services de santé et d’éducation.
45
Au total, 27 ans après le lancement du PREZEIS, 67 ZEIS, dont la
dernière en 2014, ont été créées, regroupant pour certaines plusieurs
favelas, ouvrant ainsi le droit à la régularisation foncière et à
l’aménagement de leur espace. De ce fait, 512.000 habitants (30% de la
population) ne sont plus aujourd’hui menacés d’expulsion. Leur milieu de
vie et leur qualité de vie ont ainsi bénéficié d’améliorations
tangibles. Vingt plans d’intervention furent élaborés. Pour autant, le
cadre territorial étroit de l’action municipale en limite la portée (De
la Mora, 2012, Pag. 14 ).
2.3 Les limites du PREZEIS et de l’action publique municipale de lutte
contre la précarité de l’habitat et la fragmentation urbaine
Le PREZEIS peut être vu comme la première tentative d’associer les
populations pauvres à la recherche d’une réponse effective au problème de
la précarité urbaine.
Mais force est de constater que ce dispositif n’a pas résolu le problème
crucial du « mal logement », et plus largement de la fragmentation
socio-spatiale qui caractérise Recife ; et ceci, d’autant plus qu’en
dehors des ZEIS, le système de production du cadre bâti, dominé par une
promotion immobilière privée, très active et influente, continue à
privilégier très largement soit des opérations de restauration plus
luxueuses dans le centre historique, soit la construction d’immeubles de
46
standing dans les quartiers plus riches, tels que Boa Viagem ou Casa
Forte.
Les espoirs placés dans le PREZEIS débouchent sur une déception relative,
car au cours de ses 27 ans d’existence, celui-ci n’est jamais parvenu à
s’affirmer comme un instrument d’allocation des ressources municipales en
faveur du logement, ne pouvant rivaliser avec les programmes du Budget
Participatif de la ville, dont les actions englobent la totalité de
l’espace urbain, sans donner de priorité aux ZEIS. On est fondé à parler
d’une forme de concurrence, voire même de manque de cohérence, entre les
deux dispositifs visant pourtant tous deux l’inclusion sociale et la
gestion démocratique des finances publiques, dans la mesure où le Budget
Participatif se veut universel et global et ne privilégie pas une
allocation de ressources spécifiques aux zones particulièrement
défavorisées que sont les ZEIS. Qui plus est, la municipalité est amenée
parfois à réaffecter des ressources provenant du fonds destiné au PREZEIS
au bénéfice de priorités autres inscrites dans le budget participatif.
En outre, le fonctionnement interne des ZEIS est loin d’être toujours
optimal, du fait d’un manque d’organisation et de concertation entre les
acteurs, et probablement d’un manque de préparation et de formation des
représentants des habitants : parmi les 67 ZEIS, seulement 35 ont une
COMUL en fonctionnement, parmi lesquelles seules 2 ont mené à bien leurs
programmes d’aménagement. Dans les 26 autres, rien n’est prévu dans
l’immédiat. En ce qui concerne les programmes de régularisation
47
foncière, beaucoup plus complexes et exigeants en temps, on relève qu’un
seul a pu être mené à bien. Le système de gestion municipale a de grandes
difficultés à s’adapter au modèle de cogestion participative et
démocratique qu’implique le PREZEIS, et les ressources allouées restent
insuffisantes pour permettre une intervention intégrée au sein de chaque
zone. On assiste donc à des actions ponctuelles qui ne permettent pas
d’améliorer la situation globale de l’habitat. Le PREZEIS s’est toujours
heurté à un manque de coordination des actions, et, les plans
d’aménagement urbain ne sont que lentement et partiellement exécutés. De
plus, les objectifs des autres instruments en faveur du logement social
évoqués plus haut (programme Minha casa, Minha vida…) ne sont pas menés
en adéquation avec ces mêmes plans. Au total, si l’amélioration des
espaces publics est indéniable, force est de constater que les logements
offrent toujours des conditions précaires d’habitabilité.
Une autre difficulté tient au fait qu’en dépit de sa structure fédérale,
le Brésil a conservé un système fiscal fortement concentré : la
Fédération bénéficie de 63 % du produit fiscal global, alors que les
Municipes n’en perçoivent que 6,2%. Ainsi, d’un côté l’action publique
est décentralisée, en particulier en matière d’urbanisme, mais de l’autre
les ressources restent encore pour une large part entre les mains de la
Fédération.
Le résultat de ce déséquilibre entre le large spectre des compétences et
la faiblesse relative des ressources des pouvoirs publics locaux est
48
problématique : l’efficience de programmes locaux tels que le PREZEIS
dépend de financements fédéraux gérés par des organismes publics
nationaux. Or, les projets d’investissement d’intérêt national répondent
à des logiques différentes. Les ressources dédiées à la lutte contre la
fragmentation urbaine ne sont pas de ce fait à la hauteur des enjeux. La
consécration de chaque Municipe comme entité fédérale, lui donnant pleine
autonomie dans la mise en œuvre des politiques urbaines pose une autre
question qui, en elle-même, conduit à relativiser la portée du PREZEIS :
comment assurer la coordination de ces politiques et actions à une
échelle pertinente qui soit celle de la réalité morphologique et sociale
de la RMR ? Les très rares cas de coordination de politiques publiques
locales témoignent de la difficulté effective à penser et à mettre en
œuvre des coopérations territoriales aux échelles métropolitaines – on
recense quelques exemples de « consortiums » métropolitains dans des
domaines tels que le transport collectif, mais en revanche les stratégies
et politiques urbanistiques sont pensées et mises en œuvre à l’échelle
des Municipes. Au total, c’est à un véritable problème de gouvernance et
de coopération territoriale que renvoie la question cruciale de la
fragmentation socio-spatiale des espaces métropolitains. En toute
hypothèse, la réduction de la fragmentation urbaine et la mise en œuvre
de politiques locales plus soutenables tant sur le plan social
qu’environnemental nécessiteraient la mise en œuvre de politiques
d’urbanisme au sein de périmètres élargis, permettant de dépasser
49
l’individualisme municipal. Finalement, l’impact d’une politique de
requalification des favelas de Recife, ne peut que rester faible pour des
raisons qui tiennent à la fois à des dysfonctionnements internes, mais
aussi à un manque de ressources, à une échelle d’intervention municipale
inadaptée à la réalité métropolitaine, et enfin à des raisons
structurelles inhérentes au modèle de développement brésilien. En effet,
la concentration des populations pauvres des favelas s’explique aussi par
un sous-développement aigu que l’on retrouve dans la quasi-totalité des
espaces ruraux. Une des clefs de la résorption des favelas réside dans un
développement rural qui limiterait l’exode vers les villes.
Conclusions
La question qui peut se poser, de caractère prospectif, est celle du
devenir des espaces « à faible valeur fonctionnelle » que sont les
quartiers précaires, dans le contexte d’intégration accélérée à la
globalisation que connaissent aujourd’hui le Brésil et ses métropoles.
Celle-ci favorise le renforcement des « espaces à haute valeur
fonctionnelle », des espaces insérés dans les systèmes de flux,
regroupant les activités formelles à haute valeur ajoutée, les services
rares et hautement qualifiés, les activités culturelles de prestige, les
centres d’affaires et de recherche….. Dans les principales métropoles,
les exemples sont nombreux d’opérations de requalifications d’espaces
centraux destinées à la fois à renouveler l’image de la ville, par une
approche plus esthétisante et touristique qu’inclusive socialement, et à
50
créer de nouveaux espaces dédiés aux fonctions supérieures intégrant
résidences privées et centres commerciaux. Le fait de tirer parti de
grands évènements comme la coupe du monde de football ou des jeux
olympiques participe aussi pleinement de cette stratégie.
A terme, la probabilité est forte d’assister à une recomposition socio-
spatiale des métropoles brésiliennes réduisant les formes de la
fragmentation urbaine actuelle au profit d’un modèle plus « classique »
de ségrégation et favorisant la « délocalisation » de la précarité, sans
pour autant réduire cette dernière.
Ce « scénario » est sans doute à l’œuvre dans bien d’autres pays
émergents où la métropolisation s’accompagne de fortes inégalités socio-
spatiales. Mais au Brésil, le dynamisme économique des secteurs les mieux
intégrés aux réseaux mondiaux favorise en période de forte croissance la
formation d’un espace métropolitain cloisonné et ségrégatif, que les
programmes de lutte contre les inégalités et d’inclusion sociale des
populations pauvres ne peuvent empêcher, étant eux-mêmes freinés par de
fortes entraves administratives et financières et un manque de cohérence
au sein des Régions Métropolitaines ; alors que, dans le même temps, la
production immobilière de haut standing reste peu régulée, et se trouve
même favorisée par l’action publique comme on peut le voir à travers
certains grands projets d’aménagement, tels que, dans le cas de Recife,
ceux concernant les pôles de développement de Suape ou de São Lourenço da
Mata, où se situe le stade construit pour la coupe du monde de football.
51
Finalement, que retenir du cas brésilien en ce qui concerne la
fragmentation urbaine ? en premier lieu, que la dualisation de la Société
s’accompagne de la diversification des lieux au sein-même de la ville,
conséquence d’un double processus de ségrégation des populations et de
cloisonnement des espaces ; mais l’exemple de Recife nous montre aussi
que les politiques publiques de lutte contre la précarité urbaine ne
peuvent suffire à résoudre une question qui renvoie au fonctionnement
global du modèle de développement dans toutes ses dimensions (y compris
d’aménagement et de développement rural). La remise en question de la
fragmentation urbaine ne peut résulter de simples mesures sectorielles,
aussi « généreuses » soient-elles.
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