Precarieté Urbaine et fragmentation socio espatiale> le cas de Recife

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Précarité urbaine et fragmentation socio-spatiale au sein des métropoles brésiliennes : Le cas de Recife Jean-Paul Carrière, Université de Tours Luis de la Mora, Universidade Federal do Permanbuco, Recife Précarité urbaine et fragmentation socio-spatiale au sein des métropoles brésiliennes : Le cas de Recife. Résumé : La concomitance d’une segmentation forte de l’espace urbain et d’inégalités sociales persistantes justifie que l’on utilise le concept de fragmentation socio-spatiale comme clé de lecture des métropoles brésiliennes. Il s’agit ainsi de se dégager des visions dichotomiques traditionnelles opposant centre et périphérie, et, de rendre de compte des processus de segmentation qui transforment les grandes villes du Brésil en mosaïques, aux morphologies contrastées, composée par des « morceaux de ville », occupés alternativement par des populations aisées ou très aisées ou au contraire en grande précarité. Mais si l’objectif principal de cet article est de mettre en évidence la géographie particulière des inégalités sociales qui marque les grandes villes brésiliennes, en particulier à travers le phénomène des favelas, il entend également proposer des éléments de réflexion sur la portée et les effets de l’action publique en direction des zones d’habitat 1

Transcript of Precarieté Urbaine et fragmentation socio espatiale> le cas de Recife

Précarité urbaine et fragmentation socio-spatiale au sein des métropoles

brésiliennes : Le cas de Recife

Jean-Paul Carrière, Université de Tours

Luis de la Mora, Universidade Federal do Permanbuco, Recife

Précarité urbaine et fragmentation socio-spatiale au sein des métropoles

brésiliennes : Le cas de Recife.

Résumé :

La concomitance d’une segmentation forte de l’espace urbain et

d’inégalités sociales persistantes justifie que l’on utilise le concept

de fragmentation socio-spatiale comme clé de lecture des métropoles

brésiliennes. Il s’agit ainsi de se dégager des visions dichotomiques

traditionnelles opposant centre et périphérie, et, de rendre de compte

des processus de segmentation qui transforment les grandes villes du

Brésil en mosaïques, aux morphologies contrastées, composée par des

« morceaux de ville », occupés alternativement par des populations aisées

ou très aisées ou au contraire en grande précarité.

Mais si l’objectif principal de cet article est de mettre en évidence la

géographie particulière des inégalités sociales qui marque les grandes

villes brésiliennes, en particulier à travers le phénomène des favelas,

il entend également proposer des éléments de réflexion sur la portée et

les effets de l’action publique en direction des zones d’habitat

1

précaire. Depuis de nombreuses années, les politiques publiques oscillent

entre tentatives d’éradication des espaces de pauvreté, impliquant la

délocalisation de leurs habitants, et volonté de requalification avec

comme objectif le « droit à la ville » et le maintien sur place des

populations concernées. Cette question est d’autant plus prégnante que

les stratégies de marketing urbain imposées par la globalisation d’une

part, et de lutte contre la fragmentation urbaine d’autre part, restent

difficilement conciliables.

Toutefois, ne pouvant rendre compte de la question de la fragmentation

socio-spatiale dans l’ensemble des grandes villes brésiliennes, nous

privilégions dans cet article, le cas de Recife, à bien des égards

paradigmatique de la façon dont se pose la question du « droit à la

ville » au Brésil, sans nous interdire d’évoquer d’autres exemples. C’est

en particulier à Recife que, déjà sous la dictature, les habitants des

favelas, relayés par des ONG et des universitaires, ont au nom du « droit

à la ville » revendiqué des mesures de régularisation de leurs quartiers,

qui devaient se concrétiser par la suite sous des formes législatives et

réglementaires. Dans l’impossibilité également de traiter de toutes les

formes d’action publique menée en réponse aux effets de la fragmentation,

nous cherchons à évaluer plus particulièrement la portée et les limites

du Plan de régularisation des zones spéciales d’intérêt social (PREZEIS)

initié à Recife en 1987, et conçu suite aux demandes des habitants pour

consolider et régulariser les favelas et les zones de grande précarité

2

urbaine. Ainsi, après une première partie consacrée aux conséquences de

la métropolisation en termes de fragmentation urbaine telles que le cas

de la capitale du Nordeste nous les donne à voir, la seconde cherche à

analyser les modalités et les effets du PREZEIS, au regard des objectifs

de requalification des quartiers précaires et de lutte contre la

fragmentation urbaine.

Mots-clefs :

Fragmentation socio-spatiale, favelas, précarité urbaine, métropoles,

Brésil

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Title :

Urban precariousness and socio-spatial fragmentation in the Brazilian

metropolises: the Recife case

Abstract :

The simultaneity of a strong spatial segmentation and of persistent

social imbalances justifies the use of the concept of socio-spatial

fragmentation, as a key to analysing the Brazilian metropolises. This is

the way to renounce traditional dichotomised visions which oppose centre

and periphery, and to explainthe processes of segmentation, which

transform the big Brazilian cities into kinds of patchworks, with

3

contrasting morphologies and made up of “pieces of town” occupied

alternately by high-income people, or on the contrary by people in great

precariousness.

Nevertheless, even though the main aim of this paper is to display the

particular geography of social inequalities in the big Brazilian cities,

specifically focusing on the phenomenon of the favelas, it aims to

propose thinking about the outcomes and effects of public action

concerning the precarious residential areas. For many years, public

policies have wavered between attempts to eradicate the spaces of

poverty, which implies the removal of the inhabitants, and the desire to

requalify in order to ensure the “right to the city” and the right to

tenancy for the populations concerned. This issue is all the more

important, as the strategies of metropolitan marketing imposed by

globalisation on the one hand, and the fight against urban fragmentation

on the other, are difficult to reconcile.

However, as we are not able to deal with the socio-spatial fragmentation

in all big sized Brazilian cities, we focus in this paper on the case of

Recife, which is, in many respects, paradigmatic of the issue of “the

right to city” in Brazil, evoking when necessary other examples. It is in

particular in Recife that the inhabitants of the favelas, aided by NGOs

and academics, already during the dictatorship, claimed measures of

regularisation for their neighbourhoods , in the name of the “right to

the city”, which later became laws and juridicalrules. Morever, not being

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able to deal with all the types of public action conceived to reduce

urban fragmentation, we attempt to analyse the impacts and limits of the

“Regularization Plan of the special areas of social interest” (so-called

PREZEIS), which was implemented in Recife in 1987, in order to

consolidate and regularise the favelas and the areas of great urban

precariousness, as the inhabitants had demanded.

Thus the first part of the paper is dedicated to the consequences of

metropolisation in terms of urban fragmentation, as we can observe in

Recife, whereas the second part analyses the procedures and the effects

of the PREZEIS regarding the requalification of precarious neighbourhoods

and the fight against urban fragmentation.

Keywords :

Socio-spatial fragmentation, favelas, urban precariousness, metropolises,

Brazil

Le Brésil, de plus en plus intégré à la globalisation, connaît une

croissance spectaculaire qu’accompagne un processus d’urbanisation et de

métropolisation particulièrement rapide. Parvenu au 7ème rang des

économies mondiales avec une croissance annuelle de son PIB en moyenne

supérieure à 4% depuis le milieu des années 2000, ce pays a vu son taux

d’urbanisation passer de 36% en 1950 à 84 % en 2010, et même 92% dans le

sud-est. Au dernier recensement de 2010, 21 Régions Métropolitaines

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dépassaient le million d’habitants, les 7 principales, dont Recife,

totalisant ensemble plus de 50 millions. Le cas brésilien illustre de

façon spectaculaire l’essor des grandes villes du sud et l’élargissement

du réseau des villes de dimension mondiale aux pays émergents. Or les

grandes villes brésiliennes, à l’instar de ce que l’on peut voir dans

beaucoup de pays du sud (Bretagnolle et al. 2011), connaissent une

exacerbation de leurs contrastes en termes de niveau de vie, de qualité

du bâti, d’accès à l’emploi et aux services… Le renforcement des

inégalités à l’échelle infra-métropolitaine dans ce pays est à l’origine

de processus de fragmentation socio-spatiale, sans commune mesure avec

ce que l’on peut connaître dans les métropoles mondialisées du « nord »,

européennes ou nord-américaines, la manifestation la plus tangible en

étant la dissémination et l’extension continue des favelas au cœur-même

des villes. Mais corrélativement, on peut aussi observer que la

fragmentation s’exprime par la concentration des populations les plus

riches en des lieux exclusifs, et sécurisés, auxquels les plus modestes

n’ont accès que dans la mesure où ils exécutent des tâches matérielles au

profit des premiers (employés de maison, jardiniers, etc.)

Le concept de fragmentation mobilisé dans cet article est fortement

utilisé par la recherche urbaine sur les « villes du sud », en

particulier au Brésil, pour se détacher d’une lecture par trop duale de

l’espace urbain, reposant sur la simple dichotomie centre-périphérie, et

rendre compte des phénomènes de discontinuité du tissu urbain, et

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d’entre-soi qui caractérise la composition sociale des quartiers ; ce qui

n’exclut pas qu’il fasse débat, dans la mesure où les pratiques urbaines

tendent à s’homogénéiser (Carrel et al. 2013) ! A travers l’usage de ce

terme, il s’agit de mieux prendre en compte les processus de segmentation

qui transforment la ville en une sorte de mosaïque, aux couleurs et aux

formes contrastées, composée par des « morceaux de ville », occupés

alternativement par des populations aisées ou très aisées ou au contraire

en grande précarité.

Certes, des travaux récents soulignent la montée d’une nouvelle « classe

moyenne » brésilienne, adoptant de nouveaux modes de consommation (CARY,

2010) et montrent que les favelas, ou a contrario les copropriétés

fermées, les condominios, ne peuvent être assimilées à de simples enclaves

de pauvres (ou de riches) sans articulation avec l’ensemble de l’espace

urbain (Chétry, 2013), ce que pourrait donner à penser une approche sans

nuances de la fragmentation. Trajectoires résidentielles, pratiques de

mobilité, modalités d’accès au marché du travail et à certains services

ou commerces extérieurs aux espaces en question, relations de travail

proprement ditesI, montrent qu’il est excessif de considérer les îlots ou

quartiers concernés comme de simples enclaves totalement fermées. Cela

peut se vérifier dans les favelas, comme dans les quartiers des plus

riches, en dépit de comportements de repli et de recherche d’entre-soi.

En ce sens, le concept de fragmentation socio-spatiale doit être utilisé

I Ce qu’illustre de façon éloquente le film récent de Kleber Mendoça Filho : “Les bruits de Recife”

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avec précaution, mais la persistance de très grandes différences dans

les morphologies des espaces bâtis, de discontinuités brutales qui se

conjuguent avec des formes de ségrégations et d’inégalités sociales

criantes, nous conduisent à analyser l’organisation des grandes villes

brésiliennes, et tout particulièrement de Recife, en ces termes et à

conserver le concept. Si sur un plan général, le lien entre l’existence

de fortes inégalités sociales et la fragmentation physique de l’espace ne

se vérifie pas de façon systématique dans les villes du sud, comme l’a

montré NAVEZ-BOUCHANINE (2002), nous considérons qu’au Brésil la

concomitance d’une segmentation forte de l’espace et d’inégalités

sociales persistantes justifient que l’on utilise la fragmentation comme

clé de lecture.

L’objectif principal de cet article est d’en restituer les aspects

principaux en insistant sur la géographie particulière de la pauvreté qui

marque les grandes villes brésiliennes, tout en s’interrogeant sur la

portée et les effets de l’action publique en direction des zones

d’habitat précaire. Cette question est d’autant plus prégnante dans le

cas brésilien que celui-ci est profondément affecté par la tension entre

stratégies de marketing urbain et de lutte contre la fragmentation

urbaine, comme on le verra par la suite.

Ne pouvant dans le cadre limité de cet article rendre compte de

tous les aspects de la question de la fragmentation socio-spatiale dans

l’ensemble des grandes villes brésiliennes (on ne saurait parler d’un

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modèle uniforme d’organisation de l’espace urbain au Brésil !) et des

réponses qui lui sont apportées, nous privilégierons, sans nous interdire

d’évoquer d’autres exemples, le cas de Recife, à bien des égards

paradigmatique de la façon dont se pose la question du « droit à la

ville » au Brésil.

Recife, 5ème agglomération du Brésil, nous paraît particulièrement

illustrative des dynamiques à l’œuvre dans les métropoles brésiliennes.

Regroupant 1 547 704 habitants sur 219,7 Km², cette ville est au centre

d’un vaste espace métropolitain de près de 3,7 millions (recensement de

2010), qui s’étale linéairement le long du littoral et de la route

nationale BR 101II. C’est cet espace qui s’est structuré

institutionnellement à travers la création en 1973 d’une Région

Métropolitaine qui regroupe actuellement 14 municipalités

( originellement, elles n’étaient que 9 lors de la création par la Loi

complémentaire 14/1973) III.

II Elle assure la liaison entre les principales métropoles du pays et grandes villes littorales, fondées au cours de la période colonialeIII Selon la terminologie en vigueur au Brésil, la “Région Métropolitaine” correspond à une aire fonctionnelle définie à partir des flux de personnes et des interdépendances économiques. Elle a été créée pour organiser, planifier et mettre en oeuvre des actions publiques d’intérêt commun aux municipes qui la composent. Toutefois, elle ne peut empiéter sur les compétences municipales, d’autant plus que les Municipes ont un statut d’Unités constitutives de la Fédération au même titre que les Etats fédérés depuis la Constitution de 1988. Dès lors les politiques et projets métropolitains procèdent le plus souvent par simple addition de choix municipaux, et ne peuvent en toute hypothèse apporter de réponses globales au problème posé par la fragmentation socio-spatiale (Carrière, 2012) . La RM ne doit pas être confondue avec ” l’aire métropolitaine” qui désigne l’ensemble des municipes constituant un espace urbanisé continu, sans interstices ruraux. Par exemple, l’aire métropolitaine de Recife comprend les municipes de Recife, Olinda, Camaragibe, Paulista, Sao Lourenço da Mata alors que La Région Métropolitaine (ou RM, avec des majuscules) englobe 10

9

Dans l’impossibilité de traiter à l’échelle de cet article l’ensemble de

l’action publique menée en réponse aux effets de la fragmentation, nous

avons choisi de concentrer notre attention sur l’action publique sur les

zones de précarité, et plus particulièrement sur l’expérience du Plan de

régularisation des zones spéciales d’intérêt social (PREZEIS) initié à

Recife en 1987, dans la mesure où ce plan, et les zones concernées, font

l’objet d’un programme de recherche en cours mené par des chercheurs

seniors et juniors de la Faculté d’Architecture de l’Université Fédérale

du Pernambouc en coopération avec des chercheurs de l’UMR CNRS 7324

CITERES de l’Université de ToursIV. La focalisation réalisée sur le

PREZEIS ne doit pas faire oublier que ce plan, qui procède d’une action

volontariste et d’une forme originale d’action publique, ne constitue

pas pour autant la seule forme d’intervention en direction des zones

occupées par les populations en situation de précarité, comme on le verra

par la suite. Le PREZEIS a cependant pour spécificité de s’inscrire

totalement et explicitement dans une stratégie de régularisation

Municipes supplémentaires : Abreu e Lima, Araçoiaba, Cabo de anto Agostinho, Goiana, Igarassu, Ilha de Itamaracá, Ipojuca, Itapissuma, Jabotão dos Guarapares, Moreno (cf carte en annexe). La Région Métropolitaine de Recife (RMR) occupe 3% de la superficie de l’Etat du Pernambouc, mais concentre en 2010plus de 42% de la population de cet Etat et produit plus de 50% de son PIB, selon les données de l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE)IV Le programme, piloté par le Professeur Luis de la Mora au sein du Programa de pós gradação em Desenvolvimento Urbano – MDU - associe des enseignants-chercheurs des deux universités et donne lieu à la préparation d’une thèse de doctorat d’Aménagement – Urbanisme en co-tutelle, ainsi qu’à des Mestrados brésiliens et des Projets de fin d’études d’élèves-ingénieurs du Département Aménagement de l’Ecole Polytechnique de l’Université de Tours, réalisant leurs stages de fin d’études à Recife.

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foncière et d’aménagement en assurant le maintien sur place des

populations concernées.

La première partie de l’article revient sur la situation de la

métropolisation au Brésil et ses conséquences en termes de fragmentation

urbaine en se focalisant sur le cas de la capitale nordestine. Dans la

seconde partie, nous tenterons d’évaluer la portée et les limites du

PREZEIS, au regard des objectifs de requalification des quartiers

précaires et de lutte contre la fragmentation urbaine.

1. La fragmentation urbaine au sein des métropoles brésiliennes et à

Recife

1.1 La métropolisation, un processus inachevé mais générateur de

différenciation morphologique et sociale

La métropolisation se présente de façon générale comme « un processus par

lequel une ville, très grande le plus souvent mais pas nécessairement, acquiert des fonctions

majeures de coordination d’activités économiques complexes de portée mondiale, ou globale »

(Bourdeau-Lepage et Huriot, 2005, p.40). Or ce processus dans sa réalité

brésilienne reste inégal : dans le contexte de « polymétropolisation »

qui caractérise l’Amérique Latine (L.N. Tellier – 2012), seules São Paulo

(19,7 millions d’habitants) et Rio de Janeiro (11,8 millions) peuvent

prétendre au « statut » de métropole de premier rang, par leur taille,

les fonctions supérieures et les services hautement qualifiés qu’elles

assument : Ainsi, São Paulo concentre à elle seule 45,8% des sièges

11

sociaux des 500 plus grandes firmes installées au Brésil, 18,8 % des

agences bancaires, plus de 30% des revenus distribués dans le pays… Les

autres grandes agglomérations, en dépit d’une taille considérable – elles

sont 8, dont Recife, à dépasser les 3 millions d’habitants ! – peuvent

être définies comme des métropoles incomplètes, dont le développement est

encore marqué par le poids de l’informel et du tertiaire

« traditionnel », une influence plus de caractère régional – au sens des

grandes régions brésiliennesV - ou national qu’international, et leur

situation macrocéphale à l’échelle de l’Etat fédéré dont elles sont la

capitale (Carrière, 2012, et Carrière – De la Mora, 2012, p).

La métropolisation, «traduction spatiale de la globalisation» (Lacour, 1999, p.74)

s’accompagne d’une compétition inter-villes d’autant plus forte que les

modalités actuelles du développement économique mondialisé privilégient

l’attractivité des investissements internationalement mobiles. Au Brésil,

comme ailleurs, la globalisation est un puissant facteur de

différenciation des villes valorisant celles qui ont la capacité de

prendre place parmi les « lieux » les plus attractifs.

Dans ce contexte, les grandes villes brésiliennes sont toutes engagées

dans une tentative de dépasser leur situation de simple capitale d’Etat

fédéré, pour acquérir une visibilité internationale, la plus forte

possible. Les grands choix stratégiques d’aménagement y sont de plus en

plus influencés par le paradigme de l’attractivité et la recherche d’unV Le Brésil, Etat fédéral, composé de 27 Etats fédérés dotés d’une forteautonomie pour leurs affaires « intérieures », est découpé, notamment pour lamise en œuvre des politiques nationales d’investissement, en 5 macro-régions.

12

changement d’image. En effet, les grandes villes brésiliennes sont, elles

aussi, soucieuses de « se vendre » sur le marché mondial des

territoires, d’adapter leur centralité aux exigences de la

mondialisation, de concentrer des fonctions supérieures à même de leur

assurer un rang international et de leur permettre de capter des flux

d’investissement étrangers. La course à la verticalité, les grands «

gestes architecturaux », les opérations de marketing urbain, les grands

événements emblématiques (coupe du monde de football, J.O….) sont autant

de manifestations des effets de la globalisation sur les stratégies de

développement urbain des métropoles brésiliennes. Mais concilier de tels

objectifs avec ceux de la requalification des espaces de la pauvreté

relève d’une équation particulièrement difficile à résoudre, probablement

encore plus au Brésil que dans de nombreux pays.

L’enjeu stratégique d’une plus grande insertion à l’économie mondiale

entre en tension avec la nécessité de satisfaire les besoins d’une

population urbaine en forte croissance, sous le double effet du croît

naturel et de l’exode rural, en provenance pour l’essentiel des régions

intérieures du Nordeste, régions dont le niveau de pauvreté reste

exceptionnel, malgré une augmentation significative du revenu moyen

(entre 2000 et 2010, son augmentation a été de 5,6% par an en prix

constants de 2010 dans le Nordeste et de 4,5% dans l’ensemble du Brésil

– données IBGE in Neri et al. -2012 ). Les gains de la croissance

profitent surtout à une fraction minoritaire de la population, même si

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les années Lula ont vu l’indice de Gini descendre à 0,526 en 2012, alors

que 20 ans plus tôt il s’élevait à 0,607 (Neri et al. 2012). Cependant,

et en dépit d’une augmentation du pouvoir d’achat des plus pauvresVI,

permise par l’instauration de la « bolsa familia » et du programme « Fome

zero »VII, le Brésil se situe toujours au 6ème rang mondial au vu de

l’indice d’inégalité du PNUD (2011), et les métropoles brésiliennes

concentrent toutes les inégalités qu’accentue encore la précarité de

l‘habitat. 78 % des favelados (habitants des favelas) sont regroupés dans

les 9 principales métropoles du pays. Il en résulte une contradiction

majeure, à certains égards paradoxale, puisque la pérennité des zones de

précarité est aussi un facteur de dégradation de l’image et de

l’attractivité des villes brésiliennes. Cette contradiction, que l’on

rencontre aussi sur d’autres continents tels que l’Afrique (Michelon,

2011), est un facteur de complexité auquel sont confrontés les pouvoirs

publics désireux à la fois de répondre aux attentes des bailleurs

internationaux en matière de compétitivité et d’attractivité urbaine, et

d’améliorer les conditions de vie des habitants des zones précaires, ne

serait-ce que pour contenir leurs révoltes potentielles. La tension,

notamment en termes d’affectation des ressources publiques, devient de

plus en plus forte entre des politiques visant à insérer les villes dans

VI Dans le Nordeste , la proportion de ménages percevant un revenu inférieur au quart du revenu minimum a régressé de 43% à 23% entre 2000 et 2009 ( de 23% à 11% au Brésil) , tandis que le taux de mortalité infantile tombait de 26,5‰ à 15,6 ‰ (de 21,3 à 13,9 au Brésil). Sources IBGE in Neri et al. (2012)VII Qui signifient respectivement “bourse famille” et “faim zéro”

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des « espaces de flux », au sens de Castells (1991)VIII, et la volonté

d’éradiquer des concentrations de pauvreté qui sont à la fois sources

d’inégalités spatiales et d’image négative et répulsive de la ville.

C’est pourquoi, on voit beaucoup de grandes villes brésiliennes chercher

à mener simultanément des opérations, soit d’éradication, soit de

requalification des favelas, et des grands projets emblématiques de

développement urbain. A titre d’exemple, on peut évoquer la ville de Rio

qui s’est engagée à la fois dans une politique volontariste

d’interventions visant à pacifier et à restructurer des favelas, avec des

opérations audacieuses telles que la construction d’un téléphérique

desservant la favela do Alemão. Celle-ci, selon le recensement général de

2010 (I.B.G.E, 2010) comptait plus de 60 000 habitants, et son Indice du

Développement Humain était le plus bas de la ville de Rio (0,711 selon

l’I.B.G.E en 2000). Un autre exemple à Rio de Janeiro concerne la

réalisation de grands projets de requalification des zones industrialo-

portuaires, tel que le projet de Porto Maravilha, destiné entre autres à

accueillir certaines manifestations des J.O. de 2016.

VIII C’est à dire des espaces de déploiement de la société informationnelle etvalorisés par les élites, mais non intégrateurs des populations pauvresconfinées dans des « espaces de lieux » déqualifiés où se déroule leur viequotidienne. Michelon (2011) montre comment l’utilisation de la dichotomieespaces de flux – espaces de lieux, proposée par Castells, permet d’analyserl’évolution de l’urbanisation des villes africaines et des conditions de viedans les quartiers précaires. Il nous semble que les termes de l’analyseproposés par Michelon sont aisément transposables au cas des villesbrésiliennes, en dépit de fortes différences contextuelles.

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De même à Recife, la Municipalité, cherche aussi à renouveler l’image de

la ville par de grandes opérations d’aménagement de sa façade maritime,

conçues pour lui donner une meilleure visibilité internationale La

création de nouveaux « pôles de développement » à Goiana (centre

d’industries de pointe, telle que la pharmacochimie) ou à São Lourenço da

Mata, dont les aménagements sont directement liés à l’organisation de la

coupe du monde de football relève aussi de la même volonté d’intégrer

Recife dans la liste des métropoles de niveau international. On peut

ajouter que les forces du marché et l’action très prégnante du secteur

immobilier privé voient dans la restructuration des espaces centraux

dégradés de nouvelles opportunités foncières permettant le développement

de grands projets, fort peu compatibles avec le besoin d’inclusion

sociale des populations en grande précarité. Le dilemme reste donc entier

entre la volonté de réduire la fragmentation urbaine, par des actions

spécifiques concernant la réhabilitation des espaces de précarité, et

celle de prendre place dans les réseaux métropolitains internationaux,

même si in fine la seconde présuppose la première. Les poches de

pauvreté que sont les quartiers précaires, sources elles-mêmes de

dégradation environnementale et de violence exacerbée – on dénombre plus

de 40 000 homicides par an au Brésil, dont plus de 90 % dans les zones

urbanisées – portent d’une part préjudice aux efforts de renouvellement

d’image que les stratégies urbaines cherchent à promouvoir, et, occupent,

d’autre part, au cœur même des cités, des espaces stratégiques, mais sans

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autre valeur fonctionnelle que celle de servir « d’abri » précaire à des

populations marginalisées. Ce qui « fait métropole » à l’échelle d’une

agglomération n’englobe que des « morceaux de ville » et la

métropolisation n’est pas inclusive de tout l’espace urbain : ceci se

vérifie avec beaucoup de force au Brésil !

La métropolisation y apparaît comme un rapide processus créateur de

différenciation des lieux, de discrimination sociale et de

conflictualité, et pour tout dire « non soutenable », tant du point de

vue social qu’environnemental.

Certes, on observe au Brésil depuis la fin du 20ème siècle un relatif

infléchissement de l’expansion urbaine sous l’effet du ralentissement de

la croissance démographique et des flux migratoires en provenance de

l’intérieur. Mais les grandes villes brésiliennes, concentrent toujours

des populations particulièrement vulnérables au sein de quartiers

précaires constitués de taudis, que ceux-ci aient l’apparence de

bidonvilles, ou soient constitués d’un habitat « en dur » auto-produit,

mais ne répondant pas aux normes actuelles de salubrité, de confort et de

peuplement. Les quartiers précaires et les bidonvilles, au sens générique

du terme, qualifiés par Agier (1999) de « villes–bis », sont aussi des

lieux caractérisés par une identité et une sociabilité bien spécifiques.

Ce sont des lieux de fabrication de normes et de pouvoirs parallèles.

Or, ces lieux ne se distribuent pas spatialement selon un modèle simple

qui opposerait le centre et la périphérie. Comme dans d’autres pays ayant

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connu une colonisation séculaire, le centre-ville des grandes villes

brésiliennes, créé à partir des noyaux coloniauxIX, reste le siège des

centres des activités de portée internationale, du système bancaire, des

activités interconnectées, etc… Mais, il offre aussi, au gré des

disponibilités foncières occupées illégalement, des opportunités de

localisation d’activités informelles et de zones de pauvreté, de

marginalisation, et de dégradation environnementale. Le quartier bien

nommé de « Crackolandia » de São Paulo, faisant face à la Pinacothèque,

en est un bon exemple. Le paradoxe est alors de voir en coprésence des

zones reproduisant les modèles urbains du « premier monde », telles que

les zones de bureaux ou de résidences de luxe regroupés dans des tours de

très grande hauteur, et des zones de précarité, horizontales telles que

les favelas. Les périphéries, elles-mêmes, laissent se développer dans

une forte proximité, des zones résidentielles de haut standing, souvent

sous forme de copropriétés closes et gardées par des vigiles en armes, et

d’immenses quartiers précaires, comme on peut le voir de façon évidente à

Brasilia (BORGES, 2014).

Dès lors, s’impose l’image d’une ville segmentée, composant une mosaïque

d’espaces identitaires, fortement différenciés par leur architecture et

leurs caractéristiques paysagères, quand ils ne sont pas physiquement

coupés par des barrières symboliques ou concrètes (murs, enceintes,

avenues…). La fragmentation laisse alors alterner, dans un voisinage sansIX Brasilia faisant ici exception, ce qui se traduit d’ailleurs par une touteautre géographie de la pauvreté, celle-ci étant en grande partie rejetée dansles villes satellites de la capitale (Bortolato, 2014) .

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distance spatiale, les zones d’habitat précaire et les ilots d’opulence,

et paradoxalement renforce l’ancrage local des populations précarisées

qui se replient sur leur espace de quotidienneté, même si par ailleurs

diverses pratiques (travail, études, loisirs, fréquentation des malls…)

amènent une proportion importante d’habitants à sortir régulièrement des

favelas. Cette situation de contiguïté n’est pas sans incidence sur la

fonctionnalité et la compétitivité des quartiers ayant vocation à

accueillir les activités mondialisées. N’a-t-on pas vu récemment en plein

cœur de Rio de véritables opérations militaires pour tenter de prendre le

contrôle des favelas ? Véritables condensés de pauvreté, d’insécurité et

d’insalubrité du fait de l’absence de systèmes d’assainissement, celles-

ci expriment par leur ampleur, mais aussi leur dispersion dans tout le

tissu urbain, en particulier central et péricentral, l’intensité de la

fragmentation des métropoles brésiliennes.

19

Photo N°1 : Proximité spatiale et distance sociale : deux mondes cloisonnés en co-présence.

Des favelas au pied des condominios du quartier de Casa Forte, à Recife

Source: Thatiany LM Botelho (photo personnelle)

Photo N° 2 : pauvreté et insalubrité dans les favelas, à proximité des tours…

Source : Observatório das Metropoles, Recife, 2000.

1.2 Recife, un cas exemplaire de fragmentation urbaine à l’échelle

métropolitaine

Les métropoles occupent une place « privilégiée »  dans la réalité

spatiale de l’inégalité sociale au Brésil, même si d’autres territoires

(notamment les territoires ruraux de l‘intérieur du Nordeste) ne sont pas

épargnés non plus par la grande pauvreté. Que la pauvreté ait reculé

significativement au Brésil depuis les années 2000 est un fait avéré,

confirmé par toutes les données statistiques disponibles à différentes

20

FONTE: AUTORA, 2010. RECIFE, BAIRRO DE CASA FORTE.

échelles. Toutefois, selon l’IBGE, on estimait encore en 2010, à partir

du recensement général de la population, le nombre de Brésiliens en

situation de pauvreté extrême, c’est-à-dire disposant d’un revenu par

tête inférieur à 70 Reais par moisX, à 16,27 millions, soit 8,5% de la

population totale. La majorité (53,3%) de cette population vivant dans

l’indigence se trouve concentrée dans les villes, principalement dans

leurs favelas. Ce sont les villes du Nordeste qui en accueillent la plus

grande proportion : 18,1 % des Nordestins vivent sous le seuil de la

pauvreté extrême. Dès lors, on comprend la persistance d’un habitat très

précaire dont le poids statistique reste considérable : selon les données

du recensement de 2010, 11,4 millions d’habitants, soit 6% des

Brésiliens, vivaient dans des favelas définies comme des «aglomerados

subnormais », c’est-à-dire selon la définition de l’IBGE, des

« agglomérats hors normes, soit des ensembles constitués par un minimum de 51 habitations

occupant ou ayant occupé jusqu’à une période récente un terrain d’autrui, public ou privé,

disposées, en général, de façon désordonnée et dense, et dépourvues, dans leur majorité, des

services publics essentiels ». A partir de cette définition statistique, qui est

loin d’épuiser toute la réalité de l’habitat précaireXI, l’IBGE recense

6359 favelas dans tout le pays, localisées dans 323 des 5565

municipalités brésiliennes.

X Soit environ 25,5 Euros en 2010XI Nombreuses sont les études à considérer cette définition statistique comme trop restrictive pour prendre en compte toute l’hétérogénéité de la réalité favelada.

21

Recife, à l’instar des plus grandes villes du pays, se distingue par une

proportion particulièrement élevée de favelados : en 2010, 852 700

habitants de la RMR vivaient dans des ilots précaires, soit 23,2 % de la

population totale, c’est-à-dire nettement plus qu’à Rio de Janeiro

(14,4%) ou São Paulo (11%).

Or, dans cette ville, les familles pauvres sont réparties sur tout le

territoire, occupant en priorité les espaces délaissés pour des raisons

topographiques (pentes, zones inondables…) ou géographiques (proximité de

nuisances diverses…) ; ceci, d’autant plus que depuis 1983, contrairement

à nombre de villes brésiliennes, l’ensemble des dispositifs législatifs

et réglementaires concernant les zones précaires concernées a pour

finalité affichée de garantir leur insertion au tissu urbain et non plus

leur éradication. Dans ces ilots éparpillés, vivent des populations sans

emploi et sans revenus formels, dans des conditions de forte exclusion

socialeXII (De la Mora et Souza, 2002). Cette constatation se confirme au-

delà des limites de la seule municipalité de Recife, et se vérifie dans

tous les municipes de la RMR : selon une étude récente croisant

traitements de relevés satellitaires et observations de terrain, le total

des îlots résidentiels précaires recensés dans la RMR s’élève à 1046,

dont 441 à Recife-même et 111 à Olinda, la seconde ville de la RMR.

XII Ce qui n’empêche pas pour autant la fréquentation par ces mêmes habitants d’équipements d’envergure, comme le Parc Dona Lindu, ou leur participation active à des évènements culturels majeurs comme le Carnaval. La situation des populations pauvres du Brésil s’analyse toujours difficilement en employant lescatégories habituelles utilisées pour caractériser la pauvreté dans d’autres pays.

22

L’ensemble de l’étude révèle une dissémination complète de ces zones de

précarité dans l’ensemble du territoire métropolitain, mais le fait

essentiel réside dans la prééminence en la matière de la ville-centre

(Alves dos Santos O. – Barbosa Mahmood, S. – 2013)

La carte des zones de pauvreté à Recife « intra-muros » (cf. Carte N° 1)

reflète parfaitement un des aspects de la fragmentation socio-spatiale de

la ville, caractéristique de toutes les métropoles brésiliennes. Pour

autant, on ne peut pas parler de distribution diffuse de la pauvreté, car

les quartiers précaires disséminés dans tout l’espace urbain sont aussi

des lieux de repli du fait d’une peur qui se propage dans les différents

groupes sociaux, chez les riches comme chez les pauvres. Que ce soit dans

les condominios, ou dans les favelas, d’un côté comme de l’autre, le

sentiment d’insécurité prévaut dans toutes les couches sociales et

incite les personnes et les groupes à se protéger dans des structures

architecturales et urbaines limitant l’accès des individus extérieurs.

Les « riches » se réfugieront dans des tours fermées, tandis que les

pauvres dans leurs favelas « de plein pied » chercheront à en limiter

l’accès, notamment en réduisant les entrées du quartier. Ceci n’exclut

pas pour autant des pratiques de mobilité entre ces espaces, mais de

façon très contrôlée, notamment à l’entrée des tours. Dès lors, les

sous-espaces de la ville fragmentée constituent autant de lieux de

sociabilité restreinte aux seuls groupes ou personnes en qui l’on a

confiance. On assiste à un véritable phénomène d’auto-ségrégation, dans

23

les quartiers précaires, comme dans les quelques cités reconstruites par

le gouvernement au bénéfice des populations à bas revenu. Au fur et à

mesure que la métropole recifense croît sous l’effet des flux

migratoires, les espaces clos se démultiplient (De la Mora, 2011, p.10),

la contradiction résultant de ces processus, qui n’est pas sans enjeu

stratégique, est que cela péjore son image internationale. Mais

inversement, au fur et à mesure que son caractère métropolitain

s’affirme, elle devient de plus en plus attirante à la fois pour des

populations pauvres provenant des régions rurales intérieures nordestines

et se réfugiant dans les favelas, mais aussi pour de nouvelles

catégories sociales supérieures, dont la seule présence attise les forces

du marché en faveur d’une production immobilière privée de standing

élevé, principalement en bord de mer. Les deux processus co-générant en

quelque sorte la fragmentation socio-spatiale…

Carte n° 1 : les zones de pauvreté à Recife

24

La distribution spatiale des

zones d’habitat précaire, en

vert sur la carte, se traduit

par l’imbrication des espaces

résidentiels « des riches et

des pauvres » dans des ilots

ou des quartiers cloisonnés.

Les zones d’occupation

illégale se distribuent dans

l’ensemble du territoire

municipal. Aucun lieu, qu’il

s’agisse du centre historique,

des pôles commerciaux modernes

ou des zones résidentielles de

haut standing ne se trouve à

plus de 1,2 km d’une favela.

Source : Observatório das Metrópoles, Recife. (2005)

On ne saurait réduire la favela au bidonville tel qu’on a pu le connaître

dans les villes européennes. Territoire de pauvreté urbaine et

d‘exclusion sociale (Valladares, 2000), la favela résulte d’un processus

25

de production spontanée, informelle, de l’habitat au sein de quartiers ou

d’ilots dépourvus d’assainissement, et de services de transport, et

souvent de voirie aménagée. Les habitations y sont souvent construites en

dur, mais à partir de matériaux de récupération ou de basse qualité, avec

le concours de la famille ou de la « communauté » (Gallart, 2011). La

construction des favelas est en soi un facteur de développement de

relations sociales entre personnes confrontées aux mêmes problèmes de

marginalisation et favorise cet « entre-soi » caractéristique des

communautés pauvres brésiliennes. Si l’accès à l’électricité est

généralement assuré, il n’en va pas de même de l’eau courante, de la

collecte des déchets et de l’assainissement, ce qui favorise

indéniablement les pollutions et un taux de mortalité élevé. Les services

publics permettant de satisfaire les besoins essentiels (éducation,

santé…) sont largement déficients, et souvent assurés de façon palliative

par les Eglises ou des ONG. Au total, l’habitat précaire dans ou hors des

favelas représenterait près du tiers du parc de logements de la RMR

(Alves dos Santos, Mahmood, 2013). Appliquer des critères d’illégalité

d’occupation des sols, de production spontanée de l’habitat, de déficit

d’équipements publics peut donner lieu à de grandes marges

d’appréciation : La réalité favelada est beaucoup plus diverse et

hétérogène que ne le suggère la seule évocation du terme.

Si en première analyse, la précarité urbaine à Recife ressort des

défaillances du système de production immobilière brésilien et de ses

26

insuffisances en matière de logement social, la compréhension de la

situation de fragmentation socio-spatiale que connaît aujourd’hui la

ville ne peut faire l’économie de la prise en compte de sa situation

géographique et de son histoire depuis ses origines. La dynamique

urbaine qui a conduit à la formation de Recife a connu ses prémices grâce

à l’essor du commerce international du coton et du sucre, et

l’agglomération a adopté sa configuration actuelle dès la fin du XIXème,

lorsqu’elle a commencé à phagocyter les villes voisines, égrenées le long

du littoral. La croissance de sa population s’est accélérée avec

l’abolition de l’esclavage (1888), une partie considérable des esclaves

libérés ayant abandonné les latifundios pour chercher du travail au sein

d’une ville qui était incapable de l’absorber. La modernisation de

l’agriculture et la sécheresse ont amplifié le phénomène d’expulsion de

la paysannerie pauvre, quittant le « sertão » et les latifundiosXIII pour cette

ville, perçue comme seul lieu de survie possible. Cette main d’œuvre

nouvelle s’est alors tournée vers des activités sporadiques et

informelles, ne permettant de dégager qu’un revenu de survie. Encore

aujourd’hui, le revenu moyen mensuel par tête y dépasse à peine les 100

Euros. La concentration des pauvres au cœur-même de la cité n’est pas

sans lien avec la situation de métropole que connaît Recife au sein du

XIII Le Sertão désigne précisémment la zone géographique du Nordeste caractérisée par un climat semi-aride, et éloignée des espaces urbanisés du littoral (le terme, dans ses origines sémantiques, renvoie à l’idée d’arrière-pays). Cette zone est le siège à la fois d’une petite agriculture de subsistance et de très grandes exploitations, souvent de plusieurs milliers, voire de dizaines de milliers d’hectares, pratiquant une agriculture extensive, sous-capitalisée et employant une main-d’oeuvre précaire, de type latifundiaire.

27

Nordeste brésilien, lui-même caractérisé par des taux de pauvreté

particulièrement élevés et des flux d’émigration massive, notamment dans

ce qu’il est convenu d’appeler le « polygone des (ou de la, selon les

auteurs) sécheresses »XIV,. Tout compte fait, le développement urbain de

Recife apparaît comme la contrepartie d’un « mal-développement » rural,

et sa croissance a plus résulté d’un phénomène de « push » rural que de

« pull » urbain. Les familles pauvres du Nordeste, à la recherche de

moyens de survie continuent à émigrer massivement vers le sud-est du Pays

(Rio et São Paulo, principalement), mais aussi toujours vers Recife, qui

en dépit d’opportunités moindres reste beaucoup plus accessible. Le

système productif de la ville est dans l’incapacité d’absorber ces

contingents de population migrante. Ceux-ci trouvent alors à s’occuper

dans les « interstices » informels de l’économie, et s’installent dans

des espaces encore vides, nombreux à Recife, qu’il s’agisse des collines

de la périphérie ou des zones inondables de la partie centrale (De la

Mora et Souza, 2002, p. 8 ).

Telle est l’origine des habitations précaires et auto-construites, que

sont les « mucambosXV » qui en 1913 représentaient déjà 43,3% du bâti, et

XIV Selon M. Molinier et E. Cadier (1984) Le Nordeste du Brésil. qui occupe une surface de 1 660 000 km², est soumis à un ensemble de mécanismes climatiques complexes. Dans le polygone de la sécheresse (950 000 km²), on observe une grande irrégularité spatiale et temporelle des précipitations et de grandes sécheresses plusieurs fois par siècle provoquant la perte des récoltes, dont leseffets sont aggravés du fait d’une croissance démographique très forte.

XV Le terme de mucambo désigne une habitation très précaire. On peut approximativement traduire « mucambo » par le terme de taudis, tels qu’on les rencontre dans les favelas ou les « palafitas » des bords de fleuve.

28

en 1939, 63,7% (De la Mora, 1993, p.18). Ces pourcentages ayant peu

évolué expliquent la dissémination dans tout le tissu urbain,

périphérique aussi bien que central, des favelas. Les recensements de la

population réalisés en 1918, 1938, 1978, 1996 ont montré la constance de

ces pourcentage au fil du temps, malgré les politiques publiques

successives destinées à éradiquer ces espaces de précarité, considérés

dès le début du XXème siècle comme autant de menaces à la santé publique,

à la sécurité et à la tranquillité des habitants des autres quartiers.

Cela étant, Recife n’est pas qu’une ville de pauvres confinés dans un

habitat précaire, même si le sociologue Gilberto Freyre déjà en 1936 la

qualifiait de « Mocambopolis »XVI ! Recife est une métropole régionale,

qui étend son aire d’influence jusqu’à d’autres capitales d’Etats du

Nordeste, comme João Pessoa, Maceió, Natal, voire Aracaju. Recife

possède de nombreux atouts à faire valoir dans la concurrence

métropolitaine, qui s’exacerbe tant à l’échelle du continent sud-

américain qu’à l’échelle mondiale : elle dispose du plus grand parc

technologique dédié aux NTIC du Brésil, le « Porto Digital », et du

second pôle médical du pays (le premier pour tout le Nord et le

Nordeste). Ouverte sur l’extérieur, elle rassemble le plus grand nombre

de consulats étrangers après São Paulo et Rio. Dotée d’une puissante

industrie du BTP, de secteurs de pointe (pharmaco-chimie, automobile…)

XVI Dans son célèbre ouvrage d’anthropologie urbaine « Sobrados e Mucambos » (que l’on pourrait traduire par : « Maisons de maîtres et taudis » – 1936, pag. 5), G. Freyre désigne la ville par l’expression de « Mocambopolis recifenses » pour souligner l’importance des taudis au cœur de la ville

29

elle dispose du grand complexe industrialo-portuaire de Suape qui abrite

des raffineries de pétrole et le plus grand chantier naval de

l’hémisphère sud, et d’un des principaux aéroports internationaux du

pays. Elle présente des indicateurs économiques positifs, notamment son

niveau de PIB/ habitant, le plus fort du Nordeste, et assure des

fonctions de niveau métropolitain, alors même que ses indicateurs sociaux

révèlent un fort taux de pauvreté et de précarité urbaine. Valoriser de

tels atouts est un objectif qui ne peut se concrétiser qu’à travers des

opérations d’urbanisme difficilement compatibles avec la persistance

simultanée de la précarité urbaine. Toutefois la mise en valeur de ces

atouts se heurte à de difficiles problèmes de gouvernance et de

définition de son périmètre, la RMR ne pouvant du fait de son statut

engager d’actions portant atteinte aux compétences municipales. Les

conditions d’une véritable gouvernance métropolitaine au sein de

périmètres transcendant les frontières municipales ne sont pas réunies à

l’heure actuelle. Or, la nécessité d’un espace unique de régulation

faisant l’objet d’un « projet métropolitain » partagé, destiné à enrayer

les processus de fragmentation urbaine se fait sentir de plus en plus.

Ajoutons à cela que le Gouvernement du Pernambouc a tenté de mettre en

place des instruments de gestion métropolitaine : Agence de

développement, plan de développement de la RMR, Fonds de Développement

Métropolitain… Mais le fonctionnement de ces outils est limité du fait de

l’autonomie municipale, amplifiée par la Constitution de 1988. Par

30

exemple, le système intégré des transports projeté par l’Etat, qui a pris

en 2008 la forme du « Consortium du Grand Recife » n’a obtenu l’adhésion

que de deux Municipes, Recife et Olinda (les deux plus importants de

l’agglomération, il est vrai !). Les autres villes ont toujours refusé

d’adhérer. Cette question de gouvernance n’est pas indifférente à la

résolution de la précarité urbaine et des discontinuités urbaines, qui

concernent l’ensemble de l’espace métropolitain.

2. Le programme PREZEIS : une réponse à la fragmentation urbaine ?

La question de la fragmentation socio-spatiale, à Recife comme dans les

autres métropoles brésiliennes, ne peut se comprendre en dehors du

contexte social général, marqué par la persistance de très fortes

inégalités, qui s’expriment également dans bien d’autres domaines (santé,

éducation, qualité de l’environnement, etc.) ; ceci malgré la montée des

classes moyennes et la croissance du PIB de ces dernières années. Cela

étant, et de façon plus directe, on doit aussi relever parmi les facteurs

explicatifs de cette situation, non seulement le lourd héritage

historique sur lequel nous reviendrons ultérieurement, mais aussi des

dysfonctionnements, toujours présents, du système de production du cadre

bâti très largement soumis aux forces des marchés immobilier et foncier.

Ces dysfonctionnements se concrétisent, entre autres, par la grande

faiblesse du marché locatif, et par l’action de la Caixa econômica

federal (CEF)XVII en matière d’habitat social, qui ne favorise queXVII La CEF est la seconde institution financière publique d’Amérique latine. Fondée en 1862, elle a pour mission de collecter l’épargne nationale, en particulier des ménages pauvres ou de la classe moyenne, tout en gérant les

31

l’accession à la propriété par ses aides dans le cadre de financements

dits « sociaux », ce qui exclut de fait les plus pauvres de l’accès à ces

logements ; tandis que la promotion immobilière privée très active au

Brésil se concentre sur la production des « condominios » réservés aux

catégories sociales supérieures ou de la « nouvelle classe moyenne »XVIII.

Depuis le début des années 2000 et surtout l’arrivée au pouvoir du

Président Lula, en janvier 2003, les initiatives, tant au niveau fédéral

que local, se sont multipliées en vue d’offrir des réponses au problème

du logement des populations les moins solvables. Le statut de la ville,

reconnaissant l’existence d’un « droit à la ville » pour tous, adopté en

2001 s’applique à l’échelle de l’Etat fédéral. En 2003, un ministère

fédéral des villes fut créé en vue de promouvoir des réformes visant une

meilleure inclusion sociale des populations urbaines à faible revenu. Les

Etats fédérés, à l’instar du Pernambouc, ont aussi lancé des politiques

du logement spécifiques d’aménagement des favelas ou en appui de celles

de l’Etat ; et l’Etat du Pernambouc a lui-même mis en place un cadre

normatif, avec la création des ZEIS et du PREZEIS, qui servira

ultérieurement de la base à la politique urbaine nationale, que ce soit à

fonds de la loterie. Gérant ainsi plus de 380 milliards de Reais (Environ 200 milliards de dollars US) elle joue un rôle majeur dans le financement des investissements publics et privés, notamment en ce qui concerne la production de logements. XVIII On relèvera cependant que la CEF a signé en 2001 une convention avec la Caisse des Dépots française pour essayer d’adapter le sytème d’aide en vue de favoriser des programmes de réhabilitation à vocation locative dans un certain nombre de centres historiques.

32

travers les dispositions constitutionnelles ou l’adoption du statut de la

ville en 2001.

La volonté politique de doter, tant l’Union que les Etats fédérés ou les

villes, d’instruments favorisant une meilleure inclusion sociale est

réellement affichée, mais sans pour autant toutefois porter vraiment

atteinte aux forces de marché toujours orientées vers une production

immobilière de standing. Le programme national le plus spectaculaire est

le programme «Minha casa, Minha vida»XIX. Ce programme, institué par la

loi n°11.977 du 7 juillet 2009 est destiné à favoriser l’accès à la

propriété des ménages modestes. L’objectif est de financer la

construction de deux millions de logements en accession, à l’horizon

2014, dont 60% pour des familles ayant un revenu inférieur à 1395 Reais

par moisXX. Même si les seuils de revenus exigés pour l’octroi des aides

sont faibles, celles-ci, d’autant plus fortes que les ressources des

familles sont modestes, ne sont pas pour autant accessibles à tous et

ne permettent pas aux plus pauvres de lever l’obstacle foncier.

Au niveau local, les villes ne sont pas non plus totalement dépourvues

d’instruments pour tenter de réduire la précarité urbaine. Elles peuvent

notamment mobiliser leur budget participatif, directement inspiré de

l’expérience de Porto Alegre initiée dans les années 90. Concrètement,

il s’agit à travers des réunions de quartiers et de « micro-régions »

(elles sont 18 au sein du Municipe de Recife) de définir des priorités

XIX “Ma maison, ma vie” en français. XX Soit 460 Euros au cours moyen du 9avril 2014

33

d’aménagement local et de planifier la répartition des investissements

publics dans la ville, et plus particulièrement dans les quartiers où

l’Indice du Développement Humain est faible, les citoyens étant in fine

invités à classer ces priorités par vote électronique. Le budget

participatif se veut donc à la fois un instrument d’inclusion sociale, et

de gestion démocratique des politiques publiques requérant la

participation des citoyens sans exclusive. A Recife, jusqu’en 2012, le

budget participatif était le plus important du pays, selon le site web de

la Municipalité.

On relèvera enfin qu’un système d’informations géoréférencées, le

SIGAP/RMRXXI a été développé pour cartographier et cadastrer toutes les

zones pauvres de la RMR (Alves dos Santos, Mahmood, 2013) pour être

couplé à une banque de données sur les ZEIS (BDZEIS) et faciliter

l’élaboration des projets d’aménagement des quartiers précaires.

Si le cas de Recife est à bien des égards exemplaire de la portée et des

limites des tentatives actuelles de requalification des favelas,

l’analyse du PREZEIS, requiert au préalable un bref rappel de l’histoire

des politiques de lutte contre la précarité urbaine au Brésil, afin de

montrer comment les gouvernements municipaux en sont progressivement

devenus les maîtres d’œuvre.

2.1 Les favelas : une préoccupation ancienne au cœur des politiques

brésiliennes. XXI Cet acronyme signifiant : “Système d’informations géoréférencées des assentamentos populaires de la Région Métropolitaine de Recife”

34

L’évolution des réponses à la précarité de l’habitat, à Recife comme

dans les autres villes brésiliennes, fut largement conditionnée par les

changements politiques intervenus à l’échelle nationale, et leurs

conséquences sur les rapports entre l’Etat Fédéral et les pouvoirs

locaux. Les premières années du XXème siècle marquées par le

développement des principes de l’urbanisme et de l’architecture

modernes, et par les recherches de Louis Pasteur, amenèrent au Brésil les

idées de l’hygiénisme. Dans ce contexte, et de façon pionnière à Recife

(1924), furent créées des institutions publiques chargées de détruire

les mocambos, en organisant le transfert de leurs habitants vers un

habitat plus salubre. Mais en 1938, un dénombrement des mocambos fut

réalisé qui donna les mêmes résultats que ceux du recensement de 1913. Le

gouvernement de l’Etat du Pernambouc décida alors de faire appel à

l’initiative privée pour créer en partenariat une fondation dédiée à

l’éradication des mocambos qui abritaient approximativement 12 000

familles, la Ligue Sociale Contre le Mocambo (LSCM). 5000 maisons furent

ainsi construites, et les 7 000 familles restantes condamnées au

« déguerpissement » n’eurent d’autres solutions que de se réfugier sur

les collines et les berges des canaux situés en périphérie, reconstituant

ainsi hors la ville des communautés faveladas. Il s’agit là d’une

première étape dans la mise en œuvre d’une politique d’éradication des

taudis marquée par de fortes connotations paternalistes et une volonté

explicite de contrôle social. Le Gouverneur à l’origine de cette

35

politique déclarait à la presse : « Ne doivent plus habiter à Recife que les familles

qui sont aptes à vivre de façon civilisée. Les autres, qui n’en sont pas capables, iront vivre dans les

macacos », et ajoutait-il : « le père de famille, honnête travailleur, qui a à payer une

mensualité pour disposer de la maison qu’il achète, va y regarder à deux fois, avant de se mêler au

tumulte de la rue » (Jornal Folha da Manhã, 16/12/1942, p. 3), c’est à dire

aux révoltes contre le pouvoir de l’époque. 

Le Brésil connut par la suite, pendant une vingtaine d’années, une

période de relative stabilité démocratique, brutalement interrompue par

le coup d’état militaire de 1964, les militaires conservant le pouvoir

jusqu’en 1985. En réponse à l’augmentation constante des favelas, le

gouvernement militaire s’inspira de la proposition en faveur d’un Plan

National de l’Habitat (PNH) formulée par la députée Sandra CalvacantiXXII.

Durant tout le régime militaire, le PNH eut pour effet de supprimer les

favelas des zones centrales présentant un intérêt immobilier ou

commercial, et de transférer leurs habitants dans des grands ensembles

construits en périphérie, à de très grandes distances des centres

économiques urbains, où ces populations, dépourvues de moyens de

transport, trouvaient juste de quoi survivre, sans pour autant pouvoir

toujours satisfaire leurs besoins essentiels (santé, éducation…). Cette

période fut caractérisée par un paternalisme et un clientélisme qui

s’exprimèrent à travers l’octroi de nouvelles habitations, le

XXII Dans une lettre au Marechal Castelo Branco, leader du coup d’Etat, envoyée10 jours après la prise du pouvoir par les militaires, la députée formula laproposition d’élaboration du Plano Nacional de Habitação (Plan National del’Habitat)

36

gouvernement « achetant » ainsi des appuis au sein de communautés

pauvres. Ce fut également une période au cours de laquelle le capital

immobilier bénéficia de fonds provenant de la sécurité sociale des

salariés et de la mise à disposition de terrains dans des espaces à

forte valorisation sociale.

Le processus de démocratisation de la fin des années 70 se traduisit par

une pression accrue sur le régime militaire. De nombreux mouvements

d’étudiants, de paysans, d’habitants de favelas se développèrent, à

partir des groupes de réflexion animés par les Eglises, notamment

l’Eglise Catholique, dans les diocèses dirigés par les évêques les plus

ouverts, en particulier Dom Helder Camara, Archevêque de Recife et

Olinda. La loi d’amnistie permit d’ouvrir la discussion sur les graves

problèmes sociaux affectant la société brésilienne, et tout

particulièrement celui de l‘habitat précaire. C’est dans ce climat

qu’apparurent les mouvements de lutte en faveur des réformes agraire et

urbaine. Les leaders des communautés de base, des étudiants, des

architectes, des ingénieurs, etc., se mobilisèrent en vue de

l’amélioration des conditions de vie des populations les plus pauvres. La

chute du régime militaire permit l’adoption de la nouvelle Constitution

démocratique (1988), à l’élaboration de laquelle participèrent très

activement les mouvements sociaux organisés. Beaucoup de leurs

propositions furent reprises intégralement ou partiellement par

l’Assemblée constituante (De la Mora, 2002, p. 5 ).

37

Dans ce contexte d’effervescence démocratique se constitua le Mouvement

National pour la Réforme Urbaine, présent de façon plus ou moins active dans

l‘ensemble des Etats fédérés. Les principales revendications de ce

mouvement furent à la base de la Loi de la Réforme Urbaine. Celle-ci stipule

dans son préambule que la ville, au-delà de ses fonctions économiques,

politiques, environnementales, remplit une fonction sociale. L’habitat et

la ville ne sont plus assimilés à de simples objets marchands auxquels on

accède par le seul jeu du marché. Mais ils ne sont pas pour autant

considérés comme relevant exclusivement de l’action étatique. En outre,

la Constitution de 1988 reconnaît les habitants comme des acteurs à part

entière des politiques publiques, et dès lors la participation de la

société civile à la formulation et à la gestion de la politique urbaine

est érigée en principe constitutionnel. C’est pourquoi ont été instituées

à chaque niveau de pouvoir, municipal, étatique (à l’échelle de l’Etat

fédéré), fédéral, des «Conférences » chargées de définir les orientations

de politiques urbaines et sociales sur lesquelles les assemblées élues

ont à se prononcer, et que les exécutifs de chaque niveau auront alors à

mettre en œuvre. A Recife, le pouvoir municipal est supposé appliquer une

politique de résorption de l’habitat précaire, préalablement débattue par

les représentants de la société civileXXIII. L’affirmation du droit à la

ville emporte une autre conséquence : comme tous les droits, il impliqueXXIII L’article premier de la Constitution fédérale proclame que « Le pouvoirémane du peuple…qui l’exerce indirectement ou directement », ce qui signifiedans le dernier cas que la population est appelée à participer aux prises dedécision relatives aux affaires publiques, à travers différents mécanismes telsque le PREZEIS, comme on le verra plus loin.

38

le principe d’universalité. En d’autres termes, les droits s’appliquent à

tous ou à personne. Le droit à la ville implique également celui de la

possession du sol, de l’accès aux infrastructures de base, à un

environnement sain, à l’accessibilité et à la mobilité au moyen de

transports de qualité et bon marché, à l’éducation et à la santé, et à

tout un ensemble de services qui, d’une part, garantissent la qualité de

la vie et, de l’autre, nécessitent une gestion intégrée (De la Mora,

2005,p. 172 )

Dès lors, se pose la question de savoir comment assurer, à Recife comme

dans les autres métropoles, l’effectivité de ces droits à des citoyens

d’agglomérations comprenant des administrations locales différentes, et

dotées d’une autonomie de gestion ?

2.2 – le PREZEIS : un instrument du droit à la ville pour les habitants

des favelas de Recife ?

Le PREZEIS ne résume pas à lui seul toute l’action publique en direction

des zones pauvres de l’agglomération, mais il constitue la traduction la

plus directe de la volonté d’inhiber les effets de la spéculation

immobilière et d’intervenir dans les favelas pour les requalifier, sans

recours à l’expulsion des habitants, tout en légalisant les occupations

jusque-là illégales. Il trouve sa source dans une déjà longue histoire

faite de réponses diverses au problème de la précarité urbaine : A la fin

du régime militaire, à partir de 1982, et alors que l’administrateur de

39

la capitale de chaque Etat, le PrefeitoXXIV , était encore désigné par le

Gouverneur de l’EtatXXV, la Société civile brésilienne se mobilisa

fortement en faveur d’une proposition de réforme urbaine reconnaissant

le droit aux pauvres à rester dans les villes. C’est dans ce contexte

que, pour la première fois, des règles d’occupation d’usage et

d’occupation du sol étaient définies, et officiellement reconnue

l’existence de zones occupées par des ensembles d’habitation, produits de

façon spontanée et destinés à des communautés de pauvres, les

«assentamentos precarios», où les pouvoirs publics pouvaient mener des

actions de régularisation foncière et de requalification, et non plus

d’éradication pure et simple. Ainsi, une première loi, la Loi 14.511

adoptée en 1983, identifiait à Recife 29 quartiers répondant à ces

critères de pauvreté et de précarité, qu’elle définissait comme des

« zones spéciales d’intérêt social », des ZEIS, et pour lesquelles un

programme en vue de leur aménagement et de leur requalification, le

PREZEIS, fut proposé en 1987 à travers une seconde loi, la Loi 14.947.

Au sein de chaque ZEIS, la Loi prévoit la mise en place d’une Commission

d’Urbanisation et de Légalisation (COMUL) composée de deux représentants

de l’administration municipale, deux représentants élus des habitants

lors d’une élection spécifique et publique, et un membre d’une ONG,

choisie par la communauté des habitants de la favela concernée pour

faciliter un dialogue généralement difficile avec l’administration.XXIV Que l’on peut assimiler à un Maire XXV Celui-ci étant à son tour élu indirectement par les députés, membres de l’assemblée de chaque Etat fédéré, sur proposition du pouvoir militaire

40

La COMUL a pour mission d’identifier les problèmes de vie urbaine de la

ZEIS et les travaux d’infrastructure nécessaires à leur résolution, ainsi

que de lancer le processus de régularisation foncière de la zone, dont

l’occupation illégale n’a jamais été régularisée.

Afin de mettre leurs projets en débat, les membres de chaque COMUL

participent mensuellement à un forum public réunissant toutes les COMUL,

la Municipalité, les mouvements sociaux, etc. L’élaboration proprement

dite des plans d’aménagement urbain et des projets d’infrastructure au

sein des ZEIS est confiée à une Camara de Urbanização, constituée

également de représentants des habitants, de la Mairie et des ONG. De

même, une Commission de légalisation foncière coordonne la préparation

des dossiers, avant qu’ils ne soient transmis aux tribunaux.

Pour financer le programme, fut institué le Fonds Municipal du PREZEIS,

que le Municipe doit abonder à hauteur de 1,2% des recettes fiscales

municipales, pourcentage résultant d’un accord proposé lors d’un Forum du

PREZEIS (ARAUJO et al., 1999). Mais cette ressource propre ne pouvant

suffire, la majeure partie des grands projets sont financés par le

gouvernement fédéral, dans le cadre de projets de coopération technique

entre l’Etat et le Municipe.

La gestion démocratique des ressources est réalisée par la Camara de

FinançasXXVI constituée comme les deux autres par des membres élus au sein

des composantes du Forum du PREZEIS.

XXVI Littéralement : Chambre des Finances41

En 2012, on dénombre 61 ZEIS, dans lesquelles résident plus de 40 % des

habitants de Recife, sur un peu moins de 12 % de la superficie de la

ville, ce qui laisse entrevoir ce que peut être le degré de sur-

peuplement et de promiscuité des espaces concernés.

Tableau 1 : Population et superficie des zones ZEIS et de la Municipalité

de Recife en 2010

Superficie Habitants

KM2 % N %

RECIFE 218,75 100 1.422.905 100

ZEIS 25.92 11,85 583.724 41,03

Source : IBGE (Institut Brésilien de Géographie et de Statistique, 2010)

42

Carte N° 2 : Les ZEIS (Zones spéciales d’intérêt social)

les ZEIS sont réparties sur

tout le territoire municipal,

mais privilégient les zones de

collines ou les berges des

rivières et des canaux, comme

le montre la carte ci-jointe,

présentant peu d’intérêt pour

les opérateurs du marché

immobilier. Toutefois,

certaines d’entre elles

occupent une position

stratégique, du fait de leur

Localisation des 67 ZEIS de

Recife

43

localisation très centrale, ce

qui peut expliquer des

pressions visant à mettre en

cause leur existence (Lucienne,

2014, p 29)

La loi portant création des

ZEIS a ralenti le « boom »

immobilier des 25 dernières

années en mettant un frein à la

réalisation de projets de

moyen et haut standing à

l’emplacement même des îlots

précaires.

Source : Atlas Municipal (2005)

L’exemplarité de cette loi municipale, portant création des ZEIS fut

rapidement reconnue par le gouvernement fédéral. Elle fut reprise au

niveau national, en 2001, avec la création évoquée plus haut du “Statut

de la ville”, afin de donner au pouvoir local les instruments permettant

de mettre en application les principes constitutionnels du droit à la

ville pour tous. Depuis lors, toute ville peut avoir recours sur son

territoire à cet instrument.

44

Le PREZEIS illustre la volonté de faire face à la gravité extrême de la

précarité de l’habitat et de contribuer à l’amélioration de la qualité de

vie des habitants des ZEIS selon trois axes :

- La résolution des conflits fonciers, en privilégiant le droit au

logement par rapport au droit de propriété, à travers des

négociations conduites par la municipalité et des expropriations

des parcelles occupées avec indemnisation des propriétaires fixée

par la justice. Mais dans un pays où règne l´informalité, les

processus de régularisation foncière sont généralement lents. Cela

explique que le processus de régularisation ne soit arrivé à terme

que dans une seule ZEIS, à ce jour.

- La reconnaissance institutionnelle du droit à la participation des

habitants dans la définition des politiques urbaines au sein du

périmètre concerné. Ceci se concrétise dans chaque ZEIS par une co-

gestion de fait et de droit du programme par les représentants de l

´administration locale, ceux des familles résidentes, et des

membres de la COMUL. Les co-décisions relatives aux processus de

régularisation foncière, d´aménagement et d’amélioration du

quartier, sont prises au cours de réunions bi-hebdomadaires.

- La promotion de meilleures conditions de logement pour les

habitants à travers des interventions non seulement sur le bâti,

mais aussi relatives à l’assainissement, aux espaces collectifs et

de loisir, aux services de santé et d’éducation.

45

Au total, 27 ans après le lancement du PREZEIS, 67 ZEIS, dont la

dernière en 2014, ont été créées, regroupant pour certaines plusieurs

favelas, ouvrant ainsi le droit à la régularisation foncière et à

l’aménagement de leur espace. De ce fait, 512.000 habitants (30% de la

population) ne sont plus aujourd’hui menacés d’expulsion. Leur milieu de

vie et leur qualité de vie ont ainsi bénéficié d’améliorations

tangibles. Vingt plans d’intervention furent élaborés. Pour autant, le

cadre territorial étroit de l’action municipale en limite la portée (De

la Mora, 2012, Pag. 14 ).

2.3 Les limites du PREZEIS et de l’action publique municipale de lutte

contre la précarité de l’habitat et la fragmentation urbaine

Le PREZEIS peut être vu comme la première tentative d’associer les

populations pauvres à la recherche d’une réponse effective au problème de

la précarité urbaine.

Mais force est de constater que ce dispositif n’a pas résolu le problème

crucial du « mal logement », et plus largement de la fragmentation

socio-spatiale qui caractérise Recife ; et ceci, d’autant plus qu’en

dehors des ZEIS, le système de production du cadre bâti, dominé par une

promotion immobilière privée, très active et influente, continue à

privilégier très largement soit des opérations de restauration plus

luxueuses dans le centre historique, soit la construction d’immeubles de

46

standing dans les quartiers plus riches, tels que Boa Viagem ou Casa

Forte.

Les espoirs placés dans le PREZEIS débouchent sur une déception relative,

car au cours de ses 27 ans d’existence, celui-ci n’est jamais parvenu à

s’affirmer comme un instrument d’allocation des ressources municipales en

faveur du logement, ne pouvant rivaliser avec les programmes du Budget

Participatif de la ville, dont les actions englobent la totalité de

l’espace urbain, sans donner de priorité aux ZEIS. On est fondé à parler

d’une forme de concurrence, voire même de manque de cohérence, entre les

deux dispositifs visant pourtant tous deux l’inclusion sociale et la

gestion démocratique des finances publiques, dans la mesure où le Budget

Participatif se veut universel et global et ne privilégie pas une

allocation de ressources spécifiques aux zones particulièrement

défavorisées que sont les ZEIS. Qui plus est, la municipalité est amenée

parfois à réaffecter des ressources provenant du fonds destiné au PREZEIS

au bénéfice de priorités autres inscrites dans le budget participatif.

En outre, le fonctionnement interne des ZEIS est loin d’être toujours

optimal, du fait d’un manque d’organisation et de concertation entre les

acteurs, et probablement d’un manque de préparation et de formation des

représentants des habitants : parmi les 67 ZEIS, seulement 35 ont une

COMUL en fonctionnement, parmi lesquelles seules 2 ont mené à bien leurs

programmes d’aménagement. Dans les 26 autres, rien n’est prévu dans

l’immédiat. En ce qui concerne les programmes de régularisation

47

foncière, beaucoup plus complexes et exigeants en temps, on relève qu’un

seul a pu être mené à bien. Le système de gestion municipale a de grandes

difficultés à s’adapter au modèle de cogestion participative et

démocratique qu’implique le PREZEIS, et les ressources allouées restent

insuffisantes pour permettre une intervention intégrée au sein de chaque

zone. On assiste donc à des actions ponctuelles qui ne permettent pas

d’améliorer la situation globale de l’habitat. Le PREZEIS s’est toujours

heurté à un manque de coordination des actions, et, les plans

d’aménagement urbain ne sont que lentement et partiellement exécutés. De

plus, les objectifs des autres instruments en faveur du logement social

évoqués plus haut (programme Minha casa, Minha vida…) ne sont pas menés

en adéquation avec ces mêmes plans. Au total, si l’amélioration des

espaces publics est indéniable, force est de constater que les logements

offrent toujours des conditions précaires d’habitabilité.

Une autre difficulté tient au fait qu’en dépit de sa structure fédérale,

le Brésil a conservé un système fiscal fortement concentré : la

Fédération bénéficie de 63 % du produit fiscal global, alors que les

Municipes n’en perçoivent que 6,2%. Ainsi, d’un côté l’action publique

est décentralisée, en particulier en matière d’urbanisme, mais de l’autre

les ressources restent encore pour une large part entre les mains de la

Fédération.

Le résultat de ce déséquilibre entre le large spectre des compétences et

la faiblesse relative des ressources des pouvoirs publics locaux est

48

problématique : l’efficience de programmes locaux tels que le PREZEIS

dépend de financements fédéraux gérés par des organismes publics

nationaux. Or, les projets d’investissement d’intérêt national répondent

à des logiques différentes. Les ressources dédiées à la lutte contre la

fragmentation urbaine ne sont pas de ce fait à la hauteur des enjeux. La

consécration de chaque Municipe comme entité fédérale, lui donnant pleine

autonomie dans la mise en œuvre des politiques urbaines pose une autre

question qui, en elle-même, conduit à relativiser la portée du PREZEIS :

comment assurer la coordination de ces politiques et actions à une

échelle pertinente qui soit celle de la réalité morphologique et sociale

de la RMR ? Les très rares cas de coordination de politiques publiques

locales témoignent de la difficulté effective à penser et à mettre en

œuvre des coopérations territoriales aux échelles métropolitaines – on

recense quelques exemples de « consortiums » métropolitains dans des

domaines tels que le transport collectif, mais en revanche les stratégies

et politiques urbanistiques sont pensées et mises en œuvre à l’échelle

des Municipes. Au total, c’est à un véritable problème de gouvernance et

de coopération territoriale que renvoie la question cruciale de la

fragmentation socio-spatiale des espaces métropolitains. En toute

hypothèse, la réduction de la fragmentation urbaine et la mise en œuvre

de politiques locales plus soutenables tant sur le plan social

qu’environnemental nécessiteraient la mise en œuvre de politiques

d’urbanisme au sein de périmètres élargis, permettant de dépasser

49

l’individualisme municipal. Finalement, l’impact d’une politique de

requalification des favelas de Recife, ne peut que rester faible pour des

raisons qui tiennent à la fois à des dysfonctionnements internes, mais

aussi à un manque de ressources, à une échelle d’intervention municipale

inadaptée à la réalité métropolitaine, et enfin à des raisons

structurelles inhérentes au modèle de développement brésilien. En effet,

la concentration des populations pauvres des favelas s’explique aussi par

un sous-développement aigu que l’on retrouve dans la quasi-totalité des

espaces ruraux. Une des clefs de la résorption des favelas réside dans un

développement rural qui limiterait l’exode vers les villes.

Conclusions

La question qui peut se poser, de caractère prospectif, est celle du

devenir des espaces « à faible valeur fonctionnelle » que sont les

quartiers précaires, dans le contexte d’intégration accélérée à la

globalisation que connaissent aujourd’hui le Brésil et ses métropoles.

Celle-ci favorise le renforcement des « espaces à haute valeur

fonctionnelle », des espaces insérés dans les systèmes de flux,

regroupant les activités formelles à haute valeur ajoutée, les services

rares et hautement qualifiés, les activités culturelles de prestige, les

centres d’affaires et de recherche….. Dans les principales métropoles,

les exemples sont nombreux d’opérations de requalifications d’espaces

centraux destinées à la fois à renouveler l’image de la ville, par une

approche plus esthétisante et touristique qu’inclusive socialement, et à

50

créer de nouveaux espaces dédiés aux fonctions supérieures intégrant

résidences privées et centres commerciaux. Le fait de tirer parti de

grands évènements comme la coupe du monde de football ou des jeux

olympiques participe aussi pleinement de cette stratégie.

A terme, la probabilité est forte d’assister à une recomposition socio-

spatiale des métropoles brésiliennes réduisant les formes de la

fragmentation urbaine actuelle au profit d’un modèle  plus « classique »

de ségrégation et favorisant la « délocalisation » de la précarité, sans

pour autant réduire cette dernière.

Ce « scénario » est sans doute à l’œuvre dans bien d’autres pays

émergents où la métropolisation s’accompagne de fortes inégalités socio-

spatiales. Mais au Brésil, le dynamisme économique des secteurs les mieux

intégrés aux réseaux mondiaux favorise en période de forte croissance la

formation d’un espace métropolitain cloisonné et ségrégatif, que les

programmes de lutte contre les inégalités et d’inclusion sociale des

populations pauvres ne peuvent empêcher, étant eux-mêmes freinés par de

fortes entraves administratives et financières et un manque de cohérence

au sein des Régions Métropolitaines ; alors que, dans le même temps, la

production immobilière de haut standing reste peu régulée, et se trouve

même favorisée par l’action publique comme on peut le voir à travers

certains grands projets d’aménagement, tels que, dans le cas de Recife,

ceux concernant les pôles de développement de Suape ou de São Lourenço da

Mata, où se situe le stade construit pour la coupe du monde de football.

51

Finalement, que retenir du cas brésilien en ce qui concerne la

fragmentation urbaine ? en premier lieu, que la dualisation de la Société

s’accompagne de la diversification des lieux au sein-même de la ville,

conséquence d’un double processus de ségrégation des populations et de

cloisonnement des espaces ; mais l’exemple de Recife nous montre aussi

que les politiques publiques de lutte contre la précarité urbaine ne

peuvent suffire à résoudre une question qui renvoie au fonctionnement

global du modèle de développement dans toutes ses dimensions (y compris

d’aménagement et de développement rural). La remise en question de la

fragmentation urbaine ne peut résulter de simples mesures sectorielles,

aussi « généreuses » soient-elles.

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