Pratiques artistiques dans l'espace public

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HispanismeS Revue de la Société des Hispanistes Français 14 | 2019 Pratiques artistiques dans l’espace public Prácticas artísticas en el espacio público Artistic practices in the public space Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/hispanismes/306 DOI : 10.4000/hispanismes.306 ISSN : 2270-0765 Éditeur Société des Hispanistes Français Référence électronique HispanismeS, 14 | 2019, « Pratiques artistiques dans l’espace public » [En ligne], mis en ligne le 01 octobre 2019, consulté le 09 septembre 2021. URL : https://journals.openedition.org/hispanismes/ 306 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hispanismes.306 Ce document a été généré automatiquement le 9 septembre 2021. Les contenus de cette revue sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modication 4.0 International.

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HispanismeSRevue de la Société des Hispanistes Français 

14 | 2019Pratiques artistiques dans l’espace publicPrácticas artísticas en el espacio públicoArtistic practices in the public space

Édition électroniqueURL : https://journals.openedition.org/hispanismes/306DOI : 10.4000/hispanismes.306ISSN : 2270-0765

ÉditeurSociété des Hispanistes Français

Référence électroniqueHispanismeS, 14 | 2019, « Pratiques artistiques dans l’espace public » [En ligne], mis en ligne le 01octobre 2019, consulté le 09 septembre 2021. URL : https://journals.openedition.org/hispanismes/306 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hispanismes.306

Ce document a été généré automatiquement le 9 septembre 2021.

Les contenus de cette revue sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative CommonsAttribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

SOMMAIRE

Dossier

Introduction. Pratiques artistiques dans l’espace public. Territoires physiques, virtuels et interactionsAnne Puech et Santiago Morilla

Introducción. Prácticas artísticas en el espacio público.Territorios físicos, virtuales e interaccionesAnne Puech et Santiago Morilla

Iconografía nacionalista y contestataria en las calles de CeutaAlicia Fernández García

De la señalización de las fosas comunes a su representación en las calles.Monumentos, marchas y grafitis frente a la Memoria HistóricaDaniel Palacios González

Street art et mémoire à Medellín : du déni au défiFrançoise Bouvet

Entre tags et mauvaises herbes. L’interstice urbain comme expérience esthétiqueVittorio Parisi

Entre ville brouillon et ville chef-d’œuvre : le graffiti et le street art dans la construction dupaysage urbain à Madrid, 2015-2020Lisa Garcia

Cuando la calle entra por la ventanaContradicciones de intervenir el espacio público on y offllineJordi Pallarès

Escrituras. Collaborations artistiques dans l’espace urbain en tensionDiego Jarak

Hackear la ciudad algorítmica. Arte urbano y nuevos mediosPau Waelder Laso

La ciudad como interfaz : creación artística, esfera pública y tecnologías de la comunicaciónDiego Díaz et Clara Boj

Hacerlo explícito. ARAN y los giros del tiempo en el arte XRMiguel F. Campón et José D. Periñán

Varia

Managua dans les écrits nicaraguayens : entre politisation, dystopie et lien retrouvéNathalie Besse

Les personnages du Quichotte dans l’œuvre et la correspondance de SadeIrene Aguilá-Solana

Bons baisers de TorremolinosMémoire postmoderne des dernières années du franquismeDiane Bracco

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Les poèmes en prose de Federico García Lorca : création d’une disparitionCarole Fillière

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Dossier

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Introduction. Pratiques artistiquesdans l’espace public. Territoires physiques, virtuels et interactions

Anne Puech et Santiago Morilla

1 Ce numéro monographique sur l’art dans l’espace public est le fruit d’un projet mené

conjointement depuis trois ans. Il a permis de faire rencontrer des praticiens (ALI,Ampparito, ARAN, Bárbara Fluxá, C215, Diego Díaz, Marco Pardo, Nacho Rodríguez,Santiago Morilla), des commissaires d’exposition, des conservateurs-restaurateurs etdes chercheurs en art contemporain. Nous tenons à faire part de notre grandereconnaissance à l’égard de tous les contributeurs pour leur participation dans unesprit de coopération et de bienveillance. Ce projet a également été réalisé grâce au

soutien de nos équipes de recherche respectives (ERIMIT1 y PAFCC2). Enfin, nous tenonsà remercier chaleureusement les membres du comité scientifique pour leur travailprécis (et précieux !) : Jesús Alonso Carballés, Karine Bergès, Brice Castanon-Akrami,Bárbara Fluxá, Magali Kabous, Josu Larrañaga, Marion Le Corre-Carrasco, MoisésMañas, Saramaya Pelletey, Rachel Thomas et Juan Jesús Torres.

Quelques considérations d’ordre lexical

2 Lorsqu’on évoque le street art, de quoi parle-t-on ? Une des contraintes de ce terme

tient à ce qu’il est difficile à délimiter et donc à définir. Son emploi, d’abord par lesartistes anglophones qui travaillaient illégalement dans l’espace public puis, par toutesles couches de la société — du flâneur-photographe à l’éditeur, en passant par levendeur cupide — a fini par absorber tous les types d’intervention plastique qui se fontdans l’espace public, qu’elle soit autorisée ou non : graffiti, tag, muralisme, mosaïque,collage, etc. Il faut dire que l’engouement pour cette invasion graphique spontanée apermis le développement de son versant légal. Aujourd’hui, certaines municipalités,fondations, entreprises — parfois même certains particuliers —, font appel à ces artistesde rue pour recouvrir des surfaces dans l’espace public. Tant est si bien que denombreux intervenants peuvent se prévaloir, désormais, d’une double fonction : celle

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du vandale, susceptible d’être verbalisé en plein travail et celle de l’artiste, qui exposedans les galeries et remporte des « appels à création » municipaux.

3 Aujourd’hui, la plupart des formes qui apparaissent sur les murs sont des productions

qui sont conçues en fonction du lieu où elles se trouvent et avec des procédés et desintentions spécifiques, ce qui ne permet pas l’utilisation exclusive des termes« graffiti » ou « fresque » pour les désigner. Il ne s’agit pas seulement d’écrire ou depeindre sur un mur et il y a, comme on le sait, des interventions de commande etd’autres qui se font spontanément, sans intermédiaire et avec les moyens duparticipant.

4 En ce sens, l’amplitude sémantique du syntagme « street art » peut constituer un

avantage : celui de faciliter la désignation d’un objet esthétique qui se matérialise sousdifférentes formes et celui d’être compris depuis différentes latitudes et points de vue.En revanche, elle suppose certaines limites, car le terme ne permet pas de différencierune intervention spontanée d’une autre rémunérée et regroupe tous types d’expressiondans l’espace public. Ce qui peut poser question, lorsqu’on sait qu’un graffeur n’occupepas la rue pour les mêmes raisons et dans les mêmes conditions qu’un muraliste. Uneautre réserve que l’on peut exprimer à propos de la locution « street art », c’est qu’elleest employée à outrance, ce qui peut générer une certaine lassitude parmi les praticiensqui n’apprécient pas toujours la récupération mercantile du phénomène. Malgré cela, lesyntagme anglais reste communément employé parce que c’est un mot clé, qu’il estdésormais reconnu comme générique, dans la majorité des langues et, dans un registreplus lexical, car il permet d’éviter les redondances de vocabulaire.

5 Afin d’accompagner au mieux le lecteur dans ce parcours qui nous mènera dans les rues

de Buenos Aires, Ceuta, Madrid, Valencia, Gijón, Paris, Berlin, Vienne, São Paulo etMedellín, il nous semble opportun de brosser à grands traits le portrait des principalespratiques artistiques conçues pour l’espace public. Les contributions réunies dans cenuméro vont nous permettre d’en découvrir un certain nombre et ont été classées dansune logique de glissement progressif de l’art public — une pratique artistiquemémorielle répandue dans notre paysage quotidien — aux incursions artistiquesélaborées avec les nouvelles technologies de l’information et la communication. Nousallons voir que les interventions qui surgissent spontanément peuvent se lire commedes réponses à une forme de communication institutionnelle imposée verticalementdans l’espace public, communication qui peut se faire à travers une intervention d’artpublic. La récupération récente de l’art mural par les institutions ne fait que confirmerl’enjeu fondamental de maîtriser l’espace public car il est un lieu de représentation etde diffusion idéologique.

6 Pour commencer, nous souhaitons préciser qu’il existe différents types de graffiti,

chaque pratique renvoie à une forme et à un contexte d’écriture particuliers : le graffitipolitique (qui peut être réalisé, par exemple, dans la ferveur d’un mouvement deprotestation, lors d’une manifestation dans l’espace public), le graffiti personnel (quipermet de se tenir informé de l’actualité mondaine de son quartier, lorsque, parexemple, un certain T. annonce qu’il aime J. à la folie), ou encore le graffiti signature.Celui-ci, tout comme le tag, repose sur une logique cryptique et itérative, dereproduction en série d’une signature et de conquête symbolique de l’espace public. Dece fait, les scripteurs restreignent sciemment l’intelligibilité de leurs interventions à uncertain nombre d’initiés.

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7 Bien que son activité soit en lien avec la perception d’une forme de violence matérielle

et/ou symbolique, le graffeur, n’occupe pas l’espace public pour les mêmes raisonsqu’un artiste plastique ou visuel. Ce dernier va souhaiter instaurer un dialogue avec lepassant et le surprendre sur son chemin quotidien. Dès lors, comment nommer cettepratique artistique contemporaine initiée, dans les années 1960, par des artistes commeErnest Pignon Ernest et qui s’est, depuis, largement déployée dans l’espace public ?

Peut-on parler d’art urbain ?

8 S’il s’agit de l’expression consacrée en espagnol, la locution d’« art urbain » renvoie

initialement, en français, à l’architecture et au paysagisme. Elle désigne, depuis le débutdu XX˚ siècle, la science de mêler la construction de la ville au sensible, « dans uneposture critique vis-à-vis d’un urbanisme jugé trop fonctionnaliste »3. C’est donc unsynonyme d’urbanisme qui équivaut à la notion anglaise d’« urban design ». Il s’agit soitde maintenir un legs historique, tout en l’adaptant aux nécessités sociales etéconomiques de la ville moderne, soit d’une volonté d’élaborer un nouvel espace à lafois fonctionnel et esthétique.

9 Mais un glissement sémantique a eu lieu et l’art urbain a acquis, depuis quelques

années, une autre fonction, celle de faire émerger dans l’espace public un art quiproblématise son rapport à la ville. L’art prend forme dans et pour cet espaceparticulier. Dans cette perspective, les interventions que nous souhaitons caractériserici pourraient être désignées par cette locution. En effet, investir la ville, convoquer lasensibilité des passants, leur soumettre une proposition plastique en les surprenant surleur chemin quotidien revient à assigner à cet espace un rôle autre que mercantile et àse le réapproprier. L’expression « art urbain » constitue un autre avantage, celui decontourner la très usitée et vendeuse formule « street art ». Mais elle a ses limites. Toutcomme son versant anglais, elle ne constitue pas un tamis assez fin car elle ne permetpas de différencier les types d’interventions dans l’espace public. L’art urbain englobe,sans distinction, le graffiti-signature, les pochoirs politiques ou encore les fresques decommande dans l’espace public. En outre, l’expression fait référence à la ville, alors quenous savons que certains artistes interviennent dans des milieux ruraux (Alto,Ampparito, Equipo Plastico, Escif, Parsec, Santiago Morilla, …).

Pourquoi nous semble-t-il légitime de parler d’artpublic ?

10 Tout d’abord, parce que nous essayons de caractériser des œuvres d’art plastique ou

visuel réalisées dans et pour l’espace public (ou celles qui sont revendiquées commetelles par leurs auteurs). À l’origine, l’expression désigne les œuvres de commande. Cesincursions de l’art dans l’espace public sont à l’initiative d’une institution publique — laMairie, l’État —, ou privée — une fondation, un propriétaire, un groupe religieux — afind’installer dans l’espace public une œuvre mémorielle, idéologique et/ou éducative.Tout comme pour l’art civique, la liberté créative de l’artiste est parfois limitée, carl’œuvre est soumise à un cahier des charges. Dans cette perspective, une partie desinterventions comprises dans ce que l’on nomme « street art » relève de l’art public. Il

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s’agit des œuvres de commande et, notamment, des interventions picturalesimposantes qui se sont multipliées dans l’espace public depuis quelques années.

11 Si l’adjectif « public » renvoie à l’État, il fait aussi référence au peuple. À cet égard, on

peut comprendre pourquoi, comme pour l’art urbain, l’expression a évolué pourdésigner, aujourd’hui, des interventions artistiques dont les auteurs estiment qu’ilsréalisent une sorte de service public et qu’ils travaillent dans le but de contribuer aubien-être — intellectuel, visuel, esthétique, etc. — des habitants d’une ville, leurspectateur. Les interventions qui nous intéressent ont toutes pour but de populariserl’accès à l’expérience esthétique, telle que John Dewey l’envisageait. C’est pourquoil’expression d’art public nous semble plus intéressante que celle d’art urbain, pourdésigner ces interventions visuelles et plastiques qui prennent forme dans l’espacepublic.

12 Mais se pose le problème de la caractérisation précise de chaque intervention. En effet,

nous l’avons dit, l’art public fait référence aux œuvres de commande et exclut lesinterventions spontanées. Dans cette logique, il nous semble pertinent d’accolerl’adjectif « indépendant » à cette formule afin de désigner les interventions nonrémunérées et laissées sans autorisation dans la rue, notion qui a été proposée par lechercheur Javier Abarca et a été reprise, depuis, par plusieurs chercheurs européens4.L’art public indépendant, réalisé sans autorisation dans l’espace public, permet derenverser la verticalité des rapports entre commanditaire et exécutant.

Nous pouvons synthétiser et mettre en relation tous ces éléments dans letableau suivant :

Art public Art public indépendant Graffiti-signature

Intervention plastique destinée à un public large.Intervention destinée à un public

restreint.

Volonté de procurer une expérience esthétique à travers une

proposition singulière.

Volonté de conquérir un

territoire au moyen d’un signe

répétitif.

Artiste désigné par une

institution.Action spontanée.

Intervention autorisée. Intervention illégale.

Budget alloué par cette

institution.

Intervention réalisée sur les deniers de l’artiste, contravention

possible en cas de prise en flagrant délit.

Cahier des charges qui peut être

thématique, idéologique,

chromatique, etc.

Liberté créative totale.Esthétique codifiée, calligraphie

novatrice et propre à l’auteur.

Espace particulier mis à

disposition.Espace choisi par l’artiste.

Espace choisi en fonction de sa

visibilité.

Travail réalisé de jour.Travail réalisé

majoritairement de nuit.Jour (tag) ou nuit (masterpiece).

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Contexte de travail paisible.

Activité sous tension,

artiste à l’affût, exécution

rapide.

Recherche d’adrénaline.

Exécution rapide.

Matériel mis à disposition

(nacelle, perche, etc.).

Peu de matériel, pour

permettre une plus grande

mobilité.

Matériel nécessaire variable :

feutre, bombe(s) de peinture.

Œuvre souvent de très grande

taille.

Interventions plus

modestes.

Taille variable, en fonction de la

fréquentation et de la

surveillance du lieu.

Médiatisation de l’intervention et

reconnaissance de l’artiste.

Reconnaissance limitée aux connaisseurs de l’œuvre et aux

followers.

Œuvre pérenne et/ou protégée.Altération de l’intervention par effacement, arrachage,

recouvrement.

13 Il sera question d’art public dans son acception première dans les textes d’Alicia

Fernández García et de Daniel Palacios González. Dans son travail intitulé « Iconografía

nacionalista y contestataria en las calles de Ceuta », Alicia Fernández García, se penche surla pratique artistique publique en tant que vecteur idéologique et le graffiti commeoutil permettant de contester cette iconographie nationaliste et colonialiste trèsrépandue dans l’espace public de l’enclave espagnole. La forte imprégnation del’idéologie franquiste a donné naissance à une forme de contre-pouvoir scriptural quientend utiliser les mêmes armes — à savoir, l’occupation de l’espace public — avecautant de violence idéologique. À l’inverse, le combat des représentants politiques etd’une partie de la population pour maintenir les symboles nationalistes et colonialistesrévèle une forme de retranchement intellectuel et idéologique d’une communautépéninsulaire et son refus de l’altérité (qu’elle soit socialiste, communiste, musulmaneou athée). Les écritures spontanées apparaissent comme des moyens de transgresser lescodes visuels en vigueur et de donner de la visibilité à un collectif qui se sent exclu.Nous verrons comment la répartition territoriale de ces interventions permet derévéler un espace urbain en tension et différentes formes de ségrégation.

14 Daniel Palacios González, dans son article intitulé « De la señalización de las fosas

comunes a su representación en las calles. Monumentos, marchas y grafitis frente a laMemoria Histórica », évoque les stratégies mises en place dans l’espace public depuis laTransition démocratique pour donner davantage de visibilité aux victimes de larépression franquiste. Il souligne les difficultés générées par la gestion des fossescommunes dans l’actualité et les limites de la loi sur la Mémoire Historique.L’exhumation des corps amassés dans des fosses communes puis acheminés dans uncimetière — cet espace excentré conçu pour accueillir les dépouilles dans un soucihygiéniste — perpétue, d’une certaine façon, l’invisibilité des victimes de la GuerreCivile et du franquisme. En les reléguant dans un espace en dehors de la ville, onconsidère que ces corps relèvent de la sphère privée et non publique. De ce fait, onlimite les actes de commémoration et leur présence symbolique dans le champ visueldes nouvelles générations d’Espagnols.

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15 Encore une fois, la maîtrise de l’espace public se révèle être un enjeu majeur. Françoise

Bouvet dans son travail « Street art et mémoire à Medellín : du déni au défi », permetd’illustrer cet aspect. Les incursions qu’elle propose dans deux quartiers de Medellíninvitent à comprendre ce qui anime les artistes de rue et dans quelles perspectives ilsoccupent les murs. Si l’art public pictural — ou muralisme — peut être envisagé commeun dispositif artificiel permettant de poser un vernis sur des zones délaissées par lespouvoirs publics, il contribue également à créer une nouvelle identité visuelle bienaccueillie par les habitants de ces quartiers. La spécificité du terrain observé parFrançoise Bouvet tient à ce qu’il est marqué par la ségrégation, la violence liée au traficde drogues. Le lecteur découvrira de quelle façon les fresques réalisées dans cesquartiers contribuent à les dynamiser et à les désenclaver.

16 Le texte suivant vient compléter la réflexion engagée sur l’espace urbain de Medellín :

comment les interventions spontanées affectent-elles les lieux qu’elles occupent ? C’estce que Vittorio Parisi propose dans son travail intitulé « Entre tags et mauvaises herbes.L’interstice urbain comme expérience esthétique ». Il nous invite à considérer lesinterstices urbains — friches, bâtiments abandonnés, terrains vagues — comme desespaces de rupture dans le paysage urbain, qu’il compare à des arythmies. Lesobservations de terrain amènent l’auteur à se pencher sur l’effet produit par laprésence de graffiti-signatures dans ces interstices et à envisager ces écritures exposéescomme des éléments semblables aux plantes qui viennent s’y loger : dans les deux casnaissent une « esthétique de la spontanéité et de l’invasion », un enchevêtrementd’éléments à la fois analogues et singuliers qui matérialisent une façon de seréapproprier un espace dont on a été exclu. Il invite, en d’autres termes, à adopter unpoint de vue poétique sur ces espaces en mettant en lumière leur caractèrefantasmagorique.

17 « Entre ville brouillon et ville chef-d’œuvre : le graffiti et le street art dans la

construction du paysage urbain à Madrid, 2015-2020 », proposé par Lisa Garcia, met enregard graffiti-signature et art institutionnel. Si la pratique du premier est présentéecomme un moyen d’expression spontané et populaire, le second y apparaît comme unatour imposé à des habitants qui se trouvent privés d’un lieu d’expression dans l’espacepublic. L’auteure revient sur la politique d’art public impulsée sous le mandat deManuela Carmena et l’envisage comme une stratégie de contention de l’espace public etune façon d’y imposer une esthétique particulière. Dans cette perspective, le muralismedeviendrait ce que l’auteure appelle un « cache-misère », tandis que le graffitipermettrait d’entretenir une dynamique de la spontanéité, à travers l’esthétique dubrouillon.

18 Le texte de Jordi Pallarés invite également à prendre du recul sur la pratique artistique

publique et propose quelques éléments de réflexion générale sur la place de l’artiste etle rôle des nouvelles technologies dans l’art public. Dans « Cuando la calle entra por la

ventana. Contradicciones de intervenir el espacio público on y offlline », Jordi Pallarésenvisage l’intervention dans l’espace public comme un geste fondateur de lacitoyenneté. En tant qu’espace d’appropriation, d’interpellation et d’action, la rue estun lieu d’exposition recherché par les artistes. Elle offre une visibilité mais permetaussi son contraire. En ce sens, investir la rue invite à des questionnements sur lacapacité à voir, à se montrer, à être vu. Le recours aux technologies présente denombreux avantages, mais l’auteur envisage aussi ces outils avec précaution.

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19 Diego Jarak, dans « Escrituras. Collaborations artistiques dans l’espace urbain en

tension », expose les démarches engagées par deux artistes qui travaillent dans l’espacepublic pour mettre en évidence la politique de gentrification mise en place à BuenosAires. L’auteur propose une lecture critique de l’appel à projet en soulignant lesincohérences et les répercussions sociales de cet appel qui visait, en réalité, à expulserles populations historiques pour recréer un quartier aux noms artificiels calqué sur desmodèles de villes étasusiennes. Les interventions artistiques présentées dans ce travailrelèvent de l’art public, puisqu’elles prennent place dans le cadre d’un appel à projet.Elles viennent questionner l’urbanisme fonctionnaliste, comme l’avait proposé GuyDebord. Ce projet artistique a été conçu avec la volonté de faire de la ville un terraind’expérimentation et de mobiliser l’imagination des habitants de ce quartier de lacapitale argentine. Comme le démontre Diego Jarak, Escrituras est un projet deréappropriation subtile d’un territoire menacé d’embourgeoisement.

20 Le travail de Pau Waelder Laso, intitulé « Hackear la ciudad algorítmica. Arte urbano y

nuevos medios », offre un panorama des interventions artistiques qui prennent placedans l’espace public au moyen des technologies de l’information et de lacommunication. Son analyse nous permet de comprendre en quoi elles viennentperturber l’environnement visuel et normatif de la ville. Dans cetteperspective, l’œuvre est conçue comme un grain de sable venant s’immiscer dans lesystème de ville intelligente et policée, rendu possible grâce à la multiplication desdispositifs de gestion et de contrôle automatisé. À travers l’évocation de cesinterventions, Pau Waelder propose au lecteur un questionnement sur l’utilisation de lacartographie numérique, le transfert d’éléments issus de l’environnement virtuel aupaysage urbain, l’intrusion des nouvelles technologies dans l’espace public et leurcapacité à collecter des données et à les rendre visibles. Lui aussi convoque Guy Debordet invite à s’intéresser au principe de dérive urbaine comme stratégie decontournement de la ville utile.

21 Les artistes Diego Díaz et Clara Boj reviennent sur une série de projets qu’ils ont

réalisés dans l’espace public et offrent des exemples venant appuyer les propos de PauWaelder. Avec « La ciudad como interfaz : creación artística, esfera pública y tecnologías de la

comunicación », ils proposent d’envisager la ville comme un espace sensoriel etrelationnel semblable à un médiateur qui permet à différents acteurs de se rencontrer.Leurs expériences les ont menés à installer des capteurs sur des toboggans ou à rendrevisible les datas qui circulent dans la ville dans le but d’offrir une nouvelle perceptionde l’espace public et de dévoiler le caractère intrusif de certaines TIC. Enfin, Diego Díazet Clara Boj, à travers leurs projets artistiques, font de l’espace public un terraind’expérimentation ludique, permettant au spectateur qui participe à l’une de leurspropositions de prendre conscience et, peut-être, de passer outre les différentesstratégies commerciales mises en place dans l’espace public.

22 Nous avons choisi de clore ce numéro avec le manifeste de Miguel F. Campón y José D.

Periñán, « Hacerlo explícito. ARAN y los giros del tiempo en el arte XR ». Les membres ducollectif ARAN (composé d’artistes, de commissaires et de développeurs informatiques)y exposent leur façon d’envisager la réalité augmentée, en s’appuyant, d’une part, surune exposition qu’ils ont réalisée dans l’espace public madrilène en 2018 et, d’autrepart, sur la conférence-performance « Hacerlo explícito » créée et produitespécifiquement pour le projet de recherche que nous menons. Le manifeste invite lelecteur à engager une réflexion sur l’œuvre, sur son rapport au temps et à l’espace. Les

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nouvelles technologies permettent, en effet, de perturber notre perception de l’espace,ainsi que la circularité et la linéarité du temps. Miguel F. Campón y José D. Periñán sontégalement conscients des limites de ce genre de projets, qui exigent de leur spectateurqu’il soit équipé d’un dispositif particulier pour vivre cette expérience. On peut donccomprendre qu’ils abordent leur pratique avec une certaine ironie. Leur approchedéfend, en effet, une « dialectique de l’imperfection » qui va à l’encontre du discourstechnologique dominant, tout en souhaitant trouver, à partir de la spéculation poétiqueet de l’expérimentation artistique, un « enchantement » qui permette de nousaccompagner humainement et de façon critique dans le moment présent.

NOTES

1. Page web du Groupe de recherche ERIMIT, Mémoires, Identités, Territoires, Université de

Rennes, [disponible le 03/07/2020] <URL : https://www.univ-rennes2.fr/structure/erimit>.

2. Page web du Groupe de recherche PAFCC, Prácticas Artísticas y Formas de Conocimiento

Contemporáneas, Bellas Artes, Universidad Complutense de Madrid, [disponible el 03/07/2020]

<URL : www.arte-conocimiento.com>.

3. Philippe CHAUDOIR, « Art public, arts de la rue, art urbain », Études théâtrales, vol. 41-42, no. 1,

2008, p. 183-191, p. 184.

4. Javier ABARCA, « Arte urbano » in Urbanario, [disponible le 28/06/2020]<URL : http://

urbanario.es/>.

AUTEURS

ANNE PUECH

(Université de Rennes 2)

SANTIAGO MORILLA

(Universidad Complutense de Madrid)

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Introducción. Prácticas artísticas enel espacio público.Territorios físicos, virtuales e interacciones

Anne Puech y Santiago Morilla

1 Este número monográfico sobre el arte en el espacio público es el resultado de un

proyecto conjunto de tres años. Ha permitido que se reúnan practicantes (ALI,Ampparito, ARAN, Bárbara Fluxá, C215, Diego Díaz, Marco Pardo, Nacho Rodríguez,Santiago Morilla), curadores, comisarios de arte, conservadores-restauradores einvestigadores en arte contemporáneo. Quisiéramos expresar nuestra gratitud a todoslos contribuyentes por su participación en un espíritu de cooperación y buenavoluntad. Este proyecto también fue posible gracias al apoyo de nuestros respectivosgrupos de investigación (ERIMIT1 y PAFCC 2). Por fin, queremos agradecercalurosamente a los miembros del comité científico por su preciso (¡y valioso !) trabajo :Jesús Alonso Carballés, Karine Bergès, Brice Castanon-Akrami, Bárbara Fluxá, MagaliKabous, Josu Larrañaga, Marion Le Corre-Carrasco, Moisés Mañas, Saramaya Pelletey,Rachel Thomas y Juan Jesús Torres.

Algunas consideraciones léxicas

2 Cuando hacemos referencia al “street art”, ¿de qué estamos hablando ? Una de las

dificultades de este término es que es difícil de delimitar y por lo tanto de definir. Suutilización, primero por los artistas anglófonos que trabajaban ilegalmente en elespacio público, luego por todos los estratos de la sociedad –del paseante-fotógrafo aleditor, pasando por el vendedor codicioso– ha terminado por absorber todos los tiposde intervención plástica que se producen en el espacio público, sean autorizadas o no :graffiti, tagging, muralismo, mosaico, collage, etc. Hay que decir que la locura por estainvasión gráfica espontánea ha permitido el desarrollo de su vertiente legal. Hoy en día,algunos municipios, fundaciones, empresas –a veces incluso particulares– recurren aestos artistas callejeros para cubrir sus superficies en el espacio público. Tanto es asíque muchos de ellos pueden presumir de una doble función : la de vándalo, que puede

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ser multado, y la de artista, que expone en galerías de arte y es seleccionado encertámenes, convocatorias y procedimientos de adjudicación de obra pública.

3 Hoy en día, muchas de las formas que aparecen en las paredes son producciones

específicas en relación al lugar donde se ubican y al procedimiento e intención que lasorigina, lo que no permite, por otra parte, el uso exclusivo de los términos “graffiti” o“mural” para designarlas. No se trata sólo de escribir o pintar en una pared, puesto quehay, como sabemos, tanto intervenciones por encargo como otras que se realizan sinmediación, de manera espontánea, y además con los propios medios disponibles delparticipante.

4 En este sentido, la amplitud semántica del sintagma “street art” puede constituir una

ventaja : la de facilitar la designación de un objeto estético que se materializa bajodiferentes formas y la de ser entendido desde diferentes latitudes y enfoques. Por otrolado, supone ciertos límites, ya que el término no permite diferenciar una intervenciónespontánea de una comisariada y agrupa toda aquella expresión que se realiza en elespacio público. Esto puede plantear preguntas, cuando sabemos que un grafitero noocupa la calle por las mismas razones y en las mismas condiciones que un muralista.Otra reserva que puede expresarse sobre el término “street art” es que está utilizadoexcesivamente, lo que puede generar cierto cansancio entre los practicantes que nosiempre aprecian la asimilación mercantil del fenómeno. A pesar de ello, el sintagmainglés sigue siendo de uso común porque es una palabra clave, que ahora se reconocecomo genérica, en la mayoría de los idiomas y, en un registro más lexical, porque evitala redundancia de vocabulario.

5 Para acompañar mejor al lector en este viaje que nos llevará por las calles de Buenos

Aires, Ceuta, Madrid, Valencia, Gijón, París, Berlín, Viena, São Paulo y Medellín, pareceoportuno esbozar las principales prácticas artísticas diseñadas para el espacio público.Las contribuciones reunidas en este número nos permitirán descubrir algunas de ellas yhan sido clasificadas según una lógica de desplazamiento progresivo desde el artepúblico —una práctica artística conmemorativa muy extendida en nuestro paisajecotidiano— hasta las incursiones artísticas elaboradas con las nuevas tecnologías de lainformación y la comunicación. Veremos que las intervenciones que surgenespontáneamente pueden ser leídas como respuestas a una forma de comunicacióninstitucional impuesta verticalmente en el espacio público, comunicación que puedehacerse a través de una intervención de arte público. La reciente recuperación delmuralismo por parte de las instituciones no hace sino confirmar el reto fundamental dedominar el espacio público como lugar de representación y de difusión ideológica.

6 Para empezar, queremos puntualizar que existen diferentes tipos de graffiti, cada

práctica se refiere a una forma y a un contexto particular de escritura : el graffitipolítico (que puede realizarse, por ejemplo, bajo el fervor de un movimiento deprotesta, en el espacio público), el graffiti personal (que permite aprender que a uncierto T. le mola un tal J.), o el graffiti writing. Éste, al igual que el tagging, se basa en unalógica críptica e iterativa de reproducción en serie de una firma y en la conquistasimbólica del espacio público. Como resultado, los escritores restringen lainteligibilidad de sus intervenciones a un determinado número de practicantes.

7 Aunque su actividad está relacionada con la percepción de una forma de violencia

material y/o simbólica, el grafitero no ocupa el espacio público por las mismas razonesque un artista plástico o visual. Este último trata de establecer un diálogo con eltranseúnte y sorprenderlo en su camino diario. Entonces, ¿cómo deberíamos llamar

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esta práctica artística contemporánea iniciada en la década de los años 60 por artistascomo Ernest Pignon Ernest y que, desde entonces, se ha desplegado ampliamente en elespacio público ?

¿Se puede hablar de arte urbano ?

8 Aunque es la expresión utilizada en español, en francés, inicialmente, “arte urbano”

hace referencia a la arquitectura y al paisajismo. Desde principios del siglo XX, designala ciencia de mezclar la construcción de la ciudad con lo sensible, “en una posturacrítica hacia la planificación urbana considerada demasiado funcionalista”3. Por lotanto, es un sinónimo de planificación urbana, que equivale a la noción inglesa de“urban design”. Se trata de mantener un legado histórico, adaptándolo a las necesidadessociales y económicas de la ciudad moderna, o de desarrollar un nuevo espacio que seaa la vez funcional y estético.

9 Pero se ha producido un cambio semántico y el arte urbano ha adquirido, en los últimos

años, otra función, la de sacar a la luz en el espacio público un arte que problematiza surelación con la ciudad. El arte toma forma en y para este espacio particular. En estesentido, las intervenciones que deseamos caracterizar aquí podrían ser designadas poresta locución. En efecto, intervenir la ciudad, convocar la sensibilidad de lostranseúntes, presentarles una propuesta plástica sorprendiéndoles en su caminocotidiano, consiste en atribuirle otro papel al espacio público y volver a apropiarse deél. La expresión arte urbano” constituye otra ventaja, la de esquivar la muy utilizada yvendible fórmula de “street art”. Pero tiene sus límites. Al igual que su equivalenteinglés, no constituye un tamiz suficientemente fino ya que no permite diferenciar lostipos de intervenciones en el espacio público. El arte urbano abarca, sin distinción, elgraffiti writing, las plantillas políticas o los murales de encargo. Además, la expresiónhace referencia a la ciudad, mientras que sabemos que algunos artistas intervienen enzonas rurales (Alto, Ampparito, Equipo Plastico, Escif, Parsec, Santiago Morilla...).

¿Porqué nos parece fundado hablar de arte público ?

10 En primer lugar, porque estamos tratando de caracterizar las obras de las artes

plásticas y visuales concebidas y producidas por y para el espacio público (o aquellasque sus autores reclaman como tales). Originalmente, el término se refería a las obrasde encargo. Estas incursiones del arte en el espacio público se realizan por iniciativa deuna institución pública –el ayuntamiento, el Estado–, o de una institución privada –unafundación, un propietario, un grupo religioso– con el fin de instalar una obraconmemorativa, ideológica y/o educativa en el espacio público. Al igual que con el artecívico, la libertad creativa del artista es, a veces limitada, ya que la obra está sujeta a unconjunto de especificaciones. Desde esta perspectiva, parte de las intervencionesincluidas en lo que se designa como “street art” son también arte público. Se trata deobras de encargo y, en particular, de las imponentes intervenciones pictóricas que sehan multiplicado en el espacio público durante los últimos años.

11 Si el adjetivo “público” hace referencia al Estado, también está vinculado con el pueblo.

En este sentido, se puede entender por qué, al igual que la de “arte urbano”, laexpresión ha evolucionado para designar, hoy en día, intervenciones artísticas cuyos

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autores consideran que cumplen una especie de servicio público y que trabajan con elobjetivo de contribuir al bienestar —intelectual, visual, estético, etc.— de los habitantesde una ciudad, sus espectadores e interactores. Las intervenciones que nos interesantienen como meta generalizar el acceso a una experiencia estética, tal y como JohnDewey la imaginaba. Por eso la expresión “arte público” nos parece más interesanteque la de “arte urbano” para designar estas intervenciones plásticas y visuales quetoman forma en el espacio público.

12 Pero sigue existiendo el problema de la caracterización precisa de cada intervención.

De hecho, como lo hemos dicho, el arte público designa obras de encargo y excluye lasintervenciones espontáneas. En esta lógica, nos parece pertinente añadir el adjetivo“independiente” a esta fórmula para designar las intervenciones no remuneradas ydejadas sin autorización en la calle, noción que fue propuesta por el investigador JavierAbarca y que desde entonces ha sido retomada por varios investigadores europeos4. Elarte público independiente, realizado sin autorización en el espacio público, permiteinvertir la verticalidad de la relación entre el comisario y el artista.

Podemos resumir y relacionar todos los elementos que estamos considerando en lasiguiente tabla :

Arte públicoArte público

independienteGraffiti Writing

Intervención plástica destinada a un público amplio.Intervención destinada a un

público restringido.

Voluntad de proporcionar una experiencia estética mediante

una propuesta singular.

Voluntad de conquistar un

territorio por medio de un signo

repetitivo.

Artista designado por una

institución.Acción espontánea.

Intervención autorizada. Intervención ilegal.

Presupuesto asignado por esta

institución.

Intervención realizada con el propio dinero del artista, posible

delito si es sorprendido in fraganti.

Especificaciones que pueden ser

temáticas, ideológicas,

cromáticas...

Libertad creativa total.Estética codificada, caligrafía

innovadora y propia del autor.

Atribución de un espacio

específico.

Espacio elegido por el

artista.

Elección del espacio motivado por

su visibilidad.

Trabajo realizado de día.La mayor parte del trabajo

se hace de noche.

De día (tag) o de noche

(masterpiece).

Contexto de trabajo tranquilo.

Actividad bajo tensión,

artista al acecho, ejecución

rápida.

Prueba de adrenalina. Ejecución

rápida.

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Material disponible (barquilla,

pértiga, etc.).

Poco material, para permitir

una mayor movilidad.

Se requiere un material variable :

rotulador, spray(s) de pintura.

El trabajo a menudo es de gran

tamaño.

Intervenciones más

pequeñas.

Tamaño variable, dependiendo

del número de visitantes y la

vigilancia del sitio.

Mediatización de la intervención

y reconocimiento del artista.

El reconocimiento se limita a los conocedores de la obra y a los

seguidores.

Trabajo perenne y/o protegido. Alteración de la intervención borrando, arrancando, cubriendo.

13 En los textos de Alicia Fernández García y Daniel Palacios González, se tratará de arte

público en su sentido original. En su trabajo titulado “Iconografía nacionalista ycontestataria en las calles de Ceuta”, Alicia Fernández García examina la práctica delarte público como vector ideológico y el graffiti como herramienta para desafiar estaiconografía nacionalista y colonialista que está muy extendida en el espacio públicoceutí. La fuerte impregnación de la ideología franquista ha dado lugar a una forma decontrapoder escritural que pretende utilizar las mismas armas –a saber, la ocupacióndel espacio público– con la misma violencia ideológica. Por el contrario, la lucha de losrepresentantes políticos y de parte de la población para mantener los símbolosnacionalistas y colonialistas revela una forma de arraigo intelectual e ideológico de unacomunidad peninsular y su rechazo de la alteridad (ya sea socialista, comunista,musulmana o atea). Los escritos espontáneos aparecen como un medio para transgredirlos códigos visuales vigentes y dar visibilidad a un colectivo que se siente excluido.Veremos como la distribución territorial de estas intervenciones revela un espaciourbano en tensión con diferentes formas de segregación.

14 Daniel Palacios González, en su artículo titulado “De la señalización de las fosas

comunes a su representación en las calles. Monumentos, marchas y grafitis frente a laMemoria Histórica”, analiza las estrategias implementadas en el espacio público desdela Transición Democrática para dar mayor visibilidad a las víctimas de la represiónfranquista. Destaca las dificultades que genera la gestión de las fosas comunes en laactualidad y los límites de la ley de Memoria Histórica. La exhumación de los cuerposamontonados en las fosas comunes y su transporte a un cementerio –ese espaciodescentralizado pensado para recibir los restos mortales en una perspectiva higienista–perpetúa, de cierta manera, la invisibilidad de las víctimas de la Guerra Civil y delrégimen franquista. Al apartarlos en un espacio fuera de la ciudad, se considera lagestión de estos cuerpos como asuntos privados y no públicos. Esto limita los actos deconmemoración y su presencia simbólica en el campo visual de las nuevas generacionesde españoles.

15 Una vez más, el dominio del espacio público resulta ser un tema central. Françoise

Bouvet en su trabajo “Street art y memoria en Medellín : de la negación al desafío”,permite ilustrar este aspecto. Las incursiones que propone en dos barrios de Medellínnos invitan a comprender qué es lo que anima a los artistas públicos y desde quéperspectivas ocupan los muros. Si el arte pictórico público —o muralismo— puedeconsiderarse como un dispositivo artificial para echar un barniz sobre zonas que hansido abandonadas por las autoridades públicas, también contribuye a crear una nueva

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identidad visual que es bien recibida por los habitantes de esos barrios. La especificidaddel terreno observado por Françoise Bouvet es que está marcado por la segregación y laviolencia vinculada al tráfico de drogas. El lector descubrirá como los murales creadosen estos barrios contribuyen a dinamizar y a sacar del aislamiento a los participantes yhabitantes de estos barrios.

16 El siguiente texto completa la reflexión sobre el espacio urbano de Medellín : ¿cómo

afectan las intervenciones espontáneas a los lugares que ocupan ? Es lo que VittorioParisi propone, en su trabajo titulado “Entre tagging y mala hierba, el intersticio urbanocomo experiencia estética”. Nos invita a considerar los intersticios urbanos –terrenosbaldíos, edificios abandonados, solares– como espacios de ruptura en el paisaje urbano,que el autor compara con las arritmias. Sus observaciones sobre el terreno en lasafueras de París le llevan a examinar el efecto producido por la presencia de grafitis enestos intersticios y a considerar estas escrituras expuestas como elementos semejantesa las plantas autóctonas : en ambos casos, nace una “estética de la espontaneidad y de lainvasión”, una maraña de elementos a la vez análogos y singulares, que materializanuna forma de reapropiación de un espacio del que se les ha excluido. En otras palabras,nos invita a adoptar un punto de vista poético sobre estos espacios, destacando sucarácter fantasmagórico.

17 En su texto titulado “Entre ciudad-borrador y ciudad-obra maestra : el graffiti y el street

art en la construcción del paisaje urbano en Madrid, 2015-2020”, Lisa Garcia compara elgraffiti y el arte institucional. Si la práctica del primero se presenta como un medio deexpresión espontáneo y popular, el segundo aparece como un atuendo impuesto a loshabitantes que, consecuentemente, se ven privados de un lugar de expresión en elespacio público. La autora ofrece una lectura de la política de arte público promovidabajo el mandato de Manuela Carmena, considerándola como una estrategia decontención del espacio público y una forma de imponer una estética particular. En estaperspectiva, el muralismo se convertiría en lo que la autora llama un “guardapolvo”,mientras que el graffiti permitiría mantener una dinámica de espontaneidad, gracias asu estética propia de borrador.

18 El texto de Jordi Pallarès también nos invita a dar un paso atrás en la práctica del arte

público y propone algunos elementos de reflexión general sobre el lugar del artista y elpapel de las nuevas tecnologías en el arte público. En “Cuando la calle entra por laventana. Contradicciones de intervenir el espacio público on y offlline”, Pallarésconsidera la intervención en el espacio público como un gesto fundador y constituyentede la ciudadanía. Como espacio de apropiación, interpelación y acción, la calle es unespacio de exposición buscado por los artistas. Ofrece visibilidad pero también permitetodo lo contrario. En este sentido, intervenir la calle invita a preguntarse sobre lacapacidad de ver, de mostrarse, de ser visto. El uso de la tecnología supone muchasventajas. Sin embargo, el autor también considera estas herramientas con cautela.

19 Diego Jarak, en “Escrituras. Colaboraciones artísticas en el espacio urbano en tensión”,

expone los pasos dados por dos artistas que trabajan en el espacio público para hacerpatente la política de gentrificación impulsada en algunos barrios de Buenos Aires. Elautor propone una lectura crítica del texto de la adjudicación, destacando lasinconsistencias y repercusiones sociales de esta convocatoria, que en realidadpretendía expulsar a las poblaciones históricas para recrear un barrio desde cero, connombres artificiales, calcado en modelos de ciudades estadounidenses. Las propuestasartísticas presentadas en este texto, que se inscriben en el ámbito del arte público (ya

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que tienen lugar en el marco de una adjudicación para una intervención artística),cuestionan el urbanismo funcionalista, tal como invitaba a hacerlo Guy Debord. Esteproyecto artístico fue concebido con la voluntad de transformar la ciudad en un campode experimentación y de convocar la imaginación de los habitantes de este barrio de lacapital argentina. Como demuestra el autor, “Escrituras” es un proyecto dereapropiación sutil de un territorio amenazado por el aburguesamiento.

20 El trabajo de Pau Waelder Laso, titulado “Hackear la ciudad algorítmica. Arte urbano y

nuevos medios”, ofrece un panorama de las intervenciones artísticas que tienen lugaren el espacio público por medio de las tecnologías de la información y el conocimiento.Su análisis nos permite comprender cómo perturban el entorno visual y normativo dela ciudad. En esta perspectiva, la obra se concibe como un grano de arena que interfiereen el sistema de la ciudad inteligente y vigilada, control que es posible gracias a lamultiplicación de los dispositivos de gestión automatizada. A través de la evocación deestas intervenciones, Waelder propone al lector cuestionar la intrusión de larecopilación y visualización de datos, la traslación de elementos de entornos virtualesal paisaje urbano o el uso de herramientas de cartografía digital en el espacio público.También evoca a Guy Debord y nos invita a interesarnos en el concepto de derivaurbana como una estrategia que permite desviar nuestros pasos de la ciudad útil.

21 Los artistas Diego Díaz y Clara Boj repasan una serie de proyectos que han llevado a

cabo en el espacio público y ofrecen ejemplos para apoyar las palabras de Waelder. Con“La ciudad como interfaz : creación artística, esfera pública y tecnologías de lacomunicación”, proponen considerar la ciudad como un espacio sensorial y relacionalque funciona como mediador entre agentes de distinta naturaleza. Sus experimentosles han llevado a instalar sensores en parques infantiles o a hacer visibles los datos quecirculan por la ciudad con el fin de ofrecer una nueva percepción del espacio público yhacer visible la intrusión de ciertas TIC en nuestro entorno cotidiano. Finalmente, consus proyectos artísticos Diego Díaz y Clara Boj convierten el espacio público en unterreno de experimentación lúdico, que permite al espectador e interactor queparticipa en una de sus propuestas llegar a ser consciente de, y quizás ignorar, lasestrategias comerciales implementadas en el espacio público.

22 Decidimos cerrar este número monográfico con el manifiesto de Miguel F. Campón y

José D. Periñán, “Hacerlo explícito. ARAN y los giros del tiempo en el arte XR”. Elcolectivo ARAN (compuesto por artistas, comisarios y desarrolladores informáticos)evoca su manera de considerar la realidad aumentada, basando su observación –por unlado– en una exposición que crearon en el espacio público madrileño en 2018 y –porotro lado– en la conferencia-performance “Hacerlo explícito” creada y producidaespecíficamente para este proyecto de investigación. El manifiesto invita al lector areflexionar sobre la obra y su relación con el tiempo y el espacio. Las nuevastecnologías permiten perturbar nuestra percepción del espacio, así como lacircularidad y linealidad del tiempo. ARAN también es consciente de los límites de estetipo de proyectos, que requieren que sus espectadores e interactores estén equipadoscon un dispositivo particular para vivir y participar de esta experiencia. Escomprensible por tanto que aborden su práctica con cierta ironía, ya que no renunciana abordar la complejidad actual de lo múltiple, pero también consideran lascontingencias resultantes que derivan de las necesarias sincronizaciones con los no-humanos. Su enfoque defiende al tiempo una “dialéctica de la imperfección” que va encontra del discurso tecnológico dominante, persiguiendo desde la especulación poética

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y la experimentación artística un “encantamiento” que nos equipe humana ycríticamente frente al momento actual.

NOTAS

1. Página web del Grupo de investigación ERIMIT, Memorias, Identidad Territorios, Universidad

de Rennes, [disponible el 03/07/2020] <URL : https://www.univ-rennes2.fr/structure/erimit>.

2. Página web del Grupo de investigación PAFCC, Prácticas Artísticas y Formas de Conocimiento

Contemporáneas, Bellas Artes, Universidad Complutense, Madrid (2020), [disponible el

03/07/2020] <URL : www.arte-conocimiento.com>.

3. Philippe CHAUDOIR, “Art public, arts de la rue, art urbain”, Études théâtrales, vol. 41-42, n° 1,

2008, p. 183-191, p. 184.

4. Javier ABARCA, “Arte urbano”, Urbanario, [disponible le 28/06/2020] <URL : http://urbanario.es/

>.

AUTORES

ANNE PUECH

(Université de Rennes 2)

SANTIAGO MORILLA

(Universidad Complutense de Madrid)

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Iconografía nacionalista ycontestataria en las calles de CeutaIconographie nationaliste et protestataire dans les rues de Ceuta

Nationalist and protest iconography in the streets of Ceuta

Alicia Fernández García

1 El estudio de la iconografía nacionalista y contestataria aparece en esta contribución

como un verdadero marco de referencia para entender la sociedad de la ciudad-frontera de Ceuta. Por ello, trataremos de proponer un estudio comparativo del corpusiconográfico existente en este enclave español ya que sean cuales sean los sustratos oformatos desplegados, las imágenes fijas, las inscripciones murales, los monumentoshistóricos que en el espacio urbano ceutí encontramos son indisociables de la existenciade una práctica contestataria en el barrio periférico del Príncipe y de un nacionalismobanal en las calles de su centro histórico. Una iconografía con doble rasero quecontribuye al mantenimiento de una sociedad dividida cultural y geográficamenteentre un centro-histórico en el que viven los españoles de origen peninsular y en dondelas huellas iconográficas y textuales del nacionalismo español saturan el espaciopúblico y el barrio del Príncipe, devastado por el paro y la precariedad cuyos muros yfachadas expresan el nacimiento de un movimiento de revuelta y la existencia defronteras comunitarias.

2 A modo de contextualización, cabe recordar que Ceuta es una ciudad estratégica

situada a caballo entre dos continentes, Europa y África. Una ciudad tomada por losportugueses en 1415 y que pasó a dominación española en 1640, tras la separación delos dos países bajo el reinado de Felipe IV. En la actualidad, este enclave español asícomo Melilla, siguen siendo contestados y reivindicados por Marruecos que lesconsidera como los últimos vestigios del colonialismo español en África1. En estacontribución trataremos pues de estudiar dos vertientes totalmente opuestas de estaiconografía urbana presente en Ceuta, ya que si en el centro histórico, en el llamadocasco antiguo, encontramos un paisaje urbano donde domina el legado nacionalistafranquista, así como el de las guerras de África, en su periferia y particularmente en el

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conocido y mediático barrio del Príncipe, las fachadas se ponen al servicio de unapráctica iconográfica contestataria2.

3 Partiendo del principio que el paisaje urbano ceutí se ha convertido en un medio

privilegiado para plasmar e inmortalizar unos mensajes, la problemática de este trabajogira en torno a la idea de transgresión social de los márgenes gracias a la expresiónmural en una ciudad en la que la iconografía urbana responde a exigenciasnacionalistas. El propósito subyacente es demostrar la existencia de una “ciudaddividida”3 y para ello estudiaremos las formas y los efectos de una segregación social yurbana a la vez. La presente contribución, que se apoya en un importante trabajo deterreno realizado entre 2016 y 2019, se articula en dos partes complementarias quetratarán de analizar los síntomas de la discordia social e identitaria en el espaciourbano ceutí.

1. La reconstrucción histórica y nacionalista delespacio urbano

1.1. Hacia la creación de mitos y de referencias históricas4

4 Al igual que otros nacionalismos, el nacionalismo español se ha mostrado

particularmente sensible a la propaganda a través de la iconografía5. Un ejemplo aúnvivo de este interés lo encontramos en la ciudad de Ceuta en donde imagen ypropaganda siguen asociados. El recurso a la imagen como herramienta de transmisiónde mensajes políticos e ideológicos quedó patentado tras la Guerra de 1914 y laposterior Revolución de 1917, una práctica de la monumentalización con frecuenciareactivada en Ceuta para movilizar y exaltar un pasado considerado glorioso6. De igualmanera, las autoridades locales han procedido a una instrumentalización de lanomenclatura urbana con el objetivo de transmitir a sus habitantes una serie de valoresconsiderados como “nacionales”.

5 Así, el paisaje urbano de este enclave ha conocido desde hace algunos años la

multiplicación de monumentos y estatuas que proponen un recorrido histórico de laciudad a través de personalidades emblemáticas como por ejemplo filósofos o geógrafosvinculados a ella ya sea por sus escritos ya por sus orígenes. Esta vuelta a las fuentespermite reconstruir la historia local legitimando la existencia secular de la ciudad y suvinculación al mundo grecorromano. Dicha reconstrucción de la historia de Ceuta tienesu primera expresión en el valor simbólico otorgado a un enorme promontorioconocido como “La mujer muerta”, debido a que su relieve se asemeja a la silueta deuna mujer yaciente. Según la interpretación dada por las crónicas locales, se trataría deuna de las columnas de Hércules, la otra, llamada columna norte, se encontraría enGibraltar7. Sin embargo, para las fuentes árabes, estaríamos frente a la imagen dormidadel general Musa Ibn Nusair, que comanditó la invasión musulmana de la penínsulaibérica en el 711.

6 Del mismo modo, los bustos de geógrafos y de historiadores cuyos relatos han aludido a

Ceuta (Abyla) e incluso las esculturas de Pompinio Mela, geógrafo romano, y de Platón,filósofo griego ubicadas en el céntrico paseo de las palmeras, alimentan esta búsquedade raíces vinculadas al mundo grecorromano8. Estas referencias a personalidadeshistóricas son para la ciudad y para sus habitantes la prueba inmemorial, intangible dela hispanidad de Ceuta. El legado histórico vehiculado a través del patrimonio

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arquitectural presente en este enclave español permite mostrar cómo, desde un tiempoinmemorial, Ceuta y España han compartido la misma historia, lo que suponecorroborar la “eterna hispanidad de la ciudad”9. A este respecto, el descubrimiento dela ciudad por los portugueses en 1415 constituye el acontecimiento histórico porexcelencia que permitió la entrada de Ceuta en la Edad Moderna10. Este periodo dedominación portuguesa está inmortalizado arquitectónica y simbólicamente plasmadoen el espacio urbano ceutí con las esculturas de Don Pedro de Meneses, primergobernador portugués y del príncipe portugués, Enrique el Navegante.

7 A través de estas figuras históricas la memoria nacionalista se ve revisitada en las calles

del centro de Ceuta y sus supuestos héroes glorificados. Un didactismo patriótico quecomo hemos visto recurre a las imágenes de personajes reseñables de la historia localpresentándoles como los testimonios inmemorables de su legado europeo y occidental.La sucesión de lugares de memoria en el espacio urbano ceutí forja la tesis del recurso ala “retórica de la exhibición”11 para representar el pasado patriota y bélico en elpresente.

1.2. Iconografía nacionalista y lugares de memoria en Ceuta

8 En Ceuta, el desarrollo de la iconografía y de la toponimia ha estado vinculado

estrechamente con el poder religioso, como lo demuestran la sucesión de iglesias,altares e imágenes de vírgenes y cristos omnipresentes en el espacio urbano así comocon el poder militar declinado urbanísticamente a través de la imagen de Franco, lasnumerosas calles dedicadas a falangistas o jefes militares y los monumentoshomenajeando los diferentes regímenes militares y los múltiples episodios de lasguerras de África. Estos “lugares de memoria” como los llamaba Pierre Nora12 así comola exposición pública de símbolos nacionalistas de la mano de esculturas, placas ybustos pretenden reconstruir un paisaje urbano en el que plasmar los recuerdos de lasguerras, la dictadura y la memoria de los vencedores. Es justamente esta iconografía ytoponimia de índole nacionalista fuertemente vinculada al franquismo yparticularmente impregnada de la lucha fratricida contra el “infiel” musulmán la quedomina el paisaje urbano ceutí proponiendo una interpretación de la historia con laque los habitantes deben convivir13.

9 A modo de ejemplo diremos que, en Ceuta, la arquitectura conmemorativa de los éxitos

militares, tan apreciada en esta ciudad, encuentra su mejor huella en el monumentoconsagrado a los héroes de la primera guerra de África (1859-1860)14. Una guerraglorificada en la ciudad pero que alberga en el imaginario colectivo español, unrecuerdo bastante amargo15. El lugar escogido fue la actual Plaza de la Constitución,antes llamada Plaza de Nuestra Señora de África, centro neurálgico de la ciudad endonde se encuentran las sedes de los tres poderes locales : el ayuntamiento, cuna delpoder civil ; la Comandancia general, sede del poder militar y la Catedral, pilar delpoder religioso.

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Fig. 1. Monumento conmemorativo de la Guerra de África (1859-1860)

© Alicia Fernández García

10 Este conjunto monumental evidencia una toma de posición clara a favor de la

sacralización histórica de héroes y mártires de esta primera guerra de África. Para ello,los bajos relieves de este monumento son representaciones alegóricas de los generalesespañoles Prim y O’Donnell que aparecen ondeando la bandera española. Al contrario,los combatientes moros, representados en multitud, transmiten una actitud de fracaso.

11 En España, desde el regreso de la Democracia con la muerte del dictador Francisco

Franco en 1975 y la aprobación de la Constitución en 1978 y particularmente, desde laaprobación de la Ley de la Memoria histórica en 200716, numerosas ciudades españolassobre todo aquellas gobernadas por alcaldes socialistas, han democratizado suiconografía y su toponimia urbanas. Así, a muchas calles y plazas se les ha cambiado elnombre con el objetivo de eliminar del espacio público todas las referencias históricas ala guerra civil, al golpe de Estado y/o a la dictadura franquista. Sin embargo, en Ceuta,donde gobierna el partido popular (PP) desde el año 2001, las autoridades locales,argumentando el carácter histórico de dichas representaciones urbanas, no han cesadode manifestar su rechazo a la retirada de estos símbolos acusando en numerosasocasiones a la izquierda de “revanchista”17. Dichas tomas de posición por parte de lasautoridades locales son compartidas por numerosos habitantes que afirman suestupefacción e incomprensión frente al cuestionamiento de la simbología franquista18.Estas personas parecen ser los supervivientes de la resistencia sociológica y residual delfranquismo que sigue persistiendo en esta ciudad africana.

12 Es cierto que Ceuta no es la única ciudad que sigue exponiendo públicamente

reminiscencias de esta época en el espacio urbano, pero el simple hecho de haber sidojunto con Melilla las “adelantadas del Movimiento”19, es decir, la cuna dellevantamiento militar franquista, constituye una diferencia relevante que explica la

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controversia suscitada por la Ley de la Memoria histórica. Añadiremos también que enla sociedad plural y multiconfesional que pretende ser Ceuta, estos monumentos dañanciertas sensibilidades y no promueven la cohesión social deseada en la medida en queproponen una versión única de la historia, la de los vencedores de la Guerra y a menudocentrada en la comunidad mayoritaria de origen peninsular y de confesión católica. Lapresencia de estos símbolos franquistas en su mayoría ha forjado en la población unaactitud conformista que desvela la existencia de un franquismo ordinario20.

13 En la actualidad, el ayuntamiento de Ceuta, dirigido por el conservador Juan Jesús

Vivas, continua sin respetar la Ley de Memoria histórica por lo que dicha ciudad siguecontando con un número importante de símbolos franquistas en sus calles. Citaremos aeste respecto cómo el recuerdo del levantamiento militar y de la dictadura estápresente en la toponimia urbana como lo muestra por ejemplo la calle dedicada a“Joaquín García Morato”, uno de los más importantes aviadores del Ejército nacional. Ala entrada del edificio del hospital militar O’Donnell de Ceuta, una placa conmemoraaún en nuestros días a los jefes y oficiales franquistas muertos durante la guerra civil21.Otro símbolo franquista se encuentra dentro del cuartel teniente Ruiz, en dondepodemos leer encima de uno de sus escudos en yeso el eslogan falangista : “Una, grandey libre”22. Igualmente, en el Instituto Nacional de la Vivienda del ejército, las flechas yel yugo falangista siguen dando la bienvenida a los visitantes23. Una toponimia urbanaampliamente identificada con el pasado franquista y con el militarismo y fuertementepolitizada ya que metaforiza una concepción exclusivista de la nación.

Fig. 2. El yugo y las flechas falangistas

© Alicia Fernández García

14 La omnipresencia de este legado perpetúa la imagen de Ceuta como una “ciudad

cuartel”, fuertemente impregnada de pasado bélico y de huella franquista,inmortalizándola en el imaginario colectivo como la cuna del nacionalismo español máscombativo que incluso a día de hoy sigue impregnado de herencia franquista y deguerra fratricida.

15 Finalmente, el nombramiento del nuevo complejo deportivo de Ceuta también ha sido

objeto de una controversia memorial desde que Fátima Hamed, dirigente del partidolocal PDyC (Partido por la democracia y la ciudadanía), propuso conmemorar la

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memoria de Mohamed Ali Amar, alias “Nayim”, nativo de Ceuta y uno de los jugadoresde fútbol más conocidos de esta ciudad. En su discurso, esta líder política insistió en laexistencia de una amnesia memorial con respecto al jugador que ilustra según ella, lamarginalización de los musulmanes de Ceuta en la historia y la memoria de la ciudad.En su discurso recuerda que en tres ciudades de Aragón existen calles con el nombre deeste jugador mientras que, en su ciudad natal, aún no ha obtenido estereconocimiento24. Para aquellos que se oponen a este homenaje, el centro deportivodebería llevar el nombre más “consensual” de Emilio Cózar, ex-dirigente de lafederación ceutí de fútbol.

16 Al final, el conjunto de estos ejemplos muestra cómo, a pesar de la presión ejercida por

ciertos habitantes y asociaciones por la recuperación de la memoria histórica paraquienes estos símbolos son la prueba de un anacronismo y de una visión sesgada ypartidaria de la historia, el ayuntamiento conservador de esta ciudad ha deslegitimadoestas peticiones en nombre del “alcance y peso histórico” de estas personalidades. Estoshechos traducen el peso de un nacionalismo español combativo que permanece a día dehoy impregnado del legado franquista. Teniendo en cuenta esta “nostalgia nacional-católica” que se precisa en la insistencia y en el mantenimiento de una edad de oro (lasguerras de África) y de un franquismo idealizados, parece sencillo comprender quesigue siendo problemático para una parte de la población de Ceuta, y sobre todo paralos españoles de origen marroquí, la identificación con estos símbolos25.

2. Iconografía contestataria en el barrio ceutí delPríncipe

17 En el barrio del Príncipe de Ceuta, el espacio urbano ofrece a aquellos habitantes

“rebeldes” una oportunidad para darse a conocer y hacer públicas sus vocesprotestatarias, pero también una oportunidad de existir en una ciudad que lesmarginaliza. Son justamente estas imágenes, estos grafitis o simplemente los tagstrazados de manera anónima en las paredes de este barrio ceutí periférico los que sehan convertido, a nuestro parecer, en un termómetro social.

2.1. A modo de presentación : el Príncipe, un barrio ceutí aparte

18 El barrio del Príncipe a menudo ha sido el protagonista de ciertos medios de

comunicación que le han dado cobertura mediática por su peligrosidad, “una de laszonas más peligrosas de España” según lo expresaba el título de un artículo delperiódico El País, pero también por su pobreza crónica26. Si la anarquía urbanística quereina en sus calles es la prueba tangible del abandono histórico del que ha sido objetopor parte de las autoridades locales, la violencia de la droga, la amenaza del yihadismoy la necesidad de sobrevivir constituyen el cotidiano de la gran mayoría de sushabitantes27. Situado a apenas unos metros de la frontera con Marruecos, el Príncipeconcentra los peores indicadores socioeconómicos de la ciudad28.

19 Además, la multiculturalidad histórica de este barrio donde convivían hasta mediados

de los años 80 familias cristianas y musulmanas ha desaparecido y actualmentesolamente una familia cristiana mantiene su residencia en el barrio29. Igualmente, elPríncipe padece de una fuerte presión demográfica ya que a los estimados más de12.000 habitantes que viven hacinados en casas minúsculas a menudo deterioradas y sin

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título de propiedad, han venido a juntarse más de 3.000 marroquíes lo que le ha validola consideración de “gueto musulmán”30. A la angustia y penuria socioeconómicas de lasfamilias residentes con frecuencia numerosas y con escasos recursos, añadiremos elinmovilismo de los poderes públicos que han descuidado este barrio desprovisto deespacios verdes y de estructuras mínimas, en donde el alumbrado público es deficientey la recogida de basura irregular. Un abandono crónico que ha arraigado el sentimientode exclusión de sus vecinos que se consideran con frecuencia como “ciudadanos desegunda”31.

2.2. Registros de la iconografía contestataria presente en elPríncipe

20 Las intenciones de los tags y de las inscripciones murales que encontramos en el barrio

del Príncipe son múltiples, a menudo metafóricas y siempre anónimas. Por ello, sialgunos de ellos desvelan una cierta ambición activista con el objetivo de existirsocialmente invistiendo el espacio público de la calle para plasmar reivindicaciones deíndole religiosa o social, otros tratan de poner en evidencia y hacer públicas algunastemáticas con frecuencia olvidadas o esquivadas por parte del poder local. Además,teniendo en cuenta que en el universo del Príncipe la presencia de la droga esineludible, el espacio mural es utilizado a menudo por los capos de la droga y por suspequeñas manos con la finalidad de lanzar amenazas y advertencias a los diferentesnarcos locales e incluso a los propios habitantes.

2.2.1. Los tags de la exclusión social e identitaria

21 El primer registro que podemos observar en las fachadas del Príncipe revela el

descontento de ciertos habitantes del barrio motivados por un fuerte sentimiento deexclusión social. Es al menos la lectura que hacemos de los tags que plasman quejasdebido a la falta de alumbrado público durante las noches del Ramadán. Estesentimiento de exclusión genera, tal y como lo muestra el siguiente tag realizado en lafachada del local de la asociación de vecinos, una voluntad de degradación urbana y dedestrucción32.

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Fig. 3

© El Faro de Ceuta33

22 El barrio del Príncipe padece de una imagen pública negativa que lo vincula

directamente con la violencia, la inseguridad e incluso la miseria. Lejos de loseufemismos de las autoridades que niegan su abandono34, y que prefieren ver un barriodonde existen varias “problemáticas”35, los mismos habitantes, pese a su arraigo yafecto por el barrio, lo califican de manera habitual de “gueto”, de “polvorín” cuandono lo describen como un “territorio comanche”, lo que podemos traducir comoterritorio enemigo tal y como lo vemos reflejado en el siguiente tag, es decir, unterritorio fuera de la ley.

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Fig. 4

© Alicia Fernández García

23 El Príncipe se ha convertido progresivamente en un enclave donde se concentran las

minorías, marroquíes por un lado y españoles de origen marroquí por el otro. Lainscripción mural que presentamos a continuación puede interpretarse como unareacción e incluso, una acción permitiendo intensificar el sentimiento de exclusión, lano-ciudadanía de los residentes del barrio todo ello vehiculado a través del recurso a laamenaza y a la agresividad. Considerados frecuentemente como diferentes por susorígenes pero también por el barrio en el que viven, algunos habitantes del Príncipetoman consciencia de esta diferencia y se adueñan de los muros para denunciar elracismo galopante del que se sienten víctimas.

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Fig. 5

© Ceuta actualidad36

24 El siguiente tag ilustra la voluntad de rechazar al otro, al llamado prójimo que en este

caso es el “moro”, pero también plasma la ruptura con la comunidad mayoritaria, esdecir, la de los caballas o aquellos habitantes nacidos en Ceuta. Aunque anónimo, esteprimer “combate gráfico”37 contra la exclusión social e identitaria desvela no solo elmalestar de ciertos habitantes del barrio sino que también provoca, desafía y anima a larevuelta. Utilizando como “repertorio de acción”38 el tag o la expresión mural, losautores de los mismos se movilizan y recurren al anonimato para inscribir causascomunes como son la invisibilidad y la insatisfacción.

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Fig. 6

© El Faro de Ceuta39

25 El conjunto de las inscripciones murales que aquí presentamos muestra también cómo

el espacio urbano del Príncipe está marcado por una lógica de comunitarización yrepliegue identitario que atesta de manera provocadora y ostentatoria, lafragmentación social existente en la ciudad de Ceuta. Estos tags improvisados, rápidos yanónimos nos permiten no solo conocer la naturaleza del descontento social en Ceutasino también el clima de conflictividad declarada entre los habitantes del centro yaquellos de la periferia. Aunque ausentes de valor estético, estas inscripciones muralesposeen sin embargo un fuerte alcance simbólico al convertirse en denunciantes de losabusos e injusticias de la sociedad ceutí40.

2.2.2. Los tags del proselitismo religioso

26 En la panoplia de los tags contestatarios existentes en el Príncipe, hemos podido

constatar cómo también se procura hacer existir y rendir visible una pertenenciareligiosa plasmándola para ello en los muros. De este modo, bajo la forma deexpresiones de apoyo, la religión se ha convertido en referente identitario. Lapromoción del Estado islámico a través del trazado de tags rápidos y de la escritura delas letras “ISIS” muestran por otro lado el alcance del yihadismo en el barrio así comosu control sin reparo del espacio público.

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Fig. 7 - Fig. 8

© Alicia Fernández García

27 De igual modo, la propaganda yihadista toma la forma de insultos e intimidaciones

anticristianos tal y como lo vemos reflejado en el recurso a expresiones tales y como“Infieles de mierda” o “Nuestro profeta sigue existiendo” que hemos encontradopintadas en algunas fachadas cercanas a iglesias o a la cofradía de franciscanos de laCruz Roja. Estas inscripciones en favor del Estado islámico, además de aterrorizar a laciudad, aumentan la tensión social y crean una atmósfera en donde la psicosis y ladesconfianza son palpables. Inscripciones que reactivan y reaniman las presionescomunitarias e imponen una nueva parrilla de análisis, la del “choque decivilizaciones”, al mismo tiempo que contribuyen a plasmar una realidad fantaseadacomo es la de un barrio e incluso toda una ciudad atormentada por no decir presa deuna guerra de religiones. Así, el proselitismo religioso expuesto en los muros del barriodel Príncipe se aleja a menudo de su función primera como es el reclutar adeptos yadopta un matiz revanchista41.

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Fig. 9

© ABC42

Fig. 10

© Alicia Fernández García

28 La lógica del “en contra de los otros” se ha visto reforzada en Ceuta como lo

manifiestan estas inscripciones que se alzan en ejemplos de la intoleranciafundamentalista imperante. El rechazo del otro, esta vez de los musulmanes, expresadoen el tag que aquí arriba presentamos muestra cómo detrás de la reivindicación de uncompromiso o fervor religioso se esconde en realidad el alcance de un racismoordinario latente. Según lo vehiculado en el tag “Volver a vuestro país”, del que sedesprende un pensamiento profundamente discriminatorio, podemos constatar lapersistencia del sentimiento anti-musulmán que reina en la ciudad, así como de la

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exclusión de los habitantes de origen marroquí de una sociedad que les sigueconsiderando como “extranjeros”43.

2.2.3. Los tags del cuestionamiento de las instituciones

29 Otro registro iconográfico bastante difundido en las paredes del barrio da testimonio de

la existencia de una memoria conflictiva y de las tensas relaciones mantenidas con lasautoridades y las instituciones locales. Percibidos como los guardianes de un sistemajuzgado autoritario y que menosprecia a los musulmanes de Ceuta, el odio hacia lapolicía y toda fuerza del orden está ampliamente presente en las fachadas del barrio. Elrecurso sistemático a la conjunción negativa “No” tal y como lo vemos expresado en lapintada “No queremos policía” aquí abajo expuesta así como el uso del camposemántico del menosprecio y del rechazo con el empleo de verbos tales y como “fuera”,“fuck”, “me cago en” para referirse a las fuerzas del orden, son algunos de los signos dela relación problemática existente entre la policía y los habitantes.

Fig. 11 – Fig. 12

© Alicia Fernández García

30 Esta hostilidad hacia la policía y las instituciones expuesta en los muros del Príncipe

además de participar a la demarcación del territorio, muestra cómo, contrariamente alafecto recibido por parte de numerosos habitantes y en los otros barrios, losrepresentantes de la autoridad no son percibidos como defensores sino más bien comoenemigos en el Príncipe44. Podemos concluir diciendo que este odio hacia la policía seexplica por razones tanto psicológicas como políticas. Así, si es propio de los jóvenes elcuestionar la autoridad, en el Príncipe la crítica del orden social establecido setransforma en una crítica de la policía por ser la encargada de asegurar este orden.

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2.2.4. Los “narco-grafitis”

31 Ciertas siglas, ciertos acrónimos y referencias biográficas, muy presentes en las

fachadas rebeldes del Príncipe, tienen como finalidad reforzar el ambiente misteriosoque reina en el barrio en donde la presencia de los “capos” de la droga y de sus cohortesestá bastante difundida. Los tags contribuyen de este modo a la perpetuación de una“comunidad del miedo” al materializar los conflictos y rivalidades entre capos y bandasrivales45. Es el caso de la inscripción mural que presentamos a continuación en laencontramos un ejemplo de propaganda narco con la batalla por el liderazgo : sedesvela públicamente la identidad del nuevo capo así como su autoridad.

Fig. 13

© Alicia Fernández García

32 En el Príncipe, algunas inscripciones como “Muerte a los chotas”, “Chotas No” o “Si

hablas estás muerto” reiteran y nos recuerdan que el silencio constituye una regla deconducta, un principio esencial que nadie debe olvidar bajo pena de ver amenazada suexistencia.

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34

Fig. 14 – Fig. 15

© Alicia Fernández García

33 Estas pintadas expresan igualmente cómo sobrevivir gracias al tráfico de la droga se ha

convertido en una perspectiva deseable, a veces la única para buena parte de lapoblación del barrio y, por ello, las expresiones murales narcos que se han implantadopoco a poco en el paisaje urbano del barrio no hace nada sino desvelar una realidadsocioeconómica bien conocida. Prueba del peso de esta economía paralela queconstituye el tráfico de drogas, el tag que presentamos a continuación atesta einmortaliza el alcance y la viveza de dicho fenómeno socioeconómico por no decir laúnica alternativa para ganarse la vida en el Príncipe.

Fig. 16

© El Faro de Ceuta

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34 En esta contribución el estudio de la iconografía nacionalista y contestataria se ha

impuesto como un verdadero marco de referencia para entender la sociedad delenclave español de Ceuta, ciudad-frontera hispano-marroquí46. Para ello, nos hemosinteresado en primer lugar, por las representaciones sociales del nacionalismo españolpresentes en las calles, plazas y fachadas del centro-histórico ricas en monumentos,esculturas, placas y referencias conmemorativas de una memoria histórica selectiva, esdecir, la de los vencedores de la guerra civil, la del franquismo y la de las guerras deÁfrica. Una iconografía nacionalista que se opone, a apenas un par de kilómetros, en elconocido barrio del Príncipe, a otra de matiz más rebelde.

35 Un simple paseo por este barrio periférico del Príncipe es suficiente para darse cuenta

no solo del abandono institucional que allí reina sino también de la marginalidad de sushabitantes y de su comunitarismo. La anarquía de los edificios y el caos de lacirculación, la suciedad de sus calles y la desconfianza de ciertas miradas son lossíntomas de una tensión latente, de un ambiente tenso y de una existencia morosa. Unclima totalmente opuesto al ambiente jovial, la viveza y cuidado urbanos y la bellezaarquitectural de los monumentos del centro histórico. De igual modo, lo que tambiénperturba la mirada del observador en el Príncipe son las numerosas inscripcionesmurales a menudo incomprensibles, con frecuencia salvajes que decoran las paredes yfachadas de los edificios y solares. Es el descubrimiento de este panorama desolador loque ha constituido el centro de interés de la segunda parte de esta contribución en laque se ha tratado de estudiar el alcance de esos llamados “muros rebeldes”47 así comosu significado, sus intenciones, su contexto de realización y sus usos. El análisis de estashuellas iconográficas nos ha permitido poner de realce la importancia que tienen lasimágenes y las inscripciones murales en las reivindicaciones proferidas en y por los“márgenes”.

36 Como se ha podido estudiar, cada una de estas inscripciones rebeldes, contestatarias y

dotadas de fuerte valor emocional ha permitido la puesta en la agenda pública e inclusomediática de temáticas bastante controvertidas y a menudo tabúes en la ciudad comoson el proselitismo religioso, la amenaza del yihadismo, la desconfianza suscitada porlas autoridades e incluso el peso del racismo ordinario. La palabra subversiva en elbarrio ceutí del Príncipe se sirve de las fachadas y las vuelve “habladoras”,“charlatanas” con el objetivo de difundir mensajes polisémicos dirigidos ainterlocutores múltiples como son los propios habitantes del barrio, los capos de ladroga, las autoridades e incluso, los ceutíes de manera general.

NOTAS

1. Leer al respecto la tesis doctoral de Sidi Mohamed DOUBI KADMIRI, Sebta et Melilia, villes frontières

entre le Maroc et l’Espagne, Université de Nice, 1999.

2. Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA , “Les logiques sociales de l’iconographie contestataire : le cas du

quartier d’El Principe à Ceuta”, Amnis [on-line], n° 18 (2019).

3. Annie FOURCAUT (dir.), La ville divisée. Les ségrégations urbaines en question, Paris, Creaphis, 1996.

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4. Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA, “Nacionalismo español en las calles de Ceuta y Melilla”, Crisol [on-line],

Université de Nanterre, n° 5 (2019), p. 259-289.

5. Marie-Aline BARRACHINA, Propagande et culture dans l’Espagne franquiste 1936-1945, Grenoble,

ELLUG, 1998, p. 15-17.

6. Alda BLANCO, Cultura y consciencia imperial en la España del siglo XIX, Valencia, PUV, 2012, p. 83.

7. Marta LERÍA MOSQUERA, “La historia de Ceuta a través de las esculturas de la ciudad”, Cuadernos

del Archivo Municipal de Ceuta, nº 18, 2009, p. 325-341.

8. Bajo el retrato de Platón, se puede leer : “El filósofo griego Platón mencionaba los pilares de

Hércules, Calpe (Gibraltar) y Abyla (Ceuta), en sus libros ‘criticas’ y ‘timeo’ refiriéndose a la

Atlantida, la isla hundida por un maremoto. En su ‘Timoteo’, Platón decía : ‘en aquella época se

podía atravesar aquel océano dado que había una isla delante de las columnas de Hércules. En

dicha isla, llamada Atlántida, había surgido una confederación de reyes que gobernaba sobre

ella’”. Bajo el busto de Pompinio Mela encontramos escrito : “Más adelante hay una montaña alta

frente a otra opuesta de Hispania ; a aquella llaman Abyla, a esta Calpe ; a una y otra columna de

Hércules. Respecto a este nombre se dice que fue el mismo Hércules quien separó ambas

cumbres, antes unidas por una cadena montañosa continua, que por ello el océano, hasta

entonces contenido por esta mole montañosa, inundó el espacio que hoy ocupa.”

9. José GARCIA COSIO, Ceuta. Historia, presente y futuro, Granada, Godino, 1988, p. 20.

10. Discurso pronunciado por el diputado Francisco Márquez (PP) pronunciado el 23/09/2014.

<URL :

http://popularesceuta.es/index.php/actualidad/80-articulos/750-art-inter-fmarq-2 >,

[disponible el 03/04/2016].

11. Kirk DENTON, Exhibiting the Past: Historical Memory and the Politics of Museums in Postsocialist

China, Honolulu, University of Hawaii Press, 2014.

12. Pierre NORA (dir.), Les lieux de mémoire, vol. 1, Paris, Gallimard, 1997.

13. Julia REY PÉREZ et Víctor HERNÁNDEZ SANTAOLALLA, “El hito urbano como mensaje”, Cuestiones

publicitarias, vol. 1, nº 18 (2013), p. 123.

14. Monumento inaugurado el 4 de mayo de 1895. Sobre la historia del monumento, leer la

publicación de Joaquín ÁLVAREZ CRUZ, “Monumento a los caídos en la guerra de África de

1859-1860”, Cuadernos del Archivo Municipal de Ceuta, nº 13 (2004), p. 153-176.

15. Nicasio LANDA, La campaña de Marruecos (1859-1860), Algazara, Málaga, 2008.

16. Ley 52/2007 del 26/12/07. Ley aprobada durante el mandato del presidente socialista José

Luis Rodríguez Zapatero (2004-2011).

17. Vera GUTIÉRREZ, “Rubiales y la Guerra Civil calientan el pleno”, El País, [on-line], (actualizado el

28/09/2006) [disponible el 28/04/2020], <URL : https://elpais.com/diario/2006/09/28/madrid/

1159442659_850215.html>.

18. Una opinión que ha aparecido muy a menudo en mis entrevistas e intercambios con

habitantes y vecinos de la ciudad durante mis numerosos trabajos de terreno realizados entre

2013 y 2019.

19. Rosa MARTÍNEZ, “Unidos Podemos pide liberar a Melilla del título de Adelantada del

Movimiento Nacional”, Público, [on-line], (actualizado el 15/01/2017) [disponible el 15/05/2020],

<URL : https://www.publico.es/espana/unidos-pide-liberar-melilla-del.html>.

20. Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA , Vivre ensemble. Conflit et cohabitation à Ceuta et Melilla, Paris,

L’Harmattan, 2017, p. 280-281.

21. Centro hospitalario situado en la avenida Doctor Marañón de Ceuta.

22. El cuartel del teniente Ruiz se sitúa en la calle Cortadura del Valle Pozo Rayo. El escudo al que

aquí nos referimos se puede ver a la altura de la escalera izquierda que lleva a las oficinas.

23. Placa situada en la fachada del Instituto de la vivienda del ejército, en la avenida San Juan de

Dios, n 6.

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24. Ignacio CEMBRERO, “¿Debe llamarse Mohamed Ali Amar o Emilio Cozar el nuevo campo de

fútbol de Ceuta ?”, El Mundo, [on-line], (actualizado el 17/02/2015) [disponible el 07/04/2020],

<URL : https://www.elmundo.es/blogs/elmundo/orilla-sur/2015/02/17/debe-llamarse-

mohamed-ali-amar-o-emilio.html>.

25. Xosé Manoel NÚMEZ SEIXAS, “La nación contra sí misma : nacionalismos españoles durante la

Guerra civil (1936-39)”, Carlos Taibo (ed.), Nacionalismo español. Esencia, memorias e instituciones,

Madrid, Catarata, 2007, p. 164-165.

26. Tomas BARBULO, “El barrio más peligroso de España”, El País, [on-line], (actualizado el

28/04/2003) [disponible el 08/04/2020], <URL : https://elpais.com/diario/2003/04/28/ultima/

1051480801_850215.html> ; « ‘Diario d’ se adentra en El Príncipe, uno de los barrios más

peligrosos de España », Cuatro.com [on-line], (actualizado el 11/02/2014) [disponible el

19/05/2020], <URL : https://www.cuatro.com/diario-de/Diario-Principe-barrios-peligrosos-

Espana_0_1747200272.html> ; Rubén FERNÁNDEZ, “El barrio de El Príncipe, una pesadilla donde

impera el omerta”, Telecinco.es [on-line], (actualizado el 16/10/2018) [disponible el 11/05/2020],

<URL : https://www.telecinco.es/informativos/sociedad/barrio-principe-ceuta-delincuencia-

trafico-drogas-yihadismo-violencia-ciudad-delitos-ley-silencio-omerta_0_2643375172.html>.

27. Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA, “El Príncipe : de la fiction d’une série à la réalité d’un quartier”,

Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [on-line], n° 21 (2018).

28. Jesús RODRÍGUEZ, “El corazón del Príncipe”, El País semanal, [on-line], (actualizado el 23/10/14)

[disponible el 22/06/2020], <URL : https://elpais.com/elpais/2014/10/23/eps/

1414089026_035725.html>.

29. Luis DE VEGA, “La convivencia agoniza en el barrio ceutí de El Príncipe”, ABC, [on-line],

(actualizado el 20/01/2015) [disponible el 12/06/2020], <URL : https://www.abc.es/espana/

20150120/abci-ceuta-principe-convivencia-201501182054.html>.

30. François MUSSEAU, “Ceuta, l’extrémisme enclavé”, Libération, [on-line], (actualizado el

26/04/2015) [disponible el 25/06/2020] , <URL : https://www.liberation.fr/planete/2015/04/26/

ceuta-l-extremisme-enclave_1269374>.

31. Almanzor AMRANI, El Príncipe. Entre el yihadismo y la marginación, Península, Barcelona, 2016,

p. 46.

32. Farhad KHOSROKHAVAR, L’islam des jeunes, Paris, Flammarion, 1997, p. 89.

33. V.C.S., “Príncipe Felipe paga con pintadas la ausencia de alumbrado”, El Faro de Ceuta, [on-

line], (actualizado el 28/04/2020) [disponible el 23/05/2008], <URL : https://elfarodeceuta.es/

principe-felipe-paga-pintadas-ausencia-alumbrado-ramadan/>.

34. Discurso sacado de una entrevista concedida por el alcalde de Ceuta Juan J. Vivas a la cadena

de televisión TVE / CEDIDA el 28/1/15.

35. “Chaves y Vivas acuerdan para el barrio ceutí de Príncipe Alonso una colaboración como la

del polígono sevillano”, 20 minutos, [on-line] (actualizado el 26/11/2010) [disponible el

23/05/2020], <URL :https://www.20minutos.es/noticia/886517/0/>.

36. “Pintadas contra Caballas y Ali en el Príncipe”, Ceuta actualidad, [on-line], (actualizado el

15/01/2018) [disponible el 23/05/2020], <URL : https://www.ceutaactualidad.com/articulo/

sociedad/pintadas-caballas-mohamed-ali-principe/20180115190214057658.html>.

37. Anne PUECH, Street art contestataire et revendicatif dans l’Espagne du début du XXIe siècle : formes et

pouvoir d’un engagement esthétique, social et politique, thèse de doctorat, Cahiers de civilisation

espagnole contemporaine [on-line], n° 5 (2015).

38. Charles TILLY, La France conteste. De 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986, p. 26.

39. “Aparecen pintadas en el Príncipe contra Caballas y Ali”, El Faro de Ceuta,[on-line],

(actualizado el 15/01/2018) [disponible el 23/05/2020], <URL :https://www.ceutaactualidad.com/

articulo/sociedad/pintadas-caballas-mohamed-ali-principe/20180115190214057658.html>.

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40. Anne PUECH, “L’espace public vu par les street artistes espagnols”, Crisol, [on-line], n° 5 (2019),

p. 413-423.

41. Sobre el proselitismo religioso leer los trabajos de Vicente FORTIER, “Le prosélytisme au regard

du droit : une liberté sous contrôle”, Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires, n° 3

(2008), y de Sandrine PLANA, Le prosélytisme religieux à l’épreuve du droit privé, Paris, L’Harmattan,

2006.

42. “Pintada amenazante en Ceuta : ’Lo de Charlie es poco, el estado islámico esta de camino’”,

ABC, [on-line], (actualizado el 15/01/2018) [disponible el 07/03/2020], <URL : https://

www.abc.es/espana/20150115/abci-pintada-ceuta-estado-islamico-201501152015.html>.

43. Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA, Vivre ensemble, Op. cit., 2017, p. 325-326.

44. Jean Marie RENOUARD, “Les relations entre la police et les jeunes”, Déviance et société, vol. 16,

n° 4 (1993), p. 419-438.

45. Corey ROBIN, La peur. Histoire d’une idée politique, Paris, Amand Colin, 2006.

46. Ana Isabel PLANET CONTRERAS , Ceuta y Melilla, espacios-frontera hispano-marroquíes, Universidad

autónoma de Madrid, 1997.

47. El término ha sido prestado al título del libro publicado por Xavier CRETTIEZ et Pierre PIAZZA,

Murs rebelles. Iconographie nationaliste contestataire : Corse, Pays basque, Irlande du Nord, Paris,

Karthala, 2014.

RESÚMENES

En busca de propaganda nacionalista, las autoridades de Ceuta, una ciudad española enclavada en

Marruecos, han procedido a una instrumentalización de la iconografía y la toponimia urbanas. A

diferencia de este arte público, que es el de los monumentos oficiales del centro de la ciudad, en

algunos barrios periféricos de esta ciudad como El Príncipe, el arte urbano ha nacido en un

contexto de desmantelamiento social y aparece como una práctica espontánea que supera el

deseo de embellecer y busca contestar el modelo social. Al igual que los muralistas mexicanos que

proclamaban una función social e ideológica de la creación, el muro y más ampliamente las calles

de Ceuta, se ponen al servicio de una expresión social y política cuyos objetivos son múltiples. En

el caso del barrio del Príncipe, las mafias de la droga han tratado de marcar este territorio con su

huella social y de disputar el monopolio a las autoridades. Pero las calles de este distrito también

se han convertido en la expresión de una reivindicación cultural, a saber, la de la cultura de

origen, el radicalismo religioso y el malestar social. Esta contribución pretende estudiar las calles

de Ceuta como espacios de reivindicación nacionalista, como lugares de una contracultura

mafiosa y una iconografía contestataria.

À la recherche d’une propagande nationaliste, les autorités de Ceuta, ville espagnole enclavée au

Maroc, ont procédé à une instrumentalisation de l’iconographie et de la toponymie urbaines.

Contrairement à l’art public des monuments officiels du centre-ville, dans certains quartiers

périphériques de cette ville tels qu’El Príncipe, l’art urbain est né dans un contexte de

déclassement social et il apparaît comme une pratique spontanée qui dépasse le désir d’embellir

et cherche à contester le modèle social. À la manière des Muralistes mexicains qui proclamaient

une fonction sociale et idéologique de la création, le mur, et plus largement les rues à Ceuta, se

mettent au service d’une expression sociale et politique dont les finalités sont multiples. Dans le

cas du quartier El Príncipe, les mafias de la drogue ont tâché de marquer ce territoire de leur

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empreinte sociale et d’en disputer le monopole aux autorités. Mais les rues de ce quartier sont

aussi devenues l’expression d’une revendication culturelle, à savoir celle de la culture d’origine,

de la radicalité religieuse et du malaise social. Cette contribution se veut une étude des rues de

Ceuta comme espaces de revendication nationaliste, comme lieux d’une contre-culture mafieuse

et d’une iconographie contestataire.

In search of a nationalist propaganda, the authorities of Ceuta, a landlocked Spanish city in

Morocco, have used urban iconography and toponymy. Unlike this public art, which is that of the

official monuments of the city centre, in some outlying districts of this city such as El Principe,

urban art was born in a context of social decommissioning and it appears as a spontaneous

practice that goes beyond the desire to beautify and seeks to challenge the social model. Like the

Mexican Muralists who proclaimed a social and ideological function of creation, the wall is more

broadly the streets in Ceuta, putting themselves at the service of a social and political expression

whose aims are multiple. In the case of the El Principe district, the drug mafias have tried to mark

their social footprint on this territory and to challenge the monopoly of the authorities. But the

streets of this district have also become the expression of a cultural claim, namely that of the

culture of origin, as well as of religious radicalism and social malaise. This contribution is

intended to study the streets of Ceuta as spaces of nationalist claim, as places of a mafia

counterculture and of a protest iconography.

ÍNDICE

Mots-clés: Ceuta, iconographie urbaine, nationalisme, contestation

Palabras claves: Ceuta, iconografía urbana, nacionalismo, contestación

Keywords: Ceuta, urban iconography, nationalism, contestation

AUTOR

ALICIA FERNÁNDEZ GARCÍA

(Université de Paris 8)

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De la señalización de las fosascomunes a su representación en lascalles.Monumentos, marchas y grafitis frente a la Memoria Histórica

De la signalisation des fosses communes à leur représentation dans les rues

From the marking of mass graves to their representation in the streets

Daniel Palacios González

Introducción

1 Cuando recibí la convocatoria de la “Journée d’Études STREET ART. Territoires

physiques, virtuels et interactions” celebrada en 2019 en la Universidad de Rennes 2, laimagen que la acompañaba era un trabajo de Alto de su serie sobre fosas comunes. Estasimágenes se hicieron bastante populares en redes sociales y aplicaciones de mensajeríainstantánea hace unos años : grafitis que representaban restos esqueléticosfragmentados y amontonados, a los que se añadía un pie indicando Fosa y un número.Los grafitis de Alto tienen una ejecución que a nivel técnico no puede ser discutida. Dealguna manera llaman la atención del espectador no habituado a observar una violenciano ficcional como es la de las fosas comunes, o al menos una representación de lamisma. Podrían también haberse popularizado por tratarse de una técnica que no estádemasiado relacionada con los grupos sociales vinculados a lo que en las últimasdécadas se ha denominado movimiento por la recuperación de la Memoria Histórica1. Sinembargo, una segunda aproximación crítica a estas imágenes puede ser especialmentereveladora. Quizás no para sacar conclusiones rotundas, pero sí para revelar ciertasparadojas y cambios de paradigmas en las últimas décadas, y de qué manera esasituación ha afectado a la producción de cultura visual en relación a la guerra de 1936 ya la dictadura posterior en el Estado Español.

2 Mi campo de investigación no es el arte urbano en sí, sino las prácticas monumentales

sobre fosas comunes desde 19362. Una investigación que a su vez se enmarca en un

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proyecto más amplio, desde el cual se observan los procesos de exhumación enperspectiva transnacional y comparada3. No obstante, la convergencia del grafiti conlos monumentos, panteones y rituales de homenaje y reivindicación que abordo desdemi proyecto pasa por referir semánticamente a la fosa misma en todos los casos. De estamanera, pese a tratarse de un referente en común el grafiti es abordado de manera muydispar. Aparentemente la diferencia pudiera vincularse rápidamente a la técnica, dadoque no es lo mismo construir una escultura o ajardinar un recinto que pintar un muroen una zona urbana en desuso. Pero ésta podría deberse por el contrario al cambio deparadigmas en los discursos en relación a las fosas y que son los que han llegado alproductor de imágenes no vinculado directamente a la fosa en sí, sino a las mediacionesmediáticas respecto a la misma. Tanto es así que con el presente texto lo que voy atratar no es tanto de dar un contexto a estas imágenes de fosas comunes que nospueden llegar, sino interrogarlas y cuestionarlas con el objetivo de plantear la derivaiconográfica y social que ha tenido lugar en el paso de su señalización a surepresentación en las calles.

3 Aunque los planteamientos aquí propuestos solo representan una pequeña parte de una

investigación mucho más amplia, urge señalar como a nivel metodológico, me muevoentre la historia del arte y la etnografía. Los lindes entre disciplinas son precisamenteun objetivo a derribar y poco sentido tienen para las tendencias actuales de los estudiosde la memoria en la cultura4, donde partiendo de Maurice Halbwachs y su concepto dememoria colectiva5, Aleida Assmann ha popularizado el plantear las memorias culturales

como aquellas materializaciones conscientes de esa memoria colectiva6. Precisamenteello me ha permitido abordar con libertad objetos de estudio heterogéneos y no hacerplanteamientos deterministas en base a la proyección de un imaginario teórico sobrelas imágenes sino cuestionarlas, desde la experiencia empírica al participar de maneraconsciente de la propia realidad en la que se inscriben. Cuestionarlas y preguntarlas,entendiendo que la imagen, desde un punto de vista warburgiano no es sino “elresultado de movimientos que provisionalmente han sedimentado o cristalizado enella. Estos movimientos la atraviesan de parte a parte y cada uno de ellos tiene unatrayectoria –histórica, antropológica, psicológica– que viene de lejos y que continúamás allá de ella. Tales movimientos nos obligan a pensar la imagen como un momento

energético o dinámico, por más específica que sea su estructura”7. Sean por tantografitis, marchas o monumentos... pido observarlos así, más allá de los medios técnicosutilizados, como materialización de los debates asociados al concepto de MemoriaHistórica, en torno a la justicia y la representación.

1. Violencia y ostracismo urbano de larga duración

4 En la centralidad del espacio urbano en el Estado Español, la ausencia generalizada de

monumentos dedicados a personalidades o sucesos vinculados a la historia de laSegunda República o a las personas asesinadas durante la Guerra y la Dictaduracontrasta con la presencia en todo el territorio de estos monumentos en loscementerios. Son estos los espacios que se han convertido en uno de los lugares conmayor carga simbólica por ser los contenedores generalmente, bien de las fosascomunes, bien de los panteones que alojan los cuerpos exhumados de las mismas. Apesar de que la Guerra y la Dictadura han sido largamente estudiadas, urge puntualizarantes de tratar la representación de las fosas en varios aspectos que han condicionado

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de manera esencial la ubicación de las mismas y su relación con la centralidad delespacio urbano, así como con sus espacios privilegiados de representación simbólica.

5 En 1936 se produce una sublevación militar, con apoyo de grupos armados fascistas,

católicos, y monárquicos, y que gozará del amplio apoyo extranjero, principalmente deItalia, Alemania así como de los Regulares de Marruecos8. Pese a su imposición parcialen el territorio, en las zonas donde tiene éxito comienza a desarrollar un aparatorepresivo cuyo objetivo es la eliminación física de su oposición y potencial oposición.Los sublevados, amparados por el Bando de Estado de Guerra del 18 de julio de 1936,emitido por Francisco Franco desde Santa Cruz de Tenerife, inician el asesinato en masade decenas de miles de personas9. Algo que continuará con el avance del ejército y conel establecimiento en todo el territorio del nuevo Estado Español. Francisco Espinosaseñala como en el primer momento, ante la ausencia de unas estructuras estatalesclaramente definidas, se producen generalmente enterramientos irregulares de laspersonas asesinadas en fosas comunes, una práctica que progresivamente seabandonaría por la creación de grandes fosas comunes para enterrar de maneraorganizada a los asesinados como consecuencia de los procedimientos judicialesmilitares sublevados10. Las cifras de esta represión oscilan entre los 100.000 segúnSantos Julia11 y Julián Casanova 12 y los 130.000 según Francisco Espinosa 13 o PaulPreston14, y podrían superar los 150.000 si todos los archivos fuesen accesibles y sedesarrollasen estudios en profundidad en todas las regiones15. Estos paisajes del terror,según los define Francisco Ferrándiz16, tendrían sin embargo un nexo común. Seencuentran en el exterior de las ciudades : bien en el campo (cunetas, simas, campos…)bien en los cementerios, condenados al exterior siguiendo los criterios científicoshigienistas del siglo XIX17.

6 No obstante, la particularidad que ha llevado estos espacios periféricos a ser los ejes de

la memoria en España, en lugar de los centros de las ciudades (donde podrían haberseerguido monumentos y espacios memoriales) pasa por el consenso político establecidoen torno a la muerte de Francisco Franco en 1975. Ante la posibilidad de una rupturaradical con el régimen, se hizo necesaria una reformulación del mismo a través delpacto con algunas fuerzas progresistas, como el Partido Socialista Obrero Español y elPartido Comunista de España, bajo el paraguas de la instauración de una nuevamonarquía parlamentaria pluripartidista. Un consenso que no se produce en un marcode estabilidad y paz, sino por el contrario, de represión en las calles y de violenciaselectiva contra agentes políticos, de manera que Alfredo Grimaldos señala como cadacrimen suponía la cesión por parte de los grupos de izquierda en algún asunto18. Peromás allá de las implicancias políticas y económicas, lo fundamental es que este procesofue acompañado de un pacto de silencio a nivel de las grandes instituciones y medios enlo que a los crímenes cometidos durante la Guerra y la Dictadura se refiere. Se evitóreferenciar la represión y los crímenes de la Dictadura, abogando por el olvido en favordel consenso19. Así, como señala Paloma Aguilar, el régimen se benefició de la extremagentileza de una sociedad traumatizada y llena de víctimas a las que no se les concedióreconocimiento, justicia ni reparación20.

7 En lo que al espacio público se refiere, esto se tradujo en la ausencia de un programa

monumental que hiciera frente a la construcción de una nueva memoria colectiva.También en que la mayor parte del programa monumental de la Dictadura siguieseocupando espacios destacados de la ciudad. Los monumentos a los Caídos por Dios y por

España erguidos tras la guerra siguieron ubicados en las plazas de cientos de pueblos en

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todo el Estado. Cuando estos fueron construidos “En ellos latía una intención política deafirmación del nuevo régimen, un régimen que, en función de su exclusiva idea de loque era España, dejaba fuera del impulso conmemorativo a esos otros españolesderrotados y humillados de la anti-España” señala Zira Box21, una idea que prevaleció alno desarticular su presencia y no contradecirla con un nuevo discurso, por la fidelidadal régimen presente en muchos de los gestores políticos tras la Transición22. Encontraste, para 1992 el gobierno de Felipe González apostó por la reivindicación delpasado colonial de España en la conmemoración del denominado “V Centenario delDescubrimiento de América”, por la cual Cristóbal Colón goza de un espacioprivilegiado en las plazas de Sevilla23. El Museo de América es reinaugurado reciclandoel proyecto museístico de la Dictadura, que precisamente se integra con el Arco de laVictoria y el programa monumental fascista elaborado para el entorno de Moncloa enMadrid, por donde entró el ejército sublevado en la ciudad24. A ello se sumó una apuestapor la escultura en el espacio público vacía de sentido, que en el marco del grandesarrollo urbanístico de las décadas de 1980 y 1990 se materializó en la cultura de larotonda, elemento vial que se aprovecha para la instalación de obras plásticasheterogéneas pero estandarizadas en su falta de coherencia con el entorno y ladesconexión absoluta con la historia del lugar donde se emplazaban25.

2. Volver a las fosas y conectarlas a la ciudad

8 Frente a esta situación, ya en los años setenta, los primeros monumentos comienzan a

ser construidos, cientos de ellos en todo el estado. Bien sobre las propias fosascomunes, cuando estas se ubicaban en los cementerios, bien como panteones en loscementerios tras la exhumación ‒muchas veces clandestina‒ de los cuerpos26. Monolitos,jardines, esculturas, placas y panteones que explicitan que allí se encuentran loscuerpos de personas asesinadas, permiten significarlas políticamente haciendoreferencia a que “Murieron por la Libertad” o que fueron “Asesinadas”. Laheterogeneidad es absoluta, muchas veces reproducen las estructuras de los panteonesfamiliares, pero en otras se apuesta por formular una nueva identidad monumentalbasada en esculturas abstractas, obeliscos o monolitos. Todas ellas, no obstante,comparten la función de señalizar un patrimonio incómodo : la fosa común heredada.Sin embargo, estas prácticas monumentales solo ocurren intramuros del cementerio,un espacio que en la geografía urbana española está relegado, como se ha mencionado,al exterior de las ciudades27. Además, la producción de estos monumentos no ha estadoexenta de dificultades, trabas institucionales e incluso acciones violentas contra ellos.Se trata de iniciativas públicas, pero que fueron invisibles para el gran conjunto de lasociedad. Se les dio una escasa cobertura mediática, con excepciones como las delmedio amarillista Interviú28. El monumento sobre las fosas comunes o erguido junto conlos cuerpos exhumados se convirtió en un espacio no solo de duelo sino también dehomenaje político. Partidos y sindicatos han acudido durante décadas a estos lugares el14 de abril en la conmemoración de la proclamación de la República en 1931, el 1 demayo, Día Internacional de los Trabajadores o el 18 de julio, aniversario del golpe de1936, ante la ausencia de un lugar más adecuado en el centro del espacio público. Estoseventos se han producido siempre de manera abierta, el cementerio no deja de ser unlugar de libre acceso, municipal en la mayoría de los casos. Pero esa apertura nocorresponde con lo que podría entenderse como espacio público en la tradición liberaldel término : la plaza en tanto que espacio donde se representa y se describe ante la

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ciudadanía el estado, quien pertenece al mismo por su presencia en él, y quien no, porsu exclusión29.

9 A la hora de realizar las exhumaciones durante los años setenta, existía una necesidad

de que los cuerpos fuesen enterrados en el cementerio. A ello pueden asociarse dosgrandes lecturas : por una parte, atiende a una necesidad de sepultura en base a latradición cristiana30, pero por otra era retornarlos al espacio urbano como ciudadanosexcluidos del mismo. Dada la falta de recursos científicos y de apoyo institucional, laexcavación permitió la recuperación colectiva de los restos, pero no su identificación.Estas iniciativas tuvieron características propias en cada lugar, pero fueron siempreprotagonizadas por familiares, militantes y allegados anónimos, quienes gestionaronpor sí mismos la propia intervención. Generalmente autofinanciadas, se creabancomisiones gestoras y eventualmente lograron apoyo municipal31. Su exhumación, teníaun componente de ritual funerario. No habían sido enterrados adecuadamente, y elemplazamiento, fuera de la ciudad implicaba una humillación, que no solo se vinculabaasí a la violenta distribución de los cuerpos. Bajo este patrón, en el marco de este tipode acciones se encuentra como práctica habitual que tras la exhumación en regionescomo Navarra y la Rioja, se transitase con los cuerpos por el centro las localidadesconcernidas por la exhumación. Jesús Aguirre ha recogido en su trabajo sobre larepresión en La Rioja numerosas fotografías de las mismas32. Se puede ver en ellas amultitudes que sobrepasan el número al que podrían representar los simples familiares.Una de estas experiencias es la que en 1977 tuvo lugar en Cervera del Rio Alhama. AllíJosé Vidorreta, cuyo padre fue asesinado en 1936, gestionó la exhumación de su propiopadre y sus compañeros, y organizó un evento de este tipo. Recorrieron las calles ypasaron frente a las casas de los asesinos con los cuerpos, al grito de “Viva laRepública”33. Sin embargo, en todos los casos, el destino final de los restos sería elcementerio. De nuevo un espacio de ostracismo para la urbanidad moderna, donde aúnhoy se reúnen militantes y familiares los días de fusilamiento o en la festividad de losSantos. Y quizás conscientes de esa exclusión de la centralidad del espacio, desde hace40 años se reúnen en cementerios estas particulares comunidades, tras una marchadesde el centro del espacio urbano. Un ejemplo de ello puede encontrarse en DosHermanas, provincia de Sevilla. Allí cada 18 de Julio, aniversario del fracasado golpe deestado, convocados por Pepe Sánchez, histórico militante local se produce una marchadesde el centro de la ciudad hasta la fosa común monumentalizada34. De esta maneraestarían convirtiendo la propia peregrinación desde el centro de la ciudad en parte delritual de duelo, pero a la vez uniéndose a una reivindicación que no claudica.

10 Este es un componente fundamental para entender la dimensión urbana de estas

prácticas, especialmente dado que estas iniciativas no se produjeron solamente en losaños setenta. Se han sostenido en el tiempo. De hecho, una de las iniciativas másgrandes en este sentido tiene lugar desde 1997, en Valencia, última capital de laRepública Española. La comunidad militante local, disidente de las grandes formacionesde izquierda, comenzó a organizar actos de homenaje cada 14 de abril, día de laRepública. Cada año se concentran junto al río Turia, en el centro de Valencia, decenasde coches. Portan banderas republicanas, anarquistas, comunistas… y llegado elmomento comienzan un recorrido por las calles de la ciudad, que vive ajena a supasado. A través de una observación de la acción misma en 2019, era fácil reconocer,por una parte, el carácter festivo y de orgullo de los componentes de aquella caravana35.Es el día en el que tiñen la ciudad de sus colores y entre los edificios suenan los ecos de

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canciones republicanas. Pero, por otra parte, el ambiente contrasta con la perplejidadque reflejan los rostros de la mayor parte de los transeúntes. Para ellos el 14 de abril esun día más en el calendario. Pese a ello, resulta evidente que esta no es una ocupacióndel espacio cualquiera : como cada año tras dos horas de recorrido, se finaliza lacaravana en la periferia de la ciudad. Precisamente en una encrucijada de carreterasdonde lejos del núcleo urbano se ubica el cementerio de Paterna, donde más de 2.000cuerpos fueron enterrados36. Allí la ruta termina con palabras de reivindicación,recuerdo y ofrendas florales37.

11 Y más marchas siguen surgiendo y he podido tomar parte en ellas y documentar otras

en regiones como Castilla, Extremadura o Andalucía. El 18 de julio de 2019 se organizópor primera vez una marcha de este tipo en el Puerto de Santa María, Cádiz, en elaniversario del golpe y conectando el que fue centro de reclusión en el Puerto con lafosa común, ambos puntos ya monumentalizados38. La recurrencia de estas accionesrevela una práctica discreta pero necesaria para estas comunidades de militantes yfamiliares : no solo haber hecho la fosa visible a través del monumento sino acudir aella, desde el centro de la ciudad que les ha sido negado. Hacerse visibles, interrumpirel espacio vivido con su memoria traumática, comunicar la reivindicación y el dolor enel escenario de las calles. Y esto tiene una conexión no solamente con el pasadotraumático, sino con el aspirar a que se haga justicia y que se dé una nueva presencia ala historia en la ciudad.

3. Búsqueda de justicia y justicia espacial

12 Xulio García Bilbao, miembro del Foro por la Memoria de Guadalajara me explicaba, a

propósito de los eventos de homenaje que tenían lugar en el cementerio, que el 14 deabril, Día de la República, no acudían allí como hacían otras organizaciones políticas.Por el contrario, afirmaba que el 14 de abril ellos debían estar en el centro de laciudad39. Que precisamente la conmemoración y reivindicación del Día de la Repúblicasea condenada al cementerio como ocurre en muchos municipios donde existen fosascomunes monumentalizadas, habla de una falta de justicia espacial en base a ladefinición de Edward Soja. Este plantea como las acciones humanas tienen lugar encentros concretos. El hecho de que se trate de un espacio concreto inevitablementecondena a unos y a otros a disfrutar de ventajas y a sufrir desventajas, según suubicación. De ello se traduce que la ciudad se haya convertido en un lugar privilegiadoen el marco de las relaciones sociales y económicas actuales. La marginalización en lamisma implicaría así restringir precisamente la participación en la vida social de laciudad a un segmento concreto de la población, lo cual precisamente pone en conflictotales acciones con las nociones de ciudadanía de pleno derecho, democraciarepresentativa y justicia social40. Exactamente de esa situación se entendería que, antela ausencia de participación en la vida social de la ciudad en el plano de larepresentación simbólica a través de memorias culturales tales como el monumento, sepida presencia en la misma. Y ésta no sería sino la demanda por una redistribución delos recursos sociales entre las cuales también se encontraría la espacialidad. Estaríamoshablando entonces de justicia territorial, en los términos de David Harvey41, la cual seencontraría implícita, aunque velada, en las demandas de justicia de los movimientosen torno a la Memoria Histórica.

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13 Almudena Grandes en su recién publicado La herida perpetua señala a propósito de la

Memoria Histórica, que antes de pasar página, hay que leerla42. Sin embargo, esta es aúnuna página del pasado por leer, y el modelo de monumento conmemorativo construidotras la Segunda Guerra Mundial incluso aparenta estar obsoleto. Los modelos en laEuropa de hoy son superados a través de las propuestas del memorial o el contramonumento43. Pero son propuestas que aún no pueden llegar ya que no existen lospropios monumentos a demócratas, luchadores antifascistas o víctimas del fascismo enlos centros de las ciudades. Por el contrario, sobreviven avenidas y estatuas a losperpetradores44. El doble juego de dejar hacer activismo memorialista, sin llegar apromover una política de la memoria activa, marca la agenda política en muchasocasiones si revisamos la mayor parte de las políticas de la memoria de las últimasdécadas. Desinterés por judicializar el conflicto, y privatizar la memoria, como críticaabiertamente el Foro por la Memoria45. La producción social del espacio, siguiendo elconcepto de Henri Lefebvre46, nos lleva a que no podamos percibir en él las violencias nipasados traumáticos, pues se han concebido los monumentos desde el ostracismo y lamarginalización en la ciudad. Esto solo se rompe los días que la comunidad decideactivar sus peregrinajes hasta la evidencia del crimen : la fosa común.

14 La fosa común monumentalizada es la que ha permitido que no desaparezca por

completo la presencia en el espacio público de estas memorias. Empero, al no ser que sepertenezca a la comunidad en la que se inscriben, estos lugares no han sidogeneralmente puestos en valor por las autoridades (con excepciones como la del Fossarde la Pedrera en Barcelona47). Pese a todo, la fosa común es un objeto del cual no serealizaban representaciones como tal. La fosa común resulta un patrimonio, unaherencia, y cuando se fotografiaban las exhumaciones en los años setenta se producíanimágenes testimoniales, se producían folletos, textos y fotografías ya que como señalaJimi Jiménez “estas familias, de alguna manera, fueron conscientes de que lo queestaban viviendo era algo especial, y que merecía ser recordado”48. Pero hubo muchasque nunca se localizaron, o en las que nadie se atrevió a intervenir. Así llegados losinicios del nuevo milenio, la fosa había sobrevivido en la memoria de una maneraabstracta al mismo tiempo que la situación política cambiaba. El Partido Popular,heredero de la Alianza Popular fundada por Manuel Fraga, ministro de Franco, llegó alpoder en 1996 y en el año 2000 obtuvo mayoría en el Congreso. Ante la crisis de valoresde izquierda por parte del PSOE y del PCE en dicha situación, el pasado se convirtió enun arma electoral y la denuncia de los crímenes comenzó a ser incluida en losprogramas y propuestas parlamentarias49. El PSOE necesitaría en ese momentorecuperar su imagen como partido de izquierda y progresista, sostiene Fernández deMata, ya que tras una larga estadía en el gobierno marcada por el reformismo,moderantismo y revisionismo de sus principios socialistas habían llevado al partido nosolo a perder el gobierno sino también su imagen socialista. De esta manera planteaFernández de Mata, durante la segunda legislatura del Partido Popular, el PSOEinvertiría en el capital simbólico de las víctimas para reconstruirse a través de unareferencialidad al partido histórico y a sus votantes50.

15 Tras la llegada al gobierno del PSOE en 2004 entran en vigor una serie de medidas que

respaldarían, al menos parcialmente, la posición que habían adoptado desde laoposición. Se crea ese mismo año, por decreto, la Comisión Interministerial para elEstudio de la Situación de las Víctimas de la Guerra Civil y del Franquismo ycomenzarían a subsidiarse desde Presidencia del Gobierno actividades relacionadas con

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la denominada “Recuperación de la Memoria Histórica”. Numerosas iniciativascomienzan a tener lugar y el año 2006 sería consagrado como “Año de la MemoriaHistórica”. Un año después se aprueba la “Ley 52/2007, de 26 de diciembre, por la quese reconocen y amplían derechos y se establecen medidas a favor de quienespadecieron persecución o violencia durante la Guerra civil y la Dictadura” conocidacomo Ley de la Memoria Histórica. En este sentido Aguilar observa cómo la Memoria

Histórica pasó a ser desde el inicio de la legislatura, un eslogan, una bandera para laizquierda y los nacionalistas. Para ellos, la memoria era necesaria en tanto que suponíala recuperación de una tradición democrática a la cual ellos mismos se vinculabanahora, mientras que si lo hubiesen hecho durante la transición podían haber sidotildados de revanchistas o nostálgicos51. Al mismo tiempo estas políticas de la memoriavenían de la mano de una retórica de implicación a nivel internacional en el juicio aviolaciones de los Derechos Humanos. Esto queda constatado cuando tras losenjuiciamientos contra las dictaduras chilena y argentina por parte del juez BaltasarGarzón, continúa con los crímenes imputables a la sublevación, Guerra y Dictaduraespañola52. Pero para enlazar dicho debate público con las fosas comunes debeprestarse especial atención el hito mediático que supone la exhumación de una fosacomún en El Bierzo en el año 2000. Para los medios esta exhumación inicia un nuevoproceso impulsado por los nietos y los movimientos de recuperación de la memoria histórica,que crearon asociaciones de memoria como la Asociación para la Recuperación de laMemoria Histórica (ARMH)53. Este tipo de organizaciones resultan de vital importanciaen el proceso, pero a su vez iban a jugar un rol político fundamental, entendiendo queel apoyo a las exhumaciones podía ser un instrumento para la legitimación política enun momento de crisis de identidad del PSOE54.

16 La ARMH “central” monopolizaría por su parte muchos de los debates y actuaciones,

viéndose favorecida por el marco legal impuesto por el PSOE para el fomento de unmodelo privatizado de las exhumaciones de fosas comunes. Además, resultafundamental comprender cómo basan su retórica en los Derechos Humanos, llegando aacudir al Comité para las Desapariciones Forzadas de Naciones Unidas, en lo queFrancisco Ferrándiz ha denominado “el descubrimiento de las desapariciones forzadas enla España contemporánea”55. Y esto se manifiesta en otras formas, no artísticas, pero síde intervención en el espacio público en el marco de sus protestas : la importación de laronda de cada jueves organizada por las Madres de Plaza de Mayo fue incorporada pordiversas organizaciones en esta misma línea de apelación a la justicia internacional deeste nuevo juego discursivo, convirtiendo esa ocupación semanal del espacio público enun signo de identidad. Carla Pina describía así la actividad :

Buscan acabar con la impunidad de los crímenes cometidos durante la Guerra Civily la posterior dictadura. Con ese objetivo se reúnen cada jueves, desde queinhabilitaron al juez Baltasar Garzón, en la madrileña Puerta del Sol, en lo que hanllamado la Ronda de la Dignidad. Una plataforma que reúne a afectados directos deltardofranquismo y familiares de segunda o tercera generación, así como aasociaciones y diferentes grupos. Este día de la semana, llueva o nieve, rodean laestatua ecuestre de Carlos III y paran en cada vuelta frente a la fachada de la RealCasa de Correos, antigua sede de la Dirección General de Seguridad, recordando alas víctimas de torturas56.

17 Esta iniciativa, sin embargo, pese a ser altamente visible, no ha llegado a tener la fuerza

que tenía el rondar en el contexto represivo de la Dictadura de la Junta Militarargentina. Aunque no deja de ser sintomática del estado actual de los procesos dejusticia y las políticas de la memoria y su relación con el espacio público a la hora de

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representarse. Especialmente porque a la vez que surge esa iniciativa tambiéncomienza el uso de la propia imagen de la fosa en las manifestaciones. En variasocasiones se ha podido ver en la misma Puerta del Sol, y utilizada por la mismaorganización una gran lona que reproducía a tamaño real la fosa de La Andaya, Burgos,con los cuerpos esqueléticos visibles57. Tanto es así que el asesinado ya no esrepresentado en el núcleo del centro urbano a través de la puesta en escena políticatradicional, donde se lo reivindicaba como un agente político, sino ahora como uncuerpo violentado a ser recuperado tras décadas enterrado en una fosa. De este modo,la negación de ese estatus de víctimas por parte de las instituciones sería un factordeterminante en la constitución de la ARMH58 y otras organizaciones en este momento,que pasan a reclamarlo. El dolor se convierte así en catalizador esencial para elactivismo59. Pero la reivindicación de los asesinados como agentes políticos, tal y comose había hecho tradicionalmente desde el socialismo, el anarquismo y el comunismo,pierde su lugar en ese discurso. Estas personas, asesinadas décadas atrás pasan a sersolo considerados como víctimas y su recuperación corresponde al ámbito privado, yúnicamente puede ser demandada por los familiares según recoge la Ley de Memoria

Histórica de 200760.

4. La fosa hecha grafiti

18 Es así como llegamos al proyecto de Alto en los muros de Tabacalera, centro social

autogestionado en el corazón de Madrid, en 2014, y a lo que el arte urbano nos dice delos procesos de memoria en las últimas décadas. La imagen utiliza tonos apagados,como de fotografía echada a perder : colores beis, negro y blanco. En la franja superiordel mural aparecen nueve cuerpos, con vestimentas que también asociamos a épocaspasadas : con faldas, chaquetas y sombreros. Por estas prendas deducimos su género.Mujeres, hombres, niñas y niños, entrelazados en abrazos y apoyados unos sobre otros.Sin embargo, algo perturba estos cuerpos. No tienen rostros. Alto los ha representadocon manos y piernas. Es decir, vemos carne. Están erguidos, no son solo ropa. Pero notienen rostros, como si fuesen invisibles en esa parte del cuerpo esencial para laindividualización e identificación. Las ropas quedan vacías. Bajo ellos, en la franjainferior del mural, se amontonan huesos desordenados. Si contamos el número decalaveras, coinciden con el número de cuerpos sin rostro. Junto a ellas un enunciado“Contra la impunidad de los crímenes franquistas”. Materializada la imagen, Alto laexplicaba así para un medio online :

Pillé una foto real, de una familia de la guerra, y quería que se vieran dos cosas : lacantidad de gente enterrada sin que los reconozcamos y la reflexión de cómo hemosperdido la cabeza porque no queremos revisar el pasado. […] Fue el punto departida. Luego quise continuar, documentarme bien y ponerle número a cada fosa.Pretendía ser más riguroso con los datos, pero me di cuenta que lo importante eravisibilizarlo. […] Me había interesado desde hacía tiempo, aunque no tengo ningúnfamiliar en esa situación. En cualquier caso, me siento identificado con los queatraviesan un problema así y, además, es nuestra historia61.

19 Las palabras del artista en relación a este proyecto nos hablan del potencial de ruptura

de continuidad en el espacio vivido que puede suponer encontrarse con estasrepresentaciones de fosas comunes que durante décadas han estado fuera del debatepolítico. Visibilizarlas, pues pese a estar monumentalizadas en cientos de lugares, sondesconocidas para la mayoría de la sociedad. No obstante, hay que entender que

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trasluce en este contexto la impronta del paradigma forense por encima del político. Elpropio artista reconoce su no vinculación familiar con asesinados en fosas comunes, delo que asume que debe de haber una vinculación familiar para tener este tipo demotivaciones. Pero lo interesante es que no se refiere por tanto a una fosa concreta,aquella vinculada con la experiencia familiar o comunitaria, sino a fosas en abstracto.De hecho, la obra de Tabacalera es una de otras muchas representaciones de fosas quehizo en otros puntos de la geografía estatal como fosas que surgían de las esquinas,mostrando huesos y que eran numeradas de manera ficticia. Como si un número fuesela única manera de mentar esa acumulación de huesos.

20 Encontramos además en esta conversión de la fosa en “arte urbano”, pese a que a veces

el grafiti sea relegado a un segundo plano dentro del mismo62, que no se explicita laagencia política de las personas que fueron asesinadas. Y esto no deja de remitirnosprecisamente a una despolitización que tiene su lugar en los movimientos que se hanproducido en torno a esta imagen. Los grafitis de Alto cristalizan así una realidad muchomás compleja a la de los crímenes de 80 años atrás. El discurso de los Derechos Humanos

son el nuevo paradigma63, y ya no tanto en el de la reivindicación de los valores y causaspolíticas de las personas asesinadas. Lo inquietante de estas imágenes quizás sea queAlto no solo las despoja de los rostros, sino que nos muestra cuerpos que ya han sidodespojados de su carne, pero hoy también se pretende desde ciertos sectores socialesdominantes, y desde la legislación, que también lo sean de su ideología y de ladimensión política por la que fueron asesinados. Manuela Bergerot, en relación a sucolaboración con Alto, afirmaría “el movimiento memorialista necesita una nuevaestética, un nuevo lenguaje que llegue a la ciudadanía, a generaciones más jóvenes”64.Pero, a pesar de esta afirmación no dudo que está llena de buenas voluntades, ¿es éstauna estrategia de representación un acercamiento a la sociedad en su conjunto ? ¿o porel contrario consecuencia de un leitmotiv ?

Conclusiones

21 En relación al Street Art contestatario y reivindicativo en el Estado Español, Anne Puech

afirma que

En somme, ces interventions artistiques pourraient établir un rapport de force avecles institutions et peut-être parvenir, à plus long terme, à modifier l’ordre établi,mais seulement si elles s’inscrivent dans un plus large panel d’actions citoyennes etcohabitent avec les anciennes et les nouvelles modalités de la contestation, plusdynamiques et mobilisatrices. [...] Pour le moment, nous nous limiterons àconstater que cette modalité a le mérite de témoigner du transfert de la démocratiedans une pratique quotidienne et de la capacité d’action de la société civileespagnole. Elle permet d’entretenir un esprit critique et de maintenir une forme deprotestation et de résistance citoyenne65.

22 Este planteamiento no puede ser más revelador tras el breve, pero largo en el tiempo,

recorrido desde los crímenes iniciados en 1936 hasta las fosas comunes pintadas porAlto en 2014. Precisamente cristaliza el hecho que señala Jesús Izquierdo a propósito decomo el relato basado en la oclusión de unos y el ensalzamiento de otros, requeriría de“la promoción de políticas pluralistas de la memoria que desestabilicen, de una vez portodas, la narrativa porque nos construyó como los ciudadanos que por ahora somos”66.

23 Alto clama contra la impunidad. Contra la impunidad es necesaria justicia. Para la

justicia ha sido necesaria la acción familiar y militante durante décadas. Gracias a ellos

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se han conservado las fosas comunes en tanto que monumentos y desde ellas se hanelaborado estrategias simbólicas para no olvidar el pasado. También habitando laciudad en marchas y caravanas. Así, si bien es cierto que la supremacía de las imágenesde las exhumaciones y la retórica (únicamente retórica) de los Derechos Humanos hanhecho invisibles otras muchas demandas, se pone de manifiesto la profunda injusticia.Injusticia no solamente por los crímenes no investigados, sino también la referente alespacio. El grafiti, si bien aporta una nueva estética y lenguaje más vinculado a losjóvenes, no dota de un lugar privilegiado al representado. Ocupa muros en desuso,como los de la Tabacalera en Madrid. Si bien se interrumpe el espacio vivido con susimágenes, no dejamos de verlas como una consecuencia de la narrativa hegemónica delos sucesos en la actualidad.

24 En síntesis, querría concluir con la idea de cómo el estatus de víctima tiene mucho que

ver con el de ser reconocido en tanto que ciudadano con derechos67 y precisamente el deciudadano tiene que ver con el de ciudad68. Así, pasar de señalar la fosa en el ostracismourbano a representarla en la calle en un espacio no privilegiado, después de décadas demarchas desde el centro urbano hasta las fosas comunes, resulta sintomático de esasituación. Los asesinados no son ciudadanos, están excluidos tanto fuera de la ciudad

como fuera de las categorías jurídicas que los podrían llegar a considerar como víctimas.Tampoco su contribución, que podría ser recuperada en tanto que defensa de losvalores cívicos republicanos69 es recuperada para honrarles simbólicamente a través delarte urbano. Así, si bien hacer la fosa visible tiene un papel mediático indudable a la horade remover conciencias, conectar el centro de las ciudades, con las mismas, tiene unpapel esencial en la construcción simbólica del espacio. Evitar que los cuerpos sepierdan no solo tendría una función judicial en la búsqueda de justicia en los marcos delestado, sino también la de crear una nueva percepción del espacio. Un espacio que aundeslegitima a los asesinados y no los pone en valor. Interrumpirlo con surepresentación surge en estas experiencias como un medio en la búsqueda de justicia yen la construcción de referentes, bien sea en el formato de monumentos, marchas ografitis.

NOTAS

1. Paloma AGUILAR FERNÁNDEZ, “Aproximaciones teóricas y analíticas al concepto de memoria

histórica : Breves reflexiones sobre la memoria histórica de la Guerra Civil Española (1936-1939)”,

Historia a debate : actas del Congreso Internacional Celebrado del 7 al 11 de julio de 1993 en Santiago de

Compostela, vol 2, 1995, p. 129-142.

2. Disputed memories : Monumental practices on Spanish Civil War mass graves es un proyecto

financiado en el marco del programa a.r.t.e.s. EUmanities, que ha recibido financiación del

programa de investigación e innovación Horizonte 2020 de la Unión Europea en el marco del

acuerdo de subvención Marie Skłodowska-Curie nº 713600.

3. SUBTIERRO : Exhumaciones de fosas comunes y derechos humanos en perspectiva histórica,

transnacional y comparada (Proyecto I+D+i CSO2015-66104-R) dirigido por Francisco Ferrándiz en el

Instituto de Lengua, Literatura y Antropología - Consejo Superior de Investigaciones Científicas.

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Warburg, Madrid, Abada Editores, 2013, p. 34-35.

8. Ángel VIÑAS MARTÍN, “La internacionalización de la Guerra Civil de España”, Anuario del Instituto

de Estudios Zamoranos Florián de Ocampo, n° 3, 1986, p. 615–631.

9. Paul PRESTON, The Spanish Civil War: Reaction, Revolution and Revenge, London, Harper Perennial,

2006, p. 102-34.

10. Francisco ESPINOSA et al., Morir, matar, sobrevivir : La violencia en la dictadura de Franco, Barcelona,

Booket, 2004, p. 79-108.

11. Santos JULIÁ, Víctimas de la Guerra Civil, Madrid, Temas de Hoy, 1999.

12. Francisco ESPINOSA et al., Morir, matar, sobrevivir, Op. cit.

13. Francisco ESPINOSA, Violencia roja y azul: España, 1936-1950, Madrid, Crítica, 2010.

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60. Ley 52/2007, de 26 de diciembre, por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen

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63. Francisco FERRÁNDIZ MARTÍN, “De las fosas comunes a los derechos humanos : el descubrimiento

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65. Anne PUECH, “Street Art contestataire et revendicatif dans l’Espagne du début du xxie siècle  :formes et pouvoir d’un engagement esthétique, social et politique”, Cahiers de civilisation espagnole

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67. Gabriel GATTI, María MARTÍNEZ, “El campo de las víctimas. Disensos, consensos e imaginarios

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68. Carlos MAGINO RODRÍGUEZ, “La concepción de la ciudad, de la ciudadanía y del ciudadano en

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RESÚMENES

Las fosas comunes son uno de los legados más controvertidos del golpe de estado de 1936 y de la

posterior guerra y dictadura en España. Son la consecuencia de un plan de genocidio planificado

y el debate se ha monopolizado en torno a la supuesta Memoria Histórica. Propongo confrontar

los debates actuales sobre justicia y representación con diferentes manifestaciones de la memoria

cultural. Los monumentos, las marchas y los grafitis permiten reconocer una deriva desde la

simple señalización de las fosas comunes hasta la insatisfacción por la falta de justicia. Una falta

de justicia que no sólo se limita a los crímenes de la Guerra y la Dictadura. También existe un

vínculo con la espacialidad. Las estrategias para la preservación de las fosas comunes son

similares a las de la visibilidad en el espacio público. Debido a sus características, las fosas

comunes se encuentran en las afueras de la ciudad. Por lo tanto, la exclusión de los asesinados de

su sociedad refleja la exclusión de su representación en el espacio público. Las estrategias más

recientes, ilustradas por un caso concreto de graffiti en las fosas comunes, cristalizan el estado de

las demandas de justicia y las posibilidades de representación en el espacio público de quienes

fueron asesinados hace 80 años.

Les fosses communes sont l’un des héritages les plus controversés du Coup d’État de 1936, de la

Guerre et de la Dictature qui s’ensuivirent en Espagne. Elles sont la conséquence d’un programme

de génocide planifié et le débat a été réduit à ce que l’on nomme la Mémoire Historique. Je

propose de confronter les débats actuels sur la justice et la représentation avec différentes

manifestations des mémoires culturelles. Les monuments, les marches et les graffitis permettent

de reconnaître une évolution de la simple signalisation des fosses communes au mécontentement

dû à l’absence de justice. Un manque de justice qui ne se limite pas seulement aux crimes de la

Guerre et de la Dictature. Il existe aussi un lien avec l’espace. Les stratégies de préservation des

fosses communes rejoignent celles de la visibilité dans l’espace publique. En raison de leurs

caractéristiques, les fosses communes se trouvent à la périphérie de la ville. Par conséquent,

l’exclusion des personnes assassinées de leur société reflète l’exclusion de leur représentation

dans l’espace public. Les stratégies plus récentes, illustrées par un cas spécifique de graffitis sur

des fosses communes, cristallisent le statut des demandes de justice et les possibilités de

représentation dans l’espace public de ceux qui ont été assassinés il y a 80 ans.

The mass graves are one of the most controversial legacies of the 1936 coup d’état, and

consecuent war and dictatorship. These are the consequence of a planned genocide plan and

even today, they are a complex heritage. The debate has been monopolized around the field of

so-called Historical Memory. I propose to confront the current debates on justice and

representation with various manifestations of cultural memories. Monuments, rallies and graffiti

make possible to recognize a drift from the simple marking of the mass graves to the discontent

on the lack of justice. A lack of justice that is not only limited to the crimes of the war and the

dictatorship. This is also link with spatiality. The strategies to preserve the graves join those to

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get visibility in the urban space. Because of their features, the graves are on the outskirts of the

city. Consequently, the exclusion of the murdered from their society reflects the exclusion of

their representation from the public space. The most recent strategies, illustrated in a specific

case of graffiti on mass graves, crystallize the status of the demands for justice and the

possibilities of representation in public space of those murdered 80 years ago.

ÍNDICE

Mots-clés: mémoire, art urbain, patrimoine, guerre, histoire, justice

Palabras claves: memoria, arte urbano, patrimonio, guerra, historia, justicia

Keywords: memory, urban art, Heritage, war, history, justice

AUTOR

DANIEL PALACIOS GONZÁLEZ

(Universität zu Köln y Universidad Autónoma de Madrid)

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Street art et mémoire à Medellín :du déni au défiArte callejero y memoria en Medellín: de la negación al desafío

Street art and memory in Medellín: from denial to challenge

Françoise Bouvet

Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous,savoir ce que voit un autre de cet univers qui

n’est pas le même que le nôtre, et dont lespaysages nous seraient restés aussi inconnus que

ceux qu’il peut y avoir dans la lune.Marcel Proust

1 Il est des villes autour desquelles se sont construites de véritables mythologies

urbaines, des villes dont le nom convoque les imaginaires par-delà les frontières, etMedellín est de celles-ci depuis que, dans les années 80, son fameux cartel a défrayé lachronique par sa richesse, sa puissance et ses exactions. Étrangement, c’est lors decette même décennie sanglante que sont apparus les premiers graffitis sur les murs dela capitale paisa1, prémices d’un street art aujourd’hui profondément enraciné dans lacité. S’il est vrai que l’art a toujours eu une capacité à lire le présent, relire le passé etanticiper l’avenir, le street art florissant de Medellín interroge sur les rapportsqu’entretiennent les artistes urbains avec la mémoire de cette ville marquée depuisplus de 50 ans par les conflits et la violence, et avec celle de ses habitants qui ont tropsouvent vécu sous la loi du silence.

2 À travers les exemples de deux quartiers de Medellín, l’occidentale et célèbre Comuna 13

et l’orientale Comuna 9, nous verrons qu’en ce début d’année 2019, les jeunes street

artistes suivent des voies très différentes, lesquelles reflètent parfaitement lescontradictions d’une ville résolument tournée vers l’avenir mais qui n’en finit pas depanser ses plaies et n’a toujours pas résolu sa trouble relation à la figure de PabloEscobar, le baron de la drogue décédé en 1993, mais dont l’ombre plane encore sur lacité.

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3 Après avoir fait un point sur Medellín, son histoire, sa configuration, et sur la manière

dont le street art l’a peu à peu investie, nous nous intéresserons à la Comuna 13 pournous demander quel visage souhaitent donner les jeunes artistes à ce quartierfortement marqué par un contexte socio-économique difficile et par des conflits qui àpremière vue transparaissent peu sur les murs : s’agit-il d’une attitude de déni ou aucontraire de défi ? La même question se posera ensuite pour la Comuna 9 qui, à l’inverse,voit fleurir sur ses façades le visage de Pablo Escobar et différents symboles qui lui sontassociés, autour d’un projet de musée « street artistique » à ciel ouvert. Par ce regardcroisé, nous tenterons de comprendre si les street artistes de Medellín contribuent àcréer une nouvelle identité urbaine, s’ils sont des passeurs de mémoire ou au contrairedes vecteurs d’avenir, et si leur art s’inscrit encore dans cette dimension subversiveindissociable des premiers graffeurs urbains ou s’il répond au contraire à une culture, àune société qui les formatent.

Medellín, entre violence et modernité

4 La ville de Medellín, capitale du département d’Antioquia, est, avec plus de 3 millions

d’habitants, la deuxième ville la plus peuplée de Colombie. Située dans la valléed’Aburrá, au nord-ouest du pays, elle est traversée du sud au nord par le fleuveMedellín, et s’est agrandie de part et d’autre de ses deux rives, sur les versants de lamontagne, au fil des arrivées de population. Si un commerce florissant a permis sondéveloppement à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, notamment grâce à l’or etau café, c’est par le biais de l’industrie qu’elle a véritablement pris son essor au XXe

siècle (textile, tabac, chaussures, soda…). Un grand plan d’urbanisme voit alors le jourdans les années 50 : il s’agit de canaliser le fleuve, de construire des zonesadministratives et industrielles, et de contrôler l’établissement des populations. Desquartiers entiers du centre ville sont rasés afin de laisser la place à de grandsimmeubles modernes, et les habitants locaux les moins aisés se voient refoulés vers lesversants de la montagne, rejoints par une population de migrants et de déplacés quiatterrissent dans la capitale paisa poussés par la pauvreté et la violence qui sévissentdans les zones rurales2. Durant les 60 premières années du XXe siècle, la population deMedellín s’est vue multipliée par 13 et la municipalité peine à gérer les bidonvilles quipoussent comme des champignons à sa périphérie.

5 Dans un tel contexte, la récession des années 70 va toucher la ville plus durement

encore que le reste du pays et c’est à cette époque que la contrebande, puis lenarcotrafic, vont se développer, perçus par beaucoup comme des solutions pour sortirde la crise et du chômage. Mais des groupes guérilleros tels que le M-19, l’ELN, l’EPL oules FARC3, perturbent les activités de ce qui devient une véritable mafia de la cocaïne, eten 1981, suite à l’enlèvement de Martha Ochoa, la sœur de deux leaders du narcotrafic,Pablo Escobar et Carlos Lehder réunissent tous les capos de la région pour fonder leMAS (Mort aux ravisseurs), groupe paramilitaire d’autant plus violent et déterminéqu’il est richement doté : ainsi se consolide le cartel de Medellín, autour de celui qu’onappellera désormais El Patrón. Et lorsque le président Belisario Betancur négocie avecles États-Unis un accord d’extradition des narcotrafiquants colombiens4, le cartel selance dans une guerre terroriste contre l’État : Medellín va alors vivre au rythme desbombes et des assassinats. Les jeunes des quartiers pauvres sont recrutés par Escobarou par la guérilla pour intégrer les troupes ou devenir sicarios, des tueurs à gages

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agissant le plus souvent depuis une moto. La police, l’armée, les fonctionnaires d’État etde la Justice sont des cibles de choix, mais les affrontements sont également nombreuxentre le cartel, les mouvements guérilleros et de nouveaux groupes paramilitaires,d’extrême droite cette fois, les AUC5. Les civils sont fortement touchés par ces violencesqui les font vivre dans la peur et les marquent à vie. Tout medellinense vous le dira : àcette époque, on ne sortait pas de chez soi, ou très peu, et quand on le faisait, c’étaittoujours avec une pièce de monnaie en poche. Il fallait pouvoir à tout moment appelerà la maison pour rassurer ses proches : « oui il y a bien eu un attentat, non je n’ai rien ».

6 C’est dans cette ambiance peu propice qu’apparaissent pourtant les premiers tags et

graffitis sur les murs de Medellín. Derrière la démarche d’un tagueur se cache, d’aprèsla critique d’art Stéphanie Lemoine, une vision de la ville « comme terrain de jeu etcomme parcours d’obstacle dont il s’agit d’outrepasser les limites »6 ; Jérôme Catzévoque, lui, un état d’esprit rebelle de jeunes qui ont du mal à trouver leur place dans lasociété, qui affirment par le tag leur existence et leur liberté d’expression, quimontrent ou dénoncent ce qui, à leurs yeux, devrait changer dans la société, tout enrecherchant le pic d’adrénaline de celui qui ose braver l’interdit7. Toutes cescaractéristiques résonnent dans le contexte medellinense des années 80 : les jeunes,confinés chez eux et réduits au silence, ont besoin de se réapproprier non seulement unespace urbain trop dangereux pour qu’ils puissent y jouer ou s’y mouvoir en touteliberté, mais également une parole qui leur est niée. Dans une ville où les classessociales ne se mélangent pas et où les réalités sont bien différentes suivant lesquartiers, le street art est une manière de sortir de la solitude et d’aller vers l’autre, touten créant des espaces dialogiques, qui, comme l’expliquent Marta Cecilia Herrera etVladimir Olaya, « desvelan […] otros posibles pasados, presentes y futuros, e instituyennuevos relatos que cuestionan el orden social presente »8. Quant à la peur, elle règnedéjà sur Medellín : celle d’un taggage nocturne illégal fait sans conteste se sentir plusvivant. C’est dans cet esprit que s’est lancé Hernán Bermúdez, artiste qui revendique,dans un entretien qu’il nous a accordé, la paternité du premier graffiti réalisé àMedellín en 19879.

7 Dans la capitale paisa, le street art démarre donc plus tardivement que chez le géant

états-unien, mais comme à New-York ou à Philadelphie, il débute chez les exclus pardes tags et des graffitis illégaux, avec toutefois une forte connotation politique, commele souligne l’un des graffeurs interviewés dans le documentaire Memoria Canalla :

El grafiti en América Latina, especialmente en Suramérica y Colombia, Perú, lospaíses que estaban en conflicto, e igualmente posiblemente las dictaduras de los 80,el grafiti era muy dominado ante el panfleto, un grafiti antiimperialista, un grafitimuy poco creativo dominado por los grupos de izquierda y prácticamente sinninguna opción estética que lo fundamentara10.

8 Puis, les temps ont évolué, la vague terroriste s’est éteinte peu à peu après qu’Escobar a

été abattu sur un toit de la ville en 1993, et le cartel a été officiellement démantelé.Faible répit, car les milices et les paramilitaires se sont accaparé l’espace laissé libre parla mort du Patrón, perpétuant les violences et les extorsions — quoique de manière plusdissimulée.

9 Aujourd’hui Medellín semble plus apaisée. Non sans mal, la municipalité a ramené un

calme suffisant pour que la ville puisse se targuer d’accueillir 2,5 millions de touristessur la période 2016-201911. Cependant les problématiques démographiques,économiques et sociales restent aigües. Les murs de Medellín, toujours ponctués degraffitis, ont commencé à se couvrir de travaux souvent plus figuratifs, à la fois plus

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techniques, plus « artistiques », et de taille supérieure. Car en vingt-cinq ans, les street

artistes se sont multipliés et organisés en collectifs. On les retrouve dans tous lesquartiers et quel que soit le milieu social, comme l’explique, dans l’étude approfondiequ’il a consacrée au sujet, Juan Diego Jaramillo Morales12. Le chercheur ajoute que deuxattitudes cohabitent aujourd’hui : si certains jeunes préfèrent rester dans l’illégalité dutag et du graffiti, d’autres revendiquent en revanche une évolution de leurs pratiqueset disent rechercher plus de sens et de qualité à leur travail : « Yo no hago muchobombardeo, pero siempre dejo mi firma donde vaya. Prefiero las pintadas porque sirvenpara generar conciencia y no tanto hacer daños »13. Les graffeurs ont gagné enrenommée, ils invitent ou sont invités au niveau international et répondent mêmedésormais à des commandes. Le street art s’est peu à peu institutionnalisé jusqu’àdevenir un véritable projet municipal, avec des initiatives comme « Medellín se pintade vida », qui, en 2012, a offert à six graffeurs les piliers du métro de la ville14. Au vu dece contexte, quelle place les street artistes occupent-ils dans le renouveau de Medellín etcomment gèrent-ils ou digèrent-ils le lourd passé de la ville ? C’est ce que nous allonstenter de comprendre en nous intéressant tout d’abord au cas de la Comuna 13.

La Comuna 13, un regard tourné vers l’avenir ou undéni du passé ?

10 Le quartier de San Javier ou Comuna 13 compte 140000 habitants. Il s’est formé dans les

années 40 sur les hauteurs ouest de Medellín mais n’a eu accès à des services publicsqu’à partir des années 80. Il se présente comme un labyrinthe de rues pentues etétroites, créées dans un second temps autour des maisons, et donc difficiles d’accès. Sasituation géographique l’a doublement pénalisé : éloigné du centre-ville mais proche dela route qui mène vers les ports de la côte caraïbe, le quartier a été occupé à partir desannées 80 par les FARC et par l’ELN qui ont vu là un point stratégique pour leurs traficsd’armes et de drogue, et ont commencé à racketter, enlever, tuer ou recruter de forceles habitants. La Comuna 13 vit dès lors dans la violence et dans la peur, et la situationempire encore au début des années 2000, lorsque l’État décide d’y éradiquer la guérillaen menant à bien une série de 21 opérations militaires, dont la plus célèbre reste sansconteste la dernière, l’Opération Orion, le 17 octobre 2002. Le but est atteint mais à quelprix ? Durant quatre jours, l’armée, aidée des paramilitaires, traque les rebelles,transformant le quartier en champ de bataille, multipliant les arrestations illégales etles falsos positivos (assassinats d’innocents). Trois-cents personnes disparaissent et lesassociations citoyennes réclament encore aujourd’hui vérité et justice : les corpsauraient été enfouis par les militaires dans l’Escombrera, une décharge toute proche, quis’avérerait être la plus grande fosse commune de Colombie15.

11 Les conflits ne sont pas terminés pour autant dans la Comuna 13. Les paramilitaires

prennent le contrôle de la zone : pourchassant les guérilleros restants, menaçant leursfamilles, ils font régner la terreur jusqu’à leur démilitarisation en 2006. Puis ce sont lesbandes du quartier, ou combos, qui prennent le relais, instituant des zones de pouvoirdélimitées par des fronteras invisibles à ne surtout pas franchir, et se finançant grâce auracket organisé ou aux micro trafics de drogue. Mais au début de l’actuelle décennie, lesjeunes du quartier décident de sortir de cette spirale de violence. Ils ont conscience quetout ce temps libre passé dans la rue sans encadrement les pousse vers les combos et ladélinquance, et ils décident donc de jouer la carte de la prévention en créant des écoles

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de football, de hip hop ou de graffiti. Ainsi naît par exemple la Casa Kolacho, l’une desplus connues du quartier et interlocutrice privilégiée pour cette étude16.

12 Derrière le street art de la Comuna 13, il y a donc une envie de la jeunesse de changer de

vie, mais aussi de changer celle du quartier, de dépasser la noirceur en ramenant de lacouleur sur les uniformes façades de brique. L’initiative est concomitante à un projetmunicipal de développement du quartier : en 2010, la ville fait en effet agrandir unchemin que l’on appellera désormais « le balcon de la 13 » et où aboutira un escalierroulant en 6 tronçons, destiné à faciliter la mobilité, à désenclaver le quartier, et àamener les services publics (administrations, écoles, etc.) jusqu’aux habitants. Lorsquecet escalier urbanistiquement révolutionnaire est inauguré en 201217, les graffeurs sesont déjà emparés du long mur du « balcon de la 13 » et des paliers intermédiaires, etl’histoire prend un tour tout à fait imprévu puisque, très vite, le lieu devienttouristique. La Comuna 13 n’est plus dorénavant le quartier le plus dangereux deMedellín mais celui des multiples Graffiti tours, dont la visite est incontournable : auxnouveaux emplois administratifs et techniques créés par l’escalier roulant s’ajoutetoute une manne d’activités touristiques.

13 Dans un tel contexte, les graffitis de la Comuna 13 portent-ils encore sur l’histoire du

quartier ? Sont-ils encore des cris de révolte ou les jeunes graffent-ils désormais pourles touristes ? En parcourant les ruelles de « la 13 », la première impression qui sedégage est pour le moins colorée : rares sont les façades sombres, et les graffitisprivilégient dans leur grande majorité des tons vifs et chauds, dégageant beaucoup devie et de joie. Güey, membre de la Casa Kolacho, explique :

Hemos hecho grafitis no solo para darle un poco de vida y color al barrio sinotambién para que, por medio de esos grafitis, conmemoremos esas historias delpasado, hacer protestas a lo que no nos gusta, hacer homenajes a chicos queperdimos18.

14 Pourtant, sur ces murs où dominent les figures humaines et animales, il est quasi

impossible de trouver des références explicites à la violence ou aux conflits qu’a vécusle quartier. Le premier message que ressent certainement le passant est celui d’unhymne à la nature : partout des fleurs, plantes ou animaux, des oiseaux aux serpents,du papillon au singe. Ils montrent un attachement manifeste aux racines colombiennes(rappelons que le pays est classé à la deuxième place mondiale pour sa biodiversité).

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Figure 1

Françoise Bouvet, 2019, droits réservés.

15 Mais cette revendication des racines est manifeste à d’autres niveaux : les graffitis

rendent également hommage au passé précolombien, aux Indiens et à leur culture — àtravers des symboles comme le maïs par exemple —, ainsi qu’aux communautés noires,très présentes dans le quartier, et souvent oubliées ou dénigrées dans le pays. LaComuna 13 nous rappelle que la diversité est fondatrice du pays et qu’elle est tout autantculturelle que naturelle.

Figure 2

© Françoise Bouvet, 2019, droits réservés.

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Figure 3

© Françoise Bouvet, 2019, droits réservés.

16 Si l’on trouve donc des traces d’un passé fondateur, où sont les traces du passé récent ?

Elles sont bien présentes mais il faut savoir les trouver. Au hasard des rues, quelquesvisages graffés sont ceux de jeunes ou de leaders sociaux assassinés. S’ils passentinaperçus pour le touriste en balade, ils sont en revanche importants pour les gens duquartier, comme le prouve l’enquête réalisée par Ana María Ortiz Arias. Parmi lesjeunes de la Comuna 13 qu’elle a interviewés, une majorité considère que le graffiti estun outil qui permet la reconstruction de mémoire ; l’un d’entre eux explique : « elgrafiti hoy en día está más proyectado en plasmar la memoria de los diferentes sucesosde la comuna. A mí personalmente me asesinaron un amigo y la verdad me gusta vercuando paso por las cuadras de mi casa y ver la memoria de él ahí plasmada »19. Legraffiti acquiert alors la dimension d’« autel spontané », tel que le définit JackSantino20 ; il participe du processus de deuil, permettant de rompre le silence et deredonner dignité au défunt mais aussi, comme le souligne la sociologue Sandra PatriciaArenas Grisales lorsqu’elle s’intéresse à d’autres types d’autels à Medellín, d’assumerune précarité partagée :

El reconocimiento de la precariedad compartida, el sentimiento de que loacontecido con el vecino o amigo no era singular o único, no había ocurrido por serél, por estar en determinado lugar o no hacer determinadas cosas, sino que era unriesgo permanente, podía pasarle a cualquiera21.

17 Le terme de « précarité partagée » est repris de la philosophe Judith Butler, laquelle

insiste sur sa portée politique : « El reconocimiento de la precariedad compartidaintroduce unos fuertes compromisos normativos de igualdad e invita a unauniversalización más enérgica de los derechos »22. En ce sens, les graffitis d’« hommagemémoriel » de la Comuna 13 peuvent permettre d’unir une population divisée ou isoléepar les différentes formes de violence qui lui sont faites et de lui redonner une voixsociale et politique.

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Figure 4

© Françoise Bouvet, 2019, droits réservés.

18 Au-delà des visages de disparus, les rares fois où la violence transparaît sur les murs du

quartier, c’est toujours dans un souci de rejet, ou plutôt de dépassement : un pistoletdont le canon noué ne peut plus tirer (« Menos balas y más sueños ») ou quelques motsde résistance sur le mur du cimetière La América (« En la 13 la violencia no nos vence »)faisant la part belle aux images positives qui l’entourent. L’histoire récente de laComuna 13 se cache aussi derrière les fresques sur la nature d’Angie Muñoz, puisqu’elleleur associe à chaque fois une publicité pour un livre traitant du conflit armé — l’usagede l’anglais ne laissant planer aucun doute sur le public visé ! –. Et pour qui saitdéchiffrer la symbolique des street artistes Chota et Yes, l’Opération Orion n’est pasoubliée : côté sombre, à droite d’une Pachamama23 au regard triste, la main dugouvernement lance deux dés marqués de la date de l’Opération, détruisant la Comuna

13, tandis qu’à gauche, le quartier renaît, reprenant des couleurs, empreint de nature etde musique ; un peu plus loin, deux oiseaux à l’étrange armure symbolisent les deuxhélicoptères qui ont survolé continuellement la Comuna lors de l’assaut.

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© Chota 13, Facebook, 2019, droits réservés.

19 Il n’est donc pas question de déni, comme le confirme Güey : « obviamente nuestra

historia no queremos ocultarla pero darle más importancia a todo lo positivo, todo lobueno, todo lo bacano que tenemos acá en la actualidad ». Au contraire, le défi est de setourner vers l’avenir sans pour autant renier les souffrances passées.

20 Cet avenir est partout sur les murs de la Comuna 13 : il se décline à travers des messages

écologistes en faveur de la protection de la nature et de la planète, en parallèle defresques mettant en avant la transformation et les avancées du quartier, avecnotamment ses fameux escaliers roulants ; on le retrouve dans l’omniprésence desenfants, figures fortes et souriantes, souvent associés aux livres et à la nécessité deconnaître, de s’instruire. Les mots et symboles qui y sont associés renvoient à la vie, à lapaix, à l’amour, au progrès.

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Figure. 7

© Françoise Bouvet, 2019, droits réservés.

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Figure. 8

© Françoise Bouvet, 2019, droits réservés.

Figure 9

© Françoise Bouvet, 2019, droits réservés.

21 Il y a toutefois un bémol à ce tableau idyllique : depuis quelques temps s’affichent à côté

de ces termes résolument positifs des noms de marques commerciales. Qu’il s’agisse devendre du matériel hi-fi ou des sacs pour femme, les entreprises ont compris qu’ellesavaient beaucoup à gagner à voir leur nom accolé à des œuvres que viennent admirerdes touristes du monde entier, et elles subventionnent donc les street artistes, dans un

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procédé supposément gagnant-gagnant. Mais ce procédé est contesté : de tout temps,les mécènes ont certes existé, mais dans ce cas, est-ce encore de l’art ou de lapropagande, comme le dénonce Hernán Bermúdez ?24 Les créateurs gagnent-ilsvraiment au change ? Car si on parle beaucoup du lion de Kalley sur le « balcon de la13 », on en oublie le nom de son auteur, détrôné par la marque qui l’a financé.

Figure 10

© Françoise Bouvet, 2019, droits réservés.

22 Quelle part de liberté d’expression le street artiste conserve-t-il lorsqu’il est sponsorisé

ou répond à une commande ? La Comuna 13 prône-t-elle vraiment un avenir meilleur etécologique, ou ne s’engage-t-elle pas au contraire dans la vague effrénée dunéolibéralisme et de la consommation ? [Fig. 13]

23 Sur un autre versant, en face de la 13, la Comuna 9 a suivi un autre chemin artistique,

mais ce sont des problématiques que ne manquera pas de soulever le projet qui y voit lejour.

Quelle mémoire dans le quartier Pablo Escobar de la Comuna 9 ?

24 La Comuna 9, aussi appelée Buenos Aires, s’est développée sur les hauteurs orientales de

Medellín à partir de la fin du XIXe siècle pour accueillir les migrants venus de tout l’estd’Antioquia, un flux qui s’est fortement amplifié là encore dans les années 70 du fait desviolences politiques dans les campagnes. Le secteur qui nous intéresse dans cette étudea une histoire toute particulière. Lorsqu’en 1982 Pablo Escobar visite le quartier deMoravia, dans la Comuna 4, il est frappé par les conditions de vie inhumaines danslesquelles vivent ses habitants : la zone est une décharge à ciel ouvert à l’odeurpestilentielle et couverte de minuscules taudis en tôle et en carton. Quelques jours plustard, un incendie s’y déclare et le capo promet alors officiellement de faire construire

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pour les habitants de Moravia un millier de maisons : comme l’explique Alonso Salázar,journaliste et ex-maire de Medellín, c’est l’un des épisodes grâce auxquels Escobarconstruira sa légende de bienfaiteur social25. Le projet « Medellín sin tugurios » verrabien le jour, même s’il ne comptera finalement que 443 maisons. Les travaux débutentdans la Comuna 9 en 1983, mais le quartier sera investi en 1984 avant qu’ils ne soientterminés : Pablo Escobar, instigateur de l’assassinat du ministre de la Justice LaraBonilla est en fuite, et les habitants ne veulent pas courir le risque de perdre cesmaisons qui leur sont promises26. C’est quand le capo meurt, en 1993, que le quartier estrebaptisé « Barrio Pablo Escobar » en hommage à son fondateur.

25 Aujourd’hui, la zone compte 4000 habitations pour une population évaluée aux

environs de 16000 personnes. Aux premières maisons basses sont venues s’ajouter desmaisons en brique à deux étages ; des commerces se sont installés et les rues sontasphaltées. Les habitants, reconnaissants, entretiennent le souvenir de celui qui leur adonné un toit, et il n’est pas rare de les voir poser dans la presse avec une photo de« Pablito » en main. Depuis des années maintenant, le visiteur est accueilli dans lequartier par une grande fresque qui a été rénovée plusieurs fois et dit : « Bienvenidos albarrio Pablo Escobar. Aquí se respira paz ». Juste au-dessus, une statue du Niño Jesús de

Atocha ouvre les bras tandis qu’à ses pieds se côtoient la photo d’un Pablo Escobar jeuneet souriant ainsi qu’une plaque de remerciement à Jésus pour avoir protégé lebienfaiteur du quartier. Derrière, un mini-musée a été aménagé, où l’on trouve unestatue et une collection de photos à l’effigie du capo ainsi qu’une arme factice etquelques objets de type souvenir. La ferveur des habitants est réelle.

Figure 11 - Entrée du quartier Escobar

© Françoise Bouvet, 2019, droits réservés.

26 Le quartier Pablo Escobar n’est pas des plus dangereux à Medellín, mais il est, en

revanche, des plus gênants. Depuis que Netflix a lancé sa série El patrón del mal, lestouristes affluent dans la capitale antioquienne, avides de marcher sur les traces ducapo. Les narcotours se multiplient à des prix exponentiels, et le quartier est devenu unpassage obligé. La ville peine à gérer ce lourd héritage et, comme la majorité des

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Colombiens, elle affiche un rejet du personnage. Ainsi, Wberney Zavala, président de laJunta vecinal du quartier, explique-t-il :

El barrio ya va a cumplir treinta años y no tiene cancha, no tiene escuela, no tienesede comunal, tiene pocas vías, no tiene un parque. Un alcalde nos dijo que paraayudar al barrio había que cambiarle el nombre. Pero nosotros no vamos a cambiarla dignidad por bolsas de cemento27.

27 À ce témoignage s’ajoutent la polémique de février 2019 sur la destruction par la

municipalité du Mónaco, immeuble emblématique de Pablo Escobar, ou lescommuniqués fréquents du maire de Medellín pour demander à des artistes qui se sontmis en scène sur la tombe du capo ou qui ont associé le nom d’Escobar à la drogue et à laville dans leurs chansons, de s’excuser28. Faut-il donc faire disparaître ce nom de lacarte ? Ou doit-on le conserver car il fait partie intégrante de la mémoire de la ville ? Nefaut-il pas plutôt penser ou encadrer les messages qui sont diffusés autour de la figuredu capo ? Le débat sur ce sujet n’a jamais été aussi bouillonnant à Medellín qu’en cedébut d’année 2019.

28 C’est dans ce contexte qu’un jeune street artiste bogotanais, Julián Herrera, plus connu

sous le nom de Fénix, est arrivé dans le quartier, fin février 2019. Graffeur vandale dansla capitale, comme il se définit lui-même, il a également participé à des projets dereconstruction par l’art avec le collectif « Mil colores para mi pueblo »29. À l’origine,Fénix est venu retoucher la fresque d’entrée du quartier Pablo Escobar et, plusexactement, repeindre le visage du capo qui n’avait pas été particulièrement réussi parle graffeur précédent. Il découvre un quartier tout de gris et de briques, dont les murscomptent peu de tags ou de graffitis — terrain quasi vierge et idéal pour un street artiste

comme lui —, et surtout des habitants qui n’ont de cesse de lui parler d’aspects du capo

qu’il ne connaissait pas. Alors, avec l’accord de la Junta du quartier, il décide des’installer à résidence, pour mener à bien un nouveau projet artistique, Memorias :

Estoy comenzando a dirigir un proyecto que se va a llamar Memorias, y es como unagalería artística que se va a hacer por todo el barrio. Con la pintura, se puede hacerasí una galería urbana que en Colombia no se ha hecho. […] Habría más que todohistoria colombiana, pero siendo el barrio de Pablo Escobar, la idea es : hechosreales, imágenes, experiencias de lo que fue Pablo Escobar, testimonios de la gente.[…] Es una investigación de la zona, se habla con la gente, con la comunidad, qué fuelo que les llamó más, cómo era él, las palabras más típicas de él y cómo las haplasmado30.

29 Fénix se fixe une période maximale d’un an, à condition d’avoir pu trouver des

sponsors et des soutiens… mais pas municipaux ou gouvernementaux car, comme ill’explique, « no quiero involucrar temas estatales con temas de acá porque pues…loperciben aún muy feo »31. C’est pour lui un projet collectif, l’idée étant de débuter avecdes jeunes du quartier, de les former à quelques bases, d’assurer un suivi pédagogiqueet d’attirer bien sûr des artistes d’ailleurs.

30 Le jeune graffeur revendique donc un solide travail de récupération mémorielle auprès

des personnes les plus âgées du quartier. Néanmoins, il est clair que les premiershabitants du barrio Escobar montrent un attachement inébranlable à « Pablito » : « Yopienso que eso nunca fue así, porque yo nunca supe » répond Franquelina GuerraCarvajal à chaque fois que le journaliste Arturo Wallace évoque avec elle des attentats àla bombe ou des assassinats qui seraient dus au capo32. Fénix ne recueille, lui aussi, quedes images ou des commentaires positifs ; jamais n’apparaîtront sur les murs du barrio

Pablo Escobar des traces de son activité criminelle ou les noms de ses victimes. Alors,

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vérité ou déni de l’histoire, d’une partie de l’histoire ? Pour le graffeur, la réponse estévidente : il parle de catharsis et à ceux qui lui reprochent d’apporter une contributionau thème polémique du conflit en Colombie, il affirme lui donner au contraire « otroenfoque artístico y digamos que eso es una memoria colombiana de lo que pasó, seabueno sea malo, pero pues atrás de la cosa, hay unas cosas buenas, y eso hay quetambién hacerlo notar »33. L’intérêt de cette vision tronquée et polémique qu’offreFénix est qu’elle fonctionne comme un miroir, mettant en lumière un autre déni, celuide cette Colombie qui voudrait effacer le nom d’Escobar.

31 Pour le jeune street artiste, Memorias est un véritable défi : un défi personnel d’abord

puisque c’est la première fois qu’il monte un tel projet artistico-pédagogique, maisaussi un défi pour le quartier puisqu’il s’agit de l’embellir et de lui offrir un nouvelavenir, orienté vers le tourisme. Bien qu’il ne soit pas prévu de faire payer les visites34,les retombées économiques indirectes (commerce, souvenirs, etc.) seront lesbienvenues dans ce quartier peu aisé et elles favoriseront certainement sondéveloppement. On imagine facilement un graffiti tour type Comuna 13, plus polémiquetoutefois, et la municipalité, qui essaie depuis quelques années d’encadrer les narcotours

faute de pouvoir les éradiquer, ne voit évidemment pas le projet d’un bon œil. Memorias

est aussi finalement une forme de défi à l’autorité et à l’État colombien : Fénix n’arecherché l’accord que de l’association de quartier ; il n’a pas informé la ville deMedellín de son projet, il ne lui a pas demandé d’autorisation, et derrière ses proposressort une critique très nette des politiciens qui, selon lui, détournent de l’argent maisjamais n’aident financièrement les plus défavorisés, et qui tentent en parallèle de fairetaire les artistes ou les leaders sociaux. Rien n’a vraiment changé depuis le tempsd’Escobar : la voix et la loi du quartier prévalent sur celles de l’État, plus présent certesque dans les années 80, mais toujours défaillant.

32 À l’heure actuelle, les fresques de ce que Fénix revendique comme un musée à ciel

ouvert représentent peu d’événements ou d’anecdotes intimes ou inconnues du grandpublic. Elles reprennent des clichés connus du Patrón, comme celui de la fiched’incarcération — toutefois sans le matricule — et celui de 1992, derrière les barreauxde la prison la Cathédrale, et elles déclinent toute la symbolique traditionnellementassociée à Pablo Escobar : la Hacienda Nápoles avec sa fameuse entrée surmontée d’unavion, ses hippopotames, sa piscine, son hélicoptère ; l’immeuble Mónaco qui a étédétruit en février dernier ; le cheval de race Terremoto qui aurait été castré par desnarcotrafiquants rivaux ; le football avec notamment le club de l’Atlético Nacional dont lecapo était supporter.

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Figure 12

© Fenix the Colombia, Facebook, 2019, droits réservés.

Figure 13

© Fenix the Colombia, Facebook, 2019, droits réservés.

33 Rien ne semble véritablement lié au quartier et les messages sont, somme toute, peu

nombreux : au-delà d’un — ambigu ? — appel à l’union autour du football (« Todosunidos por una misma pasión »), c’est surtout le prénom Pablo qui se répète. Sur l’unedes fresques, devant l’immeuble Mónaco, un parallèle interpelle : il ne manque plus quele cœur rouge devant les lettres blanches pour retrouver le touristique « yo quieroMedellín » emblématique de la ville, décliné en version « yo quiero a Pablo ».

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Figure 14

© Fenix the Colombia, Facebook, 2019, droits réservés.

Figure 15 – El pueblito paisa, Medellín

© Françoise Bouvet, 2019, droits réservés.

34 Le terme d’autel utilisé précédemment pour la Comuna 13 a toute sa place ici, mais

contrairement à ceux évoqués par Santino, ces autels n’ont rien de spontané, et si cettegalerie urbaine ne sort pas des sentiers battus et des symbolismes faciles, elle court lerisque de se voir accusée de n’apporter rien d’autre qu’une héroïsation du capo. Projetmémoriel donc ou projet commercial pour un street artiste qui s’affiche aujourd’hui surles réseaux sociaux comme le « grafitero oficial de Pablo Escobar »35 et pour un quartier

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qui veut pouvoir vivre correctement ? Il faudra attendre de voir l’évolution de ce« Memories museum », tel qu’il s’affiche à l’entrée du barrio36, pour voir si son sens etson impact sont comparables à ceux des différents Musées de la Mémoire quifleurissent dans le pays.

35 Le street art à Medellín est donc à la croisée des chemins entre passé, présent et futur. Il

se développe sous l’impulsion de jeunes Colombiens mais aussi d’une ville résolumenttournés vers l’avenir. Comme le reste du monde, il cède aux tentations d’une sociéténéolibérale, gagnant en renommée grâce à son déferlement sur les réseaux sociaux, etdevenant le moteur d’une néoéconomie du graffiti aux facettes touristiques etpublicitaires. Mais il garde cependant toute sa puissance artistique lorsqu’il vientembellir une ville il n’y a pas si longtemps encore sinistrée, lorsqu’il rencontre ettouche, positivement ou non, un public de plus en plus nombreux et lorsqu’il l’invite àréfléchir à des problématiques aussi profondes que variées.

36 Il est mémoire bien sûr, du temps passé comme du temps présent et si, de la Comuna 13

à la Comuna 9, les street artistes de Medellín taisent globalement une violence dont ils neveulent plus, ils se refusent en revanche au silence sur un passé récent qui imprègneencore la ville et ses habitants. Par leurs œuvres, ils disent aussi beaucoup descontradictions de la Colombie actuelle : comment un pays peut-il aller de l’avant s’il serefuse à faire la lumière sur des événements tels que l’Opération Orion ou à affronterdes figures comme Pablo Escobar qui, malgré le mal qu’elles ont causé, font désormaispartie de l’histoire colombienne ? Si, comme l’affirme Amada Dorta, le street art « esmás una actitud de irreverencia, de democracia y de libertad »37, souhaitons que latouristique Comuna 13 conserve un peu de la première et que le projet de galerieurbaine du quartier Escobar, si contestable soit-il, puisse aller à son terme.

NOTES

1. Le terme « paisa » en Colombie désigne les habitants des régions d’Antioquia, de Caldas, de

Risaralda, de Quindío, du nord-ouest de Tolima et du nord de la vallée du Cauca.

2. Les campagnes ont particulièrement été marquées par La Violencia (1946-1964), période

d’affrontements, de tortures et de massacres entre conservateurs et libéraux, faisant suite à

l’assassinat du très populaire leader libéral Jorge Eliécer Gaitán.

3. Le M-19 (Mouvement du 19 avril, 1974-1990) était un groupe armé prônant un socialisme

démocratique, l’ELN (Armée de Libération Nationale, 1964-aujourd’hui) un groupe

révolutionnaire d’obédience marxiste-léniniste, de même que l’EPL (Armée Populaire de

Libération, 1967-aujourd’hui) et les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie,

1964-2016).

4. Un premier traité avait été signé en 1979 par le président Julio César Turbay Ayala mais

Belisario Betancur, élu en 1982, s’était refusé à sa mise à exécution. Il faudra attendre l’assassinat

du ministre de la Justice Rodrigo Lara Bonilla en 1984 pour que Betancur revoie sa position et

qu’on assiste à la première extradition de capos colombiens vers les États-Unis en 1985.

5. Sur le paramilitarisme et les AUC (Autodéfenses Unies de Colombie), qui comptent plusieurs

branches, cf. par exemple l’excellent ouvrage de Vilma Liliana FRANCO RESTREPO, Orden

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contrainsurgente y dominación, Bogotá, Siglo del Hombre Editores, IPC (Instituto Popular de

Capacitación), 2009.

6. Stéphanie LEMOINE, L’art urbain : du graffiti au street art, Paris, Découvertes-Gallimard, 2012, p. 80.

7. Jérôme CATZ, Street art : le guide, Paris, Flammarion, 2015, p. 25-27.

8. Martha Cecilia HERRERA et Vladimir OLAYA, « Ciudades tatuadas : arte callejero, política y

memorias visuales », Nómadas, n° 35, 2011, p. 99-116.

9. Entretien réalisé chez lui à Medellín, dans le cadre de ce travail de recherche, le 05/03/2019.

10. BASTARDILLA, Memoria Canalla, Bogotá, *Hogar*, 2009 [disponible le 27/09/2019] <URL : https://

vimeo.com/8523375>.

11. Chiffres communiqués par le SITUR (Sistema de Información Turística de Medellín) et repris

dans la presse : KIENYKE (26/07/2019), « Medellín alcanza cifras históricas », Kienyke, [disponible le

27/09/2019] <URL : https://www.kienyke.com/emprendimiento/que-ha-hecho-la-alcaldia-de-

medellin>.

12. « Lo que veo con esto, es que en el graffiti no aparece una relación con alguna clase social o

con algunas condiciones específicas marcadas (aunque puede transitar en algunos casos por

ellas), sino que más bien aparece como una posibilidad entre todo tipo de jóvenes que en algún

momento encuentran sentido en el rayar y andar la ciudad », Juan Diego JARAMILLO, MORALES,

Entrando y saliendo de la violencia : construcción del sentido joven en Medellín desde el graffiti y el hip-

hop, Bogotá, Pontificia Universidad Javeriana, Facultad de Ciencias Sociales, 2015, p. 119.

13. SMOKE, graffeur du groupe Mountain Colors crew, 04/04/2012, cité par Juan Diego JARAMILLO,

MORALES, Op. cit., p. 123-124.

14. Sur le projet et sa réception par les habitants, cf. l’article de María Clara OLAYA MESA, « Grafitis

en el metro generan opiniones encontradas », El Colombiano, 15/09/2012 [disponible le

27/09/2019] <URL : https://www.elcolombiano.com/historico/

grafitis_en_el_metro_generan_opinones_encontradas-PFEC_207118>.

15. Pour plus d’informations sur l’Escombrera, cf. l’article de Patrick NAEF, « L’escombrera de

Medellin : une fosse commune entre reconnaissance et oubli », Géographie et cultures, n° 105, 2018,

p. 113-133.

16. La Casa Kolacho voit le jour en 2013. Association de quartier totalement indépendante, elle est

un lieu de création et de réunion. Elle propose des ateliers de graffiti, de breakdance et de rap, et

possède son studio d’enregistrement. Elle organise également des graffitis tours. Son nom est un

hommage à Kolacho (Héctor de son vrai prénom), rappeur et leader social du quartier, assassiné

en 2009.

17. Seules trois villes au monde ont développé ce système d’escaliers roulants : Barcelone (1968),

Hong-Kong (1993) et Medellín (2012).

18. Entretien réalisé lors d’une visite de la Comuna 13 le 17/04/2019.

19. Ana María ORTIZ ARIAS, Una mirada de los jóvenes hacia la Comuna del grafiti, Medellín,

Corporación Universitaria Minuto de Dios-Bello, Facultad de Ciencias Sociales y Periodismo, 2015,

p. 33.

20. Jack SANTINO, « Performative Commemoratives, the Personal, and the Public: Spontaneous

Shrines, Emergent Ritual, and the Field of Folklore », The Journal of American Folklore, vol. 117/466

(octobre 2004), p. 363-372.

21. Sandra Patricia ARENAS GRISALES, « Luciérnagas de la memoria. Altares espontáneos y

narrativas de luto en Medellín, Colombia », Revista Interamericana de Bibliotecología, n° 38/3 (2015),

p. 197.

22. Judith BUTLER, Marcos de guerra, Las vidas lloradas, Barcelona, Paidós, 2010, p. 50.

23. La Pachamama est une figure de la cosmogonie andine, déesse-terre liée à la fertilité.

24. « El arte callejero es una cosa y el grafiti es otra. El grafiti no pretende ser arte, pretende ser

comunicación. Y debe ser anónimo, debe ser pintado ilegalmente. El grafiti tiene unas reglas y

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cuando tú las rompes y recibes dinero para hacer grafiti ya no estás haciendo grafiti. Ya saben

quién eres, ya no estás haciendo grafiti. […] Una propaganda que fue pagada para hacer

publicidad, eso no es grafiti. Eso no tiene nada que ver con grafiti aunque lo haya pintado un

artista”, Hernán BERMÚDEZ, entretien du 05/03/2019.

25. Alonso SALÁZAR, La parábola de Pablo (Pablo Escobar : el patrón del mal), Doral, Aguilar : Prisa,

2012, p. 79-81.

26. Sur cet épisode, lire les témoignages des habitants de Moravia sur le blog de Paul Smith,

photographe britannique basé à Medellín : NEWWORLDIMAGES, « Barrio Pablo Escobar : el éxodo

hacia Medellín sin tugurios » [disponible le 27/09/2019] <URL : http://

www.newworldimages.net/comunaHistPablo.html>.

27. Propos recueillis par Arturo WALLACE, « La relación bipolar de Colombia con Pablo Escobar »,

BBC Mundo, 02/12/2013 [disponible le 27/09/2019] <URL :http://www.bbc.com/mundo/noticias/

2013/12/131129_colombia_pablo_escobar_aniversario_relacion_amor_odio_aw>.

28. Sur ce sujet, consulter par exemple : « Alcalde de Medellín exigió a Víctor Manuelle y Farruko

‘disculpas públicas’ », RCN Radio, 03/05/2018 [disponible le 27/09/2019] <URL : https://

www.rcnradio.com/colombia/antioquia/alcalde-de-medellin-exigio-victor-manuelle-y-farruko-

ofrecer-disculpas-publicas>.

29. Le collectif « Mil colores para mi pueblo » travaille depuis 2013 dans les zones affectées par la

violence : en proposant à la communauté de repeindre ses façades avec des fresques colorées, ces

artistes participent d’un processus de reconstruction personnelle et collective, permettant à la

population de se réapproprier un espace public éprouvé et de développer un tissu social fort.

30. Extrait de l’entretien réalisé dans le quartier Pablo Escobar avec Julián Herrera, alias Fénix, le

05/03/2019.

31. Ibid.

32. Arturo WALLACE, Op. cit.

33. Entretien du 05/03/2019 avec le street artiste.

34. Ainsi, l’attitude de Wberney Zavala est très claire lorsqu’il guide des visiteurs étrangers dans

le quartier, « A nadie le cobra un solo dólar por su tiempo. Es un pacto que hizo con muchos de

sus vecinos : no hacer de la imagen de Pablo un negocio. Tienen un techo gracias a él. Pedirles

dinero a los extranjeros, creen, ya sería abusarse. ». Nahuel GALLOTA, « Crónicas del nuevo

milenio : huellas de un imperio narco », Clarín, 04/10/2015 [disponible le 27/09/2019] <URL :

https://www.clarin.com/opinion/pablo-escobar-medellin-moravia-

narcotrafico_0_r1ggzXzFD7g.html>.

35. L’artiste s’est récemment créé un nouveau profil et on le trouve sur Facebook sous le nom de

Spray Colores.

36. L’objectif d’un tourisme international est très clair au vu du tag en anglais qui accueille le

visiteur : « Welcome to Pablo’s Escobar Memories Museum. We invite you to see Pablo’s Escobar

story ».

37. Amanda DORTA CERPA, « Street Art o la revolución del graffiti », Panorama cultural, 07/02/2018

[disponible le 27/09/2019] <URL : https://www.panoramacultural.com.co/index.php ?

option =com_content&view =article&id =4578 :street-art-o-la-revolucion-del-

graffiti&catid =5&Itemid =139>.

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RÉSUMÉS

Medellín a connu dans les années 80-90 une vague de violence sans précédent dont elle peine à se

remettre. La survivance de l’image de Pablo Escobar, manne touristique pour la ville, divise les

habitants : faut-il l’éradiquer ou au contraire l’assumer, afin de dépasser le traumatisme qu’elle

représente ? Cette dichotomie se retrouve dans le street art qui a envahi les rues depuis les années

80, comme vise à le montrer cette étude comparée de la Comuna 13, où l’art de rue est devenu une

manière de désenclaver un quartier marginal et de se créer un avenir, tout en mettant en avant

d’autres thématiques que le narcotrafic, et de la Comuna 9 où un jeune graffeur a pour projet de

monter un musée Escobar à ciel ouvert. Il s’agira de comprendre en quoi les street artistes de

Medellín contribuent à créer une nouvelle identité urbaine. Sont-ils des passeurs de mémoire ou

plutôt des constructeurs d’avenir ? Leur art s’inscrit-il encore dans une dimension subversive

indissociable des premiers graffeurs urbains ou répond-il à une culture, à une société qui les

formate ?

Medellín experienced an unprecedented wave of violence in the 1980s and 1990s from which it is

still struggling to recover. The survival of Pablo Escobar’s image, a tourist boon for the city,

divides the inhabitants: should it be eradicated or, on the contrary, should it be assumed, in

order to overcome the trauma it represents? This dichotomy can be found in the street art that

has invaded Medellín since the 1980s, as intended by this comparative study of Comuna 13, where

street art has become a way of opening up a marginal neighbourhood and creating a future,

while highlighting themes other than drug trafficking, and Comuna 9, where a young graffiti

artist is planning to set up an Escobar open-air museum. The article aims to understand how

Medellín’s street artists are contributing to create a new urban identity. Are they memory

passers or rather future builders? Is their art still part of a subversive dimension inseparable

from the first urban graffiti artists, or does it respond to a culture, a society that brainwashes

them?

Medellín padeció en los años 80 y 90 una oleada de violencia de la cual le cuesta reponerse. La

supervivencia de la imagen de Pablo Escobar, bendición turística para la ciudad, divide a los

habitantes : ¿habrá que erradicarla o al contrario asumirla, para lograr sobrepasar el trauma que

representa ? Encontramos la misma dicotomía en el street art que invadió las calles desde los 80,

como aspira a demostrarlo este estudio comparado entre la Comuna 13, donde el arte se ha vuelto

una manera de sacar un barrio al margen de su aislamiento y crearse un porvenir poniendo de

relieve otras temáticas que la del narcotráfico, y la Comuna 9 en la que un joven grafitero espera

montar un museo Escobar al aire libre. Se tratará de entender en qué medida contribuyen los

street artistas de Medellín a crear una nueva identidad urbana. ¿Serán vectores de memoria o más

bien constructores de porvenir ? ¿Todavía se inscribe su arte en una dimensión subversiva

indisociable de los primeros grafiteros urbanos o responde más bien a una cultura, a una

sociedad que los predispone ?

INDEX

Palabras claves : street art, memoria, Medellín, Pablo Escobar, Comuna 13

Mots-clés : street art, mémoire, Medellín, Pablo Escobar, Comuna 13

Keywords : street art, memory, Medellín, Pablo Escobar, Comuna 13

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AUTEUR

FRANÇOISE BOUVET

(Université Paul Valéry – Montpellier 3)

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Entre tags et mauvaises herbes.L’interstice urbain commeexpérience esthétiqueEntre etiquetas y malas hierbas. El instersticio urbano como experiencia estética

Between tags and weeds. The urban insterstice as an aesthetic experience

Vittorio Parisi

1. Introduction : l’interstice urbain comme lieu decréation

1 En 2017, durant la dernière phase de notre recherche doctorale, nous avons mené

plusieurs explorations dans la banlieue post-industrielle de Pantin, localisée dans lenord-est parisien. Ici, la pratique d’activités artistiques urbaines telles que le graffiti

writing et le street art est à l’ordre du jour, existant à la fois comme phénomène illégal etsous la forme de projets institutionnels ou autorisés, tels que des festivals et descompétitions artistiques1. Mais qu’est-ce qu’on entend précisément par les termes« graffiti writing » et « street art » ? Le premier désigne une pratique artistique urbaine(souvent illégale), basée sur l’inscription, peinte à la bombe, du pseudonyme de l’artistedans un style graphique le plus original possible et inimitable et décliné selon troisformes, que l’on appelle tag, throw-up ou flop, et street piece. Le second a, en revanche,des limites plus floues, et désigne différentes formes d’intervention artistique urbaine,illégales ou autorisées : de la peinture murale aux autocollants, des affiches auxinstallations, etc. Dans cet article, nous nous occuperons surtout de graffiti writing. Àl’époque des recherches susmentionnées, nos explorations de terrain visaient àobserver les différentes manières dont l’art urbain illégal et l’art urbain institutionnelaffectaient respectivement les lieux : des ponts du canal de l’Ourcq aux murs aveuglesdes immeubles, du mobilier urbain aux édifices abandonnés et aux terrains vagues. Lepaysage urbain de Pantin se présentait comme particulièrement riche en terrains

vagues (Fig. 1), et ce fut au moment de ces explorations que nous avons commencé à

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nous interroger pour la première fois sur la catégorie de l’interstice urbain en tant quelieu singulier de création artistique, et donc en tant qu’objet d’investigation à la foisphénoménologique et esthétique. Plus précisément, le présent article s’intéresse à larelation entre cet objet et les phénomènes créatifs que nous venons de nommer.

Fig. 1. Exemple de terrain vague à Pantin, avenue Edouard Vaillant

2017 © Vittorio Parisi

2. Définition de l’interstice en tant que « lieu-événement »

2 L’expression « interstice urbain » renvoie à des lieux résultants d’un double processus

de surexploitation urbanistique et du délaissement qui lui a succedé. Il s’agit donc delieux résiduels, intra-urbains et cependant marginaux, existants dans un étatd’indétermination spatiale et temporelle : terrains vagues, friches, édificesabandonnées, espaces infrastructurels, etc.

3 Le sociologue urbain Andrea Mubi Brighenti définit l’interstice comme « un espace

résiduel, le résultat d’un seul processus de planification centralisée, ou entre deuxplans hétérogènes et discontinus »2. Le philosophe Henri Lefebvre avait égalementobservé les conséquences d’un processus de planification discontinu dans sa définitionde « société urbaine », à savoir « une société résultant d’un processus d’urbanisationplanétaire […] au cours de laquelle les anciennes formes urbaines éclatent »3. L’originede l’interstice urbain réside précisément dans un tel processus « d’implosion-explosion »4, ayant pour résultat la déformation du paysage urbain traditionnel. Dansson Manifeste du Tiers Paysage, Gilles Clément nous fournit encore une définition assezutile pour comprendre l’interstice : un lieu qui « procède de l’abandon d’un terrain

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anciennement exploité »5, qu’il identifie avec la friche et le terrain vague et qu’ilqualifie de « délaissé ».

4 On pourrait donc dire que l’interstice résulte d’une surexploitation de l’espace dictée

par l’idéologie urbaine du capitalisme tardif (idéologie que l’on pourrait résumer avecla formule lefebvrienne « lieu de consommation et consommation des lieux »6), et qu’ilse définit surtout par son état de négligence et par sa configuration en tant que lieutransitoire. Pour ces mêmes raisons, on pourrait également considérer l’interstice nonpas comme un simple lieu physique, mais aussi comme un « événement », puisque saconstitution est temporelle avant même qu’elle ne soit physique : une sorte d’arythmiedans la fréquence cardiaque urbaine. En effet, les interstices urbains ont cet étrangepouvoir de suspendre le sentiment de familiarité produit par le motif habituel desbâtiments et des rues en état de fonctionnement : ils préfigurent ainsi l’aspect que nosvilles auraient en tant que ruines, comme dans les scènes post-apocalyptiquesannoncées par la science et par la science-fiction, ou déjà réalisées à Tchernobyl ou àFukushima. L’aura spectrale d’une disjonction temporelle semble donc imprégner deslieux tels que les friches, les terrains vagues, ou les édifices désaffectés, qui doncexistent dans une condition d’ambivalence absolue et de suspension métaphysique : deslieux qui ne sont plus et, en même temps, ne sont pas encore. Une friche, par exemple, estun trou laissé par un édifice démoli (donc un lieu qui n’est plus), mais en même tempsce même trou est un espace de construction pour un nouvel édifice (donc un lieu quin’est pas encore). Un bâtiment abandonné peut être perçu à la fois comme un lieu denostalgie, où une activité humaine quelconque avait anciennement lieu (encore unefois, un lieu qui n’est plus), et en même temps un lieu d’effroi, évoquant la possibilité dela ville fantôme (un lieu qui n’est pas encore).

3. Déchets, mauvaises herbes, graffiti : pour une hantologie interstitielle

5 Selon le philosophe suédois Martin Hägglund, la condition d’ambivalence absolue que

nous venons d’examiner, consistant dans le fait d’être en même temps non plus et pas

encore, est précisément ce qui définit la figure et la condition du spectre7. Cettedéfinition permet également de comprendre la notion de « hantologie », initialementconçue par le philosophe français Jacques Derrida afin de décrire l’action spectrale ducommunisme8 : toujours en train de « hanter l’Europe » même après la chute du Rideaude fer, dans un temps qui, comme le dit Hamlet, est « out of joint », désarticulé, et dansune condition d’absence et de présence concomitantes. La spectralité des intersticesurbains — et donc, leur constitution hantologique — dépend également de cette mêmecondition, puisque l’absence d’activités habituelles et familières au sein de tels lieuxs’avère être en réalité la présence de quelque chose d’inhabituel, d’inconnu, d’étrange.

6 Toujours au cours des explorations des terrains vagues pantinois que nous avons

menées en 2017, notre attention avait été retenue par la présence constante et par lahantise de trois éléments : les déchets génériques, les plantes spontanées et les graffitis

illégaux [Fig. 2].

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Fig. 2. Terrain vague à Pantin, avenue Edouard Vaillant

2017 © Vittorio Parisi

7 Chacun de ces éléments contribue au lieu commun qui veut que l’interstice soit un

symbole de déclin ou, si l’on veut, de décomposition urbaine : un vide architectural etdysfonctionnel, un lieu négligé, envahi de manière chaotique par la nature, utilisé parles gens pour se débarrasser de leurs déchets et pour des activités illicites telles que legraffiti writing. En outre, chacun desdits éléments joue un rôle dans la définition del’interstice comme un lieu à la fois hantant et hanté : hantant, car, comme nous l’avonsvu, l’interstice préfigure l’aspect de nos villes à l’état de ruine ; hanté, car malgré sonapparence désertique, l’interstice est la scène de plusieurs activités plus ou moinstroublantes.

8 Deux considérations supplémentaires devraient être faites à ce stade, afin de résumer

et compléter cette analyse « hantologique » de l’interstice urbain :

Les concepts de déclin ou de décomposition urbaine évoquent l’idée de mort de la ville, et à

suivre celles d’expiration, de disparition et d’immobilité. Néanmoins, cela n’est vrai que si

notre point de vue est strictement fonctionnaliste, ou tout simplement capitaliste : selon une

telle perspective, les choses ont de la valeur dans la mesure où elles peuvent être mises à

profit et échangées. Ainsi un terrain vague n’aurait pas de valeur en soi, mais seulement en

tant que terrain potentiel de construction et de spéculation immobilière. Néanmoins, un

processus de décomposition n’admet aucune immobilité : au contraire, il s’agit à tous égards

d’un processus de métamorphose ininterrompue, dans laquelle un corps est altéré sous

l’action d’agents pourrissants (moisissures, larves, bactéries, etc.). Si, comme nous l’avons

déjà dit, un interstice urbain doit être considéré comme un événement plus que comme un

simple lieu, et un événement de décomposition urbaine, alors considérons-le comme un

processus de décomposition à travers lequel la ville se transforme perpétuellement. En

d’autres termes, dans l’interstice il n’y a pas de place pour l’achèvement, la disparition ou

l’immobilité.

On peut considérer les trois éléments que nous venons d’énumérer — les déchets génériques,

les mauvaises herbes et les graffiti illégaux — comme de véritables « agents pourrissants ». Il

nous semble pourtant qu’il y a une différence fondamentale entre les déchets d’un côté et les

plantes et les graffiti de l’autre. Les deux derniers sont associables à ce qu’Henri Bergson

appelait un « élan vital », une impulsion incessante à la création, amenant tous les êtres

vivants à saisir et à transformer chaque morceau de matière et d’espace sur leur chemin9.

1.

2.

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82

Tant l’action des plantes spontanées que celle des graffiti writers investissent l’espace

environnant d’une énergie créatrice qui n’a rien à voir avec l’usage ordinaire de l’espace —

ce qui est, au contraire, le cas d’un acte en soi nullement créateur comme celui de jeter des

déchets.

4. Vers une esthétique de l’infestation

9 De ce point de vue, tant les graffiti que les mauvaises herbes ont en commun la capacité

de transformer des portions de l’urbain de manière inattendue et inhabituelle. Maisceux-ci semblent aussi partager, en quelque sorte, un certain modus operandi ou, pourmieux le dire, une esthétique commune : une esthétique de la spontanéité et del’invasion, du parasitage et du palimpseste, du mélange et de la superposition. Lesplantes spontanées et les graffitis illégaux sont à la fois des actes de résistance àl’architecture préexistante et de réappropriation de l’espace à travers la création denouvelles formes. Comme le dit le philosophe Emanuele Coccia, les plantes « sont laforme de vie qui a fait du monde le lieu de la figurabilité infinie »10. De manièresemblable, Jean Baudrillard reconnaissait aux graffiti le pouvoir de transformer « lesmurs et les pans de la ville […] en un corps sans commencement ni fin »11.

10 Les graffiti et les mauvaises herbes s’engagent donc dans une interaction vivante,

conflictuelle et perturbante avec l’environnement bâti : ils l’attaquent, le hantent,l’infestent. Le verbe « infester » vient du latin « infestare » et « infestus », signifiantrespectivement « envahir, attaquer, ravager » et « hostile, menaçant, dangereux ». Enfrançais, ce verbe désigne l’acte de ravager un corps, un objet, un endroit par desinvasions, des actes de violence réitérés. Son équivalent italien « infestare » s’appliqueparticulièrement aux plantes, et la traduction la plus commune de l’expression« mauvaises herbes » est précisément « piante infestanti », « plantes infestantes ». Lemême verbe italien signifie également « hanter » : une « casa infestata » estprécisément une « maison hantée ». En ce sens, pour définir l’esthétique commune desmauvaises herbes et des graffitis illégaux nous parlerons d’une esthétique del’infestation, ou d’une « infesthétique » : graffiti et mauvaises herbes interviennent entant qu’agents pourrissants dans les lieux qu’ils attaquent et hantent. Ils agissentégalement comme des suppléments sur les surfaces et les volumes architecturaux, ils’agit d’une qualité qu’ils partagent avec l’ornementation. Les graffitis illégaux commeles mauvaises herbes ont néanmoins le pouvoir de détourner la hiérarchie commune del’ornementation. Si les ornements sont utilisés pour rythmer, encadrer et embellir dessurfaces et des volumes, il n’en va pas de même pour les deux objets de cet étude. Aucontraire : leur esthétique est anti-ornementale et soumet l’architecture préexistanteau lieu de s’y soumettre. Autrement dit : l’architecture devient l’ornement du graffiti etdes mauvaises herbes et non le contraire. Dans la plupart des cas, l’ornement est servileà l’architecture ou entretient avec celle-ci une relation harmonieuse. Le pouvoirinfestant et anti-ornemental des graffiti et des mauvaises herbes réside au contrairedans le fait qu’il s’agit d’agents parasitaires, exploitant l’élément architectural au lieude le servir : ils ont tendance à subordonner l’architecture à leur besoin connaturel dechaos esthétique (« figurabilité infinie », comme le dit Coccia ; « insurrection par lessignes », comme le dit Baudrillard), ce qui est l’essence de leur élan vital. Cependant, untel élan vital n’est pas destiné à embellir les endroits et les surfaces saisis par les graffiti

writers et les mauvaises herbes : même si notre propre regard ne peut s’empêcher

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d’esthétiser ces lieux comme des ruines, il est assez évident que les mauvaises herbesne se soucient pas d’y ajouter de la valeur esthétique, et la même chose peut êtreavancée pour le graffiti writing vandale, qui agit au contraire pour subordonnerl’environnement architectural à son propre vouloir esthétique.

11 Néanmoins, sous l’influence des graffiti illégaux et des mauvaises herbes, les lieux

subissent une transformation : ils cessent d’exister du simple fait de l’exploitation del’espace et deviennent des lieux de création spontanée et autonome. En effet, laprésence de mauvaises herbes et de graffiti illégaux révèle certains endroits pour cequ’ils sont réellement : précisément des lieux interstitiels, suspendus entre un non plus

et un pas encore, ayant donc perdu leur identité et leur fonctionnement d’origine etétant en attente d’une nouvelle identité. En empruntant une expression à Marc Augétout en souhaitant souligner le caractère non-identitaire de ces lieux, nous pourrionsles appeler des non-lieux12. En même temps, tout en révélant ces lieux en tant que non-lieux, les graffiti et les mauvaises herbes parviennent à transformer les non-lieux enlieux, autrement dit, ils leur confèrent une nouvelle identité.

5. Conclusion : l’interstice en tant qu’œuvre

12 Concernant la question de l’identité urbaine, dans Le droit à la ville Henri Lefebvre décrit

plusieurs modèles urbains qui se sont succédés au cours de l’histoire (par exemple laville orientale, la ville gréco-romaine, la cité médiévale, etc.), et au sein desquels lescitoyens étaient directement impliqués dans la production de l’espace et dans lacréation de l’identité de leurs propres villes. Lefebvre appelle cela « une société deFêtes »13 : foires, spectacles théâtraux, jeux de toutes sortes, sont toutes des activités àtravers lesquelles « habiter » la ville signifie aussi et surtout faire de la ville sa propreœuvre éphémère et spontanée. Avec l’avènement de la ville capitaliste — c’est-à-dire,comme nous l’avons vu avec Lefebvre, avec l’industrialisation et la conséquenteurbanisation planétaire des territoires — des changements radicaux ont lieu dans lamanière dont l’espace urbain est produit : être citoyen ne signifie plus habiter — et doncparticiper activement à la production de l’espace — mais plutôt être confiné dans unhabitat — et donc se voir attribuer passivement un espace conçu selon les rythmes et lesimpératifs de la ville capitaliste. La ville devient à la fois « lieu de consommation etconsommation des lieux », où les objets prennent de la valeur dans la mesure où ilspeuvent être échangés, c’est-à-dire dans la mesure où ceux-ci sont rentables. Mêmetout ce qui habituellement tombe dans la catégorie de la fête ne semble pas faireexception à cette règle. La ville capitaliste apparaît tout à fait comme une ville festiveet débordante de culture. Cependant, Lefebvre remarque encore que dans cetteapparente « centralité culturelle » de la ville capitaliste, la culture ne peut être que« stérile » : une culture « organisée, institutionnalisée et […] bureaucratisée »14. Dans lasociété urbaine, l’autonomie et l’improvisation doivent céder leur place à uneadministration ainsi qu’à une normativité perpétuelles : même les phénomènes créatifsurbains tels que le graffiti writing et le street art ont tendance à être acceptésuniquement en tant que phénomènes planifiés, administrés et institutionnalisés (lesfestivals de street art ou les soi-disant « murs autorisés » en sont des exemples assezéloquents).

13 Pour que la ville redevienne l’œuvre spontanée et éphémère de ses habitants, Lefebvre

évoquait la nécessité d’une obsolescence de l’espace au profit du temps15 : en tant que

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lieu-évènement par excellence, dans lequel la ville redevient l’œuvre spontanée de seshabitants humains et végétaux, l’interstice semblerait répondre à cette nécessité.

NOTES

1. Pour un compte-rendu des pratiques artistiques urbaines illégales ou autorisées dans le

territoire de Pantin, voir la brochure réalisée par le service Mémoire et Patrimoine de la Ville de

Pantin : Vittorio PARISI, 2016, « Parcours d’architecture n. 25. Graffiti et Street Art, histoire et

conscience » [PDF en ligne]. Pantin, Archives Patrimoine <URL : https://www.pantin.fr/

information-transversale/publications/graffiti-et-street-art-173> [02.02.2020].

2. Andrea M. BRIGHENTI (Ed.), Urban Interstices: The Aesthetics and the Politics of the In-between,

Farnham UK, Ashgate Publishing, 2013, p. XVIII.

3. Henri LEFEBVRE, The Urban Revolution, Minneapolis MN, University of Minnesota Press, 2003

[1970], p. 1-2.

4. Ibidem, p. 14.

5. Gilles CLEMENT, Manifeste du Tiers paysage, Paris, Éditions Sujet/Objet, p. 3.

6. Henri LEFEBVRE, The Right to the City, Writings on Cities, Oxford UK, Blackwell Publishers, 1996

[1969], p. 170.

7. Martin HÄGGLUND, Radical atheism: Derrida and the time of life, Stanford CA, Stanford University

Press, 2008, p. 82.

8. Cf. Jacques DERRIDA, Specters of Marx. The State of the Debt, the Work of Mourning and the New

International, New York- Londres, Routledge, 1994 [1993], p. 11.

9. Cf. Henri BERGSON, Creative Evolution, New York, The Modern Library, 1944 [1907], p. 277.

10. Emanuele COCCIA, La vie des plantes. Une metaphysique du melange, Paris, Payot et Rivages, 2016,

p. 25.

11. Jean BAUDRILLARD, L’Echange symbolique et la mort, Paris, Gallimard, 1976, p. 126.

12. Cf. Marc AUGÉ, Non-lieux : introduction a une anthropologie de la surmodernite , Paris, Seuil, 1992.

Par cette expression, Augé indique « un espace qui ne peut se de finir ni comme identitaire, ni

comme relationnel, ni comme historique » (p. 100). Bien que notre définition d’interstice entre

dans la catégorie des non-lieux telle qu’elle a été théorisée par Auge , ce dernier y inclut

également tous ces lieux produits par ce qu'il appelle la surmodernite , c’est-a-dire un temps

caractérisé par une surabondance spatiale et eve nementielle et dont l’expe rience peut etre a la

fois modeste ou luxueuse : des ae roports aux stations service, des centres commerciaux aux

chaines d’hotel, etc. (Ibidem).

13. Henri LEFEBVRE, The Right to the City, Op. cit., p. 150.

14. Ibidem, p. 170.

15. Cf. Id., p. 173.

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RÉSUMÉS

Résultants de l’urbanisation mondiale et d’un processus d’exploitation et d’abandon des

territoires sous le capitalisme tardif, les interstices urbains semblent préfigurer l’apparition des

ruines de nos propres villes. Par ailleurs, la présence constante de trois éléments semble hanter

les interstices : les déchets, les plantes spontanées et les graffitis illégaux. Les trois étant

généralement associés à un processus de dégradation urbaine, les plantes et les graffitis semblent

néanmoins partager une force commune ou, pour le dire avec Henri Bergson, le même « élan

vital » : une impulsion incessante à la création, amenant tous les êtres vivants sans distinction à

saisir et à transformer chaque morceau de matière et d’espace sur leur chemin. Cet élan prend la

forme d’une invasion créative de l’espace, une « esthétique de l’infestation » à travers laquelle

tant la végétation que les auteurs de graffiti se réapproprient l’environnement bâti. De ce fait,

l’interstice constitue pour la ville contemporaine l’opportunité de redevenir, comme le

préconisait Henri Lefebvre, l’œuvre éphémère et perpétuelle de ses habitants.

Resulting from global urbanization and a process of exploitation and abandonment of territories

under late capitalism, urban interstices seem to foreshadow the appearance of our own cities as

future ruins. In addition, the constant presence of three elements seems to haunt interstices :

generic waste, spontaneous plants and illegal graffiti. Usually associated with a process of urban

degradation, the plants and the graffiti nevertheless seem to share a common force or, to say it

with Henri Bergson, the same "vital impetus" : an incessant impulse to creation, bringing all

living beings without exception to seize and transform each piece of matter and space on their

way. This impetus takes the form of a creative invasion of space, an "aesthetic of infestation"

through which both vegetation and graffiti writers reclaim the built environment as their own

space. As a result, the vacant lot is an opportunity for the contemporary city to become once

again, as Henri Lefebvre recommended, the ephemeral and perpetual work of its inhabitants.

Entendiéndose como el resultado de la urbanización global y de un proceso de explotación y

abandono de los territorios bajo el capitalismo tardío, los intersticios urbanos parecen presagiar

la aparición de las ruinas de nuestras propias ciudades. Además, la presencia constante de tres

elementos parece atormentar dichos intersticios : desechos, plantas espontáneas y graffiti ilegal.

Los tres, generalmente asociados con un proceso de degradación urbana, las plantas y los graffiti,

sin embargo, parecen compartir una fuerza común o, por decirlo con Henri Bergson, el mismo

"ímpetu vital" : un impulso incesante a la creación, que incita a todos los seres sin distinción a

aprovechar y transformar cada pieza de materia y espacio en su camino. Este impulso toma la

forma de una invasión creativa del espacio, una "estética de la infestación" a través de la que,

tanto la vegetación como los grafiteros, vuelven a adueñarse del entorno construido. Por lo tanto,

la brecha constituye para la ciudad contemporánea la oportunidad de volver a ser, como lo

recomendaba Henri Lefebvre, el trabajo efímero y perpetuo de sus habitantes.

INDEX

Palabras claves : intersticios urbanos, graffiti writing, street art, espacio urbano, estética de la

infestación

Mots-clés : interstices urbains, graffiti writing, street art, espace urbain, esthétique de

l’infestation

Keywords : urban interstices, graffiti writing, street art, urban space, aesthetics of infestation

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AUTEUR

VITTORIO PARISI

(Villa Arson)

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Entre ville brouillon et ville chef-d’œuvre : le graffiti et le street artdans la construction du paysageurbain à Madrid, 2015-2020Entre ciudad borrón y ciudad obra maestra: el graffiti y el street art en la

construcción del paisaje urbano en Madrid, 2015-2020

Between the city of drafts and the city of masterpieces: graffiti and street art in

the construction of the urban landscape in Madrid, 2015-2020

Lisa Garcia

Introduction

1 L’arrivée massive du street art1 dans les années 2010 a permis aux municipalités du

monde entier d’avoir recours à un peu de couleur pour transformer les villes. Lepaysage urbain est alors repeint par des artistes, comme l’était le paysage rural d’antan,à la différence près qu’il n’est plus l’objet peint mais bien le support. Ce glissementn’est pas totalement fortuit puisque la notion de « paysage urbain », tant employéedepuis une vingtaine d’années, nous vient du vocabulaire des peintres2. Le terme esttout d’abord utilisé pour qualifier un genre pictural nouveau, développé au XVIe siècleen Occident. Il signifie, lorsqu’il est appliqué à l’espace urbain, tout ce qui y est vu etperçu : le paysage urbain est le visage de la ville, qui s’observe et se ressent. Ce mêmevisage peut sembler maussade ou avenant, selon un ensemble de facteurs.

2 La notion, qui intéresse les architectes, les urbanistes, les paysagers, les sociologues,

mais aussi les élus et certains habitants, est mise au goût du jour depuis les années 2000en Europe, avec la Convention Européenne du Paysage3, et dans les années 2010 enEspagne, avec le Plan de Calidad del Paisaje Urbano de 2009, et donne lieu à la création dela Dirección General de Intervención en el Paisaje Urbano4, à Madrid en 2012. Le Plan de

Calidad del Paisaje Urbano a pour objectif de « mejorar la calidad de la escena y el paisaje

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de la ciudad en todos sus ámbitos y en todos sus componentes, desde el centro5 a laperiferia »6. Il pose ainsi les jalons d’une réflexion autour de l’aspect visuel et sensorielde la ville. En ville, l’architecture, l’organisation de l’espace public mais aussi lesambiances créées par l’éclairage des rues, la couleur des murs, la présence ou non degraffiti, les espaces verts, le climat, la pollution, etc., sont autant d’éléments pris encompte dans le façonnage du paysage urbain. Dans ce contexte, l’art urbain7, qui surgità partir de 1999 à Madrid, une fois détourné de son origine fondamentalement illégale,spontanée et non lucrative offre à la municipalité l’opportunité d’améliorer lamorphologie du centre urbain. Il représente en effet, dans cette logique de remodelagedu paysage urbain, l’un des artifices de l’embellissement de la ville :

Dès le début des années 1960, transparaît dans les écrits des architectes et despouvoirs publics la nécessité d’apporter des réponses à leur monotonie, leur« inhumanité », au moyen de la polychromie, ou de la composition plastique desvolumes — parfois emphatiquement nommées « beauté » et « harmonie »8.

3 Pour sa « polychromie », sa « composition plastique » et sa « beauté », l’art urbain

institutionnel, ou street art, est encouragé et financé par la mairie de Madrid, à partir del’année 2015.

4 Le visage de la capitale est encore très peu touché par la vague de peintures murales

institutionnelles lorsque nous arrivons sur les lieux en septembre 2016, dans le cadrede notre travail doctoral. Le centre historique brille davantage par son graffiti9 et sonpost-graffiti que pour ses peintures murales institutionnelles, alors peu nombreuses10.C’est la raison pour laquelle, la capitale espagnole, alors en passe de voir son identitévisuelle évoluer fortement, nous semble constituer un terrain de recherche idéal. Parailleurs, l’arrivée de la gauche, avec la maire Manuela Carmena, en juin 2015, donnel’impulsion d’une ligne politique renouvelée, après 24 ans de gouvernement de droite11.Notre intuition s’est avérée vraie, puisque depuis cinq ans maintenant la ville s’est vuemaquillée d’un certain nombre de peintures murales, qui modifient son aspectphysique et le rapport des habitants au lieu habité. Elles sont venues par la mêmeoccasion camoufler un certain nombre de traces disgracieuses (murs gris, souillés,abîmés, tagués, graffés, etc.). L’art vient prendre en quelque sorte le pas sur l’aspectébauché, parfois confus et désordonné des murs de la capitale. C’est la raison pourlaquelle nous employons ici les expressions de « ville brouillon » et de » ville chef-d’œuvre », en référence à deux visions distinctes de la ville. La mention du brouillonprend plutôt en compte la composante textuelle du graffiti, alors que la ville chef-d’œuvre tient plus largement à la composante artistique du street art. Ces deux notionssont évidemment chargées d’un poids idéologique fort puisque le brouillon du scripteurest encore souvent considéré comme l’antichambre de l’œuvre finale, comme unesimple préfiguration du « propre ».

5 Des sources variées — politiques, juridiques, médiatiques, littéraires, populaires—

seront convoquées pour illustrer et questionner le paysage urbain en construction dansla capitale espagnole. L’enjeu de ce travail sera de mettre en regard ces deuxesthétiques urbaines, en débat depuis 2015 à Madrid. Nous posons l’hypothèse d’unconflit esthétique mais aussi territorial, entre le graffiti et la peinture murale, que lapolitique d’embellissement du paysage urbain permet de cristalliser.

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Le graffiti et la « ville brouillon »

L’esthétique brouillonne du graffiti

6 L’image du brouillon n’apparaît à aucun moment dans notre corpus de textes pour

qualifier l’effet visuel créé par le graffiti sur le paysage urbain. Les métaphores qui luisont fréquemment appliquées sont plutôt celles des excréments12, de l’urine13, duvomi14, de la chasse15, du jeu16 et de la lutte armée17. Pourtant, cette image nous semblepertinente pour aller plus loin dans l’étude de la perception des graffiti, autant par lasociété civile que par les politiciens, les médias, etc.

7 La giclure alphabétique qu’ils produisent sur les murs depuis les années 1980 à Madrid

est venue rompre le « confort monochrome » de la ville, selon l’écrivain Yves Pagès18.Les murs se font l’écho de voix multiples, cristallisées en un assemblage de signaturesdisparates, aux tracés et aux couleurs variés. L’anthropologue de l’écriture BéatriceFraenkel propose alors le terme de « polygraphie »19, pour rendre compte de la co-présence de divers scripteurs de cet acte d’écriture urbaine.

Figure 1. 21/10/2017, Rue Mesón de Paredes, Quartier de Lavapiés, Madrid

© Lisa Garcia.

8 Diverses signatures se côtoient ici, se mélangent, se superposent… Comme nous

pouvons l’observer sur cette vitre, malgré la règle tacite de ne pas empiéter sur lasignature des autres, certains le font à dessein pour régler des comptes — comme pourle tag bleu dans l’angle en bas à droite — d’autres le font involontairement, à cause del’encre qui dégouline. De plus, l’espace rectangulaire de la « feuille » de verre est icitellement saturé que le résultat peut sembler chaotique, désordonné et confus, pourquiconque ne serait pas initié à l’esthétique du tag et du graffiti. Ce manuscrit vertical

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semble imposer à la vue de tous un ensemble de tâtonnements, de repentirs et deratures, qui forment d’ordinaire les mystères occultes des œuvres achevées, littérairesou plastiques. Les graffeurs s’affranchissent alors des règles d’or de l’ » écritureexposée »20 : la linéarité, la lisibilité, la correction orthographique, la clarté, l’échelleadéquate, etc. Ces principes fondamentaux, qui régissent normalement l’écriture dansl’espace public sont mis à mal par ces écritures dissipées et brouillonnes.

9 Rappelons par ailleurs que le terme « brouillon » se dit « borrador » ou « copia en

sucio » en espagnol. Au cœur de ces termes se logent les notions d’effacement (du verbe« borrar », effacer) et de saleté (« sucio », sale), deux thématiques centrales dans lanarration du graffiti. Ces écritures font en effet l’objet d’une politique de nettoyagesystématique bien connue, à Madrid et partout dans le monde. L’écriture manuscritemurale, en convertissant le paysage urbain en un palimpseste désordonné, « sale », nerépond pas à l’esthétique prônée par la ville contemporaine. Nous en voulons pourpreuve la Ley de Medidas Urgentes de Modernización del Gobierno y Administración, quiexplicite l’interdiction d’écrire sur le mobilier urbain madrilène de la manièresuivante :

Con el fin de proteger el paisaje urbano y evitar la degradación arquitectónica, asícomo contribuir al embellecimiento de nuestras ciudades, se prohíbe la realizaciónde graffitis21 o pintadas en la vía pública, [...]22.

10 Si l’on en croit cet extrait de loi, le graffiti n’est pas acceptable car il défigure le paysage

urbain et ne peut « contribuer à l’embellissement de nos villes » : étonnamment, ici lanotion de propriété privée est tue. C’est bien le critère esthétique des graffiti et desinscriptions murales qui prévaut comme argument juridique. Cependant, rien dans lestextes n’explique clairement les raisons graphiques de cette interdiction légale. Pouraller plus loin dans l’étude de l’esthétique du graffiti, nous aborderons plus en détaildeux images convoquées dans la narration du graffiti, à savoir le gribouillis et la tache.

Ville tachée et ville sale

11 La métaphore de la tache, liée au champ lexical de la propreté, fait école dans les

discours qui condamnent le graffiti. Cette image est métonymique, puisqu’elle se fondesur les propriétés liquides et/ou gazeuses des encres et de la peinture aérosol, quilaissent un tourbillon de micro-taches sur les mains et les vêtements des graffeurs,ainsi que sur les murs. Le photographe Enrique Escandell, dans son livre Subterráneos23

publiait des détails des vêtements de graffeurs, mouchetés par le spray. Le mur peutégalement être empreint de taches plus importantes, sous la forme de giclures, dedégoulinures, dues à un excès d’encre sur un pan vertical.

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Figure 2. LERDO, 05/02/2019, Rue del Divino Pastor, Quartier de Malasaña, Madrid

© Lisa Garcia

12 Ici, les tracés tremblants sur le mur s’accompagnent d’une rature, dans la partie haute à

droite, autre composante de l’esthétique graffiti : en février 2019, le pseudonyme deLERDO avait été rayé une première fois en noir, par un autre graffeur vindicatif, puisécrit à nouveau en jaune, avant d’être encore barré en violet. Ces différentes couches demots raturés, entourés de taches, nous rappelle la page manuscrite de l’écrivain24 quitâtonne, corrige son texte, est victime des bavures laissées par l’encre de sa plume, etc.

13 L’écriture murale spontanée vient entacher l’idéal hygiéniste hérité du XIXe siècle, d’un

paysage urbain immaculé et propre, en nous proposant une « copia en sucio », qu’ilserait bon de « pasar a limpio ». L’historien Philippe Artières, à propos du Paris du XIXe

siècle, emploie lui aussi le terme de tache, à la fois dans son sens littéral et figuré :

La rue doit être purifiée de ces souillures. Bien sûr, cet acte d’effacement [...]s’inscrit en outre dans le mouvement hygiéniste de cette période. L’écriture illiciterelève du même domaine que la tache : elle n’est pas seulement dangereuse, ellepeut favoriser la formation d’un milieu pathogène, lui-même susceptible departiciper à la corruption de la cité par son caractère criminogène. Il faut donc pourcette raison faire acte de salubrité et la supprimer25.

14 La ville de Madrid connaît le même phénomène à partir de la fin du XIXe siècle et perd

le contrôle de l’aspect visuel de ses murs avec l’arrivée du graffiti en tant que tel, dansles années 1980. Plus ou moins à cette époque, à New York, est inventé le « Dirty Word

Remover »26, dont le nom est révélateur — le « Dissolvant pour Mots Sales » — pournettoyer les murs mouchetés de lettres alphabétiques. En Espagne, la « OperaciónMancha », l’ » Opération Tache » est mise en place par la police de la ville de Sabadell,en Catalogne, en 2008, pour identifier quatre graffeurs grâce aux analysescalligraphiques de la section scientifique de documentoscopie27. Cependant, réduire legraffiti à une tache revient à nier la technique qui sous-tend sa pratique. Lecriminologue V. Soto Pelegrín, dans son rapport de criminologie présenté à l’universitéde Salamanque en 2018 posait la question suivante : « ¿Es arte manchar el cristal del

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escaparate de un comercio ? »28. Par ailleurs, le terme est repris par les journalistes,comme Fernando G. Delgado, en février 2010 :

Los graffiteros de Madrid no parecen estar contentos con la concejal de MedioAmbiente por haber endurecido el castigo de los que manchan a capricho los murosde esta ciudad29.

15 Le verbe « manchar », « tacher » en français, est choisi au détriment de verbes tels que

« peindre », « recouvrir », « écrire », etc., pour rabaisser l’activité à son élément le plusélémentaire et le plus insignifiant, la tache. Cette éclaboussure salit la face de « la villeradieuse »30, défigurée par les imperfections du graffiti.

16 On pourrait cependant s’interroger sur l’argument de la saleté. En effet, la saleté du

graffiti ne peut être que figurée, et non pas littérale : aucune tache d’écriture, sur toutsupport que ce soit, n’a jamais été porteuse de microbes ou de germes contagieux. Cettesupposée insalubrité serait donc à comprendre davantage au sens moral de« malpropre », comme l’affirme le sociologue Michel Kokoreff dans « La propreté dumétropolitain, vers un ordre post-hygiéniste ? » :

[…] on dira que les tags ne sont pas sales — si l’on excepte les sièges maculés quiappellent le geste de la main pour vérifier s’ils sont secs ou pas —, ils font sales : ilsne sont pas du domaine de la propreté physique, ils entretiennent un « sentimentde malpropreté », ils renvoient l’image d’un « ensemble qui n’est pas maitrisé »31.

17 La sensation d’une perte de contrôle de l’esthétique urbaine semble donc

inconsciemment étayer la référence à la tache et à la saleté.

Ville gribouillée et ville laide

18 Le discours politique et médiatique se délecte de la métaphore du gribouillis, qui

permet de comparer le graffiti à un trait puéril, déconstruit, chaotique etfondamentalement inesthétique. À titre d’exemple, l’article « Garabatos. Me heacordado de los grafiteros escuchando a los implicados en el procés », publié dans lejournal El País, en mars 2019, les qualifie de « garabatos callejeros, hoy convertidos enuna lepra de colorines que estropea fachadas, persianas y trenes sin remedio »32. Cetteimage n’est pas fortuite, puisque le gribouillis, le gribouillage ou encore le barbouillage,renvoient à la maladresse de l’enfance, au primitivisme du trait, à une forme auxcontours confus.

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Figure 3. UFOE, 19/12/2017, Rue de Amaniel, Quartier du Conde Duque, Madrid

© Lisa Garcia

19 À mi-chemin entre la lettre et le dessin, le trait fluide semble ici rapide, indéchiffrable.

Cependant, une observation attentive du tag révèle la présence du pseudonyme UFOE.Il ne s’agit donc pas d’un simple galimatias de traits mais bien d’un ensemblemorphologique logique. Une méconnaissance de l’objet graffiti justifie alors que le taget le graffiti puissent apparaître, aux yeux des pouvoirs publics et de la société civilecomme une pré-écriture, une ébauche exposée à la vue de tous, qu’il convient deperfectionner avant de pouvoir avoir une place dans le paysage urbain. L’historien del’art, Emmanuel Pernoud, en donne la définition suivante :

Un dessin qui ne représente rien, qui « s’exerce à vide », ou bien qui s’ingénie àdéfigurer, à tirer la représentation vers le néant, le gribouillage provoque dessentiments d’attraction-répulsion : on ne sait pas qu’en faire, chacun y va de sonhypothèse et les interprétations sont autant d’esquives face à un phénomène quitrouble les schémas actuels de la création […] se profile l’inquiétante éventualitéd’une coïncidence entre appétence graphique et barbarie esthétique33.

20 Par sa construction mêlant vacuité et complexité, le gribouillis décontenance en ce qu’il

semble se situer au carrefour du simple trait et de la création artistique. Le tag et legraffiti « défigure[nt] » la physionomie de la ville, ils l’altèrent et l’enlaidissent. Commepour la tache avec la saleté, le corollaire du gribouillis est la laideur, tant décriée par lesdétracteurs du graffiti. Certains articles de journaux sont sans équivoque : « Grafiti con“f” de feo » publié en 2018 dans El Mundo affirme par exemple que :

[…] en varios rincones del centro de la capital proliferan desde hace casi medio añoy ante la pasividad municipal una serie de grafitis que sus propios autores definensin pudor como antiestético34.

21 Cette recherche de la laideur, dont parle le journaliste, est certes revendiquée par

quelques graffeurs, mais il serait faux de vouloir la généraliser. Le graffeur KANS, parexemple, réfutait cette affirmation, et nous confiait lors d’un entretien en décembre2017 :

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No, yo quiero que quede bonito. Quiero […] que un grafitero lo pueda ver y pensar“qué guay aquí está el KANS”, que el señor cuando abra el cierre por la mañana diga“oh qué bonito”. Yo busco las dos cosas. Que muchas veces no se puede agradar atodo el mundo. Pero mi objetivo es ése, agradar a la gente del mundo del graffiti,que me respete, y que la gente de a pie no me quiera cortar el cuello35.

22 Quoi qu’il en soit, le graffiti permet d’interroger la notion de beauté, d’esthétique et

d’art, au regard des canons de beauté dominants. Certains graffeurs madrilènes ont unepropension à accentuer le trait inesthétique, par un style dit « naïf », « brut » et même« sale »36, tels que les graffeurs SOSA, ITZO, PATEO à Madrid. Le tracé estvolontairement tremblant, vacillant ou négligé ; il laisse libre cours à la giclure, à lacoulure, à l’empâtement ou à l’asymétrie et au résultat faussement inachevé. Ensomme, il est tout ce qui pourrait avoir été exécuté par un « toy » — un novice dans levocabulaire des graffeurs —, mais à dessein. D’autres vont plus loin encore, comme legraffeur GUOS qui, en 2017, affirmait sur un mur de la rue de Don Felipe, dans lequartier de Malasaña que le « Graffiti = suciedad y destrucción. Lo bonito buscarlo enmuseos. Guos »37. Le message est volontairement provocateur : chercher à entretenir unstyle inesthétique c’est vouloir rester en marge du circuit créatif principal et sedémarquer de l’art dominant, l’art institutionnel des musées.

23 L’esthétique du graffiti, principal argument prôné par la municipalité de Madrid pour

justifier son interdiction, dérange. Elle s’impose aux yeux de tous, sous la forme d’uneécriture qui diverge de la typographie ou de la calligraphie traditionnelle38. Elle modifiedepuis presque 40 ans le paysage urbain du centre de Madrid, notamment dans lesquartiers de Malasaña et de Lavapiés, en le convertissant en un brouillon manuscrit,taché, raturé, gribouillé et illisible. La politique menée sur les murs par la DirecciónGeneral de Intervención en el Paisaje Urbano depuis 2015 vise alors à proposer unealternative visuelle et sensorielle, à partir du même support et des mêmes matériaux,les murs, le spray et la peinture.

Le street art et la « ville chef-d’œuvre »

L’« artialisation » du paysage urbain

24 Le lien entre le paysage et l’art a déjà été rappelé dans l’introduction, en corrélation

avec la peinture. En outre, le philosophe et professeur d’esthétique Alain Roger affirmedepuis 1978 que la notion de paysage, rural ou urbain, est fondamentalementesthétique. Elle se distingue alors du « pays », qui serait la donnée brute du territoire,originelle, s’il en existe. Le paysage est alors esthétisé, ou « artialis[é] »39 pourreprendre le terme d’Alain Roger, emprunté à Montaigne. Selon la sociologue RobertaShapiro, l’artification « désigne le processus de transformation du non-art en art,résultat d’un travail complexe qui engendre un changement de définition et de statutdes personnes, des objets, et des activités »40. Cette définition nous intéresseparticulièrement pour comprendre la politique de la Dirección General de Intervenciónen el Paisaje Urbano depuis 2015. En finançant des programmes des peintures murales,la municipalité de Madrid « artialise » les rues, à la manière des capitales voisineseuropéennes, et fait de la ville un musée ouvert. Cela intervient à un moment del’histoire marqué par ce qui a pu être désigné comme « la mort du paysage »41 et quicorrespond à la détérioration matérielle de nos paysages traditionnels, ravagés par lacroissance rapide et chaotique des banlieues. Pour pallier la crise actuelle du paysage

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(paysage morne et répétitif, aberrations architecturales, zones « dégradées » par legraffiti, etc.) le street art est bien souvent considéré comme une ressourcesupplémentaire aux yeux de la municipalité, pour améliorer la matérialité du lieu.

Figure 4. Zosen et Mina Hamada, « Mural with red balloon », entre la rue Ministriles et la rue Calvario,Quartier de Lavapiés, Décembre 2016

© Lisa Garcia

25 Cette première peinture murale de grande envergure, initiée par la municipalité de

Madrid, est inspirée des quelques rares peintures institutionnelles déjà existantes dansla capitale en 2016, comme le triptyque de Sam3 et la peinture murale de Blu de 2010,près de la rivière Manzanares. La démarche est à chaque fois la même : les grandesfaçades qui voilent l’horizon, fragmentent la ville et offrent au graffeurs de larges pagesblanches, sont privilégiées. Un paysage coloré et géométrique est alors inséré dans labéance urbaine que constituait ce croisement de rues.

26 Même si cet usage ne va pas de soi, l’art urbain institutionnel peut être considéré

comme un pansement coloré, fait pour dissimuler le paysage du passé dont noussommes les héritiers, principalement dans des quartiers meurtris dans leur apparence.Nous en voulons pour exemple le programme madrilène de peintures muralesCompartiendo Muros, développé à partir de l’année 2017 et pensé pour les zones les plusdéfavorisées de la ville, comme le quartier de Villa de Vallecas, Usera, Moncloa,Carabanchel, etc. Seule une peinture sur 21 a été réalisée dans le centre de Madrid. Leurdessein était de revaloriser certains espaces délaissés ou peu mis en valeur. Lesdifférents sites décrits par Martín Carril Obiols, coordinateur du projet, sont présentéscomme gris, sales, sans identité et peu amènes. Ce dernier précisait que « solamente laidea es pintar cuando vas a mejorar. Por eso nosotros utilizamos muros que sean feos,grises. Que se pinte siempre mejora el paisaje »42. L’art urbain tel qu’il est décrit par le

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coordinateur du programme semble alors réduit à un cache-misère qui, plutôt que derévéler la beauté du lieu, est artificiellement ajouté pour améliorer le paysage urbainexistant. La municipalité, en « artialisant » la rue, redéfinit ainsi les limites de l’art, enen faisant un outil utile à l’ornementation du paysage urbain.

L’illusion de la ville chef-d’œuvre, belle et parfaite

27 La Dirección General de Intervención en el Paisaje Urbano insiste sur l’importance de la

recherche de la sensation du beau, au travers des peintures murales implantées :

Se recomienda que la intervención propuesta presente un diseño de conjunto,armónico y coherente tanto en lo que se refiere al contenido como a aspectosformales técnicos y gama de colores, de manera que el resultado sea una obraestéticamente bella43.

28 Ainsi les peintures murales s’inscrivent dans une ligne politique plus vaste en matière

d’urbanisme, énoncée sur la première page du site internet du Departamento deIntervención en el Paisaje Urbano sous la forme du « derecho a la belleza », le « droit àla beauté », en plus du « derecho a la ciudad », le « droit à la ville »44.

29 La beauté des œuvres telle qu’elle est entendue par la municipalité se doit d’être neutre

idéologiquement parlant, tant dans leur contenu visuel que verbal, le but étant d’évitertoute polémique autour de l’œuvre et de créer un consensus social45 : « […] se indica quelos motivos y el diseño no contengan elementos o frases que puedan suscitar reaccionesnegativas por parte de algunos vecinos y vecinas […] »46. Sous couvert du respect duvoisinage, la municipalité parvient à contrôler les créations murales. Dans ce contexte,il est difficile d’imaginer la présence d’un quelconque message socio-politiquedissonant ou encore d’une esthétique trop aventureuse. La tendance municipalemadrilène est à la neutralité, voire à la standardisation.

30 En outre, les œuvres proposées sont, contrairement aux tracés du tag et du graffiti, de

grandes dimensions, selon un critère de perfection formelle que la peinture d’histoiren’avait jamais égalé. Du résultat final de ces murales se dégage l’impression d’uneesthétique impeccable, comme enveloppée d’un halo sacré : malgré le caractèreparticipatif de nombre de ces peintures47, elles sont préparées en amont dans unatelier, parfois à l’aide de logiciels informatiques, puis réalisées avec des instruments etdes machines de grandes envergures. L’intervention qui suit a été organisée par lamunicipalité de Madrid, conjointement à l’Ambassade du Portugal, en 2016. Le visagede José Saramago a été travaillé sur un logiciel informatique avant d’être projeté sur unmur blanchi et noirci. La silhouette en négatif de 64 mètres a ensuite été creusée surdes plateformes à ciseaux, au marteau piqueur, au marteau, au burin, etc.

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Figure 5. VHILS, José Saramago, Universidad Carlos III, Madrid, 2016

© Lisa Garcia

31 Bien loin de la spontanéité populaire, ces œuvres, qui troublent souvent par leur

beauté, leur taille et leur technique, incarnent visuellement le triomphe de la ville-musée. L’exemple de Madrid est loin d’être un cas isolé. La municipalité de Paris parexemple, en novembre 2018, diffusait un appel à candidatures pour divers projetsdestinés à des artistes urbains et architectes, intitulé « Embellir Paris »48.

32 Le beau tant convoité est révélateur d’une certaine conception de la peinture murale

contemporaine, de l’espace urbain mais aussi plus généralement de notre rapport àl’expérience. Nombre d’études urbanistiques pointent du doigt l’esthétisation duquotidien, en un siècle où « nous vivons les temps du triomphe de l’esthétique, del’adoration de la beauté, les temps de son idolâtrie »49, selon les termes du philosopheYves Michaud. L’historienne Anne Puech, dans sa thèse sur le street art contestataire enEspagne, cite également le sociologue Henri-Pierre Jeudy :

Le sociologue Henri-Pierre Jeudy parle ainsi de « l’hystérie collective del’esthétisation », c’est-à-dire d’une course effrénée vers un espace urbain construitautour d’une esthétique dominante, universelle et contrôlée et d’un art« domestiqué »50.

33 La notion de « domestication », introduite par le sociologue, nous semble en effet tout à

fait intéressante pour comprendre ce mouvement impulsé par le haut, depuis lesinstances municipales. Dans le cas de l’art urbain institutionnel, ce n’est plus seulementl’art qui est « domestiqué » mais aussi plus largement le paysage urbain et sonesthétique globale.

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Reprendre le contrôle de l’esthétique et des murs de la ville

34 Malgré leurs techniques et supports communs, le graffiti et le street art correspondent à

deux opposés sur le spectre de l’esthétique urbaine. Entre les graffeurs et lamunicipalité s’exerce, plus qu’un simple désaccord, une véritable lutte silencieuse51.

35 Bien que cela puisse sembler anecdotique, l’emploi récurrent du mot « graffiti », pour

faire référence aux peintures murales, est un premier indice de l’absorptionprogressive et croissante du premier terme de l’équation. L’expression « grafitis devalor artístico »52, des « graffiti à valeur artistique », mentionnée dans le Préambule dela Ley 3/2007, en est l’illustration. En mêlant l’art et le graffiti, en une tournureénigmatique presque oxymorique, la municipalité tord la définition du graffiti et sapede ce fait ses fondements terminologiques et conceptuels. La presse véhicule cetteerreur et crée la confusion avec des gros titres tels que celui-ci : « El grafiti gana fuerzaen el paisaje artístico urbano. La proliferación de majestuosos murales y proyectosrelacionados con el spray ponen de relieve un nuevo concepto muy alejado delvandalismo »53. Le terme de « grafiti » semble totalement interchangeable avec les« peintures murales majestueuses » dont il est question dans l’article.

36 À propos de ces mêmes « grafitis de valor artístico », mentionnés par la loi, la Dirección

General de Intervención en el Paisaje Urbano y el Patrimonio Cultural reconnaît, enmars 2019, vouloir ainsi implicitement réguler le flux des interventions scripturalesspontanées :

[…] ha llevado a la consideración de si la implantación de un procedimientoregularizado de gestión de este tipo de intervenciones podría reducir la presenciadel graffiti ilegal, aunque seguramente no erradicarlo, partiendo del supuesto deque ofrecería la posibilidad de canalizar el tránsito desde este tipo de expresión aformas de expresión más evolucionadas y propias del arte urbano y el muralismo54.

37 La politique d’embellissement de l’espace public peut également être interprétée

comme une manière d’asphyxier la culture graphique populaire, en la « canalis[ant] »pour mieux en « réduire la présence ». Promouvoir des programmes, des festivals oudes concours d’art urbain est également synonyme d’un remaniement de l’activitémurale. En transmuant un mur tagué en un mur peint, on lui assigne de force unenouvelle esthétique. On en reprend les codes pour pouvoir mieux les détourner.

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Figure 6. ZETA, 10/03/2019, Rue du Doctor Fourquet, Quartier de Lavapiés, Madrid

© Lisa Garcia

38 Cette peinture murale réalisée par l’artiste ZETA dans le cadre du programme

Compartiendo Muros se présente comme une ode au graffiti des origines, commel’indiquent la date de 1970, les bombes de spray, les feutres, les films de référence telque Style Wars de 1983, le Cheech Wizard de la bande dessinée de Vaughn Bodé, etc. Undétail attire pourtant notre attention : la feuille de brouillon de l’écolier, avec ses lignesd’écriture tracées à la hâte et le « A » anarchiste, est symboliquement piétinée par lachaussure du graffeur. Il convient de préciser que ZETA lui-même, artiste urbainqu’affectionne la municipalité de Madrid, était un grand nom du premier graffitimadrilène. L’esthétique du brouillon, qu’il défendait avec enthousiasme à ses débuts,est aujourd’hui supplantée par une peinture murale institutionnelle, qui en plus derevendiquer une esthétique du chef d’œuvre, endigue le mur palimpseste qu’ellerecouvre.

39 On assiste alors à l’imposition d’une esthétique plutôt que d’une autre, fondée entre

autres sur un jugement de goût subjectif et hasardeux, sur une démarche autoritaire etexclusive de la part de la municipalité. Elle s’inscrit dans une dynamique architecturaleet urbanistique générale des villes occidentales, décrite par le sociologue urbanisteJean-Paul Thibaud :

La maîtrise croissante de l’environnement sensoriel des villes — au moyen detechniques d’illumination, sonorisation, ventilation, odorisation et autres stratégiesd’animation — tend à produire des espaces de plus en plus conditionnés, laissantpeu de place aux rituels d’interaction entre passants et aux possibilitésd’improvisation du public »55.

40 En cherchant à imposer un nouvel environnement sensible au madrilène, la

municipalité laisse bien peu de place à l’univers instable, mouvant et spontané desécritures murales. Le nom du programme d’art urbain madrilène semble alors presqueironique : Compartiendo muros, mais peut-être pas avec n’importe qui. Aux yeux desgraffeurs et de certains spécialistes, ces initiatives municipales sont des stratégies — à

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grand renfort de couleurs et de bons sentiments — pour reprendre possession del’espace urbain. On entrerait alors dans une logique de conflits territoriaux, et non plusseulement esthétiques.

Conclusion

41 En balisant le terrain de différents temps forts visuels, la municipalité de Madrid

propose une ville scénographiée, grandiose et exceptionnelle, pour faire rempart àl’ordinaire de la ville, à la banalité quotidienne des graffiti, à cette « […] tracevernaculaire […] » dont parle Charlotte Guichard56. Nous avons montré quel’embellissement de la ville apparaît comme un critère univoque, incontestable, dansune société où semble régner le dictat de la beauté. Le street art produit ainsi une belleimage de la ville, simple à mettre en œuvre, photogénique, qui se veut plus attiranteque le verso de la carte postale, la partie écrite, griffonnée et signée.

42 La démarche municipale semble moderne et novatrice de prime abord, car l’art urbain

est un phénomène à la mode, qui fait consensus. Elle porte pourtant le sceau d’unepolitique culturelle conservatrice, d’un bond en arrière d’un point de vue de l’histoireculturelle. En effet, la dialectique qui opposait le brouillon — ou l’ébauche — à l’œuvrefinale, appelée chef-d’œuvre lorsqu’elle atteignait la perfection, est aujourd’huianachronique. La critique génétique a, depuis la fin du XXe siècle, démontrél’importance de conserver, d’étudier et de réhabiliter les manuscrits afin decomprendre les cheminements de la pensée des scripteurs. Ces brouillons, malgré leurcaractère plus ou moins chaotique, constituent parfois de véritables œuvres d’art, à mi-chemin entre le dessin, le collage et le texte, comme chez Blaise Pascal ou Ramón deValle Inclán. De même, la notion de chef-d’œuvre a été largement bousculée depuis ledébut du XXe siècle, avec « l’anarchie picturale des artistes modernes »57, pourreprendre les termes d’Emmanuel Pernoud. Les délimitations de la notion de beautédans l’art se sont vues redessinées et l’évolution de notre regard a su ériger la sous-culture en culture. Il nous semble, dans la lignée du spécialiste du paysage Alain Roger,qu’il est peut-être temps de modifier également nos schèmes de perception, plutôt quede nous complaire dans la constatation d’une crise du paysage : ainsi pourrait surgir« la beauté d’une autoroute, d’une armée de pylônes »58 ou des graffiti, tracéscomplexes et irréguliers, qui forment l’électrocardiogramme éloquent des pulsationsvitales de ses habitants et de la bonne santé de la ville.

NOTES

1. Nous entendons par street art, ou art urbain institutionnel, toute production artistique urbaine

qui est commandée par la municipalité, une entité privée, etc. Inspiré du muralisme mexicain

notamment, il se matérialise surtout sous la forme de peintures murales monumentales sur les

façades des immeubles des villes. Ce phénomène, apparu dans les années 2010, est aussi appelé

néo-muralisme.

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2. Cf. Thierry PAQUOT « Introduction / Du paysage aux paysages », Thierry Paquot éd., Le paysage.

Paris, La Découverte, « Repères », 2016, p. 3-12, <URL : https://www.cairn.info/Le-

paysage--9782707166982-page-3.htm>.

3. Appelée The European Landscape Convention, elle est signée en octobre 2000 à Florence, en Italie,

avant de prendre effet à partir de 2004. Elle avait pour but la protection et l’organisation des

paysages européens. C'est le premier traité européen ayant exclusivement trait au paysage, rural

ou urbain.

4. Le but de la Direction Générale d’Intervention sur le Paysage Urbain est alors de « promover la

coordinación de los servicios municipales cuya actividad incida en el paisaje de la ciudad de

Madrid, así como la integración armónica de los elementos que conforman el mismo », à savoir

de « promouvoir la coordination des services municipaux dont l’activité a une incidence sur le

paysage de la ville de Madrid, tout comme sur l’intégration harmonieuse des éléments qui

définissent ce dernier », <URL : http://madridpaisajeurbano.es/departamento-intervencion-

paisaje-urbano/>

5. Le centre historique « cuyo paisaje es el referente de Madrid » (« dont le paysage est le modèle

de Madrid ») précise le Plan de Calidad del Paisaje Urbano de la Ciudad de Madrid [on-line], 2009, p. 9,

[disponible le 02/02/2018], <URL :http://www.upv.es/contenidos/CAMUNISO/info/

U0670805.pdf>.

6. « […] améliorer la qualité de la scène et le paysage de la ville, dans tous ses domaines et toutes

ses composantes, du centre à la périphérie », Ibid., p. 11.

7. À partir des années 2000, Madrid a connu une évolution du graffiti vers des pratiques

parallèles, toujours illégales, qui se distanciaient de la signature, pour proposer des pièces à la

forme souvent iconique, remarquées par le grand public pour leur caractère ludique,

pédagogique, émouvant, etc. C’est l’étape qui voit converger le graffiti et l’art académique.

Contrairement aux graffeurs, les artistes de post-graffiti, souvent diplômés des écoles d’art,

aspirent davantage à dialoguer avec leur public, à partir d’icônes peintes, de pochoirs, de

pancartes, de graffiti-tricot, de panneaux de signalisation détournés, etc. Le post-graffiti est une

notion développée par Javier ABARCA, dans sa thèse doctorale El postgraffiti, su escenario y sus raíces :

graffiti, punk, skate y contrapublicidad, Université Complutense de Madrid, Madrid, 2010 et par

Anne PUECH dans sa thèse de doctorat intitulée Street art contestataire et revendicatif en Espagne :

formes et pouvoir. d’un engagement esthétique, social et politique contemporain, Université d’Angers,

2014.

8. Ibid.

9. Le graffiti est l’évolution de la signature du tag en un pseudonyme plus visible, coloré, parfois

accompagné d’effets 3D, d’ombres, de bordures, d’icônes ou de symboles, traditionnellement fait

au spray.

10. Les peintures murales étaient encore peu présentes dans le centre-ville de Madrid,

contrairement à d’autres villes espagnoles comme Valence, Murcie ou Saragosse.

11. Depuis juin 2019, le Partido Popular, avec le maire José Luis Martinez Almeida, est à nouveau

à la tête de la municipalité de Madrid. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur les éventuelles

évolutions urbanistiques et culturelles liées au retour de la droite.

12. Cf., entre autres, l’article de Juan José MILLÁS, « Sin máscaras, sin subterfugios, sin retórica »

[on-line], El País, (actualisé le 14 juillet 2019) [disponible le 15/01/2020], <URL : https://

elpais.com/elpais/2019/07/08/eps/1562599753_901799.html>.

13. Cf., entre autres, le commentaire en ligne laissé par un lecteur de l’article de Pol PAREJA, « La

guerrilla de los grafiteros : riesgo y adrenalina entre vagones » [on-line], El País semanal, (actualisé

le 17 février 2019), <URL : https://elpais.com/elpais/2019/07/08/eps/1562599753_901799.html> :

« Hay gente que se mea entre 2 contenedores y hay gente que pinta vagones. Para mí es la misma

actividad. Ensuciar la ciudad ».

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14. De fait, la terminologie employée par les graffeurs eux-mêmes est révélatrice, puisque l'on

parle de « throw up » ou de « pota », vomi en argot, pour parler d’un graffiti de deux couleurs

(contour et remplissage) exécuté rapidement.

15. L’image du chat et de la souris est volontiers employée pour se référer à la relation

entretenue entre les graffeurs et la police.

16. Cf., entre autres, le conte de Julio CORTAZAR, « Graffiti », Queremos tanto a Glenda, in Los Cuentos

Completos II, Buenos Aires, Alfaguara, 2012, p. 424, qui commence par la phrase suivante : « Tantas

cosas que empiezan y acaso acaban como un juego [...] ».

17. Cf., entre autres, Arturo PÉREZ REVERTE, El Francotirador paciente, Madrid, Alfaguara, 2013.

18. Yves PAGÈS, lors d’une rencontre organisée le 14 mai 2019, « Écritures sauvages », dans le

cadre du cycle Histoire(s) de quartier, organisé par le théâtre de l’Odéon. Il est entre autres l’auteur

de Tiens, ils ont repeint ! 50 ans d'aphorismes urbains de 1968 à aujourd'hui, Paris, Edition La

Découverte, 2017.

19. Béatrice FRAENKEL, « Actes d'écriture : quand écrire c'est faire », [on-line], Langage et société,

n° 121-122, (2007), p. 101-112, [disponible le 19/11/2019] <URL : https://www.cairn.info/revue-

langage-et-societe-2007-3-page-101.htm>.

20. Notion développée par le médiéviste et paléographe Armando PETRUCCI, dans Jeux de lettres.

Formes et usages de l’inscription en Italie 11e-20e siècle [1980], Paris, École des Hautes Études en

Sciences Sociales, 1993, p. 10 : » Par écriture exposée, on entend n’importe quel type d’écriture

conçu pour être utilisé dans des espaces ouverts, voire dans des espaces fermés, de façon à

pouvoir. permettre la lecture à plusieurs (de groupe ou de masse) et à distance d’un texte écrit

sur une surface exposée ; la condition nécessaire pour qu’il puisse être saisi est que l’écriture

exposée soit de taille suffisante et qu’elle présente de manière suffisamment évidente et claire le

message (des mots et / ou des images) dont elle est porteuse ».

21. Nous maintenons l’orthographe du terme « graffiti », tel qu’il apparaît dans les textes cités.

22. LA PRESIDENTA DE LA COMUNIDAD DE MADRID, (2007), Capítulo III, Medidas para el embellecimiento,

limpieza y calidad de vida de nuestras ciudades, Art. 20, Prohibición de los graffitis y pintadas en la vía

pública, Ley 3/2007, de 26 de julio, de medidas urgentes de modernización del Gobierno y Administración de

la Comunidad de Madrid [on-line], Madrid, 2007, p. 12 (actualisé le 27/11/2015 [disponible le

22/02/2018], <URL : https://www.boe.es/buscar/pdf/2007/BOE-A-2007-17584-consolidado.pdf>.

23. Enrique ESCANDELL, « North Face Haiku », Subterráneos, Editorial Velvet Liga, 2018.

24. Le lien entre le mur et le manuscrit, l’écrivain et le graffeur, est d’autant plus profond que les

graffeurs étaient originellement appelés « writers », aux Etats-Unis, terme qui est ensuite repris

en espagnol, « escritores » : « Son grafiteros —o, como ellos se llaman, escritores— [ …] » écrit Pol

PAREJA, « La guerrilla de los grafiteros : riesgo y adrenalina entre vagones » [on-line], El País

semanal, (actualisé le 17 février 2019), <URL : https://elpais.com/elpais/2019/07/08/eps/

1562599753_901799.html>.

25. Philippe ARTIÈRES, La police de l’écriture. L'invention de la délinquance graphique, 1852-1945, Paris,

Ed. La Découverte, col. Sciences Humaines, 2013, p. 92.

26. Le dissolvant est inventé en 1972. Craig CASTELMAN, Getting up, Subway graffiti in New York

(1982), Salamanca, Capitán Swing, 2012, p. 189.

27. Information fournie par le criminologue D. SOTO PELEGRÍN, Vicente, Op. cit., p. 4.

28. D. Vicente SOTO PELEGRÍN, « Grafiti vandálico. Introducción. Costes de Limpieza », [classes en

ligne de Grafística aplicada al graffiti. Grafitis reales y virtuales], Universidad de Salamanca, 2018,

p. 3.

29. Fernando G. DELGADO, « La limpieza de tu puerta y tu fachada » [on-line], El País (actualisé le 23

février 2010) [disponible le 22/12/2019], <URL : https://elpais.com/diario/2010/02/23/madrid/

1266927862_850215.html>, « Les graffeurs de Madrid semblent mécontents de la Conseillère

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municipale à l’Environnement qui a endurci la peine de ceux qui tachent capricieusement les

murs de cette ville ».

30. Michel KOKOREFF, « Des graffiti dans la ville » [on-line], Quaderni, n° 6, Hiver 88/89, Télé/ville,

(1988) p. 87, [disponible le 13/08/2018], <URL : https://www.persee.fr/doc/

quad_0987-1381_1988_num_6_1_1892>.

31. Michel KOKOREFF, « La propreté du métropolitain, vers un ordre post-hygiéniste ? » [on-line],

Les Annales de la recherche urbain, n° 53, (1991), p. 99, [disponible le 19/10/2019] <URL : https://

www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1991_num_53_1_1642>.

32. « Gribouillis de rue, aujourd’hui convertis en une lèpre de coloris, qui abîment les façades, les

persiennes et les trains, sans qu’on ne puisse rien y faire », Fernando SAVATER, « Garabatos. Me he

acordado de los grafiteros escuchando a los implicados en el procés » [on-line], El País, (actualisé

le 9 mars 2019) [disponible le 12/10/2019] <URL : https://elpais.com/elpais/2019/03/07/opinion/

1551953612_049859.html>.

33. Emmanuel PERNOUD, L’invention du dessin d’enfant en France, à l’aube des avant-gardes, Paris,

Hazan, 2003, p. 89.

34. « Dans plusieurs recoins du centre de la ville prolifèrent depuis presque six mois et face à la

passivité municipale une série de graffiti qualifiés sans pudeur par leurs auteurs eux-mêmes

d’inesthétiques », José María ROBLES , « Grafiti con “f” de feo », [on-line] El Mundo, (actualisé le

14/04/2013) [disponible le 18/10/2018], <URL : https://www.elmundo.es/elmundo/2013/04/08/

madrid/1365453630.html>.

35. KANS, entretien réalisé en décembre 2017, Madrid.

36. On parle alors de « estilo dirty » (« style sale ») ou bien de « estilo basura (« style poubelle »).

37. « Graffiti = saleté et destruction. Cherchez le beau dans les musées. Guos ».

38. Cf. Lisa GARCIA, « Urban tags: Calligraphy and cacography », [on-line] Lo Squaderno, n° 54

Tagging, 2019, p. 17-19, [disponible le 28/12/2019] <URL: http://

www.losquaderno.professionaldreamers.net/wp-content/uploads/2019/12/losquaderno54.pdf >.

39. Alain ROGER, « Le paysage occidental », Le Débat, 1991/3 (n° 65), Au-delà du paysage moderne /

Autour du patrimoine, p. 14.

40. Nathalie HEINICH, Roberta SHAPIRO (dir.), De l’artification. Enquêtes sur le passage à l’art, « Avant-

propos », Paris, EHESS, coll. « Cas de figure », 2012, p. 20.

41. Alain ROGER, « Le paysage occidental », Art. cit., p. 24.

42. Martín CARRIL OBIOLS, entretien réalisé en octobre 2018, Madrid.

43. Extrait d’un mail de la Dirección General de Intervención en el Paisaje Urbano y el Patrimonio

Cultural, reçu le 26 mars 2019.

44. « La nueva concepción de una ciudad inclusiva, sostenible y que da respuesta a las

necesidades de las personas, implica el ejercicio del “derecho a la ciudad” y, ¿por qué no ? el

“derecho a la belleza” » [disponible le 18/01/2020] <URL :.http://madridpaisajeurbano.es/

departamento-intervencion-paisaje-urbano/>.

45. L’importance qu’accorde le Departamento de Intervención en el Paisaje Urbano au beau dans

la ville révèle une évolution substantielle de la tradition muraliste héritée du Mexique et des

États-Unis. En effet, sa portée originellement engagée semble s’être érodée avec le temps,

puisqu’il n’est maintenant plus question de thèmes socio-politiques mais plutôt de motifs

plaisants.

46. Extrait d'un mail de la Dirección General de Intervención en el Paisaje Urbano y el Patrimonio

Cultural de Madrid, reçu le 26 mars 2019, « il est précisé que les motifs et le dessin ne pourront

pas contenir d’éléments ou de phrases qui pourraient susciter des réactions négatives auprès de

certains voisins ».

47. Les projets participatifs sont légion dans le street art, afin que les citoyens se retrouvent au

cœur de la vie de quartier et aient le sentiment d’y laisser leur griffe, comme le graffeur avec sa

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signature, mais de manière institutionnelle et maîtrisée. De fait, la devise de Compartiendo Muros

est la suivante : « Arte urbano participativo para dar voz al barrio », « Art urbain participatif

pour donner une voix au quartier ».

48. <URL: http://www.embellir.paris/>.

49. Yves MICHAUD, L'art à l'état gazeux, Essai sur le triomphe de l'esthétique, Paris, Editions Stock, 2003,

p. 8.

50. Anne PUECH, op. cit., p. 85, citant Henri-Pierre JEUDY, Les usages sociaux de l’art, Paris, Circé, 1999,

p. 179.

51. Lisa GARCIA, « Image versus writing: from post-graffiti and murals’ assault to graffiti’s

scriptural riposte in Madrid », [online], SAUC - Journal V4 - N1 Changing Time: Tactics , 2018,

p. 120-126.

52. Preámbulo, Ley 3/2007, Op. cit., p. 2 : « […] la Ley establece la prohibición de grafitis y pintadas

en la vía pública, sin perjuicio de la habilitación por los Ayuntamientos de espacios para realizar

grafitis de valor artístico ».

53. Aitor SANTOS MOYA, « El grafiti gana fuerza en el paisaje artístico urbano », [on-line] ABC,

Madrid, 25/02/2018 [disponible le 02/12/2019], <URL : https://www.abc.es/espana/madrid/abci-

grafiti-irrumpe-fuerza-paisaje-artistico-urbano-201802250129_noticia.html>.

54. Extrait d'un mail de la Dirección General de Intervención en el Paisaje Urbano y el Patrimonio

Cultural de Madrid, reçu le 26 mars 2019.

55. Jean-Paul THIBAUD, « La ville à l’épreuve des sens », Écologies urbaines : états des savoirs et

perspectives, Paris, Economica Anthropos, 2010, p. 208.

56. Charlotte GUICHARD, Graffitis. Inscrire son nom à Rome, XVIe-XIXe siècle, Paris, Seuil, 2014, p. 27.

57. Emmanuel PERNOUD, L’invention du dessin d’enfant, Op. cit., p. 88.

58. Alain ROGER, « Le paysage occidental », Art. cit., p. 25.

RÉSUMÉS

Nous nous concentrons sur l’exemple de la capitale espagnole pour étudier l’usage politique qui

est fait de la notion de « paysage urbain », depuis 2015 jusqu’à aujourd’hui. Plus

particulièrement, le présent article revient sur la mise en place progressive de programmes

municipaux d’art urbain qui viennent offrir une toute autre esthétique que celle à laquelle les

habitants de Madrid étaient accoutumés : depuis quarante ans, les murs étaient surtout peuplés

d’écritures, typographiques, mais aussi manuscrites, propres au graffiti. Cette « ville brouillon »

allait à l’encontre de l’esthétisation du quotidien et de l’expérience urbaine, qui semble marquer

l’idéologie contemporaine dominante. À l’inverse, le street art, tel qu’il est entendu par nombre de

municipalités, peut devenir l’une des clefs de la ville grandiose, de « la ville chef-d’œuvre ».

We focus on the example of the Spanish capital to study the political use of the notion of "urban

landscape" from 2015 until today. More specifically, this article looks at the gradual

implementation of municipal urban art programmes which offer a completely different aesthetic

than the one the inhabitants of Madrid were used to. For forty years, the walls were mainly

covered with writing, both typographical and handwritten, and with graffiti. This "draft city"

went against the aestheticization of everyday life and urban experience, which seems to mark

the dominant contemporary ideology. In contrast, street art, as understood by many local

councils, can become one of the keys of the grandiose city, the "masterpiece city".

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Nos enfocamos en el ejemplo de la capital española con un estudio del uso político de la noción de

“paisaje urbano”, desde el año 2015 hasta el día de hoy. Más concretamente, el presente artículo

analiza la implementación progresiva de programas municipales de arte urbano que ofrece una

nueva estética completamente distinta a la que estaban acostumbrados los habitantes de Madrid :

durante cuarenta años, las paredes se poblaron principalmente de escritura, tanto tipográfica

como manuscrita, con el graffiti. Esta “ciudad borrador” iba en contra de la estetización de la

vida cotidiana y de la experiencia urbana, que parece marcar la ideología contemporánea

dominante. Por el contrario, el street art, tal y como lo entienden muchos municipios, puede

convertirse en una de las claves de la grandiosa ciudad, de la “ciudad obra maestra”.

INDEX

Palabras claves : paisaje urbano, graffiti, street art, estética, territorio

Mots-clés : paysage urbain, graffiti, street art, esthétique, territoire

Keywords : urban landscape, graffiti, street art, aesthetics, territory

AUTEUR

LISA GARCIA

(EA 2292 CREC Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris)

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Cuando la calle entra por la ventanaContradicciones de intervenir el espacio público on y offlline

Quand la rue entre par la fenêtre

When the streets comes through by the window

Jordi Pallarès

“Cuanto más lo pensaba, más comprendía loabsurdo que era ser un Hombre Invisible en un

clima inhóspito y en una ciudad populosa ycivilizada. (…) ¿De qué sirve estar orgulloso de un

lugar cuando no puedes aparecer en él ?”H. G. Wells1

“El escuchar es lo más revolucionario que sepuede hacer. Sin duda alguna. El escuchar y elescucharse. Porque escuchar el mundo que te

rodea te permite saber cómo piensa el mundo quete rodea. En qué consiste el mundo que te rodea.

¡Cuánto eres de ese mundo !” El Niño de Elche2

Introducción

1 Según narra Bernardo Bertolucci en The Dreamers (2003), el mayo francés del sesenta y

ocho lo empezaron los cineastas cuando salieron a la calle como protesta a ladestitución de Henri Langlois como director de la Filmoteca de París. Una toma delespacio público desde una clase social formada, atenta y acostumbrada a narrar y ainterpretar la realidad. Así empieza una película en la que el director italiano habla delhecho de rebelarse como algo justo y necesario para transformar la realidad. La de unoy la que ocurre fuera. Precisamente, la dicotomía dentro/fuera es clave en la películaasí como otras contradicciones propias de aquellos que sueñan un mundo mejor.Conflictos que el trío protagonista refleja en sus juegos y comportamientos inherentes asu condición política y social.

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Como dice Rancière, la vieja problemática del activo y del pasivo no se resuelve tanfácilmente. Conviene saber, antes de nada, quién debe alzarse y por qué motivo. […]El levantamiento no es tanto un acontecer-activo del pathos como un modo decombinar el movimiento con el reposo3.

2 Y es que lo revolucionario empieza muchas de las veces en uno mismo y en espacios tan

íntimos y personales como el espejo del baño4.

3 En los diez minutos finales de la película, un adoquín entra desde la calle rompiendo los

cristales de la ventana de la casa en la que los tres jóvenes llevan compartiendo unosdías. En ese preciso momento se encuentran durmiendo bajo un tienda de campañaocasional dentro de una de las habitaciones. Una ocupación adolescente y consentida dela casa durante la ausencia de los padres de dos de ellos. Como parte del pavimentourbano, el adoquín supone la reconexión con la realidad de la calle, con el resto dejóvenes y no tan jóvenes que están pisándola al manifestarse, el grito de los cualesentra también en la vivienda junto al adoquín lanzado. Una realidad que les apela,afecta y apoyan pero que, hasta el momento, transcurría paralela al bienestar de supermisividad doméstica. Y ahí la reacción a la reacción, el querer apoyar contra vientoy marea una causa que les pertenece pero que no terminan de dimensionar. El querersalir de nuevo a la calle —tras su reposo— con sus respectivos miedos, complejos y conlas dosis de agresividad que la protesta requiere.

4 A nivel artístico, el verbo “intervenir” contempla en la actualidad múltiples maneras

históricas de abordar el espacio público. Desde prácticas subculturales como el graffiti ;las nuevas derivas psicogeográficas como parte del legado situacionista de finales de loscincuenta, pasando por todo tipo de acciones efímeras herederas de los setenta encuanto a la desmaterialización del objeto artístico y la práctica performativa ; tambiénlo considerado como arte público (aunque pensado a priori para permanecer) comoaquel que viene encargado y dirigido por una institución o entidad privada y se“instala” en el espacio urbano ; las prácticas relacionales, locativas y de realidadaumentada en los que las nuevas tecnologías juegan un papel importante ; el nuevomuralismo contemporáneo y cualquiera de las intervenciones que se vinculan alheterogéneo fenómeno del Street Art. Sin ignorar todo ese bagaje, la acción derevelarse y manifestarse supone una intervención en sí misma, entendiendo el verbointervenir en el sentido etimológico de interpelar, actuar, mediar o participar de unproceso. El historial de las transformaciones sociales más recientes nos indica laimportancia y la repercusión de determinadas intervenciones colectivas que hanrespondido a ciertas demandas producidas por la crisis de la socialdemocracia. El 15M,por ejemplo, fue un movimiento global que en 2011 sacó a la calle a multitud depersonas de muchas ciudades europeas bajo el parangón revolucionario de lo queocurrió en un país que no llega a medio millón de habitantes. Una hazaña que llevó alos islandeses en 2007 a intervenir la política económica de su país, consiguiendo que elgobierno de aquel momento dimitiera en bloque. De ahí que, cuatro años después, laposibilidad de ese logro provocara manifestaciones multitudinarias y simultáneas envarias ciudades del planeta, generando consignas e imágenes que se reprodujeron y semultiplicaron en el espacio público de la calle y de Internet de manera muy parecida alos que cuarenta y tres años antes se llevaron a cabo en las calles de París. Y es queartistas y colectivos varios (también ciudadanos ocasionales) en determinadoscontextos y momentos históricos han contribuido con y desde sus acciones en la ciudada la transformación de la misma. Con mayor o menor consciencia, algo parecidoocurriría en la segunda mitad de los sesenta en Nueva York, Filadelfia o Chicago con el

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gesto político de no pocos adolescentes que empezaron a escribir en la calle comoactitud política previa a lo que hoy entendemos como graffiti5. Un gesto presencial,territorial y de apropiación propio del ser humano en su relación con lo que le rodea ycomparte. Intervenciones que generan cambios que, si bien no son visibles a cortoplazo, sí acaban cristalizando en fenómenos socioculturales de gran influencia engeneraciones posteriores. Fenómenos habitualmente absorbidos por lo institucional ypor la industria cultural que los oficializa y mercantiliza, a la vez que desactiva. Esas yotras contradicciones forman parte implícita de determinados movimientos sub ycontraculturales y del propio hecho de intervenir en la calle, provocando al individuolidiar entre cosas tan básicas como lo propio y lo ajeno, lo personal y lo colectivo, elbeneficio propio y los intereses comunes. Una actitud que se expande sin apenas límitesen el espacio público digital, poniendo sobre la mesa nuevas y no menos interesantescuestiones sobre el sentido y el alcance hoy de la práctica artística intervencionista,sobre sus ambigüedades, oportunismos y paradojas. De ahí que un simple y estéticopañuelo, desde casa o en la calle, pueda ocultar un rostro en un momento dado6.

Desafíos éticos de estar, ser visto y sobreexponerse

5 Si abrimos la web del artista urbano Ampparito nos aparece lo que todos reconocemos

como un “protector de pantalla”. No uno cualquiera, sino el que generacionalmenteestá vinculado al visionado de los primeros DVDs a través del televisor. Se trata deldeambular del logotipo de la empresa original, cambiando de color cada vez que toca“al azar” los límites de la pantalla. Vemos pues cómo DVD-Video va moviéndose en uninfinito y encantador GIF que recuerda los primeros juegos de videoconsola. En esafijación, no podemos dejar de leer video, video, video... Ampparito “fijó” uno de esosmovimientos rebotados sobre una pared de proporciones parecidas a las de unapantalla. Video es una palabra proveniente del latín con la misma raíz que entrevista,envidia, vedette, vis-à-vis o voyeur. Vinculado al indoeuropeo, el vocablo eidos significaen griego apariencia : imagen. Un sufijo que también ha dado palabras como androide,antropoide y asteroide. Ver y ser visto desde donde sea. Voz activa y voz pasiva.Campos semánticos varios desde los que trabaja Ampparito.

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Fig. 1 - About 27 Years, Waiting and Boucing, Ampparito. La Laguna (Islas Canarias), 2018

© Jordi Pallarès

6 Según Sennett7, la ciudad viene definida como el lugar de encuentro —¿coincidencia ?—

entre desconocidos. La cantidad de conocimientos que uno tiene sobre el otrodetermina los conceptos de público y privado. Pero, ¿qué queremos que sepanrealmente de nosotros mismos nuestros vecinos, aquellos y aquellas con los quediariamente nos cruzamos en los mismos lugares y en la misma franja horaria, nuestrascompañeras de trabajo, la gente que nos atiende en nuestras transacciones comercialeso institucionales ? ¿Y qué diablos sabemos nosotros de ellos y de ellas ? Los distintosintercambios —también los visuales— que se dan desde el momento en el que salimosde casa han sido desde siempre la transferencia habitual e imprescindible deconocimientos a partir de la cual interactuar. Hay cosas que queremos explícitamenteque se sepan mientras que otras las salvaguardamos celosamente.

[...] la diferencia semantica en el significado del termino “publico” parece tener unarelacio n directa con la manera en cómo se mira y se maneja el espacio publico en laciudad. Para unos es el inmenso terreno donde la ciudadania se reconoce a simisma. Para otros, es un lugar hecho para ser observado a distancia, como si fueraun evento8.

7 Y, aun así, ese reconocimiento y observación se verán filtrados por el humor y el estado

de ánimo con los que amanezcamos.

Lo que hacen los protagonistas de las relaciones urbanas es jugar, en cierto modo, ala heteronimia (y al anonimato). Es decir, establecer reglas para actuar en susrelaciones externas sin mostrar demasiado quiénes son. Ahí la espontaneidad juegaun papel mínimo, aunque sí “existe un fuerte componente de impredecibilidad yazar9.

8 Tan recurrente en circunstancias de ilegalidad y censura como en el disfraz profiláctico

online, el pseudoanonimato no deja de ser una forma bastante común de presentarnossin dejar de preservar en realidad quiénes somos. El anonimato, por otro lado, puedeofrecer para algunos y algunas libertad de autonomía10. ¿Protección, irresponsabilidad,

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heroicidad… ? Eso dependerá de la consciencia que tengamos de todo ello. En elcontexto de la sociedad de la información, esos avatares esconden, a veces, la sensaciónde un ninguneo no deseado.

La desigualdad de los “no vistos”, de los que no existen en el mundo conectado, delas alteridades, los excluidos o los inconformes, pone de manifiesto el espejismo deuna cultura-red donde la maquina y sus dispositivos se han camuflado comoneutrales, o se nos han hecho invisibles11.

9 Si al final estamos hablando de información, ¿cuándo y, sobre todo, cómo se da esa

transferencia de conocimientos ? ¿Creemos realmente dominar el lenguaje y el tiempoen los miles de mensajes que recibimos, aprobamos y reproducimos desde nuestroteléfono inteligente pero, ¿acaso los árboles no nos impiden ver el bosque ? ¿Cuál es elimpacto que eso tiene en nosotros como individuos y como sociedad ? ¿Creemos estarinterviniendo en “algo” o somos, más bien, intervenidos en todo lo que hacemos ? Y esque nos obsesionamos en ese intercambio de información protegiendo nuestraidentidad cuando realmente estamos perdiendo nuestra incidencia real hacia lo que nosrodea y, como consecuencia de ello, su posibilidad de transformación. Ver, decir, hacer.Tres verbos transitivos que dejan de serlo en su forma pasiva.

10 Hablemos, pues, de ver y ser vistos, de nuestra privacidad y de nuestra publicidad.

Según el artículo 12 de la Declaración Universal de los Derechos Humanos, la ley debeproteger toda injerencia arbitraria sobre cualquier persona, los suyos y sus espaciosprivados, entendiendo esos espacios en términos de transacción económica. Entérminos habitables y de pertenencia, los límites urbanos entre lo público y lo privadose encuentren, quizá, en las fachadas, en esa verticalidad, y en lo imperceptible de esapared y la atmósfera de la calle. Fronteras que en términos legales y/o punibles setraducen en lugares de propiedad pública o privada. Pero en la esfera pública loespacial trasciende a otros “lugares” en los que lo público como lugar de intercambioestá más vigente que nunca. Los viejos y los nuevos medios de comunicación son unbuen ejemplo de ello. Se trata de otros espacios de conversación y agitación pública taly como Sócrates los entendió y vivió en su propia piel.

Dos mil años después, [...] el pensamiento político liberal distingue estrictamenteentre el espacio privado, donde no hay intervención del Estado ni límites a lalibertad individual, y el público, donde los individuos abandonan sus interesesparticulares para implicarse en los asuntos comunes12.

11 Hay pues otras maneras de diferenciar ambos conceptos que se fraguan en nuestra

implicación en lo común y los límites de nuestra libertad. La perversión liberal permitela extralimitación en todo aquello que uno posee y emprende, como si ello no tuvieraconsecuencia alguna en la vida pública y tuviera que estar exento de toda regulación.

12 Esa libertad que algunos y algunas entienden como lícita para hacer con lo propio lo

que se cree necesario obviando a los demás. Ese sentimiento de pertenencia es el quenos justifica abusar de cualquier otredad. Es casi una reproducción de esa consignadoméstica ancestral que tantas veces hemos oído a nuestros predecesores y que nospermite romper con ciertos márgenes de actuación : « En casa haz lo que quieras perofuera no te hagas ver demasiado ». Una directriz familiar que más que impedirnoshacer, nos recuerda la importancia del no sobreexponerse. Ni esa aparente libertad sinlímites tiene sentido, ni esa cultura de las apariencias es aconsejable para saber quiénessomos y de dónde venimos. Algo parecido ocurre en el espacio público de Internetdonde el uso y abuso de imágenes y mensajes hace invisible cualquier posiblemanipulación y atentado visual. Protegerse o anestesiarse ante resulta realmente

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complicado. De ahí que artistas como Grip Face aludan con su trabajo a esa mascaradacolectiva de la ciudadanía en la que el maquillaje acaba siendo una necesidad vital.

Fig. 2 - Mask of Millennial Generation (Mallorca, 2019). Intervención de Grip Face.

© Anders Ahlgren

13 David Lyon define “vigilancia” como el mundo del control monitorizado, el

seguimiento, el rastreo, la clasificación, la comprobación y la observación sistemática13.Las sociedades susceptibles de asumir esa vigilancia son aquellas en las que todo esrelativo e impreciso, aquellas en las que sus supuestos valores son cuestionados y todoparece valer. Sociedades inestables y líquidas —como también las definiría Bauman— enlas que la masa es más manipulable que nunca. Sociedades en las que la cesión sinlímites de nuestra privacidad online (y, por consiguiente, offline) pasa por tener accesogratuito a Wifi en el espacio público y/o obtener aplicaciones de (auto)control obsesivoque crean dependencia y, sobre todo, evitan invertir tiempo en cultivar nuestropensamiento crítico14. Y es que en esa cesión de felicidad consentida “estamos máscerca de la distopía dibujada por Aldous Huxley en Un mundo feliz (1932) que de la deOrwell en 1984 (1949), ya que somos nosotros mismos los que dejamos que el GranHermano nos vigile”15. De ahí que en el mundo post-panóptico de la modernidadlíquida,

la nueva vigilancia, basada en el procesamiento de la información, permite unanueva transparencia en la que no solamente la ciudadanía como tal sino todosnosotros, en cada uno de los roles que asumimos en nuestra vida cotidiana, somosconstantemente controlados, observados, examinados, evaluados, valorados yjuzgados16.

14 En la cita, Lyon habla de clasificación tecno-social. Y esa segregación es fruto de cierta

permisividad y sumisión, conceptos excesivamente complejos de operar. La realidadestá superando con creces la ciencia ficción y no estar conectados y/o conectadas tieneun precio especialmente alto : no enterarse de, no participar de, no ser como, no ser.

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La bestia de la que despotricaba hace miles de años Platón es la multitud, la masa dela cultura de masas del siglo XX y de nuestra conversación pública de masas delsiglo XXI ; y es también, más en general, el pueblo (soberano en democracia)concebido como un gran animal (una bestia irracional)17.

Aunque, como apunta Furio Jesi, “nell’ora della rivolta non si è più soli nella città”18.

15 Activa o pasivamente, la sobreexposición nos afecta a todos y a todas como una ebria

acción en la que somos capaces de cualquier cosa. Por ejemplo, ¿quién no ha escritoalguna vez en alguna pared ? Dejar un rastro —reconocible o no— supone en sí laapropiación de un espacio a través de la escritura (algo implícito en la práctica delwriting). Escribiendo, nombramos (nosotros, yo, el otro) y damos visibilidad adeterminadas cosas y hechos. Dicha apropiación no es solo una marca de pertenencia aun territorio o un vínculo a una situación sociopolítica, sino que también supone unatoma de decisión y responsabilidad sobre algo. La acción de escribir en un determinadomomento supone –según se mire– un derecho o un abuso. Puede que lo que escribamosresponda a un simple gesto, a algo caligráfico por el mero goce de escribir y regodearsehaciéndolo. Puede quizá ser una consigna para ser leída, algo intencionado que siempreexcluirá a aquellos y aquellas que no comulguen con su contenido o, simplemente,cuestionen esos modos de hacer. ¿Eso significa que hay que evitar experimentar yreflexionar sobre determinados comportamientos de convivencia y que no debemosexpresar ni compartir lo que consideramos necesario en ningún momento y bajoningún formato por conflictivo que ello suponga ? Si así fuera, muchos de los grandescambios sociales y políticos no se hubieran dado, pero también es cierto que eseliberalismo informacional abre vedas en muchos sentidos. Los límites de la libertaddemocrática parecen contemplar eso y más. Verbalizando de memoria alguna de esassentencias callejeras, ¿la calle es (pues) de todos ? Sin duda, se trata de una frase malplanteada. La calle no nos pertenece. La calle es. Y estar ahí con los demás supone todoun ejercicio de negociación que conlleva ciertas concesiones.

Pero también [...] el espacio ha pasado a convertirse en el tablero de operacionesconstruido o proyectado discursivamente desde las estrategias del poder, un podero poderes que se despliegan primordialmente mediante la territorialización y lacontinua distribución y redistribución de posiciones espaciales : dentro/fuera,centro/margen, contigüidad/fractura, patria/frontera, etc. En este sentido, elespacio pasaría de ser un a priori a ser una construcción, un producto generado apartir de la acción, interacción y competición entre los distintos agentes19.

16 Ante esto, una posible consigna sería : más reacción y menos apropiación20, y aun así

ese estado de alerta no tendría por qué resonar igual para toda la ciudadanía. De hecho,el soporte a través del cual se nos transmiten los mensajes condiciona el sentido de losmismos. Lo escrito visceralmente sobre la pared y con aerosol suele leerse mediática ypopularmente como acciones contraculturales. Y eso es algo reconocido y utilizado enambos lados del muro. Al final, se trata de otro juego más de interpelaciones. Un pulsoque debe existir —aunque no por ello ser banalizado— y sobre el que muchos artistasironizan permitiéndose intervenir anónimamente con la deliberada intención de jugarcon consabida lectura.

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Fig. 3 - Intervención de Srger en Sevilla (2018)

© Srger

(Re)accionar de inmediato ante lo inostensible21

17 En términos económicos, se llama superávit a la abundancia de algo que se considera

útil o necesario. Respecto a las acciones o intervenciones que pueden realizarse en elespacio público por parte de la ciudadanía, es difícil valorar su grado de efectividadsobre un determinado grupo social o zona específica de la propia ciudad y, por lo tanto,la necesidad de las mismas. Muchas de ellas responden a cierta intención de dejarexplícitas sensaciones o sentimientos privados, retroalimentados por al espacio socialonline del que disfrutan. Actuar sin más o estar pendiente de lo que vemos impide tenerotros filtros sobre la realidad circundante que no sean los de las apariencias. Un quererser que pasa por lo que exhibimos. “Ver, dominar, mirar, es (también) poseer, pero sinlos inconvenientes de la propiedad ; es casi como disfrutar como ladrones delespectáculo del mundo”22. Podemos, pues, observar e incluso gozar haciéndolo sinsentirnos mal por ello y sin necesidad de controlar ni apropiarnos de nada enparticular. Pero nuestro protagonismo actoral no debería permitirnos observar larealidad como si de un documental se tratara. Generemos o contribuyamos en ciertamedida al espectáculo23, formamos parte de él y en esa corresponsabilidad de lo quesucede contribuimos a dar sentido a lo que está en la calle —sea o no realizado conintención artística— y a formalizar una teoría de la recepción sin la cual las prácticasartísticas en el espacio público serían injustamente valoradas y evaluables. Estamoshablando del impacto político y social que estas tienen en el entorno urbano y en lafacilidad de las mismas para ser percibidas como un espectáculo más24. De ahí que, aunreconocernos como artistas, productores, documentalistas, curadores, gestores,

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investigadores, sociólogos, analistas, arquitectos, urbanistas, especuladores,provocadores… pasivos, voluntarios, inmediatos, colaboradores, participativos,obligados... seamos, al fin y al cabo, público unos de otros y de lo que acontece. Y esque, más allá de lo que supone ver(se) y poder reproducir(se) en la pantalla —nos gusteo no— somos seres urbanos25, hipervínculos humanos26 para quienes nos rastrean online

con cierta fe ciega. De ahí que nadie ignore que cualquier fotografía y ubicaciónfacilitada equivalga hoy a las perversas y estéticas imágenes aéreas que fotógrafoscomo Edward Steichen llevaron a cabo durante la Primera Guerra Mundial como excusade reconocimiento territorial. Una valiosa documentación profesional de la cual extraer

muchísima información27. Y es que si la fotografía nunca fue objetiva ni exenta deintención, tampoco lo fueron las distintas aproximaciones en gravado de vistasgenerales de cualquier ciudad occidental en la que autores diversos acaban porreinventarse o modificar levemente sus visiones, celebrando o criticando a nivelurbano lo que veían28. Al final, prevalece el deseo sobre la realidad en esta otra manerade intervenir la ciudad.

18 Dicho esto, y en lo que a lo experiencial se refiere, probablemente Internet –ese otro

espacio público– se acerque más a lo urbano en cuanto a cómo nos movemos,intervenimos y nos intervienen. Y a pesar de ello y contra todo pronóstico, nuestracapacidad de resiliencia ha hecho que la ciudad como tal no sea exactamente un lugarimpasible y de anonimato, un lugar de no-lugares empíricos —en términos de MarcAugé29—, sino un cúmulo de espacios de encuentro, intercambio y de sentido colectivocon los que identificarse con el otro y en los que la cada experiencia es distinta. Unaasertividad social que no conlleva tener que aguantarlo todo aunque existanplataformas que pretendan hacernos creer en la posibilidad inmediata de cualquierdeseo pues el lugar y el no lugar no existen como procesos finitos.

Space Invaders30 : a modo de conclusión

19 “Siempre retengo de esas caminatas el movimiento ascensional. Yo soy —dice

Zaratustra— un caminante y un escalador de montañas”31. Esa doble condición del

personaje de Nietzsche nos conduce de nuevo a cómo ver e interpretar el entorno. AQuinn —uno de los alter egos de ficción del escritor Paul Auster— le gusta caminar,perderse, entregarse a la ciudad e imaginarse cenitalmente los recorridos de quienes lapisan, olvidándose casi de quién es32. Diríase de una observación que combina unavisión a ras de suelo con otra que se aleja hacia arriba cual un navegador. Somosciudadanos y algunos también artistas. En una, en otra o en ambas tesituras, ¿sentimosrealmente la calle cuando la pisamos ? ¿Cómo valoramos el impacto de nuestros paseose intervenciones on y offline ? ¿Cómo retornan en el procomún de la ciudad ? ¿Y dóndequeda lo experiencial ?

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Fig. 4 - Intervención de Ismael Iglesias perteneciente a la serie Street Fighter Project (Bilbao, 2016)

© Ismael Iglesias

20 El adoquín que se dirige a través de la ventana hacia los protagonistas de The Dreamers

es una alarma sobre nuestro papel respecto a lo que ocurre fuera. Exactamente lomismo que cuando “oteamos” desde la pantalla de nuestro ordenador o Smartphone

donde sea que estemos dado que “fuera es nuestro elemento : la sensación exacta deestar habitándolo”33. Y es desde la ambigüedad de esa contradicción que solemosreaccionar individual y colectivamente.

Un conflicto que viene redefinido como una situación de desacuerdo de actitudes ocomportamientos entre personas o colectivos. Micro o macro situaciones que se danen la esfera pública y que nos rebotan horizontal y verticalmente. Pero un conflictoes también un elemento de relación en las sociedades actuales. Darle visibilidad esfundamental para comprender su importancia y para entender muchas de lasdinámicas que tienen lugar en las sociedades contemporáneas34.

21 El espacio público, pues, aparece como un lugar relacionalmente vivo, una constelación

polisémica35. Y el espacio público online no tiene sentido sin los efectos ni lasnecesidades de observación, ordenación y control del espacio presencial que pisamos alsalir de casa ; sin aparente libre acceso a la información y a la libertad de movimientopropios de la esfera pública, convirtiéndose en el lugar de encuentro y desencuentrosobre los límites de lo público, lo privado, lo presencial y lo virtual. El conjunto demecanismos —oficiales o no— que se precisan para el acceso, gestión e intercambio delas políticas de lo común en pro del potencial constituyente de lo público36. Un conceptoque empodera a la vez que se apropia de otros microconceptos, canales y prácticasartísticas reconocidas o no, en las que lo público aparece

con frecuencia insoportablemente complejo y contradictorio, sin sentido, vacío,desalmado, frío, moralmente inferior o incluso decididamente inmoral. […] Eso creasociedades instantáneas entre desconocidos, en relaciones transitorias que seconstruyen a partir de pautas dramatúrgicas o comediográficas37.

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22 En ese marco, geolocalizar no deja de ser un verbo que nos permite visionar las

ciudades en un sentido ambiguo. Por un lado, nos parece controlar desde arriba lo queexiste y ocurre abajo (sabemos de los juegos de inmediatez y de no inmediatez deGoogle Street View), a la vez que ese mismo reconocimiento nos puede llevar a pensarque conocemos suficientemente el lugar como para registrarlo en nuestra memoria y,como consecuencia de ello, evitar tener que pisarlo. Jugamos, pues, desde la perspectivadel confort y del goce que nos proporciona ver de lejos, de cerca y en 360º. Se trata deesa ingenua sensación de control que proporciona la videovigilancia. La distancia y elmovimiento que nos proporciona ese dominio visual sobre las ciudades no sueleaprovecharse por parte de algunas prácticas artísticas intervencionistas parametareflexionar sobre el propio mecanismo, sus efectos y sus proactividades en sus

usuarios. Al final, la geolocalización se reduce a ejercicios de voyeurismo y exposiciónen toda regla.

Quizas la epica de una posible practica exhibicionista hoy en dia recaiga en cubrircon un tupido manto nuestra cotidianidad, oscurecerla, devolverla a la privacidaddel tacto, a la intimidad, al roce. Volvernos invisibles, no por sobreexposicion sinopor la falta de ella38.

23 Por ello “la hipervisibilidad excede los ojos hasta imposibilitar su abordaje, su gestio n, y

deriva en nuevas formas de censura”39. Invisibles o hipervisibles, nos sentimosocasionalmente superpoderosos a pesar de la dificultad misma de sobrellevar una uotra condición, aunque tal vez –y como reflexiona desde la ficción H.G.Wells40 en bocade su « hombre invisible » y en la de su implicado narrador– el mayor reto y paradojade la invisibilidad sea el de verse uno mismo. Ser invisible o hipervisible… ¿Para quién ?¿Para qué ? ¿Cuándo interesa serlo y cuándo no ? ¿Qué coste tiene ? ¿Qué valor ledamos a la visibilidad ? Si queremos una smart city, con cierto equilibrio ysuficientemente flexible a transformaciones, si queremos actuar desde una mirada queno sea la de nuestros propios intereses, quizás no habría que precipitarse y conocer locircundante algo más que “de vista”.

El Hombre Invisible deviene metáfora perfecta del hombre público, que reclamauna invisibilidad relativa, consistente en ser “visto y no visto”, ser tenido en cuentapero sin dejar de ocultar su verdadero rostro, beneficiarse de una “vista gorda”generalizada ; que alardea de ser quien es sin ser incordiado, ni siquiera interpeladopor ello ; que quiere recordar que está, pero que espera que se actúe al respectocomo si no estuviera41.

24 Intervenir, interferir, interpelar… siguen siendo verbos cuyo significado merece la pena

revisar. Muchas ciudades y entornos urbanos han alcanzado ya su respectivo superáviten intervenciones artísticas de todo tipo. Con conceptos, autorías y lugares comunes, elarte público y el arte urbano tienen hoy muchos retos que afrontar al respecto pues eloculocentrismo de la sociedad de la información reduce el hecho de intervenir aapropiarse del espacio público con la intención de donar imágenes y/o textos enespacios verticales de la ciudad. Intervenciones que, a pesar de sus intenciones, acabaninmersas en la iconosfera informacional de la ciudad, consumiéndose como unproducto más de ese “dogmatismo espectacular” al que hacía referencia Debord42. Amás exposición, menos efectividad. Algo parecido ocurre en el campo no presencial.Conflictos y contradicciones que, si bien son implícitas en el hecho de intervenir, seacusan en determinadas prácticas artísticas en el espacio público on y offline. De ahí que,paradójicamente, otras intervenciones artísticas menos espectaculares y en las que laautoría suele ser menos reconocible, sean las que, probablemente, más contribuyan a

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posibles cambios y transformaciones. Sutiles manipulaciones in situ o a través de lapantalla que, aun siendo perfectamente susceptibles de ser etiquetadas en alguno de lostantos brazos del Street Art, aparecen aparentemente desprovistas de aquello que laslegitima como artísticas. Es decir, el espectador de a pie no las reconoce como talespero que sí suelen ser reactivas en su provocación43. Se trata de intervenciones lascuales necesitan a menudo ser accionadas por el propio artista o ser el mismoespectador quien —consciente o no— lo haga en tanto en cuanto las integre en ciertomodo en su quehacer diario. Trabajos abordados por perfiles de artistas y colectivosmuy diversos que ultrapasan determinadas etiquetas artísticas. En cualquier caso,intervenciones con intención que reclaman la complicidad y la re-acción delespectador.

25 En ese vaivén intervencionista, la responsabilidad de aquellos y aquellas que lo hacen

en la misma calle o desde la pantalla de su casa es prácticamente la misma. Pisar la calleparece algo fundamental para poder tomar el pulso de lo que ocurre en ella, pero aveces los árboles no nos dejan ver el bosque. Falta perspectiva cenital. Algo parecidoocurre con las intervenciones artísticas online en las que esa “distancia” sí está pero, talvez, lo experiencial se tienda a subestimar, acostumbrándonos a verlo todo desde laventana. Las nuevas tecnologías incorporan la posibilidad de cierto control sobre larealidad aunque sabemos que existe, a su vez, un control panóptico mayor sobre todosnuestros movimientos a través de ellas. Quizá la “solución” esté en un lugar intermedio,en esa acción congelada que Yves Klein llevó a cabo saltando al vacío desde una ventanahace exactamente sesenta años. Un gesto que se resolvió fotográficamente para serdistribuido por la ciudad, y en la que la ventana y el suelo de la calle como referentesentran perfectamente en el campo visual del espectador. Toda una acción avant la lettre

en la que el simulacro y la posibilidad misma de su propia realidad parecían unirse enun espectáculo tan sugerente como provocador. Quizá en ese punto deberíamospreguntarnos algunas cosas como, por ejemplo, prever y medir el posible impacto denuestras intervenciones, como artistas y como ciudadanos y ciudadanas. Una dobletesitura difícil de manejar hoy por hoy en la esfera pública. Razón de más para empezarcon un ¿por qué ? y un ¿por qué aquí ?44. Ahora que hemos podido verextraordinariamente despoblado el espacio público de nuestras ciudades comoresultado de un retiro preventivo y proteccionista obligado por temas de salud, quizásea el momento de reflexionar sobre también la salud del propio espacio urbano. Vistolo visto, quizá los entornos urbanos hayan llegado a unos niveles de intolerancia sobrelos cuales habría que recapacitar. ¿Acaso hay que retornar de nuevo a la periferia, a loabandonado, ahí donde intervenir acaba siendo una acción residual y fotogénica, a esoslugares cedidos al paso del tiempo en los que poder ser, experimentar y comenzar denuevo a pesar de su acotada incidencia social ? El espacio público online nosproporciona una visión con la que poder actuar en perspectiva, a pesar de venir siendointervenidos desde hace mucho tiempo y ser altísimo nuestro nivel de tolerancia alrespecto. ¿No será que el verbo “intervenir” perdió su capacidad de incidencia porsobreactuación ? Desde esa otra distancia que cualquiera de nuestros dispositivos deconexión nos permiten a un lado y a otro de la ventana, las nuevas tecnologías puedeny deben aportar otros códigos y niveles de actuación para hacernos reflexionar, denuevo, sobre nuestras propias acciones y su impacto en la esfera pública. Hay salida.“La verdad de la ciudad no se considera nunca conquistada, siempre está en concurso,tejiéndose en la red de conversaciones”45. De ahí nuestra condición de Space Invaders.

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NOTAS

1. Herbert George WELLS, The Invisible Man, Madrid, Alianza Editorial, 2015 (1897), p. 187.

2. En el documental “Coplas Mecánicas” (2018) de Víctor Hugo Espejo, El Niño de Elche comenta

su proceso creativo a partir del espectáculo del mismo nombre realizado en el festival Sónar en

Barcelona en 2018. Véase : Víctor HUGO ESPEJO, “Coplas Mecánicas” [on-line], FILMIN, 2 abril

2019 [consultado el 13/04/2020] <URL : https://www.filmin.es/corto/coplas-mecanicas ?

origin =searcher&origin-type =unique>.

3. Jacques RANCIÈRE, “Un aixecament pot amagar-ne un altre”, Georges Didi-Huberman (éd.),

Soulèvements, Paris, Jeu de Paume/ Gallimard, 2016, p. 56-57.

4. El grupo punk norteamericano Hüsker Dü dejó anotado de manera anónima en su último

trabajo discográfico “Revolution starts at home, preferably in the bathroom mirror” (Warehouse: Songs

and Stories, 1987).

5. Jaume GÓMEZ, “De Filadelfia a Europa : El viaje del graffiti”, Ecléctica. Revista de Estudios

Culturales, n° 3 (2014), p. 32-47.

6. Jordi PALLARÈS, “Arte urbano online : el futuro de colecciones (visuales) sin complejos” [on-line],

Ensayos Urbanos, (actualizado el 3/1/2020) [disponible el 18/05/2020] <URL : http://

www.ensayosurbanos.com/2020/01/03/arte-urbano-online-el-futuro-de-colecciones-visuales-

sin-complejos/ >.

7. Richard SENNETT, L’espai públic. Un sistema obert, un procés inacabat, Barcelona, Ed. Arcàdia, 2014.

8. Saldarriaga aborda en este artículo el concepto de lo público a partir de “El declive del hombre

público” de Richard Sennett. Véase Alberto SALDARRIAGA ROA, “¿Qué tan público es el espacio

público ?” [on-line], Nuestro partido es Colombia (actualizado el 19/08/2019) [Disponible el

22/12/2019] <URL : https://nuestropartidoescolombia.info/que-tan-publico-es-el-espacio-

publico/ >.

9. Manuel DELGADO, El animal público, Barcelona, Ed. Anagrama, 1999.

10. Como SpY en esta entrevista para Brooklyn Street Art concedida el enero del 2020, muchos son

los artistas urbanos que se reconocen en el anonimato como estado ideal de trabajo. Véase :

EASTPAK X SPY (2020), “SpY / Full Story / Takin Over Public Spaces In The City” [on-line],

Brooklyn Street Art, (actualizado el 10/1/2020) [Disponible el 10/1/2020] <URL : https://

www.brooklynstreetart.com/2020/01/10/bsa-film-friday-01-10-20/>.

11. Poéticamente visionaria, Remedios Zafra analiza como pocos y pocas nuestra desprotección

consentida tras la pantalla. Véase Remedios ZAFRA, “La censura del exceso. Apuntes sobre

imágenes y Sujeto en la Cultura-Red”, Revista Paradigma, nº 18, Universidad de Málaga (enero del

2015), p. 2.

12. Consonni disertan sobre lo público y lo privado en la publicación coral que editaron sobre los

encuentros que ellas mismas provocaron entre 2016 y 2017. Véase CONSONNI, “Esfera pública y

prácticas artísticas : apuntes para un marco de trabajo”, VV.AA, ¿Cómo construyen las prácticas

artísticas esfera pública ?, Bilbao, Consonni Ediciones, 2016, p. 22.

13. Zygmunt BAUMAN y David LYON, Vigilancia líquida, Barcelona, Austral, 2016 (2013), p. 7.

14. Irónicamente, el significado original del acrónimo Wifi —wireless fidelity— hace referencia a la

libertad y a la tranquilidad que se le presupone al hecho de comunicarse sin cable.

15. Ingrid GUARDIOLA, L’ull i la navalla. Un assaig sobre el món com a interfície, Barcelona, Arcàdia,

2018.

16. Zygmunt BAUMAN y David LYON, Op. cit., p. 20-21.

17. Santiago GERCHUNOFF, Ironía on. Una defensa de la conversación pública de masas, Barcelona,

Nuevos Cuadernos, Anagrama, 2019, p. 70.

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119

18. “En el momento de la revuelta nunca se está solo en la ciudad” (Traducción del autor). Véase

Furio JESI, Spartakus. Simbologia della rivolta, Buenos Aires, Argentina, Adriana Hidalgo editora,

2014 (2000), p. 29.

19. Jesús CARRILLO, “Espacialidad y arte público”, Paloma BLANCO, Jesús CARRILLO, Jordi CLARAMONTE,

Marcelo EXPÓSITO (eds.), Modos de hacer. Arte cri tico, esfera publica y accio n directa, Salamanca,

Ediciones de la Universidad de Salamanca, 2001, s/p.

20. En la publicación VB#05 a raíz del proyecto con el artista Xavier Eltono en la ciudad de Palma

(Islas Baleares), Pallarès escribió : “Más acción y menos producción” al reflexionar sobre la

sostenibilidad en el espacio urbano como consigna fundamental de reconquista de lo público.

Véase Jordi PALLARÈS, “Le sol te fera trébucher (salir a la calle con la mochila vacía)”, VB#05, Palma

(Islas Baleares), 2018.

21. Loubier utiliza el término “inostensible” en referencia a intervenciones furtivas que no

pretenden ser detectadas a primera vista ni quizá reconocidas como tales pero que contribuyen a

la transformación de ciertas dinámicas cotidianas del contexto en el que se llevan a cabo. Véase

Patrice LOUBIER, “Un art à fleur de réel : considérations sur l’action furtive” [on-line], Arts

d’attitude nº 81 (2002) [disponible el 05/01/2020] <URL : https://www.erudit.org/fr/revues/inter/

2002-n81-inter1114142/46036ac.pdf >.

22. Frédéric GROS, Andar. Una filosofía, Barcelona, Penguim Random House Grupo Editorial, 2015

(2009), p. 65.

23. Guy DEBORD, La sociedad del espectáculo, Valencia, Ed. Pre-textos, 2008 (1967).

24. Aline CAILLET, “De l’art d’(ne pas) intervenir dans l’espace public” [on-line], Espace Sculpture,

n° 89 (2009), monográfico sobre “Art et pouvoir”, p. 25-29, [disponible el 01/01/2020] <URL :

https://www.erudit.org/fr/revues/espace/2009-n89-espace1041676/8821ac/ >.

25. Precisa el autor de El animal público que la ciudad es una estructura física construida y

organizada para habitar mientras que lo urbano -aunque relativo a la ciudad- hace referencia a

un tipo de relaciones sociales no exclusivas de esta. De ahí que distinga entre « practicantes de lo

urbano » y « habitantes de la ciudad ». Véase Manuel DELGADO, El animal público, Op. cit.

26. Remedios ZAFRA, “La censura del exceso”, Art. cit.

27. Ingrid GUARDIOLA, L’ull i la navalla, Op. cit.

28. André CORBOZ, “La ciudad desbordada” [on-line], Public Space, 2003, texto publicado en el

catálogo de la exposición Ciutats : del globus al satèl·lit, Centre de Cultura Contemporània de

Barcelona, 1994, [disponible el 02/01/2020] <URL : https://www.publicspace.org/ca/

multimedia/-/post/the-sprawling-city >.

29. Marc AUGÉ, “Anonimato y sobremodernidad”, La fuerza del anonimato, Revista nº 5-6,

Barcelona, Espai en Blanc i Edicions Bellaterra, 2009, p. 17.

30. Más allá del artista urbano con el mismo nombre, la nota hace también referencia al título de

una publicación de Jesús Carrillo. Véase Jesús CARRILLO, Space Invaders. Intervenciones artístico-

políticas en un territorio en disputa : Lavapiés (1997-2004), Madrid, Ed. Brumaria, 2018.

31. Frédéric GROS, 2014, Andar, Op. cit, p. 30.

32. A. Quinn es uno de los personajes de “La ciudad de cristal”, relato perteneciente a esta

compilación urbana. Véase Paul AUSTER, La Trilogía de Nueva York, Madrid, Anagrama, 1996.

33. Frédéric GROS, 2014, Andar, Op. cit.

34. Jordi PALLARÈS, “Museizar el arte urbano. Preguntas, relatos y complejos tras Street Art. Banksy

& Co.” [on-line], REVISTA Ge-conservación, nº 16 (dic. 2019), v. 1, [S.l.], [disponible el 02/01/2020]

<URL : https://ge-iic.com/ojs/index.php/revista/article/view/710/923 >.

35. Luc LÉVESQUE, “Le terrain vague comme monument”, Inter, 72 (1999), p. 27–30.

36. CONSONNI, “Esfera pública y prácticas artísticas”, Art. cit. ; Ingrid GUARDIOLA, L’ull i la navalla,

Op. cit.

37. Manuel DELGADO, El animal público, Op. cit., p. 13.

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38. Texto para las I Jornadas de Carto-coreografía política. 2019. Escrito en el contexto del

programa PeepShow en el Arts Santa Monica (Barcelona) en abril del 2017, comisariado por Jordi

Pallare s, y en relacio n a _e p i c a_, obra estrenada en el Mercat de les Flors en junio de 2017

dentro del festival So nar. Véase : Aimar PÉREZ GALÍ, « Iluminar la oscuridad para entrar en ella

con devoción », Sara GÓMEZ (éd.), Cartografía de las I Jornadas de Coreografía Política, Barcelona,

Colección, Ed. Quiasmo, 2019, p. 16.

39. Remedios ZAFRA, “La censura del exceso”, Art. cit., p. 3.

40. Herbert George WELLS, The Invisible Man, Op. cit.

41. Manuel DELGADO, El animal público, Op. cit., p. 17.

42. Guy DEBORD, La sociedad del espectáculo, Opus cit, p. 72.

43. Patrice LOUBIER, “Un art public inostensible/Inconspicuous Public Art”, Espace Sculpture, 65

(otoño de 2003), p. 27-30.

44. Véase Chema SEGOVIA, Entorno, contexto e intervención, Ed. Handshake, 2019. Texto con motivo

del proyecto “Hasta donde llego yo” del artista Luce en Valencia. El autor aborda la necesidad de

vinculación y respeto para con espacios periféricos a intervenir en relación al lenguaje y a las

estrategias intervencionistas del artista. En este proyecto, Luce abre una “mirilla” en la pared de

un edificio abandonado en un logrado y poético ejercicio de sostenibilidad entre los medios

utilizados y el alcance de su propia intervención. https://vimeo.com/324142772 [disponible el

18/05/2020].

45. Santiago GERCHUNOFF, Ironía on, Op. cit, p. 51.

RESÚMENES

Las nuevas tecnologías – invisibles o disfrazadas de ocio y placer – desean ofrecernos seguridad,

facilitarnos las cosas y controlar lo que nosotros no alcanzamos a ver. Pero sabemos que no es

realmente así. Cualquiera que sean sus formatos y estrategias, las prácticas artísticas que operan

en y desde el espacio público deberían ser conscientes en su exposición del papel de estas

tecnologías y de los espacios de interacción personal y colectiva que la esfera pública facilita.

Intervenir (o ser intervenido) – como ciudadano y/o como artista – supone estar atento y ser

crítico con lo que sucede a nuestro alrededor para reconocer las contradicciones y conflictos

propios del espacio público y contribuir, con el impacto de nuestras acciones, a una cierta

transformación del público y de lo que es público. Quizá lo verdaderamente subversivo y

revolucionario sea aprovechar la visión cenital que los nuevos dispositivos digitales nos

proporcionan y, a la vez, seguir pisando la calle para evitar perder de vista lo horizontal y lo

relacional del ser humano.

Les nouvelles technologies — invisibles ou déguisées en loisirs et plaisir — proposent de nous

offrir la sécurité, de faciliter notre vie quotidienne et d’avoir le contrôle sur des choses

imperceptibles. On sait pourtant que la réalité est différente. Quels que soient leurs formats et

leurs stratégies, les pratiques artistiques qui travaillent dans et à partir de l’espace public

devraient avoir conscience du rôle de ces technologies et des espaces d’interaction personnelle et

collective offerts par la sphère publique. Intervenir — en tant que citoyen et/ou en tant qu’artiste

— suppose d’être vigilant et critique à l’égard de ce qui se passe autour de nous afin de

reconnaître les contradictions et les conflits qui animent l’espace public et de contribuer, par nos

actions, à une certaine transformation du public et de ce qui est public. En cela, le plus subversif

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et révolutionnaire serait peut-être de savoir tirer profit de la vision zénithale que nous offrent

les nouvelles technologies, tout en continuant à marcher dans la rue et à ne pas perdre de vue la

vision horizontale et relationnelle de l’être humain.

The new technologies – invisible or disguised as leisure and pleasure – want to offer us security,

make things easier for us and control what we cannot see. But we know it’s not really like that.

Whatever their formats and strategies, artistic practices operating in and from public space

should be aware in their exhibition of the role of these technologies and the spaces for personal

and collective interaction that the public sphere facilitates. Intervening (or being intervened

with) – as citizen and/or as artist – means being vigilant and critical of what is happening in

order to contribute, with the impact of our actions, to a certain transformation of and from the

public. Out on the street or from home, to recognize the contradictions and conflicts that arise

there individually and collectively. Perhaps the truly subversive and revolutionary thing is to

take advantage of the zenith vision that the new digital devices provide us while continuing to

step onto the street to avoid losing sight of the horizontal and relational aspects of the human

being.

ÍNDICE

Mots-clés: invisibilité, espace public, sphère publique, exposition, intervention

Palabras claves: invisibilidad, espacio público, esfera pública, exposición, intervención

Keywords: invisibility, public space, public sphere, exposition, intervention

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Escrituras. Collaborationsartistiques dans l’espace urbain entensionEscrituras. Colaboraciones artísticas en el espacio urbano en tensión

Artistic collaborations in the urban space in tension

Diego Jarak

Introduction

1 Escrituras est un projet collectif, non seulement parce qu’il a été imaginé et mis en

œuvre par deux artistes, Mariela Yeregui et Gabriela Golder, avec le soutien d’autresartistes invités, mais aussi parce qu’il est construit sur le territoire, et même plus, avecle territoire.

2 Escrituras est une série d’actions, d’interventions et de déambulations dans l’espace.

Escrituras est aussi une série d’installations lumineuses composées de six affichestextuelles en Néon installées sur les façades de certains bâtiments et autres espacespublics.

3 Escrituras est ne d’une recherche commune des deux artistes et de la volonté

d’interroger l’espace public a partir de dispositifs et techniques de dérivationspsychoge ographiques1 et de ressources de représentation graphique et textuelle. Selonles artistes, « Escrituras es un proyecto de producción comunitaria, participativa yperformativa y de intervención territorial sobre la base de estrategias cartograficasopen-source »2.

4 Enfin, Escrituras est un projet qui a été développé dans le cadre d’un appel à projets

lancé par le gouvernement de la ville de Buenos Aires et, en ce sens, un projet avec unedimension politique incontournable. En intervenant dans l’espace public avec unfinancement public et selon les clauses d’un marché public (stipulées dans les

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conditions et le règlement de l’appel à projets), le travail des artistes estnécessairement en dialogue avec ce cadre institutionnel d’État.

5 Cela dit, ce qui nous intéresse dans cette initiative originale à bien des égards, c’est

d’analyser les stratégies mises en place par les artistes pour développer leur projet,alors même qu’elles sont allées à l’encontre de ce que précisément, l’appel ne disait pasmais laissait présumer.

6 Pour analyser cet artefact complexe qu’est le projet Escituras et son déploiement dans

l’espace urbain nous allons, dans un premier temps, présenter le cadre dans lequels’inscrit l’appel à projets et tout particulièrement le contexte de gentrification. Dans unsecond temps, nous présenterons les processus de l’œuvre, notamment ses aspectscollaboratifs construits à partir d’une interprétation des déambulationspsychoge ographiques.

Un appel à projet qui ne dit pas son nom

7 En 2014, le gouvernement de la ville de Buenos Aires lance un appel a artistes,

designers, architectes et créateurs afin d’intervenir dans cinq espaces de la ville. Letitre de l’appel était Buenos Aires - Sitio específico, en référence a la pratique artistique in

situ3, qui consiste à créer des œuvres en dialogue direct avec un espace précis. Avec cetitre, le gouvernement de la ville joue avec trois niveaux de lecture. Dans un premierniveau, sûrement le plus évident, du moins pour les artistes, la résonance du titre avecla pratique du « site spécifique ». Sur un deuxième plan, le titre servait de sloganpublicitaire pour mettre en valeur les avantages de la ville en tant que destinationtouristique. « Buenos Aires - site spécifique » « Buenos Aires - ville unique ». Enfin, dansun troisième niveau de lecture, le titre et l’initiative sont venus confirmer unengagement politique qui a suscité des doutes, notamment parmi les associations dequartiers concernées.

8 Il s’agissait ici de réaffirmer un processus par lequel le gouvernement de Mauricio

Macri cherchait, disait-on, a revitaliser certains secteurs défavorisés dans le sud de laville4. Ainsi, la loi n° 4.353/12 créa un territoire non imposable (paradis fiscal) pour lesactivités liées aux arts visuels, musicaux, littéraires et du spectacle vivant. Des activitésdonc que le gouvernement se permettait de regrouper sous une dénomination bien a lamode, celle des industries culturelles. Par ailleurs, le terme sous lequel ils inscrivaientle projet était encore un autre terme à la mode, celui de cluster5. Enfin, une descaractéristiques de ces clusters culturels était l’exemption de l’impôt sur le revenu brutet de l’impôt municipal ABL pendant 10 ans, de l’impôt et du paiement du droit dedélimitation et de construction. Un investissement de l’État donc pour aider les futuresentreprises à s’installer dans un quartier dans lequel plus de la moitié de la populationvivait en dessous du seuil de pauvreté6.

9 Revitaliser les quartiers qui étaient tombés dans l’oubli des politiques

gouvernementales pendant des décennies, paradoxalement, pouvait apparaître commeune démarche à caractère social. Or dans les orientations du gouvernement Macri unepolitique d’une telle nature posait questions. Plusieurs syndicats et organisations dequartier ont manifesté leurs craintes, comme l’explique Carlos Rodríguez dans unarticle publié dans le journal Pagina/12 le 24 octobre 2016, où il est déjà question dedéloger les habitants historiques du quartier. Rodríguez écrit, à juste titre, que « ledanger des expulsions » est un problème historique dans le quartier de La Boca, une

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forme de pression permanente qui pèse sur les habitants. Cependant, Rodríguezexplique que ce processus a été totalement accéléré depuis la création (par legouvernement de la ville) du District des Arts. Cette accélération, toujours selonRodríguez, est dû au fait que

Los beneficios del Distrito gravan sobre los inmuebles y no sobre las actividadesculturales, como debería ser, de manera que hay todo un mercado de especulacióninmobiliaria que se volcó a comprar durante todo el proceso que terminó con lacreación del Distrito7.

10 C’est dans ce contexte trouble8 que l’appel à projets d’intervention artistique a été

publié, car si au moment du lancement de l’appel le processus d’expulsion — présentépar le gouvernement comme une redynamisation des quelques quartiers historiquesoubliés par les politiques précédentes — était déjà en marche, ce n’était que le début deces nouveaux clusters. Aussi, les voix d’opposition contre ce projet n’étaient-elles pasencore organisées non plus.

11 Ce qui nous intéresse c’est de comprendre comment le projet Escrituras s’est positionné

artistiquement par rapport aux enjeux politiques et comment consciemment ouinconsciemment les artistes ont apporté leur grain de sable au débat. Il faut rappelerque le projet allait être financé et donc suivi par le gouvernement Macri, celui-là mêmequi mettait les habitants à la rue.

Nommer pour mieux contrôler

12 Un premier élément d’analyse concerne l’appel et la manière dont le gouvernement de

la ville de Buenos Aires jouait déjà sur les mots pour faire avancer le projet. Ainsi, dansl’article 3 il était question d’identifier les espaces géographiques pour les futuresinterventions. Chaque espace était accompagné d’une nouvelle dénomination quivenait remplacer celles existant avant le lancement de l’appel mais qui n’étaientutilisées que par les quelques secteurs de la classe moyenne liés au monde des arts et dela culture. Autrement dit, pour les habitants de ces quartiers ces dénominations étaientincompréhensibles9. Non seulement elles ne leur appartenaient pas mais ils nepercevaient pas non plus le lien direct ou indirect entre la dénomination et les espacesqu’ils habitaient. Ce premier niveau de contrôle, à première vue inoffensif, jouaitpourtant un rôle important dans la construction d’une représentation de ce que lequartier allait devenir10, selon les bonnes intentions du gouvernement. Le langageutilisé pour nommer ces espaces, « clusters dynamiques et contemporains », était issud’une terminologie inspirée des modèles des villes et des quartiers nord-américains,plus connus pour leur taux de violence, de ségrégation et de stigmatisation que commemodèles d’intégration ou de transformation réussis.

13 En effet, les futurs espaces d’intervention artistique étaient précédés de la

dénomination « District ». Pour les habitants des quartiers historiques de Buenos Aires,cette dénomination ne correspondait à aucune représentation physique, politique,économique ou culturelle. Une forme donc de déposséder les habitants de leurs espacesavant même que les lois du marché immobilier fassent leurs opérations. Ainsi, par cegeste simple mais très efficace, les quartiers n’appartenaient plus aux habitants, car ilsn’existaient pas non plus ou ils cessaient d’exister comme tels ; désormais on parleraitde « District ».

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14 Les cinq espaces identifiés dans l’appel étaient : 1- boulevard Benito Pérez Galdós (La

Boca), District des Arts ; 2- boulevard Iriarte (Caseros), District du Design ; 3- ParcPatricios (Parque Patricios), District Technologique ; 4- Square Jorge Newery(Chacarita), Quartier de l’Audiovisuel ; 5- Florida et Sarmiento (4 esquinas),Microcentro. Force est de constater que tous les secteurs ou quartiers, a l’exception du« microcentro », portaient un nom de métier. Par cet appel, la municipalité a cherché àrenforcer l’orientation ou la caractérisation de certains quartiers, en suivant lesorientations des tendances qui commençaient plus ou moins a se dessiner du fait del’implantation de quelques artistes, développeurs, designers, etc. Autrement dit, dans leregard et la représentation de certains secteurs, une transformation de revalorisationétait déjà en marche. La caractérisation des quartiers par le gouvernement a été voulue« neutre » en ce sens qu’elle s’inspire des environnements existants, a partird’initiatives indépendantes et, disaient-ils11, des dynamiques associatives. Il s’agissaitde donner une réponse officielle, institutionnelle et politique a un phénomène apparude manière plus ou moins spontanée, mais surtout d’affirmer, puis de tenter d’établirun rythme, voire d’accélérer un processus qui était déjà en cours.

15 Le Ministre de l’époque chargé du Développement économique de la ville de Buenos

Aires, Francisco Cabrera, déclarait « las grandes ciudades del mundo desarrollan susindustrias estratégicas y mejoran los barrios abandonados gracias a políticas como [lade la ley 4.353/12] »12. Un processus donc qui avait émergé avec sa propre logique, dansun contexte de globalisation et d’homogénéisation des villes, avec son propredynamisme. L’État ne faisait qu’accompagner ces mouvements internationaux, commequelque chose de supranational, qui le dépassait et de ce fait se justifiait de lui-même.Un phénomène de gentrification avec une logique propre qui comme le disait leMinistre « existe dans d’autres capitales du monde »13.

16 En voulant inscrire les principes de la loi 4.353/12 dans ce cadre global, d’un

mouvement bien plus large et commun à toutes les grandes villes, ce que Saskia Sassenappelle, à juste titre, « global city », Cabrera effaçait instantanément toutes lesspécificités locales, et en particulier l’histoire du quartier. Mais les déclarations duMinistre ne sont pas un cas isolé dans ce paysage de transformations violentes, plutôt larègle qui s’impose comme le discours hégémonique depuis plusieurs décennies.Toujours d’après Sassen,

we can characterize the relationship of advanced to traditional capitalism in ourcurrent period as one marked by extraction and destruction, not unlike therelationship of traditional capitalism to precapitalist economies. At its mostextreme this can mean the immiseration and the exclusion of growing numbers ofpeople who cease being of value as workers and consumers14.

17 Or, en observant l’emplacement des lieux de l’appel sur une carte, la première chose

qui attire l’attention est la concentration géographique, en particulier la proximité destrois premiers lieux. Le deuxième élément, toujours dans le registre spatial, estprécisément le secteur sur lequel l’intérêt du gouvernement s’est concentre. Ces deuxaspects s’expliquent par la même logique de réactivation de ces quartiers populaires,tombés dans l’oubli des politiques publiques. Transformer ces secteurs parl’introduction d’une aide et favoriser les industries culturelles, tel était l’objet annoncepar le gouvernement. L’appel a projets Buenos Aires - Sitio específico venait, d’unecertaine manière, réaffirmer cette volonté et, dans la mesure du possible, lui donner unsens. Cependant, comme nous le verrons dans cet article, les effets secondaires ne

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seront pas sans conséquence, surtout pour les premiers intéressés, les habitants de cesquartiers.

18 L’élection de Mauricio Macri a la tête du gouvernement de la ville de Buenos Aires

accélère le processus de gentrification de ces quartiers, comme le montre l’exemple del’ancienne usine Alpargatas transformée peu de temps après en ensemble de logementsde luxe (type loft), dans lequel le gouvernement lui-même avait installé quelquesbureaux. Le rapprochement entre le marché public, l’initiative privée et le fait que legouvernement installe ses propres bureaux passa inaperçu. D’une certaine manière,l’appel à projets « Buenos Aires – sitio específico » est apparu comme un écran de fuméepour cacher ces processus mais également pour les légitimer. La preuve en est que surles cinq projets retenus, seuls deux ont été réalisés, un a été abandonné et les deuxautres ont disparu des radars, avec le financement.

Un projet entre deux rives

19 Le projet Escrituras avait été sélectionné pour intervenir dans le District des Arts. Un

secteur du Barrio de la Boca qui se caractérise par ses forts contrastes, situe dans letriangle entre les rues Blanes, Villafane et l’autoroute. Au nord, le district estlimitrophe de Catalinas, un complexe de logements de classe moyenne, avec un poumonvert, des parcs et une qualité de construction qui contraste avec les usines et lesmaisons du District des Arts. A l’ouest, le District borde la partie la plus touristique deLa Boca, le passage caminito, avec ses bars, boutiques et restaurants.

20 La Boca, et cela est valable pour les deux autres quartiers Sud de Buenos Aires, est un

espace qui, tout au long de son histoire, a été en tension permanente. Aujourd’hui, c’estun quartier ou les conflits persistent en raison de la diversité des groupes sociaux qui yvivent. En effet, les zones défavorisées coexistent avec d’autres zones de classemoyenne et, plus récemment, avec des groupes sociaux de secteurs aisés. Trèséclectique et hétérodoxe, c’est une zone en cours de transformation et, comme danstout lieu gentrifié, ce processus implique une violence implicite et explicite.

21 Yeregui m’explique que, dans le secteur prédéterminé où [elles] allaient intervenir —

cinq pâtés de maisons autour de l’avenue Pe rez Galdo s —, il y avait aussi une forme derupture sociale, semblable à un fossé. Pour elle, l’avenue Galdós est une artère centralequi divise ce que certains habitants veulent séparer. Ainsi, lors des interventions elleaurait entendu un de ces voisins déclarer : « de este lado somos una cosa, del otro ladoson otra cosa »15. Cette avenue, poursuit Yeregui, est une fissure géante, comme uncanal qui dissocie ce que chacun de ses habitants pense de son propre territoire et del’Autre. A l’époque, conclut Yeregui, « [con Gabriela Golder] nos dijimos que el desafíoera enorme : se trataba de generar una dinámica de grupo, de comunidad, en unespacio en fricción »16. Les artistes proposent ainsi et dès le départ une relecture del’ambiance du quartier à partir d’une série de stratégies qui se rapprochent de lalecture que faisaient les situationnistes.

22 Le projet Escrituras cherchait ainsi a activer des espaces de mémoire individuelle et

collective de ce lieu commun et partage , le quartier de la Boca, et en particulier leDistrito de las Artes. Il proposait un aller-retour sur le territoire a la recherche de ceuxqui révèlent les symptômes dont le quotidien est témoin et complice. Dans les termesde Guy Debord, il s’agissait de « trouver les issues psychogéographiques d’une zone en

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s’écartant systématiquement de tous les points coutumiers. On peut alors s’égarer dansdes quartiers déjà fort parcourus »17.

23 Le résultat, six panneaux en néon, sont le fruit d’un travail collaboratif qui s’est

développé pendant plusieurs mois dans une série d’ateliers, rencontres, débats,déambulations avec les habitants du quartier. Ainsi, si les œuvres des deux artistes secaractérisent par un recours à la technologie18 que Yeregui s’amuse à définir comme un« lieu de rencontre », l’utilisation et le recours au néon, « una tecnología del pasado queestá en vías de desaparición »19, apparaît alors comme une référence et une critiquedirecte du mode de production capitaliste — une critique des modes d’appropriation dela technologie et non des technologies elles-mêmes. Et, nous le verrons plus loin, leurdémarche artistique se veut aussi une manière de rompre avec ce qu’Yves Bonardappelle « l’impossible réappropriation de l’espace urbain par l’imaginaire »20.

La Boca, espace urbain en tension

24 « Más allá de los recuerdos se trataba de articular acciones concretas para que lo

invisible se vuelva visible »21. Pour les artistes, il s’agissait d’activer une forme demémoire qui renvoie au futur et qui souligne que, la ou il y a de la place pour lamémoire, il y a aussi de la place pour la conscience active. C’est dans ce registre que leprojet réagit aux attentes cachées de l’appel à projet et c’est aussi à ce niveau que ladémarche de déambulation peut être lue comme une invitation à la révolte.

25 En effet, le projet Escrituras conçoit un type d’œuvre qui expérimente la mémoire

historique du quartier d’une manière non figée, en partant du principe quel’articulation des actes de mémoire est un processus progressif et dynamique. « Ce n’estpas que le passé jette sa lumière sur le présent, ou que le présent jette sa lumière sur lepassé »22, écrit Walter Benjamin dans les textes préparatoires des thèses sur l’histoire.Pour l’auteur des passages de Paris, « l’image est plutôt ce en quoi le passé convergeavec le présent en une constellation »23. C’est dans ce mouvement entre passé etprésent que le Projet Escrituras cherche à activer des formes de révolte, par et dans lacréation. « Tandis que la relation entre l’alors et le maintenant est purementtemporelle — continue Benjamin —, la relation du passé avec le présent est dialectique,par bonds »24. Cela veut dire que, pour Benjamin, passé et présent se reconnaissentmutuellement dès lors que le présent se reconnaît signifié dans le passé et que le passétrouve son accomplissement dans le présent.

26 Pour Yeregui, « la idea era de recorrer les distintos corredores sociales, políticos,

culturales e históricos desde diferentes puntos de vista y perspectivas »25. Il ne s’agissaitdonc pas d’actes de mémoire circonscrits a la sphère de l’évocation, mais d’une volontéd’abolir toute tentative de pétrification de la mémoire par l’activation d’un acte depensée, « qui entraînerait un acte de faire partie, d’un “être-devenir” sur le territoireconcret »26.

27 Il n’était donc pas question d’intervenir dans l’espace public du point de vue des

artistes, mais de composer avec l’espace et ce qui s’y passe, dans un dialogue direct, uncorps a corps, avec ce que la mémoire pouvait faire émerger dans le cadre desactivations proposées. Yeregui et Golder ont opté pour une intervention/occupation duterritoire afin de mettre en lumière les tensions et les frictions. Elles ont proposé unesérie d’ateliers participatifs et communautaires animés par des amis artistes et desinvités. Force est de constater l’importance que les artistes donnent à une certaine idée

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de communauté et qui s’inscrit directement dans la démarche artistique du projet. Unecommunauté d’artistes-amis pour travailler a partir de différentes ressources et dedifférentes sources afin de créer une plateforme collaborative et co-construite. Unesorte d’archive vivante de la mémoire actuelle du Barrio, un développeur de frictions,un artefact de visibilisation et d’invisibilité a l’usage des voisins. Une plateforme qui apris la forme d’un site internet ouvert et collaboratif où tout le monde pouvait déposerses apports.

Mettre en lumière les frictions

28 La visibilisation de l’espace du quartier était basée sur quatre axes de nature diverse :

sonorité, écriture, corporalité et visualisation. Yeregui explique que « los paisajessonoros activan la percepción de la escucha para fijar los sonidos que generalmente soninaudibles »27. D’autre part, poursuit Yeregui, « el silencio interior y la atención calmade los participantes abrieron posibilidades y reflexiones sobre la identidad y laterritorialidad »28. Dans ce travail du détail, qui s’insère dans les interstices et lesfissures ouvertes par un processus d’institutionnalisation et d’accélération del’embourgeoisement du quartier, les artistes-communauté-amis ont créé une nouvelletemporalité. Celle de l’onomatopée et des murmures, « los sonidos y los ruidosnaturalizados fueron puestos de relieve a través de las deambulacionespsicogeográficas que permitieron la construcción de metáforas sonoras »29, a partird’une réflexion sur l’évidence comme résultat d’un regard et d’un langageautomatiques, comme vide dans la représentation, que l’on suppose être connu et qu’ilest donc inutile de nommer.

29 Les déambulations psychogéographiques ont été largement inspirées par les

situationnistes. Ces actions ne sont pourtant pas sans rapport avec le romantisme. Laposition des premiers romantiques, en effet, peut être considérée comme oscillantentre le dépouillement et l’enthousiasme, d’où la nécessité d’une expérience du mondeque la pensée rationnelle semblait avoir confisquée. Romantisme et rationalismeapparaissent alors comme les deux faces d’une même pièce. La conquête du monde parl’application des outils mathématiques à la technique puis, aujourd’hui, à la technologieafin de mettre en lumière les processus de la nature, répondait, du côté du romantisme,à la nécessité d’une restitution du monde par le biais du rêve considéré à cette époquecomme un nouvel outil permettant l’accès à l’inconscient.

30 La dissolution de l’ego, au fondement de cet autre processus de connaissance, apparaît

comme la condition d’émergence d’un inconscient conçu comme devenir de la naturedu monde et de l’histoire. Les situationnistes, de leur côté, critiquaient la privatisationde l’expérience ce qui les avaient conduits à proposer de nouvelles formes de pratiquesdont l’enjeu était la réappropriation du désir en tant qu’expression de la singularité dechacun. Cette réappropriation, justement, prit la tournure d’une série de propositionsexploratoires de l’environnement répondant à un projet de cartographie,réintroduisant la notion de territoire. Ainsi Debord écrivait en 1956,

[…] il existe un relief psychogéographique des villes, avec des courants constants,des points fixes, et des tourbillons qui rendent l’accès ou la sortie de certaines zonesfort malaisées […]. L’analyse écologique du caractère absolu ou relatif des coupuresdu tissu urbain, du rôle des microclimats, des unités élémentaires entièrementdistinctes des quartiers administratifs, et surtout de l’action dominante des centresd’attraction, doit être utilisée et complétée par la méthode psychogéographique30.

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31 Le projet Escrituras proposait aux habitants de parcourir le territoire pour documenter,

classer et révéler des phrases cachées dans le paysage, a partir de la constitution d’unebase de données dont l’objet est la rue elle-même. L’inscription du corps dansl’environnement, pour sa part, a été explorée dans une série de pratiques corporelles àtravers lesquelles les participants ont reconnu de nouvelles voies et de nouvellesconceptions spatiales. Des stratégies tendant a invisibiliser le corps dans lesarchitectures ont été créées pour explorer les façons de le traverser en groupe. Dans latension de l’invisible avec le visible, il y a un effet de distanciation par lequel le corpsest réintroduit dans sa propre territorialité. En ce qui concerne la visualisation, lesartistes ont proposé une série de pratiques pour marquer les lieux cachés. Puits,fissures, trous dans un mur, sont des traces qui suggèrent de nouvelles voies et desconceptions spatiales. En rompant les conventions de parcours prédéterminés, elles ontdéfini d’autres connexions entre les espaces pour créer un nouveau territoire visuel ettextuel.

32 Dans chacun des ateliers, il y avait un espace de réflexion dans lequel des textualités se

posaient par rapport a l’espace. La nouvelle cartographie s’est cristallisée dans unediscursivité produite collectivement. Ces matériaux textuels, générés au cours desexpériences de déambulation, ont fait l’objet de débats qui, a leur tour, ont déclenchéde nouvelles discursivités a la suite de la cartographie collective lors des rencontrespost-ateliers. Tous ces documents visuels et textuels ont été inclus dans leur supportoriginal sur le site Web du projet.

33 Les phrases qui envisageaient d’autres façons de concevoir le territoire et les relations

qui s’y imbriquaient ont été choisies en groupes. Il s’agit de : « Volvernos invisibles » ;« Se corrio el sol y cambio el limite » ; « Es imposible el silencio » ; « El viento arrasa yse va » ; « El terreno se vuelve a mover » et « Eternos por hora, por dia, por mes ». Ellesforment un récit visuel, spatial, urbain, lumineux et aérien sous forme d’affiches,composant un récit poétique a caractère collectif. Ces phrases ont été transposées dansde grandes structures de néon qui ont été placées sur les toits des bâtiments situés surla rue ou les déambulations ont eu lieu. Ainsi, la signalétique urbaine, intégrée al’architecture de l’usine et de l’habitat, construit une écriture spatiale a partir despratiques narratives de la communauté déployées lors des ateliers. Il s’agissait detranscender la cartographie canonique, c’est-à-dire les formes standardisées dereprésentation territoriale, et de faire du territoire le véritable cadre des dialoguespossibles, ouvrant un horizon ou l’action et la construction collectives susciteraient denouveaux débats autour du territoire. Il existe des points fixes dont la mémoire estpréservée a travers différentes formes culturelles — images, récits épiques, rites,textes, etc. — ; ce sont des îlots de temps qui rendent possible l’objectivation de laculture. Il y a des faits concrets et réels, qui sont déconstruits en différentes visualitéset sonorités dans nos mémoires. Ces vestiges sont liés a des discursivités — historiques,sociales et culturelles — qui insèrent l’évènement réel dans une chaîne plus large. C’estle fragment, en somme, qui façonne la mémoire collective. Comme le dit Kourtessi-Philippakis « le territoire est a la fois objectivement organise et culturellementinvente  »31.

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NOTES

1. La psychogéographie « proposerait l'étude des lois exactes, et des effets précis du milieu

géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur les émotions et le

comportement des individus », Guy DEBORD, « Introduction à une critique de la géographie

urbaine », Les lèvres nues, Bruxelles, no 6, 1955, <URL : https://www.larevuedesressources.org/

introduction-a-une-critique-de-la-geographie-urbaine,033.html> [Consulté le 10/09/2020].

2. Entretien de Diego Jarak avec Mariela Yeregui à Buenos Aires le 22 juin 2019.

3. L’expression site-specific (in situ) désigne une œuvre qui a été conçue pour le site d’accueil.

Ainsi, l’artiste qui pratique la création in-situ dédie son œuvre à un espace (que ce soit un espace

public, comme c’est souvent le cas, mais aussi un espace privé – musée, galerie, etc. – car l’œuvre

ne peut être transportée). L’œuvre « fonctionne » avec l’espace, l’espace d’accueil fait partie de

l’œuvre.

4. Soledad ARQUEROS et Carolina GONZALEZ REDONDO, « La política de distritos del sur de Buenos

Aires : una mirada en perspectiva », Quid 16 – Revista del area de estudios urbanos, Buenos Aires,

n° 7, jun.-nov. 2017, p. 7-29.

5. Selon Porter, les clusters sont des « Groupes géographiquement proches d'entreprises

interconnectées et d'institutions associées dans un domaine particulier, unis par des éléments

communs et complémentaires », Michel PORTER, « The competitive advantage of nations »,

Harvard Business Review, 1990, p. 73.

6. « Incidencia de la pobreza y la indigencia en 31 aglomerados urbanos », Informes técnicos, vol. 3,

n° 182. <URL : https://www.indec.gob.ar/uploads/informesdeprensa/

eph_pobreza_01_19422F5FC20A.pdf> [Consulté le 12/10/2019].

7. Carlos RODRIGUEZ, « La Boca resiste y canta contra el desalojo », in Pagina 12 du 24/10/2016.

<URL : https://www.pagina12.com.ar/diario/sociedad/3-312504-2016-10-24.html> [Consulté le

12/10/2019].

8. « La creacion del distrito de las artes fue ampliamente resistida por parte de organizaciones

barriales, vecinos y artistas de La Boca, que entendian que el proyecto favoreceria la especulacion

inmobiliaria, incrementaria los valores del suelo y de los alquileres y terminaria expulsando a los

sectores populares del barrio ; a la vez que no otorgaba ventajas economicas relevantes para los

artistas historicos que residen y desarrollan sus actividades creativas en este sector de la ciudad »

in Arqueros et González Redondo, op.cit., p. 27.

9. Ana Gretel THOMAZS, « Los nuevos distritos creativos de la Ciudad de Buenos Aires : la

conversión del barrio de La Boca en el Distrito de las Artes », Revista Eure, 42, p. 145-167.

10. Le contrôle est désormais une relation de vitesse. Les changements s’opèrent rapidement,

sans délai, de sorte qu’il n’y ait pas de temps de réaction possible. D’ailleurs, le temps des

changements est devenu la norme. Tout change, tout le temps. Gilles Deleuze écrit : « Les

enfermements sont des moules, des moulages distincts, mais les contrôles sont une modulation,

comme un moulage auto-déformant qui changerait continûment, d'un instant à l'autre, ou

comme un tamis dont les mailles changeraient d'un point à un autre.[…] Dans les sociétés de

discipline, on n'arrêtait pas de recommencer (de l'école à la caserne, de la caserne à l'usine),

tandis que dans les sociétés de contrôle on n'en finit jamais avec rien, l'entreprise, la formation, le service

étant les états métastables et coexistants d'une même modulation, comme d'un déformateur universel », in

Gilles DELEUZE, « Post Scriptum sur les sociétés de contrôle », L’autre journal, n° 1, mai 1990.

11. Déclarations du Ministre au développement économique pour la ville de Buenos Aires,

Francisco CABRERA, à Noticias urbanas, le 2 novembre 2012.

12. Ibid.

13. Ibid.

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14. Saskia SASSEN, Expulsions: Brutality and Complexity in the Global Economy, Cambridge, MA, USA,

Harvard University Press, 2014, p. 10. (« nous pouvons caractériser la relation du capitalisme

avancé au capitalisme traditionnel dans notre période actuelle comme une relation marquée par

l'extraction et la destruction, un peu comme la relation du capitalisme traditionnel aux

économies précapitalistes. À l'extrême, cela peut signifier la paupérisation et l'exclusion d'un

nombre croissant de personnes qui cessent d'être des travailleurs et des consommateurs de

valeur » [traduction de l’auteur]).

15. Ibid.

16. Ibid.

17. Guy DEBORD, « Théorie de la dérive », Les lèvres nues, Bruxelles, n° 9, décembre 1956.

18. Mariela Yeregui <URL: https://yereguimariela.wordpress.com/>; Gabriela Golder <URL:

https://www.gabrielagolder.com/>.

19. Ibid.

20. Yves BONARD, « Dérive et dérivation. Le parcours urbain contemporain, poursuite des écrits

situationnistes ? », Journal of Urban Research, no 2, 2009, p. 9.

21. Entretien de Diego Jarak réalisé à Mariela Yeregui à Buenos Aires le 22 juin 2019.

22. Walter BENJAMIN, « Materiales preparatorios del escrito Sobre el concepto de histoira »,

Benjamin-Archiv, Ms 474 cité par Pablo SCOTTO BENITO « El materialismo histórico de Benjamin :

tradición, detención y destrucción », Constelaciones – Revista de teoría crítica, n° 7, Barcelona,

diciembre 2015.

23. Ibid.

24. Ibid.

25. Entretien de Diego Jarak réalisé à Mariela Yeregui à Buenos Aires le 22 juin 2019.

26. Ibid.

27. Ibid.

28. Ibid.

29. Ibid.

30. DEBORD, « Théorie de la dérive », Op. cit.

31. Georgia KOURTESSI-PHILIPPAKIS, Introduction a Archéologie du territoire, de l’Égée au Sahara , Paris,

Éditions de la Sorbonne, 2011, p. 9.

RÉSUMÉS

Escrituras est un projet collectif d’intervention dans l’espace urbain des artistes argentines

Mariela Yeregui et Gabriela Golder. Le projet est une réponse à un appel lancé par le

gouvernement de la ville de Buenos Aires, et dans le cadre d’un processus de gentrification

impliquant les quartiers de l’appel. Le contexte politique et social du projet provient également

du contexte géopolitique, puisque l’espace d’intervention est marqué par une longue histoire,

notamment celle de l’immigration. L’article tente donc de positionner l’intervention urbaine

comme un outil qui cherche à problématiser les tensions à travers une série d’ateliers

participatifs et un processus de déambulation et de co-construction.

Escrituras is a collective project of intervention in urban space by Argentine artists Mariela

Yeregui and Gabriela Golder. The project was born as a response to a call launched by the

government of the city of Buenos Aires, and within the framework of a gentrification process

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involving the neighborhoods. The political and social context of the project also comes from the

geopolitical background, since the space of the intervention is marked by a long history,

particularly that of immigration. The article thus attempts to position urban intervention as a

tool that seeks to question the tensions through a series of participatory workshops and co-

construction wandering processes.

Escrituras es un proyecto colectivo de intervención del espacio urbano de las artistas argentinas

Mariela Yeregui y Gabriela Golder. El proyecto nace como respuesta a una convocatoria lanzada

por el gobierno de la ciudad de Buenos Aires, y en el marco de un proceso de gentrificación del

que participan los barrios de la convocatoria. El contexto político y social del proyecto viene

además del trasfondo geopolítico, ya que el espacio de la intervención está marcado por una larga

historia, y en particular aquella de la inmigración. El articulo intenta así posicionar la

intervención urbana como una herramienta que busca problematizar las tensiones a partir de

una serie de talleres participativos y de procesos deambulatorios de co-construcción.

INDEX

Mots-clés : art urbain, errance psychogéographique, site spécifique, Buenos Aires

Palabras claves : arte urbano, deambulación psicogeográfica, sitio específico, Buenos Aires

Keywords : urban art, psycho-geographical wandering, site-specific, Buenos Aires

AUTEUR

DIEGO JARAK

(CRHIA/La Rochelle Université)

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Hackear la ciudad algorítmica. Arteurbano y nuevos mediosPiratage de la ville algorithmique. Art urbain et nouveaux médias

Hacking the Algorithmic City. Urban art and new media

Pau Waelder Laso

Introducción

1 Actualmente, más de la mitad de la población mundial vive en ciudades. Una de cada

cinco personas en el planeta reside en una urbe de al menos un millón de habitantes, delas cuales 33 adquieren el título de “megaciudad”, con una población de más de 10millones de personas1. Capitales como Tokio, Delhi, Shanghai, São Paulo, Ciudad deMéxico o El Cairo compiten en el ranking de las más pobladas del mundo. El porcentajeglobal de urbanitas crece a un ritmo de 60 millones de personas al año, con nuevasmegaciudades formándose en los países en vías de desarrollo. Estas cifras describen unarealidad palpable : la sociedad actual está determinada por las infraestructuras, lossistemas, las jerarquías y las dinámicas que rigen la vida en las ciudades. Eventostrascendentales y cotidianos se desarrollan en sus calles y plazas, su red de transportes,sus estructuras políticas y sus mecanismos de control. En Hong Kong, París o Barcelona,miles de manifestantes ocupan las calles, detienen la circulación y paralizan todaactividad. Se producen enfrentamientos con la policía y en algunos casos se suspendenlos servicios de transporte público para evitar que los ciudadanos puedan llegar al lugarde la manifestación. En Wuhan, un brote de coronavirus lleva a las autoridades chinas aaislar el área metropolitana y deja atrapados a sus 11 millones de habitantes con laintención de contener la expansión del virus. Mientras tanto, Davos, una tranquilalocalidad suiza de tan solo 11.000 habitantes, acoge a los principales representantespolíticos y empresariales en el Foro Económico Mundial, lejos del bullicio de las grandescapitales en las que detentan su liderazgo. Las ciudades son, actualmente, nuestrohábitat natural y también el entorno en el que toman forma los sistemas que rigennuestra sociedad.

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2 Con todo, no existe una definición específica de lo que es una ciudad, tan solo maneras

de delinear sus contornos en función de criterios históricos, administrativos, deexpansión urbanística o de los desplazamientos que realizan habitualmente losciudadanos desde sus domicilios a sus puestos de trabajo2. “En términos generales”,afirma el escritor Deyan Sudjic, “una ciudad se puede definir por la manera en que sugente se une para vivir y trabajar, por su modo de gobierno, por su sistema detransportes y por el funcionamiento de su alcantarillado”3. A esta definición, que secentra en la infraestructura, le añade otra que contrapone el aspecto físico de la urbe ala manera en que es concebida y las actividades que se llevan a cabo en ella : “Lasciudades están formadas por ideas, tanto como por cosas ; en cada caso, muy a menudo,son producto de unas consecuencias no deseadas”4. Podemos hablar, por tanto, de unaentidad a la vez estática y fluida : por una parte, su aspecto más sólido y (relativamente)inamovible lo constituyen sus edificios y calles, los muros que delimitan la propiedadprivada y las fachadas que participan del espacio público, las leyes que determinan loque puede hacerse en ella, así como la distribución de la población en zonas cuyo nivelsocio-económico viene marcado por el mercado inmobiliario ; por otra parte, el aspectomás dinámico de la ciudad lo constituye la actividad humana que tiene lugar en ella, losflujos de personas que a diario se desplazan ordenadamente al trabajo o bien,convertidas en masa, ocupan las calles en manifestaciones y eventos populares, perotambién los flujos de datos que circulan entre dispositivos móviles, ordenadores,routers y antenas de redes inalámbricas, así como la capa más inmaterial queconstituyen los recuerdos que los ciudadanos tienen del lugar en que habitan y losrelatos que forman la identidad de una ciudad. Todos estos elementos se combinan einfluyen mútuamente, difuminando la diferenciación entre lo estático y lo fluido : losedificios pueden ser demolidos para dar paso a avenidas y ensanches, un barrio pobrepuede verse sometido a un proceso de gentrificación que lo transforma por completo, ytambién el tránsito habitual de vehículos y personas puede enquistarse, impidiendoreformas que facilitarían un modelo de ciudad más saludable y sostenible.

3 Esta particular característica de las urbes se traduce en una tensión, constante e

invisible, que experimentan sus habitantes a diario. Los ciudadanos son acogidos por laciudad en la que viven y a la vez están atrapados en ella. Ésta les ofrece todo lo quenecesitan, incluso una identidad y una sensación de pertenencia a un colectivo, perotambién determina dónde pueden vivir, adónde pueden desplazarse, y cómo debenhacerlo. La ciudad es una máquina de ordenar personas, y como tal puede ofrecer unasensación de orden y seguridad a sus habitantes, pero también generar un profundodesasosiego e inducir al conformismo resignado. Con todo, como aglomeración deactividad humana, también puede ser cuestionada, repensada, demolida y reconstruida,tanto en su aspecto físico como en el de sus dinámicas y las ideas que le dan forma. Eneste artículo nos proponemos revisar algunas propuestas de escritores, pensadores yartistas que conciben la ciudad como un sistema que puede ser hackeado a fin devisibilizar el conjunto de instrucciones que determina su funcionamiento e introducirnuevas directrices, potencialmente disruptivas. Para ello empleamos una aproximaciónal arte urbano que considera todo tipo de intervenciones en los espacios públicos de laciudad, no limitada al graffiti o post-graffiti (entendidos, en conjunto, como todas lasformas de creación de imágenes en paredes o fachadas), sino englobando prácticasartísticas que incluyen la recopilación y visualización de datos, la traslación deelementos de entornos virtuales al paisaje urbano o el uso de herramientas decartografía digital. El arte vinculado a las tecnologías de la información y el

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conocimiento adquirirá especial relevancia en este texto, particularmente en relaciónal desarrollo de los sistemas automatizados de gestión y control en las llamadas“ciudades inteligentes.” Ante la posibilidad que estos sistemas acentúen el carácterautoritario de la retícula urbana, las reflexiones y disrupciones que proponen ciertosproyectos artísticos resultan cada vez más necesarias.

La ciudad máquina

4 A mediados del siglo XIX, bajo los efectos de la Revolución Industrial y la mayor

intervención de los poderes públicos en el diseño urbanístico, las grandes ciudades sevan transformando en sistemas de distribución, ordenamiento y control. La conocidaremodelación de París llevada a cabo para Napoleón III por Georges-Eugène Haussmannentre 1852 y 1870 ejemplifica el tipo de transformación que se ejecuta en las ciudades,pasando de la caótica ciudad medieval a una expansión urbanística que impone unordenamiento racional, siguiendo un plan maestro dictado por dirigentes y urbanistas.Haussmann hizo demoler los barrios pobres del centro de París y erigir grandesavenidas que, además de dar un aire majestuoso a la ciudad, eran lo suficientementeanchas como para impedir que los ciudadanos levantaran barricadas (como hicierondurante la Revolución de 1848) y facilitar el movimiento de cuerpos militares y fuerzasdel orden5. No obstante, como defiende el historiador Pierre Pinon, el objetivo tambiénfue sanear una ciudad que había sufrido una terrible epidemia de cólera unos añosantes, y facilitar la comunicación, tanto para las personas como para la distribución dealimentos y otros productos, entre las distintas zonas de París6. Ambas motivacionesresponden a la concepción de la ciudad como una máquina que debe funcionar a laperfección, facilitando tanto la vida de sus habitantes como el desarrollo del comercio,la proyección de su imagen exterior y también el mantenimiento del orden. En estamonumental máquina, las personas se convierten en masa, ríos de gente que sedesplaza de casa al trabajo y a los lugares de ocio. La única digresión posible es la delflâneur, el paseante sin rumbo que no se deja llevar por la circulación del gentío, sinoque la observa y se nutre de ella : como afirmaba el poeta Charles Baudelaire, “elenamorado de la vida universal entra en la multitud como en un inmenso depósito deelectricidad”7. Este papel es el que otorga al artista, cuya misión consiste en no ser unomás de los transeúntes que se dirigen apresurados a su destino, en no participar de lavida cotidiana, sino reflejarla en su obra. Como veremos más adelante, precisamente elno adecuarse a los usos establecidos de la ciudad, a la vez que se genera un mensajepara los otros usuarios, es una de las características principales del arte urbano.

5 La configuración de la ciudad como máquina responde también a su adecuación a los

dictados de la industria. Como señala el sociólogo y urbanista Lewis Mumford, a finalesdel siglo XIX y principios del siglo XX las ciudades se articulan en torno a la fábrica,dedicando toda su infraestructura a facilitar el desplazamiento de los trabajadoresdesde sus casas y la circulación de las materias primas y los productos8. Este modelo deciudad inspira distopías futuristas como la que narra el film Metrópolis (Fritz Lang,1927), en el que la industria es presentada como una máquina monstruosa que engulle alos trabajadores. El largometraje también presenta una estratificación de la sociedadque se manifiesta en los diferentes niveles que separan el subsuelo de los áticos en losrascacielos. Una jerarquía palpable que también encontramos en las ciudades actuales,en las que la mayor parte de la población se desplaza en metro y los pisos superiores de

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los edificios más altos se han convertido en una atracción turística. Con todo, a estadivisión social marcada por los aspectos más estáticos de la ciudad (la propiaarquitectura y las estructuras de poder) se contrapone un elemento fluido que atraviesalos diferentes ámbitos de la vida urbana : los medios de comunicación. En 1938,Mumford describe la metrópolis como un mundo dominado por el papel, la tinta y elceluloide :

The swish and crackle of paper is the underlying sound of the metropolis : moreimportant to the inner content of its existence than the whining rhythm of itsmachines. What is visible and real in this world is only what has been transferred topaper. The essential gossip of the metropolis is no longer that of people meetingface to face on the crossroads, at the dinner table, in the market-place : a few dozenpeople writing in the newspapers, a dozen more broadcasting over the radio,provide the daily interpretation of movements and happenings. […] In the theater,in literature, in music, in business, reputations are made-on paper. […] That life isan occasion for living, and not a pretext for supplying items to newspapers orspectacles for crowds of otherwise vacant bystanders -these notions do not occur tothe metropolitan mind. For the denizens of this world are at home only in the ghostcity of paper9.

6 El papel es, en la ciudad de los años treinta, el soporte material de todas las

comunicaciones, ya sean los periódicos que se reparten cada mañana en los quioscos encalles y estaciones, los telegramas urgentes, los informes que transitan los pisos de unbloque de oficinas (y con ello los niveles de jerarquía de una empresa), o las cartas quese dejan en el buzón con la esperanza de que algún día lleguen a su destino. Lacirculación de estos documentos en papel da lugar a unos flujos de comunicación que semultiplican y aceleran en la sociedad digital : ahora las noticias, los mensajes privados,los documentos de trabajo y todo tipo de contenidos audiovisuales se distribuyen anivel global en cuestión de segundos. Toda la información que antes se hacía visible enpapel, se muestra hoy en los smartphones de los ciudadanos, cuya mirada no se despegade la pantalla mientras caminan por la acera o viajan en metro. No obstante, siguesiendo cierto que lo único visible es aquello que se ha transferido a la pantalla, y que lavida se convierte en un pretexto para generar contenidos en las redes sociales. Esta esuna condición típicamente urbana, marcada por el acelerado ritmo de la vida en lasciudades y su carácter intrínsecamente competitivo : los edificios compiten en altura,los ciudadanos en un estatus social y económico que les permitirá colocarse,precisamente, en los pisos superiores de dichos edificios. Mumford afirma que la mentemetropolitana se interesa principalmente por los logros cuantitativos :10 más alto, másrápido, más numeroso. La digitalización de la vida cotidiana y el procesamientoautomático de datos fomentan esta cuantificación, amplían su alcance y le dan aúnmayor relevancia. La posibilidad de conocer fácilmente el número de pasos que hemoscaminado, la suma de likes obtenidos por una publicación en nuestro perfil de redessociales, la cantidad de estrellas con las que los usuarios valoran nuestro restaurantefavorito, o cuántos miles de seguidores tiene una influencer, determina nuestraexperiencia del espacio urbano, así como de las actividades que llevamos a cabo en él.

7 El frenético ritmo de la vida en las ciudades ya era una realidad palpable (y

cuantificable) antes de la revolución digital. Un famoso estudio realizado en 1976 por elpsicólogo Marc H. Bornstein y la antropóloga Helen G. Bornstein mostraba una relacióndirecta entre el tamaño de una ciudad y la rapidez con la que se desplazan a pie sushabitantes. Esta particularidad puede deberse, por una parte, a la sobreestimulación ala que se ven sometidos los ciudadanos, y por otra a la necesidad de recorrer grandes

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distancias en poco tiempo para llegar del domicilio al trabajo. En cualquier caso, la vidaen las ciudades se ve marcada por un ritmo acelerado que también se traduce en unaactividad más frenética en su dimensión digital. Inspirados por el estudio de losBornstein, los artistas Varvara Guljajeva y Mar Canet crean The Rhythm of the City

(2011)11, una instalación compuesta por diez metrónomos modificados, controlados porun ordenador, cuyos péndulos oscilan al ritmo de la publicación de contenidos en lasredes sociales12 en diez grandes ciudades del planeta. Por medio de una serie de objetoscon un valor metafórico, esta pieza hace visibles los flujos de datos que forman parteintrínseca, pero ignorada, de la vida en las ciudades, a la vez que facilita compararlos ypor tanto contribuye al espíritu competitivo y sujeto a la cuantificación que comentabaMumford. Más interesante aún es la versión de esta pieza que los artistas realizaron enla ciudad de São Paulo. The Rhythm of São Paulo (2012)13 ocupó la fachada digital deledificio de FIESPI durante el SP_Urban Digital Festival de 2012 con la imagen de unmetrónomo cuyo péndulo oscilaba al ritmo de las publicaciones de los paulistas en las

redes sociales (Fig. 1). La forma trapezoidal del edificio diseñado por Rino Levi en 1979contribuyó a crear la imagen perfecta de un enorme metrónomo, a la escala de laciudad más grande y poblada de Brasil. En él se mostraba a los transeúntes su propiaactividad colectiva en un espacio virtual que, sin formar parte de los límites geográficosde la metrópolis, se superpone a ella. La obra interviene en el paisaje urbano como unavisualización de datos en tiempo real que, al ocupar toda la superficie de la fachada deuno de los edificios de la Avenida Paulista, no puede ser ignorada y a la vez invita ainteractuar con ella (de forma indirecta) por medio de la propia actividad en las redessociales.

Fig. 1. Obra generativa. Intervención en la fachada del edificio FIESPI, São Paulo, Brasil.

Varvara Guljajeva y Mar Canet, The Rhythm of São Paulo (2012).

8 La constante y acelerada actividad que constata el estudio de los Bornstein y refleja (en

el plano digital) la pieza de Guljajeva y Canet es un efecto de la concepción de la ciudadcomo una máquina. Una máquina generadora de riqueza, como apunta Sudjic14, a través

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del funcionamiento incesante de sus empresas, o más generalmente una máquinasofisticada que mantiene el orden y el bienestar de los ciudadanos por medio de unasinfraestructuras (de energía, sanidad, tránsito, etc.) perfectamente implementadas ypensadas para abastecer a toda el área metropolitana15. El funcionamiento de la ciudadcomo un sistema conlleva acotar la vida de sus habitantes a determinados barrios,líneas de transporte y lugares de ocio que cubren sus necesidades. Este hecho lo recogeel conocido estudio que realizaron el sociólogo Paul-Henri Chombart de Lauwe y suequipo, recogido en el libro Paris et l’agglomération parisienne (Presses universitaires deFrance, Paris, 1952). El análisis de todos los recorridos efectuados durante un año poruna estudiante parisina llamó la atención del escritor Guy Debord, uno de losfundadores de la Internacional Situacionista, quien destaca que los movimientos de lajoven perfilan “un triángulo reducido, sin escapes, en cuyos ángulos están la Escuela deCiencias Políticas, el domicilio de la joven y el de su profesor de piano”16. En ladescripción de Debord podemos ver la ciudad como un terreno vallado cuyos límitesson determinados por la propia actividad de la persona, que en su día a día no tiene másopción que acudir a esos tres lugares que forman los vértices del triángulo17. El escritorpone énfasis en esta interpretación para apoyar su teoría acerca de la existencia de “unrelieve psicogeográfico de las ciudades, con corrientes constantes, puntos fijos yremolinos que hacen difícil el acceso o la salida a ciertas zonas”18. A fin de descubrireste relieve psicogeográfico, y eventualmente liberarse de él, Debord propone practicaruna “deriva,” que consiste en desplazarse por la ciudad sin un destino específico,dejándose llevar por lo que a cada persona le sugiere el espacio por el que transita. Eneste sentido, el practicante de la deriva se asemeja al flâneur, en cuanto se sustrae de losflujos de tránsito y las actividades cotidianas que tienen lugar en la metrópolis. Laexistencia de esas corrientes, puntos y remolinos a los que hace referencia Debord sonclaramente identificables en la ciudades actuales, en las que además se añade una capaadicional formada por los datos que recogen las herramientas de cartografía digital ylos navegadores GPS. Desde principios de la década de 2000, la creciente popularizaciónde estos últimos, particularmente desde el lanzamiento de Google Maps en 2005, hafacilitado concebir la ciudad como un espacio que se dibuja en función del recorridoseleccionado por la aplicación. Aquí no se trata ya de un relieve psicogeográfico, sino deun conjunto de cálculos que dan como resultado la ruta más rápida, más corta o conmenos tráfico. Sin duda, los puntos clave y las principales vías de comunicación siguendeterminando en gran medida los recorridos que trazan aplicaciones como GoogleMaps o Waze, pero en ocasiones éstas también se libran a una suerte de derivaalgorítmica que conduce a los usuarios por calles secundarias y caminos vecinales.

9 Empleando estas tecnologías, diversos artistas han elaborado propuestas que

automatizan las investigaciones de Chombart de Lauwe o la práctica de la derivasituacionista. Ya a mediados de los años noventa, la artista e investigadora LauraKurgan realizaba los primeros dibujos por medio de tecnología GPS en la instalaciónYou Are Here : Information Drift (1994)19, en la que planteaba la relación entre el espacioarquitectónico y el espacio de información que generan las coordenadas obtenidas conlos dispositivos de geolocalización. La artista define este espacio digital como “anexperience of drift, of drift in the GPS signals and our wandering in its informationzones”20. El deambular al que hace referencia Kurgan es desarrollado por el artistaJeremy Wood desde principios de 2000 en una extensa serie de dibujos creados pormedio de paseos a pie, rutas en coche, travesías en barco y viajes en avión cuyosrecorridos registraba con un dispositivo GPS21. Entre sus trabajos centrados en el

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espacio urbano destaca My Ghost (2000-2016)22, un detallado registro de su vida enLondres durante 16 años, que se ve acotada, como en el caso de la joven parisina, a losdistritos de Covent Garden y Kingsland, conectados entre sí por una forma de diamante

que perfilan las principales calles que llevan de uno a otro (Fig. 2). Wood tambiéncuestiona la precisión de las coordenadas GPS, y por tanto la relación entre el espacioreal y el que crean los datos, en la escultura pública Data Cloud (2008)23. En un mismorincón del Beatrixpark de Amsterdam se instalaron una docena de bancos en diferentesposiciones, amontonados unos sobre otros como si luchasen por ocupar el mismoespacio. La escultura hace así visible el desajuste que se produce al interpretar nuestroentorno por medio de coordenadas obtenidas a través de varios satélites, por medio deun objeto cotidiano que los transeúntes pueden emplear pese a su absurda (y algoincómoda) multiplicidad.

Fig. 2. Visualización de datos GPS. Impresión Giclée, 330 x 340 mm

Jeremy Wood, My Ghost (2016).

10 Retomando el principio de la deriva, el proyecto Las calles habladas (2013)24 de Clara Boj

y Diego Díaz propone una exploración sonora de la capa de información que emerge decada rincón de la ciudad. Una app para smartphone capta la localización del usuario yle propone un recorrido aleatorio por las calles aledañas mientras escucha una vozsintética que recita textos extraídos de Internet acerca de los espacios por los quetransita. Estos textos pueden hacer referencia al nombre de la calle, incluir datoshistóricos o de interés turístico, contener descripciones de ofertas inmobiliarias ocarecer de todo sentido. La intención de los artistas no es facilitar una guía de la ciudadsino exponer el ruido de los datos que generan sus espacios. A fin de confrontar esteruido con el espacio público, Boj y Díaz han realizado paseos en los que el smartphoneestá conectado a un megáfono que hace audible la información y fuerza una

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cohabitación temporal entre la calle y su representación en las redes de información.Notablemente, en estos proyectos artísticos la deriva no se produce tanto con lafinalidad de obtener una experiencia individual como con el objetivo de hacer posibleuna recolección automática de datos, que posteriormente dan lugar a una visualización(o sonorización) de carácter simbólico.

11 Un proyecto reciente del artista Simon Weckert da un giro más a la relación entre el

espacio real y la cartografía digital por medio de un ingenioso truco. En Google Maps

Hacks (2020)25, Weckert se pasea por las calles de Berlín con un carrito en el quetransporta 99 smartphones conectados a Google Maps, que la aplicación identifica como

coches cuyos conductores emplean el sistema de navegación (Fig. 3). La acumulación detantos “coches” en una misma calle es interpretada como un atasco, lo que lleva a laaplicación a redirigir el tráfico real por otras calles. El embotellamiento virtual, enúltima instancia, libera la calle para los peatones y ciclistas, a la vez que fuerza a losconductores de los turismos y camionetas a una deriva algorítmica inesperada.

Fig. 3. Performance en la ciudad de Berlín.

Simon Weckert, Google Maps Hacks (2020).

La ciudad como conjunto de dispositivos

12 La exploración del espacio urbano por medio de la metódica recolección de datos es una

práctica que podemos encontrar en la obra literaria de Georges Perec. El escritorfrancés dirige su mirada continuamente hacia los aspectos más mundanos de la vidacotidiana (en sus propias palabras, “lo trivial, lo cotidiano, lo evidente, lo común, loordinario, lo infraordinario, el ruido de fondo, lo habitual”26) y les otorga una inusitadarelevancia por medio de metódicas descripciones y minuciosas enumeraciones. En suobservación de la ciudad, Perec nos invita a prestar atención a todos los detalles de loque se encuentra en las calles, incluso lo más evidente o anodino, y también a visualizarla propia infraestructura de la urbe :

Ou bien encore : S’efforcer de se représenter, avec le plus de précision possible, sousle réseau des rues, l’enchevêtrement des égouts, le passage des lignes de métro, laprolifération invisible et souterraine des conduits (électricité, gaz, lignes

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téléphoniques, conduites d’eau, réseau des pneumatiques) sans laquelle nulle vie neserait possible à la surface27.

13 La propuesta del escritor se ve reflejada en las obras de aquellos artistas que exploran

formas de visualizar las redes de datos en las ciudades actuales, precisamente pormedio de la escritura y la metódica elaboración de registros. El artista Aram Bartholl,cuyo trabajo explora el encuentro entre los entornos digitales y el espacio público, havisibilizado las redes wifi de los hogares escribiéndolas con tiza en la acera junto con losalumnos del taller Drawing the Internet (2015)28 y también ha hecho públicas en ciudadescomo Estrasburgo o Palma una serie de contraseñas robadas de la plataforma LinkedInque emplean el nombre de la ciudad, reproduciéndolas en carteles y pósters, en elproyecto Forgot Your Password ? (City version) (2017)29. De forma similar, VarvaraGuljajeva y Mar Canet recopilaron una extensa lista de redes wifi de los hogares de laciudad de Tallinn (Estonia) para su obra Wifipedia (2015)30. Los artistas desarrollaronuna app que escanea las redes wifi y almacena el nombre de la red, su dirección MAC ysus coordenadas GPS. Posteriormente recorrieron la ciudad, en bicicleta y a pie,tratando de cubrir las principales zonas residenciales, hasta acumular una lista que hanrecogido en una publicación de 365 páginas. Este voluminoso libro, que recuerda a los(ya desaparecidos) listines telefónicos, podría interpretarse como un relatoperecquiano automatizado : una descripción de la capital de un país que ha declarado elacceso a Internet como un derecho fundamental31 a través de los nombres con los quelos usuarios bautizan sus redes wifi. Salvando las distancias entre la obra literaria dePerec y los proyectos artísticos de Bartholl, Guljajeva y Canet, todos ellos nos presentanla ciudad como un sistema complejo que puede leerse y del que pueden extraerseinformaciones ocultas o ignoradas.

14 Con todo, tal vez el más claro ejemplo de la observación metódica del espacio urbano

por parte de Perec la constituye Tentative d’épuisement d’un lieu parisien (1975), un relatoque recoge las anotaciones realizadas por el escritor durante tres días mientrascontemplaba a los transeúntes y el tráfico en la plaza de Saint-Sulpice en París. El textopone en práctica sus ideas acerca de la atención a lo infraordinario y da protagonismo alas acciones que llevan a cabo las personas (e incluso los animales), mostrando lasparticulares dinámicas que se producen en la calle. Perec experimenta aquí con unmodo de narración que se pretende objetivo, como el que realizaría una máquina, peroque evidentemente adquiere un estilo muy personal. No obstante, y lejos de laintención del escritor, el relato se asemeja al registro que podría hacer un agente depolicía en una misión de vigilancia, o un sistema de seguridad dotado de inteligenciaartificial, y por tanto puede interpretarse de una manera diferente en nuestra sociedadactual, sometida a una total pérdida de privacidad. Inspirado por este texto, el artistaKyle McDonald realiza la pieza Exhausting a Crowd (2015)32, que consiste en unagrabación de un espacio público y un software que permite etiquetar a las personas que

se encuentran allí y publicar comentarios sobre ellas (Fig. 4). Alojada en un sitio web, laobra permite a cualquier usuario escribir sus propios comentarios, que acabangenerando breves narraciones y diálogos imaginados en un escenario de la vidacotidiana. McDonald extrae por medio de una cámara toda la información necesariaacerca del espacio que se propone “agotar” y delega la escritura que tanlaboriosamente realizó Perec en las aportaciones espontáneas de los usuarios. De estamanera, la pieza convierte el ejercicio literario en una metáfora de la vigilancia a la quenos vemos sometidos y la posibilidad de vernos expuestos a la mirada y los comentariosde otras personas, incluso las que no vemos.

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Fig. 4. Vídeo y software, sitio web

Kyle McDonald, Exhausting a Crowd (2015).

15 La vigilancia forma parte de la vida en la ciudad, no solo ejercida por las empresas de

seguridad o las fuerzas del orden, sino también por los propios ciudadanos. Observar alos demás forma parte del día a día, ya sea para saber hacia dónde hay que ir, integrarseen una actividad organizada (por ejemplo, hacer cola o subir a un transporte público) omantenerse alerta ante una actividad inusual. En este sentido, la ciudad puedeconsiderarse, según sugiere la investigadora Juliette Hébert, como un conjunto dedispositivos. Retomando la definición propuesta por Giorgio Agamben33, podemosentender los dispositivos como aquellos discursos, instituciones, edificios, leyes e ideasmorales que tienen la capacidad de orientar, modelar y controlar las conductas,opiniones y discursos de las personas. La ciudad, por tanto, está compuesta por espacioscodificados, en los que se realizan unas actividades predefinidas (tales como comer,comprar, leer, ver un espectáculo) y por un conjunto de ideas y normas (explícitas eimplícitas) que determinan la conducta “correcta” en cada uno de estos espacios. Eneste sentido, la capacidad de coerción que puede ejercer la ciudad como sistema sobreel individuo es incluso más sutil y profunda de lo que sugiere la psicogeografíasituacionista. Hébert rememora una anécdota vivida por el propio Perec en el PassageChoiseul, un conocido pasaje de tiendas y bares en el barrio de la Ópera de París.Mientras tomaba notas para una descripción detallada del lugar, se vio expulsado de allípor la conserje, que consideró sospechoso el lento deambular del escritor. Perecprotestó, pero a la vez sintió que estaba actuando de una forma inapropiada34.

16 Las reglas que determinan lo que los individuos pueden o deben hacer en los diferentes

espacios públicos y semi-públicos de la ciudad están establecidas tanto en leyes yreglamentos municipales como en códigos de urbanidad y civismo, o las propiasexpectativas de uso que genera cada local, plaza, jardín o paseo. En una sociedadcapitalista, las marcas comerciales toman habitualmente estos espacios, pudiendocubrir las fachadas con pancartas publicitarias, llenar los buzones con folletos y ocuparlas plazas con lanzamientos de productos. Estas actividades, reguladas y lucrativas,contrastan con las que se realizan de manera espontánea y sin permiso alguno, que amenudo se califican como “desorden público” o “vandalismo,” siendo paradójicamente

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reapropiadas para un uso comercial. Un ejemplo de ello lo constituyen las flashmobs,

acciones coordinadas llevadas a cabo en un espacio público o un local comercial por ungrupo de personas, convocadas a través de las redes sociales, con una finalidadpuramente lúdica. Las flashmobs se popularizaron a partir de 2003 con varias accionesen la ciudad de Nueva York, convirtiéndose en un fenómeno viral que pronto fueadoptado por las agencias de publicidad para promocionar un producto y se desplazóde las calles a los centros comerciales. La escritora Naomi Klein denuncia que “loscentros comerciales se han convertido en la plaza principal de las ciudades” y añadeque en estos espacios “el único tipo de discurso que se permite […] es la charla sobre elmarketing y el consumo”35. De esta manera, la flashmob convertida en eventopublicitario pierde su carácter disruptor y se integra en los dispositivos queinicialmente ponía en cuestión36.

17 De forma similar, el graffiti, una actividad ilegal y que se realiza de forma clandestina,

se ha visto sometido progresivamente a lo que la socióloga Roberta Shapiro denomina“artificación,” es decir :

le processus de transformation du non-art en art, résultat d’un travail complexe quiengendre un changement de définition et de statut des personnes, des objets, et desactivités37.

18 El graffiti adquiere notoriedad a principios de la década de 1970 en Nueva York, y

pronto aparecen los primeros colectivos de artistas, como el United Graffiti Artists(UGA) y las primeras exposiciones en galerías. A lo largo de la década de 1980, supopularidad se hace global, en parte gracias a la publicación del libro Subway Art (1984)de Martha Cooper y Henry Chalfant, que recoge en 153 fotografías las más destacadasmuestras del arte del graffiti en Nueva York. A partir de la década de 2000, la prácticadel graffiti, ya consolidada en las principales ciudades del mundo, se va expandiendohacia otras formas de intervención artística en el espacio público, que reciben lasdenominaciones post-graffiti, street art y finalmente arte urbano. Como señala lainvestigadora Marisa Liebaut, el proceso de artificación del graffiti no solo conlleva supaso de práctica lúdica a práctica artística, sino que también cambia su estatus deactividad ilegal a actividad legal y reconocida38. Como tal, se presta a su vez a serlucrativa e integrarse en campañas de marketing y estrategias del mercadoinmobiliario : en los últimos años, se han multiplicado los casos de artistas que handemandado a empresas por emplear sus murales en anuncios publicitarios y redessociales39, mientras que en ciudades como Nueva York o Londres el street art hacontribuido con su presencia a la gentrificación de diversos barrios40. Estos ejemplosindican cómo operan los dispositivos que regulan las actividades en la ciudad y cómo,en conjunto, tienden a integrar cualquier manifestación lúdica y espontánea dentro deun sistema regulado y sujeto a intereses comerciales.

19 Diversos artistas han empleado las tecnologías digitales actuales para generar una

nueva forma de graffiti y señalar la dominación del espacio público por parte de lasgrandes marcas comerciales. Por una parte, el Graffiti Research Lab, un grupo deartistas centrado en la creación de tecnologías de código abierto para el arte urbano, hacreado L.A.S.E.R. Tag (2006)41, un sistema que permite escribir tags virtuales en lafachada de un edificio por medio de una proyección de gran potencia y un punteroláser. Empleado en diversas acciones en grandes ciudades, L.A.S.E.R. Tag permite unaintervención efímera pero de gran impacto visual, que responde al objetivo original delgraffiti (apropiarse de las fachadas) y lo hace en un momento en que la documentaciónde la pieza, como afirma el escritor RJ Rushmore, es más importante que la pieza en sí42.

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El impacto mediático es también el objetivo del proyecto Nike Ground (2003)43 de Eva yFranco Mattes, que consistió en una falsa campaña publicitaria en la que se anunciabaque la marca Nike iba a comprar Karlsplatz, una de las principales plazas de Viena,

renombrarla Nikeplatz e instalar un enorme logotipo a modo de monumento (Fig. 5).La campaña, que se presentó en la ciudad con una oficina de información y una webfalsa, generó una gran controversia entre la ciudadanía hasta que se reveló que setrataba de una impostura. Con todo, los artistas lograron suscitar un debate acerca delos límites a los que una ciudad puede llegar al ceder su espacio público a interesescomerciales. Por último, cabe señalar el proyecto The Artvertiser (2008)44 de JulianOliver, Damian Stuart, Arturo Castro, Clara Boj y Diego Díaz, que propone insertar obrasde arte en los espacios publicitarios en la ciudad por medio de una aplicación deRealidad Aumentada. Esta aplicación, de forma similar a L.A.S.E.R. Tag, facilita unaintervención efímera que solo es visible por medio de unos binoculares creados por losartistas, pero plantea la posibilidad de actuar en el nivel de los contenidos digitales,algo que si bien aún no forma parte de nuestra percepción cotidiana del entorno (el usode aplicaciones de Realidad Aumentada en smartphones es, aún, anecdótico), sí formaparte de nuestro futuro próximo.

Fig. 5. Instalación y performance mediática en Viena

Eva y Franco Mattes, Nike Ground (2003).

En la ciudad algorítmica

20 La ciudad como sistema y dispositivo adquiere una nueva dimensión con el desarrollo

de las ciudades inteligentes (smart cities), un modelo basado en la recopilación yprocesamiento de la mayor cantidad posible de datos acerca de las infraestructuras dela urbe y las actividades que tienen lugar en ella, a fin de optimizar su funcionamiento y

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ofrecer nuevas soluciones de comunicación, movilidad y seguridad a sus ciudadanos.Durante la última década se ha popularizado el término, a medida que se ha producidouna carrera entre las grandes ciudades (y particularmente, las aspirantes a ocupar unlugar relevante entre las capitales del mundo) por implementar proyectos tales comoredes wifi públicas, alumbrado inteligente, control de tráfico, espacios de recarga decoches eléctricos o sistemas de vigilancia y prevención de delitos. La progresivatransformación de ciertas ciudades en smart cities ha sido promovida, desde sus inicios,por grandes multinacionales del sector tecnológico como IBM y Cisco Systems. Paraestas empresas, la posibilidad de liderar la transformación digital de las ciudades es unaenorme oportunidad de negocio, a la vez que un campo de pruebas para sus productos yuna fuente inagotable de datos con los que crear soluciones innovadoras que lesotorguen una ventaja frente a sus competidores. En un informe de Cisco sobre ciudadesdigitales publicado en 2017, se afirma que invertir en nuevas tecnologías puedereportar a las ciudades, entre 2017 y 2024, un total de 2,3 billones de dólares en todo elmundo45. Esta jugosa suma se presenta como un futurible, a la vez que se incide en lanecesidad de reinvertir el dinero ahorrado en nuevos proyectos de transformacióndigital, lo cual obviamente beneficia a las empresas que controlan dicho proceso. Elinforme de Cisco también incide en dos pilares fundamentales para la transición haciala ciudad inteligente : la implementación de una red wifi municipal y una estructura deciberseguridad. La red wifi es una infraestructura absolutamente necesaria, puesto queel concepto de ciudad inteligente se basa en otro que le precede, el del Internet de lasCosas, que presume la necesidad de que la mayor cantidad posible de objetos esténconectados a la red y sean capaces de recoger datos y transmitirlos. Un entorno urbanocargado de sensores que obtienen información acerca del funcionamiento de lainfraestructura de la ciudad y todas las actividades que tienen lugar en ella permitedetectar problemas y carencias, a fin de generar soluciones para una ciudad máshabitable, sostenible y segura. Este último aspecto requiere un control de los datos quecirculan, para prevenir su uso con fines criminales o terroristas. Pero también suponeque dichos datos quedan en control de las empresas que suministran el servicio, con larelativa participación de las instituciones públicas, lejos de poder ser consultados ocuestionados por la ciudadanía. Este modelo, por tanto, sigue en la línea de los grandesplanes urbanísticos que someten la forma de la ciudad a una única visión, como las queaplicaron Haussmann en París y Robert Moses en Nueva York, y los extiende al ámbitodigital. A estos planes concebidos “desde arriba” se suman las iniciativas de empresasprivadas que crean sus propias cartografías de la ciudad a través de los servicios queofrecen, como es el caso de Google con Google Maps y Google Street View, o tambiénUber y AirBnB, entre otras. A través de sus actividades cotidianas y desplazamientos,las personas que visitan la ciudad o habitan en ella nutren de datos a estas empresas y asu vez se ven afectadas, e incluso manipuladas, por las decisiones que se toman en basea estos datos.

21 Un proyecto implementado en Houston ha permitido reducir el número de viajes que

hacen las ambulancias al contrastar los datos médicos de las personas que llaman alteléfono de emergencias e indicar a los pacientes que no están en estado crítico quedeben desplazarse en taxi46. Aplicaciones como Google Maps o Waze deciden rutasalternativas para descongestionar el tráfico. Estas soluciones reducen gastos y puedenmejorar la circulación en la ciudad, pero implican decisiones que se toman de formaautomática, a partir de hipótesis previas, supuestamente válidas para cada caso. Losalgoritmos que ejecutan estos y otros programas automatizan procesos que resulta

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difícil controlar, e incluso auditar. La capacidad de predicción de los programas querecogen y analizan los datos generados en la ciudad añade un nuevo dispositivo quepuede determinar la siguiente etapa de la vida urbana, no ya en una ciudad inteligente,sino en una ciudad algorítmica, dominada por una serie de sistemas automatizados quese rigen por unas normas invisibles. El artista David Rokeby ha acuñado el término“polución algorítmica” para referirse a la manera en que dichas normas afectan, enúltima instancia, al comportamiento de las personas en los espacios públicos y a lamanera en que perciben la ciudad47. El uso de la palabra “polución” claramente hacereferencia a algo que lo invade todo, que no es perceptible y cuyos efectos solo se notana largo plazo. La influencia de estos algoritmos puede conducir a un auténtico gobiernode los sistemas informáticos48, que reemplaza al gobierno de las personas y puedeacentuar, más que resolver, las desigualdades que dividen a los habitantes de lasgrandes ciudades. Los proyectos de diversos artistas nos muestran hasta qué puntopuede llegar la recopilación de datos de los ciudadanos, desde la vigilancia de loscuerpos que transitan los espacios públicos hasta la información más íntimamenteligada a ellos.

22 En Data Tower (2016)49, Varvara Guljajeva y Mar Canet proponen una escultura pública

que ofrece una visualización abstracta de la actividad humana en una plaza. Un obeliscode 15 metros de altura compuesto por pantallas LED se ha diseñado para mostrar eltránsito de personas a diferentes horas del día, elaborando un registro de la vida enplaza, en el que está implícita la vigilancia a la que están sometidos los transeúntes.Biomapping (2004)50 es un proyecto en curso del artista Christian Nold, que consiste encaptar las respuestas emocionales de las personas en determinados lugares de unaciudad, a fin de crear una “cartografía emocional” de la misma. Por medio de diversostalleres, el artista ha creado mapas de ciudades basados en la experiencia de sushabitantes y no en su trazado urbanístico. Finalmente, en Stranger Visions (2013)51 laartista Heather Dewey-Hagborg ha elaborado una serie de retratos robots de personasanónimas a partir del análisis de restos de ADN encontrados en un chicle, un cabello o

una colilla tirados en la calle (Fig. 6). Estas intervenciones artísticas nos muestrancómo la vigilancia puede ir mucho más allá de la simple cámara de circuito cerrado,logrando no solo identificar a cada individuo sino detectar sus emociones, reconocer losrastros que ha dejado y finalmente predecir sus acciones futuras. Este escenario puedeparecer una mera especulación, pero de hecho las tecnologías que lo hacen posible yaexisten y son ampliamente accesibles.

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Fig. 6. Instalación. Análisis de muestras de ADN e impresiones 3D.

Heather Dewey-Hagborg, Stranger Visions (2013).

Conclusión

23 A lo largo de este artículo hemos desarrollado la concepción de la ciudad como un

sistema y la posibilidad de hackearlo por medio de propuestas disruptivas, desde elpaseo ocioso del flâneur a la laboriosa recopilación de datos acerca de sufuncionamiento, y finalmente a la denuncia de los métodos de control y vigilancia queimpone sobre los ciudadanos. El estadio actual de la evolución de las ciudades hacia sutransformación digital plantea un reto adicional, puesto que se trata ya de un sistemaequipado con una enorme cantidad de datos acerca de los ciudadanos, capaz deresponder de forma ágil a los acontecimientos, pero que se rige por unos algoritmosque pueden ser extremadamente rígidos o partir de una percepción sesgada de larealidad. Los flujos que genera son lo bastante dinámicos y personalizados como paraintegrar cualquier deriva, mientras que la complejidad de la información que manejapuede escapar a todo tipo de escrutinio. ¿Es posible, por tanto, hackear la ciudadalgorítmica ? Tal vez sea como intentar luchar contra la polución a puñetazos. Pero encualquier caso, para luchar contra la polución hay que reconocer que existe e indagaren los factores que la generan para encontrar y aplicar una solución. En este sentido, elarte urbano, como intervención crítica en los espacios públicos de la ciudad ycuestionamiento de los sistemas que intervienen en ellos, es absolutamente necesarioen un momento en que se consolida un modelo que determinará la vida de la mayorparte de la población mundial en el futuro52. Jane Jacobs, la teórica y activista que másenérgicamente se opuso a los planes de Robert Moses y su visión autoritaria delurbanismo, afirmó que las ciudades solo pueden servir a los ciudadanos cuando soncreadas por ellos53. Esto es tanto más cierto cuando se trata de elaborar los algoritmosque gobernarán lo que es ya nuestro hábitat natural.

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NOTAS

1. United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2018), « The

World’s Cities in 2018—Data Booklet » [on-line] [consultado el 27/1/2020] <URL: https://

www.un.org/en/events/citiesday/assets/pdf/the_worlds_cities_in_2018_data_booklet.pdf>.

2. Estas diferentes maneras de considerar los límites de la ciudad se traducen en expresiones

como “aglomeración urbana” o “área metropolitana”. Véase United Nations, Department of

Economic and Social Affairs, Population Division (2018), op. cit., p. 1.

3. Deyan SUDJIC, El lenguaje de las ciudades (trad. Ana Herrera), Barcelona, Editorial Ariel, 2017,

p. 12.

4. Ibidem, p. 39.

5. Así lo denuncia, entre otros, el escritor Walter Benjamin, quien también recuerda que las

barricadas volvieron a levantarse en los grandes bulevares durante la Comuna de 1871. Véase

Walter BENJAMIN, The Arcades Project (Trad Howard Eilan y Kevin McLaughlin), Cambridge-

Londres, Harvard University Press, 1999 (1939), p. 23-24.

6. Pierre PINON, Atlas du Paris haussmannien : La ville en héritage du Second Empire à nos jours, Paris,

Parigramme, 2002, p. 31.

7. Charles BAUDELAIRE, El pintor de la vida moderna (trad. Alcira Saavedra), Murcia, Colegio Oficial de

Aparejadores y Arquitectos Técnicos, 1995 (1863), p. 87.

8. Lewis MUMFORD, The Culture of Cities, San Diego-Londres-Nueva York, Harvest/HBJ, 1970 (1938),

p. 161.

9. “El movimiento y el crujido del papel es el sonido subyacente de la metrópoli : más importante

para el contenido interno de su existencia que el ritmo quejumbroso de sus máquinas. Lo que es

visible y real en este mundo es solo lo que se ha transferido al papel. El chismorreo esencial de la

metrópoli ya no es el de las personas que se encuentran cara a cara en la encrucijada, en la mesa,

en el mercado : unas pocas docenas de personas que escriben en los periódicos, una docena más

que emiten por la radio, proporcionan la interpretación diaria de los movimientos y los

acontecimientos. […] En el teatro, en la literatura, en la música, en los negocios, las reputaciones

se hacen en papel. […] Que la vida es una ocasión para vivir, y no un pretexto para suministrar

artículos a los periódicos o espectáculos para las multitudes de espectadores que de otra manera

estarían vacíos -estas nociones no se le ocurren a la mente metropolitana. Porque los habitantes

de este mundo solo se sienten cómodos en la ciudad fantasma del papel”, Lewis MUMFORD, The

Culture of Cities, op. cit., p. 257-258 (traducción del autor).

10. Ibidem, p. 258.

11. Varvara GULJAJEVA y Mar CANET (2011), “The Rhythm of the City” [on-line], [consultado el

27/1/2020] <URL: http://varvarag.info/the-rhythm-of-city/>

12. La pieza se ha realizado en varias versiones, con datos de diferentes redes sociales. En su

última versión (2017), estas son : Twitter, Flickr, YouTube, Foursquare e Instagram.

13. Varvara GULJAJEVA y Mar CANET (2012), “The Rhythm of São Paulo” [on-line], [consultado el

27/1/2020] <URL: http://varvarag.info/the-rhythm-of-sao-paulo-2/>

14. Deyan SUDJIC, El lenguaje de las ciudades, op. cit., p. 41.

15. Ibidem, p. 159.

16. Guy DEBORD, “Teoría de la deriva”, Luis Navarro (ed.), Internacional situacionista, vol. I : La

realización del arte (Trad. Luis Navarro), Madrid, Literatura Gris, 1999 (1958), p. 50.

17. Debord hace referencia a un esquema publicado en el libro de Chombart de Lauwe que

muestra un gran número de líneas que parten en diferentes direcciones desde el domicilio de la

joven, siendo el grueso de sus desplazamientos los que perfilan el citado triángulo.

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149

18. Guy DEBORD, “Teoría de la deriva”, Op. cit., p. 50.

19. Laura KURGAN (1994), “You Are Here: Information Drift” [online] Nueva York, Storefront for

Art and Architecture [consultado el 27/1/2020] <URL: http://storefrontnews.org/programming/

you-are-here-information-drift/>.

20. “Una experiencia de deriva, de deriva en las señales GPS y nuestro deambular por sus zonas

de información”, Laura KURGAN (2019), Op. cit.

21. Jeremy WOOD (2017), “GPS Drawing” [online], [consultado el 27/1/2020] <URL: http://

www.gpsdrawing.com/gallery.html>.

22. Jeremy WOOD (2016), “My Ghost” [online], [consultado el 27/1/2020] <URL: https://

www.jeremywood.net/artworks/my-ghost2006.html>.

23. Jeremy WOOD (2008), “Data Cloud” [online], [consultado el 27/1/2020] <URL: https://

www.jeremywood.net/artworks/data-cloud.html>.

24. Clara BOJ y Diego DÍAZ (2013), “Las Calles Habladas” [online], [consultado el 27/1/2020] <URL:

http://www.lalalab.org/las-calles-habladas/>.

25. Simon WECKERT (2020), “Google Maps Hacks” [online], [consultado el 4/2/2020] <URL: http://

www.simonweckert.com/googlemapshacks.html>.

26. Georges PEREC, Lo infraordinario (trad. Mercedes Cebrián), Madrid, Impedimenta, 2008 (1989),

p. 23.

27. O bien : esforzarse en imaginar, con la mayor precisión posible, bajo la red de las calles, la

maraña de alcantarillas, el paso de las líneas de metro, la proliferación invisible y subterránea de

conductos (electricidad, gas, líneas telefónicas, tuberías de agua, red de tubos neumáticos) sin los

cuales no sería posible la vida en la superficie. Georges PEREC, « Espèces d’espaces », Christelle

Reggiani (ed.), Oeuvres, Paris, Gallimard, 2017 (1974), p. 603. (Traducción del autor).

28. Aram BARTHOLL (2015), « Drawing the Internet » [online], [consultado el 4/2/2020] <URL:

https://arambartholl.com/drawing-the-internet/>

29. Aram BARTHOLL (2017), « Forgot Your Password? (Strasbourg) » [online], [consultado el

4/2/2020] <URL: https://arambartholl.com/forgot-your-password-city-version/>

30. Varvara GULJAJEVA y Mar CANET (2015), « Wifipedia » [on-line], [consultado el 27/1/2020] <URL:

http://varvarag.info/wifipedia/>

31. VISIT ESTONIA (2020), “e-Estonia” [on-line], Tallinn, Estonian Tourist Board (actualizado el

3/1/2020) [consultado el 27/1/2020] <URL: https://www.visitestonia.com/en/why-estonia/

estonia-is-a-digital-society>.

32. Kyle MCDONALD (2015), “Exhausting a Crowd” [on-line], [consultado el 27/1/2020] <URL:

https://www.exhaustingacrowd.com/>

33. Giorgio AGAMBEN, What is an Apparatus? And Other Essays (trad. David Kishik y Stefan Pedatella),

Stanford, Stanford University Press, 2009 (2006), p. 2 y 14.

34. Juliette HÉBERT, “La ville mode d’emploi. Pour une lecture politique des espaces perecquiens”

[on-line], Le Cabinet d’amateur. Revue d’études perecquiennes, París, Association Georges Perec, julio

2013 [consultado el 27/1/2020] <URL : http://associationgeorgesperec.fr/IMG/pdf/JHebert.pdf>.

35. Naomi KLEIN, No Logo. El poder de las marcas (trad. Alejandro Jockl), Barcelona, Paidós, 2007,

p. 268.

36. Una de las primeras flashmobs fue organizada por Bill Wasik en 2003 y tuvo lugar en unos

grandes almacenes de Nueva York.

37. “El proceso de transformación del no-arte en arte, como resultado de un trabajo complejo que

genera un cambio de definición y de estatus de las personas, objetos y actividades”, Roberta

SHAPIRO, “Avant-propos”, Natalie HEINICH y Roberta SHAPIRO (eds.), De l'artification. Enquêtes sur le

passage à l'art, Paris, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2012, p. 20.

Traducción del autor.

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150

38. Marisa LIEBAUT, “L’artification du graffiti et ses dispositifs”, Natalie Heinich y Roberta Shapiro

(eds.), De l'artification. Enquêtes sur le passage à l'art, Paris, Éditions de l'École des Hautes Études en

Sciences Sociales, 2012, p. 151.

39. Se han dado diversas batallas legales en las que empresas como Mercedes-Benz han

denunciado a su vez a los artistas para que éstos no puedan reclamar derechos de autor por sus

murales. Véase Benjamin SUTTON, “Mercedes-Benz sued four artists whose murals appeared in its

Instagram posts” [on-line], Artsy, 2 abril 2019 [consultado el 27/1/2020] <URL : https://

www.artsy.net/news/artsy-editorial-mercedes-benz-sued-four-artists-murals-appeared-

instagram-posts>

40. Daisy ALIOTO, “How Graffiti Became Gentrified” [on-line], The New Republic, 19 junio 2019

(consultado el 27/1/2020) <URL: https://newrepublic.com/article/154220/graffiti-became-

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41. GRAFFITI RESEARCH LAB (2006), “L.A.S.E.R. Tag” [on-line], [consultado el 27/1/2020] <URL:

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42. RJ RUSHMORE, Viral Art: How the internet has shaped street art and graffiti [Ebook], Vandalog, 2003

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43. Eva y Franco MATTES (2003), “Nike Ground” [on-line], [consultado el 27/1/2020] <URL: http://

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44. Julian OLIVER et al. (2008), “The Artvertiser” [on-line], [consultado el 27/1/2020] <URL :

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45. Joel BARBIER, Kevin DELANEY y Nicole FRANCE, « Digital Cities: Building the New Public

Infrastructure » [on-line], Cisco Systems, 2017 [consultado el 27/1/2020] <URL: https://

discover.cisco.com/en/us/iot/whitepaper/smart-cities-digital-value>

46. Joel BARBIER, et. al. « Digital Cities : Building the New Public Infrastructure », p. 5.

47. Lisa MOREN, « Algorithmic Pollution: Artists Working with Dataveillance and Societies of

Control », Media-N | The Journal of the New Media Caucus, vol. 13, nº1, 2017, p. 58-85.

48. Franco ZAMBONELLI et. al., « Algorithmic Governance in Smart Cities », IEEE Technology and

Society Magazine, junio 2018, p. 80-87.

49. Varvara GULJAJEVA y Mar CANET (2016), « Data Tower » [on-line], [consultado el 27/1/2020]

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50. Christian NOLD (2004), « Bio Mapping/ Emotion Mapping » [on-line], [consultado el 27/1/2020]

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51. Heather DEWEY-HAGBORG (2013), « Stranger Visions » [on-line], [consultado el 27/1/2020] <URL:

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52. Anthony M. TOWNSEND, Smart Cities. Big data, civic hackers, and the quest for a new utopia.Nueva

York, W. W. Norton & Company, 2013, p. 284.

53. “Cities have the capability of providing something for everybody, only because, and only

when, they are created by everybody.” Jane JACOBS, The Death and Life of Great American Cities,

Nueva York, Random House, 1992 (1961), p. 256.

RESÚMENES

En este artículo nos proponemos revisar algunas propuestas de escritores, pensadores y artistas

que conciben la ciudad como un sistema que puede ser hackeado a fin de visibilizar el conjunto

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de instrucciones que determina su funcionamiento e introducir nuevas directrices,

potencialmente disruptivas. Para ello empleamos una aproximación al arte urbano que considera

todo tipo de intervenciones en los espacios públicos de la ciudad, no limitada al graffiti o post-

graffiti (entendidos, en conjunto, como todas las formas de creación de imágenes en paredes o

fachadas), sino englobando prácticas artísticas que incluyen la recopilación y visualización de

datos, la traslación de elementos de entornos virtuales al paisaje urbano o el uso de herramientas

de cartografía digital. El arte vinculado a las tecnologías de la información y el conocimiento

adquirirá especial relevancia en este texto, particularmente en relación al desarrollo de los

sistemas automatizados de gestión y control en las llamadas “ciudades inteligentes.” Ante la

posibilidad de que estos sistemas acentúen el carácter autoritario de la retícula urbana, las

reflexiones y disrupciones que proponen ciertos proyectos artísticos resultan cada vez más

necesarias.

Dans cet article, nous proposons de passer en revue certaines propositions d’écrivains, de

penseurs et d’artistes qui conçoivent la ville comme un système qui peut être hacké afin de

rendre visible l’ensemble des instructions qui déterminent son fonctionnement et d’introduire de

nouvelles lignes directrices, potentiellement perturbatrices. À cette fin, nous utilisons une

approche de l’art urbain qui considère toutes sortes d’interventions dans les espaces publics de la

ville, non limitées aux graffitis ou aux post-graffitis (compris, dans leur ensemble, comme toutes

les formes de création d’images sur les murs ou les façades), mais englobant des pratiques

artistiques qui incluent la collecte et l’affichage de données, la traduction d’éléments

d’environnements virtuels en paysage urbain ou l’utilisation d’outils de cartographie numérique.

L’art lié aux technologies de l’information et de la connaissance acquerra une importance

particulière dans ce texte, notamment en ce qui concerne le développement de systèmes de

gestion et de contrôle automatisés dans les « villes intelligentes ». Étant donnée la possibilité que

ces systèmes accentuent le caractère autoritaire de la grille urbaine, les réflexions et les

perturbations proposées par certains projets artistiques sont de plus en plus nécessaires.

In this article we intend to review some projects by writers, thinkers and artists who conceive

the city as a system that can be hacked in order to make visible the set of instructions that

determine its operation and introduce new, potentially disruptive, guidelines. To this end, we use

an approach to urban art that considers all kinds of interventions in the city’s public spaces, not

limited to graffiti or post-graffiti (understood, as a whole, as all forms of image creation on walls

or facades), but encompassing artistic practices that include the collection and display of data,

the translation of elements from virtual environments to the urban landscape or the use of

digital mapping tools. Art linked to information technologies will acquire special relevance in

this text, particularly in relation to the development of automated management and control

systems in the so-called “smart cities". Given the possibility that these systems accentuate the

authoritarian nature of the urban grid, the reflections and disruptions proposed by certain

artistic projects are increasingly necessary.

ÍNDICE

Palabras claves: urbanismo, arte urbano, arte de nuevos medios, vigilancia

Keywords: urbanism, urban art, new media art, surveillance

Mots-clés: urbanisme, art urbain, art des nouveaux médias, surveillance

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AUTOR

PAU WAELDER LASO

(Universitat Oberta de Catalunya)

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La ciudad como interfaz : creaciónartística, esfera pública ytecnologías de la comunicaciónLa ville comme interface : création artistique, sphère publique et technologies de

la communication

The city as an interface: artistic creation, public sphere and communication

technologies

Diego Díaz y Clara Boj

Introducción

1 Desde las ciencias de la computación se entiende el término interfaz como un espacio

de comunicación entre dos agentes de distinta naturaleza, donde gracias a un protocolocompartido se establece una comunicación entre ellos, un nuevo tipo de espaciorelacional, según Branden Hookway1, y también un lugar donde se representa la culturacontemporánea, tal y como sostiene Steven Johnson2. En la teoría urbana, el términointerfaz se refiere normalmente a la manera en que los ciudadanos se adaptan ointentan adaptarse a los ritmos colectivos, prácticas y lógicas de las comunidadesurbanas de las que forman parte. Esta acepción ha sido utilizada entre otros por ManuelCastells.

Las ciudades siempre han sido sistemas de comunicación basados en la interfazentre individuos e identidades colectivas y representaciones sociales compartidas.[…] Lo que hace a las ciudades productoras de sociabilidad es su habilidad paraorganizar su interfaz en formas, ritmos, experiencias colectivas y percepciones decomunicación3.

2 Esta ciudad entendida como una interfaz se nos muestra como espacios-mecanismos

donde la esfera pública urbana se desarrolla, donde tienen lugar los roles sociales, elencuentro, la confrontación entre ciudadanos y la creación de públicos urbanos.

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3 La esfera pública urbana no es solamente un escenario neutral en el que los ciudadanos

actúan como tales sino que también forman parte activa del mismo. Repertoriosculturales específicos están ligados a lugares específicos y estos lugares conforman elescenario para las interacciones que se consideran apropiadas en estos lugares. Lasprácticas sociales, culturales, económicas, tradiciones y estructuras de poder semanifiestan en estructuras urbanas físicas tanto como en los protocolos que regulan losemplazamientos urbanos concretos. Cuando un ciudadano llega a un espacio sefamiliariza con la lógica específica y los ritmos de este sistema social, puede tratar deajustar su vida a estas lógicas o tratar de cambiarlas, puede identificarse con losprotocolos, los ritmos y las prácticas o tratar de resistirse y re-formularlas. La ciudadactúa como una interfaz : prácticas y valores colectivos se insertan físicamente en laciudad, en sus protocolos sociales y espaciales. Cuando estas prácticas colectivascambian, la ciudad cambia con ellas4.

4 Con la llegada de las tecnologías digitales a la vida urbana cotidiana, la ciudad como

interfaz ya no es una metáfora, ya no podemos hablar solamente de la esfera públicafísica como lugar de encuentro y relación. Las redes sociales y las actualizaciones deestado comienzan a actuar también como interacciones sociales en la que losciudadanos llevan a cabo su vida diaria. De una forma similar los motores de búsqueda,los dispositivos GPS o los teléfonos inteligentes rediseñan nuestras prácticas cotidianasen la ciudad. Los valores sociales e ideales urbanos específicos se codifican en líneas decódigo que construyen los protocolos que convierten estas interfaces. Todos estosfactores configuran la manera en la que transcurre nuestra vida social y con quieninteraccionamos.

5 Un conjunto creciente de tecnologías y servicios está afectando a la manera en que se

configura la esfera pública, es difícil utilizar una sola etiqueta para definir estastecnologías, normalmente se definen desde disciplinas tan diversas como la computación

ubicua, los locative media, los ambientes inteligentes o el Internet de las cosas, desde la ciudad

sensible a la computación urbana. Ninguna de estas tecnologías tiene un solo punto departida en su desarrollo, algunas de ellas se han desarrollado por agenciasgubernamentales que quieren poner orden y controlar el espacio urbano. Otras se hanllevado al mercado por compañías de telecomunicaciones movidas por el beneficioeconómico proveyendo a sus clientes con servicios personalizados. En ocasionestrabajadores sociales usan estas tecnologías para favorecer entendimiento entrediferentes grupos culturales. Desde el arte se trabaja con estas tecnologías para criticarsu papel en la promoción de una sociedad basada en el consumo o hablar de su papel enuna sociedad de control. Por otro lado los usuarios finales de las tecnologías a menudose apropian de ellas de manera diferente a las que fueron diseñada originalmente por elmercado. Lo que todas estas tecnologías urbanas tienen en común es que ya no seconciben como creadoras de una realidad externa llamada “ciberespacio” poblada por“identidades nómadas” organizadas en “comunidades virtuales” ; por el contrario estastecnologías se centran en su capacidad de localización para añadir aquí y ahoraespecíficos, entendidos como una suerte de nuevas experiencias geolocalizadas,creando ciudades híbridas cuyas experiencias se construyen tanto por entornos físicoscomo por contenidos digitales que surgen en estas situaciones físicas desde distintastecnologías.

6 Según Martijn De Waal5 podemos clasificar en dos grandes grupos estas tecnologías. El

primer grupo serían las tecnologías que tienen la capacidad de ser utilizadas como

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herramientas de escritura o marcadores de experiencia : muchas de las tecnologíasactuales permiten a los usuarios escribir literalmente sus experiencias en la ciudad. Losciudadanos pueden dejar memorias u otras señales y vincularlas a lugares específicos(geotag) ; los visitantes a estos lugares pueden acceder a este contenido, del mismomodo los ciudadanos pueden utilizar la actualización de estado de las redes socialespara describir donde están y que están haciendo. Estas prácticas se han venido a llamar“desdoblamiento” de la esfera pública urbana. Las plataformas físicas de las calles sonaumentadas con bases de datos en las que se almacenan registros o representaciones delas actuaciones sociales que tienen lugar allí. Esto quiere decir que el público de estasacciones ya no es solamente el que tiene una presencia física sino también los que estánausentes.

7 El segundo tipo de tecnologías es el de dispositivos territoriales, con esto Waal se refiere a

herramientas que intervienen en la experiencia de un espacio en particular, desde laperspectiva de un ciudadano el teléfono móvil es una herramienta potente que nospermite cambiar la experiencia del espacio. Por ejemplo cuando un ciudadano está en laciudad siempre puede acceder a la red de amigos a través del teléfono móvil, tambiénpuede utilizar aplicaciones específicas para seleccionar lugares basados en suspreferencias personales. Esta capacidad de crear territorio funciona conjuntamente conla capacidad de escritura, por ejemplo : los rastros que una persona deja en su red socialse pueden reconstruir en un perfil personal, este perfil se puede utilizar con unalgoritmo especial para filtrar la ciudad, donde una aplicación del teléfono, porejemplo, puede recomendar o evitar que visite un lugar específico.

8 En su conjunto las capacidades de los medios digitales para ser utilizados como

marcadores de experiencia o dispositivos de territorio cambian el modo en que laesfera pública urbana funciona como interfaz, añade capas a la esfera pública urbana y,por tanto, amplía la presencia al incluir a las personas que no se encuentranfísicamente en el espacio urbano.

9 Las nuevas tecnologías también cambian la manera en la que se organizan los espacios

físicos. Los espacios urbanos se convierten en interactivos y reaccionan a la presenciade los ciudadanos. Los ciudadanos pueden reprogramar la experiencia de un lugarespecífico con la ayuda de su teléfono móvil. También pueden utilizar estas tecnologíaspara “filtrar” la ciudad y generar recorridos basados en su criterio específico. Todosestos procesos se regulan a través de protocolos con las que están programadas lastecnologías. Pero ¿a qué ideal urbano sirven estos protocolos ? ¿Qué códigos culturalesse codifican en el código de computación ? ¿Cómo las tecnologías digitales permiten alos ciudadanos, en el contexto de la ciudad, representarse a sí mismo y formar parte dela esfera pública ? ¿De qué manera estas tecnologías median la forma en la que losciudadanos se relacionan ?

10 En este artículo vamos a intentar responder a estas y otras preguntas a través de

nuestra práctica artística reciente. Para ello, hemos clasificado en distintas categoríasalgunas de las investigaciones que hemos realizado desde el año dos mil. Lasinvestigaciones aquí presentadas responden a la necesidad de analizar críticamente lastransformaciones sociales producidas en la ciudad por la constante aparición de nuevastecnologías y servicios. Entendemos estas investigaciones desde la práctica artística,enmarcada en el contexto del arte contemporáneo y concretadas como obras y/odispositivos de pensamiento, realizadas con el objetivo de analizar y ejercer unareflexión crítica sobre la evolución de la ciudad y del espacio público.

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1. Ciudad sensible - ciudad reactiva

11 La miniaturización de las tecnologías y el desarrollo de las redes de comunicación ha

promovido la expansión de la computación ubicua6, basada en la integración de lossistemas informáticos en el entorno de las personas de forma que los ordenadores no seperciban como objetos diferenciados. También definida como inteligencia ambiental7,la computación ubicua integra dispositivos alrededor de escenarios donde se encuentrael ser humano de modo que éste puede interactuar de manera natural con losdispositivos y realizar cualquier tarea diaria de manera completamente transparentecon respecto a su ordenador, sin apenas percibirlo. Los sistemas de computación ubicuacomparten el hecho de ser pequeños, fácilmente integrables en el contexto urbano,robustos, con gran capacidad para el procesamiento de red y distribuidos en todas lasescalas que comprende el día a día actual.

12 Un ambiente inteligente puede adaptarse, por ejemplo, a la evolución ambiental del día

para ajustar sistemas de iluminación y calefacción, variando la temperatura ycondiciones de una vivienda o edificio de manera continua e imperceptible. Unaexpansión exponencial de la computación ubicua nos lleva a entender la ciudad y elentorno urbano como un espacio en el que las tecnologías integradas son sensibles a loscambios y reaccionan a los mismos, transformándose en función de las necesidades delos ciudadanos, recopilando información ambiental para transformar las condicionesespaciales del entorno y adaptarlo a las especificidades del momento.

13 La ciudad sensible es capaz de ver, oír y en definitiva sentir los distintos aspectos

ambientales de carácter natural y humano y provocar cambios en respuesta a estosestados reaccionando a las influencias del contexto.

1.1 A Central Axis

14 Bajo el paradigma de la ciudad sensible y reactiva desarrollamos en el año 2003 la

investigación A Central Axis8, formulada como un agente autónomo que representa atiempo real las actividades que suceden en los entornos físicos y virtuales de relaciónsocial. Este proyecto analiza los espacios de comunicación social, concretamente cómola plaza pública tradicional ha dejado de ser el espacio por excelencia de encuentroentre los ciudadanos, para pasar a ser Internet y los entornos virtuales de relaciónsocial. A Central Axis define un nuevo espacio multiuso de hibridación de experienciasde vida físicas y virtuales marcadas por las relaciones humanas. Podemos entenderlocomo un espacio público que respira al ritmo de la actividad humana fuera deparámetros espacio temporales.

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Fig. 1 Imagen de A Central Axis en el Singapore Art Musem

Clara Boj & Diego Díaz, 2003.

15 El proyecto de investigación se concretó en una instalación site-specific que fue

mostrada en el Singapore Art Museum en el que durante un año los visitantes pudieronsentir la presencia remota de las personas al cruzar el espacio físico de la plaza de laVirgen en Valencia y en un espacio virtual de relación social, un chat de Internet. En elmuseo de Singapur creamos una plataforma pisable de cuatro metros cuadrados desuperficie que se nos muestra como un elemento vivo, que respira, gira y se torsiona.Parece como si el suelo pasara de ser un elemento inorgánico a ser un ente sensible. Enrealidad las inclinaciones arrítmicas de la estructura están determinadas por losmovimientos de las personas al pasar por la Plaza de la Virgen en Valencia, España a10.000 km de distancia. Paralelamente la actividad de los espacios virtuales de relaciónsocial están representados en la instalación gracias a una video proyección sobresuperficie transparente utilizando técnicas para integrar la realidad aumentadaespacial, tal y como exponen Bimber y Raskar9. Esta proyección nos muestra losseudónimos de las personas que entran y salen de un canal IRC específico quereaccionan, por medio de un sistema de visión por ordenador, esquivando a losvisitantes que se encuentren en ese momento en la sala, subidos a la plataforma. Deesta forma el sistema tiene una doble interacción con los visitantes que se suben a laplataforma, por un lado juega con el intercambio de equilibrios gracias al movimientofísico de la plataforma y por el otro con una interacción visual de la video proyección.

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Fig. 2 Imagen de A Central Axis en el Singapore Art Musem

Clara Boj & Diego Díaz, 2003.

16 La percepción que los visitantes de la instalación A Central Axis en Singapur obtendrán

de la plaza de Valencia y del canal de chat IRC será moderada por la interfaz deldispositivo tecnológico mostrado en la instalación. A través de la muestra einterpretación de estos espacios, hemos agregado una nueva capa de significado queserá recibida de manera diferente por cada visitante, quien luego, cuando camine porun espacio público o entre en una sala de chat, podrán incorporarlo a su experienciapersonal. Mientras tanto, los transeúntes en Valencia, que desconocen que a través desu presencia en un espacio específico están participando en un proceso tecnológico queculmina en una exhibición en el museo de Singapur, experimentarán su paseo por laPlaza de la Virgen de una manera muy diferente a aquellos que son conscientes de loque está sucediendo10.

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Fig. 3 Imagen del sistema de visión por ordenador de A Central Axis

Clara Boj & Diego Díaz, 2003.

17 La presencia continua de tecnología a nuestro alrededor construye la ciudad sensible

que agrega nuevas capas de significado a nuestros entornos cotidianos. Teléfonosmóviles, ordenadores portátiles, cámaras web, dispositivos wearables, sensores, etc.,aumentan las capacidades perceptivas del ser humano. Nuestras acciones cotidianasson continuamente registradas en el universo del Big Data donde nuestra construcciónmental del mundo derivada de la percepción es ahora moderada por dispositivostecnológicos.

1.2. Zona de Recreo

18 Paralelamente al desarrollo de A Central Axis realizamos el proyecto Zona de Recreo11,

en esta investigación nuestro interés se centra en las áreas de juego infantil, y másconcretamente en los parques públicos entendidos como espacios de juego y relaciónsocial, con dispositivos y estructuras diseñadas específicamente para ello. Inicialmenteempezamos a analizar los usos de estos espacios : sus frecuencias de uso, la relación quelos niños tienen con cada uno de los elementos del parque y el tipo de actividad y juegoque realizan en ellos, el comportamiento que los acompañantes adultos tienen en estoslugares en un momento previo a la aparición de los teléfonos inteligentes, etc. Pararealizar todas estas observaciones de campo registramos con una cámara de video 360ºvarios parques de Valencia, este metraje de más de 50 horas de duración nos ayudó aanalizar los aspectos anteriormente mencionados durante el momento de la grabacióny también en su posterior visionado. Al tratarse de un sistema de registro novedoso(para el momento), una cámara de vídeo miniDV con una lente especial colocada envertical sobre un trípode que apuntaba al cielo, los usuarios del parque no eran

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conscientes de que estaban siendo grabados por lo que su comportamiento no se vioafectado por nuestra presencia.

19 Tras el análisis minucioso de los parques infantiles, decidimos centrarnos en los

balancines de muelle ya que estos elementos son los primeros en dejar de ser usadospara los niños y niñas. Otros elementos como toboganes y sobre todo los columpiostienen un rango de edad de uso mayor, pero con nuestras observaciones pudimoscomprobar que los balancines de muelle son los primeros en ser abandonados por lospequeños. Zona de Recreo nace de la transformación de uno de estos dispositivos con elobjetivo de ampliar el rango de edad de uso del mismo incorporando los videojuegoscomo principal medio transformador. Consiste en una interfaz multiusuario quecontrola mundos virtuales en tiempo real, en cierta manera, es una especie de interfazfísica de simulador de vuelo. La parte superior de la estructura tiene incrustada unapantalla táctil controlada por un sistema de sensores que nos permiten controlar lasimágenes que aparecen en esta pantalla, de acuerdo con las variaciones de inclinaciónde la estructura.

Fig. 4 Imagen de Zona de Recreo

Clara Boj & Diego Díaz, 2003.

20 El uso de este elemento y su trasformación nos permitió articular el marco discursivo

en el que queríamos situar Zona de Recreo : el balancín nos remite a los espaciospúblicos y sus adaptaciones tecnológicas nos hablan de la revolución que el uso denuevas tecnologías está suponiendo en la creación de nuevos espacios de comunicación.Al mismo tiempo, el prototipo resultante de la modificación de este elemento de juegoinfantil, bautizado con el nombre de Vídeo Balancín es el resultado de nuestrasinvestigaciones en el campo científico de estudio de los nuevos dispositivos decomunicación entre el ser humano y el ordenador12. Con todo ello hemos creado una

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referencia cultural basada en elementos tradicionales y una propuesta de actualizaciónde uno de estos elementos.

21 Zona de Recreo establece un nuevo sistema de juego interactivo multiusuario al unir la

condición física y digital de juego en grupo. Para poder jugar resulta necesaria lacolaboración entre los usuarios (máximo cuatro) con la finalidad de mover físicamentela estructura, con esta estrategia el dispositivo favorece la comunicación entre losparticipantes y ayuda al establecimiento de las relaciones personales presenciales, encontraposición a los juegos multiusuario del momento, en los que la colaboración serealizaba únicamente al campo virtual. En este sentido hemos de recordar que laNintendo Wii, un ejemplo claro de colaboración físico-digital por medio de losvideojuegos, apareció en el año 200613 y supuso toda una revolución en el ámbito de losvideojuegos con más de cien millones de unidades vendidas en todo el mundo14.

22 El videojuego desarrollado específicamente para Zona de Recreo consiste en un espacio

interactivo tridimensional que invita a los jugadores a navegar por un mundo sintéticoconstruido con claras referencias gráficas a la película Tron15, como representacionesde las zonas virtuales de relación social, donde el jugador debe ir encontrandodeterminadas puertas de acceso a los mundos capturados del mundo real, conreferencia a los tradicionales parques y zonas de relación social en el espacio públicourbano.

Fig. 5 Imagen de Zona de Recreo, Kiasma Art Museum, ISEA 04 Helsinki

Clara Boj & Diego Diaz, 2004.

23 En el mundo capturado los usuarios son invitados a viajar por doce parques diferentes

de la ciudad de Valencia. Estos parques introducen a los usuarios en una experiencia devídeo inmersivo 360º donde pueden acceder a las grabaciones de los parques realizadaspara esta investigación al ir variando la inclinación de la estructura física a la que están

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subidos. Nuestra vista pivota alrededor de un ficticio eje central permitiéndonos irdescubriendo áreas específicas e ir completando una visión global del panorama.

Fig. 6 Imagen de Zona de Recreo, Over the Game, Espacio Iniciarte, Sevilla

Clara Boj & Diego Diaz, 2009.

1.3. Hybrid Playground

24 El proyecto Hybrid Playground16 trata de abordar una transformación integral de los

parques infantiles, siguiendo con la investigación iniciada en el anterior proyecto Zonade Recreo, en este caso no planteamos realizar ninguna modificación o transformaciónfísica a los elementos del parque. Nuestro objetivo es transformar el parque infantiltemporalmente en un escenario para los videojuegos físicos y colaborativos, con el finde estudiar cómo estos mecanismos de juego pueden ayudar a extender el rango deedades de uso de los parques infantiles y también fomentar el ejercicio físico al airelibre.

25 Para llevar a cabo esta investigación diseñamos una red de sensores inalámbricos

interconectados de fácil acoplamiento a los elementos existentes en el parque queregistran los movimientos y acciones de los niños en balancines, columpios ytoboganes. Los sensores se acoplan temporalmente a cualquier juego existente y nospermiten obtener datos relativos a su uso como el ángulo de inclinación en loscolumpios, la velocidad al deslizarse por el tobogán, el balanceo, etc..

26 El conjunto de dispositivos que conforman Hybrid Playground han sido diseñados con

la intención de que se adapten a cualquier elemento de parque urbano existente, estosno sufren ninguna alteración que transforme su diseño actual y no suponen ningún

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peligro para los niños. Son dispositivos autónomos que pueden ser utilizados tanto eninstalaciones al aire libre como en espacios interiores.

27 Estos datos son registrados y enviados a las terminales móviles de juego (PDA) que

llevan los jugadores. A partir de estos datos y mientras los niños juegan en el parque seactivan distintas estrategias de juego interactivo. Los jugadores deben superar pruebas,encontrar elementos escondidos, superar niveles, perseguir a otros jugadores, etc.siguiendo la narrativa propuesta por la PDA y mediante la utilización de los elementosde juego infantil del parque. De esta manera los niños juegan a un videojuego mientrasutilizan los elementos del parque tal y como siempre lo hacen, es decir, tirándose por eltobogán, columpiándose, corriendo, etc.

Fig. 7 Imagen de Hybrid Playground, Murcia

Clara Boj & Diego Díaz, 2009.

28 Con esta investigación hemos diseñado un sistema tecnológico que transforma los

parques infantiles en espacios híbridos de juego, donde al sensorizar los dispositivosfísicos tradicionales de juego los transformamos en interfaces de control devideojuegos. Este sistema interactivo para parque urbano infantil permite la puesta enpractica de experiencias ludicas que combinan aspectos propios de los juegos deordenador con dinamicas de comunicacion y movimientos fisicos al aire libre. Mientrasque otras investigaciones en esta misma area centran su atencion en superar lasdificultades tecnicas propias de la integración permanente de sistemas digitales en loselementos de los parques, nuestro proyecto esta especialmente dirigido a configuraruna nueva comprension del espacio publico, utilizando elementos y paradigmas decomportamiento especificos de la ciudad tangible combinados con recursos yestrategias propias de los videojuegos y sus imaginarios.

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Fig. 8 Detalle de un videojuego desarrollado para Hybrid Playground

Clara Boj & Diego Diaz, 2008.

29 Desde el inicio, Hybrid Playground ha pasado por diferentes fases de experimentación y

desarrollo en las que hemos tenido la oportunidad de jugar con niños y niñas dediferentes países y edades. A partir de estos talleres y sesiones de juego hemosdesarrollado diferentes prototipos que incorporan mejoras técnicas y estratégicasrelativas a las dinámicas del juego. En el año 2012 retomamos el proyecto paraadaptarlo a las tecnologías del momento, rediseñando integralmente la carcasa de lossensores, las placas de electrónica y conectando el sistema a teléfonos móvilesinteligentes Android y IPhone17, además realizamos algunos estudios del uso delsistema para personas mayores en parques de ejercicio al aire libre18.

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Fig. 9 Imagen de Hybrid Playground, Gijón

Clara Boj & Diego Diaz, 2008.

30 Las consolas de juego portatiles y los telefonos moviles ofrecen a los individuos la

posibilidad de jugar a un amplio catalogo de juegos digitales en cualquier momento yen cualquier lugar. Sin embargo, vincular el desarrollo de estas actividades a espacios yelementos concretos de la ciudad e incorporarlos activamente en la accion enriquece lapercepcion del espacio y el cuerpo fisicos, a la vez que ayuda a establecer nuevosvinculos con la ciudad y fomenta las relaciones interpersonales y el ejercicio fisico.

2. Ciudad de datos

31 La computación ubicua19, unida al desarrollo de las redes de comunicación que se han

extendido de manera intensiva por los territorios urbanos añaden una nuevacaracterística a nuestras ciudades. Estas redes, que responden a diversasconfiguraciones tecnológicas, tanto cableadas como inalámbricas, bien sea por satélite,radio o wi-fi, posibilitan la conexión continua y permanente entre zonasgeográficamente alejadas llamadas nodos.

32 Las redes de datos configuran un territorio físico pero imperceptible al ojo humano que

inunda nuestras ciudades y se establece como capas de información superpuestas a lacapa física urbana. Redes de telefonía, redes inalámbricas de internet, redes GPS porsatélite, redes bluetooth, etc. todos estos canales de comunicación transmitendiariamente millones de paquetes de información que nos rodean de manera invisible.La ciudad de datos es una realidad que transforma el paisaje urbano que se entiendeahora como un espacio híbrido entre lo físico y lo digital. Este paisaje, configurado porlos elementos del urbanismo : edificios, calles, plazas que se mezclan con los emails, los

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SMS, etc. produce cambios en la esfera pública y en la manera en que los ciudadanos serelacionan en ella.

33 Las posibilidades de escritura y geo-anotación de los dispositivos móviles de

comunicación, en continua conexión con la computación ubicua que configura losnuevos contextos urbanos multiplican las posibilidades de reacción del entorno a lapresencia de los ciudadanos. Al mismo tiempo los ciudadanos interaccionan con estosdatos en relación directa con los espacios físicos en los que han sido creados o por losque circulan, generando una nueva capa de significación a la topografía urbana.

34 La cartografía de las ciudades, como representación bidimensional del territorio, ha

dado paso a una nueva cartografía híbrida en la que no podemos prescindir de los datosdigitales, nuevos hitos de lo urbano.

2.1 Red Libre Red Visible

35 Este proyecto combina diferentes herramientas y procesos para visualizar, por medio

de realidad aumentada, el flujo de información que intercambian los usuarios en unared wifi. Estos usuarios pueden ver objetos virtuales de colores que representan losdatos digitales que en ese momento se encuentren volando por el espacio físico. Estosobjetos tienen formas, tamaños y colores diferentes en relación a las características dela información que circula por la red.

Fig. 10 Imagen de Free Network Visible Network, Kioto

Clara Boj & Diego Díaz, 2004.

36 En los últimos treinta años la información digital ha inundado el mundo en el que

vivimos. No importa donde estemos, incluso si no somos capaces de verlo, nos podemosimaginar cómo estamos rodeados de datos. Estos datos, a pesar de su naturaleza digital,

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están comunicando a personas, están llenos de información que contiene conocimiento,ideas, sentimientos y emociones. El espacio de las redes digitales también es el espaciode los significados invisibles que representan relaciones entre personas y unintercambio dinámico de conocimiento. Pero desafortunadamente no todo el mundopuede acceder a esta información a causa de limitaciones técnicas, económicas oincluso políticas. La mayor parte de las redes digitales están restringidas y a menudo lainformación es filtrada en relación a criterios económicos o ideológicos que afectan alreceptor final.

37 Con la representación metafórica de estos significados invisibles, este proyecto quiere

actuar en el espacio urbano como manera de crear nuevas estrategias en el espaciopúblico y reclamar, por medio de acciones artísticas, el derecho de los ciudadanos deacceder y controlar el espacio digital de comunicación para crear Redes Libres queofrezcan acceso a la información abierta y libre a todo el mundo.

38 Por Red Libre entendemos cualquier ordenador que permite tránsito local abierto. Por

tránsito nos referimos a la información que fluye a través de la red. Una Red Libre sedefine por lo que los usuarios pueden hacer en ella, más que por la tecnología con laque se construye. Sin embargo este proyecto se centra en las redes inalámbricas ya queson la manera más económica de establecer una red que pueda ser gestionada por suspropios usuarios.

39 Las redes inalámbricas libres no son posibles sin la participación de la gente. Están

creadas con la colaboración de los usuarios que actúan como puentes de comunicaciónentre nodos. Uno de los principales problemas de estas redes es la limitación en cuantoa la necesidad de establecer una distancia mínima entre nodos. Nuestro proyecto quiereproyectar la ilusión de un mundo conectado a partir de la interconexión de miles deRedes Libres.

40 El primer paso del proyecto es indicar la presencia de un nodo Wi-Fi. Colocando una

marca que señaliza donde hay una red libre, cada nodo de esa red se convierte en unsímbolo urbano fácilmente identificable. Esto se basa en la idea de “warchalking”20, untérmino desarrollado por Matt Jones que se refiere al acto en el cual la gente caminapor la ciudad en busca de redes Wi-Fi y deja un simple dibujo con tiza para que otrospuedan encontrarlos sin dificultad. De esta manera la gente puede encontrar puntos deacceso a la red que le permiten conectarse a la red e incluso a internet en un espaciopúblico, sin tener que conocer la clave, romper las contraseñas o pagar una tasa.

41 El movimiento “warchalking” utiliza algunos símbolos estándar derivados del viejo

lenguaje “hobo”. En nuestro proyecto, a diferencia de estos símbolos, se puede utilizarcualquier mensaje que se coloque dentro de un marco pre-diseñado. De este modotodas las marcas son directamente una reivindicación visible de las redes libres en elespacio público.

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Fig. 11 Imagen de Free Network Visible Network, Valencia

Clara Boj & Diego Diaz, 2004.

42 Red Libre Red Visible tiene lugar al mismo tiempo en el espacio público físico y el

digital, estableciendo relaciones directas entre mensajes visuales físicamente colocadosen las calles de la ciudad e información digital virtual que flota en el aire21. Losmensajes reales y la información virtual están conectados por el elemento principal deeste proyecto : el software Red Visible que convierte los datos capturados en objetosvirtuales y los superpone en tiempo real al espacio real. Este software está basadoprincipalmente en la tecnología de realidad aumentada usando MXRToolKit, unaherramienta open source, desarrollada en el Mixed Reality Lab de la NationalUniversity de Singapur, combinado con CarnivorePE, un proyecto de software-art delRadical Software Group que escucha el tráfico de internet de una red específica.22 Launión entre estas tecnologías nos ha permitido desarrollar un sistema para visualizarpor medio de realidad aumentada la representación metafórica de los datos quecontinuamente nos rodean.

2.2. Observatorio

43 Como sucede habitualmente cuando una nueva tecnología irrumpe en el espacio

común, los escenarios utópicos que en una primera etapa auguran transformacionesliberadoras se vuelven mucho más complejos, en cuanto estas tecnologías se venrodeadas por agentes políticos, económicos y sociales que luchan por monopolizar eldiscurso de sus aplicaciones.

44 Las “utopías sin hilo” de la tecnología Wi-Fi y su manifestación en redes ciudadanas

defendieron que el acceso a las infraestructuras inalámbricas de datos se deberíaentender como una extensión del espacio público y, por lo tanto, debería ser de accesolibre y de gestión comunitaria. En el escenario actual, proyectos con una gran basesocial como la red ciudadana Guifi.net23 en Cataluña mantienen vivo el ideal de una

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infraestructura compartida. Pero la superposición de otros actores con interesescontrapuestos han introducido muchas más tensiones en el espacio híbrido.

45 Instituciones públicas como la Comisión del Mercado de Telecomunicaciones (CMT) han

actuado activamente, en nombre de la regulación del mercado, en contra de lasiniciativas municipales de ayuntamientos que pretendían ofrecer acceso libre y gratuitoa internet desde sus calles. Los operadores comerciales han desincentivado a losusuarios de que abran su conexión para que esta pueda ser utilizada por terceros ; enbuena parte este mensaje ha calado apelando al “miedo e incertidumbre” de lo quepodría pasar si dejamos nuestra conexión en manos de extraños. En sus intenciones, esdifícil no encontrar además el interés en explotar comercialmente tecnologíasalternativas mucho menos horizontales, como las telefonías 3G y 4G, que escalan conmayor dificultad a usuarios múltiples. El modelo de las redes ciudadanas ha sido inclusoadoptado por compañías que pretendían monetizarlo y hacerlo rentable. El caso másconocido es FON24, fundado por el conocido emprendedor Martin Varsavsky, quepretendió, con éxito discutible, fomentar que los usuarios abriesen parte de suconexión a terceros a cambio de una pequeña retribución compartida con la empresa.

Fig. 12 Imagen de la visualización proporcionada por Observatorio, Campos invisibles, Ars SantaMónica, Barcelona

Clara Boj & Diego Díaz, 2011.

46 En este contexto de desarrollo del espectro radioeléctrico desarrollamos la

investigación Observatorio con la intención de realizar un mapeo del número y lascaracterísticas de las redes inalámbricas que en cada momento se encuentren activas yvisualizarlas en una ubicación predictiva por medio de tecnología de realidadaumentada. Observatorio nos habla sobre la compleja topología tecnológica y políticade la frecuencia radioeléctrica de 2.4 Gigaherzios en las ciudades occidentales al finalde la primera década del siglo XXI. El proyecto plantea que el paisaje de una ciudadcontemporánea no puede incluir sólo los contornos de lo tangible, sino que deberíaincorporar modos de representación de la actividad social y el tráfico en sistemas queno se perciben a primera vista.

47 Este proyecto se concreta en un dispositivo que es literalmente, un telescopio de

realidad aumentada ; observando a través de su visor, podemos ver algo más que el

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paisaje de la ciudad. Junto a la cámara de video, una antena direccional Wi-Fi de altapotencia detecta las redes inalámbricas que hay activas en la dirección hacia la queestamos mirando en un radio de varios kilómetros de distancia. Al girar el telescopio,recorremos con la mirada el espacio hertziano y nos topamos con decenas de señalesque emanan de domicilios, empresas, cafés, hoteles, restaurantes. En una gran mayoríaestarán cerradas y aunque recibimos sus ondas no podremos acceder a internet sicarecemos de su contraseña. Cuando las redes están abiertas, el dispositivo se conecta aellas y el Observatorio pasa a convertirse en un sistema de transmisión que envía lainformación de las redes encontradas y las imágenes capturadas por la cámara a la salade exposiciones, donde esta información es mostrada en una instalación espacial degrandes dimensiones.

48 Observatorio se presentó por primera vez en junio de 2008 en la ciudad de Gijón, en el

contexto de la exposición Banquete, Nodos y Redes. Se instaló un dispositivo en la Torrede la Universidad Laboral situada en una zona periférica desde la que se ve claramentetodo el casco urbano y muy próxima a la LABoral Centro de Arte y Creación Industrial,con el que estaba conectada y estuvo en funcionamiento continuado durante cincomeses.

Fig. 13 Imagen de Observatorio, Banquete, nodos y redes

La Laboral Centro de Arte, 2008.

49 De marzo a junio de 2009, Observatorio se instaló en la ciudad de Karlsruhe (Alemania)

conectado con el museo ZMK. En esta ocasión, el emplazamiento elegido fue elTurmberg, una colina que ofrece una excelente panorámica de la ciudad y sussuburbios. Con motivo de la exposición Gateways, Art and Networked Culture, se instalóen el Kumu Art Museum, Tallin, Estonia en el año 2011.

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Fig. 14 Imagen de Observatorio, Gateways, Kumu Art Museum, Tallin

Clara Boj & Diego Díaz, 2011.

50 En Valencia el proyecto se ha ampliado y extendido a tres puntos distintos de la ciudad,

todos ellos torres emblemáticas que constituyen los principales referentes visuales delcasco histórico así como las atalayas a las que cualquier visitante ocasional acude paradisfrutar del paisaje y conocer el territorio y sus límites. El Miguelete, torre campanariode la catedral de Valencia y las Torres de Quart y Serranos, puertas de acceso a laciudad amurallada medieval, se han transformado durante dos meses en puestos deobservación y registro de las redes inalámbricas ayudándonos a componer unpanorama mucho más completo, un recorrido en 360 grados de la ciudad desde sucentro.

Fig. 15 Imagen de Observatorio, Torres de Serrano, Valencia

Clara Boj & Diego Díaz, 2009.

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51 Los tres dispositivos observatorios se conectaron con la Sala Parpalló y enviaron

información de su estatus y de los nuevos descubrimientos que turistas y visitantesocasionales han provocado al mirar el paisaje a través de ellos. De este modo los gestosde cada visitante se suman a los anteriores y confluyen en la sala expositivaincrementando el registro de redes y activando la actualización continua del archivo ysu visualización.

Fig. 16 Imagen de Observatorio, Sala de exposiciones Parpalló, Valencia

Clara Boj & Diego Díaz, 2009.

52 Las atalayas que el proyecto propone sobre Valencia no son tres lugares cualquiera : El

Miguelete, las Torres de Serrano y las Torres de Quart, tres puntos significadoshistóricamente que son para el turismo que visita la ciudad los tres lugares obviosdesde los que contemplar en altura la capital levantina. La complicidad con el visitantese refuerza con la interfaz del dispositivo que remite claramente a los telescopiosturísticos de monedas que durante años han ocupado los puntos de observaciónpanorámica de vistas en la geografía española.

53 Desde los tres observatorios, las imágenes de video se mandan hasta la sala de

exposiciones, en la que las imágenes de la ciudad, enviadas desde los observatorios,muestran el horizonte en tiempo real de manera interrumpida, en función de ladisponibilidad de esta conexión, y de manera fraccionada. Como el paisaje hertziano, elcomportamiento de los observatorios es inestable, transitorio y está en permanenteestado de flujo.

Conclusiones

54 En esta publicación hemos presentado las dos líneas esenciales de investigación en

nuestra producción artística realizada desde el año 2003 hasta el 2008. Entendiendo laciudad híbrida como una ciudad sensible y reactiva, con los proyectos A Central Axis

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(2003), Zona de Recreo (2003) y Hybrid Playground (2008), proponemos acercarnos a lapercepción de la ciudad desde el juego y la activación lúdica de los espacios públicos.Por otro lado, desde una aproximación a la ciudad de datos, con los proyectos Red LibreRed Visible (2004) y Observatorio (2008), realizamos un acercamiento a la visualización,relacionada con la tradición pictórica del paisaje, del espectro radioeléctrico y suinfluencia social y política en la construcción del espacio público digital.

NOTAS

1. Branden HOOKWAY, Interface, Cambridge, MA, The Mit Press, 2014.

2. Steven JOHNSON, Interface Culture: How New Technology Transforms the Way We Create and

Communicate, San Francisco, Harper, 1997.

3. Ida SUSSER, The Castells Reader on Cities and Social Theory, Malden, MA, Blackwell, 2002. p. 382

4. Greg P. GRIFFIN, « The City as Interface, by Martijn de Waal », Urban Geography, Volume 36, Issue

4 (2015), p. 625-627.

5. Martijn DE WAAL, The City as Interface : How Digital Media Are Changing the City, Rotterdam, Nai010

Publishers, 2014.

6. Mark WEISER, « Hot Topics-Ubiquitous Computing », Computer 26 (10), (1993), p. 71–72.

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9. Oliver BIMBER, y Ramesh RASKAR, Spatial Augmented Reality: Merging Real and Virtual Worlds. Spatial

Augmented Reality : Merging Real and Virtual Worlds, New York, ImprintA K Peters/CRC Press, 2005.

10. Clara BOJ, Diego DÍAZ y Adrian David CHEOK, Mix Zonas Projects, Singapore, National University

of Singapore, 2003.

11. Clara BOJ y Diego DÍAZ (2003b), « Zona de Recreo - > CLARA BOJ + DIEGO DÍAZ » [on-line],

Valencia, Lalab [disponible el 19/05/2020] URL : http://www.lalalab.org/zona-de-recreo/

12. Thomas HEWETT, Ronald BAECKER, Stuart CARD, Tom CAREY, Jean GASEN, Marilyn MANTEI, Gary

PERLMAN, Gary STRONG, y William VERPLANK, « ACM SIGCHI Curricula for Human-Computer

Interaction », ACM SIGCHI Curricula for Human-Computer Interaction (Enero de 1992).

13. Gadget GURU (2006), « FOXNews.Com - Nintendo to Sell Wii Console in November - Technology

News | News On Technology » [on-line], Associated Press [disponible el 19/05/2020] <URL:

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14. Matt LIEBL (2013), « Wii Lifetime Sales Surpass 100 Million Units | GameZone » [on-line],

Gamezone [disponible el 19/05/2020] <URL: https://www.gamezone.com/news/wii-lifetime-

sales-surpass-100-million-units/>

15. Steven LISBERGER (1982), « TRON » [on-line], IMDb [disponible el 19/05/2020] <URL: https://

www.imdb.com/title/tt0084827/>

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16. Clara BOJ y Diego DÍAZ (2008), « Hybrid Playground - > CLARA BOJ + DIEGO DÍAZ » [on-line],

Valencia, Lalab [disponible el 19/05/2020] URL: http://www.lalalab.org/hybrid-playground/

17. Diego DÍAZ, Clara BOJ y Cristina PORTALÉS, 2016. « Hybridplay : A New Technology to Foster

Outdoors Physical Activity, Verbal Communication and Teamwork », Sensors (Switzerland) 16 (4),

(2016), 586.

18. Clara BOJ, Diego DÍAZ, Cristina PORTALÉS y Sergio CASAS, « Video Games and Outdoor Physical

Activity for the Elderly: Applications of the HybridPLAY Technology », Applied Sciences (2018) 8,

1912.

19. Mark WEISER, Op. cit.

20. Roberto BATTITI, Renato LO CIGNO, Mikalai SABEL, Fredrik ORAVA, y Björn PEHRSON. 2005.

« Wireless LANs: From Warchalking to Open Access Networks ». Mobile Networks and Applications,

volumen 10 (2005), p. 275-287.

21. Clara BOJ, Diego DÍAZ, A.D. CHEOK, K. XU, Y W. LIU, « Free Networks Visible Networks », Proceedings

of the 2005 International Conference on Active Media Technology, AMT 2005, vol. 2005.

22. RADICAL SOFTWARE GROUP (2001), « Carnivore » [on-line] [disponible el 19/05/2020] URL:

http://r-s-g.org/carnivore/

23. NET GUIFI (2004), « Guifi.Net - Xarxa de Telecomunicacions Oberta, Lliure i Neutral |

Guifi.Net » [on-line], GUIFI [disponible el 19/05/2020] <URL : http://guifi.net/>

24. FON (2006), « Fon Is the Global WiFi Network with Millions of Hotspots | Fon » [on-line], FON

[disponible el 19/05/2020] <URL: https://fon.com/>

RESÚMENES

A partir de la aproximación de la concepción de ciudad como una interfaz, en este artículo

presentamos algunas investigaciones que hemos realizado durante la primera década de este

siglo con el objetivo de analizar las transformaciones que las nuevas tecnologías han impulsado

en nuestras ciudades y concretamente en el espacio público. Hemos creído conveniente clasificar

las aportaciones bajo las categorías de ciudad sensible - ciudad reactiva, donde presentamos varias

experimentaciones que analizan posibles métodos (y sus efectos) de activación lúdica del espacio

público y ciudad de datos, en la que reflexionamos sobre la creciente digitalización e hibridación

del espacio público e intentamos comunicar visualmente el cambiante espectro radioeléctrico de

nuestras ciudades.

Dans la perspective de la conception de la ville comme interface, nous présentons, dans cet

article, les recherches que nous avons menées au cours de la première décennie de ce siècle dans

le but d’analyser les transformations que les nouvelles technologies ont entraîné dans nos villes

et, plus précisément, dans l’espace public. Nous avons jugé opportun de classer les contributions

dans les catégories de ville sensible - ville réactive, dans lesquelles nous présentons plusieurs

expériences qui nous permettent d’analyser les méthodes possibles (et leurs effets) d’activation

ludique de l’espace public et de la ville des données. Nous tâchons de réfléchir à la numérisation

et à l’hybridation croissantes de l’espace public et nous essayons de communiquer visuellement

l’évolution du spectre radioélectrique de nos villes.

Based on the approach of the conception of the city as an interface, in this article we present

some research that we have carried out during the first decade of this century with the aim of

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analyzing the transformations that new technologies have driven in our cities and specifically in

the public space. We have considered it convenient to classify the contributions under the

categories of sensitive city - reactive city, where we present several experiments that analyse

possible methods (and their effects) of playful activation of public space and data city, in which

we reflect on the growing digitalization and hybridization of public space and we try to

communicate visually the changing radio spectrum of our cities.

ÍNDICE

Mots-clés: art urbain, médias locatifs, ville ludique, ville hybride

Keywords: urban art, locative media, playful city, hybrid city

Palabras claves: arte urbano, medios locativos, ciudad lúdica, ciudad híbrida

AUTORES

DIEGO DÍAZ

Init, Universitat Juame I, Universitat Politécnica de Valencia

CLARA BOJ

Init, Universitat Juame I, Universitat Politécnica de Valencia

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Hacerlo explícito. ARAN y los girosdel tiempo en el arte XRLe rendre explicite. ARAN et les méandres du temps dans l'art XR

Making it explicit. ARAN and the twists and turns of time in art XR

Miguel F. Campón y José D. Periñán

Prólogo

1 El presente artículo corresponde al texto corregido y ampliado de la conferencia Hacerlo

explícito, impartida en el Salón de Actos de la Facultad de Bellas Artes de la UniversidadComplutense de Madrid en abril de 2019, dentro del seminario Arte urbano y tecnoesfera.

Las imágenes virtuales que lo acompañan fueron realizadas ante el auditorio con unequipo de gafas VR HTC Vive por José Delgado Periñán. La acción no solo funcionabacomo complemento visual del discurso, sino que desplegaba, en sí misma, las nocionesdesarrolladas. Los dibujos se proyectaron a tiempo real junto a imágenes de la primeraexposición producida por ARAN1, titulada Time and Umwelt2, y junto a otras fotografías yreferencias a las que aludiremos a lo largo del texto. En él tratamos de establecer losconceptos filosóficos que, hasta el momento, articulan los discursos curatoriales deARAN.

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Fig. 1 Hacerlo explícito

Dibujos virtuales generados durante la conferencia.

José D. Periñán, 2019.

Acto 1. El cadáver de dios visto desde un Iphone

2 La exposición Time and Umwelt se presentaba en ARCO 2018 dentro de más arte

contemporáneo en Madrid, asociada a la sección El futuro no es lo que va a pasar, sino lo que

vamos a hacer, como el primer recorrido expositivo en España de arte en RealidadAumentada. Once obras virtuales de diez artistas fueron ubicadas en lugares específicosde la ciudad3, activándose mediante una aplicación que se descargaba gratuitamente. Laexposición ocasionaba encuentros y desencuentros con las obras, enfoques polilógicosque se proponían abrir el pensamiento único hacia extrañas singularidades. Dos eranlos conceptos que articulaban la exposición y que, aún hoy, continúan funcionandocomo fundamentos de ARAN, los cuales aparecerán desarrollados a lo largo de estetexto : un tiempo policrónico, no lineal, asincrónico y alternativo a la Modernidad, y unUmwelt (mundo circundante) que alude a los diferentes hábitats animales, irreductiblesal espacio homogéneo construido como ilusión de objetividad por el ser humano.

Fig. 2 Imágenes de las obras que integraban la exposición.

1. Plano de Time and Umwelt / 2. Frame, Catello Gragnaniello / 3. Écorchè #5 Butoh, Luigi Honorat

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4. Sparkling water, Tamina Rastagar / 5. Astros, José Miguel Marín / 6. Memory, Jordi García Pons

7. World, Cyril Lancelan / 8. EJDLD, Picota Studio / 9. Tiempo, Nadir Perazzo

10. Intangible, Luigi Honorat / 11. The electric trash, Groupe Électrogène / 12. Flowing, Keltoi.

Time and Umwelt, 2018.

3 Bastaba pasear por Madrid y dirigirse a los puntos de geolocalización de las piezas para

poder visualizarlas. Time and Umwelt fue, desde un punto vista curatorial, instalativa. Enun radio de varios kilómetros, parte de la ciudad funcionó como una gigantesco parquepara situar las obras virtuales. Siguiendo a Groys, suspendimos el espacio urbanoconvirtiéndolo en privado, otorgándole, de manera no perceptible, leyes propias4 quehacían de él un territorio de excepción5, para después reabrirlo como espacio “público”a través del acceso libre y gratuito a la aplicación. Revelábamos, así, que los territoriosdemocratizados de los museos, espacios a los que todos los ciudadanos libres e igualespueden acceder, poseen, al haber sido diseñados a partir de normas y criterios noconsensuados, una huella violentamente dogmática. Pero, más allá de ello, ¿fue laliberación de nuestra macro-instalación, mediante el libre acceso a las piezas,auténticamente igualitaria ? El espacio de excepción que construía Time and Umwelt noestaba al alcance de todos. Durante el desarrollo de la aplicación nos vimos obligados adistinguir entre los poseedores de la tecnología necesaria como requisito mínimo paravisualizar las obras (a partir de un Iphone 6) y los que no lo eran. Trazamos, de unmodo no querido, una clara línea que dividía a los espectadores. Los sujetos ya noquedaban definidos de un modo transcendente o metafísico, sino que se configurabantécnica, económica y políticamente. Existían los que podían ver, experimentar y hacerturismo con la Realidad Virtual6, privilegiados epistemológicamente por latecnociencia, y los que no podían. Estuvimos obligados a cumplir con la exclusividad delas utopías históricas, esencialmente excluyentes, injustas, selectivas y no universales.Los usuarios que pudieron descargarse la aplicación fueron, a su modo, como el loco

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descrito por Nietzsche en el aforismo 125 de La Gaya ciencia, un visionariotecnológicamente equipado que puede ver lo que los otros no ven a través de sudispositivo móvil :

No habéis oído hablar de aquel hombre loco que en pleno día encendió una linterna,fue corriendo a la plaza y gritó sin cesar : “¡Busco a Dios ! ¡Busco a Dios !” […]“¿Dónde se ha ido Dios ?”, gritó. “¡Os lo voy a decir ! ¡Lo hemos matado vosotros yyo ! […] ¿No es preciso ahora encender linternas en pleno día ?7

4 El poder visualizar las piezas en un lugar exclusivo como era la pantalla del Iphone

redefinía, curatorialmente, el móvil como una linterna que se enciende en pleno día, yque sirve para ver el cadáver de Dios. Ahora bien : ¿cómo es que consideramos laspiezas como objetos-cadáveres ? ¿Qué suponía para nosotros, conceptualmente, el usodel teléfono móvil y qué operaciones producía en el territorio de la temporalidad ?

Acto 2. Los animales caminan en la ciudad : Umwelt yIphones

5 Pensemos en la película de Harun Farocki, Ojo máquina [Auge/Maschine] (2001), sobre la

que reflexiona el director en los artículos Influencia cruzada / Montaje blando8 y La guerra

siempre encuentra una salida9. En 1991, durante la Primera Guerra del Golfo, los Aliadossituaron en la parte superior de los misiles cámaras que grababan en directo elmovimiento del proyectil hasta el momento del impacto que se producía en el blanco.La cámara acababa destruyéndose, con la consiguiente interrupción de la imagen.Farocki las denomina “cámaras suicidas”, cámaras que producen un nuevo tipo deimagen. Siguiendo a Farocki, Hito Steyerl en su libro Arte Duty Free interpreta que, en elmomento del impacto, la cámara, en lugar de ser destruida, explota y se hace añicos,pasando de la unidad a la multiplicidad. El estallido de la cámara suicida deriva eninnumerables pequeñas lentes que, desplazadas hasta nuestros teléfonos móviles,entran en la vida cotidiana de las personas10. La exposición de realidad aumentada Time

and Umwelt, en la que las obras solo podían verse a través de los dispositivos móviles,recogía el arco interpretativo de Farocki-Steyerl, en una apuesta por la ruptura de lahomogeneidad de los espacios, por la fragmentación de la unidad en una multiplicidadde usuarios como sujetos-perspectivas de recepción.

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Fig. 3 Hacerlo Explícito Cámaras suicidas de Farocki-Steyerl

José D. Periñán, 2019.

6 Cada espectador, cada activador de las piezas de la exposición, generaba un Umwelt, un

mundo circundante, concepto acuñado por el filósofo y biólogo estonio-alemán Jaconvon Uexküll en su libro Andanzas por los mundos circundantes de los animales y las plantas11.Según Uexküll, nos dejamos llevar fácilmente por la ilusión de que las relaciones quemantiene un sujeto extraño a nosotros con los objetos en su mundo circundante sejuegan en el mismo espacio y en el mismo tiempo que las relaciones que nos unen conlas cosas en nuestro mundo humano. Esta ilusión es alimentada por la creencia en laexistencia de un único mundo omniabarcante en el que todos los seres vivos estaríanempaquetados. De ello surge la convicción generalizada de que solo debería haber unespacio y un tiempo para todos los seres vivos. Frente al mundo objetivo, unaconstrucción antropocéntrica que toma los objetos constitutivos de nuestramundanidad como red homogénea (Umgebung), Uexküll afirma que no se puedegarantizar que nuestro mundo circundante y el de los animales conste de los mismosobjetos, pues cada animal está rodeado de una especie de burbuja que constituye suUmwelt. Siguiendo estas nociones, en ARAN concebimos a los usuarios de la exposición apartir del pensamiento de Uexküll y de manera semejante a la intervención de PierreHuyghe titulada Umwelt (2011)12, en la que los visitantes humanos habitaban el espacioestando copresentes con arañas y hormigas, unos indiferentes para los otros, sinhabitar el mismo mundo, sin compartir protocolos de exposición espaciales ytemporales. Una indiferencia defendida por Vila-Matas o Chus Martínez como

principio positivo que apunta a un modo de coexistencia entre mundos, entremodalidades económicas, entre formas estéticas antagónicas basado en la noasimilación, en no asumir la continuidad del tiempo histórico13.

7 ¿Creyeron los presentes en la sala donde tuvo lugar la conferencia que aquí y ahora

transcribimos compartir mundo con nuestro Umwelt, mientras dibujábamos con lasgafas VR las imágenes que se proyectaban ? ¿Hasta dónde seguir con la ilusión decontinuidad de los diálogos y de las comunidades únicas ? ¿Cómo seguir aspirandohacia una integración cuando procedemos de un radical estar-con (Mitsein)desincronizado que se limita a explorar lo existente ?14

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Fig. 4 Hacerlo Explícito, Umwelt y Iphones

José D. Periñán, 2019.

8 Pensamos en los usuarios de los teléfonos móviles como seres que subvierten las

síntesis y las unidades de los hábitos de mundanización. Cada usuario-espectador deTime and Umwelt, con su teléfono móvil, con su generador de mundo entorno, abría unabismo respecto a la sincronía del mundo objetivo. Siendo dueño de su espacio y de sutiempo y de diferencias que no pueden ser subsumidas, pasaba a ser ajeno a los tiemposde reunión establecidos por las máquinas institucionales del arte contemporáneo,hacedoras de presente y de presencia. Queríamos asegurar la heterogeneidad radical,fracturando los espacios homogéneos de visibilidad. Queríamos quebrar la seguridaddel monótono-mundo y abrirlo a una multiplicidad semejante a la espuma pluralista deSloterdijk15. Para nosotros, el uso del teléfono móvil equivalía a romper los acuarios queHuyghe mostró en Zoodram (2009-2013), destrozar la posibilidad de espacioscompartidos, homogéneamente legibles, en los que se ha venido desplegando laModernidad, sin recomponerlos en un museo y sin articularlos en un discursocuratorial estructurado.

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Fig. 5 Hacerlo Explícito, Pecera de Zoodram (Huyghe) y de El Séptimo Continente (Haneke)

José D. Periñán, 2019.

9 Queríamos desvanecer la ficción de unidad que crea el arte contemporáneo ante una

ausencia real de tiempos y espacios globales de la que habla Peter Osborne, fracturar elespacio común basado en una objetividad que no existe como tal16. De la buenavoluntad y del optimismo de la Modernidad respecto a construir una unidad-comunidad para el diálogo cultural, queríamos hacer un espacio-basura, unaradicalización del espacio-añico. Como sucede en una sobrecogedora escena de El

séptimo continente de Michael Haneke (1989), en la que un martillo impacta contra unacuario, fracturándolo y haciendo que los peces salgan a otro Umwelt, queríamosromper con los discursos plurales que se aglutinan en la unidad. De algún modo,estábamos comisariando espacios fragmentados que ya no congregaban las obras en ellenguaje entendido como casa del ser, sino que presentaban una ruptura gramatical amartillazos, semejante a las “palabras en libertad” de Marinetti. Exponíamos las piezascomo ítems individuales que, flotando en una nube anómala, ya no cuentan historias17.

Acto 3. El martillo de Heidegger / Los objetos deHarman / El móvil y el mando de las gafas VR enARAN

10 El martillo de Haneke nos recuerda al martillo de Nietzsche que aparece en el Crepúsculo

de los ídolos o Cómo se filosofa con el martillo18 ; también al martillo del que habla Heideggeren su análisis del útil en Ser y tiempo19, reinterpretado por Graham Harman en Tool-

Being. Heidegger and the Metaphysics of Objects20 y en libros como Hacia el realismo

especulativo21 o El objeto cuádruple. Una metafísica de las cosas después de Heidegger22. EnTime and Umwelt la herramienta-martillo pasaba a ser para nosotros el teléfono móvil,del mismo modo que durante la conferencia que aquí transcribimos la herramienta-martillo se transformaba en el mando de las gafas HTC Vive con las que generamos losdibujos virtuales que se proyectaban. Heidegger expone, en los parágrafos 15 y 16 delcapítulo de Ser y tiempo titulado “La mundaneidad del mundo”, nuestro modo originariode estar en el mundo, distinguiendo entre el ser-a-la-mano (Zuhandenheit) y el ser-ante-

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los-ojos (Vorhandenheit)23. En el ser-a-la-mano los útiles son lo inmediatamenteaccesible para el Dasein en su mero uso antes de cualquier tematización y presentaciónde las cosas, apareciendo de manera preteórica.

Fig. 6 Hacerlo explícito, El martillo de Heidegger / Los objetos de Harman / La tecnología en ARAN.

José D. Periñán, 2019.

11 Puesto que están siendo usados en el trasfondo no necesitan salir al discurso como ser-

ante-los-ojos. Pese a no aparecer bajo parámetros de observación especializada ycientífica, esta concepción heideggeriana de los objetos supone, para Harman, unacarizaturización :

Después de todo, utilizar una cosa deforma su realidad no menos que elaborarteorías sobre ella. […] nuestro uso del piso como un “útil para tenerse en pie” noentra en contacto con otras cualidades del mismo piso que solo los perros o losmosquitos serían capaces de detectar. En pocas palabras, tanto la teoría como laacción práctica son igualmente responsables de reducir las cosas a un mero estar-ahí. […] Si contemplar un martillo no agota la totalidad de su ser, utilizarlotampoco. […] En la medida en que los útiles pertenecen a un sistema, ya desde unprincipio no son más que caricaturas de sí mismos, ya se encuentran reducidos almero estar-ahí. […] Si el ser de las cosas se encuentra velado detrás de la teoría y dela praxis, esto no obedece al mérito o al defecto del Dasein, sino al hecho de quetodas las relaciones traducen y deforman aquello que relacionan, incluso cuando setrata de relaciones entre objetos inanimados24.

12 Heidegger es, aún, demasiado metafísico si consideramos el Dasein como eje

vertebrador de nuestra experiencia del mundo. Frente al Heidegger y junto a Harman,nuestro uso de la herramienta no se circunsbribe a un modo de relación niantropocéntrica ni metafísica. Más que sostener un martillo al modo heideggeriano,como si se tratara de una entidad menor que se adapta a la “conciencia”, pensamos que« nuestros objetos en nuestras manos deben ser también iguales, también camaradas »,como escribe Alexander Rodchenko en una carta desde París en 192525. Más que atendera una relación de aprehensión humana de los objetos, entramos en relacionesdesincronizadas con los seres-a-la-mano. Entre el móvil, el mando y nosotros (entre

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nosotros y los oyentes de la conferencia ya referida) se producían prehensiones al modode Whitehead, relaciones de objetos sin Dasein y sin mundo unificado, pues

no existe una sincronización previa de los objetos hecha por Dios ni por nadie ; másbien, las entidades tienen la libertad total de abrirse unas a otras, de llegar a loscontactos mutuos más hipersensibles26.

13 Nos autoconcebimos en el manejo de la tecnología como podría concebirse una mosca

sobre un teclado de ordenador, confrontando nuestro Umwelt con el Umwelt humano-tecnológico. ¿No han acabado por convertirse las pantallas táctiles para casi todosnosotros en una superficie que, más que usar, acariciamos, como podría acariciarLévinas las páginas de su libro Totalidad e infinito, sin saber por qué ?27

14 Para nosotros, el móvil y el mando VR quedan liberados de su caricaturización como

útil que sirve para el ver o para el dibujar humanos, ya que se abren a otros objetos y asus relaciones materiales. De concebirlos de algún modo, lo hacemos al margen de unenfoque sobre la tecnología pensada como metafísica cumplida en cuanto quesincronizadora de duraciones-mundos. El contacto de nuestras manos con el móvil, conel mando, o de nuestras cabezas y rostros con las gafas VR ha de verse, por tanto, en untiempo no unificado. Su riqueza no engloba nuestra pseudo-mundanidad. Fuera de lapuntualidad que sopondría el llegar a tiempo de nuestros cuerpos para su adaptación ala tecnología, nos desplazamos en la torpeza de su utilización. Igual que en las primerasvanguardias

la nueva tecnología fue interpretada […] no como una posibilidad de construir unmundo nuevo y estable para el futuro, sino como una máquina que produce […] lapermanente destrucción de la civilización moderna y tecnológica28,

15 en ARAN concebimos lo tecnológico no como progreso que viene a salvaguardar la línea

de la Modernidad, sino como desestructuración y partición de consensos espaciales ytemporales.

Acto 4. Tecno-provincianismo. La imagen noergonómica

16 Ni Time and Umwelt ni en la conferencia que transcribimos en este texto buscamos la

creación de una plataforma para el sentido, sincronizando a los usuarios-oyentes(¿podemos seguir siendo útiles que se miran, se escuchan o se leen sin sercaricaturizados ?) con discursos que se construyen como una sopa de letras a compartirpor la koiné hermenéutica. Nos-otros, como los puntos de un dado que se lanza al azar29,fragmentamos los fenómenos, los separamos de su mero ser-para-nosotros. NuestroMitsein tecnológico se desconecta del presente, pues no tiene la pretensión de estarcoordinado con el tiempo global. Podríamos afirmar que en ARAN nos vemos afectadospor los dos modos de provincianismo que describe Greenberg : el de Kandinsky,

artista (generalmente de un país periférico) que con toda seriedad y admiración seconsagra al estilo favorecido en el momento por el centro metropolitano, y que sinembargo falla en su intento de comprender de qué se trata dicho estilo30,

17 y el provincianismo de Cezánne, el del “artista, académico o no, que trabaja en un estilo

pasado de moda o despreciado por el centro metropolitano”31. La relación entrenosotros y la tecnología global es la misma que la de los habitantes de Villar del Río conel plan Marshall aparecida en la película de Berlanga en 195332. Podríamos hablar, enARAN, de una tecnología periférica, sureña, provinciana, débil, del uso de los

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dispositivos móviles bajo unas condiciones climatológicas casi norteafricanas, máscerca como estamos de Marruecos que de Bruselas, Londres o Berlín, y por supuesto,muy lejos de nodos punteros tecnológicamente como Silicon Valley33, ignorando lasposibilidades abiertas por las más recientes investigaciones en Realidad Aumentada,Virtual y Mixta. Tal vez nosotros seamos su pasado, pero, decididamente, ellas no sonnuestro futuro. Por eso hemos de resolver nuestros tecno-problemas como siestuviéramos, cada vez, ante un abismo, donde la Modernidad no sirve ni siquiera paradar el primer paso. Los posibles enunciados de ARAN sobre el futuro, igual que los delfuturo sobre ARAN, son enunciados “ancestrales” que tratan « sobre acontecimientosanteriores a la emergencia del hombre, […] [y] sobre posibles acontecimientosulteriores a la desaparición de la especie humana »34. En ellos el lenguaje abandona a lascosas donde las cosas solo pueden chocar entre sí. Es en este sentido en el que Time and

Umwelt no mantuvo ninguna esperanza (como tampoco la mantuvo la conferencia-performance paralela a este texto, donde los dibujos virtuales que se iban generandojamás coincidían puntualmente con el discurso) en el correlacionismo definido porMeillasoux, según el cual el mundo ha de ser un correlato, un siempre-ya, que semanifiesta para nosotros (en nuestro tiempo). Frente al correlacionismo de laModernidad y de la hermenéutica, la ancestralidad

nos lleva a pensar un mundo sin pensamiento, un mundo sin donación de mundo.Estamos en la obligación, entonces, de romper con el requisito ontológico de losmodernos según el cual ser es ser un correlato. Por el contrario, tenemos que intentarcomprender cómo el pensamiento puede acceder a lo no-correlativo, a un mundocapaz de subsistir sin estar dado. Ahora bien, decir esto es decir también quedebemos comprender cómo el pensamiento puede acceder a un absoluto : a un sertambién desligado (sentido primero de absolutus), también separado delpensamiento, que se nos ofrece como no relativo a nosotros, como capaz de existirmás allá de que nosotros existamos o no35.

18 Nuestra torpe aproximación a la tecnología, para la que siempre llegábamos

impuntuales y a destiempo, nos apartaba del correlacionismo para adentrarnos enabismales relaciones de ancestralidad. Incurríamos, por tanto, en el anacronismo quesupone la producción de una exposición de Realidad Aumentada casi en el seno de lanada36. Debido a una incipiente experimentación con la Realidad Virtual, en Time and

Umwelt se generaban errores en el comportamiento del software. La correcta apariciónde las piezas solo se producía en contadas ocasiones. Más que atender a la perfectavisibilidad de las obras, creamos una exposición activamente anti-ergonómica. Frente ala operación de sincronización puesta en marcha por las cámaras de los móviles, hoyregidas por patrones de fotografía postdigital y computacional donde los algoritmosrecomponen la imagen limpiando el ruido o los restos inservibles que puedanobstaculizar su aparición confortable37, la precariedad de los soportes digitales hacíanque en la exposición estas operaciones algorítmicas pareciesen demasiado humanas.Contra el algoritmo, contra su teocracia computacional de la que habla Ian Bogost38,contra su mitología, contra sus imposiciones de optimización, contra su design post-metafísico, contra su construcción de mundo basada en la correlación y en elmantenimiento del consenso, Time and Umwelt dejaba surgir el glitch39. Esperaba la caídadel tiempo, la aceptaba, permitiendo la autonomía de una ontología orientada a objetos(OOO) que interactuaban entre sí, también caricaturizándose, pero esta vez sin elpredominio de lo humano40.

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Fig.7 Hacerlo explícito, Prehensiones y contactos entre objetos desincronizados

José D. Periñán, 2019.

Acto 5. Giros en U : el mundo como ready-made

19 El estallido de los espacios unitarios en Time and Umwelt, así como la aceptación de la

asincronía, conlleva practicar una dislocación en el concepto lineal del tiempo modernoy progresivo, un movimiento de retracción, un paso atrás (Schritt zurück)41 respecto a lasuperación (Aufhebung) metafísico-moderna. Siguiendo a Groys, supone ejecutar un giroen U o metanoia, un dar la vuelta a la mirada como Giuseppe Penone en Rovesciare y

propri occhi (1970). En ARAN apostamos por este mirar atrás no metafísico que disuelveel tiempo de la línea. Cuando resulta imposible continuar, ya sea porque la historia haterminado (Hegel), porque se ha llegado al límite de las propia fuerzas (Nietzsche), a laposibilidad de cumplir el deseo (Freud) o al extremo de la existencia (Heidegger), esposible mirar atrás, como señala Groys, igual que lo hace el Angelus Novus de Klee, apartir de la desfuncionalización del status quo operada por las vanguardias42.

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Fig. 8 Hacerlo Explícito, Virtualización del mirar atrás. Giro en U – Metanoia

José D. Periñán, 2019.

20 Pero, ¿dónde reside, en concreto, nuestro arte de darse la vuelta ? Tras la muerte de

Dios, cuando no es posible continuar diseñando el alma en el teatro de un espectadortrascedente, es necesaria una autopoética liberadora. Salir de la Modernidad y de lametafísica supone escapar al diseño, pues, « donde alguna vez estuvo la religión, ahíemergió el diseño. El sujeto moderno tenía ahora una nueva obligación : la delautodiseño, la presentación estética del sujeto ético »43. Para escapar a lassecularizaciones de la Modernidad, Groys distingue entre el diseño y el arte :

la estetización artística es lo opuesto a la estetización por medio del diseño. Elobjetivo del diseño es mejorar estéticamente el status quo, hacerlo más atractivo. Elarte también acepta el status quo, pero lo acepta como un cadáver, en tanto lotransforma en mera representación. En este sentido, el arte ve la contemporaneidaddesde la perspectiva no solo revolucionaria, sino también posrevolucionaria.Podríamos decir que el arte moderno o contemporáneo ve la modernidad o lacontemporaneidad como los revolucionarios franceses vieron el diseño del AntiguoRégimen : obsoleto, reductible a una pura forma, un cadáver. […] El arte acepta elstatus quo en tanto disfuncional, fallido44.

21 Contra el diseño, Time and Umwelt planteaba la estetización artística a través de la

interactuación con nuestros teléfonos móviles. Mirando a través de ellos, el mundo, elpresente, aparecía como un ready-made desfuncionalizado, pues las condicionestécnicas que hacían posible la visibilidad de la imagen desfamiliarizaban la existenciadel status quo. Como el loco con la linterna de La Gaya ciencia, el usuario giraba sumirada ante el progreso al activar la obra virtual, pudiendo ver las cosas como elcadáver de Dios convertido en resto material y detrito de la historia. Tal vez lo decisivopara producir el giro metanoico en Time and Umwelt fuera la inclusión de la fotografíacomo una opción dentro de la propia aplicación, la cual permitía realizar unainstantánea de las piezas virtuales. Pensado desde un punto de vista curatorial aplicadoa un espacio físico, este gesto equivaldría a distribuir entre todos los visitantes de unmuseo una cámara de fotos como premisa constitutiva de la experiencia estética,obligándoles, más que a contemplar o a recibir las obras, a producirlas a través de lapantalla y a tomarlas como potenciales.

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Fig. 9 Hacerlo Explícito, Producir la imagen / marco de visibilidad

José D. Periñán, 2019.

22 Era nuestro modo de explicitar el hardware, el teléfono móvil como indicio de la

disfuncionalidad total del mundo. Siguiendo a Groys, frente al usuario típico deinternet que pasa por alto el hardware, queríamos evidenciar el marco objetual de laaparición de las imágenes, del mismo modo que Bertold Bretch rompió con la ilusiónteatral, como el constructivismo ruso produjo objetos físicos o como Marinettitransformó el texto en cosa. Producir la imagen, autocrear la ficción, pasabanecesariamente por sujetar el marco del teléfono, haciendo que lo observado sedesfuncionalizase45. Podía verse a los usuarios deviniendo cuerpos alienados querealizan el mero trabajo físico de sostener, como los trabajadores de Santiago Sierra enla intervención Forma de 600 x 57 x 52 cm construida para ser mantenida perpendicular a una

pared (2001), o como sucede en la performance de Marina Abramović The Artist is

Present, celebrada en el atrio del MoMa en 2010, donde la artista presentaba el esfuerzofísico de estar presente durante el horario de apertura al público ante los asistentes quela visitaban46.

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Fig. 10 Hacerlo Explícito, Virtualización de la muerte de dios y de la metanoia operada por elAngelus Novus de Klee.

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23 Lo importante era hacer que los usuarios vieran a otros usuarios usando sus

dispositivos públicamente. Como sucede cuando vemos una famosa escena de La Jetée

(1962) de Chris Marker, donde aparece un personaje conectado a unos sensores quecubren sus ojos y que sirven para producir una ficción, o como sucede en las Museum

Photographs de Tomas Struth, donde observamos a gente mirando a personas que mirancuadros, en Time and Umwelt nos convertíamos en contempladores que ven a otroscontempladores. Mirando a través de la cámara del móvil, las personas podían aparecerinesperadamente, interfiriendo en el campo de visión y en la percepción de la pieza47.Ello las hacía “reflexionar sobre sus propias condiciones […], exhibirse ellas mismaspara sí mismas”48. A esta desfuncionalización contribuía que los usuarios pudieranrealizar selfies con las piezas virtuales y compartirlas en las redes sociales,testimoniando ante los demás que, como privilegiados tecnológico-estéticos, podíanver, a la luz del día, el cadáver de Dios. Tal vez ellos mismos fueran este cadáver : elselfie, consecuencia casi natural de la interactuación con las obras, convertía a losusuarios en un Angelus Novus, en ángeles del final de la historia que constatan que elmundo ha devenido cadáver, y que ellos mismos son un objeto susceptible dedesfuncionalización, sirviendo como material para auto-realización de un ready-made.Con el futuro a su espalda, los usuarios de Time and Umwelt estaban dando la vuelta almundo del progreso y construyendo autopoéticamente su imagen como artistas.

Acto 5. Kénosis / Vaciamientos : en defensa de laimagen pobre

24 La interiorización de la línea como estructura articuladora del ser (ser = un modo de

pronunciar una totalidad derivada de lo intotalizable) quedaba en Time and Umwelt

desvirtuada. Y ello, siguiendo de nuevo a Groys, a través de lo que él llama la metanoiavertical49. Las imágenes de Time and Umwelt (también las generadas en la conferencia-performance ya referida) se oponían al camino lineal que supone el arte entendido

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como vía ascendente de elevación, perfección o mejoramiento. Desde el punto de vistacutatorial y artístico, hallan su fudamento (desfundamentado) en la kénosis de latradición cristiana, concepto que interpretamos también desde Vattimo50. Sondebilitantes, vaciadoras, disolventes, pues no buscábamos crear algo más nuevo nimejor. Más que una dinámica hacia un arte definido como mejoramiento de lo existenteproducido y de lo existente productor, lo que corresponde al ámbito del diseño queamplía y continúa el status quo de lo comtemporáneo, ARAN prefiere producir contra-diseños radicalmente peores, crear imágenes pobres y defenderlas como inspiradoras alotorgarles la palabra.

Fig. 11 Hacerlo Explícito, Imágenes pobres, débiles, kenóticas

José D. Periñán, 2019.

25 Estamos de acuerdo con la dialéctica de la imperfección que despliega Malevich en el

texto “Dios no ha sido destronado” (1919), según el cual deshacerse de la idea demejoramiento no es posible si continuamos siendo ingenieros o sacerdotes que buscanla perfección51. ¿Qué es el cuidado (Sorge) heideggeriano sino un despliegueintrametafísico que cultiva el mejoramiento en el gimnasio de la nada y laautenticidad ? Fuera del cuidado, en el descuido del que nos habla François Jullien52, losartistas están en disposición de desembarazarse de los diseños antropotécnicos comosantidad secularizada, pues aceptan su finitud como fracaso radical. Como escribeGroys :

La visión materialista del mundo abre una zona más allá del éxito y del fracaso, dela conservación y la aniquilación, de la adquisición y de la pérdida. […] Peroentonces, si somos mortales y finitos, ¿cómo podemos cambiar el mundo ? Como yahe sugerido, el criterio para el éxito y el fracaso es justamente lo que define elmundo en su totalidad. Por eso, si cambiamos –o incluso mejor, abolimos– estoscriterios, estaremos, de hecho, cambiando el mundo en su totalidad. Y como hetratado de mostrar, el arte puede hacerlo. Es más : ya lo ha hecho. […] A partir de laépoca de las vanguardias, el arte se volvió no solo un objeto de discusión libre detodo criterio de verdad, sino también una actividad universal, no productiva y librede todo criterio de éxito53.

26 Al margen del éxito o del fracaso como eje vertebrador de un mejoramiento del mundo

desde el diseño, es posible crear y exponer imágenes pobres, reducidas, débiles, igual

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que los artistas de vanguardia crearon imágenes “tan pobres, tan vacías que podíansobrevivir a cualquier posible catástrofe histórica”54, al giro de la historia y al impactode la inercia de la cadena injustificada de acontecimientos, victorias y pérdidas. Elfuturo vacío solo puede aceptar la ligereza de la imperfección ; en él no caben, nunca lohan hecho, el background de los logros, progresos, expansiones o continuidadeshumanas55. Recordamos la sección Futuro de ARCO 2018. Comisariada por ChusMartínez, Rosa Lleó y Elise Lammer, fue definida como una sección “tranquila”, tal vezdesilusionante, pero

capaz de señalar la continuada validez de un lenguaje, el artístico, que se desarrollasin intentar ejemplarizar, sin ningún tipo de altanería, sino con la esperanza desobrepasar la experiencia del mero evento y contribuir a crear una forma dediscernir distinta56.

27 En ella se producía, tácitamente, una metanoia vertical o kénosis en la aceptación de la

imagen pobre, como escribe Steryerl, “enigmática e inconclusa por el descuido o elrechazo político, por la falta de tecnología o financiamiento”57. De ahí que defendamosimágenes tecnológicas no ascensionales, similares a los oggeti in meno de Pistoletto, quetraicionen las expectativas, que acepten los titubeos y las imperfecciones. Tal vezsupone, frente al sacrificio de la santidad y su antropotécnica secularizada, unmovimiento contra-moderno que carece de sentido, un sacrificio estético que se realizasin consecuencias y que anula la voluntad de triunfo basado en las variantes de lacorrección y en el éxito del reconocimiento consensuado58. “Puede hacerse mejor” : enesta frase, el enlace entre “poder” y “mejor” podría definir un capítulo paradigmáticode la racionalidad moderna. La ausencia de responsabilidad histórica (una bio-grafía estambién una historia de los vencedores) permite sacrificar el mejoramiento, el diseño,en un arte kenótico que salva del progreso y de las aspiraciones ascendentes, del« alpinismo artístico, social y político (…), [ un arte que] no desarrolla el “potencialhumano”, sino que lo anula, [que] no opera por expansión, sino por reducción »59 y queno pretende capitalizar el talento humano.

Solo de este modo escaparemos de la presión de nuestros dones y talentos, los quenos esclavizan y agotan hasta empujarnos a escalar una montaña tras otra. Solo siaprendemos a estetizar tanto la falta de dones como el hecho de poseerlos y, por lotanto, solo si no diferenciamos entre el éxito y el fracaso podremos escapar albloque teórico que amenaza al activismo en el arte contemporáneo60.

Acto 6. Imágenes-kebab

28 Nuestras imágenes quieren ser una historia contada por un idiota que nada significa,

alterar la lógica sincronizadora del mundo que las rodea61. Consideradas, tal vez, comocorreos no deseados, como mensajes sin contenido, son contra-hermenéuticas62, basuracomunicativa e idiótica vista por el ángel de la historia. Funcionan, de algún modo,como el spam al que se refiere Hito Steyerl en el ensayo Desechos digitales (2011). En élanaliza el surgimiento del spam en los años ochenta, cuando, independientemente desu contenido, fue usado como bloque material, como un volumen extensivo e invasivoque servía para expulsar de la pantalla de manera irritante a otros participantes en losforos multiusuario63. Es este el sentido que le otorgamos a nuestras imágenes. Si losspam digitales que recibimos a diario prometen escenarios de mejoramiento yoptimización de la vida, incrementando el status quo, en ARAN los abordamos como unmodo de captar el ruido sin destinatario, como una manera de sostener la llegada de los

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restos insignificantes, como choques contra-modernos. Aceptamos el fracaso de lasimágenes pobres e insignificantes como ruido de los débiles, de los desechos de laModernidad, de lo que, según Vattimo, fue para el segundo Heidegger el ser, paraDerrida los márgenes de la filosofía o para Benjamin la historia de los vencidos64. Unruido semejante al ruido del que habla Jacques Rancière65, al sonido de los extranjeros,los esclavos, las mujeres y los niños emitidos en la polis griega, inexistente en cuanto asujetividad política frente a los enunciados de los ciudadanos acaudalados,privilegiados como información a tener en cuenta. Imágenes como sonidos confusos deun espacio doméstico donde no se articulan informaciones claras, formalizables,relevantes ni susceptibles de sincronización y que, según Steyerl, funcionan “como untipo de filtro de spam político […] [considerándose como] molestias irrelevantes,irracionales y potencialmente peligrosas”66. Nuestras imágenes débiles, nuestros ruidosvisuales casi ininteligibles, entran en el futuro del modo más ligero y despreocupadoporque están fuera de la historia. Son casi sonidos de un idiota virtualizado,aminoramientos hermenéuticos sobre los que no se puede construir consenso,continuidad ni prevalencia. En su su escapada del lenguaje, más que relacionarse conlas palabras o con un discurso a interpretar, nuestras imágenes aparecen como objetos.Como escribe Steyerl,

antes de que la palabra spam se volviera una palabra que se transformó en unobjeto, ya era un objeto […] : la famosa lata de carne enlatada producida por HormelFoods Corporation. […] El spam era, y todavía es, un alimento básico para las clasespopulares y el ejército. (…) Pero el spam no existe sin su contrapoder. En laadmirable pintura Actual Size [ Tamaño real] (1962), de Ed Ruscha, una lataresplandeciente de Spam es captada en una trayectoria decendente. Su colaluminosa le hace verse como un cruce entre un cometa y una bomba molotov. Elspam es un objeto sólido, aéreo y combustible, potencialmente imbuido de podercinético. Las latas de spam pueden ser arrojadas contra las vidrieras de los bancos.Son fuertes y resistentes67.

29 La carne de baja calidad consumida por las clases populares, inauténtica, modesta y de

bajo coste que aparece en Ed Ruscha y en Steryerl es procesada por ARAN e introducidatecnológicamente en espacios virtuales como objetos extra-lingüísticos, nocorrelacionales, revolucionarios, abiertos a un realismo no dogmático contra-ilustradoy contra-domesticado por el Dasein. En lugar de imaginar a Heidegger leyendo estetexto y privilegiando, tácitamente, nuestro mensaje como hacedor o continuador de unmundo sincronizable, podríamos imaginarlo consumiendo la carne de nuestrasimágenes-kebab, realizando el acto biológico de deglutir en una casa del ser convertidaen un pequeño establecimiento de comida, metabolizado un tiempo exterior al Dasein,al lenguaje y “sus caminos”, despertando en un nuevo e inédito claro (Lichtung) tal vezpobre de mundo, en una granja que se rompe en pedazos donde solo alcanzara a decirdescuidadamente, en su Umwelt desincronizado, la respuesta a la pregunta por el serque dejó sin responder en Ser y tiempo, proclamando la caricatura poética y espaciadorade un lenguaje, al fin, no temporalmente metafísico : “¡oing oing !”.

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Fig.12 Hacerlo Explícito, Imagen-kebab / conferencia-kebab.

José D. Periñán, 2019.

Epílogo : instrucciones para deshacerse del texto

30 ¿Qué queda, entonces, por hacer, cuando los animales se han decidido a caminar por la

ciudad para coexistir con el Umwelt humano ? En Time and Umwelt y en la conferenciaaquí recogida queríamos explicitar la emergencia de múltiples mundos que escapan alUno-Todo. Pero, ¿acaso no es este texto una nueva superficie de sincronización yunidad en la que el lector quiere llegar a la puntualidad del sentido que, en él, estáaconteciendo ? Considerar este artículo desde la reunión heideggeriana supondríareducir la multiplicidad desplegada por ARAN en sus intervenciones. Y es que, desde elpunto de vista de las culturales prehensiones humanas, este escrito no es sino unacaricaturización más de la complejidad radical por la que apostamos en nuestrasprácticas artísticas y curatoriales. ¿No deberíamos, por tanto, repensar susposibilidades y sus límites hasta lograr deshacernos de todo reduccionismohermenéutico, de todo correlato respecto a un mundo que solo puede y quiere serexperimentado exclusivamente para nosotros ? Quizá, como indicaba Wittgenstein enla proposición 6.54 del Tractatus68, tendríamos que arrojar la escalera del lenguaje unavez que nos hayamos encaramado en ella, no porque hayamos llegado al silencioindiscutible de aquello de lo que no se puede hablar, sino para adentrarnos en lacomplejidad y en el azar de los sonidos no lingüísticos emitidos por la escalera al caer.Steyerl teorizaba sobre el spam haciendo del lenguaje-basura un objeto concreto. Quizá,siguiendo su pensamiento desde un punto de vista especulativo, podríamos comenzar apensar que el papel o la pantalla sobre el que este texto está impreso o presentadovisualmente habla sin lenguaje, por sí mismo, que conversa en un idioma queignoramos con los dedos de las manos que lo sostienen, con el aire que lo circunda ycon las partículas de luz que lo hacen visible. Si entrara en contacto con el agua de losacuarios de Huyghe, su tinta se disolvería, haciendo de nuestros diccionarios plantas oanimales acuáticos que duermen en el fondo del océano, junto a la delicadeza de lasalgas, con la suavidad de las esponjas, en tiempos diferentes a las duracionesmeramente humanas. Para los animales, siempre desconocidos, no existe el constante

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compromiso de leer. Para nosotros tampoco. Tal vez haya llegado la hora de descubrir,en ello, un encantamiento69.

NOTAS

1. PÁGINA WEB DE ARAN (2018), « Time and Umwelt », [disponible el 11/12/2019] <URL: https://

aran.live>.

2. En la producción de la exposición participaron Eva Aro (Nemaniax) y Antonio Puentes

(desarrolladores informáticos), así como Maite Coloma (cofundadora de ARAN junto a José

Delgado).

3. Las geolocalizaciones se distribuyeron en los siguientes puntos : Templo de Debod, Edificio

España, Plaza de Callao, Puerta del Sol, Plaza Mayor, Plaza del Museo Reina Sofía, Estación de

Atocha, Museo del Prado, Plaza de Cibeles, Teatro Real y Palacio Real de Madrid.

4. Boris GROYS, Arte en flujo. Ensayos sobre la evanescencia del presente, Buenos Aires, Caja Negra,

2016, p. 101-102.

5. Giorgio AGAMBEN, « ¿Qué es un campo ? », Artefacto. Pensamientos sobre la técnica, 2, Buenos Aires,

1988, p. 52-55. Sobre esta idea puede consultarse el libro de David MORIENTE, Poéticas arquitectónicas

en el arte contemporáneo, Madrid, Cátedra, 2010, p. 258-259.

6. Boris GROYS y Vittorio HÖSLE, La razón al poder. Una discusión, Valencia, Pre-Textos, 2014, p. 73-79.

7. Friedrich NIETZSCHE, La gaya ciencia, Madrid, Ediciones Akal, 2001, p. 160-161.

8. Harun FAROCKI, Desconfiar de las imágenes, Buenos Aires, Caja Negra, 2015, p. 118.

9. “Estas imágenes de una cámara arrojándose sobre un objetivo, es decir, de una cámara suicida,

se han grabado en nuestra memoria. Se trataba de algo nuevo […]. En 1991 se habló mucho del

hecho de que las imágenes de las cámaras que vigilaban la aproximación al blanco y la explosión

mostraban la guerra ‘como un juego de computadora’”. Ibid., 2015, p. 147-150.

10. Hito STEYERL, Arte duty free. El arte en la era de la guerra civil planetaria, Buenos Aires, Caja Negra,

2018, p. 95.

11. Jakov von UEXKÜLL, Andanzas por los mundos circundantes de los animales y los hombres, Buenos

Aires, Cactus, 2016.

12. Emma LAVIGNE (dir.), Pierre Huyghe. Catalogue de l’exposition, Paris, Centre Pompidou, galerie Sud, 25

septembre 2013-6 janvier 2014, Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 184.

13. Chus MARTÍNEZ, Idiosincrasia. Las anchoas sueñan con panteón de aceituna, Cáceres, Centro de

Artes Visuales Fundación Helga de Alvear, 2016, p. 28.

14. “El existenciario Mitsein indica la relación que el Dasein mantiene constitutivamente con los

otros en cuanto estar-en-el-mundo […]. Heidegger rechaza tajantemente las nociones

tradicionales de ’yo’, ‘sujeto’, ’conciencia’ entendidas como regiones cerradas y autónomas que

permanecen idénticas a través del cambio de comportamientos y vivencias (…). La estructura

ontológica del Mitsein indica esa mutua reciprocidad entre el Dasein y los otros”, Jesús ADRIÁN

ESCUDERO, El lenguaje de Heidegger, Barcelona, Herder, 2009, p. 130.

15. Peter SLOTERDIJK, Esferas III. Espumas. Esferología plural, Valencia, Pre-Textos, 2006.

16. “Parafraseando los esclarecedores conceptos del filósofo Peter Osborne sobre este tema : el

arte contemporáneo nos muestra la falta de un tiempo y un espacio (globales). Es más, proyecta

una unidad ficticia sobre una variedad de ideas diferentes del espacio y del tiempo,

proporcionando una superficie común allí donde no la hay […]. Este es el rol del arte

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contemporáneo. […] El arte contemporáneo es un tipo de capa o sustituto que simula que todo

está bien, mientras que las personas sufren los efectos de las políticas de shock. […] Tanto las

naciones como los museos son solamente otro modo de organizar el tiempo y el espacio ;

destrozándolos en pedazos. ¿Pero no son destrozados el tiempo y el espacio cada vez que es

creado un nuevo paradigma de museo ?”, Hito STEYERL, Arte duty free, Op. cit., p. 112-131.

17. Brois GROYS, Google: Words beyond Grammar, Kassel und Ostfildern: Documenta und Museum

Fridericianum Veranstaltungs-GmbH, und Hatje Cantz Verlag, 2011, p. 11.

18. Friedrich NIETZSCHE, Crepúsculo de los ídolos, Madrid, Alianza, 2006.

19. Martin HEIDEGGER, Ser y tiempo, Madrid, Trotta, 2003.

20. Graham HARMAN, Tool-Being. Heidegger and the Metaphysics of Objects, Chicago and La Salle,

Illinois, Open Court, 2002.

21. Graham HARMAN, Hacia el realismo especulativo, Buenos Aires, Caja Negra, 2015.

22. Graham HARMAN, El objeto cuádruple. Una metafísica de las cosas después de Heidegger, Barcelona,

Anthropos, 2016, p. 35-40.

23. Martin HEIDEGGER, Ser y tiempo, Op cit., p. 97 y siguientes. También puede consultarse el libro de

Arturo LEYTE, Heidegger, Madrid, Alianza, 2005, p. 103, o la biografía de Safranski sobre Heidegger

que aborda, también, su pensamiento : Rüdiger SAFRANSKI, Un maestro de Alemania. Heidegger y su

tiempo, Barcelona, 1997, p. 193.

24. Graham HARMAN, El objeto cuádruple, Op. cit., 2016, p. 35-40.

25. Citado en Hito STEYERL, Los condenados de la pantalla, Buenos Aires, Caja Negra, 2018, p. 57.

26. Graham HARMAN, Hacia el realismo especulativo, Op. cit., p. 36.

27. Emmanuel LÉVINAS, Totalidad e infinito, Salamanca, Sígueme, 2012, p. 141 y siguientes.

28. Boris GROYS, Volverse público. Las transformaciones del arte en el ágora contemporánea, Buenos

Aires, Caja Negra, 2018, p. 108.

29. Quentin MEILLASSOUX, Hiper-caos, Holobionte Ediciones, Barcelona, 2018.

30. Graham HARMAN, Hacia el realismo especulativo, Op. cit., p. 298.

31. Ibíd., p. 299.

32. Chus MARTÍNEZ, “What is art”, en Jens HOFFMANN, Ten Fundamental Questions of Curating, Milan,

Mousse Publishing, p. 50 y siguientes.

33. Eric SADIN, La silicolonización del mundo, Buenos Aires, Caja Negra, 2018.

34. Quentin MEILLASSOUX, Después de la finitud. Ensayo sobre la necesidad de la contingencia, Buenos

Aires : Caja Negra, 2015, p. 180.

35. Ibid., p. 53.

36. Chus MARTÍNEZ, “Me celebro y me canto. El anacronismo como método”, Índex. Investigación

artística, pensamiento y educación, Revista semestral, Primavera 2011, número 1, Barcelona,

MACBA, p. 6-7.

37. Hito STEYERL, Arte duty free…, Op. cit., p. 49-51.

38. Ed FINN, La búsqueda del algoritmo, Barcelona, Alpha Decay, 2018, p. 23-25.

39. Sobre el glitch como error algorítmico que permite romper con el pantalla-centrismo, puede

consultarse el libro de Scott CONTRERAS-KOTERBAY y Łukasz MIROSCHA, The New Aesthetic and Art:

Constellations of the postdigital, Amsterdam, Institute of Network Cultures, 2016, p. 85-86.

40. Además de las conferencias publicadas en su canal de Youtube sobre el Realismo especulativo,

puede consultarse al respecto el libro de Ernesto CASTRO, Realismo Postcontinental. Ontología y

epistemología para el siglo XXI, Segovia, Materia Oscura, 2020.

41. Sobre las implicaciones del paso atrás en Heidegger, véase : Teresa OÑATE, “Estudio

preliminar. Heidegger, Hó Skoteinós (El obscuro). La ontología estética del espacio-tiempo tras la

Kehre”, Teresa OÑATE, Óscar CUBO y Amanda NÚÑEZ (eds.), El segundo Heidegger. Ecología. Arte.

Teología, Madrid, Editorial Dykinson, 2012, p. 22-23.

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196

42. Boris GROYS, Arte en flujo, Op. cit., p. 68-69.

43. Boris GROYS, Volverse público, Op. cit., p. 24.

44. Brois GROYS, Arte en flujo, Op. cit., p. 62-67.

45. “Al menos desde comienzos del siglo XX, la vanguardia histórica trató de tematizar y revelar

la dimensión factual, material, no ficcional del arte. […] Es justamente esto lo que Intenet alteró

de manera radical. Internet funciona bajo la presuposición de su carácter no ficcional (…) Por

supuesto que hay blogs y páginas especializadas en arte. Sin embargo, para acceder a ellas, el

usuario debe clickear y así enmarcarlas en la superficie de la computadora, el iPad o el teléfono

celular. Por lo tanto, el marco se desinstitucionaliza y la ficcionalidad enmarcada se

desficcionaliza. El usuario no puede obviar el marco porque lo ha creado. El marco –y la

operación de producirlo– se vuelven algo explícito, algo que se mantiene así en la experiencia de

la contemplación y la escritura“, Ibíd., p. 197-198.

46. “Hoy en día el artista se preocupa cada vez más por la exposición de su cuerpo como un

cuerpo-para-el-trabajo […]. Abramović tematizó la increíble disciplina, resistencia y esfuerzo

físico que se requiere para simplemente estar presente en el lugar de trabajo desde el comienzo y

hasta el fin del horario laboral. (…) Incluso la persona más típica y ‘normal’ hoy documenta

permanentemente su cuerpo-para-el-trabajo a través de la fotografía, el video, los sitios web y

demás”, Boris GROYS, Volverse público, Op. cit., p. 127-130.

47. “Una exhibición que utiliza la Web y otros medios digitales hace visible el aspecto material y

físico de estos medios, su hardware, la materia de la que están hechos. Toda la maquinaria que

ingresa en el campo de visión del visitante destruye así la ilusión de que todo lo que es

importante en el universo de lo digital tiene lugar solo en la pantalla. O, lo que es incluso más

importante : otros visitantes interrumpen el campo de visión del espectador o espectadora. Así, el

visitante toma conciencia de que está siendo observado por otros”, Boris GROYS, Arte en flujo,

Op. cit., p. 153.

48. Boris GROYS, Volverse público, Op. cit., p. 62.

49. Boris GROYS, Arte en flujo, Op. cit., p. 70.

50. Gianni VATTIMO, Creer que se cree, Barcelona, Paidós Ibérica, 2004.

51. Boris GROYS, Volverse público, Op. cit., p. 173-174.

52. François JULLIEN, Del "tiempo". Elementos de una filosofía del vivir, Madrid, Arena Libros, 2006,

p. 161 y siguientes.

53. Boris GROYS, Arte en flujo, Op. cit., p. 46-53.

54. Boris GROYS, Volverse público, Op. cit., p. 109.

55. “Art having a future means that art has a continuity, which is different from saying that art is

the producer of a future, of its idea. […] The future is a completely different question. It does not

require a perfect time and space, but the production of the very fabric of time. The future of art

is, therefore, related to the question of duration, to the conditions under which art is

continuously made, to its history. The future of art is the same as its end, a matter of language”,

Chus MARTÍNEZ, “What is art”, Op. cit., p. 43.

56. Chus MARTÍNEZ, Elise LAMMER y Rosa LLEÓ, (eds), El futuro no es lo que va a pasar, sino lo que vamos a

hacer, Madrid, ARCOmadrid/IFEMA, Feria de Madrid, Nero. p. 22.

57. Hito STEYERL, Los condenados de la pantalla, Op. cit., p. 161.

58. Boris GROYS y Vittorio HÖSLE, Op. cit., p. 48-49.

59. Boris GROYS, Arte en flujo, Op. cit., p. 73.

60. Ibid., p. 73.

61. William FAULKNER, El ruido y la furia, Madrid, Alianza Editorial, 2004.

62. “Precisamente porque el mundo moderno está saturado del ruido de los mensajeros de los

partidos de poder y de los estruendos artísticos del genio, que llaman la atención sobre sus obras

y sistemas delirantes, la diferencia religiosa ya no puede señalarse convincentemente desde la

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figura del embajador. El Dios presente no puede alcanzar a los mortales como enviado, sino solo

como idiota”, Peter SLOTERDIJK, Esferas I, Madrid, Siruela, 2009, p. 426.

63. Hito STEYERL, Arte duty free, Op. cit., p. 145-147.

64. Gianni VATTIMO y Santiago ZABALA, Comunismo hermenéutico. De Heidegger a Marx, Barcelona,

Herder, 2012, p. 17-18.

65. “Para rechazar una categoría, por ejemplo los trabajadores o las mujeres, la calidad de los

sujetos políticos, tradicionalmente bastó con constatar que pertenecían a un espacio ‘doméstico’,

a un espacio separado de la vida pública, de donde solo podían emerger gemidos o gritos que

expresan sufrimiento, hambre o cólera, pero no discursos que manifiestan una aisthesis común. Y

la política de esas categorías […] consistió en hacer ver lo que no se veía, en entender como

palabra lo que solo era audible como ruido”, Jacques RANCIÈRE, “Diez tesis sobre la política”, en

Política, policía, democracia, Santiago de Chile, LOM, 2006, p. 73.

66. Hito STEYERL, Arte duty free, Op. cit, p. 75.

67. Ibid., p. 148-150.

68. Ludwig WITTGENSTEIN (2002), Tractatus logico-philosophicus, Madrid, Tecnos, p. 276.

69. Fragmento basado en un texto incluido en la exposición Desire path, del artista Giacomo

Santiago Rogado, inaugurada en el Kunstmuseum Solothurn en 2019: Miguel F. CAMPÓN, “The

Extreme Slowness of Color and Shape”, Miguel F. CAMPÓN y Christoph VÖGELE, Desire path, Viena,

VfmK Verlag für moderne Kunst GmbH, 2019, p. 104-105.

RESÚMENES

El artículo, a modo de manifiesto, expone los fundamentos conceptuales de ARAN (Augmented

Reality Art Network), desplegados, hasta el momento, en la exposición de Realidad Aumentada

Time and Umwelt (2018), primer recorrido urbano de obras virtuales geolocalizado en España, y en

la conferencia-performance Hacerlo explícito, cuya versión corregida presentamos aquí.

Desarrollando conceptos pertenecientes a filósofos como Boris Groys (metanoia, kénosis), Jakob

von Uexküll (Umwelt), Graham Harman (caricaturización heideggeriana del ser-a-la-mano,

prehensión), Quentin Meillassoux (correlacionismo, ancestralidad), por artistas como Hito

Steyerl (spam), Harun Farocki (bombas suicidas) o por comisarias como Chus Martínez (principio

de indiferencia, futuro, anacronismo), exploramos las relaciones de ARAN con las nuevas

tecnologías de Realidad Virtual, desde enfoques polilógicos que realizan un giro respecto al

tiempo lineal metafísico-moderno, planteando un arte XR que no renuncia a la complejidad de lo

múltiple y que acepta la ausencia de sincronización de un mundo sin nosotros.

L’article, en tant que manifeste, expose les fondements conceptuels de l’ARAN (Augmented

Reality Art Network), déployé jusqu’à présent dans l’exposition de Réalité Augmentée Time et

Umwelt (2018), la première tournée urbaine d’œuvres virtuelles géolocalisées en Espagne, et dans

la conférence-performance Rendre explicite, dont nous présentons ici la version corrigée. En

proposant de développer des concepts appartenant à des philosophes tels que Boris Groys

(métanoïa, kénose), Jakob von Uexküll (Umwelt), Graham Harman (caricaturisation

heideggerienne de l’être à portée de main, préhension), Quentin Meillassoux (corrélationnisme,

ancestralité), par des artistes tels que Hito Steyerl (spam), Harun Farocki (attentats suicides) ou

par des commissaires comme Chus Martínez (principe d’indifférence, futur, anachronisme), nous

explorons les relations de l’ARAN avec les nouvelles technologies de réalité virtuelle, à partir

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d’approches polylogiques qui bouleversent notre rapport au temps linéaire métaphysique-

moderne, posant un art XR qui ne renonce pas à la complexité du multiple et qui accepte

l’absence de synchronisation d’un monde sans nous.

The article, as a manifesto, exposes the conceptual foundations of ARAN (Augmented Reality Art

Network), deployed, so far, in the exhibition of Augmented Reality Time and Umwelt (2018), the

first urban tour of geolocated virtual works in Spain, and in the conference-performance Make it

explicit, whose corrected version we present here. Developing concepts belonging to philosophers

such as Boris Groys (metanoia, kenosis) Jakob von Uexküll (Umwelt), Graham Harman

(heideggerian caricaturization of being-at-hand, prehension), Quentin Meillassoux

(correlationism, ancestrality), by artists such as Hito Steyerl (spam), Harun Farocki (suicide

bombs) or by curators such as Chus Martínez (principle of indifference, future, anachronism), we

explore ARAN’s relations with the new Virtual Reality technologies, from polylogical approaches

that make a turn with respect to linear time Metaphysical-modern, posing an XR art that does

not renounce the complexity of the multiple and that accepts the absence of synchronization of a

world without us.

ÍNDICE

Mots-clés: art virtuel, Umwelt, temps, Boris Groys, Hito Steyerl, Chus Martínez

Palabras claves: arte virtual, Umwelt, tiempo, Boris Groys, Hito Steyerl, Chus Martínez

Keywords: virtual art, Umwelt, time, Boris Groys, Hito Steyerl, Chus Martínez

AUTORES

MIGUEL F. CAMPÓN

(ARAN)

JOSÉ D. PERIÑÁN

(ARAN)

HispanismeS, 14 | 2019

199

Varia

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Managua dans les écritsnicaraguayens : entre politisation,dystopie et lien retrouvéNathalie Besse

1 Divers écrits nicaraguayens des vingt dernières années, fictionnels ou

autobiographiques, testimoniels ou journalistiques, s’intéressent à Managua, saconfiguration et ses espaces, ce qu’ils retracent et ce qui s’en dégage1. L’historicisationde l’espace urbain, perceptible dès le nom des rues et des places, révèle une politisationdes lieux. Cette mise en texte de l’espace physique peut d’ailleurs être pathétisée parune mise en scène qui rend puissamment symboliques les actes publics.

2 Comment les romans réécrivent-ils dans leur espace scriptural cet espace urbain en

partie investi par le pouvoir et déjà textualisé par lui ? Nous verrons qu’ils dépeignentpour la plupart, entre histoire et imaginaires, des espaces dégradés ou décentrés, livrésà une sémantique du non-sens, pour mieux signifier une société dysfonctionnelle, unpeuple désillusionné et dérouté après la défaite de la révolution et la perte desréférents idéologiques.

3 Mais la réponse fictionnelle à la dystopie consiste précisément à reconstruire l’espace

du lien, plus instinctuel qu’idéologique, à rappeler la dimension expérientielle ouaffective de l’espace, et l’esprit du lieu en tant qu’il est communauté d’hommes : nousmontrerons que les auteurs, qui s’immergent dans des espaces tout à la fois publics etintimes et font œuvre de mémoire, conçoivent un espace retrouvé.

1. Politisation d’un espace urbain textualisé ouscénifié

4 Les romans et les témoignagnes qui accordent un espace significatif à Managua, ou

seulement quelques lignes parfois, révèlent une historicisation de l’espace urbain,lisible dès l’onomastique qui, traduisant des enjeux politiques et discursifs,instrumentalise et codifie le lieu. Le nom des rues, des places, ou encore de certains

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hôpitaux ou de marchés suffit à en rendre compte, comme l’affirme le narrateur duroman Rostros ocultos (2005) de Francisco Javier Bautista Lara : « En Managua, losnombres de las calles, de los parques, plazas, institutos, mercados y hospitales, cambiancon las épocas políticas »2. Ainsi l’espace public reflète-t-il dans les années 70 laprésence des Somoza, pour s’inspirer dans les années 80 des héros et martyrs de larévolution, puis exprimer après les années 90 de nouveaux engouements. Si bien que lemanagua qui a traversé les époques et se défie des héros proclamés par les passions del’histoire, est guetté par la confusion à l’instant de nommer des pans de l’espaceurbain :

A veces uno no sabe si llamar a un hospital (ese que queda contiguo a un mercadoque también puede ser designado con varios nombres : Mercado Roberto Huembes,Mercado Central…), Hospital Oriental, Hospital Manolo Morales u Hospital RobertoCalderón ; si llamar a la plaza que está enfrente de la vieja catedral semidestruidapor el terremoto, como Plaza de la República, Plaza de la Revolución o Plaza de laFuente, porque ahora en el centro han construido una fuente luminosa y musical, sila calle tiene éste o el otro nombre o tiene un número3.

5 La dénomination des espaces, qui trahit des jeux d’emprise, des enjeux de pouvoir,

signe la ré-appropriation du lieu : nommer, c’est s’octroyer, mais aussi redéfinir. Etdans cet acte définitoire qui entend modifier la perception de l’espace, sinon luiconférer un rôle, le pouvoir forge, au vu mais à l’insu de la plupart des habitants, desimaginaires collectifs. Si l’histoire reconfigure l’espace public, celui-ci remodèleégalement la perception de l’histoire qu’auront ceux qui traverseront cet espace.

6 Historicisation de l’espace ou espaces accordés à l’histoire : les écrits nicaraguayens

dévoilent des espaces sous influence. L’autobiographie de Sergio Ramírez, Adiós

muchachos (1999) qui porte sur la révolution et s’apparente à un témoignage, évoqueelle aussi cette Place de la République devenant, un historique 20 juillet 1979, la Placede la Révolution puisque c’est dans cet espace que celle-ci célèbre son triomphe4. De laRépublique à la Révolution, les termes choisis resémantisent l’espace, délaissant uneforme d’organisation politique au profit de l’idée de renversement, de transformationprofonde — des institutions, de la société, des valeurs, et partant de la conscience et del’inconscient collectifs5.

7 Ici le pouvoir s’exprime par l’intextuation de la ville, assimilable à un corps sur lequel il

laisse l’empreinte des nouveaux maîtres. L’espace public, forcé au mimétisme, devientreflet spéculaire du pouvoir, sinon sa vitrine. À cet égard, les noms des places deManagua sont révélateurs de ce que, entre histoire et politisation, la ville “incarne” lespratiques discursives des vainqueurs : ainsi, la « Plaza 19 de Julio » va-t-elle supplanter,pour les célébrations de l’anniversaire de la révolution, la « Plaza de la Revolución » —les sandinistes préférant à la notion de bouleversement (qui n’a plus lieu d’être une foisla révolution institutionnalisée) l’ancrage temporel de la date historique et mémorablede la victoire — mais ladite place disparaît peu après 1990, année de la défaiteélectorale des sandinistes. La Place Carlos Fonseca (du nom du mythique co-fondateurdu Front Sandiniste de Libération Nationale) devient quant à elle, dans les années 90, la« Plaza de la Fe “Juan Pablo II” »6. Et comment ne pas mentionner la « Plaza de lasVictorias » également appelée « Plaza del Fraude » selon que la nomme un sandinisteou un opposant ?7

8 Les corrections nominatives apportées à l’ancienne Avenue Roosevelt — tristement

célèbre dans le pays en raison du massacre qui s’y est déroulé le 22 janvier 1967,d’ailleurs remémoré dans le roman d’Erick Aguirre, Un sol sobre Managua — constituent

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un exemple tout aussi frappant de politisation et d’historicisation de l’espace. Cetteavenue, affublée en 1945 du nom Roosevelt sous l’ère Somoza en l’honneur du présidentnord-américain, après la victoire des Alliés lors de la seconde Guerre Mondiale,également connue comme la « Avenida del Comercio », et dans une moindre mesure« Avenida Central », puis rebaptisée « Avenida Sandino » au temps desrévolutionnaires, est une artère fondamentale localisée dans le centre historique deManagua8.

9 Mais l’intérêt de cette avenue réside moins dans cette confusion d’odonymes que dans

sa dernière fonction ou mission : quoique le tremblement de terre de 1972 ait détruit laplupart des édifices, cet espace souvent choisi pour des événements politiques illustreplus que d’autres la volonté, de la part des sandinistes, d’historiciser l’espace public.Cette avenue qui occupe un espace dans l’histoire du pays, rend à l’histoire — du moinsà l’un de ses chapitres — un espace d’envergure en devenant le 9 janvier 2010 uneavenue-musée si l’on ose dire : la « Avenida Peatonal General Augusto César Sandino »ou « Paseo Peatonal General Augusto César Sandino », conservant le nom du HérosNational nicaraguayen mais bouleversant les genres.

10 L’avenue déroule en effet, sous les yeux d’un piéton spectateur et lecteur, et sous

l’appellation en un sens contrôlée « Expo Managua : en el recuerdo », les photos-souvenir, entre autres documents, de la vieille Managua et des événements importantsqui s’y sont produits, dans une sorte de « In Memoriam » qui scénifie l’espace urbain.Grands panneaux composés de photos et de textes explicatifs, « murales », jusqu’auMonument du Général des Hommes Libres Augusto César Sandino : cette avenue sui

generis donne à lire l’espace public devenu en quelque sorte livre d’histoire, un axeurbain transmué en axe mémoriel, une spatialité temporalisée. Le président de laCommission de Modernisation de l’Assemblée Nationale, René Núñez a pu affirmer sansambages : « Este proyecto es de trascendental importancia para la memoria histórica deManagua »9.

11 Mais cette mise en texte de l’espace “physique” peut aussi devenir mise en scène

lorsque la dramaturgie orchestrée par le pouvoir rend fortement symboliques les actespublics. De la textualisation de l’espace à sa spectacularisation, l’emprise se poursuit ets’intensifie : la confiscation de l’espace vise la mainmise sur les individus. Dans sonautobiographie Adiós muchachos, un Sergio Ramírez autrefois acteur de la révolution,devenu ici témoin critique, revient sur certains actes publics célébrés sur la Place de laRévolution, notamment les hommages aux morts, manifestement théâtralisés,trahissant une instrumentalisation pathétique du deuil et du travail de mémoire :

Y los muertos, transfigurados por el sacrificio, pasaron a integrar el santoral ; cadasanto, cada mártir celebrado en la fecha de su muerte, de su caída. Y en los actos enla plaza, alguna vez empezó a aparecer una silla vacía, la de respaldo más alto en elsitial de honor, que era la silla de Carlos Fonseca, el jefe ausente de la revolución,pero siempre presente10.

12 Espace tenu de dire l’absence, d’exprimer le vide, discours adressés aux morts, au

silence : l’agora devient ici le lieu d’une stratégie médiatique, emphatique, l’espace où larévolution continue de “se faire”, de se perpétuer et de se nourrir. Dans cette équationentre jeux de pouvoir et jeux d’espace, s’invitent des jeux d’images — représentationsobligent :

Los únicos héroes eran los muertos […]. La tumba era el altar. Las madres enlutadasocupaban la primera fila en cualquier acto público, cargando en el regazo las fotosampliadas de sus hijos sacrificados, las fotos de bachillerato o las de sus

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credenciales de trabajo, o las recortadas de un grupo en una fiesta, en un paseo,todos jóvenes11.

13 La Place se convertit en une sorte de sphère publique, de sphère du discours — une

« logosphère » en un sens12 — visant à manipuler l’opinion publique : elle révèle unespace public devenu à sa façon publicitaire. La place représente plus que d’autresespaces urbains ce cercle ou ce centre sur lesquels le pouvoir qui s’ingénie à“reparamétrer” l’espace met volontiers l’accent13 : dans cet espace scénarisé, ritualisé,le pouvoir attend du public auquel il s’adresse une validation, une adhésion.

14 Et en l’espèce, la logique de l’influence et la légitimation attendue du public sont

favorisées par l’être-ensemble, la rencontre, le rassemblement et la communicationphysiques, — indépendamment et au-delà de « l’être-en-commun » nécessairementprésupposé et produit par l’espace public, d’après Hannah Arendt14. Sur la Place de laRévolution, la valorisation de l’espace, rendu transcendant par des actes collectifsfortement symbolisés, espérait sceller l’unité du groupe autour de valeurs idéologiquessacralisées.

15 On pourrait adapter à ce contexte les considérations de Michel Lussault concernant le

« lieu-événement », lorsque des événements font lieux : la place voit sa valeursymbolique réactivée, rechargée15, le lieu est comme reconstruit autour d’un fait qui àjamais fera date. Le triomphe de la révolution a associé cette place “forte” àl’événement national historique entre tous, faisant entrer simultanément l’histoiredans l’espace, et l’espace dans l’histoire, temporalisant l’espace public devenu épisodeou chapitre et même, lors de chaque acte public commémoratif, moment ou instant.

16 À en croire Salman Rushdie dans son essai Le sourire du jaguar (1986), là n’est pourtant

pas l’unique espace à prolonger, par-delà toute mort, un passé exalté : dès son arrivéeau Nicaragua tenu par les révolutionnaires depuis sept ans, il observe que « le pays [est]plein de fantômes » : « Les fantômes et les martyrs emplissaient les vides et peuplaientles rues. […] au Nicaragua, j’ai souvent eu le sentiment que tous ceux qui comptaientétaient déjà morts ; on les avait immortalisés en donnant leur nom aux hôpitaux, auxécoles, aux théâtres, aux autoroutes »16. Et peu après : « Dans le Nicaragua de “septans” », les murs parlent encore aux morts : Carlos, nous arrivons, disent les graffitis ;Julio, nous n’avons pas oublié »17.

17 Cela étant, le peuple peut contredire ces formes insidieuses de discours dominant en

déconstruisant le texte imposé par le pouvoir à l’espace urbain, en détruisant les“figures” du pouvoir. Par exemple, en avril 2018 et durant les mois suivants, legouvernement sandiniste a dû affronter une vague de protestations (en réponse à sonintention de réformer le système de sécurité sociale) qui s’est exprimée par lerenversement, au sens strict, des « Árboles de la vida » associés au Front Sandinistepuisque ces structures métalliques de quelque 15-20 mètres ont été placées, surl’initiative de Rosario Murillo, la femme de Daniel Ortega (également vice-présidentedepuis 2017), à des endroits stratégiques de Managua possédant une significationpolitique pour les sandinistes18. L’abattement de ces arbres qui s’apparentesymboliquement au déboulonnage des statues, n’est pas sans rappeler la démolition dela statue équestre de Somoza et a valeur d’avertissement envers les sandinistes, lesactes délivrant autant que les mots des messages forts dès lors qu’ils manipulent lessymboles. L’espace “occupé” par le pouvoir devient par là même l’espace privilégié del’opposition.

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18 Nous avons vu que l’espace urbain recueille et grave, sur les murs et parfois en eux, les

mots des morts et de l’histoire, comme autant d’empreintes, d’impressions ostensibleslaissées par un passé ainsi entretenu et ravivé. Quelles traces laissent-elles ou quellesperceptions traduisent-elles chez les managuas ? Entre “petites morts” du pouvoir augré des phases politiques, et morts innombrables de la révolution façonnant une villehantée, les romans conçoivent des espaces dystopiques (détruits ou impurs), etpointent à travers eux une société malade.

2. Espaces dégradés d’une société dysfonctionnelle

19 Comment la fiction relit-t-elle ou recrée-t-elle ces espaces de vie infiltrés par l’histoire

et la mort ? Qu’elle souligne la laideur et la souillure, ou qu’elle se concentre sur lesmarges où maraudent les exclus du centre, la fiction dépeint des espaces dégradés,décadents ou décalés. L’anti-ville ou le monstre de ville que composent ces espaces malagencés, le doit pour beaucoup aux cataclysmes qui ont désolé l’espace et à la déroutede la révolution que les romans de l’après-guerre19 interpellent au travers de l’espacedysfonctionnel, questionnant par le même fait les diverses positions idéologiques, etidéalisées, de naguère. L’espace en dit long ou en dit plus que lui-même, et enl’occurrence la décomposition spatiale insinue la décomposition morale.

20 Les quartiers et les murs de la capitale constituent un support expressif pour illustrer

les blessures de la ville : la récurrence, dans les romans, de la destruction de l’espaceoccasionnée par le tremblement de terre du 23 décembre 1972 qui a dévasté Managua,peut elle aussi être mise en parallèle avec une déconstruction de la société. Ce séisme àl’origine d’au moins 10 000 morts, de centaines de blessés20 et de dégâts considérables, aamené habitants et romanciers à parler d’une ville morte. Dans son roman Un sol sobre

Managua (1998), Erick Aguirre revient plus que d’autres sur cette mort de l’espace, qu’ils’agisse du cataclysme de 1931 laissant un « cadavre de ville »21 ou de celui de 1972 quiplonge la ville dans les ténèbres : « dejó de existir », « agonía », « defunción »,« desaparecido », « destrucción », « muerte de Managua » s’enchaînent alors22, offrantla vision apocalyptique d’une ville gisant sous un soleil noir et une lune de sang.

21 Il ne reste « rien », rien de rien, ou rien que des « ruines » et des « décombres » maintes

fois redits, des débris de murs dans un espace urbain devenu cimetière, où même lesvivants, comparés à des fantômes, « quedaron sepultados », la mort dans l’âme23. Lenarrateur de El espectador (2013) de Javier González Blandino, revient sur cettecatastrophe dont les morts ensevelis continuent de hanter le lieu, de murmurer dansles murs, d’empreindre un espace bruissant de paroles — textes ou voix —, un espaceinvitant à être lu autant qu’à être entendu :

Aquellos lamentos que se seguían escuchando incluso semanas después delterremoto, cuando se caminaba por las calles, y uno ya no sabía si era que estasvoces se habían quedado grabadas para siempre en la memoria de todos, o que aúnhabían cuerpos atrapados debajo de los cascotes de cemento y las grietas de latierra. Y era lo segundo, estoy seguro, ahora lo estoy. Y entonces se quedaron aquíentre nosotros : vivos entre la piedra y muriéndose para siempre. Vidas y cuerposfronterizos, ésta debe ser la innegable identidad de Managua24.

22 Consécutivement au séisme, Managua se trouve dépourvue de centre, lit-on dans les

fictions signifiant par là que l’espace est désintégré jusqu’à son noyau : qu’il s’agisse de« una ciudad que de repente se desplomó y se dispersó como tolvanera por todos loscontornos abandonando su tradicional centro » dans Rostros ocultos, ou d’une ville « sin

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centro, descentrada » dans Un sol sobre Managua25. Cette perte du centre, commed’autres perdent le nord, signe une perte du sens.

23 Cet espace qui a vu disparaître ses repères ne s’offre pas à lire qu’en terme de

désorientation, c’est également un espace livré à l’informe — au difforme ou à l’infirme— en raison d’un semblant de reconstruction, faite dans l’urgence et anarchique :« Managua vino creciendo “a la buena de Dios”, es decir, desparramada irregularmentealrededor de lo que fue su centro […] dando como resultado un verdadero infiernopoblacional », lit-on dans Un sol sobre Managua qui observe la « caótica urbanidad deManagua »26. Rostros ocultos ne dit pas autre chose : « Y es que la ciudad ha crecido comoha querido, es una cosa amorfa que tiene vida propia ; de repente un barrio nuevo poraquí y otro por allá, un asentamiento espontáneo que se instala en un inmenso predio ouna nueva urbanización que se extiende por el Sur »27. Absence de contrôle et destructure donnent lieu à ce “non-lieuˮ incontrôlé et déstructuré, ne sachant se délivrerdu chaos créé par le cataclysme.

24 Cette ville parsemée d’espaces vides, de trouées qui sont autant d’espaces morts ou

laissés à l’abandon, ainsi que la reconstruction chaotique de l’espace de tous en micro-espaces incohérents, amènent Carlos M-Castro à penser, dans un article sur El

espectador, que l’impossibilité d’être du narrateur reflète celle de la ville : « es al final decuentas la imposibilidad que comparte Managua como proyecto urbanístico. Laperniciosa condición de metrópoli inconclusa, de promesa rota, de esperanza vana »28.Le roman Un sol sobre Managua, alors qu’il s’intéresse aux quartiers disparates de lacapitale, paraît souligner un défaut de cohérence, comme une fragmentation interne :« Managua es una ciudad fragmentada, dueña de una geografía difícil. […] En fin, no hayuna sola Managua, sino muchas… »29.

25 Si l’espace urbain constitue, au-delà d’une réalité concrète, un fait symbolique, culturel

et anthropologique30, indissociable des êtres qui la composent, et si l’on admet quel’espace existe en fonction de celui qui l’observe, on prend la mesure, en l’occurrencedramatique, de l’impact de cette désorganisation urbaine et de ces simulacres derestauration : séismes et révolution n’abîment pas uniquement l’espace mais égalementl’esprit du lieu, la relation que les individus entretiennent avec leur spatialité, le sensqu’elle revêt à leurs yeux.

26 Dans Un sol sobre Managua, des préfixes révélateurs de la négation ou de l’inversion

disent la perte de sens : « destrucción », « desorientación », « estamos integralmentedescoyuntados »31 ; les habitants s’avèrent aussi égarés psychologiquement ouidéologiquement, déconcertés, désenchantés : sans plus de repères spatiaux, dont onsait l’importance psychologique et affective dans la constitution d’une identité, despersonnages mimétiques, décentrés et parfois desaxés, “absorbent” et répercutent lenon-sens dans lequel ils évoluent, nous y reviendrons. Sans doute peut-on appliquer iciles considérations d’Abraham Moles et Élisabeth Rohmer dans Psychosociologie de

l’espace : l’espace, en tant qu’il est champ de valeurs et métaphore du système social,existe en référence à un sujet ou par ce qui le remplit, mais il est également source decomportements32.

27 Chargé de sens par la représentation que l’on (s’)en fait et les imaginaires projetés sur

lui, l’espace n’est jamais neutre. La plupart des auteurs dépeignent une ville hideuse,notamment Erick Aguirre dans Un sol sobre Managua { XE "Aguirre" }: « Fea antes,horrible después y peor ahora. […] La ciudad más fea de América »33. Cet espace estsouvent défini par la négation et la négativité en raison de son aspect chaotique et sale.

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Nombre de romanciers recourent à une sémantique de l’impur à l’instant de dénoncerle lac dépotoir de Managua. Dans Pasada de cuentas de Manuel Martínez, ce sont laputréfaction et l’infect qui prédominent :

Este país de lagos y volcanes, también es de lagos sucios y contaminados : es unestercolero líquido que fluye por sus vertientes y depositarios. Es un dechado dedesechos y desechos, repletos de detritus humano, talvez por eso nunca termina desalir de la cloaca. Es un cuerpo en descomposición permanente : putrefacto, materiapútrida, fétido, por donde se aprieta sale pus : se vive en un estado purulento. Escomo si un enorme tórsalo hubiera entrado debajo de la epidermis del tejido socialy no cesara de horadar, de perforar en barreno que va dejando un reguerosanguinolento y el tufo de lo podrido34.

28 L’espace révèle plus que lui-même, avons-nous dit, il sert en l’occurrence la critique

d’une société gangrenée par la corruption. Sergio Ramírez { XE "Ramírez" } s’intéresse,dans plusieurs articles postés sur son blog en 2007, à La Chureca, une décharge prochedu lac, et à ces familles survivant grâce au commerce des immondices dans un espacefatalement immonde : « Basura, montañas de basuras sobrevoladas por los zopilotes.Legiones de desocupados, familias enteras, buscan entre los deshechos35 ». Il étendd’ailleurs cette souillure à toute la ville : « Por décadas, Managua ha ensuciado sinpiedad las aguas de su lago de cristal. […] Una ciudad fecal36 ».

29 Loin des anciennes utopies, l’espace urbain déroule le tableau de la dystopie, d’une ville

blessée ou sacrifiée, particulièrement à la nuit tombée si l’on en croit Sergio Ramírezévoquant une Managua nocturne aux veines ouvertes37, ou Franz Galich dans Managua,

salsa city (2000) qui, à l’heure crépusculaire, démonise l’espace : « A las seis en punto dela tarde, Dios le quita el fuego a Managua y le deja la mano libre al Diablo. […] Managuase oscurece y las tinieblas ganan la capital »38.

30 L’espace de la nuit colore douloureusement l’espace de la ville, la spatialité une fois

encore se temporalise, levant le voile sur les bars, motels et autres espaces obscurs oùtrafiquent délinquants et prostituées, entre autres personnages allégoriques desmarges. L’espace parallèle s’avère tout aussi temporel que spatial, la périphérieapparaît avec la nuit et fait apparaître une exclusion sociale amplement abordée dansles romans.

31 Dans Un sol sobre Managua, les bars, espaces de parole libre et informelle par excellence,

permettent également de révéler la désillusion des personnages dans les années 80-90,notamment celles des protagonistes, deux jeunes journalistes qui, en compagnie d’unpoète le plus souvent, font chaque soir le tour des tavernes des quartiers ouest de laville, ainsi qu’on peut le lire dès le deuxième paragraphe :

Sólo unas horas antes había recorrido las calles, había entrado y salido de los baresdonde sostuvo largas conversaciones con amigos y compañeros de juerga, connuevos y antiguos vecinos que a la hora del ángelus emergen de oscuros cuchitrilesy abarrotan las cantinas donde se sientan a platicar39.

32 Le récit s’ouvre donc sur l’espace animé d’un bar où des intellectuels et des journalistes

devisent, dans un langage quotidien et parfois colloquial, sur différents thèmes enrapport avec l’histoire, la culture, les problèmes socio-politiques, comme en recherched’une identité collective visiblement en crise. Cette quête incertaine émerge ducontexte urbain de Managua dont on découvre l’espace confus ou déséquilibrécorrélativement au sentiment d’impuissance et au scepticisme qui caractérisent leshabitants. Aussi bien, deux termes rendent compte de l’état d’esprit des protagonistes

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rendus apathiques par une société conditionnante d’après le narrateur : « Alcohol yDesencanto »40.

33 Dans cet espace urbain représentatif d’un malaise, les personnages se caractérisent par

le désenchantement, voire le cynisme, et alimentent ou subissent une violenceprégnante — une violence qui semble parfois la seule parole possible des exclus. DansUn sol sobre Managua d’Erick Aguirre, où est dépeinte une jeunesse à l’image de ladéfaite, le protagoniste meurt poignardé de nuit dans le « labyrinthe » ou les « obscursrecoins » des quartiers pauvres de la ville41.

34 Il ne faudrait pas en conclure que les écrits fictionnels s’en tiennent à la description

d’espaces invalides et invalidés. Quoique la mort envahisse le lieu ou que la violence s’yrépande, la plupart des auteurs recréent le lien, entre parole, écriture et mémoire, nonplus une mémoire manipulée par le pouvoir mais celle qui restitue le passé de cesespaces malmenés, parfois tronqués, celle aussi qui sonde l’intangible esprit du lieu.

3. Espaces du lien : entre parole, écriture et mémoire

35 Certains romans s’intéressent à l’esprit du lieu, mettent en valeur le sens du lien,

explorent un rapport plus affectif à l’espace ou l’espace dans son rapport au collectif.Rues, quartiers, bus, sont autant de fragments ou de “décors” de l’espace urbainauxquels recourent les romans pour dire la relation à l’espace et à l’autre.

36 Dans El espectador, les survivants du tremblement de terre, comme en besoin de

mémoire face à un passé arraché, restent attachés à la configuration de l’ancienneManagua : « en esta ciudad todo es una evocación, un pasado que sigue siendo sindetenerse, una ausencia ; y las direcciones que se dan o los lugares que han quedadotienen esta nostalgia : “de donde fue tal parte…” “de donde fuera tal cosa” o “el antiguocine…” “la antigua catedral »42. Rostros ocultos également prête à son narrateur desremarques sur le désordre proverbial de la ville dont les adresses de rues consistent endes références de lieux qui bien souvent n’existent plus, les managuas préférant auquadrillage rationnel des axes cardinaux, la coutume, le souvenir :

Aquí, en la capital de Nicaragua, ese asunto de autopistas, avenidas y callesordenadamente numeradas de Este a Oeste y de Norte a Sur no existe en la rutinariaorientación de los habitantes y los visitantes. […] Es más fácil seguir la brújula de lacostumbre, de la tradición […]. Si un nuevo visitante viene a la ciudad, tiene quebuscar las referencias básicas, la rotonda tal por un lado, la estatua de tal, el edificiode fulanito, la compañía equis, de donde fue tal cosa, etcétera ; si no lo hace sepegará una gran perdida, aunque no faltará alguien que lo encuentre y loreoriente43.

37 Si le pouvoir renomme, aspirant bien souvent à façonner une mémoire idéologique, les

habitants privilégient un rapport plus instinctuel à l’espace, approchant l’espaceréticulaire objectif — et d’une certaine manière inexpressif — de façon affective, enutilisant les noms de toujours, les noms du passé, connus et transmis au fil desgénérations, les noms de l’enfance. La mémoire des individus résiste ici aux politiques,aux modes, au caractère manipulateur de l’espace public, établissant avec ce dernier unlien spontané, en un sens viscéral ou intime.

38 Un sol sobre Managua ne dit pas autre chose, qui se concentre sur le lien des habitants à

l’espace urbain ainsi qu’au lien des habitants entre eux à l’intérieur de cet espace. Leroman montre bien comment la perception que les personnages ont de la ville ne

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dépend pas d’une observation objective et dénuée d’affects qui réduirait celle-ci à unespace géographique ou géométrique, mais d’une approche subjective au travers delaquelle les individus entrent en relation avec l’espace, le faisant exister en sel’appropriant, le faisant vivre grâce à ce qu’ils ressentent, par le lien même qu’ilsétablissent avec lui. On retrouve ici la réflexion de Moles et Rohmer dansPsychosociologie de l’espace, à propos de l’appropriation de l’espace : celui-ci n’est passeulement défini par son identité, il est devenu « le mien »44.

39 L’espace de la ville rend possible la relation parce qu’il est un discours. L’auteur de El

espectador affirme dans un essai publié à la même période que le roman : « [L]a urberesulta ser un texto »45, un texte que le flâneur découvre dans les différentes acceptionsdu terme, un texte qu’il détruit et reconstruit également au gré de sa propre lecture del’espace. L’espace communique silencieusement avec ses habitants : il leur parle aumoyen des noms, des images, des formes ou des sons qui le définissent, le spécifient etle déterminent ; ils lui parlent en l’habitant, en le parcourant, en le regardant, autantde façons de le lire et/ou de l’écrire, de le réécrire, de l’inventer indéfiniment. De luidonner un sens.

40 L’espace du lien, ce n’est pas uniquement le sentiment d’appartenance des habitants,

c’est aussi la communauté qui, comme l’expliquent Moles et Rohmer,

n’est pas seulement un foyer de valeurs dans un espace abstrait de représentations.C’est d’abord un lieu du monde où de quelconque façon se retrouvent les êtres. Unepsychologie de la communauté sera une psychologie de la rencontre. Lacommunauté c’est un lieu chaud, c’est le lieu virtuel d’un certain type de chaleur46.

41 Cette « dimension expérientielle de la pratique spatiale et sociale » ne ressortit pas

nécessairement à un sentiment de « coappartenance durable »47 mais peut se produireau cœur de la mobilité, de la fugacité comme en témoigne le narrateur de Rostros

ocultos, un roman tout entier consacré aux gens des bus collectifs, cet espace mouvantdans l’espace urbain, cet espace d’échanges fugitifs entre passagers, des êtres depassage aux expériences passagères comme autant de petits riens du quotidien quipourtant nourrissent l’espace.

42 Entre proximité des corps et échanges sincères, le roman déroule en effet une galerie

de portraits et de rencontres, valorisant la notion de partage au moyen de la récurrencedu verbe « compartir » : « compartíamos el espacio común del bus colectivo »48. Partagede l’espace et du temps, d’expériences de vie et d’émotions, de mots et de regards,jusqu’aux odeurs parfois, l’espace collectif du bus recèle de “fluides”. Le texte insistesur la compénétration et la solidarité qui naissent en cet espace particulier devenant lelieu d’un discours autre, d’une manière d’être à l’envers du discours dominant, froid etuniformisant, dans lequel la personne disparaît au profit des seules données socio-économiques :

También en los buses he construido parte de lo vivido y a partir de esa existencia,escribo. Desde allí puedo entenderme y comprender a la gente que comparteconmigo la ciudad, ver los reflejos sociales y los comportamientos […], encontrar elsentido humano y el despertar de la solidaridad en medio del discurso frío ymaterial de la globalización política y comercial, del mercado que todo pretendevenderlo y comprarlo.Puedo ver siempre ahí, en medio de la aparente indiferencia y de los males que nosaquejan, al menos una pizca de generosidad49.

43 Dans cette “enceinte” qui recrée du lien, l’espace s’humanise pour ainsi dire. Le

collectif ne signifie pas ici la désindividualisation mais au contraire une rencontre de la

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personne qui n’est pas sans rappeler « l’épiphanie du visage » de Lévinas : ces visages« ocultos » de l’intitulé — cachés parce que le narrateur s’assied d’abord au fond du buset voit les personnes de dos, mais aussi parce qu’ils sont anonymes, mêlés au flux despassagers qui vont et viennent — sont parfois révélés, dans leur humanité, leur fragilitéet leur force, par la relation du narrateur qui échange avec eux. Chez Lévinas,l’expérience du visage, dévoilé dans sa vulnérabilité, investit l’autre de saresponsabilité et consiste donc en une expérience éthique. De fait, l’auteur dit espérer,dans les commentaires de la troisième édition, que son livre nous amène à regarder lesautres différemment, à ne plus être indifférent.

44 L’écriture joue ici un rôle primordial puisque c’est en écrivant l’espace ou sur l’espace

que les auteurs entendent changer le regard porté sur lui et sur l’autre. Entre les écritssur les murs de l’espace urbain et l’écriture de ce dernier dans l’espace scriptural duroman, écriture et espace ont beaucoup à partager. Les auteurs font œuvre de mémoire,écrivent un espace retrouvé. Cela est particulièrement notable dans Un sol sobre

Managua où, contre la mort, le vide, le non-sens laissés par le tremblement de terre, unnarrateur résilient parcourt la ville et son histoire, sa mémoire — grâce à de nombreuxdocuments et témoignages qui conforment une polyphonie salutaire — pourreconstituer, et en un sens restituer aux managuas l’espace de vie, comme unerétrocession après quelques décennies cédées à la mort. Erick Aguirre lui-mêmeexplique que :

Yo crecí escuchando a mis mayores añorar constantemente, casi hasta el llanto, laManagua de ese tiempo. Hoy lo que queda son sus cimientos mezclados entrehierros retorcidos y los esqueletos de algunos edificios. Quedan también las viejasdirecciones o los viejos referentes de su desaparecida urbanidad (El Arbolito, LaHormiga de Oro, La Mansión Teodolinda). En realidad son direcciones fantasmasque perduran en la memoria de la gente y que son evocadas con una recónditanostalgia, la del amor colectivo a una ciudad postrada50.

45 C’est à cet amour des managuas pour leur ville et à cet esprit collectif que l’auteur dit

rendre hommage dans son roman. Les sorties nocturnes des deux journalistes duroman, de bars en tavernes — des espaces de socialité et de plaisir et, comme tels, desespaces “vivants” —, s’avèrent un itinéraire aussi spatial que temporel, chargé demémoire, d’autant qu’au gré des conversations animées entre les habitués des lieux,émergent les souvenirs de l’ancienne Managua d’avant le tremblement de terre, dessouvenirs des quartiers ou des faits qui constituent des archives vivantes de la ville.Rendre la mémoire de leur espace aux habitants effondrés eux aussi, ne revient pasuniquement à sauver la ville de ses cendres, mais également à déblayer des ruinesintérieures, à insuffler le sens de la reconstruction, puisqu’individus et espace“respirent” à l’unisson. Cette démarche anamnestique amène d’ailleurs le narrateuraux temps presque immémoriaux qui expliquent l’origine des noms, leur étymologie,laquelle rejoint le mythe :

el nombre original de esta ciudad era Man-a-hua […], “Agua grande encerrada”,“gran agua cercada”. Era el nombre común del pequeño gran lago, consagrado alGemelo Menor Xolotl (Xolotlán), hermano de Coapol (Cocibolca), la pareja míticamás importante del panteón nahua nicaragüense. […] los nahuas fundaron la ciudadde Managua51.

46 En débusquant l’identité profonde, première, de l’espace, le narrateur aspire sans doute

à comprendre qui sont les managuas et, en dernière instance, qui il est, puisque lecontexte dans lequel on évolue participe de l’identité de chacun. L’histoire et l’espace

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collectifs, qui le dépassent et le contiennent, façonnent aussi l’individu qui ne peut faireabstraction de leur influence.

47 Dans Rostros ocultos également, un narrateur assigné à résidence en raison de la

maladie, rédige spontanément des morceaux de vie, essentiellement des souvenirs del’espace collectif du bus, qui seront rassemblés ensuite dans l’ouvrage que tient lelecteur. À l’instar du roman précédent, l’écriture qui produit d’abord un ensemblefragmenté, est ensuite mise en ordre, et suppose une reconstruction qui permet, outreune compréhension de soi, une compréhension de l’espace — pour personnelle etsubjective qu’elle soit —, une exploration de ce qui s’y joue au-delà des faits quotidiens,de l’espace “intime” ou d’une autre dimension de l’espace qui en définitive le sublime.

48 Cette révélation de la beauté invisible de l’espace, fût-il détérioré, parce que la matière

importe moins ici que ce qu’elle recèle ou ce qu’on peut en extraire, émane d’une visionprofonde ou pénétrante de l’espace envisagé moins comme objet que comme promesse,comme virtualité. Le roman, qui souligne la valeur de la rencontre, de l’échange, de lasolidarité, laisse entendre finalement qu’en tout espace public ou collectif, réside unegrandeur ou une splendeur, pour peu que le regard la perçoive et l’exprime, pour peuque les comportements l’humanisent. Et l’écriture qui s’en fait l’écho ici, rappellechacun à sa responsabilité.

49 Les écrits nicaraguayens s’intéressant à Managua, déroulent des espaces sous influence

ou “sous dissidence”, dégradés ou morts le plus souvent, mais aussi recréés ouresémantisés dans les romans. Au-delà de la socialité, ces espaces peuvent en direbeaucoup sur un rapport à l’autre qui ressortit à l’histoire, à une conscience et sansdoute un inconscient collectifs rémanents. Ces espaces, pour publics qu’ils soient,renvoient à l’intime, à une dialectique extériorité-intériorité qui est aussi unedynamique d’échange de soi à l’espace, de l’espace à soi. Les romanciers inspirés par cesespaces urbains de Managua dépeignent aussi des espaces vivants d’une certaine façon,dont on perçoit le souffle plus que l’atmosphère, la voix plus que les mots sur les murs.Espace de vie, de survie parfois, mais aussi de résilience, grâce à l’écriture et à lamémoire, cette écriture qui en littérature a toujours le dernier mot, et qui enl’occurrence transfigure l’espace.

NOTES

1. Les romans qui nous intéressent embrassent une période allant de la fin des années 1990 aux

années 2010 ; les écrits journalistiques ont été publiés au début des années 2010. Tous se réfèrent

à des faits ou événements historiques qui se sont produits entre les années 1970 et 2000.

2. Francisco Javier BAUTISTA LARA, Rostros ocultos, Buenos Aires, Editorial Argenta Sarlep, (3ª

edición), 2009, p. 170.

3. Ibid., p. 170-171. La fontaine lumineuse a été enlevée par Daniel Ortega dès son retour au

pouvoir, afin de récupérer la Place de la Révolution, mais cette place jadis emblématique n’est

plus guère utilisée par les sandinistes. Voir Eduardo CRUZ, « La capital de las plazas

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abandonadas », Managua, La Prensa, 8 mai 2011. https://www.laprensa.com.ni/2011/05/08/

politica/59857-la-capital-de-las-plazas-abandonadas

4. Sergio RAMÍREZ, Adiós muchachos. Memoria de la revolución sandinista, Madrid, México, El País/

Aguilar, { XE "Aguilar : Rosario" }, 1999, p. 188.

5. La Place de la République, ainsi baptisée en 1946 sous l’ère Somoza, a elle-même été construite

sur la « Plaza del Cacique Tipitapa » où, disait-on, étaient inhumés dix mille lanceurs de flèches

indiens. http://www.radiolaprimerisima.com/noticias/generica/14804/la-plaza-de-managua-y-

la-historia/

6. C’est là que le Pape Jean-Paul II officia la messe lors de sa seconde venue au Nicaragua en 1996,

sur l’invitation de la présidente Violeta Chamorro. Cette place, considérée dans les années 90

comme la plus grande d’Amérique centrale, est la plus importante du pays avec la Place de la

Révolution.

7. Avant ces noms contradictoires, cette place accueillait les meetings d’un candidat libéral aux

élections municipales de 2008, mais c’est le candidat sandiniste qui remporta la Mairie de

Managua et il célébra sa victoire sur cette place dès lors renommée « de las Victorias » tandis que

les opposants, criant à la tromperie, la nomment « del Fraude ». Pour ces informations

concernant les différentes places, on pourra consulter l’article d’Eduardo CRUZ, « La capital de las

plazas abandonadas », op.cit. https://www.laprensa.com.ni/2011/05/08/politica/59857-la-

capital-de-las-plazas-abandonadas

8. À Managua, les références à Sandino ne manquent pas : noms ou monuments, tous révèlent

l’héroïsation, l’iconisation, du rebelle patriote, à commencer par la célèbre silhouette de Sandino

se détachant sur la Loma de Tiscapa, en lieu et place des anciens “quartiers” de Somoza. Cette

grande figure d’acier d’une hauteur avoisinant 20 mètres, visible depuis la plupart des espaces de

la capitale, a été réalisée en 1990 par Ernesto Cardenal (qui en rêvait depuis longtemps) à la

demande des sandinistes qui venaient de perdre les élections et en demandèrent l’exécution

rapide ; elle a été inaugurée trois jours avant la passation de pouvoir avec Violeta Chamorro. Voir

« Monumento al General Augusto César Sandino » : http://www.manfut.org/monumentos/

sandino.html

9. Matilde CÓRDOBA, « Avenida Sandino será peatonal », Managua, El Nuevo Diario, 14 octobre 2009.

https://www.elnuevodiario.com.ni/politica/59385-avenida-sandino-sera-peatonal/

10. Sergio RAMÍREZ, Adiós muchachos, op. cit., p. 45.

11. Ibid., p. 46.

12. Régis DEBRAY, Cours de médiologie générale, Paris, Gallimard, 1991, p. 388.

13. Estelle FERRARESSE, Éthique et politique de l’espace public. Jürgen Habermas et la discussion, Paris,

Vrin, 2015, p. 39.

14. Ibid., p. 41.

15. Michel LUSSAULT, Hyper-lieux. Les nouvelles géographies de la mondialisation, Paris, Seuil, 2017,

p. 122.

16. Salman RUSHDIE, Le sourire du jaguar, Paris, Éditions Stock, 1987, p. 16 puis 18.

17. Ibid., p. 20.

18. Ces Arbres de la vie — quelque 140 — qui ont commencé à “reboiser” la ville en 2013, ont été

placés le long de certains grands axes, à l’ombre du monument à Sandino ou autour de la

« Rotonda Hugo Chávez » où se trouve une construction à l’effigie de l’ex-président vénézuélien,

en son temps bienfaiteur économique du pays.

19. À partir des années 1990. Voir à ce sujet l’ouvrage d’Erick AGUIRRE, Subversión de la memoria.

Tendencias en la narrativa de postguerra, Managua, Centro Nicaragüense de Escritores, 2005.

20. « Les séismes les plus meurtriers de ces dix dernières années », Le Monde, 13 octobre 1980.

L’article parle également de 20 000 disparus. http://www.lemonde.fr/archives/article/

1980/10/13/les-seismes-les-plus-meurtriers-de-ces-dix-dernieres-annees_2809920_1819218.html

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21. Erick AGUIRRE, Un sol sobre Managua, Managua, Editorial Hispamer, 1998, p. 255.

22. Ibid., p. 63. On pourra consulter, pour le traitement de l’espace dans ce roman, l’étude de

Carlos Manuel VILLALBOS : { XE "Villalobos" } « Castígame con tus deseos. Los umbrales de

Managua en la novelística de Aguirre { XE "Aguirre" } y Galich { XE "Galich" }», Inter Sedes, vol. IV

(6-2003), p. 125-133.

23. Ibid., p. 16.

24. Javier GONZÁLEZ BLANDINO, El espectador, Managua, Fondo editorial Soma, 2013, p. 76.

25. Javier Francisco BAUTISTA LARA, Rostros ocultos, op. cit., p. 166. Puis Erick AGUIRRE, Un sol sobre

Managua, op. cit., p. 256. Une analyse plus approfondie est proposée dans l’ouvrage de Nathalie

BESSE, Les romans nicaraguayens : entre désillusion et éthique (1990-2014), Paris, L’Harmattan, 2018. On

y retrouvera les différents romans étudiés ici.

26. Ibid., p. 238 et p. 58.

27. Javier Francisco BAUTISTA LARA, Rostros ocultos, op. cit., p. 165-166.

28. Carlos M-CASTRO { XE "M-Castro" }, « Managua : La tentativa imposible », Managua, NotiCultura,

22 de noviembre de 2013.

29. Erick AGUIRRE, Un sol sobre Managua, op. cit., p. 47.

30. Bernard LAMIZET, Pascal SANSON, Les langages de la ville, Paris, Éditions Parenthèses, 1997, p. 6.

31. Erick AGUIRRE, Un sol sobre Managua, op. cit., p. 47.

32. Abraham MOLES, Élisabeth ROHMER, Psychosociologie de l’espace, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 25.

33. Erick AGUIRRE, Un sol sobre Managua, op. cit., p. 257.

34. Manuel MARTÍNEZ, Pasada de cuentas, Managua, Centro Nicaragüense de Escritores, 2008, p. 244.

35. Sergio RAMÍREZ, « Managua, basura, montañas de basura », 18.9.2007, El Boomeran(g). Chaque

jour, 1800 tonnes de déchets arrivaient à La Chureca, on disait que c’était la décharge à ciel

ouvert la plus grande d’Amérique latine, 200 familles vivaient de ces ordures, soit 1200

personnes. Une vidéo de la Coopération Espagnole AECID qui a fourni des fonds conséquents pour

en finir avec ce déversoir, montre la transformation spectaculaire de La Chureca en un lieu de vie

et de réhabilitation pour les familles les plus pauvres qui y survivaient : « La Chureca. Historia de

una transformación ».

36. Sergio RAMÍREZ, « Managua, el lago de aguas negras », 11.9.2007, El Boomeran(g).

37. « Una vida nocturna paupérrima, la hora de las ilusiones fementidas y de los pecados

capitales de la capital, que brillan como si fueran llagas, la hora en que Managua se abre las venas

para verter toda la sangre a sus pies ». Sergio RAMÍREZ, « Managua, hora de quedarse », 20.9.2007,

El Boomeran(g).

38. Franz GALICH, Managua, Salsa City (¡Devórame otra vez !), Panamá, Editora Géminis, Universidad

Tecnológica de Panamá, 2000, p. 1. La revue Istmo (revue d’études littéraires et culturelles centre-

américaines) consacre un dossier à cet auteur : « Franz Galich { XE "Galich" } – un “subalterno

letrado” que ha renovado las letras centroamericanas », n° 15, juillet-décembre 2007. On se

reportera plus particulièrement à l’article de Jeff BROWITT, « Managua, Salsa City : El detrito de

una revolución en ruinas » ; ainsi qu’à celui d’Erick AGUIRRE, « Franz Galich { XE "Galich" }, : la

narrativa de la intrahistoria ».

39. Erick AGUIRRE, Un sol sobre Managua, op. cit., p. 13.

40. Ibid., p. 281.

41. Ibid., p. 304. On peut lire : « Ellos eran la mejor imagen de la derrota. Una juventud que había

luchado con convicción por defender la revolución y ahora se quedaban de repente sin asideros »,

p. 244. On les voit « apolíticos, escépticos », p. 283.

42. Javier GONZÁLEZ BLANDINO, El espectador, op. cit., p. 77.

43. Javier Francisco BAUTISTA LARA, Rostros ocultos, op. cit., p. 165.

44. Abraham MOLES, Élisabeth ROHMER, Psychosociologie de l’espace, op. cit., p. 23.

45. Carlos M-CASTRO { XE "M-Castro" }, « Managua : La tentativa imposible », op. cit.

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46. Abraham MOLES, Élisabeth ROHMER, Psychosociologie de l’espace, op. cit., p. 129.

47. Michel LUSAAULT, Hyper-lieux, op. cit., p. 57 et 61.

48. Javier Francisco BAUTISTA LARA, Rostros ocultos, op. cit., p. 154.

49. Ibid., p. 87 et 107.

50. Dans Elizabeth UGARTE FLORES, « Espacio urbano e identidad en “Un sol sobre Managua” »,

Managua, El Nuevo Diario, 6 mai 2000.

51. Erick AGUIRRE, Un sol sobre Managua, op. cit., p. 30.

RÉSUMÉS

Divers écrits nicaraguayens des vingt dernières années révèlent, lorsqu’ils s’intéressent à

Managua, une historicisation de l’espace, perceptible dès l’onomastique qui traduit des enjeux

politiques et discursifs, instrumentalisant le lieu. Cette mise en texte de l’espace physique peut

être pathétisée par une mise en scène qui rend puissamment symboliques les actes publics. Les

romans dépeignent également des espaces dégradés ou décentrés, livrés à une sémantique du

non-sens, pour mieux signifier une société dysfonctionnelle à l’image d’un peuple dérouté après

la défaite de la révolution en 1990 et la perte des référents idéologiques. Mais la réponse

fictionnelle à la dystopie consiste précisément à reconstruire l’espace du lien, plus instinctuel

qu’idéologique, à rappeler la dimension expérientielle ou affective de l’espace, et l’esprit du lieu

en tant qu’il est communauté d’hommes : en s’immergeant dans des espaces tout à la fois publics

et intimes, les auteurs qui font aussi œuvre de mémoire conçoivent un espace retrouvé.

Various Nicaraguan writings of the last twenty years reveal, when they are interested in

Managua, a historicalization of space, perceptible from the onomastic, which translates political

and discursive issues, instrumentalizing the place. This textualization of the physical space can

be pathetized by a staging that makes public acts powerfully symbolic. The novels also depict

degraded or off-centre spaces, expressed by a semantics of nonsense, to better signify a

dysfunctional society like a people confused after the defeat of the revolution in 1990 and the loss

of ideological referents. But the fictional response to dystopia consists precisely in rebuilding the

space of the link, more instinctual than ideological, in recalling the experiential or affective

dimension of space, and the spirit of place as a community of men: by immersing themselves in

both public and intimate spaces, the authors who also work with memory design a recovered

space.

INDEX

Mots-clés : Managua, historicisation, politisation, révolution, mémoire

Keywords : Managua, historicalization, politicization, revolution, memory

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AUTEUR

NATHALIE BESSE

(Université de Strasbourg, CHER)

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Les personnages du Quichotte dansl’œuvre et la correspondance deSadeIrene Aguilá-Solana

1 En tant que lecteur, Sade est un fin connaisseur des ouvrages de Cervantès ; dans sa

bibliothèque du château de La Coste, il possède les Nouvelles1 et le Quichotte2 et, dans seslieux de détention, ces textes lui sont aussi chers. Le marquis, retenu au donjon deVincennes, sa femme, Renée3, lui envoie deux volumes de l’auteur du Siècle d’Or, bienqu’elle n’en précise pas les titres, ainsi que les douze volumes du Nouveau Don Quichotte4,comme elle l’écrit dans ses lettres du 26 mai et du 10 septembre 17815. Trois mois plustard, lorsque Renée se plaint du mauvais traitement que son mari inflige aux livresqu’elle lui a apportés, ce dernier titre est encore cité : « Surtout, quand les choses ne teconviennent pas, ne déchire ni m’écris dessus, parce que je paye tout ce que tu fais ence genre et c’est de l’argent perdu. [...] le Nouveau Don Quichotte, il faut que je [le]paye »6. Il dispose aussi des Nouvelles, en deux volumes, dans sa cellule de la Bastille en17877. Il s’agit très probablement de la traduction publiée par Coste d’Arnobat etLefebvre de Villebrune en 17778.

2 En tant qu’écrivain, Sade témoigne de son admiration pour le manchot de Lépante,

comme le prouvent les passages explicites qu’il lui consacre dans Idée sur les romans

(1799). Le roman du Quichotte – ouvrage immortel au succès universel –, tout comme lesNouvelles cervantines, qui couronnent définitivement l’écrivain du XVI e siècle, luisemblent magnifiques :

Certes, si la chevalerie avait inspiré nos romanciers en France, à quel degré n’avait-elle pas également monté les têtes au-delà des monts ! Le catalogue de labibliothèque de Don Quichotte, plaisamment fait par Miguel Cervantès, le démontreévidemment ; mais quoi qu’il en puisse être, le célèbre auteur des mémoires du plusgrand fou qui ait pu venir à l’esprit d’un romancier, n’avait assurément point derivaux. Son immortel ouvrage, connu de toute la terre, traduit dans toutes leslangues, et qui doit se considérer comme le premier de tous les romans, possèdesans doute, plus qu’aucun d’entre eux, l’art de narrer, d’entremêler agréablementles aventures, et particulièrement d’instruire en amusant. Ce livre, disait Saint-

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Évremond, est le seul que je relis sans m’ennuyer, et le seul que je voudrais avoir fait. Lesdouze nouvelles du même auteur, remplies d’intérêt, de sel et de finesse, achèventde placer au premier rang ce célèbre écrivain espagnol, sans lequel peut-être nousn’eussions eu, ni le charmant ouvrage de Scarron, ni la plupart de ceux de Lesage9.

3 Celui qu’il qualifie de célèbre auteur sans rival mérite tous ses compliments quant à

l’influence exercée sur nombre d’écrivains français, parmi lesquels il se trouve10. Cen’est pas donc notre but d’insister sur ce point. En revanche, notre analyse portera surun aspect de l’écriture de Sade, tant dans ses textes fictionnels que dans ses écritsprivés, où il manifeste cet attachement pour le chef-d’œuvre de Cervantès. Dans laprésente étude, nous nous pencherons sur la présence des noms de quelquespersonnages du roman espagnol à travers l’antonomase, la métaphore ou lacomparaison. Cet usage linguistique est fourni par le vocabulaire de l’époque11,attestant ainsi de l’importance de la réception de l’ouvrage cervantin en France. Eneffet, très tôt après la première traduction en langue française du Quichotte par CésarOudin en 161412, les répertoires ont recueilli « rossinante » (1633), « maritorne » (1642)et « dulcinée » (1648), comme le souligne Alexandre Cioranescu13. Puis, au XVIIIe siècle,le Dictionnaire comique (1718) de Le Roux explique que le mot « dulcinée » vientremplacer celui de « maîtresse » et que, si on l’emploie avec un adjectif possessif ou uncomplément du nom, il prend une acception familière et moqueuse pour désigner unefemme qui inspire des passions romanesques14. D’autres dictionnaires du tempsn’intègrent plus tous ces noms, comme par exemple la 4e édition du Dictionnaire de

l’Académie (1762), ou leur donnent un sens différent15. Quant au Dictionnaire critique de la

langue française de Féraud (1787-1788), nous y trouvons le mot « dom quichotisme » 16,tandis que le Dictionnaire de l’Académie française ajoute dans sa 5 e édition (1798)« rossinante »17 et « maritornes »18. Enfin, des références à Cervantès et à sa créationlittéraire ont aussi leur place dans l’Encyclopédie19, un ouvrage que Mme de Sade avaitacheté sur la recommandation du marquis, lorsqu’il était prisonnier à Vincennes20.

4 Cependant un tel usage excède l’aspect purement linguistique chez l’auteur des

Lumières pour devenir une ressource stylistique sur laquelle nous allons nous pencherdans cette étude. Parmi les noms issus de l’ouvrage cervantin qui étaient présents dansles dictionnaires de l’époque, seuls « Dulcinée », « don Quichotte » et « Sancho Pança »sont repris par Sade dans quelques-uns de ses romans et dans plusieurs missives qu’iléchange avec ses proches. Arrêtons-nous sur chacun d’entre eux pour découvrir leursparticularités. « Dulcinée » conserve dans les textes du divin marquis quelques-unesdes acceptions inscrites dans les répertoires lexicaux, à la seule différence que cettefemme – qu’elle soit jeune, mûre ou âgée – y est souvent associée à des actionslubriques, style sadien oblige ! Dans Aline et Valcour, l’antonomase de Dulcinée est richeen nuances. Le président de Blamont décrit Léonore de Kerneuil à son ami Dolbourgcomme la « dulcinée »21 de Sainville22 (soit M. de Karmeil). M. de Blamont qualifie la fillede « jolie aventurière » puisqu’elle réunit plusieurs facteurs qui la rendent une proiefacile : elle est jeune, n’a pas de parents et a été portée disparue dans son pays. Elle estun exemple de « tout ce qu’il pleut par an de jeunes filles dans la province »23. Mme deBlamont, pour sa part, raconte à Valcour les plans diaboliques de son mari envers cettedemoiselle qu’elle croit vulnérable, qu’elle a hébergée et chérie en toute générosité.Néanmoins, dans son discours, le terme conserve une certaine nuance de mépris,lorsqu’on évoque l’illégitimité de la nouvelle venue :

Il [le président Blamont] a dit que je m’opposais depuis longtemps à un mariage trèsavantageux pour sa fille ; que par mes perfides conseils, j’empêchais cette fille de lui

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obéir, et que, joignant la ruse aux manœuvres ouvertes, j’ai été déterrer une petitecréature avec laquelle l’ami qu’il destine à sa fille, a vécu, à la vérité quelques mois :que j’ai fait venir cette dulcinée dans ma terre, et qu’après l’avoir bien instruite, jela fais passer pour une fille à moi, enlevée par lui au berceau, dans l’abominabledessein de la prostituer à son ami ; que par ce moyen, cet ami étant le même quecelui dont il veut faire son gendre, ne peut plus maintenant le devenir, puisqu’il setrouverait alors avoir eu commerce avec les deux sœurs24.

Quand il donne des précisions sur l’argument du roman, Sade a encore recours à cevocable qui décrit ici la femme avec laquelle un homme entretient des relationscharnelles hors mariage :

[…] le président [de Blamont] faisait croire d’abord à Dolbourg que cette Sophieétait la fille de sa maîtresse ; il faut se souvenir aussi que cette maîtresse était sœurd’une autre dulcinée, avec laquelle vivait Dolbourg, qu’ayant eu dans le mêmetemps chacun une fille de ces maîtresses, ils s’étaient promis de se prostituermutuellement ces deux enfants, quand elles auraient atteint l’âge nubile25.

5 Que soit présent de façon réitérée ce substantif « dulcinée » dans les lettres XXXVII, XLV

et LII, qui encadrent l´épisode de Dolcini, le chirurgien qui soigna Léonore à Venise

(épître XXXVIII), pourrait expliquer l’origine par allitération de ce patronyme.

Néanmoins, alors qu’on aurait pu penser que le nom de Dolcini proviendrait de l’italien« dolce » (tout comme Dulcinée provient de l’adjectif espagnol « dulce »), il pourraitêtre aussi probable que ce nom dérive du toponyme Dolcigno ou Dulcigno, ville forte,dont les Vénitiens n’ont pas pu s’emparer en 169626, et qui servait d’asile aux corsaireset aux brigands. Par conséquent, l’antonomase de la bien-aimée de don Quichottedéfinit, dans Aline et Valcour, une femme encline aux aventures galantes qui rechercheles entreprises risquées, en se laissant guider par le hasard. Par ailleurs, nous pourrionsenvisager que le personnage cervantin, grâce à un petit jeu phonétique, ait servi aumarquis pour nommer le chirurgien qui a aidé Léonore. La polysémie du mot« dulcinée » dans ce roman philosophique mettrait donc l’emphase sur un certain côtérebelle de Léonore et de Dolcini.

6 Tout au long des Cent Vingt Journées de Sodome, nous rencontrons quatre dulcinées

assimilées à des prostituées ou à des esclaves, dont les prénoms ne sont indiqués quechez Rosalie et Lucile ; les deux autres restent anonymes. Quant aux descriptionsphysiques de ces femmes, Sade en ébauche les traits indispensables pour créer uncontraste (beauté / laideur, jeunesse / vieillesse), soit entre elles-mêmes, soit entreelles et leurs clients, ou pour additionner des caractéristiques diverses (vieillesse +saleté + laideur...). Leurs traits ne coïncident pas du tout : Rosalie, convoquée pendantla deuxième journée, est plutôt jeune – « pas plus de vingt-six ou trente ans » – etbelle27 ; la doyenne de l’assemblée qui apparaît à la sixième journée est son antithèse :« une grosse et grande fille d’environ trente-six ans bourgeonnée, ivrognesse, jureuseet le ton poissard, et harangère, quoique d’ailleurs assez jolie »28. Cependant toutesdeux ont en commun l’obligation de satisfaire aux volontés de l’homme auquel ellessont livrées ou qui les paye. Dans le cas de la première dulcinée, elle doit se soumettre àla manie fétichiste de celui qui s’excite en manipulant sa chevelure :

Dès qu’elle entra, il la fit asseoir sur un tabouret très élevé et destiné à cettecérémonie. Aussitôt qu’elle y fut, il détacha toutes les épingles qui tenaient sachevelure et fit flotter jusqu’à terre une forêt de cheveux blonds superbes dont latête de cette belle fille était ornée. Il prit un peigne dans sa poche, les peigna, lesdémêla, les mania, les baisa, en entremêlant chaque action d’un éloge sur la beautéde cette chevelure qui l’occupait si uniquement. Il sortit enfin de sa culotte un petitvit sec et très roide qu’il enveloppa promptement des cheveux de sa dulcinée et, se

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manualisant dans le chignon, il déchargea en passant son autre main autour du colde Rosalie, et fixant sa bouche à ses baisers, il redéveloppa son engin mort29.

7 En ce qui concerne la doyenne, les fantaisies pour lesquelles elle est sollicitée sont la

sitophilie (l’ingestion de nourriture en contact avec le corps) combinée avec lasalirophilie (l’excitation sexuelle par la saleté) :

Cette même fille nous donna peu après le spectacle d’une fantaisie pour le moinsaussi sale. Un gros moine, qui la payait fort bien, vint se placer à cheval sur sonventre ; les cuisses de ma compagne étaient dans le plus grand écartement possible,et fixées à de gros meubles pour qu’elles ne pussent varier. Dans cette attitude, onservit plusieurs mets sur le bas-ventre de la fille, à cru et sans qu’ils fussent dansaucun plat. Le bonhomme saisit des morceaux avec sa main, les enfonce dans le conouvert de sa dulcinée, les y tourne et retourne et ne les mange qu’après qu’il les acomplètement imprégnés des sels que le vagin lui procure30.

8 Les relations sexuelles de la huitième journée entre un grivois dans la soixantaine, dont

le goût singulier le porte à « dépenser son argent avec des salopes de rebut » plutôt« qu’avec de jolies filles »31, et une femme, de plus de dix ans son aînée32, à l’aspectcrasseux, mettent en scène une autre dulcinée. Sade se montre sarcastique lors de ladescription que la maquerelle Duclos fait de cette rencontre. Et pour cause. Lamaîtresse est « une vieille sorcière âgée de plus de soixante-dix ans », une« emplâtre »33, une « vieille garce », une « duègne » au physique fort déplaisant :édentée à la « bouche infecte », au « gosier putréfié » et au « cloaque infâme » ; le« corps jaune et ridé, sec, pendant et décharné », ayant pour fesses « deux torchonsridés qui de ses hanches tombaient en ondulations sur ses cuisses ». La descriptionburlesque de l’amant se résume à l’aspect risible de son sexe – « membre noir et ridéqui ne promettait pas de grossir de longtemps », « membre mort », « enginmollasse »34 :

Il s’avance, toise sa dulcinée qui lui fait une profonde révérence : « Pas tant defaçons, vieille garce, lui dit le paillard, et mets-toi nue [...] Alors notre hommes’approche et, saisissant sa tête, il lui colle sur les lèvres un des plus ardents baisersque j’aie vu donner de ma vie [...] et la bonne vieille, qui de longtemps ne s’étaittrouvée à pareille fête, les lui rendait avec une tendresse... qu’il me serait difficilede vous peindre35.

9 La dernière dulcinée des Cent Vingt Journées de Sodome est Lucile, une jeune fille aux

ordres de la Duclos, qui, au cours de la quinzième journée, doit apaiser les désirs d’unvieux trésorier de France dont la « manie d’habitude, aussi sale que désagréable [...],consistait à chier sur le visage même de sa dulcinée, à lui barbouiller toute la face avecson étron et puis de la baiser, de la sucer en cet état »36. C’est dans ce texte que leromancier fait le plus appel à l’antonomase pour désigner ce personnage cervantin. Enoutre, les traits qui caractérisent les dulcinées présentes dans le journal de bord decette École du libertinage sont diamétralement opposés. Bien que toutes soient assimiléesà des racoleuses ou à des esclaves sexuelles, elles s’opposent par leur physique : si laplupart sont repoussantes, d’autres sont jeunes et belles. Cette antinomie rappellel’opposition patente entre la grossièreté d’Aldonza Lorenzo et les charmes attribués àDulcinée du Toboso.

10 Dans Les Infortunes de la vertu, l’antonomase est aussi appliquée aux filles retenues par

les moines lubriques du couvent de Sainte-Marie-des-Bois. Même si elles ont unprénom, que ce soit leur nom de baptême ou l’équivalent de leur nom de religion37, lesubstantif « dulcinée » sert aux gardiens de mot passe-partout pour les dénommer.Qu’elles s’appellent Omphale, Cornélie, Octavie, Florette ou Marianne, les prisonnières

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s’avèrent souvent interchangeables et facilement remplaçables. Raphaël, le moine quigarde le couvent, présente ainsi Marianne à Sophie38 : « cette dulcinée39 occupe dansune autre tour le même poste dont vous êtes honorée dans la vôtre »40. De la mêmefaçon que Dulcinée du Toboso incarne pour don Quichotte la dame de ses pensées, alorsqu’elle n’est qu’une simple paysanne, les récollets de Sainte-Marie-des-Bois jouissentaux yeux des habitants de la contrée d’un respect indu car ils sont considérés commechastes et sobres alors qu’en réalité ils ne sont que luxure et intempérance. Sade seplaît habituellement à mettre en place des jeux de contrastes dans lesquels lesindividus ne sont pas tels qu’ils paraissent. Signalons enfin, pour ce qui est des écrits defiction, que le terme « dulcinée » renforcé par l’adjectif « insolente » qui lui est associé,laisse transparaître chez Dolmancé, si friand des « délices de Sodome », dans lecinquième dialogue de la Philosophie dans le boudoir, sa haine contre celles qui, dans unecertaine mesure, limitent le nombre de mâles prêts à s’adonner aux relationssodomites. Dans ce discours, grâce à la figure rhétorique dont il est question, le nomvient désigner une personne de sexe féminin, nettement inférieure à l’homme quelsque soient son âge, son origine, ou sa condition : « Plats adorateurs des femmes, je leslaisse, aux pieds de leur insolente dulcinée attendre le soupir qui doit les rendreheureux, et, bassement esclaves du sexe qu’ils devraient dominer »41.

11 Dans la correspondance de Sade, nous retrouvons encore des exemples de la polysémie

du terme. La marquise écrit à Gaufridy42, en mai 1777, à propos du caractère possessifde sa mère ; elle nomme aussi l’une de ses sœurs, sans que l’on puisse dire aveccertitude s’il s’agit de Françoise-Pélagie43 ou d’Anne-Prospère44 :

12 Elle [Mme de Montreuil] a une patience d’ange et, pourvu qu’elle contemple sa belle

Dulcinée45, elle est satisfaite. Une fois sortie de ses pattes, j’aimerais mieux labourer laterre que d’y retomber. Elle ôte tout le mérite des services qu’elle rend par lesvexations dont elle les accompagne46.

13 La marquise emploie le nom de la dame idéalisée par don Quichotte sous la forme d’une

métaphore qui ferait allusion à ce que Françoise-Pélagie ou Anne-Prospère sontdevenues dans l’imagination de leur mère après le travail de sape mené par celle-ci.Cette image de femme parfaite se profile dans d’autres lettres mais sous uneperspective masculine car, après son évasion du 16 juillet 1778, Sade écrit à Gaufridydepuis son refuge de La Coste pour lui raconter un fait qui l’amuse : « Il y a uneaventure unique entre Reinaud47 et moi : une lettre de moi, envoyée par lui à madulcinée au miroir, la lettre interceptée dans la prison et Reinaud publiquementnommé le messager des dieux. » (s.d. [un dimanche d’été], 1778). Cette « dulcinée » estMme Doyen de Baudoin. Il paraît que le reflet dans un miroir à la Conciergerie d’Aixaurait allumé l’étincelle d’une idylle platonique entre le marquis et cette jeuneprisonnière48. Une semaine après s’être évadé, il reçoit une lettre de sa part où Mme

Baudoin se révèle absolument dévouée à celui qu’elle nomme « son ange gardien »49.Malgré le ton plaisant dont le marquis se sert pour narrer cette situation, il prieReinaud de remettre à la « pauvre prisonnière » la quantité de sept livres dix sols. Cettedisposition fut accomplie puisque l’article # 45, qui fait partie du compte général del’administration que Gaufridy eut des affaires du marquis pour l’année 1778, préciseque l’on a « payé d’ordre de M. de Sade à une prisonnière à Aix, sept livres dix sols,suivant la lettre du 8 août 1778 »50.

14 Toujours au sein de sa correspondance, même si Sade n’y associe pas le nom de Marie-

Dorothée de Rousset à Dulcinée, il existe des critiques littéraires qui reprennent

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l’antonomase de ce personnage cervantin pour se référer à cette amie d’enfance dumarquis. Nous pouvons le voir, par exemple, à l’occasion d’une épître de Gaufridy à sonconfrère Ripert du 13 novembre 1783, dans laquelle il l’entretient de plusieurs sujets,entre autres de la santé de cette femme, atteinte de tuberculose, qui aurait été, d’aprèsune note de Laborde, une de ses anciennes maîtresses : « à moins que le notaire,l’amoureux éconduit de Mademoiselle de Rousset, ait cessé de s’intéresser aux besoinset aux maux de son ancienne Dulcinée »51.

15 Complétons les réflexions qui précèdent au sujet du personnage de Dulcinée en

rappelant que celle-ci, vue par don Quichotte comme une jeune fille spirituelle, était enfait Aldonza Lorenzo, une paysanne décrite par Sancho comme une fille rustique, voiremême une prostituée. C’est dans Aline et Valcour que Leónore rencontre, au fil de sesaventures, une bohémienne appelée Aldonza. Elle appartenait à une bande de brigandset avait voulu débaucher Clémentine en l’engageant à aller chez un homme à Tolède :« Bon, bon, répondit Aldonza, il ne faut pas être si difficile dans notre métier […]. CetteAldonza était à la vérité la plus corrompue de la troupe, il s’en fallait bien que nous[Léonore et Clémentine] eussions jamais rien entendu de pareil avec ses compagnes »52.Il est clair que le prénom de la vilaine « de muy buen parecer » du texte cervantindésigne bel et bien, dans le texte sadien, une prostituée qui avait « de vingt à trenteans » et était dotée « de [la] fraîcheur, et de [la] santé »53. À titre de curiosité, onrappellera qu’en France Aldonze54 était un prénom habituel en Provence parmi lesnouveau-nés des deux sexes55 et que Sade, membre de la noblesse provençale, aurait dûle recevoir à son baptême. Cependant, malgré le souhait du père qui voulait le baptiserdu nom de François-Aldonse-Donatien-Louis, « le vicaire de Saint-Sulpice, peuaccoutumé aux lyriques consonances de la Provence, berceau de la famille, l’inscrit auregistre des baptêmes sous un prénom erroné : Alphonse »56. De toute évidence,l’écrivain tient beaucoup à ces prénoms, car Gaufridy rédige, en 1774, une pièce quicontient le nom complet de « messire Louis-Donatien-Adolphe Aldonce, marquis deSade, chevalier, seigneur de la Coste, Mazan, Saumane et autres places »57. De la mêmefaçon, dans une lettre d’ester à droit58 du 27 mai 1778, qui permet au marquis de sepourvoir contre l’arrêt du parlement de Provence, on s’adresse à lui par les prénomsqu’on aurait souhaité lui imposer à sa naissance : « Notre cher et bien aimé Louis-Aldonce-Donatien, marquis de Sade »59. Plus tard, le marquis, se prévalant de sesmêmes noms de baptême, les mentionne dans un acte de protestation60 adressé aucommissaire Chenon61 le 9 juillet 1789, pour se plaindre d’avoir été transféré de laBastille à Charenton, un asile pour aliénés parmi lesquels il se sent très mal à l’aise :« Moi, Louis Aldonze Donatien62, comte de Sade, mestre de camp de cavalerie etlieutenant général des provinces de Bresse, Bugei, Gex et Valromei »63. Puisque labohémienne Aldonza était « une créature vraiment libertine »64 le choix de ce prénomne serait-il pas un clin-d’œil à la renommée même du marquis ?

16 Comptant beaucoup moins d’occurrences que l’emploi du nom de Dulcinée, citons celui

de don Quichotte dont nous n’avons trouvé qu’une allusion dans la productionromanesque de Sade. Elle se trouve dans le premier dialogue de La Philosophie dans le

boudoir où le chevalier de Mirvel avoue à sa sœur que, bien que les femmes lui plaisent,il ne refuse pas les avances sexuelles de quelques hommes. Il justifie son comportementà partir des thèses matérialistes contemporaines – « l’homme est-il le maître de sesgoûts ? Il faut plaindre ceux qui en ont de singuliers, mais ne les insulter jamais, leurtort est celui de la nature »65 – et critique les individus étroits d’esprit. Ceux-ci s’érigenten défenseurs dérisoires de ce que le sodomite appelle « droits ordinaires », c’est-à-dire

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qui s’inscrivent dans la vulgarité, par opposition au raffinement censé caractériser lespratiques libertines :

Un homme vous dit-il d’ailleurs une chose désagréable en vous témoignant le désirqu’il a de jouir de vous ? non sans doute, c’est un compliment qu’il vous fait ;pourquoi donc y répondre par des injures ou des insultes ? Il n’y a que les sots quipuissent penser ainsi, jamais un homme raisonnable ne parlera de cette matièredifféremment que je ne fais ; mais c’est que le monde est peuplé de plats imbécilesqui croyent que c’est leur manquer que de leur avouer qu’on les trouve propres àdes plaisirs, et qui gâtés par les femmes, toujours jalouses de ce qui a l’air d’attenterà leurs droits, s’imaginent être les Doms Quichottes de ces droits ordinaires, enbrutalisant ceux qui n’en reconnaissent pas toute l’étendue66.

17 Comme nous l’avons vu précédemment dans ce « dialogue philosophique », Sade

attribue des défauts, tels que la sottise ou la déraison, au chevalier servant et à cellequ’il avait prise pour une noble dame, défauts du même ordre que ceux employés dansle roman, pour dénigrer les hommes hétérosexuels (« plats », « imbéciles »). On diraitque, dans le discours libertin, les « Doms Quichottes » et les « dulcinées » sont couvertsde ridicule à cause de leurs goûts triviaux et de leurs habitudes traditionnelles.

18 Si la présence de l’antonomase de don Quichotte est minimale dans ses romans et au fil

de sa correspondance, Sade a recours au nom du chevalier, parfois associé à celui del’écuyer Sancho Panza, pour se référer à lui-même ou à d’autres individus. Ainsi, en1776 (s.d.), répond-il aux accusations que Treillet, un tisserand de Montpellier,mentionne dans un mémoire à son encontre. Cet homme était le père de Catherine, unejeune fille qui travaillait comme cuisinière au château de La Coste où on l’appelaitJustine. Il avait appris que l’employeur de sa fille était le marquis débauché et crutqu’elle était retenue contre sa volonté dans la maison de l’aristocrate. Selon Sade, cetindividu avait agi d’une manière irrationnelle car, sous l’influence d’autres personnesqui l’auraient manipulé, il se serait imaginé des choses fausses. Il met donc Treillet surle même plan que don Quichotte parce que, comme celui-ci, il est un insensé qui nes’aperçoit pas de la réalité qui est sous ses yeux.

[c]et homme est visiblement un fourbe et un homme de mauvaise foi [...], ce coquin-là, qui est soufflé, se retournerait sur les prétendues insultes faites à ces gens quisont venus, dont vous voyez bien qu’il est le don Quichotte, car qu’a de communcette calomnie avec l’affaire de sa fille ?67

19 Quelques années plus tard, le marquis se compare au célèbre hidalgo68, fameux

redresseur de torts, lorsqu’il prend la défense du style poétique de Milli69 de Rousset. Ilrépond le 12 mai 1779 à la lettre de son amie de l’enfance ; celle-ci se plaît à composer

des vers qu’elle soumet au jugement de l’illustre prisonnier : « Oui ma petite bête,comme un nouveau Don Quichotte, j’irais briser des lances pour apprendre aux quatrecoins de l’univers que ma petite bête est de toutes les petites bêtes femelles respirantesentre les deux pôles, celle qui écrit le mieux et qui [est] la plus aimable »70.

20 La mention de ce personnage cervantin interprété comme un grand fou se répète dans

une missive de Carteron71 ; dans ce cas, ce n’est pas le marquis qui fait écho au chevalierespagnol mais le valet. En effet, celui-ci se défend des railleries que son maître auraitfaites à propos de son accoutrement : « [...] quant à ma coiffure, ce n’était point ungauffrier comme vous le dites, mais seulement le moule à fromage72 que mon cousinDonquichotte avait sur sa tête lors de son combat contre le chevalier de la triste figure73

à la Montagne noire »74. Il se peut que La Jeunesse ressemble physiquement au chevaliererrant – du moins, c’est ce que pense le marquis –, et que cette similitude le pousse àcréer une parenté métaphorique entre eux. La comparaison établie entre le subalterne

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de Sade et le célèbre hidalgo est à nouveau évoquée dans la réponse que le marquisreçoit la semaine suivante. De plus, comme son maître le compare à don Quichotte, LaJeunesse se permet l’audace d’établir un parallèle entre l’aristocrate et Sancho Panzadu fait de la mauvaise calligraphie de son maître. Le duo Quichotte-Sancho est doncréuni dans la lettre que le valet adresse au marquis le 29 septembre 1779 (reçue le 4octobre) :

Comme diable vous vous moquez de moi, Monsieur, mais vous avez bien raison, carj’ai bien peu d’érudition ; j’aurais grand besoin que vous me donnassiez quelquesleçons, enfin je suis eu, en attendant. Permettez-moi aussi, Monsieur, de vous faire aussi une petite comparaison. Vousallez dire tout de suite que c’est bon pour moi, mais qu’importe, vous voudrez bienm’excuser d’autant mieux que c’est digne de moi. J’ai cru que vous auriez fait ce quevous vous seriez appliqué un peu dans l’art d’écrire. Mais je vois que c’est toujourstout de même, il semble que ce soit un essaim d’abeilles qui ait pâturé sur votrepapier, à tout le moins. Si vous me comparez à mon cousin Domquichotte pour lafigure, vous me permettrez, s’il vous plaît, de vous comparer à Sancho pourl’écriture. Je sais que jadis vous m’avez dit qu’il n’y avait que le menu peuple quidevait savoir écrire. Pas de colère surtout, pas de colère, vous pourriez me dire queje me donne des airs qui ne me conviennent pas, mais je vous en ai demandé pardond’avance75.

21 Soulignons enfin que les plaisanteries de Carteron qui associent le marquis à Sancho

Panza ne sont pas les seules puisque, le 22 mars de la même année [1779], Sades’identifie aussi à l’écuyer de don Quichotte. Dans ce cas, la dérision cède la place ausarcasme car Donatien, à la Bastille, se voit tel Sancho, devenu gouverneur de l’insula

Barataria, et s’imagine donc trompé par tous ceux qui l’entourent. Il se méfie même deMlle de Rousset et, en vérité, il n’a pas tort, car Milli essaiera de tirer profit del’incarcération de son ami.

[...] les bouffonneries ou les affaires : ce qui est synonyme à présent pour moi, carvous sentez bien que quand on me parle d’affaires ici [à Vincennes], ce n’est qu’unepure bouffonnerie, c’est Sancho Pansa dans son île, à qui on fait croire que tout lemonde attend ses ordres. C’est un petit persiflage auquel, soit dit sans la moindrerancune, vous vous prêtez comme au reste76.

22 En somme, l’analyse développée dans ce travail permet de mettre en relief deux

questions principales. La première est l’intérêt porté par Sade au chef-d’œuvre deCervantès car il se sert des noms de trois personnages cervantins (Dulcinée, donQuichotte et Sancho Panza) dans ses romans et dans sa correspondance, le plussouvent, au moyen de l’antonomase et, de manière secondaire, en guise de métaphoreou de comparaison. Il est utile de rappeler que quelques répertoires du Grand Siècle

recueillent ces mots nouveaux ; puis, au Siècle des Lumières, les dictionnaires de LeRoux, de Féraud, de Trévoux ou de l’Académie française conservent parfois certains deces substantifs ou en rajoutent d’autres tirés du même ouvrage. Ce fut sans doute grâceà l’introduction de ces néologismes dans la langue française du XVIIe et du XVIIIe siècle,

que Sade, par ses lectures du Quichotte et des Nouvelles de Cervantès, en vint à utiliserces différents tropes. Par conséquent, le deuxième point abordé dans notre étude est lareconduction des qualités sémantiques dont ces noms sont dotés dans ses écrits. Àpartir des éditions des romans de Sade établies sur des manuscrits originaux, nousavons constaté une présence – assez discrète, il est vrai – d’antonomases tirées duQuichotte, chef-d’œuvre du Siècle d’Or. Il est possible de trouver de façon récurrente lesignifiant « dulcinée » dans Les Cent Vingt Journées de Sodome (1785), Les Infortunes de la

vertu (1787), Aline et Valcour (1795) et La Philosophie dans le boudoir (1795). Bien que

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l’acception de « dulcinée » proposée par les répertoires offre une définition claire etdéterminée, le mot est polysémique chez Sade. En effet, les personnages féminins ainsinommés reçoivent dans les mêmes textes d’autres désignations telles que « fille »,« demoiselle », « héroïne », « pécore », « catin », « garce » ou « putain ». Quant àl’antonomase de don Quichotte, nous ne l’avons repérée que dans La Philosophie dans leboudoir où elle a le sens de chevalier médiéval aux fantaisies obsolètes.

23 En ce qui concerne La Marquise de Gange, Adélaïde de Brunswick, princesse de Saxe,

l’Histoire d’Isabelle de Bavière, reine de France (181377), ou encore le recueil denouvelles héroïques et tragiques publié sous le titre Les Crimes de l’amour (1799),aucune occurrence n’a été dépistée. Ceci paraît logique, parce que le caractèrehistorique semble déconseiller l’usage de ces antonomases plutôt burlesques. Or, dansle cas des historiettes, contes et fabliaux écrits à la Bastille entre 1785 et 1788, dontcertains récits adoptent le style facétieux des nouvelles classiques de Cervantès,l’absence de ces substantifs nous semble, au contraire, surprenante. Pour ce qui est dela correspondance de Sade et de ses proches, elle contient tout autant les noms deDulcinée et don Quichotte que celui de Sancho Panza, lequel n’apparaît pas dans sesouvrages romanesques. Quant aux épîtres, même dans les descriptions peu favorables,elles reprennent ces prénoms mais vidés de toute agressivité linguistique, car ceux-cisont dépourvus de la charge sémantique virulente présente dans les romans. Enfin,bien que le vaste corpus examiné n’apporte qu’un nombre assez réduit d’exemples, tousles échantillons présentés ici permettent d’examiner en détail les quelques échos duQuichotte sous la plume de Sade.

NOTES

1. Nouvelles de M. de Cervantès, 1707. Nouvelles choisies – 3e tablette, 6e rayon – (Alice M. LABORDE,

La bibliothèque du marquis de Sade au château de La Coste, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1991,

reg. 350).

2. « Don Quichotte, traduit de l’espagnol par Filleau de St-Martin, 1713-1722. 3e tablette, 8e rayon »

(Ibid., reg. 384). Il s’agit de l’Histoire de l’admirable don Quixotte de la Manche (1678) qui fut la

première traduction intégrale du roman. Elle fut réimprimée plus de vingt fois entre 1730 et 1781

(Maurice BARDON, El Quijote en Francia en los siglos XVII y XVIII. Traduction de Jaime Lorenzo Miralles,

San Vicente del Raspeig, Publicaciones de la Universidad de Alicante, p. 445 et p. 719).

3. Renée-Pélagie Cordier de Launay de Montreuil.

4. Plusieurs ouvrages portant le titre du Nouveau Don Quichotte ayant été publiés à l’époque, il est

difficile d’affirmer que celui dont disposait Sade soit l’œuvre de Cervantès. Parmi ces

publications, figure en premier lieu Pharsamon ou les Folies romanesques de Marivaux (écrit en 1712

et publié en 1737), qui reçut aussi le nom du Nouveau Don Quichotte, 2 vol. , in-12. (Nicolas

TOUSSAINT LE MOYNE DESESSARTS, Nouveau dictionnaire bibliographique portatif ou Essai de bibliographie

universelle..., Chez N.L.M. Desessarts Imprimeur-Libraire, An VIII-1799, p. 274, [consulté le

15/06/2019], URL : https://book.google.es/books ?id =G1c3YTgTcHQC). Or, si l’on tient compte de

la datation de la lettre (1781), il est plus probable que ce soit un ouvrage plus récent, par

exemple, Le Nouveau don Quichotte imité de l’allemand de M. Wieland, par Mme d’Ussieux,

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Bouillon, Imp. de la Société Typographique, 1770 : 2 vol. in-8° (attribué aussi à Louis Dussieux, son

mari), ou, enfin, qu’il s’agisse d’une réimpression de la traduction de Filleau (Histoire de

l’admirable Don Quichotte de La Manche, traduite de l’espagnol de Michel de Cervantès, nouvelle

édition, revue, corrigée & augmentée, Rouen, Pierre Machuel ; Lyon, Amable Le Roy, 1781, 6

vol. in-12. Toutefois le problème subsiste parce que le nombre de volumes des différentes options

ne coïncide pas avec celui qui est signalé dans la lettre de Renée.

5. Alice M. LABORDE, Correspondances…, op. cit., vol. XVI, Sade au donjon de Vincennes (1781), Genève,

Slatkine, 2007, p. 171 et p. 224.

6. Lettre sans date reçue le samedi 22 décembre 1781 (ibid., p. 273).

7. Alice M. LABORDE, Correspondances…, op. cit., vol. XX, Sade à la Bastille (1787-1788), Genève, Slatkine,

2007, p. 151.

8. Nouvelles espagnoles de Michel de Cervantes. Traduction nouvelle, et avec des notes, ornée de

figures en taille-douce, 2 vol. , Paris, 1777 (Maurice BARDON, El Quijote en Francia..., op. cit., p. 723).

9. Donatien-Alphonse-François de SADE, Idée sur les romans dans Les crimes de l’amour : nouvelles

héroïques et tragiques précédées d’une Idée sur les romans, édition établie et annotée par Éric LE

GRANDIC et présentée par Michel Delon, Cadeilhan, Zulma, coll. « Dix-huit », 1995, p. 24-25.

10. En effet, les critiques littéraires ont souligné à maintes reprises le parallélisme entre les

techniques et les structures des récits cervantins et sadiens. « Peut-être Justine et Juliette, à la

naissance de la culture moderne, sont-elles dans la même position que Don Quichotte entre la

Renaissance et le classicisme. [...] Les personnages de Sade lui répondent à l’autre bout de l’âge

classique, c’est-à-dire au moment du déclin » (Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une

archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966, p. 222-223). On pourra également

consulter Christian HERMANN, « L’Espagne du Marquis de Sade », Mélanges de la Casa de Velázquez,

t. 28-2, 1992, p. 71-86 ; Frédéric CONROD, « Histoire de Juliette, ou la nouvelle Don Quichotte : le grand

voyage du motif baroque dans le roman moderne », 29 p., Congrès Sade (Fall 2004-Spring 2005),

Electronic journal, URL : www.cofc.edu/desade/papers/conrod01.pdf ; Elena DEANDA-CAMACHO,

« Quixotic Sade : Echoes of Cervantes in 120 Days of Sodom », Studies in Eighteenth-Century Culture,

vol. 46, 2017, p. 21-33 [10.1353/sec.2017.0004].

11. Des auteurs contemporains se servent aussi de cette figure rhétorique. Maurice B ARDON (El

Quijote en Francia..., op. cit., p. 889-890) introduit plusieurs cas : Rétif emploie, par exemple, « un

don Quichotte » (Tableaux de la bonne compagnie, 1787, t. I, p. 123 et t. II, p. 151), « le don

Quichotte » (La dernière aventure d’un homme de quarante-cinq ans, 1909, p. 217) et la locution « à la

Sancho Pança » (Les contemporaines, t. XXXIX, nouvelle CCXLVII La belle imprimeuse, p. 215). Mercier

parle de « faire le Quichotte » dans sa pièce Jeneval ou le Barnevelt françois (III, 3) et recueille

l’expression « donquichotisme » dans sa Néologie, ou Vocabulaire de mots nouveaux, à renouveler, ou

pris dans des acceptions nouvelles (t. I, p. 197, an IX [1801], Paris).

12. Au sujet des premières traductions du Quichotte en français, et en particulier de celle réalisée

par César Oudin, voir : Marc ZUILI, « Étude introductive » à son édition du Tesoro de las dos lenguas

española y francesa/Tresor des deux langues françoise et espagnolle de César Oudin, Paris, Honoré

Champion, 2016, p. 101-107.

13. Alexandre CIORANESCU, Le masque et le visage : du baroque espagnol au classicisme français, Genève,

Droz, 1983, p. 155-156.

14. « De Dulcinée du Toboso (Dulcinea del Toboso), nom donné par don Quichotte à la dame de ses

pensées dans le roman de Cervantes (v. don Quichotte) ». Philibert-Joseph LE ROUX, Dictionnaire

comique, satyrique, critique, burlesque, libre & proverbial, Amsterdam, Chez Michel Charles Le Cene,

1718, p. 174.

15. Le Dictionnaire de Trévoux, dans son édition de 1738-1742, contient une seule explication

complètement étrangère au domaine littéraire : « Tèrme de Fleuriste. Espéce de tulippe. Elle est

d’un blanc de lait, & couleur de lacque. » (Nancy, Pierre Antoine, 1738-1742, t. II [consulté le

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22/05/2020], URL : http://www.cnrtl.fr/dictionnaires/anciens/trevoux/menu1.php), tandis que,

dans son édition de 1771, il conserve cette acception-là et en ajoute une seconde : « C’est le nom

qu’on donne dans le style familier & badin à la maîtresse d’un homme. »

16. « Caractère de Dom Quichote, Héros romanesque et burlesque » (Jean-François FÉRAUD,

Dictionnaire critique de la langue française, Marseille, Mossy, 1787-1788, vol. 3, [consulté le

06/06/2019], URL : https://www.cnrtl.fr/dictionnaires/anciens/feraud/menu.php)

17. « sub. fém. ou masc. Jument maigre et efflanquée, que l’on donne pour monture à Don-

Quichotte. On donne aussi ce nom en plaisantant à un cheval ruiné et de mauvaise mine ». Paris,

Chez J. J. Smits et Cie., Imp.-Lib.

18. « subst. fém. Terme familier, pour signifier une femme mal bâtie et maussade » (Dictionnaire de

l’Académie, ibid.)

19. Grâce aux articles du chevalier de Jaucourt (« Séville », « La Manche », « Engagement »,

« Ridicule (le) », « Roman de chevalerie » et « Worcestershire »), de Diderot (« Arme. Armure »),

de D’Alembert (« Continuateurs »), de Lefevbre (« Folie ») et d’un collaborateur anonyme

(« Chevalier errant »). Cf. Alejandro RAMÍREZ, « Cervantes dans l’Encylopédie », Romance Notes,

vol. 12, nº 2 (Spring, 1971), p. 407-412.

20. Alice M. LABORDE, Correspondances du Marquis de Sade et de ses proches enrichies de documents,

notes et commentaires, vol. XXI, De la Bastille à Charenton (1789). La Libération de Sade (1790), Genève,

Slatkine, 1996, note p. 276.

21. SADE, Œuvres, édition établie par Michel Delon, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la

Pléiade », 1990, t. I, p. 734.

22. Notons au passage que Léonore et Sainville sont une pure invention de Filleau de Saint-

Martin qui, dans sa traduction du Quichotte (celle dont Sade dispose à La Coste), insère deux

nouvelles : l’une fait de Léonore la femme du jaloux Osorio ; l’autre met en scène les amours

malheureuses de Sainville et Sylvie. L’influence de ces personnages dans les histoires que

Léonore et Sainville racontent dans Aline et Valcour est considérable.

23. SADE, Œuvres, op. cit., 1990, p. 736-737.

24. Ibid., p. 980.

25. Ibid., p. 1009 note*.

26. Marc-Antoine LAUGIER, Histoire de la République de Venise depuis sa formation jusqu’à présent,

Paris, Veuve Duchesne, t. XII, 1768, p. 205-206.

27. SADE, Œuvres, op. cit., 1990, p. 105.

28. Ibid., p. 138.

29. Ibid., p. 105-106.

30. Ibid., p. 138.

31. Ibid., p. 153.

32. Ovide remarquait que les femmes âgées étaient plus savantes que les jeunes filles dans les

plaisirs car elles avaient l’expérience qui seule perfectionne tous les talents (cf. L’Art d’aimer,

liv. II, v. 663-702).

33. Le Dictionnaire de l’Académie française, dans ses 4e (1762) et 5e (1798) éditions, contient cette

acception pour le terme ‘emplâtre’ : « Il se dit aussi d’une personne qui n’a pas de vigueur

d’esprit, & qui n’est pas capable d’agir », op. cit.

34. SADE, Œuvres, op. cit., 1990, p. 153-154.

35. Ibid., p. 153.

36. Ibid., p. 206.

37. Nom que l’on prend en entrant au couvent.

38. Justine avait adopté ce nom pour cacher son identité.

39. Ce mot disparaît dans d’autres versions des Infortunes : « Voilà celle que la société destine à

remplacer la dernière partie, mesdemoiselles [...]. Sophie, me dit alors le supérieur, vous êtes la

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plus âgée de la classe, et je vous élève au poste de doyenne » (SADE, Les Infortunes de la vertu. Texte

établi sur le manuscrit présenté et annoté par Béatrice Didier, Paris, Gallimard, 1970, p. 191) ;

« […] cette fille occupe dans une autre tour le même poste que vous occupez dans la vôtre, elle est

doyenne » (SADE, Œuvres, édition établie par Michel Delon, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de

la Pléiade », t. II, 1995, p. 82). Ce problème surgit des différentes corrections faites par Sade et

donc de la pluralité des versions d’un même texte. « L’éditeur de manuscrits se trouve devant le

même dilemme qu’un architecte chargé de restaurer un bâtiment, plusieurs fois construit et

reconstruit. Quelle époque faut-il privilégier ? » (SADE, Contes étranges, texte établi, présenté et

annoté par Michel Delon, Paris, Gallimard, 2014, p. 319).

40. S ADE, Les infortunes de la vertu, présentation par Jean Marie Goulemot, Paris, Garnier-

Flammarion, 2014 (révision de l’édition de 1969) [consulté le 06/06/2019], URL : https://

books.google.es/

books ?id =TiepCwAAQBAJ.

41. SADE, La Philosophie dans le boudoir, édition présentée, établie et annotée par Yvon Belaval,

Paris, Gallimard, 1976. p. 261.

42. Avocat de la ville d’Apt, notaire et procureur qui resta à la tête des affaires de Sade pendant

vingt-six ans.

43. Laborde indique dans une note « Dulcinée, sa fille Françoise » (ibid., p. 105) ; Françoise-Pélagie

était l’avant-dernière des cinq enfants des Montreuil et, donc, la sœur de Renée. Elle naquit le 12

octobre 1760 et mourut le 9 février 1837. Fin janvier 1783, elle avait épousé le marquis de Wavrin

ou Vavrin (cf. Alice M. LABORDE, Correspondances..., vol. XX, op. cit., p. 51-52). Pourtant, dans une

autre note de la même auteure, nous trouvons des erreurs lorsqu’elle signale « Il s’agit de

Françoise-Pélagie de Sade, sœur cadette de Renée [...]. Elle meurt en 1836 » (Alice M. LABORDE,

Correspondances…, op. cit., vol. XVIII, Sade au donjon de Vincennes (1783-1784), Genève, Slatkine, 2007,

p. 37). Laborde se trompe car le nom de cette femme, belle-sœur du divin marquis, ne peut pas

être ‘de Sade’ mais, soit ‘de Montreuil’ – son nom de naissance –, soit ‘de Wavrin’ – son nom de

femme mariée –. C’est Renée qui se maria à Donatien et, donc, la seule sœur qui pût recevoir le

nom ‘de Sade’.

44. Selon Paul BOURDIN, cette « dulcinée » était « [s]ans doute une des sœurs de la marquise et,

vraisemblablement, mademoiselle de Launay » (Correspondance inédite..., op. cit, p. 85 n. 1), c’est-à-

dire Anne-Prospère. « Anne-Prospère de Launay de Montreuil, la sœur cadette de Renée, naquit

le 27 décembre 1751 [...]. Elle mourut chez ses parents, à Paris, le 13 juin 1779 » (Alice M. LABORDE,

Correspondances..., vol. XVIII, op. cit., note p. 37). Quant à Chantal THOMAS, elle indique que la mort

d’Anne-Prospère était survenue le 13 mai 1781 (Sade, Paris, Seuil, 1994, p. 233). Sa fuite en Italie

avec son beau-frère s’était produite durant trois mois en 1772, quand elle avait 21 ans. Son père

s’appelait Claude-René Cordier de Launay, de Montreuil (Alice M. LABORDE, Correspondances...,

vol. XX, op. cit., note p. 78), d’où le premier de ses patronymes.

45. Paul BOURDIN transcrit le nom en minuscule (Correspondance inédite du marquis de Sade, de ses

proches et de ses familiers, publiée avec une introduction, des annales et des notes, Genève, Slatkine

Reprints, 1971 ; réimpression de l’édition de Paris, 1929, p. 85 n. 1).

46. Alice M. LABORDE, Correspondances…, op. cit., vol. VIII, Incarcération de Sade au donjon de Vincennes

(1777) [13 février 1777-14 juin 1778], Genève, Slatkine, 1998, p. 104-105.

47. L’avocat du marquis à Aix.

48. Maurice LEVER, Donatien Alphonse François, marquis de Sade. Biographie, Barcelone, Seix-Barral,

1994, p. 271 et p. 277.

49. Mme Doyen de Baudoin lui écrivit d’autres missives datées du 13 août 1781 et du 12 février

1782.

50. Alice M. LABORDE, Correspondances…, op. cit., vol. XIII, Nouvelle incarcération de Sade au donjon de

Vincennes (1778). Genève, Slatkine, 1998, p. 157.

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227

51. Alice M. LABORDE, Correspondances..., vol. XVIII, op. cit., p. 178.

52. SADE, Œuvres, op. cit., 1990, p. 894.

53. Ibid., p. 830.

54. Aldonse est un vieux prénom provençal convenant aussi bien aux garçons qu’aux filles. Pour

restituer la diction provençale, il faut l’orthographier « Aldonze ». Voir : https://

gw.geneanet.org/fraternelle ?

lang =en&n =de+barrigue+de+montvalon&oc =0&p =aldonse

55. L’abbé Jacques-François-Paul-Aldonce, son oncle paternel (Alice M. LABORDE, Correspondances...,

op. cit., vol. XX, note p. 90), ainsi qu’une connaissance de la famille que le comte de Sade

protégeait (à laquelle il donna une pension et proposa son aide pour lui trouver un travail),

portaient ce prénom (Alice M. LABORDE, Correspondances..., op. cit., vol. XIX, Sade à la Bastille

[29-02-1784/31-12-1786], Genève, Slatkine, 2007, p. 72).

56. SADE, Les Infortunes de la vertu, op. cit., 1970, p. 259.

57. Paul BOURDIN, Correspondance inédite..., op. cit., p. 9.

58. « Ester à droit, comparaître, se présenter devant le juge sur l’assignation qu’on a reçue ;

expression de l’ancienne jurisprudence qui ne s’appliquait qu’au droit criminel. » Le Littré (1880).

Voir : http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/ester/fr-fr/

59. Alice M. LABORDE, Correspondances..., vol. VIII, op. cit., p. 256.

60. Il le rédige dans une lettre autographe sur un papier vergé azuré avec filigrane écu ovale,

couronné et lauré où deux fleurs de lys apparaissent en chef (cf. Alice M. LABORDE,

Correspondances..., vol. XXI, op. cit., note p. 95).

61. Pierre Chenon père occupait le poste de commissaire au Châtelet et était chargé depuis 1774

de la forteresse de la Bastille (Alice M. LABORDE, ibid, note p. 97).

62. Il est vrai que cet engouement disparaîtra après la révolution. Un certificat de résidence du 7

mars 1793 où figurent sa description physique et ses coordonnées nous le prouve car il y est

nommé « Louis Sade, homme de lettres » (ibid., note p. 258).

63. Ibid., p. 95.

64. SADE, Œuvres, op. cit., 1990, p. 894.

65. SADE, La Philosophie..., op. cit., p. 7.

66. Ibid.

67. Paul BOURDIN, Correspondance inédite..., op. cit., p. 64.

68. Les ressemblances entre Sade et don Quichotte pourraient être étendues à certains épisodes

de la vie du marquis et de celle de Cervantès. D’après Camilo J. Cela, Cervantès fut « el hombre a

quien zurró el destino y derrotó la envidia » [l’homme que le destin avait rossé et qui fut vaincu

par la jalousie] (Camilo José CELA, « Amo la palabra », Discurso de 23-04-1995, Entrega Premio

Cervantes, Centro Virtual Cervantes, URL :

https://cvc.cervantes.es/literatura/escritores/cela/discursos/discurso_01.htm [consulté le

26/05/2019]). L’affirmation de Cela, dans le discours qu’il prononça lorsque lui fut remis le prix

Cervantès, nous fait penser à Sade qui, devenu bouc émissaire à cause de l’audace de son écriture,

passa une grande partie de sa vie en prison.

69. Forme provençale de « mademoiselle » et manière affective de nommer Marie-Dorothée de

Rousset.

70. Alice M. LABORDE, Correspondances..., op. cit, vol. XIV, Sade au donjon de Vincennes (1779), Genève,

Slatkine, 2007, p. 168.

71. Aussi nommé Martin Quiros, Dom Quiros ou La Jeunesse, au service du marquis.

72. En réalité, Filleau, Histoire de l’admirable..., op. cit., parle d’un bassin de barbier (cf. t. I, chap. XX

et chap. XXIV, [consulté le 06-06-2019], URL : https://books.google.es/books ?

id =TKhQzxa0_HcC).

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73. Carteron se trompe car le Chevalier de la Triste-figure n’est autre que Don Quichotte lui-

même. Il est évident que le valet confond le personnage du roman de Cervantès avec le

« Chevalier de la Montagne », autrement appelé le « Chevalier du bois » ou le « Chevalier

déchiré » (« el Roto de la Mala Figura » dans le roman espagnol), surnoms du fou Cardenio (t. I,

chap. XXII « De ce qui arriva au fameux Don Quichotte dans la Montagne noire » et chap. XXIII :

« Où se continue l’aventure de la Montagne noire ». La Montagne noire est la Sierra Morena).

Voir : https://books.google.es/books ?id =TKhQzxa0_HcC [consulté le 19-06-2019].

74. Lettre du 23 septembre 1779 reçue le 30 (Alice M. LABORDE, Correspondances..., vol. XIV, op. cit.,

p. 248).

75. Ibid., p. 253-254.

76. Ibid., p. 87.

77. Tous achevés en 1813, même si seul le premier fut publié à cette date-là. Les deux autres ont

donné lieu à des éditions posthumes.

RÉSUMÉS

Cette étude repose sur l’analyse d’un corpus réunissant l’ensemble des romans de Sade ainsi que

sa correspondance, d’après les recueils de P. Bourdin (1929) et A. M. Laborde (1991-2007).

L’auteur des Lumières connaissait plusieurs ouvrages de Cervantès, écrivain du Siècle d’Or qu’il

admirait. Or ce ne fut pas seulement à travers ces lectures que Sade rencontra les personnages

créés par le génial écrivain espagnol car, au XVIIe siècle, des dictionnaires avaient commencé à

colliger leurs prénoms devenus noms communs. Puis, au XVIIIe siècle, le Dictionnaire comique de Le

Roux, le Dictionnaire critique de la langue française de Féraud et le Dictionnaire de l’Académie française

ont conservé ces mêmes substantifs et en ont ajouté quelques autres toujours tirés du Don

Quichotte de la Manche. Il est donc possible de trouver des références à Dulcinée et à don Quichotte

dans Les 120 Journées de Sodome, Les Infortunes de la vertu, Aline et Valcour et La Philosophie dans le

boudoir. Aussi la correspondance de Sade et de ses proches contient-elle les noms de Dulcinée,

don Quichotte ou Sancho Panza, soit pour désigner le divin marquis lui-même, soit pour faire

allusion à des personnes de son entourage.

In this paper we analyse a corpus of all of Sade’s novels as well as his correspondence on the basis

of collections by P. Bourdin (1929) and A. M. Laborde (1991-2007). The Age of Enlightenment

author was acquainted with several works by Cervantes, a writer of the Spanish Golden Age who

he admired. Yet, it was not only through these readings that Sade discovered the characters

created by the Spanish author, since in the seventeenth century some dictionaries had started to

include those characters’ proper names used as common nouns. Later, in the eighteenth century,

Le Roux’s Dictionnaire comique, Féraud’s Dictionnaire critique de la langue française, and

the Dictionnaire de l’Académie française kept those same nouns and added some others also drawn

from Don Quixote. It is therefore possible to find references to Dulcinea and to Don Quixote in

Sade’s Les 120 Journées de Sodome, Les Infortunes de la vertu, Aline et Valcour and La Philosophie dans le

boudoir. By the same token, some letters written both by Sade and by his friends and family also

contain the names of Dulcinea, Don Quixote or Sancho Panza in order to refer to either the Divine

Marquis himself or to allude to people in his intimate circle.

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INDEX

Mots-clés : Siècle d’or, Cervantès, Dulcinée, siècle des Lumières, antonomase

Keywords : Spanish Golden Age, Cervantes, Dulcinea, Age of Enlightenment, antonomasia

AUTEUR

IRENE AGUILÁ-SOLANA

(Université de Zaragoza - Espagne)

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Bons baisers de TorremolinosMémoire postmoderne des dernières années du franquisme

Diane Bracco

1 « El cine […] me gusta como ‘máquina del tiempo’. Todos mis trabajos suponen algún

que otro viaje en el tiempo », déclarait le réalisateur espagnol Pablo Berger au momentde la sortie de son troisième long-métrage, la comédie fantastique Abracadabra (2017).Bien que ce soit dans une Espagne très contemporaine qu’il choisisse d’ancrer cettehistoire farfelue de machisme, d’hypnose et de possession, il évacue volontairementtout réalisme et prend le parti de mêler les codes de genre pour dépeindre uneatmosphère populaire enracinée dans la tradition costumbrista nationale, assumantl’anachronisme comme un dispositif créatif d’évocation du passé. Le voyage temporelétait plus évident encore dans son long-métrage antérieur, le film muet Blancanieves

(2012), poétique hispanisation du conte de fées éponyme, transposé dans l’Andalousiedes années 1910-1920 : le choix esthétique du noir et blanc ainsi que la réappropriationdes conventions du cinéma muet, combinées aux moyens techniques du XXIème siècle,débouchaient sur un retour aux sources de l’image mouvante propice à la célébrationdu cinéma et de ses fantasmagories1.

2 Cette exploration à rebours de la filmographie du metteur en scène montre combien la

question de la mémoire se situe au centre de sa démarche artistique. Elle nous mène àson premier long-métrage, la comédie Torremolinos 73 (2003), dont le titre nous projetted’entrée de jeu au crépuscule de l’Espagne franquiste, deux ans avant la mort dudictateur et trente ans exactement avant l’année de la réalisation du film. Lauréate dequatre Goya, primée au Festival de Cine de Malaga et au Festival Cinespaña de Toulouse,cette co-production hispano-danoise s’inspire de faits réels : elle porte à l’écran leparcours d’un certain Alfredo López, qui réalisa des films pornographiquesdomestiques dans les années 1970 et fut l’auteur d’un unique long-métrage exporté auDanemark sous le titre peu équivoque Aventuras y desventuras de una viuda muy

cachonda2. La comédie de Berger dépeint ainsi les tribulations d’Alfredo López(Javier Cámara), modeste vendeur d’encyclopédies qui, face à une menace delicenciement, se voit contraint d’accepter la proposition de son entreprise : tourner descourts-métrages pornographiques domestiques en super-huit afin de lescommercialiser au Danemark. Grâce aux conseils techniques d’un ancien assistant

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d’Ingmar Bergman, il se met en scène avec son épouse Carmen (Candela Peña), quicompte sur cet argent pour pouvoir fonder une famille. Cette œuvre pornographiqueartisanale leur apporte bien vite prospérité économique et confort matériel. Carmendevient à son insu star du porno en Scandinavie tandis que la réalisation nourrit lesvelléités cinématographiques d’Alfredo, lequel découvre parallèlement sa stérilité.Grâce au soutien financier de son patron et à la participation d’une équipe danoise, ilengage la réalisation de son premier long-métrage, Torremolinos 73, maladroit hommageau maître Bergman, tourné dans la célèbre station balnéaire malaguène. Il confie àCarmen le rôle-titre de ce que le producteur décidera finalement de transformer enfilm pornographique, au grand dam de l’apprenti cinéaste. Carmen y voit l’occasion detomber enceinte de son partenaire danois. Le récit filmique s’achève sur l’image d’unematernité comblée par la venue de l’enfant tant espérée et, concomitamment, celled’une paternité artistique avortée montrant Alfredo, réalisateur frustré, contraint de sereconvertir en photographe de mariages.

3 C’est précisément sur le long-métrage inaugural de la brève filmographie de Pablo

Berger que se centrera le présent travail en abordant la fictionnalisation des aventuresdu couple López à travers le prisme de la mémoire et l’étude du discours produit par lesfragments mémoriels que brasse le réalisateur, entre référents intrahistoriques etréminiscences cinématographiques. Il s’agira d’examiner les mécanismes déformantsde la reconstruction d’un passé clairement identifié, mais nullement dépeint dans uneperspective d’objectivité et de réalisme historiques. Bien au contraire, dans cettecomédie éminemment postmoderne, Berger opte pour une représentation distanciée etstylisée de l’époque convoquée : le crépuscule du franquisme et ses valeurs moralesmoribondes sont ainsi passés au filtre de la distorsion parodique et de la récupérationdes signes populaires des années 1970, démarche qui permet au metteur en scèned’ancrer la diégèse dans une temporalité à la fois immédiatement reconnaissable par lespectateur et délibérément altérée. Cette approche postmoderne de la mémoirecollective induit parallèlement une lecture métadiscursive qui nous conduira àenvisager plus spécifiquement le film lui-même comme le lieu d’une réflexion sur lacréation incarnée par le protagoniste cinéphile, sorte de double fictionnel duréalisateur, dont le projet en gestation éclaire le cheminement cinématographique dePablo Berger lui-même.

1973 : esquisse stylisée d’un régime déclinant

4 Dès le titre, le film de Berger affiche un espace-temps qui permet au spectateur de

situer très précisément la diégèse, inscrite dans une temporalité ramassée. Si la stationbalnéaire de Torremolinos ne s’impose à la créativité du protagoniste qu’au milieu dufilm lors d’une séance d’onanisme inspirateur qui marque un basculement dans le récit,l’année 1973 se matérialise dès les premières secondes à travers l’enchaînement deplans d’ensemble montrant Alfredo s’enfoncer dans une banlieue inhospitalière etuniformément grise (Figure 1)3, véritable espace d’enfermement spatial et social dont lamorne atmosphère n’a d’égale que l’hostilité de ses résidents envers le vendeurambulant4. Tout en offrant un écho très contemporain aux logiques actuelles de laspéculation immobilière, l’image liminaire de ces barres d’immeubles, constructionsespagnoles typiques de la décennie 1970, ne manque pas d’évoquer la politiqueurbanistique du franquisme tardif ni la représentation que se faisait alors le régime du

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confort pour les classes populaires, comme le suggère ironiquement le panneaupublicitaire devant lequel s’attarde le personnage. Cette séquence initiale, qui laisseparaître en filigrane le souvenir des ruches de ¿Qué he hecho yo para merecer esto !

(Pedro Almodóvar, 1984)5, pose ainsi un contexte social morose associé au crépusculede la dictature, que le réalisateur s’attache à ne jamais aborder frontalement.

Figure 1

Diane Bracco

5 Dans ses travaux consacrés au recyclage des années 1970 dans le cinéma espagnol,

Burkhard Pohl6 rappelle à cet égard que le franquisme tardif, éclipsé dans la mémoireofficielle par le discours de la réconciliation et le « pacte du silence » imposé durant laTransition démocratique7, joue dans la production cinématographique nationale unrôle bien plus modeste que la guerre civile et l’après-guerre. Il distingue deux grandstypes de films : loin des réalisations qui, d’un côté, abordent cette période enprivilégiant, quelquefois avec un objectif documentaire, le discours engagé ouconflictuel dans une perspective de mémoire historique8, Torremolinos 73 s’inscrit dansla catégorie des films qui, pour leur part, reposent sur la médiatisation de la mémoirecollective et recourent essentiellement à l’esthétique camp9 et aux stratégies ducomique pour esquisser une image réinventée du passé, incrustée de signes de laculture consumériste de la décennie 1970. La période recréée charrie au passage lesreprésentations d’une profonde crise politique et économique, génératrice deproblèmes financiers pour les protagonistes qui, à la fois modelés par les valeurs de ladictature et matériellement contraints de s’en émanciper pour pouvoir tourner leursfilms, incarnent dans leur chair la Transition à venir. La démarche de Pablo Berger serapproche ainsi à plusieurs niveaux de celle d’autres réalisateurs de sa génération telsqu’Álex de la Iglesia, Javier Fesser, Juanma Bajo Ulloa ou Santiago Segura,profondément ancrés dans l’ère postmoderne10. Ils sont les auteurs de films hybridessitués au croisement des genres et générant souvent discours autoréflexifs et méta-cinématographiques, notamment par le biais du détournement. Dans ces productionsconstituantes du sous-genre de la « post-espagnolade » selon certains ouvrages11, ils

s’approprient une culture « glocalisée »12 en alliant les référents populairesinternationaux aux signes identitaires proprement espagnols ; pour certains, ilsrecyclent les ambiances des années 1970, décennie instable annonciatrice d’un

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changement de régime imminent (Muertos de risa, Balada triste de trompeta 13), ou bienrévèlent à travers la lentille déformante du grotesque les outrances du présent(Airbag14, El milagro de P. Tinto15), légataire d’un passé dictatorial incarné par des figureshautement esperpénticas (La comunidad16 ; la saga Torrente17)18.

6 Si l’on ne peut aller jusqu’à parler véritablement de distorsion grotesque dans le cas de

Torremolinos 73, envisagé par le réalisateur comme « el retrato fiel de una época […] queno [es] una visión caricaturesca »19, il n’en demeure pas moins que Pablo Berger déploieun dispositif de stylisation qui remodèle à dessein les années du franquisme tardif,notamment par le recours au comique et au détournement parodique, dont nousverrons plus loin qu’il est un procédé de (re)création déformant caractéristique de lapostmodernité20. Ainsi que nous l’avons déjà signalé, le cinéaste n’entend jamais menerni même ébaucher d’analyse historique, excluant toute référence à la répressionpolitique ou image de protestation sociale. C’est d’une manière bien plus oblique ettoujours teintée d’humour qu’il évoque, de façon métonymique, la dictaturemoribonde. Ainsi, dans la séquence d’ouverture, tandis qu’il s’échine à vendre sesencyclopédies aux habitants des immeubles de banlieue, cellules d’une sociétédictatoriale en crise, il propose d’offrir un buste du général Franco à un client potentielqui lui referme aussitôt la porte au nez. Ce rejet explicite se conjugue auxdétournements comiques de motifs sacrés (Vierge à l’enfant à laquelle la compositionde l’image assimile une mère dans cette même séquence de porte-à-porte [Figure 2]) etfigures religieuses irrévérencieusement associées au sexe (crucifix sous lequel Alfredoet Carmen tournent un peu plus loin une parodie pornographique de nuit de noces dansleur modeste logement ; religieuse peu engageante marquant le rythme martial de laprocédure à suivre dans la séquence du test de stérilité à l’hôpital) qui mettent à mal lesreprésentations de l’Église, pilier de l’idéologie franquiste, pour tourner en dérision lerégime déclinant et ses fondements moraux.

Figure 2

Diane Bracco

7 On peut aller jusqu’à voir la maison d’édition Montoya elle-même, entreprise pour

laquelle travaille Alfredo, ainsi que ses employés comme la métonymie parodique decette société enkystée et médiocre dont le déclin des valeurs laisse augurer un

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inéluctable changement sociopolitique. Au début du récit, outre le fait qu’il témoigned’une impopularité de la vente à domicile, comme le confirme la chute des chiffresexposés par son chef don Carlos (Juan Diego)21, l’emploi laborieux d’Alfredo lecondamne à l’immobilisme social, lui interdisant d’envisager sereinement la naissanced’un enfant. Une mutation se révèle donc inévitable tant pour l’entreprise – elle-mêmereflet dans la fiction des changements survenus dans le monde des éditeurs et, pluslargement, des transformations et de l’internationalisation de l’industrie culturelledurant les années 197022 – que pour le protagoniste, explicitement menacé delicenciement par son chef. La métamorphose qui se produit repose significativementsur une dégradation des normes morales associées au régime moribond, puisque lamaison d’édition se propose de renoncer à la publication d’encyclopédies, supposéesvectrices d’érudition, pour se consacrer à la production de vidéos pseudo-didactiquessur la sexualité des Espagnols à destination du marché scandinave – nous reparleronsplus loin de l’imaginaire de l’Europe du Nord fantasmé par le Sud. Plus loin, le long-métrage d’Alfredo se verra même appliquer une règle de « censure » des plusincongrues puisque don Carlos exigera qu’il introduise du sexe à l’écran23, à contre-courant de la pudibonderie des instances censoriales sous le franquisme.

8 On ne peut plus transgressif en regard du système normatif dictatorial, l’objectif

professionnel annoncé, dont la visée prétendument pédagogique voile à peine la naturepornographique de ces films, témoigne donc du vacillement de la moralité franquistedans un pays qui interdit hypocritement la pornographie mais, déjà très tourné vers laconsommation, l’utilise comme bien d’exportation. Cette évolution prend corps àtravers les postures des trois couples et de l’employé célibataire présents au congrèsorganisé par don Carlos dans une séquence combinant le comique de situation aucomique de caractère24. Si l’indignation et la bienséance l’emportent pour les deuxautres ménages, représentants de générations antérieures assimilées à la dictature surle déclin (deux quinquagénaires puritains, un vieillard malade et son épouse), Carmenet Alfredo – ainsi que Juan Luis, ami du protagoniste –, plus jeunes, sont les seuls à fairele choix audacieux d’accepter de défier la morale de leur temps, marquée au fer rougepar des décennies de répression sexuelle (Figure 3).

Figure 3

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9 Dans le même temps, leur démarche perpétue aussi paradoxalement un certain

conservatisme : tout en s’ouvrant à des horizons érotiques échappant à la norme dusexe procréatif imposé par la morale religieuse, le couple demeure inscrit dans l’ordretraditionaliste franquiste et ne se lance dans ce projet qu’afin d’échapper aulicenciement et de réunir les ressources économiques suffisantes pour pouvoir fonderune famille. C’est donc bien dans une cellule domestique conforme aux canons de ladictature et intégrant le motif traditionnel du désir d’enfant – qui permet au passage decharger certaines séquences d’une tonalité mélodramatique25 –, qu’ils donnent librecours à leur créativité sexuelle (le détail du crucifix au-dessus du lit matrimonial lorsdu premier tournage en super-huit n’est, à ce titre, pas anodin). Autrement dit, ladécision des époux n’est transgressive qu’en apparence : elle ne révèle pas tant unesubversion des valeurs de la dictature qu’une certaine déstabilisation de ces dernières àla veille de la démocratisation de l’Espagne et de la libération des mœurs qui s’amorce.Ce déplacement des seuils normatifs est comiquement incarné par un couple ordinaire,pur produit de son époque, dont le parcours ouvre une fenêtre sur une décennie quePablo Berger fait le choix de remodeler en puisant allègrement dans la culture deconsommation populaire.

Récupération de la mémoire collective : le prisme de laculture populaire

10 La stylisation des dernières années du franquisme repose en partie sur le choix du

réalisateur de privilégier une approche intrahistorique plutôt que de transposer desévénements macrohistoriques. Le fameux concept unamunien éclaire la réalitéréinventée par Berger depuis la perspective d’un couple d’Espagnols moyens dont lesaventures nous dévoilent la vie quotidienne de la population ainsi que leurspréoccupations domestiques et économiques comme contrepoint de l’histoirechangeante et visible. Plutôt que de représenter des événements majeurs de l’année1973 tels que l’attentat qui a causé la mort du chef du gouvernementLuis Carrero Blanco26, il nous immerge dans la culture populaire de l’époque,rassemblant à la manière de Miguel Ángel Bernardeau, créateur de la série télévisée àsuccès Cuéntame cómo pasó27, les fragments d’une mémoire collective et médiatique pournous donner accès à l’arrière-plan de ces séismes politiques. La télévision, saisie commele comble du confort domestique, ainsi que les chansons ponctuant la bande sonorejouent à cet égard un rôle majeur dans la fiction : elles constituent des emblèmes de laculture de consommation des années 1970 et participent du recyclage des matériauxauthentiques d’une époque28. De cette manière, Pablo Berger met en place un mode deconvocation du passé qui érige le canon populaire en un mécanisme de représentationà la fois stylisée et distanciée de la décennie en question. Sa vision intrahistorique estempreinte d’une nostalgie qui opère comme un dispositif de recréation inévitablementdéformant, paradigmatique de la production culturelle postmoderne selonFredric Jameson. Dans sa conception marxiste de la postmodernité, le théoricienétatsunien voit dans le passé, réduit à l’état de marchandise, « une immenseaccumulation d’images, un vaste simulacre photographique » qui vide l’histoire de sasubstance29. Il explore les ressorts de cette nostalgie, dégagée de son acception affective

commune, et l’entend comme instauration d’un réseau sémiotique qui connote lapasséité. Cette mise à distance permet de livrer au spectateur non pas la représentation

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objective d’une époque, mais un mirage visuel fondé sur des idées préconçues de cettedernière. Autrement dit, le passé n’existe que comme recréation et l’histoire fait place àune série de signes esthétiques. Dans Torremolinos 73, ces derniers sont, d’une part, lefruit du double travail de direction artistique et de direction de la photographie,respectivement assurées par Julio Torrecilla et Kiko de la Rica, sur les ambiances et lalumière ainsi que sur les tons décolorés, obscurs, qui, en connotant le vieillissement desimages, renvoient à une époque pré-démocratique révolue.

11 D’autre part, la bande sonore caractéristique de cette période contribue aussi à sa

reconstitution filmique. En l’occurrence, ce sont notamment les succès musicaux del’Espagne de la décennie 1970, empruntés à une culture populaire nationale perméableaux influences extérieures, qui opèrent comme marqueurs de passéité dans cettereconstruction nostalgique et fragmentaire de la fin du franquisme. Pablo Berger insèreau sein de la diégèse ces matériaux pré-existants retenus tant pour leur forced’évocation intrinsèque que pour les effets sémantiques et narratifs qu’ils ajoutent,dans le contexte diégétique, à l’esquisse historique et à l’histoire des personnages.Ainsi, les paroles de la chanson de l’été 1973, « Eva María » (Fórmula V), véritablehymne à la plage et aux vacances dans le cadre de l’émergence du tourisme de masseespagnol, résonne avec l’imaginaire balnéaire de Torremolinos, ville emblématique dulittoral méridional dont Berger présente avec un décalage humoristique le revershivernal, puisque c’est en pleine saison morte et donc dans une station entièrementdéserte qu’il choisit de tourner son long-métrage. Le souvenir de l’Eurovision 1973affleure également dans le passage où l’installation d’un téléviseur chez lesprotagonistes vient couronner leur rêve petit-bourgeois : fraîchement installé parAlfredo, l’appareil diffuse les images en noir et blanc de l’interprétation par le groupebasque Mocedades de la chanson « Eres tú », présentée au fameux concours musical30,tandis que Carmen se morfond, la stérilité de son époux compromettant son désird’enfant. D’autres morceaux, tels les tubes internationaux « Palomitas de maíz » (titrecastillan de « Pop Corn » repris par los Pekenikes en 1972) et « Mamy Blue » (1971),écrit en anglais et interprété par le groupe espagnol Pop Tops, la chanson « Carmen »(1971) de Trébol – clin d’œil onomastique explicite au personnage féminin – ou encorela version anglaise de « Un rayo de sol », chanson de l’été 1970 initialement interprétéepar le groupe Los Diablos et reprise en anglais pour le générique de fin par le trioasturien Doctor Explosion, jalonnent le récit filmique et accompagnent, tant sur lesplans diégétique qu’extradiégétique, les aventures des personnages. Ces entraînantesbribes musicales évocatrices du début des années 1970 provoquent une plongée joyeusedans la mémoire collective : éléments constituants de « la bande sonore d’un âge d’orperdu »31 pour Estella Tincknell, elles s’imposent comme les souvenirs fictionnels d’uneépoque brossée par touches, réinventée, et dont Berger livre une représentationnécessairement tronquée car réduite à son versant consumériste et ludique. Malgrétout, cette stratégie de recréation distanciée, d’une certaine manière déhistoricisée ausens où l’entend Jameson, n’en fait pas moins apparaître le film comme un évident lieude mémoire populaire mais aussi de brassage intermédiatique, où les citationsmusicales dialoguent avec des références cinématographiques que le metteur en scènese plaît à passer également au filtre postmoderne du détournement et de la parodie.

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Mémoire cinématographique : les stratégies de ladéformation parodique

12 Le cinéma constitue l’autre composante essentielle de cette reconstruction stylisée, la

glaise avec laquelle le metteur en scène élabore un récit filmique propice àl’autoréflexivité. Il est à la fois élément diégétique central dans une narration qui faitde la réalisation de films son sujet majeur, et objet mémoriel activant un voyage dans lacinématographie espagnole du franquisme tardif. Berger distille en effet dans la fictionplusieurs références à la production de l’époque, convoquée sur le mode fragmentaireet postmoderne de la citation ou de l’allusion32. Il recourt en premier lieu à ces textes

préexistants pour articuler le médium cinématographique, crucial dans le parcours deses protagonistes, au contexte de la période recréée. Comme les chansons,l’enchâssement d’un extrait du drame sentimental Adiós, cigueña adiós

(Manuel Summers, 1971), visionné par le couple au cinéma, inscrit les personnagesfictifs dans leur époque et les fait apparaître comme des consommateurs de la culturepopulaire du début de la décennie 1970, tout en illustrant de manière évidente le désirde maternité de Carmen33. Quelques séquences plus loin, Alfredo et son épouse ontl’occasion de rencontrer dans une discothèque l’acteur Máximo Valverde, vedette desannées 1970 – acteur de western spaghetti notamment – qui interprète son proprerôle : en convoquant le souvenir des rôles de galán que le spectateur espagnol nemanque pas d’associer au comédien, le cameo provoque un jeu de mise en abyme quibrouille les frontières entre réalité et fiction lorsque Valverde, en tentant de séduireCarmen, suscite la jalousie d’Alfredo. Le personnage archétypique que s’est forgél’acteur s’impose par conséquent comme un véritable palimpseste de chair et d’osincarnant dans la diégèse la tradition cinématographique de la décennie ré-imaginée.Dans une moindre mesure, Juan Diego, interprète de don Carlos, est également porteurd’une mémoire cinématographique qui remonte aux dernières années du franquisme34 ;le rôle marquant du señorito Iván dans Los santos inocentes (Mario Camus, 1984),adaptation du roman éponyme de Miguel Delibes pourtant postérieure à l’annéediégétique de Torremolinos 73, point, de manière détournée, dans la séquence de partiede chasse où don Carlos, ridiculement flanqué d’une jeune maîtresse-secrétaire-niècequi fait aussi office de groupie, s’engage à financer le supposé film d’auteur d’Alfredo.C’est aussi bien sûr l’esperpento filmique de Luis García Berlanga dansLa escopeta nacional (1977) qui est convoqué ici de manière plus flagrante encore àtravers la figure de ce patron amateur de gibier et de femmes.

13 À ce réseau référentiel vient également s’ajouter la mention d’un film contemporain de

la temporalité fictionnelle, Le Dernier tango à Paris ( Ultimo tango a Parigi,Bernardo Bertolucci, 1972), certes non espagnol mais dont l’évocation par une clientedu salon de beauté où travaille Carmen est révélatrice de l’état des mœurs à la veille dela mort du Caudillo. Moins anecdotique qu’il n’y paraît, l’évocation verbale éclaire toutautant le contexte moral de l’époque que les ressorts de la distorsion parodique àlaquelle Berger soumet certains de ces référents. L’indignation de la bourgeoisecaricaturale évoquant avec une bonne foi discutable ce qu’elle pensait être une comédiemusicale35 renvoie à un climat national de répression morale et sexuelle qui avaitconduit certains spectateurs à aller s’encanailler dans les cinémas de Perpignan ou deBiarritz pour visionner, entre autres, le sulfureux drame érotique, interdit en Espagnejusqu’à la suppression de la censure en 1977. C’est sur un mode parodique que

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s’effectue l’allusion puisque le référent se retrouve hypocritement assimilé à un genrecinématographique phare du cinéma officiel franquiste, déformé par le récit de labourgeoise bien-pensante qui rejoue verbalement la scandaleuse scène du beurretandis que Carmen lui inflige une douloureuse épilation. Les effets comiques dedistorsion et de décalage provoqués par l’insertion de cette citation dans la séquencerelèvent de l’ironie qui caractérise la démarche parodique postmoderne pour LindaHutcheon :

la parodie postmoderne n’ignore pas le contexte des représentations passées qu’ellecite mais utilise l’ironie pour souligner le fait que notre présent romptinévitablement avec le passé – temporellement et par l’histoire postérieure de cesreprésentations36.

14 Ainsi, à la différence de Jameson qui envisage, nous l’avons vu, la recréation

postmoderne comme une vision totalement déshistoricisée du passé, la théoricienneconsidère la parodie, pratique centrale de la postmodernité à ses yeux, comme le fruitd’une reconstruction ironique du passé et de ses objets, basée sur la distance critiquequi s’instaure entre le modèle original et sa réélaboration déformante. C’estprécisément de cette distance entre la sensualité crue du film original et laréinterprétation comique de la cliente indignée que naît, dans cet exemple dedétournement, le discours critique envers l’hypocrisie de la morale franquiste et de sesreprésentants, à leurs heures spectateurs clandestins de films interdits par les pouvoirsofficiels.

15 Dans le même temps, la référence sous-jacente à la censure de l’érotisme permet à

Pablo Berger d’évoquer indirectement le climat créatif et culturel de l’Espagne dufranquisme tardif, dont l’industrie cinématographique se trouve elle-mêmeprofondément marquée par le refoulement sexuel. Il faudra attendre la Transitiondémocratique pour assister, en réponse à la répression morale dictatoriale, à uneexplosion du cinéma érotique37, en particulier avec le « cine de destape » dont lesscénarios multiplieront les prétextes pour dénuder les actrices ou les montrer très peuvêtues38. Mais déjà, à la fin des années 1960, la « comedia sexy celtibérica » émerge avecdes titres comme La ciudad no es para mí, (Pedro Lazaga, 1966) ou No desearás al vecino del

quinto (Tito Fernández, 1970), qui rendent involontairement compte de l’étatdésastreux de la sexualité en Espagne. Pablo Berger s’abreuve aux sources de cettetradition cinématographique et s’approprie tout particulièrement les topiques dulandismo, catégorie qui désigne plus spécifiquement des comédies de mœurs mettant enscène les frustrations de personnages masculins issus de la classe moyenne et souffrantdans leur chair cette féroce répression sexuelle39. Induit par l’onomastique, lerapprochement entre son protagoniste et Alfredo Landa, comédien vedette qui a donnéson nom à la mouvance, fait ainsi apparaître de manière assez évidente Torremolinos 73

comme un hommage parodique à ce cinéma de l’érotisme frustré : la propriétaire del’appartement, austère et bigote, qui considère d’un mauvais œil les fantaisies sexuellesde ses locataires, le dragueur de discothèque, les femmes scandinaves plantureuses etlibérées, aux antipodes des Espagnoles enserrées dans l’étau de la morale franquiste,sont autant de figures empruntées aux comédies du landismo. L’utilisation des chansonspopulaires estivales mentionnées plus haut relève aussi des stratégies ludiques de cesous-genre de la comédie espagnole et alimente au passage le mythe de Torremolinos,reflété par de nombreuses productions de cette époque. Berger pousse le détournementà son extrême en confiant à son personnage de célibataire, Juan Luis, autre hommeordinaire conforme au type landista, la spécialité des tournages zoophiles avec des

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animaux de ferme, faute d’une partenaire – ses prouesses lui valent d’ailleurs quelquesos cassés. Au-delà de leur comique de situation, peut-être le réalisateur nous invite-t-ild’ailleurs à voir dans ces passages une anticipation parodique des sexualitésalternatives qui apparaîtront à l’écran pour jouir d’une visibilité inédite dans certainsdrames et autres films expérimentaux de l’immédiat post-franquisme (la zoophilie,notamment, est centrale dans La criatura d’Eloy de la Iglesia et Caniche de Bigas Luna40).

16 Ces exemples prouvent ainsi que c’est le septième art lui-même qui constitue le

matériau premier de la parodie dans Torremolinos 73. Loin de reposer sur desdétournements gratuits visant le seul divertissement du public, la fiction se révèle ainsidotée d’une évidente dimension métadiscursive qui se déploie pleinement dansl’épisode d’apprentissage cinématographique orchestré par Erik, le réalisateur danois(Tom Jacobsen), et son épouse Frida (Mari-Anne Jerspersen). Outre le fait que ceparrainage peut être interprété comme la métaphore d’une Espagne entraînée sur lavoie de la démocratisation, la séquence fait du cinéma un objet de représentationintégré à la diégèse, préfigurant l’inclusion de mises en abyme ultérieures (films ensuper-huit et images du long-métrage d’Alfredo). Conforme aux représentations desScandinaves fantasmées par les Espagnols depuis le début de l’afflux des touristesnordiques sur les plages dans les années 1960, le couple incarne un imaginaire deliberté corporelle et sexuelle qui se heurte aux mœurs espagnoles d’alors. Cetteconfrontation antithétique est comiquement mise en scène dans la séquence de la leçonde strip tease dispensée à la malhabile Carmen qui s’éveille à la sensualité pendant queson époux apprend à manier la caméra, comme le révèle le montage alterné (Figure 4).À un second niveau de lecture, grâce à l’application des conseils du couple danois et autournage libéré de multiples films en super-huit, les acteurs pornos en herbe font aussil’apprentissage de la liberté créative. C’est cette période d’expérimentation qui mèneAlfredo sur le chemin de la création cinématographique avec l’écriture et la réalisationde son premier long-métrage, pseudo-film d’auteur aux réminiscences bergmaniennesdont la genèse permet à Berger de sonder les mécanismes de la gestation artistique.

Figure 4

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« Bergman solía decir… »41 : métadiscours sur lacréation cinématographique

17 Il s’avère que le long-métrage de Pablo Berger, en tant que biographie fictive d’un

apprenti metteur en scène, produit une véritable réflexion sur l’art cinématographiqueet la création. Alfredo se trouve être la projection fictionnalisée d’un réalisateur ayantvéritablement existé, auteur d’un unique film, et celui-ci apparaît lui-même comme laréinvention diégétique d’un produit pornographique authentique qui, ainsi quel’indique le texte final, remporta un franc succès en Scandinavie. L’enchâssement desimages de tournage et du pseudo-drame métaphysique monté par Alfredo dans le textefilmique fait de la construction en abyme un procédé clé de l’œuvre de Berger, explicitépar l’éponymie qui lie son Torremolinos 73 à celui du personnage. La coïncidence destitres met en lumière un jeu de miroir évident qui interroge les mécanismesd’élaboration de la fiction et du septième art comme source d’inspiration tant dans leparcours du personnage diégétique que dans celui du réalisateur lui-même. Laconfusion des perspectives est également alimentée par certains choix narratifs,comme dans la séquence illustrant l’enrichissement du couple et l’enthousiasme deCarmen, passage significativement monté sur la chanson de Trébol : l’image tournée ensuper-8 envahit le champ et crée une illusion documentaire qui permet à la camérad’Alfredo de redoubler celle de Pablo Berger, faisant du spectateur le complice duregard masculin42.

18 Mais le véritable projet d’Alfredo López, las de tourner des courts-métrages

pornographiques, est la réalisation d’un long-métrage d’auteur en noir et blanc,directement inspiré du Septième sceau (Det sjunde inseglet, 1957) d’Ingmar Bergman43.Cette fable métaphysique, titre majeur de la filmographie du cinéaste suédois44, est icisaisie comme contrepoint des objets cinématographiques officiels du franquisme et desréférents télévisés populaires contemporains des personnages45. Si, dans la diégèse, satentative d’imitation fort sérieuse relève du pastiche, aussi naïve soit-elle, elle s’inscritclairement dans une démarche de détournement parodique à l’échelle du récitenchâssant. De fait, tout le passage consacré à la réalisation du film tire ses ressortscomiques de la dualité propre à l’exercice de la parodie selon Linda Hutcheon : « Cetteambivalence, à mi-chemin entre la répétition conservatrice et la différencerévolutionnaire, participe de la très paradoxale essence de la parodie. »46 Alfredos’inscrit dans la répétition en tant qu’il emprunte au modèle original ses hautesaspirations métaphysiques et imagine une allégorie de la mort similaire47, incarnée parMagnus (Mads Mikkelsen), un éphèbe danois qu’a recruté don Carlos et dont s’éprend laveuve interprétée par Carmen (Figure 5) ; en même temps, il réactive cette figure dansun scénario que lui inspire une séance de masturbation face à une carte postale deTorremolinos, où il choisit de tourner son œuvre, certes en hiver, mais dontl’imaginaire estival et touristique rompt radicalement avec les austères ambiancesbergmaniennes48.

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Figure 5

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19 D’emblée donc, le projet d’auteur reste associé au sexe et s’articule à la trame

intertextuelle landista du film de Berger. Ces effets de décalage risible, de « différencerévolutionnaire » – pour reprendre les mots de Linda Hutcheon – par rapport à laréférence bergmanienne, sont également alimentés par le jeu balbutiant de Carmen,actrice en herbe à la constitution bien plus ibérique que scandinave, les clichés decomédie romantique intégrés à l’œuvre (course passionnée sur la plage), ainsi que lesincompréhensions linguistiques entre les protagonistes espagnols et les membres del’équipe danoise engagée par don Carlos. La parodie atteint son paroxysme lorsque leproducteur explicite son souhait de transformer le projet d’Alfredo en filmpornographique contre le gré du réalisateur novice.

20 Suite à cette décision soudaine, Carmen, frustrée par la récente nouvelle de la stérilité

de son époux, accepte, à l’insu d’Alfredo, de tourner une scène érotique non simuléeavec l’acteur danois, dans le seul espoir de tomber enceinte. Faute de pouvoir infléchirla décision de don Carlos, le protagoniste reprend finalement la direction du plateaupour permettre à sa femme d’accomplir cet acte procréatif désespéré. La scène, teintéede dramatisme, fait ressortir la concomitance de deux processus en assimilantl’ambition artistique au désir d’enfant, la création cinématographique à la gestationbiologique. Le fil conducteur parodique du film de Berger aboutit d’ailleurs à uneconclusion doublement amère pour Alfredo, qui non seulement se résigne à ce que safemme soit fécondée par un autre, son acteur pseudo-bergmanien, mais voit aussi sesambitions d’auteur réduites à néant lorsque le producteur cupide s’approprie sonprojet, ridiculement transformé. L’épilogue scelle l’acceptation de ces deux paternitésaltérées puisque l’on voit Alfredo, reconverti en photographe de mariages maistoujours animé de velléités artistiques, capter les images du deuxième anniversaire desa fille, une blondinette née de l’union physique entre Carmen et Magnus lors dutournage de son long-métrage, réduit à un vulgaire porno vendu au marché scandinave.Au passage, il n’est pas innocent que l’enfant souffle ses bougies le 20 novembre 1975,jour de la mort du Caudillo, symbolisant par là-même tant l’avenir européen del’Espagne démocratique que la genèse coproductive du film de Berger, à l’instar duTorremolinos 73 d’Alfredo.

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21 De là à voir en Alfredo une sorte d’alter ego fictionnel du réalisateur, il n’y a qu’un pas.

Sur un plan extradiégétique, on peut en effet être tenté de considérer les imagesmontées de son hommage à Bergman comme un exercice de style pour Pablo Bergerlui-même, et une anticipation de sa filmographie postérieure. La mise en abyme de laséquence de la fête foraine, unique passage abouti du projet d’Alfredo ayant échappé àla réécriture pornographique, est à cet égard significative : nous y voyons la veuveinterprétée par Carmen au milieu d’attractions désertes, amusée par une troupe denains toreros qui tire un cercueil sur un chariot puis décampe (Figure 6) ; elle découvrealors son double mis en bière dans un inquiétant face-à-face avant d’être emportée parl’allégorie de la mort sur une montagne russe. Ces images en noir et blanc occupent unstatut à part dans l’architecture du film : elles sont les seules du long-métrage d’Alfredoà être insérées dans le continuum filmique du récit enchâssant, sans aucunemédiatisation par le biais d’un écran surcadré ou représentation du dispositifcinématographique. En outre, contrairement à d’autres passages que nous voyons seconstruire au fil du tournage maladroit de l’équipe hispano-danoise, elles suscitentmoins le rire du spectateur extradiégétique qu’un certain malaise produit par l’efficacejuxtaposition d’une bande sonore épurée49 au contenu allégorique des images en noir etblanc. Il s’avère que cette brève séquence contient en germe l’esthétique visuelle ainsique certains motifs de Blancanieves (2012), projet que Berger avait déjà en tête àl’époque de Torremolinos 73 mais qui mettrait huit ans à voir le jour50 : le groupe de nainstoreros préfigure de manière évidente celui de son adaptation hispanisée du conte desfrères Grimm (Figure 7) tandis que le cercueil annonce le catafalque de verre oùreposera Carmen-Blancanieves – l’identité onomastique des protagonistes fémininesrenforce évidemment la filiation entre les films51 ; le personnage endeuillé constitueaussi d’une certaine manière l’anticipation graphique de la noire marâtre jouée parMaribel Verdú.

Figure 6

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Figure 7

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22 En d’autres termes, la gestation artistique d’Alfredo semble se confondre avec celle de

Pablo Berger, qui esquisse ici en partie l’esthétique de son audacieux conte muet. Demême que la vocation d’Alfredo se concrétise lorsqu’il visionne, fasciné, Le Septième

sceau, le projet de Blancanieves plonge ses racines dans le souvenir marquant d’un ciné-concert des Rapaces (Greed, Erich von Stroheim, 1924) qui fit naître très tôt chez lecinéaste le désir de réaliser à son tour un film muet52. Comme le protagoniste deTorremolinos 73, dont le récit filmique a tôt fait de souligner la cinéphilie53, le réalisateura absorbé de multiples influences qu’il revisite dans son long-métrage de 2012, del’expressionisme allemand au cinéma d’avant-garde soviétique, en passant par lesréférences espagnoles et la production de l’âge d’or hollywoodien. Cette lecture élargiede la brève filmographie de Berger inviterait donc à voir dans les stratégies narrativesde sa comédie de 2003 la première expression d’une célébration du septième art et deses mécanismes créatifs qui s’épanouira pleinement dans son long-métrage muet,véritable hymne à la mémoire du cinéma primitif et au pouvoir de l’image mouvante.

23 En somme, à l’instar d’autres comédies réalisées dans les années 1990-2000,

Torremolinos 73 illustre les acceptions et implications que peut revêtir le concept demémoire dans le cinéma contemporain espagnol. Ce film écarte la question du passéenvisagé comme problématique historique au profit de la sélection des fragmentsmédiatiques d’une époque dont il livre une reconstruction édulcorée, articulée auprésent et nécessairement distanciée. Les matériaux hétérogènes recyclésappartiennent à un imaginaire commun que se sont forgés Pablo Berger et plusieursautres cinéastes de sa génération, imaginaire partagé avec un public capable dedéchiffrer le discours produit par la mobilisation de ces références. Les souvenirscinématographiques, télévisés, publicitaires, graphiques, musicaux avec lesquels ils ontgrandi constituent une mémoire populaire et intermédiatique que ces metteurs enscène ont absorbée, digérée et qu’ils réactivent dans leurs fictions, tantôt sous forme decitation et d’allusion, tantôt par le biais du pastiche et de la parodie. Doit-on pour

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autant en déduire que l’exploitation de cette mémoire médiatisée implique pour lescinéastes de pencher de façon systématique et monolithique du côté de l’« abolition del’histoire » et de l’« émotion nostalgique et acritique »54 ? Une telle démarche derecyclage ne paraît pas nécessairement exclure un discours ouvertement critique surl’histoire nationale si l’on pense à un film comme Balada triste de trompeta (2011), réalisépar un grand nom du cinéma postmoderne espagnol, Álex de la Iglesia, adepte des jeuxde référentialité et d’intermédialité. Ce drame grotesque sorti quatre ans après lapromulgation en Espagne de la Ley de Memoria Histórica, métaphorise les traumas duconflit civil à travers la rivalité mortifère entre deux clowns qui s’affrontent pourl’amour d’une acrobate. En combinant la peinture intrahistorique du quotidien à lareprésentation explicite de l’appareil répressif de la dictature, le cinéaste situe, commeBerger, la majeure partie de son action en 1973, offrant à travers un processuspersonnel de « recuperación de la memoria histórica »55 une sorte de revers sombre ethorrifique de Torremolinos 73.

NOTES

1. Diane BRACCO, « El hechizo de las imágenes : Blancanieves, el cuento espectacular de Pablo

Berger (2012) », Fotocinema. Revista científica de cine y fotografía [on-line] 11, julio 2015, p. 26-49.

URL :< http://www.revistafotocinema.com/>

2. Le texte de clôture précédant le générique de fin y fait explicitement référence.

3. Les photogrammes sont tirés du DVD Torremolinos 73, Buena Vista Home Entertainment, 2003.

4. La palette chromatique se réduit à un camaïeu de gris conjugué à une lumière froide qui ne fait

que mieux ressortir l’hostilité de ces lieux clos. La tâche est d’autant plus ardue pour Alfredo que

les interphones dysfonctionnants brouillent la communication avec les résidents et l’ascenseur

en panne, symbole de l’enlisement social, le contraint à une pénible ascension par l’escalier.

5. Dans les comédies noires antifranquistes contemporaines de la dictature, on pense aussi aux

logements exigus du cinéma de Marco Ferreri (El pisito, 1959 ; El cochecito, 1960) et de Luis García

Berlanga (El verdugo, 1963), peu propices à l’épanouissement des couples et des familles.

6. Burkhard P OHL, « Mémoire vivante, mémoire médiatisée ? Le recyclage des années 1970 »,

Pietsie Feenstra (coord.), Mémoire du cinéma espagnol (1975-2002), Condé-sur-Noireau, Corlet

Publications, coll. « CinémAction », n° 130, 2009, p. 116-121.

7. Burkard POHL, « ‘Hemos cambiado tanto’. El tardofranquismo en el cine español »,

Nancy Berthier, Jean-Claude Seguin (coords.), Cine, nación y nacionalidad(es) en España, actes du

colloque international des 12-14 juin 2006, Madrid, Collection de la Casa de Velázquez, vol. 100,

2007, p. 221.

8. Citons quelques films des années 1990-2000 : La noche más larga (1991) de

José Luis García Sánchez et Entre rojas (1994) de Azucena Rodríguez, qui dépeignent la répression

franquiste, ou encore Yoyes (2000) de Helena Taberna et Lobo (2004) de Michel Courtois, qui

traitent tous deux de l’ETA.

9. Nous n’entrerons pas ici dans le débat esthétique sur la définition du terme « camp », entendu

ici de manière générale comme conception de l’art populaire corollaire du kitsch, fondée sur

l’humour, l’ironie et l’exagération.

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10. Sur le cinéma espagnol postmoderne, voir notamment Vicente S ÁNCHEZ-BIOSCA,

Vicente J. BENET (coord.), Les Enjeux du cinéma espagnol : de la guerre à la postmodernité, Paris,

L’Harmattan, coll. « Horizons Espagne », 2010.

11. José Luis NAVARRETE C ARDERO, Historia de un género cinematográfico : la españolada, [s. l.],

Quiasmo, 2009, p. 279-290.

12. Burkhard POHL, Jörg TURSCHMANN (éds.), Miradas glocales. Cine español en el cambio de milenio,

Madrid / Francfurt, Iberocamericana / Vervuet, 2007, p. 15-25.

13. Álex de la Iglesia, 1998 et 2011.

14. Juanma Bajo Ulloa, 1997.

15. Javier Fesser, 1998.

16. Álex de la Iglesia, 2000.

17. Santiago Segura est réalisateur et acteur principal de Torrente, el brazo tonto de la ley (1998),

Torrente 2 : Misión en Marbella (2001), Torrente 3 : el Protector (2005), Torrente 4 : Lethal Crisis (2011),

Torrente 5 : Operación Eurovegas (2015).

18. Sur les questions de mémoire dans le cinéma espagnol, voir notamment Vicente S ÁNCHEZ-

BIOSCA, « Le recyclage de l’Histoire dans la comédie espagnole des années 90 », Claude Murcia,

Pascale Thibaudeau (coords.), Cinéma espagnol des années 90, Poitiers, La Licorne, UFR Langues

Littératures Poitiers, Maison des Sciences de l’Homme et de la Société, 2001 et Vicente SÁNCHEZ-

BIOSCA, Cine de historia, cine de memoria, Madrid, Cátedra, 2006.

19. Déclaration de Pablo Berger extraite de « Así se hizo Torremolinos », Torremolinos 73, DVD,

Buena Vista Home Entertainment, 2003.

20. Linda HUTCHEON, A Theory of Parody: The Teaching of Twentieth-Century Art Forms, New

York / London, Methuen, 1985.

21. On peut voir dans ce personnage une figure patriarcale qui incarne l’Espagne de

Manuel Fraga Iribarne, ministre du Tourisme entre 1962 et 1969, artisan d’une timide politique

d’ouverture. À cette époque, l’alliance entre catholicisme et capitalisme redessinait les

hiérarchies au sein d’une société qui embrassait les logiques de la consommation.

22. Burkhard POHL, « El Postboom en España (1973-1985). Intercambio cultural y mercado del

libro », José Manuel López de Abiada, José Morales Saravia (éds.), Boom y Postboom desde el nuevo

siglo : impacto y recepción, Madrid, Verbum, 2005, p. 208-247.

23. Il est à noter que 1973 est aussi l’année de la sortie de la comédie grivoise Lo verde empieza en

los Pirineos (Vicente Escrivá) : au début de la décennie 1970 précisément, un public exclusivement

masculin traversait les Pyrénées pour aller assister à des projections de films pornographiques en

France.

24. Assisté de sa jeune secrétaire et maîtresse Vanessa (Malena Alterio), hypocritement présentée

comme sa nièce, don Carlos présente avec grandiloquence le projet de reconversion de sa maison

d’édition à ses quatre employés et à leurs conjointes. Outre Alfredo, Carmen et le célibataire Juan

Luis (Fernando Tejero), sont également présents un quinquagénaire (Ramón Barea) et son épouse

(Nuria González) – ouvertement indignés par le projet –, ainsi qu’un couple de vieillards dont la

femme se montre un instant alléchée par la proposition.

25. En témoignent, entre autres, les échanges verbaux du couple à la sortie du cinéma ou lorsque

Carmen fond en larmes, brisant le téléviseur tout neuf, après avoir découvert la stérilité de son

époux.

26. L’assassinat fait, par exemple, l’objet d’une mise en scène spectaculaire dans une séquence de

Balada triste de trompeta (2011). Le réalisateur, Álex de la Iglesia, avait déjà transposé la tentative

de coup d’État du 23-F en optant pour la médiatisation télévisuelle dans Muertos de risa (1998).

27. Diffusé depuis le 13 septembre 2001 sur La 1, Cuéntame cómo pasó compte aujourd’hui dix-neuf

saisons. Parmi les nombreux travaux scientifiques qui y sont consacrés, voir notamment les

publications de Bénédicte BREMARD, « L’image de la dictature dans le feuilleton Cuéntame cómo

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pasó », Jean-Claude Seguin, Julie Amiot (éds.), Image et Pouvoir, Lyon, Grimh, 2006, p. 601-609 et

« Cuéntame la crónica de tiempos revueltos : experimentar la verdad histórica mediante la

ficción televisiva », Trama y Fondo, n° 24, primer semestre 2008, p. 141-149. Consulter également

José Carlos Rueda LAFFOND, Amparo GUERRA GÓMEZ, « Televisión y nostalgia. The Wonder Years y

Cuéntame cómo pasó », Revista Latina de Comunicación Social [on-line], nº 64, 2009. URL :

<http://www.revistalatinacs.org/09/art/32_831_55_Complutense/Rueda_y_Guerra.html>

(consulté le 16/03/2020)

28. Teresa FRAILE PRIETO, « Nostalgia, revival y músicas populares en el último cine español »,

Quaderns, 9, 2014, p. 107-114.

29. Fredric JAMESON, Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif (1991), Paris,

Beaux-Arts de Paris, coll. « D’art en questions », 2007, trad. Florence Nevoltry, p. 10.

30. Elle est arrivée à la deuxième place du classement avec 125 points, juste derrière le

Luxembourg (129 points).

31. Estella TINCKNELL, « The Soundtrack Movie, Nostalgia and Consumption », Ian Conrich,

Estella Tincknell (éds.), Film’s Musical Moments, Edinburgh UP, 2006, p. 132-145. (Nous traduisons)

32. Laurent J ULLIER, L’Écran postmoderne : un cinéma de l’allusion et du feu d’artifice, Paris,

L’Harmattan, 1997.

33. Le film de Manuel Summers raconte comment une jeune fille sans éducation sexuelle tombe

enceinte d’un garçon rencontré lors d’une excursion et mène sa grossesse à l’insu de ses parents,

avec l’aide de son groupe d’amis.

34. Citons El demonio de los celos (Ettore Scola, 1970), El Love feroz o cuando los hijos juegan al amor

(José Luis García Sánchez, 1975), ou encore La criatura (Eloy de la Iglesia, 1977).

35. On peut s’interroger sur les circonstances qui ont permis à la cliente du salon de coiffure de

pouvoir visionner ce film. A-t-elle franchi la frontière pour le voir dans les salles françaises ou

bien s’agit-il d’une légère invraisemblance du scénario (une supposée comédie musicale interdite

de projection en Espagne) ?

36. « Postmodern parody does not disregard the context of the past representations it cites, but

uses irony to ackowledge the fact that we are inevitably separated from past today –by time and

by the subsequent history of those representations. » (Nous traduisons) Linda HUTCHEON, The

Politics of Postmodernism (1989), London / New York :Routledge, 2002, p. 90.

37. Daniel KOWALSKY, « Cine nacional non grato. La pornografía española en la Transición

(1975-1982) », Nancy Berthier, Jean-Claude Seguin (coords.), Cine, nación… op. cit., p. 203-214.

L’auteur démontre que l’essor de ce type de production s’articule en deux étapes : tout d’abord

une phase d’expérimentation (1977-1979) caractérisée par le lien entre la thématique sexuelle et

une démarche d’introspection sociale ; puis une période au cours de laquelle se multiplient les

produits à petit budget (1980-1982) mettant en scène une sexualité purement pornographique.

38. José AGUILAR, Las estrellas del destape y la Transición : el cine español se destapa, Madrid, T&B

Editores, 2012.

39. José Luis CASTRO DE PAZ, Julio PÉREZ PERUCHA, Santos ZUNZUNEGUI (coords.), La nueva memoria.

Historia(s) del cine español (1939-2000), A Coruña, Vía Láctea, 2005, p. 60.

40. Diane B RACCO, « Le cinéma avant-gardiste de Bigas Luna ou l’exploration des déviances

humaines », Anatomie de l’outrance : une esthétique du débordement dans le cinéma espagnol de la

démocratie, thèse de doctorat (dir. Pascale Thibaudeau), Université Paris 8 Vincennes – Saint-

Denis, 2015, p. 76-92.

41. Il s’agit du leitmotiv des explications du réalisateur danois, ex assistant de Bergman, venu

former Alfredo au début du film.

42. Burkhard POHL, « ‘Hemos cambiado tanto’… », op. cit., p. 227.

43. Le film est cité explicitement lorsque Alfredo le visionne sur le téléviseur dont il a récemment

fait l’acquisition.

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44. Edmond GRANDGEORGE, Le Septième Sceau. Étude critique, Paris, Nathan, coll. « Sinopsis », 1992.

45. Par exemple le dessin animé télévisé La Familia Telerín (Santiago y José Luis Molo, 1964) dont

on entend la chanson dans l’une des séquences du film et qui annonçait à l’époque la fin des

émissions pour enfants avant le début de la programmation pour adultes.

46. « This ambivalence set up between conservative repetition and revolutionary difference is

part of the very paradoxical essence of parody. » (Nous traduisons) Linda HUTCHEON, A Theory of

Parody…, op. cit., p. 77.

47. Avec son ample cape noire et son teint très pâle, le personnage allégorique évoque celui de

Bergman, dont le visage blafard rappelle le maquillage d’un clown blanc. Pour une analyse de la

typification de la Mort dans Le Septième sceau, voir Jacques AUMONT, Ingmar Bergman. « Mes films

sont l’explicitation de mes images », Paris, Cahiers du cinéma, 2003, p. 116-117.

48. La veuve du récit de second niveau médite sur l’énigme de la mort dans l’eau glacée de la

piscine d’un hôtel de la station balnéaire. Le détail de la température constitue un élément

comique dans le récit de premier niveau car le froid hivernal rend ostensiblement difficile le

tournage de la scène pour Carmen, qui ânonne péniblement son texte.

49. L’inquiétante musique extradiégétique cède le pas à un silence préoccupant, perturbé

seulement par la musique du manège, la respiration de Carmen et le grincement des rails de

l’attraction.

50. Voir l’interview de Pablo Berger dans le making of de Blancanieves (« Así se hizo »), disponible

parmi les bonus du DVD. Pablo Berger, Blancanieves [DVD], Cameo, 2011.

51. L’héroïne du troisième long-métrage de Berger, Abracadabra, se prénomme aussi Carmen et

est interprétée par Maribel Verdú, avec laquelle le réalisateur avait déjà travaillé dans

Blancanieves.

52. Diane BRACCO, « El hechizo de las imágenes… », op. cit., p. 42.

53. On le voit le soir dans son lit absorbé par ses lectures de fascicules consacrés au septième art.

54. Vicente SÁNCHEZ-BIOSCA, Cine de historia…, op. cit., p. 78-80. Il ne faut pas non plus exclure la

dimension commerciale de cette comédie qui, en le parodiant, exploite aussi le caractère vendeur

du porno : Berger vise un public élargi en utilisant la caution de l’humour, de la distance et des

discours sur le septième art.

55. Jesús ANGULO, Antonio S ANTAMARINA, Álex de la Iglesia. La pasión de rodar, Donostia-San

Sebastián, Euskadiko Filmategia / Filmoteca vasca, 2012, p. 288. Au momento du tournage, le

réalisateur a déclaré : « Recuerdo aquello como un sueño o una pesadilla ininteligible. Quizá es el

año en el que la realidad se ha parecido más a los sueños. El Lute, la muerte de Carrero Blanco, los

payasos en la tele, forman un todo invisible en mi cabeza. No sé quién era payaso y quién niño en

aquella extraña alucinación. » Redacción de Cineyteatro, Cineyteatro, « Álex de la Iglesia comienza

el rodaje de Balada triste de trompeta » [on-line], [s.l.], [s.e.], 2010. URL : <http://

www.cineyteatro.es/portal/DETALLECONTENIDOS/tabid/62/xmmid/386/xmid/2440/xmview/2/

Default.aspx> (consulté le 31/03/2020).

RÉSUMÉS

En 2003, Pablo Berger réalise son premier long-métrage, Torremolinos 73, comédie qui situe son

action au crépuscule du franquisme. La temporalité dans laquelle s’inscrit l’histoire du

protagoniste, apprenti cinéaste pornographique, est prétexte à la recréation d’une époque pré-

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démocratique dont Berger explore la culture de consommation, érigeant son film en un lieu de

mémoire populaire. Le présent travail se propose d’examiner comment le réalisateur s’approprie

les fragments de cette mémoire médiatique, excluant volontairement tout discours historique ou

politique ouvert afin d’offrir une représentation stylisée, atomisée et déformée de la période ré-

imaginée. Le recyclage des référents musicaux et cinématographiques est régi par des stratégies

de distorsion et de réécriture parodique qui inscrivent de plain-pied le film de Berger dans le

cinéma postmoderne espagnol, tout en produisant, à travers la mise en abyme filmique, un

discours auto-réflexif sur le septième art et ses mécanismes créatifs dans l’œuvre du cinéaste lui-

même.

In 2003 Pablo Berger released his first full-length film, Torremolinos 73, a comedy set in late-

Franco Spain. The temporal context in which the protagonist’s story takes place is a pretext for

recreating a pre-democratic era from which Berger preserves above all consumer culture,

making the film the place of a popular memory. The aim of this work is to examine how the film

director appropriates the fragments of this mediatic memory, voluntarily excluding any

historical or open political discourse, in order to offer a stylized, atomized and distorted

representation of the re-imagined period. The recycling of musical and cinematographic

references is governed by strategies of deformation and parodic rewriting that fully inscribe

Berger’s film in Spanish postmodern cinema, while the abysmal construction of the film produces

a self-reflexive discourse on the seventh art and its creative mechanisms in the director’s own

work.

Torremolinos 73, Pablo Berger, memory, postmodernity, deformation

INDEX

Mots-clés : Torremolinos 73, Pablo Berger, mémoire, postmodernité, déformation

AUTEUR

DIANE BRACCO

(Université de Limoges)

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Les poèmes en prose de FedericoGarcía Lorca : création d’unedisparitionCarole Fillière

Introduction

1 Les Poemas en prosa de Lorca, longtemps relégués dans les marges de son œuvre, sont

aujourd’hui identifiés comme une étape créative étroitement associée à des facteursbiographiques : l’amitié et l’émulation artistique entre Lorca et Dalí en 1927 et 1928,alors que le surréalisme fait irruption sur la scène espagnole. Cependant, ces textes nesont pas des cas isolés dans le processus d’écriture et d’expérimentation de Lorca. Eneffet, si « la vida de Lorca es un ejercicio ininterrumpido de creación » comme l’affirmeMiguel García Posada1, il est également possible d’affirmer qu’elle fut un exercicecontinu d’écriture en prose poétique, comme creuset d’expérimentation pour uneévolution, sans limites génériques arbitrairement imposées par des canonslittéraires ou des modes, dans une recherche qui court chez lui de ses proses dejeunesse à ses pièces de théâtre impossibles.

Une voie de la prose qui a certainement partie liée avec sa vision de la poésie, exposéedès le seuil des proses d’Impresiones y Paisajes, son premier livre publié en 1918 :

La poesía existe en todas las cosas, en lo feo, en lo hermoso, en lo repugnante : lodifícil es saberla descubrir, despertar los lagos profundos del alma. Lo admirable deun espíritu está en recibir una emoción e interpretarla de muchas maneras, todasdistintas y contrarias2.

2 Puisque la poésie existe en toute chose et que l’esprit du poète reçoit et interprète le

pluriel, la prose labile et multiforme peut accueillir ce qui est, mais qu’il est si difficilede saisir. La prose, « libre et dure »3, devient le lieu du saisissement de cette poésie quipasse parmi nous :

La poesía es algo que anda por las calles. Que se mueve, que pasa a nuestro lado.Todas las cosas tienen su misterio, y la poesía es el misterio que tienen todas las

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cosas. Se pasa junto a un hombre, se mira a una mujer, se adivina la marcha oblicuade un perro, y en cada uno de estos objetos humanos está la poesía4.

3 Ces « objets humains » que d’aucuns qualifieraient de prosaïques, sont pour Lorca

« choses réelles et existantes »5. Or, cette réalité de la poésie, qui ne se traduit en rienpar un prosaïsme réaliste, est tout à la fois encline à l’apparition et à la dérobade, à ladisparition. C’est dans la conjonction entre la présence du poète et celle du réel, dans lavision de l’étonnement et de la merveille, que prend naissance la poésie :

El poeta se encuentra súbitamente con algo que salta ante él con los brazos en cruzy –quiera o no – le hace detenerse en la maravilla blanca del camino. Hay queinterpretar aquello, descifrar su secreto entrañable. ¡Y surge la poesía !6

4 Il n’est pas anodin que Lorca évoque le chemin et évince le miroir, dans un écho

remanié de la fameuse métaphore du miroir réaliste promené le long du chemin. Ici, lepoète se promène et est surpris, son pas arrêté. Mais la surprise ne suffit pas. Unsurgissement doit être déchiffré par le poète, et c’est dans cet acte d’interprétation dutendre et profond secret qu’apparaît la poésie. Cependant, jamais Lorca ne lui associeune contrainte absolue qui serait celle du vers. Implicitement, lorsqu’âgé de 19 ans ilcompose ses Místicas et Estados sentimentales, explicitement lorsqu’en 1928 il affirme quedeux poèmes qu’il vient de composer « naturalmente están en prosa porque el verso esuna ligadura que no resisten »7.

Un corpus singulier de proses (1917-1929)

5 Les proses poétiques et les poèmes en prose de Lorca ont encore trop rarement fait

l’objet de publication les réunissant, et cela de façon parcellaire dans des éditionsorganisées autour de six « grands » poèmes en prose identifiés comme tels par lacritique, qui suit en cela les annotations de l’auteur. Ces proses sont également peuenvisagées comme un ensemble cohérent. La raison première en est l’état parfoisfragmentaire et inachevé de certains textes qui nous sont parvenus grâce aux effortsdes chercheurs. D’autres raisons sont les considérations hiérarchiques conscientes ounon entre poésie en vers et poésie en prose, entre recueils et textes isolés, entre œuvresde jeunesse et de maturité. Les proses poétiques des années 20 ont d’ailleurs longtempssouffert d’un déficit d’attention par rapport à la poésie en vers de la même époque,phénomène qui commence à être rectifié aujourd’hui8. Parfois, certains textesredécouverts ou étudiés souffrent de ce dont ils manquaient au départ, quand lacaractérisation, sous couvert d’intégrer les textes à un courant, masque la continuitéd’un processus d’écriture et de recherche via la prose, comme cela a pu être le cas de lasingularité de la voix lorquienne.

6 Cependant, on doit à Andrew A. Anderson et Encarna Alonso Valero, respectivement en

2000 et 20079, l’heureuse édition de certaines proses de Lorca. Leur approche génériquevarie : alors que Anderson publie ce qu’il nomme les « Poemas en prosa » – où ilrassemble six textes achevés et publiés par Lorca, tous décrits entre mi-1927 et fin 1928,et cinq textes incomplets, de la même époque –, Alonso Valero fait le choix d’un toursurréaliste – Pez, astro y gafas –, appliqué alors à un ensemble de textes réunis sous lenom de « prosa narrativa breve ». Les deux éditions présentent, dans le même ordre, lestextes suivants : « Santa Lucía y San Lázaro », « Nadadora sumergida », « Suicidio enAlejandría », « Amantes asesinados por una perdiz ». Elles divergent ensuite puisque« Degollación del Bautista » apparaît avant « Degollación de los Inocentes » chez

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Anderson, et se distinguent totalement pour ce qui est du reste de l’ouvrage : Andersonréunit sous le titre d’« Apéndice » les textes « Cœur azul. Corazón bleu », « Corazón bleu

y cœur azul », « Meditaciones a la muerte de la madre de Charlot », « La gallina », « Miamor en el baño » ; Alonso Valero publie quant à elle « La gallina », « Historia de estegallo », « En el jardín de las toronjas de luna. Prólogo », « Meditaciones y alegorías delagua », « Poemas heroicos », « Las serpientes », « Telégrafo », « Árbol de sorpresas »,« Juego de damas », « Santa Liria », « [Un leñador con muchos hijos] », « La muerte de lamadre de Charlot », « “Cœur” azul – corazón “bleu” ». Soient 11 textes pour le premieret 19 pour la seconde, qui inclut des textes rédigés par Lorca entre 1920 et 1922. LesObras completas, préparées par Miguel García Posada, nous offrent cependant d’autresproses poétiques et poèmes en prose, dont « Paseo », « Barcarola », « Los grillos », « [Lanoche centenaria] » et « [Lanzando piedras al viento] ». Ce dernier avait d’ailleurs étépublié en traduction, dans l’ouvrage édité par André Belamich en 1981 dans La Pléiade,qui a longtemps servi de référence au vu des aléas dont furent victimes les manuscritslorquiens10.

7 D’un point de vue biographique, ces proses sont précédées par des textes composés en

1917 et 1918. Ainsi sans ses Místicas (de la carne y el espíritu), textes annoncés comme « enpréparation » dans la liste d’œuvres d’Impresiones y paisajes, le jeune Federicoexpérimente l’expression des liens et des tensions entre mysticisme et désir charnel aubiais d’une prose qu’il forge comme un espace de visions oniriques entrecoupées deréflexions transcendantales religieuses et de prières. Un mysticisme qui n’a rien de laquiétude puisque fait de conflits enchâssés, de critiques et de révoltes contre la société,l’Église, le mystère du corps. Ces premières proses composées entre mai et octobre191711 présentent des éléments que l’on retrouvera dans toutes ses proses poétiques àdes degrés divers, tels que la « vision », la « méditation » ou le dialogue, central pourcertaines, comme c’est le cas du « Diálogo espiritual » entre Satan et « un alma » dans« Mística doliente » ou de celui entre Platon et Sappho qui s’associe à la visionprésentée dans « Poema de la carne. Nostalgia olorosa y ensoñadora », au sous-titrebiffé : « Estado sentimental ». Dans ses « états sentimentaux », il explore le terrain del’écriture subjective, tour à tour et tout à la fois romantique, impressionniste etsymboliste. Au travers du motif du rêve, qu’il emprunte à Novalis pour ses choixthématiques et stylistiques, et dans des échos nervaliens, Lorca s’inscrit dans unepratique créative qui affirme que la prose est synonyme de poésie12. Ces compositionsdatées de l’automne 1917 et de janvier 1918 sont remarquables également pourl’hésitation manifeste entre des titres multiples ou raturés, qui montrent la rechercheen cours et renforcent la difficulté qu’il y a à les étiqueter : « Canción », « Visión »,« Sinfonía mágica », « Ensueño », « Sueño despierto », « Sonata »13.

8 Au cœur du processus superposé de création qui est celui de Lorca – il travaille sur

plusieurs textes, formes, genres, projets à la fois –, l’écriture en prose poétique sepoursuit donc dans les années 20, comme l’ont montré les divers chercheurs qui ontsauvé de la disparition la plupart des proses que nous pouvons aujourd’hui consulter14.Et culminerait pour certains, dans une vision parfois téléologique de l’histoire littérairesinon de la créativité, dans les poèmes en prose avant-gardistes voire surréalistes15 desannées 1927 et 1928. S’ils ne sont pas publiés en ouvrage avant 2000, et jamais de sonvivant, ces textes furent diffusés précédemment dans des revues : « Santa Lucía y SanLázaro », en décembre 1927 dans la Revista de Occidente ; « Nadadora sumergida » et« Suicidio en Alejandría », avec des dessins de Lorca, en septembre 1928 dans L’Amic de

les Arts ; « Degollación de los Inocentes », le 15 janvier 1929 dans La Gaceta literaria avec

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une illustration de Dalí ; « Amantes asesinados » avec le sur-titre « Autoretrato » dansla revue Ddooss de Valladolid en mars 1931 ; « Degollación del Bautista » dans la revueAvance de La Havane en avril 1930 ; à ces six poèmes en prose l’on peut ajouter « Lagallina », publié en mai 1934 dans La Revista Quincenal de Vitoria.

9 En 1927, en pleine effervescence surréaliste, Lorca fait le choix du retour à la prose,

d’un réinvestissement de la poésie en prose. Cette année est pour lui l’« année Dalí » : illui rend visite à Figueras en Catalogne, ce dernier l’initie au cubisme alors que sesexpositions catalanes sont un succès et prépare les décors de Mariana Pineda, dont lapremière a lieu en juin à Barcelone. C’est l’année de la rencontre de Lorca avec LluisMontanya – à qui il dédie « La degollación del Bautista » – et avec Sebastià Gasch – à quiil dédie « Santa Lucía y San Lázaro » – ; de sa collaboration avec la revue avant-gardistede Sitges L’Amic de les Arts, qui publie en juillet le « Saint Sébastien » que Dalí rédige enprose et dédie à Lorca16. Ce dernier témoigne alors de l’enthousiasme que la lecture decette prose a suscité en lui : « Se trata sencillamente de una prosa nueva de relacionesinsospechables y sutilísimos puntos de vista17 ». 1928, quant à elle, est l’année où lacréativité de Lorca suit à nouveau des sentiers multiples. En octobre est jouée Mariana

Pineda à Madrid, en novembre est publié le poème en prose « Santa Lucía y SanLázaro » ; Lorca cherche à éditer ses dessins ; il travaille sur La Zapatera prodigiosa, safarce aux tours symbolistes, mais compose aussi les poèmes « Oda al SantísimoSacramento del Altar », et « Oda a Sesostris ». Lorca lance le premier numéro de gallo àGrenade en mars, qui a pour objectif d’être une revue d’avant-garde sœur de la revuecatalane, pour laquelle il traduit avec d’autres le « San Sebastiá » de Dalí en castillan etcompose « Historia de este gallo ». En juillet 1928, c’est la publication et le succèsimmédiat du Romancero Gitano, mais Lorca affirme se trouver déjà bien loin de cestextes : à l’automne il travaille sur « Nadadora sumergida » et « Suicidio enAlejandría ». Il donne à la même époque sa conférence « Imaginación, inspiración etevasión » à Grenade, publiée dans El defensor de Granada le 11 octobre 1928. Puis, le 15janvier 1929, il publie « La degollación de los Inocentes » en première page de La Gaceta

Literaria avec un dessin de Dalí et un poème en prose de Buñuel. C’est également cetteannée qu’il écrit « Amantes asesinados por una perdiz », conçu comme un hommage àGuy de Maupassant et aujourd’hui inséré dans le recueil posthume Poeta en Nueva York18.

10 Mon propos n’est pas ici de retracer l’histoire de ces textes, qui a été remarquablement

établie, ni de les passer au crible d’une analyse visant à les insérer dans tel ou telcourant artistique. L’élaboration de critères est toujours problématique à l’heure dedéfinir l’« appartenance » des proses des années 20 dans des catégories plus fines quecelle englobante des avant-gardes, comme peuvent en faire l’expérience les éditeursd’anthologies : ainsi, alors que Ródenas sélectionne seulement les deux« Degollaciones » pour les faire figurer dans Prosas del 27, Millares place quant à elle« Nadadora sumergida », « Suicidio en Alejandría », « Degollación de los inocentes » et« Asesinados por una perdiz » dans la section « Prosas expérimentales, lúdicas yvisionarias », alors qu’existe dans son anthologie la rubrique « Microrrelatos, cinegrafiay poemas en prosa ». Les catégorisations sont certes indispensables à la clarté, maiselles peinent à rendre compte de l’exercice de liberté que constitue pour Lorcal’écriture en prose, polymorphe et déliée. Elles sont d’autant plus difficiles à établir quele corpus établi ne correspond pas à une vision linéaire de la création, qui procèderaitpar étapes créatives marquées et différenciées, mais plutôt à une vision palimpseste dela créativité et des formes d’expression. La disparité est alors de mise au sein du corpus,surtout si l’on songe à la versatilité des textes concernés, à leur état fragmentaire

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parfois, à leur brièveté et, surtout, à leur singularité anticonformiste. Ces textes,longtemps considérés par la critique comme des hapax dans l’œuvre lorquien, oucomme une marche vers un aboutissement qui serait celui de Poeta en Nueva York et versune étape dramaturgique conçue comme résolution des conflits intimes et sociaux dansla sublimation que serait une écriture de l’impossible représentativité, ne sont en riendes « brouillons », « études » ou « essais ». Ils ne peuvent être réduits à ce potentielnégatif ou identifiés comme à des éléments dispensables à l’aune de la critique del’œuvre lorquien : ils sont porteurs au contraire d’un projet poétique réel et constitutifd’une pratique constamment continuée et reprise de la création.

11 Lorca fait en 1927 le choix d’un déport vers la prose qui n’est en rien une nouveauté

pour lui. Il est conscient de l’attractivité des « prosas » dans les revues19 et déploie endébut d’année son activité en ce sens, comme le prouve sa lettre à Guillermo del Torrede février :

[…] estoy copiando varios diálogos en prosa que tengo, que irán bien en la Gaceta.Diálogo de Búster Keaton, diálogo fotografiado, etc. Prefiero publicar prosas. A laRevista de Occidente voy a enviar unos ensayos en prosa y en la Gaceta quisieradebutar así. ¿ Te parece bien ?... ¿ o deseas al vate ?20.

12 La dissociation entre « vate » et prosateur est ironique car il ajoute immédiatement :

« son distintas muestras de mi lira ». En opérant ce retour vers la prose poétique, Lorcaaffirme composer des « poemas » : « En prosa hago ahora un ensayo en el que estoyinteresadísimo. Me propongo dos temas literarios, los desarrollo y luego los analizo. Yel resultado es un poema21 ». S’il décrit modestement ses recherches en prose, et parlede « Santa Lucía y San Lázaro comme d’« un ensayo en prosa »22, Lorca se trouve dansune forme d’expérimentation qu’il formule progressivement avec plus de clarté. Il écriten juillet : « He trabajado bastante en nuevos y originales poemas pertenecientes ya, unavez terminado el Romancero gitano, a otra clase de cosas23 », avant de finir par affirmer àGasch en septembre, sur un ton polémique : « Y me da horror el poema con versos »24. La réception du Romancero Gitano joue un rôle dans cette reprise de la prose. Lorca veuten effet s’éloigner de l’image que l’on donne de lui dans la lecture du Romancero Gitano,et écrit la plupart de ses poèmes en prose lorsqu’il est « victime » du succès du recueil.Il s’en plaint et explique sa situation dans une lettre à Guillén de janvier 1927 :

Me va molestando un poco mi mito de gitanería. Confunden mi vida y mi carácter.No quiero, de ninguna manera. Los gitanos son un tema. Y nada más. Yo podía ser lomismo poeta de agujas de coser o de paisajes hidráulicos. Además el gitanismo meda un tono de incultura, de falta de educación y de poeta salvaje que tú sabes bien nosoy. No quiero que me encasillen. Siento que me van echando cadenas. NO (comodiría Ors)25.

13 Le refus des définitions et des étiquettes est catégorique. Il prend la forme d’un

emprunt-pastiche des Gloses d’Eugeni d’Ors et sa virulence touche à deux éléments :Lorca n’est en rien un poète « naturel », « spontané », sauvage dit-il, mais au contraireun adepte du travail, de l’effort et de la discipline dont sont témoins ses correspondantsà qui il raconte combien il travaille26. Une revendication que l’on retrouve égalementdans la formulation de sa poétique transmise par Gerardo Diego : « si es verdad que soypoeta por la gracia de Dios – o del demonio – también lo es que lo soy por la gracia de latécnica y del esfuerzo, y de darme cuenta en absoluto de lo que es un poema27 ». Lorcaest de plus un écrivain cultivé, dont l’écriture est pétrie de lectures, réflexions etréférences précises subtilement agrégées à sa créativité28. Le deuxième point qu’ilentend marquer est qu’il y a un monde entre le thème de ses poèmes et sa poétique. Les

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gitans peuvent aisément être remplacés par des aiguilles ou des mécanismeshydrauliques : c’est d’ailleurs ce qu’il se propose de faire dans ses poèmes en prose.Lorca entend pour cela montrer la diversité de ses créations pour contrer l’image depoète gitan qui occulte son projet poétique :

Mis libros ya van a salir. Para muchos serán una sorpresa. Ha circulado demasiadomi tópico de gitanismo, y este libro de Canciones, por ejemplo, es un esfuerzo líricosereno, agudo, y me parece de gran poesía (en el sentido de nobleza y calidad, no devalor). No es un libro gitanístico29.

14 En 1928, Lorca est à même de parler plus précisément de ses nouvelles créations. Ainsi

confie-t-il à Jorge Zalamea que sa poésie est désormais une poésie « de abrirse las

venas », une poésie violente et agonique qui mêle amour et ironie :

He trabajado mucho y estoy trabajando. Después de construir mis Odas, en las quetengo tanta ilusión, cierro este ciclo de poesía para hacer otra cosa. Ahora tengouna poesía de abrirse las venas, una poesía evadida ya de la realidad con una emocióndonde se refleja todo mi amor por las cosas y mi guasa por las cosas. Amor de moriry burla de morir. Amor. Mi corazón. Así es30.

15 En septembre 1928, il affirme à Gasch « Yo trabajo con gran amor en varias cosas de

géneros muy distintos. Hago poemas de todas clases » et « Mi poesía tiende ahora otrovuelo más agudo todavía. Me parece que un vuelo personal »31. Puis, dans une autrelettre, quelques jours plus tard et à propos de « Nadadora sumergida » et de « Suicidioen Alejandría » :

Ahí te mando los dos poemas. Yo quisiera que fueran de tu agrado. Responden a minueva manera espiritualista, emoción pura descarnada, desligada del control lógico,pero, ¡ojo, ¡ojo ! Con una tremenda lógica poética. No es surrealismo, ¡ojo !, laconciencia más clara los ilumina.Son los primeros que he hecho. Naturalmente, están en prosa porque el verso esuna ligadura que no resisten. Pero en ellos sí notarás, desde luego, la ternura de miactual corazón32.

16 La critique s’accorde à dire que cette veine nouvelle a pour déclencheur le « Sant

Sebastià33 » dalinien et à voir dans les six poèmes en prose « officiels » de Lorca uneposture surréaliste. Le dialogisme est indéniable entre Lorca et le Catalan, mais il n’esten rien une adoption inconditionnelle des idées de Dalí ni des principes surréalistes. Deplus, les poèmes en prose dialoguent également avec les proses de jeunesse de l’auteur,et les dialogues qu’il a continué à composer. Le résultat en est ce pas de côté qui éloigneLorca de la poésie versifiée. Mais il ne choisit pas pour autant la voix du surréalisme.Lorca crée des proses qui font trembler la « vieille poésie » mais n’assurent pas pourautant les assises d’une poésie surréaliste. Au contraire, Lorca le détourne et réinventepour s’en démarquer. S’il en adopte les procédés de décomposition et de fragmentationdu réel, ce n’est pas sous le coup d’une révélation qu’il lui serait extérieure. Ses prosesles plus anciennes explorent déjà la diffraction et la perspective, comme c’est le casdans « Meditaciones y alegorías del agua » :

Hace muchos años yo, soñador modesto y muchacho alegre, paso todos los veranosen la fresca orilla de un río. Por las tardes, cuando los admirables abejarucos cantanpresintiendo el viento y la cigarra frota con rabia sus dos laminillas de oro, mesiento junto a la viva hondura del remanso y echo a volar mis propios ojos que seposan asustados sobre el agua, o en las redondas copas de los Álamos.Bajo las mimbres picadas, y junto a la lengua del agua, yo siento cómo toda la tardeabierta hunde mansamente con su peso la verde lámina del remanso [y] cómo lasráfagas de silencio ponen frío el asombrado cristal de mis ojos.Los primeros días me turbó el espléndido espectáculo de los reflejos, las alamedas

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caídas que se ponen salomónicas al menor suspiro del agua, los zarzales y los juncosque se rizan como una tela de monja.Pero yo no observé que mi alma se iba convirtiendo en prisma, que mi alma sellenaba de inmensas perspectivas y de fantasmas temblorosos34.

17 S’il concède à Dalí que chaussure et cuillère ne sont que chaussure et cuillère, et que

leur capacité d’aventure est intacte lorsque l’on cesse de s’intéresser au lien logiqueentre les choses et que l’on brise les amarres du visible et de l’invisible35, Lorca affirmepar ailleurs que ses créations répondent à une « terrible logique poétique » et que « laconscience la plus claire les illumine ». Il est donc exemplaire de la réception singulièredu surréalisme en Espagne, mouvement qui stimule sa créativité mais ne l’influence pascomplètement.

18 C’est dans la conjonction entre rénovation esthétique, rendue possible par les avant-

gardes et le surréalisme, et choix de la prose que se situe l’acte subversif chez Lorca.Comme l’affirme Alonso Valero, ses poèmes en prose figurent parmi « sus obras demayor transgresión »36, ce sont des subversions poétiques qui parlent d’une poésie àdétruire, d’une poésie en voie de disparition, et cela à travers une forme, le poème enprose, qui après 1929 disparaîtra de l’œuvre lorquien. Mais n’oublions pas que lasubversion était déjà présente et puissante dans les Místicas et les Estados Sentimentales,dont la portée critique s’unissait à la rêverie de soi au sein de paysages oniriquesfantaisistes, de voyages extraordinaires et de dialogues faisant résonner les voix desmarginaux et déchus. Or, la prose poétique et le poème en prose incarnent ladissonance, le geste y est moderne mais également conscient du passé, de ses traces etde sa disparition. Ces textes, neutralisés quand ils sont réduits à des essais surréalistesou de jeunesse, sont le lieu d’une prose tremblée, d’une prose comme cours et creuset del’expérimentation, de l’hybridation, de la rupture. En eux Lorca construit une poétiquedu tremblement et un dire autre qui crée (sur) la disparition et le conduira à la saisie duvide et du creux dans Poeta en Nueva York37.

Une créativité de la disparition

19 Les images de la disparition sont constantes dans ce corpus. Elles composent une

atmosphère faite de départs, d’au revoir, de dissolutions et d’éclipses, et se déploientsur une gamme étendue qui part de l’intermittence pour rejoindre la disparition. Encela les textes donnent corps à l’ensemble des acceptions du terme « disparition », quidésigne ce qui cesse momentanément d’être visible, mais aussi ce qui s’éloigne,s’absente, s’égare ou est égaré, se perd ou est volé, et ce qui cesse d’exister. Or, lesnotions évoquées dans ses définitions – invisibilité, éloignement, absence, égarement,vol et destruction –, ont toute partie liée avec une écriture qui est une recherche, unacte de traduction d’un réel en cours de disparition.

20 Se multiplient alors clignements et étincellements, comme par exemple dans le très

beau « Telégrafo » où le sujet poétique qui rêve à un pays absent et lointain est surprispar l’union des clignements des étoiles et du télégraphe :

Miré al cielo indolentemente y vi que todas las estrellas telegrafiaban en el infinitocon sus parpadeos luminosos. Sirio sobre todas ellas enviaba tics anaranjados y tacsverdes entre el asombro de todas las demás.El telégrafo luminoso del cielo se unió al telégrafo pobre de la estación y mi alma(demasiado tierna) contestó con sus párpados a todas las preguntas y requiebros delas estrellas que entonces comprendí perfectamente38.

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21 La compréhension naît de la fulgurance du message qui est là, puis déjà parti et

lointain, mais dont l’éclat demeure dans la pupille et dans l’être. Cet instant rare estcelui de la captation du mystère, qui s’offre subrepticement à l’œil : si Psyché dans les« Poemas heroicos », qui se baigne dans la pupille tremblante d’un bois discret, à l’heurde voir « cómo las estrellas abren sus párpados blancos », elle pleure pourtant ladisparition d’un autre clignement de paupières, celles des ailes du papillon venu boiresur ses lèvres de vierge : « ¡Oh, Mariposa ! – dice –, vete invisible y vuelve invisible […] yyo seré como un arpa yacente que, pulsada por la brisa, llore tu ausencia »39. Ce mêmepapillon dont la métamorphose vole aux dames l’objet de leur désir dans « Juego dedamas » :

Las cinco damas de una corte llena de color y poesía, enamoradas las cinco de unjoven misterioso que ha llegado a ella de lejanas tierras. Lo rondan, lo cercan y seocultan mutuamente su amor. Pero el joven no les hace caso. El joven pasea eljardín enamorando a la hija del jardinero40, joven con la piel tostada y de ningunabelleza, aunque sin fealdad, desde luego. Las otras damas lo rondan y averiguan dequé se trata e, indignadas, tratan de matar a la joven tostada, pero cuando llegan yaestá ella muerta con la cara sonriente y llena de luz y aroma exquisito. Sobre unbando del jardín encuentran una mariposa que sale volando y las ropas del joven.

22 La jeune fille au visage dérobé par la brûlure recouvre la beauté de ses traits dans la

disparition ultime, alors que du jeune amoureux désiré par les dames ne persiste quel’habit : les deux corps disparaissent dans deux métamorphoses qui les séparent l’un del’autre après la fulgurance de la rencontre amoureuse.

23 Les paysages tremblent dans les premières proses poétiques des années 20, ils

frémissent, rendus intermittents par le chant des cigales et le palpitement de lalumière : « Por el aire yacente de la noche estival flotaban las temblorosas cintas de losgrillos ». Devenus espaces de changements, ils accueillent la disparition en cours :« miré a la copa real que estaba inundada de sol poniente y sólo los invisibles pajarillosdel viento jugaban entre las hojas ; el pájaro de oro había desaparecido »41. L’émotionpeut également surgir des êtres et des choses qui ont disparu sans même avoir été :

Una emoción aguda y elegíaca por las cosas que no han sido, buenas y malas,grandes y pequeñas, invade los paisajes de mis ojos casi ocultos por unas gafas deluz violeta. Una emoción amarga que me hace caminar hacia este jardín que seestremece en las altísimas llanuras del aire42.

24 Dans ce texte apparaît le motif récurrent du voyage. Transformation et disparition sont

alors deux faces d’un même événement, lorsque le voyageur traverse des espaces encours de métamorphose, les laisse disparaître derrière lui et s’engage sur une voie quin’est jamais évidente, claire et précise, mais au contraire floue, déjà effacée dansl’instant où il avance. Le voyageur des proses lorquiennes est souvent sur ce « caminoque va a ninguna parte, donde están los que han muerto esperando »43. En tous les cas, ilfait partie de ces êtres en partance qui peuplent les proses, à l’image des bancs de« Paseo » qui partent « en busca de otros paisajes y otros ritmos »44. Il se prépare pourun déplacement, quitte lieux et choses, dans des textes qui s’ouvrent sur des au revoir :« Me he despedido de los amigos que más quiero para emprender un corto perodramático viaje. Sobre un espejo de plata encuentro, mucho antes de que amanezca, elmaletín con la ropa que debo usar en la extraña tierra a que me dirijo ». Ces mots, quiconstituent le début de qui était prévu comme le prologue de « En el jardín de lastoronjas de luna », reviennent transformés dans les dernières lignes de « Santa Lucía ySan Lázaro » :

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Hace unos momentos que estoy en casa.Sin sorpresa he hallado mi maletín vacío. Sólo unas gafas y un blanquísimoguardapolvo. Dos temas de viaje. Puros y aislados. Las gafas, sobre la mesa, llevabanal máximo su dibujo concreto y su fijeza extraplana. El guardapolvo se desmayabaen la silla en su siempre ultima actitud, con una lejanía poco humana ya, lejaníabajo cero de pez ahogado. Las gafas iban hacia un teorema geométrico dedemostración exacta, y el guardapolvo se arrojaba a un mar lleno de naufragios yverdes resplandores súbitos. Gafas y guardapolvo. En la mesa y en la silla. SantaLucía y San Lázaro45.

25 Ce qui était l’aune d’un départ dans le premier texte est ici devenu un adieu, adressé au

voyage lui-même puisque le voyageur est revenu chez lui, a pris le train qui l’éloigne del’étrange ville marine où les magasins d’optique réfractent les yeux de Sainte Lucie etoù, dans la gare, il a croisé la figure hiératique et suspendue de San Lázaro. Adresséégalement aux lunettes et à l’imperméable, présents sur les meubles de la chambremais déjà absents et lointains. Or, ces objets, métaphores et signes de ce que Lorcalaisse disparaître derrière lui, sont au cœur de sa représentation critique et de savolonté de redéfinition esthétique46.

26 La critique s’est intéressée à ce que, à la suite d’Antonio Monegal, on a nommé

« rhétorique de la violence, de la mutilation et du sang »47 dans les poèmes en prose deLorca. L’analyse de la « cruauté » dans les textes se fait alors en termes métapoétiqueset manifeste les attaques virulentes de Lorca contre le monde figé de la poésie pure etcontre la société48. Ces éléments sont indéniables, mais je m’intéresserai ici davantage àla persistance de la disparition dans les textes, à l’écriture du processus même de ladisparition, et donc à ses traces. Elles actualisent le processus de recherche créative deLorca à chaque lecture : en effet, ces marques ne disparaîtront jamais totalement carelles sont aujourd’hui déposées, transposées dans les poèmes. Aussi paradoxal que celapuisse être, il leur faut un témoin, un lecteur qui fasse que ces indices de la disparitionexistent, qu’ils deviennent la marque d’une permanence que le texte rend possible. Ladisparition, malgré les sens que le dictionnaire lui accole, n’est donc jamaisélimination49.

27 Elle n’est pas non plus strictement associée aux éléments du passé jugés inutiles et

contraignants et ne propose pas une stricte opposition binaire entre l’ancien et lenouveau. Ainsi dans « Santa Lucía y San Lázaro », c’est avec la même tristesse que levoyageur laisse derrière lui un vieux numéro de Blanco y Negro de 1910 dont la factureet l’idéologie dix-neuviémistes ont été incapables de porter les rénovations esthétiquesde cette époque, qui sont déjà vieilles, et les noms accolés des papiers à cigarettes, dansun jeu qui est une composition surréaliste déjà distante et abandonnée par Lorca :« Tristeza recién llegada de los librillos de papel marca “El Paraguas”, “El Automóbil” y“La Bicicleta” ; tristeza del Blanco y Negro de 1910 »50. À cette association des signifiants,Lorca préfère le lien poétique qu’il établit entre les lunettes et l’imperméable : en celace poème en prose est, depuis le surréalisme, et déjà, une critique du surréalisme enlittérature.

Dans cette poésie « à s’ouvrir les veines », ce sont les corps qui disparaissent. Ou plutôtleur unité organique, comme dans « Mi amor en el baño » :

Al entrar en el cuarto de baño vi a mi amor que se dividía para no quererme.El sistema de venas latía sobre un maniquí. El sistema muscular pendía de los tuboshirientes. El sistema muscular pendía de los tubos hirientes. El sistema nerviososaltaba sobre une rana. El sistema de aire lloraba. Cuatro sistemas y su sombra en labañera pura51.

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28 Cette poésie est celle de la destruction en cours, de la disparition créée. Les morts ne

partent jamais vraiment, ne quittent pas les textes, qu’ils habitent tel l’enfant au visageblanc de Poeta en Nueva York. Les corps morts non plus, et leur incarnation maximale estcelle des corps saints. La présence des saints et l’adoration de corps putréfiés52 est unphénomène récurrent déjà dans son œuvre antérieure à 1927. Avant même d’être lié àce que les siècles et l’Église ont consacré par le pouvoir de l’image, le saint est uncorps53. Un corps en souffrance, mais une souffrance sans douleur, car lors de sonmartyre il est habité par l’esprit Saint et ne ressent aucune des tortures qu’on luiafflige. Il est aussi un corps démembré, découpé, éparpillé lorsque les restes deviennentreliques et que sont fondés les loci, les lieux d’adoration du saint qui vontprogressivement structurer la géographie de la chrétienté. Le saint, c’est le corps d’unêtre humain, d’un semblable, qui par ses actes et sa mort devient médiateur entrel’humain et le divin. Étudier le culte des saints c’est comprendre le rôle que deshumains morts jouent dans le contact entre le ciel et la terre. Tout comme l’écriture estce lien aux disparus et aux ombres du passé, contact également avec une tradition, uneculture, des formes d’expression à ingérer et dépasser dans le même geste créateur. Carle saint, c’est aussi un texte : la « vie » du saint, reprise le jour où il est célébré, formede légende acceptée par le dogme, qui actualise à chaque fois le martyr et le miracle,qui crée du symbolique et du lien. Les recueils de vies des saints, songeons à La Légende

dorée de Jacques de Voragine (1265) que Lorca connaît parfaitement et réécrit, sont lamanifestation par laquelle la culture savante écrite accepte le plaisir du même et de lavariation né tout d’abord dans la culture orale. Ils constituent un trésor d’invention quel’artiste réinvestit.

29 Si l’on cherche les traces des saints chez Lorca, on voit se dessiner une écriture de

l’être-disparaître, de l’être en disparition. Un poème de jeunesse s’attache au saintpatron de l’Espagne, Saint Jacques, le jour de sa fête, le 25 juillet 1918 : Santiago n’estcependant pas créé dans sa version guerrière, ce n’est pas un poème de circonstance. Ilest le voyageur qui passe et part, il est une disparition à laquelle est liée le désir dedissolution du poète.

Esta noche ha pasado Santiagosu camino de luz en el cielo.Lo comentan los niños jugandocon el agua de un cauce sereno.¿Dónde va el peregrino celestepor el claro infinito sendero ?Va a la aurora que brilla en el fondoen caballo blanco como el hielo. **¡Noche clara, finales de julio !¡Ha pasado Santiago en el cielo !

30 La seule trace du passage du saint est la tristesse de l’âme laissée sur le chemin devenu

blanc, de la couleur de son cheval, comme offrande aux jeux et au vent qui pourront ladisperser. Les poèmes sur les saints prennent ensuite forme dans une écriture deslieux : comme si le loci du saint s’incarnait dans les topoi du poème. Ainsi le Romancero

Gitano propose trois poèmes sur trois villes, les trois joyaux de l’Andalousie, Grenade,Cordoue et Séville, et trois saints qui, plus que des saints, sont des archanges : et ladifférence est d’importance. L’archange est séparé de l’humain, il est de l’ordre du

divin. Mais Lorca les tire vers l’humain. Dans « San Miguel, Granada », le justicier,traditionnellement représenté l’épée à la main, est métamorphosé, son corps

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recomposé dans une « burla » ironique qui part de l’image de la statue de Miguel àGrenade, baroque et revêtue de dentelle, et débouche sur le portrait sensuel d’unéphèbe perdu :

Arcángel domesticadoEn el gesto de las doce,Finge una cólera dulceDe plumas y ruiseñores.San Miguel canta en los vidrios ;Efebo de tres mil noches,Fragante de agua coloniaY lejano de las flores54.

31 La contamination entre la cérémonie religieuse et une scène païenne accompagne la

solitude de Miguel, finalement isolé dans sa tour sur le Sacromonte : « San Miguel seestaba quieto / en la alcoba de su torre, / con las enaguas cuajadas / de espejitos yentredoses ». Dans « San Rafael, Córdoba », le lecteur peut longtemps se demander oùse trouve le guérisseur. Le poème est consacré au fleuve, Guadalquivir, aux deuxCordoue qui coexistent et aux enfants qui les habitent. Le corps du saint est presqueabsent :

El Arcángel aljamiado de lentejuelas oscuras, en el mitin de las ondas buscaba rumor y cuna.

32 Il se caractérise par sa position au partage des eaux ; il est le poisson qui relie les villes

et le représente traditionnellement : « Un solo pez en el agua / que une a las dosCórdobas ». Le glissement fait du corps du saint ce point de contact disparaissant dansles eaux qui séparent et unissent :

Un solo pez en el agua. Dos Córdobas de hermosura. Córdoba quebrada en chorros. Celeste Córdoba enjuta55.

33 Dans « San Gabriel, Sevilla », le messager se retrouve pris dans un poème qui récrit

l’Annonciation à la Vierge. Gabriel rencontre Anunciación, jeune sévillane. Il luiannonce un fils, et la souffrance de cet enfant : « Tu niño tendrá en el pecho / un lunary tres heridas », « Tres balas de almendra verde / tiemblan en su vocecilla ». Ce poèmenarratif, qui commence sur la vision d’un adolescent gitan, Gabriel, et se clôt sur sondépart, offre un dialogue savoureux d’Andalous. Gabriel écrase presque, dans samodernité, son humanité gitane et sa fusion avec la nature, la jeune femme dont lecorps à l’instant fécondé portera l’enfant qui naîtra pour être blessé et mourir. L’impassibilité du divin incarné dans cet ange promeneur, résonne avec l’imageobsédante dans l’œuvre de Lorca de la mort qui marche « en souliers vernis ». Cesrecréations des corps des saints dans la fusion du légendaire et de l’acte poétiquenouveau, annoncent la disparition.

34 Il manque ici un archange : traditionnellement ces derniers sont quatre, et l’absence

d’Uriel signe à la fois le règne verlainien de l’impair et celui du déséquilibre créé parl’absence, le creux. Le déplacement s’opère alors vers la sainte, dans le même recueil :une femme, dans un poème qui oxymorise le discours et rend sensible le contact entreles contraires et les inatteignables. En contrepoint et continuité, « Mártir de santaOlalla » offre aux yeux et à l’oreille la disgrégation violente du corps saint, associé à uneautre ville, Mérida :

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El Cónsul pide bandeja para los senos de Olalla. Un chorro de venas verdes le brota de la garganta. Su sexo tiembla enredado como un pájaro en las zarzas. Por el suelo, ya sin norma, brincan sus manos cortadas que aún pueden cruzarse en tenue oración decapitada. Por los rojos agujeros donde sus pechos estaban se ven cielos diminutos y arroyos de leche blanca. Mil arbolillos de sangre le cubren toda la espalda y oponen húmedos troncos al bisturí de las llamas.

35 Il s’agit de la recréation du martyr de sainte Eulalie de Mérida, relaté par Prudence au

Ve siècle dans le plus ancien poème en langue d’Oïl, « la Cantilène de sainte Eulalie ».Lorca respecte toutes les étapes et des détails des tortures infligées et les recrée tout àla fois : frappée par des barres de fer, brûlée par des tisons en ses plaies, seins arrachésjusqu’à l’os, chevelure en flamme. À sa mort, une colombe blanche s’envole desflammes et son corps est recouvert de neige : « Nieve ondulada reposa. / Olalla pendedel árbol. / Su desnudo de carbón / tizna los aires helados »56. La violence est iciextrême au cœur du poème, la sainte aux seins découpés est brûlée, et le corps noircidevient albe blancheur, dans un renversement final de l’image du corps martyrisé :« Nieve partida comienza. / Olalla blanca en el árbol ».

36 Enfin, et même s’il ne s’agit pas d’un saint chrétien, je ne peux éviter de mentionner le

tombeau que Lorca consacre à son ami le torero Ignacio Sánchez Mejías « Cuerpopresente », dans Llanto por Ignacio Sánchez Mejías. Ce chant funèbre écrit ladécomposition du corps ami :

¿Qué dicen ? Un silencio con hedores reposa. Estamos con un cuerpo presente que se esfuma, con una forma clara que tuvo ruiseñores y la vemos llenarse de agujeros sin fondo.

37 L’adieu au corps disparaissant entre ensuite au seuil du recueil en résonnance

oxymorique avec le poème suivant, « Alma ausente » qui clôt le chant funèbre et lapublication.

38 L’écriture des traces du corps saint se poursuit et s’intensifie dans les poèmes en prose.

Si les saints existent dans les reliques, les loci et les passiones ou récits de leur martyredans la mémoire chrétienne en tant que « souvenir (installé) dans un tourbillon

imaginatif »57, Lorca les réactualise et réactive la « puissance agissante des images » quiétait celles des icônes et donne une signifiance nouvelle aux codes du visible et del’invisible qui se tramaient dans le corps saint. Alors qu’il refuse la « terreurdomestiquée » par la représentation traditionnelle de la sainteté, il réintroduit unehorreur tout humaine dans les images. Il montre en cela qu’il n’y a pas de miracle divin,mais des souffrances réelles. Il brise l’éloignement du divin et du passé. Lorca a cettenaturalité à mettre le passé dans le présent, en renversant le sens de la souffrance pourretrouver derrière la passion sans souffrance du saint l’horreur païenne. Il réécrit ainsi

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la douleur des mères rapportées par Augustin en donnant à entendre la décapitation eten déplaçant la scène biblique dans un univers aseptisé de clinique où le bruit de lalame se conjugue à l’odeur du chloroforme :

Tris tras. Zig zag, rig rag, milg malg. La piel era tan tierna que salía íntegra. Niños ynueces recién cuajados. […] Cuando se vuelvan locas las madres querrán construiruna fábrica de sombreros de pórfido, pero no podrán nunca con esta crueldadatenuar la ternura de sus pechos derramados58.

39 Cette nuit de cristal laisse un paysage de sang séché, de mains coupées et de seins

inutiles, tandis que s’impose la disparition des vivants. La mort est l’ultime disparitiondéjouée par la religion catholique dans le culte des saints, qui en éloignel’insupportable réalité et rappellent constamment le dogme de la résurrection. Or, chezLorca le saint est en train de disparaître et de mourir, et ses proses questionnent laréalité de la disparition de la douleur et, par ricochet la sainteté telle qu’établie parl’Église. Ainsi les cris de Jean Baptiste sont-ils bien réels, bien que couverts par lesclameurs du stade qui ovationne le joueur ayant marqué le but de la victoire : « Elgriterío del Stadium hizo que las vacas mugieran en todos los establos de Palestina. Lacabeza del luchador celeste estaba en medio de la arena »59.

40 La charge critique est puissante dans le réinvestissement d’une signifiance sociale, tout

autant que poétique. Ce qui disparaît dans la recomposition du martyr et de son corpsdans la prose, c’est aussi le dogme et le sens de la religion catholique. L’inversion estconstante dans « Santa Lucía et San Lázaro » : aux yeux de l’Éternel posés sur les Justes(Psaumes 34 : 15) vont s’opposer les « seis mil dioptrías » qui diffractent les yeuxarrachés de Lucie et ne peuvent que refléter un monde de surfaces minérales ; à l’appelà la vie de Jésus se substitue l’attente éperdue d’un Lazare perdu dans une gare : « Letuve gran lástima, porque sabía que estaba pendiente de una voz, y estar pendiente deuna voz es como estar sentado en la guillotina de la Revolución francesa »60. Ladécomposition des corps est dans ce texte une recomposition de leurs représentations.Lucía, patronne de la lumière et de la vision, évoquée lors des maladies oculaires, estd’abord écrite au travers du détournement de la tradition iconographique : « La pintancon dos magníficos ojos de buey en una bandeja ». Ces yeux bovins sont les siens,arrachés pendant son martyre avant que la Vierge ne lui en apporte de plus beaux.Pour remercier sainte Agathe d’avoir rendu la santé à sa mère, Lucie de Syracuse a faitvœu de chasteté et de pauvreté et donné tous leurs biens. Mais sa mère l’avait promiseà un jeune homme qui réagit mal et la dénonce comme chrétienne au consul Pascasiusqui veut la placer dans un lupanar. Son corps est alors transformé en bloc inamoviblepar le Saint Esprit, même tirée par des bœufs ; il reste ensuite indemne malgré la poix,l’huile brûlante, le bûcher. Lucía meurt enfin, une épée dans la gorge. Lorca récrit sonmartyre61 et fait disparaître les yeux divins de son texte. Seuls demeurent les yeuxarrachés, qui n’ont d’autre utilité que de composer des natures mortes qui ne sontguère vivifiées par leur surréalisme puisque toujours nées de l’association d’élémentsqui disparaissent ou sont tronqués. Au moment où Lorca s’empare du surréalisme, il ledépasse et le critique dans ses poèmes en prose :

Ojos de Santa Lucía sobre las nubes, en primer término, con un aire del que seacaban de marchar los pájaros.Ojos de Santa Lucía en el mar, en la esfera del reloj, a los lados del yunque, en elgran tronco recién cortado.

41 Au cœur de la métamorphose lorquienne, les images héritées disparaissent donc, dans

un retour sur les représentations transmises. Le jeu est identique avec Lazare. De ce

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saint controversé sont célèbres les représentations morbides, dont celle du Caravage,qui a fait une série consacrée à Baptiste, Lazare et Lucie entre 1608 et 1609. Celui quiaprès quatre jours de décomposition ressuscite à l’appel de son maître est donc le lieude la représentation de la revitalisation des chairs et de l’esprit. Lorca l’investit etpropose un voyage au cœur des représentations. Il reconnaît et dépasse ainsi à la fois latradition iconographique chrétienne et la révolution picturale opérée au XIXe siècle : ensituant son Lazare dans la « Estación de San Lázaro », il associe les corps du saint et dela gare. Si la vision est fondamentale dans la disgrégation des éléments traditionnels,l’odorat est le premier sens frappé : la puanteur de Lazare a toujours été un élémentdélicat à intégrer dans l’iconographie, qui peine à représenter l’odeur d’un corps endécomposition et ne suit guère la Bible dans laquelle on lit que les témoins dissuadentle Christ d’entrer dans le tombeau. Lorca ressuscite cette odeur et la déplace dans desmotifs morts et puants, accaparant ainsi la posture thaumaturgique du Christ enréinventant Lazare : « San Lázaro nació palidísimo. Despedía olor de oveja mojada.Cuando le daban azotes, echaba terroncitos de azúcar por la boca »62. L’imagetraditionnelle disparaît et Lazare devient autre : « Después de resucitar inventó elataúd, el cirio, las luces de magnesio y las estaciones de ferrocarril ». Lorca récupère iciironiquement une autre tradition iconographique : alors que le corps du saintressuscité a disparu de l’art, celui de la gare est devenu dans le deuxième tiers du XIXe

siècle symbole de la révolution impressionniste portée par les douze toiles de Monetreprésentant la gare parisienne de Saint Lazare. Il avait déjà fait de même, quoique defaçon plus concentrée, lorsque son voyageur affirme croire en la véracité du voyagefabuleux par les airs de Saint Raymond lors de son retour en Espagne grâce àl’impression que lui procure la façade miraculeuse de la cathédrale de la ville qu’ilvisite, autre écho de l’œuvre de Monet et de son œuvre-manifeste, les quarantereprésentations de la cathédrale de Rouen.

42 Lazare attend la voix qui le sortira de sa léthargie dans un espace de transit et de vide.

Lorca reconnaît et fait disparaître deux traditions de représentation dans un mêmegeste créateur, alors même qu’il est tourné vers d’autres révolutions avec lesquelles ildialogue, dont celle du surréalisme, comme le manifeste la dédicace du poème à Gasch.Or, le corps des saints, finalement, disparaît dans ce poème. L’écriture des partsmanquantes et des parts tronquées s’associe à celles des lieux et des objets. Après ladislocation ironique des corps qui est une métamorphose en corps poétique pour unepoétique de la transgression, ces derniers sont remplacés, dans une espèce demétamorphose moderne, par deux objets : des lunettes et un imperméable. Cesaccessoires du voyage et du regard, qui protègent et améliorent les corps, sont la traceultime de la disparition dans le texte, la marque de corps en souffrance disparus etl’empreinte d’une recomposition esthétique.

43 Les proses poétiques ont toutes partie liée avec la disparition et la majorité met en

scène une mort violente. Si, en 1927, Lorca puise dans le livre sanglant qu’est l’ancientestament et recompose la décapitation de Jean Baptiste et le Massacre des Innocents,ou dans l’actualité parodiée en exposant le meurtre de la comtesse X***, têtesdécapitées, veines tranchées, mains coupées palpitent dans l’ensemble du corpus.Double suicide, exécutions, décomposition, combat à mort entre une poule et un coq,flots de sang, mouches fouisseuses, corps mutilés, os qui craquent, amants persécutés etassassinés agitent ces cris en prose qui composent une spirale où le fait poétique estvivant, du fait même de créer nouvellement la disparition. La rhétorique est celle de la

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violence nécessaire contre un système de codes littéraires et de normes sociales. Unecoupure et un adieu sont en train d’être opérés dans ces textes qui sont la disparitionen cours. Aussi Lorca multiplie-t-il les impératifs, qui sont autant d’appel à ladisparition :

Es preciso romperlo todo para que los dogmas se purifiquen y las normas tengannuevo temblor. Es preciso que el elefante tenga ojos de perdiz y la perdiz pezuñasde unicornio63.Había necesidad de romper para siempre. […] Rompían los tabiques y agitaban lospañuelos. […] Era de noche, y se hacía precisa la dentadura y el látigo64

Era necesario el crujir de los huesos y el romper las presas de los ríos. […] Esnecesario tener doscientos hijos y entregarlos a la degollación. Solamente de estamanera sería posible la autonomía del lirio silvestre65.

Conclusion

44 Alors que la prose est a priori caractérisée par la fluidité, le lien, l’argumentation, la

succession narrative, soit par tout ce qui est fluide et unifie, tel le sang qui coule destextes, de Lorca composés par Lorca à l’orée des années 20 et au cours de cettedécennie, deviennent la manifestation d’une poétique de la fragmentation, de ladésarticulation et de la disparition comme « chant de l’éloignement »66. Ils accueillentle creux dans leur trame, se font acte d’un nécessaire renouvellement de l’écriture etincarnation de cette reprise. Les motifs de cet être-disparaître sont multiples dans desproses où crient l’abîme et la souffrance des corps détruits. Dans un de ses« collaphorismes »67, Lorca expose le procédé qui sous-tend sa créativité : « Dentro de lapalabra estrella están todos los cielos nocturnos que han sido y que serán ». Lorcas’inscrit dans la méditation sur la forme et le langage poétiques impulsée parBaudelaire et Mallarmé : le signe et le signifiant, matières premières du poète, sont déjàune disparition. Ils sont tout à la fois une trace du passé, telles les étoiles disparuesdepuis longtemps lorsque nous en percevons le clignement, et un guide vers l’avenirquand nous y lisons nos destinées.

45 Les poèmes en prose sont la trace d’une recherche qui est celle du poème. Et c’est dans

son invisibilité que le poème existe : « Ni pompa de jabón, ni bala de plomo. Elverdadero poema debe ser invisible »68. La perfection est donc dans la disparition, etc’est dans l’un de ses poèmes en prose, « Árbol de sorpresas », que Lorca signe son artpoétique de la disparition. L’arbre en question est un arbre disparu qui n’apparaîtjamais dans ce texte, reprise de l’ambivalent dialogue de jeunesse de Platon sur l’amitiéet l’amour homosexuel69. Lorca s’attache à la figure de Socrate, qui rejoint d’abord lecercle de ses disciples pour finir par s’en éloigner et disparaître. Le texte se compose dedeux parties, séparées et unies par la vision lointaine du jeune Lysis : « A lo lejos Lisisbailaba sobre una pirámide de viento ». Dans la première, l’effeuillement de l’oignondans le cœur des disciples, face au sourire du maître, incarne la révélation de la véritésous le signe d’une disparition :

La cebolla se llenó de estrellas doradas y negras como un cielo de retablo y tododijeron : “¡Ahí está !”… Luego la legumbre ideal fue aminorando hasta quedesapareció en finísimas gasas imperceptibles… y todos se fueron.

Dans la seconde, Socrate s’éloigne et regarde le présent qui l’entoure avant d’êtremarqué par la trace de sa propre disparition, dans un écho christique :

Sócrates vio una luciérnaga, Sócrates oyó un sapo, Sócrates vio una mariposaenorme hacia el Sur… y una culebrilla roja le iluminó todo el pecho, como un

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hachazo de sangre, como una llaga reflejada. Luego se perdió en la avenida de losvientos70.

46 La disparition de l’oignon laisse Socrate seul dans une présence aux choses. La

disparition du maître va ensuite de pair avec celle de la parole, remplacée par la vision.Les langues des disciples ont beau s’affûter, rien n’est dit, un cri subsiste, et Socratereste silencieux, regarde, contemple et sourit. Seule persiste dans l’œil du maîtrel’image du jeune corps agile et dansant de Lysis et les beautés de la nature. Le danseursilencieux, objet du regard et du désir, annonce dans sa volte sur le vent du soir ledépart de Socrate sur l’avenue des vents. La recherche est dans la captation de ladisparition, au sein d’une forme, le poème en prose, qui chez Lorca sera égalementamenée à disparaître pour réapparaître dans la création à venir.

NOTES

1. Miguel GARCÍA POSADA, « Introducción », Obras completas de Federico García Lorca, Madrid, Arkal, t.

I, p. 12.

2. Federico GARCÍA LORCA, Impresiones y Paisajes, [1918], Madrid, Cátedra, 2010, p. 57.

3. Id., Interview de 1933 sur Bodas de Sangre, Miguel García Posada (éd.), Obras Completas VI,

Madrid, Akal, 2008, p. 534.

4. Ibid., Interview de 1936, p. 728.

5. Loc. cit., « Por eso yo no concibo la poesía como abstracción, sino como cosa real existente, que

ha pasado junto a mí ».

6. Ibid., p. 540.

7. Il s’agit de « Nadadora sumergida » et « Suicidio en Alejandría », « A S. Gasch, mediados de

septiembre 1928 », O. C. VII, Op. cit., p. 1035.

8. Grâce notamment aux travaux de Domingo RÓDENAS, Proceder a sabiendas. Antología de la

narrativa de vanguardia española. 1923-1936, Barcelona, Alba, 1997 ; Prosa del 27. Antología, Madrid,

Austral, 2000 ; et de Selena MILLARES, La revolución secreta. Prosas visionarias de vanguardia (ensayo),

Santa Cruz de Tenerife, Idea, 2011 ; Prosas hispánicas de vanguardia, Madrid, Cátedra, 2013.

9. Andrew A. ANDERSON (éd.), Poemas en prosa de Federico García Lorca, Granada, La Veleta, 2000 ; F.

GARCÍA LORCA, Pez, astro y gafas. Prosa narrativa breve, Encarna ALONSO VALERO (éd.), Palencia, Menos

Cuarto, 2007.

10. Federico GARCÍA LORCA, Œuvres complètes I, éd. d’André Belamich, NRF, Gallimard, la Pléiade,

[1981], 1986. Notons que Claude Couffon a traduit une de ces proses : Méditations sur la défunte

mère de Charlot, édition bilingue, illustrations de Rafael Alberti, Roubaix, Éditions Brandes, 1990.

11. C’est à la fin de la dernière d’entre elles, « Mística en que se trata de Dios », qu’apparaît cet

acte de naissance poétique si souvent cité : « Noche de 15 de octubre de 1917. Federico, 1 año que

salí hacia el bien de la literatura », Prosa inédita de juventud, éd. de Christopher Maurer, Madrid,

Cátedra, 1998, p. 152.

12. Hanna JECHOVA-VOISINE, François MOURET, Jacques VOISINE (éds.), La poésie en prose. Des Lumières

aux écrivains romantiques (1760-1820), Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 1993.

13. Mon projet d’appréhension critique des proses poétiques de Lorca du début des années 20 et

des poèmes en prose de 1927 et 1928 que je me propose de mener me conduira prochainement à

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proposer une relecture de ces textes qui sont à tort séparés alors qu’ils sont extrêmement

révélateurs de l’expérimentation continue en prose de leur auteur.

14. Francisco GARCÍA LORCA dévoile « Meditaciones y alegoría del agua » et « Poemas Heroicos », de

1918 et 1920, dans Federico y su mundo, Madrid, Alianza, 1993, p. 169-170. André Belamich date

« [Lanzando piedras al aire] » des années 20. Eutimio Martín sauve le magnifique « Árbol de

sorpresas », de la même époque. Miguel García Posada nous offre d’autres textes de 1920-1922 :

« En el jardín de las toronjas de luna. Prólogo », « Serpientes », « Telégrafo », « Juego de damas »,

et « Santa Liria » de 1924, tandis que « Cœur azul-corazón bleu » de 1928 apparaît dans les O. C.

qu’il dirige (Barcelona, Galaxia Gutenberg, 1998, t. III, p. 752). « Corazón bleu y cœur azul », inédit

quant à lui jusqu’à l’édition d’Andrew Anderson pour la collection La Veleta aurait été rédigé

entre la fin de l’année 1927 et le début de 1928 en réponse au « Pez perseguido por una uva » que

Dalí envoie à Lorca probablement en novembre 1927 (Federico García Lorca, Poemas en prosa, op. cit.,

p. 47). « Meditaciones a la madre de Charlot », brouillon incomplet daté du 7 septembre 1928,

dont manquent les pages 7, 10 et 11, est publié par Christopher Maurer dans El País, le 3 décembre

1989. « Mi amor en el baño », inédit jusqu’à l’édition d’Anderson, est écrit au verso de « Suicidio

en Alejandría ».

15. María TERESA PAO, « Con pies de plomo en el arte: Lorca, Surrealism and the Prose Poems », Any

Other Path: Spain, Surrealism and Texts Less Considered, Ann Arbor, Michigan, Universidad de

Michigan, 1995, p. 392-514. Rebeca SAN MARTÍN BASTIDA, « De Dalí a Lorca : El poema en prosa

surrealista », forma breve 2, 2004, p. 81-103.

16. L’Amic de les Arts, Sitges, juliol 1927. Lluis Montanya, Sebastià Gasch et Salvador Dalí, auteurs

du « Manifest groc » en 1928 associèrent Lorca à leurs activités dans les milieux d’avant-garde

catalans.

17. « He recibido L’amic de les Arts y he visto el prodigioso poema de tu hermano. Aquí en Granada

lo hemos traducido y ha causado una impresión extraordinaria, « A A. Ma Dalí, Granada agosto

1927 », O.C. VII, Op. cit., p. 983.

18. Poeta en Nueva York. Primera edición del original fijada y anotada por Andrew A. Anderson,

Barcelona, Galaxia Gutenberg, 2015, p. 240-242. Auparavant, M. García-Posada avait fait le choix

de l’exclure dans son édition des œuvres complètes chez Galaxia Gutenberg, rééditées en poche

chez Akal.

19. Domingo RÓDENAS donne trois explications à ce phénomène, dans la lignée des postures de la

Revista de Occidente : une certaine défiance vis-à-vis des vers, option facile et artificielle pour

certains ; un besoin d’équilibrer les contributions en vers et en prose dans les publications ; la

volonté commune aux acteurs de forger une prose moderne, Prosas…, Op. cit., p. 28-29.

20. « A G. de Torre, Granada febrero 1927 », O. C. VII, Op. cit., p. 946 et 947.

21. « A S. Gasch, Lanjarón, 25 agosto 1927 », Ibid., p. 987.

22. « A S. Gasch, Madrid, 24 noviembre 1927 », Ibid., p. 997.

23. « A M. Fernández Almagro, Granada Cadaqués, julio 1927 », Ibid., p. 977.

24. « A S. Gasch, Granada septiembre 1927 », Ibid., p. 993.

25. « A R. Guillén, Granada enero 1927 », Ibid., p. 929.

26. « Todo el día tengo una actividad poética de fábrica », « A Jorge Zalamea, Granada septiembre

1928 », Ibid., p. 1030.

27. « Poética », O. C. VII, Op. cit., p. 477.

28. M. G. Posada parle de « Lorca como el poeta quizá más culto de su generación, el trabajador,

el unificador de la tradición y de las vanguardias en una síntesis que no dio escuela », O. C. I,

Op. cit., p. 32. Voir aussi Luis GARCÍA MONTERO, Un lector llamado Federico García Lorca, Madrid,

Taurus, 2016.

29. « A M. Fernández Almagro, Granada enero de 1927 », O. C. VII, Op. cit., p. 932.

30. Ibid., « A J. Zalamea, Granada septiembre 1928 », p. 1029-1030.

31. Ibid., « A S. Gasch, Granada 8 septiembre 1928 », p. 1034.

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32. Ibid., « A S. Gasch, Granada septiembre 1928 », p. 1035.

33. Salvador DALÍ, « Sant Sebastià », L’Amic de les Arts, any II, 16, 31 juliol 1927, p. 52-54.

34. « Meditaciones y alegorías del agua », Pez…, Op. cit., p. 85.

35. « Corazón bleu y cœur azul », Poemas…, Op. cit., p. 91.

36. Pez…, Op. cit., p. 14.

37. Sur ce point, voir Zoraida C ARANDELL, Lecture de Poeta en Nueva York. García Lorca ou la

déréliction lyrique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, à paraître en septembre 2020.

38. « Telegráfo », op.cit., p. 617.

39. Ibid., p. 613-614.

40. Pez…, Op. cit., p. 97. Cette figure du jardinier est l’écho de la fin de « Sombras », sous-titré

« poema en prosa », un dialogue d’âmes en cours de disparition, qui laissent place au jardinier et

à son fils sur le point de planter trois arbres, Teatro inédito de juventud, Madrid, Cátedra, Andrés

Soria Olmedo (ed.), 1994, p. 317.

41. « Meditaciones y alegorías del agua », Pez…, Op. cit., p. 85-86.

42. « Juego de damas », Ibid., p. 82.

43. « Meditaciones y alegorías del agua », Ibid., p. 87.

44. « Paseo », Poesía completa…, Op. cit., p. 616.

45. « Santa Lucía y San Lázaro », Pez…, Op. cit., p. 43.

46. Je suis en cela d’accord avec ce qu’affirme E. ALONSO VALERO. Si la destruction de « lo viejo » est

une constante, il est plus juste de parler de transformation que de rupture dans le cas de Lorca :

« En realidad, sobre todo en el caso de García Lorca, tendríamos que hablar siempre de

redefinición de unas categorías a partir de otras, de discontinuidades y retornos, no de ruptura ni

de renuncia total », No preguntarme nada. Variaciones sobre tema lorquiano, Granada, La razón

poética, Atrio ensayo, 2005, p. 11.

47. Antonio MONEGAL, « Bajo el signo de la sangre (algunos poemas en prosa de F. García Lorca) »,

Bazar, 4, p. 66.

48. « La representación de la violencia tiene también una lectura que no es literal, sino como

metáfora de la violencia que se ejerce contra el discurso. Lo poético no es la mutilación misma,

sino el tipo de recombinación y yuxtaposición de los signos que permite », Antonio MONEGAL, En

los límites de la diferencia. Poesía e imagen en las vanguardias hispánicas, Madrid, Tecnos, 1998, p. 102.

49. Quel exemple plus parlant de ce processus paradoxal que La Disparition [1968] de Georges

Pérec, où le E/eux disparu(s) rend plus que présents les absents.

50. Poemas…, Op. cit., p. 60.

51. Ibid., p. 103.

52. Le mot est ici utilisé à dessein car il exhibe une réalité, et parce qu’il a nourri les jeux

littéraires sérieux de Lorca, Buñuel et Dalí dans leur persécution des médiocres et

conventionnels, les « putrefactos ». Voir Salvador DALÍ, F. GARCÍA LORCA, Los putrefactos. Dibujos y

documentos, Granada, Ayuntamiento de Granada, 1995.

53. Peter BROWN, Le culte des saints. Son essor et sa fonction dans la chrétienté latine [1981], trad.

d’Anne Rousselle, Paris, Editions du CERF, CNRS, 2012.

54. « San Miguel. Granada », Poesía completa…, Op. cit., p. 380.

55. « San Rafael. Córdoba », Ibid., p. 382-383.

56. « Mártir de Santa Olalla », Ibid., p. 400.

57. P. BROWN, Le culte…, Op. cit., p. 67.

58. « DI », Poemas…, Op. cit., p. 81.

59. « DB », Ibid., p. 79.

60. « SS », Ibid., p. 65.

61. « Ella demostró en la plaza pública, ante el asombro del pueblo, que mil hombres y cincuenta

pares de bueyes no pueden con la palomilla luminosa del Espíritu Santo. Su cuerpo, su cuerpazo,

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se puso de plomo comprimido. Nuestro Señor, seguramente, estaba sentado con cetro y corona

sobre su cintura », Ibid., p. 59.

62. Ibid., p. 63.

63. « NS », Pez…, Op. cit., p. 46.

64. « SA », Ibid., p. 49 et 50.

65. « DI », Ibid., p. 59.

66. « La disparition comme faveur, chant de l’éloignement dans le paysage antérieur », Cees

NOOTEBOOM, Autoportrait d’un autre [1993], Paris, Actes sud, 1994, p. 64.

67. Je nomme ainsi par un néologisme les aphorismes métapoétiques composés par Lorca dans un

dialogue avec Dalí à partir de la pratique du collage, réunis dans « Consejos a un poeta ».

68. « Consejos a un poeta », O. C. VI, Op. cit., p. 294.

69. Dans Lysis (385-380 av. J. -C.), Socrate dialogue avec des jeunes hommes dans un gymnase

d’Athènes, espace de contact homophile : l’un d’entre eux, Ctésippe, s’amuse de l’amour enfiévré

que porte Hippotalès à Lysis, jeune garçon plein de grâces physiques et morales. Cependant, ce

dialogue, s’il a pour objectif de renverser les opinions communes sur l’amitié, interroge

principalement l’amour et son expression, avant de poser de nombreuses questions sur l’amitié.

Il fait partie de ces dialogues dits « aporétiques » qui n’offrent ni définition ni réponse : Platon

ouvre de profonds questionnements quant au désir qui se trouve au cœur de toute relation

humaine. L’ambiguïté entre Eros et Philia, l’absence de différenciation nette entre relation

amicale et relation amoureuse, entre fraternité et homoérotisme, permettent de lire le Lysis

comme un discours sur le désir homosexuel.

70. « Árbol de sorpresas », Pez…, Op. cit., p. 95-96.

RÉSUMÉS

Les poèmes en prose et proses poétiques de Lorca forment un corpus singulier : des textes de

jeunesse à ceux d’avant-garde, ils sont tous un creuset d’expérimentation constitutifs d’un

véritable projet poétique, et ne constituent pas en cela des essais ou brouillons négligeables. Leur

étude permet de réévaluer l’unité de la recherche en prose de Lorca au sein d’une vision

palimpseste de la créativité. En eux, il élabore une poétique du frémissement, du tremblement

puis du saisissement et un dire autre qui est aussi fondamentalement celui du poème en prose. Le

protéisme formel et le rejet des liens esthétiques s’ancrent dans une posture critique et ironique

qui est celle de la reprise. Le dépassement des limites formelles et génériques est un acte de

liberté et d’émancipation qui se construit sur la disparition : fulgurances, évanouissements,

métamorphoses, morts violentes, décompositions, ces figures peuplent la prose vers laquelle

Lorca se déporte dans sa recherche lyrique.

Lorca’s prose poems and poetic prose form a unique corpus: from early texts to avant-garde ones,

all are a crucible for experimentation amounting to a genuine poetic project, far more than a

mere set of essays or drafts. Studying them leads us to reassess the unity of Lorca’s prose

research within a palimpsestic view of creativity. In them, he develops a poetics that quivers,

trembles then arrests, in a new expressive form which is also fundamentally that of the prose

poem. Proteism in form and rejection of aesthetic ties are rooted in an ironic critical posture that

involves reworking. Overstepping formal and generic limits is an act of freedom and

emancipation built on disappearance: lightning flashes, fainting away, metamorphoses, violent

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deaths, decomposition, such figures populate the prose that Lorca is moving towards in his

lyrical research.

INDEX

Mots-clés : poème en prose, prose poétique, Lorca, expérimentation, avant-gardes, surréalisme

Keywords : prose poem, poetic prose, Lorca, experimentation, avant-garde, surrealism

AUTEUR

CAROLE FILLIÈRE

(Université de Toulouse Jean Jaurès)

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