NOTE TO USERS . - Bibliothèque et Archives Canada
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NOTE TO USERS .
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JEAN-CHRISTOPHE MATIMi
TRADITION ET INNOVATIONS DANS LA CONSTRUCTION DE L'IDENTITÉ C m Z LES SHAMAYE (GABON) ENTRE 1930 ET 1990
Thèse présentée
ii la faculté des études supérieures de 1VNversité Laval
pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.1
Département d'histoire FACULTÉ DES LETTRES
UMVERSITÉ LAVAL QUÉBEC
0 Jean-Christophe Matimi, 1998
National Library 1*1 of Canada Bibliothèque nationale du Canada
Acquisitions and Acquisitions et Bibliographie Services seMces bibliographiques 395 Weilington Street 395. nie Wellington Otfawa ON K1A ON4 ûttawaON K I A W Canada Canada
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The author retains ownership of the copyright in this thesis. Neither the thesis nor substantial extracts from it may be printed or otherwise reproduced without the author's permission.
L'auteur a accordé une licence non exclusive permettant à la Bibliothèque nationale du Canada de reproduire, prêter, distri'buer ou vendre des copies de cette thèse sous la forme de microfiche/61m, de reproduction sur papier ou sur format électronique.
L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement reproduits sans son autorisation.
Avec plus de quarante ethnies vivant sur son petit espace, le Gabon est considéré par
certains observateurs comme étant un véritable maelsbam ethique. Les échanges culturels y
sont intenses, les ethnies minoritaires côtoient les groupes majoritaires, et la connaissance su .
les premières est souvent éclipsée pax celle sur les seconds.
Cette étude sur les Shamaye, une minorité de l'est du pays, est une analyse des éléments
sur lesquels et de la manière avec laquelle cette eîhnïe construit son identité. Cette thése
s'intéresse aussi aux stratégies qu'élaborent les Shamaye pour préserver leur spécificité au
milieu de ce qu'il y a lieu d'appeler un kaléidoscope dretbnies. À la lumière & cette analyse, il
ressort que l'identité shamaye s'élabore en premier lieu & travers un double discours: un
discours écrit, ce regard extérieur où l'identite shamaye est surtout produite par les autres, et
un discours oral, la perception que les Shamaye se font d'eux-mêmes. Notre analyse montre
ensuite que i'identitk shamaye se vit au quotidien à travers des prztiqües bien précises: on peut
observer des comportements particuliers i travers la parenté, te mariage et les rites
initiatiques. Enfin, cette analyse révèle que l'identité shamaye s'ancre sur des symboles bien
identifiés que sont les noms propres et les symboles politicbreligieux.
Résumé 2
Depuis une dizaine d'années, on assiste parmi les historiens à la uaissance d'une
nouvelle forme de traitement de la question ethnique en f i q u e . On récuse l'habitude de
considérer les ethnies comme des phénomènes qui s'imposent à nous tels quels (donc
immuables), alors que l'ethnie serait dabord un phénomene historique donc changeant à
travers l'époque et le milieu
Notre étude du processus de formation de l'identité shamaye s'inscrit dans cette pratique
nouvelle de l'étude des ethnies africaines. Elle s'attèle à rechercher à travers le temps, les
"racines d'identification" des Shamaye à travers le questionnement du comportement des
Shamaye qui ainsi définissent leur identité collective.
Autour d'un support méthodologique central, les récits de vie, nous avons diversifié nos
approches (parmi lesquelles l'analyse histonographique a pris une place importante) et nous
sommes arrivé à la conclusion que, ces soixante dernières années, l'identité shamaye s'est
construite autour d'un subtile mélange entre éléments "traditionnels" et eIéments nouveaux,
qui sont autant des innovations culturelles que de comportements empnmtés ailleurs.
Concrètement, ce travail a montré que l'identité shamaye est d'abord un fait de discours.
Un premier discours, d'abord "étranger" aux Shamaye, est le texte écrit qui aligne une série
d'éléments linguistiques, historiques et anthropologiques qui leur confere une identité.
Récemment, avec le progrès de la scolarisation, les Shamaye ont "découvert" ce discours et
i'ont adopté et intégré dans leurs stratégies identhires qu'on peut qualifier de stratégies de
survie politique. L'identité shamaye est aujourdliui ouvertement perceptible dans leur propre
discours historique. Le discours historique (identitaire) qui insiste sur les lieu de mémoire
communs au groupe est rendu nécessaire par la compétition politique et sociale
contemporaines. Il a pour matrice limité originelle du groupe, sa dislocation et son unité
retrouvée a travers les comportements unificateurs des Shamaye.
L'identitt! c'est aussi un ensemble de comportements propres aux Shamaye, observables
dans des circonstances et au sein des structures bien précises comme le lignage. Ce dernier
transmet la parenté et réunit ses membres autour de la descendance et du souvenir d'un
ancêtre commun et d'me devise commune. Les distances géographiques s'effacent rapidement
au profit des liens lignagers même quand ces derniers ne sont pas mis en &idence. Le
mariage est une des occasions où on peut observer les stratégies identitaires des Shamaye.
Ces soixante dernières années, les Shamaye ont sauvegardé les mêmes circuits matrimoniaux
dont Ia pérennité étonne. Les sociétés initiatiques sont dm entités où on observe la
différenciation entre les Shamaye et leurs parents Bakota. Chaque ethnie pratique d'un
discours sur l'origine de ces sociétés et des chants qui lui sont propres.
L'identité shamaye se manifeste par un ensembIe d'emblèmes et de symboles. ii s'agit
d'abord du nom propre qui, au Gabon, constitue à côté de la langue le premier élément Üe
différenciation ethnique. L'anaIyse de I'idéologie des symboles politiques Kumômbuka et
Kurnukuka a permis d'observer deux pouvoirs qui se complètent. L'étude des symboles
religieux a révélé que les Sharnaye distinguent les éléments d'essence pratique (parce qu'ils
exaucent les voeux des humains) de ceux d'essence morale et philosophique. L'usage que les
Sharnaye font de ces symboles s'adaptent aux tâches nouvelles imposées par la
commercialisation et l'urbanisation de la vie.
Nous aimerions prendre ici le temps de remercier les personnes physiques et morales
sans le concours desquelles, notre travail n'aurait peutêtre jamais pris sa forme définitive
actuelle.
Nos remerciements vont d'abord a notre directeur de recherche, Monsieur Bogumil
Jewsiewicki, professeur titulaire au département d'histoire de luniversité Laval et chercheur
au CÉLAT. Nous ne trouverons jamais assez de mots qui puissent qualifier la générosité de
l'homme en matière de transmission du savoir, mais nous tenions a rendre hommage a
quelqu'un qui, pendant cinq ans, s'est montré patient à notre endroit, s'est investi dans notre
travail avec tout son poids et s'est toujours montré proIixe quand il a voulu nous faire
bénéficier de son expérience en nous suggérant inlassablement des pistes qui se sont toujours
révélées justes.
Nous tenions aussi à remercier l'Université Laval pour son apport financier à travers le
fonds de soutien au doctorat qui nous a été octroyé à deux reprises, ce qui nous a permis de
multiplier la fréquence de nos voyages sur le terrain. Mais, que tous les enseignants du
département d'histoire, dont nous avons pu assister au cours ou séminaire, trouvent ici
l'expression de notre gratitude pour I'ouverture d'esprit qu'ils ont pu nous inculquer en nous
mettant en contact avec des étudiants de diverses cultitres qui travaillaient sur des sujets aussi
divers que passionnants.
. . NT'RODUCTION GENERALE ......................................................... .O 1
r . 0.1 Cadre d etude .............. ... ....................................................................................... 01 O . I - 1 Objet d'étude .........................~............................................................................ 02 0.1 -2 Domaine de recherche ....................................................................................... .O2 0.1.3 intérêt du sujet ................................................................................................... 04
.......................................................................... 0.2 Etat de la question ............... .... 07 0.2.1 Les études coloniales ......................................................................................... -08 . 0.2.2 Les travaux d'africanrstes ................................................................................... 09 0.2.3 Mémoires et thèses .......................................................... .... .................. 10 0.3 -4 Notx appo* ................. ... ......................................................................... 1 1 . .
0.3 Les limltes spatio-temporelles ................................................................................... -12 . ............................................................................................... 0.4 Péfimtion des concepts 17 . * 0.4.1 La tradition ............................ .. ........................................................................... 17 0.4.2 L'identité ................................................ ... 18 0.4.3 L'innovation ....................................................................................................... 20
0.5 Problématique et hypothèses ...................................................................................... 20 0.6 Présentation des sources et des matériaux. .............................................................. 23
0.6.1 Les documents d'archives ................................................................................ 24 0 .6.I -1 Les archives nationales de Libreville ....................................................... 24 0.6.1.2 Les archives de la préfecture de Makokou ................... ........ .............. 25 0.6.1 -3 Les archives de la préfecture de Lastounille ......................................... 26 0.6. I -4 Les fonds privés ..................................................................................... -27
0.6.2 Les sources muséographiques .......................................................................... -27 0.6.3 Les documents publiés ..................................................................................... 28 0.6.4 Les sources arales .............................................................................................. -29
0.6.4.1 Les entretiens .......................................................................................... 29 0.6.4.2 Les récits de vie ....................................................................................... 30
0.7 Méthdotogie ............................................................................................................. 32 -............ .........................**........................................................ 0.8 Structure du travail .. 35
PIEiMIÈE PARTIE: LES CONSTRUCTIONS HISTORIENNES
CHAPITRE 1: LES SHAMAYE DANS LA LTTTÉRATuRE ÉCRITE: ANALYSE DU PROCESSUS Dr ÉLABORATXON D'UN SAVOIR ANTKROPOLûGIQUE SUR L'ETHNIE ................................................................................................. 38 1.1 Les voyageurs et les explorateurs ............................................................. -39 1 -2 L'ère coloniale et l'émergence d'un premier savoir .................................... .44 1.3 La période postcoloniale: continuité ou rupture? ............................an........ -57
..................... 1.4 L'époque contemporaine ( 1970- 1 990): apogée et stagnation -61
CHAPITRE 2: L~DENTITÉ PAR L'oRALITÉ: EXAMEN DU CONTFNU IDÉOLOGIQUE IDENTITAIRE ................................................................................................ 6 9 2.1 La vie au village originel Ngouadji et la cause de la dispersion des
lignages shamaye ........................................................................................ 69 2.2 L'idéologie de l'origine, de l'unité et de l'identité à travers les autres genres
............. .. oraux: les proverbes (mangam) et les chansons (mnbouka) .... 76 2.2.1 Les proverbes ..................................................................................... 76 2.2.2 Les chansons ..................................................................................... -78
D-ME PARTIE: VÉCU ET PRATIQUES IDENmAIRES
CKAPITRE 3: LES FACTEURS DES CHANGEMENTS CULTURELS ET SOCIAUX ..... 80 .......... 3.1 Les facteurs coloniaux .................................... ,. 80
3.1.1 Les débuts de I'établissement de l'administration coi oniale civile .... 81 ............................................................................ 3.1.1.1 Lastourville 81
. 3.1 1.2 Makokou .............................................................................. -82 *................ .....................*..........................*.*.. 3.1.1.3 Okondja .... 82
3.1.2 L'organisation du territoire et la politique des contraintes ................ 84 3.1.2.1 Les unités temtonales de contrôle de la population ............. 84 3.1 .2.2 Les différentes formes de contraintes ................................... 85
3.1 -3 L'introduction de f'économie monétaire .................................... -86 3.1.4 Les éléments de la confrontation idéologique .......... .... ............. 88
3.1.4 1Pénétration et diffusion du christianisme chez les Sharnaye.88 3.1.4.2 L'école coloniale ................................................................... 90
3.2 Le voisinage ethnique et hmivée des cultes nouveaux ........... .. ............ 91 3.2.1 Le ndjobi ................. ... ................................................................. 91 3.2.2 Le culte "mademoiselle" .................................................................. - 9 3
.................................. 3.3 Les ef5ets de la politique contemporaine ............ .. 96 . . . 3.3.1 Le travail minier .............. ... ......................................................... -96 3.3 -2 La folklorisation de la culture shamaye ............................................ -98 3.3.3 Les conséquences des regroupements politiques des villages .......... -99
5.2.3.3 Les missions politiques de ngoye: l'exercice du pouvoir ..... 19 1 5.2.3.4 LRS missions sociales de ngoye: mûaide et solidarité ........ -192
TROISIÈME PARTIE: E M B L I ~ E S ET SYMBOLES
.................................................................. CHAPlTRE 6: LE NOM CHEZ LES SHAMAYE 198 6.1 Du nom chez les Shamaye: des clés pur comprendre une philosophie et
un système ..................~~~~~.~~~~~...~~~.~~~.~~~~....................................~............... 199 6.1.1 Pourquoi les Shamaye nomment-ils? .............................................. 199 6.1 -2 Ceux qui nomment (bulu.) . .......................................................... -201 . . 6.1 -3 Les implrcations du nom ................................................................ -202
6.2 Les principes qui président au choix du nom propre traditionnel ........... 204 ............................................... 6.2.1 Distinction des noms d'après le sexe 204
........................... 6.2.1.1 Les noms des hommes chez les Shamaye 206 .............................................. 6.2.1.2 Les noms propres féminins -208
..................................................... 6.2.1.3 Les noms propres mixtes 210 ................................. 6.2.2 Les noms de circonstances chez les Shamqe 212
.......... 6.2.2.1 Les noms se rapportant au thème de la procréation 2 2 6.2.2.2 Les noms de circonstances se rapportant i la naissance de
.............................................................. l'enfant ........... .. -214 6.2.2.2.1 Noms propres donnés par rapport à I'accouchement
...................................................................................... 214 6.2.2.2.2 Noms de circonstances se rapportant directement a
la naissance ................................................. 1 6 6.2.2.2.3 Noms donnés en fonction des événements
survenus avant la naissance ............. ... ...... .......2 18 6.2.2.3 Noms relatifs aux circonstances entourant l'union ou la
séparation des parents .................... .. ........................... 220 6.2.2.4. Les noms se rapportant aux événements historiques ........ 221
............. ............... 6.2.3 Les noms des jumeaux chez les Shamaye ... 1 6.2.3.1 Noms des jumeaux de sexe masculin ................................. 222 6.2.3 -2 Noms des jumeaux de sexe féminin ............ .. ................. -223 6.2.3 -3 Noms de j urneaux de sexe opposé ...................................... 224
6.2.4 L'attribution du nom dans la société secrète ngoye ........................ -224 6.2.4.1 Le port du nom d'un initié défunt de la famille ................... 224 6.2.4.2 Port du nom qui valorise la confiérie ou son anhalembléme
.................. ..... ...................................................................... -225 6.2.5 Le nom chez les Shamaye depuis Ia période coloniale ................... 227
CHAPITRE 7: LES EMBLÈMES ET SYMBOLES POLITIQUES ET RELIGIEUX. ...... .... 230 7.1 Les symboles et emblèmes du pouvoir chez les Shamaye.. .. . . . . . . . .. . .. .. . -23 1
7.1.1 Kumômbuka .................................................................-.-- ...-... ......... 231 7.1.2 Kumukaka .......................................................................-.- -- .....--.... 239
7.2 Les symboles religieux shamaye .................... .... .........-....-. . ......... 243 7.2.1 Njambé ou Dieu dans la religion shamaye ........... .. .. . . .. . . . ...... ..243 7.2.2 Bikumbo ....,... ........ ... ..........,.....,.......,........,.,,,.. ,,. .....,..... ,. ............... 246 7.2.3 Bweté, symbole et emblème du powoir des défirnts et de l'autorité
du chef de famille (KranuRaka) ~..........ka.ka...ka.....kaka...kaka..kaka...kaka..kakakaka....ka.... 248 CI 7.2.3.1 La fonction religieuse et politique de bweté .... .. . . . .. . . . . . . -. . -. ~ 4 9
7.2.3.2 Les considérations esthétiques .........--.- ..... . -..-.. --- -.... . .-..- 253 7.2.3 -2.1 Les différents styles de l'art gabonais.. ...-.. .. .. nainainainainainai. 253
7.2.3.2.1.1 Le style fimg ...............gg..gg.....g -.-- -....-.. 254 7.2.3-2.1.2 Les particularités du style bakota ...... 257
7.2.3.2.1.2.1 L'art shamaye à I'intérieur du style bakota: les éléments constitutifs de l'identité du sous-sty le shamaye. . . . . . . . . -263
7.2.3.2.1 -2.2 Simon Misère, porte- flambeau de ['identité shamaye.. .. .. . . .. .. .. ... .. . ..271
, , CONCLUSION GENERALE.. . . . . . . . . . . . .. . .. . . . . . .... ........ ... . .. . . .. .........--.. . -. . . . . . ... .. . .-. . -. . --. . . -. - .. -280
BIBLIOGRAPHIE.. . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . .. . . . . .. . . . .. . . . .-. . -- . .. ..... - .. . -.. - -. . -. . . . . . . . . . .- . . . . . -.. . . . . . . - . . . . . . - - - . -. . . . -29 1
ANNEXES Annexe 1 : Récit de vie de Laurent Bapendangoye. .... . .. . . .-..... a...-. . . ... . . . . . . . . . . . . . .. .. i Annexe 2: Extrait du récit de vie de Daniel Bounjè.. . . ... . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . - - - - . . . . . ..VI Annexe 3: Extrait du récit de vie de Zacharie Mouwatsi ....... . .... ..... .... ..-. . ....... vii Annexe 4: Les Shamaye dans la répartition géographique des peuples du Gabon de
A. Walker et M. Soret .......................... ... ..... ... ........-.-.. .-........ ix Annexe 5: Migrations des Shamaye d'après L. Perrois ......................ésés.ésésésés- - .......-.. x Annexe 6: "Note 11.387" rélative à la pénétration coloniale en pays shamaye ....... . .xi
Cartes. tableaux. nxrinires. ohotmphies
Carte n . 1: L'Est du Gabon et le pays shamaye ....................................................... 16
Carte n.2. Carte officielle de la répartition des ethnies du Gabon ...................... 66
Tableau n 1: Composition officielle des groupes ethniques du Gabon ................. 67
Carte n.3. Répartition des ethnies du Gabon par Laurent P o d e r ........................ 68
Photographie n 1 : Un bweté chez les Bakota. ............. ... ................................. 252
Gravure n . 1: Staîuettes représentatives du style fang ............................................ 256
Photographie n.2. Les trois sous-styles constitutifs du style bakota .................. -259
Gravure n.2. Structure morphologique du sous-style kota-mahongwé ................. 260
Gravure n.3. Variantes du sous-style kota-obamba ............ .. ........................... 261
Gravure n.4. Structure morphologique du sous-style kota-shamaye .................. 262
Gravure n.5. Images représentatives du sous-style shamaye ................................ -270
0.1. Cadre d'étude
Nous allons exposer ici tour à tour, l'objet de notre recherche, le domaine dans lequel
elle s'inscrit et enfin son intérêt scientifique.
il est reconnu par Ia communauté scientifique internationale que les traditions orales
identifient les Pygmées comme premiers habitants du Gabon (et d ' i q u e centrale). Ces
derniers auraient ensuite "servi de guide aux nouveaux venus, les ant tous"' venus du nord, de
la région a£iicaine comprise entre l'est du Nigeria et l'ouest du Cameroun. Les hypothèses, qui
remontent le plus loin dans le temps, soutiennent que, depuis son foyer d'origine, i'expansion
bantu se situe au début de notre ère, et s'est poursuivie jusqu'au XiXe siècle, conduisant a
l'occupation complète de i'aire bantu actuelle2. Depuis des années, les intellectuels ont
commencé a chercher les éléments de I'identite commune des Bantu. Le 8 janvier 1983, est
créé et mis à la disposition des chercheurs, le Centre international des Civilisations Bantu
(Ciciba), chargé de promouvoir l'identité cuIturelIe bantu. On sait que 140 miIlions
d'Africains parlent des langues qui appartiennent à une même famille linguistique banhi; en
émigrant vers le sud, leurs ancêtres ont apporté avec eux l'agriculture, la métallurgie et la
céramique pour ne citer que ces quelques traits de leur civilisation. Mais des chercheurs sont
aussi unanimes a reconnaître que I'examen de l'identité culturelle du monde bantu est aussi
une recherche sur les spécificités propres chaque ethnie de cette famille linguistique. Jan
Vansina affirmait au cours d'un colloque tenu à Libreville du ler au 6 avril 1985 que la
recherche:
implique la différenciation autant que l'identité. Cette différenciation est documentée par l'histoire et l'archéologie. Elle découle surtout de facteurs internes (adaptation à un environnement, mutations internes de formations sociales) mais aussi de facteurs externes (influences d'autres traditions africaines, influences d'outre-
' Alain Richard et Guy Léonard, Le Gabon, Libreville, EdiceUEdig, 1993,287 p., p. 107. G. Adiwas Kouery et &"Unité et divemité du monde bantu", in T.Obeaga éd, Les peuples bantu,
migrations, expansion et identif4 nrlturelle, L 1, Paris, L ' H m 1985, pp. 167-186, p. 170.
mer) ... L'étude d'emprunts et d'innovations contribuera B 6claircir dans chaque cas l'histoire de ces procssus3.
Notre étude sur les Sharnaye, une ethnie de langue bantu de t'est du Gabon, suit cette
logique de recherche des éldments de différenciation d'un peuple. Ce qui nous amène à
expliquer l'objet de notre travail.
Le pmassus de formation de l'identité shamaye ces soixante demieres années est l'objet
de notre étude. Nous nous intéressons notamment a u éléments de construction de cette
identité et comment celle-ci a évolué. Nous savons qu'entre 1930 et 1990 les Shamaye ont été
confrontés aux éléments extérieurs, comme la pénétration du christianisme, et a ceux de
I'intérieur dont Ie voisinage ethnique qui a entraîné t'arrivée des cultes nouveaux qui ont
bousculé les fondements de leur identité. L'analyse portera donc à la fois sur les éléments de
l'identité shamaye qui ont "résisté" à toutes ces pressions et aux innovations qui en ont
découlé, car comme l'écrit Théophile Obenga, "l'identité culturelle d'un peuple c'est aussi la
manifestation d'une culture en mouvement, le mouvement même de la vie du peuple
concerné. Le patrimoine culturel d'un peuple est dialectalement héritage et créativitéw4.
0.1.2 Domaine de recherche
Le thème de l'identité ethnique est un sujet presque inconnu au Gabon. La raison
pourrait être celIe-ci: en Afrique, le Gabon jouit d'une stabilité politique et sociale- Le pays
apparait comme un havre de paix (jusqu'à quand?) dans une Afiique centraie qui commence à
prendre Ies ailures d'une poudrière. Les conflits ouverts et violents entre les ethnies y sont
inexistants, ce qui est fort exceptionnel quand on sait que sur ce petit tenitoie vivent en
parfaite hannonie pIus de quarante ethnies. La conséquence de cette stabilité sur la
production scientifique est que les inteIiectuels gabonais n'ont jamais trouvé la nécessité de
poser i'identité comme objet spécifique de recherche historique, se disant peut-être qu'il n'est
' Jan Vansina, "Expansion a identité culturelle des Bantu", in T-Obenga, éd, op.cir. pp.273-289,
4 p.286.
Théophite Obenga, "Discou~s d'orientation généralew, in Obenga, T., éd., op.&., pp. 11 -1 8., p. 14.
point opportun de rechercher les
pas elles-mêmes en avant (ou ne
différences entre les ethnies quand celles-ci ne les mettent
les revendiquent pas) de manière vigoureuse, contrairement
à ce voit dans certaines @es du continent NOUS SûR'imeS donc ici dans d ~ d n e
tout à f& noweau qui mérite d'être sérieusement pris en compte par les chercheurs nationaux qui sont les premiers concernés par la question.
Quarante ethnies vivent depuis de longues années sur un petit temtoire d'une superficie de 266 667 M. Drhprtants échanges culturels s font encore au détriment des minorités.
Prenons quelques exemples: la secte ndjobi, née au cours de la seconde guerre mondiale chez
les Obamba d'okondja, s'est répandue presque dans tout l'est du Gabon; la religion bwiti ou
bouiti inventée par les minorités Tsogho et Apindji de l'intérieur, a été récupérée par les
majoritaires Fang de l'estuaire et du nord (grâce au phénomène des migrations de travail) et
par les Myène de la côte chez lesquels elle se pratique aujourd%ui sous une étonnante5 forme
syncr6tique.
La problématique de l'identité prise comme objet historique permettrait de mieux
connaître les peuples gabonais. 11 faut s'intéresser aux usages que les ethnies font des
emprunts à l e m voisins, déceler ce que chacune d'elles considère comme son propre
patrimoine. Jewsiewkki et Letoumeau ont écrit à propos de la négociation perpétueHe de
l'identité qu'il "faut plutôt partir de la perspective des contextes identitaires et voir comment,
dans des situations empiriques bien caractérisées, une identité se construit, s'octroie, est
imposée, se négocie, se déjoue, se réplit, s'évanouit, se modèle, etc., et ce, à travers des joutes
de pouvoirs et des rapports de coopération ou d'antagonisme entre les acteursu6. Cette
approche nous semble permettre de saisir, sur une base scientifique, comment fonctionne
réellement le sentiment ethnique chez chaque groupe dans la lutte politico-sociale muene que
se livrent les ethnies au Gabon. La problématique de l'identité d'une minonté comme les
Shamaye, est à la fois encore plus négligée et plus cruciale pour comprendre la dynamique
identitaire dans la perspective historique, d'oh l'intérêt de cette étude.
' Voir sur cette religion et ses transferts, i'mcyclopédie en cinq volumes de Stanislaw Swidmki, Lu religion bouiti , OttawdïorontoMew Y& 1989.
6 Bo@ Jewsiewicki et Jocelyn Létourneau, "Résenitaton", in Bogumil Jewsiewicki et JoceIyn Letomeau, &, Co11stnrctiom identituims: quesiionnemen& thkoriques et 4m&s & cas, Actes du Célat, n.6, msi 1992, pp-v-xi.
0.1.3 Intérêt du suiet
Avant de montrer l'intérêt de notre étude, nous aimerions d'abord exposer ses limites.
Nous pensons en effet que traiter d'une question scientifique exige d'abord qu'on définisse ses
frontières. Ainsi, en dépit de son originalité, nous croyons avoir décelé les limites suivantes à
notre travail.
Cette étude aurait pu s'intituler "contribution à l'histoire du Gabon". Elle n'a donc pas
I'ambition d'apporter une révolution dans la connaissance de l'histoire ethnique du Gabon dont
les limites ont été soulignées aiIIeurs; nous en parlerons plus loin. Notre étude ne vise pas non
plus à apporter du neuf a la connaissance ethnographique existante. Elle s'y réfere pour
replacer cette connaissance dans une perspective historique, ce qui fait défaut a l'heure
actuelle. Vansina a bien démontré, comme nous le verrons plus loin, que les données
ethnographiques peuvent conduire au savoir historique. Enfin, cette étude n'a pas non plus
I'ambition d'ètre un exemple applicable aux autres minorités ethniques du Gabon qui
éprouvent la nécessité d'élaborer l'histoire de la construction de leur identité, et qui manquent
de support intellecnie1. Chaque cas nécessite une approche spécifique.
A titre de modeste apport a l'histoire générale du Gabon, cette ktude a l'ambition de
s'insérer dans l'historiographie existante et d'ouvrir une page nouvelle consacrée aux
communautés ménacées d'extinction. Nous voulons que leurs membres soient reconnus
comme acteurs et actrices historiques autonomes. Et c'est la l'originalité qui fait l'intérêt de
cette thèse. La valeur scientifique de cette étude se situe a trois niveaux.
Le premier niveau est un niveau universitaire de production de la connaissance. En effet
il existe dans le milieu universitaire gabonais, ce qu'Elenga Mbuyinga a qualifié de
"tribaIisme scientifiquew7. Près de 90% des travaux de recherche en sciences humaines et
sociales qui sont réalises dans chaque université africaine sont faits par des intellectuels dont
Ie sujet de recherche est leur propre ethnie. La conséquence en est qu'on assiste à une
multiplication de travaux sur les ethnies majoritaires, et les minorités comme les Shamaye qui
n'ont pas de support intellectuel universitaire sont jetées dans i'oubli. Voulant modestement
remédier à cette situation, nous sommes obligé nous aussi de participer à ce "tribalisme
scientifique" parce que nous sommes nous même locuteur natif Shamaye. Nous sommes ainsi
' Elenga Mbuyinga, Tribalisme et problPme nationor' en Alnque noire, Paris, L'Harmattan, 1989, 350 p., ~g.102-105.
à la fois témoin de ce qui po-t être le délabrement culturel de toute une communauté, et
témoin de toutes les sîratdgies qu'élabore un groupe pour assurer la survie de son identité.
Mais nous voulons aussi être acteur de cette production (en raison de noue formation qui
certes, n'est pas encore terminée), pour répondre à un vmu cher à Christian Laville qui
écrivait que "c'est largement le rôle de l'historien de produire la mémoire sociale, de
constituer les passés selon les besoins".
L'intérêt de notre étude tient aussi a son approche méthodologique. Les Shamaye sont
encore, avec plusieurs autres ethnies, les parents pauvres de l'histoire gabonaise. Cette
ignorance du groupe s'étend même au niveau universitaire. Lors de notre inscription à
l'Université Nationale du Gabon en 1985, des amis étudiants et des professeurs nous
regardaient avec étonnement quand nous dédinions notre identité ethnique au cours des
traditionnelles séances de présentation qui ouvrent chaque cours. On venait vers nous, au
département d'histoire et dans une université de surcroît, demander les informations sur les
Shamaye et leur localisation! Jusqu'à maintenant, les informations sur le groupe sont livrées
par des ouvrages généraux qui répondent d'abord aux besoins ethnologiques si i'on exclut
quelques discussions sur l'origine du groupe et une volonté de dater l'histoire de ses trajets
migratoires. Mais tout ceci se fait toujours sous le couvert de i'ensemble Kota, grand groupe
ethnique auquel appartiennent les Shamaye. C'est ainsi que Perrois a traité des Kota dans le
cadre giobal du Gabon; Andersson a travaillé sur ces mèmes Kota dans un cadre régional
(Gabon-Congo). Mème les études réalisées à l'âge d'or de la colonisation se sont toujours
évertuées à ne considérer les Shamaye que comme un sous-groupe des Kota. Alors, est-ce
parce que les études spkcialisées sur l'histoire shamaye n'ont pas été initiées que persiste
i'oubli et les lacunes sur ce groupe? Nous pensons que oui, et tant qu'on n'opérera pas un
travail par le bas, la situation va se perpétuer. D'où i'intérêt de cette modeste étude qui s'inscrit
dans t'une des nouvelles approches proposées il n'y a pas longtemps par Becker et Mbodj qui
ont donné le conseil suivant:
Nous soulignons fortement la nécessité d'inverser la tendance qui se manifeste dans les études historiques. En effet, il importe de partir des monographies les plus détaillées possibles, à partir des groupes sociaux plus restreints avant de proposer des études synthétiques par
Christian Laville, "L'histoire et i'identité des minorités" in B. Jewsiewicki et F. Montal, é&., Rkcifs de vie et mkmoires, vers une anthropologie hisrorigue du souvenir, Québec, Safi, 1987, 344 p., p. 147.
pays, puis JW grandes régions, et enfin pour l'Afrique sub- saharienne .
Nous insistons notamment sur le travail d'analyse historiographique; sur l'analyse des
matériaux les plus divers, sur la comparaison de divers textes oraux et écrits qui ont produit
Iliistoire shamaye comme connaissance. En effet, tous les énoncés relatifs aux Shamaye
doivent être répertoriés, discutes et critiqués afin de cerner comment progressivement un
savoir du groupe et sur le groupe s'est édifié.
Enfin l'intérêt de cette étude tient a l'importance que revêt la tendance dans laquelle elle
s'inscrit: histoire et l'identité des minorités. Cette fin de siècle est caractérisée par
l'effondrement de certains pays, et les frontières des nouveaux États qui naissent sur leurs
cendres sont souvent calquées sur celles d'une seule ethnie. Il en est ainsi des pays issus de
l'ancienne Union soviétique et de l'ex-Yougoslavie. Ainsi comme l'écrit Laville, "on se
préoccupe beaucoup des minorités et de leurs identités depuis quelques années". Les
minorités plus que les majorités font appel à la construction de l'identité à des fins de
régulation sociale entre autres, ceci pour réduire ou prévenir les conflits éventuels dans le
groupe. Christian Laville écrit:
Toujours est4 que la problématique de l'identité des minorités occupe désormais une place importante dans les sciences humaines et qu'elle ne peut laisser l'historien indifférent. Surtout qu'elle met directement l'histoire en cause. En effet, c'est par l'histoire en bonne part, que les identités se développent, se définissent, que parfois elles s'inventent; c'est I'histoire souvent qui procure aux minorités les mémoires fondatrices de leurs identites. Car "la mémoire fonctionne comme identité: on se définit par son histoire", rappelle Jean-Paul ~huillier'~.
Laville souligne par ailleurs Pimportance des historiens et professeurs d'histoire qui sont
concernés par cette problématique de l'identité des minohtes, par son sens et son usage, réel
ou virtuel. Nous terminerons cette analyse I'importance de la problématique de ['identité par
le témoignage de Lucille Guilbert qui &rivait que:
Mohammed Mbodj et Charles Becker, "À propos de I'histoue et des populations de I'Afiique noire: propositions pour de nouveila approches", in Revue canadienne des Ptudes a$-icuines, 23 ( 1 ) . 1989, pp.40-52., p.45.
10 LaMlle, C., op.cit.. p.147.
chaque culture s'enracine dans un passé qui lui est propre, qui lui CO* une identité ethnique distincte et qui doit être protégée contre m e uniformisation au contact des autres cultures. Ce besoin de protdger i'identitk ethnique, tant l'identité nationale que l'identité des minorités ethaiques, est vivement ressenti maintenant ou on assiste A un brassage des cultures partout dans le monde".
C'est pourquoi les Shamaye doivent se définir sur la base de leurs spécificités. Ces
spécificités méritent d'être connues, ce qui serait pour nous une façon de les "protéger".
L'analyse que nous ferons implique la confrontation de la connaissance interne du passé
shamaye aux pratiques identitaires analysées par les récits de vie. Faisons d'abord un bref
compte-rendu des travaux dans lesquels on retrouve des énoncés relatifs aux Shamaye.
0.2 État de fa auestion
Les écrits sur les Shamaye ne sont pas légion. Un autre trait de la littérature sur les
Shamaye est que l'ethnie n'a jamais été étudiée individuellement. Elle a toujours été prise en
compte dans les travaux portant sur i'ensemble du Gabon ou surtout dans ceux qui ont trait au
grand groupe ethnique Kota (Bakota). Ceci restreint le savoir qu'on a des Shamaye et les rend
pratiquement inconnus. Notre domaine d'étude, I'identité shamaye, est donc un domaine
nouveau; mais certains points que nous allons analyser en profondeur avaient ddja été abordés
par des travaux antérieurs auxquels nous nous sommes référés, surtout les travaux ayant trait
au groupe Kota. Hotre étude s'inscrit donc dans la lignée de ces travaux qui ont conmbué (et
contribuent encore) a approfondir le savoir sur les Kota en prenant cette fois pour objet
d'étude une seule ethnie de ce groupe: les Sharnaye. Résumons le contenu de ces études des
pionniers qui nous ont aidés dans notre analyse du processus de constnrction de l'identité
shamaye. Nous évoquerons tour à tour les études coloniales, les travaux d'africanistes et les
mémoires et thèses des nationaux avant de préciser notre propre apport.
I I Luciiie Guiiberî, "De l'identité ctbnique a i'intdturaiité: points de vue cthwlogiques", in Luciiie Mbert et Nomiand Labrie, Identité ethnique et inrercuftumlit~. État de la recherche en erhnologie et en sociolinguisrque r. l , Rapports et mémoires de recherche du Célat, n 16, septembre 1990, p. 13.
0.2.1 Les études coloniales
Les Shamaye font assez tard leur entrée dans la littérature colonide. Ces études ont ceci
pour point commun: elles proposent toutes des classifications du grand groupe ethnique Kota,
ce qui répond bien aux préoccupations de i't5poque qui étaient celles d'inventorier les
populations pour mieux les contr6ler. Ainsi, de Georges Bruel a Efraim Andersson en passant
par Edouard Trézenem et Miletto, on retrouve Ies Shamaye dans la littérature coloniale qui
les consacre comme étant une ethnie du groupe Kota. Ces travaux seront analysés en détail
dans le premier chapitre de notre étude. Ainsi, les Shamaye se retrouvent dans la longue
classification des "tribus Bakota" de ru el" et dans celle, plus réduite, de Trézenem qui
propose comme ethnies bakota, les Bakota proprement dits et les Shamaye, Mahongwé,
Ndarnbomo, Bahoumbou et ~ indas sa '~ .
De toutes ces études co!oniales, il faut peut4tre s'attarder sur celles de Miletto et
&Andersson à cause de la qualité des informations qu'elles donnent sur les Shamaye. Bien sûr,
~ i le t to" propose sa classification du groupe bakota, mais l'auteur donne des informations
directes sur les Shamaye comme personne ne l'avait fait avant lui. 11 montre que les Bakota
( Samayé, Mindassa, Bahoumbou) se ressemblent physiquement; mais il affirme aussi que les
"Samayé" sont plus "étoffés" et se distinguent des autres ethnies par leur peau assez claire et
leur système pileux très développé. Un autre élément qui vient renforcer ces différences entre
les Shamaye et les autres Bakota. toujours d'après Miletto, c'est la maitrise qu'ils ont des
activités cynégétiques". La démarche d ' h d e n s ~ n ' ~ est intéressante: pour proposer sa
définition du groupe Kota, il s'appuie à la fois sur les données orales et écrites.
12 Georges Bruel, La France équatoriale africaine, Paris, Larose, 1935, 558 p., p.302. 13 Edouard Trézenem, L'Apique dquaroriale fiançaise, Pais, Société d'éditions géographiques,
maritimes et coloniales, 1947,250 p., p.43. "Miletto, "Notes sur les ethnies de Ia région du Haut-0goouéN, in Bulletin de I'imtitur d'Émdes
Cenrraj?icaines, nouvelle série, n.2 (195 l), pp. 16-47. "MiIetto, op. cit., p.34. I k~ .a im Andersson, Connibution 6 l'ethnographie des Kura, Upsaia, Aimqvist & Wilksells, 1953,
364 p.
0.2.2 Les travaux d'africanistes
Nous présentons ici brièvement, parce qu'ils seront analysés plus loin, les travaux de
Soret, Deschamps et Pmois. Ce qui caractérise la période des aficanistes, c'est la progression
du savoir sur les peuples gabonais en général et sur les Bakota en particulier avec
l'émergence, dès 1960, de nouvelles méthodes. Cet enrichissement du savoir sur les Bakota se
matérialise par l'approfondissement des thèmes anciens (comme l'histoire des migrations) et
l'exploration des nouveaux domaines (comme les études sur les figures de reliquaires qui vont
connaître un boum important). Voyons comment les Shamaye sont pris en compte dans cette
littérature africaniste.
En 1960, Marcel soretI7 écrit I'introduction d'un article de Raponda-Walker paru la
même année. Cette introduction constitue un classique et deviendra un tournant dans l'histoire
ethnique du Gabon. Tout le monde va s'en inspirer, et ses huit groupes ethniques deviendront
presque la présentation officielle des ensembles ethniques du Gabon. Soret utilise, ensemble
ou séparément, trois critères pour identifier les groupes ethniques: la langue, l'histoire et le
genre de vie. En tenant compte de tout ceci, il place tout naturellement les Shamaye dans le
groupe Bakota. C'est sur les conseils de Soret qu'un autre africaniste, Hubert ~ e s c h a m ~ s ~ ~ ,
élabore sa carte des "tribus du Gabon". 11 se sert uniquement d'une approche basée sur
l'histoire et la géographie (que nous expliquerons plus loin). Le résultat est le même car le
groupe septI9 (qu'il appelle lui aussi groupe Bakota), où on retrouve les Shamaye, est la copie
conforme du groupe Bakota de Soret.
Perrois est jusqu'a ce jour le meilleur connaisseur des Bakota du Gabon. Ses travaux
nous ont grandement servi, nous n'indiquerons ici que très rapidement leur contenu en ce qui
concerne le traitement que les Shamaye y ont reçu. En 1968, ~errois'' a publié un premier
article dont le thème centrai est la cuconcision chez les Bakota proprement dits, les Shamaye
et les Mahongwé. Mais l'auteur y aborde aussi succinctement divers aspects de ces mêmes
peuples: le genre de vie, les autres rites initiatiques et les trajets migratoires. En 1970,
arcel el Soret, Introduction à André Raponda-Walicer, "Notes d'histoire du Gabon", in Mémoires de IYmtirur d'Études CennujFicaines, n.9 ( 1 %O), pp.5- 19.
' * ~ u b a t Deschamps, Traditions orales er archives au Gabon, contriburion à Irethno-histoire, Paris, Berger-Levraul~ 1962, 172 p.
'gDeschamps, H., op.cir., p.12. 2 b u i s Pmois, "La circoncision baicota (Gabon)", in Cahiers O.RS. T.O.M. série Sciences
Humaines, 5 (1). 1968, pp.7-105.
~errois~' reprend en profondeur le dernier thème et étudie en détails, les mouvements internes
kota depuis leur entrée au Gabon jusqu'à l'aventure coloniale qui a arrêt6 les mouvements des
populations locales. Les travaux de Penois nous ont permis de suivre l'établissement des
Shamaye dans les provinces de l'Ogooué-Ivindo et le Haut-Ogooué. Ils seront confirmés et
complétés par nos propres recherches puisque nous avons pu suivre en détail l'établissement
des Shamaye dans la région de Lastourville, groupe que Perrois a visiblement oublié dans ses
travaux. Pour terminer avec l'apport des ahcanines, disons que c'est Perrois qui a vulgarisé le
savoir sur les Shamaye et les autres Bakota à propos des figures de reliquaires, un des
éléments les plus expressifs de leur identité. Perrois a produit de nombreux articles sur ce
sujet, mais le plus complet de tous est certainement celui paru en 1976~. Dans "L'art kota-
rnahongwé" en effet, l'auteur montre les différences entre les styles mahongwé, shamaye et
obamba-mindassa. Ces trois sous-styles kota y sont rigoureusement analysés et comparés. Cet
article et bien d'autres nous ont permis de comprendre un des déments fondamentaux de
t'identité shamaye, puisque cette sculpture est a la fois un objet esthétique, mais aussi un
symbole politique et religieux.
0.23 Mémoires et thèses
11 est vain de chercher une thèse de doctorat sur les Shamaye puisque aucun travail de
cette nature n'a jamais été fait. Guillaume ~ n a s s a n ~ o ~ e ~ , qui a présenté un mémoire de fin de
cycle sur les Bakota dans la région dPOkondja, montre la place que tient l'éducation de tout
initié dans les sociétés secrètes, mais il ne distingue pas les Shamaye des autres ethnies kota
de la région. Jusqu'à ce jour nous étions le seul à avoir initié les travaux de cette nature sur les
Shamaye, et c'est avec un réel sentiment de gêne que nous sommes obligé de le souligner.
Nous avons commencé nos modestes recherches sur les Shamaye au dkpartement dhistoire de
l'Université Nationale du Gabon à partir de 1988. Dew ans après, nous avons présenté un
rapport de licence et en 199 1 nous y avons soutenu notre mémoire de maitrise".
2 1 Louis Penois, "Chronique du pays koîa (Gabon)", in Cahiers O.RST.0.M.. série Sciences Humaines, 7 (2), 1 970, pp. 16-1 08.
n~oais Pcrrois, "L'art kota-mahongwé, les figmes fuaéraues du bassin de llvindo (Gabon-Congo)", in Arts d'Afrique Noire, 20 (1 W6), pp. 15-37,
U~uillaume Gnassmgoye, Essai sur Iféducation et /a formation dons les sociétés g a b o ~ i s e s ~roditionnelles de 1910 Ù 1960, mémoire de Capa en Histoire, Libreville, École normale suphieue, I989,58 p.
24 Jein-îhristophe Maihi, Conrribution O I'hikfoire des Shum~rye &ns fa region de Lustourville cnr Gabon (des origines à 1930). mémoire de Maîtrise en Histoire, Libredie, Université Nationale du Gabon, 1 99 1,164 p.
0.2.4 Notre anwrt
Notre apport est modeste mais significatif a nos yeux. De par leur répartition
territoriale, les Shamaye n'avaient jamais été spécifiquement pris en compte dans les études;
on leur a accordé une petite place. Quand on parcourt l'historiographie, on se rend compte que
le groupe le mieux étudié est celui du nord, entre Makokou et Okondja, certainement à cause
de son importance numérique. Les Shamaye du sud, c'est-à-dire ceux de Lastourville, avaient
été oubliés jusqu'ici. Le travail que nous avons consacré a ce dernier groupe pour l'obtention
de notre diplôme de maîtrise visait en grande a corriger cette anomalie en vue d'intégrer
ces Shamaye dans l'historiographie du pays.
La présente étude est significative parce qu'elle est le premier travail universitaire a
considérer cette fois-ci tous les Shamaye du Gabon; elle est donc unificatrice pour l'identité
shamaye. Comment cette identité apparaît-elle au regard extérieur qui peut-etre Ie regard des
voisins ou ceIui de l'historiographie, comment cette identité est-elle perçue par les Shamaye
eux-mêmes et quels sont les éléments sur lesquels cette identité s'appuie de nos jours, telles
sont les questions auxquelles notre étude tente d'apporter quelques réponses.
Bien qu'elle prenne en compte tous tes Shamaye du Gabon, notre étude n'a pourtant pas
la vocation d'être l'histoire globale des Shamaye, dans ce sens qu'elle ne porte pas sur tous les
aspects de leur vie. Notre contribution porte plutôt sur l'identité et a ce titre, nous avons fait
des choix et décidk d'étudier cette identité à travers des thèmes qui pourraient mieux la mettre
en exergue, a savoir:
1- le discours écrit qui est une identité produite par un regard extérieur;
2- le discours oral ou l'identité d'après les Shamaye eux-mêmes;
3- le vécu et les pratiques identitaires ou l'identité observée a parhr du comportement
quotidien des Shamaye comme acteurs sociaux et les emblèmes et symboles qui est I'étude
des éléments matériels et immatériels qui témoignent et symbolisent mieux cette identité, et
sur lesquels celle-ci s'accroche.
A ce titre. nous nous démarquons des études traditionnelles qui ont souvent du mal à se
détacher de la "raison ethnologique" (dont on dit qu'elle a tendance à présenter Ies sociétés de
manière immuable) et nous nous servons plutôt des éléments ethnographiques à des fins
uniquement identitaires, c'est-àdire historiques; i'identité étant un processus qui se déroule
dans 1e temps autant que dans i'espace.
L'identité, on ne le dira jamais assez, devient un thème de reflexion important en cette
fin de siècle. En choisissant l'identité shamaye comme thème, notre étude est donc une
modeste contribution à l'édification et à la connaissance des peuples du Gabon moderne où
des oublis ethniques ne devraient plus exister, mais apparaissent encore maiheureusement.
0.3 Les limites sriatio-ternoorelles
Pour ce qui est des limites temporelles, notre étude débute en 1930 et se termine en
1990. Notre terminus a quo, l'année 1930, marque la pacification du pays avec la fin de la
dernière résistance armée qui entraîne les débuts effectifs de la colonisation du Gabon. Les
historiens locaux sont unanimes à reconnaître que c'est avec la chute des Bawandji de
Lastourville, conduits par leur chef de guerre Wongo, que débute véritablement la
colonisation du pays. Les causes du soulèvement des Bawandji (notamment le refus
d'apporter les produits de marché aux autorités coloniales de Lastourville) qui a duré deux ans
(1928-1930) et les opérations militaires conduites par les Français ont été résumées par
l'administrateur Le es tu^ qui est venu à bout des Bawandji. Avec la chute de Wongo et les
siens, les Français ont désormais les coudées franches pour entreprendre ce pourquoi ils sont
venus: l'oeuvre "civilisatrice". Les populations locales commencent a ëtre mieux connues.
C'est a partir de 1930 que les premières cartes du pays sharnriye sont dressées a la suite de
nombreuses expéditions de l'administration, comme nous le verrons plus loin. Les Shamaye
qui fiiyaient jusque-là les contraintes de l'administration dans la forêt sont ramenés et
sédentarisés sur des axes routiers où ils sont mieux contrôlés.
Avec la pacification qui donne aux populations locales-et les Shamaye vont le vérifier-
la conviction que leurs cachettes habituelles n'ont plus de secret pour les Blancs, ces derniers
prennent un ascendant psychologique sur les autochtones qui finalement se résignent à leur
sort.
Notre étude débute donc avec une &te qui marque, de l'avis de tous, l'âge d'or de la
colonisation. Avant d'expliquer le choix du terminus ad quem de 1990, rappelons d'abord un
fait important qui n'est pas sans rapport avec notre étude. Le 17 août 1960, le Gabon accède a
la souveraineté internationale. L'indépendance chez tous les peuples colonises a toujours été
le symbole de la liberté retrouvée et du départ de l'oppresseur, de la prospérité pour tous grâce
25 Georges Le Testu, "La soumission des Bawandji", in Bulletin de la Société des Recherches Congolaises, 15 (193 l), pp. 1 1-28.
à la conduite des affaires par des fils du pays. Mais très vite, certains peuples nouvellement
indépendants ont dû déchanter: I'hvée des autochtones au pouvoir ne correspond pas
forcément à la justice, a l'égalité, à la liberté et à Ia prospérité. Au contraire, on a eu
l'impression que les autorités post£oIonides ont kit pire que Ies colons. De là, les Gabonais
en générai et les Sharnaye en particulier, sont venus à regarder derrière e u et à considérer Ia
colonisation avec une certaine indulgence et nostalgie. Un de nos informateurs sharnaye nous
affinnait:"sous la colonisation, le travail était certes difficile, mais les gens gagnaient bien
leur vie et se permettaient même de changer d'emploi quand ils le voulaient. Les chantiers de
bois par exemple abondaient et ne cessaient de réclamer de nouveaux travailleurs tout le
temps. Mais trouver du travail aujourd'hui!"
A ces difficultés d'ordre matériel, il faut ajouter les restrictions des libertés
individuelles. Le Gabon, qui s'est initié au multipartisme, a renoué avec le régime de parti
unique quelques années après l'indépendance. Toute association doit s'intégrer au parti
unique. Les autorités craignent en effet la résurgence des tribalismes a travers les associations
a caractère ethnique (où les gens pourraient être amenés a revendiquer leur identité). Au nom
de l'unité nationale, la création de tout groupement humain doit recevoir l'aval du ministre de
l'administration du territoire qui délivre un quitus après avoir rigoureusement examiné ses
statuts. On craignait, entre autres, que des partis politiques qui viendraient concurrencer le
parti au pouvoir naissent sous le couvert de ces associations. Bref, avec l'avènement de
l'indépendance, les libertés sont étouffées. Ceci a fait dire à Ki-Zerbo au cours d'une
conférence donnée a Genève en 1984, que dans cette Afnque qui a suivi les indépendances,
"l'ethnie aujourd'hui est une identité presque dandestine, dont on craint de réveiner les
Le Gabon renoue avec le multipartisme après des périodes de soulèvements sociaux. La
conférence nationale de 1989 restaure le multipartisme intégral et en 1990 a lieu le premier
scrutin libre et démocratique: les élections Iégislatives pluralistes. Cette date, à défaut de
marquer Ie retour automatique à toutes les libertés (on sait que les élections n'y sont pas
encore transparentes et tournent toujours à l'avantage de I'ancien parti unique au pouvoir, la
liberté vers la prospérité n'est pas réelle puisque la majorité de la population vit dans la
précarité), est tout de même un symbole. EHe marque l'espoir de marcher vers cette liberté
26~oseph Ki-Zerbo, "Les identités dîureiies afiicainwn, in Genève-Afnque, 23 ( I ) , 1985, pp.7-24, p. 19.
car, avec la désillusion qui a accompagné l'indépendance, il est à craindre que le retour à la
démocratie soit ponctué d'autres changements fictifs et d'expériences mères.
Nous avons donc voulu circonscrire notre travail entre deux dates qui symbolisent pour
la première, le moment où les Shamaye entrent et évoluent dans un univers dominé par toutes
les formes de conmintes qui vont introduire des changements dans leur culture et leur
identité, et pour la deuxième renvoie au moment ou ils sortent de ce monde de contraintes
complexes.
Pour ce qui est du cadre spatial, le pays shamaye au Gabon est une sorte de triangle
compris entre les villes de Makokou, Okondja et Lastourville. Les limites de ce ûiangle
correspondent à lliabitat des Shamaye. Mais cet habitat naturel est réparti entre trois
provinces gabonaises différentes. A l'intérieur de ce triangle en effet se dégagent deux zones
de peuplement s harnaye.
Un premier peuplement est concentré vers le nord, entre Makokou et Okondja sur l'axe
routier qu'on appelait sous la colonisation "la piste des Shamaye". Depuis la colonisation, ces
Shamaye relevaient de deux entitds administratives distinctes: la partie nord d e cette piste
dépendait et dépend encore de Makokou, actuel chef-lieu de la province de l'Ogooué-Ivindo;
la partie sud de la piste est toujours restée sous la juridiction d'okondja, actuel chef du
département de la Sébé-Brikolo dans la province du Haut-Ogooué. Les deux parties de cette
ancienne piste Makokou-ûkondja ont été transformées en une route carrossable.
Administrativement, elles portent toutes les noms de cantons Mouniandji, I'un dépendant de
Makokou et l'autre d'Okondja. C'est sur ce tronçon routier rural (correspondant d'ailleurs a
l'habitat naturel shamaye) que nous avons mené nos investigations dans les villages shamaye
et mixtes (où ils vivent avec les Mahongwé, Bakota et Obarnba) touchant même ceux qui se
sont établis dans les villes de Makokou et Okondja, ou simplement ceux qui y sont allés pour
travailler.
Un deuxième peuplement shamaye s'est établi au sud de ce triangle. Ce sont les
Shamaye qui ont traversé l'Ogooué et se sont aventurés loin vers le sud. Ils se retrouvent de
nos jours sur le canton Leyou (qui dépend de Lastourville chef-lieu du département de
Mulundu dans la province de l'Ogooué-Lalo) sur l'axe routier qui va de Lastourville à
Okondja en passant par les villes de Mounana et Franceville. Là aussi, les Shamaye y vivent
dans des villages o i on les retrouve seuls ou dans des villages mixtes oii ils se sont mélangés
aux Shake, Ondasa, et aux Ongom ou Akéld. C'est une zone que nous connaissons bien, nous
sommes natif de là et nous y menons nos recherches depuis 1988.
Ceci est le cadre géographique principal où nous avons conduit nos investigations. Nous
avons privilégié le milieu rurai parce qu'il garde encore une population âgée auprès de
laquelle on peut espérer recueillir les témoignages les plus pertinents sur les événement. les
plus reculés dans le temps et dans l'espace. Mais ceux qui connaissent l'Afrique savent que les
villes sont en train de se peupler au détriment de la campagne. C'est encore plus vrai de
Libreville, la capitaIe qui, à eIIe seule, avec ses quatre cent mille habitants, abrite le tiers de la
population du pays. On y retrouve les "citadins" shamaye originaires des zones rurales de
['intérieur que nous avons présentées plus haut. Dès enquêtes ont été menées auprès d'eux.
Une autre localité qui a retenu notre attention, c'est la viIle de Mounana Depuis le
début des années 1960, les Français y exploitent de I'uraniurn avec une main-d'oeuvre
autochtone. Cette ville du Haut-Ogooué a attiré de nombreux Shamaye "du sud" par la
proximité qu'elle a avec le canton Leyou. Nous y avons enquèté et le résultat a été intéressant
parce que nous avons découvert que la prise de conscience politique des Shamaye est venue
de ceux qui travaillaient à Mouuana en raison de leur organisation. Tel eest l'espace
géographique couvert par notre étude.
1 Carte ml: L'Est du Gabon et le pays shamaye
Legende: Ogooué-Lolo: Province Makokou: Entrée du pays shamaye Makatamangoye: Village shamaye Moanda & Mounana: Centres miniers Mt Ngouadji: pays d'origine des Shamaye d'après les traditions
République du Congo ( B m v i l l e }
I âEbroc : I /1 MO J.C. MATML LA= 1997
0.4 Définition des conce~fs
Notre travail s'appuie sur des concepts-clés dont le sens porte quelquefois 4 confunon.
Nous aimerions dom: au préaiable les dkfinir pour que le sens que nous leur amiuons soit
bien compris par le lecteur. Notre étude s'appuie en effet sur les termes tradition, innovation
et identité.
0.4.1 La tradition
Quelqu'un disait de ce mot qu'il renvoie a une civilisation qui considère que les acquis
sociaux ne sont pas produits, mais transmis par la tradition.
Voilà un concept qui a causé beaucoup de tort dans l'histoire de t'Mque noire. En
effet, une certaine anthropologie sur lfAfnque a utilisé le concept de "traditionnel" à la place
"d'immuable". Quant a une certaine historiographie africaniste, le terme "traditionn et plus
encore "traditionnel" signifie pour elle une situation préculonide statique et révèle un mépris
de l'histoire précoloniale ou son refus tout court. Ainsi, tradition signifiait pour les sociétés à
oralité comme les Shamaye, absence de changements et par voie de conséquence, absence
d'historicité. Dans notre etude, nous donnons au terme tradition le sens que lui accorde un
afncauïste qui semble mieux connaitre ce terne que nous, Jan Vansina, parce qu'il étudie la
tradition politique dans la région où se situe notre propre étude, depuis de longues années. Le
terne de tradition dans notre travail n'est donc pas synonyme d'absence de changement.
Vansina considère que "les traditions comme continuités fondamentales modelant les futurs
de cew qui en sont portwrs ne se trouvent pas seulement dans l'esprit des observateun:etles
"sont là", elles existentn2'; mais elles son? des processus "qui doivent changer continuellement
pour rester en bonne santé". Vansina conclut cette définition sur ces termes:
Une tradition vivante est une traditioa qui change. Par conséquent, la tradition est m e continuité en marche ...La tradition accepte, rejette ou -me les empnmts pur les assimiler. Elle transforme même ses institutions dominantes sans remettre ses principes en question Rétrospectivement, le cours ultérieur de lhistoire est parfaitement clair: c'est le déploiement des conséquences des décisions ancestrales ou
leur adaptation conde en face de circonstances nouvelles. Mais les voies du changement mtcnt ~ s i b l e s 2 8 s .
Cette définition, nous Ie savons, n'enchantera pas les détracteurs de l'histoire de
1'AfnAfnque. Mais encore une fois, nous sommes d'accord avec Vansina lorsqu'il soutien que les
historiens dont le métier consiste précisément a decouvrir les modifications, ne peuvent
accepter la tradition dans Ie sens d'absence de changement que d'autres veulent toujours lui
collerz9.
Pour terminer, nous ajouterons simplement que les traditions étant des processus, la
définition spécifique d'une tradition réside en partie dans l'oeil de l'observateur. Ainsi un
élément subjectif est toujours introduit par l'observateur pour définir une tradition, car il serait
aussi prétentieux d'avancer qu'il y a des limites par lesquelles débute et se
termine une tradition.
0.43 L'identité
L'identité est un concept qui est abondamment utilisé de nos jours. Le dictionnaire
Larousse nous dit que l'identité est le caractère permanent et fondamental de quelqu'un, #un
groupe. Un chercheur africain, Joseph Ki-Zerbo, affirme quant à lui que "l'identité culturelle,
c'est ce qui nous distingue pardelà nos constantes d'homo sapiens. C'est ce qui nous
singularise, qui nous fait désigner du do& qui est paradoxal; a la limite, c'est ce qui est
bizarre. L'identité c'est la différence"". Ceci est une bonne défuition de I'identite ethnique.
Mais personne de nos jours dans les sciences humaines n'oserait considérer l'identité comme
un élCment immuable qui n'évolue pas. Et c'est la qu'on peut voir que la définition de l'identité
telle que proposée par le dictionnaire, qui la définit comme un "wactére permanent", est
largement dépassée et est irrecevable dans la science. Ki-Zerbo rappelle avec force que
l'identité ethnique "n'est pas une structure fossile ou statique. Notre identité ne relève pas de
l'archéologie sociale. Ce n'est pas un objet, un trésor qui serait enfoui quelque part et que nous
aurions à déterrer pour le metrre en valeur daris un musée, ou au contmue pour en tirer profit
daas je ne sais daas quel échange marchand"". L'auteur conclut ni ajourant que l'identité est
plu& un processus temporel. Cest l'histoire en marche; et ce patrimoine dans lequel nous
28 Vans& J., "Sur Ics &crsm. pp.332-333. Ibid., p.33 1. Ki-Zabo, J., op. CIL, p.9.
3' Ibid., p. 10.
nous reconnaissons, qui nous porte et que nous portons aussi, c'est notre identité. Dans tous
les domaines, l'habillement, le boire, le manger, la musique, la religion, les rapports sociaux,
les rites et les mythes, etcJ2. L'identité est donc caractérisée par une évolution et une
renégociation permanentes. Qu'elle soit individuelle ou collective, l'identité n'échappe pas a
M u Stx ces deux éléments fondamentaux. C'est pourquoi les écrits de Jewsiewicki et Létom,
la négociation de I'identité individuelle s'appliquent facilement a I'identité ethnique. Les deux
chercheurs témoignent:
En fait, il faut percevoir dès le départ i'individu en situation de continuelle négociation identitaire, c'est-à-dire que, dépendamment des contextes ou il évolue, et dans lesquels il se situe, l'individu se comporte tel un caméléon, changeant d'allégeance, de discours et de pratiques et ce, en fonction de tout un ensemble de pressions, d'intérets, d'opportunités et de stratégies complexes qui sont elles- mêmes évolutives dans le temps et difficilement prévisibles33.
Pour terminer, il faut ajouter l'histoire (comme le propose Ki-Zerbo) pour montrer le
caractère dynamique de l'identité. C'est pourquoi a toutes les définitions que nous avons
retenues et auxquelles nous adhérons, qui mettent l'accent sur le caractère non permanent de
I'identité, nous ajoutons celle que proposent J. Mathieu et J.Lacoursière. Cette dernière
définition réunit tous les éléments pour pouvoir devenir la définition universelle du concept
de l'identité. Le lecteur jugera lui-même sa clarté:
L'identité est finalement vue comme ce par quoi des personnes se sentent liées les unes aux autres, de façon passagère ou non. Elle s'exprime autant par des différences que par des ressemblances, autant par des comportements que par des engagements. Elle change dans le temps et selon les lieux fréquentés. Elle découle autant de ses propres perceptions que de ses rapports à l'"autre". Chacun participe même a plusieurs réseaux d'appartenance auxquels il adhère plus ou moins fortement ou plus ou moins longtemps. Les fondements de I'identité reposent donc sur des traits personnels, des modes de vie, des rapports sociaux, des valeurs et des représentationsw.
32 Ki-Zerbo, J., op-cil., p. 15. 33~ewsiewicki, B. et J . Létourneau, op-cit., p.vii. 34 Jacques Mathieu et Jacques Lacoursière, Les mémoires québécoises, Sainte-Foy, Resses de
l'université Laval, 199 1,383 p., p. 18.
0.43 L'innovation
Le sens de ce concept ne devrait pas prêter à confusion dans cette étude. Nous aurions
pu y remplacer le terne d'innovation par celui de changement, le résultat aurait été le même.
L'innovation c'est simplement une transformation, quelque chose de nouveau. Quelques
exemples: des innovations cuiturelles sont nées chez les Shamaye par Ia cohabitation ethnique
qui a vu Parrivée des cultes nouveaux; ce même voisinage entraine la circulation de certains
éléments que les bénéficiaires incorporent à leur propre identité. Ainsi, certains noms de
jumeaux originaires des voisins ongom, pour ne citer que ceux-là, sont devenus des éléments
de l'identité sharnaye. Vansina vient de proposer une approche nouvelle pour étudier les
innovations culturelles, c'est l'approche dite "les mots et les choses" que nous utiliserons entre
bien d'autres après l'avoir expliquée.
0.5 Problématique et hv~othèses
Un compatriote écrivait il n'y a pas longtemps que, "ce qui frappe avant tout
I'observateur qui parcourt la littérature historique sur le Gabon, c'est l'inégale représentation,
dans celle-ci, de ses différentes ethnieswf5. II ne croyait pas si bien dire car, plus de dix ans
après ces propos, la question est toujours d'actualité. En effet, les études ethniques au Gabon
traînent le boulet des faiblesses dont elles ont du mal à se débarrasser. On ne peut comprendre
notre problématique sans avoir au préalable pris connaissance de ces tares.
La première de ces faiblesses est que les études ethniques sont dominees par le
traitement inégal que reçoivent les ethnies dites majoritaires, par le phénomène du "tribalisme
scientifique" que nous avons déjà évoqué. Ainsi les Fang, Bandjabi et Bapounou se détachent
nettement des autres ethnies gabonaises. En plus, ce sont des ethnies dont les frontières
dépassent ks limites du Gabon; non seulement profitentelles, en raison de leur poids
démographique, d'un s1ipport universitaire important qui s'est lui-même appuyé sur une
abondante littérature sur ces groupes laissée par les administrateurs et missionnaires, mais
35 Aganga Akelaguelo, "Esquisse d'histoire du Gabon", in Présence Aficaine, n. 132 (1984), pp.3-32, p.5.
elles bénéficient aussi de l'apport des africanistes qui étudient les ramifications de ces groupes
dans les pays limitrophes. Par exemple, les travaux de Georges Dupré sur les Bandjabi du
Congo peuvent bien s'appliquer à ceux du Gabon. Des ethnies moins importantes reçoivent un
traitement analogue pour des raisons qu'on explique aisément. Cest le cas des Myène de la
côte qu'on peut considérer comme un groupe numériquement moyen. Ces gens de la côte ont
été les premiers à accueillir les Blancs et & recevoir les écoles. Ils ont souvent découragé les
Blancs a s'aventurer vers l'intérieur et ont ainsi eu Ie temps de produire les premières élites du
pays qui n'ont jamais cessé d'écrire l'histoire de leur ethnie en s'appuyant sur la littérature
produite par les voyageurs et préparer le terrain à la recherche afki~aniste'~.
Les Mitsogho sont au Gabon une minorité qui suscite beaucoup d'envie. La production
scientifique sur les Mitsogho rivalise avec celIe des ethnies majoritaires et dépasse même
certaines d'entre elles. C'est qu'au Gabon, les Mitsogho (avec les Apindji, une autre minorité)
sont les inventeurs de la religion bouiri. Or cette religion a été récupérée par les groupes
majoritaires. Mais plus important, on soupçonne le bouiti de receler de pouvoirs qui
aideraient a I'accomplissement d'un parcours politique des plus envieux. Un ministre initié au
bouiri avait été accusé sur le plateau de la télévision d'État de danser le bouiti avec la
photographie du chef de l'État a la main en vue de s'attirer ses bonnes faveurs. La minorité
Mitsogho est donc d'abord étudiée pour cela, on cherche a comprendre cette "théorie du
monde" qu'enseigne la religion. Un Canadien qui s'est illustré dans l'étude du bouifi au Gabon,
c'est Stanislaw ~widenki~' dont les travaux ne sont plus a présenter. Les autres minorités qui
n'ont pas ces atouts sont simplement jetées aux oubliettes.
Enfin, la dernière tare dont soufient les études ethniques au Gabon, c'est la tendance a
reproduire les classifications qui remontent parfois aux premières heures de l'aventure
coloniale. Or on commence aujourd'hw à sérieusement contester ces distinctions ethniques3'
(scientifiques ou pratiques), parce que les intéressés eux-mêmes ne s l reconnaissent pas3g.
Car dans l'étude des ensembles ethniques qui comprennent chacun parfois jusqu'à sept
ethnies différentes- la tendance est souvent a l'harmonisation et a l'attribution abusive des
traits appartenant a une ethnie (la mieux étudiée et généralement majoritaire) à toutes les
-ou les Myène, donnons à titre d'exemple, Joseph Ambouroue-Avaro, Un peuple gabonais à l'aube de la colonisation. Le bas Ogowe ou XXe siècle, Paris, Karthala, 1981, 285 p., et François Gauirne, Le pays de Cama. (In ancien Éfar côtier du Gabon er ses origines. Paris, Karthala 1981,269 p.
37~itons à titre d'indication, Stauislaw Swiderski et Marie-Laure Girou-Swidedci, La poésie popdaire er les chanrs religieux au Gabon, Ottawa, Université d'ûîiawa, 198 1 , D 1 p.
38~chard A., et Léonard G., op.cit., p. 106. 39~rançois Gauhe, Le Gabon et son ombre, Paris, Karthal* 1988.210 p.. p.36.
autres ethnies. Ceci conduit à la présentation de l'ensemble comme un groupe politique et
culturel homogéne, ayant une longue histoire commune.
Cette f q n de procéder nuit fortement aux minorités de ces ensembles comme les
Shamaye qui voient ainsi travestie la connaissance de leur histoire. Certes, nous ne voulons
pas introduire des différences là ou elles n'existent pas car, sur un plan plus général, les
recherches ont montré qu'en plus du culte des ancêtres (qui est encore ià un élément
complexe à notre avis!), l'unité des ethnies gabonaises se trouve dans la pratique des langues
liées à un tronc commun: le proto-bantu Mais, la connaissance issue de l'ère coloniale ne
doitelle pas être discutée et restituée dans sa véracité? EIle ne doit pas, par ailleurs, nous
empêcher de saisir, dans une perspective purement historique, l'amplitude des phénomènes
tels que les mutations humaines et sociales qui se sont produites, qui sont en train de se
produire devant nous, génératrices des modifications profondes du passé et fondatrices du
futur.
C'est pourquoi nous voulons opérer une descente ii la base et travailler sur les aléas de la
çonstnrction de I'identité shamaye. Notre but est tout d'abord de reconstruire Ia production de
la connaissance historique, ensuite de raconter avec un recul critique l'histoire de la minorité
shamaye. Concrètement, cette étude vise a saisir comment et à partir de quoi les Shamaye
construisent-ils leur identité, comment fonctionne-t-ek et qui est son principal producteur.
Les Shamaye en dépit d'être une minorité démographique, ne sont-ils tout de même pas
acteurs de leur propre histoire?
Nous comptons surtout mettre L'accent sur le caractère dynamique de ce processus et sur
la participation des Shamaye, en tant qu'acteurs et actrices de leur histoire. Nous voulons
arriver a montrer que I'identité shamaye s'est construite autour d'un original mélange des
éléments de leur tradition et de ceux nés de diverses innovations.
Pour ce faire, nous avons élaboré des hypothèses de travail. On a coutume d'affirmer
que i'efficacité de traiter d'une question scientifique dépend souvent de la qualité et de la
clarté des hypothèses de départ. Notre étude en pose justement quelques-unes qui constituent
d'ailleurs l'ensemble des questions auxquelles nous voulons proposer quelques réponses.
1-C'est en évoquant le principe de la "mission civilisatrice" que les agents coloniaux et
les missionnaires se sont attaqués aux manifestations les plus apparentes de la culture
shamaye. Cette lutte va se manifester par la guerre Iivrée aux sociétés secrètes considérées
comme des bastions de la résistance anticdoniale, par l'interdiction de la pratique religieuse
du culte des ancetres et des danses dites "immorales". Certains de ces éléments anciens ont
résisté, d'autres sont parvenus jusqu'a nous sous des formes nouvelles. Cest le cas des
innovations qu'on a détectées dans les sociétés secrètes.
2-L'introduction du sdariat et la monétarisation de la compensation matrimoniale ont
exercé un impact croissant sur i'instituîion de mariage; la scolarisation a pesé sur les
structures sociales anciennes; les regroupements de populations entrepris depuis l'ère
coloniale ont mis les Shamaye en contact avec les autres ethnies, ce qui a eu pour
conséquence d'apporter des innovations favorisées par i'anivée des nouveaux cultes, @obi et
"rnademoiselIe" qui vont achever ce qu'avait initié la colonisation.
3-Le regard extérieur, par l'entremise des colons et des africanistes, a pu produire une
identité (qui n'est pas connue par la majorité des Gabonais et qui doit être révélée) shamaye a
travers des écrits qui ne sont pas légion, mais qui existent tout de même; cependant les
Shamaye eux-mêmes ont un discours oral à découvrir et qui est, a propos de leur identité,
assez clair.
4-Enfin, la compétition sociale et politique pour l'accès aux ressources et aux
mécanismes de promotion sociale, économique, politique et culturelle ont amené les
Shamaye a élaborer des stratégies par l'entremise de leurs communautés établies dans les
centres urbains, stratégies matérialisées par la création "d'associations d'originaires"", comme
les appelle Jean-Loup Amselle. Ces associations sont devenues, en Afrique, de nouvelles
formes d'identification ethnique, surtout en milieu urbain. Amselle et ~alandier'" ont montré
que devant les conditions sociales et matérielles précaires qu'offraient les villes, les Africains
ont créé des associations ethniques qui se proposaient de remédier au dépaysement en
redonnant vie à la "fraternité de raceNJ' En fait, il s'agira ici de voir avec quelles autres
ethnies les Shamaye se regroupent-ils et de trouver une r@nse adéquate à la nature des
rapports qui existent entre les communautés shamaye urbaines et les communautés d e s .
0.6 Présentation des sources et des matériaux
S'il y a un scientifique qui est dépendant des sources, c'est bien l'historien. Certains
plaisantent même en disant que l'historien est le prisonnier de ses sources. Ceci est bien réel
car Ilélaboration d'un travail scientifique est tributaire de Ia documentation dont on dispose.
40 Jean-Loup AmseHe, "L'ethnicité comme volonté et comme représentation: à propos des Peul du Wasolon", Annales E.S.C., mars-avril 1987, n.2, pp.465-489, p.482.
4 t Georges Balandier, Afiique ambigut?, Paris, Plon, 1957,379 p., p.258. %id
Les documents écrits sur notre sujet ne sont pas légion et ce qui existe n'est encore connu que
de façon très parcellaire. Ce qui nous oblige à chercher et à considérer tout matériau qui peut
nous renseigner sur notre sujet. Mbodj et Becker disaient que "toutes les sources ont un
intérêt, elles méritent d'être collectées, critiquk et mises à contriiution pour restituer le
passé des populations afncaine~"'~. Cette étude se veut donc d'être un inventaire totai de ce
qui peut nous renseigner sur Iriistoire de l'identité shamaye. Nous analyserons nos sources
sous deux aspects:
e n tant que production cuIturelle, un texte devant donner un sens à une communauté
ainsi qu'à son passé et son présent. A ce titre, tout texte producteur d'identité de groupe a une
portée politique;
-en tant que source d'information factuelle qui doit être soumise à la critique historique
avant de servir ê Ia reconstitution du processus de formation de l'identité shamaye.
Nous présenterons tour à tour les documents d'archives, les sources muséographîques,
les documents publiés et les sources odes.
0.6.1 Les documents d'archives
II s'agit des documents consultés aux archives nationales de Libreville, aux archives de
la préfecture de Makokou, aux archives de la préfecture de Lastourville et enfin des fonds
privés.
0.6.1.1 Les archives nationales de Libreville
Le principal fonds d'archives du Gabon se trouve à Libreville. Ce sont les Archives
Nationales du Gabon (A.N.G-). À l'intérieur du pays les gouvernorats et préfectures
possèdent des dépôts qui contiennent queIques vestiges de l'ère coloniale. Mais l'essentiel des
documents coloniaux se trouve à Aix-en-Provence.
Tout ce qu'on peut espérer trouver aux archives nationales, du moins en ce qui concerne
les Sharnaye, ce sont quelques rapports politiques. Mais ces rapports politiques causent
d'énormes problèmes: leur pauvreté qualitative et quantitative est vraiment déconcertante. Sur
le plan qualitatif, les rapports politiques ne couvrent pas de façon continue toute la période
colonide. Les rapports politiques ne se concentrent jamais sur une seule ethnie (à moins qu'il
-13 Mbodj, M. et Becker, C., op.cir., p.42.
y ait une raison
l'administrateur
valable pour
fait le bilan
que I'administrateur le fasse). Ce sont plutôt des documents OU
général de la situation économique, sociale et politique de sa
circonscription administrative. On ne retrouve les Shamaye dans ces rapports que dans les
tableaux de classifications de la population autochtone. Il ny a aucune information directe su.
eux Sur le plan quantitatif, le probléme n'est pas moins grave-Tout le pays n'est pas wuvert
par les rapports politiques. Cest le cas de la province du Haut-Ogooué ou on retrowe les
Shamaye au nord de la ville d'kondja. Cette province du Gabon avait été rattachée a la
colonie du Congo en 1925, le Gabon la récupérera en 1946 après la guerre. On peut donc
penser qu'une partie des rapports politiques de cette région et de cette époque se trouve à
Brazzaville (et une autre se trouverait tout naturellement en France). Mais comment expliquer
qu'il n y ait tien aux archives nationales sur le Haut-Ogooue pour la période 1946-1960?
0.6.1.2 Les archives de la préfecture de Makokou
Cest à Makokou, B l'intérieur du pays, que nous avons eu à consulter les meilleun
documents d'archives sur les Shamaye même si le nombre de ces documents est restreint.
Deux jours avant notre am-vée à Makokou, nous avons appris du persorne1 qu'on venait de
brûler certains documents à cause I'exigufté de la salle qui les abritait et de 1 humidité qui les
avait fortement abimés. Le personnel, à commencer par le préfet lui-même, nous a ensuite
facilité la tâche. Il est vrai que nous y avons trouvé deux employés shamaye qui n'ont pas
tardé à comprendre le bien-fondé de notre travail. Les documents des archives de Makokou
nous ont donné des témoignages directs sur les Shamaye. Nous y avons collecté des
documents allant de la rencontre des Shamaye avec les militaires français (avec la création en
19 16 de la subdivision de Bouéni en plein pays shamaye), jusqu'aux jugements de divorce des
années 1970 en passant par l'action des missionnaires et la diffusion de la secte ndjobi en
milieu shamaye. Tout ceci mconté par la plume des administrateurs coloniaux à travers les
rapports politiques, les rapports d"inf0rrnatiow politiques, les lettres que s'échangeaient les
administrateurs de Booué et de Makokou Bref, n'eût été le fait que les documents que nous
avons trouvés a Makokou n'étaient pas nombreux, nous avons quand même tiré une
satisfaction de ceuxci parce qu'ils nous ont fourni des informations directes sur les Shamaye.
0.6.13 Les archives de la ~dfecture de Lastourville
Nous n'y avons rien trouvé qui concerne directement l a Shamaye. Les archives de la
préfecture de Lastourville sont dans un dénuement total. De sa fondation jusqu'en 1953,
Lastoucville était restée le chef-lieu de la région des Adoumas qui deviendra la province de
ltOgooué-lolo. Mais sept ans avant l'indépendance, les autorités coloniales ont transféré la
capitale à Koula-Moutou pour donner aux Bandjabi, qui font partie des ethnies majoritaires et
qui sont restés jusque-là sans "capitale", une ville prestigieuse: la capitale d'me province. Les
autorités actue!!es de Lastowille expliquent la situation de leurs archives par un transfert
plus que probable de documents qu'aurait suivi le transfert politique. Ainsi, nous n'avons
trouve à Lastourville que le rapport rédigé en 1943 par l'administrateur Jean Rigo sur le
soixantième anniversaire de la fondation de la ville.
Un autre dépôt d'archives que nous avons espéré fouiller est celui de la préfecture
d'okondja. Mais à notre &vée dans cette localité en août 1996, le préfet était en vacances.
Son adjoint, le secrétaire général de préfecture, ne nous a pas laissé travailler soutenant que
son chef ne lui a pas laissé la permission d'ouvrir les archives. Les véritables raisons sont
ailleurs. Au Gabon, on confond parfois les chercheurs avec des espions politiques. On pense
toujours que toute recherche sert les intérèts politiques des ennemis. A ce titre le personnel
des archives se montre parfois d'un zèle qui pénalise énormément les chercheurs. Notre
calendrier ne nous a pas permis de séjourner en France, notamment Aix-en-Provence où
sont concentrées les archives françaises d'outre-mer. Un ami étudiant à Paris et qui est
descendu à Aix pour ses propres recherches nous a envoyé deux documents dont "le rapport
du chef de la circonscription des Adoumas a monsieur le gouverneur générai de l'Afrique
équatoriale française à Brazzaville". Ce document est très important parce qu'il prépare la
pacification des Shamaye et leur "sédentarisation" par l'administration. En effet, les Shamaye,
dont le pays est situé aux confins de trois territoires adminimtifs distincts, désertaient
constamment l'un deux (celui d'okondja) pour s'établir à Lastourville. Une expédition a été
menée chez eux pour les ramener sur leurs "terres" respectives. Ce document a aussi servi de
source à André Even pour rédiger un article (que nous citerons plus loin) dans lequei il
décrira, entre autres, le mode de vie des Shamaye.
0.6.1.4 Les fonds rivés
II s'agit des objets du sculpteur shamaye Simon Misère. Visiter la maison du sculpteur
dans son village natal de Makatamangoye, c'est aller ti la rencontre d'un monde surréaliste ou
les documents des anthropologues occidentaux cdtoient les sculptures de bois- Si nous avons
pu commander certains travaux d'anthropologues par prêts entre bibliothéques, c'est parce
qu'au départ nous en avons eu connaissance grâce A Simon Misére. Mais ce qui fait le charme
du fonds personnel de Misère ce sont notamment ses oeuvres. Dans une pièce aménagée
expressément, une vision irréelle s'ofEe A nous: le sculpteur a aménagé une figure d'anc8tre
sur un panier à ossements ... comme eue etait il y a plus de cinquante ans. Le sculpteur nous a
autorisé A en prendre une photographie. Dans une autre pièce sont stockées les sculptures
destinées à la vente. Elles sont Ià en attendant que les clients viennent les chercher ou avant
que Simon lui-même ne les amène dans les centres urbains, notamment à Libreville. Nous
mettons côte à côte une figure shamaye, une figure mationgwé et une figure obamba-mindasa
et nous les photographions toutes ensembles. Ce qui renforce la beauté de la collection
personnelle de l'artiste, c'est cette facilité materielle d'observer et donc de comparer trois
styles différentsJJ, de passer de l'image qui figure sur un extrait de l'article de i'anthropologue
que Simon vient de vous tendre aux objets réels qui s'offrent là à vos yeux, cette facilité de
passer des mots aux objets. Nous avons donc pu, en plus des comparaisons fournies par
l'anthropologie, voir nous mêmes concrètement ce que sont les styles shamaye, mahongwé et
obamba-mindassa.
0.6.2 Les sources mnséoera~hiaries
Une collection de six anciennes figures de reliquaire mahongwé est conservée au Musée
National des Arts et Traditions de Libreville. Ces objets ont été récoltés au cours de missions
effectuées dans l'Ogooué-Ivindo entre 1966 et 1972 par SOffice pour la Recherche
Scientifique des Temtoires d'Outre-Mer (0.RS.T.O.M.). Nous avons observé ces objets avec
beaucoup d'attention pour noter jusqu'i quel degré les oeuvres que réalise le sculpteur
shamaye Simon Misère se rapprochent de ces objets anciens.
" En plus des figures shamaye, Simon Misin aussi les styles apparentts, a savoir Ics fi- mahongwé et les figures obarnba-mindasa
Ce sont les documents qui portent sur le Gabon et ceux ayant trait au groupe kota Dans
le premier groupe, citons & titre de référence L'ouvrage d'Hubert Deschamps, Tradtiom orales
et archives au Gabon contribution à ['ethno-histoire. L'apport de cet owrage à la
connaissance des ethnies gabonaises sera présenté au chapitre premier. L'ouvrage de
Raponda-Waiker et R. ~i l1an.s~~ nous a aussi beaucoup servi. Avec ce document, nous avons
eu sous la main, réuni-s dans un seul ouvrage, des élements de comparaison des rites
initiatiques des autres peuples gabonais. C'est cette même facilité que nous a offerte le
Dictionnaire étymologique des noms propres gabonais, dans lequel Raponda-Walker étudie
le nom chez dix ethnies gabonaises. Là aussi, ce sont des éIéments de comparaison avec une
diraine d'ethnies que nous avons trouvé réunis en un seul document. Ce sont II les trois
ouvrages sur le Gabon qui nous ont été d'un apport significatif.
C'est dans les ouvrages ayant trait au groupe kota que nous avons trouvé des
informations directes sur les Shamaye. Tous les travaux de Perrois ont cette particularité et
les citer tous ici créerait un déséquilibre dans notre travail. Mais les plus significatifs des
documents de Perrois sont les articles que nous avons cités dans l'état de la question.
Rappelons qu'il s'agit des articles: "La circoncision bakota (Gabon)", dans lequel l'auteur
étudie minutieusement la circoncision dans tous ses aspects et ses implications chez les
Shamaye, Mahongwé et les Bakota proprement dits; dans "Chronique du pays kota (Gabon)",
Perrois tente de cerner les trajets migratoires des trois ethnies que nous venons de citer (et y
inclus aussi les Mindasa et Obamba), depuis leur entrée au Gabon jusqu'a la pacification;
enfin dans "L'art kota-mahongwé ...", Perrois analyse les caractéristiques des trois sous-styles
qui forment le style kota. Ce sont les sous-styles shamaye, mahongwé et obarnba-mindasa.
Toujours dans cette catégorie, rappelons, Contribution à l'ethnographie des Kuta, dEfraiim
Andersson. Les Shamaye nb intdennent directement que dans la partie historique de l'étude
et dans la discussion que l'auteur mène sur leur appartenance au groupe kota. Les Shamaye
n'apparaissent pas dans le reste de l'ouvrage qui est entièrement consacré aux Bakota du
Congo. Mais les éléments ethnographiques que Cauteur décrit chez les Mindasa et
Bahoumbou peuvent être facilement applicables aux Shamaye. Un autre document qui nous a
beaucoup servi, c'est l'article de Miletto: "Notes sur les ethnies de la région du Haut-Ogooué".
'' André Rapon&Walker et Roger Sillans, Rites et croyances des peuples dic Gabon, Paris, Réscnce Anicaine, 1962,377 p.
Des informations directes sur les Shamaye y sont fournies, des questions historîques à leur
mode de vie en passant par les cacactdrïstiques de leur "dialecte". Enfin terminons par tous les
articles de l'administrateur André Even que nous allons citer dans cette étude. Even a pris le
commandement de la subdivision d'okondja au début des années trente. 11 a publié de
nombreux articles sur les Bakota de la région. Nous avons donc eu sous la main d'autres
témoignages venant de quelqu'un qui a pu observer les cultures qui évoluaient sous ses yeux.
Enfin, nous avons fouillé l'historiographie récente sur les ethnies gabonaises,
notamment la Revue gabonaise des sciences de l'homme pubIiée par le Laboratoire
universitaire des traditions orales de l'Université Nationale du Gabon. Un effort y est fait par
des chercheurs nationaux et étrangers de domer au texte oral, sous toutes ses facettes, la
place qui lui revient dans l'étude des peuples locaux.
0.6.4 Les sources orales
Étant donné que les Shamaye ne sont que faiblement représentés dans les documents
écrits, notre étude devait s'appuyer pour une grande partie sur les textes oraux. Ces textes
oraux ont la même caractéristique, d'abord nous les avons tous récoltés dans différentes
couches de la population sharnaye (vieux ou jeunes, hommes ou femmes, citadins ou ruraux,
chômeurs ou actifs, etc.); ensuite nous avons travaillé avec les membres des autres ethnies
kota. Nous avons ainsi pu recueillir des témoignages sur l'identité shamaye auprès des non
Shamaye. La méthode a été payante puisque nous avons recueilli des jugements que nous
considérons très objectifs. Nous repartissons la production orale récoltée en deux genres,
l'entretien et le récit de vie.
0.6.4.1 Les entretiens
Ce sont les interviews de type classique. Les Shamaye se sont montrés particulièrement
compréhensibles envers ce que nous étions en train de faire et chaque interlocuteur a tenu à
nous faciliter la tâche. Au départ, nous étions muni d'un questionnaire que nous tentions de
suivre scrupuleusement. Mais nous nous sommes vite rendu compte que les commentaires qui
suivent la réponse à une question sont souvent plus importants que la réponse elle-même.
Ainsi, en laissant I'interlocuteur continuer ses commentaires, on découvre qu'il nous livre des
éléments très importants qui n'avaient plus rien à voir avec la question initiale. Notre
connaissance de la langue osamrryi et celle que nous avons des autres langues kota font que
nous n'avons pas eu a traduire tous nos entretiens.
Nous connaissions au préalable certains comportements qui sont propres aux Shamaye
dans des situations précises. Par exemple, si vous ne connaissez pas ce peuple, vous aurez
beau vous évertuer a étudier les sociétés secrètes en interrogeant Ies seuls initiés, vous
n'arriverez à aucun résdtat crédible. Les initiés ont tendance a dire qu'ils ne savent rien. Il
faut donc vous tourner du ujté des non-initiés qui souvent se montrent volubiles. Il faut savoir
que les non-initiés sont souvent les victimes des exactions des membres de la confiérie ngoye,
par exemple. Alors les premiers cités ont souvent tendance a se vider le coeur, leur
témoignage devient ainsi une manière de régler les comptes avec les gens et les pratiques
qu'ils ne portent pas dans leur coeur. Alors, quand un interlocuteur initié se rend compte que
vous savez certaines choses, il se montre pIus coopératif et répond à vos questions.
Dans ces entretiens, nous avons accordé une grande importance aux généalogies. Une
généalogie suivie de commentaires, comme nous l'avons demandé a nos interIocuteurs, est
différente d'une simple énumération d'ancêtres. Dans ce que nous appelons la généalogie
commentée, nous avons les renseignements sur les mouvements des ancêtres dans l'espace et
le temps. En fait, les généalogies commentées complètent efficacement les récits classiques
sur les origines. Très utiles dans l'étude des noms shamaye, les généalogies permettent ainsi
de voir comment un nom donné à un seul sexe peut devenir un nom mixte.
Nous avons aussi interrogé des membres des ethnies apparentées aux Shamaye. Nous
avons cherché a vérifier auprès d'eux certaines informations qui nous ont été f o d e s par les
Shamaye, Ieurs commentaires sur ce que les Shamaye affirmaient être leur patrimoine ou pas.
Mais auprès de ces parents culturels des Shamaye, nous avons surtout cherché à savoir quelle
était leur perception de l'identité shamaye, Sur l'étude de noms par exemple, les membres des
ethnies apparentées n'ont eu aucun mal a reconnaître les noms qui sont spécifiquement
shamaye même quand ils sont en circulation chez les Ongom, Ondasa, Shaké ou autres.
0.6.4.2 Les récits de vie
Le récit de vie est défini comme étant le discours d'un acteur social, c'est-à-dire d'un
individu, qui se constitue comme sujet pensant et agissant d'une part, mais aussi celui d'un
individu qui appaItient à un groupe social précis, à un moment donné de son histoire. Le récit
de vie donne accès aux intrications des rapports individdsociété, entre la psychologie
individuelle et l'étude des grands ensembles*. Cette définition montre qu'un témoipage sur
son expérience personnelle véhicule des informations historiques sur un groupe donné.
Contrairement aux entretiens, la collecte des récits de vie nous a posé quelques
problèmes. Nous étions ainsi surpris de voir certains de nos interlocuteurs s'arrêter après avoir
parlé seulement pendant quelques minutes. Après avoir cherché a savoir les raisons de cet
arrêt, I'interlocuteur ou i ' i n t e r l ~ c ~ c e nous affirmait avoir raconté sa vie et qu'il n y avait plus
rien a ajouter. Le phénomène était courant avec nos informatrices7 ainsi aussi invraisemblable
que cela puisse paraître, certains de nos récits de vie ne font pas deux pages. Mais
heureusement que &un autre coté, nous avons eu affaire à des interlocuteurs volubiles qui ont
réellement manifesté le désir de parler de leur vie. Les gens se sont parfois mis à parler
longuement de la période coloniale et notamment des migrations de travail qui se sont
intensifiées dans les m e e s 1950 avec le boum du bois. La période coloniale, malgré ses
difficultés, apparait toujours comme une époque ou l'argent, les marchandises et le travail
abondaient. On a l'impression que les Shamaye se permettaient de changer de chantiers de
coupe de bois lorsqu'ils avaient rempli leur contrat avec le premier. Une information
révélatrice de cette période présentée par les récits de vie comme idyllique c'est la naissance
d'un nouveau nom donné aux enfants de sexe féminin: M a n e i , qui vient du français
"s'engager" et qui rappelle le contrat de travail qu'a signé le futur père en vue de commencer
le travail qui va lui permettre de se constituer une dot qui l'aidera à trouver une femme et
fonder une famille. On a alon assisté à un mouvement massif des Shamaye vers les régions
côtières et celles du bas Ogooué.
II est pratiquement impossible de présenter toutes les informations dont nous avons pu
tirer des récits de vie. On trouve presque tout dans ce genre de documents. Ils nous ont permis
de voir concrètement comment chaque acteur social a vécu personnellement une expérience
et comment cette expérience s'inscrit et renseigne l'histoire du groupe entier. Le récit de vie
ofie des informations sur l'expérience individuelle dans chaque initiation, le comportement
tout aussi individuel de chaque initié qui s'inscrit dans les pratiques propres à chaque
confrérie, puisque ce comportement individuel est assujetti aux règles de chaque société
initiatique. Finalement, les récits de vie recoltés dans diverses couches de la société shamaye,
des franges les plus anciennes aux générations postérieures moins jeunes permettent de
mesurer les différents changements et de lire ainsi les mutations dans une perspective
46DanieIle Desmarais, introduction B D . D d s a Paul GreU, éds., Les récirr de vie. théorie. mdthode et trajectoires types, Montréai, Editions Saint-Martin, 1986, 180 p., p. 1 1.
historique commune a tout Ie groupe shamaye. C'est avec les récits de vie que nous avons par
exemple remarqué l'entrée massive des marchandises &ns la composition de la dot a partir
des années 1950. Cette entrée va contribuer à marginaliser les éléments ~ 0 ~ 1 e l s , les
réléguant à un rôle symbolique. Avec le développement du travail minier qui commence avec
l'indépendance, les récits montrent que c'est l'argent qui va prendre le relais dans la dot et
s'imposer totalement jusqu'a nos jours.
Les exigences de nos objectifs et hypothèses nécessitent une approche méthodologique
appropriée, qui puisse rendre compte trés objectivement de la dynamique du processus de
construction de l'identité shamaye, et saisir les mécanismes de son fonctionnement Mais,
compte tenu de la spécificité de notre suje nous retiendrons plusieurs approches.
Aucune identité n'est stagnante. L'identité shamaye est un processus de coclstruction
spatial et temporel. L'intensité de ce processus varie faisant que cette identité spécifique peut
se fondre dans une identité régionale (par exemple dans I'identité kota) ou même nationale
sans pour autant dispafaltre.
Donc, compte tenu de ceci, la méthode historique revêtira une importance capitale car
elle analysera les faits du point de vue de leur changement et de leur dynamique dans ce
processus de construction de l'identité shamaye entre 1930 et 1990. Nous retiendrons ici la
méthode historique comme elle a été proposée par Bogumil ~ewsiewicki~'. Ce chercheur
discerne trois étapes intimement liées dans la méthode historique: le travail documenrazre ou
critique historique, prépare l'information fiable et pertinente par rapport a chaque
problématique. Ce premier travail d'authentïficau'on des sources a permis de s'interroger sur
l'origine des textes écrits surtout (tous les textes oraux ayant été récoltés par nous-mêmes),
leurs lieu, date et conditions de production ainsi que leur auter, Iranalyse et ['i~mprétation
dont l'objectif consiste a établir des rapports entre les éléments d'information et à créer des
ensembles signifiants par rapport à la problématique. Il s'agit dim premier pas pour dépasser
le caractère singulier de I'infonnation, La rendre comparable a d'autres informations et
intelligible dans le présent de in historien^; IrkxpZi~ion historique est la dernière étape de la
metbode historique; c'est la construction d'un d iscoun qui peut aller de la narration historique
*' Bogumil JewSewicki, "L'histoire comme discipline et comme pratiquew, in Gu& du chercheur en hhtoire c-dieme, Québec, Rgsa de I'uaivasite Laval, 1986,808 p., pp.617071. " Ibid. p.634.
à l'histoire théorique. Cette demière étape "m'bue un sens à ce qui est arrivé dans le passé et
le rend ainsi inteiiigible et significatif pour le présent". Notre démarche consistera à
inventorier tout ce que les Shamaye considèrent comme propre a leur culture par rapport ii cc
qu'ils partagent avec les apparentés. L ' d y s e comparative servira donc le but principal de
notre étude: la construction de I'identite shamaye.
La méthode documentaire que nous utiliserons est celle des récits de vie qui vont
constituer notre deuxième approche. Les récits de vie sont des constnictions nanatives qui
émanent d'un univers social et cuIrureI précis. Voila un matériau qui n'a cessé de s'imposer
comme source dans les sciences humaines et sociales ces dernières décennies Finies a son
endroit les interrogations du genre, "la subjectivité explosive du récit de vie permet-elle
d'accéder à une forme de connai~~ance?"'~. Au contraire, comme le dit Jewsiewicki, non
seulement le récit de vie s'est imposé comme document, mais aussi comme voie royale de la
participation active dans l'analyse et dans la transformation dune situation socialew. Le récit
de vie, en tant que discours SUT le passé, se situerait donc entre la production
historiographique et la mémoire, "il apparaît souvent comme palliatif au manque de
documents écrits émanant des oubliés de l'histoire, ceux qui ne prenaient que rarement la
parole sur la place publique"J'. Pomait qui ressemble drôlement à la minorité sharnaye chez
qui on pourrait aussi dire que Ie récit de vie "reproduit éventuellement la vision des
vaincus"". II renseigne sur le social à travers i'individuel:
Le récit de vie est un produit culturel, hinoriquement circonscrit qui, a travers la confrontation dynamique de la dimension individuelle du social avec le sens social de I'individueI, saisit la durée individuelle en tant que fait w ia l ...les de vie, mais également les formes dites folkloriques, telles que la peinture, le théâtre ou la chanson popuiaire, la nuneur expriment et reproduisent à chaque performance un pan de mémoire collective. En tant que productions idéologiques, ces expressions d'une culture populaire actualisent socidement et politiquement, à travers des performances individuelles, une connaissance du passé dans le presed3.
'4-afarom cité dans D. * op.cir., p.12. "Bogumil K Jmsiewicia,= de vie entre la mémoire coiishve a I'historiographieR, in Jacques
Mathieu. éd, EIU& Ite lu mémoire collective des Québécois au XXé siècle. approches multidiscÏpIinuires, Cahiers du Célaf 5 novembre 1986, pp.7 1-97, p-91.
''lbid 521bid " ~ b i d , p.72 &77.
L'approche des récits de vie constitue par ailleurs une méthode ouverte qui donne accès
directement au vécu et aux significations. La valeur de ces récits tient entre autres à ce qu'ils
mettent le chercheur en contact direct avec Ies faits.
L'analyse historiographique des textes sur l'identité shamaye interviendra de manière
systématique dans cette étude. Ces textes sont autant les traditions orales que les documents
de l'administration coloniale ou des missionnaires et les monographies.
Deux autres approches seront de t e m - en temps mises à contribution dans cette étude.
La premiére est celle dite "les mots n la chos&"' de J. Vansiaa C'est une approche qui put
se révéler très efficace pour les historiens dans l'étude des innovations, par exemple. D'après
Vansina, les mots ont pour propriété spéciale de joindre fonne et sens. La forme est un trait
linguistique, "mais du fait que la forme est liée au domaine du sens (champ sémantique),
l'histoire de lafinne nous renseigne aussi sur l'histoire du sens: i'institution, la croyance, la
valeur ou l'objet auquel la forme se rapportens5. C'est cette combinaison des données
linguistiques et ethnographiques qu'on appelle l'étude des mots et des choses qui, selon
l'auteur, est complètement justifiée a cause de cette propriété du mot. Les mots ont trois
origines possibles: ils sont soit hérités de la langue ancestrale, le produit d'une innovation
interne ou des emprunts, c'est-à-dire le produit d'une innovation externe. Ainsi, d'après
Vansina, chacune de ces origines possîbles fournit des informations historiques.
Enfin, la nature des relations que nous entretenons avec notre objet d'étude-un Shamaye
qui étudie la société sharnaye-nous a conduit a considérer aussi l'approche dite de 1'Histoire
immédiate au sens où elle est définie par B. Verhaegen, sans pour autant transformer les
sensibilités des Shamaye en idéologies qui vont nuire aux questions scientifiques. Nous
vouions simplement par cette méthode saisir les discoun et les actifs des Shamaye sans y
alla les yeux fermés. Par cette méthode qui a pour objet les sociétés contemporaines en
mouvement, la recherche doit devenir une oeuvre coltective, impliquant la participation à part
entière de la société étudiée et I'insertion du chercheur dans celle-ci. L'Histoire immédiate:
entend dune part renverser la traditionnelle relation univoque entre Ie savant et l'objet de la conaaissance, relation fondée sur la passivité de l'objet et sur une distance maximate entre lui et le savant, et lui substituer une relation d'échanges impliquant la participation réelle de I'objet-en
54 J. Vansina, "Sur les das", pp. 12-17. 5S~bid, p. 12.
tant qu'acteur historique4 sa propre connaissance et A la limite la disparition du savant en tant qu'individu; d'autre part, et corrélativement, la mdthode d'Histoire immédiate se veut résolument orientée vers une pratique sociale engagée dans une transformation (...), elle est fondée sur la médiation de la praxis collective et totalisante du sujet historique; il n'est nullement nécessaire que la personne participant Ti :a recherche ait vécu elle-même l'ensemble des événements dans le temps et daris i'espace. II suffit, pour qu'elle tkrnoigne valablement d'une séquence ou d'un moment du processus historique considéré, que sa praxis individuelle s'insère dans le mouvement plus vaste dune prâxis historique totalisante. Cette insertion est déterminée par son appartenance à la classe"s6.
L'histoire immédiate ayant pour objet d'étude les sociétés en crise, le lecteur pourrait se
demander avec raison quelle est la crise qui frappe les Shamaye. Nous lui répondrons qu'il
s'agit dune crise identitaire dont les Shamaye sont loin d'avoir le monopole en cette fin de
siècle. Mais il peut aussi s'agir, toujours pour les Shamaye, dune crise "sociale". Expliquons-
nous. Les choses ne sont pas toujours aussi calmes au Gabon, contrairement à une idée bien
répandue. Si !es conflits ethniques y sont inexistants, le vote ethnique pour I'accès au pouvoir
y est permanent. François Gaulme note que dans ce pays, "la lutte pour le pouvoir politique,
son contrôle et sa distribution passe depuis l'indépendance par des canaux ethniques"s7. Cette
instrumentalisation y fait que par le vote ethnique, les ethnies se comportent comme des
classes, les unes voulant défendre leurs intérèts et les autres voulant accéder a w mèmes
privilèges et ressources. C'est de cette forme de crise sociale par exemple que les Shamaye
sont victimes. Alors, ils veulent rompre la norme et enfin parler.
0.8 Structure du travail
Notre étude est divisée en trois parties thématiques (qui sont à leur tour subdivisées en
chapitres):
A- Les constructions h i s t o r k ~ e ~ :
%enoit Verhaegen, Iniroducfion à I'hlrloire imrnkdiafe, Gemblo- h i c l o ~ 1974, 200 p., pp. 189- 190. L'auteur y écrit que "le tetme immédiat ne doit pas être entendu dans le sens chronologique de récent, d'actuel ou instantané; il qualifie les médiations entre le sujet a l'objet de la connaissance".
"~aulme, F., "Le Gabonn, p.39.
Cette première m e vise à analyser comment les discours historiques construisent
l'identité shamaye. Nous relevons deux formes de discours historiques: le dismurs écrit et le
discours oral, d y s é s chacun dans un chapitre distinct
Ainsi le premier chapitre de cette partie traitera de la formation du discours écrit En
effet, il s'agira de voir comment un savoir historique, ethnologique et linguistique est produit
sur les Sharnaye depuis que ces derniers sont apparus dans l'historiographie. Nous pemns
que ces observateurs extérieurs (les administrateurs, missionnaires et ethnologues)
disposaient d'une vue plus objective (n'ayant de parti pris ethnique a défendre) sur les
Shamaye. Leurs créations, c'est-à-dire ce premier savoir, seront reprises par l'État pst-
colonial qui n'en qu'une continuite de lgtat colonial. En effet, pour nommer et identifier les
groupes, les nouvelles autorités reprennent certains types de connaissances qui servaient jadis
pou. administrer les populations- Du discours historique colonial au discours post-colonial
qui est essentiellement universitaire, comment se construit le savoir sur les Shamaye? Quels
sont les éléments qui fondent leur identité dans l'historiographie?
Le deuxième chapitre aura pou objet l'analyse du discours oral qui est un discours
interne produit par le groupe shamaye pour le groupe lui-même. 11 s'agira de retenir les formes
orales qui contiennent des informations sur le passé et de dégager la portée historico-
identitaire de ce discours, en analysant les thèmes unificateurs que contient ce discours orai.
B-Vécu et pratiques identitaires:
C'est le titre de notre deuxième partie. Celle-ci a pour vocation de suivre comment les
gens traduisent les discours identitaires dans la réalité. II s'agira de suivre comment ce qui est
dit dans les récits de vie par exemple, se reflète au niveau de l'individu Comment et dans
quelles circonstances les Shamaye manifestent-ils telle identité et telle autre.
Le premier chapitre analysera les changements intervenus depuis 1930 et leurs
incidences sur l'identité shamaye en insistant sur les facteurs qui ont causé ces mutations.
L'analyse révélera deux types de facteurs: les facteurs extérieurs au Gabon et les facteus
internes.
Le deuxième chapitre montrera i'évolution de l'organisation sociale à travers deux
éléments: l'évolution de la parenté et celle du mariage.
Le dernier chapitre de cette partie est consacre à l'étude des rites initiatiques. Univers de
socialisation, de formation et d'éducation, les rites initiatiques ont ceci de commun: ils
conferent chacun une identité distincte au sein de l'identité générale shamaye dans ce sens
qu'un individu masculin peut faire partie d'au moins deux sociétés initiatiques qui
fonctionnent chacunes avec des règles qui leur sont propres.
C-Emblémes et symboles:
Nous avons accordé un intérêt particulier à notre dernière partie. Elle a pour objet
dëtudiec les éIéments qui sont peut-être les plus expressifs de I'idmtité sharnaye: les
embIèrnes et les symboies de cette identité.
Le premier chapitre s'intéressera au nom propre chez les Shamaye en tant que vecteur et
premier symbole de cette identite. Élément abstrait, on reconnai4t cependant i'origine ethnique
d'un individu au Gabon par le nom qu'il pork D'où toute Fimpomce que rev& l'analyse des
noms et des conditions de leu. attn'bution dans notre dtude.
Le dernier chapitre de ce travail est réserve à l'étude des emblèmes et symboles
poIitiques et religieux Dans cette section, le lecteur naviguera entre les symboles matéfiels et
immatériels. Nous verrons notamment comment, a travers le temps, les Shamaye ont réservé
tel usage et tel autre aux différents symboles. Le lecteur remarquera que les Shamaye ont
donné des fonctions différentes a certains éléments à des époques différentes.
La conclusion générale bouclera notre étude. Nous y exposerons le bilan de nos
recherches sur les jeux de la tradition et des innovations dans la construction de l'identité
shamaye. La conclusion générale présentera Ies Sharnaye comme principaux acteurs et
actrices historiques de la constniction de leur identité.
3 8
PREMI~RE PARTIE: LES CONSTRUCTIONS HISTORIENNES
CHAPITRE 1 : LES SHAMAYE DANS LA LITT~RATURE ÉCRITE:
ANALYSE DU PROCESSUS D'ÉLABORATION D'UN SAVOIR
ANTHROPOLOGIQUE SUR L'ETHNIE:
Tout au long de ce chapitre, nous allons montrer comment a travers l'historiographie,
s'élabore et se transmet un premier savoir sur les Shamaye, comment se construit par écrit un
discours sur l'identité shamaye. En effet, bien que poursuivant des buts divers (un
administrateur colonial qui s'attache à identifier les races pour des besoins de la gestion des
hommes n'a pas Ies mêmes préoccupations qu'un anthropologue ou un ethnologue), les
différents auteurs sont arrivés à produire un savoir sur les Shamaye. Ce savoir puise ses
principaux éléments dans celui sur les Kota, qui fait des premiers un sous-groupe des seconds.
En fait, les deux questions auxquelles nous allons tenter d'apporter ici une réponse sont tes
suivantes: Y a t-il déjà émergence dans l'historiographie d'un savoir sur les Shamaye? Si oui,
quels sont les éIéments sur lesquels se fonde cette spécificité sharnaye?
Nous conservons à chaque auteur les tennes qu'il utilise pour désigner la population
que nous appelons Shamaye, terme que nous empruntons dlailIeurs aux textes admnistratifs 58 gabonais pst-coloniaux . En fait, les Shamaye se désignent eux-mëmes par le terme
~ s a m a ~ i ' ~ , mais le lecteur devra désormais se familiariser avec les tennes et la graphie (qui
se présentent en deux groupes rendant le singulier du nom ethnique ou son pluriel avec le
préfixe) de: Samayé, Bushamaye, Bossamayes, Bachamaye, Samayi, Ossamayes, Shamayi,
Chamayi ou Chamaï et d'autres encore, employés par différents auteurs pour désigner la
même réalité socio£uIturelle.
Notre analyse couvrira trois périodes. Nous partirons de l'ère des voyageurs et des
explorateurs. Cette fiange de l'histoire shamaye est pauvre en témoignages pertinents,
comparativement aux époques coloniale et contemporaine qui, même si eIIes ne nous livrent
pas avec profusion des informations sur les Shamaye, nous présentent tout de même des
éléments de connaissance intéressants.
SaRaymond Mayer et Michel V o l e "Dénomination eth.noscientifique des langues et des ethnies du Gabon", in Revue Gabonaise des Sciences de l'Homme , 2 (199û), Libreville, pp.43-5 1.
59~bid.
1.1 Les vovapenrs et les ex~lorateurs
Ii nt est pas aisé de dater avec précision les débuts de I'apparition des Shamaye dans les
textes européens ni de trouver l'auteur qui a rapporté les premières informations sur e u . Les
plus anciens témoignages auraient pu dater de l'époque des premières explorations du pays
kota, c'est-adire entre 1876 et 1890, mais quand on parcourt Ie résumé des récits des
voyageurs de l'époque donné par une source de seconde main, on se rend vite compte que
tous les peuples ou presque de l'Est du Gabon sont répertoriés, a l'exception des Shamaye
(même si à cette époque leur pays a été traversé par les explorateurs). La mëme source nous
livre une carte de l'année 1896 sur laquelle il est simplement fait mention des " ~ h a m a ï " ~ ,
sans qu'elle nous permette de savoir qui est son auteur. La période des explorations ne nous
livre donc aucune donnée sur les Shamaye, elle en Iaisse soin à la période suivante. Mais
faisons d'abord un bref résumé du contact des Européens avec le pays shamaye et des
premières tentatives d'insertion de ces derniers dans le savoir anthropologique occidental.
Découvertes en 1472 par les Portugais, les côtes gabonaises vont être pendant près de
quatre siècles le théâtre des activités européennes qui sont principalement limitées au
commerce. Les tentatives des Blancs, notamment des officiers de la marine fiançaise, de
progresser vers l'intérieur du pays se limitent alors a quelques essais d'exploration du Como
et du Rernboué. Avant les premières tentatives des commerçants de rallier l'hinterland du
pays par le fleuve Ogooué, qui ouvrent des perspectives nouvelles a la reconnaissance de
l'arrière-pays et la découverte des nouvelles populations, les ethnies qui restent familières aux
Européens se limitent aux seuls Mpongwé, Benga , Orungy Séké, Bakéfé, et Enenga quand
on regarde le résumé des événements survenus sur une partre du Futur Gabon entre 1300
(date approximative de l'arrivée des premiers Mpongwé sur l'Estuaire) et 1865~' (expédition
du commerçant B m e Walker sur l'Ogooué au cours de laquelle il atteind le premier, le pays
des Okandé). Entre temps, de 1855 à 1859, Paul Du chaillu6' se rend pour la première fois
dans l'hinterland, au pays des Mitsogho et des Eshira. La connaissance limitée aux seules
ethnies de la côte s'explique par le fait que ces dernières - et surtout Ies Mpongwé et les
Enenga - s'étaient réservées le monopole de commercer directement avec les Blancs. On
60Louis Parois, "Chroniquen, p.73. 61 Soret, M., op-cil., pp.16-19. 6 2 ~ ~ B. DU ChaiUu, Voyages et aventures dans I'Afiique dquutoride, Paris, Michel Lévy Frères,
1863,539 p.
imagine aisément qu'en voulant demeurer les seuIs intermédiaires dans le commerce des
esclaves contre les marchandises européennes, les peuples côtiers ont dii , du moins au début,
décourager les Européens dans leur volonté de se passer de leurs services afin de commercer
directement avec l'arrière-pays. Mais à partir de 1865, le processus de pénétration du pays
sharnaye allait commencer. La progression européenne se fera par paiiers. Résumons d'abord
les motivations réelles qui ont incité les Francais a s'intéresser i l'Afrique centrale et
l'intérieur du futur Gabon.
Tout a été dit (et nous n'insisterons plus là-dessus) sur le désir de la Fmce de trouver
dans une grande aventure colonisatrice et "civilisaîrice", la compensation morale et la
revanche après la défaite contre la Prusse qui a conduit a la perte de l'Alsace-Lorraine. Sur le
plan général, tous les Blancs sont a la recherche des voies de pénétration de 1'AfXque centraie
qui, pensent-ils, regorge de nombreuses de richesses. Cependant, sur le terrain de
l'exploration du coeur du continent noir, les Français sont devancés par les autres nations:
I'Ecossais David Livingstone pénètre la région par la côte est, le Gallois Henry Morton
Stanley, parti a sa recherche, parcourt le centre de l'Afrique d'est en oued3. C'est ainsi que
les Français et d'autres Européens vont chercher à pénétrer le coeur de 1'Afique par I'ouest,
c'est-à-dire par le Gabon et par l'Ogooué parce que, comme le rapporte Laurent Pourtier,
L'Ogooué, (qui n'a pas encore son orthographe définitive: Ogowai, Ogobai, Ogowé ...), focalise l'imagination: on croit tenir le grand fleuve qui ouvre le coeur de 1'Afnque. On pense communément que l'Ogooué remonte jusqu'à ces grands lacs mystérieux que la tradition place dans le centre du continenf4.
On note trois étapes intimement liées de la progression des Européens vers le pays
shamaye par le fleuve Ogooué: il y eu d'abord en 1865 l'expédition du commerçant Robert
Bruce Walker, le représentant de la maison britannique Hatton & Cookson. Non seulement
sera t-il le premier Blanc à atteindre 1'0kanda~~ (le pays des Okandé), au village dit de hpé,
mais il sera le premier
a~ean Auth, Pierre Savorgnan De Bruzzu, un proph2re du Tierr-monde. Paris, Perrin, 1985. 320 p., p.26.
64~oland Poirrbier, Le Gabon, L 2, Espace-HisroireSoci&&, Pari& lwarmattan, 1989,254 p., p.59. o or et, M., op. cir, p. 18.
a atteindre la moyenne vaIlde de l'Ogooué, en amont du poste actuel de Ndjolé, jusqu'a la confluence de I'Okano (vers Alembé) pour trouver de nouveaux débouchés a son commerce de traite (1866). ii pénètre ainsi successivement en pays eshira (embouchure de la Ngounié, «Pointe Fétiche »), bakélé (aussi appelé bakalais), Fan betsi et okota près de I'Okano. Ii serait ainsi le premier Blanc à avoir connu les ~ak0 t . a~~ .
L'expérience de l'Ogooué acquise par Walker qui a établi sa factorerie principale au
vilIage d'Andalinalongo, capitale des Galoa du roi Nkombé, va servir aux nouveaux arrivants,
notamment aux voyageurs Alfied Marche et au Marquis de compiègne6', qui vont
commencer leur expédition le 10 janvier 1874 à partir de la factorerie de M. Walker a
Anddinadongo. Le but visé par eux était de remonter l'Ogooué audelà de Lopé et de
traverser le pays hostile des Ossiéba. Marche et Compiègne ont atteint le pays des Okota le
16 janvier de la même année. Le 19, ils passent chez les accueillants Yalimbongo qui
semblent êîre un clan kota @. Enfin le 10 mars 1874, ils atteignent l'embouchure de I71vindo
devenant ainsi les premiers Blancs à atteindre le confluent de l'Ogooué. avec l'1vind0~~. Mais
l'aventure des deux voyageurs s'aretera en pays ossyéba. Ces derniers, craignant de perdre le
monopole du commerce des esclaves vers le bas Ogooué, ont tout fait pour empêcher les deux
hommes blancs d'arriver chez les Aduma, c'est-à-dire en pays Shamaye. Brazza réussira a
passer.. .
La troisième étape de progression sur le fleuve Ogooué sera celle du contact des Blancs
avec le pays shamaye et de l'exploration d'une partie de celui-ci. Mais, curieusement, elle ne
sera pas une occasion de rencontrer les Shamaye, du moins selon l'état actuel de nos
connaissances.
Brazza arrive au Gabon le 20 octobre 1875 avec la ferme intention de trouver enfin la
route qui le mènerait au centre de l'&que. En novembre de la même année, il se décide
d'ouvrir la voie de l'Ogooué à partir de Ià où tous les Blancs avaient échoué avant Iui, c7est-à-
dire en pays Okandé et Ossyéba, pour parvenir enfin plus en amont en pays Adouma. Sa
première mission débute au village Lopé ou il rencontre le docteur Lenz de la Société de
géographie de Berlin. Brazza, qu'accompagnera désormais Lenz, réussi à franchir non sans
46 Louis Perrois, "Chronique", p.7 1. 67 Marquis de Compiègne, L 'Afiique dquaforicJle: Okanda, Bangouens, Osyéba, Paris, Plon & Cie,
1875,359 p. 68~errois, L., "Chroniquen, p. 74. 'j9soret, M., op. cit.
mal le double obstacle Okandé-Osqéba et, en juin 1876, sera avec Lenz le premier Blanc a
traverser le pays shamaye, c'est-à-dire la région de Lastourville. Cependant, ce voyage ne sera
jamais une occasion de rencontre entre les Shamaye et les Blancs puisque les Shamaye ne
sont pas un peuple de l'eau, dors que Lenz et Brazza ne se sont jamais aventurés a l'intérieur
des terres. La seule rencontre des Blancs avec les Shamaye a Iieu de façon indirecte, à travers
l'art plastique qui est d'abord chez les Shamaye un art politique et religieux. Brapa a laissé
de ce voyage deux gravures de fétiches dont les styles rappelleraient une influence sinon une
origine shamaye, nous donnant par la même occasion un premier élément de l'identité
shamaye . Voici ce qu'en dit Louis Perrois:
Sur 1a première on peut voir une case a fétiches du village ossyéba de Djocondo (étape du 26 juillet 1876), situé près des chutes de Doumé. Ce sont des figures de reliquaire posées sur de grands paniers contenant les crânes des ancêtres. Les tëtes sculptées sont petites, de style intermédiaire entre les Kota et les Tçogho du S-W: le front et les joues sont décorées de fines lamelles de laiton ou de cuivre, le crâne étant traité comme un volume tronconique pointant vers l'arrière. On trouvera plus tard de ces figures chez les Aduma puis les Masangho du CentreGabon, plus généralement dans la moyenne vallée de l'Ogooué et les vallées affluentes qui y aboutissent, l'origine stylistique de ces objets étant vraisemblablement située dans les mbus de l'est du bassin de I'lvindo (Mahongwé, ~hama~e)~ ' -
C'est pour nous le seul intérêt du premier voyage de Savorgnan de Brazza. La deuxième
mission (1879-1882) ne nous apprendra rien sur les Shamaye. La troisième mission (1883-
1 885) aurait pu être décisive pour la rencontre avec les Sharnaye, mais elle ne l'a pas été.
C'est au cours de cette ultime mission qu'une partie du pays shamaye sera effectivement
pénétrée et traversée par des Européens sans que cela ne conduise a une rencontre.
En remontant I'Ogooué, B r a ~ a et son personnel créent des postes parmi lesquels le
poste de Madiville (qui deviendra htoursville7' quelques années plus tard) fondé le 9 juillet
1883 "à la limite des pays Aduma, Kota et ~bamba"". A partir de cet endroit, deux
expéditions en direction du nord et du nordest ont traversé une partie du pays shamaye. La
première expédition avait pour but de reconnaître les affluents de Ia rive droite du Congo afin
7 %mois, L., "Chroniquew, p.78. 71 ou Lastourville, les deux tfanscriptions sont acceptées. n Ibid., p.80.
de contrecarrer les ambitions allemandes du côté du sud-est du Cameroun, Elle a été menée
conjointement par Jacques de Brazza (le fière de Pierce Savorgnaa) et Attilo Pecille, tes
premiers Blancs à parcourir le pays kota (1 885-1886). Sur cette expédition Jacques de Brapa
a donné une conférence qui a été publiéen sous forme d'article. En regardant la carte qui
accompagne ce document, il n'y a pas de doute, les deux Européens ont bien traversé le pays
shamaye, ce qui tend d'une certaine f m n d confcrrmer les témoignages oraux shamaye sur ce
sujet Sur la carte, on voit bien que les deux Blancs sont arrivés au village "Ocongia". De ce
village, ils ont continué vers le nord, c'est-à-dire en parcourant une partie de ce qu'on
appellera plus tard la piste des Shamaye. Mais les seules populations rencontrées au corn de
ce voyage sont les Adurna, Bakota, Obamba, Umbétk, Bakota du nord, Mboko, Ngommo
(Bakélé du nord), Giambi (Nzem), les Pupu (Bakwélé), Bambu (ou Makua de la rivière
Likouala), Bapfuni (autres Likuba), Mboschi et Batéké '". Il n'est pas fait mention des
Shamaye qui pourtant habitent e w aussi la zone travenée. Il en sera de même au cours de la
deuxième expédition conduite par Paul Crampel (1888-1889) qui, à partir de Lastourville, a
pris la direction nord-est. Ce dernier a traversé lui aussi une partie du pays shamaye, mais les
seules populations kota dont il fait mention sont les Shaké et les Kota proprement dits.
Que retenir donc du savoir sur les Shamaye dans la période précoloniale?. Le seul
document ancien dans lequel il e n fait mention des "Shamaf" est une carte qui montre les
premières explorations (que nous venons d'évoquer) du pays kota de 1876 à 1890 75. Cette
carte date de 1896 et vient du service géographique de l'armée Française. Alors, qui de
Jacques de Brazza et de Paul Crampel qui ont traversé leur pays aurait rencontré les
Shamaye? Banat qui a publié un article a la suite d'un voyage fait en 1893 de Ndjolé à
Franceville par l'Ogooué, et de Franceville B Ndjolé par la terre aurait pu rencontrer les
Shamaye, mais il n'en parle pas 76; J. Berton et bien d'autres n'en ont laissé aucun témoignage.
Faut-il en conclure que ce terme n'était pas d'usage w m t ou que les Sharnaye portant ce
nom ont évité d'être en contact avec le Blanc?
T?laques de Br- Tre anni e mezm neiia regione der Ogoue e del Congon, in BolIen'no Della Socieza Geographica Iiufiana, série iI, XII (1 887), pp.224-237.
74 Perrois, L., "Chronique", p.83. 7s~bid., p.73. 7 %l. Banat, "OgÔoue a Como (Congo Fwicais)", in Bulletin de /a Socléré de Géographie , tXVTI.,
(18%), pp. 154-187.
1.2 L'ère coloniale et I'émereence d'an premier savoir
Par rapport à la première, cette période livre des éléments de connaissance même si les
énoncés relatifs aux Shamaye ne sont pas Iégion. Cette époque nous atteste d'abord
i'existence du nom Shamaye, et progressivement voit une connaissance
anthropologique qui consacre définitivement les Sbamaye comme une ethnie kota.
Les débuts de la présence culoniaie en pays shamaye remontent A la création du poste
de MadivilIe ( f h r Lastoursville) en 1883, sans que ce nom n'apparaisse. Les Français
renforcent cette présence en territoire shamaye en y créant de nouveaux postes: d'abord celui
de Makokou le 20 janvier 1908, et de Bouéni en 1913 pour, semble t-il, "surveiIIer les
Shamaye ... encore très peu connus lV7'. Enfin le poste d'okondja évacué par les Blancs en juin
1917 "par suite de l'hostilité ouverte des Shamaye "'' est réoccupé en 192 1. Jusqu'à cette
date, Ia présence fiançaise n'est que militaire, c'est-à-dire sans réelle emprise sur des
popdations encore insoumises et peu connues comme les Shamaye. Il faut aussi noter que,
pendant cette période, I'administ~ation coloniale s'était retirée à cause des difficultés
financières pour laisser la gestion d'une partie de la colonie à une compagnie
concessionnaire, la Société du Haut-Ogooué (S.H.O.). De 1899 à 1908 le poste de
Lastourville était resté aux mains de la S.H.O. qui y assurait aussi la police. C'est pourquoi
Ies historiens s'accordent à dire que la colonisation effective de tout le territoire gabonais n'a
commencé qu' en 1930, année qui voit la chute du dernier résistant, Wongo, et [a pacification
complète du jmys79. Pour cette raison, c'est par les années 1930 que nous débutons l'analyse
des énoncés sur les Shamaye tels qu'ils apparaissent dans l'historiographie.
À cette époque, les premiers renseignements sur les Shamaye nous viennent, a notre
avis d'An& Even, administrateur-adjoint des colonies. Lorsqu'il arrive A Okondja le 8 août
1932 pour prendre le commandement de cette subdivision, il est confionté a un double
problème habituel: les limites de la subdivision sont imprécises et personne ne connaît avec
exactitude Ies populations qui l'habitent Even fut informé que beaucoup de ressortissants de
n~enois, L., "Chronique", p.%. 78~bid., p.98. 79 Juste Roger Koumabila-Abougave, La guerre de Wongo au Gabon (192&1930), thése de Doctorat
de 3e cycle en Histoire et civilisaçions, Paris Viï, 1984,528 p.
cette zone la fuyaient pour passer au territoire voisin de la sudivision de s as tour ville^^. Even a
donc entrepris, le 15 aoùt de la même année, une tournée de reconnaissance de la région.
Voici ce qu'il rapporte sur les habitants du nord à'okondja:
Jusqu'en 1932, cette région était a peu près impénétrée. Elle était supposée inhabitée, de façon continue du moins, et seulement parcourue de temps à autre par les chasseurs Bakota et Bachamaye relevant théoriquement des subdivisions dYOkondja, Lastourville ou Kemboma. Pratiquement ces indigènes, nomades invétérés, en étaient restés au plan inférieur de civilisation des chasseurs- pêcheurs et ils échappaient a tout contrôle de l'Administration. Ils ne faisaient que de brèves apparitions dans les villages réguliers et se replongeaient à nouveaux sous l'épais couvert de la forêt où aucun blanc n'allait les chercher. Q errant de campements en campements misérables, sans villages fixes, sans plantations, ils vivaient au jour le jour du produit de leur chasse ou de leur pêche8'.
Le texte d'Even est publié en 1935. Or il est troublant de remarquer que, plus de
quarante ans avant lui, Paul Crampe1 qui passe dans la même région parle des villages bakota
comme étant des grosses agglomérations assez éloignées les unes des autres, faisant de 30 à
40 m de large sur deux a trois km de long. Le village de Pendangui comptait par exemple
environ 1500 habitants repartis sur un espace de 3 km. L'ignorance de I'agricuiture est encore
plus dificile a comprendre puisque ces populations, qwante ans auparavant, cultivaient le
manioc et la banane mais aussi quelques légumes (courges, ignames, patates, pistaches)8'.
Faut-il en conclure que 40 ans de règne des compagnies concessionnaires ont force ces
sociétés à adopter une vie semi-nomade afin d'échapper aux exactions trop brutales? L'article
d'Even a une importance capitale pour nous puisqu'il livre un premier témoignage sur le
genre de vie des Shamaye (une population de chasseurs-pêcheurs) et propose, comme le dirait
JeamLoup Amselle, une description neutre du groupe "sans l'enfermer dans des catégories
figéesd-'. En effet, Even parle encore des "Bakota" et des "Bachamaye" comme deux entités
%apport du chef de la circonscription d a Adoumas à Monsieur le Gouverneur de I'Afiique Équatoriale Française, Lastomdie, le 16 novembre 1933. Archives Nationales Françaises (Aix-en-Provence), section Outre-Mer, série Gabon 5D110, 1 Ip.
8'~ndré Even, "La reconnaissance de la région nord-ouest d'okondja et des confins des subdivisions de Lastourville, Kemboma et Okondja (Gabon et Moyen Congo) 1932-1933", in La Géographie, 1935, pp.276-296.
82 Perrois, L., "Chronique", p. 84. 83Amselle, J.-L., op.cir.
différentes, suivant probablement la distinction admise alors localement par les intéressés. M.
Poli, chef de la circonscription du Hauî-Ogooué, que cite son subalterne Even, parlera aussi
"des indigènes Bakota et Bachamaye qui ne sont pas encore venus a l'éducation de la vie
sédentaire Avec tes rapports politiques et les travaux d'anthropologues qui vont suim, les
Shamaye entrent définitivement dans le groupe kota ou il faudra désormais aller chercher les
éléments de leur identité. La cornaissance sur les Shamaye est désormais prisonnière des
critères qui servent à la cl~sification du groupe kota A la leciure des quelques rapports
politiques disponibles am Archives de Libreville, le chercheur vigilant découvre trois
manières successives selon Iesquelles les administrateurs coloniaux classent et désignent les
populations locales: les groupes, les tribus et enfin les races.
Au cours de la décennie 1930-1940, c'est le terme "groupe" qui prévaut pour désigner
les sociétés autochtones. Certes, I'administrateur Montespan a utiIisé Ie terme de
"groupements ethniques" pour qualifier les populations de la circonscription des Adoumas
(parmi lesqueIIes les "Bakotas" proprement dits et les "peu connus Ochamayes") entre 1922-
1923, mais c'est avec la décennie suivante qu'on aura un tableau un peu plus élargi des
"groupes" kota . Voici un extrait du rapport du 23 août 1935 de M. Soalhat, inspecteur des
affaires administratives:
Au cours de mon voyage de Makokou a tastourville, j'ai examiné la situation des groupes Bakotas de la Mouniangui, de la haute Dilo, de la Lassio (...). Canton de la Mouniangui commandé provisoirement par le chef Akota, Etoumba- Ouya résidant à Mbondou sur Mouniangui. Ce canton comprend six vilIages: M'bondou sur Mouniangui (Bakotas et N?>ambomos) chef Etournba-Ouya (Akota); M'badi sur Mouniangui (Bakotas , Ndambomos et Bossarnayes) chef Moukamba (Akota); Indombo sur Mouniangui (Ndambomos, Bossarnayes et Chakés) chef hguié (Ossamaye); W é t é sur Mouniangui (Bakotas et Bossarnayes) chef Gandoubadi (Akota); Etakauiabé sur Mouniangui (Bakotas et N'Dambomos) chef Mizambié- Anganié (Akota); Bassito-Balangongoye sur la piste Eîakauiabé i la route Makokou-Kemboma (Bakotas) chef Dembengoye ( ~ k o t a ) ~ ~ .
"~ven, A., op. ci&, p.294. "~ituation des groupes Bakotas, rapport du 23 mût 1935, 3p., Booué., document n.235. Archives
Nationales du Gabon.
Du point de vue anuiropologique, on ne sait presque rien de ces différents "groupes".
Qu'estce qui rassemble, ces "groupes" kota ? Dans le même rapport, Soalbat fait mention de
la situation économique (plantations) des groupes Bakotas et note aussi l'existence
des "campements-abris". Est-ce la preuve que Ies Bakota qui pratiquaient le travail agricole à
l'époque de Crampe! (188û-1889) y sont revenus? André Even avait remarqué que les
campements constituaient presque l'habitat permanent des "chasseurs Bakota et
Bachamaye". Faut-il y voir autant un lieu de refuge en temps d'insécurité qu'un moyen de
vivre près des champs lors des travaux agicoles?
On peut dom avaccer que faute de critères précis, les administrateurs coloniaux ont
favorisé l'élément linguistique pour rassembler les "groupes Bakotas". D'ailleurs, le lecteur
avisé remarquera que dam la liste des "groupes bakotas" énumérés par M. Soalhat, il ne
manque plus que les Mahongwé pour s'ajouter aux Bakota proprement dits, aux Sharnaye,
Shaké et Ndambomo-en retenant bien sûr la transcription courante des langues et des ethnies 86 du Gabon - qui sont déjà présents ici et former ce que d'autres auteurs ont appelé les
"Bakota du nord" qui sont réunis par la langue, le genre de vie, et surtout la culture (avec les
rites initiatiques) et !'histoire, c'est-àdire les migrations historiquesR7. S'il s'établit désormais
un usage administratif selon lequel les Sharnaye sont un "groupe Bakota", on ne sait rien sur
eux du point de Mie ethnographique. On n'en saura pas davantage lorsqu' ils passeront par les
étapes de "sous-mbu" et de "race".
À partir des années 1940, le terme de "tribu" fait son apparition dans les rapports
politiques; en 1949 et 1954 , on note Ia classification des populations locales par "races".
En 1942, l'administrateur Jean Eckendorff , chef de la subdivision de Makokou classe
la population autochtone sous son autorité en "tribu et sous-tribu ". Voici un extrait du
tableau qu'il présente:
Popdation autochtone au 30 juin 1942, classement par tribu et sous tribus. Tribu et sous tribu: Pahouin Mazouna, Pahouin Makina, Bakwele, Sanga Sanga, Bakota, Ndamhrno, Shaké, Mabongwé, l3oushamay*.
Bb Mayer, R. et M. V o l e op. cil. 87 Géographie et cartographie du Gabon, Paris, EdiceL 1983, pp. 42-43. " Rapport politique du ler semestre 1942 de la subdivision de Makokou (département du Djouah),
Makokou, Ie 4 septembre 1943. Archives Nationales du Gabon.
Le rapport d'EckendorfT ne dit pas si les "Boushamay" sont une ûibu ou une sous-tribu
de qui que ce soit Mais des éclaircissements tirés du même document sont a même d'aider Ie
lecteur à rapprocher les Shamaye avec quelques ethnies de ce tableau Au moment ou
Eckendorffexerce ses fonctions, la subdivision de Makokou est alors divisée en trois cantons
créés sur une base ethnique. Ces cantons sont à leur tour divisés en terres, certaines d'entre
elles sont aussi des ensembles ethniques comme la terre autonome du Bouéni habitée presqu'i
cent pour cent par les Sharnaye. En effet sur 3283 habitants du Bouéni, 3093 sont des
shamayea9. Le canton Pahouin regroupe les Makina et les Fang le canton Bakwélé est Mi t é
par les Bakwélé et les Sanga Sanga. Enfin les Bakota proprement dits, les Shaké, Ndambomo,
Mahongwe et Bousharnay sont répartis sur les terres du "canton ~ a k o t a ' ' ~ . Comme ont le
voit, a l'époque d'Eckendorîf, tous les Bakota sont régroupés dans un mème canton. Dans
l'esprit des administrateurs, les "Boushamay" sont donc une tribu kota.
Les demiers rapports politiques disponibles, ceux de 1949 et 1953, présentent Ies
Shamaye comme une "race" sans toutefois nous donner des informations complémentaires sur
cette notion. Voici un extrait du "tableau détaillé de la population par race" de la région des
Adoumas, future région et province de l'Ogooué-Lolo:
District de Lastoursville, races: Adoumas, Awandj i, hdzabi, Bakotas, Shdés ( Shaké?), Boungomos, Bassissiou, Bandassas, M' Banho uin, Barnbarnbas Bapounous, Louanges, Massangos, Bahournbous, Babongos, Dambornas ( N'darnbomo?), Oscharnaye, Dournous ( N'dumu ? 1".
En dehors de Ia transcription qui change-on passe ainsi dYOschamaye à Shamaye-le
rapport de l'année 1953 ne présente aucun dément ethnographique des Shamaye. Ce qui
semble acquis, c'est qu'ils soient une entité distincte du point de vue de ceux qui les
administrent; entité qu'on associe aux Bakota proprement dits, aux Ndamborno, aux
Mahongwé, et aux Shaké.
Voila pour les rapports politiques. Mais c'est aussi à la période coloniale que les
Sharnaye font l'objet des études à caractère anthropologique.
89 "Rapport poiitique du ler semestre 1942, subdivision de Makokoun 9o Ib id. 9' Region des Adoumas, rapport politique muel, année 1949. Koula-Moutou, le 25 mars 1950,
document n.7 15. Archives Nationales du Gabon.
En 1935, on note la présence des "Bouchamai" dans une étude de type anthropoiogique
de Georges Bruel. ii écrit :
Les principales tribus Bakota sont les Bokiba, installés dans Ies bassins des affIuents Nord de la Likouala Mossaka, les Banghé et Ies Bapoy habitant entre lz Basse Opa et la Likouala: les Mahoungoué, Ies Bakota proprement dits, qui occupent la partie Sud du bassin du Yendjé (où ils sont mélangés avec des Ongom) et les bassins de la Limboumbi, de la Mouniangui et de la Lékoli; les Bouchamai qui peuplent la Basse Mouniangui; les Damboma, sur la Haute Dilo; les Bachaké dont les villages se trowent dans les bassins de la Lassio, de la Sébé, Ie long l'Ogooué en aval de la chute de Boundji, ainsi que sur le Bas Offoué, venant rejoindre ainsi les Bakota installés près de Lélédi et ceux que de Brazza trouva sur la rive gauche de l'Ogooué, en aval de 1' île d'Alembe (...); les Bavoumbou ( dont un groupe occupe la Haute Ngounié), les Bandassa, les Bambarna, les Bandomo, les Mbaon ou Bambao, etc., s'étendent des environs de FranceviIIe jusqu'aux bassins de la Lali et de la Lousse, par lesquels ils touchent presque le ou il ou^^.
Que penser de la classification de Bruel? Nous allons exclure de notre discussion les
trois premières "tribus" mentionnées qui ne se retrouvent pas au Gabon. L'un des critères
utilisés par Bruel pour monter son groupe kota est la langue; il écrit qu'il "est plus facile de
faire une classification un peu exacte des idiomes parlés en A.E.F. et au Cameroun que d'en
faire une des populations au point de vue ethnique, car l'étude d'un vocabulaire de quelques
centaines de mots, parfois même le simple examen d'une numération, suffit souvent pour
permettre de distinguer des liens de parenté, qui unissent des langues ou des dia~ectes"~~. De
ce point de vue, regrouper les Mahongoué, Bakota, Bachaké, Damboma, Bouchamai et y
associer les Bandassa et les Bavoumbou (en réalité, il s'agit des Bawurnbu) dans un même
groupe Bakota se justifie. Les Bakota proprement dits, les Mahongwé, les Shaké , les
Shamaye et les Wdambomo n'ont pas seulement des parlers linguistiquement très proches , ils
sont aussi culturellement apparentés et ont des liens historiques. De ce fait, il est juste de les
considérer comme les Kota. Mais I'inclusion dans ce groupe des "Bambama, Bandomo et des
Mbaon" peut être contestée. Un linguiste gabonais qui clsse les parlers gabonais par unités-
langues (il entend par unité-langue "l'ensemble des différents parlers, tous mutuellement
9 2 ~ r g e s Bruei, La France équu~oriale Wcaine, Paris, Larose , 1 935,558 p., p.302. 93~bid, p. 158.
compréhensibles""), place
rnembere qui comprend les
enfin latsitsegheg5, bien loin
le "lembaama"
parlers suivants:
des kota.
(sambama chez Bruel) dans Mté-langue
lembaama bien sQ, lindumu, likanini, lateghe,
Les Bandomo semblent être les Ongom ou Ungom, et ceux que Bruel nomme par
Mbaon sont incontestablement les Mbahouin ou Mbaagwe. En faif il s'agit d'un même peuple
gabonais qui change de nom selon le point du pays ou il se trouve. Ils se nomment ainsi
Ungom, Mbangwe, Akélé ou Bakélé. Leur langue po-t les rapprocher des Kota, mais les
linguistes la classent dans un groupe distinct. Pour Miletto et Soret, comme nous le verrons
plus loin, elle appartient au groupe bakele très différent des kota.
L'intérêt du travail de Bruel réside dans le fait que pour une fois, il présente d'autres
traits des "tribus" concernées. Ainsi, il écrit que comparativement aux Fang , les Bakota "sont
plus doux , plus calmes et plus sédentaires. Us font de belles poteries et ont des montants de
cases sculptés. Leur mobilier est beaucoup moins sommaire que celui de leurs voisins NO. Ils
tissent beaucoup de pagnes de raphia et font de belles vanneries. Les Bakota, actifs,
intelligents, sont agriculteurs.. . Leurs villages sont grands, très propres et ont parfois plusieurs
kilomètres de longw%. Les années 1930 se terminent par une autre étude qui s'appuie sur le
critère linguistique, celle de castexg7. Comme le dit le titre de l'article, Castex fait une étude
comparée du vocabulaire des dialectes mindomou, rn'baghi, Iéoumbou, obamba ou m'bété et
tégué. Ensuite, à chacun de ces cinq dialectes, Castex rattache les autres dialectes en usage
dans le Haut-Ogooué. Ainsi au Iéoumbou, il rattache les dialectes bandassa, bakota et
bachamai? Mais Castex pense qu'en définitive, on peut rattacher a deux principaux groupes,
le Kouta et le Tégué, tous les dialectes en usage dans la r+giong9. Ainsi, selon cet auteur, tous
les dialectes qu'il rattache au Iéoumbou se regrouperaient en un grand groupe "kouta". Par
leur langue, les Shamaye renforcent a k i leur identité d'ethnie kota
En 1947, les "Shamayi" font une brève apparition dans une étude de la plume &un autre
administrateur colonial, Edouard Trézenem . Ils y sont aussi classés dans le groupe "Bakota":
94 Jérôme Tangu KwenP-Mikala,"Quel avenir pour les langues gabonaises?" in Revue Gabonaise des Sciences de l'Homme, 2, 1990, p. 122.
9 5 ~ ~ i d . %ruel G., op. ci&, p.302. 97h Castex, "Vocabdaire comparé des principaux diaiectes ayant actueiiement cours en Haut-Ogooué.
Essai de classification (années 1933-1935)", in Bulletin de la Société des Recherches CongolaLes, 26 (1938)- pp.22-54.
98ïbid., p.24. 99~bid., p.25.
Les Bakota occuperit un territoire étendu qui va de la Likouala-Mossaka & lvindo. Us se trouvent installés de part et d'autre de la frontière du Gabon et du Moyen-Congo. On distingue parmi eux un grand nombre de sous-groupes, tels que les Shamayi, les Mahongoue, les Damborna, ou encore les Bawumbou et les Mindassa qui sont allés s'installer sur Ies bords de la Ngounié ou dans la région du Haut- 0~00ue~~.
Par rapport à celle de son collègue Bruel, parue douze ans plus tôt , la classification de
Trézenem est déjà beaucoup plus réduite. Ceci veut-il signifier que les auteurs commencent
déjà a mieux cerner Ies Bakota? Prudent, Trézenem a mis de c6té des critères comme
l'histoire (les migraîions) ou l'anthropologie pour élaborer sa classification des groupes
ethniques gabonais . En effet, il écrit: " il est à peu près impossible, dans l'état actuel de nos
connaissances, de grouper ensemble les populations de même origine, puisque l'histoire de la
plus grande partie d'entre eIles n'a pas encore été recueillie ou bien est ignorée des intéressés
eux-mêmes. Sans chercher donc à établir des catégories, nous nous contenterons d'indiquer 11 101 par région les principales populations . II n'en a pas moins produit une composition du
groupe " Bakota".., Avec Trézenem, ce que nous avons baptisé la "kotrilté" des Shamaye se
poursuit.
L' année 195 1 est tri3 spéciale dans l'élaboration de la connaissance sur les Shamaye.
En effet, pour la première fois dans une étude coloniale, apparaissent des informations
concemant directement les Shamaye. L'auteur de ce travail n'est pas un anthropologue ou un
historien, mais un médecin, le Dr Miletto.
L'article de MiIetto traite a parts égales de la médecine, de l'histoire, de l'anthropologie
et même de la psychologie. Dans le Haut-Ogooué, MiIetto note "sans tenir compte ni des
sous-groupes ni des clans" 1' existence de six ethnies : les Batéké, Bakota, méàé, Douma,
Bakélé et ~egrilles'". Le groupe ethnique Bakota qui nous intéresse se compose selon
Miletto des Bahoumbou et des Mindassa, que le médecin localise au sud de la ville de
Franceville, et des Samayé qui sont dispersés au nord d'Okondja "dans une région immense de
forêts sauvages". En passant, notons i'absence dans cette liste, des Bakota proprement dits qui
pourtant habitent Ie Haut-Ogooué. Comme ses prédécesseurs, Miletto a favorisé l'élément
'O0 Edouard Trézenet~ L'Afrique équatoriale j h ç a i s e , Paris, Société #éditions géographiques, maritmies et coloniales, 1947, p.43 .
'O' TTrézcnem, E., op. cif.. p. 41. 102 Dr Miletto, "Notes sur les ethnies de la région du HautlOgoouéw. in Bulletin de I'lnstimr d'Éhrdes
Cenaafircaines, nouvelle sérig 2 (1% I), p. 24.
linguistique car, pense t-il, c'est "le critère le plus sûr "'O3. Ii note que les Bakota parlent des
dialectes bantous originaux. que les tnbus voisines ne comprennent pas ou comprennent mal,
et "qu'il y a même une diRérence notable entre le dialecte Bahoumbou et le ~ a m a ~ e " ' ~ . I:
affirme aussi qu'il faut tenir compte de certains critères historiques, "sans cependant y
attacher une importance exagénk en ces pays de tradition orale", car sans être des légendes
isolées (mais "un faisceau de faits imprécis"), toutes les traditions de ces ethnies concordent
et se complètent mutuellement. Miletto note qu' en tenant compte de ces traditions (envers
lesquelles il garde la prudence), l a Bakota sont "lm plus anciens occupants du pays "'Os ( le
Haut-Ogooué).
Miletto propose ensuite un ensemble de critères anthropologiques qu'il attribue aux
Bakota en général et aux Samayé en particulier. L'anthropologie physique des Bakota, c'est-à-
dire des Bahoumbo y Mindassa et Samayé se présenterait ainsi:
Physiquement, les hommes de ces trois tribus se ressemblent: ils sont assez grands ( maximum entre Im.56 et 1111.62 ), assez lourds ( poids moyen: 53kg.800). indice de LRfrou moyen: 54.8. Les Samayé sont en général plus étoffés; ils mènent, il est vrai, une vie plus nide et sont mieux nourris. Leur peau est assez claire, leur systéme pileux assez développé'Od.
Miletto note que du point de vue des croyances, les Bakota sont animistes, attachés à
leius vieux fétiches (par exemple le N'Goï ou fétiche de la panthère); ils ont une riche
Iitîérature orale, de longues histoires de type fables où des personnages symboliques jouent le
rôle des hommes. Ses thèmes sont entre autres, l'amitié, la vie en commun du village. Il parle
même des habitudes dimentaires des Bakota: leur nourriture journalière est faite au premier
chef de la banane, ensuite (moins fréquemment) du manioc, avec des Iégumes d'appoint
(taros, ignames, brèdes locales) et des £i-uits (annones). S'agissant particulièrement des
Samayé, Miletto note que ceux-ci construisent de minuscules cases d' écorces; leur vêtement
est un pagne de fibres d'écorces (plaques d' écorces battues pour les assouplir). Leur aptitude
cynégétique est ainsi rapportée par Miletto:
103 Mildio. op.ci~, p. 26. 'O4 Ibid, p.33. 'O5 Ibid., p. 24 . ' M ~ b i d , p.3 1; Miletto ajoute aussi que sur le même plan physique "on arrive également à distinguer un
Douma d' un SamayP (p.24).
Les Samay6 sont, parmi tes indigénes, les plus « broussards » que nous connaissions ( œ n'est pas un paradoxe, car il y a des indigènes qui co-sent mai la brousse ), chasseurs expérimentés et courageux, pisteurs de goriIles et d'éléphants, chasseun de s e p t s ( ils nous foumissent les vipères et autres serpents venimeux nécessaifes à la préparation du sérum dans les Instituts Pasteur) Iis naissent, vivent et meurent au milieu des animaux1*.
Voila à peu près tout ce que MiIetto nous rapporte, en laissant bien sûr de côté Les
aspects médicaux de I'éhide. Rappelons que pour Miletto, les Samayé et les Bakota sont "les
seuls habitants de la région il y a environ deux siècles". Cette étude renforce donc la kotaité
des Shamaye, mais elle recomnt en même temps la spécificité tant linguistique
qu'anthropologique de cette ethnie au sein des Kota Pour ce qui est justement du groupe kota
de l'ensemble du Gabon, Miletto renvoie le lecteur aux travaux de Mgr Adam "qui a étudié
plus de vingt ans" certains dialectes et présente ainsi les dialectes bakota:
Bakota (Lastourville, Makokou); Samaye (Okondja, Lastourville); Bapoubi (Koula-Moutou); Bassihou (Lastourville); Mindassa (Franceville, Zanaga); Bahoumbou (Franceville, Zanaga, etc.) intermediaire entre les Bakota et les Batéké" 'O8.
Comme l'affirme si bien Miletto, toute classification de ce type est toujours chose "aussi
délicate que controversée"'*. Nous ne pouvons cependant pas nous empêcher de remarquer
que pour la première fois depuis le début des études coloniales, les dialectes Shaké et
Ndamborno sont séparés du Bakota et du Samayé (il serait plus exact de dire Ikota et
Osamayi), pour y être remplacds par le Bapouvi et le Bassihou (il s'agit du Pove et ~isihu'"
ou encore Sisihu). Le Shaké et le "Dambomo" sont pla& dans le groupe Bakélé qui
comprend aussi le Bangomo et le MBahouin. Le groupe Bakélé "se rattache aux Bakota par
les ~ama~é""' d'après Mgr Adam, ce qui renforce encore un peu plus le caractère pdculier
du dialecte Osamayi dans l'ensemble kota. En effet, nous nous trouvons en face d'un fait
nouveau qui peut apporter des éclaircissements sur l'identité des Shamaye. Selon Mgr Adam,
'O7 Miletto, op. ciL , pp.33-34. '" Ibid., p.26. 'O9 Ibid. "O K m - M i k s l a , J-T, op. cti. "' Miletto, op. ci! , p.26.
de tous les "dialectes" kota , l lOmayi est celui qui est le plus proche de 1'AMld afin de servir
d'intemiediaire entre les groupes Bakota et Bakdlk. Miletto est al16 euwre plus loin. Il a écrit
à propos des Bakeld, c'est-à-dire des M'Bahouîn et des Bangomo (Ongom), que " tcutes !es
caractenstiques physiques des Bakota s'appliquent aux Bakdle. Seule leur langue est %k
differente. Leurs caract6ristiques anthropologiques et ddmographiques sont identiques A celles
des ~akota""*. Avec Miletto et Adam, c'est donc la kotartd des Shamaye qui se confirme,
mais aussi leur particularité au sein de ce groupe ethnique.
En 1953, E M m Andersson fait mention des "Chamdm dans Contribution à
I'erhnogruphie des Kum. Pour Andersson, le "rameau kuta" se compose des tn'bus suivantes:
Mbamba, Ndzinigi, Ndasa, Mbay Wumby Ngomo, Trnnbili, Mbete, Ndambomo, Nd-&
Mbamwe, Mwanda, Songwa, Osiba, Okandu et les sam ma"^ "nom qui vient d'une
prononciation un peu déformée de la mbu bien connue des Charnaï ou Chamayi
(~ama~e)""~. En fait, en dehors de la classification et de la question des origines, l'étude
d'Anderson ne traite pas de toutes les "tribus kuta". Elle est uniquement consacrée aux tribus
que l'auteur appelle les "Kuta du sud" à savoir les Mazurka, Nasa et les Wormien du Congo.
Donc, la partie de I'étude qui traite des origines, c'est-à-dire de l'histoire, est celle qui nous
intéresse ici, à cause de l'originalité de la position &Andersson. Il tente de dkmontrer que
l'habitat d'origine des "kuta" ne se trouve pas dans la région de ITvindo (NordGabon), mais
dans la Haute-Sanga (région frontalière entre le Cameroun et le Centrafrique). Andenson
conteste les travaux qui attribuent aux "tribus kuta" des origines diverses. Il qualifie ainsi de
"spéculations hardies" les arguments de Poutrin qui place le pays d'origine des Kuta, Ndasa,
Lissel, Chebo, Ndzirnu, Chamayi, Yalirnbongo, dans le coude de l'Oubangui; celui des Kele,
Ngomo, Ngwe, sur les plateaux de Il%; celui des Benga, Ingwessie, et autres; dans le Haut-
Ouellé ou celui des Mbamba-Mbete dans la m au te-m vin do"^. Pour Andersson
les traditions populaires aussi bien que les notices des voyageurs d'autrefois et les restes des tribus dispersées montrent que cet habitat devait se trouver au moins le long de la Haute-Sanga..Plusieun fits indiquent que les dgïons limitrophes des savanes soudanaises, autour de la Sanga., de la Kadeil et de la hrlambérd, ont dQ être pendant une période
l l2 Miletto, op. ciL , p. 34. 113 Andersson, E., op.cit. ' I4 Ibid., p.22 . 11' Ibid.., p.28
relativement longue, Ie pays des Kuta diou ils ont éîé chassés par les boulevmemeotsl 16.
Mais de quels bouleversements s'agit4 donc ici? La plus grande difficulté, pour ne pas dire la faiblesse dans la démarche &Andersson, réside dans la chronologie des faits qu'il
relate. Le lecteur a parfois du mal à s'y retrouver. C'est pourquoi nous ne ferons que très peu
attention aux dates qu'il propose. Andersson place le "premier habitat connu des Kuta" dans 1a
région de la Sanga-Marnbéré-Kadeï. Immédiatement au nord de cette région, il situe le pays
de Carnot dont les Baya furent ies premiers immigrants. Depuis longîemps (depuis le 13e
siècle), les Baya et les Yangere (toutes ces mius situées au nord du pays kuta) ont constitué
une "mine" d'ou Ies Fulbe et Ies marchands d'esclaves de la Nubie et du Dar-Four puisaient
des esclaves. Tant qu'ils pouvaient lutter à m e s égales, Baya et Yangere restaient dans leur
pays, mais dès que le rapport de force bascula définitivement du côté de leurs agresseurs à
cause des m e s à fey ils dûrent battre en retraite vers le sud. Ils seraient ainsi entrés en
contact avec la Kuta '" qui n'avaient alors d'autre choix que de céder du terrain en émigrant
plus au sud. Voici le mouvement dans lequel seraient impliqués les Shamaye:
L'émigration dont il s'agit ici, a, selon toute vraisemblance, eu lieu en plusieurs étapes. Dans la première série d' émigrations engIobant certainement une longue piriode, nous devons compter les Duala, les Benga-Keie et les Ngumba-Mabea-Maka sans qu'il nous soit possible de fixer ni relativement, ni absolument, le moment de départ de chaque tribu. Si l'on tient compte du temps qui a dù être nécessaire pour se déplacer, par étapes, de la Haute-Sanga jusqu'awc Cotes du Gabon (...), où sont parvenues du moins celles de ces tribus qui sont arrivées le plus loin vers L'ouest, il n'est pas possible que cette émigration ait commencé seulement lorsque Osman dan Fodio repoussa les premiers Baya D'après Ies sources que nous possédons, il semble que ce soient les Benga (...) qui ont les premiers atteint la &te (...); l'arrivée des KeIe dans le Bas-Gabon s'est produite enbe 1820 et 1843. A la même époque à peu près, pourrait se placer I'émigration des Kuta de l'ouest, Okota, Yalimbongo, Chebo, (E)Nenga, tandis que la plupart des tribus kuta ayant pénétré plus au sud doivent avoir suivi une vague d'émigration plus tardive. Parmi elles, les Ndasa- Wumbu représentent une émigration antérieure a celle des Mbarnba-Mbete. Nous ne possédons pas de renseignements
dhiiiés siir les émigrations des tribus kuta du n~rd-est''~, mais leur habitat actuel indique nettement qu'ils font parûe d'un groupe de tribus émigrées encore plus tardn119.
Que retenir de la thèse d'Anderson ? Simplement qu'elle est originale pour bien de
raisons: à notre connaissance, c'est jusqu'ici la seule étude qui donne A toutes "les irihs du
rameau kuta" une même origine, c'est-Adire la région de la Haute-Sanga. Cest vrai que la
plupart des peuples du Gabon contemporain semblent provenir du nord-est, mais ce nord-est
est encore tellement flou que pour la majorité de ceux+ on demeure au stade "d'hypothèses
variées"120. Ainsi par exemple, les légendes des Fangs ("qui n'offrent aucun renseignement
scientifique disent que ces derniers viennent du "Megale Mebur" qui serait "un
pays lointain situé au Nord-Est, peuplé d'une faune sauvage très différente de celle du Gabon,
où les Fan vivaient à côté d'hommes blancs possédant des chevaux et qui leur ont appris à
travailler le fer"1u. Face a l'imprécision de cette affirmation, certains pensent à tort ou à
raison qu'il s'agit là, ni plus ni moins, que chne manipulation de la légende de la part du
premier groupe ethnique (numériquement parlant) gabonais qui voudrait ainsi faire remonter
ses origines à l'Egyptelu. Andersson propose aux "Kutan et aux Shamaye une région
d'origine connue et présente les causes plausibles de leur émigration. Ainsi par le critère
historique, la kotaité des Shamaye se poursuit.
Le critère dominant la connaissance et Ia classification des triius, races, groupes ou
ethnies au cours la période coloniale a surtout été le facteur linguistique. Souvent Iimité à un
simple examen "de quelques centaines de mots" des langues indigènes. Les études
scientifiques de ces langues n 'inte~endront qu'en 1953 avec la publication par Malcom
Guthrie de The Bantu Languages of Western Equatorial Afiica. Mais ce dernier ne disposait,
semble t-il, de tous les éléments de base de tous les dialectes qu'il se proposait d'étudier. C'est
pourquoi certains d'entre eux n'apparaissent pas dans son étude: c'est le cas des Shamaye.
D'Aa&k Even à Edouard Trézenern, en passant par les rapports politiques, c'est la langue qui
sert de critère pour distinguer les populations dites kota. Ii a fallu attendre Miletto et
''8~'est-i-dire entre autres les "chamaï, Chake et MaHungwen. 1 ' 9 ~ n d ~ o n , E., opxir., pp. 34 -35. '%&enem, E. op. CIL, p.4 1. gr Martrou cité par Bruel dans Bruel G. op.ci&, p.297. '?I.rr~zenem, E. op. CZL, p.4 1. '% est a c i l e de prendre position dans ce debat dont on pouvait faire l'économie, mais cela montre
une fois de plus qu'il est grand tunps que les universitaires gabonais prennent désormais le taureau par les cornes en esayant ditlucider & teiies questions, qui il est vrai ne sont pas faciles ii traiter. Seul moyen à' éviter des BCCU58tions méchantes a inutiles.
Andersson pour que l'histoire (enire autres critères) fasse son entrée. De tout ceci, pouvons-
nous p l e r de la naissance d'une identité distincte shamaye? Incontestablement, mais en
nuançant tout de même. C'est vrai que les sources disponibles traitent en générai des Kota
dont les Shamaye seraient un sous-groupe. Miletto dit simplement que les Bakoia (Samayd-
Bahoumbou-Mindassa) "sont depuis deux siècles les premiers occupants" de Ia région du
Haut-ûgoouk. Andersson reco&t qu'il est irnpossile d'avancer "triiu par tribu" les dates et
les phases d'émigration des "Kuta" depuis leur habitat d'origine. La spécificité shamaye
s'insère donc à l'intérieur de I'ensemble kota dont les composantes restent à préciser. MiIetto
note que non seulement les Bakota parlent des dialectes originaux que leurs voisins ne
comprennent pas, mais aussi qu'il y a "même une diffkrence notable entre le dialecte
Bahournbuo et Ie ~ama~é"'*'. Si, pour Miletto, les Bakota se ressemblent physiquement car
ils sont tous grands, il précise que les "Sarnayé sont plus étoffés, leur peau est assez claire,
leur système pileux très devkloppé" lZ5. Selon Even, dans les a . s 1930, les "Bachamaye n les Bakota" passaient le clair de leur temps à chasser et vivaient dans des campements de
fortune. Miletîo précise encore une fois que "les Sarnayd sont parmi les indigénes les plus
broussards" qu'il connaisse, "chasseurs expérimentés et courageux,..ils naissent, vivent et
meurent au milieu des En suivant les sources de près, d'agriculteurs a la fin du
19e siècle, ils auraient privilégié ensuite la chasse et la vie nomade en forêt pour revenir a la
culture de la terre partir des années 1930. Faut-il y voir une réponse collective aux exactions
des compagnies concessionnaires?
13 La driode ~ost-coloniale: continuité on ruoture ?
La décennie 1960-1970 a vu l'apparition d'une approche nouvelle et originale dans
l'étude des populations gabonaises avec Hubert Deschamps, et un approfondissement de la
connaissance sur les Kota et les Shamaye grâce B Louis Perrois. Mais avant ces deux auteurs,
il y eut d'abord en 1960 une brkve étude de Marcel Soret.
M. Soret a rédigé 1'introduction du travail de l'abbé Raponda Walker que nous avons
citée au début de cette étude. Dans ladite Introducîion, Soret propose une classification des
"tribus" gabonaises. Ii s'appuie sur trois critères principaux à savoir l'histoire, la langue et le
genre de vie. Ce demier critke l'emporte parfois sur le premier lorsque la parenté historique
entre tribus n'est pas clairement ktablie ou semble douteuse. C'est ainsi que Soret pl= les
Seke et les Benga dans le même groupe, même si les derniers "seraient linguistiquement et
historiquement apparentés aux Bakota". Pour les mêmes raisons, il place les Galoa dont
certains pensent qu'ils aumient les mêmes origines que les tnbus du groupe Eshira dans le
groupe ûmyene. De tout ceci, il ressort que le Gabon compterait une quarantaine de tribus
réunies en huit groupes, parmi lesquels le groupe Bakota qui comprend les Bakota
proprement dits, les Manhongwé, Shaké, Dambomo, ShamaI, Minchsa et ~awmbu'". Le
critère retenu pour rkunir le groupe Bakota est essentiellement historique. Voici ce que Soret
écrit à propos de ces derniers:
Venus du Nord-Ouest par la vallée de 1' Ivindo et peut- ètre celles des affluents de la Sangha, ils fornent une grande tache au Nord-Est du Gabon, avec quelques cians qui ont glissé jusque dans le sud du pays. Ils semblent plus ou moins avoir fui devant les migrations fang jusqu'a I'Ogowè. Les groupes plus méridionaux ont été entraînés dans le courant d'autres migrations de moindre amplitude tels les B a m b u de la Haute-Ngounié 12*.
Avec Soret aussi, la "kotaité" des Shamaye est renforcée du côté de histoire. En 1962,
paraît Traditions orales et archives au Gabon de Hubert Desharnps. Comme il le dit lui-
même, l'auteur a voulu rompre avec !'immuable classification a base linguistique adoptée par
presque tous les chercheurs avant Iui. Hubert Deschamps pense que ces classifications sont
souvent loin de concorder. C'est pourquoi, face à ces "incertitudes", il décide d'adopter une
classification différente qui tient compte à la fois de Iliistoire et de la géographie, c'est-à-dire
du milieu natwel. L'approche "géographico-histo~ue" permettrait de montrer que "les
groupes appartenant a des langues différentes, mais vivant depuis longtemps ensemble dans le
même milieu géographique, sont en fait beaucoup plus proches, du point de vue ethnologique,
et même @ois des traditions historiques, qu'ils ne le sont de lem parents linguistiques"129.
Tel est, par exemple, le cas des Massango à l'égard des Mitsogo, des Benga à l'égard des
~ ~ e n e ' ~ ~ . Ainsi, Deschamps répartit les peuples gabonais en sept groupes dont un groupe de
"dispersés" qui comprend les Bongom, Mississiou, Mbahouin et Pygmées. Les six groupes
'" Sont, M., op.cir., p.6. '" Ibzd, p.9. 129 Deschamps, H., op. cit. , p. 18.
Ibzd.
apparentés sur le plan ethnologique et historique par la suite d'une longue cohabitation Par
ces crïtéres, il place les Kota, Hongoué, Shamat, Dambomo et Shaké dans le goupe quatre ou
N&sa et Bawoumbou rejoignant ainsi la ciassification de Soret).
Peut-on fàire une synthèse des t5léments ethnologiques et historiques qui, selon
Deschamps, unissent les peuples du groupe no-? Leurs traditions les font venir du nord
du Gabon, de la région du Haut-Ivindo où vivaient les ancêtres. La guerre contre les Bakwele,
connue sous le nom de "guerre de Pupu", aurait été la cause du départ vers le sud et de
t'arrivée sur I'Ivindo. Nouveau conflit ( guerre de Mekomba) qui a conduit il la dispersion des
Bakota qui occupèrent les d u e n t s gauches de Iqvindo: la Limboumba, la Djaddié et la
Mouniangui, Sur le plan religieux, partout les &es des ancêtres étaient gardés dans des
corbeilles, "les plus importantes etaient sumiontees d'un masque de bois couvert de cuivren132.
Sur le plan matériel, les Bakota étaient spécialisés dans diverses techniques de chasse et de
pêche, pratiquaient la forge. La société bakota était patrilinéaire et patrilocale avec de
nombreux clans qui se singularisaient par des interdits assez nets: par exemple, chez les
"S-, le clan Bouaia ne mangeait par & gorilles, ses mom se transformant en gorilld33.
Les hommes pratiquaient Ia circoncision wremarquablement tard, a* 25 et même parfois 40
ansn'".
Que penser de la méthode de Deschamps? Simplement qu'elle est originale et romp
avec la facilité des classifications linguistiques. Comme l'a écrit Laurent Biffot, la
classification de Deschamps "est prqxztive, elle indique les grandes lignes de la tendance au
brassage interethnique qu'actualise efficacement le vox- "l.
L'article de Perrois "La circoncision bakota" est jusqu'en 1968, le seul travail paru sur
les Kota qui nous conceruent ici. Perrois divise le "super-groupe ethnique" en deux sous-
groupes. Le premier comprend les tnWs patrilinéaires ou Bakota du nord (ou encore Bakota
de Ilvindo); le second est constitué des triius matriluiéaires ou Bakota du sud (Obamba,
131 Deschamps, H, op.ci!, pp.1û-19. '" Ibid, p.70. 133 Ibid., p.69. IW Ibid.p.70. 13' Laurtnt Bifiâî, Conmihrion à la CO- a comprPhemion chez les pupula~ons nuales du
n o n k t du Gabon. t e &i revue a corngiit, L i i U e , C a m n a t û d de la s c i d f i q n c a tdchnologiquc, 1977,239 p.. p 3 1.
Bawumby Mindassa, Mindumu). Quelles sont les tribus du nord et comment Perrois les , - -se t-il?:
Les Bakota de Ilvindo constituent un vaste groupe ethnique qui comprend plusieurs triius distinctes: les Bakota proprement dits-aussi appelés Kota-kota-, les Mahongwé, Ies (Bu)shamaye les (E3a)shaké et les Dambomo. Mdgré des différences sensibles de langues et d'origines, ces groupes sont liés par un ensemble de coutumes qui montre leur appartenance a une sede et méme culture. On peut caracten
. - ser les Bakota par quelques traits principaux qui se retrouvent a peu de choses prés dans chaque m'bu: c'est une société segmentaire de type "anarchie familiale", avec une filiation patrilinéaire, la résidence virilocaie et une parenté classificatoire où le frére l'emporte sur le fils; un culte des ancêtres se manifestant par la conservation des reliques des défimts illustres dans le cadre du clan; des COIlfiéries initiatiques dont les principales-krnbwé pour les femmes et Mungala pour les hommesse retrouvent depuis le Haut-Ogooué jusqura I'Ivindo; des rites de puberté des hommes se déroulant chaque année lors d'une grande fete appelée Satsi; enfin une économie de subsistance (basée sur une agriculture rudimentaire, la chasse, la pêche et la cueillette) se développant dans le milieu hostile de la grande forêt équatoriale1"
C'est une grande avancée dans la connaissance qu'on a sur les Shamaye et les autres
Bakota D'aprb Perrois, les Bakota sont des "tribus distinctesn qui partagent ensuite tout un
faisceau d'éléments culturels. Mais la position de Pmois ne manque pas de poser quelques
problémes. Les Obamba et les Mindumu ne peuvent pas être rangés dans le groupe kota Nous
avons démontré ailleurs que k t du Gabon peut être divisé en deux principaux grands
ensembles culturels, le groupe Duma à'un côté et Kota de i'autre (ce qui rejoint en fait la
classification de Deschamps). IRS Duma (qui comprennent les Obamba et les Mindumu) sont
matrilinéaires, ils se comprennent comme les Kota Mais plus important encore, ia
circoncision est tm autre critére qui départage les &ux groupes car f i l est vrai que les
Baduma pratiquent l'opération en bas âge7 les rites de cirwncision revétent chez les Kota un
caractere uniquei3'. Pmois le montre bien à propos da Sbamaye et Kota "de i' Iviodo". La
classification qu 'il fait des Kota de Ilvindo rejoint celle des rapports politiques, celles de
L=Parois. L.,Za circoncison", p.7. ' J IMatk& J.Ç., op-UL, p.12.
Soret et de Deschamps en combiaam tous les dléments: la langue, l'histoire, la gbgraphie et
le genre de vie. Perrois introduit un &ment important qui dorce Adentitk des "Kota du
nord": la circoncision Ii faut dire que si chez les autres ethnies gabonaises elle est une simple
opération, chez les Kota, elle est une école de la vie, une Ùdhîion, une f&e,"un phénomène
social total "''* dont la célébration implique automatiquement toutes les conMries hitatiques
masculines et féminines (Mungala, Ngoye et Ishembou comme nous le verrons plus loin). Il
n'est pas facile de résumer l'importance de la circoncision chez les Kota A la différence des
autres peuples gabonais, la circoncision qui généralement intervenait tard, entre 25 et 40 ans
comme l'écrit Deschampsif9, est un passage obligé pour tout "jeune" Kota Elle marque
socialement le passage de l'état "d'adolescentt' à celui "&adultew. À propos & la circoncision
chez les Shamaye et chez d'autres Kota du nord, Perrois conclut en ces ternes:
Le dernier aspect de Shatsi , le plus précieux pour nous, est son aspect philosophique: croyance dans la dualité de I'homme, métamorphose , notions ci' existence et dessence , opposition entre la femuiité et la masculinité , et surtout croyance en la force vitale qui emplit le monde et qu' il faut utiliser et manier par des pratiques compliquées et pécises la.
1.4 L' é m u e contemporaine t 197M99û : apoeée et starnation
En 1970 est fondée l'Université Nationale du Gabon (UNG) à Libreville. La naissance
de ce cadre privilégié de la recherche ne conduira pas automatiquement l'entrée en force des
Shamaye dans les études scientifiques produites par les universitaires du pays. Néanmoins, on
note la présence des Shamaye comme objet d'étude dans les travaux des linguistes et surtout
dans l'étude des trajets migratoires internes des Kota réalisée par Pernis.
Perrois montre que les déplacements particuliers des Shamaye s'imcrivent dans le
courant géneral qui a encrainé tous les Kota du Haut-Ivindo jusqu' à leurs emplacements du
début du XXe siècle. Il croit que la migration kota s'est nUte en deux étapes: une première de
la Sanga ("hypothése d'Anderson qui semble tout fait plausible") à l' Ivindo pour aboutir
dans la région intefflwiale du mont Ngouadi; une seconde, en ordre nettement plus dispersé,
Pamis. L., "La Cg.cancisianm, p.7. 139 Deschamps EL, op.&, p.70. '" P m i s , L., "Le circonciaonw, p.90.
jusqu' aux emplacements occupés au début de ce siècle. En effet pour Perrois, les Bakota
installés dans le Haut- vind do"', dans les vallées de la Nouna et du Nsye, prés de la frontiére
actuelle du Cameroun auraient kt6 contraints de céder h piace aux Bakwelb (qui s'y trouvent
encore aujourd'hui), iZ l'issue de la guerre de "Pupu", confiit que Deschamps mentionne ami.
Les Bakota devaient alors comprendre plusieurs hibus dont les Kota-Kota, les Mahongwé et
les (Bu)Shamaye. "Ii semble d'après les traditions que les Mahongwk et Shamaye aient h i g r é
plus tat des rkgions septentrionales et occupé avec certains Bakota et Shaké le moyen
Ogooué, la Djidji, et le mont ~~ouadi."'~~. La seconde étape, celle qui se fera en ordre
dispersé conduira, sous la poussée des Obmba, eux-mêmes venus de l'est, les Mahongd-
Shamaye au nord, respectivement sur la Haute-Limbournba pour les Mahongwé et sur la
Mouniangui pour les Shamaye.
Perrois explique ainsi l'établissement des Shamaye dans la province de POgmué-Ivindo
et celle du Haut-ûgooue. Jusqden 1991 I'dnigrne subsistait quant aux migrations des
Shamaye de la region sud-est de Lastourville. Les traditions shamaye que nous avons
recueillies à Lastourville nous ont révélé que le contact avec les Obamba a Ngouadji n'a pas
été pacifique, il s'est produit a l'issue du conflit "d'0kormiba-0kili"~~~, du nom du féroce
guemer Obarnba Pendant qu'une partie des Shamaye prenait la direction nord (c'est le groupe
dont traite Perrois), un autre groupe a pris la direction sud pour déboucher sur l'Ogooué au
niveau de l'embouchure de Kengué. La traversée du fleuve s'est faite à cet endroit. C'est ainsi
que les Shamaye du sud expliquent leur &.ablissement dans l'actuel canton Leyou à
Lastourville.
Les travaux de Perrois qui renforcent la kom"t6 des Shamaye par des arguments
historiques marquent l'apogée de la production du savoir anthroplogique sur les Shamaye. Les
seuls apports nouveaux viendront des études linguistiques.
En 1978, André Jacquot reprend la classification de Guthne qu'il "augmente ou
modifie" en fonction des r6sdtats de ses propres recherches. Ainsi il répartit les langues
gabonaises en dix groupes (Guthne en avait dénombre neuf) de parlers intercompr6hensibles,
mais là aussi, l ' h a y i n'apparaît pas'". L'auteur signale que "l'évaluation des connaissances
gén6rales perrnet de penser que l'identification des langues laisse subsister quelques lacunes:
141 Region awi appelée l'Alna 142 Parois, L., "Chroniquen, p.65. ' 4 3 ~ a t h $ J.-C., op. cil. 144 A , Jacquot, "Le Gabon", m Daniel Barreteau, W., Inventaire des &des linguatiques sur les
psvs d'Afirque Ndre d'expressrion Pan~aise et sur Madagascar, Park, ULF, 1978, pp.493- 503,624 p.
certaines ethnies signalées dans la Iitt4rature n' ont fait l'objet d'aucune étude linguistique
(Simba, Boumoucle, Shamai, Dambomo, Toumbidi, Eveia, etc.)""'.
En 1987, le linguistique gabonais Kwenzi-Mikala fait pour les langues gabonaises ce
qu'en quelque sorte Deschamps a fait pour les tnius: une classification géographico-
administrative. Kwenzi-Mikala trouve que le chiffie de 40 langues gabonaises avancé dans
tous les travaux est excessif. Le but qu'il pomuit est de réduire ce chiffie en s'efforçant
"d'obtenir des locuteurs eux-mêmes leur opinion sur leur degré de compréhension des parlers
voisins"'46. Il en résuite une répartition des diffdrents parlers gabonais en huit unités-langues
ou ensembles de parlers mutuellement intercompréhensibles. L'osamayi est classé dans
l'unité-langue Mangote avec les parlers ikota, benga, mahongwe, makioa et bakweiel".
Remarquons cependant que la classification de Kwenzi-Mikala éloigne de 1' osamayi
les parlers avec lesquels iI est intercompréhensible immédiatement et totalement, les ondasa
et wumbu Tentons de nous expliquer: rappelons encore une fois que Ie l'unité-langue
mangote ou kota proposée par Kwenzi-Mikala comprend les parlers suivant: ikota,
mahongwe, osamayi, benga, makina et bakwele encore appelé bekwil. L'intercompréhension
entre ikota, mahongwe et osamayi est aussi immédiate et totale. Quant au benga, il y a
quelques petits probIèrnes. Andersson rattache les Benga aux "Kuta" par l'histoire, mais toutes
les études linguistiques placent jusqu'ici les Benga loin des Kota. Laurent Biffot écd que les
Benga et les "Kota" (Mahongwé-Shamaye-Bakota) sont linguistiquement les rameaux d'une
même mais il n y a plus intrcompréhension entre l e m locuteurs. Nous avons
entendu les Benga parler a Libreville, et si certains des mots qu'ils utilisent sont communs aux
Bakota, Shamaye et Mahongwé, il est impossible de dire que nous comprenons la langue
baga Les informateurs ont peut-être voulu exprimer à Kwemi-Mikala le simple sentiment
d'une lointaine parenté entre les "Kota" et les Benga. Bakota et Benga se sont séparés au 17e
siècle; Ies Benga vivent depuis au moins deux siècles a l'Estuaire à plus de quatre cents km
des Bakota. Toutes choses les rapprochent désormais des Myene leurs voisins depuis ce
temps. L'intercompréhension est encore plus douteuse avec les Makina et Bakwele. Kwenzi-
Mikala est le premier a les rattacher aux Bakota Jacquot met le bekwil dans un groupe
distinct, Soret dans un groupe résiduel, alors que Deschamps affirme qu'il n y a "aucune
14' JacquoZ A, op. cik, p.496. 146 Kwenzi-Mikrila, J.T., "L'identification des unités-langues bantu gabonaises et leur class5cdon
interne", in Munhr, (1987?), pp54-65. 14' Kwemi-hGkaIa, J.T., "Quel avenir", p. 122. 14' Biffot, L., op. ci&, p.32.
parenté linguistique des Bakouelé avec les ~ a k o t a " " ~ eux dires des informateurs eux-mêmes.
Bref, si de manière indiscutable Iliistoriographie montre que les Shamaye sont des Bakota, la
composition de ce groupe pose parfois problème.
Conclusion
Que retenir au sortir de cette analyse? Qu'apporte telle à la connaissance de Ia
formulation d'une identité shamaye? Nous pouvons affirmer que Iliistoriographie nous livre
une identité shamaye B travers certains éléments. Le premier de ces éléments est la langue
osarnayi. Ce qui est normal car comme le dit si bien Roland Breton, "la langue est
certainement le trait fondamental permettant de caractériser et d'identifier une ethnie. Une
langue propre permet a la fois de distinguer l'ethnie des autres et de servir de lien particulier
entre ses membres. C'est donc à Ia fois un indice externe et un éIérnent cohesif Le
critère linguistique a longtemps servi et sert encore à la classification des groupes ethniques
gabonais avant la prise en compte dans les années 50-60 de l'histoire, de la géographie et des
genres de vie. L'osarnayi serait un dialecte kota. Miletto renforce l'identité dialectale du
"samaye en en faisant un intermédiaire entre le bakota et le bakele.
D' Even dans les années 1930 à Miletto dans les années 1950, l'historiographie nous
Iaisse des Shamaye l'image d'un peupie fortement attaché au mode de vie dominé par les
activités cynégétiques. Even (1 932-33) parlait d'une civilisation de chasseurs-@heurs, vivant
dans des campements misérables du produit de leur chasse ou de leur pèche. Miletto insiste
qu'à ce sujet, les Shamaye naissent, vivent et meurent au milieu des animaux.
L'autre élément de l'identité shamaye que nous avons volontairement omis parce qu'il
fera I'objet d'un autre chapitre de ce travail concerne les figures des reliquaires. Un élément à
la fois artistique, religieux et pditique. Les spécialistes sont unanimes, les sculptures shamaye
sont originales et constituent a l'intérieur du groupe kota un sous-style dont les éléments
caractéristiques sont, entres autres, une face en amande pointue a chaque extrémité. Laure
Meyer rapporte a ce sujet que "les Shamaye ont produit des reliquaires d'un style
intermédiaire entre les Mahongwé et les Bakota proprement dits. Rares sont ces pièces à la
face en amande auréolée d'une sorte de coiffe enveloppante qui enserre le visage. Comme
14' Deshamps, H., op. ciL , p.75. Roland Breton, Les eihnies, Paris, Presses universitaires de France, 198 1, 127 p., p. 3 1.
chez les Mahongwé, la bouche a disparu- A sa place parfois, une plaquette de laiton ciselée de
motifs décoratifs exprime avec beaucoup de force I'iauimmunicabilit~ de l'audelà"151.
Au total, le "regard extérieur" et le savoir écrit laissent des Shamaye une double image:
celle d'une culture qui tire son identité du grand groupe kota et celle d'un peuple qui élabore
ses spécificités A i'intérieur de ce vaste ensemble: la langue shamaye est un élément suffisant
de cette identité, comme i'est l'art politico-religieux à travers les figures des reliquaires. Enfin,
les déplacements migratoires à l'intérieur du territoire gabonais montrent que les Shamaye ont
pris des chemins qui Ies particularisent aujourd'hui. Il y a donc a notre avis, un traitement
équitable ii travers l'historiographie de la kotsiitk et de i'identité des Shamaye. Si les sources
écrites englobent les Shamaye dans le groupe kota ou bakota, c'est pour montrer tout de suite
que les Shamaye y tiennent une place qui leur est propre. Par tous Ies faisceaux des éléments
que nous venons de mentionner. Tâchons dès maintenant de découvrir le discours des
Shamaye sur cette identité reconnue.
151 Laure Meyer, AJhque noire, masques, scuipfwes, bgola, Paris, Piem Tend, 1991.224 p., p. 134.
Carte n.2: Carte officielle de la répartition des ethnies du abo on'^^
PORT-
Bakota
lS2 Frédéric Meyo-Bibang et Jean-Martin Nzamba, Norre pays le Gabon, Pais, Edicef, nouvelIe série, 1982.79 p., p.35.
67
Tableau n.1: Composition officielle des groupa ethniques do Gabodu
--
1- Fang
2. Bapouna
3. M'Bêdé
4. Bandlahl
5.. Bakota
6. ûmiértê
7. Olrandé
B. B W 9. Séké
10. Baviii
G- tante
Fang. Nlarou Wai. Osyba
Eshira..Baparoir Marsaigo. gdambai. BaMuigai. Bararaa. K M
Badybi. Ba-. khkk Bawandji- ûabta. Mahaigwé. W. [Ianibomo. shama. M'Pongwe. &angai. NKorri. Gdoa. Benqa. Wé ckandk. nprd-p Mitsq. Baprk. SPrba. m. w&, Bollgom. M M T--
~ ~ B e n q a . ilifi
CEIAPlIRE 2 : L J I D E ~ PAR L'oRALITÉ: EXAMEN DU CONTENU
Ce chapitre vise en quelque sorte a "donner la parole aux principaux wncemb",
c'est-à-dire, les Shamaye. Plus exactement, il a pour objet cfanaiyser les genres oraux
intentionnellement historiques produits par le groupe et pour lui-même. il s'agit d'étudier
Ihistoriographie orale des Shamaye pour comprendre comment ils se perçoivent eux-mêmes
dans une pe-ve identitaire. Nous essayons de répondre aux deux questions
fondamentales: quels sont Ies énoncés historiques shamaye à portée identitaire? dans quelle
mesure le discours oral justifie t-il la spécificité identitaire du groupe?
Les récits de la migration qui évoquent à la fois le pays originel, l'unité shamaye
originelle et la cause de la dislocation du groupe oEent le plus important discours historique
i caractère identitaire.
2.1 La vie an viiia~e o r i h e i Neonadii et la cause de la diswrsion des lima-
ges shamave
D nv a pas un seui récit de migrations, mais comme tous convergent sur l'essentiel, nous
les prenons ici dam leur ensemble. Les traditions sont unanimes, le pays d'origine des
Sbamaye s'appelle ~ ~ o u a d j i '". Ngouadji était un village situe autour du mont qui lui a d o ~ é
son mm'". Ce village, disent les traditions shamaye, était tellement grand que pour voir ses
limites, il fallait monter sur le mont qui était situé au milieu du village. En osarnayi, le terme
n g o d j i signifie sommeil, repos et traduit ridée de convivialité et de paix qui rêgnait entre
les diffksts makaka-ethnies ou peuples-puisque les traditions shamaye mentionnent dans ce
vinage la présence simultanée des lignages rnahongwé, ondasa, shamaye, ongom, shake,
ndambomo et bakota qui se comprenaient tous. Chaque ikah (ethnie) en occupait une partie,
èpèshi, précise. La femme qui partait en mariage dans un autre iRaRa adoptait la langue de son
mari. Comme aujourd'hui. Pendant des longues années, les gens de ce village avaient vécu
ainsi: échanges de femmes, de biens, parties de chasse, initiations aux confiréries secrétes,
palabres mineures rapidement résoIues.
Les problèmes sont survenus entre les Shamaye, les Ondasa et les étrangers Obamba
venus on ne sait d'où, Un jour Opouéya, un Shamaye, a décidé avec quelques membres de son
lignage, d'entreprendre l'une des activitks favorites de son groupe, la chasse au flet (èbwema).
D'autres hommes du village se sont joints eux, c'est le cas d'oloupé, un Ondasa, et des
membres de sa famille.Vers la fin de la journée tout le monde décide de lever les filets et de
procéder au partage du butin. Selon les usages, le petit gibier est distribué en entier entre les
chasseurs, mais les antilopes (mirupilé) sont diasibuées par parties. Tout se déroule
convenablement jusquiau partage de I'antilope-cheval (njiibu) qu'a tuée le Shamaye Opouéya.
Oloupé le conteste. La discorde naît au sujet de la tête de l'animal'". Une dispute entre
personnes en devient au village une bagarre rangée entre Ondasa et Shamaye. On se bat au
wuteau (mambèdji) et à la sagaie (mdôngô); les traditions ne font pas mention de
I'utilisatioa de fusils (manju41), inconnus à l'époque. On se bat pendant deux journées. De
part et d'autre, Ies morts sont nombreux. Oloupé et une partie des Ondasa décident de quitter
le village Ngouadji.
Les Shamaye considèrent alors l'incident clos. Les jours passèrent et la vie reprit à peu
près son cours normal a Ngouadji. Mais une nuit, les Shamaye sont surpris par une attaque
violente. On met le feu a leurs maisons, et les assaillants lancent de cris de guerre dans une
langue quliIs ne comprennent pas: ce sont les Obamba du féroce guerrier Okoumba Okili.
Oloupé a donc noué I'alIiance avec les Obamba Les combats font rage et les morts sont
nombreux. Les Shamaye décident de battre en retraite. On tente de fbir dans la forêt en
157 Nous avons voulu poussm pIus loin les investigations sur cette quesiion du partage de l'antilope. La repartion des parts du gros gibier obéit à des règles strictes: la tête de l'animal associée au cou et un des membres antérieurs revitment au chasseur qui a joui le rdle de rabatteur des bètes vers les flets. Ce même chasseur est généralement le propriétaire de chiens. Qui a donc joué ce dle? Pierre AnangapSi Shamaye du lignage Bowla inîerrogd A ce sujet entre autres le 27.01.96 au viihge Zolende (hdakokou) af'ikne que pour sa part, il n'est pas surpris que la tête de l 'mhd ait éa sujette A convoitise. Pour étayer ses dires, il pointe le doigt vas le haut du poteau de l'entrée de son hangar. NOUS y voyons, soutenu par des clous, le squdette dim crilne (avec les cornes) d ' M accroché là pour des raisons protectrice et religieuse. Le phhomine est couram et familier ii tous ceux qui CO-t le pays shamaye. Ceci peut donc aider à la compréhension de la convoitise de la tête de l'animal par les Shamaye et les Ondasa A Ngouadji.
gagnant les anciens campements de chasse et de pêche. Dans cette débandade devant
Okoumba Okili, se dessinent deux groupes: un premier groupe shamaye va vers le nord et un
deuxième s'enfonce vers le sud Les traditions avancent que les membres d'une même famille
ont pris des directions différentes, les uns allant au nord et d'autres au sud; en forêt, on se
nourrit de miel et de coeur de palmier.
Les traditions disent que ceux partis au nord, après avoir vécu dans des campements
(bishaka et bibanji selon les activités afférentes), sont arxivés B la riviére Mouniangui. Après
l'avoir traversé, ils décidèrent de s'établir non loin puisque "les pieds leur firent mal". Quand
au groupe ayant pris la direction sud, les gens avancèrent en ordre dispersé jusqu'a la
fondation du village ~in~ounoukou~~~ où il y a eu réunification de lignages. 0. y passa
plusieurs i ~ n é e ç ' ~ ~ avant d'être une nouvelle fois contraint de qui- le village. La cause de ce
nouveau départ fut encore une fois Okoumba Okili. Les traditions divergent: les unes disent
que le redoutable guerrier a une nouvelle fois attaqué les Shamaye a Bingounoukou; d'autres,
par contre, avancent que ce n'était qu'une menace de I'Obamba et que les Shamaye ont décidé,
sous les conseils d'un certain Ndownbajôkoy de quitter le village pour éviter d'être victimes
d'un nouveau carnage. Quelques jours avant l'abandon du village naît un enfant du nom de
Mondjèkou. La progression continua vers le sud. Les Shamaye construisirent un village au
bord de la rivière Kengue. Iis nommèrent ce village Iloutshi, ou le citron car, disent les
traditions, les gens décidéç désormais d'affronter tout adversaire plutôt que de prendre le
large, étaient devenus aigres comme du citron, c'est-à-dire méchants.
Les traditions mentionnent que les Shamaye sont restés longtemps au village Ilo~tshi
puisque Mondjekou, né au village précédent, y a fait sa circoncision ( A l'époque celleci avait
généralement lieu entre 25 et 30 ans d'âge). La vie reprit son cours normaI, les gens vaquaient
à leurs occupations quotidiennes. h i , des gens allèrent au campement ou un jour un
chasseur (jamais nommé) qui se Iivrait à la chasse à courre (obenga) a rattrapé son chien au
bord d'un fleuve d'une largeur qu'il n'avait jamais vue auparavant, c'est l'Ogooué. Au
campement il n'a rien dit 51 personne. Arrivé au village, il en a informé discrètement "les
'" Le terme bingounoukuu si@e ai langue osamayi "grosses mottes & tcmcn. Mais il prend ici le sens de "collines, petites montagnesusur lesqueiles a été bâti le Mage.
lS9 Lt terme ernployt par Ia tradition orale est celui âe beshewou ou behewou qui signifient tous les deux "saisons seches". En effet, les Shamaye comptent les aimées occidemales par les saisons sèches, car c'est au cours de la saison sèche qu'on réaiise h gran& plantation (huba) et que se déroule la plus importante des initiations masculines puisqu'eiïe est obiigatoireshatshidonc des événements impartrmts que Ics Shamaye rctiennmt plus faciJeru~~~t Ainsi par exemple quand un Sh~maye oublie I'Qe de son enfa- le premier rtflexc est dc se souvenir qxès s u pendant- quelle saison sèche cet d a n t est né. Le nombre de phtaions qu'a commence par compter partir de là équivaudra au nombre des saisons sèches, c'est-&dire ti l'âge de i 'dht .
campement il n'a rien dit à personne. Arrivé au village, il en a informe discrètement "les
propriétaires de famillesni*. Kombi, Ndoumbajôkou, Mondjhkou, Djouba, Koumornbela sont
arrivés au grand fleuve par l'embouchure de la riviére Kengue. Ils I'ont baptisé Njouwa En
face d'eux i ls ont aperçu i'embouchure d'une autre petite rivière qu'ils ont a m i baptisé
~ e n ~ u e ' ~ ' en hommage a celle qui leur avait permis d'arriver à ce point. Les Shamaye
contemplent avec étonnement une vé@tation trés touffue et concluent qu'ils sont en présence
d'un nouveau pays (mongô). Après des essais infructueux de traversée, Mondjèkou fit la
proposition d'y bâtir un village d'où on refléchirait sur les moyens de pouvoir traverser le
fleuve. On baptise ce village Manenga . Mais une minorité Shake et Ndambomo, ayant appris
que les Shamaye ont découvert un grand fleuve et qu'ils cherchaient à le traverser, est venue
s'ajouter ii e n . Le village changea ainsi de nom pour prendre celui qui est utilisé
jusqu'aujourd'hui: Makadiourn, qui signifie "plusieurs (dix) peuples".
L'idée de construire un radeau (éIende3 fut écartée parce qu'il fallait au préaiable relier
les deux rives par une liane. On décida alors de construire des pirogues. On abattit l'arbre
appelé en osamayi ndoungou et avec son écorce les hommes firent des pirogues "coupées à
l'avant et a I'axTière", disent les traditions. Ce genre de pirogue fut nommé gnandji- Mais alors
que tout est prêt pour la traversée, Mondjèkou perd sa fille unique et décide de rester à
Makadioum "pour garder la tombe". Après la traversée, trois villages sont le plus souvent
mentionnés par les traditions: Ondeni, Mombangou et Kongandou Ce sont les lieux oii sont
nés les arrière-grands-pères, kôkûshanhgwè, (sur lesquels s'arrêtent d'ailleurs toutes les
généalogies car aucun de nos informateurs n'a cité un de membres de sa famille ayant vécu de
l'autre côté du grand fleuve ou né avant la traversée) de nos informateun les plus iigés. Cest
donc en quelque sorte l'époque des patriarches jusqu'à 116vocation du village Monjef où les
Shamaye disent avoir rencontré le premier Blanc du nom de ~ o u s h a ' ~ ~ . Après "la destruction
de ce village par les Blancs" la répartition temtoriale actuelle des
Depuis cette date les gens ont décidé "de rester ici en changeant de
quelques années après habiter sur le site d'ur~ ancien village jusqu'au
ont Wt les routes".
lignages s'est dessin&.
villages, et en revenant
jour où les Blancs nous
''O Expression shmye pour dire "les chefs de lignages". 16' Toutes ces appellations sont encore en usage aujourd'hui. '" Il doit s'agir d b surnom attribué par les Shamaye. R fat dire que le phinominc &ait couran4 la
Bakota du nord de Lastomdie par exemple ont donné le nmiom dlzozo au premier Blanc qui est arrivé chez aix, probablement Jacques de Brazza ai 1882 (Parois, 1970: 61). Les Obamba du village Engomnou prés d'ûkondja ont donné le surnom de Tonda au premier commerçant européen arrivé chez eux
Avant d'analyser ce récit shamaye, nous allons d'abord tenter, comme un anthropologue
i'a écriî,"de le confionter et l'intégrer dans un système (hisuirique) Notre
méthode consiste a rechercher les témoignages non shamaye qui font état de la présence des
Shamaye à Ngouadji et a proposer une datation. LR premier Européen à recoudtre Ie mont
Ngouadji est le Français Bascoui en 1923. Adjoint principal des seMces civils, il était a cette
époque chef de la subdivision d'okondja. il reconnut le mont Ngouadji et les cours supérieurs
de la Dilo, Lassio et Libiri, rivières qui prennent toutes leur source au pied du celèbre mont.
Bascoul a trouvé quelques misérables villages "surîout shamayentM comptant de 50 à 60
habitantsL6', séparés par de grandes distances et restés B l'écart Dix ans après, son collègue et
compatriote, André Even arrive au mont Ngouadji, qualifie la région de Ngouadji de véritable
château d'eau et écrit:
Au centre du Ngouadi, je découvre avec étonnement deux grands palmiers a huile (elaeis guineensis). La région avoisinante étant totalement dépourvue de semblables végétaux, ces palmiers sont la preuve qu'un habitat humain s'était établi sur le plateau. Le chef Okogo me déclare à ce sujet: J'avais bien entendu dire qu'autrefois il y avait un village de ~ a k o t a ' ~ ~ sur le ~ké l é '~ ' Ngouadi, mais je ne croyais pas que c'était Mai. Pourtant, ce sont sûrement des hommes qui ont planté ces phiers . Par la suite, en 1933, iI me fut confirmé par un Kota d'une cinquantaine d'années qu'un village avait existé au sommet du piton. Cet homme se souvenait d' y avoir habité étant tout enfant. Les gens de son groupe s'y étaient réfugiés, m'expliqua t-il, pour se mettre a I'abri des incursions du chef de guerre barnba Oko~mba"'~~.
Si la présence des Shamaye a Ngouadji es? ainsi confirmk, pour les anthropologues
occidentaux ce mont n'est qu'une étape dans la migration. Ceci souligne la différence de
conception de lliistoire entre les Shamaye et les Occidentaux. Le résumé de l'historiographie
montre que la migration shamaye et kota en général est de la Haute sangaI6' au Haut
163 Perrois, L.,"Chroniquen, p. 17. '64 Zbid, p.102. 16' Even, A., op.cir., p.278. 166 Le chef Okogo qui accompagne Even est de I'cthnie obamba encore appelée mbete. Or, dans sa
langue, le l e m b q le terme actcra-bakotadans la région d'okmdja dont il est originaire
167 englobe les Shamaye, les Ondasa ou MMdassa et les Bakota proprement dits.
Ce terme de la langue lembaama signifie "cadioux", mais il a ici Ie sens de "montagne". 168 Evm, A., op.cir., pp.284-285. '" Andersson, E., op.cii. , pp.2635.
Ivindo dans le nord du Gabon- Perrois pense que les Shamaye (et les Mahongwé) ont émigré
très tdt des régions septentrionales et occupé, avec certains N o t a et Shaké, le mont
Ngouadji (ce qui rejoint la version shamaye); leur séjour à Ngouatdji remonterait a la premiére
moitié du XVme siècle170. Alors, peut-on dater "la guem de Ngouadji" et implicitement la
dispersion des Shamaye? Rien n'est moins sûr puisque les sources &tes restent muettes sur
la question. On ne peut avancer sur ce terrain que par hypothks. Les ~ M C ~ ~ U X animateurs
du conflit de Ngouadji furent les Shamaye et les Obamba. On sait que les premiers sont
anivés au mont Ngouadji à la premiére moitié du 18e siècle (hypothèse de Perrois), les
sources écrites ne font rentrer les Obmba au Gabon qu'à Tg de 1800"'. En effkt, les
Obamba ou Mbede qui font remonter leurs origines au Cameroun dans la région de b % i sont
entres au Gabon après leur défaite contre les "terribles guerriers ~ b o s i " ' ~ ~ en deux groupes
dont celui des Obamba de l'ouest ou Obamba de Ngwali qui se seraient rapproches de
Ngod j i avant de bifiirquer vers le sud-ouest pour atteindre Okondja vers 1850, date
qu'avance Perrois. La "guerre de Ngouadji" des traditions shamaye n'aurait donc eu lieu en
toute logique qu' entre 1800 et 1850.
Après avoir placé le récit dans un "systéme historique global" et avant d'examiner les
autres genres oraux, peut-on en analyser fa charge idéologique et identitaire?
L'importance idéologique et identitaire de ce récit réside dans les symboles qu'il évoque.
Des symboles abstraits bien sûr (mêmes si les événements évoqués dans le récit sont réels)
mais désormais conservés dans le dire et les comportements des acteurs sociaux. Le premier
de ces symboles est la question des origines. L'homme shamaye ne connaît pas d'autre origine
que le village Ngouadji. Tout Shamaye est censé savoir que son groupe vient de là-bas. C'est
pourquoi ce récit, dans sa trame essentielle, doit être transmis et perpétué, de génération en
génération, aux jeunes garçons lors de la réclusion qu'ils subissent durant l'initiation aux rites
de la circoncision. Un Shamaye ne doit jamais oublier ses origines. C'est la toute l'importance
idéologique, historique et identitaire du récit. Mais pourquoi la question des origines prend
t-elle une si grande imporîance chez les Shamaye? La raison en est Irés simple. Un adage dit,
en langue osamayi, "rnoutou wè ndeka yeba ka angoua yenga bi n'yehz", qui signifie "un
homme qui ne sait pas d'où il vient est un esclave". Pour comprendre cet adage, il faut savoir
que I'un des moyens qu'utilisaient les Shamaye pour se procurer un esdave était d'acheter
'7%errois, L., "Chronique", p.65. 171 Pierre Miranda et Fidéle-Piare Nze-Nguana, L'unit6 &ns Ia divemit4 cuitweIIe, une geste bantu,
SainteFoy, Presses de I'OniversitC Lavai, 1994, 23 1 p., p. 181 (c'est aussi la date qu'avance Perrois dans "Chronique", p.57).
'?bid, p. 180.
discrètement un jeune garçon auprés de son
enmite enlevé par son noweau rnaimtre qui
noweau nom, de façon à lui faire oubliex
père qui voulait
lui donaait m e
ses originesJn.
Lekoumanjarnbi qui fut chef de la terre ~écoudji'" dans les
s'en débarrasser. L'enfant était
autre identité, notamment un
Ainsi par exemple le dlebre
années vingt était un homme
vendu en bas âge par ses parents banjabi pour "un litre de sel". Perpétuer ses origines pour ce
peuple minoritaire, c'est réclamer son droit A l'existence.
Mais si on pousse la réflexion sur le terrain politique, on comprend encore mieux
pourquoi aujourd'hui au Gabon, pour toutes les ethnies, on assiste A une véritable quête des
origines. En effet, l'observateur assidu de la vie politique et du comportement des acteurs
politiques remarquera que le débat politique tourne et s'arrête m o i s à la question des
origines, même au sommet de ~Etat. Il n'y a parfois plus de confrontation d'idées, mais chaque
candidat en quête de suffrages doit désormais prouver qu'il est Gabonais. Le phhomène est
perceptible a l'approche des échéances dectorales durant lesquelles même la presse, relayk
par les rumeun de toutes sortes, s'en donne ii coeur joie. Ce qui a powé récemment un leader
d'un parti d'opposition, en toumée électorale, A lancer dans un meeting à l'endroit de ses
détracteurs: "je ne suis pas un ~on~ola i s""~ . Donc, dans ce Gabon où les ethnies viennent de
l'extérieur, démontrer une origine de l'intérieur est d'une importance psychologique et
idéologique incommensurable pour les Shamaye car, dans un pays ou "le vote, qu'on le veuille
ou non, est d'abord ethnique,"'" ils ont désormais la conviction et la preuve qu'ils sont exclus
de la gestion du pays de façon injuste par le seul fait du nombre.
L'autre symbole véhicule et perpdtué par le récit shamaye est celui de l'unité originelle
du groupe. Or, de nos jours, les lignages shamaye ont comme I'irnpression de vivre la vie des
bana ba bakoula ba tapri@ngu, c'est-à-dire comme ''de jeunes chimpanzés qui ont perdu le
chemin du groupe principal". C'est donc ici toute la question de I'unité et de la dispersion des
Shamaye. Et faute de recréer cette unité originelle par un retour et un noweau regroupement
au village Ngouadji, il faut la recréer daos le souvenir et les comportements. Ainsi, un
Sharnaye doit th6oriquement recevoir @te et couvert chez un autre pourvu qu'il décline son
identitd, mais surtout son lignage, puisque tous les Shamaye sont censes connaître les noms
1 73 On imegine donc facilement que c'est c*te situaiion psychologique de î'esclave qui ne peut pas retrouver ses origines qui le maintien de manihe efficace dws un état inféneur inacceptaMe pour un homme Libre.
174 Cetîe ancienne terre coloniale est devenue une partie de l'actuelle canton mou dans la province de i'ogooue-lo1o.
175 L Union, n.62 1 1, 12 septembre 1996, 12 p., p.3. 176 Ibid., p. 1.
de t~us les lignages du groupe. Lors de la dispersion, des familles entières se sont disloquées,
leurs membres amenant avec eux les noms de leurs lignages; les mêmes lignages ou familles
se retrouvent donc dans tout le pays shamaye. L'attitude adoptée par les Shamaye est donc la
suivante: m b e si le récit de la migration montre qu'à un moment il y' a eu dislocation du
groupe, il fiut le recréer et le perpétuer pour qu'A travers celui-ci les membres de la
communauté retrouvent leur unité et leur identité.
Les contraintes liées a la gestion du temtoire par l h t coloniai (dont héritera l h t
pst-colonial) ont réparb les Shamaye entre trois entités administratives distinctes: les
provinces du Haut-ûgooué, Ogooué-Lolo et celle de l'Ogooué-Ivindo. Cela a évidemment
créé chez les principaux concernés un traumatisme. L'unité territoriale n'est plus possible à
recréer aujourd'hui, eIle ne peut se perpétuer que par le souvenir et le comportement des
membres. Et l'objectif principal de ce souvenir est la perpétuation de ce récit sur l'unité
originelle.
2.2 L'idéolwie de l'orieine. de l'unité et de l'identité A travers les autres penres
oraux: les ~roverbes (m(u1purtlr) et les chansons (mnbuktr)
Il n'est pas aisé, pour des questions de compétence et de méthode, de nous aventurer sur
un terrain qui revient aux spécialistes de la tradition orale. Mais l'examen minutieux, même
par un néophyte, de certains genres oraux shamaye permet de constater que ceux-ci
véhiculent aussi la triple idéologie de l'origine commune, de l'unité (originelle) et de I'identité.
2.2.1 Les riroverbes
Nous examinons ici deux proverbes'" shamaye cas par cas:
Ambè Osamayi bi nda bagnodji ba babanga tshe mipipi. Mia kubana malaku nde
djoiryi lébangou she lokiroirlou.
"Les Shamaye sont comme les oiseaux qu'on appelle mipipi, ils vivent chacun d un
endroit différent mais leur voix reste unique".
in Nous donnons en italique les proverbes en langue Osamgn et entre guillemets leur traductim si langue mçaise.
Très explicite sur l'idéologie identitaire du groupe, le proverbe évoque a la fois la
dispersion et l'unité. En effet les Shamaye, nous dit le proverbe, "vivent chacun à un endroit 178 (alhion faite A la dispersion territoriale des Shmaye) comme les oiseaux
mipipi, mais tout de suite le même proverbe ajoute que "leur voix est unique". Il faut savoir
ici que la voix qui réunit signifie I'osamayi qui naalgré la dispersion temitode du groupe,
demeure son élément identitaire numéro. Pour Roland Breton, la langue est m "élément
cohésif interne" d'un groupe, "sa propriété unique et indivise"179. La langue est le vehide d
le bagage "longtemps oral transmis au fil des siècles et accru de génération en gédrationn'".
Le caractère identitaire d'une langue est indéniable. Examinons le second proverbe.
We fana beyi no moutou, we ndeka tshi shodje mukôngô môwè leye yè O h h a
"Si tu (le Shamaye) te bats contre une personne, ne vas jamais cacher tes armes
chez un Ondasa".
Si on se reporte au début de ce chapitre, on comprendra aisément le sens de ce
proverbe. Le conflit de Ngouadji a opposé dans un premier temps les Shamaye aux Ondasa
qui sont allés chercher du renfort auprès des Obamba dOkownba Okili. Or cet acte est
considéré par la Shamaye comme une traîtrise parce que "la parents 0ndasa"18' sont alles
nouer une alliance avec les étrangers Obamba. La conséquence du geste posé par les ûndasa
on la connait: guerre meurtrière et dislocation de l'unité originelle des Shamaye. Autant ce
proverbe est une mise en garde (un Shamaye ne doit jamais avoir une confiance aveugle
envers un Ondasa pour les raisons qu'on sait désormais), autant il est aussi une évocation de
I'unité (territoriale) perdue. Et le seul remède contre le mal moral c'est de toujours l'évoquer,
c'est-à-dire de ne pas oublier, ceci dans l'intérêt de tout le groupe. Lest là toute l'idéologie de
ce proverbe. Qu'en est-il des chansons?
l m Nous pensons tout de suite au canton Lyon à L a m d e n aux cantons Mouniangui de Makokou et Okondja qui forment l'habitat sbrmiayt au Gabon.
'" Bmoa, R, op. cir, pp.3 1-32. l m ibid 181 Les Shamaye sont voislis des Ondasa dans le canton Leyou où existent quelques lignages ondasa au
village stmaye de Malaoga ( a 60 kilométxes de Lastourville sur i'axe routier LastourviUe- Mounana). Mais le seui et Mique village ondasa est l'imposant Mandjaye sur le mime axe routier. Les membres des deux ethnies se côtoient aussi dans la ville d'ûkoadja, de-même érigée sur le site de l'ancien village (ondasa) Ocoungîa du v i t w chcf Oloupi que l'artministrateur Evai a connu au début des armées 30. Le Français a d'aillcrirs eu pour principal informateur pour ses travaux le vieux cbef oudasa D'ailleurs nous pençons que œ chef émit un descendant d'oloupé qui est entré en conflit avec: les Shamayt à Ngouadji.
2.22 Les chansons
Un seul chant s'est imposé a nous:
Beyi bu môgnangui ngouiè nlouwa boshi baya M tounda
Môgnamriè, Eh, èèh; boshi baya na touriria;
G d j i o ngoulé n 9 m u boshi ba ni nièngoué
Gnandjio, ooh. ooh, boshi baya ni nièngouè.
"Vous qui etes ailés sur la Moimiangui, i'autre côté de
l'Ogooué et nous qui sommes anivés ici par Ies crues;
arrivant à bord des pirogues, le fort courant nous a déposés icin.
Ce chant fait du riche répertoire de Ia danse mobeyi que les hommes exécutent
pendant toute la durée des rites de la circoncision Curieusement, ce ne sont que les Sharnaye
du sud, c'est-à-dire ceux de Lastourville @ar rapport a ceux du nord, c'est-à-dire ceux de
Makokou et d'okondja) qui la connaissent C'est ainsi que nous Favons maintes fois entendue
chez les Shamaye du canton Leyou et jamais ailleurs.
Le lecteur attentif y aura remarqué la présence de trois termes déjà renconBés au début
de ce chapitre. Ce sont Ia riviére Mouniaqui, le fleuve O p u é et les piropes shamaye
.mignandji. 11 n' y a pas d'énigme, la chanson évoque encore une fois l'unité du groupe. En
effet, on se souviendra qu'a Ia suite du conflit de Ngouadji, une partie des Shamaye a pris la
direction nord et s'est établie près de Ia rivière Mouniangui. Ce chant exécuté devant les
candidats à la cuconcision a donc ici une valeur pédagogique. En effét, on évoque la
séparation ("ceux qui sont partis sur la Mouniangui") du groupe pour mieux la conjurer- On
l'enseigne aux futurs hommes pour qu'ils ne l'oublient jamais car rien n'est pire que l'oubli. La
démarche ou la pédagogie des Shamaye est ici onginale car on arrive à recréer l'imité et
I'identité dans les comportements à travers l'éternel souvenir de 12mité territoriale d'antan. La
circoncision étant le moment par excellence de retrouvailles de plusieurs lignages dethnies
différentes, ce chant exécuté dans cette période solennelle peut sonner comme un hymne
shamaye chanté devant un auditoire important Cest peut* là sa plus importante fonction
idéologique et identitaire.
Conclusion
Le discours shamaye véhicule une idéologie identitaire qui veut renforcer les
comportements souhaités des membres du groupe. La production de tout genre oral est
souvent prétexte à l'évocation des événements que le groupe a connus ensemble. Dans le
Gabon contemporain, la question des origines est devenue encore plus ai@ a cause de la
compétition politique. Les ethnies minoritaires comme les Shamaye, déjà handicapées par Ie
fait du nombre, ont de plus en plus besoin d'étaler leurs racines dans les limites nationales
actuelles. Démontrer une orîginennationaiet', quoiqu'en diront tes thèses savantes d'une origine
lointaine, est une forme de compétition politique.
CHAPITRE 3: LES FAC'IEURS DES CHANGEMENTS CULTURELS ET
SOCIAUX
L'indigène, dont les coutumes ont déjà subi bien des altérations du fait de notre présence, est complètement désorienté ... Mais il faut vouloir créer des moeurs et des coutumes nouvelles, sans crainte de modifier et de supprimer celles qui sont contraires à la morale et à i'équité, qui n'ont rien de respectable et sont nuisibles à i'ordre, au
la natalité et au développement de la société
Dans ce chapitre nous allons examiner les changements cuiturels et sociaux du dernier
demi-siècle. L'exposé qui suit est divisé en trois sections: les transformations ayant découlé de
la présence coloniale, celles occasionnées par le voisinage des Sharnaye avec les autres
ethnies et enfin les effets de la politique post-coloniale. Les premiers changements sont
occasionnés par des éléments exogènes au pays, les deux derniers sont causés par des
éléments locaux,
3.1 Les facteurs coloniaux
Nous alIons ici examiner tour à tour les débuts de l'installation de l'administration
coloniale civile en pays shamaye, l'organisation du territoire et l'avènement des chefferies, la
mise en place et le rôle de ce qu'on a appelé les déments de confrontation idéologique, c'est-
a-dire l'école et la religion catholique. Enfin nous terminerons par l'analyse du
fonctionnement et des effets de l'économie de type monétaire.
182 Monkqm, "Étude sur le mariage c(ans la CirCotlSCfiption des Adoumas", in Bulletin cle ia Ski&! des Recherches Congolaises, 12 (1 93O), pp.47-65, p.62.
3.1.1 Les débuts de l'établissement de l'administration coloniale civile
À partir de 1933, la colonisation fraoçaisc s'est définitivement installée dans tout le
pays shamaye. En effet, la capitulation des Ekwandji de Bembicani (Lastourville) en 1930 a
sonné le glas de la dernihre résistance d'un peuple gabonais et symbolise pour tout le pays la
fin de h pacification. A partir de cette date, le pays shamaye n'a plus de secret pour les Blancs
et les premières cartes dressées à i'issue des tournées effectuées dors montrent I'essentiel des
villages shamaye.
Dans quel état d'esprit les Shamaye ont-ils accueilli les débuts de I'installation
coloniale? A dire vrai les Shamaye n'ont jamais opposé de résistance (armée) à l'installation
coloniale. Ils ont préféré d'autres moyens à la confkontation. l'indifférence, la fùite dans
l'épaisse forêt qui couvre leur territoire ou la diplomatie. L'installation, après la première
guerre mondiale, de l'administration coloniale marque le début effectif de la colonisation.
3.1.1.1 Lastourville
En 1883, après trois missions d'exploration, Pierre Savorgnan de Brazza avait réussi à
conquérir le Congo français de façon pacifique. Des postes avaient été fondés. Voulant relier
l'Ogooué au Congo, l'explorateur a décidé de créer un nouveau poste chez les Badouma,
c'est-à-dire à l'entrée ouest du pays shamaye: c'est le poste de Madiville fondé le 9 juillet 1883
à 815 kilomètres des côtes gabonaises. Il est confié à un ingénieur des mines de 28 ans, Rigail
de Lastours. Mais l'action de de Lastours à Madiville n'a duré que deux ans à peine. Pris d'une
violente attaque de fièvre, il meurt le 26 juin 1885'". Et en juillet (le 9?) 1886'", Madiville
devient Lastousville.
183 Jean Rigo. Le soixantiéme anniversaim de Lasioursville, 9 juiflei 1883-9juillel 1943, LastourviUe, le 9 juillet 1943, 19 p., p.7.
'& Juste Roger Koumabila-Abougave, De Mudiville à Lasiouwille ou naissance d'une ville sur ItOgowe au Gabon (1ûû3-lût%), Libreville, 1985,23 p., p.2.
Le deuxième poste sera créé à i'entrée nord-ouest du pays sharnaye. Paul Crampe], le
secrétaire de Pierre de Brazza, avait reçu la mission de parcourir le pays situé au nord de
Lastourville jusqu'au deuxième degré de latitude nord Parti de ce poste le 12 août 1888,
Crampe1 atteint 1'Ivindo (après huit jours de marche) à la confluence de Ia Limboumba "au
futur emplacement de Makokoy un endroit où le fleuve a environ 300 mètres de large 1,185.
cause de l'agitation des populations locales, la fondation du poste de Makokou n'interviendra
que dix ans plus tard, c'est-à-dire le 20 janvier 1908, sur les instructions du commissaire
général Gentil, en vue de l'occupation du bassin de 1lvind0'~.
3.1.1.3 Okondia
Le troisième poste a été implanté à i'entrée est du pays shamaye. Lui aussi est né d'un
processus identique au deux premiers. En effet, partis de Madiville le 12 juillet 1885 en
suivant un trajet tracé à I'est de celui de Crampe], Jacques de Br- et Attilio Pecile arrivent
le 25 juillet au village "Ocongia" chez les Ondasa. On assiste alors au premier passage de
Blancs chez les Sharnaye (voir chapitre premier). Les deux hommes vont poursuivre leur
mission vers le nord. Cependant, la fondation du poste d'ûkondja n'aura lieu que le 29 août
1909. A la veille de la première guerre mondiale, le pays shamaye est donc encerclé par les
postes.
Les postes sont confiés aux militaires puis aux agents des compagnies concessio~aires
comme [a Société du Haut-Ogooué (S.H.O.) qui avait le pouvoir d'assurer la police. A
Lastourville par exemple, i'adrninistration qui faisait face i la difficulté de mettre le pays en
videur s'est retirée en 1896 et a cédé la place a la S.H.O. Jusqu'au déclenchement de la
première guerre mondiale, le pays shamaye n'est pénétré que par des traitants de compagnies
concessionnaires. Jusqu'en 1914, le pays n'est encore qu'une "zone non et les
185 Perrois, L. "Chronique", p.84.
'86 Ibid., pp.89-90. i87 Ibid, p.94.
Shamaye eux-mêmes "un peuple très peu CO MU"'^^. En 191 6, un fait important s'est produit:
la création en pays shamaye de la subdivision du Boueni, un temtoire militaire. Quelle est
l'origine du mot Boueni? Bouénz en langue 058mayi designe un arbre h l'écurce rouge et au
feuillage clairsemé qui se rencontre muement en pays shamaye; mais, écrit
l'administrateur A. Christophe, "ce nom a aussi été celui d'un homme chef d'un clan
important Ion de la pénétration des militaires par la rivi&re Mounian@. Les Shamayes le
mirent en avant à l'époque parce que lui seul avait le prestige et l'assurance necessaires pour
parler aux blancs" IB9.
Entre 1920 et 1930, on assiste au retour dune administration civile qui tente desormais
de contrd1er tout le territoire en reconnaissant les zones non ou mai connues. Ainsi Bascoul,
en poste à Okondja a l'entree ouest du pays shamaye, arrive au mont Ngouadji et y trouve
trois cents Shamaye "qui s'enfuirent presque tous devant lui"'? Mais l'âge d'or de
l'exploration complète du pays shamaye, c'est la période 1932-1 934. Sur la airte établie par le
sergent-infirmier A b o ~ e c apparaissent, entre autres, les villages shamaye ou ceux ou vivent
des minorités shamaye de Dzokalandza (I'actuel Ndzokaloundza), Bambera-Bouyoko
(Bamberabiyoko), Madjaf (Mandjaye) ou ~ i m b e n ~ a ' ~ ' . Une tournée concertée effectuée au
nord dOkondja en aollt-septembre 1933 par les chefs des circonscriptions des Adoumas
(L'Hexmier des Plantes) et du Haut-Ogooué (Poli), ainsi que les chefs des subdivisions
d'okondja (Even) et de Kernboma (~enezet)'~' conduit à mener dans la région du mont
Ngouadji une mission de fixation des limites administratives et de soumission des Shamaye
qui échappaient encore au contrôle. En août 1932, Even part d'okondja et atteint le mont
Ngouadji. De Ngouadji, il amve sur la haute Dilo au village shamaye de Mboundou (l'actuel
Mbondou). Il revient ensuite Okondja par les plateaux de Ngoutou, Ngonganene,
Badjumbi, Mohéh6coua et la vallée de la Lebiri. Un an plus tard, Even et son chef Poli
recommencent une tournée en sens inverse'93. Parh's d10kondja, ils empruntent le trajet dit "la
188 Pexrois, L., "Chronique", p.%. '* Note n.387 du chef de district de Makokou au chef de la région de I'Ogooui-Ivindo a b u e ,
Makokou le 9 juin 1959. Archives de la pdfecture de Makokou. (Xi faut dire a ce sujet que nous avons truuvk les archives de Makokou, comme c'est rmbeilreusement le cas à Fintérieur du Gabon, en désordre, une grande partie ayant été brûiée. Le reste non classé a gardé a même le sol est ai train de se détruire à cause de l'humidité. Nous n'avons donc pas les rdferences cornp1&es des documents qu nous y avons récoltés).
'" Even, A., op.cii, p.278. 191 Abonnec, Monographie du pays Adouma (1932-1933-1936, Lastoinrville, 1934, 14 p.
lg2 Voir pour les dCcails le rapport du chef de la circonscription des Adoumas au Gouverneur générai de l'@que équatoriale hçaise, LastomsviUe le 16 Novembre 1933. Archives nationales hçaises, section outre-mer, Aix-En-Provence, Gabo11 SD 110,1 Ip.
lg3 Even, A., op. cit. , voir la carte qu'il donne A la page 279.
piste des ~ h a m a ~ e " ' ~ et parcourent tout le pays jusqu'au canton Bouéni en traversant les
villages de Zoolendé, Mouzeye et Mahoba (Mohoba). Les populations sont fixées, i'oewre
coloniale proprement dite a commencé, Les Shamaye comprirent pour leur part qu'il nl avait
plus moyen de fwre l'homme blanc en forêt puisque ce dernier avait même réussi atteindre
l e m campements.
3.1 .t L'omnisation du territoire et ia politigue des contraintes
Nous traiterons ici de la naissance de terres, de cantons et de regroupements de village
et de populations et de la politique des contraintes comme l'impôt indigéne, le travail salarié
et la justice coloniale.
3.1.2.1 Les unités territoriales de contrôle de la po~ulation
La fondation des terres remonte stux années 1919-1920, les cantons étant un ensemble
de terres comprenant quelques villages. Les terres sur lesquelles sont repartis les Shamaye
sont les suivantes: terre du Bouéni, terre de bnga et la terre de Ngoma au nord, et au sud la
terre Lécoudi. Abonnec écrit que ces divisions territoriales tenaient compte de l'influence des
chefsIgs. Au nord, les Shamaye qui formaient un groupe ethnique homogène ont été divisés
en trois terres plaçant une partie d'entre e w sur le territoire de la subdivision du Djouah (et
plus tard de celle de Makokou), et une autre sur celui de la subdivision d'Okondja. La création
de ces unités était suivie de la nomination de leurs chefs. Ainsi, par exemple, après la création
de la subdivision shamaye de Bouéni qui deviendra plus tard la "tene autonome du Bouéni",
le commandement de cette terre est confié aux deux fils de Bouéni, Apenedangoye et
Diambanda. Apenedangoye règne sur la partie est de la terre, c'est-&-dire sur les villages
compris entre Zoolendé et Bakwaka; Diambanda exerce son autorité sur la partie ouest, de
Zoolendé à Mohoba, Lors d'une téorganisation administrative, on réunifia Ic tout. Les deux
chefs sont remplacés par Nanga Ce demier, usé par le pouvoir, cède la place à
~ a n d j em bel%.
1% Parois, L., "Chronique", p.102. 19' ~bormec, op. cit, p. 1. '% "Note n.387"
Ii y a ensuite les regroupements de villages et de populations. La politique de . *
regroupements n'a été qu'une demi-victoire pour I'admuiistration coloniale. En effet, six ans
avant l'indépendance du Gabon, l'administrateur F. Mont écrivait B propos de la région de
l'Ogooué-Lalo: "cependant la tendance reste à la dispersion et malgré les moyens énergiques
employés pour y remédier, des villages continuent a se diviser, des petits groupes de cinq a
dix individus, réussissent B s'établir en dehors des agglomérations (...). Les auses de cette
dispersion sont connues: mésentente entre villageois ou chefs de familles pour des raisons
d'emplacement du village et des cuitures coutumières, fétichistes, perte & liautmité des chefs
et désir d'indépendance des individus"'97. Mais les regroupements forcés de villages ont
commencé par détruire ce qu'es? le village chez les Shamaye: un lieu de mémoire commun
auquel s'identifient toutes les familles qui ont librement choisi d'y vivre sous l'autorité dlm
chef qui est regardé comme un "père" commun.
3.1.2.2 Les différentes formes de contraintes
L'impôt est par exceIIence le symbole de la domination des Blancs sur les autochtones.
La levée de l'impôt sur un territoire mesure le degré de l'influence politique de
l'administration coloniale sur ses habitants. Par exemple en 1945, sur la terre autonome du
Bouéni, c'est-à-dire chez les Shamaye, il y avait 1 609 hommes et femmes imposables sur une
population totale de 2 981 habitants1" dont 1005 garçons et filles non imposables car "la terre
du Bouéni est celle où les enfants sont le plus Le nombre de pemmes
imposatiIes étant très fort en pays shamaye, peut-on alors dire que i'influence coloniale y est-
elle aussi trés forte, et qu'elle commence à saper la culture locale?. En entrainant la diffusion
et la recherche du numéraire, I'impôt introduit de nouveaux comprternents chez les
Shamaye, ceux qui ont des filles à donner en mariage n'hésitent plus a exiger qu'une bonne
partie de la dot soit payée en argent. Toujours sur le plan social, la collecte de I'impdt a brisé
l'espace traditionnel car les lieux de vie anciens ont ét6 soit détruits, soit déplacés suite aux
regroupements.
L*~égion da Adoumag rapport politique armée 1949, p.20. Une amiotatim fiate à la main sur la même page dit d: "les changements de chefs sont aussi me cause de scission importauteu.
'P"Rapport politigue du 2e scmarc 1946 de la Subdivision de Makokoq mes non numerotées). Archines N a i d e s du Gabon, seaiou a f f h h politiques.
lgPIbid.
La justice coloniale est la dernière forme de contrainte que nous allons analyser. La
mise en place des unités territoriales de contrdle a été suivie par celle de l'appareil judiciaire
coionid. Dew formes de tribunaux ont remplacé ou cohabitent avec les anciennes formes de
justice. Ce sont les tribunaux de premier degré et les tribunaux coutumiers. Le tribunai de ler
degré ou tri'bunal de paix a des attributions correctionnelles et il relève du droit français; les
fonctions de juge sont remplies par le chef de Ia subdivision ou de district. Les tribunaux
coutumiers sont placés sous l'autorité des chefs de cantons. Ainsi A Makokou, Ie tribunal
coutumier Bakota-Shamaye est créé par arrêté n.80/APS du 121111 9 5 0 ' ~ . Les cornpetences de
ce tribunal se limitent aux litiges "relatifs aux biens et aux modifications de Ia propriété au
droit commercial". Nous avons personnellement du mal A comprendre, telles qu'ainsi
fonndées par l'administration coloniale, les compétences de ces tribunaux coutumiers. Par
exemple, de quel droit commercial autochtone s'agit-il? En réalité ces tribunaux ne
fonctionnent jamais (étant donné la mainmise de la justice française sur toutes les questions
concernant les autochtones). Ils ne peuvent le faire que s'ils empiètent sur les compétences du
tribunal du premier degré sur les questions comme les mariages et les divorces. A l'ère
coloniale, la seule justice effective est donc celle des Blancs qui a contribué ainsi a l'érosion
progressive du schéma d'autorité qui prévalait jusqu'alors en matière de régulation de i'ordre
social. Les questions comme le divorce qui, chez les Shamaye, se règlent d'après les
mécanismes traditionnels très précis, sont désormais portées auprks du chef de subdivision
qui les traite avec sa sensibifité de Français et une totale ignorance des usages locaux.
3.1.3 L'introduction de l'économie monétaire
La pénétration des cultures commerciales en pays shamaye fut tardive. Sept ans avant
i'indépendance, l'administrateur F. Lafont parle encore de bâtir l'économie de sa
circonscription autour du café, du tabac et du cacao. "Les possibilités de la région valent
d'être utilisées" écrit-il, "le cafë, la kola, le tabac et le riz pourraient fadement y être cultivés
avec En i'absence des cultures commerciales c'est le îravail saiarié qui a apporte le
numéraire en pays shamaye. La main-d'oeuvre spécialisée wmprennait les maçons,
charpentiers, briquetien202, chauffeurs, forgerons, et scieurs. A Makokou, dans les années
zoo Rapport politique muée 1952 du Met de Makokou, 48 p., p.38. Archives de la préfixme de Makokou.
"Région des Adoumas, rapport politique mutée 1949", p. 16. "Rapport politique ami& 1952 du district de Makokou", p.26.
1950, le salaire moyen du manoeuvre dans une entreprise privée était de 45 francs la première
année et de 50 francs la deuxiéme, plus les primes. L'ouvrier spécialisé gagnait de 80 à 100
fiancs par jour. Dans l'administration, le manoeuvre était payé 35 h c s par jour, le chauffeur
de 150 à 250 k s par jou?. Le pouvoir d'achat dans les années 19M est trés fible
même si le seul exemple qui va suivre ne pourrait pas sufire à le prouver. En 1952 un
Shamaye a versé 79 275 francs pour doter une femme au village Bakouaka a Iblakokou204.
Pour un manoeuvre qui gagne 35 fiancs par jour, cette somme wrresponQait a plus de six ans
de travail pour réunir une dot Ce phénomène (la recherche de I'argent) va pousser les jeunes
Shamaye à s'exiler loin du pays dans les chantiers f o r d e p . Dans les années 1950 ont
débuté les migrations de travail ou mgashOq Rares sont nos informateurs qui n'affirment
pas être allés travailler dans l e s chantiers de coupe de bois enme 1950 (année de I'aprés-guerre
ou l'exportation de l'okoumé amorce son boum) et les années qui ont suivi l'indépendance. Les
destinations principales sont Ntshelé, appellation shamaye du bas Ogooué (Ndjolé-
Lambaréné-Port-Gentil), et les chantiers situé dans la région de Poungou, nom shamaye de
Libreville. Avant de donner Ia parole i un acteur des migrations de travail, citons le
témoignage de Pourtier
Jusque vers 1960, les lieux de l'exploitation ont été confinés dans le bas Gabon vers lequel Ies besoins en main- d'oeuvre ont onenté un courant constant de migration. Au cours de la période coloniale, des dizaines de milliers d'hommes ont pris Ie chemin des chantiers de la côte, volontairement ou sous la contrainte. Le fonctionnement de l'espace-Gstbon s'est alors trouvé entièrement subordonné: à un dispositif qui mit les "régions réservoirs" de l'inikrieur au service d'un espace économique confondu avec l'aire de flotiabiiité iles boisx7.
Tappcnt politique armée 1952 du district de Makokouw, p28. Jugement de divorce n.1, miunal du premia dkp! & Makokoq 2 p.. Makokoq le 6 janvier 1970.
Archives de la préfeame de Makokoa Les c W ? k que domit Porrrtier sur I'Ongme régionale des travailleurs dam m e subdivision parient
d'eux-mêmes. En &% en 1939, dans les chantiers forestiers du Chinchoua, il y avait 690 travaineurs vernis ch WoI-Ntem, 670 du Djouah (fimn OgoouéIvmdo) et I 118 mmiiiearrs venus & la circonscription des Adoumas (fuan Ogooué-Lolo). Voir Roland Pointier, Le Gabon r 2. Érar et developmenr, Paris L'Harmatrsm, 1989,342p.. p. 176.
' 6 6 ~ e f c r m e e s t m e d é f ~ ~ s h a m a y e & v e r b e ~ w ~ 1 e n g a g a " . Lelecteurcornpraiddoncici qneianotionremvoie~uncootratde~.
'O7 Pomier, L., op-ciL ~ 2 , p-146.
Laurent Bapendangoye raconte:
J'ai travaillé comme manoeuvre A Lastourville jusqu'en 1949. Après je suis allé à Lambar6né dans un chantier forestier où j'ai travaillé avec un Blanc du nom de M. Tamagne jusqu'en 1951. Je suis ensuite parti travailler chez Delmas B PortGentil de 1951 à 1954. Je suis reparti ii Libreville en 1954 ou j'ai travaillé dans un chantier prks du fleuve Como avec un Blanc nommé Segué. A la mon de ce dernier, le chantier est passé aux mains des Établissements ~ou~ier.'"
Le travail de l'okoumé a donc contribué inîrduire le numéraire chez les Shamaye,
mais les chantiers forestiers ont été, pour reprendre l'expression du gouverneur général Reste,
de grands dévoreurs "Ils furent de lieux de rupture, tantôt temporaire, tantôt
définitive car une fraction de travailleurs n'est jamais retournée au En plus d'avoir eu
une conskquence sociale, le travail du bois a eu aussi une conséquence culturelle énorme: en
tenant Ies jeunes hommes loin de leur pays, les chantiers ont ainsi éloigné des vieux Shamaye
les jeunes qui devaient apprendre et perpétuer la tradition car bon nombre de ces jeunes ne
sont plus revenus au pays. D'autres y sont retournés presque acculturés.
3.1.4 Les éléments de la confrontation idéolopiaue
Nous traiterons ici de la religion et de I'écofe coloniale.
3.1.4.1 Pénétration et diffusion du christianisme chez les Shamave
La décennie 1930-1940 voit la phétration complète du christianisme en pays shamaye
car, à compter de cette date, chaque village shamaye est désormais doté d'un catéchiste.
Quand de Brazza remonte l'Ogooué et fonde le poste de Madiville, il est accompagné des
péres Bichet et Devazac qui ont choisi l'emplacement de la future mission a un kilomètre en
aval du poste. La mission Saint Pierre Claver est fondée en mars 1884. Mais onze ans après sa
Récit de vie de rilinmt Bapendangoye, 74 anq Shamaye, Pln<gou, Bmberabiyoko, décembre 1993.
209 G. G. Reste, cité par Pourticr, R., op.& L 2, p. 173. ''O Ibid ., p. 1 77.
création, c'est-à-dire en 1895, le personnel de la mission de Lastourville se limitait à six
personnes, c'est-à-dire "3 péres et 3 fières, sans action sérieuse sur le pays"2". En effet, depuis
IrinstalIation des Blancs à Lastourville, les Adouma avaient maintenu une pression constante
sur eux et singulièrement sur les missionnaires: vols et chavirements du matériel de la
mission et en 1895 assassinat d'un missionnaire. Cévacuation de Ia mission est effective en
1899. Les missionnaires ne reviendront à Lastourville qu'en 1936. A partu de cette date, les
missionnaires parvie~ent chez les Shamaye a "un ou deux jours de marche à l'intérieur où
des chefs de terres ont construit des chapelles, en espérant être servis les premiers"".
A Makokou, c'est-adire a I'entrée nord du pays shamaye, les Peres du Saint-Esprit de
Lyon créent en 1939-1940 une mission sur un terrain appartenant a la S.H.O. A sa naissance,
ta mission compte trois pères et une bénévole. Ces missionnaires semblent s'être
particulièrement intéressés aux Bakota et aux ~harna~e''~. En effet, l'administrateur Noël
Sanquer remarque que "la seule partie du District fréquemment visitée est le ~ o u é n i " ~ ' ~ qui,
comme on le sait, est la terre (autonome) des Shamaye. Dans ce secteur ajoute-il, "chaque
village possède sa chapelle" et le père Klein est devenu le spécialiste des Shamaye et aussi
des Bakota qu'il visite après son séjour chez les premiers cités.
L'évangélisation avait progressé vers Okondja, a l'en* est du pays shamaye, à partir
du sud, c'est-à-dire à partir de Franceville où, après t'évacuation de la mission de Lastourville
en 1899, les missionnaires avaient crée la mission Saint Hilaire. A partir de 193oY5, chaque
village de la subdivision d'okondja est doté d'un catéchiste, mais la fondation de la mission
Christ-Roi dOkondja n'interviendra qu'en 1948 et sera i'oeuvre de deux priitres. Ainsi, sans
risque de se tromper, les années 1930 marquent les débuts de la prise de contrôle effective et
totale des missionnaires sur le monde shamaye. Ceci a pour conséquence la destruction de la
culture locale. Et d'ailleurs, à partir des années 1930, est menée l'occupation effective du
territoire, qualifiée par Perrois C'une époque de persécutions religieuses""6 des Shamaye et
des autres Kota Elle s'est traduite par la destruction des "idoles" religieuses. Mais la tâche ne
2st~loyse Hee, "Les Adouma du Gabon", in Missions Carholiques, n.3293, (les novembre 1938), p.463.
2'2 lbid, p.495. "Rapport poIitique année 1952 du district de Makokou"., p.35.
'14 Ibid. '" En 1939, le nombre de personnes baptisées atteint 8.003 à Okondja, voir Jean Lepebe, Occupation
coloniale fiançaise dam le Haut-Ogooué (Gabon)188û-1946, mémoire de Maîtrise en Histoire, Li'breville, Universitd Nationale du Gabon, 1985,216 p., p. 150.
'16 P m i s , L., "L'art Kota-mahmgw6", p. 16.
sera pas facile à cause de l'attachement des Shamaye il leun "fétiches", pour reprendre la
teminologie des hommes d'église.
3,1,4,2 L'écoie coloniale
De 1930 à 1960, quatre écoles sont créées en pays shamaye. D'abord l'école laïque du
poste d'okondja est fondée en 1935, ensuite l'école catholique de Makokou en 1939-1940.
Puis deux écoles sont directement implantées dans deux villages shamaye entre 1949 et 1952.
Ce sont l'école privée catholique de Malanga et I'école publique de Bakouaka. Ces deux
écoles, placées dans des villages shamaye, deviendront des symboles: en effet I'école de
MaIanga, village situé ii l'époque sur la terre Lecoudi, deviendra la première école du canton
Leyou; celle de Bakouaka sur la terre (sharnaye) autonome du Bouéni sera la première école
du canton Mouniangui.
En 1953, l'école catholique de Malanga compte 43 élèves au total. Celle de Bakouaka
l'année suivante en compte 134 sur une terre de plus de 3000 habitants2". Les Shamaye,
semblent4 ne sont pas assidus à Itemle. On peut trouver une explication à ce phénomène. En
effet, Jean-Marie ~oulakou"~, un des premiers élèves de I'écote de Malanga (il y fut inscrit
en 195 1) nous a dit que ces deux écoles n'avaient que deux classes, c'est-à-dire le cours
préparatoire première année (C.P. 1) et le corn préparatoire deuxième année (C.P.2). Or à la
fin du C.P.2, il fallait partir en ville pour suivre les quatre années restantes. Mais ceci n'était
pas toujours une perspective heureuse à cause de l'éloignement. Bakouaka, est par exemple,
situé à près de 120 kilomètres de Makokou et Malanga est a 65 kilomètres de Lastourville. On
comprend donc que les Shamaye, dans les années 50, parents et enfants confondus,
manifestent un engouement pour I'école au début de l'année, mais cet enthousiasme tombe
très vite au début des cours. Il a souvent fdlu que l'administration coloniale envoie un garde
pour ramener les élèves à I'école. Dès cet instant, personne ne pouvait plus s'en sousaaire.
Lécole apporte de nouvelles formes de pensée qui commencent ê éloigner les jeunes
Shamaye qui la fréquentent de la tradition.
2 ' 7 n ~ p ~ n politique année 1952 du district de Makokou", p.44. 2'8~ean-Marie Modakoq Shamaye, 56 ans, Njobi, m e u r civil en r d t e , entretien du 04-12-
95 a L i m e .
3 3 Le voisinage ethniaue et l'arrivée des cultes nouveaux
La colonisation n'a pas été (ou n'est pas) seule responsable des changements culturels et
sociaux des Shamaye. Les cultes venus de leurs voisins ont une part très importante dans ces
changements. Ce sont Ies cdtes @obi et "mademoiselle".
Ce culte est né entre 1935 et 1943 chez les Obamba du village ûtala au sud d'okondja.
A partir de 1944, le ndjobi se propage a travers tout Ie pays shamaye. En effet, en 1944 il
atteint Okondja. un an aprés, il am-ve à ast tour ville"^ et, quand il arrive à Makokou en 1959,
tout le pays shamaye est touché. Qu'est ce que le Itdjobl? Le ndjobi, du moins a ses débuts, est
comme le "rnademoiseIIe" d'ailleurs, un f&che anti-fétiches pour reprendre la formule de
Miletta Les Shamaye ttappe1Ient aussi Ngoli qui est une déformation de de GaulIe. En effet
dans l'esprit des Shamaye, le n4obi combat les fétiches comme de Gaulle a combattu les
Allemands. Les cibles du ndjobi sont donc les adeptes et les pratiques des sociétés secrètes
ngoye et môngala qui sont toute t'mature de la culture shamaye, ensuite la "magie"
(talismans) pue les gens se procurent auprès des Haoussas et enfin les pratiques exotiques
comme le catholicisme, car les missionnaires européens sont plutôt considérés comme des
magiciens que comme des sauveurs.
Voyons comment fonctionne le culte. Ndjobi est une société secrète, on peut y adhérer
moyennant une somme allant de 25 francs A 50 francs220. Le candidat doit être âge d'au moins
dix ans. Les femmes en sont exclues. Et suivant le degré d'initiation, on prend le titre de
ngmgondjobi ou ceIui mbwandiodjobi. L'initiation consiste à avaler des substances qui
conferent au nouveau membre la puissance d'éteindre un conflit, de déceler toutes les
mauvaises actions, et de faire régner la justice. Mais la phase la plus redoutée par tout
candidat est la confession. En effet, l'initiation, qui se dérouie dans un camp secret permanent
appelé ndongui, consiste aussi (et surtout) B se confesser auprès d'un "prêtre". Le candidat est
219 Georges Dupré, Un orcire el sa destruction, Paris, O.R.S.T.O.M., 1982,446 p., ~ ~ 3 5 4 . Ce sont i i les sommes des minées 1940 ik 1%0, & nos jours i'initiatin au @obi daaande de
milliers de h c s .
assis en face du prêtre, entre les deux, il y a le fëtiche Rob0 symbole du *obi . Le candidat
révèle dors B l'officiant ce qu'il a commis comme vols, crimes et surtout ce qu'il détient
comme talisman ou reliquaire. S'il ment, il est pris d'un malaise qui dure jusqu'k ce qu'il dise
la vérité. C'est comme ça que les Shamaye ont kté amenés à livrer A la secte @obi tout ce
que chacun détenait comme reIiques (mate) ancestrales religieuses et a saper les fondements
de toute une culture. L'oeuvre de destruction de la culture sharnaye par Ie ndjobi est attestée
par les sources écrites-Voici ce qu'écrit l'administrateur N. Sanquer en 1952:
Le monofétiche N'Djobi sévit en milieu Shamaye. D'après les Shamayes, N'Djobi a remplacé MomgaIa devenu dangereux et mauvais fétiche. D'après eux, NDjobi aurait rétabli le cdme dans le pays. II aurait été accepté des Shamayes pour mettre un terne aux méfaits du fétiche Moungala ...N'Dj obi interdit le vol. Au Bouéni (terre autonome des Shamaye), un voleur ne peut jouir de ses rapines; il tombe malade et ne sera soigné qu'après avoir passé des aveux'2'.
Le ndjobi étant une marque de volonté de puissance, les administrateurs et
missionnaires s'y opposèrent à ses débuts; ainsi l'entrée à l'église et la réception A l'eucharistie
furent interdites aux adeptes du ndjobi. Les emprisonnements étaient frt5quents. Les Shamaye
qui profitaient de leur éloignement pour s'initier à ce culte étaient tout de même surveillés.
Voici ce qu'a écrit le chef de district P. Lakomski en 1950: "Certains bruits étaient revenus au
chef de distn'ct d'après lesquels dans le Bouéni, le Ndjobi redeviendrait actif et même
bruyant. D'après quelques renseignements 1e chef de canton Mandjembé serait le grand maître
du mouvement. Ce dernier a reconnu sans qu'on le lui ait demandé qu'il était affilié depuis
quelques temps pour pouvoir suivre le développement de cette secte."222
Mais très vite, le ndjobi, qui s'&tait dom6 pour mission de combattre Les féticheurs et les
sorciers, allait lui-même verser dans la sorceIlerie. Beaucoup de griefs étaient faits A l'endroit
des Shamaye initiés au ndjobi: ~ u e r i e s ~ , empoisonnements, détention des ossements a des
U'"~apport politique aunée 1952 du district de Makokou", pp.3 1-32. " Rapport â'informations poiiîiques, n.12, 2 p., p.2. Makokou, Avrii 1950. Archiva de la préfecture
de Makokou. " A ce aijet I'sdministratein-&.oint Fanaed lmbert chef du district de Makokou croit que le meutre de l'ex-interprète Ndanga en pays shmmye est imputable pour une bonne part à I'iufluence de m e secte qui a voulu par la Supprimer un gêneur, cf. "Rapport politique du Icr semestre 1942 du M c t de Makokou", 25 p., p.6. Archives de la préfectiire de Makokoe
fins maléfiques et surtout manipulation de la justice. À ce sujet voici ce que nous rapporte un
gendarme shamaye:
Quand on cherche A départager deux personnes en conflit, on a recours A l'arbitrage des initiCs au ndjobi. Or, leur moyen de rendre la justice consistait (et consiste encore) à trancher la tête de deux poules ou coqs représantants les deux antagonistes. La poule ou le coq qui arrêtait complètement de bouger le dernier disculpait celui qu'il (ou elle) représentait. Celui ou celle qui a cessé de bouger le premier inculpait son propriétaire. Or pour condamner une personne de leur choix, les bangunga bandjobi, principaux exécutants de l'opération, n'hésitaient pas a briser les côtes du coq ou de la poule de leur choix pour que celui-ci (ou celle-ci) succombe ra idement, condamnant ainsi celui qu'il (ou elle) reprdsentait. g.4
Ainsi, devenu lui-même un fétiche aussi nuisible que ceux qu'il était venu combattre, le
@obi et ses membres seront à leur tour durement combattus par un autre fétiche anti-
sorcellerie: "le mademoiselle".
3.2.2 Le culte "mademoiselle"
Les traditions shamaye sont unanimes, le culte "mademoiselle" est d'origine mahongwb
et ce sont les Mahongwé de Mekamb au nord-est du Gabon qui l'ont introduit chez les
Shamaye. Les sources nous permettent de constater qu'il y a eu deux phases de pénétration du
culte "mademoiselle" chez les Sharnaye. La premiére phase qui se situe entre 1954 et 1957 a
vu le culte se répandre au nord du pays shamaye, c'est-à-dire entre Makokou et Okondja La
deuxième phase, qui va de 1964 au début des années 70, est celle ou le culte s'est d i M au
sud, entre Okondja et Lastourville.
Le culte "mademoiselle", spécialisé dans la recherche de la sorcellerie, est une sorte de
mouvement syncrétique qui emprunte de nombreux éléments au christianisme. Ses principaux
symboles sont d'ailleurs de I'eau bénite et la croix que 1'0fficiant~~' trace au sol lors des
liturgies. Contrairement au ndjobi, Ie "mademoiselle" n'a jamais dévié de sa ligne et son
224 Récit de vie de Zachatie Mouwarsi, Shsnnaye, Shanjambi, 43 ans, gendarme, Li'breville, décembre 1993.
225 Les Shianaye désignent ces officirmts par "potrem qui est une déformation d'ap6tre.
adon f i t efficace: destruction systématique des reliques et des camps secrets des connénes
initiatiques et surtout i'obligation faite aux membres des societts sed ies d'exécuter en public
les phases dangereuses de toute initiation afin d'en détruire le caractère secret et dangereux.
Cest airisi que les femmes, les enfants et les non-initiés ont pu voir certauis rites des
confiéries môngala et ngoye qui jusque-là étaient ultra-secrets.
Voyons dans les détails la diffusion de "mademoiselle" chez les Shamaye. Cest te
Mahongwé Pascal Zoaka qui a introduit le culte "mademoiselle" au nord du pays shamaye.
Originaire de Mekambo, Pascal Zoaka est un ancien combattant qui à son retour au pays
anime avoir eu une illumination: une "demoiselle" t e s belle (est-ce la Vierge?) lui est
apparue en songe et lui a confié le pouvoir et la mission de supprimer la sorcellerie dans son
pays226. Parti de Makokou, Zoaka et son équipe traversent le pays shamaye jusqu'à Okondja
entre 1954 et 1957. Après toute une nuit de danse dans chaque village, on devait extraire des
caches les fioles de poison, les objets fétiches servant à envoûter et les reliques du bweié avec
les sculptures rituelles. Cest à cette époque, nous dit Perrois, que la plupart des derniers
spécimens d'art plastique bakota et shamaye ont dispam, brûlés ou jetés dans les rivières".
Zacharie Mouwatsi U8 nous dit comment le "mademoiselle" est anivé au sud du pays
shamaye: C'est un Shamaye nommé Yamono, du village Youlou, qui est allé chercher un
prêtre de "mademoiselle" du nom de Ngoutou, un Obamba du village Idjiba près de Mounana
entre 1964-65. Yamono était lui-même un initié au ngoye, mais a cause de ce qu'il a subi
comme souffrances au cours de son initiation, il a décide d'introduire le culte "mademoisellet'
à Youlou. Les Shamaye de ce village ont été les premiers dans le canton Leyou à s'initier à ce
culte. L'initiation au "mademoisellen était alors une sorte de baptême: Ngoutou mâchait
d'abord quelques grains secs de maïs qdil répandait ensuite sur la tête du candidat; enfin il
l'aspergeait de I'eau bénite sur la tête. A Youlou, Ngoutou ne s'est pas contenté uniquement
des baptêmes. Il a demandé qu'on ferme définitivement le camp de la codkérie *obi du
village appartenant à un certain ~ a t p ~ . Enfin Ngoutou a exigé qu'on sorte à la cour du village le "monstre" mongoundou, symbole de la confkérie môngola, pour qu'il soit vu par
tous. C'etait-là un touniant car, pour la première fois, les femmes, les enfants et tous les autres
non-initiés l'ont découvert A partir de cette date l'initiation à la confrérie est devenue
publique.
O6 Perrois, L., "La c i r c o n w , p.3 7. Zn Ibid 228 Mouwaîsi, 2.. op.ci& P9 Tout membre du ndjobi qui a ia relique kobo, symbole de ce cuite, peut ouvrir un camp qui servira
& support a toutes les activités de la "um&éien qu'il prés~dcra Il en est de même de ngoye.
Aprés Youlou, le deuxième village shamaye du canton à recevoir la visite de Ngoutou a
été celui de Boundjoukou. C'est un village bi-ethnique car il est composé des Shamaye et des
Shaké. Ngoutou y a détruit Ie fétiche kobo de la secte ndjobi Il s'est ensuite dirigé a
Bamberabiyoko, un village shamaye-ongom. Ngoutou y a détruit un autre kobo. Arrivé dans le
camp secret qui appartenait à un certain Njongomoy il a dit à ce dernier en voyant son
fétiche: "ceci est un sexe féminin, tu le sais parfaitement pour l'avoir prélevé toi-même sur un
cadavre de femme après son enterrement Tu as introduit ce sexe dans ton naobi pour que ce
dernier devienne plus fort". Ngoutou est ensuite allé chez les Shamaye du village
Ndzokaioundza. Là, il a exigé qu'on exécute en public l'épreuve n~endè'~', la plus redoutable
de la confkérie secrète ngoye. Ce hb fait par le villageois Poutoupoutou. À partir de ce jour,
cette étape de l'initiation se déroule au village. Toujours a Ndzokaloundza, Ngoutou a dit aux
habitants qu'une personne d'un haut rang social venait de mourir dans leur village et que les
initiés au ngoye ont prélevé son crâne. il a cité le nom du défunt, ce qui a fini par convaincre
les plus sceptiques. Les Shamaye ont prié Ngoutou de ne pas annoncer l'identité de ceux qui
ont prélevé le cnke de peur que le village Ndzokaloundza se disloque. Le prêtre s'est dirigé
ensuite a Bangadi, sa dernière étape chez les Sharnaye. Le camp de ndjobi de Bangadi qui
appartenait au vieux humbinéné fut détniit. Ensuite Ngoutou pria un nommé Libadi de lui
apporter I t fétiche mbishu, de la confrérie ngoye, qu'il détenait. L'élément principal de ce
fétiche a été le sexe d'un homme. Pour convaincre tout le monde, Ngoutou a révélé l'identité
de ta victime: ce sexe, leur a t-iI dit, appartenait 6 un certain Liyoka.
On peut donc retenir que le ndjobi a ses débuts et surtout le "mademoiselle" avaient
pour ambition d'assainir la vie sociale. C'est vrai que des fëtiches ont été détruits et des phases
dangereuses des initiations jusque-là secr6tes furent simplifiées et exécutées désormais en
public, mais cela n'a pas fait disparaître les sociétés secrètes. Bien que diminuées, elles
agissent désormais avec beaucoup de discrétion. On peut aussi regretter l'amalgame qui a été
fait par les dirigeants du culte "mademoiselle". Dans sa croisade, le "mademoiselle" n'a pas, à
notre avis, fait fa distinction entre ce qui était mauvais et ce qui ne I'était pas. C'est vrai que
chez les Shamaye il y avait forcément de mauvais "fétiches", mais les reliques familiales
(mare) n'étaient pas à ranger dans cette catégorie. Elles concouraient au bienetre et à la
protection de la famille. On ne peut que déplorer leur destruction aveugle ainsi que celle des
sculptures shamaye très originales qui les accompagnaient. Cette double perte a conduit a
Nous expliquerons cette épreuve dans le chapim sur les initiations.
affaiblir les Shamaye sur le plan spirituel et sur le plan c u l m l par la disparition des objets
d'art qui étaient l'un des éléments les plus significatifs de leur identitk
3 3 Les effets de la politique contemwraioe
Nous traiterons ici du travail minier, de la folklorisation de la culture et des
regroupements politiques des villages.
33.1 Le travail minier
Quand le Gabon accède a la souveraineté internationale le 17 août 1960, il entre
simultanément dans ce qu'on appelle le cycle minier et pétroIier (par opposition B l'ère de
l'exploitation forestière coloniale). Mais seuI nous intéresse ici le cycle minier. Quels sont les
effets du travail minier sur la culture ou la société shamaye?
Le travail des mines qui nous intéresse est celui de l'uranium et du manganese. En effet,
le Gabon exporte ces deux minerais pour la première fois respectivement en 1961 et en 1962.
Mais pour comprendre les effets de i'exploitation minière sur les Shamaye, il faut rappeler la
position géographique des mines d'uranium et de manganèse et l'origine des travaillem. Ces
deux mines sont toutes situées dans la province du Haut-ûgooué. Les mines de manganèse
exploitées par la Compagnie minitre de l'Ogooué (Cornilog) sont situées a Moanda; a vingt
kilomètres a l'ouest de celles-ci se trouvent les mines d'uranium de Mounana qu'exploite la
Compagnie des mines d'uranium de Franceville (Comuf). Or l'essentiel de la main-d'oeuvre de
ces mines, hormis les ressortissants de la province, vient de la province voisine de l'Ogooué-
Lolo et surtout (ce qui est très important) du canton ~ e ~ o u ~ ' c'est-à-dire le sud du pays
shamaye. Le phénomène qui s'est produit avec Its pères lors des migrations de travail de l'ère
de l'exploitation forestière va se relayer avec les fils à travers l'exptoitation minière. Aux
migrations du sud vers tes chantiers forestiers de la cote vont succéder celles de direction
opposée, c'est-à-dire de l'Ogooué-LoIo vers le Haut-ûgooué. Le risultat est que les villages
sharnaye vont se vider de leurs éléments jeunes et dynamiques. A partir des années 60, les
jeunes Shamaye dans leur majorité (et ceci peut expliquer en partie les problèmes de ce
groupe aujourd'hui au niveau de l'intégration socio-politique) abandonnent les études et se
ruent vers les mines où la main-d'oeuvre est recherchée232. Ce qui est plus grave, c'est que ce
départ est parfois définitif malgré la proximité du village d'origine. Ceci a conduit à la
modification, bien que peu perceptible, de l'habitat shamayeu3.
Quels sont les autres effets du ûavail minier? Le Gabon a la chance d'avoir les salaires
parmi tes plus élevés en AiYique et, chose rare sur le continent, les travailleurs gabonais
bénéficient d'un salaire minimum garanti, le fameux SMIG. En 1985, il est de 44 000 francs
cf& contre 40 000 francs cfa un an avant. Le SMIG a augmenté régulièrement de 14 % par an
pendant la période 1978-1984? Ceci veut concrètement dire que chez les Shamaye, on voit
le passage de la richesse des pères aux fils. Ceci occasionne une certaine indépendance
(relative tout de même car c'est souvent chez le père que le jeune Shamaye va cacher son
argent; le père se transformant en une sorte de banquier qui peut influencer les choix de son
fils) des derniers vis-à-vis des premiers. Pour les questions de dot par exemple, les fils ne
s'adressent plus aux pères que pour la recherche du supplément a ce qu'ils ont gagneL3'.
Mais le travail minier n'a pas eu que des effets négatifs. Il a été indirectement à l'origine
de la prise de conscience politique des Shamaye qui a conmbué a renforcer leur identité.
Expliquons-nous. En 1984, les Shamaye, les Ondasa et les ûngom créent à Mounana une
association à caractère ouvertement ethnique. Elle regroupe les ressortissants des ethnies que
nous venons de citer, originaires du canton Leyou et travaillant à Mounana Pourtant dans le
même canton habitent les Bandjabi, une ethnie du groupe Durna; mais le lecteur aura
remarqué que cette association ne regroupe que les membres des ethnies kota, donc des
parents ethniques qui réaffirment ainsi leur spécificité et la divergence de leurs intérêts face
aux Bandjabi. L'année suivante, une "antenne" est ouverte à Moanda pour ceux qui travaillent
dans les mines de manganèse. Cette association est nommée ikokou, c'est-à-dire "le cailloutt.
Mais on doit plutôt comprendre "coffre-fortt1, puisque l'association a pour vocation de
recueillir les cotisations mensuelles de ses membres afin d'avoir en permanence des liquidités
" Paul Maléhou un retraité de la Comuf avoue qu'il n'est jamais allé à l'école; cf., P d Malébois Shamaye, Ombela, 56 ans, notes prises le 7 juin 1996 a Mounana
233 C'est le cas par exemple de Paul Maléhou, entre autres, qui, après avoir pris sa retraite, décide de ne pas retourner à Malanga On retrouve ces "transfiigesn shamaye au quartier dit "Silencem a Mounana
Marc Aicardi de Saint-Paul, Le Gabon du roi Denis à Omar Bongo, Paris, Albatros, 1987, 183 p., p. 127.
Malehou nous dit par exemple que seule sa première femme a été dotée par ses parents. La deuxième+ Jacqueline Dègnodouqu'il a épousée eu 1965 a été dotée par le fruit de son propre travail. Nous perwns, pour notre part que Maldhou exagère un peu car un Shamaye a beau être riche, il ne r e m jamais le concours de sa f d e en pareille Circonstimce.Voir au chapitre suivant quand nous traiterons des pinvoyeurs de la dot.
pouvant permettre à la communauté de porter secours a ua des adhérents. La situation était à
peu près a ce point en 1989, année de la restauration du multipartisme. Pour préparer les
éIections législatives de l'année suivante, les Shamaye et Shaké, Ongom et Ondasa de
Libreville, où une autre antenne venait d'être ouverte, vont transformer celle-ci en une tribune
de revendication politique. Mais ils seront incapables de soutenir un seul candidat. C'est la
scission: les uns pensent qu'il faut s'ailier avec Ie parti au pouvoir, &autres pensent qu'iI faut
plutôt soutenir le candidat de l'opposition, qui était justement un Shamaye, Jean-Marie
Moulakou. C'est donc divisée que leur communauté est allée aux élections, chacun votant
pour le candidat de son choix.. Voila les changements sociaux occasionnés par le travaii
minier.
L' un des griefs qu'on peut formuler à l'endroit du pouvoir pst-colonial, à partir de
1968, est de s'être servi de la culture nationale comme un simple instrument de propagande
politique. En effet, sous le prétexte de faire disparaître les vieux démons que sont le
tribalisme et le régionalisme et, afin de regrouper tous les Gabonais, quelle que soit leur
origine ethnique et leur ancienne appartenance politique, dans un seul parti poIitique dit de
masse, le monopartisme est institué à travers la création du Parti Démocratique Gabonais
(P.D.G.), le 12 mars 1968. Ce parti se veut ainsi être "le creuset de l'unité nationale". Mais,
curieusement, les référents ethniques que les autorités se sont donné Ia mission de combattre
vont être appelés au secours de la propagande du parti à travers la contribution des femmes.
Ainsi, les aspects féminins de la culture shamaye connaissent des mutations jamais vues. Le
rite ishembwu qu'on exécute uniquement pendant l'initiation des jeunes femmes et lors du
retrait de deuil des membres de la confiérie du même nom est désormais un élément
d'animation politique, Plus grave encore, les chansons ritrielles vont se trançformer en
chansons politiques; ainsi même quelqu'un qui ne comprend pas la langue osamayi entendra
désormais les termes "P.D.G-Nouveau", pour ne prendre que ce seul exemple, à l'intérieur des
chansons rituelles.
Ce même pouvoir a curieusement proclamé au niveau individuel le retour aux sources,
c'est-à-dire à la culture et aux traditions, une fâcheuse manière de vouloir replonger dans une
sorte de "vie précoloniale." Qu'estce que te retour i Ia tradition quand iI nl a pas une
politique qui fait 1a promotion des minorités livrées a elIes-mêmes? Qu'est-ce que le retour
aux sources quand la scolarité obligatoire de 6 à 16 ans (ce qui en soit est une bonne chose)
ne permet pas à i'enfant de rencontrer A l'école un embryon d'enseignement culturel? Le
problème du retour à la tradition doit être posé autrement car chaque bon Gabonais conndt le
minimum de sa culture (encore que nous ne sommes pas ici face ;i un élément quantifiable).
L'important est donc de savoir comment sauver cette culture au lieu de la dénaturer en
l'utilisant à d'autres fins comme cela l'a été avec la culture féminine shamaye et le rite
ishembwu.
3 3 3 Les eonséuuences des regrou~emenis ~olitiaues des villaees
Depuis la période coloniale jusqu'en 1990, le Gabon connaît deux formes de
regroupements de villages: les regroupements temtoriaux et ceux essentiellement politiques.
Les premiers sont l'oeuvre des colons et nous savons les raisons administratives, politiques et
économiques qui les ont motivés. Ces regroupements territoriaux ont été poursuivis par Ie
pouvoir pst-colonial pour des raisons d'ordre social, notamment la multiplication des écoles
et la création des unités sanitaires, c'est-dire les dispensaires. Mais les regroupements qui
nous intéressent ici sont les regroupements politiques contemporains qui ont pour effet de
saper encore un peu plus ce qui restait du fonctionnement de la justice et de l'organisation
sociale traditionnelles shamaye.
Au milieu des années quatre-vingts les autorités instaurent une autre unité
administrative: le regroupement politique. Celui-ci comprend au moins deux viIlages; ainsi
entre les chefs de villages et du canton, il y a désonnais le chef de regroupement qui a
d'ailleurs récupéré les pouvoirs qui jadis étaient dévolus au deuxième cité. Les problèmes
familiaux sont désonnais portés chez le chef de regroupement. Un exemple: en 1993 pour un
problème driéritage, Antoine Ngoulou et son cadet Laurent Bapendangoye entrent en conflit.
L'aîné décide de porter l'affaire devant le chef de regroupement. Mais le cadet refuse et veut
s'en remettre à l'arbitrage de leur pèrem MoPse Njoubou car, estirnetil, les deux fières
Ndombangoye et Iyendzengoye respectivement géniteurs de Ngoulou et Bapendangoye n'ont
jamais porté leurs difFerends devant une quelconque cour. Cet exemple à lui seul démontre et
résume parfaitement le désarroi du systéme judiciaire shamaye contemporain. En effef
2~ Il s'agit ici d'un phe socid, pour plus & compréhension voir, au chapitre suivant, la notion de père chcz les Sbamiye.
tiraillés. entre les instances judiciaires administratives, les Shamaye veulent encore résoudre
leurs problèmes familiaux dans un cadre traditionnel définitivement fragilisé.
Conclusion
Nous aimerions conclure ce chapitre par le commentaire de quelques dispositions des
textes législatifs et du Code civil gabonais qui, elles aussi, introduisent petit à petit des
changements chez tes Shamaye. C'est le cas par exemple de la suppression de la dot. En effet,
la pratique de la dot, idoubou, est interdite au Gabon par la loi n.20/63 du 3 1 mai 1963, c'est-
àdire trois ans a peine après l'indépendance. Mais il faut dire que cette loi qui prévoit
pourtant des peines d'emprisonnement pour ceux qui versent ou perçoivent la dot est mise à
rude épreuve car une forte résistance s'est organisée contre celle-ci. Ainsi les Shamaye, à
l'instar de la majorité des Gabonais, emploient encore la dot; les hommes continuent
allégrement à doter leurs épouses et les parents reçoivent sans aucun scrupule cette dot, sans
qu'aucune sanction soit appliquée. La permanence de la pratique de la dot prouve a
suffisance que le législateur gabonais, en interdisant la dot, n'a pas tenu compte des réalités
locaIes et a voulu simplement copier le droit français.
D'autres changements interw-ennent au niveau de la filiation. Exposons d'abord quelques
articles du Code civil qui organise celle-ci:
Article 391 : L'enfant conçu ou ne pendant le mariage de ses auteurs est légitime; il a pour pire le mari de sa mère, même si le nom de ce dernier n'est pas indiqué dans l'acte de naissance et quelle que soit la manière dont la filiation maternelle est établie; Article 393: N'est pas légitime, l'enfant né plus de 300 jours après la dissolution du mariage ou né après le jugement déclaratif d'absence du mari de la mère237.
Que veut dire tout ceci? Que les autorités gabonaises post-coloniales ne reconnaissent
plus que la filiation fondée sur la seuie paternité effective. Or quelle est (ou était) la
réglementation shamaye en la matière? Pour les Shamaye, c'est la dot qui confere la légitimité
237 Code civil. Première Partie Loi N. 15/72 du 29 juillet 1972, Libreville, Direction générale des publications onicieiies, I23p.
de l'enfant. Ceci veut dire que I'e-t sshamaye est légitime non pas parce que c'est son père
qui est son géniteur biologique, mais parce que sa mère est dotée. Concrètement, ceci
voudrait dire, en prenant quelques exemples, que si un neveu (ou un cadet) a une relation
coupable avec la femme de son oncle et qu'il naisse un enfat, ceiuici n'appartiendra pas au
neveu mais à l'onde. Autre exemple, si après une absence d'une durée indéterminée de la
femme, son ex-époux n'a pas toujours obtenu le remboursement de sa dot, tous les e-ts qui
naîtront d'une union de cette femme avec un ou d'autres hommes appartiennent à son premier
époux jusqu'au remboursement de sa dot La légitimité d'un enfant sharnaye n'est pas donc
basée sur le sang mais sur d'autres valeurs sociales et singulièrement la dot
Toute cette législation pst-coloniale constitue autant d'éléments qui, à leur tour,
introduisent progressivement de nouveaux comportements chez les Sharnaye.
CHAPITRE 4 : PARENTÉ ET ALLIANCE CHEZ LES SHAMAYE
La seule cellule sociale connue dans toutes les races qui peuplent le Département de I'Ogoouk-Ivindo est la famille dtendueu8.
Le mariage coutumier devant le Chef de Canton est de pratique courante. A cette occasion est délivré un document contresigné par le Chef de District mentionnant la nature et le montant de la
La première partie de ce chapitre est consacrée a l'analyse du fonctionnement de la
parente Iignagkre. Nous commencerons par définir la notion de lignage, v é h b l e clé de voute
de l'organisation sociale shamaye. L'identité lignag6re est l'unique dément de diffërenciation
entre les Shamaye. En effet, chaque lignage shamaye a ses caract&istiques, ses symboles et sa
devise. Ensuite nous irons voir à l'intérieur du lignage comment fonctionne concrètement
cette parent6 lignagère. Enfin, toujours à l'intérieur du lignage, nous analyserons les
différentes attitudes qu'observent certains membres entre eux.
Dans la deuxième partie, qui sera une courte réfiexion sur la position de l'individu face
à quatre lignages qui conditionnent sa mobilitk, parfois de manière concurrentielle, et qui
complétent son identitk personnelle, nous sortirons progressivement du lignage. La dernière
partie du chapitre est reservee a la question de mariage chez les Shamaye.
4.1 Le fonctionnement de ia naremté limagére
4.1.1 Les caractéristiaues des limages shamave
Le lignage est chez les Shamaye la structure sociale fondamentale qui régit la parenté.
C'est en le comparant à l'ethnie qu'on peut mieux cerner les caract&ristiques du lignage. La
*' Rapport sur les chefferies du dcparternent & I'OgmubIvindo, Booué, le 20 juin 1943, 5 p., p.5. Archives de la prdfe~tl~~e de Makokou.
239 Rapport politique du district de Me'kambo pour l'année 1952, M6kamb0, le ler décembre 1952.49 p., p. 16. Archives de la Wfecaire de Makokou.
parenté ethnique shamaye repose sur l'idéologie d'une origine commune, sur l'utilisation d'une
même langue et sur la pratique des mêmes traditions et coutumes. La parenté lignagère repose
sur l'idéologie de la descendance d'un même ancêtre. L'ethnie et le lignage sont désignés par
un même nom générique, iW. Ceci peut paraître confiis, mais les principaux intéressés font
la différence entre l'ethnie et le lignage. On dit: ikaka shèkè omoyi, c'est-à-dire "l'ethnie n'est
pas la famille" ou "il y a la parenté ethnique et la parenté lignagère". Le lignage est désigné
ici par le terme omoyi (la famille) qui vient de moyi, Ie ventre.
Chaque lignage a un nom spécifique. Voici quelques noms de lignages shamaye:
Ombela, Shnjambi, Shamidi, Mouloy Ongabwè, Pfomgou, wabi, BomIa, Oyéni. Shushèkè.
Shayaka, Shakusha, Ognanc$i, Ifouka, Olèkou. Minshambi, Minjambi. Miendjè, Otadji,
etc ...La plupart de ces noms ont perdu leur signification originelle240.
Lors de la scission d'un lignage et de la formation de ce que les anthropologues
appellent des lignages mineurs, d'autres noms sont formés par ajout des noms de ceux qui se
sont trouvés à la tête de ces nouveaux Iignages. Nous avons pu vérifier ce phénomene avec les
lignages Ombela, et Pfoungou. Ainsi au nord du pays shamaye, entre Makokou et Okondja,
prolifërent les membres du lignage Ombela tout court dans les villages Mbondou, Hendjè,
Ekobakoba, Ntsiète et Zolendé. Or au sud à Lastourville, il y a ceux qui se réclament de
Ombela bo Ngouolé, c'est-à-dire des membres Ombela qui descendent d'un certain NgouaIé,
et qui se concentrent dans les villages Boundjouliou et Ndmkaloundza, et ceux de OmbeIa bo
Mouayounga qui prétendent descendre de Mouayounga mais qui se disent aussi être parents
du groupe de Ngoualé. II y a entre les deux groupes un souvenir d'une parenté lointaine qui se
manifeste par les mêmes interdits (alimentaires) lignagers qu'observent tous les membres
d'ombela.
Notre opinion sur ce sujet est que le lignage Ombela était uni à Ngouadji avant la
dispersion. Et quand celle-ci est intervenue, le lignage s'est scindé en deux groupes comme
l'ethnie elle-même: un groupe va vers le nord, et un autre vers le sud. Mais avec les aléas de la
migration, ce dernier se divise à son tour en deux familles, l'une ayant à sa tête Ngoualé et
l'autre Mouayounga.
La dislocation du lignage Pfoungou est plus récente. En effet, tous ses membres
reconnaissent descendre d'un même ancêtre qui est Batsembengoye. Celui-ci n'a eu qu'un seul
fils, Ngoulou Ce dernier aura deux fils, Idjibangoye et Ndoumbangoye. Or qu'est ce qu'on
On peut donna quelques significations. Ainsi Dladji vient du terme serpent., Mie* est le pluriel de brocha Ornbela vient de mbela qui signifie "aigle". Les noms des lignages shsmaye viennent pour la plupm des noms d'animaux et de véghux.
observe aujord'hui? Mayeia et Yuungoungou, & retour des migrations de travail à Port-Gentil
en 1967, refusent de regagner leur village ~ d m k a l o u m h ~ ~ ' où leur père Idjibarigoye est mort
entre-temps. Ils s'établissent donc en ville près de i'aéroport de Lastourville. Leur identité
lignagère est devenue Pfoungou yè IGibangoye pendant que Iem wusins rentrés ou restés au
village ont pour identité lignagère Pfowzgou yè Ngoulou et comme chef Ngoulou le fils de
Ndoumbangoye.
Revenons a la formule ikaka shèkè omoyi (i'eîbnie n'est pas Ia famille) pour analyser les
termes qui symbolisent le lignage, c'est-à-dire la b i l l e . Nous avons dit que dans cette
phrase, le terme lignage est représenté par le mot omoyi qui vient de "ventre" et ventre
qmbolise le lignage puisque Ia famille implique la naissance commune. On peut dire
Ombela bo Mouayomga, comme on peut aussi dire Omoyi bu Mouayounga pour signifier la
même réalité. Ceci est valable pour les termes mugnu, item et nàùkou qui sont tous des
symboles représentant la famiIle, le lignage. Le premier terme signifie "le feu", symbole de
l'unité et de la vitalité iignagere. En effet, c'est autour d'un feu commun que les membres
masculins se réunissent à la case des hommes. D'ailleurs un proverbe shaniaye dit: Oyènè
mougrta mô ikaka mô bôtô, wouti bufou beshi bè wa, qui veut dire "si le feu de la case des
hommes s'éteint, c'est que tous les membres de ce lignage sont morts et qu'il n'en reste plus un
seul."
Ceci veut dire que Ie feu "du corps de garde" symbole de l'existence et de la vie doit
toujours être maintenu en activité. C'est pourquoi les adultes shamaye aff'ument ouvertement
qu'au moins un enfant mâle de la famille ne doit jamais dussir a l'école2". II doit rester au
village pour perpétuer le feu lignager. Le terme itouna signifie "la concession" au sens
d'espace, de parcelle. Ce qui caractérise un village shamaye c'est 1'occupation et la répartition
temtoriale des lignages par concessions. Voici un extrait de récit de vie a ce sujet:
Nous sommes tous nés à Lombiya Après nous sommes ailés au viIlage Ndzokaloundza Ce village était en réalité un regroupement de quatre vilIages. LZm de ceux-ci était Ngombé. C'est vraiment le village où j'ai grandi. Je n'ai jamais vu un village aussi peupIé. Les gens d'un même lignage avaient leur concession et leur maison commune
"' La pratique est courante 8 cette période oh on craint d'ém tub au viUage par un w ~ c i a " à cause des biens qu'on a accumulés paidant des années de n.wail.
242~arce que i'école éloigne de Ia famille. Ceci étonnera plus h e persorme, mais nous sommes ici rétuement en présence d'me malédiction admise par tous. Le "sadct" de cet d i n t d e est acaptd passivement par tous Ics membres du lignage. C'est là I'excmplc de d t i p l e s pratiques du ligmge cormues par tous msis que cbacua feint d'ignora.
des hommes, mbmja. Mais d e s famiIles qui avaient beaucoup de membres avaient jusqu"8 trois maisons des hommes dans leurs concessions. Voici Ies noms des chefs des grandes fmilles shamaye de Ndmkalolmdza: Oshaka, Iyouma et Manjamba Je ne me souviens que de ces trois, mais en réalité ils étaient nornbrew~~~~
Donc autant on dit Pfoungou yè Ngoulou, autant on peut aussi dire ttounu P Ngoulou
pour traduire la même chose. Le dernier mot mhkou, qui signifie "maisonn, symbolise aussi le
lignage et s'emploie comme synonyme d'itounu et d'omoyi.
Pour terminer, le lignage se caracthise aussi par une devise (elémbe3 qui lui est propre,
mais qui n'est pas totémique. Elémbé traduit simplement une qualité du lignage comme la
témérité ou la bravoure de ses membres. Les formules figées, se transmettent de génération en
génération et on les scande au cours des initiations. Connues de tous, on peut deviner le
lignage d'une personne à partir de la devise que celle-ci décline. En voici trois exemples:
Elémbé yè Njabi bi shagwè mbernba yè wuwa mongoukou.
Nous les gens du lignage A@bi avons pour devise le héris-
son mâle qui armche avec hargne l'herbe dont il se nourrit.
Yè boshi Shamidi elémbé be mambwèkou boshi bolam shi
ohngaku nd' èaiyè mambwèkou ma mènè.
Nous Shamidi avons pour devise les champignons car nous at-
taquons toujours notre ennemi en grand nombre comme pus-
sent les champignons.
Yè boshi Pfoungou elémbé bi ikongo fè èbwém na ibadji.
Nous Pfoungou avons pour devise la sagaie, symbole de la
chasse et de la guerre.
A coté des devises ligwgères, il y a une devise ethnique. Elle est surtout utilisée par les
autres ethnies bakota pour rappeler à l'occasion le caractère quelque peu belliqueux et
pugnace des Shamaye. Les Ondasa, Bakota, Akelé, Shake, Mahongwé et Ndambomo disent:
Récit de vie de Daniel h j è , Shamaye, Minjan>iv 76 ans, Bamberabiyoko, le 17 octobre 1993.
Bèyi O s ~ i &@i 6é d a mwela mô poubu. Mû abmungu né
kGk6 shi bOkï ndéh pataulè.
"Vous les S k y e êîes comme I'imestiu du rat Qtiand il s'accroche
à une branche, il est difficile de i'en exbaire; vous n'abandonne jamais".
Ce qui caractérise la parenté (ntshiktz) shamaye c'est la filiation patrilinéaire. Mais le
fonctionnement des liens Iignagers repose sur la complicité manifeste et le jeu de ta
consanguinite et de h parenté. En effet,
ta consanguinité se réfere en fait A une parenté physique, alors que dans Ia pare& il s'agit d'une forme déterminée de relation sociale. La parenté résulte donc de h reconnaissance d'une relation sociale entre parent et enfant diffërente de la relation physique qui peut ou non coïncider avec ce~e-ci'~.
Certains auteurs ayant abordé Ia panrnté baicota et shamaye dans sa génédité ont
affirmé de façon un peu hative que celleci était uniquement Dans le
systéme de parenté shamaye on retrouve à la fuis les termes de classification et ceux dits de
description. Nous ailons aussi utiliser cette temiinologie desaiprive non seulement pour
restituer la raité mais aussi pour suivre un conseil de Radcliffe-Brown et Forde qui pensent
"qu'il est n k e s s a k dans toute étude scientifique de la parenté, danployer un tel système. Au
lieu & termes ambigus comme oncle ou wusin, il convient d'utiIiser des désignations plus
pr&isesn2&. Quelle est donc I'évolimon de cette termindogie dans le s-me de parerné
shamaye?
Nous allons examiner Ia nomenclature en remontant le lignage de -ère vertide, et
voir it partir de la génération Ego, quels sont les termes ciassificatoires et descriptifs et
comment ils ont servi avant i'irrtnision des termes oocidemaux dans ce système.
2 U ~ ~ RdCliffbBmwn a Daryf Fordg Systèmes fmifiaux ei matritnonima en A m , P.U.F., 1953,527 p., p.5.
20 Parois, L, "Cbnmiqd, p.29. U6 RdxMb&own A R et F a d e D, on-cit -0.8.
Dans la génération d'Ego il y a les termes de Wji , d o m i , nRoulow mwandji qui
servent ai classifier. Ainsi W j i . qui signifie soeur, n'est utilisé que par Ego masculin tout
comme ndoumi qui veut dire fiére n'est utilisé que par Ego féminin. Ego masculin devra donc
distinguer son aîné, nkouloy de son cadet rnwandji, les mêmes termes servant d'ailleurs a
Ego feminin pour son aînée et sa cadette; le lecteur doit toujours avoir a que nous
sommes ici dans un systéme qui allie parenté biologique et parenté socide. Avec cette
terminologie classificatoire de base, on obtient les termes descriptifs. Ainsi Ego féminin
emploie les expressions ndüumi w o m è wè w e h (qui se traduit littéralement par "mon fiére
le premier"), ndowni woumé wè nyôlè (mon frère le second) et d u m i w m è wè makouka
qui signifient respectivement : fière aîné, frére cadet, et fière benjamin. En r e r n p l v t dans
ces formules le terme de ndowni par celui de M j i , on obtient les formules à l'ai& desquelles
Ego masculin spécifie l'ordre de naissance de ses soeurs par rapport à lui-même. L'exemple
que nous tirons du récit de vie de Bounjè montrera comment Ego masculin spécifie l'ordre de
naissance des enfants d'une même famille:
Mon père s'appelait Iyalangoye. Ii était du lignage Miqambi. Ma mère s'appelait Nkouèkelè. Elle était aussi une Shamaye mais du lignage Pfoungou.Dans ma famiIIe nous étions quatre filles et un seul garçon247. Ma soeur aînée s'appelait Mayoungou. Elle fût suivie de Yaye ma soeur cadette. La troisième avait pour nom Bibe qui était suivie par Ye. Moi je suis le benjamin de la famille car je suis né après toutes mes soeurs248.
Audessus de la génération d'Ego il y a naturellement celle des parents, c'est-à-dire des
pères et mères. Le terme classificatoire s h o n g ~ è ~ ~ ~ qu'utilise Ego signifie père pour tous les
individus males. Pour ces derniers Ego est mwana, c'est-à-dire l'enfht tous sexes confondus.
Pour spécifier, le père utilise manu wè ibaku ou mwana wè moyitou pour dire "mon fils" ou
"ma fiUen. De même et en l'absence des gens qu'il veut nommer et pour spécifier, Ego utilise
Ies termes descriptifs mwandji wè shangoumè et nkoulou wè shangoumé qui signifient
respectivement "le petit-fière de mon père" et "le grand-fière de mon pèren. Pourquoi en
247 n y a un tame descriptif mais qui est aussi classXcrdoinr et qui désigne clairement ce gemt de sitution. En effet, madorcshamuyi veut dire "ceux qui sont sortis dbn mûne ventre". " Bopnjé, D., op-cii.
Au nord du pays shmyc atm Makokou et Okmdja, le S cIisparait pour ne laissa que hpUe qui estrrnssicomct
l'absence des gens qu'on veut nommer? Les relations entre Ego et le frére aûié ou cadet de son
père biologique sont régies par le proverbe suivant:
Mwana moumbalz ndeko woula bashangwè, shangwè
rnoumbali kè ndeka wouia bana.
"Un bon fils ne cherche pas de père, tout comme un bon
père ne cherche pas de fils".
Ce proverbe veut dire qu'Ego ne doit jamais faire de distinction entre son père géniteur
et les Fréres de ce dernier. C'est pourquoi à la limite, l'usage par Ego des termes dont il est
question ici en présence des principaux concernés est indécent et considéré comme un
manque de respect à l'endroit de ses "pères". Tout comme ce n'est que dans les cas extrêmes
et précis que le Frére du père peut utiliser le terme descriptif mwana wè nkouloumè (ou wè
mwan@oumè), qui signifie l'enfant de mon aîné (ou de mon cadet). Lui aussi est tenu par
l'obligation de ne pas faire publiquement la distinction entre ses propres enfants et ceux de ses
fréres. Par cette attitude et ces pratiques, les Shamaye veulent afirmer la primauté des liens
sociaux sur les liens biologiques. Ils vedent par la même occasion donner a tous les "pères",
même a ceux qui n'ont pas eu d'enfant, d'avoir la même autorité sur tous les enfants, et à ces
derniers de vouer le même respect et la même soumission à tous les "pères" du lignage. C'est
la un des éléments primordiaux de la parenté Iignagère shamaye. Et Ifintrusion de la
terminologie occidentale, aura pour effet, entre autres, de briser ces barrières psychologiques.
Toujoun dans la même génération, la soeur du père d'Ego est désignée par un terme
classificatoire, tamwadji, mais Ego peut à Foccasion employer le terme descriptif de
kadjioshanpvè qui est une contraction de ka@ wè shangoumé, c'est-à-ùire " la soeur de mon
père". Eile, ses enfants et ses petits-enfants ont tous, par rapport a Ego, rang et prérogative de
pères et sont d'ailleurs classés dans cette catégorie.
Pourquoi cette suprématie des enfants et petits-enfants de la soeur sur Ego, l'enfant du
fière? Chez les Shamaye, c'est la dot générée par le mariage de la soeur qui, en grande partie,
permet au fière d'épouser une femme. En récompense, la soeur et les deux générations en
dessous d'elle partagent avec son fière les pouvoirs que celui-ci exerce sur ses propres enfants
avant que l'équilibre avec Ego soit restaurée à la génération des amières-petits-enfants de
tamoidji. La génération des pères comprend d'autres femmes qu'Ego désigne par le terme
bagnangwè (mères) qui a pour singulier gnangwè qui est un terme classificatoire. Les autres
termes sont descriptifs. Ainsi la co-épouse de la @trice est désignde par le terme pala wè
gnongourné, c'est-Mire "la rivale de ma mère" ou simplement par mwat#i wè shmgoumè ( la
femme de mon pére) qui s'applique aussi à l'épouse de l'aîné ou du cadet du père d'Ego pour
qui Ego est mwma ou m u n a wè nloumi w o d (l'enfant de mon mari). Le lecteur prendra
connaissance avec les autres termes de cette géneration dans le système des attitudes ou leur
évocation sera plus pertinente.
L'avant-dernière génkration en remontant le lignage est celle des grands-parents. Ils sont
d'abord désignés par un texme classificatoire bakôkô qui a pour singulier kÔk6 (grand-parent).
Avec les termes kôkô wè ibuh et kôkô wè mohttou, Ego fait la distinction de sexe entre le
grand-père et la grand-mère qui à leur tour désignent le petit-fils ou la petite-fille par un terme
classificatoire, ntèkoudji, avec la liberté de préciser le sexe.
La génération située au sommet et pour laquelle il existe des termes de désignation est
celle des arrière-grands-parents. Ils sont désignes par Ego par un terme descriptif, kûkô wè
sltungwè, c'est-à-dire "le grand-pére ou la grand-mère de mon père". En revanche, il existe un
terme classificatoire pour arrière-petit-enfant tous sexes confondus, c'est ndiilili. Mais nous
devons avant de terminer cet examen de la nomenclature de la parenté, souligner ce qui se
produit aussi bien dans les comportements que dans les appellations quand on arrive à cette
ultime génération. En effet, arrivés a cette génération, les Sharnaye superposent celle-ci à
celle des pères et des mères, de sorte que les deux générations s'identifient. Cela veut dire que
Ifarrière-grand-père (ou I'arrière-grand-mère) est pour Ego le pére (ou la mère) et ils
appartiennent à cette catégorie . Ce qui implique que m@ilili est pour son arrière-grand-père
mana, c'est-à-dire l'enfant, le fils. Cette descente de la quatrième génération sur la deuxième
ne s'opére pas seulement à travers la terminologie, mais aussi à travers les comportements.
L'histoire, depuis la pénétration de l'école occidentale chez les Shamaye à partir de la
fin de la deuxième guerre mondiale, c'est-à-dire entre 1949 et 1953, est venue brouiller et
periuber cette nomenclature à telle enseigne qu'il existe désormais plusieurs appellations pour
une même réalité semant parfois la confusion. La nomenclature de "oncle, cousins, neveux,
etc." a rencontré une vive résistance. Prenons l'exemple du terme "oncle". Les Shamaye ne
reconnaissent qu'un oncle, c'est-à-dire le frère de la m&e (nlmou ou ndoumi wé gnangwè).
Dans la nomenclature introduite depuis les années 1940 en revanche, il y a désormais "l'oncle
paternel", c'est-àdire le fière du père. Or jusqu'à nos jours, un Shamaye n'acceptera jamais de
se faire appeler oncle par les enfants de son Frére. Pourquoi? Cela tient du genre de relations
qu'entretiennent le neveu et son oncle maternel. A coté du respect, ces relations sont
largement dominées par fa plaisanterie. Un proverbe shamaye les traduit clairement de cette
manière:
Wè yènè wè bèpè mwana wè kadji wuwè èkoulè madoukou,
wè ndeka couka nlawou wowè mèni wouri rnwadjiè toukawè.
"Si tu portes l'enfant de ta soeur sur tes épaules, n'insulte jamais
ton propre oncle car ton neveu sur les tpaules pourra t'imiter
et t'injurier a ton tour un jour".
Donc si le frére du père se fait traiter d"'onclen par l'enfant de son frére, il déduit sur-le-
champ que cet enfant veut le mettre sur le même pied d'égalité avec le frére de sa mère, c'est-
a-dire quelqu'un avec qui il peut plaisanter à loisir. Le Iecteur aura compris la gravité de cette
déduction faite par le "pére" tout puissant dans le contexte shamaye. C'est pourquoi les
Shamaye utilisent peu souvent ces termes ambigus de oncle ou tante, pour désigner le f-rère du
père ou la soeur de la mère pour ne pas créer des situations qu'ils considèrent comme une
injure faite par l'enfant a son "père" ou sa "mère". On ne cite plus le nombre de cas ou un
"père" qui se fait appeler oncle par l'enfant de son fiére considère que son "enfant" lui fait
cette "injure" parce que lui-même n'a pas eu ses propres enfants. Cette question de la relation
entre L'appeilation et l'attitude nous amène a l'analyse des comportements a l'intérieur du
Iignage.
4.13 La ~arenté lignadre, comment se comporte t-on?: évolution des différents
comportements et attitudes
Radcliffe-Brown écrit que "l'attitude et le comportement d'une personne envers un
parent est déterminée non seulement par la catégorie à laquelle il appartient, mais aussi par le
degré de parenté"m. Dans le cas précis des ethnies du Gabon, Raymond Mayer quant à lui
écrit que
les appellations de parent a parent induisent sur Ie plan des relations entre ces mêmes parents, des comportements typiques. Le comportement d'un fils envers son père, envers sa mère, envers son grand-père, envers sa grand-mère, n'a
2so Radcliffe-Brown, A. R et Forde, D. op.&., p. 12.
malgré les idées reçues rien d'universel. iî varie au contraire d'une culture & i'autre. A l'intérieur d'une culture donnée, les comportements familiaux sont fixes. Cette loi se vérifie parfaitement au Gabon. Les comportements familiaux ne doivent rien la psychologie individuelle, mais sont tributaires des systèmes culturels dans lesquels ils s'insèrent, et auxquels ils doivent leur cohérence. Ils doivent tellement peu à la psychologie individuelle qu'ils s'inversent parfois d'une ethnie a une autre. Ils sont en quelque sorte codés25'
A partir de notre observation du fonctionnement de la société sharnaye, nous allons
diviser les attitudes et les comportements en deux grands ensembles: les attitudes de respect
et celles de plaisanterie, tout en gardant a l'esprit qu'à l'intérieur de ces ensembles, les
comportements peuvent prendre diverses formes comme la soumission, l'évitement, la
familiarité, la complaisance, tout en introduisant, si possible l'historicité, dans un domaine
que l'ethnologie et l'anthropologie considèrent parfois comme immuable.
4.13.1 Les attitudes de resoect
-La relation pére (shanpè ou hangwè)/fils (mana): Le lecteur s'est désormais
familiarisé avec la notion de père chez les Shamaye, qui regroupe le père réel et les pères
classificatoires à savoir, la soeur du pére et ses enfants et petits-enfants, le grand-pére du pére,
les "cousins" du père et ses fières. Nous sommes ici dans une relation de respect par
excellence qui se traduit par la soumission totale de l'enfant à son pére. En effet, les relations
entre un père et son enfant sont régies par l'adage suivant:
Shangwè bé njambé wè mwana.
"Le père est le dieu de son enfant".
Ce court adage en dit long sur le poids du père dans la sociCt6 sharnaye. Le père
prononce quelque mots et l'enfant est maudit. En effet, le père détient une arme redoutable,
ikàlou, qui est le pouvoir de maudire (ilôko) l'enfant, de le rendre malade (ishàba) ou de lui
jeter un mauvais sort (èboulou), qu'il est seul à pouvoir exorciser avec la formule dite
2~' Raymond Mayer, Histoire de la fornile gabonaise, Libreville, Centre culturel frauçais Saint- Exupéry, 1992, 261 p., p. 153.
mandmbi. Le respect que l'enfant voue à son pére doit donc être sans faille. Et comment se
manifeste ce respect? L'enfant ne doit jamais, quel que soit son âge, son pouvoir ou son rang
dans la société, prononcer le nom (Ginou) de son père. 11 doit I'appeIer par un prénom
(ishoumou) qu'on lui apprend depuis le bas âge. Autre règle que i'enf't doit respecter, il ne
doit jamais manger dans le même plat que son père. Il devra attendre que ce dernier finisse de
manger et qu'il l'invite à terminer le reste. Mais le père a aussi des devoirs envers son fils. Et
parmi les obligations les plus importantes, c'est celle d'organiser la circoncision de l'enfant à
l'âge et au moment que le père aura choisis. Enfin, le père garde une partie de la dot générée
par le mariage de sa (ou ses) fille (s), pour trouver une femme à son fils. On avait pensé un
moment que le pouvoir économique acquis par les fils à partir des années 50-60 allait être un
facteur d'affaiblissement du pouvoir paternel. Mais il n'en est rien, car le pouvoir du père par
le fait qu'il est la seule personne capable de nuire à son fils a quelque chose de sacré et a
résisté a l'épreuve du ternps.Voici du reste la réflexion d'un intellectuel gabonais à propos de
ces rapports père-fils:
L'enfant obéit ii ses père et mère avec qui il vit même après I'émancipation partielle, je dis partielle, car l'enfant dans le passé n'a jamais eu d'émancipation totale. Il dépendait toujours de son père (...); son émancipation ne lui donne qu'une certaine liberté, limitée du reste, au choix de ses compagnons de jeux et de promenades et a la possibilité d'accomplir certains actes ne pouvant porter aucune influence subversive sur la vie morale et sociale de l'enfant. Le mariage même ne l'affranchit pas de cette "dépendance" à la fois oppressive et salutaire, oppressive en ce qu'elle comprime toute initiative de l'enfant, salutaire en ce u'elle sert de barrière à la fouge coutumière de la jeunesse. fi4
-La relation mari (nfoumi) ! femme (ma*) et la relation beau-père (mbambt@)/ belle-
fille (mbombi): Nous sommes ici toujours dans les relations de respect L'homme sharnaye
étant en position d'acquéreur face à sa femme, leur relation est donc du genre
dominant/dominée et d'ailleurs Sousatte écrit à ce sujet: "L'homme est le chef de la famille, la
femme est docile et obéit à son mari qui c~mrnande"'~~. La fomule qui définit la nature de
cette relation chez les Sharnaye est la suivante:
" Réné Paul Sou~ane, L'orne sfnc~ine prrr un Aflcuin, S S i a Équateur* 1946-23 p., p. 18. ~5.' Ibid., p. 15.
Mohirou bé moutou wè ba shoumba na mabomou.
"La femme est une personne qui a été acquise par
la marchandise".
Qu'on n'aille pas voir a travers ces propos la réduction de la femme shamaye à un rôle
d'objet ou d'esclave. Cela veut simplement dire que dès lors que l'homme a payé le droit de
déplacer la femme de sa famille, celle-ci se place désormais sous la seule autorité de son mari
et lui doit le respect. En dehors des tâches traditionnellement réservées à la femme comme les
tâches culinaires, ce respect se manifeste par la campagne que la femme mène chez ses
parents en vue de trouver une autre femme à son mari quand elle se rend compte qu'elle ne
fera jamais d'enfant ou quand la dot de son mari est devenue très importante. Le respect de la
femme a son mari se lit aussi par le deuil que celle-ci observe à la mort de son épux.
L'homme shamaye aussi observe un deuil a la mort de sa femme, mais celui de I'épouse est
plus long et plus contraignant. La femme pleure couchée a même le sol sans jamais tourner le
dos a la dépouille de son mari. Elle doit pleurer deux fois par jour, au lever et au coucher du
soleil de sorte que tous les habitants du village l'entendent, elle ne doit jamais traverser la
cour du village et passera par derrière toutes les maisons si elle va quelque part. Tout ceci
peut durer un ou deux mois jusqu'à l'organisation de la cérémonie môngala qui consacre 1s
retrait de deuil des hommes.
Le respect que la femme voue au mari est aussi élargi a quelques membres de sa belle-
famille (yafibala) et singulièrement à son beau-père (mbambidji). La relation entre les dem
est caractérisée par l'évitement. Le beau-p4re ne doit jamais pénétrer dans la pièce à coucher
de sa bru, toute forme de plaisanterie entre les deux est proscrite. La bru appelle son beau-
père et vice versa par un surnom spécial. Depuis i'introduction par les missionnaires des
prénoms occidentaux dans les années 1930, ceux-ci remplacent progressivement ces formules
de cironstances qui permettent a la bru et au beau-père de se nommer, consacrant ainsi une
sorte de respect mutuel.
4.1.3.2 Les attitudes de ~hisanterie
-La relation grand-parent (kôk6)lpetit-enfant (ntèkoudji): C'est la relation de plaisanterie
par excellence. Cette convivialité entre le grand-père et son petit-fils se lie du vivant jusqu'à
la mort du grand-parent. En effet, ce qui caractérise la mort d'une personne dans un village
shamaye c'est le contraste entre les pleurs des uns et les sarcasmes des autres. Le Sharnaye se
moque de son grand-parent jusquiau jour de sa mort et ce en toute liberté. II n' y a pas de
pudeur entre les grands-parents et leurs petits-enfants. Pour la grand-mère, le petit-fils est son
petit mari, tout comme la petite-fille est la femme de son grand-pére. C'est auprès des grands-
parents que Ies petits-enfants font leur éducation sexuelle. Le petit-fils est souvent l'héritier
des connaissances de son grand-père sur des sujets comme la virilité masculine. Cette relation
est tellement empreinte de complicité que les Shamaye avouent parfois avoir plus d'amour
pour te petit-fils qu'envers le fils car, se faire cacher sa pipe ou se faire taper sur la tête est
toujours quelque chose que le grand-père apprécie même s'il s'en plaint en des rares
occasions. C'est auprès du grand-père que le petit-fils apprend certaines habitudes des adultes
comme fumer une pipe, mâcher une noix de kola. Toutes les choses qu'il ne peut imiter
devant son géniteur. Enh, la plaisanterie entre le grand-père et son petit-fils est dominée par
les injures.
L'histoire tend aujourd'hui à modifier ces rapports enviés grand-pére-petit-fils et à les
muer en relations du genre père-fils ou mère-fille. Expliquons-nous. L'école est entre autres
causes indirectement responsable de cette mutation. En effef un phénomène courant chez les
jeunes filles shamaye, ce sont les grossesses précoces qui surviennent en pleine scolarité. Or
la jeune fille qui veut continuer ses études n'a pour choix que de confier son enfant a sa mère.
Et l'éducation que cet enfant recevra de ses grands-parents sera celle qu'un pire et une mère
donnent à leur propre enfant On assiste ainsi a un phénomène nouveau: le petit-enfant qui
appelle son grand-père "papa" et sa grand-mère "maman". Ceci a une incidence sur le
comportement de telle sorte que les anciennes relations grands-parents / petits-enfants tendent
a disparaître. On voit désormais émerger des générations qui assimilent la relation grands-
parents-petits-enfants à celle de parents (père et mère)/enfants.
-La relation fière (ndoumi)/soeur (kadji): Nous sommes là encore en présence d'une
relation qui est en train de subir la loi de l'histoire: de profondes mutations. En effet dans les
rapports entre le frére et la soeur, on est parti d'une relation d'égalité à une relation d'autorité
en faveur du frère. Au départ, la relation entre une soeur et son frère est de type égalitaire
caractérisée par une sorte de complémentarité et une dépendance réciproque. La soeur, quand
quelqu'un en a une, est la première pourvoyeuse de dot chez les Sharnaye. Un adage dit a ce
sujet:
A ~iyibué na Mjiwèc&i m a 4iwaRa d n g a ,
adjiyibué M bah$ i o p b , bcu+ tpko.
"Qui naît avec une soeur ne meurt pas dihmire,
qui naît avec plusieurs soeurs épouse plus d'une fw-
men-
Le frère a donc besoin & sa soeur pour se marier. Mais aussi, il a besoin & celleci
pour la disponibilité de son mari. Un ame proverbe ajoute à ce sujet que:
EbO yè koudozana wè, Iqishè y~ngou nu nwRouè~e.
"Si ta main est courte pour exécuter une tâche, rallon-
gela avec une machette".
Il veut dire, si tu es en difficulté, fais appel au mari de ta soeur. Mais la sueur a w i a
besoin de son fière. Avoir un £%re est toujours pour une soeur synonyme de sécuité. Le père
se met souvent au-dessus des disputes quotidiennes de çon gendre et sa fille, mais le fkere est
une sorte de chien de garde prompt à en venir aux mains avec son beau-frère et protéger ainsi
sa soeur. On entend souvent les femmes shamaye aux prises avec leur mari dire: "Ah, si
j'avais un fière", ou encore: "Si mon frére était là, tu ne me battrais pas aussi violemment"
Mais qu'est ce qui s'est passé par la suite? Comme dans toutes les ethnies gabonaises
d'aillem, le taw de réussite des filles shamaye à l'écule est faible par rapport a celui des
hommes. Le voyageur qui emprunte l'axe routier Makokou43kondja est hppé de constater
que dans les villages shamaye Mbondou, Ekobakoba, Ntsiete, Hèndje, Zolendé,
Makatamangoye, une fiUe de moins de vingt ans sur deux porte un nourrisson Les grosseses
~ecoceS les ont poussées à abandonner I'écuie et à mener une vie & célibataire. Dans ces
conditions, les hommes, qui sont les seuis à réussir matériellement et socialement,
n'attendent plus rien des soeurs qui ne sont plus productrices et qui commencent a perdre leur
psïtion privilégiée d'antan L'homme adulte devient a coté de son pére le nouveau chef de
famille, ayant même à sa charge les enfants de ses soeurs (la loi s b y e n ' m i u e pas
I'enfkm à quelquim qui n'a pas versé la dot). Cest ici un bel exwple qui illustre comment le
pouvoir écoaomique et le rang social modifient les aniaides et les comportements.
4.2 A la croisée des 1h.ees: le Shamave face a i b ) lieiiaeo(s) de sa mère
La quescion qui comprend un sérieux piege, que les vieux posent souvent aux jeunes
Shamaye est la suivante:'ll'hmxne shamaye a (ou appartient à) combien de lignages?" À celle-
ci, les moins malins répondent par "deux", c'est-adire le paailignage du père et celui de la
mère; tandis que les plus avems répandent par "quatrew, c'est-à-dire ceux qui vie- d'être
mentionnés plus les lignages maternels des mêmes parents. Chez les Shamaye la lignée
paternelle est celle qui détermine la filiation, mais la lignée maternelle n'est pas moins
importante. En fait I'individu doit tenir compte de quatre lignages qui composent et
complètent sa parenté et son identité. Hors de ceux-ci, Ego n'a théoriquement plus de parents,
il n'a que des amis ou des alliés. Deux de ces lignages sont regroupés sous le vocable de
ishangwè, c'est-a-dire le patrilignage et le matrilignage du père d'Ego (dans le jargon
populaire, ces deux lignages forment ce qu'on appelle communément les parents paternels
d'un individu). Deux aunes lignages, qui rassemblent les "parents matemelsn, sont COMUS
sous le terme de ignangwè, qui regroupe le patrilignage et le matrilignage de la mère d'Ego.
La filiation étant trammise par le père et son i k h , nous allons uniquement étudier les
rapports d'Ego avec ses parents matemels en mettant l'accent sur les relations dZgo avec le
personnage le plus important de la branche maternelle, en vertu de la primauté de lliomme
sur la femme, c'est-à-dire le frére de la mère.
Les relations entre l'enfant de la soeur (muRadji) et le tiére de sa mére (nlavou) sont
chez les Shamaye d'un genre particulier, car celles-ci allient plaisanterie et autorité. Autonté
parce que le frére de la mère est une mère masculine, mais pur le reste ces relations sont
plutôt une sorte d'amitié. En effet, l'obsewation attentive du comportement d'Ego au village
de nlawou et la qualité des privilèges auxquels il a droit montrent clairement qu'Ego est l'égal
du fière de sa mère. Expliquons-nous. Chez ces parents matemels, Ego bénéficie d'une Iiberté
sans limites. Ceci se traduit par le proverbe suivant:
Embukè yaljé gnangwè wè ndéh yaya njda ûyènè
njala y2 gnugnawè, bOk6 ikôngô yè wè Io- pali tuba.
"Chez les parents de ta mère, ne dis jamais que tu as faim.
S'il a y a rien à manger, prends une sagaie et abats le pre-
mier mouton que tu rencontreras dans la cour du villagew.
Évidemment, ce qui frappe c'est ce contraste qu'il y a entre la rÏgueur qu'Ego rencontre
chez son père et cette liberté totale chez les parents de la mère. Ceci s'explique par le fait que
les Shamaye considèrent que dans son patrilignage, l'enfant est une sorte de captif acquis par
l'entremise de sa mère elle-même obtenue grâce a la dot. Or, la branche maternelle n' a pas ia
même conception d'Ego. Pour celIeci, l'enfant est chez ses Mais parents par le principe qu'on
est sûr de sa mère et non de son p h . Un père shamaye mécontent de son enfant va le
renvoyer dans sa famille maternelle, mais l'inverse n'est pas possibk.
Avec I'enfant de sa soeur (nous avons déjà expliqué pourquoi), le fière de la mère
partage le pouvoir paternel sur ses enfants. En effet, les enfants (et les petits-enfants) de la
soeur, tous les sexes confondus, sont les "péres" des enfants du frére de la mère. Et d'ailleurs
le fils de la soeur est le premier héritier hors du lignage du frère de sa mère. Il vient
notamment en seconde position derrière le frére cadet de ce dernier. L'épouse du frère de la
mère est donc pour le fils de la soeur une épouse aussi et Ies deux sont autorisés à entretenir
discrètement des relations intimes. Et d'ailleurs un proverbe dit a ce sujet:
Oyène m a & wè nlawou abanga wè fshé toumbè
ka itèrshè m g o u . wè iuiekayubi bena.
"Si la femme du fière de ta mère te demande de I'ac-
compagmer puiser de l'eau, ne refuse pas".
Et enfin cette question de l'enfant de la soeur qui prend en héritage la femme du frére de
sa mère n'est qu'un aspect d'une institution dont les mécanismes dessinent à leur manière
l'identité shamaye à travers I'espace et le temps: le mariage.
4 3 Le maria~e chez les Shamave
Le mariage est un élément d'identification et de différenciation ethnique. C'est dans
cette perspective que nous allons étudier le mariage shamaye à travers trois grands axes:
I'espace matrimonial, l'évolution de la dot et enfin les f m e s de mariage.
4.3.1 Les circuits matrimoniaux shamave entre 1930 et 1990
La conscience tribale est toutefois assez nette chez les Bakota. Elle est renforcée par les circuits matrimoniaux généraiement limites à la tribu ou aux voisins immédiatement apparentesm.
Perrois ne croyait pas si bien dire. Nous débutons cette partie de maniére singulière. En
effet, nous donnons d'abord la liste de tous les couples du village shamaye de Ndzokaloundza.
Ce tableau compile pendant quatre années de recherches reflète la réalité de presque tous les
villages shamaye et le lecteur comprendra pourquoi. Nous donnoas les noms des conjoints,
celui de leur ethnie entre parenthèses et celui de leur paailignage en italique"s.
11 Noël Olandou (Sharnaye), Wabi - Valentine Kétsôngo (Ongom), Itouku-
21 Antoine Ngoulou (Shamaye), Pfoungou -Suzanne Nshana (Shaké), Ougnalè.
31 Pierre Ibakatoa (Shamaye), Ombela -M. Elingwègnangwè (Sharnaye), Pfoungou.
4/ Jean Maloba (Shamaye), Otadji -Hélène Avanga (ilcota), Isèlè.
5/ Germain Mbngoungou (Shamaye), Ombela -Pauline Magnassa (Shamaye), Pfoungou.
6/ Bernard Njounghan (Shamaye), Minskambi -Marie Nkèkè (Ongom), Alembf.
7/ Jules Gnamangoye (Shamaye), Pfozmgou -Henriette Baka (Shamaye), Ombela.
8,' Georges Ntemoidji (Shamaye), ,4vabi -Madeleine Mouhola (Ndzebi), Boukondzo.
91 Martin Bandarnbou (Shamaye), Ombela Josiane Bokou (Shamaye), .h/jabi.
101 Gilbert Baloudi (Shamaye), Wabi -Agnès Kopagni (Shaké), Ougnalè.
1 1/ Laurent Bapendangoye (Sharnaye), Pfoungou:
-Elisabeth Bitournbi (Ongom), Shambanja.
-Jeannine Bapissa (Ongom), Shambanja.
121 Jean-Pierre Benga (Shamaye), Pfoungou:
-Mariane Mamboda (Ondasa), Shakozrslza.
-Honorine Oyouobangwe (Ndambomo), Minhoulo.
254 Perrois, L., "Chronique", p.20. ~ 5 ' Cette liste ne saurait être exhaustive car n'ont été recensés que les couples présents lors de nos
enquêtes. Ainsi nous n'avons pas tenu compte des originaires du village éparpiiiés dans les villes minières (Moanda et Mounana) et tout naturellement ceux de Libreville la capitale. Mais chez ces conioints aussi on constate la réalité semblable à celle oui prévaut au village natal.
131 Grégoire Sheba (Shamaye), M i m h b i -Jeanne Ngomboumbé (Shakk), Ougnaiè.
141 Gaston Litadi (Shamaye), A@bi Cosette Liloussi (ûngom), OUdmM.
151 albert Iboundjangoye (Shamaye), Njabi -Piemztte Mayaya (Shamaye), Moufou
161 Jacques Ignatangoye (Shamaye), wi -Marthe Pebi (Ndzebi), Miyenga.
171 Patrice Ngabouè (Shamaye), Njabi -Josephine Yimetoka (Ongom), Misha.
181 François Mabobo (Shamaye), OmbeIa -Marthe AIssanarnboka (Ikota), M é k a
191 Urbain Manjanga (Ongom), Wésha -Francine Minkièngue (Shamaye), A@bi
201 Adolphe Bakoubadji (Shamaye), Mishambi -M-B. Biboumi (Ondasa), Ognama-
21/ Philippe Ignanga (Shamaye), Njabi -Angélique Adjiya (Shamaye), Mièn*
22/ Moïse Njoubou (Shamaye), Ombela:
-Suzanne Bikayi (Ondasa), Mikodji.
N Okoumbashogni (Shamaye), Shanjumbi
231 Jérôme Bouwama, (Shamaye), Pfoungou -Adde Mwahitowambalè (Ikota), Isèfè.
Ce qui caractérise les circuits matrimoniaux chez les Shamaye, c'est un conservatisme
qui dure depuis au moins soixante ans. Comment? On peut répartir la mosaïque des ethnies de
l'Est du Gabon en deux grands ensembles: le groupe Bakota qui comprend les Bakota stricto
sensu, les Shaké, les Ndambomo, les Shamaye, les Mahongwé, les Ondasa, les Bahoumbou et
même les Ongorn ou Akélk. Le deuxième groupe, que nous appelerons le groupe Badouma,
comprend les Badouma proprement dits, les Bawandji, les Obarnba ou Ambaama, les
Banjabi, les Bakaningi et les Ndournou Nous donnons le nom de Bakota au premier
ensemble parce que numériquement les Bakota au sens premier sont les plus nombreux de ce
groupe, tandis que les Badouma voient leur nom attribué a leur groupe à cause de leur langue
le liwanzi qui est au 19e siècle la langue des "affaires", c'est-à-dire du commerce sur
l'Ogooué. En effet le commerce était organisé sur le fleuve de la côte vers i'interieur. Les
Badouma a Lastourville etaient ainsi les bénéficiaires des marchandises qu'ils allaient ensuite
vendre loin dans le Haut-Ogoou6 chez leurs parents les Obarnba, les Ndoumoy les Bakaningi
et chez les ethnies bakota. Les Bakota, comme les Badouma d'ailleurs, sont des parents
linguistiques incontestés. Mais tandis que l'origine des Bakota est connue (ils sont rentrés au
Gabon par le nord), celle des Badouma est un véritable casse-tête pour les historiens qui,
jusqu'h ce jour, ne savent pas si les ethnies de ce groupe viennent du sud ou de l'est. Les
Bakota pratiquent la filiation patrilinbaire tandis que les Badouma sont matrilinéaires. Mais la
grande diffdrence entre les deux groupes vient de la pratique de la circoncision. Pendant
qu'elle est une simple ophtion pratiquée en bas âge chez les Badouma, elle est pour les
Bakota tout un rite de passage de l'état d'adolescent à celui d'adulte pour ne citer que cet
aspect. C'est pourquoi chez ces derniers elle se pratique à un âge avancé pour que le futur
chef de famille subisse avec succès l'épreuve de la douleur. Or, il semble que ces
ressemblances entre les Bakota et les différences avec les Badouma aient conditionné et
dessiné par la même occasion les circuits matrimoniaux des Shamaye.
Le premier de ces éléments ayant favorisé les relations matrimoniales des Shamaye
avec les uns et exclu tout rapport avec les autres est l'histoire. Voici le tkmoignage d'un
notable:
Prendre une femme en mariage n'est jamais le f i t d'un hasard. De tous les temps nous les Ongom, les Ondasa, les Shamaye, les Mahongwé, les Shake, les Bakota et les Ndarnbomo, nous nous sommes toujours échangés les femmes entre nous parce que nous nous comprenons sans interprètes, mais surtout, et ça tu dois le marquer, parce que nous savons tous quelles sont les règles du mariage chez nous. Je vais te donner un exemple: si je vais chercher une épouse dans un de vos lignages shamaye et qu'après plusieurs années je m'aperçois que ma femme est stérile, je retourne simplement réclamer une femme plus jeune auprès de mes beaux-parents qui sans complications me trouverons une autre épouse. Ce sont là des pratiques que nous avons développées depuis des années, des habitudes que nous avons héritées de nos ancêtres. C'est pourquoi nous ne nous marions jamais avec les Bandjabi parce que nous ne savons pas comment ils font. Ces gens ià jusqu'a une période récente, n'ont jamais été avec nous. Nous ne venons pas d'un même pays et nous nous sommes rencontrés ici à cause des I3lancs2*.
Le témoignage dgOdounga se termine par ceci : "Les Bandjabi n'ont jamais été avec
nous". 11 faut noter que ce récit a été enregistré au sud du pays shamaye où en dehors des
ethnies bakota, les Shamaye ont pour autres voisins les Bandjabi. Jusqu'en 1960, même si les
Shamaye et les Bandjabi sont tous du canton Leyoy les deux ethnies vivaient chacune sur une
"terre" différente, les aléas des migrations ayant placé les Shamaye au nord dans la "terre"
Lecoudi, alors que les Bandjabi vivaient au sud dans les terres Poubi et Haute Leyou. Une
année avant l'indépendance, les "terres" ont eté supprimées et les autorités administratives ont
Témoignage d'Eughe Odouqa, Ongom, Shomifono, 73 ans, chef du regroupement de Bamberabiyoko, entretien du 6 janvier 1995 à Bamberabiyoko.
décidé de regrouper les Shamaye et apparentés avec les Bandjabi le long de la "route de
Franceville". Mais, bien que vivant désormais avec les Bandjabi sur un même axe routier, les
Shamaye et apparentés ont tenu à préserver leur identité territoriale en refiisant de mélanger
leurs villages ii ceux des Bandjabi. Les Shamaye entretiendront donc toujours les relations
matrimoniales avec leurs parents comme le démontre notre liste de couples. Mais qu'est ce
qui explique cette permanence?
Il faut souligner que les circuits matrimoniaux que les Shamaye entretiennent depuis
1930 au moins ne sont que la résutante des circuits matrimoniaux anciens, c'est-a4re
précoloniaux. Pourquoi? II faut noter qu'a partir de 1930 et bien avant cette date, il était
courant chez les Shamaye que sur quatre jeunes hommes, trois épousaient une femme choisie
par le père. Même au dernier, les parents lui demandaient d'aller faire des avances (en vue
d'une demande en mariage) à une fille dans un lignage de leur choix. Le lecteur va
comprendre pourquoi. Les habitudes matrimoniales shamaye sont guidées par ces deux
termes: ignernoul2 et iyounga. Le premier peut se traduire par "ressusciter", et le deuxième
par "perpétuer". En effet, le mariage prononcé, sa validité entraîne plusieurs liens individuels
et collectifs. Outre les liens qui unissent le mari (nloumi) a sa femme (mwadji), les autres
liens individuels sont par exemple ceux qui unissent le gendre à son beau-père ou à sa belle-
mère (batshilou) ou encore au frère de sa femme (gnali). Mais les liens les plus importants
pour comprendre Ie fonctionnement des circuits mammoniaux sont les liens collectifs. En
effet, par la loi de l'exogamie, le mariage shamaye met en contact deux lignages différents, Ie
lignage qui acquiert la femme, et celui qui reçoit la dot. Le premier lignage est pour le
second, babadji, c'est-à-dire ceux qui ont pris en mariage la fille de la famille X; tandis que le
second lignage est pou. le premier, maloukou, c'est-à-dire ceux qui ont reçu la dot de tel
lignage.
Ce ne sont pas la des terminologies vides de sens parce que les deux familles ont I'une
envers l'autre des droits et des devoirs. En effet, un Shamaye du lignage A qui va contracter
un mariage avec une fille du lignage B est en droit, comme I'a si bien exptiqué Eugène
Odounga, après queIques années, de venir réclamer une autre épouse dans ce Iignage en cas
de décès de la femmezn ou de son incapacité a procréer. Dans ce cas, il a quelquefois le
devoir de verser un supplément de dut. Pour revenir à notre liste, c'est ce genre de lien qui
257 C'est cette idée que i'adminimeur Montespan a voulu traduire, mais il le fait si maladroitement lorsqu'il écrit que "la coutume, en effet, considére la femme comme un bien meuble, traosmissible par héritage ou par convention, remplaçable par une autre de valeur équivalente s'il vient à disparaître", cf Montespan, op.cif., p. 47.
unit par exemple Laurent Bapendangoye au lignage Ongom de Shambunja. En effet, au bout
de vingt-six ans de vie commune, Laurent Bapendangoye constate que sa femme Bitoumbi est
stérile. Il réclame une autre épouse et le fière de sa femme lui donne en mariage son unique
fille Jeannine Bapissa qui, en 1994, donnera a Bapendangoye un petit &arçon. De même pour
Mofse Njoubou et ses deux femmes. Apres douze ans de mariage, Okoumbashogni la
première femme n'avait toujours pas d'enfant. En 1969, elIe retourne chez ses parents et
ramène Suzanne Bikayi sa "soeur classificatoire" qui donnera a son mari sept enfants en
vingt-et-un an de mariage.
Mais il arrive aussi qu'en cas de décès de la femme, un homme soit trop vieux pour
commencer une nouvelle vie de conjoint. Un garçon en âge de se marier de la famille de
l'époux bénéficiera de l'union avec la remplaçante. C'est l'union qu'on dit ignemoulè. Dès qu'il
a atteint l'âge, un jeune homme, qui peut être soit le petit-frére, le petit-fils ou I'enfant de la
soeur ou du frére du vieil époux, ira réclamer une autre femme a la famille de i'épouse morte.
On dit alors que ce garçon a "ressuscité" un ancien mariage et quand ce phénomène se
poursuit, durant plusieurs générations, entre deux lignages, on dit qu'il y a perpétuité
(iyomgoulè) des liens matrimoniaux entre deux lignages. Ce sont ce genre de relations que
les lignages sharnaye ont développé entre eux et avec cew des ethnies apparentées, et qui
sont le résultat d'une origine commune de ces groupes. Ce qui est curieux, c'est que jusqu'aux
années 1990, il y a comme une cristaIlisation de ces pratiques. En revenant ii notre liste, on
remarque qu'après les échanges entre les lignages shamaye eux-mêmes, les épouses des
Shamaye à Ndzoka1oundz.a viennent des Ongom suivis des Ondasa, Rota. Shaké, Ndzébi (ou
Bandjabi) et Ndambomo, c'est-à-dire, si on soustrait les deux femmes banjabi, uniquement
des ethnies balcota Les Shamaye et apparentés expliquent que ce sont les pratiques reçues de
leurs ancêtres et qu'il en sera toujours ainsi car ce sont des liens et des habitudes acquises et
forgées depuis Ngouadji jusqu'aujourd1iui.
Au sud du pays shamaye, cette permanence des circuits matrimoniaux risque de durer
encore longtemps. En effet, a la question de savoir pourquoi depuis les années 1960, date à
laquelle les Shamaye sont venus s'établir sur la mëme route (le noweau canton Leyou
constitué d'une seule route, "la route de Franceville") que les Bandjabi, il n' y a pas de mariage
avec les voisins Bandjabi. La réponse des Sharnaye tombe comme un couperet: "quand une
femme bandjabi vient en mariage cher nous, c'est qu'elle n'est plus bonne a rien". bn cite
alors en exemple les deux femmes bandjabi "venues dans un état de vieillesse trés avancee".
Les Sharnaye prétendent que les Bandjabi gardent les jeunes femmes pour eux-mêmes et ne
donnent en mariage que les vieiIles. Dupré confirme "qu'ils (les Nzabi ou Bandjabi) clament à
qui veut les entendre qu'ils épousent lem @tes-fil~es"~~~, dormant ainsi raison aux
~ h a r n a ~ e ~ ~ ' qui ne voudraient pas être les dindons de la farce et p r é f m pcrpehicf des
relatiaas ~ ~ a I e s équilibrh entre les lignages shamaye a entre ces dtrniers a les
lignages des ethnies bakota.
Au nord du pays, en &h des ethnies bakota les Shamaye ont paia voishs les
Obamba Sur I'axe routier Malrokoii-Okondja, les Shamaye sont coincés enire les Bakota et
les Mahongw6 a l'ouest et les Obamba B l'est Les plus irnpo- &banges des femmes ont
lieu avec les Mahongwé qui, comme I'a remarqué Pmois en 1968, viennent souvent prendre
femme chez les ~ h a m a y 6 ~ ~ . Ceci n'est pes le miit d'un hasard car les Shamaye sont très liés
aux ~ a h o n g w e ~ ' , et nous avons montré dans notre travail de mamise 1> - comment de toides les
langues bakota, le mahongwC et I'osarnayi &ent les plus apparentées. Les deux ethnies
ressentent donc un fort sentiment de parenté et souvent quand un Mahongwé veut qwnet son
village d'origine,"clest chez les Shamaye qu'il va s'installer"262.
Après les Mahongwé, viement les Bakota et les Obamba- Les Obamba qui sont du
groupe Badouma trouvent grâce aux yeux des Shamaye, même si l'ampleur des &banges
matrimoniaux entre les dew ethnies est loin de rivaliser avec les échanges entre les lignages
s b a y e eux-mêmes et entre ceux4 et les lignages bakotii. Ceci s'explique encore une fois
par I'histoire. Les Obamba et les Shamaye avaient eu un bref contact à Ngouadji et les
premiers avaient été à I'origiw du départ des seconds du pays d'origine wmun (voir
chapitre 2). fl a fallu attendre la fin des expéditions de l'administrateur André Evm m e
1930-1932 pour stabiliser les Shamaye, qui "erraient dans la foret", au nord d'Okondja Les
Shamaye y ont désonnais pur voisins les Obamba ou Ambaama Donc, contrairement aux
Bandjabi au sud, la cohabitation entre les Shamaye et les Obamba remonte au début des
années 30. Entre 1953 et 1956, le pays sur I'ancieme piste des Shamaye que se partagent les
Shamaye et les Obamba a été baptisé le "canton des ~ a m a ~ e s " ~ ~ ~ .
Une ombre a noirci les rapports matrimoniaux suivis entre les Shamaye et les Obamba
En effet, la société obamba est depuis quelques années en pteine mutation culturelle. Les
historiens pensent que les obligations miIitaires, auxquelles le groupe a dû faire face dans la
deuxième moitié du 19e siècle, ont poussé celui-ci a passer d'un régime matrilinéaire a un
régime patrilinéaire. De nos jours, les Obamba pratiquent d m un régirne mixte. Or ceci n'est
pas sans conséquences sur leurs reIations matrimoniales avec les Shamaye. Voici le
témoignage d'un Shamaye qui a pris une femme obamba:
Le mariage avec une femme obamba n'est pas chose aisée et nous les Shamaye commençons à peine a nous en rendre compte. Comme chez eaq les Obainba, c'est le f'rère qui a le pouvoir sur les enfants de sa soeur, alors ils veulent aussi commander les e h t s que nous les Shamaye faisons avec les femmes obamba, ce qui n'est pas normal à mes yeux_ Je vais te prendre i'exemple de mes propres enfants qui sont au nombre de sept. Aucun dieux ne sait parier correctement l'osamayi aiors que tous parlent couramment la langue de leur mère parce que quand ils passent de longs mois chez leurs oncles maternels, on leur dit que I'obamba est leur vraie langue. Crois-tu qu'avec ça je pourrai un jour inciter un de mes fils à épouser une femme obamba? Je n'en suis pas certain264.
Les circuits matrimoniaux sbarnaye et leur permanence de 1930 a 1990 répondent aux
principes qui ont toujours guidé les Sbamaye dans le choix d'une femme: la stabilité qui est
mère de continuité. Nous ne sommes pas en train de dire qu'il ne peut pas y avoir des
échanges matrimoniaux entre nouveaux lignages, mais avant d'aller chercher une nouvelle
épouse ailleurs, le Shamaye vérifie d'abord s'il n y a pas de possibilité d'avoir une femme
auprés d'un lignage allié. Et tout ceci dépasse le niveau ethnique shamaye pour s'étendre
jusqu'aux lignages alliés des -es bakota. Enfin, le choix d'une femme par un Shamaye est
toujours guidé par le proverbe suivant: ERoko yè ba Ièmbwè t d è n 'shudou yè @nalaka shi
nfshélè, qui signifie "le bois qu'on jette en amont se retrouve toujours en aval." On veut ainsi
dire qu'une femme étrangère, finit toujours par divorcer et retourner chez elle. Ainsi les
Shaké et les Ndambomo qu'Hubert Deschamps intenoge en 1962, lui répondent qu'ils ne se
marient qu'entre "les trois peuples f r é r e ~ " ~ ~ ~ , c'est-à-dire les "Shamai; Shake et ~dambomo"*~~
m4 Tèmoignage & Pierre N- Sbmye, Buuufa, a m i e n & 02 nmrs 1996 a L i e . ms Deschamps, K, op.cir , p.74.
et avec les Manhongwe, et "qu'ils n'épousent jamais les an^" On voit donc clairement que
les circuits matrimoniaux shamaye constituent un élément de différenciation ethnique.
4 3 2 L'évolntion de la dot
L'administrateur Montespan, qui par ailleurs a fait une excellente étude comparative sur
le mariage chez les ethnies bakota (qu'il appelle Shaké) et les Badouma, pense que le mariage
n'est "qu'un contrat de vente, dont la femme est l'objef"'. Et en ce qui Concerne la dot,
nombreux sont ceux qui pensent que celle-ci n'est que le prix d'achat d'une femme. C'est
pourquoi nous aurions préféré le terme de compensation matrimonide qui correspond bien à
la pratique de la dot par les Shamaye. Cest dans ce sens que nous utiliserons le terme de dot.
La dot selon les Shamaye aide a maintenir l'équilibre entre les lignages exoganies car la
"compensation" qui est perçue pour le mariage d'une fille permet a son frère d'épouser une
autre fille qui non seulemeut remplace physiquement celle qui s'en va, mais va perpétuer le
lignage du mari par la progéni~e. Ainsi, un lignage qui donne une fille en mariage en
recevra indirectement plusieurs par le jeu d'autres mariages et de la procréation. Le
symbolisme de la dot est dans ce cas celui d'une source de vie. Jean Keller écrivait que les
ethnologues ont pu définir la place de la dot dans le mariage comme "un échange entre deux
familles d'une source de vie contre un signe représentant une future source de vie"'69. Enfin
nous nous rallions au point de vue de Sousatte qui est le suivant:
De beaux esprits, ne comprenant rien a la civilisation noire, ont clamé à tous vents, que la femme noire était l'objet d'un marché. Cest là une grosse erreur d'interprétation psychologique. La dot chez I'A6icain représente autre chose que la rançon de la femme, c'est une garantie, un contrat entre deux clans ou mieux encore le droit de "dépendance" au clan du mari, car du fàit du mariage de sa fille, le pére de la mariée perd en quelque sorte son droit clanique et le transmet solennellement au père du marié tout en restant responsable de la personnalité "spirituelle" de sa fille. Dès lors, il est tout naturel que le père de la mariée réclame une garantie pour la perte partielle de son droit clanique. Mais si pour une raison
364 DeschampS H., op-CIL, p.72. '15' Ibid.. D-74. *
onte es pan, op-cil. , p.47. '69 Jeau Keller, "La dot dans i'évoiuticm de I'Mikpe Noire", JmmaI dpr Misions Évangé~iques.
juillet-août-septembre 195 1, pp.263-275, p.263.
sérieuse, en fonction avec la grande loi clanique de procréation (stedité constatée, adultère c o ~ ~ ~ m m k ) la fille se trouve dans l'obligation de rejoindre son clan, le droit de "d@endance" est remboursé jusqu'B la dernière
La dot est, comme l'écrit Andenson, une "indemnitc5" que le clan de l'homme paye à
celui de la femme pour la perte qu'il subit, ce que confirme Keller losrqu'il écrit que la dot
"constituait un s e a u du mariage et une garantie de sa
L'histoire de l'évolution de la dot chez les Shamaye depuis 1930 est celle d'un lent mais
sûr passage des objets traditionnels vers la toute puissance de l'argent. Ceci s'explique
évidemment par des raisons historiques et économiques, et on peut analyser cette mutation en
deux étapes: de 1930 a 1950, et de 1950 a 1990.
En 1930, l'Est du Gabon et le pays shamaye sortent d'une période de plus de trente
années d'exploitation par la compagnie concessionnaire S.H.0. Donc, à partir de 1930 les
éléments traditionnels de la do+'' côtoient les marchandises européennes inîïdiiîes par la
S.H.O. Ainsi dans une dot on rencontre, le marteau de forgeron (njoundou) et l'enclume
(MG@) qui l'accompagne toujours, les cabris (bitaba), les moutons (mandombwani), les
haches (bzhoundou), les couteaux (mumbèdji), la volaille, le aeptunes (bimbombou), les
pagnes (mikanda), les perles (mandouta), les bracelets de cuivres (myondo).
La dificulte d'étudier la composition de la dot entre 1930 et 1950 réside dans le fait que
les données orales recueillies ne permettent pas de donner la valeur monétaire dune dot. A
cette période, comme aujourd'hui d'ailleurs, il n' y a aucune règle qui détermine avec
précision la composition de la dot, et les seuls éléments obligatoires sont les marteaux et les
enclumes de forgerons qui sont d'ailleurs l'unité de valeur des ethnies bakota Leur nombre
n'est pas défini, mais les informateun shamaye affirment que la moyenne pour une dot était
de cinq marteaux et cinq enclumes, les autres biens à foumir étaient expressément exiges par
la belle-famille. En 1930, Delafosse et Poumin donnent un exemple de la dot chez les tribus
bakota: 10 corbeilles de sel (30 fis.), 100 toises de tissus (50 frs.), 1 cuvette, lpot a eau, 2
couvemires, des matchettes, des chapeaux, des meaux de pied, et des U est
270 Sousatte, RP., op-cil., p. 18. 271 K e k , J. op-cil., p.263.
Un récit reareilli ai 1989 donne un exemple & dot traditionnelle qui pouvait comprendre les déments suivants: rnaho~hi (grands fiiets de chasse), makungo (sagaies), mikwe~e (matchettes de fabrication tmïïtiomieUe), nirrdjeekr (marmites en argile), miten@ (enclumes), b<mioundou (marteaux), bitaba (cabris) et ~ Q S ~ M I S ~ O U (poules), etc. ..
m~ndcrsson, E., op. cil.. 14 1.
surprenant de voir que les deux auteurs ne mentionnent pas les marteaux. De toute façon, la
dot est toujours en rapport avec la richesse du lignage. Chez les Shamaye, elle ne pouvait Stre
supérieure ;l celle des riches Badouma dont la valeur à la fin des années quarante était de
lSW à 2000 fn274 (depuis la période de la traite des esclaves, les Badouma contrôlaient le
commerce sur llOgooue, et au Gabon plus on se rapproche de la côte et des grands centres
commerciaux, plus la dot devient ~onsk~uente~'~). Nous ne parlons ici, en ce qui concerne les
Shamaye, que de deux versements au terme desquels la nouvelle mariée est autorisée à
joindre le village de son époux, le nlèshi, et le idoubou. Mais la dot comprend aussi tous les
"cadeaux" (en nature et plus tard en argent) qu'on donne à un membre de la belle-famille en
voyage (ndjounga) chez le gendre, ou ce que ce dernier verse à chaque cérkmonie de
circoncision qu'orgainisent les beaux-parents. Ces versements complémentaires et
interminables s'appellent ikouèlè.
L'année 1950 marque un tournant dans l'évolution de la dot à cause de l'exploitation
forestière qui va culminer en 1970. Ce boum de I'okoumé va amrer vers la côte les
populations de l'intérieur dont les Shamaye. Le chef du district de Makokou observe en juillet
1950 la très forte émigration des jeunes du pays shamaye: "La circulation sur la piste du
Bouéni a été intense dwant ce mois. Près d'me centaine de cartes d'identité ou de laisser
passer ont été visés au District. Ces voyageurs étaient tous jeunes et se dirigeaient vers
~ibreville"~'~. Ce départ des Shamaye vers les chantiers forestiers ou "le travail était difficile
mais l'argent facile", aux dires des principaux concern&, allait faire de nouveaux riches. Ceci
va se traduire par la percée de l'argent et des pagnes dans la composition de la dot. Ces
pagnes, disent les Shamaye,"on les achetait par douzaines B Port-Gentil et a Libreville". Les
cahiers de dot etaient rares à l'époque, mais nous avons eu la chance de trouver deux procès
verbaux de jugements de divorce impliquant des conjoints shamaye a Makokou
Voyons d'abord la composition de la dot dEmest Mbazaboua, né vers 1937 à Bakouaka,
marié "selon la couhime shamaye depuis 1952" avec Adele Nkodondo:
-79.275 &CS
-21 pagnes
- I matchette
- 1 pipe
274 Andersson, A., op- ci^, p.214. Ibid.
276 Rapport d'information politique, 3 p., Makokou, le 3 jwllct 1950. Arcbives de la prbf~fechne & Makokou,
- 4 assiettes
- 1 mannite
- 2 cabris - 2 canifs
- 1 paire de ~ W l l a ~
- 1 moustiquaire."
Paul Ngandou qui traîne sa femme devant les jurés le 12/05/1970 après onze ans de
mariage dit qufiI voudrait "que cette dernière et ses parents me remboursent purement et
simplement ma dot qui s'élève à 69.100 Comme on le voit, ii ne fait qu'une
estimation monétaire de la valeur de la dot. Ceci montre que les maris qui veulent retirer leur
dot ne veulent plus entendre parler des marchandises locales qu'ils ont versées; ils voudraient
plutôt qu'a la place on leur donne de l'argent.
A partir de l96û- 196 1, le Gabon entre dans l'ère de l'exploitation minière qui va aussi
attirer les Shamaye. Ceci va avoir une nouvelle répercussion sur la dot. Un exemple, le 24
Juin 1979, JeamPierre Benga, manoeuvre a la Comilog prend possession de sa deuxième
femme Honorine Oyouobangouè. Son "cahier de dot" nous a permis de constater l'évolution
des marchandises et de l'argent qu'il a versés en 1978 et 1979:
Premier versement
- 60 000 h c s en espéces
-32 pièces de pagnes
- 3 complets
- 3 pantalons tergal
- 5 chemises
- 5 robes
- 4 paires de draps
- 2 tricots
- 2 ceintures.
Deuxième versement
- 95 000 francs en espèces
2n " Juganent de divorce n 1 ". Tribunal du premier dégré de Makokou, jugement de divorce, a27, Makokou, le 12 mai 1970.
Archives de la préf- de Makokou
- 16 pièces de pagnes
- 20 matchettes
- 1 radio
- 1 pantalon velours
- 3 couvre-lits.
Total der deux premiers versements: 155.ûûOfi-s et 101 rnarchandi~es~'~.
Mais la dot de Benga a progressé en onze ans de mariage. En effet, en 1990, le total des
marchandises s'élève à 466, tandis que les versements en espèces ont atteint la somme de
671.000 h c s . Grâce a un "cahier" rigoureusement tenu, nous pouvons citer quelques
exemples de ces versements:
"Quand l'enfant du fiére de ma femme, Martin Djagni, est venu passer les vacances
chez moi en 1986, je lui ai donné une somme de 20.000 flancs;
"A la circoncision de mon beau-frère, Paul Ibadji a Livouta le 10 août 1983, mon grand
frére Antoine Ngoulou a versé 15.000 francs et moi-même 25.000 h c s ;
"Quand ma femme avait la grossesse de mon troisième fils Mar10 Mapengou, la petite-
soeur de la mère de ma femme est venue la garder et a son retour le 3 mai 1988, je lui ai
donné 10.000 fiancs et mon neveu Mouwatsi lui a ajoute 6.000 francs".
433 Les diff'rentes formes du mariave
Les Shamaye pratiquent les formes suivantes de mariage:
-Le mariage courant ou ntouba: C'est aussi la forme de mariage la plus répandue, c'est-
Adire celle que l'administrateur ~ a c i a t c h ~ appelle abusivement le "mariage par achat") qui
est une sorte de contrat entre deux familles, rune versant la dot, l'autre s'engageant a remettre
L'épouse (ma&) une fois le versement terrnink L'homme et la femme ont des droits et des
devoirs l'un envers l'autre qui sont pour l'essentiel: l'obligation pour l'homme de veiller au
bien-être de sa femme, de lui défiicher les champs et les plantations et de porter assistance à
sa belle-famille en tout temps. La femme doit s'occuper des tâches ménagères du foyer, mais
un homme s h a y e attend surtout de sa femme qu'elle lui donne des enfants. Donc en cas de
2T9 Dans ces cahiers de dut, sont comptabifEsés comme "marchandisesn les biens ames que i'argent. Alain Maclatchy, "L'o~ganisation sociaIe des populations de la région de Mimongo (Gabon)".
Bulletin de 1 'institut &lhdes Centr#caines, 1 ( l), f 945, pp.53-86, p.54.
stérilité (okoumba) la femme retourne plaider sa propre cause chez ses parents pour que ces
derniers trouvent à son mari une deuxième femme capable de pn>créer.
Le mariage d'un jeune n'est sowent que l'affaire de son p&e et de ses parents du
Iignage. Parfois, disent les Shamaye, un jeune tout en grandissant, ignore complètement que
son père lui a déjà trowé une femme. Si le fils n'est pas c@Ie de rencontrer lui-m2me une
femme, le père explore alors les réseaux matrimoniaux de sa Mie. C'est ce qui se produit
souvent. Le père adresse sa requête l'ancienne belle-familie de son grand-pke ou à celle de
son oncle mateniel par exemple.
Le mariage courant est aussi l'union d'un homme avec plusieurs femmes, ce qui nous
amène à traiter de la polygamie (èwafa). Sans être généralisée, celieci est pourtant fort
appréciée par Ies Shamaye. En effet, la formule à travers laquelle ils louent les bienfaits de la
polygamie est la suivante:
Mwa@i mokitoulou bé d a mbéyè c$eAayéwè bèp2 shakè bwèma.
"Avoir une seule femme c'est comme apporter une seule marmite
d'argile à un campement de chasse".
Que veut dire ce proverbe? C'est ici un argument en faveur de Ia polygamie. On ne doit
jamais apporter une seule marmite d'argile dans un campement parce que si elle se brise (la
mannite d'argile est fragile) c'est, on l'imagine, tout un malheur. Donc iI faut en apporter au
moins deux C'est comme pour les femmes; il faut en avoir au moins deux car si l'une am've à
mourir, vous resterez avec l'autre. Tout ceci s'explique par la difficulté d'un homme de se
remarier après la mort de sa première femme. Les Shamaye pensent qu'un veuf est une sorte
de porte-maiheur, d'où sowent la réticence d'une femme à épouser quelqu'un qui a déjà perdu
une femme. Quelqu'un qui a déjà perdu une femme perdra une autre, s'il se remarie, pensent
Ies Shamaye. C'est pourquoi, pour éviter toutes ces tracasseries ii vaut mieux avoir beaucoup
de femmes. Mais la polygamie qui existe bien n'est pas un phénomène envahissant et reste
liée à un certain degré d'accumulation des richesses, sans pour autant dire qu'elle soit
l'apanage des miyoumula, c'est-à-dire des riches. Certains Shamaye deviennent polygames
sans le vouloir, par exemple lorsquion reçoit une deuxième épouse par héritage après la mort
d'un parent. La polygamie n'est donc pas, chez Ies Shamaye, uniquement une question de
volont6 et de disposition psychologique individuelle. La polygamie n'est pas sowent vue d'un
bon o d par les Occidentaux qui n'y voient qu'égohme et injustice des maris et des aînés.
Montespan écrit:
Le droit pour le mari d'avoir plusieurs femmes, tandis que la femme n'a pas ceIrri d'avoir plusieurs maris, ne s'explique que par I'égoPsme du miile, par la raison du plus fort, Iaquelle ne saurait legitimer aucun droit. D'autre part, ce sont les indigènes riches qui, par le paiement des dots aux parents, peuvent se procurer plusieurs femmes. Or, les plus riches sont aussi les vieillards, que leur âge rend peu aptes à procréer. Ii s'en suit que les unions où Ie mari est trop âgé sont stkrilesZ8'.
C'est là un jugement sévère contre la polygamie. Mais nous aimerions quand même dire
que chez les Shamaye, la réalité est que les femmes d'un polygame ne sont pas son
exclusivitfi, elles sont laissées a la disposition des d e s de la famille de l'époux (cadets,
enfants des Mres, ceux des soeurs) autorisés à entretenir des relations amoureuses avec elles.
Ces males, qui sont générdement plus jeunes que Ie polygame lui-même, sont donc plus aptes
B faire des enfants avec ces femmes. Mais la seule resûiction (logique d'ailleurs dans la
conception des Shamaye) est que ces enfants appartrennent au mari légal des femmes qui est
leur père social. Par ces pratiques, la polygamie ne saufait donc être chez les Shamaye source
de diminution des naissances. La période d'après-guerre a partir de 1950 introduit des
changements majeurs dans le mariage par l'accès de tous a la compétition matrimoniale. Le
passage de la richesse, par le salariat et surtout par les migrations de travail, des vieux aux
jeunes281 diminue le cumul des femmes par les générations antérieures et kquilibre la
compétition, Le travail minier qui s'amorce aprhs l'indépendance "démocratise" encore un peu
plus cet état des faits. l[Rs nouveaux polygames shamaye ne sont plus de vieux hommes, mais
les jeunes. Ont aussi beaucoup changé (mais en pire), les relations entre les femmes d'un
polygame. Comment? Le terme shamaye de pala est plus proche de co-épouse (personne avec
qui on reçoit les mêmes avantages du mari) que de rivale. Le Shamaye ne fait pas (ou ne doit
pas) Eàire de discrimination entre ses épouses. Chacune a son champ, le mari porte assistance
A tous ses beaux-parents et les épouses vivent en parfaite entente, car la &pouse est parfois
la fille du fière ou la petite-soeur; Mais & nos jours, les relations entre ca-épouses sont en
281 Montespan, op. ci& , p.6 1. 282 Sails lcs jeunes hommes valides étaient aptes aux travaux difficiles comme la coupe de bois.
.train de se modifier. Ii serait trés injuste de dire que ceci est causé par les seules idées
importées d'Occident sans toutefois minimiser ce phénoméne. Ce changement s'explique
aussi par les difficultés économiques et sociaIes des années quatre-vingts. Au Gabon, il y a
comme une crise matrimoniale qui fait que les jeunes femmes ont de la difficulté B se trouver
un mari. Ceci se traduit à l'intérieur des foyers des polygames par des relations orageuses
entre &pouses, l'une voulant ouvertement que i'autre s'en aille pour garder seule le mari et
surtout les avantages sociaux et économiques.
-Le mariage par héritage ou &vanda: Voila une forme de mariage fort appréciée par les
Shamaye. En effet, à la mort d'un homme, sa femme vient en tête de tous les éléments qui
seront partagés entre les ayants droit. L'héritage obéit a des règles assez strictes. Ainsi quand
un Shamaye meurt, on privilégie d'abord ses héritiers du lignage qui sont dans l'ordre
décroissant: le cadet r6el ou classificatoire (mandji), le fils du fière (mwana) et le petit-fils
(ntèkou&). Enfin, ce n'est que quand tous les héritiers du lignage se désistent qu'on sort du
lignage pour attribuer la femme a l'enfant de la soeur (mwakMi). Contrairement aux idées
répandues, la femme a son mot à dire quant au choix de son nouveau conjoint. En réalité, ce
choix n'est pas le fruit d'un hasard et souvent la femme shamaye a tendance à aller vers
l'héritier qui, du vivant de son mari, entretenait déjà les rapports autorisés avec elle, et
ensembIe ils assurent ainsi une certaine continuité. Dès qu'elle a fait son choix, la famille du
d é h t entérine celui-ci, mais si la femme vient à repousser tous les héritiers, elle devra
rembourser toute la dot, Enfin, un véritable conflit ou disons une incompréhension est en
train de s'installer entre les générations shamaye dévoilant ainsi les mutations qui
s'introduisent dans le mariage par héritage. En effet, les "anciens" accusent certains héritiers
potentiels de profiter des avantages que leur offre la "coutume", et de ne pas prendre leurs
responsabilités le moment venu, au nom du modernisme. Par exemple, le fière de la mère
accusera son neveu, qui pourtant entretient des relations coupables avec sa femme, de refuser
de la prendre en héritage parce que l'enfmt de 1a soeur dira qu'il est immoral de prendre en
mariage la femme qu'avait le fkére de sa mère. Les exemples sont légions mais nous retenons
celui que nous donne Jean Mandoumbou:
Mon petit-fière Fidel Mimbéka est mort en 1976 après une longue maiadie. Il a laissé une femme mahongwé, Marthe Epègnè, et un petit garçon de quatre ans. Les enfants de ma soeur ont refusé de la prendre prétextant que leur oncle venant tout juste de mourir, son souvenir étaient encore présent. Mais c'&ait la un moyen élégant de relüser
de prendre la femme. Que powais-je faire? Je ne pouvais tout de même pas garder une f-e qui powait encore aller avec les hommes sans que je lui trouve un man dans ma WUe. J'ai dors accepté de la laisser partir- Elle s'est remariée à Etakanyabé avec Boniface Edoumba qui a remboursé la dot de mon cadet Mais ce qui me firit plus mal c'est que là-bas, elle a fait trois enfants qui auraient dû revenir aux miens si les enfants de ma soeur l'avaient prise en héritagem.
Disons pour terminer que celui qui laisse en héritage est appelé nkubi, la femme qui en
est l'objet est ikabou, et ?!héritier, mboukou. Bref l'héritage d'une femme est encore fort
apprécié des Shamaye et est parfois source de conflits entre les héritiers. Un exemple: Gaston
Manjouwa meurt en mars 1988 a Malanga et laisse une femme que vont se disputer ses deux
"neveux", Georges Lomba du village Livouta et Bernard Ndoumba du village Mandjaye.
Lomba soutient que la femme lui revient de droit car son oncle Uanjouwa a épousé cette
femme avec la dot générée par le mariage de sa mère. Mais la femme a choisi son fière
Ndoumba et Lomba ne i'a récupérée qu'à la mort de ce demier en 1994.
-Le mariage par don ou ryombiskè: C'est une forme d'héritage qui se pratique
uniquement du vivant de i'dpoux C'est un don que le frère de la mère fait à l'enfant de sa
soeur, ou que le pére fait a I'enfant de son fière ou encore qu'un ainé fait a son cadet. Sur ce
point, nous avons un exemple d'un mariage par don réussi à Ndzokaloundm entre ceux que
les Gabonais appellent communément deux fières de "même pére et même mkre." En effet,
après vingtquatre ans de mariage ponctués par cinq enfants, Gilbert Baloudi donne à son
cadet Patrice Ngabouè, "qui dépensait son argent n'importe comment a Mounana parce qu'il
n'avait pas de femme", sa première épouse Joséphine Yimetoka en 1985 avant de prendre une
autre femme, Agnès Kopagni, en 1987. Et depuis que le cadet a pris sa retraite en 1989, les
deux fiétes vivent aujourd'hui en harmonie dans leur "hangar", le cadet ayant mPme eu trois
autres enfants avec la femme que lui a donnt son aîné. Le don de la femme est suivi par un
transfert des obligations, c'est désormais le cadet qui devra répondre aux sollicitations
matérielles de 1' ex-belle-famille de son ainé.
Jean Mandoumbou, Shmaye, Ilouka, atretiw du ler fevrier 1996 à Mak- (Mokou).
-Le mariage par rapt ou iyiba: Jusqu'à la fin des années quarante, ce geme de mariage * *
était encure pratiqut. En 1945, I'sidmtrirstrateur Maclatchy f i t : "Le mariage par rapt consiste
B enlever la femme désuée, mais avec son consentement Le ravisseur mrveille les allées et
venues de sa proie a profite de sa solmide pour l'emmener chez lui. Si la femme est déja
mariée, le mari envoie les membres de sa famille chez l'auteur du rapt qui règle la paiabre en
remboursant la dot Si la fille enlevée est célibataire, i'affaire se w ~ ~ i u t wme a l'ordinaire.
Le rapt est sans doute la siovi*vance des coumes ancestrales qui accordaient à la violence
une part prépondérante. De la sans doute la tranquillité avec laquelle sont accqt& les
manifestations de ce droit 1éonienn?
Mais en réalité, les Shamaye supportent mal le rapt dime femme mariée qui est
considéré comme un affront En effét, le lignage lésé perçoit le rapt d'une femme comme un
défi et ceci conduit toujoun à un afEontement entre les lignages. Voici le témoignage de Paul
Bekouela:
De toutes les façons, quand il y avait un rapt, le lignage lésé savait toujours qui en était responsable, alon avant d'orchestrer une attaque en règle, les membres du lignage venaient proférer des injures générales a la cour du village de l'auteur du rapt L'injure était souvent la niivame:"s1i1 y a un vrai homme dans ce village, c'est-à4re un circoncis qui a volé la femme de tel alors qu'il se manifeste et la chose est réglée, mais si c'est un simple incirconcis, qu'il renvoie cette femme a son propriétaire car un homme qui n'a pas fait la circoncision -à moins que ce soit sa s u r qui l'a opéré- n'est pas digne d'avoir une femmen. Alon inévitablement c'était I'affiontement jusqutà ce que la femme signifie à son mari qu'il pouvait réclamer la dot au ravisseur car elle avait choisi de le quitter.'85
Se faire circoncire par sa soeur est ta plus grave injtm qu'on puisse fairr a un Shamaye.
Cela suppose en effet que la soeur vous a vu nu et vous a touché. Si le mari réussit à récupérer
sa femme, Fauteur du rapt paye aiors une amende pour adultère (okoli) dont le prix, daas les
années 1930, était de 100 neptrmes ou Mais de nos jours l'amende d'adultère
s'élève a des milliers de h c s .
284 Maclatchy, A, op. cir , p.58. 285
2% P d BdromIa, Shamaye, h a l a , 5 7 ans, entretien du 1 0-02- 19% an village Mbela (Makokou). Moxxtespgn, op. cir.. p.54.
La présence coloniale avait diminué le nombre des rapts de femmes car, à cause de la
présence des Blancs, les -s victimes et leurs famiilles ne pouvaient plus se m e justice.
Aux dires de Bekouela, l'adminisûaîion "ne tolérait plus les désordres provoqués par le vol
des femmes d'autnri". Aujourd'hui on ne peut plus parler de rapt de kmme. La femme qui
veut quitter son mari le fait librement et le nouveau mari rembourse la dot du premier mari.
Donc de nos jours le consentement est de plus en plus cIair.
-Le mariage prénatal ou bipwanja: Les traditions mentionnent que ce mariage "même
longtemps après i'arrivée des Blancs avait toujours mm". il s'explique par le désir d'un
homme d'avoir pour lui ou pour son fils, une femme qu'on peut soi-même éduquer et qui ne
connaît pas encore les hommes. Ainsi, le prétendant se présente auprès d'un homme dont la
femme est en grossesse. Et s'il n' y a pas d'objection, il verse la dot pour l'enfant a naître dont
il prendra possession quand elle aura atteint i'âge de la puberté. Les années 1960 sont
certainement celles qui ont vu la disparition du mariage prénatal car comme le dit Bekouela
"qui dans ce Gabon de Bongo peut encore manger la dot diui enfant qui est encore dans le
ventre au risque de la rembourser rapidement parce que cette enfant n'acceptera jamais un tel '$87 mariage. .
43.4 Le divorce de 1930 Q 1990
Les causes du divorce sont multiples et on ne peut pas toutes les énumérer. Elles
peuvent être internes ou externes au couple. Ainsi pèle-mele on dénombre comme cause du
divorce: i'adultkre répété de la femme (chez les Shamaye il n'y a pas d'adultère masculin), la
stériiite, la mise au monde des enfants malades, le fait qu'un homme ne satisfasse pas les
besoins matériels de sa femme, l'impolitesse du mari envers ses beaux-parents, la violence du
mari mais et surtout i'impuissance du mari qui est une infinnité grave et redoutée par tout
Shamaye qui aimerait garder sa femme. C'est pourquoi les autres Gabonais s'amusent souvent
à dire que les Shamaye et les aubes Bakota w d s s e n t mieux les secrets de la guérison de
I'impuissance masculine et de l'entretien du corps de ta femme. De toute fwn, pour divorcer,
la femme ou l'homme doit évoquer des raisons valables. Or le reproche qui est fait aux jeunes
2s7 Bélroud& P., 0p.cft.
Shamaye, "c'est de se marier le matin pour divorcer Ie soir". Voici le point de vue de
Bekouela interrogé sur la question:
Du temps de mon grand-père, de mon père, et à mon époque, un homme ne doit pas se séparer d'avec sa femme pour le plaisir de Ie faire. On se sépare pour une raison grave, et avant qu'il y ait divorce, on tente toujours de réconcilier les deux parties. Si ta femme a eu des rapports avec un autre homme, on te paye l'amende pour adultère. Or vous Ies jeunes d'aujourd'hui qui êtes nés apr6s l'indépendance, que faites vous? Vous répudiez la femme parce qu'elle vous aura trompé une fois. Mais vous vous trompez car nos parents nous disaient toujours qu'on garde une femme non pas parce qu'elle vous est fidèle, car la femme n'est jamais fidèle, mais parce qu'elle te prépare a manger et te fait les enfants. Tu me traiteras de fou si je t'affirme que dans ce village ou sur ce canton, je connais au moins deux hommes qui sont ou ont été les amants de ma femme, mais j'ai toujours fermé les yeux car si tu veux que la famille vienne à tes cotés, il te faut une femme. Dis-moi honnêtement si toi ou un autre jeune de ton âge peut agir comme moi et les gens de ma
Évidemment nous n'avons pas répondu à cette question et avons choisi le mutisme. Les
raisons que les femmes avancent pour obtenir un divorce n'ont rien de "sérieux". Voici ce que
Nkondondo propose comme raisons de sa demande de divorce: "Monsieur le Résident, mon
mari me menace très souvent. Et, il a souvent des mauvaises habitudes. Je ne voudrais pius
continuer avec lui. Voila tout ce que j'avais à dire."289
Quoi qu'il en ait, le divorce enmine le remboursement iattgral de la dot faute de quoi,
tous les enfants qui naîtront de l'union de la femme avec un autre homme appartiendront a
son premier mari. Mais depuis l'entrée en vigueur de la loi n.20/63 du 31 mai 1963 qui
réglemente la dot, le remboursement de ceIle-ci n'est plus complet pour les litiges qui sont
portés devant les autorités administratives ou judiciaires. Ne sont $us remboursées que les
sommes ou les marchandises versées avant 2963. Mbazaboua l'a appris à ses dépens en 1970.
Voici encore une fois, un extrait du procès verbal de son divorce d'avec Nkondondo:
Vu i'incompatibilitd d'humeur entre les deux épow; attendu qu'il y a plus de six mois que Mme Nkondondo a
Békouela, P., opcil. 289 "Jugement de divorce n. 1 ", op-cil., p. 1.
abandonne le domicile conjugai; attendu que monsieur Pessi, père de la femme est près A rembourser la dot; attendu que la nommée Nkondondo est impossible de réint6grer le domicile conjugd; vu ia loi n.20/63 du 32 mai 1963 portant interdiction de la dot; vu Ie décret n.O0227/PR du 24 juiiiet 1963 déterminant les modalités de remboursement des dots versées antérieurement t i la date d'en* en vigueur de la loi du 3lmai 1963 en cas de dissolution anticipée du mariage; attendu qu'un montant de 79.275 francs a &é versé en 1952 donc antérieurement a la date d'entrée en vigueur de la loi du 3 lmai 1963; le tribunal condamne M. Passi Alexandre à rembourser à M. Mbazaboua Emest les % de la dot soit 5 1.170 francs et le reste des marchandises290.
Comme on le voit, deux législations parallèles existent maintenant au Gabon en matière
de remboursement de la dot: celle des tribunaux coutumiers où la dot est remboursée en
totalité et celle des tribunaux administratifs qui n'autorisent que le seul remboursement des
dots versées avant 1963. Mais la dot chez les Sharnaye continue a être régie par les
mécanismes d'antan: elle est versée par les uns et perçue ou remboursée par les autres par la
législation traditionnelle. En effet, quel prétendant irait demander la main de sa fille a un
Shamaye en disant par la même occasion qu'il ne versera pas la dot à son beau-père parce que
celle-ci aura été interdite par les autorités depuis plus de trente ans?
Conclusion
En cette fin de siècle, les observateurs sont unanimes a reconnaitre que I'importance des
sociétés lignagères en Afrique "a souvent été mésestimée", et quf on a trop souvent accordé
une place trop importante aux sociétés dites étatiques, c'est-à-dire les "grands empires". Or on
se rend maintenant compte que les socittés lignagères présentent chacune une origrnalité
évidente. Nous venons de voir que la parenté ou l'identité Iigna%ère shamaye repose sur une
"distinction assez claire" entre les membres de la branche paternetle et ceux *du côté
maternel". Et même si la première est primordiaie parce qu'elle transmet la filiation, la
deuxième ne l'est pas moins dans son apport au schéma général de l'identité individuelle. Un
Shamaye se définit par la famille de son père qui lui donne la filiation et par celle de sa mère
qui complète son identité personnelle. Le lignage est par ailleurs le seuI dément de
290 "Jugement de divorce n. 1 ".
diffhnciation interne entre les Shamaye. Les lignages, comme h écrit Amselle, "foumissent
aux acteurs sociaux le matériel d'identifi~ation"~~' par un *sceau d'6léments qui leur sont
exclusifs. L'arrivée de l ' h l e en milieu shamaye a pour conséquence l'introduction des
appellations fiançaises dans le système de nomenclature. On assiste dors d une drôle de
"cohabitation" entre le système local et un système importé, c'est une farouche résistance que
le premier oppose au second. Quel système I'emportera sur l'autre? Pour le moment, le
système shamaye s'impose toujours mais les analystes croient que "les appellations fiançaises
prévaudront dans leur sens strict, non pas parce que la fhcisation aura progressé, mais parce
que les familles (gabonaises) auront connu une mutation interne favorisant remergence des
familles nucléaires, même si celles-ci conservent en un premier temps les contraintes
antérieures des familles étendues"292.
Le mariage est universel, mais les pratiques qui lui sont liées ne le sont pas. On a
souvent pend qEe k pére est le seul pourvoyeur de dot. L'examen minutieux du
fonctionnement de la société sshamaye montre qu'en réalité le père ne fait que gérer la dot qui
vient du mariage de sa fille, plaçant ainsi la soeur dans une position privilégiée dans ses
rapports avec son frère. Mais les dificultes sociales qui vont "fiapper les soeurs" vont
modifier cet équilibre. Au début des années 1950, l'administration coloniale a voulu
réglementer le versement de la dot et son remboursement293 pour, disaitelle, mettre fin a une
certaine inflation. Mais les populations consultées refusèrent énergiquement et furent hostiles
à la fixation d'un maximum qui serait incompatible avec le principe de négociation. Cet échec
annonce le demiéchec de l'administration post-coloniale puisque la dot est toujours
pratiquée. En fait, "l'inflation" dont il est question ici ne concerne que I'argent et les
marchandises européennes. Même s'il ny a plus de marteaux de forgeron et d'enclumes, les
éléments traditionnels comme les nattes, les poules ou les cabris ont toujours murs même
s'ils ont tendance a se faire supplanter par l'argent. Mais l'attachement à ces hl6ments prouve
que leur valeur est loin d'être marginale et qu'ils demeurent., par rapport à l'argent, les vrais
symboles d'une alliance auxquels les Shamaye s'identifient
Amselle, LL., op-ci!., p.480. 292 Maya. R, op.cir., p.141. 293 Réglementation de la dot lettre n.1588, Paris le 18 Février 1950. Archives de la préfecture de
Makokou.
CHAPITRE 5: LA CIRCONCISION ET LES m n o m s DEPUIS 1930
Dans les vilIages Bakotas et Shamayes les prêtres fëtichistes ont fort A faire, car c'est Ie moment de la circoncision des adolescents. À Mbondoy à Tndombo, a Ngoumba et h Mékounga, je n'ai vu que des foules en liesse chantant et dansant jour et nuit avant l'intervention chirurgicale qui est pratiquée par un ancien294.
Quant a rencontrer facilement un adepte qui sfoffie à expliquer les différentes phases dune cérémonie secrète, cela ne se peut pas. Les secrets des sociétés initiatiques ne sont révéIés qu'aux Uiitiés eux-mêmes et au fur et a mesure avec le temps: les lumières dévoilées aux néophytes, ne constituant qu'une faible partie de la Connaissance détenue par les anciens295.
Le rite initiatique de la circoncision (sharshi ou itshinda) ainsi que les confréries
(mishumbu) masculines (ngoye et môngala) ou fhinine ( ishembwu), comptent parmi les
traits caractéx-ïstiques de la culture çharnaye. En effet, il est étonnant de constater qu'après
avoir subi la répression de l'administration coloniaIe, des missionnaires et des rites "anti-
fétiches" ndjobi et "mademoiselle", les confiéries initiatiques sont encore une réalité
quotidienne dans la vie d'un Shamaye. Détestées parce que considérées par le colonisateur
comme de vrais bastions de la résistance, et par Ie missionnaire comme "des erreurs humaines
ou des aberrations religieusesw2%, les confréries, surtout masculines furent combattues avec la
demière énergie tant par les Blancs que par les nouveaux rites locaux venus des ethnies
voisines, c'est-àdire des Obamba et des Mahongwé. Véritables écoles de la vie et du pouvoir
de l'ombre, les sociétés initiatiques demeurent encore des agents incontournables qui guident
chaque Shamaye et conditionnent son comportement de tous les jours. Discrète, comme l'est
294 Fiche mensuelle d'activité, période du 20 tuai 1959 au 20 juin 1959, 4 p., p l . Archives de la
295 p r é f m de Makokcru.
Raponda-Walker, A. et S i l h R, op.ciL, p.265. P a u h Nguma-Obam, Aspccfi & Ia refigion fong, Paris, Z a , 1983, 99 p.. p.43.
aujourd'hui n d g 7 parce que longtemps persécutée par "mademoiselle", cette co&e n'a
pourtant rien perdu de son efficacitd.
Des trois &es initiatiques masculins, deux sont obligatoires parce qu'ils sont liés à la
circoncision. La circoncision parce qu'elle est un rite (ou plutôt un ensemble de rites de
passage) de puberté, est imposée a tout homme shamaye. Môngala est une société initiatique
à laquelle adhkre tout candidat a la circoncision, Quant au très redouté et puissant ngoye, on y
adhère en général de façon volontaire, parfois par obligation. Nous expliquerons comment.
L'unique société initiatique féminine ishembwu est une réplique de la circoncision tant dans
ses enseignements que dans ses missions Shafhsi et ishembwu sont des structures (l'une
masculine et l'autre féminine) d'intégration sociale (avec des missions politiques pour
ishembwzc), alors que l'él6ment dominant et commun aux deux sociétés secrètes en dehors de
la connaissance à laquelle accède tout inité est, a notre avis, le pouvoir et la fraternitC. Nous
sommes même tentés de dire, c'est i'exercice du pouvoir réel à certains moments. Ngoye et
môngala sont donc des instances de gouvernement qui gèrent les hommes et la cité selon les
règles qui leur sont propres. C'est pourquoi nous les appelons "le pouvoir de l'ombre".
Ainsi, i1 nous a fallu trouver une approche dans l'étude de ces rites, qui rende bien
compte de ces deux éléments. Le terme pouvoir impliquant celui de politique, c'est donc le
caractère politique et social de ces rites que nous tenterons de faire ressortir autant que
possible. Notre démarche consiste dans un premier temps a décrire les phases d'initiation à
une "société" et a montrer ensuite Ie rôle politico-social de celle-ci. En fait, la question à
laquelle nous tentons de répondre à travers i'étude des rites initiatiques est la suivante: la
circoncision et les sociktés initiatiques, audelà de la formation individuelle et de la
connaissance qu'elles ofFrent, ne sont-elles pas un miroir dans lequel on peut lire certains
aspects de l'organisation sociale sharnaye? Chaque société, tant dans le déroulement des
rituels (nous pensons aux p h s e s d'initiation) que dans ses pratiques quotidiennes, ne peut-elle
pas être envisagée comme un dément, une structure qui permet d'étaler et d'extérioriser
l'identité sharnaye? C'est dans cette perspective identitaire que nous allons étudier ces
sociétés, en commençant par la plus populaire de toutes: la circoncision.
N g o m môngala et ishembwu mut aussi des sociétés secrètes parce que i'adhésion à ces sociétés est stcfète, leurs moyens d'action ne sont pas révéiés aw profanes tout comme les enseignements que le néophyte y reçoit.
5.1 La circoncision ou s/caîsIU. les rites de ~uùerté des hommes: ordre de succes-
sion de rites de Dassatze cbez les Sbamave et manifestations mlitico-sociales
Chez les Shamaye, la circoncision est un phénoméne total, tellement son caractère est
pluridimensionnel. Elle est un ensemble de rites et une opération qu'un homme subit pour
p e r d'un état social à un autre. Cette mutation est double. A travers le passage de l'état
d'incirconcis (èmbuni), a celui de circoncis (engô), il se produit un changement corporel par
I'ablation du prépuce et un changement du statut social de l'individu qui passe de Mat
d'enfant à celui d'adulte. Difficile a aborder dans sa globalité, nous étudions la circoncision ici
a travers les éléments qui répondent aux exigences et aux objectifs de notre travail. La
question à laquelle nous allons tenter de répondre est Ia suivante: comment les éléments
constitutifs de la circoncision réfletent-ils l'identité shamaye? Nous pensons trouver la
réponse à cette question en analysant la succession des fites et les manifestations des groupes
socio-politiques qui inte~.ennent au cours de shatshi.
5.1.1 De la succession des rites P lloDération: les gestes exclusivement shamave
Les autres ethnies gabonaises sont unanimes: la circoncision bakota par son
organisation et le caractère exclusif de ses rites, est un élément &identifidon ethnique. Et
c'est toujours avec étonnement et admiration qu'un Gabonais non issu de ce groupe assiste à
une cérémonie chez une ethnie de l'ensemble bakota. Chez des ethnies non bakota, la
circoncision s'est souvent limitée a une simple ablation du prépuce d'un enfant. Raponda-
Waiker, lui-mGme Mpongwé, reconnaît que chez les peuples côtiers, la circoncision est une
opbation tout-à-fait banale qui se pratique demkre les maisons du vilIage quand elle n'a pas
lieu a I'hopital. Chez les Bakota la circoncision est pour les jeunes gens de 20 à 30 ans, un
riniel spectaculaire, une preuve de courage et de résistance à la douledB.
Mais ii propos du déroulement des rites de la circoncision chez les Bakota, Perrois a
écrit que "les cérémonies bakota (kota-kota), mahongwé et shamaye different dans le détail
mais se rejoignent pour les phases les plus importantes"299. Meyer confirme en ajoutant que
"la cérémonie de circoncision ne suit pas toujours le mème rite; pratiquée par bon nombre de
29s Raponda-Walker, A et Siiians, R, op- ci^ , p.163.
''' Penois, L., "La circoncision", p.42.
peuples de cette partie du Gabon, elle varie légérernent dans son ordo~~nance'"'". Nous allons
donc examiner l'initiation chez les Shamaye, par rapport à son déroulement chez d'autres
groupes bakota.
Les cérémonies de circoncision chez les Shamaye durent au toîal quatre jours. Le
premier jour est réservé aux rites destinés à impressionner et à efhyer le candidat pour que
d'entrée il prenne conscience & la gravit6 de ce qu' il s'apprête B subir pendant Ies jours qui
vont suivre. Li s'agit ici d'une première fome de préparation mentale et psychologique du
candidat Ainsi, le matin de ce premier jour, le candidat passe le rite dit shububu au cours
duquel il en invité à rejoindre en grimpant sur une corde, un ancien circoncis qui, pour la
circonstance, porte le nom de kolingongo (c'est-à-dire personne qui effraie), et qui lui remet
une noix de kola (ibe40u) en haut de i'arbre. C'est un rite qui sert à tester la forme physique
du candidat qui reçoit une noix de kola30' en témoignage de réussite. Cette même matinée, le
candidat passe le rite jomakula qui consiste pour Iui à se présenter devant un homme appelé
~&yomobeyi ayant le corps compfetement enroulé daris un filet de chasse (Mots;). Dans
l'après-midi de ce jour initial a lieu la cérémonie dite kulornobeyi au cours de laquelle les
candidats sont amenés au pied d'un arbre. En haut de celui-ci, des hommes déguisés en
chimpanzés secouent les branches et imitent les cris des anthropoïdes, et ceux restés en bas
font naturellement croire aux candidats qu'ils s'agit réellement de ces gros singes. Dans la nuit
de cette première journée, a lieu l'initiation au rite môungala (ou rite de l'antilope) et a la
danse mobeyi des circoncis. Ces deux rites, par l'accès qu'ils donnent aux secrets des hommes,
seront étudiés plus loin.
Au deuxième jour, a lieu Ie rite dit rnostralu ou la coupure et la mise en terre de l'arbre
nkumn symbole de la circoncision. Le candidat est d'abord amené près de l'arbre. Au pied de
celuici a été préparé un piège à noeud coulant. Le candidat est invité à passer son pénis dans
le noeud. On actionne le piège et 1e noeud se referme sur le prépuce; on teste son courage.
Ensuite, il doit d o ~ e r le premier coup de hache. L' arbre est abattu et transporté dans une
procession jusqu'au village où il est planté à coté de la maison commune des hommes du
lignage. La mise en terre de l'arbre obéit à un rituel strict. Pour les scènes publiques, le
candidat est accompagné de sa soeur qui porte le titre de i h g a Iè mobeyi qui est supposée
être la femme qu'il offre en remerciement aux anciens circoncis, mais qui est aussi la marque
3 0 0 ~ . McyaIUUne cllconcisioa chez les Bakotas (Est du Gabon)", in Jmmd des M ~ i o n r E V ~ ~ P I I ~ U ~ S , 1954, pp. 10-12, p. 12.
30' Dans la société siuunaye, la kola n'est maugée que par des hommes adultes. Le sens que recouvre ce geste ici est celui d'une première acceptation du candidat par les aduitg.
du soutien moral de la f'amille au cours de ces instants diflnciles. IZangu fè mobeyi s'asseoit
par terre les pieds en V, l'arbre est ensirite planté entre ses pieds dans un trou qui a été
auparavantcreusé.
La troisiéme journée est la plus c m . Au petit m4tin a lieu le premier bain rituel
( m M i nwètè) du candidat après qu'on lui ai coupé les ciis. La seconde toilette (mpfubi
m è n i ) qui intervient en fin d'après-midi est la plus importante. Les deux bains rituels out
lieu au pied de deux arbres vivants qui deviennent les premiers totems du candidat. Au coun
du second baisi, on prélève les ongles (grtala) et une mèche des cbeveux ( s ~ o u ) du
candidat qui, mélangés ii d'autres élémeas, sont emieloppés d'une peau de genette (banda yè
siMi) pour devenir shula, un talisman que le candidat agite en direction de toute personne
s'approchant de lui pour éloigner les mawais sorts. Avant le retour solennel au village, Ies
Shamaye maquillent le futur circoncis. Le maquillage du candidat, même si les couleurs
utilisées sont les m h e s , est un élément de différenciation ethnique entre les Bakota. Les
couleurs qui servent à maquilier sont le muge et Ie b h c , mais leur disposition sur le corps du
candidat varie d'une ethnie a une aube. Chez les Shamaye, les deux couleurs divisent le corps
du candidat en deux, du cou aux pieds (une partie du corps est peinte de kaolin IèpZmbè,
l'autre de poudre rouge de padouk j.Ulïz), dors que chez Ieurs voisins les ûndasa et les
Bahoumbou, Ies candidats sont peints de rouge sur tout le corps et que chez d'autres voisins
non bakota comme les Obamba, les candidats sont compléternent peints de pommade
blanche, ou en rouge sur le corps et en bIanc au visage3''.
Au maquillage viennent s'ajouter les parures. Ii faut noter a ce niveau, qu'aux éléments
traditionnels des années 1930 a 1960, comme Ies colliers de perles, ont succédé les bijoux. Je
me rappelle que pendant ma propre circoncision au milieu des années 70, je croulais sous le
poids des bijoux que mes soeurs étaient venues disposer en X sur ma poitrine. On m'avait
même mis une montre au poiguet pour que je sache que l'heure de l'épreuve Mdique
approchait
Cest désormais 8objets occidentaux que les candidats sont prués. Le retour au village
sera étudié plus loin car Ie déploiement de la procession obéit A I'ostmmion des groupes
lignagers que nous étudierom également Cette avant dernière jwrnée se termine par le
dérodement de deux aiares rites qui seront eux aussi étudiés plus loin: dabord la céremonie
dite pdwè au cours de laquelle est riaiellement choisi le parrain de chaque candidat; la même
nuit, on initie Ie candidat si Memiwu la société secrète des femmes. En passant ce rite, le
-- -
a2 Andaoson, E., op.& , p 12 1.
candidat reçoit officiellement le droit d'accéder aux fèmmes et à la sexualité, toutes les
choses qui lui étaient interdites jusqu'ici-
Le matin du quatriéme jour, avant huit heures, a lieu i'opération, si toutefois il n y a pas
de "bIocageW du candidat par les anciens circoncis (bmgô) pour les torts qu'il leur a causés
volontairement ou non par le passé (nous expliquerons plus loin la sUMvance de cette vieille
"coutumen). Le candidat signifie aux bingô qu'il est prêt 4 se rendre au lieu de l'opération en
plongeant la main dans une pâte d'argile ( lèphbè) qu'il porte à son visage. Les bingo
s'empressent alors de compléter son maquillage ficial. Le candidat s'avance solennellement
vers le Iieu de l'opération (èrshita) un bout de pagne coincé dans sa bouche, l'autre bout tiré
par un engô. L'usage du pagne est une innovation rbnte , à notre circoncision en 1977, nous
étions tiré par une peau de genette comme cela l'a toujours été. Avant d'arriver au Iieu de
I'opération, il retrouve inerte au sol et sommairement vêtue, sa soeur ilanga Iè mobeyi. El
traverse son corps et s'arrête à coté apres avoir déposé sur elle le pagne par Iequel on le tirait.
Que signifie le rituel de la soeur que le candidat traverse? Maclatchy qui, en 1945, a
observé ce rituel pense que la soeur ou la niece du fimir circoncis couchée sur le sol, le bras
droit tenu levé par sa mère, "délimite la ligne que ne devront pas franchir les
Pour les Shamaye, ce geste veut dire que c'est ici que s'arrête le soutien de la famille. Dans les
rites précédents, la soeur symbolisait le soutien moral et psychologique de la famille, lequel
s'arrête des que le candidat l'enjambe. ii n y a plus dialtemative à ce moment, et cela, on i'aura
maintes fois expliqué au candidat qui sait que s'il passe I'opération avec succès, il partagera
cet honneur avec sa famille.Mais s'il échoue, la fiuniIle devra accepter l'opprobre avec lui car
c'est aussi au nom du lignage qu'on subit la circoncision.
Ainsi, apres avoir traversé le corps sa soeur disions-nous, le candidat s'arrête. Devant lui
à dix ou quinze mètres, se trouve le lieu de l'opération d'où fusent tes chansons de mobeyi
dont le thème est en ce moment unique: le caractère douloureux de l'épreuve. Voici une de
ces chansons:
Agni* apoula ndeku touwa mbèka mouré. mbéku mû
miyaya, mbéka m6 mïyaya Agnindjè apiutshima ndeka
touwa mbéka moutè. mbéka mô rniyayu, mbéka m6 rn jqa .
"Que le candidat qui entre dans ce cercle a en son sans
avoir réussi sache qu'il n'aura pas droit à une seconde
chance, que celui qui a peur fasse demi-tour tout de suite Il 304 car ici nous ne sommes pas dhumeur à plaisanter .
Le candidat s'avance en proférant des injures à l'endroit de ses bourreaux. Le cercle de
ces derniers s'ouvre et se referme sur lui. Ensuite c'est le silence dans tout le village. Un
premier personnage reçoit le candidat sur son ventre; Nîambi, l'aide-chirurgien si on peut
l'appeler ainsi, saisit le pénis du candidat et repousse le gland assez loin avec son pouce (pou.
éviter un accident). Le Nlshifo bimbuni tient d'une main le couteau ndiiy30s et de l'autre le
bout du prépuce. Pendant deux minutes, il surveille les yeux du candidat a qui il est interdit
de les cligner. Ensuite Ntshito bimbuni lance sur un ton affirmatif èmbuni yè sh>ya? (le
candidat n'est-il pas prêt?). Le cercle rkpond: eeeeh! (oui!). Il reprend: mhaku!(alon
applaudissez!). A ce moment précis les bingô font un maximum de bruit tout en surveillant si
le candidat va se déconcentrer. Si ce n'est pas le cas, Nrshao bimbuni m c h e le prepuce d'un
coup sous les acclamations. Ntshiro bimbuni lui fait quatre blessures verricales sur la poitrine,
deux audessus de chaque sein . C'est la marque des bingô, c'est-à-dire de ceux qui ont passé
I'éprewe avec succès. Ces marques s'appellent bangalu. Nous sommes en face d'une
innovation. L'ancien mot qu'utilisaient les Shamaye pour désigner ces marques étaient
mayendie, or de nos jours il est remplacé par bangah qui vient du français "galons" en
référence aux barres du grade de lieutenant daos la gendarmerie française qui est justement
composé de deux traits parallèles. La substitution doit dater de la période des miliciens. Seul
le nom a changé, la forme des marques est restée la même. Andersson rapporte qw les
marques des Obamba, Ondasa et Bahoumbou sont diRérentes de celles des Shamaye. Cest
"une coupure en forme de croix faite sur la partie droite de la poitrine du candidat entre
L'avertissement est ici a prendre au sérieun Celui qui n'a pas rtussi à la première tentative est condamné a vivre amsi ou a der se faire couper le prépuce A I'hÔpit81, ce que les Shamaye considèrent comme une hudiation exîrême.
Ce mot signifie "le gorille", les Shamaye pensent que leur "bistouriw est aussi- sinon plus- tranchant que les dents du gros singe.
I'epsule et Le seinm306. Lcs insignes de la circoncision ne sont-ils pas un élément de
différenciation ethnique?.
Nous venons & présenter ici le résumé des rites compris du début jusqu'a l'opération.
Mais la circoncision shamaye n'est pas seulement cela Nous allons examiner dans les détails
certains rites auxquels nous avons fait allusion dans la mesure ou iIs nous permettent
d'examiner pou la même occasion le fonctionnement des groupes politim-sociaux qui sont en
jeu dans les cérkmonies de circoncision s k y e . L'analyse de ces rites sert ici de prétexte à
l'examen des groupes humains et nous permet de montrer que la circoncision sharnaye engage
dans des rôles complémentaires ou opposés des groupes politico-sociaux dont l'étude des
aches aide à comprendre une façette du fonctionnement de la société shamaye et de son
identité.
5.13 Le rôle des n r o o m wlitico-sociaux
La circoncision shamaye met en compétition trois groupes socio-politiques parmi
1esqueIs cehi qui est le premier concerné par l'affaire parce qu'il en est le principal
organisateur: la famille du candidat et ses ailiés.
5.1.2.1 Le moupe liena~er et ses alliés
Nous entendons par alliés tom ceux qui sont liés au lignage du candidat par les liens de
mariage. En tête de ceux-ci, il y a d'abord la famille maternelle du candidat, et enfin tous les
individus regroupés sous Ie vocable babadji, c'est-à-dire tout ceux qui ont pris femme (la
soeur, la nièce, la petite-fille ou la tante du candidat) dans la famille du candidat (pour plus de
renseignement, se reporter au chapitre précédent). Ici, nous n'envisageons l'étude du lignage
que dans ces relations (pendant la circoncision) avec ses alliés. Nous évitons ainsi d'empieter
sur les attributions de kumukak~, le chef de lignage. Le seul rite qu'on met à son actif B ce
moment précis est celui de itèmishé muteyi par lequel il ressert l'unité de son groupe. C'est le
rite par lequel les membres du lignage viennent confesser leurs différends à leur chef qui en
rendra compte aux ddfunts. Si la circoncision s'organise alors que "le linge sale n'a pas kté
lavé en famille" par ce rite, alors le candidat va a Ia perte. En fait, ce rite comprend deux
306 Andersson, E., op-cil, p. 126.
parties: la première est une innovation qui s'est répandue en pays shamaye entre 2957 et 1965
avec i'avènement de "mademoiselle". Aussi cette premiére partie porte telle le nom de ce
cuite. En quoi consiste telle? Le chef de lignage qui pour l'occasion porte le titre de pope
(a@*, exécutant & "mademoiselle" le cdte anti-fétiche), dessine une croix au sol, au milieu
de celle-ci il verse de "I'eau bénite". Les membres en conflit viennent alors se confesser.
Ainsi, après avoir entendu tout le monde, Ie chef du lignage rend compte à "mademoiselle"
que l'affaire est close et, après que tout le monde a "craché" au so1307, il va rendre compte du
denouement aux morts dans ce qui est la deuxiéme partie du rite. Cette partie qui est une
vieille tradition shamaye s'appelle mandambi et consiste p u r RumukaRa B rendre compte du
même résuitat, le soir derrière Ia maison en agitant un grelot (ingoaZiz ou inguhan), aux
défunts de la b i l l e avant de les inviter à accepter les offrandes qui leur sont faites en guise
de pardon. Voila pour ce qui est des rites uniquement lignagers.
Mais notre analyse montrera surtout que la circoncision est une occasion privilégiée
pendant laquelle le groupe lignager et ses alliés se distinguent entre eux par des
manifestations communes qui sortent parfois du cadre strict de la circoncision (comme le
versement de dot), et qui sont un miroir qui permet de lire le fonctionnement de la société
shamaye. L'une de ces manifestations communes a lieu le troisième jour de l'initiation: c'est la
procession rituelle.
5.1.2.1.1 La procession rituelle ( & m a Iè mfub~''') du m u = lipaa~er et ses alliés
Le lecteur se rappellera qu'au troisième jour du passage des rites, le candidat subit deux
toilettes dont la dernière a lieu dans la soirée. Au corn de cet dtime bain, le candidat reçoit
le maquillage et les parures avec lesquels iI terminera son initiation. Ensuite, c'est le retour au
village; mais ce retour ne s'effectue pas au hasard, il obéit en fait à des règles stéréotypées et
nous sommes ici dans un des aspects fondamentaux de la cdture shamaye: l'ostentation des
lignages. La procession tituelle telle qu'elle se forme en brousse à son point de départ est un
agrégat de lignages des parents maternets et de ceux de ta branche paternelle du candidat. La
file indienne s'organise de Ia façon suivante: la &mille paternelle ouvre la marche, elle est
307 Quel est It symbolisne de ce geste? En crachant au sol &cuu croit ainsi évacuer la baine et la rancune qu'iI avait envas i'autre manbre & la famille. Oa évaate par les mêmes occasions toutes les mauvaises paroles (symboüsk par ces mêmes cra&îs) qu'on a pu prononcer par le passé (comme les injures) à l'endroit dim patent. Pour 1s ames fonctions des crachs en Afiipue, lire Vidor Eücnkger, "Le rôle de la salive, des erachotcmcnts et des crachats dans la vie socide des Noirs aiiicaiDsu, in Le Monde non chrktien, 40 (1 %6), pp.326-337.
suivie du candidat alors que les lignages maternels ferment la marche. Le spectateur non
shamaye qui assiste B l'entrée et au déploiement de la procession au village ne manquera pas
de remarquer que le candidat est ainsi entouré par deux blocs familiaux qui à ce moment
précis sont en train de lui témoigner leur soutien indéfectible. Mais ce qui est aussi important,
c'est ce qui se d h d e au fur et à mesure que la procession traverse le village. On assiste alors
à la manifestation de chaque idmtitk lignagere qui se traduit par une certaine rivalité entre le
groupe lignager et ses alliés. La procession est donc à la fois la marque d'identification du
groupe lignager et de ses alliés, mais aussi celle de la différenciation des lignages et de
l'identification personnelle de ces derniers. Expliquons-nous.
Nous sommes ici à un moment où les organisateurs de la circoncision manifestent leur
orgueil car, en acceptant de passer les rites de la circoncision, le candidat va faire non
seulement signe de bravoure, mais il fait par la même occasion honneur à tous les siens qui à
ce moment précis tiennent a se faire connaitre à tous les invités. C'est pourquoi, au fur et à
mesure que la procession avance, un homme ou une femme se détache de la file et lance: obé,
obé, obé na Wabi ! ("Vive le lignage mi!"). A ces paroles, la foule acquiesce par une
lourde réponse: éééééh! (oui!). Immédiatement si ce premier intervenant est issu du coté
paternel, un représentant de la famille maternelle doit rétorquer pour manifester leur
présence: obé. obé. obé na Mouiou!, on lui répond ensuite: éééh!; il reprend: obé ria Moulou!,
la foule répond: éééh!. Cette ostentation et rivalité lignageres sévissent même à des degrés
infëneurs. Ainsi, dans le camp de la famille paternelle du candidat, le lignage de son père et
celui de la mère de son père n'ont pas toujours à ce moment précis les mêmes intérêts, c'est
pourquoi chacun tient a marquer et à clamer son identité de façon autonome. Nagukre saluée
par le seul son obtenu en sifflant dans une corne de buffle, l'ostentation des identités
lignageres est felicitée par des coups de feu nourris depuis les années 1970 alors que le fusil
de calibre douze s'est répandu en pays shamaye.
En 1969-1970, les Shamaye du sud quittent l'ancienne terre Lecoudji et viennent
s'installer sur la route nationale qui relie la localité de Mounana à celle de Lastourville, ils
acquièrent ainsi plus de visibilité aux yeux des autorités administratives post-coloniales.
Désormais, les manifestations de circoncision bruyantes et spectaculaires devant lesquelles
l'administrateur A. Christophe s'&ait déjà émeweillé en 1959 en visitant le nord du pays
shamaye (voir la note "fiche mensuelle d'activit6sn à la première page du chapitre), ne
manquent pas d'attirer i'attention des nouvelles autorites, notamment celle du préfet de
Lastourville. Ce dernier est particulièrement inquiet des coups de feu que les Shamaye tirent
dans l'air pour saluer le déploiement de la procession. Ainsi redoutant un accident, il décide
d'interdire i'usage du fusil. En août 1976, il convoque a Lastourville entre autres chef de
village, Gilbert Baloudi chef shamaye du village Ndzokdoundza Les instructions du chef du
département sont fermes: I'usage du fusil doit être prosrrit des manifestations de shotshi. Non
sans raison, les chefs de villages rétorquent avec beaucoup de wurage qu'ils n'ont pas autorité
sur la question car la circoncision est une affaire privée qui relève des compétences des chefs
de lignages, et qu'interdire i'usage du h i i est une mission impossible. Les chefs du village
prendront congé avec leur hôte après lui avoir assiné que chacun transmettra ses
inquiétudes308 à ses congénéres. C'est ainsi qu'a étouffe dans l'oeuf la tentative des autorités
d'am aux manifestations de la circoncision shamaye l'un des ses éléments les plus
spectaculaires: l'hystérie et le vacarme qui accompagnent la procession lignagere. Le
deuxième rituel où interviennent conjointement le Iignage et ses alliés est réservé aux
hommes de ces deux groupes: c'est le choix du panain de chaque candidat
5.1.2.1.2 Le rituel wkwè ou le choix du parrain
Ce qui caractérise toute initiation shamaye masculine ou féminine, c'est évidemment
l'attribution d'un parrain, nlambi, a chaque candidat. Ceci tient du fait que les Shamaye
considèrent que l'enseignement que le candidat reçoit dans la période impartie a chaque
initiation ne constitue même pas la moitié du savoir qui doit faire de lui un membre
compétent de chaque société. Le parrain est donc cehi-18 qui a la noble tâche de compléter
cette éduçation-formation très spécialisée. C'est un personnage qui prend une place de choix
dans la vie de tout Shamaye, et les liens entre le parrain et son filleul sont parfois plus solides
que les liens de consanguinité ou simplement de parenté. Ainsi, en dehors des totems que le
Shamaye reçoit de son père, c'est de son panain que le Stiamaye, au cours d'une cérémonie
spkiale, que nous allons examiner, obtient les derniers totems et interdits qui le feront entrer
dans la catégorie sociale d'adulte. Diailleurs, le substantif niambi vient du verbe ilamba
(préparer) et signifie donc celui qui prépare le candidat, c'est-à-dire celui grâce à qui Ie
candidat va entrer dans un nouveau monde notamment celui des aduites. Le rite pakwè tient
son nom d'un outil rituel shamaye en forme de crochet et ayant la fame retournée vers le
manche, qui constitue avec shda les symboles du candidat. En effef de retour du dernier bain
rituel, le candidat avance dans la procession en tenant d'une main shula qu'il agite autour de
308 Ces inknnations sont tirées ch récit & vie de Gilbert Baioudi, Shamaye, Njabi, 58 ans, chef de village, entretiens des 23-24 décembre 19% à NdzokaIoundza
lui pour chasser les mauvais esprits, avec i'autre main il tient accroché à son épaule pukwè
son deuxième symbole.
Le rituel lui-même, tel que les Shamaye le pratiquent, est à la fois simple, immuable et
original. En fait, plutôt que de parler de choix des parrains, on devrait parler
"d'officialisation" de ce choix. Expliquons-nous: le choix d'un panain relève de la compétence
du chef de lignage et obéit parfois à une règle qui veut qu'un Shamaye donnera à circoncire a
sa belle-famille le fils qui porte le nom de son beau-père. Ou alors, a défaut de le circoncire,
c'est la famille maternelle du candidat qui devra proposer un parrain qui sera naturellement
quelqu'un issu de ses rangs. Comme quoi le choix du parrain n'a rien d'un hasard et le rituel de
pakwè n'est qu'une officialisation des heureux baiumbi qui auront déjà été choisis par
kumukah. Voici comment se passe le rituel: A l'endroit appelé mugnamo itshinda, sorte de
quartier général où le chef de lignage coordonne les activités de shatshi, les mâles du lignage
et ceux des familles alliées s'asseyent en cercle autour d'un feu. Les parrains qui ont
préalablement été choisis sont parmi eux. On sort alors l'instrument pakwè (symbole du
candidat), le principe du rituel consiste a le faire circuler de façon à ce qu'il parvienne au
parrain de chaque candidat. Une première personne tient le pakwè dans ses bras et dit
pourquoi il ne peut pas accepter d'être le parrain. Il énumère alors symboliquement mais d'un
air grave ce qu'il pense ètre ses défauts (qui ne sont pas réels puisque nous sommes ici devant
une mise en scène) qu'il ne voudrait pas transmettre au candidat en le parrainant: voleur,
menteur, toujours enclin a commettre l'adultère ou qu'il n'a jamais épousé de femme etc ... 11
termine en disant que c'est peut-être la personne qui est assise immédiatement après lui qui
pourrait être un bon parrain. ii passe i'instnunent rituel a son voisin qui, après avoir résumé à
son tour ses défauts, le passera à quelqu'un d'autre et ainsi de suite; pakwè échouera entre les
mains du parrain préalablement choisi et on recommencera la scène jusqu'à l'officialisation de
tous les parrains. Le rituel de sortie qui boucle l'ensemble des rites initiatiques est aussi
réservé aux membres du lignage et à leurs alliés.
5.1.2.1.3 Le rituel de sortie (budit? émbunrl
Le rituel de sortie est la conclusion du passage des rites de circoncision. Par ce rituel on
devient automatiquement un homme. Le rituel lui-même intervient après une période de
réclusion qui dure le temps de la cicatrisation de la plaie. Pendant toute la période de
réclusion, le candidat demeure dans son lignage (avant d'être mis à la disposition de son
parrain si celui-ci est un allié des siens). Pendant tout ce temps, il m i t la vinte quotidienne
k "sagesw qui viennent Uilassablement lui enseigner l'histoire shamaye. Le récit est figé
puissue les "chapitres" de ce cours ont toujours pour thémes l'origine des Shamaye, qu'on
situe toujours à Ngouadji, l'unité onginelle du groupe, la cause de la dispersion et en
guise de conchsion, on fait mémoriser au jeune homme les noms des membres de son lignage
dont les pérégrinations ont conduit les siens de tel à tel village avant d'aboutir a tel autre
endroit pour échouer au village actuel. C'est ça l'histoire au sens shamaye: les "guerres" et les
déplacements incessants. A@ quoi le candidat pewt "sortir" de son état piecédent pour
entrer définitivement dans un autre.
Le rituel de sortie lui-même commence par la consommation de la chair du porc-épic
ou du coq par le candidat. Ce sont ici des symboles: le premier animal symbolise la
persévdrance et la solitude fasse a l'adversité. Une chartson de la danse des hommes dit:
bmguba ba Kua rnbelo na mueai rn d j i m d ("quand les porcs-épics sortent-ou
reviennent-de leur temer pour aller chercher la nourriture, chacun d'eux empnmte un chemin
différent"). Ceci rappelle au candidat que, devenu un homme, il doit désonnais compter
dabord sur ses propres forces. Le coq symbolise a merveiile le pouvoir et la notoriété. Le
matin le coq chante toujours le premier en se faisant entendre par toute sa basse-cour et par
tout le village- Ceci rejoint le proverbe h ç a i s qui dit que "le bonheur appartient à ceux qui
se lèvent tôt". Ensuite, le matin le parrain amime le circoncis a un bout du village. Ils
marchent côte à côte et traversent le village jusqu'a l'autre bout; le parrain tient entre ses
mains des aliments magiques qu'il fait manger à son protégé et lui transnet ainsi ses totems
animaux qui viennent s'ajouter aux totems végétaux qui sont les arbres sous lesquels le
candidat a reçu ses deux bains rituels. Il obtient donc un double totem Iipager et personnel
car de son père, ie candidat reçoit les totems du Iignage (que les membres se transmettent de
génération en génération) et par la circoncision tes totems personnels acquis par ta toilette
*ne et ceux légués par son parrain. Pour notre part et à titre d'exemple, nous avons reçu de
notre pére k g l e qui est l'animal totémique du lignage Pfomgou et & notre parrain, Mo'ise
Obimbi le gonlle qui est l'animal totémique du Lignage Og~mrr. Le totem est une réaiité de
la vie chez les Shamaye et il est la marque de l'identité parce qu'il persode et différencie
un Iignage. Julien Ries disait que chez. certains peuples se considéraat comme apparentées à
telle ou telle espèce animale ou végétale, "le totémisme est un lien qui établit la solidarité du
clan, la nspoasabilité collective et la morale @un c'est-à&e
dime tribu. Il est donc la marque de l'identité de chaque famille. On
camprendre ce qu'est le totem chez les Shamaye. Pour cela et 8i cause de
d'une M i e ou
peut essayer de
sa justesse, nous
nous raflions a la définition que Torday donne du totem chez les Baatou occidentaux, groupe
de langues et d ' f i e s awquelles appartiennent les Skiamaye. Torday pense en effet que les
Bantou occidentaux croient que chaque espke animale a une vertu mystérieuse, une qualie
qui lui est propre et qui peuvent être mise en action par des experts; la vertu de I'animal totem
s'unit avec I'he de chaque m%k le totémisme est donc le lien qu'il y a entre l'association du
groupe humain et l'espéce animale. Lien tellement important que "1'- du totem et la tribu
deviennent spintuellement identiques, cette M o n spintueIle est conçue comme tellement
réelle, qu'elle réagit sur les relations qui peuvent exister entre les individus en chair et en os
de la tribu et de i'espéce Ainsi pour les Shamaye par exemple, les membres du
lignage Pfowigou ne mangent pas la chair de l'aigle (mbela), symbole de la richesse
matérielle, comme ceux du lignage OZQ* évitent soigneusement de comrnmer la chair de
serpent et ne se feront jamais mordre par un quelconque serpent qui (ami venimeux suit-il)
les reconnaitra et fuira à leur approche.
Lhistoire de 1'6volution des totems chez les Shamaye depuis 1930 est celle aune âpre
résistance face aux abus du catholicisme. En effet, les missionnaires français et hollandais
actuels ont héritk de lem prédécesseurs cette &heuse manière de faire croire aux Shamaye
que les prêtres des religions importées avaient le pouvoir fictif ou réel de lever les interdits
par simples incantations. Pour cela disaient-ils (et disent-ils encore), il suffit d'apporter au
prêtre blanc Ies morceaux de L'animal totémique ou de n'importe quel interdit et après
bénédi&on, il brisait l'interdit c'est comme ça que, trop crédules, certaines PerSOMeS
continuent de d&mke inconsciemment des valeurs spirituelles cardinales. Heureusement que
le totem codifiera encore les habitudes sociales et alimentaires des hommes et les paroles d'un
sage qui nous a f h n e que de toutes les manières "un Shamaye ne sera jamais libre de manger
la chair de tous Ies animaux" militent en faveur de la permanence du totem et de son
efficacité"'. La dernière manifeSfZLfion dans laquelle interviennent conjointement le lignage
et ses alfiés est l'échange des udeaux. C'est le rihiel dit zhèIè ifshindz.
Julini Ries, Le symbole et le rymboIkme dans & vie de l'homo digio~ls. Louvain-LNeuvq Centre oHiaoire des Rehgicmq 1982,163 p, 32.
"O E. Tardgr, "Le f&chisme, 1'idoIâtn'e et la smciilcne des Bantou ~ d c n r s u x " . in L'Anrhropoimet
31 1 T.XXXIX1(1929). pp.43 1-62, p.436.
P d &nga, Shamaye, M i , 62 as, aihffia, du 18 janvia 1995 eu nllege Livouta
5.1.2.1.4 IRuPIè &hi& on I'écbrinize ritoel des cadeam
La circoncision shamaye se tennine invariablement par le rituel de l'échange des
cadeaux entre le groupe lignager et ses alliés. Et c'est 1s que l'observateur averti se rend
compte que nous sommes ici devant un phénomène qui dépasse le cadre strict de la
circoncision elle-même pour entrer dans celui des relations matrimoniales. Le rituel de
l'&ange des cadeaux sen à colls0Iider et sS renouveler ces alliances. Parce qu'il permet de
comprendre Ies habitudes matrimonides, le rituel de l'échange des cadeaux permet aussi dans
une perspective historique, de saisir l'évolution des biens qui ont cours dans le mariage.
Deux part-res sociaux sont impliqués dans ces échanges avec Ie groupe lignager: les
alliés dits bubadji, c'est-à-dire tous ceux qui ont pris femme dans le lignage du candidat, et
ceux qu'on appelle maluRu constitués des familles qui ont donne une femme en mariage à ce
même lignage. Entre ces trois groupes, on assiste a une sorte d'échange triangulaire très
original: par les principes qui régissent les liens du mariages, les biens apportés par le groupe
des baba& se retrouvent entre les mains du groupe des maluKu et vice-versa et ce, après avoir
m s i t é par le groupe lignager. Expliquons-nous: les biens qu'apportent les baba& sont des
biens prisés et ib entrent directement dans la comptabilité de la dot. On peut suivre leur
dvolution depuis 1930. Ce sont notanunent les produits européens qui ont cours depuis la
période de traite j qu ' à leur pénétmtion massive par le biais des compagnies
concessiorniaires. Mais peu à peu cette "pacotille" s'est trouvée margkalisée d'abord dans les
m é e ç 1950 p u r être complètement remplacée par l'argent dans les années 1960 jusqu'aux
années 1990.
En juillet 1986, nous avons eu la chance d' avoir été recruîé pour noter dans un cahier
l'origine et les biens versés par cbaque allié (et ce qu'il recevra en retour) au cours de la
circoncision orgsnisée par Ie paîriatcbe humbinéné au village bang ad^. Ainsi, la somme
totale versée par les babwi s'est élévée à 1.220.000 h. Les contributions individuelles
variaient de 5.000 fis i 150.000 fis, que chacun prenait le soin de marquer comme une part
suppiémentaire de la dot Comme quoi le versement de la dot n'a pas de fin Les produits
versés au lignage par les d u k u ont toujours été les produits d'élevage et #artisanat comme
les nattes (biMa) et Ies paniers (bilunga). La même circoncision nous a permis &
comprendre le cours de certains produits à la "bourse" shamaye depuis le début des années
1980: tout ce qui est femelle vaut toujours plus cher que tous Ies animaux domestiques d e s .
Ainsi un mouton femelle vaut 50.000 fis. contre 40.000 fis pour le d e , tandis qu'une pouie
est échangée contre 2000 h, alors que ie coq, plus imposant, ne vaut que l5OO frs. Les
Shamaye pensent que la femelle est plus importante par ses capacités reproductives. Ainsi un
mb@ qui a versé 50.000 fis est sûr de repartir au moins avec un mouton, tandis qu'un iluku
qui a apporté cinq poules a la cérémonie organisée par ceux qui ont épousé sa fille peut
espérer rentrer chez lui avec une somme de dix mille b c s . Ainsi, l'argent que les
organisateurs ont reçu des gens qui ont épousé leurs filles est donné (comme un autre
versement de dot) cette fois, à ceux qui leur ont donné des filles en mariage
proportionnellement aux biens que ces demiers auront apporté. Ces biens sont à leur tour
transférés aux gendres et beaux-fières du groupe lignager, en fonction de l'argent que chacun
aura versé. Comme on le voit, ces échanges ont pour fonction de renouveler et ressouder Ies
liens matrimoniaux entre le groupe iignager et ses alliés. Ils permettent aussi de constater que
l'argent a définitivement pris une place prépondérante dans ces échanges et donc dans le
mariage depuis les années 1960, mais aussi on remarque que les biens traditionnels ont
toujours cours légal et ils ne sont pas prêts à laisser leur place. Au contraire, leur maintien
signifie que les Shamaye apportent encore une touche originale à leur mariage par le maintien
des éléments qui rappellent la tradition. Mais dans la circoncision il n'y a pas que le groupe
lignager et ses alliés, c'est aussi le moment où le groupe des hommes se différencie des autres
par des manifestations qui lui sont propres.
5.1.2.2 Le Prouoe des hommes lbinnôl
La démarche que nous poursuivons est la même, c'est-à-dire montrer qu'a travers le
temps, le groupe des bingô s'est toujours comporté comme un ensemble politico-social
constitué qui se distingue dans les cérémonies de circoncision par des manifestations
particulières qui ont toutes pour finalité l'acceptation du candidat dans leur corps. Bien sûr,
certains argueront que la chncision est d'abord une affaire d'hommes et il serait normal que
ces derniers se distinguent des autres groupes, mais nous rétorquerons (en acceptant cette
remarque) que les rites dont nous nous proposons diétudier l'évolution sont ceux qui révèlent
le mieux l'identité de ce corps. Nous allons donc montrer que les rites d'acceptation qui
façonnent la cohésion et l'originalité du groupe des initiés ont pour objectif ou pour fonction
de faire du candidat un des leurs. Ces rites sont en outre une forme d'intronisation et
d'adoubement par lesquels les bingô oflFrent leur identité au candidat. En quoi ces rites ont-ils
un caractère d'acceptation ? Ce que nous entendons par rites d'acceptation ce sont le rite
moangah ou rite de l'antilope, l'initiation à mobeyi, h danse des initiés, et le blocage du
candidat afin que ce dernier paie les torts qu'il aura carises aux bingô dans son enfance avant
d'&e accepté définitivement dans leur groupe socio-politique.
5.1.2.2.1 MOOM~Q on le rite de I'antilo~e
Le premier rite d'acceptation s'appdle moangaia ou rite de l'antilope éponyme. Ce rite a
lieu le premier jour et n'a d'antilope que la façon dont on conduit le candidat auprès d'un
ancien circoncis qui, pour la circonstance, ne porte aucun vêtement. Le rite se déroule la nuit
dans la cour du village. Il consiste d'abord à passer entre les torches indigènes (mingumu)
comme dans une épreuve de s1aIom en ski. Le candidat et tous les circoncis marchent a
"quatre pattes" en imitant la fameuse antilope. Le candidat, qu'entourent les hommes, B demi
nus, et qui chantent la chanson s h a M njubi moangala njumbi abè @a, se demande au fond
de lui où est-ce qu'on le conduit. Quelle n'est pas sa surprise de constater qu'arrivée au bout du
village et d'un geste rapide, la procession se transforme en un cercle qui l'entoure. Un
circoncis se couche au milieu du cercle tandis qu'un autre lui Ôte le pagne. Le candidat qui ne
comprend toujours rien est invité à saisir et contempler pendant de longues secondes la verge
qu'on lui présente. Il s'exécute, aprés quoi l?iomme renfile sa tenue. On sort ensuite des noix
de kola que les initiés partagent avec le candidat. Quel est le symbolisme du rituel shamaye
de moangala? Moangala est le rite d'acceptation par excellence. Le lecteur se souviendra que,
jusqu'à cette date, le candidat est supposé n'avoir jamais vu la nudité d'un circoncis parce qu'il
n'en avait pas la permission. U en reçoit maintenant l'autorisation oficielle et par la même
occasion on lui montre ainsi les bienfaits de i'opération qu'il va subir, Le symbolisme de la
noix de kola est plus expressif. Nous dirions même que c'est plus qu'un symbole. En effet,
tous ceux qui connaissent les Shamaye savent que la noix de kola chez ces derniers trouve son
importance non dans les habitudes dimentaires, mais dans les comportements et les usages
socio-politiques. La kola est un aliment de prestige réservé aux adultes (et interdit aux
femmes et aux enfânts). C'est le premier aliment qu'on offre à un visiteur de marque quand il
s'arrête dans la maison commune des hommes. Bref, c'est, dirons-nous, un aliment qui
symbolise une certaine prééminence sociale et le fait que le candidat soit invité A le partager
avec des initiés est plus qu'un symbole, c'est une marque de confiance, d'égalité et
d'acceptation définitive du néophyte par les bingô. Après le rite moangala, le candidat est
conduit A la cour du village où on i'initie A mobeyi la danse des bingô.
5.1.22.2 L'initiation i ntubcpi. la danse des initiés
L'un des traits identitaires des bingô est leur danse nzobey. Cette danse tient une place
de choix dans I'identite des Shamaye. Elle tient cette place non seulement dans son originalité
artistique pat ses pas et ses rythmes uniques, mais aussi par les &&mes que véhiculent ses
chanso11~. Chaque chanson de mobeyi est un message codé, destiné au candidat, à chacun, ou
à la communauté shamaye tout entiére. Le néophyte doit donc apprendre les pas et les
chatlsons thématiques. Mais comme ce lourd enseignement ne peut être mémorisé en l'espace
de quelques heures, le néophyte n'apprendra ce soir là qu'un embryon, le reste sera assimilé
par expérience en assistant aux funires cérémonies de circoncision et en apprenant a entonner
une chanson originale. Ce n'est qu'ainsi qu'il poumi se faire appeler ngangô mobeyi, c'est-&-
dire celui qui est initié à la danse des hommes, fière appellation puisque tout Shamaye
circoncis est censé savoir esquisser un pas de mobeyi. C'est ici une question d'identité
shamaye masculine d'abord et ethnique ensuite. Et c'est toujours avec une réelle émotion que
les citadins, de retour à "la campagnet' pour les cér6monies de circoncision, ôtent veste et
cravate pour se joindre à la ronde et danser mobeyi. Comment se passe ce qu'il y a lieu
d'appeler I'introduction à l'apprentissage de mobeyi ?
L'initiation a lieu immédiatement après le rite moongaia. Le candidat est conduit la
même nuit à la wu du village où les circoncis ont fonné un cercle èfshifa yè mobeyi et où ils
commencent à danser. Comment se déroule la danse elle-même? Un premier homme donne le
titre d'une chanson et s'arrête brusquement La chanson est reprise par une seconde penonne
et ensuite par le cercle tout entier. Une personne se detache dors et va danser a l'intérieur du
cercle face aux baîteurs de tam-tam qui surveillent ses pas qui indiqueront le moment de
cesser de battre les tambours. Chaque c b n ne dure pas plus de deux minutes et est rewse
une fois. La seule chanson chant6e et damée pendant près de cinq minutes est iweya. Les
chansons sont toutes thématiques et les thémes sont fort VafiéS. Nous avons déjP eu a en citer
quelques-unes dans cette étude, comme la célébre mugnondjji ngulé njuwa boshi bqyo nu
funda ("vous qui êtes partis sur la rivière Moungnandji, 1' autre côte de l'Ogooué et nous qui
sommes h v é s ici par les cruest'), dont le theme est l'histoire et la dislocation du groupe
Shamaye. Nous avons aussi cit6 la chanson banguba b a h mbélo wmwk4i namwè@i
m o d ô ("quand les porcs-épics entrent ou sortent de leur terrier, chacun emprunte son
propre chemin") qui conseille A tout Shamaye de compter d'abord sur ses propres forces,
tandis que la chaason moyi ndtc mmbu idonne les jeunes quim homme ayant un gros ventre,
ne l'est pas nécessairement parce qu'il a beaucoup mangé, mais c'est aussi une forme de
sagesse, d'expérience. Après avoir écouté tout cet enseignement, un parent du candidat
entonne la chanson mèbz muan6 wè beyi murrom yotshèmè njende mcunbuya ("je suis votre
fils et tout ce que vous m'avez montré jusqu'ici m'a convaincu") par laquelle le candidat fait sa
profession de foi aux bzngô et au groupe. Ces derniers en prennent acte et chacun se chargera
d'instruire le futur membre sur son rôle dans la sociétk, mmment il defendra les intérêîs du
groupe, de tout circoncis. Pour cela, on Iui apprendra tous les secrets nécessaires, par exemple
comment tire tomber la pluie pendant une cdrkmonie de circoncision pour nuire à un
candidat On lui signifie de ne jamais montrer sa nudité à quelqu'un qui n'est pas encore
circoncis. Mais avant tout, le candidat devra d'abord b c h i r une étape supplementaire: payer
tous les torts qu'il aura causes aux bhgô, après quoi il sera définitivement accepte et
incorpore dans le groupe.
5.1.2.2.3 Le blocage du candidat
Nous venons de voir que le groupe des hommes dans la circoncision agit comme un
groupe socio-politique fermé qui recrute par "initiation" am rites de moangala et mobeyi. Un
autre palier de ce recrutement est le blocage du candidat par lequel ce dernier et sa famille
sont priés de réparer tous les torts faits a n'importe quel circoncis dans son enfance. Après
avoir observé plusieurs cas de "blocage" (ideshè) de candidats et après plusieurs discussions
avec de nombreux bingô, vieux ou jeunes, nous sommes arrivé à la conclusion que le
symbolisme du blocage n'est rien d'autre qu'une ultime brimade nécessaire à la formation
psychologique du candidat et a son entrée dans le groupe. Car, si la plupart des torts attribués
au candidat dans sa vie sont réels, certains d'entre eux sont purement et simplement fictifs. On
bloque même certains candidats pour des injures innocentes qu'ils auront proférées à un initié
à un âge où on est incapable de distinguer le bien du mai. Dès lors, le blocage doit être
interpréte comme la dernière haie a franchir pour entrer dans le cercle très sélectif des initiés.
Le blocage intervient au matin du dernier jour quand le candidat s'apprête à se rendre au
cercle des initiés où il doit subir l'opération. On dit que le candidat est bloqué quand il
demeure immobile sur son banc, incapable de plonger la main dans le pot de kaolin pour
donner ainsi le si@ qu'il est prêt. Alors, les parents recherchent les responsables sans jamais
les nommer et leur ofnent boisson et nourriture; et par les procédés dont ils ont seuls le
secret, ces demiers "libèrentn le candidat qui recouvre ses sens. Dès cet instant, il est le seul
maître de son destin Ii peut marcher vers le cercle pour I'opération rituelle. Nous avons donné
la parole à deux initiés pour nous parler du blocage. De ces entretiens il ressort qu' a travers le
temps, c'est-à-dire de 1930 à 1990, le blocage se maintient toujours avec la même
philosophie: on continue a faire payer les jeunes gens rarement p u r des fautes réelles, mais
pour parachever une forme d'éducation Voici un premier témoipage d'un individu qui a
passé les rites de circoncision "avant la guerre de de Gauile contre les Allemands".
rai été bloqué du matin jusqu'au milieu de la journée par mon grand-tiére Mboula. C'était un blocage arbitraire comme la plupart des blocages de cette époque et d'aujourd'hui d'ailleurs. Que s'est-il passé dans mon cas? Je dormais dans la même maison que mon fière Mboula, nous étions à l'époque au village Bashangoandjouma. Mon aîné a dors estimé qu'il était possible que moi qui n'étais pas circoncis ai un jour vu sa nudité. Il a alors attendu le jour de ma cuconcision pour me le faire payer. C'est ainsi qu'il m'a bloque alors que j'étais innocek Mais que poÜvais-je faire?3 "
L'auteur de l'extrait qui va suivre clame lui aussi son innocence et ne reconnaît pas les
faits qu'on lui a reproche car on l'accuse d'avoir injwié un circoncis alors qu'il n'avait pas sept
ans! Voici ce témoignage:
Le plus ârôle dans tout cela c'est que c'est mon propre oncle maternel qui a été responsable de mon blocage. ii a allégué que je l'aurais insulté il y a longtemps c'est-àdire quand j'étais enfant. Alors en 1985 il m'a fait payer. Le blocage d'après ce que j'ai pu obtenir comme indiscrétions se réalise B partir des empreintes du candidat avec lesqueIles les bingô font toutes sortes de chose pour le coincer. Les formules pour bloquer quelqu'un ne sont pas a la portée de n'importe qui. Pour que les anciens te les communiquent il faut qu'ils soient convaincus que tu ne vas pas les utiliser pour d'autres h. il y a donc ici un certain contr6Ie du savoir.313
Les rites d'acceptation sont certainement la clé de voiite de la circoncision shamaye par
leur caractère intégrateur. C'est certainement pour cela que les Shamaye ne veulent pas que
3" Wimje, D., op. cil. '" Exmit dii ricit de vie de François Mat* Shamayt, 24 a q MU&& Étudiant H 1ZTniversit6 N a t i d e du Gabo& entretien du 2 novembre 1995 a Lt'braille.
ces rites suivent l'évolution que ne cesse de connaître la circoncision depuis les années 1930.
L'un des aspects a travers lesquels on peut suivre cette évolution e a entre autres, la baisse de
l'âge des candidats qui, en soixante ans, est passé de trente à qui~lze~eize ans. Or certains
parentr n'hésitent pas d présenter des candidats de moins de dut am, mois même des enfants
de cinq ou six ans. Et c'est la que les anciens font savoir leur mécontentement et refwnt de
fêire passer les rites d'acceptation é. des tels candidats. Leurs arguments sont simples et
logiques: on ne peut pas faire subir les rites d'acceptation a un candidat qui, à cause de son
jeune âge, ne pourra pas comprendre leur sem. Ainsi, disent-ils, à quoi servirait-il de se
dénuder (le rite muungala) devant un enfant de cinq ans? Ce même enfant peut41 comprendre
le sens de mobeyi ou encore, à quoi seNirait41 de bloquer un enfatlf qui n'arrivera même pas a
s'en souvenir une fois adulte? Les rites d'acceptation sont donc une arme aw mains des
anciens face à ceux qui veulent banaliser la circoncision en y présentant des candidats en bas
âge. En refusant les rites d'acceptation a ceux-là, leur message est clair: ces enfants seront
sans doute des circoncis au sens chirurgical mais jamais des "initiés". Le lecteur auni compris.
Ainsi les rites d'acceptation demeurent I'élément clé de la circoncision, mais leur retrait en
rapport avec I'âge très bas des candidats dans certains w montre que la cirwncision shamaye
connaît des mutations assez importantes depuis les années 1930. Mais la circoncision n'est
pas qu'une affaire des hommes, le groupe de femmes est aussi présent a travers des
productions particulières.
5.1.2.3 LR eroum des femmes
Avant de subir la circoncision le jeuw homme shamaye ne se distingue dune fille que
par le sexe qui les oppose, sinon ils ont tous les deux une même personnalité sociale
d'enfants. Et tant qu'il n'est pas encore circoncis, le jeune homme sharnaye n'a d'ailleurs aucun
avantage sur les autres enfaats du sexe opposé. Cet état d'infEriorité sociale se manifeste plus
particulièrenient dans l'interdiction qui est faite au jeune homme non circoncis de s'intéresser
aux questions sexuelles. En un mot le monde des fmimes lui est interdit, étant donné que le
terme de femme chez les Shamaye désigne la jeune femme ayant subi les rites de puberté
ishedwu. Les seuls rapports intimes que I'incirconcis peut entretenir avec une personne de
sexe opposé sont ce que les sociétés occidentales désignent par flirt, c'est-a-dire rapports entre
jeune homme non circoncis et jeuw femme non initik a la confrérie féminine ishembwu.
L'incimncis est donc tenu de ne jamais épier une femme initiée et de voir sa nudité. Pour
avoir ce privilège il doit s'initier a la société des femmes. Comme on le voit ishembwu est le
pendant des rites d'acceptation marulios. Cest à leur tour le moyen par lequel les femmes
ouvrent officiellement au jeune homme les portes de la sexualité- Elles lavent ainsi son
impureté car les relations sexuelles entre une ngangô ishembwu (une initiée) et un non
circoncis sont considérées par les Shamaye comme impures; elles l'autorisent a leur faire des
avances désormais. L'initiation du candidat à la société des femmes nous permet de constater
que les femmes comme les hommes et le groupe lignager et ses alliés sont a travers shatshi un
groupe politiquement et socialement homogène. Mais ce n'est pas tout car les femmes se
comportent aussi de manière originale dans ce que Perrois a désigné par I'antagonisme des
sexes3'$, c'est-à-dire toutes les danses et les chansons de réjouismce a travers Iesquelles les
acteurs et actrices se moquent des défauts du sexe O@.
5.1.23.1 L'initiation do candidat à isiiembwu, ia société des femmes ou I'acch
officiel à ia sexualité
L'i~tiation du candidat a la confrérie des femmes ressemble fort bien a celle des jeunes
femmes qui sera étudiée en profondeur. Nous n'allons donc pas nous attarder sur les détails de
l'initiation masculine car seul le symbolisme de cette initiation est différent Mais toujours
est-il que l'évolution de I'initiation masculine à la confrérie des femmes a suivi les mutations
qu'ont connues les sociétés secrètes shamaye depuis les croisades menées par les prêtres du
culte "mademoiselle" au nord du pays shamaye par Zouaka en 1957 et au sud par Ngoutou de
1964 a 1965. Donc de 1930 au début de l'avènement de "mademoiselle", l'initiation est secrète
et se déroule en brousse. A partir de 1957, une première phase est restée secréte et une autre
s'est transportée au village, conséquence de la transparence imposée par "mademoiselle" dans
l'exécution de certains rituels. Comment se déroule l'initiation d'èmbuni à la conf%rie des
femmes?
Cest au troisième jour du passage des rites que le candidat aquîen rituellement le &oit
a la semialité. L'initiation comporte deux phases dont un bain rituel "dans le petit marigot ou
des femmes déjà complètemerrt nues, déshabillent Ie candidat pur le laver soigneusement,
puis complétent ces ablutions par l'ingestion d'lm medicament spécial. Cela pour le candidat
qui a eu des rapports sexuels illicites avec une initiée et qui a avoué sa faute ...le rôie du rituel
es? d'effacer ce comportement illicite (barn purificareur) et den empëcher les conséquences
314 PerrW, L., "La circoncision ", p.50.
néfastes (médicament magique). Celles-ci peuvent être par exemple de provoquer la pluie au
cours de la fète ou bien un accident au moment de La deuxième partie de
l'initiation, qui elle aussi était secrète jusqu'en 1957, se passe depuis cette &te au village dans
la maison commune des hommes, mbanja. En effet, de retour du second bain rituel (+bi
d n i ) le candidat est installé à la maison commune des hommes oii il veillera toute la nuit
en compagnie de son parrain. C'est la qu'il subit dans la nuit la deuxième partie de son
initiation à ishembwu. Cette initiation est tout ce qu'il y a de plus simple et de plus o b d n e
chez les Shamaye, dirait-on: des femmes en raag entrent en dansant par l'entrée principale (la
maison commune des hommes shamaye a une entrée à chaque extrémité) et à tour de rôle
chacune, déjà sommairement vëtue, lève le pagne et frotte les fesses sur les cuisses du
candidat en simulant l'acte sexuel avec ce dernier. En banalisant ainsi le coït les femmes
acceptent le néophyte dans leur monde. Si à ce niveau le symbolisme est facile a comprendre,
ce qui l'est moins c'est quand l'observateur averti constate que dans ce groupe de femmes qui
se dénudent et simulent l'acte sexuel avec le candidat ... il y a aussi ses soeurs, ses nièces et ce
que les Occidentaux appelleraient ses cousines, bref ses parentes. L'unique chanson qui
accompagne ce rituel dit que "le frére et la soeur sont en train de faire l'amour": libwoya
Iibwoziyu libwouya kMi na ndoumi shanga libwouya. Alors nous avons vodu en comprendre
le sens en insistant lors de nos entretiens auprês de certaines initiées. PeutGtre que le point de
vue de l'une d'elles pourra convaincre le lecteur:
Effectivement tu as toi-même remarqué que la soeur est toujours présente dans certains rituels importants que subit le candidat. C'est le cas pour son initiation à ishembwu OU elle joue le même rôle: poursuivre la préparation psychologique du fière qui en voyant ainsi les fesses de sa soeur doit pouvoir prendre la résolution de réussir sinon on le narguera en cas d'insu& et on se moquera de lui en lui lançant à la face qu'il aura vu les fesses de sa soeur pour rien. Ce qui est plus qu'une injure car celui qui échoue après avoir vu les fesses non seulement de sa soeur mais de toutes les femmes qui se sont dénudées est sûr de mourir célibataire parce que les femmes estimeront qutil se semit m ué d'elles. Alors elles se vengeront en lui jetant ce triste s o . 7 l6
"' P a m i q L-, "La circoncisiona, pp.73-74. 3 1 %trait mi récit de vie de Mariine Adjiyq Shamaye, Ongobwè, 64 ans, village Bambom
(LastourMlle), entretien du 16 mars 1995.
La particularité de la circoncision est que l'opération est située a la fin de tout le
processus. D'ou l'importance accordée aux rites initiatiques eux-mêmes. Ainsi avant de subir
l'opération proprement dite, le candidat adhère à la confrérie des hommes môngala que nous
analyserons plus loin, et enfin à ishembwu la société des femmes qui, queIques heures avant
l'opération chirurgicale, l'acceptent dans leur monde où il pourra désormais prendre femme en
tant qu'engô. Accepté par les hommes puis par les femmes dans leur groupe et leurs
confiéries respectifs, rien ne s'oppose désormais à la réussite du candidat ... Sauf sa propre
couardise qui le fera retomber au stade infërieur et annulera tout ce qu'il aura reçu comme
privilèges et enseignements. Mais l'identité féminine en tant que groupe do-politique
solidaire se manifeste aussi dans des réjouissances de différenciation sexueIle.
5.1.23.2 Les manifestations de la différenciation sexuelle
L'observation minutieuse des relations sociales shamaye montre qu'elles peuvent
prendre des aspects complètement divergents selon les situations. C'est une constante chez les
Shamaye, Ceci est particulièrement vrai quand on constate qu' au cours des cérkmonies de
shatshi, la soeur ''offre" ses fesses au fire alors que l'exécution de ce geste en temps normal
n'est même pas à imaginer. Mais, fait encore plus étonnant, pendant les danses de
réjouissances comme mazembou, dont la seule raison d'être est de se moquer des dkfauts du
sexe opposé, il n y a plus de distinction entre un pére et sa fille ou un fils et sa mère, mais
deux "ennemis" qui s'insultent par groupes interposes. C'est ici un moment pour tom ceux qui
ne sont pas familiers avec les "coutumes" shamaye, et qui peuvent ainsi remarquer que,
pendant ces danses, la responsabilité personnelle n'existe pas. Elle s'efface au profit du groupe
et ce n'est pas tant la mère qui se moque du sexe de son fils mais le groupe de femmes qui
insulte les hommes et vice versa. Qui l'aurait imaginé en temps noxmd? Seuls ceux qui
aiment les raccourcis trop faciles ne venaient dans ces pratiques "d'un autre âge " que de
vulgaires injures, mais on s'accorde à reconnaître que ces réjouissances détiennent quelque
valeur @dagogique comme tout ce qui a trait 8 shutshi d'ailleurs. Voici ce qu'a écrit Perrois à
propos de l'antagonisme des sexes dans la circoncision:
La circoncision bakota est le théâtre à la fois d'une complémentarité (initiations et préparatifs magiques) et d'une rivalité des sexes qui, elle s'exprime surtout dans une série de danses et de chants qui durent pendant toute la Tete; c'est méwamvan chez les Bakota et -embou (danse féminine) des Mahongwé-Shamaye. Elles consistent en
allées et venues dans la cour du village, les garqons allant daas un sens et les femmes dans i'autre. Le rôle patent de ces exercices est de fatiguer et d'abrutir le candidat pour le rendre moins sensible à la douleur que lui procurera I'opération. Mais le contenu des chants ne mentionne absolument pas cette fonction. II s'agit de moqueries et â ' ~ t e s à caractére sexuel qui rappellent ce qu'on a nommé ailleurs les "relations à plaisanteries". C'est un fiontement verbal des deux fiactions de l'assemblée317.
Ces "moqueries rituelles" ont souvent tendance à éclipser la valeur pédagogique de la
danse ma,-embou dont les chants servent aussi à donner du courage et divers conseils au
candidat. Nous avons un répertoire assez fourni de ces chants enregistrés au sud du pays
shamaye. Nous citons en exemple trois chants qui véhiculent des conseils et deux chansons
plus tournées vers "I'agressivité sexuelle" de la danse mrrembou. Etant donné qu'au mois
d'octobre il n y a plus de circoncision-c'est la période dite itubu Iè mbwoula (le retour des
grandes pluies)-nous les avons enregistrées auprès des particuliers qui ont en même temps
voulu les chanter pour nous, bien que nous en connaissions plusieurs par notre expdrknce du
milieu culturel.
La première chanson que nous avons retenue sert à exhorter et se dit: "demain tu les
affronteras, tes bourreaux. Mais toute la famille sait que tu réussiras parce que tu es un
Ongabwè et jamais avant toi un homme de la famille Ongabwè n'a @ana wèdji
fshilu. Wèbi ibaka lé Ongabwè. muru wè Ongabwè m a Ièpè sharshi.); une autre de la même
catégorie dit: "le gorille s'en prend à quelqu'un quand ce dernier lui tourne le dos. Demain tu
ne leur tourneras pas le dos et tu les regarderas droit dans les yeux" ( m a kouara mulu
oyènè wè twna ungu nkongo. Yum wèndeka tuma bongu h n g o . Louma bangu mishi). Le
lecteur aura compris que "le gorille ne s'en prend qu'aux lâches qui lui tournent le dos, c'est-à-
dire ceux qui fuient". On conseille donc au candidat de ne pas se laisser impressionner- Après
ces conseils quelque peu musclés, on exhorte le candidat en appuyant encore plus sur la fibre
familiale. L'une des chansons allant dans ce seas dit: "tes soeurs auront honte, tes mères
auront honte tout wmme tes papas3'9si tu échoues, alors demain des que tu auras traversé ta
317 Perrois, L., "La circoncision", pp.50-5 1. 318 Luc Mowyoubi, Shamaye, Ongabwè. 47 an$ notable, entretien du 20 janvier % à Ntsiete
(Makokou). ''b lecteur sait déjà a que recouvreut les temis de pères a mères chez les Sixmye. Il s'agit ici de
ce que les anthropologues et ethno1ogues d6signent par pères et mères réelles et classificatoires.
soe~?'~, penses à nous " (bak@i na shogni. bagnangwè na bashangwè na shogni, yana wè
tuha Kadji wé yemboulèkè boshi bèshi). Les chansons qui vont suivre n'ont rien à voir avec
ies précédentes. Ce sont des chansons qui sont toutes tournées vers Ia confrontation et les
injures sexuelles qui semblent la raison d'être principale de mazembou.
Nous avons délaissé les chansons actuelles des années 1980 qui sont connues de tous
les jeunes Shamaye (qui ont introduit un aspect ludique à blâmer) et avons cherché à
immortaIiser les plus originales qu'on tend aujourd'hui à oublier. Par le caractère impudique
de celles-ci, les seules personnes qui pouvaient nous entretenir sur ce sujet sont nos "grands-
meresWa cause de la nature des relations que les grands-parents et les petits-fils entretiennent
chez les Shamaye (relations qui se traduisent entre autres par la liberté entre eux d'évoquer les
questions sexuelles). AIors, nous avons demandé a l'une de nos grands-mères de nous
interpréter quelques chansons qu'on chantait quand elle était jeune (notre façon a nous de
faire allusion aux années 30 et celles qui ont suivi). Le principe de la danse féminine sharnaye
ma=embou consiste a traverser le village d'un bout à I'autre en dansant et en chantant. Mais
pendant ce temps, les hommes en font de même en exécutant la danse iweya (à titre
d'exemple les Bakota proprement dits ont pour danse mascutine d a qui est le pendant de
méwawun danse féminine). Les deux groupes circulent chacun dans un sens différent et se
croisent à un certain moment et très vite les réjouissances tournent P la confrontation verbale
par chansons interposées. Le groupe des femmes ouvre les hostilités et chante: "faites
attention vous qui allez souvent pêcher entre les cailloux, nous savons que vous vous faites
souvent mordre le pénis par les serpents" (ilouka lè makokou radjia kouèlè ikata). Les
hommes qui ont bien entendu ce message répliquent en modifiant simplement quelques
paroles de la chanson: "ce sont plutôt les femmes qui se font mordre aux fesses car leur façon
de pêcher consiste à plonger tout le postérieur dans l'eau" (ilouRa fè mkokou taGia kouèlè
è b ~ r n b o u ) ~ ~ ' . Se sentant prises à leur propre jeu, les femmes reviennent à I'assaut avec une
chanson en forme de devinette dont elles trouvent elles-mêmes la réponse tout naturellement:
"quel est le bois dont la longueur, même quand on le taille, ne diminue jamais? C'est le
''O Le candidat iraverse sa soeur pour se rendre A ètFhita le lieu de l'opération (voir le déroulement des rites).
''' ï i est très évident que ce premier round va aux homes quand on compare Ia pêche masculioe et la pêche fëminme shmaye, Au cours de la pêche masdine ilobo, l'homme reste debout au bord de la rivière en tenant une canne (ngasha) que prolonge un long fils (élesha) qui est lui-même taminé par un hameçon. Donc, la suie fois où l'homme pèche en se mettant dans l'eau c'est quand il s'agit de prendre le poisson appelé ikopu, mais 18 encore la pêche a lieu dans des rivikes où l'eau depasse B peine les genoux. Mais la pêche féminine que ce soit ishisha ou ilouka consiste à plonger les fesses dans l'eau. Donc s'il y a un groupe qui a la malchance de se faire mordre au mauvais endroit, c'est bien celui des femmes.
pénis!" (ekoko yè batshita ndeku koudouma be ndé? Ihta). Les femmes font ici clairement
allusion à la circoncision qu'elles croient ttre une opération inutile car on a beau tenter de
"racourcir" un pénis, pensent-dies, il demeure toujours long, donc g2nant. Pour se moquer
des hommes, les femmes leur font savoir qu'ils portent lii un fardeau entre les pieds dont ils
tentent désespérément d'ôter la lourdeur à travers shatshi. La réponse des hommes est aussi
méchante que l'attaque qu'on leur a adressée. Ils rétorquent de la même façon: "connaissez-
vous une plaie qui ne guérit jamais r n h e avec les meilleurs soins? C'est le sexe de la femme"
@enGe yè ndeko shfyuka be d? Èbombou). Le lecteur aura compris que les hommes
shamaye à leur tour assimilent le sexe feminin à une plaie incurable donc a un fardeau3".
De 1930 à 1990, les femmes Shamaye n'ont donc cessé de se comporter comme un
groupe social homogène à travers sharshi. Ce comportement est visible à travers I'initiation du
candidat à ishembwu qui est i'acceptation officielle dans le monde des femmes, l'accès a la
sexualité. Il l'est aussi dans les manifestations de réjouissances qui ont pour philosophie
principale la différenciation des sexes. À ce sujet, Varisina écrivait que l'identité du monde
bantou est aussi un phénomène de différenciation à l'intérieur de ce mega-groupe. Ceci veut
dire que l'unité engendre aussi la diversité et vice versa. Les concepts chinois de yin et de
yang en sont un exemple concret: à la fois une même entité, mais aussi deux identités. C'est
dans ce sens qu'il faut comprendre i'opération de differenciation sexuelle que les Shamaye
exhument à chaque cérémonie de sharshi Cest une reconnaissance de l'autre, du sexe opposé,
de son rôle et surtout de sa place à l'intérieur d'une même entité: la shamayité. Mais le lecteur
n'a pas cessé de voir ici certaines couches sociales shamaye se comporter comme des entités
sociales et politiques distinctes. L'dtude des sociétés secrètes l'édifiera dans ce sens.
5.2 Les sociétés secrétes shamave depuis 1930
Quiconque voudrait entreprendre Iëtude des sociétés secrètes chez les Shamaye de nos
jours doit, s'il veut aboutir à des résultais heureux, avoir trois qualités: l'humilité, la patience
et la discrétion. Trois qualités essentielles quand on veut aborder ces questions "pas comme
les autresn d'après les interlocuteurs shamaye eux-mêmes, car le temin est glissant et semé
d'embûches. Depuis 1930, l'histoire des sociétés secrètes chez les Shamaye est celle d'une
éternelle résistance (encore), de changements multiples et de réajustements constants devant
la pression orchestrée par des forces de différente nature. Les premiers a occasionner les
322 Jeanne Akaka, Shamaye, 47 am, Moulou, entretien du 29 novembre 1995 a Mounana
changements dans les sociétés secrètes sont les agents venus de l'extérieur du Gabon. Les
Grecs et les Romains avaient leurs barbares, c'est-Adire les peuples qui, selon eux, se
caractérisaient par une culture "rude" ou simpIement par une absence de culture. Les
descendants de ces barbares, les Occidentaux, se sont attelés à leu. tour, à la fin du 19e siècle
et au début du 20e, à rechercher et à détruire systématiquement ce qu'ils considhient comme
des cultures inférieures, par l'entremise des colons et des missionnaires. C'est avec beaucoup
de peine que les Shamaye énumèrent tout ce que les sociétés secrètes ont subi comme tracas
de la part de l'appareil colonial. L'uu des moyens de lutter contre Ie développement des
sociétés secrètes était une amende sur les danses infligée par I'administrabon coloniale A tout
village qui s'était rendu coupable d'une danse interdite. Les missionnaires, encore eux,
préféraient user de l'intimidation à l'endroit des Shamaye. En effet, les traditions de ces
derniers mentionnent que le prêtre blanc informé des préparations dune Ete "païenne" dans
un village s'y rendait sous prétexte de procéder à quelques baptêmes. Une fois au village, il
refusait d'y coucher et menaçait d'aller dormir au bout du village parce qu'il s'y passait des
choses odieuses dont il ne pouvait être témoin. Le piège fonctionnait et inévitablement les
pauvres Sharnaye annulaient l'organisation de la cérémonie. Tout ceci a mis les sociétés
secrètes sous pression et petit à petit, à force de ne pouvoir fonctionner que dans la
clandestinité, elles ont fini par s'effriter.
Comme si cela ne suffisait pas, les forces internes allaient elles aussi s'attaquer aux
sociétés secrètes. La première de celleci est nc$obi. La diffusion et tes conséquences de ce
culte ont étd analysées au chapitre trois et nous n'ailons pas y revenir. Le lecteur devra
seulement retenir que le culte ndjobi est né chez les Obamba du sud d'okondja entre 1935 et
1943; entre 1944 et 1959, il se r6pand en pays shamaye. Le cdte a pour but de combattre les
sociétés secrètes jugées néfastes, Ceci occasionna de nombreux ralIiements des membres de
mÔngaIu et ngoye avec tout ce qu'ils detenaient comme "fétiches". A la suite de ndjobi est
venu "mademoiselle" d'origine mahongwé, et qui s'est répandu chez les Shamayc entre 1957
et 1965. De tous les éléments qui ont contribué a faire évoluer les sociétés secrètes,
"mademoiselle" est certainement celui dont i'influence a été la plus déterminante. En effet,
c'est ce cdte qui est responsable de l'exécution en public des phases d'initiation qui, jusqu'en
1957, avaient lieu en forêt, hors du regard des non-initiés. Toutes les sociétés secrètes,
masculines ou féminine, ont dû opérer des réformes et des rajustements après Ia croisade de
"mademoiselle". Ainsi par exemple, c'est grâce à ce culte que, depuis 1957 les femmes et les
enfants (au sens Shamaye) voient le mongoundou, le symbole de môngola. C'est aussi grace à
ce même cuite que les Shamaye, a i partir de la même année, exécutent en public l'épreuve
dendé tant redoutée par les candidats lors de l'initiation au ngoye. Ishembwu, la seule société
secrète féminine, n'a pas été épargnée. Cest également "mademoiselle" qui a imposé
l'exkution en public de la deuxième phase de l'initiation d i n e a cette société. Donc le
fonctiomement des sociétés secrétes, tel qu'on peut les voir aujourd'hui, est la survivance des
éléments anciens qui ont résiste à toute cette pression et qui kvoluent maintenant a l'intérieur
des réformes opérées par "mademoiselle".
Comment les sociétés secrètes ont-elles évolué depuis 1930? La répollse a cette question se
trouve dans la façon dont nous avons voulu aborder l'étude des sociétes secrétes. En effet,
nous voulons montrer que celles-ci sont des structures d'intégration dont les maîtres mots S O ~
fiaternité et pouvoir. Nous aurions pu choisir la voie plus facile de l'étude de l'aspect social
des sociétés secrètes. Nous avons plutôt voulu aborder leur aspect politique qui est plus
difficile a cerner. Alors que hier, ils exerçaient le pouvoir avec ostentation, les membres des
sociétés secrètes, et singulièrement les ngangô ngoye, avouent qu'ils sont obligés d'évoluer
dans une discrétion totale; ils déclarent n'avoir aucun pouvoir de nos jours. Ce qui est
évidemment faux et ne peut tromper que ceux qui ne sont pas familiers avec les "coutumes"
shamaye. Le fait qu'on s'écarte encore de nos jours de tous ceux qui imprudemment
prononcent le mot ngoye, milite en faveur de notre conviction que les sociétés secrètes
détiennent le pouvoir réel et constituent ltélément clé de l'identité shamaye. Hier elles étaient,
par l'ampleur de leurs pouvoirs, un véritable état dans un état, et par leur originalité culturelle
une vraie fierté des Shamaye. Aujourd'hui, elles assument leurs fonctions dans la discrétion la
plus totale. Les sociétés secrètes sont des instances de gouvernement local dont les membres
pratiquent une solidarité sans faille. Aucun Shamaye, aussi puissant soit-il, n'aimerait avoir un
problhe avec un adepte de ngoye par exemple; il s'attirerait les foudres de toute la confrérie.
La véritable question se formule ainsi: qu'est ce qui reste de nos jours des sociétés secrètes, en
quoi et comment cela contribue t-il à la construction de i'identité shamaye? Tentons d'y
répondre en analysant les facettes sociale et politique des m i s h d u : la fraternité entre les
membres et l'exercice du pouvoir dans la communauté. Aussi nous commencerons par étudier
ishembwu et môngala deux socidtés dans lesqueIles l'initiation est obligatoire, la première est
imposée a toutes les femmes et la deuxième à tous les hommes. Nous terminerons par l'étude
de ngoye dont l'initiation en thBorie est ouverte a tous les hommes mais dont les méthodes de
recrutement obéissent à des critéres particuliers.
5.2.1. Ishentbwu, la société secréte fkmhiae
Ishembwu est runique société secrète que connaissent les femmes shamaye. Ce terme
signifie la "corne" en langue osamayi, mais de nos jours il n'est plus jamais fait allusion a cet
élément ni dans les chants ni dans les ritiieIs. Il semble que le lien entre les pratiques de la
société et ce qui aurait pu être son emblème ait compIètement disparu, contrairement aux
sociétés masculines comme nous le verrons plus loin. Toutes les femmes expérimentées que
nous avons interrogées a ce sujet ont été incapables de faire une quelconque connexion entre
cet objet et leur confrérie. Alors est-ce un pur hasard? Pourtant, les hasards sont rares chez les
Shamaye dans des comportements de telle nature, comme le dit l'un de leurs proverbes:
Wè n d e k ~ kouka iyemba gnatshi wè shangwè m wé rnouaai na m a ~ h e m b o u . ~ ~
"Tu ne peux pas dire si un buffle est un mile ou une femelle par ses cornes".
Les cornes sont donc ici un élément d'égalité et de ressemblance entre le buffle mâle et
sa femelle. Or on sait que la confrérie ishernbwü dans ses missions sociales et politiques est
une réplique de shatshi et de môngala masculins. Ce proverbe peut41 expliquer la philosophie
initiale de la confiérie féminine? Serait-elle une corne fictive que porteraient les femmes pour
s'élever à égalité des hommes? La corne symboliserait-elle cette égalité qui est ici pius
souhaitée que réelle, qu'acquise? Nous sommes tenté d'y répondre par l'affirmative.
D'apres l'historiographie gabonaise, la société secrète ishembwu semble être une
variante d'une institution présente dans d'autres ethnies gabonaises. On retrouverait ce rite
chez les Ba-kalè (qu'on désigne encore par Ongom ou par Mbanghouin selon les endroits
qu'ils occupent au Gabon), sous le nom de djiambé et sous celui de yasi chez les Galoa
D'après Raponda-Walker, le même rite existe sous le nom de ndjèrnbè chez les populations de
la côte (notamment les Mpongwé qui i'a-ent reçu des Eshira avant de i'introduire à leur
tour chez leurs voisins les Benga) et serait apparenté au m m g h o e ou mimeme des Fang et
au Zesimbi des populations du ~ a u t - ~ ~ o w è ~ ' ~ (notamment les Ondasa, les Obamba et les
Bawoumbou), tandis que la très celèbre minorité mitsogo connaît ce rite sous les appellations
de bopesa, kopwèngo et monginda toujours d'apds Watker. L'historiographie s'accorde enfin à
32%Ielène Babena, Shamaye, 61 am, Shidi , ûmoy (Mouma), catretien du 07 janvier 1994. 3W RapondzkWaiker, A, SiUans, R, op.ciL, pp.239-240.
recodm que, même si cew-çi sont obscurs, les but. de cette société à laquelle "les
femmes sont trés attachéesn peuvent se résumer dans un pays où la femme est la "propriété"
de son mari, à une sorte de garantie contre les droits absolus de celui-ci, c'est-à-dire une sorte
de "syndicat contre l'élhent d e " . Or les termes de "droits" et de "syndicat" qui sous-
tendent des notions d'intérêt impliquent les buts dont les enjeux sont politiques et sociaux. Et
quand une institution est commune comme celle-ci, la différence se situe souvent au niveau
des détails ou de la perception, de l'accaparement, de la Iecture ou de Ikilisation particulière
qu'un groupe fait de certains éléments communs. C'est ce que nous allons voir à propos de
l'identité des femmes shamaye &travers la confiéne ishembwu.
5.2.1.1 L'initiation (ikwu khembwu)
La confrérie ishembwu est organisée de façon singulière. À la tête il y a une première
femme qui porte le titre de obwhu bô ishembwu. Certains anthropologues ont traduit ce terme
ou plutot cette expression par "présidente", mais nous lui préférons la traduction shamaye de
"celle qui est devant". En effet, obushu bô ishembwu (comme obushu bô shatahi dans la
circoncision) n'est pas un titre que les femmes portent en permanence. C'est plutôt un titre
ponctuel qui ne sunit pas après les cérémonies d'initiation. La femme qui le porte est cooptée
par ses semblables pou coordonner et diriger les cérémonies d'initiation. Et comme tout le
monde ne peut pas faire la même chose en même temps, il faut bien qu'il y ait l'une d'elles
"qui soient devant". Mais cette femme qui est choisie par ses paires est incontestablement une
femme d'expérience. Les initiées portent le nom de banganga bu ishembwu, tandis que les
candidates à l'initiation ont le titre de misha. Le lecteur trouvera en note inûapaginale les
appellations correspondantes chez quelques ethnies gabonaises, ceci pour bien se rendre
compte des différences ethniques325.
US Pour la nprésidmten Ies Myène ont le terme de ngwkvilo, les Mitsogo celui de Rumu-a-ebenga, les Eshira celui de nguyl*-nyèmba ou gibaga, les Beseki celui de ngwè-vilo, les Fang celui de ngèiè, tandis que les Ombamba les voisins des Shamaye ont celui de ngugu-lesumbu ou mvandi; pour les initiées, les Myène ont le terme de amenga-menga, les Mitsogo celui de myomba, les Esttira celui de ngunt@i, les Beseki celui & bodad. les majoritaires Fang ont le terme de bengwPn8 ou bewPn2, tandis que les voisins Obamba ont celui de anga-ma-lesumbu on anga-moti; e d k pour les candidates à I'initiation on retrouve le terme de igondje chez les Myéoe, b&n& chez les Mitsogo, biwagi ou misindi chez les Eshira, nina chez les Beseki, benvon chez les F a q et chez les voisius Obmba ceux & bana-na-lesembu ou buna-moti. Cf Raponda- Walker et Siliaus, op. cir , p.24 1 .
L'initiation t i la wnfréne est tout ce qu'il y a de plus secref à cause, semble t-il, du
caractère très sexuel des rites. Les phases les plus importantes ont lieu dans un marigot en
brousse. Les seuis hommes qui ont le privilége d'y assister sont trois batteurs de tam-tam
(babèti ba rmmdumu) qui sont des circoncis, donc des initiés à la confiérie féminine. Il est
inutile d'essayer de tirer Ie maximum d'infiirmations auprés des vieilles banganga ba ishembu
qui, pour rien au monde, ne seront volubiles sur la question. Les moins âgées qui ont cornpris
le bien-fondé de notre entreprise ont bien voulu nous livrer queIques indiscrétions sur le
passage des rites. Voici le témoignage de lime d'elle:
J'ai été initiée a la confiérie des femmes ishembwu en 1976 au village Livouta J'étais dors âgée de quatorze ans, donc sufflsamrnent grande pour que je puisse m'en souvenir encore aujourd'hui. Lorsquion nous a conduites au marigot, nous y avions trouvé des initiées qui nous ont précédées. Elles étaient déjà toutes nues. On nous a déshabillées et conduit dans I'eau. Elles nous ont fait croire qu'il ne s'agissait que d'un simple bain. Mais, plutôt que de nous laver simplement elles nous ont plutôt lavé le sexe avec du piment pour, dit-on, nous purifier. Elles nous ont aussi mis une bonne portion de piment aux yeux. Ensuite elles nous ont demandé de plonger la tête dans Peau pour qu'elles nous aident à laver le piment Mais au lieu de nous laver le piment qui bdai t nos yeux, les anciennes initiées nous tenaient fermement la tête dans I'eau et essayaient de nous suffbquer pendant qu'au bord de la rivière les autres chantaient et dansaient au rythme des
Les traditions féminines mentionnent qu'ils ne s'agit ici que d'un simple bain rituel qui
sert a purifier la jeune femme de toutes ses "erreurs" d'enfance. Mais le lecteur avisé ne peu
s'empêcher de constater qu'il s'agit ici aussi d'une épreuve basée sur la douleur qui semble
répondre poit par point au shatshi mascuiin. La douleur comme dans shatshi est bien présente
dans les rites de passage de ishembwu. Martin Alihanga affirme en effet que les postulantes
sont battues, mais il rapporte une autre épreuve très éprouvante qui consiste à faire manger la
viande de porc-épic (ngrrmba) aux candidates d'me façon particulière: "la viande est tenue
suspendue sur un feu oii l'on a mis beaucoup de piment et d'où s'élève beaucoup de fumée.
Comme toutes doivent manger cette viande, elles se trouvent ainsi toutes soumises au
326 Extrait du récit de vie de Philwiéne Bibayi Shamaye, 35 am, Shanjambi, institutrice à I'école publique de M o u m a entretien du 22 dicembre 93 a Mouma
supplice de la "fumk pimentéen327- Enfin. le dernier a s p t de l'initiation qui f i t appel à
l'endurance de la douleur, les ini t ih frottent durement tout le corps de chaque candidate
avec une feuille rêche. La demière partie de l'initiation a lieu au village et ressemble à une
sorte de présentation officielle B toute la communauté de celles qui vont bientôt porter le titre
de banganga bu isliembwu. Mais à la Iecture de ce qui va suivre, on ne manquefa pas de
remarquer, encore une fois, que cette pnrtie de l'initiation, telle que n'importe quel
obsewateur peut aujourd'hui la voir dans les villages shamaye, ressemble à l'initiation des
bimbmi à mobeyi, la danse des hommes circoncis. En effet, les candidates arborant un
maquillage impeccable (corps entièrement couvert de @da, une pommade I d e de couleur
rouge, colliers de perles manduta disposés sur L poitrine en forme de X, cache-sexe de
couleur assortie avec le reste du corps, ce qui ne manque pas de faire le bonheur de quelques
jeunes gaqons) sont conduites à la case commune des hommes où dans la nuit on les initiera
devant tout le monde à la danse qui porte le même nom que la confiérie. Le principe est
presque identique a l'initiation des jeunes hommes à la danse des hommes. Les femmes a
forment à l'intérieur de mbunja un cercle dans lequel sont incorporées les misha. Elles sont
entraînées l'une après l'autre à l'intérieur du cercle et invitées a imiter une ancienne initiée qui
est en train de danser ishembwu. Tout comme le mobeyi contribue à façonner l'identité du
jeune homme, la danse ishernbwu en fait de même pur la jeune femme. Et savoir esquisser
les pas est moins une question de dextérité qu'une question d'identité ethnique. Les chants que
véhicule ishernbwu sont des enseignements dont la nouvelle initiée n'aquiert ici qu'un
embryon, le reste sera appris par expérience en prenant part aux cérémonies et en côtoyant les
devancières qui lui feront mémoriser ses nouvelles tâches privées et publiques dans la société
shamaye.
S.2.1.2 Les missions sociales de ishentbwu
La mission première de la confrérie féminine est sociale, car elle a pour finalité
première d'assurer I'intégration de Ia femme dans la société. La confiérie s'efforce d'obtenir
que ses enseignements théoriques aboutissent a des résultats très pratiques. L'idéal ultime est
de faire de la femme shamaye une bonne épouse, c'est-&-dire une compagne qui a des droits
mais aussi des devoirs envers son époux et la société tout entière. Pour cela, l'initiation à
ishembwu se termine toujours par un chapelet de recommandations qui ne sont que le
prologue à ce que la nouvelle initiée apprendra plus tard auprès des femmes plus
expérimentées. Aussi sur-le-champ, il est recommande à la nouvelle initiée "de ne pas
tromper son mari, de ne se mettre nue que dans la case et devant son mari, & n'avoir les
relations sexuelles avec son mari qu'après le coucher du soleil"328. li est aussi interdit à la
nouvelle ngangô ishembwu de consommer la chair de i'antilope dormante èshibu, car manger
cet animal "occasionne l'arrivée des règies douloureuses qui souvent mettent du temps a
s'm~ter"~". A propos de cette interdiction. nous aimerions émettre une précision. En effet,
nous avons remarqué qu'en plus des femmes, les hommes non circoncis, c'est-à-dire les
birnbuni sont aussi frappés par cette interdiction de nos jours. À ce moment nous nous
sommes dit que cette défense ne pouvait venir des femmes et avons donc voulu en savoir
plus. Et a maintes reprises il nous a été dit et confirmé que cet interdit vient des initiés au
môngda qui ont voulu exclure de façon tout a fait arbitraire les femmes et les non-circoncis
de la consommation de cette viande très appréciée. Et que les règles douloureuses seraient
provoquées par les hommes par des moyens secrets pour "punir" la femme soupçonnée d'avoir
bravé cet interdit.
L'examen des droits de la femme shamaye tel qu'elle les apprend a travers ishembu peut
rendre jalouse certaines femmes du monde. Parler des droits de l'épouse dans des sociétés
comme celle des Shamaye qu'on considère en Occident et de l'Occident comme des régimes
socio-politiques achevés de la domination de l'homme sur la femme, peut paraitre absurde.
Or, les femmes shamaye ont des droits enseignés inlassablement par ishembwu à travers le
temps. Ainsi, par exemple, le sociologue gabonais Martin Alihanga écrit en 1976 a propos de
cet enseignement que "la jeune fille apprendra entre autres, que, en tant que femme, elle est
mère non seulement des hommes mais aussi des sociétés: elle est te fondement de la
communauté nationale; que l'homme fut4 son mari, est son enfant i I'égard duquel elle doit
toujours savoir être maternelle. L'homme est certes le responsable public de la famille mais
les grandes décisions concernant celle-ci doivent se prendre en collaboration avec la femme.
Dans certains cas, son point de vue sera même prépondérant surtout si elle est la préférée (que
les Shamaye appellent èkundi) des épouses du polygyne"330. Les droits de la femme shamaye
ne s'arrêtent pas l a En effet, il y a aussi le droit inaliénable au repos sexuel et l'arrêt de
328 André Even, "Les conl?éries secrètes chez les Babamba et les Minciassa d'Okondjaw, in Bulletin de la Sociéré des Recherches Congotaises, 23 (1937), pp.3 1-1 13, p.9 1.
329 Jeamette M a b o e Shamaye, Njabi, 43 ans, entretien du 04.0 1.1989 à Barnberab joko. 3 3 0 ~ g a , M., op. cil, p. 14 1.
certains travaux ménagers. Ce droit est inviolable et est reconnu par tous les époux. La femme
fait vaIoir ce droit lorsqu'arrive la période des menstruations. L'homme ne doit jamais
demander à faire l'amour à sa femme Jorsqu'elIe a ses règles. "Si le mari insiste, la femme a le
droit de Ie dénoncer publiquement et jusqu'à une date récente, c'était m h e une cause
suffisante de divorce en cas de récidive du mari"33', nous confirme une femme. Un homme
devra éviter que sa femme divorce pour une telle raison car une autre ne voudra plus jamais
l'accepter comme époux à cause de sa mauvaise réputation. Et d'ailleurs pour que l'époux ne
soit pas soumis à la tentation, la femme ne doit pas partager le lit conjugal avec son mari en
période de menstruations. Les femmes plus jeunes, avec lesquelles nous avons pu discuter de
la question, qualifient cet enseignement d'extrémiste; les plus âgées qui respectent encore
religieusement cette prescription de ishernbwu rétorquent qu'elles n'inventent rien et ne font
que suivre et perpétuer la coutume.
Autre droit inaliénable quand la femme a ses règles, c'est celui de s'abstenir d'exécuter
les tâches culinaires difficiles notamment toute nohture qui doit être pilée avant d'être cuite
comme le manioc (hondo) et les feuilles de manioc (maka); à ce sujet un proverbe dit
Ndakuè kqyi yè iayishè rnohiru na moundou nèbouka.
"Les menstrues éIoignent la femme du mortier et du pilon".
Le prétexte avancé par ishernbwu est d'éviter que ia femme présente de la nourriture
"sale" à son époux ou à toute autre personne, mais en réalité la confrérie demande plutôt ici à
ses membres de prendre un repos volontaire quand elles ont les règles et de n'exécuter que les
tâches culinaires qui ne demandent pas d'effort physique. Comme cela transparaît donc,
ishernbwu est un cadre social dans lequel la femme trouve un plein épanouissement et la
prépare aussi aux réalités pratiques de la vie de couple fondée sur la réconnaissance et surtout
sur l'usage des devoirs et des droits de la femme. Mais la confrérie a d'autres fonctions,
politiques cette fois, que nous allons examiner.
5.2.13 Les missions ~olitiaues de la confrérie féminine
Nous aimerions débuter cette analyse par une anecdote qui n'est pas sans rapport avec le
sujet. En 1989, après plus de vingt ans de monolithisme politique, le Gabon renoue avec le
33 I M h u m i , J., op.cit.
multipartisme. Les élections législatives au parlement multipartite étaient prévues pour
septembre 1990. Tous les états-majors des partis politiques se préparaient avec une feweur
jamais vue. il faut savoir que les Gabonais, longtemps étouffés par un régime des plus durs,
ont accueilli le retour au pluralisme politique avec un réel engouement. C'est ainsi qu'à la
conférence nationale qui a instauré le multipartisme, on a compté pas moins de cinquante
partis politiques ou associations a caractère politique pour un pays ou les estimations les plus
crédibles donnent a peine plus d%i million d'habitants.
Quand la campagne s'est amorcée en septembre 1990, Ia lutte s'annonçait très dificile
pour un des sièges du députement de Mulundu (Lastourville) qui comprend les cantons
Poungui et Leyou. L'empoignade s'annonçait très rude entre madame Paulette Missambo, la
candidate du Parti Démocratique Gabonais (P.D.G.) l'ex-parti unique au pouvoir, et monsieur
Jean-Marie Moulakou qui défendait les couleurs du Parti Gabonais du Progrès (P.G.P.), l'une
des formations prometteuses de l'opposition à l'époque. D'ethnie bawandji, la candidate
Missambo semblait bien partie dans le canton Poungui qui est exclusivement peuplé des
siens; mais elle paraissait en mauvaise posture dans le canton Leyou ou il y a, entre autres
populations, les Shamaye et apparentés, car son rival n'était autre ...q u'un Shamaye du village
Ndzokaloundza. II lui fallu donc trouver un stratagème pour glaner des voix parmi l'électorat
naturel de son rival. Et contre toute attente, elle demanda aux femmes shamaye des villages
Bangadi, Ndzokaloundza et MaIanga,..de l'initier A ishembwu. L'affaire souleva un véritable
toilé. Les femmes shamaye refusèrent (en réalité c'était pour faire monter les enchères car
madame Missambo était ministre), prétextant que leu. confrérie n'avait plus de pouvoir de nos
jours. Certains hommes Shamaye tentèrent de s'opposer car, disaient-ils, ce serait "donner
trop de pouvoirs à une "étrangère". Mais le camp de Missarnbo ne désarma pas et ses taupes
dans la communauté shamaye lui dirent de "se donner les moyens de sa potitique". Ainsi
Missambo, une Bawandji, fut initiée à la prestigieuse confrérie ishembwu par les femmes
shamaye elles-mêmes.
Tentons de comprendre les raisons profondes et secrètes qui ont motivé la persévérance
de notre députée ici. En effet, son désir était moins de s'allier les suffrages des femmes
shamaye par son adhésion à leur contiérie que de s'attirer les bienfaits de celle-ci. Cette
femme qui possède un diplôme d'études approfondies @.É.A) en sciences humaines
(linguistique) sait, conseillée par ses taupes, que la confrérie féminine a des liens avec la
politique et est toujours intervenue dans ce domaine dans la communauté. Madame
Missambo a bien sûr été élue députée et a été reconduite au gouvernement qu'elle n'a plus
jamais quitté. Elle est même devenue, après avoir remporté le dernier scrutin dans le même
siège, la seuie femme ministre &État dans l'équipe gouvernementale rendue publique le 29
janvier 1997. Est-ce un simple hasard? Les Shamaye croient trés peu au hasard et pensent
plutôt que Missarnbo recueille aujourd'hui les bienfaits de son entrée dans la confrérie. En
effet, aux dires des Shamaye eux-mêmes, ishembwu détiendrait des vertues mystérieuses pour
réussir dans toute entreprise politique. La confh5rie agit sous forme de personne morale
protectn'ce et bienfaitrice. Wailez surtout pas demander quels sont ses moyens et ses secrets.
Mais les Shamaye wnseilient de nos jours par exemple, A toute personne convoquée au
tribunal ou a la gendarmerie d'aller d'abord discrètement voir une ngangô ishembwu, tout
comme quand on va chercher du travail où quand on va prendre la parole en public dans une
palabre; à tout écolier qui prépare un examen important, on conseille de suivre la mihe voie
que les autres. Toujours a propos des missions politiques de la confiérie féminine, en 1937
l'administrateur André Even rapportait que
Autrefois, quand avant l'occupation européenne, les villages se livraient a de perpétuelles guérillas, les femmes, avant chaque bataille, exécutaient les danses du Lissimbou pour que les guerriers de leur groupe ne soient pas tués. Lorsqu'un village se déplace, un rite de fondation est célébré; au cours de cette cérémonie, une vieille femme apparentée au chef exécute nue les danses du Lissimbou, afin que la nouvelle aggiomération soit prospère. Depuis l'arrivée des Blancs, le Lissimbou s'est même annexé une spécialité supplémentaire: apaiser la colère des Européens. Quand les habitants d'un village apprennent que le "Commandant" vient les visiter et que, pour une raison ou une autre, ils craignent de sanctions de sa part, les femmes, avant son d v é e , exécutent les danses du Lissimbou. On espère ainsi avorter l'ire du ~ l a n c ~ ~ ' .
Donc, les rapports de la confrérie fdminine ishembwu et la politique ne datent pas
d'aujourd'hui. En dehors des tâches traditionnelles qui lui étaient dévolues, on assiste "depuis
l'arrivée des Blancs" jusqu'à nos jours, a une réorientation des bienfaits de la confrérie par
rapport aux nouvelles contraintes que rencontrent les Shamaye (compétition politique,
recherche du travail, ennuis judiciaires, examen). Les liens avec le politique semble être le
dénominateur commun de toutes les confrc5ries féminines gabonaises; ainsi par exemple, à en
croire Raponda-Walker et Sillans, les femmes fang n'exécutaient la danse mevunghoe,
l'équivalent de ishembwu shamaye, que très rarement, dans les grandes circonstances, par
332 E v q E., "Les m&éries", pp. 101-102.
exemple lorsque les hommes du clan se pr-ent B faire la guerre à un auîre clan, a opérer
des razzia de femmes ou à entreprendre la chasse aux dldphants, c'est-à-dire toute initiative
particdièrement dangereuse. Par ailleurs "un des buts de mewnghoe était de créer une
fiatemité dans le village"333. La confi6ne môngala constitue le pendant d'ishembwu chez les
hommes.
5.23 Môngaia. la soci6té secréte des hommes
Tout homme shamaye qui passe les rites de circoncision subit en même temps son
initiation à la confrérie secrète môngala. En effet, l'initiation au môngala a lieu le troisième
jour du passage des rites de shatshi, c'est-à-dire à la veille de l'opération. Le lecteur aura donc
compris que pour s'initier au môngala, il faut d'abord Sire candidat à shatshi; môngala étant
donc la société secrète de tous les hommes circoncis. Qui dit en@, dit aussi ngangô môngala
(initié au môngala). Pour les raisons que nous allons donner, nous commençons l'étude de
cette société secrète par la recherche de ses origines.
Institution partagée par toutes les ethnies bakota, môngala ne semble pourtant pas avoir
la même origine chez ces dernières. L'examen des récits relatifs à l'origine de môngulu
dévoile des différences idéologiques entre les Bakota. Ces différences sont bonnes à souligner
afin de montrer l'identité du discours shamaye sur la question. Les Mahongwé, Bakota
proprement dits, et les Sharnaye reconnaissent à travers leurs traditions que môngala est
d'origine féminine et aquatique. Mais, tandis que les deux premières ethnies lient ce génie
marin à l'art de la pêche féminine, les Shamaye le rattachent plutôt à une autre activité
féminine, la récolte de l'argile. Les Ondasa quant à eux donnent à môngala une origine
masculine. Voyons tout ceci dans les détails. Les Bakota et Mahongwé, que Perrois interroge
en 1968 sur l'origine de môngala, lui répondent qu'un groupe de femmes pêchaient dans une
riviére et chantaient pour s'entraîner au travail. L'une d'elles, pour varier le chant, a ronflé
comme un cochon sauvage. Elles prirent beaucoup de poissons. Plusieurs fois elles firent
bonne pêche de cette façon. Alors, les hommes jaloux les suivirent et entendirent leur chant.
333 Raponda-Walker, A., et Siliaus, R., op.cir., p.240.
L'un d'eux retint les paroles et fit aussi le ronflement du cochon. Les hommes interdirent alors
aux femmes de chanter de cette façon et se réservérent le ronflement du Quant aux
naditions que nous avons nous-mèmes recueillies, voici ce qu'elles disent à propos de
l'origine de môngala:
M6ngda nous vient des femmes. Ce sont en effet les femmes qui ont inventé ce rite que les hommes ont ensuite confisqué. Avant i'arrivée des Blancs, nous les Shamaye utilisions des marmites en argile appelées mambeya ma dieka, et les bouteilles quion appelaient mambungu. Tout le travail, de la récolte de la matière première a la rédisation de ces ustensiles, était exécuté par nos femmes. Les gisements d'argile (dieka) se trouvaient dans des grottes spéciales (mambeja ma 4ek.a) situées au bord de l'eau. Or l'argile était un produit capricieux. Pour le récolter, il failait que chaque femme soit saine, qu'elle observe beaucoup d'interdits sinon les ustensiles qu'on allait faire avec de l'argile "souiIlée" allaient être fragiles. Et donc les femmes pour éloigner les mauvais esprits pendant la récolte de l'argile avaient imaginé un stratagéme: la récolte de l'argile se faisait en une file. Une seule femme était en contact avec l'argile a l'intérieur de la grotte. Quand elle prélevait religieusement le produit pour le donner à celles qui étaient placées en rang derrière elle, elle lançait des rugissements (mangongu) pour chasser les mauvais esprits. La grotte amplifiait ces rugissements qui effrayèrent les hommes qui les avaient surprises. Alors ces derniers confisquèrent môngala, ils en firent une société secrète symbolisée par le "monstre" mongounbou. Évidemment, les femmes et les hommes non-circoncis n'en firent pas partie. Les initiés au môngala inventèrent un interdit alimentaire qui frappa ceux qui n'étaient pas initiés a la confrérie: ne pas consommer ta chair de l'antilope dormante èshibu. Jusqu'a l'arrivée de "mademoiseIlen il fut interdit aux femmes et aux non- circoncis de voir le monstre-emblème de r n ~ n ~ a i a . ~ ~ ~
De toutes les ethnies bakota dont on a pu recueillir jusqu'ici les témoignages sur
l'origine de la confrérie môngala, les Ondasa sont Ies seuls qui ne donnent pas a celle-ci une
334 Permis, L.. "La circoncision", p.75. 33s Entretien avec Mateba, M., op-cil; nous avons obtenu les variantes de ce récit sur î'origine de la
confrérie auprés des mires ethnies bakota au cours d'un entretien le 10-1 1-95 a Bangadi avec Jean-Baptiste Mayissa, ûngom, Mbanghm, 72 ans; Jérôme Mqissa, Ongom, Mbanghou, 81 ans et Likouma Zacharie, Ondasa, Ognamcz, 40 ans.
origine féminine et aquatique. Leurs traditions recueillies par ade ers son'^^ révèlent que
l'association môngala aurait été un stratagème invent6 par un infirme pur assurer sa survie
(se procurer la nomitue). On voit donc que mEme si les missions de la confiérie môngala
sont les mêmes chez toutes les ethnies bakota, chacune par contre se distingue par un discours
qui lui est propre à propos de l'origine de cette institution. Comment se déroule l'initiation au
rnôngula chez les Shamaye ?
5.2.2.2 L'initiation (ikwo inongaia)
M6npaIa. génie de l'eau, a été confisqué aux femmes et associé aux rites de la
circoncision pour en écarter définitivement la gent féminine. Désormais, ne feront partie de la
confrérie que les hommes sur le point de terminer leur initiation à la circoncision. Cest ainsi
qu'on initie au môngala tout candidat à la circoncision au troisième jour du passage des rites.
Pour une institution aussi prestigieuse que môngala, I'initiation peut paraitre assez simple
tellement elle est expéditive. Mais le lecteur devra se méfier et devra aussi avoir à l'esprit que
la véritable connaissance initiatique s'acquiert au fil des ans. L'initiation a lieu au village et
consiste pour l'essentiel à présenter aux candidats a la circoncision le monstre mongoundou
symbole et emblème de la société secrète, et à prodiguer les conseils à ces mêmes néophytes.
Nous avons vu qu'au matin du troisième jour du passage des rites de sharshi, le candidat (ou
les candidats) est amené en brousse pour y subir un premier bain rituel sous un arbre qui
deviendra un de ses totems. A son retour de ce bain, il subira son initiation au môngala. Mais
pendant qu'on le lave rituellement en brousse, au village il se passe ce que Perrois a cru être la
première partie de I'initiation: le combat rituel avec le couteau de jet que les Shamaye
désignent par nshèlè. En réalité, il ne peut s'agir ici d'initiation puisque le néophyte n'est pas
encore 18. iI s'agit ici d'une sorte d'exhibition, d'entraînement des hommes avec le prêtre
rnbzh, principal officiant de la cérémonie, en fait le seul homme qui soit capable d'&mettre
des rugissements de môngala Deux ou trois jours avant la date fixée pour leur présentation
aux néophytes, nous dit Even, les monstres-emblèmes sont introduits dans un hangar fermé
sur trois faces situé au centre du village (chez les Shamaye le monstre ne sort de la forêt que
le jour de I'initiation ou quand il vient châtier). La veille du jow fixé pour I'initiation, les
candidats sont invités l'un après l'autre "à passer leur bras à travers la clôture du hangar OU se
336 Andersson, E., opcil., p. 189.
trouvent les mongala. Des initiés cachés demére cette clôture leur saisissent Ia main et leur
font au poignet des incisions qui servent de marques de reco~aissance aux membres de la
confiérie, D'autres initiés, restés avec eux à l'extérieur leur déclarent qu'ils ont été mordus par
un des mong~~u337.
Pour revenir aux Shamaye, une fois le premier bain rituel terminé, on ramène le
candidat à la circoncision au village et on l'installe à Ia maison commune des hommes,
mbunja Les banganga bu rnûngala sont toujours en train d'imiter un combat avec le prêtre.
Mais, discrètement, quelqu'un s'est faufil6 jusqu'au bout du village ou le monstre mongoundou
est prêt a être conduit pour sa présentation aux néophytes. Pendant ce temps, le combat rituel
a cessé. Les hommes ont maintenant formé un cercle et exécutent la danse du nom de la
confrérie sous les rugissements de mbuku. On leur fait signe que le monstre-emblème va
apparaître dans quelques minutes. C'est à ce moment précis qu'on peut voir les changements
introduits par le culte "mademoiselle". Effet entre 1930 et 1957, quand le monstre-emblème
pénétrait dans le village, les femmes, les enfants et les hommes non circoncis s'enfermaient
dans les maisons ou s'enfuyaient en brousse . La seule femme autorÏsée 3 demeurer au village
et a voir le monstre-emblème étant la mère des jumeaux, et les seuls homes non circoncis
autorisés à y rester et à voir mongoundou étaient les jumeaux. Ces derniers et leur mère sont
des membres de droit de la confrérie môngala. Les jumeaux sont initiés a la confrérie le jour
où ils viennent au monde. Par la même occasion leur mère y est acceptée grâce au caractère
mystérieux de leur naissance. Nous reviendrons sur les rapports des jumeau avec môngala
au dernier chapitre. Il était strictement interdit de voir mongoundou et tout spectateur non
initié surpris était puni de mort.
En fait, môngala a des similitudes avec la société secrète des Scymos de la Guinée.
L'une des pratiques des membres de cette société consistait en réunions nocturnes masquées
lotsqu'un événement grave en nécessitait l'intervention. Au cours de cette réunion secrète, le
chef de village recevait de la confiérie des instructions a propos de tel ou tel problème.
Lorsque les hommes masqués amhaient au village, ils sonnaient de fa trompe dés la nuit
tombée; et a ce signal toute personne non initiée devait rentrer chez elle et fermer ses portes,
éteindre lumière et ne sortir sous aucun prétexte. Toute personne trouvée dans les nies après
le dewième coup de trompe était impitoyablement assommée, et tuée si elle cherchait à
reconnaître i'individu qui caché sous le masque ~ c y m o ~ ' ~ . Les témoignages shamaye sont sans
337
338 Even, A, "Les confiécies", p.36. M.A. Chevrier, "Note relative aux coutumes des adeptes de la socidté secrète des Scyrnos. indigines
fëtichistes du littord de la Guinée", in L'Anthropologie, 17 (19061, pp.359-376, p.372.
équivoque IAdessus, avant l'avènement de "mademoiselle" Ies curieux a qui on avait interdit
de voir le mom-emblème étaient sévhrement châtiés. Mais entre 1957 et 1965, Zouaka au
nord du pays shamaye et Ngoutou au sud ont permis aux femmes, aux enfants et aux non-
circoncis de voir mongoundou. Et depuis cette date. quand le monstre arrive au village tout le
monde peut le voir.
Mongoundou est une charpente faite avec les tiges chme plante flexible légèrement
épineuse appelée &été. Cette charpente a la forme d'un arc ou d'une pirogue renversée. Ses
mensurations sont telles que deux hommes peuvent s'y glisser sans qu'on les aperçoive, Avant
I'avènement des produits européens, la charpente étaient recouverte des nattes (bikafa) si bien
que sa couleur initiale étaient le gris. Mais depuis la période des migrations de travail où les
pagnes européens ont été introduits en grand nombre chez les Shamaye, Ie monstre-emblème
est maintenant couvert de draps tout blancs. Ce qu'il a gardé de traditionnel, c'est une
construction à l'avant qui fait office de tête du monstre, tandis qu'à I'arriere une peau de
genette (mhin@i), avec sa queue pendante, représente le postérieur de l'animal. "De loin, le
tout peut faire iilusion et donner réellement à croire qu'il s'agit de quelque bête étrange et
Le monstre-emblème pénètre au village et se dirige vers le cercle des banganga ba
mhgafa, guidé par d'autres initiés (en réalité, à l'intérieur de mongoundou se trouvent deux
"chauffeurs" qui savent exactement où ils vont). Entre temps, le candidat a la circoncision et à
l'initiation au môngafa a rejoint le cercle des initiés et assiste, meurtri de peur, à l'avancée du
monstre qui visiblement cherche à se jeter sur quelqu'un. Avant 1957 pour le nord et 1965
pour le sud, tout ceci ne se passait qu'en présence des seuls initiés occupant la cour du village.
Le cercle des hommes s'ouvre ensuite toujours sous les chants des initiés et sous les
rugissements de mbuku. Le monstre qui a aperçu le candidat aux milieux des initiés, tente de
se jeter sur lui, non sans que les initiés eux-mêmes éprouvent de la fiayeur et toutes les peines
du monde pour i'en dissuader. Après quelques minutes, Ie monstre se calme et les
"chauffeurs" peuvent sortir de la charpente. Le candidat aura compris le manège. Alors le
pr&e s'avance vers lui en chantant et en rugissant pour susciter l'admiration du jeune initié à
qui il fait avaler quelques herbes. JI a vu rno'ngala. il sait désormais qu'est-ce que c'est, on lui
a fait manger des herbes magiques; dès cet instant il est un ngangô mdngala de plein droit Et
séance tenante on lui prodigue des conseils. Le premier de tous est de ne jamais révéler aux
33g Even, E., "Les confréries", p.3.
f m e s , a w enfaats a aux noncirconcis ce qu'il Ment de voir, sinon..Le reste, il l'apprendra
au milieu des autres membres.
Quand on anaiyse le foactiomernent de la confiérie, on se rend vite compte que
môngala est ime force de police invisible chargée de maintenir l'ordre dans la communauté
villageoise en defendant d'abord les droits privés de ses membres, et les droits callectifs de la
confiérie. Ce qu'on fait croire a ceux qui ne sont pas initiés à la confrérie, c'est que môngalo
qui o h e les fkïts et gestes de chaque habitant peut, quand le besoin se fait sentir, sorcll de
l'eau pour châtier ou inciter a la réparation celui qui s'est rendu coupable dim tort ou celui
qui a violé un secret. Ses missions sont politiques et sociales dés lors que c'est Rumômbuka (le
"propriétaire" du village pour reprendre la traduction shamaye) qui fait appel à la confiérie
pour obtenir la réparation des torts causés par uo habitant du village à un autre, ou que c'est
kwiuRata (le chef du lignage) qui fait appel aux initiés défunts @aweyi) de la famille pour
faire réparer les torts causés à l'un des siens. Le lecteur aura compris que la w d M e agît à la
fois sur le plan f ~ l i a l et au niveau villageois avec un seul but: le maintien de l'ordre dans la
communauté.
Mûngaiu est donc d'abord une organisation de défense des droits relatifs à la propriété
privée de chaque membre. Le texte le plus ancien et le plus détaillé sur cette confi.éfie bakota
est celui de l'administrateur Even que nous avons déjà cité.
Tout initie au môngdu peut se mettre sous la protection de la codrerie et proclamer
bztshila, c'est-adire inviolables, certains biens personnels. peut s'agir d'une épouse préférée
(èkundz) pour qu'elle n'ait de relations avec d'autres hommes, de ses plmmïons (mukziba), de
ses champs (bibdn) ou dime partie de la rivière (nrhulu) afin d'êbe le seul a détenir le droit
dv pêcher. Pour montrer que sa plantation, çon champ, ont été placés sous la protection
"invisible" de môngala, l'initié place a lem abords des feuilles sèches de baaanier
(makrctuka). En cas de violation de ces interdits, des indemaisations ont été prévues. Pour la
femme placée sous la protedon de m6ngala par exemple, en 1953, Andenson écrit que
l'h011me qui a commis i'adultére doit payer au mari trompé, suivant le désir de ce dernier,
cinq ou six chèvres. Even nous dit que, quand la propriété privée placée sous la protection de
la codkkie a été violée, le coupable est imrité par le chef de village à inBemnwr sa victime.
S'il refuse, la victime a deux moyens pour se faire justice. Elle tentera de se procurer les
ongles, les cheveux, les empreintes, bref tout ce qui etait en contact avec le coupable. Ses
éléments seront déposés par le chef de famille à côté des reliques des initiés défunts de la
famille (sur lesquelles on vene un sacrifice) qui se chargeront de faire tomber malade le
coupable ou de le tuer s'il persiste a ne pas indemniser la victime. La victime peut aussi faire
appel aux initiés vivants qui se chargeront &obliger le coupable à l'indemniser. Les inities
s'introduisent au village sous le couvert de mongoMdou, le monstre-emblème et tuent toutes
les bêtes domestiques qu'ils peuvent trower daris la cours du village alors que les femmes, les
enfants et les non-initiés fiiient en brousse ou s'enferment dans les maisons.
Le massacre terminé, le Mongala regagne sa demeure mystérieuse. Les nganga revenus, dépouillés de leur déguisement, déclarent que l'animal fabuleux a tué tous les animaux qu'il a pu atteindre en représailles de la mauvaise volonté d'un tel qui refuse de réparer le tort qu'il a causé a tel autre. Des lors, le coupable a non seulement contre lui sa victime, mais aussi tous les propriétaires des animaux massacrés, et il lui faut, en plus de l'indemnité à verser à la partie lésée, les dédommager de la perte qu'ils ont subie par sa fautemu0.
Môngala peut, de la même façon, venir châtier un voleur d'objets non placés sous sa
protection ou I'amant d'me femme non tabou, si l'assemblée des banganga bo môngala "juge
que les fautes de cet individu sont susceptibles de troubler le bon ordre du villagen. En dehors
des initiations, les aimes manifestations publiques de la confrérie sont les funérailles et ce
que nous pouvons appeler le retrait de deuil.. Quand un initié meurt son corps peint de poudre
rouge est exposé dans son corps de garde pendant deux jours. Après l'exposition, le corps est
transporté dans la forêt où il sera abandonné après "l'autopsie" qui aura permis à un des siens
de prélever quelques os et de déterminer la cause du décès.
Nous aimerions traiter du retrait de deuil. II consiste en une veillée appelée m b e b mô
môngda au cours de laquelle les initiés dawnt toute la nuit au village du membre défunt
sous la direction et les nigissements de mbukz Nous avons a plusieurs reprises assisté et
participé à de nombreux mzmbeka miè mingala dans la région de Lastodlle. C'est toujours
une des occasions où le spectateur étranger peut s'émerveiller devant des manifestations
culturelles qui continuent à résister à I'érosion du temps. La confection du monstre-emblème
en brousse commence le matin. En réalité le travail n'est pas dur a réaliser, une heure s f i t à
deux initiés pour monter le monstre et l'babiller de ses éléments habituels. Il restera en
brousse jusqu'au coucher du soleil, Il sera ensuite introduit au village en suscitant une certaine
fiayeur même si les femmes, les enfants et les non-initiés ont pris I'haôitude de le voir depuis
l'arrivée de "mademoiselle". On l'immobilise dans la maison commune des hommes du défunt
ou aura lieu la veillk. Celle-ci consiste ;1 reprendre chaque chanson entonnée par mbuku à
deux reprises. La cérémonie est en réalité une sorte de "one man show" au cours duquel la
seule vedette qu'est mbuku étale la variété de son répertoire de chants et ses rugissements. De
nos jours, dans chaque village ou il y a un mbeka mô môngala, les initiés interdisent à tout le
monde d'avoir des relations sexuelles. On comprend pourquoi cette rnanifes~tion n'attire pas
souvent de jeunes Shamaye. Mais les anciens adoucissent parfois cette mesure et n'infligent
cette interdiction qu'aux maisons voisines du "corps de garde" où a lieu la veillée. il ne faut
pas essayer d'enfreindre cette interdiction, car la réaction de mbuku risque d'être fatale pour
les coupables, disent les Shamaye.
5.2.2.4 Mbuku. un exemple de oréeminence sociale et mlitiaue
Comment devient-on m b z h wè môngala, c'est-à-dire le prêtre de la confidrie, ce
personnage qui prend tellement de place dans les manifestations les plus importantes de la vie
d'un homme shamaye? Nous avons trouvé la réponse à cette question dans le récit de vie de
Jonas Doundtangoye duquel nous avons tir6 les informations qui vont suivre3". Pour
prétendre devenir mbuku, il faut d'abord avoir eu le don de rugir comme le cochon sauvage
(npeya). Cette faculté de rugir que les Shamaye appellent ingongu, ne s'apprend pas; on naît
avec mais on peut l'améliorer. Le bon rugissement est détecté très tôt chez un adolescent,
mais tant qu'il n'a pas encore subi la circoncision, il lui sera expressément signifie de ne pas
l'exercer publiquement il peut par contre continuer à rugir avec ses camarades, mais
simplement de façon ludique et sans attirer l'attention des gens. Ensuite, quand il passe les
rites de shatshi, l'enfant est initié à môngala, dès lors un ancien mbuh va l'aider à se
perfectionner. 11 lui fera manger pour cela des herbes spéciales (Kayi yè môngala). Cette sorte
de parrain va aussi s'atteler A perfectionner sa voix (èkodji) et ses rugissements. Le candidat à
la fonction de mbuku est conduit près d'une chute. Le parrain lui demande à plusieurs reprises
de rugir. Si ses rugissements couvrent le bruit de la chute de telle sorte qu'on puisse les
entendre à plusieurs mètres de distance, il acquiert le droit d'exercer la fonction de façon
34 1 Extraits du récit de vie de Jonas Iloundzangoye, Shamaye, 46 ans, Shanjambi, entretien du 16 août 19% B Ll'tnnrille.
provisoire, il lui reste cependant à franchir une dernière étape: consentir des sacrifices. If a le
choix entre sacrifier sa mère, sa soeur, son fils qui n'est pas encore engô (le sacrifice d'un
parent membre de la confrérie n'est pas exigé) ou une partie de sa personne, par exemple
devenir impuissant. On dit alors que le nouveau mbuku a fait un "don" de telle "chosen a la
confrérie. En hommage à cette "chose" sacrifide, le nouveau prêtre composera une chanson
souvenir qu'il entonnera à chaque cérémonie. Si le candidat n'est pas psychologiquement en
mesure de "donner quelque chose" à la confrérie, il devra renomer 8 devenir mbuku. Il faut
aussi souligner que le sacrifice n'est pas nécessaire lorsque le candidat n'est pas marié; pour
devenir mbuku, il renoncera alors à avoir une épouse jusqu'à la fin de sa vie. Ainsi, Kounga du
village Mandjaye a renoncé en 1973 à devenir mbuku, alors qu'il avait toutes les quaiités.
Quand on a satisfait à cette dernière exigence, on devient alors rnbuku et on acquiert ainsi le
droit de diriger l'initiation des candidats au môngala au cours de shatshi, le droit de diriger les
hérailles d'un ngnangô môngala, le droit de présider le retrait de deuil des membres de la
confrérie et enfin le droit de célébrer les rites compliqués de venue au monde des jumeaux en
les consacrant dès la naissance (ainsi que leur mère) membres à part entière de la confrérie, et
en leur atîribuant, dans certains cas, leurs noms. Mbuku, a travers la confrérie rn6ngalç1,
intervient donc dans divers aspects de la vie.
Chez les Fang du Gabon, pourtant assez éloignés des Shamaye tant sur le plan
géographique que culturel, le Père ~ a r t r o u ~ ~ ~ a noté l'existence d'un personnage dont les
fonctions et les pouvoirs ressemblent à ceux de mbuku shamaye. C'est celui que les Fang
désignent akûm. Quand un homme d'un certain âge meurt, dit Martrou, les Fang célkbrent la
danse a h a qui fait essentiellement partie des obsèques. "Celui qui préside a la danse et
chante c'est I'akûm, personnage respecté, ou plutôt redouté des autres. Pour arriver A cette
situation, il a dû se mettre à l'école d'un autre akûm, apprendre ces interminables mélodies et
récits, qui durent une nuit entière et puis tuer de sa propre main un de ses proches parents:
père, mère ou fière, et une autre personne. Il pourra ensuite, se faisant grassement payer, aller
de village en village, là où on i'appelle, chanter la danse de deuil. On lui prêtera une grande
puissance, puissance mystérieuse et occulte, malfaisante
Le prestige et la notoriété de mbuku sont encore rehaussés par le nombre très limite de
ceux qui ont exercé et de ceux qui continuent encore à exercer cette fonction. En 1937, Even
écrivait que les membres de la confrérie môngala se divisent en deux catégories: il y a d'abord
3.1' Louis Martrou, "Les Eki des Fang*, in Anthropos, n. 1, 1906, pp.745-76 1. 343~bid, pp. 750-75 1.
les simples initiés qui assistent aux c6rémonies et prennent part aux danses et chants rituels,
et les nganga qui sont les véritables prtîres du culte des initiés déf'wits3@. Le lecteur aura
compris que le m b u h appartient B la demi& catégorie. Mais le lecteur devra savoir que,
contrairement au premier groupe des inities, cette demière catégorie se caractérise par le
nombre très limité des membres. Au sud du pays shamaye, on compte de nos jours trois
burnbuku pour un canton (Leyou) de plus de 60 kilomètres de longueur. Le plus talentueux de
tous est curieusement le plus jeune. C'est hbèté. La premibre chaîne de radio et de télévision
nationale a réalisé des images sur la prestation de Imbètè. ll y a ensuite le plus &é des trois,
Doumba et enfin, Ibounghan. Un quatrième l'exerce quand aucun des trois premiers n'est
disponible, c'est Malema Les deux premiers sont du village Mandjaye, le troisième est de
Boundjoukou, tandis que Mdema est originaire de Bamberabiyoko.
5.23 La société secréte npove: le pouvoir et la solidarité
Ngoye dans la langue osamayi veut dire la panthère. De toutes les sociétés secrètes
shamaye, ngoye est la plus hermétique et de loin la plus redoutée. Elle n'inspire aux non-
initiés que crainte et terreur de telle sorte que de nos joun encore, la simple évocation du nom
ngoye donne des frissons aux gens et fait fuir ceux qui tiennent à leur vie. Ceux qui ne sont
pas initiés à la confrérie doivent d'ailleurs éviter de prononcer ce terme. À la place, ils doivent
employer celui de onganga. La société secrète ngoye est à la fois une instance de
gouvernement et une efficace m c w e d'intégration qui pratique entre ses membres une
solidarité sans faille. Ceci est déjà visible dans les récits shamaye sur l'origine de cette
confiérie.
5.23.1 L'orieine de =ove d'aprh la tradition orale
D'après la tradition, la société secrète ngoye, a d t été inventée par un homme
célibataire du nom de ~ d e n ~ u b a k u ~ ~ ~ , il y a très longtemps. Même dans la société
traditionnelle sharnaye qui pratiquait l'assistance envers les personnes les plus démunies, tous
ne mangeaient pas toujours à leur fin. C'est précisément le cas de Ndengamubh, lui qui
~4 Eveu, E., "Les cornesn, p.39. YS Mateba, M., op.cii.
n'avait pas de femme et devait vivre des bonnes grâces des hommes mariés. il a alors décidé
d'inventer une façon plus habile de contraindre ceux qui avaient de la nourriture à partager
avec lui. C'est ainsi que Ndengamubaka inventa un fétiche puissant a base d'extraits de
plantes aux pouvoirs magiques, d'insectes tout aussi puissants comme ignindji lè shèndje qui,
aux dires des Shamaye, a la morsure fataie. lnldengamubaku a décidé d'expérimenter la
puissance de son médicament sur une première victime en lui disant: "toi qui manges sans
m'inviter, tu tomberas malade". Et l'homme tomba effectivement malade. Ndengamubakn dit
au malheureux qu'il pouvait le guérir à condition qu'il accepte de partager sa nourriture avec
lui. Un autre homme qui avait une belle femme fut la deuxième victime de Ndengamubaka
qui accepta de le guérir s'il consentait à partager sa femme avec lui. L'homme n'eût pas de
choix.
Ndengamubaka et ses premières victimes ont constitué une première société secrète
dont les membres partageaient épouses et nourriture. Devant leur notoriété, d'autres personnes
demandèrent leur entrée. C'est ainsi qu'on inventa les premieres épreuves toujours dans le but
d'escroquer de la nouninire aux nouveaux adeptes. La première épreuve s'appelait r~~arnba~ '~ ,
pour la passer les candidats devaient d'abord apporter beaucoup de nourriture au groupe des
premiers adeptes . La deuxième était i f s d 4 ' : chaque candidat devait apporter une hache
traditionnelie (èhundu) qui devait servir à abattre un arbre qui allait lui conférer puissance et
bénédiction. Ces haches étaient gardées par les adeptes qui se les partageaient à la fin de
l'initiation. Ils disaient a u candidats que les haches s'étaient cassées au moment de l'abattage.
Le nombre de demande d'adhésion de nouveaux membres ne cessait d'accroître. Maurice
Mateba affirme qu'en adhérant à la confierie "on consentait certes a partager sa femme avec
les autres adeptes, mais ceci n'était rien face a l'éventail des femmes auxquelles chaque initié
avait désormais accès. C'était ça la principaie raison du succès de nguye "348. Aiors, pour
accueillir de nouveaux adeptes dont le nombre ne cessait d'augmenter, on supprima les
premières épreuves et rituels jugés trop faciles. On les remplaça par des épreuves corporelles
très éprouvantes, pouvant même conduire jusqu'à la mort; elies persistent jusqu'a nos jours.
%ateba, M., opcir. 341~bid
5.23.2 L'initiation ( h a npovek muvoir résister iusan'h la fin
Le point commun a toutes les épreuves et tous les rituels de ngoye est leur difficulté;
ainsi l'initiation à cette confiéne est basée sur la résistance. Il n l a pas une autre société
secrète chez les Sharnaye qui a érigé en système l'humiliation du candidat, son chiernent de
la mort. La première condition à remplir pour s'initier a ngoye, comme le dit si bien Chevrier,
est d'accepter l'obligation de garder le silence absolu sur l'initiation, tes formules liturgiques,
le but de la société et ses moyens d'actions. On s'initie a ngoye d'abord pour remplacer un
parent défunt de la confiéne: le père (au sens shamaye), Ifoncle (au sens shamaye) ou le
grand-pére. Ceci explique pourquoi à un stade de I'initiation on change de nom pour prendre
celui du défûnt dont on vient d'occuper la place Iaissée vacante. Shatshi et m6ngafa sont des
initiations "populaires" dans ce sens qu'elles sont imposées a tout homme, npye au contraire
est très sélectif et fonctionne comme une oligarchie qui ne recrute que par cooptation. De son
vivant un père, un oncle ou un grand-pére peut initier un membre de sa famille qui le
remplacera après sa mort.
La confrérie ngoye n'a pas échappé a l'évolution générale qu'ont connues toutes les
sociétés secrètes sharnaye depuis 1930. Cette évolution est d'abord Ie fait de la présence
coloniale mais surtout d'action du culte "mademoiselle". En effet, qui d'autres que ceux qui
connaissaient le mieux les pratiques de cette confrérie pouvaient Ia combattre? Zouaka qui
introduit le "mademoiselle" au nord du pays à partir de 1957 &ait de Ifethie Mahongwe dont
les membres pratiquent ngoye. Ngoutou qui a introduit ce culte au sud de 1964 a 1965 était
un Obamba. Eux aussi connaissent ngoye qu'ils appellent ngo. Enfin à la suite de Ngoutou,
au milieu des années 1970 et toujours au sud, il y eut le passage de Moanikondo et de
Zakazaka qui vulgarisèrent cette pratique du "fétiche qui combat les autres fétiches". Ils
étaient tous les deux des Bakota proprement dits et a ce titre venaient d'une ethnie qui
pratiquait l'initiation au ngoye. Donc, plutôt que de faire di-tre ngoye définitivement
(ceci eût d'ailleurs été une mission impossible), ils cherchèrent plutôt A amener l'exécution de
I'épreuve nlendè en public. Donc, dans l'initiation au ngoye on note une première phase qui va
de 1930 a 1957 pour le nord, et à 1964 pour le sud. Une deuxième phase correspond à la
couverture totale du pays shamaye par "mademoiselle", où les épreuves exécutées naguère en
foret sont désormais publiques.
L'initiation a nguye s'étale sur sept à huit jours. Le lecteur aura compris qu'il est
impossible de décrire tous les rites en détails. Pour y parvenir il faut êwe initié, et lti encore un
initié n'étalerait jamais au grand jour tout ce qu'il connaît- Alors qu'elle était encore secréte,
l'initiation se déroulait dans un camp appelé èyènjè. Les premières épreuves et les premiers
rituels ressemblent fort bien a une sorte de préparation physique particulière. L'une de ces
épreuves est une sorte de toilette au cours de laquelle chaque parrain (gnangô ngoye)
fictionne le corps de son filleul (mwanô ngoye) jusqu'a l'anus avec les feuilles d'une plante
spéciale. On étale ensuite sur ces feuilles une poudre rouge (&da) et intime au candidat de
les manger. L'autre épreuve c'est èkuyé. Elle se déroulait naguère en brousse, mais depuis
1965 eIle a lieu au village; nous avons assisté au passage de cette épreuve à deux notables a
Bamberabiyoko en 1981. Elle consiste a fiotter Ie corps du candidat des pieds à la tête, d'une
feuille appelée è . y é ngoye qui a la mcularité d'irriter la peau pendant de longues heures,
et plus le candidat se gratte, à cause des démangeaisons que provoque èkuyé ngoye, plus
celles-ci tardent à disparaître. La dernière épreuve dont nous avons connaissance et qui sert a
préparer physiquement ressemble plutôt à un rituel, c'est Ie mbisha. De tout temps ce rituel
s'est toujours déroulé au village. Les candidats sont alignés devant la maison commune des
hommes. Le lecteur se rappellera que lors du passage de Ngoutou au sud du pays, il avait
confisqué le fétiche rnbisha à un certain LI- du viIlage Bangadi. Misha est un fétiche
composé du sexe d'un ancien initié enroulé dans un morceau de pagne. Le morceau de pagne
contenant les restes de verge est attaché au bout d'une corde d'au moins un mètre et demi.
Aux dires des Shamaye, le rituel a pour but de faire pénétrer le candidat de i'âme et de la
puissance de l'initié défunt représenté. Chaque parrain se dirige en vitesse vers son filleul et
lui enroule la poitrine avec cette corde sans rater son tir. Le parrain qui réussit ainsi it faire
pénétrer en son fiIIeu1 l'âme de l'initié défunt à la première tentative est couvert de gloire et
porté en triomphe par les siens.
Les deux épreuves d'endurance les plus difficiles a passer se déroulent au camp de la
confrhie. Les candidats, tous nus les bras deniere te dos, sont solidement attachés à un piquet
enfoncé dans le sol . Puis un préposé lui enfonce profondément dans la verge une aiguille
(ofengué) longue de cinq à sept centimètres. L'objet reste dans l'organe du malheureux
pendant a peu près un quart d'heure; enfin on le retire et à l'aide d'une entonnoir (mhurse!), on
fait couler a I'inteReur de la verge un melange fait à base de piment (lendungu) et de Ia
poudre de grains acides de lembanda qui font couler les larmes quand on les mâche.
La dernière épreuve, nlendè, peut conduire au décés du candidat. Le candidat grimpe
par un filet à un arbre puis en redescend Autour de l'arbre, ont été plantées des sagaies la
pointe levée vers le ciel. Le Père Hée Aloyse qui a passé 49 ans (de la fondation de la mission
Saint-Hilaire de Franceville à 1948 date de sa mort) dans le Haut-Ogooué rapporte349 a ce
propos: À dix mètres de hauteur, un filet de chasse aux sangliers est fixé à la branche d'un
h. Ce filet est aussi attaché au sol, à un fort piquet Clopiaclopant, les aspirants sont
amenés au yen@ee. Un nga ngo grimpe le premier au filet, s'iastalle en haut sur une branche,
une coupe à la main qu'il remplit avec le contenu d'une calebasse qu'il a déposée, près de lui.
Dans cette calebasse, on a mélangé du vin de palme, de l'urine d'un vieux nga ngo, des
tranches de coeur de bananier, des écailles de la peau de boa, un morceau de sa panse. En bas,
près du filet, est posé le crâne du père, de I'oncle ou d'autre parent du postulant, au milieu de
sagaies et couteaux, les pointes en l'air. L'initié monte a quatre pattes comme un lézard
Amvé au haut du filet, le féticheur lui dit:"owre la bouche!", et lui f%t avaler le contenu de la
coupe. Alors il lui dit: "Tu as gagné une longue vie, comme ce vieux dont tu as bu urine!"'^. L'initié redescend et doit poser les pieds sur le crâne, on lui ordonne de se mettre à quatre
pattes et on lui "enfonce une forte pincée de piment dans Voici maintenant le
temoigage d'un Shamaye sur la même épreuve:
C'est une épreuve particulièrement difficile qui a conduit à de nombreux accidents fatals. L'autre danger en cas d'insuccès ce sont les sanctions irrévocables qu'on vous donne sur-lexhamp. Ces sanctions vous suivront toute la vie et conditionneront désormais votre existence. Dans cette épreuve, c'est surtout la descente qui est dificile. Pendant la descente si on lâche le filet, on tombe sur la pointe des sagaies. Si le rnalheureu~ candidat ne meure pas sur le champ, les initiés (banganga ba ngoyef vont l'achever sur place car on n'amène jamais un blessé au village. On dit alors que le candidat a "été mangé par la panthère". Ou encore, pendant qu'il redescend, le candidat doit emprisonner le filet entre ses pieds. Mais s'il n'enserre pas le filet de ses pieds et perd l'équilibre sans tomber sur les sagaies, arrivé au soi, les initiés lui lisent la loi et infligent des sanctions qui se rattachent à son erreur. On lui dit, par exemple, qu'il mouna quand le village aura changé trois fois de site. Mais si on juge que l'erreur ne peut pas conduire a la peine capitale, on dira au candidat que ses champs et plantations ne seront jamais femles, même s'il les fait réaliser par d'autres personnes. Dés qu'on termine l'épreuve nlendè, on devient ngongô ngoye et on reçoit un
349 Révérend Père Aloyse Hée, "Le Ngo: société secrète du Haut-Ogowè (Gabon)", in Afiica, T-X, Euc. 4 (1937)- pp.477-478.
3m rbbid. p.477. 351 Ibid., p.478.
Le lecteur trouvera au chapitre suivant l'étude sur 1'attn"bution des noms dans les
sociétés sea&s et singulikement dans ngoye. La réussite de "mademoiselle" est d'avoir
imposé I'exécurion publique de cette temile éprewe. Ainsi, deples le milieu des rumées W,
elle se déroule au village sans filets ni sagies. Nous avons pu voir en 1981 Ngoulou et
Lissebi grimper a un poteau p u au but du village qui ne m t pas quatre métres.
Revenons un moment au témoignage du père Hée pour nous iaterrager sur la
signification de l'acte qui consiste a faire boire de l'urine au candidat Selon lui, le rituel
transmet au candidat la longévité du donneur de I'urine. Mais ne peut-on pas y voir une
-ère de soumettre ritucilemeut le candidat à l'autorité et au pouvoir des anciens? Une
pratique analogue existe chez les Buly Béti et Fang du sud du Cameroun et du nord du
Gabon, Au cours de l'initiation au rite de so qui consacre le passage des jeunes gens a l'étaî
d'hommes, on faisait boire aux candidats une soupe de mouton melangée avec des
médicaments et des excréments d'un il est vrai qu'a travers ces rites on reçoit la
W c t i w des anciens mais en même temps, les anciens s'assurent la soumission et le
respect des nouveaux convertis.
Aprk l'épreuve nlendè. l'initiation au ngoye, se termine par la remise au nouvel initié
des insignes de ngangû ngoye. Noirci de suie, couleur des initiés au ngoye, i'initié porte un
mer- de peau de pamhke (èbandè ngoye) sur la tête et pendant sur la nuque, ou liée a la
taille et battant le haut des ~ u i s x s ~ ~ . Dans cc dernier cas, il met en dessous la verge du
parent qu'il vient de remplacer ciam la confrérie.
Au sujet du sexe de l'ancien que le nouvel adepte porte, nous aimerions owir une
parenth& à popos ce que nous avons observé au village hqgad~, au sud du pays, au ~ X S du d'un ng- ngoye. En janvier 1995, nous séjournions pour quelques jours
dans le cadre de nos enq* au village hnguh. Daas la maiide du 17 y meurt le mis
idherrt pgtriarche humbinéné, qui a régnk pendant de longues années comme chef de
v i w et comme chef du l i w MbrmgtUnr. Trés vite, tous les bmganga ba n g w dw
villages enviromianîs s'a&irent autour du mort, Jusqu'à midi, ils sont les seuls à entrer et
352 Exirait chi récit dt vie d'Edoiiard Babanbaigoyc, Shsmayç 67 am, Ibelo, cnkuiai du 25 janvk
353 19% à Makokw.
Chdes 'h So rite So) chu les YaotdbBaaés: m A n h p w , 37 (1942-1945),
3Y pp.149-157, p.155.
Evcn, A, Zcs - . - ", p.81.
sortir de la chambre où se trouve le mort. Nous tentons de comprendre tout ceci et nous nous
approchons d'un de nos grands-pèrer, Ngonda, venu du viliage Nduikaloundza pour
participer aux obsèques du patriarche. Voici sa réponse :
Ii en a toujours kt& ainsi chez Ies Shamaye. Dès qu'un ngangô ngoye me- aucun mpumbu (non-initié) ne doit s'approcher de sa dépouille, fixt-il sa femme ou un parent queleonque quel que soit son rang social. Ce sont ses semblables qui lui font sa dernière toilette et I'babilIent en toute discrétion. Ce n'est que quand ils ont terminé de faire toutes leurs choses que les initiés au ngoye sortiront la bière de la chambre pour l'exposer au salon ob les femmes poumont venir pleurer autour du c e ~ e i ~ " ~ .
Notre kôkô a voulu nous dire en termes voilés, que c'est pendant que les initiés sont
seuls avec le mort qu'ils prélèvent le sexe et certains os comme les phalanges qui plus tard
seront remis à un des siens. La pratique continue avec la plus grande discrétion.
Le plus important interdit alimentaire de ngangô ngoye est de ne pas consommer la
chair de panthère, i'anirnai symbole de la confrérie.
5.2.33 Les missions politiaues de naove: l'exercice du ~ i u v o i r
Ngoye, confrérie de la panthère, a toujours été associée a l'exercice du pouvoir. C'est
pourquoi, c'est ce que pnse André Even, n'y adhéraient que des hommes puissants, tels les
chefs de familles, afin de renforcer leurs pouvoirs. En effet, comme l'a dit Hée, le rôle de
ngangô ngoye est de "conserver les ossements des (initiés) morts où viement habiter leurs
Les ossements d'métres les p l u puissants rendait l'homme qui les ddtient craint
par les vivants. D'une façon généraie,"les cérémonies d'initiations au ngoye ont des
répercussions mystiques t d s heureuses sur les diverses activités du Cest ainsi
qu'en temps de guerre, avant diouwïr les hostilités, le chef, devant l'assemblée des initiés A la
confrérie, " o f i m sacrifice aux morts du village initiés à la Panthère et les prie de lui assurer
la victoire et de le protéger, ainsi que les siensds8. Quand un village change de site, on
célèbre une Rte nommée mbomguu. Ce terne désigne la latte pincipale de la maison, qui
Jean Ngonda, Sbamay+ Ombelu, 72 c i i ~ e t i a ~ du L 7 j& 1995 a Bangadi. 3% Hée, A, op.cir , p.474. 357 Even, A, "Les cunfi&iesw, p.82. "'lbid
symbolise le soutien permanent que les iiitiés defimts doivent apporter aux vivants. La fëte a
lieu lors du transfert des ossemene des initiés dehts de l'ancienne A la nouvelle
agglomération. La danse qui l'accompagne s'appelle mbeka m5 ngoye. ny prennent part que
les inities au ngoye.
Ailleurs qu'au Gabon, on note cette même association entre la confiérie de la panthère
et l'exercice du pouvoir politique Wtiomiel. Un bel exemple nous est donné par AIfied
~auel3stein~~~ qui montre, dans son article de 1981, que la sociéte semete des b~lltr~es
panthères, A côté de son caractère religieux. a aussi des missions judiciaires et militaires
(comme venger les injustices commises par d'autres villages ou groupes de villages). Selon
Hitueastein, pour remplir toutes ces missions, la société des hommes panthhres, "ne travaille
jamais en marge des décrets ou de la volonté du chef"360. La sociétd devient donc un
instnmient politique. L'auteur montre d'ailleurs comment, dans certaines sociktés ouest-
afkicaines, i'image de la panthére est exploitée par les détenteurs du pouvoir politique.
Certains éléments de cet animal deviement des symboles du pouvoir politique. Ainsi les
Guéré, les Wobé et les Yacouba associent-ils la panthère à la royauté. Chez cette dernière
ethnie, le couvre-chef du responsable est décor6 de @es de panthère, on doit en outre
remettre au chef les peaux de toutes les panthères abattues3?
5.23.4 Les missions sociales de =me: entraide et solidarite
Les récits sur l'origine de ngoye montrent qiie le but initial de la codkkrie était de
promouvoir l'entraide et la solidarité entre ses membres. Du partage de la nourriture, on est
arrive à fgire de la femme de chaque initié, celle de tous les adeptes. Ceci est encore
particulièrement Mai entre le panain (gmmgô ngoye) et son filleul (mm8 ngoye); Tout
affiont fait par un mpumbu (un non-initie) B un membre de la confi6rie est considérd comme
adressé a "toute la grande et puissante fhmiïle" et un conseil secret se charge de désigner la
main invisible de celui qui "aura I'homew" d'exécuter la sentence. Les non-initiés subissent
sans broncher ce qu'ils considèrent, B juste titre, comme des injustices a leur égard Mais les
ngangô ngoye ne pensent pas comme le commun des Shamaye. Le nouvel adepte en plus de
s'assurer qu'il sera considéré, après sa mort, par toute la communautd comme un défunt
puissant, trouve dans sa nouvelle vie un éventail d'avantages qu'il sera parfois ment à
exercer et à en jouir en brimant ceux qui n'en font partie.
Le premier de ces avantages est le partage de la nourriture; grands et petits initiés en
reçoivent une part égale. Tous les membres sont égaux L'âge importe peu et il n'y a pas de
grades dans ngoye. Si un membre arrive A la fin du partage, chacun remet ce qu'il a reçu et on
reprend le partage pour que le retardataire puisse recevoir sa part. En plus de la nourriture, la
femme d'un ngangô ngoye appartient a tous les bangunga ba ngoye. Toute femme mariée à
un initié fût-elle soeur ou niéce (ou n'importe quelle parente) d'un autre membre devient sa
femme. Les Shamaye disent:
Ngangô ngoye ndeka ka&, mwunu, mbonibi, ndeku gnangwè. Be beshi shi badji.
'l'initié au ngoye n'a ni soeur, ni fille, ni belle-fille, ni mère. Ii n'a que les femmes".
Quand un initié au ngoye va passer Ia nuit avec une femme autre que la sienne, il
signale sa présence dans la maison en mettant devant Ia porte un morceau de bois noir (kokè
yirruru au kokè nunga nangu). Quiconque aperçoit un morceau de bois noir qui barre l'entrée
de Ia porte de sa maison sait qu'un membre de ngoye est venu passer la nuit avec sa femme. II
ne lui reste qu'à aller chercher où passer la nuit dans le village. Sans broncher. La pratique
s'étend jusqu'aux femmes des non-initiés qui n'ont pas droit a la réciprocité. Toute femme qui
refuse de s'offrir à un ngangô ngoye signe un arrêt de mort. Antoine Ngoulou raconte dans
son récit de vie qu'en 1980, alors qu'il n'était pas encore initié a la confrérie, il prend en
flagrant délit d'adultère avec sa femme Suzanne NshiÜia, Emile Babambi, un initié au ngoye.
La scène se passe au village Barnbembiyoko. Fou de rage, Ngodou perd son sang-froid et
dtkide d'en finir avec le coupable. Armé de sa hache, il traverse le village pour détruire les
portes et fenêtres de la maison de Babambi. Il venait de signer son arrêt de mort. En vertu de
la régie qui dit que tout a h n t fait A un nguye s'adresse a tous les membres de la confrérie,
tout le monde etait certain que Ngoulou allait mourir dans les semaines a venir. En effet, il est
tombé malade et a passé six mois A l'hôpital sans guérir. Les médecins du centre hospitalier de
LastoUMlle lui ont recommandé d'aller voir du &té de la médecine traditionnelle. Renvoyd
au village, sa santé s'empirait de jour en jour. La famiIIe de Ngoulou réunit alors,
conformément à l'usage, les adeptes de ngoye pour leur demander pardon (ibôndo).
Pour que Ngoulou guérisse, il devait s'initier a leur confrérie afin d'être obligé a partager
sa femme avec les autres. C'est une vieille tactique des banganga &a ngoye pour enrôler de
force dans la confrérie les hommes qui ont une beIle épouse. Ils font d'abord tomber malade,
par le procédé magique dit nkotshè, l'homme a qui ils imposent ensuite de s'initier au ngoye.
Ngoulou n'eût pas choix, et s'initia au ngoye en 1981. il affirme que le jour de son initiation,
on a déversé sur son corps, trois fois plus que la dose habituelle de l'herbe èk~yè~~'.
Les abus des adeptes de ngoye envers tout ceux qui ne font pas partie de leur confiérie
sont nombreux. Il est interdit à un non-initié de s'opposer a un membre de ngoye qui veut
s'emparer de son cabri (èraba ou ndunga mô éraba). Si un initié tient un cabri, il est interdit à
un non-initié de le lui arracher sous peine de mourir. Pourquoi cette interdiction? L'èruba
rappelle à tout initié les moments les plus humiliants de son initiation. Quelques minutes
avant de grimper à l'arbre (rite nlendè), on a fait au sexe du candidat un pansement avec du
piment et une Iiane épineuse appelée ngamba. Ensuite, on a attache à ce sexe une longue
corde à l'aide de laquelle on a tiré le candidat à quatre pattes. On a promené ainsi à travers
tout Ie camp (èyenjè) le candidat qui, sous l'effet de la dodeur, criait en imitant les bêlements
d'un cabri. Après l'épreuve nlendè, on a mis dans l'anus du candidat une pincée de piment.
Sous la douleur causée par le piment, le candidat émet des pets qui ressemblent au cri d'èraba
qui poursuit une femelle. Donc, l'èraba symbolise la douleur et l'humiliation subies par le
candidat. Les membres de ngoye bénéficient de l'impunité puisque tout Sharnaye qui veut
vivre longtemps, ferme les yeux sur leurs pratiques. Une formule dit que
Ngoye be nda ishèdulè Iè nkanda.
"Ngoye est comme l'épine de l'asperge".
Lorsque quelqu'un marche sur I'épine de I'asperge et qu'elle entre dans le corps, elle peut
y rester pendant longtemps sans qu'on sente la douleur. Mais il am'vera un jour où cette
douleur se manifestera. Donc tôt ou tard, ngoye arrive a châtier ses victimes. D'ou la crainte
qu'il inspire dans la population.
InfoRnations tirées du récit de vie de Antoine Ngodou, Shamaye, 76 ans, Pfiungou, entretien du 22 décembre 1994 à Bamberabiyoko.
Conclusion
En tant qu'éléments reflbtant i'identite shamaye, les sociétés initiatiques fornient un
système cohérent. Qu'ils soient secrets ou pas, les rites ont pour signification la mort et la
résurrection sociale. Cette résurrection conduit naturellement à l'intégration de Iliornme ou de
la femme dans une "société" donnée. On peut regrouper les règles de ces sociétés en deux
vocables: exercice du pouvoir et solidarité. Même si ces sociétés agissent comme des entités
distinctes, parce que tout le monde ne peut pas y adhérer, il faut les considdrer comme partie
intégrante de l'identité shamaye. Expliquons-nous. Comme le disait Perrois, si les cérémonies
de circoncision mahongwé, shamaye et bakota se rejoignent dans les phases les plus
importantes, elles se distinguent entre elles sur certains points36'. Dans ce chapitre, nous
n'avons pas fait autre chose que de tenter de décrire en détails, la circoncision shamaye tout
en essayant de comparer ses rituels, chaque fois que cela était possible, avec ceux des autres
bakota.
Un autre élément qui introduit la différenciation entre les ethnies bakota, ce sont les
chansons qui y sont employées. En effet, chaque ethnie a ses chansons qui lui sont propres,
mais qui peuvent être chantées par les apparentés. Ainsi, si les Shamaye chantent d'abord
mobeyi, ishembwu, môngda et ngoye dans leur langue, il est courant qu'ils utilisent aussi les
chansons des Ondasa, Ongorn, Bawumbu, Mahongwé, Bakota, Shaké, et Ndambomo. Ces
ethnies en font de même avec les chansons shamaye. Nous sommes ici dans un domaine qui
ressemble aux noms: chaque ethnie reconnaît les siens et ceux des autres Bakota Dans ce
chapitre bailleun, le lecteur a pu se familiariser avec les chansons shamaye, ou avec des
expressions qui leur sont propres dans les rites initiatiques.
Dans les rites initiatiques, l'identité des Shamaye est encore plus visible quand on
compare le discours shamaye sur l'origine de la majorité d'entre eux et leur fonctionnement
réel. Nous avons montre que, bien qu'ils les partagent, les Bakota n'ont pas le même discours
sur L'origine de ces rites. Le discours shamaye tient une place à part. Prenons le cas de
mûngala et de ngoye. D'après les Shamaye, m6ngaia aurait été enlevé aux femmes par les
hommes. Or il semble que les hommes aient voulu réparer cette injustice de cette manière:
Ayant arraché le môngalu aux femmes, les hommes shamaye ont cherch6 le moyen de rbparer cette injustice. Plutot que de
'62 Pmois, L., "La circoncision", p.42.
rendre mônguiu aux femmes qui l'ont invente, les Shamaye ont décidé dy accepter certaines d'entre elles. Ils ont notamment acceptk les mères de jumeaux en prenant pour prétexte que ces femmes avaient mis aw mondes des enfats extraordiinairs que la société des hommes se devait de protéger. Saas nier le fait que les jumeaux suscitent de l'envie, il faut avouer que les hommes ont trowe a travers la venue de ces enfans l'occasion rêvée pour réparer ce que je wnsidére personnellement comme la plus 5Fde injustice que les hommes shamaye aient faite à lem femmes .
Le fonctionnement de la confierie ngoye e n en pdaite harmonie avec le discours
shamaye sur son origine. Ngoye avait été invente par Ndengmubaka pour cultiver l'entraide
et la solidarité. Dans cette société où le droit d'dnesse est une valeur cardinale, c'est toujours
avec une réelle admiration que les Shamaye observent les comportements des bangango bu
ngoye. Dans leur confrérie, nul, quel que soit son âge, n'est supérieur ou infëneur à l'autre.
L'égalité et la solidarité ne sont pas de vains mots parmi eux. Tous ont droit aux mêmes
avantages, et même quand il est sérieusement soupçonné par le reste de la communauté
shamaye d'avoir commis un meurtre, un ngangô ngoye sait qu'il a le soutien et le silence de
ses pairs. La trahison n'y existe pas, tout comme la responsabilité individuelle. On nuit et on
élimine un homme gênant toujours au nom de la confiérie et pas en son nom propre. La
solidarité entre banga~ga 6a ngoye est encore plus ostentatoire lorsqu'un de l e m jeunes
adeptes passe les rites de circoncision. En effet, ils ont une chanson qui dit
"Ce candidat a la circoncision appartient à la confrérie ngoye".
Cette chanson est une loi qui interdit à tous ceux qui ne sont pas inities au ngoye de
s'approcher du candidat. Ainsi, les bangunga ba ngoye sont les seuls à supewiser le passage
des rites de shatshi à leur candidat Tout est fait pour que ce dernier réussisse, il y va de
I'honneur de la confiérie. Certaines indiscrétions que nous avons recueillies auprès des
Shamaye révèlent que, quand ils se retrowent seuls avec leur candidat dans le cercle OU ce
dernier va subir l'opération, les banganga ba ngoye ne font pas ii leur èmbuni l'obligation de
fixer l'horizon pendant quelques minutes sans bouger les paupières364. Ils lui font subir
" Mateba, M., op. clt. 3~ Condition pour déclarer que quelqu'un a passé I'opthtion avec succès.
l'opération, à l'abri des regards indiscrets, et déclarent à la fin que leur candidat l'a subie avec
la plus grande bravoure.
CHAPITRE 6: LE NOM CEE2 LES SaAMAYE
Croire que le nom est dénué de tout sens et de toute vdeur s'avère une grossière erreur. Personne n'est indifférent a l'appel de son nom, ni à la façon dont il est prononcé. En f ique, le nom permet d'identifier un individu et son apparbxmce à un groupe scio-culturei d é t d é . Dans un peuple, l'ensemble des noms donne la possibilité d'en appréhender le comportement Les noms véhiculent une certaine vision du monde et leur dation dépend d'un grand nombre de cirmn~tances.~~
L'étude du nom dans des sociétés comme celle des Shamaye est un sujet qui a lui seul
mériterait une monographie. On ne peut pas étudier le système nominal personnel shamaye en
un chapitre sans commettre des oublis. Par exemple, Isaac Nguema a comc~é une thése au
systéme nominai des Ntumu, une mus-ethie fang du nord du pays366.
Le nom de personne chez les Shamaye n'a jamais été étudié par le passe. Les seules
sources dont nous disposons sont donc les sources orales. Or, même si ces dernières sont très
riches, nous ne pouvons pas garantir d'avoir été exhaustif.
Ceux qui ont abordé avant nous le lien entre le nom et l'identité sont unanimes à
reconnaître que nous sommes ici devant une question emblématique: chez les Shamaye, le
nom est le symbole de l'identité non seulement personrielle, mais aussi ethnique. Sur un plan
générai, Pierre Maranda situe le nom propre comme "étiquette d'identité et vecteur d'action *a367 d'un individu dans une sociéte . En ce qui concerne les sociétés gabonaises, ceux qui ont
abordé la question du rapport entre le nom et l'identité ethnique, comme Pourtier, croient que
le mm, est le symbole des symbolesm. Daprés Raymond Mayer, qui enseigne à ITJniversité
Nationale du Gabon depuis 1976, "les noms traditionnels sont tellement spécifiques de
s S ~ & Kasongo, "Signd5caiiws socioahmeiies et psychologiqyes &es noms individuels ilcela", in J~~a~IdeiaSociPf&desAfi~~nisfes, 58(2), 1988, pp.141-153, p.141.
%sac Nguema, Le nom aks 14 &tim et la 1&gisIution gabonaise: essai & a h i f courumier ntumu, Paris, F d t i de hi?, thès de Doenorat d'Ètat en droit @é, 1%9,558 p.
3 6 ; r P i ~ Mamula, "Masque et idamti". in Anrhrcipaiogre et Stxi&?s, 17, (3), 1993, pp. 13-28. p. 1 8. POfPtier, R, op-cti LZ., pp.6647.
chaque ethnie, qutii est relativement facile d'identifier la langue d'me personne d'après le nom
qu'eue portew37o-
Le système nominal shamaye s'oppose au système occidental oii Se- quel que soit
son sexe, reçoit de droit le patronyme. Chez les Shamaye le nom est individuel, a part les cas
rares, les hommes et les femmes portent des noms différents. Ce chapitre est cunsacrk aux
principes qui président au choix du nom et à la signification des noms propres traditionnels
shamaye- Après l'étude du système n o m m traditionnel, nous verrons comment celuici a
évolué suite a l'immiution des prénoms chrdtiens fiançais qui sont aujourshui portés non
seulement par les baptisés, mais aussi par des pakms.
Nous voulons démontrer que chez les Shamaye, le nom (aiinou) est un symbole et un
emblème d'identité; il véhicule l'identité ethnique.
6.1 Du nom chez les Shamave: des clés mur comprendre une ~bi loso~hie et un
Nous tentons ici d'expliquer trois éléments liés au nom, à savoir pourquoi les Shamaye
nomment-ils, quelle est l'identité de ceux qui som habilités a nommer et enfin quels sont les
rapports qui existent entre celui qw' donne un nom et celui qui le reçoit?
6.1.1 Ponmnoi les Shamave nomment-ils?
La question peut absurde, mais elle mérite d'être posée. Quand un homme ou
une femme meurt, son nom reste à la disposition de sa famille qui doit le dutiliser. Audelà
de l'acte de conférer un nom personnel à un individu, le système nominal shamaye a aussi
pour fonction de "ressusciter" les morts en doanant leur nom a un nouveau-né. Il est vrai
qu'un Shamaye peut, de son vivant, donner son nom à l'enfànt qui vient de naintre, m i s un
nom doit d'abord être choisi - ceux laissés par ies défiints de la f8miIle. Ne pas donner à
un e n f h le nom d'un défun5 longtemps apfès sa mort, revient i vouloir faire oublier un
parent mort Vouloir effacer le souvenir du défiuit de la mémoire coiiective de la fiimille, s'est
s'exposer à son méwntentement: Quelqu' ua tombera malade ou encore les hommes ne
prenciront plus & gibiers aux pièges ou aux filets jqu'a ce qu'on répan cet "oubli" aprb
comultation d'un nganga- Donner le nom dini mort à un nouveau-né est une maaière
d'exorciser la mort et de "remplacer" celui qui est mort Les Shamaye considèrent que la
naissance d'un &t est un cadeau des psrrents morts. En reconnaissance de cette bonté, les
descendants donnent aux wweam-nés les noms de ceux grâce à qui ils sont arrivés dans la
famille. Even, le chef du poste d'okodja, cite ainsi le vieux chef Oloupi:
La naissance des erifants c'est comme h chasse: les uns ont beau f&e, jamais ils ne prennent de gibier tandis que d'autres tuent beaucoup d'animaux; tout cela a cause de la bonne ou de la mauvaise volonté de Ieurs aïeux, Pour les enfants, c'est la même chose: si les morts désirent que leurs descendants aient despts, ils en auront; s'ils ne veulent pas, ils n'en auront pas .
L'idéologie shamaye rejoint ici celle des Gouin de l'ancienne Haute-Volta dont le
système nominal a été étudié par Lallemand:
Il importe donc que ce patrimoine collectif d'appeIlation, auquel correspond une collection d'ancêtres, soit intégralement -mis. En "perdre" un, c'est-adire omettre déf~tivement de redonner un nom, c'est manquer à ses devoirs vis-à-vis de la communauté des morts, et aussi, réduire le nombre d'appellations disponibles pour les générations firmes. Mais cet hommage aux morts n'est pas -t; s'il doit être interprété comme manifestfition de respect à leur égard, iI paraît aussi fonctionner comme invite, comme appel implicite lancé par les vivants a l'adresse des morts, à se manifester de nouveau panni eux, sous forme de progéniture7 puisque eux seuls détiennent les pssibilit& de perpétuation du lignage3".
Les Shamaye considèrent les morts comme faisant partie intégrante de la famille. Les
morts sont présents par leurs ossements conservées par chaque famille et par les noms que les
vivants portent Les vivants consultent leurs ascendams chaque fois que le besoin se fait
sentir. Ces derniers font savoir leurs volontés aux vivants dès que l'occasion se présente. Nous
371 André Even, "La gn>sssse, la naissance a la prime d b c e chez les Bakota du Haut-ûgooué et du Nord de Mossaidjo ( M a y d q o ) " , in Bulletin de la SociPIé &s Recherches Congolcxises,
372 26 (19383, pp.5-21, pp.7-8.
S. Lallemand, "Les noms personaek WtionneIs chez la Gouin & Haute-Voltaw, in JoM>ol de la Socii?fé des AfimrStes, (2). 1 970, pp. 1 0% 1 36, p. 1 30.
dépassons ici le cgQe strict de conférer une identité personnelle & un individu pour entrer
daas les relations entretenues avec les défunts. Un poète sén&aia~s disait que "cew qui sont
morts ne sont jamais partisW3l). Le nom individuel est un lien entre les vivants et 1 s morts- il
rappelle à celui qui le porte qu'il n'a fait que prendre la place dim ascendant dans la
communauté, tout comme il lui co& une identité propre.
6.12 Ceux qui nomment (balrrki1
Le pouvoir & wnfërer un nom propre au nouveau-né incombe habituellement à ses
parents, c'est-à-dire au père et A la mère. Il y a cependant de cas qui échappent aux parents.
C'est notamment la naissance gémellaire ou les jumeaux imposent eux-mGmes leurs noms, et
la dation de nom dans la société secrète ngoye où le nom du nouvel adepte s'impose de Iui-
même.
Si le père et la mère exercent en ensemble le pouvoir de donner un nom, il est serait
faux de croire qu'il y a égalité entre les deux géniteurs. Dans une famille de quatre enfants,
trois portent souvent les noms donnés par le père contre un seul donné par la mère. Dans
cette société patrilinéaire, les enfants appartiennent au pére, et il n'y a rien de plus normal que
ce soit ce dernier qui donne d'abord les noms de ses parents, morts ou vivants, à sa
progéniture. Ainsi Zacharie Mouwatsi, après avoir tgrené les noms de ses quatre soeurs et de
son grand-frére, a cm bon de préciser que "de tous les enfants de mon père et de ma mère, je
suis le seul à porter un nom qui vient de mes parents maternels. Je porte le nom du Mre de
ma mère. Mon grand-Mre noundzangoye et nos quatre soeurs portent tous des noms de nos
parents paternels qui ont été domes par notre père."3". Ii arrive que la femme ne réussisse
pas à donner ne fut- qu'un seul nom des siens à i'un de ses enfants. Le récit de vie de Jules
Gnamangoye nous apprend que tous ses trois enfants portent les noms de ses parents et aucun
ne porte un nom d o ~ k par sa femme: la première fille Ipèpè porte le nom de la tante de
Gnamangoye, la deuxième fille Njaye porte le nom de la grand-mère maternelle de son père,
tandis que l'unique garçon du couple nommé Idjibangoye porte le nom de son grand-père
paternel". Les hommes estiment que la dot qu'ils ont payée leur donne k droit de régdnérer
U $agit de Birago Diop cians le poème qui s'intituie 'Souftlew, mais nous n'avons pas La réfirace du
374 recueildepoémes
Extrait du récit de vie de Mouwatsi Z., op.& 315 Informations tirées du récit de vie de JuIes Gnamangoye, Shamaye, Pfougou, ilans, entretien du
2 1 décembre 1995 a Ndzukaio~~~dza
leur famille d'abord. La femme sait comment fonctionne le systkrne. Le plus important pour
elle c'est de donner au moins le nom d'un de ses géniteurs a l'un de ses enfants. Mais s'il arrive
qu'elle ait beaucoup d'enfants, elle pouna donner le wm de son pére et celui de sa mère, ce
qui est déjà considérable car elle aura réussi à sauver les noms de ses deux parents. A
titre de comparaison, chez les Ovimbundu d'Angola, la règle veut que la "parenté du père
donne le nom aux quatre (parfois seulement trois) premiers enfants, tes suivants reçoivent le
leur des membres de la famille de la
Dans la dation de nom courante, on note parfois des situations où pour l'intérêt de
!'enfant qui vient de les parents renoncent à leur droit de choisir un nom et font appel à
un étranger (ntshéyi). Lorsqu'un enfant naît a m plusieurs morts en bas-ige, il recevra son
nom d'un étranger, s'il survit, il est alors démontré que l'inspiration de l'étranger plaît aux
puissances supérieuns3", et les parents continueront à s'adresser à lui pour nommer les
enfants qui leur naitront par la suite.
6.13 Les im~lications du nom
C'est une vieille coutume shamaye que le père donne son propre nom a l'un des ses fils
ou que la mère fasse de même avec l'une de ses filles, ou encore que les parents donnent le
nom d'une personne en vie it l'un des enfant.. Dans tous ces exemples celui qui reçoit un tel
nom est nduka pour celui qui l'attribue, c'est-àdire celui qui porte le même nom que telle
personne. Celui dont on porte le nom devient l'homonyme, au sens shamaye, du porteur
actuel. Par contre, deux personnes portant le même nom, rqu d'après les personnes
différentes ne sont, ni homonymes ni parents. Or qu'advient-il lorsqu'on est un nduh?
Raymond Mayer a écrit que les divers noms et sumoms portés par un individu infléchissent sa
vie personnelle dans le sens d'une conformation avec le modèle dont il porte le nom; ils
induisent aussi le comportement de l'entourage a son égard3". Ceci veut dire que l'enfant qui,
par exemple, a reçu dans la famille le nom de son père (il est le nduRa de son pére), verra ses
propres fières grands ou petits vivre dans un rapport de subordination vis-à-vis de lui comme
s'ils avaient en face d'eux leur vrai père. Et lorsqu'on porte le même nom qu'un ancêtre ou un
ascendant vivant, théoriquement on occupe dans la famille la même place que lui. Ceci veut
376 A. Hauestein, "Noms accompagués de provabcs, c h a tes Ovimbundu et les Humbi du Sud de i'Angda", in Anihropos, 57, 1962, pp.97-120, p. 100.
377 Evcn, A., "La grossesse", p. 17. ne Mayer, R., op-cil., p.150.
dire que l'homonyme de l'ascendant mort ou vivant sera raille par ses fiéres et soeurs parce
qu'il porte le nom d'un grand-parent. En revanche, le petit-fils qui porte le nom d'un grand-
parent sera respecte par son propre père qui voit en lui la personne de son géniteur, le fils
devient en quelque sorte le "père de son père". Les Shamaye ne croient pas B la réincarnation,
ils pensent que, comme le disent Retel-Laurentin et Horvath, "l'homonymie attire la
resxmb~ance"~'~. Ainsi, le père pourra prononcer l a noms propres de tour ses enfants, sauf
celui du nduka du grand-pére, Cette interdiction (par respect, on ne prononce pas les noms
propres de quelques ascendants morts ou vivants) a donné naissance aux surnoms. Voici un
exemple tué du récit de vie de Mouwatsi:
Le premier enfant de mes parents est une fille. Nous, ses fiéres et soeurs l'appelons Bibayi, mais son vrai nom est Dégnoulou. Après elle vient le premier garçon de notre famille, nous l'appelons Tata, mais son nom propre est IIoundzangoye. Après lui est venue la deuxième fille du nom de Mayinda. C'est elle que j'ai suivie. Après moi est venue autre fille Bandounda. La dernière de notre famille est encore une fille, c'est celle que nous appelons Baba, mais son vrai nom e n ~arnarnbin~hou"~.
Que nous apprend ce récit de vie sur les implications du nom? Le lecteur aura remarqué
que Mouwatsi a pris la peine de préciser quelques fois le surnom à I'aide duquel les fières et
soeurs désignent les autres enfants de la famille. Ce n'est pas un acte fortuit, car ces enfants
sont des nàuka (portent le nom) des ascendants a qui Mouwatsi et ses autres fiéres et soeurs,
doivent le respect qui se traduit par l'interdiction de prononcer leur nom, même après la mort.
Le nom Iloundzangoye que porte l'aîné de Mouwatsi est celui que portait le frère cadet de leur
pére Indème. Les enfants ne pouvant prononcer le nom du "père", Iloundzangoye le nduka est
alors appelé par ses soeurs et fréres par un surnom, Tata. il en est de même pour Dègnoulou
et Yamambinghou les soeurs de Mouwatsi qui portent les noms des ascendants que les
enfants ne doivent nommer. On les appelle donc par des surnoms.
378 A Retel-Laurenîin et S. Horvath, Les nom de naissance indicateurs de la situation familiale et sociale en Afique Noire, Paris, Sel& 1972, 160 p., p.35.
379 Extrait du récit de vie de Mouwarsi, Z., op. cit
6.2 Les ai-inci~es aui résident an choix du nom Droore traditionnel
Les Shamaye se montrent très ingénieux en matière de création de noms propres.
Nous avons relevé quatre grands groupes de noms: les noms attri'bués en fonction du sexe de
l'enfant, les noms dont l'attribution est conditionnk par des circonstances particulieres, les
noms relatifs a la naissance gémellaire et enfin le nom propre dans les sociétés secrètes dont
la confrérie ngoye.
6.2.1 Distinction des noms d ' a ~ r b le sexe
Ce que nous entendons par noms propres, ce sont les noms qui sont reconnus comme
étant sharnaye non seulement par les Shamaye eux-mêmes, mais aussi par tous les Bakota.
Bien que le mariage favorise la circulation des noms, chaque ethnie reco-t les noms qui
sont les siens. Après avoir étudié les noms propres avec les Shamaye nous nous sommes
proposé de discuter des noms propres sharnaye avec leurs voisins et parents ethniques. Nous
voulions savoir jusqu'à quel degré les voisins reconnaissaient Pidentité des noms propres
shamaye. Alors nous avons réuni deux Ongorn, Jean-Baptiste Mayissa et Jerôrne Mayissa,
tous du lignage Mbanghou, et un Ondasa du lignage Ognama, Zacharie Likouma au village
Bangadi. Nous leur avons posé la question suivante: "Peut-on dire que dans tous nos villages,
il y ait des noms qui soient exclusivement ceux des Shamaye, ceux des Ondasa, ceux des
Ongom ou des Shaké?"
Voici la réponse que nous ont donnée nos trois interlocuteurs:
La question de l'identité des noms de chaque ethnie que tu viens de citer ne se pose même pas, toi-même tu le sais, mais nous allons te donner des exemples. Prenons l'exemple du nom Mayissa que nous portons tous les deux: c'est un nom ongom, mais pas de n'importe quel lignage ongom. Ce nom ne circule qu'entre les lignages Ounaha et Mbanghou. Mais comme nos filles sont ailées en mariage chez d'autres ethnies, et notamment chez les ûndasa, elles pourront y donner ce nom à un ou deux de leurs enfants, mais dans ce cas les Ondasa n'oublieront pas que c'est un nom qui est d'origine ongom même s'il sera maintenant porté par un non-Ongom. Ici à Bangadi, tu trouveras le nom Bouéni qui appartient à vous les Sharnaye. il est en usage dans deux lignages de ce village: chez les gens de S h i d i et chez les Ongabwè. Même nous qui ne sommes pas des Shamaye nous savons que c'est par le mariage que ce nom
est parîi de la famille Ongabwé pour Shamidi: les premiers ont donne une femme aux seconds, et cette femme a donné le nom de son frére à son second fils. En allant en mariage dans la famille Shamidi, elle y a amend aussi un nom de sa famille. Pour terminer, ici dans notre lignage, notre frére Limbomba a épousé une femme Shamaye de ton village Ndzokaioundza, Hélène Bangouéya. Cette femme a donné un nom des siens qui vient de chez vous, Môdournbala, à son quatrième fils. On se retrouve donc avec un nom Shamaye qui est en circulation chez nous les Ongom, mais nous savons exactement de quel village et de quelle famille nous vient ce nom. C'est comme ça que les noms circulent entre nous, mais chacun reconnaît ses noms et ceux des autres380.
Malgré la circulation des noms que favorisent les circuits matrimoniaux, I'origine et
I'identité ethnique d'un nom sont facilement décelables par les usagers eux-mêmes. Ainsi par
exemple autant les Shamaye reconnaissent que Mayissa est un nom Ongom, autant ces
derniers savent que Môdoumbala ou Bouéni sont des noms typiquement Shamaye. En 1968,
Perrois écrivait que "les Bakota, Mahongwé, Shamaye et Shaké n'expliquent pas les
similitudes de leurs langages. Toutefois ils savent dans chaque langue ce qui est originel et ce ,1138l qui est emprunte . II en est de même de leurs noms qui ne sont d'ailleurs à l'origine que les
mots communs des langues de ces ethnies. Raponda-Walker, à propos des noms gabonais,
disais que,
à l'origine, les noms propres indigènes, monosyllabiques ou polysyllabiques, donnés a des enfants d'une même famille, tiraient leur signification d'une circonstance exceptionnelle, d'un événement remarquable, coïncidant avec leur naissance. Dans la suite des temps, ces noms passèrent simplement en héritage aux descendants de ces personnages sans regarder a leur première signification, et se donnent aujourd'hui à n'importe qui, sans aucune attention aux circonstances de sa naissance, uniquement parce qu'il est agparenté a une personne, ou qu'il appartient au même clan3
380 Eniretien avec Mayissa J.-B., Mayissa, J. et Likouma, Z., op-cil. 3' Pmois, L., op. cil. , p. 19. 3 u ~ d r é Raponda-Walker. Dicrionnaire dtymologique des noms propres gobonais. Paris, Les
ctassiques &cains. 1993,208 p., pp.6-7.
Le sens originel de certains noms propres gabonais a donc dispant Pour ce qui nous
concerne, ce n'est pas un problème car le sens du nom propre s)iamaye ne renseigne pas
obligatoirement sur le sexe ou la qualité de son porteur. Ce qui fait qu'un nom soit reconnu
comme typiquement masculin, fëminin ou unisexe, c'est l'usage que les Shamaye eux-mêmes
en ont fàit.
Dans la liste des noms qui va suivre, nous ne doiinoas le sens d'un nom que s'il est
encore généralement connu; dans le cas où il a disparu, nous présentons simplement le nom.
Sept ou huit jours après la naissonce de I'en.int, après la chute du cordon ombilical, les
Shamaye organisent une cérémonie appelée ipudjè mano, qui veut dire "faire sortir l'enfant".
C'est l'entrée de l'enfant dans la communauté et sa reconnaissance sociale. Avant cette
cérémonie, le petit ou la petite shamaye reste cloM dans la maison et on ne peut l'en sortir
que la nuit en des rares occasions. Lors de cette cérémonie, il entre de jour dans la
communauté et les parents peuvent lui donner son nom individuel.
6.2.1.1 Les noms des hommes chez les Shamave
Bandèngomba (la peau du porc-épic);
Bayeka (les esclaves);
Bishadj; (les travaux);
Djupa (le vêtement);
Edjiba (le lac);
Gnama (l'animal);
Ibukaroa (celui qui a réussit);
Ibeya (une fosse c'est-à-dire un piège à sangliers);
Ibwutu (l'emplacement d'un ancien village, champ ou plantation; les Shamaye disent
respectivement ibwutu iè mbuka ibwutu Iè èboka, i b w iè &a);
IKaka (l'ethnie, le lignage);
Ikuma (la notoriété, le renommée);
Ilambi (piège à poissons qui est une sorte de barrage ayant des aménagements en bambou
sous forme de culde-sac qui ne laisse passer que i'eau et oii viennent s'emprisonner les
poissons);
Ilobo (la pêche à la ligne, une activitd masculine);
Indèrnè (qui vient de ndèmè, c'est-à-dire le rêve);
Ipnda (critiquer, dire de mal de quelqu'un à son insu);
ltadji (le soleil. Les S h a y e font nettement la distinction entre les soleil lui-même en tant
que planète et ses rayons quriIs désignent par muyï, à ne pas confondre avec moyi, c'est-à-dire
le ventre);
ItaZa (l'étagère);
ltambi (le pied, l'empreinte que Ie pied laisse au sol);
lyebulé (se rappeler, se souvenir);
Iyuka (écouter, comprendre);
1' (sécher);
Lèngondô (le concombre);
Mabumba (les paquets);
Mabusha (les jours);
Magnèkè ( le sac d'hommes fait de raphia);
Makabu (c'est le pluriel du mot ikabu qui veut dire la "part", comme la part qui revient a une
tierce personne dans un partage, l'héritage par exemple);
Makana (les arguments);
Malenghu (la joie);
Mambendn (les bouteilles);
Mandambi (prière accompagnée d'offrande qu'on adresse aux morts à la tombée de la nuit
derrière la maison);
Mandoko (les mauvais sorts ou encore les maiheurs qui peuvent frapper une personne de
façon successive);
Mmgoala ( les greIots);
Mapendu (Ies totems);
Mateba (les conseils);
Mateyi (ce nom veut dire "les crachats", mais entendus ici au sens rihiel. En effet, et nous
l'avons dkjà mentionné, quand deux parents se sont disputés et ne se sont plus parle, on
célèbre Ie rite dit irèmishé nwceyï, une cérémonie de réconciliation. Les parents vont cracher
au sol pour signifier ainsi que chacun a évacué toutes les mauvaises pensées et paroles dont il
s'est rendu responsable à l'encontre de l'autre);
Meka (le prêt, kmpnirrt. Les Shamaye désignent ces deux réalités par un même mot);
Mimbolu (plante médicinale);
Mokurubatu (perso~e qui trompe perpétuellement les autres);
M6djeeRu (vient de ndjeku qui signifie mâchoire);
Mumrja (Ie toit);
Muendjé (le brochet);
Ndmnbu (le caoutchouc);
Ngandu (le caban);
Nguadji (le sommeil- Le nom de la montagne du pays d'origine des Shamaye, point de départ
des migrations );
Ngulu (amer);
~okumôngô (le pays ou la forêt où il y a beaucoup d'éléphants);
Nsheba (aiguiser à 1' impératif);
Nsh* (la genette, animal dont la peau est utilisée dans Ies nombreux rites comme îa
circoncision et mûngala);
Olumbosïya (la coke est passée);
Olumbu (la colère);
Otshika (vient du mot itshika qui signifie "orphelin");
Otmgu (vient du mot runga, une sorte de sangsue);
Owama (vient du verbe i w m qui veut dire soufaer);
Pendje (la plaie);
P w j i (le souffle);
Pfumbah (qui vient de i p w a verbe qui signifie se debattre, s'agiter);
Pinju (la force);
Pupuè (une chenille);
Tôngô (vient de 1f6ng6 qui signifie tomber de sommeil);
Yèrjè (vient de èyenjè, le camp secret dinibations des sharshi et ngoye);
Môndmbala, Mabimba Ngoyimu, wossima Mandtmtbu, Mmgumba, Ngabuè. ~ u b u ,
Ngundubuè, Binganga lyünja Mapengu, rÿiunghan, Ndiunbujoh, M d 4 Mownbalib@i,
Muwarsi, B q a Tedesse, Ipedje. Gnenguiy Mwanuyènjt?, Mol& Ndumatshqi, Kuèndji,
Mabobo, Yelitshika, N-i, Atsheba. Baludj i , w a , I g ~ n g ~ O k w n b a . Ngunrta n'ont pas
de significations connues actuellement
Quand on prononce un de ces noms dans un milieu shamaye, on sait qu'on fait ahsion ici à
une personne de sexe féminin. Le lecteur remarquera que ia liste des noms fëminins est moins
fournie que celle des noms propres masculins. Mais dans les deux cas, il ne s'agit pas dune
liste exhaustive.
AGiya (celle qui met beaucoup d'enfants au monde).
Babena (ceux ou celles qui ont refusé de fàire quelque chose).
Bagnarshi (les buffles).
Bandunda ( les marnbas verts).
Banjoku (les éldphants).
Bibayi ("les précipitationsn).
Bidiiya (les places. Le mot a deux sens principaux et peut aussi bien se signifier "des bancs"
que "des lieux" quelconques).
E@iRémbôtô (plat à base & chocolat indigéne).
Elenguègnngwè (une mauvaise mère).
Ipèpè (le vent).
Kangulu (petites blessures au corps quand la peau n'est pas sufisamment hydratée, petit
insecte marin).
Kayi (les feuilles).
Lembiyu (la noix de palme, un des symboles shamaye de la beauté féminine. Les Shamaye
disent d'une femme qui a la peau claire qu'elle est aussi belle qu'une noix de palme).
Loula (nom d'une rivière située dans la région "historique" de Ngouadji).
Makôndô (les pleurs).
Mambele (les problèmes qui divisent deux personnes).
Mamoyi (les familles. Le nom vient de omoyi, la famille ou la parenté).
Munjanga (le mot signifie littéralement "Ies orgueils").
Matonomolè (deux taches. Ce nom vient du proverbe shamaye ngoye adji mutonomolè,
lèshznèmoyi na Iènbngô, et qui signifie "sur la peau de la panthère il y a deux sortes de
marques: celles qui sont sous le ventre sont différentes de celles qui sont sur le reste de son
corps". Ce proverbe et ce nom traduisent donc une idde de dualité qui est en tout ètre humain.
Une même personne est capabte du bien comme du mal.).
Mayinda (le noir. II s'agit ici d'un terme générique qui peut aussi bien signifier la couleur de
la peau humaine, celle du cieI quand ii s'apprête à pIeuvoir et celle de certains fruits quand ils
sont mûrs comme I'avocat).
Mtwjè (les pets, et est tiré d'un autre proverbe qui dit gnangwè adji na mana Rulè ~ Z M M
ndeh yela na m&$è: "la mere qui a son enfant sur les cuisses ne peut s'empêcher de fàire un
petn. La mere qui a l'enfant sur elle peut M e le pet en en accusant son enfant; les enfants
doivent sauver leurs parents des situations difficiles).
MmguIa (une sorte d'antilope).
v a y e ( le petit poisson noir).
Shogii (la honte).
Y a p (se plaindre).
Mabunja, Mâ. NNdas, Dègrtuh, Bishopi. Yamambinghy Tshamc~yi. A5ôl6. Ndaksk ,
Babou, Bouwa, Bokou n'ont pas de significations cornues de nos jours.
6.2.1.3 Les noms propres mixtes
Ces noms se singularisent par un nombre assez limité pour chaque ethnie. Au Congo
(Kinshasa) par exemple, Kahombo Mateene en note quatre chez les Banande, trois chez les
Bakongo, et quatre chez les ~ a l e ~ a ~ ~ ~ . Chez les Bantu du Gabon la situation est identique.
Raponda-Walker note huit noms usage mixte chez les Mpongwé, de la côte: Amburwè,
Angilè, Esonge, Iguwé, Kowè, Nyambo, Orango et 0wanga3? Chez les Fang du nord, Mayer
n'observe qu'un seul nom à usage mixte: ~ z e ' ~ ~ .
Nous avons trouvé chez les Shamaye cinq noms que les parents peuvent donner à un
nouveau-né sans tenir compte de son sexe, ce sont Bangueya, Mafurshé. MMipo buNmoi&i et
Tshérna- Tsizéma.
Bangueya signifie "les sangliers". Chez les Shamaye cet animai est lié au mariage. À
cause de sa peau claire, il est un symbole de la beauté féminine; une femme de peau claire est
quelquefois appelée ngueya. Mais intervient aussi a titre d'interdit. Avec le singe
(Islremci), il figure au nombre des bêtes dont le gendre ne doit jamais consommer la chair chez
les beaux-parents. On dit que le sanglier réussit ê réunir sa troupe au moindre danger. Les
Shamaye pensent que le beau-fils qui mange cette viande chez les beaux-parents s'attire un
malheur car, comme le sanglier, le beau-père peut faire l'unanimité parmi les siens s'il veut
nuire a son gendre. Donc faire porter le nom de Bangueya aux personnes des deux sexes est,
de l'avis de nos informateurs, un double avertissement: on rappelle a la femme (en réalité à
toutes les femmes, car le nom constitue un message collectif) que, quand elle amène son mari
chez les siens, elle doit toujours surveiller les plats qu'on servira B son mari. À l'homme qui
3 " ~ o m b o Mateene, "Quelques principes du choix des noms individuels dans certaines sociétés banhic, in Cahiers d'Études Aficaines, 50, 1973, pp.356-362, p.358.
'"~aponda-w&er, A., "Dictionnaire". p.9. 3s~ayer, R., op. cit., p. 143.
tient à sa femme, on rappelle de ne jamais céder a la tentation d'y consommer la chair de cet
animal.
Le nom individuel traditionnel mixte Matutshé est aussi lie au mariage. Ce nom signifie
"les injures"; or un proverbe shamaye dit "mbukz yèwètshè nibah, ndekatshé M nmtuthsé". Il
signifie que, dans te village où un homme est allé prendre une femme (ou bien ou une femme
est dIée en rnan*age), il (ou elle) doit éviter d'y proferer des injures. La femme et Iliomme
doivent éviter d'insulter même un enfant dans le village de l e m beaux-parents respectifs. Qui
sait, peut-être qu'en injuriant un enfant, vous êtes en train d'injurier un petit beau-père
classificatoire. Le nom Matutshé est dcnc un avertissement et un rappel des beaux-parents
que vous êtes un étranger-
Les deux demiers noms sont intraduisibles. Au cours de nos recherches nous nous
sommes atteles à savoir si ces noms ont toujours été mixtes? Ces noms n'appartenaient-ils pas
a une catdgone sexuelle précise qui est venue a les partager avec l'autre sexe? Au village
Bamberabiyoko, Georges Ntémoidji nous a affirmé, au cours d'un entretien, que le nom qu'il
porte est celui de la mère de son père, mais qu'il "ignore les circonstances exactes dans
lesquelles le nom lui a été attribué" à lui, un homme. En enregistrant la généalogie de
Julienne Tshéma-Tshéma, nous avons remarqué qu'un de ses oncles classificatoires s'appelait
Tshema-Tshéma. Elle est donc visiblement (et elle nous l'a confirmé) nduka d'un nom
mascul in.
En 1983, nous étions témoin de la façon dont un nom féminin était en train de devenir
un nom mixte. À la suite du décès d'une tante, Agnès Bikonda, une des plus âgées de la
génération de notre père, les fréres de la défunte tante ont décide que le premier enfant qui
naîtra dans la famille, quel que soit son sexe, portera le nom de Bikonâa. Bientôt après, une
de nos soeurs a mis au monde un garçon que les grands-parents s'empressèrent de baptiser
Bikonda, en y adjoignant un prénom masculin chrdtien.
Le nom propre mixte Mipa6u est le pluriel du mot mpubu qui signifie "verdict" ou
encore "décision judiciairet8. L'expression shamaye ifshira mpabu signifie exactement "rendte
un verdictt'. Quand deux personnes sont en conflit, elles portent leur différend devant une
assemblée des notables (bahni) ou font appel à un juge (woyi wèmbaji) neutre dont la
compétence oratoire est reconnue par tous. La décision rendue pour départager les deux
parties est désignée par mpabu.
633 Les noms de circonstruices chez les Shamave
L'abondance des noms dont le choix dépend des événements remarquables ou des
circonstances particulières ayant entouré la naissance de I'enfànt semble être un îmit commun
régional. Le dictionnaire étymologique des noms propres gabonais de Raponda-Walker
couvre dix ethnies: les Apindji, Vili, Benga, Eschira, Eviya, Mitsogo, Mpongwé, Nzabi
Sekyani et les incontournables Fang. Mayer a résumé quelques études parues sur les Fang,
Bapunu, Mbédé (Obamba) et sur les Myène. On peut aussi citer Les contn'buîions sur les
sociétés bantu du Congo et celles de Retel-Laurentin et Horvah sur les Ndzakara
de ~entrafn~ue~~' . Mais le phénomène de noms des circonstances deborde l'aire linguistique
bantu Les exemples sont nombreux pour ce qui concerne l'Afrique de i'Ouest: citons Ies
~ o ~ i n ~ " OU les ~ a l i ~ ~ ~ .
Nous avons groupé les noms de circonstances en quatre grands ensembles: les noms
qui se rapportent au thème général de la procréation, les noms qui ont trait à la naissance,
ceux se rapportant aux événements "historiques", au sens shamaye, et les noms ayant trait aux
circonstances entourant le mariage ou la séparation des conjoints.
6.2.2.1 Les noms se ra~rrortant au théme de la ~rocréation
Les Shamaye ont conçu tout une philosophie originale autour du thème de la
procréation. Il y a pour eux une inégalité originelle dans la façon dont IVJambé, le Créateur,
"distn'bue" les enfants aux femmes. On ne procrée que grâce à la volonté de Njambé, car c'est
de lui que viennent la stérilité et la fécondité féminines. C'est toujours la femme qui est stérile
ou féconde. Comme les hommes n'ont presqu'aucun pouvoir pour modifier cette loi naturelle,
Ie fatalisme des Shamaye se traduit par deux attitudes psychologiques: la stérilité (okumba}
féminine est considérée comme une véritable honte par celles qui en sont victimes, pourtant
etles l'acceptent. Quand une femme reçoit une grossesse tardive et inespérée, on donne à
l'enfant un des noms qui fait ressortir l'idée qu'il n y a pas de compétition possible entre les
'= Kasende. K.. op.cir.; Kahombo, M., op-cit. 3" Retel-Laurcntia, A., et Horvah, S., op.cit- 3" Lallcmanâ, S., opxir 389 Jean-Paul Lebed, "Le nom chez les Falin, in Journal de la Sociétk des Aficunisres, 9 (l), 1939,
p ~ . 103-107.
femmes en matière de procréation. Chacune ne met au monde que le nombre d'enfants que
wmbé lui a donne.
Okumbmogni (de okumba/stéri1ité, et shognihonte):"on a honte quand on est stérile"..
Dans une société qui considère les enfants comme une véritable richesse, le mari d'une
femme stérile a I'impression d'avoir "gaspillé" sa "dot". Donc tant qu'elle ne procrée pas, la
femme vit dans la honte, et si par "bonheur" elle vient à concevoir, elle donne à i'enfant ce
nom en souvenir de l'opprobre qu'elle a enduré.
Idjiandekasani (i@ia/prméatio ndekalpas de, nshanilcompétition): "Il n' y a pas de
compétition dans la procréation". Autre nom donné a un enfant venu de façon inespérée. Ce
nom signifie que ce n'est pas parce que sa voisine a coté ou sa soeur vient d'avoir un enfant
qu'une femme croira qu'elle peut aussi en avoir. Elle doit accepter son sort. Un proverbe qui
traduit bien cette injustice originelle dit que "bien qu'ils appartiennent tous à une seule main,
les doigts n'ont pourtant pas la même longueur" (mishagni mlè èbô kirulu, muru na bueaji
olayi). Mais ce nom véhicule aussi un message d'espoir envers toutes celles qui sont stériles.
Leur consoeur leur demande de garder espoir. Peut-être qu'un jour Njambé pourra penser à
certaines d'entre elles. Idjiandekasani est un nom unisexe.
A4uagnangwadjia (muagnangwèii'autre, adjia/procrée): "l'autre est en train de procreer".
Ce nom a le même sens et véhicule le rnèrne message que le précédent. Mais la seule
différence est que celui-ci n'cst donné qu'aux filles.
Makamanjambé (makabtules dons, les parts, malde, njambé Dieu): "les cadeaux du
Créateur". Le message que véhicule ce nom de circonstance, attribué uniquement aux garçons
nés tardivement, en qu'aucune femme ne doit se plaindre de la façon dont Njumbé a procédé
au partage des enfants entre la gent féminine. La mère qui donne ce nom pathétique a son
garçon lui témoigne ainsi son amour d'une manière particulière .
Yumawuiu m a l c e que j'ai, wulakherché): "ce que j'ai toujours cherche". Nom de
circonstance masculin. Pour la femme, i'enfant est une éternelle quête. La mère ne perd
i'espoir que lorsqu'mive l'âge de la ménopause.
Idjiapaka qui signifie: "c'est dur de procréer", il ne faut donc pas courir après la
procréation car on y mivera jamais sans la volonté de NJambé. Les Shamaye croient en effet
que certaines femmes usent des moyens occultes pour concevoir. Mais malheureusement
quand on devient enceinte de cette manière, tout se complique le jour de I'accouchement,
souvent la mère et l'enfant finissent par mourir.
Les Shamaye ne sont pas les seuls à considérer l'enfant comme un don de Dieu Les
Fali, pour ne citer qu'eux, en font de même. Un de leurs noms signifie "nous (les parents)
n'avons pas les petits parce que Dieu nous les rehr~e"~~'. Au Gabon, les Fang ont, entre autres
noms donnés ces enfimts nés d'une grossesse inespérée, et dont on m'bue l'arrivée à Dieu,
Atome Ndzame (envoi de Dieu), "nom donné à un enfant venu au monde dors que tes parents
ne s'y attendaient
La stérilité de la femme et la mise au monde d'enfants maIades qui ne survivent pas sont
des raisons suffisantes pour que le mari demande le divorce393. C'est pourqu~i dès qu'elle
s'aperçoit que sa stérilité persiste, la femme se rend dans sa propre famille chercher une
épouse plus jeune pour son mari. Ces noms témoignent du soulagement de répreuve. Mais ce
que les Shamaye sont loin de reconnaître de haute voix, c'est que ces noms traduisent aussi le
soulagement du mari. Un homme dont la femme ne fait pas d'enfant est quelqu'un qui va
"tuer" la famille. On l'accuse, sans le lui signifier ouvertement, de mettre en péril la continuité
du lignage en restreignant, bien qu'involontairernenf le nombre de ses membres
6.2.2.2 Les noms de circonstances se ranmrtant A la naissance de l'enfant
Un autre groupe de noms propres est donc ceIui des appellations qu'on donne en
fonction des circonstances ayant entouré la naissance de l'enfant qui va porter le mm. On
peut à l'intérieur de ce groupe opérer des distinctions et considérer d'abord Ies noms qui ont
trait a I'accouchernent. Ils comprennent Ies noms donnés par rapport au lieu de naissance, au
mode d'accouchement, c'est-à-dire la position dans laquelle l'enfant est sorti et, finalement, I t s
noms ayant trait à certaines coïncidences avec la venue de l'enfant.
6.2.2.2.1 Noms ProDres donnés Dar raDDort P l'accouchement
Par rapport a i'accouchement, nous allons d'abord étudier les noms individuels imposés
aux enfants en fonction du lieu où ils sont nés. Donner un nom a l'enfant en fonction du lieu
ou la naissance est intervenue est une habitude de plusiem ethnies du Gabon. Les localités
gabonaises de Kango, Ebéndjè et Nkomadèke ont donné leur nom a de nombreux enfants qui
"' Lebeuf: J.Q.. op.cif. , p.111. Raponda-Walker, A., "DictiomÜmsa, p. 142.
393 Maclatchy, A., op. cir, p.60.
y sont nés nous dit Raponda; les Fang du Gabon donnent les noms de M m a l'enfant qui est
né dans la forêt, et Bemvon a celui qui est ne sous la pluie ou un jour de pluie393. Les Shamaye
font de même.
Bishadji ou Béhu@é (les travaux): c'est le nom qu'on donne a I'enfant de sexe mascdin
qui naît dans un nouveau village. Le terne est tiré de l'expression "bisha& (ou béha@!) biè
mpaka" qui veut dire "les travaux qu'on effectue dans un nouveau village", par exemple, la
construction des maisons et la réalisation de nouveaux champs.
Makuba (les plantations): La femme shamaye enceinte continue d'aller aux champs et il
arrive qu'elle y accouche avec l'aide d'autres femmes. L'enfant reçoit alors le nom de Makuba
qui est toujours donné au pluriel du mot.
Ebuko (champ d'arachide): L'enfant qui vient au monde alors que la mère est à son
champ d'arachide.
IIuRa (la pêche): Comme les Mpongwé de la côte qui ont le nom dOtèmbo pour l'enfant
né dans l'eau, les Shamaye donnent ce nom à l'enfant qui naît au bord de I'eau et
singulièrement pendant que les femmes sont a la pêche.
Bishaka (les campements): Les Shamaye preferent ce nom au pluriel. En fait ce n'est
pas seulement pour signifier que l'entant est né dans un campement, mais aussi pour souligner
l'amour que les parents ont de cet habitat saisonnier. Le nom n'est donné qu'aux enfants de
sexe féminin.
Ebanji (petit campement): Ebanji est un autre habitat saisonnier, mais il est différend de
èshaka (le grand campement) puisqu'il est situé a quelques kilomètres du village,
généralement sur l'emplacement d'un ancien village, alors que le grand campement est
constnllt dans la grande forêt où le gibier abonde. Ebavi tient son nom de èbam, une
technique traditionnelle d'extraction d'huile de palme.
I m g a (de ndjmgaolvoyage): C'est essentiellement un nom masculin On ne nomme le
petit garçon idjunga que dans le cas où le voyage a été mictuew et jamais quand la maman y
a rencontré ou appris un événement maiheureux comme le décès d'une personne de sa famille
habitant un autre village.
Mangashi (de mongeshas'engager): C'est un nouveau nom féminin qui date de la
période coloniale. Nous avons déjà expliqué le terne mangusha, il désigne l'enfant
né dans les chantiers forestiers ou en ville, lors des migrations de travail. Pourquoi ce nom
393 Edouard Trézenem, "Notes ethnographiques sur les sibus Fan du Moyen-ûgooué (Gabon)", in Journi de fa Socit?rP des Africanistes, 6 (1), 1936, pp.65-93, p.84.
n'est donné qu'aux filles? L'une des raisons qui motivent le Shamaye pour quitter son "pays
natal" est la recherche de l'argent et des marchandises pour se constituer une dot. Ce nom est
donc un hommage que le Shamaye rend à la migration Iui ayant permis d'avoir la femme qui
lui a donné cet enfant. Les innovations de la période coloniale ont inspiré de nombreuses
ethnies en ce qui concerne les noms propres; les Fang ont par exemple le nom de Sima (le
ciment) pour l'enfant né dans une maison construite avec du ciment C'est, comme le dit
Raponda-Walker, un nom nouvea~"~".
Ndudji (à l'envers): C'est le seul nom qui indique la position par les "pieds" dans
laquelle est arrivé l'enfant qui le porte. Les Shamaye considèrent que l'enfant qui vient par le
siège a jusqu'au bout refusé de venir au monde.
Mimbeka (les cérémonies): Comme ailleurs au Gabon, tout enfant qui naît dans un
village pendant qu'on est en train de célébrer une cérémonie traditionnelle reçoit le nom de
cette cérémonie comme nom propre. Par exemple, les Mitsogho donnent le nom de Dindjona
à la fille née durant une séance de bouifi. Mirnbeka est un garçon né pendant les cérémonies
de môngala, sharshi ou ngoye, c'est un nom exclusivement masculin.
Munzbwula (de bumbwuIaAes pluies): C'est un nom donné à une fille qui est née sous la
pluie. Les Shamaye disent de cet enfant qu'il a voulu venir au monde de façon discrète, on lui
attribue les qualités de pondération, de calme et de discrétion.
Ngaai (la foudre): C'est un nom masculin attribué a un petit garçon né sous une pluie
accompagnée de foudre qui est un symbole du mal. Les Shamaye croient que certaines
personnes aux pouvoirs mdéfiques ont la capacité d'envoyer la foudre.
Ngondo (la lune): C'est un nom donné a une fille née au cours d'une nuit de clair de lune
(èwèdjé) qui est un des symboles de beauté féminine (ongondo). La fille qui naît sous le clair
de lune porte en elle le pouvoir de conquérir le coeur des hommes.
Bushé (de bwwhaAe jour): Nom donné a une fille née en plein jour.
6.2.2.2.2 Noms de circonstances se raewrtant directement $ la naissance.
II existe de noms se rapportant directement à la naissance de l'enfant. Ainsi, nous
étudierons d'abord les noms donnés aux enfants en fonction des traits physiques ou
comportements particuhers qu'ils présentent à la naissance, nous verrons ensuite les noms
394 Raponda-Wallcer, A., "Dictionnairen, p. 152.
domes aux enfants en fonction de leur ordre de naissance dans la famille et enfin, nous
étudierons les noms donnés aux enfanfs uniques.
Makôd6 (les pleurs): Cest un nom féminin imposé à Itdant qui pleure beaucoup
depuis son jour de naissance. Il est réservé aux fiiles parce que les Shamaye pensent qu'un
homme ne doit jamais pleurer.
Mikashu (de iAashulla maigreur): Autre nom exclusivement féminin donné à une
nouvelle-née jugée trop mince afin que l'enfant prenne conscience de son état et surveille sa
santé quand elle sera grande.
Edông6 (la biche): Nom féminin donné à un enfant qui na3 avec un long cou. La biche
est aussi un symbole de beauté féminine chez les Shamaye. La mère nomme sa fille Edôngô
pour que cette demière prenne conscience de sa beauté.
II n'y a que deux noms qui indiquent l'ordre que l'enfant occupe a la naissance:
Mahka (le dernier): Cest le nom que porte le denier-né de la famille sans distinction
de sexe. Les Shamaye croient que toute femme a le pouvoir, pour une raison ou pour une
autre, d'arrêter volontairement de mettre au monde des enfants. Quand elle décide de ne plus
procréer, on dit qu'elle "a fermé son ventre" (è&h mûyi). Mais parfois, c'est le père qui
"ferme le ventre" de sa fille parce qu'il estime qu'en dépit de tous les enfants que sa fille a
déjà fait, la "dot" versée par le mari est toujours insuffisante.
Bengo (Suis-les!): C'est le nom que donnent les Shamaye à l'enfant qui vient après les
jumeaux, indifféremment de son sexe. Cet enfant est lui-même considéré comme un demi-
jumeau, c'est-à-dire comme un être a part. Les Shamaye accordent aux jumeau une origine
mystique que partage a un degré moindre l'enfant qui vient après eux La force mystique qui
envoie les jumeaux chez les humains leur adjoint une sorte de garde du corps. Benga vient du
verbe ibenga qui signifie suivre ou poursuivre. Et d'ailleurs, le même verbe a donné le nom
obenga, c'est-à-dire "la chasse a cowe" sharnaye. Chaque ethnie bantu donne un nom précis à
l'enfant qui vient après les jumeaux Les Banyanga et les Bashi de l'est du Zaïre l'appellent
respectivement Kisa et ~ i z a ~ ~ ' . Au Gabon , les Mpongwé ont le nom Amburwè pour I'enfant
sans distinction de sexe qui vient après les jumeaux. Les Mitsogho nomment Mosodwè le
garçon et Kornbe la fille qui viennent après les jumwiw3%.
39SKahombo, M., opxit., p.359. '96Raponda-waIkeq A, "Dictionnairew, pp. 1 1 - 12.
Les noms que les Shamaye donnent aux enfants uniques ( m t s h i h ) sont empruntés à
ceux des animaux qui vivent en solitaire après avoir fhit partie d'un troupeau. Ils croient qu'a
un moment, chaque "clan" animal expulse les membres devenus trop vieux, c'est-à-dire inutile
à la suMe et à la efense du groupe. L'existence de l'enfant unique (itshih) est assimilée à
celle d'un animai chassé de son troupeau, avec ce que cela comporte comme difficultés de
tous genres. Le lecteur remarquera que chaque animai chassk de son troupeau porte un nom
différent. Ainsi, un éléphant qui vit seul ne porte pas le même nom qu'un singe ou un sanglier
de m8me étaeg8:
Imb~mbalè~oku (imbumba/seui, njoRuléléphant): Ce nom signifie donc "éléphant
solitaire". Ii se donne parfois dans sa fome réduite de Imbmbu. Francise le nom apparaît
sous la forme de Limbomba.
Nrorornotshema (ntoro/seul, tshedsinge): ou "singe solitaire". Comme la mode chez
les jeunes Shamaye de nos jours est d'abandonner des noms jugés trop long, on le réduira a
Tsém.
Emboendjja (embo/seul, ndjfya/gorille); la forme la plus populaire est Embo.
Ekongongueya (ekongo/seul, ngueydsanglier): sanglier solitaire.
Otsikaoubé (irsikalenfànt unique, bubdpas bon d'être): Ii signifie "il n'est pas bon d'6tre
enfant unique". C'est le plus populaire des noms donnés aux enfants uniques. Et c'est aussi le
seul nom qui ne soit pas tiré de la faune.
Il existe une explication de l'association de nom donné à un fils unique et l'image de
l'animal solitaire. Un proverbe shamaye dit en effet: ersmi M , "l'orphelin et le
gibier", et signifie "c'est quand un orphelin porte un giiier sur son cou que tout le village le
Donc l'orphelin n'a de parents que quand il a tué un gibier et par extension,'*quand il
est riche". L'enfant unique dans son existence difficiIe est assimilé à l'orphelin. Tous les deux
ne peuvent prétendre à une existence heureuse dans Ia société que s'ils sont riches.
6.2.2.23 Noms donnés en fonction des événements sirrveaiw avant la naissance
Les événements survenus antérieurement A la naissance de l'enfant influencent eux-
aussi le choix du nom que ce dernier va porter durant toute sa vie. On peut diviser ces noms
'4~ Ces noms ont été commentés pour nous par C l b t Mateyi Shamye, 56 ans, Ombela. sans
en deux utegories. En effe les Sbsmoye font la distinction entre les noms donnés en
fonction des décés des enfants qui ont précédk la naissance d'ua nouveau-né et ceux attribués
par rappon a la mort dim des parents, c'est-Adire celle de la mère ou du pére.
TshiRabatu (tshikdrestes, batulhommes): Nom donné à tout enfant de sexe masculin qui
naît après de nombreux décès de ses fiéres et soeurs. Cet enfant que les anc&es envoient
n'est plus qu'un simple 'reste" de ce que le couple aurait pu avoir comme progéniture.
Bibodji (de ebo@i/la moisissure): Ce nom est la version fdminine de celui qui précède.
Après de nombreux décès de ses enfinit$ une femme estime qu'elle n'a plus rien dans son
ventre. Ainsi pour signifier sa fnistratiou, elle donne A la fille qui vient au monde le nom de
Bibodi, une simple moisissure, un reste de tous ceux qui l'ont précédé.
Mqyela (de iyelafêtre accablé): nom mascdin. Tl est dom6 a I'enfiuit qui naît dans les
mêmes conditions pour souligner la douleur des parents "accablés" par les décès de leurs
enfants.
Ndekadjinu (ndeka/sans, djinulnom). Cette fois4 ctest un nom féminin qu'on d o ~ e à
toute fillette née dans les mêmes conditions. Il signifie "l'enfant qui n'a pas de nom". Les
parents croient que cet enfant mourra comme les autres. C'est pourquoi ils refusent
symboliquement de lui donner un nom.
Bakayénè (bakdd'abord, yènè/qulon voit): "On va voir d'abord si cet enfant va survivre",
nom masculin très proche de celui qui précède. Il est emprunte aux voisins Ondasa. En
Shamaye ce nom aurait pu se dire Buyènina, mais les Shamaye ne le donnent jamais sous
cette forme. Ce nom peut aussi être donné a un enfant qui riait malade et a la survie duquel les
parents ne croient pas tellement
Bitubièngoli (bitu /la souffrance, bièfpour, ngolihien): C'est un nom très pathétique qui
veut dire qu'après avoir perdu leurs enfànts, les parents "ont souffert pour rien". C'est un nom
de circonstance donné aux garçons. La soufEmce a laquelle ce nom fait allusion va de tout ce
que les parents ont enduré pendant la grossesse à l'entretien des enfants qui malheureusement
n'ont pas survécu
Deux noms ont trait a la mort antérieure de l'un des géniteurs:
Adjiamuutambé (Adjidqui engendre, mu4/iamais, mnbé/pmfite): "Qui engendre un
enfant ne profite jamais du fruit de son acten. C'est un nom féminin porté par l'enfant qui a
perdu un de ses parents. Le nom veut dire que finaiement ce ne sont pas ceux qui mettent les
enfants au monde qui bénéficient de ces derniers. Ce nom est répandu sous le diminutif
A&yu
Bapishawqi @isho/aprés, weyines morts): Le nom masculin signifie exactement
"enfant venu au monde après la mortn d'un parent.
6.223 Noms relatifs aux circonsîances entourant l'union ou ia aémration des
parents
Le mariage ou le divorce est un dvénement qui le pIus souvent inspire le nom que va
porter un enfhnt. Il existe trois noms qui entrent dans cette catégorie:
Mabwni (de ibwnille conflit): Mabumi est un nom féminin. C'est un nom qui renseigne
sur les conditions qui ont entouré le mariage des parents. Le "vol de femmes" était souvent
accompagné par des actes de représailles de la part de la famille qui en était victime.
Lliomme qui épouse une femme dans ces conditions donnera i une de ses filles le nom de
Mabumi pour se rappeler le conflit auque1 il a dû fitire face.
Mubomu (de ibomda marchandise): Toute femme qui quitte son mari et va vivre avec
un autre homme, mëme pendant des années, sans que la dot soit remboursée est toujours
considérée comme légalement mariée à son ancien mari. Tous les enfiuits qui naîtront de cette
relation appartiendront au premier mari jusqurau remboursement intCgral de la dot. Ainsi, le
premier mari peut-il donner a l'un de ces enfants le nom de Mabomu qui signifie
"marchandises" et qui renvoie à la dot. L'homme rend ainsi hommage à sa dot grâce à laquelle
il "récupère" ses (ou son) enfants. Sous cette forme, il est donné aux enfants de sexe féminin,
les garçons portent Ie nom de Mbomu qui signifie la même chose.
Njamba (de &balle berceau): Le nom est tiré de l'expression mwanu aya 4arnba qui
signifie "l'enfant qui est arrivé avec sa mère dans un berceau". Théoriquement, tout enfant qui
naît pendant les fiançailles ( i d a h ) , c'est-àdire sans qu'aucune dot ait encore dtt versée,
appartient aux parents de la femme. Ur il peut arriver que les parents de la femme "donnent"
cet enfànt a son géniteur si ce dernier se plie à toutes les conditions que va lui imposer sa
belle-famille quant à la dot. Le père donnera ce nom a son enfant, pour dire qu'il est né dans
le village de sa mkre (avant le mariage) et qu'il est arrivé chez son pire dans un berceau. Par
extension, les hommes donnent ce nom i tout enfant qu'une femme a eu avant son mariage, ce
que les Occidentaux désignent par enfant naturel.
6.2.2-4 Les noms se ra~wrtant aux événemenl historiaues
La notion d'histoire au sens shamaye n'est pas forcément la même que chez les
Occidentaux, même si la définition de l'histoire au sens occidental devient universelle. Chez
les Shamaye l'histoire est un ensemble d'dvénements passés que les acteurs sociaux tiennent
pour vrais et qu'ils se transmettent oralement de génération en génération.
Epengu (la famine): L'enfant qui naît pendant une famllie reçoit ce nom. 11 peut a w i
recevoir ii la place celui de w u qui signifie "la disette", selon Ifappréciation que font les
parents de cette période de manque de nourriture. D'après les traditions, le nom de l'ethnie lui-
même, Osamayi, a été formé pendant une période de famine. Un recit récolté en 1989, pour
un travail antérieur, nous révèle que le mot osamayi viendrait de l'arbre aromatique usumcryi
que les gens auraient alors consommé. Et en hommage à cet aliment qui leur a sauvé la vie,
les gens ont décidé de porter son nom pour devenir des ~hama~e? Pour les famines qui ont
inspiré les noms propres masculins, celle dont les informateurs se souviennent semble s'être
produite vers le début du siècle. Une autre famine d'envergure qui a touché tout le pays
bakota est mentionnée par les documents kcrits. Le romancier bakota Robert Zotoumbat la
raconte dans son roman intitulé L'hisfoire d'un enfani trouvem. Elle se situerait vers 1924-
1925.
lwi (la guerre): C'est essentiellement un nom masculin donné à l'enfant né au cours
&un conflit. Il se donne aussi sous la fome plurielle de Mabadji.
6-22 Les noms des iumeaux chez les Shamave
Au Gabon, comme ailleurs en Afrique Noire, les jumeaux ( m a s h a ) ne sont pas
considérés comme des enfants ordinaires. Ce sont des "êtres à part" et, à ce titre, ils ne
reçoivent pas les mêmes noms que les autres enfants. Leun noms foment des couples fixes
cornus de tous a telle enseigne que si vous citez un de ces noms à un Shamaye, il vous
donnera aisément le deuxième nom. Us sont tires de la faune, de certaines situations ou
"' Pieme Ibakatoa, Shamaye, 76 ans, Ombela, entretien du 7 juin 1989 B Ndzokdoundza. 4m~elbeureusement, nous n'en avons pas les références complètes.
d'objets "ayant entre eux un certain rapport, une certaine anal~gie'~~'. Le système de dation
des noms des jumeaux garde une certaine dose de hasard: ce sont toujours les jumeaux eux-
mêmes qui imposent les noms qu'ils doivent porter. lis font savoir leur choix en rêve à ua
membre de la famille ou à un habitant du village. Chez les Bapunu du sud du pays aussi, les
jumeaux eux-mêmes viennent en rêve imposer les noms qu'ils vont porterN3. La dernière fois,
nous &ions tkmoin d'une scène d'auto-attribution des noms par les jumeaux shamaye en
janvier 1995, au village Bamberabiyoko. Le 7 janvier de cette année, la jeune Josiane Bokou
accouche de jumeaux de sexe masculin- L'attente de noms durera plus de dix jours, ce qui est
d'ailleurs normal car les jumeaux sont considkrés comme des &es capricieux qui se font
toujours prier. Finalement, ils ont confié leur choix de nom en songe à une petite fille de
moins de dix ans. Avant de faire porter officiellement ces noms aux enfants, les parents ont
dû attendre quelques jours pour vérifier si la petite fille n'avait pas menti, auquel cas les
jumeaux viendraient infirmer ce choix dans le rêve d'une autre personne.
Chez les Shamaye on fait la distinction entre les noms donnés aux jumeaux quand les
enfants sont de même sexe et ceux qui leur sont attribués quand ils sont de sexe différent.
6.2.3.1 Noms des iumeaux de sexe masculin
NtenQi (enclume) et Njundu (marteau): C'en le couple le plus populaire des noms des
jumeaux de sexe masculin Le nom qu'on cite en premier est toujours celui de I'ainé des
jumeaux. L'enclume et le marteau sont des outils spéciaux en Afnque centrale:
Les outils des forgerons qui sont aussi ceux des métallurgistes ne sont pas des outils comme les autres. En permettant de produire le fer et de le façonner, les outils de la forge sont à la source de tous les outils. Ce rôle stratkgique daas l'ensemble des productions est reconnu, sanctionné et renforcé par le rôle politique confdré aux outils de la forge par beaucoup de sociétés d'Mque Centrale. Les masses, masses-enclumes et les marteaux sont symboles du pouvoir politique dans les royaumes. Ailleurs, dans des sociétés dites acephales parce qu'elles ne connaissent pas de pouvoir centralisé, les outils de la forge sont utilisés comme monnaie à usage limite aux échanges matrimoniaux. Ces transactions sociales sont les plus
Rap~nda-Walkr, A., "Dictionnairen, p. I l . Mayer, R, op.cif., p. 148.
valorisées parce qu'elles assurent en même temps la cohérence et le maintien d'un ordre et 8un pouvoir politiquesm.
Au chapitre quatre, nous avons montré la place qu'occupaient Ie marteau et l'enclume
dans la dot chez les Shamaye.
Ngadji (la foudre) et Ndumu (le tonnerre): La foudre et le tonnerre ne vont pas l'un sans
l'autre. Les jumeaux sont considérés comme des enfants venus au monde par la grâce d'une
volonté surnaturelle tout comme la foudre et le tonnerre.
Tshema (le singe) et Mbnlh (Ie chat-huant): Ce sont deux animaux lids par certains de
leurs comportements. Les Shamaye pensent que ce sont des animaux qui se pIaignent trop. On
dit nshimu nt6 tshérna M mbala, "se plaindre comme le singe et le chat-huant". Comme deux
personnes qui ont habitude de s'accuser mutuellement sans fondement. Une légende dit qu'un
jour le singe est allé voir le créateur Njambé et s'est plaint auprès de lui du comportement du
chat-huant qui ne cessait de le maltraiter. Sans dire un mot, w b é demande au singe de
revenir un autre jour. Quelques minutes aprés, le chat-huant arrive et se plaint à son tour du
mauvais comportement du singe. m m b é lui dit aussi de revenir me autre fois. Ainsi quand
chacun arrive pour son rendez-vous, il ne sait pas qu'il y trouvera son rival. C'est comme ça
que face a face, le singe et le chat-huant n'ont pu justifier les accusations que l'un a porté
envers l'autre.
On peut terminer en mentionnant les couples Ingognè (oiseau) et Mbela (aigle), et celui,
au sens obscur, de Indughu et Linghu qui sont aussi très répandus.
6.2.3.2 Noms des iumeaux de sexe féminin
Nsèmu (la promesse) et Djambu (la chose): Le lien entre ces deux noms est très clair.
C'est un couple de noms qu'il faut comprendre par "il est souvent difficile de réaliser une
promesse".
ltondo (l'amour) et Ikah (la jalousie): Les Shamaye pensent que l'amour se mesure par
la façon de jalouser.
Oyumbé (l'amitié) et Oyunga (l'égalité en âge): Dans l'esprit des Shamaye, une amitié ne
peut exister qu'entre deux personnes d'un âge (relativement) égal.
4a5 h r g e s et MariaClaude Dupré, "Les usages politiques des outils de la forge. Mmmu, masses et massesenclumes en M q u e Centrale", 7 p., SI., n.d.
N j w et Ilanji: Noms de jumelles au sens difficile à cemer et que même nos
informateurs les plus âgés n'ont pu nous expliquer.
6333 Noms de iumwux de sexe OD&
Djuba (le soleil) et Ngondji (la lune): Ce couple de noms est m emprunt qui vient des
voisins Ongom. Le soleil dans la langue osamayi s'appelle muyi, tandis que la lune est
ngondo. Le jumeau reçoit le nom de Ng+i tandis que la jumelle porte celui de Djubu. La
logique shamaye aurait été que la jumelle reçoive le nom de Ngondji qui vient de la lune, l'un
des symboles de la beauté féminine, mais les noms sont utilisés comme chez les Ongom.
Ignungu (le vautour) et Mela (l'aigle): Le premier nom est celui de la jumelle et le
deuxième celui du jumeau L'aigle et le vautour sont dew oiseaux majestueux, les Shamaye
ne croient pas qu'il y ait des oiseaux plus grands que ces deux 18 L'aigle, M e i u , est un oiseau
dont le nom revient souvent pour les jumeaux.
6.2.4 L'attribution du nom dans la société secréte naove
Lévi-Strauss distingue deux sortes de sociétés: celles qui soignent jalousement les noms
et les rendent pratiquement inusables et d'autres qui les gaspillent et les détruisent au terme de
chaque existence individuefle4". Les Shamaye font partie du premier groupe. La philosophie
du q d m e nomid de la conFrérie ngoye est la suivante: soit que le nouvel adepte change de
nom et prenne celui du membre de sa famille qu'il remplace dans la confrérie, soit qu'il
prenne un nom qui valorise la confrerie ou son animalemblème. Daas ce dernier cas, le
nouveau nom individuel du nouvel adepte sera composé d'un préfixe et d'un sufExe qui est
obligatoirement le mot ngoye qui signifie aussi bien la confi-érie que son animl-emblème
éponyme.
6.2.4.1 Le aort du nom d'un initié défrrnt de Ia fimilte
Pour ce qui est de l'initiation classique, la prise du siège laissé vacant par un parent
défunt s'accompagne aussi par la prise de son nom. Les noms portés par les initiés défunts que
prennent les vivants deviement des "symboles des positions qui doivent toujours être
occupées"407 comme dans certaines sociétés étudiées par Lévi-Strauss. Si à la naissance un
homme a WU le nom d'un parent initié B la co&rie ngoye, il ne lui sera plus deIIland6 de
changer de nom lorsqu'il s'initie B son tour. Eugène Odounga n'a pas chmg6 de nom après son
initiation parce qu'il a reçu ce nom de son grand-père qui était déjà membre de la confiériem.
Le grand-père en question a da prendre ce ww d'un parent initié car il s'appelait Belembe
avant son initiation. il en est de même pour Maurice Mateba qui n'a pas changé de nom parce
qu'il a hérité ii la naissance du nom de son "oncle" qui était un initit. Mais son père a changé
de nom après son initiationw. En enregistrant les genéaiogies auprés de certains de nos
informateurs, nous nous sommes m d u compte que pour un ascendant on nous citait m e n t
deux noms, soit son nom d'enfance et son nom d'initié. Normalement, le premier aurait dii
dispafafntre au profit du second
6.2.4.2 Port du nom qui valorise la confrérie ou son animakmbléme
On s'initie à la confrérie dans certains cas sans avoir un parent membre de cette dernière
à remplacer. Un individu qui offense un initié de la confrérie tombe malade, il doit
obligatoirement s'initier pou. guérir, w autre ayant une belle femme tombera malade pou.
qu'il s'initie et partage sa femme avec les autres adeptes. Us vont alors choisir un nom qui
porte les attributs de la confiérie ou de son animal-symbole. Ce nom sera hérité par un
membre de famille qui sera choisi pour remplacer le défunt dans ngoye. Les noms
contiennent des messages su. la puissance de la confrérie, ses adeptes ou leur animal
symbole, qu'est la panthère. Sur le plan morphologique, ces noms sont des véritables
curiosités. Comme toutes les langues dites bantu, l'osamayi est une langue à préfixes, le
pluriel est obtenu en ajoutant une particule devant le mot au singulier, par exemple ka41
(soeur) et bakadji (soeurs). Or, les noms de la confiérie ngoye sont des noms à sufflue, ils
sont constitués û'un préfixe et de ngoye comme suffixe.
Makamangoye (ihbulla part, ngoyell'initié), "la part qui revient ii chaque initié" au
cours dim partage.Tout le monde, grand ou petit, reçoit une part égale quand les initiés au
ngoye se partagent la nourriture.
U" Lhri-Strauss, C., op-ci& , pp.239-240. Témoignage d'ûdounga, E., op cil
40P Récit de vie âe Mateba, M., op-cit.
@en&engoye (eyénj2Ae camp, ngoyena confi&ie), "le camp secret de la confiérie" où a
lieu chaque initiation; Ie symbole d'entrée dans la confrérie.
Ayenenguye (ayenelqui a vu, ngoyena confiérie), celui qui porte ce nom "a miment vu
en quoi consiste l'initiation au nguye".
I t h g o y e (irukalinjurier, ngoye/tm initié), une mise en garde qui rappelle "qu'injurier
un adepte" de ia confrérie est un acte grave qui peut êîre puni par la mort.
Olumbongoye (olumbuAa colère de, ngoyeflinitié), rappelle qu'il est très dangereux de
mettre un initié au ngoye en colère. La colère d'un initiC au ngoye peut durer des années, elle
est comme une épine d'asperge qui peut rester longtemps dans la chair d'un homme et faire
mal après de longs mois.
Mmndamongoye (muanrialle chemin, ngoye/la panthère), "le passage de la panthère" ou
"le chemin qu'emprunte un adepte de la confT&ien. Cette mise en garde s'adresse a tous ceux
qui suivent l'adepte de ngoye sur un chemin. Ils veilleront a ne pas le voir en train de se
soulager ou de faire des avances mêmes à ses belles-filles. Il ne faut jamais mettre un adepte
de la confrérie dans une situation embarrassante.
fjkVnb~tZg0ye (iyemba/reconnaître, ngoye/un initié), "reconnaître un adepte" de la
confiérie ngoye. La cofierie ngoye n'a de secret que certaines phases d'initiation et les
moyens pour exécuter les sentences qui sont aussi prises secrètement. Autrement, les adeptes
de ngoye aiment l'ostentation et tiennent à bénéficier ouvertement des avantages qu'ils se sont
octroyés.
Bitsiiabengoye (birsildes interdits, ngoye/de la confiérie),"les interdits de la confrérie
ngoye". C'est une autre mise en garde envers tous ceux qui oseraient enfreindre les interdits
faés par les membres de la confrérie ngoye.
Bayebungoye (bayebalceux qui com*ssent, nguyena confrérie): 11 faut comprendre ce
nom par "ceux qui connaissent les secrets de la confiérie ngoye". L'initiation à la confrérie
ngop est secréte et jusqu'h ce jour, même au paroxysme du déferlement du rite
"mademoiselle" en pays shamaye, on n'a jamais enregistré une "défdon" ou une nahison
publique au sein de la confrérie ngoye.
Ebdengoye (ebamMa p u , nguyefla panthére), "Ia peau de la panthérem, un
v&ment et un emblème de i'initié au ngoye.
G n m n g q e (SMdanimaI, ngoye/parsthère): Un des nom les plus populaires des
adeptes de la confiérie. Il rend hommage la panthère, I'animal-emblème de la confrérie.
Pour terminer, on peut ajouter les noms suivants:
Bwumbangoye (effrayer un adepte de la confrérie);
Idjibangoye (encercler la panthére avec des filets et par extension mettre un adepte de
la mafiérie dans une situation humiliante);
Kambangoye (accabler un adepte de la confrérie) et les noms dont le sens est devenu
obscur comme Mbe~ngoye, Tomgoye, Baioangaye. Ignatangoye, l ~ g o y e ,
Kumangoye, Kqmngoye, Wangoye, lyalangoye, Muessengoye.
6.2.5 le nom chez les Sbamave de~uis la driode colonule
11 est relativement facile de suivre l'évolution du nom chez les Shamaye depuis 1930,
c'est-&dire, depuis que la période coloniale s'est faite sentir chez eux. Au départ, deux agents
principaux sont a l'origine des bouleversements qui ont affecté le système nominal shamaye:
la religion catholique et l'école européenne . Comme tout le monde le sait, la conversion à la
religion catholique par le biais du baptême est toujours suivie par l'adoption de ce que les
Shamaye appelknt m o u lé matému, c'est-à-dire "le nom de baptême", un prénom chrétien.
Au nom donné ou hérité conformément aux mécanismes traditionnels que nous venons
d'étudier s'ajoute donc le prénom chrétien. L'enfant qui vient après les jumeaux s'appellera
désormais Jean-Pierre Benga, la jumelle Valentine Djouba et l'initié au ngoye Michel
Ndoumbangoye. Les prknoms chrétiens ne sont pas portés par les seuls baptisés; tout jeune
shamaye se voit désormais affublé d'un nom chrétien occidental. L'école qui s'installe à la fin
des années 1940, et qui sert @ois de support B l ' d o n des missionnaires, est le lieu par
excellence oii le jeune shamaye s'inscrit dans cette nouvelle mode. L'identité complète de
chaque shamaye est désonnais composée de son nom t radi t io~d et de son nom chrétien.
Au Gabon, sous la colonisation, "on s'est vite aperçu que les Gabonais gardaient le
secret sur certains de leurs noms et qu'apparemment ils en changeaient au point de décourager
les agents recenseurs. Les administrateurs se sont plaints de ces coutumes et ils accusaient les
gens de vouloir se soustraire aux recensements, a l'impôt et aux corvées sous une fausse
identitén4'*. U était donc relativement facile de changer de nom a l'époque coloniale et bien
avant, dans des situations précises, comme le faisaient les initiés au ngoye conformément a
leur counime. Mais les choses vont changer avec l'avènement de l'État pst-colonial. Les
noweIles autorités du pays créent la carte nationale d'identité avec photographie. La
conséquence de cet acte est qu'il n'est plus possible de changer de nom déclaré aux autorités
et porté sur une carte. il en est de même pour les enfipnts inscrits à l'école qui ne peuvent plus
changer de nom n'importe comment Le systérne nominal traditionnel est définitivement
bouleversé. Sur les documents d'identitt infalsifiables, les prénoms occidentaux hérités des
missionnaires figurent desormais en bonne place à côté des noms traditionnels. Le système
nominal de ngoye ne sera pas épargné par ces innovations. Désormais l'initiation a la
codérie n'est accompagnée que d'un changement symbolique de nom. On porte le nom de
I'andtre au village, mais on garde le nom de naissance puisqu'il figure sur les documents
d'identité officiels. Ne pouvant plus porter le nom de l'ascendant comme nouveau nom propre,
les initiés au ngoye arrivent a la conclusion qu'il n'est plus obligatoire & changer de nom
quand on s'initie. C'est ainsi que de nos jours, l'initiation au ngoye ne s'accompagne plus
d'adoption du nom de l'ancêtre. On se fait appeler, par ceux qui le connaissent, par le nom de
l'ascendant tout en gardant le nom donné a la naissance. On dome les noms ngoye aux
enfants mâles à leur naissance, comme on donnerait n'importe que1 nom de l'ascendant vivant
ou disparu de la famille.
Une dernière nouveauté inspirée certainement du modéle occidental c'est l'adjonction
dans certains cas du nom du père à celui de I'enfant alors que le nom chez les Shamaye était
individuel. Certains jeunes Shamaye se retrouvent actueHement avec un prénom chrétien, un
nom individuel traditionne1 appelé dans la terminologie officielle "nom de famille", et un
patronyme.
Conclusion
Manning ~ a s h ~ " établit un rapport intéressant entre le nom et l'identité ethnique. Nash
s'est attelé à rechercher les symboles qui délimitent les groupes ethniques les uns des autres. II
pense justement que le nom est "le premier symbolew qui sert à définir et à démarquer les
groupes ethniques les uns des autres. Dans chaque groupe ethnique, nous dit l'auteur, les noms
servent de véhicules B une série d'informations culturelles facilement identifiables pour soi et
pour d'autres. Ces noms ont par ailleurs un contenu socid et psychologique et peuvent
provoquer une série de comportements répondant à des symboles d'identification du groupe.
Tout au long de notre étude du nom chez les Shamaye, nous n'avons pas fait autre chose
que de montrer que le nom est justement Ie symbole de l'identité ethnique shamaye. II est le
"véhicule" privilégié dune information sociale. il est parfois difficile de tenter d'expliquer ce
"' Nash, Thr couIdn,n ofethnicity in the modem v o M Chicago, R*rsa dc llmivwtc de Chicago, 1989, 124 p.
que les usagers eux-mêmes considèrent évident. Les circuits mattirnoniaux favorisent Ia
circulation des noms au sein de i'ensemble kota, mais chaque ethnie reconnaît les siens et
ceux qui viennent des ethnies apparentées. Les noms renforcent donc l'identité intenie de
c h u e ethnie kota dont les Shamaye.
CHAPITRE 7: LES EMBL~MES ET SYMBOLES POWTIOUES ET
RELIGIEUX
Le chef, comme je i'ai dif est le symbole vivant du ~ i b g e " ~ .
On en est presque arrivé à retirer aux masques leurs propres symboliques, à les poser dans une sph&re culturelle étrangère à leur réalité. Un discours occidental s'est ainsi substitué à Ia parole autochtone. Dans sa pratique locale, le masque n'a jamais été muet S'il utilise le secret et le mensonge, c'est pour dire l'indicible. S'il cache, c'est pour montrer l'invisible.. . les lieux d'exercice de son pouvoir sont la poliîique et la religion4".
Chez les Shamaye, la politique et la religion sont intimement liées dans ce sens que les
hommes politiques tirent leur pouvoir de l'exercice des fonctions sacerdotales et les prêtres et
ministres de cette religion sont des hommes politiques. La religion se confond avec i'exercice
de la politique. Ce lien apparaîtra soit en filigrane, soit explicitement quand nous traiterons de
la matière de ce chapitre: la construction des symboles politiques et religieux. En effet, ce
chapitre a pour objet de montrer que le système politique shamaye, tout comme le systérne
religieux est bâti sur un ensemble de symboles. L'organisation poIitique shamaye repose sur
deux institutions, kuznbmbuka et kumukah, qui symbolisent chacune une notion précise que
nous analyserons plus loin. Quant au système religieux, il est basé sur trois symboles que sont
Njambé, bikornbo et bweré. Les deux questions principales auxquelles nous dlons tenter de
rependre sont les suivantes: ne peut-on pas construire une théorie de chaque symbole que
nous venons de citei? Quelle est l'idéologie de chacun de ces symboles? Quel sens chacun
d'eux recouvre-t-il et dans quelle mesure chacun de ces symboles est4 un véhicule de
l'identité shamaye? Forment-ils ensemble un système? Est-ce ce système une réfknce surtout
de I'expression de l'identité shamaye?
4'2~UrCay. Les socit!f&primitives de I'Afnque équatoriaIe, Paris, Armand Colin, 1912,420 p., pp.340- 341.
413hdrée Gendreau et Pierre Maranda, "Prtsentation", in Anthropologie et SuciPt&, 17 (3), 1993, pp.5-11, p.5.
7.1 Les symboles et - emblèmes - - da mmir chez tes Shamave
Au risque de nous répéter, ce n'est pas l'étude de l'organisation politique en tant que
telle qui nous intéresse ici, mais celle des institutions politiques en tant que symboles et donc
en tant qu'éléments fondamentaux de l'identité shamaye. À ce titre, l'analyse de la charge
idéologique de chaque institution ou symbole revêt ici toute son importance. L'organisation
politique repose sur deux institutions qui se complètent: kum6rnbuk-u ou le chef de village,
une entité territoriale, et h u k a k a , le chef de lignage, c'est-à-dire de la famille. Le premier
symbolise l'unité du village tandis que le second "symbolise l'autorité des ancêtres sur la
des~endance""~. Nous avons donc ici un pouvoir qui gère les affaires publiques (le chef de
village) qui s'oppose à un pouvoir de nature privée (le chef de lignage); un pouvoir basé sur la
terre et l'acceptation volontaire des habitants du village, différent de celui qui repose sur le
sang et la naissance commune. Ceci est le résumé des éléments qui opposent nos deux
institutions. Dans les lignes qui vont suivre, nous allons nous atteler a construire en détail une
théorie de i'idéologie propre à chaque symbole, en commençant par l'étude de kumômbuka.
Cesr le chef de village, ou mieux son propriétaire car le terme kumôrnbuka vient de
l'expression kumu wè rnhuka qui signifie exactement "le propriétaire du village''414 en langue
osamayi. C'est ça l'idéologie de kwnômbuRa: le village shamaye est une propriété de celui ou
de la famille de celui qui l'a créé (le terme kumu qui symbolise la notion de pouvoir le traduit
donc en terme de "propriété" du chef sur l'espace matériel ou immatériel sur lequet s'exerce
ce pouvoir. Ainsi, tout comme le village est la "proprieté" du chef fondateur et sa famille, le
lignage, est aussi la "propriété" de son chef, d'oh Le texme kvmukakiz pour désigner le
patriarche). C'est pourquoi le nom du village s'efface parfois au profit du nom du lignage de
son chef-fondateur. Ainsi, le nom du lignage-fondateur Niabi remplace parfois dans les
conversations courantes celui du village NdzoUoundza, tout comme on emploie celui de
413 Gwa Cikala Mulago, "La religion, élément fondamental de i'identité culturelle bantu", in Théophile Obenga, éd, Les peuples banm migrations, expansion et identif6 cultureife, LU, Paris, I'Hamiattan, 1989, pp.523-550.
414 Le terne de propriétaire ne doit pas êire compris ici au sens occidental, où le chef shamaye aurait un drctit d'usage exclusif sur un quelconque bien, qu'il pourrait s'aliéner a loisir.
Shjambi a la place du nom de village Malanga Cette personnification du pouvoir et la
concentmiion de ce âemier entre les maias d'un seul homme nous permettent didentifier les
détenteurs du pouvoir politique chez les Shamaye, le chef de village et le chef du lignage que
mus étudierons plus loin, i "l'homme fortA16 & Vaasina, et, dans uw certaine mesure, au
"big manw M é par ode lier"' dans les sociétés m6l&iemia. C'est pourquoi, malgré des
faussetes énormes qu'on rencontre dans i'ensemble de son oeuvre, ces deux notions rejoignent
celle de I'admini~ew Cureau qui avance que
le village nègre est attaché à une personne. II est crée par un seul homme, pour un seul homme. Sa naissance, son dvolution, sa mort sont calqués sur les phases de la vie de son fondateur. Il naît par son initiative et disparafat avec lui. Pour Ia dénomination, l'usage le plus commun est d'employer le nom du fondateur et chef. Cela est naturel et légitime, puisque le village est bien la chose du chef, et pour ainsi dire7 le chef lui-même4".
Cet extrait est l'image de la vision de l'administrateur Cureau sur les primitifs de
I'Afnque équatoriale. Dans une même phrase, l'adminimateur peut allier des bonnes analyses
aux idées cornplktement déplacées. Ainsi dans l'extrait que wu. avons retenu, s'il est vrai que
le village africain est la chose du chef (chez les Shamaye c'est sa propriété), nous ne sommes
pas d'accord avec Cureau lorsqu'il avance que ce même village disparaf4t avec lui. Bon nombre
de villages africains et shamaye que l'on rencontre aujourd'hui sont m o i s centenaires. Ils ont
donc nwécu à lem fondateun respectifs qui sont morts depuis des décennies. il nous reste B
expliquer pourquoi le village est la propriété du chef et de sa famille.
Qumd anive le moment de fonder un nouveau village, le chef et sa famille exécutent
deux rites principaux: le rite de fondation du village lui-même qui est suivi du rite tshiyè
m b h qui consiste à planter l'arbre protecteur du village pres de la concession du chef. Ce
çont des rituels secrets au cours desquels le chef place le village sous la protaction de ses
ancêtres. Ainsi, le viUage e n une prop1ï6té de la famille qui l'a créé, parce que ce sont ses
ancêtres seuls qui le protègent En faisant intervenir ses défunts dans la fondaton du village,
le lien entre le chef Rum6mbuko et son village devient sacré, et de la même son propre
pouvoir le devient aussi puisqu'il est un intermédiaire entre les villageois et le monde de l'au-
''' Jan Vamina, "Sur les sentiersw, pp.89-91. 117 Mairrice Godelier, Cd, Big men andpeaf men Personific&ons ofpowr in MeIanesia, Cambridge
Univanty Press, Cambridge, 199 1.328 p. 'la Cureau, op.cït., pp.214-215.
deli Wou l'idéologie & Mm parce que le chef de village protège tous les habitaats
grâce à l'assistance de ses défunts, il i l d e v i e n t le " p h " de tous. L'autorité du chef repose donc
ici sur le caractère spirituel de son pouvoir. Jan Vansina qui a étudié les systèmes politiques
de fa zone qui nous intéresse ne dit pas autre chose. Dans la théorie du chef de village qu'il
propose, il avance que le chef tire son powoir par le fkit que c'est lui ou sa famille qui a créé
le village, et l'idéologie principale du chef et du village vient de cette conception qui veut que
le chef est regardé wmme le père de tous les habitants.
Avant de se référer à ce qu'a écrit Vansina, nous aimerions éclairer le lecteur sur
certains tennes qui sont propres a Vamina et auxquels il devra désormais s'habituer. Ainsi,
dans ses travaux, Vansina préfère parfois utiliser le terme "homme fort" a la place de "chet",
tout comme il emploiera le terme de maison pour désigner ce que les autres auteun appellent
lignage ou famille. Voici donc i'idéologie de kumûmbuko ou chef de village #après Vansina:
Le village était dirigé par Icbomme fort qui l'avait fondé, assisté des hommes forts des autres maisons. Le respect était dû à ce chef Le chef de village m o t aussi une partie de la chasse en signe de reconnaissance de son statut de mitre du domaine, car le village était l ' d é territoriale qui possédait un domaine et le protégeait contre les étrangers. Sa raison d'être était la défense commune, et la recherche de la sécurité conduisait les Maisons a joindre un vilIage. Les habitants de I'Anique équatoriale étaient évidemment cuIlSCim de la nature temporaire du village, mais leur idéoiogie niait fermement le fait Cette idéologie était centrée sur la Maison fondatrice du village, et Ià ou cette Maison s'installait après une niptine, on trowait la continuation de l'ancien village. Si I'esprit de corps dans le village décodait dhne résidence commune et dune expérience commuws. l'idéologie y cuntniuait aussi. Les c o m m ~ ~ u t é s viiiageoises étaient envisagées comme wze seule fmzlle dont le père était le chef de villoge, Iles hommes forts de chaque Maison étant ses fièresm4'*
Le lecteur remarquera que nous m>us w>mmes permis de souligner certains groupes de
mots dans cet eldrait que nous empnmtons à Vansina- Nous avons voulu ainsi mettre en
exergue ce qui dans le cas des Shamaye, constitue les éIérnents les plus hportants pour la compréhension de la théorie et de l'idéologie
cumme le dit Vansiaa, parce que c'est lui qui a
de rhonomburta: le chef exerce son pouvoir,
créé le village a est regardé par les habitants
de ce village comme celui qui le protège par l'entremise de ses a n m . ii est donc leur père.
Ceci fait justement dire à Michel-Marie MeiI que "c'est dans le spirituei que le chef de
village trouve le fondement de son powoir.rr(rO Or, parmi as éléments spirituels qui
confereut son pouvoir & k u m c i a , nous aimerions revenir sur celui qui est réellement à la
base du pouvoir politique, t i savoir la fondaiion du village. Cest cet acte qui donne au chef
toute son autorité, son prestige et Ia légitimité que Iui i'acc~rnplissernent de deux rites
magiques: celui de fondation du village et celui d'érection & l'arbre protecteur. Ce sont ces
rites que nous allons étudier ici en tant que base de l'autorité du chef et éléments
fondamentaux dans la compréhension de la théorie de I'idéologie de AumômbuAa que nous
tentons de constniire. Avant d'entrer dans les détails, disons que ces deux rites renferment
eux-mêmes un ensemble &emblèmes et de symboles sur Iesquels les Shamaye appuient leur
identité. Ainsi, le rite de fondabon du village tourne-t-il autour de I'antilope eshibu et du feu
Cette antilope est ici l'embléme et le symbole de la fixité du village, tandis que le feu est le
symbole de la "filiation" des habitants avec leur chef. Quant au rite de l'érection de l'arbre
protecteur, il a pour éléments essentiels l'animal pi@, emblème et symbole de la sécurité du
village et l'arbre dmna qui est, lui, le symbole de la notoriété du village. Nous avons de
bonnes sources écrites et oraies sur les deux rites. Commençons par étudier le rite de
fondation
Pour I 'dyse de ce premier rite, nous donnons d'abord la parole a l'administrateur
André Even qui connait bien les Shamaye pour avoir sewi à Okondja a partrr du début des
annks trente. Even s'est d'ailleurs illustré par la qualité de ses articles. Ainsi dans un article
concis qu'il a publié en 1936, il &ait le rite de fondation du village. Cest une cérémonie
qu'organise Ie chef pour obtenir les faveurs des mânes de ses prédécesseurs défuats avant que
ses gens n'aillent occuper leurs nowehs cases. Avant d'an-iver a cette cérémonie proprement
dite, Even nous dit que l'emplacement de tout nouveau village est toujours choisi par des
vieillards appartenant B la famille du chef, mais non par ceIui+i, car, selon la tradition, il ne
tarderait pas à mourir s'il procédait lui-même à ce choix.
Pour la cérémonie elle-même, qui a pour cache le nouveau village, on doit tuer
l'antilope que l'lidministrateur nomme ossibi Cette antilope va Etre cuite sur un feu qui doit
obligaîoirement être nouveau et non pas fait au moyen de tisons amenés du vieux viiJage.
Pour l'exécution du rite, le chef de village est accompagné par une vielle femme de son
lignage parce qu'"étant la plus âgée de toute la fimille, c'est-elle qui se trouve le plus prés des
défunts, qui i'écauteront de préférence a toute autre p e ~ s o n n e ~ ~ ~ . Ainsi, toujours d'après
Even, quand le noweau feu est bien pris, la vieille femme appelle les morts la première,
ensuite les deux suppliants demandent à leurs trépassés de donner la prospérité au nouveau
village, d'en éloigner les querelles, les incendies, la mort Ensuite, tous les deux dorment là
jusqu'au premier chant du coq, avant I'accomplissement des deux rituels qui vont sceller la
fixité du village et bâtir les liens entre kumômbuka et les habitants de son village. Mais ces
deux êtres, quoiqu'étant des parents, ne forment-iIs pas ici un couple symbolique qui
"engendre" le village? Voici d'aprés Even ce qui se passe après ce premier chant du coq:
La vieille femme met l'antilope coupée en petits morceaux sur le feu. Anivent dors tous les ressortissants du village, qui ont passé la nuit dans leurs vieilles cases. A chacun d'eux, hommes, femmes, enfants, le chef donne un morceau de l'antilope, et tous mangent au m h e instant cette viande. La raison de cette véritable communion est la suivante: I'antilope ossibi ne paît que la nuit. Durant la journée elle dort ou rumine a la même place. Cette habiîude a conduit les indigénes a penser que réside en elle un principe de fixité et ils sont convaincus que tous ceux qui ont mangé en commun de la chair de cet animal a l'occasion de l'inauguration d'un nouveau village ne le quitteront pas, car ils ont fait passer en eux la stabilité de I'antilope ossibi. Puis chacun enflamme des brindilles de bois au feu allumé par le chef pour la cuisson du repas et va daas sa nouvelle case faire le premier feu. Cette cérémonie constitue le lien attachant les gens du village au chefl. de même que tous les feux du village sont les "fils" de celui allumé par le chef sous la protection de ses ancetres, tous les habitants sont, moralement, les enfants du chef, et a ce titre lui doivent obéissance et respect."'
Comme nous venons donc de le voir, le rite de fondation du village scelle le lien de
parenté symbolique entre Rumômbuka et les habitants de son dlage. Ce lien religieux est
complété par i'exécution d'un autre rite, celui appelé tshiyè mbuka ou l'érection de l'arbre
sacré protecteur du village.
Comme le rite de fondation du village, le nte tshiyè mbuka met en oeuvre, lui aussi, un
ensemble d'emblèmes et de symboles. 11 repose notamment sur deux emblèmes, végétai et
Evm "Le caractàe sacré des chen chez les Babmba a les Minciassa d'Okondjaw, in Journui de la Société des Aflcanistes, 6, 1936, p. 192.
421 Ibid, pp.192-193.
animal: l'arbre appelé nRwia et l'animal pi&. Étudions en détail les symbolismes que
recouvrent ces deux éldrnents.
Nos meilleures sources sur le rite tshiy* m b h sont les sources orales. Perois a abordé
la question en trois lignes qui ne permettent pas de saisir tout le symbolisme de ce rituel. En
1968, il écrit tout simplement ceci: "un notable du clan vient sur le lieu choisi par le wnseil
des anciens et y passe une nuit, seul avec sa femme. Au matin, ayant fécondé la terre par
conjugale, il va enterrer un médicament magique appelé d é au pied d2m jeune
bananier tszyé qu'il vient de planter. Ii plante aussi un arbuste appelé n h . L'ensemble du
rituel se nomme m y é ~ r n b o k a ' ' ~ ~ . Perrois a voulu ici simplifier les choses car ce rituel, du
moins chez les Shamaye, est plus complexe qu'il n'a pu s'en rendre compte. Voici ce que dit la
tradition orale a ce propos.
Le rihiel tshiyè rnbuka consiste d'abord à planter un jeune chêne appelé nkwna à côté de
la maison de kum6mbuka Par son aspect majestueux et solide, le chêne est le symbole "de la
notoriété et de la renommée du villagewJU. Le nom du chef est souvent associé à celui de son
village. C'est pourquoi le chef tient ii ce que son village ait de la notondté. La (bonne)
renommée d'un village n'est pas une notion abstraite. Elle est plutôt vécue et doit ê e
palpable et mesurable, de nos jours peut-être encore plus qu'hier.
L'observation attentive de la compétition entre les villages d'aujourd%ui vient étayer nos
assertions. Ainsi, accueillir une école, un dispensaire ou tout autre unité administrative
comme les sous-préfectures ou postes de contrôles administratifs (P.C.A.) que le
gouvernement vient de ressusciter sont toujours, dans ce Gabon moderne, une occasion de
compétition entre les villages; les autorités politiques y mettant aussi leur grain de sel. Un
exemple: en 1995, les autorités politiques décident d'ériger un P.C.A. dans le canton
Mouniangui (l'ancienne terre de Boueni). Deux des plus gros villages shamaye au Gabon,
Makébe et Bakouaka, dont l'un devrait abriter l'unité administrative, sont presque entrés en
guerre, chacun tentant d'apporter la preuve de son antériorité dans le "paysn. On mobilisa la
mémoire des anciens et chaque village fit appel à i'argument historique, donc de grande
notoriété et toujours prestigieux et de poids chez les Shamaye, pour faire pencher vers soi la
décision du Ministre de i'adrninistration du temtoire et des collectivités locales. Ne pouvant
choisir un vainqueur, les autorités politiques ont coupé la poire en deux et décide d'ériger le
poste entre les deux villages qui sont distants de moins de deux kilomètres.
422 Perrois, L., "La circoncision" , p.23. 423 Georges Lomba, Shamaye, Njabi, 60 ans, entretiai du 21 janvier 1989 à Livouta.
La notoriété d'un village n'est donc pas un vain mot, d'où la nécessité pour un chef de la
construire et de la cultiver sur des bases solides, c'est-Mire religieuses. Et d'ailleurs, un petit
exercice personnel de linguistique (l'avantage que nous avons sur Perrois est de wnnaîîre la
langue osamayi) nous permet d'associer définitivement l'arbre nktmut (i'emblème de cette
notoriété) au pouvoir politique et à la notoriété du village. Expliquons-nous: dans cette étude,
le lecteur a fait la connaissance des termes kum6mbuku et nkum. Mais qu'il se rappelle aussi
que nous avons ktudié au chapitre précédent un nom propre (masculin) sharnaye: Ikurna. Nous
avons VU que ce nom signifie "la renommée" ou encore "avoir de la renommée". Or nous
voyons que les termes kumômbuka, n k u m et ikuma ont tous une même racine: hm. Tous les
symboles politiques sont d'ailleurs construits autour de cette racine. Ce que nous voulons dire,
c'est que le chou de l'arbre nkuma comme emblème et symbole du rayonnement du village
n'est pas fortuit. L'étude de la morphologie de ce nom offie des éléments qui sont toujours
associés au pouvoir politique. Qu'en est-il du symbolisme de l'animal du rite tshjè rnbuka?
Le traditionaliste shamaye Georges Lomba qui énumère les éléments magiques qui
accompagnent l'arbuste n k u m passe rapidement sur nkuku qui est un autre arbuste magique,
ishala lè mbela (la plume de l'aigle), rnpupundu et ngwadi (cordes magiques), ilelershi et kayi
yè ibeka (feuilles magiques). Mais Lomba s'arrête sur un dernier élément, yeshé yè pidjè,
c'est-àdire l'écaille du pangolin géant. Notre interlocuteur tient à préciser que de tous les
éléments qu'il vient de mentionner, l'écaille du pangolin est de loin le plus important.
Légèrement enfouie au pied de nkuma, l'écaille de pangolin est l'emblème et le symbole par
excellence de la protection et de la sécurité du village. Voici les paroles de Lomba:
De tous les animaux de la terre, le pangolin géant est selon les Sharnaye, celui qui a pu se forger l'abri le plus sécurisant. Le terrier de cet animal comprend au moins trois compartiments: un compartiment où sont gardées ses provisions, la chambre à coucher, une pièce qui sert au repos et une dernière qui fait office de lieu d'aisances. Or en dehors des pièges dans lesquels le pangolin peut tomber à i'extérieur de son abri lorsqu'il va chercher ses provisions, l'autre manière qu'utilisent les Sharnaye pour tuer cet animal est d'entrer avec une arme dans le temer dans l'espoir de le surprendre dans son sommeil. Mais le danger est que le chasseur peut s'aventurer dans un compartiment vide. Le pangolin qui sent alors la présence d'un intrus dans son logis a souvent pour réflexe d'aller barrer la sortie principale avec son corps massif. Le malheureux chasseur, à qui il va manquer de l'air, finira par mourir. Des personnes sont mortes ainsi. C'est pourquoi les Shamaye ont pensé que cet animal possède des vertus qui peuvent aider A la protection
du village. C'est pourquoi ils l'associent, par L'entremise de son écaille au rite tshiyé m b d " .
Le rite de fondation de village par Ktrmômbuka repose donc sur les notions de notoriété
et de sécuritd qui sont autant d'impératifs dont le propriétaire du village se fait le garant.
Lorsque l'arbuste nkrmra devient grand, une forte communauté de tisserins (bandètshè)
viendra y habiter. Les cris et Ies b& de ces oiseaux (qu'on doit d'ailleurs éviter de tuer) sont
le symbole même de la vitalité et & la renommée du village. Paul Du Chaillu qui est le
premier Blanc à parcourir le Gabon (et i'Afkique centrale) souligne ce phénomène. Il y a bien
vu des arbres protecteurs et écrit que
ce qui prête un charme superstitieux de plus à ces arbres qui sont regardés comme sacrés, c'est la multitude de petits oiseaux familiers (le sycobius) qui abritent leurs nids sous son feuillage. Ces charmants petits oiseaux aiment la société de l'homme presque autant que leur propre espèce. Kis se réunissent quelques fois sur ces arbres en troupes innombrables, et Ie bruit assourdissant de leur ramage et de Ieur caquetage, quand ils bâtissent leurs nids et qu'ils donnent à manger a leurs petits, surpasse quelquefois le tapa e même fort que font les nègres; et ce n'est pas peu as, dire .
Sur le plan de l'identité shamaye, le rite de fondation du village et celui de L'arbre
protecteur sont donc Ies élements primordiaux de t'idéologie de kurnôrnbuku parce qu'ils
représentent la base de ce pouvoir. Nous dirons même que le rshiyè mbuh par son élément
matériel qu'est nkuma constitue le principal attribut et emblème du pouvoir de Rumôrnbuka
Souvent place dans la concession du lignage du chef, tshiyè mbuka s'impose a tous comme un
lieu sacré. ii constitue aussi un lieu de mémoire de la fondation du village et sa prdsence dans
tout village shamaye rassure les habitants.
Après avoir étudié les rites qui confixent à kumômbulea un pouvoir de nature spirituelle,
nous ailons compléter cette analyse par l'étude de ses attributions, En &dité, RumômbuRa est
moins un monarque qu'un chef-arbitre qui sert souvent de conciliateur quand deux lignages
dits bapaRi sont en conflit. Ce que les Shamaye appellent bapaRi sont toutes les autres
familles qui habitent le village à l'exception de la famille du chef Le terme au singulier (paki)
424 Lomba, G., op.cir 425 Pauf B. Du Chaillu, L'Afrique sauvage, Psais, Michel Lévy Frères, 1868,411 p., p.246.
signifie "celui qui habite dans le même village", et vient du mot mpaka qui signifie "nouveau
village". Dufeil, qui pense que le pouvoir du chef de village "se marque surtout en
organisation et sacralisation davantage qulen action directe sur les travaux dit
pourtant que le chef de village est le m a î des grandes chasses. II dianibue plus ou moins Ies
rôles, en tout cas les permissions de les prendre; il rend par son powoir sacré la chasse
fnictueuse et reçoit, p u r toute chasse solitaire ou collective, les cuisses et autres parts de
gibier déterminées c~urumierernent~~'. K ' m b u R a est par ailleurs le seul représentant de son
vi 1 lage envers l'extérieur.
Sur le plan intérieur, le chef de village est seul à avoir le droit de prononcer ce que les
Shamaye désignent par rnuanju, une communication qui s'adresse à tous et que le chef fait à
haute voix, à l'heure du souper, dans la cour du village Kumômbuka commence avec la
formule suivante: b n p n g w è baknbi barn mabè1è4* (que les mères donnent le sein à leurs
enfants) afin de demander le silence et d'attirer l'attention de tous les villageois. Mais c'est
aussi là une allusion a son rôle symbolique de père. Le chef prononce mu- surtout en cas
de plainte d'un villageois contre un autre don qu'il estime que cette affaire ne mérite pas la
tenue #un procès ( d a @ ) . 11 règle I'afFaire en s'adressant publiquement aux différentes
parties, sans forcément les nommer. Mais si l'affaire est grave, RumômbuRa n'a d'autre choix
que de convoquer le conseil du village composé des chefs de lignages qui sont, autant que lui,
des symboles de cohésion.
C'est "le patriarche qui symbolise l'autorité des ancêtres sur leur descendance"429. Si
kumdmbukn symbolise I'autorité publique, kumukaka est quant à lui la personnification &un
pouvoir de nature privée. Le pouvoir de kumuRaka est basé sur la naissance commune, c'est-à-
dire la consanguinité. C'est donc, comme le dit Vansina, un pouvoir basé sur la parenté et non
sur le tem~oire~~', et défini par primogéniture masculine. L'autorité de h u R a R a dérive donc
'" Eniretien avec Lomba, G., op.cst. 429 Mulago, C., op-cil., p.534. 430 Jan Vansina, Introduction à Irethnographie du Congo, Kinshasa. diti ions universitaires du Congo.
1 %6,228 p., p.87.
de son droit d'aînesse. Cependant, le lignage sur lequel s'exerce I'autorite de kumukaka ne doit
pas être compris au sens de groupe de descendance unilinéaire- Le lignage est une famille
étendue. Ainsi, dans ce que les Shamaye appellent ifuna, que I'on peut traduire par concession
et qui est la partie du village où sont regroupés les membres d'un même lignage, une unité
globale d'habitati~n~~', sous l'autorité de I'ainé, on retrouve la descendance de cet aîné, ses
fières cadets et leurs descendance. Ii n'est pas roue de trouver dans ituna d'autres parents de
l'aîné ainsi que "des amis et des personnes adoptées"433. Ceîte ficulté du lignage à incorporer
dans son sein des éléments exidrieurs fait dire ii Vansina que l'idéologie de la maison (terme
que l'auteur préfëre a celui de lignage) est basée sur la fiction qu'elle constitue une famille;
l'homme fort (autre expression que Vansina préfêre souvent empbyer à la place de chef) étant
le père de tous les autres434. Comment devient-on kumukah? Le principe à respecter est celui
de la séniorité. Il a été résumé par Perrois qui a écrit ce qui suit:
Le lignage est dirigé par le mâle le plus âgé, ou a défaut (infinnité, déchéance) par un fière plus jeune ou a défaut par son fils aîné et ainsi de suite. Chaque génération en accédant à la charge de chef de lignage, s'oppose a toutes les autres et il faut que tous les mâles de la génération aient eu leur d'autorité avant qu'on passe au niveau infërieuP .
En plus de la séniotitk (obourou), le chef de lignage tire aussi son pouvoir du fait qu'il
soit gardien des reliques (more) des défunts les plus illustres de la famille. En effet, "les
ossements des ancêtres font partie de l'héritage de l'aîné, aussi quand Ie cadet veut implorer la
protection des défiuits doit41 passer par l'intermédiaire de son alné. C'est I'aÎné qui reste le
prêtre du culte des chefs Nous n'allons pas nous étendre sur cet aspect parce qu'il
sera étudié en détail plus loin.
Le pouvoir de kmukuka, nous l'avions dit, est de nature privée. Le chef de village lui-
même ne pénètre jamais trop en avant dans le domaine lignager et taisse les pouvoirs privés
régir chacun sa maisonnée et ses alliances comme son Le patriarche règle donc les
432 Jean Capron, "Univers religieux et cohésion interne dans les commUIÜLUiés villageoises Bwa
43 traditio~e11es", in Aflca, 32 (1962)- p.136.
%emi-~arcel BÔt Ba Nj& "Préémmences socides et système poMco-reiigieux dam la suciéte triUüti0Mek bulu et h g " , in Journal de la SociérP des Afiicanisres, XXX (2), 1960, p. 167.
'" Vansina, J., "Sur les sentias", p.92. 435 Pcrrois, L., "La circoncision", p.29. 436 Evm, A., "Le caractérew, p. 190. 437 Duf'cil P.-M., op.cit., p.220.
affaires de sa famille seui ou du moins assisté de ses parents les plus âgés. Cette
indépendance du pouvoir de Rumukaka est garantie et régie par le principe qu'expriment deux
proverbes que voici:
ïhyi lè ngamu I è h shi shinè ngamu.
"Les feuilles de l'arbre ngmmc ne tombent que sous l'arbre ngamu".
Temè wu nu gmmtbu ndeka gntngrcic#è mhagn?".
"Entre le nez et Ia bouche on ne peut pas mettre un doigt."
Le chef de famille est particdièrement jaloux des prérogatives suivantes: circoncire
puis marier Ies hommes de son lignage. C'est lui qui, après consultation des membres de sa
famille, fixe la date de la cérémonie de circoncision. Même s'il n'est pas obligé de participer à
la chasse au filet qui fait partre des préparatifs de shatshi, il n'en demeure pas moins que c'est
kurnukuka qui répartit le gibier entre la lignages dits bobuat" qui en retour apporteront a sa
famille de l'argent (voir chapitre cinq). Le chef de lignage, sans forcément assister au
déroulement de tous les rites, les place sous sa présidence exclusive. il veillera notamment a
faire circoncire les ainés avant les cadets, tout comme il veillera à trouver des femmes aux
premiers avant les seconds, il évitera d'inférioriser les ainés face à leurs cadets. Le lieu par
excellence, où s'exerce l'autorité de KumubKa sur les siens, est la maison commune des
hommes (mbanja), mieux connue sous l'expression corps de garde. Mbanja est le siège même
du pouvoir du patriarche. A titre d'exemple, un de nos Liformateurs qui nous décrit la réalite
politique d'un village shamaye des artnées 193040, parle de Ndzokaloundza comme d'un
village "où chaque chef régnait sur sa famille": Iyendzengoye régnait sur les membres du
lignage Pfoungou, Ochaka commandait le lignage Ut@, Iyouma exercait son pouvoir sur la
famille Minjmbi tandis que le chef Itadji avait pour sujets les membres du lignage h3zbt39.
Et cette liste n'est pas compIète aux dires de notre informateur, qui se rappelle tout d'un coup
qu'un autre chef du nom de Manjamba dirigeait, hi, Ia b i l l e Moulou. Il y avait donc autant
437 Deux proverbes politiques shamaye cités pour nous par Jean Liyoka, Shamaye, Shanjambi, 66 ans, entretien du 6 Janvier 1989 & Baugadi.
4U~aba@: teme shaumye qui daigneut tous I c s hommes (ou la lignages) qui ont pris une femme dans une auire W e donnée. " ~éc i t ciq vie dt wn~e, D., op ci^
de corps de garde que de $millesuo et. autant le nom du village s ' e f n w &ois au profit de
celui du chef, aurant Ie chef de lignage donne son nom à son corps de garde et, implicitement,
à sa famiile. On dit alors & titre d'exemple: mbanja yè I t d j i ou m h j a yè O c b (la fiimille
d%adji, celle &Ochaka). Cette emprise du "propriétaire" de la famille sur les siens a fbit dire a
Pmois, avec raison d'ailleurs, que "les Bakota, très individuaiistes, aiment à commander chez
e w dans le cadre de la famille4'. Il faut dire que la réalité politique décrite par Boimje dans
son récit de vie n'a presque pas changé de nos jours: les villages restent encore des
regroupements de Wlies qui ont toujours k leur tête un personnage m n n u comme étant
éboutou, c'est-à-dire l'aîné. Le droit d'aînesse est encore une valeur cardinale assurant la
prééminence politique. Et le corps de garde reste encore un symbole i la fois du pouvoir du
chef de lignage, de I'identiti et de f indépendance de chaque lignage.
Nous avions voulu en 1989, examiner la réalité politique contemporaine du village
Ndzokaloundza pour la comparer avec celle des années 1930 et 1940 décrite par Bounjè dans
son récit de vie. De nos jours, il n l a plus à Ndzokaloundza autant de lignages qu'a l'époque
évoquée dans le récit de vie. Mais les quelques lignages qui restent parmi ceux cités par
Bounjè ont encore a leur tête un aîné: Ngoulou Antoine est l'actuel chef du lignage Pfounguu,
Ibakatoa Pierre régne sur la famille Ombela. Quant au plus vieux de tous, Albert
Iboudjangoye, il est resté a la tête du lignage Njabi après avoir légué la chefferie du village a
"son enfant'' Gilbert Baloudi. C'est dire combien les Sharnaye portent une attention
particuliére à la direction de la famille et du village; peutêtre parce que les affaires
couturniéres ne se N e n t jamais au niveau du village, mais au niveau du cl&', c'est-à-dix
de la famille.
Le chef de lignage doit assumer tous les torts commis à l'encontre d'une tierce personne
par un de ses membres. Cette faculté de RumuRaRa à servir de bouclier aux siens est
dans le proverbe suivant:
Peyi yè wèlanda n' èboutou wè ndeku yènè bôngô.
"On n'a jamsis peur lorsqu' on emprunte un che-
min dangereux en compagnie de son
4a Voir pou la ampaison avec les Faqg Léon Mba, "Essai & droit coutumier pahouin", in Bulletin de la SociérP ah Recherches Congolaises, 25 (1938), pp.547.
P m i s , L., "La cirçoncisian', p. 15. u2~bid.. 443 Entretien avec Ljr- 3,- op-cir
7 2 Les symboles r e @ h s sbaauve
Ce n'est pas exagéier que de dire que les Shamaye orrt éiaboré un systhe religieux
cohérent et qui a une certaine. Le seul problème est que les différents Bmients de
œ système religieux n'ont jamais été mis en évidence par une quelconque étudt. Mais est-ce
uw raison pour dire que ce système n'a jamais existé? Que les Shamaye ne s'en soat jamais
sen&? Evidemment que wn Alors commeut se présemc le systéme religieux shamaye? Tel
que nous avons pu i'exhumer de la mémoire et des des Shamaye eux-mêmes, ce
synkne s'appuie sur trois symboles pMcipa~x: le panier, Njombé, repr- I'élément
céleste de ce système. N j d é qu'cm peut tmduire par Dieu est le symbole de la création de
I'rmiven et des hommes. Nous verrons quels sont les a t t n i que les Sbamaye lui accordent,
Le second pilier de ce système est bikombo, c'est-&-dire les reliques des jumeaux. Elles sont le
symbole du pouvoir des vivants. Le dernier pilier de ce systéme est twt naturellement h e r é
ou les reliques des défiints- Bweré est tout simplement le ~yrnbole de la puissance des morts.
Comme on le voit, le système religieux se présente dom, à notre avis, comme un fil invisible
qui pend verticalement et qui a à son sommet (le ciel) wambé, dans sa partie médiane (le
mon& des vivants) bihmbo et dans sa partie infërieure (le monde des disparus) bwe~é. Cest
dans cet ordre, oii ses symboles se présentent a nous, que nous nous proposons de les étudier
tour a tour.
Dans le systéme religieux shamaye, que mus concevons comme un fil à trois noeuds, il
y a un véritable amraste: les noeuds ou les éléments srniés à la base çom plus importants que
ceux (ou celui) qui se trouvent au sommet Ceci veut cuncrètemem dire que dans la religion
sbamaye, h@mbé ou Dieu est moins important que bihmbo et h é . Pomqüoi cela?
L'explication se trouve dam le fait que la religion miitiormelle shamaye est d'essence
@que. On prie les divinités, c'est-&-dire les reliques des vivants ou des morts, pour obtenir
un Wtat concret comme avoir bea- G d i , prendre assez de gibier à la chasse,
trouver rapidement du travail. Ce sont tws ces aspects pratiques qui font la force des reliques
des viMntf (bihm40) et celles des morts (mate). Et carme ou Dieu n'intervient pas
directement daos la vie courante des Shamaye, ces deniien lui accordent ime importance
secondaire par rapport à leurs reliques. Le résultat de cette primauté des reliques sur A@mbé
est qu'aucun culte n'est rendu à ce dernier.
Mais si dans cette religion qui privilégie les résultats pratiques Dieu est en retrait, ce
dernier I'ernporie par contre sur le plan philosophique, c'est-à-dire dans les constructions
intellectuelles sur 1' origine de l'humanité. La, Dieu retrouve toute sa plénitude et la place
originale qui lui revient dans le dûcours métaphysique shamaye. On f e c ~ ~ t alors à Dieu
des attntbuts qui lui sont propres et que nous allons examiner. En ce qui concerne le premier
attribut de Dieu, les Shamaye disent ceci: A@mbé awanga mongo. batu na bela be n'shendjè,
c'est-A-dire "c'est Dieu qui a créé le monde, les hommes et toutes les choses qui existent sur la
terre". Mumbé est donc l'unique créateur. Les Shamaye présentent parfois Dieu comme un
couple de jumeaux dont l'un est au ciel (Njizmbé wè iRulu) et I'autre règne sur terre (Nj'ambé
wè shèn*), ou encore dont l'un règne en amont (Njambé wè tanda) d'une rivière et l'autre en
aval (Njambé wè n'Ishéfè), ou enfin dont l'un règne sur une partie du premier village (wambé
wè shina) et l'autre sur une autre partie de ce même village ( m b é wè ikzdu). Ce ne sont que
les variantes dune même conception car Dieu reste I'unique créateur de tout ce qui existe et le
symbole de la naissance de la vie. Le discours shamaye sur la création est très original et
I'exégèse des textes oraux révèle des ressemblances troublantes avec les textes chrétiens sans
qu'on ose dire que le discours shamaye a pu être influencé par la bible, car l'élaboration des
récits shamaye est antérieure a la diffusion du christianisme en Afnque.
Voici ce que disent les Shamaye sur la création du monde. Le premier village que créé
Njornbé s'appelle Olongo. C'est I'eden des Shamaye où on trouve de tout, c'est-à-dire une
forêt, les animaux et sitrtout les premiers hommes. La manière dont les premiers hommes
créés par Dieu au village OIongo apparaissent successivement dans les récits shamaye offre la
deuxZrne ressemblance avec la bible catholique. Le premier homme que crée Dieu, ou mieux
qu'il procrée puisque que c'en son fils, s'appelle Mbaku qui nous rappelle Adam. C'est le fils
idéal que souhaite avoir tout homme puisque IVkzKtr est l'incarnation de l'intelligence, de la
générosité, de la beauté et de la bonté. N K u a h sait tout faire ou presque. La première femme
de la création est précisément la soeur du premier homme. Elle s'appelle Yèlè. C'est la Ève
shamaye. La soeur est la réplique parfaite du premier homme. Elle est en effet belle et
généreuse. Le discours sur la genèse a ceci de particulier: Elè et NkuaRu sont bien fière et
soeur, mais leur mkre ou leurs mères ne sont jamais nommées puisque dans certains récits, les
deux premiers êtres de la création apparaissent comme issus d'une même mère, tandis que
d'autres textes les font naître de mamans différentes. Les ou la mère n'étant pas nommées, Les
enfmts sont donc les premiers hommes. Dieu le créateur par le fait qu'il soit le père des
premiers humains se trouve donc être le père de tous, d'après les Sbamaye. C'est ici qu'on
observe souvent un des comportements spécifiques des Shamaye envers Dieu A qui ils ne
rendent pourtant aucun culte. En effet face & une difficulté ou un malheur quelconque, les
Shamaye disent: Ah, Njambé shungwè wumè ('Dieu mon père"!), ou encore Njàmbé adjia mè
('Won Dieu, toi qui m'a mis au monde"!); leurs fapus d'implorer le Seigneur. L'association
entre Dieu et le père est capitale. Nous avons montré dans un des chapitres de ce travail que
le géniteur tire son pouvoir de sa progéniture parce que justement les enfants considèrent leur
père comme un Dieu, c'est-&dire que le pére a le pouvoir de nuire a son enfant en toute
légitimité. D'où la formule shangwè bé vambé qui veut dire "le père est un Dieu" et qui est
une mise en garde envers les enfants qui ne se comporteraient pas bien envers leur père.
A ce Dieu créateur de l'univers et père de tous les hommes, les Shamaye reconnaissent
d'autres attributs. Pour les comprendre, rappelons encore la place attribuée a Njambé. f isque
hrjambé n'intervient pas dans la vie des hommes, Dieu n'est qu'un symbole de code mord et
l'autorité qui inspire chacun à faire du bien. D'où les autres attributs de Dieu: Njambé punit
ceux qui répandent le mal et sauve, assiste et aide tous ceux qui font du bien et respectent le
code moral, donc la parole divine. Pour montrer comment Dieu peut punir ou aider les
hommes actuels d'une manière détournée, les récits rappellent justement comment Nambé
s'est comporté à Ofongo avec les premiers hommes, c'est-adire ses enfants. Et là nous
retrouvons d'autres ressemblances avec la bible et d'autres variantes du discours shamaye.
Nous avons dit plus haut que le village OIongo est pour les Shamaye ce que le paradis
terrestre est pour les catholiques. A côté de ce village primitif vit un être méchant du nom de
Elolongo que nous rapprochons à Satan. Or des variantes des récits ajoutent deux autres noms
à la liste des enfants de m b é que nous venons de mentionner. Ce sont les noms de
Muapete pour la seconde fille et Kutakianghu pour le deuxième fils de Narnbé. Dans les
versions qui apportent ces nouveaux noms, ces deux enfants sont a l'opposé de Ieur fiére et
soeur premiers cités. Mwrpefe et Kutakianghu offrent l'exemple même d'enfants laids,
désobéissants, irrespectueux envers leur père. Or le lecteur n'est pas sans penser comme nous
que ces deux nouveaux fière et soeur viennent jouer le rôle d'Adam et Ève après qu'ils eurent
"mangé le Eniit défendu", c'est-à-dire le rôle de mauvais enfants désobéissants. La vie de tous
les jours au village Olongo est illustrée par de nombreuses histoires où les deux mauvais
enfants de Njambé enfreignent souvent la loi sous fonne de parole de leur père, tandis que
Yèlè et hhaku lui sont toujours obéissants. Tantôt ulcéré par sa mauvaise progéniture qu'il
fait parfois pMir par Elolongo, tantôt satisfait de ses deux enfmts qui lui restent loyaux,
Njambé distribue aux uns et aux autres des malédictions ou des bénédictions qui nous
poursuivent, nous les descendants des quatre enfants de Dieu Ainsi, Njambé continue-t-il a
punir chacun de nous lorsque nous mus comportons comme nos mauvais ancêtres Muapete et
Kutakianghu, et à nous aider lorsque notre comportement s'identifie a celui de nos meilleurs
ancêtres que sont Yèlè et NAuah. Un proverbe dit justement à ce sujet que
Yali na mapendje, bana na bipiya.
"Les enfants portent les cicatrices des plaies qu'avaient leurs parents".
Dieu nous épie et agit sans que nous le sachions chaque fois que notre comportement
(les cicatrices) s'identifie S ceux de nos ancêtres bons ou mauvais (les plaies). Sans présence
parmi les hommes, Dieu a donc d'abord une valeur philosophique et morale. fi nous rappelIe
i'origine de l'homme et des choses, mais surtout il sert de garde-fou contre les mauvais
agissements. L'importance de Dieu devient ainsi éducative.
Le second maillon dans le système religieux est constitué par les reliques de jumeaux.
C'est le maillon intermédiaire situé entre warnbé au sommet et les reliques des morts (mate) à
la base. Dans cette religion, les reliques des jumeaux sont plus importantes que Vambé parce
que quand les hommes les consultent, elles offient des resuItats concrets. Mais elles sont
moins importantes que les reliques des morts (mate) parce qu'elles existent en nombre très
limité; toutes les familles n'ont pas eu de jumeaux La consultation des reliques des jumeaux
est réservée au seul géniteur et pour ses seuls besoins ou ceux de sa progéniture, elles ne
bénéficient pas à tout le lignage.
Les jumeaux chez les Shamaye et chez d'autres ethnies gabonaises ne sont pas
considérés comme des enfats ordinaires. Ils sont accueillis comme des êtres surnaturels.
C'est ainsi que les Shamaye considèrent que les jumeaux viennent au monde dotés de
pouvoirs mystiques qui vont faire le bonheur de leur géniteur. Par les pouvoirs qu'on lui prête,
la naissance des jumeaux suscite de Ia jalousie. C'est pourquoi, très tat aprés la venue au
monde des enfants, les Shamaye s'empressent d'organiser une cérémonie qu'ils appellent
z&jè mawprho, ddmonie très compliquée ddcrite en détail par ~ v e n ~ ' et au cours de
445 Eves A., "Lw confiéries".
laquelle ces enfants sont placés sous la protection de môngola, la mnfi6rie des hommes.
Depuis le jour de leur naissance d'ailleurs, le monstre-emblème de la confiérie, mongoundou,
veille devant la case où se trouvent les dmts et leur mere. Il rugit souvent en pourchassant
d'invisibles mauvais esprits qui voudraient nuire aux enfants. A la fin de cette cbrémonie, les
jumeaux et leur mère deviennent automatiquement membres de droit de la conf'rérie des
homes, et à partir de cet instant, "on ne peut les tuer sans mourir après soi-mêmew?
C'est dés que le cordon ombilical des enfants tombe, que les Shamaye confectionnent la
relique bikombo. Cette relique comprend deux boites (une pour chaque enfant) dans
lesquelles les Shamaye croient avoir enfermé la puissance qu'ont apporté les enfants sacrés.
Elles sewiront de protection aux enfants; pour leur famille (leurs fières et leurs soeurs) elles
seront une source de bonheur et de chance. Et pour le père des jumeaux, ces deux boîtes ne
sont ni plus ni moins qu'une source de puissance et de prestige. Que contiennent en fait ces
deux boites? Nd ne connaît avec exactitude leur contenu. Elles contiennent avec certitude le
cordon ombilical (itongou) de chaque enfant- On y retrouve aussi, d'après notre informateur
Jonas Ilowdzangoye, "de la poudre des arbres magiques qui chez les Shamaye apportent la
chance et le b o n h e ~ r " ~ . Ces arbres sont shah et @la lé bubongui. On y ajoute aussi la
poudre d'eyeni qui est une pierre brillante difficile a trouver. Ce sont là des éléments sacrés
qui conferent leur puissance aux bikombo. Les reliques des jumeaux sont donc un porte-
bonheur, et "c'en pourquoi les jumeaux chez les Shamaye ne commandent jamais de la magie
et ne portent pas d'autres talismans comme ceux que nous vendent les Haoussas, parce que
ces extraordinaires enfants sont déjà eux-mêmes un talisman"447. C'est le père des jumeaux
qui en seul habilite à officier sur la relique bikombo, ces deux boîtes qu'il garde jalousement
dans un coin aménagé pour cela dans sa chambre a coucher. Quand il va en voyage ou à la
chasse, il vient "parler a ses jumeauxft en leur demandant de lui apporter de la chance au
cours de son déplacement. Après avoir expliqué "aux jumeauxtt la nature du déplacement qu'il
va entreprendre, le géniteur souffle sur la relique les grains d'un jonc appel6 lznjinjah qu'il
était en train de mâcher- Le père des jumeaux jouit d'ailleurs de pouvoirs smatwels
particuliers comme celui d'arrêter la pluie en cas de besoinu.
De nos jours, on a trouve d'autres fonctions a ces reliques de jumeaux, symboles de la
puissance des vivants, dont certaines datent de plus d'un siècleug. Ainsi par exemple, le frére
Perrois, L. .U Nconcision", p.22. ReCit de vie de llotmdzangoye, J., opxii. Ibid
LM Perrois, L., "La circoncisionn, p.22. 449 Raponda-Walker, A., et Siilans, R, op.&., p.68
ou la soeur des jumeaux qui s'apprête A passer un examen important fait toujours déposer par
leur père le ou les stylos avec lesquels il va concourir, sur la relique bikombo. Les stylos y
passent Ia nuit et s'imprègnent des bonnes vertus de la relique et notamment de la chance qui
doit accompagner le candidat durant son examen. Et d'ailleurs c'est devenu quelque chose de
b d de nos jours, que de voir un citadin revenir au village "remerciern les reliques de
jumeaux, après qu'il ait bénéficie d'une promotion politique ou administrative, d'un
avancement dans une compagnie privée ou qu'il soit monté en grade dans un corps. À cet
effet, l'heureux ou l'heureuse Shamaye fait mettre en son nom dans les deux boites sacrées
deux pi& d'argent de même valeur. Donc, jusqu'ici symboles de la chance, du bonheur et de
ia richesse, les bikombo devie~ent aujourd'hui aussi, le symbole de la réussite dans des
nouveaux domaines comme l'école, le travail et la politique modernes-
7.23 Bweté, svmbole et embIéme du nouvoir des défunts et de I'autorité du
chef de famille (krrntcllRakal
Le systéme religieux shamaye a pour socle les reliques des défunts connues sous le nom
de bweté (pluriel: mate). Chaque famille a ses morts illustres et les ossements de ses défunts
importants sont gardés à des fins religieuses par chaque chef de lignage. Le reliquaire bweré
a donc surtout une fonction religieuse, mais nous venons de voir qu'il a des connexions avec
la politique car il est l'un des fondements de l'autorité de kumukaka. C'est donc cette double
fonction religio-politique de bweté que nous étudierons dans un premier temps.
Cependant, le bweté est aussi un produit d'art, à ce titre nous étudierons ses
caractéristiques esthétiques qui font la spécificité et l'identité du style shamaye. On ne le dira
jamais assez, pour les Africains, la valeur d'un objet d'art est d'abord et avant tout religieuse.
Comme le dit Léon M'%ou-Yembi de 1Wniversité Nationale du Gabon, "l'un des principaux
traits communs à l'ensemble de l'Mique, dans le domaine de la sculpture, est que les
masques sculptés ne sont pas appréhendés cornme des oeuvres d'art, mais pour être utilisés à
l'occasion de cérémonies rituelles sociales ou n~igieuses"~? Mais qu'on le veuille ou non, si
ce même art est de nos jours apprécié en Occident, où il suscite un véritable engouement,
450 Léon M'%ou-Yembi, "De l'art négro-afikain", in Annales de IUniversiié Nalionale du Gabon, t.3, pp.73-82.
c'est uniquement pour son originalité esthétique. Et à cause de cela, cet art africain a mëme
influencé l'art moderne, a telle enseigne que Maranda et Gendreau pensent
qu'aujourd1iui, personne ne peut faire absmhon de l'apport esthétique des oeuvres africaines, et plus particulièrement des masques, sur I'évoIution de l'art occidental. Les fibres de la sensibilité esthétique moderne ont été tissées aux formes, aux structures et aux codeurs des arts aborigènes. Des centaines d'expositions et de publications ont été réaiisées sur ce sujet, imposant ainsi te masque "primitif' comme source d'inspiration et, paradoxaiernent, comme emblème de la
L'identité du styIe shamaye sera donc analysée. Et qui sait si quelque spécialiste, en
regardant ces oeuvres, ne va pas reconnaître l'apport de l'identité shamaye a la modernité.
7.23.1 La fonction refkieuse et mlitiane de 6wefP
Bwelé est avant tout un objet de culte, mais aussi un instrument qui, alors qu'il se trouve
entre les mains de kumukaRo, acquiert forcément une vocation politique. Bwefé est donc un
des attributs du chef, et aussi un des fondements majeurs de son autorité- Les qualificatifs qui
accompagnent souvent les chefs, ceux de kani et n'ymzulu, dérivent respectivement des mots
okuni et oyumdu qui signifient, le second plus encore que le premier, une sorte de prestige
que confére une certaine réussite matérielle et sociale qui a pour conséquence inévitable, la
notoriété et la puissance. Donc, comme le dit si bien Delisle, le chef est d'abord regardé
comme un homme puissant, et c'est pour cela qu'à sa mort on recueille ses ossemendS2. Ces
écrits sont corroborés par la tradition orale.
Voici ce que nous a dit a ce sujet Jonas ïïoundzangoye, un de nos informateurs: "ne
serait-ce que parce qu'il est en rapport constant avec ces illustres défunts, parce qu'il a un
contact quasi quotidien avec les mânes de ses puissants ancêtres, le chef de famille est
forcément quelqu'un de puissant à son tour. C'est pourquoi celui qui assume le
commandement du lignage sait qu'un de ses os entrera aussi dans le bweté familial, pour
renforcer sa puissance, parce que lui-même de son vivant s'était déjà imbu de cette puissance,
4 5 ' ~ e n h A et Maranda, P., opcir., p.5. 4 5 2 ~ ~ e . "Notes sur quelques pièces ethnographiques du haut Ogowé", in Bulletin de la Société
d'Anihropologie de Paris, 3e série 0, 1883, pp.557-570, p.558.
en côtoyant ses morts"". Le reliquaire bweté ne contient donc pas les os
mais uniquement ceux des débts puissants qui, de leur vivant, ont eu ce
appellent o h i na lekuma, c'est-Adire, "le pouvoir et la renommée".
de n'importe qui,
que les Shamaye
Entrent Aans la
composition du reliquaire bweté, les os suivants: l'os du crâne (mulu), les phalanges
(meghgni ou mishanpi), les côtes (mbmja); mais l'os te plus recherche est celui du bassin,
"parce que le bassin ament a la région du siége, or Ie siège est chez les Shamaye le
symbole de la stabilité et de la tranquillité: tranquillité de la f i l l e ou stabilité du village;
dest pourquoi cet os est aussi utilisé dans le rite de fondation du villaged". Le reliquaire
bweté est gardé dans une case spéciale (mbmha) construite deniére la maison du chef de
lignage. Ce dernier est le seul a y pénétrer pour présenter ses prières aux mânes. Pour cela, il
se munit d'un grelot en bois ou en metal (ingoda, ingouhan).
Avant de "parler aux ancêtres", le chef de lignage leur "dépose d'abord a manger"
devant le reliquaire. Dans une feuille posée à même le sol, les Shamaye offient a leurs morts
des morceaux de manioc (hondo) ou de la banane pilée (ntshima), "mais l'aliment le plus
offert par les Shamaye a leurs d é h t s reste incontestablement les rnorceaw de poumons c m d'&maw"J" . Après avoir préparé la nominire et avant d'inviter les défunts "de passer a
table", le chef de famille expose l'objet de sa prière, c'est-à-dire qu'il parle en agitant le grelot.
Le chef de famille annonce à ses prédécesseurs qu'il s'apprête a organiser les cérémonies de
circoncision pour les enfantr mâles du lignage qui sont en âge dafionter la difficile épreuve,
et pour cela, kumukaka prie ses morts pour qu'ils fassent que les hommes et les femmes partis
en brousse pour les préparatifs de cette cérémonie, prennent beaucoup de gibier à la chasse et
beaucoup de poisson à la pêche. II leur demande de hâter la guérison d'un de ses membres
tombé malade à la suite d'me dispute intra-familiale car le différend qui a opposé les deux
parents a été lave. Ii prie le bweté de protéger sa famille en cas de conflit et de la rendre
invisible aux yeux de l'ennemi en cas de "guerre". Le chef de lignage demande au reliquaire
de garder les femmes du lignage toujours fertiles et de rendre favorable le manage des mâles
du lignage encore célibataires.
À ce sujet notre infomteur, Jérôme Bouwama, ouvre une parenthèse. Il évoque
notamment un rituel de mariage chez les S h y e , directement lie au bweré. Quand la
nouvelle mariée arrive au viIIage de son mari pour la première fois, les Shamaye organisent
45 %mien avec Jonas i i o u t l ~ o y e , op.cir 454 J h h e Bouwamlr Sbamaye, Pfoungm, 69 ans, chef de dage, clltretien du 02-02-90 à
Kumoayabe. 4 5 S ~ ~
un rituel qui ressemble a la fois à la réceytion officieIle de la man= et a la bénédiction de
cette derniére. Pour cela , "ils invitent la mwde mariée a s'asseotr sur un tabouret féminin.
On dépose -te a ses pieds en signe de deau, l'enclume traditionnelle, ntendji. Or
i'enclume par sa lourdeur est le symble de la stabilité du couple. Avant &être off- a la
manman&, l'enclume aura d'abord passé la nuit aupés dit bweté pour que la femme qui la recevra
ensuite ne songe jamais au divorce"'?
Le reliquaire bweré est donc le maillon le plus important de la religion shamaye. Sa
grésence témoigne de la protection invisible des défimts. On prie les mdûes de protéger les
domaines les plus importants dans la vie: les initiations, h guerre, la chasse, la pêche, le
mariage et inévitablement les naissances, source de la continirité du Lignage. Mais pour leur
adresser toutes ces priéres, on doit passer par l'intermédiaire dim seui bomme, kzumhk~ qui,
en tant que chef de lignage, assure aussi les fonctions de principal prêtre du culte rendu aux
définits (baweyi), et par là même y trouve le fondement de son autorité. Chez Ies Shamaye, la
religion est étroitement associée la politique. Aux je- du Iignage, qui seront un jour
appelés à succéder au chef à la tête de la famille, hmkzk présente le reliquaire bweré de
façon solenneIle à l'issue de leur initiation à la circoncision. Mais à tous les non-circoncis iI
est interdit de s'aventurer dans la hutte qui renferme le bweré. Si par malheur ils s l aventurent
et renversent la corbeille qui contient les restes des morts, "ils deviennent fous ou aveugles à
la vue des ossementsds7. Mais bweté niest pas qu'un élément & d t e assurant le pouvoir
politique, c'est aussi un merveilleux objet d'art dont la forme mduit peut-être plus que les
autres, l'identité shamaye.
Photographie n.1: Un 6 w d chez les Bakota.
Bweté illustré par une sculpture mahongwé
nouée sur le panier contenant des ossements.
Réaiisaîion et collection de Simon Misete,
photographie de Jean-Chnstophe Matimi.
7.23.2 Les considérations estbétiaues
Dans ce que l'anthropologie a vulgarisé sous le terme de bwet&", il y a en réalité deux
éléments distincts: il y a d'abord la corbeille tressée (ingala ou IènpZu) qui renferme les
ossements proprement dits (mate) ; sur cette corbeille on place en effet une sculpture qui peut
atîeindre 50 cm pour les plus grandes. Cette sculpture, qui représente l'ancêtre fondateur du
lignage ou l'un de ses descendants, est aussi connue dans liankpologie sous le terme de
bweté, mais en réalité, le nom générique par lequel les Shamaye désignent la figure d'ancêtre
est, d'après le sculpteur Simon Misère, m a ~ e r n b u ~ ~ ~ . C'est pourquoi quand Alain Jacob écrit
que "c'est ainsi par exemple, seton Alain C h a n qui a étudié de près l'ethnie Kota, que le .il460 nom générique de la figure de reliquaire est, chez les Shamaye ou les Mahongwé:"Bwéte ,
il confond le terme qui désigne un ensemble de deux éléments avec la figure d'ancêtre qui
porte Ie nom de malembu. Mais au niveau de chaque lignage, la figure d'ancêtre reçoit un
nom particulier qui est généralement le surnom qu'a porté de son vivant i'ascendant qu'elle
représente. C'es? ce malembu des Shamaye que nous allons étudier ici, en tentant bien sûr de
faire ressortir ses caractéristiques esthétiques à l'intérieur du style bakota. Enfin nous
terminerons ce chapitre en faisant une sorte d%ommage au dernier scdpteur shamaye encore
en exercice, Simon Misère, en montrant que ce vieux monsieur fait partie d'une génération
charnière, qui a assisté à la destruction des demiers chefs-d'oeuvre traditionnels et qui a donc
bâtit son savoir à partir des modèles anciens, ce qui lui permet aujourd'hui de diffuser la
culture sharnaye a travers ses oeuvres.
7.23.2.1 Les différents stvles de l'art eabonais
On ne peut comprendre les caractéristiques du style shamaye que si l'on a au départ une
idée des grandes subdivisions de l'art gabonais. Comme le dit si bien Perrois, l'art gabonais est
essentiellement "un art religieuxn"' qui a pour support le maque ou la statue dtaiidtre."D'oÙ
les deux catdgories d'objets sculptés qubn trouve au Gabon, d'une part les statues liées au
458
459 ou encore bouPté comme dans, Deslisie. opci&, p.558. Simon Misère, Shamaye, Shahha, 59 ans, sculpteur, entretien du 30 novembre 1994 à
Makatamangoye. 4 6 0 ~ a i n Jacob, Sfatuaire de I'Afiique Noire: imentaire de l'art ajhcain, Paris, Tervufeu, ABC Décor,
1979, 82 p.. p.22. 461 Louis Perrois, "Aspects de la sculpture traditionnelle du Gabon", in Anrhropos, 63-64 (1 968-1 %9),
pp.869-888, p.874.
culte des ancêtres et d'autre part les r n a ~ ~ e s " ~ ~ des coafréries initiatiques qui servent à
contrôler etroitement la vie sociale. Mais comme la figure maIembu ne rentre que dans la
premih catégorie d'objets d'art, nous ne traiterons pas ici des masques. Nous n'analyserons
que les grandes subdivisions liées au cuite des ancêtres en codontant deux styles
reprdsentatifs de cet art, qui sont voisins gbgraphiquement, mais totalement opposés sur te
plan esthhtique, le style fang et le style bakota. Bien sûr, les spécialistes des arts plastiques du
Gabon nous dirons qu'ils ne comprennent pas pourquoi nous d y avons p inclus l'étude du
style mitsogho et masiungo. C'est en partie vrai, mais la sta~iaike n' y est pas liée directement
au culte des an&tres, "mais elle est étroitement Liée au bwiti, c o M e religieuse
masculinewm ( à ne pas confonde avec le bweté qui est le culte des ancêtres des Bakota).
C'est ainsi que chez ces populations du sud, comme l'écrit Raponda-Walker, "dam les temples
du Bwiti, les statuettes, seules, paraissent au jour, mais elles reposent presque toujours, sur
des criines d'anciens enveloppés avec des tissus de raphia et un morceau d'étoffe blanche ou
madapolam. Elles sont peintes en rouge et en noir et reprdsentent, le plus souvent un homme,
une vieille femme, une jeune fille et un jeune garçon"? Perrois ajoute une précision
importante en écrivant que la statue du bwiti est "toujours réduite à It6tat de buste ou même de
tête s e u ~ e " ~ ~ ~ .Voila pour le style rnitsogho qui n'est pas lié directement au culte des ancêtres.
Voyons maintenant les caractéristiques des dew styles liés directement au culte des def'unts
en commençant par l'analyse du style fang.
7.23.2.1.1 Le stvle fang
Les styles bakota et fang s'opposent déjB dés le départ: alors que le premier groupe
ethnique pose sur les reliquaires des figures sculptées très plates, vul@skes par
l'anthropologie sous le terne géndrique de bwété, les Fang posent sur les restes des ancetres
des statues entiéres dites en "ronde-bosse" qu'ils appellent des byéri ou bieri (comme l'écrit si
bien Jacob, ce terme désigne non seulement la statue, mais aussi les os et essentiellement les
fragments de crâne qui sont conseniés dans la grande boite en écorce qui "in situ"
Les deux styles vont continuer à s'opposer. En effet, Permis écrivait en
463 Parois, L., "Aspects". p.875. Ibid., p.878.
46s Raponda-Waiker, A , a Sillans, R, op.cir., p.66. P m k , 'Aspexts", p.878.
467 Jacob, A., op.ciL, p.13.
1972 que le tbtme unique de I'art fmg est "l'ancêtre en m&iitation"q. Dans cette riche enide
où Perrois analyse les caractéristiques de l'art fang en examinant des dimines de statues,
Fauteur arrive en effet A la conclusion suivante:
L'écrasante majoritb des piéces est constituke de pemonrrnpec B la figure sereine, figés dans un hi6ratisrne impressionnant, les bras ramenés symétriquement devant la poitrine ou les mains posées sur les cuisses, le plus souvent d@mrvus de tout d h r superflu. Les t&es seules sont encore plus dépouillées avec un fiont haut bombé et une face triangulaire s'étirant en une courbe douce jusqu'i la bouche toujours projetée en avant en une moue très caractéristique. L'ancêtre représenté n'agit pas il n'a pas d'histoire ni de visage connu, il lui suflit d'étreG'.
Le styie fang se caracttkise donc par le calme de ses statues, leur sérénité et leur aspect
très dépouillé. En fait , cette conclusion de Perrois ne vient que corroborer ce qu'écrivait déjà
Denise Paulme seize ans plus tat. La conclusion de Madame Paulme sur le style fang est que
"tout l'bquilibre (de ce style) vient du rythme des surfaces courbes; aucun décor gravé ni
sculpté. Du mème type, on connaît des &es, des bustes, des statues entières. Visage ovale, au
profil concave sous le fiont arrondi; les sourcils et le nez dessinent une saillie continue,
accentuant les plans. La dignité, le recueillement de l'expression se combinent parfois avec
une bouche ouverte, agressive"'70. On ne peut dire mieux. Pour résumer, disons simplement
que Ia statuaire fang se caractérise par le calme des objets sculptés, leur sérénitt et leur
recueillement. Comme l'écrit Perrois, "esthétiquement parlant, les statues (fang) possédent
des formes pleines tout en courbes et avares de mouvement"471 Tous ces éléments vont
opposer ce style du Nord au style bakoîa.
468 Louis P m i s , Lu sramaire fan (Gabon), Paris, ORSTOM, 1972,42Op., p.4 1. * Ibid. 470 Dcnise Paulmç Les scuIpiures de Iilfnque Noire, Paris, P.U.F., 1956, 129 p., p.86.
47' Pmois ckm Jacob, op. ci& , p. 13.
256
Gravure n.1: Statuettes reprkentatives du style fang4''
- --
472 Perrois, L., "La statuaire", p.62-
7.23.2.1.2 Les ~articnlarith du stvle bakota
Les Fang et les Bakota sont voisins. us ont pour Frontière la rivière Ivindo qui constitue
avec le fleuve Ogooué des barrières naturelles que les premiers n'ont pas pu fianchir B l'issue
de leur foudroyante migration de la deuxième moitié du siècle dernier. Les Fang sont donc
placés sw la rive droite de 1'Ivindo (et se repartissent sur tout le nord du Gabon), tandis que
"le pays Bakota" au Gabon commence à partir de la rive gauche de cet affluent de IDgooué.
Mais la question que se posent tous les spécialistes de l'art plastique gabonais, à l'image de
Denise Paulme, est la suivante:"Pourquoi deux populations voisines (les Fang et les Bakota),
ayant a peu près le même genre de vie, emploient-elles au même usage des formes
d'expression totalement différentes, la question demeure sans répon~e""~. Du moins, Alain
Jacob se hasarde à avancer une hypothèse. Il croit que si les Bakota qui sont pourtant ew-
aussi un peuple de la forêt ont un art étrangement différent de celui des Fang, "ce phénomène
relève du mystère et ne pourrait peut-être trouver d'explication que dans d'anciennes
migrations"473. L'art bakota se distingue d'abord de celui des Fang par son haut degré
d'abstraction. Les Bakota sont ainsi devenus "c6lebres par l e m reliquaires de style abstrait
dont la beauté expressive est appréciée de tous les arnateurst"7J et qui restent "un témoignage
esthétique etonnant des cultures anciennes de I'Afnque bantoue, aussi peu explicable
rationnellement par les spécialistes que par les Kota d'aujourd'hui qui s'interrogent aussi sur le
sens à donner à cette abstraction extraordinaire du visage humain"475. Le mot qui fait la
différence est lancé, le visage humain, car si le style fang repose sur les statues, dans le style
bakota, seule la tête est figurée. Voici les grandes lignes de ce style tel qu'il est résumé par
une spécialiste:
Les images bakota appartiennent à un style décoratif presque abstrait (...). Dans les images bakota, une armature en bois, simple cadre découpé en losange, tient lieu de bras et de jambes. Au dessus d'un cylindre figurant le cou, le visage est une plaque en bois, ovale, sur laquelle sont clouées des feuilles de laiton ou, dans les pièces les plus
472 P h e , D., op.cit., p89. " Jacob, A., op.&., p. 12 474 Ibid. 475 Louis Parois, (contribution sans titre), dans Vingt-cinq scuZptures afircaines, Oteaw% Galerie
Nationsle du Canada, Musées nationaux du Caoada, 1978, 192 p., p. 141, Exposition a catalogue préparés par Jacqueline Fry.
anciennes, d'ktroites bandes en fer et en cuivre dispos& paralle~ement~~.
D'autre put, si la statue fang se caractérise par son calme total, la figure d'ancêtre
bakota se distingue par son aspect agressif. C'est pourquoi certaines études sur i'art bakota ont
pu croire à tort que ces sculptures repkmîaient le serpent ~ j a et c'est ainsi qu'on les a
baptisées "Naja", comme le souligne Alain Jacob. Il faut savoir que cette figure représente
surtout I'anc&e en tant que gardien du reliquaire; à ce titre, le sculpteur bakota donne
volontairement à l'objet #art un aspect agressif, les Shamaye lui faisant m2me des yeux en
ivoire (nous le verrons plus loin) pour rendre son regard plus perçant daas le but d'6loigner les
femmes et les non-circoncis. Donc si le style fang a pour théme l'ancêtre en rneditation, celui
du style bakota peut bien être, selon nous, "I'anc6tre qui effraie", ce qui ne serait que trés juste
d'ailleurs.
Ainsi résumé, B tous les non-spécialistes de l'art, il peut paître très difficile de
comprendre le style bakota. Ce style comprend en réalite trois sous-styles: le sous-style
mahongwé, le sous-style shamaye et le sous-style obamba-mindassa. Passons en revue ces
sous-styles avec pour idde directrice de faire ressortir les spécificitds du "style shamaye".
- --
" Pauhnc, D., opcil, p.89.
Photographie n.2: Les trois mwstyles constitutifs dn style bakota.
De gauche a droite, une sculpture kota-obamba,
une sculpture kota-mahongwé et une sculpture
kota-shamaye. Réalisation et coIlection de Simon
Misère, photographie de J.C. Matimi.
G m r e n.2: Structure morphologique du sousstyle kota-rnah0n~w6~~
478 Pemois, L., "L'art Kota-mahongwé", p.29.
Gravure n3: Variantes du sous-style kota-~bamba~'~
'" P m i s L., "Le Bweté des Kota-mahongwe", p24.
Gravure n.4: Structure morphologique du sousatyle kota-shamayem
?mois. L., "LW Kota-mahongwén, p.32.
7.233.1.2.1 L'art shamave P l'intérieur du stvle bakota: les éléments constitutifs de
l'identité du s o u ~ t v l e shamaye
Le style bakota est donc constitué par les sous-tyles mahongwé, shamaye et obamba (on
réunit sous ce dernier terne les sous-styles obamba proprement dit, ondasa et bahoumbou qui
sont identiques). Mais que le lecteur ne s'étonne pas de rencontrer dans les ouvrages
scientifiques, pour désigner les mêmes sous-styles bakota que nous venons de mentionner, les
termes de "sou-style Kota-mahongwé", 'Kota-shamaye" et Xota-obamba". Même si les trois
sous-styles sont apparentés, ils ne sont pas moins distincts les uns des autres, et sans même
rentrer dans les détails, les formes générales des sculptures bakota s'opposent radicalement les
unes des autres. Ainsi, la figure mahongwé est une sculpture en forme d'ogive, la figure
shamaye est au contraire une sculpture en amande foliacée (c'est-à-dire ayant la forme d'une
feuille); quant au sous-style obamba, les figures se caractérisent par un front bombé.
A côté des particularités culturelles (entre autres) propres a chaque ethnie qui ont pu
générer les différences de sous-styles, Perrois propose aussi de considérer les données
historiques pour comprendre les particularités esthétiques de I'art gabonais. Prenons le cas des
subdivisions du style b a k ~ t a ~ ~ : Les Bakota venant par le nord entrent au Gabon entre le 18e
et le 19e siècle par deux voies: un courant obamba (Mindoumoy Mindassa, Bawoumbou)
venu en premier de la Sangha et descendu jusqu'aux confins du Congo et un autre courant
plus tardif (Bakota, Shamaye, Mahongwé, Shaké et Ndambomo) venu par 1'Ivindo jusqu'a une
zone de collines située au nord de la Sébé. De même, se dégagent deux sous-styles
parthdiers (tous deux traités comme des masques, en bas-relief sur un fond plat): kota-
obamba au su4 kota-mahongwé et shamaye au nord48'. Mais le hasard des détails des
migrations et de l'occupation de l'espace par les différentes ethnies bakota ont placé les
Sharnaye géographiquement entre les Bakota dits du nord de l'Ogooué (Bakota, Shamaye,
Shaké, Mahongwé et Ndambomo), et ceux du sud (Obamba, Mindassa, Bawoumbou). Cette
position géographique particulière des Shamaye serait donc, d'am les anthropologues, à
l'origine de la naissance des particularismes du sous-style shamaye, désormais considéré
4 @ b u i s Perrois, La sculpture traditonnelle du Gabon, Pds , O.R.S.T.O.M., 1977, 124 p., pp.59-60. "'lbid, p.60.
comme "un sous-style de transitionM2 qui, tout en étant original, permet de voir comment on
passe des caractères esthktiques du nord à ceux du sud. Avant donc de présenter ce "sous-style
de transition sbamaye", voyons d'abord les sous-styles mahongwé et obamba en insistant sur
les éléments qui font la différence entre les styles mahongwé, shamaye et obamba
Commençons par le sous-style du nord, c'est-Adire mahongwé: Les bweté des Kota-
Mahongwé sont, d'après Perrois, de fines sculptures de bois en forme d'ogive (ou quelquefois
de triangle), entièrement recouvertes de lamelles ou de fils de laiton. Le fiont est parcouru
verticalement par une large plaquette métallique qui se termine au niveau du nez Les yeux
sont faits de deux cabochons démi-sphériques. La coiffure qui rappelle les chignons des vieux
mahongwé d'autrefois est faite d'un tortillon métallique qui pointe verticalement au sommet
de la faceds3. Au sud du sous-style kota-mahongwé se trowe le sous-style obamba ou kota-
obamba (ou encore obamba-mindasa) dont voici les caractéristiques les plus significatives:"le
sous-style Kota-Obamba est caractérisé par une face ovale- au front bombé ou concave
suivant les pièces- surmonté d'une coiffure enveloppante en forme de croissant au sommet; un
socle en forme de losange évidé dans un plan parallèle a la face; deux tortillons métalliques à
la base de la coiffure, qui représenteraient soit des tresses, soit des pendants d'oreilles. Ce
détail décoratif est important puisqu'il se retrouve dans les critères d'identification du sous-
style de "transitionn (shamaye) de la région sud-est de ~akokou"". Entre les Mahongwé et
les Obamba, il y a effectivement les Shamaye et leur sous-style très particulier. Voici le
témoignage du spécialiste de l'art bakota sur ce sous-style shamaye:
Un autre sous-style, encore assez mal connu, doit être mentionné: c'est le sous-style de transition Shamaye. II est illustré par quelques pièces, jusqu'ici attribuées aussi bien aux Mahongwé qu'aux Obamba, mais de formes tout à fait particulières, apparentées à la fois aux styles du nord et du sud. Son identification et sa Iocalisation ont été précisées par la découverte, il y a quelques années, en pays Shamaye au sud-est de Makokou, de plusieurs objets de ce type. On connaissait déjà sans le savoir, un beau spécimen de ce sous-style au Musée Ethnographique de Bâle, identifié seulement comme "Kota" (n.IIï-7017entré au Musée en 1930) (...). Le sous-style de transition Shamaye présente une face en forme d'amande (deux portions de cercle
482 Pou. ne citer que ceux-là, voir Meyer, L., op.cil., p. 134; Pernis, L., vingr-çinq sculplures qfncaines, p. 14 1 et "La sculpture", p.60.
483~errois, L., "Aspects ", p.880. 4 " ~ ~ s Perrois, Le "Bw&!" des Kota-Mahongwé du Gabon. notes sur IRC figures firnkraires des
popuIations du bassin de I'lvindo" , Librevitle, O.RS.T.O.M., 1969 (25 éd), 34 p., p.25.
symétriques de part et d'autre d'un axe vertical), enveloppée d'une coiffure en casque. La face est décorée de petites lamelles de cuivre, tandis que la coiffure est plaquée de métal sur toute sa siinace. Certaines pièces ont à la base de la coiffure les appendices sertis d'un fil spiralé qui sont courants dans la zone du sud La face est parcourue de haut en bas par une plaque métallique étroite dans laquelle le sculpteur a ménagé le nez (qui n'est donc pas rapporté comme chez les Mahongwd). La bouche n'est pas figwée comme dans les styles (mahongwd) du nord485.
Enfin, la figure de reliquaire shamaye se différencie aussi, et c'est très important, de ses
cousines mahongwé et obamba par son aspect foliacé (en forme de feuille)486. Et donc pour
résumer, la sculpture mahongwé est en forme d'ogive et parfois de triangle, la figure shamaye
se singularise par son aspect en amande foliacée et il est donc impossible de confondre ces
deux sous-styles avec le sous-style obamba qui se caractérise par des sculptures ovales au
front bombé ou concave. L'originalité du sous-style shamaye à I'intérieur du style bakota est
reconnue et établie par l'anthropologie et n'est donc plus B démontrer.
De nos jours, il est presque impossible d'obtenir des commentaires sur les détails
esthétiques de la figure de reliquaire, afin de cerner le ou les symbolismes de cet sous-style
(shamaye) en "amande". Même un spécialiste de la trempe de Simon Misère qui reproduit si
fidèlement ces figures depuis 1968, avoue ne pas trop comprendre les détails esthétiques
shamaye qu'il ne reproduit que "mécaniquement, c'est-à-dire par habitude". A la question de
savoir pourquoi se sent4 toujours obligé de reproduire les mêmes dktails sur le style en
amande, le sculpteur nous répond que les anciennes figures shamaye originales qu'il a
connues étaient toujours faites ainsi, c'est-à-dire "comme une feuille". Mais pourquoi le style
shamaye s'identifie t-il à une feuille? Quel est le lien entre le culte des ancêtres (ou la figure
de reliquaire) et la feuille? A ces dew questions, le sculpteur nous répond de façon Maiment
ambigue: "Bon, tu as pu lire daas les oumges que les sculptures shamaye ressemblaient B une
feuille. Mais moi je ne puis te confirmer que, même si elles en ont la forme, ces objets
représentent vraiment des feuilles. Et même si elles I'étaient, crois-tu qu'il est possible pour
moi d'énumérer toutes les fonctions qu' a une feuille chez un peuple de forêt comme le nôtre?ir187
485 Perrois, L., "L'art kota-rnahongwé", pp.33-34. 48t5 Ibid, p30 a p.33.
Misère, S., entretiens des 28 et 29 avril 1996 à Libreville.
Face a cette ciifficuité d'obtenir des explications sur le çymbolisrne des détails de la
sculpture shamaye malembu, nous sommes obligé de tirer nos propres conclusions. Dans les
éléments qui servent de support au culte rendu par les Shamaye à leur ancêtre, il y a celui qui
a un rôle réellement religieux et l'autre qui a un rôle exciusivement politique. Ainsi dans le
bweté, la corbeille, parce qu'elle contient les ossements qui font l'objet de ce culte, est
exclusivement un élément religieux. Mais la figure d'ancêtre, c'est-à-dire la sculpture en bois,
qu'on attache audessus de cette corbeille joue quant à elle un rôle politique. Expliquons-
nous: comme l'écrit Perrois, "la sculpture n'est pas une idole, mais une simple évocation de
l'idée d'ancêtre c ~ a n i ~ u e ' ' ~ ~ ~ ~ A ce titre, la sculpture en bois est donc liée au politique parce
qu'elle symbolise dans le cas des Shamaye, le fondateur du lignage ou l'un de ses descendants
immédiats, c'est-à-dire, ceux qui ont assuré en premier Ie pouvoir politique a la tête de la
famille. C'est pourquoi ces figures sont toujours mâles et représentent l'ancêîre protecteur de
ses descendants et gardien et responsable de la suMe du goupea9. C'est ainsi que sans
rentrer dans tous les détails esthétiques du reliquaire, cette sculpture en forme de feuille, est
le symbole des premiers hommes responsables du pouvoir politique. Dans ce sens, elle assure
et représente une sorte de continuité entre les premiers chefs de famille et le chef actuel.
Comme le bieri des Fang, la sculpture shamaye était le médium le plus propice à assurer les
liaisons fondamentales entre les vivants et les morts; il constituait, surmontant un panier où se
trouvaient les crânes des chefs successifs, "l'autel du groupement et le symbole garantissant la
légitimité du pouvoir détenu"Jg0. Un autre exemple de cette association de l'art avec la
politique nous vient du Mayombe au Congo-Kinshasa. La seule différence minime avec les
Shamaye Ment du fait que les objets du Mayombe qui nous intéressent sont sculptés sur de la
pierre (alors que ceux des Shamaye le sont sur du bois) et qu'ils sont posés sur les tombeaux
d'ancêtres, alors que muZembu est posé sur le paniers contenant les ossements d'ancêtres. Mais
comme malembu, les sculptures du Mayombe remplissent elles aussi une fonction politique.
Voici ce que dit Serge Genest sur ces dernières sculptures:
Elles seraient d'abord des symboles de pouvoir. En effet, la statuette ainsi placée sur la tombe de i'ancêtre concourait à rappeler l'importance du chef pour son groupe lors de son passage sur cette terre. En fait, le chef est le gardien de son groupe. L'accent mis sur I'importance du pouvoir du chef était tradition séculaire en cet endroit et il était tout à fait légitime que ce comportement en face
488 Parois, L., "Aspects ", p.875. 489 Permis, L., "La sculpture", p.91. '90 Balandier, G., op. cil., p. 164.
de lui soit révélé dans une sculpture. L'art a donc été mis, en -quelque sorte, au seMce du pouvoir cheffaL Le chef mort, son groupe perpétuait son autoritk, son prestige en tant que gardien, maintenant en tant q~~aucêtre~~~.
Pour rester dans cette même zone d'Afrique centrale, on peut aussi rapprocher la
sculpture shamaye malembu, dans sa fonction politique, chi masque Kidumu, des Batéké
tsaayi du CongwBrazzaville voisin, étudie par MarieClaude ~ u ~ r é ~ ~ ~ . Madame Dupré ne nie
pas le fait que le masque Kidumu, comme tous les masques d'=que centrale, soit un
élément qui doive d'abord s'apprécier en mouvement, c'est-adire dans une chorégraphie. Mais
I'auteur arrive à montrer que les caractéristiques esthétiques du masque Kidumu, tout comme
son apparition publique dans une chorégraphie, sont toujours à replacer dans un contexte
politique parce que le masque "Kidumu est incontestablement lié à l'exercice du pouvoir
politique""3 et de ce fait même, il est devenu le symbole de l'identité tsaayi car "Kidumu,
maître de l'histoire, vient surtout témoigner de la volonté opiniâtre des Tsaayi de conserver les
qualités par lesquelles ils se definissent et qu'ils estiment essentiellesw4'. Quelles sont ces
qualités? D'après l'auteur, le système politique des Tsaayi est un système bipolaire, "une
structure duelle oh un maître de la terre fait face à un maître des gens". Tandis que le maître
de la terre, c'est-àdire le chef de village, est le "maitre des productions et des relations
extérieures, le maître des gens tire son droit à posséder ceux de son lignage sur i'identité de
tout ceux qui descendent d'une même (les Batéké sont matrilinéaires) ancêtre connue.
Madame Dupré reconnaît d'ailleurs avec justesse que cette opposition (politique) entre
un chef de lignage et un chef de village est loin d'ètre Itapanage des Batéké en f i q u e
centrale-nous avons vu dans le cas des Shamaye la séparation des pouvoirs entre Kumômbuka
et Kumukuku-mais Dupré pense que (même si c'est discutable) les "Téké soient ceux qui
aient le plus développé les implications contenues dans les relations d'opposition qui
définissent ces deux chefs et, au-delà de leur personne, les deux façons de contrôler et le ."495 devenir de la sociéte . Dans çe système politique, c'est la symétrie entre les deux chefs qui
l'emporte car aucun chef n'est audessus de l'autre et c'est cet "antagonisme constructeur" que
49'~erge Genest, Art et oriisanaz du Mqombe, Thèse de mahise en anthropologie, Université Lavai, 1969, 102p., p.47.
492~arie-~laude w, "Le masque Kidumu maître de l'histoire tsaayin, in Revue Canadienne des Études ~ficknes, 22 (1). 1988, pp.42-72.
493~bid, 69. 4w~bidIbid; p.68. 495 Ibid, pp.48-49.
Ies Tsaayi ont voulu conserver en créant le masque Kidurnu qui comprend deux parties
symétriques (comme la figure shamaye malembu) qui représenteraient, d'après Dupré, tes
deux @les du pouvoir politique des Tsaayi. L'auteur ajoute: "Leur (les Tsaayi) identité
s'inscrit dans l'antagonisme des deux maîtres; eiie se maintient dans la permanence de cet
a.tagonisme...Kidurnu vient effirmer la pérennité du mode bipolairen497, et comme archive de
l'histoire tsaayi, Kidumu propose surtout, d'après t'auteur, une traduction graphique des états
d'une dualité posée comme fondamentale.
Un autre élément non moins important vient s'ajouter B la thèse de I'auteure et lie
définitivement le masque Kidumu à l'exercice du pouvoir: sur les 23 clans ayant fourni des
danseurs dans la zone qu'elle a étudié, 19 ont des représentants du pouvoir politique, chefs de
village ou de terre. Et pour conclure définitivement, I'auteure écrit que 'Xidumu vient
effectivement renforcer les unités au pouvoir, il parvient aussi à créer d'autres îlots qui
viennent ajouter leur présence dans le champ politique en plein remaniement. Les danseurs
qui se rassemblent périodiquement dans telle ou telle terre proposent un outil original pour
faire circuler l'information, étendre leur rdseau, permettre & des individus jusque là non
compris dans le jeu politique de trouver une place au soleil. Bref, chaque exhibition de
masques sert plusieurs intentions: elle affirme une identité tsaayi; elle renforce les alliances
politiques exi~tantes'"~.
On ne pourra donc jamais comprendre et déchifier tous les détails esthdtiques de la
figure du reliquaire shamaye malembu, mais définitivement nous l'associons a l'exercice du
pouvoir politique comme Kidumu chez les Batéké tsaayi. La seule différence entre les
sculptures tsaayi et shamaye vient du fait que, mises à part les considérations esthétiques, la
première sculpture est faite pour être vue en mouvement, alors que la deuxième "s'exprime" a
partir d'une position statique sur le panier des ossements, a I'abn des regards des non-initiés.
Et d'ailIeurs l'initiation au Bweté (c'est-Mire la présentation du reliquaire et sa sculpture aux
jeunes gens) chez tes Bakota visait les mêmes buts que la sortie des masques Kidurnu: le
recrutement et le renforcement des liens politiques. Voici ce que rapporte Perrois:
Quand il fallait initier les jeunes gens d'une famille, le patriarche rassemblait tous les clans de sa parenté et chaque dignitaire du Bwété apportait les reliques et les figurines de son groupe. Après les cérémonies propiatoires secrètes et les différentes épreuves à caractère magique qui se
497 Dupré, MC., p.50. Ibid, p.67.
d&oulaient en brousse (ces rites ayant surtout pour but de protkger le ndophyte de la puissance des reliques), tous les
rituels auxquels etaient f k k s les figures étaient rassemblés dans la cour du village, denint l'assembk de tous les parents, hommes, femmes et enfmts. Puis chaque dignitaire dansait d son tour en tenant le panier du Bwete dans ses mains. Le danseur etait habille d'un pagne de raphia rougi, de colliers de cuivre et de perles, et coiffé d'une grosse touffe de plume de touraco. Après cette ddmo~~fration publique destinée à inspirer le respect des ancêtres 21 tous les membres de la société, petits et grands, chacun repartait dans son village avec son panierJ99.
La figure shamaye maIembu, symbole de l'ancêtre protecteur de sa descendance, est
donc définitivement liée a l'exercice du pouvoir politique. C'est ici pour nous I'occasion de
terminer ce chapitre par un hommage fiiit B Misère Shon qui "exprime" I'identité shamaye a
travers les oeuvres qu'il produit depuis près de trente ans.
499 Parois, L., "Le Bwaé des Kota-Mahmgwen, p. 1 1.
7332.133 Simon Misère, ~ o ~ f l a m b e a n de I'ideotiîé shamave
Le but que nous visons ici est assez simple. Nous voulons notamment montrer que le
sculptem Simon Misère appartient a une génération charnière qui a pu voir et assister à la
disparition des scuptures anciennes, et qurà ce titre son savoir s'est donc constitué à partir des
modèles originaux, les modèles anthropologiques n'ayant plus servi qu'a m-chir ce savoir,
tous ces déments contribuant à donner pIus de crédit aux sculptures qu'il reproduit depuis
trois décennies.
La sculpture shamaye a subi une véritable saignée ces dernières années en perdant ses
meilleurs artistes. Les demiers à mourir, au cours des années 70, sont Matsemba et
Ibarnarnbt?, tow deux de Lastourville. Mais heureusement, la mort a jusqu'à ce jour épargné
le meilleur d'entre eux en la personne de monsieur Simon Misère. Misère a travaillé avec le
meilleur anthropologue français et peut2tre même le meilleur sgécialiste occidental des
Bakota, Perrois. Il a été invité par lZTnion européenne it une exposition en Europe en été
1996. Simon Misère ne se contente pas seulement d'exporter la culture shamaye, il est devenu
un spécialiste aussi bien des oeuvres shamaye, rnahonghwé qu'obamba et les modèles qu'il
reprduit depuis trente ans sont d'une parenté étonnante avec Ies oeuvres anciennes.
Contempler Ia collection personneIle de Simon Misère, c'est se replonger au plus profond des
cultures shamaye, mahongwé et obamba-mindasa telles qu'elles ont existé il y a cent ou deux
cents ans. Tentons donc de comprendre les raisons de cet enracinement du sculpteur dans sa
culture, comment s'est constitue le savoir de Ilartiste et pourquoi les oeuvres de Simon Misère
continuent de susciter un engouement toujours grandissant à travers le monde. Nous tirons les
informations de son récit de vies0'.
Simon Misère est ne en 1935 au village Makatamangoye. Il est du lignage Shahha par
son père Pierre Ngoluka Sa mére Martine Iteku, une Mahongwé du village Mbondoy était du
lignage Bwala. Deuxième fiIs d'une famille de trois enfants, il est de plus de dix ans le cadet
de Robert Itadji et de quelques années I'ainé de Marie Mbomu Jusqu'à l'âge de dix ans,
Simon Misère passe une enfance ordinaire dans son village natal comme la plupart des jeunes
de son temps. Né juste cinq années aprés la pacification totale du Gabon qui voit la
colonisation effective du pays s'installer, Simon Misée n'est jamais allé à l'école. A cette
de ne de iiomdzaugoye, J.. op-cir 501 Misère S b m , f i t de vie ecngimé les 28 et 29 novembre 1994 a Mskatffmannoyc.
période, nous dit-il, beaucoup de parents réussissent encore à ne pas envoyer leurs enfants a
l'école du poste. Et d'ailleurs Simon est né l'année de la fondation de i'école d'okondja, poste
dom dépend le village Makatamangoye. Or, il cette époque, tout le monde sait que les
premiers enfants à Mquenter l'école du poste sont ceux des villages voisins. Mais
Makatamangoye est à plus d'une soixantaine de kilomètres. Le village de Bakouaka qui
dépend du poste de Makokou n'est situé qu'à une quiIlzaine de kilomètres de Makatarnangoye
(autre village shamaye). L'école laïque de Bakouaka est créée aprés 1949, Simon Misère est
alors âgé de plus de quatorze ans! Misère prend le fait qu'il ne soit jamais entré à l'école avec
beaucoup d'humour, voila ce qu'il nous a dit: "Je considére personnellement le fait de n'avoir
pas été a l'école comme une véritable chance pour moi. Tai donc pu rester aux côtés de mes
parents et grands-parents et apprendre ainsi des choses que de jeunes Shamaye de mon âge ne
savaient pas". Qu'a t-il pu apprendre d'important? Que, par exemple, Ie premier homme blanc
qui est passé dans la région est arrivé a l'ancien village de Makatamangoye ou il a rencontré
son grand-père (mort depuis) Zimamindéndé. Le Blanc qui était en réalité Jacques de Brazza
(qu'accompagnait Attilo Pecille) mais que les populations locales ont surnommé Izozo aurait
donné au vieux Shamaye "un chien de Blancs et un casque avant de planter un piquet au
centre du village".
En ce qui concerne les figures de reliquaires, le jeune Misère apprend aussi que les
premiers hommes blancs qui sont passés dans son village avaient emporté avec eux un bon
nombre d'objets cultuels. Ceci est confirmé par les sources écrites, comme nous le verrons
plus loin. Durant toute son enfance, c'est-à-dire jusqu'en 1948, Simon Misère nous dit ne s'être
intéressé aux figures de reliquaires que de façon ludique. En effet, la sculpture malembu n'est
sacrée que quand elle est posée sur le panier à ossements et enfermée dans une case spéciale.
Des cet instant, aucun jeune homme non circoncis ne peut la voir. Mais, pendant que l'artiste
la réalise au "corps de garde" ou à l'ombre d'un atangatier, les enfants du village entourent le
sculpteur sans qu'on ne les éloigne car la figure que le sculteur est en train de réaliser à partir
du bois d'arbres nkuka et ru&etshè, et qui progressivement prend forme n'est qu'un simple
objet que les femmes et les enfants peuvent voir. Et lorsque les enfants ou les adolescents se
retrouvent seuls, ils n'hésitent pas, comme dans toutes les sociétés du monde, à imiter ce que
font les grands, comme par exemple réaliser toute sorte d'objets artisanaux en l'occurrence,
les tabourets, les tam-tams, les figures de reliquaires et bien d'autres objets, de mauvaise
facture d'ailIeurs. Comme tous les enfants de sa génération, Simon se prête à ce jeux
d'imitation, mais nous dit-il, "avec moins de talent que mon grand-fiére Itadji". Et d'ailleurs à
cette période il n'est pas difficile pour les enfants de tomber sur des véritables objets
originaux. LRS objets anciens devenus trop vieux et ôtés du diquaire sont parfois jetés
négligemment derrière les maisons où ils perdent toute valeur religieuse. Or le village
Makatamangoye a une position stratégique. Au sud du village, lés Shamaye entrent en contact
avec les Obamba dont le temtoire va jusqu'à la vilie d'ûkondja Au nord de ce village, c'est le
pays qui s'étend à peu près jusqu'au village Mohoba à partir duquel les Shamaye entrent en
contact avec les Mahongwé et les Bakota jusqu'à la ville de Makokou. La complexité des
réalités familiales fait que Ie jeune Misère a de la parenté à peu près partout sur cette "piste
des Sharnaye", comme l'écrivait i'adrninistrateur Even dans les années trente. Au cours de ses
premieres années d'existence, le jeune Sharnaye a donc des occasions de séjourner dans des
villages obamba au sud de son village natal, ou dans des villages mahongwé ou bakota au
nord de Makatamangoye. Ii a très tôt la possibilité de voir a I'oeuwe les sculpteurs et les
scuIptures du sud ou du nord qui encerclent son milieu culturel.
Jusqu'à la fin des années quarante, Simon passe une jeunesse qu'on peut qualifier
d'ordinaire. Mais en 1948, suMent un événement qui va marquer un tournant dans sa vie. Au
cours de cette année est créée la mission Christ-Roi d'okondja par les Peres Pecters et Klomp.
Immédiatement, les deux hommes d'église se mettent a rechercher systématiquement les
objets de culte traditionnels et ce sont, nous dit Misère, "de nombreuses figures de reliquaires
shamaye et bakota qui ont éte jetés dans la rivière Sébé qui baigne la ville d'0kondjam2 par
les deux prêtres". Cette véritable période de persécution religteuse contre les Sharnaye a
laquelle assiste le jeune Simon culmine en 1954-1957 avec l'entrée en scène du culte
"mademoiselle" que nous avons décrit plus haut. C'est ce cuite venu de Mekambo qui sonne
le glas des objets cultuels shamaye anciens. 'Depuis cette date, nous dit le scdpteur, on ne
trouve plus des figures anciennes chez les Sharnaye, et c'est pourquoi mon grand-frére et moi
avons décidé de reproduire non seulement les figures shamaye, mais aussi mahongwé et
obamba que nous connaissions aussi bien que celles de notre propre culturen. Misère affirme
donc que son fière aîné et lui sont partis de modèles anciens qu'ils ont pu voir dans les années
1940-1950. il faut aussi dire que, malgré l'acharnement des missionnaires envers les objets de
culte locaux, Simon et son fière apprennent que la région située au nord d'okondja
renfermerait de nombreuses caches. Les deux fils de Ngoluka décident donc, au début des
années soixante, de commencer par un premier travail qu'on peut qualifier de documentaire.
Sans beaucoup de succès. Et avant que ce travail de recherche ne prenne fin, l'aîné meurt en
1966. Cannée suivante, c'est-à-dire en 1968, Simon Misère décide d' interrompre les
recherches et se charge désormais "de produire lui-rn2me des copies conformes des figures de
reliquaires bakota à partir des connaissances que j'ai acquises depuis ma jeunesse". Il a alors
trente- deux ans c'est-&dire, comme il le dit lui-même, "un 8ge sufnsant pour quelqu'un qui a
grandi au village". On ne peut mettre en doute la bonne foi du sculpteur car
incontestablement, il a dû voir des sculptures anciennes. La littérature anthropologique sur la
région a montré que c'est à la fin des années 1950 avec l'entrde en scène de "mademoiselle"
que les sculptures anciennes ont dis- Misére avait alors plus de vingt ans.
Est-il possible que Ie scdpteur shamaye soit en train de manipuler l'histoire de son
groupe? Car Simon, malgré ses 62 ans aujourd'hui (il avait 59, 60 et 61 ans durant nos
enquêtes), est un "vieux" qui allie aisément sa langue maternelle et le h ç a i s lorsqu'il nous
accorde une entrevue. II a même une forte propension a utiliser plus le fiançais que l'osamayi.
Et c'est justement là qu'il se trahit à cause des termes français qu'il utilise: le sculpteur
shamaye parle des "Kota du nord ou du sud"; pour expliquer les sculptures qu'il produit, il
parle de "face en forme de serpent naja" pour ia figure mahongwé, du "fiont bombé" en ce qui
concerne le style obamba-mindasa, et pour la figure shamaye, Misère résume ses traits en
parlant "d'une face en amande avec une coiffure enveloppante". Ce sont 18 des expressions
bien connues et qu'on rencontre dans toute la Iitiérature qui fait autorité sur l'art kota.
Mais Misere ne peut x dérober pendant longtemps. Il connait la plupart des travaux sur
l'art kota, et même s'il ne sait pas lire le texte, il sait lire les images. Au cours d'une entrevue,
il nous tend un livre sur l'art africain et quelques pages d'un article de Perrois sur l'art
shamaye, mahongwé et obarnba-mindassa. Il commente les représentations qui figurent sur ce
dernier document avec des expressions de I'anthropologue, ce qui est curieux pour quelqu'un
qui ne sait pas lire et qui n'2tre guidé que par sa connaissance des objets anciens qu'il
a vus au cours de sa jeunesse. Et quand il affinne a voix basse que l'anthropologie l'a aussi
aide, il s'empresse de rectifier en ces termes: "attention, je te dis seulement que je suis
d'accord avec ce qu'écrit Louis Perrois simplement parce que j'ai été l'un de ses informateurs.
C'est donc différent et en tant que sculpteur, je n'ai pas besoin de documents. J'ai l'expérience
dans la tête et c'est moi-même qui dessine les objets que je taille. Perrois n'a fait que me
lancern. Donc qu'il le veuille ou non, Misère ne pouna éternellement nier que les modèles
anthropologiques aient eu un quelconque apport sur la constitution de son savoir. Pour
preuve, il commente aujourd'hui ses oeuvres plus avec les termes de l'anthropologie qu'avec
sa Iangue maternelle. Et c'est grâce a un anthropologue qu'il est mondialement connu de nos
jours. En effet, à partir du milieu des années 1960, Perrois entame ses recherches dans l'Est-
Gabon. Autour de 1968-1969, il rencontre le sculpteur Mi* et achhte te de ses objets.
L'mthropologue en fait cadeau ii son ami le docteur Jem-Claude Andradt qui officie
Iliôpitai de la Compagnie des mines d'uranium de Franceville (Comuf) à Mounana. Le
médecin, qui certainement connaît les masques de la région grâce à son ami anthropologue,
est sidéré par la qualité de cette imitation du jeune shamaye. 11 passe donc des commandes
pour quelques amis bavaillant pour la même compagnie. Mais moins de trente kilométres
de Mounana, il y a la ville de Moanda ou d'autres Français exploitent le manganèse cette fois.
Les Occidentaux de Mounana font la publicité des objets de Misère auprès de leurs amis de
Moanda, depuis lors Misére n'a plus cessé de produire des masques qui ne sont plus
maiheureusement que destin& a la vente mais qui gardent une parenté esthétique étonnante
avec les modéles anciens. Voilà comment à partir d'une clientèle régionale Misère a pu
exporter la culture shamaye en Europe et en Amenque puisqu'il affirme même avoir vendu
ses figures à des Canadiens.
Quand on lui demande de donner plus de précision sur les détails esthétiques qu'il
reproduit si fidèlement sur ses sculptures depuis trente ans, la réponse de Simon s'apparente
plus à un conseil. II nous dit notamment: "il ne faut peut-être pas vouloir tout expliquer sur
une sculpture. En cherchant à tout expliquer, on commettra un jour l'erreur de donner de
fausses explications. le sais seulement que les figures que je reproduis représentent un visage
humain. Dans le cas de la figure shamaye que je connais peut-être mieux que les autres, je
puis t'affirmer sans risquer de me tromper qu'elle représente le visage d'un vieil ancêtre. c'est-
Adire un chef de famille; en même temps qu'il garde les ossements familiaux et en éloigne de
son regard perçant tous les profanes qui oseraient s'en approcher, en même temps il protège,
surveille, veille sur les siens et sévit chaque fois qu'un de ses descendants cause des torts à un
autre". Le sculpteur propose donc d'accepter ce symbolisme dans sa globalité et refk de
s'égarer dans l'explication des détails. Sages conseils de spkialiste car de nos jours personne
ne peut nous expliquer pourquoi la sculpture mahongwé est de forme ovale, pourquoi celle
obamba-mindasa a le front bombé et pourquoi la figure shamaye se caractérise par une forme
en amande foliacée. En guise de conclusion, Simon nous conseille d'accepter que "chaque
ethnie s'identifie à la forme globale de sa sculpture, et sur cette sculpture il y a des détails qui
lui sont propres. Je ne puis m'avancer plus loin". C'est cette forme de symbolisme global
attaché au pouvoir que semble aussi nous proposer Serge Genest:
Le sculpteur cherche B représenter l'Ancêtre, le Chef en tant que tel (...). La signification des statuettes sculptees dans la pierre est donc à chercher davantage daas la ligne du powoir cheffgl et du prestige
qui etait autrefois attaché au chef, et au désir que celui-ci avait d'être immortalisé. L'insistance ne doit pas être portée sur l'individu rempIissant le r6le de chef, mais sur la fonction elle-même et sur les symboles qui lui sont rattache3.
Conclusion
Nous venons donc d'analyser dans cet ultime chapitre un nombre d'éléments matériels et
immatériels auxquels les Shamaye accordent une valeur symbolique &ou emblématique très
précise sur les plans politique et religieux. En réalité sur le plan politique, c'est par simple
souci de rendre commode notre exposé que nous avons traduit le terne kumu (qu'on retrouve
dans RumukaRa et RumômbuRo) par "chef'. La vérité est que le sens de ce mot dans la langue
osamayi est "propriétaire". Ce terme de propriétaire traduit et permet de comprendre la
perception de la notion de pouvoir politique par les Shamaye. En effet, les éléments matériel
(le village) et immatériel (le lignage) sur lequel s'exerce ie pouvoir et qui permettent en même
temps l'exercice de ce même powoir sont perçus par les Shamaye comme la propriété de
celui qui exerce le pouvoir politique: le village est la propriété du chef parce que ce dernier l'a
créée religieusement et I'a placée sous la protection spirituelle de ses ancêtres; la famille en
la propriété du patriarche parce que ce dernier, par son âge et la garde des reliques
ancestrales, sert d'intermédiaire entre les siens et les défimts de la famille. Tout ceci nous
permet donc de mieux comprendre la perception symbolique que les Shamaye ont du "chef".
Le chef du village est le symbole de l'unité du village, tandis que le chef du lignage est le
symbole de l'unité de la famille. A ce sujet, dew proverbes disent:
Neka shunga tshéia no tshema. ndeka shungo mbuh M kumu.
Mabomba h u g n u , mnrlu miè yita bakwnku nrdo mbh.
Le premier proverbe dit exactement "qu'on ne peut pas discuter ta queue avec un singe,
tout comme on ne peut pas discuter le village avec son propriétaire". Le lecteur aura compris
que le chef de village est indétrôrmble parce qu'on ne peut pas lui ôter son bien. Tout
Shamaye mécontent de la façon dont le chef administre son village est libre de s'en der , mais
il ne peut déposer le "père" de tous les habiîants du village. Le &&&ne proverbe dit que
"chaque paquet de nourriture qu'on met au feu a toujours la t&e orientée vers son propriétaire
comme le lignage dans un village". Autant chaque propriétaire surveille son paquet au feu et
juge seul si celui-ci est cuit ou non, autant chaque chef de famille dans un village administre
seul les siens au nom de l'unité de la famille qu'il représente et incarne.
La religion shamaye est aussi un ensemble de symboles. Ce système religieux se
caractérise par une division en éléments dessence philosophique et morale et élément
d'essence pratique. Dieu ou Njambé fait partie des premiers. Il est le symbole de la création de
toutes les choses, mais il est l'incarnation même du bien, ce bien que tout Shamaye doit
toujours s'efforcer de répaudre autour de soi, s'il ne veut pas etre puni de quelque manière que
ce soit par Njumbé. Et c'est là que la notion de Njambé prend toute son importance morale et
philosophique. Les éléments religieux d'essence pratique sont les plus importants aux yeux
des Shamaye parce qu'ils offient des résultats palpables. Bikombo ou les reliques des jumeaux
sont le symbole de la puissance des vivants, de la richesse, de la réussite et du bonheur. Bweré
est aussi un autre élément polysémique dans l'identité sharnaye. D'abord comme objet de cuite
lignager, il est le symbole de la puissance des défunts. Comme élément politique, il est un
emblème et un attribut du pouvoir du chef de famille. La valeur esthétique du bweté, ou du
moins de la sculpture malembu, est elle aussi attachée au symbolisme politique dans la
mesure où cette tête plate scuiptée représente le visage d'un ancêtre lointain dont les
générations actuelles ne se souviennent même plus du nom.
Le style sharnaye est reconnu et catalogué par la communauté scientifique sous
l'étiquette de "sous-style en amande" foliacé. Mais cette reconnaissance a tardé à venir. En
fait elle n'a été qu'une façon pour la communauté scientifique internationale de rendre a César
ce qui revient à César, c'est-adire de r e n k l'identité shamaye ce qui lui revient de droit.
Expliquons-nous: Jusqu'i la fin des années 60, il y a eu comme une usurpation d'un des
éléments constitutifs de l'identité shamaye dans ce sens que les objets d'art des Shamaye, de
formes pourtant perticulieres, ont été attribués à leurs voisins Mahongwé et 0bambaMs, voire
aux ~ a w u m b u ~ , par diffëmio chercheurs. Mais les Shamaye vont récupérer ce qui leur
revient de droit en profitant d'un événement malheureux: en 1961967, l'antiquaire parisien
J. Kerchache vint au Gabon, précisément en pays Mahongwé et Shamaye, à l'insu des
Perrois, L., "L'art Koîa-mahongwP, p.33. m~bid, p.25.
autorités locales. II y fbit "la découverte de trois pièces in-situ en pays Shamaye, au sud-est de
~ a k o k o u " ~ . La communauté scientifique conclut avec raison qu'il s'agit 18 d'un sous-style
shamaye spécifique qu'elle classe comme intermédiaire parce que la similitude du décor de ce
"nouveaun style avec les figures de reliquaire mahongwe du nord s'accompagne de caractères
secondaires typiques des styles (obamba-mindasa) du sudM7. Voila comment est entré dans
l'histoire et l'anthropologie, "le sous-style de transition shamaye". Cette entrée coïncide aussi
avec les débuts d'un jeune sculpteur shamaye du nom de Simon Misère qui, depuis cette date,
n'a cessé de vulgariser et promouvoir l'identité shamaye de par le monde grâce à ses oeuvres.
Parmi ta clientèle gabonaise de Simon Misère, on note de nombreux Shamaye, ces
intellectuels qu'on appelle communément "les jeunes cadres" des milieux urbains.
Curieusement, quand ils achètent les oeuvres de l'artiste, ces Shamaye se ruent presque
toujours sur les sculptures (shamaye) malembu. Alors à certains d'entre eux, nous avons posé
la question suivante: Pourquoi des Shamaye se sentent-ils toujours obligés d'acheter les
sculptures malembu, qui ne sont pas pour eux des objets exotiques? On nous a accusé de
vouloir trop simplifier les choses. Ces Shamaye nous ont donc répondu que pour eux,
malembu n'est pas un simple objet qui sert à orner le salon. Contempler quotiennement cette
sculpture dans la salle de séjour et la présenter chaque fois à des amis est, aux dires des
citadins Shamaye, une façon de se référer à cette culture qu'ils n'ont pas connue, mais qui
demeure tout de même la leur. A défaut de la vivre réellement, malembu permet aux
générations shamaye actuelIes de revivre et replonger, par I'illusion du rêve, dans la cuiture
des ancêtres d'il y a plus de soixante ans. Le rêve raccourcit les époques et actualise les
réaIités mème Ies plus éloignées. Aucun citadin venu acheter une figure mdembu auprès de
Simon n'est reparti immédiatement. La transaction s'accompagne toujours des explications de
l'artiste, sur la particularité (ou les particularités) esthétique de mulembu. Mais surtout sur son
rôle politico-religieux d'il y a 50-60 ans. Et c'est toujours à ce moment que le "maître" se fait
prolixe, devant un interlocuteur médusé et qui veut toujours en savoir plus sur cette culture
lointaine, mais qui tout d'un coup devient si proche par la présence de l'objet et la magie du
discours de son créateur. Moments intenses et pleins d'émotion qui ressemblent à une
transmission du savoir, entre une génération (et surtout un homme) unique, prête à tirer sa
révérence et une autre qui amve et trouve lii les éléments matériels et immatériels auxquels
M6Perrois, L. "L'art Kota-mahongwd", p.25. 507@id.
s'accroche encore tout un peupIe, les S b a y e . Dans un milieu où les gens cherchent des
repèreç-
Mais malembu n'est pas le seul symbole qui permet aujourd'hui un "retour" vers ces
éléments de mémoire communs. Ainsi, retoumer au village pur mercier la relique des
jumeaux, repartir dans ce même v i w e pour régler un différend familial auprès du chef de
famille, tout comme pour les villageois, se réunir autour de leur chef en vue de discuter d'une
strattgie politique villageoise communecomme Le choix dim candidat à qui iraient les voix
des villageois-à chaque scrutin, sont autant de comportements qui montrent que le système
politica-religieux shamaye reste toujours pour les acteurs sociaux, un systeme de réfkence
symbole de leur identité.
Amvé au terme de cette étude sur les jeux de la tradition et des innovations dans le
processus de construction de l'identité shamaye, quel bilan pouvons-mus tirer?
En observant attentivement les "Samayen au début des années 1950, Miietio écrit #eux
que "du point de vue psychologique, ils sont assez intelligents et « évoluent » avec facilitéwM8.
Quarante ans après, les faits vont d o ~ e r raison à Miletto. En effet, quand en 1990 on s'arrête
pour jeter un coup d'oeil en arrière, l'expression qui qualifie le mieux le comportement des
Shamaye, nous i 'emptons a Georges Balandier: celle de "leur reprise d'initiative et leurs
entreprises novatrices"? Concrètement, ceci voudrait dire qu'à chaque fois que la cul-
shamaye s'est retrouvée dans I'obligatim d'évoluer, sous la contrainte des différents facteurs
que nous avons évoqués dans cette étude, les Shamaye ont apporte des ajustements
nécessaires, a telle enseigne que leur identité entre 1930 et 1990 est constituée des éléments
anciens de cetie culture et des changements qui y ont été introduits. Cette identité a donc pour
caractère principal une réelle cohabitation de la tradition avec les innovations. Résumons les
grandes lignes de ce mariage tradition-innovations.
Le couple tradition et innovations apparait déjà dans les deux formes de discours que
nous avons analysées dans cette étude: le discours écrit et le discours oral. Si on considère
d'abord le premier discoun, il est aisé de montrer que s'en dégagent deux époques principales
dans la construction de i'identité shamaye par des personnes extérieures. L'époque coloniale
qui va de 1930 à 1960, et l'époque contemporaine ou pst-coloniale qui va de 1960 a 1990. À
chacune de ces époques correspondent des éléments de connaissance précis sur les Sbamaye.
Les éléments qui prédominent a I'époque coloniale sont essentiellement l'histoire, la
linguistique, le genre de vie et les éléments d'anthropologie physique; avec l'époque
contempomine apparaissent, des éléments nouveaux, notamment les éléments culturels et
plitico-religieux symbolisés par l'art shamaye. Louis Perois est la figure dominante de cette
époque. Mais comment i'identité shamaye y estelle concrètement présentée? Le premier
élkment, l'histoire, montre que les Shamaye partagent une identité collective avec les autres
ethnies kota Le courant migratoire kota qui fait entrer ensemble les Shamaye, Mahongwé,
Bakota, Shaké et Ndambomo au Gabon est présentée par l'historiographie comme étant un
courant migratoire puissant, de direction générale nord-sud:
Miletto, opctt.. p.32. 'O9 Georges Bah&, SocioIogie actuelle & I'Afnque noire, Paris, P.U.F., 4e Cd, 1982,529 p.. p.n
Leur migration s'est fâite en deux éîapes: i'une antérieure au XVIIIe siécle, i'autre aux XVme et MXe siècles. Leur zone de départ sembIe avoir été la région de la moyenne Sangha (aux c o d h du Cameroun, de CentraEnque et du Congo), d'où ib sont descendus dès le XVIIe siècle vers les vallkes de l?vindo et de l'Ogooué pour revenir plus tard dans la région des affluents de la rive gauche de Ilvindo. Ces déplacements, ainsi que le morcellement des groupes, sont liés en particulier a la firite devant les Bakwélé (eux- mêmes repussés par les an^)^'^.
Mais l'historiographie donne aux Shamaye une identité qui leur est propre au sein de ce
groupe kota. La particularité du "dialecte" des Shamaye y est reconnue; à propos du genre de
vie, les auteurs comme Miletto reconnaissent que les Shamaye connaissent la brousse mieux
que tous les "indigènes". Le même Mileîto en étudiant les groupes kota, introduit les éléments
d'apparence physique et renforce l'identité shamaye en affirmant que de tous les Kota, les
Shamaye ont la peau plus cIaire et le système pileux très développé. Cette démonstration de
i'identité shamaye se renforce dans l'historiographie et atteint presque son paroxysme dans les
travaux de Perrois. Ce dernier introduit un élément de savoir nouveau et montre le caractère
très original de l'art pofiticu-religieux shamaye au sein de l'art kota. En tenant compte de tout
ceci, on peut résumer le discours écrit en une ligne: les Shamaye sont une ethnie kura, mais
au sein de ce groupe, ils gardeni une identitd qui leur est propre.
Ce qui est aussi dans la compréhension des innovations qui circulent aujourd'hui dans la
culture shamaye, c'est l'usage qui est fait de ce discours écrit, de cette double identité kota et
shamaye, pourrait-on dire. Car, l'usage de ce discours écrit (qui ne venait pas des Shamaye)
par les Shamaye est LUI éi&ment nouveau dont la présentation ou l'analyse est nécessaire a la
compréhension de i'identitk shamaye. Expliquons-nous. À la sixième et deruière année du
primaire (qui précède l'entrée au collège), le jeune écolier ou la jeune écoliére gabonais
apprend la composition officielle des groupes ethniques et la répartition des ethnies du Gabon
dans le cours de géographie humaine. A un âge où le jeune adolescent shamaye ne peut rien
comprendre aux questions scientifiques, il mémorise progressivement que son ethnie
appartient au "groupe bakotal'. Très jeune donc, le petit shamaye "lit" déjà ce discours écrit
puisque cette composition des groupes ethniques gabonais est faite à partir des critères qui ont
été introduits depuis la colonisation. Les petits Shamaye qui ont la capacité de retenir ce qu'ils
"O "&graphie n cartographie", p.42. Voir aussi la carte des migrations historiques a la page 43.
ont apws pendant longtemps grandissent donc avec en mémoire ce double savoir: ils sont
des Shamaye, mais aussi des Kota Avec l'expérience quotidienne, et au fil des ans, ib
commenceront par comprendre les choses de façon un peu plus claire en se rendant compte
qu'ils parlent une langue apparentée à certaines autres et qu'ils font la circoncision comme le
font des ethnies bien précises. Et devenus grands, ils auront totalement compris cette double
identitd et commenceront à élaborer des stmtégies identitaires en fonction de celleci, c'est-a-
dire en s'associant avec des membres des autres ethnies kota, mais tout en gardant leur
identité. Ce phénomène est particulièrement visible dans les différentes "associations
d'originaires" dont nous avons pu voir le fonctionnement et dans lesquelles les Shamaye
reproduisent leur identité comme elle apparaît dans le discoun et où ils semblent dire "nous
nous associons avec les autres kota, mais nous ne fisionnoos pas avec euxt'. Présentons
brièvement le fonctionnement de ces associations et le contexte dans lequel elles sont nées
pour comprendre les nouveaux comportements identitaires shamaye.
Les années 1970 représentent le paroxysme du monolithisme politique au Gabon. Le
régime est plus fort que jamais. Cette force, il la doit au boum pétrolier qui deverse dans les
caisses de l'État une fortune énorme. Les mécanismes de redistribution de la richesse passent
par des canaux ethniques. Le régime s'appuie donc sur des ministres dont la longévité au
gouvernement fait pâlir de jalousie tous les ambitieux. Dans l'Ogooué-Ivindo, les Fang, les
Shaké et les Mahongwé (de Mékambo) alternent au gouvernement. Les Shamaye, Bakota et
Mahongwé de Makokou ne reçoivent rien et sont donc exclus des mécanismes de promotion
sociale. C'est dans ces conditions que va naître à Lïoreville en 1976, l'association dénommée
"Solidarité Mouniangui" qui regroupe les ressortissants shamaye, bakota et mahongwé du
canton Mouniangui. Cette association, comme son nom l'indique, a pour buts principaux la
solidarité et la promotion des ressortissants des ethnies que nous venons de citer. C'est donc
une association ouvertement ethnique créée en vue de réagir contre l'exclusion et de signifier
une forme de "présence" et donc bidentitd.
Huit ans après, naît dans la ville minière de Mounana une association similaire qui avait
pour but de militer, elle aussi, contre l'exclusion politique et sociale. En effet, la politique a
toujours Cté dominée à Lastourville par les Badouma (et les Bandjabi et Bawandji qui
appartiennent au même groupe qu'eux). Les Bakota en sont toujours exclus. L'association
ikokou créde a Mounana par les ressortissants shamaye, ongom et ondasa du canton Leyou
visait donc la promotion des siens. Au sud, elle sera à l'origine de l'éveil politique des
Shamaye. Quand les premières élections muitipartites eurent lieu en 1990, les "Bakota" du
canton Leyou ont décide d'écouter tous les candidats se disant que le plus important pour eux
&tait de trouver quelqu'un qui pourrait promouvoir les membres de leur commuaauté quelle
que soit sa coloration politique. Là a w i donc, les Shamaye militent avec les apparentés parce
que la redistribution des richesses p s e par des voies ethniques, mais au sein de ces
associations (mspirks de loin par le discours ecrit et qui sont une forme de comportement
nouveau) chacun garde son identité, comme les Shamaye ont toujours gardé la leur dans ce
groupe kata d'après lliistoriographie.
Le mariage tradition-innovations est encore plus visible dans le discours oral et i'wage
que les Sharnaye font de nos jours de ce discours. Renom le récit sur les origines et rappelons
comment de nos jours ce discours sert les buts traditionnels et les buts modernes & caractère
identitaires. Les buts traditionnels que servent les récits sur les origines ne sont pas difficiles à
analyser. Comme toutes les sociétés du monde, Les Shamaye vivent avec la préoccupation de
leurs origines. Nul au monde, B moins que ce soit pour des raisons bien particulières,
n'aimerait oublier d'où il vient. C'est pourquoi pendant que le nouveau circoncis sbamaye vit
en réclusion en attendant la cicatrisation de la plaie, il reçoit la visite des anciens qui viennent
lui réciter ce cours dliistoire qui débute toujours par le séjour au mont Ngouadji et se termine
par i'arrïvée au village actuel. Mais I'autre but, qui peut être aussi traditionnel que moderne,
c'est l'unit6 et l'identite shamaye qui ont toujours été des préoccupations permanentes pour les
Shamaye. Si Ngouadji symbolise la dislocation du groupe, il symbolise aussi par son
kvocation perpétuelle l'unité, la résurrection, l'identité. Un informateur nous disait avec une
émotion qui nous a aussi gagné,
NgouaGi na Osamayi bi ngondo wè bangou bay2ne
ohyi nu bopakj12.
"Ngouadji est pour les Shamaye la lune qu'ils contemplent
ensemble chacun à son endroit".
Voila un dicton qui renvoie clairement à l'histoire et a I'identite shamaye. Le lecteur
aura compris que la lune repr6sente le mont N g d j i qui est autant le syrnbo& de l'unité
originelle que de la dislocation du groupe osamayi. "Chacun B son endroitn est une allusion
limpide faite 52 la répartition gkographique shamaye actuelle. Mais cette lune, les Shamaye la-
"contemplent ensemble"; cette contemplation c'est le souvenir commun qu'ont les Shamaye
Joseph Indème, Sbamaye, O&& 69 ans, maçon, entretien du 14 aoat 1996 au m e r Camp de Boys (Libreville).
de leur pays d'origine, et dès cet instant Ngouadji par le souvenir, c'est-à-dire par le récit,
devient le symbole de l'unité shamaye et de l'identité. incontestablement Ngouadji, dans les
récits de son évocation, s'impose aux Shamaye comme un lieu de mémoire collective, a Ia
fois symbole de la séparation, mais W e m e n t symbole de l'unité "reîrowée" et de l'identité.
Le récit sur les origines sert aussi de nouveaux buts. Nous acceptons le blâme qui nous
sera fait pour répéter qu'au Gabon, la question des origines est devenue plus que cruciale. A
titre d'exemples, les journaux de l'opposition ne cessent de rappeler à i ' a c ~ 1 chef de lstat-
qui est né en 1935 alors que sa province d'origine le Haut-Ogooué appartenait a la colonie du
Congoqu'il n'est qu'un étranger. La presse gouvemementaIe rétorque en avançant a l'encontre
du père Paul Mba Abessole, principal opposant au régime, que son village d'origine se
situerait plutôt du côté de la Guinée Équatoriale voisine. Bref, tout ceci pour dire que les
Gabonais issus des ethnies qui ont des prolongements jusqu'aux États iimitrophes sont
considérés pas les autres comme ayant une nationalité douteuse, et donc, qu'ils ne méritent
pas d'accéder aux postes-clés du pays. Les Shamaye, peuple de l'intérieur du pays et qui peut
attester d'une origine locale trouvent là les moyens de se proclamer les vrais fik de ce pays,
mais qu'on exclut des affaires par pure injustice. Un ancien premier ministre, M. Léon
Mébiame, avait étalé cette question au grand jour devant la nation tout entière. En 1982 sur la
première chaîne de télévision nationale, un journaliste lui pose la question de savoir pourquoi
on ne tient pas compte des Apindji (l'une des minorités du pays) dans ce pays, le premier
ministre avait répondu "qui sont les Apindji, d'où viennent-ils et ou les retrouvent-on au
pays?"
C'est le sort réservé aux minorités au Gabon, même par ceux qui dirigent le pays et qui
sont censés connaître toutes ses composantes ethniques. Dès lors, chacune développe et
perpétue, pour ceux qui peuvent démontrer une origine nationde, le discours sur les origines
qui devient ainsi d la fois un discours de réaction, pour se donner une visibilité et findement
un discours identitaire. Donc, élaboré et façonné au depart pour des besoins d'unité et
d'identité propres au groupe, le discours oral shamaye trouve d'autres appIications dans la
confrontation qu'imposent les compétitions sociale et politique entre les différentes ethnies
gabonaises. Il devient une arme de combat, une façon de jouer des coudes pour tenter de se
faire une place et de dire aux autres groupes que s'il y a des étrangers parmi les ethnies
gabonaises, ce ne sont pas nous les Shamaye car le lieu d'où nous venons est connu, c'est
Ngouadji au centre de notre pays. On retrouve donc bel et bien le coupIe tradition et
innovations dans les discours écrit et oral.
Mais on retrouve aussi cette association tradition et innovations dans d'autres aspects de
la vie. Les éléments anciens et nouveaux sont en effet présents dans le vécu et les pratiques
identitaires. Nous avons étudié cette association dans la deuxième partie, mais revoyons-la à
travers trois éléments principaux qui, dans les pratiques identitaires, donnent une signification
particulière à la Me et à l'identité: le lignage, l'évolution du mariage et ceIle des sociétés
initiatiques.
Le fonctionnement des liens lignagers est un domaine où le poids de la tradition reste
permanent La place du lignage et son importance dans l'identité shamaye sont sans égal. En
fait-et c'est trés important de le comprendre-le lignage reste le seul élément de distinction
interne entre les Shamaye. En Occident, deux personnes qui se rencontrent pour la première
fois se présentent en déclinant chacune son nom; mais deux Shamaye (quels que soient leur
sexe) gui se rencontrent pour la première fois se présentent en déclinant avant toute chose le
nom de leur lignage respectif. On voudrait vérifier si l'on n'a pas en face de soi un "fière" ou
une "soeur", entre deux personnes de sexes différents, on évite ainsi que se produise un
inceste au cas oir elles seraient d'un même lignage. Ainsi, qu'un Shamaye vienne d'Okondja et
l'autre de Lastourville ou de Makokou, les distances géographiques disparaissent au profit de
la "fmil1ev. Nos recherches nous ont permis de parcourir pour la première fois la totalité du
pays shamaye, et dans des villages où pourtant nous n'avions pas de parents connus de nous,
les Shamaye du lignage Pformgou nous appelaient affectueusement mwanô boshi, c'est-à-dire
"notre enfant". Et plutôt que de nous laisser dormir chez le chef de village, ces gens se
faisaient le plaisir de nous offrir gîte et couvert D'autre part, nous qui sommes du lignage
Pfoungou ne prendrons jamais en mariage une fille du lignage Pfoungou, quelle que soit son
origine. Jamais nous n'avons rencontré un couple shamaye dont le mari et la femme
viendraient d'un même lignage. L'exogamie et la solidarité interne qu'impose le lignage sont
permanentes et forment une sorte de garde-fou face au relâchement des liens familiaux . il y a
donc dans le fonctionnement des liens lignagers une continuité qui semble résister à l'épreuve
du temps et la place du lignage est d'une parfaite originalité.
Le mariage shamaye, autre domaine où la tradition prédomine largement, n'a pas eu la
même capacité de résistance que le lignage. Des éléments nouvestu y ont été introduits ii
telle enseigne que la tradition et les innovations y sont facilement mesurab1es. Le plus
important changement introduit dans le mariage, c'est la composition de la dot daas laquelle
l'argent et les marchandises occidentdes sont venus supplanter les composantes
traditionnelles. Mais le versement et le remboursement de ces nouveaux éléments obéissent
toujours aux mecanismes traditionnels. A titre d'exemple, défaut de la remplacer par une
autre, la famille d'me femme qui divorce est tenue de rembourser la totalité des sommes
perçues au cours du mariage, conformément a la tradition- On voit donc que des éléments
nouveaux ont été incorporés dans des mécanismes anciens, conférant au mariage la place
toute aussi origu.de qu'elle tient dans l'identité shamaye. A tiîre d'exemple, les circuits
matrimoniaux n'ont pas changé entre 1930 et 1990. La proportion des femmes qui viennent ou
qui vont hors de ces circuits est réellement marginale; à la mort d'un homme, la veuve tient
une place spéciale dans l'héritage que se partageront les parents du défunt mari. Bref, le
couple tradition-innovations fonct io~e aussi dans le mariage.
Les rites initiatiques sont un autre domaine ou l'on observe le déploiement de ce couple
tradition-innovations. Selon nos recherches, les changements plus importants introduits dans
les rites initiatiques, et qui sont arrivés jusqu'à nous de nos jours, ont été imposés par le culte
"mademoiselle". Nous ne pensons pas que la colonisation à elle seule, a travers l'action
missionnaire et celle de l'administration, aurait pu transformer la société shamaye comme
"mademoiselle" L'a fait. Dans ce domaine, les Shamaye ont mieux résisté a l'oeuvre coloniale
qu'ils ne l'ont fait devant "mademoiseIle". Citons quelques exemples de cette résistance des
Shamaye pour sauvegarder leur culture et leur identité. Certains avaient accepté de ne pas
recevoir la communion pour rester polygames, d'autres ont accepté l'interdiction qui leur était
faite de fréquenter les chapelles pow s'initier au ngoye; un inf~rrnated '~ nous dit avec
insistance qu'il y avait même un impôt sur les danses infligé par l'administration coloniale de
façon collective à un village qui s'était rendu coupable de danse immorale, mais ceci n'a pas
altéré la volonté des Shamaye. LRs missionnaires refusaient d'entrer dans un village qui
préparait une cérémonie de danse, rien n'y faisait car une fois le prélat parti, les Shamaye
reprenaient leur danse. La situation demeure la même jusqu'à la fin des années 1950.
L'entrée en &ne de "mademoiselle", à partir de 1957, a modifié les choses. La faiblesse
des missionnaires et des administrateurs a combattre efficacement les rites shamaye résidait
dans ce que cette lutte se limitait a une forme de chantage et d'intimidation Les Blancs ne
savaient pas véritablement comment fonctionnait ce à quoi ils s'attaquaient. Ce n'était pas le
cas de "mademoiselle" introduit par les Mahongwé et les Bakota, donc par des gens qui
savaient bien ce ii quoi ils avaient affaire. "Mademoiselle" avait pour principal souci de
rendre publiques les phases les plus secrètes et les plus dangereuses des sociétés initiatiques.
C'est donc à partir de 1957 que les femmes, les enfants et les hommes qui détaient pas initiés
au ngoye ou au môngala ont pu voir au village liépreuve niendé et le "monstre" mongoundou.
Nous avons constaté au cours de nos investigabon.~, et en observant leurs comportements
quotidiens, que les Shamaye sont restés très attachés a w rites initiatiques.
A propos de l'identité, 1. Mathieu et J.Lacoiirrière ont Bcrit que dans la société, "chacun
participe même a plusieurs réseaux d'appartenance auxquels il &ère plus ou moins
fortement ou plus ou moins longtempsn. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne
l'identité shamaye à travers les rites initiatiques. Chaque rite (confornément à ses règles, ses
enseignements et ses missions) wnfere a tout initié un comportement et une place précis dans
la société: une femme initiée à zshembwu ne se comporte pas dans la société wmme celle qui
ne l'est pas; un mbuh (prêtre) de môngaia n'a pas la même place qu'un simple initié de la
même confrérie; un circoncis et uo non-circoncis ne se lavent jamais ensemble; quelqu'un qui
n'est pas initié au ngoye (qui semble fonctiomer comme une sorte de caste) ne peut pas se
permettre certaines libertés face a un membre de la très puissante confrérie. Le nga@ ngoye
se comporte dans la société shamaye comme quelqu'un qui a droit a tout, contrairement au
commun des mortels. Bref, les rites initiatiques sont a considérer comme un élément cardinal
de l'identité shamaye. Leur permanence témoigne l'attachement que les Shamaye ont envers
eux. Les phases qui étaient secrètes sont certes devenues publiques. Mais ceci ne veut pas dire
que les rites initiatiques qui étaient puissants ont perdu toute leur force, car comme nous le dit
Eugène Odounga à voix basse, "le plus important dans ces rites ce sont les enseignements
qu'on y reçoit et qui eux soat toujours restés secrets puisqu'ils se font toujours de bouche à
oreille"' 13.
De nos jours, assister à une cérémonie de circoncision est une occasion unique ou l'on
peut voir a la fois l'exécution de la danse ishembwu de la confirérie des femmes, de celle de
mdngala, la confiéne des hommes et de ngoye si l'un des candidats est un membre de cette
coafiérie. Le spectateur aura ainsi i'oppommité de voir la tradition rivaliser avec les
innovations; il va par exemple admirer le candidat à la circoncision se promener dans le
village avec son costume qui allie tradition et modernisme, avec les montres et chaines en or
qui accumpagnent le pkwè et le shula (les deux symboles du candidat qu'il tient dans ses
mains) et le maquillage traditionnel.
La tradition et les innovations sont enfin présentes dans les emblèmes et symboles en
commençant par les noms propres. Si les lignages font de la distinction parmi les Shamaye, le
nom permet de les distinguer avec les autres ethnies. A ce titre, le nom (avec la langue
osamayi) est le premier symbole d'identitk ethnique. Les Shamaye considèrent des
513 CWounga, E., op. CIL
circonstances variées qui conditionnent le choix du nom individueI de tout nouveau-né, mais
aussi, le nom contient un sens ou une infomation qui permettent de saisir la psychologie du
groupe entier, sa manière de comprendre tel ou tel autre phbornéne de la vie. La période
coloniale (quelque chose de nouveau) a par exemple inspiré la création d'un nom qui aide à
comprendre la perception que les Shamaye se faisaient de cette époque. Quelques noms
noweaux qui sont venus s'insérer dans le systéme nominai traditionnel sont des empmts
faits à certaines ethnies apparentées comme les ûngom; ce sont deux noms de jumeau de
sexe opposé.
La diffusion du christianisme n'a pas réussi à changer la conception que les Shamaye se
font de Dieu Njambé est toujours regardé comme Ie symbole du bien et de I'origine de
l'univers. Les innovations les plus importantes qu'on décéle dans le domaine politico-religieux
sont les nouveaux comportements qu'on observe de nos jours. Ces nouveaux comportements
partent to jours des éléments anciens. Ce sont notamment les nouvelles tâches assignées aux
bikombo, les reliques des jumeaux. Aux tâches traditionnelles (comme la chance à la chasse,
avoir une nombreuse progéniture), sont venus s'ajouter des domaines nouveaux: les bikornbo
sont aujourd'hui activement implorés pour réussir à l'écoIe, en politique ou au travail. Ces
nouveaux comportements sont aussi visibles avec l'usage que les Shamaye font de malembu,
cette sculpture jadis au rôle politico-religieux. Mulembu a déf~tivement perdu ce rôle des
1957 avec I'avènernent de "mademoiselIe". 11 est devenu un précieux objet qui décore les
salons des maisons des intellectuels, même si ces derniers affirment que pour ew, mulembu
est moins une valeur esthétique qu'un symbole vivant de leur identité. 11 Ieur rappelle une
époque et surtout un genre de vie qu'ils n'ont pas connus et qu'ils revivent aussi bien par le
rêve que par la présence de cet objet accroché au salon et exposé au regard nostalgique. Il
devient ainsi un élément palpabIe de la différence avec les autres. La présence de malembu
chez un Shamaye sert souvent de prétexte aux longs commentaires et explications sur le
système politic~religieux ancien à chaque fois qu'il m i t un visiteur d'une autre ethnie. f ar
ce réenracinement identitak, le jeune intellectuel, en entraînant son ami ou son collègue
d'une ethnie autre que la sienne devant la sculpture d e m b u , ne veut pas seulement montrer a
ce dernier qu'il connaît sa culture, il a c h e aussi par ce geste sa différence, par rattachement
qu'il a envers un objet qu'il considère essentiel a son identité et à celle des siens. Comme
madame Ccquery-Vidrovitch, le sentiment ethnique devient ainsi uw revendication
de la différence5'".
Ces nouveaux rôles assignés aux éléments anciens montrent qu'il y a coatinuité dans la
culture et Ifidentité shamaye. Mais ils démoatrent satout qu'en cevalorisant les éléments
anciens, les Shamaye sont volontairement les acteurs de leur histoire et de Ieur identité. Face
aux difficultés de la vie modeme, ils trouvent des répames a partir des éléments de leur
culture. Ils s'identifient à eux et refusent d'accepter le rôle figuratif que la société gabonaise
donne de nos jours ii certains d'entre eux, comme la sculphwe malembu devenue un objet
d'art
Cette étude nous a donc permis de démontrer qu'entre 1930 et 1990, l'identité shamaye
s'est élaborée en alliant éléments anciens et éléments nouveaux La permanence, sinon la
cristallisation des circuits matrimoniaux anciens est par exemple quelque chose qui étonne.
Présents dans I'historiographie, les Shamaye ont en quelque sorte récupéré ce regard extérieur
qu'ils ont associé ê leur propre connaissance de leur environnement social et élaboré des
stratégies de navie qu'impose la compétition sociale du Gabon moderne. Ce désir de se poser
en maîtres de leur histoire s'est a w i illustré par i'attachernem qu'ils ont encore envers les
symboles de leur identité. Ainsi par exemple, les villages shamaye restent-ils encore des
regroupements de famille à la tête desquelles est reconnue l'autorité d'un èboutou, le mâle le
plus ancien. Dans certains villages, la colonisation avait brisé le caractére sacré des chefs en
imposant a leur tête des hommes de paille qui n'avaient rien a voir avec la famille du lignage
fondateur du village. Après 1960, les nowelles autorités qui connaissaient bien le
fonctionnement de la société gabonaise, ont comgé les choses et ont rendu la direction des
villages aux lignages fondateurs. Chez les Shamaye, kumômbukn (pour ceux qui avaient perdu
le pouvoir) a ainsi retrouvé le rôle spirituel qui le lie avec les habitants de son village. Bien
que devenus des agents de I'administratioa du territoire, les chefs de village se renutent
toujours dans le lignage fondateur du village.
Un jour, pendant que nous étions en train de discuter avec un intellectuel shamaye, ce
demier se Ieve tout à coup et administre une bonne fessée ii Pun de ses enfants. Etonné, nous
lui dernandm de quelle faute le petit s'était rendu coupable. Il nous a répondu sans &tour
qu'il y avait un moment pour parler la langue tiançaise et un autre pour parler I'oscanqyi. La
consigne qu'il avait donnée a ses enfhts , nous a t-il dit, était que ces demiers ne devaient
514 C&&ine Coqriery-Vidrovitch, "hi bon usage de l'ethMcitécité..', in Le M d dipiomaiïque, Juillet 1994, pp.4-S.
parler le fiançais (qu'ils pairtent tous ies jours kole) A la maison que quand ils font leurs
devoirs et révisent leurs leçons. Mais pou. des questions qui n'ont rien avoir avec I'ble, tout
le monde doit parler l'osmnqui, Cest pourquoi il a donné une petite râclée à cet enfant qu'il a
surpris en train de prononcer un mot français. La devise qui semble être "le français A i'tcole
et I'osamayi 9, la maisonn que les parents appliquent B leur progéniture traduit une volonté de
perpétuer le plus important élément qui créé la différence ethnique et l'identité: la langue
rnaterneile osamcryz.
SUURCES INÉDITES
SOURCES ORALES
ENTRETIENS
AKAKA, Jeanne.
Shamaye, M O ~ J ' ~ , 47 ans, entreden en langue osamayi du 29 novembre 1995 à
Mounana.
ANANGAPEM, Pierre.
Shamaye, Bo&, 63 ans, entretien en langue osamayi réalisé le 27 janvier 1996 au
village Zaiendk.
RABENA, Héléne,
Shamaye, Sh4midi, 61 ans, entretien en langue osamayi du 07 janvier 1994 au village
Omoy.
BEKOUELA, Paul,
Shamaye. Bouda 57 ans, entretien en langue osamayi du 10 février 1996 au village
Mbeia.
BENGA, Paul,
Shamaye, O n e j i , 62 ans, entretien en langue osarnayi du 18 janvier 1995 au village
Lifouta.
BOUWAMA, Jérôme,
Shamaye, Pfoungou, 69 ans, chef de village, entretien en langue osamayi du 02 février
1990 au village Kumoayabe.
IBAKATOA, Pierre,
S h a y e , Ombela, 76 ans. entretiens en osamayi des 6 &7 juin 1989 au village
Ndzokaloundza.
NOUS donnons en italique le nom du lignage de nos infornateus et informarices.
iMlEME, Joseph,
Shamaye, Utaï@, 69 am maçon en retraite, entretien en langue osama9 son domicile
sis au quartier Camp des Boys à Libreville le 14 août 1996.
LKOUMA, Zacharie,
Ondasa, Ognama, 40 ans, entretien dans les deux langues osaniayi et ondasa du 10
novembre 1995 au village Bangadi.
LIYOKq Jean,
Shamaye, Shanjumbi, 66 ans, entretien 06 janvier 1989 en langue osamayi au village
Bangadi.
LOMBA, Georges,
Shamaye, Njabi, 60 ans, entretien en langue osamayi du 21 janvier 1989 au village
Livouta.
MABOUM, Jeannette,
Shamaye, Njabi, 43 ans, entretien en langue osamayi du 04 janvier 1989 au village
Bamberabiyoko.
MALEHOU, Pad,
Shamaye, Ombeh, 56 ans, retraité de la compagnie des mines d'uranium de Franceville,
notes prises le 07 juin 1996 à Mounana.
MANDOUMBOU, Jean,
Shamaye, Ifouka, entretien en langue osamayi du ler février 1996 au village Makébé.
MATEYI, Clément,
Shamaye, Ombelu, 56 ans, sans emploi, entretien en langue osamayi du 17 août 1996 à
Libreville.
MAYISSA, Jean-Baptiste,
Oagom, Mbanghu, 72 ans, entretien dans les langues osamayi et ongom du 10
novembre 1995 au village Bangadi.
MAYISSA, Jérdme,
Ongom, Mbanghou, 81 ans, entretien dans les deux langues osamayi et ongom du 10
novembre 1 995 au village Bangadi.
MISERE, Simon,
Shamaye, Shakrrsha, entretiens en osamayi et en fiançais réalisés les 28 et 29 avril 1996
à LibreviIle.
MOUAYOUBI, Luc,
Shamaye, Ongabwè, 47 ans, entretien en langue osamayi réalisé le 20 janvier 1996 au
village Ntsiete.
MOULAKOU, Jean-Marie,
Shamaye, Njabi, 56 ans, administrateur civil en retraite, entretien en langue osamayi du
04 décembre 1995 a son domicile sis au quartier Derrière la prison à Libreville.
NDENGA, Pierre,
Shamaye, Bo&, entretien en langue osamayi du 02 mars 1996 à Libreville.
NGûNDA, Jean,
Shamaye, Ombela. 72 ans, entretien en osamayi réalisé le 17 janvier 1995 au village
Bangadi.
ADJIYA, Marthe,
Sharnaye, Ongabwè, 64 a
au village Bamboro.
BALOUDI, Gilbert,
ns, récit de vi e en langue osamayi enregistré 1 .e 16 mars 1995
Shamaye, wabi, 58 ans, chef de village, récit de vie en langue osamayi enregistré les 23
et 24 décembre 1 995 au village Ndzokaloundza.
BAPENDANGOYE, Laurent,
Shamaye, Pfoungou, 74 ans, récit de vie traduit en français et transcrit, enregistré en
langue osarnayi en décembre 1993 au village Barnberabiyoko.
BATSEMBENGOYE, Edouard,
Shamaye, Ibela, 67 ans, récit de vie en langue osamayi enregistré le 25 janvier 1996 à
Makoko~
BIBAYI, Philomène,
Shamaye, Shanjambi, 35 ans, instituûice, récit de vie en langue osamayi enregistré le 22
décembre 1993 a Mounana.
BOUNJÈ, Daniel,
Shamaye, Minjambi, 76 ans, récit de vie traduit en fiançais et transcrit, enregistré en
langue osamayi le 17 octobre 1993 au village Bamberabiyoko.
GNAMANGOYE, Jules,
Shamaye, Pfoungou, 71 ans, récit de vie en langue osamayï enregistré en langue
osarnayi le 2 1 décembre 1995 au village Ndzokaloundza.
ILOUNDZANGOYE, Jonas,
Shamaye, S?umjambi, 46 ans, récit de vie en langue osamayi enregistré le 16 aoiit 1996
à LibrevilIe.
MATEBA, Maurice,
Shamaye, Pfoungou. 74 ans, récit de vie en langue osamayi enregistré dans une bande
magnétique le 26 mars 1996 au vilIage Malmga.
MATEYI, François,
Shamaye, Muendjè, 24 ans, récit de vie en langue osarnayi enregistré le 02 novembre
1995 a Libreville.
MISERE, Simon,
Shamaye, Shakuslua, 59 ans, sculpteur, récit de vie en langue osamayi a en fiançais
enregistré les 28 et 29 novembre 1994 au village Makatamangoye.
MOUWATST, Zacharie,
Shamaye, S/mnjarnbi. 43 ans, gendarme, récit de vie traduit en fmçais et transcrit,
enregistré en Iangue osamayi en décembre 1993 a Libreville.
NGOULOU, Antoine,
Shamaye, Pfoungou, 76 ans, récit de vie en langue osarnayi enregistré le 22 décembre
1993 au village Bamberabiyoko.
ODOUNGA, Eugène,
Ongorn, Shamitono, 73 ans, chef de regroupement de villages, récit de vie enregistré en
langue ongom le 06 janvier 1995 au village Bamberabiyoko.
DOCUMENTS D'ARCBXVES
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-Région des Adoumas, rapport politique de l'année 1949, section affaires politiques
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ARCHTVES DE LA P ~ F E C T U R E DE MAKOKOU
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-Note n.387 du chef de district de Makokou au chef de la région de l'Ogooué-lvindo a
Booué, Makokou, le 9 juin 1950.
-Rapport d'informations politiques n. 12, Makokoy 1950,2 p.
-Rapport d'information politique, Makokou, le 3 juillet 1950,3 p.
-Rapport politique année 1952 du district de Makokou, 48 p.
-Rapport politique du 2e semestre 1946 de la subdivision de Makokou.
-Rapport politique du district de Mékambo de i'année 1952, Mékambo, le let décembre
1952,49 p.
-Rapport politique du premier semestre 1942 du district de Makokou, 25 p.
-Rapport sur les chefferies du département de l'Ogooué-lvindo, Booué, le 20 juin 1943,
5 P- -Réglementation de la dot, lettre n. 1588, Paris, le 18 février 1950.
-Tribunal du premier degré de Makokou, jugement de divorce n.1, Makokou, le 6
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ANNEXES
Annexe 1: Récit de vie de Laurent Bapendaagoye
Je m'appelle Laurem Bapendangoye. Je suis le fils de feu Liyendzengoye- Mon pére
était du lignage Pfoungou. Nous les Shamaye, nous revenons de Ngouadji, l'autre &té de
l'Ogooué. Mon père me disait toujours que son pére et son grand-père étaient tous nés a@ la
traversée du fleuve. Quand mon grand-père est mort, j'étais encore très jeune, je n'ai donc pas
pu le connaûtre véritablement pour que nous discutions de ses origines-
Mais ce que moi je sais parfaitement c'est que c'est au village NdzokaIoundza que mon
père a épousé ses trois femmes. La première femme de mon père s'appelait Bishaka, la
seconde avait pour nom Okonomwadji. La troisième femme de papa est celle qui allait être
ma mêre, elle avait pour nom Mbayi. Les deux premières femmes de mon père étaient toutes
des Shamaye, quant a ma mère, c'était une Obamba du lignage Ongwakiè. Elle venait du
village Massango actuel prés de Mounana dans le Haut-Ogooué . Avec ma mere, mon père a
eu cinq enfants. Leur premier enfant est une fille, c'est ma grande-soeur jeanne Bissopi. Elle
est née à Ndzokaloundza Après Biçsopi est né Bapendangoye qui te parle aujourd'hui. Je suis
né au village Ngombé comme mes fiéres et ma soeur qui vont venir aprés moi. Apt& moi
sont nés, tour a tour, mon cadet Idjibangoye qui prendra le prénom de Thomas après son
baptême, ensuite Mouwatsi un autre garçon et enfin Joséphine Ibeba la dernière de la famille.
De ces cinq enfants de mes parents, il n'en reste plus que trois. Mouwatsi est mort le premier,
il a été suivi par son ainé Idjibangoye.
Après Ngombé, nous sommes ailés au viliage Biboudji dont le site est devenu
aujourd'hui un de nos campements de chasse et de pêche. A m Biboudji, nous sommes ptutis
à Bashangwandjouma. Aprk ce village, nous sommes retournés a Ndzokaloundza après la
mort de mon pére. Aprés le decés de papa, nous avons été élevés par son cadet
Ndombangoye. Mon père et son cadet qui n'étaient que deux garçons (ils n'ont eu ni soeur N
frére) étaient les fils de mon gran&pére Ngoulou et de sa femme Yaya. C'est it Nmkdoundza
que nous avions grandi. Nous avons passé beaucoup damées dans ce vilIage. Cest dans ce
village que j'ai travaillé pour la première fois avec les Blancs, notamment dans la récolte du
caoutchouc. Après, je suis descendu à Lastourville où jrai travaillé comme manoeuvre auprès
d'un "commandantn1 blanc du nom & monsieur Varier. Tai passé beaucoup d'années a
* . ' Ce tgmt sous la coloniaIe, du moins an Ciaboq ne s i e t pas forciment -. M h e les traiGmts des compagmts ~~~lCtSSiomia;res se hasaient appeler Co-drmt par les populations locales.
Lastourville auprés de ce Blanc. Je ne suis parti de Lsstourville qu'en 1949 a m l'arrivée de
monsieur PonsaiIle comme nouveau c d . Je mis dors allé tnivailler dans un
chantier forestier ou j'ai servi sous les ordres d'un aube Blanc, monsieur Madre. Aprés
quelques mois, j'ai quitté ce chanîier et je suis allé travailler dans un autre chantier de coupe
de bis prés de Lambaréné. lAms j'ai travaillé sous les ordres & monsieur Tarmagne
jusqu'en 1951 date à laquelle je suis descendu a Port-Gentil. J'ai travaillé à Port-Gentil
pendant trois ans à Delmas. En 1954, je suis parti a L i W l l e qui était encore a l'époque une
véritable brousse, surtout la partie de la ville qu'on appelle aujourd'hui le pont Nomba Le
grand marché de Monî-Bouët ne se limitait encore qu'au carrefour Léon Mba avec pour
pnncipai magasin Ia boutique de monsieur Brandet. Dans la région de Libreville, j'ai travaiilé
dans un a m chantier forestier terre vers le fleuve Como avec comme chef de chantier
monsieur Segue. A la mort de celui-ci, le chantier passa aux mains des Établissements
Rougier. Cest pendant que je travaillais pour les Établissements Rougier que mon cadet
Thomas Idjibangoye, qui ne voulait pas que je reste longtemps en brousse, est venu me
chercher pour que je retourne à PortGentil où le travail était moins pénible que dans les
chantiers de coupe de bois. A Port-Gentil, je fus embauché à la SOAEM.
Après quelques années, mon petit-fiére a jugé qu'il était temps que je trowe une
femme. Ainsi en 1959, nous sommes retournés au village accompagné de Jean-Pierre Benga,
mon autre petit-frére le fils de Ndombangoye le cadet de mon père. Cest à cette occasion que
j'ai épousé Élisabeth Bitoumbi une Ongom du lignage Shombanja. Au même voyage j'ai fait
la circoncision. Accompagné de mon petit-fière et de ma femme, je suis retourné a Port-
Gentil. Nous a v m travaillé pendant quelques années, le temps de réunir une dot pour que
mon cadet trouve une femme à son tour. Aprés avoir réuni celle-ci, mon cadet et ma femme
sont retourri-és au vilIage en 1%5. Quelques mois après, mon caàet a épousé Yolande Tséma-
Tséma, me Ondasa du village Mandjaye. En 1967, j'ai décidé d'aller me reposer
définitivement au village. Rentré au village, nous avons quitté l'ancienne route qu'on appelait
la Lecoudi, nous sommes venus nous implanter ici à Bamberabiyoko sur ce qu'on appelle le
canton Leyou ou la route éçommique.
Depurs que nous sommes venus ici, je n'ai plus jamais travaillé si je ne compte pas les
deux années, de 1975 a 1976, oir j'ai travaillé a Lastourville a la compagnie SOGADEF qui
avec RAZEL avaient entqris de ramener le nouveau tracé de la route écummique près de
l'aéroport de la ville. Donc depuis 1977, je ne fais plus rien Je n'ai pas eu de retraite d g r é
les années de travail que je revendique. Je peux te montrer ma carte Isassuré, mais qui ira
plaida ma cause auprés de la caisse3 à Libreville? Personne, et mon argent y a toujours. Tu
sais comment j'ai su que mon argent était a la Caisse? en 1977, j'ai accompagnd ma fille
Mireille Mbayi évacuée a la pédiatrie de Libreville parce qu'elle souflfiait d'un cancer. Aprés
trois mois passés à l'hôpital, les rnddecins m'ont présenté la facture pour l'hospitalisation de
ma fille. Je leur ai dit que je ne travaillais plus. Un médecin m'a demandé ma cark d'assuré
qu'il a porté à la Caisse. Vers la fin de la journée, il est revenu avec ma carte et il m'a dit que
je n'avais plus a payer p c e qu'il s'est fait payer par la Caisse en leur présentant ma carte.
J'ai souvent voulu quitter ce village à cause des mauvaises relations qu'il y a entre mon
grand-fiére Antoine Ngoulou et moi. Ngoulou est le fils de Ndombangoye, le cadet de mon
père. Avec sa première femme Bishaka mon père avait eu deux enfants, une fille du nom de
PauIine Mayoungou et un garçon qui portait lui aussi le nom de Mouwatsi, mais qui était mon
aîné. A la mort de ce Mouwatsi il a laissé une femme, la fille de Matoumba. Or nous ses
fréres, nous étions tous très jeunes pour pouvoir prendre cette femme en héritage. Quand nous
sommes devenus grands, mon petit-fière Idjibangoye, pendant que je me trouvais a Port-
Gentil, est allé réclamer une autre femme à la famille de Matoumba conformément a nos
usages. N'ayant pas de filles disponibles, la famille de Matoumba a décidé de rembourser la
dot de mon défunt frére Mouwatsi. Ngouiou a pris cette dot pour épouser Mifoudjè sa
première femme. C'est pourquoi le frére de papa a voulu réparer cette injustice. Il m'a cherche
une femme et il arrêta son choix sur la petite soeur de Makinda la femme de Luc Lissebi.
Mais profitant une nowelIe fois de mon absence (j'étais toujours à Port-Gentil), Ngouiou a
encore pris ce qui devait me revenir. Je n'ai rien dit parce que c'était mon grand-fiére. Cette
deuxième femme a fini par divorcer d'avec lui, comme la première d'ailleurs, et elle est allée
faire avec un autre homme des enfants qu'elle aurait peut-être eu avec moi. Alors, que lieu
que ce soit moi qui garde rancune a mon fière Ngoulou pour tous ces torts qu'ils m'a causés,
c'est curieusement lui qui ne veut pas me sentir. Visiblement, il ne me porte pas dans son
coeur et tout le temps il me cherche les problèmes.
Avant sa mort., notre grand M e Mouwatsi avait fait un fils du nom de Augustin
Mbenja Ce dernier sera assassiné à Malanga en 1973 par Koumombela et ses deux fils,
Anangapeyi et MaIembe. Quand notre fils est mort, mon grand frére Antoine Ngoulou se
trowait au campement Je suis arrivé sur le lieu où notre enfant a été assassiné avant lui et
pendant trois mois, je n'ai pas dormi. Je menais seul mes enquêtes la nuit pour retrouver les
meurtriers de notre fils. Comme les gendarmes torturaient tout le monde, un jeune homme du
La Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) perçoit les c6tisations des travailleurs du secteur prive et Ies leur reverse quand ils vont ai retraite.
nom de Ngoyima voyant son pére soufnir est venu me voir. Il m'a dit ceci: "Laurent, si je ne
suis pas venu te voir très tôt, c'est parce que je craignais de parler devant les gendarmes.
Quand on a tué ton enfant, mon p&e se trouvait en brousse. Je vais te dire ce que tous les
villageois de Livouui savent et qu'ils n'osent dire. C'est Koumombela et ses enfants qui ont
assassiné Mbenja". Kournombela et ses deux fils sont passés aux aveux et furent arrêtés et
transférés à Libreville.
Quelqu'un de notre famille devait ê e présent ii Libreville pour s'attacher les services
d'un avoait Moi-même j'étais prêt à partir, mais mon fière Ngoulou a décidé que c'est lui qui
devait partir. Alors, je suis allé chercher cent mille francs chez Victor Lipandzi qui avait
épouse ma petite fille Albertine Mayoungou la fille de Mbenja justement. Mon aîné est allé
assister au procés. Il a pris un avocat qui lui a demandé trente mille h c s . Les meurtriers de
notre enfant furent lourdement condamnés. De retour au village, la famille a tout
naturellement demandé des comptes a Ngoulou sur la façon dont il a géré les cent mille
francs. Il n'a pu présenter a la famille les soixante-dix mille qui sont restés. Je me suis montré
dur envers lui, comme toute la famille d'ailleurs, et il semble que mon fihe m'a gardé dent
pour avoir dénoncé sa gestion. Mais le problème entre lui et moi ne s'arrêtent pas la. En août
1988, je suis allée ii une cérémonie où nous étions invités par la belle-famille de ma petite-
fille Albertine Mayoungou. Mon grand fière a refusé d'y aller prétextant que depuis que notre
petite-fille est allée en mariage, il n'a bénéficié de rien. Alors j'ai pris dix poules, deux boucs,
un cynocéphale et je suis allé à cette cérémonie. En retour la belle-famille de ma petite fille
m'a donné une somme de deux cent mille francs. J'ai refusé de pIirtager cette somme avec
mon aîné pouce qu'il n'avait pas répondu B l'invitation L a haine qu'il avait envers moi n'a fait
que se renforcer
Autre point de discorde entre lui et moi ce sont les enfants qu'a laissés notre défunt fils
Mbendja En fait mon grand-fière m'est contre moi parce que nos petitsenfants ne le
fréquentent pas et préfiirent habiter chez moi. Mais Ngoulou, sur ce sujet, ne peut que s'en
prendre a i lui-mème. Chez nous les Shamaye, on dit souvent que les enfants son comme des
chiens, pour qu'ils s'habituent à vous et pour qu'ils viennent vers vous, il faut savoir les attirer;
il faut chaque fois leur faire des cadeaux, leur tendre quelque chose. Or mon aîné est
incapable de se comporter ainsi. Il ne donne rien à nos petits-fils. Quand il mange, il
n'appelle aucun petit-fils pour partager le repas avec lui. Dans ces conditions comment
voudrait-il que les enfants le fréquentent quand lui-même ne sait les attirer.
Mais la goutte d'eau qui a déborde le vase s'est produit en janvier 1993. Le premier
janvier de cette année, les responsables du Parti démocratique gabonais du canton Leyou
avaient invité tous les militants du canton au village IdiLba-Bambera pour y passer la FE du
nouvel m. Tout le monde s'est donc retrouvé là-bas. Les gens ont bu et mangé toute la
journée. Mon grand-fkbe ce jour a abusé de l'alcool. En voulant monter dans le véhicule qui
nous ramenait chez nous, il a l'equilibre et est tombé manquant de peu de se fiacasser le
d e . Deux jours après, me fois rentrés chez nous, notre petit-fils Sylvain Nshùidji (le
dernier fils du défunt Mbenja) qui était avec nous à la Ete est allé voir son grand-pére
Ngoulou à qui il a conseillé de revoir sa manière de consommer l'dcool. La réponse de
Ngoulou à notre petit fils a ét6 a la fois stupide et mechante. Il lui a dit ceci: "Nshindji,
saches que si je meurs un jour, vous les enfants de Mbenja, ainsi que la personne qui vous
garde aujourd'hui, vous mourez avec moi. Si la dernière fois je suis tombé, ce n'est pas parce
que j'étais ivre mais parce que j'ai mal aux pieds. Et si j'ai mal aux pieds c'est parce que j'ai
poursuivi en justice et envoyé en prison des initiés aux ngoye, les gens qui ont tué ton père.
Quand j'étais à Libreville pour le procès de ton père où se trouvait la personne qui bénéficie
de vos biens et seNices aujourd'hui?".
Mon ainé s'adressait en réalité a moi et m'attaquait ouvertement. Alors, j'ai tenu a lui
rafraîchir les idées. D'abord pour son mal qu'il attribue au procès de notre erifant je lui ai
rappelé que problèmes qu'il a eus avec les initiés au ngoye n'avait rien avoir avec le procès de
Mbenja Un jour il avait surpris sa femme en fi agrant délit avec un initié au ngoye du nom de
Babambi. Fou de rage, mon aîné est al16 détruire la maison de Babambi. C'était la un acte
grave car les initiés au ngoye n'acceptent jamais d'être humiliés et une humiliation faite a l'un
deux est considérée comme s'adressant tous les adeptes de la confrérie. C'est ainsi que
Ngoulou est tombé gravement malade. Il était presque paralysé et même si son mal a semblé
disparaître après son initiation au ngoye, il en a gardé les séquelles. rai terminé en lui disant
de me laisser tranquille car je ne lui devais rien. Au contraire c'est watni lui qui me devait
quelque chose car il a profité à maintes reprises de mon absence au village pour prendre ce
qui me revenait de droit. Je lui ai dit qu'il cherche toujours à se disputer avec moi, comme il
le faisait avec mon cadet Idjibangoye avant la mort de ce dernier. Écoutant ces derniéires
paroles, il en a déformé le sens et a dit que j'etais en train de l'accuser d'avoir tue notre petit-
frére. Alors, il a demandé qu'on tienne un procès devant un tribunal coutumier. IL a réuni les
notables chez Eugène Udounga le chef de regroupement. Je lui ai clairement dit qu'il était
mon aîné, son père Ndombangoye et mon père Iyendzengoye qui étaient de mêmes parents
n'étaient jamais allés régler l em diffdrends devant un quelconque tribunal. Nous les enfants
n'allons pas faire ce que nos parents n'ont jamais fait alors s'il ne veut plus me voir à ses cotés,
qu'il me dise clairement de quiner le village. Émus, les gens m'ont donné raison et ont
soutenu que deux fières ne doivent pas porter devant LUI t n ' b d leurs problèmes familiaux
Nous ne nous adressons plus la parole. Mon aké conditionne la reprise de nos bonnes
relations à la tenue d'un procès. Mais moi je n'irai jamais devant un tn'bunal contre mon
grand-frére.
Annexe 2: Extrait du récit de vie de Daniel Bounjè.
... Après avoir fait Ia circoncision, mes parents m'ont initié a la co&rie ngoye, toujours
au village Ndzokaloundza. .l'étais jeune lors de mon initiation au ngoye, les vieux initiés ne
m'ont donc rien montré. Ce n'est pas la même chose que lorsqu'on s'initie B la confirérie quand
on est un adulte. C'est là qu'ils te montrent beaucoup de choses. D'ailleurs pour l'initiation des
adolescents, on ne leur fait pas passer les épreuves difficiles. Leur initiation se limite à se
faire fiotter légèrement la feuille piquante èkuyè et un produit de beauté de fabrication locale
appelé @la. Devenu grand, le jeune initié au ngoye ne doit pas s'approcher d'un ancien
adepte pour lui demander les secrets de la confrérie, comme comment tuer une personne. Si
jamais un jeune initié ose entreprendre une telle démarche, il sera dénoncé par les anciens qui
en plus vont l'accuser d'être la principale personne qui tue les gens dans le village, alors que
ce sont précisément ces anciens initiés qui détiennent les secrets pour le faire. Donc, pour
avoir un secret dans [a confiérie ngoye, il faut être patient et attendre qu'un ancien vienne de
son propre gré vers vous, mais il ne faut jamais aller vers lui demander quoi que ce soit. Aller
demander un secret a un ancien ce serait le désigner comme un sorcier, alors se sentant dans
la position de quelqu'un qu'on accuse d'être dangereux pour la société, cet ancien va
simplement vous dénoncer.
C'est aussi au village Ndzokaloundza que les BIancs nous ont trouvés. J'étais déjà un
adulte. C'est là qu'ils nous ont obligés d'écrire nos noms sur les papiers. Les premiers Blancs
qui sont arrives à Ndmkaloundza sont venus pour la récolte du caoutchouc. Ensuite sont
arrivés les missionnaires. Ce sont eux qui se sont attaqués à toutes nos danses avant l'arrivée
de "mademoiselle". C'est avec l'arrivée des missionmires que les choses ont commencé à
bouger. Pour recevoir le baptême, il fallait accepter de donner aux missionnaires ce que
chacun avait comme relique. Us ont interdit à tout chrétien d'avoir plus d'une épouse sinon on
était condamné a ne plus recevoir la communion. Les missionnaires voulaient vraiment que
nous les Shamaye vivions comme eux les Blancs. Et c'est comme ça que petit à petit nous
sommes rentrés dans l'ère des blancs, en abandonnant ce qui nous appartenait.. .
Annexe 3: Extrait du récit de vie de Zacharie Mouwatsi.
... Mon père a épousé sa femme Bissopi quand il était au village appelé Bouiiki ye
Mangombi. Le site de cet ancien village est devenu aujourd'hui le lieu où on fait les
plantations, mais surtout le vin de palme à cause de nombreux palmiers qui y ont poussé. En
fait les habitants de l'ancien village Bouliki yè Mangombi ne font que tourner en rond puisque
après ce village, ils ont construit le village Bodiki ye Oboto que les Shamaye appelle
aujourd'hui Bangadi qui se trouve maintenant sur les cartes de la region. C'est d'ailleurs de
Bangadi que mon père a décidé d'aller habiter à Youlou un autre village Shamaye situé a près
de dix kilomètres vers Lastourville. Je ne sais pas quelles sont les raisons qui ont poussé mon
pére à prendre cette décision, mais il faut savoir qu'à I'époque, une simple dispute pouvait
conduire a la séparation de deux frères, l'un alIant habiter ailleurs. Et d'ailleurs mon père en
quittant Bangadi y a laissé son cadet Jean Liyoka Nous ne reviendrons à Bangadi qu'en 1974
après la mort de mon père. Le fière de papa est donc venu chercher à Youlou la femme et les
enfants laissés par son aîné.
Nous sommes tous nés à Youlou. En partant de Bangadi, mes parents n'avaient pas
encore fait d'enfant. De tous les enfants de mes parents, je suis le seul a être venu au monde
en brousse dans un campement. Mon père m'a fait porter le nom de son beau-fière Mouwatsi.
Les femmes accouchent de plus en plus à l'hôpital. Mais à notre époque, on n'hésitait pas
d'amener une femme enceinte au campement. Je n'ai pas connu les couches des blancs et je
suis né sur une natte. La première chose que font les Shamaye après la venue de l'enfant c'est
de lui faire boire de l'eau par une personne ayant de grandes qualités. Les Shamaye pensent
que cette personne transmet ainsi ses qualités à ce nouveau-né ... Aujourd'hui je sers dans la gendarmerie nationale avec le grade de maréchal des logis -
chef après quinze ans d'ancienneté. En 1988 j'ai bénéficié d'un stage a Bourges en France.
C'est après ce stage que je suis monté maréchal des logis-chef En 199 1, j'ai fait un autre stage
au Maroc. J'ai obtenu le diplôme qui devait automatiquement me faire passer au grade
suivant, celui d'adjudant. Mais depuis deux ans, j'attends toujours.
Mes patrons veulent que j'aille encore en stage, mais j'ai refis& Je leur ai dit que je
n'irai plus en stage tant qu'on ne donnera pas le grade que j'ai mérité. La gendarmerie au
Gabon est devenue comme n'importe quel s e ~ c e . Pour avancer en grade même quand tu le
mérites, il faut avoir quelqu'un de bien place. Sinon, tu es oublié comme moi parce que je n'ai
personne pour rappeler a mes chefs que depuis deux ans, le pawre Mouwatsi attend toujours
qu'enfin on lui fasse porter le grade qu'il a méri té...
Annexe 4= LRS SL.RUye dans k répartith gbgmpliique des peuples da a b o n de k Wil lw et M. Soreî. Soaraz Ripanda-Walker et Siiluis, opci&, pl2