MILCENT (P.-Y.) 2013. La nouvelle place des femmes dans l'espace funéraire en Gaule : des tombes à...

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Les femmes du premier âge du Fer en France centrale et orientale

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Pierre-Yves Milcent La nouveLLe pLace des femmes dans L’espace funéraire en GauLe : des tombes à épée haLLstattienne aux tombes à riche parure féminine

Au VIIIe siècle et durant une large part du VIIe siècle avant J.-C., le centre et l’est de la Gaule voient le renouveau d’une pratique funéraire privilégiée qui avait à peu près disparu depuis 400 ans, l’inhumation individuelle sous tumulus. Cette mutation profonde en accompagne d’autres qui matérialisent le passage, sur fond de crise, à une ère nouvelle où la métallurgie du fer tient assez vite un rôle important. Les personnages qui en bénéficient sont généralement des hommes, jeunes comme âgés, qui se signalent dans leur tombe tumulaire par un mobilier stéréotypé : un ou deux vases décorés personnels ayant fait partie d’un service à boisson sans doute alcoolisée et une épée à lame pistilliforme, en bronze ou en fer, accompagnée parfois d’un bracelet et/ou d’un rasoir). Chacun de ces objets symbolise des fonctions, réelles ou revendiquées, du défunt : appartenance à un réseau de sociabilité élitaire où le festin des pairs est une institution centrale ; droit de porter une arme qui signale le statut – réel ou fictif – de leader guerrier ; distinction par une esthétique corporelle faisant appel à des ustensiles de toilette. Autant de marques distinctives qui supposent qu’il s’agit là d’une élite aux codes de représentation à forte connotation patriarcale et martiale. Ces codes sont stricts, à en juger par la grande homogénéité et la récurrence des mobiliers déposés, depuis les garrigues montpelliéraines jusqu’à la plaine d’Alsace. Sur environ 150 tombes connues, tout juste peut-on observer quelques ensembles se distinguant par la qualité et l’ori-gine exotique de l’épée, par la substitution d’une vaisselle de bronze parfois importée d’Italie aux poteries locales, ou bien, en fin de période et en marge géographique, par l’introduction de nouveaux usages funéraires plus riches d’apparence (inhumations à char d’Alsace et Lorraine). Les autres tombes contemporaines ne sont pas plus nombreuses et, surtout, elles sont difficilement identifiables en raison de l’absence ou de la modestie du mobilier déposé. Sans doute des femmes sont-elles représentées, mais seule l’étude de leur squelette par un anthropo-biologiste permettrait de l’assurer. Il est évident enfin, considérant le nombre réduit de l’ensemble des tombes tumulaires connues, que ces dernières ne représentent qu’une faible fraction de la société, et que la dépouille de la plupart des autres défunts suivait un autre

3.1-Fig. 1. Inhumation à épée du tumulus de Jaulnes (Île-de-France, Seine-et-Marne). Fouilles R. Peake (Photo N. Ameye, Inrap).

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processus funéraire qui n’a guère laissé de traces tangibles. Cet accès limité à la tombe monu-mentale relève d’une pratique de distinction sociale qui contribuait à définir une élite.

Le dernier tiers du VIIe siècle avant J.-C. connaît un nouveau basculement décisif des pratiques funéraires élitaires, mais au bénéfice des femmes cette fois-ci. Les dépôts funéraires dans les contextes masculins deviennent très sobres, avec la disparition du service à boire réduit et, surtout, de l’arme, au point que les inhumations masculines deviennent difficile-ment décelables : tout au plus les hommes emportent-ils encore un bracelet à leur poignet et, de temps à autre, un rasoir. Il n’y a guère que dans les régions périphériques de la Gaule hall-stattienne que l’on trouve encore des inhumations accompagnées d’une arme, un poignard à antennes en l’occurrence. à l’inverse, les tombes féminines apparaissent nettement valorisées avec l’enrichissement sensible et la multiplication du mobilier déposé. Aux rares bracelets et pendeloques de l’époque précédente peuvent s’ajouter désormais torques, perles de collier ou de plastron, épingles, fibules, amulettes, ceintures et anneaux de cheville ; des peignes pouvaient accompagner ces accoutrements nouveaux dans la sphère funéraire, mais seuls les rares exemplaires métalliques ont survécu, comme à Saint-Georges-lès-Baillargeaux (Vienne) ou à Refranche (Doubs). Parmi ces objets, certains font véritablement figure de nouveauté dans la mesure où ils ne connaissent pas d’antécédents à la fin de l’âge du Bronze et au début du 1er âge du Fer, telles les fibules qui sont des productions imitées au départ de modèles nord-italiques. Ils trahissent donc une évolution des codes vestimentaires et de la parure, et, indirectement peut-être, des qualités des tissus fabriqués.

Par ailleurs, les techniques et matériaux impliqués dans la fabrication de ces bijoux et accessoires de costume féminins révèlent un investissement accru par rapport aux époques précédentes. La chaudronnerie, des techniques de moulage complexes sur noyau d’argile et parfois à la cire perdue auto-risent la fabrication de bijoux en bronze de grandes dimen-sions, mais qui restent légers, avec souvent des formes d’allure baroque. Le port en séries des parures occasionne l’élaboration de nouveaux systèmes d’assemblage par tiges rivetées passant au travers de perforations (jambarts de la grotte de Roucadour par exemple), ou bien au moyen de barrettes à gorges d’emboî-tement (jambarts du dépôt de La Mouleyre par exemple). Les matériaux utilisés font preuve d’une diversité étonnante, du moins pour les parures les plus riches. à côté de matières dont l’importation était déjà bien attestée précédemment, tels l’ambre de la Baltique et le verre italique, on peut trouver désormais du corail rouge méditerranéen, de l’ivoire proche-oriental ou africain, du verre proche-oriental, de rares coquil-lages méditerranéens ou venus de la mer Rouge (comme à Nordhouse). Quant aux métaux, on note l’usage significatif du fer, rare auparavant, et l’abondance du bronze. L’or, excep-tionnellement l’argent, sont mobilisés également. Enfin le lignite, une roche fossile d’usage plutôt rare auparavant, devient fréquent, parfois sous la forme d’imposants brassards en forme de tonnelet. La plupart de ces matériaux impliquent l’établissement de réseaux d’approvisionnement à longue distance puisqu’ils sont, sauf exception, originaires de régions éloignées, parfois même extra-européennes. D’une certaine façon, ils placent les élites féminines hallstattiennes au cœur d’un vaste monde dont les confins, certainement nimbés de mystère, fournissaient des matières aux propriétés perçues sans doute comme extraordinaires.

3.1-Fig. 3. Inhumation féminine SP100201 du cimetière du Pâtu-ral à Clermont-Ferrand (Auvergne, Puy-de-Dôme) (Photo J. Dunkley).

3.1-Fig. 2. Mobilier métallique de l’inhumation à épée de Sundhoffen (Al-sace, Haut-Rhin) (Musée Unterlinden de Colmar, Photo O. Zimmermann).

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3.1-Fig. 4. Exemples de la diversité des parures fémi-nines au Hallstatt moyen dans le Jura français (Ganard et al. 1992).

Les parures et costumes féminins de la fin du VIIe et de la première moitié du VIe siècle avant J.-C. signalent donc l’opulence et le rang social de leur détentrice, les rapports que celles-ci et leur famille entretenaient avec les réseaux d’échange, la production artisanale, ainsi qu’avec certaines croyances. Sans doute pouvaient-ils apparaître aussi comme vecteur de l’affirmation d’une identité, à la fois individuelle et collective. Ces atours féminins, selon leur combinaison, l’endroit et la façon dont ils étaient portés, pouvaient signaler l’appartenance à une classe

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d’âge, ainsi qu’un état familial (femme «à marier», mariée, veuve...). Ils ont pu véhiculer également une identité ethnique si l’on considère la grande diversité morphologique d’une région à une autre de certains d’entre eux ; en témoignent les anneaux de cheville dont les variantes sont plus groupées spatialement que les autres parures, ce qui en fait de potentiels marqueurs ethniques. Il semble en outre que l’on puisse distinguer, à partir des silhouettes des anneaux de cheville, des macro-groupes qui coïncident approximativement avec les princi-pales distinctions culturelles reconnues : atlantique avec les anneaux de cheville à bossettes arrondies, continental avec ceux qui possèdent des dents, méditerranéen avec ceux qui ne possèdent aucun décor en fort relief.

Significativement, outre qu’elles abondent de parures, les inhumations de « nouvelles riches » occupent aussi une place centrale ou privilégiée au sein d’un espace funéraire en recomposition en Gaule hallstattienne. C’est effectivement à partir de la fin du VIIe siècle que les tombes deviennent plus nombreuses dans les tumulus et que des enfants y trouvent leur place, ce qui s’explique d’abord par un élargissement de l’accès à la nécropole tumulaire plutôt que par une forte croissance démographique. Ces défunts colonisent des monuments tumulaires constituant de véritables concessions familiales ou claniques, alors que les tumu-lus de l’époque précédente n’étaient conçus que pour un individu. Dans ces tertres dont l’usage devient collectif, il est fréquent que la tombe fondatrice soit celle d’une femme, ou qu’une tombe de femme soit installée au centre d’un tumulus plus ancien, rechargé pour l’oc-casion afin qu’il puisse être réutilisé ensuite pour d’autres ensevelissements. Une fouille remarquable en fournit un bon exemple : à Courtesoult (Franche-Comté), une nécropole familiale utilisée durant deux siècles a été constituée autour d’un coffre de dalles de pierre contenant le cercueil d’une femme adulte parée. Le petit tertre de 9 mde diamètre bâti au-dessus de cette tombe a été colonisé rapidement par cinq tombes disposées en couronne,

3.1-Fig. 5. Plaque à pen-deloques à décor ornitho-morphe de la nécropole des Moidons (RMN-Grand Palais (musée d’Archéolo-gie nationale) / Jean-Gilles Berizzi).

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dont d’autres inhumations féminines riches. Une recharge a été nécessaire pour porter son diamètre à plus de 16 mafin d’y ensevelir une quarantaine d’autres individus. On relève que tout au long de l’utilisation du tertre, la tombe féminine fondatrice a été respectée et, aussi, que son orientation a déterminé les axes d’organisation des sépultures adventices, parfois selon des règles de symétrie distinguant les hommes des femmes.

De récentes découvertes archéologiques dans des régions jusqu’à présent mal documentées pour le plein premier âge du Fer laissent percevoir que ce phénomène funéraire instaurant des femmes en tant que figures de référence n’est en outre pas limité au domaine hallstattien le plus occidental. à Basly en Basse-Normandie, devant la fortification d’un habitat de hauteur, un grand fossé d’enclos carré, entouré d’une palissade, délimite deux chambres funéraires abritant des inhumations féminines. D’autres inhumations ont été agrégées à l’extérieur lors du déve-loppement ultérieur d’une nécropole familiale privilégiée. à Canchy en Picardie, un autre grand enclos carré avec deux chambres funéraires a livré les inhumations d’une femme très âgée t d’une petite fille ; un enclos est venu circonscrire le site au second âge du Fer, comme pour en assurer la mémoire et la pérennité. Des découvertes plus anciennes dans ces régions nord-occidentales qui participent du 1er âge du Fer atlantique attestent que ces exemples ne sont pas isolés. Le phénomène de valorisation féminine dans l’espace funéraire semble bien avoir revêtu une dimension inter-culturelle, à l’échelle de toute la Gaule tempérée. Nous pensons que les

3.1-Fig. 6. Répartition des principaux types d’anneaux de cheville du Hallstatt moyen en France tempérée : une distribution culturelle et ethnique ? Ces anneaux se dis-tinguent plus souvent par des bossettes dans l’espace culturel atlantique, par des dentelures dans l’espace hallstattien et par la rareté des ornements en fort relief dans l’espace médi-terranéen.

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anneaux cheville

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femmes en position centrale et souvent fondatrices dans l’espace funéraire familial, quelles que soient les régions, occupaient alors une place faisant écho aux prérogatives qu’elles possédaient de leur vivant. Il est probable que certaines aient été considérées comme des ancêtres fondateurs de lignage, ce qui a pu engendrer une évolution sensible des systèmes de parenté élitaires et, dans certains cas, l’adoption de filiations matrilinéaires.

Que ce soit au travers des pratiques funéraires ou de leurs objets person-nels, certaines femmes gauloises à partir de la fin du VIIe siècle avant J.-C. deviennent des figures de référence familiale, sociale, ethnique, et acquièrent ainsi une position apparemment plus valorisante. On comprend qu’une telle mutation ait pu avoir des incidences bien au-delà de la Gaule tempérée, en suscitant notamment la circulation de parures féminines depuis l’Armorique jusqu’à la Grèce, en passant par le Languedoc et la Sicile. L’histoire de ces grandes femmes ne s’arrête pas ici puisqu’à l’époque suivante – la fin du premier âge du Fer – la position de l’élite féminine sort même renforcée d’un climat propice au développement et à la concentration des activités agricoles, artisanales et d’échanges, du moins en Gaule hallstattienne. Aussi les plus riches des tombes princières de l’époque, celles qui étaient dotées d’un char cérémoniel à quatre roues, de lourdes parures en or et de vaisselles grecques ou étrusques, sont-elles majoritairement des sépultures féminines. La plus exceptionnelle d’entre elles, la tombe de Vix, le rappelle avec éclat, et atteste même l’accession d’une femme à un pouvoir politique et religieux étendu.

Bibliographie

Piningre et al. 1996 ; Milcent 2003 ; Milcent 2004.

3.1-Fig. 7. Plan et mobilier de l’inhumation fonda-trice (S.6) du tumulus de Courtesoult (Franche-Comté, Haute-Saône) (D’après Piningre et al. 1996).

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3.1.2 Une « dynastie » familiale féminine ? La Rivière Drugeon, le Grand Communal, tumulus 2 (Doubs)

Les plateaux du haut Jura, peu touchés par l’érosion agricole, conservent des nécropoles élitaires du premier âge du Fer dont les tombes en tumulus permettent de suivre l’évolution sociale, même si l’image que renvoie le monde de ces morts privilégiés demeure un reflet très déformé de la société des vivants.

Le tumulus 2 du Grand Communal à la Rivière Drugeon (Doubs), appartient à l’une de ces nécropoles, au tissu très lâche. Il s’agit d’un petit tertre de pierres de 13 mde diamètre pour 0,70 md’élévation, d’une taille fréquente

pour l’époque. Un relevé stratigraphique laisse deviner la présence d’un tumulus primaire fait de gros blocs, puis une recharge au moyen de blocs plus petits. à la base et au centre du tertre primitif, deux inhumations à bijoux féminins du début du Hallstatt moyen avaient été aménagées l’une au-dessus de l’autre. La première (S.3) gisait sous une longue dalle de calcaire, déposée sur le dos, tête orientée au nord-nord-est, avec une abondante parure féminine disposée de la tête aux pieds :– au cou, un probable collier composé de petites perles d’ambre (8), de verre polychrome (8), de bronze (50) et d’un annelet d’ambre (n° 1-3) ; – à hauteur de la poitrine, six pendeloques dont un en cage avec un galet interne, un en crotale et quatre en rouelle (n° 4-6) ;– à la taille, peut-être une ceinture dont subsistaient une tôle d’applique à bossettes et un anneau en bronze (n° 7-8) ;– à chaque poignet, un haut bracelet en lignite accompagné d’un fin bracelet cranté en bronze (n° 9, 10 et 12) ;– un bracelet de lignite supplémentaire (n° 11) ;– aux chevilles, deux paires de quatre anneaux massifs ciselés en bronze (n° 13).

La seconde défunte (S.2) était inhumée au-dessus de la dalle fermant la tombe précé-dente, selon une orientation identique et dans un coffre de gros blocs. La disposition suppose qu’il s’agissait d’une inhumation très proche dans le temps de la sépulture initiale. Le mobilier, en bronze à une exception près, comprenait :– deux boucles d’oreille de tôle en croissant (n° 1-2) ;– neuf perles spiralées (n° 3) ;– un disque à cercle séparé sur le bassin (n° 4) ;– une agrafe de ceinture lancéolée (n° 5) ;– deux brassards tonnelets dépareillés en tôle (n° 6-7) ;– des armilles ;– un petit poignard en fer (n° 8).

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3.1.2-Fig. 2. Mobilier de l’inhumation placée au-dessus de la tombe pré-cédente (Bichet, Millotte 1992).

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Une troisième tombe (S.1), décalée vers l’est et apparemment associée à la recharge du tumulus, présentait également un mobi-lier féminin abondant, essentiellement une ceinture à applique, des bracelets tubulaires en tôle de bronze, un bracelet en lignite et une fibule à disque d’arrêt et grosse timbale datés de la fin du Hallstatt moyen.

Ces trois inhumations successives, quoique différentes par le mobilier associé, présentent d’évidents points communs. Chacune occupe

une place essentielle dans l’histoire de l’amé-nagement du tumulus et est accompagnée d’une parure féminine abondante et riche-ment décorée, de motifs symboliques notam-ment. Sans doute correspondent-elles à des femmes privilégiées, issues d’une même famille dominante.

Bibliographie

Bichet, Millotte 1992, 41-42, fig. 33-38.

3.1.2-Fig. 1. Mobilier de l’inhumation primaire du tumulus du Grand Communal (Bichet, Mil-lotte 1992).

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lignite) est tout à fait comparable à cette dernière sépulture de la région de Pontarlier. Toutes deux sont caractéristiques des riches sépultures féminines de la région aujourd’hui datées du Hallstatt C tardif (750 – 700 avant J.-C.).

On peut regretter que le tertre n’ait pas été exploré dans son intégralité, nous privant d’une vision exhaustive du monument qui devait comprendre des sépultures secon-daires, comme on le constate dans les tumu-lus contemporains en Franche-Comté.

Bibliographie

Bichet, Millotte, 1992, 41 ; Dunning, Piningre, 2009 ; Hugon, 1909 ; Piningre, Ganard, 2004.

3.1.6 Antran (Vienne),

3.1.5-Fig. 2. Chemilla, Sur les bois Tumulus 1, pendeloque ajourée (David Vuillermoz, Musée d’Archéologie du Jura).

Pierre-Yves Milcenttombe à parures annulairesCette inhumation fouillée en 1987 par

Jean-Pierre Pautreau appartient à un vaste complexe funéraire et cultuel qui remonte à l’âge du Bronze. Il est possible qu’elle fût associée à un édicule bâti en arc de cercle sur tranchée de fondation, avec deux poteaux situés en avant et écartés de 1,10 m. La tombe était aménagée dans une fosse irrégu-lière de 2,90 mde long pour environ 1 mde large. Aux extrémités de la fosse, deux trous de calage cylindriques matérialisent l’exis-tence d’une superstructure périssable repo-sant sur deux poteaux ou bien d’un disposi-tif de signalisation, au moyen de stèles par exemple. à l’intérieur de la fosse, dans un contenant périssable, un sujet dont les restes étaient mal conservés gisait, sur le dos, tête orientée au nord-ouest, avec des parures féminines en bronze et deux céramiques. Au cou était un torque à crochets de bronze, au bras gauche un bracelet creux incisé à deux oves, au bras droit un bracelet creux à panneaux incisés, aux chevilles deux anneaux creux à bossettes identiques. Un annelet était déposé aux pieds avec la vais-selle. Le premier vase consiste en un petit pot peint en rouge, doté d’un goulot verseur décoré de part et d’autre de deux mamelons

surmontant deux cupules. Le second, un gobelet, comporte une languette de préhen-sion et une frise de lignes tracées au brunis-soir. Les deux récipients correspondent à un service à boisson individuel, peut-être celui qui appartenait en propre à la défunte et lui aurait permis, symboliquement, de participer à un ultime banquet organisé pour les funé-railles.

Le mobilier métallique d’Antran est datable du courant du VIe siècle avant J.-C. et trouve des comparaisons dans le Centre-Est de la France (sépultures de Bouzais et de Coust « Creuzet » dans le Cher), mais égale-ment sur place parmi une série de dépôts métalliques non funéraires concentrée dans le Saumurois et le Haut-Poitou septentrio-nal. Quelques parures très similaires ont circulé sur de longues distances puisqu’on en trouve dans quelques dépôts languedo-ciens (Saint-Saturnin-de-Lucian) et même jusqu’en Sicile. Le bracelet à deux oves, quoiqu’original, est orné dans un style représenté aussi bien dans le Nord-Ouest que le Centre-Ouest de la France. Les formes et décors des deux vases d’Antran sont égale-ment caractéristiques des productions du Centre-Ouest. Dans le contexte régional,

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l’inhumation d’Antran fait figure de rareté car il existe très peu de sépultures contempo-raines. Quelques tombes anciennement fouillées (Roche-Prémarie-Andillé, Mia) ont toutefois livré également d’abondantes parures métalliques féminines. Avec Antran, elles matérialisent la valorisation dans l’es-pace funéraire de certains personnages fémi-nins à une époque où les tombes masculines apparaissent également très rares dans la région, et plutôt dépouillées en mobilier d’accompagnement. Il faut souligner enfin que ces riches inhumations féminines du Centre-Ouest se distinguent de leurs homo-logues du monde hallstattien par quelques parures originales et, surtout, par un enseve-lissement non pas en tumulus, mais dans une fosse creusée en pleine terre. C’est pour-quoi nous proposons de les rattacher à la sphère culturelle du 1er âge du Fer médio-atlantique.

Bibliographie

Milcent 2004 ; Milcent 2006 ; Pautreau 1991 ; Tauvel 1973 ; Verger 2003, fig. 7.

3.1.6-Fig. 1. Mobilier de la tombe d’Antran (Pautreau 1991).

3.1.6-Fig. 2. Mobilier métallique de la tombe d’Antran (Musées de Poitiers/Christian Vignaud, collection Musée de la Ville de Poitiers et de la Société des Antiquaires de l’Ouest).

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anneaux sont combinés à d’autres artéfacts de diverses fonctions (parures variées, armes, lingots, outils).

Parmi les dépôts simples, deux catégories peuvent être différenciées. La première regroupe des anneaux ou des fragments d’anneaux en bronze de mêmes types. C’est le cas par exemple à Dixmont (Yonne), où un dépôt de douze anneaux de jambe à oves creuses a été découvert avant 1899, lors de travaux de terrassement réalisés dans les douves des anciennes fortifications. Dix des douze anneaux sont ouverts, tandis que les deux autres sont fermés. Il est tentant de rapprocher ce lot d’objets des parures personnelles qu’emportent dans leurs tombes les femmes de cette période, dans les régions situées entre la moyenne vallée de la Loire et la Lorraine. Une seconde catégorie de dépôts simples regroupe des parures annulaires de différents types, mais dont la combinaison s’apparente elle aussi à celle des assemblages funéraires. Ainsi, à Paron (Yonne), on a découvert avant 1878, sur la hauteur dominant la rive gauche du fleuve, deux anneaux larges à grosses perles en relief creuses, un fragment d’un autre brace-

let également perlé et les débris d’un grand et gros torque formé d’un tube creux, qui évoquent la composition d’une panoplie de parures féminines.

Ces dépôts de parures féminines du milieu du premier âge du Fer sont rares, bien qu’on les rencontre néanmoins dans l’ensemble de la Gaule. La morphologie des objets déposés joue un rôle majeur dans l’affirmation des particularismes vestimentaires régionaux. Ces objets constituent d’ailleurs la quotité régionale quantitativement majoritaire des dépôts complexes connus à cette même période. Certains de ces anneaux massifs de Gaule centre-orientale ayant eu une utilisa-tion initiale classique trouve une seconde vie dans leur exportation ritualisée (générale-ment sous la forme de fragments) vers des terres bien éloignées du lieu de leur fabrica-tion comme le sud de la Gaule ou les sanc-tuaires archaïques du pourtour septentrional de la Méditerranée.

Bibliographie

Garcia 1987 ; Milcent 2004 ; Verger 2003 ; Verger 2006.

Dépôt de Pérignat-sur-Allier (Puy-de-Dôme)Mis au jour en 1868 au lieu-dit le Grand

Pérignat, le dépôt était installé dans un coffre de pierres brutes avec quatre dalles latérales et une de couverture. Son contenu consistait en neuf anneaux de cheville intacts disposés sur la tranche, en enfilade ; deux haches polies néolithiques en serpen-tine étaient placées à l’intérieur des anneaux, tranchants vers les extrémités. Le même type d’association, parures annulaires féminines et paire de haches en pierre, est connu dans le dépôt contemporain de Menades (Yonne).

Les anneaux sont en bronze massif (poids total d’environ 1850 g) et semblent tirés d’un même moule. Ils sont ornés de bossettes séparées par des plages incisées de stries tantôt verticales, tantôt en chevrons. Sept anneaux de cheville comparables ont été découverts aux pieds d’une inhumation

probablement féminine à Senneçay (Cher), parée également d’un torque bouleté. D’autres ont été trouvés dans des tombes en Bourgogne, isolément en Auvergne, ainsi que dans quelques dépôts launaciens. Ces lourdes parures aux formes baroques, datées du dernier tiers du VIIe ou du premier tiers du VIe siècle avant J.-C., apparaissent comme des marqueurs de statut privilégié. On suppose que le dépôt du Grand Pérignat correspond à un lot cohérent de bijoux possédés par une riche femme de l’époque. Comme le laissent entendre le soin apporté à son aménagement et l’adjonction de reliques du passé (haches polies), sans doute a-t-il été constitué lors d’un rituel.

Bibliographie

Milcent 2004, 578, pl. 126.

3.2.4

Pierre-Yves Milcent

Double page suivanteFig. 1. Bracelets de Pérignat-sur-Allier (Musée Bargoin, Clermont-Ferrand).

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3.2.5 Présence de Gaulois du Midi en Auvergne vers 600 avant J.-C. : les fibules méditerra-néennes de Corent

Près de Clermont-Ferrand, le puy de Corent est un imposant plateau basaltique de 60 hectares qui verrouille au sud la riche plaine de la Grande Limagne d’Auvergne, et domine le cours de l’Allier là où celui-ci devenait navigable. C’est un site clef pour le

contrôle des échanges entre le Languedoc méditerranéen et le centre de la Gaule puisque l’un des principaux itinéraires entre ces deux régions empruntait le val d’Allier pour rejoindre ensuite la vallée de l’Hérault via les causses de l’Aveyron.

Au centre du plateau, les fouilles en cours mettent au jour plusieurs agglomérations protohistoriques dont la plus ancienne remonte au Bronze final. L’une de ces dernières, datée du premier tiers du VIe siècle avant J.-C., s’étend sur une superficie de plus de 3 hectares, mais sans que l’on en connaisse la taille précise puisque ses limites ne sont pas encore atteintes. Son tissu est formé de bâtiments espacés les uns des autres et reposant partiellement sur des

Pierre-Yves Milcent

3.2.5-Fig. 1. Photo de l’une des fibules médi-terranéennes de Corent (objet n° 355) (Pierre-Yves Milcent).

3.2.5-Fig. 2. Trois des fibules découvertes dans l’agglomération du premier âge du Fer de Corent : 1-2 fibules à ressort bilatéral et grand arc coudé avec une double excroissance losangique au sommet ; 3 fibule à arc serpentiforme et disque d’arrêt. (Pierre-Yves Mil-cent).

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3.2.5-Fig. 3. Distribution des fibules comparables à celles de Corent (Pierre-Yves Milcent).

poteaux plantés. Quelques soles en argile de foyer leur sont associées. La destruction de cette agglomération par un grand incendie a occasionné la conservation in situ de batte-ries entières de céramiques de stockage, de cuisine et de table. à la différence de la pote-rie, le mobilier métallique est très rare, ce qui pourrait s’expliquer par une récupération soigneuse après le sinistre, et aussi par le désagrégement des plus petits objets en fer. Quelques menus objets en bronze subsistent néanmoins, parmi lesquels des fibules. Deux d’entre elles appartiennent à des modèles hallstattiens à arc serpentiforme et disque d’arrêt caractéristiques de l’Est de la France et du Sud-Ouest de l’Allemagne. Deux autres possèdent un petit ressort bilatéral et un grand arc coudé avec une double excrois-sance losangique au sommet : sur l’une, l’arc est enserré d’un fil à épissure, tandis que l’arc de l’autre est nu. Toutes deux corres-pondent aux variantes les plus archaïques d’une famille de fibules à pied redressé avec bouton conique qui devient extrêmement répandue tout autour du Golfe du Lion à la fin du premier âge du Fer. Les autres exem-plaires archaïques se répartissent autour de

la Méditerranée nord-occidentale, depuis le sud de la Catalogne jusqu’aux environs de Marseille, et sont datés de la première moitié du VIe siècle avant J.-C. Aussi éloignées les unes que les autres de leur sphère de distri-bution habituelle, les fibules hallstattiennes et méditerranéennes de Corent matérialisent que l’Auvergne était à la jonction de deux aires culturelles extrêmement dynamiques dans l’animation des échanges à longue distance. Ces petits objets fragiles étant des accessoires de costumes spécifiques, sans doute trahissent-ils la présence à Corent d’étrangers d’origines méditerranéenne et centre-européenne.

On pourrait dès lors envisager que l’ag-glomération de Corent ait été l’un des nœuds des réseaux originaux tissés, vers 600 avant J.-C., entre l’ouest du monde hallstattien et la Méditerranée centrale via le Languedoc côtier.

Bibliographie

Milcent, Saint-Sever 2012.

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3.2.6 Saint-Pierre-Eynac (Haute-Loire), dépôt de la Mouleyre

Cet ensemble constitue le plus important dépôt non funéraire d’objets en bronze iden-tifié pour le premier âge du Fer en Gaule centrale. Il a été mis au jour dans un amas de pierres et acquis en 1874 pour le Musée Crozatier, mais quelques éléments n’ont pas été achetés ou récupérés. Les 91 pièces conservées correspondent essentiellement à des parures annulaires et des anneaux. Elles apparaissent pour la plupart brisées et même lacunaires, si bien qu’elles pourraient sembler disparates et résulter d’une collecte aléatoire de vieux bronzes à recycler. Du reste, l’en-semble de La Mouleyre a longtemps été consi-déré comme l’archétype du dépôt de fondeur dans la région, et rapproché à ce titre des dépôts contemporains du Languedoc, dits launaciens. L’examen précis des pièces révèle cependant que la majorité des cassures et des pliages ont été réalisés non pas durant la Protohistoire, mais récemment, lors de la découverte ou peu après. La plupart des objets, spécialement les parures annulaires, avaient donc été déposés intacts à l’origine. Nous savons que leur disposition était soignée : ils étaient dans un chaudron et un bassin superposés, les parures annulaires ouvertes enfilées les unes dans les autres selon l’ordre de leurs dimensions, à la manière d’une chaîne, tandis que les bracelets fermés étaient apparemment déposés à côté.

Trois vases en tôle chaudronnée apparte-naient au dépôt : un petit chaudron à rebord perlé italo-grec, importé de Sicile ou d’Italie du Sud et daté des environs du deuxième quart du VIe siècle avant J.-C. (n° 3) ; un bassin étrusque à rebord doublement perlé de la fin du VIIe ou du début du VIe siècle avant J.-C. (n° 2) ; un gobelet à panse arrondie et nervurée qui pourrait être de facture régio-nale (n° 1).

Deux objets relèvent de la sphère mascu-line : un rasoir en demi-lune à deux anneaux de suspension et, probablement, un bracelet richement incisé dont les extrémités sont épaissies.

En majorité, les autres pièces appar-tiennent à la sphère féminine puisqu’elles

consistent en 44 anneaux de cheville et bracelets dont les types sont connus pour être portés, souvent en série, dans les plus riches tombes de femmes du sud du Massif central. Les bracelets les plus petits ont un jonc plein et portent des décors incisés de fins bandeaux souvent agencés à l’oblique (n° 16-17). Ces productions sont communes aussi bien dans les sépultures du sud-est du Massif central que du Midi méditerranéen. D’autres, plus larges, bracelets et anneaux de cheville, ont un jonc martelé de section en U ou en V, avec des incisions parallèles inscrites dans des rectangles alternant avec des plages lisses (type de La Mouleyre ; n° 18, 22, 24, 25 et 16) ; en contexte funé-raire, on ne les trouve guère que dans le sud du Massif central, si bien qu’il semble s’agir de parures propres à cette région. Des exem-plaires semblables sont connus dans les dépôts launaciens, mais ils y figurent sans doute à titre d’importations. Les parures annulaires les plus grandes du dépôt, des anneaux de cheville, disposent d’un jonc de section plano-convexe moulé, avec de fines dentelures en relief et parfois des incisions interstitielles (n° 19 et 21). Ce sont les productions les plus rares, dont on peut envisager qu’elles aient été produites essen-tiellement en Haute-Loire.

Il convient de préciser que les différentes parures féminines de La Mouleyre consti-tuent des lots appareillés, représentés par des paires ou bien des séries de 3, 4 ou 8 pièces identiques, à la manière de ce que l’on observe dans certaines tombes contempo-raines. Deux barrettes à section en H du dépôt (n° 20 et 23) sont d’ailleurs des éléments destinés initialement à maintenir ensemble et fermer des parures annulaires superposées pour former des jambarts. Ceci conforte l’idée que les parures féminines dans le dépôt ne relèvent pas non plus d’une banale pratique de récupération de vieux bronzes, sauf exceptions.

On notera aussi la présence de 16 petits anneaux neufs (tous les autres objets du dépôt portent des traces d’usure légères à

Pierre-Yves Milcent

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Les femmes du premier âge du Fer en France centrale et orientale Chapitre 3

moyennes) dont la fonction est indéterminée (n° 6). L’inventaire est complété enfin par quelques objets qui n’étaient plus fonction-nels au moment de la constitution du dépôt (menus fragments de haches à douille, disque perforé de rapetassage ; n° 7-9), ou bien par du métal brut, jets de coulée (n° 10-11) et segments de lingots (n° 12-15). Il est envisa-geable que les rares parures annulaires dont les cassures sont anciennes faisaient partie à l’origine de ce lot de métal informe ou en cours de recyclage.

En résumé, le dépôt de la Mouleyre date de la première moitié du VIe siècle avant J.-C. et réunit deux groupes d’éléments remplissant des fonctions bien distinctes. Le premier consiste en fragments d’objets usagés et en

métal brut destinés à être recyclés ou bien échangés en vertu de la masse de métal qu’ils représentent. Le second rassemble des objets encore fonctionnels et complémentaires les uns des autres, semblables aux possessions individuelles que l’on trouve dans les tombes les plus riches de l’époque : bracelet isolé et rasoir masculins d’une part, séries de brace-lets et anneaux de cheville féminins d’autre part, auxquels il faut ajouter la vaisselle métallique qui pouvait appartenir aussi bien à un homme qu’à une femme considérant la polyvalence de leur usage. Le dépôt rassem-blerait donc le patrimoine, sous la forme d’objets personnels et de métal échangeable, de plusieurs individus importants en lien avec des réseaux d’échanges à longue distance, et

3.2.6-Fig. 1. Dépôt de Saint-Pierre-Eynac (des-sins P.-Y. Milcent et J.-P. Daugas).

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Une Odyssée gauloiseChapitre 3

issus d’une même communauté, voire d’une même famille : un homme et quelques femmes. Le nombre précis des femmes impliquées dans cette dotation n’est pas déterminable puisque certaines parures, de petites tailles, peuvent correspondre aux bijoux d’enfance conservés

par des individus plus âgés possédant égale-ment leurs parures d’adulte.

Bibliographie

Milcent 2004, 187-191, 541-542, pl. 83-84.

3.2.6-Fig. 2. Sélection de bracelets et rasoir du dépôt de Saint-Pierre-Eynac (Musée Crozatier, Puy-en-Velay).

3.2.7 Lavoûte-Chilhac (Haute-Loire)Un ensemble de 37 pièces d’alliage

cuivreux provenant de Lavoûte-Chilhac a été acheté en 1874, sans que l’on connaisse les conditions de sa découverte, et s’il était complet. Composé de parures parfois frag-mentaires, mais aussi d’un morceau de hache à douille, il est apparemment issu d’un dépôt du genre de celui de Saint-Pierre-Eynac. On remarque parmi ces parures des bracelets et anneaux de cheville, entiers ou fragmen-taires, dont les types sont attestés dans de riches tombes féminines d’Auvergne (Laurie, Moissat, Saint-Georges). Trente petites pendeloques triangulaires à fines nervures complètent l’inventaire. Quelques-unes sont issues du même moule ; leur alliage présente un aspect argenté et semble chargé en

plomb. Ces pendeloques appartiennent à une production documentée principalement dans l’Hérault et le Gard, et participent de costumes féminins ainsi que l’atteste le mobilier de la tombe féminine du tumulus C4 de Cazevieille (Hérault). Elles pourraient constituer des importations méridionales.

Les objets locaux, de même que les pende-loques méditerranéennes, permettent d’attri-buer l’ensemble de Lavoûte-Chilhac à la fin du VIIe ou, plus vraisemblablement, à la première moitié du VIe siècle avant J.-C.

Bibliographie

Milcent 2004, 539-540, pl. 76.

Pierre-Yves Milcent

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Les femmes du premier âge du Fer en France centrale et orientale Chapitre 3

3.2.8 La cache de l’âge du Fer de Roucadour (Thémines, Lot)

Si, après les fréquentes occupations du site au cours de l’âge du Bronze, celles de l’âge du Fer n’ont pas été très importantes dans la doline de Roucadour (Thémines, Lot) sur le causse de Gramat, le porche et la cavité qui la prolonge ont été plus largement fréquentés durant cette période : la fouille de plusieurs lambeaux de strates du porche atteste de petites installations. La cavité a été utilisée au cours de cette période, peut-être comme grotte-bergerie. La première partie de sa large galerie conserve en effet des traces d’une couche archéologique remaniée, contenant du mobilier des âges du Bronze et du Fer, et des aménagements d’enclos de pierres qui n’ont pu être cependant précisé-ment datés. Explorant la cavité longtemps

ouverte à tous vents, les groupes spéléolo-giques de Brive et de Saint-Céré, dans les années 1960, ont apporté la majeure partie des données sur l’occupation de la cavité à cette période. Les conditions des objets rassemblés lors de ces travaux, complétés par d’autres ramassages trente ans plus tard, restent toute-fois mal définies.

Une cachette d’objets « remplie de poteries décorées et d’objets en bronze » a été ainsi découverte dans la cavité en 1963. L’empla-cement « dans une petite cavité latérale se prolongeant par un boyau » se trouve en limite de zone éclairée à la base du talus formé sous le porche de la grotte par les occupations préhis-toriques successives.

3.2.7-Fig. 1 : Pendeloques et bracelets du dépôt de Lavoûte-Chillac (Musée Crozatier, Puy-en-Velay).

Jean Gascó

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Les femmes du premier âge du Fer en France centrale et orientale Chapitre 3

Or ce sont celles que les Grecs de l’époque archaïque mettaient explicitement en relation avec l’extrémité nord-occidentale du monde connu. C’est à cette tradition que se réfère Héro-dote (III, 115) lorsqu’il critique certaines conceptions géographiques concernant l’extrême occident : « Sur les régions de l’Europe situées aux confins du monde occidental, je ne puis donner aucune précision : car je refuse pour ma part d’admettre l’existence d’un fleuve appelé par les barbares Eridanos, qui se jetterait dans la mer septentrionale et nous donnerait l’ambre ; je ne connais pas davantage ces îles Cassitérides, d’où nous viendrait l’étain. […] Tout ce que je puis dire, c’est que l’étain nous arrive de l’extrémité du monde, ainsi que l’ambre ».

Il est singulier de constater que, quelques décennies avant l’arrivée des premiers marins de Sicile ou d’Italie à l’embouchure de l’Hérault, la dame d’Agde portait un vêtement conforme à la représentation que les Grecs de l’époque archaïque se faisaient des pays de l’extrême nord occidental.

Bibliographie

Chieco Bianchi et Calzavara Capuis 1985 ; Mastrocinque 1991 ; Greci, Enotri 1996 ; Berardinetti Insam 2001 ; Colivicchi 2003 ; Verger 2010.

3.4.0 Ambre et ligniteLes Anciens n’avaient certainement pas

conscience qu’en utilisant l’ambre et le lignite, ils mobilisaient des matériaux issus d’un processus de fossilisation et d’une ère géologique très reculée. Le lignite est un terme utilisé génériquement pour désigner des bois minéralisés il y a des dizaines de millions d’années tandis que l’ambre résulte de la fossilisation de la sève de résineux. Chacun des deux matériaux présente des propriétés originales. Esthétiquement, et quand ils sont polis, le lignite se distingue par sa couleur généralement noire et bril-lante, l’ambre par son aspect souvent trans-lucide, brillant, avec une couleur pouvant tirer vers le jaune ou le rouge, du moins pour les variétés qui étaient préférées au 1er âge du Fer. Les deux ont la propriété de brûler en dégageant une odeur particulière. L’ambre flotte à la surface de l’eau, ce qui n’est pas le cas paradoxalement du bois de lignite. Le premier, quand il est frotté sur certains tissus, peut enfin se charger en électricité statique, attirer à lui des corps légers ou bien produire des décharges sous la forme d’étin-celles, ce qui n’avait pas manqué d’intriguer les Anciens. Pour ces différentes raisons, et outre que leur origine pouvait être lointaine (Mer du Nord et Baltique pour l’ambre), le

lignite et l’ambre étaient des matières à la fois semi-précieuses et aux vertus magiques ; différents mythes s’attachaient à expliquer leur existence. Dès lors on comprend mieux qu’ils aient constitué au 1er âge du Fer des éléments de choix pour élaborer parures et amulettes féminines.

Pierre-Yves Milcent

3.4-Fig. 1-Légende à compléter

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Une Odyssée gauloiseChapitre 3

3.4.5 Pommeau d’épée en ivoire et ambre de Chaffois (Doubs)

L’objet provient du tumulus 3 de la Censure à Chaffois, dans le Doubs, où il accompagnait une inhumation centrale dotée d’une boucle d’oreille faite d’annelets soudés en or et d’un bracelet en lignite en rond de serviette à chaque poignet. C’est un fragment d’ivoire d’éléphant ou d’hippopo-tame taillé et incrusté de pastilles d’ambre triangulaires et losangiques disposées en bandeaux superposés, tête-bêche, sur des lamelles de métal blanc. Il peut être rappro-ché du pommeau d’ivoire de l’épée de la tombe 573 de la nécropole de Hallstatt en Autriche. Les épées de ce type, dit de Mindel-heim, sont datées du milieu du VIIe siècle avant J.-C. et typiques de l’Europe centrale. Toutes se distinguent par leur grande taille et leur décoration, si bien que leur usage semble avoir été plus symbolique que pratique. Objets de luxe, elles ont été expor-tées jusqu’en Pays de Galles. Le pommeau de

Chaffois appartient quant à lui à un groupe exceptionnel d’accessoires d’épée en matières précieuses, sans doute fabriqués en Italie centrale : c’est là en effet que l’on trouve la plupart des objets combinant l’ambre de la Baltique à l’ivoire du Proche-Orient ou de l’Afrique. Dans la tombe princière Barberini à Préneste, près de Rome, une corne à boire en ivoire et ambre présente les mêmes registres décoratifs qu’à Chaffois.

étant données la typo-chronologie et la disposition des parures, on pourrait considé-rer la tombe de Chaffois comme l’inhuma-tion d’une femme privilégiée de la fin du VIIe siècle avant J.-C., accompagnée d’une relique faite du morceau d’une épée illustre.

Bibliographie

Bichet, Millotte 1992, 69-70, fig. 59.

Pierre-Yves Milcent

3.4.5-Fig. 1. Mobilier de l’inhumation de Chaffois « La Censure » T.3.

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Les femmes du premier âge du Fer en France centrale et orientale Chapitre 3

3.4.6 Straubing, mobilier de la fosse à petite situle en bronze égyptienne

Une découverte effectuée vers 1930 à Straubing en Bavière, immédiatement au sud du cours du Danube, illustre de manière originale les relations rituelles que les femmes hallstattiennes peuvent entretenir avec les contrées les plus lointaines, situées au-delà des limites du monde connu. Il s’agit d’une fosse remplie de terre brûlée qui contenait un grand vase piriforme en céra-mique locale, trois vases miniatures mode-lés, une fusaïole en terre cuite et un petit vase en bronze à décors en relief.

La forme de l’objet montre qu’il s’agit d’une situle miniature de modèle égyptien ornée de scènes sans doute figurées diffi-ciles à identifier. Les détails de la facture du décor indiquent qu’il s’agit d’une produc-tion égyptisante de Syrie du nord plutôt que d’un original égyptien. Par comparaison

avec d’autres exemplaires similaires connus en égypte, on peut supposer qu’il s’agissait d’un défilé divin. Le caractère schématique de la frise semble indiquer que l’on a affaire à une imitation nord-syrienne. En égypte, ce type de vase servait pour les libations funéraires et présentait souvent la représen-tation de la barque du soleil diurne adoré par des babouins et du soleil couchant tiré par des chacals.

On se trouve ici en présence d’un contexte rituel mal défini, auquel la fusaïole donne une connotation féminine. Le petit récipient métallique est tout à fait unique au nord des Alpes. Il appartient à une série peu diffusée hors d’égypte, si ce n’est en Syrie et dans le sud de la Turquie ainsi que dans un petit nombre de lieux de culte grecs, comme le sanctuaire d’Apollon Hylates à Kourion

3.4.5-Fig. 2. 1 : corne à boire de Préneste ; 2 : poi-gnée de l’épée de la tombe 573 de la nécropole de Hallstatt ; 3 : morceau de pommeau de Chaffois ; 4 : pommeau de l’épée de la tombe à char de Marain-ville-sur-Madon (Vosges) (Milcent 2004, fig. 62 ; fig. 2 n° 1).

Stéphane Verger