L’invocabilité des accords internationaux devant le juge de la légalité des actes de l’Union...

28
BRUYLANT L’INVOCABILITÉ DES ACCORDS INTERNATIONAUX DEVANT LE JUGE DE LA LÉGALITÉ DES ACTES DE L’UNION EUROPÉENNE. ÉTAT DES LIEUX À L’OCCASION DES ARRÊTS VERENIGING MILIEUDEFENSIE ET STICHTING NATUUR EN MILIEU PAR Jean Félix DELILE* Cet article a pour objet de préciser de quelle manière la Cour de justice régule les interactions entre ordre juridique de l’Union et droit convention- nel international en étudiant les principes qui régissent son invocabilité. Dans les arrêts commentés, la grande chambre a confirmé l’intangibilité du lien unissant l’invocabilité à l’effet direct dans le cadre du contrôle de la légalité des actes de droit dérivé. Le droit de se prévaloir de normes conventionnelles dépourvues d’effet direct comme normes de référence d’un tel contrôle ne peut donc pas être fondé sur leur primauté. La doc- trine Nakajima, qui permettait à titre exceptionnel d’invoquer ces normes lorsque l’acte attaqué les mettait en œuvre, est de surcroît réduite à sa portion congrue, la Cour ayant limité son champ d’application aux Codes Anti-Dumping de l’OMC. De sorte que les institutions de l’Union peuvent édicter des règles de droit dérivé expressément contraires à des normes conventionnelles non dotées d’effet direct sans qu’aucune perspective de sanction juridictionnelle ne menace leur applicabilité dans l’ordre juridique de l’Union. Introduction Réunie en Grande Chambre à l’occasion des arrêts Vereniging Milieude- fensie (1) et Stichting Natuur en Milieu (2), la Cour de justice de (*) (1) C.J.U.E. (GC), 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, aff. jointes C-401/12 P à C-403/12 P, ECLI:EU:C:2015:4. Dans ce commentaire, nous nous rapporterons à la numérotation des points de cet arrêt. Les extraits cités sont rédigés en termes identiques dans l’arrêt Stichting Natuur en Milieu. (2) C.J.U.E. (GC), 13 janvier 2015, Conseil c. Stichting Natuur en Milieu et Pesti- cide Action Network Europe, aff. jointes C-404/12 P et C-405/12 P, EU:C:2015:5.

Transcript of L’invocabilité des accords internationaux devant le juge de la légalité des actes de l’Union...

bruylant

L’INVOCABILITÉ DES ACCORDS INTERNATIONAUX DEVANT LE JUGE

DE LA LÉGALITÉ DES ACTES DE L’UNION EUROPÉENNE. ÉTAT DES LIEUX À L’OCCASION DES ARRÊTS VERENIGING MILIEUDEFENSIE ET STICHTING NATUUR

EN MILIEU

par

Jean Félix DELILE*

Cet article a pour objet de préciser de quelle manière la Cour de justice régule les interactions entre ordre juridique de l’Union et droit convention-nel international en étudiant les principes qui régissent son invocabilité. Dans les arrêts commentés, la grande chambre a confirmé l’intangibilité du lien unissant l’invocabilité à l’effet direct dans le cadre du contrôle de la légalité des actes de droit dérivé. Le droit de se prévaloir de normes conventionnelles dépourvues d’effet direct comme normes de référence d’un tel contrôle ne peut donc pas être fondé sur leur primauté. La doc-trine Nakajima, qui permettait à titre exceptionnel d’invoquer ces normes lorsque l’acte attaqué les mettait en œuvre, est de surcroît réduite à sa portion congrue, la Cour ayant limité son champ d’application aux Codes Anti-Dumping de l’OMC. De sorte que les institutions de l’Union peuvent édicter des règles de droit dérivé expressément contraires à des normes conventionnelles non dotées d’effet direct sans qu’aucune perspective de sanction juridictionnelle ne menace leur applicabilité dans l’ordre juridique de l’Union.

Introduction

Réunie en Grande Chambre à l’occasion des arrêts Vereniging Milieude-fensie (1) et Stichting Natuur en Milieu (2), la Cour de justice de

(*) (1) C.J.U.E. (GC), 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting

Stop Luchtverontreiniging Utrecht, aff. jointes C-401/12 P à C-403/12 P, ECLI:EU:C:2015:4. Dans ce commentaire, nous nous rapporterons à la numérotation des points de cet arrêt. Les extraits cités sont rédigés en termes identiques dans l’arrêt Stichting Natuur en Milieu.

(2) C.J.U.E. (GC), 13 janvier 2015, Conseil c. Stichting Natuur en Milieu et Pesti-cide Action Network Europe, aff. jointes C-404/12 P et C-405/12 P, EU:C:2015:5.

150 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

l’Union européenne était appelée à se prononcer sur l’opportunité de libé-raliser les conditions d’invocabilité des accords internationaux dans le cadre du contrôle de la légalité des actes de droit dérivé. La juridiction de l’Union devait plus précisément spécifier les liens qu’entretient l’invocabilité des règles conventionnelles avec l’effet direct de celles-ci. Ces propriétés des stipulations conventionnelles sont-elles autonomes ou, au contraire, interdé-pendantes lorsqu’est contestée la légalité d’une norme de droit de l’Union européenne ?

L’invocabilité en justice d’une norme est le droit conféré à une per-sonne de faire état de son existence lors d’une instance, dans la perspective d’obtenir la satisfaction d’une revendication (3). Ce droit est soumis à un régime juridique protéiforme que la nature des prétentions des justi-ciables modèle au gré des litiges (4). Une typologie créée pour décrire cette polymorphie a été élaborée en doctrine pour analyser la jurisprudence de la Cour de justice qui a permis la diffusion du droit de se prévaloir des directives de l’Union européenne devant les juridictions nationales des États

(3) On s’inspire ici de la présentation de Philippe manin selon qui « “Invoquer” un accord international, c’est pour une “personne” faire état de l’existence d’un accord en vigueur pour tenter d’obtenir satisfaction d’une revendication », (« À propos de l’accord instituant l’organisation mondiale du commerce et de l’accord sur les marchés publics : la question de l’invocabilité des accords internationaux conclus par la Communauté euro-péenne », Rev. trim. dr. eur., 1997, pp. 399-428 (401)). Pour Rass holDGaarD, l’invocabilité d’une norme internationale dans l’ordre juridique communautaire « denotes the capability of a legal subject to rely on (i.e. use or invoke) that norm in a particular context », (External relations of the European Community — Legal reasoning and Legal discourses, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International BV, European monographs, 2008, p. 244). Selon Gérard TeBoul, le juge interne « se prononce sur l’invocabilité de la convention par les particuliers, autrement dit, sur la possibilité, pour une source de droit des gens, de produire des effets dans l’ordre interne. En bref, c’est l’accès de l’individu à la norme juridique internationale qui est en cause », (« Le juge administratif et le droit international, aspects récents de droit formel », A.J.D.A., 1995, pp. 43-65 (47)). Voy. également, J. Groux, « L’“invocabilité en justice” des accords internationaux des Communautés européennes », Rev. trim. dr. eur., 1983, pp. 203-232 ; J. riDeau « Les accords internationaux dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes : Réflexions sur les rela-tions entre les ordres juridiques international, communautaire et nationaux », R.G.D.I.P., 1990, pp. 289-418 ; P. elefTheriaDis, « The Direct Effect of Community Law : Conceptual Issues », YB. Eur. L., 1996, pp. 205-221.

(4) L’avocat général Jääskinen relève ainsi que la jurisprudence de la Cour de justice relative à l’invocabilité « a évolué suivant plusieurs branches, qui se rattachent néanmoins à un “tronc commun” incarné par le principe de monisme » : Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur Conseil de l’Union européenne, Parlement européen, Commission euro-péenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, aff. jointes C-401/12 P, C-402/12 P et C-403/12 P, EU:C:2014:310.

Jean félix Delile 151

bruylant

membres (5). Le cadre conceptuel créé par cette classification des formes d’invocabilité conserve sa valeur explicative dans le cadre d’une étude du traitement de l’invocabilité des accords internationaux devant la juridiction de l’Union européenne (6). Il convient à ce titre de procéder à une brève présentation de cette typologie.

L’invocabilité d’interprétation confère au justiciable le droit d’obtenir une interprétation juridictionnelle du droit interne conforme à la règle extra-nationale dont il se prévaut (7). En présence d’une antinomie normative, une règle interne n’est toutefois pas susceptible d’être interprétée en conformité avec une règle extranationale (8), le requérant peut alors réclamer au juge

(5) Y. GalmoT et J.-Cl. BonichoT, « La Cour de justice des Communautés euro-péennes et la transposition des directives en droit national », R.F.D.A., 1988, pp. 15-25 ; S. prechal, « Direct effect reconsidered, redefined and rejected », in Direct Effect : Rethin-king a Classic of EC Legal Doctrine, Groningen, Europa Law Publishing, Prinssen & Schrauwen (éds.), 2004, pp. 17-41 ; D. simon, « Invocabilité et primauté : petite expérience de déconstruction », in Union européenne et droit international : Mélanges en l’honneur de Patrick Daillier, Paris, Pedone, 2012, pp. 139-157.

(6) Cela ne signifie pas pour autant que les régimes de l’invocabilité des droits de l’Union d’origines interne et internationale soient identiques.

(7) Interprétation du droit de l’Union européenne à la lumière des accords internationaux liant l’Union : C.J.C.E., 26 avril 1972, Interfood GmbH c. Hauptzollamt Hamburg-Ericus, 92/71, EU:C:1972:21 ; C.J.C.E., 19 octobre 1989, Hoesch AG et République fédérale d’Alle-magne c. Bergrohr GmbH, 142/88, EU:C:1989:393 ; C.J.U.E., 21 juin 2012, Titus Alexander Jochen Donner, C-5/11, EU:C:2012:370. Interprétation du droit des États membres conforme aux accords internationaux liant l’Union : C.J.C.E., 16 juin 1998, Hermès international c. FHT marketing choice BV, C-53/96, EU:C:1998:292 ; C.J.C.E., 8 mars 2001, Commission des Communautés européennes c. République fédérale d’Allemagne, C-68/99, EU:C:2000:583 ; C.J.U.E. (GC), 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie VLK c. Ministerstvo životného prostredia Slovenskej republiky, C-240/09, EU:C:2011:125. Voy. A. nollKaemper et G. BeT-lem, « Giving effect to public international law and European community law before domes-tic courts : a comparative analysis of consistent interpretation », EJIL, 2003, pp. 569-589 ; Fr. casolari, « Giving effect to International Law within the EU Legal Order : The doctrine of consistent interpretation », in E. cannizzaro, P. palcheTTi et R. Wessel (dir.), International Law as Law of The European Union, Zeist, Martinus Nijhoff Publishers, 2012, pp. 395-415 ; D. simon, « La panacée de l’interprétation conforme : injection homéopathique ou thérapie palliative ? », in De Rome à Lisbonne : les juridictions de l’Union européenne à la croisée des chemins. Mélanges en l’honneur de Paolo Mengozzi, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 279-300.

(8) Dans le contexte de l’interprétation du droit de l’Union à la lumière du droit conven-tionnel, V. Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur Conseil de l’Union européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, préc., point 137. Dans le cadre de l’interprétation du droit des États membres à la lumière du droit dérivé de l’Union : C.J.U.E. (GC), 24 janvier 2012, Maribel Dominguez c. Centre informatique du Centre Ouest Atlantique et Préfet de la région Centre, C-282/10, EU:C:2012:33.

152 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

que la première soit laissée inappliquée : il s’agit de l’invocabilité d’exclu-sion (9). Fondée sur la primauté, cette forme d’invocabilité ne bénéficie qu’au droit « interne » de l’Union, et la Cour devait décider dans les arrêts commentés d’étendre ou non son champ d’application matériel au droit conventionnel. Ensuite, l’invocabilité Nakajima (ou d’exécution) vise également à obtenir l’inapplication de l’acte interne contraire à la norme extranationale, mais n’est possible que lorsque le premier exécute une obli-gation particulière tirée de la seconde (10). L’invocabilité FEDIOL (11), qui permet aux requérants de se prévaloir d’une stipulation conventionnelle à laquelle renvoie expressément l’acte juridique de l’Union attaqué, semble de son côté être tombée en désuétude (12). Les invocabilités Nakajima et FEDIOL peuvent être groupées sous le titre de la « doctrine de l’implémen-

(9) C.J.C.E., 28 mars 1996, Ruiz Bernaldez, C-129/94, EU:C:1996:143 ; C.J.C.E., 24 octobre 1996, Aannemersbedrijf P.K Kraaijeveld BV e.a. c. Gedeputeerde Staten van Zuid-Holland, C-72/95, EU:C:1996:404 ; C.J.C.E., 16 septembre 1999, World Wildlife Fund e.a c. Autonome Provinz Bozen e.a., C-435/97, EU:C:1999:418 ; C.J.C.E., 19 sep-tembre 2000, État du Grand-Duché du Luxembourg c. Consorts Linster, C-287/98, EU:C:2000:468 ; C.J.U.E. (GC), 18 octobre 2011, Boxus et Roua c. Région wallonne, C-128/09 à C-131/09, C-134/09 et C-135/09, EU:C:2011:319. Voy. O. DuBos, « L’invo-cabilité d’exclusion des directives : une autonomie enfin conquise (à propos de C.J.C.E., 19 septembre 2000, Grand-Duché de Luxembourg c. Berthe Linster) », R.F.D.A., 2003, pp. 568-575.

(10) C.J.C.E., 8 juin 1991, Nakajima All Precision Co. Ltd contre Conseil, C-69/89, EU:C:1991:186 ; Trib. UE, 14 juin 2012, Vereniging Milieudefensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht c. Commission européenne, T-396/09, EU:T:2012:301 ; Trib. UE, 14 juin 2012, Stichting Natuur en Milieu, T-338/08, EU:T:2012:300. Pour une reprise des logiques de l’invocabilité Nakajima par le Tribunal de la fonction publique : TFPUE, 4 juin 2009, Vahan Adjemian e.a. c. Commission des Communautés européennes, F-134/07 et F-8/08, EU:F:2009:51.

(11) C.J.C.E., 22 juin 1989, Fédération de L’Industrie de l’Huilerie de la CEE (FE-DIOL) c. Commission, C-70/87, EU:C:1989:110.

(12) L’invocabilité FEDIOL n’a plus fait l’objet d’applications jurisprudentielles de-puis 1989. Cette exception est appliquée restrictivement, ce qui implique désormais qu’un simple renvoi ne suffit pas, il faut une manifestation claire de la volonté du législateur com-munautaire de se conformer à l’obligation internationale en question (voy. R. holDGaarD, External relations law of the European community : legal reasoning and legal discourse, op. cit., p. 315). Il convient tout de même de mentionner l’analyse de l’arrêt Petrotub délivrée par Christine KaDDous selon laquelle cet arrêt serait une « application de la juris-prudence Fediol », (« Le statut du droit de l’OMC dans l’ordre juridique communautaire : développements récents », in Mélanges en Hommage à Jean-Victor Louis, Bruxelles, édi-tions de l’Université libre de Bruxelles, vol. II, 2003, pp. 107-126 (112)). Cet arrêt doit de notre point de vue être envisagé comme un affermissement des conditions d’application de l’invocabilité Nakajima (voy. G. zonneKeyn, « The ECJ’s Petrotub judgement : towards a revival of the “Nakajima Doctrine” ? », L.I.E.I., 2003, pp. 249-266).

Jean félix Delile 153

bruylant

tation » (13) et profitent à l’invocabilité des accords internationaux dépour-vus d’effet direct. Ces quatre premières formes d’invocabilité ont pour objet de « régulariser » (14) l’état du droit d’origine interne, en le mettant en conformité avec le droit d’origine extranationale. Par ailleurs, lorsqu’une personne considère avoir subi un préjudice en raison de la violation d’une règle extranationale par une autorité publique, elle peut se prévaloir de cette obligation aux fins d’obtenir une indemnisation susceptible d’effacer les conséquences dommageables de cette illicéité (15). Elle mobilise en ce cas l’invocabilité de réparation qui permet non la régularisation de l’état du droit interne, mais la dissolution des conséquences préjudiciables de son irrégularité. La personne privée peut enfin inviter le juge à appliquer immédiatement à sa situation juridique un droit qui lui est attribué par une norme extranationale (16). Cette invocabilité de substitution de la norme extranationale est indifférente aux relations qu’elle entretient avec l’état du droit interne : elle n’a pas pour objet sa régularisation, ou la sanction de son irrégularité. Elle permet simplement à une personne privée d’obtenir l’application juridictionnelle d’un droit subjectif dont elle est titulaire au titre de la règle invoquée.

(13) Cette formule est une traduction de l’expression « doctrine of implementation » employée par Rass holDGaarD, (External relations law of the European community : legal reasoning and legal discourse, op. cit., p. 319) ; pour d’autres usages de cette formule, voy. P. KouTraKos, EU International Relations Law, Londres, Hart Publishing, Modern Studies in European Law, 2005, p. 261 ; P. eecKhouT, External relations of the European Union : legal and Constitutional foundations, Oxford, Oxford University press, 2e éd., 2011, p. 316. La formule est traduite en français par l’avocat général Jääskinen sous le vocable de « principe d’implémentation » (Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur C.J.U.E., Conseil de l’Union européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 45).

(14) G. isaac et M. BlanqueT, Droit général de l’Union européenne, Paris, Sirey, 10e éd., 2012, p. 406.

(15) Cette forme d’invocabilité ne profite qu’aux directives : C.J.C.E., 19 novembre 1991, Andrea Francovich et Daniela Bonifaci et autres c. République italienne, C-6/90 et 9/90, EU:C:1991:428 ; C.J.C.E., 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur SA c. Bundesre-publik Deutschland et The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte : Fac-tortame Ltd, C-46 et 48/93, EU:C:1996:79 ; C.J.C.E. (ass. plén.), 30 septembre 2003, Gerhard Köbler c. Republik Österreich, C-224/01, EU:C:2003:513 ; C.J.C.E. (GC), 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo SpA c. Repubblica italiana, C-173/03, EU:C:2006:391. Voy. P. craiG, « Francovich, Remedies and scope of damages liability », LQ Rev., 1993, pp. 595-621.

(16) C.J.C.E., 9 mars 1978, Administration des finances de l’État c. Société anonyme Simmenthal, 106/77, EU:C:1978:49. Voy. D. simon, Le système juridique communautaire, Paris, PUF, 3e éd., 2001, pp. 445-446.

154 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

Six formes d’invocabilité sont donc à la disposition du justiciable qui entend appeler une juridiction à attacher des effets de droit à une norme extranationale. Cette typologie doctrinale tire son utilité pratique du rapport variable que ces formes d’invocabilité entretiennent avec la conditionnalité d’effet direct. L’invocabilité du droit conventionnel international reste dans une large mesure dépendante de la vérification préalable de son effet direct dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. L’effet direct d’une prescription conventionnelle correspond à son aptitude à confé-rer un droit individuel à une personne privée (17). Seules les invocabilités d’interprétation et d’exécution reposent explicitement sur une base juridique distincte de l’effet direct : la primauté du droit international. Devant la juri-diction de l’Union européenne, la possibilité pour les personnes privées de se prévaloir de stipulations conventionnelles pour contester la régularité d’un acte interne se trouve par principe suspendue à leur effet direct. En dépit de leur primauté sur le droit interne infra-constitutionnel (18), aucune invocabilité d’exclusion ne bénéficiait aux accords internationaux jusqu’aux arrêts Stichting Natuur et Vereniging Milieudefensie. À leur occasion, la Cour était alors appelée à se prononcer sur l’opportunité d’assouplir les conditions d’invocabilité du droit conventionnel dans le contentieux de la légalité. Il lui était ainsi proposé de fonder le droit de se prévaloir des règles conventionnelles pour contester la légalité des actes de droit dérivé sur leur primauté ou, à défaut, d’étendre le champ matériel d’application de l’invo-cabilité Nakajima à l’ensemble des accords internationaux liant l’Union.

(17) Voy. par exemple, Ch. KaDDous, Le droit des relations extérieures dans la juris-prudence de la Cour de justice des Communautés européennes, Bruxelles, Dossier de droit européen, Helbing & Lichtenhahn/Bruylant, 1998, p. 354 ; E. laGranGe, « L’efficacité des normes internationales concernant la situation des personnes privées dans les ordres juridiques internes », R.C.A.D.I., vol. 356, 2012, p. 501 ; B. Taxil, « Les normes interna-tionales », in F. melleray, Ph. yolKa, P. GonoD (dir.), Traité de droit administratif, T. 1, Paris, Dalloz, 2011, pp. 413-454 (441).

(18) L’article 216, alinéa 2, du TFUE stipule que « [l]es accords conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États membres ». La Cour de justice en déduit que le droit conventionnel prime le droit dérivé : C.J.C.E., 14 décembre 1991, Projet d’accord entre la Communauté, d’une part, et les pays de l’Association européenne de libre échange, d’autre part, portant sur la création de l’Espace économique européen, avis 1/91, EU:C:1991:490, point 37 ; C.J.C.E., 10 septembre 1996, Commission c. République fédérale d’Allemagne, C-61/94, EU:C:1996:313, point 15 ; C.J.C.E., 12 janvier 2006, Algemene Scheeps Agen-tuur Dordrecht, C-311/04, EU:C:2006:23, point 25 ; C.J.C.E. (GC), 3 juin 2008, Intertanko e.a., C-308/06, EU:C:2008:312, point 42 ; C.J.C.E. (GC), 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation c. Conseil et Commission, C-402/05 P et C-415/05 P, EU:C:2008:461, point 307 ; C.J.U.E. (GC), 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieude-fensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 52.

Jean félix Delile 155

bruylant

En première instance, deux associations néerlandaises de protection de l’environnement avaient contesté devant le Tribunal de l’Union européenne la légalité d’une décision de la Commission rejetant, comme irrecevable, leur demande visant à ce que la Commission réexamine la décision par laquelle elle avait accordé au Royaume des Pays-Bas une dérogation temporaire aux obligations prévues par la directive 2008/50 concernant la qualité de l’air (19). Ce refus leur fut opposé au motif que leur demande de réexamen portait sur une mesure administrative de portée générale et non sur un acte individuel. Les parties requérantes excipèrent par conséquent l’illégalité de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006 (20), lu en combinai-son avec son article 2, qui, limitant l’obligation de réexamen des actes à inci-dence environnementale aux seuls actes individuels, méconnaîtrait le droit d’accès à la justice procédant de l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus (21). Le Tribunal de l’Union accueillit ce moyen et annula la déci-sion attaquée (22). Le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne ont alors saisi la Cour de justice de pourvois formés contre les deux arrêts par lesquels le Tribunal avait incidemment annulé l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006 (23).

Les deux approches divergentes de l’invocabilité qui alimentent les discours et métadiscours juridiques européens ont été défendues par les

(19) Directive (CE) no 2008/50 du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, J.O.C.E., L 152, 11 juin 2008, pp. 1-44.

(20) Règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 sep-tembre 2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’envi-ronnement, J.O.C.E., L 264, 25 septembre 2006, pp. 13-19.

(21) L’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus stipule que « chaque partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement » : Convention sur l’accès à l’informa-tion, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, J.O.C.E., L 124, 17 mai 2005, p. 4.

(22) Trib. UE, 14 juin 2012, Stichting Natuur en Milieu et Pesticide Action Network Eu-rope c. Commission européenne, op. cit. ; Trib. UE, 14 juin 2012, Vereniging Milieudefensie, Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht c. Commission européenne, T-396/09, op. cit.

(23) Règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 sep-tembre 2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’envi-ronnement, J.O.C.E., L 264, 25 septembre 2006, pp. 13-19.

156 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

différentes parties à cette affaire. La première approche tend à lier l’in-vocabilité de la règle conventionnelle à son effet direct dès lors que la norme conventionnelle est portée à la connaissance du juge à une fin autre qu’interprétative. C’est la position traditionnellement retenue par la Cour de justice (24), par les juridictions des États membres dits monistes (25), mais également par le Parlement, le Conseil et la Commission en l’espèce. La seconde conception invite au contraire à considérer que, dans le cadre du contrôle de légalité, la règle conventionnelle peut être invoquée sur le fondement de la primauté qui lui est attribuée par l’article 216, para-graphe 2, du TFUE, à condition que le justiciable ne réclame que l’examen de la compatibilité de deux normes. Cette analyse, diffusée en doctrines organique (26) et académique (27), était relayée par l’avocat général Niilo Jääskinen dans ses conclusions prononcées sur l’arrêt commenté (28). Le Tribunal de l’Union européenne avait en première instance opté pour une

(24) C.J.C.E., 12 décembre 1972, International Fruit Company NV e.a. c. Produktschap voor Groenten en Fruit, 21 à 24/72, EU:C:1972:115 ; C.J.C.E., 30 septembre 1987, Meryem Demirel c. ville de Schwäbisch Gmünd, 12/86, EU:C:1987:400 ; C.J.C.E. (GC), 3 juin 2008, International Association of Independent Tanker Owners (Intertanko) e.a. c. Secretary of State for Transport, op. cit. ; C.J.U.E. (GC), 21 décembre 2011, Air Transport Association of America, American Airlines Inc., Continental Airlines Inc., United Airlines Inc. c. Secretary of State for Energy and Climate Change, C-366/10, EU:C:2011:864.

(25) Voy. par exemple, Belgique : C.E. belge, 12 avril 2012, La ville d’Andenne c. État belge, no 218882 ; France : C.E. (ass.), 11 avril 2012, GISTI et FAPIL, no 322326, FR :CEASS :2012 :322326.20120411 ; Pays-Bas : Hoge raad, 30 mai 1986, Nederlands Spoorwegen v. Vakbonden, Rechtspraak van de Week, NYIL, 1987, p. 389.

(26) Julianne Kokott, 20 novembre 2007, conclusions sur C.J.C.E., International Asso-ciation of Independent Tanker Owners (intertanko) e.a. c. Secretary of State or Transport, C-308/06, EU:C:2007:689 ; Ronny Abraham, conclusions sur C.E. (sect.), 23 avril 1997, Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), R.F.D.A., 1997, pp. 585-597 ; G. DumorTier, « L’effet direct des conventions internationales », conclusions sur C.E. (ass.), 11 avril 2012, Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI) et Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement (FAPIL), no 322326, R.F.D.A., 2012, pp. 547-557.

(27) E. cannizzaro, « Il diritto internazionale nell’ordinamento giuridico comunita-rio : il contributo della sentenza Intertanko », Il diritto dell’Unione europea, no 4, 2008, pp. 645-654 ; J. F. Delile, L’invocabilité des accords internationaux devant la Cour de justice de l’Union européenne et le Conseil d’État français, thèse dactyl., Université de Bordeaux, 2014, pp. 569-748 ; S. Gáspár-sziláGyi, « The “primacy” and “direct effect” of EU International Agreements », Eur. Pub. Law, 2015, nep. ; M. GauTier, « L’effet direct des conventions internationales », R.F.D.A., 2012, pp. 560-572 ; C. sanTulli, « Chronique de droit administratif et droit international (année 2012) », R.F.D.A., 2013, pp. 417-423.

(28) Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur C.J.U.E., Conseil de l’Union européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit.

Jean félix Delile 157

bruylant

voie médiane, en admettant d’ériger l’article 9, paragraphe 3, de la Conven-tion d’Aarhus en norme de référence du contrôle de la légalité du règlement attaqué à la faveur d’une audacieuse application de la doctrine Nakajima. Celle-ci permet de contrôler la conformité d’une règle de droit de l’Union à une norme conventionnelle sur le fondement de la primauté de la seconde si la première l’exécute.

La Grande Chambre a été réunie pour offrir une certaine solennité au choix opéré par la Cour de justice entre ces trois approches de l’invoca-bilité. La solution retenue oscille entre orthodoxie et conservatisme. Elle ne manquera pas de décevoir les tenants de la libéralisation des conditions d’invocabilité du droit conventionnel dans l’ordre juridique de l’Union, tant elle témoigne des réticences actuelles de la Cour de justice à dynamiser les effets juridiques de cette source du droit (29). En admettant les seules règles conventionnelles d’effet direct au rang des normes de référence du contrôle de la légalité des actes de droit dérivé de l’Union, la Cour refuse de suivre les conclusions de l’avocat général Jääskinen qui proposait de fonder l’invocabilité du droit conventionnel sur sa primauté (I). Elle écarte de surcroît l’élargissement du champ d’application matériel de l’invocabilité Nakajima proposée par le Tribunal (II).

I. — La consolidation du lien unissant l’invocabilité à l’effet direct

Par principe, l’invocabilité du droit conventionnel est subordonnée à son effet direct lorsqu’un requérant s’en prévaut devant la Cour de justice à une fin autre qu’interprétative (30). La juridiction de l’Union était appelée par son avocat général à créer une exception à ce principe, en accordant aux personnes privées le droit de se prévaloir d’une norme conventionnelle sans effet direct dans le cadre du recours en annulation.

(29) Marco BroncKers considère ainsi que cet arrêt illustre comment la Cour, après avoir adopté une posture favorable à la justiciabilité du droit conventionnel jusqu’au milieu des années 2000 — en attribuant par exemple systématiquement l’invocabi-lité aux accords de coopération et d’association —, s’est ravisée et se montre désor-mais réticente à l’application juridictionnelle de celui-ci (« Schizophrenia in the EU about International Law », Leiden Law Blog, 2015 : http://leidenlawblog.nl/articles/schizophrenia-in-the-eu-about-international-law).

(30) C.J.C.E., 12 décembre 1972, International Fruit Company NV et autres c. Pro-duktschap voor Groenten en Fruit, op. cit. ; C.J.C.E., 30 septembre 1987, Meryem Demirel c. ville de Schwäbisch Gmünd, op. cit. ; C.J.U.E. (GC), 21 décembre 2011, Air Transport Association of America, American Airlines Inc., Continental Airlines Inc., United Airlines Inc. c. Secretary of State for Energy and Climate Change, op. cit.

158 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

Le recours en annulation permet d’obtenir la sanction de la violation de la légalité « qui n’est rien d’autre que la conformité aux normes juridiques supérieures » (31). Or, les accords internationaux conclus par l’Union européenne « forment partie intégrante » (32) de son ordre juridique, et priment le droit dérivé. Partant du constat que ce droit conventionnel est partie intégrante des règles de droit — ayant force de loi — auxquelles les autorités normatives de l’Union sont tenues de se conformer lorsqu’elles édictent des actes juridiques, il est apparu injustifié à l’avocat général Jääs-kinen de lui réserver un régime d’invocabilité restrictif dans une voie de droit dont la fonction est la garantie de la légalité de ces actes. Si bien que la primauté des traités pourrait de son point de vue, partagé par une grande partie de la doctrine, constituer un fondement autonome de leur invocabilité devant le juge de la légalité des actes de l’Union. L’aptitude de la règle conventionnelle à produire un effet direct — à conférer des droits aux personnes privées — serait alors indifférente à son invocabilité (A). Ce raisonnement n’a toutefois pas été retenu par la Cour qui a au contraire confirmé l’insolubilité du lien unissant l’invocabilité à l’effet direct (B).

a. — les arGumenTs en faveur De la scission Du lien

Différents arguments plaident en faveur de la scission du couple invoca-bilité/effet direct devant le juge de la légalité des actes de l’Union. D’abord, la doctrine de l’effet direct pérennise l’existence d’une nouvelle forme de dualisme à raison de l’origine, interne ou internationale, de la norme en vigueur dans l’ordre juridique de l’Union, en distinguant le régime de leur invocabilité. Ensuite, elle prive les particuliers de la protection juridiction-nelle contre les actes de droit dérivé illégaux qui est supposée leur être garantie dans une Union de droit. Enfin, la Cour de justice retire aux normes conventionnelles dépourvues d’effet direct leur caractère obligatoire en ne contrôlant pas la conformité des règles de droit de l’Union sur lesquelles elles priment à l’aune de leurs prescriptions.

En premier lieu, le lien unissant l’invocabilité à l’effet direct distingue le régime de l’invocabilité du droit conventionnel de celui du droit dérivé de l’Union. Les conditions d’invocabilité du droit « interne » de l’Union indiquent que l’invocabilité n’est pas par essence liée à l’effet direct. Il est certes vrai que la juridiction de l’Union continue de réserver à l’effet direct

(31) D. De Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Paris, éditions Odile Jacob, 1997, p. 34.

(32) C.J.C.E., 26 octobre 1982, Hauptzollamt Mainz c. C.A. Kupferberg & Cie KG a.A., 104/81, EU:C:1982:362, point 13 ; C.J.C.E. (GC), 3 juin 2008, Intertanko e.a., op. cit., point 53.

Jean félix Delile 159

bruylant

un rôle déterminant dans l’appréciation de l’invocabilité de ce droit devant les juridictions des États membres (33). Mais, lorsque le litige pendant devant le juge a quo revêt toutes les caractéristiques d’un contrôle de la légalité d’un acte étatique, la Cour a accordé aux personnes privées le droit de se prévaloir des dispositions d’une directive dépourvues d’effet direct. Ces justiciables peuvent alors réclamer à la juridiction de l’État membre qu’elle vérifie que ce dernier n’a pas excédé la marge d’appréciation que lui réserve la directive en édictant l’acte querellé (34). Après avoir constaté la possibilité ouverte aux justiciables de se prévaloir de certaines règles de droit dérivé dénuées d’effet direct dans le contentieux de la légalité des actes juridiques des États membres, le juge Koen Lenaerts a observé que « [v]irtually all of what has been said above in respect of how EU law affects the legal order of the various Member States can be mirrored in respect of the Union itself in its relation towards norms of international law » (35). Il indiquait ainsi que les conditions d’invocabilité du droit conventionnel pouvaient être redéfinies sur le modèle de celles s’appliquant au droit dérivé.

Dans ses conclusions prononcées sur les arrêts commentés, l’avocat général Jääskinen a pour sa part averti la Cour que la non-translation des conditions d’invocabilité des règles d’origine interne aux règles d’origine internationale « conduirait à exclure tout contrôle judiciaire du respect des engagements de l’Union européenne » dépourvus d’effet direct, « tant par le juge national que par le juge de l’Union. Par conséquent, la notion de protection juridiction-nelle dans l’ordre juridique de l’Union, […] risque d’en être substantiellement affectée » (36). Pour éviter que les juges ne considèrent l’harmonisation des

(33) La Grande Chambre a ainsi récemment rappelé qu’« il résulte d’une jurispru-dence constante de la Cour que, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises », et sont d’effet direct, « les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État, soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte » : C.J.U.E. (GC), 24 janvier 2012, Maribel Dominguez c. Centre informatique du Centre Ouest Atlantique et Préfet de la région Centre, op. cit., point 33.

(34) C.J.C.E., 24 octobre 1996, Aannemersbedrijf P.K Kraaijeveld BV e.a. c. Gede-puteerde Staten van Zuid-Holland, op. cit. ; C.J.C.E., 16 septembre 1999, World Wildlife Fund e.a c. Autonome Provinz Bozen e.a., op. cit. ; C.J.C.E., 19 septembre 2000, État du Grand-Duché du Luxembourg c. Consorts Linster, op. cit. ; C.J.U.E. (GC), 18 octobre 2011, Boxus et Roua c. Région wallonne, op. cit. ; C.J.U.E., 16 février 2012, Marie-Noëlle Solvay e.a. c. Région wallone, op. cit.

(35) K. lenaerTs et T. corThauT, « Of birds and hedges : the role of primacy in invoking norms of EU law », E.L. Rev., 2006, pp. 287-315 (288).

(36) Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur C.J.U.E., Conseil de l’Union européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 74.

160 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

conditions d’invocabilité des règles de droit de l’Union d’origines interne et internationale comme un bouleversement de leur jurisprudence, l’avocat général observait corollairement que, dans son arrêt Biotech (37), la Cour avait « expressément exclu que l’effet direct fût une condition universelle d’invocabilité dans le cadre du contrôle de légalité » (38). Dans cette affaire, le Royaume des Pays-Bas avait été autorisé à se prévaloir de la Convention sur la biodiversité (39), alors même qu’elle ne produisait pas d’effet direct, afin de contester la légalité de la directive relative à la protection des inventions bio-technologiques (40). Cependant, la configuration contentieuse était distincte de celle des affaires sous commentaire puisque la partie requérante n’était pas une personne privée, comme c’est le cas dans les arrêts commentés, mais un État qui se trouvait assujetti à deux obligations extranationales contradictoires. L’invocabilité Biotech, dont la reconnaissance supposait que le saisissant soit un État (41), ne pouvait donc pas bénéficier aux défendeurs, en leur qualité d’association de protection de l’environnement.

Concernant les requêtes introduites par des requérants ordinaires, la Cour de justice a refusé avec constance de dissocier l’invocabilité des accords internationaux de leur effet direct dans le contrôle de légalité. Cela vérifie l’observation d’Evelyne Lagrange qui remarquait dans son cours à l’Acadé-mie de droit international de La Haye que le filtre de l’effet direct « introduit […] dans le mécanisme du recours en annulation des actes administratifs une forme de dualisme selon l’origine de la norme : aux normes d’origine interne, l’invocabilité sans nécessité de démontrer la lésion d’un droit subjectif ; aux normes d’origine internationale, l’invocabilité subordonnée à la nécessité de démontrer l’existence d’un droit subjectif international, voire du caractère

(37) C.J.C.E., 9 octobre 2001, Royaume des Pays-Bas c. Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, C-377/98, EU:C:2001:523.

(38) Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur C.J.U.E., Conseil de l’Union européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 10.

(39) Convention sur la diversité biologique signée à Rio de Janeiro le 5 juin 1992, approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 93/626/CEE du Conseil, du 25 octobre 1993, J.O., L 309, p. 1.

(40) Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, J.O., L 213, 30 juillet 1998, pp. 13-21.

(41) La Cour a jugé que si la Convention sur la biodiversité contient « des dispositions dépourvues d’effet direct, en ce sens qu’elles ne créeraient pas de droits que les particuliers pourraient invoquer directement en justice, cette circonstance ne constitue pas un obstacle au contrôle par le juge du respect des obligations qui s’imposent à la Communauté en tant que partie à cet accord » : C.J.C.E., 9 octobre 2001, Royaume des Pays-Bas c. Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, op. cit., point 54.

Jean félix Delile 161

bruylant

précis et inconditionnel de ces normes — si tant est que ces critères ne se recoupent pas » (42). Ce refus de transposer au droit conventionnel le régime de l’invocabilité du droit interne de l’Union européenne trouve ses origines dans le principe, dégagé dans l’arrêt Kupferberg et rappelé dans l’arrêt Vere-niging Milieudefensie, selon lequel « [l]es effets, dans la Communauté, des dispositions d’un accord conclu par celle-ci avec un pays tiers ne sauraient être déterminés en faisant abstraction de l’origine internationale des disposi-tions en cause » (43). En définitive, la Grande Chambre de la Cour de justice n’a pas adhéré à l’opinion défendue par l’avocat général Jääskinen et le juge Koen Lenaerts, selon laquelle le régime de l’invocabilité du droit conven-tionnel pouvait être calqué sur celui du droit de l’Union d’origine interne.

En second lieu, le maintien du lien unissant l’invocabilité à l’effet direct est difficilement conciliable avec les exigences de l’Union de droit. L’avocat général finlandais avançait en ce sens que la combinaison de « la dimen-sion normative » et « la dimension juridictionnelle » de l’Union de droit (44) implique que l’invocabilité d’exclusion bénéficie au droit conventionnel dans le recours en annulation. Il précise ainsi que la première « dimension » de l’Union de droit fait peser sur l’action normative des institutions « une obligation de conformité au traité », tandis que la seconde « suppose une protection juridictionnelle des particuliers contre les actes de droit dérivé illégaux » (45). Or, un acte de droit dérivé est illégal s’il viole une obligation

(42) E. laGranGe, « L’efficacité des normes internationales concernant la situation des personnes privées dans les ordres juridiques internes », R.C.A.D.I., 2012, p. 464. André nollKaemper relève dans le même sens que « the mere fact that international law has been made part of national law is not sufficient for it to be applied on the same footing as domestic law. Something more is needed — this “something more” being the conditions of direct effect », (National Courts and the International Rule of Law, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 133).

(43) C.J.C.E., 26 octobre 1982, Hauptzollamt Mainz c. C.A. Kupferberg & Cie KG a.A., op. cit., point 17 ; C.J.U.E. (GC), 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieude-fensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 53 ; voy. également : C.J.C.E. (GC), 9 septembre 2008, FIAMM Technologies c. Conseil et Commission et Giorgio Fedon & Figli SPA et Fedon America c. Conseil et Commission, C-120/06 et C-121/06 P, EU:C:2008:476, point 108.

(44) Pour une analyse approfondie de la notion d’Union de droit, voy. R. meDhi, « Le respect de l’État de droit en droit européen et dans les relations extérieures de l’Union européenne », in P. D’arGenT, O. corTen et P. Klein, L’État de droit en droit international, Colloque SFDI de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, pp. 219-248 (222-231).

(45) Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur C.J.U.E., Conseil de l’Union européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 70. Depuis 1986, il est entendu que, dès lors que l’Union a adhéré aux principes de l’État de droit, « ni ses États

162 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

conventionnelle, même dépourvue d’effet direct, car la seconde prime le premier au titre de l’article 216, paragraphe 2, du TFUE. Dans cette hypo-thèse, le défaut d’invocabilité de la règle violée fait obstacle à la protection juridictionnelle des particuliers contre l’acte illégal que l’Union de droit impose. Ce conflit entre les exigences de l’Union de droit et la doctrine de l’effet direct avait déjà été relevé par le juge Koen Lenaerts. Il avait alors suggéré de résoudre ce conflit en libéralisant le régime de l’invocabilité, en indiquant que « a liberal approach towards invoking EU law can be grounded in a vision about the Rule of Law. One of the basic rules of a legal order governed by the Rule of Law is the fact that the government itself is bound by the laws. The most effective way to ensure this is allowing every ordinary citizen to rely on the norms created by the states » (46). De la même manière, le moyen le plus efficace de garantir le respect des principes de l’Union de droit est d’attribuer aux justiciables le droit de se prévaloir des règles conven-tionnelles qui sont en vigueur dans son ordre juridique. À défaut, l’absence de protection des particuliers contre le droit dérivé illégal, en raison de sa non-conformité avec des obligations conventionnelles dépourvues d’effet direct, constituerait une zone d’ombre de l’Union de droit.

Enfin, la subordination de l’invocabilité à l’effet direct met en cause le caractère obligatoire des accords internationaux qui en sont dénués. Le caractère obligatoire de la règle de droit, qui procède de sa validité (47),

membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le Traité » (C.J.C.E., 23 avril 1986, Parti écologiste les Verts c. Parlement européen, 294/83, EU:C:1986:166, point 23). Fabrice picoD a observé que « cette affirmation s’est inscrite dans le prolongement de la notion d’État de droit qui implique notamment la garantie du respect par l’administration de la hiérarchie des normes au moyen d’un contrôle juridictionnel étendu et efficace » (« Le développement de la juridictionnalisation », in J. riDeau (dir.), De la Communauté de droit à l’Union de droit. Continuités et avatars européens, Paris, LGDJ, 2000, pp. 261-286 (262)).

(46) K. lenaerTs et T. corThauT, « Of birds and hedges : the role of primacy in invoking norms of EU law », op. cit., p. 288.

(47) H. Kelsen, Théorie pure du droit, traduction Ch. eisenmann de la 2e édition de la Reine Rechtslehre, Bruxelles, Bruylant, 2e éd., 1999, pp. 13 et 255. Michel Troper soutient la thèse de la synonymie de la validité et du caractère obligatoire : « [v]alidité et caractère obligatoire sont […] bien une seule et même chose, parce qu’il ne s’agit, […] que du mode spécifique d’existence des normes et que le mot obligatoire ne signifie pas, lorsqu’il est appliqué à une norme, moralement, politiquement ou absolument obligatoire mais seulement obligatoire relativement à un certain ordre juridique » (« La pyramide est toujours debout ! Réponse à Paul Amselek », R.D.P., 1978, pp. 1523-1536 (1534)). Paul amseleK explique également que chez Kelsen, « chaque norme juridique tire sa validité, et conséquemment son caractère obligatoire, de la conformité de son édiction aux conditions prescrites par une norme juridique supérieure, elle-même édictée conformément à une

Jean félix Delile 163

bruylant

lui confère son aptitude à conditionner la régularité des normes de rang inférieur et la légalité des comportements de ses destinataires. Or, la Cour de justice prive les accords internationaux régulièrement conclus (et donc valides) — mais sans effet direct — de leur caractère obligatoire, en refu-sant de contrôler le respect des prescriptions qu’ils portent par les autorités normatives auxquels ils s’imposent. De fait, lorsqu’elle récuse l’effet direct d’une obligation conventionnelle, la Cour habilite tacitement les autorités normatives de l’Union à méconnaître ses prescriptions, dans la mesure où l’annulation n’est plus l’horizon plausible de leur violation. C’est ce qu’a remarqué Piet Eeckhout à propos de l’attitude des autorités publiques natio-nales vis-à-vis des règles de droit conventionnel, qu’il tient pour largement déterminée par l’aptitude de ces règles à produire un effet direct : « the type of effect courts are willing to give to particular rules is bound to have significant impact on the attitude towards those rules, and action taken by institutional actors such as the EU’s political institutions and legislatures and public authorities at national level. Where, for example, it is clear that a provision has direct effect, so that it confers rights on individuals which they may enforce in court, a public authority will endeavour to avoid court action by applying those provisions in accordance with the courts’ interpre-tation » (48). Autrement dit, tant que l’invocabilité de règles internationales est subordonnée à l’effet direct, le respect de ces règles par les autorités publiques reste également de facto suspendu à leur effet direct.

Cela pose problème puisque, comme indiqué précédemment, la vocation d’une norme à produire un droit individuel n’est pas supposée condition-ner son caractère obligatoire. Si bien qu’il apparaissait opportun de per-mettre la sanction de la violation par les autorités publiques des règles conventionnelles non créatrices de droits en consacrant leur invocabilité d’exclusion. L’avocat général Jääskinen a d’ailleurs développé cette idée en concluant qu’« afin d’éviter la création d’un espace soustrait à tout contrôle judiciaire, il me semble légitime de soutenir que, dans le cadre du contrôle de la conformité d’un acte du droit de l’Union avec le droit international, l’absence d’effet direct d’une disposition, entendue comme une norme exhaustive et une source de droits, ne devrait pas faire obstacle à un examen

norme supérieure » (« Une fausse idée claire, la hiérarchie des normes juridiques », in Renouveaux du droit constitutionnel, Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Paris, Dalloz, 2007, pp. 983-1015 (995)). On notera que Paul Amselek n’adhère pas lui-même à cette association de la validité et de la force obligatoire de la règle de droit.

(48) P. eecKhouT, External relations of the European Union : legal and Constitutional foundations, op. cit., pp. 328-329.

164 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

de la légalité » (49). Si convaincant qu’il soit, ce raisonnement tendant à la consécration d’une invocabilité d’exclusion des accords internationaux n’a pas emporté l’adhésion des juges réunis en Grande Chambre qui ont préféré reconduire la solution classique liant en toute hypothèse l’invocabilité de ces instruments à leur effet direct.

B. — le choix De la consoliDaTion Du lien

Appelée par les organisations de protection de l’environnement à recon-naître l’effet direct de l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus, la Cour de justice a jugé que ce pourvoi incident qui « ne tend, en réalité, qu’à obtenir une substitution de motifs en ce qui concerne l’analyse de l’invocabilité de l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus, ne saurait […] être accueilli » (50). Cette demande n’avait en effet pas pour finalité l’obtention de l’annulation de l’arrêt du Tribunal objet du pourvoi, et n’était par conséquent pas recevable au terme des articles 169, paragraphe 1 et 178, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour (51).

Mais, dans les arrêts Vereniging Milieudefensie et Stichting Natuur, la Grande Chambre s’est exercée à l’art de la prétérition en se prononçant fina-lement d’office sur l’effet direct de l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus. Les juges ont considéré que l’origine internationale du droit conven-tionnel devait nécessairement être prise en considération pour déterminer ses effets dans l’ordre juridique de l’Union. Cela signifie que dès lors que les parties contractantes n’ont pas convenu des effets qu’un traité doit produire dans leur ordre juridique (52), il appartient à la Cour de les préciser, « au même

(49) Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur C.J.U.E., Conseil de l’Union européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 78.

(50) C.J.U.E. (GC), 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 33.

(51) Règlement de procédure de la Cour de justice, du 25 septembre 2012, J.O., L 265 du 29 septembre 2012, tel que modifié le 18 juin 2013, J.O., L 173 du 26 juin 2013, p. 65, com. Marc-André GauDissarT, « La refonte du règlement de procédure de la Cour de justice », ces Cahiers, 2012, pp. 603-669.

(52) Cette pratique tend à se diffuser dans l’action conventionnelle de l’Union euro-péenne. Elle a explicitement exclu l’effet direct de certaines stipulations de l’accord de libre échange conclu avec la Corée (Accord de libre-échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part, 16 septembre 2011, 2011/265/UE), ainsi que de l’ensemble des stipulations de l’accord commercial conclu avec la Colombie et le Pérou (Accord de libre-échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République du Pérou, d’autre part, conclu le 13 avril 2011, nep). Sur cette question, voy. M. maresceau, « The Court of Justice and Bilateral Agreements », in Y. BoT, E. leviTs et A. rosas, The Court of Justice and the construction

Jean félix Delile 165

bruylant

titre que tout autre question relative à l’application de l’accord en question dans l’Union » (53). Par suite, la Cour de justice a procédé à un examen classique des critères de l’effet direct. Elle a ainsi indiqué que des règles conventionnelles peuvent constituer le support d’un recours en annulation ou d’une exception d’illégalité dès lors que, d’une part, « la nature et l’économie » de l’accord qui les porte ne s’y opposent pas (i.e. : l’accord n’est pas fondé sur le principe de réciprocité et a vocation à attribuer des droits aux sujets de droit de l’Union), et que, d’autre part, « ces dispositions apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises » (54).

La Convention d’Aarhus est attributive de droits — à l’information et à la participation dans le cadre des procédures d’édiction d’actes à incidence environnementale, et à l’accès à la justice pour contester la légalité de ces actes (55) —, si bien qu’elle satisfait nécessairement le critère subjectif de l’effet direct. En revanche, la juridiction de l’Union a reconduit le constat déjà opéré à la faveur de l’arrêt Lesoochranárske selon lequel « l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus […] ne contient aucune obligation inconditionnelle et suffisamment précise de nature à régir directement la situation juridique des particuliers » (56). Elle en a déduit que l’énoncé nor-matif invoqué n’était pas complet et que le critère objectif de l’effet direct était conséquemment insatisfait. Il en résulte que l’article 9, paragraphe 3 ne peut pas constituer une norme de référence du contrôle de la légalité de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006.

L’indice pris en considération par la Cour pour conclure à l’incomplé-tude de cette stipulation est le fait que seuls « les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par [le] droit interne » sont titulaires des droits prévus à l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus. Le procédé est fallacieux puisque les critères posés par le droit de l’Union pour

of Europe = La Cour de justice et la construction de l’Europe : analyses and perspectives on sixty years of case-law. Analyses et perspectives de soixante ans de jurisprudence, La Haye, Asser Press, 2013, pp. 693-717 (716-717).

(53) C.J.U.E. (GC), 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 53.

(54) C.J.U.E. (GC), 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 54.

(55) Pour une présentation détaillée de ces droits, voy. M. pallemaerTs, (dir.), The Aarhus Convention at ten, Interactions and Tensions between Conventional International Law and EU Environmental Law, Groningen, Europa, 2011, 440 p.

(56) C.J.U.E. (GC), 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 55 ; C.J.U.E. (GC), 8 mars 2011, Lesoo-chranárske zoskupenie VLK c. Ministerstvo životného prostredia Slovenskej republiky, op. cit., point 45.

166 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

déterminer les membres du public pouvant agir contre les actes à incidence environnementale n’étaient pas contestés par les associations de protection de l’environnement qui ont qualité pour agir dans le cadre de la procédure de réexamen instituée par le règlement querellé (57). Autrement dit, l’usage que l’Union a fait de la marge d’appréciation qui fonde le défaut d’effet direct de la stipulation invoquée n’est aucunement mis en cause par les défendeurs. En revanche, l’énoncé normatif dont les associations allèguent la violation, la possibilité pour les membres du public — dont ils sont — de « contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement » ne souffre d’aucune ambiguïté. En définitive, la Cour s’appuie sur l’incomplé-tude d’une formule étrangère à l’argumentaire des défendeurs pour écarter le moyen qu’ils tirent de la violation d’un énoncé normatif manifestement inconditionnel. Un tel raisonnement est permis par la subordination de l’invocabilité à l’effet direct que la Cour a confirmé dans le présent arrêt, dans la mesure où elle induit l’examen paragraphe par paragraphe de cette propriété des stipulations conventionnelles, et ce, même si l’un d’entre eux est porteur de plusieurs propositions de précision variable.

Ces arrêts souffrent finalement des lacunes logiques qui sont souvent les stigmates des solutions dont le sens est déterminé par des considérations de politique jurisprudentielle. Rappelons que les conditions de recevabilité du recours en annulation héritées de la jurisprudence Plaumann (58), même assouplies par la clause Jégo-Quéré instituée par le traité de Lisbonne (59), apparaissent difficilement conciliables avec les exigences de la Convention d’Aarhus en matière d’accès à la justice (60). Charles Poncelet et Nicolas de

(57) L’article 12 du règlement 1367/2006 attribue ce pouvoir aux organisations de protection de l’environnement (voy. Ch. ponceleT et Ch. De saDeleer, « Contestations des actes des institutions de l’Union européenne à l’épreuve de la Convention d’Aarhus », Rev. trim. dr. eur., 2014, pp. 7-34 (27)). Le problème juridique n’est pour cette raison pas le même que dans l’affaire VLK dans laquelle la Cour de justice devait se prononcer sur la conformité à l’article 9, paragraphe 3, de la législation procédurale slovène qui n’attribuait pas de droit d’action en justice aux associations de protection de l’environnement.

(58) C.J.C.E., 15 juillet 1963, Plaumann & Co c. Commission européenne, 25/62, EU:C:1963:17.

(59) J. GuiorGuieff, « Les règles de recevabilité concernant les actions des particuliers et la Convention d’Aarhus : entre inflexibilité et faveur du juge de l’Union européenne à l’égard du droit international de l’environnement », Rev. Aff. Eur., 2013, pp. 629-642 (634 et 640) ; voy. également, M. pallemaerTs, « Access to Environmental Justice at EU Level : has the “Aarhus Regulation” improved the Situation ? », in M. pallemaerTs (dir.), The Aarhus Convention at ten, Groningen, Europa, 2011, pp. 271-312 (311).

(60) Dans sa thèse de doctorat, Paul cassia mettait déjà en évidence les incompatibilités entre le libéralisme de l’accès au juge défendu par la Convention d’Aarhus et les rigueurs

Jean félix Delile 167

bruylant

Sadeleer ont ainsi relevé qu’en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour, « plus le cercle d’individus auxquels une mesure de l’Union cause grief est large, moins il leur sera possible de contester cette mesure avec succès à défaut d’être individuellement concernés au sens de la jurisprudence Plaumann. Cette jurisprudence paraît particulièrement inappropriée au contentieux environne-mental dès lors que, comme le reconnaît le Tribunal, “les actes pris dans le domaine de l’environnement sont le plus souvent des actes de portée géné-rale” » (61). Passablement opportune, la découverte du défaut d’effet direct de l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus a donc permis à la Cour de ne pas se prononcer sur la conformité de la jurisprudence Plaumann (62) à la Convention d’Aarhus qui avait été mise en cause par l’arrêt annulé du Tribunal (63). En outre, pour que l’Union européenne ne soit pas contrainte de créer une lex specialis libéralisant les conditions d’accès au juge de la légalité dans le domaine environnemental — qui permettrait la contestation des actes juridiques de portée générale à incidence environnementale (64) —, il était encore nécessaire que la Cour récuse l’applicabilité de la doctrine Nakajima.

II. — La restriction du champ d’application de l’invocabilité Nakajima

Partant du constat que le règlement no 1367/2006 exécutait certaines obligations particulières de la Convention d’Aarhus dans l’ordre juridique

des conditions d’accès des personnes physiques et morales au recours en annulation com-munautaire (L’accès des personnes physiques ou morales au juge de la légalité des actes communautaires, Paris, Dalloz, nouvelles bibliothèques des thèses, 2002, pp. 984-991). Le Comité chargé d’examiner le respect de la Convention d’Aarhus affirme de son côté que « the consequence of applying the Plaumann test to environmental and health issues is that in effect no member of the public is ever able to challenge a decision or a regulation in such case before the ECJ », (Findings and Recommendations of the Compliance Committee with regard to Communication ACCC2008/32 (Part I) concerning compliance by the European Union, adopté le 14 avril 2011 et publié le 27 avril 2011, point 86).

(61) Ch. ponceleT et Ch. De saDeleer, « Contestations des actes des institutions de l’Union européenne à l’épreuve de la Convention d’Aarhus », op. cit., pp. 14-15. La pro-position citée par les auteurs est extraite de l’arrêt Vereniging Milieudefensie du Tribunal de l’Union, (Trib. UE, 14 juin 2012, Vereniging Milieudefensie, Stichting Stop Luchtve-rontreiniging Utrecht c. Commission européenne, op. cit.).

(62) C.J.C.E., 15 juillet 1963, Plaumann & Co c. Commission européenne, op. cit. (63) L. couTron, « Révolution dans le contentieux de l’environnement : feu sur la

jurisprudence Plaumann ! », Rev. trim. dr. eur., 2012, pp. 607-614. (64) Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur C.J.U.E., Conseil de l’Union

européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 97.

168 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

de l’Union européenne, le Tribunal de l’Union avait contrôlé en première instance leur compatibilité réciproque en application de la jurisprudence Nakajima (65). Deux critères subordonnaient l’applicabilité de l’invocabi-lité Nakajima avant que ne soient rendus les arrêts sous commentaire. Le premier critère, subjectif, tenait en l’intention des institutions de l’Union d’exécuter l’obligation internationale dont la violation était alléguée. Le second critère, objectif, s’attachait quant à lui à établir que l’acte contrôlé avait pour objet d’exécuter une obligation particulière portée par la norme invoquée. Le Tribunal estimait dans l’arrêt Vereniging Milieudefensie que le critère subjectif était satisfait dès lors qu’« il ressort de l’article 1er, para-graphe 1, sous d), du règlement no 1367/2006 que ce règlement a pour objet de contribuer à l’exécution des obligations découlant de la convention d’Aarhus… » (66). Ensuite, il observait que « le considérant 18 du règle-ment no 1367/2006 se réfère expressément à l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus », pour conclure que l’acte attaqué exécutait une obli-gation particulière prescrite par le traité invoqué, en ajoutant à titre d’indice complémentaire qu’« il ressort de la jurisprudence de la Cour que […] le règlement no 1367/2006 a pour objet de mettre en œuvre les stipulations de l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus en ce qui concerne les institutions de l’Union » (67). De sorte que le Tribunal jugeait que les deux conditions d’application de l’invocabilité Nakajima étaient satisfaites. Pourtant la Cour de justice a refusé sur pourvoi d’accorder aux défendeurs le droit de se prévaloir de la Convention d’Aarhus sur son terrain.

Pour parvenir à cette fin, la Grande Chambre a étroitement restreint le champ d’application de l’invocabilité Nakajima. La juridiction de l’Union a d’abord réservé la qualité d’obligations conventionnelles particulières à

(65) C.J.C.E., 8 juin 1991, Nakajima All Precision Co. Ltd c. Conseil, op. cit. (66) Trib. UE, 14 juin 2012, Vereniging Milieudefensie, Stichting Stop Luchtverontreini-

ging Utrecht c. Commission européenne, op. cit., point 58 ; l’article 1er, paragraphe 1, sous d), dispose que « [l]e présent règlement a pour objet de contribuer à l’exécution des obligations découlant de la convention […] d’Aarhus, en établissant des dispositions visant à appliquer aux institutions et organes communautaires les dispositions de la convention, notamment : […] en garantissant l’accès à la justice en matière d’environnement au niveau de la Communauté, dans les conditions prévues par le présent règlement » : règlement (CE) no 1367/2006 du Par-lement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, J.O., L 264 du 25 septembre 2006, pp. 13-19.

(67) Trib. UE, 14 juin 2012, Vereniging Milieudefensie, Stichting Stop Luchtverontrei-niging Utrecht c. Commission européenne, op. cit., point 58 ; la jurisprudence à laquelle il est fait référence est l’arrêt Lesoochranárske : C.J.U.E. (GC), 8 mars 2011, Lesoochranárs-ke zoskupenie VLK c. Ministerstvo životného prostredia Slovenskej republiky, op. cit.

Jean félix Delile 169

bruylant

celles d’entre elles qui n’offrent pas de marge d’appréciation aux parties contractantes (A). Elle a ensuite subordonné la reconnaissance de l’exis-tence d’un lien d’exécution entre la norme conventionnelle et l’acte attaqué au cas où la première est exclusivement exécutée par la seconde (B).

a. — le caracTère parTiculier Des oBliGaTions exécuTées réservé aux normes convenTionnelles précises

Avant les arrêts du Tribunal Vereniging Milieudefensie et Stichting Natuur en Milieu, la juridiction de l’Union n’avait donné effet à l’invocabilité d’exécution que dans des litiges où était alléguée la violation des Codes Anti-Dumping du GATT (68). Si bien que, jusqu’au prononcé de ces arrêts, l’invocabilité Nakajima était parfois présentée comme une solution d’espèce venant au secours de l’application juridictionnelle des seuls Codes Anti-Dumping du GATT et de l’OMC (69). L’application audacieuse de cette forme d’invocabilité à la Convention d’Aarhus par le Tribunal augurait ainsi un élargissement de son champ d’application (70). Mais ces arrêts ont subi une offensive coordonnée du Parlement, du Conseil et de la Commission, ce qui témoignait de leur mauvaise réception par les institutions de l’Union. Et la Cour s’est rangée de leur côté en s’appropriant les griefs qu’elles formulaient à l’endroit de la solution retenue par le Tribunal.

Le Conseil, la Commission et le Parlement considéraient que les insti-tutions de l’Union n’avaient pas eu l’intention d’exécuter une obligation particulière imposée par la Convention d’Aarhus au moyen du Règlement no 1367/2006. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a indiqué qu’un acte de l’Union n’exécute une obligation particulière que dans l’hypo-thèse où l’acte attaqué « constitue une exécution directe et exhaustive de l’accord international et qu’il se rapporte à une obligation suffisamment

(68) C.J.C.E., 7 mai 1991, Nakajima All Precision Co. Ltd c. Conseil, op. cit. ; TPICE, 27 janvier 2000, Bureau européen des unions des consommateurs (BEUC) c. Commission des Communautés européennes, T-256/97, EU:T:2000:21 ; C.J.C.E., 9 janvier 2003, Petrotub SA et Republica SA c. Conseil, C-76/00, EU:C:2003:4 ; TPICE, 28 octobre 2004, Shanghai Teraoka Electronic Co. Ltd c. Conseil de l’Union européenne, T-35/01, EU:T:2004:317.

(69) Dans l’arrêt Chiquita Brands, le Tribunal de première instance soulignait que, « s’agissant de recours introduits par des particuliers, la Cour et le Tribunal n’ont pas appliqué le principe issu de l’arrêt Nakajima dans un contexte autre que celui du contrôle, par voie incidente, de la conformité des règlements de base Anti-Dumping par rapport aux dispositions des Codes Anti-Dumping de 1979 et de 1994 » : TPICE, 3 février 2005, Chiquita Brands international Inc, Chiquita Banana Co BV et Chiquita Italia SpA c. Com-mission, T-19/01, EU:T:2005:31, point 118.

(70) Voy. J. F. Delile, « À propos de l’arrêt Vereniging Milieudefensie : la seconde naissance de l’invocabilité Nakajima », ces Cahiers, 2012, pp. 687-708.

170 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

claire et précise de celui-ci, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce » (71). Le Parlement a pour sa part allégué qu’une obligation particulière impose « d’agir dans un sens déterminé et ne saurait bénéficier d’une marge dis-crétionnaire d’appréciation. Or, les « obligations » portées par l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus « ne seraient pas des obligations “particulières”, au sens de l’arrêt Nakajima/Conseil, dès lors que les parties contractantes à la convention d’Aarhus disposent d’une large marge d’appré-ciation quant à la définition des modalités de mise en œuvre des procédures administratives ou judiciaires » (72). Dans le même sens, l’avocat général Niilo Jääskinen a récusé dans ses conclusions la pertinence de la solution du Tribunal. Il a souligné que la jurisprudence Nakajima « n’a été appliquée en pratique […] presque exclusivement à des hypothèses de contrôle, par voie incidente, de la conformité des règlements Anti-Dumping de l’Union aux dispositions des Codes Anti-Dumping du GATT de 1979 et de 1994 » (73). De sorte qu’il a considéré que le Tribunal « a commis une erreur de droit, dès lors que ces arrêts consacrent une exception limitée établie dans le cadre de la jurisprudence sur les accords GATT et OMC » (74). L’avocat général a fondé sa conclusion sur la spécificité des règles d’invocabilité des accords GATT et OMC qui a régulièrement conduit la Cour à conclure à « l’impossibilité de transposer lesdites règles en dehors de leur cadre » (75).

Ces arguments exposés par les demandeurs et l’avocat général ont convaincu la Cour qui a jugé que l’invocabilité Nakajima n’était appli-cable que lorsque « l’Union a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre des accords conclus dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce » (76). Ce faisant, elle a restitué à l’invocabilité d’exécution sa qualité de solution d’espèce applicable aux seuls Codes Anti-Dumping dont les « particularités » (77) justifiaient l’ap-plication. L’arrêt Léon Van Parys II rendu le mois précédent par la Cour, à

(71) C.J.U.E., 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 42.

(72) Ibid., point 44. (73) Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur C.J.U.E., Conseil de l’Union

européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, aff. jointes, op. cit., point 26.

(74) Ibid., point 29. (75) Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur C.J.U.E., Conseil de l’Union

européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, aff. jointes, op. cit., point 53.

(76) C.J.U.E., 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 56.

(77) Ibid., point 57.

Jean félix Delile 171

bruylant

l’occasion duquel elle qualifiait d’« exceptionnelle » (78) la situation dans laquelle l’invocabilité Nakajima peut être mobilisée, préfigurait ce choix.

Il appartenait à la Cour de désigner les propriétés qui différencient les obligations tirées de la Convention d’Aarhus de celles imposées par les Codes Anti-Dumping et attribuent aux secondes la particularité qui fait défaut aux premières, empêchant leur application juridictionnelle en l’espèce. La juridiction de l’Union a désigné l’étroitesse de la marge d’appréciation laissée par une obligation conventionnelle aux parties contractantes comme étant l’élément déterminant de la « particularité » de l’obligation exécutée par l’acte de droit dérivé attaqué. Elle a ainsi mis en exergue la différence notable entre le tissu « très dense » des obligations imposées par les Codes Anti-Dumping et « la large marge d’appréciation » que laisse l’article 9, paragraphe 3 aux parties contractantes « quant à la définition des modalités de mise en œuvre des procédures administratives et judiciaires » (79).

La prise en considération de la complétude de la norme conventionnelle pour évaluer son assujettissement à la doctrine Nakajima réduit considéra-blement son intérêt contentieux. Cette propriété de l’obligation internatio-nale — la densité normative —, qui lui confère la « particularité » lui per-mettant d’intégrer le champ d’application de l’invocabilité Nakajima, semble en définitive se confondre avec le critère objectif de l’effet direct. De fait, une stipulation conventionnelle qui nécessite une norme complémentaire de concrétisation pour produire des effets à l’égard des particuliers ne produit pas d’effet direct (80). Le critère objectif correspond au caractère self-exe-cuting des traités, examiné par les juridictions des États-Unis pour apprécier l’invocabilité du droit conventionnel dans l’ordre juridique américain (81). L’objet de cette conditionnalité est d’exclure la justiciabilité de certaines

(78) C.J.U.E., 18 décembre 2014, LVP c. Belgische Staat, C-306/13, EU:C:2014:2465, point 48.

(79) C.J.U.E., 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, ibid., point 59.

(80) Rappelons que la Cour de justice de l’Union européenne juge avec constance qu’une stipulation est suffisamment complète « lorsque la disposition invoquée comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur » : C.J.C.E., 30 septembre 1987, Meryem Demirel c. ville de Schwäbisch Gmünd, op. cit., point 14 ; C.J.C.E., 15 juillet 2004, Syndi-cat professionnel coordination des pêcheurs de l’étang de Berre et de la région c. Électri-cité de France (EDF), C-213/03, EU:C:2004:464, point 38 ; C.J.U.E. (GC), 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie VLK, op. cit., point 44 ; C.J.U.E. (GC), 21 décembre 2011, The Air Transport Association of America e.a., op. cit., point 55.

(81) B. Taxil, « Les critères de l’applicabilité directe des accords internationaux aux État-Unis et en France », R.I.D.C., 2007, pp. 157-176 (159).

172 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

stipulations conventionnelles assimilables à des « directives souples » (82), qui laissent une grande marge d’appréciation aux parties contractantes pour définir leurs conditions d’application. C’est d’ailleurs après avoir remarqué que l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus se caractérise par « la marge d’appréciation qu’il laisse au législateur en vue de déterminer certains critères auxquels doit répondre une organisation en vue de contester une violation du droit de l’environnement » (83) que l’avocat général Jääs-kinen avait conclu à son défaut d’effet direct. De sorte que « la large marge d’appréciation » (84) offerte par un traité aux parties contractantes, à laquelle la Grande Chambre a fait référence dans cet arrêt, prive l’accord en cause d’effet direct en même temps qu’elle l’écarte du champ d’application de la doctrine Nakajima. Si bien que la norme conventionnelle dépourvue d’effet direct en raison de son incomplétude ne peut ipso jure pas être utilement invoquée par un justiciable sur le terrain de l’invocabilité Nakajima. Partant, cette forme d’invocabilité ne pourrait bénéficier à une règle conventionnelle sans effet direct que dans l’hypothèse où cette propriété de la règle procède du caractère interpartite de l’obligation qu’elle impose. Cela amoindrit consé-quemment l’intérêt contentieux de l’invocabilité Nakajima dans la mesure où, dans la jurisprudence de la Cour, l’effet direct est rarement dénié aux normes conventionnelles à la suite de l’examen de son critère subjectif (85).

(82) Selon Paul amseleK, ces directives souples « s’analysent comme des normes directives donnant la mesure de choses qu’il serait souhaitable, opportun, mais non obli-gatoire, de réaliser. Les intéressés, ceux dont la conduite, les faits et gestes sont dirigés, disposent ici, par hypothèse même, d’une marge d’appréciation pour se conformer ou non à la norme, marge d’appréciation qui est au contraire exclue dans le cas des commande-ments » (« Norme et loi », A.P.D., 1980, t. 25, pp. 89-107 (101) ; voy. également, du même auteur, « La phénoménologie et le droit », A.P.D., 1972, pp. 185-259 (243)).

(83) Niilo Jääskinen, 8 mai 2014, conclusions sur C.J.U.E., Conseil de l’Union européenne, Parlement européen, Commission européenne c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 94.

(84) C.J.U.E., 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 44.

(85) La Convention de Montego Bay sur le droit de la Mer a par exemple été jugée sans effet direct par la juridiction de l’Union en raison de son inaptitude à conférer des droits aux personnes privées : C.J.C.E. (GC), 3 juin 2008, International Association of Independent Tanker Owners (Intertanko) e.a. c. Secretary of State for Transport, op. cit. Il convient de préciser que la Cour de justice a jugé que les accords conclus sous l’égide de l’Organisation Mondiale du Commerce sont fondés sur « le principe de réciprocité et d’avantages mutuels » (C.J.C.E., 23 novembre 1999, République du Portugal c. Conseil, C-149/96, EU:C:1999:574, point 42). Or, les juridictions étatiques des principaux parte-naires commerciaux refusent de donner application aux accords de l’OMC. À titre d’illus-tration, l’article 102 de l’Uruguay Round Agreements Act, par lequel le Congrès américain a introduit les aménagements de l’ordre juridique interne nécessaires à l’introduction des

Jean félix Delile 173

bruylant

B. — le lien D’exécuTion réservé aux normes convenTionnelles exclusivemenT mises en œuvre par les insTiTuTions De l’union

La Cour de justice a réfuté l’existence d’un lien d’exécution entre la Convention d’Aarhus et le règlement no 1367/2006 en observant qu’il n’est pas le seul acte garantissant un accès à la justice en matière environne-mentale dans l’ordre juridique de l’Union européenne. La juridiction de l’Union a ainsi observé que dès lors que ledit règlement « ne concerne que les institutions de l’Union et ne porte, d’ailleurs, que sur l’un des recours dont disposent les justiciables pour faire respecter le droit de l’environne-ment de l’Union », il n’était pas possible de considérer que l’Union « aurait entendu mettre en œuvre, […] les obligations qui découlent de l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus à l’égard des procédures admi-nistratives ou juridictionnelles nationales, lesquelles, en l’état actuel du droit de l’Union, relèvent d’ailleurs essentiellement du droit des États membres » (86). La Cour n’avait-elle pourtant pas jugé, à l’occasion de l’arrêt Lesoochranárske, que l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus relève « d’un domaine largement couvert » (87) par le droit de

nouvelles obligations contractées au terme des accords OMC, s’oppose explicitement à l’invocabilité desdits accords devant les juridictions des États-Unis. Aucun justiciable ne peut se prévaloir devant une juridiction interne d’une disposition des accords OMC pour contester la validité des actions du gouvernement fédéral ou de ses agences (URAA, 8 décembre 1994, Pub. L. 103-465, 108 Stat. 4809). Par conséquent, la récusation de leur invocabilité n’est pas le fait de leur absence d’effet direct, mais de leur défaut d’applica-tion réciproque (voy. Fr. BerroD, « La Cour de justice refuse l’invocabilité des accords OMC : essai de régulation de la mondialisation », Rev. trim. dr. eur., 2000, pp. 419-460 (430) ; P. KouTraKos, EU International Relations Law, op. cit., p. 225 ; P. eecKhouT, « The International Legal Order : black holes, fifty shades of grey, or extending Van Gend en Loos », in A. Tizzano, S. prechal et J. KoKoTT (dir.), Cinquantième anniversaire de l’arrêt Van Gend en Loos, actes du colloque de la Cour de justice du 18 mai 2013, Luxembourg, Office des publications de l’Union européenne, pp. 169-179 (176)). Il est pour cette raison possible de se prévaloir de ces accords sur le terrain de l’invocabilité Nakajima.

(86) C.J.U.E., 13 janvier 2015, Conseil c. Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, op. cit., point 60.

(87) C.J.U.E. (GC), 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie VLK c. Ministerstvo životného prostredia Slovenskej republiky, op. cit., point 36. Il est apparu à la Cour que l’article 6 de la directive 2003/4/CE (directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil, J.O. L 41, p. 26) a mis en œuvre la Convention d’Aarhus dans l’ordre juridique de l’Union dont elle « reprend quasiment à l’identique les stipulations » (C.J.U.E. (GC), 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie VLK c. Ministerstvo životného prostredia Slovenskej republiky, op. cit., point 9).

174 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

l’Union ? Elle avait ainsi pu dégager, non sans s’exposer à la critique (88), sa compétence pour apprécier son effet direct. En définitive, l’appréciation que délivre la Cour sur le « domaine » dont relève essentiellement l’article 9, paragraphe 3, qui fluctue au gré des litiges, semble avant tout orientée par la solution à laquelle elle entend parvenir.

En tout état de cause, au sein de l’espace juridique européen, des actes unilatéraux à incidence environnementale sont édictés tant par les États membres que par les institutions de l’Union, comme l’illustre la décision de la Commission attaquée en l’espèce. Et dans la systématique des voies de droit de l’Union, l’examen de la conformité du droit des États membres au droit conventionnel — « partie intégrante de l’ordre juridique communau-taire » (89) — relève de la compétence des juridictions étatiques, tandis que l’examen de la conformité du droit de l’Union à ce droit est soumis à l’office de la Cour (90). De sorte que l’exécution complète des prescriptions de l’article 9 de la Convention d’Aarhus dans l’ordre juridique de l’Union et de ses États membres n’est permise que par l’action combinée des législations des États membres, telles qu’harmonisées par la directive 2003/4/CE, et du règlement 1367/2006. Autrement dit, bien que ce règlement ne concerne, comme l’a remarqué la Cour, que le recours en annulation, cela ne lui sous-

(88) Rappelons que l’avocat général Eleanor Sharpston avait estimé dans ses conclu-sions que « l’article 9, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus ne relève pas d’un domaine entrant dans le champ d’application du droit communautaire » (15 juillet 2010, conclusions sur C.J.U.E., Lesoochranárske zoskupenie VLK c. Ministerstvo životného prostredia Slovenskej republiky, C-240/09, EU:C:2011:125, point 79). Pour une présenta-tion exhaustive de la controverse opposant l’avocat général Eleanor Sharpston à la Cour de justice, voy. K. lenaerTs, « Direct effect and direct applicability of international law in EU legal order », in The European Union in the World : Essays in Honour of Marc Maresceau, Leiden, Martinus Nijhoff Publishers, 2014, pp. 45-64 (48). Jan Jans a vivement attaqué la solution Lesoochranárske, en observant que « the EU has not taken any legislative action with regards to their Member States to implement Art. 9 (3) of the Aarhus Convention. Therefore, the ECJ should have abstained from giving a ruling on the possible direct effect in EU law of Article 9 (3) Aarhus Convention and should have limited its jurisdiction by stating that it is for the national courts in the Member States to determine whether Article 9 (3) should be construed as having direct effect subject to the conditions provided for by national law », (« Who is the Referee ? Access to Justice in a Globalised Legal Order », Rev. E.A.L., 2011, pp. 87-99 (93)).

(89) C.J.C.E., 26 octobre 1982, Hauptzollamt Mainz c. C.A. Kupferberg & Cie KG a.A., op. cit., point 11.

(90) La Cour exerce ce contrôle sur renvoi préjudiciel en appréciation de validité ou sur recours en annulation selon que l’acte de droit dérivé appelle ou non un acte étatique de mise en œuvre. Pour une présentation détaillée et toujours d’actualité de la systématique des voies de droit de l’Union européenne, voy. Fr. BerroD, La systématique des voies de droit communautaire, Paris, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Dalloz, 2003, 1136 p.

Jean félix Delile 175

bruylant

trait pas sa qualité d’acte d’exécution de la Convention d’Aarhus puisque seul celui-ci permet de garantir son respect par les institutions de l’Union. Il est dès lors curieux de voir la Cour prendre prétexte du fait que la Conven-tion d’Aarhus impose aux États membres de rendre attaquables leurs actes à incidence environnementale pour inférer que les institutions de l’Union n’aient pu avoir l’intention de se conformer à cette même obligation en établissant l’attaquabilité de leurs propres actes.

On se souvient que l’avocat général Tizzano avait considéré dans ses conclusions sur l’arrêt Van Parys que la référence à la jurisprudence Nakajima était devenue une formule incantatoire, psalmodiée lors de tout contentieux sollicitant l’application d’un acte juridique international, alors même que cette « jurisprudence [fut] rendue dans un contexte différent » : celui des Codes Anti-Dumping du GATT (91). La Grande Chambre, dans laquelle siège désor-mais celui qui fut l’avocat général italien près de la Cour, s’est finalement appropriée son discours. Elle a en effet réduit le champ d’application de la doctrine Nakajima à sa portion congrue, en écartant pour l’avenir les argu-mentaires développés sur son fondement en dehors du contexte de ces Codes.

Conclusion

Incitée par le Tribunal et son avocat général à libéraliser les conditions d’invocabilité du droit conventionnel dans l’ordre juridique de l’Union, la Cour de justice a au contraire confirmé le relatif hermétisme de sa juris-prudence contemporaine à la norme conventionnelle (92). La Cour a ainsi certifié que l’invocabilité du droit conventionnel était irréductiblement subordonnée à l’effet direct dans le cadre du contrôle de la légalité des actes de droit dérivé de l’Union. Cette solution, qui ne manquera pas de satisfaire les institutions de l’Union en raison de l’immunité qu’elle accorde à leurs actes juridiques vis-à-vis des obligations conventionnelles dépour-vues d’effet direct, prive toutefois d’effets la primauté de ces dernières dans

(91) Antonio Tizzano, 18 novembre 2004, conclusions sur C.J.C.E., Van Parys c. Bel-gisch Interventie- en Restitutie bureau, C-377/02, EU:C:2004:725, point 96.

(92) Mario menDez a récemment centré son étude doctorale des effets des accords internationaux dans l’ordre juridique de l’Union sur le décalage qui existe entre la relative souplesse avec laquelle la Cour de justice admet l’invocabilité des accords internationaux pour contester la légalité des actes des États membres, et la rigueur des filtres qu’elle oppose à l’invocabilité des accords internationaux pour contester la légalité des actes émis par les institutions de l’Union, (The Legal Effects of EU Agreements. Maximalist Treaty Enforcement and Judicial Avoidance Techniques, Oxford, Oxford University press, 2013, 374 p.). Les arrêts commentés tendent à confirmer son analyse.

176 invocaBiliTé Des accorDs inTernaTionaux

bruylant

le contentieux de la légalité. De sorte qu’elle ne pourra en revanche que décevoir ceux qui, comme l’avocat général Jääskinen, considèrent que, dans une Union de droit constitutionnellement ouverte au droit international (93), le respect de la primauté du droit conventionnel doit être pleinement garanti dans le cadre du contrôle de la légalité des actes de l’Union. Les accords internationaux, dotés ou non de l’effet direct, priment les règles de droit de l’Union européenne de rangs législatif et infra-législatif. Or, la violation par les institutions de l’Union des règles conventionnelles dépourvues d’effet direct reste à l’abri de toute sanction juridictionnelle à la suite des arrêts Stichting Natuur et Vereniging Milieudefensie. Par conséquent, un angle mort demeure dans l’Union de droit, dans la mesure où elle situe certains éléments de la légalité de ces ordres juridiques — les règles convention-nelles dépourvues d’effet direct — hors du champ des actes juridiques dont la violation par les autorités publiques est susceptible d’engendrer un jugement d’invalidité (94). Ainsi naît une nouvelle forme de dualisme. Dans celle-ci, la production d’effets juridiques par les règles internationales dans l’ordre juridique interne n’est plus décidée par l’édiction d’une loi par le Parlement, mais par la dévolution de l’effet direct par le juge. Autrement dit, le rôle attribué aux juges dans un ordre juridique dit moniste apparaît équivalent à celui confié au Parlement dans les États dualistes. Se pour-rait-il qu’au motif d’empêcher l’émergence d’une forme de gouvernement des juges, dans laquelle l’interprétation juridictionnelle des stipulations conventionnelles imprécises serait susceptible de provoquer l’invalidation de certains actes législatifs et administratifs, la Cour de justice ait pérennisé l’existence d’une autre de ses formes, dans laquelle elle s’attribue le pouvoir de désengager l’Union de ses obligations conventionnelles ?

(93) L’Union européenne a signifié dans sa norme fondamentale son adhésion aux principes de l’État ouvert au droit international. L’offener Staat favorise le développement des normes internationales (premier principe) et la production par le droit international d’effets juridiques dans l’ordre interne (second principe) (voy. R. Wahl, « Der offener Staat und seine Rechtsgrundlagen », Juristische Schulung, décembre 2003, vol. 12, pp. 1145-1151 ; E. laGranGe, « L’efficacité des normes internationales concernant la situa-tion des personnes privées dans les ordres juridiques internes », op. cit., p. 298). L’adhésion de l’Union européenne au premier principe de l’État ouvert est explicite aux termes de l’article 3, paragraphe 5, du Traité sur l’Union européenne (« Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue […] au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies »). L’article 216, paragraphe 2, du TFUE promeut quant à lui le respect du second principe (« Les accords conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États membres »).

(94) L’invalidité est ici entendue lato sensu puisque la violation d’un accord interna-tional n’emporte que l’inapplicabilité de la règle conventionnelle.