Préhistoire et histoire des Cahiers Internationaux de Symbolisme

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1 1 Manuel Quinon Préhistoire et histoire des Cahiers Internationaux de Symbolisme (1950-1970). Les parcours croisés de Claire Lejeune et de Gilbert Durand 1 « Ainsi, à n’en pas douter, les Cahiers sont au symbolisme une sorte de Mémoire discrète, peuplée de lectures à venir, une pépinière de l’inouï, à l’encontre même d’une structure dogmatique où le futur du verbe se trouve toujours déjà empêché, codifié, récupéré dans le sacre immobile de l’Origine, dans la déification de l’unidimensionnel. » 2 Avec ce présent numéro sur l’œuvre de Claire Lejeune, les Cahiers Internationaux de Symbolisme fêtent leur quarante-sixième anniversaire. Malgré ce presque demi-siècle d’existence, et leur contribution majeure à la réflexion sur le symbole et le symbolisme dans le monde francophone, les Cahiers Internationaux n’ont pas encore, à ma connaissance, suscité de travaux sur leur propre histoire, pourtant mouvementée et captivante sous bien des aspects. Cette histoire est liée de façon intime à celle des « Congrès de symbolisme », qu’organisait dès le début des années 1950 un médecin genevois, Moïse Engelson, à Paris et à Genève notamment. Car jusqu’en 1970, les Cahiers Internationaux de Symbolisme, fondés par le Docteur Engelson et Claire Lejeune en 1962, auront pour principal objectif de publier les actes de ces Congrès. Je souhaiterais, dans cet article, souligner l’importance du rôle qu’a joué Claire Lejeune dans l’évolution des Congrès de symbolisme, au début des années 1960, et éclairer les spécificités du « cap » qu’elle a su donner et maintenir ces nombreuses années en ce qui concerne les Cahiers. Par « préhistoire », on entend habituellement les événements qui concernent l’humanité avant l’apparition de l’écriture, « l’histoire » débutant avec les premières traces écrites. Par extension, on peut parler d’une « préhistoire » et d’une « histoire » des Congrès de symbolisme et des Cahiers Internationaux — ainsi que l’a déjà fait Claire Lejeune elle-même, dans de courts textes où elle retrace l’aventure des Cahiers 3 . Et Claire Lejeune se trouve être au centre de ce passage de la « préhistoire » à « l’histoire », en tant que rédactrice et cheville ouvrière des Cahiers Internationaux de Symbolisme, où, à partir de 1962, les communications 1 Article publié dans Cahiers Internationaux de Symbolisme, n° 119-120-121 (« Pour une orygine à venir. Engagements auprès de Claire Lejeune »), février 2008, pp. 145-175. Je remercie Marie Quinon pour la relecture critique de cet article. 2 Claire Lejeune, « Une lettre de M me Claire Lejeune sur l’histoire des Cahiers Internationaux de Symbolisme », in René Alleau, La science des symboles. Contribution à l’étude des principes et des méthodes de la symbolique générale, Paris, Payot, coll. « Bibliothèque scientifique », 1977, p. 244. 3 Voir Claire Lejeune, op.cit. Dans un texte dactylographié, resté inédit, sur l’histoire des Cahiers, de Réseaux et du CIEPHUM, que Claire Lejeune m’a aimablement communiqué, elle utilise encore les termes « d’histoire » et de « préhistoire ».

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Manuel Quinon

Préhistoire et histoire des Cahiers Internationaux de Symbolisme (1950-1970).

Les parcours croisés de Claire Lejeune et de Gilbert Durand1

« Ainsi, à n’en pas douter, les Cahiers sont au symbolisme une sorte de Mémoire discrète, peuplée de lectures à venir, une pépinière de l’inouï, à l’encontre même d’une structure dogmatique où le futur du verbe se trouve toujours déjà empêché, codifié, récupéré dans le sacre immobile de l’Origine, dans la déification de l’unidimensionnel. »2

Avec ce présent numéro sur l’œuvre de Claire Lejeune, les Cahiers Internationaux de Symbolisme fêtent leur quarante-sixième anniversaire. Malgré ce presque demi-siècle d’existence, et leur contribution majeure à la réflexion sur le symbole et le symbolisme dans le monde francophone, les Cahiers Internationaux n’ont pas encore, à ma connaissance, suscité de travaux sur leur propre histoire, pourtant mouvementée et captivante sous bien des aspects. Cette histoire est liée de façon intime à celle des « Congrès de symbolisme », qu’organisait dès le début des années 1950 un médecin genevois, Moïse Engelson, à Paris et à Genève notamment. Car jusqu’en 1970, les Cahiers Internationaux de Symbolisme, fondés par le Docteur Engelson et Claire Lejeune en 1962, auront pour principal objectif de publier les actes de ces Congrès.

Je souhaiterais, dans cet article, souligner l’importance du rôle qu’a joué Claire Lejeune dans l’évolution des Congrès de symbolisme, au début des années 1960, et éclairer les spécificités du « cap » qu’elle a su donner et maintenir ces nombreuses années en ce qui concerne les Cahiers.

Par « préhistoire », on entend habituellement les événements qui concernent l’humanité avant l’apparition de l’écriture, « l’histoire » débutant avec les premières traces écrites. Par extension, on peut parler d’une « préhistoire » et d’une « histoire » des Congrès de symbolisme et des Cahiers Internationaux — ainsi que l’a déjà fait Claire Lejeune elle-même, dans de courts textes où elle retrace l’aventure des Cahiers3. Et Claire Lejeune se trouve être au centre de ce passage de la « préhistoire » à « l’histoire », en tant que rédactrice et cheville ouvrière des Cahiers Internationaux de Symbolisme, où, à partir de 1962, les communications 1 Article publié dans Cahiers Internationaux de Symbolisme, n° 119-120-121 (« Pour une orygine à venir. Engagements auprès de Claire Lejeune »), février 2008, pp. 145-175. Je remercie Marie Quinon pour la relecture critique de cet article. 2 Claire Lejeune, « Une lettre de Mme Claire Lejeune sur l’histoire des Cahiers Internationaux de Symbolisme », in René Alleau, La science des symboles. Contribution à l’étude des principes et des méthodes de la symbolique générale, Paris, Payot, coll. « Bibliothèque scientifique », 1977, p. 244. 3 Voir Claire Lejeune, op.cit. Dans un texte dactylographié, resté inédit, sur l’histoire des Cahiers, de Réseaux et du CIEPHUM, que Claire Lejeune m’a aimablement communiqué, elle utilise encore les termes « d’histoire » et de « préhistoire ».

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faites aux divers Congrès de symbolisme vont trouver un développement écrit et un moyen de diffusion.

L’influence de Claire Lejeune apparaîtra, par contraste, en présentant ce qu’étaient les Congrès de symbolisme au cours des années 50, et ce qu’ils devinrent durant la période faste des années 60. J’aborderai pour finir la figure de Gilbert Durand, membre fondateur des Cahiers, afin de souligner son influence sur les Congrès de symbolisme, et, inversement, de relever l’importance de certains événements liés aux Congrès sur la propre trajectoire intellectuelle de l’auteur des Structures anthropologiques de l’imaginaire — qui apparaît à la fois comme symétrique et complémentaire de celle de Claire Lejeune.

La préhistoire des Congrès de symbolisme (1950-1961) C’est le fondateur de la « Société de Symbolisme » et des Congrès de symbolisme, le

Docteur Moïse Engelson, qui lui-même, au milieu des années 1970, note le véritable tournant que figure la publication des Cahiers Internationaux, invitant ainsi à en faire une « préhistoire » :

« La fortune de la Société de Symbolisme dont la fonction majeure fut, entre 1950 et 1960,

l’organisation de colloques interdisciplinaires fut sujette — comme l’est toute entreprise pionnière — à de grandes fluctuations : les conférences organisées oscillaient entre le meilleur et le pire, jusqu’à ce que soient créés les Cahiers internationaux de symbolisme non pour promouvoir tel système philosophique préférentiel, mais pour devenir lieu d’expression de toute forme de pensée intégrante, et cela au travers d’une continuelle, incessante transmutation. »4 Quand a été créée la « Société de Symbolisme » ? Quel étaient ses buts ? En quoi

consistaient les premiers Congrès de symbolisme durant les années 50, dont les actes n’ont pas été publiés ? De quoi traitaient ces conférences qui « oscillaient entre le meilleur et le pire » ?

Reportons-nous tout d’abord à ce qu’en dit le Docteur Engelson, dans le texte déjà cité :

« L’un des événements de mon existence fut la découverte que le sens de la vie était comprendre. Et que ce mot-là désignait une mutuelle intégration des deux principes constituant la pensée : la conscience et le phénomène. Ceci établi, il est évident que le point d’impact entre ces deux principes, pour devenir intelligible, doit subir une réduction à un dénominateur commun que l’on peut désigner du terme de symbolisme.

Cette quête du symbolisme comme dénominateur commun du sujet et de l’objet de la connaissance (comme puissance du verbe) remonte aux origines mêmes de l’intelligence humaine, elle se trouve être — au sein des innombrables sociétés dites initiatiques — le “moyeu de la Rota”. Mais la plupart de ces sociétés secrètes ne font que cultiver et entretenir le “vénérable jardin”, sans jamais pratiquer l’ouverture sur la métamorphose permanente du monde contemporain. Comme les religions, elles ne font que reproduire inlassablement les prestigieux rites d’antan, au lieu de leur faire subir le sacrifice du Phénix : la mort comme condition de re-génération permanente.

C’est en vue de cette quête que fut créée en 1950 la Société de Symbolisme, qui entreprit d’œuvrer à l’ouverture des cages, des diverses “clôtures” où se trouve enfermée la pensée ; enfermée, soit par l’individu lui-même, soit par la coercition des pouvoirs constitués, jaloux de leur hégémonie. »5

Le Dr Engelson est né à Riga, la capitale de la Lettonie, en 1908, et est mort à Genève

en 1988. Martine Renouprez, dans l’ouvrage issu de sa thèse sur Claire Lejeune, indique que

4 M. Engelson, cité par Claire Lejeune, op.cit., pp. 241-242. La lettre de Claire Lejeune à René Alleau, dans laquelle est insérée, sans référence, le texte du Dr Engelson, est datée de Noël 1975. Dans un entretien réalisé le 12 juin 2006, Claire Lejeune m’a indiqué que ce texte d’Engelson était probablement tiré d’une conférence faite par lui lors d’un Congrès de Symbolisme, au cours de la première moitié des années 1970. 5 M. Engelson, cité par Claire Lejeune, op.cit., p. 241.

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Moïse Engelson a « séjourné à Vienne, fréquenté les milieux de la psychanalyse et collaboré avec Raymond Abellio, Carlo Suarès, René Alleau »6. Au début des années 50, M. Engelson fonde à Genève une « Association pour l’étude scientifique du symbolisme », dont l’objectif sera, comme il l’indique au milieu des années 70, d’appliquer au « monde contemporain » l’étude des symbolismes légués par les diverses traditions religieuses et spirituelles. Notons que cette « Association », de forme publique, semble elle-même l’héritière d’un projet plus souterrain, plus « ésotérique », que nourrissait le médecin genevois, ainsi qu’en témoigne Raymond Abellio, qui a rencontré Moïse Engelson à Genève en 1951, et qui évoque le médecin « kabbaliste » dans son « Journal de Suisse » :

« Un […] Kabbaliste, le docteur Moïse Engelson, se propose de m’associer à Genève à la création

d’un Centre d’Etudes bibliques, qui serait l’embryon de l’Institut de Recherches spirituelles qu’il veut fonder à Jérusalem en collaboration, dit-il, avec Martin Buber. Ce centre genevois serait conçu comme une société fermée et même hermétique. “Il ne faut pas galvauder l’enseignement de la Kabbale”, dit le docteur […].

Engelson est un ancien marxiste additionnant un besoin de militantisme que le marxisme a déçu, la religiosité intellectuelle du juif et les élans parfois même intempestifs de la gentillesse slave. C’est le meilleur des hommes, mais aussi, dès qu’il s’agit de Kabbale, le plus entreprenant. »7 « L’Association pour l’étude scientifique du symbolisme », menée par M. Engelson et

manifestant, elle, une vocation à « l’exotérisme », trouve dès les premières années de son existence un écho enthousiaste parmi les rédacteurs de la revue Atlantis, fondée en 1927 par Paul Le Cour (1871-1954), astrologue et ésotériste chrétien, auteur en 1937 d’un ouvrage qui aura une certaine postérité, L’Ere du Verseau.

Dans son numéro de mars-avril 1957, Atlantis (qui désigne à la fois la revue et l’association du même nom8) se présente ainsi :

« La revue Atlantis constitue un centre d’étude des traditions occidentales. Elle tend à rechercher, à

travers les légendes, les symboles, les religions et les philosophies, la Tradition primitive, sur laquelle il est nécessaire de s’appuyer pour obtenir une rénovation spirituelle permettant de préparer les Temps nouveaux vers lesquels l’humanité marche à grands pas.

Cette renaissance permettra à l’esprit humain de concilier à la fois la science et la religion, et, s’inspirant d’un idéal esthétique, remettra en valeur les qualités chevaleresques, seules capables de permettre à l’homme, comme aux peuples, de retrouver les normes d’une saine vie spirituelle indispensable à la nature humaine. »9 Selon Paul Le Cour, qui se distingue en cela d’un autre illustre « traditioniste »10, René

Guénon11, la « Tradition Primordiale », spécifiquement « occidentale », aurait été détenue par 6 M. Renouprez, Claire Lejeune. La poésie est en avant, Belgique, éd. Luce Wilquin, coll. « L’œuvre en lumière », 2005, p. 18. 7 Voir les extraits du « Journal de Suisse » (janv.-sept. 1951) de Raymond Abellio, in Jean-Pierre Lombard (dir.), Raymond Abellio. Cahiers de l’Herne, Paris, éd. de l’Herne, 1979, p. 343. 8 L’association « Les Amis d’Atlantis » organise des dîners et des réunions mensuelles, des « Banquets platoniciens » annuels, des conférences sur des thèmes liés à l’ésotérisme, des excursions dans des « hauts-lieux » spirituels, et gère un centre de vacance à Arès, dans le bassin d’Arcachon. Ce centre est « destiné à constituer le complément de la revue », et les « néo-atlantes » (les membres de l’association), peuvent y méditer les « grandes traditions sur lesquelles reposent la vie spirituelle du monde », dans le cadre d’une « vie saine et naturelle ». Voir Atlantis, n° 148 (« Métapsychisme et spiritisme »), juil.-août 1950, 2ème de couverture). Notons que l’association Atlantis est toujours en activité, sous le nom de « Centre de Recherche et d’Etude de la Tradition » (CRET), et propose des cours et des conférences, sur divers thèmes liés à l’ésotérisme et « l’archéologie traditionnelle », dans les principales villes de France (voir le site internet de l’association : www.atlantis-site.com). 9 Atlantis, n° 186 (« Une chevalerie va naître »), mars-avril 1957. 10 Au sein de la nébuleuse ésotériste, la tendance « traditioniste », dont les principaux représentants au XXème siècle sont René Guénon, Frithjof Schuon et Ananda Coomaraswamy, admet qu’a existé, à une époque proto ou pré-historique, une « Tradition Primordiale », d’origine divine, antérieure aux diverses traditions spirituelles et religieuses pour lesquelles nous disposons de documents écrits. Ces dernières traditions « historiques », incluant les religions révélées, auraient conservé sous une forme plus ou moins déformée et dégradée des traces de la « Tradition Primordiale » immémoriale. Pour les

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les Atlantes, habitants de l’Atlantide, ce « foyer primitif de l’humanité pensante », et aurait déjà été présente chez « la race de Cro-Magnon », puis chez sa descendance, les « Aryans », puis enfin chez « nos ancêtres, les Celtes »12. Et, toujours selon Paul Le Cour (qui signe ses éditoriaux : « L’Homme de Barre »), reconstituer « la Révélation » ou la « Tradition primordiale », ce à quoi s’emploient activement les membres d’Atlantis, nous permettait de sortir « des ténèbres du présent »13.

C’est donc au sein de la revue Atlantis que l’on peut lire les premières traces de « l’Association pour l’étude scientifique du symbolisme » et des Congrès de symbolisme organisés par Moïse Engelson.

Au début de l’année 1954, on trouve un compte rendu élogieux de deux pages, titré : « Un congrès de symbolisme », signé par Marc Thirouin, avocat parisien et ufologue, rédacteur en chef d’Atlantis de 1955 à 1959, désigné à cette fonction par son « Maître » Paul Le Cour14 décédé en cette même année 1954 :

« Un groupement s’est récemment fondé sous le titre d’ “Association pour l’étude scientifique du

symbolisme”, dont le but est de retrouver le principe d’harmonie supérieur que réclame impérativement le développement anarchique des techniques modernes. L’ambition de cette association est de “jeter un pont entre la Science et la Philosophie (entre la “Science profane” et la “Science sacrée”), et d’inaugurer par là un nouvel et incommensurable progrès dans l’évolution humaine.

Sur ces bases, un premier Colloque annuel s’est tenu les 3 et 4 octobre dernier à Paris. Il nous paraît intéressant, tant par souci d’information qu’en raison de l’importance qu’Atlantis

depuis vingt-six ans attache à la symbolique, de relater cette manifestation et d’en donner au moins un compte rendu succinct, l’ampleur et le nombre des communications qui y furent faites ne nous permettant pas, nous le regrettons, un rapport détaillé.

Deux points devaient retenir particulièrement notre attention au moment où s’ouvrait ce congrès : tout d’abord le fait que la participation y était offerte aux représentants des disciplines scientifiques et philosophiques les plus diverses ; d’autre part le souci d’objectivité scientifique qui avait présidé il l’organisation de ces journées et dont la promesse était contenue dans le nom même de l’Association.

Mais surtout ce congrès montre qu’il existe aujourd’hui un courant de pensée, extrêmement intéressant, qui tend à un rapprochement des sciences ésotériques traditionnelles et de la science au sens où nous l’entendons de nos jours […].

On assiste là à une convergence de conceptions révolutionnaires qui tendent à se compléter ou à se confondre à travers les heurts inévitables engendrés par les différences d’origine et de terminologie, mais qui toutes cherchent une commune expression des vérités universelles en accord avec les données et la langue scientifiques.

Il nous semble évident que si le Christ revenait à notre époque il ne parlerait plus le langage des Ecritures, lui qui en son temps ne parlait déjà plus celui de l’Ancien Testament. Notre vocabulaire, nos images, nos concepts, nos formes de pensée, nos cadres mentaux ont été profondément bouleversés par l’avènement de la pensée scientifique. C’est là une des raisons, d’ailleurs, pour lesquelles nous croyons nécessaire et urgente une rénovation de l’enseignement christique, voire le

« traditionistes », la « crise du monde moderne » occidental serait à rechercher dans l’oubli par les hommes de cette Tradition primordiale, et le salut de l’humanité passerait par sa réappropriation. Sur le « traditionisme » (aussi appelé « pérennialisme »), voir notamment Antoine Faivre, « L’historien et le pérennialisme », Politica Hermetica, n° 10 (« L’histoire cachée entre histoire révélée et histoire critique »), 1996, pp. 68-72, ainsi que Mark J. Sedgwick, Against the Modern World. Traditionalism and the Secret Intellectual History of the Twentieth Century, Oxford University Press, 2004. 11 René Guénon, dans La Crise du monde moderne (1ère éd. 1927), prend lui-même position par rapport à la question de la « tradition atlantéenne » : tout en reconnaissant sa probable existence, celle-ci ne correspondrait selon lui « qu’à une période secondaire de notre cycle » [de décadence, le « Kali-Yuga »], et il serait donc « une grande erreur que de prétendre l’identifier à la tradition primordiale dont toutes les autres sont issues, et qui seule demeure du commencement à la fin ». Il serait, ajoute R. Guénon et sans justifier sa position, impossible « de faire revivre présentement une tradition ‘‘atlantéenne’’ » (R. Guénon, La Crise du monde moderne, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1969, pp. 42-43). 12 P. Le Cour, « Les aryans, le culte solaire et l’origine de la tradition », Atlantis, n° 137 (« A la recherche d’une doctrine. I.- Le brahamisme », sept. 1948, pp. 15-16. 13 L’Homme de Barre (P. Le Cour), « Atlantis et “Les Amis d’Atlantis” », Atlantis, n° 156 (« Occultisme et hermétisme »), nov.-déc. 1951. 14 Voir Atlantis, n° 171 (« Paul Le Cour, 1871-1954 »), mai-juin 1954, p. 133.

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retour du Christ “enseignant”. Si la matière de cet enseignement n’a pas plus changé que dans le fond de la vérité prêchée il y a deux mille ans, la nature de l’homme ou la constitution du Cosmos, par contre les moyens d’appréhender cette Vérité ne sont plus du tout les mêmes. Il peut être utile aujourd’hui, pour accéder à ces données, d’utiliser le langage des physiciens, des mathématiciens, des cybernétistes ou des psychanalystes, et leurs méthodes objectives rigoureuses ; ce qui implique d’ailleurs que ces disciplines feront corrélativement une place de plus en plus marquante au qualitatif et à l’irrationnel.

Si les grandes intuitions et les révélations originelles, les processus analogiques et les synthèses symboliques contiennent l’essence du message de la divinité à l’homme, la Tradition n’a rien à craindre des démarches de la Science à la rencontre de ses vérités, car ou la Science est impuissante et sa faillite sera manifeste ou elle est vraiment digne de ce nom et c’est à la connaissance même de Dieu qu’elle nous mènera. »15

Ce premier Congrès de symbolisme, organisé par Moïse Engelson et son « Association

pour l’étude scientifique du symbolisme » en octobre 1953 à Paris, à la salle Pleyel16, avait ainsi pour objectif de jeter un pont entre « science profane » et « science sacrée », autrement dit entre « science au sens où nous l’entendons de nos jours » et « sciences ésotériques traditionnelles », les sciences contemporaines étant sommées de corroborer des conceptions sur « la nature de l’homme ou la constitution du Cosmos » transmises par les religions et la « Tradition ». Une telle manifestation apparaissait aux membres d’Atlantis comme un signe de l’imminente « rénovation spirituelle », de cette « Ere du Verseau » prophétisée par Paul Le Cour, où « science et religion » seront enfin réconciliées.

Un autre trait saillant de ce résumé du premier Congrès de symbolisme, réalisé par le rédacteur en chef d’Atlantis, est qu’il lie implicitement les notions de « Tradition », « d’ésotérisme », et de « symbolisme ». Ces notions seront par la suite présentées conjointement, en ces termes, par la rédaction d’Atlantis :

« La TRADITION est la mémoire spirituelle de l’humanité, le reliquat de la Révélation primordiale de l’Age d’Or originel avéré par toutes les traditions successives de notre Cycle d’humanité.

L’ESOTERISME est l’aspect INTERIEUR de la Tradition dont l’étude permet le dévoilement des Mystères Comme l’Hermétisme, c’est une recherche DESINTERESSEE qui s’oppose à la recherche des pouvoirs qu’est l’Occultisme. »17

« L’Esotérisme [est la] révélation de réalités traditionnelles longtemps cachées, et que la Science du XXe siècle pourrait redécouvrir »18

« Le SYMBOLISME est l’étude des rapports analogiques qui existent entre le Visible et l’Invisible, entre le Microcosme et le Macrocosme »19 En ce qui concerne les conférenciers et les thèmes des communications de ce Congrès

de symbolisme d’octobre 1953, on apprend, dans ce même numéro d’Atlantis et par la voix de Marc Thirouin, que le prince roumain Matila Ghyka, auteur d’ouvrages sur le nombre d’or, y a exposé « les récentes découvertes de la physique intra-atomique [qui] introduisent l’homme de science dans un monde de manifestations qu’on peut interpréter comme des “phénomènes

15 Marc Thirouin, « Un congrès de symbolisme », Atlantis, n° 169 (« La construction de l’Arche »), janv.-fév. 1954, pp. 87-89. 16 On trouve cette dernière précision dans la chronologie biographique de Raymond Abellio : voir Jean-Pierre Lombard (dir.), op.cit., p. 17. 17 Prospectus pour la Cinquième biennale « Arts et Littérature d’Esotérisme Traditionnel », organisée par l’association Atlantis les 29 et 30 nov. 1980, au « Foyer International d’Accueil de Paris » (origine du document : Bibliothèque Nationale, Dpt des Manuscrits (Occident), Fonds R. Abellio, Correspondance, carton n° 2, chemise « Atlantis ») 18 Prospectus pour la Première exposition « Arts et Littérature d’Esotérisme Traditionnel », organisée par l’association Atlantis le 9 déc. 1972, au « Foyer International d’Accueil de Paris » (origine du document : Bibliothèque Nationale, Dpt des Manuscrits (Occident), Fonds R. Abellio, Correspondance, carton n° 2, chemise « Atlantis ») 19 Prospectus pour la Cinquième biennale « Arts et Littérature d’Esotérisme Traditionnel », organisée par l’association Atlantis les 29 et 30 nov. 1980, op.cit.

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purement mentaux situés en dehors de l’espace-temps physique” », en soulignant que « cette conception trouve des applications fécondes dans le domaine de la biologie […], non seulement sur le plan métaphysique mais — ce qui en serait une confirmation — sur celui de la thérapeutique ».

Augustin Berger, « ami et collaborateur » régulier d’Atlantis, et directeur-fondateur des Amitiés Wronskiennes, a lui présenté « la méthode génétique » du mathématicien-théosophe Hoëné Wroński, méthode qui « constitue un remarquable effort de synthèse scientifique et traditionnelle, en même temps que de mise en ordre de notre civilisation matérielle et spirituelle ».

Lors de sa communication, le Docteur Roger Frétigny, auteur d’une préface à un Dictionnaire pratique des sciences occultes paru à Monaco en 1950, « s’est attaché à démontrer que la valeur des données traditionnelles dépend aujourd’hui de la confirmation ou de l’infirmation que les méthodes d’investigation scientifique moderne mettent à notre disposition ».

« Raymond Abellio enfin, écrit Marc Thirouin, sans nier la valeur de la contemplation en tant que “paroxysme de la méditation” désire un enseignement capable de fournir ces éléments spéculatifs, démonstratifs et gnostiques au sens strict du mot ».

Comme on peut le constater, les communications dont rend compte le rédacteur d’Atlantis avaient bien pour vocation de « jeter un pont » entre la « Tradition » et la science, et ont été faites par des conférenciers impliqués dans l’une comme dans l’autre. L’objectif d’Engelson et de son « Association pour l’étude scientifique du symbolisme » semblait donc atteint, et rejoignait, pour leur plus grande joie, les préoccupations des disciples de Paul Le Cour, à l’affût de signes annonciateurs de l’Ere du Verseau.

On a vu que Raymond Abellio faisait partie des conférenciers lors de ce Congrès d’octobre 1953. La lecture du journal et de la chronologie biographique du célèbre romancier et philosophe ésotériste, prophète de la « Nouvelle Gnose », nous apprend qu’en avril 1951, mois où il fit une conférence à l’Université de Genève sur la numérologie biblique, il rencontra le Dr Engelson, avec lequel il dû tisser des liens solides, puisqu’on retrouve Abellio en tant que conférencier aux Congrès de symbolisme de 1953, de 1955, de 1958 et de 196220.

Mais poursuivons l’examen de la revue Atlantis, afin d’en apprendre davantage sur la « préhistoire » des Congrès de symbolisme, dont les Cahiers Internationaux sont les héritiers. Tout juste une année après ce premier compte rendu, on trouve, dans le numéro 175 d’Atlantis (janvier-février 1955), une pleine page signée du même Marc Thirouin, intitulée « Science et tradition », présentant un nouveau Congrès de « l’Association pour l’étude du symbolisme », tenu cette fois à Genève durant l’été 1954. S’il n’est toujours pas question d’un manifeste ou d’un texte programmatique, le rédacteur rapporte toutefois des propos d’Engelson, qui témoignent des buts de son association.

« Nous suivons toujours avec intérêt les travaux de l’Association pour l’Etude scientifique du

Symbolisme que dirige à Genève son fondateur, le docteur Engelson, et qui a tenu cet été ses assises annuelles à la Société des Arts de cette ville.

Déjà l’année dernière nous avions rendu compte de l’aspect général de ces travaux qui, dans leur principe ne pouvaient que recueillir notre sympathie puisqu’il s’agissait de tenter une synthèse des traditions ésotériques et des données et méthodes scientifiques modernes.

Le but de cette Association a été précisé ainsi, cette année, par son président : “L’abolition de la dualité transpose la pensée sur un plan transcendantal ; mais pour y parvenir, tout raisonnement purement rationnel doit recevoir une impulsion supplémentaire de l’enseignement traditionnel, ce der-nier étant un peu ce que la théorie de la relativité est à la mathématique vulgaire”. »21

20 Voir Jean-Pierre Lombard, op.cit, p. 16 et 343, ainsi que le témoignage de Claire Lejeune, infra. 21 Marc Thirouin, « Science et tradition », Atlantis, n° 175 (« Eglise et maçonnerie »), janv.-fév. 1955, pp. 95-96.

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Marc Thirouin précise ne « pas avoir assisté à ce congrès ». Il tire sa présentation d’un « très long compte-rendu que nous [la rédaction d’Atlantis] avons reçu, [qui] montre que les sujets les plus divers ont été abordés, par une quinzaine d’orateurs ». Et le rédacteur en chef d’Atlantis de signaler certaines interventions sur « des matières qui rejoignent directement nos préoccupations » : celle de Raymond Abellio « sur les symboles considérés comme l’aboutissement de science perdues et devant être tenus pour des axiomes » ; celle de l’astrologue Melchior K. Hitschler « sur le symbolisme des nombres atomiques des métaux traditionnels » ; celle du Docteur Schwabe « sur le symbolisme du signe des Gémeaux » ; celle de l’ingénieur Théo Koelliker « sur le “Rectangle long”et la Proportion d’Or, etc... ».

Marc Thirouin signale encore qu’un « prochain congrès aura lieu à Paris, salle Debussy-Pleyel, du 23 au 25 avril 1955 », et donne pour finir des précisions sur le rôle d’Augustin Berger, conférencier au premier Congrès de symbolisme tenu à Paris en octobre 1953 :

« Notre ami et collaborateur A. BERGER, membre honoraire de la section française de [l’]

Association [pour l’étude scientifique du symbolisme, fondée à Genève par Engelson], a présidé en octobre dernier, à l’Institut océanographique de Paris, une première réunion, dont le thème d’étude fut : Est-il possible de parler d’une “étude scientifique” en ce qui concerne le Symbolisme ? Ce débat, comme bien l’on imagine, ne fut pas sans soulever de vives controverses, partageant l’auditoire — de façon très amicale — en traditionnels “purs”, qui n’admettent aucune possibilité d’introduire dans ce genre d’étude “l’esprit scientifique”, et traditionnels “modernes”, “amis de leur temps dans lequel il a plu à Dieu de les appeler au monde (mais qui refusent les déchéances de sa modernité) et qui, soumis à son ordre, songent à le rafraîchir dans l’originelle pureté parce qu’ils ignorent distinguer la lumière de la Lumière, celle “pour faire chercher” et celle “qui trouve” (A. Berger). » Ces dernières précisions illustrent bien le fait que « l’ésotérisme », dont traitent

simultanément les membres d’Atlantis et les conférenciers de « l’Association pour l’étude scientifique du symbole » (Augustin Berger participant des deux groupes en même temps), suit une voie non pas « puriste » — telle que celle de René Guénon ou de Frithjof Schuon qui rejettent le monde contemporain et la science moderne au profit de la seule recherche de la « Tradition primordiale » éparpillée dans divers courants religieux —, mais une voie à la fois « éclectique » et « humaniste »22, où les sciences contemporaines portent aussi le témoignage du trésor spirituel de l’humanité, de la « Tradition » qui ne s’oppose dès lors plus au monde moderne. L’Association d’Engelson, les Congrès de symbolisme et Atlantis semblent alors bien participer d’un même « courant de pensée », ainsi que le soulignait Marc Thirouin en janvier 1954.

Après cinq années de silence sur les activités de « l’Association pour l’étude scientifique du symbolisme », c’est dans le numéro 200 d’Atlantis de janvier-février 1960 (« Paul Le Cour et la sagesse Atlantéenne ») que l’on trouve de nouvelles informations, dont le « Manifeste d’Engelson » qu’Atlantis reproduit in extenso, dans une rubrique intitulée « Congrès du Symbolisme » :

« Le Symbolisme n’est pas seulement un objet d’études spéculatives, il est avant tout le

reflet de l’ordre cosmique fondamental. Cachée durant des millénaires sous le sceau du secret, la science du symbolisme ne fut

propagée que dans les sociétés initiatiques, en cercle rigoureusement clos. Cependant notre époque, caractérisée par une efflorescence anarchique de découvertes

techniques, réclame impérieusement un Principe co-ordinateur supérieur. Or, ce principe d’harmonie coordinatrice existe. II se trouve enfoui dans la science antique du Symbolisme, dont le moment nous paraît venu de désocculter, progressivement, l’enseignement. Car si, dans l’Antiquité, la révélation d’un secret initiatique était condamnable, n’est-il pas aussi dit dans le

22 Sur la distinction entre voie « puriste », voie « éclectique » et voie « humaniste » dans les courants de l’ésotérisme occidental, voir Antoine Faivre, Accès de l’ésotérisme occidental, tome 1, Paris, Gallimard, 1996, pp. 33-47.

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livre sacré du Zohar : “Quand approchera l’époque messianique, même les petits enfants connaîtront les mystères de la sagesse” ?

Or, cette époque paraît s’annoncer, les temps nous paraissent mûrs pour l’ensemencement des vraies connaissances : les connaissances non pas des phénomènes, mais des principes mêmes qui les suscitent. Ces vraies connaissances sont contenues dans la science du symbolisme, et l’étude approfondie de celle-ci nous paraît susceptible d’apporter une vision nouvelle sur tous les plans : autant philosophique, que scientifique ou sociologique.

C’est dans cette idée que nous avons fondé la Société de Symbolisme, destinée non pas à une vulgarisation stérile, mais à la constitution de cadres de cet enseignement du symbolisme traditionnel, que nous désirerions voir se propager dans les Universités, jetant ainsi un pont entre la Science et la Philosophie (entre la “Science profane” et la “Science Sacrée”), et inau-gurant ainsi un nouvel et incommensurable progrès dans l’évolution humaine.

La Société de Symbolisme aura donc pour premiers buts : — d’établir un lien entre les différents centres d’études du symbolisme ; — de fournir des Maîtres compétents aux centres d’études qui en feront demande ; — de créer des contacts avec des milieux scientifiques universitaires, notamment en recherchant

les correspondances de l’enseignement traditionnel avec les acquisitions des sciences classiques ;

— d’organiser des congrès pour l’étude du Symbolisme. Nous invitons tous ceux qui saisissent l’importance de notre initiative à nous apporter leur aide,

dans la lourde tâche que nous assumons. »

Le « Symbolisme » est donc conçu par Engelson comme un moyen terme entre l’homme et « l’ordre cosmique fondamental », rejoignant ainsi la définition donnée postérieurement par la rédaction d’Atlantis (examen des « rapports analogiques qui existent entre le Visible et l’Invisible, entre le Microcosme et le Macrocosme »). Son étude permettrait de renseigner l’homme sur son essence, son origine et son devenir. Jusque-là, le Docteur Engelson suit une démarche ésotériste classique, mais se distingue toutefois en suivant une voie « humaniste » au sens d’Antoine Faivre : l’étude du symbolisme n’a pas pour lui à se cantonner dans le strict secret d’une société initiatique ; elle doit se généraliser et se réaliser même au sein « des milieux scientifiques universitaires ». C’est l’annonce d’une « époque messianique » (et l’on retrouve ici le thème de « l’Ere du Verseau » cher à Paul Le Cour et aux membres d’Atlantis) qui suggère à Engelson que l’heure est désormais à la « désoccultation » des antiques « secrets initiatiques », désoccultation qui irait jusqu’à l’enseignement universitaire de ces contenus « traditionnels », afin d’inaugurer « un nouvel et incommensurable progrès dans l’évolution humaine ».

Mais poursuivons avec ce numéro d’Atlantis de janvier 1960. Le programme d’Engelson, dont un court extrait avait déjà été reproduit dans le premier article paru dans Atlantis en janvier 1954 (« L’ambition de cette association est de “jeter un pont entre la Science et la Philosophie (entre la “Science profane” et la “Science sacrée”), et d’inaugurer par là un nouvel et incommensurable progrès dans l’évolution humaine” »), est immédiatement suivi par un texte signé Jacques d’Arès, de son vrai nom Jacques Anjourand, successeur de Marc Thirouin à la rédaction d’Atlantis, et secrétaire général de l’association « Les Amis d’Atlantis » :

« A la suite de ce manifeste du docteur M. Engelson, auquel nous souscrivons sans réserve, car il

correspond exactement aux idées développées en Atlantis depuis de longues années, celui-ci nous a demandé d’organiser, en collaboration étroite avec M. Jean de Foucauld, directeur des éditions “La Colombe”, un Congrès pour l’étude du Symbolisme, ce que nous avons tout de suite accepté.

Et c’est ainsi que tous les Amis d’Atlantis et leurs amis sont conviés à participer au Congrès qui se tiendra à Paris, au Palais de l’U.N.E.S.C.O., les samedi 19 et dimanche 20 mars prochains. Tous nos adhérents de la région parisienne recevront personnellement une invitation comportant toutes les indications nécessaires et le programme complet des diverses communications qui seront faites. Ceux

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de nos amis de province qui souhaiteraient assister à cette importante manifestation devront nous le signaler et nous nous ferons un plaisir de leur adresser toute la documentation utile.

Précisons dès maintenant que ce Congrès aura pour thème général : “Le symbolisme et la loi d’analogie”, présenté par notre excellent collaborateur et ami Augustin Berger, et que des études particulières sur les rapports de l’analogie et des différents aspects de la pensée humaine seront faites par d’éminentes personnalités […].

Si Atlantis est particulièrement heureux de participer activement à cette manifestation où le Symbolisme sera envisagé dans ses rapports tant avec la Tradition, qu’avec la Science, c’est-à-dire sous le double aspect Amour et Connaissance, nous croyons néanmoins devoir préciser que nous conservons notre entière liberté et notre individualité pour mieux poursuivre notre but. »23

Ce Congrès de mars 1960 marque un premier tournant dans l’entreprise d’Engelson, et

cela pour deux raisons : l’importance des moyens mis en œuvre, et l’orientation thématique de certaines des interventions.

Siégeant donc à Paris au Palais de l’U.N.E.S.C.O. grâce à la bienveillance de Vittorino Véronèse (directeur général de l’U.N.E.S.C.O. de 1958 à 1961)24, ce « Premier Congrès du Symbolisme » (et non plus de symbolisme) a été organisé sous la demande d’Engelson par le rédacteur en chef d’Atlantis, Jacques d’Arès, et Jean de Foucauld, Président de « l’Association pour l’Expansion de la Culture » et directeur des éditions « La Colombe. Editions du Vieux Colombier », qui publièrent entre 1941 et 1966 environ trois cents ouvrages traitant, pour l’essentiel, de mystique, d’ésotérisme (on trouve des ouvrages de ou sur R. Guénon, F. Schuon, J. Evola, Krishnamurti) et de divers aspects du christianisme. Ce Congrès sur « Le symbolisme et la loi d’analogie » allait ainsi bénéficier de l’important réseau du rédacteur en chef d’Atlantis, comprenant les membres de l’association « Les Amis d’Atlantis » et une partie des lecteurs de la revue, ainsi que du cercle du prolifique directeur des éditions La Colombe. Les deux organisateurs furent même interviewés à la R.T.F. pour évoquer le Congrès, « au cours d’une “édition spéciale” du journal parlé »25. Jacques d’Arès allait enfin et surtout, pour la première fois dans l’histoire des Congrès de symbolisme initiés par Engelson, assurer la publication des actes du colloque, dans le numéro double d’Atlantis de l’été 196026.

Quels furent les conférenciers, et le contenu des communications lors de ce « premier Congrès présidé avec une grande autorité par M. Charles-Emile Riche, avocat à la cour »27 ? On peut dès maintenant noter trois éléments : l’absence de Raymond Abellio en tant qu’orateur, bien que présent dans l’assistance ; l’ouverture à des conférenciers qui ne semblent pas, à première vue, directement insérés dans les réseaux d’Atlantis et du Docteur Engelson ; et l’existence d’un certain contraste entre la vision du monde des organisateurs du Congrès et le contenu, extrêmement varié et parfois vide de tout ésotérisme « traditionnel », des exposés. Alors que Jacques d’Arès, fidèle en même temps à son « Maître » Paul Le Cour28 et à Moïse Engelson, situe le Congrès dans le contexte de la fin d’un « cycle » historique, d’un imminent « bouleversement […] physique [et] humain » qui « donnerait naissance à une profonde rénovation spirituelle », sortant ainsi in extremis l’humanité de la « situation apocalyptique » produite par « le divorce total entre la science rationaliste et la technique d’une part, la philosophie et la religion d’autre part » ; alors que Jacques d’Arès, encore, invoque le salvateur « Symbolisme », c’est-à-dire « le langage muet de la Tradition et [le] 23 Jacques d’Arès, « Congrès du Symbolisme », Atlantis, n° 200 (« Paul Le Cour et la sagesse Atlantéenne »), janv.-fév. 1960, pp. 113. 24 Voir à ce sujet l’allocution du Président du Congrès, Charles-Emile Riche, dans Atlantis, n° 202 (« Premier Congrès du Symbolisme »), mai-août 1960, p. 233. 25 Voir l’éditorial de Jacques d’Arès, présentant le Congrès de symbolisme, dans Atlantis, n° 202 (« Premier Congrès du Symbolisme »), mai-août 1960, p. 158. 26 Atlantis, n° 202 (« Premier Congrès du Symbolisme »), mai-août 1960. 27 Jacques d’Arès, ibidem. 28 Voir Jacques d’Arès, « Paul Le Cour (1971-1953) », Atlantis, n° 170 (« La chaîne d’Or »), mars-avril 1954.

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reflet de l’Ordre cosmique fondamental » — « Symbolisme » qui « constitue un principe d’harmonie susceptible de cordonner la “Science profane” et la “Science sacrée” », qu’il « convient de désocculter si nous voulons sauver ce qui reste de civilisation sur notre terre » —, on remarque que les communications sont loin de toutes s’aligner sur ce drame cosmologique, « axées » qu’elles sont « vers la psychologie », ainsi que le souligne le rédacteur en chef d’Atlantis, toujours dans sa présentation du Congrès.

La communication d’ouverture du fidèle Augustin Berger, sur « Le symbolisme comme méthode de Connaissance traditionnelle et la loi d’analogie »29, elle, ne dévie pas des canons jusque-là en vigueur au sein de « l’Association pour l’étude scientifique du symbolisme ». Car il s’agit pour le Directeur-Fondateur des Amitiés Wronskiennes de rappeler que « dans le Temps de “désoccultation” où nous vivons », « l’heure a sonné quant aux exigences d’une compréhension logique de cette Connaissance Traditionnelle ». Cette « Connaissance Traditionnelle », constituée des trois « sciences traditionnelles distinctes » que sont « l’astrologie », « l’alchimie » et la « cabale », véhicule selon A. Berger le « vieil axiome », « l’aphorisme hermétique de la Table d’Emeraude », « bien connu des membres de ce Congrès » : « Ce qui est en Haut et comme ce qui est en Bas ; ce qui est en Bas est comme ce qui est en Haut ». Soit « le Principe de Correspondance » et de « concordance universelle » entre les existants humains et non-humains qui peuplent le cosmos, « clé maîtresse qui nous ouvrira les portes du Temple ». « L’astrologie, note Berger, est une application fondamentale de cette interdépendance du monde d’En-Haut » ; quant à « l’initiation, elle est la phase opératoire […] qui consiste à attiser cette étincelle enfouie dans la nuit de notre conscience pour la changer en une splendide lumière qui, éclairant le Chemin, remet l’homme en situation, c’est-à-dire à la place exacte qu’il occupe dans l’Univers ». Et « ce premier Congrès et les suivants, conclut Augustin Berger, doivent se donner pour tâche de reconstituer cette connaissance traditionnelle. Entreprise, ne nous leurrons pas, ardue et immense, mais dont l’intérêt est cependant d’une importance capitale, puisque ce serait restaurer à la fois une science religieuse, en même temps qu’une religion scientifique, c’est-à-dire une SAGESSE vers laquelle tant d’hommes aspirent ».

A la suite de cet exposé introductif « magistral » (l’adjectif est de Jacques d’Arès), la communication du Docteur Georges Verne (auteur d’un ouvrage publié aux éditions La Colombe), sur « La psychologie des profondeurs et le symbolisme du rêve »30, apparaît elle comme fort peu en rapport avec la « Tradition » salvatrice et le « Principe de Correspondance universelle », puisqu’il y est surtout question « d’images archétypiques » à l’œuvre dans la seule « psyché ».

Raoul Vergez, Compagnon charpentier, mais aussi romancier et essayiste, évoque ensuite dans une très courte intervention « L’influence du symbolisme sur la morale ouvrière »31. Le compte rendu, rédigé par Jacques d’Arès, de la discussion qui a suivi la communication-éclair de Vergez, nous apprend que ce dernier y a affirmé que « les Compagnons constituent une confrérie ésotérique […], qu’ils croient détenir des vérités qu’ils estiment être des privilèges, et c’est cela qui leur permet de former une élite ».

Succède au Compagnon Raoul Vergez le polytechnicien André de Peretti, vice-président de l’Association pour la Recherche et l’Intervention psychophysiologique, avec une communication sur la « Recrudescence du symbolisme dans la vie moderne »32, dans laquelle 29 Augustin Berger, « Le symbolisme comme méthode de Connaissance traditionnelle et la loi d’analogie », Atlantis, n° 202 (« Premier Congrès du Symbolisme »), mai-août 1960, pp. 160-172. Les citations qui suivent sont extraites de ce texte. 30 Georges Verne, « La psychologie des profondeurs et le symbolisme du rêve », Atlantis, n° 202 (« Premier Congrès du Symbolisme »), mai-août 1960, pp. 173-191. 31 Raoul Vergez, « L’influence du symbolisme sur la morale ouvrière », Atlantis, n° 202 (« Premier Congrès du Symbolisme »), mai-août 1960, pp. 192-194. 32 André de Peretti, « Recrudescence du symbolisme dans la vie moderne », Atlantis, n° 202 (« Premier Congrès du Symbolisme »), mai-août 1960, pp. 195-209.

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il est question non point d’une Tradition primordiale ou d’une confrérie ésotérique, mais de diverses productions intellectuelles, artistiques et pédagogiques contemporaines dans lesquelles se manifeste une dimension symbolique.

Le Docteur André Morali-Daninos, chef du Service psychosomatique à la Maternité de Saint-Antoine, fait ensuite une intervention sur « Le symbolisme en psychologie »33, sans toutefois dépasser un seul instant les strictes frontières disciplinaires de la psychologie clinique.

La communication de René Alleau — auteur de La Nature des Symboles (Flammarion, 1958), des Aspects de l’Alchimie traditionnelle (Minuit, 1953), et futur organisateur du colloque de Cerisy sur René Guénon (1973) —, sur « Fonction et valeur du symbolisme dans la théorie de la Connaissance »34, rejoint l’exposé introductif d’Augustin Berger, comme certaines vues d’Engelson et du groupe d’Atlantis (en raison du refus de son auteur, l’intervention ne figure pas in extenso dans les actes du Congrès, et je cite ici le résumé rédigé par Alleau pour les actes, ainsi que les commentaires qu’y a apposés Jacques d’Arès :)

« Je propose de concevoir le Symbolisme en tant que science des relations des êtres sensibles et

intelligibles avec leurs archétypes conçus par la sagesse incréée, manifestée par le Verbe, et incarnée dans la Nature. Par là, je rappelle que le Symbolisme fixe aussi les archétypes des quatre éléments de la connaissance humaine, la science, la philosophie, l’art et la religion, dont la quintessence est le savoir initiatique, et qui doivent, grâce à ce savoir, retrouver leur antique unité dans la civilisation future. [Suit en italique un commentaire de Jacques d’Arès : En développant d’une manière brillante ces quatre parties [de son exposé], René Alleau nous a apporté ce qu’il a appelé sa “modeste contribution à la résurrection de la Tradition occidentale”. Et nous nous réjouissons de cette position puisque, depuis trente-trois ans, Atlantis essaie, pour sa part, de participer à cette résurrection, après que Paul Le Cour eut été un véritable pionnier en la matière. Ainsi approuvons-nous entièrement la conclusion de cet exposé :]

Seule la fondation et l’organisation d’un enseignement public, et reconnu tel, de ces sciences de l’esprit, de ces sciences de l’homme, dont la plus nécessaire, la plus universelle, est le symbolisme, seule cette fondation et cette organisation peuvent compenser l’actuel déséquilibre intérieur qui compromet si gravement la cause et l’avenir de la civilisation occidentale. » Enfin, dans son bref exposé sur « Vraie et fausse analogie en science », Jacques Bergier

— auteur, avec Louis Pauwels, en cette même année 1960, du best-seller Le Matin des magiciens35 —, prend le contre-pied de l’hermétisme professé par Augustin Berger :

« Il faut se méfier de la fausse analogie qui est pernicieuse. Ce qui est en haut n’est pas comme ce qui est en bas : l’atome n’est pas un système solaire, l’univers n’est pas un système de poupées chinoises identiques qui s’emboîtent. Par ailleurs l’électricité n’est pas un fluide et l’influx nerveux n’est pas l’électricité. La notion d’onde est d’application limitée et il n’y a aucun espoir de l’appliquer aux sciences parapsychologiques si les dites sciences existent. »36 On constate, pour résumer, l’extrême hétérogénéité des interventions qui furent faites à

ce « Premier Congrès du Symbolisme » de mars 1960, où l’ésotérisme « traditioniste », invoquant non sans emphase une « Tradition primordiale » salvatrice, alterna avec des considérations symboliques et psychologiques dénuées de tout mystère initiatique.

33 André Morali-Daninos, « Le symbolisme en psychologie », Atlantis, n° 202 (« Premier Congrès du Symbolisme »), mai-août 1960, pp. 210-226. 34 René Alleau, « Fonction et valeur du symbolisme dans la théorie de la Connaissance », Atlantis, n° 202 (« Premier Congrès du Symbolisme »), mai-août 1960, pp. 227-230. 35 Pour une présentation détaillée des thèses et de la fortune de cet ouvrage, ainsi que sa mise en perspective au sein de la « subculture occultiste », voir Wiktor Stoczkowski, Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologie d’une croyance moderne, Paris, Flammarion, 1999. 36 Jacques Bergier, « Vraie et fausse analogie en science », Atlantis, n° 202 (« Premier Congrès du Symbolisme »), mai-août 1960, pp. 231-232.

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A la fin de sa présentation des actes de ce vrai-faux « premier » Congrès de

symbolisme, qui fut « une véritable réussite, tant par le nombre des participants venus d’horizons les plus divers, que par l’ambiance excellente qui a régné pendant ces deux jours », Jacques d’Arès annonce la tenu d’un prochain Congrès, qui sera lui aussi co-organisé par Atlantis et l’Association pour l’Expansion de la Culture de Jean de Foucauld, afin de participer pleinement à la « rénovation spirituelle » qui va succéder aux « divers cataclysmes auxquels nous assistons depuis quelques temps » :

« Nous préparons donc un second Congrès, beaucoup plus important, pour l’an prochain ; et dès le

mois d’octobre, des groupes d’études spécialisés prépareront les travaux de cette nouvelle manifesta-tion.

J’invite en conséquence, dès maintenant, toutes les personnes que l’étude du Symbolisme, sous tous ses aspects, intéresse, à se mettre en relations avec l’Association pour l’Expansion de la Culture, 5, rue Rousselet, Paris (VIIe), qui leur donnera toutes indications utiles.

Pour sa part, et en totale liberté, Atlantis participera dans toute la mesure de ses moyens au soutien de cette entreprise de rénovation.

“Il est temps d’entrer dans l’Arche” ont souligné plusieurs orateurs du Congrès. Nous ajouterons “pour former la Chaîne d’Or”. Or, il est curieux de constater que les deux derniers numéros d’Atlantis parus du vivant de Paul Le Cour, ont eu pour titres : “La construction de l’Arche” (n° 169) et “La Chaîne d’Or” (n° 170). L’exécution du testament spirituel de ce précurseur semble donc en bonne voie. N’y a-t-il pas là un symbole ? » En réalité, le grandiose colloque escompté n’aura pas lieu. Une brouille semble être

intervenue entre « l’Association pour l’Expansion de la Culture » et le Docteur Engelson, qui va se désolidariser de sa propre « Association pour l’Etude scientifique du Symbolisme », vraisemblablement au profit de la « Société de Symbolisme » qu’il mentionne dans son « Manifeste » de 1960 — « Société » qui va faire rentrer les Congrès de symbolisme dans la période « historique » marquée par Claire Lejeune et les Cahiers Internationaux de Symbolisme. Il y aura toutefois, en juin 1961, un Congrès de symbolisme à Paris, mais celui-ci s’inscrira dans « l’ancienne série » des congrès (il s’agira du Xe Congrès), et non dans la « nouvelle » initiée par le retentissant « Premier Colloque du Symbolisme » tenu au Palais de l’U.N.E.S.C.O. en mars 1960, dont les actes ont été publiés dans Atlantis. Dans le numéro 208 d’Atlantis (septembre 1961), un rédacteur anonyme rend compte de ces tensions, et du « Xe Congrès du Symbolisme », de moindre envergure, tenu à Paris en juin 1961. On apprend dans ce compte rendu qu’en 1960, déjà, un IXe Congrès de symbolisme s’était déroulé, en parallèle au « Premier Congrès » de la nouvelle série :

« Nos amis se souviennent que l’an dernier, le docteur M. Engelson, instigateur des Congrès pour

l’Etude scientifique du Symbolisme qui se sont déroulés depuis plusieurs années, avait fait appel à Jean de Foucauld, président de l’Association pour l’Expansion de la Culture et directeur des éditions de La Colombe, d’une part, et à Jacques d’Arès, d’autre part, pour organiser un Congrès qui fut intitulé “Premier Congrès du Symbolisme” pour marquer la naissance d’une nouvelle série.

En effet, l’Association pour l’Etude scientifique du Symbolisme au sein de laquelle furent un temps réunis le docteur M. Engelson et le docteur A. Chevalier, poursuivait seule sa route, avec un IXe Congrès, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est passé pratiquement inaperçu, alors que le Congrès tenu à l’Unesco fut une incontestable réussite.

Cette année, les deux associations pour l’Etude scientifique du Symbolisme et pour l’Expansion de la Culture se sont réunies pour organiser, à Domus Medica, les 10 et 11 juin 1961, sous la présidence du docteur A. Chevalier, le Xe Congrès du Symbolisme, sur le thème : “Symboles initiatiques et traditionnels”.

L’idée de réunir en vue d’une seule manifestation deux efforts jusqu’alors divergents était excellente. Mais il convient de regretter l’absence totale du promoteur de ces Congrès, le docteur Engelson — et certains auditeurs se sont fait l’écho de la même idée au cours des débat, sans que les membres du bureau répondent aux questions posées à ce sujet.

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De telles attitudes de méfiance vis-à-vis d’hommes ou d’organisations spécialisées donnent trop l’impression de luttes sourdes entre certaines “chapelles”, chacune étant jalouse de l’autre.

Alors que certains hommes de science en arrivent à penser, contrairement aux idées rationalistes du XIXe siècle, que le symbolisme est une méthode de “connaissance” il est regrettable, sinon lamentable, de voir ainsi des dissensions qui ne sont pas faites pour conférer au Symbolisme les lettres de noblesse auxquelles il a droit, mais qui lui sont le plus souvent déniées. Il est cependant grand temps que l’on humanise la science et que nos savants, comme semblent le souhaiter les auteurs du Matin des Magiciens, deviennent de véritables alchimistes modernes cherchant la transmutation de l’Esprit, en même temps que celle de la matière. Et le symbolisme pourrait les aider grandement dans cette voie.

Pour en revenir au Xe Congrès du Symbolisme, à l’organisation duquel Atlantis n’a pas participé, disons tout de suite que nous n’assurerons pas, comme l’an dernier, la diffusion des débats. Pour tous renseignements à ce sujet, il convient de s’adresser au secrétariat du Congrès, 5, rue Rousselet, Paris (VIIe) [adresse du bureau de l’Association pour l’Expansion de la Culture].

Dix communications ont été faites, dont il n’est pas question de rendre compte en détail. Nous nous contenterons de signaler particulièrement l’exposé d’introduction du professeur André Varagnac intitulé “Remarques sur les origines des Symboles traditionnels et initiatiques”, qui fut parti-culièrement précis et intéressant. Nous aurons également une mention toute particulière pour l’excellente communication sur “La Symbolique de la Messe” faite par le R. P. M.-D. Philippe, O. P. Celui-ci nous avoua qu’il n’existait rien d’officiel sur ce sujet, et il fut tout particulièrement intéressé lorsque Jacques d’Arès lui montra le vieux numéro d’Atlantis consacré à la Messe, malheureusement épuisé, dans lequel Paul Le Cour et Eugène Canseliet ont exposé leur point de vue sur le symbolisme de cette “Cérès-monie”.

Nous ajouterons que Jacques d’Arès avait été appelé à faire une communication sur “Les Sanctuaires grecs et leurs Initiations”, qui eu un grand succès, tant par le nombre des auditeurs (ce fut la plus grande affluence de tout le Congrès), que par la clarté de l’exposé.

Signalons enfin, à l’actif de ce Congrès, que le choix des conférenciers donnait une apparence d’éclectisme puisque à côté d’un universitaire et d’un dominicain figurait un rabbin et quelques spécialistes venus même de l’étranger, comme le professeur docteur Graf von Durckheim qui traita “Le Non Symbolisme dans le Zen”. Mais nous souhaiterions, pour plus d’efficacité, que tous les spécialistes, et ils sont connus, soient invités, sans exclusive, à participer à l’élaboration de ces Congrès, dont le thème devrait être connu très longtemps à l’avance. »37 Quelle est l’origine de ces dissensions parmi les organisateurs des Congrès de

symbolisme ? Leurs conceptions même du « symbolisme » ? Ou la forme, plus ou moins savante, plus ou moins ésotériste, que devrait prendre les Congrès, désormais ouverts à un large public ? Lorsque Engelson parle, au milieu des années 70, de conférences qui « oscillaient entre le meilleur et le pire », quels étaient ses critères normatifs ? Si ce Xe Congrès de juin 1961 semble tout aussi « hétéroclite » que le grand « Premier Congrès du Symbolisme » tenu à l’U.N.E.S.C.O. en mars 1960, on peut remarquer que la dimension « ésotérique » y est plus affirmée, comme en témoigne le titre-thème du congrès : « Symboles initiatiques et traditionnels ». Engelson souhaitait-il, bien davantage que Jacques d’Arès ou Alexandre Chevalier, « désocculter » l’étude du symbolisme, comme il en formule le souhait dans son « Manifeste » ? Souhaitait-il prendre ses distances avec les « néo-atlantes » et leur style oraculaire, pour « ouvrir » plus largement l’étude du symbolisme aux milieux académiques ? Est-ce parce que, comme le note Raymond Abellio dans les années 80, « pilier » des Congrès de symbolisme depuis leur commencement, « la Société de symbolisme […] menaçait de tomber dans l’ésotérisme dogmatique »38 et que son fondateur, à l’inverse,

37 Anonyme (« La Chouette »), « Le Xe Congrès du Symbolisme », Atlantis, n° 208 (« Notre-Dame de Paris »), sept.-oct. 1961, pp. 46-47. Il est plausible que ce compte rendu, signé « La Chouette », ait été réalisé par Jacques d’Arès, présent au Xe Congrès. 38 Voir Raymond Abellio, Manifeste de la nouvelle Gnose, Paris, Gallimard, 1989, p. 187 : « Créée à Genève par le Dr Engelson au début des années cinquante, la Société du symbolisme, dont je fus l’un des promoteurs, tint plusieurs colloques, notamment à Paris, dans la décennie qui suivit. Cette société menaçant de tomber dans l’ésotérisme dogmatique, j’y fis inviter, pour ce Congrès de 1962, des universitaires comme Paul Ricœur et Gilbert Durand, qui en rehaussèrent le niveau. Les Cahiers internationaux du symbolisme virent le jour à cette occasion, mais leur parution régulière suscita l’arrivée en masse de chercheurs, eux-mêmes universitaires, purement érudits, fort éloignés des intentions, sans doute utopiques, des fondateurs.

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refusait de la voir s’enfermer « dans tel système philosophique préférentiel », que des dissensions apparurent et qu’un changement d’orientation global s’imposa à Engelson ? Cela est très probable, bien que l’absence de documents et de témoignages sur ces événements ne nous permettent de trancher d’une façon définitive. Une chose est cependant certaine : les organisateurs du futur grand Congrès de symbolisme ne furent ni des disciples néo-atlantéens de Paul Le Cour, ni l’éditeur Jean de Foucauld, ni le docteur Alexandre Chevalier, mais un universitaire, André Guimbretière, Professeur à l’Ecole Nationale des Langues Orientales Vivantes de Paris (Langues’O), et une jeune femme, elle, poète : Claire Lejeune. L’histoire des Congrès de symbolisme et des Cahiers Internationaux (1962-1970)

Claire Lejeune n’avait jamais entendu parler des Congrès de symbolisme alors qu’elle

parcourait, durant l’été 1961, à la bibliothèque de Mons, les pages de la dernière livraison de la revue Synthèses39. Publiée à Bruxelles sous la direction de Maurice Lambilliotte — marqué par la pensée de Teilhard de Chardin, et auteur en 1968 de L’Homme relié —, le numéro 183 de Synthèses, publié en août 1961, portait sur le thème du symbolisme. Ce numéro était « composé d’essais dont la plupart ont été confiés à Synthèses par le Dr Engelson, Fondateur et Directeur de la Société de Symbolisme »40. Et, à la suite de ces divers articles issus d’anciennes interventions faites aux Congrès de symbolisme — dont une reprise quasi identique de l’exposé d’Augustin Berger sur « Le Symbolisme comme méthode de Connaissance Traditionnelle et la Loi d’Analogie »41 —, se trouvait le fameux « Manifeste d’Engelson », déjà paru dans Atlantis en janvier 1960, dont la lecture allait infléchir la vie de Claire Lejeune, et renouveler les Congrès de symbolisme.

Claire Lejeune retrace le fil des événements dans sa conférence faite en février 1994 au Théâtre-Poème, à Bruxelles, à l’occasion du trente-deuxième anniversaire des Cahiers Internationaux de Symbolisme (cette conférence sera en partie reprise dans le texte inédit mentionné au début de cet article) :

« Tout à commencé par la création des Cahiers Internationaux de Symbolisme. Au départ des

Cahiers, il y eut une autre revue internationale publiée à Bruxelles : la revue Synthèses que dirigeait Maurice LAMBILLIOTTE, revue disparue depuis de nombreuses années. Dans son numéro d’été 1961, Synthèses publiait des textes qui faisaient état d’une “Société de Symbolisme” dont le siège se trouvait à Genève. Cette société avait été créée en 1950 et avait organisé des colloques à Paris, Genève, Vienne et Bâle. Les Actes n’en furent jamais publiés.

Personnellement intéressée par cette recherche, je pris contact avec le Dr Moïse ENGELSON qui était à la fois l’organisateur et le mécène de ces colloques. »42

J’ajoute que ma propre contribution au Congrès de 1962 : Valeur ontologique du Symbole fut reproduite dans les mêmes Cahiers n° 1 sur son simple enregistrement oral. Par suite de nombreuses erreurs de transcription et aussi de l’absence de tout schéma et des commentaires explicatifs accompagnant ceux-ci au tableau noir, loin des micros, ce texte ne saurait être retenu ». 39 Je me base, pour ce qui suit, sur l’entretien que j’ai réalisé avec Claire Lejeune, le 12 juin 2005, à Mons. Sauf mention contraire, les citations suivantes sont extraites de la retranscription de cet entretien. 40 Fernande Lancksweirt, « Introduction », Synthèses, n° 183, août 1961, p. 237. 41 Des exposés faits aux Congrès de symbolisme sont encore reproduits dans ce numéro de Synthèses, comme celui de l’astrologue K. Hitschler, sur « Symbolisme et détermination des Propriétés des Composés chimiques », ou celui de Théo Koelliker, sur le nombre d’or et « Le Message de la Grande Pyramide ». Rappelons que ces deux auteurs ont fait des communications sur les même thèmes lors du Congrès de symbolisme tenu à Genève durant l’été 1954 : cf. le compte rendu de seconde main fait par Marc Thirouin, dans le n° 175 d’Atlantis (janv.-fév. 1955, pp. 95-96), cité plus haut. 42 Claire Lejeune, « Centre Interdisciplinaire d’Etudes philosophiques de l’Université de Mons-Hainaut », texte dactylographié, resté inédit, aimablement communiqué par l’auteur. Martine Renouprez mentionne aussi ces événements : voir M. Renouprez, op.cit., pp. 18-20. En lisant sous sa plume que les Actes des Congrès de symbolisme « ne furent jamais publiés », on constate que Claire Lejeune ignore l’existence, jusque dans les années 90 où elle rédige ce texte, du numéro

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En septembre 1961, au lieu de se rendre à la Vème Biennale Internationale de Poésie, à

Knokke – Le Zoute, où elle aurait pu rencontrer Gilbert Durand qui y fit une conférence sur « Mythe et poésie », Claire Lejeune décide d’aller à Genève afin d’y faire la connaissance de Moïse Engelson.

« Je l’ai rencontré à Genève en septembre 1961. Il m’apprit qu’entre-temps, cette “société de

symbolisme” avait été dissoute. Je fus chargée d’organiser au Palais de l’Unesco à Paris, les 23 et 24 juin 1962, avec l’aide

d’André Guimbretière, professeur à l’Ecole des langues orientales, un premier colloque sur le thème : Les fondements du symbolisme à la lumière de plusieurs disciplines. »43

Et c’est ainsi que « tout à commencé ». Mais écoutons encore Claire Lejeune évoquer le

contexte de sa découverte :

« Dans ce numéro de Synthèses, Engelson faisait état d’une société de symbolisme qui existait déjà, et qui était surtout alimenté par… par Abellio, et compagnie. Bon, moi, je ne connaissais rien ni personne. Mais j’écrivais déjà. Depuis 1960, j’écrivais. 1960, ça a été une révélation de moi-même, et j’ai eu… J’ai commencé à écrire, et à écrire sur le symbole. »

« Engelson m’a dit : “Vous pourriez faire les Cahiers…”. Oh, j’étais… C’est comme si on me

demandait de me jeter à l’eau… Et je me suis toujours jetée à l’eau. Mais ça m’intéressait, à un point que c’était ma vie, que c’est devenu ma vie. Et j’écrivais sur le symbole. Donc j’avais mon idée du symbole. Mais j’étais intéressée par tous les autres points de vue. Et quelle était votre idée, sur le symbole ?

Une idée de poète. Donc de transdisciplinarité, d’interdisciplinarité… Pas de disciplinarité en tout cas. Pour moi… l’ésotérisme était une discipline. Moi je ne pouvais pas. »

L’ouverture et la « transdisciplinarité », c’est bien là l’originalité de Claire Lejeune,

qui dut en ce sens séduire Engelson : autodidacte curieuse, agnostique, et surtout poète, elle tirait son enthousiasme pour le symbolisme non d’une « Tradition », d’un système ésotérique ou philosophique hérité, mais de sa propre expérience intérieure, de cette « fulgurance » du 9 janvier 196044 :

« A partir de seize ans, je n’ai plus été à l’école. Mais j’ai… j’ai eu… un coup de foudre, à trente

trois ans. Et, à ce moment-là, j’ai pris conscience de moi. J’ai écrit, j’ai… L’écriture est devenue moi, et le symbole forcément… Je me suis aperçu que le symbole était au cœur de tout, au cœur de tout le langage. C’est vers trente-trois ans que ça a commencé, en 1960. J’avais déjà écrit, et c’est juste après que j’ai pris contact, que j’ai créé les Cahiers de symbolisme, que j’ai invité ces gens dont nous parlons… »

« Je n’ai jamais été ni chrétienne, ni rien du tout… J’étais poète. Mais “Dieu”, pour moi, ça s’appelle, si vous voulez… pour moi c’est la vie. La vie, la vie et la vie. » En septembre 1961, à l’issue de cette rencontre avec Engelson, Claire Lejeune se voit

donc confier la tâche d’organiser un nouveau Congrès au mois de juin, financé, comme les précédents l’avaient été, sur les deniers personnels du fondateur de « l’Association pour l’Etude scientifique du Symbolisme » et de la « Société de Symbolisme ». Ce que Claire Lejeune réalisa, avec l’assistance d’André Guimbretière, Professeur d’ourdou (langue nationale du Pakistan) aux « Langues’O », et auteur de divers ouvrages de poésie. Dans le dessein du futur Congrès de symbolisme, le duo rencontre personnellement Gaston Bachelard,

double d’Atlantis de mai-août 1960, qui comprend comme on sait les actes du premier « grand » Congrès tenu à l’U.N.E.S.C.O. en 1960, organisé par Jacques d’Arès et Jean de Foucauld. 43 Claire Lejeune, op.cit. 44 Sur cet événement dans la vie et l’œuvre de Claire de Lejeune, voir Martine Renouprez, op.cit., p. 18 et pp. 31-36.

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afin de lui demander de présider ce Congrès, et contacte deux universitaires d’envergure : Paul Ricœur, Professeur de philosophie à la Sorbonne, et Gilbert Durand, alors jeune Professeur à l’Université de Grenoble, titulaire de la chaire de sociologie et d’anthropologie culturelle créée pour lui en cette même année 196245.

La lecture du tout premier numéro des Cahiers Internationaux de Symbolisme, qui contient les actes du Congrès de juin 1962, indique que la transition entre la « préhistoire », marquée par l’ésotérisme, et « l’histoire » des Congrès de symbolisme, ne s’est faite que progressivement.

Le programme de la Société de Symbolisme, présent dans « l’Avertissement », en première page de ce premier Cahiers, apparaît lui comme beaucoup plus neutre et « ouvert » que ne l’était le « Manifeste » d’Engelson (1960), ou les anciens textes programmatiques dont Atlantis s’était fait l’écho durant les années 50 :

« La Société de Symbolisme, dont le Président-Fondateur est le Dr Engelson de Genève, a plus de

10 ans d’existence. Elle a jusqu’ici borné son activité à l’organisation de congrès à Paris, Genève, Vienne et Bâle.

Quelle est sa fonction ? A quel besoin répond-elle ? Devant l’extrême spécialisation de la pensée contemporaine, la nécessité d’une convergence se

révèle de plus en plus impérieuse, d’où l’actuelle recrudescence de l’intérêt occidental pour le symbolisme. Ainsi notre unique but, en organisant des colloques, est-il de permettre la mise en présence des tenants de la Science, de l’Art, de la Philosophie et des Traditions spirituelles, de créer les conditions mêmes du dialogue sur le terrain du symbolisme. »46 Ce texte est signé par le « Comité directeur » des Cahiers Internationaux, composé de

Moïse Engelson, Claire Lejeune, Gilbert Durand, André Guimbretière et Bernard Morel — pasteur genevois proche d’Engelson, Privat-Docent à l’Université de Genève, et féru de cybernétique. Avec l’ajout du hollandais Hans Witte en 1965 — chargé de la rubrique bibliographique dès le numéro 6 de 1964 —, ce Comité de direction demeurera le même jusqu’à la reprise en main des Cahiers Internationaux en 1971 par le CIEPHUM, le Centre Interdisciplinaire d’Etudes philosophiques de l’Université de Mons, qui apparaît dans le numéro 21 de 1972.

Le Congrès de 1962, sur le thème des « Fondements du symbolisme à la lumière de plusieurs disciplines », s’est tenu, de même que le « Premier Congrès » de mars 1960, au Palais de l’U.N.E.S.C.O., à Paris, les 23 et 24 juin 1962, et fut placé sous la présidence du même Maître Charles-Emile Riche — Gaston Bachelard, qui décédera le 16 octobre 1962, était déjà malade en juin, et n’avait pu se rendre au Congrès dont il avait accepté la présidence. Si ce sont les deux universitaires qui « encadrent » le colloque, et lui impulsent une légitimité académique (le Congrès s’ouvre sur la communication de Gilbert Durand, « Les trois niveaux de formation du symbolisme », et se ferme sur celle de Paul Ricœur, « Le conflit des herméneutiques »), on retrouve parmi les intervenants des acteurs bien connus de

45 On a vu plus haut que Raymond Abellio, dans son Manifeste de la nouvelle Gnose (op.cit., p. 187), s’attribue l’initiative de l’invitation de Gilbert Durand et de Paul Ricœur au Congrès de Symbolisme de 1962 : « [La] société [de Symbolisme] menaçant de tomber dans l’ésotérisme dogmatique, j’y fis inviter, pour ce Congrès de 1962, des universitaires comme Paul Ricœur et Gilbert Durand, qui en rehaussèrent le niveau ». Le témoignage de Claire Lejeune contredit cette thèse. Gilbert Durand, quant à lui, soutient la thèse symétrique de celle d’Abellio : c’est lui qui aurait suggéré aux organisateurs du Congrès de 1962 d’y inviter Abellio : « C’est moi qui, malgré bien des réticences intérieures, avait fait inviter le mage de chez Gallimard… », écrit G. Durand dans une lettre à Lucien d’Azay, publiée dans l’ouvrage de ce dernier, A la recherche de Sunsiaré, Paris, Gallimard, 2005, p. 194. La mémoire semble ici faire défaut à Gilbert Durand, puisque dans une lettre datée du 6 mai 1962 (disponible aux archives du Centre de Recherche sur l’Imaginaire de Chambéry, à l’Université de Savoie), dans laquelle André Guimbretière invite l’auteur des Structures anthropologiques de l’imaginaire à participer au Congrès de symbolisme de juin, des participants ayants déjà confirmé sont mentionnés, dont R. Abellio, R. Alleau, G. Dieterlen, M. Martiny, et P. Ricœur. On se rappelle par ailleurs qu’Abellio était un pilier des Congrès de symbolisme depuis les années 50, et un proche d’Engelson. Il est donc peu probable que Gilbert Durand soit à l’origine de son invitation. 46 Cahiers Internationaux de Symbolisme, n° 1, 1962, p. 1.

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la période précédente : Augustin Berger, avec une communication sur « Proximisme de la science et de la connaissance traditionnelle », Raymond Abellio, avec une intervention sur « Valeur ontologique du symbole », ou encore René Alleau, avec un exposé sur « l’Importance du symbolisme dans l’Histoire des sciences de la nature ». On note par ailleurs une communication du cabaliste Carlo Suarès, ami et traducteur de Krisnamurti47, sur « Les mutations du psychisme », ainsi qu’un exposé du Docteur Marcel Martiny — acuponcteur, et président de 1962 à 1982 de « l’Institut Métapsychique International » dédié à l’étude des phénomènes parapsychologiques. Le « néo-atlante » Jacques d’Arès, enfin, fit une intervention à ce Congrès de juin 1962, et si sa communication n’a pas été retenue dans les actes — probablement la seule dans ce cas —, on peut toutefois la lire dans le numéro d’Atlantis de septembre-octobre 1962, consacré — est-ce un effet du hasard ? — au thème : « Symbolisme et Atlantide »48. L’assimilation unilatérale du symbolisme à la « Tradition primordiale » par le rédacteur en chef d’Atlantis, et sa désignation des participants au Congrès en tant que « chevaliers » et « serviteurs » de cette même « Tradition primordiale », qu’il s’agit bien-sûr de « réveiller » — car l’Ere du Verseau a sonné — en cheminant hardiment « dans une forêt inextricable de symboles », ne fut peut-être pas du goût de Claire Lejeune et des autres membres du comité de direction des Cahiers Internationaux, soucieux « d’ouverture ». Jacques d’Arès n’apprécia pas, on l’imagine sans peine, l’absence de sa communication dans le premier numéro des Cahiers. Car si celle-ci est bien reprise dans Atlantis en septembre 1962, avec indication de sa provenance à travers une simple note bas de page, aucune mention n’est faite dans Atlantis, et cela sur toute l’année 1962, du Congrès de juin organisé par Claire Lejeune et André Guimbretière, les « successeurs » de Jacques d’Arès et de Jean de Foucauld. Atlantis n’annoncera désormais plus dans ses pages les Congrès de symbolisme, qui lui avaient pourtant valu un numéro double débordant d’enthousiasme deux ans plus tôt, et plusieurs pages d’annonces tout aussi exaltées au cours des années 50…

Il convient cependant de noter que Claire Lejeune et Paul Ricœur ont dû se sentir quelques peu minoritaires, face à « un auditoire composé en majorité d’ésotéristes » (c’est en ces termes que Raymond Abellio, au cours de son exposé, s’est adressé au public) : chez tous les autres conférenciers, on trouve en effet des allusions, plus ou moins furtives, mais également significatives pour une oreille avertie, soit à la « Table d’Emeraude » (Durand, Berger, Martiny), soit à la « pensée » ou la « connaissance traditionnelle » (Durand, Berger, Alleau, d’Arès), soit à la « Kabbale » (Abellio), soit à la « Tradition » primordiale (Alleau, d’Arès), soit à la parapsychologie (Berger, Martiny), soit à « l’Ere du Verseau » (Suarès, d’Arès), soit à « l’initiation » (Berger), soit encore à l’alchimie (Alleau). Paul Ricœur témoigne ainsi du décalage qu’il ressent, au début de sa communication qui achève le Congrès : « Je sais que beaucoup d’entre vous appartiennent à une longue tradition ininterrompue quelle qu’elle soit d’ailleurs, telle ou telle école symboliste, qui a toujours traversé l’histoire. Moi je viens plutôt à vous du dehors… ». Présent l’année suivante à Paris lors du Congrès de symbolisme sur « Structure et symbole », en mai 1963, Paul Ricœur,

47 De Krisnamurti, C. Suarès a notamment traduit Les Entretiens de Saanen, recueil publié à Paris, en 1964… aux éditions « La Colombe » dirigées par Jean de Foucauld. 48 Jacques d’Arès, « Préexistence et permanence du Symbolisme dans la pensée humaine », Atlantis, n° 213 (« Symbolisme et Atlantide »), pp. 8-13. La communication de Jacques d’Arès s’achève sur ces mots : « Et cependant, le rapide tour d’horizon que nous venons de faire démontre que le symbolisme, qui n’est pas autre chose que ce que l’on appelle la Tradition primordiale, est loin d’être mort. Pour reprendre une comparaison empruntée à Paul Le Cour, qui ressort du plus pur symbolisme, cette Tradition est exactement comme la princesse endormie de La Belle au bois dormant du conte de Perrault. Autour d’elle dorment ses serviteurs tout prêts à reprendre leur tâche, lorsque l’heure sonnera. Son château s’élève au milieu de la forêt inextricable des symboles, et pour pénétrer jusqu’à ce château et jusqu’à la princesse, il faut s’armer de la hache non moins symbolique des Mystères. Lorsque les serviteurs qui représentent synthétiquement le prince auront atteint la chambre où repose la belle princesse endormie, et qu’ils l’auront réveillée d’un chaste baiser, la princesse leur dira : “Mes chevaliers, comme il y a longtemps que je vous attendais !”. Ce sont les participants de ces Congrès de Symbolisme qui devraient être ces chevaliers ».

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étonné de ne pas retrouver certains des conférenciers de juin 1962, et notamment Raymond Abellio — grand défenseur de l’astrologie, qu’il associait à ses réflexions sur la « Structure Absolue »49—, Paul Ricœur donc, demandera avec malice à Claire Lejeune : « Mais qu’avez-vous donc fait de vos cartomanciennes ? »

Mais Claire Lejeune n’était pas une cartomancienne, et n’entendait pas réunir des « ésotéristes », pour employer ses propres mots, trois fois par an aux Congrès de symbolisme. Chercheuse autodidacte, touchée à titre existentiel par la question du symbole, poète, refusant de s’enfermer avec quelques « élus » dans une chapelle herméneutique, c’est bien une approche interdisciplinaire qu’elle valorisait, qui ne pouvait se concilier avec les multiples doctrines et coteries de l’ésotérisme populaire ou savant. Ainsi qu’elle l’écrit en 1975,

« Ce qui fonde les Cahiers Internationaux de Symbolisme, ce n’est certes pas une “pierre philosophale”, l’appartenance secrète à l’une ou l’autre tradition ésotérique, mais paradoxalement, l’Ouvert […]. Les Cahiers demeurent un lieu de résonance, un lieu d’interférences où s’informe, où se trame le présent multidimensionnel du symbole ; je crois pouvoir affirmer aujourd’hui que nous sommes effectivement devenus ce livre-là que Bachelard nous souhaitait d’être il y a quatorze ans ; ce livre — périodique — qui nous rend sensible à l’avenir du symbolisme, c’est-à-dire à la genèse jamais achevée de notre réel, de notre présence au monde. »50

Et, en effet, après ce « premier » Congrès de symbolisme de la série « Lejeune », on ne

trouvera plus trace, dans les Congrès et les Cahiers de symbolisme, d’Abellio et de la « Structure Absolue », d’Augustin Berger et de la « connaissance traditionnelle », de Carlo Suarès et de Krishnamurti, ou encore de Jacques d’Arès et de « l’Ere du Verseau ». Le Docteur Engelson, ainsi qu’en témoigne sa très pluraliste « Introduction au colloque de Paris de mai 1963 »51, s’alignera sur une conception toujours moins dogmatique et moins « ésotériste » du symbolisme, se référant jusqu’au « conflit des interprétations » thématisé par Paul Ricœur lors sa communication au Congrès de symbolisme de l’année précédente. Comme l’évoque aujourd’hui Claire Lejeune,

« Engelson, il était médecin. Et il voulait faire quelque chose pour le symbole, mais il ne savait pas quoi… […]. C’était un “ésotériste”, mais pas… il était surtout médecin, et séduit par Abellio. Après, Abellio a soutiré tout ce qu’il pouvait d’Engelson, et puis, je pense que le fait que je sois devenue la directrice, celle qui publiait en Belgique les colloques, m’a éloigné d’Abellio. » « Et je n’ai plus eu, jamais eu, Abellio, Suarès, ni personne. Mais Abellio a cru qu’il allait… je suppose, qu’il a cru qu’il allait tirer à lui… le reste. Mais c’était fini. »

Effectivement, dès le numéro 2 des Cahiers Internationaux, qui rassemble les exposés

de Gilbert Durand, Francis Edeline, André Guimbretière, Luc de Heusch et Bernard Morel, faits lors du Congrès de Bruxelles en novembre 1962, l’ésotérisme et le « traditionisme » militants avaient disparu d’une façon définitive.

De 1962 à 1970, les Congrès de symbolisme allaient se tenir trois fois par an : en été à

Paris, en automne à Genève et en hiver à Bruxelles, où ils étaient organisés respectivement par André Guimbretière, Moïse Engelson et Claire Lejeune. C’est cette dernière qui sélectionnait, parmi les nombreuses conférences faites aux Congrès, celles qui figureraient dans les Cahiers Internationaux de Symbolisme dont elle avait, seule, la charge imposante de

49 Voir Daniel Verney, « Abellio et l’astrologie comme laboratoire d’une connaissance future », in J.-B. de Foucauld et A. Faivre (dir.), Raymond Abellio. Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle, 2-9 sept. 2002, Paris, Dervy, coll. « Cahiers de l’Hermétisme », pp. 301-323. 50 Claire Lejeune, « Une lettre de Mme Claire Lejeune sur l’histoire des Cahiers Internationaux de Symbolisme », in René Alleau, La science des symboles. Contribution à l’étude des principes et des méthodes de la symbolique générale, Paris, Payot, coll. « Bibliothèque scientifique », 1977, p. 244. 51 Cahiers Internationaux de Symbolisme, n° 4, 1964, pp. 3-4.

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rédaction et d’administration. Les intervenants aux Congrès étaient, en grande partie, des universitaires, et les thèmes traités, au départ axés sur le symbolisme, devinrent avec le temps de plus en plus variés : « Le symbole et l’information » (Genève, novembre 1963), « Le symbole et l’imaginaire » (Paris, juin 1964), « L’imagination et la création du symbole » (Genève, octobre 1964), « Les éléments » (Bruxelles, janvier 1965), « Formalisme et signification. A propos des œuvres littéraires et cinématographiques du Nouveau Roman » (Paris, juin 1965), « La portée du modèle cybernétique » (Genève, octobre 1965), « Le symbole comme problème interdisciplinaire. Sémantique, logique et philosophie du symbole » (Bruxelles, janvier 1966), « Symbole et langage » (Paris, mai 1966), « Symbole et expérience intérieure » (Bruxelles, mars 1967), « Structuralisme et symbolisme » (Genève, février 1968), « L’art d’écrire » (Paris, février 1968), « La communication poétique » (ce colloque, prévu à Bruxelles en 1970, n’eut finalement pas lieu, mais les textes parurent dans le numéro 19-20 des Cahiers Internationaux, le dernier subventionné par Moïse Engelson).

En 1970, Claire Lejeune tomba malade, et Moïse Engelson, à la retraite, mit fin à son mécénat — qui avait tout de même duré vingt ans. La propriété des Cahiers Internationaux de Symbolisme revint à Claire Lejeune, qui, ne disposant pas des moyens nécessaires au fonctionnement de la revue, la céda au Centre interdisciplinaire d’études philosophiques de l’Université de Mons (CIEPHUM), créé en mars 1971. Après une pause de deux ans, et avec un numéro 21 doté d’un nouveau Comité de rédaction, les Cahiers Internationaux, toujours le fruit de colloques dont ils rassemblaient les communications, et toujours sous l’impulsion de Claire Lejeune, Secrétaire permanente du CIEPHUM, poursuivirent leurs investigations interdisciplinaires sur le symbolisme, et s’ouvrirent en même temps à de nouvelles problématiques philosophiques, esthétiques, linguistiques, sociologiques. Par souci de concision, je ne peux dans le cadre de cet article aborder cette nouvelle période, qui reste toutefois mieux connue que les précédentes par les actuels lecteurs des Cahiers.

Parmi les intervenants aux Congrès de symbolisme publiés dans les Cahiers Internationaux entre 1962 et 1970, figure le logicien Jean-Blaize Grize, le psychiatre Henri Baruk, le philosophe Alphonse de Waelhens, les romanciers Claude Mauriac et Pierre-Henri Simon, le Professeur de littérature Jean Starobinski, le spécialiste du catharisme René Nelli, ainsi que le philosophe et anthropologue Gilbert Durand, et l’islamologue Henry Corbin, qu’il me faut pour finir évoquer. Des « Structures anthropologiques de l’imaginaire » à « l’Intellectus agens » : la rencontre de Gilbert Durand et d’Henry Corbin

Si l’un des orateurs est sorti avec les honneurs du Congrès de juin 1962 organisé par

Claire Lejeune et André Guimbretière, c’est bien Gilbert Durand, dont l’exposé semble avoir conquis les autres conférenciers : Abellio évoque dans sa propre communication le « magnifique exposé d’hier » de « Monsieur Gilbert Durand », qui a présenté « si brillamment » « l’essai [de compréhension du symbolisme] le plus récent et le plus démonstratif » qui consiste à « rapprocher l’ensemble des symboles de la réflexologie naturelle » (c’est en effet la thèse que défend G. Durand dans les Structures anthropologiques de l’imaginaire, et qu’il présente dans sa communication au Congrès de 1962). De même qu’Abellio, Paul Ricœur cite Gilbert Durand à plusieurs reprises dans sa propre intervention, et parle des « analyses [qu’il a] tellement admirées hier de Gilbert Durand comme d’ailleurs du reste de son œuvre ».

Gilbert Durand, membre du Comité de direction des Cahiers Internationaux dès le premier numéro, va jouer un rôle décisif lors des Congrès de symbolisme qui vont s’enchaîner à Paris, Bruxelles et Genève, entre 1962 et 1970. Outre son intervention remarquée au

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Congrès de Paris en juin 1962, G. Durand communiquera au Congrès de Bruxelles en novembre 1962, au Congrès de Paris en mai 1963, au Congrès de Genève en octobre 1964, au Congrès de Bruxelles en janvier 1965, au Congrès de Genève en février 1968, et présidera les séances aux Congrès de Paris en mai 1963 et en juin 1964, ainsi qu’aux Congrès de Bruxelles en janvier 1966 et en mars 1967.

C’est encore Gilbert Durand qui intégrera au Comité de patronage des Cahiers Internationaux de Symbolisme son collègue Léon Cellier (Professeur de Lettres à l’Université de Grenoble), de même que deux importants universitaires (membres du jury de sa thèse complémentaire sur Le Décor mythique de la Chartreuse de Parme, soutenue en 1960 à la Sorbonne en même temps que sa thèse principale sur Les structures anthropologiques de l’imaginaire), devenus ses collègues et amis : Etienne Souriau, Professeur d’esthétique à la Sorbonne, et Georges Blin, Professeur de littérature française à la Sorbonne, puis au Collège de France.

C’est enfin Gilbert Durand qui sera à l’origine des interventions de Léon Cellier, d’Henry Corbin et du psychologue Yves Durand, lors des Congrès de symbolisme de Paris en mai 1963 et en juin 1964, et du Congrès de Genève en octobre 1964.

Le fait « anecdotique » que je souhaiterais évoquer, qui témoigne des « parcours croisés » de Claire Lejeune et de Gilbert Durand, est le suivant : alors que l’intérêt pour l’ésotérisme s’estompait au sein des Congrès de symbolisme, au point de disparaître au début des années 60, le Congrès parisien de juin 1962, où étaient encore présents Abellio, Suarès, Berger et consort, allait à l’inverse susciter une rencontre décisive dans le cheminement spirituel et initiatique de l’auteur des Structures anthropologiques de l’imaginaire et de Science de l’homme et tradition. C’est en effet par la rencontre intermédiaire de Sunsiaré de Larcône, une « jeune femme spirituelle, extravagante et très belle » — pour reprendre les termes de Lucien d’Azay, son biographe52 —, auteur d’un roman, La Messagère, paru en 1962 chez Gallimard, et qui allait mourir avec Roger Nimier dans un accident de voiture, quelques mois après le Congrès de symbolisme, que Gilbert Durand en vint à lire et à contacter celui qui allait devenir « le plus grand de tous [ses] Maîtres » : Henry Corbin. Sunsiaré, disciple passionnée de Raymond Abellio, se présentant elle-même comme sa « fille spirituelle », accompagnait alors au Congrès de juin 1962 celui dont l’œuvre détenait, pour la citer, « les clefs d’une aube nouvelle ». Elle s’était fixé la tâche « d’éveiller d’autres personnes » à la métaphysique abélienne, et de recruter pour son auteur, sans que celui-ci ne semble vraiment le désirer, des disciples de haut vol afin d’alimenter un cercle d’initiés53. Selon le témoignage d’un proche reproduit dans l’enquête de Lucien d’Azay, il s’agissait pour Sunsiaré de « repenser la société et [de] sauver l’Occident en balayant tous principes moraux, religieux, sociaux, pour introduire une nation d’élus, une sorte d’intelligentsia dont ne feraient partie que ceux qui penseraient comme eux et qui seraient choisis par eux, en nombre très restreint »54.

Sunsiaré jeta, entre autres, son dévolu sur Gilbert Durand, qu’elle aborda après avoir assisté à son exposé qui ouvrait le Congrès, et qu’elle fréquenta au cours de l’été 1962, dans l’idée de le convertir par l’usure à la gnose abélienne et de le « livrer » (ce sont ses mots) à l’auteur de La Structure Absolue55. Le prosélytisme de Sunsiaré ne mena en fait qu’à la rupture, Gilbert Durand ne goûtant pas le moins du monde « l’imprudente modification d’une

52 Lucien d’Azay, op.cit. 53 Lucien d’Azay, op.cit., pp. 127-129. 54 Lucien d’Azay, op.cit., p. 191. 55 « Je crois sans faiblesse ni sentimentalité que c’est un type formidable que je vais vous livrer. Car il est certain que le plus clair de ma “mission” est de vous recruter des disciples », écrit Sunsiaré à Abellio, dans une carte postale datée du 7 août 1962 (cf. Lucien d’Azay, op.cit., p. 137)

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tradition, la Kabbale, par l’orgueil à peine conscient d’un polytechnicien distingué »56. G. Durand relate sa rencontre avec Sunsiaré, dans une lettre, publiée, à Lucien d’Azay :

« Lors de ma conférence à la “Société du Symbolisme”, je vis dans le public, juste en face de moi, un couple radieux qui me souriait… A “l’entracte”, ce couple se présenta à moi et Sunsiaré me dit : “Monsieur, vous allez entendre une conférence — celle d’Abellio — de l’homme le plus intelligent que je connaisse”. C’est moi qui, malgré bien des réticences intérieures, avais fait inviter le mage de chez Gallimard... Nous bavardâmes un peu, et j’en vins à leur demander, puisqu’elle se présentait comme “orientaliste” suivant les cours d’Henry Corbin à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, quelques renseignements sur le “chapelet” musulman ; c’est alors qu’elle me dit de contacter de sa part Henry Corbin qui pendant quinze ans allait être mon “Maître”. Elle fut bien la “Messagère” : Corbin deux ans plus tard m’introduisit dans le Cercle — prestigieux alors ! — d’Eranos, que je devais fréquenter pieusement pendant un quart de siècle, et où je nouais des amitiés fécondes avec Eliade, Benz, Izutsu, Hillman, etc. Douze ans plus tard, Corbin fondait l’université Saint-Jean de Jérusalem et faisait de moi son unique vice-président... Voici pour l’“aval” de ce fulgurant semestre 62. » La suite de la lettre détaille la venue de Sunsiaré en Savoie, où résidait G. Durand, ainsi

que de surprenantes coïncidences qui troublèrent ce dernier au plus haut point. G. Durand termine sa lettre à Lucien d’Azay par ces mots : « Pourquoi cette déterminante “Messagère” sur mon orientation spirituelle, ma carrière, mon domicile ? ».

L’ironie tragique est qu’en cherchant à convertir Gilbert Durand à la vision du monde d’Abellio, en échouant dans cette tâche et en disparaissant d’une façon brutale, tout juste trois mois après leur première rencontre, dans un terrible accident57, Sunsiaré frappa à ce point l’esprit de G. Durand que ce dernier rentra en rapport avec Henry Corbin, ainsi que le lui avait conseillé la « Messagère »58. Et c’est en ce sens là, celui d’une prophétie autoréalisatrice, que Sunsiaré de Larcône détermina « l’orientation spirituelle » de Gilbert Durand, comme l’illustre un article récent dans lequel G. Durand retrace son cheminement spirituel et initiatique, parcouru conjointement avec Henry Corbin, dès leur rencontre effectuée, « prévue » par Sunsiaré59 :

« Henry Corbin nous a quitté en octobre 1978. J’ai rencontré la pensée et le Maître lui-même en mai [1963]. Et malgré la pénible perte de contact que nous vécûmes au début, de par l’annuel “départ” qui éloignait le Maître de Paris, retenu qu’il était à Téhéran par la lourde responsabilité de

56 L’ensemble de ces événements sont relatés, à travers de la correspondance notamment, dans le livre de Lucien d’Azay, dont les citations précédentes et suivantes sont tirées. 57 C’est le 28 septembre 1962 que l’Aston Martin DB4 de Roger Nimier, lancée à 150 km/h sur l’autoroute de l’Ouest, s’écrasa sur le parapet d’un pont de la commune de Garches (Hauts-de-Seine), emportant la « Messagère » et son amant. Nimier avait 36 ans, Sunsiaré, 27 ans. 58 Comme en témoigne la seconde communication de Gilbert Durand pour les Congrès de symbolisme (« L’Occident iconoclaste. Contribution à l’histoire du symbolisme »), réalisée à la fin du mois de novembre 1962 (donc tout juste deux mois après la mort de Sunsiaré) et publiée l’année suivante dans les Cahiers Internationaux de symbolisme (n° 2, Genève-Bruxelles, 1963, pp. 3-18), Gilbert Durand se plongera en effet à la suite immédiate de la disparition de Sunsiaré (octobre et novembre 1962) dans l’œuvre d’Henry Corbin, dont l’ouvrage L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn’ Arabî (publié en 1958) est largement cité dans sa communication de novembre 1962, et dont la philosophie de l’histoire (théorie de la « catastrophe métaphysique ») fournit même la matière principale de la communication de G. Durand. Henry Corbin n’avait jamais été cité dans les travaux de G. Durand jusque là : ni dans sa communication au précédent Congrès de symbolisme (juin 1962), ni dans sa volumineuse thèse de doctorat (publiée en 1960) sur les Structures anthropologiques de l’imaginaire — thèse qui comportait pourtant pas moins de 460 ouvrages de référence en bibliographie, ni dans ses divers articles antérieurs à novembre 1962. Henry Corbin et Gilbert Durand auront par la suite l’occasion de se rencontrer physiquement lors du Congrès de Symbolisme tenu les 18 et 19 mai 1963 au Palais de l’UNESCO, à Paris : Gilbert Durand y fera une communication, et Henry et Stella Corbin y étaient présents (cf. notes de Stella Corbin, EPHE, fonds Corbin, chemise n° 39, fiche année 1963). 59 Gilbert Durand, « Henry Corbin », in A.-J. Lacot et P. Mollier (dir.), Les plus belles pages de la Franc-maçonnerie française ; publié sous l’égide de l’Institut Maçonnique de France, Paris, éd. Dervy, 2003, pp. 189-191. Ce texte, rédigé au début des années 2000 où Gilbert Durand a essuyé de gros problèmes de santé, comporte des erreurs de date, que j’ai rectifiées dans la mesure du possible (chiffre entre crochet), en croisant différentes sources bio-bibliographiques, et en espérant de pas réintroduire de nouvelles erreurs.

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la “Bibliothèque Iranienne” […], j’ai vécu dans ce rayonnement pendant les [15] années — [1963] à 1978 — entretenant une correspondance fidèle d’une dizaine de lettres par an.

Et c’était bien là le sens et le secret d’une totale concordance spirituelle comme en témoigne l’ignorance que j’ai volontairement entretenue de la langue arabe, du persan, du sanscrit, sachant fort clairement que le lien qui nous [réunissait] n’était pas dans une banale philologie mais se situait bien plus haut et bien plus loin sur le plan existentiel.

Je vais résumer brièvement ces [15] ans de ma vie. En [1964], deux ans après notre rencontre, Henry m’introduisit dans le Cercle d’Eranos — où je devais rester fidèle pendant 25 ans et y donner une vingtaine de “conférences” (de 2 heures chacune !). A peu près à la même date [vers 1970-1971], nous étions “adoubés” en l’Église Anglicane de Paris dans l’Ordre Souverain de St Jean de Jérusalem. Puis Henry fondait “l’Université St Jean de Jérusalem” (USJJ) [en 1974] où pendant dix ans, jusqu’en [1987], chaque année en tant qu’unique “Vice-Président” du Maître, je diffusais au cours des stations de l’Université une pensée très proche de celle du Maître. En [1972], tout naturellement, nous étions “initiés” aux mystères de l’Ordre, dans le vaste temple de la rue de Puteaux aux côtés d’Henry Corbin.

Si j’ai insisté sur ce cursus […], c’est pour montrer avec évidence ce qui “relie” spirituellement notre initiation maçonnique à Eranos, aux 15 copieux bulletins de l’Université St Jean de Jérusalem, et à l’Ordre de St Jean de Jérusalem lui-même, fut de ma part un parcours absolument “continu”. Lors de mon “initiation” un Vénérable Frère — disparu à cette heure —, il s’agissait du peintre Jean de Foucauld60, s’étonnait vivement que je ne fis pas partie, depuis longtemps, de l’Ordre ! Et si je me suis attardé à résumer ma carrière, c’est pour en tirer les éléments qui permettent de trouver le “plus petit commun diviseur” de toute une vie — 50 ans résument assez simplement ma vie ! — dont tous les instants brièvement indiqués ici, et qui peut facilement se résumer ainsi : à travers l’énorme érudition du Maître soudain je découvrais un monde, ignoré de notre superbe occidentale, celui de Molla Sadra, de Sohrawardi, Ibn Arabî, Ya’Kub Sejestani, Abu Halim Râzî, Kermani, Shirazi, Mîr Damad etc. etc., monde d’une brillante et constante spiritualité, mais monde ayant superbement “ignoré” le christianisme […].

Enfin la voie que j’ai suivie d’une spiritualité “orientale”, qui se passe du christianisme — Ô Hiram ! —, l’accès à un Cercle immense (300 collègues, ayant réunis à Eranos le fruit de leur réflexion !), l’accès à une pensée philosophique consolidée par 15 ans de réunions universitaires de l’Université de St Jean de Jérusalem — dont je fus le vice président ! —, suffisent amplement à servir de socle à une “initiation” définitive à un Ordre qui se fonde sur la réflexion symbolique — “au-delà du christianisme” — donnant la place qui convient, — la première ! — à 1’Intellectus agens : l’Imaginaire. Tandis que pour nous Occidentaux, la nécessité d’un Dieu personnel était exigé, pour tout accès à la vérité, pour l’Orient il existe en chaque homme un pouvoir Imaginal d’accès aux Vérités. Et chaque “initiation” donne le moyen à chacun d’accéder à ce domaine protégé de la Vérité. »61

Ainsi Gilbert Durand résume-t-il son parcours spirituel et initiatique, qualifié de

« continu », réalisé « en totale concordance spirituelle » avec son « Maître » Henry Corbin, parcours dont les grandes étapes furent le « Cercle Eranos », en 1964, « l’Ordre (Hospitalier) de Saint-Jean de Jérusalem », vers 1970-1971, la franc-maçonnerie spéculative, vers 1972, et « l’Université Saint-Jean de Jérusalem », au milieu des années 70. Cette dernière « Université Saint-Jean de Jérusalem », fondée par Henry Corbin, était un groupe d’étude composé essentiellement d’universitaires, dont « le but [était] la restauration et la revivification des études et sciences traditionnelles », soit la mise au jour du « trésor », « livré à l’abandon », « des sciences spirituelles que l’on peut grouper sous le terme plus ou moins heureux et adéquat “d’ésotérisme” ». Et pour Henry Corbin, Gilbert Durand et leurs collègues de

60 Il s’agit bien du Président de « l’Association pour l’Expansion de la Culture », directeur des éditions « La Colombe », et co-organisateur avec Jacques d’Arès du Congrès de symbolisme de mars 1960. Ainsi qu’en témoignent les archives disponibles au Fonds Corbin (Ecole Pratique des Hautes Etudes, Ve section), Jean de Foucauld sera durant les années 70 un « compagnon de route » d’Henry Corbin, de Gilbert Durand et de quelques autres universitaires, au sein de divers groupes initiatiques et de cercles de réflexion ésotériques. 61 Gilbert Durand, « Henry Corbin », in A.-J. Lacot et P. Mollier (dir., 2003), Les plus belles pages de la Franc-maçonnerie française ; publié sous l’égide de l’Institut Maçonnique de France, Paris, éd. Dervy, 2003, pp. 189-191.

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l’Université Saint-Jean de Jérusalem, la restauration salvatrice du corpus ésotérique oublié passait par la constitution d’une « chevalerie spirituelle » dont ils étaient les membres actifs62.

Le Cercle Eranos, animé par Jung dans les années 30 et 40, et dans lequel les conférenciers ne rentraient que par cooptation, allait en effet, de son côté, déterminer pour une part la carrière de Gilbert Durand. Il y rencontra d’importantes figures intellectuelles de son temps et pu, surtout, face à un auditoire intéressé par ces questions, faire de longues communications sur l’hermétisme ou l’anthropologie métaphysique « traditionnelle », préparant ainsi avec Henry Corbin les travaux de leur future « Université Saint-Jean de Jérusalem ».

En quelques années, G. Durand passa d’une conception réflexologique et semble-t-il (si l’on s’en tient aux textes publiés) « agnostique » de l’imagination, à une vision gnostique ou hermétiste, dans laquelle l’imaginaire est assimilé à « l’Intellectus agens », à « un pouvoir, qui existe en chaque homme », lui permettant de rentrer en « correspondance » avec le « monde imaginal » — intermédiaire entre le monde spirituel et le monde matériel —, avec la divinité elle-même (dont on a compris qu’elle ne correspond pas au « Dieu personnel » judéo-chrétien), et avec l’ensemble des existants qui peuplent le cosmos.

Le point important à souligner est que Gilbert Durand, malgré tous ces engagements du côté, il faut bien le dire, de « l’ésotérisme » (Augustin Berger fit par exemple en 1976, dans Atlantis, un compte rendu élogieux de Science de l’homme et tradition, recueil de Durand dans lequel on trouve certaines de ses communications au Cercle Eranos et à l’Université Saint-Jean de Jérusalem63), ne chercha pas, après sa rencontre avec Henry Corbin, à orienter d’une façon ou d’une autre les Cahiers Internationaux, qui toujours s’en tinrent à la ligne de « l’Avertissement » présent dans le premier numéro : « notre unique but est […] de permettre la mise en présence des tenants de la Science, de l’Art, de la Philosophie et des Traditions spirituelles, de créer les conditions mêmes du dialogue sur le terrain du symbolisme ». Et si l’on peut trouver dans certains numéros des Cahiers des notes informatives sur les prochains colloques du Cercle Eranos, jamais, dans toute son histoire, ce dialogue interdisciplinaire ne fut rompu.

Pas plus que le « kabbaliste » Moïse Engelson, pas plus que le pasteur Bernard Morel, pas plus que le moine bénédictin Hans Witte, auteur d’une thèse sur « Symbole et Incarnation », pas plus que les poètes André Guimbretière et Claire Lejeune, pas plus, donc, que les autres membres du Comité de direction des Cahiers Internationaux, Gilbert Durand ne chercha a privilégier telle ou telle lecture du symbolisme, alors même que, au début des années 60, et dans un curieux chassé-croisé, il découvrait avec enthousiasme l’hermétisme et la gnose orientale, et que Claire Lejeune sortait les Congrès de symbolisme de l’ésotérisme hétéroclite dans lesquels ils baignaient depuis leur commencement.

Pour conclure. Les parcours croisés de Caire Lejeune et de Gilbert Durand Il n’est pas anodin qu’à la fin de son ouvrage de 1977 sur La science des symboles,

René Alleau fasse suivre la lettre de Claire Lejeune sur les Cahiers Internationaux de Symbolisme par une présentation du « Centre de Recherche sur l’Imaginaire » dirigé par Gilbert Durand. Au sein de ce Centre de recherche interdisciplinaire, projeté à l’issue du 62 Henry Corbin, « L’Université Saint-Jean de Jérusalem. Centre International de Recherche Spirituelle Comparée », Cahiers de l’Université Saint-Jean de Jérusalem, n° 1 (« Sciences traditionnelles et sciences profanes »), pp. 8-12. Sur le concept de « chevalerie spirituelle », dont on a vu qu’il n’était pas étranger au groupe d’Atlantis, voir Henry Corbin (1973), « Pour une nouvelle chevalerie », Question de. Spiritualité, tradition, littérature, n° 1, 4ème trim. 1973, pp. 101-114 ; et Henry Corbin, « De l’état de chevalerie spirituelle », Adhuct Stat (bulletin de la GLNF-Opéra), n° 5, 1974. 63 Voir A. Berger, CR de Science de l’homme et tradition, in Atlantis. Archéologie scientifique et traditionnelle, n° 287 (« De l’archéologie scientifique à la symbolique traditionnelle »), mars-avril 1976, pp. 241-242.

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Congrès de symbolisme de juin 196264, et qui sera officiellement créé en 1966, au sein du Collège Littéraire Universitaire de Chambéry (dépendant de l’Université de Grenoble, et embryon de la future Université de Savoie), se faisaient alors de nombreuses études sur l’imaginaire et le symbolisme, en partie inspirées des travaux de Gilbert Durand. Des littéraires, des sociologues, des anthropologues, des psychiatres, des mathématiciens, des psychologues se retrouvaient périodiquement dans une même structure institutionnelle, et produisaient des travaux stimulants qui donnaient lieu à des colloques annuels. Bref, « l’ouverture », de même qu’au sein des Congrès de symbolisme « ère Claire Lejeune », le refus de tout dogmatisme associé à un fil directeur cohérent, contribuaient à une effervescence intellectuelle peu commune.

Le talent incontestable de personnalités comme Claire Lejeune et Gilbert Durand est d’avoir su fédérer un grand nombre d’acteurs, relevant de différentes orientations de recherche et de différents mondes sociaux, académiques ou non académiques, autour de ce que la sociologie des sciences nomme aujourd’hui des boundary objects, des « objets frontières ». C’est-à-dire des entités conceptuelles ou empiriques qui sont « assez plastiques pour s’adapter aux besoins locaux ainsi qu’aux contraintes de différentes parties les employant, et assez robustes pour maintenir une identité commune à travers les sites. Ils ont différentes significations dans différents mondes sociaux mais leur structure est suffisamment commune pour plus d’un monde pour qu’ils soient identifiables, comme moyen de traduction »65. En l’occurrence, les « objets frontières » étaient pour Claire Lejeune, Gilbert Durand et les acteurs qui gravitaient autour d’eux, le « symbole », le « symbolisme », « l’imaginaire » et « l’imagination ». Si ces objets d’études étaient en eux-mêmes assez plastiques et consistants pour que des recherches interdisciplinaires soient faites, il fallait cependant des individualités capables d’orchestrer ces recherches, et de mettre en scène d’une façon attractive ces objets frontières. Des individus disposant donc des qualités humaines et intellectuelles nécessaires pour fédérer un collectif sur la longue durée, en maintenant un cap interdisciplinaire tout en fournissant un programme de recherche heuristique. C’est précisément ce que firent, à la fois ensemble, réunis au sein des Congrès de symbolisme et des Cahiers Internationaux, puis chacun de leur côté, au CIEPHUM et au Centre de Recherche sur l’Imaginaire, Claire Lejeune et Gilbert Durand66.

64 Dans une lettre datée du 8 août 1962, Moïse Engelson remercie Raymond Abellio pour sa contribution au Congrès de juin 1962, et lui demande de participer au Congrès de symbolisme de Genève d’octobre 1962. Pour appuyer sa demande, Engelson souligne que « le Professeur DURAND de Grenoble, a l’intention d[e] soulever [à ce Congrès d’octobre 1962] le problème de la création à Genève d’un INSTITUT DE SYMBOLISME […]. Comme le dimanche 14 octobre aucune conférence n’est officiellement prévue, on pourrait précisément employer une partie de cette journée à établir les fondements théoriques de notre projet d’INSTITUT DE SYMBOLISME. Durand a des idées déjà assez précises à ce sujet, et Morel, paraît-il, des possibilités de réalisation assez concrètes » (source : Bibliothèque Nationale, département des Manuscrits (Occident), fonds R. Abellio, Correspondance, carton n° 11, chemise « Engelson », p. 29). 65 Susan Leigh Star et James R. Griesemer, « Institutional Ecology, “Translations” and Boundary Objects : Amateurs and Professionals in Berkeley’s Museum of Vertabrate Zoology, 1907-39 », Social Studies of Science, vol. 19, august 1989, p. 393. La traduction du passage cité est de Thomas Béraud. 66 Il faut noter que la collaboration et l’amitié de Gilbert Durand et de Claire Lejeune se poursuivirent bien au-delà de la reprise en main des Cahiers Internationaux par le CIEPHUM, en 1971. Entre autres exemples, Claire Lejeune présida en mai 1977, à Chambéry, les Xèmes Journées d’Etude du Centre de Recherche sur l’Imaginaire, consacrées à « L’Empire des Images » ; elle contribua en 1978, avec les mathématiciens René Thom et Jean-Pierre Duport, à la revue Circé, publiée par le Centre de Recherche sur l’Imaginaire, dans un numéro double sur « Morphogenèse et imaginaire » ; et est encore aujourd’hui Présidente du Conseil Scientifique du GRECO-CRI (Groupement de Recherches Européennes Coordonnées. Centres de Recherches sur l’Imaginaire), restructuré en 1998 et dirigé par Michel Maffesoli. Gilbert Durand, de son côté, contribua en 1994 au numéro des Cahiers Internationaux de Symbolisme sur « Le signe, le symbole et le sacré » ; communiqua avec Chaoying Sun au colloque organisé en mai 1996 par le CIEPHUM, à l’Université de Mons-Hainaut, sur le « Rôle des traditions populaires dans la construction de l’Europe » (actes publiés en 1997 dans le numéro triple 86-87-88 des Cahiers Internationaux) ; et communiqua encore au colloque organisé en mai 2000 par le CIEPHUM, toujours à l’Université de Mons-Hainaut, sur « Le mythe comme lieu commun de la tradition et de la création » (actes publiés en 2000 dans le numéro triple 95-96-97 des Cahiers Internationaux de Symbolisme).