L'identité gagnée, l'identité perdue. Étude de la Déclaration sur l'identité européenne du...

110
L’identitØ gagnØe, l’identitØ perdue. tude de la DØclaration sur l’identitØ europØenne du 14 dØcembre 1973 MØmoire de Master II Recherche par Marloes C. Beers sous la direction de M. le Professeur G.Bossuat Paris, le 15 septembre 2006 UniversitØ de Cergy-Pontoise tudes europØennes et affaires internationales Parcours C

Transcript of L'identité gagnée, l'identité perdue. Étude de la Déclaration sur l'identité européenne du...

L'identité gagnée, l'identité perdue.

Étude de la Déclaration sur l'identité européenne

du 14 décembre 1973

Mémoire de Master II Recherche

par

Marloes C. Beers

sous la direction de M. le Professeur G.Bossuat

Paris, le 15 septembre 2006

Université de Cergy-Pontoise

Études européennes et affaires internationales

Parcours C

À mes parents

Remerciements

Je tiens à exprimer ma reconnaissance à Professeur Gérard Bossuat, Professeur

d�histoire contemporaine à l�Université de Cergy-Pontoise et chaire Jean Monnet

d'histoire de la construction européenne, qui a bien voulu patronner et suivre avec

bienveillance ce mémoire.

Je ne saurais manquer de remercier Professeur Ine Megens, Professeur d�histoire

contemporaine à l�Université de Groningen (Pays-Bas) pour ses conseils et son aide qui

m'ont encouragé énormément.

Ma gratitude va également aux responsables à l'Association Georges Pompidou et les

conservateurs au Centre Historique des Archives Nationales pour les nombreuses

facilités qu'ils m'ont accordées. Je voudrais remercier tout particulièrement Sarah

Mohamed-Gaillard et Nicolas Vaicbourdt, chargés de recherche à l'Association Georges

Pompidou dont les conseils ont été précieux.

J'adresse mes vifs remerciements à Laurent Foubert et à Adam Dziura pour les

corrections de ce travail et le petit-mémoire qui l'a précédé. Adam m'a donné la

confiance de pouvoir rédiger un mémoire en langue française. Sans le concours et la

patience de Laurent, ce mémoire n'aurait jamais pu être réalisé.

Ce mémoire doit beaucoup aux encouragements de Henno et son précieux soutien.

Sommaire

Introduction page 1

Chapitre 1: Thèmes et problèmes 3

Une identité européenne dans le monde 4

La déclaration soulève des questions sur ses objectifs 6

Renforcement de la coopération européenne? 7

Conclusion 10

Chapitre 2: Quelques remarques sur les sources primaires 12

Les collaborateurs proches de Georges Pompidou 12

Au-delà de l'administration française 14

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 16

Les réponses individuelles 19

La volte-face de la France 25

La réponse européenne 29

Conclusions et réflexions 34

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 36

Les versions préliminaires 37

Le projet sur l'identité européenne devient une déclaration 41

L'identité et la défense européenne 44

Conclusions et réflexions 51

Chapitre 5: La personnalité européenne 54

L'unité européenne déclarée 54

Les États membres et leurs personnalités européennes 59

La déclaration sur la situation au Proche-Orient

et la solidarité européenne

64

L'identité européenne perdue 69

Conclusions 73

Conclusions et réflexions 75

L'Europe dans le monde 76

Le cadre européen 79

Les rédacteurs 82

Conclusion finale et réflexions 84

Annexes:

Annexe 1: La Déclaration sur l'identité européenne 88

Annexe 2: Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe 92

Bibliographie 98

Introduction 1

Introduction

L'identité européenne est un sujet d�actualité. Les citoyens de l'Union Européenne

s�interrogent sur cette identité, sur son existence et même sur la menace potentielle

qu'elle représente pour les identités nationales. Pourtant, le thème de l'identité

européenne n'est pas nouveau. Il réapparut plusieurs fois dans l'histoire de la

construction d'une Europe Unie. Souvenons-nous par exemple de la Déclaration sur

l'identité européenne adoptée par les Ministres des Affaires étrangères des neuf États

membres en 1973 à Copenhague1. Ce document permettait de "mieux définir leurs

relations avec les autres pays du monde ainsi que les responsabilités qu�ils assument et

la place qu�ils occupent dans les affaires mondiales."2 Il s'agit d'une énumération des

aspects divers en matière d'unité de l'Europe, des relations internationales et du

caractère dynamique de la construction d'une Union Européenne.

Cette déclaration nous situe dans une période de l'histoire de la coopération

européenne qui diffère profondément d'aujourd'hui. L'identité européenne n'était pas

encore un souci majeur pour les citoyens des neuf États membres. En général, la

politique européenne ne les intéressait pas beaucoup3. Cette déclaration était liée au

développement d'une coopération politique en Europe qui avait connu une nouvelle

impulsion après la conférence de la Haye en 1969. Elle fut rédigée pendant une période

captivante où les Neuf cherchèrent une voix commune en termes politiques, un nouveau

visage dans la politique mondiale.

Au niveau de la politique internationale, 1973 fut une année particulière. Une crise

sévissait à plusieurs niveaux dans le monde. Souvenons-nous des tensions et des

guerres au Moyen-Orient, en Asie, de la crise pétrolière, de la récession économique et

autres problèmes monétaires, des crises de morale aux États-Unis et de la persistance

de la Guerre Froide. Cette même année fut également L'année de l'Europe, ainsi

1 Voyez l'Annexe 1: "La Déclaration sur l'identité européenne (Copenhague, 14 décembre 1973)". 2 Partie de la première phrase de la déclaration. Voyez l'Annexe 1. 3 Ceci était un des résultats de l'étude des Communautés européennes en 1973 de J-R. Rabier et R.Inglehart European communities study, 1973, Political attitudes in Europe (ICPSR 7330) (Ann Arbor, 1985 2eme edition) Inter-University consortium for political and social research, University of Michigan and the Netherlands Institute for Scientific Information Services (NIWI).

Introduction 2

déclarée par le Président américain Richard Nixon et son conseiller Henry Kissinger. Ils

espéraient, expliquait ce dernier, que les États-Unis et l'Europe4 pourraient renouveler

leurs relations. Dans son célèbre discours du 23 avril Kissinger décrivit le succès de la

coopération transatlantique qui avait mené à une reconstruction économique et une

assurance de sécurité en Europe depuis la deuxième guerre mondiale. Compte tenu des

développements politiques et économiques dans le monde d'alors, les États-Unis et

l'Europe devaient ajuster le tir. Kissinger proposa donc la rédaction d'une nouvelle

charte atlantique. En général, la rédaction de la Déclaration sur l'identité européenne a

été placée dans le cadre de ce discours 5.

Dans ce mémoire, je présente mes recherches sur les racines et les causes de la

Déclaration sur l'identité européenne. Concentrons-nous maintenant sur la

problématique de cette étude.

4 Dans la Déclaration sur l'identité européenne et dans le discours de Henry Kissinger, le terme "Europe" désigne l'ensemble des 9 États membres unis dans les Communautés européennes en 1973. Dans ce mémoire, j'utilise la même définition de l' "Europe". 5 Voyez l'Annexe 2: "Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe (New York, 23 avril 1973)"

Chapitre 1: Thèmes et problèmes 3

Chapitre 1: Thèmes et problèmes

Le 14 décembre 1973, les États membres des Communautés européennes adoptèrent

la Déclaration sur l'identité européenne à Copenhague. Dans le communiqué de cette

réunion, le Premier ministre danois Anker Jørgenson, Président du Conseil des

ministres des Affaires étrangères en date, annonça:

"Les neuf pays affirment leur commune volonté de voir l'Europe parler d'une même voix dans les grandes affaires du monde. Ils ont adopté la déclaration sur l'identité européenne qui définit, dans une perspective dynamique, les principes dont s'inspirera leur action"6.

En effet, la déclaration évoque l' image d'une coopération européenne solide où les Neuf

affirmaient leur unité en parlant d'une seule voix. Elle expose l'idée d'une "Europe" avec

une personnalité propre qui est en train de se développer.

Divisé en trois chapitres, le document énumère vingt-deux aspects de l'identité

européenne. Le premier chapitre se concentre sur la cohésion interne des Neuf, à

percevoir comme un héritage commun en termes d'histoire et de valeur. Elle est

renforcée par une volonté commune de coopérer sur plusieurs terrains: non pas

seulement au niveau de l'économie, terrain de la coopération européenne par

excellence, mais encore en matière de politique étrangère et de défense. Dans la

deuxième partie, l'identité européenne est envisagée dans ses rapports "harmonieux et

constructifs" aux multiples pays tiers et organisations internationales. Les Neuf

ambitionnaient un rôle important dans les affaires internationales en tant qu'entité

distincte. Ils espéraient, entre autres, assurer la paix et un meilleur partage mondial de

la prospérité. Les relations avec plusieurs pays, comme les États-Unis, l'URSS, la

Chine, le Japon, les pays du bassin méditerranéen et d'Afrique, sont énumérées. La

troisième et dernière partie déclare brièvement que l'identité évoluera en fonction de la

dynamique de la formation certaine de "l'Union européenne". En résumé, le texte nous

fait conclure que l'identité européenne est née d'un héritage commun et d'une volonté

politique de développer une coopération sur plusieurs terrains. 7

6 "La conférence au sommet de Copenhague"BCE (12-1973) 9-12. 7 Voyez l'Annexe 1: "La Déclaration sur l'identité européenne (Copenhague, 14 décembre 1973)".

Chapitre 1: Thèmes et problèmes 4

Une identité européenne dans le monde

Plusieurs recherches historiques ont montré que la rédaction de la déclaration s'inscrivit

dans le cadre des relations politiques et économiques entre les Neuf et les États-Unis.

En effet, le 31 octobre 1973, Georges Pompidou envoya une lettre aux partenaires

européennes dans laquelle il écrivit que :

"la définition des rapports entre les Neuf et les États-Unis à la suite des initiatives américaines du printemps 1973 a permis à l'Europe de commencer à prouver aux autres son identité, comme l'avait fait pour elle-même."8

Dans cette lettre, il proposa l'introduction de rencontres régulières entre les chefs d'états

et de gouvernement seuls, et donc sans la participation de la commission ou des

Ministres des Affaires étrangères. Un mois et demi après, la réunion de Copenhague

devait être la première de ces rencontres. Remarquons le lien qu'il établit entre l'identité

européenne et les rapports avec l'Outre-Atlantique.

1973 était "L'année de l'Europe", ainsi proclamé par Richard Nixon et son conseiller

Henry Kissinger. Ils proposèrent un renouvellement de la coopération transatlantique

avec la rédaction d'une nouvelle charte atlantique. Puis ils annoncèrent la visite du

Président américain en Europe en fin d'année9. Les chercheurs Pierre Mélandri,

Georges-Henri Soutou, Ine Megens, Claudia Hiepel, Alastair Noble, William Burr et

Robert Wampler ont trouvé dans diverses archives européennes et américaines que la

Déclaration sur l'identité européenne faisait de toute évidence partie de la réponse

européenne au propos américain.10

8 AN-5AG2/1013 (Danemark) "Lettre du Président de la République au Premier ministre du Danemark, le 31 octobre 1973." Cette lettre a été envoyée à chaque chef d'État ou de gouvernement des Neuf et peut ainsi être trouvée dans plusieurs dossiers au Fonds Georges Pompidou. 9 Voyez l'Annexe 2: "Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe (New York, 23 avril 1973)". 10 Claudia Hiepel Kissinger's Year of Europe �challenge for the EC and the Franco-German relationship présenté au colloque "Beyond the customs union: The European community's quest for completion, deepening and enlargement, 1969-1975", Université de Groningen, 27-29 octobre 2005 (European Union Lisaison Committee of Historians), revisé, à être publié en automne 2006. Présenté au même colloque: Ine Megens The declaration on European identity of December 1973. The effect of a transatlantic debate and the result of a team spirit among European diplomats à être publié en automne 2006. Pierre Mélandri "Une relation très spéciale: La France, les États-Unis et l'année de l'Europe, 1973-1974" Association Georges Pompidou (dir) Georges Pompidou et l'Europe; Colloque 25-26 novembre 1993 (Bruxelles, 1995) Editions complexe 89-130. Alastair Noble Kissinger's Year of Europe, Britain's Year of Choice présenté au colloque "The Atlantic Community unraveling? States, protest movements and the transformation of US-European relations, 1969-1983" Université VanderBilt septembre 2004. Georges-Henri Soutou "Le Président Pompidou et les relations entre les États-Unis et l'Europe" Journal of European integration history (2000) vol 6 No 2 111-146; William Burr et Robert A.Wampler With Friends Like These�-Kissinger, The Atlantic Alliance and The abortive "Year of Europe", 1973-1974 Draft (31/8/2004) non publié.

Chapitre 1: Thèmes et problèmes 5

A la suite de cette proclamation, les Neuf cherchèrent une position commune pour la

réponse. Comment répondre ensemble au sujet de la coopération transatlantique et de

la visite de Nixon? Cette concertation des États dans la politique étrangère était pour

ainsi dire nouvelle et ne pourrait aboutir facilement à un accord, étant donné les

différences de point de vue au niveau de la politique internationale. En outre, une visite

Présidentielle aux Communautés européennes était sans précédent. Comment devrait-

elle se passer? Le Président Nixon, devrait-il être reçu par l'ensemble des Chefs d'État

ou de gouvernement, par le Président de la commission, ou par le Président du Conseil

des ministres de l'époque?

D'une certaine manière, le propos américain imposa aux Européens d'accélérer la

formation d'une politique internationale commune. En mai, Willy Brandt disait à Richard

Nixon que l'initiative américaine était prématurée: La coopération politique était encore

trop fragile et trop jeune pour pouvoir mettre en �uvre rapidement une réponse

collective11. La coopération transatlantique et la visite de Nixon ne se devaient jamais se

passer comme Nixon et Kissinger l'avaient prévu initialement. Enfin, le 26 juin 1974,

Richard Nixon visitait l'Europe pour la signature d'une 'déclaration atlantique' célébrant

le 25e anniversaire de l'Alliance. Mais, quand ce document réaffirmait les relations

transatlantiques de l'OTAN, une déclaration propre entre les Communautés

européennes et les États-Unis n'avait pas pu voir le jour12.

Or, en 1973 l'Europe envisageait de renforcer sa participation dans les affaires

mondiales, avec quelques succès. Mais la coopération interne n'était pas encore solide.

La déclaration respire une harmonie entre les Neuf qui, déterminés, coopèrent pour la

construction d'une Union Européenne. Mais on peut se demander s'il existait vraiment

une telle harmonie.

La déclaration soulève des questions sur ses objectifs

N'oublions pas qu'en 1973, le développement d'une coopération politique des affaires

étrangères n'en était qu'à ses balbutiements. Une véritable politique européenne ne

s'était pas encore créée. La coopération était essentiellement restreinte au niveau

11 Hiepel (2005) op.cit. 5. 12 Ibid. 13-14. Megens (2005) op.cit. 17-18.

Chapitre 1: Thèmes et problèmes 6

économique : une politique agricole commune (PAC) et une union douanière. Si, depuis

la relance de 1969, les États membres s'étaient engagés dans le développement d'une

coopération politique, ils ne progressaient que lentement. En 1973 cette coopération

consistait principalement en un échange mutuel de points de vue et en une recherche

d'éventuelles positions communes. Il fallut attendre le sommet de Paris à la fin de

l'année suivante, pour que les réunions régulières et formelles du Conseil Européen

soient fondées. Les États membres avaient encore un certain chemin à parcourir avant

l'institutionnalisation d'une relation étroite entre les Communautés et la coopération

politique mise en place par l'Acte unique en 1986.13

Il paraît quelque peu paradoxal qu'une identité commune fût définie par un ensemble

des neuf pays dont la coopération politique ne s'étendait pas au-delà d'un échange de

points de vue mutuels14. En outre, ce n'était que depuis 1973 que les Communautés

européennes (CE) comptaient neuf États membres. Le 1er janvier, la Grande-Bretagne,

l'Irlande et le Danemark avaient rejoint les six pays fondateurs. Compte tenu du fait que

l'adhésion de la Grande-Bretagne causait toute une affaire dans les années 60,

l'apparition de ce document ambitieux est tout de même un fait surprenant.

Cette pensée nous mène à questionner les objectifs poussant à définir une identité

européenne. Comme stipulé par la déclaration, les Neuf projetaient de rédiger une

définition claire de leurs rapports avec d'autres pays et de leurs responsabilités dans les

affaires mondiales. Pourtant, le document ne se restreint nullement aux relations

internationales des Neuf. Les aspects internes, comme l'héritage commun des membres

et leur volonté de coopérer sont considérés importants pour la définition de l'identité

européenne. Ils sont décrits soigneusement pour souligner la liaison interne des Neuf, à

côté de leur coopération externe dans le monde.

L'insistance sur l'unité européenne était certainement le signe d'une volonté véritable de

faire une politique commune. La question se pose si la déclaration eût été rédigée afin

d'affirmer l'existence d' une entité européenne dans le monde ou également si elle eût

13 Gérard Bossuat Les fondateurs de l'Europe Unie (Paris, 2001) Editions Belin 213-114. Bino Olivi L'Europe difficile. Histoire politique de la Communauté européenne (Paris, 2001) Gallimard 395-411. Bertrand Gallet La politique étrangère commune (Paris, 1999) Economica 54. 14 Vlad Constantinesco montre ce paradoxe dans son essai sur le rôle du Conseil européen: "Le rôle du Conseil européen dans la formation d'une identité européenne" M-H.Bitsch, R.Poidevin, L.Loth Institutions européennes et identités européennes (Bruxelles, 1998) Bruylant 435-447, 435-438.

Chapitre 1: Thèmes et problèmes 7

été écrite pour renforcer la collaboration entre les États membres. Actuellement, nous

savons que, dans le contexte des relations internationales, le destin du document était

de tomber dans l'oubli. Après 1973, il ne semble pas avoir influencé les discussions sur

l�identité européenne au niveau international. Par contre, Vlad Constinesco nous montre

que le texte de la déclaration servirait de base à une série de textes sur l'identité

européenne adoptés ultérieurement par le Conseil européen.15 Nous pouvons en

conclure qu'en fin de compte la déclaration a joué un rôle dans la construction interne

des Communautés européennes, et non dans le développement d'une politique

étrangère. Je me demande si les Neuf visaient spécifiquement cet objectif en rédigeant

le document. Car il y a une grande différence selon que les Neuf aient voulu définir leurs

relations internationales pour des discussions au niveau international ou au niveau

européen. Que l'objectif eût été international aurait constitué un fait très remarquable,

tenu compte de la jeunesse de la Coopération politique européenne. La définition d'une

identité commune, qui dépasserait les identités nationales, est déjà un fait notable.

Renforcement de la coopération européenne?

Laissant à part le rôle politique de la déclaration dans la construction européenne après

1973, je me concentre sur les intentions fondamentales des rédacteurs. Dans cette

étude, j'entreprends une recherche des motivations réelles de la rédaction et du choix du

contenu de la Déclaration sur l'identité européenne. Est-ce que nous devons chercher

ses causes profondes dans le désir des Neuf de faire savoir leur unité aux autres ou

dans la nécessité de l'affirmer entre les neuf États membres?

La déclaration aurait pu consolider la coopération européenne de deux manières. D'un

côté, la rédaction demanda des accords des Neuf sur plusieurs matières. Possiblement,

ces accords pouvaient même obtenir une valeur juridique après la signature des Chefs

d'État ou de gouvernement. De ce point de vue, il est intéressant d'étudier les opinions

diverses des États membres sur les sujets abordés dans la déclaration. Existait-il une

perspective commune, par exemple, en matière de politique étrangère ou de sécurité

européenne, comme le mentionne la déclaration?

15 Megens (2005) op.cit. 17-18. Constantinesco (1998) op.cit. 439-444.

Chapitre 1: Thèmes et problèmes 8

De l'autre côté, on peut penser que le document était envisagé comme une sorte de

symbole de l'unité européenne. Ainsi, il pourrait servir d'outil de renforcement des

sentiments européens auprès des citoyens des États membres. Son sujet, unifiant ces

derniers s'y prêterait facilement. D'autant plus que le message d'une unité européenne

était encore renforcé par son adoption solennelle par les dirigeants européens du plus

haut niveau. L'édification de symboles n'était pas nouvelle en Europe. Les institutions

européennes, et d'ailleurs le Conseil de l'Europe, s'en étaient préoccupés depuis leurs

fondations en 1958 et 1949. Notamment en 1973, la commission annonça un concours

aux artistes professionnels et étudiants d'art graphique pour l'élaboration d'un emblème

européen pour usage publicitaire16.

Carole Lager a étudié plusieurs symboles de la construction européenne comme le

drapeau, l'hymne, le passeport européens. Elle nous fournit cette définition: "Le

symbole est un moyen d'identification, un signe de reconnaissance et de ralliement entre

des personnes séparées ou entre les membres d'un groupe. Il évoque une

communauté. D'où l'idée de relation et de lien privilégié."17. Ils sont destinés aux

membres d'un groupe, donc par exemple les citoyens des Communautés européennes.

Lager distingue quatres formes de symboles, dont les symboles verbaux, comme les

tracts et les serments. Elle nous montre que les symboles furent créés pour, entre

autres, la "propagation de l'idée européenne"18. Aussi, compte tenu de son titre

ambitieux et attrayant, de son contenu dynamique et de son adoption solennelle par les

Chefs d'État ou de gouvernement, les rédacteurs pourraient avoir projeté de constituer

un nouveau symbole de l'unité européenne. Est-ce qu'ils l'ambitionnèrent?

Cette question nous renvoie à une étude des rédacteurs. Qui étaient-ils? Est-ce que les

institutions européennes ont joué un rôle dans la rédaction? La déclaration a été

adoptée par l'ensemble des Ministres des Affaires étrangères sans le Président de la

Commission des Communautés européennes. Pourtant, le document porte sur un sujet

qui avait préoccupé la Commission et le Parlement depuis leur instauration en 1958.

Ces institutions s'intéressaient de très près à l'identité européenne et s'engageaient à la

promouvoir. Il était dans leur intérêt de définir une identité commune qui dépassât les 16 Carole Lager "Europe d'azur et d'or; Histoire et interprétation symbolique du drapeau européen" Historians of Contemporary Europe (1994) vol 9 no 1-2 62-3 et, du même auteur, L'Europe en quête de ses symboles (Berne, 1995) Peter Lang SA 35-52. 17 Lager (1995) op.cit. 29. 18 Lager (1994) op.cit. 63.

Chapitre 1: Thèmes et problèmes 9

identités nationales. Ainsi, il est fort probable que la définition d'une identité européenne

ne les intéressât. Eurent-elles l�opportunité d�y participer? Et la désirèrent-elles?19

Apparemment, la déclaration était une affaire de la coopération politique, donc une

affaire concernant les États membres et non les institutions européennes. Car il n'y

existait pas de relations formelles entre la coopération politique et les Communautés

européennes. Ainsi nous pouvons comprendre le fait que seuls les Chefs d'État ou de

gouvernement aient adopté le document. En effet, la déclaration fut placée dans le

contexte des relations internationales, terrain de la coopération politique. Pourtant,

remarquons que les rédacteurs nomment les coopérations en matière d'économie et de

politique étrangère sous le même nom. Ainsi, le document paraît concerner autant les

Communautés européennes que la coopération politique et il n'est pas difficile

d'imaginer une participation de ces institutions dans la rédaction. En outre, quand la

déclaration ne serait qu'une affaire entre États, il reste intéressant d'étudier quel État

membre a, ou quels États membres ont, pris l'initiative de décrire l'identité européenne?

Il est possible que la déclaration ait répondu aux intérêts de certains États. Pouvons-

nous y voir une volonté communautaire de construire une Europe unie ou est-ce qu'il s'y

trahit un désir de satisfaire des ambitions nationales20?

Conclusion et méthode

Nous avons vu que la définition d'une identité européenne pouvait s'expliquer par l'appel

américain à une nouvelle coopération atlantique et par la naissance d'une politique

étrangère en Europe. Pourtant, le document soulève des questions. Car les facteurs

internes jouent un rôle important dans la description d'une identité commune. L'Europe

n'y est pas seulement décrite comme une nouvelle entité internationale, mais encore

comme un ensemble de pays en coopération harmonieuse. D'un côté elle laisse à

penser qu'elle a été rédigée dans le cadre des relations internationales. Mais de l'autre

19 Au sujet des institutions et de l'identité européenne, je vous renvoie au livre: M-H.Bitsch, R.Poidevin, L.Loth (dir) Institutions européennes et identités européennes (Bruxelles, 1998) Bruylant. Entre autres les études suivantes: Nicolas Piers Ludlow �Frustrated ambitions. The European Commission and the formation of a European identity, 1958-1967.� 307-326. Bruno Riondel "Affirmation du Parlement européen et émergence d'une identité européenne des années soixante à nos jours" 295-306. Manuel Gonçalves Martins "Le Conseil de l�Europe et la défense de la culture européenne" 123-139. 20 Dans son livre sur les fondateurs de l'Europe unie, Gérard Bossuat se pose la même question au sujet des préoccupations des dirigeants en Europe à cette époque. Il conclut que la satisfaction des ambitions nationales était un facteur dominant. Bossuat (2001) op.cit. 185.

Chapitre 1: Thèmes et problèmes 10

côté elle fait allusion aux motivations additionnelles des rédacteurs pour un

renforcement de la coopération européenne. En outre, elle soulève des questions sur le

rôle des institutions européennes, sur les ambitions individuelles des États membres,

ainsi que sur celles de l'ensemble des Neuf.

L'Europe se présente comme une unité solide dans la Déclaration sur l'identité

européenne. De leur héritage commun et leur volonté de coopération, les Neuf

disposeraient d'une identité commune. Ensemble ils définissent leur place dans le

monde et les responsabilités qu'ils devaient y assumer. Plusieurs chercheurs ont montré

que cette déclaration s'inscrivit dans le cadre des relations politiques et économiques

entre les Neuf et les États-Unis : la cause directe de la rédaction était l'appel américain

d'un renouvellement de la coopération transatlantique. Toutefois, la réponse

européenne au discours de Kissinger nous montre que la Coopération politique

européenne était moins solide et moins harmonieuse que la déclaration voudrait nous le

faire croire. Car la charte atlantique et le voyage de Nixon ne démarrèrent pas comme il

l'escomptait. En effet, les développements d'une Coopération politique européenne n'en

étaient qu'aux balbutiements et les Neuf ne prenaient pas toujours les mêmes positions

en politique étrangère.

Dans ce mémoire, je me concentre sur les intentions qui ont présidé à la rédaction de la

déclaration par les Neuf. Tout d'abord, j'espère clarifier les rapports du document avec

les relations transatlantiques. Ensuite, j'entreprendrai une étude des archives du

Président français Georges Pompidou (présidence 1969-1974) sur les aspects

concernant la déclaration. Ces archives sont étendues et touchent une multitude de

sujets. Pour les recherches de ce mémoire, je me restreins aux sources qui se réfèrent

aux partenaires européennes de la France. Pour ce qui concerne le dossier des États-

Unis, je m'appuie aux études méticuleuses du fonds Georges Pompidou par les

chercheurs français Pierre Mélandri, Georges-Henri Soutou et Eric Roussel21.

Mes recherches se concentrent sur les causes profondes de la Déclaration sur l'identité

européenne. Tout en reconnaissant l'influence directe de la proclamation de l'année

21 Mélandri (1995) op.cit. Soutou (2000) op.cit. Éric Roussel Georges Pompidou 1911-1974 (Paris, 2004) Editions Perrin, Nouvelle édition, revue, augmentée, établie d'après les archives du Président (1969-1974).

Chapitre 1: Thèmes et problèmes 11

américaine de l'Europe22, je me demande si la déclaration ne fut pas écrite également

pour renforcer la coopération européenne entre les États membres. La question se pose

si, d'un côté, la déclaration fait apparaître des accords sur des sujets sensibles,

justement pour les pérenniser. De l'autre côté je me demande si les rédacteurs avaient

des ambitions de propager l'idée européenne auprès des citoyens des États membres.

Est-ce qu'ils ont voulu établir un symbole de l'unité européenne? En conséquence, ces

problèmes nous font nous poser des questions sur les rédacteurs de la déclaration. Qui

étaient-ils? Quels rôles ont joué les institutions européennes? Qui a pris l'initiative? Est-

ce qu'il s'agit d'une entreprise commune ou individuelle des États membres?

22 Expression empruntée du diplomate Etienne Burin des Roziers, représentant permanent de la France auprès des Communautés européennes (1972-1975), de son témoignage oral à l'Association Georges Pompidou. Interview 1AV197, Entretien de l'Association Georges Pompidou avec Etienne Burin des Roziers, 3e entretien, le 30 novembre 1994.

Chapitre 2: Quelques remarques sur les sources primaires 12

Chapitre 2: Quelques remarques sur les sources primaires

La gamme de sources primaires de la coopération européenne en 1973 est immense.

Elle comprend par exemple les archives des neuf gouvernements, ainsi que celles de la

Commission et du Parlement européens. Dans ce mémoire, la recherche se limitera

principalement aux archives de la présidence de Georges Pompidou, et plus

spécifiquement aux fonds remis par ses collaborateurs en 1974.23 Le Fonds Georges

Pompidou (5 AG2) est déposé aux Archives Nationales de France à Paris et reste sous

la responsabilité de l'Association Georges Pompidou. Ce sont des documents politiques

et souvent confidentiels, vus et régulièrement annotés par le Président dans la période

postérieure à juin 1969: notes des conseillers, comptes-rendus des visites officielles du

Président en Europe et entretiens avec des personnalités politiques, correspondances

diplomatiques et internationales. Les dossiers en question ont été remis en 1974, après

le décès du Président.

Pour mes recherches, le fonds Georges Pompidou est d'une grande valeur, car il

rassemble les documents qui méritaient l'attention du Président de la République. Ils

contiennent donc les sujets politiques les plus prégnants et même des délibérations

confidentielles. D'une certaine manière, les archives montrent l'importance de certains

matières pour l'administration française. De surcroît, les annotations personnelles du

Président donnent des renseignements précieux sur ses opinions et ses choix

politiques.

Les collaborateurs proches de Georges Pompidou

En général, les documents dans les archives sont écrits par, ou accompagnés d'une

note, du secrétaire général du Président. Celui-ci recevait les conseillers techniques et

chargés de mission et rassemblait leurs informations destinées au Président. En effet,

des tête-à-tête entre les conseillers ou les ministres et le Président de la République n'y

23 Voyez la liste bibliographique au sujet des sous-séries qui sont pertinentes pour la recherche.

Chapitre 2: Quelques remarques sur les sources primaires 13

avaient que rarement lieu24. C'était le secrétaire général qui assurait le lien entre le

Président et le Premier ministre. Cette fonction de collaborateur privilégié du Président

fut remplie par Michel Jobert, puis Edouard Balladur à compter de mai 1973, qui lui

succède après l'avoir assisté en tant que Secrétaire Général Adjoint et se voit assisté à

son tour par Jean-René Bernard. Les conseillers techniques et chargés de mission qui

réapparaissent souvent dans les dossiers sont : Jean-Bernard Raimond (1969-déc

1973), Gabriel Robin (déc 1973-avril 1974), Jean-Louis Lucet (mai 1970-avril 1974) et

Michel Freyche (1973-1974). Je me suis contentée d'inclure les témoignages oraux de

Édouard Balladur, Michel Jobert, Jean-Louis Lucet et Gabriel Robin dans mes

recherches. 25

Les affaires européennes furent traitées sur deux niveaux. Tout d'abord, le Secrétariat

Général du Comité Interministériel (SGIC) se concentrait sur les Communautés

européennes. Avant sa présidence, le Premier ministre Pompidou avait renforcé le rôle

du SGCI dans l'administration française et le secrétaire général Jean-René Bernard

(1967-1977) était devenu un informateur important, le conseiller du gouvernement.26

Plusieurs documents de sa main se situent dans le fonds. Ensuite, le Ministère des

Affaires étrangères s'engageait dans les affaires de la coopération politique. Divers

documents du Ministre Michel Jobert (1973-1974) et son équipe au Quai d'Orsay

figurent parmi les archives. Parfois, ces notes concernent des affaires sensibles, à

propos desquelles le Ministre voulait s'assurer de l'opinion du Président.

Les autres collaborateurs étaient les diplomates français en Europe. Ils envoyaient

fréquemment des notes par télégramme sur les développements politiques survenus

dans leur pays de résidence. En général, ces télégrammes ne sont pas seulement

destinés au Président, mais encore aux directeurs politiques et au Ministre des Affaires

étrangères. Toutefois, dans les télégrammes "à diffusion réservée", on retrouve souvent

l'opinion personnelle de l'expéditeur. Remarquons par exemple les notes sur les

inconvénients de la coopération politique par Etienne Burin des Roziers, représentant

24 Le conseiller technique Marie-France Garaud dirait plus tard que ces rencontres devenaient encore moins fréquentes après mai 1973, quand le Président, souffrant de la maladie de Waldenström, se mettait de moins en moins en contact avec l'extérieur. Roussel (2004) 547. La maladie de Waldenström est une forme très rare de leucémie. 25 Sandrine Bula, Janine Irigoin et Caroline Obert Archives de la présidence de la République; Ve République; Georges Pompidou (19 juin 1969- 2 avril 1974) (Paris, 1996) Editions Graset & Fasquelle. Roussel (2004) 303. 26 Anne de Castelnau "Le SGCI: une réponse administrative aux défis européens" dans: Jeannesson Badel et Nicolas Piers Ludlow (dir) Les administrations nationales et la construction européenne. Une approche historique (1919-1975) (Bruxelles, 2005) Peter Lang Euroclio 31 307-335, 333.

Chapitre 2: Quelques remarques sur les sources primaires 14

permanent de la France auprès des Communautés européennes (1972-1975). Il s'étend

sur les discussions à Bruxelles concernant les développements de la coopération

politique et s'arrête sur les désaccords entre les partenaires27. En plus des sources

écrites, j'ai pu utiliser les témoignages oraux, grâce à l'Association Georges Pompidou28.

Au-delà de l'administration française

Evidemment, le fait de limiter les sources primaires implique que les recherches soient

restreintes par le contenu du fonds. Cela ne signifie pourtant pas une limitation aux

idées du Président Georges Pompidou et de l'administration française. Les

correspondances et comptes-rendus des entretiens du Président avec d'autres

dirigeants européens, rendent les discussions européennes compréhensibles.

N'oublions pas non plus que certaines parties de ces entretiens étaient confidentielles.

Celles-ci concernaient souvent les sujets sensibles tels que la défense29.

Les dossiers au fonds Georges Pompidou diffèrent énormément en taille. Classifiés par

sujet ou pays, certains dossiers regorgent de sources primaires lors que d'autres sont

plutôt maigres. Celles-ci contiennent moins de correspondances, des comptes-rendus

des entretiens et des renseignements sur les développements actuels. Apparemment,

les contacts avec les divers gouvernements européens n'avaient pas la même

fréquence. Ainsi, les dossiers de la République Fédérale d'Allemagne et de la Grande-

Bretagne sont de loin les plus étendus. Pompidou rencontrait fréquemment le

Chancelier allemand Willy Brandt (1969-1974) et le Premier ministre britannique Edward

Heath (1970-1974). Ensuite, les dossiers de la Belgique et l'Italie sont déjà plus

modestes, mais toujours plus larges que ceux du Luxembourg, de l'Ireland et, en

dernière position, des Pays-Bas. Finalement, le dossier du Danemark contient plus de

sources que les autres petits pays grâce à la réunion de Copenhague en décembre

1973, au cours de laquelle Pompidou joua un rôle important dans l'organisation.

27 Notamment les sources suivantes: AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes: Coopération politique à Six et à Neuf) : Télégramme à l'arrivée No 219-238 à diffusion réservée, de E.Burin des Roziers, Bruxelles le 29 janvier 1973, a/s "Velléités d'étendre à la politique étrangère la compétence de la communauté économique européenne". AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes: Coopération politique à Six et à Neuf) : Télégramme à l'arrivée No 2070/2094, de E.Burin des Roziers aux Directeurs, Bruxelles le 12 juin 1973, a/s "La coopération politique et la politique communautaire". 28 Interview 1AV472, Entretien avec Burin des Roziers, op.cit. 29 Par exemple les parties 'très secrètes' des entretiens entre Pompidou et Heath en 1972 et 1973: AN- 5AG2/1014 (Entretiens franco-britanniques 1969-1972. Partie secrète des Entretiens à Chequers 18-19 mars 1972): Entretien du 19 mars, partie confidentielle. AN- 5AG2/1015 (Grande-Bretagne 1973) : Entretien Pompidou-Heath 21-22 mai 1973. Partie de l'entretien très secrète.

Chapitre 2: Quelques remarques sur les sources primaires 15

D'ailleurs, le dossier de la Belgique ne contient pas la moindre source sur la deuxième

moitié de 1973. Apparemment, l'administration française, offensée après l'émission

belge d'un programme satirique, qui persiflait le gouvernement français, coupe toute

communication officielle de la fin août jusqu'au début de l'année suivante.30

30 Emission télévisée "Situation 1973" de la Radio Télévision Belge de langue française (R.T.B.) le 29 août 1973 de 20h15 à 21 heures. Le sujet de cette émission était l'affaire Lip, une usine française dont les ouvriers protestaient contre leur renvoi. La Belgique s'engagea dans cette affaire quand une délégation d'ouvriers demandèrent du soutien auprès le parlement européen à Bruxelles. Apparemment, elle ne reçut pas seulement les félicitations et des mots d'encouragement de M. Simonet, Vice-Président de la Commission Européenne, mais aussi de M.Glinne, Ministre belge de l'emploi. AN- 5AG2/1013 (Belgique):Télégramme à l'arrivée No 968-70, de M.Dollot, le 30 août 1973, a/s "Émission de la R.T.B consacrée a l'affaire LIP", 2 p. AN- 5AG2/1013 (Belgique): Note pour M. le Président de la République de la part de G.Robin. Paris, le 23 janvier 1974, a/s: Demande d'audience de l'Ambassadeur de Belgique, 2 p. AN- 5AG2/ 1013 (Belgique): Note à l'intention de Monsieur Balladur de la part de François Lavondes, Paris, le 27 juillet 1973, 1 p.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 16

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe

Le 23 avril 1973 lors du déjeuner annuel de l'Associated Press à New York, Henry

Kissinger tint un discours dans lequel il proposa l'élaboration d'une charte atlantique

définissant une coopération renouvelée entre les États-Unis et l'Europe.

" Dans les années 1940 et 1950, la tâche qui s'imposait à nous portait sur la reconstruction économique et le maintien de notre sécurité contre tout danger d'attaque. [�] Aujourd'hui, il nous faut faire de l'Alliance Atlantique une force aussi dynamique en vue de l'édification d'une nouvelle structure de paix, moins tributaire des crises et plus consciente des possibilités qui s'offrent, tirant son inspiration de ses objectifs plutôt que de ses craintes. Les pays atlantiques doivent entreprendre ensemble un acte créateur, analogue à celui qui a été entrepris par la génération de leaders européens et américains de l'après-guerre."31

Le discours étendu couvrait plusieurs sujets. Kissinger se référa aux relations

historiques entre les deux continents, leurs valeurs collectives et leurs politiques

mutuelles dans la reconstruction économique de l'Europe après la deuxième guerre

mondiale. Ensuite, il rappela les changements intervenus à l'échelle mondiale, comme

l'émergence des nouvelles puissances économiques et le glissement politique de la

balance Est-Ouest au profit de l'Union soviétique. Ces changements rendaient

nécessaire, selon Kissinger, une nouvelle charte atlantique tout en respectant une

relation de partenariat ('partnership'). La coopération transatlantique était nécessaire sur

plusieurs terrains: l'économie, la diplomatie, la défense, possiblement encore au niveau

de l'énergie et la monnaie. D'autres puissances comme le Canada, l'Australie et le

Japon étaient invités à participer à la charte. Ensuite, Kissinger fit allusion à un voyage

du Président Nixon en Europe à la fin de l'année, quand la charte aurait été rédigée.32

En Europe, on se doutait que les objectifs du discours ne fussent plutôt liés à la politique

interne des États-Unis qu'aux affaires étrangères. Car le scandale du Watergate prenait

une forme de plus en plus sérieuse depuis l'arrestation des cambrioleurs transportant du

31 Voyez l'annexe 2. La version originale est incluse dans Gehrard Mally (ed) The new Europe and the United States: Partners of Rivals (Lexington, 1974). 32 Voyez l'annexe 2.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 17

matériel d'écoute, l'été d'avant33. En outre, Nixon et son administration étaient de plus en

plus confrontés au mouvement montant des isolationnistes américains demandant le

retrait des troupes militaires de l'Europe34. Mais selon la version officielle américaine,

Nixon et Kissinger projetaient de revitaliser la proclamation d'un partenariat

transatlantique par John Kennedy en juillet 1963. Déjà en février 1970, le Président

Nixon avait évoqué la question dans un rapport sur la politique étrangère, sans susciter

beaucoup de réactions de la part des pays européens. En revanche, le discours d'Henry

Kissinger du 23 avril 1973 reçut beaucoup d'attention.35

Depuis la réélection de Nixon en automne de l'année précédente, le Président et son

conseiller n'avaient pas caché leur but d'un renforcement de la coopération

transatlantique. Le 10 novembre, un article du journal de New York Times avait porté le

titre "L'année de l'Europe" en faisant référence à des remarques de Kissinger36. Nixon

avait utilisé l'expression dès le 15 février 1973. Également, Henry Kissinger avait déjà

abordé le thème d'une relance de la coopération en discussion avec Edward Heath et

avec Giulio Andreotti37. Toutefois, les dirigeants européens, à peine prévenus la veille

du discours, réagirent avec stupéfaction. Plus tard, le Secrétaire d'État britannique des

Affaires étrangères Sir Alec Douglas Home avouerait que l'initiative "franchement, nous

prenait de court"38. Mais la surprise concernait probablement moins l'intention

américaine de renouveler la coopération que la version américaine de celle-ci, ainsi que

le contenu de l'allocution. Le discours, mal préparé, montrait l'incapacité américaine de

comprendre les questions et les procédures de la Coopération politique européenne.39

33 AN- 5AG2/1015 (21-22 mai 1973): Premier tête-à-tête entre M.Pompidou et M.Heath le 21 mai 1973, 10h -13h15, 19 p. , 1-2. Burr et Wampler (2004) op.cit. 17. 34 En effet, Kissinger avait donné cette motivation pour une alliance renouvelée au Ministre allemand des Affaires étrangères Walter Scheel le 10 septembre 1972. Burr et Wampler (2004) op.cit. 7. 35 Hiepel (2005) op.cit. 5; Mélandri (1995) op.cit. 93. Au sujet des motivations américaines, je vous renvoie à l'étude des archives diplomatiques de Nixon et Kissinger par Burr et Wampler (2004) op.cit. 1-14 et à l'étude de Pierre Mélandri Une incertaine alliance. Les États-Unis et l'Europe 1973-1983 (Paris, 1988) Publications de la Sorbonne, 71-72. 36 Clyde H. Farnsworth "The Year of Europe" The New York Times (Nov 10, 1972); Proquest Historical Newspapers The New York Times (1851 -2003), http://www.nytimes.com, 53. 37 AN- 5AG2/1015: Premier tête-à-tête entre M.Pompidou et M.Heath le 21 mai 1973, op.cit.2. Hiepel (2005) op.cit. 1-2; Mélandri (1995) op.cit. 93. Noble (2004) op.cit. note 12. Megens (2005) op.cit. 4. Dans ses mémoires, Kissinger écrirait que l'idée avait pris naissance pendant une discussion téléphonique avec Georges Pompidou le 8 décembre 1972. Mais selon Burr et Wampler, les archives américaines montrent que l'idée était plus jeune. Henry Kissinger Years of Upheaval (Boston, 1982) 130-131. Burr et Wampler (2004) op.cit. 7. 38 Nous traduisons "frankly, caught us on the hop" dans une Télégramme (No 2376) de Londres à Washington (Kissinger) du 28 novembre 1973, cité dans Noble (2004) op.cit. 5. 39 Hiepel (2005) op.cit. 1-3. Pompidou disait à Heath au 21 mai que Kissinger lui avait avoué que le texte "avait été plus ou moins improvisé" (AN- 5AG2/1015: Premier tête-à-tête entre M.Pompidou et M.Heath le 21 mai 1973, op.cit. 4.) En effet, Kissinger avait dit également à Jobert qu'il n'avait pas pu informer les dirigeants européens à l'avance car il avait terminé la rédaction du discours seulement le 21 avril. Burr et Wampler (2004) op.cit. 15; Mélandri (1995) op.cit. 93.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 18

Pendant les premiers mois qui suivirent le discours de Kissinger, les réponses

européennes se caractérisaient par un manque de concertation. Les Européens

exprimaient plusieurs perspectives différentes et les communiquaient souvent

individuellement aux Américains. Plusieurs rencontres bilatérales eurent lieu entre des

pays européens et les États-Unis, comme la visite de Brandt à Washington les 1er et 2

mai, et l'entretien entre Pompidou et Nixon à Reykjavik les 31 mai et 1er juin40. Ces

réunions ne se concentraient tout de même pas seulement au sujet de l'année de

l'Europe. Elles étaient déjà prévues avant le discours de Kissinger.

Malgré des positions différentes, les États membres discutèrent le thème sur plusieurs

niveaux. Tout d'abord les Chefs d'État ou de gouvernement échangeaient leurs points

de vue entre eux. Quoiqu'il n'y eût pas de réunion des Neuf avant le 14 décembre, le

sujet fut abordé dans les entretiens individuels et dans les correspondances. Parmi

ceux-ci, les sources sur les discussions de Pompidou avec Brandt et avec Heath sont

nombreuses dans le fonds Georges Pompidou41. Ensuite, le sujet était traité au Conseil

des ministres des Affaires étrangères qui se rassemblèrent sept fois en 197342. Ils

étaient assistés par le Comité politique formé des directeurs politiques des Affaires

étrangères. Dans le cadre de la Coopération politique européenne, ce comité se réunit

régulièrement pour préparer les réunions des Ministres des Affaires étrangères et

mener à bonne fin les tâches qui leur avaient été confiées par les Ministres43. Puis, le

dossier était traité par les représentants nationaux à Bruxelles. De même, comme le

montre le Bulletin des Communautés européennes les instituts européens ne laissaient

pas passer le sujet44. Toutefois, le fonds Georges Pompidou n'offre guère de sources

sur leurs avis. Finalement, la question était également abordée dans les organisations

internationales comme l'OTAN et l'OCDE45.

40 Dans son biographie sur Georges Pompidou, Éric Roussel cite une partie majeure de l'entretien à Reykjavik. Roussel (2004) op.cit. 549-577. 41 En fait, les diverses correspondances entre Pompidou, Brandt et Heath dans le fonds Georges Pompidou nous montrent qu'ils échangeaient leur avis, mais les correspondances avec autres dirigeants européens n'y sont pas représentés. 42 Le rapport Davignon sur la coopération politique des Neuf du 27 octobre 1970 stipulait une fréquence des réunions du Conseil des ministres à 4 fois par an. Mais en 1973, il y en avait beaucoup plus : Bruxelles 16 mars, Luxembourg 5 juin, Copenhague 23 juillet, Copenhague 10/11 septembre, Bruxelles 6 novembre, Copenhague 19/20 novembre, Copenhague 14 décembre. 43 Réunions: 16/17 janvier, 19/20 fevrier, 30 mars, 25 avril, 14 mai, 24/25 mai, 5/6 juillet, 4/5 septembre, 29 septembre, 18/19 octobre, 5/6 novembre. 44 BCE (1973) Nos 2, 9,11 et 12. 45 Au sujet de leurs préoccupations, voyez plusieurs document dans le fonds Georges Pompidou: AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes (Conseil de l'Europe, OCDE, Drogues, Divers)

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 19

Sans vouloir négliger la complexité de leurs réponses diverses, grosso modo on peut

remarquer que l'administration française montrait beaucoup plus de réserve, et même

d'hostilité que celle de la République Fédérale d'Allemagne ou de la Grande-Bretagne.

D'un point de vue général, les Français étaient réticents à s'engager dans une charte

atlantique. Le conseiller technique Jean-Bernard Raimond qualifia le discours de

Kissinger d' "impérieux, exprimant fondamentalement la volonté de puissance des

États-Unis"46. Selon Georges Pompidou, le discours montra clairement "la détermination

profonde des États-Unis de mener les affaires"47. Mais les différences entre les positions

des Neuf étaient tout de même plus subtiles. L'administration française n'émettait pas

que des réserves envers un renouvellement de la coopération transatlantique , de même

que les opinions anglaises et allemandes n'y étaient pas uniquement favorables.

Tout de même, il fallut attendre la réunion des Ministres des Affaires étrangères du 23

juillet pour qu'il y eût une réponse commune des Européens. La définition de l'identité

européenne paraît avoir joué un rôle majeur dans ce changement. Envisagé pour servir

de base au dialogue avec l'Outre-Atlantique, le document aurait facilité la naissance

d'une action jointe des Neuf . Ainsi, pour comprendre la Déclaration sur l'identité

européenne, il faut se pencher sur les perspectives des différents États .

Les réponses individuelles

Les Européens réagirent avec des sentiments mêlés au discours de Kissinger.

D'un côté ils souhaitaient une amélioration des relations entre les Neuf et les États-Unis.

Comme il avait été convenu par les Chefs d'État ou de gouvernement au sommet de

Paris en octobre 1972, les Neuf cherchaient un dialogue constructif avec les États-Unis

et d'autres pays comme le Japon et le Canada pour le développement d'un commerce

international harmonieux. Le 17 avril 1973, juste avant le discours de Kissinger, un

memorandum sur ce sujet avait été rédigé par Etienne Davignon, le Président du Comité

politique des directeurs politiques des Affaires étrangères européennes. Comparable au

propos américain, ce rapport affirmait une relation spéciale de l'Europe avec les États-

Unis: "Personne ne songe à opposer l'Europe aux États-Unis, mais il est difficile de ne

46 Note de Jean-Bernard Raimond du 5 octobre 1973 'Problèmes de procédure liés à la visite du Président Richard Nixon en Europe', cité par Mélandri (1995) op.cit. 104. 47 Cité dans Mélandri (1995) op.cit. 93.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 20

pas l'identifier par rapport aux États-Unis."48 Pourtant, suite au discours de Kissinger du

23 avril, le memorandum ne devait jamais être discuté en Comité politique. La première

rencontre avait lieu le 26 avril et était ainsi marquée par l'initiative américaine. Faute du

temps, les directeurs politiques n'avaient pas pu l'analyser avec précision, mais en

général leur première impression était positive. A l'exception du côté français, les

directeurs politiques soulignèrent la nécessité de ne pas faire tarder la réponse aux

États-Unis. Les Belges et les Néerlandais commençaient même la préparation d'une

proposition pour la charte.49

Toutefois, pour la France, les relations entre les États-Unis et l'Europe étaient

importantes. Georges Pompidou le disait au Président italien en octobre 1973:

"D'autre part, qu'il y ait des liens naturels sur le plan politique, sur celui de la démocratie, sur celui de l'Alliance militaire entre les États-Unis et l'Europe, c'est une évidence. On n'imagine pas que ces liens soient rompus. Une telle rupture serait une catastrophe pour les États-Unis comme pour l'Europe." 50

Mais, selon le Président français, il fallait se méfier car "M.Kissinger a tendance à

considérer les alliés des États-Unis comme les satellites des États-Unis."51 Il considérait

que le principe de l'égalité avait une grande importance dans les rapports

transatlantiques. Quoiqu'il ne fût pas convaincu que Nixon devait visiter les

Communautés européennes, Pompidou ne s'opposait pas à la visite Présidentielle

américaine en Europe. Ce voyage de Richard Nixon en Europe avait été prévu avant le

discours de Kissinger, mais avait été retardé plusieurs fois52. Pendant leur entretien à

Reykjavik, il invita Nixon à venir visiter Paris.

Pourtant, à part des réactions positives, de l'autre côté le contenu du discours suscita

des réponses négatives. Celles-ci concernaient entre autres quelques propos maladroits

du conseiller américain. Plus tard, Balladur dirait que Kissinger "jouait un peu l'éléphant

48 "Coopération politique européenne, note personnelle du Président du Comite Politique, 17 avril 1973" , cité dans Megens (2005) op.cit. 3. 49 Hiepel (2005) op.cit. 2-3. Megens (2005) op.cit. 2-3. 50 AN- 5AG2/1016 (Italie): Premier tête-à-tête entre le Président de la République et M Leone, le 1er octobre 1973, 15h25 -16h30, 9 p., 5-6. 51 Ibid. 52 AN- 5AG2/1036 (Affaires européennes -CEE, Pays Tiers) :Télégramme à l'arrivée No 347/53 à diffusion réservée, de Sauvagnargues, Bonn 16/1/1973, a/s "Sommet franco-allemand et relations entre la CEE et les Etats-Unis", 3 p. AN- 5AG2/1014 (Grande-Bretagne -Divers) :Conversation de M. de Beaumarchais et de M.Greenhill, 17 février 1973, 1 p. AN- 5AG2/1009 (France - RFA: correspondances): Note pour Monsieur Balladur avec annexe, 9 mai 1973, 3 p. et, au même carton: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, 5 mai 1973, 1 p.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 21

dans un magasin de porcelaine"53. Tout d'abord, le Chancelier allemand Willy Brandt,

appuyé par le Président français, s'arrêta notamment sur l'allusion faite à la première

charte atlantique, proclamée par Winston Churchill et Franklin Roosevelt le 12 août

1941. Pendant sa visite aux États-Unis les 1er et 2 mai 1973, il réussit à convaincre

Henry Kissinger de remplacer l'appellation d'une deuxième 'Charte atlantique' dans une

'Déclaration de principe'54. Deuxièmement, les Européens et surtout le Premier ministre

britannique désapprouvèrent fortement la définition d'un pouvoir régional des

Communautés européennes à côté d'une puissance américaine ayant des

responsabilités mondiales. Kissinger reconnaissait vite son faux-pas en s'en excusant :

il répondit qu'il avait dû écrire le discours rapidement.55

Le Président français s'opposait à plusieurs aspects du discours. Ainsi, il craignait

qu'une 'Déclaration de principe' ne provoquât des déchirements en Europe. Compte

tenu de la diversité des perspectives européennes sur les relations transatlantiques, il

pensait que la définition des relations impliquerait des choix difficiles ou même

impossibles. Lors de leur entretien au matin du 22 juin, il disait à Brandt "Entre les alliés

il n'y a pas beaucoup de voies nouvelles et il serait dangereux de toucher à l'Alliance. M.

Luns a déclaré que si on touchait à l'Alliance, il n'était pas sûr de pouvoir retenir les

Pays-Bas. Il vaut donc mieux ne pas y toucher. L'édifice existe, il est debout. Si on le

démolit pour le reconstruire on risque d'être moins nombreux et ce n'est vraiment pas

l'objectif."56.

Une autre objection à la déclaration portait sur l'allusion faite à une association entre

l'ensemble de l'Europe, les États-Unis, le Japon et le Canada. Selon Pompidou, le

conseiller américain "parle volontiers du monde multipolaire visant par les États-Unis,

l'Union soviétique, l'Europe, la Chine et le Japon, mais au fond de lui-même distingue

d'un côté les États-Unis, l'Union soviétique et la Chine, de l'autre le Japon et l'Europe. Il

se dit: on va essayer de lier autour de nous le Japon et l'Europe de telle manière que

53 Interview 1AV580, Entretien de l'Association Georges Pompidou avec Edouard Balladur, 3e entretien, le 2 mars 2000. 54 Megens (2005) op.cit. 5, Hiepel (2005) op.cit. 9, Noble (2004) op.cit. note 18, Mélandri (1995) op.cit. 111. 55 Le Premier ministre britannique exprima son avis pendant son premier tête-à-tête avec George Pompidou le 21 mai 1973 (AN- 5AG2/1015, op.cit. p2-3). Hiepel (2005) op.cit. 6-7. Mélandri (1995) op.cit. 102-103. 56 AN- 5AG2/1012 (Entretiens Franco-allemands -Sommet franco-allemand des 21-22 juin 1973):Second entretien entre M.Pompidou et le Chancelier Willy Brandt, Bonn, le 22 juin 1973 10h-12h30, 17. Pompidou en discutait aussi avec Heath (AN- 5AG2/1015: Premier tête-à-tête entre M.Pompidou et M.Heath le 21 mai 1973, op.cit.6-7). A cette époque, le néerlandais Joseph Luns était secrétaire-général de l'OTAN après avoir été Ministre des Affaires étrangères aux Pays-Bas.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 22

nous puissions parler au nom du Japon et de l'Europe."57 Le Président français favorisait

les rapports individuels de l'Europe avec chacun de ces pays. Probablement, il n'était

pas le seul. Pendant leur entretien du 27 novembre 1973, Brandt confirmait cet avis: "Je

pense aussi [�] qu'il n'est écrit nulle part que nos relations avec l'Amérique constituent

un levier d'Archimède autour duquel tous les autres devraient se grouper."58 Déjà à la

conférence d'octobre 1972 à Paris, les Neuf s'étaient décidés à améliorer leurs relations

avec le Japon et le Canada. D'ailleurs en janvier 1972 déjà , avant l'entrée de la Grande-

Bretagne dans les communautés, Robert Armstrong, secrétaire de Heath, avait exprimé

le souhait du gouvernement britannique d'intensifier les relations européennes avec le

Japon et le Canada59. En automne 1973, les Neuf espéraient convaincre le Japon et le

Canada de la nécessité des déclarations de coopération sans les États-Unis. Mais sans

succès. Le gouvernement japonais préférait ne pas doubler Nixon et Kissinger60. En

effet, ce dernier éclata quand il subodora la man�uvre européen qu'il concevait comme

une menace pour sa charte. Il soupçonna d'ailleurs la France de l'avoir initiée.61

Mais tout d'abord, Pompidou refusa, comme il le confia au Premier ministre britannique

le 22 mai, de "discuter pêle-mêle de n'importe quoi", la défense, l'économie, la

diplomatie et l'énergie étant tous nommés par Kissinger sous le même nom62. Ces

sujets devaient être discutés au sein de leurs organes internationaux propres, comme le

GATT pour le commerce. En effet, le dit 'Tokyo Round' commencerait en été 1973.

Heath avait tout à fait le même avis que le Président français. Leurs points de vue

étaient fondés sur l'inquiétude de l'avantage que les États-Unis pourraient tirer de leur

position dominante en termes militaires au profit de leur situation relativement faible en

termes économiques et monétaires. Ainsi, Heath répondit à Pompidou: "nous ne

pensons pas qu'il soit désirable de lier les questions relatives à la défense, au

commerce et a la reforme monétaire, afin de ne pas permettre aux États-Unis d'en tirer

prétexte pour exiger de nous des concessions commerciale et monétaire en contrepartie

57 AN- 5AG2/1016: Premier tête-à-tête entre le Président de la République et M Leone, le 1er octobre 1973, op. cit.7. Autres remarques de Pompidou sur la matière dans: Mélandri (1995) op.cit. 97. 58 AN- 5AG2/1012 (Entretiens franco-allemands -Réunion franco-allemande des 26 et 27 novembre 1973):Troisième entretien entre le président de la République et M.Willy Brandt, mardi 27 novembre à 10 heures, 13 p., 5. 59AN- 5AG2/1014 (Entretiens Franco-britanniques 1969-1972 -Rencontre à Chequers 18-19 Mars 1972): Note préparatoire, confidentielle, 27 janvier 1972, 7 p., 6-7. 60 AN- 5AG2/1012 (Franco-allemand 16-27 novembre 1973 / Rencontre entre M.Pompidou et M.Brandt 26-27 novembre 1973. Dossier complémentaire): Note sur les Relations Europe-Japon, 14 novembre 1973, 4 p. et, au même carton: Note avec 2 annexes sur Projets de déclarations de principes entre les Neuf, le Japon, le Canada, le 23 novembre 1973, 7 p. 61 Noble (2004) op.cit. 11-12. 62 AN- 5AG2/1015: Premier tête-à-tête entre M.Pompidou et M.Heath le 21 mai 1973, op.cit.4.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 23

de la défense de l'Europe.[�]"63 Cette position n'était pas nouvelle en Europe. Les Neuf

avaient déjà opposé une semblable 'mondialisation' dans les négociations avec l'Outre-

Atlantique auparavant et, le 16 janvier, les directeurs politiques avaient entériné l'idée

de séparer les sujets de commerce, de la monnaie et de la sécurité dans leurs propres

institutions en négociant avec les États-Unis.64 En termes militaires, les Européens

craignaient un retrait des troupes américaines qui pourrait mettre en danger l�influence

de Moscou en Europe de l'Ouest65. En 1973, cette crainte était très réelle, compte tenu

des négociations militaires entre les deux superpuissances (SALT et MBFR) et du

mouvement isolationniste aux États-Unis, nourri par les traumas de la guerre

vietnamienne et de la récession économique. Georges Pompidou fit cette remarque au

Président italien Giovanni Leone en octobre:

"Il se développe aux États-Unis un mouvement isolationniste qui oblige l'Administration américaine à se montrer plus exigeante vis-à-vis de ses alliés et en particulier de ses alliés européens.[�] Si bien qu'aujourd'hui ce ne sont plus les communistes mais les Américains qui disent aux G.I.'s "Go home!"66

L'Europe se situait en plein milieu des deux superpuissances, à la portée des missiles

soviétiques. Ainsi, les Américains disposaient d'un atout important en leur puissance

militaire. En revanche, ils tenaient une position plus faible au niveau de l'économie et de

la monnaie. Comme l'exprima le Premier ministre japonais pendant une rencontre avec

Pompidou: "Les États-Unis ne sont plus le soleil entouré des planètes, ils sont une

planète parmi les autres"67. L'économie américaine était en récession depuis quelques

années. Le 15 août 1971, le déficit budgétaire croissant et une balance des paiements

négative avaient amené le Président Nixon à dissocier le dollar du talon or et à

augmenter l'impôt sur les produits importés jusqu'à 10%. Ainsi il avait mis fin au système

de Bretton Woods, avec des conséquences pour l'économie mondiale. Néanmoins, en

déployant une politique monétaire fructueuse les États membres des Communautés

européennes avaient mieux réussi à surmonter la crise que les Américains. Ils avaient

construit une marge européenne de fluctuation de la monnaie dite 'serpent monétaire

63 Ibid., 6. Cet avis de Heath est encore affirmé dans: AN- 5AG2/1009 (France -RFA: correspondances) : Lettre de la part de M. le Président de la République au M. le Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne, Paris 29 mai 1973, 4 p. 64 Hiepel (2005) op.cit. 7. Noble (2004) op.cit. note 9. 65 La discussion globale était également rejetée par le Chancelier allemand. Voyez: AN- 5AG2/1009 (France -RFA: correspondences) : Lettre de la part du m. Président de la République au M. le Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne, Paris 22 mai 1973, 3 p. 66 AN- 5AG2/1016: Premier tête-à-tête entre le Président de la République et M Leone, le 1er octobre 1973, op. cit., 5. 67 Michel Jobert Mémoires d'avenir (Paris, 1974) 231; Mélandri (1995) op.cit. 94.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 24

européen' qui avait rendu possible le refus de soutenir le dollar quand les États-Unis

avaient dévalué une deuxième fois leur monnaie, le 13 février 1973.68

À Luxembourg au 5 juin, les Ministres des Affaires étrangères s'accordèrent la

répudiation de toute liaison globale entre les Communautés et les États-Unis. Le refus

de toute forme de 'vues globales' était un consensus en Coopération politique

européenne. Mais le développement d'une véritable réponse commune à l'initiative

américaine ne démarrait pas avant le 23 juillet.

Cependant, plusieurs tentatives américaines pour une déclaration voyaient le jour. En

mai et en juin, Richard Nixon et Henry Kissinger proposaient aux dirigeants de la

France, de la Grande-Bretagne et de la République Fédérale d'Allemagne de produire

ensemble, en petit groupe, l'esquisse d'une déclaration avant de la proposer aux autres

États membres européens. Quand les Français préféraient initialement un dialogue

bilatéral, Jobert consentit le 8 juin à une procédure où l'esquisse américaine devait

principalement être soumise aux Français, avant même de la proposer aux Anglais et

aux Allemands. Kissinger lui donna deux versions pour une Déclaration de principes,

qu'il donna d'ailleurs aussi aux gouvernements britannique et allemand. Mais la

proposition américaine fut tout de même refusée par le Ministre français dans une lettre

du 16 juillet au conseiller américain.69

Cet arrangement bilatéral ne plaisait pas à tout le monde. Le 11 juillet, Jean-Louis Lucet

fait savoir par télégramme que le directeur politique Italien Ducci désirait d'être informé

du propos américain qu'il avait entendu mentionner par un adjoint de Kissinger. Ducci et

le Ministre de Défense Gaja projetaient un voyage à Washington et ils auraient bien

aimé "pouvoir répondre en étroit parallélisme"70 avec les Français. Selon Lucet il existait

68 Bossuat (2001) op.cit. 195-198. Marie-Thérèse Bitsch Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours (Paris, 2004 nouvelle édition mise à jour, 1e edition 1996) Editions complexe 179-182. Pierre Milza Les relations internationales de 1973 à nos jours (Paris, 1996) Hachette, 17. Gérard Bossuat "Le Président Georges Pompidou et les tentatives d'Union économique et monétaire" Association Georges Pompidou Georges Pompidou et l'Europe; Colloque 25-26 novembre 1993 (Bruxelles, 1995) Editions complexe 405-447. Robert Frank "Pompidou, le franc et l'Europe 1969-1974" Association Georges Pompidou Georges Pompidou et l'Europe; Colloque 25-26 novembre 1993 (Bruxelles, 1995) Editions complexe 339-369. Documents historiques à trouver sur le site d'iinternet de l'European Navigator (http://www.ena.lu) "l'effondrement du système de Bretton Woods". 69 Kissinger donnait deux versions: une produite par le département d' État américain et l'autre par Kissinger et sa direction. Burr et Wampler (2004) op.cit. 20-27. Megens (2005) op.cit. 8-9. Kissinger (1982) op.cit. 701. Mélandri (1995) op.cit. 113. Roussel (2004) op.cit. 552-560. 70 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Coopération politique à Six et à Neuf): Télégramme à l'arrivée No 1912/1921, de la part de J.L. Lucet aux Directeurs, Rome le 11 juillet 1973, a/s "Conversation avec M.Ducci. Coopération politique européenne.", 4 p., 3.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 25

une crainte italienne que Kissinger ne pût tirer avantage de ces contacts bilatéraux. "On

l'a déjà vu lors de la visite que le Directeur Politique Belge M.Davignon a rendue

récemment à M.Kissinger qui a exigé de lui le secret."71 Apparemment, les Européens

n'étaient pas d'accord sur leur réponse aux Américains. Ce qui aurait pu servir les

intérêts de ces derniers. Cette situation changea pourtant au 23 juillet.

La volte-face de la France

À la réunion du 5 juin, les négociations européennes tombèrent dans une impasse. La

France se trouvait opposée aux autres États membres sur deux questions: la réponse

aux États-Unis et le développement de la coopération politique en Europe. Jobert ne

voyait pas l'intérêt de formuler une réponse commune aux Américains. Il avait même

essayé d'ôter cette question de l'agenda. De l'autre côté il refusait d'approcher ses

collègues européens sur le plan des liens entre la coopération politique et les

Communautés européennes. Pourtant, il avait été convenu au sommet de Paris en

octobre 1972 que les Ministres élaboreraient avant le 30 juin 1973 un rapport sur les

méthodes améliorant la coopération politique. Le Conseil risquait de ne pas atteindre ce

but.72

Sur les deux niveaux, il s'agissait d'une continuation de la politique française. Dès le

discours de Kissinger, la France n'avait pas envisagé une réponse européenne. Pour

eux, les dialogues devaient se faire au niveau bilatéral. Les autres États membres, tout

en critiquant quelques aspects de l'initiative américaine, avaient tout de même été

convaincus de la nécessité d'une réaction commune.

De même, sur le terrain de la coopération politique, la France avait toujours été

réservée. Très attaché à la coopération économique et monétaire, Pompidou était

persuadé de l'importance de la construction de l'Europe. Il avait lui-même pris l'initiative

de la relance à La Haye en décembre 1969 et de l'annonce du triptyque 'Achèvement,

Approfondissement, Élargissement'. Le développement à une coopération politique

faisait partie de l' 'approfondissement'. Pourtant, le moteur de l'avancée vers une

politique commune n'était pas le Président français, mais le Chancelier allemand,

71 Ibid., 4. 72 Megens (2005) op.cit. 5, "Déclaration du sommet de Paris" BCE (10-1972) 15-16, paragraphe 14.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 26

soutenu par le Premier ministre britannique.73 Pompidou était hostile à tout renforcement

des pouvoirs des institutions européennes dans la coopération politique. "Nous sommes

favorables à la coopération politique, mais elle doit être une affaire de

gouvernements."74, disait Pompidou à Brandt le 22 juin 1973. Ce sujet avait été une

pierre d'achoppement dans les accords sur le développement d'une coopération

politique depuis son point de départ en 1969. En effet, le 27 octobre 1970, les Neuf

s'étaient tout de même accordés sur la coopération politique : "Dans le cas où les

travaux des Ministres entraîneraient des effets sur les activités des Communautés

européennes, la Commission serait invitée à faire connaître son avis."75. Mais cet article

pouvait être interprété de plusieurs manières. A la différence de la France, ses

partenaires croyaient impossible de séparer l'économie du politique.76

Au cours de l'année 1973, l'ambiance paraissait se refroidir dans les réunions des

représentants permanents auprès des Communautés européennes à Bruxelles. Le

représentant français Étienne Burin des Rosiers en informait le Président. Déjà en

janvier, il faisait savoir que la coopération était peu chaleureuse. "Toute occasion est

bonne à mes collègues pour rompre une lance en faveur de l'extension des

compétences communautaires au domaine de la politique étrangère."77 D'après lui, ses

collègues essayeraient d'élargir les compétences internationales de la communauté aux

frais des États individuels. Pompidou répondit: "Oui. Il faut mettre fin à ce grignotage"78.

Début juin, un télégramme arriva à l'Élysée dans lequel Burin des Rosiers demanda s'il 73 Burin des Roziers dirait plus tard que le Président français avait inclus le sujet d'un approfondissement de la coopération politique "par nécessité". Nécessité pour la relance d'une Europe et nécessité pour satisfaire son cabinet dans lequel quatre ministres pro-européens siégeaient. (Interview 1AV472, Entretien avec Burin des Roziers, op.cit.) Plusieurs sources des années 69-73 montrent les réserves de Pompidou. Par exemple, à la suite de la conférence à la Haye, le 6 janvier 1970 Brandt envoya une proposition pour une réunion des ministres dans deux mois dans le cadre de l'unification politique. Pompidou écrivit à ses collaborateurs: "Donner une réponse le 16 janvier donc sans se presser. Réponse positive pour réunir à Bonn en mars. Ne pas mettre l'accent bien entendu sur l'unification politique!" (AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Coopération politique à Six et à Neuf): Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris, 6 janvier 1970, 2 p.) Un mois après, Beaumarchais lui fait parvenir une proposition allemande pour donner la coopération politique un caractère institutionnel. Sa réponse à Beaumarchais: "Oh, oh! Pas question!" (AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Cooperation politique à Six et à Neuf): Télégramme au depart a Bonn, Paris 18 fevrier 1970, 2 p.) En outre Beaumarchais écrit sur les Anglais en mai 1973: "M.Heath est beaucoup plus européenne qu'on ne le pense. La pensée profonde de M.Heath serait en faveur d'une Europe fédérée dont tous les pouvoirs seraient concentrés à Bruxelles." (AN- 5AG2/1014 (Grande-Bretagne -Divers):Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 21 mei 1973, 1 p.) Voyez également AN- 5AG2/1035: Télégramme à l'arrivée No 219-238 à diffusion réservée, de E.Burin des Roziers, le 29 janvier 1973 6 p. op.cit. et, au même carton, Télégramme à l'arrivée No 2070/2094, de Burin des Roziers aux Directeurs, le 12 juin 1973, 6 p, op.cit. 2-3. 74 AN- 5AG2/1012: Second entretien entre M.Pompidou et le chancelier Willy Brandt, Bonn 22 juin 1973, op. cit. 23 p., 3. 75 "Rapport des Ministres des Affaires étrangères des États membres sur les problèmes de l'unification politique" BCE (11-1970) 9-14, article 5 de la deuxième partie ('Rapport Davignon'). 76 Interview 1AV580, Entretien avec Edouard Balladur, op.cit. Pierre Gerbet "Georges Pompidou et les institutions européennes" Association Georges Pompidou (dir) Georges Pompidou et l'Europe; Colloque 25-26 novembre 1993 (Bruxelles, 1995) Editions complexe 55-83, 74-81. Megens (2005) 7. 77 AN- 5AG2/1035 Télégramme à l'arrivée No 219-238 à diffusion réservée, de Burin des Roziers, 29 janvier 1973, 6 p., op.cit. 1. 78 Ibid.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 27

ne fallait pas arrêter complètement la coopération politique: "ou mise en sommeil

définitive [�] ou bien rupture"79. Il accusa les autres représentants de vouloir

"communautariser" la politique extérieure par leurs projets d'associer les directeurs

politiques et les représentants permanents dans un dialogue euro-américain. Mais le

Président français estima ce texte "excessif"80

Pourtant, sept semaines après, Jobert changea de position. Il ne s'opposa plus à la

discussion d'une réponse européenne au discours de Kissinger. En même temps il

consentit à la présence du Président de la Commission aux réunions du Conseil.81

Comment comprendre ce changement? Le changement de l'avis français s'explique

possiblement encore par la crise monétaire. Selon un article dans Le Monde du 13 juillet

1973, le 'groupe réformateur de l'Assemblée nationale' proposa un sommet européen

sur cette crise deux jours auparavant. Selon les réformateurs: "Si les pays européens

[�] ne prennent pas une attitude commune à l'égard des États-Unis, la crise monétaire

se transformera en crise politique et sociale."82

Mais principalement, la volte-face de la France paraît être liée à l'insistance française

sur une réaffirmation de la personnalité européenne. Les Anglais proposèrent de définir

une identité européenne pour fonder le dialogue transatlantique. Cette initiative eut

beaucoup de succès auprès Jobert. Il refusait toute discussion sur une réponse

européenne au propos américain sans cette définition. Apparemment, son habitude

d'affirmer "l'identité européenne dans tous les points cardinaux"83 irritait les autres

personnes présentes. Pourtant le Comité politique fut chargé de préparer un texte.84 Ce

projet ne pouvait pas enthousiasmer Kissinger. Plus tard, il le décrirait comme une

tentative de Jobert de semer la discorde entre les États-Unis et l'Europe85.

Ensuite, le changement de l'avis français s'explique par un arrangement négocié entre

les États membres. Le fonds Georges Pompidou contient un document intéressant. Il

79 AN- 5AG2/1035: Télégramme à l'arrivée No 2070/2094, de E.Burin des Roziers aux Directeurs, le 12 juin 1973, 6 p. op.cit. 6. 80 Ibid. 81 Hiepel (2005) op.cit. 8. 82 "Le groupe réformateur: la France doit conduire une action européenne et internationale positive" Le Monde (13/7/1973) 29. 83 Nous traduisons ("europäische Identität in alle Himmelsrichtungen"). Cité dans Hiepel (2005) op. cit. 8 84 Les chercheurs Ine Megens et Alastair Noble ont trouvé l'évidence que l'idée pour une déclaration sur l'identité européenne était d'origine anglaise. Megens (2005) op.cit. 9. Noble (2004) op.cit. 7. 85 Megens (2005) op.cit. 9.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 28

s'agit d'une note venant du Quai d'Orsay le 21 juin 1973 proposant d'aller "tester la

volonté qu'ont nos partenaires de prendre des positions communes qui soient réellement

'européennes' "86. Il fut conseillé de négocier la question des relations transatlantiques

contre les développements de la coopération politique. C'est-à-dire que la France

pouvait "offrir des concessions sur le plan de la coopération politique en échange d'une

attitude de nos partenaires plus conforme à nos vues dans le débat Europe/États-

Unis."87 Cela voulait dire que les Neuf devaient réitérer leur déclaration d'une

"personnalité européenne" comme ils l'avaient déjà fait au sommet de Paris en octobre

1972. Ainsi, ils devaient réaffirmer "la finalité politique de la construction européenne et

la volonté de l'Europe d'être un facteur indépendant, organisé et actif des relations

internationales."88. Selon le rédacteur de cette note, la confirmation des aspirations

européennes avait une valeur nouvelle et importante à la lumière de l'initiative

américaine. En échange, la France ferait des concessions en matière de liens entre les

Communautés européennes et la coopération politique. Bien entendu, cette dernière ne

consisterait qu'en une disposition à un "examen" et à une "réflexion" des possibilités89.

Le fonds Georges Pompidou n'offre pas de certitude pour savoir si le conseil a été suivi

par le Président. La note est un document sans annexes ni annotations. Mais il est

probable que le conseil ait été suivi, car le rapport de Copenhague contient une

réaffirmation de ce qui était déclaré dans la Déclaration de Paris des 19 et 20 octobre.

De même, il rappelle que la coopération politique est distincte de l'activité

communautaire, il prévoit la présence 'consultative' de la Commission aux travaux de la

coopération politique. En outre, le paragraphe 12 donne une formule conciliaire aux

liens entre les Communautés européennes et la Coopération politique: "La coopération

politique, qui traite sur le plan intergouvernemental de problèmes de politique

internationale, est distincte de l�activité communautaire qui procède des engagements

juridiques souscrits par les États membres dans le traité de Rome et s�ajoute à celle-

ci."90

86 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes (Coopération politique à Six et à Neuf): Note du Secrétariat d'état auprès du Ministère des Affaires étrangères, 19 juin 1973, a/s "Coopération politique", 5 p., 3. 87 Ibid, 1. 88 Ibid, 3-4. 89 Ibid, 4. 90 Le rapport de Copenhague du 23 juillet: "Deuxième Rapport de la coopération politique à Neuf" BCE (9-1973) 12-21. Hiepel (2005) op.cit. 7 et 9. Megens (2004) op.cit. 7.Jean-Bernard Raimond énumère brièvement les points les plus importants du rapport dans une note pour Georges Pompidou. Apparemment, le plus important pour le gouvernement français étaient, entre autres, le rôle du Président de la Commission et toute la phrase qui réaffirmait la personnalité

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 29

La réponse européenne

Le signal du départ de la définition d'une identité européenne fut donné à la réunion des

Ministres des Affaires étrangères au matin du 23 juillet à Copenhague. Dans l'histoire de

la coopération européenne, cette journée est mémorable. Le matin, les Ministres se

rencontrèrent à Copenhague pour discuter la Coopération politique européenne, avant

de se réunir à Paris dans le cadre des Communautés européennes durant l'après-midi.

Entre les deux réunions, toute la réunion dut se déplacer entre les deux capitales.

Cette organisation rendait évidente la ligne de séparation entre les Communautés

européennes d'un côté et la Coopération politique de l'autre. Surtout la France tenait à

cette politique pour exclure toute décision des institutions supranationales du terrain de

la politique internationale.

Le 23 juillet nous fait comprendre que les procédures avaient une importance

remarquable dans la coopération des Neuf. Elles jouaient également un rôle majeur

dans la réponse aux États-Unis et surtout dans l'organisation de la visite de Richard

Nixon. Il fallait trouver une réponse à la question: de quelle manière et surtout par qui le

Président américain devrait-il être reçu? Le 4 mai, juste après sa visite aux États-Unis,

Brandt proposa à Pompidou que les Chefs d'État ou de gouvernement "[mènent]

personnellement ces entretiens importants avec le Président américain"91. Mais pour

Pompidou il ne pouvait être question d'une telle rencontre, disait-il le 22 juin 1973 au

Chancelier allemand: "[�], je ne souhaite [pas] un ballet des Neuf devant Nixon .[�] Il y

a le Président de la Communauté, le Président de la Commission. M. Nixon verra

M.Heath, il me verra, il vous verra; il pourra voir à Bruxelles les gens du Benelux mais je

ne me rendrai pas à une réunion qui n'est ni convenable ni digne, [..]. Nous ne pouvons

pas nous comporter comme des rois d'orient devant l'empereur romain. Ce n'est pas ma

conception des rapports."92 Les Neuf ne devaient s'accorder sur l'organisation de la

visite de Nixon que le 10 septembre: le Président américain pourrait visiter les neuf

Ministres des Affaires étrangères et le Président du Conseil des Communautés

européennes93.

européenne. AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes (Coopération politique à Six et à Neuf): Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 16 août 1973, a/s "Coopération politique à Neuf-2ème rapport" 2 p. 91 AN- 5AG2/1009 (France - RFA: correspondances): Lettre du Chancelier allemand Willy Brandt à Son Excellence Monsieur Georges Pompidou Président de la République française, Paris 4 mai 1973, 3 p. 92 AN- 5AG2/1012: Second entretien entre M.Pompidou et le Chancelier Willy Brandt, Bonn, le 22 juin 1973 23 p. op.cit. 10 et 11. 93 Hiepel (2005) op.cit. 9-10.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 30

De même, le 23 juillet, les Neuf définirent la procédure pour la rédaction de la

Déclaration de principe. Il fut décidé qu'avant toute communication aux États-Unis, une

esquisse serait produite par l'ensemble des États membres. Seulement quand ce

concept aurait été approuvé par les Neuf, il serait proposé aux Américains. Il était décidé

que le Président du Conseil des ministres du moment remettrait le document. Il en fut

ainsi. Le 10 septembre, le Conseil des ministres approuva une version de la Déclaration

de principe qui fut remise par Knud Andersen au gouvernement américain le 25

septembre.

Les décisions européennes sur les procédures de la visite de Nixon en Europe et de la

Déclaration de principe ne furent nullement appréciées par le Président américain et son

conseiller. Kissinger ne comprenait pas l'importance qu'accordaient les Européens aux

procédures et il avait attendu avec impatience une réponse de l'Europe depuis son

discours. Déjà en juin, il prévint la Grande-Bretagne que le Congrès retirerait des

troupes militaires de l'Europe s'il n'avait pas une réponse rapide. Le Secrétaire d'État

des Affaires étrangères Sir Alec Douglas-Home se montra insensible à ce 'genre de

quasi-chantage'94. Plus tard, lors d'une rencontre avec quelques diplomates anglais le

30 juillet, Kissinger fut même furieux. Il les prévenait que la visite de Nixon n'était pas

gravée dans le marbre et dépendait de l'organisation. Le Président Nixon devait être

reçu par les dirigeants européens les plus importants. En effet, aujourd'hui en 2006 nous

savons que cette visite n'aurait pas lieu en 1973. De même, Kissinger ne fut pas content

que le concept de la déclaration soit remis par un "messager", le Ministre danois des

Affaires étrangères. 95

En automne 1973, deux déclarations furent préparées à côté du document sur l'identité

européenne. Tout d'abord, l'esquisse de la "Déclaration de principe sur les relations

entre les États-Unis et la Communauté européenne" fut présentée à Kissinger le 25

septembre par Andersen. Selon Raimond, c'était un projet britannique qui avait été pris

pour base en vue de l'élaboration par le Comité politique et le Conseil des ministres.

Mais ce n'était pas le document que les Américains attendaient. Ils déplorèrent que le

concept de la déclaration fût préparé par les pays européens seuls, avant que les

94 Noble (2004) op.cit. 6-7. Citation au page 7. Nous traduisons ("a piece of quasi blackmail") 95 Hiepel (2005) op.cit. 10, Mélandri (1995) op.cit. 114-115, Noble (2004) op.cit. 7-8.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 31

Américains n'y pussent apporter leurs commentaires. C'était moins une déclaration de

coopération entre dix pays qu'entre deux entités96. Le concept fut toutefois discuté et

élaboré par le Comité politique et une délégation américaine sous la direction de Walter

J. Stoessel, secrétaire d'État des affaires européennes.97 En France, les amendements

américains n'étaient pas reçus avec enthousiasme. Le 8 octobre, un aperçu d'un

télégramme de Burin de Roziers informa le Président des propositions américaines.

Selon le diplomate, elles montraient d'un côté l'intention américaine de pousser leurs

idées sur, par exemple, les réformes de Gatt ou les problèmes monétaires. De même,

elles mettaient en évidence "la tentative américaine de mettre en tutelle la Communauté

et les États membres." Pompidou réagissait d'une manière résolue: "Il faut être très

ferme: les amendements �en gros- sont inacceptables et nous ne les accepterons

pas".98 Finalement, la Déclaration de principe ne verrait jamais le jour, en partie à cause

de l'échec des négociateurs à concilier leurs opinions divergentes. La France refusait la

création des comités mixtes euro-américains que les Américains estimaient nécessaires

pour une coopération transatlantique. Selon ces derniers, les Français ne comprenaient

pas ce qu'un partenariat ('partnership') voulait dire. Le 14 novembre, les négociations

aboutir à une impasse, la France étant soutenue par ses partenaires 99.

Déjà le 12 juillet, les Allemands avaient émis l'idée d'un deuxième document pour

faciliter le dialogue: la "Déclaration à quinze". Elle fut préparée par les quinze membres

de l'OTAN. Un projet britannique servait de base.100. Ce document aurait pu constituer

une alternative à la Déclaration de principe maudite par Kissinger, qui la concevait plus

comme une déclaration entre les deux entités de l'Europe et les États-Unis, qu'entre

l'ensemble des États. Mais la guerre du Kippour intervint, en sorte que les négociations

pour les deux Déclarations se prirent définitivement fin. 101

96 Hiepel (2005) op.cit. 10. Megens (2005) op.cit. 14. Kissinger n'était pas non plus content que la déclaration fût tombée aux mains de la rédaction du New York Times avant qu'il ne l'ait reçue. Ainsi, il avait pu la lire la veille dans le New York Times. "Text of the European Economic Community's Proposal on Relations With U.S." New York Times (24 sep 1973) ProQuest Historical Newspapers The New York Times (1851-2003) http://www.nytimes.com, 16. 97 Megens (2005) op.cit. 13-14. Hiepel (2005) op.cit. 10. Dates des réunions: 29 septembre, 18 octobre, 14 novembre. 98 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes (Coopération politique à Six et à Neuf): "Relations Europe/États-Unis", 8 octobre 1973, 1 p. Mélandri (1995) op.cit. 117-118. 99 Mélandri (1995) op.cit. 117-118 et (1988) op.cit. 94-97. Hiepel (2005) op.cit. 10. Megens (2005) op.cit. 13-14. 100 AN- 5AG2/1015 (Grande-Bretagne -novembre 1973) : Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, 8 novembre 1973, a/s "partie politique du dossier pour les entretiens de Chequers.", 14 p., 5. Burr et Wampler (2004) op.cit. 27 et 31. 101 Hiepel (2005) op.cit. 10, Mélandri (1995) op.cit. 117.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 32

La guerre du Kippour éclata en octobre après une période tendue dans le Moyen-Orient

depuis la guerre des Six Jours en 1967. Le 6 octobre, pendant la fête de Yom Kippour,

l'Egypte et la Syrie envahirent Israel des deux côtés. Au début ces deux pays

progressaient rapidement. Ensuite Israel réussit tout de même à se défendre puis à

gagner une position militaire favorable avant le démarrage des négociations de paix.

Mais pour la défense de ce qu'ils appelaient les droits légitimes des palestiniens, les

pays Arabes disposaient quand même d'un atout majeur: le pétrole. Le 17 octobre,

l'Organisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole (OPAEP) augmenta de 70% le

prix de référence du brut, augmentation suivie onze jours après d'un embargo sur les

exportations aux pays qui soutenaient Israël (les États-Unis, les Pays-Bas, la Rhodésie,

le Portugal et l'Afrique du Sud). 102

Cette guerre eut des effets sur le monde entier, entraînant entre autres la crise

d'énergie ou encore une tension des relations euro-américaines. Sans aucune

concertation avec les Européens, les États-Unis avaient livré des armes américaines à

Israel à partir du sol allemand. En outre, les troupes américaines avaient été mises en

état d'alerte dans le monde entier, sans prévenir les États européens. En réponse, ces

derniers déclarèrent formellement un avis sur la crise au Moyen-Orient qui différait des

points de vue américains.103 Cette déclaration du 6 novembre ne fut pas du tout

approuvée aux États-Unis, de sorte que les relations transatlantiques s'en trouvèrent

troublées ultérieurement à la fin de l'année de l'Europe. Le 5 décembre Raymond Aron

écrivit dans le Figaro: "Jamais, depuis 1956, les relations entre les États-Unis et leurs

alliés européens n'ont été aussi tendues"104.

Henry Kissinger dirait plus tard que l'année de l'Europe s'était terminée en automne

1973105. Peut-être avait-il raison. Car avec la guerre du Kippour, la crise d'énergie

ouvrirait un nouveau chapitre des relations transatlantiques. Les Américains et les

Européens porteraient leur attention sur le ravitaillement d'énergie. En effet, le 12

décembre Kissinger proposerait de former un Groupe d'Action pour l'Énergie ('Energy

102 Milza (1996) op.cit. 6-16. 103 Hiepel (2005) op.cit. 11. Noble (2004) op.cit. 7-10. Mélandri (1995) op.cit. 118. 104 Georges-Henri Soutou "Raymond Aron. Les articles de politique internationale dans Le Figaro de 1947 à 1977. Troisième tome: Les Crises (février 1965 à avril 1977). Présentation et notes par Georges-Henri Soutou (Paris, 1997) Éditions de Fallois, 1304. 105 Kissinger (1982) op.cit. 700-706.

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 33

Action Group')106. Deux mois plus tard, une Conférence de l'Energie aurait lieu à

Washington avec la présence des États-Unis, de la communauté économique

européenne, du Canada, du Japon et de la Norvège. En juin 1974, une déclaration

serait tout de même signée par les membres de l'OTAN pour confirmer les relations

transatlantiques pour le 25ème anniversaire de l'organisation107. Mais cette déclaration

et la visite de Nixon à Bruxelles ne ressemblaient pas vraiment aux propos de Kissinger

dans son discours de l'année précédente. La déclaration était beaucoup moins

puissante. La garde des dirigeants américains et européens était en train de se relever.

En outre, la situation mondiale avait changé à différents niveaux, comme ceux de

l'énergie et de l'économie.

Le seul document qui fût adopté par les Neuf dans le cadre de l'Année de l'Europe était

le papier préparatoire au dialogue transatlantique. Envisagé pour fonder les

négociations, il devint une véritable déclaration indépendante. Depuis la réunion du 23

juillet, les directeurs politiques et les Ministres des Affaires étrangères avaient travaillé

sur le document. Le 10 septembre, ils avaient décidé de poursuivre la rédaction. Mais

la définition de l'identité européenne ne devait pas devenir une déclaration solennelle

avant la réunion ministérielle des 19 et 20 novembre .

En fin de compte, l'appel américain à une coopération renouvelée avait paradoxalement

conduit les Européens à définir leur identité propre. Le 30 juillet, le Président Nixon le

signalait déjà avec stupéfaction. Il disait à Willy Brandt que l' "entreprise dont le but était

de créer un nouvel esprit de solidarité atlantique� se soit maintenant pratiquement

transformée en un affrontement"108 entre les États-Unis et l'Europe.

Conclusion et réflexions

Le discours de Kissinger du 23 avril était marqué par une diversité de réponses

européennes. La République Fédérale d'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne

réagissaient chacunes de manières positive et négative. Mais il n'y avait pas de position

106 Ce discours de Kissinger, qu'il donnait aux 'Pèlerins de la Grande-Bretagne' ('The Pilgrims of Great Britain') à Londres, a été reproduit dans: Gerhard Mally (1974) op.cit.39-46, sur le Groupe d'Action pour l'Énergie: p.44 et 45. Hiepel (2005) op.cit. 11-12. Megens (2005) op.cit. 14. 107 Burr et Wampler (2004) op.cit. 20. 108 Cité dans Mélandri (1995) op.cit. 114

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 34

commune avant la réunion des Ministres des Affaires étrangères dans le cadre de la

politique européenne du 23 juillet. Cette rencontre est un tournant dans la réponse

européenne au propos américain. Lors de cette réunion, Jobert approuvait la rédaction

d'une Déclaration de principe entre les Neuf et les États-Unis. Les décisions concrètes

sur le contenu de la déclaration et la visite de Nixon ne verraient pas le jour avant le 10

septembre, mais le 23 juillet constitue le point de départ. Après cette réunion, les

Européens se montraient une force d'ensemble dans les négociations. Ils rédigent à

Neuf les esquisses de la Déclaration de principe et de la Déclaration des quinze avant

de les communiquer à l'Outre-Atlantique. En outre ils définissaient une identité

européenne propre. Lors les négociations avec les Américains, les États membres se

plaçaient du côté de la France dans les querelles.

Le projet de l'identité européenne tire donc sa source dans la recherche d'une position

européenne envers les Américains. Il était la condition d'une réponse commune. Mais,

quand les négociations pour les déclarations de coopération transatlantique échouaient,

le document sur l'identité européenne devenait en revanche un texte plus important.

Ainsi, nous pouvons nous demander si la guerre du Kippour, facteur important dans

l'échec des négociations, a également joué un rôle dans la rédaction de la Déclaration

sur l'identité européenne. De même, la question se pose de savoir si elle devait

remplacer les autres déclarations. Dans quelle mesure a-t-elle répondu au propos

américain?

Remarquons que la vue globale réapparut dans la Déclaration sur l'identité européenne.

Nous avons vu qu'au 5 juin, le Conseil des ministres refusait formellement toute forme

de 'vues globales'. Mais la déclaration inclut notamment les aspects divers de

l'économie, de la diplomatie et de la défense. Nous pouvons y voir le signe que ce

document dont les origines étaient liées à l'initiative américaine en était tout de même

indépendante. Malgré le fait d'avoir été créée pour fonder la base du dialogue

transatlantique, la déclaration ne fut pas adoptée dans le même contexte.

Le 23 juillet, la définition de l'identité européenne paraît avoir intéressé surtout les

Britanniques et les Français. Les premiers en prenaient l'initiative et les derniers la

posaient comme condition à toute réponse européenne. Concentrons-nous maintenant

sur les développements de la rédaction du document après cette réunion. Quels étaient

Chapitre 3: L'année américaine de l'Europe 35

les rôles des États membres et des institutions des Communautés européennes?

Comment l'identité fut-elle définie dans ses stades divers?

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 36

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration

Pendant la période du 23 juillet au 14 décembre, le Comité politique travaillait au projet

de l'identité européenne. Ce comité était constitué des Directeurs politiques des Affaires

étrangères et avait été créé dans le cadre de la Coopération politique européenne pour

préparer les réunions ministérielles et accomplir les tâches confiées par les ministres109.

Il jouait un rôle important dans la rédaction de la déclaration. En fait, l'idée de la

définition de l'identité européenne était née dans ce comité. Déjà début juillet, lors d'une

réunion à Helsinki, le représentant anglais Sir Thomas Brimelow suggéra la rédaction

d'un papier sur l'identité européenne en relation avec les États-Unis. L'idée était reprise

par le Conseil des ministres des Affaires étrangères le 23 juillet, à la suite duquel le

comité était prié d'entreprendre la rédaction du document.110

Le Comité politique était assisté par le 'Groupe des Correspondants'. Ce groupe institué

par le rapport de Copenhague du 23 juillet se composait de correspondants dans les

Ministères des Affaires étrangères. Ceux-ci préparaient les discussions et posaient des

questions écrites111. Ainsi, ils avançaient par exemple l'idée de publier le document, qui

devait être acceptée par le Conseil des ministres le 20 novembre.112

Il n'est pas clair si les institutions des Communautés européennes ont apporté des

propositions pour le document. Comme convenu à Copenhague, le Président de la

Commission pouvait être consulté par le Comité politique ou par le Conseil des

ministres. En effet, ce fut le cas dans le cadre de la Déclaration de principe. Mais les

sources ne nous disent pas s'ils ont également consulté le conseil de la Commission en

ce qui concerne le projet de l'identité européenne. Selon Raimond, l'automne 1973 était

ponctué de multiples contacts entre le Comité politique et les représentants permanents

à Bruxelles, chargés d'examiner les articles économiques de la Déclaration de principe.

109 "Rapport des Ministres des Affaires étrangères [�]" BCE (11-1970) op.cit. partie 2 section 3. 110 Megens (2004) op.cit. 6. 111 "Deuxième Rapport de la coopération politique [�]" BCE (9-1973) op.cit. 9. 112 Megens (2005) op.cit. 6, 14-15. "5. Coopération politique. 2505: Identité européenne" BCE (11-1973) 22.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 37

Il y eut "un va et vient" de textes.113 Tout de même, il n'est pas impossible qu'il y eût

également des échanges sur le projet de l'identité. Car le 21 novembre 1973, le sujet

était discuté au troisième colloque de 1973 entre les Ministres des Affaires étrangères et

les membres de la commission politique du Parlement européen. Dans le bulletin des

Communautés européennes, il est décrit que l'identité européenne était débattue à ce

colloque114. Malheureusement, le lecteur n'est pas informé du contenu.

Même si nous ne savons pas si les institutions ont pu émettre des avis sur le projet de

l'identité européenne, il est tout de même sûr qu'ils en étaient informés. Le 17 octobre, le

Président en fonction de la conférence des Ministres des Affaires étrangères, Knud

Andersen, s'y réfère lors de son exposé sur l'état de la coopération européenne devant

le Parlement européen115. Un mois après, Willy Brandt en parle également dans son

discours au même parlement116.

Les versions préliminaires

La décision de rédiger un document sur l'identité européenne était suivie de trois

propositions. Les Français, les Anglais et les Irlandais participèrent à l'élaboration des

concepts, mais ce serait le document français qui servirait de base pour la future

déclaration. Ce document se trouve dans le fonds Georges Pompidou117.

L'esquisse française, portant le titre "De l'identité européenne", ressemblait quelque peu

à la déclaration finale. Bien que le troisième chapitre sur le caractère dynamique de la

construction européenne n'apparûsse pas, le document était divisé en deux sections,

qui formeraient les deux premières parties de la déclaration. Tout d'abord, les rédacteurs

précisaient l'héritage commun et, d'une manière succincte, les obligations particulières

des Neuf dans les affaires internationales. Ensuite, ils se concentraient sur le degré de

la cohésion des Neuf, déjà atteinte ou encore à rechercher dans l'avenir vis-à-vis du

113 AN- 5AG2/1036 (Affaires européennes. Copenhague 14/15 décembre 1973): Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 10 décembre 1973, a/s "Partie politique du dossier pour les entretiens de Copenhague" 15p, 3. Megens (2005) op.cit. 13. 114 "Déclaration commune des gouvernements de la Communauté économique européenne sur la situation au Proche-Orient (6 novembre 1973)" European NAvigator (http://www.ena.lu). 115 "2501: Exposé sur la coopération politique devant le Parlement européen" BCE (10-1973) 111-116, 115. 116 "M. Willy Brandt au Parlement européen. Discours prononcé par le Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne le 13 novembre 1973" BCE (11-1973) 5-14, 7-8. 117 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Coopération politique à Six et à Neuf): De l'identité européenne, 4/10 septembre 1973, 5 p.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 38

reste du monde. En tout, le document contenait 14 paragraphes, moins détaillés que les

22 paragraphes de la déclaration finale.

Rédigé pour fonder le dialogue avec les États-Unis, le document français était marqué

par ce sujet. Il contenait quatre "règles" à observer par les Européens. Tout d'abord, les

Neuf devaient s'accorder sur leur position commune avant de la communiquer aux

Américains. Ensuite, ces négociations devaient avoir une définition commune et

transparente qui ne devaient pas influencer, ralentir ou menacer les développements

vers une Union européenne. Finalement, le refus de toute forme des "vues globales" fut

répété.118 De même, l'esquisse anglaise se concentrait sur le dialogue avec l'Outre-

Atlantique. Elle portait notamment le titre éloquent de : "L'identité des Neuf vis-à-vis les

États-Unis". Ce document n'est pas présent dans le fonds Georges Pompidou, mais

nous disposons de la description faite par Ine Megens, qui l'a trouvé dans les archives

néerlandaises. Megens nous informe que les sujets de l'héritage commun et le dialogue

avec les États-Unis étaient abordés, comme dans le document français. Mais quand ce

dernier se concentrait principalement sur les questions de procédure, le document

anglais s'étendait largement sur le contenu du dialogue. Une analyse des points de vue

divers, des propos et des ouvertures éventuelles de la négociation était donnée119. Par

contre, les Irlandais paraissent avoir moins porté l'accent sur les rapports avec l'Outre-

Atlantique que sur une étude conceptuelle de l'identité européenne qui naissait des

résultats de la coopération politique et des traités120. Malheureusement, la version

irlandaise n'est pas non plus incorporée dans les archives.

L'absence de ces documents du fonds Georges Pompidou est significatif.

Apparemment, Pompidou ne fut guère informé des deux projets britannique et irlandais.

En effet, le nombre restreint des sources portant sur la Déclaration sur l'identité

européenne dans les archives nous donne l'impression que le Président français n'avait

pas beaucoup de renseignements sur la rédaction de la future déclaration. Le dossier

sur la Déclaration sur l'identité européenne inclut la version préliminaire et quelques

notes et correspondances. Mais il n'est pas exhaustif et ne donne pas beaucoup

d'information sur les modifications diverses du document ni sur les discussions menées, 118 Ibid, paragraphe 10 119 Le titre original de l'esquisse anglaise: "The identity of the Nine vis à vis the United States". Il s'agit des archives des affaires étrangères (BZ) à La Haye, Pays-Bas. Megens (2005) op.cit. 9-11. 120 Megens (2005) op.cit. 11-12. Megens discute d'une manière succincte le document irlandais, d'après le résumé rendu par le représentant danois, le directeur politique Oldenbourg.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 39

sauf quand Jobert voulait s'assurer de l'accord du Président sur des questions

pertinentes ou sensibles, comme la défense.121 D'autres dossiers contiennent encore

quelques sources additionnelles sur la rédaction en automne 1973. Ce sont souvent de

courts aperçus des développements en cours, rédigés pour préparer les rencontres du

Président avec ses collègues européens. Ainsi, ces notes nous informent, d'après la

perspective française, des positions allemandes, anglaises et italiennes.

De cette manière, deux notes préparatoires à la visite de George Pompidou à Willy

Brandt nous apprennent que les Allemands "ont accepté d'assez bonne grâce que notre

contribution serve de base"122 et qu'ils "ont surtout visé à éliminer de ce texte tout ce qui

pouvait susciter des réactions de la part des États-Unis, et à donner de l'identité

européenne une image acceptable à tous les pays tiers."123. Ils s'opposaient à un

passage qui impliquait que l'Europe puisse constituer un enjeu. Il s'agit probablement

du fragment suivant:

"En s'appliquant à définir son identité, l'Europe des Neuf, tout en demeurant fidèle à ses amitiés et aux alliances de ses membres entend rappeler qu'elle a la volonté de jouer un rôle actif et dynamique dans la politique internationale, dans le but d'éviter que son indépendance, sa sécurité et sa prospérité ne constituent un enjeu débattu entre des tiers."124

Selon Claudia Hiepel, qui a fait des recherches dans les archives allemandes, leur

politique se caractérisait par la crainte d'une aggravation des rapports avec les États-

Unis d'un côté, et de l'explosion d'un conflit entre les Neuf de l'autre. Pour cette raison,

les Allemands ne rendirent pas d' esquisse pour le document sur l'identité européenne,

pas plus qu'ils ne firent beaucoup de commentaires sur la déclaration125. Ainsi s'explique

probablement l'accord allemand au premier paragraphe, où il fut stipulé que la

construction européenne devait être poursuivie avec la participation des peuples

européens et "notamment [de] leurs représentants élus"126. On n'assigna aucun rôle

dans cette entreprise aux instituts européens , ce qui correspondait plus à l'avis français

qu'allemand.

121 À trouver dans la sous-série 5AG2/1035 "Affaires européennes (Communautés européennes)" 122 AN- 5AG2/92 (Entretiens entre M.Pompidou et M.Brandt à Paris, les 26 et 27 novembre 1973): Note sur l'Allemagne et la coopération politique des Neuf de la part du Ministère des Affaires étrangères. Direction des affaires politiques Europe, sous-Direction d'Europe occidentale, Paris 19 novembre 1973, 4 p., 3. 123 AN- 5AG2/1012 (Entretiens Franco-allemands -Réunion franco-allemande des 26 et 27 novembre 1973): Note de la part du Ministère des Affaires étrangères, Paris 22 novembre 1973 23p., 2 124 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes): De l'identité européenne, 4/10 septembre 1973 op.cit. paragraphe 6 (soulignement ajouté). AN- 5AG2/92: Note sur l'Allemagne et la coopération politique des Neuf de la part du Ministère des Affaires étrangères, Paris 19 novembre 1973, op.cit. 3. 125 Hiepel (2006) op.cit. 8-9. 126 Voyez l'Annexe 1: "La Déclaration sur l'identité européenne (Copenhague, 14 décembre 1973)", paragraphe 1.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 40

De même, les Anglais portaient quelques remarques sur le propos français. Le

Président en était consulté le 13 novembre. Les Anglais préféraient l'emploi de la

formule "politique étrangère commune" tandis que l'administration française, en la

concevant trop "atlantiste", aimait mieux le terme de "politique proprement européenne".

Sans doute, jouaient ici les questions du rôle des institutions européennes et de la

séparation de la Coopération politique européenne des Communautés européennes. La

position du gouvernement français était évidemment bien connue en Grande-Bretagne,

mais les Anglais en doutaient à la suite de la déclaration du 6 novembre sur la situation

au Proche-Orient. Car, pour la première fois, les États membres avaient pris une

position européenne dans les affaires étrangères qui différait notablement de celles des

Américains. Même au Quai d'Orsay, on n'était plus sûr de la position française. Une note

informa le Président de l'accord de Jobert. Mais, à la différence de son Ministre des

Affaires étrangères, Pompidou désapprouva le changement.127

En ce qui concerne le fonds Georges Pompidou,il est encore remarquable que la plupart

des sources du dossier de la Déclaration sur l'identité européenne datent de novembre

ou de décembre 1973. À l'exception de la première version française, rendue le 10

septembre 1973, le sujet n'apparaît guère dans les documents qui précèdent la note au

Président du 12 novembre. Dans cette note, Pompidou est averti du propos belge et

italien de faire adopter le document sur l'identité européenne à la réunion de

Copenhague en décembre128. Le projet changea de statut. Il devint un document public,

à adopter par le Président.

Le projet sur l'identité européenne devient une déclaration

L'idée d'une Déclaration sur l'identité européenne venait donc des délégations italienne

et belge129. On rapporte à ce propos que le Ministre italien des Affaires étrangères Aldo

Moro envoya un télégramme au Quai d'Orsay, qui le fit passer à Georges Pompidou.

127 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Communautés européennes): Note pour Monsieur Balladur de la part de Raimond, Paris 13 novembre 1973 1p. Cette note est accompagnée de: Note de la part du Ministère des Affaires étrangères, direction des affaires politiques Europe, sous-Direction d'Europe Occidentale, a/s Comite Politique des 12 et 13 novembre, Paris 9 novembre 1973, 2p. Hiepel (2005) op.cit. 11. 128 5AG2/1035 (Affaires européennes -Coopération politique à Six et à Neuf): "Initiative européenne du Président de la République" 12 novembre 1973 1p. 129 AN- 5AG2/1015 (Grande-Bretagne -novembre 1973): Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, 14 novembre 1973, a/s Mise au point de la partie politique du dossier pour Chequers (complément a la note du 8 novembre 1973), 8p.,2. La publication du document avait été proposée dans le Groupe des Correspondants. Megens (2005) op.cit. 14.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 41

Moro estimait que "le style, la longueur et le ton lui-même du document devraient être

donc revus pour les adapter à cette circonstance nouvelle."130 Ensuite, il proposait une

liste de modifications du document. Malheureusement, nous ne pouvons pas les

analyser en comparaison avec la version en date de la définition de l'identité

européenne, car celle-ci n'est pas incluse aux archives. Mais les modifications donnent

l'impression d'avoir été proposées pour rendre le texte plus clair et plus facile à lire. Il ne

s'agit pas de modifications essentielles du contenu. Ainsi, Moro proposait de diviser le

document en quatre parties, en lieu des trois, et de changer leurs titres. Par exemple, le

titre de "La cohésion interne des Neuf" devait devenir "Les valeurs et les fins de la

communauté"131. La version finale ignore la plupart de ces propositions.

Selon Raimond, les motivations des Belges et des Italiens pour vouloir faire adopter la

Déclaration sur l'identité européenne à la réunion du 14 et 15 décembre venaient de

leurs préoccupations vis-à-vis de l'opinion publique. Il cita le Premier ministre belge

Leburton: "Il importe cependant que l'opinion publique puisse saisir l'importance de cette

rencontre."132 Avant, la Grande-Bretagne avait donné la même argumentation pendant

la réunion du 10 septembre quand Sir Alec Home remarquait que le document servirait

à transmettre efficacement aux Européens l'importance de l'intégration européenne133.

Les élections anglaises de l'année suivante s'approchaient et l'opinion publique

s'exprimait négativement sur les Communautés européennes.

En ce qui concerne la Grande-Bretagne, le gouvernement Heath était pratiquement sûr

de perdre les élections en profit des travaillistes. "Dans ce cas" notait Raimond en août

"les Travaillistes renégocieront le traité d'adhésion" aux Communautés européennes134.

Pompidou était informé régulièrement de la situation britannique par l'ambassade

française à Londres. "le Premier ministre, dont l'image n'a cessé d'être meilleure en

France que dans le Royaume-Uni, n'a [�] jamais réussi à avoir le pays derrière lui."135.

Apparemment, Heath, qui était pro-européen et avait mené le pays dans les

130 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Coopération politique à Six et à Neuf): Télégramme à l'arrivée No 3051-66 de la part de Lucet aux Directeurs, Rome 10 novembre 1973, a/s "Identité européenne" 6 p., 1. 131 Ibid, 2. 132 AN- 5AG2/1015: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, 14 novembre 1973, a/s Mise au point de la partie politique du dossier pour Chequers ([�]), op.cit. 2. 133 Megens (2005) op.cit. 12 134 AN- 5AG2/1014 (Grande Bretagne -Annotations, 1973): Note pour M. le Président de la République de la part du Raimond, Paris, 16 août 1973, a/s "Entretien avec M. de Beaumarchais" 2 p., 1. 135 AN- 5AG2/1015 (Grande-Bretagne -novembre 1973): Note de la part de J.Wahl, Ambassade de France en Grande Bretagne, le ministre plénipotentiaire, chef des services d'expansion économique, ref: JW.DC W.294, 24 octobre 1973 4 p., 2.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 42

Communautés européennes, souffrait de la récession économique. "Après six mois,

l'Europe ne donne plus lieu à 'fanfare'"136 commentait l'ambassadeur Beaumarchais le

13 juillet. Malheureusement, le démarrage de l'inflation avait coïncidé avec l'adhésion de

la Grande-Bretagne au Marché Commun137. "L'opinion n'a pas manqué d'attribuer, à tort,

au marché commun la responsabilité de l'inflation et du malaise social qui en résulte."138

Il en résultait que: "C'est largement contre l'Europe que s'est tournée la morosité de la

Nation"139. Notamment, dans une note du 16 août Raimond transmit une proposition

britannique de faire des concessions mutuelles: soutien français à la politique régionale

britannique contre un soutien anglais à la politique agricole commune. Le Président

français réagit de la sorte: "Je ne suis pas hostile par principe"140.

Tout de même il y avait l'apparence qu'il s'agissait plus des intérêts nationaux

qu'européens. En octobre les avantages pour la France d'une continuation du

gouvernement anglais furent encore exposés dans un aperçu par l'ambassade français:

"la présence de Mr Heath à la tête du gouvernement donne l'assurance que le

Royaume-Uni va continuer à chercher à intensifier ses relations avec la France, et

même probablement à les privilégier quelque peu. On ne saurait en dire autant du parti

travailliste tant que persistera son orientation actuelle."141 Apparemment, l'opinion

publique était importante pour le gouvernement en date. Il essayait d'améliorer la

situation économique par plusieurs moyens. Peut-être l'adoption de la Déclaration sur

l'identité européenne y était liée. Mais en même temps il faut remarquer que le Premier

ministre ne fit pas allusion à l'identité européenne dans une interview étendue dans le

Guardian du 2 novembre sur "Edward Heath et l'Europe"142. Ce qui nous fait tout de

même relativiser l'importance attribuée à la déclaration.

D'autres États européens s'intéressaient aussi à l'opinion publique, surtout en relation

avec les stratégies de détente des deux superpuissances. En fait, une partie majeure du

136 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Communautés européennes): Télégramme à l'arrivée No 2214/33 de la part de Beaumarchais aux Directeurs, Londres 13 juillet 1973, a/s "Avant le voyage à Paris de M.Davies" 4 p.,2. 137 AN- 5AG2/1015: Note de la part de J.Wahl, ref: JW.DC W.294, 24 octobre 1973 op.cit. 2. 138 AN- 5AG2/1035: Télégramme à l'arrivée No 2214/33 de la part de Beaumarchais aux Directeurs, Londres 13 juillet 1973, a/s "Avant le voyage à Paris de M.Davies" op.cit. 2. 139 AN- 5AG2/1015: Note de la part de J.Wahl, ref: JW.DC W.294, 24 octobre 1973 op.cit. 3. 140 AN- 5AG2/1014: Note pour M. le Président de la République de la part du Raimond, Paris, 16 août 1973, a/s "Entretien avec M. de Beaumarchais" op.cit. 1. 141AN- 5AG2/1015: Note de la part de J.Wahl, ref: JW.DC W.294, 24 octobre 1973 op.cit. 4. 142AN- 5AG2/1015 (Grande-Bretagne -novembre 1973): Traduction de l'Interview de M.Heath sur l'Europe dans Le Guardian du 2 novembre 1973 (avec l'original inclus), de la part de Beaumarchais, réf: TA/mb No 1150/DE, 4 p. L'interview couvrait toute une page A3, incluant une photographie.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 43

public européen paraissait marqué d'un sentiment pacifiste. Ainsi, le 11 juillet déjà , le

directeur politique italien fit savoir à l'ambassadeur de France qu'il soutenait les

orientations françaises vers une défense européenne, mais qu'il croyait nécessaire

"d'alerter l'opinion publique sur l'importance de la question"143. Dans un entretien entre

Brandt et Pompidou, les deux dirigeants évoquaient l'avis régnant dans la presse

allemande, qui favorisait une réduction des troupes. Apparemment, Pompidou avait la

même expérience en France. Il pouvait donner un conseil au Chancelier allemand: "j'ai

pris depuis plus d'un an très résolument la position qui consiste à dire que la détente

commandait à la France de réaliser un effort militaire plus important."144

Le lien entre l'opinion publique et le mouvement pacifiste en Europe est intéressant, car

justement le thème de la défense revient plusieurs fois dans les archives. La partie

majeure des sources au dossier sur la Déclaration sur l'identité européenne couvre cette

matière.

L'identité et la défense européennes

Le 15 novembre, le paragraphe sur la défense fut changé. Ce thème n'avait tout de

même pas été négligé dans la version préliminaire où le paragraphe 4 de la première

partie contenait:

"Au regard des moyens militaires des autres entités politiques et de sa relative vulnérabilité, l'Europe des Neuf doit, si elle entend préserver son indépendance, veiller, dans un constant effort, à se doter d'une défense adéquate."145

Mais le texte nouveau était plus détaillé et moins allusif :

"Les Neuf, dont un but essentiel est le maintien de la paix, n'y parviendront jamais en négligeant leur propre sécurité. Ceux qui sont membres de l'Alliance Atlantique considèrent qu'il n'y a pas actuellement d'alternative à la sécurité qu'assurent les armes nucléaires des États-Unis et la présence des forces d'Amérique du Nord en Europe. Ils sont d'accord qu'au regard

143 AN- 5AG2/1035: Télégramme à l'arrivée No 1912/1921, de la part de J.L. Lucet aux Directeurs, Rome le 11 juillet 1973, a/s "Conversation avec M.Ducci. Coopération politique européenne." op.cit. 2. 144 AN- 5AG2/1012 (Entretiens Franco-allemands -Sommet franco-allemand des 21-22 juin 1973): Premier entretien entre M.Pompidou et le Chancelier Willy Brandt, mardi 21 juin 16h30 à 19h30 36p., 13. D'ailleurs l'annonce dans le journal Le Monde qu'une Déclaration sur l'identité européenne devrait être adoptée pendant la réunion à Copenhague fut très brève. "À Copenhague. Les Ministres des Affaires étrangères des neuf ont confirmé leur prise de position du 6 novembre" (auteur inconnu) Le Monde 22/11/1973, 3. 145 AN- 5AG2/1035: De l'identité européenne, 4/10 septembre 1973, op.cit. 2.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 44

de sa relative vulnérabilité militaire, l'Europe doit, si elle entend préserver son indépendance, tenir ses engagements et veiller dans un constant effort à disposer d'une défense adéquate".146

Par cette formulation, les Neuf explicitaient d'un côté la dépendance européenne envers

les États-Unis en matière de sécurité, et de l'autre la nécessité d'aboutir à une défense

européenne. Elle fut incluse dans la version finale de la déclaration147.

Les sources au fonds Georges Pompidou nous apprennent que la proposition de ce

texte vint du cabinet de Michel Jobert. Le 9 novembre, ce dernier le mit au point et le

transmit à l'Elysée où, le 13 novembre, le Président le reçut via le secrétaire général.

Contrairement au Ministre des Affaires étrangères, Pompidou n'était pas d'accord avec

le texte. "Sur la défense je trouve que l'on va trop loin"148 nota-t-il en proposant un texte

différent, qui, malheureusement, n'est plus lisible. Cependant, sur un malentendu, le

directeur politique François Puaux avait déjà accepté la formulation nouvelle en Comité

politique. Il était toujours possible de la désapprouver, mais vraisemblablement, le

Président ne l'exigea pas. D'ailleurs, suivant Puaux, le texte apparut aussi, tout

approuvé, dans la Déclaration à quinze149.

En effet, selon Pierre Mélandri, le Président français et son Ministre des Affaires

étrangères avaient des points de vue différents sur la défense européenne. Ce dernier

était beaucoup plus partisan d'une défense européenne. Devant les députés français,

Jobert avait déjà déclaré que "Je ne sais si l'année 1973 sera l' 'Année de l'Europe' mais

je suis sûr que, pendant l'année 1973, le problème de la défense de l'Europe sera à

l'arrière-plan de toutes les discussions� et peut-être même passera-t-il à l'avant-

scène."150 En revanche Pompidou, tout en considérant la coopération de défense

comme l'étape ultime de la coopération politique en Europe, hésitait au vu de la politique

allemande, qui renonçait aux armes ABC151.

Plusieurs chercheurs remarquent d'ailleurs une position prépondérante du Ministre des

Affaires étrangères dans la diplomatie française. Jobert avait suivi Maurice Schumann

146 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Communautés européennes): Note pour Monsieur Balladur de la part de Raimond, Paris 15 novembre 1973 2 p., 1. 147 Voyez l'Annexe 1: "La Déclaration sur l'identité européenne (Copenhague, 14 décembre 1973)", paragraphe 8. 148 AN- 5AG2/1035: Note de la part du Ministère des Affaires étrangères, direction des affaires politiques Europe, sous-Direction d'Europe Occidentale, a/s Comite Politique des 12 et 13 novembre, Paris 9 novembre 1973 op.cit. 2. 149 AN- 5AG2/1035: Note pour Monsieur Balladur de la part de Raimond, Paris 15 novembre 1973 op.cit. 2. 150 Mélandri (1988) op.cit. 82. 151 Mélandri (1995) op.cit. 119. Mélandri (1988) op.cit. 82-87.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 45

au Quai d'Orsay depuis les élections en mars et était donc Ministre des Affaires

étrangères lors de la rédaction de la déclaration. Selon le politicologue Samy Cohen, la

diplomatie française changea avec le changement de Ministre et devint plus nationaliste.

En même temps, le Président français souffrait de la maladie de Waldenström, une

forme très rare de leucémie. En avril, il avait subi une crise majeure. Il est possible que

Jobert pouvait bénéficier de la maladie du Président et l'influencer dans ses choix de

politique étrangère, autant qu'en matière stratégique.152 En même temps, Kissinger est

d'ailleurs convaincu du rôle important du Ministre dans ses projets pour les déclarations

transatlantiques.153

Il s'agit donc d'un sujet contesté au sein du gouvernement français. En outre, ce

changement de texte est d'autant plus surprenant que, dans l'arène européenne, les

différentes positions en matière de défense s'éloignaient substantiellement. Tout

d'abord, aux Pays-Bas, en Ireland et au Danemark, les mouvements pour le neutralisme

donnaient le ton. Brandt raconte à Pompidou dans leur premier entretien du 21 juin

1973, que les troupes néerlandaises stationnées en Allemagne se étaient en train de se

réduire et que les Danois suivraient aussitôt154. Ce sont également ces trois pays qui

s'opposaient à l'armement nucléaire. L'Europe comptait deux puissances nucléaires: La

France et la Grande-Bretagne. Mais seul le dernier signa le traité qui interdisait

partiellement les essais nucléaires le 5 août 1963. Les Français, soucieux de rester "sur

un pied d'égalité avec les autres puissances nucléaires"155, ne s'y associèrent pas. Les

Néerlandais, les Irlandais et les Danois réagirent avec irritation à la suite des essais

nucléaires français en juillet et août 1973. Leurs réponses furent suivies par des

réactions indignées de la France, qui leur reprochait un manque de solidarité. Ainsi, la

France déplorait le refus des expériences nucléaires dans les média danois de la part du

Président des Communautés européennes du moment, le Premier ministre danois.156

L'attitude des Néerlandais fut également dénoncée car ils ne cachèrent pas leur

aversion en soutenant une résolution canadienne discriminatoire pour la France pendant

152 Samy Cohen La monarchie nucléaire. Les coulisses de la politique étrangère sous la Ve République. (Paris, 1986) Hachette, 104-106. Cohen n'a pas apporté de sources à ce constat. Voyez encore Roussel (2004) op.cit. 547-548 et Soutou (2000) op.cit. 136-139. Mélandri (1996) op.cit. 118-121. Serge Berstein et Pierre Milza Histoire de la France au XXe siècle 1958-1974 (Paris 1999) Editions complexe 344-345. 153 Mélandri (1988) op.cit. 103; 154 AN- 5AG2/1012: Premier entretien entre M.Pompidou et le Chancelier Willy Brandt, mardi 21 juin, op.cit. 12-13. 155 Explication de Pompidou à Brandt dans: AN- 5AG2/1010 (Entretiens franco-allemands -1970): Tête-à-tête entre le Président de la République et Monsieur Willy Brandt au 3 juillet 1970 à 15h35, 21 p., 6. 156 AN- 5AG2/1013 (Danemark): Télégramme à l'arrivée No 626/28 de la part de Pelen aux Directeurs "Immédiat", Copenhague 13 juillet 1973, 1p.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 46

une session de l'assemblée générale des Nations-Unies en début décembre157. Ensuite,

Pompidou reçut un télégramme sur l'annulation, à titre personnel, d'une visite à Paris du

Ministre de l'Industrie et du commerce irlandais, Justin Keating, à la suite des

expériences nucléaires. Le Président nota "Quel hypocrite"158. En revanche, en même

temps, Edward Heath soutint la politique française lors d'une conférence du

Commonwealth, ce dont l'administration française lui fut reconnaissant.159

Les Neuf dépendaient largement de la présence des militaires américains pour leur

sécurité. Mais, depuis quelques années ceci était l'objet d'un débat dans l'administration

américaine. Deux ans auparavant, un amendement du sénateur Mike Mansfield pour le

retrait d'une partie des troupes américaines était rejeté au Congrès. Mais ce sujet ne

disparaît pas de l'agenda politique aux États-Unis. En juin 1973, le secrétaire de défense

américain James Schlesinger informa son collègue anglais Lord Carrington que

l'administration américaine devait faire face à deux groupes de pression qui n'étaient

pas favorables à l'engagement américain dans le système de défense de l'Europe. L'une

le considérait coûteux en considération de la situation financière défavorable aux États-

Unis. L'autre estimait que "l'Europe ne faisait pas assez pour sa propre défense et que

l'Amérique en faisait trop"160. Ainsi, les Européens doutaient que les Américains puissent

et, surtout, désirent garantir la sécurité européenne. Cette pensée était encore nourrie

par les négociations entre les deux superpuissances sur la limitation des armes

stratégiques (SALT) et la réduction mutuelle et équilibrée des forces (M.B.F.R.).

Le fonds Georges Pompidou nous apprend que, plusieurs fois, la Grande Bretagne

sollicita une coopération nucléaire franco-britannique "pour le compte de l'Europe"161, en

157 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Coopération politique à Six et à Neuf): Télégramme à l'arrivée No 8889/99 par De Guiringaud aux Directeurs, New york envoyé le 7 décembre reçu le 8 décembre 1973, a/s "Coopération des Neuf à la XXVIIIeme assemblée générale de Nations Unies." 4 p, 2. Plus tard, Wim van Eekelen, assistant du Directeur politique des Affaires étrangères aux Pays-Bas, écrirait que les Français exerçaient une pression sur le Ministre des Affaires étrangères et la délégation néerlandaise lors d'un dîner chez l'ambassadeur néerlandais à Paris, De Ranitz, le 9 novembre 1973. En échange d'une aide française aux Néerlandais dans les négociations avec les Arabes sur l'approvisionnement de pétrole, les Néerlandais ne devaient pas voter contre les Français. Wim van Eekelen Sporen trekken door strategische jaren ("Indiquer les traces dans les années stratégiques") (Le Haye, 2000) Uitgeverij Ten Brink 78-20. 158 AN- 5AG2/1016 (Irlande):Télégramme à l'arrivée No 342/44 de la part de Harcourt, Dublin 11 août 1973, a/s Problème pétrolier irlandais et expériences nucléaires françaises, 2 p., 1. 159 AN- 5AG2/1014 (Grande-Bretagne -Annotations, 1973): Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 10 août 1973, 1 p. 160 Lord Carrington transmit cette explication à son collègue français, Robert Galley. AN- 5AG2/1014 (Grande-Bretagne -Divers): Télégramme à l'arrivée No 2092/2107 aux Directeurs, Londres 28 juin 1973, a/s "entretiens entre Lord Carrington et M.Galley (Londres 26 juin)" 4 p., 2. 161 Remarquons par exemple l'entretien confidentiel entre Heath et Pompidou du 19 mars 1972 où Heath reprit la dite "Formule de Champs". Ainsi il se référa à un entretien à Champs en juin 1962 entre le Premier ministre britannique

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 47

vue d'assurer la sécurité. Les Anglais pourraient ainsi encore profiter du fait que la

France, non-signataire du traité SALT I (mai 1972), disposait de plus de latitude dans

ses politiques du nucléaire. Mais pour Pompidou la coopération franco-britannique

dépendait entre autres de l'assouplissement des liens entre la Grande-Bretagne et les

États-Unis. "C'est de vous, plus que de nous, que dépend un changement de la

situation"162 répondait-il pendant leur entretien confidentiel le 19 mars 1972. La

coopération franco-britannique nécessitait une indépendance en fournitures, une

indépendance technique, et le droit de se servir des armes nucléaires. Quand la France

avait gagné son indépendance sur ce terrain, celle de la Grande-Bretagne n'était pas

assurée163. De même, les Français craignaient qu'une telle coopération nucléaire

n'inquiétât l'Union soviétique. En France, il existait le souci de maintenir l'équilibre

militaire actuel en Europe, disait Robert Galley, le Ministre français des Armées, à son

collègue de Grande-Bretagne en juin 1973164. Compte tenu de la situation où l'Europe

se trouvait, en plein milieu des deux superpuissances, la sécurité européenne dépendait

fortement de cet équilibre.

Les mêmes motivations étaient données par les Français contre une collaboration dans

le dit 'Euro-Groupe". Ce groupe où, à l'exception de la France, les États membres

s'étaient réunis, fut établi en 1970 pour construire un front européen dans la coopération

transatlantique165. Justement ces rapports entre l'Eurogroupe et l'OTAN posaient un

problème politique aux Français, disait Galley à Carringon en juin 1973. De même, les

Français préféraient ne pas inquiéter l'Union soviétique par une coopération militaire de

la République Fédérale d'Allemagne avec des puissances nucléaires166. En revanche,

Harold MacMillan et Général de Gaulle dans lequel ce dernier avait évoqué une possible coopération bilatérale dans le domaine de la défense en général et de la défense nucléaire en particulier. AN- 5AG2/1014 (Grande-Bretagne -Annotations, 1969-1970): Note de la part du Ministère des affaires étrangères. Direction des affaires politiques. Service des pactes et du désarmement, Paris 24 novembre 1969, a/s "Coopération nucléaire franco-britannique dans le domaine militaire" 7 p., 3. et AN- 5AG2/1014: Entretien du 19 mars 1972, partie confidentielle op.cit. 3. 162 AN- 5AG2/1014: Entretien du 19 mars 1972, partie confidentielle op.cit. 2. 163 Ibid, 6-7. Le sujet avait été déjà discuté entre Pompidou et l'ambassadeur Soames du 20 novembre 1970, où Pompidou déclara qu' "Une politique de défense commune entre la France et l'Angleterre suppose que la Grande-Bretagne prenne une certaine distance par rapport à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord." AN- 5AG2/1014 (Entretiens Franco-britanniques 1969-1972): Audience accordée par le Président de la République à monsieur Soames, le 20 novembre 1970, 12 p., 2. 164 AN- 5AG2/1014:Télégramme à l'arrivée No 2092/2107 aux Directeurs, Londres 28 juin 1973, a/s "entretiens entre Lord Carrington et M.Galley (Londres 26 juin)" op.cit. 2. 165 AN- 5AG2/1014 (Entretiens Franco-britanniques 1969-1972 -Rencontre à Chequers 18-19 mars 1972): Note à l'attention du Président de la République de la part du Ministre d'Etat charge de la défense nationale, 11 février 1972, 10 p., 9-10. 166 AN- 5AG2/1014: Télégramme à l'arrivée No 2092/2107 aux Directeurs, Londres 28 juin 1973, a/s "entretiens entre Lord Carrington et M.Galley (Londres 26 juin)" op.cit. , 3. AN- 5AG2/1014: Entretien du 19 mars 1972, partie confidentielle op.cit. 5. Le ministre Debré en avait déjà informé Lord Carrington fin décembre dans: AN- 5AG2/1014 (Grande-Bretagne -Divers): Lettre de Michel Debré (Ministre d'Etat charge de la Défense Nationale) à lord Carrington. Paris, le 19 décembre 1972, 3 p.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 48

les Allemands ne voulaient avoir aucune autre collaboration militaire qu'en ce groupe.

Dans ce pays divisé et situé aux frontières de l'Europe de l'Est, on n'envisageait pas une

coopération militaire sans les États-Unis. De même, en juillet 1970 Brandt considérait

problématique le fait que les Français n'avaient pas signé le traité de non-prolifération

comme la République Fédérale d'Allemagne et les autres États membres167.

En même temps, la politique de Willy Brandt, qui visait à rendre possible une

réunification future des deux Allemagnes et d'étendre le marché pour ses produits,

n'était pas appuyée par tous les États européens. Le Président français craignait une

diplomatie indépendante entre Bonn et Moscou, et qui mettrait en danger la sécurité de

la France. Car celle-ci était assurée partiellement par l'intégration étroite de la RFA à

l'Europe occidentale. Les sources nous montrent que la Grande-Bretagne et la Belgique

partageaient ce rejet de l'Ostpolitik.168

Les points de vue européens étaient divers et complexes. Une coopération militaire était

loin. Toutefois, en 1973 les perspectives d'une défense européenne devenaient plus

réalistes. Surtout alors les États membres perdaient de plus en plus confiance envers

les garants américains de leur sécurité. L'atmosphère au sujet de la sécurité

européenne , déjà tendue depuis plusieurs années, devint de plus en plus raide. Elle

transparaît clairement dans le propos de Pompidou à Heath pendant la partie très

secrète de leurs entretiens en mai: "[�], il me semble que les États-Unis et l'URSS

cherchent actuellement un système qui mette leur territoire à l'abri d'une guerre

nucléaire. A partir de là, l'Europe devient un autre théâtre éventuel, plus important que le

Proche-Orient ou que le Vietnam, mais à peu près de même nature.[�]"169. A part le

danger croissant du retrait des troupes américaines, ce changement de mentalité peut

encore être élucidé par quelques événements.

Tout d'abord, pendant l'été 1973, la confiance envers l'Outre-Atlantique se dégrada

après l'accord sur la prévention des guerres nucléaires entre Brejnev et Nixon lors de la

visite soviétique aux États-Unis les 21 et 22 juin. Pour les dirigeants européens qui n'en 167 AN- 5AG2/1010: Tête-à-tête entre le Président de la République et m. Willy Brandt au 3 juillet 1970 op.cit. 4. 168 Pour ce qui concerne la Belgique, voyez la lettre de l'ambassadeur Belgique en France Robert Rothschild: AN- 5AG2/1013 (Belgique): Lettre avec annexe de Robert Rothschild à M Michel Jobert, Conseiller référendaire à la Cour des Comptes, Secrétaire Général de la Présidence de la République, Paris le 5 octobre 1970, 1 p et l'annexe de 5 p. Grande-Bretagne: AN- 5AG2/1014 (Entretiens Franco-britanniques 1969-1972): Audience accordée par m.le Président de la République à M.Heath le 5 mai 1970 -16H30-17H40, 10 p. 169 AN- 5AG2/1015: Entretien Pompidou-Heath 21-22 mai 1973. Partie de l'entretien très secrète op.cit. 1.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 49

avaient pas été prévenus, il devint clair que la sécurité européenne était hors de leur

portée et que la protection nucléaire de l'Europe par les États-Unis était remise en

question. Le Ministre de la défense anglais Lord Carrington déclarait à son collègue

français que "la Charte de l'Atlantique était morte" et qu'il était "nécessaire de réfléchir à

un substitut européen de l'OTAN"170. Galley se mettait d'accord avec lui sur les risques

pour la sécurité de l'Europe, sans d'ailleurs accéder à la proposition de former une

coopération franco-britannique dans le domaine de la Défense. De même, le directeur

politique italien Ducci faisait savoir que le gouvernement italien s'inquiétait tout autant

des conséquences de l'accord américano-soviétique171.

De même, les politiques européens furent influencées par la guerre du Kippour. Les

Américains s'étaient mis les Allemands à dos en livrant des armes américaines à Israel

à partir du territoire allemand, sans demander l'avis du gouvernement, ni même

l'informer auparavant. L'affaire provoqua un débat entre les Allemands et les

Américains, et l'accord de Brandt à la déclaration du 6 novembre était suivi par plusieurs

menaces sur le retrait possible des troupes américaines172. Toutefois, les politiques de

défense allemandes ne changeaient pas énormément. Brandt restait persuadé que la

sécurité européenne dépendait d'un côté de la détente, certes, et de l'autre d'une

défense solide: "défense + détente=sécurité"173. Mais cette défense devrait se faire en

coopération avec les États-Unis, au moins au départ.

Lors de l'année 1973, les perspectives d'une défense européenne se concrétisaient.

Jobert pouvait profiter de la situation mondiale et des sentiments d'impuissance. Le 21

novembre, il tint même une allocution devant l'assemblée de l'UEO où il affirma la

nécessité d'une coopération de défense en Europe: "Pour que sa voix soit écoutée et

respectée, l'Europe doit être forte et résolue à se défendre."174 Mais les idées des trois

170 AN- 5AG2/1014 (Grande-Bretagne): Note sur les conversations que M.Galley et Lord Carrington ont eues à Londres les 26 juin et 28 juin 1973, 2p.,1-2. Lord Carignon réaffirma ses pensées dans Bron 160, 203. Mais ces paroles peuvent tout de même être vues sous un jour nouveau par l'étude de Alastair Noble qui a constaté que la Grande-Bretagne était au courant de cet accord, et même que les Anglais assistaient dans aux préparations. Noble n'a pas donné de sources pour ce constat. Noble (2005) op.cit. 4. 171 AN- 5AG2/1035: Télégramme à l'arrivée No 1912/1921, de la part de J.L. Lucet aux Directeurs, Rome le 11 juillet 1973, a/s "Conversation avec M.Ducci. Coopération politique européenne." op.cit. 2-3. 172 AN- 5AG2/1015: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, 8 novembre 1973, a/s "partie politique du dossier pour les entretiens de Chequers.", op.cit , 5. Hiepel (2005) op.cit. 11. 173 AN- 5AG2/1012: Premier entretien entre M.Pompidou et le Chancelier Willy Brandt, mardi 21 juin, op.cit. 13. 174 "Allocution de M.Jobert, Ministre des Affaires étrangères, devant l'assemblée de l'UEO (21 novembre 1973)", site d'internet du Ministère des Affaires étrangères: Déclarations françaises. (http://www.doc.diplomatie.gouv.fr). Mélandri (1988) op.cit. 85. Mélandri (1995) op.cit. 118. Les préoccupations du Ministre des Affaires étrangères de la sécurité européenne ne passaient pas inaperçues par la presse française. Voyez par exemple les articles dans Le Monde: le

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 50

grands pays européens sont différentes, aussi bien dans la forme que dans le fond.

Selon Willy Brandt et son Ministre des Affaires étrangères Walter Scheel, la défense

européenne devait se développer lentement et par étapes. En outre, elle devait

démarrer avec l'entrée de la France dans l'Euro groupe175. En réaction, cette pensée

allemande signifiait à l'administration française, que la politique allemande ne changeait

pas beaucoup.176 En juin, le Ministre anglais Lord Carrington favorisait aussi cette Euro

groupe, mais il ne s'opposait pas non plus à une coopération bilatérale franco-

britannique177. À la fin de l'année, il changea d'avis. Pendant un dîner avec Robert

Galley, il plaidait pour une coopération des trois grands pays. Il se sentait menacé. "Le

retrait américain, la poussée soviétique, la démobilisation des opinions publiques

occidentales risquent d'amener l'Europe Occidentale à tomber en morceaux et à aboutir

à une 'Finlandisation' de notre continent"178. Pourtant, lors du même dîner le dialogue

des deux Ministres démontrait clairement les différences entre leurs positions. Quand

l'arme nucléaire servirait de dissuasion aux Anglais, en revanche, selon Galley, les

Français s'en serviraient réellement par manque d'armes conventionnelles: "[..] en cas

de conflit, nous sommes dédiés à faire l'impasse sur la phase de guerre conventionnelle

pour passer presque immédiatement à un stade nucléaire. Pour l'armée française, le

combat sera atomique ou ne sera pas"179. La France paraissait concevoir la coopération

militaire d'une manière plus concrète et plus proche. Mais, elle dépendait au préalable

d'une "véritable volonté politique de l'Europe" avant que cette coopération ne pût naître.

C'est à la réunion de Copenhague que celui-ci devait se montrer180. Selon le Président,

le problème d'une défense européenne ne se poserait qu'après la formation d'une

politique européenne. "il ne faut pas mettre la charrue avant les b�ufs."181

20/11/1973:"Une dernière chance pour les Neuf? III-L'Union souhaitée et difficile" par André Fontaine, p.7; et le 23/11/1973 "La défense européenne jusqu'où?" auteur inconnu, p.1. 175 AN- 5AG2/1012 (Entretiens franco-allemand -15oct/ 9nov 1973): Compte-Rendu de l'entretien en tête-à-tête entre Monsieur Jobert et Monsieur Scheel le vendredi 9 novembre 1973 à 14h.30., 5 p.,2. AN- 5AG2/1036: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 10 décembre 1973, a/s "Partie politique du dossier pour les entretiens de Copenhague" op.cit. 14. 176 AN- 5AG2/1012: Note de la part du Ministère des Affaires étrangères, Paris 22 novembre 1973 op.cit. 19. 177 AN- 5AG2/1014: Note sur les conversations que M.Galley et Lord Carrington ont eues à Londres le 26 juin, 28 juin 1973, op.cit. 1. AN- 5AG2/1014:Télégramme à l'arrivée No 2092/2107 aux Directeurs, Londres 28 juin 1973, a/s "entretiens entre Lord Carrington et M.Galley (Londres 26 juin)" op.cit. 2: "En réalité, le seul défaut de l'Euro groupe était que la France en était absente". 178 AN- 5AG2/1014 (Grande-Bretagne -Divers): Note pour le Ministre de la part du Secrétaire d'État, 21 novembre 1973, 7 p., 3. 179 Ibid. 180 Ibid, 7. 181 Le Monde 29/9/1973 "La conférence de presse du chef de l'État; La défense européenne" avec J.P.Joulin (Europe 1) p.2.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 51

En ce qui concerne les autres États membres, selon Raimond, les sentiments de

neutralisme ne changeaient pas aux Pays-Bas, au Danemark et en Irlande en cours d'

année182. Surtout pour cette dernière, le paragraphe sur la défense posait un problème.

Ce pays préférait conserver sa neutralité, déjà soigneusement préservée par son

abstention de l'OTAN. Brandt l'affirma lors de l'entretien avec Pompidou du 26

novembre. En outre, disait-il, le paragraphe posait un problème aux Danois qui avaient

explicitement souligné à l'entrée dans les Communautés européennes que celles-ci ne

devaient pas représenter un nouvel engagement au niveau de la défense.183

Finalement, lors de la réunion des 19 et 20 novembre, les Ministres des Affaires

étrangères approuvèrent le contenu de la déclaration. Elle devait seulement encore être

améliorée dans sa forme. A condition que les Chefs d'État ou de gouvernement s'y

accordèrent, la déclaration pourrait être signée à Copenhague.184

Conclusions et réflexions

A partir du 10 septembre jusqu'à la réunion à Copenhague en décembre, le document

sur l'identité européenne changea de forme et de contenu. Il évolua d'un projet sans but

de publication à une déclaration solennelle en bonne et due forme, et perdit les

références au dialogue euro-américain tel qu'il fût envisagé au début. Il ne fut pas

modifié dans son insistance sur l'héritage commun des Neuf et leurs obligations dans les

affaires internationales quoi que le texte devînt plus détaillé. En même temps, le

document est enrichi de références à une Europe dynamique et capable de se défendre.

La partie majeure de la rédaction était exécutée par le Comité politique, assisté par le

Groupe de correspondants, avant que le Conseil n'approuvât les changements et la

version finale. Apparemment, la Commission des Communautés européennes et le

Parlement européen à Bruxelles ne sont pas, ou peu, intervenu. Mais la Déclaration sur

l'identité européenne est tout de même le résultat d'une authentique coopération

182 AN- 5AG2/1014: Note pour le Ministre de la part du Secrétaire d'État, 21 novembre 1973, op.cit. 3. AN- 5AG2/1036: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 10 décembre 1973, a/s "Partie politique du dossier pour les entretiens de Copenhague" op.cit. 2. 183 AN- 5AG2/1012 (Entretiens Franco-allemand -Réunion franco-allemande des 26 et 27 novembre 1973): Second entretien entre le Président de la République et m.Willy Brandt, le 26 novembre 1973 -17 heures, 27 p., 7-8. Megens (2005) op.cit. 15. 184 AN- 5AG2/1012 (Entretiens franco-allemands -Réunion franco-allemande des 26 et 27 novembre 1973): Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 23 novembre 1973, a/s "Partie politique du dossier pour les entretiens franco-allemands (26-27 novembre 1973)", 14 p., 3.

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 52

européenne. Car elle porte les marques de des interventions française, britannique,

allemande, irlandaise, belges et italienne. Tout d'abord, les Britanniques en prirent

l'initiative et proposèrent une esquisse. Les Irlandais donnèrent également une version .

Mais la rédaction a démarré grâce aux Français qui ont insisté sur le projet. Ils rendirent

une troisième proposition, qui ensuite devait servir de base. En automne, les délégations

belge et italienne suggéraient la publication du papier, ce qui fut fait après plusieurs

modifications française, allemande, britannique et italienne. Finalement, le projet

européen était approuvé le 20 novembre par le Conseil.

Le fonds Georges Pompidou ne nous informe pas beaucoup de la rédaction à

l'exception de quelques suggestions anglaises, françaises, allemande et italienne. Nous

avons l'impression que le Président n'était guère au courant des développements. Il en

était tout de même plus informé depuis les propos belge et italien de publier le

document. Car la plupart des sources concernent les mois de novembre et décembre.

Peut-être ce phénomène s'explique par le changement de caractère du document. Il

passa d'un projet intérieur destiné à servir de base à d' autres documents à une

déclaration officielle.

Selon le conseiller technique Jean-Bernard Raimond, les délégations belges et

italiennes avaient proposé la publication du document à Copenhague, pour que le public

pût saisir l'importance de cette réunion. Apparemment, cette réunion importait beaucoup

aux dirigeants européens et ils espéraient convaincre leurs concitoyens. Il est possible

de comprendre cette préoccupation dans les différences entre le grand public ayant des

sentiments pacifistes et quelques gouvernements ouverts à une coopération

européenne en matière de défense. D'ailleurs, le Premier ministre britannique qui était

également préoccupé par l'opinion publique se servait apparemment moins de la

Déclaration sur l'identité européenne pour convaincre les Britanniques.

En novembre une modification importante était apportée sur le document. Sur une

suggestion du Quai d'Orsay, le paragraphe sur la défense était agrandi et détaillé. Mais

l'agrément de tous les États membres n'était pas évident. Il existait des opinions

diverses dans le gouvernement français et également entre les partenaires européens.

Les perspectives différentes indiquent possiblement que la solidité de l'unité existait

moins en réalité que dans la Déclaration sur l'identité européenne. Compte tenu de la

Chapitre 4: La rédaction de la déclaration 53

complexité de la question, il est au moins surprenant que, finalement, tous les Neuf

approuvèrent le paragraphe sur la défense malgré les positions multiples.

Apparemment, Pompidou s'en rendait compte. Depuis toujours, il n'était pas convaincu

de la nécessité d'une défense européenne à court terme. Mais maintenant il tenait

d'autant plus à une manifestation d'une volonté politique commune et d'une personnalité

européenne avant la réalisation d'une défense européenne.

Au chapitre précédent nous avons vu que la personnalité européenne paraissait avoir

joué un rôle majeur dans l'accord du 23 juillet. Elle était cruciale pour l'acceptation

française d'envisager une réponse européenne. Non seulement ils exigeaient la

définition d'une identité européenne avant tout dialogue transatlantique, mais encore ils

étaient prêts, apparemment, à accorder des concessions en matière des liens entre les

Communautés européennes et la coopération politique. Ceci nous fait poser des

questions sur le thème d'une personnalité européenne : Qu'est-ce qu'elle signifiait en

1973 pour la France et ses partenaires? Est-ce que la Déclaration sur l'identité

européenne tire sa source de l'estime portée à cette personnalité?

Chapitre 5: La personnalité européenne 54

Chapitre 5: La personnalité européenne

La décision de définir une identité européenne était liée à la recherche d'une réponse

commune aux propositions américaines. Peut-être peut-on même dire que l'année de

l'Europe fut davantage un catalyseur pour l'unité politique européenne qu'un facteur de

renforcement des relations transatlantiques185. Elle stimulait la réaffirmation d'une

personnalité européenne qui se manifestait de plusieurs manières. En réponse au

propos américain, les Européens se réunirent et rédigèrent ensemble la Déclaration de

principe, avant de former un bloc dans les négociations avec la délégation américaine

en octobre et en novembre. En même temps ils définirent leur identité commune, qui se

transforma à une véritable déclaration.

Ces manifestations d'une Europe solide s'inscrivaient dans le cadre de la construction

européenne. Nous avons vu que l'unité européenne fut réaffirmée dans le rapport de

Copenhague du 23 juillet. En fait, l'insistance sur la personnalité européenne est une

constante dans l'histoire de la Coopération politique européenne.

L'unité européenne déclarée

Depuis la conférence de La Haye en décembre 1969, où les États membres se

décidèrent à la coopération politique, l'Europe se définissait de plus en plus comme une

unité politique avec une personnalité propre. Dans le communiqué de cette conférence,

les chefs d'État ou de gouvernement déclarèrent qu'ils tenaient "à affirmer leur foi dans

les finalités politiques qui donnent à la Communauté tout son sens et sa portée"186. Ils

demandaient aux Ministres des Affaires étrangères de faire des propositions sur la

réalisation de l' "unification politique"187. Il en sortit le rapport sur la Coopération politique

européenne du 27 octobre 1970. Dans ce rapport "Davignon", au paragraphe 3, était

déclaré que les États membres avaient :

185 Hiepel (2005) op.cit. 14. 186 Cité par Gerbet (1995) op.cit. 75. 187Ibid.

Chapitre 5: La personnalité européenne 55

"la commune conviction qu�une Europe regroupant des États qui, dans leurs diversités nationales, sont unis dans leurs intérêts essentiels, assurée de sa propre cohésion, [�] est indispensable à la sauvegarde d�un foyer exceptionnel de développement, de progrès et de culture, à l�équilibre du monde et à la protection de la paix"188.

En outre, dans le paragraphe 8, il était écrit que :

"la mise en oeuvre des politiques communes, déjà instaurées ou en voie de l�être, postule que des développements leur correspondent dans l�ordre proprement politique en vue de rapprocher le moment où l�Europe pourra s�exprimer d�une seule voix." 189

Deux ans plus tard, les chefs d'État et de gouvernement des Communautés

européennes élargies, réunis les 19 et 20 octobre à Paris, affirmèrent que :

"Conformément à ses finalités politiques, la construction européenne permettra à l�Europe d�affirmer sa personnalité dans la fidélité à ses amitiés traditionnelles et aux alliances de ses États membres et de marquer sa place dans les affaires mondiales en tant qu�entité distincte, résolue à favoriser un meilleur équilibre international, [�]."190

Dans le Deuxième Rapport de la coopération politique à Neuf du 23 juillet 1973, ces

mots furent répétés de la sorte :

"La nécessité apparaît pour l�Europe de marquer sa place dans les affaires mondiales en tant qu�entité distincte, et tout particulièrement compte tenu des négociations internationales destinées à avoir une influence déterminante sur l�équilibre international et sur l�avenir de la Communauté européenne."191

Remarquons que les communiqués de la Coopération politique européenne contenaient

des thèmes comparables aux ceux de la Déclaration de l'identité européenne. Dans le

dernier, l'Europe était représentée comme une entité distincte et solide, constituée de

plusieurs États membres qui, ayant "dépassé leurs antagonismes, [et] ont décidé de

s'unir en s'élevant au niveau des nécessités européennes fondamentales, pour assurer

la survie d'une civilisation qui leur est commune" (paragraphe 1). Ils exprimaient "la

volonté politique de mener à bien la construction européenne" (paragraphe 2) dans

plusieurs domaines. Ils parlaient de plus en plus d' "une seule voix" (paragraphe 6).

Dans leur politique commune envers des pays tiers, l'Europe s'inspirera entre autres du

principe que "Les Neuf, agissant en tant qu'entité distincte, s'appliqueront à promouvoir

188 "Rapport des Ministres des Affaires étrangères [�]"op.cit. paragraphe 3. (nous soulignons) 189 Ibid, 1-2. (nous soulignons) 190 "Déclaration du sommet de Paris" op.cit, partie du paragraphe 7. (nous soulignons ) 191 "Deuxième Rapport de la coopération politique à Neuf" BCE (9-1973) 12-21, 15.

Chapitre 5: La personnalité européenne 56

des rapports harmonieux et constructifs avec ces pays; ces rapports ne doivent ni

compromettre, ni retarder ou affecter leur volonté de progresser [..] vers l'Union

européenne." (paragraphe 10a) 192

Ainsi, la déclaration du 14 décembre paraît s'inscrire logiquement dans l'histoire de la

coopération européenne. Depuis 1969, les États membres désiraient souligner

l'importance de la personnalité européenne. Non seulement nous reconnaissons les

mêmes thèmes d'une personnalité européenne, d'une unité distincte, d'une Europe

parlant d'une seule voix et de la volonté politique de l'ensemble des Neuf, mais l'idée

d'une coopération politique conçue comme un processus dynamique réapparaissait

également. Dans le paragraphe 20 de la déclaration, nous lisons que la définition d'une

identité européenne n'était pas encore accomplie en 1973 et qu'elle continuerait "à

évoluer en fonction de la dynamique de la construction de l'Europe". En effet, nous

retrouvons les mêmes thèmes dans les textes ultérieurement adoptés, Vlad Constinesco

l'expose soigneusement dans son étude. Mais ajoutons à son travail que la déclaration

de l'identité européenne ne paraît qu'une phase intermédiaire dans la constitution de

cette identité. Les éléments répétitifs figuraient déjà dans les textes antérieurs.193

En même temps, la rédaction d'un document sur l'identité européenne peut également

être vue comme une continuation de la politique des institutions européennes. Le

Parlement et la Commission de la Communauté économique européenne avaient

cherché à promouvoir cette identité depuis leur instauration en 1958. Celle-ci pouvait

légitimer les institutions dans l'exercice du pouvoir au sein des Communautés et dans le

monde194. Dans les années 60, les institutions mettaient l'accent sur un patrimoine

commun en Europe et sur ses valeurs spirituelles et morales. Ils s'engageaient pour le

développement d'un sentiment d'appartenance à l'Europe, l'affirmation d'une volonté

d'unité et l'entretien de l'esprit européen.195 Ces thèmes d'un héritage commun, la

volonté de s'unir et l'esprit européen se retrouvent également dans la déclaration.

Pourtant il y a une différence entre ce document et les politiques des institutions. Car

ces dernières s'occupaient surtout de l'identité européenne des citoyens des États

192 Voyez l'Annexe 1: "La Déclaration sur l'identité européenne (Copenhague, 14 décembre 1973)". 193 Constantinesco (1998) op.cit. 439-443. 194 Ludlow (1998) op.cit. 311. 195 Marie-Thérèse Bitsch �Conclusion: Les institutions européennes, reflet ou promoteur des identités européennes?", dans: M-H.Bitsch, W.Loth, R.Poidevin (dir) Institutions européennes, identités européennes (Bruxelles, 1998) Bruylant 503-511, 506.

Chapitre 5: La personnalité européenne 57

membres, tandis que la déclaration se concentre davantage sur l'identité de l'entité

européenne envers l'étranger. C'est pas que les institutions évitaient le sujet du rapport

au monde. Selon Nicolas Piers Ludlow, la Commission se manifestait dans la politique

de commerce international comme un représentant important de l'Europe, parfois même

le seul. Elle espérait faire naître une 'Europe' dans la diplomatie internationale196. Mais

celle-ci avait plus un caractère économique que politique .

Dans son discours au Parlement européen du 13 février 1973, le Président de la

Commission, François-Xavier Ortoli, paraît viser un autre aspect de l'identité

européenne qui ressemble plus à celui de la déclaration postérieure. Dans ce discours,

comprenant tout le programme de la Commission pour l'année 1973, il déclara que

l'Europe devait "dégager progressivement une identité européenne"197. Lors du Sommet

de Paris d'octobre 1972, les États membres s'étaient préoccupés, dit-il, de définir une

identité commune. A son avis, celle-ci se construisait d'après trois axes politiques:

"définir la place de l'Europe dans le monde, acheminer l'Europe vers une union

irréversible et mettre au c�ur de toutes nos actions le souci de l'humain et la volonté de

participation".198 Dans son discours, tout le programme de la Commission pour 1973

était subordonné à cette identité. Elle comprenait des politiques et des actions concrètes

dans des domaines comme la monnaie, l'économie, la science et l'énergie. Ortoli se

concentrait donc surtout sur les terrains touchants l'économie, mais il soulignait quand

même l'importance pour l'Europe de définir sa place dans le monde:

"Avec les pays industrialisés, il s'agit de poursuivre un dialogue constructif. Au premier d'entre eux, les États-Unis. Il nous faut comprendre que cette grande nation, confrontée, comme nous tous, sur le plan économique et aussi sur le plan politique à des changements importants, ne peut, comme nous tous, que s'interroger sur l'état de ses relations avec autrui. Elle doit, de son côté, comprendre nos responsabilités et nos problèmes."199

Quand nous reconnaissons dans la Déclaration de l'identité européenne la même

préoccupation, il y a pourtant une différence entre la définition conceptuelle de l'identité

dans la déclaration et les projets concrets du discours d'Ortoli: la déclaration n'était

clairement pas un programme d'action.

196 Ludlow (1998) op.cit. 308-311. 197 "Discours prononcé devant le Parlement européen par M.François-Xavier Ortoli, Président de la Commission, le 13 février 1973." BCE (2-1973) 6-19, 7. 198 Ibid, 7. 199 Ibid, 7.

Chapitre 5: La personnalité européenne 58

Une autre grande différence entre la Déclaration de l'identité européenne d'un côté et

les projets ultérieurs de l'autre, autant dans le cadre des Communautés européennes

qu'au niveau de la coopération politique, consistait en ce que ce document était

initialement une affirmation interne de l'identité européenne. En principe, il n'était pas

rédigé pour être publié. Censé fonder le dialogue avec les États-Unis, le document sur

l'identité européenne était fait par et pour l'ensemble des Neuf. Non que le projet ait été

un secret (Raymond Aron le rappela brièvement dans le Figaro du 18 septembre200).

Mais il s'agissait principalement d'un document à usage interne du Conseil des ministres

et du Comité politique dans la Coopération politique européenne. Il servirait de base à

d'autres textes qui, eux devaient être rendus publics: la Déclaration de principe et la

Déclaration à quinze.

Il faut se demander pourquoi les Européens voulaient encore rédiger le document sur

l'identité européenne. Depuis 1969, ils avaient déjà déclaré plusieurs fois viser une

coopération européenne avec une personnalité propre. Il est possible que les rédacteurs

espérassent donner à l'étranger le signal clair d'une Europe unie. En effet, le 1er

octobre, le Président français disait avec satisfaction à son collègue italien que, depuis

la réunion de Copenhague, les Neuf "ont donné l'impression que l'Europe tendait vers

son unité et son identité"201.

En outre, peut-être pouvons-nous encore comprendre l'importance attribuée à cette

réflexion interne par la nécessité de renforcer la cohérence interne. Le 22 juin,

Pompidou fit remarquer à Brandt que l'Europe paraissait exister surtout par rapport à

l'étranger. Par exemple, Kissinger avait fait allusion à une 'année de l'Europe' et

l'ambassadeur soviétique en s'y était référé dans un entretien avec le Président français.

En revanche, pour les Européens, il n'était pas évident de parler d'une seule voix,

comme Pompidou disait: "Les intérêts des États réapparaissent davantage et ce que fait

la Communauté n'a pas grande substance."202 De ce point de vue, la définition d'une

identité européenne a pu jouer un rôle effectif, ne serait-ce qu'au niveau interne.

Or, les États membres décrivaient l'Europe comme une entité solide. Mais en même

temps il était toujours nécessaire d'affirmer en interne son identité . Apparemment les 200 Soutou (1997) op.cit. 1251-1252. 201 AN- 5AG2/1016: Premier tête-à-tête entre le Président de la République et M Leone, le 1er octobre 1973, op. cit., 8. 202 AN- 5AG2/1012: Second entretien entre M.Pompidou et le Chancelier Willy Brandt, Bonn 22 juin 1973 op.cit. 4.

Chapitre 5: La personnalité européenne 59

Neuf n'étaient pas sur la même ligne. Étudions maintenant la personnalité européenne

dans les politiques des États membres, pris individuellement, à la veille de la

déclaration.

Les États membres et les personnalités européennes

Dans la pensée de Georges Pompidou, avoir une personnalité européenne équivalait à

avoir une indépendance dans les affaires mondiales et était donc important. "L�essentiel

est de penser en termes européens, de chercher à coordonner les politiques entre

partenaires européens plutôt que de les soumettre à d�autres"203, dit-il le 25 mai 1971

dans un entretien avec le Premier ministre belge Gaston Eyskens. Il tenait à ce "que

l�Europe existe, distincte du reste du monde et qu�elle existe en tant que telle.204 Ainsi,

"Si nous voulons avoir notre politique, il importe que celle-ci soit commune et que

chacun prenne ses responsabilités. Si l�on veut être Européen, il faut d�abord être loyal

vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis de l�Europe."205 Il s'agissait ici surtout d'une

indépendance envers les deux superpuissances, ce qui était "l'objectif essentiel pour

l'Europe"206. Pourtant, remarquons en suivant Claudia Hiepel, que la position française

était un peu ambiguë, car la personnalité européenne n'excluait pas la nécessité des

troupes américaines en Europe.207

Dans cette insistance sur la personnalité européenne et sur l'indépendance politique on

reconnaît une vision gaulliste. Pompidou fut Président du 15 juin 1969 au 2 avril 1974,

après avoir été Premier ministre depuis le 16 avril 1962 sous la présidence du Général

Charles de Gaulle. Comme son prédécesseur, le Président Pompidou était soucieux de

conserver l'indépendance politique de la France. Il refusait la politique des 'Blocs'

américain et soviétique. De même, il était déterminé à conserver la souveraineté

nationale vis-à-vis des institutions européennes, au moins pour le moment. Le 20 mai

203 AN- 5AG2/1013 (Belgique -Voyage officiel du Président de la République 24/26 Mai 1971): Compte-rendu des entretiens entre le Président de la République et le Président du Conseil des ministres de Belgique au Palais Royal de Bruxelles le 25 Mai 1971 de 10h a 11h30, 12p., 4. 204 Ibid, 6. 205 Ibid, 9. 206 AN- 5AG2/1003: Note avec annexe de la part du Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne au Premier Ministre, 27 septembre 1966, a/s "Réflexions sur l'évolution de l'Europe des six", 12 p., 3. 207 Hiepel (2004) op.cit. 6. Toutefois, ces pensées sur l'indépendance n'empêchaient pas le Président français d'avoir de bonnes relations avec les États-Unis. Selon Georges-Henri Soutou, une coopération militaire franco-américaine s'intensifia à partir du printemps 1970 jusqu'à la nouvelle crise monétaire en automne 1972. Soutou (2000) op.cit. 112-113.

Chapitre 5: La personnalité européenne 60

1970, il disait à Aldo Moro, Ministre des Affaires étrangères italien: "Les perspectives

d'une véritable confédération existent, mais elles ne sont pas immédiates"208 Pendant la

conférence d'octobre 1972 à Paris, il proposait 'l'Union européenne', un terme à

l'interprétation vague et diverse, pour pouvoir éviter la discussion sur les relations entre

les Communautés européennes et la coopération politique209. Mais, à la différence du

Général, il prônait l'entrée de la Grande-Bretagne dans les communautés. Il était

convaincu de la nécessité de poursuivre la construction de l'Europe, surtout pour des

raisons économiques. Juste après son arrivée à l'Elysée, il proposa une relance de la

coopération européenne.210

Les archives nous montrent que d'autres dirigeants européens prêtaient également de

l'importance à la personnalité européenne. Même avant son entrée dans les

Communautés européennes, Heath soulignait l'importance d'une "Europe parlant d'une

seule voix"211 au 5 mai 1970. Le dirigeant pro-européen raconta au Président Pompidou

que, pour lui, une attitude commune dans les affaires internationales était cruciale pour

intéresser l'opinion publique anglaise à l'Europe. Trois ans plus tard, il prêchait pour une

réponse européenne au discours de Kissinger. Le 21 mai, il disait à Pompidou:

"Maintenant que la Communauté est élargie et qu'elle s'est fixée une politique pour dix

ans, nous devons avoir confiance dans nos capacités d'agir ensemble en tant que

Communauté."212. Dans ses mémoires, Kissinger écrirait plus tard que, déjà en février

1973, Heath avait informé le Président américain de ses préférences pour une position

européenne dans les discussions sur les rapports transatlantiques213. Le Premier

ministre différait de ces prédécesseurs britanniques sur cette insistance pour une action

commune européenne envers les États-Unis. Le conseiller américain le décrirait même

comme "le seul dirigeant britannique que j'aie jamais rencontré qui non seulement

manquait de cultiver la 'relation spéciale' avec les États-Unis mais qui a encore pu la

déclasser en rendant à la fierté européenne une place dans les politiques

208 Roussel (2004) op.cit. 18. 209 C'était une idée avancée par Edouard Balladur. Interview 1AV468, Entretien de l'Association Georges Pompidou avec Michel Jobert: 6e entretien, le 21 juin 1999. 210 Roussel (2004) op.cit. notamment 14-22; Soutou (2000) op.cit. notamment 112-114; Gerbet (1995) op.cit. notamment 55-57; Mélandri (1995) op.cit. notamment 89-91. Jean-René Bernard "Pragmatisme et ambition dans l'action européenne du Président Pompidou" l'Association Georges Pompidou Georges Pompidou et l'Europe; Colloque 25 et 26 novembre 1993 (Paris, 1995) éditions complexe 45-54, cf. 211 AN- 5AG2/1014: Audience accordée par M.le Président de la République à M.Heath le 5 mai 1970, op.cit. 1-2. 212 AN- 5AG2/1015: Premier tête-à-tête entre M.Pompidou et M.Heath le 21 mai 1973, op.cit. 3. 213 Kissinger (1982) op.cit. 143. Burr et Wampler (2004) op.cit. 11.

Chapitre 5: La personnalité européenne 61

britanniques."214 Mais en fait, Heath espérait rester fidèle aussi bien à l'Europe qu'aux

États-Unis. 1973 était une année 'à bascule' pour la Grande-Bretagne, où elle cherchait

une position européenne dans le dialogue transatlantique, mais restait pourtant "l'allié le

plus solide et digne de confiance des États-Unis."215 Peut-être peut-on même dire que

cette position était leur raison d'entrer au sein des communautés. Si l'on en croit Burin

des Rosiers "Pour lui, il s'est agi avant tout de replacer l'Angleterre au premier plan de

la scène internationale. La place que celle-ci convoite est celle d'intermédiaire désigné

entre le vaste monde Anglo-Saxon [�] et l'Europe continentale qui vient de l'admettre

en son sein."216 Selon le diplomate, l'importance de l'Europe pour le gouvernement de

Londres ne se résidait pas moins dans le cadre économique que politique.

Quand Heath préférait une réponse européenne au propos américain, il n'envisageait

pourtant pas une concertation entre les Neuf ensemble. Déjà le 21 mai, il demanda à

Pompidou: "Avez-vous l'intention de préparer un projet, ainsi que vous l'aviez fait pour le

Sommet européen, qui nous a servi de base d'accord? On n'arrivera jamais à une bonne

déclaration si l'on en prépare le projet dans la Communauté"217. Deux mois et demi plus

tard il proposa d'organiser un sommet tripartite avec la France, la Grande-Bretagne et la

République Fédérale d'Allemagne "pour essayer une ligne commune européenne"218.

De même, Nixon avait proposé de préparer le dialogue transatlantique en petit groupe:

les trois grands pays européens et les États-Unis. Sans rejeter l'idée, Pompidou lui

répondait à Reykjavik qu'il craignait que cette idée ne pût provoquer une méfiance chez

les autres États européens: "Nous sommes là dans un domaine délicat, car nous avons

affaire à la susceptibilité des petits"219. En effet, ceux-ci réagissaient avec défiance en

automne 1973. Surtout aux Néerlandais, aux Belges et aux Irlandais, l'idée d'un

"directorat à trois"220 ne pouvait pas plaire. Pompidou en disait, un peu irrité: "On a un

214 Noble (2004) op.cit. 2. Nous traduisons. ("the only British leader I encountered who not only failed to cultivate the "special relationship" with the United States but actively sought to downgrade it and to give Europe pride of place in British policy"). 215 Noble (2004) op.cit. notamment 1-4, la citation se trouve à la p.3. Noble cite ici Lord Cromer, ambassadeur anglais à Washington, d'un envoi (à Nixon ?) le 22 février 1973. Nous traduisons ("America's staunchest and most dependable ally"). 216 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Communautés européennes): Télégramme à l'arrivée No 2671-2694 de la part de Burin des Roziers au Directeur, Bruxelles 15 juillet 1973, a/s "Etat des relations franco-britanniques au sein de la communauté économique européenne a la veille du voyage de M.Davies a Paris" 8p., 3. 217 AN- 5AG2/1015: Premier tête-à-tête entre M.Pompidou et M.Heath le 21 mai 1973, op.cit. 7. 218 Noble (2004) op.cit. 8.Cité par Noble d'un télégramme avec un message de Heath à Pompidou et à Brandt. Nous traduisons ("to try to cement a common European line"). 219 Roussel (2004) op.cit. 555. Voyez encore Burr et Wampler pour les discussions entre Kissinger et Jobert sur cette rencontre. Contrairement à Jobert, Kissinger était convaincu que le Président français avait approuvé le propos d'une collaboration à quatre. Burr et Wampler (2004) op.cit. 20-27. 220 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Coopération politique à Six et à Neuf): "Initiative européenne du Président de la République", 12 novembre 1973, 1 p.

Chapitre 5: La personnalité européenne 62

peu l'impression que les Hollandais croient toujours que la France est celle de Louis

XIV, l'Espagne celle de Philippe II, l'Angleterre celle de Guillaume d'Orange!"221. Le

Président français argumentait que les petits pays n'avaient rien à craindre car il y

existait toujours l'usage et le règle de l'unanimité pour les questions vitales222. En effet,

nous avons vu qu'en été les trois pays discutaient ensemble avec les États-Unis sur les

déclarations. Mais le sommet tripartite ne fut pas organisé.

Les Allemands voyaient la possibilité d'avancer la personnalité européenne dans le

monde par le biais d'un dialogue plus intensif avec l'Outre-Atlantique. Dans un

télégramme du 16 janvier 1973, l'ambassadeur français à Bonn, Jean Sauvagnargues

citait son collègue allemand Fisher qui plaidait pour une meilleure coopération entre les

Neuf et les États-Unis. Celui-ci avait argumenté "qu'un tel dialogue, [�], loin de donner

aux États-Unis la possibilité de peser sur les décisions de la CEE, contribuerait au

contraire à l'affirmation de l'identité européenne."223 Au cours de l'année, ces paroles se

révélèrent prophétiques.

En fait, la République Fédérale d'Allemagne avait favorisé l'amélioration des rapports

entre l'Europe et les États-Unis bien avant le discours de Kissinger. Scheel avait

proposé une institutionalisation des rapports entre les Communautés et les États-Unis

au Conseil du 6 mars 1970 à Bruxelles par l'édification d'un comité mixte rassemblant

les représentants des deux entités. Contrairement aux Néerlandais et aux Italiens qui

avaient immédiatement montré leur intérêt, les Français s'étaient opposés à la

proposition. A leurs avis, on n'avait pas besoin d'un organe nouveau à côté de l'OCDE,

le FMI ou le GATT. De même ce comité pourrait conduire à la création d'un dialogue

transatlantique où les sujets divers de l'économie et la politique étaient liés224.

En 1973, la position anglaise était médiane. Les Britanniques étaient aussi favorables à

un comité mixte, mais en même temps ils rejetaient avec les Français la liaison des

domaines.225 Heath estimait comme Brandt que l'Europe pouvait affirmer son identité

221 AN- 5AG2/1015 (Grande-Bretagne -novembre): Premier entretien entre le Président de la République et M.Heath à Chequers, vendredi 16 novembre 1973 de 11h30 a 13 heures, 13 p., 10-11. 222 Ibid. 223 AN- 5AG2/1036: Télégramme à l'arrivée No 347/53, de Sauvagnargues, Bonn 16 janvier 1973, a/s Sommet franco-allemand et relations entre la CEE et les Etats-Unis, op.cit. 3. 224 AN- 5AG2/1010 (Entretiens franco-allemands -1970): Note de la part de Ulrich, Ministère des Affaires étrangères, Direction des affaires économiques et financières. Service de Coopération Economique, réf: CM/RM No116/CE, 11 mai 1970, a/s "Proposition de création d'une Commission mixte États-Unis - CEE", 5 p. 225 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Communautés européennes): "Affaires européennes", 29 mars 1973, 1 p., Noble (2004) op.cit. 2.

Chapitre 5: La personnalité européenne 63

dans ses rapports avec les États-Unis. Raimond informait le Président français au 8

novembre 1973 que les Anglais étaient convaincus que la Déclaration de principe devait

"amener les Américains à reconnaître la personnalité européenne en voie de

formation"226. Mais au Quai d'Orsay, on se méfiait de l'orientation politique britannique:

"L'ambition britannique est de mener, à défaut de relations spéciales, un dialogue

privilégié avec les États-Unis. Mais ce rôle n'a de sens que si Londres, dans un tel

dialogue, est en mesure de parler au nom des Neuf."227

Ainsi, les Anglais et les Allemands visaient une coopération transatlantique. Ils

s'appliquaient à faire entrer la France dans une réponse européenne. La Grande-

Bretagne collaborait plus activement que la République Fédérale d'Allemagne avec la

France. Les Anglais proposaient par exemple quelques esquisses de déclarations qui

s'accordaient avec les désirs français. Selon Claudia Hiepel, les Allemands étaient plus

réticents dans leur politique. Ils avaient peur de devoir choisir entre le 'Gaullisme' et l'

'Atlantisme'. A leur avis, la politique française était en train de passer une phase difficile

dans le domaine des affaires étrangères. La perte du rôle important de la France dans la

politique mondiale et la menace des accords des superpuissances les contraignait à

chercher un rôle nouveau. Les Allemands estimaient que la définition de l'identité

européenne pouvait les aider228. Il est possible que le fait que Willy Brandt et Georges

Pompidou ne s'entendaient pas au mieux ait joué un rôle. Leur relation personnelle

n'était pas excellente et leurs politiques divergeaient. Le Président français se méfiait

par exemple beaucoup de l'Ostpolitik allemande. Il craignait qui celle-ci n'entraînât un

déséquilibre politique en Europe.229

En outre, le Président italien Giovanni Leone paraît avoir hautement estimé l'identité

européenne. Du 1 au 5 octobre, il rendait une visite à la France, accompagné de son

épouse. Ses allocutions publiques lors de la visite contenaient plusieurs affirmations de

la personnalité européenne. À la radio italienne, les mots du Président français furent

répétés: "les relations franco-italiennes doivent être exemplaires, pour constituer l'un des

maillons les plus solides de l'union européenne [�] et pour contribuer à l'affirmation de

l'identité européenne qui doit donner un sens à notre union et assurer la présence de 226 AN- 5AG2/1015: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, 8 novembre 1973, a/s "partie politique du dossier pour les entretiens de Chequers.", op.cit 4-5. 227 Ibid. 228 Hiepel (2004) op.cit. 8. 229 Interview 1AV472, Entretien avec Burin des Roziers, op.cit. Bitsch (2004) op.cit. 174-175.

Chapitre 5: La personnalité européenne 64

l'Europe dans les affaires du monde."230 Peut-être faut-il comprendre cette insistance sur

une personnalité européenne à la lumière des préoccupations du gouvernement italien

envers l'opinion publique.

Or, quand la personnalité européenne était une ambition générale des Neuf, elle avait

plusieurs significations. Les États membres désiraient tous coopérer en termes

politiques. Mais chacun l'interprètait en fonction de ses intérêts nationaux. Par contre, en

automne du 1973, les Neuf se montraient fortement unis face à la crise au Proche-

Orient.

La déclaration sur la situation au Proche-Orient et la solidarité européenne

Le 6 novembre, les chefs d'État et de gouvernement adoptèrent une déclaration sur la

crise au Moyen-Orient. Pour la première fois, les États membres choisissaient

publiquement une autre position que les Américains. Ils rappelaient les droits du peuple

palestinien et demandaient la fin de l'occupation territoriale de 1967. En outre, cette

déclaration apparaissait le lendemain d'un propos du gouvernement américain pour des

négociations de paix.231

Pendant la guerre du Kippour, il n'était pas douteux que la politique internationale fût

dirigée par les deux superpuissances, les États-Unis et l'URSS. Les autres grands pays

ou organisations de coopération internationales n'eurent pas voix au chapitre. Ils furent

traités, comme le disait Michel Jobert, de "non-personnes"232. Mais en même temps, "le

conflit d'octobre a joué le rôle d'un 'révélateur' en incitant les parties à rendre publiques

des prises de position concrètes sur tous les principaux problèmes liés au règlement de

la crise."233 Le 6 novembre, les Neuf marquaient leur position dans le conflit par une

déclaration. Celle-ci fut signée par les Neuf ensemble et montra ainsi une position

commune et indépendante de la part de l'Europe. De plus, à la réunion des 19 et 20

230 AN- 5AG2/1016 (Italie): "Projet de déclaration de M. le Président de la République a la radio auizioni italiani -R.A.I." de la part du Lucet, 3 p., 2 (citation). Voyez encore: AN- 5AG2/1016 (Italie): Allocation de M. le Président de la République a l'occasion du dîner donné en l'honneur de M. Leone, Président de la République italien le 1er octobre 1973, 4 p. Voyez également l'article de Maurice Delarue "La visite du Président Leone en France" Le Monde (4/10/1973) 6. 231 "Déclaration commune des gouvernements de la Communauté économique européenne sur la situation au Proche-Orient (6 novembre 1973)" site d'internet European NAvigator (http://www.ena.lu). Hiepel (2004) op.cit. 11. 232 Cité par Milza (1996) op.cit. 15. 233 Comme il fut écrit dans la note de synthèse: AN- 5AG2/1012: Note de la part du Ministère des Affaires étrangères, Paris 22 novembre 1973 op.cit 18.

Chapitre 5: La personnalité européenne 65

novembre à Copenhague, le Conseil des ministres convenait de poursuivre l'examen

des conditions dans lesquelles pourrait s'ouvrir un dialogue entre l'Europe et le monde

arabe. D'ailleurs, la concertation européenne ne visait pas seulement une consolidation

de paix en Proche-Orient. Les Ministres favorisaient parallèlement une politique plus

active en terrain économique. Elle pourrait se traduire dans les domaines de la

coopération industrielle ou de l'assistance technique.234 Enfin les États membres étaient

parvenus à s'exprimer d'une seule voix. Robert Galley disait à son collègue britannique

que la situation mondiale et la crise récente "avaient accéléré une prise de conscience

politique de l'Europe dans le sens qui avait toujours été le nôtre, c'est-à-dire une Europe

assumant ses responsabilités." 235

Pourtant, derrière la façade de la déclaration du 6 novembre, on peut remarquer une

unité européenne remise en cause. Car l'initiative de la déclaration et la rédaction

étaient largement le fruit d'une coopération anglo-française236. Ce qui ne pouvait pas

plaire aux Américains. Le secrétaire de la Défense, Arthur Schlesinger, reprochait même

à son collègue britannique de développer des politiques "gaullistes pourries".237 En

revanche, Willy Brandt hésita longuement avant de signer le document. Les livraisons

américaines des armes américaines à Israel à partir du territoire allemand avaient été

mal reçues par le gouvernement de Willy Brandt. Mais il voulait éviter une dégradation

de ses relations avec Nixon et Kissinger. L'accord de Brandt à la déclaration du 6

novembre devait provoquer une polémique entre les États-Unis et la République

Fédérale d'Allemagne.238 De même la presse allemande critiquait fortement la signature

allemande et n'y voyait "qu'un effet des pressions arabes."239

Ce jugement était lié à l'augmentation du prix de pétrole et à un embargo mis en place

par les pays de l'OPAEP sur quelques pays occidentaux, comme les Pays-Bas. Tous les

pays européens devaient faire face à un manque d'approvisionnement énergétique.

234 Ibid. AN- 5AG2/1036 (Affaires européennes. Copenhague 14/15 décembre 1973): Note pour m. Balladur de la part de Lucet, 11 décembre 1973, a/s "Position britannique à Copenhague: Energie et Proche-Orient" 4 p. Mélandri (1988) op.cit. 101-103. Charles Zorgbibe Histoire de la construction européenne (Paris, 1993) Presse universitaires de France, 167-168. 235 AN- 5AG2/1014: Note pour le Ministre de la part du Secrétaire d'État, 21 novembre 1973, op.cit. 6-7. 236 Mélandri op.cit. 188. 237 Noble op.cit. 10-12. Citation à la page 11. Nous traduisons ("decayed Gaullism"). Hiepel (2004) op.cit. 11. 238 AN- 5AG2/1015: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, 8 novembre 1973, a/s "partie politique du dossier pour les entretiens de Chequers.", op.cit. 5. Hiepel (2005) op.cit. 11. 239 AN- 5AG2/1012: Note de la part du Ministère des Affaires étrangères, Paris 22 novembre 1973 op.cit. 4.

Chapitre 5: La personnalité européenne 66

Surtout les Néerlandais étaient touchés par un embargo absolu240. Le gouvernement se

voyait obligé d'instituer des 'dimanches sans voitures' où toute utilisation de véhicule à

moteur était interdite. Le premier de ces dimanches fut le 4 novembre, juste avant la

signature de la déclaration sur la situation au Proche-Orient. Joop den Uyl, le Premier

ministre néerlandais et son Ministre des Affaires étrangères , Max van der Stoel,

cherchaient en vain le soutien de leurs partenaires européens. Mais ceux-ci craignaient

des mesures supplémentaires pesant sur leur propre approvisionnement. Pendant la

rencontre des Ministres à Bruxelles au 5 novembre, Van der Stoel n'était épaulé que

par ses collègues allemand et danois, et, bien qu'un peu moins, par les Belges et les

Luxembourgeois. Le gouvernement néerlandais ne voyait pas d'autre alternative que de

signer la déclaration le lendemain.241

Les Néerlandais signalaient un manque de solidarité européenne lors de la crise du

pétrole. Le 18 novembre, l'ambassadeur Luxembourgeois à La Haye écrivait à son

Ministre des Affaires étrangères qu' "un nombre grandissant de voix demande au

Gouvernement de faire de la question pétrolière un "test-case" de la solidarité

européenne"242. Le Chancelier allemand plaidait encore pour le cas néerlandais auprès

du Président français le 26 novembre. Mais celui-ci comparait les Pays-Bas à une

personne qui se noyait: "si quelqu'un crie au secours sur une plage, il faut bien sûr tout

faire pour éviter qu'il se noie mais cela ne sert à rien que tout le monde se noie avec lui.

[�] Rien ne serait plus désastreux que de voir les pays arabes généraliser purement et

simplement le boycott vis-à-vis de l'Europe. Pour eux, ce serait très simple."243 D'ailleurs,

selon le Quai d'Orsay, les Allemands étaient surtout inquiétés de leur approvisionnement

en pétrole, qui passait via le port néerlandais de Rotterdam. Les Français

soupçonnaient les Néerlandais d'abuser de leur situation géographique244. Ainsi,

Pompidou remarque à Brandt le même jour:

"Je ne veux pas [..] faire de cette histoire du pétrole une sorte de petite guerre verbale ou politique entre les Pays-Bas et la France. [�] Eux n'ont pas beaucoup parlé de solidarité. Ils avaient plutôt tendance à utiliser au

240 L'embargo était une réaction contre la livraison de munitions aux Israéliens, niée par le Premier ministre Den Uyl. Plus tard il a été révélé que ces livraisons étaient organisées en secret par le Ministre de Défense Henk Vredeling et le secrétaire d'État Bram Stemerdink. Van Eekelen (2000) op.cit 77. 241 Ibid. 77-78. 242 "Lettre de l'Ambassadeur du Luxembourg aux Pays-Bas à Gaston Thorn (La Haye, 18 novembre 1973)" (Archives nationales du Luxembourg. Ministère d'État. Affaires étrangères. Dossier 39, 1970-1974 I). Site d'internet European NAvigator (http://www.ena.lu) 243 AN- 5AG2/1012: Second entretien entre le Président de la République et m.Willy Brandt, le 26 novembre 1973 -17 heures, op.cit. 11. 244 AN- 5AG2/1012: Note de la part du Ministère des Affaires étrangères, Paris 22 novembre 1973 op.cit. 4-5.

Chapitre 5: La personnalité européenne 67

maximum leur situation géographique. Ce point de vue extrêmement nationaliste était recouvert par des paroles de supra-nationalité. Il faut admettre que si la solidarité doit jouer, elle le doit dans tous les sens."245

Au début décembre, les Britanniques plaidaient pour "une aide très discrète aux Pays-

Bas"246. Mais le Président français faisait remarquer à Heath, que les Européens avaient

pourtant refusé en mai 1973 la proposition française d'une augmentation des stocks en

énergie. Plus tard, Michel Jobert y ferait allusion avec ses références à la fable de la

cigale et la fourmi'247. En effet, en mai 1973 un Conseil ministériel sur la politique

énergétique des Neuf n'avait pas abouti à un désaccord entre la France et ses

partenaires. Mais quand les Français accusaient leurs partenaires d'obstruer le progrès,

ils n'en étaient pas moins l'objet du même reproche à leur tour de la part des

Allemands.248 Les désaccords se concentraient notamment sur la méthode de

production de l'uranium enrichi. La France préférait la diffusion gazeuse tandis que ses

partenaires penchaient plutôt par la méthode de centrifugation. Une grande différence

entre les deux méthodes était le fait que la première produirait plus rapidement

d'uranium, en sorte qu'il serait nécessaire d'importer moins d'énergie qu'avec la

dernière.249 En automne 1973, les Neuf ne s'étaient toujours pas accordés.

Les différences entre les Européens ne concernaient pas seulement l'affaire du pétrole.

Il y avait également plusieurs opinions sur la guerre. Les États membres n'avaient pas

les mêmes relations avec les pays du Proche-Orient qui, eux, réalisèrent que l'unité

européenne était moins solide. Le 16 novembre, Georges Pompidou dit à Edward Heath

que le représentant français à Tel-Aviv avait été informé par un membre du Ministère

israélien que les Israéliens savaient que la déclaration était surtout le fruit d'une

collaboration franco-anglaise. L'Israélien avait dit connaître tout le détail des

délibérations. "Je crains que ce ne soit vrai", ajoutait le Président français. "C'est le

signe que l'unité des Neuf reste de façade"250.

245 AN- 5AG2/1012 (Entretiens Franco-allemands -Réunion franco-allemande des 26 et 27 novembre 1973): Premier entretien entre le Président de la République et m.Willy Brandt, le 26 novembre 1973, de 11h a 12h30, 19 p., 14. 246 AN- 5AG2/1036:Note pour monsieur Balladur de la part de Lucet, 11 décembre 1973, a/s "Position britannique a Copenhague: Energie et Proche-Orient" op.cit. 1. 247 AN- 5AG2/1015 (Grande Bretagne -novembre 1973): Second entretien entre le President de la Republique et M.Heath, a Chequers. Vendredi 16 novembre 1973, de 16 heures a 19 heures, 14 p., 5. Jobert (1974) op.cit. 270. 248 AN- 5AG2/1035 (Affaires européennes -Communautés européennes): Télégramme à l'arrivée No 2558/60 de la part de Sauvagnargues aux Directeurs, Bonn 24 mai 1973, a/s/ "Pessimisme de M.Rohwedder sur la politique énergétique communautaire", 2 p. 249 AN- 5AG2/1012: Note de la part du Ministère des Affaires étrangères, Paris 22 novembre 1973 op.cit. 12-13. 250 AN- 5AG2/1015: Premier entretien entre le Président de la République et M.Heath a Chequers, vendredi 16 novembre 1973, op.cit. 11.

Chapitre 5: La personnalité européenne 68

En effet, le 7 décembre, ces mots furent encore renforcés par le télégramme de Louis

de Guiringaud, à cette époque diplomate auprès les Nations-Unies. Il donnait ses

impressions sur la concertation européenne lors de la XXVIIIème session de

l'assemblée générale. Sauf dans le domaine de l'économie, cette concertation était

encore limitée, disait-il, car certains partenaires "ne sont pas vraiment préparés à la

conception d'une Europe dégagée des hégémonies extérieures"251. Apparemment, les

Allemands étaient d'avis que les superpuissances avaient montré un rôle de garant de

paix tandis que les Français insistaient plutôt sur leurs connivences. Les Britanniques

avaient pris une voie moyenne. Selon De Guiringaud, on pouvait distinguer un clivage

dans le groupe des Neuf, laissant de côté les trois pays du Pays-Bas, le Danemark et

l'Irlande. Apparemment, ce groupe prenait souvent des positions divergentes, qui

n'étaient pas toujours solidaires de leurs partenaires, par exemple en matière d'essais

nucléaires et de désarmement.

Dans le même télégramme, De Guiringaud donnait un jugement d'ensemble sur la

coopération politique des Neuf au sein de l'organisation des Nations Unies: "Les progrès

sont réels, [...] Les Neuf réagissent plus qu'ils n'agissent: ils se font quelques

concessions, ils s'adaptent aux événements plutôt qu'ils n'ont de vues communes"252. Il

constatait que la crise du Proche-Orient donnait lieu à une prise de position commune,

mais que celle-ci était fragile. Il reprenait même une citation de Georges Pompidou en

disant que "l'Europe existe plus dans la conscience des 124 autres États qu'en elle-

même."253 Le Président annota la phrase: "Exact"254 De l'avis de De Guiringaud, la

réunion de Copenhague prévue pour la semaine suivante pourrait au mieux consolider

les résultats obtenus en 1973 et ouvrir la voie à de nouveaux progrès qui n'auraient lieu

que plus tard. Pompidou notait encore "Bon télégramme".255

Or, la déclaration sur la crise au Proche-Orient était surtout une coopération bilatérale

franco-anglaise. En même temps, la République Fédérale d'Allemagne craignait une

réponse négative des Américains et les Pays-Bas accusaient leurs partenaires d'un

251 AN- 5AG2/1035: Télégramme à l'arrivée No 8889/99 par De Guiringaud aux Directeurs, New York 7/8 décembre, a/s "Coopération des Neuf a la XXVIIIeme assemblée générale de Nations Unies" op.cit. 1-2. 252 Ibid, 3. 253 Ibid, 4 254 Ibid. 255 Ibid.

Chapitre 5: La personnalité européenne 69

manque de solidarité. Ensuite, à leur tour les Néerlandais se virent reprocher la même

chose, car, avec les Danois et les Irlandais, ils se distanciaient ouvertement de la

politique de leurs partenaires aux Nations-Unies. Apparemment, la cohésion

européenne était loin. Pourtant, les Neuf adopteraient ensemble la Déclaration de

l'identité européenne le 14 décembre.

L'identité européenne perdue256

La réunion de Copenhague fut organisée suite à l'initiative de Georges Pompidou. Le 31

octobre, il écrivit un communiqué à ses collègues européens où il proposait entre autres

des rencontres régulières "ayant pour but de confronter et d'harmoniser leur attitude

dans le cadre de la coopération politique"257. L'absence d'un rôle européen dans les

affaires étrangères était mise en évidence par la guerre du Kippour. Il insistait: "il

m'apparaît indispensable de faire la preuve et l'épreuve de la solidité de la construction

européenne, comme de sa capacité de contribuer au règlement des problèmes

mondiaux."258 Le Président français ne pensait pourtant pas à une adoption de la

déclaration de l'identité européenne pendant la rencontre. D'ailleurs, fin octobre, cette

déclaration n'était plus qu'un document de base dans le dialogue transatlantique.

Tout d'abord, Georges Pompidou envisageait une sorte de réunion "au coin du feu"259 où

les dirigeants européens pouvaient discuter dans une atmosphère plus ou moins

confidentielle260. Il croyait essentiel de ne pas faire un grand sommet. L'année avant il

avait déjà remarqué: "J'ai constaté à la Haye que c'est au dîner que l'on a avoué" 261.

Dans un entretien du 16 novembre, Pompidou expliquait à Heath qu'il voulait ainsi éviter

que l'Europe n'arrête d'avancer: "nous pourrions sortir en nous écriant: 'Europe! Europe!'

comme dans les comédies musicales où des soldats poussent le cri: 'Marchons!

Marchons!' sans bouger d'un pas."262 Ainsi, Pompidou proposait des rencontres entre les

Chefs d'État et de gouvernement, seuls, donc sans participation d'un représentant des

256 Expression empruntée de Raymond Aron, qui l'utilisait dans son article dans Le Figaro du 15 février 1974 "L'Europe en Crise". Soutou (1997) op.cit. 1351. 257 AN-5AG2/1013 (Danemark): "Annexe à la lettre du Président de la République au Premier ministre du Danemark, le 31 octobre 1973.", annexe 2p., 2. 258 Ibid. 259 AN- 5AG2/1012: Note de la part du Ministère des Affaires étrangères, Paris 22 novembre 1973 op.cit. 2. 260 AN- 5AG2/1015: Premier entretien entre le Président de la République et M.Heath, 16 novembre 1973, op.cit. 1-2. 261 Cité par Gerbet (1995) op.cit. 60. 262 AN- 5AG2/1015: Premier entretien entre le Président de la République et M.Heath, 16 novembre 1973, op.cit. 3.

Chapitre 5: La personnalité européenne 70

institutions européennes. Cette initiative était peut-être influencée par l'idée de Jean

Monnet d'un 'Gouvernement européen provisoire' avec réunions trimestrielles des Chefs

d'État et de gouvernement dans le cadre de la Coopération politique européenne. Selon

Pompidou il n'était pourtant pas nécessaire de se rencontrer toutes les trimestres.263

Mais les partenaires de la France ne s'accordaient pas pour une conférence sans

participation du Conseil des ministres ou du Président de la Commission. L'ensemble

des huit États membres préférait la présence de ce dernier, et surtout les pays du

Benelux et l'Italie s'opposaient à l'absence des Ministres des Affaires étrangères. Le

gouvernement néerlandais avançait même que sa constitution interdisait cette

procédure264. Finalement, les Neuf s'accordèrent sur l'organisation de la réunion où les

Ministres des Affaires étrangères se réuniraient en marge de la conférence. Le

Président de la Commission participerait à toutes les réunions des chefs d'Etat et de

gouvernement, sauf l'après-midi du vendredi 14 décembre, où l'organisation de la

coopération politique entrerait en discussions.265

La réunion aurait donc un autre caractère que celui désiré par le Président français.

Mais les dirigeants européens conservaient de grands espoirs à son égard. Pompidou,

Brandt et Heath voulaient tous faire un progrès remarquable au niveau de la coopération

politique. Les sources donnent l'impression que leurs questions prioritaires différaient

en termes subtils. Heath insistait surtout sur la discussion des problèmes concrets dans

les relations internationales, comme la situation politique au Proche-Orient et la crise

d'énergie. Maintenant, pensa-t-il, "'il serait utile d'essayer d'établir un dialogue entre la

Communauté et Israel afin de persuader ce dernier que nous tenons fermement à nos

vues sur les principes essentiels d'un règlement et que les Israéliens feraient bien d'en

tenir compte dans leur propre intérêt."266 Les Anglais désirèrent que les Neuf décident à

la réunion de Copenhague des 14 et 15 décembre des actions à prendre pour faire

263 Voyez Gerbet (1995) op.cit. 60-61 et Bossuat (2001) op.cit. 200-201. 264 AN- 5AG2/1015: Premier entretien entre le Président de la République et M.Heath, 16 novembre 1973, op.cit. 3. AN- 5AG2/1012: Second entretien entre le Président de la République et m.Willy Brandt, le 26 novembre 1973 -17 heures, op.cit. 2-3. AN- 5AG2/1012: Note de la part du Ministère des Affaires étrangères, Paris 22 novembre 1973 op.cit. AN- 5AG2/1036: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 10 décembre 1973, a/s "Partie politique du dossier pour les entretiens de Copenhague" op.cit. 1. AN- 5AG2/1035: "Initiative européenne du Président de la République", 12 novembre 1973, op.cit. 265 "La conférence au sommet de Copenhague"op.cit. 8. 266 AN- 5AG2/1036:Note pour monsieur Balladur de la part de Lucet, 11 décembre 1973, a/s "Position britannique a Copenhague: Energie et Proche-Orient" op.cit. 2.

Chapitre 5: La personnalité européenne 71

valoir l'Europe dans le monde.267 Pompidou voulait également aborder ces thèmes et

s'accordait sur leur pertinence. Mais il insistait surtout sur une discussion plus

conceptuelle de la coopération politique en Europe, comme la procédure de décision en

temps de crise. Il voulait s'assurer que les États membres avaient "une volonté

commune" et disposaient du potentiel pour ne plus être surpris par l'évènement268. En

effet, nous avons vu que les Français avaient placé la manifestation d'une volonté

politique à la réunion comme le préalable d'une défense européenne. Le Chancelier

allemand insistait encore sur l'institutionalisation des réunions régulières au niveau de la

Coopération politique européenne269.

Le 20 novembre, le Conseil des ministres avait décidé l'adoption formelle de la

Déclaration de l'identité européenne à la réunion prévue. Pour marquer ses liens avec la

coopération politique plutôt qu'économique, elle devait être représentée par le Président

du Conseil des ministres. Les Chefs d'État et de gouvernement y donneraient leur

accord. Au dernier moment, le document, qui était, selon Raimond, encore "mal rédigé

et doit être revu"270 devait être revisé pour la forme par le Comité politique271. Pompidou

faisait encore vérifier si le paragraphe sur la défense ne pouvait pas brusquer l'Union

soviétique272.

Le vendredi 14 décembre à 15 heures, Anker Jørgenson, Président de la Coopération

politique européenne, présenta brièvement la Déclaration de l'identité européenne à la

presse rassemblée au Bella Centret de Copenhague.273 Mais la nouvelle d'une identité

gagnée était promptement éclipsée par d'autres développements. Car une délégation

des ministres des pays Arabes venait spontanément visiter les dirigeants européens

réunis. Ainsi, les thèmes de la crise du Proche-Orient et de l'énergie devinrent les plus

importants à l'ordre du jour sans que les décisions fermes fussent prises. En fait, la

267 Ibid, 3. 268 Ibid. AN- 5AG2/1036: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 10 décembre 1973, a/s "Partie politique du dossier pour les entretiens de Copenhague" op.cit. 2, 5-6. AN- 5AG2/1015:Premier entretien entre le Président de la République et M.Heath, 16 novembre 1973, op.cit. 5-6. 269 Les Européens n'en étaient d'ailleurs pas d'accord. Selon Raimond, les Néerlandais n'y étaient pas favorables si cette institutionalisation n'impliquait pas un agrandissement des pouvoirs des institutions des Communautés européennes. Les Anglais préféraient encore une fusion de la coopération politique et les institutions. AN- 5AG2/1036: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 10 décembre 1973, a/s "Partie politique du dossier pour les entretiens de Copenhague" op.cit. 4. 270 AN- 5AG2/1012: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 23 novembre 1973, a/s "Partie politique du dossier pour les entretiens franco-allemands (26-27 novembre 1973)" op.cit. 3. 271 AN- 5AG2/1036 (Affaires européennes. Copenhague 14/15 décembre 1973): Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 10 décembre 1973, 1 p. 272 Ibid. 273 "La conférence au sommet de Copenhague"op.cit. 8.

Chapitre 5: La personnalité européenne 72

réunion tourna à la déception. Au lieu d'une réunion où les Neuf cherchèrent une

politique mutuelle, les États membres défendirent surtout leurs intérêts individuels. Au

niveau de l'organisation de la coopération politique il faudrait attendre jusqu'à la

conférence de Paris de décembre 1974 avant que la coopération ne fût institutionalisée.

En ce qui concerne l'énergie, il n'y eut guère de concertation européenne. Les

Allemands, Anglais et Hollandais refusaient la participation dans la construction d'une

usine de "séparation isotopique" par la diffusion gazeuse. En fait, les 11 au 14 février à

Washington, les États européens acceptèrent, à l'exception de la France, la proposition

américaine de former un Groupe d'Action pour l'Énergie. Finalement, le thème de la

défense ne fut pas discuté pour éviter toute difficulté et pour tenir compte des désirs des

Irlandais et des Danois274.

La Déclaration de l'identité européenne ne paraît pas avoir impressionné beaucoup. Le

communiqué officiel des Neuf n'y fait guère allusion. En fait, les Anglais ne s'y étaient

pas du tout référé dans leur esquisse pour ce communiqué.275 En outre, la presse ne

paraît pas s'y être intéressé énormément.276 Selon Wim van Eekelen, l'assistant du

directeur politique néerlandais, tout le monde voulait oublier la déclaration le plus vite

possible. En fin de compte, la cohésion européenne était remise en question.277

Conclusion

La définition de l'identité européenne s'inscrivit dans le cadre de la Coopération politique

européenne. Depuis 1969 les États membres avaient insisté sur la cohésion

européenne dans les divers rapports et communiqués. Les thèmes de l'héritage

274 Bron AN- 5AG2/1012: Second entretien entre le Président de la République et m.Willy Brandt, le 26 novembre 1973 -17 heures, op.cit. 7. AN- 5AG2/1036: Note pour M. le Président de la République de la part de Raimond, Paris 10 décembre 1973, a/s "Partie politique du dossier pour les entretiens de Copenhague" op.cit. 2. "La conférence au sommet de Copenhague"op.cit. Mélandri (1988) op.cit. 103. Hiepel (2005) op.cit. 12. Mélandri (1995) op.cit. 118-9. Bossuat (2001) op.cit. 200-202. 275 AN- 5AG2/1036 (Affaires européennes. Copenhague 14/15 décembre 1973) : "Copenhagen summit", 5 p. et annexe 1 p. Dans l'esquisse française pour le communiqué, la déclaration était tout de même mentionnée (AN- 5AG2/1036 (Affaires européennes. Copenhague 14/15 décembre 1973): "Les Chefs d'Etat ou de gouvernement de [..] réunis à Copenhague les 14 et 15 décembre 1973 [..]", 4 p. et annexe 3 p.) Version finale du communiqué: "La conférence au sommet de Copenhague"op.cit. 9-12. 276 Une étude minutieuse des médias européens au sujet de la Déclaration était hors de cette recherche. Mais nous pouvons signaler que les articles dans Le Monde du décembre 1973 ne réfèrent que brièvement au document, sauf que la déclaration est reprise entièrement dans l'édition du 15 décembre. Les journalistes se concentraient surtout sur les problèmes du pétrole. Voyez notamment les articles suivants: "Le 'sommet' de Copenhague face a la crise de l'énergie" par Maurice Delarue et "Dans leur déclaration sur l'identité européenne': Les Neuf s'affirment décidés à transformer leurs relations en une Union européenne avant la fin de la décennie." Par inconnu. Le Monde (15/12/1973) 1 et 2. 277 Hiepel (2004) op.cit. 11-13; Mélandri (1988) op.cit. 101-103.

Chapitre 5: La personnalité européenne 73

commun, de l'unité solide et d'une Europe parlant d'une seule voix n�étaient pas

nouveaux. Le sujet de l'identité européenne avait même attiré l'attention des institutions

des Communautés européennes depuis leur instauration en 1958, quoiqu'ils se

concentrassent surtout sur l'identité des citoyens des États membres. Ce qui distingue la

déclaration des autres annonces était principalement son but primaire. Car la définition

de l'identité devait servir au dialogue transatlantique. Les rédacteurs ne visaient pas une

publication. Or, si la personnalité était affirmée ouvertement depuis le début de la

coopération politique, et même économique, il était encore nécessaire de la réaffirmer

entre eux en 1973.

Les Neuf avaient sans doute besoin de cette réaffirmation pour montrer au monde leur

unité solide. Mais en même temps leur cohésion interne était plus évidente à l'étranger

que parmi eux. Ils avaient chacun leur propre interprétation de la personnalité

européenne. Dans les archives, les sources nous informent des cas français, allemand,

britannique et anglais. La France l'assimilait à une indépendance politique dans les

relations internationales. Il fallait une identité solide avant de pouvoir entretenir des

relations égales avec les superpuissances. Pour la République Fédérale d'Allemagne et

la Grande-Bretagne, le développement d'une identité faisait beaucoup plus partie du

procès. Nous disposons de sources sur la pensée présente dans les deux pays de

pouvoir construire une identité européenne justement dans les relations avec les États

Unies. Ils insistaient plus sur la nécessité d'une coopération politique et sur le

développement de celle-ci. Pour eux, avoir une personnalité européenne équivalait à

avoir une voix commune dans les Affaires étrangères. Pour ce qui concerne l'Italie, le

thème de la personnalité européenne paraît avoir été répété souvent dans les annonces

publiques. Ce constat paraît affirmer que le gouvernement italien attribuait de

l'importance à ce thème pour l'opinion publique.

Le 6 novembre, la déclaration sur la crise en Proche-Orient évoque l' image d'une

Europe avec une unité solide et avec la volonté d'une politique étrangère commune. En

effet, le temps était mûr pour un pas en avant de l'organisation de la Coopération

politique européenne. Pompidou proposait alors une réunion pour les Chefs d'État et de

gouvernement. Mais la cohésion n'était pas très solide. La déclaration du 6 novembre

était peut-être signée par les Neuf ensemble, mais elle ne signifiait pas la même chose

pour chacun des États membres. En fait, on peut dire la même chose de la Déclaration

Chapitre 5: La personnalité européenne 74

de l'identité européenne. Le thème de la défense avait touché la corde sensible auprès

quelques États européens. Il ne pouvait même pas être discuté à Copenhague. En

outre, la crise d'énergie révéla les différences entre les Neuf. Souffrant d'une sanction

portant sur les approvisionnements en pétrole absolue, les Pays-Bas ne pouvaient pas

compter sur l'aide de ses partenaires. En outre, les pays ne pouvaient pas s'accorder

sur la méthode de production de l'uranium enrichi. Finalement, le bloc européen qui

s'était formé à l' automne 1973, se déchirait lentement depuis la guerre du Kippour avant

de se briser finalement à Washington en février 1974, où les huit partenaires de la

France décidèrent la coopération énergétique avec les États-Unis. Cette démarche ne

pouvait pas plaire à la France. Plus tard, Michel Jobert rappellerait dans son témoignage

oral avoir salué les représentatifs nationaux: "Bonjour, les traîtres!"278

La deuxième moitié de l'année 1973 paraît ainsi une suite de manifestations de la

personnalité européenne couronnée de la Déclaration de l'identité européenne. Mais au

moment où celle-ci fut adoptée d'une manière formelle, la pellicule fragile de la cohésion

européenne avait déjà commencé à se fissurer. L'identité gagnée en automne 1973 était

aussitôt perdue en printemps 1974.

278Interview 1AV468-472, Entretien avec Michel Jobert, op.cit. 8e entretien, le 12 juillet 1999.

Conclusions et réflexions 75

Conclusions et réflexions

Le 14 décembre 1973, les États membres des Communautés européennes déclarèrent

leur identité, née au cours de l'histoire et toujours en formation. L'Europe fut présentée

comme une ensemble historique doté d'un héritage commun. Son identité était encore

renforcée par une volonté suprême de coopérer sur plusieurs niveaux, comme

l'économie, les affaires politiques et la défense. Ses États membres formaient une unité

solide et voulaient prendre leurs responsabilités dans leurs rapports avec mes pays

tiers. Leur cohésion n'était pas seulement basées sur l'héritage historique commun,

mais aussi sur leur détermination à construire une Union européenne.

La déclaration elle-même nous informe que la définition des relations internationales de

l'ensemble des Neuf était la raison principale de sa rédaction. En effet, le document fut

présenté par le Président du Conseil des ministres dans le cadre de la coopération

politique. Cette insistance sur une entité solide en termes politiques est surprenante car

la coopération européenne était encore jeune. Les États membres avaient connu des

succès au niveau de l'économie, grâce à la formation d'une politique agricole commune

et à la mise en oeuvre d'une union douanière. Mais en matière d'affaires étrangères, la

coopération ne dépassait pas un échange de poins de vue et une recherche des

positions communes. Puis, en 1973 trois pays venaient d'entrer dans les communautés.

L'adhésion d'un de ces pays, la Grande-Bretagne, n'avait pas été aisée depuis sa

première requête en juillet 1961. En outre, la déclaration ne nous informe pas seulement

sur les thèmes de la coopération politique. Elle nous informe d'un héritage commun et

de valeurs communse qui ne se rapportent pas nécessairement aux relations

internationales. Elle appporte également au lecteur des éléments sur la coopération

économique, ce qui suppose l'assistance des instituts des communautés lors de la

rédaction. Ainsi, la question se pose de savoir si les rédacteurs ont visé des objectifs

ayant trait aussi bien aux relations internationales qu'aux rapports réciproques des États

membres. Quelles étaient les causes profondes de la déclaration? Faut -il les chercher

dans le désir européen d'annoncer une unité dans le monde ou justement dans la

nécessité de l'affirmer parmi les Neuf?

Conclusions et réflexions 76

Dans cette étude, nous pouvons séparer trois thèmes. Tout d'abord les rapports de

l'Europe au monde et surtout les relations politiques et économiques entre les Neuf et

les États-Unis. Plusieurs chercheurs ont montré les liens entre la déclaration et la

proclamation par Kissinger et Nixon d'une "Année de l'Europe". Deuxièmement, les

recherches se sont concentrées sur le cadre européen et le désir d'affirmer une identité

commune parmi les États membres. Comment faut-il comprendre les relations entre le

document et la coopération politique en Europe? Est-ce que les rédacteurs visaient une

consolidation de cette coopération? D'un côté la déclaration était peut-être utilisée pour

pérenniser les accords sur des thèmes sensibles, comme l'énergie ou la sécurité. De

l'autre, elle peut avoir été considérée comme un outil pour influencer l'opinion publique,

constituant une sorte de symbole de l'unité européenne. Le troisième thème concerne

les rédacteurs de la déclaration: leur rôle, leurs objectifs et leurs intérêts.

L'Europe dans le monde

Le 23 avril 1973, Henry Kissinger tint un discours sur "l'année de l'Europe" dans laquelle

il proposait une nouvelle charte atlantique. La recherche d'une réponse européenne à ce

propos était la cause directe de la définition d'une identité européenne. Les premiers

mois, les Neuf réagirent individuellement. Les Belges et les Néerlandais commençèrent

aussitôt à écrire une proposition pour la charte. Mais la République Fédérale

d'Allemagne et la Grande-Bretagne désirèrent donner une réponse commune de toute

l'Europe. Enfin la France, elle, préféra ignorer le discours de Kissinger. Pompidou le

considérait comme le signe que les Américains ambitionnaient de mener les affaires

européennes, et il voulait marquer l'indépendance des Neuf. En fait, l'initiative

américaine était reçue avec des sentiments mêlés, quoique les Etats européens

souhaitassent tous une relation excellente avec les États-Unis. La France, la République

Fédérale d'Allemagne et la Grande-Bretagne se froissaient notamment devant quelques

remarques maladroites de Kissinger, que ce dernier se hâtait de réparer en printemps.

De même, l'ensemble des Neuf refusait le traitement global de sujets comme

l'économie, la défense et la monnaie. Les États membres ne voulaient pas risquer un

affaiblissement de leur position économique par leur faible position défavorable en

matière de sécurité. Située entre les deux superpuissances et à la portée des missiles

soviétiques, l'Europe dépendait des Américains pour sa défense. Mais la présence des

troupes américaines était fortement contestée aux États-Unis.

Conclusions et réflexions 77

C'est surtout la Grande-Bretagne et la République Fédérale d'Allemagne qui étaient

partisanes d'une réponse européenne. Leurs motivations n'étaient pourtant pas

identiques. En 1973, la Grande-Bretagne jouait un rôle d'intermédiaire entre l'Europe et

les États-Unis. Selon les collaborateurs du Président français, l'entrée de l'Angleterre

dans les Communautés européennes répondait surtout à leurs ambitions de jouer un

rôle politique plus important dans le monde. Par contre, la préoccupation allemande était

surtout liée à la sécurité. La République Fédérale d'Allemagne se trouvait au seuil de

l'Union soviétique. Déjà en 1970, Walter Scheel avait proposé l'institutionalisation des

relations avec les États-Unis. Cette proposition était d'ailleurs rejetée par les Français.

En 1973, apparemment, les Allemands étaient terrifiés par le retrait des troupes

américaines de leur pays. Ils se démenaient pour prévenir une explosion des relations

euro-américaines et pour stimuler une réponse européenne, tout en se tenant au second

plan. Car les relations personnelles et politiques entre Brandt et Pompidou n'étaient pas

favorables. Par contre, Edward Heath s'employait activement à convaincre le Président

français. Il proposait l'organisation d'un sommet tripartite des trois grands pays

européens pour préparer la réponse aux Américains. En outre, les Anglais proposaient

la définition de l'identité européenne, qui pourrait former la base du dialogue

transatlantique. En septembre, ils rendaient encore une mouture pour ce document ainsi

que l'esquisse de la Déclaration de principe.

Le Conseil des ministres du 23 juillet fut marqué par une volte-face de la France dans sa

politique européen: Michel Jobert approuva la réflexion sur une réponse commune au

propos américain. Les décisions concrètes de la préparation de la Déclaration de

principe et la Déclaration à quinze, ainsi que les accords sur la visite de Nixon auraient

lieu le 10 septembre, mais le Conseil du 23 juillet fut un tournant dans l'année de

l'Europe. Ce changement de stratégie française peut s'expliquer par la crise monétaire

qui nécessitait une meilleure coopération avec l'Outre-Atlantique. Mais il paraît surtout

lié à l'insistance française sur une affirmation explicite de la personnalité européenne.

L'initiative britannique d'une définition de l'identité européenne répondait aux aspirations

françaises de s'assurer de l'unité européenne dans le dialogue transatlantique. En

même temps, la personnalité européenne fut réaffirmée dans le communiqué du

Conseil, le Deuxième rapport de la coopération politique à Neuf.

Conclusions et réflexions 78

Dans la deuxième moitié de 1973, les Neuf se présentèrent unis dans le dialogue

transatlantique. La définition d'une identité européenne ne démontra pas à elle seule

l'existence d'une personnalité européenne. Dans le rapport de Copenhague du 23 juillet,

les Neuf réaffirmaient déjà leur position commune et la volonté de se manifester

ensemble dans les relations internationales. Ensuite, ils répondaient en bloc à la

proposition américaine d'une coopération renouvelée entre l'Europe et les États-Unis. Ils

rédigeaient ensemble une esquisse de la Déclaration de principe avant de la proposer à

Kissinger. De même, ils formaient un groupe à part dans les négociations avec la

délégation américaine sur la Déclaration de principe et la Déclaration à quinze. Quand

les Français ne pouvaient pas concilier leurs opinions avec les Américains, ils

recevaient le soutien de leurs partenaires.

En même temps, les Neuf prenaient également une position européenne dans la crise

au Proche-Orient. La 'Déclaration commune des gouvernements de la Communauté

économique européenne sur la situation au Proche-Orient' du 6 novembre 1973 choqua

les Américains car elle manifestait publiquement une vision divergente de la leur. Mais

elle était en fait surtout le fruit d'une coopération anglo-française. Tous les Neuf États

membres signèrent le document, mais pas toujours avec l'enthousiasme attendu. Les

Allemands et les Néerlandais surtout ne s'y résolurent qu'au dernier moment et

craignaient, avec raison, de contrarier les Américains. Par ailleurs, les Néerlandais

étaient plus liés à la cause Israélite que leurs partenaires.

En quelque sorte, les Européens s'étaient prononcer sur la crise au Proche-Orient pour

se manifester dans les relations internationales. Les événements de la guerre du

Kippour avaient montré que les dirigeants européens n'avaient pas voix au chapitre

dans les événements mondiaux. En fait, les Neuf s'en étaient également rendus compte

depuis l'accord du 22 juin entre Brejnev et Nixon sur la prévention des guerres

nucléaires. A la lumière des évènements internationaux, le rôle de l'Europe dans le

monde était remis en cause. Les perspectives d'une défense européenne devenaient de

plus en plus proches pour la plupart des États membres à l'exception de l'Irlande, du

Danemark et des Pays-Bas. En outre, le Président français proposait de se réunir en

groupe restreint ne comptant que les Chefs d'État ou de gouvernement à la fin de

l'année, pour pouvoir discuter au sujet de leur attitude dans le cadre de la coopération

politique. Mais la réunion de Copenhague, qui en était le résultat, prouva d'autant plus

Conclusions et réflexions 79

les divergences entre les États membres. Les Neuf ne se montraient pas solidement

unis, malgré la Déclaration sur l'identité européenne.

Le cadre européen

Suite aux querelles entre les Européens et les Américains et sous influence de la Guerre

du Kippour, la Déclaration de principe et la Déclaration des quinze ne voyaient pas le

jour. Seul le document sur l'identité européenne était rédigé, et même adopté

officiellement comme une véritable déclaration. Entre-temps, son caractère avait

changé. D'une certaine manière, le document s'était détaché du propos américain pour

une coopération transatlantique renouvelée. Les rédacteurs n'insistèrent pas davantage

sur le dialogue transatlantique. Ils présentaient les rapports avec les États-Unis parmi

les autres relations internationales qu'entretenait l'Europe. En outre, alors que le

traitement global des sujets avait été refusé dans les négociations avec les Américains,

elle réapparu dans ce document. La défense, l'économie et la politique étrangère étaient

nommés sous le même nom dans la déclaration du 14 décembre.

D'une certaine manière, la définition de l'identité européenne s'inscrivit dans le cadre de

la Coopération politique européenne. La réaffirmation d'une personnalité européenne

se retrouve déjà dans les communiqués et les rapports publics depuis la relance de

cette coopération en 1969. En effet, la déclaration répète les mêmes thèmes que sont

l'héritage commun, la cohésion solide et une Europe parlant d'une seule voix. Depuis

quelques années, les Européens s'étaient accordés sur ce sujet. Plus tard, les mêmes

éléments reviendraient dans les textes adoptés ultérieurement dans la construction

européenne. La déclaration n'était ni le début ni le fin de la constitution d'une identité

européenne. Elle faisait part d'un processus en cours.

Mais le document inclut également des thèmes qui soulevaient des discussions entre les

Neuf. Par exemple, au premier paragraphe, il fut écrit que l'entreprise de la construction

européenne était surtout la tâche des gouvernements européens. Ce propos touche un

sujet sensible, c'est-à-dire le rôle des institutions européennes dans la coopération

politique. En particulier les Français jugeaient que, en première lieu, la construction de

l'Europe était l'affaire des gouvernements, élus par leurs citoyens, bien plus que celle

des institutions des communautés. En revanche, les Allemands et les Anglais étaient

Conclusions et réflexions 80

partisans d'un élargissement des pouvoirs des institutions. En octobre 1972, le

gouvernement français avait évité ce débat par la proposition d'une Union Européenne,

un thème qui revient plusieurs fois dans la Déclaration sur l'identité européenne. Cette

formule avait alors arrangé aux États membres, parce qu'elle pouvait être interprétée de

façon différente. Pourtant, de nouveau les négociations achoppait fréquemment à

divers problèmes pendant la première moitié du 1973. Enfin, le 23 juillet, les ministres

s'accordèrent entre autres sur la présence du Président de la Commission au Conseil.

Peut-être les Français fléchissent-ils pour pouvoir diriger la réponse européenne à

l'initiative américaine. Il reste cependant à remarquer que la position française fut

représentée dans la déclaration.

Le document sur l'identité européenne était rédigé pour fournir une base au dialogue

transatlantique. C'est seulement le 20 novembre qu'ilil fut décidé de faire accéder le

papier au statut d'une véritable déclaration. La proposition de ce changement venait des

délégations belge et italienne. Ils voulaient enthousiasmer l'opinion publique en faveur

de la cause européenne. La déclaration publique de l'identité européenne pouvait

renforcer la conscience européenne. Elle devait devenir un symbole de l'unité des Neuf.

Probablement, il faut comprendre cette préoccupation dans le contexte de la montée

des sentiments pacifistes en Europe. La plupart des États membres se sentaient

menacés par l'Union soviétique et craignaient un retrait des troupes américaines, tandis

que l'opinion de leurs peuples étaient de plus en plus défavorable à l'accroissement de

l'armée, ou même à sa préservation. Toutefois, ce souci d'enthousiasmer le grand public

pour la sécurité européenne ne concernait pas tous les Neuf. Tout d'abord, en Irlande,

au Danemark et aux Pays-Bas, les opinions étaient pacifistes, mais leurs dirigeants ne

l'étaient pas moins. Les Irlandais n'avaient jamais rejoint l'OTAN et les Néerlandais et

les Danois retiraient une partie de leurs troupes militaires de la République Fédérale

d'Allemagne. En outre, quand les Anglais ont favorisé fortement une coopération pour la

défense, Edward Heath ne paraît pas avoir estimé importante la Déclaration sur l'identité

européenne. Il avait toujours été préoccupé par l'opinion publique des Anglais, surtout

pour chercher l'appui des politiques européens. Mais à l'automne 1973, il essayait de

convaincre son public plutôt par des succès économiques que par la déclaration.

Conclusions et réflexions 81

D'une manière indirecte, la décision de publier la déclaration est donc liée à la sécurité

en Europe. A l'exception de l'Irlande, du Danemark et des Pays-Bas, en automne 1973,

les États membres insistaient sur la nécessité d'une défense européenne quoiqu'ils la

conçoivent différemment. Les Allemands voulaient développer la défense européenne

dans le cadre de l'Euro groupe. Mais les liaisons de ce groupe avec l'OTAN

dissuadaient les Français. Les Anglais avaient proposé plusieurs fois aux Français,

souvent pendant les entretiens confidentiels, des coopérations militaires: soit au niveau

bilatéral britannique-français, soit au niveau trilatéral avec l'inclusion de la République

Fédérale d'Allemagne, soit au niveau européen dans l'Euro groupe. Mais le Président

français avait toujours réagi avec réserve. Il se souciait de maintenir l'équilibre militaire

en Europe. En outre, il doutait de l'indépendance de la Grande-Bretagne vis-à-vis des

États-Unis. Mais en automne, Georges Pompidou paraissait changer d' avis sur l'idée

d'une défense européenne. Il en posait la solidarité européenne comme condition. Il

espérait que les Européens démontreraient une unité solide à Copenhague en

décembre. Mais il n'est pas clair jusqu'à quel point le Président français, possiblement

affaibli par sa maladie, était influencé par les pensées de Michel Jobert. Depuis sa

désignation en avril, ce dernier avait fait allusion à une défense européenne dans

plusieurs discours au Parlement français et ailleurs. En outre, le Quai d'Orsay était en

faveur d'un changement du paragraphe sur la défense dans la Déclaration sur l'identité

européenne. Le texte ne répondait pas aux idées des Danois, Irlandais et Néerlandais,

mais ils l'approuvaient tout de même comme leurs partenaires.

La question de savoir si les rédacteurs inclurent délibérément dans la déclaration les

thèmes contestés que sont l'organisation de la coopération politique et la défense se

pose. Ainsi, ils auraient pu vouloir pérenniser les accords par l'unité des Neuf . Mais ces

thèmes complexes étaient déjà sujet de débat depuis longtemps, et il est improbable

qu'ils aient voulu imposer leurs projets par une déclaration qui ne fut guère remarquée. Il

ne manquait pas seulement une presse qui se passionne pour l'évènement. Nous avons

vu également que le nombre de sources au fonds Georges Pompidou sur la déclaration

était restreint. Pourtant, il est remarquable que le paragraphe sur la défense ait été

approuvé et publié. Car il s'agit d'un sujet tellement sensible pour les Irlandais et les

Danois qu'il ne pouvait pas même être abordé à Copenhague. Au moins, pouvons-nous

conclure qu'il y avait des opinions divergentes sur la défense européenne et sur la

pertinence de celle-ci dans le cadre d'une coopération politique.

Conclusions et réflexions 82

La coopération au niveau de l'énergie était un autre thème de débat entre les Neuf.

Depuis quelques années, il tenait une position éminente dans l'agenda européen. En

1973, les discussions se concentraient sur les méthodes de production de l'énergie

nucléaire et sur les coopérations pour le stockage. A la suite de la guerre du Kippour et

de la crise de pétrole, l�énergie prenait une grande importance dans la politique des

États membres. A la différence les États-Unis, qui dépendaient moins de l'importation,

l'Europe était directement et sévèrement touchée. Toutefois, les sanctions sur le pétrole

ne s'abattaient pas sur tous les États membres avec le degrés de gravité: les Pays-Bas

étaient les plus frappés. Quand les Néerlandais demandaient de soutien de leurs

partenaires, la France surtout s'y opposa. Les relations entre les deux pays se

refroidirent, les Néerlandais reprochant aux Français un manque de solidarité. Ainsi, le

thème de l'énergie était un préoccupation prioritaire des Neuf à la fin de l'année 1973.

Son absence dans la Déclaration sur l'identité européenne est frappante.

Les rédacteurs

La déclaration a été rédigée par les représentatives des États membres depuis les trois

organes de la Coopération politique européenne. Le Conseil des Ministres des Affaires

étrangères était responsable du document. Il donnait des directives au Comité politique

des directeurs politiques des Affaires étrangères des Neuf. A son tour, ce comité était

assisté par le Groupe des correspondants, constitué de 'correspondants' dans les neuf

Ministères. En réalité, le Comité politique et le Groupe des correspondants assumaient

la majeure partie de la rédaction du document avant que le Conseil des ministres ne fît

des commentaires et ne donnât son accord.

Les institutions européennes ne paraissent pas avoir apporté de textes au document. Ils

ont tout au plus discuté le sujet de l'identité européenne, mais ni le fonds Georges

Pompidou ni le Bulletin des Communautés européennes ne donnent des

renseignements sur le contenu de leurs débats. Il n'est pourtant pas inconcevable que

les institutions aient joué un rôle. Il y avait des contacts fréquents entre le Comité

politique et la Commission en ce qui concerne la Déclaration de principe. En outre, le

thème de l'identité européenne était une préoccupation des institutions depuis leur

Conclusions et réflexions 83

instauration en 1958, quoique leur orientation fût plutôt sur un autre genre d'identité

européenne que celle de la déclaration.

Les sources nous donnent l'impression que certaines délégations étaient plus actives

que d'autres. L'initiative de la définition d'une identité européenne était anglaise et les

Français institaient ensuite sur son élaboration. En revanche, les Allemands

n'apportaient pas beaucoup d'idées ou de textes, sauf quand ils s'opposèrent aux

passages qui pouvaient contrarier les États-Unis. Trois États membres donnèrent une

esquisse pour le document en septembre: l'Irlande, la Grande-Bretagne et la France. La

version française devait servir de base pour l'élaboration de la déclaration. Le Fonds

Georges Pompidou nous informe que les Italiens, les Anglais et les Français

proposèrent des changements en novembre, quand la publication officielle du document

devint probable. De l'Italie, une liste de changements détaillés était envoyée pour rendre

le document plus accessible au grand public européen. La plupart de ces propos n'a

pas été inclus dans le document. Puis, les Anglais espéraient pouvoir employer la

formule 'politique étrangère commune' pour remplaçer le terme moins puissant de

'politique proprement européenne'. Mais le Président français refusa. Dans cette

période, Jobert ajoutait un paragraphe sur la sécurité qui reflétait davantage ses idées

sur la défense européenne que celles du Président. Ce texte était plus détaillé que celui

de l'ancien paragraphe. En première instance, cette proposition n'était pas approuvée

par Georges Pompidou. Mais quand le paragraphe fut proposé par erreur aux

partenaires de la France, le Président français ne demanda probablement pas de le

rectifier. Ce paragraphe approuvé par les Neuf est inclus dans la déclaration finale.

Les sources du fonds Georges Pompidou et les études d'autres archives européennes

nous fournissent une image où les représentants français, britanniques et italiens ont

contribué activement à l'élaboration du document. Ces États membres avaient chacun

leurs motivations. Tout d'abord, les Français insistaient sur l' affirmation de la solidarité

européenne dans le dialogue transatlantique. Quand il proposèrent la définition de

l'identité européenne, les Anglais ont sans doute tenu compte de l'attachement français

à la personnalité européenne, c'est-à-dire à l'indépendance européenne. Ils désiraient

une réponse européenne à l'initiative américaine. D'ailleurs, les Allemands insistaient

également sur cette concertation européenne et sur la possibilité d'affirmer l'identité

Conclusions et réflexions 84

européenne par le dialogue avec l'Outre-Atlantique. Mais ils poursuivaient une

stratégique moins directe que leurs collègues anglais.

En novembre, plusieurs modifications furent proposées sur le document, ce qu'on peut

comprendre à la lumière de la publication à venir et à celle de la crise au Proche-Orient.

D'un côté, depuis la guerre du Kippour, les Neuf avaient montré au monde qu'ils

ambitionnaient un rôle sur la scène internationale en tant qu'entité solide et

indépendante des États-Unis. De l'autre côté, la définition de l'identité européenne

devenait une déclaration officielle et changeait donc de caractère. Le document n'était

plus une affirmation interne de l'identité européenne, mais changeait pour devenir une

manifestation publique de la cohésion des Neuf. Ces tournants expliquent sans doute le

manque de sources dans les Archives du Président avant novembre. Nous ne sommes

pas informés des développements antérieurs du document. Mais les suggestions des

Italiens, Français et Anglais pendant le mois de novembre mettent en évidence leur

intérêt pour annoncer publiquement une Europe solide et indépendante. Ils ne

s'adressaient pourtant pas au même public. Le gouvernement italien visait à gagner ses

concitoyens à sa cause. Les Anglais et les Français espéraient plutôt une représentation

puissante sur la scène politique mondiale.

Conclusion finale et réflexions

La définition d'une identité européenne faisait partie de la réponse européenne au

propos américain d'une coopération transatlantique renouvelée. En même temps, elle se

situe dans l'ordre des rapports officiels depuis la relance de la coopération politique en

Europe depuis 1969. En effet, les rédacteurs insistent sur l'héritage commun et l'unité

européenne d'une manière comparable aux communiqués antérieurs. La déclaration en

diffère cependant par sa finalité initiale d'utilisation interne. Les États membres et surtout

la France sentaient la nécessité de d'affermir leur cohésion avant de passer à une

coopération en politique étrangère. Pour la Grande-Bretagne et la République Fédérale

d'Allemagne, qui espéraient un développement plus rapide de cette coopération, la

participation française était primordiale.

En automne 1973, les dirigeants européens sentaient d'autant plus la nécessité d'une

coopération politique face au déroulement des évènements internationaux. Ils avaient

Conclusions et réflexions 85

une Europe puissante qui compterait dans l'arène internationale pour ambition. D'un

côté, l'enthousiasme du grand public européen pour la cause européenne était

souhaitable. Les délégations italienne et belge proposèrent la publication de la

déclaration afin que celle-ci symbolisât l'unité des Neuf. De l'autre côté l'image d'une

Europe solide devait être transmise au monde. La description des relations

transatlantiques était maintenant placée dans la longue liste des relations internationales

de l'Europe, sans statut particulier. En outre, dans l'accélération des manifestations

ouverte de la coopération européenne, le paragraphe de la défense a été changé et

précisé. Ainsi, la déclaration donne l'impression fautive d'une Europe décidée à se

défendre. Il n'est pourtant pas probable que les rédacteurs visassent à pérenniser leur

position sur la nécessité d'une défense européenne. Ce thème était trop complexe pour

être décidé rapidement. Il en était de même au sujet du rôle des institutions

européennes dans la coopération politique, autre thème sensible.

D'ailleurs la déclaration manquait tout de même d'une allure importante aux yeux des

dirigeants français, allemand et anglais. Georges Pompidou n'en était pas beaucoup

informé et il en parlait peu avec Willy Brandt et Edward Heath. Les opinions des autres

dirigeants ne ressortent pas clairement des sources, sauf des Italiens et des Belges qui

avaient proposé la publication du document. Peut-être la signature des Irlandais, Danois

et Néerlandais, malgré le paragraphe contesté sur la défense, montre-t-elle leur

indifférence. En effet, selon Van Eekelen, assistant au Directeur politique néerlandais,

tout le monde voulait oublier le document le plus tôt possible.

La déclaration avait pourtant été importante en été 1973 pour faciliter le dialogue entre

les Neuf et les États-Unis. En quelque sorte, elle avait été la colle qui pouvait servir à

réparer les liens brisés au sein de la coopération des Neuf. A l'exception de la France,

les États membres voulurent tous donner une réponse positive à la proposition

américaine d'une coopération renouvelée. la proposition anglaise d'une définition d l'

identité européenne joua un rôle important dans la volte-face française. Le document

principal était alors un signe de la volonté des Neuf de construire une Europe unie. Il

rendit possible un dialogue transatlantique où, en même temps, les États membres

montraient une personnalité européenne. Mais en novembre les crises internationales

ravivaient les différences entre les Neuf. Quand le caractère du document prit le tour

d'une déclaration officielle, il devint davantage un moyen de propager l'idée d'une

Conclusions et réflexions 86

Europe solide auprès du grand public et de l'étranger, qu'un auxiliaire de la cohésion

politique. La modification du paragraphe sur la défense mit en évidence que l'harmonie

entre les Neuf n'était plus le point de départ du document. C'est ainsi qu'il perdit son

importance.

Le fonds Georges Pompidou s'est révélé précieux pour cette recherche. Sans que la

quantité des sources sur la déclaration ne soit importante, les archives montrent la

pertinence de certains thèmes politiques pour le Président français. Elles nous informent

davantage sur les diverses positions européennes ainsi que sur l'opinion personnelle du

Président français et de ses collaborateurs. Ensuite, en combinaison avec les études

historiques d'autres archives européennes, le fonds nous a offert une compréhension du

cadre politique dans lequel la Déclaration sur l'identité européenne s'inscrivit. D'une

manière indirecte, la recherche a révélé les relations entre les États membres en

Europe. Georges Pompidou entretenait régulièrement des contacts avec Willy Brandt et

Edward Heath, soit par entretiens personnels soit par correspondances. En revanche, il

rencontrait beaucoup moins les autres dirigeants. Les contacts avec le gouvernement

italien étaient réguliers, mais les communications officielles avec les Belges étaient

temporellement coupées après l'émission belge d'un programme satirique, qui persiflait

le gouvernement français. En outre les opinions des Danois, Irlandais et Néerlandais

étaient souvent transmises aux Français par l'intermédiaire des Allemands et des

Anglais.

En fin de compte, nous avons trouvé des réponses sur nos problèmes de recherche.

Mais cette étude a soulevé encore d'autres questions qui méritent une réponse. Tout

d'abord, il est possible que les archives du Quai d'Orsay donnent des renseignements

supplémentaires sur la déclaration, car les rédacteurs étaient liés au Ministère des

affaires étrangères. Compte tenu de la position prépondérante de Michel Jobert dans la

diplomatie française, une recherche de ces sources pourrait par exemple éclaircir les

motivations qui ont dicté la modification du paragraphe sur la défense. Ensuite, nous

avons vu que la cause directe de la publication du document était le désir de stimuler

une conscience européenne. Les délégations italienne et belge attribuaient ainsi un

valeur symbolique à la déclaration. Mais nous ne savons pas comment la déclaration fut

reçue par le public européen. Il faut faire une recherche sur les articles, les émissions et

dans les États membres. Finalement, nous ignorons le rôle des institutions des

Conclusions et réflexions 87

Communautés européennes dans la définition de l'identité européenne. Compte tenu de

leurs intérêts pour ce thème depuis leur instauration en 1958, il est probable qu'ils aient

suivi la rédaction de la déclaration. Mais nous ne connaissons pas le contenu de leurs

débats sur l'identité. Une recherche dans les archives européennes peut éclaircir ce

problème.

Annexe 1: Déclaration sur l�identité européenne 88

Annexe 1: Déclaration sur l�identité européenne

(Copenhague, 14 décembre 1973)

Annexe 1: Déclaration sur l�identité européenne 89

Annexe 1: Déclaration sur l�identité européenne 90

Annexe 1: Déclaration sur l�identité européenne 91

Annexe 2: Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe 92

Annexe 2: Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe

(New York, 23 avril 1973)

Annexe 2: Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe 93

Annexe 2: Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe 94

Annexe 2: Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe 95

Annexe 2: Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe 96

Annexe 2: Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe 97

Bibliographie 98

Bibliographie

Abréviations:

AN = Archives Nationales BCE = Bulletin des Communautés européennes

Le fonds Georges Pompidou aux Archives Nationales

- Archives remises par les collaborateurs de Georges Pompidou; Georges Pompidou

Premier Ministre (14 avril 1962-10 juillet 1968) et campagne présidentielle de 1969:

5AG2/ 1003 Politique européenne.�

- Archives remises par les collaborateurs de Georges Pompidou; Georges Pompidou,

président de la République (19 juin 1969-2 avril 1974); Conseillers diplomatiques:

5AG2/ 1009 �Europe�: France-RFA: correspondances

5AG2/ 1010 �Europe�: Sommets franco-allemands et entretiens 1969-1971

5AG2/ 1012 �Europe�: Entretiens Franco-allemands

- Sommet franco-allemande des 21-22 juin 1973

- Réunion franco-allemande des 26 et 27 novembre 1973

- Rencontre entre M.Pompidou et M.Brandt 26-27 novembre

1973. Dossier complémentaire.

5AG2/ 1013 �Europe�: Belgique Danemark

5AG2/ 1014 �Europe�: Entretiens franco-britanniques 1969-1972

5AG2/ 1015 �Europe�: Grande-Bretagne 1973

5AG2/ 1016 �Europe�: Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas.

5AG2/ 1035 �Affaires européennes: Communauté européenne; Coopération

politique à Six et à Neuf; Conseil de l'Europe, OCDE, Drogues,

Divers�

5AG2/ 1036 �Affaires européennes: Copenhague 14/15 décembre 1973;

Conférence au Sommet de Paris 19-20 octobre 1972; CEE pays

Tiers; La Haye 1-2 déc 1969�

Bibliographie 99

Entretiens

Interview 1AV197, Entretien de l'Association Georges Pompidou avec Etienne Burin des

Roziers, 3e entretien, le 30 novembre 1994.

Interview 1AV258, Entretien de l'Association Georges Pompidou avec Gabriel Robin, le

12 mai 1998.

Interview 1AV469-472, Entretien de l'Association Georges Pompidou avec Michel

Jobert, 6e, 7e et 8e entretiens, le 21 juin et les 6 et 12 juillet 1999.

Interview 1AV580, Entretien de l'Association Georges Pompidou avec Edouard Balladur,

3e entretien, le 2 mars 2000.

Interview AV478, entretien de l'Association Georges Pompidou avec Jean-Louis Lucet,

4e entretien, le 17 décembre 1999.

Journaux, revues, bulletins (éditions originales, années 1970-1973)

Bulletin des communautés européennes

- "Rapport des Ministres des Affaires étrangères des États membres sur les

problèmes de l'unification politique" (11-1970) 9-14.

- "Déclaration du sommet de Paris" (10-1972) 15-16.

- "Discours prononcé devant le Parlement européen par M.François-Xavier Ortoli,

Président de la Commission, le 13 février 1973." (2-1973) 6-19.

- "Deuxième Rapport de la coopération politique à Neuf" (9-1973) 12-21.

- "2501: Exposé sur la coopération politique devant le Parlement européen" (10-

1973) 111-116.

- "M. Willy Brandt au Parlement européen. Discours prononcé par le Chancelier de

la République Fédérale d'Allemagne le 13 novembre 1973" (11-1973) 5-14.

- "5. Coopération politique. 2505: Identité européenne" (11-1973) 22.

Bibliographie 100

- "La conférence au sommet de Copenhague"(12-1973) 6-12.

Le Monde

- 13/7/1973: "Le groupe réformateur: la France doit conduire une action européenne

et internationale positive" p.29.

- 22/11/1973: "À Copenhague. Les Ministres des Affaires étrangères des neuf ont

confirmé leur prise de position du 6 novembre" p.3.

- 20/11/1973: "Une dernière chance pour les Neuf? III-L'Union souhaitée et difficile"

par André Fontaine p.7.

- 23/11/1973 "La défense européenne jusqu'où?" p.1.

- 29/9/1973 "La conférence de presse du chef de l'État; La défense européenne" avec

J.P.Joulin (Europe 1) p.2.

- 4/10/1973 "La visite du Président Leone en France" par Maurice Delarue

- (15/12/1973) "Le 'sommet' de Copenhague face a la crise de l'énergie" par Maurice

Delarue p.1.

- (15/12/1973) "Dans leur déclaration sur l'identité européenne': Les Neuf s'affirment

décidés à transformer leurs relations en une Union européenne avant la fin de la

décennie." p.2.

Bases de données avec documents historiques (sites d'Internet):

European NAvigator (http://www.ena.lu)

- "Discours d'Henry Kissinger sur l'année de l'Europe (New York, 23 avril 1973)"

(source: H.Kissinger "Un appel des États-Unis à l'Europe: L'année de l'Europe",

dans Europe Documents. 03.05.1973, no734, p.1-6)

- "Déclaration commune des gouvernements de la Communauté économique

européenne sur la situation au Proche-Orient (6 novembre 1973)" (source:

Bibliographie 101

"Déclaration commune des gouvernements de la CEE (6 novembre 1973)", dans La

politique étrangère de la France, 2e semestre 1973 171.)

- "Lettre de l'Ambassadeur du Luxembourg aux Pays-Bas à Gaston Thorn (La Haye,

18 novembre 1973)" (source: Archives nationales du Luxembourg. Ministère d'État.

Affaires étrangères. Dossier 39, 1970-1974 I).

- "La Déclaration sur l'identité européenne (Copenhague, 14 décembre 1973)".

(source: Bulletin des Communautés européennes (1973) 12 127-130.)

Ministère des Affaires étrangères: Déclarations françaises

(http:// www.doc.diplomatie.gouv.fr)

- "Allocution de M.Jobert, ministre des Affaires étrangers, devant l'assemblée de

l'UEO (21 novembre 1973)"

Proquest Historical Newspapers: The New York Times (1851 -2003)

(http://www.nytimes.com)

- Clyde H. Farnsworth "The Year of Europe" The New York Times (Nov 10, 1972)

p.53.

- "Text of the European Economic Community's Proposal on Relations With U.S." New

York Times (24 sep 1973) p.16.

Ouvrages généraux sur la construction européenne:

Bitsch, M.-T. Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours (Paris, 2004

nouvelle édition mise à jour, 1e édition 1996) Editions complexe.

Bossuat, G. Les fondateurs de l'Europe Unie (Paris, 2001) Editions Belin.

Gallet, B. La politique étrangère commune (Paris, 1999) Economica.

Milza, P. Les relations internationales de 1973 à nos jours (Paris, 1996) Hachette, 17.

Olivi, B. L'Europe difficile. Histoire politique de la Communauté européenne (Paris,

2001) Gallimard.

Bibliographie 102

Zorgbibe, Ch. Histoire de la construction européenne (Paris, 1993) Presse universitaires

de France

Ouvrages traitant de l'identité européenne:

Bitsch, M.-H. �Conclusion: Les institutions européennes, reflet ou promoteur des

identités européennes?", dans: M-H.Bitsch, W.Loth, R.Poidevin (dir) Institutions

européennes, identités européennes (Bruxelles, 1998) Bruylant 503-511, 506.

Bitsch, M.-H., R.Poidevin, L.Loth (dir) Institutions européennes et identités européennes

(Bruxelles, 1998) Bruylant.

Constantinesco, V. "Le rôle du Conseil européen dans la formation d'une identité

européenne" M-H.Bitsch, R.Poidevin, L.Loth Institutions européennes et identités

européennes (Bruxelles, 1998) Bruylant 435-447.

Lager, C. "Europe d'azur et d'or; Histoire et interprétation symbolique du drapeau

européen" Historians of Contemporary Europe (1994) vol 9 No 1-2 62-3.

Lager, C. L'Europe en quête de ses symboles (Berne, 1995) Peter Lang SA 35-52.

Ludlow, N. P. �Frustrated ambitions. The European Commission and the formation of a

European identity, 1958-1967� dans: Bitsch, M.H., R.Poidevin, L.Loth (dir)

Institutions européennes et identités européennes (Bruxelles, 1998) Bruylant 307-

326.

Martins, M.G. "Le Conseil de l�Europe et la défense de la culture européenne" dans:

Bitsch, M.H., R.Poidevin, L.Loth (dir) Institutions européennes et identités

européennes (Bruxelles, 1998) Bruylant 123-139.

Riondel, B. "Affirmation du Parlement européen et émergence d'une identité européenne

des années soixante à nos jours" dans: Bitsch, M.H., R.Poidevin, L.Loth (dir)

Institutions européennes et identités européennes (Bruxelles, 1998) Bruylant 295-

306.

Bibliographie 103

Ouvrages traitant de la Déclaration sur l'identité européenne et les relations entre l'Europe et les États-Unis:

Burr, W. et R.A.Wampler With Friends Like These�-Kissinger, The Atlantic Alliance and

the abortive "Year of Europe", 1973-1974 Draft (31/8/2004) non publié.

Hiepel, C. Kissinger's Year of Europe �challenge for the EC and the Franco-German

relationship étude présenté au colloque "Beyond the customs union: The European

community's quest for completion, deepening and enlargement, 1969-1975",

Université de Groningen, 27-29 octobre 2005 (European Union Liaison Committee

of Historians), revisé, à être publié en automne 2006.

Kissinger, H. Years of Upheaval (Boston, 1982)

Mally, Gehrard (ed) The new Europe and the United States: Partners of Rivals

(Lexington, 1974).

Megens, I. "The declaration on European identity of December 1973. The effect of a

transatlantic debate and the result of a team spirit among European diplomats"

presenté au colloque " Beyond the customs union: The European community's

quest for completion, deepening and enlargement, 1969-1975" Université de

Groningen 27-29 octobre 2005 (European Union Lisaison Committee of

Historians), à être publié en automne 2006.

Melandri, P. "Une relation très spéciale: La France, les États-Unis et l'année de l'Europe,

1973-1974" dans: Association Georges Pompidou (dir) Georges Pompidou et

l'Europe; Colloque 25-26 novembre 1993 (Bruxelles, 1995) Editions complexe 89-

130.

Mélandri, P. Une incertaine alliance. Les États-Unis et l'Europe 1973-1983 (Paris, 1988)

Publications de la Sorbonne.

Noble, A. Kissinger's Year of Europe, Britain's Year of Choice présenté au colloque "The

Atlantic Community unraveling? States, protest movements and the transformation

of US-European relations, 1969-1983" université VanderBilt septembre 2004.

Bibliographie 104

Soutou, G.-H. "Le Président Pompidou et les relations entre les États-Unis et l'Europe"

Journal of European integration history (2000) vol 6 No 2 111-146.

Ouvrages traitant la coopération européenne autour de l'année 1973:

Bernard, J.R. "Pragmatisme et ambition dans l'action européenne du Président

Pompidou" l'Association Georges Pompidou Georges Pompidou et l'Europe;

Colloque 25 et 26 novembre 1993 (Paris, 1995) éditions complexe 45-54, cf.

Bossuat, G. "Le Président Georges Pompidou et les tentatives d'Union économique et

monétaire" Association Georges Pompidou Georges Pompidou et l'Europe;

Colloque 25-26 novembre 1993 (Bruxelles, 1995) Editions complexe 405-447.

Cohen, S. La monarchie nucléaire. Les coulisses de la politique étrangère sous la Ve

République. (Paris, 1986) Hachette.

Frank, R. "Pompidou, le franc et l'Europe 1969-1974" Association Georges Pompidou

Georges Pompidou et l'Europe; Colloque 25-26 novembre 1993 (Bruxelles, 1995)

Editions complexe 339-369.

Gerbet, P. " Georges Pompidou et les institutions européennes" Association Georges

Pompidou (dir) Georges Pompidou et l'Europe; Colloque 25-26 novembre 1993

(Bruxelles, 1995) Éditions complexe 55-83.

Jobert, M. Mémoires d'avenir (Paris, 1974).

Roussel, E. Georges Pompidou 1911-1974 (Paris, 2004) Editions Perrin, Nouvelle

édition, revue, augmentée, établie d'après les archives du Président (1969-1974).

Van Eekelen, W. Sporen trekken door strategische jaren ("Indiquer les traces dans les

années stratégiques") (Le Haye, 2000) Ten Brink.

Bibliographie 105

Autres ouvrages:

Badel J. et N.P.Ludlow (dir) Les administrations nationales et la construction

européenne. Une approche historique (1919-1975) (Bruxelles, 2005) Peter Lang

Euroclio 31.

Berstein, S. et P.Milza Histoire de la France au XXe siècle 1958-1974 (Paris 1999)

Editions complexe

Bula, S, J.Irigoin, et C.Obert Archives de la présidence de la République; Ve

République; Georges Pompidou (19 juin 1969- 2 avril 1974) (Paris, 1996) Editions

Graset & Fasquelle

De Castelnau, A. "Le SGCI: une réponse administrative aux défis européens" dans: J.

Badel et N.P. Ludlow (dir) Les administrations nationales et la construction

européenne. Une approche historique (1919-1975) (Bruxelles, 2005) Peter Lang

Euroclio 31 307-335.

Rabier, J.-R. et R.Inglehart European communities study, 1973, Political attitudes in

Europe (ICPSR 7330) (Ann Arbor, 1985 2eme édition) Inter-University consortium

for political and social research, University of Michigan and the Netherlands

Institute for Scientific Information Services (NIWI).

Soutou, G.-H. Raymond Aron. Les articles de politique internationale dans Le Figaro de

1947 à 1977. Troisième tome: Les Crises (février 1965 à avril 1977). Présentation

et notes par Georges-Henri Soutou (Paris, 1997) Éditions de Fallois