L'identification des enfants. Un concept utile pour l'analyse des primes socialisations [article...

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Théories & méthodes SOCIOLOGIE, 2015, N° 2, vol.6,177-220 KEYWORDS: Sociology of childhood, socialization, iden- tification, social differentiation, educational strategies MOTS-CLÉS : sociologie de l’enfance, socialisation, iden- tification des personnes, différenciation sociale, straté- gies éducatives ABSTRACT The way in which children are identified in a given society, especially the way that their peculiar mental, intellectual and moral situations are recognized, has concrete implications for the manner in which they are cared for. Cognitive identification is, therefore, an is- sue that sparks off social strategies, especially parental strategies. This paper adopts this perspective to analyse the social use of the label “gifted children,” seen as a successful attempt by upper- and middle-class families to make use of an alternative psychological identifica- tion against the dominant academic identification – with the result that their educational power grows. Beyond this case, the aim is to propose a general model of children’s cognitive identification. This model offers a coherent view of the diverse institutions involved in cog- nitive identifications, as well as of the different forms and effects that these identifications can have. Finally, the model suggests that cognitive identification should always be taken into account when the differentiation of socializations is at stake. RÉSUMÉ La façon d’identifier les enfants en société, et en parti- culier de connaître et de reconnaître leur situation spéci- fique sur le plan mental, intellectuel, affectif, etc., a des implications concrètes sur la manière de les prendre en charge. L’identification cognitive des enfants constitue dès lors un enjeu social assez important pour susciter des stratégies, en particulier du côté de ces agents de socialisation par excellence que sont les parents. L’article détaille de ce point de vue les pratiques spécifiques qui entourent le diagnostic de « précocité intellectuelle » en France, interprétées comme des tentatives réussies, de la part de parents bien dotés socialement, pour faire jouer une identification psychologique alternative contre l’identification scolaire dominante, au bénéfice d’un pou- voir éducatif renforcé. Mais, au-delà de ce cas particulier, il s’agit de proposer un modèle général de l’identification cognitive des enfants. Il permet d’envisager la pluralité des institutions dont dépend l’identification, la diversité de ses formats et de ses effets, finalement, sa contribu- tion décisive quoique inaperçue, à la différenciation des processus socialisateurs. * Chargé de recherche au CNRS (CESSP, UMR 8209, CNRS-EHESS-UNIV. Paris I) Centre européen de sociologie et de science politique – 14 rue Cujas – 75005 Paris – France [email protected] L’identification des enfants. Un modèle utile pour l’analyse des primes socialisations The identification of children. A useful model for the analysis of first socializations par Wilfried Lignier* Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 09/07/2015 08h26. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 09/07/2015 08h26. © Presses Universitaires de France

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Théories & méthodes

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KEYWORDS: Sociology of childhood, socialization, iden-tification, social differentiation, educational strategies

MOTS-CLÉS : sociologie de l’enfance, socialisation, iden-tification des personnes, différenciation sociale, straté-gies éducatives

A B S T R A C T

The way in which children are identified in a given society, especially the way that their peculiar mental, intellectual and moral situations are recognized, has concrete implications for the manner in which they are cared for. Cognitive identification is, therefore, an is-sue that sparks off social strategies, especially parental strategies. This paper adopts this perspective to analyse the social use of the label “gifted children,” seen as a successful attempt by upper- and middle-class families to make use of an alternative psychological identifica-tion against the dominant academic identification – with the result that their educational power grows. Beyond this case, the aim is to propose a general model of children’s cognitive identification. This model offers a coherent view of the diverse institutions involved in cog-nitive identifications, as well as of the different forms and effects that these identifications can have. Finally, the model suggests that cognitive identification should always be taken into account when the differentiation of socializations is at stake.

R É S U M É

La façon d’identifier les enfants en société, et en parti-culier de connaître et de reconnaître leur situation spéci-fique sur le plan mental, intellectuel, affectif, etc., a des implications concrètes sur la manière de les prendre en charge. L’identification cognitive des enfants constitue dès lors un enjeu social assez important pour susciter des stratégies, en particulier du côté de ces agents de socialisation par excellence que sont les parents. L’article détaille de ce point de vue les pratiques spécifiques qui entourent le diagnostic de « précocité  intellectuelle » en France, interprétées comme des tentatives réussies, de la part de parents bien dotés socialement, pour faire jouer une identification psychologique alternative contre l’identification scolaire dominante, au bénéfice d’un pou-voir éducatif renforcé. Mais, au-delà de ce cas particulier, il s’agit de proposer un modèle général de l’identification cognitive des enfants. Il permet d’envisager la pluralité des institutions dont dépend l’identification, la diversité de ses formats et de ses effets, finalement, sa contribu-tion décisive quoique inaperçue, à la différenciation des processus socialisateurs.

* Chargé de recherche au CNRS (CESSP, UMR 8209, CNRS-EHESS-UNIV. Paris I)Centre européen de sociologie et de science politique – 14 rue Cujas – 75005 Paris – France

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L’identification des enfants. Un modèle utile pour l’analyse des primes socialisations

The identification of children. A useful model for the analysis of first socializations

par Wilfried Lignier*

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Que sont, que valent au juste les enfants ? De quoi sont-ils

capables aujourd’hui, en vue de ce que l’on souhaiterait

qu’ils deviennent demain ? Que peut-on raisonnablement

espérer d’eux, que doivent-ils au contraire laisser craindre ? Et

entre autres : comment connaître, et si nécessaire faire recon-

naître, les capacités intellectuelles ou les propriétés cognitives

des plus jeunes ? Comment mettre en évidence – en vue d’une

action éducative adéquate – leurs éventuelles particularités

psychiques, morales ? Ces questions, touchant à ce que l’on

peut nommer l’identification des enfants, peuvent paraître abs-

traites, ou brutales. Elles font pourtant écho à une incertitude

éducative que s’efforcent constamment de réduire ceux qui ont

la charge d’enfants ; et, sans doute au premier chef, à l’incer-

titude des parents soucieux de l’avenir de leurs fils et de leurs

filles – c’est-à-dire du destin social de leur famille.

En particulier, la reconnaissance de l’« état d’esprit » d’un

enfant donné – sa situation cognitive, au sens large, incluant

toutes sortes de propriétés intellectuelles et morales1 – a des

effets potentiels sur les conditions générales de sa socialisation.

Elle est en effet susceptible d’impliquer, d’une part, des façons

particulières d’interagir avec lui ; elle contribue à déterminer,

d’autre part, les modes de prise en charge institutionnelle,

notamment éducative, dans lesquelles l’enfant se trouvera

engagé. Ainsi, identifiée moralement par ses parents comme

une personne « responsable », « sérieuse », une petite fille sera

volontiers laissée à elle-même du point de vue de ses devoirs

scolaires, avec des effets potentiels sur ses apprentissages

(plus autonomes, qu’ils soient dès lors plus efficaces ou non),

et sur son rapport général à l’école et au savoir (en lien avec le

fait que l’exigence de travail scolaire ne s’avère pas imposée de

l’extérieur)2. De manière plus formalisée, le jugement scolaire

1. L’identification cognitive, comme identification morale et intellectuelle, se distingue a priori d’autres types d’identification envisageables, comme l’identification physiologique, qui concernerait par contraste l’état du corps (la forme physique, les aptitudes sportives, etc.). Cela posé, la restriction aux seules identifications cognitives relève davantage, ici, d’une volonté métho-dique de délimiter l’objet que d’une volonté théorique d’accorder une auto-nomie réelle à ce registre d’identification (l’identification concerne parfois inséparablement le corps et l’esprit).

2. Cet exemple fait écho à ce que l’on sait des attentes parentales sexuel-lement différenciées en matière de travail scolaire à domicile (Gouyon & Guérin, 2006).

3. Le lien étroit entre évaluation (classements, diplômes) et orientation des élèves (placement dans des classes différenciées, qui assurent une socia-lisation scolaire spécifique) a un caractère évident à l’école. À l’inverse, l’évaluation médico-psychologique peut apparaître comme un pur constat, dérivant uniquement d’un tableau symptomatologique donné. Mais il n’en est rien, comme a pu le montrer Jean-Sébastien Eideliman, dans son

(appréciations, notes, diplômes, etc.) ou – aussi bien – l’évalua-

tion médico-psychologique (commentaire clinique, diagnostic

divers) de difficultés ou au contraire de facilités intellectuelles

enfantines ne prennent sens qu’en tant qu’ils orientent vers

des types distinctifs de prise en charge (engagement dans des

cadres scolaires adéquats, rééducations adaptées, etc.)3.

Ce sont ces logiques d’identification des enfants qu’il s’agit pré-

cisément d’éclairer plus avant dans cet article. La stratégie sui-

vie ici consiste à tenter de généraliser certains résultats d’une

enquête spécifique, portant sur une variété particulière d’iden-

tification cognitive : l’identification psychologique (au sens où

elle relève du travail de psychologues, et de savoirs et d’institu-

tions socialement décrits comme psychologiques) des enfants

dits « intellectuellement précoces » ou « surdoués » tels qu’on

peut les saisir dans le contexte français contemporain. Cette

dernière précision spatio-temporelle s’impose puisque, comme

on le verra plus en détails par la suite, les logiques sociales

attachées à une variété donnée d’identification des enfants ne

sont intelligibles que réinscrites dans une configuration particu-

lière des institutions de l’enfance – forme et poids relatifs, dans

l’identification des enfants, de la famille, de l’école, des groupes

de pairs ou encore des institutions médico-psychologiques. Or,

cette configuration est évidemment dépendante du contexte

culturel/national et de l’époque considérée, sauf à oublier les

apports de l’anthropologie et de l’histoire de l’enfance4.

Le but poursuivi ici n’est donc pas de documenter, en tant

que tel, le diagnostic de « surdouement », ou de « précocité

intellectuelle »5. Il s’agit a contrario d’esquisser, à partir d’un

travail empirique (donc forcément marqué par les diverses

particularités sociales et formelles de l’objet et du terrain), un

travail sur les pratiques diagnostiques en santé mentale enfantine : compte tenu, entre autres, de la labilité des catégories nosographiques, diagnosti-quer par exemple un enfant comme « autiste » (plutôt qu’autrement) prend directement sens en relation avec l’existence de dispositifs thérapeutiques, de groupes de soutien consacrés spécifiquement à cette maladie, etc., et plus largement avec la possibilité pour les familles et les soignants de trouver des « arrangements pratiques » satisfaisants pour l’éducation de ces enfants (Eideliman, 2008).

4. Les analyses fondatrices d’une Margaret Mead (1969 [1928]), pour l’anthropologie de l’enfance, ou d’un Philippe Ariès (1960), pour l’histoire de l’enfance, ont fait à bon droit l’objet de nombreuses révisions et contesta-tions, à la fois théoriques et empiriques – voir sur ce point, respectivement, LeVine (2007) et Heywood (2001). Mais on ne saurait remettre en cause le variationnisme historique et culturel qu’elles imposent à toute étude de l’enfance (Lignier, Lomba & Renahy, 2012).

5. L’analyse proprement dite de ce diagnostic a déjà fait l’objet de plu-sieurs publications, dont un ouvrage de synthèse (Lignier, 2012).

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cadre d’analyse plus large, permettant de penser l’identifica-

tion des enfants en tant que phénomène social très général. Si

la construction d’un tel cadre importe, comme je vais essayer

de le montrer, c’est parce qu’il permet de penser à nouveaux

frais un certain nombre de questions classiques en sciences

sociales : avant toute chose, la question des primes socialisa-

tions, notamment dans leur dimension extra-interactionnelle,

indirecte (c’est-à-dire au-delà du face-à-face immédiat avec

les enfants)6 ; mais aussi, peut-être, des questions socio-

logiques aussi diverses que celles des stratégies éducatives

contemporaines, du rôle des savoirs cliniques en société, de

la construction sociale des identités légitimes, ou encore de la

différenciation sociale des personnes et des groupes.

Il s’agira d’abord, dans les lignes qui suivent, de préciser briè-

vement les origines et les contours exacts de la notion même

d’identification cognitive des enfants, telle qu’elle est mise ici

en exergue. Seront ainsi clarifiés le registre théorique et l’inté-

rêt heuristique propres à cette notion, empruntée à l’histoire

de l’« identification des personnes », plutôt qu’à la philosophie

de l’« identification des états mentaux ». Ensuite, je tâcherai

de montrer ce qu’une telle notion apporte sociologiquement,

à partir d’un cas précis : l’analyse des pratiques singulières de

détection des enfants d’intelligence hors norme. En l’espèce,

je montrerai que le modèle de l’identification cognitive que je

propose permet d’envisager ces pratiques comme une mise

en concurrence, historiquement et socialement déterminée,

entre une identification psychologique (avoir un quotient intel-

lectuel très élevé) et des identifications scolaires (les notes

de l’enfant, ce qu’en disent les enseignants, etc.) – et ce à

des fins pratiques : accroître le contrôle des parents sur les

conditions d’éducation des enfants, dans un contexte marqué

par la domination symbolique et matérielle de l’école. C’est,

enfin, avec la prise en compte d’autres types d’identification

cognitive des enfants – identification familiale, identification

par les pairs, etc. – mais aussi de formats diversifiés d’iden-

tification – identifications plus ou moins formalisées, plus ou

moins persistantes dans le temps, plus ou moins imposées

ou au contraire choisies (en fonction des ressources sociales,

du paysage institutionnel général), etc. – que la pertinence

d’une généralisation de ce cadre d’analyse pourra véritable-

ment être éprouvée.

6. Pour une vue générale des travaux sur la socialisation primaire, voir Darmon (2006), Handel (2006).

L’identification, réduction sociale de l’incertitude sur les personnes

Quelques précisions conceptuelles  s’imposent, en préalable.

Qu’entendre au juste par identification cognitive des enfants ?

Dans quelle tradition scientifique s’ancre cette notion, que

recouvre-t-elle précisément, à la fois en termes sociaux (les pra-

tiques sociales auxquelles elle renvoie) et sociologiques (les enjeux

scientifiques dans lesquels elle s’inscrit) ?

D e l ’ i d e n t i f i c a t i o n i n t e r p e r s o n n e l l e à l ’ i d e n t i f i c a t i o n s o c i a l e

De premier abord, la question de la connaissance et de la

reconnaissance de la situation cognitive des enfants, et des

personnes en général (y compris des adultes), peut paraître

tout à fait abstraite. Elle évoque volontiers une certaine tradition

de recherches philosophiques, marquée par le travail séminal

de Ludwig Wittgenstein sur l’identification des états mentaux

(Wittgenstein, 2005 [1953]), où il s’agit de s’interroger sur les

conditions pratiques dans lesquelles chacun parvient à déter-

miner ce qu’une personne pense ou ressent (typiquement chez

L. Wittgenstein : une douleur). Dans le prolongement de cette

acception, la notion d’identification cognitive peut aussi rappe-

ler, du côté des sciences cognitives cette fois, et sur un plan qui

s’efforce d’être plus empirique (en l’occurrence, expérimental

le plus souvent), les diverses recherches portant sur le déve-

loppement précoce d’une « théorie de l’esprit », c’est-à-dire sur

la capacité émergente chez le jeune humain de prendre en

compte, dans la perception de son environnement, le fait que

ceux qui l’entourent (éducateurs, pairs) ont, comme lui, un état

mental – par exemple, des croyances qui, vraies ou fausses,

informent leurs manières d’agir (Astington, 1999).

S’en tenir à ce genre d’acception de l’identification cognitive,

c’est cependant faire comme si la détermination des propriétés

mentales des uns et des autres ne constituait qu’un enjeu per-

sonnel ou interpersonnel – agir individuellement de façon adap-

tée face à autrui – et jamais un enjeu proprement social – agir

(individuellement ou collectivement) en société, c’est-à-dire :

1) dans un contexte qui n’est jamais purement interactionnel,

mais inscrit dans une histoire collective (il y a des institutions

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qui, historiquement premières, paraissent déterminer d’avance

ce que sont les personnes, en particulier sur le plan cognitif) ;

et 2) dans une histoire sociale individualisée (la forme et l’inten-

sité de l’effort pour connaître l’« état d’esprit » des personnes

en question procède de trajectoires, d’intérêts sociaux plus

ou moins explicites, etc.). Ainsi saisie dans la vie réelle plutôt

qu’au gré d’une « anthropologie fictive » (Bouveresse, 1977,

p.  47) ou au bénéfice d’une expérimentation indoor – pour

reprendre le terme critique de la psychologue culturelle Jean

Lave (1988) – l’identification cognitive des enfants pose des

questions neuves : qui a les moyens sociaux et qui a la légiti-

mité suffisante pour déterminer, dans un contexte donné, ce

que sont tels ou tels enfants sur le plan cognitif ? Qu’est-ce qui

est au juste identifié, comment, et avec quelles conséquences

probables, sinon nécessaires, sur les conditions d’existence,

sur le devenir socialement différencié des enfants ? Les diffé-

rentes identifications cognitives des enfants, telles qu’on peut

les observer dans le cours ordinaire de la vie sociale, sont-elles

également négociables ou irrémédiables, recherchées ou

subies, cohérentes ou incohérentes entre elles ? Que per-

mettent-elles aux enfants concernés ? À quoi, au contraire, les

obligent-elles ?

I d e n t i f i c a t i o n c i v i l e , i d e n t i f i c a t i o n é c o n o m i q u e , i d e n t i f i c a t i o n c o g n i t i v e

En s’orientant vers des questionnements de cette nature, on

s’éloigne à l’évidence des acceptions philosophiques de l’iden-

tification cognitive, et de leur cadrage interpersonnel. Dans le

même mouvement, on se rapproche de définitions de l’identi-

fication qui circulent déjà en sciences sociales, en particulier

dans le sillage de travaux historiques français portant sur la

genèse des pratiques publiques d’identification civile des per-

sonnes (Noiriel, 1993, 2007 ; About & Denis, 2010). Que les

enjeux propres à ce genre de travaux – à savoir : comprendre et

analyser les modalités, les causes et les conséquences de tech-

niques d’identifications administratives des individus (tels les

passeports, les cartes nationales d’identité, etc.) – en viennent

à éclairer les questions, apparemment fort différentes, qui

m’intéressent ici mérite quelques éclaircissements. Rappelons

7. L’usage fait ici de la notion d’incertitude est délibérément « faible ». Il s’agit seulement de pointer le fait que, lorsqu’on se situe du point de vue de l’action à réaliser, et non de l’action accomplie, s’impose l’impossibi-lité d’une connaissance complète et définitive du contexte d’action, en même temps que la nécessité de s’assurer de l’effectivité et de la stabilité

l’argument général des historiens de l’identification civile des

personnes. Sur un plan analytique, leurs travaux ont insisté

sur le fait que le développement de techniques centralisées

d’identification (permettant notamment la distinction précise

entre ressortissants « nationaux » et « étrangers ») devait se

comprendre en relation avec le développement de l’« action

à distance » de l’État : pour imposer, par exemple, le droit

national à chaque citoyen, ou encore pour porter assistance

(économique, sanitaire, etc.) aux seuls « ayant droit », la force

publique devait être en mesure de réduire l’incertitude sur l’identité des personnes en la stabilisant institutionnellement,

c’est-à-dire en allant au-delà (en termes de degré de précision,

de systématisation et de légitimité) de l’identification infor-

melle, orale, traditionnelle, propres aux milieux d’interactions

ordinaires (interconnaissance de village, etc.). L’idée-force de

ces travaux historiques peut ainsi être définie comme suit :

c’est avant tout en relation avec des impératifs de réduction

de l’incertitude propre à l’action sur autrui7 – en l’espèce, à

l’action publique sur l’ensemble des personnes réunies sur un

territoire – que prennent sens les pratiques d’identification de

personnes (ici, l’attribution d’un nom officiel, d’une nationalité,

d’un sexe, etc.)

Chose intéressante, cette acception de l’identification des per-

sonnes, qui en fait un enjeu d’action (plus exactement : de

réduction de l’incertitude conditionnant toute action à distance

sur autrui), a connu récemment un certain décloisonnement.

D’autres chercheurs ont pu faire remarquer que la notion d’iden-

tification pouvait être appliquée à des identifications d’origine

non-étatique, et partant, se trouver relativement déconnectée

des seules enquêtes sur l’évolution de la gestion publique et du

contrôle centralisé des populations. Ainsi, Rogers Brubaker et

Frederick Cooper, tout en concédant que « l’État est un puissant

“identifieur” […] [parce qu’il] dispose des ressources maté-

rielles et symboliques qui lui permettent d’imposer les catégo-

ries, les types de classement et les manières de compter avec

lesquels fonctionnaires, juges, professeurs et médecins doivent

travailler, et auxquels les acteurs non étatiques doivent se réfé-

rer », insistent sur le fait que « l’État n’est pas le seul “identi-

fieur” qui importe » (Brubaker & Cooper, 2000, p. 16). En effet,

d’un maximum d’éléments de ce contexte. Cette usage se rapproche de celui de Jean-Claude Chamboredon (1991), lorsqu’il évoque, en l’espèce à propos de l’action socialisatrice, les « incertitudes de la reproduction » (qui persistent quelque soient, structurellement, les statistiques sur le devenir des enfants).

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le travail d’identification, y compris dans ses versions les plus

formalisées (usage de catégories écrites, nettement définies),

concerne en réalité une pluralité d’institutions (certes souvent

dépendantes de l’État, mais ayant leur autonomie), et renvoie

par ailleurs à des perspectives d’action très diverses (optimiser

la division du travail en réduisant l’incertitude sur la nature des

compétences, s’assurer de la fiabilité morale des personnes

avec qui on doit agir, etc.). Cette diversification des agents et

des logiques d’identification est tout à fait essentielle, pour au

moins deux raisons. D’une part, parce qu’elle invite à appliquer

le triptyque incertitude/identification/action à des contextes

nouveaux – et pour être plus précis, pas seulement à l’action

de l’État, ni même à l’action d’institutions publiques, mais aussi

à l’action privée : celles d’institutions privées (entreprises, asso-

ciations par exemple), mais aussi celles de personnes ou de

groupes sociaux particuliers – des classes sociales, des familles,

des agents individuels, agissant pour leur propre compte, pour

contrôler leur propre destin, plutôt que pour contrôler celui des

autres. D’autre part, comme l’écrivent d’autres auteurs, « ouvrir

l’espace des institutions identificatrices permet de comprendre

les identifications multiples par des organisation concurrentes »

(Avanza & Laferté, 2005, p. 141). Les travaux menés récemment

sur les logiques d’identification économique démontrent parfai-

tement l’intérêt heuristique de ce type de remarque conceptuelle

(Laferté, 2010). Ces travaux consistent à analyser le travail,

parfois convergent parfois concurrent, d’institutions plurielles

– publiques comme privées (banques, agences de notations,

agence de marketing, associations de consommateurs, etc.) –

visant à réduire l’incertitude sur le statut économique des agents

économiques (capacité à (bien) produire, capacité à consom-

mer, à faire du profit, à rembourser, etc.), et ce dans une relation

fonctionnelle avec le développement, l’amélioration de certaines

activités de production ou de consommation (en l’occurrence,

l’activité de crédit).

Parce qu’elles concernent l’incertitude sur le statut de per-

sonnes (les enfants), parce qu’elles mettent en jeu une plu-

ralité d’institutions (la famille, l’école, mais aussi, comme je le

montrerai, un certain nombre d’institutions médicales ou para-

médicales, des institutions culturelles diverses, etc.), et surtout

parce qu’on peut justement faire l’hypothèse qu’elles sont au

service d’une action sociale spécifique – l’action socialisatrice

8. Cette formulation préserve, remarquons-le, l’importante idée durkhei-mienne selon laquelle l’action éducative, au sens sociologiquement précis

– les pratiques visant à la connaissance et à la reconnaissance de la situation cognitive des enfants gagnent à être analysées en reprenant et en adaptant le concept d’identification, tel que

je viens de l’exposer. Historiens de l’État et ethnographes des

pratiques économiques suggèrent que la fixation de l’identité

civile et de l’identité économique des personnes conditionne,

respectivement, le développement de l’action bureaucratique,

et celui des échanges de biens et de services ; et qu’elle

constitue, par conséquent, un enjeu manifeste pour tous ceux

qui sont concernés par l’action de l’État et par l’activité écono-

mique. De même, on peut considérer que l’action socialisatrice

sur les plus jeunes, y compris lorsqu’on l’envisage comme une

action privée – incluant ce que l’on nomme usuellement des

« stratégies éducatives »8 – se joue pour partie dans l’identifi-

cation cognitive des enfants – c’est-à-dire dans des pratiques

symboliques consistant à réduire l’incertitude sur ce que sont

les enfants sur le plan intellectuel et moral, via l’imposition de

manières légitimes de connaître et de reconnaître leur situa-

tion cognitive.

Diagnostiquer l’intelligence des enfants pour mieux agir sur eux

Pour comprendre comment la notion d’identification cognitive

des enfants « fonctionne » effectivement, il faut quitter la des-

cription générale, donc désincarnée, des pratiques d’identifi-

cation considérées dans leur globalité, pour cibler au contraire

certaines de ces pratiques. Leurs formes, leurs orientations,

leurs inscriptions socio-institutionnelles, forcément particu-

lières, sont néanmoins susceptibles d’éclairer des logiques

communes en matière d’identification des enfants.

U n e p r i v a t i s a t i o n d e s m a n i è r e s c l i n i q u e s d ’ i d e n t i f i e r l e s e n f a n t s

Dans l’ensemble de pratiques relevant de la connaissance et de

la reconnaissance sociale de la situation cognitive des enfants,

on peut ainsi distinguer une variété particulière d’identification :

celle qui correspond au travail spécifique des divers praticiens

de la santé mentale enfantine  (psychiatres, psychologues,

mais aussi d’autres professionnels paramédicaux comme les

du terme, n’est qu’une partie – la seule partie consciente, volontaire – de l’action socialisatrice (Durkheim, 1999a [1922]).

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orthophonistes ou les psychomotriciens). L’intérêt qu’il y a à

penser de manière spécifique cette identification des enfants,

que l’on peut nommer médico-psychologique ou clinique, est

fonction de l’importance sociale qu’elle a en société, c’est-à-dire

de l’importance qu’a, par rapport à un contexte socio-historique

et à un registre d’action donné (ici, les pratiques de socialisa-

tion), la contribution propre des praticiens de la santé mentale

et des divers savoirs « psy » à l’identification des plus jeunes. En

d’autres termes : la nécessité d’étudier les versions cliniques de

l’identification des enfants est d’autant plus impérieuse qu’est

poussée la psychologisation des pratiques sociales, en particu-

lier de celles dont les enfants font l’objet (notamment au-delà

des seules pratiques thérapeutiques9).

Il se trouve que la psychologisation de l’action sur les enfants a

connu récemment un certain développement dans nombre de

sociétés occidentales, en écho avec la médicalisation accélé-

rée de nombreux secteurs de la vie sociale (Conrad, 1992). On

sait, pour s’en tenir au cas de la France, que l’action publique

sur l’enfance s’y est de longue date appuyée sur des notions

et des techniques cliniques, notamment dans le domaine des

politiques scolaires (Pinell & Zaphiropoulos, 1978). Des savoirs

médico-psychologiques sur l’enfance ont parfois même été

spécialement développés sous l’impulsion de l’État – à l’ins-

tar de la mesure psychométrique de l’intelligence, élaboré par

le psychologue français Alfred Binet au tournant du XIXe siècle

à la demande expresse du ministère de l’Instruction publique

(pour définir les enfants qu’il était préférable de soustraire à

l’école désormais obligatoire, cf. Pinell, 1977). Aujourd’hui,

l’association entre action publique sur l’enfance et identifica-

tion médico-psychologique se renouvelle. Parfois à grand bruit,

comme lorsque l’Institut national de la santé et de la recherche

médicale propose, non sans créer la polémique, la mise en

place d’une politique de détection précoce des « troubles

du comportement » visant à prévenir la délinquance juvénile

(INSERM, 2005); parfois de façon plus discrète (mais peut-être

plus efficace) lorsque, par exemple, le travail éducatif quotidien

réalisé dans les établissements scolaires élémentaires connaît

9. Cette remarque s’impose : tant que les savoirs cliniques demeurent can-tonnés à des enjeux thérapeutiques, leur portée sociale, leur contribution effective à la socialisation de la jeune génération se limite ipso facto aux seuls enfants malades.

10. Notamment parce que les intérêts à recourir aux savoirs cliniques, propres à certains groupes sociaux et à certaines situations pratiques, ne sont presque jamais considérés comme des « moteurs » de la médicalisa-tion. Voir, pour une illustration, Conrad (2005).

une mobilisation renforcée de savoirs psychologiques plus ou

moins formalisés (Morel, 2012).

Cela dit, les processus contemporains de psychologisation de

l’action sur les enfants excèdent, désormais, ces usages publics,

en particulier compte tenu d’un phénomène, pointé par Robert

Castel dès le début des années 1980 (Castel, 1981), de diffu-

sion accélérée d’une « culture psychologique » auprès des par-

ticuliers, c’est-à-dire auprès d’acteurs privés. Nombreuses sont

les dynamiques sociales ayant contribué à cette privatisation

patente des savoirs cliniques sur l’enfance – passée quasiment

inaperçue en sciences sociales10. L’élévation générale du niveau

global d’éducation de la population, en particulier de la popu-

lation féminine, a sans nul doute favorisé l’appropriation privée

de ces savoirs, dont la lecture et la compréhension impliquent

la possession d’un minimum de ressources culturelles et sco-

laires11. Il faut par ailleurs considérer le rôle essentiel joué par

l’offre orientée spécifiquement vers les particuliers. D’une part,

le conseil psychologique aux parents s’est imposé comme un

secteur florissant de l’édition, intensément investi aujourd’hui

par des éditeurs qui, à l’instar d’Odile Jacob, ont fait du « psy-

chologisme » (et par ailleurs, du « biologisme ») une véritable

« griffe éditoriale » (Lemerle, 2006). Depuis la fin des années

1990, ce mouvement s’est prolongé sur de nouveaux supports,

la presse magazine, les talk-show télévisés et le Web notam-

ment12. D’autre part, l’affirmation d’une offre beaucoup plus

concrète, l’offre effective de suivi chez un professionnel de la

santé mentale, a sans doute joué un rôle non négligeable. Pour

s’en tenir à un chiffre indicatif, en France, la catégorie isolée par

l’INSEE des « psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes

(non médecins) » a vu ses effectifs croître de pas moins de 38 %

durant la seule période 1990-199913. Cela implique, en pratique,

que lorsqu’un particulier s’avère disposé à consulter un psycho-

logue pour savoir « ce qu’a » un enfant donné – c’est-à-dire ce

qu’il est, sur le plan cognitif – il est désormais relativement facile

pour lui de trouver un praticien à qui s’adresser, qu’il s’agisse

d’un professionnel exerçant en institution (notamment en Centre

médico-pédo-psychologique, CMPP) ou en libéral.

11. Et plus généralement, la constitution d’une interrogation sociale sur le développement cognitif, sur l’éducabilité précoce des enfants (Chamboredon & Prévot, 1973).

12. Sur ce dernier support, encore peu étudié, voir Miah & Rich (2008).

13. Données du recensement, années 1990 et 1999.

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Ce mouvement général de privatisation des savoirs cliniques

sur l’enfance rapproche de fait les savoirs et les professions

médico-psychologiques des enjeux propres à l’action privée sur

l’enfance – ce qui favorise leur intégration, via la multiplication

de formes cliniques d’identification des enfants, à l’action édu-

cative et socialisatrice des familles.

Une telle intégration s’avère aujourd’hui suffisamment poussée

pour ressortir de façon évidente à des enjeux extra-thérapeu-

tiques. Ainsi, l’identification clinique des enfants ne prend pas

forcément sens en relation exclusive avec une prise en charge

clinique, autrement dit avec une action ré-éducative. Elle ren-

voie aussi bien, en tout cas sous certaines conditions socio-

institutionnelles, à une action éducative au sens plus habituel du

terme, c’est-à-dire avant tout au sens scolaire. La traduction la

plus éclatante de ce phénomène émergent de psychologisation

de l’action scolaire privée – fonction des rapports différenciés

des familles à l’école, avant d’être fonction des évolutions des

politiques scolaires – est l’apparition, ou du moins l’appropriation

accrue par certains parents, de nouveaux diagnostics de l’en-

fance qui concernent directement des problèmes typiquement

scolaires. Aujourd’hui, diverses difficultés rencontrées par les

enfants à l’école se trouvent psychologisées, suivant des modali-

tés qui, remarquons-le en passant, semblent correspondre à une

certaine division du travail d’identification entre professionnels

de la santé mentale enfantine : des enfants qui ne tiennent pas

en place dans les salles de classe sont déclarés « hyperactifs »

par des psychiatres (Conrad, 1976 ; Dupanloup, 2004 ; Jupille,

2011) ; des enfants qui ne parviennent pas à lire à temps en

dépit de leurs assez bonnes compétences culturelles sont décrits

comme « dyslexiques » par des orthophonistes (Woolven, 2012 ;

Garcia, 2013) ; des enfants qui écrivent mal ou beaucoup trop

lentement, alors qu’ils seraient plutôt culturellement compé-

tents par ailleurs, sont diagnostiqués « dyspraxiques » par des

psychomotriciens (Bertrand, 2012) ; et des enfants que le pro-

gramme pédagogique prévu semble ennuyer du fait de sa trop

grande facilité (là encore, relativement à leurs compétences

culturelles) sont quant à eux identifiés comme « intellectuelle-

ment précoces » par des psychologues.

14. Les développements qui suivent concernant les pratiques spécifiques d’identification des enfants intellectuellement précoces s’appuient sur une enquête associant archives, compilations bibliographiques, questionnaires et entretiens dont la synthèse a été signalée précédemment (Lignier, 2012).

L’ i d e n t i f i c a t i o n t r è s s é l e c t i v e d e s e n f a n t s « i n t e l l e c t u e l l e m e n t p r é c o c e s »

Concentrons-nous à présent sur cette dernière identification,

psychologique au sens étroit du terme, afin d’explorer plus

avant le contexte social dans lequel elle s’inscrit. Cela revient,

plus exactement, à examiner tout à la fois les conditions ins-

titutionnelles qui lui donnent historiquement sens, les zones

de l’espace social où elle surgit, et enfin les logiques pratiques

auxquelles elle correspond effectivement14.

Le diagnostic de « précocité intellectuelle » s’appuie aujourd’hui

sur une définition clinique relativement stabilisée : il rassemble

les enfants obtenant, à un test psychométrique d’aptitudes

intellectuelles (évaluation de diverses compétences logiques et

verbales), un score nettement plus élevé que la moyenne, soit

par convention un quotient intellectuel (QI) global supérieur à

130 points15. Cette définition ne dit toutefois absolument rien

du contexte socio-historique dans lequel un tel diagnostic d’in-

telligence s’avère effectivement possible (il faut être en mesure

d’y accéder), pertinent (il faut qu’il prenne sens par rapport à

l’action en cours sur les enfants) voire intéressant (il sera d’au-

tant plus approprié s’il permet d’accroître l’efficacité de l’action

en question). Dans ces conditions, seul un travail spécifique

d’objectivation des situations et des pratiques effectivement

associées à ce type bien particulier d’identification permet de

comprendre comment, au-delà de la pure convention clinique,

identifier par le QI des enfants d’intelligence supérieure renvoie

à une série de nécessités historiques et sociales, et notamment

à des enjeux d’éducation et de socialisation.

Concernant la simple possibilité d’identifier les enfants de cette

manière, elle s’entend à la fois sur le plan symbolique de la

connaissance et de la reconnaissance du diagnostic (le fait de

savoir qu’il existe, et de lui conférer un minimum de légitimité)

et sur le plan plus concret des ressources économiques et

culturelles, sans lesquelles faire effectivement tester un enfant

reste très improbable – il faut pouvoir payer le test (en moyenne,

autour de 150 euros, souvent non remboursés), connaître un

15. Pour établir le diagnostic de précocité intellectuelle, les psychologues utilisent généralement des tests de type « Wechsler », qui sont des épreuves étalonnées de manière à ce que, en principe, le quotient intellectuel moyen soit de 100. Les scores se distribuant normalement autour de cette moyenne, avoir un QI de plus de 130 correspond au fait d’appartenir virtuellement aux 2 % des enfants le plus intelligents, au sens psychométrique du terme. Pour une synthèse sur les tests, voir Huteau & Lautrey (1997).

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psychologue qui en fait passer, donner un minimum de sens

aux résultats, etc. À l’évidence, ces contraintes pèsent inégale-

ment suivant les époques et les zones particulières de l’espace

social. De fait, historiquement parlant, l’intégration officielle de

la notion de précocité intellectuelle dans la politique éducative

de la France au cours des années 2000 (comme diagnostic

que l’école doit désormais reconnaître, au même titre d’ailleurs

que la dyslexie ou la dyspraxie)16, l’appropriation médiatique

particulièrement poussée depuis les années 1990 de la figure

du « surdoué en difficulté », ou encore la publication en fran-

çais, toute récente (elle date du milieu des années 2000), de

travaux proprement universitaires sur les enfants à QI hors

normes (articles, numéros de revues, manuels, etc.) sont

autant de dynamiques sociales ayant conduit à légitimer l’iden-

tification psychologique d’enfants d’intelligence exceptionnelle

auprès de la population française, autrement dit à lever les

obstacles symboliques à son appropriation à des fins d’action

privée. Pour le dire plus simplement, alors que dans les années

1970, parler de surdoués en France pouvait très facilement

paraître obscur, ridicule et même dangereux politiquement, le

contexte symbolique contemporain – produit, remarquons-le

sans pouvoir y insister davantage ici, d’un véritable mouve-

ment social d’abord américain, puis français (Margolin, 1994 ;

Lignier, 2011) – confère le sérieux de la presse, de la science,

et surtout de l’État (Bourdieu, 2012), à tous ceux qui mobilisent

ou sont tentés de mobiliser la notion de précocité intellectuelle

pour identifier des enfants.

Cela dit, le degré de connaissance et de reconnaissance globale

du diagnostic d’intelligence dans le contexte français contem-

porain ne présume pas à lui seul de l’importance qu’y prend

finalement cette identification cognitive spécifique. La morpho-

logie sociale bien particulière des pratiques effectives d’identi-

fication des enfants intellectuellement précoces suggère que

la nécessité d’identifier par le QI varie très nettement suivant

la position sociale de ceux à qui il revient par excellence d’agir

sur les enfants : les parents. Une enquête par questionnaire

menée en 2007 auprès d’un peu plus de 500 familles répar-

ties sur l’ensemble du territoire (repérées par leur adhésion à

l’une des principales associations françaises consacrées aux

enfants précoces) a pu montrer que pas moins de deux tiers

16. L’article 27 de la loi « pour l’avenir de l’école » de 2005 a introduit dans le Code de l’éducation  français l’idée que, dans les établissements scolaires, des « aménagements appropriés sont prévus au profit des élèves

des enfants identifiés comme précoces étaient d’origine sociale

supérieure (père cadre, exerçant une profession intellectuelle

supérieure ou chef d’entreprise), cependant que près de 90 %

de leurs mères et 80 % de leurs pères possédaient un diplôme

supérieur au niveau Bac+2 (Lignier, 2010, p. 101-102). Les

propriétés des enfants semblent également avoir une impor-

tance décisive dans ce type d’identification. La même enquête

insistait, d’une part, sur l’âge et le sexe : d’après les question-

naires, ces enfants sont testés très tôt, en moyenne un peu

avant 7 ans (l’âge modal est 5 ans), et ce sont très majoritaire-

ment des garçons – pour 74 % d’entre eux (ibid., p. 108-110).

D’autre part, contre l’idée d’une identification psychologique

motivée avant tout par des difficultés scolaires (idée assénée

par les associations spécialisées, et largement relayée média-

tiquement), l’enquête faisait le constat qu’un nombre infime

d’enfants précoces sont en retard scolairement (2 %), et

même que très peu d’entre eux sont décrits par leurs propres

parents comme « en difficulté scolaire » (7 %) (Lignier, 2012,

p.  202). Autrement dit, ce type d’identification clinique ne

relève manifestement pas de la rééducation, du soin – comme

le reconnaissent d’ailleurs les psychologues qui posent le

diagnostic de précocité (essentiellement des psychologues

libéraux), admettant qu’ils ne procèdent presque jamais à un

quelconque suivi thérapeutique des enfants. Au contraire, le

recours délibéré à la psychologie (puisque rien n’oblige a priori les parents) pour identifier la grande intelligence d’un enfant

apparaît donc bien comme un enjeu de connaissance et de

reconnaissance d’un état enfantin tenu pour différent, singu-

lier – cette singularisation prenant d’abord sens, comme on va

le voir, en relation avec la situation scolaire.

U n e i d e n t i f i c a t i o n p s y c h o l o g i q u e c o n t r e l ’ i d e n t i f i c a t i o n s c o l a i r e ?

Le fait que l’identification psychologique de la précocité intel-

lectuelle d’un enfant n’est manifestement pas la conséquence

directe de difficultés scolaires ne signifie pas pour autant que

cette identification n’aurait aucun rapport avec l’école – bien

au contraire. En réalité, au-delà des propriétés des parents et

des enfants, l’examen des dispositions et des intérêts paren-

taux à pratiquer cette identification exotique par le QI atteste

intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières, afin de leur permettre de développer pleinement leurs potentialités » (Article L. 321-4).

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Wilfried Lignier 185

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10 juin 2015 10:50 - Sociologie no 2-2015 vol 6 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 185 / 120 - © PUF -

de l’importance décisive d’un certain rapport à l’institution sco-

laire, d’une part, et de la perspective d’une action spécifique

sur la scolarité des enfants identifiés, d’autre part.

Des entretiens approfondis réalisés avec des parents concer-

nés17 révèlent que le recours à la psychologie doit beaucoup

à une forte incertitude sur l’identification cognitive habituelle des enfants – l’identification scolaire. Compte tenu de leur

âge, les enfants testés fréquentent pour la presque totalité

d’entre eux l’enseignement pré-élémentaire et élémen-

taire, qui identifie de fait de manière relativement souple les

enfants : à ce stade de la scolarité, il n’y a pas toujours de

notes, de classements, pas de filières distinctives, pas de pal-

marès des établissements ni de véritables  « indicateurs de

performance » comme ceux qu’on peut trouver pour le second

degré (Felouzis, 2005). Dans ce contexte institutionnel, les

enfants sont relativement peu différenciés les uns des autres,

du point de vue de leurs capacités intellectuelles et donc de

leurs potentialités scolaires. C’est en tout cas ainsi que les

choses sont perçues par les parents d’enfants précoces, qui

expriment de façon régulière une vive incertitude quant à la

situation cognitive de leurs jeunes enfants – et particulière-

ment, rappelons-le, de leurs jeunes garçons. L’enfant semble

se débrouiller assez bien dans son école ; mais n’est-ce pas

parce que le niveau de l’école est faible ? Comment savoir ce

que l’enfant « a dans le ventre » (pour reprendre l’expression

d’un enquêté) lorsque la pédagogie est centrée sur le jeu (en

maternelle), ou lorsque l’enseignant ne signale que l’ « acqui-

sition des compétences », sans les noter  ? L’expression de

ce genre d’incertitude rappelle que la « probabilité objective »

qu’un enfant atteigne une position sociale donnée (celle que

repèrent les statistiques des sociologues) ne présume jamais

complètement de la « probabilité subjective » que ce soit le

cas, c’est-à-dire de la perception de l’avenir qu’ont ceux qui

doivent précisément faire la trajectoire sociale des enfants

(les parents, les enfants eux-mêmes)18. En l’occurrence, bien

17. Il s’agit de 17 entretiens réalisés entre 2007 et 2008 dans des familles franciliennes touchées par le questionnaire national précédemment évoqué ; ces familles ont été choisies de manière à respecter grossièrement la dis-tribution sociale repérée avec le questionnaire (Lignier, 2012, p. 211-271).

18. Sur la différence entre probabilité « objective » et « subjective », voir Hacking (2002).

19. Les cas de déclassement scolaire et professionnel d’enfants issus des classes moyennes et supérieures ne sont certes pas négligeables, et sont même intéressants à étudier (Peugny, 2011). Cependant, la contribution de ces groupes sociaux favorisés à la formation des populations dominées

que, compte tenu de leur origine sociale, les enfants identifiés

comme précoces ont objectivement les meilleures chances de

« réussir » à l’école et au-delà dans leur vie professionnelle19,

leurs parents ont une tendance marquée à craindre l’échec –

ce qui les conduit de fait, selon un logique toute wébérienne

(Weber, 1999 [1905]), à tout faire pour réduire l’incertitude

persistante sur leurs trajectoires.

Bien entendu, cette incertitude éprouvée par les parents n’est

pas le seul produit de l’état objectif de l’identification scolaire :

elle renvoie au rapport spécifique des parents au système sco-

laire, et plus exactement à l’égard des zones les plus communes

de ce système (pré-élémentaire, élémentaire, voire début du

secondaire). La faible confiance que les parents enquêtés ont,

d’une façon générale, vis-à-vis du type de prise en charge des

enfants que proposent les écoles maternelles et primaires vient

en l’occurrence fonder leur perception, plus spécifique, que

les évaluations produites à ces niveaux de scolarité, sont, sinon

incorrectes, en tout cas très insuffisantes. Cette confiance très

limitée dans l’identification scolaire a des sources relativement

diversifiée, remarquons-le. Pour de nombreux parents, elle

relève d’une défiance globale à l’égard de l’école commune,

qui s’enracine dans une trajectoire scolaire souvent faite essen-

tiellement dans des filières sélectives (écoles privées, classes à

option, filières sélectives dans le supérieur, Grandes écoles, etc.),

ainsi que dans une position sociale actuelle qui les éloigne

souvent de la légitimité proprement scolaire à évaluer20. Mais

pour d’autres parents – certes minoritaires – la faible confiance

dans l’école relève plutôt de la méfiance scolaire. Ceux-ci sont

quant à eux des parents qui ont appris à la première personne

à ne pas prendre pour argent comptant les verdicts scolaires,

soit parce que malgré la faiblesse relative de leur qualification

scolaire ils ont conquis une position socioprofessionnelle ines-

pérée, soit, au contraire, parce qu’en dépit d’une qualification

scolaire honorable, ils ne sont pas parvenu (massification et

dévaluation des diplômes obligent) à transformer sur le marché

de l’école et du marché du travail demeure quantitativement limitée par rap-port à celle qu’implique la simple immobilité sociale des groupes sociaux défavorisés. Leur probabilité objective de « réussir », du point de vue de la mesure statistique en tout cas, reste donc nettement supérieure.

20. Au-delà du constat d’un recrutement massif des enfants précoces dans les classes supérieures, plus de 40 % des parents d’enfants précoces enquêtés sont chefs d’entreprise, cadres ou ingénieurs du privé, c’est-à-dire appartiennent aux fractions économiques et privées des classes supérieures, celles qui doivent a priori le moins leur position dominante à l’école, à la culture scolaire, aux concours de la fonction publique, etc.

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de l’emploi leurs évaluations scolaires prometteuses – ces der-

nières leur apparaissant dès lors comme peu fiables21.

Est-ce à dire, cependant, que le recours à un test psychomé-

trique puisse être interprété comme une simple pratique de

réassurance parentale ? Ce serait manquer ce qui fait, j’y ai

insisté, tout l’intérêt du concept d’identification : le fait qu’il

mette en relation des logiques de connaissance et de recon-

naissance des personnes et des logiques d’action sur ces der-

nières. L’identification psychologique d’une grande intelligence

prend ainsi tout son sens lorsqu’elle fonde des pratiques socia-lisatrices, et en particulier des stratégies scolaires. Il semble

même que l’usage scolaire de cette identification constitue un

horizon présent, chez bien des parents, avant même que les

enfants soit testés. Dans de nombreux cas, ils vont faire attes-

ter la grande intelligence de leur enfant chez un psychologue

pour agir sur sa scolarité – en l’occurrence pour obtenir des

changements dans l’ordre scolaire ordinaire auquel est sou-

mis l’enfant, dans le sens d’une singularisation de sa situa-

tion. Ces changements sont certes rarement des révolutions,

c’est-à-dire des sécessions avec l’ordre scolaire habituel : ainsi,

seuls 15 % des parents en viennent à orienter leurs enfants

vers des écoles spécialisées pour enfants précoces (qui sont

essentiellement des écoles privées, souvent « hors-contrat »).

Sont plutôt visés, au contraire, de petits aménagements, qui

paraissent toutefois décisifs aux yeux des parents, parce qu’ils

permettent de construire pour leurs enfants une place littéra-

lement « hors du commun ». L’attestation par la psychologie

d’une situation cognitive extra-ordinaire (être beaucoup plus

intelligent que la moyenne) est ainsi régulièrement mobilisée

dans l’action scolaire pour obtenir auprès des enseignants une

attention pédagogique renforcée, une certaine mansuétude à

l’égard de comportements inadaptés en classe (dissipation,

bavardages, etc.), mais aussi plus concrètement un placement

dans une classe plutôt que dans une autre (une classe à double

niveau), un accès à certains établissements (établissements

hors secteur, mais surtout établissements privés soumis à des

demandes importantes) ou encore un saut de classe. Ce der-

nier aménagement est sans aucun doute le plus régulièrement

réclamé par les parents – et le plus systématiquement obtenu,

21. Les parents enquêtés, nés pour la plupart dans les années 1960, font partie d’une génération qui a été particulièrement exposée à la dévaluation des diplômes (Peugny, 2007), et qui a donc des chances maximales de s’interroger sur la valeur sociale effective des identifications scolaires.

puisque plus de 60 % des enfants pris en compte dans l’en-

quête précédemment citée ont sauté une ou plusieurs classes.

Sachant que l’avance scolaire concerne « normalement » très

peu d’enfants – de l’ordre de 2 %, à âge comparable – on

prend ici la mesure des effets propres que peut avoir une iden-

tification clinique sur les scolarités. Faisant stratégiquement

jouer une identification psychologique exotique contre l’identifi-

cation scolaire, certes globalement dominante mais en l’espèce

peu marquée (compte tenu de l’âge des enfants), les parents

concernés parviennent très souvent à modifier comme ils le

souhaitent l’ordre temporel de l’école, qui n’a pourtant jamais

été aussi strict qu’aujourd’hui22.

Ce que les socialisations doivent aux identifications cognitives des enfants

L’étude de l’identification psychologique des enfants intellec-

tuellement précoces débouche ainsi sur un constat qui paraît

aller au-delà du simple effort d’objectivation sociologique d’un

diagnostic particulier de l’enfance. Elle prouve, par l’exemple,

que la manière d’identifier un enfant donné, et plus exactement

la façon qu’a telle identification cognitive de s’imposer ou non à

telle autre, peut constituer un enjeu d’importance du point de

vue des agents de socialisation, non seulement parce qu’il en

va des représentations qu’ils se font de leur enfant (et du degré

d’incertitude qu’ils éprouvent à leur égard), mais aussi parce

que l’identification qui s’impose à l’enfant détermine la façon

de le prendre en charge, et partant le processus concret de

socialisation dans lequel il se trouve engagé.

Est-ce à dire que l’identification cognitive des enfants constitue

régulièrement un enjeu de socialisation ? Pour répondre à cette

question, il faut à l’évidence procéder au décloisonnement ins-

titutionnel et social des logiques observées en détail autour du

seul diagnostic d’intelligence. Plus exactement, il faut envisa-

ger, d’une part, que l’identification cognitive des enfants ne se

joue pas seulement dans la confrontation entre une (ou même

plusieurs) institution(s) clinique(s) et l’institution scolaire, mais

à la conjonction d’institutions d’identification plus nombreuses,

22. Un enfant français a désormais toutes les chances d’être scolarisé avec les seuls enfants du même âge que lui, puisque la proportion d’élèves « en avance » a drastiquement diminué (de 1960 à 1999, la part d’élève en avance en CP est passée de 20 % à 1 %), de même que celle des élèves « en retard » (sur la même période, de 22 % à 7 % d’élèves de CP en retard) (chiffres tirés de DEPP, 2007, p. 79).

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entrant par ailleurs en relation de façon complexe (pas néces-

sairement des relations d’opposition). D’autre part, il faut s’ef-

forcer de comprendre tout ce que l’éventuel usage stratégique

de l’identification cognitive des enfants doit, en réalité, à la

force et à la faiblesse relative des diverses identifications en jeu,

et surtout aux ressources plus ou moins importantes de ceux

qui cherchent à agir sur les enfants. Seul un effort de ce type

permet de ne pas évacuer les cas, a priori très nombreux, où

l’identification des enfants s’impose pour ainsi dire sans discus-

sion, parce l’institution qui la porte est totalement dominante,

et parce que les enfants (et les parents) qu’elle concerne sont

totalement dominés.

L a d i v e r s i t é d e s i n s t i t u t i o n s e t d e s f o r m a t s d ’ i d e n t i f i c a t i o n d e s e n f a n t s

Quelles sont les différentes institutions qui jouent un rôle effectif

dans la réduction de l’incertitude sur la situation cognitive des

enfants, par exemple dans le contexte socio-historique français

contemporain ? Et comment jouent-elles au juste ce rôle ? Un

schéma global présentant l’identification cognitive des enfants

au croisement d’une pluralité d’institutions de l’enfance peut

être esquissé (voir schéma 1).

L’intérêt d’un tel schéma ne tient pas, à l’évidence, à son exhaus-

tivité : comme le suggère l’usage de pointillés à droite du schéma,

la liste des institutions qui contribuent à l’identification cognitive

des enfants reste ouverte. Construire une telle vue synoptique

répond a contrario à un double objectif. D’une part, il s’agit de

considérer l’ensemble des relations symboliques qui concourent

à fixer ce que sont les enfants sur le plan intellectuel et moral,

pour autant que ces enfants soient pris dans un contexte social

où les institutions de l’enfance considérées ici existent, ont une

légitimité minimale, et s’intègrent de fait à la plupart des pro-

cessus de socialisation objectivement en cours. D’autre part,

passant du point de vue structural au point de vue pratique, le

schéma proposé ici s’entend aussi comme une sorte de paysage

symbolique, auquel est confrontée toute action socialisatrice sur

les enfants – avec bien sûr des variations importantes, suivant

les manières socialement déterminées de percevoir le paysage

en question (dans sa globalité ou au contraire partiellement ;

comme un environnement négociable ou au contraire comme

une réalité impérative et immuable ; etc.).

Parmi les différentes identifications qui apparaissent dans le

schéma, on retrouve bien celles qui se sont avérées être en

jeu dans le cas particulier de l’identification des enfants intel-

lectuellement précoces : l’identification médico-psychologique, 

en particulier dans sa version formalisée (un diagnostic), d’une

part ; l’identification scolaire, d’autre part, dont on a montré jus-

tement que son caractère faiblement marqué, informel, dans

les secteurs précoces de l’école (pas de notes, etc.), constituait

une condition symbolique importante du recours à l’identifica-

tion psychologique.

Schéma 1

identificationfamiliale

(informelle: jugements ordinaires sur l’enfant dans la maisonnée, la

parenté, etc.)

identification scolaire

identification scolaire

informelle(jugement des enseignants)

identificationmédico-psychologique

identificationmédico-psy.

formalisée(diagnostics plus

ou moins reconnus)

identification médico-psy.

informelle(avis du médecin,

du psychologue, de l’orthophoniste, etc.

sur l’enfant)

(autres identifications)

identificationpar les pairs

(informelle: jugements des camarades de classe, de sport, de

musique, des enfants du voisinage, etc.)

identificationparascolaire

identification parascolaire

informelle(jugement des

entraîneurs, des professeurs de musiques, des

animateurs, etc.)

identification parascolaire

formalisée(niveau objectivé en musique, en

théâtre, etc.)

identification scolaire

IDENTIFICATIONCOGNITIVE

DES ENFANTS

identification scolaire

formalisée(notes,

classements, accès aux filières diplômes, etc.)

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Toutefois, d’autres identifications apparaissent ici – et avant

toute chose, l’identification familiale. Le fait que la famille contri-

bue en propre à identifier cognitivement les enfants peut facile-

ment passer inaperçu : à la fois parce que, de façon générale,

les sociologues de la famille, souvent très attentifs à la conjuga-

lité, oublient volontiers que « l’éducation des enfants reste un

objectif prioritaire des parents et l’une des fonctions principales

de la famille » (Déchaux, 2009, p. 51) ; mais aussi parce que,

de fait, les identifications familiales sont presque exclusivement

informelles23. L’absence de formalisation ne signifie toutefois

pas une importance symbolique négligeable, notamment parce

que les identifications familiales peuvent se trouver oralement

stabilisées, dans la répétition constante de termes identifica-

teurs – comme lorsque, pour reprendre la situation évoquée

en introduction, une jeune fille est constamment qualifiée de

« sérieuse » en famille. Il faudrait lister ici tous les termes très

ordinaires qui en viennent imperceptiblement à donner consis-

tance à une identification familiale : « calme », « curieux »,

« fragile », « buté », « coquin », « ouvert », « courageux », etc.

Par ailleurs, la valeur symbolique de ce que dit la famille de

ses enfants sera d’autant plus importante au-delà du cercle familial (c’est-à-dire dans un grand nombre d’actions socialisa-

trices) qu’il s’agira d’une relativement « grande famille », autre-

ment dit d’une famille qui accumule assez de ressources pour

que sa légitimité à identifier les plus jeunes s’impose sociale-

ment24. Tout oppose de ce point de vue, par exemple, le parent,

diplômé d’une Grande école, qui fait part de sa conviction que

son enfant est particulièrement doué pour les choses de l’es-

prit, et le parent à la scolarité heurtée, qui prétendrait la même

chose – si le premier a des chances d’être pris au sérieux, on

dira volontiers au second que « tous les parents croient que

leurs enfants sont géniaux ».

Au-delà des identifications familiale, médico-psychologique et

scolaire, le schéma suggère que d’autres types d’identifications

méritent d’être pris en compte, comme les identifications qu’on

peut nommer « parascolaires » – celles qui correspondent à

des institutions de l’enfance comme les associations de loisirs,

23. À l’exception notable, peut-être, du prénom donné par les familles à l’enfant, qui mériterait d’être considéré comme une véritable identification cognitive dans la mesure où il est manifestement porteur de connotations culturelles et morales fortes. Voir, dans cette direction, Coulmont (2011).

24. De manière générale, il en est des identifications des enfants comme du langage en général : son pouvoir sur la vie sociale tient moins à sa forme propre qu’aux propriétés symboliques de celui qui parle, ou ici qui identifie (Bourdieu, 2001).

les clubs, le catéchisme, etc. – ou encore l’identification « par

les pairs » – qui correspond à ce que les enfants habituelle-

ment fréquentés par l’enfant à l’extérieur de la famille (amis,

camarades de classe) disent d’elle ou de lui : est-elle « intello »

ou au contraire « pas très maligne » ? Est-il un « bon cama-

rade » ou au contraire plutôt « fayot »25 ? Constater la présence

de l’institution scolaire dans la définition même de ces der-

nières identifications est l’occasion d’expliciter une réalité qui

est en fait partagée : les diverses identifications particulières

qui font l’identification cognitive d’un enfant ne sont que rela-tivement autonomes les unes des autres – à l’instar, du reste,

des institutions qui les soutiennent26. Insister sur la relativité

de cette autonomie importe quand il s’agit d’expliquer pour-

quoi les diverses identifications ont tendance à converger. Si

par exemple, l’identification par les pairs en vient souvent à

dériver de l’identification scolaire, c’est parce que la seconde

s’impose de fait à la première : les enfants reprennent volon-

tiers à propos de tel de leur camarade ce qui a été dit de lui en

classe (Wortham, 2006 ; Lignier & Pagis, 2014). De même, ce

que pensent certaines familles des capacités cognitives de leur

enfant est aussi bien la traduction de ce qu’en dit son ensei-

gnant, ou le médecin de famille. Cela étant dit, les manifesta-

tions de l’autonomie ne sauraient, à l’inverse, être ignorées :

en effet, dans d’autres cas, l’identification d’un enfant dans sa

famille, dans son groupe de pair frappe justement par la diver-

gence avec ce qu’il est censé être pour l’institution scolaire sur

le plan cognitif – cependant, par exemple, que l’enfant ne fait

l’objet d’aucune identification de type clinique.

Signalons brièvement ici que si le format des identifications –

formelles ou informelles – importe, c’est en particulier dans

l’analyse de ces convergences, divergences, ou éventuelles

mises en concurrence (délibérées). A priori, une identifica-

tion formelle, c’est-à-dire stabilisée, standardisé, écrite, a des

chances de circuler dans des espaces sociaux divers, d’être

produite (comme on dit qu’on produit une pièce dans un

procès) ailleurs que dans son lieu institutionnel d’émergence

(à l’instar du test de QI que les parents produisent face aux

25. L’observation participante menée auprès d’enfants issus des classes populaires montre l’importance que peut prendre ce genre d’identification par les pairs dans la construction des trajectoires sociales (Willis, 2011[1977]).

26. L’institution « groupe des pairs » repose ainsi de façon décisive sur l’ins-titution scolaire, en particulier parce que « la cour de récréation est le lieu privilégié de l’organisation, c’est-à-dire inséparablement des divisions et de l’intégration, du collectif des enfants » (Salgues, 2012, p. 140).

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enseignants). À l’inverse, une identification très informelle,

tel un adjectif qu’on utilise souvent pour parler d’une enfant

dans l’espace domestique ou entre pairs, circulera sans doute

moins facilement, dans la mesure où il s’agit d’une identifica-

tion difficilement détachable de son contexte d’énonciation.

Sa force potentielle tiendra ainsi davantage de sa récurrence

quotidienne, dans un espace donné de socialisation, que

dans sa circulation ponctuelle dans l’ensemble des espaces

de socialisation.

D e s i d e n t i f i c a t i o n s i n é g a l e m e n t d o m i n a n t e s …

Cela posé, les logiques d’identification dépendent surtout, non

de leur nature ou de leur format propre, mais de ce que les

uns et les autres sont capables d’en faire, compte tenu du

contexte institutionnel général et des ressources disponibles.

La construction d’une vue d’ensemble sur les diverses logiques

qui concourent à la connaissance et à la reconnaissance de la

situation cognitive d’un enfant oblige certes à placer les insti-

tutions identificatrices sur le même plan. Mais il est indéniable

que leur poids respectif dans l’identification des enfants est en

réalité très inégal, que cette dernière soit envisagée dans une

perspective structurale ou dans une perspective pratique.

Ainsi, dans le contexte de la France contemporaine, l’identifi-

cation scolaire apparaît comme particulièrement dominante ;

et de fait, un grand nombre d’actions sur les enfants, bien

au-delà de l’école, paraissent fonction de cette identifica-

tion. Cette domination structurale d’une identification sur les

autres n’est toutefois pas inscrite dans le marbre, et connaît

même des variations remarquables. Ces variations tiennent,

en premier lieu, aux propriétés générales du contexte socio-

historique considéré. La force de l’identification scolaire dans

l’espace social français actuel est sans doute plus importante

qu’à des périodes précédentes de l’histoire nationale où, du

fait d’une scolarisation moins poussée de l’éducation des

jeunes générations, l’identification par l’école ne pouvaient

qu’être moins régulière, moins précise, moins formalisée,

et moins largement reconnue (Durkheim, 1999b [1938] ;

Vincent, 1994). Pour ainsi dire, tendanciellement, les enfants

se réduisaient moins qu’aujourd’hui à des élèves. Cette iné-

gale monopolisation de l’identification cognitive des enfants

par l’école se donne à voir aussi dans la comparaison entre

espaces culturels actuels, en fonction du degré et des moda-

lités spécifiques de scolarisation de l’éducation. En Afrique

subsaharienne, le fait que la scolarisation soit relativement

récente, et par ailleurs largement imposée de l’extérieur (par

les pouvoirs coloniaux, puis par les organisations internatio-

nales) a un impact sur la légitimité de l’école à définir ce que

sont les enfants (Lange, 2003). Dans le même ordre d’idée,

le poids relatif des identifications médico-psychologiques et

parascolaires est parfois très réduit, compte tenu de l’absence

quasi totale des institutions auxquelles ces identifications cor-

respondent dans la société considérée. Si les enfants ne fré-

quentent que très peu de dispositifs médicaux au cours de

leur existence, et si les savoirs cliniques sur l’enfance sont

peu connus et reconnus dans un espace social donné, l’iden-

tification médico-psychologique des plus jeunes ne peut qu’y

être socialement faible ; de même pour l’identification paras-

colaire, si les activités culturelles organisées en dehors de

l’école sont peu développées.

En second lieu – et à un niveau socio-historique plus détaillé –

il faut s’attendre à ce que le degré de domination d’un type

d’identification cognitive sur les autres soit fonction des pro-priétés des enfants eux-mêmes. Au sein d’un même espace

social, certaines caractéristiques enfantines paraissent expo-

ser préférentiellement les enfants à la domination symbolique

d’une institution identificatrice plutôt que d’une autre. L’âge

semble de ce point de vue une variable tout à fait décisive.

Toujours en s’en tenant au cas de sociétés comparables à la

société française, les enfants les plus jeunes, et par excellence

les enfants d’âge pré-scolaire (avant 2-3 ans), paraissent

essentiellement identifiés par des institutions de type cli-

nique : c’est l’identification des professionnels de la nais-

sance et de la petite enfance, qui juge la « normalité » à la fois

cognitive et physiologique de l’enfant (Serre, 1998), ou encore

du pédiatre qui suit le développement psychique au premier

âge (Pawluch, 1983). Toutefois, ce monopole clinique est de

courte durée, puisque l’entrée dans la scolarisation corres-

pond à une intensification et à une domination toujours plus

vive des identifications scolaires de diverses sortes – depuis

le jugement informel des enseignants du début de la scola-

rité jusqu’aux diplômes du supérieur, en passant, à un niveau

quotidien et très sensible pour les enfants eux-mêmes, par les

notes (Merle, 2007). Cette transition d’une domination sym-

bolique à l’autre avec l’avancée en âge des enfants est figurée

sur le schéma qui suit – la largeur relative des flèches figurant

l’importance symbolique respective de chaque identification,

et leur assombrissement ou au contraire leur éclaircissement

figurant leur intensification ou au contraire leur euphémisa-

tion progressive (voir schéma 2).

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On remarquera au passage qu’un tel schéma suggère qu’au

premier temps de la scolarisation (pré-élémentaire et début de

l’élémentaire) la domination du scolaire sur le clinique n’est pas

évidente : or, c’est justement dans cette période de l’enfance,

symboliquement transitoire, que s’inscrivent des pratiques d’iden-

tification comme le diagnostic de précocité intellectuelle – qu’on

peut dès lors interpréter comme une tentative de prolonger la

domination de l’identification clinique, alors que l’identification

scolaire se fait pourtant de plus en plus prégnante.

… e t d e s i d e n t i f i é s i n é g a l e m e n t d o m i n é s

On pourrait poursuivre ce raisonnement en s’interrogeant sur

les variations de l’identification cognitive des enfants en fonc-

tion du sexe : filles et garçons ne relèvent pas toujours ni à la

même hauteur ni de la même façon d’une institution identifi-

catrice donnée – une étude états-unienne montre ainsi que,

toutes choses égales d’ailleurs, les filles sont bien moins souvent

adressées aux divers spécialistes de la santé mentale que ne le

sont les garçons (Zimmerman, 2005). Mais au-delà de ce type

de variations dépendant du contexte institutionnel et structural

d’ensemble, pour s’approcher davantage de l’action concrète

et socialement spécifique sur les enfants, il faut enfin poin-

ter un ensemble de variations pratiques, tout à fait cruciales.

À contexte socio-historique et à propriétés proprement enfan-

tines égales (même âge, même sexe, ou encore même rang

dans la fratrie), le processus d’identification cognitive des

enfants prendra des orientations bien différentes, en fonction

notamment des ressources mobilisables pour les enfants,

c’est-à-dire essentiellement des moyens dont les parents dis-

posent pour mener à bien leurs stratégies éducatives.

Cela n’est pas seulement vrai parce que la nature de l’iden-

tification cognitive qui s’impose à l’action sur les enfants est

fonction des diverses ressources disponibles – à l’instar de

l’identification scolaire, dont la sociologie de l’éducation a large-

ment montré qu’elle dépendait du milieu social de l’enfant (ses

résultats scolaires traduisent d’abord un niveau culturel de la

famille d’appartenance). Cela est aussi vrai du fait de l’inégale

capacité des parents (et plus largement des agents de sociali-

sation) à résister, à profiter, voire à jouer des logiques d’identi-

fication des enfants qui s’imposent à eux, ou au contraire à les

subir, parfois de manière implacable.

Pour donner, un aperçu de l’importance sociale de ce genre

de variations pratiques, je me contenterai ici d’évoquer le

cas-limite où un enfant se trouve négativement identifié par

une institution symboliquement dominante : par exemple le cas

Schéma 2

identification médico-psychologique

identification scolaire

âgepréscolaire

âge de l’enseignementpréélémentaire et élémentaire

âge de l’enseignementsecondaire (1er et 2e cycle)

âge de l’enseignementsupérieur

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d’un enfant dont les évaluations scolaires sont médiocres. Il

est statistiquement moins probable que cet enfant soit d’origine

sociale supérieure, que d’origine populaire. Mais si c’est malgré

tout le cas – si l’enfant en question est d’origine plutôt favori-

sée, tel ces « héritiers en échec scolaire » étudiés par Gaële

Henri-Panabière (2010) – les moyens de réduire en pratique

l’incertitude supplémentaire accrue par cette identification

malheureuse auront plus de chance de ne pas manquer. Les

parents de l’enfant, culturellement et symboliquement chargés,

pourront d’abord jouer plus facilement que d’autres l’identifica-

tion familiale contre l’identification scolaire, et faire reconnaître

que l’enfant a des compétences évidentes « à la maison », qui

ne sont simplement pas évaluées à leur juste valeur par l’ins-

titution scolaire. Concrètement, ces parents auront les mots

(à l’oral comme à l’écrit) pour promouvoir auprès des ensei-

gnants – que les familles favorisées fréquentent assidûment,

entre autre comme représentant de parents d’élèves (Gombert,

2008) – un autre rapport à l’enfant, au sein de l’école : par

exemple, faire de ses échecs scolaires des « accidents », une

simple « mauvaise passe », qu’une attention accrue en classe

doit dépasser. Agents éducatifs efficaces, ces parents pourront

aussi plus facilement que d’autres faire en sorte que l’identifi-

cation scolaire se « rejoue » un tant soit peu, typiquement en

recourant au secteur privé (Tavan, 2004), de sorte que l’enfant

se trouve en position de prendre « un nouveau départ », loin

des enseignants (et des autres enfants) qui se sont fait un avis

sur lui. Ou encore, en écho avec ce qui a été montré précédem-

ment autour du cas de la « précocité intellectuelle » : ce genre

de parents seront peut-être amenés, parce qu’ils sont socia-

lement en mesure de le faire, à dépasser symboliquement la

situation scolaire de leur enfant en recourant de leur propre ini-tiative à un professionnel de la santé mentale, à même de redé-

finir dans des termes nouveaux sa situation cognitive  (Morel,

2014) : non pas scolairement incompétent, mais perturbé, par

exemple, par sa puberté, par sa relation avec ses camarades,

avec ses frères et sœurs, avec ses parents, etc. Cette identifi-

cation, ici délibérée, pourra ouvrir à des prises en charge alter-

natives (rééducation), mais aussi, là encore, à une éventuelle

reconfiguration de la situation scolaire (qui commence avec la

simple demande, cliniquement justifiée, d’une certaine com-

préhension des agents de l’institution scolaire). Bref, du côté

de ces groupes sociaux relativement favorisés, l’identification

scolaire, outre qu’elle est généralement favorable, deviendra

si nécessaire un peu plus négociable qu’ailleurs, précisément

parce que d’autres identifications pourront être stratégique-

ment mobilisées.

À l’inverse, comment résister à la force des verdicts scolaires

négatifs quand les ressources symboliques sont rares, et quand

la connaissance même de l’importance et de la relative diver-

sité des logiques d’identifications est limitée ? Dans les classes

populaires, le stigmate scolaire ne présume certes pas com-

plètement de l’identification propre à la famille ou aux groupes

de pairs (Palheta, 2012). Reste cependant que la légitimité de

ces dernières identifications est typiquement trop faible (trop

locale, peu formalisée notamment) pour qu’elle soit réellement

opposées à l’identification scolaire. Au contraire, c’est cette

dernière qui tend souvent à coloniser les espaces populaires

de l’enfance, quand bien même cela implique la disqualifi-

cation virtuelle du plus grand nombre : « la prégnance des

classements scolaires [s’observe] jusque chez les collégiens

les plus réfractaires aux exigences scolaires », remarquent

ainsi Matthias Millet et Daniel Thin (2004, p.  276). On sait

par ailleurs que le recours au médico-psychologique est, de

façon générale, relativement minimal dans ces milieux sociaux

(Lombrail & Pascal, 2005) – il a d’autant moins de chance d’in-

tervenir dans des stratégies de résistance symbolique, suivant

la logique du « second avis ». En définitive, le plus probable est

que, dans ces univers sociaux les moins dotés, l’identification

cognitive des enfants, même négativement appréciée, s’impose

à soi bien plus qu’on ne l’impose aux autres. Elle limite davan-

tage qu’elle ne renforce le pouvoir privé des parents sur les

conditions de socialisation des enfants.

Conclusion

En définitive, il faut considérer le genre de jeu sur les iden-

tifications des enfants repéré autour du cas particulier du

diagnostic de précocité intellectuelle en France comme une

traduction révélatrice d’une logique sociale plus générale, qui

veut que toute action socialisatrice sur les enfants implique

un effort pour réduire l’incertitude sur ce qu’il sont, et dépend

donc de la façon de connaître et de reconnaître leur situation

distinctive. Le fait que cette dépendance fonde en l’espèce

un pouvoir parental supplémentaire sur la prise en charge

des enfants ne saurait être détaché de conditions sociales

bien particulières – caractéristiques des groupes sociaux les

plus favorisés. Jouer l’identification psychologique contre

l’identification scolaire pour obtenir des aménagements de la

scolarité témoigne d’une connaissance pratique des enjeux

d’identification et de la disponibilité de capitaux d’ordre

économique, culturel, social et symbolique, sans lesquels

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l’économie propre à l’identification cognitive des enfants ne

peut pas être déformée.

Quoi qu’il en soit, l’étude détaillée des primes socialisations

mérite que soient prises en compte ces logiques symbo-

liques d’identification des enfants. Qu’elle s’impose ou qu’on

l’impose, l’identification d’un enfant est déterminante dans la

construction de sa trajectoire singulière – elle l’oriente, suc-

cessivement, vers tel cadre de socialisation, plutôt que vers

tel autre. À rebours d’une certaine « sociologie de l’enfance »

(James & Prout, 1990 ; Sirota, 2005), adopter une conception

de ce genre présente l’énorme avantage d’émanciper l’étude

des primes socialisations, et de la « culture  enfantine », du

cadre strictement interactionnel (interactions avec les enfants,

entre enfants) dans lequel elle est souvent laissée. Des institu-

tions de l’enfance, historiquement constituées et inégalement

contournables, cadrent et orientent ces interactions qui font la

socialisation au quotidien. Soulignons par ailleurs que, parce

qu’il est profondément différentiel, le modèle forgé permet éga-

lement de mieux connecter l’étude des primes socialisations

aux logiques de stratification sociale et de distinction culturelle

(Bourdieu 1979). La socialisation n’apparaît en effet plus seu-

lement comme la transmission d’une culture singulière, qui

vaudrait aussi bien pour elle même. Elle est analysée d’emblée

comme la construction émergente, au gré d’identifications qui

restreignent pour le meilleur comme pour le pire le champ des

possibles, de ségrégations successives, et finalement d’une

position sociale distincte, symboliquement et matériellement.

27. Remarquons qu’il y aurait là une manière de revisiter sur un plan original – celui de la formation symbolique des identités professionnelles individuelles –

On fera enfin remarquer, à titre d’ouverture, que le modèle que

j’ai esquissé dans cet article pourrait aussi être utile à une ana-

lyse portant sur l’identification cognitive des adultes, pour autant

que soient repérés des contextes d’actions où est là aussi en

jeu la question de la connaissance et de la reconnaissance de

leurs compétences intellectuelles, de leur style culturel, de leur

moralité propre, etc. Dans cette perspective, la notion d’iden-

tification cognitive pourrait par exemple être mobilisée dans

l’étude des processus de recrutement sur le marché du travail,

et plus exactement servir de cadre à une analyse élargie de ce

que les économistes ont thématisé sous le nom de « théorie

du signal » (Spence, 1973). Là où cette théorie met – à juste

titre – l’accent sur le rôle identificateur de l’école (le diplôme

est conçu comme le « signal » par excellence d’un type de per-

sonnalité, à rebours de l’analyse réaliste, en termes de « capital

humain »), il s’agirait d’envisager la contribution d’autres institu-

tions, certaines intervenant d’ailleurs aussi dans l’identification

des enfants : ainsi de l’identification clinique, représentée par le

certificat d’aptitude délivré par le médecin du travail, au moment

de l’embauche (Marichalar, 2014), ou de l’identification par les

pairs, c’est-à-dire, ici, de ce que disent les collègues anciens

ou récents de celui qui cherche à se faire recruter27. Une telle

recherche impliquerait aussi, cela dit, de considérer les logiques

d’identification susceptibles d’être portées en propre par les ins-

titutions du travail – en s’interrogeant, par exemple, sur ce que

signifie, suivant les personnes, les postes, les métiers considé-

rés, le fait d’avoir été précédemment employé dans telle ou telle

entreprise, ou dans tel ou tel secteur d’activité.

les résultats concernant l’importance des relations interpersonnelles dans les procédures de recrutement sur le marché du travail (Forsé, 1997).

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