L'idéal éthique des maîtres es arts de Paris vers 1250,

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Valeria Andréa BUFFON L'idéal éthique des maîtres es arts de Paris vers 1250, avec édition critique et traduction sélectives du y Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Ethique du PSEUDO-PECKHAM Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en Philosophie pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (PhD.) FACULTE DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2007 Valeria Buffon, 2007

Transcript of L'idéal éthique des maîtres es arts de Paris vers 1250,

Valeria Andréa BUFFON

L'idéal éthique des maîtres es arts de Paris vers 1250, avec édition critique et traduction sélectives du

y

Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Ethique du

PSEUDO-PECKHAM

Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en Philosophie

pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (PhD.)

FACULTE DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2007

Valeria Buffon, 2007

Résumé

Au xme siècle, la réception latine de l'Éthique à Nicomaque d'Aristote en Occident -

plus précisément à la Faculté des arts de l'Université de Paris- s'est déroulée en deux

phases. Premièrement, avant 1250, l'exégèse des maîtres es arts se base sur des traductions

partielles de VÉthique à Nicomaque (EN), à savoir VEthica Noua (EN I) et VEthica Vêtus (EN

II-III) ; deuxièmement, après cette date, les interprètes disposent du texte complet (en dix

livres) traduit par Robert Grosseteste. Le but de notre recherche consiste à éclaircir certains

points de la première phase de cette réception, à travers l'édition critique sélective, la

traduction et l'examen philosophique comparé du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille

Éthique - q u e nous avons daté des années 1245-1247- d'un maître es arts de Paris,

communément appelé 'Pseudo-Peckham' (de par une ancienne attribution incorrecte au

théologien Jean Peckham). Nous éditons, selon les règles de l'ecdotique, le Prologue et deux

leçons du commentaire. À partir de ce texte - ainsi que des autres commentaires éthiques et

de certains traités artiens de la même époque avec lesquels nous le mettons en parallèle - ,

nous sommes en mesure de décrire VIdéal éthique des maîtres es arts de Paris, selon trois

complexes conceptuels principaux qui ressortent de l'analyse philosophique de la portion

éditée. D'abord, la théorie des transcendantaux fonde la possibilité de l'éthique comme une

science dont le sujet est le bien. Ensuite, à l'aide de la doctrine des deux faces de l'âme, notre

auteur justifie la division aristotélicienne des vertus en intellectuelles et en morales, tout en

s'insérant dans une longue histoire de textes, tributaire originellement de Plotin. Finalement,

le Pseudo-Peckham établit une hiérarchie des vertus intellectuelles - sagesse, intelligence et

fronesis, des vertus exercées par la face supérieure de l'âme - qui suit l'ordre notionnel des

transcendantaux ; à partir des vertus intellectuelles et, particulièrement, de la fronesis, notre

maître arrive à la connaissance et à la dilection du souverain bien, qui constitue l'idéal éthique

des maîtres es arts de Paris.

Remerciements

Je remercie vivement et chaleureusement mon directeur, Claude Lafleur, Professeur à

la Faculté de philosophie de l'Université Laval, sans qui cette thèse n'aurait pas vu le jour et

qui a fait preuve d'un constant dévouement, m'encourageant sans cesse et me mettant

toujours sur la bonne voie grâce à sa profonde connaissance conceptuelle et philologique du

domaine concerné, basée sur sa longue et remarquable expérience de la question artienne. Je

lui dois absolument plus qu'il n'est possible d'exprimer ici.

Je veux manifester mon intense gratitude envers Joanne Carrier, Assistante de

recherche à la Faculté de philosophie de l'Université Laval, pour son infinie patience dans la

corvée colossale de lire, d'interpréter et de guider mes tentatives non francophones pour

décrire dans la langue de Molière les pensées des maîtres es arts de Paris. Je lui sais gré de ses

innombrables conseils avisés autant qu'experts, incluant ses précieuses indications relatives

aux traductions du latin et à l'ecdotique.

Il est difficile de reconnaître suffisamment la grande générosité de Jean Clermorit-

Drolet, qui avait entrepris les premières approches du sujet que nous présentons et qui, faisant

preuve de désintéressement, a mis à ma disposition le résultat de ses recherches.

J'adresse mes remerciements aussi à François Lortie, qui a lu une première version de

ce travail et a ainsi contribué considérablement à l'amélioration du français.

Je remercie également Jean-Marc Narbonne et Fabienne Pironet pour leurs utiles

suggestions lors de l'examen de doctorat ; Paul-Hubert Poirier, Claude Panaccio, David Piché,

Martin Achard et Antoine Côté pour leurs remarques très pertinentes lors des Colloques

interuniversitaires québécois de philosophie médiévale et lors des Midis de l'Institut des

Études anciennes et du Laboratoire de philosophie ancienne et médiévale de l'Université

Laval, observations qui ont inspiré d'importantes réflexions.

Finalement, je dois ma reconnaissance au Professeur Francisco Bertelloni, qui m'a

introduite à la philosophie médiévale et qui m'a motivée continuellement, rendant possibles

des rêves que je n'osais pas rêver.

Le soutien financier, incontournable pour la réussite dans ce type d'entreprise, a été

assuré par la Faculté de philosophie de l'Université Laval (Bourse d'excellence « Charles De-

Koninck ») et par la Fondation de l'Université Laval (Bourse de doctorat).

À Alejandro et à Eliseo Octavio.

Con ellos lafîlosofia tiene sentido.

TABLE DE MATIÈRES

Résumé

Remerciements

Dédicace

Table de matières

Première Partie

Introduction

1 .La Faculté des arts au sein de l'Université de Paris et l'enseignement de l'éthique

2. La réception de Y Éthique à Nicomaque : commentaires et textes commentés

3.Le Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Ethique du Pseudo-Peckham

3.1 .Date, lieu et milieu de composition

4. État de la question sur le commentaire du Pseudo Peckham 5. Division des sciences 6. Le discours artien

Chapitre 1 : La théorie des transcendantaux

1. Considérations préliminaires

2. Prolégomènes anciens de la théorie des transcendantaux 2.1. Les éléments aristotéliciens

2.1.1. Éléments logiques

2.1.2. Éléments métaphysiques 2.2. Boèce (480-524)

2.2.1. Les rapports entre le ce qui est et le bien 2.2.2. Les rapports entre Yun, le bien et le ce qui est

3. Antécédents médiévaux 3.1. Avicenne

3.2. Théologie et grammaire au XIIe siècle

3.3. Les propriétés des termes : la supposition 4. Les débuts de la théorie au XIIIe siècle

4.1. Philippe le Chancelier

P III

p IV

P- V

p. VI

P 1

P- 2

P- 2

p. 4

p- 9

p- y

p- 12

p- 14

p- 18

p- ?,()

p- 20

p. 23

p. 24

p- lA

p- 24

p- 27

p- 34

p- 36

p- 40

p. 40

p. 43

p- 45

p- 47

p- 47

5. Analyse de la théorie dans le commentaire du Pseudo-Peckham

5.1. La convertibilité des transcendantaux

5.2. La systématisation des transcendantaux

5.2.1. L'objection par rapport à l'ordre des causes

5.2.2. L'ordre des transcendantaux dans les créatures et en Dieu

5.3. Potentiel d'application des transcendantaux à l'éthique

5.3.1. Les transcendantaux comme objets de l'âme

5.3.2. Source de l'application des transcendantaux à l'âme

5.3.3. L'objet de la métaphysique (corollaire)

Chapitre 2 : La théorie des deux faces de l'âme. Histoire de textes

1. Textes protofondateurs et texte fondateur

1.1. Textes protofondateurs : Platon

1.2. Texte fondateur : Plotin

2. Textes transmetteurs : Voie du péripatétisme gréco-arabe

2.1. Proclus

2.2. La Théologie d'Aristote _

2.3. Ibn Sïnà, alias Avicenne

2.4. Al-Ghazâh, alias Algazel

2.5. Gundissalinus

3. Textes transmetteurs obliques : Voie chrétienne gréco-latine

3.1. Augustin

3.2. Grégoire de Nysse

4. La réception de la théorie au XIII0 siècle

4.1. Les théologiens de Paris vers 1230

4.2. Les maîtres es arts de Paris vers 1250

4.2.1. Le Guide de l'étudiant parisien (Anonyme, vers 1230-1240)

4.2.2. Commentaire d'Avranches (Anonyme)

4.2.3. Commentaire de Paris (Anonyme, vers 1235-1240)

4.2.4. Robert Kilwardby {Expositio super Ethica Noua et Vetere, vers 1245)

4.2.5. Le commentaire du Pseudo-Peckham (vers 1245-1247)

4.2.6. Arnoul de Provence {La division des sciences, vers 1250)

5. L'itinéraire textuel de la théorie des deux faces de l'âme

p. 50 p. 52 p-60 p-60 ['■ 63 p. 71 P-72 p-76 p-79

p. 84 p. 86 p-86 p. 89 p. 91 P-91 p. 93 p-95 p-101 p. 103 p-105 p-106 p-109 p-112 p-112 p. 116 p-117 p-120 p-122 p-125 p-127 p. 131 p-132

Chapitre 3 : La hiérarchisation des vertus intellectuelles et \afronesis comme

connaissance du souverain bien p. 135

VIII

1. Le texte commenté p. 135

2. La moralité des vertus intellectuelles p. 136

3. Le problème de la définition de chacune des vertus intellectuelles p. 139

4. Les vertus intellectuelles et leur hiérarchie p. 140

4.1. La sagesse p. 141

4.2. L'intelligence p. 147

4.3. Lafronesis p. 149

4.3.1. Les théologiens de Paris p. 159

4.3.2. Lafronesis chez les artiens p. 163

4.3.2.1. Le Pseudo-Peckham p. 164

4.3.2.2. Robert Kilwardby p. 173

4.3.2.3. Arnoul de Provence p. 179

4.3.3. Phronesis, la suite ... p. 183

5. La hiérarchie des vertus et la théorie de lafronesis chez le Pseudo-Peckham p. 186

Conclusion p. 189

1. Le commentaire du Pseudo-Peckham p. 189

2. L'idéal éthique des maîtres es arts de Paris d'après le Pseudo-Peckham p. 191

2.1. La théorie des transcendantaux p. 191

2.2. La théorie des deux faces de l'âme p. 193

2.3. La hiérarchie des vertus intellectuelles, lafronesis et l'assimilation au divin p. 194

Deuxième Partie p. 197

Normes de l'édition (description et classification des manuscrits) et principes de la

traduction p. 198

L'édition

1. Les manuscrits _ _ p. 198

2. Le texte p. 203

2.1. Structure du texte p. 207

3. L'orthographe p. 212

4. L'apparat des variantes et des sources p. 213

5. L'habillage du texte p. 215

5.1. Les majuscules p. 215

5.2. La ponctuation p. 215

IX

5.3. L'italique p. 215 5.4. Signes variés p. 215 5.5. Titres et divisions du texte p. 216

La traduction 1. Les principes méthodologiques p. 216 2. Les crochets obliques (< >) p. 217 3. Les notes de bas de page de la traduction ' p. 217

Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem p. 219

Prologus p. 220 Lectio XXI p. 259 LectioXXII p. 289 Variantes orthographiques p. 304

Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique p. 312

Prologue p. 313 Leçon 21 p. 337 Leçon 22 p. 360

Appendice A : Index questionum p. 372

Table des questions ^ _ _ p. 391

Appendice B : Robert Kilwardby, Expositio super Ethica Noua et Vetere p. 412

Robert Kilwardby, Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique _ p. 418

Appendice C : Anonyme, Commentarium Abrincense in Ethicam Veterem p. 423 Anonyme, Commentaire d'Avranches sur la Vieille Éthique p. 425

Appendice D : Alexandre de Halès, Summa theologica p. 427

Alexandre de Halès, Somme théologique p. 429

Bibliographie p. 431

Première Partie

L'idéal éthique des maîtres es arts de Paris vers 1250

Avec une attention spéciale pour le « Commentaire sur la Nouvelle et la r r

Vieille Ethique » (Aristote, Ethique à Nicomaque, I-III) du Pseudo-Peckham

INTRODUCTION

1. La Faculté des arts au sein de l'Université de Paris et l'enseignement de

l'éthique

Au début du XIIIe siècle, l'Université de Paris est formée de quatre facultés : Droit,

Médecine, Théologie et Arts1. Les maîtres es arts de Paris représentaient le rang inférieur

de la hiérarchie universitaire : en effet, la Faculté des arts avait été créée comme une

instance préparatoire dans l'université, pour fournir aux futurs étudiants en droit, en

médecine et en théologie des outils principalement de logique et de grammaire2.

Selon le décret de 1215, édicté par le cardinal légat Robert de Courçon, les

maîtres es arts (magistri artium, alias 'artiens' ou 'artistes' -artist<a>è) ne pouvaient

pas donner de cours sur les livres de métaphysique et de philosophie naturelle d'Aristote,

non plus que sur les sommes (summ<a>e) s'y rapportant. Cependant, malgré leur

modeste rang, dans le cadre des cours prescrits à la Faculté des arts , les maîtres

' H. DFiNlFLE et E. CHÂTELAIN, Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP), Paris, Delalain, 1889, t. I, p. X et p. 75-76, n° 16.

H. RASHDALL, The Universities in the Middle Ages, Oxford, Oxford University Press (Nouvelle édition par F.M. PowiCKE et A.B. EMDEN), 1951, p. 440-441. G. LEFF, Paris and Oxford Universities in the thirteenth andfourteenth centuries. An Institutional and Intellectual History, New York, Londres et Syndey, John Wiley & Sons (coll. « New Dimensions in History. Essays in Comparative History »), 1968, p. 118-120. J. VERGER, Les universités au Moyen Âge, Paris, PUF (coll. « Quadriges », 288), 1999, p. 59-60. C. THUROT, De l'organisation de l'enseignement dans l'Université de Paris au Moyen Âge, Paris, 1850, p. 64-86. J. WEISHEIPL, « Curriculum of the Faculty of Arts at Oxford in the early Fourteenth Century », Mediaeval Studies, 26 (1964), p. 145-146 et 168-170.

Sur les cours prescrits dans le cartulaire de l'Université de Paris et la correspondance avec les textes artiens, cf. C. LAFLEUR et J. CARRIER, « La réglementation 'curriculaire' ('de forma') dans les introductions à la philosophie et les guides de l'étudiant de la Faculté des arts de Paris au XIIIe

siècle: une mise en contexte», dans C. LAFLEUR et J. CARRIER (éds.), L'enseignement de la philosophie au XIIIe siècle. Autour du « Guide de l'étudiant » du ms. Ripoll 109, Actes du colloque international édités, avec un complément d'études et de textes, par C. LAFLEUR et J. CARRIER, Index et bibliographie avec l'assistance de L. GILBERT et de D. PICHÉ, Turnhout, Brepols (coll. « Studia Artistarum, Études sur la Faculté des arts dans les Universités médiévales », 5), 1997, p. 521-548.

3

pouvaient donner facultativement (si placet) des cours d'éthique4 les jours fériés (in

festivis diebus)5. Or, comme on l'a noté à partir de l'analyse des statuts de 1215 et de

1255 de la Faculté des arts, il y a un changement substantiel dans l'enseignement qui

permet d'affirmer que les 'artistes' se métamorphosent en 'philosophes' . En effet, le

programme scolaire de 1215, centré principalement sur la logique et la grammaire en

bannissant au complet la philosophie naturelle d'Aristote, devient en 1255 -dans un

calendrier des cours7 que les maîtres de la Faculté des arts se donnent eux-mêmes, ce qui

contraste avec le statut de 1215 qui avait été imposé à cette faculté par le cardinal légat du

Pape - un cursus où les ouvrages sur la métaphysique et sur la philosophie naturelle

d'Aristote, maintenant enseignés dans les faits, occupent dorénavant un nombre

important de semaines d'études. Dans ce dernier statut, les cours sur l'éthique sont y

« promus de la classe des livres secondaires à celle des livres principaux » . Les textes que nous allons analyser se trouvent proches de l'achèvement de cette

'métamorphose'. En effet, même si les livres de philosophie naturelle et de métaphysique

d'Aristote ne sont pas encore 'officiellement' au programme, nous pouvons observer

comment leur étude se trouve déjà assez approfondie, voire comment certains cours sur le

4 Selon le statut de 1215, les cours sont spécifiés comme suit: «Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum. Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus. Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia, et barbarismum, et ethicam, si placet, et quartum topichorum. Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia, nec summe de eisdem, aut de doctrina magistri David de Dinant, aut Almarici heretici, aut Mauricii hyspani ». Cf. CUP, 1.1, n° 20, p. 78.

Il semble que cette prescription n'impliquait pas que ces cours se donnaient seulement les jours fériés. Cf. LAFLEUR, « Introduction », dans C. LAFLEUR, Quatre introductions à la philosophie au Xllf siècle, Paris, Vrin ; Montréal, Institut d'études médiévales (Université de Montréal, coll. « Publications de l'Institut d'Études Médiévales », 23), 1988, p. 150, n. 105. En fait, cet enseignement devait se tenir à des horaires qui n'affectaient pas les leçons ordinaires. Cf. P. DELHAYE, « La place des arts libéraux dans les programmes scolaires du XIIIe siècle », dans Ars libéraux et philosophie au Moyen Âge, Actes du quatrième Congrès international de philosophie médiévale, Montréal, Institut d'études médiévales; Paris, Vrin, 1969, p. 168, n. 18, Delhaye corrige sur ce point RASHDALL (The Universities in the Middle Ages, p. 441), pour qui ces disciplines ne sont enseignées qu'aux dies

festiui. Sur l'enseignement des dies festiui, cf. LAFLEUR, Quatre introductions à la philosophie, p. 150, n. 103.

6 Cf. LAFLEUR et CARRIER, « La réglementation 'curriculaire' ('de forma') », p. 522-526. Voir aussi A. DE LIBERA, «Faculté des arts ou Faculté de philosophie? Sur l'idée de philosophie et l'idéal philosophique au XHIe siècle », dans O. WEUERS et L. HOLTZ (éds.), L'enseignement des disciplines à la Faculté des arts (Paris et Oxford, Xllf - XVe siècles), Turnhout, Brepols (coll. « Studia Artistarum. Études sur la Faculté des arts dans les Universités médiévales », 4), 1997, p. 429-444.

7 Cf. LAFLEUR et CARRIER, « La réglementation 'curriculaire' ('de forma') », p. 525, qui présentent une interprétation du calendrier du statut de 1255, CUP, t. I, p. 277-279, n° 246.

8 Cf. LAFLEUR et CARRIER, « La réglementation 'curriculaire' ('de forma') », p. 526.

A

De anima se donnaient déjà à la Faculté des arts9. En ce qui concerne plus spécifiquement

l'éthique, les commentaires sont en soi une preuve de l'existence de cours réguliers

d'éthique très substantiels à la Faculté des arts de Paris1 . En effet, un de ces ouvrages, le

Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique du Pseudo-Peckham (texte qui nous

occupera particulièrement ici), remplit soixante-dix-sept folios dans un des témoins

principaux, ce qui nous donne une idée de la longueur du cours. De plus, la profondeur et

le détail de la discussion autant dans les expositions littérales que dans les questions

laissent supposer une réflexion de longue date sur le sujet.

2. La réception de VÉthique à Nicomaque : commentaires et textes commentes

Selon le statut de 1215, nous pouvons donc affirmer que l'étude de VÉthique à

Nicomaque d'Aristote commence au moins à partir de 1215. Or, cela nous amène à nous

questionner au sujet du texte qu'utilisent nos maîtres pour l'analyse de l'éthique. La plus

ancienne traduction gréco-latine de VEthique à Nicomaque nous est parvenue sous la

forme de morceaux et de fragments divers. Les livres alors disponibles de VEthique à

Nicomaque (au besoin abrégé ici en EN) d'Aristote étaient connus comme VEthica Noua

(EN I) et VEthica Vêtus (EN II et III). Ces appellations touchent principalement: la

circulation indépendante de certains fragments d'une traduction de VEthique à

Nicomaque faite par Burgundio de Pise avant 115011. La traduction intégrale de VÉthique

9 Cf. ANONYME (C. 1246-1247), Sententia super II et III De anima, éd. C. BAZÂN, Texte du De anima Vêtus établi par K. WHITE, Louvain, Institut supérieur de philosophie ; Paris, Peeters (coll. « Philosophes médiévaux », 37), 1998 ; ANONYME, Lectura in librum de anima (c. 1245-1250) a quodam discipulo reportata (Ms. Roma, Naz. V. E. 828), éd. R.A. GAUTHIER, Grottaferrata (Romae), Editiones Collegii S. Bonaventurae (coll. « Spicilegium Bonaventurianum », 24), 1985.

10 La structure du texte (cf. ci-dessous, les Normes de l'édition -description et classification des manuscrits - et principes de la traduction) qui présente la matière de manière répétitive en glosant même les termes les plus fondamentaux (tels que qualiter ou autem) indique qu'il s'agit vraisemblablement d'un cours. Cf. R.A. GAUTHIER, « Le cours sur VEthica nova d'un maître es arts de Paris (vers 1235-1240) », AHDLMA, 42 (1975), p. 75-77.

" F. BossiER, « L'élaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise », in J. IlAMESSE (éd.), Aux origines du lexique philosophique européen, Actes du Colloque international organisé à Rome par la F.I.D.E.M., Louvain-la-Neuve, F.l.D.E.M. (coll. « Textes et études du Moyen Âge », 8), 1997, p. 102. La communauté scientifique des médiévistes semble être arrivée à un consensus sur ces traductions depuis quelque temps et bien que l'on puisse soulever des questions sur le vocabulaire du traducteur, ce ne sont pas des doutes suffisants pour nier Vauthorship de Burgundio. Le débat demeure quand même ouvert ; il reste encore à déterminer, par exemple, pourquoi lesdites Ethica Noua et Ethica Vêtus ne sont connues que beaucoup de temps après la date précoce alléguée pour la traduction dont elles émanent.

5

à Nicomaque d'Aristote sera complétée par Robert Grosseteste vers 1246-1248". Toutes

ces versions ont été éditées par R.A. Gauthier dans la collection « Aristoteles Latinus »13.

Lors de l'édition, Gauthier croyait que YEthica Noua et Vêtus constituaient deux

traductions différentes, la Noua ayant probablement été traduite par Michel Scot, vers

1215-122014, et\a Vêtus vers la fin du XIIe siècle. Or, en comparant la terminologie de ces

textes avec celle de la Translatio Vêtus du De generatione et corruptione, J. Judycka15 a

pu établir deux faits importants : 1. YEthica Nova et Vêtus ne sont pas l'oeuvre de deux

traducteurs, comme l'affirmait R.A. Gauthier, mais d'un seul ; 2. ce traducteur est

identique à celui du De generatione et corruptione. Après, R. Durling a attribué la

traduction du De generatione et corruptione à Burgundio de Pise16. Or, selon F. Bossier,

il faut en conséquence étendre la paternité de Burgundio aux premières traductions de

Y Éthique à Nicomaque17.

De toute façon, les informations données par R.A. Gauthier lors de l'édition de

YEthica Noua et Vêtus sont tout à fait valides - à notre avis - en ce qui concerne la

circulation des textes à l'Université de Paris. En effet, bien que YÉthique ait été traduite

vers 1150, à Paris les textes ont circulé de façon inégale. D'abord, vers la fin du XIIe

siècle YEthica Vêtus (EN II-III) entre en circulation, et ce n'est que vers 1220 que l'on

trouve les premières citations de YEthica Noua (EN Y). Ces dénominations nous donnent

la clef de cette interprétation. Évidemment, la Vieille Éthique (Ethica Vêtus) est devenue

'vieille' seulement après l'apparition d'une Nouvelle Éthique (Ethica Noua), à savoir vers

1220. Dès lors, elles seront connues comme Ethica Noua et Vêtus .

12 Cf. B.G. DOD, « Aristoteles Latinus », dans The Cambridge History ofLater Médiéval Philosophy : from the Rediscovery of Aristotle ta the Disintegration of Scholasticism, 1100-1600, N. K.RETZMANN, A. KENNY and J. PlNBORG (éds.), Cambridge, London, New York, New Rochelle, Melbourne et Sydney, University Press, 1982, p. 77.

13 ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. R.A. GAUTHIER, Leiden, Brill ; Bruxelles, Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », 26), 1972-1974.

14 GAUTHIER, « Praefatio », dans ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. R.A. GAUTHIER, fasciculus primus, p. CXI.II-CXLVII.

15 J. JUDYCKA, « Introduction », dans ARISTOTE, De generatione et corruptione, éd. J. JUDYCKA, Leiden, Brill ; Bruxelles, Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », 9, 1), 1986, p. xxxiv-xxxviii.

16 R.J. DURLING, « The anonymous translation of Aristotle's De generatione et corruptione {Translatio Vêtus) », Traditio, 49 (1994), p. 320-330.

17 Cf. BOSSIER, « L'élaboration du vocabulaire philosophique », p. 82-83. 18 R.A. GAUTHIER, « Saint Thomas et YÉthique à Nicomaque », dans THOMAS D'AQUIN, Sententia libri

politicorum. Tabula libri ethicorum, éd. R.A. GAUTHIER, Rome, Sainte Sabine (coll. « Sancti Thomae de Aquino Opéra Omnia », 48), 1971, p. XV.

6

Finalement, en ce qui concerne les extraits des livres II à X que l'on persiste à

appeler Ethica Noua'*9, ils ne devraient pas être appelés ainsi puisque, bien qu'ils fassent

partie de la même traduction que le livre I {Ethica Noua) - selon Gauthier - et que les

livres II-III - selon Bossier -, ils ne circulent pas conjointement avec ces livres, au

contraire, 'Ethica Noua' est l'appellation que recevait seulement le premier livre de

VEthique à Nicomaque dans sa circulation à l'Université de Paris20. Les livres circulent

comme suit : Ethica Vêtus (livres II-III), Ethica Noua (livre I), Hoferiana (extraits des

livres II-X), Borghesiana (extraits des livres VII et VIII), les deux dernières étant des

dénominations modernes21. Il faut à notre avis distinguer deux façons de parler de la

traduction latine de F Éthique à Nicomaque : une façon par l'origine, qui considère la

traduction tout court en tant qu'elle est une seule traduction, attribuée à un seul

traducteur, Burgundio de Pise (dans l'état présent du débat) ; une autre façon par la

circulation, qui considère plutôt la manière dont cette traduction a été connue

historiquement par ses lecteurs. Les dénominations Ethica Noua et Ethica Vêtus obéissent

à la circulation des fragments et au sort de la traduction au sein, dans ce cas, de

l'Université de Paris, tandis que lorsque nous nous référons à la traduction latine de

Burgundio c'est seulement à cette dernière que nous faisons allusion, même si

matériellement elle ne peut être étudiée qu'à partir de ses vestiges manuscrits constitués

par les témoins de V Ethica Noua, Vêtus, Hoferiana et Borghesiana.

Cela dit, les commentaires de Y Ethique à Nicomaque avant 1248, c'est-à-dire les

commentaires écrits avant que la traduction complète ne soit achevée par Robert

Grosseteste, étudient soit FEthica Noua (EN I), soit FEthica Vêtus (EN II-III), soit les

deux. Ils sont pour la plupart anonymes et on les appelle donc parfois du nom de la

bibliothèque qui les abrite ou parfois ils gardent les noms de fausses attributions. En voici

la liste commentée :

19 Cf. DOD, « Aristoteles Latinus », p. 77 et même les éditeurs de l'Aristoteles latinus (dont nous fournissons le site web à la fin de cette note), qui ont accepté comme valide l'attribution des deux fragments à Burgundio de Pise, continuent à considérer Y Ethica Nova comme « comprising book I as well as some excerpts from the other books », cf. http://www.hiw.kuleuven.be/dwmc/al/editions/ published.htm.

20 GAUTHIER, « Saint Thomas et Y Éthique à Nicomaque », p. XV. 21 En effet, c'est Gauthier lui-même qui les a appelés ainsi. ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. GAUTHIER,

fasciculus secundus.

7

Commentaire sur VEthica Noua seulement : il ne nous est parvenu qu'un seul

commentaire, incomplet - il commence ex abrupto en commentant EN I, 3 et finit aussi

abruptement vers EN I, 11 -, sur VEthica Noua, donc on ne saurait pas dire s'il incluait

ou non un commentaire sur VEthica Vêtus (mais il serait logique de le penser, étant donné

que VEthica Vêtus circulait déjà quand VEthica Noua a fait son apparition) ; il s'agit du

Commentaire de Naples sur la Nouvelle Éthique, d'auteur anonyme (ANONYME,

Commentarium in Ethicam Nouam, Naples, Biblioteca Nazionale, VIII G 8, f. 4ra-9vb),

son édition a été entreprise par M. Tracey.

Commentaire sur VEthica Vêtus seulement : il n'y en a aussi qu'un seul, il

s'agit du Commentaire d'Avranches sur la Vieille Éthique (ANONYME, Commentarium

Abrincensis in Ethicam Veterem, Avranches, Bibliothèque Municipale 232, f. 90r-123r,

soit A), il s'agit d'un commentaire ancien et complet sur la versio brevior22 de VEthica

Vêtus. Il a été daté d'environ 1235, et son édition a été entreprise il y a quelques années

par L. Gilbert.

Commentaires sur VEthica Noua et Vêtus : il y en a trois, a. Le plus ancien

(vers 1235-1240) semble être le Commentaire de Paris, qui est morcelé en plusieurs

parties dans deux manuscrits écrits par Jean le Limousin, le BnF, lat. 3804a et le BnF, lat.

3572 . R.A. Gauthier a édité la lectura sur VEthica Noua, texte auquel il manque le

début et la fin24. I. Zavattero, pour sa part, est en train d'éditer la lectura sur VEthica

Vêtus. Nous considérons ce commentaire comme numériquement un, parce que Gauthier

a estimé qu'il s'agit d'un seul auteur25, bien que chacune des lectur<a>e soit l'objet

22 Sur la versio brevior, cf. ci-dessous, Normes de l'édition (description et classification des manuscrits) et principes de la traduction.

1 J. SCLAFER, « Remarques concernant quelques manuscrits universitaires de l'abbaye St-Martial de Limoges copiés par Jean le Limousin », AHDLMA, 42 (1975), p. 143-146.

24 ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, «Le cours sur VEthica nova», p. 71-141. Lectura in Ethicam Veterem, Paris, BnF, lat. 3804A, f. 152ra-159vb, f. 241ra-247vb ; lat. 3572, f. 226ra-235ra.

25 GAUTHIER, « Le cours sur VEthica nova », p. 72, 79 et 93.

8

d'une édition indépendante, b. Un autre commentaire, attribué à Robert Kilwardby

(Cambridge, Peterhouse 206 [= C], f. 285ra-307vb ; Prague, Nârodni Knihovna Ceské

Republiky III.F.IO [= P], f. Ira-llvb, témoin partiel) sur un feuillet du manuscrit C27 et

que nous appelons Expositio super Ethica Noua et Vetere de par la nature du texte,

affichant « un style d'exposition mélangé avec un style de division » , date d'environ

1245 et est édité par A. Celano. c. Finalement, le Commentaire sur la Nouvelle et la

Vieille Éthique {Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem), attribué antérieurement

au théologien franciscain Jean Peckham30 (c'est pourquoi on a l'habitude -que nous

adoptons aussi - de nommer l'auteur le « Pseudo-Peckham » ), se trouve dans les

manuscrits suivants32: Oxford, Bodleian Library, mise, lat, c. 71, f. 2r-52r (= O) ;

Florence, Biblioteca Nazionale, conv. sopp., G 4. 853, f. lr-77v (= F) ; Prague, Nârodni

Knihovna Ceské Republiky (auparavant Universitni Knihovna), III. F 10, f. 12r-23v (= P)

(témoin partiel incluant le commentaire de Y Ethica Vêtus - leçons 22 à 39, sans les

questions) et Avranches, Bibliothèque Municipale, 232, f. 123r-125v (=A) (témoin

partiel commençant à la leçon 43 et n'incluant que Vexpositio littere de chaque leçon).

P.O. LEWRY, « Robert Kilwardby's Commentary on the Ethica nova and velus », dans C. WENIN (éd.), L'homme et son univers au Moyen Âge, Actes du septième congrès international de philosophie médiévale (30 août - 4 septembre 1982) Louvain-la-Neuve, Éditions de l'Institut Supérieur de Philosophie (coll. « Philosophes Médiévaux », 27), 1986, p. 799-807. Lewry appuie dans cet article l'attribution à Kilwardby par des arguments doctrinaux et stylistiques.

LEWRY, « Robert Kilwardby's Commentary on the Ethica nova and vêtus », p. 800. *Ibid.,p. 801. 9 Ibid.,p. 806. 0 H. SPETTMANN, « Der Ethikkommentar des Johannes Pecham », dans Abhandlungen zur Geschichte der

Philosophie des Mittelalters, Festgabe C. BAEUMKER zum 70. Geburtstag (16. September 1923) Munster, Aschendorff (coll. « Beitrage zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Texte und Untersuchungen », Supplementband 2), 1923, p. 221-242. Nous aborderons le sujet de Vauthorship de ce texte, ci-dessous, au point 3.1.

1 Cf. R.A. GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la doctrine de \afronesis vertu mystique suprême », Revue du Moyen Âge Latin, 19 (1963), p. 151 et suivantes. G. WlELAND, Ethica - Scientia Practica. Die An/ange der philosophischen Ethik im 13. Jahrhundert, Munster, Aschendorff (coll. BGPTM, Neue Folge, 21), 1981, p. 44. A. CELANO, « The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotle's Nicomachean Ethics », AHDLMA, 53 (1986), p. 23-53 ; ID., « The understanding of the concept of Félicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea», Medioevo, 12 (1986), p. 29-5,4.

2 Cf. O. WEIJERS, Le travail intellectuel à la Faculté des arts de Paris : textes et maîtres (ca. 1200-1500) 5 : Répertoire des noms commençant par J., Turnhout, Brepols (coll. « Studia Artistarum, Études sur la Faculté des arts dans les Universités médiévales», 11), 2003, p. 145-146 (entrée « Pseudo-Johannes Peckham »). Chez G.E. MOHAN (« Initia pperum franciscalium », Franciscan Studies, 35 (1975), p. 85*), on trouve une mention du ms. Vatican, Borgh. 19, f. 212, avec le même incipit que celui de notre ouvrage, mais V. DOUCET (« Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr. Ioannis Pecham O.F.M. (Continuatio et finis)», Antonianum, 8 (1933), p. 425-449) considère qu'il ne s'agit pas du même commentaire que celui du manuscrit de Florence (p. 433).

')

3. Le Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique du Pseudo-Peckham Ce commentaire offre une très profonde analyse des trois premiers livres de

VEthique à Nicomaque, les seuls parvenus en Occident jusqu'alors, comme nous l'avons

dit . Nous en avons entrepris l'édition, prenant le relais de Jean Clermont-Drolet ; dans

la deuxième partie de cette thèse, on trouve une édition critique sélective et la traduction

française du commentaire qui inclura les extraits les plus intéressants pour notre étude,

soit trois unités, le prologue et deux Leçons du commentaire, plus précisément : le

Prologue et ses questions, la leçon 21 (la dernière leçon sur VEthica noua) et la leçon 22

(la première leçon sur VEthica uetus). Pour permettre de mieux apprécier l'architecture

globale du commentaire, nous présenterons aussi la table des questions de ce dernier telle

qu'elle figurerait dans une édition intégrale du texte .

3.1. Date, lieu et milieu de composition Pour établir la date de confection du commentaire du Pseudo-Peckham, il suffit

d'identifier les textes dont il se sert et, en creux, ceux dont il aurait dû se servir mais qu'il

n'utilise pas. Notre maître semble avoir sous les yeux trois textes. Principalement il

considère VEthica Noua et Vêtus (vers 1150); toutefois il ignore manifestement la

traduction complète - à partir du grec - de VEthique à Nicomaque par Robert Grosseteste

disponible aux environs de 1246-1248 : cette traduction nous fournit donc le terminus

ante quem opus scriptum fuit. Mais le Pseudo-Peckham mentionne parfois une 'autre

traduction' (alia translatio) et même une 'troisième traduction' {tertia translatio) . Or,

entre 1240 et 1244, Hermann l'Allemand traduit de l'arabe VEpitomé de /'Éthique dû à

Averroès (1240) et la Summa Alexandrinorum (vers 1243-1244) - u n résumé grec

probablement fait par Nicolas de Damas, traduit anonymement en syriaque et ensuite en

Voir ci-dessus, p. 4. M Cf. ci-dessous, Appendice A. 35 Cf. ci-dessous, notre édition du commentaire, Leçon 21, Expositio Littere, § 9.

10

arabe par Ibn Zurcâh . Il s'agissait donc de textes disponibles pour notre auteur et

pouvant avoir été utilisés par lui. Cependant, d'une part, le maître ne cite pas

systématiquement les trois 'traductions', mais seulement à certains endroits et, d'autre

part, les morceaux cités par notre auteur - au moins dans le texte que nous offrons en

édition et en traduction dans la deuxième partie de cette étude - correspondent à des

gloses 7 qui se trouvent dans la marge des manuscrits mêmes de l'Ethica Noua et Vêtus*.

Cela nous amène à conclure que - sans avoir recours directement à VEpitomé de

/'Éthique et à la Summa Alexandrinorum- le Pseudo-Peckham utilise non seulement le

texte de YEthica Noua et Vêtus, mais se sert aussi des gloses marginales du manuscrit

qu'il utilise, gloses qui seraient disponibles au moins à partir de 1244-1245, date qui

constitue le terminus post quem. Ce qui laisse pour la composition une marge entre 1244

et 1248, donc 1245-124739.

Notre commentaire est donc postérieur à la Summa de bono (vers 1225-1228)40 de

Philippe le Chancelier, à la Summa theologica attribuée à Alexandre de Halès (mort en

1245)4' et contemporain des premières oeuvres d'Albert le Grand (De bono, vers 1245,

Commentaire des sentences, vers 1246-1249) . Or, même si une note apocryphe écrite en

haut du premier folio d'un des témoins attribue ce texte au franciscain 'Jean de

D. DUNLOP, « Introduction », dans A.A. AKASOY et A. FlDORA (éds.), The arable version of the Nicomachean Ethics, with introduction and annotated English translation by D. DUNLOP, Leiden, Brill (coll. « Aristoteles semitico-Iatinus », 17), 2005, p. 75-79.

Le fait que ces gloses correspondent bien à des traductions faites à partir de l'arabe par Hermann l'Allemand a été confirmé par A. FlDORA et A.A. AKASOY, « Hermannus Alemannus und die Alla Translatio der Nikomachischen Ethik », BPM, 44 (2002), p. 79-93.

Ces gloses ont été éditées par Gauthier dans le même volume de VEthica Noua et Vêtus. ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. R.A. GAUTHIER, fasciculus secundus, p. 127-129 et 132-135.

Nous avons suivi le même raisonnement que O. LOTTIN (« À propos du commentaire sur VÉthique attribué à Jean Peckham », RTAM, 10 (1938), p. 79-83), mais maintenant nous disposons de données plus précises sur les traductions de Y Éthique à Nicomaque grâce aux travaux de Gauthier.

Cf. N. WlCKl, « Introduction », dans PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. N. WlCKl, Bernae, Editiones Francke (coll. « Corpus Philosophorum Medii Aevi, Opéra Philosophica Mediae Aetatis Selecta», 2), 1985, p. 66*.

Cf. P. GLORIEUX, Répertoire des maîtres en théologie de Paris au Xllf siècle, Paris, Vrin (coll. « Etudes de philosophie médiévale », 17-18), 1933, n°301, t. Il, p. 15. Cf. aussi, V. DOUCET, « The History of the problem of the authenticity of the Summa », Franciscan Studies, 7 (1947), p. 26-41 et 274-312.

Cf. GLORIEUX, Répertoire des maîtres en théologie, n° 6, t. I, p. 62-63. Notre commentaire est antérieur au premier commentaire sur l'Éthique à Nicomaque {Super ethica) d'Albert (vers 1250-1252), rédigé à partir de la traduction complète de Robert Grosseteste. Au sujet de la carrière d'Albert le Grand, voir A. DE LIBERA, Albert le Grand et la philosophie, Paris, Vrin (coll. « À la recherche de la vérité»), 1990. Selon P. Glorieux, on pourrait ajouter à cette liste Gérard d'Abbeville, dont la carrière se situe entre 1254 et 1272, cf. P. GLORIEUX, « Pour une édition de Gérard d'Abbeville », RTAM, 9 (1937), p. 56-84 ; GLORIEUX, Répertoire des maîtres en théologie, n° 174, t. I, p. 356.

Il

Peckham'43 (à cause de quoi H. Spettmann44 a attribué l'œuvre à Peckham), toutefois, la

date de composition rend impossible l'attribution du commentaire à Jean Peckham45, car,

étant né vers 123046, il n'avait pas atteint, vers 1245, l'âge requis pour donner des cours à

la Faculté des arts . Mais d'autres raisons plus profondes empêchent d'attribuer ce

commentaire à Jean Peckham. V. Doucet48 en a fait un inventaire en signalant des points

précis où notre commentaire s'écarte plus ou moins nettement de la position de Jean

Peckham. Doucet souligne que le commentateur est contre la vie religieuse et affirme

qu'il s'agit d'un maître séculier49 écrivant à Paris (de par ses allusions au « Petit-Pont » et

au « Parvis-Notre-Dame »5 ). Parmi les maîtres séculiers, Doucet n'identifie pas l'auteur,

mais signale néanmoins que ce maître parle des 'Anglais ivres' et des 'Gaulois' à la

troisième personne51. P. Glorieux a voulu par la suite attribuer l'œuvre à Gérard c'y f en

d'Abbeville , mais O. Lottin a réfuté cette candidature tout en présentant comme

auteur possible un maître de la Faculté des arts de Paris. Ce spécialiste compare la

configuration des leçons avec celles du Commentaire de Paris et il conclut qu'il y a 3 II est évident que l'inscription « Incipit scriptum super Eticham fratris Iohannis de Pecham », écrite dans

la marge supérieure du folio lr du témoin F provient d'une main différente de celles ayant contribué à la rédaction du texte. O. Lottin (« À propos du Commentaire sur VEthique attribué à Jean Peckham ») traite brièvement de cette attribution, de même que de l'hypothèse d'attribution de ce commentaire à la plume de Gérard d'Abbeville faite par Glorieux. Cf. GLORIEUX, « Pour une édition de Gérard d'Abbeville », p. 82-84, cf. aussi P. GLORIEUX, La Faculté des arts et ses maîtres au Xllf siècle, Paris, Vrin (coll. « Études de philosophie médiévale », 59), 1971, p. 143.

H. SPETTMANN, « Der Ethikkommentar des Johannes Pecham », dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Festgabe C. BAEUMKER zum 70. Geburtstag (16. September 1923) Munster, Aschendorff (coll. « Beitrage zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Texte und Untersuchungen », Supplementband 2), 1923, p. 221-242.

45 Spettmann avait estimé que le commentaire avait été écrit vers 1260 (SPETTMANN, « Der Ethikkommentar des Johannes Pecham », p. 229), ce qui a été contesté par É. Gilson, dans son compte rendu, Revue d'histoire franciscaine, 1 (1924), p. 381-382.

46 Cf. G.J. ETZKORN, « John Pecham », dans J.J.E. GRACIA et T.B. NOONE (éds.), A companion to Philosophy in the Middle Ages, Malden, Blackwell (coll. « Blackwell companions to philosophy », 24), 2003, p. 384 ; GLORIEUX, Répertoire des maîtres en théologie, n° 316, t. II, p. 87 : « Il dut naître avant 1235 ».

LEFF, Paris and Oxford Universities, p. 138 : « Twenty-one years was the minimum âge at which a man could begin to lecture in arts ».

48 DOUCET, « Notulae bibliographicae », p. 435-443. 49 « Auctor huius scripti procul dubio querendus est inter doctores saeculares saec. Xlll : unus est enim ex

adversariis vitae religiosae », Ibid., p. 445-446. 50 Ibid.,p. 447, n. 4. 51 Ibid, p. 446, n. 1. 52 P. GLORIEUX, « Pour une édition de Gérard d'Abbeville », p. 82-84. 53 LOTTIN, « À propos du commentaire sur Y Éthique attribué à Jean Peckham », p. 80. Lottin s'attaque

surtout à l'argument stylistique de Glorieux selon lequel l'auteur du commentaire utilise la formule die de la même façon que Gérard d'Abbeville. Lottin considère que Gérard l'utilise beaucoup plus que ne le fait notre commentateur.

12

« identité absolue des formules des deux commentaires » . Finalement, Lottin ajoute

deux confirmations : la distinction des points de vue philosophique et théologique55 et

certaines doctrines très connues parmi les théologiens - comme la 'syndérèse' - que notre

commentateur ne semble pas connaître56.

Notre apport à cette discussion consiste à insérer le Commentaire sur la Nouvelle

et la Vieille Éthique du Pseudo-Peckham dans le milieu où il est supposé appartenir, à

savoir le réseau des débats développés dans d'autres écrits sur l'éthique des maîtres

parisiens des environs de 1245, pour confirmer ou démentir une telle attribution. Nous

pouvons avancer que l'idéal éthique, que nous mettons en vedette dans ces pages, est

partagé avec les autres commentaires de VÉthique ainsi qu'avec d'autres textes

didascaliques de la Faculté des arts de l'Université de Paris. Nous avons constaté que les

enjeux traités, les arguments utilisés et quelques réponses sont communs aux autres écrits

artiens de l'époque. Les questions proprement théologiques sont rares57 - quoique notre

auteur semble bien connaître les enjeux doctrinaux de base comme la question des

transcendantaux - et les citations bibliques pratiquement absentes58, ce qui écarte la

possibilité d'un auteur théologien. De plus, comme nous le verrons, plusieurs points

névralgiques de la théorie du Pseudo-Peckham se trouvent en conflit ou en concurrence

avec les réponses de certains théologiens de l'époque.

4. État de la question sur le commentaire du Pseudo-Peckham

Ce texte a été l'objet de quelques études, mais malheureusement jamais d'une

édition59. Au début du XXe siècle, plusieurs études ont été entreprises sur les premiers

M/bid.,p.Sl. 55 /bid, p. 81. i6/bid,p. 82. 57 Ce qui a été noté aussi dans le compte rendu de Gilson sur l'article de Spettmann, p. 381. 58 De plus, mis à part le prologue où notre maître expose son érudition par rapport aux sources autoritaires -

comme Augustin, Jean Damascène, le Pseudo-Denys et Boèce-, dans le commentaire proprement dit, le maître est enclin à tirer ses arguments principalement de l'œuvre d'Aristote. Cf., ci-dessous, notre édition.

59 H. Spettmann a été le premier à traiter du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique du Pseudo-Pekcham dans son article (« Der Ethikkommentar des Johannes Pecham », p. 221-242, cf. ci-dessus, n. 44) en soutenant son attribution à Jean Peckham, ce qui fut contesté l'année suivante par É. GILSON dans la Revue d'histoire franciscaine, 1 (1924), p. 381-382. O. Lottin y consacra des pages, d'abord en 1938 (LOTTIN, «À propos du Commentaire sur VÉthique attribué à Jean

13

commentaires, à savoir ceux sur VEthica noua et Vêtus. O. Lottin, V. Doucet et

H. Spettmann, que nous avons mentionnés, furent les pionniers de cette importante

entreprise. Plus tard, R.A. Gauthier a approfondi ces études et a fourni l'outil le plus

précieux pour l'analyse des commentaires sur VEthique à Nicomaque, leur source, à

savoir les traductions latines médiévales de VEthique. Il a même traduit en français le

texte original grec de cet ouvrage60 et il a édité le cours sur VEthica Noua du

Commentaire de Paris. Même si le reste des éditions se sont fait attendre (comme nous

avons vu, elles sont en cours maintenant), d'autres chercheurs comme G. Wieland et

A. Celano se sont lancés dans des études très approfondies de ces écrits. Cependant,

selon nous, la valeur de ces commentaires sur VEthique a été minimisée par ces

interprètes récents, parce que, à leur avis, les maîtres (auteurs de ces commentaires)

n'avaient pas compris le texte aristotélicien dans son sens véritable612.

Or, en ce sens, notre enquête envisage d'une façon différente les commentaires de

VEthique, car nous ne jugeons pas les écrits selon la justesse philologique qu'ils montrent

dans leur analyse du texte d'Aristote ; nous préférons apprécier la richesse éclectique qui

apporte de nouvelles créations philosophiques dans l'interprétation. En effet, nous

voulons montrer que la vision des artiens - et celle du Pseudo-Peckham en particulier -

renferme un prisme qui fait ressortir de la source tout un éventail de théories dont les

couleurs sont connues, mais que les maîtres font briller d'une manière nouvelle et

Peckham »), puis en 1939 (« Psychologie et morale à la faculté des arts de Paris aux approches de 1250», Revue néoscolastique de Philosophie, 42 (1939), p. 182-212), où il met en parallèle certaines conceptions de l'âme telles que développées dans trois commentaires sur VEthique datant d'avant 1247. À noter que Lottin ne mentionne nullement l'existence du témoin O (que Spettmann ignorait aussi) et ne transcrit que des passages relatifs à certaines questions tirés des leçons 1,10, 20, 24, 37, 39 et 40, tels qu'on les trouve textuellement dans le témoin F. Le commentaire du Pseudo-Peckham est aussi cité à quelques reprises et analysé par R.A. Gauthier. Cf. GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la doctrine de \afronesis», p. 146-147, 151-154 et 170. L'étude de WIELAND, Ethica-Scientia Practica, est la plus complète que nous possédions sur les commentaires de VEthique à Nicomaque en général, puisqu'elle analyse chacun des cinq commentaires sur VEthique antérieurs à 1247-1248, tout en mettant en évidence l'émergence d'une éthique proprement philosophique et de plus en plus détachée du discours théologique.

60 ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, éd. et trad. R.A. GAUTHIER et J.Y. JOLIF, Paris, Béatrice Nauwelaerts (coll. « Aristote, traductions et études »), 1970.

61 CELANO, « The Finis hominis in the thirteenth-century », p. 23-53 ; ID., « The understanding of the concept of Félicitas », p. 29-54.

62 G. WIELAND, dans Ethica - Scientia practica, expose comment les maîtres es arts de Paris n'ont pas réussi à déterminer les frontières entre philosophie et théologie -condition nécessaire pour faire de l'éthique une discipline autonome par rapport à la théologie et donc pour interpréter proprement Aristote, comme l'a fait ensuite principalement Albert le Grand.

14

originale. Chaque texte cache des sens virtuels qui peuvent être extraits ou actualisés en

fonction des besoins et des intérêts propres à chaque époque. C'est ainsi que les

commentateurs du corpus éthique vers 1250 ont découvert un de ces sens potentiels de

l'éthique aristotélicienne et qu'ils ont créé à partir de ce sens alternatif actualisé un

ensemble de concepts cohérent autant que digne d'attention.

La nouveauté de notre étude réside donc en partie dans la considération des

commentaires non en tant qu'ils peuvent éclairer notre compréhension de VEthique à

Nicomaque (ce qui peut s'avérer être le cas sans toutefois constituer ici notre intérêt

primordial), mais en tant qu'ils éclairent, questionnent et créent les enjeux éthiques,

psychologiques et même métaphysiques de leur temps. En ce sens, le commentaire du

Pseudo-Peckham est une fenêtre ouverte sur l'éveil philosophique du XIIIe siècle et notre

étude essaie d'en esquisser le portrait panoramique, un paysage que nous avons appelé

YIdéal éthique des maîtres es arts de Paris. Mais, étant donné qu'il s'agit d'une oeuvre

gigantesque, nous avons donc décidé de présenter des enjeux précis, qui se situent dans

des leçons précises et qui s'articulent pour donner la structure de cet idéal.

5. Division des sciences Vu qu'il s'agit d'un idéal éthique, il faut d'abord établir les conditions de

possibilité d'une science morale, ainsi que sa place par rapport aux autres sciences. Or,

d'habitude les commentaires incluent leur schéma des sciences au début. Le commentaire

du Pseudo-Peckham n'y fait pas exception et établit un aperçu de la division des sciences

dès les cinq premiers paragraphes, tout en introduisant certains éléments justificatifs

fondamentaux de la théorie de notre maître à propos de l'idéal éthique.

Le tableau ci-dessous esquisse cette division des sciences et sa justification selon

lesdits cinq premiers paragraphes du prologue du Commentaire sur la Nouvelle et la

Vieille Éthique qui constituent l'introduction de l'ouvrage. Le schéma témoigne que le

Pseudo-Peckham détermine la division des sciences selon un système binaire

15

(probablement celui de Boèce dans le De divisione ). Premièrement, la science se divise

sous l'autorité tacite d'Augustin (probablement médiatisée par Pierre Lombard) en

science relative aux signes et en science relative aux choses . Ensuite, l'auteur se

concentre sur la science relative aux choses et la subdivise à son tour traditionnellement65

en science relative aux choses qui sont indépendamment de notre action et en science

relative aux choses qui sont par notre action. Ces deux divisions représentent ensemble,

selon l'auteur, la division d'Augustin dans le De civitate Dei en rationnelle, naturelle et

morale 6, cette dernière étant une division de la philosophie estimée stoïcienne par

l'érudition moderne . Enfin, l'auteur se restreint à la science relative aux choses qui sont

par notre action, en affirmant que son sujet est le bien et que cette science va se diviser

selon la division du bien.

BOÈCE, Liber de divisione, éd., trad. et commentaire J. MAGEB, Leiden, Boston et Kôln, Brill (coll. « Philosophia antiqua », 77), 1998, p. 26, I. 8-9 {PL 64, col, 883C) : « Fieret autem omnis diffinitio omnisque diuisio duobus terminis ». Voir aussi ANONYME, Le "Guide de l'étudiant" d'un maître anonyme de la Faculté des Arts de Paris au XHIe siècle, édition critique provisoire du ms. Barcelone, Arxiu de la Corona d'Aragô, Ripoll 109 de C. LAFLEUR avec la collaboration de J. CARRIER, f. 134ra-158va, Québec, Faculté de Philosophie, Université Laval, 1992, § 6, 8.

Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, Introductio, § 1 : « Cum scientie quedam sint de rébus et quedam de signis, cum scientia sit habitus anime intellectiue, non est scientia de signis quibuslibet, set de signis que, mediante sensu, comparationem habent essentialiter ad animam intellectiuam uel ad potentias eius. Hoc autem proprie est sermo siue uox litteralis, per impositionem significans et prenuntians aliquid intellectui. Similiter autem non erit, proprie loquendo, scientia de rébus nisi prout <res> accipiuntur sub proprietatibus sub quibus habent relationem ad animam ipsam ». « Puisque certaines sciences sont relatives aux choses et certaines relatives aux signes <et> puisque la science est un habitus de l'âme intellective, elle n'est pas une science relative à n'importe quels signes, mais relative aux signes qui, par l'intermédiaire du sens, ont essentiellement un rapport à l'âme intellective ou à ses puissances. Or, ce <type de signes> est proprement le langage ou le mot écrit, signifiant par imposition et présentant quelque chose à l'intellect. Or, similairement il n'y aura, proprement parlant, de science relative aux choses que dans la mesure où <les choses> sont prises sous les propriétés sous lesquelles <elles> ont une relation à l'âme même ». Qf. AUGUSTIN, De Doctrina Christiana, I, 2, éd. J. MARTIN, Turnhout, Brepols (coll. « Corpus Christianorum », Séries Latina, 32), 1962, p. 7, 1. 1-2 {PL 34, 19) : « Omnis doctrina vel rerum est vel signorum, sed res per signa discuntur». Cf. PIERRE LOMBARD, Sententiae in IV libris distinctae, 1, dist. 1, 1, Grottaferrata (Rome), Collegium S. Bonaventurae (coll. « Spicilegium Bonaventurianum », 4), 1971, p. 55 {PL, 192, 521) : « omnis doctrina vel rerum est vel signorum ; sed res etiam per signa discuntur ». On trouve cette division chez de nombreux maîtres es arts. Cf. C. LAFLEUR et J. CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (alias Henri le Breton) et le recueil d'introductions à la philosophie du ms. Oxford, Corpus Christi Collège 283 (Première partie) », AHDLMA,6\ (1994), p. 182 et n. 65.

Cf. P. HADOT, « Les divisions des parties de la philosophie dans l'Antiquité », Muséum Helveticum, 36, 4 (1979), p. 202.

Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, Introductio, § 2. Cf. HADOT, « Les divisions des parties de la philosophie dans l'Antiquité », p. 208-212.

16

PSEUDO-PECKHAM : L'Éthique dans la division des Sciences

SCIENTIA

De signis De rébus secundum quod significantur (§ 3)

De rébus (§1)

Secundum quod sunt (tj 3)

(sermocinalis) Prêter opus nostrum

(naturalis)

I Potentia anime : Speculatiua

Obiectum : Verum

De rébus sub ratione veri

Ab opère nostro (§ 3) (moralis) (§ 2)

I Motiua (§ 2)

Bonum (§ 2)

i De rébus sub ratione boni (§ 2)

(§ 4) Bonum Divinum Bonum humanum (§ 4) Félicitas Virtus (§ 5) Félicitas secundum se Ex quibus et qualibus félicitas <est> in nobis Bonum quod est finis simpliciter Bonum quod est uia in illum finem ultimum

Pour mieux comprendre cette division, il faut en expliquer la justification, qui

s'appuie sur deux pivots principaux reliés étroitement : d'une part, la théorie des

transcendantaux et, d'autre part, la division des puissances de l'âme en contemplative et

motrice. Ces deux théories sont magistralement combinées dans le deuxième paragraphe

et joueront un rôle fondamental dans la détermination de l'idéal éthique.

Pour compléter l'explication de notre schéma de la division des sciences selon le

Pseudo-Peckham, il faut insister sur le sujet des sciences, lequel se trouve dans les choses

elles-mêmes68. Selon l'adage aristotélicien69, les sciences, à leur tour, se diviseront de la

même façon que les choses elles-mêmes :

68 « Autrement on peut avoir une division de cette façon, comme on a dans le troisième <livre du traité> De l'âme : "les sens et les sciences se découpent en <rapport avec> les choses", et c'est pourquoi la division des sciences sera selon la division des choses. Or, les choses peuvent être considérées doublement : ou bien selon qu'elles sont, ou bien selon qu'elles sont signifiées. Si selon qu'elles sont, <on peut les considérer>doublement : ou bien en tant qu'elles sont par notre oeuvre, ou bien

1/

Donc, la science morale est proprement relative au bien, ou relative aux choses dans la mesure où elles sont par notre œuvre. Et c'est pourquoi, puisque la science reçoit essentiellement sa division selon la division de ce relativement à quoi elle est, la science ou philosophie morale se divise essentiellement selon la division du bien (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, Introduction)70.

Selon l 'auteur, le bien est double : le divin (qui est conféré par Dieu) et l 'humain

(qui s 'acquiert par notre effort). Or, toujours selon le Pseudo-Peckham, il incombe au

philosophe moral de faire des recherches sur tous les types de bien, y compris certes sur

le bien divin qui est la félicité, la fin que tous cherchent, ainsi que sur les vertus, qui sont

la voie d'acquisition de la félicité71. Le Pseudo-Peckham prend une position forte où le

en tant qu'elles sont indépendamment de notre oeuvre. Et selon cela, il y a une division de la science en trois différences, comme auparavant : parce qu'une certaine science sera relative aux choses en tant qu'elles sont signifiées ; alors qu'une certaine <autre sera> relative aux choses en tant qu'elles sont indépendamment de notre œuvre ; et une certaine <autre séra> relative aux choses en tant qu'elles sont par notre oeuvre ». Notre traduction. Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, Introductio, § 3 : « Aliter potest haberi diuisio hoc modo, ut habetur in tertio De anima : "secantur sensus et scientie in res", et ideo secundum diuisionem rerum erit diuisio scientiarum. Res autem possunt considerari dupliciter : aut secundum quod sunt, aut secundum quod significantur. Si secundum quod sunt, dupliciter : aut in quantum sunt ab opère nostro, aut in quantum sunt prêter opus nostrum. Et secundum hoc habetur diuisio scientie per très differentias, sicut prius : quia quedam erit scientia de rébus in quantum significantur ; quedam autem de rébus ut sunt prêter opus nostrum ; et quedam de rébus ut sunt ab opère nostro ».

69 « Secantur igitur sciencia et sensus in res ». ARISTOTE, De anima, III, 8, 431b24-25, trad. JACQUES DE VENISE, éd. R.A. GAUTHIER, dans ANONYME (C. 1245-1250), Lectura in librum De anima a quodam discipulo reportata (Ms. Roma, Naz. V. E. 828), éd. R.A. GAUTHIER, Grottaferrata (Romae), Collège S. Bonaventure (coll. « Spicilegium Bonaventurianum », 24), 1985, p. 484. Voir aussi Les Auctoritates Aristotelis, un florilège médiéval, éd. J. HAMESSE, Louvain, Publications universitaires ; Paris, Béatrice-Nauwelaerts (coll. « Philosophes médiévaux », 17), 1974, p. 188, n° 162 : « Scientiae secantur quemadmodum res de quibus sunt scientiae ». Cf. aussi C. LAFLEUR et J. CARRIER, « La Philosophia d'FIervé le Breton (alias Henri le Breton) et le recueil d'introductions à la philosophie du ms. Oxford, Corpus Christi Collège 283 (Deuxième partie) », AHDLMA, 62 (1995), p. 359-442, Texte A, § 33, p. 383, qui utilise une formule plus proche des Auctoritates.

Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, Introductio, § 3 : « Est ergo moralis scientia proprie de bono, siue de rébus prout sunt ab opère nostro. Et ideo, cum scientia essentialiter recipiat diuisionem secundum diuisionem eius de quo est, diuiditur moralis scientia uel philosophia essentialiter secundum diuisionem boni ».

1 « Or, le bien est double : le <bien> divin, c'est-à-dire conféré par Dieu, telle la félicité, comme cela apparaîtra après ; et le <bien> humain, c'est-à-dire acquis par l'homme au moyen des opérations droites - avec délectation et peine et avec persévérance en elles -, ce qui est la vertu. En effet, le philosophe ne pose pas ainsi en nous la vertu par la providence divine, comme il pose la félicité -bien que peut-être, selon le théologien et selon la vérité, la vertu ne soit pas <causée> par nous mais par la Première Cause, selon cela : "Dieu opère en nous l'<acte de> vouloir et de se perfectionner" » : Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, Introductio, § 4 : « Bonum autem duplex est : diuinum, id est a Deo collatum, ut félicitas, sicut postea apparebit ; et humanum, id est ab homine per rectas operationes - cum delectatione et tristitia et cum perseuerantia in hiis — acquisitum, quod est uirtus. Non enim sic ponit philosophus uirtutem

18

sujet de la philosophie morale est le domaine entier du bien . Même si, selon lui,

Aristote semble parler dans l'Éthique à Nicomaque seulement du bien causé, le Pseudo-

Peckham soutient que le philosophe moral peut traiter aussi du bien non causé ou de la

félicité non causée.

6. Le discours artien Dans ce cadre épistémologique, nous analyserons, dans le Commentaire sur la

Nouvelle et la Vieille Éthique du Pseudo-Peckham, un réseau conceptuel qui nous semble

central, à savoir l'idéal éthique du Pseudo-Peckham. Cet idéal prend sa place à l'intérieur

de ce qu'on a décrit - dans le contexte des textes didascaliques - comme l'enthousiasme

philosophique (ou l'idéal scientifique) des maîtres es arts de Paris73. La constitution d'un

ensemble cohérent de concepts propres au débat éthique de la première moitié du XIIIe

siècle nous montre une spécificité de l'idéologie artienne qui se déploie dans les textes de

réflexion morale, plus particulièrement dans le Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille

in nobis a diuina prouidentia, sicut ponit felicitatem - licet fortassis, secundum theologum et secundum ueritatem, uirtus non sit a nobis set a Prima Causa, secundum illud : "Deus operatur in nobis uelle et perficere" ».

Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, q. 2, § 37 : « Ad horum euidentiam, sciendum quod Aristotiles, in hac doctrina, déterminât de bono causato, ut de uirtute et de felicitate causata. Tamen ut rationes soluamus, sustineamus utrumque : et quod déterminât de felicitate causata et quod de felicitate incausata». Aussi Ibid., q. 2, § 45 : « [...] per hoc potest patere quod moralis intendit de bono non solum prout contrahitur ad felicitatem, uel solum ad uirtutem, set prout communiter se habet ad utrumque. Tamen non est intelligendum quod de istis consideret equaliter, immo sicut philosophus primus considérât accidentia ut referuntur ad substantias que sunt eorum principia, et esse quodammodo - secundum quod dicit quod diffinitiones accidentia recipiunt ad ornamentum - et substantias generabiles et corruptibiles, prout ad substantiam primam que causa est et principium aliorum omnium ; sic moralis bonum in operationibus déterminât propter bonum uirtutis siue habitus, et bonum in uirtute considérât prout ordinatur ad felicitatem. Vnde felicitatem per se et primo et principaliter considérât, alia uero ratione felicitatis et ut ad ipsam ordinantur ».

Pour une caractérisation de cet idéal voir, C. LAFLEUR, « Scientia et ars dans les introductions à la philosophie des maîtres es arts de l'Université de Paris au XIIIe siècle », dans I. CRAEMER-RUEGENBERG et A. SPEER (éd.), « Scientia » und « ars » im Hoch und Spâtmittelalter, Berlin et New York, De Gruyter (coll. « Miscellanea Mediaevalia », 22), 1994, p. 45-65 ; C. LAFLEUR, « Les 'Guides de l'étudiant' de la Faculté des arts de l'Université de Paris au XIIIe siècle », dans M.J.F.M. HOENEN et al., Philosophy and Learning. Universities in the Middle Ages, Leiden, New York et Kôln, Brill (coll. « Education and Society in the Middle Ages and Renaissance », 6), 1995, p. 137-199 ; C. LAFLEUR, « L'introduction à la philosophie Vt testatur Aristoteles (vers 1265-1270) », Laval théologique et philosophique, 48, 1 (1992), p. 81-106 ; C. LAFLEUR et J. CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique au milieu du XIIIe siècle, selon des textes épistémologiques artiens et thomasiens », RSPT, 89 (2005), 261-294.

19

Éthique du Pseudo-Peckham. Nous abordons cet ensemble - o u 'système' - conceptuel

dans la première partie en trois étapes. Dans le premier chapitre, la théorie des

transcendantaux fournit la base de la possibilité de l'éthique comme science qui relie les

domaines ontologico-référentiel, noétique et théologique ; cela montre que notre

commentaire a une vision philosophique d'ensemble largement structurante. Dans le

deuxième chapitre, le commentaire du Pseudo-Peckham est présenté, selon la perspective

de l'histoire de textes, en rapport avec la théorie des « deux faces de l'âme », laquelle sert

à justifier la division des vertus en intellectuelles et en coutumières. Finalement, dans le

troisième chapitre, nous analysons la hiérarchie des vertus intellectuelles - qui constitue

une théorie propre aux maîtres es arts de Paris -, dont le sommet, la fronesis, incarne,

dans ce contexte, l'idéal éthique des artiens. Dans la deuxième partie de notre

dissertation, nous présentons l'édition sélective et la traduction du Commentaire sur la

Nouvelle et la Vieille Éthique du Pseudo-Pekcham, accompagnées en appendice d'une

liste des questions qui composent le commentaire ainsi que d'autres extraits de Robert

Kilwardby, du commentateur anonyme d'Avranches et d'Alexandre de Halès74.

En somme, notre thèse tente, d'une part, d'appréhender un ensemble de concepts

philosophiques contenus dans ce vaste ouvrage et, d'autre part, d'appuyer ces analyses

sur les textes d'une édition sélective qui apporte un avant-goût de l'édition intégrale de

cet écrit substantiel si significatif pour la philosophie du XIIIe siècle.

74 II s'agit des extraits de la leçon 18 de Y Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique de Robert Kilwardby (Appendice B) ; des extraits du prologue et de la leçon 1 du Commentaire d'Avranches sur la Vieille Éthique (Appendice C) et d'un extrait de la question 1, traité III, Inquisitio 1 de la première partie de la Somme théologique d'Alexandre de Halès (Appendice D).

Chapitre 1 : La théorie des transcendantaux

1. Considérations préliminaires Après avoir fait des considérations épistémologiques sommaires dans le

préambule du Prologue, le Pseudo-Peckham entend fonder la possibilité de l'éthique

comme science - et non seulement comme une pratique - sur le bien1. Pour ce faire, dans

la première question dudit Prologue, il se sert de la théorie des transcendantaux telle qu'il

la trouvait à son époque chez Philippe le Chancelier, maître en théologie et chancelier de

l'Université de Paris. Mais cette théorie a une histoire et une préhistoire que nous devons

détailler pour mieux comprendre les enjeux qui encadrent la discussion du Pseudo-

Peckham. Ces enjeux multiples sont cristallisés au XIIIe siècle dans ce que les historiens

ont depuis longtemps appelé la « théorie médiévale des transcendantaux » , que l'on peut

résumer ainsi : les concepts premiers ou les plus communs - à savoir l'étant, l'un, le vrai

et le bien - sont convertibles dans les supposés ou référés (supposita), mais diffèrent

quant à leurs notions (rationes).

Une combinaison d'éléments divers a été achevée à l'Université de Paris : des

composants théoriques d'un côté et des conditions historiques d'un autre côté. Nous ne

discuterons pas dans ce travail des conditions historiques concrètes, qui incluent

1 Déjà Georg Wieland a étudié dans les premiers commentaires sur VÉthique à Nicomaque la conception de l'éthique comme 'science pratique' (WlELAND, Ethica-Scientia Practica). Il a conclu dans son travail que les maîtres es arts sont conscients de l'intention d'Aristote de fonder une science pratique, mais qu'ils n'arrivent pas à comprendre ce qui pour eux est contradictoire, une science qui entraîne une pratique. Ici nous nous concentrons plutôt sur la théorie des transcendantaux comme fondation pour une science dont l'objet est le bien.

2 Cf. H. POUILLON « Le premier traité des propriétés transcendantales », Revue néoscolastique de philosophie, 42 (1939), p. 40-77.

3 Cf. J.A. AERTSEN, Médiéval philosophy and the Transcendentals : the case of Thomas Aquinas, Leiden, New York et Kôln, Brill (coll. « Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters », 52), 1996. Puisque le Pseudo-Peckham n'inclut pas le beau dans sa question sur les transcendantaux, nous ne le considérons pas dans notre étude ; sur le beau dans la scolastique, voir H. POUILLON, « La Beauté, propriété transcendantale, chez les Scolastiques (1220-1270), AHDLMA, 15 (1946), p. 263-329.

21

principalement la lutte contre l'hérésie albigeoise . Nous détaillerons plutôt les éléments

préalables (ou conditions théoriques de possibilité) requis pour donner lieu à une telle

discussion.

Pour décortiquer les éléments théoriques nécessaires à la constitution de la théorie

des transcendantaux, il faut savoir que, d'une part, les transcendantaux sont les concepts

les plus généraux qui néanmoins correspondent à des caractéristiques tout autant

générales du monde et que, d'autre part, les transcendantaux constituent aussi des

attributs propres à Dieu en qui ils résident dans leur plénitude conceptuelle la plus

complète autant que simple et dans leur réalité la plus pure. Par ailleurs, tout ce complexe

noético-onto-théologique est discuté en considérant de très près les déterminations

logico-sémantiques des termes tels que 'étant', 'un', 'vrai', 'bien'. Une discussion -qui

s'annonce fort ardue- semble parfois nous mener vers le paradoxe, mais jette les

fondements de nombreux développements théoriques de la scolastique médiévale.

D'un côté, des éléments noético-onto-théologiques, qu'on pourrait qualifier de

néo-platoniciens, établissent que Dieu est la source et la justification de tout être et de

tout concept. Dieu peut recevoir plusieurs descriptions vagues et éloignées qui n'arrivent

pas à exprimer son essence, mais tout au moins donnent des pistes sur sa nature qui

surpasse tout. C'est ainsi que Dieu est dit l'Être, le souverain Un, le souverain Vrai, le

souverain Bien, le souverain Beau5. Par ailleurs, il est clair que les créatures participent

aussi de toutes ces qualités provenant de Dieu, en ce sens les créatures sont des étants

uns, vrais, bons. C'est en contemplant les créatures que nous pouvons entrevoir à quel

point la nature divine les surpasse. Toutes les choses sont bonnes parce qu'elles

4 Cf. H. PouiLLON « Le premier traité des propriétés transcendantales », p. 42 et AERTSEN, Médiéval philosophy and the Transcendentals, p. 27-28. Hors des grandes hérésies qui constituent de vrais mouvements sociaux, l'hérésie en matière philosophique et théologique est beaucoup moins facile à saisir, d'autant plus que les mêmes théories se trouvent, selon les circonstances, parfois en dehors et parfois en dedans de la ligne d'orthodoxie. En plus des distinctions proprement théoriques, il faut considérer les enjeux qui entourent les intellectuels parisiens durant cette période ; ces enjeux incluent des dissensions politiques et culturelles parmi les membres de l'université. À ce sujet, je partage la position de D. PlCHÉ (La condamnation parisienne de 1277, éd., trad. et corn. D. PlCHÉ avec la collaboration de C. LAFLEUR, Paris, Vrin (coll. « Sic et non »), 1999). Un beau portrait de la situation dans la deuxième moitié du siècle est tracé par R.A. GAUTHIER, « Notes sur Siger de Brabant II : Siger en 1272-1275 ; Aubry de Reims et la scission des Normands », RSPT, 68 (1984), p. 3-49. Sur la première moitié du siècle, voir L. BlANCHI, Censure et liberté intellectuelle à l'Université de Paris (XUIe-XIVe siècles), Paris, Les Belles Lettres, 1999 ; R.A. GAUTHIER, « Notes sur les débuts du premier Averroïsme », RSPT, 66 (1982), p. 321-374.

5 Ps-DENYS, Des noms divins, 4, § 7, dans Ps-DENYS, Œuvres complètes, trad. M. DE GANDILLAC, Paris, Aubier Montaigne (coll. « Bibliothèque philosophique »), 1980, p. 100-102.

22

proviennent de Dieu et tout ce qui vient de Dieu ne peut qu'être bon. Or, tous les étants

proviennent de Dieu, donc tous les étants sont bons. La proposition affirmant que tout ce

qui est, en tant qu'il est, est bon, était fermement enracinée dans les esprits des

intellectuels du xme siècle. Car, héritiers de YAetas Boethiana, ils connaissaient le De

Hebdomadibus de Boèce, ainsi que les commentaires de cet ouvrage faits au XIIe siècle6.

D'un autre côté, à cette théorie de la participation, s'oppose en quelque sorte la

théorie aristotélicienne de la polysémie des termes 'étant' et 'un'7. Cette polysémie veut

rejeter la possibilité d'une univocité de ces termes, sur laquelle se fonde la théorie de la

participation des étants à l'Être. Extrapolant cela au terme 'bien', s'il y a une polysémie

des termes il est impossible qu'il y ait un Bien dont toutes les choses bonnes participent,

mais seulement chaque chose est bonne par rapport à sa propre nature et son bien est

d'achever sa propre nature, c'est-à-dire que le bien est une qualité et non une substance.

C'est de fait Aristote qui dit que l'étant n'a pas de définition parce qu'il ne peut pas entrer

dans un genre ni être un genre8. Il est beaucoup plus général qu'un genre, parce qu'il

transcende les catégories. Mais la théorie aristotélicienne de l'étant et de l'un souligne

que ce sont des concepts très généraux et que, comme tels, ils s'appliquent à des niveaux

différents. Cette application peut être exprimée par une théorie du langage, ou par la

logique, parce que le bien et l'étant se disent de multiples manières . Cette explication est

opposée par Aristote à l'explication platonicienne qui nécessite une source épistémique

et, en même temps, ontologique des concepts. Cependant, on trouve chez Aristote une

théorie de la convertibilité des termes et la mention de la convertibilité de l'étant et de

l'un. De toutes les doctrines originales et créatives que l'on a façonnées pour essayer

d'unir ces deux points de vue 'apparemment' contraires, la théorie médiévale des

transcendantaux offre - à notre avis - un exemple qui mérite une des premières places.

Dans ce qui suit, nous repérons chez les philosophes autant anciens que

médiévaux les éléments qui ont nourri la discussion médiévale sur les transcendantaux et

6 Voir ci-dessous, p. 27 et suivantes. 7 Pour le terme 'un', cf. ARISTOTE, Métaphysique, A, 6 (1015bl6-1017a6), trad. J. TRICOT, Paris, Vrin (coll.

« Bibliothèque de textes philosophiques »), 2000, tome I, p. 172-179. Pour le terme 'étant', cf. Ibid, A, 7(1017a7-1017b9), p. 180-182.

8 Voir ci-dessous, p. 24. 9 ARISTOTE, Méthaphysique, E, 2, 1026a33, trad. TRICOT, t. I, p. 228 : « L'être proprement dit se prend en

plusieurs acceptions ». En ce qui concerne le bien, cf. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, I, 4 (1096al 1-I097a3), trad. R. BODÉÛS, Paris, Flammarion (coll. « GF », 947), 2004, p. 59-65.

23

que réunit le génie de Philippe le Chancelier, au xme siècle. Cette théorie des

transcendantaux sera examinée par le Pseudo-Peckham pour justifier la division des

sciences en spéculative et pratique. Postérieurement, cette théorie servira aussi pour la

hiérarchisation des vertus intellectuelles.

2. Prolégomènes anciens de la théorie des transcendantaux

Parmi les antécédents anciens de la théorie des transcendantaux, il faut souligner

la place centrale occupée par Boèce et, à travers lui, celle d'Aristote. Chez Boèce, nous

ne trouvons pas de considération sur la convertibilité entre le vrai et l'être10 ou le vrai et

l'étant, mais plutôt sur la convertibilité de l'étant, de l'un et du bien. D'abord, Boèce

prend quelques éléments aristotéliciens, notamment dans les Topiques et dans la

Métaphysique. Dans les Topiques, se retrouve la définition de la convertibilité des

prédicats, qui en soi ne peut pas être appliquée à l'étant, au bien ou à l'un. Cependant,

Aristote essaie plusieurs fois de contourner certaines apories pour maintenir la

convertibilité de l'étant et de l'un.

Ensuite, chez Boèce nous repérons trois types d'éléments qui ont pu servir à

l'inspiration d'une théorie des transcendantaux. Le premier est d'ordre divin, à savoir

l'identification en Dieu de l'étant, de l'un et du bien. Le deuxième est d'ordre naturel, à

savoir la convertibilité de l'étant, de l'un et du bien dans les substances particulières (le

ce qui est - id quod est). Le troisième, très important, est la mise en rapport des deux

types d'éléments précédents, à savoir l'explication de la convertibilité de l'étant, de l'un

et du bien dans les individus par l'identité des trois dans la source d'être qu'est Dieu.

Enfin, il ne faut pas chercher chez Boèce une théorie des transcendantaux tout

achevée, car cet auteur ne présente sur le sujet que des traits intéressants éparpillés dans

ses œuvres. Ces traits se sont développés postérieurement en une théorie des

transcendantaux, mais demeurent encore chez Boèce des traits sans organisation qui

résistent à une harmonisation. Nous adoptons donc historiographiquement la perspective

téléonomique des transcendantaux et interprétons les éléments de Boèce comme les

conditions de possibilité pour la réflexion des philosophes postérieurs.

10 Nous observons ci-dessous que la terminologie de Boèce à cet égard n'est pas fixe.

'.VI

2.1. Les éléments aristotéliciens

2.1.1. Éléments logiques

La théorie de la convertibilité des prédicables, un élément nécessaire à la

construction d'une théorie des transcendantaux, se trouve dans le premier livre des

Topiques d'Aristote ; elle affirme que certains prédicats peuvent s'échanger avec le sujet

de la phrase, ces prédicats sont la définition (du sujet) ou le propre . Par exemple, si l'on

dit l'« homme est animal rationnel », ici « homme » peut s'échanger avec « animal

rationnel » : l'« animal rationnel est homme » ; on montre ainsi la convertibilité du sujet

(de la phrase) « homme » avec sa définition « animal rationnel ». Il en est de même avec

la phrase l'« homme est capable de rire » ; cet exemple montre la convertibilité du sujet

(de la phrase) « homme » avec son propre « capable de rire ». Au contraire, on ne peut

pas échanger le sujet avec des parties de sa définition, à savoir le genre ou la différence.

2.1.2. Éléments métaphysiques

Par ailleurs, dans la Métaphysique, Aristote présente plus spécifiquement une

possibilité de convertibilité entre l'un et l'étant. Dans le livre B, chapitre trois, il

détermine le statut de l'étant et celui de l'un comme des principes et des substances, qui

ne sont pas des genres (quoiqu'il en considère la possibilité) parce qu'ils peuvent se dire

de tout :

Si, en effet, ce qui est universel est toujours le plus principe, il est clair que les genres les plus élevés seront les principes, car ils sont affirmés de tous. Il y aura donc autant de principes des choses que de genres premiers, de sorte que l'étant et l'un seront principes et substances, car ce sont ceux-ci qui sont le plus affirmés de tous. Mais il n'est pas possible que l'un ou l'étant soit un genre des étants. Il faut nécessairement, en effet, que les différences de chaque genre soient et que chaque différence soit une ; or il est impossible que les espèces du genre soient attribuées aux différences propres prises en elles-mêmes, et il est impossible aussi que le genre, pris à part de ses espèces, soit attribué à ses différences. Si donc l'un <est>

" ARISTOTE, Topiques, I, 8, 103b7-17, éd. et trad. J. BRUNSCHWIG, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Collection des Universités de France »), 1967, p.-12.

2 S

un genre ou l'étant <Pest>, aucune différence ne sera ni étant, ni une. D'autre part, si l'étant et l'un ne sont pas des genres, ils ne seront pas non plus des principes, puisque les genres sont principes (ARISTOTE, Métaphysique, B, 3, 998bl 7-28)12.

Ce paragraphe montre clairement que - selon Aristote - l'étant et l'un ne sont pas

des genres, parce que l'affirmer mènerait à une aporie. En effet, si l'étant et l'un peuvent

être dits de tous, ils peuvent aussi être dits de la différence : en effet, la différence est et

est une, mais les différences ne font pas partie des genres, ce sont les espèces qui en font

partie. Or, Aristote affirme que l'un et l'étant sont dits de toutes les choses (y compris des

différences) ; donc, comme le genre ne se prédique pas de la différence et que l'étant et

l'un s'en prédiquent, alors l'étant et l'un ne sont pas des genres. Par conséquent, l'un et

l'étant tombent finalement hors des catégories. Or, nous ne pourrions pas déduire que

puisqu'ils se prédiquent de toute chose ils sont interchangeables ou convertibles entre

eux. En effet, cela n'est pas permis selon le passage des Topiques dont nous venons de

parler, parce que l'étant n'est ni la définition ni le propre de l'un, et l'inverse n'est pas

vrai non plus. Or, si nous pensons à interchanger un sujet quelconque - par exemple cet

« homme » - et l'étant ou l'un comme prédicats, cela ne serait pas non plus possible

parce que ni l'étant ni l'un ne sont ni des définitions ni des propres d'« homme ». En

effet, dans tout ce chapitre, Aristote présente l'aporie selon laquelle il est difficile

d'attribuer la valeur de principes soit aux «genres premiers» (l'étant et l'un) soit aux

espèces infimes.

Dans le livre K de la Métaphysique (là ou Aristote reprend B, 3), nous trouvons

derechef qu'effectivement l'étant et l'un ne peuvent pas être des genres premiers parce

que les différences ne sont pas contenues sous ces derniers , mais elles « sont » ;

finalement, Aristote ne sort pas de l'aporie parce qu'il ne peut pas nier que toute chose est

et est une :

Ces genres [suprêmes] seront l'étant et l'un, car ce sont eux qu'on peut surtout regarder comme embrassant tous les étants, et comme ayant le plus le caractère de principes, parce qu'ils sont premiers par leur nature : l'étant et l'un, en

12 ARISTOTE, Métaphysique, B, 3, 998bl7-28, trad. TRICOT (modifiée), tome I, p. 86-87. 13 En effet, la différence est ce qui détermine l'espèce, mais elle n'est pas contenue sous le genre comme

l'est l'espèce, comme nous l'avons dit ci-dessus.

26

effet, une fois supprimés, tout le reste disparaît en même temps, car toute chose est étant et un (ARISTOTE, Métaphysique, K, 1, 1059b27-31 )14.

Il faut noter qu'Aristote utilise ici l'argument de suppression15 pour appuyer la

position selon laquelle l'étant et l'un sont des genres premiers, sans avoir pourtant résolu

l'aporie de B, 3. En effet, même s'il s'est heurté de nouveau à cette aporie, il garde

toujours la conviction que l'étant et l'un sont des genres premiers. Par ailleurs, le

Stagirite ne nous a pas montré encore la possibilité de la convertibilité entre ces deux :

l'étant et l'un.

C'est dans le chapitre 3 du livre K qu'Aristote mentionne une convertibilité entre

l'étant et l'un :

Peu importe que l'on réduise ce qui est à l'étant ou à l'un. Même, en effet, si l'étant et l'un ne sont pas identiques mais autres, ils se réciproquent tout au moins, car l'un est aussi l'étant, en un sens, et l'étant, l'un (ARISTOTE, Métaphysique, K, 3, 1061al5-18)16.

Finalement, l'étant et l'un ont une relation réciproque telle que « l'un est aussi

l'étant, en un sens, et l'étant, l'un », donc nous pourrions dire qu'ils sont convertibles

quant à la prédication parce que tout ce qui est, est un, et tout ce qui est un, est. De plus, il

considère dans T, 2 qu'ils sont corrélatifs sans avoir toutefois la même notion17. Nous

avons alors certains éléments chez Aristote qui permettent d'affirmer que l'étant et l'un

sont convertibles . Il reste encore à vérifier si cette même idée est présente chez Boèce et

si chez lui nous pouvons trouver aussi la convertibilité avec le bien.

14 ARISTOTE, Métaphysique, K, 1, 1059b27-31, trad. J. TRICOT (modifiée), Paris, Vrin (coll. « Bibliothèque de textes philosophiques »), 2004, t. II, p. 113.

Cet argument est largement repris par la tradition post-aristotélicienne, sur ce point cf. A. DE LIBÉRA, L 'art des généralités : théories de l'abstraction, Paris, Aubier, 1999, p. 55 et suivantes.

16 ARISTOTE, Métaphysique, K, 3, 1061al5-18, trad. TRICOT (modifiée), tome II, p. 118-119. 17 Cf. aussi ARISTOTE, Métaphysique, V, 2, 1003b22-25, trad. TRICOT (modifiée), tome I, p. 112:

« Maintenant, l'étant et l'un sont identiques et d'une même nature, en ce qu'ils sont corrélatifs l'un de l'autre, comme le principe et la cause sont corrélatifs, sans qu'ils soient cependant exprimés dans une unique notion ». Sur ce passage, voir E. HAI.PER, « Aristotle on the Convertibility of One and Being », The New Scholasticism, 59, 2 (1985), p. 213-227.

18 Selon J.M. Narbonne, que nous remercions de ce très éclairant commentaire, on peut aller plus loin que cela car, dans le passage de T, 2, 1003b24-26, Aristote va même jusqu'à admettre qu'on puisse les prendre comme semblables l'un à l'autre, et que la tâche en serait même facilitée. Il écrit « sans qu'ils soient exprimés (déloumena) par une unique notion (il ne fait d'ailleurs aucune différence que

27

2.2. Boèce (480-524)

Nous avons déjà repéré les éléments qui permettent de dire que dans les choses

l'un et l'étant sont convertibles. Chez Boèce, en plus de la continuité des éléments

aristotéliciens menant à une théorie des transcendantaux, il faut aussi chercher des

éléments propres ainsi que des éléments provenant de sources autres qu'Aristote. Un

exemple de ces sources se trouve dans ce qui se rapporte à l'être1 , à l'un et au bien dans

leur état le plus souverain, qui n'est qu'en Dieu. Or, il existait à l'époque de Boèce un

courant philosophique qui considérait déjà la convertibilité de l'étant, du bien et de l'un,

dans le domaine de la théologie. En effet, nous savons que dans un sens, chez Platon, le

bien est aussi vrai, beau et un2 ; mais plus proche de Boèce nous trouvons ces éléments

dans les théories d'Augustin, qui situe en Dieu le suprême degré de tout ce qui est, ce qui

est beau et ce qui est bon :

C'est donc toi seigneur qui les a faits ; toi qui es beau, en effet, ils sont beaux ; toi qui es bon, en effet, ils sont bons ; toi qui es, en effet, ils sont. Ils ne sont pas ni aussi beaux, ni aussi bons, ni sont comme toi, leur Créateur : comparés à toi, ils ne sont ni beaux, ni ne sont bons, ni ne sont (AUGUSTIN, Les confessions, XI,4,§6)21.

nous les considérions comme semblables [aussi par la notion], mais c'est même mieux pour notre tâche », trad. J.M. NARBONNE.

Boèce n'utilise pas le mot «étant» (ens en latin) dans ses traités théologiques où il développe des éléments menant à une théorie des transcendantaux. Toutefois, il l'a utilisé dans ses traductions des œuvres logiques d'Aristote. Dans les œuvres théologiques, Boèce utilise le mot « être » (esse).

On retrouve cette discussion dans le discours de Diotime, PLATON, Banquet, 210e-212b, éd. et trad. L. ROBIN, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Les Universités de France, Platon. Œuvres complètes », 4,2), 1981, p. 69-71.

21 Notre traduction. AUGUSTIN, Les confessions, XI, 4, § 6, trad. P. CAMBRONE, Paris, Gallimard, (coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 448), 1998, p. 1033. Pour l'édition latine : « Tu ergo, domine, fecisti ea, qui pulcher es : pulchra sunt enim ; qui bonus es : bona sunt enim ; qui es : sunt enim. Nec ita pulchra sunt nec ita bona sunt nec ita sunt, sicut tu conditor eorum, quo comparato, nec pulchra sunt, nec bona sunt, nec sunt ». AUGUSTIN, Confessionum libri XIII, éd. L. VERHEUEN, Turnholt, Brepols (coll. « Corpus Christianorum Séries Latina », 27), 1981, p. 197 (PL, 32, 811). Aussi, nous trouvons cette même notion dans l'ouvrage pseudo-augustinien De spiritu et anima, I, cap. 63 : « Tu es enim summa essentia, summa vita, summa sapientia, summa salus, summa lux, summa veritas, summa bonitas, summa aetemitas, summa magnitudo, summa pulchritudo, summa beatitudo, summa immortalitas, summa immutabilitas, summa unitas, summum bonum, in quo est omne bonum, immo quod est omne et unum et totum et solum bonum » (PL, 40, 827). Sur le De spiritu et anima, voir ci-dessous, chapitre 2.

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En ce qui concerne Boèce, nous trouvons souvent la mention de l'identité de

l'Être et du Bien en Dieu, d'abord dans les Hebdomades : « Le Bien premier lui-même

est à la fois l'être (esse) lui-même et le Bien lui-même et l'être-bon lui-même »22. En

effet, l'Être lui-même (ipsum esse), en ce qu'il est, contient toutes les perfections qui

s'identifient à lui. Ceci est plus clair si nous regardons cette affirmation à la lumière de la

septième règle (sixième dans l'édition de Tisserand23) comme le fait Clarembaud d'Arras,

un commentateur de Boèce du XIIe siècle, appartenant à l'école de Chartres :

Et puisque ce même Bien est le premier de tous les biens et l'éternité même, il est aussi le <Bien> même, c'est-à-dire le Bien simple, et l'Être-Bien même, ceci est tel que l'être n'est que l'Être-Bien, et <tel> que l'être n'est que l'Être-Bien parce que selon la septième règle : <tout simple> a son être et ce qu'il est <sur le mode de l>un (CLAREMBAUD D'ARRAS, Expositio super librum Boethii De hebdomadibus)24.

Clarembaud a le mérite d'ajouter à la dyade Être-Bien, un autre élément qui se

veut l 'unificateur de cette dyade (Être-Bien) à savoir l 'Un, car, l 'Être et le Bien sont Un

en Dieu parce que Dieu est un simple, voire le seul simple. On pourrait objecter que l 'on

suppose sans raison qu'ici l 'Être même, le Bien même et l 'Un sont considérés chez Dieu.

Il est vrai que, dans les Hebdomades, Boèce n'utilise pas systématiquement le terme

Dieu , toutefois les seules deux occurrences du mot permettent de déterminer qu'i l s'agit

de l 'Etre premier et du Bien premier. De plus, des précisions que nous trouvons dans

d'autres ouvrages de Boèce, comme la Consolation de Philosophie, justifient cette

interprétation de l 'Un-Être-Bien en tant que langage philosophique pour parler de Dieu.

BOÈCE, De hebdomadibus, trad. A. TISSERAND, dans Boèce, Traités théologiques, trad. et présentation A. TISSERAND, Paris, Flammarion (coll. « GF », 876), 2000, p. 132-133, §57 ; cf. BOÈCE, De hebdomadibus, dans BOÈCE, De consolatione Philosophiae, Opuscula theologica, éd. C. MORESCHINI, Munich et Leipzig, Saur (coll. « Bibliotheca Teubneriana »), 2000, p. 192, 1. 139-140 : « illud ipsum bonum primum [est] et ipsum esse sit et ipsum bonum et ipsum esse bonum ».

L'édition de Tisserand montre sept axiomes, et traditionnellement on en comptait neuf. Nous offrons en premier l'ordre traditionnel et nous donnons entre parenthèses l'ordre de Tisserand.

Notre traduction. CLAREMBAUD D'ARRAS, Expositio super librum Boethii De hebdomadibus, éd. N. HÀRING, dans N. HÂRING, Life and Works of Clarembald ofArras, a twelfth-century master of the school of Chartres, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies (coll. « Studies and Texts », 10), 1965, p. 217: « Cumque illud ipsum Bonum primum sit bonorum omnium ipsaque aeternitas, est etiam IPSUM i. e. simplex BONUM ET IPSUM ESSE BONUM hoc est taie quod esse non est nisi esse bonum et quod esse non est nisi esse bonum quoniam iuxta septimam regulam ESSE SUUM ET ID QUOD EST UNUM HABET ». Les majuscules et les italiques sont de l'éditeur.

En effet, on le trouve seulement deux fois dans les Hebdomades ; cf. BOÈCE, De hebdomadibus, trad. TISSERAND, p. 129 et 135 ; éd. MORESCHINI, p. 189 et 192.

29

Dans la Consolation de Philosophie, Boèce établit une série d'identifications qui

sont utiles à son argumentation. Parmi ces identifications, nous trouvons premièrement

celle de Dieu et du bonheur, qui est d'ailleurs le souverain bien ou le bien premier (il a

parlé de ce dernier dans les Hebdomades), ensuite celle du Bien et de l'Un. Dans le livre

III, prose 10, Boèce détermine que le bonheur des hommes constitue un bien imparfait

dont la forme est le bien parfait ou le bonheur parfait qui réside seulement en Dieu. Donc

le bien suprême qui est le bonheur est en Dieu :

Il faut reconnaître que le Dieu souverain est tout rempli du bien suprême et parfait ; mais nous avons établi que le bien parfait est le vrai bonheur ; le vrai bonheur réside donc nécessairement dans le Dieu souverain (BOÈCE, La consolation de Philosophie, III, 10, 10)26.

Dans la prose 11, Boèce inclut aussi l'Un dans cette identité de Dieu, mais il vaut

mieux suivre de près l'argumentation de l'auteur pour déterminer plus précisément

l'enjeu. D'abord, il reprend l'argumentation de la prose 10 selon laquelle « la substance 97

de Dieu réside aussi précisément dans le bien et nulle part ailleurs » ; si Dieu est le bien,

Boèce (le personnage) veut le connaître28, en effet toutes les choses désirent le bien et

notre protagoniste fait de même . Ensuite, l'auteur affirme à partir des arguments

biologiques que toutes les choses désirent subsister et donc demeurer dans l'unité parce

que « chaque chose subsiste tant qu'elle est une, et qu'elle meurt quand elle cesse d'être

BOÈCE, La consolation de Philosophie, III, 10, 10, trad. J.Y. GUILLAUMIN, Paris, Les Belles Lettres (coll. « La roue à livres », 43), 2002, p. 83. Cf. BOÈCE, De consolatione Philosophiae, éd. MORESCHINI, p. 82 : « confitendum est summum deum summi perfectique boni esse plenissimum ; sed perfectum bonum veram esse beatitudinem constituimus : veram igitur beatitudinem in summo deo sitam esse necesse est ».

BOÈCE, La consolation de Philosophie, III, 10, 43, trad. GUILLAUMIN, p. 86. Cf. BOÈCE, De consolatione Philosophiae, éd. MORESCHINI, p. 86 : « dei quoque in ipso bono nec usquam alio sitam esse substantiam ».

BOÈCE, La consolation de Philosophie, III, 11,3, trad. GUILLAUMIN, p. 87 ; éd. MORESCHINI, p. 86-87. BOÈCE, La consolation de Philosophie, III, 11, 4-6, trad. GUILLAUMIN, p. 87 ; éd. MORESCHINI, p. 87.

Voir aussi prose 10, 18-25, trad. GUILLAUMIN, p. 84 ; éd. MORESCHINI, p. 83-84. Ici Boèce fait le raisonnement qui mène à la considération que la recherche du bonheur est aussi la recherche de la divinité, et par l'adoption de la divinité les hommes deviennent des dieux, car ils participent de la divinité. Cet extrait rappelle l'adage originairement formulé dans le Théétète (176b) de PLATON (texte établi et traduit par A. DlÈS, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Collection des universités de France, Platon. Œuvres complètes », 8 : 2), 1976, p. 91) : « l'assimilation à dieu, dans la mesure du possible ». D'ailleurs, la continuité médiévale de cet adage est attestée dans de nombreux textes artiens du XIIIe siècle (cf. C. LAFLEUR et J. CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique au milieu du XIIIe siècle, selon des textes épistémologiques artiens et thomasiens », RSPT, 89 (2005), p. 261-294, voir p. 263-276 et n. 143), et comme nous le verrons plus bas, aussi chez le Pseudo-Peckham.

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une » . Or, comme chaque chose pour subsister et durer doit demeurer une, donc toutes

choses désirent l'unité :

Ce qui cherche à subsister et à durer désire être un ; car si l'on supprime cette unité, rien ne se maintiendra dans l'être, [...] Ainsi donc [...] toutes choses désirent l'unité. [...] Mais nous avons montré que l'Un est la même chose que le Bien. [...] Toutes choses recherchent donc le bien, ce que tu peux exprimer comme suit : le bien est précisément ce qui est désiré par toutes choses (BOÈCE, La consolation de Philosophie, III, 11, 36-38)31.

Ainsi, nous trouvons en Dieu ou dans l'Etre premier, qu'il est le Bien même et

l'Un. Les interprètes du XIIe siècle considèrent que, puisque Dieu est un simple et que

dans tous les simples Vêtre et ce qu'il est sont dans le mode de l'un32, donc en Dieu

l'Être, le Bien et l'Un sont la même chose, sont identiques. Voici des éléments qui

indiquent l'identité en Dieu des concepts les plus généraux (ou des genres premiers

comme Aristote considérait l'étant et l'un33) ; or, cette discussion théologique a-t-elle la

possibilité d'être appliquée sur le plan des choses mondaines ? Ou mieux, Boèce traite-t-

il des rapports entre l'être de Dieu et celui des créatures ou entre le bien de Dieu et celui

des créatures, et finalement de l'Un comme Dieu et dans chacune des créatures ?

Nous croyons que Boèce aborde très profondément la possibilité de la conversion

de l'être, du bien et de l'un dans les choses ; or, il ne le fait pas dans les mêmes termes

que l'on trouve dans la théorie médiévale des transcendantaux. Par conséquent, pour

justifier une transmission de la théorie traduite ou interprétée en des termes différents, il

faudra en préciser quelques-uns pour que notre enquête reste claire. Reprenons notre

30 BOÈCE, La consolation de Philosophie, III, II, 13, trad. GUILLAUMIN, p. 88 ; éd. MORESCHINl, p. 88 : « subsistere unumquodque dum unum est, cum uero unum esse desinit, interire ».

31 BOÈCE, La consolation de Philosophie, III, 11, 36-38, trad. GUILLAUMIN, p. 90 ; éd. MORESCHINl, p. 90 : « Quod autem, inquit subsistere ac permanere petit, id unum esse desiderat ; hoc enim sublato ne esse quidem cuiquam permanebit. [...] Omnia igitur, inquit, unum desiderat. [...] Sed unum id ipsum monstravimus esse quod bonum. [...] Cuncta igitur bonum petunt, quod quidem ita describas licet ; ipsum bonum esse quod desideretur ab omnibus ». L'idée qui est exprimée ici, selon laquelle c'est l'unité qui maintient les choses dans l'être, est une thèse fondamentale de la tradition néoplatonicienne. On la trouve formulée chez Plotin dans les passages qui suivent, où il est affirmé ou impliqué que c'est par l'un que tous les êtres sont des êtres. PLOTIN, Ennéades, VI, 9 [9], §1 ,1 -17; V, 5 [32], §4, 31-33 ; VI, 6 [34], § 13, 50; V, 3 [49], § 15, 11-12. Cette thématique est longuement discutée par J.M. NARBONNE, Hénologie, Ontologie et Ereignis (Plotin, Proclus, Heidegger), Paris, Les Belles Lettres (coll. « L'âne d'or »), 2001, p. 71-141.

32 C'est la septième règle des Hebdomades dans l'ordre traditionnel et la sixième dans l'édition de Tisserand.

33 Cf. ci-dessus, p. 25-26.

31

formulation standard de la théorie médiévale des transcendantaux : l'étant, l'un, le bien et

le vrai sont convertibles dans les supposés - suppositis - , mais ils se distinguent par la

notion - ratione. Nous allons cibler trois termes cruciaux, suppositum, qui est relié chez

Boèce à id quod est et esse :

a) Suppositum : Nous trouvons déjà chez Boèce l'idée de supposé comme individu

référé, ce qui est « mis sous » quelque chose, par exemple sous une espèce34. Or, Boèce

n'utilisera pas le terme supposé à l'occasion de sa discussion sur la convertibilité de

l'étant et du bien. Par ailleurs, le terme supposé n'entraîne pas chez Boèce - comme il le

fait chez les théoriciens des XIIe et XIIIe siècles- une théorie sémantique. Le supposé

comme réfèrent réel se distingue de la supposition (suppositio) qui constitue la théorie

sémantique médiévale menant à la théorie moderne de la référence35. Mais, c'est

précisément sur la compréhension boécienne du supposé que se construit la théorie

Cf. BOÈCE, In Porphyrii Isagogen commentarium eciitio secunda, III, 6, éd. S. BRANDT et G. SCHEPSS, Vienne, F. Tempsky ; Leipzig, G. Freytag (coll. « Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum », 48), 1906, p. 219, 7 : «quod uero dicimus de pluribus numéro differentibus speciem praedicari, duobus id recte explicabitur modis, uno quidem, quia multo plures sunt species quae de numerosis indiuiduis praedicantur, quam hae quibus unum tantum indiuiduum uidetur esse suppositum, dehinc hoc, quia multa secundum potestatem dicuntur, cum actu non semper ita sint, ut risibilis homo dicitur, etiamsi minime rideat, quoniam ridere potest ». Cf. aussi Ibid., V, cap. 21, p. 341 : « Speciei atque accidentis similitudinem communem dicit de pluribus praedicari, de pluribus enim dicitur species, sicut et accidens. raras uero dicit esse alias eorum communiones idcirco, quoniam longe diuersum est id quod accidit et cui accidit. cui enim accidit, subiectum est atque suppositum, quod uero accidit, superpositum est atque aduenientis naturae. item quod supponitur substantia est, quod uero uelut accidens praedicatur, extrinsecus uenit. quae omnia multam eius quod est subiectum et eius quod est accidens differentiam faciunt ». Ici et ailleurs le gras est de nous.

Les débuts de la théorie de la supposition ont une histoire très complexe : depuis Anselme, il y a eu divers développements dont nous en présentons ici deux. PIERRE ABÉLARD, Theologia « Summi boni », III, trad. J. JOLIVET, Montréal, Bellarmin ; Paris, Vrin (coll. « Cahiers d'études médiévales », 4), 1978. Pour l'édition latine H. OSTLENDER, Munster, Aschendorff, 1939, p. 7, 1. 799 : « Et cum dicimus : Bonum est sperare in domino quam in homine, ipsa comparatiui aduerbii suppositio « bonum » pro « melius » poni exigit. Sed et cum dicit Aristotiles eorum que in subiecto sunt rationem non predicari quidem de subiecto, per hoc quod premissum est « in subiecto », eodem modo accipitur « subiectum » cum subditur « de subiecto », cum antea idem Aristotiles, cum diceret « in subiecto » et « de subiecto », diuerso modo « subiectum » acciperet, pro fundamento scilicet et supposito in substantia ». Au début du XIIIe siècle, une doctrine assez populaire de la suppositio semble être celle de PIERRE D'ESPAGNE, Tractatus, éd. L.M. DE RlJK, Assen, Van Gorcum (coll. « Philosophical texts and studies », 22), 1972, p. 82-83 : « Personalium suppositionum alia determinata, alia confusa. Determinata suppositio dicitur quam habet terminus communis indefinite sumptus vel cum signo particulari, ut 'homo currit' vel 'aliquis homo currit'. [...] Confusa suppositio est acceptio termini communis pro pluribus mediante signo universali. Ut cum dicitur 'omnis homo est animal', iste terminus 'homo' mediante signo universali tenetur pro pluribus, quia pro quolibet suo supposito ».

32

médiévale des transcendantaux. En effet, la supposition comme théorie sémantique

implique qu'un terme suppose (réfère à) divers individus sous son « rayon

sémantique » 3 7 , il s'agit d'une référence définie, tandis que, dans la théorie des

transcendantaux, il s'agit bien d'une référence totale dont la conséquence immédiate

constitue la convertibilité de ces termes de référence totale, c'est-à-dire que l'on peut

prédiquer de n'importe quel individu le bien, l'un et l'étant . Donc c'est vraiment la

façon boécienne de considérer le supposé qui joue dans la théorie médiévale des

transcendantaux, à savoir l'équivalent du référé réel (qui est une substance première39).

Dans les textes que nous présentons, Boèce n'utilise pas le terme supposé, puisqu'il ne

présente pas une théorie sémantique, il en utilisera plutôt un autre, peut-être plus obscur,

de nature ontologique, que voici.

b) Id quod est : pour être fidèles à l'interprétation médiévale de Boèce en ce qui

concerne le ce qui est défini dans les Hebdomades, cherchons ce qu'en ont dit les

interprètes du XIIe siècle, Thierry de Chartres, Clarembaud d'Arras et Gilbert de Poitiers.

En ce qui a trait à la deuxième règle (première selon Tisserand), Thierry considère que ce

qui est est Vêtant40, or s'agit-il de l'étant en général, (l'étant en tant qu'étant) ou des

étants comme des individus singuliers porteurs d'être41 ? Clarembaud d'Arras, pour sa

part, s'explique mieux dans son commentaire de la cinquième règle (quatrième selon

Tisserand) : « le ce qui est se comprend comme la chose subsistant à partir d'une matière

36 On parle bien ici de la supposition personnelle, par laquelle on se réfère à un individu réel compris dans le champ sémantique du mot et désigné par lui.

37 Cf. ci-dessus n. 35. 38 Inversement, nous pouvons dire que les termes un, bien, étant ont tous un même champ de référence

réelle ou une même extension, à savoir tous les étants. 39 Cf. ci-dessus, n. 34. 40 Cf. THIERRY DE CHARTRES, Commentum super ebdomadas Boethii, éd. N. HÂRING, dans N. HÀRING,

Commentaries on Boethius by Thierry of Chartres and his school, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies (coll. « Studies and Texts », 20), 1971, p. 409, 1. 28-30 : « Et sic intelligendum DIUERSUM EST ESSE i. e. forma essendi que est esse non est ID QUOD EST scilicet ens. Ens enim h'ORMA ESSENDI participât. Quare forma essendi non est ens. Tune enim se ipsa participaret. Quod esse non potest ». Les petites majuscules sont de l'éditeur.

41 S'il s'agit de l'étant en général, nous aurions une interprétation dans le sens de celle de P. HADOT («. Forma essendi, Interprétation philologique et interprétation philosophique d'une formule de Boèce », Les études classiques, 38 (1970), p; 143-156).

33

et d'une forme » . Gilbert de Poitiers semble entendre de même le ce qui est comme ce

qui subsiste . Si les observations de ces commentateurs équivalent à dire que Vid quod

est est une substance première ou un référé individuel, alors nous pouvons poursuivre

notre enquête pour déterminer dans les Hebdomades quelle est la relation

qu'entretiennent l'un et le bien dans le ce qui est.

c) Esse : Si les philosophes du XIIe siècle ont interprété Vid quod est dans le sens

de l'étant réel individuel, et en ceci Thomas d'Aquin les suit44, il est alors convenable de

se demander quel est le statut de l'être (esse) chez Boèce. Ces philosophes semblent

interpréter Vêtre même (ipsum esse) comme Dieu, mais il faut aussi considérer que dans

les choses on distingue être de ce qui est. D'une part, Vêtre serait la participation à VÊtre

premier qui lui donne l'existence ; d'autre part, le ce qui est serait l'étant réel individuel.

Or, au XIIIe siècle, il survient un changement dans la considération de ces termes. En

effet, la théorie médiévale des transcendantaux revient peut-être à une terminologie plus

aristotélicienne (parlant plutôt de Vêtant que de Vêtre), mais toujours fondée sur une

interprétation des Hebdomades de Boèce, comme il est évident chez Thomas d'Aquin45.

Une explication exhaustive de la manière dont Vesse des Hebdomades (qui d'ailleurs

s'identifie à Dieu) devient Vens de la théorie des transcendantaux (qui ne s'identifie ni

avec les substances individuelles ni avec Dieu, car Vens est transcendant) excède les

limites de ce travail, toutefois nous croyons décisive la fréquentation de la logique et de

la métaphysique aristotélicienne par les théologiens pour l'appliquer à la théologie

boécienne.

Notre traduction. Cf. CLAREMBAUD D'ARRAS, Expositio super librum Boethii De hebdomadibus, éd. HÀRING, p. 202 : « id QUOD EST res ex materia et forma subsistens intelligatur ». Les petites majuscules sont de l'éditeur.

GILBERT DE POITIERS, Expositio in Boecii librum de bonorum ebdomade, dans N. HÀRING, The commenlaries on Boethius by Gilbert of Poitiers, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies (coll. « Studies and Texts », 13), 1966, p. 194 : « Secundum theologicos quidem intelligitur « esse » id quod est principium : « id quod est » uero illud quod est ex principio. Sic ergo et secundum philosophos « esse » subsistentium sole illorum, que predicantur, subsistentie : « que uero sunt » ea tantum que illas in se habendo subsistunt ».

Cf. ci-dessous, n. 45. Cf. AERTSEN, Médiéval philosophy and the Transcendentals, p. 187. Voir aussi Thomas d'Aquin dans

son interprétation de la deuxième règle (première selon Tisserand), cf. THOMAS D'AQUIN, Expositio libri Boetii De ebdomadibus, Rome, Commission Léonine ; Paris, Éditions du Cerf (coll. « Thomae Aquinatis Opéra omnia », 50), 1992, (selon AERTSEN, n. 79) lectio 2 : « set id quod est siue ens, quamuis sit communissimum, tamen concretiue dicitur ».

34

2.2.1. Les rapports entre le ce qui est et le bien En fait, la discussion qui marquera le plus les réflexions postérieures par rapport à

Boèce est celle des Hebdomades. Ce traité, dont le titre d'origine a été traditionnellement

raccourci de manière surprenante, s'intitulait initialement Comment les substances, en ce

qu 'elles sont, sont bonnes, bien qu 'elles ne soient pas des biens substantiels. En effet,

cela veut dire que l'être et le bien peuvent se prédiquer de toutes les substances.

L'objectif d'un tel texte constitue la revendication des deux principes premiers du

platonisme : a. exister est un bien ; et b. tous les biens particuliers sont tels en tant qu'ils

participent du bien ultime, qui est la source universelle de bonté, l'Idée du Bien, qui pour

Platon est la source de tous les étants46. Mais ces principes entraînent un type de

participation particulière aux Hebdomades. Examinons l'argumentation de l'œuvre.

Premièrement, Boèce présente l'aporie de la bonté des choses. Dans la question si

les substances sont bonnes en ce qu'elles sont, le problème advient comme suit : si d'une

part, les choses sont bonnes et d'autre part elles sont, le bien serait en elles comme un

accident et elles ne seraient pas bonnes en ce qu'elles sont ; si d'autre part, le bien est

dans leur substance (ou dans leur nature) elles sont alors toutes des Biens en soi, c'est-à-

dire, toutes les choses seront Dieu, mais cela est impossible47.

Deuxièmement, dans une première approche de l'aporie, Boèce lui applique la

méthode 'abstractive'48. Il écarte donc mentalement le Bien premier comme source de la

bonté des choses pour tenter d'examiner la question seulement sous l'aspect des étants ou

des choses. Mais, dans les substances individuelles, une chose est d'être et autre chose est

d'être bonnes, et les substances qui n'auraient pas d'autres qualités que d'être bonnes,

Cf. H. CHADWICK, Boethius : the consolations of music, logic, theology and philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1983, p. 204.

Cf. BOÈCE, De hebdomadibus, trad. TISSERAND, p. 126-129 ; éd. MORESCHINI, p. 188-190. H s'agit d'une abstraction assez inusitée : en effet, dans l'abstraction on sépare les données des sens pour

rester avec le concept pur, comme dans le camus, qui est nécessairement avec la chair et les os, en enlevant abstractivement la chair et les os, nous trouvons le concave. Mais ici Boèce fait le contraire, il laisse le concave (le Bien premier) de côté pour travailler avec le camus (les choses bonnes).

55

seraient elles-mêmes le Bien principe de tout autre bien49. L'auteur arrive encore à une

aporie, implicitement il est impossible qu'il existe des choses bonnes, si ce n'est parce

qu'elles découlent d'un Bien premier.

Finalement, il présente une solution en deux étapes. D'abord, il montre à partir

d'une doctrine de la participation que les choses sont bonnes parce qu'elles découlent de

la volonté du Bien. En effet, l'être lui-même des choses découle du Bien premier, donc

l'être-même des choses est bon50. Ensuite, Boèce établit que l'être-même des choses

(c'est-à-dire la participation des choses à l'Être premier, en tant que cette participation est

différente de l'Etre premier lui-même d'une part et de ce qui est - l a chose, l'étant -

d'autre part) n'est pas bon, c'est-à-dire, les choses en tant que bonnes ne sont pas des

Biens substantiels, ou des Biens en soi. Mais, puisque l'être-même des choses ne peut

être si ce n'est parce qu'il découle de l'Être premier, qui est lui-même le Bien premier,

donc l'être-même des choses est bon sans être le Bien premier ou Être premier51.

Fig.l

Être premier/Bien premier

(simple)

ce qui est/est bon

a. (Individu composé) -> b. ce (nature spécifique de la chose)

-> c. qui est (le fait d'être-être bon)

Dans le schéma ci-dessus, nous avons tenté de « visualiser » cette relation entre

l'Être premier qui est aussi le Bien premier et les substances. D'abord, l'Être et le Bien

sont identiques dans l'Être premier parce qu'il est simple. Par contre, dans les composés

49 Cf. BOÈCE, De hebdomadibus, trad. TISSERAND, p. 128-131 ; éd. MORESCHlNl, p. 190-191. 50 Cf. BOÈCE, De hebdomadibus, trad. TISSERAND, p. 130-131 ; éd. MORESCHlNl, p. 191. 51 Cf. BOÈCE, De hebdomadibus, trad. TISSERAND, p. 132-133 ; éd. MORESCHlNl, p. 191-194.

:u,

(a), une chose (b) est la nature ou spécificité des étants qui, elle, découle de l'Être

premier (nature ou spécificité par laquelle on est homme, chien ou bouleau), une autre

chose (c) est le tout de cette substance qui en soi n'est pas un Bien (il s'agit de la

substance individuelle de chaque homme, de chaque chien, de chaque bouleau, qui sont)

et, finalement, une autre chose est l'être par lequel les étants participent à l'Être premier,

qui fait que les substances, en ce qu'elles sont, sont bonnes. Il faut donc distinguer trois

choses, a. l'individu qui est et qui n'est pas un bien en soi, b. la nature qui détermine le

qu 'est-ce de la chose, c. l'être participé de la chose grâce auquel l'individu est ou existe.

À partir de cette distinction, nous pouvons déterminer que les substances (individus

composés), en ce qu'elles sont (dans le fait que participant à l'être elles existent) sont

bonnes (parce que l'Être premier duquel elles participent est aussi le Bien premier),

malgré qu'elles ne soient pas des biens substantiels (en effet, elles ne sont pas le bien en

soi, le Bien premier/Être premier duquel elles tirent leur être). De plus, les choses peuvent

être bonnes en ce qu'elles sont, et non seulement avoir le bien comme accident, parce

qu'elles participent justement du Bien premier ; si l'Être premier ne s'identifiait pas au

Bien premier, les choses pourraient être bonnes, mais non pas en tant qu'elles sont, ou par

le fait d'être, sinon seulement bonnes par accident.

Grâce au traité des Hebdomades, nous avons déterminé la relation entre le Bien et

l'Être en Dieu, et le bien et l'être dans les créatures, ce qui constitue selon nous le noyau

principal parmi les éléments qui composeront la théorie médiévale des transcendantaux.

De plus, d'une part, Boèce reprend tout à la fois la définition aristotélicienne de la

convertibilité des énoncés et la détermination aristotélicienne de la convertibilité de l'un

et l'étant, et d'autre part, il fait équivaloir dans la divinité les attributs de l'être, du bien et

de l'un. Cependant, jusqu'ici nous n'avons que les éléments pour déterminer la

convertibilité de l'être et du bien chez Boèce.

2.2.2. Les rapports entre Vun, le bien et le ce qui est Nous avons observé que les substances en ce qu'elles sont, sont bonnes ; ce que

nous avons interprété (du point de vue d'une éventuelle théorie des transcendantaux)

comme une convertibilité de l'être et du bien dans les substances individuelles dans le ce

37

qui est. Il reste à déterminer si, dans les choses individuelles, Boèce conçoit une

convertibilité de l'un, de l'être et du bien. En ce sens, nous pouvons rappeler des passages

très précis. Premièrement dans le Deuxième commentaire à /'Isagoge de Porphyre, où il

affirme que « tout ce qui est, en effet, est à cause de cela : parce qu'il est un »52. Boèce

répète ce principe dans le Contre Eutychès : « L'être et l'un, effectivement, sont

convertibles et tout ce qui est un est »53 (il faut noter qu'ici nous trouvons une

formulation explicite de la convertibilité). Finalement, dans la • Consolation de

Philosophie, en apportant des exemples naturels, Boèce détermine que « chaque chose

subsiste tant qu'elle est une, et qu'elle meurt quand elle cesse d'être une »54. Même si

dans les trois formulations nous voyons un schéma similaire, il faut noter que la première

établit une relation entre l'un et le ce qui est - quod est, interprété au XIIe siècle comme

Vêtant-, la deuxième propose une convertibilité entre l'un et Vêtre et la troisième pose

un rapport entre l'un et chaque chose {unumquodque). Puisque les concepteurs

médiévaux considèrent le volet ontologique de cette relation comme l'étant, nous nous

concentrerons plutôt sur la convertibilité entre ce 'volet ontologique' et l'un.

Or, il faut établir le sens respectif de ces trois présentations de la convertibilité de

Vêtre ou du ce qui est ou de chaque chose (volet ontologique) et de l'un. Commençons

par celle du Commentaire à l'Isagoge. Il semble s'agir d'un principe de type

néoplatonicien, dans le sens où l'Un est la première hypostase sur laquelle repose toute la

réalité, et que l'être n'est qu'une première manifestation de l'Un55. Mais le contexte, à

savoir le fait qu'il s'agit d'un commentaire sur une introduction aux Catégories

d'Aristote, nous semble indiquer une autre interprétation d'après un autre texte d'Aristote

BOÈCE, Deuxième commentaire sur l'« Isagoge » de Porphyre, I, 10, trad. C. LAFLEUR et J. CARRIER, Québec, Faculté de philosophie (coll. « Cahiers du Laboratoire de philosophie ancienne et médiévale de la Faculté de philosophie de l'Université Laval», 21), 2006, p. 9. Cf. BOÈCE, In Porphyrii Isagogen commentarium editio secunda, 1, 10, éd. BRANDT et SCHEPSS, p. 162, I. 1 : « omne enim quod est, idcirco est, quia unum est ». Il faut prendre garde ici à la distinction existant entre le fait d'exister par l'un, affirmé par Boèce dans le Deuxième commentaire sur l'« Isagoge » de Porphyre et l'affirmation faite dans le Contre Eutychès (cf. note suivante) à propos de la convertibilité de l'être et de l'un. Les deux thèses ne sont pas équivalentes et, dans le néoplatonisme, dire que les choses sont par l'un implique au contraire que l'un n'est nullement convertible avec l'être puisqu'il le précède et l'excède tout à la fois.

BOÈCE, Contre Eutychès, dans Traités théologiques, trad. TISSERAND, p. 85 ; éd. MORESCHINI, p. 220 : « Esse enim atque unum convertitur et quodcumque unum est, est ».

BOÈCE, La consolation de Philosophie, III, 11, 13, trad. GUILLAUMIN, p. 88 ; éd. MORESCHINI, p. 88 : « patebit subsistere unumquodque dum unum est, cum uero unum esse desinit, interire ».

Ce serait une position assez proche de celle de Hadot.

38

dans Métaphysique, K, 3 et T, 2 . Cette interprétation apparaîtra lors de l'analyse des

autres extraits.

L'extrait du Contre Eutychès semble le plus proche d'Aristote. En effet, nous

avons vu chez Aristote que l'étant et l'un se « réciproquent » parce que l'un est aussi

l'étant et vice versa . Or, Aristote dit étant là où Boèce dit être ; mais Boèce connaît bien

le mot ens, il l'utilise à plusieurs reprises dans ses traductions et ses commentaires sur les

œuvres logiques d'Aristote. Puisque Boèce se réfère ici à la généralité d'être, Y esse

boécien peut vraiment équivaloir au moins dans cette phrase à l'étant d'Aristote. Ce qui

apparaît effectivement dans la formulation de la théorie des transcendantaux, c'est la

traduction de Y esse de Boèce par l'étant (xô ôv) d'Aristote. Nous avons déjà vu cela à

l'occasion de l'interprétation thomasienne de l'étant dans son commentaire des

Hebdomades (Expositio libri Boetii De hebdomadibus) , à savoir d'un point de vue des

transcendantaux Y esse peut être interprété comme étant en général (communissime), mais

il y a aussi le ce qui est qui équivaut à l'étant réel individuel. En effet, les autres auteurs

médiévaux ont aussi interprété le ce qui est comme étant réel individuel.

Enfin, dans la Consolation de Philosophie, nous trouvons des ressources pour

mieux comprendre et mieux situer les deux autres présentations de la convertibilité. Dans

les autres considérations - à savoir dans le Deuxième commentaire sur l'Isagoge de

Porphyre et dans le Contre Eutychès -, le principe de convertibilité est mentionné - une

relation plutôt dans le cas du commentaire de Y Isagoge - , mais il n'est pas développé.

Dans la Consolation de Philosophie, Boèce prend la peine de faire une argumentation qui

mène à ce principe. On a déjà analysé cette argumentation quant à l'aspect

« théologique » ou plus précisément quant à la part de Dieu59, mais il est important

maintenant de la considérer en ce qui concerne les choses réelles. En effet, les choses, qui

essaient toujours de rester dans l'être (à savoir de ne pas mourir), essaient en même temps

de rester dans l'unité60. Le désir d'unité est un concept qui découle de la biologie antique

selon laquelle les choses sont formées d'éléments (qui se réduisent à la limite aux quatre

éléments primordiaux, terre, eau, air, feu) qui se maintiennent unis tant que la chose est

Cf. ci-dessus p. 26, n. 16 et n. 17. 57 Cf. ci-dessus, p. 26 et n. 16. 58 Cf. ci-dessus, p. 33, n. 45. 59 Cf. ci-dessus, p. 29. 60 Sur la primauté de l'un sur l'être, voir ci-dessus, n. 52.

M)

(existe). Si les éléments se dispersent, la chose cesse d'être (meurt) ; il s'agit d'une loi

naturelle. Alors, nous pouvons revenir sur le principe formulé dans le Commentaire sur

/'Isagoge de Porphyre, et nous verrons qu'il est très plausible d'interpréter la phrase et

dans un sens biologique et dans un sens métaphysique. De retour à la Consolation de

Philosophie, il faut noter aussi que ce désir de l'unité est un désir du bien parce que

l'unité est un bien pour la chose, car tant qu'elle demeure une, elle existe. Ces passages

constituent donc un autre élément très important pour l'inspiration des philosophes

médiévaux relativement à la théorie des transcendantaux, à savoir la convertibilité de l'un

et de l'étant (dans le Contre Eutychès) combinée à celle du bien et de l'être (dans les

Hebdomades). Les trois sont combinés en même temps chez Dieu et chez les choses

réelles dans la Consolation de Philosophie.

Reprenons les éléments retrouvés chez Boèce. D'abord, l'auteur semble inclure et

appliquer les principes logiques et métaphysiques aristotéliciens dans ses propres traités

théologiques et dans son chef-d'œuvre philosophique, la Consolation de Philosophie. En

effet, il applique d'une part la convertibilité de l'Un et de l'Être (étant chez Aristote) à

l'être même qu'est Dieu, d'autre part, en utilisant des principes platoniciens, il combine

cette convertibilité avec une autre convertibilité, celle de l'Être premier et du Bien

premier, qui sont identiques en Dieu.

Ensuite, le philosophe romain considère aussi ces mêmes principes de

convertibilité dans les étants réels ou dans le ce qui est (que nous avons fait équivaloir

aux termes d'individu référé et de substance première). Dans la prose 11 du IIIe livre de

la Consolation de Philosophie, les substances sont unes en tant qu'elles sont ; dans le

Deuxième commentaire sur /'Isagoge de Porphyre, tout ce qui est, est parce qu'il est un ;

enfin, dans les Hebdomades, les substances sont bonnes en ce qu'elles sont. En ce qui

concerne les substances premières (à savoir le ce qui est), les éléments de convertibilité

de l'un, de l'être (équivalant à l'étant en général) et du bien sont fournis par Boèce, et

sont même combinés dans la Consolation de Philosophie.

Finalement, dans les Hebdomades, nous trouvons la connexion entre

l'identification de l'Être et le Bien (qui est aussi identifié avec l'Un dans la Consolation

de Philosophie) en Dieu et leur convertibilité dans le ce qui est. En effet, il s'agit d'une

40

contribution cruciale de Boèce, puisque la distinction entre les transcendantaux en Dieu

(transcendantaux identiques) et dans les choses (transcendantaux différents dans la notion

et identiques dans l'être) est fondamentale dans la théorie médiévale.

Pourtant, il faut remarquer que chez Boèce nous ne trouvons pas une théorie des

transcendantaux, mais seulement des éléments qui, combinés, ont constitué effectivement

ladite théorie. D'ailleurs, la théorie médiévale des transcendantaux est d'une finesse

sémantique à laquelle ne semblent pas correspondre les propos de Boèce dans ses traités

théologiques et dans la Consolation de Philosophie. Or, la future théorie précisera que

même si le champ référentiel {supposita) des termes un, étant, bien est le même, pourtant,

leur signification (ratio) est différente. Cette distinction n'est pas présente explicitement

dans les textes de Boèce, lesquels ne considèrent pas les termes d'un point de vue

sémantique.

La position de Boèce comme source des éléments essentiels pour la réflexion sur

les transcendantaux met en évidence l'importance de la lecture de Boèce dans la

construction de certains fondements de la pensée du bas Moyen Âge. Même si ses

propres réflexions ne sont pas des plus heureuses, comme certains interprètes l'ont

remarqué (ce qui permet d'ailleurs quelque flexibilité d'interprétation, pour les

philosophes médiévaux et pour les contemporains), elles fournissent au moins la matière

pour établir une archéologie des conceptions qui fondent la pensée des XIIe et XIIIe siècles.

3. Antécédents médiévaux

3.1. Avicenne

Les théories qui mènent à la mise en rapport de l'étant et de l'un, de l'étant et du

bien, etc., répondent à divers problèmes théoriques que leurs auteurs ont voulu réfuter ou

discuter. En effet, chez Boèce, la problématique en jeu est celle de la bonté des étants et

de sa contrepartie, à savoir l'inexistence du mal. Le mal n'est pas une chose, c'est une

privation, avait dit Augustin61, donc en mettant en évidence que tout ce qui est, par le fait

61 Cf. É. GILSON, Introduction à l'étude de saint Augustin, Paris, Vrin (coll. «Études de philosophie médiévale», II), 1949, p. 186; « malum non esse nisi privationem boni»: AUGUSTIN, Confessionum libri XIII, III, 7, 12, éd. VERHEIJEN, p. 33 ; pour la tradition augustinienne, cf.

41

d'être, est bon, nous devons aussitôt conclure que ce qui est mauvais n'existe pas, n'est

pas parmi les choses qui sont62. La raison historico-théorique de cette discussion que

mènent Augustin et Boèce est la polémique contre les manichéens. De même, chez

Avicenne, la dispute est menée contre certains théologiens (mu'tazild) qui considéraient

que la non-existence dans un sens absolu était une chose (shây')64. Pour cette raison,

Avicenne affirme l'impossibilité d'un changement dans l'existence d'une chose, parce

qu'une chose est d'abord et avant tout un existant65. Cette partie de l'argumentation ayant

trait à la théorie des transcendantaux sera utilisée par Thomas d'Aquin du fait qu'il

inclura la chose (res) comme un des transcendantaux66. Quant aux maîtres es arts de

Paris, ils n'incluent pas encore les transcendantaux modaux (comme le nécessaire) ni la

chose (res) dans leurs discussions. Donc nous ne considérerons pas ces développements

dans notre recherche.

Avicenne a entrepris une synthèse, à première vue impossible, de deux points de

vue : à savoir le point de vue néo-platonicien, selon lequel un seul principe constitue le

bien, le vrai, l'un et l'étant (ou l'être) duquel toutes les choses participent, et le point de

vue aristotélicien, selon lequel l'étant et l'un sont convertibles et peuvent (bien que de

façon aporétique) être considérés comme des genres premiers. Avicenne lui-même

octroiera à l'étant la dénomination de concept premier (al-macana al-awal) , parce qu'il

est nécessaire à la production de tout autre concept. Il qualifiera les autres

C.T. MATHEWES, Evil and the Augustinian Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 75.

BOÈCE, La consolation de Philosophie, IV, trad. GUILLAUMIN, p. 97-124 ; éd. MORESCHINI, p. 100-134. Les théologiens de l'Islam sont les mutakallimun, qui se confrontent dans deux doctrines fortement

caractérisées : celle des mutazilites et celle des afarites. Cette discussion est détaillée par J. JOLIVET, « Aux origines de l'ontologie d'Ibn Sina », dans J. JOLIVET et R. R.ASHED, Études sut" Avicenne, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Sciences et philosophie arabes », études et reprises), 1984, p. 11-28 (surtout p. 18-22) et reprise par DE LIBERA, L'art des généralités, p. 500-501 et 507-508. Voir aussi D. DE SMET, « Avicenne et l'ismaélisme post-fatimide, selon la Risâla al-Mufidajî Tçiâh mulgaz al-Qasïda de cAlT b. Muhammad b. al-Walïd », dans J. JANSSENS et D. DE SMET, Avicenna and his héritage, Leuven, Leuven University Press (coll. « Ancient and Mediaeval philosophy », 28), 2002, p. 1-20.

Cf. M.E. MARMURA, «Avicenna on Primary concepts in the Metaphysics of his al-Shifâ'y>, dans R. SAVORY et D. AGIUS (éds.), Logos lslamikos, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies (coll. «Papers in Mediaeval Studies», 6), 1984, p. 219-239, p. 220. Cf. aussi JOLIVET, «AUX origines de l'ontologie d'Ibn STnâ », p. 18-20.

AVICENNE, La Métaphysique du Sifa', 1, 5, trad. G. ANAWATI, Paris, Vrin (coll. « Études musulmanes », 27), 1985, p. 106-109.

Cf. AERTSEN, Mediaeval philosophy and the transcendentals, p. 193-194. Cf. MARMURA, « Avicenna on Primary concepts », p. 222 et 238.

4.'

transcendantaux ou concepts premiers de concomitants de l'étant . Par ailleurs,

Avicenne considérera aussi l'un, le bien, le vrai et le beau comme des attributs de Dieu69.

Ainsi, d'une part, Avicenne considère les transcendantaux comme concepts premiers et

concomitants de l'étant avec des termes différenciés ; selon que l'on se réfère à leur

aspect conceptuel ou noétique, ils sont concepts premiers ; selon que l'on se réfère à leur

Cf. POUILLON, « Le premier traité des propriétés transcendantales », p. 53 et suivantes. L'auteur souligne l'importance des philosophes arabes Avicenne et Averroès sur la confection de la théorie des transcendantaux chez Philippe le Chancelier. Il voit beaucoup de liens et même des reprises littérales. Nous nous contentons ici de rappeler en détail la détermination des concomitants de l'étant ; cf. AVICENNE, Liber de Philosophia Prima siue de Scientia divina, III, 3, éd. S. VAN RlET, Louvain, Peeters ; Leiden, Brill (coll. « Avicenna Latinus », 2), 1977-1983, t. I, p. 121 : « Postquam igitur fuit absurdum ut unitas sit esse non divisibile in accidentibus et in substantiis et ut, cum hoc, possit separari et esse substantia quae accidit accidenti, et ut unitas sit diversa in substantiis et accidentibus, manifestum est tune quod certitudo unitatis est intentio accidentis et est de universitate eorum quae comitantur res. [...] Dico autem non ita rem esse, quia comparatio eius quod nos posuimus communius ad id quod posuimus minus commune, non est qualis est eius comparatio ad id quod dividitur per differentiam constitutivam. lam enim ostendimus quod unitas non est intrans in definitione substantiae nec accidentis, sed fortasse est comitans eam ». Pour l'édition arabe, cf. AVICENNE (IBN SINÂ), llâhiyyât, III, 3, éd. G.C. ANAWATI et S. ZAYED, Le Caire, Organisme Général des Imprimeries Gouvernementales, 1960, tome I, p. 109.

« Elle (l'âme) se transforme alors en un monde intelligible parallèle au monde existant tout entier, contemplant ce qui est le beau absolu, le bien absolu et la beauté et le vrai absolu, s'unissant à lui, s'imprimant de son modèle et sa disposition, marchant dans sa voie et devenant de sa substance ». AVICENNE, Métaphysique, IX, 7, trad. (de l'arabe) ANAWATI, p. 159; AVICENNE, Si/a': Al-ilâhiyyât, éd. arabe M.Y. MOUSSA, S. DUNYÀ et S. ZAYED, Caire, Organisme Général des Imprimeries Gouvernementales, 1960, tome II, p. 425-426 ; éd. latine VAN RIET, p. 511 : «. . . et sic transeat in saeculum intellectum instar esse totius mundi, cemens id quod est pulchritudo absolute et bonitas absolute et décor verus, fiât unum cum ea, insculpta exemplo eius et dispositione eius, et incedens secundum viam eius, conversa in similitudinem substantie eius ». A. DE LIBÉRA (Penser au Moyen Âge, Paris, Seuil (coll. « Points Essais »), 1991, p. 290) a traduit du latin ce passage : « C'est ainsi que l'âme se transforme alors en un monde intelligé, qui est à l'instar de l'être du monde tout entier, qu'elle contemple et distingue ce qui est la beauté absolue et le bien absolu, que le vrai beau s'unit à elle pour ne faire qu'un avec elle, et que, sculptée à son exemple et selon sa disposition, elle marche dans sa voie, transformée à l'image de sa substance ». On trouve un passage similaire dans le Livre des Directives et des Remarques : « La perfection de la substance intelligente, c'est qu'apparaisse en elle la clarté du Réel Premier dans la mesure de ce qu'il lui est possible d'en obtenir, suivant l'éclat qui lui est propre. (C'est) en outre qu'apparaisse en elle l'existence tout entière, telle qu'elle est et dégagée de (tout) mélange - en commençant à ce propos, après le Réel Premier, par les substances intellectuelles supérieures, ensuite les (êtres) spirituels célestes et les corps célestes, ensuite ce qui vient après eux ». J. MlCHOT, « De la joie et du bonheur : essai de traduction critique de la section II, 8 des Ishârât d'Àvicenne », BPM, 25 (1983), p. 56. Cf. AVICENNE, Livre des directives et des remarques, trad. A.M. GOICHON, Beyrouth, Commission Internationale pour la traduction des chefs-d'œuvre ; Paris, Vrin (coll. « Collection d'œuvres arabes de l'Unesco»), 1951, p. 472 ; éd. arabe, AVICENNE (IBN STNA), Al-lshâràt wa-l-Tanhïhât, éd. J. FOROET, Leiden, Brill, 1892, p. 194.

La réflexion sur les noms et les attributs de Dieu n'est pas étrangère à la pensée islamique, cf. G. ANAWATI, « Un traité des noms divins de Fakhr al-Dîn Râzî », Études de philosophie musulmane, Paris, Vrin (coll. «Études musulmanes», 15), 1974, p. 363-379. C'est encore une autre contribution d'Avicenne à la théorie des transcendantaux, on lui avait jusqu'ici attribué seulement les idées de l'étant, de la chose, de l'un et du nécessaire. (MARMURA, « Avicenna on Primary Concepts ») On peut ajouter, d'après ce paragraphe, le bien, le vrai et le beau, en tant qu'ils s'identifient en Dieu.

43

aspect ontologico-référentiel, ils sont concomitants de l'étant - sans que, bien sûr, ces

éléments ensemble se voient octroyer le terme 'transcendantaux', ce que, d'ailleurs, ne

font pas non plus les maîtres es arts de Paris que nous analysons ici . D'autre part, le

philosophe persan situe les transcendantaux bien, vrai et beau à leur 'état pur' ou dans

leur degré maximal chez Dieu.

3.2. Théologie et grammaire au XIIe siècle Les théologiens du XIIe siècle faisaient face aux problématiques liées à la Trinité

et à ses attributs, ce qui les a amené à la mise au point de certaines précisions

terminologiques concernant le dogme trinitaire. Parmi ces développements, nous 71

intéresse celui qui concerne le suppositum (supposé) et le verbe supponere (supposer,

mettre dessous) indiquant ce qu'un mot en particulier suppose. Plusieurs théologiens ont

fait au XIIe siècle à Paris des recherches sur la supposition et la signification du mot

« Dieu », en ce qui concerne l'essence même de Dieu et en ce qui a trait aux trois

personnes de la Trinité. Les travaux d'Etienne Langton (maître es arts actif à Paris vers

1180-1206), d'André Sunesen (étudiant en théologie à Paris vers 1180, maître dans les

années 1190)72 et d'Alain de Lille (qui enseigne à Paris dans les années 1170-1180)73

suffiront à esquisser un portrait de la situation des études sur la Trinité et de sa relation

avec la théorie de la propriété des termes au XIIe siècle.

Dans sa théorie de la restriction des termes, Etienne Langton affirme que le terme

'dieu' peut supposer pour74 (référer à)75 différentes personnes de la Trinité selon le verbe

Par ailleurs, il semble que l'un des premiers à utiliser le terme transcendentia soit Roland de Crémone avant 1232, cf. POUILLON, « Le premier traité des propriétés transcendantales », p. 44, n. 11.

71 Sur la traductibilité de suppositum et suppositio, voir A. DE LIBERA, « Supposition », dans B. CASSIN (éd.), Vocabulaire européen des philosophies, Paris, Seuil et Le Robert, 2004, p. 1254-1260. Voir aussi, I. ROSIER-CATACII, « Suppositum », dans Ibid., p. 1255-1256.

72 S. EBBESEN, « The semantics of the Trinity according to Stephen Langton and Andrew Sunesen », dans J. JOL1VET et A. DE LIBERA (éds.), Gilbert de Poitiers et ses contemporains aux origines de la Logica modernorum, Actes du septième Symposium européen d'histoire de la logique et de la sémantique médiévales, Naples, Bibliopolis (coll. « History of Logic », 5), 1987, p. 401-435, p. 403-404.

73 A. DE LIBERA, «Logique et théologie dans la Summa 'Quoniam homines' d'Alain de Lille», dans JOL1VET et DE LIBERA, Gilbert de Poitiers et ses contemporains, p. 437-469.

74 Nous utilisons ici un calque du latin supponere pro, ce qui veut dire qu'un terme vient en quelque sorte 'remplacer' quelque chose, se mettre à sa place, ainsi un terme suppose pour quelque chose en particulier. Il s'agit d'une utilisation technique, qui se trouve aussi chez Guillaume d'Ockham, cf.

44

qui l'accompagne, par exemple dans « deus générât », le terme 'deus' suppose pour le

Père et dans « deus non générât », il suppose pour l'essence ou la notion de dieu, laquelle

en tant que notion n'engendre pas76. André Sunesen présente des développements

analogues, en essayant de distinguer la signification de la supposition d'un terme, surtout

au regard du terme 'dieu' dont les trois personnes de la Trinité sont des supposées77.

Par ailleurs, quelques années auparavant, Alain de Lille, qui est inclus par de

Libéra dans le complexe théologique « porrétano-boécien », distingue entre la suppositio

et la significatio comme des emplois propres et impropres des mots78 d'une part, et

d'autre part il les considère d'un point de vue assez technique qui rappelle celui de la

logica modernorum1 . Cette dernière analyse de la suppositio implique un développement

analogue à ceux d'Etienne Langton et d'André Sunesen, à savoir déterminer le supposé

ou référé du mot 'dieu' selon le contexte où le mot se trouve . Alain de Lille établit de

même les modes de supposition (modi supponendï) pour le terme 'dieu' .

Langton et Sunesen essaient de distinguer entre signification, ou notion, et

supposé ; une telle distinction ouvrirait la possibilité pour une disjonction de la notion et

du supposé, ce qui permettrait la formulation de la théorie des transcendantaux - dans

laquelle des termes multiples ('un', 'vrai', 'bien') avec des significations distinctes

supposent pour un même individu, c'est-à-dire que le même supposé ou référé individuel

se trouvera référé de façon équivalente par tous les termes en question. Or, la théorie de

la restriction par le contexte considère qu'un terme peut avoir une seule notion et des

supposés variés ; au contraire, la théorie des transcendantaux présente des termes avec

des notions variées pour les mêmes supposés. Il s'agit, bien sûr, des termes spéciaux et

donc avec des propriétés spéciales.

J. BlARD, « Introduction », dans GUILLAUME D'OCKHAM, Somme de logique, trad., introduction et notes J. BlARD, Mauvezin, Trans-Europ-Repress, 1988, t. I, p. XXI-XXII.

5 En fait, la supposition est un concept beaucoup plus vague que la référence ; comme nous le verrons plus tard, il peut impliquer autant la référence d'un terme que, d'une certaine manière, sa signification.

6 EBBESEN, « The semantics of the Trinity », p. 419-423. 1 Ibid, p. 419-423. 8 DE LIBERA, « Logique et théologie », p. 444. 9 Ibid, p. 447. 0 Ibid, p. 455. 1 Ibid, p. 455.

45

3.3. Les propriétés des termes : la supposition

Un élément important pour l'éventuel façonnage de la théorie des transcendantaux

provient de l'origine de la théorie des propriétés des termes qui avait vu le jour parmi les

logiciens du XIIe siècle. L.M. de Rijk 2 explique la théorie de la supposition telle qu'elle

se présente vers 1200 et indique certains détails de ses origines historiques, mais cette

fois d'un point de vue exclusivement logique. L'auteur affirme que l'origine des termes

supponere, suppositum et suppositiû se trouve dans la grammaire du XIIe siècle, tout en

repérant les premières occurrences du mot suppositum chez Priscien avec le sens de sujet

grammatical et en montrant que l'on trouve ensuite ce mot ainsi que suppositio chez

Pierre Hélie, commentateur de Priscien. Même si de Rijk insiste sur le fait que les mots

sont utilisés exclusivement dans leur caractère grammatical, il accepte toutefois que chez

les auteurs ces termes ont une certaine référence à une chose dans la réalité84 et observe

aussi cela chez Pierre Abélard85. Donc, bien que de Rijk présente le suppositum

essentiellement comme le sujet grammatical d'une phrase, il accepte qu'au Moyen Âge le

sujet grammatical est, dans la plupart des cas, une chose individuelle. Il y a alors une

subtile transition entre ce que de Rijk qualifie de terme-sujet {subject-term) de la phrase

et de matière-sujet (subject-matter)*6 sous-jacente au terme-sujet.

Finalement, comme résultat des développements grammaticaux sur le sujet

grammatical et les individus pour qui il suppose (à qui il réfère), Pierre d'Espagne, un

contemporain de Philippe le Chancelier, posera au début du XIIIe siècle une distinction

entre significatio et suppositio :

Pour sa part, la supposition est l'acception d'un terme substantif pour quelque chose. Or, la supposition et la signification diffèrent, parce que la signification est par l'imposition d'un vocable sur la chose qui doit être signifiée, tandis que la supposition est l'acception pour quelque chose (pro aliquo) du terme même déjà signifiant la chose. Comme quand on dit 'l'homme court', ce terme 'homme' suppose pour Socrate ou Platon, et ainsi relativement aux autres. C'est pourquoi la signification est antérieure à la supposition. Et elles ne sont pas du même, parce que le <fait de> signifier est du vocable, tandis que le <fait de> supposer <est> du terme déjà composé à partir du vocable et de la signification. Par

L.M. DE RlJK, Logica Modernorum. A contribution to the history ofearly terministic logic, Assen, Van Gorcum (coll. « Wijsgerige Teksten en studies », 16), Vol. II, 1, 1967, p. 513-554.

83 DE RIJK, Logica Modernorum, II, I, p. 515-516. MIbid.,p. 518. *5 Ibid.,p. 519. ib Ibid.,p. 521.

46

conséquent, la supposition n'est pas la signification (PIERRE D'ESPAGNE, Tractatus, VI, 3)87.

Selon de Rijk, la supposition est principalement, bien que non exclusivement,

reliée à la référence impliquée par des termes utilisés dans une proposition, elle traite de

l'extension ou de l'étendue des prédicats en relation aux individus (sujets)88. Toutefois,

même après les précisions de Pierre d'Espagne, la distinction entre la signification et la

supposition reste vague, car le terme signifie 'une chose' (res) et suppose pour 'quelque

chose' (aliquid). De plus, d'autres auteurs contemporains à Pierre d'Espagne ne

'réussissent pas à faire une distinction claire, et certains subordonnent même la

supposition comme une sorte de signification .

* * *

Tous ces éléments logiques, sémantiques, théologiques et métaphysiques, liés à

des circonstances historiques particulières, ont mené le théologien parisien Philippe le

Chancelier à écrire dans sa Summa de bono ce qu'on connaît comme « le premier traité

des propriétés transcendantales » 9 . Devant la nécessité de combattre les théories

hérétiques manichéennes sur l'existence du mal (qui - semble-t-il - étaient soutenues par

les 'sectes' cathares du début du XIIIe siècle91), il fallait établir 'une fois pour toutes'

Notre traduction. « Suppositio vero est acceptio termini substantivi pro aliquo. Differunt autem suppositio et signifïcatio, quia signifîcatio est per impositionem vocis ad rem significandam, suppositio vero est acceptio ipsius termini iam significantis rem pro aliquo. Ut cum dicitur : 'Homo curriC, iste terminus 'homo" supponit pro Sorte vel Platone, et sic de aliis. Quare signifîcatio prior est suppositione. Neque sunt eiusdem, quia significare est vocis, supponere vero est termini iam quasi compositi ex voce et significatione. Ergo suppositio non est signifîcatio ». PIERRE D'ESPAGNE, Tractatus, VI, 3, éd. DE RlJK, p. 80. Voir aussi DE RlJK, Logica Modernorum, II, 1, p. 567.

88 DE RlJK, Logica Modernorum, II, 1, p. 569. 89 Ibid, p. 576. 90 H. Pouillon a attribué ce titre originellement dans son article du même nom déjà cité ci-dessus, n. 4.

La nécessité de réfuter non seulement l'ontologie dualiste des cathares (les éléments pour ce faire étant déjà très nombreux dans les œuvres d'Augustin et de Boèce) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a été montrée par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle étude sur la logique cathare (J. JOLIVET, « Logique cathare : la scission de l'universel », dans E.P. Boss (éd.), Mediaeval Semantics and Metaphysics, studies dedicated to L.M. DE RlJK, Nijmegen, Ingenium Publishers (coll. « Artistarium », Supplementa, 2), 1985, p. 143-160), qui décrit une théorie expliquée dans le Livre des deux Principes, composé en Italie dans la première moitié du XIIIe siècle, et repère une sorte de théorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia, cuncta, universa (p. 144-145), parce que, selon l'auteur du Livre des deux principes, les signes universels sont pris, dans les Saintes Écritures, en des acceptions multiples (p. 144) : ils s'appliquent d'une part aux choses pures, bonnes ; d'autre part, aux choses vaines, transitoires ; et d'autre part encore aux

47

l'impossibilité de l'existence du mal. Avec la théorie des transcendantaux, il semble

manifeste pour certains maîtres es arts et théologiens de Paris (dont nous analyserons

quelques textes) que le bien et l'étant, même s'ils diffèrent conceptuellement, ont un

même champ de référence, ce qui empêcherait la possibilité d'un étant qui ne soit pas bon

tout en fondant l'impossibilité de l'existence du mal.

4. Les débuts de la théorie au xmc siècle

4.1. Philippe le Chancelier

Les traits généraux de la théorie des transcendantaux ont été pris par le Pseudo-

Peckham chez Philippe le Chancelier et chez Alexandre de Halès. Mais le Commentaire

- sur la Nouvelle et la Vieille Éthique du Pseudo-Peckham est aussi contemporain d'autres

ouvrages (notamment le De bono d'Albert le Grand). D'abord nous analyserons le texte

de Philippe pour ensuite nous pencher sur les transcendantaux chez le Pseudo-Peckham,

en nous aidant, pour l'interpréter, des textes d'Albert le Grand et d'Alexandre de Halès.

Dans sa Summa de bono, Philippe considère que le bien est parmi les concepts les

plus communs (communissimd), dont il limite le nombre à quatre, l'étant, l'un, le vrai et

le bien. À première vue, ces concepts et principalement celui du bien semblent

indéfinissables parce qu'ils n'ont ni un genre ni une différence spécifique ni ne sont un

genre . Pour Philippe, le bien et l'étant sont convertibles, parce que chaque chose qui est

étant est bonne , ce qui est encadré dans les relations entre l'étant, l'un, le vrai et le

choses emprisonnées sous la loi du péché et de l'incrédulité. À partir de cette restriction des universaux utilisés dans les Saintes Écritures, l'auteur du traité déduit que « les choses bonnes et mauvaises, les pures et polluées, les transitoires et les permanentes ne sont pas comprises sous les mêmes signes ; elles sont opposées les unes aux autres et ne peuvent résulter tout simplement de la même cause » (p. 145). Selon Jolivet, cette restriction provoque une scission réelle des universaux, « de la même scission qui affecte les signes universels qui leur sont accolés. Le mot omnia, qui pris substantivement les contient tous, n'a pas pour réfèrent la totalité de ce qui existe, ou ne suppose pas pour elle : ce réfèrent se répartit en deux domaines antagonistes, imparticipables l'un par l'autre » (p. 146-147).

C'est un argument provenant d'Aristote, comme on l'a vu. Cf. ARISÎOTE, Métaphysique, B, 3, 998b17-28. AERTSEN, Médiévalphilosophy and the Transcendentals, p. 31.

PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 1, éd. N. WICKI, Bernae, Editiones Francke (coll. « Corpus Philosophorum Medii Aevi », Opéra Philosophica Mediae Aetatis Selecta, 2), 1985, p. 5, 1. 2-3. Cela permettait de distinguer les attributs divins et de les classer (on les classe en cet ordre : un, vrai et bien) sans pour autant insérer en Dieu une composition.

48

bien : « les choses les plus communes sont celles-ci : l'étant, l'un, le vrai, le bien »'5.

Or, l'auteur de la Summa de bono utilise ailleurs le terme 'être' (esse) au lieu de 'étant',

sans qu'il semble établir une différence entre les deux : « il faut dire que les conditions

concomitantes de l'être sont trois : l'unité, la vérité et la bonté » ; mais, dans cette

dernière phrase, le théologien parisien maintient quand même une symétrie en ajoutant à

'être', d'autres termes abstraits, tels 'unité', 'vérité' et 'bonté', qui correspondent aux

termes concrets 'un' , 'vrai' et 'bien'. Ils sont aussi les notions premières, on pourrait dire

alors qu'elles sont les plus communes parce qu'elles sont premières 7. Ces concepts sont

les plus communs pour les étants, mais ils sont tout de même appropriés à Dieu, qui est

souverainement un, souverainement vrai, et souverainement bien98.

Ainsi, même si dans leur signification l'étant, l'un, le vrai et le bien sont

différents, ils ne différent point dans ce qui est dénoté ou référé (suppositum) :

Le fait que le bien et l'étant soient convertibles n'empêche pas que <le bien> ne soit défini au moyen de l'étant, parce que même s'ils sont convertibles quant au contenu <essentiel> et à la sphère des supposés, toutefois le bien surpasse l'étant en signification, à savoir par cela qu'il est indivisé sous le rapport de la fin ou de l'acte, ce qui est dit 'complément' (PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. I)99.

On trouve d'emblée deux domaines dans les concepts les plus communs

(domaines déterminés par Philippe d'abord à partir de l'étant et du bien), le domaine de la

notion ou ratio du terme d'un côté, et de l'autre côté celui de la référence à un individu

pour lequel le terme suppose100. Philippe ne s'étend pas sur la convertibilité des

94 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 1, éd. WICKI, p. 5,1. 55. 95 Notre traduction : « Communissima autem haec sunt : ens, unum, verum, bonum ». PHILIPPE LE

CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 1, éd. WlCKI, p. 4. 96 Notre traduction. Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 7, éd. WICKI, p. 26, I. 16-

17 : « dicendum est quod sunt très conditiones concomitantes esse : unitas, veritas, bonitas. Unitas autem prima illarum, secunda veritas, tertia bonitas ; in idem enim possunt concidere efficiens, formalis et fmalis, sed materialis non ». Cela semble venir d'Avicenne, cf. ci-dessus, n. 68.

97 Dans le livre VI de la Métaphysique, Aristote considère, en effet, que la science théologique (ou science recherchée) doit porter sur les choses premières et cette science est « universelle parce que première». ARISTOTE, Métaphysique, E, 1 (1026a29-32), trad. TRICOT, p. 227. Sur ce point, voir LAFLEUR et CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique », p. 261-294.

98 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 2, éd. WICKI, p. 11,1. 72-73. 99 Notre traduction. Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. I, éd. WICKI, p. 8, 60-63 :

« Bonum et ens converti non impedit quin notifïcetur per ens, quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum, bonum tamen habundat ratione super ens, scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu, qui dicitur complementum ».

100 Cf. ci-dessus, p. 45 et suivantes.

49

transcendantaux (il la pense peut-être évidente) et il passe immédiatement à la

détermination de leurs notions, là où chacun des transcendantaux diffère. Philippe

s'interroge sur les relations entre les transcendantaux, non sans fournir auparavant

certaines caractérisations de chacun des transcendantaux qui permettront de les ordonner

selon la notion, bien que dans les étants ils soient convertibles. Philippe confectionne ces

caractérisations sur le modèle de la définition de l'unité102. Les définitions déterminent un

ordre des transcendantaux par complexité croissante. De l'étant, il ne donne pas de

notion ; de l'un, il dit qu'il est indivision de l'étant103 ; du vrai, qu'il est indivision de

l'être et de ce qui est104 ; finalement, du bien, qu'il est ce qui a indivision d'acte par

rapport à la puissance, <purement et> simplement ou d'une certaine façon . La

101 En effet, après Aristote et Boèce (dont les propos se trouvent analysés ci-dessus, p. 24 et suivantes), on trouve une explication de la convertibilité de l'un et de l'étant chez Averroès : AVERROÈS, Commentarium magnum in libros Metaphysicorum, Venise, apud Junctas (reproduction anastatique Frankfurt am Main, Minerva [coll. « Aristotelis Opéra cum Averrois commentariis », 8 : 2], 1962) 1562-1574, X, 1, f. 279BC : «Cum autem omni sentis ad unum quid et commune reductio fiât, contrarietatum quoque singulae ad primas differentias et contrarietates entis reducentur, siue multitudo et unum, siue similitudo et dissimilitudo primae sunt entis differentiae, siue aliquae aliae, sint autem hae speculatione perceptae. Nihil autem interest ad ens, uel ad unum entis reductionem fieri ; etenim si non idem, sed aliud sit, attamen conuertitur, et ipsum enim unum quodammodo ens, et ipsum ens unum est ». Pour l'édition arabe, AVERROÈS, Tafsir Ma Bacd at-Tabfat, éd. M. BOUYGES, Beyrouth, Dar el-Machreq (coll. « Bibliotheca Basica Scholasticorum », Série Arabe, 7), 1990, tome III, p. 1237-1242. De plus, Averroès considère que l'un et l'étant sont le même dans le sujet (idem in subiecto, rappelons le fait que le terme-sujet et la matière-sujet sont étroitement liés entre eux dans la grammaire médiévale, cf. ci-dessus, p. 45 et suivantes), cf. AVERROÈS, Commentarium magnum in libros Metaphysicorum, XII, 3, f. 322K.-L : « Et sic est intelligendum, cum dicimus ipsum esse unum, et habentem uitam, scilicet idem in subiecto, et duo secundum modum : non quia significant idem omnibus modis, sicut significant nomina synonyma, neque sicut significant nomina, neque sicut principale et sumptum, quia sumptum significat idem, quod significat principale et magis. Vita enim significat aliquid non in subiecto : uiuum autem significat aliquid in subiecto : scilicet formam in materia, et habitum in subiecto. Hae igitur sunt dispositiones significationum nominum in eis, que sunt forma in materia. In eis autem, que sunt forma non in materia, dispositio et dispositum reducuntur ad unum in esse, et duo in consideratione ». Pour l'édition arabe : AVERROÈS, Tafsir Ma Bacd at-Tabfat, éd. BOUYGES, tome III, p. 1414-1416.

102 « . . . per hune enim modum oportet prima determinari ut unum ». PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 1, éd. WlCKI, p. 8,1. 78-79.

103 Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 1, éd. WICKI, p. 7, 1. 30-33 : « Et ita non diffînietur (bonum) per ens et aliquam positionem superadditam, sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum ; 'indivisum' enim ponit ens et privât ab ente divisionem ». Cf. ARISTOTE, Metaphysica, X, 3, 1054a22-23, trad. ANONYME 'Media', éd. G. VUILLEMIN-DIEM, Leiden, Brill (coll. « Aristoteles Latinus », 25, 2), 1976, p. 190 : « nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur, indivisibile vero aut non divisum unum ». Pour les sources de la définition de Philippe chez Averroès, voir ci-dessus, n. 101.

104 Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 2, éd. WICKI, p. 10, 1. 34-35 : « Veritas est indivisio esse et eius quod est ».

105 Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 1, éd. WlCKI, p. 6,1. 21 -22 : « alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis : « Bonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modo ». Selon Pouillon, cette définition vient d'Avicenne, cf. PouiLLON, « Le premier

50

systématisation des transcendantaux esquissée ici établit un ordre conceptuel de

considération des transcendantaux, ordre qui ne devrait pas nuire à leur convertibilité

dans la réalité106. Philippe inclut aussi une description des transcendantaux par ces

rapports d'analogie aux causes aristotéliciennes, efficiente, formelle et finale, là où il

décrit le flux des choses à partir du Premier107. Cette sorte de description sera reprise

postérieurement par les maîtres es arts de Paris.

Même si la théorie des transcendantaux chez Philippe le Chancelier comporte

d'autres éléments dignes de mention, nous nous sommes limitée ici aux éléments pris par

le Pseudo-Peckham. Ces éléments incluent : a. la différenciation de deux champs dans un

terme transcendantal, à savoir la notion et le supposé, b. les divers concepts utilisés par

Philippe dans son enquête (lesquels sont souvent aussi utilisés par le Pseudo-Peckham) et

c. l'ordre des transcendantaux quant à leurs notions, et en relation avec l'ordre des causes

efficiente, formelle et finale.

5. Analyse de la théorie dans le commentaire du Pseudo-Peckham Quand notre maître se penche sur le sujet des transcendantaux, il présuppose

notamment la doctrine de Philippe le Chancelier et reprend quelques considérations du

théologien franciscain Alexandre de Halès. Le rapport du commentaire du Pseudo-

Peckham avec le De bono du théologien dominicain Albert le Grand, est plus difficile à

déterminer étant donné qu'il s'agit d'ouvrages à peu près contemporains.

traité des propriétés transcendantales », p. 45. Notamment, dans le Commentaire de Naples sur la Nouvelle Éthique (Anonyme de la Faculté des arts, vers 1230), on trouve une définition du bonheur comme conjonction de l'acte et de la puissance : « Félicitas nihil aliud est quam ultima perfectio ; perfectio autem non est nisi in delectatione coniunctionis potentie cum suo actu ». ANONYME, Commentarium in Ethicam Nouam, Naples, Biblioteca Nazionale, VIII G 8, f. 6va. Le Pseudo-Peckham en tient compte aussi, PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 1, q. 2 ; F f. 3vb, O f. 4ra : « Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici génère. Comparatur enim ad potentiam sicut forma, et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione, et sic datur hec diffinitio : « Bonum est indiuisio actus a potentia » ». Ce commentaire coïncide sur plusieurs points avec Avicenne, cf. G. WIELAND, « L'émergence de l'éthique philosophique au XIIIe siècle», dans LAI-LEUR et CARRIER, L'enseignement de la philosophie au Xllf siècle, p. 173.

Nous considérons à ce sujet que les intellectuels médiévaux ont fait un premier pas, mais décisif, vers la rupture entre l'ordre de la réalité et l'ordre de la représentation, dans la mesure où en les expliquant, on finit par affirmer que de la même réalité il peut y avoir des concepts différents, même s'il s'agit de concepts tellement généraux qu'ils embrassent l'ensemble du réel.

Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. VII, éd. WICKI, p. 26-27.

51

En ce qui concerne la division et l'ordre des transcendantaux, la Summa

theologica attribuée à Alexandre de Halès présente des concepts proches de ceux de

notre maître. L'auteur de cette somme y développe un système assez complexe des

transcendantaux109. D'abord, il établit que les transcendantaux sont des déterminations de

l'étant en trois systématisations. Dans la première systématisation, il organise

conceptuellement l'étant et ses concomitants dans leur propre niveau (par opposition à

Dieu qui est inengendré) ; dans la deuxième systématisation, il les organise dans leur

relation à la cause divine ; et dans la troisième systématisation, il les organise selon leur

relation à l'âme humaine . Le Pseudo-Peckham fait les mêmes considérations, mais en

les systématisant autrement et en leur donnant des nuances propres.

Le De bono d'Albert le Grand peut être aussi mis en dialogue avec notre

commentaire. L'ouvrage d'Albert et le commentaire du Pseudo-Peckham ont en commun

plusieurs passages que nous reprendrons dans cette section même. Chez Albert, l'étant et

le bien sont reliés de trois manières : selon leurs concepts ou notions (rationes), selon

leurs supposés (supposita) et selon le fait que le bien est dans la première cause d'une

part, et d'autre part qu'il est dans les choses qui constituent des étants. L'étant est premier

selon le concept (le bien est postérieur à l'étant parce qu'il 'informe' {informat) l'étant, il

ajoute une 'information' à l'étant"1), le bien est premier si on le considère dans la

première cause par rapport aux étants créés, finalement l'étant et le bien sont convertibles

dans les supposés112.

La théorie des transcendantaux esquissée dans le prologue du Commentaire sur la

Nouvelle et la Vieille Éthique du Pseudo-Peckham est structurée en trois domaines

principaux, qui sont aussi considérés par ses contemporains Alexandre de Halès et Albert

le Grand. Le premier domaine, que nous qualifierons de ontologico-référentiel, appartient

à la sphère des supposés ou de la référence ou de la réalité individuelle à laquelle

108 Sur l'authenticité de cette attribution cf. V. DOUCET, « The History of the problem ofthe authenticity of the Summa», Franciscan Studies, 1 (1947), p. 26-41 et 274-312. Doucet considère que les trois premiers livres (écrits avant la mort d'Alexandre) ont été supervisés par le maître franciscain, alors que, selon Doucet, une grande partie du livre IV a été rédigée par Guillaume de Melitone, un disciple d'Alexandre.

109 C'est aussi l'opinion de AERTSEN, Médiéval Philosophy and the Transcendentals, p. 46. 110 Cf. AERTSEN, Médiéval Philosophy and the Transcendentals, p. 46-47. ' " ALBERT LE GRAND, De bono, I, q. 1, art. 6, éd. W. KUBEL, Munster, Aschendorff (coll. « Alberti Magni

Opéra Omnia », 28), 1951, p. 11. 112 Cf. AERTSEN, Médiéval Philosophy and the Transcendentals, p. 54-55.

52

s'applique chacun des termes. Le deuxième domaine, noétique, réside dans la

considération des conceptions ou des notions ou du mode d'intelliger ou du mode de

connaître les transcendantaux. Finalement, le troisième domaine, théologique, concerne

les transcendantaux en Dieu, qui autant du point de vue noétique que du point de vue

ontologique doivent être considérés autrement que dans les créatures (du moins selon nos

auteurs).

La présentation de ces trois domaines détermine le cœur de la théorie des

transcendantaux chez le Pseudo-Peckham. Dans ce qui suit, nous présenterons : a. la

convertibilité des transcendantaux selon le volet ontologico-référentiel ; b. la

systématisation ou l'ordre des transcendantaux relativement à leurs concepts selon le

volet noétique ; c. finalement, la rupture qui scinde la sphère du créé (selon les deux

volets : ontologico-référentiel et noétique) de la sphère du Créateur, selon le volet

théologique.

5.1. La convertibilité des transcendantaux

La convertibilité dans les supposés est particulièrement mieux développée par le

texte d'Albert que par les écrits antérieurs de Philippe et d'Alexandre qui la présumaient

connue"3. Or, la convertibilité dans les supposés par opposition à la distinction dans les

concepts est également assez claire chez le Pseudo-Peckham, comme nous le verrons. La

question sur les transcendantaux arrive en premier dans le commentaire du Pseudo-

Peckham, parce qu'il veut résoudre des questions épistémologiques qui doivent s'éclaircir

avant de poursuivre l'enquête éthique"4. L'ordre des transcendantaux aura alors une

perspective d'application épistémologique qui deviendra plus explicite vers la fin de la

question. La préoccupation du Pseudo-Peckham repose sur deux points capitaux :

a. l'ordre des transcendantaux (en ce qui concerne, bien sûr, leurs notions) et b. la

possibilité d'existence des sciences considérées comme la relation de l'âme à des

113 Cf. AERTSEN, Médiéval Philosophy and the Transcendentals, p. 55. Aertsen considère seulement Philippe à cet égard.

114 « § 7 Or, avant que nous nous engagions davantage <dans le texte>, il faut enquêter sur certaines <choses> dont la connaissance est préexigée pour celles qui suivent ». Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, q. 1, § 7 : « Antequam autem amplius descendamus, inquirenda sunt quedam quorum cognitio preexigitur ad ea que secuntur ».

53

transcendantaux divers. La première réponse que notre maître donne à la question sur

l'ordre des transcendantaux est de caractère linguistique et vient éclaircir ce qu'avaient

déjà considéré Philippe et Alexandre, à savoir que les transcendantaux se distinguent dans

la notion {ratione) mais sont égaux, ou convertibles, dans les supposés (in suppositis).

Après plusieurs arguments en faveur de la prééminence du vrai, d'autres sur la

prééminence du bien, et d'autres sur leur égalité115, le Pseudo-Peckham s'avère plutôt

préoccupé par l'ordre entre le vrai et le bien, certainement pour des raisons

épistémologiques. Alors, il tranche la question en établissant où ils ont un ordre et où ils

sont convertibles :

Au premier de ces <arguments> il faut dire que, en parlant <purement et> simplement, le vrai devance le bien. Et cela est patent, parce qu'au-delà de l'étant le vrai n'ajoute que la connaissance ou la manifestation de la chose ; tandis que le bien ajoute un rapport à l'oeuvre ou à la fin. Et c'est pourquoi, en parlant <purement et> simplement, le bien est postérieur. Et comprends <ainsi> ces <choses> non parce qu'elles ne sont pas égalées dans les supposés - en effet, leurs supposés sont égaux -, mais dans le mode de dire et en raison du mode de signifier, comme on l'a déjà vu. Et par cela est patente la solution aux deux raisons qui montraient qu'à partir du <fait> que le vrai et le bien étaient convertibles avec l'étant, ils étaient <aussi> convertibles entre eux, et ainsi aucun n'était antérieur à l'autre, parce que cette priorité et postériorité sont remarquées non de la part du contenu <essentiel> ou de la sphère des supposés, mais seulement de la part du mode de dire ou'd'intelliger (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Ethique, Prologue, q. I)"6.

Notre maître explique dans cette solution qu'en un sens les transcendantaux ont

un ordre dans le mode de signifier, ou le mode de dire, ou le mode d'intelliger (c'est-à-

dire le mode d'intellection) ; en un autre sens les transcendantaux n'ont pas un ordre mais

ils sont convertibles, à savoir en tant qu'on les considère dans les supposés, c'est-à-dire

115 Cf. notre édition, ci-dessous, Prologue, q. 1, § 8-19. 116 PSEUDO-PRCKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, q. 1, § 20 : « Ad primum

istorum dicendum quod, simpliciter loquendo, uerum antecedit bonum. Et hoc patet, quia ultra ens uerum non addit nisi cognitionem uel manifestationem rei ; bonum uero addit comparationem ad opus siue ad finem. Et ideo, simpliciter loquendo, bonum est posterius. Et intelligas hec non quia non adequantur in suppositis -equalia enim sunt eorum supposita-, set in modo dicendi et ratione modi significandi, ut preuisum est. Et per hoc patet solutio ad duas rationes que ostendebant quod ex quo uerum et bonum conuertebantur cum ente, inter se conuertebantur, et ita neutrum erat prius altéra, quia hec prioritas et posterioritas attenditur non a parte continentie suppositorum uel ambitus, set a parte modi dicendi uel intelligendi tantum ». Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WÏCKl, p. 8, I. 60-63 : « Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens, quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum, bonum tamen habundat ratione super ens, scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu, qui dicitur complementum ».

54

dans les individus qui sont dénotés quand on prédique d'eux les termes 'étant', 'un',

'vrai', et 'bien'. Alors, on oppose deux modes des termes transcendantaux, un mode de

signifier ou de dire ou d'intelliger117 et un mode des individus référés, que l'on pourrait

appeler modus ambitus suppositorum ou modus in supposais. Notamment, il n'inclut pas

l'expression modus essendiu&, postérieurement introduite dans ce contexte par Thomas

d'Aquin , à laquelle on pourrait attribuer l'avantage de déterminer une symétrie

technique entre les termes, mais le désavantage de se relier trop étroitement à l'un des

transcendantaux, ce qui engendrerait peut-être une circularité dans son argumentation. De

toutes manières, la division du Pseudo-Peckham semble plus spécifiquement logique,

même s'il peut se référer à ce que, de nos jours, nous pouvons interpréter comme deux

sphères, l'une ontologico-référentielle et l'autre épistémologique ; chez le Pseudo-

Peckham, cette division s'inscrit complètement sous le champ de la sémantique logique,

lequel est à son tour inclus dans la théorie de la supposition détaillée ci-dessus.

Par opposition au domaine référentiel qui est déterminé selon le mode des

individus supposés, on trouve de plus en plus définie la contrepartie qui constitue la

signification, qui est déterminée par le mode de dire ou par le mode d'intellection. Selon

le Pseudo-Peckham, la signification est la présentation d'une forme, d'une essence, d'un

'quelque chose' à l'intellect :

Or, ce <type de signes> est proprement le langage ou le mot écrit, signifiant par imposition et présentant quelque chose à l'intellect (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, introduction)120.

Notre maître distingue modus significandi et modus intelligendi, mais il ne les oppose pas dans le contexte des concepts transcendantaux, car la notion d'un terme correspond, en un sens, à la compréhension intellectuelle et aussi à sa signification. Nous pouvons dire alors que l'aspect notionnel (comme signification d'un terme et comme concept) s'oppose à l'aspect référentiel (l'individu réel supposé). Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, q. 1, § 20, cité ci-dessus, p. 53.

118 Toutefois, cette expression n'est pas absente du milieu artien, cf. ANONYME, Guide de l'étudiant, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 644 : « Sed est proprie oppositio inter illas secundum alium modum essendi ». Sur cette expression (ainsi que celles de modus significandi et modus intelligendi), voir LAFLEUR, « Les 'Guides de l'étudiant' », p. 156, avec la n. 38. Pour le modisme en général, voir I. ROSIER, La grammaire spéculative des Modistes, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1983, sur les modes d'être, d'intelliger et de signifier, p. 46-53 et 62-66.

AERTSEN, Médiéval Philosophy and the Transcendentals, p. 88. 120 PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, introductio, § 1 : « Hoc

autem proprie est sermo siue uox litteralis, per impositionem significans et prenuntians aliquid intellectui ».

s s

Cette sorte de définition s'avère assez populaire, elle est aussi reprise dans des

textes logiques chez Guillaume de Shyreswood et provient peut-être originellement

d'Augustin122. Mais, quel est l'usage de la signification et de la supposition dans un

contexte tel que celui des transcendantaux ? D'une part, le suppositum se dit d'un

individu qui a la forme signifiée par le terme, de ce point de vue le suppositum s'oppose

d'une certaine manière à la notion ou signification. D'autre part, les supposés des termes

ens, unum, verum, bonum sont des individus réels, et chacun parce qu'il est, est un, vrai,

bon, donc ens, unum, verum, bonum sont égalés dans le supposé, c'est-à-dire qu'ils

supposent pour le même individu réel.

Cependant, il convient ici de remarquer que, dans la théorie des transcendantaux,

il n'y a pas de mise en application de la théorie de la supposition. Il s'agit plutôt d'un

abus, ou d'une exception de la théorie, ou, tout simplement, d'une mise à profit d'un

terme de cette théorie {suppositum) pour d'autres objectifs. En effet, par exemple, Pierre

d'Espagne précise que chaque mot suppose pour une pluralité définie d'individus (à

savoir les supposés)1 3. Or, dans la théorie des transcendantaux, à cause du fait que

chaque terme a une référence totale, c'est plutôt l'inverse qui se passe : pour un même

individu {suppositum) nous avons une pluralité de concepts qui lui correspondent, en

effet, chaque individu qui est, est un, est vrai, est bien124. Or, la raison de cela est que les

concepts transcendantaux ne sont pas des concepts ordinaires (c'est-à-dire qu'ils ne se

définissent pas par un genre et une différence spécifique), ils sont les concepts les plus

121 « Est igitur signifîcatio presentatio alicuius forme ad intellectum. Suppositio autem est ordinatio alicuius intellectus ab alio. Et est copulatio ordinatio alicuius intellectus supra alium ». GUILLAUME DE SHYRESWOOD, Introductiones in logicam, dans DE RlJK, Logica Modemorum, II, 1, p. 566.

122 AUGUSTIN, De doctrina christiana, II, 1, éd. MARTIN, p. 32 {PL, 34, 36) : « Signum est enim res, praetcr speciem quam ingerit sensibus, aliud aliquid ex se faciens in cogitationem venire, sicut vestigio viso transisse animal, cuius vestigium est, cogitamus et fumo viso ignem subesse cognoscimus et voce animantis audita affectionem animi eius advertimus et tuba sonante milites vel progredi se vel regredi et, si quid aliud pugna postulat, oportere noverunt ».

123 PIERRE D'ESPAGNE, Tractatus, éd. DE RIJK, p. 82-83 : « Personalium suppositionum alia determinata, alia confusa. Determinata suppositio dicitur quam habet terminus communis indefinite sumptus vel cum signo particulari, ut 'homo currit' vel 'aliquis homo currit'. [...] Confusa suppositio est acceptio termini communis pro pluribus mediante signo universali. Ut cum dicitur 'omnis homo est animal', iste terminus 'homo' mediante signo universali tenetur pro pluribus, quia pro quolibet suo supposito ».

124 On pourrait objecter que la supposition tolère que plusieurs concepts puissent tenir lieu d'un seul individu, même si elle n'implique pas cela nécessairement. Nous pouvons répondre que les concepts qui se prédiquent d'un seul individu ne sont convertibles que dans les cas du concept et de la définition, mais des concepts différents ne sont pas convertibles ; ce qui est justement le trait que nous voulons faire ressortir dans les termes transcendantaux.

56

communs125, et donc ils ne sont limités à aucun genre ; c'est pourquoi ils sont présents

dans toutes les choses.

Par ailleurs, la théorie de la suppositio répond, dans la sphère sémantique, au

problème des universaux126 qui naît de l'introduction porphyrienne127 aux Catégories

d'Aristote, les catégories sont des explications des modes spéciaux de l'étant, elles

contraignent l'étant en spécifiant de plus en plus le domaine ontologique et sémantique ;

tandis que les concepts transcendantaux sont des explications des modes généraux et

premiers de l'étant128 et, pour cette raison, ils ne contraignent l'étant en rien, mais ils ont

le même domaine ontologique et un domaine sémantique différent. Donc on devrait

penser la théorie des transcendantaux autrement que comme une mise en pratique de la

suppositio, à savoir comme une mise à profit de la théorie de la supposition afin de

justifier la distinction entre le mode d'intelliger ou de signifier ou de dire et le mode dans

les supposés. Par ailleurs, la convertibilité des concepts, qui est fondée sur la théorie de la

convertibilité des prédicats dans les Topiques d'Aristote129, n'est pas reprise pour prouver

la validité de la convertibilité des transcendantaux ; sa validité est présumée

suffisamment prouvée, même si la convertibilité décrite dans les Topiques constitue la

convertibilité du sujet avec sa définition ou avec son propre et non pas avec un autre

concept, comme c'est le cas pour les transcendantaux. i ^n La même réponse qu'on vient d'analyser implique des éléments utilisés aussi

par Albert le Grand dans sa question sur la convertibilité de l'étant et du bien. Selon

Albert131, l'étant précède le bien selon sa notion, il est convertible avec lui dans les

supposés, et il est postérieur à lui quand on considère le bien de la Première Cause par

rapport aux étants créés :

Les communissima, comme on a vu chez Philippe le Chancelier. 6 Pour une explication générale du suppositum chez les maîtres es arts de Paris, dans le cadre de leurs

théories des universaux, voir PlCHÉ, Le problème des universaux, p. 203 : « Au binôme formé par . l'universel et les singuliers correspond un couple de propriétés sémantiques : la signification et la référence (ou dénotation). Tout terme commun signifie ou fait signe vers un universel conceptuel par l'intermédiaire duquel il réfère ou renvoie à un ensemble d'individus du monde extérieur ».

127 PORPHYRE, Isagoge, texte grec, trad. BOÈCE, traduction par A. DE LIBÉRA et A.P. SECONDS, introduction et notes par A. DE LIBÉRA, Paris, Vrin (coll. « Sic et non »), 1998.

128 Cf. AERTSEN, Médiéval Philosophy and the Transcendentals, p. 88-97. m Cf. ARISTOTE, Topiques, 103b7-17, voir ci-dessus, p. 23 et n. 11. Cf. PIERRE D'ESPAGNE, Tractatus, VI,

11, éd. DERUK, p. 84-85. 130 Cf. ci-dessus, p. 53 et n. 116. 131 Cf. ALBERT LE GRAND, De bono, q. 1, art. 6, éd. KÛBEL, p. 11 : « Dicendum quod bonum uno modo est

posterius ente et secundo modo est ante ipsum et tertio modo convertitur cum ipso ».

S 7

En effet, si on considère l'intention du bien et l'intention de l'étant, dans chacun l'étant sera créé premièrement et par une cause primaire, et deuxièmement, le bien sera dans l'étant par information. En effet, l'intention de l'étant est l'intention du simplissime, qui n'est pas à résoudre en quelque chose qui soit avant lui selon la notion (secundum rationem). Or, le bien est à résoudre en l'étant relié à une fin (ALBERT LE GRAND, De bono, q. 1, art. 6)'32.

Mais, si on considérait le bien et l'étant non dans n'importe quoi, mais le bien dans la Première Cause et l'étant dans les créés, ainsi l'étant sera postérieur au bien. [...] Mais, si on considérait le bien et l'étant d'une troisième manière, à savoir selon les supposés, pour que l'on considère à savoir ce qui est l'étant et ce qui est le bien, ainsi le bien et l'étant sont convertibles, parce que rien n'est qui ne soit bon ou parfaitement ou imparfaitement (ALBERT LE GRAND, De bono, q. 1, art. 6)133.

Or, les deux premiers éléments de la réponse d'Albert se trouvent chez le Pseudo-

Peckham dans le paragraphe 20 que l 'on vient d'analyser - à savoir la priorité du concept

de l 'étant parmi les transcendantaux et leur convertibilité dans les supposés. Le troisième

élément - à savoir la relation entre les transcendantaux en Dieu et dans les créatures selon

laquelle il y a une supériorité du bien en Dieu par rapport aux étants - répond chez Albert

à la question de l 'ordre des causes , mais chez le Pseudo-Peckham, il répond à

l 'objection suivante :

De même, comme le veut Denys : « parce que Dieu est bon, nous sommes », donc la notion de la bonté Le pose dans la notion du principe. Mais le Premier et le principe sont le même, c'est pourquoi le Premier sera dans la notion de la bonté. C'est pourquoi le bien sous le rapport du bien et devance le vrai et devance toute autre condition existant dans le Premier selon la voie de l'intellection. C'est pourquoi, <purement et> simplement parlant, le bien devance le vrai (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, q. 1 )135.

Notre traduction. Cf. ALBERT LE GRAND, De bono, q. 1, art. 6, éd. KOBEL, p. 11 : « Si enim consideretur intentio boni et intentio entis, in unoquoque ens erit creatum primum et causa primaria, et bonum erit per informationem in ente et secundum. Intentio enim entis est intentio simplicissimi, quod non est resolvere ad aliquid, quod sit ante ipsum secundum rationem. Bonum autem rcsolvere est in ens relatum ad finem ».

Notre traduction. Cf. ALBERT LE GRAND, De bono, q. 1, art. 6, éd. KÛBEL, p. 12 : « Si vero consideretur bonum et ens non in quoeumque, sed bonum in Causa Prima et ens in creatis, sic ens erit posteiïus bono. [...] Si autem tertio modo considerentur bonum et ens, scilicet secundum supposita, ut scilicet consideretur id quod est ens, et id quod est bonum, tune bonum et ens convertuntur, quia nihil est, quod non sit bonum vel perfecte vel imperfecte ».

Cf. ci-dessous, p. 60. Notre traduction. Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, q. I,

§ 16 : « Item, sicut uult Dionisius : « quia Deus est bonus, sumus », ergo ratio bonitatis ponit Ipsum in rationc principii. Set Primum et principium idem sunt, quare ratione bonitatis erit Primum. Quare bonum sub ratione boni et antecedit uerum et antecedit omnem aliam condicionem secundum uiam intelligendi in Primo existentem. Quare, simpliciter loquendo, bonum antecedit uerum ».

s,s

Les réponses du Pseudo-Peckham et d 'Albert sont très semblables en ce qui

concerne leur structure, sauf que l 'une parle de la prééminence du bien sur le vrai et que

l 'autre parle de la prééminence du bien sur l 'étant :

À l'autre, il faut dire que sans doute, parce que Dieu est bon, nous sommes, mais le 'parce que' ne dit pas la première raison par laquelle nous sortons de Dieu à l'être, mais <il dit> la <raison> prochaine - e n effet, si la puissance et la science n'avaient pas précédé selon la voie de l'intelligence, <nous> n'aurions jamais procédé de la volonté ou de la bonté vers l'être. D'où si le 'parce que' dit la cause prochaine, ce que dit Denys est vrai ; mais si <le 'parce que' dit la cause> première, <ce que dit Denys> n'est pas vrai. Cependant, on pourrait dire que la bonté ne pose pas ou ne signifie pas Dieu en raison du principe si ce n'est qu'à l'égard des créatures. Et à cause de cela if ne faut pas, en parlant <purement et> simplement, que le bien devance le vrai, mais que le bien dans la Cause ou dans le Créateur devance le vrai dans les causés ou créatures (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, q. I)'36.

Tout ce qui est de la part du Créateur devance ce qui est de la part du créé. Ainsi,

le bien dans le créateur devance le vrai dans les créatures. Or, dans cette même ligne

d'interprétation, on pourrait dire aussi que le bien du Créateur est aussi antérieur à l 'étant

dans les créés, ce qui est explicite dans le texte d'Albert le Grand :

Si d'autre part on considère le bien et l'étant non dans n'importe quoi, mais le bien dans la Cause Première et l'étant dans les créés, ainsi l'étant sera postérieur au bien (ALBERT LE GRAND, De bono, tr. 1, q. 1, art. 6)'37.

Notre traduction. Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, q. 1, § 23 : « Ad aliud dicendum quod sine dubio, quia Deus est bonus, sumus, set li 'quia' non dicit primam rationem quare exierimus a Deo in esse, set proximam -nisi enim precessissent secundum uiam intelligentie potentia et scientia, nunquam a uoluntate siue bonitate processimus in esse. Vnde si li 'quia' dicat causam proximam, uerum est quod dicit Dionisius, set si primam, non est uerum. Tamen posset dici quod bonitas non ponit uel significat Deum in ratione principii nisi respectu creaturarum. Et propter hoc non oportet, simpliciter loquendo, bonum antecedere uerum, set bonum in Causa uel in Creatore antecedere uerum in causatis siue creaturis ».

Notre traduction. Cf. ALBERT LE GRAND, De bono, tr. 1, q. 1, art. 6, éd. KUBEL, p. 12, I. 5-7 : « Si vero considerentur bonum et ens non in quocumque, sed bonum in causa prima et ens in creatis, sic ens erit posterius bono». Voir aussi la suite du texte, Ibid, p. 12, 1.7-44 : « Et in hoc sensu dicit Augustinus : "Quia deus bonus est, sumus, et inquantum sumus, boni sumus". Et Dionysius IV capitule De divinis nominibus loquens de bono dicit sic : "sicut noster sol non ratiocinans aut praeeligens, sed per ipsum esse", hoc est per hoc, quod est, "illuminât omnia participare lumine ipsius secundum propriam rationem valentia, ita quidem bonum super solem sicut super obscuram imaginem segregate archetypum", idest excellenter principale exemplum, "per ipsam essentiam omnibus existentibus proportionaliter totius bonitatis immittit radios". Et de hoc est bonum verbum infra in eodem capitulo, ubi sic dicit : "Bonum est, ut eloquia dicunt, ex quo omnia consistunt, et sunt, sicut ex causa perfecta deducta, et in quo omnia consistunt, sicut in potenti plantatione, custodita et contenta, et ad quod omnia convertuntur quemadmodum ad proprium singula finem et ad quod desiderant omnia; intellectualia quidem et rationalia, cognitive, sensibilia autem sensibiliter, expertia uero sensus naturali motu vivifici desiderii, carentia autem vita et tantum

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Les trois points d'analyse de la prééminence entre le vrai et le bien chez le

Pseudo-Peckham trouvent alors leur écho dans les trois points d'analyse de la

prééminence entre l'étant et le bien chez Albert le Grand. Or, cette systématisation des

transcendantaux est beaucoup plus développée chez Albert que chez notre maître. En ce

sens on peut dire, les textes de ces deux auteurs étant à peu près contemporains, qu'il

s'agit des arguments qui étaient utilisés souvent à Paris dans le cadre de ce type de

discussions et qui ont été systématisés différemment par chacun des maîtres, surtout que

la systématisation des transcendantaux du Pseudo-Peckham suit aussi un autre modèle

fourni par la Somme théologique dite d'Alexandre de Halès.

Néanmoins, tant chez Albert que chez le Pseudo-Peckham, nous trouvons une

scission de deux niveaux de transcendantaux : il y a les transcendantaux dans les

créatures et il y a les transcendantaux en Dieu. Bien que les mêmes concepts soient

applicables aux uns et à l'Autre, tout ce qui s'applique à Dieu se fera suivant la voie de

l'excès, autant du point de vue noétique (modus intelligendï) que du point de vue

ontologico-référentiel (in suppositis). C'est pourquoi, même si les transcendantaux ont un

ordre notionnel qui s'applique autant à Dieu qu'aux créatures, cet ordre ne fonctionne

plus de la même manière lorsqu'on compare les transcendantaux en Dieu et dans les

créatures. Tout aussi transcendantaux que soient ces concepts, ils ne transcendent pas la

différence la plus profonde qu'est celle qui s'étend entre Dieu et sa création138. Donc il

est clair pour le Pseudo-Peckham que l'ordre des transcendantaux reste seulement au

niveau des concepts, que dans la sphère des supposés ils sont convertibles et que le seul

existentia aptitudine ad solam substantie participationem". Et ex ista auctoritate tria accipiuntur de bono. Quorum primum est, quod bonum in causa prima est diffusivum et communicativum esse sicut sol luminis, et quod omnia fundata sunt in ipso sicut in conservante esse uniuscuiusque. Secundum est, quod bonum est finis, ad quem omnia convertuntur. Tertium est, quod bonum est ab omnibus optatum et desideratum aut cognitive aut sensibiliter aut vivifiée aut ad solius participationem esse. Unde dicit Maximus : hoc nomen bonum non aliunde originem ducit nisi a verbo Graeco, quod est 'boo', idest clamo. 'Boo' enim et 'calo', idest clamo et voco, unum sensum possident ; etenim qui vocat, saepissime in clamorem erumpit. Deus ergo non inconvenienter bonus dicitur et bonitas, quia omnia de nihilo in essentiam venire intelligibili clamore vocat ».

On pourrait être tenté d'objecter comment ou selon quelle modalité les concepts transcendantaux peuvent-ils alors se prédiquer du Créateur et de ses créatures ? Une réponse peut-être rapide serait « par excès », voire « par équivocité », car l'ordre notionnel des transcendantaux n'est pas respecté quand il s'agit d'un rapport entre Dieu et les créatures.

60

cas où l'on peut trouver une suprématie du bien sur les autres transcendantaux, c'est dans

le Créateur, car le bien en Dieu surpasse les autres transcendantaux dans les créatures.

5.2. La systématisation des transcendantaux

Quant à la systématisation des transcendantaux, elle est élaborée à partir des

différences parmi les concepts, des différences qui peuvent être ordonnées pour exprimer

une suite 'conceptuelle' des transcendantaux, en contraste avec la convertibilité

'référentielle' des transcendantaux dans les supposés. Or, il y a plusieurs systématisations

en concurrence. Philippe présente la systématisation par la simplicité du concept en

ordonnant du plus simple au plus complexe. Le Pseudo-Peckham décrit une organisation

par rapport aux facultés de l'âme, ce que fait également Alexandre de Halès. Une autre

disposition constitue celle des transcendantaux en Dieu, à savoir dans leur degré le plus

haut . Finalement, une configuration exposée et rejetée par la plupart des auteurs

consiste - à partir de la reprise de l'ordre des causes dans le système aristotélicien, alors,

faisant équivaloir chacun des transcendantaux à l'une ou l'autre des causes

aristotéliciennes - à asseoir l'antériorité du bien par rapport aux autres transcendantaux

sur une prétendue prééminence de la cause finale par rapport aux causes efficiente et

formelle. Cette alternative est présentée généralement sous forme d'objection, parce

qu'elle va être systématiquement refusée ou bien réinterprétée.

5.2.1. L'objection par rapport à l'ordre des causes

Le Pseudo-Peckham avait montré une objection : le bien, ce que tous recherchent,

est comme la cause finale, la cause finale étant la cause des causes, le bien devrait être

antérieur aux autres transcendantaux :

De même, le vrai est pris par la cause formelle, tandis que le bien <est pris> par la cause finale. Mais la <cause> finale est la cause des causes et devance toutes les autres causes, et ainsi <elle devance> la <cause> formelle. C'est aussi pourquoi

Le Commentaire de Paris décrit à son tour cet ordre, cf. ci-dessous, n. 149.

(.1

le bien devance le vrai (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, q. I)'40.

Notre maître fournit un parallèle entre les concepts transcendantaux et les causes

efficiente, formelle et finale : une correspondance très commune à l'époque qui se trouve

considérée par Philippe141, par Alexandre de Halès142, par Albert le Grand143 ainsi que par

le Commentaire de Paris sur la Nouvelle Éthique 4 . Or, selon que chacun des

transcendantaux représente une différente cause, l'un est la cause efficiente, le vrai est la

cause formelle ou exemplaire, et le bien est la cause finale ; et comme la cause finale est

la cause des causes , le bien viendrait en premier.

D'une part, le Pseudo-Peckham présente sa solution (§ 24) en considérant que la

cause des causes, la cause finale, ne précède pas les autres causes selon l'être, mais

seulement selon le mouvement.

À l'autre il faut dire que la fin est dite la cause des causes non parce qu'elle précède selon l'être, mais parce qu'elle précède en mouvant de la manière par laquelle elle meut, et parce qu'ayant eu la <cause des causes> on repose. Donc, <la cause finale> est antérieure aux autres <causes> quant au temps en tant qu'elle meut à sa manière, et <la cause finale> est antérieure quant à la dignité et la complétude en tant qu'elle finit et termine le mouvement et l'indigence de toutes <Ies choses>. La première priorité ne peut être que relativement, la deuxième priorité peut être <purement et> simplement, mais cela quant au temps est

Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, q. 1, § 17 : « Item, uerum accipitur a causa formali, bonum uero a causa finali. Set finalis est causa causarum et omnes alias causas antecedit, et ita formalem. Quare et bonum antecedit uerum ».

141 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. I, éd. WICKI, p. 6-7 ; q. II, p. 12 ; q. 111, p. 18. 142 ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, I, I, tract. III, q. 1, éd. B. KLUMPER, Florence, Collège S.

Bonaventure, 1924, p. 115, le texte est reproduit ci-dessous, p. 67, n. 160. 143 ALBERT LE GRAND, De bono, éd. KÛBEL, p. 14, 37 -15 , 3. 144 ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 123-124. 145 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 123 : « finis est causa causarum ».

PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. I, éd. WICKI, p. 6 : « causa finalis est causa causarum » ; et aussi ALBERT LE GRAND, De bono, éd. KÛBEL, p. 14 : « una est causarum causa, quae immobilis manens omnes alias conducit ad actum ; et illa est finis ». Dans le Liber de causis, figure l'expression «cause des causes» {causa causarum) appliquée au «Premier étant». Cf. ANONYME, Liber de causis, XVII (XVIII), dans A. PATTIN, « Liber de causis, édition établie à l'aide de 90 manuscrits avec introduction et notes », Tijdschrift voor fdosofie, 28 (1966), p. 90-203, § 148 : « Ens primum est quietum et est causa causarum ». Gauthier a signalé cela (« Le cours sur YEthica Nova», p. 123, n.y). Cf. aussi ARISTOTE, Metaphysica, I, 2, 982b, trad. 'MEDIA', éd. VUILLEMIN-DlEM, p. 10, 1. 14 : « Ex omnibus ergo que dicta sunt in eandem cadit scientiam quod quesitum est nomen ; oportet enim eam primorum principiorum et causarum esse theoricam ; et enim bonum ipsum et quod est cuius causa una causarum est ».

62

postérieur à l'être de n'importe quelle autre cause (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, q. I)146.

La cause finale, mouvant par attraction, est quant au temps la première parce que

toute chose désire sa fin avant de se mouvoir. Cependant, la consommation de la cause

finale advient seulement postérieurement dans le temps. La réponse d'Albert a été

considérée plus haut147. Alexandre mentionne la même correspondance entre les causes et

les transcendantaux sans pour autant considérer le bien comme cause des causes. Quant à

Philippe le Chancelier, il présente une réponse un peu différente en réitérant que le vrai

précède le bien (selon le mode de l'intellect) dans les créatures, mais que dans l'essence

suprême, l'être-vrai et l'être-bien sont la même chose, au-delà de ce que l'on peut

connaître (intelligere) dans les créatures148.

Pour sa part, l'auteur du Commentaire de Paris distingue lés causes en tant

qu'elles sont créées ou incréées : du point de vue des créatures la cause finale va en

premier, mais du point de vue de Dieu les causes s'ordonnent selon les attributs divins

suivants : la puissance (un), la sagesse (vrai) et la bonté (bien) ; ils ont un ordre en Dieu,

mais non comme antérieur et postérieur absolument.

Mais le Premier est la cause finale, est la cause formelle, est la cause efficiente, et cela est parce qu'en lui sont trois, à savoir la puissance et la sagesse et la bonté ; du point de vue de la bonté il y a la cause finale, du point de vue de la sagesse il y a la cause formelle, parce que la sagesse est la connaissance des espèces, ce qu'est <la connaissance> des exemplaires qui sont dans l'esprit divin, la cause efficiente est dite en relation à la puissance qui est en Lui ; mais par rapport au Premier Lui-même la puissance est antérieure à la sagesse et la sagesse <est antérieure> à la volonté ou bonté (ANONYME, Commentaire de Paris sur la Nouvelle Éthique)149.

Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, q. 1, § 24 : « Ad aliud dicendum quod finis dicitur causa causarum non quia précédât secundum esse, set quia precedit in mouendo eo modo quo mouet, et quia ipsa habita quies est. Est ergo prior aliis tempore in quantum mouet suo modo, et est prior dignitate et completione in quantum finit et terminât motum et indigentiam omnium. Prima prioritas non potest esse nisi secundum quid, secunda prioritas potest esse simpliciter, set illud tempore est posterius esse cuiuslibet alterius cause ».

Cf. ci-dessus, p. 58, et n. 137. Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. III, éd. WICKI, p. 17. Notre traduction. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 124 (ponctuation modifiée) :

« Set Primum est causa finalis, est causa formalis, est causa efficiens, et hoc est quia in ipso sunt tria, scilicet, potencia et sapiencia et bonitas ; ratione bonitatis est causa finalis, ratione sapiencie est causa formalis, quia sapiencia est cognitio specierum, hoc est exemplarium que sunt in mente diuina, causa efficiens dicitur in relatione ad potenciam que est in ipso ; set in comparatione ad ipsum Primum prius est potencia quam sapiencia et sapiencia quam uoluntas siue bonitas ». Lorsque l'auteur du Commentaire de Paris se questionne sur la relation du vrai-bien-un, il s'inspire de

<,;

Comme on peut l'observer, dans la comparaison entre les transcendantaux et les

causes aristotéliciennes apparaît déjà le problème de la disparité entre les transcendantaux

- et aussi les causes - en Dieu et dans les créatures.

5.2.2. L'ordre des transcendantaux dans les créatures et en Dieu Le commentaire du Pseudo-Peckham se penche dans le paragraphe 25 de son

prologue sur d'intéressantes notions de chacun des transcendantaux ; il fournit dans ce

même paragraphe et comme corollaire, une systématisation des transcendantaux en deux

parties. La première systématisation est un ordre établi parmi les notions des

transcendantaux. Ensuite, l'auteur exprime « autrement » la première systématisation

pour la mettre en parallèle avec une « troisième », celle que nous considérons comme la

deuxième. La deuxième systématisation est une mise en équivalence entre les concepts

d'un, de vrai et de bien avec les causes efficiente, formelle et finale :

À l'autre il faut dire que l'étant nomme l'essence de la chose ou l'entité absolument. Or, l'un, le vrai et le bien disent des propriétés ou des rapports autour de l'étant lui-même. En effet, l'un ajoute une complétude à l'étant, le vrai <ajoute> une distinction, le bien <ajoute> un ordre ; et par cela l'ordre parmi eux est patent.

PIERRE LOMBARD, Sententiarum libri IV, I, dist. 34, 3-4, Grottaferrata, Editiones Collège S. Bonaventure (coll. « Spicilegium Bonaventurianum », 4), 1971, p. 251-253. Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 122 : « Et notandum quod potencia et sapiencia ordinantur ad ipsam bonitatem in ipso primo, et quamuis in ipsis non sit prius et posterius secundum ueritatem, tamen ibi est ordo aliquo, sicut dicit Augustinus. Vnde prius est potencia et postea sapiencia et postea bonitas ; quecunque enim sunt, unum sunt ; et quecunque sunt, uera sunt ; et quecunque sunt, bona sunt ; et unitas omnium est a potencia primi, unius enim proprie est potencia ; ueritas omnium est a sapiencia primi, sapiencia enim est in ipso quantum ad formas que sunt in ipso in ratione exemplarium quorum est cognitio et cognitio est respectu ipsius ueri et sic ueritas rerum siue encium est a sapiencia primi ; bonitas autem encium est a uoluntate primi, et quia uoluntas est respectu boni, encia dicuntur bona. Et sic patet quare omnia in quantum sunt, bona sunt. Et notandum quod unum precedit uerum et uerum bonum et est ibi ordo aliquo modo, etsi non sit prius et posterius simpliciter ».

Une troisième systématisation (cf. ci-dessus, p. 57 et n. 136) établit une hiérarchie et une différence entre les transcendantaux considérés en Dieu et les mêmes transcendantaux considérés dans les créatures. Le bien (qui est le concept qui intéresse le plus le Pseudo-Peckham en tant que sujet de la science morale) dans le Créateur est supérieur au vrai dans les créatures. Il s'agit d'une fracture entre deux niveaux de considération des transcendantaux, l'un chez les créatures et l'autre chez Dieu ; cette fracture peut s'étendre vers le reste des transcendantaux, comme on le trouve chez Albert le Grand (cf. ci-dessus, p. 58).

64

En effet, selon la voie de l'intellection, l'étant complet est antérieur à <l'étant> distinct, et <l'étant> distinct <est antérieur> à <Pétant> ordonné. Aussi autrement : à partir de l'union de la forme avec la matière est causé l'être ou l'entité de la chose proprement dans les composés. Or, la forme perfectionne et le parfait <se> distingue des autres, <ce qui est> parfait et distinct s'ordonne vers autre <chose> ou vers l'œuvre, l'un concerne le premier, le vrai concerne le deuxième, le bien concerne le troisième. On peut dire d'une troisième manière que l'un dit l'étant relié à la cause efficiente, le vrai <dit l'étant relié> à la forme, le bien <dit l'étant relié> à la fin (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, q. I)15 ' .

Dans la première systématisation, les concepts de l'un, du vrai et du bien sont

considérés comme des propriétés ou des relations concernant l'étant lui-même. L'auteur

suit un ordre qui dépend des notions de chacun des concepts. Chacun des concepts, selon

notre maître, ajoute quelque chose à l'étant :

Ens (essentia rei uel entitas absolute) ' Étant (essence de la chose ou entité absolument)

Vnum addit completionem L'un ajoute une complétude

Verum addit distinctionem

(manifestationem)

Le vrai ajoute une distinction

(manifestation)

Bonum addit ordinem

(comparationem ad opus uel finem)

Le bien ajoute un ordre

(rapport à une action ou un but)

Ce système impose un ordre semblable à celui de Philippe, mais sur des notions

qui ne reposent pas sur l'indivision ; au contraire, les définitions du Pseudo-Peckham

présentent un caractère plutôt positif que négatif. Ainsi, la définition de l'un est l'étant

151 Notre traduction. (Sur les mots absolute et simpliciter, voir la n. 156) Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentahum in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, q. 1, § 25 : « Ad aliud dicendum quod ens nominat rei essentiam uel entitatem absolute. Vnum autem uerum et bonum, circa ipsum ens dicunt proprietates uel comparationes. Vnum enim supra ens addit completionem, uerum distinctionem, bonum ordinem ; et per hoc patet ordo horum. Prius enim est ens completum secundum uiam intelligendi quam distinctum, et distinctum quam ordinatum. Et aliter : ex unione forme cum materia causatur esse uel entitas rei proprie in compositis. Forma autem perficit et perfectum distinguit ab aliis, perfectum et distinctum ordinat ad aliud siue ad opus, quo ad primum : unum, quo ad secundum : uerum, quo ad tertium : bonum. Tertio modo potest dici ut unum dicat ens relatum ad causam efficientem, uerum ad formam, bonum ad finem ».

65

complet (curieusement, chez Philippe, la 'complétude' ou 'complément'l52 est une

caractéristique de la fin et donc du bien, et non de l'un, dont la caractéristique est plutôt

l'indivision), celle du vrai est l'étant complet et distinct (distinctum)]53, finalement celle

du bien est l'étant complet et distinct ordonné vers une fin.

Cet ordre est aussi partagé par Alexandre de Halès154, qui offre une autre

systématisation des transcendantaux plus vaste : tout en établissant un ordre selon les

concepts, il ajoute trois autres critères (qu'il combinera avec le premier), à savoir l'ordre

des transcendantaux dans le genre propre des choses - par opposition, d'une part, à Dieu

qui les engendre et, d'autre part, à l'âme qui les connaît-, dans les choses en relation

avec la Cause Divine et dans les choses en relation à l'âme :

Il faut dire que l'étant est le premier intelligible, mais les premières déterminations de l'étant sont l"un' et le 'vrai' et le 'bien'. En effet, ils déterminent l'étant selon que l'on considère l'être des choses dans son propre genre, et aussi selon la relation de leur être à la cause divine, et selon la relation des choses à l'âme, qui est l'image de l'essence divine (ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. 1, Tract. III, q. I) '55 .

La partie de cette systématisation qui est commune avec la première partie du

paragraphe du Pseudo-Peckham que l 'on vient de présenter est la détermination de l 'étant

dans son propre genre ; ce qu'Alexandre présente comme suit :

Cf. ci-dessus, p. 48, n. 99. Dans l'argumentation d'Alexandre de Halès, nous trouvons aussi la 'distinction'. Cf. ALEXANDRE DE

HALÈS, Summa theologica, Pars I, I, tract. III, q. 1, 1, éd. KLUMPER, p. 113 : « Hinc est quod in notificatione 'unius' est una notio per abnegationem, alia vero per effectum consequentem : per abnegationem oppositae intentionis, quae est divisio vel multitudo, cum dicitur 'ens indivisum' ; per effectum consequentem, qui est distinguerc ab aliis : unitas enim distinguit 'unum' ab alio et ideo dicitur 'divisum ab aliis' ».

Cf. ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. I, Tract. III, q. 1, 2, éd. KLUMPER, p. 116: « Ad quarto quaesitum de ordihe : dicendum quod intentio 'entis' naturaliter praecedit intentionem 'unius' et intentio 'unius' intentionem 'veri' et 'boni' : absolutior enim est intentio 'entis' intentione 'unius' sicut ostensum est ; et absolutior intentio 'unius', quae est entis in quantum considcratur absolutum, quam intentio veri et boni, quae sunt entis comparati. Item, intentio veri absolutior est intentione boni, sicut esse rei consideratum sine sua utilitate vel ordine, et esse rei cum sua utilitate et ordine ».

Notre traduction. Cf. ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. I, Tract. III, q. I, éd. K.LUMPER, p. 114: «Dicendum quod ens est primum intelligible, primae autem entis determinationes sunt 'unum' et 'verum' et 'bonum'. Déterminant enim ens secundum quod consideratur esse rerum in proprio génère, et etiam secundum relationem esse earum ad divinam causam, et secundum relationem rerum ad animam, quae est imago divinae essentiae ». Pour le texte complet de cette réponse ainsi que sa traduction, voir ci-dessous, Appendice D.

66

Or, selon que l'être des choses est considéré dans son propre genre, la détermination de l'étant est triple. En effet, ou bien on le considère comme absolu l56 ou bien comme en relation ; et <si> en relation : ou bien selon la différence ou bien selon la convenance. Selon qu'un étant quelconque est considéré absolu, comme divisé des autres <étants> et indivis en soi, il se détermine par P'un' . Tandis que selon qu'un étant quelconque est considéré en relation avec un autre <étant> selon la distinction, il se détermine par le 'vrai' : en effet, le 'vrai' est ce par quoi la chose a à être discernée. Tandis que selon qu'<un étant quelconque> est considéré en relation avec un autre <étant> selon la convenance ou l'ordre, il se détermine par le 'bien' : en effet, le 'bien' est ce à partir de quoi la chose a à être ordonnée (ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. I, Tract. III, q. I)'57.

L'étant dans son genre (ou en soi) est considéré comme absolu et en ce sens il est

'un', et ici on peut comprendre que chez le Pseudo-Peckham on trouve le mot 'complet'

non pas dans le sens d'achevé (qui serait relié plutôt avec le bien comme chez Philippe le

Chancelier), mais plutôt dans le sens d'indépendant des autres. Ensuite, l'étant selon qu'il

se distingue des auprès est vrai : en effet la distinction est une relation et le discernement

de cette distinction est vrai, alors chaque étant, en ce qu'il est ceci ou cela158, est vrai.

Enfin, tout étant est ordonné vers quelque chose comme vers sa fin et, dans cette relation

d'ordonnance, l'étant est bon par la relation qui le lie à la fin (c'est-à-dire à son but) ou à

l'oeuvre (c'est-à-dire à l'action). Les textes du Pseudo-Peckham et d'Alexandre s'avèrent

assez semblables dans l'ordre des transcendantaux même quant aux notions qu'ils offrent,

sauf peut-être quant au concept de l'un, dont Alexandre souligne l'indivision et le

Pseudo-Peckham souligne la complétude.

Sur la traduction des mots absolute et simpliciter. Il semble d'après le paragraphe suivant (n. 157) que le mot absolute s'emploie dans le sens de 'dans un univers précis' (par exemple, dans un genre déterminé), ce qui veut dire 'généralement' ou 'en général' ou même 'en soi', tandis que le mot simpliciter connote plus spécifiquement ce que de nos jours nous appellerions 'absolument'. Cependant, à cause de la similitude littérale, nous gardons le mot 'absolument' ou 'absolu' dans le cas de absolute ou absolutum et apurement et> simplement' pour simpliciter, afin de montrer la différence terminologique.

Notre traduction. Cf. ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. 1, Tract. III, q. I, éd. KLUMPER, p. 114-115: « Secundum autem quod esse rerum consideratur in proprio génère, triplicatur entis determinatio. Aut enim consideratur absolutum aut comparatum ; et comparatum : aut secundum differentiam aut secundum convenientiam. Secundum quod ens aliquod consideratur absolutum, ut divisum ab aliis et in se indivisum, determinatur per 'unum'. Secundum vero quod consideratur aliquod ens comparatum ad aliud secundum distinctionem, determinatur per 'verum' : 'verum' enim est quo res habet discerni. Secundum vero quod consideratur comparatum ad aliud secundum convenientiam sive ordinem, determinatur per 'bonum' : 'bonum' enim est ex quo res habet ordinari ».

C'est-à-dire, en ce qu'il est ce qu'ïï est.

67

Dans le commentaire du Pseudo-Peckham, la deuxième partie du paragraphe 25

fait une ' équivalence entre la systématisation qu'il vient d'exprimer et une autre

systématisation qui rend compte des causes de l'étant : efficiente, formelle-exemplaire et

finale. Il considère les étants par rapport à leurs causes . Alexandre, qui écrit une

somme théologique, va préciser l'appropriation des causes aux personnes de la Trinité,

pour ensuite déterminer les transcendantaux dans les étants par rapport aux causes

appropriées à la Trinité.

De même, selon que l'être des choses se rapporte en relation à la cause divine, la détermination, d'une manière similaire, est triple. En effet, la cause divine est cause dans le triple genre de cause : efficiente, formelle comme exemplaire, finale. Certes, cette causalité, bien qu'elle soit commune à toute la Trinité, est appropriée comme cause efficiente au Père, exemplaire au Fils, finale à l'Esprit Saint (ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. I, Tract. III, q. D160.

L'appropriation de chacune des causes à des personnes différentes de la Trinité

est un élément qui réapparaît - d a n s une équivalence des termes philosophiques

d'attributs de puissance, sagesse et bonté dans le Premier - dans le Commentaire de Paris

et qui tient son origine dans les Sentences de Pierre Lombard161.

La puissance est antérieure et après <vient> la sagesse et après la bonté ; en effet, n'importe quelles <choses> qui sont, sont unes; et n'importe quelles <choses> qui sont, sont vraies ; et n'importe quelles <choses> qui sont, sont bonnes ; et l'unité de tous est par la puissance du Premier, en effet, la puissance proprement est de l'un ; la vérité de tous est par la sagesse du Premier, en effet, la sagesse est en Lui quant aux formes qui sont en Lui en raison des exemplaires dont il y a connaissance et la connaissance est à l'égard du vrai lui-même et ainsi la vérité des choses ou des étants est par la sagesse du Premier ; or, la bonté des étants est par la volonté du Premier, et parce que la volonté est à l'égard du bien, les étants sont dits bons. Et ainsi il est évident pourquoi toutes <les choses> en tant qu'elles sont, sont bonnes. Et il faut noter que l'un précède le vrai et le vrai

Voir citation ci-dessus, p. 63. 160 Cf. ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. 1, Tract. III, q. 1, éd. KLUMPER, p. 115:

« Item, secundum quod esse rerum comparatur in relatione ad causam divinam, simili modo triplicatur determinatio. Causa enim divina est causa in triplici génère causae : efficiens, formalis ut exemplar, finalis. Quae quidem causalitas, cum sit communis toti Trinitati, appropriatur ut causa efficiens Patri, exemplaris Filio, finalis Spiritui Sancto ».

161 PIERRE LOMBARD, Libri Sententiarum, I, d. 34, éd. Collège S. Bonaventure, p. 251-253. En fait, selon GAUTHIER (« Le cours sur YEthica Noua », p. 121, n. h) : « La triade Potencia-Sapiencia-Bonitas semble avoir été créée par Hugues de Saint-Victor, De Sacramentis, I, 2, c. 6 et 8 {PL 176, 208 D-209 C) et Richard de Saint-Victor, De tribus appropriais personis in Trinitate {PL 196, 994), qui y voient trois attributs appropriés respectivement au Père, au Fils et au Saint-Esprit ».

68

<précède> le bien et là il y a un ordre d'une certaine manière, bien qu'il n'y ait pas de l'antérieur et du postérieur <purement et> simplement (ANONYME, Commentaire de Paris sur la Nouvelle Ethique)1 2.

Le commentateur de Paris précise lui aussi le lien qui rapproche ou l'élément qui

distingue les transcendantaux en Dieu des transcendantaux dans les étants. L'aspect

théologique de la théorie des transcendantaux offre à nos maîtres et au Pseudo-Peckham

en particulier l'occasion de mettre en rapport l'éthique philosophique avec la théologie, et

de cette façon être justifiés à entrer sur le terrain des recherches théologiques, lesquelles

n'étaient pas censées être enseignées par les maîtres es arts. Par ailleurs, le maître

anonyme détermine que cet ordre qu'il vient d'établir constitue un ordre « d'une certaine

manière », à savoir selon les notions et non du point de vue des supposés. Le

commentaire de Paris maintient donc la distinction entre l'ordre 'notionnel' ou

'conceptuel' et la convertibilité 'dans les supposés'.

Or, Alexandre présente ensuite une systématisation de ce qu'il entend par les

déterminations de l'étant en relation à la Cause Première :

Selon cela, l'être dans la créature, qui coule de la cause, se répartit en une triple empreinte, comme dans la conformation à la cause. Donc l'empreinte de la disposition dans l'être de la créature selon laquelle <empreinte, la créature> est faite en conformité à la cause efficiente, est l'unité : tout comme la cause efficiente est une, indivise, multipliée dans n'importe quelle créature, ainsi est faite <la créature>, en tant qu'il est possible pour-elle d'être indivise. De même, l'empreinte de la disposition selon laquelle <la créature> est faite en conformité à la cause formelle exemplaire, est la vérité : tout comme la cause exemplaire est l'art premier de la vérité, ainsi la créature, selon qu'il est possible pour elle, est faite dans l'imitation de l'art ; et cela est avoir la vérité. En outre, l'empreinte selon laquelle <la créature> est faite en conformité à la cause finale, est le bien : tout comme la cause finale est la souveraine bonté, ainsi dans n'importe quelle créature il y a inclination et conformité à la souveraine bonté ; et celle-ci est la bonté de la créature. L'unité de l'être de la créature montre l'unité de la <cause> efficiente, la vérité <de la créature montre> la vérité de la <cause> exemplaire, la bonté <de la

Notre traduction. Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 122 : « Prius est potencia et postea sapiencia et postea bonitas ; quecumque enim sunt, unum sunt ; et quecumque sunt, vera sunt ; et quecumque sunt, bona sunt ; et unitas omnium est a potencia primi, unius enim proprie est potencia ; ueritas omnium est a sapiencia primi, sapiencia enim est in ipso quantum ad formas que sunt in ipso in ratione exemplarium quorum est cognitio et cognitio est respectu ipsius ueri et sic ueritas rerum siue encium est a sapiencia primi ; bonitas autem encium est a uoluntate primi, et qûia uoluntas est respectu boni, encia dicuntur bona. Et sic patet quare omnia in quantum sunt, bona sunt. Et notandum quod unum precedit uerum et uerum bonum et est ibi ordo aliquo modo, etsi non sit prius et posterius simpliciter ».

69

créature montre> la bonté de la fin (ALEXANDRE DE IiALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. I, Tract. III, q. I)163.

Les étants, quant à eux, contiennent des descriptions générales du bien, du vrai et

de l'un ; mais, en tant qu'ils sont des créatures, ils exhibent seulement des 'vestiges', ou

en d'autres mots, une certaine similarité des qualités de Celui qui les a créés. Donc on

peut déduire que le bien, le vrai, l'un, l'étant revêtent leur degré suprême en Dieu. On

peut conclure de cette façon que si nous étudions le bien, il ne s'agit pas seulement du

bien créé ou causé, mais aussi du bien incréé ou non causé. De cette manière, la théorie

des transcendantaux sert pour les artiens de porte d'entrée dans l'étude

philosophiquement justifiée de la théologie. On verra qu'ultérieurement notre maître

affirme en effet que l'éthique ne se limite pas au bien causé ou créé, mais qu'elle doit

aussi enquêter sur le domaine du bien non causé ou incréé164.

Retournons aux textes, nous pouvons voir que le texte d'Alexandre1 5 envisage

l'un comme la relation de l'étant avec la cause divine comme cause efficiente, le vrai

comme la relation de l'étant avec la cause divine comme cause exemplaire, et le bien

comme la relation de l'étant avec la cause divine comme cause finale. Le paragraphe du

Pseudo-Peckham aborde ces mêmes rapports, mais sans mentionner une cause divine166.

Il faut noter aussi qu'entre la première systématisation (de l'étant en tant que complet,

distinct et ordonné) et la deuxième systématisation - que le texte appelle la « troisième

Cf. ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. I, Tract. III, q. 1, éd. KLUMPER, p. 115: « Secundum hoc, esse in creatura, quod fluit a causa, triplicem sortitur impressionem, ut in conformatione ad causam. Impressio ergo dispositionis in esse creaturae secundum quam fit in conformitate ad efficientem causam, est unitas : ut sicut efficiens causa est una, indivisa, multiplicata in qualibet creatura, sic fit, ut sibi possibile est esse indivisum. Item, impressio dispositionis secundum quam fit in conformitate ad causam formalem exemplarem, est veritas : ut sicut causa exemplaris est ars prima veritatis, sic creatura, secundum quod sibi possibile est, fit in imitatione artis ; et hoc est habere veritatem. Praeterea, impressio secundum quam fit in conformitate ad causam finalem, est bonum : ut sicut causa finalis est summa bonitas, sic cuilibet creaturae sit inclinatio et conformitas ad summam bonitatem ; et haec est creaturae bonitas. Unitas esse creaturae monstrat unitatem efficientis, veritas veritatem exemplaris, bonitas bonitatem finis ».

PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, q. 2, § 37 : « À l'évidence de ces <arguments>, il faut savoir que dans cette doctrine, Aristote traite du bien causé, comme de la vertu et de la félicité causée. Cependant, afin que nous résolvions les raisons, soutenons les deux : et qu'il traite de la félicité causée et qu'<il traite> de la félicité non causée ». Le texte latin : « Ad horum euidentiam, sciendum quod Aristotiles, in hac doctrina, déterminât de bono causato, ut de uirtute et de felicitate causata. Tamen ut rationes soluamus, sustineamus utrumque : et quod déterminât de felicitate causata et quod de felicitate incausata ».

Cf. ci-dessus, p. 67. Cf. ci-dessus, p. 63.

70

manière » - du paragraphe 25 (de l'étant en relation avec la cause efficiente, formelle et

finale), une phrase les relie étroitement (introduite par les mots « aussi autrement », il

semble s'agir d'une deuxième systématisation) ; selon cette phrase, la systématisation

dans les étants correspond à la systématisation dans les causes. Il ne s'agit pas de deux

systématisations parallèles, car l'étant est un parce qu'il est complet et parce qu'il a une

cause efficiente une ; il est vrai parce qu'il se distingue en répondant à une cause

exemplaire-formelle ; et il est bon parce qu'il est ordonné vers une cause finale.

Par ailleurs, le Commentaire de Paris sur la Nouvelle Éthique offre une réponse

alternative :

Il faut dire que le vrai et le bien peuvent être entendus en rapport aux causes créées, et peuvent être entendus en rapport aux causes non créées ; et il faut noter qu'en rapport aux causes créées, ce qui est dit en relation à la cause finale précède ce qui est dit en relation aux autres causes, et ainsi le bien précède le vrai ; mais le contraire est en rapport aux causes non créées ; en effet, les causes non créées sont trois, à savoir la cause finale, la cause formelle, la cause efficiente ; en effet, la cause matérielle n'est pas une cause incréée ; [...] mais en rapport au Premier lui-même la puissance est antérieure à la sagesse et la sagesse <est antérieure> à la volonté ou bonté, et parlant ainsi sur les causes non créées, la cause efficiente précède la <cause> formelle, et la formelle <précède la cause> finale ; et ainsi il est évident que mettant en rapport le vrai et le bien aux causes non créées, le vrai précède le bien. Et ainsi il est patent que le vrai précède le bien <purement et> simplement (ANONYME, Commentaire de Paris sur la Nouvelle Éthique)167.

Le commentateur de Paris se mêle des discussions théologiques - il semble en

avoir l'habitude168 ; toutefois, il expose quelques précisions, après avoir donné sa réponse

au sujet des causes créées, il emprunte aux théologiens un autre ordre des causes en Dieu.

C'est donc par rapport à l'ordre des causes en Dieu que l'ordre des transcendantaux avec

Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 123 : « Dicendum quod uerum et bonum possunt accipi in comparatione ad causas creatas, et possunt accipi in comparatione ad causas non creatas ; et notandum quod in comparatione ad causas creatas, illud quod dicitur in relatione ad causam finalem precedit illud quod dicitur in relatione ad alias causas, et sic bonum precedit uerum ; set e contrario est in comparatione ad causas non creatas ; cause enim non create sunt très, scilicet causa finalis, causa formalis, causa efficiens ; causa enim materialis non est causa increata ; [...] set in comparatione ad ipsum primum prius est potencia quam sapiencia et sapiencia quam uoluntas siue bonitas, et sic loquendo de causis non creatis, causa efficiens precedit formalem et formalis finalem ; et sic patet quod comparando uerum et bonum ad causas non creatas, uerum precedit bonum. Et sic patet quod uerum precedit bonum sinpliciter ».

Sur l'incursion des artiens dans des affaires théologiques, cf. LAFLEUR et CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique», p. 263-276. On peut aussi consulter V. BUFFON, « Philosophers and Theologians on Happiness. An analysis of early Latin commentaries on the Nicomachean Ethics », Laval Théologique et Philosophique, 60 : 3 (2004), p. 449-476.

71

le bien en dernière place est posé absolument, tandis que en ce qui concerne l'ordre dans

les causes créées le bien vient en premier. Pour sa part, le Pseudo-Peckham considère,

très professionnellement, les causes seulement dans le domaine du créé, mais il garde

toujours l'ordre donné par les théologiens sauf pour le bien dans le créateur et pour les

autres transcendantaux dans les créatures.

5.3. Potentiel d'application des transcendantaux à l'éthique

Nous avons jusqu'ici décrit sommairement la conception des transcendantaux

telle que nous la présente le Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique du

Pseudo-Peckham, en la mettant en rapport avec d'autres développements théoriques de la

même période. Il nous reste maintenant à faire de même avec un trait original de notre

auteur, l'application ou la mise à profit des transcendantaux dans un contexte éthique.

Les applications de la doctrine des transcendantaux à l'éthique philosophique

dans le Commentaire du Pseudo-Peckham se déploient principalement selon deux axes.

Un axe épistémologique au sens large (à savoir celui qui relie la constitution

psychologique à la constitution et à la division des sciences), et un axe éthico-

psychologique (qui relie encore la constitution psychologique mais cette fois à

l'acquisition des vertus intellectuelles, qui sont aussi d'une certaine manière reliées aux

sciences). Le premier axe fournit un domaine élargi ainsi qu'un fondement

épistémologique à l'éthique philosophique. Le deuxième axe établit une hiérarchie des

vertus intellectuelles visant la perfection de l'âme dans sa relation au supérieur. Dans ce

chapitre, nous traitons du premier axe, tandis que nous traiterons du deuxième axe dans le

chapitre trois - après avoir donné, au chapitre deux, quelques informations sur la

conception de l'âme chez le Pseudo-Peckham.

Si on reprend les systématisations des transcendantaux faites par Alexandre de

Halès, la deuxième, qui correspond à la relation des transcendantaux avec les puissances

de l'âme, se trouve toujours reliée à l'ordre théologique, au moyen d'une source

augustinienne :

De même, par rapport à l'âme la même détermination est triple. De fait, l'être des choses a un triple rapport à l'âme : bien entendu, pour que les choses soient

7>

ordonnées dans la mémoire, soient perçues par l'intelligence, soient aimées par la volonté. Par conséquent, dans n'importe quel étant l'unité est par la cause efficiente, par laquelle on ordonne et garde en mémoire : en effet, la mémoire met en ordre ces <choses> qu'elle retient selon la distinction et une certaine coordination de relation à l"un'. De même, dans n'importe quel étant la vérité est par la cause exemplaire, au moyen de laquelle on perçoit par l'intelligence. De même, <dans n'importe quel étant> la bonté est par la cause finale, au moyen de laquelle on aime ou on approuve par la volonté (ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. I, Tract. III, q. I)169.

Alexandre (utilisant une structure de l'âme plutôt augustinienne) définit une

relation de la mémoire avec l'un, de l'intelligence avec le vrai et de la volonté avec le

bien. Le Pseudo-Peckham, quant à lui, n'est pas engagé dans ce type de description de

l'âme ; pourtant, il traite lui aussi des relations de l'âme avec les transcendantaux, mais

elles constituent des types spéciaux de relation, il s'agit de rapports de connaissance.

Dans ce qui suit, nous allons développer la stratégie épistémologique du Pseudo-Peckham

relativement à la connaissance de l'étant en tant que vrai, bien et un.

5.3.1. Les transcendantaux comme objets de Pâme

La première application du Pseudo-Peckham, à savoir l'application

épistémologique qui permet la constitution de l'éthique philosophique comme science,

réside dans la caractérisation des transcendantaux comme objets de l'intellect humain.

Notre commentateur établit les correspondances dès le deuxième paragraphe de son

commentaire.

Or, la puissance de l'âme est double : à savoir <la puissance> spéculative ou cognitive, pour laquelle l'objet par soi est le vrai ; et la <puissance> motrice, pour laquelle l'objet par soi est le bien. Et c'est pourquoi la science relative aux choses sera ou relative aux choses sous le rapport du vrai, ou relative aux choses sous le

Notre traduction. Cf. ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, Pars I, Inq. I, Tract. III, q. 1, éd. K.LUMPER, p. 115 : « Item, per comparationem ad animam triplicatur eadem determinatio. Nam esse rerum tripliciter comparatur ad animam : videlicet ut res ordinentur in memoria, percipiantur intelligentia, diligantur voluntate. Est igitur in ente quolibet a causa efficiente unitas, per quam ordinetur in memoria et servetur : memoria enim ea quae retinet secundum aliquam coordinationem relationis ad 'unum' et discretionem componit. Item, a causa exemplari est veritas in quolibet ente, per quam percipiatur ab intelligentia. Item, a causa finali est bonitas, per quam diligatur vel approbetur voluntate ».

73

rapport du bien (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, Introduction)170.

L'auteur dédouble les puissances de l'âme en spéculative et motrice, ensuite il

donne comme objet de la spéculative, le vrai, et comme objet de la motrice, le bien. Il

s'agit alors d'une définition des puissances de l'âme selon l'objet propre à chacune. Il

faut souligner que le concept & obiectum, comme ce vers quoi tend chacune des facultés

de l'âme (autant sensitive que rationnelle), avait vu le jour depuis peu de temps à la

Faculté des arts171. Alors, la combinaison de la théorie des objets de l'âme avec la théorie

des transcendantaux constitue une nouveauté en ce qui concerne l'évolution de la théorie

des transcendantaux.

Permettons-nous ici de faire un petit excursus pour souligner cette nouveauté

qu'apporte le Pseudo-Peckham par rapport aux enquêtes sur la théorie des

transcendantaux chez Thomas d'Aquin. La présentation par l'Aquinate des

transcendantaux 'vrai' et 'bien' en tant qu'objets de l'intellect est considérée par Jan 1 79

Aertsen comme « une innovation » ou « un nouvel élément » dans la théorie des

Notre traduction. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, § 2 : « Duplex autem est potentia anime : scilicet speculatiua uel cognoscitiua, cui per se obiectum est uerum ; et motiua, cui per se obiectum est bonum. Et ideo scientia de rébus erit uel de rébus sub ratione ueri, uel de rébus sub ratione boni ». Cf. aussi LAFLEUR et CARRIER, « La Philosophia d'FIervé le Breton (Deuxième partie)», p. 359-442, Texte A, p. 380, §22 : « Vnde philosophie nichil aliud est quam agregatio plurium uiarum per quas acquiruntur scientie et uirtutes : et scientia quidem <per> speculationem ueri, uirtutes autem per operationem boni ».

1 ' Sur la naissance du mot obiectum voir L. DEWAN, « Obiectum. Notes on the invention of a word », AHDLMA, 48 (1981), p. 37-96. Deux textes y sont décrits, un de Robert Grosseteste et un autre d'un maître anonyme de théologie à Paris le De potentiis anime et obiectis, ce dernier étant - selon Dewan - le texte qui illustre pour la première fois une définition travaillée du mot. Quelque temps après, R.A. GAUTHIER (« Le Traité De anima et de potenciis eius d'un maître es arts (vers 1225) », RSPT, 66 (1982), p. 3-55) a édité un ouvrage artien qui selon lui est utilisé par l'auteur du De potentiis anime et obiectis (vers 1230). Dans ce traité artien (daté vers 1225, et donc antérieur d'à peu près cinq ans au traité du théologien), on trouve effectivement la définition d'obiectum : « Dico autem obiectum uel ut a quo uel ut ad quod mouetur potencia, sicut color est motiuum uisus et uolitum est materia uoluntatis ; diuersimode enim se habet obiectum passiue potencie et obiectum actiue ad motum, ab illo enim incipit motus passiue potencie et ad istud terminatur motus actiue, quia motus passiue potencie est ad animam et motus actiue est ab anima », fbid, p. 32, 1. 103-108.

172 Cf. AERTSEN, Médiéval Philosophy and the Transcendentals, p. 260-261.

7-1

transcendantaux, il est frappant alors de retrouver une formulation très similaire quelques

années plus tôt parmi les artiens de Paris173.

Pourtant, nous pouvons remarquer quelques différences qui octroient à Thomas

une originalité dans la réponse au problème posé par le Pseudo-Peckham. Chez Thomas,

l'étant est l'objet de l'âme en sa totalité, ce qui - selon Aertsen174- permet l'ouverture

transcendantale de l'âme qui est la condition de possibilité de la métaphysique de l'étant

en tant qu'étant. C'est, on le verra, le problème même contre lequel se heurte notre

maître. Cependant, ce dernier suggérera une solution en s'appuyant sur l'examen des

vertus intellectuelles 175. De plus, chez le Pseudo-Peckham, la caractérisation des

transcendantaux 'vrai' et 'bien' comme objets de l'âme intellective n'empêche pas le

développement d'une science de l'étant en tant qu'étant176.

Thomas d'Aquin présentera l'étant même comme objet de l'âme alors que le bien

est l'objet de la volonté et le vrai l'objet de l'intellect177 :

étant {ens) vrai (uerum) bien (honum) correspondent à âme intellect volonté178

Alexandre de Halès présente certes les transcendantaux comme reliés aux puissances de l'âme, mais il ne les présente pas comme objets de l'âme, peut-être à cause de cela Aertsen n'a pas considéré la théorie d'Alexandre comme similaire à celle de Thomas bien qu'elle en puisse être un précédent de taille.

Cf. AERTSEN, Médiéval Philosophy and the Transcendentals, p. 261. Cf. ci-dessous, au chapitre 3, notre recherche sur les vertus intellectuelles. Cf. ci-dessous, p. 79 et suivantes. THOMAS D'AQUIN, Quaestiones disputatae de veritate, q. 22, art. 10, éd. A. DONDAINE, Rome, Sainte-

Sabine (coll. « Opéra omnia», Commissio Leonina, 22), 1970, p. 636, 1. 86-101 : « Res autem ad animam invenitur duplicem habitudinem habere : unam secundum quod ipsa res est in anima per modum animae et non per modum sui, aliam secundum quod anima comparatur ad rem in suo esse existentem. Et sic obiectum animae est aliquid dupliciter : uno modo in quantum natum est esse in anima non secundum esse proprium sed secundum modum animae, id est spiritualiter, et haec est ratio cognoscibilis in quantum est cognoscibile ; alio modo est aliquid obiectum animae secundum quod ad ipsum anima inclinatur et ordinatur secundum modum ipsius rei in se ipsa existentis, et haec est ratio appetibilis in quantum est appetibile ».

THOMAS D'AQUIN, Quaestiones disputatae de veritate, q. 1, art. 1, éd. DONDAINE, p. 5, I. 150-161. « Alio modo secundum convenientiam unius entis ad aliud, et hoc quidem non potest esse nisi accipiatur aliquid quod natum sit convenire cum omni ente ; hoc autem est anima, quae 'quoddam modo est omnia', un dicitur in III De anima : in anima autem est vis cognitiva et appetitiva ; convenientiam ergo entis ad appetitum exprimit hoc nomen bonum, unde in principio Ethicorum dicitur quod 'bonum est quod omnia appetunt', convenientiam vero entis ad intellectum exprimit hoc nomen verum ».

75

Il s'agit d'une attribution analogue à celle qu'établit Alexandre de Halès quand il

attribue les transcendantaux à la mémoire, à l'intelligence et à la volonté. Même s'il ne

les assigne pas comme objets de l'âme, il détermine une certaine relation de l'âme avec

eux, et en ce sens il nous semble réellement préfigurer la théorie du Pseudo-Peckham

ainsi que celle de Thomas d'Aquin179. Même si le seul à établir explicitement le lien

d'objet entre l'étant et l'âme semble être Thomas180, Alexandre, quant à lui, précise que

« l'étant est le premier intelligible »181 (en plus bien sûr de faire d'autres liens avec les

puissances de l'âme, comme on l'a vu), ce qui signifie implicitement mais très clairement

que l'étant est l'objet de l'âme intellective. Nous pouvons apprécier alors, avec cette

petite polémique, que notre maître se trouve bien au courant des discussions

contemporaines les plus poussées sur, dans ce cas, la question des transcendantaux, voire,

il y apporte des précisions originales. Par conséquent, son analyse nous fournira des

éléments très importants pour l'étude de la philosophie de son époque. ***

Dans le texte du paragraphe 2 du commentaire182, nous pouvons reconnaître dans

les objets des puissances de l'âme deux transcendantaux : le vrai et le bien. Ainsi, on

trouve des sciences relatives aux étants selon qu'ils sont vrais et des sciences relatives

aux étants selon qu'ils sont bons. Or, le fait de considérer les transcendantaux comme

objets de l'âme limite leurs sujets jusqu'à un certain point seulement, parce que si on

considère les deux aspects des transcendantaux, à savoir l'aspect notionnel ou le mode

d'intelliger et l'aspect référentiel ou mode des supposés, alors il en résulte que les

sciences ne portent pas sur des portions limitées de l'étant mais sur tous les étants, bien

qu'en considérant des aspects notionnels différents. Par exemple, comme nous avons vu,

la philosophie morale, en tant qu'elle porte sur tout le domaine du bien, peut porter aussi

sur Dieu, en tant qu'il est le souverain bien ".

Par conséquent, nous ne comprenons pas pourquoi J. Aertsen, bien qu'il ait étudié de façon détaillée le texte d'Alexandre, nie qu'il y ait une quelconque théorie précédant celle de Thomas.

10 Cf. AERTSEN, Médiéval Philosophy and the Transcendentals, p. 430-431. Cf. ci-dessus, n. 177 et 178. " Cf. ci-dessus, n. 155. 12 Cf. ci-dessus, p. 72 et n. 170. 13 Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, q. 2, § 37 et § 45.

76

5.3.2. Source de l'application des transcendantaux à l'âme

Maintenant, il faut déterminer les sources explicites de cette application des

transcendantaux. Notre maître la présente comme provenant d'Aristote :

Autour du premier <point en question, on procède> ainsi : le rapport des puissances et des objets est le même, mais l'objet de l'intellect spéculatif est le vrai, tandis que <l'objet de Pintellect> pratique <est> le bien, comme on trouve dans le troisième <livre du traité> De l'âme. Mais, comme il est dit au même endroit, l'intellect spéculatif devient par extension pratique (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, q. 1 )184.

En plus de la relation faite par Alexandre de Halès (qui, comme on l'a dit,

n'incluait pas les transcendantaux comme objets propres des facultés de l'âme), la source

artienne la plus ancienne est le De anima et potenciis eius (vers 1225)185, de laquelle se

nourrit à son tour Philippe le Chancelier (dans sa Summa de bono, vers 1225-1228)186.

Par ailleurs, il faut analyser le texte du De anima que cite notre maître. Dans le

livre III (433al3-15), nous trouvons l'affirmation que les deux principes du mouvement

local sont l'intelligence et l'appétit, « mais il s'agit de l'intelligence qui raisonne en vue

d'un but et qui est propre à exécuter l'action (elle diffère d'ailleurs de l'intelligence

spéculative par sa fin) »187. La reportatio de l'ancienne traduction du De anima éditée par

R.A. Gauthier dit :

Donc, l'une et l'autre de ces <facultés>, <à savoir> l'intellect et l'appétit, sont motrices selon le lieu. Or, l'intellect, qui à cause de quelque chose raisonne et

'84 PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, q. 1, § 8 : « Circa primum sic : eadem est comparatio potentiarum et obiectorum, set intellectus speculatiui obiectum est uerum, practici uero bonum, ut habetur in tertio De anima. Set, sicut ibidem dicitur, intellectus speculatiuus extensione fit practicus ».

185 ANONYME, De anima et de potenciis eius, éd. GAUTHIER, p. 50, I". 437-440 : « Sequitur de intellectu separabili, cuius una pars est in cognitione ueri, alia pars est in affectione boni. Pars illa que est in affectione boni dicitur intellectus practicus, altéra pars dicitur intellectus speculatiuus. Et sunt eadem potencia : intellectus enim cognoscitiuus conuertitur in affectiuum ». Et plus haut dans le même texte : « una et eadem potencia, que primo dicitur cognitiua respectu ueri, cum iudicat illud esse bonum et afficitur circa illud, dicitur affectiua respectu boni, ita ut prima ratio sit speculatiua, secunda sit practica » ; ibid., p. 48,1. 410-413.

186 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 193, 1. 33-36 : « Cum sit quedam vis anime contemplativa veri [...], erit altéra similiter in bonum affectiva ».

187 Cf. ARISTOTE, De anima, III, 10, trad. R. BODÉÛS, Paris, Flammarion (coll. « GF », 711), 1993, p. 244. Voici le texte d'Aristote en question {De anima, III, 10, 433al4-15) : « voûç ôè ô ëveicà xov A.OYIÇ6U£VOÇ Kcd ô 7cpaKTiKÔç- 8ux<j>épei 6è xoû OetoptitiKoù TCÛ TÉXEI ».

77

est pratique, diffère toutefois du spéculatif par la fin (ARISTOTE, De anima, III, 10, 433al4-15)188.

Cela ne semble pas être la source de notre maître, mais considérons maintenant

quelle est l'interprétation littérale que les maîtres font de ce passage. Le commentaire

anonyme sur le De anima (ca. 1246-1247) édité par C. Bazân analyse le même texte,

mais dans la sentence il affirme ceci :

... parce que la fin de l'intellect spéculatif est le vrai, alors que la fin de l'intellect pratique est le bien (ANONYME, Sententia super II et III De anima, III, Lectio 8)189.

Voici une interprétation très proche de celle de notre maître. Interprétation qui

semble courante parmi les maîtres es arts de l 'époque. Or, il existe encore un autre

domaine où on attribue le vrai et le bien comme fin des sciences spéculatives et pratiques

respectivement, il s'agit d 'une division très populaire dans les introductions à la

philosophie (toujours sans relation avec la doctrine des transcendantaux) qui est prise

d 'Avicenne , on la trouve très clairement dans l 'introduction Vt testatur Aristotiles :

Or, cette <science> libérale se divise en pratique et spéculative. Et cette division est indiquée par Avicenne, qui dit, en effet, que la perfection de l'homme consiste en deux choses, <à savoir> dans la connaissance du vrai et dans la recherche du bien. Et c'est pourquoi <Phomme> eut besoin d'une double science, à savoir la première pour le disposer à la connaissance du vrai - e t on l'appelle spéculative - et la seconde pour le disposer à l'amour ou à la recherche du bien - et on l'appelle pratique (ANONYME, Comme l'atteste Aristote)m.

Notre traduction. « Vtraque ergo hec motiua secundum locum, intellectus et appetitus, sunt. Intellectus autem qui propter aliquid ratiocinatur et practicus est, differt autem a speculatiuo fine ». ARISTOTE, De anima, III, 10, 433aI4-15 dans ANONYME, Lectura in librum de anima, éd. GAUTHIER, p. 491.

189 Notre traduction. « [...] quia finis intellectus speculatiui est uerum, finis autem intellectus practici est bonum ». ANONYME, Sententia super 11 et III De anima, III, Lectio 8, éd. BAZÂN, p. 497-498.

190 AVICENNE, Liber de philosophia prima siue de scientia divina, éd. VAN RlET, (1977), p. 1, 7 - 2, 19 : « Dicimus quod intentio philosophie est comprehendere ueritatem omnium rerum quantum possibile est hominl comprehendere. Res autem que sunt : aut habent esse non ex nostro arbitrio et opère. Cognitio autem rerum primi membri uoeatur philosophia speculatiua. Sed cognitio rerum secundi membri uoeatur philosophia actiua. [...] Finis ergo philosophie speculatiue est cognitio ueritatis, finis uero philosophie practice est cognitio bonitatis ». Voir aussi GUNDISSALINUS, De diuisione philosophie, éd. L. BAUR, Munster, Aschendorff (coll. BGPTM, 4 : 2-3), 1903, p. 12, 1. 5-7; et ALOAZEL, Metaphysica, éd. J.T. MUCKLE, Toronto, Saint Michael's Collège, (coll. « Saint Michael's Mediaeval Studies »), 1933, p. 1-5.

191 ANONYME, L '« Introduction à la philosophie "Comme l'atteste Aristote" »/« Philosophia "Vt testatur Aristotiles"» vers 1265, trad. C. LAFLEUR et J. CARRIER, Québec, Faculté de Philosophie, Université Laval (coll. « Cahiers du Laboratoire de philosophie ancienne et médiévale », 19), 2004, p. 5, § 14. « Hec autem liberalis diuiditur in practicam et speculatiuam. Et innuitur ista diuisio ab

7K

Cette même caractérisation se trouve aussi dans l'introduction Vt ait Tullis]92 et

dans l'introduction Félix nimium l93. En ce qui concerne la Commendatio « dicit

Aristotiles », on y trouve quelque chose de différent, pris encore d'Avicenne :

... la philosophie n'est rien d'autre que l'addition de plusieurs voies par lesquelles s'acquièrent les sciences et les vertus. Et certes la science <s'acquiert> par la spéculation du vrai, mais les vertus par l'opération du bien (ANONYME, Aristote ditlDicit Aristotiles)™ .

Finalement, nous pouvons supposer que dans l'environnement intellectuel du

XIIIe siècle existent toutes les conditions nécessaires pour cette application : la naissance

de la théorie dés transcendantaux chez Philippe ; la théorie des objets des facultés de

l'âme chez les artiens et les maîtres en théologie de Paris ; ainsi que la correspondance du

domaine du spéculatif (intellect ou science) avec le vrai et du domaine du pratique avec le

bien, élément pris par les maîtres dans l'œuvre d'Avicenne. Mais c'est le Pseudo-

Peckham qui introduit les objets de l'intellect dans le contexte de la question des concepts

transcendantaux en faisant des transcendantaux les objets de l'intellect. Or, il ne faut pas

Avicenna qui dicit quod perfectio hominis consistit in duobus, in cognoscendo uerum et prosequendo bonum. Et ideo indiguit duplici scientia, scilicet que ordinet ipsum ad cognitionem ueri, et hec dicitur speculatiua, et alia que ordinet ipsum ad dilectionem seu prosequtionem boni et hec dicitur practica » : ANONYME, Vt testatur Aristotiles, C. LAFLEUR, «L'introduction à la philosophie Vt testatur Aristotiles (vers 1265-1270) », Laval théologique et philosophique, 48 : 1 (1992), p. 81-107, p. 102, §14.

« Dividitur autem liberalis scientia in theoricam siue speculativam et practicam. Hanc autem divisionem innuit Avicen<n>a in sua Philosophia, ubi dicit quod perfectio hominis est in quantum homo est in cogitando verum et diligendo vel operando bonum. Secundum hoc ergo est quedam scientia que ordinat hominem ad cogitationem veri, et hec dicitur speculativa, quedam que ordinat ad operandum bonum, et hec dicitur practica ; prasis vero idem est quod operatio ». G. DAMAN, « Une introduction à l'étude de la philosophie: Vt ait Tullius », dans LAFLEUR et CARRIER, L'enseignement de la philosophie, p. 49, § 13.

« Ista uero liberalis scientia diuiditur in practicam et speculatiuam, et innuitur ista diuisio ab Auicenna. Dicit enim quod perfectio hominis consistit in duobus, scilicet in cognoscendo uerum et prosequendo seu diligendo bonum. Et secundum hoc indiguit duplici scientia, una que ordinaret ipsum ad cognitionem ueri, et hec dicitur speculatiua, et alia que ordinet ipsum ad dilectionem boni, et hec dicitur practica». LAFLEUR et CARRIER, «La Philosophia d'Hervé le Breton (Deuxième partie) », Texte D, p. 405, § 11.

Anonyme, Aristote dit/Dicit Aristotiles, trad. C. Lafleur et J. Carrier, dans Autour d'Hervé le Breton, maître es arts de Paris, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval (coll. « Cahiers du Laboratoire de philosophie ancienne et médiévale», 15), 2004, p. 8, §22. «. . . philosophia nichil aliud est quam agregatio plurium viarum per quas acquiruntur scientie et uirtutes : et scientia quidem per speculationem ueri, uirtutes autem per operationem boni ». ANONYME, Dicit Aristotiles, cf. LAFLEUR et CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (Deuxième partie)», Texte A, p. 381, §22.

79

oublier que selon cette doctrine, dans les choses, le vrai, le bien, l'étant et l'un sont

convertibles. Cela implique que même si l'objet des sciences spéculatives et celui de la

science morale sont différents, le supposé de leur sujet est le même, à savoir les choses ou

les étants, mais ces derniers sont visés par chacune des sciences sous un aspect notionnel

différent, une signification différente.

5.3.3. L'objet de la métaphysique (corollaire)

De l'attribution, faite par le Pseudo-Peckham, des transcendantaux comme objets

de chaque faculté de l'âme peuvent découler des conséquences inespérées. Car on a

attribué à l'intellect spéculatif le vrai et à l'intellect pratique le bien, mais il semble

qu'aucune des facultés de l'âme n'entraîne des rapports à l'un et à l'étant, ce qui pose le

problème de la possibilité d'une science de l'étant en tant qu'étant - toujours du point de

vue de la notion seulement, attendu que du point de vue référentiel toute science

considère le même supposé. Alors, reste cette question centrale que le maître se pose : y

a-t-il une science relative aux étants selon qu'ils sont étants et selon qu'ils sont uns ?

De même, puisque les sciences se distinguent selon le bien et le vrai, pourquoi pas selon l'étant et l'un - e n effet, quoique le philosophe premier considère l'étant <purement et> simplement, cependant <il le considère selon> le point de vue du vrai (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, q. I)195.

L'auteur répond par la négative, parce que la science exprime une relation de la

chose avec l'âme intellective, mais les choses n'ont pas de relation avec l'âme intellective

en tant qu'étants ou en tant qu'unités, en réalité, les choses n'ont une relation avec l'âme

intellective qu'en tant que vraies ou qu'en tant que bonnes, dans le mode d'intelliger (ou

mode d'intellection) ; ce qui ne nuit pas au fait que les sciences vont traiter à la limite des

étants mêmes, en tant que le vrai et le bien sont convertibles avec l'étant, dans le mode

des supposés.

PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, q. 1, § 19 : « Item, cum scientie distingantur pênes bonum et uerum, propter quid non pênes ens et unum - etsi enim philosophus primus considérât ens simpliciter tamen ratione ueri ».

XI)

Au dernier, il faut dire que la science est un habitus de l'âme selon la partie intellective. Et c'est pourquoi la science doit être proprement relative à cela qui dit une relation à l'âme intellective ou à ses puissances. Or, l'étant sous le rapport de l'étant ou de l'un ne dit pas cette relation, mais <il la dit> sous le rapport du bien et du vrai, comme il est patent à partir de leurs définitions. En effet, comme le veut Hilaire : « Le vrai est ce qui est de soi déclaré ou manifesté ». Voilà la relation avec la partie cognitive <de l'âme intellective>. Similairement Anselme : « Le bien est ce qui est désiré par tous », et ici : « le bien est ce que toutes <choses> convoitent ». Voilà la relation avec la <partie> motrice <de l'âme intellective>, et à cause de cela la science est relative plutôt à l'étant sous le rapport du vrai et sous le rapport du bien (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, q. l) l% .

L'auteur ici semble abandonner la possibilité d'une science de l'étant en tant

qu'étant. Mais il faut approfondir un peu la raison tout à fait logique qu'il pose pour cela.

En fait, le Pseudo-Peckham avait sauvé d'emblée cette possibilité en posant que le

philosophe premier considère l'étant absolument {simpliciter). Or, les sciences sont

possibles à partir d'une relation de notre âme avec les choses (§ 2), mais l'âme

intellective se relie aux choses soit par sa partie pratique qui saisit le bien - ou la fin en

tant que le bien est désiré par tous - , soit par sa partie spéculative qui saisit le vrai (selon

Hilaire, ce qui de l'étant nous est manifesté). Si on le considère par rapport à Alexandre

de Halès, notre maître est un défenseur de la psychologie aristotélicienne en concurrence

avec la structure tripartite de l'âme chez Augustin ; et bien que dans cette réponse le

Pseudo-Peckham éparpille ici et là des citations autoritaires, il défend pourtant

prioritairement le point de vue qu'il considère aristotélicien et donc philosophique.

Par ailleurs, même si cette position semble à première vue négative en ce qu'elle

laisse l'étant épistémologiquement de côté, elle l'inclut toujours dans l'étant connaissant

qu'est l'âme. En effet, l'âme est un étant et, en tant qu'étant, elle est. Elle connaît l'étant

en tant qu'étant, parce qu'elle-même en tant qu'étant est, elle rejoint ainsi l'ensemble des

étants en ce qu'ils sont des étants. Mais il existe une autre manière par laquelle l'âme peut

rejoindre les étants, et c'est par sa considération de ce qu'ils sont, leur quiddité, et cela

PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, q. 1, § 27 : « Ad ultimum dicendum quod scientia est habitus anime secundum partem intellectiuam. Et ideo, de eo quod dicit rclationem ad animam intellectiuam uel potentias eius proprie débet esse scientia. Ens autem sub ratione entis uel unius relationem istam non dicit, set sub ratione boni et ueri, ut patet ex eorum diffinitionibus. Sicut enim uult Hilarius : « Verum est quod est sui declaratum uel manifestatum ». Ecce relatio ad partem cognoscitiuam. Similiter Anselmus : « Bonum est quod desideratur ab omnibus », et hic : « bonum est quod omnia exoptant ». Ecce relatio ad motiuam, et propter hoc de ente sub ratione ueri et sub ratione boni potius est scientia ».

81

elle le fait par l'intellect spéculatif qui a un rapport au vrai, à ce que l'étant

manifestement est. Finalement, l'âme aussi perçoit ce qui est le bien ou la finalité dans

l'étant, vers lequel bien elle-même tend.

En outre, on insistera encore une fois sur le fait que les transcendantaux sont

convertibles dans les supposés, les individus réels que l'on pourrait appeler dans des

termes aristotéliciens « les substances ». Alors, parlant ontologiquement ou de manière

référentielle (in suppositis), dans les choses mêmes, il n'y a pas de différence entre

l'étant, l'un, le vrai, et le bien, par conséquent, ce que l'âme apprend de la chose, dans

n'importe quelle perspective que ce soit, c'est la chose elle-même et rien de moins qu'elle

apprend.

Par ailleurs, pour la suite de notre enquête il nous reste à rapprocher les deux

façons d'être des transcendantaux, à savoir en Dieu et dans les créatures. Or, de même

que les transcendantaux sont convertibles dans les créatures, de même ils sont

convertibles en Dieu. Pourtant, tout est en Dieu à son degré maximal ; alors comme il est

le Premier existant, il est souverainement un, souverainement vrai, et le souverain bien,

vers lequel tous tendent. Or, comment l'âme humaine peut-elle aspirer à se rapprocher du

Premier ? Évidemment, les concepts transcendantaux offrent une voie de rapprochement

epistémologique (mode d'intelliger ou mode d'intellection) ; quant au domaine de la

réalité (le supposé), le fait que l'âme humaine soit créée ex nihilo lui nuit, parce que

cela l'affuble d'un défaut apparemment insurmontable. En fait, cette imperfection n'est

pas insurmontable, parce que l'âme par son propre travail peut se débarrasser de cette

faiblesse par la voie des vertus intellectuelles, qui la rapprochent de plus en plus du

Premier (en tant que souverain bien) à partir de la simplification et de l'unification de

l'âme en elle-même, ce qui rend possible l'assimilation et l'union avec le souverain bien

qu'est Dieu198.

Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio I, q. 2, F f. 3vb, O f. 4ra : « Respondendum quod creatura omnis et est ex nichilo et ab aliquo. Secundum hoc defectus créature potest comparari ad illud ex quo est creatura, et secundum hoc creatura ratione defectus non appétit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum ; uel potest considerari per comparationem ad illud a quo, et secundum hoc creatura, ratione defectus quem habet respectu esse a quo nata est perfici et compleri, appétit primum ens siue summum bonum ».

Pour une analyse détaillée de cette affirmation lourde de conséquences, voir ci-dessous, chapitre 3.

82

Cette dernière considération nous rappelle qu'il faut encore examiner la relation

de l'âme avec le concept de l'un199, mais comment cette relation s'actualise dans l'âme

d'une façon pratique (en ce qu'elle ne l'apprend pas mais s'unifie elle-même), on le verra

dans le chapitre qui porte sur la hiérarchie des vertus intellectuelles200.

En conclusion, dans le prélude de la théorie des transcendantaux, nous trouvons

tous les éléments nécessaires à sa constitution éparpillés dans différents domaines.

D'abord, dans le domaine de la sémantique le concept de suppositum, comme le substrat

individuel réel dont on peut prédiquer un terme. Ensuite, la considération de l'étant et de

l'un comme les concepts les plus généraux qui se prédiquent de tout, et sont donc

convertibles de l'un à l'autre. Boèce ajoute à cette convertibilité celle des deux

précédents avec le bien. Au XIIIe siècle, la formulation de Philippe le Chancelier ajoute un

niveau noétique - en plus de l'apport nouveau du transcendantal verum, Philippe scinde

la considération notionnelle des termes de celle ontologico-référentielle où les termes

sont convertibles - à la théorie qui va lui donner une puissance extraordinaire dans tous

les domaines. Philippe confectionne cette théorie pour faire face à des théories estimées

hérétiques, mais les maîtres es arts de Paris et à leur tour Alexandre de Halès, Albert le

Grand et Thomas d'Aquin en étendront l'usage à l'épistémologie pour créer une

justification théorique de l'éthique ou de la théologie.

Le cas du Pseudo-Peckham est celui de la justification épistémologique de la

science morale ; une fois l'éthique fondée comme science pratique, qui a pour objet le

bien, le Pseudo-Peckham rappelle que le bien, l'un, le vrai et l'étant sont convertibles

Alexandre de Halès, dans la même ligne d'argumentation, inclut la relation de l'âme avec l'un seulement à partir de l'ordre dans la mémoire, cf. ci-dessus, p. 72 et n. 169. Aussi, ALEXANDRE DE HALÈS, Summa theologica, éd. K.LUMPER, Pars I, Inq. I, Tract. III, q. I, c. II, p. 116a-b : « Ad tertio quaesitum circa comparationem 'unius' ad 'bonum' : dicendum quod istae intentiones, 'unum, verum, bonum', se circumincedunt, et inde est quod aliae rationes induunt rationem causae finalis et ita rationem boni : unde 'verum' non appetitur nisi quia bonum ; 'unum' similiter non appetitur nisi quia bonum ; nec 'bonum' nisi in quantum bonum. Similiter in quantum apprehenduntur intellectu, induunt rationem veri : non enim intelligitur 'bonum' nisi in quantum verum ; nec 'unum' nisi in quantum verum ; nec 'verum' nisi in quantum verum. Similiter in quantum ordinantur in memoria induunt rationem 'unius' : non enim ordinatur bonum in memoria nisi ut 'unum', nec verum nisi ut 'unum', nec unum nisi ut 'unum'. Dicendum ergo secundum hoc quod desideratur non ratione propria principaliter, sed ratione boni quam induit : nihil enim desideratur nisi ut bonum ».

Cf. ci-dessous, chapitre 3.

83

dans les supposés et donc en atteignant l'un d'eux, on les atteint tous en un certain sens.

Même si, dans le domaine de la définition, les transcendantaux diffèrent entre eux, le fait

de coïncider dans les supposés donne à l'éthique une force d'une envergure que n'avaient

pas les sciences pratiques, la force d'atteindre l'étant en son noyau le plus intime.

Pour les maîtres es arts et pour leur compétence comme éthiciens, l'assignation

des transcendantaux comme objets de l'âme présente principalement la possibilité

d'élargir le domaine touché par l'éthique philosophique. Or, selon la doctrine des

transcendantaux, dans les choses, dans le domaine des individus réels qui sont les

supposés des termes, le vrai, le bien, l'étant et l'un sont convertibles. Cela implique que

même si l'objet des sciences spéculatives et celui de la science morale sont différents

dans le mode d'intelliger, le supposé de leur sujet est le même, mais seulement ce dernier

est visé par chacune des sciences sous un aspect notionnel différent, une signification

différente. L'accès à l'étant à travers la science morale est de cette façon aussi noble qu'à

travers les sciences spéculatives.

Le système des transcendantaux du Pseudo-Peckham détermine d'un coup non

seulement le fondement d'une éthique philosophique, mais aussi et particulièrement il

pose le bien comme objet vers lequel tend l'âme humaine. Or, dans le reste de notre

étude, nous nous attarderons (chapitre 2) à la structure de l'âme elle-même, en tant

qu'instance opposée à son objet -configuration de l'âme constituant la condition de

possibilité de l'exercice des vertus - et (chapitre 3) à la dynamique - menant au retour de

l'âme à Dieu - entre les transcendantaux et l'âme qui se dévoile dans la théorie des vertus

intellectuelles. La doctrine des transcendantaux établit donc, chez le Pseudo-Peckham, la

disposition de l'objet, une partie de l'organisation de l'âme et les lignes directrices pour

la théorie des vertus intellectuelles.

Chapitre 2 : La théorie des deux faces de l'âme

Histoire de textes

Le deuxième élément fondamental de l'idéal éthique des maîtres es arts de Paris

est constitué par la théorie des deux faces de l'âme qui jouissait d'une certaine popularité

dans la première moitié du XIIIe siècle et qui occupe une place prépondérante dans la

leçon XXII, éditée ci-dessous, du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique. En

effet, cette théorie fournit chez le Pseudo-Peckham - ainsi que chez d'autres artiens - une

architecture de l'âme destinée à l'acquisition des vertus.

Or, dans un article paru en 1927, Jean Rohmer1 avait présenté en quelques pages

un survol passionnant de l'origine avicennienne de la doctrine des deux faces de l'âme.

Depuis lors, il y a eu divers apports partiels relatifs à ce sujet, dont les archives s'étendent

sur plus d'un millénaire2. Nous avons recherché les sources de la théorie des deux faces

de l'âme, en retraçant ces témoignages et en montrant leurs métamorphoses depuis

l'Antiquité jusque -moyennant un long processus de transmission- aux maîtres es arts

de Paris de la première moitié du XIIIe siècle. Dans ce chapitre, nous mettons en lumière

une histoire de textes d'une complexité remarquable s'exprimant par le réseau imbriqué

des écrits, de leurs traductions et des problèmes d'attribution, qui nous permet de placer

J. ROHMER, « Sur la doctrine franciscaine des deux faces de l'âme », AHDLMA, 2 (1927), p. 73-77. Dans la philosophie grecque il faut considérer aussi l'article d'A. FESTUG1ÈRE, « La trichotomie de 1 Thess. 5, 23 et la philosophie grecque », Recherches de science religieuse, 20 (1930), p. 385-415. Or, nous nous limiterons à examiner ici des textes qui observent une ressemblance littérale avec la formule de notre texte fondateur.

2 Cette doctrine a été étudiée chez divers philosophes. Voir O. LOTTIN, « Psychologie et morale à la Faculté des arts de Paris aux approches de 1250 », Psychologie et morale aux XIf et Xllf siècles, Louvain, Gembloux, 1942, t. 1 (Problèmes de psychologie) section 6, p. 512-515; aussi les notes de A.M. Goichon dans AviCENNE, Livre des directives et des remarques, trad. A.M. GOICHON, Beyrouth, Commission Internationale pour la traduction des chefs-d'œuvre ; Paris, Vrin (coll. «Collection d'œuvres arabes de l'Unesco »), 1951; G. VAJDA, «Notes d'Avicenne sur la 'Théologie d'Aristote' », Revue Thomiste, 51 (1951), p. 346-406 ; M. SEBTI, « La distinction entre intellect pratique et intellect théorique dans la doctrine de l'âme humaine d'Avicenne », Philosophie, 11 (mars 2003), p. 23-44 et D. DE SMET, « La doctrine avicennienne des deux faces de l'âme et ses racines ismaéliennes », Studia Islamica, 93 (2001), p. 77-89.

85

les maîtres es arts de Paris dans une histoire de longue durée. Nous envisageons de

dévoiler également les éléments qui ont fourni les conditions de possibilité de la réception

de la thèse des deux faces de l'âme. C'est pourquoi, outre l'histoire du texte même de la

doctrine, nous nous efforcerons de déterminer les circonstances qui firent que le milieu

universitaire parisien fut fertile pour la reproduction de cette théorie.

Voici d'abord, sous forme d'aperçu introductif, les principaux linéaments de cette

remarquable histoire.

Le texte fondateur de l'histoire de la transmission littérale de cette doctrine se

trouve dans un passage de la IVe Ennéade de Plotin : « Toute âme a un côté inférieur

tourné vers le corps et un côté supérieur tourné vers l'intellect ». Certains extraits de

Platon, qui ont probablement inspiré Plotin, jouent le rôle de textes protofondateurs. Le

fait que l'âme possède un côté inférieur et un côté supérieur constitue l'évidence de son

statut intermédiaire aussi étudié par Proclus, dont nous examinerons quelques extraits

remarquables.

Ensuite, la poursuite du parcours des interprétations et des transformations du

fragment de la IVe Ennéade de Plotin jusqu'au XIIIe siècle nécessite l'analyse de

nombreux textes transmetteurs à travers le monde arabe jusqu'à l'Occident latin. Ce

parcours, aussi passionnant qu'étonnant, nous dévoile le sort des traductions arabes de

Plotin et leur influence sur la philosophie d'Avicenne et d'Algazel. Avicenne reformule

et enrichit renonciation de Plotin en présentant une nouvelle configuration doctrinale qui

sera suivie presque à la lettre par Algazel. La diffusion dans le monde latin est garantie

par les traductions faites à Tolède, où Gundissalinus reformule à son tour la théorie pour

la rendre plus proche de la pensée chrétienne.

Toutefois, la réception des textes ne pourrait se produire dans un environnement

culturel défavorable à la doctrine qu'ils avancent. Or, l'environnement culturel s'avère

parfaitement fécond dans le milieu scolaire du XIIIe siècle, car les éléments

néoplatoniciens ont déjà laissé leur empreinte partout dans les écrits d'Augustin ainsi que

dans les textes patristiques grecs parvenus en Occident après leur traduction.

Devant des sources si nombreuses et hétérogènes, il faut une certaine

classification. Nous avons donc reconstitué deux voies de transmission des textes qui

s'étendent depuis l'Antiquité jusqu'aux maîtres es arts et aux maîtres en théologie de la

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première moitié du XIIIe siècle. La première voie, sur laquelle nous insisterons le plus,

constitue la voie de transmission du néoplatonisme au péripatétisme gréco-arabe jusqu'à

l'Université de Paris à travers les traducteurs et philosophes de Tolède au XIIe siècle. La

deuxième voie, également importante, est celle du christianisme gréco-latin à travers

Augustin et les traductions des ouvrages des pères grecs.

Ce chapitre comporte donc quatre sections. Dans la première section, nous

présentons les textes fondateurs et leur contexte. Dans la deuxième section, nous

décrivons le déplacement géographique et doctrinal de la théorie des deux faces de l'âme

dès l'Antiquité tardive, puis à travers l'Orient arabe (Bagdad) et ensuite l'Occident arabe

(Cordoue et Tolède). Dans la troisième section, nous fournissons les textes augustiniens

et ceux des pères grecs qui auraient façonné une mentalité scolaire sensible aux

conceptions provenant du péripatétisme gréco-arabe. Finalement, nous constatons de

quelle façon la théorie des deux faces de l'âme se trouve littéralement, chez les maîtres es

arts et les maîtres en théologie de Paris en général, et chez le Pseudo-Peckham en

particulier.

Transmission des textes

1. Textes protofondateurs et texte fondateur

1.1. Textes protofondateurs : Platon (427/428-347/348 av. J.c.)

Dans la théorie de l'âme - telle qu'elle se trouve dans le Phédon - , Platon

envisage une première ambivalence de l'âme, mais cette ambivalence est imposée de

l'extérieur. Puisque l'âme a chuté du monde des idées pour aller dans le corps, elle se

situe dans un environnement étranger. Elle doit se battre pour retourner à son monde

propre. L'ambivalence se retrouve donc hors de l'âme : cette dernière est dans une

situation ambiguë, puisqu'elle est dans ce monde mais qu'elle appartient à un autre

3 II faut noter que les seuls ouvrages de Platon à avoir été traduits au Moyen Âge étaient le Timée, traduit au IVe siècle par Chalcidius - dont seule la première moitié (17a-53c) circulait vraiment -, le Phédon et le Ménon, traduits au XIIe siècle par Henri Aristippe - dont la circulation était pratiquement nulle.

4 Cette section a été rédigée suivant l'interprétation de A.J. FESTUGIÈRE, Contemplation et vie contemplative selon Platon, Paris, Vrin (coll. « Bibliothèque d'histoire de la philosophie », 2), 1967, p. 105-122.

87

monde. Pour Platon, l'âme humaine se rattache proprement à l'autre monde ; elle

n'appartient pas à ce monde de changement. En outre, puisque son activité là-haut était

de contempler l'immuable, la contemplation constituerait ainsi l'activité la plus noble de

l'âme.

La contemplation des Formes s'avère par conséquent le procédé qui assure le

retour de l'âme vers son lieu naturel - c'est-à-dire, vers ce à quoi elle ressemble5 - et qui

l'élève en la rendant semblable au divin6. En ce portrait de l'âme, il n'y a pas de

dédoublement, car l'âme n'a qu'un regard possible : vers là-haut, vers l'intelligible7.

Quand l'âme se penche vers le bas, elle se sent toute confondue et perd son identité, son

unité ; elle se divise et ne demeure plus ce qu'elle est8.

N'avons-nous pas, il y a déjà un certain temps, déclaré ceci : quand l'âme se sert du corps pour examiner quelque objet, par la vue, ou par l'ouïe, ou par toute autre sensation (car il y a médiation du corps, quand l'examen se fait par l'intermédiaire de la sensation), alors elle est entraînée par le corps vers ce qui ne reste jamais identique à soi-même, elle est, elle-même, errante, elle est troublée, elle éprouve un vertige, comme si elle était ivre, du fait de son contact avec des choses de cet ordre. — Bien sûr. — Mais quand l'âme s'applique par elle-même et avec ses propres forces à l'examen, elle s'élance là-bas vers ce qui est pur, qui existe toujours, qui ne meurt point, qui reste identique à soi-même ; et comme elle s'apparente à cette réalité, elle s'attache toujours à elle quand, se trouvant isolée en elle-même, il lui est possible de le faire ; elle cesse d'errer, et dans le voisinage de ces réalités-là elle demeure identique à elle-même, du fait de son contact avec des objets qui ont ce même caractère. Cet état de l'âme, nous l'avons appelé pensée pure, n'est-ce pas ? (PLATON, Phédon, 79cd)9.

5 Ce retour vers ce à quoi on ressemble est aussi présent chez les pères grecs, qui considèrent que notre ressemblance à Dieu vient du fait qu'il a créé l'homme à son image. Voir ci-dessous, p. 109. De fait, la connaissance du célèbre adage de Théétète 176b (voir note suivante), « l'assimilation à dieu, dans la mesure du possible », est attestée dans de nombreux textes artiens, cf. LAFLEUR et CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique », p. 263-276 et n. 143.

6 PLATON, Phédon, 80 a - 81 a, éd. et trad. P. VICAIRE, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Collection des universités de France, Platon. Œuvres complètes », 4, 1), 1983, p. 42-44. Aussi Théétète, 176 b, éd. et trad. A. DlÈS, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Collection des universités de France, Platon. Œuvres complètes », 8, 2), 1965, p. 208, et République, X, 613b 1, éd. et trad. É. CHAMBRY, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Collection des universités de France, Platon, Œuvres complètes », 7, 2), 1989, p. 111. Selon FESTUGIÈRE, Contemplation et vie contemplative selon Platon, p. 107-108, « c'est en effet un principe de longtemps établi », il se réfère ici à HOMÈRE, Odyssée, XVI1, 218, éd. et trad. V. BÉRARD, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Collection des universités de France »), 1924, t. 3, p. 31.

7 PLATON, Phédon, 79 cd, trad. VICAIRE, p. 41. 8 Ibid, 65 c - 6 6 b. 9 PLATON, Phédon, 79 cd, trad. VICAIRE, p. 41, texte grec dans Platonis Opéra. Phaedo, éd. J. BURNET,

Oxford, Clarendon Press, 1911, p. 79 c2-d7 : « OÙKOÙV rai TÔÔE nâXa\ ÉX^youev, ôxi f) yuxri. ôtav uèv TCÛ aa>u.cm 7ipo0%pfyrai elç TÔ OKOTCEÏV TI, f\ ôià xov ôpâv t| ôià TOÛ àico-ùeiv f| ôi'&AXnç TIVÔÇ aio0T)aecoç (TOÛTO yàp èaxiv tô ôià TOÛ ocouccxoç, TÔ 5i'aia8r|oe(ûç OKOTCEÎV TI), TÔTE UÈV £A.KETCU

8K

Or, dans le Timée, l'âme acquiert son statut intermédiaire. L'Âme du monde est

composée de l'indivisible, du divisible et du mélange des deux, qui comprend la nature

du même et celle de l'autre composant « une troisième substance intermédiaire »10. Pour

leur part, les âmes des hommes sont faites d'un mélange similaire, mais de qualité

inférieure. D'ailleurs, pour cette raison - ainsi que pour la nécessité d'une complétude de

l'univers - elles chuteront vers les corps. Les corps incluront aussi la nécessité des âmes

inférieures, comme l'âme irascible et l'âme concupiscible. Or, l'âme rationnelle ne chute

pas à cause d'elle-même, mais plutôt par nécessité, c'est-à-dire à cause du besoin de

compléter l'ordre cosmique". Toutefois, elle peut par la suite changer d'état, soit pour le

meilleur, soit pour le pire. Si elle penche vers le sensible, elle demeurera dans la

confusion des sens1 , mais si elle se tourne vers le vrai monde des Formes et le

contemple, elle connaîtra la vérité. Cette odyssée de l'âme qui chute et qui remonte va

réapparaître très souvent pendant nos recherches. Elle constitue notamment le contexte

immédiat et la raison d'être de la théorie des deux faces de l'âme.

imà xov oo)(iaxoç eiç xà oùôénoxe Kaxà xaùxà ë%ovxa, Kai aùxfi nXavàzai Kai xapàxxexai icod eiÀ.iyyià cùarcep ueOùouaa, axe xoioùxaw é<j>a7txouévri ; — nàvu ye. — "Oxav ôé ye aùxf) ra0'aùxT)v aK07tfi, ÈKEIOE o'ixexai elç xo KaBapôv XE Kai àei ôv Kai à6âvaxov Kai (boaùxoç £%ov, Kai cbç avyyevr\q oùaa aùxoù àei u.ex' ÈKEIVOU XE yiyvexai ôxavrcep aùxù, Ka8'aùxf]v yÉvT|xai Kai ÉÇfi aux-?), Kai TtËrcamat XE XOÙ rcA.àvot> Kai Ttepi ÈKEÎva àEi Kaxà xaùxà cbaaùxwç ë%ei, àxe xoioùxrov è<j>a7txo|j,évrv Kai xoùxo aùxîïç xô 7tâ0rijj.a <t>pôvn<nç KÉKA,Tixai ; ». Ici comme ailleurs, le gras est de nous tant dans la traduction que dans le texte original. En ce passage, Platon considère la phronesis dans sa connotation de pensée pure, contrairement au concept aristotélicien qui en fera une vertu plus pratiquement adaptée. Curieusement, quelques maîtres es arts, font une lecture plutôt platonicienne de la phronesis aristotélicienne, cf. LAFLEUR et CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique au milieu du XIIIe siècle », n. 143, voir aussi ci-dessous, p. 132 ainsi que le chapitre 3.

10 PLATON, Timée, 35a, éd. et trad. A. RIVAUD, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Collection des universités de France. Platon. Œuvres complètes », 10), 1956 : « Tf\ç àuepioxo-u Kai àsi Kaxà xamà ÉXOÙOTIÇ oùaiaç Kai xfi.ç ax> nepi xà ari)|!axa yiyvo|j.évr|ç uepiaxfiç xpixov èÇ à|j.<J)oîv èv UÉCCÙ auvEKEpàoaxo oaioiaç elSoç, xfiç xe xalVxovJ (|>IJOEÛ)Ç [a\> rtépt] Kai xf|ç xoij ÉxÉpot), Kai Kaxà xaùxà cuvéaxriaEv Èv uéacp xoij xe à\iepovq aùxôciv Kai xoù Kaxà xà oci)|iaxa uepiaxoîr Kai xpia A.a|3à)v a\')xà ôvxa auvEKEpàoaxo elç u.iav jiâvxa ioeav, xf v eaxépcu ^ijaiv 8t)o(ieiKxov oxioav eiç xaùxôv oi)vap|i6xxcov (3ia ». C'est en interprétant ce texte que Proclus (voir ci-dessous p. 91) introduit sa propre théorie des deux faces de l'âme.

1 ' PLATON, Timée, 42 a. 12 PLATON, Timée, 42 bc.

89

1.2. Texte fondateur : Plotin (205-270)

Plotin produisit de nombreux développements philosophiques à partir des

dialogues tardifs de Platon, principalement du Timée et du Parménide. Dans la IVe

Ennéade (surtout dans les traités 7 et 8 [2 et 6 dans l'ordre chronologique]), Plotin traite

de l'immortalité de l'âme (celle de l'Âme du monde ainsi que celle de l'âme humaine) et

de sa chute dans les corps. Il ne considère pas la chute dans les corps comme une

nécessité cosmique -comme l'avait fait Platon. Il préfère une autre explication de l'âme

qui chute : les âmes en général - l'Âme du monde aussi bien que les âmes humaines -

comportent deux regards possibles : l'un vers le supérieur en contemplant l'intellect,

l'autre vers l'inférieur en gouvernant les corps. Mais le fait de gouverner les corps ne

s'avère pas négatif pour l'âme et ne l'écarté pas du supérieur ; seul son statut

intermédiaire lui permet de gouverner ainsi. Or, l'âme individuelle s'éloigne de la

contemplation précisément par son repliement sur elle-même, ce qui finalement

déclenche la chute vers le corps13.

Dans ce contexte précis se trouve le texte qui nous intéresse, notre texte fondateur

dans Ennéades IV, 8 [6], § 8, 1. 11-13, sur lequel Avicenne appuiera sa théorie des deux

faces de l'âme (nous ajoutons les lignes suivantes 14-24, qui sont importantes pour cette

histoire textuelle) :

Toute âme a un côté inférieur tourné vers le corps et un côté supérieur tourné vers l'intellect. L'âme totale, c'est-à dire du tout, par la partie d'elle qui est en direction du corps, ordonne le tout en se maintenant au-dessus de lui sans effort, parce qu'elle n'œuvre pas à partir d'un raisonnement, comme nous, mais par l'intelligence, comme la technique ne délibère pas, c'est la partie inférieure de cette âme qui ordonne le tout14. Les âmes particulières, celles d'une portion de l'univers, ont, elles aussi, une partie supérieure ; mais elles sont occupées par les sens et les impressions ; elles perçoivent beaucoup d'objets contraires à leur nature, qui les font souffrir et qui les troublent ; la portion dont elles ont la surveillance est

13 Dans ce travail, nous citons la traduction de Bréhier, mais pour l'édition grecque nous utilisons Henry et Schwyzer. PLOTIN, Opéra, Ennéades 1V-V, éd. P. HENRY et H.R. SCHWYZER, Plotiniana Arabica, trad. ang. G. LEWIS, Paris, Desclée de Brouwer ; Bruxelles, L'Édition Universelle (coll. « Muséum Lessianum séries philosophica », 34), 1951-1959. PLOTIN, Ennéades, IV, 8 [6], §4, éd. et trad. E. BRÉHIER, Paris, Les Belles Lettres (coll. «Collection des universités de France»), 1927. On trouve d'excellents commentaires de C. D'Ancona sur le traité 6 dans PLOTINO, La discesa dell'anima nei corpi (En. IV8 [6]) Plotiniana arabica (Pseudo-Teologia di Aristotele, capitoli I e 7 « Detti del Sapiente Greco »), éd. et trad. it. C. D'ANCONA, Padoue, Il Poligrafo (coll. « Subsidia Mediaevalia Patavina », 4), 2003.

14 Sur la signification de ce passage, voir la note de J. lgal dans PLOTINO, Enéadàs III-1V, Introducciones, traducciones y notas de J. IGAL, Madrid, Gredos (coll. « Biblioteca clâsica Gredos », 88), 1999, p. 543, n. 51.

90

défectueuse, et rencontre tout autour d'elle beaucoup d'objets étrangers ; elle en désire beaucoup d'autres ; elle y a plaisir, et son plaisir la trompe. Mais l'âme a aussi une partie insensible à ces plaisirs passagers, et vivant d'une vie semblable à l'âme totale (PLOTIN, Ennéades, IV, 8 [6], § 8)'5.

Toute âme comporte deux côtés : cela vient du caractère intermédiaire de l'âme

qui constitue le chaînon unissant deux mondes . Quant à l'âme humaine, elle demeure

une unité, et sa nature correspond au monde intelligible, mais elle doit aussi régir le

corps. De lui, l'âme reçoit des impressions qu'elle doit maîtriser pour pouvoir se tourner

vers le supérieur auquel elle appartient conformément à sa nature. Pour cette raison l'âme

a deux côtés : l'inférieur tourné vers le corps et le supérieur tourné vers l'intellect. Ce

concept revient ailleurs chez Plotin comme le regard de l'âme qui se jette soit sur la

réalité antérieure, soit sur elle-même, soit sur ce qui la suit17 ; ou dans un autre endroit

encore, il dit que les âmes ont une double vie18.

Le très bref extrait du traité 6 (En. IV, 8) constituera le texte fondateur d'une

tradition qui s'étend au moins jusqu'au XIIIe siècle. Il sera connu comme partie intégrante

de la Théologie d'Aristote dans le monde arabe, où il entraînera beaucoup de

répercussions. Avant cela même, Proclus poursuivra le développement de la théorie de

l'âme de Plotin d'une façon étonnamment analogue - en ce qui concerne la transmission

de ce texte - aux approfondissements à venir chez Avicenne.

15 (Traduction Bréhier modifiée avec l'assistance de J.M. Narbonne). PLOTIN, Ennéades, IV, 8 [6], § 8, p. 226, lignes 11-24. Éd. HENRY et SCHWYZER, t. II, p. 248-250, I. 11-23 : « Tlâaa yàp \|/u%fi ëxei xi Koa TOÛ KOttG) Ttpôç am\xa rai xoù àvco Ttpôç voûv. Kai T) nèv ôXr\ rai ôX,ot) xœ aùxfjç |iépei xœ Ttpôç xô oâ>p.a xo ôA.ov KOO|J,EÎ vnepéxovaa àixôvûjç, ôxi UT|ô' ÈK Xoyia\iov, cbç f||j,ËÏç, àXXà và>, cbç r\ xé/vri où pouXeûexai xô ràxœ aùxfjç KO0|ioùvxoç ô xi ô^ou. Ai 5' év |j.épei 7ivô|j.evai Kai (xépo-uç ëxouoi jièv Kai avtai xô imEpéxov, aoxoA.ot ôè xfj aioOfjaEi Kai àvxiXr|\|/£i noXXàw àvxiA.a(iPavôpF.vai xûv Jtapà <t>\>orv Kai ÀAmcmvxwv Kai xapaxxôvxcov, axe ov ë7up,éA.ovxai (lépouç Kai éM.eutO'ûç Kai noXXà ëxovxoç xà àXX,ôxpta K'ÛKX.G), noXXa ôè CÙV é<)>i£xar Kai fjôexai ôè îcai fiôovf] f|7càxTiae. Ta ôé ècm Kai àvfiôovov ôv xàç TtpooKaipouç fiSovàç, r\ 8è ôiaycoyii ôp.oia ». Pour la confrontation du texte grec et arabe ainsi qu'une traduction italienne des deux, cf. éd. D'ANCONA, p. 128-129 (texte grec et trad. it.), p. 257-258 (texte arabe et trad. it.).

16 Cf. PLOTIN, Ennéades, IV, 1-2 [4, 21], éd. HFNRYet SCHWYZER, t. II, p. 3-11 ; trad. BRÉHIER, p. 4-11. 17 Cf. PLOTIN, Ennéades, IV, 8 [6], § 3, 26-28, éd. HENRY et SCHWYZER, t. II, p. 234-236 ; trad. BRÉHIER,

p. 220 : « En jetant son regard sur la réalité antérieure, elle pense ; sur elle-même, elle se conserve ; sur ce qui la suit, elle ordonne, gouverne et commande ».

18 Cf. PLOTIN, Ennéades, IV, 8 [6], § 4, 31-35, éd. HENRY et SCHWYZER, t. II, p. 238 ; trad. (modifiée) BRÉHIER, p. 221 : « Les âmes ont nécessairement une double vie ; elles vivent en partie de la vie de là-bas, et en partie de la vie d'ici, davantage de l'une, lorsqu'elles peuvent être en relation plus intime avec l'intellect, et davantage de l'autre, dans le cas où elles y sont contraintes par leur nature ou par des circonstances accidentelles ».

91

2. Textes transmetteurs : Voie du péripatétisme gréco-arabe

2.1. Proclus (412-485)

Le cas de Proclus s'avère particulier parce que, bien qu'il explique la théorie des

deux faces de l'âme d'une manière très semblable à ce que fera Avicenne, il ne semble

pas y avoir de preuve de l'existence d'une traduction arabe du texte où il la présente19. Le

statut intermédiaire de l'âme et la théorie des deux faces de l'âme sont bien développés

par Proclus, surtout dans son Commentaire sur le Timée :

C'est ainsi en effet qu'elle <l'âme> conservera tout au long à nos yeux un certain caractère de proportionnalité, le même rapport des mus par un autre aux mus par soi-même se retrouvera entre les mus par soi-même et les non mus, l'Âme maintiendra, par sa médiété, le lien qui unit les êtres, d'une part explicitant les Causes unifiées, d'autre part rassemblant les puissances dispersées des Sensibles, d'une part enveloppée par l'essence immobile et toujours identique à elle-même, d'autre part enveloppant la créature mue par un autre et soumise à toutes les sortes de changements, intelligible eu égard aux êtres devenus, devenue eu égard aux Intelligibles et manifestant ainsi les extrêmes dans sa condition mitoyenne, imitant en cela aussi sa propre cause puisqu'elle est « à double lumière » et à « double face », tenant d'une part le gouvernail de l'Univers, recevant d'autre part en son sein les émanations qui, des Intelligibles, sont venues jusqu'à elle, remplie d'une part de la vie intellective, projetant d'autre part les « canaux » de la vie corporéiforme et contenant en elle-même le « centre » de la procession de tous les êtres. Elle est donc à bon droit et inengendrée et engendrée (PROCLUS, Commentaire sur le Timée de Platon, livre III) .

CA.R. BADAWT, La transmission de la philosophie grecque au monde arabe, Paris, Vrin (coll. « Études de philosophie médiévale », 56), 1968, p. 60-73. Badawï considère principalement le Liber de causis, dans sa version arabe Le livre du premier bien ou Exposition du bien pur (p. 67), il ne parle d'aucun des commentaires aux œuvres de Platon. Or, R. KLIBANSKY (The continuity of Platonic Tradition during the middle âges, outlines of a Corpus platonicum medii aevi, London, The Warburg Institute, 1939, p. 15) affirme que « there were commentaries of Proclus to several of the dialogues» disponibles dans le monde arabe.

0 Traduction française dans PROCLUS, Commentaire sur le Timée de Platon, III, trad. A.J. FESTUGIÈRE avec le concours de M.C. MUGLER, Paris, Vrin (coll. « Bibliothèque des textes philosophiques »), 1967, tome III, p. 169-170. Cf. texte grec PROCLUS, In Platonis Timaeum Commentaria, éd. E. DlEML, Leipzig, Teubner, 1903-1906, tome II (1904), p. 130, I. 12-29 : «OÛTCÛ yàp Tip.lv rai àvaÀoyiav xivà ÔUXOCÛOEI, rai eaxoa àq xà éx£poKtvr|xa Tipàç xà aùxoKivn.xa, oikœ xà aùxoicivrixa itpèç xà àKÎvr)xa, rat crovéÇei xôv xcôv ôvxwv oùvôeauov ôià xfiç oiicelaç (ieaôxr|xoç àveMxxowa uèv xàç rivmuévaç cdxiaç, awâyovaa ôè xàç 5ioOT£<|>opr|uévaç xôv odaOnxcûv ôivàueiç, rai 7i£piexo(j.évr| uèv IJTIÔ xfiç àKivf)xonj rai. àei raxà xcakà èxo\)ar\ç, oùaiaç, 7iepiéxouaa ôè xiiv éxspoidvTixov Koci iiEtaÇ>aX\oiiévr\v Ttavxotcoç -/éveaiv, rai vorixfi pèv ouaa à>ç rcpôç xà Yevnxà, yevTixfi ôè coç'7tpàç xà voinxà rai oûxcoç év xco uéoti) xà àicpa ôeiKVÙouaa, uipouuËVT) rai xcaixri xf|v aixiav a-ùxfiç, ù(i(|>K|>m|ç rai àn<|>iJtpôa-<0Tcoç oijoà, rai xcù uèv xavxàç èxouaa XOTJÇ oïocraç, ■Û7i;oÔ£%ouévr| ôè xoîç éccuxfiç KÔAJCOIÇ xàç ànà xcôv vorixcov Tcpoôôouç eiç aùxrïv, rai TtA.îpo'uuévri uèv àrcô xfiç voepàç Çcofiç, 7ipo'ieuévTi ôè rat oukfi xoùç ôxexoùç xfjç ocùuaxoeiôofjç Çwfjç rai cruvé%ouaa xè KÉvxpov xfiç jcpoôôou xâv ôvxcov ànâvxav év éauxfi- EÎKÔXOÇ àpa KOÙ àyévTixoç

92

Proclus présente l'âme dans un statut intermédiaire comme étant à double face

{amphiprosôpos) ou à double lumière (amphiphaês), un vocabulaire chaldaïque ' qui se

glisse au centre même de la psychologie néoplatonicienne22. Nous trouvons ici pour la

première fois la métaphore des deux faces de l'âme23. Toutefois, même si Plotin avait

examiné les deux côtés de l'âme pour toute âme, Proclus le fait exclusivement pour

l'Âme cosmique, au moins dans ces passages24.

Au sujet de la médiété de l'âme (en ce cas de toutes les âmes), il y a, dans les

Eléments de théologie, un extrait particulièrement intéressant, selon lequel : « Toute âme

est médiatrice entre les principes indivisibles et ceux qui se divisent dans les corps »25.

Or, des fragments de cette oeuvre étaient intégrés à un texte considéré jusqu'à la

deuxième moitié du XIIIe siècle comme une œuvre aristotélicienne, le Livre des causes

(traduit par Gérard de Crémone avant 118726 à partir du traité arabe connu comme Le

livre du premier bien). Pourtant, ce passage en particulier ne se retrouve pas dans le Livre

ècm Kod yevTynï ». Voir aussi éd. DlEHL, p. 246, 1. 18-22, et p. 293, 1.21-25; trad. FESTUGIÈRE, p. 290, et p. 337.

Oracles Chaldaïques, fr. 189, texte établi et traduit par E. DES PLACES, Paris, Les Belles Lettres, 1989, Vocabulaire chaldaïque, p. 111 : « àu^utpôacùTtoç » « à double face » p. 148, sur fr. 189 : « Épithète d'Hécate, qui traduit, chez Plutarque {Vie de Numa, 19, 11) le bifrons du Janus latin, et que Proclus associe à àu<t>i(j>ariç « à double lumière ». C'est que la déesse regarde à la fois le monde intelligible, dont l'Intellect l'éclairé, et le monde sensible, auquel elle transmet sa lumière ».

H semble y avoir un consensus parmi les interprètes des Oracles Chaldaïques. Ils identifient la déesse Hécate avec l'Âme du monde, les preuves pour une telle interprétation sont présentées par S.I. JOHNSTON, HEKATESOTEIRA. A Study ofHekate's Rôles in the Chaldean Oracles andRelated Literature, Atlanta, Scholars Press (coll. «American classical studies », 21), 1990, p. 153-163. « Appendix : Evidence for Hekate's Equation with Soûl », sur les passages de Proclus étudiés ici, voir p. 59-61.

On verra plus bas que Grégoire de Nysse est peut-être le premier à utiliser la métaphore, mais il l'associe plutôt à l'homme, qui a une face semblable à Dieu, dans son intelligence, et une autre face dominée par les passions qui ressemble plutôt aux bêtes. Voir ci-dessous, p. 109.

11 semble y avoir un débat à propos de l'idée plotinienne de la « mobilité hiérarchique » des âmes : pour Plotin, les âmes peuvent tomber et retourner à leur source, c'est un univers dynamique ; d'autres ne sont pas du même avis, dont Proclus et Jamblique. Cf. JAMBLIQUC, Traité de l'âme, dans A.J. FESTUGIÈRE, La révélation d'Hermès Trismégiste, Paris, Les Belles Lettres (« Collection d'études anciennes »), 1981, t. III, p. 184-185.

PROCLUS, Éléments de théologie, prop. 190 ; pour l'édition du texte grec et la traduction anglaise : PROCLUS, The Eléments ofTheology, prop. 190, éd. et trad. E.R. DODDS, Oxford, Clarendon Press, 1963, p. 166. Pour la traduction française: PROCLUS, Éléments de théologie, prop. 190, trad. J. TROUILLARD, Paris, Aubier Éditions Montaigne (coll. «Bibliothèque philosophique»), 1965, p. 190-191.

Cf. B.G. DOD, « Aristoteles Latinus », dans The Cambridge History ofLater Médiéval Philosophy : from the Rediscovery of Aristotle to the Disintegration ofScholasticism, 1100-1600, N. K.RETZMANN, A. KENNY and J. PINBORG (éds.), Cambridge, London, New York, New Rochelle, Melbourne et Sydney, University Press, 1982, p. 79.

93

des causes . Donc on ne peut pas supposer la transmission de la version proclierme des

deux faces de l'âme via le Livre des causes. Cependant, Proclus fera partie du réseau

latent de la transmission des textes. Or, puisque nous n'avons pas trouvé de traductions

arabes ou latines du Commentaire du Timée - avant le XIIIe siècle -, nous ne pouvons

pas assurer qu'il s'agit d'un texte transmetteur direct, nous l'envisagerons alors comme

un texte transmetteur oblique.

2.2. La Théologie d'Aristote (833/842) Les Ennéades de Plotin parvinrent au monde arabe d'une façon plutôt alambiquée.

Les quatrième, cinquième et sixième Ennéades ont été traduites et aussi « adaptées » au

sein du cercle des savants entourant le philosophe Al-Kindï . Dans une étude assez

détaillée, Peter Adamson nous informe sur la nature de cette adaptation, où l'oeuvre de

Plotin est « aristotélisée »30 - en introduisant par exemple du vocabulaire aristotélicien au

Cf. P. MAGNARD, O. BOULNOIS, B. PlNCHARD et J.L. SOLÈRE, La demeure de l'Être. Autour d'un anonyme. Étude et traduction du Liber de causis, Paris, Vrin (coll. « Philologie et Mercure »), 1990, p. 29. Par contre, on trouve en fait dans le Livre des causes la relation que l'âme a avec les choses supérieures - à savoir l'Intelligence -, et avec les choses inférieures - à savoir les choses sensibles (A. PATTIN, « Liber de causis, édition établie à l'aide de 90 manuscrits avec introduction et notes », Tijdschrift voorfilosofie, 28 (1966), p. 90-203, XIII (XIV) § 115-118). Sur la doctrine et les sources du Livre des causes voir C. D'ANCONA COSTA, « Sources et structure du Liber de causis », dans Recherches sur le « Liber de causis », Paris, Vrin (coll. « Études de philosophie médiévale », 72), 1995, p. 23-52.

Guillaume de Moerbeke en fait la traduction vers 1280, cf. BADAWl, La transmission de la philosophie grecque au monde arabe, p. 63.

Voir l'étude de P. ADAMSON, The Arabie Plotinus : A philosophical study of the Theology ofAristotle, London, Duckworth, 2002, passim. Selon lui, il semble qu'Ibn Nâcima al-HimsT ait été le traducteur et l'adaptateur, cf. ibid., p. 174-177. Sur les sources, structure et réception arabe et latine de la Théologie d'Aristote, cf. D'ANCONA, « Introduzione », dans PLOTINO, La discesa dell'ânima nei cor pi, p. 9-111.

« Indeed, al-K.indï's works show that the initial réception of Greek philosophy was in part an attempt to médiate between Neo-Platonism and Aristotle», ADAMSON, The Arabie Plotinus, p. 173. D'ANCONA, («Introduzione», dans PLOTINO, La discesa dell'ânima nei corpi, p. 89-91) est d'accord et ajoute que le cercle d'al-Kindï reproduit à sa façon une tradition curriculaire déjà établie dans les écoles néoplatoniciennes de l'Antiquité tardive. Sur la psychologie et l'éthique en particulier : voir ADAMSON, 772e Arabie Plotinus, p. 49-83. Nous pouvons constater d'ailleurs que cette tendance à harmoniser les deux sages restera importante dans le monde arabe, par exemple chez AL-FÀRÀBT, qui écrit un traité, de L'harmonie entre les opinions des deux sages, le divin Platon et Aristote (trad. D. MALLL;T, Damas, Institut Français de Damas, 1989). Il y utilise à propos des questions de l'âme et de l'intellect des citations de la Théologie d'Aristote (cf. ibid., p. 94-95) pour montrer l'harmonie entre les deux sages.

94

sein de la traduction de Plotin - à un point tel qu'elle sera postérieurement connue dans le monde arabe comme la Théologie d'Aristote.

Notre texte fondateur de la théorie des deux faces de l'âme (ivc Ennéade, traité 8

[6], § 8, 11-13) se situe dans la Théologie dAristote au rnimar (dénomination syriaque

pour chapitre) 7 : Et nous disons que pour toute âme il y a quelque chose qui est conjoint avec

le corps en bas et qui est conjoint avec l'intellect en haut. (PLOTIN ARABE, Théologie d'Aristote, 7)3'.

Le petit passage concerné ne présente pas de différences remarquables avec le

texte grec, même si la suite du paragraphe offre déjà certains traits différents. Pour cette

raison, quelques remarques sur les circonstances de la Théologie d'Aristote en général

aideront à la compréhension de l'interprétation avicennienne de cet extrait. D'abord,

Notre traduction. « Ijfc &*&i J-Hf J ^ fj*&i ô^i Uc- o^ ô& ù! âfi J » :CA.R. BADAWT, Aflûtïn cinda 7-cArab. Plotinus apud arabes. Theologia Aristotelis et fragmenta quae supersunt, Kuweit, Dâr an-nahcja al-misrïya, 1977, p. 91 ; nous traduisons la suite pour donner l'équivalent de l'extrait des Ennéades qui est notre texte fondateur (voir p. 89, n. 15); le texte en italique correspond aux passages pris littéralement des Ennéades : « Et nous disons que pour toute âme il y a quelque chose qui est conjoint avec le corps en bas et qui est conjoint avec l'intellect en haut. Et l'âme totale dirige le corps total avec un peu de sa puissance sans fatigue ni difficulté, parce qu'elle ne le dirige pas avec la réflexion, comme nos âmes dirigent nos corps, mais elle le dirige avec une direction intellective totale, sans réflexion ni délibération. Et celle-là commence à le diriger sans délibération parce qu'il est un corps total sans variation en lui et ses parties sont semblables avec son tout et elle <(l'âme)> ne dirige pas des mélanges variés, ni n'a des membres dissemblables de sorte qu'elle ait besoin d'une direction variée, or lui, il est un corps unique, conjoint, semblable dans ses membres et d'une unique nature sans variations. En ce qui concerne l'âme particulière qui est dans ces corps particuliers, elle est aussi noble en dirigeant les corps d'une direction noble, même si elle ne les dirige pas sans fatigue ni difficulté, parce qu'elle les dirige avec réflexion et délibération. Et elle délibère et réfléchit seulement parce que le sens la maintient occupée avec la contemplation des choses sensibles et des peines et des afflictions ont été introduites en elle à cause de ce qui se produit en elle à partir des choses extérieures à la nature. Et ces choses la distraient et lui déclenchent l'imagination et l'empêchent de projeter son regard vers sa propre essence et vers la partie d'elle demeurant dans le monde intelligible. Et cela, parce que les affaires immédiates, comme le désir répréhensible et le plaisir ignoble, l'ont déjà dominée, de telle sorte qu'elle rejette ses affaires éternelles, pour obtenir avec <ce> rejet les plaisirs de ce monde sensible ; et elle ne sait pas qu'elle s'est déjà éloignée du plaisir qui est le plaisir véritable ; à ce moment-là, elle se rend au plaisir périssable qui n'a aucune permanence en lui ni persistance. Si l'âme peut rejeter le sens et les choses sensibles et périssables et, si elle ne s'agrippe pas à eux, <alors> elle dirige ce corps avec moins d'effort sans fatigue ni difficulté, elle s'assimile à l'âme totale et elle devient semblable à l'<âme totale> dans le comportement et dans la direction sans qu'il y ait entre elles aucune différence ni divergence ». Pour l'édition arabe voir aussi éd. et trad. D'ANCONA, p. 257-258. Dans les notes d'Avicenne, deux lignes seulement sont reproduites : « Toute âme possède une chose qui dans le bas rejoint le corps et une autre qui en haut rejoint l'intelligence » : AV1CENNE, Commentaire sur la 'Théologie d'Aristote', trad. VAJDA, p. 399. Pour l'édition arabe de ce dernier texte, voir AVICENNE, « Kitâb al-Insâf, Sarh 'Kitâb uthiulûjïâ' (Commentaire sur la Théologie)», VII, dans Arisfû cinda 'l-cArab, éd. CA.R. BADAWT, Caire, Maktabat an-nahda al-misrïya, 1947, p. 69. Sur ce sujet cf. DE SMET, « La doctrine avicennienne », p. 77-89.

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Yaristotélisation du texte de Plotin dans les passages correspondant à la psychologie

présente un rapport étroit avec la paraphrase arabe du De anima . Dans ce contexte, le

passage du texte fondateur peut se relier plutôt à l'âme humaine qu'à l'Âme du monde

(c'est-à-dire, le contraire de ce qu'avait fait Proclus). Ensuite, Adamson repère dans la

Théologie d'Aristote l'ajout de certains caractères moraux dans la description de l'âme,

description qui dans le texte grec ne présente aucun trait moral . En effet, en relisant la

version arabe du paragraphe des Ennéades en question3 , là où l'auteur décrit l'âme

individuelle occupée avec les perceptions sensibles étrangères à sa nature, le traducteur-

adaptateur ajoute que ceci éloigne l'âme humaine du monde intelligible parce qu'elle est

dominée par « le désir répréhensible et le plaisir ignoble » ou vil35. Le traducteur-

adaptateur annexe ainsi une dimension éthique au modèle métaphysique de Plotin dans ce

même paragraphe, qui devient plutôt relié à l'âme humaine qu'à l'Âme du monde.

Bref, la version des Ennéades dont disposaient les philosophes arabes constitue un

texte transmetteur direct de la théorie des deux faces de l'âme. Cette version était

considérée comme la Théologie d'Aristote et en conséquence interprétée dans un arrière-

fond et dans un vocabulaire aristotélicien.

Cf. ADAMSON, The Arabie Plotinus, p. 63-68. cf. D'ANCONA, « Introduzione », dans PLOTINO, La discesa dell'anima nei corpi, p. 93.

ADAMSON, The Arabie Plotinus, p. 62-63. Cf. ci-dessus, n. 31. Il y a aussi un autre passage qui deviendra significatif pour l'interprétation avicennienne de la Théologie

d'Aristote, où l'odyssée de l'âme est décrite. Si elle est pure, l'âme de l'homme, quand elle part de ce monde sensible, elle retourne rapidement vers les substances intelligibles ; mais si l'âme s'est soumise aux plaisirs et jouissances offerts par le corps, elle devient comme corporelle et, quand elle se détache du corps, elle ne peut retourner à son propre monde qu'avec beaucoup de difficultés après avoir été purifiée des impuretés qui la souillent. Cf. PLOTIN, Plotinus apud arabes, éd. BADAWT, p. 20-21, Théologie d'Aristote, mTmar I, {Ennéades, PV, 7 [2], 14, I. 8-13); éd. et trad. it. D'ANCONA, p. 227. Ce passage est commenté par Avicenne et, dans ce commentaire, il mentionne les deux côtés de l'âme dans son odyssée (voir ci-dessous, p. 96 et n. 38). À noter aussi un lieu parallèle dans la philosophie première avicennienne : AviCENNE, Si/a" : Al-ilâhiyyât, IX, 7, éd. arabe M.Y. MOUSSA, S. DUNYÀ et S. ZAYED, Caire, Organisme Général des Imprimeries' Gouvernementales, 1960, tome II, p. 427-429 ; trad. française de l'arabe: AVICENNE, La Métaphysique du Si/a'. Livres de VI àX, trad., notes et commentaires par G. ANAWATI, Paris, Vrin (coll. « Études musulmanes », 27), 1985, p. 161-162 ; trad. latine médiévale : AviCENNE, Liber de philosophia prima siue de scientia divina (V-X), éd. S. VAN RlET, Louvain, Peeters ; Leiden, Brill (coll. « Avicenna Latinus »), 1980, p. 513-516.

96

2.3. Ibn Sïnâ, alias Avicenne36 (980-1037) La réception de la Théologie d'Aristoté par Avicenne ainsi que les

approfondissements philosophiques ultérieurs qu'Avicenne en fait peuvent être abordés

grâce aux « Notes sur la Théologie d'Aristoté » d'Avicenne. À partir de ce commentaire,

il est possible d'apprécier, avec toutes ses nuances, la transformation du texte des

Ennéades (maintenant la Théologie d'Aristoté) en celui contenu dans le Traité de l'âme

de l'encyclopédie connue comme La Guérison (Kitâh as-Sifa')37 d'Avicenne.

D'abord, Avicenne présente l'interprétation de l'odyssée de l'âme, où il considère

déjà que l'âme humaine a deux côtés. En effet, « le soin donné au côté inférieur écarte

l'âme du côté supérieur, tout comme [...] le fait de se tourner vers le côté supérieur

l'écarté du côté inférieur »38. Mais, si elle se tourne trop vers le côté inférieur, elle devient

elle-même corporelle ce qui la rend basse et vile39. Car, lorsque l'âme ne maîtrise pas le

corps et s'habitue aux plaisirs, elle ne se perfectionne pas. Or, sa relation avec le corps

déterminera les dispositions qui permettront à l'âme - une fois séparée du corps - de se

joindre au monde supérieur. Donc Avicenne s'efforce à cet endroit précis de trouver dans

la Théologie d'Aristoté des éléments pour appuyer sa théorie de l'âme humaine (dont on

Nous retenons le nom latin des philosophes arabes, parce que notre analyse se concentre sur la « réception » latine des œuvres de ces philosophes. Pour la même raison, nous considérons plutôt les traductions latines que les originaux arabes.

La Guérison se compose de quatre parties : Logique, Physique, Mathématique et Métaphysique. Le traité De l'âme constitue le sixième livre de la Physique. Cf. G. ANAWATI, « Essai de bibliographie avicennienne », Revue Thomiste, 51 (1951), p. 417-418.

Pour une considération plus complète, voici le commentaire intégral du texte paraphrasé dans la n. 35 : « Une telle âme retourne sans grand effort dans son monde lorsqu'elle se sépare du corps. Je dis : l'âme adhère au corps afin de posséder la parure propre aux choses intelligibles. C'est la parure intelligible et la possibilité de lajonction avec les substances supérieures auxquelles appartiennent la joie, la beauté et la splendeur véritables. La méthode [à adopter] pour l'âme est de faire du corps et des organes corporels des moyens d'acquérir la perfection qui n'appartient en propre qu'à elle. On sait que le soin donné au côté inférieur écarte l'âme du côté supérieur, tout comme |réciproquement] le fait de se tourner vers le côté supérieur l'écarté du côté inférieur. En effet, ce n'est pas par ses relations avec le corps que l'âme est écartée de la perfection supérieure, lorsqu'elle n'use pas du corps selon le mode qui convient, mais [cela arrive] à cause d'une disposition qui survient en elle à raison de l'orientation [qu'elle adopte]. Lorsque l'âme devient corporelle, et que s'établissent en elle des dispositions dociles aux choses corporelles, telles la concupiscence, la colère et d'autres [semblables] et que par surcroît ces dispositions deviennent en elle des habitus, elle est après [sa séparation du] corps pratiquement la même qu'elle était dans le corps et se trouve écartée du monde supérieur. 'Les souillures' sont les adhérences basses et viles, contraires à la nature et incongrues, affectant la chose qui, par rapport à elles, est pure. [Mais] lorsque l'âme se sépare du corps, en une disposition apte à la montée, elle demeure jointe au monde supérieur, revêtue de la beauté resplendissante, retranchée du monde où elle se trouvait » : AVICBNNE, Commentaire sur la Théologie, trad. VAJDA, p. 357 ; pour l'éd. arabe BADAWI, p. 41-42.

Cf. note précédente.

97

verra la rédaction finale dans sa Psychologie ), et non pour sa notion des âmes des

sphères.

Or, il reste encore à voir la présentation détaillée de ces deux côtés de l'âme, qui

constitue notre texte transmetteur arabe, dans le commentaire avicennien de la Théologie

d'Aristote, VII (En., IV, 8 [6], § 8, 11-13) :

Toute âme possède deux puissances : l'une est disposée à ce que par elle l'âme perçoive sa contiguïté avec le monde de l'intelligence, l'autre remplissant le même office à l'égard du monde de la sensation. La première est l'intellect hylique et l'intellect par habitus, la seconde (qui est plus proche de l'âme) est l'intellect pratique, c'est-à-dire les sens internes et externes (AVICENNE, Commentaire sur la « Théologie d'Aristote », VII)4 '.

Nous retrouvons de nouveau le statut clairement intermédiaire de l'âme qui se

rapporte au monde intelligible ainsi qu'au monde sensible. Il s'agit d'une interprétation

soulevée par un souci psychologique et, plus spécifiquement, de psychologie (ou

gnoséologie) humaine. Or, en ce qui concerne l'âme humaine, il précise notamment à

quoi il se réfère avec la notion d'intellect pratique, à savoir aux « sens internes et

externes », qui eux possèdent un siège corporel et sont donc corruptibles. Or, l'âme

humaine étant une substance incorruptible pour Avicenne, cette affirmation donne deux

Rohmer argumente (« Sur la Doctrine Franciscaine des deux faces de l'âme », p. 75-76) contre G. BOLOW (Des D. Gundissalinus Schrift von der Unsterblichkeit der Seele, Munster, Aschendorff [coll. BGPTM, 2, 3], 1897, p. 126, n. 1) qui disait que la double face de l'âme chez Avicenne n'était que la division aristotélicienne entre intellect théorétique et intellect pratique. Rohmer veut insister sur l'aspect gnoséologique de la double face de l'âme, mais tant chez Avicenne que chez les maîtres de Paris nous voyons se combiner les deux aspects. En ce sens, É. GlLSON (« Les sources gréco-arabes de l'augustinisme avicennisant », AHDLMA, 4 (1929-1930), p. 5-158, notamment p. 57, n. 1) considère à son tour que « Y anima activa d'Avicenne est plus large que Yintellectus practicus d'Aristote ; elle le contient, plus les fonctions animatrices propres à l'être raisonnable [...] cet intellectus activus régit d'une manière générale toutes les fonctions qui relèvent de l'union de l'âme et du corps ». Voici le texte d'Aristote en question (De anima, III, 10, 433al5-16) : « voùç 8è. ô evera TOI) ^oyiÇôuBvoç rai ô TtpaKtiKÔç- ôioc^épei ôè xo\> GecûptrciKoù TÛ> xéXex ». Pour sa part, SEBTI (« La distinction entre intellect pratique et intellect théorique») reprend les deux éléments comme présents dans la philosophie d'Avicenne et nous rappelle que les deux faces déterminent la constitution ontologique de l'âme et que celle-ci ne peut pas être identifiée avec l'intellect. Sebti considère (« La distinction entre intellect pratique et intellect théorique », p. 34, n. 23) les critiques de Razi, qui dit que l'intellect pratique ne peut être appelé « intellect » que par homonymie ; en fait c'est une critique que se fait Avicenne lui-même (voir ci-dessous) et qui est répétée par ses successeurs. Nous croyons que même si Avicenne reprend un vocabulaire aristotélisant, il le fait dans la reproduction de la formule plotinienne des deux faces de l'âme et ainsi il opère une fusion entre les deux théories qui donne à sa formulation une originalité particulière. On trouve une critique de cette fusion chez DE SMET, « La doctrine avicennienne », p. 88.

41 AVICENNE, Commentaire sur la Théologie, VII, trad. VAJDA, p. 399-400 ; éd. arabe BADAWT; p. 69. Pour une autre traduction de ce texte, voir DE SMET, « La doctrine avicennienne », p. 86.

98

possibilités : soit une partie de l'âme deviendrait corruptible, du fait que cette partie est

liée aux sens et donc à la matière ; soit inversement les sens internes et externes seraient

en quelque sorte indépendants ou séparés de la matière. Ces deux conséquences s'avèrent

contradictoires dans le système avicennien et l'auteur en est conscient. Pour cette raison,

dans son traité De l'âme, Avicenne ne reprend pas la précision de l'intellect pratique

comme sens internes et externes ; de plus, par rapport à l'intellect pratique il y soutient

qu'on l'appelle 'intellect' par homonymie43 (en effet, dans un tel contexte, l'appellation

d'intellect pratique s'avère vraiment équivoque, voire contradictoire). Ensuite, il

détermine dans l'âme deux puissances ou vertus : c'est ainsi que, dans sa formulation de

la théorie des deux faces de l'âme, Avicenne ne parle pas d'« intellects », mais plutôt de

« vertus ». Le passage antérieur donne un point de repère pour exprimer la suite, qui est

développée dans le traité de psychologie d'Avicenne. Vu que l'âme est attachée à un

corps , elle a deux puissances, ou faces : l'une inférieure qui gouverne le corps, dans le

sens pratique de sensation et d'action, et l'autre supérieure, qui se relie à ce qui est au-

dessus d'elle pour en recevoir la connaissance ou la sagesse45.

La théorie des deux faces de l'âme sera reçue en Occident par le biais de la

traduction latine du XIIe siècle46, texte qui est parvenu aux maîtres parisiens :

Sur la chronologie de ces oeuvres d'Avicenne, cf. DE SMET, « La doctrine avicennienne », p. 87, n. 55. AVICENNE, Traité de l'âme, I, 5. Édition arabe : AVICENNE, De anima, I, 5, éd. arabe F. RAHMAN,

Londres, New York et Toronto, Oxford University Press (coll. « University of Durham Publications »), 1959, p. 45. Traduction française de l'arabe : AVICENNE, Psychologie d'après son oeuvre as-Si/a', I, 5, éditée et traduite en français par J. BAKOS, Prague, Éditions de l'Académie Tchécoslovaque des sciences, 1956, p. 31 : « Quant à l'âme raisonnable humaine, ses facultés se divisent en faculté agissante et faculté connaissante et chacune des deux facultés s'appelle intelligence par homonymie ou par équivocité ». Traduction latine médiévale : AVICENNE, Liber de anima siue sextus de naturalibus, I, 5, édition critique de la traduction latine médiévale par S. VAN RIET, Louvain, Peeters ; Leiden, Brill (coll. « Avicenna Latinus »), 1972, p. 90, I. 61-63 : « Sed animae rationalis humanae vires dividuntur in virtutem sciendi et virtutem agendi, et unaquaeque istarum virium vocatur intellectus aequivoce aut propter similitudinem ».

Sur les rapports de l'âme avec le corps, voir DE SMET, « La doctrine avicennienne », p. 87-88. Cf. AVICENNE, Psychology, an english translation of Kitab al-Najat, Book II chapter VI, with historico-

philosophical notes and textual improvements on the Cairo édition, by F. RAHMAN, Oxford, University Press, 1952, p. 32-33. Aussi, cf. AVICENNE, Traité de l'âme, I, 5, éd. arabe RAHMAN, p. 47 ; trad. française BAKOS, p. 32-33 ; trad. latine méd. éditée par VAN RIET, p. 93-94.

Jusqu'ici, on avait coutume d'attribuer cette traduction à Dominicus Gundissalinus, à qui ont aussi été attribués plusieurs ouvrages de création philosophique. Récemment, A. Rucquoi reprend le problème des multiples noms donnés à ce traducteur-philosophe, en concluant qu'il s'agit de deux personnes : « le chapitre de la cathédrale de Tolède comptait entre ses membres, dans les années 1160-1180, un éminent philosophe, Gundisalvus, archidiacre de Talavera, et un traducteur, Dominicus Gundisalvi, archidiacre de Cuéllar» (A. RUCQUOI, «Gundisalvus ou Dominicus Gundisalvi ? », BPM, 41 [1999], p. 96). D'ailleurs, sur la traduction du De anima d'Avicenne en

')')

Quant aux mœurs, qui sont en nous, elles ne se rapportent pas à cette vertu [uirtus] si ce n'est que parce que l'âme humaine, comme tu sauras après, est une substance une ayant.un rapport à deux <choses>, dont l'une est au-dessus de l'<âme> et l'autre au-dessous d'elle ; mais selon chacune d'elles <l'âme> a une vertu par laquelle est disposé l'habitus qui est entre elle et ce <à quoi elle se rapporte>. D'une part, la vertu active est la vertu que l'âme a à cause du devoir [debitum] qu'elle doit à ce qui est au-dessous d'elle, à savoir le corps, pour le gouverner. Mais, la vertu contemplative est la vertu que l'âme a à cause du devoir [debitum] qu'elle doit à ce qui est au-dessus d'elle, pour qu'elle pâtisse [patiatur] de cela et qu'elle progresse par lui et qu'elle reçoive de lui. <Tout se passe> comme si notre âme avait deux faces, à savoir une face vers le bas, vers le corps, <face> qui ne doit nullement recevoir quelque affection du genre dû à la nature du corps ; et une autre face vers le haut, vers les plus hauts principes, <face> qui doit toujours recevoir quelque chose de cela qui est là-bas et en être affectée. Or, à partir de cela qui est au-dessous d'elle sont engendrées les mœurs, mais à partir de cela qui est au-dessus d'elle sont engendrées les sagesses, et celle-ci est la vertu active (AVICENNE, Traité de l'âme, I, 5)47.

particulier, A. Rucquoi considère que « c'est ainsi que le philosophe israélite Avendehut, à qui l'archevêque Jean commanda une traduction du De anima d'Avicenne, s'adjoint les talents de l'archidiacre Dominicus Gundisalvi » (p. 103). La réponse ne s'est pas fait attendre de la part de A. FlDORA et M.J. SOTO BRUNA, « 'Gundisalvus ou Dominicus Gundisalvi ?' Algunas observaciones sobre un reciente articulo de Adeline Rucquoi », Estudios Eclesiâsticos, 76 : 298 (2001), p. 467-473 ; ils considèrent que la duplicité du traducteur et du philosophe n'est pas suffisamment prouvée. Pour ne pas égarer les lecteurs, nous continuerons à utiliser le nom de Gundissalinus sans prendre position sur le sujet.

Notre traduction. « Mores autem qui in nobis sunt non comparantur huic virtuti nisi quia anima humana, sicut postea scies, est una substantia, habens comparationem ad duo, quorum unum est supra eam et alterum infra eam, sed secundum unumquodque istorum habet virtutem per quam ordinatur habitus qui est inter ipsam et illud. Haec autem virtus activa est illa virtus quam habet anima propter debitum quod débet ei quod est infra eam, scilicet corpus, ad regendum illud ; sed virtus contemplativa est illa virtus quam habet anima propter debitum quod débet ei quod est supra eam, ut patiatur ab eo et proficiat per illud et recipiat ex illo ; tamquam anima nostra habeat duas faciès, faciem scilicet deorsum ad corpus, quam oportet nullatenus recipere aliquam affectionem generis debiti naturae corporis, et aliam faciem sursum, versus principia altissima, quam oportet semper recipere aliquid ab eo quod est illic et affici ab illo. Ex eo autem quod est infra eam, generantur mores, sed ex eo quod est supra eam, generantur sapientiae ; et haec est virtus activa » : AVICENNE, Liber de anima, I, 5, éd. lat. VAN RlET, p. 93, 99 - 94, 14 ; éd. arabe RAHMAN, p. 47 ; trad. française BAKOS, p. 32-33 : « Mais les habitudes morales qui sont en nous ne se rapportent à cette faculté que parce que l'âme humaine, comme il apparaîtra plus tard, est une substance une, ayant un rapport et une comparaison vers deux côtés, l'un qui est au-dessous d'elle et l'autre qui est au-dessus d'elle. Elle possède, selon chaque côté, une faculté par laquelle est organisée la connexion entre elle et ce côté. Donc, cette faculté pratique est la faculté que possède l'âme en raison de la connexion avec le côté qui est plus bas qu'elle, et c'est le corps et son gouvernement. Quant à la faculté spéculative, elle est une faculté que l'âme possède en raison de la connexion avec le côté qui est au-dessus d'elle, afin qu'elle pâtisse, qu'elle acquière de lui et reçoive de lui. Notre âme possède donc deux faces : une face vers le corps, mais il faut que cette face ne reçoive aucunement une impression d'un genre exigé par la nature du corps, et une face vers les principes suprêmes, mais il faut que cette face reçoive constamment de ce qui est là et en subisse (constamment) l'effet. Donc, du côté inférieur naissent les habitudes morales, du côté supérieur naissent les sciences. Celle-ci est la faculté pratique ».

100

Dans sa formulation de la théorie des deux faces de l'âme, Avicenne pose que la

face tournée vers le corps pour le gouverner ne doit rien recevoir du corps, tandis que la

face tournée vers l'intelligible doit essayer de recevoir le plus possible de l'intelligible. À

partir du rejet du corps et de la recherche de la contemplation du monde supérieur, nous

assistons donc à une ascension qui mènera à une certaine « mystique » de la connaissance

pure . Or, il s'agit d'une thèse autre que celle que l'on trouve dans le De anima

d'Aristote (De an., III, 10), à savoir la distinction entre les intellects théorétique et

pratique49. Il faut soutenir avec Avicenne que le vocabulaire aristotélicien ne s'utilise ici

que par homonymie ou équivocité.

Dans cette situation, Avicenne concentre son enquête sur l'âme en son état actuel,

c'est-à-dire l'âme de l'homme dans le monde sensible. Mais cette théorie est élaborée

pour répondre aux exigences de l'odyssée de l'âme, ou mieux, de son retour vers le

supérieur : bien qu'elle se trouve dans le monde sensible, l'âme appartient proprement au

monde intelligible ; en conséquence, elle doit retenir comme but l'éloignement du

sensible et la poursuite de l'intelligible.

La distinction s'effectue aussi sur un arrière-fond psychologique complètement

différent de l'arrière-fond métaphysique où elle se trouve dans les Ennéades. Ce contexte

psychologique a été rendu possible grâce à P« aristotélisation » de la doctrine de l'âme

qui avait été accomplie par la Théologie d'Aristote et qui détermine la nouvelle odyssée

de l'âme comme une affaire principalement humaine, et non plus cosmique. Ce nouveau

texte transmetteur direct constitue un élément fondamental pour l'avenir de la théorie des

deux faces de l'âme dans le monde arabe ainsi que dans l'Occident chrétien.

Cf. M. FAKHRY, « The contemplative Idéal in Islamic Philosophy : Aristotle and Avicenna », Journal of the history of philosophy, 14 : 2 (1976), p. 137-145. L'existence et le caractère de la mystique avicennienne sont le centre de plusieurs discussions parmi les interprètes du philosophe persan, mais cet enjeu excède les limites de cette recherche.

Voir ci-dessus, n. 40.

1(11

2.4. Al-Ghazâlï, alias Algazel (1058-1111)

Un autre philosophe arabe reçu en Occident latin presque en même temps

qu 'Avicenne est - selon son nom latin - Algazel. Il reprend la théorie des deux faces de

l 'âme dans son livre sur la Métaphysique, II, IV, 5 (traduit au XIIe siècle)50 :

[...] or, il y a deux vertus de cette âme humaine : l'une opérante, et l'autre savante. Or, la vertu savante se divise en vertu spéculative, comme est cette connaissance [scientia] : que Dieu est un et qu'il conçoit le monde ; et en <vertu> active par laquelle nous acquérons la connaissance liée à nos opérations, comme la connaissance [scientia] que parce que l'injure est honteuse, c'est pourquoi elle ne doit pas être faite. Et cette <vertu> active est parfois universelle comme cela que nous avons dit, et parfois singulière, comme cela qui dit que Pierre ne doit pas faire injure. Or, on a la vertu opérante - p a r opposition à la vertu savante qui est la spéculative - liée au corps, et cette <vertu> opérative s'appelle intellect actif; or on dit 'intellect' mais équivoquement ; en effet, par elle l'appréhension ne se fait pas mais seulement le mouvement, selon ce que l'intellect discerne, comme en effet la vertu motrice de l'animal n'est que pour acquérir ou pour fuir, ainsi aussi la vertu opérante est dans l'homme, mais son enquête est intellectuelle, à savoir relative à cela qui est bon, correct, utile. [...] Or, l'âme humaine a deux faces: l'une <tournée> vers la partie supérieure qui est la vastitude supérieure, en cela que par celle-ci <l'âme> acquiert les sciences, et l'âme <humaine> n'a la vertu spéculative que par rapport à cette partie dont le devoir [debitum] était qu'elle reçoive toujours ; et l'autre face <tournée> vers la partie inférieure, à savoir pour gouverner le corps, et <l'âme humaine> n'a la vertu active que pour cela (ALGAZEL, Métaphysique, II, IV, 5)51.

Ce qu'on appelle la Métaphysique d'Algazel chez les latins, c'est la traduction latine des Maqâsid al-falâsifa {Les intentions des philosophes, texte traduit au XIIe siècle), résumé qu'Algazel fait de quelques thèses philosophiques -provenant pour la plupart d'Avicenne- afin de les critiquer dans le Tahâfut al-falâsifa {L'Incohérence des philosophes), partie de l'ouvrage dont la traduction n'était pas disponible au XIIIe siècle. Pourtant, il existait une traduction latine du prologue des Maqâsid qui a eu une diffusion assez restreinte, mais qui était connue de R. Bacon, cf., à ce sujet, D. SALMAN, « Algazel et les Latins », AHDLMA, 10-11 (1935-1936), p. 103-127. Salman juge très curieux le fait que malgré la connaissance du prologue des Maqâsid, Roger Bacon a continué à présenter Algazel comme continuateur de l'œuvre d'Avicenne (cf. p. 110-120) ; nous pouvons conjecturer à ce sujet que les auteurs médiévaux ne sont pas généralement soucieux des questions philologiques ; alors Bacon aurait pu connaître l'intention d'Algazel par son prologue ; pourtant, il a été influencé par le courant général qui voyait en Algazel surtout un continuateur de l'œuvre d'Avicenne.

51 Notre traduction. « [...] huius vero anime humane sunt due virtutes, una operans, et altéra sciens. Virtus vero sciens dividitur in virtutem speculativam, sicut est hec sciencia : quod deus unus est et mundus cepit ; et in activam per quam acquirimus scienciam alligatam nostris operibus, sicut sciencia quod quia iniuria turpis est ideo non est facienda. Et hec activa aliquando est universalis sicut hoc {scr.] hec cod.) quam diximus, aliquando singularis, sicut hoc quod dicitur quod Petro non débet fieri iniuria. Virtus vero operans habetur - per inuicem {scr.] innuicionem cod.) virtutis scientis que est speculatiua- alligata corpori, et hec operativa vocatur intellectus activus ; dicitur autem intellectus sed equivoce ; non enim per illam fit apprehensio sed motus tantum, secundum quod intellectus discernit, sicut enim virtus motiva animalis non est nisi ad acquirendum vel fugiendum, sic eciam virtus operans est in homine, sed eius inquisicio est intellectualis, scilicet de hoc quod est bonum, rectum, utile [...]. Anima uero humana habet duas faciès, unam ad partem superiorem que est vastitas superior, eo quod ab illa acquirit sciencias, nec habet anima virtutem speculativam nisi

102

Avant de formuler la théorie des deux faces de l'âme, Algazel opère une

distinction en divisant l'âme humaine en vertu savante ou connaissante (virtus sciens) et

vertu opérante {virtus opérons). Puis il subdivise la virtus sciens en vertu spéculative et

vertu active ; à son tour, la vertu active se divise en universelle et singulière. Ensuite, sur

la virtus operans, il dit d'une part que dans l'homme elle nécessite une « enquête

intellectuelle », et d'autre part qu'elle n'est autre que la force motrice animale pour

acquérir ou fuir . On voit alors que les vertus se multiplient en quatre dans ce

paragraphe53.

Ensuite, Algazel présente subitement les deux faces de l'âme : l'une tournée vers

le supérieur pour acquérir la science, et l'autre tournée vers l'inférieur pour gouverner le

corps. Or, Avicenne distingue entre « vertu », ou puissance, spéculative, et « vertu », ou

puissance, active. Algazel établit une équivalence entre vertu opérative et intellect actif;

mais, suivant Avicenne, il dit que dans ce cas le terme s'avère équivoque. Cependant, ce

vocabulaire (à savoir «intellect pratique», «actif» ou «opératif»), qui n'est

recommandé ni par Avicenne ni par Algazel54, sera utilisé moins scrupuleusement par

Gundissalinus, philosophe à Tolède.

respectu illius partis cuius debitum erat ut semper reciperet ; et aliam faciem ad partem inferiorem, scilicet ad regendum corpus, et virtutem activam non habet nisi propter hoc » : ALGAZEL, Methaphysica, II, IV, 5, dans J.T. MuCKLE, Algazel's Metaphysics, Toronto, The Institute of Mediaeval Studies (coll. « St. Michael's Mediaeval Studies »), 1933, p. 172, 9 - 173, 2 (trad. XIIe

siècle, selon l'édition MUCKLF. révisée par nos soins). Pour l'original arabe, voir GHAZÂLÎ, Maqâsid al-falâsifa, éd. S. DlJNYÀ, Caire, Dâr al macârif, 1961, p. 359-360.

52 virtus operans -> inquisicio intellectualis -•> de hoc quod est bonum, rectum et utile -> virtus motiva animalis ad acquirendum vel ad fugiendum.

virtus sciens -> speculativa -> activa -> universalis -> iniuria turpis est ideo non est facienda

-> singularis -> Pedro non débet fieri iniuria 53 Certains vont suivre cette tendance, voir notamment Philippe le Chancelier, ci-dessous, p. 112. 54 Avicenne lui-même avait dit que l'âme humaine raisonnable se divise en deux puissances : agissante et

savante. Elles sont équivoquement appelées intellect. Voir ci-dessus, n. 43.

103

2.5. Gundissalinus (H. 1160-1180)

Cette variation terminologique est reprise, comme nous l 'avons dit, par

Gundissalinus5 5 , qui, dans son traité de L'âme, utilise intellectus et virtus comme

équivalents, même s'il répète aussi la mise en garde d'Avicerme — à savoir que la vertu

contemplative et l 'active sont équivoquement appelés ' intellects' :

C'est pourquoi deux sont les forces [vires] de l'âme rationnelle : l'une est la vertu d'intelliger et l'autre est la vertu d'agir, ou bien l'une est la vertu contemplative et l'autre est la vertu active ; et on appelle les deux 'intellects' équivoquement.

Mais la vertu active ou intellect actif est le principe mouvant le corps de l'homme vers les actions singulières qu'il choisit au premier chef pour soi selon ce qu'il entend. Mais il le fait parfois par la vertu animale appétitive ou désidérative, parfois par l'imaginative ou estimative, parfois par elle-même. [...] Or, par elle-même, l'âme humaine agit quand elle cherche à engendrer en soi un intellect contemplant ces sentences qui sont appréciées de par l'usage et qui sont divulguées avec éclat parmi les hommes, comme cela que mentir est honteux et des propositions semblables seulement probables.

Or, la vertu contemplative ou intellect contemplatif est celui qui est habitué d'être informé par la forme universelle dénudée de matière. Et si elle est dénudée en soi, il sera plus facile d'appréhender sa forme en soi ; mais si elle n'était pas dénudée, elle deviendra pourtant dénudée, car <Pintellect> lui-même la dénudera <de la matière>, de telle sorte qu'en elle il ne reste rien relativement à toutes ses affections avec la matière. Or, l'intellect contemplatif est le juge du vrai et du faux relativement aux <choses> universelles, mais l'actif est le juge relativement au mal et au bien dans les <choses> singulières (GUNDISSALINUS, Traité de l'âme, 10)56.

Sur la figure de Gundissalinus, voir A. FlDORA, « Domingo Gundisalvo y el resurgimiento epistemolôgico de la filosofïa aristotélica », Anuario de Historia de la Iglesia, 13 (2004), p. 233-245 et A. FlDORA, Die Wissenschaftstheorie des Dominicus Gundissalinus, Berlin, Akademie Verlag (coll. « Wissenskultur und gesellschaftlicher Wandel », 6), 2003.

Notre traduction. « Quapropter animae rationalis duae sunt vires : una est virtus intelligendi et alia est virtus agendi, sive una est virtus contemplativa et alia est virtus activa ; et utraque vocatur intellectus aequivoce. Sed virtus activa sive intellectus activus est principium movens corpus hominis ad singulas actiones quas praecipue sibi eligit secundum quod intendit. Sed hoc facit aliquando per virtutem animalem appetitivam sive desiderativam, aliquando per imaginativam sive aestimativam, aliquando per se ipsam. [...] Per se ipsam autem humana anima agit cum contendit generare in se intellectum contemplantem quae sententiae pendent ex usu et divulgantur famose apud homines, sicut hoc quod mentiri turpe est et consimiles propositiones tantummodo probabiles. Virtus autem contemplativa sive intellectus contemplativus est qui solet informari a forma universali nudata a materia. Et si fuerit nuda in se, apprehendere formam eius in se facilius erit ; si vero non fuerit nuda, fiet tamen nuda, quoniam ipse denudabit eam, ita ut de omnibus affectionibus eius cum materia nihil remaneat in ea. Intellectus vero contemplativus est iudex veri et falsi de universalibus, sed activus est iudex de malo et bono in singularibus » : DOMINICUS GUNDISSALINUS, De anima, 10, éd. J. T. MUCKLE, Mediaeval Studies, 2 (1940), p. 84-85.

104

Voici développée avec précision une théorie similaire à celle d'Avicenne.

Gundissalinus expose un lien de la vertu active de l'âme avec la vertu animale

appétitive . Cela contribue à la continuité et à l'unité de l'humain parce que la partie

appétitive s'occupe des affaires singulières, alors que la partie proprement intellective

détermine les règles de l'action. Quant à la vertu contemplative, elle s'occupe de recevoir

les empreintes des formes universelles immatérielles. La mention de l'universel et du

particulier d'Algazel est reprise par Gundissalinus, parce qu'elle relie le contemplatif à

l'universel et le pratique au singulier sans que cela ne change sa structure de l'âme. Quant

à la théorie des deux faces de l'âme, Gundissalinus la transmet comme suit :

Par conséquent, l'âme rationnelle, malgré qu'elle soit une substance une, a un rapport à deux <choses>, dont l'une est au-dessus d'elle, et l'autre au-dessous d'elle. Mais <l'âme> a en soi des vertus par lesquelles elle <l'âme> s'attache à chacune des <choses au-dessous et au-dessus>. En vérité, <Pâme> a la vertu active en vue de ce qui lui doit, qui est au-dessous d'elle, et <l'âme> a la vertu contemplative en vue de ce qui est au-dessus d'elle, évidemment pour qu'elle pâtisse de cela et qu'elle soit perfectionnée par cela et qu'elle reçoive de cela. Ces deux forces [vires] ou deux intellects sont à l'âme rationnelle comme deux faces : l'une par laquelle <l'âme> regarde vers le bas pour gouverner son inférieur qu'est le corps, il faut que cette <face> ne reçoive aucunement quelque affection du genre dû à la nature du corps ; et l'autre <face par laquelle <l'âme> regarde vers le haut pour contempler son supérieur qu'est Dieu, il faut que cette <face> reçoive toujours quelque chose de ce qui est là-bas et en être affectée. Mais, à partir de ce qui est <en relation avec ce qui se trouve> au-dessous d'elle, à savoir l'intellect actif, sont engendrées les mœurs et les sciences, et à partir de ce qui est <en relation avec ce qui se trouve> au-dessus d'elle, à savoir l'intellect contemplatif, sont acquises les sagesses. Mais pour acquérir celles-ci chacun des deux intellects a une aptitude et une perfection. En effet, celui qui a l'habitude de recevoir quelque chose en est parfois réceptif en puissance, parfois en acte (GUNDISSALINUS, Traité de l'âme, 10)58.

Cf. AVICENNE, Traité de l'âme, I, 5, éd. arabe RAHMAN, p. 45-46 ; trad. BAKOS, p. 32 ; trad. latine médiévale éd. VAN RIET, p. 90-91. Cf. aussi AviCENNE, -Najat, trad. RAHMAN, p. 32,1. 8-17.

Notre traduction. « Anima ergo rationalis cum sit una substantia habet comparationem ad duo, quorum unum est supra eam et alterum infra eam. Sed habet in se virtutes quibus coaptatur ad utrumque illorum. Nam virtutem activam habet propter id quod débet ei, quod est infra se, et virtutem contemplativam habet propter id quod est supra se videlicet ut patiatur ab eo et perficiatur per illud et recipiat ab illo. Quae duae vires sive duo intellectus sunt animac rationali quasi duae faciès : una qua respiciat deorsum ad regendum suum inferius quod est corpus, quam nullo modo oportet recipere aliquam affectionem generis debiti naturae corporis ; et alia qua respiciat sursuin ad contemplandum suum superius quod est Deus, quam oportet semper recipere aliquid ab illo quod est illic et affici ab illo. Sed ex eo quod est infra eam scilicet intellectu activo generantur mores et scientiae, et ex eo quod est supra eam, scilicet intellectu contemplativo acquiruntur sapientiae. Sed ad adquirenda haec unusquisque horum duorum intellectuum habet aptitudinem et perfectionem. Id enim quod solet aliquid recipere aliquando est receptibile eius in potentia, aliquando in effectu » : GUNDISSALINUS, De anima, 10, éd. (modifiée) MUCKLE, p. 86-87.

105

Notons que Gundissalinus dit l'âme 'rationnelle' (par opposition à l'âme sensitive

et l'âme végétative) : il n'est pas concevable pour Gundissalinus, lecteur d'Avicenne, que

l'âme dont on parle puisse s'identifier à l'Âme du monde. Depuis Avicenne, on a perdu

toute l'ambiguïté engendrée par l'originel 'toute âme' chez Plotin. Même si les auteurs

avaient reproduit ce 'toute âme', ils auraient aussitôt compris 'toute âme humaine'. Une

autre modification de Gundissalinus se présente lorsqu'il énonce « deux forces (vires) ou

deux intellects », il utilise aussi 'vertus' ; même s'il affirme à la suite d'Algazel et

d'Avicenne qu'on appelle la vertu active 'intellect' par homonymie, il continue à utiliser

ce. vocabulaire systématiquement, ce qui est sans doute très approprié lorsque vient le

temps d'insérer ces thèses dans le registre de l'œuvre d'Aristote, où l'âme rationnelle est

décrite dans la doctrine de l'intellect. La dernière modification à noter concerne la face

qui se retourne vers le supérieur : Gundissalinus précise que le supérieur vers lequel

l'âme se retourne est Dieu (quod est Deus) et identifie ainsi le monde supérieur

principalement à Dieu ; ce qui donne une version d'Avicenne légèrement plus perméable

aux lecteurs chrétiens59 et contribue à la souplesse de l'introduction du péripatétisme

gréco-arabe dans l'Occident chrétien. En fait, ces deux extraits de Gundissalinus seront

repris de façon quasi littérale à Paris au XIIIe siècle, mais dans un milieu assez différent

qui encadrera la théorie des deux faces de l'âme dans la philosophie augustinienne.

Nous ferons maintenant un retour dans le temps pour nous retrouver dans une

autre voie de transmission des textes plotiniens vers l'Occident. Cette deuxième voie de

transmission constituera chez les maîtres du XIIIe siècle le contexte entourant et donnant

un nouveau sens à la théorie des deux faces de l'âme.

Transmission du contexte

3. Textes transmetteurs obliques : Voie chrétienne gréco-latine

La voie chrétienne est aussi très importante parce qu'elle nous présente les textes

qui constituaient la mentalité occidentale (une mentalité préparée à recevoir la théorie des

59 Dans ce cas, il réduit le domaine du supérieur à Dieu, domaine qui chez Avicenne inclut beaucoup plus que Dieu, à savoir toute la série des intelligences célestes et les âmes des sphères célestes. Cela ne veut pas dire que les chrétiens n'incluaient pas les intelligences célestes dans leur cosmologie, mais ce n'est habituel qu'après que la Physique d'Aristote eut acquis une circulation plus étendue vers la moitié du XIIIe siècle.

106

deux faces de l'âme). Cette mentalité fournissait-elle un cadre suffisamment favorable à

l'adoption des idées du péripatétisme gréco-arabe ? Cela semble être le cas, sinon la

mentalité chrétienne aurait été assez hermétique aux conceptions des Gentils. En effet, les

Arabes et les Chrétiens (les pères de l'Église) partagent une même source philosophique

originelle, le néoplatonisme issu de Plotin.

3.1. Augustin (354-430) Pendant le XXe siècle, une discussion a surgi parmi les spécialistes d'Augustin au

sujet de ses sources néoplatoniciennes : les uns disent qu'Augustin a été plutôt influencé

par Plotin, les autres qu'il l'a été plutôt par Porphyre. Quelle que soit l'influence la plus

importante, il existe de bons arguments pour admettre les deux influences. Afin de

focaliser nos recherches, nous nous concentrerons sur l'influence plotinienne, sans pour

autant nier l'influence porphyrienne, signalée à plusieurs reprises par les savants60.

R.J. O'Connell a montré qu'Augustin a lu et a utilisé beaucoup de matériel des

Ennéades dans ses oeuvres de jeunesse . Cet interprète a plus récemment approfondi ses

études sur les Confessions et signale qu'il repère aussi dans ce livre une forte influence de

Plotin. Il y découvre une théorie de la chute de l'âme . Trouver chez Augustin une

notion semblable à la chute de l'âme s'avère très intéressant d'autant plus que cette

théorie constitue le contexte où l'on rencontre, chez Plotin, notre texte fondateur des deux

J. PÉPIN, « Ex platonicorum persona» : Études sur les lectures philosophiques de Saint Augustin, Amsterdam, M. Hakkert Éditeur, 1977.

61 R.J. O'CONNELL, St. Augustine's early theory ofman, A. D. 386-391, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 1968. L'interprétation d'O'Connell a suscité de nombreuses controverses parmi les interprètes d'Augustin : d'un côté, parmi ceux qui ont reconnu l'influence de Plotin au moins chez le jeune Augustin, nous trouvons E. TESELLE, « Thèses on O'Connell : The Origin and 'Proper Life' of the Soûl in Augustine's Thought », Augustinian Studies, 27 (1996), p. 7 ; d'un autre côté, parmi ceux qui plaident contre le fait que Plotin puisse être une source directe d'Augustin se trouvent G. O'DALY, « Did St. Augustine Ever Believe in the Soul's Pre-existence ? », Augustinian Studies, 5 (1974), p. 227-235 et F. VAN FLETEREN, « A Replay to O'Connell », Augustinian Studies, 21 (1990), p. 127-137. Finalement, nous trouvons une position soi-disant 'intermédiaire' chez R.J. ROMBS, Saint Augustine and thefall ofthe soûl. Beyond O 'Connell and his critics, Washington, The Catholic University of America Press, 2006.

62 R.J. O'CONNELL, «The fall ofthe soûl in the Confessions», dans Congresso internazionale su s. Agostino nel XVI centenario délia conversione, Roma, Institutum patristicum « Augustinianum », 1987, Atti II Sezioni di studio II-IV (coll. « Studia Ephemeridis Agustinianum », 25), p. 45-58. Pour un compte rendu complet de cette interprétation cf. ROMBS, Saint Augustine and thefall ofthe soûl, p. 23-41.

107

faces de l'âme. En effet, C. D'Ancona montre à son tour qu'Augustin avait lu plus

précisément En., IV, 8 [6] . Dans son interprétation des Confessions, O'Connell insiste

sur le parcours de la peregrinatio animae (un itinéraire équivalant à l'odyssée de l'âme

chez les philosophes grecs). Ce pèlerinage de l'âme, selon O'Connell, commence avec le

premier détournement {prima aversio) qui fait tomber (defluxit) l'âme de la 'maison' de

Dieu (à savoir l'éternité) vers le temps. Il faut alors se rendre à nouveau vers Dieu, en se

débarrassant des choses qui nous empêchent d'y retourner {impedimenta), pour enfin y

trouver la béatitude et le repos éternel. Ce pèlerinage qui situe l'odyssée de l'âme dans la

dialectique de l'éternel et du temps est appelé par O'Connell la matriceplotinienne64.

La théorie des deux faces de l'âme peut donc facilement s'encadrer dans cette

matrice. Il nous est alors loisible de prévoir que dans un milieu où la lecture d'Augustin

est fréquente, la doctrine des deux faces de l'âme ne va pas sembler étrangère.

En plus de cette matrice plotinienne, nous voudrions attirer l'attention sur le De

Trinitate d'Augustin, qui reprend le célèbre chemin de l'extérieur vers l'intérieur et de

l'intérieur vers le supérieur65 ; nous retenons ici juste une petite partie du texte :

Quant à cette part de nous-mêmes qui, toute tournée qu'elle soit vers l'action sur le corporel et le temporel, ne nous est pas commune avec les animaux, elle relève bien de la raison ; mais si elle dérive de cette substance rationnelle de l'âme qui nous subordonne et nous relie à la vérité intelligible et immuable, elle en est comme détachée, comme déléguée pour le maniement et le gouvernement des choses inférieures (AUGUSTIN, La Trinité, XII, 3)66.

Cf. D'ANCONA, « Introduzione », dans PLOTINO, La discesa dell'anima nei corpori, p. 65-72. Cf. O'CONNELL, « The fall of the soûl in the Confessions », p. 45-58. Sans vouloir confirmer ou démentir

cette interprétation très controversée, nous recherchons seulement chez Augustin des éléments qui rendent la doctrine plotinienne des deux faces de l'âme recevable chez les artiens parisiens.

Cf. GlLSON, Introduction à l'étude de saint Augustin, p. 23 et suivantes. AUGUSTIN, La Trinité, XII, 3, trad. P. AGAËSSE, notes en collaboration avec J. MoiNGT, Paris, Desclée de

Brouwer, Institut d'études augustiniennes (coll. « Bibliothèque Augustinienne, Œuvres de Saint Augustin», 16), 1991, p. 215-217. « Illud vero nostrum quod in actione corporalium atque temporalium tractandorum ita versatur, ut non sit nobis commune cum pécore rationale est quidem, sed ex illa rationali nostrae mentis substantia qua subhaeremus intelligibili atque incommutabili veritati, tamquam ductum et inferioribus tractandis gubernandisque deputatum est » : AUGUSTIN, De Trinitate, XII, 3, éd. W.J. MOUNTAIN avec la collaboration de Fr. GLORIE, Turnhout, Brepols (coll. « Corpus Christianorum séries latina », 50), 1968, (PL, 42, 999), p. 357. Cf. aussi Ibid, XII, 2, 4, p. 356-358 (PL, 42, 999-1000), et 7, p. 364-365 (PL, 42, 1003-1004) : « Sicut de natura humanae mentis diximus quia et si tota contempletur ueritatem, imago dei est, et cum ex ea distribuitur aliquid et quadam intentione deriuatur ad actionem rerum temporalium, nihilominus ex qua uero intenditur in agenda inferiora non est imago dei ».

108

Ce passage comporte une ressemblance, sinon littérale du moins doctrinale, avec

ce que nous avons vu. La raison contemple la vérité immuable et gouverne les choses

inférieures67.

Augustin lui-même ne semble pas avoir employé la distinction du supérieur et de

Vinférieur6 , mais on la retrouve dans les oeuvres qu'on lui a faussement attribuées, par

exemple dans le De spiritu et anima, un ouvrage très utilisé pendant la première moitié

du XIIIe siècle. Cet ouvrage spécifie qu'une partie de la raison réfléchit sur les choses

supérieures et célestes, réflexion qui définit la sagesse ; une autre partie de la raison

s'occupe des choses contingentes, occupation qui constitue la prudence . Le De spiritu et

anima, dont l'auteur reste inconnu même si l'on a formulé de nombreuses hypothèses sur

son identité70, date de la période entre 1169 et 117971. On le situe toutefois dans notre

histoire des textes immédiatement après Augustin, parce qu'il était considéré comme une

œuvre de ce dernier chez les maîtres parisiens. D'ailleurs, ce texte est cité par Jean de la

Rochelle dans la même page où il expose la théorie des deux faces de l'âme, de telle sorte

que ladite théorie semble appartenir à Augustin. Le De spiritu et anima est aussi

beaucoup utilisé par Philippe le Chancelier72, qui a contribué à sa célébrité.

On peut trouver chez PLOTIN, Ennéades, I, 6 [1], § 5, éd. HENRY et SCHWYZER, 1.1, p. 111,1. 37-39 ; trad. BRÉHIER, p. 101, une référence à l'extérieur comme un équivalent à l'inférieur : « il ne lui [à l'âme] est plus permis de rester en elle-même, parce qu'elle est sans cesse attirée vers la région extérieure, inférieure et obscure ». Même si les interprètes d'Augustin ont prouvé déjà que ce dernier avait beaucoup utilisé ce livre de Plotin, il nous faudrait, pour confirmer l'utilisation de ce passage précis, un long travail qui n'appartient pas à notre recherche actuelle.

68 Or, pourquoi Augustin n'a-t-il pas utilisé le terme raison inférieure (comme le font beaucoup d'augustiniens après lui) ? Une réponse possible serait que l'opposition supérieure-inférieure est beaucoup trop dualiste pour quelqu'un qui se veut un opposant radical aux manichéens. Mais cette réponse demeure une simple conjecture.

69 PS-AUGUSTIN, De spiritu et anima, 11, éd. J.P. MlGNE, Paris (PL, 40), 1847, col. 787 : « sensus informat imaginationem imaginatio rationem, facitque ratio scientiam sive prudentiam. Rursum rationi occurrens divina prudentia, informat eam, et facit intelligentiam sive sapientiam. Est itaque in ratione quiddam ad superna et coelestia intendens, et id dicitur sapientia ; et est quiddam ad transitoria et caduca respiciens, et id vocatur prudentia. Haec duo ex ratione sunt, et in ratione consistunt. Et dividit se ratio in duo, scilicet in seorsum et deorsum : sursum, in sapientiam ; deorsum, in prudentiam ; quasi in virum et mulierem ut vir sit superior et regat, mulier inferior et regatur ». Ce texte est utilisé par Jean de la Rochelle dans sa Summa de anima, voir ci-dessous, p. 114.

70 On l'a attribué entre autres à Vincent de Beauvais, Hugues de Saint Victor, Alcher de Clairvaux et, plus récemment, à Pierre le Mangeur : cf. G. RACITl, « L'Autore del De spiritu et anima », Rivista di filosofia neoscolastica, 53 (1961), p. 385-401.

1] lbid.,p. 397. 72 Ibid,p. 391.

109

Un autre ouvrage pseudo-augustinien, le De mirabilibus Sacrae Scripturae,

présente une lecture très intéressante de la division entre ratio superior et ratio inferior.

Dans son troisième livre, on lit que Jésus avait deux raisons : l'une inférieure pour régir

les questions quotidiennes et l'autre supérieure pour réaliser des miracles73.

Postérieurement, ce vocabulaire de ratio inferior et ratio superior sera repris par les

théologiens de Paris tels que Philippe le Chancelier et Jean de la Rochelle.

3.2. Grégoire de Nysse (335-394) La voie chrétienne se développe aussi avec Grégoire de Nysse - contemporain

d'Augustin - dont l'oeuvre deviendra disponible en Occident à travers les traductions de

Jean Scot Érigène. Même si l'oeuvre de Grégoire s'avère beaucoup moins « populaire »

au XIIIe siècle que les textes augustiniens ou pseudo-augustiniens, nos maîtres y avaient

accès en latin et c'est pourquoi nous l'examinons.

Dans son livre sur la création de l'homme (Tlepi KaraaKevfjç AvQpmnov, ou De

hominis opificio - vers 389 -, également connu sous le nom de De imagine), Grégoire de

Nysse considère l'homme dans son rapport avec Dieu en tant qu'il Lui ressemble. Dans

cette vie, l'homme se trouve entouré de passions qui le confondent et ne lui laissent pas

voir la bonne voie. Cependant, l'homme est créé à l'image de Dieu et cela le maintient

dans l'espoir de la rédemption. C'est ainsi - dit Grégoire - que l'homme a deux faces, à

la manière de certaines sculptures à double forme où les sculpteurs représentent en une

seule tête deux visages74. L'homme comporte donc une double ressemblance envers des

opposés : d'un côté, il ressemble à la beauté divine par sa pensée ; de l'autre, il

s'apparente aux bêtes par les impulsions des passions.

73 PSEUDO-AUGUSTIN, De mirabilibus Sacrae Scripturae, III, 9, éd. MlGNE, PL, 35, 2197 : « In naturali rerum administratione binae rationes deprehenduntur. Deinde inferior ratio quotidiana rerum administratio intelligitur, ut de aqua in animalibus sanguis fit, et unda salsa per nubes aut terrae infusionem indulcescit. Et ratio superior inusitata gubernatio fit, quae in miraculis rerum dignoscitur, ut in sanguinem aquam in Aegypto in momento, et intincto ligno in dulcedinem Deus commutavit ». Voir aussi un autre texte inauthentique, Dialogus questionum 65, q. 18, éd. MlGNE, PL, 40, 739.

74 Cette sculpture peut être celle d'Hermès, qui est décrite par Grégoire de Nazianze, contemporain et ami de Grégoire de Nysse, dans un poème. Cf. PG, 57, 1561, 1. 135-136. Notamment, Grégoire de Nazianze utilise le mot « àu^mpôo-amoç » : « Seuvôxepoç, jtivwoïaiv ôpco ievoç, àu<|H7ipôoamoç, 'Epuàç ôiyAAxtioç, ota npàaa xà uèv, âXko Ô'ÔJUCTGËV». En latin : « Honestior, prudentibus viris conspicuus, bifrons, velut Hermès cum duplici vultus pictus, alio a fronte, alio a tergo ».

110

Que l'on me permette de m'inspirer des curieuses créations de la sculpture pour décrire l'image de l'homme. Certaines statues présentent, invention de l'artiste pour frapper le spectateur, une double forme, deux visages étant sculptés sur la même tête : de même, il me semble que l'homme présente une ressemblance avec deux choses contraires : le caractère divin de sa pensée porte les traits de la beauté divine, mais les élans de ses passions affirment sa parenté avec les animaux (GRÉGOIRE DE NYSSE, La création de l'homme, 18)75.

Or, ce passage, sans considérer la peregrinatio animae (ou odyssée de l'âme), se

concentre sur la condition terrestre de l'homme. De plus, il ne parle pas que de l'âme,

mais il analyse plutôt l'homme dans son intégralité de corps et d'âme. Même si la

formule est presque identique, le concept demeure tout autre. Or, l'homme peut se

tourner soit en haut pour contempler les choses plus hautes, soit en bas en se laissant

prendre par la « confusion » des passions . Ici, la face inférieure de l'homme est décrite

dans son aspect négatif de la confusion des passions, plutôt que dans son aspect positif du

gouvernement du corps par l'âme posé par Plotin. Toutefois si nous faisons une

comparaison avec le traité Sur le beau, Plotin y reprend avec insistance le problème

moral de l'âme qui, assujettie par les passions, devient sale77. L'image de la saleté est à

GRÉGOIRE DE NYSSE, La création de l'homme, 18, trad. J.Y. GuiLLAUMIN, Paris, Desclée de Brouwer (coll. « Les Pères de la foi », 23), 1982, p. 106. GRÉGOIRE DE NYSSE, IJepi KaraoKevfjç 'AvOpimov, éd. J.P. MIGNE, Paris, (PG, 44), 1857, 192C-D : « KaGârcep yàp eaxw tôetv év xoïç 7tA,âauaoi xàç 8vyA,û<|>o'uç )j,op<|)àç, aç UT|%avc5vxou Ttpôç ËKTX,T|ÇIV xràv evxvyxavôvxcov ol ta xoiaûxa (juA.oxexvo'ôvxeç, (j.içt K£<|>(xA.fj ôûo uop<l>ùç Jtpoaamcov iJ7to%àpaooovteç- oiito |ioi SOKEÎ ôi7rX.fjv (])épeiv ô âvGpawtoç Ttpôç xà èvavxia XT)V ôuoiôxirtor xw uev GeoetSeï xf|ç ôuxvoiaç xpôç xô Ge.îov KàA.À,oç u£|iop<|)(jùu£voç, xaîç Se raxà Ttâôoç ÈYyivouévaiç ôpuaïç xpôç xô KXTIVÔOEÇ <|)épcùv xfiv oiKeiôxrixa ». La traduction latine de ce texte a été faite par Jean Scot Érigène : « Nam sculptas formas machinantur et ad stuporem consistentium in uno capite duarum personarum formas perfigurant qui talibus student, sic mihi uidetur homo duplicem ad contraria ferre similitudinem in deiformitate quidem intelligentiae ad diuinam pulchritudinem formatus, ingenitis uero per passionem affectionibus ad pecudale fert societatem. Saepe autem ratio perimitur ab ipsa inclinatione et affectione ad irrationabile quod id quod melius est, in deteriori abscondit » : GRÉGOIRE DE NYSSE, Tlepi KamcncEvfjç AvBpénov, trad. J. SCOT ERIGÈNE, dans M. CAPPUYNS, « Le De Imagine de Grégoire de Nysse traduit par Jean Scot Érigène », RTAM, 32 (1965), p. 238. Même si Jean Scot Érigène a traduit ce passage de Grégoire, il ne semble pas s'en servir dans son Periphyseon. Pourtant, il considère la dualité de l'homme en tant qu'il est en même temps animal et non-animal : l'homme ressemble à Dieu par son côté rationnel, tandis que par son côté animal il ne Lui ressemble pas.

E. PEROLI, // Platonismo e l'antropologia filosofica di Gregorio di Nissa. Con particolare riferimento agli influssi di Platone, Plotino e Porfirio, Introduzione di C. MORESCHINI, Milano, Vita e pensiero (coll. « Pubblicazioni del Centra di ricerche di metafisica. Collana Platonismo e filosofia patristica. Studi e testi », 5), 1993, surtout p. 265-272.

PLOTIN, En., I, 6 [!],-§ 5, éd. HENRY et SCHWYZER, t. I, p. 109-112 ; trad. BRÉHIER, p. 100-101.

I I I

son tour utilisée aussi par Grégoire et par Avicenne . Il faut donc une purification des

passions du corps pour que l'âme retourne à la patrie céleste d'où elle a chuté à cause du QA

péché . Finalement, on trouve les traits de l'odyssée de l'âme chez Grégoire, mais non

pas dans le contexte de la formulation des deux faces de l'homme.

Cependant, les traits néoplatoniciens du passage cité plus haut s'avèrent

indéniables, d'autant plus que l'image reste très proche de celle de Plotin et encore plus

proche de Proclus, qui se servira de cette image un siècle plus tard. Pourtant, nous ne

pouvons pas relier les textes de Proclus et de Grégoire de façon certaine81.

Nous avons voulu présenter un survol réduit à l'essentiel de la voie chrétienne de

la transmission du néoplatonisme vers l'Occident latin. Parmi les grands absents, il y a

Nemésius d'Emèse , Jean Scot Erigène et Jean Damascène , qui ont été pratiquement

Cf. PEROU, // Platonismo el'antropologiafilosofica di Gregorio di Nissa, p. 265-272. « Ceux qui connaissent et qui se détachent (des impuretés), quand la saleté de la liaison avec le corps leur

est enlevée et qu'ils se défont des distractions, s'échappent vers le monde de la Sainteté et du bonheur et (reçoivent), gravée en eux, la perfection suprême ». Cf. MICHOT, « De la joie et du bonheur », p. 57. Pour l'original arabe voir AVICENNE (IBN SÏNÀ), Al-ishârât wa-l-tanbïhât, éd. FORGET, p. 195. Des soucis pour la saleté de l'âme se retrouvent aussi dans la Théologie d'Aristote, cf. ci-dessus, p. 93.

Cf. PEROLI, // Platonismo e l'antropologia filosofica di Gregorio di Nissa, p. 269. Sauf en posant l'hypothèse que ces deux hommes ont pu voir des sculptures à double face. En fait,

l'existence de sculptures ou de leur mention indique que ce symbolisme pourrait être un trait commun à l'époque. JOHNSTON (HEKATE SOTEIRA, voir ci-dessus, n. 22) a mentionné que Proclus utilise le mot « amphiprosôpos » pour faire la description de la sculpture d'Hécate. Pour Grégoire, nous avons considéré plus haut la description de Grégoire de Nazianze de la sculpture d'Hermès, cf. n. 74. Il y a aussi la sculpture, décrite par Plutarque, de Janus, ancien dieu latin, qui est à double face. Le cas d'Avicenne est différent, il ne semble pas se référer à une quelconque représentation, d'autant plus que le mot 'face' (wajh) qu'il utilise a (comme en français) une signification plus abstraite, synonyme de 'côté' ou 'aspect', qui est bien reflétée par le \atm faciès.

.Chez Nemésius comme chez Grégoire, la nature de l'âme n'est pas dédoublée par son union au corps. C'est l'homme qui est l'horizon entre les deux mondes : le sensible et l'intelligible. Car en lui se mêlent sans se confondre la substance de l'âme et la substance du corps. Cf. G. VERBEKE et J.R. MONCHO, « Introduction », dans NEMÉSIUS D'EMÈSE, De Natura Hominis, éd. et introduction sur l'anthropologie de Nemésius par G. VERBEKE et J.R. MONCHO, Leiden, Brill (coll. « Corpus Latinum Commentariorum », Suppl. 1), 1975, p. XXXV-LXI.

De même, Jean Scot Erigène, suivant sa source Grégoire de Nysse, considère à son tour l'homme dans sa double condition d'animal et de rationnel (J. SCOT ERIGÈNE, Periphyseon, IV, éd. É. JEAUNEAU, Turnholt, Brepols [coll. « Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis », 164], 2000). Toujours suivant l'image de la ressemblance à Dieu, les Pères ont justifié par l'âme rationnelle notre ressemblance à Dieu. Par ailleurs, il faut distinguer la ressemblance du divin provenant de Platon et la ressemblance judéo-chrétienne de la création de l'homme, la première est notre fin ultime à laquelle il faut ressembler, alors que la deuxième est conférée par la cause efficiente. Or, chez les maîtres es arts, les deux joueront ensemble. Sur ce dernier point, voir LAFLEUR et CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique », p. 290-291, n. 143.

Le Defide Orthodoxa de Jean Damascène présente beaucoup d'emprunts de la philosophie de Grégoire de Nysse. L'oeuvre de Damascène était abondamment citée dans la première moitié du XIIIe siècle. En continuant la ligne interprétative tracée par Grégoire, il distingue dans l'âme les vertus cognitives

112

laissés de côté, négligés pour garder seulement les témoignages les plus littéralement

semblables aux textes de Plotin et d'Avicenne. Ce survol schématique illustre néanmoins

la forte influence néoplatonicienne qui facilitera l'entrée en Occident du péripatétisme

gréco-arabe en général et celle de la théorie des deux faces de l'âme en particulier.

4. La réception de la théorie au XIIIe siècle

4.1. Les théologiens de Paris vers 1230

Les théologiens de Paris semblent avoir introduit la théorie des deux faces de

l'âme très tôt, comme le montrent les textes de Philippe le Chancelier, de Guillaume

d'Auvergne et de Jean de la Rochelle, dont nous présentons les textes ci-après, en

commençant par celui de Philippe dans sa Summa de bono :

Double est la face de l'âme : supérieure et inférieure ; et dans chacune il y a autant la cognitive que la motrice, et on peut assigner d'une certaine façon une trinité autant à la <face> supérieure qu'à la <face> inférieure ; mais plus convenablement selon la supérieure qui se tourne vers les <choses> éternelles que

et les vertus vitales ou appétitives. Par exemple, le texte suivant sera notamment utilisé par Jean de la Rochelle dans des passages voisins à sa présentation de la théorie des deux faces de l'âme : « Oportet scire quoniam nostra anima duplices habet virtutes, has quidem cognitivas, illas vero zoticas. Et cognitivae quidem sunt intellectus, mens, opinio, imaginatio, sensus ; zoticae vero, scilicet appetitivae, sunt consilium et electio. Ut autem apertius fiât quod dicitur, subtilius dicamus ea quae sunt de hiis. Et primum quidem de cognitivis dicamus. Igitur, de imaginatione quidem et sensu sufficienter iam in superioribus dictum est. Per sensum igitur animae constituitur passio, quae vocatur imaginatio ; ex imaginatione vero fit opinio. Deinde, mens diiudicans opinionem sive vera est, sive falsa, iudicat veritatem. Unde et mens dicitur, a metiendo et excogitando et diiudicando. Quod igitur iudicatum est et determinatum vere, intellectus dicitur. Aliter autem : oportet cognoscere quoniam primus quidem intelligentiae motus, intelligentia dicitur ; quae vero circa aliquid est intelligentia, intentio vocatur ; quae permanens et figurans animam ad id quod intelligitur, excogitatio vocatur. Excogitatio vero in eodem manens, et seipsam examinans et diiudicans, fronesis nominatur. Fronesis autem dilatata facit cogitationem, endiatheton (id est interius dispositum) sermonem nominatam ; quem déterminantes dicimus motum animae plenissimum in excogitativo fientem, sine aliqua enuntiatione, ex quo prolatum sermonem aiunt provenire, per linguam enarratum. Cum dixerimus igitur de cognitivis virtutibus, dicamus et de zoticis, scilicet appetitivis» : JEAN DAMASCÈNE, De fide orthodoxa, 36, trad. BURGUNDIO et CERBANUS (1153-1154), éd. E.M. BUYTAERT, New York, The Franciscan Institute St. Bonaventure (coll. « Franciscan Institute publications », Text séries, 8), 1955, p. 134-135, § 5-7 ; pour l'édition grecque voir : Die Schriften des Johannes von Damaskos, éd. Byzantinischen Institut der Abtei Scheyern, II, "EKÔOOIÇ àKpipf]ç zfjç opOoSôÇov niaxecoq (Expositio Fidei), 36, éd. P.B. K.OTTER, Berlin et New York, De Gruyter (coll. « Patristische Texten und Studien », 12), 1973, p. 88,1. 30 - 89,1. 50. Nous analysons ce passage ci-dessous, chapitre 3.

113

selon l'inférieure qui se tourne vers les <choses> muables (PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, II, q. 10)85.

Philippe complexifie les deux faces de l'âme en octroyant à chacune deux

différenciations, la partie cognitive et la partie motrice . Cela semble être un assemblage

entre, d'une part, la théorie des deux faces de l'âme87 et, d'autre part, la distinction

aristotélicienne de l'intellect spéculatif et de l'intellect pratique. La doctrine des deux

faces de l'âme se trouve ainsi dédoublée. Ce dédoublement permet à la partie supérieure

de l'âme de n'inclure pas seulement une partie spéculative, mais aussi une partie motrice, n n *

les deux tendant vers la première vérité qui est aussi le souverain bien , du fait que le

vrai et le bien sont convertibles - ainsi qu'on l'a vu au chapitre précédent89. En effet, la

convertibilité du vrai et du bien dans les étants nous laisse voir que Philippe a été suivi

par ses contemporains dans son énonciation de la théorie des transcendantaux : ens,

unum, uerum, bonum90. Cette théorie « transcendantale » tout comme la doctrine des

deux faces de l'âme est exploitée dans un contexte éminemment moral à la Faculté des

arts de Paris, où elles seront mises à profit pour l'étude de YÉthique à Nicomaque dès

1230 : plus spécifiquement la théorie des deux faces de l'âme pour fonder la

classification aristotélicienne en vertus morales et intellectuelles et ensuite la théorie des

transcendantaux pour hiérarchiser les vertus intellectuelles.

Notre traduction. Dans le texte latin nous ajoutons la suite : « Duplex est faciès anime superior et inferior, et in utraque est tam cognitiva quam motiva, et tam in superiori quam in inferiori potest assignari aliquo modo trinitas, sed convenientius secundum superiorem que convertitur ad eterna quam secundum inferiorem que convertitur ad mutabilia. Ex parte igitur superiori est dicere memoriam, que est thésaurus specierum, et ab hoc thesauro elicitur motus in veritatem primam, qui est intelligentia, et alius motus vel actus in bonitatem, qui dicitur dilectio et voluntas. Unde per hoc patet ex qua parte se teneat mens, utrum ex parte cognitive aut ex parte motive ». PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, 1, II, q. 10, éd. WICKI, p. 104,1.21-28.

Ce dédoublement peut être comparé à celui d'Algazel, notamment, la motiva superior sera le jugement universel, et la motiva inferior sera la considération des décisions singulières. Cette interprétation sera suivie par le Commentaire de Paris, cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 102-103. Voir aussi PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, I, II, q. 5, éd. WICKI, p. 85.

Théorie dont la filière des textes pseudo-augustiniens se présente comme la ratio superior et la ratio inferior.

Cela nous permet de considérer que l'ascension vers le souverain Bien à travers la purification de l'âme n'entraîne pas une activité purement « affective », mais comprend une connaissance pure qui acquiert encore plus de valeur justement parce qu'elle est accompagnée de l'élément affectif.

Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 2, éd. WICKI, p. 9, 3. Cf. ci-dessus, chapitre 1.

Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, Prologue, q. 1-3, éd. WICKI, p. 5-23.

* * *

114

Chez Jean de la Rochelle, dans sa Summa de anima, la théorie des deux faces de

l'âme est conjuguée avec la notion pseudo-augustinienne de la ratio superior et de la

ratio inferior . Ensuite, Jean se concentre sur l'intellect divisé en spéculatif et pratique ;

de plus, il spécifie que cet intellect est séparable et qu'il se divise en supérieur et

inférieur . La considération d'un intellect séparable, scindé en spéculatif et pratique, est

déjà énoncée dans l'écrit artien De anima et de potentiis eius , mais la distinction de

91 « Il faut noter que la notion d'esprit {mens) est dite de deux manières. En général, de telle sorte qu'elle comprenne la puissance rationnelle selon sa partie supérieure et inférieure. Car, comme dit Augustin, dans la raison réside un certain principe tendant vers les choses supérieures et célestes, vis-à-vis duquel on parle de sagesse ; et il en existe un certain relatif aux objets transitoires et périssables, vis-à-vis duquel on parle de prudence ; et la raison se divise en deux : en supérieure et en inférieure. On parle donc d'esprit en général vis-à-vis de la raison supérieure et de la raison inférieure ; proprement vis-à-vis de la partie supérieure de la raison », JEAN DE LA ROCHELLE, Somme de l'âme, II, 3, 73, trad. J.M. VERNIER, Paris, Vrin (coll. «Bibliothèque des textes philosophiques »), 2001, p. 179. Le texte antérieur correspond dans l'édition latine au texte suivant : « Notandum autem quod intencio mentis duobus modis dicitur. Communiter, ut comprehendat uim racionalem secundum partem sui superiorem et inferiorem. Nam, sicut dicit Augustinus : in racione est quiddam ad superna et celestia intendens, respectu cuius dicitur sapiencia ; est quiddam ad transitoria et caduca respiciens, respectu cuius dicitur prudencia ; et diuidit se racio in duo, scilicet in sursum et deorsum. Dicitur ergo mens communiter ad racionem superiorem et inferiorem ; proprie, respectu superioris partis racionis ». JEAN DE LA ROCHELLE, Summa de anima, II, 3, 73, éd. J.G. BOUGEROL, Paris, Vrin (coll. « Textes philosophiques du Moyen Âge », 19), 1995, p. 205-206. Ce texte reprend le De spiritu et anima (texte du XIIe siècle), cf. PS-AUGUSTIN, De spiritu et anima, 11 (PL 40, 787), cité ci-dessus, n. 69. Aussi voir, GUILLAUME D'AUXERRE, Summa Aurea, II, tract. 9, 1, q. 3, éd. J. RlBAILLER, Paris, Éditions du C.N.R.S ; Rome, Collège S. Bonaventure ad Claras Aquas (coll. « Spicilegium Bonaventurianum », 17), 1982, p. 232, 13 -233 , 22.

92 JEAN DE LA ROCHELLE, Somme de l'âme, II, 4, 111, trad. VERNIER, p. 230 : « On peut parler ensuite des puissances rationnelles et humaines qui sont d'abord divisées en appréhensives et motrices ou sont divisées par l'intellect selon qu'il est spéculatif et pratique ». Pour l'édition latine : JEAN DE LA ROCHELLE, Summa de anima, II, 4, 111, éd. BOUGEROL, p. 268 : « Consequenter est dicere de uiribus racionalibus et humanis que primo diuiduntur per apprehensiuas et motiuas siue per intellectum secundum speculatiuum et practicum ». JEAN DE LA ROCHELLE, Somme de l'âme, II, 4, 114, trad. VERNIER, p. 236 : « Tandis que les différences de l'intellect séparable sont assignées selon deux modes. L'un suit la différence de nature selon que la puissance intellective est distinguée par deux différences : intellect possible et intellect agent. L'autre suit la différence d'ordre, et sous ce rapport, il y a deux différences de la puissance intellective : l'intellect supérieur et inférieur, ou la raison supérieure et inférieure ». Pour l'édition latine : JEAN DE LA ROCHELLE, Summa de anima, II, 4, 114, éd. BOUGEROL, p. 275 : « Intellectus uero separabilis assignantur différencie secundum duos modos. Vnus modus est secundum differenciam nature, secundum quod distinguitur uirtus intellectiue per duas différencias, intellectum scilicet possibilem et intellectum agentem. Alius modus est secundum differenciam ordinis et secundum hoc sunt due différencie uirtutis intellectiue, intellectus superior et inferior, siue racio superior et inferior ».

93 Voir ci-dessous, p. 117.

115

l'intellect agent comme supérieur et de l'intellect possible comme inférieur est plutôt

prise chez Philippe le Chancelier94.

Maintenant, nous pourrons apprécier l'articulation de Jean de la Rochelle de la

théorie des deux faces de l'âme proprement dite :

Ou bien autrement, il faut distinguer une double face de la vertu intellective : <une face> inférieure, qui est illuminée ou perfectionnée par la conversion vers les <choses> sensibles, dans la mesure où elles sont dans l'image ; <et une face> supérieure, selon laquelle il y a une perfection noble et préférable à tout : celle-ci en effet est illuminée par la conversion vers la première vérité. Donc, quant à l'inférieure, <la vertu intellective> a besoin du sens et de l'image, non quant à la supérieure (JEAN DE LA ROCHELLE, Summa de anima, I, 7, 45) .

Le texte de Jean se trouve exempt d'éléments éthiques et se restreint à ce qui

concerne la connaissance. De plus, il utilise le vocabulaire de la lumière, si cher au

courant augustinien ainsi qu'à Avicenne, dans la foulée des néoplatoniciens tels Plotin et

Proclus96. Au sujet du vocabulaire de la lumière par rapport à la théorie des deux faces de

l'âme s'ajoute l'apport du théologien parisien Guillaume d'Auvergne :

Il est manifeste que cette noble vertu est des deux faces, dont l'une est illuminée par les choses sublimes, et l'autre est illuminable par les <choses> inférieures, corporelles et sensibles ; ou une même vertu est aussi une même face, mais on est libre de se tourner vers la partie que l'on veut, et d'être illuminé ou d'être dépeint par n'importe quelle <chose> que l'on voudrait. Or, si le supérieur est sa perfection plus noble et la lumière plus noble : autant plus elle se tourne vers cela, autant plus et plus abondamment elle est illuminée. Or, il est certain que la perfection illumine l'être même et s'éloigne du non-être. Par conséquent, la conversion vers les <choses>, qui sont au-dessus d'elle perfectionne cette vertu et l'illumine. Donc il est patent qu'elle est séparée du corps et des <choses> corporelles et se conjoint aux <choses> spirituelles. Par conséquent, il doit être clair que non seulement elle ne dépend pas du corps, mais aussi elle est obscurcie et

Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, 1,2, q. 5, éd. WICKI, p. 85. Notre traduction. « Vel aliter distinguendum est faciem uirtutis intellectiue duplicem : inferiorem, que

illuminatur uel perficitur per conuersionem ad sensibilia, prout sunt in ymagine ; superiorem, secundum quam est nobilis perfectio et potissima : hec enim illuminatur per conuersionem ad primam ueritatem. Quantum ergo ad inferiorem, indiget sensu et ymagine, non quantum ad superiorem » : JEAN DE LA ROCHELLE, Summa de anima, I, 7, 45, éd. BOUGEROL, p. 146-147.

Au sujet de l'illumination (ëA.A.au\|/iç) comme étape de l'ascension psychologique menant vers l'assimilation à Dieu (ôumœoiç 0ECO) chez des auteurs néoplatoniciens comme Proclus, voir W. BEIERWALTES, Proclo, ifondamenti délia sua metafisica, Milan, Université Cattolica del Sacro Cuore (coll. « Vita e pensiero », 5), 1988, p. 324-330.

116

empêchée par son application à lui (GUILLAUME D'AUVERGNE, De immortalitate animae) .

Ce texte, qui témoigne encore une fois de la popularité de la théorie des deux

faces de l'âme, mentionne du même souffle la doctrine de l'illumination en exposant une

double illumination98 du supérieur et de l'inférieur. Si elle se tourne vers le supérieur,

celui-ci l'illumine et la perfectionne, tandis que si elle se tourne vers l'inférieur, celui-ci

l'obscurcit. Cette interprétation des deux faces de l'âme souligne l'aspect négatif de la

relation avec le corps, à savoir la nuisance que le corps occasionne à l'activité de l'âme,

au lieu de considérer l'âme comme gouvernant et régissant le corps. Dans ce qui suit,

nous verrons l'utilisation de cette théorie par les maîtres es arts de Paris.

4.2. Les maîtres es arts de Paris vers 1250 La plupart des textes des maîtres es arts que nous avons repérés sont inclus dans

des commentaires de VEthique à Nicomaque d'Aristote ou reliés à la réflexion morale

(nous présentons ces extraits en ordre chronologique)99. Ce phénomène de reprise

textuelle n'est pas sans raison et peut s'expliquer par le fait que les maîtres es arts de

Paris, confrontés à la classification aristotélicienne des vertus en intellectuelles et

coutumières, se sont servis de la théorie des deux faces de l'âme pour justifier ladite

classification.

Notre traduction. « Manifestum est uirtutem istam nobilem esse duarum facierum, quarum altéra illuminatur a rébus sublimibus et altéra illuminabilis est ab inferioribus, corporalibus et sensibilibus ; aut eadem uirtus est et eadem faciès, sed liberum est ei uertere se, ad quam partem uoluerit, et illuminari uel depingi, a quibuslibet uoluerit. Si autem superior est nobilior eius perfectio et lumen nobilius : quanto plus ad id se uertit, tanto plus et copiosius illuminatur. Certum autem est, quod perfectio illuminât ipsum esse et elongat a non-esse. Conuersio igitur ad ea quae supra ipsam sunt, perficit uirtutem istam et illuminât. Patet ergo, quod separatur a corpore et a corporalibus et coniungit se spiritualibus. Palam igitur débet esse, quod non solum non dependet a corpore, sed obscuratur et impeditur etiam applicatione sui ad illud » : GUILLAUME D'AUVERGNE, De immortalitate animae (avant 1249), éd. G. BULOW, Munster, Aschendorff (coll. BGPTM, 2, 3), 1897, p. 56.

Cette double illumination n'est pas sans rappeler la déesse Hécate, qui représente l'Âme du monde chez Proclus et a comme épithète « à double lumière » (amphiphaès) ; cf. ci-dessus, p. 91.

Sur les traductions latines partielles de l'Éthique à Nicomaque d'Aristote utilisées par nos maîtres, cf. ci-dessus, l'Introduction.

117

Avant de passer aux extraits des commentaires à Y Éthique des maîtres es arts

entre 1230-1250, il faut tenir compte du De anima et de potenciis eius, qui emprunte

beaucoup aux écrits avicenniens :

On en vient à l'intellect séparable, dont une partie est dans la connaissance du vrai, une autre partie est dans l'affection du bien. Cette partie qui est dans l'affection du bien est dite 'intellect pratique', l'autre partie est dite 'intellect spéculatif. Et elles sont la même puissance: en effet, l'intellect cognitif se convertit en <intellect> affectif (ANONYME, De anima et de potenciis eius, 2)l0().

Ce texte est manifestement important parce qu'il a influencé Jean de la Rochelle,

ainsi que plusieurs maîtres es arts - dont principalement le Pseudo-Peckham. Ce dernier

considère à son tour que le bien constitue l'objet de l'intellect pratique ou de la vertu

motrice et le vrai représente l'objet de l'intellect spéculatif ou de la vertu

contemplative101. Il s'agit du lien qui associe la doctrine des deux faces de l'âme à la

théorie des transcendantaux. Chacune des puissances a pour objet un des

transcendantaux ; donc l'âme inclut en elle une structure qui permet la connaissance de

chaque aspect de l'étant. L'aspect éthique se trouvant représenté par le bien, cette

structure de l'âme offre une justification psychologique pour la scientificité de l'éthique.

4.2.1. Le Guide de l'étudiant parisien (Anonyme, vers 1230-1240)

À partir des années trente du XIIIe siècle, on peut repérer chez les maîtres es arts

une application originale de la théorie des deux faces de l'âme à la classification des

vertus d'Aristote (EN, I, 13 - II, 1). Le premier cas se trouve dans le Guide de l'étudiant,

un recueil de questions en vue des examens de la Faculté des arts. Dans la partie dédiée à

YÉthique, l'auteur de cette compilation identifie les activités des différentes faces de

l'âme aux divers types de vertus :

Il faut noter que la vertu intellectuelle est par admiration des formes à partir du Premier et par contemplation de Celui-ci, tandis que la <vertu> coutumière

Notre traduction. « Sequitur de intellectu separabili, cuius una pars est in cognitione ueri, alia pars est in affectione boni. Pars illa que est in affectione boni dicitur intellectus practicus, altéra pars dicitur intellectus speculatiuus. Et sunt eadem potencia : intellectus enim cognoscitiuus conuertitur in affectiuum » : ANONYME, De anima et de potenciis eius, 2, éd. GAUTHIER, p. 50.

101 Voir ci-dessous, p. 127, ainsi que le chapitre 1.

IIS

<est> par asservissement et domination des puissances inférieures ou des mouvements charnels (ANONYME, Guide de l'étudiant parisien, § 79)'02.

Notamment , déjà dans le Guide de l'étudiant, on retrouve l'intérêt des maîtres es

arts pour la contemplation du monde supérieur suivant de très près le modèle d'Avicenne.

Or, dans ce nouveau contexte éthique, les artiens octroient à la doctrine des deux faces de

l'âme une extension plus grande que celle qui l'avait caractérisée auparavant. Ils

actualisent une potentialité morale de la théorie. De plus, le caractère éthique donné à la

connaissance du supérieur rejoint une conception présente dans VEthique à Nicomaque

(principalement EN, X, 7), mais non disponible pour ces intellectuels vu que seuls les

livres I à III bénéficiaient alors d'une traduction latine.

Les artiens justifient la classification des vertus telle qu'elle est posée par

Aristote : c'est la tâche du commentateur de se questionner sur l'exhaustivité - la

'suffisance' - de la classification et de la justifier104. Un trait remarquable de ces

ANONYME, L'« abrégé examinatoire » (alias « Guide de l'étudiant parisien » ou « Compendium 'Nos gravamen' ») du ms. Ripoll 109 vers 1230-1240, trad. C. LAFLEUR et J. CARRIER, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval, 2004 (coll. « Cahiers du Laboratoire de Philosophie Ancienne et Médiévale de la Faculté de Philosophie de l'Université Laval », 5), § 79. Cf. ANONYME, Guide de l'étudiant, éd. C. LAFLEUR et J. CARRIER, Le "Guide de l'étudiant" d'un maître anonyme de la Faculté des arts de Paris au XlIIe siècle, édition critique provisoire du ms. Barcelona, Arxiu de la Corona d'Aragô, Ripoll 109, f. 134ra-158va, Faculté de Philosophie, Université Laval, Québec, 1992, § 79 : « notandum quod uirtus intellectualis est per admirationem formarum a Primo et Eius contemplationem, consuetudinalis uero per asseruationem et dominationem potentiarum inferiarum uel motuum carnalium ». Dans le Guide de l'étudiant, même les Intelligences ont un double intellect : « l'Intelligence a un double intellect : elle en a en effet un supérieur par lequel elle se dirige vers le Premier en L'affectionnant par l'influx de Sa bonté continue, et ainsi il est vrai que l'Intelligence n'a pas besoin de vertu ; l'autre est un intellect inférieur qui est présent en <PIntelligence> par la nature de sa création selon qu'elle a été faite à partir du néant », Ibid., éd. et trad. LAFLEUR et CARRIER, § 105.

Albert le Grand aussi, en commentant l'éthique (vers 1250-1252), se demande s'il doit y avoir d'autres vertus, et il répond : « Il faut dire que cette division est suffisante » : « Dicendum quod divisio ista sufficiens est ». Or, voici la solution aux deux premières objections : « D'où il faut dire à la première <objection> qu'il y a seulement deux perfectibles par les perfections ultimes, à savoir l'intellect spéculatif vers la contemplation du vrai et la vertu motrice vers l'opération du bien [...] À la deuxième <objection> il faut dire similairement que la fin ultime est seulement double, à savoir le vrai et le bien, vers lequel on est disposé comme dans une voie et en raison de l'utile, le vrai en raison du bien » : « Unde dicendum ad primum, quod duo sunt tantum perfectibilia perfectionibus ultimis, scilicet intellectus speculativus ad comtemplationem veri et virtus motiva ad operationem boni [...] Ad seçundum dicendum similiter, quod duplex est tantum finis ultimus, scilicet verum et bonum, ad quod ordinatur ut via et in ratione utilis verum in ratione boni » : ALBERT LE GRAND, Super Ethica, Liber II, lectio 1, éd. W. KÛBEL, Monasterii Westfalorum, Aschendorff (coll. « Alberti Magni Opéra Omnia », t. XIV, 1), 1968, p. 90, 82-95.

S. EBBESEN, « The Ars Noua in the Ripoll Compendium », dans LAFLEUR et CARRIER, L'enseignement de la philosophie, p. 325-352 ; cf. p. 345.

119

justifications d'exhaustivité dans les écrits des maîtres es arts réside dans le fait qu'ils

passent sous silence les vertus théologales. Nous n'en trouvons de mention ni dans le

Guide de l'étudiant ni dans les autres documents artiens que nous analysons dans cette

étude. Toutefois, dans la Summa de bono, à propos de la division des vertus, Philippe le

Chancelier considère qu'il y a une double perfection de la raison : une selon la partie

supérieure de la raison à l'aide des vertus théologales - qui disposent l'âme à la

contemplation des choses éternelles- et par cette partie l'âme est l'image de Dieu ; une

autre selon la partie inférieure de la raison à l'aide des vertus cardinales - qui dirigent

l'âme pour l'administration des choses temporelles et corporelles-, et par cette partie

l'âme n'est pas l'image de Dieu105. Évidemment, Philippe expose la même justification

que nos maîtres - à savoir celle à partir de la théorie des deux faces de l'âme -, mais pour

« À la deuxième <objection> je réponds que toute vertu est une perfection de l'âme rationnelle selon ses forces. Mais la perfection est double : la perfection selon la partie supérieure de la raison et la perfection quant à la <partie> inférieure. Cette <perfection> qui est selon la partie supérieure de la raison est effectuée au moyen des trois vertus théologiques ; en effet, l'âme est l'image de Dieu, à savoir unité et trinité, seulement selon la partie supérieure, comme l'expose le béat Augustin sur ce <qui est dit> dans la première aux Corinthiens, <chapitre> XI : « L'homme est image, non la femme », et c'est pourquoi il a à se perfectionner et se réformer droitement au moyen de ces trois vertus. Or, la perfection de l'âme rationnelle quant à la partie inférieure qui n'est pas image de Dieu, n'est pas effectuée selon ce nombre des vertus mais selon le nombre suivant, à savoir selon le quaternaire, parce que selon les trois vertus théologiques l'âme est disposée pour contempler les <choses> éternelles, <tandis que> selon les quatre vertus cardinales et humaines <l'âme> est dirigée pour administrer les <choses> temporelles et corporelles, et de même que conséquemment le quaternaire est après le ternaire, de même après les <choses> éternelles sont conséquemment les <choses> temporelles. Celles-là <sont référées> au ternaire, celles-ci sont référées au quaternaire, et c'est pourquoi les vertus cardinales et humaines sont en plus grand nombre que les <vertus> théologiques et divines, lesquelles et en soi s'éloignent plus de la simplicité et sont moins abstraites. Celles-là, à savoir les trois théologiques, se distinguent par le <fait de> jouir, celles-ci, à savoir les quatre cardinales <se distinguent par le <fait d'>être utilisées ; nous jouissons des <choses> éternelles, nous utilisons les <choses> temporelles, nous jouissons de la fin, nous utilisons ces <choses> qui sont vers la fin ». Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, De bono gratie in homine, II, C, q. 1, éd. WlCKl, p. 746, 1.55-72: «Ad secundum respondeo quod omnis virtus perfectio est anime rationalis secundum vires. Sed est duplex perfectio, perfectio secundum partem superiorem rationis et perfectio quantum ad inferiorem. Illa que est secundum superiorem partem rationis fit per très virtutes theologicas ; anima enim secundum superiorem partem tantum est ymago Dei, scilicet unitatis et trinitatis, sicut exponit beatus Augustinus super illud I ad Cor. XI : « Vir est ymago, non mulier », et ideo recte habet perfici et reformari per illas très virtutes. Perfectio autem anime rationalis quantum ad partem inferiorem, que non est ymago Dei, non fit secundum hune numerum virtutum sed secundum numerum consequentem, scilicet secundum quaternarium, quia secundum très virtutes theologicas ordinatur anima ad eterna contemplanda, secundum quatuor virtutes cardinales et humanas dirigitur ad temporalia et corporalia dispensanda, et sicut post ternarium consequenter est quaternarius, ita post eterna consequenter sunt temporalia. Illa ad temarium, ista ad quaternarium referuntur, et ideo in maiori numéro sunt virtutes cardinales et humane quam theologice et divine, que et secundum se magis recedunt a simplicitate et sunt minus abstracte. Ilie, scilicet très theologice, distinguuntur pênes frui, iste, scilicet quatuor cardinales, pênes uti ; fruimur eternis, utimus temporalibus, fruimur fine, utimur eis que sunt ad finem ».

120

une autre classification des vertus. Dans ce contexte, les vertus théologales et les vertus

intellectuelles sont en concurrence. Probablement, puisqu'i ls ne s'arrogeaient pas le droit

d 'enseigner la théologie et que, par conséquent, ils ne dissertaient pas sur les vertus

théologales, les maîtres es arts ont trouvé dans les vertus intellectuelles d'Aristote un

remplacement qui permettait la connaissance et l'affection du Premier par la voie

philosophique.

4.2.2. Commentaire d'Avranches (Anonyme)

Le Commentaire d'Avranches sur la Vieille Éthique10 présente dès le prologue,

la théorie des deux faces de l 'âme appliquée à la classification aristotélicienne :

En effet, il en est de la vertu comme de ce par quoi on a la félicité, donc il faut comprendre la division de la vertu [...] et <il faut> connaître cette division de la vertu humaine par les natures ou différences qui sont l'intellectuelle et la coutumière. Par nature, l'âme est destinée à être ordonnée dans le bien, ou par une essence par laquelle elle est perfectionnée, à savoir l'essence Première, ou aussi par rapport à l'essence, que <l'âme> est destinée à perfectionner. Or, il y a <la partie> destinée à être perfectionnée par l'essence Première, en rapport à laquelle l'<âme> a la vertu intellectuelle en cela que <l'âme> ne peut se conjoindre à elle si ce n'est que par la connaissance et l'affection, desquelles l'une est de l'intellect spéculatif, tandis que l'autre <est> de l'<intellect> actif. D'où la prédite vertu consiste dans la connaissance et l'affection. Tandis que deuxièmement le rapport restant - que l'<âme> a avec le corps qui est destiné à être perfectionné par elle - sera la vertu coutumière qui est dite par un autre nom 'politique'107. En effet, elle est dite 'coutumière' parce qu'elle se forme par la coutume ; 'politique', d'autre part, parce qu'il convient que l'homme vive avec les hommes au moyen de cette <vertu>. Or, sur la division de la vertu intellectuelle, parce qu'elle est d'une division en plus petit nombre, on en traitera dans le premier livre. En effet, elle a ces trois parties : lafronesis, la sagesse, l'intelligence. La division de la vertu coutumière, quant à elle, est ici selon cette doctrine, puisqu'en effet l'âme est destinée à perfectionner le corps selon les vertus motrices, et que les vertus motrices sont <reliées aux puissances> concupiscible, irascible et rationnelle (ANONYME, Commentaire d'Avranches sur la Vieille Éthique, Prologue)108.

ANONYME, Commentarium Abrincense in Ethicam Veterem, Avranches, Bibl. Munie, 232, f. 90r-122v. Les vertus politiques intègrent la classification plotinienne des vertus, connue au Moyen Âge à travers le

Commentaire du Songe de Scipion de Macrobe. Les maîtres es arts ont l'habitude de confronter la classification des vertus d'Aristote avec celle de Macrobe. Cf. ci-dessous, h. 113.

Notre traduction. ANONYME, Commentarium Abrincense in Ethicam Veterem, Avranches, Bibl. Munie, 232, f. 90r-90v : « Est enim de uirtute prout est illud quo habetur félicitas, oportet ergo intelligere uirtutis diuisionem [...] et sciendum (scr.] scura cod.) hec diuisio uirtutis humane per naturas <uel> differentias que sunt intellectualis et consuetudinalis. Natura anima nata est ordinari in bono, uel ab essentia a qua perficitur, videlicet Prima essentia, uel etiam comparatione essentic, quam nata est perficere. Est autem nata perfici ab essentia Prima, in qua comparatione habet uirtutem intellectualem eo quod non potest ei coniungi nisi per cognitionem et affectum, quorum unum est

121

Voici reprise la distinction simple du Guide de l'étudiant. L'âme comporte une

relation à deux choses : d'une part, à l'essence Première ou le Premier ou Dieu auquel

elle se joint par la connaissance et l'affection et par Lequel elle est perfectionnée ; et,

d'autre part, l'âme se rapporte au corps qu'elle perfectionne à son tour. En ce qui

concerne les vertus, l'auteur du Commentaire d'Avranches affirme que les vertus

intellectuelles sont achevées par l'intellect spéculatif, chargé de la connaissance, et par

l'intellect actif, chargé de l'affection ; de plus, il considère que les vertus coutumières

sont accomplies par les « vertus motrices » {uirtutes motiue) qui sont reliées aux

puissances concupiscible, irascible et rationnelle. Le maître nous présente une structure

de l'âme superbement éclectique où la relation de l'âme au supérieur se réalise à travers

l'intellect spéculatif et pratique (structure aristotélicienne) et la relation de l'âme à

l'inférieur s'accomplit à travers les vertus concupiscible, irascible et rationnelle (structure

platonicienne) ! La théorie des deux faces de l'âme sert dans ce cas de charnière qui

articule en les harmonisant une structure aristotélicienne et une structure platonicienne de

l'âme.

Quand le commentateur d'Avranches se questionne sur l'exhaustivité de la

classification en vertus intellectuelles et en vertus coutumières, il soutient encore la

doctrine des deux faces de l'âme en répondant ainsi :

À cela il faut dire que la vertu intellectuelle est la vertu selon laquelle l'âme se conjoint à l'essence supérieure par laquelle l'<âme> est destinée à être perfectionnée. Or, elle se conjoint à l'essence supérieure au moyen de l'intellect seulement par la contemplation et l'affection de l'esprit. La vertu intellectuelle débute par la contemplation et elle est perfectionnée dans l'affection. En effet, elle est dans la contemplation du souverain bien avec la dilection de lui-même et parce que par sa seule opération l'intellect, en tant qu'il est relativement à la vertu de l'homme, est perfectionné, la <vertu> intellectuelle est dénommée 'mérite'. Mais la restante - bien qu'elle tire son origine de l'intellect- est dite coutumière par cela que par elle les puissances sensibles s'habituent au devoir de l'ordonnance de la raison et elle est perfectionnée dans l'habitude due de la raison vers la rectitude des

speculatiui intellectus, alterum uero actiui. Vnde uirtus predicta in cognitione et affectu consistit. Secundo uero reliqua comparatio - quam habet ad corpus quod natum est perfici ab ea-, erit uirtus consuetudinalis que alio nomine dicitur 'politica' (politica scr.] poltica cod.). Dicitur enim 'consuetudinalis' quia consuetudine formatur ; 'politica' uero quia per eam conueniens est hominem conuersari cum hominibus. De diuisione uero uirtutis intellectualis quia paucioris est diuisionis, determinabitur in primo libro. Habet enim has très partes : fronesim (scr.] fronesis cod), sapientiam, intelligentiam (intelligentiam scr.] intellectiam cod.). Virtutis uero consuetudinalis est hic diuisio secundum huius doctrine, cum enim anima sit nata perficere corpus secundum uirtutes motiuas, et uirtutes uero motiue sunt concupiscibilis, irascibilis (scr.] irationalis cod.), rationalis ».

122

actes. Donc elle reçoit une dénomination à partir de la cause matérielle qui est dite 'nécessité' (ANONYME, Commentaire d'Avranches sur la Vieille Éthique, leçon 2)'09.

Encore une fois, l'âme est perfectionnée par quelque chose de supérieur au moyen

des vertus intellectuelles, d'une part, et, d'autre part, elle perfectionne l'inférieur - qui est

corps matériel - au moyen des vertus coutumières qui entraînent l'habitude. Les vertus

intellectuelles, quant à elles, consistent en une contemplation et en une affection. Même

si l'affection est importante parce qu'elle perfectionne la contemplation, néanmoins, la

connaissance se trouve au premier rang, si bien que l'on ne peut pas penser les vertus

intellectuelles sans connaissance. Un point crucial pour les maîtres es arts concerne la

clarification de ce qui pour eux semble d'emblée une contradiction, à savoir que des

vertus qui se montrent dans l'action soient qualifiées d'intellectuelles, c'est-à-dire comme

se rapportant plutôt à la contemplation. La plupart des commentateurs vont donc

considérer les vertus intellectuelles comme des connaissances (qui constituent l'élément

contemplatif) avec affection ou dilection (qui constitue l'élément actif). Pourtant, chacun

des artiens introduira des nuances particulières selon les contextes.

4.2.3. Commentaire de Paris (Anonyme, vers 1235-1240) Le Commentaire de Paris inclut aussi une distinction entre les parties supérieure

et inférieure de l'intellect. Même s'il n'utilise pas (comme ne le font pas non plus les

auteurs du Guide de l'étudiant et du Commentaire d'Avranches) le mot faciès, l'auteur du

Commentaire de Paris reprend aussi le dédoublement des deux faces fait par Philippe le

Notre traduction. ANONYME, Commentarium Abrincense in Ethicam Veterem, Avranches, Bibl. Munie, 232, f. 91r-91 v. « Ad quod dicendum est quod uirtus intellectualis est {scr.} in cod.) uirtus secundum quam coniungitur anima superiori essentie a qua nata est perfici. Coniungitur autem superiori essentie per intellectum tantum contemplatione et affectu animi. Virtus intellectualis inchoatur a contemplatione et. perficitur in affectu. Est enim in contemplatione summi boni cum dilectionc eiusdem et quia sola operatione (operatione scr.] opositione cod.) ipsius intellectus, quantum est de uirtute hominis, perficitur, 'merito' intellectualis nuncupatur. Reliqua uero dicitur consuetudinalis -licet ab intellectu originem trahat- eo quod per eam assuescunt potentie (potentie scr.] pone cod.)

sensibiles ad debitam ordinationis rationis et ipsa perficitur in débita assuescentia rationis ad rectitudinem actuum. Ex causa ergo materiali que dicitur 'nécessitas' denominationem recipit ».

123

Chancelier , tout en employant ensuite la même structure avec la classification des

vertus en intellectuelles et morales :

Il faut dire que dans la partie intellective il y a une raison droite coulant du Premier et celle-ci est le principe des deux vertus, et celle-ci est la même en substance, soit que l'intellect ait rapport aux <choses> supérieures soit <qu'il ait rapport> aux <choses> inférieures et ainsi il est évident que la vertu coutumière et la <vertu> intellectuelle sont la même chose selon la substance (ANONYME, Commentaire de Paris sur la Vieille Éthique, leçon 1) '" .

Le Commentaire de Paris utilise la théorie des deux faces (ou parties, ou

puissances) de l ' âme pour expliquer la division des vertus. Il nous rappelle Avicenne en

disant que la vertu demeure une, tout en ayant rapport à deux choses. Ensuite, il considère

des objections à ce classement, dont la principale constitue celle de Macrobe112

(examinée aussi par le Guide de l'étudiant). Il résout l'objection en considérant

qu'Aristote ne parle que des vertus réalisables dans cette vie, tandis que la classification

macrobienne analyse également les vertus de l'âme séparée et des Intelligences

célestes . En effet, il semble que l'auteur du Guide de l'étudiant considère les vertus

Voir ci-dessus, p. 113, n. 85 ; aussi, cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, I, 2, q. 5, éd. WICKI, p. 85.

1 ' ' Notre traduction. « Dicendum quod in parte intellectiua est ratio recta influens a Primo et hec est principium utriusque uirtutis, et hec est eadem in substantia siue comparetur intellectus ad superiora siue ad inferiora et sic patet quod uirtus consuetudinalis et intellectualis sunt eedem secundum substantiam » : ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem, Paris, BnF, lat. 3804a, f. 154rb.

12 Sur la classification des vertus de Macrobe voir ci-dessous, n. 127 et aussi 113 et 114. 113 Pour la discussion sur la classification de Macrobe, cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem, Paris,

BnF, lat. 3804a, f. 154ra: «Primo dubitatur de ista diuisione uirtutis. Et uidetur quod sit insufficiens : quia Macrobius diuidit uirtutes in uirtutes exemplares, et in uirtutes que sunt purgati animi, et in uirtutes purgatorias et in uirtutes politicas. Et appellat uirtutes politicas uirtutes consuetudinales. Cum ergo auctor non tangat hic nisi duas species uirtutis ueldifferentias, uidetur quod insufficienter diuidat uirtutem per intellectualem et consuetudinalem. Ad hoc dicendum est quod in ista scientia intendit Aristoteles solum de uirtute humana et non de aliis uirtutibus que non sunt humane. Et ideo cum omnes ille uirtutes quas nominat Macrobius non sint humane, ideo non omnes tangit hic. Virtutes enim exemplares sunt uirtutes quibus cognoscitur Primi essentia, et iste non sunt humane. Item uirtus que dicitur purgati animi non est humana : quia ista uirtus accidit (scr.\ quasi cod.) postquam anima separata est a corpore. Set uirtutes politice sunt humane et uirtus purgatoria est humana, quia uirtus purgatoria attenditur in comparatione intellectus uel rationis ad superiora sicut uirtus intellectualis, quare illam non oportuit hic determinare quia aprehenditur sub uirtute intellectuali, et sic patet quod diuisio quam dat hic est sufficiens ». « En premier, on doute sur cette division de la vertu. Et il semble qu'elle est insuffisante : parce que Macrobe divise les vertus en vertus exemplaires, et en vertus qui sont de l'âme purifiée, et en vertus purificatrices et en vertus politiques. Et il appelle vertus politiques les vertus coutumières. Donc, puisque l'auteur ne touche ici que deux espèces ou différences de vertu, il semble qu'il divise insuffisamment la vertu par intellectuelle et coutumière. À cela il faut dire que, dans cette science, Aristote entend <traiter> seulement de la vertu humaine et non des autres vertus qui ne sont pas humaines. Et c'est pourquoi

124

exemplaires comme les vertus des anges"4. Par contre, selon le Commentaire de Paris,

les vertus exemplaires ne sont pas humaines et par elles se connaît l'essence du Premier,

mais il ne spécifie pas que les vertus appartiennent aux Intelligences, ces vertus sont

seulement considérées 'non humaines'. De plus, comme le Guide de l'étudiant, le

Commentaire de Paris ne mentionne aucunement les vertus théologales115.

Par ailleurs, la structure de l'âme, en ce qui concerne la partie spéculative et la

partie motrice tant inférieure que supérieure, s'avère similaire à la structure de l'âme chez

Philippe le Chancelier : l'intellect spéculatif comporte une partie supérieure, l'intellect

agent, qui reçoit l'illumination du Premier, et une partie inférieure, l'intellect possible,

qui, d'une part, n'est pas complètement illuminée par le Premier, et qui, d'autre part,

présente une inclination vers l'imagination (fantasia). De la même manière, la partie

motrice comprend aussi une partie supérieure qui agit toujours droitement, et une partie

puisque ces vertus que nomme Macrobe ne sont pas toutes humaines, c'est pourquoi il ne les touche pas toutes ici. En effet, les vertus exemplaires sont les vertus par lesquelles l'essence du Premier est connue et celles-ci ne sont pas humaines. De même, la vertu qui est dite de l'âme purifiée n'est pas humaine : parce que cette vertu arrive après que l'âme est séparée du corps. Mais les vertus politiques sont humaines et la vertu purificatrice est humaine, parce que la vertu purificatrice résulte dans le rapport de l'intellect ou de la raison aux <choses> supérieures, comme la vertu intellectuelle, c'est pourquoi il n'est pas nécessaire ici de traiter d'elle parce qu'elle est comprise sous la vertu intellectuelle ».

1,4 ANONYME, Guide de l'étudiant, trad. LAFLEUR et CARRIER, § 102 : « De même, <on demande> pourquoi <Pauteur> n'aborde pas la vertu exemplaire ni celle qui est purgative de l'âme. En effet, Macrobe détermine de telles <vertus>. — Nous disons qu'ici on aborde seulement la vertu qui est acquise par les opérations de l'âme conjointe au corps. Or, celle-ci est proprement la coutumière, qui est faite en dominant les passions sensibles. Mais les autres vertus qui sont mentionnées, sont de l'âme séparée et aussi de l'Intelligence ou de l'Ange - ce qui est identique. La vertu exemplaire est selon que l'Intelligence affectionne le Premier en regardant vers Lui comme dans un exemplaire. Et ainsi elle admire Sa bonté et L'affectionne et L'estime par-dessus toutes <les choses>. La vertu de l'âme purgée, pour sa part, est celle selon laquelle l'Intelligence se réjouit dans la si grande noblesse de son être en rendant grâce au Premier et à partir de cet <être> en L'estimant par-dessus tout ». Pour l'édition latine : « Item quare non agit de uirtute exemplari neque de illa que est purgatiua animi. Déterminât enim de talibus Macrobius. — Dicimus quod hic agitur solum de uirtute que acquiritur per operationes anime coniuncte corpori. Hec autem est proprie consuetudinalis, que fit in domando passiones sensibiles. Sed alie uirtutes que dicte sunt, sunt anime separate et etiam Intelligence uel Angeli -quod idem est. Virtus exemplaris est secundum quam affectât Intelligentia Primum inspiciendo in Ipsum tanquam in exemplari. Et sic admiratur Eius bonitatem et Ipsum affectât super omnia et diligit. Virtus autem purgati animi est illa secundum quam gaudet Intelligentia in tanta nobilitate sui esse in regratiando Primo et ex Ipso super omnia diligendo » : ANONYME, Guide de l'étudiant, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 102. Par ailleurs, la définition des vertus exemplaires s'avère curieuse : « La vertu exemplaire est selon que l'Intelligence affectionne le Premier en regardant vers Lui comme dans un exemplaire ». En ce qui concerne le Pseudo-Peckham voir ci-dessous, n. 127.

115 Cf. ci-dessus, p. 118.

125

inférieure qui apparaît parfois droite et parfois non droite" . Cette quadruple structure de

l'âme sera reprise à son tour par l'auteur du commentaire connu comme du Pseudo-

Peckham"7.

4.2.4. Robert Kilwardby118 (Expositio super Ethica Noua et Vetere, vers 1245)

Robert Kilwardby (dans son Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique), tout

comme le commentateur d'Avranches, interprète les vertus intellectuelles comme celles

116 « 11 faut dire à ceci que l'âme humaine a deux parties par la partie de l'intellect spéculatif, à savoir la partie suprême qui est appelée intellect agent et la partie inférieure et celle-ci est appelée intellect possible. Et l'intellect agent reçoit plus l'illumination à partir du Premier que l'<intellect> possible. Il en est similairement du côté de la partie motrice : en effet, dans la partie motrice de l'âme humaine qui est appelée partie désidérative, la vertu ou partie est double, à savoir une suprême et une inférieure ; et la partie suprême est plus illuminée par le Premier que la partie inférieure. Et parce que cette suprême partie-là est maximalement illuminée par la lumière coulant du Premier, c'est pourquoi cette vertu désidérativc-là quant à cette partie-là agit toujours droitement ; quant à la partie inférieure, elle n'est pas seulement illuminée par la lumière du Premier et c'est pourquoi elle peut être ordonnée pour opérer droitement et non droitement. Et celle-ci est la cause par laquelle l'intellect humain n'est pas toujours droit quant à n'importe quelle partie de lui ; mais en lui il y a la possibilité pour le droit et le non droit ». ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem, Paris, BnF, lat. 3804a, f. 153ra: «et dicendum est ad hoc quod anima humana habet duplicem partem a parte speculativi intellectus, scilicet partem supremam que uocatur intellectus agens et partem inferiorem et hec uocatur intellectus possibilis. Et intellectus agens plus recipit illuminationem a Primo quam possibilis. Similiter est a parte partis motiue : in motiua enim parte anime humane, que uocatur pars desideratiua, est duplex uirtus seu pars, scilicet suprema et inferior ; et suprema pars plus illuminatur a Primo quam inferior pars. Et quia illa suprema pars maxime illuminatur a lumine Primi influente, ideo illa uirtus desiderativa quantum ad illam partem recte agit semper ; quantum ad partem inferiorem, non tantum illuminatur a lumine Primi, et ideo potest ordinari ad recte et non recte operandum. Et hec est causa quare intellectus humanus non semper quantum ad quamlibet sui partem est rectus ; set est in ipso possilibitas ad rectum et non rectum ». Aussi plus loin : « En effet, l'intellect humain fait défaut et parce que sa partie inférieure n'est pas illuminée complètement par le Premier et parce qu'il est enclin à la fantaisie. Et à cause de cela il a pu pécher plus que l'intelligence. Or, l'intelligence n'a qu'un défaut, à savoir quant à sa partie inférieure et non parce que son intellect est enclin à la fantaisie. Et c'est pourquoi l'intelligence n'est pas devenue autant forcée de pécher que l'homme » (Ibid, f. 153ra-rb) : « Intellectus enim humanus defficit et quia pars inferior eius non omnino illuminatur a Primo et quia est inclinatus ad fantasiam. Et propter hoc potuit magis peccare quam intelligencia. Intelligencia autem non habet nisi unum deffectum, scilicet quantum ad partem eius inferiorem et non quia intellectus eius sit inclinatus ad fantasiam. Et ideo intelligencia non fit (fit scr.] ficit cod.) tantum coacta ad peccandum sicut homo ».

1,7 Voir ci-dessous p. 127. 118 Avant de devenir dominicain en Angleterre, Kilwardby a été, à Paris, un des plus importants maîtres es

arts de la première moitié du XIIIe siècle. Par ailleurs, l'attribution de ce commentaire à Kilwardby a été confirmée par P.O. Lewry. Cf. P.O. LEWRY, « Robert Kilwardby's Commentary on the Ethica nova and vêtus », dans C. WENIN (éd.), L'homme et son univers au Moyen Âge, Actes du septième congrès international de philosophie médiévale (30 août - 4 septembre 1982) Louvain-la-Neuvc, Éditions de l'Institut Supérieur de Philosophie (coll. « Philosophes Médiévaux », 27), 1986, p. 799-807.

126

par lesquelles l 'homme se relie à son créateur et les vertus morales comme celles par

lesquelles l 'homme se relie à l'inférieur :

Ainsi, par 'vertus intellectuelles' sont comprises les vertus par lesquelles l'homme se relie <de façon> ordonnée vers son Créateur et celles-ci consistent dans la partie principale et selon soi absolument rationnelle ; par 'morales' sont comprises les vertus qui ordonnent bien l'homme vers ces <choses> inférieures et consistent dans la môme partie rationnelle en rapport à la <partie> sensitive (ROBERT KILWARDBY, Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, leçon 18)"9.

Notamment , Kilwardby constitue le premier des maîtres à introduire la

dénomination 'morales ' pour les vertus coutumières1 2 0 (il utilise les deux termes). Par

ailleurs, il met en rapport la division de l'intellect et la division des vertus pour prouver

l 'exhaustivité de la classification des vertus en intellectuelles et morales :

Et l'exhaustivité de cette division est patente en considérant la division de l'intellect par pratique et spéculatif, en effet les <vertus> intellectuelles perfectionnent <l'intellect> spéculatif, tandis que les <vertus> morales perfectionnent l'intellect> pratique (ROBERT KILWARDBY, Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, leçon 18)'21.

On retrouve encore une fois l ' importance du perfectionnement de chaque partie de

l'intellect à travers la vertu qui implique une relation soit au supérieur, soit à l'inférieur.

Il semble s'établir jusqu' ici un certain consensus parmi les maîtres es arts. Cependant,

même parmi les partisans de la théorie des deux faces de l 'âme, nous pouvons distinguer

deux courants : un courant plus « purement avicennien », incarné par Kilwardby, le

119 Notre traduction. « Sic per 'uirtutes intellectuales' intelliguntur uirtutes quibus homo ordinate se habet ad suum Creatorem et hec consistunt (scr.] consistit cod.) circa partem principalem (principalem scr.] principaliter cod.) et secundum se rationalem absolute ; per 'morales' intelliguntur uirtutes que bene ordinant hominem ad hec inferiora et consistunt circa eandem partem rationalem in comparatione ad sensitiuam » : ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, Cambridge, Peterhouse 206 (= Q, f. 295rb ; Prague, Nârodni Knihovna Ceské Republiky (avant : Universitni Knihovna), III F 10 (= P), f. llva. Ce fragment est édité et traduit ci-dessous, dans l'Appendice B.

120 « per 'morales' intellige uirtutes consuetudinales », ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, C, f. 295ra ; /', f. llva. D'ailleurs, 'morales' est le terme utilisé dans V Ethica noua, 103a4-10, éd. GAUTHIER, p. 94, 1. 18 - 95, 1. 5, tandis que 'consuetudinales' est le terme utilisé dans VEthica uetus, 103al4-18, éd. GAUTHIER, p. 5,1. 4-8.

121 Notre traduction. « Et patet sufflcientia huius diuisionis considerando diuisionem intellectus per practicum et speculatiuum ; intellectuales enim perficiunt speculatiuum, morales uero practicum » : ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, C, f. 295ra ; P, f. 11 va.

127

commentateur d'Avranches, l'auteur du Guide de l'étudiant et Arnoul de Provence122, qui

fait coïncider la face supérieure avec l'intellect spéculatif, et la face inférieure avec

l'intellect pratique ; l'autre courant, inspiré peut-être de la version 'ghazalienne' des deux

faces de l'âme, est représenté par le commentateur de Paris et le Pseudo-Peckham123. Ce

dernier courant ne fait pas coïncider les faces avec les intellects, mais plutôt dédouble

(comme nous l'avons déjà expliqué à propos de Philippe le Chancelier et du

Commentaire de Paris) à la fois la face supérieure et la face inférieure en une partie

spéculative et une partie pratique.

Notons également que Robert Kilwardby, même s'il allait devenir par la suite

théologien, ne parle pas des vertus théologales - suivant la 'tendance' des maîtres es arts

qui partagent ce trait 'professionnel' avec Kilwardby ; en effet, il est concerné par la

différenciation entre la science civile ou morale et la théologie, et il laisse de côté certains

points 'chauds',24 afin qu'ils soient traités par la théologie.

4.2.5. Le commentaire du Pseudo-Peckham (vers 1245-1247)

Dans le Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique du Pseudo-Peckham,

on trouve une définition de deux facultés de l'âme dès le prologue :

Or, la puissance de l'âme est double : à savoir <la puissance> spéculative ou cognitive, pour laquelle l'objet par soi est le vrai ; et la <puissance> motrice, pour laquelle l'objet par soi est le bien. Et c'est pourquoi la science relative aux choses sera ou relative aux choses sous le rapport du vrai, ou relative aux choses sous le rapport du bien. (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Prologue, Introduction)125.

122 Voir ci-dessous, p. 131. 23 Voir ci-dessous, p. 127.

124 Par exemple, il se débarrasse des questions de controverse comme celle de savoir si la félicité est octroyée par Dieu. ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, C, f. 29lvb ; P, f. 8ra : « set utrum sic sit uel non, alterius scrutacionis est quam ciuilis, sicut forte methaphisice uel theologice ». Voir aussi C, f. 293va ; P, f. 9vb : « utrum enim post mortem felicitetur anima uel totus homo forte non pertinet ad ipsam <doctrinam civilem> nec hoc déterminât Aristotilcs ».

125 Notre traduction. « Duplex autem est potentia anime : scilicet speculatiua uel cognoscitiua, cui per se obiectum est uerum ; et motiua, cui per se obiectum est bonum125. Et ideo scientia de rébus erit uel de rébus sub ratione ueri, uel de rébus sub ratione boni » : PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologue, Introductio, § 2.

128

Dans cette première division, le Pseudo-Peckham inclut le dédoublement qui

caractérise le Commentaire de Paris. D'abord, dans le texte ci-dessus, il distingue (en

s'appuyant aussi sur la définition du De anima et de potenciis eius ) la puissance

spéculative et la puissance motrice (qui ont pour objet des transcendantaux différents, la

spéculative ayant pour objet le vrai et la motrice le bien). Ensuite, il introduit la théorie

des deux faces de l'âme dans la distinction des vertus intellectuelles et morales ou

coutumières. Or, la puissance motrice, qui a comme objet le bien, se dispose (ou

s'ordonne) vers lui au moyen de la vertu, laquelle à son tour tend vers le bien de deux

façons. Donc, à la question sur l'exhaustivité de la division des vertus en intellectuelles et

morales, outre l'objection habituelle par rapport à la classification macrobienne des

vertus , le Pseudo-Peckham répond :

Voir ci-dessus, p. 117. Cette question sur l'exhaustivité de la classification aristotélicienne des vertus est toujours posée en

tenant compte (comme le font aussi le Commentaire de Paris et le Guide de l'étudiant, voir ci-dessus, n. 113) de la classification des vertus - très commune à cette époque - de Macrobe dans son Commentaire au songe de Scipion. La division des vertus de Macrobe, qui lui-même reprend la quadripartition de Plotin et de Porphyre, inclut les vertus politiques, les vertus purifiantes {purgatoriae), les vertus de l'âme purifiée (purgati animi) et les vertus exemplaires. (MACROBE, Commentariorum in somnium Scipionis libri duo, éd. L. SCARPA, Padova, Liviana Editrice, 1981, I, 8, 5 : « Sed Plotinus, inter philosophiae professores cum Platone princeps, libro De virtutibus gradus earum vera et naturali divisionis ratione compositos, per ordinem digerit. Quatuor sunt, inquit quaternarum gênera virtutum : ex his primae politicae vocantur, secundae purgatoriae, tertiae animi iam purgati, quartae exemplares » ; trad. M. ARMISEN-MARCHETTI, Paris, Les Belles Lettres [coll. « Les Universités de France »], 2001, p. 51 : « Mais Plotin, le prince des philosophes avec Platon, établit dans son traité Des vertus une classification de ces dernières par degrés succesifs, selon un système de division exact et naturel. II existe, dit-il, quatre genres de vertus, de quatre vertus chacun. Les vertus du premier genre portent le nom de politiques, celles du deuxième, de purificatrices, celles du troisième, de vertus d'une âme déjà purifiée, celles du quatrième, de vertus exemplaires »). Le Pseudo-Peckham tend à identifier les vertus morales d'Aristote avec les vertus politiques de Macrobe, et les vertus intellectuelles d'Aristote avec les vertus purifiantes de Macrobe. Il considère aussi que les vertus de l'âme purifiée n'appartiennent qu'à l'âme séparée du corps, et les vertus exemplaires se trouvent seulement dans l'intellect divin. De cette manière, la classification d'Aristote est exhaustive en ce qui concerne les possibilités de l'âme conjointe au corps. Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 22, q. 2, §16 : «Au dernier je dis qu'Aristote ne pose ici la division de la vertu que selon qu'elle réside dans l'âme unie au corps. Or, cette vertu ou bien est coutumière ou civile, ou bien purificatrice ou intellectuelle. Tandis que la vertu de l'âme purifiée est une vertu qui réside certes dans l'âme seulement après la séparation de l'âme d'avec le corps. Tandis que la vertu exemplaire est une vertu non causée qui est le Premier Lui-même. Et c'est pourquoi il ne fait pas mention de ces deux ici. En effet, il ne divise pas ici la vertu universellement mais celle qui est de l'âme dans le composé » : « Ad ultimum dico quod Aristotiles non ponit hic diuisionem uirtutis nisi secundum quod inest anime unité corpori. Hec autem uirtus uel est consuetudinalis siue ciuilis, uel purgatoria uel intellectualis. Virtus uero purgati animi est uirtus que quidem inest anime tantum post separationem anime a corpore. Virtus uero exemplaris est uirtus incausata que est ipsum Primum. Et ideo de hiis duabus non facit hic mentionem. Non enim diuidit hic uirtutem uniuersaliter, set eam que est anime in coniuncto ». D'ailleurs, quelques années plus tard (1250-1252), Albert le Grand dans son Super Ethica rapproche

129

Par la vertu l'âme est ordonnée vers le souverain bien, mais vers le souverain <bien> on ne peut être ordonné que doublement : ou immédiatement et par soi, et ainsi <il y a> la vertu intellectuelle ; ou médiatement, et ainsi <il y a> la coutumière ; et à cause de cela il y a ces deux différences de vertu. (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, leçon 22, q. 2)128.

Le Pseudo-Peckham conçoit une manière originale de présenter les deux faces de

l 'âme par le caractère médiat de la face inférieure par rapport au souverain bien et par

l ' immédiateté de la face supérieure par rapport à lui129. Le souverain bien, auquel

l ' homme s 'ordonne, c 'est aussi la Première Cause :

Au premier il faut dire que la vertu coutumière et l'intellectuelle diffèrent parce que la vertu intellectuelle vise la droite ordonnance de l'homme à sa cause, tandis que la vertu coutumière vise la droite ordonnance de l'homme au prochain ; d'où la vertu intellectuelle consiste dans la connaissance et la dilection du souverain bien par soi, tandis que la vertu coutumière <consiste> dans <le fait> de

plus la classification aristotélicienne de celle de Macrobe, en comparant les vertus de l'âme purifiée aux vertus héroïques d'Aristote {Super Ethica, éd. W. KUBEL, Cologne, Monasterii Westfalorum, Aschendorff [coll. « Alberti Magni Opéra Omnia », 14, 2], 1987, VII, lect. 1, p. 514, 24-33 : « et hoc fit per divinam quandam et heroicam virtutem, per quam aliquis imitatur divinam aequalitatem secundum remotionem a perturbatione passionum. [...] Et has virtutes vocat Macrobius purgati animi, quibus in divinam similitudinem ascendatur »). Un cas différent est celui d'un texte anonyme de la Faculté des arts édité et présenté par C. Lafleur et J. Carrier (LAFLEUR et CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (Deuxième partie)», p. 359-442, Texte A, p. 384-385, §35-37). Selon eux, l'auteur de Dicit Aristotiles (alias Texte A) remplace la première espèce macrobienne des vertus (les vertus politiques) par les vertus purificatrices pour préserver la suprématie qu'il avait précédemment reconnue au bien politique, de telle sorte que la partie la plus humble du tout, la catégorie du politique, devient le genre qui englobe la totalité du système et alors la division macrobienne indique les degrés des vertus dans le genre du bien politique (dont même les vertus exemplaires font partie). Cf. C. LAFLEUR et J. CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (alias Henri le Breton) et le recueil d'introductions à la philosophie du ms. Oxford, Corpus Christi Collège 283 (Première partie) »,AHDLMA, 61 (1994), p. 149-226, notamment p. 181.

Notre traduction. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, lectio 22, q. 2, § 14 : « Per uirtutem ordinatur anima ad summum bonum, set ad summum non potest ordinari nisi dupliciter : aut inmediate et per se, et sic uirtus intellectualis ; aut médiate et sic consuetudinalis ; et propter hoc sunt hee due differentie uirtutis ».

Cette distinction par la façon médiate ou immédiate de se relier au Premier se retrouve aussi chez Arnoul de Provence, mais chez lui elle distingue entre la connaissance des intelligences célestes et la connaissance de l'âme humaine. ARNOUL DE PROVENCE, Diuisio scientiarum, dans C. LAFLEUR, Quatre introductions à la philosophie au XIIIe siècle, Paris, Vrin ; Montréal, Institut d'études médiévales (Université de Montréal, coll. « Publications de l'Institut d'Études Médiévales », 23), 1988, p. 300, 43-47 : « Quod autem intelligentie cognitio per intuitionem in Primum sit inmediata et anime humane mediata, habetur in libro De motu cordis, ubi dicitur quod intelligentia est substantia spiritualis illuminationum influentium a Primo prima relatione receptiva ; anima uero est substantia spiritualis illuminationum a Primo influentium secunda relatione perceptiva ». Les italiques sont dans l'original.

130

bien se tenir à l'égard du prochain (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, leçon 22, q. 1 )130.

Pour le Pseudo-Peckham, la relation avec le Premier (c'est-à-dire avec Dieu)

s'avère fondamentale : soit on envisage le Premier directement dans sa connaissance et sa

dilection ; soit indirectement par notre relation envers les prochains, et ainsi aussi avec

notre corps. Par les vertus intellectuelles, l'âme s'ordonne donc immédiatement vers le

souverain bien (Dieu), c'est-à-dire qu'elle tend directement vers lui parce qu'ainsi elle le

connaît et l'affectionne sans qu'elle doive faire appel à des intermédiaires ; tandis que par

les vertus morales, l'âme s'ordonne médiatement vers le souverain bien, c'est-à-dire que,

comme elle ne fait que gouverner les passions du corps en cherchant la modération, elle

agit directement sur le corps et à l'égard des prochains, mais indirectement par rapport au

Premier. Or, ce faisant, l'âme se rend plus parfaite pour se tourner vers le souverain bien

et le contempler.

Chez le Pseudo-Peckham aussi nous retrouvons une quadruple structure de l'âme.

L'âme rationnelle contemplative ou spéculative comporte une partie supérieure et une

partie inférieure ; la partie supérieure (qui contemple le supérieur) demeure toujours

droite tandis que la partie inférieure (qui contemple par l'imagination les choses

mondaines) peut être non droite131. D'autre part, les facultés qui appartiennent à l'âme

Notre traduction. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, lectio 22, q. 1, § 7 : « Àd primum dicendum quod differt uirtus consuetudinalis et intellectualis quia uirtus inteliectualis attenditur in recta ordinatione hominis ad suam causam ; uirtus uero consuetudinalis attenditur in recta ordinatione hominis ad proximum ; unde uirtus intellectualis consistit in cognitione et dilectione summi boni propter se, uirtus uero consuetudinalis in bene se habendo erga proximum ».

Le maître reprendra cette théorie : « Je dis que [...] dans l'âme rationnelle il y a deux parties, à savoir l'inférieure et la supérieure : la supérieure par laquelle on contemple les <choses> supérieures, l'inférieure par laquelle on contemple et considère les <choses> inférieures. Donc, puisqu'on dit que l'intellect est toujours droit, cela est quant à la partie supérieure ; ce n'est pas de cette manière que la raison est le moteur de la fantaisie, mais seulement quant à la partie inférieure <la raison> est le moteur de la fantaisie, et de cette manière <l'intellect> n'est pas toujours droit et à cause de cela la raison ne procède pas. Autrement il peut être dit, comme il sera dit, que l'intellect agent connaît tout, mais indistinctement, or, quand il est illuminé par les phantasmes (<images sensibles>), alors il fait une connaissance distincte dans l'intellect possible ; similairement, je dis que, quand on dit que l'intellect est toujours droit, cela est dans la mesure où il se rapporte indistinctement au tout, mais alors il ne meut pas la fantaisie ; or, quand relativement aux <choses> singulières il se rapporte distinctement, alors il meut la fantaisie et alors il n'est pas toujours droit ; et à cause de cela il se meut parfois droitement, parfois non droitement ». PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, lectio 40, Florence, Bibl. Naz., conv. sopp. G 4.853, f. 68vb et Oxford, Bodleian Library, lat. mise. c. 71, f. 48ra : « Dico quod [...] in anima rationali est duplex pars, inferior scilicet et superior : superior qua contemplatur superiora, inferior qua contemplatur et considérât inferiora.

l i l

dans son aspect pratique peuvent se relier directement au Premier (qu'est le supérieur), ou

bien indirectement à Lui par le gouvernement du corps (qu'est l'inférieur) comme

l'explique le texte que nous avons vu.

4.2.6. Arnoul de Provence (La division des sciences, vers 1250) Arnoul de Provence, maître parisien réputé , soutient une position analogue à

celle de ses collègues artiens. Dans la section sur la morale de sa Division des sciences, il

présente lui aussi la théorie des deux faces de l'âme associée à la division aristotélicienne

des vertus en 'coutumières' (ou morales) et 'intellectuelles'. Chez Arnoul de Provence, la

version des deux faces de l'âme est littéralement plus attachée à la voie avicennienne de

transmission de textes :

Or le bien qui est la vertu se divise selon le divers égard de l'âme par lequel elle s'incline pour régir le corps ou s'érige pour contempler Dieu. Car de l'intellect humain on pose une double face, à savoir la supérieure et l'inférieure, selon laquelle <double face rintellect> s'acquiert divers habitus de vertus (ARNOUL DE PROVENCE, Division des sciences)m.

Cum ergo dicitur quod intellectus semper est rectus, hoc est quantum ad superiorem partem ; non hoc modo ratio est motor phantasie, set solum quantum ad partem inferiorem est motor phantasie, et hoc modo non semper est rectus et propter hoc non procedit ratio. Aliter potest dici, sicut dicetur, quod intellectus agens cognoscat omnia, set indistincte, cum autem illuminatur a phantasmatibus, tune facit cognitionem distinctam in intellectu possibili ; similiter dico quod, cum dicitur quod intellectus est semper rectus, hoc est prout indistincte se habet circa omnia, set tune non mouet phantasiam ; cum autem est circa singularia distincte se habens, tune mouet phantasiam et tune non est semper rectus ; et propter hoc mouet quandoque recte, quandoque non recte ». Une théorie similaire est attestée - o n l'a v u - dans le Commentaire de Paris sur la Vieille Éthique, voir ci-dessus, n. 116, aussi dans la partie sur VEthica Noua cette structure est mentionnée, cf. ANONYMP:, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 102-103. Il faut noter que les maîtres es arts interprètent à cette époque les intellects agent et possible comme prenant place dans l'âme individuelle de chaque homme, cf. R.A. GAUTHIER, « Notes sur les débuts du premier Averroïsme », RSPT, 66 (1982), p. 321-374.

Sur Arnoul de Provence, cf. LAFLEUR, Quatre introductions à la philosophie, p. 123-124; aussi GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la doctrine de lafronesis », p. 130-131.

ARNOUL DE PROVENCE, Division des sciences, dans C. LAFLEUR et J. CARRIER, Autour a"Arnoul de Provence maître es arts de Paris, trad. C. LAFLEUR et J. CARRIER, Québec, Faculté de Philosophie, Université Laval (coll. « Cahiers du Laboratoire de Philosophie Ancienne et Médiévale », 11.3.1), 2005, p. 7. « Bonum autem quod est uirtus diuiditur secundum diuersum respectum anime quo inclinatur ad regendum corpus uel quo erigitur ad contemplandum Deum. Nam intellectus humani duplex ponitur faciès, superior scilicet et inferior, secundum quam diuersos habitus uirtutum sibi adquirit », ARNOUL DE PROVENCE, Diuisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 335-336.

132

Nous voyons qu'Arnoul identifie deux faces de l'intellect et divise les vertus selon

qu'elles s'acquièrent par l'une ou l'autre face. Selon la partie inférieure de l'âme,

l'intellect acquiert les habitus des vertus coutumières -qu'il identifie avec les vertus

cardinales134. En ce qui concerne la partie supérieure de l'âme, il y a un ordre croissant de

vertus intellectuelles : intelligence (sunesis), sagesse (sophid) etfronesisi3 . Cette sorte de

gradation ascendante des vertus intellectuelles trouve son écho chez plusieurs maîtres es

arts de l'époque . Chacune des vertus intellectuelles constitue un degré de connaissance

qui suscite une intensité correspondante d'amour pour le Créateur et, dans la hiérarchie la

plus haute, on arrive à la fronesis, par laquelle l'âme est 'informée', c'est-à-dire

perfectionnée et actualisée complètement, ha. fronesis représente alors la connaissance la

plus parfaite et l'amour le plus puissant dans la conformation ou assimilation au

créateur137.

Ici, comme chez les autres maîtres, nous trouvons la fusion de la classification

aristotélicienne des vertus entre coutumières et intellectuelles avec la théorie des deux

faces de l'âme qui lui sert de fondation. De plus, les vertus intellectuelles, étant

proprement philosophiques, constitueront l'élément de concurrence que les maîtres es arts

opposeront tacitement aux vertus théologales, posées par les théologiens.

5. L'itinéraire textuel de la théorie des deux faces de l'âme Dans le parcours de la théorie de la double face de l'âme, nous avons pu constater

la multiplicité conceptuelle et la richesse qu'entraîne la transmission d'un texte, car cette

théorie est utilisée en différents contextes qui en révèlent progressivement diverses

« Secundum uero partem qua ad corpus regendum inclinatur bene operando, adquirit anima habitus uirtutum : ut in regendo rationalem potentiam, prudentiam et iustitiam ; in regendo irascibilem, fortitudmem ; in gubernando concupiscibilem, temperantiam. Que sunt .llii.or uirtutes cardinales que etiam consuetudinales dicuntur » : ARNOUL DE PROVENCE, Diuisio scientictrum, éd. LAFLEUR, p. 336, 1. 553-557.

35 Pour une description plus détaillée, cf. ci-dessous, chapitre 3. 36 Surtout dans le commentaire du PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem,

Leçon 21, q. 6. Voir aussi R.A. GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis », p. 129-170. Voir ci-dessous, chap. 3.

7 Cf. n. 133. Voir aussi GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis », p. 139-170. Nous révisons la position d'Arnoul de façon détaillée ainsi que sa doctrine de la fronesis, dans le prochain chapitre. Aussi cf. LAFLEUR et CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique », p. 263-276 et p. 286-293.

133

dimensions : métaphysique en son principe plotinien, elle devient psychologique au

Moyen-Orient et, finalement, revêt un caractère moral chez les maîtres es arts de Paris.

Qu'est-ce qui provoque cette différence ? La réponse n'est pas si simple, mais nous

pouvons retenir en guise de première hypothèse que l'accent sur les différentes

dimensions de possibilité d'application de la théorie correspond aux problématiques

centrales à chacune des périodes concernées.

D'abord, à l'époque de Plotin, avec le succès du christianisme naissant, on trouve

une cohorte d'auteurs intéressés aux récits de création et de cosmogonie, de telle sorte

qu'un des dialogues platoniciens les plus lus chez les néoplatoniciens restera le Timée.

Dans une ambiance cosmogonique, la théorie des deux faces de l'âme s'avère plutôt

métaphysique ou cosmologique, vu qu'elle s'associe principalement à l'Âme du monde

dans notre texte fondateur des Ennéades.

Ensuite, le péripatétisme gréco-arabe insiste sur l'unité de pensée des sages grecs.

Avec l'attribution du texte des Ennéades à Aristote (à travers la dénomination de

Théologie d'Aristote ainsi qu'une adaptation du contenu), le texte fondateur se situe dans

un contexte absolument différent. Alors, la théorie des deux faces de l'âme en vient à

resurgir dans sa dimension psychologique, pour reprendre le problème de l'intellect chez

Aristote et lui donner un nouveau sens.

Par ailleurs, il existe une autre source du néoplatonisme en Occident, la voie de la

patristique gréco-latine. Ces textes, qui eux aussi sont influencés par les écrits

néoplatoniciens, fourniront à l'Occident chrétien la matrice conceptuelle de l'odyssée de

l'âme - l a peregrinatio animae chez Augustin- qui rendra l'environnement scolaire

chrétien fertile à l'adoption de la théorie des deux faces de l'âme.

Enfin, dans le milieu universitaire du XIIIe siècle, les théologiens de Paris

reprennent la théorie dans un environnement augustinien. De plus, les maîtres es arts de

Paris, qui enseignaient l'éthique parmi d'autres disciplines philosophiques, utilisent la

théorie des deux faces de l'âme dans le contexte de l'interprétation de la classification

aristotélicienne des vertus, ce qui fait ressortir la dimension morale de la théorie. Alors,

les vertus intellectuelles sont engagées dans la relation de l'âme au supérieur par

connaissance et dilection du souverain bien et les vertus coutumières (parfois aussi

nommées 'morales') sont engagées dans la relation de l'âme à l'inférieur par la

134

domination du corps à l'égard du prochain. Nous pourrions ajouter ici même une

dimension 'théologique', parce que la théorie des deux faces de l'âme sert de fondement

psychologique à la possibilité de la montée contemplative vers Dieu, ascension qui

s'accomplit, comme on verra, dans la fronesis, vertu intellectuelle suprême.

Quant au Pseudo-Peckham en particulier, cet itinéraire l'inscrit dans la longue

histoire des textes concernant les deux faces de l'âme. Or, deux conclusions relativement

au milieu de composition de notre commentaire peuvent ressortir de cette inscription.

Premièrement, le Pseudo-Peckham, à partir de son questionnement au sujet de

l'exhaustivité de la division aristotélicienne des vertus, se place dans un réseau

argumentatif proprement artien de par l'application des deux faces de l'âme à ladite

division (section 4.2 et ses subdivisions) - et aussi de par la considération de la division

de Macrobe comme alternative (sections 4.2.3 et 4.2.5). Deuxièmement, notre maître

soutient par la même justification une opposition tacite aux maîtres en théologie, surtout à

Philippe le Chancelier qui justifie par la même doctrine la division des vertus en

cardinales et en théologales (section 4.2.1). Dans ce qui suit, nous analyserons la

hiérarchie des vertus intellectuelles, où le lien entre la configuration de l'âme chez le

Pseudo-Peckham et sa théorie des transcendantaux est mis en évidence une nouvelle fois

et où l'odyssée de l'âme, entamée à partir des deux faces de l'âme dans la hiérarchie des

vertus coutumières et intellectuelles, est complétée par celle des vertus intellectuelles.

Chapitre 3 : La hiérarchisation des vertus intellectuelles et \afronesis

comme connaissance du souverain bien

En tant que reliées à la connaissance du souverain bien, les vertus intellectuelles

jouent un rôle essentiel dans la constitution de l'idéal éthique des maîtres es arts de Paris

dans leurs commentaires de VÉthique à Nicomaque. Au coeur d'une hiérarchie menant

des vertus coutumières (appartenant à la face inférieure de l'âme) aux vertus

intellectuelles (appartenant à la face supérieure de l'âme), et parmi elles à \afronesis, les

vertus intellectuelles sont ordonnées selon différents critères par les artiens. En se

concentrant sur la hiérarchie présentée par le Pseudo-Peckham, ce chapitre veut aussi

offrir une vision d'ensemble des sources et discussions qui ont rendu possible cette

hiérarchie chez les maîtres parisiens.

1. Le texte commenté

D'abord il faut déterminer le texte où nos maîtres peuvent trouver une description

des vertus intellectuelles. Dans la portion de VÉthique à Nicomaque qu'ils possèdent, le

seul texte où les trois vertus intellectuelles sont mentionnées se retrouve à EN I, 13

(1103a4-6): En effet, nous disons d'elles que celles-ci certes <sont> intellectuelles, mais

celles-là <sont> morales, certes la sagesse et la fronesis et l'intelligence <sont> intellectuelles, mais la libéralité et l'honnêteté <sont> morales (ARISTOTE, Ethica Noua,\, 13, 1103a4-7)'.

' ARISTOTE, Ethica Noua, I, 13, 1103a4-7, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 94, 1.18 - . 95 , 1.2: « Dicimus enim harum has quidem intellectuales, has autem morales, sapienciam quidem et fronesim et intelligenciam intellectuales, liberalitatem autem et honestatem morales ». ('Sapienciam' est notre choix, justifié ci-dessous (p. 139), parmi les leçons attestées dans les manuscrits, voir GAUTHIER, note a la ligne 19, p. 94, aussi Ibid, « Praefatio », fasciculus primus, p. CVIII-CIX). Le texte grec : « Aéyou.£V yàp amcôv tàç u.èv 5iavon.TiKàç xàç ôè f|0iKâç, aofyiav u,èv Koci crûvemv Kai (ttpôvnaiv SiavomuKCtç » : ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, éd. BEKKER, t. II, 1103a4-7.

136

Ce texte de par son caractère succinct pose plusieurs problèmes aux artiens.

D'abord le problème de justifier la moralité des vertus intellectuelles et ensuite celui d'en

définir chacune en n'ayant presque aucun repère textuel pour ce faire.

2. La moralité des vertus intellectuelles

Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, la théorie des deux faces de

l'âme sert de justification psychologique à la division aristotélicienne entre vertus

coutumières et intellectuelles. Cependant, ce type de justification offre plusieurs

difficultés aux commentateurs. D'abord, si l'on reprend la théorie chez Avicenne, la

partie inférieure de l'âme s'occupe d'exercer les vertus, et la partie supérieure s'occupe

des sciences. Donc comment les vertus intellectuelles, étant un produit de la partie

supérieure de l'âme, peuvent-elles constituer des vertus ?

En effet, le problème de la moralité - c'est-à-dire du caractère éthique - des vertus

intellectuelles se pose plus d'une fois parmi les artiens interprètes de l'éthique. Parmi

eux, nous allons analyser deux commentaires qui avancent des réponses parallèles, mais

non nécessairement identiques. Il s'agit du commentaire du Pseudo-Peckham et du

commentaire de Robert Kilwardby2. Le Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille

Ethique du Pseudo-Peckham - il faut le rappeler - est un commentaire avec questions,

tandis que celui de Kilwardby constitue une exposition du texte. Cependant, les deux

touchent à une problématique commune à la période où ils écrivent (vers 1245), à savoir :

pourquoi Aristote parle à la fin du livre I de VÉthique des vertus intellectuelles ? S'agit-il

de 'vraies' vertus ou s'agit-il seulement de sciences ou de connaissances ?

Le Pseudo-Peckham pose la question de la façon suivante :

Ensuite, on peut demander relativement à ce qu'il enquête sur les différences de cette âme jusqu'à celle selon laquelle la vertu réside <dans Phomme> et il ne semble pas procéder ultérieurement vers cette différence selon laquelle les vertus intellectuelle et morale sont séparées mutuellement. Et on peut demander quelle est la différence entre celle-ci et celle-là en tant que l'intellectuelle contient en soi : la

fronesis et l'intelligence et la sagesse. En effet, elles ne semblent pas déterminer en soi l'homme selon la bonté, de telle sorte qu'en tant qu'il est intelligent il soit dit 'bon' et similairement en tant que sage ; en effet, le bien ne compatit pas avec le mal dans le même sujet. L'intelligence avec malice peut aussi être opposée à la

2 À ces textes, nous ajouterons au sujet de la fronesis le témoignage lucide d'Arnoul de Provence.

137

vertu morale, c'est pourquoi le bien et le mal semblent résider en même temps <dans le même sujet>. Et à cause de cela, il y a une puissance, selon laquelle réside l'intelligence, <qui> devient ordonnée ultérieurement vers une autre puissance ; en effet, intelliger est en premier et ensuite <est> choisir ou vouloir, or, la bonté doit résider selon cette puissance au-dessus de laquelle il n'y a pas d'autre puissance. Il reste donc que la vertu selon laquelle l'homme est bon ne sera pas selon l'habitus de la partie spéculative. Donc, si l'intelligence est un habitus de la partie spéculative, l'intelligence ne sera pas une vertu. Mais si quelqu'un disait que la vertu s'entend ici pour tout habitus bon, l'intelligence serait contenue sous la vertu. Mais alors comment regarderait-elle vers la philosophie morale dont l'œuvre est pour que nous devenions bons ? (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 21, q. 6)3.

On peut observer comment le Pseudo-Peckham pose le problème des vertus

intellectuelles : « elles ne semblent pas déterminer en soi l'homme selon la bonté ». De

plus, le mal et l'intelligence ne sont pas nécessairement contraires, donc il semblerait que

« la vertu selon laquelle l'homme est bon n'est pas selon l'habitus de la partie

spéculative », d'où l'on peut inférer que les habitus intellectuels (qui appartiennent à la

partie spéculative de l'âme) ne sont pas des vertus. Alors comment la philosophie morale,

dont la fin est que nous devenions bons, peut inclure l'étude des vertus intellectuelles, qui

ne constituent pas des habitus grâce auxquels nous devenons bons ? La question est

posée ; nous reviendrons ensuite à la réponse du Pseudo-Peckham.

En ce qui concerne ce problème, Kilwardby considère que les vertus

intellectuelles sont appelées 'vertus' par un abus du terme 'vertu'. En effet, il s'agit plutôt

de sciences et de connaissances :

Or, par vertus intellectuelles il faut intelliger des sciences en abusant du nom de 'vertu' comme il signifie immédiatement après les membres qui sont dits <vertus> 'intellectuelles', parce qu'elles perfectionnent l'âme en spéculant et en

3 PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 21, q. 6, § 37 : « Deinde, queri potest de hoc quod inuestigat differentias ipsius anime usque ad illam secundum quam inest uirtus et non ulterius uidetur procedere ad illam differentiam secundum quam separantur ad inuicem uirtus intellectualis et moralis. Et potest queri que sit differentia inter hanc et illam in quantum intellectualis continet in se : fronesim et intelligentiam et sapientiam. Videntur enim in se non determinare hominem secundum bonitatem ut in quantum est intelligens dicatur 'bonus' et similiter in quantum sapiens ; bonum enim non compatitur malo in eodem subiecto. Potest etiam intelligentia cum malitia opposita uirtuti morali, quare uidentur simul inesse bonum et malum. Et propter hoc est potentia secundum quam inest intelligentia, fit ordinata ulterius ad aliam potentiam ; est enim prius intelligere et postea eligere aut uelle, bonitas autem débet inesse secundum illam potentiam supra quam non est alia potentia. Restât ergo quod secundum habitum speculatiue partis non erit uirtus secundum quam homo bonus est. Si ergo intelligentia est habitus speculatiue partis, non erit intelligentia uirtus. Si quis uero diceret uirtutem accipi hic pro omni habitu bono, contineretur intelligentia sub uirtute. Set qualiter tune spectaret ad moralem philosophiam cuius opus est ut fiamus boni ? ».

138

intelligeant. Par morales, comprends des vertus coutumières qui perfectionnent et informent l'intellect en opérant. Et l'exhaustivité de cette division est patente en considérant la division de l'intellect par pratique et spéculatif: en effet, les <vertus> intellectuelles perfectionnent l'<intellect> spéculatif, tandis que les <vertus> morales perfectionnent l'intellect> pratique (ROBERT KlLWARDBY, Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 18) .

Selon KilVvardby, seules peuvent être nommées proprement 'vertus' les vertus

morales ou coutumières, les vertus intellectuelles étant plutôt des sciences. Or, chaque

type de vertu perfectionne une des deux parties de l'intellect. Nous pouvons reconnaître

ici la célèbre théorie des deux faces de l'âme considérée par nos maîtres comme une

justification de la classification aristotélicienne des vertus en intellectuelles et morales ou

coutumières : « en effet, les vertus intellectuelles perfectionnent l'intellect spéculatif,

alors que les vertus morales perfectionnent l'intellect pratique ». Les 'vertus' étant en

général liées à la pratique et à la vie active, il est difficile pour nos maîtres d'envisager

une 'pratique' dans la science, qui est propre à l'intellect spéculatif.

Quant au Pseudo-Peckham, il considère que les vertus intellectuelles ne sont pas

des sciences :

Et il ne faut pas dire que l'intelligence et l'habitus de cette sorte sont de la partie spéculative seulement, mais ils ont l'acte de la vertu contemplative et de la <vertu> motrice. Or, il y a trois habitus selon lesquels il échoit à l'homme d'être bon ; et ces habitus ne sont pas comme <les habitus> de l'art et de la science : à savoir \afronesis, la sagesse et l'intelligence (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 21, q. 6)5.

Nous pouvons encore reconnaître une allusion à la théorie des deux faces de

l'âme. Mais la structure de l'âme chez le Pseudo-Peckham - comme nous l'avons vu - ne

fait pas coïncider la partie supérieure de l'âme avec la partie spéculative ni la partie

inférieure de l'âme avec la partie motrice. La partie supérieure et la partie inférieure se

4 Notre traduction. ROBERT KlLWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, Lectio 18, C, f. 295ra ; P, f. l lva: « Intelligendum autem est per virtutes intellectuales scientias abutendo nomine 'virtutis' sicut significat statim post membra que dicuntur 'intellectuales' quia animam perficiunt in speculando et intelligendo. Per morales, intellige virtutes consuetudinales que perficiunt et informant intellectum in operando. Et patet sufficientia huius diuisionis considerando diuisionem intellectus per practicum et speculatiuum : intellectuales enim perficiunt speculatiuum, morales uero practicum ».

5 Notre traduction. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 21, q. 6, § 38 : « Neque dicendum est intelligentiam et huiusmodi habitus esse partis speculatiue tantum, set habent actum uirtutis contemplatiue et motiue. Sunt autem très habitus secundum quos contingit hominem esse bonum ; et non sunt hii habitus sicut artis et scientie : scilicet fronesis, sapientia et intelligentia».

139

subdivisent à leur tour en spéculative et motrice. Ce qui permet une explication beaucoup

plus complexe de l'exhaustivité (sufficientia) des vertus intellectuelles : elles ne sont pas

exclusivement spéculatives, c'est pourquoi elles sont traitées dans les livres de Y Éthique.

En effet, les vertus intellectuelles possèdent un aspect proprement spéculatif et un autre

aspect proprement pratique, les deux se distinguent mais se combinent pour donner lieu à

chacune des vertus intellectuelles6.

3. Le problème de la définition de chacune des vertus intellectuelles

Si nous rappelons le texte cité ci-dessus, à savoir la traduction latine de EN I, 13,

1103a4-67, il ne fait que mentionner les trois vertus intellectuelles - sapientia,

intelligentia, fronesis - sans rien spécifier de chacune. Pour ce qui est de la sagesse

{sapientia) et de l'intelligence (intelligentia), nos maîtres ont d'abord une traduction

littérale du mot avec laquelle ils peuvent déceler au moins un certain sens. Mais en ce qui

concerne le terme fronesis, étant seulement en translittération, les artiens ont dû mettre à

l'épreuve leur créativité pour en tirer une définition ou un sens. Analysons d'abord

comment se présentent les termes concernés à nos maîtres et ensuite nous verrons les

interprétations qu'ils en offrent.

Dans l'édition de Y Ethica Noua, R.A. Gauthier nous présente parfois en plus de la

lecture des manuscrits, la lecture de la Summa Aurea ou d'autres sources qui fournissent

la traduction des termes grecs. C'est le cas dans la présentation des vertus intellectuelles à

la fin de VEthica Noua*. Les leçons des manuscrits présentent les vertus intellectuelles

comme : sapiencia, fronesis et intelligencia . Pourtant, Gauthier, à l'aide de la Summa

Aurea de Guillaume d'Auxerre et d'autres sources de la même époque tel le Tractatus de

divisione multipliai potentiarum animae de Jean de la Rochelle , présente sophia,

fronesis et intelligencia, de plus, il ajoute en exposant Prudentm sur fronesis, et saP'enc,a SUr

6 Même si techniquement les vertus intellectuelles ne se développent que dans la puissance motrice, pratiquement, elles supposent une connaissance préalable fournie par la puissance spéculative.

7 Cf. ci-dessus, p. 135. 8 Cf. ARISTOTE, Ethica Noua, I, 13, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 94-95. Cf. ci-dessous, p. 135 et

n. 1. 9 Voir ci-dessous, p. 158. 10 GAUTHIER, Ethica Nicomachea, « Praefatio », fasciculus primus, p. CVIII ; et ARISTOTE, Ethica Noua, I,

13, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 94-95. Pour Guillaume d'Auxerre, voir ci-dessous, n. 123. Pour Jean de la Rochelle, voir ci-dessous, n. 77 et 82.

140

sophia. Ce n'est toutefois pas la façon dont le texte se présentait à nos maîtres, de fait, ce

n'est pas non plus attesté dans les manuscrits disponibles de YEthica Nouau. En effet,

dans son Exposition littérale, le Pseudo-Peckham lit sapientia, intelligentia etfronesis et

de même fait le commentateur d'Avranches . Pour cette raison, nous prenons, selon

l'édition de Gauthier, la lecture la plus proche possible de celle du Pseudo-Peckham.

4. Les vertus intellectuelles et leur hiérarchie

Outre la hiérarchie -établie dans le chapitre précédent- entre les vertus

intellectuelles et coutumières, certains maîtres es arts présentent une hiérarchie parmi les

vertus intellectuelles elles-mêmes. Nous détaillons la présentation des vertus dans l'ordre

de mérite fourni par le Pseudo-Peckham, sans omettre pour autant de le comparer avec les

hiérarchisations des autres maîtres.

La hiérarchie des vertus chez le Pseudo-Peckham est définie par deux supports

fondamentaux : d'abord, les deux faces de l'âme déterminent la hiérarchie supérieure des

vertus intellectuelles par rapport aux vertus coutumières ; et ensuite, l'ordre notionnel des

transcendantaux détermine la hiérarchie parmi les vertus intellectuelles. Nous avons vu

déjà comment fonctionne la hiérarchie entre les vertus coutumières et intellectuelles. Il

nous reste encore à établir la hiérarchie parmi les vertus intellectuelles à l'aide de l'ordre

des transcendantaux.

Au premier chapitre, nous avons détaillé la correspondance de certains

transcendantaux avec différentes facultés de l'âme, à savoir l'intellect spéculatif et

l'intellect pratique. L'intellect spéculatif sert à la connaissance du vrai et l'intellect

pratique sert à la dilection ou à la recherche du bien. Or, les vertus intellectuelles sont

définies comme une connaissance et une dilection du souverain bien. Donc elles sont

étroitement liées au vrai et au bien quant à leur notion. Mais, il faut noter que c'est le

" GAUTHIER, Ethica Nicomachea, « Praefatio », iasciculus primus, p. CVIII ; et ARISTOTE, Ethica Noua, I, 13, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 94-95.

12 ANONYME, Commentarium Abrincense in Ethicam Veterem, Prologue, A, f. 90r-90v : « De diuisione uero uirtutis intellectualis, quia paucioris est diuisionis determinabitur in primo libro. Habet enim has très partes : fronesis, sapientiam, intelligentiam. Virtutis uero consuetudinalis est hic diuisio secundum huius doctrine, cum enim anima sit nata perficere corpus secundum uirtutes motiuas, et uirtutes uero motiue sunt concupiscibilis, irascibilis, rationalis ». Cf. notre édition de ce fragment, ci-dessous, Appendice C.

141

souverain bien qui est l'objet de cet exercice de vertu, Dieu qui est en même temps

souverain bien, souverain vrai, souverain un, et en lui les notions ne diffèrent pas de son

être. D'un autre côté, les vertus sont liées à l'étant individuel supposé (ou référé) dans

l'âme qui exerce la vertu.

Selon notre interprétation, les deux niveaux, sémantique et référentiel, des

transcendantaux se trouvent entrelacés dans la hiérarchisation des vertus intellectuelles, et

la raison en est surtout le mystère entourant cette vertu énigmatique que Burgundio de

Pise s'est contenté de translittérer, à savoir la fronesis. En effet, d'abord la sagesse, plus

engagée dans les choses inférieures, constitue l'affection du souverain bien dans ces

choses inférieures, c'est la perfection de l'intellect supérieur pratique. Ensuite,

l'intelligence, étant principalement la connaissance du souverain vrai, entraîne aussi une

affection, c'est la perfection de l'intellect supérieur spéculatif. Enfin, la fronesis, qui est

au plus haut degré une connaissance avec dilection du souverain bien, est constituée par

la perfection de l'intellect au complet, de l'âme humaine dans son unité la plus parfaite,

ce qui permet à l'âme dans sa propre unité de mieux connaître le souverain bien et de

mieux en jouir. Maintenant, il faut analyser les descriptions de chacune des vertus

intellectuelles.

4.1. La sagesse

La sagesse, reine des vertus dans le dixième livre de Y Éthique à Nicomaque, est

dégradée chez le Pseudo-Peckham au dernier rang du trio des vertus intellectuelles. Il

reste que chez Robert Kilwardby et chez Amoul de Provence elle se situe dans une

hiérarchie supérieure à l'intelligence, et donc au deuxième rang13.

Kilwardby, dans un texte très bref, spécifie quel type de connaissance entraîne

chaque 'prétendue' vertu intellectuelle (rappelons que les vertus intellectuelles sont plutôt

des sciences pour Kilwardby, le mot vertu étant utilisé abusivement) :

Or, par intelligence comprends seulement une connaissance, par sagesse une connaissance avec dilection, par fronesis, qui est une certaine prudence, <comprends> le choix des <choses> antérieurement connues et aimées. Et à partir

13 Le détrônement de la sagesse est interprété comme un affront à la sagesse chrétienne chez PlCHt-, La condamnation parisienne de 1277, p. 263-268. Notre interprétation veut s'inclure dans ce courant.

142

de ces <choses>, l'exhaustivité des trois <vertus> intellectuelles qu'il pose est patente (ROBERT KlLWARDBY, Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 18)14.

La hiérarchie établie par Kilwardby présente d'abord l'intelligence comme

connaissance pure, ensuite la sagesse comme connaissance et dilection et enfin \afronesis

comme un choix, c'est-à-dire un effort et une décision d'action vers une chose

antérieurement connue et aimée. Chez Kilwardby, la hiérarchisation des vertus semble se

dérouler à l'aide d'une addition. D'abord, on retrouve seulement la connaissance, ensuite

la dilection (ou affection), et enfin le choix, des activités exercées par l'intellect

spéculatif, l'intellect pratique et la volonté respectivement.

Chez le Pseudo-Peckham, on le rappelle, la sagesse est au rang le plus bas des

vertus intellectuelles :

En effet, la sagesse s'entend de deux manières : dans la mesure où la sagesse dit la connaissance des causes les plus hautes et les plus difficiles à connaître pour l'homme, et ainsi la sagesse est dite métaphysique ; or, si jamais on l'entend ici de cette manière, <la sagesse> ne sera pas contenue sous la vertu selon laquelle l'homme devient bon. Si jamais, d'autre part, la sagesse est dite connaissance du souverain bien dans les <choses> inférieures avec un certain goût de participation de ce <souverain bien>, et ainsi la dilection de celui-ci, la sagesse sera plus noble que les vertus morales, et c'est selon ce mode qu'elle semblera s'entendre ici. Et nous disons que la sagesse est une partie de la vertu intellectuelle selon laquelle est la félicité (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 21, q.6)15.

Etant donné que la sagesse appartient à la partie supérieure de l'âme - comme

aussi les autres vertus intellectuelles selon la justification des deux faces de l ' âme- , elle

comporte deux volets, le volet « science spéculative » et le volet « vertu intellectuelle » :

le volet « science spéculative » correspond à l'intellect spéculatif supérieur, tandis que le

14 Notre traduction. ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, Lectio 18, C, f. 295ra ; P, f. I Iva. « Per intelligentiam autem intellige cognitionem tantum, per sapientiam cognitionem cum dilectionc, perfronesim, que prudentia quedam est, electionem prius cognitorum et amatorum. Et ex hiis patet sufficientia trium intellectualium quas ponit ».

15 Notre traduction. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 21, q.6, § 38. « Sapientia enim duobus modis accipitur prout sapientia dicit causarum altissimarum cognitionem et difficillimarum homini ad cognoscendum, et sic dicitur metaphysica sapientia ; hoc autem modo si accipiatur hic, non continebitur sub virtute secundum quam homo bonus fit. Si vero sapientia dicatur cognitio summi boni in inferioribus cum aliquo gustu participationis eius, et sic eius dilectio, sapientia erit nobilior uirtutibus moralibus, et secundum hune modum uidebitur hic accipi. Et dicimus sapientia est una pars uirtutis intellectualis secundum quam est félicitas ».

143

volet « vertu intellectuelle » correspond à l'intellect pratique supérieur . Les deux sont

équivalents quant à la noblesse de la partie de l'âme qui les loge, parce que les deux

résident dans la partie supérieure de l'âme. Nous pouvons remarquer ici l'utilité et le

pouvoir explicatif de la division quadripartite de l'âme telle que la présentent Philippe le 1 7

Chancelier, le Pseudo-Peckham et le commentateur de Paris . Cette division permet

d'avoir des sciences de la partie supérieure de l'âme et des vertus de la partie supérieure

de l'âme et donc il ne s'agit plus, comme dans le cas de Kilwardby, d'un abus du terme

'vertu'.

Par ailleurs, si l'on considère la sagesse du point de vue de la hiérarchie des

sciences, dont la métaphysique est l'instance souveraine, et qu'à cela on ajoute le fait de

la dilection, alors la sagesse, en tant que vertu, serait plus parfaite que la sagesse en tant

que science spéculative18. La raison en est qu'elle implique une perfection complète de la

16 Chez Arnoul de Provence nous trouvons une distinction semblable des deux sagesses, quand il dit : « La sagesse, pour sa part, désigne d'une première façon la vertu, et de cette façon Sénèque la définit ainsi : "La sagesse est le souverain bien de la vertu humaine" ; mais cette vertu, comme on peut le lire dans le sixième <livre> des Éthiques, est la vertu intellectuelle qui s'assimile presque à la félicité et à l'ultime perfection humaine. D'une autre façon, elle désigne le nom de la science, c'est ainsi que dans le premier <livre> de la Métaphysique elle est définie dans ce qu'elle a d'essentiel : "La sagesse est la science qui considère les principes premiers et les causes premières" ». ARNOUL DE PROVENCE, Division des sciences, trad. LAFLEUR et CARRIER, (Cahiers du Laboratoire de philosophie ancienne et médiévale, 11), p. 61-62. En général, nous citons ce texte à partir du Cahier 11.3.1, sauf si indiqué différemment, comme ici. « Sapientia vero uno modo est nomen uirtutis, et hoc modo diffinitur a Seneca sic : Sapientia est perfectum bonum humane uirtutis ; hec autem est uirtus intellectualis, ut habetur sexto Ethicorum, que fere eadem est felicitati et ultime perfectioni humane. Alio modo habetur nomen scientie, et sic in potissimo esse diffinitur primo Methaphisice : Sapientia est scientia primorum principiorum et causarum consideratiua ». ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 311-312. La sagesse est donc communément considérée et comme une science et comme une vertu dans l'usage philosophique de cette période. Cependant, Arnoul, qui ne soutient pas une division quadripartite de l'âme à la façon du Pseudo-Peckham, du Commentaire de Paris et de Philippe le Chancelier, ne peut pas appliquer cette distinction des termes dans la discussion sur les vertus. Pour la définition de sagesse chez Cicéron, voir ci-dessous, n. 56.

17 Cette division quadripartite a été décrite ci-dessus, dans le chapitre 2. 18 Pour appuyer cette opinion on peut revisiter le texte d'Hervé le Breton iy italique est de nous) : « Or,

cette perfection s'acquiert par les vertus et les sciences, [...] les sciences et les vertus sont la perfection même de l'âme, mais de façon différente, parce que la science est dans l'âme comme une peinture des ornements, mais la vertu comme principe formatif. L'âme, en effet, quand elle est parfaite par la vertu, n'attend pas une perfection ultérieure, mais, quand elle est parfaite par la science, attend une perfection ultérieure. D'où il dit que la vertu parfait l'âme parfaitement, mais la science imparfaitement». ANONYME, «Aristote dit»/« Dicit Aristotiles », p. 3, §2, trad. C. LAFLEUR et J. CARRIER, Autour d'Hervé le Breton Maître es arts de Paris, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval (coll. « Cahiers du Laboratoire de Philosophie ancienne et médiévale », 15), 2004, p. 3. « Perfectio autem ista per uirtutes et scientias acquiritur, [...] ipsius anime perfectio sunt scientie et uirtutes, set differenti modo, quia scientia est in ipsa anima tamquam quedam depictio ornatuum, uirtus autem tamquam formatiuum. Anima enim cum uirtute perficitur,

144

partie supérieure de l'âme : la sagesse entraîne non seulement un perfectionnement de

l'intellect spéculatif supérieur, mais aussi un perfectionnement de l'intellect pratique

supérieur, comme on vient de le voir. Cependant, ce double perfectionnement est propre à

toutes les vertus intellectuelles, il faudra voir ensuite les traits particuliers de chacune

d'elles.

Dans son exposition littérale, le Pseudo-Peckham décrit la sagesse comme « la

dilection reliée à la connaissance du souverain b ien» 1 9 . Cette précision n'est pas

négligeable, parce que le fait que la sagesse soit d'abord et avant tout une dilection, la lie

plus étroitement à la partie supérieure pratique de l'intellect plutôt qu'à la partie

spéculative. En tant que dilection du souverain bien, la sagesse constitue la perfection de

cette partie pratique supérieure de l'âme, dont l'activité principale est de chercher le bien.

Donc nous trouvons la première hiérarchie des vertus dans une correspondance entre le

bien et la partie de l'âme destinée à avoir le bien comme objet ; mais, vu que les vertus

intellectuelles sont exercées par la partie supérieure de l'âme qui tend immédiatement

vers Dieu, alors dans le cas de la sagesse l'objet constitue le souverain bien. Nous

verrons par la suite que, dans ce même paragraphe de l'exposition littérale, les rangs

restants de la hiérarchie sont décrits dans le bon ordre.

En ce qui concerne Arnoul de Provence, dont l'ordre hiérarchique des vertus

intellectuelles est le même que celui de Kilwardby, il traite de chacune des vertus selon

l'affection que chacune d'elles entraîne :

Or le bien qui est la vertu se divise selon le divers égard de l'âme par lequel elle s'incline pour régir le corps ou s'érige pour contempler Dieu. Car de l'intellect humain on pose une double face, à savoir la supérieure et l'inférieure, selon laquelle <double face Pintellect> s'acquiert divers habitus de vertus. Car selon que, par sa partie supérieure, l'<intellect> intuitionne le Créateur sans beaucoup et <sans> grande affection, il est informé par un habitus de vertu qui est dit « intelligence » ; mais selon que davantage par l'affection il s'étend et que l'affect s'intensifie, <Pintellect> est informé par un deuxième habitus de vertu qui est dit

non ulteriorem perfectionem expectat ; cum autem scientia perficitur, ulteriorem expectat perfectionem. Vnde dicit quod ipsa uirtus animam perfecte perficit, scientia autem imperfecte ». LAFLEUR et CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (Deuxième partie) », Dicit Aristotiles (alias Texte A), p. 366, § 2.

Notre traduction. PSEUDO-PECKHAM, Commentariutn in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio21, Expositio littere, § 20 : « sapientiam, id est dilectio relata ad cognitionem summi boni ».

145

« sagesse », quasi « assaisonnée de saveur » (ARNOUL DE PROVENCE, La division des sciences) .

Chez Arnoul de Provence, la sagesse amène au deuxième degré d'affection, ce qui

suppose un degré déterminé de connaissance qui est la source d'une telle affection ou qui

la provoque. Même si le texte d'Arnoul met l'accent sur l'affection vers laquelle mène la

connaissance, cela ne veut pas dire que les vertus intellectuelles en général et la sagesse

en particulier consistent seulement dans une affection ; si cela était le cas, qu'est-ce qu'il

y aurait d"intellectuel' dans ces vertus? On peut d'ailleurs trouver plusieurs appuis

textuels tout au long du traité de la Division des sciences d'Arnoul, et plus

spécifiquement dans le prologue où il fait l'éloge de la philosophie et de la vie

philosophique comme un idéal21. De plus, comme nous l'avons vu au début du chapitre,

le problème des maîtres constitue justement le contraire, à savoir comment les vertus

intellectuelles peuvent être quelque chose de plus qu'une simple connaissance22.

ARNOUL DE PROVENCE, Division des sciences, trad. LAFLEUR et CARRIER, p. 7. « Bonum autem quod est uirtus diuiditur secundum diuersum respectum anime quo inclinatur ad regendum corpus uel quo erigitur ad contemplandum Deum. Nam intellectus humani duplex ponitur faciès, superior scilicet et inferior, secundum quam diuersos habitus uirtutum sibi adquirit. Nam secundum quod per partem superiorem intuetur Creatorem absque multa et magna affectione, informatur habitu uirtutis qui dicitur intelligentia ; secundum uero quod ulterius per affectionem extenditur et affectus intenditur, informatur secundo habitu uirtutis qui dicitur sapientia, quasi sapore condita)); ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 335-336.

En effet, nous pouvons songer à ce passage : « Puis donc que, pour chaque créature imparfaite selon sa nature, il y a naturellement un appétit la mouvant et l'inclinant fortement pour qu'elle s'élance vers sa perfection et l'atteigne, et <puisque> l'homme est la plus noble des créatures, il convient <donc> que soit vigoureux en lui un puissant appétit l'inclinant à acquérir la science et la vertu, afin que par elles il se perfectionne et que le prédit défaut soit enlevé, de sorte qu'ainsi parfait son intellect s'érige vers la contemplation de son Créateur et, par cela, vers la suprême délectation, qui était dite plus haut "félicité de l'âme". [...] la fin de l'homme en cette vie est la science avec les vertus, afin que par elle, comme par une disposition éloignant de l'âme la contrariété et les ténèbres de l'ignorance, l'homme parvienne à un monde plus élevé et au siècle des presciences, qui est le Dieu béni, glorieux et sublime » ; ARNOUL DE PROVENCE, Division des sciences, trad. LAFLEUR et CARRIER, p. 5, § 7. « Cum igitur, unicuique créature inperfecte secundum sui naturam, insit naturaliter appetitus fortiter mouens et inclinans ut in sui perfectionem prorumpat et eam assequatur, et homo creaturarum sit nobilissima, decet ut prestantior in eo uigeat appetitus inclinans ipsum ad adquirendum scientiam et uirtutem, quibus perficiatur et predictus deffectus auferatur, ut sic perfectus erigatur intellectus eius in sui Creatoris contemplationem et per hoc in summam delectationem que prius « anime félicitas » dicebatur. [...] Finis hominis in hac uita est scientia cum uirtutibus ut per ipsam, tanquam per dispositionem remouentem contrarietatem ab anima et tenebram ignorantie, perueniat homo ad mundum altiorem et ad seculum prescientiarum, quod est Deus benedictus, gloriosus et sublimis » ; ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 303. Voir aussi, ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 116; et BUFFON, « Philosophers and Theologians on Happiness », p. 473-475.

Cf. ci-dessus, p. 136.

146

Or, par les vertus intellectuelles, l'âme « s'érige pour contempler Dieu » et

connaît ainsi Dieu de même que les choses supérieures par une certaine « intuition ». Or,

chaque vertu intellectuelle se définit chez Arnoul selon l'intensité de l'affection que

chaque intuition suscite. Suivant l'ordre de Kilwardby, Arnoul détermine que selon que

« l'<intellect> intuitionne le Créateur sans beaucoup et <sans> grande affection, il est

informé par un habitus de vertu qui est dit 'intelligence' »; ensuite, « selon que davantage

par l'affection il s'étend et que l'affect s'intensifie, <l'intellect> est informé par un

deuxième habitus de vertu qui est dit 'sagesse', quasi 'assaisonnée de saveur' »23. Cette

étymologie d'Isidore de Séville se trouve aussi chez le Pseudo-Augustin, qui caractérise

la sagesse comme une saveur du bien24. Le Pseudo-Augustin ajoute une hiérarchisation

entre l'intelligence et la sagesse dans l'ordre d'Arnoul ; ce texte peut donc constituer une

des sources pour nos maîtres faute d'autres spécifications sur les vertus intellectuelles

dans VEthica noua et uetus. Dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, Aubry de Reims à

son tour hiérarchise science, sagesse et philosophie : la science est l'habitus intellectuel

tout court, la sagesse ajoute une saveur, et la philosophie y ajoute l'amour25. Chez le

Pseudo-Peckham et chez Arnoul de Provence, la fronesis occupe dans la hiérarchie des

vertus la même place privilégiée qu'occupe la philosophie parmi les différentes sortes de

connaissances chez Aubry de Reims.

ISIDORE Db: SÉVILLE, Etymologiarum sive originum, X, éd. W.M. LINDSAY, Oxford, Oxford University Press (coll. « Scriptorum classicorum bibliotheca oxoniensis »), 1985, §240: «Sapiens dictus a sapore ; quia sicut gustus aptus est ad discretionem saporis ciborum, sic sapiens ad dinoscentiam rerum atque causarum ; quod unumquodque dinoscat, atque sensu veritatis discernât. Cuius contrarius est insipiens, quod sit sine sapore, nec alicuius discretionis vel sensus ». Voir aussi LAFLEUR, Quatre introductions, p. 336 ; GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis », p. 150-151 et n. 51.

PSEUDO-AUGUSTIN, De spiritu et anima, 11, PL, 40, 786: « Rationale et intellectuale lumen, quo ratiocinamur, intelligimus et sapimus, mentem dicimus, quae ita facta est ad imaginem Dei, ut nul la interposita natura ab ipsa veritate formetur. Mens enim ex eo dicta est quod emineat in anima : praestantior siquidem vis animae est, a qua procedit intelligentia. Per intelligentiam utique ipsam veritatem intelligit, per sapientiam diligit. Sapientia namque est amor boni sive sapor boni, a sapore siquidem dicitur. Mentis visio est intelligentia ; gustus, sapientia est. Illa contemplatur, ista delectatur. Cum ab inferioribus ad superiora volumus ascendere, prius occurrit nobis sensus, deinde imaginatio, postea ratio, intellectus et intelligentia, et in summo est sapientia. Summa namque sapientia ipse Deus est ».

AUBRY DE REIMS, Philosophia, éd. R.A. GAUTHIER, dans GAUTHIER, « Notes sur Siger de Brabant II », p. 3-49, p. 42 : « sciencia enim nominat habitum absolute ; sapiencia uero saporem superaddit, secundum quod uult quidam philosophus : Sapiencia est cum sapore condita sciencia ; philosophia uero supperaddit amorem ». Voir aussi l'apparat de sources ibid., 1. 276-279. Si nous faisons équivaloir la science et l'intelligence comme connaissance, nous avons des ordres analogues entre Aubry et Arnoul de Provence.

147

Or, il n'est pas superficiel de rappeler que ce n'est pas seulement le degré

d'affection qui détermine la hiérarchie de chacune des vertus intellectuelles. Cette

affection est prioritairement suscitée par la connaissance qui la précède. En effet, chez

Kilwardby, chez le Pseudo-Peckham, et même chez Arnoul, cette affection provient de

l'émerveillement qui est produit par la contemplation des choses supérieures, et - dans le

cas spécifique d'Arnoul - de l'assimilation ou de la conformation au Créateur, comme on

le verra à propos de la fronesis.

4.2. L'intelligence

Nous avons vu comment l'intelligence constitue une connaissance pure et simple

chez Kilwardby. Le Pseudo-Peckham, à l'aide encore de sa division quadripartite de

l'âme, inclut aussi dans l'intelligence - comme dans la sagesse - deux volets :

L'intelligence, de la même manière, peut s'entendre doublement : ou pour l'habitus des choses intelligibles ou pour l'affection intelligible procédant de l'habitus des <choses> intelligibles. Et <elle> a le nom de science ailleurs dans la mesure où la science est dite rendre l'homme bon, comme le dit Augustin, laquelle science est de bien se comporter dans l'adversité et dans la prospérité, de telle sorte que l'homme ne s'écarte pas du souverain bien (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 21, q. 6)26.

Notre maître considère ici encore la science séparée de la vertu grâce à sa division

quadripartite de l'âme, ce que Kilwardby ne pouvait pas faire parce que chez lui l'âme

supérieure coïncide avec l'intellect spéculatif, et alors les vertus intellectuelles ne peuvent

être que sciences. De plus, il définit l'intelligence en tant que science ou connaissance

comme un habitus des choses intelligibles. Donc nous pouvons déduire qu'autant les

sciences ou la connaissance que les vertus sont des habitus, les unes constituent des

habitus ou des dispositions noétiques, et les autres des habitus ou des dispositions

éthiques. Cette manière de définir une sémantique plus étendue de l'habitus se retrouve

Notre traduction. « Intelligentia potest eodem modo accipi dupliciter : uel pro habitu rerum intelligibilium, uel pro intelligibili affectione ex habitu intelligibilium procedente. Et habet nomen scientie alibi prout scientia dicitur efficere hominem bonum, ut dicit Augustinus, que est scientia bene se habendi in aduersitatibus et prosperitatibus, ita quod non retrahatur homo a summo bono ». PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 21, q. 6, § 38.

148

chez plusieurs auteurs, dont Thomas d'Aquin : il s'agit en fait d'une définition au sens

large déjà entreprise par Aristote lui-même dans les Catégories .

Mais l'intelligence en tant que vertu est d'abord et avant tout une affection

intelligible. Qu'est-ce qu'une affection intelligible ? Il s'agit encore d'une combinaison

de l'exercice des deux parties de l'intellect : spéculatif et pratique. Par ailleurs, il est

possible de considérer cette « affection intelligible » liée aux éléments « stoïciens », qui

semblent caractériser les premières interprétations de Y Éthique, au seuil du XIIIe siècle29.

De plus, cette affection intelligible n'est pas chez le Pseudo-Pekcham la même que donne

Augustin à la science qui rend l'homme bon. En effet, notre maître s'éloigne de

l'interprétation 'théologique' ou 'augustinienne' quand il fait la distinction entre

souverain bien et béatitude. Là notre maître précise que l'homme trouve le souverain bien

quand il connaît la cause de son être, et non par grâce, ni par connaissance et amour.

Ainsi, nous constatons par la suite que notre maître parle toujours de connaissance et

'affection' ou de connaissance et 'dilection', mais presque jamais de connaissance et

'amour', parce qu'il s'agit d'un terme qui dénote la béatitude en tant qu'octroyée par la

grâce de Dieu30, tandis que connaissance et 'affection' ou 'dilection' connote plutôt le

THOMAS D'AQUIN, Somme théologique, Ia-IIae, q. 57, a. 1. ARISTOTE, Catégories, 8b25 et s., trad. BOÈCE, éd. L. MlNiO-PALUELLO, Bruges et Paris, Desclée de

Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », I, 1-5), 1961, p. 23-24. Pierre Abélard reprend aussi cette clarification autour de l'habitus dans sa discussion sur la prudence. Cf. M.E. INGHAM, « Phronesis and Prudentia : Investigating the Stoic Legacy of Moral Wisdom and the Réception of Aristotle's Ethics », dans L. HONNEFELDER, R. WOOD, M. DREYER, M.A. ARIS (éds.), Albertus Magnus une die Anfânge der Aristoteles-Rezeption im lateinischen Mittelalter, Munster, Aschendorff (coll. « Subsidia Albertina », 1), 2005, p. 631-656, spécifiquement p. 643-644.

Cf. INGHAM, « Phronesis and Prudentia », p. 645-650. PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 1, q. 2 : « En effet, la

béatitude désigne le souverain bien en tant qu'il a l'être en nous par connaissance et affection <de l'âme>, et non seulement comme efficient ou final, mais <Aristote> désigne le souverain bien lui-même selon la notion d'efficient ou de fin seulement. Donc, parce que par connaissance et affection <de l'âme la béatitude> n'a l'être que dans la créature rationnelle, c'est pourquoi selon la notion de béatitude <ce bien> n'est désiré que par la créature rationnelle, d'où il n'est pas permis de mettre de l'avant <que> toutes <choses> choisissent le souverain bien et <que> le souverain bien et la béatitude <soient> une même <chose>, donc ce n'est pas pareillement que pour une <chosc> semblable <Pappétit du bien> conduirait à la béatitude. Si, alors que nous voulions dire que lorsqu'on affirme <que> toutes <choses> désirent le bien, le « toutes <choses> » suppose l'homme uniquement qui, d'une certaine manière, est toutes <choses>, tantôt parce qu'<il est> fin de toutes <choses>, tantôt aussi parce que toute autre créature, soit selon le genre, soit selon l'espèce, trouve place en lui d'une certaine manière. II serait alors facile de répondre en disant qu'on trouve le souverain bien à partir de l'homme comme cause de son être, cependant on ne le trouve pas à partir de lui par grâce ou par connaissance et amour ». Notre traduction. Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 1, q. 2, F, f. 3vb ; O f. 4ra : « Beatitudo enim nominat summum bonum inquantum habet esse in nobis per cognitionem et affectum, et non solum

149

résultat de l'exercice des vertus intellectuelles. Dans ce dernier sens, les vertus 'artiennes' T 1

se détachent des vertus des théologiens qui sont par la grâce de Dieu et dont la charité

est tout simplement amour32.

Or, dans l'exposition littérale, le Pseudo-Peckham définit l'intelligence comme la

« connaissance reliée à la connaissance du souverain vrai »33. Ici encore, la précision est

précieuse, parce que l'intelligence constitue une connaissance reliant la partie supérieure

spéculative de l'intellect avec le concept transcendantal correspondant, à savoir le vrai,

mais dans son degré suprême, c'est-à-dire en Dieu. En tant que connaissance du

souverain vrai, l'intelligence constitue la perfection de cette partie spéculative supérieure

de l'âme, dont l'activité principale est de connaître le vrai. Voici le deuxième rang de la

hiérarchie des vertus - qui est le premier chez Kilwardby et chez Arnoul de Provence34 -,

suivi par le troisième et dernier, la fronesis.

4.3. La fronesis La phronesis35 aristotélicienne est présentée à la fin du premier livre de VÉthique

à Nicomaque, elle sera ensuite analysée dans le livre VI. Nos maîtres, n'ayant pas encore

la traduction du livre VI - lequel, comme on sait, n'a été traduit que vers 1248, après que

sicut efficiens uel finalis, set summum bonum nominat ipsum sub ratione efficientis uel finis solum. Quia ergo per cognitionem et affectum non habet esse, nisi in rationali creatura, ideo sub ratione beatitudinis non appetitur, nisi a rationali creatura, unde non licet inferre omnia optant summum bonum, et summum bonum et beatitudo idem, ergo beatitudinem nec est similiter quod pro simili inducebat. Tum si uellemus dicere quod cum dicitur omnia appetunt bonum, li 'omnia' supponit pro homine tantum qui quodam modo est omnia, tum quia finis omnium, tum etiam quia omnis alia creatura, aut secundum genus, aut secundum speciem, manet in eo aliquomodo. Tune facile esset respondere, dicendo quod summum bonum habetur gb homine sicut causa sui esse, non tamen habetur ab eo per gratiam siue per cognitionem et amorem ».

31 Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, De bono gratie, A, q. 2, éd. WlCKl, p. 544,1. 54-55 : « Ad hoc respondeo quod virtus non est gratia, si accipiatur nomen gratie formaliter ; sed dicitur gratia quia per gratiam fit in nobis ».

32 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, De bono gratie, B, III, q. 2, éd. WlCKl, p. 680,1. 79-81 : « frui [...] caritati convenit magis proprie, quia simpliciter amor est, et in diffïnitione frui dicitur : Frui est amore inherere etc. ».

"Not re traduction. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio21, Expositio littere, § 20 : « et intelligentiam, id est cognitio relata ad cognitionem summi ueri ».

34 Cf. ci-dessus, p. 141 et p. 144 pour Kilwardby et Arnoul respectivement. 35 Nous présentons ci-dessous, p. 158, le problème de la traduction et de la translittération du mot

(<t>pôvT|au;) phronesis ou fronesis. Dans ce chapitre, nous utilisons phronesis lorsque nous translittérons le terme grec (<^povr\aiq), et nous utilisons fronesis lorsque nous nous référons à FEthica Noua ou aux translittérations latines qui prennent la forme fronesis, notamment dans les traductions de Burgundio de Pise.

150

les premiers commentaires aient été achevés -, ne connaissaient pas les développements

aristotéliciens sur cette vertu et donc pouvaient être portés à chercher ailleurs un sens

pour ce mot inusité et non traduit qu'ils trouvaient à la fin de VEthica Noua. En effet, la

phronesis - ou plutôt fronesis - comme connaissance du souverain bien, telle que la

présente notre Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, est une idée soit

contradictoire soit trop extravagante à première vue. Si on pense au concept aristotélicien

de phronesis, que l'on a tendance à traduire comme prudence et qui consiste en une

habilité à appliquer les principes généraux normatifs de l'éthique aux cas particuliers36,

alors on doit considérer que la phronesis est une vertu reliée à la pratique plutôt qu'à la

connaissance du souverain bien (ceci s'avère assez théorique, même si certains maîtres

ont pu interpréter la connaissance du Premier et du souverain bien comme une sorte

d'opération37).

Cependant, il doit y avoir une raison pour laquelle non seulement notre auteur (le

Pseudo-Peckham), mais aussi toute une génération de maîtres es arts commentateurs de

VEthique à Nicomaque ont conçu les vertus intellectuelles en général et la fronesis en

particulier comme une connaissance du souverain bien et alors dépourvue du caractère

pratique qu'elle avait chez Aristote. Les travaux récents de M. Ingham et de

D. Luscombe veulent montrer que les premières interprétations de YEthique à

Nicomaque au XIIIe siècle incluent notamment de nombreux éléments stoïciens dans leur

considération de la fronesis ; ces éléments aident d'une part à la conception de l'Éthique

comme une science pratique et, d'autre part, à travers le concept de prudentia, ils font

obstacle à la réception de la phronesis aristotélicienne.

Or, étant donné que chez le Pseudo-Peckham et chez Arnoul de Provence la

prudentia ne coïncide pas avec la fronesis, nous recherchons aussi d'autres sources pour

expliquer leur conception de la fronesis. Pour ce faire, un encadrement historique textuel

peut nous aider à la compréhension de cette théorie de la fronesis artienne. Dans sa

trajectoire historique, autant du côté de sa version grecque que de ses translittérations et

36 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, VI, 1140a24-b30, trad. BODÉÛS, p. 302-308. 37 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 107: « Iterum, felices operantur, scilicet in

aspiciendo Primum et cognoscendo ; unde cognoscere Primum et diligere sunt opéra alicuius cum habet felicitatem ».

38 D. LUSCOMBE, « Ethics in the Early Thirteenth Century », dans HONNEFELDER et al., Albertus Magnus une die Anfange der Aristoteles-Rezeption, p. 657-683. Cf. INGHAM, « Phronesis and Prudentia », 645-650.

ISI

traductions latines, le terme phronesis n'est pas resté inchangé. Il s'offre à des

fluctuations sémantiques parfois naturelles et parfois provoquées par les maniements

philosophiques du mot. En effet, à l'origine le mot désigne « la pensée, sans qu'il faille

nécessairement en exclure l'émotion ou le désir » ; c'est le cas chez Homère et

Sophocle40. Quant à Platon, il semble accentuer le trait intellectuel de la phronesis. Nous

trouvons dans le Phédon qu'elle représente la pensée tout court, ou la « pensée pure »

comme le traduit Vicaire, à laquelle on peut arriver en s'écartant de l'influence du corps

et en contemplant les choses immuables :

N'avons-nous pas, il y a déjà un certain temps, déclaré ceci : quand l'âme se sert du corps pour examiner quelque objet, par la vue, ou par l'ouïe, ou par toute autre sensation (car il y a médiation du corps, quand l'examen se fait par l'intermédiaire de la sensation), alors elle est entraînée par le corps vers ce qui ne reste jamais identique à soi-même, elle est, elle-même, errante, elle est troublée, elle éprouve un vertige, comme si elle était ivre, du fait de son contact avec des choses de cet ordre. — Bien sûr. — Mais quand l'âme s'applique par elle-même et avec ses propres forces à l'examen, elle s'élance là-bas vers ce qui est pur, qui existe toujours, qui ne meurt point, qui reste identique à soi-même ; et comme elle s'apparente à cette réalité, elle s'attache toujours à elle quand, se trouvant isolée en elle-même, il lui est possible de le faire ; elle cesse d'errer, et dans le voisinage de ces réalités-là elle demeure identique à elle-même, du fait de son contact avec des objets qui ont ce même caractère. Cet état de l'âme, nous l'avons appelé pensée pure, n'est-ce pas ? (PLATON, Phédon, 79cd)41.

Ce texte nous est familier puisqu'il s'agit du texte protofondateur même de la

théorie des deux faces de l'âme42, qui nous signale que le chemin de la contemplation de

ce qu'il y a de plus sublime et immobile, c'est laphronesis. Ailleurs dans le Phédon, nous

trouvons aussi ce même sens de pensée pure, mais accompagnée en outre d'un trait

d'amour pour l'objet précieux et unique de cette pensée. Voici un extrait très connu qui

nous donne une caractérisation complètement intellectuelle de laphronesis.

Ainsi donc, Simmias, reprit Socrate, c'est un fait : ceux qui pratiquent la philosophie au droit sens du terme s'exercent à mourir et craignent moins que personne d'être morts. Juges-en : du moment qu'ils sont complètement brouillés avec leur corps et désirent garder leur âme isolée en elle-même, s'ils venaient, quand le moment arrive, à craindre et à s'irriter, ne serait-il pas absurde qu'ils aillent à contrecoeur là où ils espèrent trouver ce qu'ils ont désiré pendant leur vie,

J.L. LABARRIÈRE, « Phronesis », dans CASSIN, Le Vocabulaire européen des philosophies, p. 936. 40 Cf. LABARRIÈRE, « Phronesis », p. 936. 41 PLATON, Phédon, 79 cd, trad. VICAIRE, p. 41, pour le texte grec, voir ci-dessus, chapitre 2. 42 Cf. ci-dessus, chapitre 2.

152

c'est-à-dire la pensée pure, et échapper à la compagnie de ce corps avec lequel ils étaient brouillés ?[...] Il faut croire en tout cas, mon ami, qu'il aurait cet espoir, s'il est vraiment philosophe'; car il sera profondément convaincu de ne pouvoir rencontrer la pensée, dans l'état de pureté, que là-bas. (PLATON, Phédon, 67e-68b)43.

Comme dans la citation antérieure, le mot phronesis a une acception de « pensée

pure » qui est possible quand l'âme est débarrassée de l'influence du corps et qu'elle

s'efforce de contempler ce qu'il y a « là-bas » où se trouvent l'intelligible, l'immuable, le

sublime. Cependant, en toutes ces occurrences, Henry Aristippe, traducteur médiéval du

Phédon, donne le mot latin prudentia ou prudencia , probablement influencé par

Cicéron. En plus du Phédon, il y a chez Platon d'autres endroits où il insiste sur le

caractère nettement intellectuel de la phronesis, notamment dans le Philèbe - où il trouve

la phronesis dans le sens de sagesse comme le nom correct des réalités supérieures45 et il

PLATON, Phédon, 67e-68b, trad. VICAIRE, p. 19-20, texte grec : « oi ôpGwç <t>iA.oao<|>oi3vx£ç à7to0v"!ÎaKEiv (IEA-ËTCÙOIV, m i xô xEGvàvcu fÎKiaxa aùxoîç àvGpcùTtaw <|)o(3epôv. ÈK XÔ>V8E SE OKOTIEI. et yàp ôia-pépA.T|VTca (4.ÈV Ttavxaxn iû> acû|j,axi, CO)XT|V 8È KCCG' CCÛXTIV è7u6t)UO'Û0i xf]v \|fuXT)v ëxeiv, xowou 8È yr/vouÉvou ei <t>oPoîvxo KOÙ àyavaKxofev, où noXkr\ otv àkoyia eïr), ei \ii\ aau£voi ÈKEÎOE ïoiev, oî à(|)iKO|i,£voiç èXniq éaxiv où 8ià pion fipcov m%£Ïv—f|pœv ôè <|>povtia'£a>ç—, m xe ôi£pÉpA.Tivxo, xoûxo ànr\XXàxQoa owovxoç awoîç ; [...J oÏEaGai je %pf|, éàv xâ> ôvxi ye fj, co éxaipe, <|>iA.ôao(|>oç-o<|)6Ôpa yàp aùxco xctma ÔÔ^EI, (j.T)ôa|ioû ccA,A.oGi KaGapcâç évxEÛÇEoGai (|)povTi<TEt àkX' f\ ËKEÎ ».

Voici la traduction pour le premier texte que nous avons présenté, à savoir Phédon, 79cd : « Quociens autem ipsa per se ipsam speculentur, illuc defectur in sincerum, et semper existens et immortale et similiter se habens, et ut cognata existens ipsi semper cum ipso fit, quociens ipsa secundum se ipsam fiât et liceat ipsi, et quiescit ab errore et circa illa semper secundum idem similiter se habet, quemadmodum talibus contacta. Et hec ipsius passio prudencia vocata est ». PLATON, Phédon, 79d, trad. HENRICUS ARISTIPPUS, éd. L. MINIO-PALUELLO et J. DROSAART LULOFS, Londres, Warburg Institute (coll. « Corpus Platonicum Medii Aevi », 2), 1950, p. 36. Quant à la traduction du fragment 67e-68b : « Rêvera igitur, o Simmia, infit, recte philosophantes defungi student, et defunctum ire incassum ipsis hominum terribile. Ex hiis autem considéra : si enim accusent quoque undique corpus, ipsam vero secundum se ipsam affectant animam habere, hoc autem facto si formident et indigne ferant, nonne plurima fatuitas erit, si non gratulandi illuc eamus, quo abeuntibus spes extat illius quod per vitam desiderabant consequi - desiderabant sane prudenciam - cui derogabant ab ipso sequestrari coexistente ipsis ? [...] Existimari sane decet, si rêvera fuerit, o dilecte, philosophus. Certissime quippe ipsi hec videbuntur, neutiquam alibi pure consequi prudenciam nisi ibi ». PLATON, Phédon, 67e-68b, trad. HENRICUS ARISTIPPUS, éd. MINIO-PALUELLO et DROSAART LULOFS, p. 18-19.

« Socrate : Qu'ailleurs se trouvent, à notre avis, la fermeté, la pureté, la vérité et, comme nous disons, l'intégrité, à savoir en ces réalités qui demeurent toujours dans le même état, de la même manière, sans aucun mélange, ou bien en celles qui leur sont le plus possible apparentées ; quant à toutes autres choses, il faut les déclarer secondaires et inférieures. Protarque : Tu dis la pure vérité. Socrate : Par suite, parmi les noms applicables à de telles réalités, n'est-il pas de toute justice de réserver les plus beaux aux plus belles ? Protarque : Naturellement. Socrate : Les noms les plus honorables ne sont-ils pas ceux d'intellect et de sagesse ? Protarque : Oui ». PLATON, Philèbe, 59cd, éd. et trad. A. DiÈS, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Les Universités de France »), 1949, p. 80-81 : « X2ç r\ 7t£pi ÈKEÏva EaG'riuïv xô XE pépoaov Kcà xô raOapôv m i àA.r|6èç m i ô 8T) A.éyou£v EiXiKpivÉç, 7i£pi xà àei Kaxà xà aùxà cbocnkcùç àuEiKxoxaxa £.%ovxa, f| jtEpi ÔC'ÈKEIVOÙV ÔXI

IVÏ

oppose aux plaisirs laphronesis, l'intellect et la science -, et dans le Théétète (176b), où

la fuite du sensible et la recherche de l'intelligible sont propres au sage41 et mènent à

l'assimilation au divin. Or, même si ces textes n'ont pas été traduits au Moyen Âge, la

tradition néoplatonicienne a maintenu vivant le thème de l'assimilation au divin ou à

Aristote, pour sa part, dans VEthique à Nicomaque renverse le sens donné au mot

par Platon. Toutefois, chez Aristote même, le mot phronesis a au moins deux sens.

D'abord, il semble maintenir le sens platonicien du mot l'utilisant comme sagesse,

\iâXiaxà èaxi air/yEvfy-xà 8'àXXa nâvxa ôeûxepâ XE KOÙ vaxepa XEKXËOV. llPQ. AÀ,T|0Éaxaxa Xéyeiq. ZQ. Ta ÔT| XWV ôvouàxœv nepi xà xoiaûxa KakXiaxa ap'où xoîç KaAAiaxoiç SiKaiôxaxov à7iové|j.eiv ; nPQ. Eucôç ye. £Q. OÙKOÛV voûç ècrri m i <|>pôvîimç a y'âv xiq xuif|aeiE \iakiaxa ôvôuaxa ; FIPQ. Naî ».

« Socrate : Soumets donc ensuite la mesure au même examen et considère si le plaisir en contient plus que la sagesse ou la sagesse plus que le plaisir. Protarque : Facile encore est ce nouvel examen que tu demandes. Car je crois qu'on ne trouverait rien de plus démesuré que le plaisir et les transports, de plus mesuré que l'intellect et la science. Socrate : Excellent, mais réponds néanmoins à la troisième question. L'intellect a-t-il, selon nous, plus de part à la beauté que le plaisir, et jugeons-nous l'intellect plus beau que le plaisir, ou tout le contraire ? Protarque : Mais personne, Socrate, n'a jamais vu ou imaginé, soit en veille soit en rêve, que la sagesse ou l'intellect pussent, d'aucune façon ou sous aucun aspect, avoir été, être ou devenir laids. Socrate : Tu as raison ». PLATON, Philèbe, 65de, éd. et trad. DlÈS, p. 91 : « ZQ. OÙKOÛV XÔ U£xà xoûxo xf)v nexpiôxTyxa cboamcoç aKÉxj/ai, 7tôxepov f)8ovr| (jipovrja'eroç f| <t>pôvn.<xiç f|ôovfjç izXeim KÉKXT|xai ; FIPQ. EVOKEKXÔV ye Kai xocûxr|v aicév|nv 7tpo(îépX,TiKaç- oïu.cu yàp riôovrjç |ièv iccd Ttepixapeiaç oùSèv xcov ôvxœv 7tE<|n)KÔç à|j.expa)xepov eijpeîv âv xiva, vox> SE Kai èmariwirxc, È|i|j.£xpa)X£pov oùô'âv ëv TCOXE. SQ. KakûK, eïpriKaç. "Outoç Ô'EXI Xéye TO xpixov. Noùç f)uïv xâXXovq u£XEtA,r|<t>£ nXelov fj xô xfjç fiôovfiç yévoç, œoxe Eivai KaAAta) voûv f|5ovrjç, f| xoùvavxtov ; nP£2. 'AXX' ovv typôvi\mv uèv Kai vovv, co ZcûKpaxEç, oùÔEiç jtcù7ioxe oûô'rjTtap oûx'ôvap aia%pôv CUXE EÎSEV OÛXE ÈnEvôrioEv oùôaufi oùôa^iàç o f c yvyvôu£vov ovxe ôvxa o f c ÈO6|J.EVOV. X£2. 'OpOrâç ».

« Il est tout aussi impossible qu'il [le mal] ait son siège parmi les dieux : c'est donc la nature mortelle et le lieu d'ici-bas que parcourt fatalement sa ronde. Cela montre quel effort s'impose : d'ici-bas vers là-haut s'évader au plus vite. L'évasion, c'est de s'assimiler à Dieu dans la mesure du possible : or on s'assimile en devenant juste et saint dans la clarté de l'esprit ». PLATON, Théétète, 176ab, éd. et trad. DlÈS, p. 208 : « om'Év OEOÎÇ aùxà iôpùcOai, xfiv 8è OVTVCTIV (jnknv Kai XÔVSE xôv XÔTTOV 7iEpi7ioX.£Î éÇ àvâyKTiç. Aiô Kai TCEipàoQai xpr| ÈVOEVÔE ËKEÎCTE <j>£ÛyEiv ôxi xâ%ioxa. <t>-uyf| ôè ô|ioia)aiç 0ECÔ mxà xô ôuvaxôv ôuotcùaiç 8è ôiKaiov Kai ôoiov usxà <|>povT|<rE0)ç yEvéo-Oai ».

BOÈCE, De consolatione Philosophiae, III, 10, 23-25, éd. MORESCHINI, p. 83-84. Boèce parle de l'« acquisition de la divinité (adeptio divinitatis) ». Voir aussi Arnoul de Provence, dont renonciation du thème ressemble d'une façon inquiétante à celle de Platon dans le Théétète : « enfin, selon que par un affect et un amour intenses <l'intellect> s'enflamme de telle sorte qu'à Lui, autant que possible, il se conforme, il s'acquiert un habitus de vertu qui est dit fronesis ». ARNOUL DE PROVENCE, Division des sciences, trad. LAFLEUR et CARRIER, p. 7-8. Pour le texte latin voir n. 135.

Surtout dans le Protreptique, cf. W. JAEGER, Aristotle. Fundamentals ofthe history ofhis development, Oxford, Clarendon Press, 1948, p. 81-82. Sur la pensée d'Aristote dans le Protreptique, relativement à la phronesis, voir aussi GAUTHIER, « Introduction », dans ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, éd. et trad. GAUTHIER et JOLIF, t. 1, p. 18-22.

154

c'est-à-dire le savoir immuable sur les êtres immuables . Ensuite, et surtout à partir du

livre VI de VÉthique à Nicomaque qui la distingue de la sophia, la phronesis devient une

sorte de prudence ou savoir pratique ou mieux sagacité . Quant aux autres auteurs, ils

semblent garder le sens platonicien du mot5 , sauf bien entendu dans les cas où les

auteurs se réfèrent au concept désormais proprement aristotélicien de prudence ou

sagacité.

Du côté latin, Plaute le traduit par sagesse (sapientia)5 . Cicéron, qui a peut-être

influencé la tradition postérieure, traduit phronesis par prudentia dans son De officiis en

faisant un contraste avec la sophia55 :

ARISTOTE, Métaphysique, M, 4, 1078bl5, trad. TRICOT, p.212: «s'il y a science et connaissance [phronesis] de quelque chose, il doit exister d'autres réalités en dehors des natures sensibles, des réalités permanentes, car il n'y a pas de science de ce qui est en perpétuel écoulement » (Aristote présente évidemment ici une théorie platonicienne). ARISTOTE, De Caelo, III, 1, 298b23, éd. et trad. P. MORAUX, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Universités de France »), 1965, p. 104 : « ils eurent les premiers l'intuition d'entités, présentant les caractères qu'on a dits, et destinées à rendre compte de la connaissance ou de la pensée », le texte grec ibid. : « -coicukaç ôé xivaç vofjom Tcpâran <j>-6a£iç, e'teep gâtai xiç yvrâoiç f| <t>pôvti<nç ». ARISTOTE, Physique, VII, 3, éd. BEKKER, 247b 11 et 18 : « èrciaTocaOca îcai Qpoveîv » et « <|>p6vui.ov KCÙ èjtioTfi(a.ov ». ARISTOTE, Topiques, VIII, 14, éd. BEKKER, 163b9, trad. TRICOT, p. 358.

51 P. AUBENQUE, La prudence chez Aristote, Paris, PUF (coll. « Quadrige », 157), 2002, p. 7-8. Par ailleurs, Gauthier critique la position d'Aubenque qui, à son avis, agit en exégète scolastique (posant que la fin de la morale, selon Aristote, est Dieu atteint dans la contemplation), ce qu'Aubenque voulait expressément éviter ; cf. GAUTHIER, « Introduction », dans ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, éd. et trad. GAUTHIER et JOLIF, t. 1, p. 20 avec n. 51. Or, selon Gauthier {Ibid.) «le livre A de la Métaphysique attribue encore à la sophia la connaissance de la fin : mais c'est que, quoiqu'il eût dès lors rompu avec la doctrine des Idées, Aristote n'a pas encore tiré de cette rupture toutes les conséquences : il a gardé dans ce livre A la conception de la sagesse qui était celle du Protreptique ; la sagesse qu'il décrit, même s'il l'appelle sophia, est encore la phronesis indissolublement spéculative et pratique du Protreptique ».

52 C'est la traduction, à notre avis très juste, que donne Richard Bodéils à la phronesis dans le contexte de l'Éthique aristotélicienne. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, trad. BODÉÛS, p. 98.

53 Xénophon, par exemple, met le mot phronesis dans les lèvres de Socrate, signifiant 'intelligence divine' : XÉNOPHON, Mémorables, 1, IV, 17, trad. M. BAND1NI et L.A. DORION, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Les Universités de France », série grecque, 399) 2000. Pour l'original grec voir XÉNOPHON, Memorabilia, I, IV, 17, Cambridge, Londres, Hardvard University Press (coll. « Loeb Classical Library », 168), 1992, p. 62. Diogène Laërce, en citant Bias, utilise aussi phronesis dans le sens de sagesse. DIOGÈNE LAËRCE, Vitae Philosophorum, I, 88, éd. H.S. LONG, Oxford, Oxford University Press, 1964, p. 38-39.

54 PLAUTE, Truculentus, versus 77, éd. GOETZ G.-SCHOELL, Leipzig, Teubner (coll. « T. Macci Plauti Comoediae », 7), 1896, p. 73 : « Nam mihi haec meretrix quae hic habet Phronesium Suom nomen omne[s] ex pectore exmouit meo [Phronesi[u]m: nam phronesis est sapientia] ». Gauthier considère que Plaute « n'avait pas sans doute le choix : si en effet le mot de sapientia est un vieux mot latin, le terme As prudentia n'est pas attesté avant l'époque de Cicéron », GAUTHIER, « Introduction », dans ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, éd. et trad. GAUTHIER et JOLIF, t. 1, p. 267.

55 Selon Gauthier, « si donc [...] Cicéron s'est trouvé amené, dans son De officiis, à faire correspondre la sapientia et la prudentia respectivement à la sophia et à la phronesis de son modèle Panétius et à les opposer comme l'avait fait le philosophe stoïcien, on ne peut voir dans cette spécialisation des deux termes qu'un emploi technique contraire à l'usage de la langue latine, et auquel Cicéron lui-même

ISS

La première de toutes les vertus est cette sagesse que les Grecs appellent aoc()îa - sous le nom en effet de prudence que les Grecs appellent fypôvryaxç,, nous entendons une autre vertu qui est la science des choses à rechercher et des choses à éviter. Or cette sagesse, que j ' a i dite la première des vertus, est la science des choses divines et humaines, où réside la communauté et la société des dieux et des hommes entre eux ; s'il est vrai que cette vertu est la plus grande - comme elle l'est en fa i t - il s'ensuit évidemment que le devoir que l'on déduit de la communauté sociale, est le plus grand (CicÉRON, Les devoirs, I, 43, § 153)56.

Ailleurs, Cicéron va utiliser phronesis (bien que traduite comme prudentia) dans

un sens plus proche de la sagesse (sapientia) quand il distingue le caractère de vertu

intellectuelle de la prudence et de la sagesse57 par rapport aux autres vertus58. Augustin,

ne se tient ordinairement pas ». Cf. GAUTHIER, « Introduction », dans ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, éd. et trad. GAUTHIER et JOLIF, t. 1, p. 268.

M.T. CICÉRON, Les devoirs, I, c. 43, § 153, trad. M. TESTARD, Paris, Les Belles Lettres (coll. «Les Universités de France»), 1965, p. 185. M.T. ClCÉRON, De officiis, I, 43, §153, éd. M. WlNTERBOTTOM, Oxford, Oxford University Press (coll. « Scriptorum classicorum bibliotheca Oxoniensis »), 1994, p. 64 : « Princepsque omnium uirtutum illa sapientia quam sophian Graeci uocant (prudentiam enim, quam Graeci phronesin dicunt, aliam quandam intellegimus, quae est rerum expetendarum fugiendarumque scientia), illa autem sapientia, quam principem dixi, rerum est diuinarum et humanarum scientia, in qua continetur deorum et hominum communitas et societas inter ipsos ; ea si maxima est, ut est certe, necesse est quod a communitate ducatur officium, id esse maximum ».

ClCÉRON, Les devoirs, I, 5, § 15-16, trad. TESTARD, p. 111-112 : «Tu vois donc, mon cher Marcus, l'aspect extérieur de la beauté morale et pour ainsi dire son visage « qui, s'il apparaissait aux yeux, exciterait, comme dit Platon, des amours étonnantes de la Sagesse ». Mais tout ce qui est beau, tire son origine de l'une des quatre divisions de la beauté morale : ou bien en effet il consiste dans le discernement ingénieux du vrai ; ou bien dans la sauvegarde de la société humaine, en accordant à chacun son dû et par la fidélité aux engagements conclus ; ou bien dans la grandeur et la force d'une âme élevée et invincible ; ou bien dans l'ordre et la mesure de tous les actes et de toutes les paroles, en quoi résident la modération et la tempérance. Bien que ces quatre divisions soient liées et imbriquées entre elles, cependant de chacune d'elles procèdent des genres déterminés de devoirs ; ainsi cette division qui a été la première évoquée, en laquelle nous plaçons la sagesse et la prudence, implique la recherche et la découverte du vrai ; cette obligation est le propre de cette vertu. Dans la mesure en effet où quelqu'un discerne le mieux ce qui en chaque chose est le plus vrai, et où il peut avec le plus de pénétration et le plus de rapidité, en voir et en exposer la raison dernière, il passe d'ordinaire ajuste titre pour le plus prudent et le plus sage. Aussi la vérité est-elle soumise à cet homme, comme la matière de son étude et de sa compétence ». CICÉRON, De officiis, 1. 1, cap. 5, § 15-16, éd. WlNTERBOTTOM, p. 7-8 : « Formam quidem ipsam, Marce fili, et tamquam faciem honesti vides, quae si oculis cerneretur, mirabiles amores, ut ait Plato, excitaret sapientiae. Sed omne quod est honestum, id quattuor partium oritur ex aliqua. Aut enim in perspicientia veri sollertiaque versatur, aut in hominum societate tuenda tribuendoque suum cuiquc et rerum contractarum fide, aut in animi excelsi atque invicti magnitudine ac robore, aut in omnium quae fiunt quaeque dicuntur, ordine et modo, in quo inest modestia et temperantia. Quae quattuor quamquam inter se conligata atque implicata sunt, tamen ex sihgulis certa officiorum gênera nascuntur, velut ex ea parte quae prima descripta est, in qua sapientiam et prudentiam ponimus, inest indagatio atque inventio veri, eiusque virtutis hoc munus est proprium. Ut enim quisque maxime perspicit quid in re quaque verissimum sit quique acutissime et celerrime potest et videre et explicare rationem, is prudentissimus et sapientissimus rite haberi solet. Quodcirca huic quasi materia quam tractet et in qua versetur subiecta est veritas ».

156

quant à lui, dans les Enarrationes in Psalmos traduit lui aussi phronesis par prudentia et

ainsi dans le monde latin la traduction par prudentia prédomine . Or, comme l 'a dit

Gauthier, « ce qui est vrai, c'est que l 'usage de la langue latine ne distingue pas plus

sapientia de prudentia que l 'usage de la langue grecque ne distinguait sophia de

phronesis ; ici comme là, les distinctions sont affaire de philosophe, et les philosophes

n 'ont jamais tant plaisir à distinguer que lorsque les autres ne le font pas . . . » '.

Par ailleurs, Jean Damascène entreprend un usage polysémique du mot phronesis,

à un point tel que son traducteur latin, Burgundio de Pise, se limite parfois à translittérer

le mot, quand Jean Damascène utilise le mot dans un sens inusité, par exemple, quand il

définit sous la phronesis un des cinq mouvements de l'intellect :

Il faut savoir que la première motion de l'intellect (voûç) est dite intellection (VOT)OIÇ) ; ce à quoi elle s'applique est la pensée (ëvvoia). La réflexion (èvG-ûurio-iç), c'est quand l'âme s'arrête, essayant de s'en faire un schéma (TDTicboaoa), à ce qui est pensé. La persistance de la réflexion, les preuves et l'examen auxquels soumet l'âme ce qu'elle a pensé, c'est l'intelligence (<|)pôvTiaxç). L'intelligence après s'être déployée se tient un raisonnement (5iaA.oyiou.6c) appelé discours intérieur ; ceux qui le définissent ainsi assurent que c'est une complète motion de l'âme dans sa partie raisonnable, sans élocution qui est à l'origine de l'expression orale, avec la langue. (JEAN DAMASCÈNE, La foi orthodoxe, II, 22)62.

Par ailleurs, le De officiis était considéré par le Guide de l'étudiant parisien comme le livre qui s'occupait de l'économie (ypotica, scientia de subditis), mais évidemment, dans leurs commentaires de VEthique à Nicomaque, les maîtres es arts n'ont pas voulu utiliser cette interprétation, à moins qu'ils n'aient pas eu l'habitude de s'arrêter sur la lecture détaillée du De officiis. Voici la mention dans le Guide de l'étudiant : « Anima iterum uiuit in bono aliorum, et hoc dupliciter. Vno modo in regendo sibi subditos cogitando de bono eorum inquantum potest et ut débet. Et secundum hoc est Liber de uera iustitia uel Liber de officiis -quod idem est- quem fecit Tullius. Et hec scientia 'ypotica' appellatur ab ypos, quod est 'sub', quasi scientia de subditis ». ANONYME, Guide de l'étudiant, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 74.

59 AUGUSTIN, Enarrationes in Psalmos, psalmus : 104, § 14, éd. E. DEKKERS et I. FRAIPONT, Turnhoul, Brepols (coll. « Corpus Christianorum », Séries Latina, 40), 1956, p. 1544 : « npeofiv-çépovq enim habet, quos dicere solemus seniores, non yépovxaq, id est senes ; copierai autem, quod uno uerbo latine dici non potest, a sapientia dictum est, quae tro</>ia graece dicitur, non a prudentia, quae (j>pôvrjaiç appellatur ».

Une autre exception est LlUTF'RANDO DE CRÉMONE, Historia gestorum regum et imperatorum siue antapodosis, PL 136, 854A-B : « Ceterum secundum naturale nomen Galli Allobrogi nuncupantur. Ego tamen secundum mihi traditam fronesin, id est sapientiam, Burgundiones eos quasi gurguliones apello, vel quod ob superbiam toto gutture loquantur, vel, quod verius est, edacitati, quae per gulam exercetur, nimis indulgeant ».

61 GAUTHIER, « Introduction », dans AR1STOTE, Éthique à Nicomaque, éd. et trad. GAUTHIER et JOLIF, t. I, p. 269, n. 78.

62 JEAN DAMASCÈNE, La foi orthodoxe, II, 22, trad. E. P0NS0YE, Suresnes, Les Éditions de l'Ancre (coll. « L'arbre de Jessé »), 1992, p. 111-112. Pour l'édition grecque : Expositio Fidei, II, 22, éd. KOTTER, p. 89, 1. 41-50 : « Xpn. yivcooKeiv, ôxi fi p.èv Tcparm. TOÙ voû KÎVTIOIÇ VÔTIOIÇ A-éyetai. 'H ôè jcepi xi vÔTioiç ëvvoict Aéyetai, f\ziq è7tiu.eivaoa KCÙ xvnâaaaa tf|v \|AJ%TIV npbq TO voot)(j.evov èvQx>]xr\o\.c,

157

La. phronesis comme intelligence, c'est-à-dire la « persistance de la réflexion, les

preuves et l'examen auxquels l'âme soumet ce qu'elle a pensé », entraîne une

continuation de l'usage platonicien du mot phronesis, à savoir ce que l'âme retrouve dans

son intimité et loin de l'influence du corps. De plus, elle est l'élément constitutif du

'raisonnement' - l e dernier des cinq mouvements de l'esprit-, lequel a le statut

particulier de 'discours intérieur' chez Jean Damascène .

Or, l'usage du mot phronesis chez le Damascène est loin d'être fixe, dans les deux

autres occurrences du mot dans cet ouvrage, il l'utilise une fois comme équivalente à la

sagesse ou à l'intelligence , et ailleurs il oppose la sophia (comme contemplative) à la

phronesis (comme pratique)65. Le traducteur latin de Jean Damascène, Burgundio de Pise

- le même qui semble être aussi le même que le traducteur de YEthica noua et de YEthica

uetus - reste du moins étonné et sans ressource, il traduit phronesis une fois par scientia66

et une autre fois par prudentia67 laissant finalement une translittération, à savoir

rcpoaayopeùexai. 'H ôè èv0ùu.r|cnç èv xaùxrâ u.eivaaa Kai êawnv paaaviaaoa Kod àvaKpivaoa (|>pôvTitnç ôvou,àÇexai. 'H Ôè §pôvi\<nq nXaxwQeïaa TCOIEÎ TÔV ôiaÀ,oyiau.ôv évôiâOexov À,ôyov ôvo|j.aÇô|i£vov, ôv ôpiÇ6u.evoi <|)aai- Kivn.u,a \\iv%f\q rcA.Tipéoxaxov, èv xâ> 8iaA.oyioxiKà> yivô(xevov âvet) xivôç ÈK<|>cûvf|0ea)ç, è% où TÔV 7tpo<t>opiKÔv À,ôyov <|>aai 7rpoép%ea0ai ôià yÀ.cùoar|ç A.aÀ,oùu.evov. Eirtôvxeç xoivw uepi xâ>v yvœoxiKcov ôuvâu.£û)v eûra>u,ev Kai nepi xà>v ÇCOXIKCÔV fîyow ôpeKxiKwv ».

Jean Damascène tire la théorie des cinq mouvements de l'esprit de Maxime le confesseur, et ultimement d'irénée de Lyon, selon C. PANACCIO, Le discours intérieur. De Platon à Guillaume d'Ockham, Paris, Éditions du Seuil (coll. «Des travaux»), 1999, p. 53-54 et 78-93. Or, il semble que la typologie des cinq mouvements de l'intellect était un philosophème très répandu, il réapparaît d'une manière stéréotypée dans des sources gnostiques, dont le plus ancien témoin semble être le traité Eugnoste. Cf. P.H. POIRIER, « Gnose et Patristique. À propos de deux attestations du discours intérieur », Laval théologique et philosophique, 57, 2 (2001), p. 235-241.

« riàvxoc ànéxzi 8eoû, où XÔTCCÛ àXXà fyvoei. 'Erci f)|icûv (|>pôvîi«nç rai ao<|)ia Kai Potier) ebç ëÇiç cru|j.paivei Kai âno%(ùpëi, où |if|v éni 0eoû ». JEAN DAMASCÈNE, Expositio Fidei, I, 13, éd. K.OTTER, p. 39,1. 58-59 ; trad. PONSOYE, p. 62.

« Toù yàp .oyiKOÙ xô u.év èaxi 0ecopr|xiKÔv, xà ôè TtpaKxiKÔv, GeœpîixiKÔv nèv xô Kaxavooùv, mç ëx e l

xà ôvxa, TtpaKxiKÔv 8è xô POUX.E'UXIKÔV, XÔ ôpiÇov xoîç jxpaKxoîç xôv ôpGôv A.6yov. Kai raXoùoi xô u,èv 0ecùpr|xiKÔv voùv, xô 8è TtpaKxiKÔv A.ôyov, Kai xô uèv 0Ecopr|xiKÔv oo(()iav, xô 8è TtpaKxiKÔv <J)pôvTiotv ». JEAN DAMASCÈNE, Expositio Fidei, II, 27, éd. KOTTER, p. 98, 1. 7-11 ; trad. PONSOYE, p. 122-123.

« Omnia distant a Deo, non loco, sed natura. In nobis scientia vel sapientia et consilium ut habitus accidit et secedit, non tamen in Deo ». JEAN DAMASCÈNE, Defide orthodoxa, chap. 13, trad. BURGUNDIO, éd. BUYTAERT, p. 60, § 8.

« Rationalis enim hoc quidem est contemplativum, hoc autem activum. Contemplativum quidem quod excogitat ut habent entia ; activum autem, quod est consiliativum, quod déterminât actibilibus rectam rationem ; et vocant contemplativum quidem intellectum, activum autem rationem ; et contemplativum quidem sapientiam, activum autem prudentiam ». JEAN DAMASCÈNE, De fide orthodoxa, chap. 41, trad. BURGUNDIO, éd. BUYTAERT, p. 152-153, § 1.

158

'fronesis', pour les occurrences qui définissent la phronesis comme élément constitutif du

discours intérieur68.

Dans YEthica Noua, le traducteur semble avoir de pareilles hésitations. D'abord et

en général, sapientia est la traduction que Burgundio de Pise a choisie pour les

occurrences du mot phronesis dans YEthica Noua, sauf une fois en 98b24, où il la rend

par 'prudentia' probablement parce qu'elle se trouve à côté de 'sophia' rendue par

'sagesse'. Mais, vers la fin de YEthica Noua (soit la fin du premier livre de Y Éthique), il

semble arriver à une aporie, face à laquelle il se contente de translittérer le mot fronesis.

L'aporie du traducteur nous semble avoir été la suivante. D'abord, Burgundio a utilisé

sapientia pour traduire autant phronesis que sophia. Il y a deux endroits où les termes

phronesis et sophia se rencontrent, en 98b24 : « Hiis quidem uirtus, hiis autem prudencia,

aliis autem sapientia »69, où Burgundio traduit phronesis par prudence (prudentia) et en

103a5-6 : « Dicimus enim harum has quidem intellectuales, has autem morales,

sapienciam, quidem et fronesim et intelligenciam intellectuales, liberalitatem autem et

honestatem morales »70, où Burgundio se contente de translittérer fronesis. Pourquoi ne

l'a-t-il pas traduit par prudentia ? Peut-être que dans un contexte de classification des

vertus intellectuelles, le traducteur n'a pas jugé appropriées les connotations de la

prudentia.

Une reprise du concept cicéronien de prudence se retrouve aussi au XIIe siècle

chez Jean de Salisbury. Dans son Metalogicon, il reprend les propos de Cicéron dans le

De officiis, et remarque que prudence, équivalant au grec fronesis, constitue une vertu

dont l'objet est la recherche et l'utilisation de la vérité ; la prudence forme la providence

« Oportet cognoscere quoniam primus quidem intelligentiae motus, intelligentia dicitur ; quae vero circa aliquid est intelligentia, intentio vocatur ; quae permanens et figurans animam ad id quod intelligitur, excogitatio vocatur. Excogitatio vero in eodem manens, et seipsam examinans et diiudicans, fronesis nominatur. Fronesis autem dilatata facit cogitationem, endiatheton (id est interius dispositum) sermonem nominatam ; quem déterminantes dicimus motum animae plenissimum in excogitativo fientem, sine aliqua enuntiatione, ex quo prolatum sermonem aiunt provenire, per linguam enarratum. Cum dixerimus igitur de cognitivis virtutibus, dicamus et de zoticis, scilicet appetitivis ». JEAN DAMASCÈNE, De flde orthodoxa, 36, trad. BURGUNDIO, éd. BUYTAERT, p. 134-135, §7.

Cf. ARISTOTE, Ethica Noua, 1,9, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 80. Cf. ARISTOTE, Ethica Noua, I, 13, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 94-95 : « Dicimus enim harum

has quidem intellectualem, has autem morales, sapienciam quidem et fronesim et intelligenciam intellectuales ». ('Sapienciam' est notre choix, voir GAUTHIER, note à la ligne 19, p. 94 et n. 1, p. 95 (pour fronesis), aussi ID., Ethica Nicomachea, « Praefatio », fasciculus primus, p. CVIII-CIX). Le texte grec : « Aéyo(j.ev yàp aùxcôv tàç uâv SiavoTyctKceç xàç ôè TjôiKâç, ao<|>tav u.èv KCÙ oûveaiv KCÙ <|)pôvr|oav ôuxvoTyuicâç », ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. BEKKER, t. II, 1103a4-6.

159

par rapport à l'avenir et le discernement par rapport au présent71. Cependant, la prudence

relève plutôt des choses humaines comme la science et la sagesse des choses divines .

4.3.1. Les théologiens de Paris

Au xme siècle, parmi les théologiens, la position de Guillaume d'Auxerre73,

comme nous le verrons, ne semble pas suivre le concept aristotélicien de phronesis, mais

se range plutôt parmi les interprétations platoniciennes. Par ailleurs, Philippe le

Chancelier examine la phronesis (il utilise cette orthographe) quand il discute à propos de

la prophétie74. Philippe reprend la division des cinq mouvements de l'intellect de Jean

Damascène, et il précise que ce sens de phronesis n'est pas le même que celui d'Aristote

dans YÉthique . Il se réfère selon toute vraisemblance au passage de la fin de VEthica

noua .

71 JEAN DE SALISBURY, Metalogicon, IV, 11, éd. J.B. HALL, Turnhout, Brepols (coll. «Corpus Christianorum, Continuatio Mediaeualis », 98), 1991, p. 150: «Et quia sensuum fallaciam deprehendit, in eo agitatur ut et fidèle aliquid teneat, cui sine errore fiducialiter possit inniti. Ab hac agitatione nascitur uirtus, quam Graeci fronesin, Latini prudentiam uocant ». Ibid., IV, 12, p. 150-151 : « Prudentia autem est ut ait Cicero, uirtus animae quae in inquisitione et perspicientia sollertiaque ueri uersatur. Materia enim huius uirtutis in qua exercetur ueritas est, relinquarum ucro domesticae quaedam nécessitâtes. Ne ergo undecumque fallatur, ad futura prospectum intendit, et prouidentiam format, uel praeterita ad mentem reuocans thesaurizat memoriae, uel de praesentibus callet, et astutiae uel calliditatis speciem parit, aut se pariter ad uniuersa diffundit, et ei circumspectio nascitur. Cum autem ueritatem fuerit assecuta, in. speciem scientiae transit. Ex his patet quod cum de sensu imaginatio, et ex his duobus opinio, et ex opinione prudentia nascatur, quae in scientiam conualescit, [quod] scientia de sensu trahit originem ».

72 JEAN DE SALISBURY, Metalogicon, IV, 13, éd. HALL, p. 151 : « Inde est quod maiores prudentiam uel scientiam ad temporalium et sensibilium notitiam rettulerunt, ad spiritualium uero intellectum, uel

. sapientiam. Nam de humanis scientia, de diuinis sapientia dici solet ». 73 Cf. ci-dessous, p. 174. 74 Sur la théorie de la prophétie au début du XIIIe siècle, cf. J.P. TORRELL, Théorie de la prophétie et

philosophie de la connaissance aux environs de 1230, Louvain, Spicilegium sacrum lovaniense (coll. « Études et documents », 40), 1977, sur Philippe le Chancelier, cf. p. 73-87.

75 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, De bono nature, MI, q. 2, 1, p. 159-160. 76 Et non au livre VI tel que l'indique l'éditeur (PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WlCKi, De

bono nature, MI, q. 2, 1, p. 160, apparat de sources), il faut dire que même si certains fragments du livre VI semblent avoir été disponibles avant la traduction de Robert Grosseteste en 1246-48, le mot translittéré n'apparaît pas dans ces fragments, il est plutôt traduit par prudentia. Cf. ARISTOTE, Ethica Nicomachea, translationis antiquioris ('Hofferiana', 'Borghesiana'), éd. GAUTHIER, fasciculus secundus, p. 105-106.

160

Jean de la Rochelle semble suivre la position combattue par Guillaume d'Auxerre. D'abord, il divise les vertus en coutumières et intellectuelles, selon les critères utilisés par

le Pseudo-Peckham :

En effet, toute vertu ou bien ordonne vers Dieu, ou bien vers l'homme : la vertu intellectuelle ordonne vers Dieu, la coutumière vers l'homme. Or, vers Dieu <la vertu> ordonne triplement, quant à Pintellection et quant à l'affection et quant aux deux, et selon cela il y a trois vertus intellectuelles: en effet, l'intelligence ordonne l'homme vers Dieu quant à Pintellection, la sophia ou sagesse <ordonne l'homme vers Dieu> quant à l'affection, mais \afronesis ou prudence de l'esprit <l'ordonne> quant aux deux ; en effet, la prudence de l'esprit non seulement régit et ordonne les pensées mais <aussi> les affections (JEAN DR LA ROCHELLE, Tractatus de divisione multiplia potentiarum animae, III, 7) .

Le traité de Jean (daté, par P. Michaud-Quantin, des années 1233-1239) 7 8

constitue peut-être une des sources du Pseudo-Peckham à propos de la division des vertus

aristotéliciennes et aussi le concept defronesis. Curieusement, Jean, qui utilise dans le

paragraphe ci-dessus la position qui est combattue par Guillaume et la développe

davantage dans le chapitre des vertus intellectuelles, va ensuite ajuster sa position avec

une question dans laquelle il reproduit justement la réfutation que Guillaume offre de

cette position. Voyons le texte par parties. D'abord, Jean développe davantage ce qu'il

vient de dire :

Notre traduction. JEAN DE LA ROCHELLE, Tractatus de divisione multiplicipotentiarum animae, III, 7, éd. P. MICHAUD-QUANTIN, Paris, Vrin (coll. «Textes philosophiques du Moyen Âge», 11), 1964, p. 158-159 : « Omnis enim virtus aut ordinat ad Deum aut ad hominem : virtus intellectualis ordinat ad Deum, consuetudinalis ad hominem. Ad Deum autem ordinat tripliciter, quantum ad intellectum et quantum ad affectum et quantum ad utrumque, et secundum hoc sunt très virtutes intellectuales : intelligentia enim ordinat hominem ad Deum quantum ad intellectum, sophia siue sapientia quantum ad affectum, fronesis vero siue prudentia spiritus quantum ad utrumque ; prudentia enim spiritus non solum régit et ordinat cogitationes sed affectiones ».

MICHAUD-QUANTIN, « Introduction », p. 23. Notamment, l'éditeur propose comme terminus ad quem la version intégrale de la traduction latine de VEthique à Nicomaque, dont la date de composition était alors estimée vers 1240 ; mais dès l'édition de YÉthique par R.A. Gauthier, cette date a été située vers 1246-1248. Or, vu que Jean de la Rochelle utilise dans son traité les gloses de VEthica Noua, appelées généralement par les maîtres VAlia translatio (cf. ci-dessous, p. 161 et n. 82), et que les sources de cette autre traduction ont été datées entre 1240 et 1244, alors il faudrait peut-être reconsidérer la date de composition de cet ouvrage de Jean de la Rochelle comme contemporaine des commentaires de Kilwardby et du Pseudo-Peckham, c'est-à-dire vers 1245.

Voici le détail de la différenciation des vertus coutumières. JEAN DE LA ROCHELLE, Tractatus de divisione multiplici potentiarum animae, III, éd. MICHAUD-QUANTIN, p. 159 : « Item ad hominem ordinatur dupliciter, ad se scilicet et ad proximum ; et secundum hoc est duplex virtus consuetudinalis, honestas et liberalitas : honestas enim ordinat hominem ad seipsum, liberalitas autem ordinat hominem ad alterum siue ad proximum ».

Cf. ci dessous, n. 123, 125 et 127.

161

Par conséquent, Aristote divise les vertus intellectuelles en sophia, intelligence et fronesis, c'est-à-dire en sagesse, intellect, et prudence de l'esprit. En effet, la sophia est la même <chose> que la sagesse, l'intelligence est la même <chose> que l'intellection, la fronesis est la même <chose> que la prudence de l'esprit, d'où que l'autre traduction81 mette prudence (JEAN DE LA ROCHELLE, Tractatus de divisione multiplicipotentiarum animae, III, 8) .

Immédiatement après, Jean introduit une question de sorte qu'il fait écho

finalement à l'opinion propre aux théologiens, ici il prend plus précisément la position de

Guillaume d'Auxerre :

Mais on demande, puisque les théologiens disent qu'il y a seulement deux dons par lesquels la vie contemplative est régie, la sagesse et l'intellection, <et> puisque la vertu intellectuelle est la même que la <vertu> contemplative, pourquoi Aristote dit qu'il y a trois vertus intellectuelles. À cela il faut dire qu'en parlant <purement> et simplement, il n'y a que deux vertus intellectuelles et deux dons contemplatifs, dont l'un regarde l'intellection, et l'autre l'affection, à savoir l'intelligence et la sagesse. Or, Aristote appelle la fronesis vertu intellectuelle, tantôt parce qu'elle dirige les mouvements intérieurs, tantôt parce qu'elle est très nécessaire aux contemplatifs pour chasser les pensées troublantes et immondes, qui empêchent beaucoup la pureté de la contemplation et de la méditation, de la prière et de l'affection des saints (JEAN DE LA ROCHELLE, Tractatus de divisione multiplici potentiarum animae, III)83.

Jean reproduit encore une fois le texte de Guillaume84 avec une précision inouïe.

Cette fois c'est la solution de Guillaume à l'objection qui - outre la sagesse et

l'intellection (ou intellect)- présente la fronesis comme don contemplatif. En tant que

théologiens, autant Guillaume que Jean exercent bien leur métier en réfutant l'alternative

aristotélicienne. Cependant, on introduira de moins en moins les vertus intellectuelles

1 Cf. ARISTOTE, Ethica Nicomachea, « Alia translatio », éd. GAUTHIER, p. 129, I. 3 et p. 133, I. 41. Sur « l'autre traduction », dont témoigne aussi le Pseudo-Peckham, cf. ci-dessus, l'introduction de cette étude.

2 Notre traduction. JEAN DE LA ROCHELLE, Tractatus de divisione multiplici potentiarum animae, III, éd. MlCHAUD-QUANTlN, p. 159: « Intellectuales igitur virtutes diuidit Aristoteles in sophiam, intelligentiam et fronesim, id est in sapientiam, intellectum et prudentiam spiritus. Sophia enim idem est quod sapientia, intelligentia idem est quod intellectus, fronesis idem est quod prudentia spiritus, unde alia translatio ponit prudentiam ».

3 Notre traduction. JEAN DE LA ROCHELLE, Tractatus de divisione multiplici potentiarum animae, III, éd. MlCHAUD-QUANTlN, p. 159-160 : « Sed queritur, cum theologici dicant tantum esse duo dona quibus regitur vita contemplatiua, sapientiam et intellectum, quare Aristoteles dicat esse très virtutes intellectuales, cum idem sit intellectualis virtus et contemplatiua. Ad quod dicendum quod simpliciter loquendo, non sunt nisi due virtutes intellectuales et duo dona contemplatiua, quorum unum respicit intellectum, aliud vero affectum, scilicet intelligentia et sapientia. Aristoteles vero vocat fronesim virtutem intellectualem, tum quia dirigit motus interiores, tum quia multum est necessaria contemplatiuis ad abigendas inquiétas cogitationes et immundas, que multum impediunt puritatem contemplationis et sanctarum meditationis, orationis et affectionis ».

4 Cf. ci dessous, n. 123, 125 et 127.

162

comme objections dans les traités théologiques. Philippe le Chancelier garde le silence

sur les vertus intellectuelles ; ainsi qu'on a vu85, il présente la dualité de l'âme comme

justificative de la division des vertus en cardinales et théologales, sans s'attarder sur les

vertus intellectuelles, comme le feront plus tard les maîtres es arts. Nous avons interprété

cela comme une certaine concurrence entre les vertus théologales et les vertus

intellectuelles en ce qui concerne les rapports de l'âme au supérieur.

Albert le Grand, dans son De bono (vers 1245 et donc antérieurement à la

traduction complète de Robert Grosseteste), qui consacre tout un traité à la prudence

(prudentia), s'intéresse à la division aristotélicienne des vertus et analyse alors la fronesis

(qu'il trouve dans VEthica noua), en la distinguant nettement de la prudence :

Il faut dire qu'Aristote touche aux habitus généraux de la vertu intellectuelle, comme aussi la raison générale est la puissance concernant toutes les <affaires> morales, ou bien <ces affaires> sont ordonnées vers la <puissance> concupiscible ou bien vers l'irascible. D'où, à mon avis, la sagesse selon la considération <de la science> civile ne désigne que des habitus moraux avec une connaissance de sa cause, qui principalement est une cause dans les <affaires> morales, et celle-ci est <la cause> finale. Et je dis cela pour cette raison, parce que la sagesse veut toujours dire science, laquelle est par la Cause Première, et celle-ci dans les <affaires> morales est la cause finale, qui s'appelle félicité et honnêteté, ce qui est par soi la fin de l'appétit. Or, laphronesis, selon la stricte acception par laquelle l'interprète Aristote, s'appelle habitus des <affaires> morales avec la science du droit naturel et positif et <avec> la détermination du correct et de l'incorrect, et c'est pourquoi il dit connaissance plus grande des <affaires> morales, laquelle est exigée pour la prudence, pour laquelle il suffit de connaître le 'fait', tandis que la phronesis et la sagesse déterminent le 'pourquoi', la sagesse certes à partir de la fin, mais la phronesis à partir du dû et de l'obligation du droit. Or, l'intelligence dit le même que la prudence, laquelle ne dit que la simple connaissance des <choses> éligibles pour une œuvre en particulier (ALBERT LE GRAND, De bono, tr. IV, q. 2, art. 6)87.

Cf. ci-dessus, chapitre 2. Cf. ci-dessus, chapitre 2, point 4.2.1. Notre traduction. ALBERT LE GRAND, De bono, tr. IV, q. 2, art. 6, éd. KÛBEL, p. 257 : « Dicendum, quod

Aristoteles tangit générales habitus virtutis intellectualis, sicut etiam ratio generalis est potentia respiciens omnia moralia, sive sint ordinata ad concupiscibilem sive ad irascibilem. Unde meo iudicio sapientia secundum considerationem civilem non nominat nisi habitum moralium cum cognitione causae illius quae praecipue causa in moralibus est, et haec est finalis. Et hoc dico idcirco, quia sapientia semper vult dicere scientiam, quae est per causam primam, et haec in moralibus est finalis causa, quae félicitas appellatur et honestum, quod per se est finis appetitus. Phronesis autem secundum acceptionem strictam, qua accipitur ab Aristoteles, vocatur habitus moralium cum scientia iuris naturalis et positivi et determinatione recti vel non recti, et ideo dicit maiorem cognitionem moralium, quam exigatur ad prudentiam, cui sufficit cognoscere 'quia', cum phronesis et sapientia déterminent 'propter quid', sapientia quidem ex fine, phronesis autem ex debito et obligatione iuris. Intelligentia autem dicit idem quod prudentia, quae non dicit nisi simplicem cognitionem eligibilium ad opus in particulari ».

163

L'article où Albert discute la division aristotélicienne des vertus intellectuelles se

trouve daris la question qui parle des parties de la prudence. Albert présente trois

divisions, celle de Cicéron dans 'la rhétorique', celle de Macrobe dans le Commentaire

sur le songe de Scipion, et finalement celle d'Aristote.

La phronesis pour Albert, comme pour nos maîtres, se distingue de la prudence ;

la phronesis (comme la sagesse) détermine le 'pourquoi' (propter quid) qui est nécessaire

à la prudence « pour laquelle il suffit de connaître le 'fait' » (quia). Selon Mary Ingham,

dans sa discussion sur la prudence, Albert munit la prudentia des caractéristiques

stoïciennes de cette vertu : elle fait partie du genre des biens intrinsèques ; elle se trouve à

la fois dans la raison et dans la volonté ; et un acte propre de la prudence est un mélange on

d'entendement, de discernement, de choix et d'évasion du monde .

4.3.2. L,afronesis chez les artiens Considérant tous ces antécédents, nous pouvons admettre que l'usage du mot

phronesis est d'abord polysémique dans sa langue d'origine, le grec ; ce fait entraîne,

comme on pouvait le prévoir, une polysémie en ce qui concerne sa traduction latine. Mais

qu'en est-il des traductions où l'interprète se trouve face à une simple translittération ?

Comment fait-on pour interpréter un vocable vide de signification, dont on ne peut pas

deviner le sens puisqu'il se trouve mentionné seulement une fois ? Les ressources sur

lesquelles les maîtres es arts pouvaient compter étaient peut-être trop désordonnées,

variées, incohérentes et elles-mêmes polysémiques pour que ces exégètes sachent de

quelle manière interpréter un pareil mot (comme ce fut le cas même pour un érudit de

INGHAM, « Phronesis and Prudentia », p. 649. Cependant, Ingham considère aussi qu'Albert a un certain avantage par rapport à Arnoul par exemple. En effet, Arnoul et Albert considèrent la fronesis comme différente de la prudentia, mais les deux incluent un aspect dans la fronesis qui ressemble à la prudentia stoïcienne : le concept du logos éternel et la relation avec la volonté divine. Toutefois, Albert a séparé davantage le projet aristotélicien du projet théologique (INGHAM, « Phronesis and Prudentia », p. 650-651). Bref, selon Ingham, Albert, en contraste avec les maîtres es arts de Paris, distingue entre philosophie et théologie dans le domaine moral, même s'il ne comprend pas complètement le concept aristotélicien de phronesis et l'enrichit donc de certains éléments stoïciens. Or, en ce qui concerne les maîtres es arts de Paris et Arnoul de Provence en particulier, Mme Ingham ignore malheureusement les travaux de Claude Lafleur qui ont prouvé largement le penchant philosophique de leurs œuvres et particulièrement l'enthousiasme métaphysique qui entraîne la théorie arnulflenne de la fronesis. Cf. LAFLEUR et CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique », p. 263-276 ; LAFLEUR et CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (Première partie)», p. 165-172 et p. 174-181.

164

l'envergure d'Albert), d'autant plus que justement le sens aristotélicien du terme en est

un qui se démarque des traditions néoplatoniciennes connues en Occident. Comment ces

maîtres pouvaient-ils alors deviner précisément cette signification qui constitue en fait

une nouveauté ? Il faut donc tenir compte du contexte de l'interprétation des maîtres es

arts de Paris avant de se surprendre de leur créativité conceptuelle. Puisque les artiens

n'avaient pas accès au concept aristotélicien de phronesis, nous ne pouvons pas nous

étonner de l'extravagance de leur interprétation. Nous ferions mieux d'apprécier la

qualité de leur imagination et de leur créativité pour parvenir à un nouveau concept qui,

sous diverses dénominations d'ailleurs, a bercé la mentalité artienne tout au long du XIIIe

siècle et lui a donné un idéal éthique et philosophique à suivre.

4.3.2.1. Le Pseudo-Pekcham

Parmi les façonneurs de l'idéal éthique pendant la première moitié du xme siècle

se trouvent le Pseudo-Peckham et Arnoul de Provence. Le Pseudo-Peckham néglige -

peut-être sciemment - l'autre traduction {alla translatio), citée par Jean de la Rochelle89.

Considérons alors l'interprétation de lafronesis que fournit le Pseudo-Peckham :

La fronesis, quant à elle, est la connaissance du souverain bien avec sa dilection, dans la mesure où il peut y avoir connaissance du souverain bien, et par les créatures intelligibles dans lesquelles reluit maximalement son image, selon qu'il est possible qu'il reluise dans ses créatures. Et ainsi ces trois habitus se distinguent les uns des autres selon un mode plus noble <et, entre> les vertus existantes, <les vertus intellectuelles sont plus nobles> que les vertus morales par lesquelles l'âme ordonne bien le corps et ordonne bien à l'égard du prochain, afin qu'une partie de l'univers ne soit pas dissonante par rapport à une autre partie de l'univers selon l'affection, comme elle n'est pas dissonante selon la nature (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 21, q. 6) .

Lafronesis constitue la connaissance avec dilection du souverain bien (qui est

Dieu ou le Premier) ; or une connaissance si noble, si sublime, suscite une dose de

89 Cf. ci-dessus, p. 161 et n. 82. 90 Notre traduction. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio21, q. 6,

§ 38. « Fronesis uero est cognitio sumnii boni cum dilectione eius, prout potest <esse> cognitio summi boni et per intelligibiles creaturas in quibus maxime relucet eius ymago secundum quod possibile est in creaturis Suis relucere. Et sic hii très habitus ad inuicem distinguntur secundum nobiliorem modum <et, inter> existentes uirtutes, <uirtutes intellectuales sunt nobiliores> quam uirtutes morales quibus anima bene ordinat corpus et bene ordinat erga proximum, ut non dissonet pars uniuersi a parte uniuersi secundum affectum, sicut non dissonat secundum naturam ».

165

dilection ou d'affection ou d'amour même. Précisément, c'est la définition d'Aubry de

Reims pour distinguer la sagesse de la philosophie : « en effet, la science nomme

l'habitus absolument, la sagesse, quant à elle, ajoute une saveur, selon ce que veut un

certain philosophe : la sagesse est une science assaisonnée avec saveur ; tandis que la

philosophie ajoute de l'amour»91, une intéressante façon d'interpréter l'étymologie de

philosophia. Concernant la fronesis comme connaissance et dilection du souverain bien,

elle peut bien être attribuée à la philosophie en tant que vertu par antonomase du

philosophe, celui qui connaît et aime ce qu'il y a de plus sublime. C'est du moins ce que

pensera plus tard Boèce de Dacie92 quand il attribuera aux philosophes la connaissance

amoureuse du souverain bien. Cependant, le Pseudo-Peckham établit une différence

subtile avec les théologiens augustiniens, car il écrit « connaissance et dilection », mais

pourquoi ne pas utiliser « amour », comme le font Kilwardby et Arnoul de Provence -

bien que la position d'Arnoul s'avère, malgré cela, très proche de celle du Pseudo-

Peckham ? En effet, le Pseudo-Peckham veut distinguer sa position de celle qui provient

d'Augustin ; dans sa discussion sur la béatitude et le souverain bien, le Pseudo-Peckham

s'est éloigné de cette terminologie93.

Le Pseudo-Peckham continue sa description de la fronesis en disant que cette

connaissance du souverain bien arrive « dans la mesure du possible », c'est-à-dire, dans

une façon humaine, de connaître. Même s'il semble ici garder ses distances par rapport à

ce qu'il vient de dire (il semble nuancer la première phrase selon laquelle la fronesis est

la connaissance du souverain bien), toutefois, ce segment « dans la mesure du possible »,

peut-être considéré de deux façons : la première, que nous venons de mentionner, établit

une limite négative à notre possibilité de connaître et d'aimer le souverain bien ; la

91 Notre traduction. AUBRY DE REIMS, Philosophia, éd. GAUTHIER, p. 42 : « sciencia enim nominat habitum absolute ; sapiencia uero saporem superaddit, secundum quod uult quidam phîlosophus : Sapiencia est cum sapore condita sciencia ; philosophia uero supperaddit amorem ».

92 « Et puisque d'une part l'on éprouve de la jouissance en ce que l'on aime, et que l'on éprouve de la jouissance suprême en ce que l'on aime au suprême degré, et d'autre part que l'amour du philosophe pour le premier principe est un suprême amour, ainsi qu'on l'a dit, il suit que le philosophe éprouve une jouissance suprême dans le premier principe et dans la contemplation de sa bonté. Là seulement se trouve la jouissance droite ». BOÈCE DE DACIE, DU souverain bien, dans THOMAS D'AQUIN et BOÈCE DE DACIE, Sur le bonheur, trad. IMBACH et FOUCHE, p. 165, § 30. Pour le texte latin : « Et quia quilibet delectatur in illo quod amat et maxime delectatur in illo quod maxime amat, et philosophus maximum amorem habet primi principii, sicut declaratum est, sequitur quod philosophus in primo principio maxime delectatur et in contemplatione bonitatis suae. Et haec sola est recta delectatio ». BoÈCE DE DACIE, De summo bono, éd. GREEN-PEDERSEN, p. 377,1. 235-238.

93 Cf. ci-dessus, n. 30.

166

seconde, celle qu'utilise Platon pour qualifier l'assimilation au divin (homoiosis theô) ,

implique toute la capacité avec laquelle l'homme peut s'adonner à la philosophie et à la

connaissance lesquelles constituent la façon de s'assimiler au souverain bien. Nous

optons pour cette seconde interprétation, parce que la fronesis étant le plus haut degré de

la hiérarchie des vertus, il est logique qu'elle soit l'expression des plus hautes qualités

humaines.

En outre, cette connaissance et dilection du souverain bien se produit « par les

créatures intelligibles dans lesquelles reluit maximalement son Image ». Il est très

difficile de déterminer précisément à quoi le Pseudo-Peckham se réfère par « créatures

intelligibles » : s'agit-il des Intelligences célestes, ou bien des intellects humains ?95 Or,

selon l'usage de l'époque, il s'agirait plutôt des Intelligences célestes qui dirigent les

sphères célestes96 et qui ont été considérées, dans l'interprétation latine, aussi comme des

anges97. Par ailleurs, selon une interprétation alternative de la médiation des 'créatures

intelligibles', puisque la connaissance appartient à l'homme, elle peut être médiatisée par

un autre intellect humain, comme dans le cas où l'étudiant connaît 'par' l'enseignant. On

peut interpréter ainsi le segment per creaturas intelligibiles selon l'emploi de

l'expression dans la philosophie artienne de la deuxième moitié du XIIIe siècle. Siger de

Brabant, dans ses Questions sur la Métaphysique d'Aristote, affirme que la métaphysique

(ou théologie philosophique) considère les choses connaissables par la raison humaine et

per creaturas tantum, ce que Fabienne Pironet a traduit « par <le biais> des créatures

seulement »98. Si nous nous laissons guider par cette interprétation, alors « per creaturas

intelligibiles » implique plutôt les hommes bien qu'inclus dans le genre des créatures

intelligibles où sont inscrites aussi les Intelligences célestes.

Or, la connaissance au moyen de l'intelligence était un sujet bien connu dans

l'Occident latin à partir des textes de Dominicus Gundissalinus.

« 'Ouoicoaiç 0eco Kocrà xô ÔUVCCTOV », cf. PLATON, Théétète, 176b, ci-dessus, p. 153 et n. 47. Une référence ici à des intelligibles créés tels que les formes immanentes des choses mondaines n'est pas

possible, à cause du fait que l'auteur a déjà défini les vertus intellectuelles comme celles qui regardent vers ce qui est supérieur ; donc, dans ce cas, tout ce qui est supérieur à l'âme revêt un caractère immatériel.

C'est aussi l'opinion de WlELAND, Ethica-Scientia Practica, p. 259-260. ANONYME, Guide de l'étudiant, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 102 : « intelligentie uel angeli - quod idem

est ». F. PIRONET, « Théologie révélée versus théologie philosophique », Philosophiques, 31 :2 (2004), p. 320.

167

En effet, maintenant l'âme rationnelle n'arrive pas à se voir pleinement comme il faut, parce qu'elle subit les ténèbres de l'habitation terrestre, et pourtant, autant elle s'observe par la luminescence de l'intelligence, autant elle vainc ces ténèbres. En effet, quand elle s'élève vers la contemplation de Dieu par l'intelligence, alors elle accède à la luminescence, à partir de laquelle partie elle est plus illuminée (DOMINICUS GUNDISSALINUS, De anima, 10)".

Gundissalinus utilise la même formule de l'élévation de l'âme vers Dieu au

moyen de l'intelligence. Or, le philosophe tolédan interprète l'intelligence plutôt comme

une faculté de l'âme que comme une Intelligence céleste. Gundissalinus achève la

psychologie avicennienne en ce qu'É. Gilson a qualifié de « mystique à saveur

augustinienne »100, mais, comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, certains

éléments théoriques peuvent être mis à profit de diverses manières par chaque auteur sans

entraîner pour autant une dépendance doctrinale, mais en engendrant plutôt une nouvelle

conception. Or, si nous voulons mettre une étiquette, on peut parler tout simplement de

'conception gundissalinienne'.

Par ailleurs, selon Gundissalinus, l'intellect humain, en tant qu'il reste enfermé

dans les intelligibles dépouillés des phantasmes (ou images), s'identifie avec la face

inférieure de l'âme, mais l'intelligence s'identifie à la face supérieure de l'âme qui se

Notre traduction. DOMINICUS GUNDISSALINUS, De anima, 10, éd. MUCKLE, p. 101 : « Nunc enim rationalis anima plene se sicut est videre non valet quia de terrena inhabitatione tenebras sustinet, et tamen in tantum se conspicit in quantum has tenebras per lumen intelligentiae vincit. Cum enim ad contemplandum Deum per intelligentiam ascendit, quoniam tune ad lumen accedit, ex qua parte magis illuminatur ».

É. GILSON, «Les sources gréco-arabes de l'augustinisme avicennisant », AHDLMA, 4 (1929-1930), p. 88-92. Gundissalinus assimile cette intelligence à celle que pose Boèce : « Selon Boèce <l'intelligence> est de peu d'hommes et du seul Dieu », (notre traduction) : « Boethium paucorum admodum hominum est et solius Dei » (DOMINICUS GUNDISSALINUS, De anima, éd. MUCKLE, p. 99). Nous avons en effet trouvé dans La consolation de Philosophie, l'endroit où Boèce considère que « l'intelligence appartient seulement au divin » (BOÈCE, La consolation de Philosophie, V, pr. 5, § 4, trad. GuiLLAUMIN, p. 138 ; éd. MORESCHINI, p. 153), mais nous ne trouvons pas où cette faculté privilégiée est attribuée aux humains. Cette théorie semble venir de PLATON, Timée, 51e, trad. CHALCIDIUS, éd. J.H. WASZINK, Londres, Warburg Institute ; Leiden, Brill (coll. « Corpus platonicum Medii Aevi. Plato latinus », 4), 1962, p. 179 : « intellectus vero Dei proprius, et paucorum admodum lectorum hominum ». Mais l'histoire est plus intéressante encore. Non seulement Gundissalinus affirme que cette thèse appartient à Boèce, mais aussi on la retrouve dans le De spiritu et anima, ouvrage du XIIe siècle attribué à Augustin et très utilisée au XIIIe siècle ! : « Boethius tamen dicit intelligentiam solius Dei esse et admodum paucorum hominum », PSEUDO-AUGUSTIN, De spiritu et anima, 37, PL, 40, 808.

168

tourne vers la contemplation de Dieu et est illuminée par lui1 , reflétant son image et sa

lumière comme un miroir :

En effet, puisque l'œil de l'âme qui est l'intelligence tend vers la contemplation du Créateur, parce que Dieu est lumière (lux), cette intelligence même est inondée de la si puissante clarté de la divine luminescence (lumen) pour que dans la même intelligence la lumière (lux) inaccessible ainsi irradiée semble rejaillir comme une forme dans un miroir. En effet, l'intelligence même de la créature rationnelle est comme un miroir de la luminescence éternelle, de laquelle l'Apôtre <dit> : Nous voyons maintenant par un miroir, laquelle <intelligence> d'autant plus elle sera nettoyée de toute autre connaissance, d'autant plus vraiment l'image de la lumière divine rejaillira en elle. À partir de cette intelligence ainsi irradiée et à partir de la lumière irradiante, naît cette illumination de l'esprit, connaissance de la divinité et perfection de la vérité qu'est la sagesse véritable (DOMINICUS GUNDISSALINUS, De anima, 10)102.

Le philosophe espagnol affirme ainsi que « l'intelligence même de la créature

rationnelle est comme un miroir de la luminescence éternelle », ce qui se rapproche

beaucoup du propos du Pseudo-Peckham - il parle aussi de créature rationnelle ailleurs

dans son commentaire - par lequel la connaissance du souverain bien se réalise « par

les créatures intelligibles dans lesquelles reluit maximalement son Image»104. À cela il

faut ajouter que l'intelligence, selon Gundissalinus, « d'autant plus elle sera nettoyée de

toute autre connaissance, d'autant plus vraiment l'image de la lumière divine rejaillira en

elle ». À partir de ces correspondances textuelles, on peut lier le terme créatures

intelligibles plutôt aux humains qu'aux Intelligences célestes, et cela à cause du

vocabulaire du reflet de la lumière dans un miroir. Même si de par son laconisme textuel

le Pseudo-Peckham ne mentionne pas de 'miroir', pourtant il présente les termes

'l ' image' qui 'reluit', ce qui généralement se fait dans un miroir, constitué ici par les

101 « Ainsi l'esprit humain, quand il se tourne pour contempler Dieu par la face supérieure, à savoir la vertu de l'intelligence, il est illuminé par cette partie ». Notre traduction. DOMINICUS GUNDISSALINUS, De anima, 10, éd. MUCKLE, p. 102 : « Sic mens humana, cum per superiorem faciem, virtutem scilicet intelligentiae, ad contemplandum Deum convertitur, ex ea parte illuminatur ».

102 Notre traduction. DOMINICUS GUNDISSALINUS, De anima, 10, éd. MUCKLE, p. 99 : « Cum enim oculus animae qui est intelligentia in contemplationem creatoris intendit, quoniam Deus lux est, ipsa intelligentia tanta claritate divini luminis perfunditur ut in ipsa intelligentia sic irradiata lux inaccessibilis tamquam forma in speculo resultare videatur. Ipsa enim intelligentia creaturae rationalis quasi spéculum est aeterni luminis de qua Apostolus : Videmus mine per spéculum quae quanto amplius ab omni alia cognitione detersa fuerit, tanto verius in ea divinae lucis imago resultabit. Ex qua intelligentia sic irradiata et ex luce irradiante, illa mentis illuminatio, divinitatis cognitio, veritatisque perfectio nascitur, quae est vera sapientia ».

103 Cf. ci-dessus, p. 148 et n. 30. 104 Cf. ci-dessus, p. 164.

169

créatures intelligibles. Aussi, comme nous voyons chez Gundissalinus, ce reflet est

encadré par la doctrine des deux faces de l'âme, un élément central dans la théorie du

Pseudo-Peckham.

Maintenant, l'achèvement 'mystique'105 de Gundissalinus peut aussi être tributaire

du péripatétisme gréco-arabe. En effet, la métaphore du miroir est très chère à la tradition

arabe, autant chez des intellectualistes comme Avicenne, que chez des mystiques tels Al-

Ghazâlï et Ibn cArabï106. En effet, cette tradition reprend le miroir comme la

représentation d'une âme qui, selon le degré de soin que l'on prend pour son polissage,

reflétera en conséquence. Le but est que l'âme reflète le plus clairement possible l'image

de Dieu, dans laquelle se trouve l'image de toute la création107. Gundissalinus, comme

nous l'avons vu, se sert à son tour du « polissage du miroir » pour compléter son idée.

Cette métaphore est passée dans la tradition latine une fois de plus avec une

certaine polysémie. Proche du Pseudo-Peckham, Arnoul de Provence considère que la

connaissance de l'Intelligence (cette fois il s'agit des Intelligences célestes) se fait par

Nous adoptons un sens très large de 'mystique' où l'on se trouve face à une expérience de connaissance inexplicable qui est au-dessus ou au-delà du langage philosophique conventionnel. Cf. J.M. NARLJONNE, «Tradition, philosophie et expérience dans la mystique plotinienne », clans P. CAPELLE (éd.), Expérience philosophique et expérience mystique, Paris, Cerf (coll. « Philosophie & théologie »), 2005, p. 93-114. Par ailleurs, certains divisent la mystique en naturelle et en religieuse : la mystique naturelle implique une connaissance directe, purement intellective, hors du commun, qui est achevée par peu d'hommes, dans la contemplation du divin ; la mystique religieuse, ou surnaturelle, dénote une expérience de connaissance directe, hors du commun, qui est arrivée à peu d'hommes, par la volonté de Dieu de se laisser contempler et de se présenter dans l'âme du mystique. Cf. la brève présentation et les critiques sur cette distinction chez Y. DE ANDIA, HENOSIS : L'union à Dieu chez Denys l'Aréopagite, Leiden, New York et Koln, Brill (coll. « Philosophia Antiqua », 71), 1996, p. 19-21 ; cf. aussi Y. DE ANDIA, « Union mystique et théologie mystique. À propos de Denys l'Aréopagite », dans CAPELLE (éd.), Expérience philosophique et expérience mystique, p. 148.

Cf. A.S. JOUANNEAU, « Le polissage du miroir de l'âme chez Avicenne, Al-GhazâlT et Ibn cArabï», Philosophie, 77 (mars 2003), p. 69-84.

« La perfection propre à l'âme raisonnable c'est d'être un monde intellectuel dans lequel se dessine la forme du tout et l'ordre intelligé dans le tout et le bien effluant dans ce but commençant à l'origine du tout, parvenant jusqu'aux substances nobles spirituelles absolues puis aux spirituelles dépendant d'une certaine manière des corps, puis aux corps célestes avec leurs dispositions et leurs puissances, et ainsi jusqu'à ce qu'elle achève en elle-même toute la disposition de tout l'être. Elle se transforme alors en un monde intelligible parallèle au monde existant tout entier, contemplant ce qui est le beau absolu, le bien absolu et la beauté et le vrai absolu, s'unissant à lui, s'imprimant de son modèle et sa disposition, marchant dans sa voie et devenant de sa substance ». AVICENNE, Métaphysique, IX, 7, trad. ANAWATI, p. 159 (passage déjà partiellement cité ci-dessus, chapitre 1, point 3.1) ; éd. arabe MOUSSA, DUNYA et ZAYED, p. 425-426 ; éd. latine VAN RIET, p. 510-511. Pour une traduction du texte latin cf. DE LIBÉRA, Penser au Moyen Âge, p. 290. Sur la métaphore du miroir, voir AVICENNE, Livre des directives et des remarques, trad. GOICHON, p. 495-496 (éd. FORGET, p. 204) : « l'intime de son être devient un miroir poli et se présente face au côté de la vérité ; les jouissances élevées coulent sur lui en abondance, et il se réjouit de la trace de la vérité que porte son âme ».

170

une intuition immédiate et limpide dans le 'miroir d'éternité' . Curieusement, ici le sens

a été renversé, parce que le miroir n'est plus l'âme elle-même, mais plutôt Dieu ou le

Premier. Cette interprétation remonte jusqu'au début du XIIIe siècle109, elle était présente

déjà chez certains théologiens comme Philippe le Chancelier110, pour qui le miroir

d'éternité est la sagesse éternelle, ou Dieu lui-même. Quant au Guide de l'étudiant , il

ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiamm, éd. LAFLEUR, p. 299 : « cognitio intelligentie causatur a Primo, non dependens a rébus, et est immediata per intuitionem limpidam in spéculum eternitatis, in qua non differt cognitiua et médium cognoscendi ».

1 9 II semble que le premier à employer l'expression spéculum eternitatis a été GODEFROID DE POITIERS, Summa (vers 1213-1215), Bologna, Bibl. comm. dell' Archiginnasio, Cod. A 1036, f. 92ra-93va, cf. TORRELL, Théorie de la prophétie et philosophie de la connaissance aux environs de 1230, p. 133-134. En effet, on ne trouve pas l'expression dans la Patrologie Latine, ce qui s'en rapproche le plus étant : « Sion est Ecclesia, in qua spéculum vitae et aeternitatis visio, cujus caput est Christus », chez ALCUIN, Expositio pia ac brevis inpsalmos, PL 100, 626B.

110 PHILIPE LE CHANCELIER, Summa de bono, De bono gratie, I, q. 7, éd. WlCKI, p. 512-514 : « Item queritur quomodo spéculum eternitatis, quod est eterna Sapientia, dicatur spéculum. In speculo enim corporali sunt diverse similitudines, que non sunt ipsum spéculum ; in eterna autem Sapientia non est alterum et alterum propter simplicitatem eius. [...] Ad aliud dicendum est quod spéculum primum, cum simplex sit, non habet in se diversitatem similitudinum, sed est unum exemplar omnium et, licet in ipso dicantur esse rationes et ydee, non est pluralitas ex parte ipsius sed ex parte rerum, et cum ipsa Sapientia sit exemplar, differentia tamen est secundum rationem. [...] Dictum est quod spéculum eternitatis est divina Sapientia sive ipse Deus. Per quod videtur quod videre Deum sit videre spéculum ipsum eternitatis et e converse Ad quod dicendum quod Deus ipse sive eterna Sapientia licet sit spéculum eternitatis, tamen est ibi differentia secundum rationem, et ideo videre ipsum non est videre spéculum eternitatis vel e converse Spéculum enim secundum rationem speculi ducit ad aliud videndum ; qui autem videt ipsum Deum secundum quod ipse est, non secundum quod est spéculum, sistit in ipso visionem ».

« Autour de cet ultime livre on se questionne. Il semble que le Premier ne peut intelliger ni les <choses> passées ni les <choses> futures, parce qu'elles ne sont pas. Et ainsi, s'il intellige les <choses> passées et les futures, ce sont des non-étants qu'il intellige. Mais Son intelliger est savoir. Donc II les connaît. Tout ce qui est su est. Donc ces <choses> sont. Ce qui est faux. — La solution est légère. Nous disons en effet que <le Premier> intellige que ces <choses> sont passées et futures, non pas cependant qu'elles sont. Il intellige en effet les choses de la façon qu'elles sont. Ce que signifie Augustin en disant que le Premier est un miroir d'éternité dans lequel toutes <choses> reluisent. D'où ce qui n'est pas ne reluit pas là, sinon selon qu'il fut ou peut être. Et il en va similairement du miroir essentiel, dans lequel ne sont vues que les choses présentes ». ANONYME, Guide de l'étudiant, éd. et trad. LAFLEUR et CARRIER, § 132: « Circa hune ultimum librum queritur. Videtur quod Primum non potest intelligere preterita neque futura, quia non sunt. Et sic, si preterita intelligit et futura, non entia intelligit. Sed Suum intelligere est scire. Ergo scit ea. Quicquid scitur est. Ergo sunt ea. Quod falsum est. — Solutio leuis est. Dicimus enim quod intelligit ea esse preterita et futura, non tamen esse. Intelligit enim res eo modo quo sunt. Quod innuit Augustinus dicens quod Primum est spéculum eternitatis, in quo omnia relucent. Vnde quod non est, ibi non relucet, nisi secundum quod fuit uel potest esse. Et est simile de speculo essentiali, in quo non uidentur res nisi sint présentes». Cf. ANONYME, Le recueil de questions «D'abord on demande si la philosophie »/« Primo queritur utrum philosophia » vers 1250, trad. C. LAFLEUR et J. CARRIER, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval, (coll. « Cahiers du laboratoire de philosophie ancienne et médiévale », 17), 2004, p. 7, § 121 : « Il faut dire par la position d'Augustin disant que le Premier est un miroir d'éternité dans lequel toutes <choses> reluisent ». Pour le texte latin, cf. C. LAFLEUR et J. CARRIER, « Le recueil de questions Primo queritur utrum philosophia », dans LAFLEUR et CARRIER, L'enseignement de la philosophie, p. 417. Cf. aussi NICOLAS DE PARIS, L '« Introduction à la philosophie "Un est le Créateur" »/« Philosophia "Unus est Creator" » vers

171

attribue cette théorie à Augustin, probablement parce qu'il trouve dans l'écrit pseudo-

augustinien De spiritu et anima une référence à l'âme comme un miroir où Dieu

reluit113.

Pour reprendre la description du Pseudo-Peckham, la fronesis est la vertu qui

achève une connaissance et une dilection du souverain bien, c'est-à-dire de Dieu, à

travers le reflet de l'image de la lumière divine dans notre âme, dans la mesure où cela est

possible. Encore il faut éclaircir la dernière partie de la réponse à la question 6 (Leçon 21)

du commentaire du Pseudo-Peckham. Il finit par affirmer que les vertus intellectuelles

sont plus nobles que les « vertus morales par lesquelles l'âme ordonne bien le corps et

ordonne bien à l'égard du prochain »"4. Le Pseudo-Peckham clôt la réponse avec une

allusion à la théorie des deux faces de l'âme. Ensuite, « afin qu'une partie de l'univers ne

soit pas dissonante par rapport à une autre partie de l'univers selon l'affection, comme

elle n'est pas dissonante selon la nature »"5. L'âme a, d'une part, par nature une relation

à l'inférieur et une autre relation au supérieur ; d'autre part, les vertus perfectionnent

chacune des parties de l'âme et ce faisant elles affectent chacune de ces parties.

Il faut maintenant situer la fronesis dans la hiérarchie des vertus. Le Pseudo-

Peckham, en plus des précisions qu'il donne dans la question 6, où la fronesis occupe le

1240, trad. C. LAFLEUR et J. CARRIER, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval, (coll. « Cahiers du laboratoire de philosophie ancienne et médiévale », 14), 2004, p. 3, § 4 : « Il est donc patent que la connaissance du Premier et la connaissance de l'intelligence séparée dans le miroir d'éternité ne dépendent pas des choses inférieures ». Pour le texte latin, cf. C. LAFLEUR et J. CARRIER, « L'Introduction à la philosophie de maître Nicolas de Paris », dans LAFLEUR et CARRIER, L'enseignement de la philosophie, p. 454.

1,2 PSEUDO-AUGUSTIN, De spiritu et anima, 52, PL 40, 818 : « De mentis autem dilatatione et sublevatione instrui potest ; quia ibi aliquid habet sui. Instruitur autem aliquando humana industria, aliquando divina revelatione seu inspiratione. Nonnunquam vero in speculo cordis sui, id est, in rationali mente se ipsum et Deum inspicit. Ita namque conditum est cor hominis, ut in eo quasi in templo Dominus inhabitaret, et tanquam in quodam speculo suo reluceret ; ut qui in se videri non poterat, in sua imagine visibilis appareret. Magna prorsus dignitas hominis est, portare imaginent Dei, et illius in se jugiter vultum aspicere, atque eum semper per contemplationem praesentem habere ».

113 II semble que l'image sur le miroir est un élément qui se trouve déjà dans le De officiis d'Ambroise, mais il ne s'agit pas de la même métaphore. Cf. INGHAM, « Phronesis and Prudentia », p. 639. AlviBROISE, De officiis, I, 47, 225 {PL 16, 90, 225), éd. M. TESTARD, Turnhout, Brepols (coll. « Corpus Christianorum. Séries Latina», 15 : 5), 2000, p. 83 : «225. Si quis igitur aequabilitatem universae vitae, et singularum actionum modos servet, ordinem quoque, et constantiam dictorum atque operum, moderationemque custodiat, in ejus vita décorum illud excellit, et quasi in quodam speculo elucet ».

114 Cf. ci-dessus, p. 164. 115 Cf. ci-dessus, p. 164.

172

sommet de la hiérarchie116, détermine déjà le rang des vertus intellectuelles dans son 117

exposition littérale. Notre description de la sagesse et de l'intelligence renvoie à cette

exposition, le texte complet établit succinctement les critères qui fondent la hiérarchie des

vertus intellectuelles. Il [i.e. Aristote] subdivise l'intellectuelle en disant que la sagesse, c'est-à-

dire la dilection reliée à la connaissance du souverain bien, et Vintelligence, c'est-à-dire la connaissance reliée à la connaissance du souverain vrai, et la fronesis <sont> les vertus selon le nombre des habitus louables (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur /«Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 21, Exposition littérale)118.

L'auteur avait dit auparavant que la connaissance se rapporte au vrai et que la

dilection se rapporte au bien ' ; ici, d'abord, la sagesse est décrite comme la dilection

relative à la connaissance du souverain bien {dilectio relata ad cognitionem summi boni),

ensuite, l'intelligence est décrite comme une connaissance relative à la connaissance du

souverain vrai (cognitio relata ad cognitionem summi uerï) à laquelle s'ajoute une

dilection. Notons que les connaissances sont dans l'ordre croissant (à savoir, l'ordre

inverse de celui donné pour les notions) des transcendantaux, premièrement le bien, après

le vrai, il nous reste l'un, qui n'est pas une relation d'une des puissances de l'âme avec

son objet, mais plutôt une unification de l'âme elle-même par l'unification des puissances

à l'égard de l'unité à laquelle elle s'assimile120. Or, celui qui est bien, vrai et un en un

degré suprême, c'est seulement Dieu, chez qui ultimement les notions s'identifient.

Enfin, l'ultime échelon consiste dans la fronesis. Dans le perfectionnement et la

complétude de l'âme constituant la fronesis, on trouve les deux ensemble, la

connaissance et la dilection du souverain bien, c'est-à-dire que l'âme agit en unité et ainsi

116 C'est aussi l'opinion de GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la fronesis», p. 152 et de WlELAND, Ethica-Scientia Practica, p. 260.

117 Cf. ci-dessus, p. 141 et suivantes. 118 Notre traduction. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 21,

Expositio littere : « subdiuidit intellectualem dicens quod sapientiam, id est dilectio relata ad cognitionem summi boni, et intelligentiam, id est cognitio relata ad cognitionem summi ueri, et fronesim uirtutes sicut de numéro laudabilium habitunm ».

Cf. ci-dessus, chapitre 1-. 120 Dieu est en soi ce qu'il y a de plus unifié et simple. Vu que les transcendantaux sont les objets de l'âme,

Dieu en tant que souverain vrai et bien est un objet souverain. L. Dewan -dont nous avons déjà mentionné l'étude ci-dessus, dans le chapitre 1 - s'est intéressé à la naissance du mot obiectum précisément parce que Thomas d'Aquin considère Dieu comme Yobjet de la béatitude surnaturelle. Cf. DEWAN, « Obiectum », p. 37. Or, chez notre maître, la définition de la fronesis se rapproche de la béatitude presque jusqu'à l'identité. Cf. note suivante.

173

elle connaît et affectionne en même temps, tout entière. Mais on dit que l'âme connaît le

souverain bien dans la mesure du possible ; or, en s'unifiant, l'âme ressemble plus à sa

cause . Donc la fronesis est l'assimilation au souverain bien, où l'homme trouve la

complétude et la perfection de son âme. Cependant, dans l'exposition littérale, le Pseudo-

Peckham ne dit pas explicitement que la fronesis est un rapport de l'âme au souverain

Un, il se contente plutôt d'un silence significatif, d'une aposiopèse ; car, d'une part, il ne

pourrait pas y avoir un rapport de l'âme au souverain Un si ce n'est qu'en s'unifiant à lui,

et alors ce ne serait plus un rapport, et d'autre part, s'il y avait une union, il n'y aurait

plus une âme qui se rapporte au Premier. C'est pourquoi notre maître voile la description

de la fronesis dans l'exposition littérale pour la dévoiler après dans la question 6 à travers

une métaphore de la luisance de l'image de Dieu dans l'âme que nous avons rapprochée

de la métaphore du miroir présente dans le péripatétisme gréco-arabe.

4.3.2.2. Robert Kilwardby Quant à Kilwardby, reprenons sa première réponse au sujet des vertus

intellectuelles où il donne une description sommaire de chacune.

Or, par intelligence comprends seulement une connaissance, par sagesse une connaissance avec dilection, par fronesis, qui est une certaine prudence, <comprends> le choix des <choses> antérieurement connues et aimées. Et à partir de ces <choses> l'exhaustivité des trois <vertus> intellectuelles qu'il pose est patente (ROBERT KILWARDBY, Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon I8)122.

Chez Arnoul de Provence, l'assimilation à Dieu est évidente du fait que l'âme est informée par le Créateur. Or, le manuscrit de Florence remplace une fois la fronesis par la forma, cf. ci-dessous, notre édition, leçon 21, q. 6, § 37 (apparat de variantes). D'où nous pouvons penser que le Pseudo-Peckham pourrait aussi considérer que la fronesis, étant possible à partir de l'unification et de la simplification de l'âme, consiste dans Vinformation de l'intellect humain par l'intellect divin. Par ailleurs, il faut noter que, chez d'autres auteurs de la même époque, nous trouvons très souvent que la félicité est décrite d'une façon semblable, par exemple : « est autem alia uita qua uiuit anima in se intelligendo et affectando Primum, et in tali est félicitas » : ANONYME, Le Guide de l'étudiant, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 95. Aussi : « felices operantur, scilicet in aspiciendo primum et cognoscendo ; unde cognoscere primum et diligere sunt opéra alicuius cum habet felicitatem » : ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 107. Chez le Pseudo-Peckham nous trouvons aussi une conception semblable : « Beatitudo enim nominat summum bonum inquantum habet esse in nobis per cognitionem et affectum » : PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 1, F, f. 4ra ; O, f. 4rb.

Notre traduction. ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, Lectio 18, C, f. 295ra ; P, f. 11 va: «Per intelligentiam autem intellige cognitionem tantum, per sapientiam cognitionem

174

Or, nous voyons comment la définition de la fronesis sort de la configuration

psychologique des deux faces de l'âme. Mais, en même temps, cette définition les inclut

et les dépasse, car la fronesis établit une sorte d'unité entre les deux faces, dans une

action qui se déroule dans l'âme individuelle et qui contribue à sa simplification et donc à

son assimilation à Dieu, qui est le plus simple. Ici, il faut noter que notre auteur connaît la

traduction de fronesis par prudence (probablement de Guillaume d'Auxerre123), et

pourtant il dit « une certaine » prudence, parce qu'étant plutôt une science, et donc

intellectuelle, elle tombe difficilement sous la signification pratique de prudentia124'. En

effet, chez Guillaume d'Auxerre lui-même, la prudence est assimilée au don de la

science, et elle est ensuite divisée en prudence politique et prudence spirituelle (« par le

pouvoir de laquelle l'homme se conforme à Dieu par des opérations intérieures »)125, or

cette dernière correspondrait à la fronesis126, et donc même en ayant la traduction du mot,

cum dilectione, per fronesim, que prudentia quedam est, electionem prius cognitorum et amatorum. Et ex hiis patet suffïcientia trium intellectualium quas ponit ».

GUILLAUME D'AUXERRE, Summa Aurea, III, tr. 34, 3, éd. J. RIBAILLER, Paris, Éditions du CNRS ; Rome, Claras Aquas (coll. « Spicilegium Bonaventurianum », 18 B), 1986, p. 654 : «Item, Aristoteles dividit virtutes intellectuales in sophiam, intelligenciam, fronesin ; intelligencia autem idem est quod intellectus ; sophia idem est quod sapientia ; ergo prêter sapientiam et intellectum ponit Aristoteles terciam virtutem intellectualem, scilicet fronesin, que débet esse prudentia spiritus ; et ita tria sunt dona contemplativa ». Notons que Guillaume laisse la traduction dans le domaine du probable : « la fronesis doit être la prudence d'esprit ». Gauthier (Ethica Nicomachea, « Praefatio », p. CVIII-CIX) se réfère à ce passage, mais il donne sa propre division du texte puisque l'édition critique n'était pas encore disponible.

Curieusement, dans la partie consacrée à Y Éthique dans le De ortu scientiarum, Kilwardby ne fait référence ni à la prudence ni même aux vertus intellectuelles, probablement à cause des raisons qu'il avait exposées dans le commentaire (ou bien on pourrait considérer cela comme un indice contre l'attribution du commentaire à Robert Kilwardby) : « Et quamvis philosophi non pervenerint ad ultimum finem boni spiritualis ut invenirent Dei fruitionem esse summum bonum humanum, sed steterint in virtute quae est ad illum finem, non tamen omni modo erraverunt ponentes virtutem perfectam et actum perfectum secundum virtutem, dico consuetudinalem, esse humana perfectionem. Virtus enim consuetudinalis et actus eius magna pars est perfectionis humanae in hac vita, quae tamen ulterius ducit, et est dispositio ad aliam virtutem et perfectionem vitam, et ad illam omnino ordinanda. Philosophorum igitur doctrina de virtute quoad hoc falsa non erat sed diminuta ». ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, §353, éd. A.G. JUDY, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies (coll. « Auctores britannici medii aevi », 4), 1976, p. 125.

GUILLAUME D'AUXERRE, Summa Aurea, III, tr. 34, 3, éd. RIBAILLER, p. 655 : « Ad omnia vero sequencia argumenta eadem est solutio, quia donum scientie, quod idem est quod prudentia, sufficit ad custodiendum cor et abigendum immundas cogitationes a sacrificio nostro, quoniam eadem virtus est, cuius imperio homo conformât se Deo in operibus exterioribus, que secundum hoc dicitur prudentia politica, et cuius imperio conformât se homo Deo operibus interioribus, secundum quod eadem virtus dicitur prudentia spiritus ».

Cf. ci-dessus, n. 123.

17 S

l'interprétation de la fronesis reste chez Guillaume reliée à la vie intérieure et à la

contemplation du supérieur .

Évidemment, le texte utilisé par Robert Kilwardby soit en est un qui inclut

l'addition interlinéaire de prudencia - te l le qu'éditée par Gauthier-, soit il connaît la

traduction du terme fronesis d'une autre source, peut-être de Guillaume d'Auxerre ou de

Jean de la Rochelle. Cependant, le Pseudo-Peckham ainsi qu'Arnoul de Provence

semblent ignorer cette traduction, d'autant plus qu'ils attribuent au mot le sens

platonicien et néoplatonicien.

Après sa première réponse, Kilwardby considère une autre réponse à la question

de la classification et de l'exhaustivité des vertus. Dans cette réponse alternative, le

maître reprend une réponse semblable à celle du Pseudo-Peckham relativement à la

sagesse et l'intelligence (bien qu'elle soit plus semblable encore à la théorie présentée par

Arnoul de Provence dans sa Division des sciences) ; cependant, quand il arrive à la

fronesis, les deux réponses s'écartent :

On a l'habitude d'exposer autrement cette dernière particule qui commence là or, nous disons. Ainsi, par 'vertus intellectuelles' sont comprises les vertus par lesquelles l'homme se rapporte <de façon> ordonnée à son Créateur et celles-ci consistent dans la partie principale et par soi rationnelle absolument ; par 'morales' sont comprises les vertus qui ordonnent bien l'homme vers ces <choses> inférieures et consistent dans la même partie rationnelle en rapport à la <partie> sensitive. Et puisqu'il n'y a pas d'ordonnance de l'homme de plusieurs manières, c'est pourquoi l'exhaustivité est patente. Or, la vertu intellectuelle ou bien consiste dans <le fait de> connaître le Premier et ainsi est l'intelligence, ou bien <consiste> dans <le fait de> connaître et <d'>éprouver de la dilection et ainsi <est> la sagesse, ou bien <consiste> dans le choix et dans une certaine participation de ce qui est connu et aimé et ainsi <est> la fronesis et ainsi la division de la vertu intellectuelle est évidemment exhaustive (ROBERT KILWARDBY, Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 18)128.

Pourtant, Guillaume exprime une certaine animosité par rapport à la doctrine aristotélicienne : « Ad illud quod obicitur de auctoritate Aristotelis, dicimus quod Aristoteles vocavit fronesim virtutem intellectualem, quoniam aliquando dirigit motus interiores, sicut dictum est, et quia multum est necessaria contemplativis ad abigendum muscas, ne perdant suavitatem unguenti ». Cf. GUILLAUME D'AUXERRE, Summa Aurea, III, tr. 34, 3, éd. RIBAILLER, p. 655.

Notre traduction. ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, Lectio 18, C, f. 295rb ; P, f. 11 va : « Aliter solet hec ultima particula exponi que ibi incipit dicamus autem (1103a4). Sic per 'uirtutes intellectuales' intelliguntur uirtutes quibus homo ordinate se habet ad suum Creatorem et hec consistunt (scr.] consistit cod.) circa partem principalem et secundum se rationalem absolute ; per 'morales' intelliguntur uirtutes que bene ordinant hominem ad hec inferiora et consistunt circa eandem partem rationalem in comparatione ad sensitiuam. Et quia non est hominis ordinatio pluribus modis, ideo patet sufficientia. Virtus autem intellectualis, aut consistit in cognoscendo Primum et sic est intelligentia, aut in cognoscendo et diligendo et sic sapientia, aut in electione et

176

L'intelligence consiste donc dans le fait de « connaître le Premier », ce que l'on

peut rapprocher de l'exposition littérale du Pseudo-Pekcham « intelligence, connaissance

reliée à la connaissance du souverain vrai ». Si on interprète le souverain vrai et le

Premier comme Dieu, alors les maîtres ne diffèrent pas dans leur description. Or, selon

Kilwardby, la sagesse consiste dans le fait de « connaître et d'éprouver de la dilection »,

et chez le Pseudo-Peckham « une dilection reliée à la connaissance du souverain bien ».

Puisque la caractéristique principale des vertus intellectuelles chez Kilwardby est

d'ordonner l'homme par rapport au Créateur (n. 128), les descriptions de la sagesse se

ressemblent ainsi beaucoup chez les deux auteurs. C'est l'ordre de la hiérarchie qui

diffère, ordre qui est déterminé chez les deux auteurs par l'ordre de présentation des

vertus. Or, en ce qui concerne la fronesis, qui chez les deux auteurs occupe le rang

suprême des vertus intellectuelles, la description diffère sensiblement de l'un à l'autre.

Chez Kilwardby, la fronesis consiste dans le choix et dans une certaine participation de ce

qui est connu (par l'intelligence) et aimé (par la sagesse), donc à la connaissance et à la

dilection s'ajoute un choix de la chose aimée, un choix qui entraîne une participation à

cette chose même. Or, le sens de choix semble être assez particulier dans ce contexte ; en

effet, un choix qui amène à une participation du souverain bien ne constitue pas le choix

ordinaire qui régit une action morale, il s'avère plutôt un mouvement de l'âme qui tend

vers une participation.

Dans la suite immédiate du texte, quand il s'agit de distinguer ce qu'est une vertu

intellectuelle et ce qu'est plutôt une science, les propos de Kilwardby ressemblent

beaucoup à ceux du Pseudo-Peckham :

Mais cependant, il est nécessaire que ceux qui disent ainsi distinguent ces noms : l'intelligence en effet d'une manière est l'habitus des intelligibles existant chez l'intellect possible, d'une autre manière <1'intelligence est> l'affection intellectuelle et la connaissance du Premier à partir du précédent habitus des intelligibles, et de la deuxième manière est la Vertu intellectuelle, de la première manière non. Similairement, la sagesse d'une manière est la connaissance des causes dans les choses avec dilection, d'une autre manière <est> la connaissance du souverain bien avec dilection, laquelle suit immédiatement la sagesse précédente, et

participatione aliqua ipsius cogniti et amati et sic fronesis et sic patet sufficiens diuisio uirtutis intellectualis ». Pour l'édition et la traduction de cette partie du commentaire, cf. ci-dessous, Appendice B.

177

de cette manière est une vertu intellectuelle, de la première manière non (ROBERT KlLWARDBY, Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 18)129.

D'abord, l'intelligence comme habitus des intelligibles se trouve également chez

le Pseudo-Peckham, Kilwardby ajoute que les intelligibles existent dans l'intellect

possible, et cette intelligence est une pure connaissance. Encore une fois, l'intelligence

comme affection intellectuelle et connaissance du Premier se compare à celle du Pseudo-

Peckham. Or, la description de la sagesse, même si dans ces deux volets elle est

semblable à celle du Pseudo-Peckham, diffère en deux points précis. D'une part, le volet

'scientifique' chez Kilwardby entraîne une dilection et chez le Pseudo-Peckham non ;

d'autre part, chez le Pseudo-Peckham, la sagesse comporte la connaissance et la

participation du Premier dans les choses inférieures, tandis que chez Kilwardby - une

différence remarquable qu'il souligne-, la sagesse constitue une connaissance du

souverain bien.

Une fois prêt à traiter de la fronesis, Kilwardby combine les deux définitions qu'il avait données auparavant, à savoir celle de la fronesis comme une certaine prudence et

celle de la fronesis comme un choix : Similairement, aussi la fronesis puisqu'elle est une prudence en choisissant

les <choses> <qui ont été> antérieurement connues et aimées, et cela est en rapport à ces <choses> inférieures ou bien <en rapport> au Premier, et de la deuxième manière est une vertu intellectuelle, de la première manière non. Or, sur la division de la vertu morale par liberté et honnêteté qu'il soit dit comme avant (ROBERT KlEWARDBY, Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 18)'30.

Notre traduction. ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, Lectio 18, C, f. 295rb ; P, f. 11 va : « Verumptamen (sic), necesse est sic dicentes distinguere hec nomina : intelligentia enim uno modo est habitus intelligibilium existentium apud intellectum possibilem, alio modo intellectualis affectio et cognitio Primi ex habitu intelligibilium précédente, et secundo modo est uirtus intellectualis primo modo non. Similiter sapientia uno modo est cognitio causarum in rébus cum dilectione, alio modo cognitio summi boni cum dilectione, que ad precedentem subsequitur sapientiam et hoc modo est uirtus intellectualis, primo modo non ».

Notre traduction. ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, Lectio 18, C, f. 295rb ; P, f. 1 lva : « Similiter et fronesis cum sit prudentia in eligendo prius cognita et amata, et hoc est in comparatione ad hec inferiora aut ad Primum, et secundo modo est uirtus intellectualis, primo modo non. De diuisione autem virtutis moralis per libertatem et honestatem dicatur ut prius ». Nous ne comprenons pas pourquoi Gauthier insiste à opposer la position de Kilwardby et celle du Pseudo-Peckham (GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis», p. 155-157). En effet, dans son article, Gauthier dit que Kilwardby expose la théorie du Pseudo-Peckham « avant d'étudier la théorie personnelle qu'il lui oppose », GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis», p. 156. Or, en premier lieu, Kilwardby présente d'abord sa propre théorie, et ensuite celle semblable au Pseudo-Peckham, ce que l'on peut voir tout simplement dans les citations

178

En effet, là Kilwardby affirme que la fronesis est une prudence qui choisit des

choses antérieurement connues et aimées non en relation aux choses inférieures, mais

plutôt en relation au Premier (Dieu). Même si ici Kilwardby interprète la fronesis comme

prudence et même s'il interprète cette prudence comme un 'choix', elle perd en grande

partie son statut 'pratique' en étant reliée principalement à Dieu. Quant au Pseudo-

Peckham, il ne fait aucune allusion à la prudence, de plus il la considère plutôt parmi les

vertus cardinales à l'instar d'Arnoul de Provence que l'on examinera ci-dessous.

En outre, toujours dans la suite du même texte, la fin de Y Exposition sur la

Nouvelle Éthique, Kilwardby reprend la louange des vertus intellectuelles, également en

accord avec les autres commentaires :

La lettre est patente selon cette exposition, indépendamment de cette dernière clausule or nous louons le sage, dans laquelle ils disent qu'Aristote assigne une certaine propriété des vertus intellectuelles, à savoir qu'à elles on doit une louange parce que le sage est dit quelqu'un <qui opère> selon la vertu intellectuelle et il est louable selon son habitus en cela que les habitus proprement louables sont les vertus intellectuelles (ROBERT KILWARDBY, Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 18)13'.

Même si on peut dire que les réponses de Kilwardby ne sont pas complètement les

mêmes que celles du Pseudo-Peckham et d'Arnoul de Provence, nous ne voyons pas

pourquoi R.A. Gauthier considérait Kilwardby comme un 'adversaire'. Au contraire, il se

place dans le même univers théorique, à partir de la théorie des deux faces de l'âme, et

même s'il présente une description de la fronesis différente par rapport à celle des autres,

il ne rejette pas les autres descriptions et ne les réfute pas non plus, mais se contente de la

présenter comme une autre réponse que l'on a l'habitude de donner à cette question. Par

ailleurs, plutôt que de présenter Kilwardby à la manière de Wieland132 comme le seul

capable de saisir le ton ultimement pratique de la fronesis, nous pensons que Kilwardby

mêmes. En deuxième lieu, comme Gauthier lui-même le dit, Kilwardby ne dit nulle part qu'il s'oppose à une telle théorie. En effet, selon nous, la position de Kilwardby peut être rapprochée de celle du Pseudo-Peckham.

131 Notre traduction. ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, Lectio 18, C, f. 295rb ; P, f. 1 lva. « Littera secundum istam expositionem patet, prêter illam ultimam clausulam laudamus autem sapientem (1103a9), in qua dicunt Aristotilem assignare quandam proprietatem uirtutum intellectualium, scilicet quod eis debetur laus quia sapiens dicitur aliquis secundum virtutem intellectualem et ipse laudabilis est secundum habitum suum eo quod habitus proprie laudabiles uirtutes intellectuales sunt ».

132 Cf. WlHLAND, Ethica-Scientia Practica, p. 270-271.

179

n'échappe pas à la position d'une recherche profonde du sens, suscitée par les dernières

phrases de YEthica Noua pour les raisons que nous avons déjà décrites.

4.3.2.3. Arnoul de Provence

Maintenant, il faudrait mettre en rapport une autre présentation de la fronesis,

celle d'Arnoul de Provence, qui a été amplement étudiée par R.A. Gauthier133, C. Lafleur,

J. Carrier et D. Piché . La considération de la fronesis d'Arnoul est encore plus

succincte dans son développement que celles de Kilwardby et du Pseudo-Peckham. Elle

est également presque inséparable de la hiérarchie des vertus intellectuelles, qui est

décrite suivant le même ordre que Kilwardby et se sert d'abord (comme nous avons vu au

chapitre précédent) de la théorie des deux faces de l'âme pour justifier la différenciation

entre vertus intellectuelles et coutumières ou 'cardinales'. Ensuite, il définit chacune des

vertus intellectuelles, suivant leur hiérarchie :

Or le bien qui est la vertu se divise selon le divers égard de l'âme par lequel elle s'incline pour régir le corps ou s'érige pour contempler Dieu. Car de l'intellect humain on pose une double face, à savoir la supérieure et l'inférieure, selon laquelle <double face l'intellect> s'acquiert divers habitus de vertus. Car selon que, par sa partie supérieure, l'<intellect> intuitionne le Créateur sans beaucoup et <sans> grande affection, il est informé par un habitus de vertu qui est dit « intelligence » ; mais selon que davantage par l'affection il s'étend et que l'affect s'intensifie, <l'intellect> est informé par un deuxième habitus de vertu qui est dit « sagesse », quasi « assaisonnée de saveur » ; enfin, selon que par un affect et un amour intenses <l'intellect> s'enflamme de telle sorte qu'à Lui, autant que possible, il se conforme, il s'acquiert un habitus de vertu qui est dit fronesis, c'est-à-dire « information ». Et ces trois habitus de l'âme sont appelés « vertus intellectuelles », à savoir l'intelligence, la sagesse, la fronesis, desquelles on détermine dans le livre Des vertus intellectuelles. Tandis que selon la partie par laquelle elle s'incline pour régir le corps en opérant bien, l'âme acquiert des habitus de vertus [...] Ce sont les quatre vertus cardinales qui aussi sont dites « coutumières » (ARNOUL DE PROVENCE, La division des sciences)"51.

GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis », p. 129-170. Cf. C. LAFLEUR, « Scientia et are dans les introductions à la philosophie des maîtres es arts de

l'Université de Paris au XIIIe siècle », dans I. CRAEMER-RUEGENBERG et A. SPEER (éd.), « Scientia » und « ars » im Hoch und Spâtmittelalter, Berlin et NewYork, De Gruyter (coll. « Miscellanea Mediaevalia », 22), 1994, p. 60-65. PlCHÉ, La condamnation parisienne de 1277, p. 263-268. LAFLEUR et CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique », p. 263-276 et n. 143.

ARNOUL DE PROVENCE, Division des sciences, trad. LAFLEUR et CARRIER, p. 7-8. « Bonum autem quod est uirtus diuiditur secundum diuersum respectum anime quo inclinatur ad regendum corpus uel quo erigitur ad contemplandum Deum. Nam intellectus humani duplex ponitur faciès, superior scilicet et inferior, secundum quam diuersos habitus uirtutum sibi adquirit. Nam secundum quod per partem

180

En comparant les textes du Pseudo-Peckham et d'Arnoul, nous trouvons quelques

similitudes. D'abord, les deux considèrent les vertus intellectuelles comme une sorte de

connaissance (connaissance, contempler, intuitionner) , mais elles ne sont pas

seulement des sciences comme chez Kilwardby, même si Kilwardby considère aussi un

élément affectif et dans la sagesse et dans la fronesis . Ensuite, cette connaissance a

pour objet propre Dieu, car « l'âme [...] s'érige pour contempler Dieu » et « par sa partie

supérieure, l'<intellect> intuitionne le Créateur». De plus, cette connaissance est

accompagnée par une dilection, une affection, voire un embrasement. Chez Arnoul,

comme chez le Pseudo-Peckham (et on pourrait ajouter Albert le Grand aussi) la fronesis

n'est aucunement reliée à la prudentia, d'autant plus que la fronesis est parmi les vertus

intellectuelles, qui résident dans la partie supérieure de l'âme, tandis que la prudentia est

parmi les vertus coutumières :

Tandis que selon la partie par laquelle elle s'incline pour régir le corps en opérant bien, l'âme acquiert des habitus des vertus : ainsi en régissant la puissance rationnelle, <elle acquiert> la prudence et la justice ; en régissant <la puissance> irascible, <elle acquiert> le courage ; en gouvernant <la puissance> concupiscible, <elle acquiert> la tempérance. Ce sont les quatre vertus cardinales qui aussi sont dites « coutumières » (ARNOUL DE PROVENCE, Division des sciences]I .

La prudentia réside d'une part avec la justice dans la faculté rationnelle qui est

considérée dans la partie inférieure de l'âme et, d'autre part, ces deux vertus régissent

d'une certaine manière la faculté rationnelle. De même chez le Pseudo-Peckham :

superiorem intuetur Creatorem absque multa et magna affectione, informatur habitu uirtutis qui dicitur intelligentia ; secundum uero quod ulterius per affectionem extenditur et affectus intenditur, informatur secundo habitu uirtutis qui dicitur sapientia, quasi sapore condita ; secundum autem quod per intensum affectum et amorem inflammatur ut llli, quantum possibile est, se conformet, adquiritur ei habitus uirtutis qui dicitur fronesis, id est 'informatio'. Et isti très habitus anime uocantur uirtutes intellectuales, scilicet intelligentia, sapientia, fronesis, de quibus determinatur in libro De intellectualibus uirtutibus. Secundum uero partem qua ad corpus regendum inclinatur bene operando, adquirit anima habitus uirtutum. [...] Que sunt .mi." uirtutes cardinales que etiam consuetudinales dicuntur ». ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 335-336.

Cf. LAFLEUR et CARRIER, « Dieu, la théologie et la métaphysique», n. 143. Cf. aussi la conférence «L'aspect cognitif de la fronesis chez Arnoul de Provence», le 8 avril 2005 à l'Université du Québec à Montréal, document d'appoint, § II et III.

Cf. ci-dessus. ARNOUL DE PROVENCE, Division des sciences, trad. LAFLEUR et CARRIER, p. 8. « Secundum uero partem

qua ad corpus regendum inclinatur bene operando, adquirit anima habitus uirtutum : ut in regendo rationalem potentiam, prudentiam et iustitiam ; in regendo irascibilem, fortitudinem ; in gubernando concupiscibilem, temperantiam. Que sunt .lIII.or uirtutes cardinales que etiam consuetudinales dicuntur » ; ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 336,1. 553-557.

181

Il faut dire que la vertu coutumière et l'intellectuelle diffèrent parce que la vertu intellectuelle vise la droite ordonnance de l'homme à sa cause, tandis que la vertu coutumière vise la droite ordonnance de l'homme au prochain ; d'où la vertu intellectuelle consiste dans la connaissance et la dilection du souverain bien par soi, tandis que la vertu coutumière <consiste> dans <le fait> de bien se tenir à l'égard du prochain, ce qui est patent en parcourant les différences de cette <dernière>. En effet, la tempérance dirige l'homme à l'égard du prochain, pour les "opérations pertinentes à la concupiscence ; similairement, la force <le dirige> pour les opérations pertinentes à l'irascible; tandis que la prudence et la justice <le dirigent> pour les opérations pertinentes à la rationnelle même si différemment (PSEUDO-PECKHAM, Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 22, q-l IM).

* * *

Or, revenant à la fronesis, cette sublime connaissance avec dilection du souverain

bien (Pseudo-Peckham), cet embrasement pour le Créateur et cette conformation à Lui

(Arnoul de Provence), ce choix du Premier auquel nous amènent la connaissance et

l'amour de Celui-ci (Kilwardby), donc cette fronesis serait-elle d'une élévation telle

qu'on puisse la mettre en concurrence avec la vision béatifique, qui constitue d'une

certaine manière aussi une connaissance et un amour du souverain bien qu'est Dieu ?

Jusqu'ici tout nous indique que nous sommes face à une expérience comparable à

la vision béatifique (l'expérience de connaissance pleine par antonomase). En effet, les

textes des maîtres es arts se nourrissent beaucoup des discussions de leurs éminents

collègues, les théologiens, et parfois leurs théories semblent en concurrence. Par exemple,

la théorie des deux faces de l'âme, que les maîtres es arts utilisent pour justifier la

division des vertus en coutumières et en intellectuelles (consuetudinales et intellectuales),

est utilisée par les théologiens pour justifier la traditionnelle division des vertus en

cardinales et théologales. Si on pousse le parallèle jusqu'à la limite, nous pouvons

facilement trouver que de même qu'il y a trois vertus théologales (à savoir la foi,

PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 22, q. 1, § 7 : « Dicendum quod differt uirtus consuetudinalis et intellectualis quia uirtus intellectualis attenditur in recta ordinatione hominis ad suam causam ; uirtus uero consuetudinalis attenditur in recta ordinatione hominis ad proximum ; unde uirtus intellectualis consistit in cognitione et dilectione summi boni propter se, uirtus uero consuetudinalis in bene se habendo erga proximum, quod patet discurrendo per differentias eius. Temperantia enim dirigit hominem erga proximum quo ad operationes pertinentes ad concupiscentiam ; similiter fortitudo quo ad operationes pertinentes ad irascibilem ; prudentia uero et iustitia quo ad operationes pertinentes ad rationalem licet differenter ».

182

l'espérance et la charité), de même -par un curieux hasard- il y a trois vertus

intellectuelles (à savoir la sagesse, l'intelligence et la fronesis).

Cela nous amène à poser une autre question. Pourquoi la description de la fronesis

devrait-elle constituer la filière philosophique de la vision béatifique plutôt que de la

charité ? En fin de compte, parmi les vertus théologales, la charité (caritas) détient le

rang suprême. Or, comme nous l'avons vu, elle est « purement et simplement amour »140,

tandis que la fronesis est connaissance et dilection. Par conséquent, prima facie, cette

fronesis s'avère dans une position supérieure à la caritas141. Or, le même Pseudo-

Peckham définit la béatitude comme « le souverain bien en tant qu'il a l'être en nous par

connaissance et affection »142, ce qui nous amène à conclure que la vertu de la fronesis

nous donne l'accès à la béatitude. Mais, pour mieux mettre en rapport la connaissance

dans la fronesis avec la connaissance de Dieu dans la vision béatifique, il faut approfondir

le concept de connaissance non seulement chez le Pseudo-Peckham, mais aussi chez les

théologiens de l'époque. Or, chez le Pseudo-Peckham, nous pouvons donner comme

réponse provisoire que la connaissance du souverain bien est possible pour l'intellect

humain au moyen des créatures143. Cependant, il faudrait une étude détaillée de tout le

Commentaire sur la Nouvelle Éthique pour déterminer la position exacte du Pseudo-

Peckham relativement à la félicité et à la béatitude - ce qui excède les limites de notre

recherche. Chez les théologiens, pendant la première moitié du XIIIe siècle, la discussion

sur la vision béatifique se trouve à ses débuts1 et des conceptions diverses prolifèrent145

jusqu'en 1241, où le contenu de la vision béatifique est affirmé : « les bienheureux voient

la divine essence » .En effet, le Chartulaire de l'Université de Paris fixe que Dieu sera

140 Cf. ci-dessus, p. 149 et n. 32. 141 Une autre différence essentielle est que la fronesis est une vertu de l'homme vivant, tandis que la charité

peut être in via et in patria. Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, De bono gratie, B, III, q. 2, éd. WICKI, p. 681,1. 100-109.

142 Cf. ci-dessus, n. 30. 143 Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 2, q. 1 : « per creaturas

poterit cognosci ab intellectu humano », F, f. 6ra ; O, f. 5vb. 144 Cf. H.F. DONDAINE, « L'objet et le médium de la vision béatifique chez les théologiens du XIIIe siècle »,

RTAM, 19(1952), p. 60-130. 145 DONDAINE, «L'objet et le médium de la vision béatifique», p. 61-67. C. TROTTMANN, La vision

béatifique. Des disputes scolastiques à sa définition par Benoît XII », Rome, École française de Rome (coll. « Bibliothèque des écoles françaises d'Athènes et de Rome », 289), 1995, p. 116-175.

146 TROTTMANN, La vision béatifique, p. 115. Sur la condamnation de 1241, cf. Ibid., p. 175-186, où l'auteur analyse CUP, n° 128, p. 170-172. Aussi, DONDAINE, « L'objet et le médium de la vision béatifique », p. 60-61.

183

vu par les anges et les âmes glorifiées : cette assertion exclut la possibilité d'une vision

ou d'une connaissance qui ne soit pas directe. Nous pouvons donc conclure à ce sujet -

toujours provisoirement- que, même si la fronesis est une connaissance du souverain

bien dans cette vie, elle n'entraîne pas selon le Pseudo-Peckham une connaissance directe

de l'essence divine147.

La vertu artienne de la fronesis, bien qu'elle puisse à première vue sembler un

produit trop poussé de l'imagination des maîtres, s'avère plutôt un produit herméneutique

astucieux, surtout si on considère les éléments insuffisants dont les artiens disposaient

pour l'interpréter. De plus, elle reflète un aspect du mot qui avait été accentué par Platon

lui-même et par plusieurs après lui, l'aspect où la phronesis s'approche davantage de la

sophia. Dans un contexte où la fronesis est une vertu intellectuelle appartenant à la partie

supérieure de l'âme (qui, elle, est toujours tournée vers les choses intelligibles et

immuables), il est naturel que l'on ait de la difficulté à la considérer autrement que

comme une connaissance de ce qu'il y a de plus haut, comme l'est le souverain bien.

4.3.3. Phronesis, la suite ...

Bien que nous ayons montré que le concept de fronesis du Pseudo-Peckham a des

antécédents dans l'histoire de la philosophie, quelqu'un pourrait encore penser qu'il

s'agit d'une interprétation sans avenir, et que, dans un environnement familier avec

l'œuvre d'Aristote, la fronesis ou phronesis ne pourrait plus avoir les traits de

connaissance et de dilection du supérieur tels qu'ils se retrouvent chez le Pseudo-

Peckham. Or, même au-delà du XIIIe siècle, une conception de la phronesis qui a des

ressemblances avec celle du Pseudo-Peckham se retrouve chez Georges Gémiste Pléthon.

Dans son Traité des vertus, il propose une théorie assez originale. À partir de Platon et

Ce qui nous rappelle en quelque sorte l'analyse de F. Pironet sur les Questions sur la Métaphysique de Siger de Brabant, cf. PIRONET, « Théologie révélée versus théologie philosophique », p. 321 : « pour lui [Siger] la distinction entre les deux théologies ne repose pas tant sur l'angle sous lequel elles peuvent considérer un même objet (x en tant qu'être, en métaphysique —x en tant que se rapportant à Dieu, en théologie) que sur la manière dont on acquiert la connaissance de cet objet (par la raison naturelle — par révélation) ».

184

d'Epictète , il prétend ériger une philosophie cohérente avec une religion païenne

fondée sur les Oracles Chaldaïques. Même si son éthique est compatible avec la religion

chrétienne, elle reprend le thème de la place de l'homme dans la cité et dans le cosmos.

La théorie de Pléthon part d'une définition selon laquelle la vertu constitue « la

disposition selon laquelle nous sommes bons. Dieu est réellement bon, et nous, hommes,

devenons bons en suivant Dieu dans la mesure où cela est possible à l'homme » . Il y a

quatre parties de la vertu : phronesis, tempérance (sôphrosune), courage (andreia), justice

(dikaiosune). La phronesis est la vertu par laquelle l'homme est en lui-même un animal

raisonnable, la partie la plus parfaite de la vertu, « c'est cette disposition spéculative de

l'âme qui considère chacun des êtres, tel qu'il est »150. Quant aux parties de la phronesis,

il existe une forme de phronesis envers les êtres divins et éternels (religion - theosebeia),

une autre à l'égard de la nature et des êtres engendrés (physique -phusike), et une autre

pour les affaires humaines (bon conseil - eubouliaf5X. En ce qui concerne la hiérarchie

des vertus, « le principe par excellence de toutes les vertus doit être la décence

(kosmiotês) », tandis que :

Le sommet de toutes les vertus, où elles doivent toutes tendre, et sans lequel les autres ne serviraient à rien, serait certainement la religion. Ce par quoi nous formons une sorte de communauté avec les espèces supérieures, et sommes tout à fait éloignés des espèces inférieures, ce qu'il y a de meilleur en nous, n'est rien d'autre que la pensée (noêsis). Or, des êtres pensants et que la pensée étudie, et de tous les êtres de l'univers, Dieu est le meilleur. En jouissant par ce qu'il y a de meilleur en nous, du meilleur des êtres, nous vivrions ainsi très heureux : la connaissance de Dieu serait le plus grand bonheur (makariôtatori) dans la vie humaine, c'est aussi, le sommet de la religion (GEORGES GÉMISTE PLÉTHON, Traité des vertus, II)'52.

B. TAMBRUN-KRASKER, « Introduction », dans GEORGES GÉMISTE PLÉTHON, Traité des vertus, éd. et trad. B. TAMBRUN-KRASKER, Athènes, L'Académie d'Athènes ; Leiden, Brill (coll. « Corpus philosophorum medii aevi, Philosophi byzantini », 3), 1987, p. XL.

149 GEORGES GÉMISTE PLÉTHON, Traité des vertus, I, éd. et trad. TAMBRUN-KRASKER (1987), éd. p. 1, trad. p. 19. La considération stoïcienne de «suivre Dieu» est interprétée par Pléthon selon l'adage platonicien du Théétète 176b, «s'assimiler à Dieu», cf. TAMBRUN-KRASKER (1987), « Commentaire », dans GEORGES GÉMISTE PLÉTHON, Traité des vertus, p. 37-45.

]S0/bid.,éd. p. 4, trad. p. 21. 131 Ibid, éd. p. 5, trad. p. 22. 152 GEORGES GÉMISTE PLÉTHON, Traité des vertus, II, éd. et trad. TAMBRUN-KRASKER (1987), éd. p. 6, trad.

p. 22 : « Ke<))àA.oaov 8è Ttâaaiç, oî te •up.Tcàaaç Seî XEIVEIV, m i îjç %copiç oùS'âv xœv âXk<s>v x\ ô^eXoq eïr|, fî ye 0eooé(3eia eïr| àv \iâ\\.oxa. TQ ycxp rcou Tpetç raïç |aèv xpemoai KOIVCÙVOÙUEV yéveai, xûiv ôè xetpovcov [làkiaxa 5ievr|v6%a(j.ev, Kpàxioxôv xé èoxi xœv rpExÉpcov, oùSèv ccv âXko eir\ TotJTÔ ye r\ vôriaiç. Tâ>v ôè Sri VOOTJVTGJV Kod Ttepi a vÔT|aiç 7tpay|j.on:eÛETca, uôv TE ôvxœv ÇI> 7CO:VT:CÛV, ô 8EÔÇ TÔ âpiaxov, xS> 8i\ Kpatiaxcp tcôv fi(j.EXÉpcûv xov Kpaxioxot) xœv ôvxcov

185

L'idéal éthique des maîtres es arts de Paris semble en quelque sorte se reproduire

dans l'écrit de Gémiste Pléthon. Laphronesis est avant tout reliée à la pensée des choses

naturelles et des choses supérieures ; l'achèvement de cette pensée est la contemplation

de Dieu par la partie spéculative de l'âme, penser et jouir de ce qu'il y a de meilleur avec

ce qu'il y a de meilleur en nous. Or, chez Pléthon, comme aussi chez le Pseudo-Peckham,

il n'est pas possible d'acquérir lafronesis si ce n'est qu'après avoir purifié notre âme des

plaisirs inférieurs à partir des autres vertus, et voilà l'utilité d'une hiérarchie des vertus.

Par ailleurs, le but ultime de la morale chez Pléthon comme chez le Pseudo-Peckham

consiste dans le rapprochement du divin par la pratique des vertus, la fronesis étant le

degré suprême qui permet le rapprochement le plus important, voire l'assimilation au

divin.

Cela dit, il faut établir les différences entre la pensée de Pléthon et le

néoplatonisme pour éclaircir du même coup ce que le Pseudo-Peckham nous offre

comme concept de fronesis. Pour Pléthon, suivre Dieu ne consiste pas à s'identifier au

divin ; après l'achèvement d'une purification et par une conversion où toute dualité

disparaît entre l'objet et le sujet de la connaissance, le philosophe de Mistra s'oppose aux

néoplatoniciens qui considèrent la vie contemplative comme un retour à l'unité

indissociée du premier principe153. Pléthon, pour qui la dualité doit demeurer entre le

connaissant et le connu, entend barrer la voie à tout type de mysticisme. « Sa conception

de la vie contemplative ou théorétique est purement rationaliste » . Cependant, théorie

et pratique, loin de s'opposer, se complètent mutuellement155. « La théorie des vertus de

Pléthon, en refusant d'envisager un au-delà de la vertu théorétique, est la marque d'un

platonisme centré sur l'homme. Il enjoint aux hommes de son temps d'abandonner la

voie du mysticisme et les philosophies du salut individuel, pour en revenir à un

rationalisme strict où la spéculation se présente comme une réflexion scientifique sur les

conditions de possibilité de la vie de l'homme parmi les autres hommes»15 . Selon

ànoXavovxeq, liccKapiœxax' âv OÛXCÛ Pioïpxv, ôox' EÏT) âv fi xoù 0eoû vÔT|aiç XÔ (xaKaptcoxaxov xfjç àv6powrivT|ç Çcofjç, f| m i GeooePeiaç èaxi xô K£<|>àXouov ».

TAMBRUN-K.RASK.ER (1987), « Commentaire », p. 62. Ibid., p. 63. Ibid., p. 63. Ibid., p. 64.

186

Tambrun-Krasker, la phronesis aristotélicienne est équivalente au 'bon conseil' 1 S7

(euboulid) chez Pléthon . Finalement, la théorie de la fronesis chez le Pseudo-Peckham se compare au

néoplatonisme de Pléthon surtout relativement à l'assimilation au divin. Cette

assimilation au divin, qui n'empêche pas chez Pléthon une prétention de rationalisme, ne

devrait pas non plus entraver la valeur philosophique de la théorie du Pseudo-Peckham.

5. La hiérarchie des vertus et la théorie de la fronesis chez le Pseudo-Peckham

La théorie de la fronesis, qui représente chez le Pseudo-Peckham et chez Arnoul

de Provence l'idéal éthique artien de connaissance et de dilection du souverain bien, se

dresse sur trois piliers doctrinaux : la théorie des transcendantaux, la théorie des deux

faces de l'âme et la hiérarchisation des vertus intellectuelles. La théorie des

transcendantaux fournit les fondements onto-noético-théologiques pour assurer la

cohérence de la science éthique en général et de la théorie de la fronesis en particulier.

Tout en se distinguant par la notion ou définition {ratio), les concepts transcendantaux

(dont certains sont liés à l'âme humaine comme objets de ses facultés) sont convertibles

dans les supposés (in supposais), c'est-à-dire dans les référés individuels. Toutefois, cette

doctrine se réserve une sphère exceptionnelle en ce qui concerne le domaine du divin,

car, chez Dieu, tous les concepts portent la marque de sa suprématie, le souverain bien,

souverain vrai, souverain un.

La théorie des transcendantaux se lie doublement avec la psychologie. D'un côté,

chez le Pseudo-Peckham, l'âme se divise en spéculative ou cognitive et en motrice, la

première a pour objet propre le vrai et la deuxième a pour objet propre le bien, deux des

concepts transcendantaux. D'un autre côté, l'âme humaine a aussi une structure telle que

par sa partie supérieure elle se relie à la Cause Première (Pseudo-Peckham), le Créateur

(Kilwardby), Dieu (Arnoul de Provence) ; alors que par sa partie inférieure l'âme régit le

corps (Arnoul de Provence), ordonne les choses (Kilwardby), s'ordonne médiatement (ou

indirectement) vers le souverain bien, c'est-à-dire regarde la droite ordonnance de

Ibid,p. 78.

187

l'homme avec le corps et à l'égard du prochain (Pseudo-Peckham). Or, dans la partie

supérieure de l'âme, les vertus intellectuelles garantissent le rapport de l'âme à Dieu,

chez qui on trouve le degré suprême des transcendantaux. Donc la scission des deux

niveaux des transcendantaux (dans les créatures et en Dieu) est reflétée dans la

configuration même de l'âme en deux faces.

Par ailleurs, quand le Pseudo-Peckham décrit la hiérarchie des vertus

intellectuelles, il considère la sagesse comme une dilection reliée à la connaissance du

souverain bien et, en tant que dilection, la sagesse réside dans la partie motrice supérieure

de l'âme, constituant alors une ordonnance immédiate de l'âme au Créateur.

Connaissance reliée à la connaissance du souverain vrai, l'intelligence, en tant que

connaissance, réside dans la partie spéculative supérieure de l'âme, constituant alors une

connaissance de Dieu en tant qu'il est le souverain vrai. Or, dans le cas de la fronesis, le

Pseudo-Peckham n'offre pas de description dans l'exposition littérale, nous laissant alors,

peut-être à dessein, une aposiopèse significative, que nous interprétons comme un accent

sur l'unification de l'âme, unification rendue possible par cette suprême vertu

intellectuelle.

Finalement, dans la questio sur la moralité des vertus intellectuelles, le Pseudo-

Peckham définit la fronesis comme connaissance et dilection du souverain bien. Les deux

activités proprement humaines, à savoir la connaissance et l'affectivité, sont enracinées

dans deux fondements principaux. Le premier fondement est l'âme elle-même, qui

connaît et affectionne en ayant rapport aux choses du monde et à Dieu, tandis que le

second est constitué par les choses avec lesquelles l'âme a une relation. Or, toute chose a

des attributs qui lui viennent de sa création par Dieu, à savoir le bien, le vrai et l'un qui

correspondent en Dieu à la bonté, la sagesse et la puissance . Mais le bien, le vrai et

l'un, quoiqu'ils soient distincts dans leur signification, correspondent à la même chose

dans les dénotés, principalement en Dieu. Par ailleurs, l'âme rationnelle peut avoir une

relation avec Dieu (ou le Premier) et avec les choses selon ses deux puissances

principales, mais elle ne peut pas se relier à Dieu selon son attribut d'unité, parce que,

dans une relation, il y a toujours deux choses qui se relient ; il faut donc que l'âme unifiée

Cf. WlELAND, Ethica - Scientia Practica, p. 260.

188

s'assimile à son tour au monde supérieur, pour saisir la bonté divine ; d'où l'âme a une

connaissance affectueuse de Dieu, ce qui constitue l'idéal des maîtres es arts de Paris du

XIIIe siècle.

Puisque la fronesis ne constitue pas une relation mais plutôt une assimilation,

voilà la raison de l'aposiopèse après avoir considéré chacune des autres vertus comme

« reliées » à Dieu selon différents concepts transcendantaux, soit à Dieu comme

souverain bien, soit à Dieu comme souverain vrai. Mais aussi, chacune des autres vertus

constitue soit principalement une connaissance comme l'intelligence, soit principalement

une dilection comme la sagesse. Or, la fronesis constitue une connaissance et une

dilection, contribuant de ce fait à l'unification des deux parties de l'âme et ainsi à

l'assimilation de l'âme au souverain bien-vrai-un. Mais cette assimilation ne réside plus

dans le niveau conceptuel où les transcendantaux diffèrent entre eux, une assimilation est

seulement possible dans le niveau référentiel intime de l'individu. Donc la fronesis

permettrait, au moyen de l'action conjointe de ses deux facultés supérieures (spéculative

et motrice), une certaine unification et simplification de l'âme menant à l'assimilation de

celle-ci au divin. Toutefois, cette assimilation n'est pas complète, ce qui impliquerait une

unification absolue et ainsi l'anéantissement de la substance de l'âme en Dieu. Alors,

cette assimilation, en tant que connaissance et dilection, s'établit comme une luisance de

l'image de Dieu dans l'âme. Unifiée et simplifiée par la fronesis, l'âme devient un miroir

poli, sans souillures ni cassures, où l'image de Dieu reluit, autant qu'il est possible pour

l'humain dans cette vie.

CONCLUSION

1. Le commentaire du Pseudo-Peckham Plusieurs remarques finales s'imposent relativement au Commentaire sur la

Nouvelle et la Vieille Éthique du Pseudo-Peckham. D'abord, nous pouvons confirmer la

date et le milieu de composition de cet ouvrage par deux sortes d'indices, externes et

internes. D'un côté, nous devons rappeler sommairement les indices structurels et

externes mis en avant pour l'essentiel dans l'introduction. Notre auteur utilise la

traduction ancienne fragmentaire de YEthique à Nicomaque, avant que la version

complète de Robert Grosseteste ne soit achevée en 1246-1248, mais il recourt aussi à des

gloses ayant été vraisemblablement ajoutées vers 1240-1244. Quelques mentions

d'endroits précis de la ville indiquent d'ailleurs que ce commentaire a été écrit à Paris.

Quant à la configuration de ce commentaire - que nous détaillons dans les normes de

l'édition159 - , elle répond à la caractérisation des commentaires de la Faculté des arts de

Paris entre 1230 et 1260160.

D'un autre côté, les indices internes confirment la Faculté des arts de Paris comme

milieu de composition. En effet, les nombreuses coïncidences ayant trait aux sujets

touchés par le Pseudo-Peckham et par les autres artiens mettent en évidence une

discussion en cours à l'Université de Paris entre 1230 et 1250 chez les maîtres de la

Faculté des arts. Notre maître se penche sur plusieurs dossiers chauds, dont la théorie des

transcendantaux et la théorie des deux faces de l'âme, en les appliquant à son propre

champ de recherche, dans ce cas YEthique à Nicomaque. Or, l'application de la théorie

159 Cf. ci-dessous, Normes de l'édition (description et classification des manuscrits) et principes de la traduction, section 2.1.

160 Sur le détail de cette typologie, cf. O. WKIJERS, « La structure des commentaires philosophiques à la Faculté des arts : quelques observations », dans G. FlORAVANTl et al., // commento filosofico nell'occidente latino (secoli XIII-XV), Atti del colloquio Firenze-Pisa, 19-22 ottobre 2000, organizzato dalla SISMEL, Turnhout, Brepols (coll. « Rencontres de Philosophie Médiévale », 10), 2002, p. 17-41. Voir aussi Gauthier, « Le cours sur VEthica Noua », p. 75-77.

190

des deux faces de l'âme comme justification de la classification des vertus en

intellectuelles et en coutumières est partagée avec les autres artiens ; de plus, la

préoccupation pour l'exhaustivité de la division et certains arguments soulevés à ce sujet

sont aussi en commun avec les autres écrits artiens, comme nous l'avons vu dans le

chapitre deux. Finalement, la hiérarchisation des vertus, dressée par le Pseudo-Peckham

dans la leçon 21 de son commentaire et décrite dans notre chapitre trois, se trouve aussi

chez d'autres auteurs artiens de la même époque, à savoir Arnoul de Provence et Robert

Kilwardby.

Par ailleurs, il faut remarquer l'importance de ce commentaire dans le cadre non

seulement de l'enseignement de la philosophie et de l'éthique au sein de la Faculté des

arts, mais aussi dans le déroulement de la pensée philosophique tout au long du XIIIe

siècle. En effet, ce commentaire constitue une preuve de la croissance et de

l'approfondissement des études sur le corpus aristotélicien. Le cours du Pseudo-Peckham

sur Y Éthique inclut de nombreux renvois au reste du corpus, ce qui montre la familiarité

de l'auteur avec l'œuvre du Stagirite. En plus, la longueur du commentaire implique un

cours assez étendu (à savoir entre six et douze semaines161), qui permettait une analyse

approfondie du texte. Tous ces indices dénotent que les études sur le corpus aristotélicien

étaient très développées bien avant la formulation du nouveau programme (celui de

1255), lequel évidemment constitue la reconnaissance officielle d'un état de fait déjà

existant depuis longtemps.

Or, cet approfondissement philosophique n'est pas sans conséquence : il entraîne

le développement d:'une philosophie artienne dont la théorie de lafronesis s'avère être un

des fers de lance. La fronesis telle que la conçoivent nos maîtres constitue un but

proprement humain, et on pourrait dire aussi proprement philosophique - en effet, leur

but en tant que philosophes est d'arriver à la connaissance de ce qu'il y a de plus noble, le

souverain bien. Connaissance et dilection du souverain bien est l'idéal éthique des

maîtres es arts de Paris, idéal qui prend plusieurs formes desquelles nous avons fait

ressortir la principale : la théorie de lafronesis. En effet, la vertu de lafronesis constitue

161 CUP, t. I, n° 246, p. 278 : « Ethiccts quantum ad quatuor libros in XII septimanis, si cum alio legantur ; si per se non cum alio, in medietate temporis ».

I')l

une des manifestations de cet idéal éthique, manifestation qui est propre aux artiens

parisiens.

2. L'idéal éthique des maîtres es arts de Paris d'après le Pseudo-Peckham L'idéal éthique, un idéal de connaissance et de dilection de Dieu, est chez le

Pseudo-Peckham - premièrement et avant tout - un idéal philosophique qui inclut des

éléments psychologiques, éthiques proprement dits et métaphysiques ou théologiques. À

travers la connaissance et la dilection du souverain bien, les commentateurs de l'éthique

en général, et le Pseudo-Peckham en particulier, veulent eux aussi atteindre Dieu par leur

activité propre, la pensée philosophique. Un idéal laïc de réalisation humaine qui, comme

on peut le prévoir dans une institution universitaire alors contrôlée par l'Église, était

condamné dès sa naissance162. L'idéal éthique des maîtres es arts de Paris combine trois

complexes conceptuels : la théorie des transcendantaux, la théorie des deux faces de

l'âme et la hiérarchisation des vertus intellectuelles. Chacun des chapitres de cette

première partie de notre étude a ciblé et analysé respectivement un de ces trois

complexes, ce qui a révélé, chez le Pseudo-Peckham, une doctrine cohérente et

approfondie qui ne se veut pas nécessairement liée à un courant philosophique en

particulier.

2.1. La théorie des transcendantaux Le premier complexe conceptuel constitutif de l'idéal éthique tel que présenté par

le Pseudo-Peckham, la théorie des transcendantaux, se déploie dans la première question

Voir PlCHÉ, La condamnation parisienne de 1277, p. 252-255, et dans la Collectio errorum, p. 314. Nous croyons que l'idéal des maîtres es arts était, depuis la première moitié du XIIIe siècle, la connaissance affectueuse de Dieu par la voie philosophique. D'ailleurs, selon Piché, « l'opuscule (Boèce de Dacie, De summo bond) tout entier est axé autour de l'idée que le mode d'existence philosophique, la vie selon l'intellect, est pleinement qualifié pour mener l'homme à la connaissance amoureuse de l'« Être Premier » : ce qui est précisément le cœur du projet religieux du christianisme ! Les théologiens pouvaient donc se sentir usurpés par le discours du magister artium dans leur pouvoir, qu'ils souhaitaient exclusif, de conceptualiser la vie éthique », Ibid., p. 254 (et, précédemment, LAFLEUR, « Scientia et ars », p. 63-64). Cette mentalité, que Piché a très bien caractérisée pour la deuxième moitié du XIIIe siècle, est façonnée et forgée pendant la première moitié et le Pseudo-Peckham est un des témoins privilégiés de la naissance de cette mentalité proprement 'artienne' ou 'philosophique'.

192

du prologue . La théorie des transcendantaux des artiens - selon laquelle l'étant, l'un, le

vrai et le bien sont convertibles dans les référés individuels, mais se distinguent selon

leurs concepts - possède trois caractéristiques principales. Premièrement, la convertibilité

dans les supposés (ou référés) - aspect ontologico-référentiel - est développée à partir

d'une création de Philippe le Chancelier, qui avait lui-même pris des éléments chez

Boèce et chez Aristote. Deuxièmement, les notions des transcendantaux diffèrent - aspect

noétique ou épistémologique - et cette différence permet de les ordonner. Troisièmement,

un gouffre ou un hiatus est marqué par l'auteur entre la considération des transcendantaux

dans les créatures et en Dieu - aspect théologique - , car c'est en Dieu seulement que les

transcendantaux s'expriment en leur degré le plus haut et en leur réalité la plus pure.

Ainsi, même si dans sa signification l'étant, l'un, le vrai et le bien sont différents, ils ne

différent point dans ce qui est dénoté ou référé (suppositum). En effet, on ordonne les

transcendantaux selon les attributs divins suivants : la puissance (un), la sagesse (vrai) et

la bonté (bien).

En outre, une application importante est déterminée par l'attribution de chacun des

transcendantaux comme objets des différentes puissances de l'âme . Il s'agit d'une

originalité du Pseudo-Peckham, postérieurement reprise par Thomas d'Aquin. Notre

auteur dédouble les puissances de l'âme en spéculative et motrice, ensuite il donne

comme objet de la spéculative le vrai et comme objet de la motrice, le bien. Nous avons

une subdivision selon les puissances de l'âme, à savoir selon l'objet propre à chacune.

Nous pouvons reconnaître dans les objets de chaque puissance deux des quatre

transcendantaux : le vrai et le bien. Ainsi il y aura des sciences relatives aux étants selon

qu'ils sont vrais et des sciences relatives aux étants selon qu'ils sont bons. Or, la

convertibilité des transcendantaux dans les choses implique que même si l'objet des

sciences spéculatives et celui de la science morale sont différents, l'extension (ou la

référence) de leur sujet est la même, à savoir les choses référées, mais ces dernières sont

visées par chacune des sciences sous un aspect différent, une signification différente.

163 Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Prologus, q. 1, § 8-27, question analysée dans le chapitre un.

' Or, il faut distinguer les puissances de l'âme de la théorie des deux faces de l'âme, laquelle sert de justification notamment pour la classification des vertus en vertus morales et intellectuelles. Cf. PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 21-22 : F, f. 32va-36rb ; O, f. 28rb-30vb.

193

Finalement, l'ordre des transcendantaux sera appliqué aussi pour déterminer la

hiérarchisation des vertus intellectuelles.

2.2. La théorie des deux faces de l'âme

En tant que l'idéal éthique implique principalement connaissance et dilection du

souverain bien, il est important d'établir la structure de l'âme capable d'une telle

connaissance et dilection ; le deuxième complexe conceptuel sur lequel se dresse l'idéal

est constitué par la doctrine des deux faces de l'âme. Selon cette théorie, l'âme humaine a

deux faces, l'une regarde vers le supérieur pour contempler Dieu de façon immédiate,

tandis que l'autre est tournée vers le corps pour le gouverner en surveillant les passions

auxquelles il peut amener l'âme. Or, cette théorie sert dans la plupart des premiers

commentaires à justifier la classification aristotélicienne en vertus coutumières et

intellectuelles. Dans le deuxième chapitre, nous avons cherché les sources ultimes de

cette théorie, ainsi que le cheminement de celle-ci jusqu'aux maîtres es arts de Paris.

Cette théorie remonte à Plotin dans les Ennéades IV, 8 [traité 6], où l'on trouve le

texte fondateur. Nous suivons la trace de ce texte dans l'Orient et puis dans l'Occident

arabes ; enfin, fruit des vagues de traductions latines du péripatétisme gréco-arabe, nous

retrouvons la théorie des deux faces de l'âme à Tolède avant d'arriver chez les

théologiens et les artiens de Paris. Chez eux, les vertus intellectuelles peuvent s'exercer

selon la partie supérieure de l'âme qui contemple le supérieur, tandis que les vertus

coutumières s'exercent selon la partie inférieure de l'âme.

Cette architecture de l'âme s'insère dans une dynamique que nous avons appelée

'odyssée de l'âme' (reprise comme peregrinatio animae chez Augustin), selon laquelle

l'âme qui appartient par nature au monde intelligible se trouve pour diverses raisons

(selon les auteurs) dans le monde sensible. À partir de cette situation, l'âme doit tenter de

retourner vers l'intelligible, mais court toujours le danger de retomber dans le sensible.

La structure des deux faces de l'âme permet de se débarrasser de l'influence du monde

sensible et en même temps de rechercher l'intelligible auquel l'âme appartient de par sa

nature. Or, dans les commentaires de VÉthique à Nicomaque, cette disposition est

reproduite dans la dynamique du 'retour' vers le supérieur et dans la nécessité d'agir pour

194

s'assimiler à Dieu dans la mesure du possible. En effet, la partie supérieure de l'âme est

responsable de cette assimilation à partir de l'exercice des vertus intellectuelles.

2.3. La hiérarchie des vertus intellectuelles, la fronesis et l'assimilation au

divin

La hiérarchisation des vertus intellectuelles constitue - on l'a dit - le troisième

complexe conceptuel composant l'idéal éthique des artiens. Le processus d'assimilation à

Dieu est seulement esquissé dans notre commentaire, en lien étroit avec les vertus

intellectuelles. En fait, dans VEthica Noua et Vêtus, on ne trouve que de rares mentions

des vertus intellectuelles, et puisque nos maîtres ne disposaient pas du livre VI de

YEthique où l'on parle des vertus intellectuelles, ils ont dû aller chercher ailleurs un

contenu pour expliquer la mention des trois vertus intellectuelles à la fin de VEthica Noua

{EN I). En effet, les caractérisations des trois vertus intellectuelles - qui sont d'ailleurs en

concurrence avec les trois vertus théologales que les théologiens attribuent à la partie

supérieure de l 'âme- contiennent des éléments stoïciens, néoplatoniciens et même

quelques éléments du péripatétisme arabe et de ses filières latines en Espagne. Tous ces

éléments sont combinés d'une façon originale chez le Pseudo-Peckham.

Les vertus intellectuelles, à savoir la sagesse, l'intelligence et la fronesis,

constituent autant de degrés et de spécificités de connaissance et de dilection du Premier

- la façon philosophique de se référer à Dieu chez les maîtres parisiens. Le Pseudo-

Peckham en particulier inclut une description assez sommaire mais complexe que nous

avons analysée en détail dans le chapitre trois. La hiérarchie qu'il dresse considère au

rang le plus bas la sagesse, ensuite l'intelligence et enfin la fronesis. L'ordre hiérarchique

des vertus suit l'ordre notionnel des transcendantaux : la sagesse est reliée au Premier en

tant que souverain bien auquel tous tendent, l'intelligence est reliée au Premier en tant

que souverain vrai et la fronesis constitue une assimilation au Premier dans la mesure du

possible, en tant que l'âme s'unifie elle-même et en cette unification s'assimile et

ressemble plus au Premier, l'unification de l'âme étant possible par connaissance et

dilection du souverain bien. L'idéal éthique des maîtres es arts s'incarne donc dans la

195

pratique vertueuse de la philosophie - sous le nom defronesis - comme connaissance et

dilection du Premier, qui est le souverain bien.

Mais le Pseudo-Peckham n'est ni le premier ni le dernier à interpréter la

philosophie comme un chemin de perfectionnement vers une plénitude de connaissance et

d'affection. Plénitude qui trouvera au XIIIe siècle son ultime formulation sous la plume de

Boèce de Dacie : « Le philosophe éprouve une jouissance suprême dans le premier

principe et dans la contemplation de sa bonté. Là seulement se trouve la jouissance droite.

Lelle est la vie du philosophe, et quiconque ne la vivra pas n'aura pas une vie droite » 5.

Enfin, c'est un fait que les maîtres es arts ont accompli leur tâche philosophique

en se créant un idéal de connaissance, valeur ultime de ceux qui pratiquent la philosophie.

Môme si leur Faculté des arts était inférieure dans la hiérarchie imposée à l'Université de

Paris, même s'ils n'étaient que les membres d'une faculté instrumentale, les maîtres es

arts ont pourtant été formés pour le travail intellectuel, qu'ils voulaient exercer jusqu'aux

plus hautes recherches, jusqu'à la recherche au sujet du divin comme l'avaient fait les

philosophes grecs, latins et arabes avant eux, et comme aussi le faisaient alors les

théologiens. Finalement, ils ont trouvé leur suprématie dans l'enseignement de l'éthique,

qui leur offrait la possibilité de créer une doctrine philosophique à leur taille et un idéal à

atteindre. Le commentaire du Pseudo-Peckham, en particulier, nous offre un exemple

saisissant de cet idéal, au fil des pages d'un ouvrage méconnu qui avait été relégué à une

place secondaire dans l'histoire de l'éthique et de la philosophie médiévales, mais qui

indéniablement constitue au contraire un des textes les plus étoffés, d'une richesse

théorique des plus formidables, bref, un véritable trésor philosophique que nous a légué

BOÈCE DE DACIE, DU souverain bien ou de la vie philosophique, dans THOMAS D' AQUIN et BoÈCE DE DACIE, Sur le bonheur, trad. R. IMBACH et I. FOUCHE, Paris, Vrin (coll. « Translatio, Philosophies Médiévales»), 2005, p. 166. « Philosophus in primo principio maxime delectatur et in contemplatione bonitatis eius. Et haec sola est recta delectatio. Haec est vita philosophi, quam quicumque non habuerit non habet rectam vitam » : BoÈCE DE DACIE, De summo bono, dans Boethii Daci Opéra, éd. N.G. GREEN-PEDERSEN, Copenhague, Gad (coll. « Corpus Philosophorum Danicorum Medii Aevi », 6, 2), 1976, p. 377. Cet enthousiasme pour la contemplation philosophique est aussi partagé par les 'commentaires averroïstes' de VÉthique à Nicomaque de la deuxième moitié du xmc siècle, cf. R.A. GAUTHIER, « Trois commentaires 'averroïstes' sur l'Éthique à Nicomaque », AHDLMA, 16 (1947-1948), p. 288-293. Une étude sur les rapports entre les commentaires de la première et de la deuxième moitié du XIIIe siècle s'imposera, lors de leur édition - à noter que ces derniers sont en train d'être édités par Jacopo Costa.

196

un artien du XIIIe siècle en dialogue avec ses collègues immédiats et une tradition éthique

déjà plus que millénaire.

Deuxième Partie

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM

(c. 1245)

COMMENTARIVM IN ETHICAMNOVAM ET VETEREM

Normes de l'édition (description et classification des manuscrits) et principes de la traduction

L'édition

1. Les manuscrits Quatre témoins nous sont parvenus, dont deux complets et deux partiels.

Les témoins complets

F = Florence, Biblioteca Nazionale, conv. sopp., G 4. 853, f. lr-77v

Incipit (f. Ira) : « Cum scientie quedam sint de rébus et quedam de signis ...»

Explicit (f. 77va) : «. . . et notât per hoc incontinentiam plus uigere in iuuenibus quam in aliis »

Ce codex a été l'objet d'une description détaillée1. Rappelons simplement que

notre manuscrit F, en parchemin, date de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe et,

selon Spettmann, a été copié par au moins quatre mains dont deux pour le texte qui nous

intéresse2.

Du folio Ira (Prologue) - « Cum scientie quedam sint de rébus... » -jusqu'à la fin

du commentaire sur VEthica Noua (leçon 21) au folio 34rb - « ...potest habere quod non

habeat actu » -, l'écriture est ronde, stylisée, laissant place à quelques ornementations

calligraphiques en haut et en bas de colonne, bien lisible, utilisant - sans le faire trop

' H. SPETTMANN, « Der Ethikkommentar des Johannes Pecham », dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Festgabe C. BAEUMKER zum 70. Geburtstag (16. September 1923) Munster, Aschendorff (coll. BGPTM, Suppl. 2), 1923, p. 223-225.

2 SPETTMANN, « Der Ethikkommentar des Johannes Pecham », p. 223.

199

souvent - des abréviations constantes et relativement claires, et marquant fréquemment

du signe de paragraphe les débuts de section ou les changements de sujet. Dans des notes

marginales, une main postérieure énonce les questions de quelques leçons. Or, au fil des

pages, les abréviations augmentent graduellement, l'écriture devient moins stylisée, plus

compacte, les ornements disparaissent et le signe de paragraphe est utilisé de façon

beaucoup plus restreinte, voire, il est abandonné à partir du folio 28vb ; il s'agit peut-être

de signes de fatigue du scribe.

Du folio 35ra (leçon 22) - « Duplici autem uirtute et cetera. In libro

precedenti... » - jusqu'à la fin du commentaire au folio 77va (leçon 45) - « ...quam in

aliis » - , l'écriture devient fine, peu ornementée - à partir du folio 39r on trouve quelques

décorations qui disparaissent peu à peu-, utilisant moins d'abréviations et espaçant

davantage les mots ; le signe de paragraphe réapparaît.

Ce manuscrit contient les œuvres suivantes :

1. f. lra-77va : Pseudo-Peckham, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem

2. f. 79ra-191vb : Anonyme, Scriptum super libros De animalibus

3. f. 193ra-222va: Magister Alexander (?), Scriptum super librum primum De

anima

O = Oxford, Bodleian Library, mise, lat., c. 71, f. 2r-52r

Incipit (f. 2ra) : « Cum scientie quedam sint de rébus et quedam de signis ...»

Explicit (f. 52rb) : «. . . et notât per hoc incontinentiam plus uigere in iuuenibus

quam in aliis. Explicit expliciat ludere scriptor eat »

Ce codex date du milieu du XIIIe siècle3. Les scribes de notre témoin O, relié jadis

- selon Bazân - avec le manuscrit mise. lat. c. 70 de la même bibliothèque, ont suivi le

3 R.W. HUNT, « Notable accessions », Bodleian Library Record, 5, 3 (1955), p. 166. 4 C. BAZÂN, «Introduction», dans ANONYME, Sententia super II et III De anima (c. 1246-1247), éd.

C. BAZÂN, texte du De anima Vêtus établi par K. WH1TE, Louvain-la-Neuve, Éditions de l'Institut

200

même modus operandi que ce dernier manuscrit. En effet, selon Bazân, dans ce dernier

manuscrit, « le texte [...] a été transcrit par un scribe professionnel ; il a été corrigé

soigneusement par une deuxième main qui est intervenue de trois façons : par des notes

marginales qui comblent des mots ou corrigent des leçons ; par des corrections au-dessus

de la ligne ; par des corrections dans le texte même »5.

Nous considérons que les scribes du témoin O pourraient être un étudiant ou un

apprenti copiste (main a) et un maître (main b), dans le sens où seules les portions

appartenant à une des mains ont été corrigées par des notes marginales ; dans tous les cas,

il s'agit de deux scribes avec des capacités différentes, probablement selon l'expérience

de chacun.

a = Du folio 2ra (Prologue) - « Cum scientie quedam... » - jusqu'à la dernière

ligne du folio 28vb - « ad cognitionem summi ueri et fronesim » - , l'écriture est fine et

abrégée. Les mots écrits dans les marges latérales semblent provenir d'une autre main

(b?).

b = Du folio 29ra (leçon 21) -«Prima questio est de ratione félicitâtis... » -

jusqu'à la fin de la portion relative à VEthica Noua au folio 29vb - « ...habere quod non

habeat actu » - l'écriture devient un peu plus stylisée, moins fine (à cause d'un stylet

différent), sans notes marginales6.

a = Du folio 30ra (leçon 22) - « Duplici autem uirtute et cetera. In libro

precedenti... » - jusqu'à la fin du folio 41rb - « ...exequentur cum altero uel » -,

l'écriture devient fine, avec moins d'abréviations que la précédente section. Les

corrections dans les marges réapparaissent et semblent provenir d'une autre main (b?).

b = Du folio 41va - « ad alterum et licet... » - jusqu'au folio 47vb - « ...illam

perfectionem habeat » -, l'écriture devient derechef plus stylisée, les notes marginales

Supérieur de Philosophie ; Louvain et Paris, Peeters (coll. « Philosophes Médiévaux », 37), 1998, p. 2*.

5 Ibid., p. 2*. 6 La seule portion éditée correspondant à la main b se trouve dans les paragraphes 26 à 64 de la leçon 21.

Nous pouvons remarquer que les omissions longues diminuent beaucoup dans ce segment du témoin O. Cf. ci-dessous, p. 203.

201

ont été écrites par la même main (b). À partir du folio 44v jusqu'à la fin du commentaire,

on ne trouve presque plus de notes marginales7.

a = Du folio 47vb - « argumentum ad oppositum soluitur... » - jusqu'à la fin du

commentaire au folio 52rb - « ...quant in aliis. Explicit expliciat ludere scriptor eat ». Le

stylet change et l'écriture devient encore une fois moins stylisée.

Les témoins partiels

P = Prague, Nârodni Knihovna Ceské Republiky (auparavant Universitni

Knihovna), III. F 10, f. 12r-23v

Incipit (f. 12ra) : « Duplici uirtute et cetera. In libro precedenti in fine posuit

auctor diuisionem uirtutis per intellectualem et consuetudinalent . . .»

Explicit (f. 23va) : « . . . potuisset enim didicisse (sic) si uellet et uero esset

ignorans. Hec est sententia partis »

Ce manuscrit, décrit par R.A. Gauthier , est formé par deux autres codices : le

premier (f. 1-11), datant du XIIIe siècle, contient l'exposition sur YEthica Noua attribuée à

Robert Kilwardby ; le deuxième, datant du XIVe siècle et écrit par deux scribes différents,

contient, dans le premier cahier (f. 12ra-19vb) et le début du deuxième (f. 20ra-23va), le

Commentarium in Ethicam. Veterem du Pseudo-Peckham et, dans les folios qui suivent

(f. 23va-139vb), une portion de la Sententia libri Ethicorum de Thomas d'Aquin

(auparavant, dans le catalogue de la bibliothèque, le tout avait été attribué à Thomas

d'Aquin9). Bref, le témoin P présente un texte fragmentaire dans lequel la portion qui

nous intéresse fait partie d'un assemblage composite -pour ainsi dire d'un patchwork-

dont l'ensemble reconstitue l'équivalent d'un commentaire complet de VEthique à

7 II y en a seulement trois : aux marges des folios 44v, 47v et 49v. 8 THOMAS D'AQUIN, Sententia libri Ethicorum, éd. R.A. GAUTHIER, Rome, Sainte-Sabine (coll. « Sancti

Thomae opéra omnia », 47, 1), 1969, p. 12*. J. TRUHLÀR, Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in C.R. Bibliotheca Publica atque

Universitatis Pragensis asservantur, Prague, Regia societatis scientiarum bohemicae, 1905-1906, t. I, p. 514.

202

Nicomaque en dix livres . Quant à la partie du témoin P où se trouve partiellement le

commentaire du Pseudo-Peckham, elle n'inclut que les Sententiae et les Expositiones

littere du texte relatif à YEthica Vêtus.

A = Avranches, Bibliothèque Municipale, 232, f. 123r-125v

Incipit (f. 123r) : « Circa timorés autem et audacias et cetera . . .»

Explicit (f. 125v) : « . . . hec uero additio tamquam communis in omni uirtute

intelligitur. Expositio autem littere habetur alias »

Ce manuscrit, décrit par G. Lacombe , est composé de neuf parties écrites par

divers scribes de la fin du XIIe et du début du XIIIe siècle12 et comprend au moins 15

ouvrages différents, entre autres : d'Aristote, la traduction ancienne du De gêner atione et

corruptione et plusieurs autres items de la philosophie naturelle, YEthica Noua, YEthica

Vêtus ; d'Abélard, le Tractatus de intellectibus ; de Gundissalinus, le De unitate. En

septième place est mentionné le Commentarium Abrincense in Ethicam Veterem, dont

nous avons parlé dans l'introduction, en lui attribuant les folios 90r à 125v. Or, nous

savons maintenant que ledit commentaire remplit seulement les folios 90r à 123r et

qu'ensuite nous trouvons la fin du Commentarium in Ethicam Veterem du Pseudo-

Peckham. Au témoin A, qui inclut seulement les leçons 43 à 45 et qui partant ne figure

pas dans notre édition sélective, font défaut les Expositiones littere et la question 3 de la

leçon 43. Nous fournissons ci-dessous (section 2.1) la liste des leçons, afin de donner une

idée dos parties couvertes par chacun des témoins.

10 D'abord, nous trouvons le commentaire de Kilwardby sur YEthica Noua, ensuite le commentaire du Pseudo-Peckham sur YEthica Vêtus, et enfin le commentaire de Thomas d'Aquin sur le reste de Y Éthique à Nicomaque, ce dernier commentaire rédigé, bien entendu, à partir de la traduction de Robert Grosseteste dont nous avons parlé, ci-dessus, dans l'introduction de la première partie.

" G. LACOMBE et al., Aristoteles Latinus. Codices, Rome, La libreria dello Stato (coll. «Corpus philosophorum medii aevi »), 1939, Pars prior, p. 437, n°408.

12 II faut reporter la date de copie de ce manuscrit jusqu'au milieu du XIIIe siècle, au moins en ce qui concerne notre commentaire, d'après des indices que nous analysons ci-dessus, dans l'introduction de la première partie.

13 R.A. GAUTHIER, « Saint Thomas et Y Éthique à Nicomaque », dans THOMAS D'AQUIN, Sententia libri Politicorum. Tabula libri Ethicorum, Rome, Sainte-Sabine (coll. « Sancti Thomae opéra omnia », 48), 1971, p. XVI.

203

2. Le texte Généalogie et état de la tradition manuscrite

La relation entre les deux témoins principaux (F et O) est assez complexe. Le

texte du manuscrit F pourrait sembler plus proche de l'archétype. Les raisons sont que O

inclut de nombreuses corrections qui correspondent au texte de F. Cela pourrait faire

penser que le texte de F est une copie plus propre selon la source des corrections de O.

Cependant, si nous examinons les omissions longues (omission de quatre mots ou plus)

des deux manuscrits, le portrait change.

Omissions longues

Dans le Prologue :

§ 33 set bonum ... sicut exemplar FsO] om. pO

§ 43 quia ab ... remuneratur FsO] om. pO

§ 44 ad aliud ... modo plus FsO] om. pO

§ 44 est enim quedam conuenientia sO] om. FpO

§ 79 secundum quod anime natura potest recipere ergo F] om. hom. O

Dans la Leçon XXI :

§ 5 tamen ei innatum est aliquid per quod obediat F] om. hom. O

§ 11 deinde déclarât istud per simile dicens ita est sO] om. FpO

§ 13 nichil condisset... id est sensibilis O] om. hom. F

§ 14 tamen magis ... subiectum rationi FsO] om. pO

§ 21 et sermo uidetur esse circulus O] om. F

§ 20 uirtutes sicut de numéro laudabilium habitum F] lac. unius lineae O

§ 26 per subiectum in quo est O] om. F

§ 27 set curuum est dispositio linee F] om. O

§ 37 aliam potentiam ... secundum illam potentiam O] om. hom. F

§ 39 ergo non inducit peccatum moris O] om. F

§ 48 Igitur si ... erit potestas O] om. F

204

Dans la Leçon XXII :

§ 7 ad suam causam ... ordinatione hominis FsO] om. hom. pO

§ 9 respectu sui ... quam ordinat FsO] om. hom. pO

§ 24 speculatiui sicut diuidunt habitum intellectus O] om. hom. F

§ 27 et minor ... eiusdem operationis FsO] om. pO

§ 42 et manifestât... ex doctrina FO] om. hom. P

§ 42 quasi diceret... uirtus accipit FO] om. P

La plupart des omissions longues dans O sont comblées en correction marginale,

ce qui n'est pas le cas dans F. De plus, si nous ne considérons pas les omissions dans le

premier état de O, à savoir pO, les omissions dans O (quatre) sont beaucoup moins

nombreuses que les omissions dans F (neuf). De ces faits, une conclusion s'impose :

aucun des témoins F et O n'est la copie de l'autre. Toutefois, pour établir si P est la copie

soit de F soit de O, nous devrons faire un test de variantes communes.

Or, étant donné que O inclut de nombreuses corrections, nous avons deux

possibilités : I. ou bien il s'agit d'une troisième main (outre les mains 'a' et 'b' que nous

avons définies dans la description du manuscrit) et, dans ce cas, la tradition est

probablement contaminée ; IL ou bien les corrections de O ont été faites par l'un des

deux scribes et, dans ce cas, la tradition n'est pas contaminée. Or, si (I.) O est contaminé,

il s'avère impossible de dresser un stemma codicum selon les règles de l'art14, puisqu'il

s'agit d'une recension ouverte15. Nous considérons donc les deux témoins complets

comme indépendants. Toutefois, si (IL) O n'est pas contaminé, il faut considérer la

relation des deux témoins principaux avec le témoin P.

Les trois témoins se rencontrent seulement dans la division du texte, la sentence et

l'exposition littérale de la leçon XXII. Pour déterminer le stemma de la portion éditée

nous examinons les variantes communes16.

14 M.L. WEST, Textual criticism and editorial technique, Stuttgart, Teubner, 1973, p. 12-15. 15 WEST, Textual criticism, p. 14. 16 À propos de ce type de tableau et sur les tests des variantes, cf. D. PlCHÉ, Le problème des universaux à

la Faculté des Arts de Paris entre 1230 et 1260, Paris, Vrin (coll. « Sic et non »), 2005, p. 23-27.

205

FO FP OP FOP Omissions courtes" 2 1

Leçons fautives'" 6 1

Solécismes 1

Barbarismes 2

Leçons équivalentes 1

Leçons inférieures

Le fait qu'il n'y a pas de variantes communes aux trois manuscrits nous indique

que le texte de l'archétype à cet endroit précis est de bonne qualité ; en effet, lorsque nous

avons trois témoins, notre intervention sur le texte - indiqué par l'abréviation scr.

(scripsimus) dans l'apparat de variantes - est rare. Pourtant, vu l'état fragmentaire de P,

nous avons parfois dû intervenir - dans les portions manquantes de celui-ci - pour

restituer - selon notre avis - certains lemmes de l'archétype.

Or, pour déterminer la valeur de chacun des codices, il faut analyser les variantes

individuelles :

F O P Omissions courtes 3 6

Leçons fautives 8 3 7

Solécismes 2 1 4

Barbarismes 1 1

Leçons équivalentes 2 1 4

Leçons inférieures 1 2 1

D'après le tableau ci-dessus, nous pouvons observer la valeur de chacun des

témoins. Le témoin O s'avère celui de meilleure qualité, suivi de F et finalement de P.

C'est pourquoi nous accordons une prépondérance philologique au témoin O. Si nous

ajoutons aux variantes individuelles les variantes communes (tableau suivant), bien que le

17 Omissions d'un à trois mots. Cf. ibid, p. 23, n. 4. 18 Leçon inadéquate au regard du sens de l'énoncé ou du contexte discursif où elle se rencontre. Cf. ibid,

p. 26.

206

témoin P possède le moins de leçons fautives pour cette portion de texte éditée, O

demeure celui qui comporte le moins de lieux variants.

F O P Omissions courtes 5 2 7

Leçons fautives 14 9 8

Solécismes 2 2 4

Barbarismes 3 3

Leçons équivalentes 3 2 4

Leçons inférieures 1 2 1

En ce qui concerne la parenté entre les témoins, du test des variantes communes il

résulte que le témoin P n'est apparenté à aucun des autres témoins, alors que F et O le

sont. Voici le stemma codicum représentant la généalogie de nos trois témoins :

a

7 P

Finalement, dans la portion éditée, l'accord des trois témoins, F, O et P,

reconstitue le texte de l'archétype du Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem. Or,

l'accord des témoins F et O nous donnera - là où P fait défaut - la leçon la plus proche

de l'archétype, à savoir de p. En général, le témoin O garde une préséance sur les autres,

nent?)

O

207

puisque, parmi les témoins complets, il est philologiquement de meilleure qualité, comme

l'a montré le tableau des variantes individuelles1 .

2.1. Structure du texte Notre commentaire a divisé le texte de VÉthique en quarante-cinq leçons, dont

vingt-et-une sur VEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur VEthica Vêtus. Les voici

mentionnées en ordre avec les folios correspondants dans chaque manuscrit ; nous

ajoutons la numérotation de l'édition grecque de I. Bekker reproduite dans les

traductions éditées par R.A. Gauthier :

Prologue21 : « CVMSCIENTIEQVEDAMSINTDEREBVS » [F, f. Ira ; O, f. 2ra]

Commentaire sur VEthica Nova LECTIO 1 : « OMNIS ARS ETOMNIS DOCTRlNA » (1094al) [F, f. 2vb ; O, f. 3rb]

LECTIO 2 : « MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS » (1094a7) [F, f. 4va ; O, f. 4va]

LECTIO 3 : « Si AVTEM ITA TEMPTANDVM » (1094a25) [F, f. 6va ; O, f. 6rb]

LECTIO 4 : « DlCETVR VT1QUE » (1094bl 1) [F, f. 7vb ; O, f. 7rb]

LECTIO 5 : « IDCIRCO CIVILIS NON EST » (1095a2) [F, f. 8va ; O, f. 8ra]

LECTIO 6 : « DiCAMVS AVTEM DE RE » (1095a 14) [F, f. 9va ; O, f. 8vb]

LECTIO 7 : « NVNC AVTEM AD ID VNDE DISCESSIMVS » (1095M3) [F, f. 1 lrb ; O, f. lOra]

LECTIO 8 : « QVID AVTEM VNIVERSALE COMMODIVS EST FORTE SCRVTARI » (1096al 1) [F, f. 12vb ; O, f. 11 val

LECTIO 9 : « PROBABILIVS AVTEM » (1096b5) [F, f. 14va ; O, f. 12vb]

LECTIO 10 : « RVRSVS AVTEM REVERTAMVR » (1097al5) [F, f. 16rb ; O, f. 14ra]

LECTIO 11 : « DESIDERATVR AVTEM » (1097b24) [F, f. 18ra ; O, f. 15rb]

LECTIO 12 : « SI AVTEM OPVS » (1098a7) [F, f. 19rb ; O, f. 16va]

LECTIO 13 : « DISTRIBVTIS AVTEM BONIS » (1098b 12) [F, f. 20rb ; O, f. 17rb]

LECTIO 14 : « DIFFERT AVTEM » (1098b32) [F, f. 21va ; O, f. 18rb]

LECTIO 15 : « VNVM QVESITVM » (1099b8) [F, f. 23va ; O, f. 19va]

LECTIO 16 : « RELIQVORVM AVTEM » (1999b26) [F, f. 25va ; O, f. 2lrb]

LECTIO 17 : « DOMINI VERO » (1 lOOblO) [F, f. 27rb ; O, f. 22rb]

19 Cf., ci-dessus, p. 205. 20 ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. I. BEKKER, Oxford, Oxford University Press (coll. « Aristotelis Opéra

Omnia», 9), 1837. 21 Nous avons confectionné un index questionum (texte latin et traduction française) du commentaire où

sont détaillées toutes les questions traitées dans chaque leçon. Cf. ci-dessous, Appendice A.

208

LECTIO 18 : « PRONEPOTVM VERO » (1101a23) [F, f. 29ra ; O, f. 24ra]

LECTIO 19 : « DÉTERMINAIS AVTEM » (1 lOlblO) [F, f. 30ra ; O, f. 25rb]

LECTIO 20 : « Si AVTEM FELICITAS » (1102a5) [F, f. 30rb ; O, f. 27rb]

LECTIO 21 : « HEC IGITVR COMMVNIS » (1102b3) [F, f. 32va ; O, f. 28rb]

Commentaire sur YEthica Vêtus

LECTIO 22 : « DVPLICI AVTEM VIRTVTE » (1103al4) [F, f. 35ra ; O, f. 30ra ; P, f. 12ra]

LECTIO 23 : « Ex QVO MANIFESTVM EST » (1103al9) [F, f. 36rb ; O, f. 30vb ; P, f. 12rb]

LECTIO 24 : « QVONIAM IGITVR PRESENS OPVS » (1103b25) [F, f. 38rb ; O, f. 32ra ; P, f. 13ra]

LECTIO 25 : « PRIVS IGITVR » (1104al 1) [F, f. 40rb ; O, f. 33ra ; P, f. 13va]

LECTIO 26 : « SlGNVM AVTEM HABITVVM » (1104b4) [F, f. 41rb ; O, f. 34rb ; P, f. 13vb]

LECTIO 27 : « QVERET AVTEM ALIQVIS » (1105al7) [F, f. 43vb ; O, f. 35rb ; P, f. 14va]

LECTIO 28 : « POST HEC AVTEM QVID EST VIRTVS » (1105b 19) [F, f. 46ra ; O, f. 36va ; P, f. 15va]

LECTIO 29 : « ADHVC AVTEM » (1106a25) [F, f. 47vb ; O, f. 37va ; P, f. 16ra]

LECTIO 30 : « NON AVTEM SVSCIPIT » (1107a8) [F, f. 50va ; O, f. 39ra ; P, f. 17ra]

LECTIO 31 : « OPORTET AVTEM SVPERIVS » (1107a27) [F, f. 52ra ; O, f. 40ra ; P, f. 17va]

LECTIO 32 : « NVNC AVTEM DERELIQVIS » (1108a2) [F, f. 54rb ; O, f. 41rb ; P, f. 18rb]

LECTIO 33 : « TRIBVS VTIQVE DISPOSITIONIBVS » (1108b 11) [F, f. 54va ; O, f. 41 va ; P, f. 19ra]

LECTIO 34 : « AD MEDIVM AVTEM OPPONITVR IN mis MAGIS » (1109al) [F, f. 55rb ; O, f. 42ra ; P, f. 19va]

LECTIO 35 : « VIRTVTE AVTEM C1RCA PASSIONES » (1109b30) [F, f. 57ra ; O, f. 42vb ; P, f. 19vb]

LECTIO 36 : « QVONIAM AVTEM PER IGNORANTIAM INVOLVNTARIVM » (1110bl6) [F, f. 59rb ; O, f. 44ra ; P,

f. 20vb]

LECTIO 37 : « DÉTERMINAIS AVTEM VOLVNTARIO » ( l l l lb3) [F, f. 61 vb ; O, f. 45rb ; P, f. 21vb]

LECTIO 38 : « VIDETVR AVTEM NON OMNIS QVESTIO » (1112b21) [F, f. 64vb ; O, f. 46va ; P, f. 22va]

LECTIO 39 : « VIDETVR AVTEM HIISQVIDEM BONI » (1113al6) [F, f. 66ra ; O, f. 47rb ; P, f. 23ra]

LECTIO 40 : « ADHVC IRRATIONALE VIDETVR INIVSTA » (11 Mal 1) [F, f. 67rb ; O, f. 47vb]

LECTIO 41 : « QVONIAM IGITVR QVIDEM MEDIETAS » ( 1115a6) [F, f. 69ra ; O, f. 48va]

LECTIO 42 : « DICVNTVR AVTEM ET ALIE SECVNDVM QVINQVE MODOS » (1116al6) [F, f. 71 vb ; O, f. 49vb]

LECTIO 43 : « CIRCA AVTEM TIMORÉS ET AVDATIAS » (1117a29) [F, f. 73vb ; O, f. 50vb ; A, f. 123r]

LECTIO 44 : « POST HEC AVTEM DE CASTITATE »(1117b23) [F, f. 74vb ; O.f. 5\w,A, f. 124r]

LECTIO 45 : « DESIDERIORVM QVIDEM HEC VIDENTVR »(1118b8) [F, f. 76ra ;0,f.5\v&;A, f. 124v]

209

Nous pouvons remarquer que notre commentaire s'arrête avant la fin du livre III,

c'est-à-dire à EN, III, 1119a34 ; les 18 lignes suivantes font partie de ce qu'on a appelé

Yeditio longior de YEthica Vêtus22.

Les leçons possèdent une structure assez régulière tout au long de l'ouvrage23.

Chaque leçon comporte quatre parties24 :

1. Diuisio textus présentant le sujet de la leçon avec division et subdivision du texte

de VEthique correspondant à la portion traitée.

2. Sententia lectionis fournissant un sens général des propos de la portion traitée.

3. Questiones débutant par l'énumération des questions suivie de leur

développement respectif avec insertion de sous-questions au besoin.

4. Expositio littere fournissant le sens exact, selon l'auteur, des propos d'Aristote.

Cette architecture peut varier selon les leçons et certaines leçons peuvent être

privées d'une de ces sections. Les leçons 1 à 5, 14 à 17, 22, 24, 33 à 39 et 42 suivent

l'ordre stipulé ci-dessus, mais dans d'autres leçons la disposition des parties varie :

Leçons 6 à 13, 26 à 32 : Absence de l'Exposition littérale. Dans la Sentence,

l'ordre et le style répondent aux règles générales de la rédaction d'une Sentence, mais le

texte est assez étendu et détaillé presque pour remplir les caractéristiques d'une

Exposition littérale : il s'agit de ce que d'autres contemporains du Pseudo-Peckham

appellent la Sententia in spécial?5, elle est aussi présente dans le Commentaire de Paris

sur la Nouvelle Ethique .

Cf. GAUTHIER, « Introduction », dans ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, éd. et trad. R.A. GAUTHIER et J.Y. JOLlF, Paris, Béatrice Nauwelaerts (coll. « Aristote, traductions et études »), 1970, p. 114.

Ce type de disposition est bien caractérisé par PlCHÉ, Le problème des universaux, p. 62-69. Cette forme quadripartite est aussi bien décrite par R.A. Gauthier dans l'avant-propos au Commentaire

de Paris. Cf. GAUTHIER, «Le cours sur YEthica Nova», p. 75-77. Selon Gauthier, plusieurs particularités de ce type de commentaire (particularités que nous trouvons aussi dans notre commentaire, par exemple Lectio XXI, Expositio Littere, §9, § 16, § 19) indiquent davantage un cours donné devant des auditeurs qu'une oeuvre écrite pour l'étude et la lecture.

O. WEIJERS, La 'disputatio' à la Faculté des arts de Paris (1200-1350 environ). Esquisse d'une typologie, Amsterdam, Brepols (coll. « Studia Artistarum. Études sur la Faculté des arts dans les Universités médiévales », 2), 1995, p. 12-13.

Cf. GAUTHIER, « Le cours sur YEthica Nova », p. 76-77.

210

Leçons 10 et 30 : Avant la Division du texte, l'auteur reprend les leçons

antérieures et établit la relation avec la leçon en cours et celles qui suivront, on dirait une

note récapitulative.

Leçons 18, 19, 20, 21, 40 : L'Exposition littérale vient immédiatement après la

Sentence et les questions occupent la dernière place.

Leçon 23 : Absence de la Sentence.

Leçon 25 : Absence de l'Exposition littérale.

Leçon 41 : La Division du texte vient immédiatement après la Sentence.

Leçons 43 à 45 : Absence de la Division du texte.

La division du texte suit un modèle assez précis. Voici quelques-unes des marques

textuelles des leçons éditées. Dans la leçon 21 : hec est quarta pars ... in qua ostendit... ,

et sequitur quinta... due sunt partes in presenti lectione, in quarum prima ostendit...

secundo, diuidit et subdiuidit... prima pars diuiditur quia primo ostendit, ... secundo

ostendit... prima pars habet duas partes quia primo ostendit... prima continet partes

quatuor... in prima... secundo, ... tertio... quarto... ; dans la leçon 22 : primo resumit...

secundo exequitur... prima iterum pars diuiditur quia primo... secundo... prima pars

spectat adpresentem lectionem que diuiditur in duas... primo... secundo...

La sententia a aussi ses propres marques textuelles. Dans la leçon 21 : circa

primam partem sic procedit dicens... intendit dare talem rationem... deinde dat

secundam rationem... deinde exequitur... deinde dicit... deinde, quasi recapitulando...

deinde, auctor... deinde dicit... sic terminatur sententia... ; dans la leçon 22 : adprimum

ergo sic procedit dicens quod... deinde manifestât... deinde manifestât...

L'exposition littérale est annoncée littera sic exponitur -autant dans la leçon 21

que dans la leçon 22 -, les lemmes de la source sont en général soulignés et expliqués de

diverses façons, habituellement à l'aide des marques textuelles, telles id est... scilicet. La

suite des parties est marquée dans la leçon 21 par deinde, dat... et dicit... deinde, dicit

auctor... deinde, quia dixerat... dicit quod... deinde, déclarât... hoc dicto, auctor, quasi

recapitulando, dicit... ; dans la leçon 22 par deinde manifestât ... deinde dicit... deinde

manifestât...

211

La configuration des questions, bien qu'elle soit assez chaotique par endroits,

répond aussi aux stéréotypes de son temps27. D'abord, les arguments usuels contre la

position de l'auteur, le propositum ; ensuite, Y oppositum, des arguments pour la position

contraire aux arguments du propositum ; suit, très irrégulièrement, une réponse globale à

la question qui fournit l'opinion de l'auteur ; finalement, se trouvent les solutions à

chacun des arguments du propositum. Or, cette dernière section ne répond pas toujours

aux règles de l'art. D'un côté, il n'y a pas nécessairement des solutions pour tous les

arguments du propositum - dans ces cas, la plupart du temps l'auteur considère à la fin

d'une solution que les solutions aux autres objections sont évidentes. D'un autre côté,

parfois, il y a aussi des solutions pour les arguments de Voppositum -mais cela

seulement lorsque la réponse (ou l'opinion de l'auteur) constitue un 'moyen terme' entre

le propositum et Y oppositum ; cependant, en général seuls sont résolus les arguments du

propositum, ceux de Y oppositum ou du set contra reflétant l'opinion de l'auteur. De plus,

l'ordre des solutions ne suit pas nécessairement l'ordre des arguments, et d'autres

arguments et questionnements peuvent être ajoutés en plein déroulement des solutions.

En fait, cela reflète très bien ce qui se passe lors d'une discussion orale.

Nous avons tenté d'ajouter un guide à la lecture en numérotant les arguments du

propositum avec des chiffres arabes entre crochets obliques (<1>, <2>...) et les

arguments de Y oppositum avec des chiffres romains entre crochets obliques (<I>, <II>

<III> . . . ) ; les solutions à chaque argument sont indiquées par un astérisque qui

accompagne le numéro de l'argument auquel on a répondu (<1*>, ou <IV*>). Si un

argument du propositum n'est pas résolu nous l'indiquons (<2*...>) -nous ne saurions

affirmer si ces défauts dénotent des lacunes, volontaires ou involontaires, de nos témoins

manuscrits ou un choix de l'auteur lui-même -, mais parfois - comme nous l'avons dit -

la solution de l'argument est logiquement incluse dans une autre. Nous ne signalons pas

l'absence de solution d'un argument de Y oppositum, à moins que d'autres arguments de

Yoppositum aient été résolus dans la même question. Finalement, d'autres questions

présentent une structure plus simple de type question - réponse.

Pour une description des diverses structures des questions de la même période que notre commentaire, cf. PlCHÉ, Le problème des universaux, p. 71-97.

212

Les textes édités montrent des marques textuelles particulières pour les questions.

Par exemple dans la première question du Prologue, on énonce d'abord toutes les

questions ensemble, primo, inquiratur de comparatione ueri ad bonum (...); et au début

de la question, Circaprimum sic (...) ; puis lepropositum, Item, sicut habetur in (...) Item,

dicit Dionisius (...) Item (...) ; ensuite l'oppositum, Contra (...) Item (...) Item (...) ; pour la

réponse Ad primum istorum dicendum quod (...) Quod dicit quod... respondendum quod

(...) Quod obicit quod... respondendum quod (...) Ad aliud dicendum quod (...) Ad aliud

dicendum quod (...) Ad aliud dicendum quod (...) ; une nouvelle question est posée Set

tune est questio (...) et la réponse suit immédiatement Et ratio potest esse (...) et

finalement il termine avec les solutions Ad ultimum dicendum quod (...). Dans la leçon

21, les questions sont énoncées séparément, la première question, Prima questio est de

ratione felicitatis quamponit (...), est simple, de type question - réponse, Etposset solui

ad hoc (...) ; il en est de même pour la deuxième question Deinde potest queri (...) Et

dicendum quod(...). Dans la leçon 22, les questions sont énoncées toutes ensemble Circa

partem istam, queritur primo utrum tantum debeat esse una uirtutis differentia (...), puis

on trouve le propositum de la première question, De primo sic (...) Praeterea (...) Item

(...) ; ensuite il y a une réponse Ad primum dicendum quod (...) et des solutions Ad

primum ergo obiectum dicendum quod (...) Ad aliud dico quod (...).

Il faut noter que la configuration de ce commentaire répond à la typologie

correspondant aux commentaires de la Faculté des arts de Paris entre 1230 et 126028.

3. L'orthographe Notre édition conserve l'orthographe des témoins principaux. Lorsqu'il y a

manque d'uniformité, nous adoptons la forme la mieux attestée par les manuscrits. Quand

un mot figure en abrégé dans tous les témoins manuscrits, nous développons les

abréviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siècle, dont nous

énumérons quelques caractéristiques ci-dessous.

'8 Sur le détail de cette typologie, cf. O. WEUERS, « La structure des commentaires philosophiques à la Faculté des arts : quelques observations », dans G. FlORAVANTI et al., // commenta fdosofico nell'occidente latino (secoli Xlll-xv), Atti del colloquio Firenze-Pisa, 19-22 ottobre 2000, organizzato dalla SISMEL, Turnhout, Brcpols (coll. « Rencontres de Philosophie Médiévale », 10), 2002, p. 17-41. Voir aussi Gauthier, « Le cours sur VEthica Noua », p. 75-77.

213

Puisque nos scribes n'en font pas usage, les diphtongues ne sont pas incluses dans

l'édition. Plutôt que les lettres « v » et « j » (rarement attestées), les scribes - dont nous

suivons éditorialement l'usage - préfèrent « u » et « i » respectivement. En majuscule la

lettre « u » devient « V ». Quant à l'usage du -//'- ou -ci- devant une autre voyelle, nos

scribes en font parfois un usage indistinct ; de plus, à l'occasion, il demeure

paléographiquement incertain qu'il s'agisse d'un « c » ou d'un « t ». Nous avons donc

uniformisé le texte en adoptant systématiquement la forme -//'-.

Enfin, en ce qui concerne la conjonction de coordination sed, elle est le plus

souvent abrégée en 'S3'. Toutefois, dans chacun de nos témoins complets, nous avons

trouvé une occurrence de cette conjonction orthographiée au long : F donne alors « sed »,,

tandis que O présente « set ». En vertu de l'usage répandu de set durant la période à

laquelle appartiennent nos manuscrits, nous avons donc choisi la forme « set ».

À propos des noms propres, nos scribes préfèrent Aristotiles -quoiqu'ils

développent rarement l'abréviation 'ar' - , nous utilisons donc la forme médiévale du

nom. Pour Dionysius, nous adoptons la leçon Dionisius, les leçons des manuscrits

oscillant entre Dyonisius et Dionisius. Boetius s'écrit ainsi le plus souvent, sans h.

Nous présentons à la fin de cette édition une liste des variantes orthographiques,

afin de ne pas alourdir un apparat de variantes déjà assez étoffé .

4. L'apparat des variantes et des sources

L'apparat des variantes et l'apparat des sources - non distingués matériellement -

se trouvent dans les notes de bas de page. Dans l'apparat des variantes, nous avons

consigné toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos

témoins complets F et O, ainsi que de notre témoin partiel P . Nous présentons un

apparat positif (c'est-à-dire que les manuscrits qui appuient le lemme apparaissent à

gauche du crochet carré ' ] ' , et les manuscrits qui n'appuient pas le lemme apparaissent à

droite du ']'), seule façon de suivre clairement les apparitions et disparitions de notre

témoin fragmentaire P. L'apparat des variantes reprend le lemme tel qu'il est dans le

!9 Cf. J. ANDRÉ, Règles et recommandations pour les éditions critiques, Paris, Les belles lettres (coll. « Universités de France »), 1972, p. 16.

30 Le témoin A n'apparaît pas dans cette édition sélective parce qu'il contient seulement les leçons 43 à 45.

214

texte (moins l'italique, les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles

qu'elles se retrouvent dans les manuscrits.

Certaines particularités doivent être notées. Nous avons trouvé de manière

récurrente les variantes causatum (et ses flexions) dans O et creatum (et ses flexions)

dans F ; en outre, la félicité se voit attribuer l'adjectif causata dans O et creata dans F.

Or, le témoin O s'est montré plus consistant et régulier, c'est pourquoi nous avons, en

général, gardé la leçon de O ; toutefois, il s'agit d'un choix à partir d'une analyse interne,

nous trouvons ailleurs l'adjectif creata pour la félicité, par exemple dans le Commentaire

de Paris sur la Nouvelle Éthique. Par ailleurs, nos deux témoins principaux utilisent

l'accusatif rationem pour le verbe obedire, or, puisque le verbe obedire demande un datif,

nous corrigeons au besoin rationem par ralioni. Nous remarquons aussi certaines

variantes récurrentes comme respondendum en O avec la variante dicendum en F31 et

irrationalis (et ses flexions) en O avec la variante rationalis (et ses flexions) en F32.

Dans l'apparat des sources, nous précisons les références aux auteurs et aux

œuvres citées dans l'édition. Les sources tacites sont exprimées dans la mesure où nous

avons pu les identifier. En ce qui concerne les lemmes de YEthica Noua et de YEthica

Vêtus transcrits par notre commentateur dans la sententia ou dans YExpositio littere, nous

indiquons entre parenthèses la pagination de l'édition grecque de Bekker et, dans la

même parenthèse, nous mentionnons la page et la ligne de l'édition de la traduction latine

de Burgundio de Pise dans YAristoteles Latinus34. Cependant, les références à des

fragments de Y Éthique à Nicomaque autres que ceux dont on traite dans la leçon sont

abordées en notes de bas de page.

31 11 y a 22 occurrences de respondendum, dont 21 dans le prologue et 1 à la fin de l'exposition littérale de la Leçon XXII. De ces 22 occurrences : 10 sont communes (FO) tandis que les 12 occurrences en O correspondent en F à la variante 'dicendum', nous avons choisi la leçon de notre témoin principal O.

12 II y a 27 occurrences d'irrationalis (et ses flexions) dont 9 sont communes (FO), 9 occurrences en F correspondent en O à 'rationalis' (et ses flexions), 5 occurrences en O présentent en F 1 omission et 4 'rationalis' (et ses flexions), finalement, à 4 reprises nous avons rétabli 'irrationalis' (et ses flexions), tandis que dans FO on pouvait lire 'rationalis' (et ses flexions).

33 ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. I. BEKKER, Oxford, Oxford University Press (coll. « Aristotelis Opéra Omnia», 9), 1837.

34 ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. R.A. GAUTHIER, Leiden, Brill ; Bruxelles, Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », 26, fasciculus secundus), 1972.

215

5. L'habillage du texte 5.1. Les majuscules

L'emploi des majuscules dans les manuscrits est presque inexistant. C'est nous

qui avons mis une majuscule : (1) en tête de toute nouvelle phrase ; (2) au début de tous

les noms propres - incluant le mot Deus et Primus - ainsi qu'au début des noms

communs devenus propres par antonomase, par exemple : Philosophus, pour Aristote,

Commentator, pour Averroès ou bien Creator, ou Prima Causa, pour Dieu ; (3) aux

pronoms remplaçant Dieu ; (4) au premier mot des titres d'ouvrages. Nous distinguons

aussi Intelligentia - quand il s'agit d'une Intelligence céleste - et intelligentia - quand il

s'agit d'une faculté humaine ou d'une vertu intellectuelle. i

5.2. La ponctuation La ponctuation - éparse et aléatoire - qui se trouve dans les manuscrits ne répond

pas à nos conventions linguistiques modernes. Nous avons décidé de ponctuer le texte de

telle sorte qu'en ressortent clairement les articulations logiques.

5.3. L'italique Dans le corps du texte édité, nous avons réservé l'italique pour les mentions de

titres d'ouvrages ainsi que pour les lemmes commentés par l'auteur. Dans l'apparat des

variantes, l'italique a été utilisé seulement pour nos notations critiques, de telle sorte

qu'un titre de livre affecté d'une variante sera écrit en italique dans le texte et sans

italique dans l'apparat.

5.4. Signes variés

Toutes les suppléances que nous proposons pour combler une omission du texte

original sont incluses entre crochets obliques <>. Les guillemets simples " ont été utilisés

pour distinguer certains mots devant être mis en relief, comme dans le cas des

216

étymologies ou des définitions. Les guillemets français « » sont réservés aux citations

littérales.

5.5. Titres et divisions du texte

Le titre de l'ouvrage n'est pas de l'auteur : c'est nous qui l'avons forgé en

donnant une description de la nature du texte et, puisqu'il s'agit d'un ajout de l'éditeur, il

est inséré entre crochets obliques. La partition du texte en diverses leçons est une

configuration du texte lui-même, qui n'est pas notée ni numérotée dans les témoins

manuscrits, mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montrées.

Nous avons donc ajouté entre crochets obliques la numérotation des leçons et les titres

qui dénotent leur organisation, pour rendre la structure plus manifeste.

La traduction

1. Les principes méthodologiques

Le principe méthodologique de base à partir duquel nous avons effectué notre

traduction est le principe de littéralité, c'est-à-dire maintenir autant qu'il est possible une

fidélité optimale au texte latin35. Dans notre traduction, nous avons toujours privilégié

l'isomorphie entre énoncés latins et énoncés français par rapport à toute élaboration

littéraire. Mais le principe complémentaire de lisibilité nous contraint à nous soucier

d'offrir un texte français compréhensible pour que la littéralité ne devienne pas un

empêchement à la lecture. Par exemple, le verbe intelligere est utilisé dans ce texte avec

deux sens, le sens banal de 'comprendre' et le sens technique de 'saisir

intellectuellement', nous gardons donc 'comprendre' pour le sens banal et 'intelliger'

pour le sens technique. Un autre cas spécial est le mot ratio, pour lequel il a été

impossible de donner une traduction uniforme, donc nous le traduisons par 'raison' le

plus souvent, mais aussi par 'notion' ou 'rapport' là où le contexte l'exige, voire par

'point de vue' lorsqu'il joue le rôle d'un simple mot cheville.

Cf. PlCHÉ, Le Problème des universaux, p. 37-40.

217

Les deux cas cités constituent des exceptions à notre troisième principe, le

principe de constance terminologique. Tout au long du texte, nous avons essayé de rendre

chacune des occurrences singulières d'un même terme ou d'un même syntagme latin par

le même terme ou le même syntagme français correspondant ; cependant, nous avons

considéré aussi le contexte en tant qu'il apporte des nuances particulières à chacun des

termes aussi bien en latin qu'en français. Certains mots latins jouissant d'une polysémie

non existante en français constituent des cas difficiles - par exemple, accipere, accidere,

elicere - que nous signalons en notes de bas de page de la traduction.

Finalement, comme toute discipline scientifique, la philosophie universitaire du

XIIIe siècle avait élaboré un lexique spécialisé afin de répondre aux impératifs de

distinction et de précision conceptuelles. C'est pourquoi nous avons voulu reproduire

autant que faire se peut cette technicité dans la traduction française du commentaire ; le

principe de technicité permet de respecter autant que possible la terminologie spécifique

de la matière qu'aborde notre texte.

2. Les crochets obliques (< >) Nous avons placé entre crochets obliques (< >) tous les termes, syntagmes ou

ensembles de mots français pour lesquels il ne se trouvait aucun terme, syntagme ou

ensemble de mots correspondant dans le texte latin, mais que nous avons cru bon

d'ajouter à notre traduction, soit dans le but de lui apporter une précision qui nous

paraissait nécessaire pour assurer une juste compréhension, soit encore pour obtenir des

phrases correctes du point de vue de la syntaxe française . Par exemple, les neutres

pluriels sont en général exprimés par le mot '<choses>' entre crochets obliques (inferiora

est traduit par 'les <choses> inférieures').

3. Les notes de bas de page de la traduction

Enfin, pour certains termes de la traduction française, nous avons fourni, en notes

de bas de page, les termes qui leur correspondent dans le texte latin. Nous le faisons

36 Ibid.

218

lorsque le terme latin a une signification particulière qui n'est pas suffisamment reflétée

par le terme français ou bien lorsqu'au contraire le terme français a une charge

sémantique plus lourde que le terme latin ou encore quand le mot traduit constitue une

exception à l'un des principes généraux précisés ci-dessus.

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM

COMMENTARIVM IN ETHICAMNOVAM ET VETEREM

SIGLA CODICVM

F = Florence, Biblioteca Nazionale, conventi soppressi, G 4. 853

O = Oxford, Bodleian Library, miscellanea latina, c. 71

A = Avranches, Bibliothèque Municipale, 232

P = Prague, Nârodni Knihovna Ceské Republiky (prius Universitni Knihovna), III. F 10

<ANONYMI, COMMENTARIVM IN ETHICAMNOVAMET VETEREM>

<PROLOGVS>

<INTRODVCTIO>'

§ 1 [Ff. Ira, O f. Ira] Cum scientie quedam sint de rébus et quedam de signis2,

cum scientia sit habitus anime intellectiue, non est scientia de signis quibuslibet, set de

signis que, mediante sensu, comparationem habent essentialiter ad animam intellectiuam

uel ad potentias eius. Hoc autem proprie est sermo siue7 uox litteralis8, per

impositionem9 significans et prenuntians aliquid intellectui10. Similiter autem non erit,

proprie loquendo, scientia de rébus nisi prout <res> accipiuntur1 ' sub proprietatibus sub

quibus habent12 relationem ad animam13 ipsam14.

Codices inscriptione carent, excepto F ubi alia manu haec in marg. sup. scripta legimus « Incipit scriptum super Eticham fratris Iohannis de Pecham ».

Cf. AUGUSTIN, De Doctrina Christiana, I, 2, dans Aurelii Augustini Opéra, éd. J. MARTIN, Turnhout, Brepols (coll. « Corpus Christianorum », Séries Latina, 32), 1962, {PL, 34, 19), p. 7,1. 1-2 : « Omnis doctrina vel rerum est vel signorum, sed res per signa discuntur ». PIERRE LOMBARD, Sententiae in IV libris distinctae, I, dist. 1, 1, Grottaferrata (Rome), Collegium S. Bonaventurae (coll. « Spicilegium Bonaventurianum », 4), 1971, p. 55 {PL, 192, 521) : « omnis doctrina vel rerum est vel signorum ; sed res etiam per signa discuntur ». On trouve cette division chez de nombreux maîtres es arts. Cf. C. LAFLEUR et J. CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (alias Henri le Breton) et le recueil d'introductions à la philosophie du ms. Oxford, Corpus Christi Collège 283 (Première partie) », AHDLMA, 61 (1994), p. 182 et n. 65.

3 est O] erit F 4 ad F] om. O 5 proprie F] propter O 6 est F]om. O 7 siue F] sit O 8 litteralis F] litteris O

Cf. ci-dessus, chapitre 1. 10 intellectui F] intellectu O " accipiuntur O] accipitur F 12 habent O] habet F 13 animam FsO] om. pO 14 ipsam O] om. F

221

§ 2 Duplex autem est potentia anime : scilicet speculatiua uel cognoscitiua, cui per

se obiectum est uerum ; et motiua, cui per se obiectum est bonum . Et ideo scientia de

rébus erit uel de rébus sub ratione ueri, uel de rébus sub ratione boni. Et16 secundum

hoc habetur prima diuisio philosophie siue scientie quam ponit Augustinus in pluribus

locis in libro19 De civitate Dei20 et quam signât Aristotiles in Topicis in diuisione

propositionis21 per rationalem siue sermocinalem, naturalem et moralem .

§ 3 Aliter potest haberi diuisio hoc modo, ut habetur in tertio De anima :

« secantur23 sensus et scientie in res » , et ideo secundum diuisionem rerum erit diuisio

15 « Sequitur de intellectu separabili, cuius una pars est in cognitione ueri, alia pars est in affectione boni. Pars illa que est in affectione boni dicitur intellectus practicus, altéra pars dicitur intellectus speculatiuus. Et sunt eadem potencia : intellectus enim cognoscitiuus conuertitur in affectiuum ». ANONYME, De anima et de potenciis eius, éd. R.A. GAUTHIER, « Le Traité De anima et de potenciis eius d'un maître es arts (vers 1225) », RSPT, 66 (1982), p. 50.

16 et FsO] et scientia pO 17 hoc F] hoc hec O 18 scientie F] scientia O 19 in libro F] om. O 20 « Proinde Plato utrumque iungendo philosophiam perfecisse laudatur, quam in très partes distribuit :

unam moralem, quae maxime in actione versatur ; alteram naturalem, quae contemplationi deputata est ; tertiam rationalem, qua verum disterminatur a falso. Quae licet utrique, id est actioni et contemplationi, sit necessaria, maxime tamen contemplatio perspectionem sibi vindicat veritatis. Ideo haec tripartitio non est contraria illi distinctioni, qua intellegitur omne studium sapientiae in actione et contemplatione ». Cf. AUGUSTIN, De civitate Dei, VIII, 4, dans Aurelii Augustini Opéra, éd. B. DOMBART et A. KALB, Turnhout, Brepols (coll. « Corpus Christianorum », Séries Latina, 47, XIV, 1), 1955, p. 220.

21 propositionis O] probleumatis F 22 ARISTOTE, Topica, 105bl9-21, trad. BOÈCE, éd. L. MlNlo-PALUELLO, Bruxelles et Paris, Desclée de

Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », 5), 1969, p. 20 : «Est autem ut figuraliter complecti propositionum et problematum partes très. Nam aliae sunt ethicae propositiones, aliae physicae, aliae logicae » (« "Eoti ô' (bç TÎmcp 7tepiXa|3etv tcôv Tcpoxàaemv Kcri xêbv 7ipo|}À,TiuaTû)v uépr) tpta-

al (xèv yàp lu i ra i TtpoTàaeiç eiaiv, al ôè <)nxnicai, al ôè À-oyiicài »). Pour d'autres exemples contemporains de cette division platonico-stoïcienne de la philosophie, voir LAFLEUR et CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (Première partie) », p. 166 et n. 30.

23 secantur F] sequentur O 24 « Secantur igitur sciencia et sensus in res : que quidem potencia est, in ea que sunt potencia, que uero

actu, in ea que sunt actu ; anime autem sensitiuum et quod scire potest potencia hec sunt, hoc quidem scibile, illud autem sensibile ». ARISTOTE, De anima, III, 8, 431b24-30 dans ANONYME, Lectura in librum de anima (c. 1245-1250) a quodam discipulo reportata (Ms. Roma, Naz. V. E. 828), éd. R.A. GAUTHIER, Grottaferrata (Romae), Editiones Collegii S. Bonaventurae (coll « Spicilegium Bonaventurianum », 24), 1985, p. 484. Aussi cf. ANONYME, Sententia super II et III De anima (c. 1246-1247), Lectio 6, éd. C. BAZÂN, texte du De anima Vêtus établi par K. WHITE, Louvain-la-Neuve, Éditions de l'Institut Supérieur de Philosophie ; Louvain et Paris, Peeters (coll. «Philosophes Médiévaux», 37), 1998, p. 462 ; et nous trouvons aussi l'adage, suivant dans ANONYME, Les Auctoritates Aristotelis, éd. J. HAMESSE, Louvain, Publications universitaires ; Paris, Béatrice-Nauwelaerts (coll. «Philosophes Médiévaux», 17), 1974, p. 188, n° 162 : « scientiae secantur quemadmodum res de quibus sunt scientiae ». Cette justification est très utilisée par les maîtres es arts, cf. ANONYME, Dicit Aristotiles, éd. C. LAFLEUR et J. CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (alias Henri le Breton) et le recueil d'introductions à la philosophie du ms.

222

ne

scientiarum. Res autem possunt considerari dupliciter : aut secundum quod sunt, aut

secundum quod significantur. Si secundum quod sunt, dupliciter : aut in quantum sunt ab

opère nostro26, aut in quantum sunt prêter27 opus nostrum. Et secundum hoc habetur

diuisio scientie per très differentias, sicut prius : quia quedam erit scientia de rébus in

quantum significantur ; quedam autem29 de rébus ut sunt prêter opus nostrum ; et quedam

de rébus ut sunt ab opère nostro. Est ergo moralis scientia proprie de bono, siue de rébus

prout sunt ab opère nostro. Et ideo, cum scientia essentialiter recipiat30 diuisionem

secundum diuisionem eius de quo est31, diuiditur moralis scientia uel 2 philosophia

essentialiter secundum diuisionem boni33.

§ 4 Bonum autem duplex est34 : diuinum, id est a Deo collatum, ut félicitas, sicut

postea apparebit ; et humanum, id est ab homine per rectas operationes - cum

delectatione et tristitia et cum perseuerantia in hiis - acquisitum, quod est uirtus. Non

enim sic ponit philosophus35 uirtutem in nobis a diuina prouidentia, sicut ponit felicitatem

- licet fortassis36, secundum theologum et secundum ueritatem, uirtus non sit a nobis set a

Prima Causa, secundum37 illud : « Deus operatur in nobis uelle et perficere38 ». Ratio

tamen huius diuersitatis inferius patebit.

Oxford, Corpus Christi Collège 283 (Deuxième partie)», AHDLMA, 62 (1995), Texte A, p. 383, § 33, Texte B, p. 392, § 9.

25 considerari dupliciter O] inu. F 26 opère nostro F] operatione nostra O 27 prêter F] prout O 28 Cf. ci-dessus, § 2. 29 autem O] om. F 30 essentialiter recipiat F] rescipiat essentialiter O 31 ARISTOTE, De Anima, III, 8, 431b24. 32 scientia uel O] om. F 33 ANONYME, Dicit Aristotiles, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 33 : « et quia 'seccantur scientie quemadmodum

et res', ut scribitur in libro De anima, ideo moralis débet diuidi pênes diuisionem boni ». Cf. aussi LAFLEUR et CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (Première partie) », p. 176.

34 ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. C. LAFLEUR, dans C LAFLEUR, Quatre introductions à la philosophie au XIIIe siècle, Montréal, Institut d'études médiévales ; Paris, Vrin (coll. « Publications de l'Institut d'études médiévales », 23), 1988, p. 335, I. 536-540 : « Bonum autem illud duplex est : quoddam enim est quod est ab homine operabile et per operationes sibi unibile, et huiusmodi bonum est uirtus ; aliud est bonum quod non est ab homine operabile, set tamen per bonas operationes sibi unibile, quod est félicitas, de qua determinatur in Noua ethica ».

35 ponit philosophus F] ponent philosophi O 36 fortassis O] forte F 37 secundum F] per O 18 AUGUSTIN, Enarrationes in Psalmos Cl - CL, ps. 118, sermo 11, éd. F. GORI, dans Aurelii Augustini

Opéra, Turnhout, Brepols (coll. «Corpus Christianorum », Séries Latina, 40, X, 3) p. 1698, §6 (PL, 37, 1530) : « denique quia et ipsum velle Deus operatur in nobis ». AUGUSTIN, De perfectione justitiae hominis, 19, éd. J. MlGNE, PL, 44, 314 : « Deus operatur in nobis et velle et operari » {Ad

223

§ 5 Aliter etiam39 potest diuidi - licet satis in idem redeat40 - dicendo felicitatem41

esse subiectum moralis scientie42 et, sicut in libro Posteriorum 3, primo notificat

demonstrationem in se, secundo docet ex quibus et qualibus est44 demonstratio45 ; sic

moralis philosophus primo notificat46 felicitatem secundum se, postea docet ex quibus et

qualibus félicitas <est> in nobis. Quantum est ex parte hominis, <felicitas>

determinatur determinando de uirtute et de operationibus et condicionibus ex quibus

elicitur uirtus. Et hoc est quod solet dici : quod moralis philosophus primo déterminât de

bono quod est finis simpliciter ; secundo, de bono quod est uia in illum finem ultimum48.

§ 6 Virtus enim ad felicitatem se habet sicut meritum ad premium ; unde postea

dicit de felicitate quod ipsa est brauium siue premium uirtutis. Quocumque modo dicatur,

prima pars extenditur usque ibi : Si autem félicitas est actus, quis et cetera, uersus50 finem

primi libri ; secunda ab illo loco usque ad51 finem totius doctrine52.

Phillipenses, II, 13); HAYMO HÀLBERSTATENSIS, In Epistolam ad Ephesios, 2, éd. J. MlGNE, PL, 117, 709B : « Deus operatur in nobis et velle et perficere ».

etiam F] tamen O 40 redeat F\ redat O

Cf. ANONYME, Le Guide de l'étudiant parisien, éd. C. LAFLEUR et J. CARRIER, dans Le "Guide de l'étudiant" d'un maître anonyme de la Faculté des Arts de Paris au XIIf siècle, édition critique provisoire du ms. Barcelona, Arxiu de la Corona d'Aragô, Ripoll 109, f. 134ra-158va, Québec, Faculté de Philosophie, Université Laval, 1992, § 91 : « dicimus quod félicitas est subiectum huius scientie ».

42 scientie O] philosophie F 43 posteriorum FsO] possunt pO 44 est F] sit O 45 ARISTOTE, Analytica posteriora, I, 3, 72bl9-23, trad. JACQUES DE VENISE, éd. L. MINIO-PALUELLO et

B.C. DOD, Bruges et Paris, Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », 4), 1968, p. 10 : « Nos autem dicimus neque omnem scientiam demonstrativam esse sed inmediatorum indemonstrabilem. Et hoc quod necessarium sit, manifestum est ; si enim necesse est quidem scire priora et ex quibus est demonstratio, stant autem aliquando inmediata, hec priora indemonstrabilia necesse est esse ».

46 notificat F] notificet O 47 determinatur O] acquiratur F 48 La félicité et la vertu sont les sujets de la philosophie morale. Mais il est intéressant de constater que

notre auteur ne subdivise pas la science morale en monostique, économique et politique. Nulle part dans les portions éditées, nous n'avons trouvé de trace de cette tripartition pourtant courante à l'époque. Cf. LAFLEUR et CARRIER, « La Philosophia d'Hervé le Breton (Première partie) », p. 174 et notes 50-51. Aussi cf. ANONYME, Guide de l'étudiant, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 74-76.

49 enim O] autem F 50 et cetera uersus F] uirtus O

39

51 ad O] in F 52 L'auteur divise ici le texte complet des trois premiers livres de l'Éthique à Nicomaque en deux portions

distinctes : la première, de 1094al à 1102a4, traitant du bonheur et correspondant aux leçons 1 à 19 du commentaire ; la seconde, de 1102a5 à 1119a34, traitant de la vertu et correspondant aux leçons 20 à 45. Cette division est plus subtile que celle d'autres ouvrages, où YEthica Nova est simplement associée à la félicité, et YEthica Vêtus à la vertu. Cf. ANONYME, Guide de l'étudiant, éd. LAFLEUR et

224

<QVESTIONES>

§ 7 Antequam autem amplius descendamus, inquirenda sunt quedam quorum

cognitio preexigitur53 ad ea que secuntur54. Et primo, inquiratur de comparatione ueri 5 ad

bonum et horum ad ens et unum ; et propter quid potius de ente sub ratione ueri uel

sub ratione boni58 sit scientia, quam sub ratione5 unius. Secundo, utrum bonum possit

esse subiectum moralis scientie60 et quomodo accipiatur 'bonum' cum dicimus moralem

scientiam61 esse de bono. Tertio, utrum moralis philosophus possit determinare de

felicitate. Quarto, si <possit determinare> de felicitate et uirtute, de quo prius habeat

determinare. Quinto, cum non sit scientia nisi ad remouendum errorem incidentem uel

incidere potentem, erit questio : utrum contingat hominem errare respectu boni, quia si62

non, superflueret hec scientia. Sexto, quid est principium uel ratio deuiationis uel erroris

in homine.

<QVESTIO 1>

§ 8 <a. 1> Circa primum sic64 : eadem est65 comparatio potentiarum et

obiectorum, set intellectus speculatiui obiectum est uerum, practici uero bonum, ut

habetur in tertio De anima66. Set, sicut ibidem'7 dicitur, intellectus speculatiuus

CARRIER, § 77-79. Chez Arnoul de Provence, on voit la même division que dans le Guide de l'étudiant, cf. ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 335.

53 preexigitur FsO] patet ex istis pO 54 secuntur O] sequentur F 55 ueri F] uel O 5 potius O] om. F 57 ueri O] boni F 58 boni O] ueri F 59 ratione F] ratione ueri O 60 scientie O] philosophie F 61 scientiam O] philosophiam F 62 si FsO] om. pO 63 principium F] primum O M Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. R.A. GAUTHIER, dans « Le cours sur YEthica Nova d'un

maître es arts de Paris (1235-1240) », AHDLMA, 42 (1975), p. 122-124. 65 est F] om. O 66 Cf. ARISTOTE, De Anima, III, 10, 433a 14-15 : « voûç Se ô ëveicà xov XoyiL,à[ievoc, Kcd ô 7tpaKxiKÔç-

ôux<|>épei Se xoû OeojpTitiKoîJ xâ xé^ei ». Pour plus de détails, cf. ci-dessus, notre recherche sur la théorie des transcendantaux, chapitre 1.

67 ibidem F] ibi O

225

extensione fit practicus . Ex quo sic arguitur : cum prius sit intellectus speculatiuus

simpliciter quam intellectus speculatiuus extensus et speculatiuus intellectus solum per

extensionem fit practicus, ergo, simpliciter loquendo, intellectus speculatiuus est prior

quam practicus ; ergo uerum, quod7 est obiectum speculatiui intellectus, prius erit bono,

quod est obiectum practici72.

§ 9 <a. 2> Item, sicut habetur in tertio De anima, appetitus sequitur

cognitionem73, set cognitio est respectu ueri, appetitus respectu boni, ergo et bonum

sequitur ipsum uerum.

§ 10 <a. 3> [Fi. lrb| Item, dicit Dionisius : « Bonum est quod desideratur ab

omnibus »74. Et in hoc libro : « Bonum est quod omnia exoptant »75. Desideratum autem

uel76 optatum ab homine77 preexigit cognitionem, ergo et bonum. Si ergo cognitio est 7R

respectu ueri , uerum prius erit bono.

68 fit F] sit O Cf. ci-dessus, notre recherche sur la théorie des transcendantaux, chapitre I.

70 est O] erit F 71 quod FsO] quoddam pO 72 Cf. ci-dessus, notre recherche sur la théorie des transcendantaux, chapitre 1. 73 ARISTOTE, De anima, III, 10, 433a21-25, dans ANONYME (1246-1247), Sententia super II et III de anima,

Lectio 8, Expositio Littere, éd. BAZÂN, p. 500-501. 74 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. N. WICKI, Bernae, Francke (coll. « Corpus

Philosophorum Medii Aevi », Opéra Philosophica Mediae Aetatis Selecta, 2), 1985, Prologus, questio 1, p. 6, 1. 17-18. PS. DENYS, De divinibus nominibus, 4, 4 (PG, 3, 700 A-B), trad. IOH. SARRACENI (Dionysiaca, recueil donnant l'ensemble des traductions latines des ouvrages attribués à Denys l'Aréopagite, Bruges, Desclée de Brouwer, 1937) 1.1, p. 168. ALEXANDRE DE HALÈS l'attribue à BoÈCE (De consolatio philosophiae, III, pr. 10) dans sa Summa theologica, éd. Collège S. Bonaventure, Ad claras Aquas (Quaracchi) Florence, Collège S. Bonaventure, 1924, t. 1, Pars I, Inq. I, Tract. III, Q. 104, p. 163 : « Unde descriptio Boethii est: Bonum est quod desideratur ab omnibus ». En effet, c'est l'attribution correcte, cf. BOÈCE, De consolatione philosophiae, éd. C. MORESCHINI, Monachii ; Lipsiae, Saur (coll. « Bibliotheca Teubneriana»), 2000, pr. 10, p. 85, 128-129 (PL, 63, 768C-769A) : «Cum igitur omnia boni gratia petantur, non illa potius quam bonum ipsum desideratur ab omnibus », et encore, Ibid., pr. 11, p. 91, 118-121 (PL, 63, 774C) : « Quis esset, inquit, rerum omnium finis ? Id est enim profecto, quod desideratur ab omnibus : quod quia bonum esse collegimus, oportet, rerum omnium finem bonum esse fateamur ».

75 ARISTOTE, Ethica Noua, I, 1, 1094a2, trad. BURGUNDIO, dans ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. R.A. GAUTHIER, Leiden, Brill ; Bruxelles, Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », 26, 2), 1972, p. 65, 1.6. Dans le texte de Philippe, les deux citations sont aussi ensemble (PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 6).

76 uel FsO] om. pO 77 ab homine O] om. F 78 ueri O] ueri et F

2,26

§ 11 <a. 4> Item, assecutionem79 uirtutis precedunt scire, uelle et incommutabilis ftA RI » • HO

operatio. Ex quo sic arguitur : si assecutionem boni uel uirtutis precedit scientia siue

scire, et simpliciter loquendo, ipsum uerum antecedit ad bonum.

§ 12 <a. 5> Item, omne quod est uerum est ens , set non omne quod est bonum

est ens85, ut 'istum degustare'86, uel aliquid taie. Verum ergo communius est87 bono, et

ita88 prius.

§ 13 <a. I> Contra : bonum et ens conuertuntur, similiter uerum et ens. Ex quo

arguitur : cum uerum et bonum ad unum conuertantur, inter se conuertuntur, ergo

neutrum prius altero.

§ 14 <a. II> Item89, istud idem90 uidetur, quia91 quantum habet unumquodque de

ente uel esse , tantum habet de bono. Et dicitur alibi : « sicut se habet unumquodque ad

esse93, ita ad uerum94 ». Ex quo patet quod et95 uerum et bonum adequantur ipsi enti uel

esse et ita inter se sunt equalia, quare96 neutrum prius altero.

§ 15 <a. III> Item97, quod bonum antecedat uerum uidetur, quia generaliter illud

est primum98 in mouendo in quo per prius finitur et terminatur appetitus ipsius mobilis. Si

autem uerum et bonum moueant intellectum, constat quod in bono perfecte c et plene

79 assecutionem O] assecutio est F 80 assecutionem FpO] assecutionis sO 81 uel FsO] uel ueritatis/?0 82 precedit F] précédât O 83 antecedit O] antecedet F 84 ens O] esse F 85 ens sO] esse FpO 86 degustare F] delectare O 87 est O] om. F 85 ita O] ita ut F 89 item O] iterum F 90 idem FsO] om. pO 91 quia F] om. O 92 ente uel esse O] esse siue de enti F 93 esse F] entia O 94 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WlCKl, q. 2, p. 7, 1. 9 : « Unumquodque sicut se habet ad

esse ita ad veritatem ». ARISTOTE, Metaphysica, II, 1, 993b27-31, trad. JACQUES DE VENISE, éd. G. VUILLEMIN-DIEM, Bruxelles et Paris, Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », 25, 1-1"), 1970, p. 37 : « Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera, neque illis causa est aliqua ipsius esse, sed illa aliis), quare unumquodque sicut se habet ad esse, sic et ad veritatem ».

95 et O] om. F 96 quare O] et ita F 97 item O] om. F 98 primum F] principium O 99 perfecte F] perfectione O

227

quiescit, non autem in uero, ergo in mouendo bonum antecedit uerum. Set esse sequitur

ad moueri100, quare et in essendo, et ita bonum prius uero.

§ 16 <a. IV> Item, sicut uult Dionisius : « quia Deus est bonus101, sumus102 »,

ergo ratio bonitatis ponit Ipsum in ratione principii. Set Primum et principium idem

sunt103, quare ratione bonitatis erit Primum104. Quare bonum sub ratione boni et

antecedit105 uerum [O f. 2rbl et antecedit106 omnem107 aliam condicionem secundum uiam

intclligendi in Primo existentem. Quare, simpliciter loquendo, bonum antecedit uerum.

§ 17 <a. V> Item, uerum108 accipitur a causa formali, bonum uero1 9 a causa

finali110. Set111 finalis est causa causarum"2 et omnes alias causas antecedit, et ita

formalem1,3. Quare et bonum antecedit114 uerum115.

§ 18 <b. 1> Item, hec quatuor conuertuntur116 secundum rationem suppositorum,

uerum, bonum, unum et ens ; licet secundum rationem diccndi unum addat alteri ' -

100 • ^vi j -

mouen O] mouere F On trouve un passage presque semblable chez Augustin : « Deus vero ad suam bonitatem usum nostrum refert. Quia enim bonus est, sumus ; et in quantum sumus boni sumus ». AUGUSTIN, De doctrina christiana, éd. MARTIN, I, 32, p. 26 {PL 34, 32). Aussi cf. Dionysiaca, t. I, p. XCI. Cf. ALBERT LE GRAND, De bono, éd. W. KÛBEL, Monasterium Westfalorum, Aschendorff (coll. « Alberti Magni Opéra omnia », dir. B. GEYER, Institutum Alberti Magni Coloniense, 38), 1951, p. 12, 1.8-9. Notamment, Albert cite Denys tout de suite p. 12, 9-11.

1 2 sumus OsF] sumus et principium pF 103 sunt F] om. O 104 r^i • • • /~\

primum FJ principium O 1 antecedit O] antecedet F 106 antecedit O] antecedet F

omnem U\ esse F 108 uerum O] bonum F 109 formali bonum uero O] finali uerum F 110 finali O] formali F 111 set FsO] om. pO 112 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 6, I. 5 : « in rébus causas habentibus causa

finalis est causa causarum ». Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. R.A. GAUTHIER, p. 123. Cf. ANONYME, Liber de Causis, XVII (XVIII), dans A. PATTIN, « Liber de Causis, édition établie à l'aide de 90 manuscrits avec introduction et notes », Tijdschrift voor filosofw, 28 (1966), p. 90-203, § 148 : « Ens primum est quietum et est causa causarum ». Cf. ALBERT LE GRAND, De bono, éd. KÛBEL (1951), p. 14, 1.47-49: « una est causarum causa, quae inmobilis manens omnes alias conducit ad actum ; et illa est finis ».

m formalem /•] formale O 114 antecedit f] ante O

Ce même argument se trouve dans le Commentaire de Paris, cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 123.

116 conuertuntur FsO] consumuntur pO 117 dicendi F] diuidi O 118 addat alteri F] addit alterius O

228

alia enim tria"9 addunt in modo120 dicendi ad ipsum ens. Queritur ergo de eorum121

differentia.

§ 19 <c. 1> Item, cum scientie distingantur pênes bonum et uerum, propter quid 199 19^ •

non pênes ens et unum - etsi enim philosophus primus considérât ens simpliciter,

tamen124 ratione ueri.

<SOLUTIO>

§20 <a. 1*> Ad primum istorum dicendum quod, simpliciter loquendo, uerum

antecedit bonum. Et hoc patet, quia125 ultra ens uerum non addit nisi126 cognitionem uel

manifestationem rei127 ; bonum uero addit comparationem ad opus siue ad finem. Et ideo,

simpliciter loquendo, bonum est posterius. Et intelligas hec non quia non adequantur in

suppositis - equalia enim sunt eorum128 supposita129 - , set130 in modo dicendi131 et ratione

modi132 significandi, ut preuisum est. <a. I*> <a. II*> Et per hoc patet solutio ad duas

rationes que ostendebant quod ex quo uerum et bonum conuertebantur cum ente, inter se

conuertebantur, et ita neutrum erat133 prius altero, quia hec prioritas et posterioritas134

attenditur ' non a parte continentie suppositorum uel ambitus , set a parte modi dicendi

uel intelligendi tantum 137

119 tria 0]om. F l2u modo 0] materia F

1 eorum sO] horum F eorum sufficientia pO 122 etsi scr.] et si FO 123 considérât O] consideret F 124 tamen F] cum O 125 quia F] quod O 126 nisi O] nisi solum F 127 rei F] id est in O 128 eorum F] earum O 129 supposita FsO] suppositum pO 130 set F] hoc O

1 dicendi F] om. O 132 modi F]om.O 133 erat F] esset O 134 posterioritas FpO] posterioritas non sO m attenditur F] attendetur O 136 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WlCKl, p. 8, 60-63 : « Bonum et ens converti non impedit

quin notificetur per ens, quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum,

229

<a. 2*...> <a. 3*...> <a. 4*...>138

§ 21 <a. 5*> Quod dicit quod aliquid est uerum, ut 'istum degustare'139, quod non

est bonum, respondendum quod140 est bonum moris, et taie non adequatur in suppositis

cum uero, immo se habent sicut excedentia et excessa ; et est bonum nature, et taie

adequatur, et hoc modo, sicut 'istum degustare141' est uerum, sic est bonum.

§ 22 <a. III*> Quod obicit quod bonum simpliciter prius est quia primo mouet142,

respondendum quod143 est mouens secundum ueritatem ut efficiens. Et quod sic144

prius145 mouet146, prius est. Et est mouens per147 methaphoram ut finis, et sic mouet

bonum, et quod sic mouet, non oportet quod sit prius148, neque quod prius mouet149 prius

sit.

§ 23 <a. IV*> Ad aliud dicendum quod sine dubio, quia Deus est bonus, sumus,

set li150 'quia' non dicit primam rationem quare exierimus a151 Deo in esse, set proximam

-nisi enim precessissent152 secundum uiam intelligentie potentia et scientia, numquam a

uoluntate siue bonitate processimus in esse. Vnde si li 'quia' dicat causam

proximam, uerum est quod dicit Dionisius, set si primam, non est uerum. Tamen posset

bonum tamen habundat ratione super ens, scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu, qui dicitur complementum ».

137 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 123-124. 138 II semble que l'auteur ne réponde pas aux arguments 2, 3 et 4 parce qu'il serait partiellement d'accord,

comme il ressort du § 20, sur les arguments non résolus cf., ci-dessus, Normes de l'édition, section 2.1 (Structure du texte).

139 degustare F] deietare O 140 quod FsO] quod non pO 141 degustare F] deietare O 142 mouet F] modo O 143 quod FsO] om. pO 144 et quod sic scr.] et quod sit O et quod sic mouet est et quod F 145

146 mouet F] modo O 147 per O] secundum F 148 prius sO] om. FpO 149 mouet F] mouet quod O 150 li F] hoc O , 5 laF]ab<3 152

153 ivl

prius F] om. O

precessissent scr.] precessisset F precessus O processimus F] procedimus O unde O] uerum F

230

dici quod bonitas non ponit uel significat155 Deum in ratione principii nisi respectu

creaturarum. Et propter hoc non oportet, simpliciter loquendo, bonum antecedere uerum,

set bonum in Causa uel in157 Creatore158 antecedere uerum in causatis siue creaturis159.

§ 24 <a. V*> Ad aliud dicendum quod finis dicitur causa causarum non quia

précédât secundum160 esse, set quia precedit in mouendo eo modo quo ' mouet162, et

quia ipsa habita quies est163. Est ergo prior aliis tempore in quantum mouet suo modo, et

est prior dignitate et completione in quantum finit et terminât [F f. lva] motum et

indigentiam164 omnium. Prima prioritas non potest165 esse nisi secundum quid, secunda

prioritas potest166 esse simpliciter, set illud tempore1 7 est posterius esse cuiuslibet

alterius cause .

§25 <b. 1*> Ad aliud dicendum quod ens nominat rei essentiam uel entitatem

absolute. Vnum autem uerum et bonum, circa ipsum ens dicunt proprietates uel

comparationes. Vnum17 enim supra ens addit completionem, uerum distinctionem,

bonum ordinem ; et per hoc patet ordo horum. Prius enim est ens completum secundum

uiam intelligendi quam distinctum, et distinctum quam ordinatum. Et171 aliter : ex unione

forme cum materia causatur esse uel entitas rei proprie in compositis. Forma autem

perficit et perfectum distinguit ab aliis, perfectum et distinctum ordinat ad172 aliud siue ad

opus, quo ad primum : unum, quo ad secundum : uerum, quo ad tertium : bonum. Tertio

155 significat F] sit O 156 ratione F] correlatione O 157 in FsO] om. pO 158 creatore FpO] creatione sO 159 Cf. ALBERT LE GRAND, De bono, éd. KÛBEL, p. 12, 1. 5-7 : « Si vero considerentur bonum et ens non in

quocumque, sed bonum in causa prima et ens in creatis, sic ens erit posterius bono. Et in hoc sensu dicit Augustinus : « Quia deus bonus est, sumus, et inquantum sumus, boni sumus ».

160 secundum FsO] secundum sepO 161 quo O] quod F 162 mouet F] mo O 163 Cf. ci-dessus, n. 112. 164 indigentiam F] indigentia O 165 potest O] ponit F 166 potest O] ponit F 167 tempore F\ quando O 168 cause pO] esse FsO 169 ens F] eas O 170 unum F] uerum O 171 et O] uel F 172 ad F] om. O

231

modo potest dici ut unum dicat ens relatum ad causam efficientem, uerum ad formam, bonum ad finem .

<ALTERA QUESTIC»

§ 26 Set tune est questio : quare non est alia174 proprietas175 signata circa ens que

diceret relationem eius ad materiam176, sicut ad alias causas. Et ratio potest esse cum177

propter incompletionem178 materie tum179 etiam quia omne causatum uel est forma, uel

habet formam, similiter <omne causatum> finalem habet causam et efficientem, set non

sic habet materiam .

<CONTINUATIO SOLUTIONIS>

§ 27 <c. 1*> Ad ultimum dicendum quod scientia est habitus anime secundum

partem intellectiuam. Et ideo, de eo quod dicit relationem ad animam intellectiuam uel181

potentias eius proprie débet esse scientia. Ens autem sub ratione entis uel unius

relationem ïstam non dicit, set182 sub ratione boni et ueri, ut patet ex eorum

diffinitionibus. Sicut enim uult Hilarius : « Verum183 est184 quod est185 sui declaratum uel

173 Cf. ALEXANDRE DE HALÈS, Summa Theologica, éd. QUARACCHI, p. 114-115. Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 123-124.

174 alia.ïO] aliqua F contra pO 175 proprietas F] proprietates O 176 materiam F] naturam O 177 cum O] tum F 178 incompletionem F] incomplexionem O 179 tum F] tune O 180 Cf. PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 26 : « sunt très condiciones concomitantes

esse : unitas, veritas, et bonitas. Unitas autem est prima illarum, secunda veritas, tertia bonitas ; in idem possunt concidere efficiens, formalis et finalis, sed materialis non ». Voir aussi AVERROÈS, Commentarium in libros Metaphysicorum, XII, comm. 2, éd. Venise (coll. « Aristotelis opéra cum Averrois commentariis », 2), 1483, f. 330vb : « Principium formate et finale et movens non sunt tria numéro, sed unum in subiecto et très in ratione ».

181 uel O] et F 182 set FsO] om. pO 183 Cf. ALBERT LE GRAND, De bono, I, q. 1, art. 8, éd. KUBEL, p. 15, 1. 36-37 : « Hilarius, quod verum est

manifestativum esse». Aussi PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, q. 2, éd. WlCKI, p. 10, 1. 29 : « Hilarius ita diffinit : Veritas est declarativum aut manifestativum esse ». Dans les deux éditions, on présente la référence suivante : HILAIRE DE POITIERS, La Trinité, t. II, V, 3, éd.

232

manifestatum186 ». Ecce relatio ad partem cognoscitiuam. Similiter Anselmus : « Bonum 1 8*7 1 fi fi

est quod desideratur ab omnibus », et hic : « bonum est quod omnia exoptant » . Ecce

relatio ad motiuam, et propter hoc de ente sub ratione ueri et sub ratione boni potius189 est

scientia.

<QUESTIO 2>

<2a>

§ 28 <1> Circa secundum queritur sic : dicitur quod moralis scientia est de bono.

Aut ergo est190 de bono simpliciter prout abstrahit a bono causato et incausato191, uel

prout contrahitur192 ad bonum causatum193. Et si sit de bono causato194, tune195 est

questio : utrum sit de ipso simpliciter ; uel prout contrahit ad differentiam boni causati, ut

ad felicitatem uel ad uirtutem. Quod primo modo uidetur sic : constat quod in hac

doctrina morali déterminât de uirtute que ex operationibus196 nostris derelinquitur197

sicut198 dicit, et ita est quid causatum199, déterminât etiam de felicitate de qua dicit quod

est actus intransmutabilis200.

P. SMULDERS, Paris, Editions du Cerf (coll. «Sources Chrétiennes», 448), 2000, p. 102-104 {PL, 10, 131c).

184 est FsO] om. pO 185 quod est F] iter. O 186 uel manifestatum O] et manifestatiuum F 1 Sur la source de cette citation, cf. ci-dessus, n. 74. Nous ne l'avons pas trouvée chez Anselme. Or,

notamment chez Albert le Grand (voir ci-dessus, n. 183), il y a une citation d'Anselme immédiatement après celle d'Hilaire : « et Anselmus, quod 'veritas est rectitudo sola mente perceptibilis' ».

188 ARISTOTE, Ethica Noua, I, 1, 1094a3, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 65,1. 6. 189 potius O] om. F 190 est F] om. O 191 causato et incausato O] creato et increato F 192 contrahitur F] abstrait O 193 causatum O] creatum F

causato O] creato F 195 tune F] item O 196 operationibus F] operibus O 197 « Quoniam igitur presens opus non contemplacionis gratia est, quemadmodum alia, neque enim ut

sciamus quid est virtus scrutamur, set ut boni fiamus ». ARISTOTE, Ethica Vêtus, II, 2, 1103b25-28, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 6-7.

198 Cf. ARISTOTE, Ethica Vêtus, II, 2, 1103b21-22, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 6, I. 21-22 : « ex similibus actibus, habitus fiunt ». Aussi, Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 234, n° 26 : « Ex actibus multum iteratis fit habitus ».

233

§ 29 <2> Ex quo sic arguo201 : secundum Damascenum202 « omne causatum203 sit

mutabile204 », et similiter secundum Dionisium « omne causatum uertibile sit in

nichilum », et secundum Platonem in Timeo « omne citra primum iunctum natura , et

omne iunctum natura207 dissolubile208 », sicut dicit, et ita transmutabile209. Cum félicitas

sit actus intransmutabilis, sicut dicit in hoc libro, non erit bonum causatum quare

incausatum et uirtus bonum causatum , déterminât ergo de bono non solum

causato set etiam 5 incausato21 , ergo prout abstrahit ab utroque.

§ 30 <3> Item, in hoc libro dicit quod félicitas est bonum perfectissimum et per se

sufficiens217. Si ergo nulla creatura est per se sufficiens, félicitas non erit bonum

199 causatum O] crcatum F 200 « ...bonum autem proprium quid estimamus, et quod non leviter aufertur ». ARISTOTE, Ethica Nova, I, 3,

1095b26-27, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 70. À noter que le terme «transmutabile» est aussi employé en 1100b3, relativement à la question de la durabilité du bonheur : « Si oportet finem videre et tune beatiflcare unumquemque, non ut entem beatum, set quia prius fuit, quomodo {questio} non inconveniens, <si> quando est felix, non vere dicitur de eo existere, quia nolumus viventes beatiflcare propter transmutaciones, et quia quid permanens felicitatem existimamus et nequaquam transmutabile, fortunas autem multociens recirculari circa eosdem? ». ARISTOTE, Ethica Noua, I, 11, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 85.

201 arguo scr.] arguo cum FO 202 damascenum sO] damacenum F dionisius pO 203 causatum O] creatum F 204 JEAN DAMASCÈNE, De fide orthodoxa, 3, trad. BURGUNDIO et CERBANUS, éd. E.M. BUYTAERT, New

York, The Franciscan Institute ; Louvain, Béatrice-Nauwelaerts ; Paderborn, F. Schôningh (coll. « Franciscan Institute Publications », Text séries, 8), 1955, p. 16 : « Omnia quae sunt, aut creabilia sunt, aut increabilia. Si igitur creabilia quidem sunt, omnino sunt et vertibilia ».

205 omne O] om. F 206

207 ■OH

natura sO] om. FpO natura FsO\ natura uniuersale pO On ne trouve pas dans l'édition latine du Tintée une telle citation, mais nous pouvons lui rapprocher

celle-ci : « Omne siquidem quod iunctum est natura dissolubile, at uero quod bona ratione iunctum atque modulatum est dissolui uelle non est dei ». PLATON, Timaeus a Calcidio translatas commentarioque instructus, éd. J.H. WASZINK et P.J. JENSEN, Londres, Warburg Institute ; Leiden, Brill (coll. « Corpus Platonicum Medii Aevi, Plato Latinus », 4), 1962 (2e éd. 1975), p. 35.

209 transmutabile F] intransmutabile O 210 causatum quare incausatum O] creatum quare increatum F

causatum O] creatum F déterminât F] determinatur O causato O] creato F set O] uel F etiam scr.] solum O om. F incausato O] increato F « Set optimus perfectus quis videtur. Quare si quidem est unum solum quod perfectum, hoc uitque erit

quod queritur, si vero plura, quod perfectissimum horum. Perfeccius autem dicimus quod per se persequibile eo quod propter aliud eligibile [est] eorum que et propter hoc eligibilium, et simpliciter utique perfectum, quod per se eligibile semper, et numquam propter aliud. Taie autem félicitas maxime esse videtur». ARISTOTE, Ethica Nova, I, 5, 1097a28-1097bl, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 75,1.8-15.

211 212 213 214 215 216 217

234

*) 1 fi 1 1 Q

causatum set incausatum , et ita ut prius. Déterminât ergo de bono prout abstrahit ab

utroque. § 31 <4> Item, in principio huius libri dicit quod hic intendit de bono propter

990

quod alia appetimus et ipsum propter nichil [O f. 2va] aliud appetitur , set taie bonum

est nobilius et perfectius omni alio bono, set constat quod incausatum causato221 nobilius, 999 991 < 994

quare hic intendit de bono incausato et non solum de causato . Si ergo bonum

ponitur subiectum, oportet quod hoc sit bonum prout abstrahit a bono causato et • 298

incausato . § 32 <I> Set contra : in sequentibus ostendit auctor felicitatem esse in nobis a

990 910

diuina prouidentia, ergo est quid causatum . § 33 <II> Item, nulla forma, que est forma sicut exemplar231 solum, denominat232

rem ; félicitas autem denominat habentem, ergo non est forma que sit exemplar solum233.

Set bonum incausatum234 non est forma nisi235 sicut exemplar236 solum, quare félicitas de • 917

qua déterminât moralis non est bonum incausatum . 91R

§ 34 <III> Item, plus distant bonum causatum et incausatum quam quecumque

bona causata239 inter se. Set sicut diçit non omnium bonorum que sunt sub uno 218 causatum O] creatum F 219 incausatum O] increatum F 220 « Si utique quis finis est operatorum quem per se volumus, alia vero propter illum, et non omnia propter

aliud optamus ». AR1ST0TE, Ethica Nova, I, 1, 1094al9-20, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 66, 1. 3-5.

221 incausatum causato O] increatum creato F 222 intendit F] intendat O 223 incausato O] increato F 224 causato O] creato F 225 ponitur O] ponatur F 226 causato O] creato F 227 et F] set O 228 incausato O] increato F 229 « Unde quesitum est utrum est discibile vel assuescibile, vel aliter qualiter possibile, aut secundum

quandam divinam providenciam vel fortunam advenit ». ARISTOTE, Ethica Nova, I, 10, 1099b8-10, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 83,1. 1-4.

230 causatum O] creatum F 231 exemplar FsO] exemplificatpO 232 denominat F\ déterminât O 233 solum F] om. O 234 incausatum O] increatum F 235 nisi F] ut sO om. pO 236 set bonum ... sicut exemplar FsO] om. pO 237 incausatum O] increatum F 238 causatum et incausatum O] creatum et increatum F 239 quecumque bona causata O] creata quecumque F

235

240 predicamento potest esse doctrina una, ergo multo fortius de bono causato et incausato 1 241

non ent doctrina una. § 35 <IV> Item, queritur si bonum dicatur de bono causato242 et de bono243

incausato244, utrum secundum unam rationem, quod sic uidetur quia quod comparabile

est, est245 uniuocum246. Set possum dicere bonum incausatum247 est melius bono

causato248, est ergo bonum uniuocum.

§ 36 <5> Set249 contra, sicut dicit Boetius : « Bonum dictum de bono incausato250

dicit essentiam siue substantiam251, de bono causato252 dicit accidens»25". Sicut ergo

nichil254 commune uniuocum255 ad substantiam et accidens, sic256 neque bonum257 ad 258 • 259

causatum et incausatum .

<RESPONSIO>

§ 37 [F f. lvb] Ad horum euidentiam, sciendum quod Aristotiles, in hac doctrina,

déterminât de bono causato260, ut de uirtute et de felicitate causata26 . Tamen ut

240 causato et incausato O] creato et increato F 241 doctrina O] scientia F 242 causato O] creato F 243 de bono O] om. F 244 incausato O] increato F 245 est FsO] om. pO 246 « Set qualiter utique dicitur [bonum] ? [omnia] Non enim videntur hiis que a casu equivocis, set ei quod

ab uno esse, aut ad unum omnia proficere, aut magis secundum proporcionem, sicut enim in corpore visus, in anima intellectus, et aliud utique in alio ». ARISTOTE, Ethica Nova, I, 4, 1096b26-29, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 73,1.17- 74,1. 3.

247 incausatum O] increatum F 248 causato O] creato F 249 set F] om. O 250 incausato O] increato F 251 siue substantiam O] om. F 252 causato O] creato F

53 BOÈCE, De hebdomadibus, éd. MORESCHINI, p. 188 : « Diversum tantum esse aliquid et esse aliquid in eo quod est ; illic enim accidens hic substantia signifïcatur ».

254 nichil sO] om. FpO 255 commune uniuocum sO] non est commune F commune non est pO 256 sic F] sicut O 257 Cette même différence en bien par essence et bien par accident est aussi reprise dans le Commentaire de

Paris, Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Nouam, éd. GAUTHIER, p. 125 : « Item queritur utrum bonum prédicat essentiam aud accidens, cum predicatur de eis que sub ipso sunt, et hoc est querere utrum bonum sit substancia uel accidens ».

258 causatum O] creatum F 2y> incausatum O] increatum F

causato O] creato F

236

rationes 2 soluamus, sustineamus utrumque : et quod déterminât ' de felicitate

causata264 et quod de felicitate265 incausata266.

<SOLUTIO>

§38 <1*> <2*> Quod obicit quod félicitas de qua déterminât est267

intransmutabilis, omne uero ' causatum est transmutabile, respondendum quod

causatum271 potest considerari ratione eius ex272 quo et sic omne causatum273 mutabile

quia ex nichilo, uel potest considerari ratione eius a quo, quod est Creator, uel ratione

eius ad quod. Et274 hiis duobus modis potest esse incorruptibile, quo ad primum

corruptibile.

<ALTERA QUESTIC»

§ 39 Set tune est questio, cum in primo Phisicorum dicatur : « omne corruptibile

corrumpetur et omne causatum275 corruptibile ad minus uno modo », tune omne

261 causata O] creata F 262 rationes FO] lac. 3 lia. post O 263 déterminât O] om. F 264 causata O] creata F 265 II s'agit d'une autre prise de position incluant dans le champ de la morale tout type de bien, comme

l'auteur l'affirme au § 3 et qu'il reprendra ensuite au § 45. 266 incausata sO\ om. pO increata F 267 est FsO] om. pO 268 uero O] uerum F 269 causatum O] creatum F 270 est O] om. F 271 causatum sO] creatum F f+lac. 2 litt. pO 272 ex F] om. O 273 causatum O] creatum F 274 et O] ex F 275 causatum O] creatum F 276 « Corrumpitur autem et fit est quidem sic, est autem sic non. Secundum quidem enim quod est in quo,

secundum se corrumpitur ; quod enim corrumpitur in hoc est, privatio ; in quantum autem est secundum potentiam, non per se, sed incorruptibiblem et ingenitam necesse est ipsam esse ». ARISTOTE, Physica, I, 9, 192a25-29, trad. JACQUES DE VENISE, éd. F. BossiER et J. BRAMS, Leiden et New York, Brill (coll. « Aristoteles Latinus », 7, 2), 1990, p. 40,1. 6-11 ; et aussi : « Si igitur hoc

237

causatum277 corrumpetur. Respondendum quod aliquid dicitur corruptibile propter

actualem compositionem ex contrariis, et de tali loquitur Aristotiles. Aliud dicitur

naturaliter corruptibile quod in se non habet causam, uel ex se sue existentie et, hoc 97R • t

modo, omne causatum corruptibile est, set non omne corruptibile hoc modo 279

corrumpitur .

<CONTINUATIO SOLUTIONIS>

§ 40 <3*> Ad aliud dicendum280 quod per se sufficiens est duobus modis :

simpliciter, et sic solum bonum incausatum ; uel in génère, et sic est nichil

inconueniens ponere bonum causatum283 esse per se sufficiens.

§ 41 <4*> Ad aliud respondendum284 quod bonum propter quod alia optamus est

finis, set duplex est finis : intra et extra. De bono propter quod alia optamus quod est finis

intra et non extra loquitur ibi. Vel potest solui per eandem distinctionem cum

precedenti. -> Q T TCO

§ 42 <I*> Si autem uelimus sustinere quod determinet de felicitate incausata ,

tune ad rationes contrarias respondendum est. Quod ergo primo obicit quod auctor

ostendit felicitatem esse a diuina prouidentia, et ita est quid causatum289,

respondendum2 ° quod sicut non est inconueniens idem dare se ipsum, sic non est • 9^)1 9')?

inconueniens felicitatem esse bonum incausatum pro diuina prouidentia et esse in

verum est, quod omne cum fiât sit et corrumpatur quod corrumpitur aut ex contrariis aut in contraria et in horum média ». Ibid, I, 5, 188b21-23, p. 24, 15 - 2 5 , 1.

277

causatum O] creatum F 278 causatum O] creatum F 279 corrumpiturO] corrumpetur F 280 dicendum F] dicimus O 281 incausatum O] increatum F 282 est nichil O] non est F 283 causatum O] creatum F 284 respondendum O] dicendum F 285 uel O] et F 286 eandem FsO] eandem rationem pO 287 determinet F] determinet quod O 288 incausata O] increata F

causatum O] creatum F 290 respondendum O] dicendum F 291 incausatum O] increatum F

238

nobis a diuina prouidentia ; uel sic293 : quod cum dicit felicitatem esse in nobis a diuina

prouidentia, loquitur de felicitate non quo ad essentiam, set quo ad actum suum quem

elicit in nobis.

§ 43 <II*> Ad aliud potest dici quod est predicatio per essentiam et est predicatio

per causalitatem. Forma que est exemplar non predicatur loquendo de predicatione que

est pcr essentiam, set per causalitatem potest. Vnde félicitas294 causata295 potest dici

bonum diuinum quia a Deo siue a se ipso nobis datum. Similiter nos possumus dici

felices non essentialiter set causaliter297, quia298 ab illa29' felicitate incausata300

remuneramur301. .302 j - J . 303 § 44 <III*> Ad aliud dicendum quod duplex est conuenientia : est enim

quedam conuenientia304 unius ad unum, et hoc modo plus conueniunt et305 minus distant

bonum causatum et incausatum306 - quia unum in altero et ab altero est -, quam duo bona

causata307 que inter se sunt disparata ; et est conuenientia duorum in tertio et hoc modo

procedit obiectio.

§ 45 <IV*> <5*> Ad aliud respondendum308 quod bonum309 non dicitur310

secundum unam rationem, set potius secundum analogiam de bono causato et

incausato . Et quod obicit quod immo quia potest comparari , respondendum quod

292 pro diuina prouidentia O] et diuinam prouidentiam F 293 sic O] die F 294 félicitas O] félicitas que est F 295 causata O] creata F 296 nobis F] om. O

97 causal iter FpO\ causal iter set sO 98 quia ab ... remuneramur FsO] om. pO

299 illa F] ipsa sO om. pO 300 incausata sO] increata F om. pO 301 remuneramur scr.] remuneratur FsO om. pO 302 ad aliud ... modo plus FsO] om. pO 303 dicendum F] om. O 3CM est enim quedam conuenientia sO] om. FpO 3 0 5et^O]etcausap6» 306 causatum et incausatum O] creatum et increatum F 307 causata O] creata F 308 respondendum O] dicendum F 309 bonum FsO] unum pO 310 dicitur F] dicitur nisi O

11 causato et incausato O] creato et increato F 312 obicit F] aliter O 313 comparari OsF] considerari pF

239

analogia non impedit comparationem, set simpliciter equiuocum impedit314. Et si

conueniat315 quod si bonum non dicitur uniuoce de bono causato et incausato316, non ^17 ^ I ft 11Q '■OH T71

poterit esse doctrina una de bono sic communiter dicto , dico quod immo, non ■j'y) 'X'y'X

enim semper requiritur unitas uniuocationis ad unitatem subiecti scientie, immo

sufficit unitas analogie. Vnde Aristotiles in tertio Metaphysice : « Quorumcumque324 est

natura una uel analogia una, eorum potest esse doctrina una325 » ; per hoc potest patere

quod moralis intendit de bono non solum prout contrahitur ad felicitatem, uel solum ad

uirtutem, set327 prout communiter se habet ad utrumque. Tamen non est intelligendum

quod de istis consideret equaliter, immo : sicut philosophus primus " considérât

accidentia ut referuntur ad substantias que sunt eorum principia et esse

quodammodo333 - secundum334 quod dicit quod diffinitiones accidentia335 recipiunt ad

ornamentum336 - et substantias generabiles337 et corruptibiles, prout ad substantiam

314 impedit O] impediret F 315 conueniat O] querat F 316 causato et incausato O] creato et increato F 317 poterit F|ponitO 118 doctrina O] scientia F ^ una FsO] sua pO 320 bono F] bona O 321 communiter dicto F] coniuncto O 322 requiritur F] relinquitur O 323 uniuocationis F] uniuocalis O 324 quorumcumque F] quecumque O 325 ARISTOTE, Metaphysica, IV, 2, 1003b! l-bl5, trad. JACQUES DE VENISE, éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 63,

I. 5-9 : « Sicut igitur et sanativorum omnium una scientia est, similiter hoc et in aliis est. Non enim solum eorum que secundum unum dicuntur scientie est speculari unius sed eorum que ad unam dicuntur naturam ; et enim hec quodam modo dicuntur ad unum ». Les Auctoritates Aristotelis (éd. HAMESSE) attribuent la citation suivante au Commentateur, p. 123, n° 110 : « Una scientia non est tantum unius univoci, sed etiam bene unius analogi ». Aussi cf. ibid, p. 121, n° 75 : « Unius rei est unadefinitio ».

326 uel F] set O 327 set F]etO 328 philosophus primus O] inu. F 329 accidentia FsO] om. pO 330 eorum F] earum O 331 ARISTOTE, Metaphysica, III, 2, 997a26 et suivantes, trad. JACQUES DE VENISE, éd. VUILLEMIN-DIEM,

p. 46,1. 11 et suivantes. 332 esse F] esse quoniam O 333 quodammodo FsO] om. pO 334 secundum F] uel O 335 accidentia O] accidentium F 336 ad ornamentum O] additum F 337 generabiles FpO] essentiales sO

240

primam que causa est et principium aliorum omnium ; sic moralis bonum in

operationibus déterminât propter bonum uirtutis siue habitus, et bonum in uirtute

considérât prout ordinatur ad felicitatem. Vnde felicitatem per se et primo et

principaliter considérât340, alia uero341 ratione felicitatis et ut ad ipsam ordinantur.

<2b> § 46 <1> Set queritur : cum propter342 bonum génère et3 3 générale, de quibus

forte philosophus nichil sciuit, sit bonum nature et bonum ex génère et bonum ex

circumstantia, de eius344 differentia boni considérât moralis philosophus345. Et uidetur

quod de bono346 nature, quia, cum347 principaliter intendat de felicitate, ut dictum est, '1AQ

félicitas autem naturaliter et essentialiter est bonum" , uidetur quod intendat de bono a

natura349.

§ 47 <2> Item, quod est natura taie magis est taie quam quod non est natura taie,

ergo quod est natura bonum, magis est bonum quam quod non est natura bonum. Si ergo

de bono maxime350 considérât moralis, et considérât de bono quod est bonum natura.

§ 48 <I> Contra hoc est : quia doctrina ista dicitur moralis non nisi quia

considérât bonum ut morale est, non ergo de bono quod est bonum natura, set uel quod

est in génère, uel ex circumstancia bonum.

§ 49 <II> Item, moralis scientia dicitur esse de hiis que sunt ab opère nostro352,

set bonum, ut est bonum natura, nichil dicit quod sit ab [O f. 2vb] opère nostro, [Ff. 2ra]

ergo non est de bono quod est bonum natura353. 38 aliorum omnium sO] omnium aliarum F aliorum modorumpO

per se et primo O] primo et per se F 340 considérât O] déterminât F 341 uero F] uel O 342 propter O] prêter F 343 et O] uel F 344 eius O] cuiusmodi F 345 philosophus sO] om. FpO 346 bono F] bona O 347 cum F] cum bonum uidetur quod intendat de bono natura quia cum O 348 bonum F] iter. O 49 a natura O] nature F

bono maxime O] inu. F 351 dicitur moralis non O] non dicitur moralis F

241

§ 50 <III> Item, cum moralis sit de hiis que sunt ab opère nostro, félicitas autem

non sit ab opère nostro set a diuina Prouidentia - sicut postea probat -, quomodo est de

felicitate ?

<SOLUTIO>

§ 51 <1*> <2*> <I*> Ad horum euidentiam sciendum quod moralis philosophia

considérât bonum quod est natura354 bonum, ut felicitatem et uirtutem, set non ut sunt355

bonum natura set ex assuetudine ; aliter enim non diceretur moralis, unde, sicut

dictum359 est quod logicus considérât res nature non modo naturali, sic dicere est quod

moralis considérât quod est360 natura bonum non modo naturali set morali. Rei autem

idemptitas uel diuersitas361 non ponit idemptitatem uel diuersitatem in scientia, set

modus362 considerandi uel accipiendi circa rationem363 differens. <II*> Et si obiciat quod

bonum nature364 non est ab opère nostro, respondendum quod 5 uerum36 est ut est

bonum natura, ut tamen supra ipsum uersatur actus assuefactionis, ab opère nostro est.

<III*> Quod obicit quod félicitas non est ab opère nostro, et ita de felicitate non posset

considerare moralis, respondendum367 quod licet quo ad suam substantiam non causetur

ab opère nostro, tamen quo ad suum actum, uel ad suam unionem ad nos , causatur a 370

nostro opère .

352 opère nostro F] operatione nostra O 353 natura F] a natura O 354 est natura O] inu. F 355 ut sunt FsO] sunt ut pO 356 ex FsO] om. pO 357 non F] nam O 358 diceretur O] dicitur F 359 dictum O] dicere F 360 est F] est a O 361 idemptitas uel diuersitas F] diuersitas uel idemptitas O 362 modus O] modum F 363 rationem O] om. F 364 nature O] natura F 365 quod sO] om. FpO 366 uerum F] unius O 367 respondendum O] dicendum F 368 ad O] om. F 369 ad nos FpO] et non sO 370 a nostro opère O] ab opère nostro F

242

<QUESTIO 3>

§ 52 Tertio, queritur <a> utrum moralis philosophus in aliqua parte moralis

philosophie possit determinare de felicitate ut de subiecto ; et postea <b> utrum in eodem

libro partiali determinare371 habeat de felicitate et uirtute, uel in diuersis partialibus

libris372.

<3a> § 53 <1> De primo sic : cum félicitas sit finis totius doctrine moralis, neque in

• • 17"^ • ^74 • • ^7S

ipsa neque in aliqua parte eius potest esse subiectum . Subiectum enim materia est,

finis autem et materia non concidunt376. § 54 <2> Item, ponit Auicenna differentiam inter materiam et subiectum, uolens

^77

quod materia nominet ens in potentia solum, subiectum uero nominet ens completum

ex materia et forma378. Cum ergo félicitas forma sit solum et non sit ens compositum ex

materia et forma, non erit subiectum.

371 determinare F] determinari O 372 partialibus libris O] om. F 373 aliqua F] alia O 374 subiectum F] sensum O 375 enim F] autem O 376 concidunt O] coincidunt F 377 nominet F] nominat O

78 Cf. AviCENNE, Liber de philosophia prima siue de scientia divina, I, 2, éd. S. VAN RIET, Louvain, Peeters ; Leiden, Brill (coll. « Avicenna Latinus »), 1977, p. 9 : « Dico autem quod suum subiectum scientiae naturalis est corpus, non inquantum est ens, nec inquantum est substantia, nec inquantum est compositum ex suis duobus principiis, quae sunt hyle et forma, sed inquantum est subiectum motui et quieti. Scientiae vero quae sunt sub scientia naturali remotiores sunt ab hoc, similiter et morales ». Aussi ibid, IV, 2, p. 209-210 : « Igitur non est possibilitas essendi substantia quae non est in subiecto ; est igitur intentio quae est in subiecto et accidentale subiecto. Nos autem possibilitatem essendi vocamus potentiam essendi, et id quod est sustinens potentiam essendi, in quo est potentia essendi rem, vocamus subiectum et hyle et materiam et cetera, secundum varios respectus ».

243

§ 55 <3> Item, scientia est una que est unius generis subiecti partes et passiones

eius380 considerans, subiectum ergo scientie débet habere partes et passiones. Cum ergo

félicitas sit quid simplex nec habeat partes, non erit subiectum scientie huius381.

§ 56 <I> Contrarium382 huius apparet383 in principio primi384 libri ubi dicit quod "3QC "îflfi ^87

doctrine ciuilis est determinare de felicitate , et, sicut in fine primi libri de uirtute

gratia felicitatis, <I*> et hoc concedimus.

<SOLUTIO>

§ 57 <1*> Ad primo obiectum, respondendum389 quod in eadem scientia sub

eadem ratione accepta, non est idem subiectum et finis, set in eadem sub alia ratione

accepta possibile est. Verbi gratia, loqui est de morali scientia ut est speculans, et sic

subiectum eius est félicitas, uel in quantum operans est391 et sic est finis. Vel aliter, differt

félicitas et assecutio uel actus felicitatis392 ; félicitas ergo secundum substantiam

subiectum est393, set assecutio felicitatis est finis, siue félicitas quo ad actum suum,

quoniam394 in nobis habet derelinquere.

379 subiecti F] om. O 380 eius O] om. F 381 huius F] om. O 382 contrarium F] item contrarium O 383 apparet O] patet F 384 primi O] huius F 385 ciuilis F] cuius O 386 « Dicamus autem et resumentes quoniam omnis cognicio et proheresis bonum aliquod exoptat, <quid>

est quod dicimus civilem desiderare, et quid omnium summum operatorum bonum. Nomine quidem igitur pêne a pluribus concordatum est. Felicitatem enim et multi et excellentes dicunt ; bene autem vivere et bene operari idem existimant felicitati ». ARISTOTE, Ethica Nova, I, 1, 1095al4-20, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 68,1.7-12.

387 À partir de «Si autem félicitas...», ARISTOTE, Ethica Nova, I, 13, 1102a5, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 91, 1. 9, correspondant à la leçon 20 de notre commentaire,.il traite de la vertu. La fin du premier livre est donc considérée comme proprement relative à la vertu, tel qu'affirmé dans la division proposée au § 6.

388 gratia F] similiter O 389 respondendum O] dicendum F 390 eadem F] eodem O 391 est O] om. F 392 uel aliter ... actus felicitatis F] iter. hom. post finis O 393 secundum substantiam subiectum est O] subiectum est secundum substantiam F 394 quoniam /<]quem O

244

§ 58 <2*> Ad aliud dicendum quod Auicenna395 loquitur de subiecto non scientie "X Q f\ 1 0 "7

set forme accidentalis que non est in subiecto nisi preexistente operatione uel natura,

forma substantiali.

§ 59 <3*> Ad aliud respondendum quod etsi398 félicitas non habet399 partes ut ex

quibus integratur400 actualiter, habet tamen401 partes ut ex quibus elicitur, non402 dico

elïectiue, set sicut materialiter disponentes et - has partes possumus dicere operationes

uel uirtutes, ex quibus derelinquitur - sicut403 cognitionem404 et dilectionem405 per quas406

ad eam407 mouemur.

<3b> § 60 <1> De secundo sic : cum similiter se habeat scire ad demonstrationem et

félicitas ad uirtutem, sicut in eodem libro determinatur de demonstratione et scire, sic in

eodem libro speciali de felicitate et uirtute.

§ 61 <2> Item, sicut uirtus finis est operationum, sic félicitas uirtutum, set in

eodem libro partiali determinatur de uirtutibus et operationibus ex quibus derelinquitur,

quare similiter et in eodem libro partiali determinandum erit de felicitate et de

uirtutibus.

395 auicenna F] auicenna quid est O y"' preexistente FsO] existentepO 197 operatione O] tempore F 398 etsi scr.] et si F si O 399 habet O] habeat F 400 integratur O] integretur F 401 tamen F] autem O 402 non F] nam O 403 sicut O] uel F 404 cognitionem FpO] cognitio sO 403 dilectionem FsO] dilectio/?<9 406 1 m

quas scr. ] que FO 407 eam F] ea O 408 et F] om. O 409 partiali F] determinatur de ... in eodem libro parciali iter. hom. O 4l0deO]o/w. F

245

<SOLUTIO>

§62 <1*> <2*> Ad ista possit411 dici quod in eodem libro determinatur de

felicitate et uirtute sicut patet in fine primi libri412, unde413 possimus414 concedere

rationes. Si tamen uelimus aliter dicere, possumus respondere 15 quod non est simile de

scire ad demonstrationem et felicitate ad uirtutem416. Scire417 enim non habet esse418

aliunde quam a demonstratione aliquo modo , set félicitas aliunde habet esse quam a

uirtute, unde uirtus non est nisi sicut dispositio ad optimum, set demonstratio causa est

et ratio ad ipsum scire et ideo non est simile.

§ 63 Similiter dicendum421 secundum Philosophum quod operationes sub debitis

dispositionibus et condicionibus422 sunt tota causa uirtutis - quod forte non diceret

theologus424 - , set uirtus425 non est tota causa felicitatis, et ideo non est simile.

<QVESTIO 4>

§ 64 <1> Circa quartum queritur426 sic : si causa prior causa et effectum427 prior

effectum. Causa autem felicitatis est primum agens - sicut postea probat - , causa

411 possit O] posset F 412 « Si autem est félicitas anime actus quis secundam virtutem perfectam, de virtute scrutandum ; forsitan

enim ita utique melius de felicitate contemplabimur ». ARISTOTE, Ethica Nova, 1102a5-7, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 91,1. 9-12.

413 unde F] non O 414 possimus O] possemus F 415 respondere O] dicere F 416 uirtutem F] uirtutem scientie O 417 scire FsO] om. pO 4II! habet esse F] habetur O 419 quam a demonstratione aliquo modo O] aliquo modo quam a demonstratione F 420 demonstratio O] félicitas F 421 dicendum F] dicendum quod O

et condicionibus O] om. F 423 « Neque igitur natura neque prêter naturam, fiunt virtutes. Set innatis quidem nobis suscipere eas,

perfectis autem per assuetudinem ». AR1STOTE, Ethica Vêtus, II, 1103a24-26, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 5,1. 14-16.

424 11 s'agit de la seconde mise en parallèle philosophie-théologie. Voir aussi ci-dessus, § 4. 425 uirtus F] uirtutis O 426 circa quartum queritur F] de quarto O 427 effectum scr.] efficiens FO 428 est FsO] est uerum pO

246

uero429 uirtutis est homo uel430 operatio hominis, ergo félicitas prior431 erit simpliciter

uirtule.

§ 65 <2> Item, cum félicitas sit terminus creationis432, uirtus uero humane

operationis, et prioris mutationis43 uel motus prior est terminus, prior erit félicitas

uirtute.

§ 66 <3> Item, cum moralis principaliter433 intendat finem, quod436 plus retinet

condicionem finis437 primum est in consideratione moralis, ergo, cum félicitas plus habeat

rationem finis [F f. 2rb] quam uirtus, prior erit apud moralem .

§ 67 <I> Contra : félicitas439 est brauium uirtutis440, uirtus ergo est sicut meritum,

félicitas sicut premium, set, materialiter loquendo, meritum antecedit premium, ergo et

uirtus felicitatem.

§ 68 <II> Item, in diffinitione felicitatis ponitur uirtus, cum dicitur « félicitas est

actus secundum uirtutem perfectam »441. Et secundum Boetium cum442 dicit : « félicitas

est actus omnium uirtutum agregatione perfectus443 », quia, cum diffmientia444 sint

priora445 diffinito, et uirtus felicitate.

429 uero F] autem O 430 uel O] siue F 431 prior/7] prius O 432 creationis F] causationis O 433 mutationis F] unionis O 434 prior est F] rep. O 435 principaliter F] principalis O 436 quod O] quo F 437 finis F] finis primus O

« Si utique quis finis est operatorum quem per se volumus, alia vero propter illum, et non omnia propter aliud optamus. Procederet enim ita in infinitum, quod esset vanum et inane desiderium. Manifestum quod hic utique erit bonus et optimus. Ara igitur ad vitam cognicio eius maximum habet incrementum ». ARISTOTE, Ethica Nova, I, 1, 1094al9-24, trad. BURGUNDio, éd. GAUTHIER, p. 66, 1. 3-8.

439 félicitas O] felitas F 440 ARISTOTE, Ethica Nova, I, 10, 1099b 16, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 83, l. 10 : « virtutis enim

bravium et finis, optimum videtur quid et beatum ». Cf. aussi Les Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 234, n° 22 : « Félicitas est praemium virtutis ».

441 ARISTOTE, Ethica Nova, I, 13, 1102a5-7, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 91, I. 9-10 : « Si autem est félicitas anime actus quis secundum virtutem perfectam, de virtute scrutandum ». Cf. aussi Les Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 233, n° 11 : « Félicitas est perfectio animae secundum virtutem perfectam ».

442 cum F] om. O 443 BoÈCE, De consolatione philosophiae, III, 2, § 3, éd. MORESCIUNI, p. 60 : « Liquet igitur esse

beatitudinem statum bonorum omnium congregatione perfectum ». 444 diffmientia F] differentia O 445 sint priora O] inu. F

247

§ 69 <III> Item, in eodem, incompletum antecedit completum, ergo, cum félicitas

ponat completionem in termino, uirtus non, in eodem prius erit uirtus quam félicitas.

<RESPONSIO>

§70 <1*> <2*> <3*> Ad hoc446 respondendum447 quod de felicitate prius

déterminât448 quam de uirtute449.

<SOLUTIO>

§ 71 <I*> Ad obiectum respondendum450 quod duplex est prioritas, scilicet

tempore et origine, quo modo451 meritum antecedit premium452, et est prioritas substantia

et diffinitione, quo modo453 possibile est, immo conueniens ut premium antecedat, uel

aliter est quoddam meritum quod est tota causa premii, et hoc antecedit. Set uirtus non est

meritum quod sit454 tota causa felicitatis et non propter hoc 55 oportet quod précédât.

§ 72 <II*> Ad aliud dicendum456 quod illud quod ponitur in diffinitione, sicut

genus uel differentia, semper prius est, set si ponatur sicut terminus finiens respectum uel

dependentiam alicuius quod est in diffinitione sicut genus uel differentia, taie non

[O f. 3ra] oportet quod sit prius licet ponatur in diffinitione. Vel dicendum457 quod loqui

est de felicitate secundum suam essentiam et sic non habet diffiniri per uirtutem, uel

446 ad hoc F] om. O 447 respondendum O] dicendum F 448 déterminât F] determinet O 449 uirtute sFO] felicitate uirtute pF 450 respondendum O] dicendum F 451 quo modo F] quoniam O 452 meritum antecedit premium F] premium antecedit meritum O 453 quo modo F] quoniam O 454 sit F] si O 455 non propter hoc O] ideo non F 456 dicendum O] dico F 457 dicendum sO] die FpO 458 diffiniri F] differentiam O

248

secundum esse quod habet in subiecto quod perficit459, et460 quia non inest nisi per

uirtutem antecedentem, hoc modo antecedit uirtus felicitatem, simpliciter tamen non.

§ 73 <III*> Ad ultimum respondendum461 quod sine dubio in eodem prius est

uirtus quam félicitas, non tamen prior est uirtus 2 secundum essentiam quam félicitas,

uel die quod prioritas qua463 incompletum464 antecedit completum est prioritas origine et

hec est accidentalis, set prioritate substantia465 uel diffinitione que est prioritas466

essentialis, completum antecedit et ideo félicitas essentialiter est prior.

<QVESTIO 5>

§ 74 <1> Circa quintum queritur sic : operatio sequitur appetitum, si ergo homo

non errât467 in appetendo, quia semper appétit bonum, ergo468 neque in opérande

§ 75 <2> Item, operatio hominis secundum quam habet mereri uel 69 demereri

semper est a ratione470. Set sicut habetur in libro De anima : « Ratio semper est recta,

fantasia aliquando471 recta, aliquando non recta472 »473, quare a ratione, cum semper recta

sit, numquam exibit operatio nisi recta quare bona.

§ 76 <3> Item, cum sensus propriorum obiectorum semper sit rectus , plus

autem ponit uirtus intellectiua quam sensitiua, multo plus autem476 uirtus intellectiua

459 perficit F] perficiet O 460 et FsO] om. pO 461 respondendum O] dicendum F 462 prior est uirtus O] est uirtus prior F 463 qua O] quam F 464 incompletum F] completum O 465 substantia FsO]il\apO 466 est prioritas O] inu. F 467 errât FsO]evatpO 468 i-n ,-.

ergo F] om. O 469 uel O] et F 470 ratione FsO] ratione cum semper recta sit pO 471 aliquando FsO] om. pO 472 recta O] om. F m « Intellectus quidem igitur omnis rectus est ; appetitus autem et fantasia et recta et non recta sunt. Vnde

semper quidem mouet appetituum, set hoc est aut bonum aut quod uidetur bonum ». ARISTOTE, De anima, III, 10, 433a25-29, dans ANONYME, Lectura in lihrum de anima, éd. GAUTHIER, p. 491.

474 obiectorum F] om. O 475 rectus O] uerus F 476 autem O] om. F

249

motiva respectu proprii obiecti débet esse recta, proprium autem eius 77 obiectum est

bonum, ergo respectu boni non poterit errare. Si autem dicatur quod uirtus intellectiua,

quando operatur de se et non per motum sensitiue, semper est recta, set quia aliquando

operatur in nobis mota a479 sensitiua et imperata, aliquando motu proprio et non aliunde

imperata, et ideo aliquando recta, aliquando non . Hoc non uidetur esse uerum quia

secundum hoc in Intelligentia separata481 ubi non coniungitur intellectus cum fantasia,

non accessisset error.

§ 77 <4> Item, uidetur quod numquam ratio operetur per motum sensitiue set

semper e conuerso. Est enim duplex substantia : corporea et incorporea ; corporea

duplex : corruptibilis ut homo, incorruptibilis ut sol ; similiter duplex est incorporea : A o c t

corruptibilis ut pars sensitiua, incorruptibilis ut intellectiua. Ex hoc sic arguo : sicut se

habet substantia486 corporea corruptibilis ad substantiam487 corpoream incorruptibilem,

sic incorporea corruptibilis ad incorpoream incorruptibilem. Cum ergo substantia

corporea incorruptibilis non operetur per motum substantie corporee corruptibilis set

potius e conuerso, similiter489 substantia incorporea incorruptibilis numquam operabitur

per motum incorporée corruptibilis set semper e conuerso ; ergo intellectiua non operatur

per motum uel imperium sensitiue set potius e conuerso, quare ab illa numquam490

recipiet irrectitudinem.

477 eius F] om. O 478 autem O] forte F 479 a F] om. O 480 « Videtur autem et alia quedam natura anime irracionabilis esse, participans quidem qualiter racione.

Continentis enim et incontinentis racionem [laudamus] et anime quod habet racionem laudamus ; recte enim et optima deprecatur [sermo]. Videtur autem in eis aliud quid prêter racionem innatum, quod obviât et contrarie movetur racioni ». ARISTOTE, Ethica Nova, I, 13, 1102b 13-19, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 93,1. 12-18.

481 in intelligentia separata F] intelligentie separate O 482 non FsO] om. pO 483 accessisset scr.] accessiset O accidisset F 484 et F] om. O 485 ut F] sicut O 486 substantia F] om. O 487 substantiam F] om. O 488 operetur F] operatur O 489 similiter sO] om. FpO 490 numquam O] nullam F 491 recipiet scr.] rescipiet O recipit F

250

§ 78 <5> Item, duplex est uirtus motiua492 : sensitiua et intellectiua493 ; sensitiua

duplex494 : uniuersalis et particularis ; uniuersalis ut concupiscibilis irascibilis ;

particularis495 sicut496 particulares motiue site497 in neruis et musculis498. Ex quo arguitur

sic499 : plus superat500 intellectiua motiua uniuersalem5 ' sensitiuam motiuam, quam

uniuersalis sensitiua motiua particularem sensitiuam motiuam. Si ergo motiua

sensitiua503 uniuersalis non operatur per motum sensitiue particularis, set potius e

conuerso, intellectiua motiua non operabitur ad motum sensitiue motiue uniuersalis, set

potius e conuerso.

§ 79 <6> Item, dicit postea : « Boni504 corriarii505 est ex datis coriis506 facere

calceum optimum », et intelligitur facere optimum calceum secundum possibilitatem

coriorum datorum, et idem potest intelligi de quocumque alio artifice509. Ex quo potest

accipi hec propositio generalis : cuiuslibet boni artificis est facere opus optimum

secundum possibilitatem materie, ergo si Primum est artifex bonus, est eius facere

animam bonam secundum quod anime natura potest recipere, ergo5 si5 anime nature512

non répugnât quin possit esse perfecta scientiis et uirtutibus, ergo513 causabit eam

perfectam514 scientiis et uirtutibus.

92 motiua FsO] om. pO 493 C'est une division semblabe à celle d'Algazel, cf. ci-dessus, notre recherche sur les « deux faces de

l'âme », dans le chapitre 2. duplex F] dicitur O 494

495 particularis FpO] particulares motiue sO 496 sicut sO] sicut sensitiue FpO 497 site F] sicut O 498 musculis F] masculis O 499 arguitur sic O] inu. F

superat F\ séparât O 501 uniuersalem F] similem O 502 si ergo O] inu. F 503 sensitiua scr.] sensibilis FO 504 boni FsO] cora pO 505 corriarii F] corrigiarii O 506 coriis FsO] corngiïs pO 507 « ... et coriorum incisorem ex datis coriis facere calceum optimum. Eodem autem modo et alios artifices

omnes ». ARISTOTE, EthicaNova, I, 11, 1101a5-6, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 87, I. 16-17. 508 secundum F] per O 509 artifice O] accidente F 510 secundum quod anime natura potest recipere ergo F] om. O 5,1 si F] set O 512 nature F] natura O 513 ergo sO]om. FpO 514 perfectam F] perfectionem O

251

§ 80 <7> Item, ad idem, in Primo non differt potentia, uoluntas et operatio, ergo,

cum possit causare515 animam scientiis et uirtutibus perfectam, uult et facit.

§81 <I> [Ff. 2va] Contra, in secundo Phisicorum5^6 et in517 secundo

Peryarmenias51*, dicitur quod potentie519 rationales oppositorum sunt520, irrationales521

uero tantum522 unius, ergo, cum uoluntas siue523 intellectiua motiua sit uirtus rationalis,

erit contrariorum, quare non solum boni set communiter boni et mali.

§ 82 <II> Item, in secundo De anima : « Virtus una est unius contrarietatis524 »525,

ergo si bonum et malum sunt contraria, sunt unius uirtutis, ergo uirtus intellectiua non

solum erit boni set527 etiam528 mali.

§ 83 <IH> Item, omnis substantia composita529 ex contrariis naturaliter mouetur

ad contraria, set cum homo sit compositus ex substantia corporea et incorporea, siue ex

substantia corruptibili et incorruptibili, constat quod componitur ex contrariis, ergo non

tantum mouebitur530 ad bonum, set indifferenter ad bonum et ad531 malum.

515 causare O] creare F 516 Cf. Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 134, n°222: «Potentia rationalis valet ad opposita,

irrationalis vero ad unum tantum ». ARISTOTE, Metaphysica, IX, 2, 1046b, trad. ANONYME OU 'MEDIA', éd. G. VUILLEMIN-DIEM, Leiden, Brill (coll. « Aristoteles Latinus », 25, 2), 1976, p. 170, 1. 1 : « Sed que cum ratione sunt, omnes contrariorum sunt eedem, et que irrationabiles, una unius, ut calidum calefaciendi solum, medicina infirmitatis et sanitatis ».

517 in F] om. O 518 ARISTOTE, Periermenias, II, 13, 22b36-23a7, trad. BOÈCE, éd. L. MINIO-PALUELLO, Bruges et Paris,

Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », 2), 1965, p. 32, 1. 11 - 33,1. 1 : « Manifestum est autem quoniam non omne possibile vel esse vel ambulare et opposita potest, sed est in quibus non sit verum ; et primum quidem in his quae non secundum rationem, ut ignis calafactibilis et habet vim inrationalem (ergo secundum rationem potestates ipsae eaedem plurimorum etiam contrariorum sunt ; inrationabiles vero non omnes, sed, quemadmodum dictum est, ignem non esse possibile calefacere et non, vel quaecumque alia semper agunt ; aliqua vero possunt et secundum inrationabiles potestates simul quaedam opposita ; sed hoc quidem idcirco dictum est quoniam non omnis potestas oppositorum est nec quaecumque secundum eandem speciem dicuntur) ».

519 potentie 0] potestates F 520 sunt O] om. F 521

522 irrationales scr.] irationales sO naturales FpO tantum F] causa O

523 siue F] sit O 524 contrarietatis F] contrarietas O 525 ARISTOTE, De anima, II, 11, 422b23, dans ANONYME, Lectura in librum de anima, éd. GAUTHIER,

p. 386 : « Omnis enim sensus unius contrarietatis esse uidetur ». 526 ergo O] quare F 527 set O] immo F 528 etiam scr.] et F om. O 529 substantia composita FsO] compositio pO 530 531

mouebitur F] mouetur O ad O] om. F

252

§ 84 <IV> Item, in primo Phisicorum : « Priuatio semper machinatur532 ad

contrarium siue malum533 », ergo, cum anima intellectiua sit ex nichilo et sic habeat

priuationem siue principium, ratione sui principii mouetur ad malum et non solum ad

bonum.

<RESPONSIO>

§ 85 Ad horum euidentiam notandum quod duplex est appetitus in homine :

naturalis et deliberatiuus siue electiuus ; naturalis solum unius est et ad unum ;

deliberatiuus, etsi535 per se sit ad bonum, potest tamen esse boni et mali : boni cum recte

eligit, mali cum errât in536 eligendo ; huius537 erroris causa potest esse apparens bonitas in

re extra, uel sensus condelectans rei extra538 propter aliquam complacentiam excitans

intellectum, sicut multotiens contingit de malo socio excitante alium ad illicita, uel

propter impotentiam intellectus non uolentis539 dicernere preeminentiam aliquorum, uel540

conferentis541 quod presens est ad id quod ex eo est futurum. Prima causa erroris

communis est omni rationali créature et tertia, secunda uero hominis propria.

Concedimus542 ergo quod contigit hominem errare et deuiare a bono et propter hoc5 3

necessaria est ei hec scientia544, qua545 reflectitur546 homo in operando547 ad bonum.

532 machinatur O] macinatur F 533 ARISTOTE, Physica, I, 9, 192a3-9, trad. JACQUES DE VENISE, éd. BOSSIER et BRAMS, p. 38, 15 - 39, 3 :

« Nos quidem enim materiam et privationem alterum esse dicimus, sed horum hanc quidem non esse secundum accidens, materiam, privationem autem per se esse; quidam autem quod non est magnum et parvum similiter, aut quod est cum utroque aut seorsum utrumque ». Cf. Les Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 142, n° 33 : « Privatio quae est in materia multotiens machinatur ad maleficium ».

534 mouetur O] mouebit F 535 etsi scr.] et si FO 536 in F] om. O 537 huius O] cuius F 538 extra F] exterius O 539 uolentis scr.] ualentis FO 540 uel O] uel non F 541 conferentis scr.] confentis O cumferentis F 542 concedimus O] cuncedimus F 543 et propter hoc ... ad bonum O] om. F 544 scientia O] om. F 545 qua scr.] quam O om. F 546 reflectitur scr.] reflectionetur O om. F

253

<SOLUTIO>

§ 86 <1 *> Ad primum548 obiectum dicendum quod duplex est appetitus :

naturalïs, et hic549 est boni tantum et ad bonum, et deliberatiuus siue electiuus, et hic est

ad bonum solum, tamen indifferenter est boni et mali. Et operatio, secundum quam

attenditur uirtus uel uitium, sequitur appetitum hoc ultimo modo dictum, et ideo potest

esse recta et non recta, siue boni et mali, sicut et iste55 appetitus.

§ 87 <2*> Ad aliud respondendum551 quod loqui est de intellectu secundum

partem superiorem uel secundum partem inferiorem, et quo ad inferiorem potest esse

rectus et non rectus sicut et fantasia, quo ad superiorem dico quod semper rectus est, nisi

appelletur non rectitudo in eo quod pars inferior non semper obedit.

§ 88 <3*> Ad aliud respondendum552 quod sicut uoluntas553 potest considerari ut

est natura quedam uel in quantum est uoluntas, sic554 uirtus intellectiua potest considerari

in quantum est natura quedam uel in quantum est deliberans et ratiocinans. Primo

modo semper est recta et magis uel eque sicut sensus ; secundo modo potest errare et in

ista collatione et deliberatione, si contingeret quod sensus eam faceret, contingeret

eam558 decipi sicut et intellectum, immo559 magis et die560 sicut ostendit [O f. 3rb] ratio.

Et sicut predictum est in soluendo quod totalis. causa erroris in homine non est sensus

excitans intellectum ad delectabile uel561 ad bonum ut nunc, immo sicut uisum est, etsi562

homo non haberet sensum adhuc contingeret ipsum errare.

47 in operando scr.] inoperando O ont. F 548 primum O] primo F 549 hic scr.] hec FO 550 iste O] ont. F 551 respondendum O] dicendum F 552 respondendum O] dicendum F 553 uoluntas F] bonitas O 554 sic F] sicut O 555 est F] om. O 536 et F] om. O 557 quod F] quia O 558 eam O] ipsum F 559 immo F] uno O 560 die O] hoc F 561 uel O] siue F

254

§ 89 <4*> Ad aliud dicendum quod non est similis comparatio substantie

corporee incorruptibilis ad corpoream corruptibilem, et incorporée incorruptibilis ad

incorpoream corruptibilem563, quia enim corporea incorruptibilis et corporea corruptibilis

non sunt in uno neque unius, ideo non mouent se inuicem. Set illa que prior est natura et

nobilior564 semper dominatur565 et mouet, set substantia incorporea incorruptibilis et

incorporea corruptibilis unius566 sunt et in uno, et567 ideo mutuo in se possunt568 agere.

Preterea e contrario est in hiis569 et in illis, quia corporea incorruptibilis natura prior est

corporea corruptibili, set incorporea incorruptibilis non est prior natura incorporea

corruptibili57 , set potius e conuerso.

§ 90 <5*> Ad aliud dicendum quod uirtutes motiue571 mouent mote572 ab obiectis,

et quia idem est obiectum sensitiue uniuersalis motiue et particularis, et illud obiectum

primo uenit ad uirtutem ipsam574 uniuersalem quam ad575 particularem, ex hoc accidit

quod uirtus576 sensitiua particularis motiua non mouet, nisi mota ab uniuersali. Set in577

obiectis habent differentiam uirtus motiua intellectiua et uniuersalis sensitiua, et propter

hoc, quia habent quasi578 obiecta contraria, potest una moueri non ad motum alterius.

Preterea, secundum illos qui ponunt579 quod sensitiua et intellectiua sunt diuerse

substantie in homine non esset simile, quia sensitiua uniuersalis motiua et580 particularis

sunt unius substantie, set intellectiua motiua et uniuersalis sensitiua non.

562 etsi scr.] et si FO incorpoream corruptibilem F] imcorporalem O

564 nobilior F] notior O dominatur F] denominatur O

566 • ^ - \ i • i-i

unius O] uni F 567 et FsO] iter. pO 68 in se possunt O] possunt in se F

569 hiis F] illis O 570 incorporea corruptibili F] incorporée incorruptibili O 571 uirtutes motiue FsO] morem pO 572 mote F] more O 573 motiue F] morem O 574 ipsam O] om. F 575 ad O] om. F 576 uirtus O] iter. F 577 in F] iter. O

habent quasi F] ut habet quare O 579 ponunt O] ponent F 580 et F] est O

255

§ 91 <6*> Ad aliud dicendum quod duplex est uoluntas rerum : naturalis siue in

se, et per comparationem ad finem ad581 quem sunt ; et quia Primum est agens per582

uoluntatem et agens per uoluntatem potissime agit propter finem, ideo in productione

rerum attendit583 nobilitatem rei non naturale584 in585 se, set prout refertur586 ad finem.

Finis autem propter quem creauit hominem est ut participet beatitudinem, quia uero587

[F f. 2vb] plus meretur homo beatitudinem potens588 peccare et non589 peccans set bene

operans quam si non posset, ideo nobilius fuit homini ipsum sic creari5 quam non

potentem deuiare.

§ 92 <7*> Ad ultimum respondendum591 quod Primi duplex est operatio : una592

exterior siue respectu rerum extra, alia interior que extra Ipsum nichil querit ; et talis

operatio et potentia Primi593 différant, non ut ponatur differentia hec ex parte Primi,

siue in substantia potentie et operationis -quia hec idem sunt quam595 Primum-, set ut

attendatur diuersitas propter respectum596 ad res5 7 extra.

<QVESTIO 6>

§ 93 <1> Circa sextum queritur sic : malum habet causam extra mouentem et

habet causam intra mouentem598, operantem siue exequentem, et queritur primo de causa

581 per comparationem ad finem ad F] ad finem per comparationem sO per comparationem pO 582 per O] secundum F 583 attendit O] antecedit F 584 naturale O] naturalem F 585 in O] iter. F 586 prout refertur F] profertur O 587 uero O] non et quia F 588 potens F] cum potest O 589 non O] nec F 590 creari O] creare F 591 respondendum O] dicendum F

una O] prima F 593 primi FsO] om. pO 594 differentia hec ex F] hec dicit a O 595 sunt quam F] quod O

respectum O] aspectum F 597 res F] partes O 598 mouentem O] om. F

256

extra quia illud delectabile extra599, aut est bonum600, aut apparens bonum. Si bonum ergo

sui contrarii non est causa, set601 si602 apparens bonum, illa603 apparentia non remouet ab

eo naturam, ergo neque bonum, et ita ut prius apparens bonum non erit causa mali604.

§ 94 <2> Item, de causa intra opérante, quero que ipsa sit, utrum sensus uel

intellectus. Sensus non, quia operationes sensitiue communes sunt nobis et brutis 5, et

ideo sicut bruta non merentur, sic nec nos secundum illas , set intellectus.

§ 95 <I> Contra : intellectus non mouet608 nisi motum a fine, finis autem et

bonum idem, ergo non operatur nisi referendo operationem ad finem, siue ad609 bonum.

Set malum, cum priuet610 bono611, non refertur ad finem siue bonum, ergo non erit

intellectus causa mali.

<RESPONSIO>

§ 96 Ad horum euidentiam dico quod causa mali duplex est : extra et intra612 ;

extra, delectabile mouens ; intra, duplex613 : suggerens et incitans sicut sensus, operans

uel exequens sicut uoluntas. Set de uoluntate est loqui dupliciter : aut in quantum est

natura et sic est boni solum et ad bonum ; aut in quantum uoluntas et tune potest

considerari'15 tripliciter: uel616 per comparationem ad principium a quo, uel per

599 extra O] om. F 600 bonum F] iter. O 601 set O] om. F 602 si F] om. O 603 illa O] ista F 604 non erit causa mali O] mali non erit causa F 605 « Sequens autem sensibilis aliqua utique erit. Videtur autem et hec communis et equo et bovi et omni

animali ». ARISTOTE, Ethica Nova, I, 6, 1098a2-4, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 77, I. 14-16. 606il!asF]illos<9 607 set O] si F 608 mouet O] mouetur F 609 ad F\ om. O 610 cum priuet F] cum primet O " bono scr.] bonum FO

612 extra et intra O] intra et extra F 613 duplex F] dupliciter O 614 tune O] sic F 615 considerari FsO] considerari dupliciter pO 616 uel O] aut F

257

rclationem ad finem ad quem617 - e t neutro istorum modorum deficiens est-, uel per

comparationem ad illud ex quo, et quia ex nichilo, quantum ad hoc potest deficere et esse

causa mali, scilicet per defectum.

<SOLUTIO>

§97 <1*> Quod sic618 queritur utrum delectabile extra possit esse causa, dico

quod sic sicut mouens, neque est hoc inconueniens : quod bonum sit causa mouens, uel

occasio619 multotiens ad malum. Set620 non propter hoc sequitur quod malum sit causatum

a bono , set ex622 opérante qui mouetur ab illo bono uel delectabili exterius maie

ordinato. Vnde illud delectabile exterius mouet uirtutem uel potentiam et illa potentia

mota non ordinat illud ad finem propter quem est, set peruertit et ex illa peruersione

accidit abusus in opère et sic malum. Neque dico quod apparens bonum moueat

potentiam nisi ratione625 boni, set istud626 bonum quod sic mouet, ponit potentia

aliquando627 ubi uel in quo non est.

§ 98 <2*> Ad aliud respondendum628 quod sine dubio, sensus potest esse causa

intra, non sicut operans uel executans629, set sicut suggerens et incitans. Aliter potest dici

et melius quod sensus aliquando mouet intellectum, aliquando uero operatur motus in /CIA /C7Ï A T I

intellectu . Verbi gratia, aliquando gustabili recepto in sensu, incitât gustus

rationem ad delectandum6 3 uel laborandum634 ut consimile gustabile acquirat, et sic

617 ad quem scr.] a quo FO 6,8 sic O] ergo F

occasio FsO] occio pO 620 set F] si O 621 bono F] dato O 622 ex O] ab F 623 ad O] in F 624 et O] om. F 625 ratione F] rationem O 626 istud O] illud F 627 potentia aliquando O] inu. F

respondendum O] dicendum F ' executans scr.] conseruans FO

630 intellectu O] intellectum F 631 gustabili F] gustabile O 632 incitât F] mouet O 633 delectandum O] condelectandum F

258

/ T T C

sensus est causa sicut excitans solum ; aliquando uero ratio deliberans de tempore

uel636 de loco uel de differentiis637 gustabilis imperat gustui ut gustet, et tune in hoc actu

exteriori consummatur uitium uel uirtus, secundum quod dicit auctor quod ad uirtutem

requiritur scire, uelle et639 operari firmiter640. Dico ergo quod hec operatio641 secundum

sensum, hoc ultimo modo dicta, propria est homini, et non primo modo, et hoc modo

sensus potest esse causa intra operans ad malum, tamen etsi hec operatio exterior

secundum sensum numquam procederet in intellectu ad plénum consentiente,

sequeretur uirtus uel uitium in actu. Et si obiciat quod intellectus 4, cum sit natura, non

mouet nisi ad bonum, quia omnis natura bona, respondendum quod ex parte qua est ex

nichilo non dicit naturam645 set defectum, et propter hoc, ratione huius priuationis, tam

anima quam Intelligentia possibilitatem habent ad malum.

634 laborandum FI ad redendum O 635 ratio F]om.O 636 uel FJ ut O 637 differentiis FsO] om. pO 638 quod FJ quia O 639 uelle et FJ inu. O 640 firmiter FJ om. O 641 operatio FJ opéra O 6 4 2etsiscr.]etsiF9 643 in O] om. F 644 intellectus FJ in intellectu O 645 naturam FsO] nullum pO 646 ratione /•] rationem O

<LECTIO XXI>

HECIGITVR COMMVN1S ET CETERA

(1102b3)

<DIVISIO TEXTUS>

§ 1 [Ff. 32va, O f. 28rb] Hec est quarta pars1 huius partis quarte, in qua ostendit

secundum quam partem uel potentiam anime insit uel non insit homini uirtus ; et sic ■y t

terminatur quarta pars principalis huius partis que ibi incipiebat, si autem félicitas est

actus (1102a5-6, p. 91,1. 9), et durât3 usque4 in fine huius libri. Et sequitur quinta, in qua

diuidit et subdiuidit uirtutem. Et secundum hoc, due sunt partes in presenti lectione, in

quarum prima5 ostendit secundum quam partem anime insit uel non insit6 uirtus homini.

Secundo, diuidit et subdiuidit uirtutem de cuius altéra differentia, scilicet de

consuetudinali, exequitur consequenter in libro sequenti, huius autem.

§ 2 Prima pars diuiditur quia primo ostendit secundum quam non inest, est

quoniam9 neque secundum irrationalem10 que est uegetatiua, nec secundum irrationalem

que est sensitiua. Secundo, ostendit secundum quam, quantum" secundum rationalem, si

autem oportet12 (1103al, p. 94,1. 15). Prima pars habet duas partes, quia13 primo ostendit

quod non inest secundum irrationalem que est uegetatiua , secundo modo quod

1 pars F] om. O 2 ibi O] hic F 3 et durât F] ut ducat O 4 usque O] om. F 5 in quarum prima F] om. O 6 insit F] isit O 7 exequitur O] excercetur F 8 huius O] huiusmodi F 9 est quoniam sO] quoniam F quoniam est pO 10 irrationalem scr.] rationalem FO 11 quantum O] quoniam F 12 oportet O] om. F 13 quia sO] om. FpO 14 irrationalem que est uegetatiua F] rationalem uegetabilem O 15 modo quod F] inu. O

260

secundum irrationalem16 sensitiuam, uidetur autem (1102M3, p. 93,1. 12). Prima continet

partes quatuor. In prima, dat unam rationem ad ostendendum quod uirtus non inest17

secundum irrationalem uegetatiuam, que sumitur per comparationem ad substantiam.

Secundo, dat aliam que sumitur per comparationem ad opéra, existimatur (1102b4, p. 93,

1. 4). Tertio, dicit quandam18 ad probationem19 et declarationem predicte rationis, unde

inquirunt (1102b6, p. 93, 1. 6). Quarto, dicit quod relinquendum est hic de nutritiua, et

nutritiuum™ (1102M2, p. 93,1. 11).

§ 3 Pars illa, in qua ostendit quod non inest21 secundum irrationalem22 sensibilem,

diuiditur quia enim cum diuisione sensibilem non posuerat explicite. Ideo potest dici

quod quedam uidetur esse natura anime irrationalis alia a uegetabili et hec est sensibilis.

Secundo, dicit quod etsi23 sit irrationalis24 secundum se, tamen participât aliquo modo

rationem obediendo ipsi, participans (1102M4, p. 93, 1. 13). Tertio, ne aliquis crederet

quod semper obediret et in nullo aduersaretur25 rationi , ostendit quod immo et déclarât

per simile in partibus corporis, uidetur autem (1102bl7, p. 93, 1. 16). Quarto, quia illud

manifeste apparet in corpore in anima27, non dicit quod illud non uideatur in anima sicut

[F f. 32vb] in corpore, nichilominus intelligendum est ibi simile esse, set in corporibusn

(1102b22, p. 93, 1.21). Quinto, dicit quod licet talis potentia sit irrationalis29, tamen

participet rationem obediendo rationi , ratione autem (1102b25, p. 94, 1.4). Sexto,

concludit, quasi recapitulando, quod31 irrationale32 dupliciter : uno modo plantarium33

siue uegetatiuum quod ratione nullo modo communicat uel participât ; alio modo

16 irrationalem F] rationalem O 17 uirtus non inest O] non est uirtus F 18 quandam F] quidam O 1 ad probationem sO] apropriationem F ad propriam pO 20 nutritiuum O] nutritiuum autem F 21 inest O] est F 22 irrationalem F] rationalem O 23 etsi scr.] etsi FO 24 irrationalis F] rationalis O 25 aduersaretur sO] obseruaretur FpO 26 rationi scr.] rationem FO 21 in anima sO] in substantia FpO

in corporibus scr.] incorporibus F incorporale O V) irrationalis scr.] irationalis F rationalis O

rationi scr.] rationem O om. F 31 quod/*] quia O 32 irrationale scr.] non irrationale F rationale O 33 plantarium O] plantarum F 34 alio F] aliquo O

261

concupiscibilis uel irascibilis, scilicet sensibilis que participât rationem obediendo ei et

quod habeat eam per obedientiam probat, ut ibi patet.

§ 4 Pars illa, in qua ostendit secundum quam insit, diuiditur quia primo resumit

dicens quod ex quo sensibilis potest dici rationalis quia est obediens rationi35, rationalis

potest dici dupliciter. Secundo, dicit quod secundum hanc differentiam determinatur

uirtus determinatur (1103a3, p. 94, 1.17) et li hanc potest demonstrare rationalem

communiter utroque modo dicto uel solum uno modo, scilicet quod est habens rationem

in se ipso, ut postea dicetur. Sequitur secunda pars pnncipalis, in qua diuidit et

subdiuidit uirtutem et primo dat diuisionem uirtutis generaliter per intellectualem et

consuetudinalem. Secundo, dat subdiuisionem intellectualis, sapientiam (1103a5, p. 94,

1. 19) ; tertio, moralis libertatem (1103a6, p. 95,1. 1-2) ; quarto, ostendit quod differentias

signate « moralis » non sunt differentie intellectualis, neque e conuerso, dicentes (1103a7,

p. 95, 1.2). Quinto, dicit quod sapientia, que est differentia uirtutis intellectualis,

laudabilis est, laudamus (1103a9, p. 95, 1.4). Sexto, dicit quod generaliter40 habitus

anime laudabilis uirtus est, nec41 débet addi42 uirtus intellectualis. Vnde, nulla aliarum

translationum habet illud habituum43 (1103al0, p. 95,1. 5).

<SENTENTIA>

§5 Circa primam partem sic procedit : dicens hec igitur communis (1102b3,

p. 93, 1. 3) intendit dare talem45 rationem. Virtus uegetatiua siue potentia communis est46

nobis et brutis et plantis, ergo quod natum est inesse secundum eam communem et47'

35 rationi scr.] rationem FO 36 rationem in se O] in se rationem F 37 ipso ut O] om. F 38 secunda pars F] inu. O 39 et subdiuidit FsO] om. pO 40 quod generaliter O] inu. F ' nec O] neque F

42 addi O] a +2 litt. illegibiles + i F 43 habituum F] habitum O 44 communis F] communis et O 45 dare talem O] inu. F 46 est sFO] est habet pF 47 et F] cum O

262

nobis et brutis et plantis48, ergo uirtus non habet inesse homini secundum uegetatiuam49.

Deinde dat secundam rationem que talis est50 : uegetatiua maxime habet operari in

sompno, set per operationes que fiunt in sompno non acquiritur uirtus, ergo non habet

inesse51 secundum uegetatiuam52. Et ideo subdiuidit53 propter hoc dimidio, tempus uite,

scilicet in sompno non différant boni et mali, nisi quod5 meliores uisiones in sompno

apparent bonis quam malis. Et, hoc dicto, dicit quod nutritiuum relinquendum est.

Deinde, exequitur de sensitiua, dicens quod quedam est alia pars irrationalis55, scilicet

sensitiua, et tamen participât56 aliquid ratione57 secundum quod est obediens rationi.

Deinde, dicit quod quamuis rationi58 aliquotiens59 obediat, tamen ei innatum est aliquid

per quod obediat60 et aduersatur rationi61 ; sicut accidit in corpore62, quod aliquando

temptat mouere se63 in dextram et decidit in sinistram, dicit tamen quod illud magis

apparet in corporibus. Set nichilominus, [O f. 28va] sicut est in anima - et hoc intelligas :

quando non obedit rationi64 - et65 quando non obedit in nullo contrariatur, set facit omnia

secundum imperium eius ipsius. Deinde, quasi recapitulando, dicit quod irrationale66

dupliciter est : uno modo, scilicet uegetabilis, que nullo modo participât rationem67 et

sensibilis que aliquo modo participât, ei scilicet obediendo. Deinde, auctor, uolens

essentiam eandem68 secundum quam inest, dicit quod si ita est tempus <uite>, tune pars

anime potest dici rationalis dupliciter : uno modo quod habet in se rationem69 ut est70

48 plantis FpO] plantis etiam non habet sO 49 uegetatiuam F] uegetationem O 50 est F] om. O 51 inesse sFO] inse esse pF 52 uegetatiuam scr. ] uegetationem FO 53 subdiuidit O] subdiuidit quod F 54 quod O] per F 55 irrationalis F] rationalis O 56 participât F] participet O 57 ratione O] rationem F 58 rationi F] rationem O 59 aliquotiens O] praem. rationi F 60 tamen ei innatum est aliquid per quod obediat F] om. hom. O ' rationi F] rationem O

62 corpore O] corpore per F 63 mouere se O] inu. F 64 rationi F] rationem O 65 et F] quia O 66 irrationale F] rationale O 67 rationem FpO] rationem in se ipso sO 68 essentiam eandem F] est eundem O 69 rationem sO] om. FpO

263

rationalis, alio71 modo quod habet obediendo rationem sicut sensibilis. Deinde, dicit quod

uirtus determinatur secundum istam differentiam. Hoc dicto, exequitur partem secundam

principalem dicens quod uirtus quedam est72 intellectualis et quedam consuetudinalis ; et

dicit quod intellectualis73 partes sunt intelligentia74, sapientia et fronesis. Set moralis75

partes sunt libertas siue liberalitas et honestas. Deinde, dicit quod moralis partes sunt ut

sapientia uel intelligentia76 set humilitas uel honestas77. Deinde, dicit quod sapiens

laudandus est secundum uirtutem intellectualem et generaliter omnis habitus anime qui

laudabilis est uirtus est, set intellectualis uel consuetudinalis. Sic terminatur sententia.

<EXPOSITIO LlTTERE>

§ 6 Littera sic exponitur. Ita diuisimus animam per irrationalem et rationalem78 ;

irrationalem79 per uegetabilem et sensibilem ; et hoc ut inquiramus secundum quam

differentiam uirtus inesset homini - uel deberet dici bonum humanum ? Igitur hec uirtus

(1102b3, p. 93, 1. 3-4) non habitus set potentia, scilicet uegetatiua, communis est, id est

inest homini et80 non homini81, et non Humana, id est non est propria homini82, quod

natum esset inesse secundum eam, esset commune et non proprium. Set uirtus est bonum

proprium homini et ideo secundum illam non habet inesse.

§ 7 Deinde, dat83 secundam rationem et dicit : bene dico quod secundum

uegetatiuam non inest homini uirtus neque médium, autem, id est quia, hec particula, id

est uirtus, scilicet uegetatiua, existimatur operari*5 maxime secundum sompnum (1102b4-

70 est F] om. O 71 alio F] aliquo O 72 est O] est rationalis F 73 intellectualis F] intellectuales O 74 intelligentia scr.] intellectiua FO 75 moralis scr.] noralis FO 76 intelligentia scr.] intellectiua FO

Deinde dicit quod ... humilitas uel honestas FpO] del. sO rationalem F] om. O La subdivision de la rationnelle est donnée ci-dessous, au § 17. irrationalem O] om. F

■/■) ■

80 et FsO] et 1 pO 81 homini F] omni O 82 homini O] homini et ideo suple bonum F 83 dat F] det O 84 id est F] om. O 85 operari F] operum O

264

5, p. 93, 1. 4-5) uel in sompnis et hoc est quia sompnus est quies aliarum uirtutum, cum

intentione87 naturalium, et ideo si secundum uegetatiuam inesset uirtus maxime,

acquireretur in nobis in sompnis, set non est sic. Vnde subiungit : manifestum est quod

bonus et malus minime (1102b5-6, p. 93, 1.5-6), id est non fit aliquis secundum

sompnum, id est secundum operationes quas exercet in sompno et ad huius90

declarationem subdit91 : unde, id est quia non fit92 aliquis bonus uel malus93 secundum

sompnum inquiunt homines felices, id est bonos non differre a miseris , id est malis,

dimidio tempus uite, id est in sompno - et intellige hoc dictum non quo ad habitus, set

quo ad operationes. Et dicit quod hoc95 contingit dicere, diceretur id est illud dictum

conueniens est quia sompnis est quies anime, id est in sompno quiescit anima que

proprie habet dici bona et mala, id est intellectiua siue rationalis. Set quia dixerat in

sompno in nullo differre felices a miseris97, ideo excipit dicens in nullo dico differunt nisi

quoniam quidam motuum (1102M0, p. 93, 1. 9), id est actionum98, in sompnis transeunt

qualiter (1102M0, p. 93, 1. 9), id est alico alio" modo in bonis quam in malis, unde

subiungit, et ita, id est aparitione que fit sompno, meliora sunt fantasmata, id est

aparitiones iustorum quam quorumlibet, id est quam malorum100, secundum illud : « mali

autem » in pluribus. Vnde utraque aliarum translationum101 non habet [Ff. 33ra] « quam

86 aliarum F] animalium uirtutem O 87 intentione O] intensione F 88 acquireretur F] acquiritur O 89 set F] si O 90 huius O] huiusmodi F 91 subdit F\ subdiuidit O 92 fit F] fiât O 93 malus F] melius O 94 a miseris scr.] amicis FO 95 et dicit quod hoc F] iter. O 96 proprie O] prime F 97 a miseris O] amicis F 98 actionum F] apparetionem O 99 alico alio O] alio aliquo F 100 « Sompnus enim est vacatio anime ab actione secundum quam virtuosa vel vitiosa dicitur, nisi forte

quidam motuum ipsius interdum faciant ymaginationes bonorum esse meliores ymaginationibus malorum », Summa Alexandrinorum, éd. G.B. FOWLER, dans G.B. FOWLER, « Manuscript Admont 603 and Engelbert of Admont (c. 1250-1331). Appendix 14, Summa Alexandrinorum », AHDLMA 49(1982), p. 202-203.

101 translationum F] translatio O

265

malorum » et forte hoc102 accidit quia mens uel anima malorum, dum uigilabat, magis

intendebat illicitis et ideo in sompno magis igitur eorum103 ymagines representantur.

§8 Deinde, dicit quod sufficienter104 dictum est de hiis105 (1102M1-12, p. 93,

1. 10-11), quasi diceret circa hoc non est amplius106 morandum, immo, nutritiuum, id est

partem uegetabilem relinquendum est, suple secundum speculationem107 presentis

doctrine. Et subiungit causam quoniam exparsim est (1102M2-13, p. 93, 1. 11-12), id est

sine parte, uirtutis humane, id est que propria est homini109.

§ 9 Deinde, dicit auctor quod quedam alia natura (1102M3-14, p. 93,1. 12-13), id

est110 differentia anime irrationalis, scilicet pars sensibilis, uidetur esse, quasi diceret

irrationalis pars non solum est uegetabilis set etiam sensibilis. Set quia nominauerat112

eam irrationalem , crederet aliquis quod nullo modo haberet uel participaret rationem ;

hoc remouet dicens quod licet sit irrationalis, tamen est participans aliquid rationeU4,

qualiter (1102M4-15, p. 93, 1.13-14), id est aliquo modo, quasi diceret licet sit

irrationalis, tamen aliquo modo participât rationem, scilicet obediendo rationi 5, sicut

postea dicet. Et116 quod participât rationem probat dicens, enim, id est quia laudamusUl',

id est laudabilem dicimus rationem, id est rationalem operationem continentis, id est

partis concupiscibihs rationaliter118 operantis, et incontinentis, id est laudamus rationem

ipsius partis rationabilis que appellatur incontinens, quia nec sic est coniuncta

concupiscentie carnis sicut sensibilis concupiscibihs secundum quam carnis

concupiscentiam attenditur continentia uel incontinentia, unde 'incontinentis ' nomen

102 forte hoc O] inu. F 103 igitur eorum F] om. O 104 sufficienter O] sufficit F 105 hiis O] his F 106 amplius F] amplius in O 107 speculationem FsO] seculationem pO 108 ex pars sic! FO] expers forts (1102M2, p. 93,1. 13-14) cf. translationem huius lectionis § 8 109 homini F] bonum O n o ides tO] id est uel F 111 irrationalis scr.] rationalis FO 112 nominauerat O] nominant F 113 irrationalem F] rationalem O 1,4 ratione O] rationem F 115 rationi scr.] rationem FO U6etO]om. F 117 laudamus O] laudemus F 118 rationaliter O] rationabiliter F 119 incontinentis F] incontinens O

266

non120 est hic nomen121 uitii. Set sicut dictum est uel încontinentis, id est irascibilis et hoc

magis concordat littere sequenti quasi auerteret : bene dico quod pars sensibilis

participât rationem quia et123 concupiscibilis et irascibilis ponitur, que sunt partes eius,

operantur secundum operationem et operationes aliquando reddunt laudabiles. Et dicit

quod laudare operationem rationabilem continentis est laudare rationem anime, et ita

patet quod pars sensibilis participât rationem124 et quod talis, scilicet continens uel

operans secundum anime bonitatem laudabilis. Sic probat dicens recta enim, id est sermo,

id est nobilitas talis hominis, que per sermonem exprimitur, deprecatur (1102M7, p. 93,

1. 16) interius, id est optât recta aliis , obtima sibi. Et aha translatio dicit reclus est

enim et optimorum deprecator™ et128 similiter tertia translatio dicit qui enim talis est,

directus est et inquisitor rerum uirtuosarum et optimarum .

§ 10 Deinde, quia dixerat pars concupiscibilis et irascibilis operantur secundum

rationem et quod obediunt rationi132, ne quis crederet nullo modo aduersaretur [O f. 28vb]

rationi133, dicit quod immo dicens quod in eis, scilicet in sensibili secundum partem

concupiscibilem et irascibilem, uidetur quid innatum, quod est prêter rationem, id est

quod in se non habet rationem, quod obuiat interius et contrarie^4 mouetur exterius

rationi135 (1102M8, p. 93, 1. 17-18), scilicet quando pars136 concupiscibilis uel irascibilis

operatur secundum motum proprium et non secundum motum uel imperium rationis .

§ 11 Deinde, déclarât istud per simile dicens ita est138 in anima - suple secundum

quod uegetabilis139, sensibilis et rationalis inter se comparantur140-, quemadmodum

120 non FsO] om. pO 121 nomen F] om. O 122 auerteret O] auertunt F 123 et O] om. F 124 rationem F] rationi O 125 aliis O] aliis participet F 126 Cf. Alla translatio, éd. GAUTHIER, p. 127,1. 17. 127 deprecator scr.] deprecurator O depreturator F 128 et O] om. F 129 est et F] inu. O 130 uirtuosarum FpO] diuersarum sO 131 Cf. Averrois libri Nicomachae, trad. HERMAN L'ALLEMAND, éd. GAUTHIER, p. 133, 1. 6-7. 132 rationi scr.] rationem FO 133 rationi scr.] rationem FO 134 contrarie F] contrario O 135 rationi scr.] rationem FO 136 pars FsO] om. pO 137 uel imperium rationis sO] om. FpO 138 deinde déclarât istud per simile dicens ita est sO] om. FpO

267

particule de numéro141 particularum corporis periculose, dico dissolute (1102M9, p. 93,

1. 18), id est debilitate paraletice, id est per paralisim.

§ 12 Deinde, dicit quod accidit in illis particulis, dicens quod ipsis eligentibus, id

est cum eliguntur mouere se in dextram deferunturm (1102b20-21, p. 93,1. 19-20), id est

deorsum feruntur siue cadunt in sinistram contrarium, id est quod est contrarium. Set

querere posset aliquis dicens143 ne uerum quod sic sit in anima ; ostendit144 quod sic

dicens quia promotiones145, id est affectiones uel operationes incontinentium, id est

inordinate operantium secundum partem sensibilem. Non accipiatur incontinens ut supra,

ad contraria sunt, ad que mouet rationalis, et hoc est quia rationalis sibi relicta147 appétit

bonum simpliciter, set sensibilis sibi relicta solum bonum ut nunc.

§ 13 Deinde, quia posuerat simile148 in partibus corporis, dicit quod in hoc solum

déficit, quod in corporibus paraliticorum bene uidemus, quod sic deferuntur 4 ad

contrarium ; set in anima non sic uidemus. Deinde, dicit quod licet non uideamus in

anima sensibili et rationali illam contrarietatem, tamen nichilominus intelligendum est in

anima sensibili aliquid quod150 est151 prêter rationem, quod etiam est aduersans et

contradicens rationi ' , quando alterum, id est sensibilis, nichil condisset , id est

condit155 (ille condidit) ratione, id est per imperium rationis, quasi diceret tune aduersatur

quando per motum proprium mouetur156 et non per imperium rationis.

139 uegetabilis F] uegetabili O comparantur F] operantur O

141 numéro F] numerorum O 142 deferuntur O] differuntur F 143 dicens O] dicis F 144 ostendit F] oportet O 145 promotiones F] permotiones O 146 operationes F] comparationes O 147 relicta F] recta O 148 simile F] similem O H'' deferuntur O] differunt F 150 quod FsO] iter. pO 151 est F] om. O 152 rationi scr.] rationem FO

nichil condisset... id est sensibilis O] om. hom. F 154 condisset sic O] om. F Ce mot inexistant coïncide avec une des variantes de VEhica Noua (p. 94, 1.4) appartenant au ms. Qo.

L'auteur est fidèle à la source qu'il a sous les yeux, mais il va la corriger sitôt après : « id est condit ».

155 Selon l'éditeur, sur cette ligne comme une glose linéaire du mot 'differt' (qui remplace 'condisset' dans l'édition du texte, ARISTOTE, Ethica Noua, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 94, 1. 4), on trouve l'abréviation lcond"' que l'éditeur interprète comme 'concludit' (cf. R.A. GAUTHIER, « Praefatio »,

268

§ 14 Deinde, dicit quod hoc irrationale , id est sensibilis pars que est

irrationalis159, uidetur participare rationem (1102b25, p. 94,1. 4-5), et dicit quoniam, quia

quod est continentis, id est pars concupiscibilis secundum quam determinatur continentia,

obedit rationi . Et quia sic obedit, subiecta est, et ideo dicit quod licet sic operatio

concupiscibilis subiecta sit161 rationi162, tamen magis163 fortasse164 est subiectum rationi

quod est honesti et fortis (1102b28, p. 94, 1. 7), quasi diceret ea que ordinate fiunt ab

irrationali165 magis procedere166 possunt per imperium rationis quam que a concupiscibili.

Et quod167 ita sit probat dicens quod ea que honesti sunt, id est que pertinent ad

honestatem, concordant rationi168, id est ut ne169 contradicit in talibus sensibilis

rationali170.

§15 Hoc dicto, auctor, quasi recapitulando, dicit quod pars irrationalis11^ uidetur

esse duplex (1102b29, p. 94, 1. 8), id est duas habere differentias et exponit quas duas

dicens sc'ûlcet plantatiuum (1102b30, p. 94, 1. 9), id est uegetabilem que nequaquam, id

est nullo modo, participât172 rationem, non enim sic nata est operari per imperium rationis

sicut sensibilis.

§ 16 Deinde, dicit aliud membrum, scilicet sensibile, et enumerat ipsum per partes

suas dicens irrationale™ autem et desiderabile (1102b31, p. 94, 1.10), id est

dans ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. R.A. GAUTHIER, Leiden, Brill ; Bruxelles, Desclée de Brouwer [coll. « Aristoteles Latinus », 26, 1], 1974, p. CIX) ; or, soit l'auteur du commentaire, soit l'un des copistes a pris l'abréviation pour le mot et a donc écrit 'condit'.

156 mouetur.sO) operatur^O om. F 157 irrationale scr.] rationale O om. F 158 pars F] om. O 159 irrationalis O] rationalis F 160 rationi F] rationem O 1 ' et ideo ... subiecta sit O] iter. hom. F 162 rationi F] rationem O

tamen magis ... subiectum rationi FsO] om. pO fortasse F] fortassis sO om. pO

165 irrationali O] irrationabili F 166 procedere FsO] procedente pO 167 quod F] quia O 168 rationi I7] rationem O 169 ut ne F] unne O 170 rationali F] rationabili O 171 irrationalis O] rationalis F 172 participât F] participet O 173 irrationale F] rationale O irascibile/ora (irrationale varians ma. Ym, cf. ARISTOTE, Ethica

Nova, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 94,1. 10)

269

concupiscibile -suple174 hoc : duo faciunt aliam differentiam et unumquodque istorum

participât175 rationem. Qualiter, id est quodammodo et dicit quomodo participât rationem

dicens176 secundum illud quod est exaudibile eius (1102b32, p. 94,1. 11). Et secundum id

quod ei obedit uniuersaliter, id est simpliciter, et exponit quomodo dicens secundum id 1 "7*7 1 *7 8

quod est obedibile, ita scilicet quomodo inquimus nos habere rationem, id est

rationalem ordinatorem179, patris et amicorum et non quemadmodum, id est non eo180

modo quo dicimus nos habere rationem mathematicorum (1102b33-34, p. 94, 1. 12-13),

quasi diceret rationalis dicitur uirtus181 sensitiua cum est exaudiens rationem per affectum

et obediens [Ff. 33rb] per effectum sicut182 boni filii rationalibus exortationibus patrum

et amicorum per affectum et effectum obediunt et183 non eo modo quo obediunt184

rationibus mathematicorum. Et quia solum obediunt185 ut sciant et perficiant intellectum,

de affectu nichil querentes secundum illud uerbum Aristotilis : « in malum non est

bonum » ; et quia aliquis posset querere continget ne sic sensibilem18 obedire rationi187,

probat per effectum quod sic dicens quod uisio, id188 est diligens inquisitio rei agrediende

uel simpliciter faciende, et terminatio, id est diffinitio faciendi secundum uisionem

precedentem et hec duo pertinent ad agrediendum, et deprecatio (1103al, p. 94, 1. 15), id

est diligens preparatio ad ardua sustinendum, et hec tria accedunt189 secundum partem

irascibilem. Vnumquodque enim istorum trium signijicat, id est signum facit, quoniam

irascibile, id est pars irascibilis, suadeturm (1102b34, p. 94, 1. 13), id est suasionem

recipit, qualiter, id est aliquo modo, a ratione, quasi diceret : per hoc quod pars irascibilis

174 suple O] sub F 175 participât F] participet O

quomodo participât rationem dicens F] quod dicens participet dico rationem O 177 scilicet F] scilicet id est O 178 inquimus O] inquirimus F 79 rationalem ordinatorem scr.] rationalem ortatorem O ortationem rationabilem F

meoF] esse O 181 dicitur uirtus O] inu. F 182 sicut F] sic O metF]om. O 184 obediunt F] obedunt O 185 obediunt FsO] obediuatpO 186 sensibilem O] sensibile F 187 rationi F] rationem O 188 id O] om. F 189 accedunt F] attendunt O 190 suadetur scr.] suadet F O

270

sic délibérât aliquid agrediendum et sic consentit in agrediendo et sic préparât se ad

sustinendum terribilia. Per hoc patet quod suasionem recipit19 a ratione.

§ 17 Deinde, quia sic dictum est quod pars sensibilis potest dici rationalis quia

habens obediens rationi192, dicit quod si oportet hoc (1103al, p. 94, 1. 15), scilicet

sensibile193, dicitur habere rationem, quasi diceret ex quo irrationalis194 potest dici

habens1 5 rationem. Igitur habens rationem dupliciter est (1103al-2, p. 94, 1. 15-

16) : id est uno modo rationem habens est quod participât in se ipso, et hoc est rationalis

proprie ; hoc autem, id est alio modo, rationem habens dicitur quid audibile (1103a3,

p. 94, 1. 17), id est quid198 obediens rationi199, ut patet, suple quod sensibilis est ei

obediens.

§ 18 Deinde, dicit quod uirtus determinatur secundum hanc differentiam (1103a4,

p. 94, 1. 18), scilicet secundum potentiam200 que est habens rationem in se et non per hoc

quod obediat rationi201 sicut irascibilis sensibilis. Secundum hanc differentiam, scilicet

prout differentia habens rationem quod habet in se ipsa202 uel quod habet obediendo alii,

scilicet rationali siue rationi203. Sic terminatur prima pars principalis.

§19 Deinde, secundam exequitur dicens ita uirtus inest secundum partem que est

habens204 rationem. Autem, id est set harum uirtutum dicimus has, id est quasdam

intellectuales et per istas bene ordinatur homo ad suam causam. Hec enim uirtus consistit

in cognitione et dilectione205 Primi. Illas uero morales, et per has recte ordinatur homo ad

se et ad proximum et hec attenduntur secundum quod per rationem ' conuertens se ad

exteriora régit sensibilem et dirigit in suis operationibus.

191 recipit scr.] rescipit O proecipit F 192 rationi F] rationem O 193 sensibile O] sensibilem F 194 irrationalis O] rationabilis /•' 195 habens F] habens h O 196 rationem F] nomen O 197 est O] est hoc F 198 quid F] aliquid O 199 rationi O] rationem F

potentiam O] primam F 01 rationi scr.] rationem FO

202 ipsa scr.] ipso FO 203 rationi scr.] rationem FO 204 est habens O] inu. F 205 dilectione O] delectatione F 206 rationem FI rationalem O

271

§ 20 Deinde, subdiuidit intellectualem dicens quod sapientiam, id est dilectio

relata ad cognitionem summi boni, et intelligentiam, id est cognitio relata ad cognitionem

summi ueri, et fronesim (1103a6, p. 95, 1.1), [Oî. 29ra] uirtutes sicut de numéro

laudabilium habituumm (1103al0, p. 95,1. 5).

<QVESTIO 1>

§ 21 <1> Prima questio est de ratione felicitatis quam ponit. Ponit enim uirtutem

in ratione felicitatis. Cum in ratione uirtutis sit bonum simpliciter, quod idem sit felicitati.

Et sermo uidetur esse circulus209.

<SOLUTIO>

§ 22 <1*> Et posset solui ad hoc, ut diceretur quod non est hec diffinitio felicitatis

set est notificatio quedam, ut fiât processus ad cognitionem uirtutis. Et secundum hoc non

est circulus in ipsis diffinitionibus. Si hoc ut uerum poneretur diffinitio felicitatis alicui.

Et hoc apparet falsum ex eo quod dictum est in principio, dixit quoniam non oportebit

manifestare quid est félicitas secundum substantiam. Quod si hec est diffinitio felicitatis -

que hic posita est - , oportet intelligere quod félicitas non habet diffinitionem "

ex prioribus natura secundum genus cause finalis. Potest tamen in quantum félicitas est

actus, habere aliquam dispositionem214 in substantia preparantem ex se. Et ita est prior

secundum aliquod genus cause. Virtus ergo erit prior felicitate, licet non sit prior in

génère cause finalis quod enim dicitur felicitatem esse priorem uirtute et accipi in ratione

eius. Cum dicitur dispositio perfecti215 ad optimum, intelligendum est illam dispositionem

assignari pênes causam finalem, quo génère est félicitas prior uirtute.

207 dilectio scr.] dilectione FO 208 uirtutes sicut de numéro laudabilium habitum F] lac. unius lineae O 209 et sermo uidetur esse circulus O] om. F 210 est F] om. O 211 oportet F] oporteret O 212 habet F] haberet O 211 diffinitionem O] diffinitiones F 214 dispositionem O] diffinitionem F 215 perfecti O] perfectioni F 216 est félicitas O] inu. F

272

<QVESTIO 2> *J 1 7 • 9 1 H 9 t Q

§ 23 <1> Deinde, cum dicitur félicitas est actus siue endelichia et anima

dicitur endelichia, potest queri secundum quem modum diuersum utrumque illorum

dicitur220 esse actus.

<SOLUTIO>

§24 <1*> Et dicendum quod anima dicitur endelichia quantum ad primum *yo i 999

perficiens quod est esse uiuentis in quantum huiusmodi ; félicitas uero est actus

quantum ad secundum perficiens illius22 quod perfectum erat quantum ad esse, • 99S

imperfectum tamen quantum ad bene esse.

non

<QVESTIO 3>

§ 25 <1> Deinde, potest queri : si prius est diffinire226 quam diuidere, propter quid 997

diffinit primo uirtutem que est ad felicitatem, quam diuidat per intellectualem et

217 ARISTOTE, Ehica Noua, I, 13, 1102a5, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 91, I. 9 : « Si autem est félicitas anime actus quis secundum virtutem perfectam, de virtute scrutandum ; forsitan enim ita utique melius de felicitate contemplabimur ». ARISTOTE, Metaphysica, IX, 8, 1050a, trad. 'MEDIA', éd. VUILI.EMIN-DIEM, p. 178, 1. 16 : « Opus enim finis, et actus opus, propter quod et nomen dicitur actus secundum opus et confert endelechie ».

218 endelichia O] endelchia^ 219 ARISTOTE, De Anima, II, 1, 412a, trad. JACQUES DE VENISE, éd. GAUTHIER (ANONYME, Lectura in

librum De anima), p. 148 : « Unde et anima est actus primus corporis phisici potentia vitam habentis ». ARISTOTE, Metaphysica, VII, 16, 1040b, trad. 'MEDIA', éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 153, 1. 2 : « Et maxime si quis animatorum suscipiat partes et que sunt anime propinque ambas fieri, entes et endelechia et potestate, quia principia habent motus ab aliquo ut in curvis; propter quod quedam animalia divisa vivunt ».

220 dicitur O] dicetur F 221 perficiens O] et F 22 esse O] om. F

223 illius O] illud F 224 perfectum F] perfectionem O 225 imperfectum F] imperfectionem O 226 diffinire O] dififïniri F 227 per O] om. F

273

moralem ? Vel si colligatur diffinitio, propter quid determinatur hic diffinitio data

per subiectum in quo est, postea uero datur diffinitio alia ipsius uirtutis secundum quam

ponitur uirtus in suum genus ?

<SOLUTIO>

§ 26 <1 *> Et dicendum quod intelligitur hic diffinitio data per subiectum in

quo est . Hoc enim intendit ex remotione differentiarum ipsius anime quas seiungit

a uirtute. Vult234 enim quod uirtus humana, in quantum continet intellectualem et

moralem, sit habitus anime habentis in se ipsa principaliter rationem rectam circa

operanda. Datur autem diffinitio hec secundum huiusmodi genus cause, ut cognoscatur

félicitas per uirtutem. Virtus uero per subiectum in quo est determinata per propriam

potentiam, ut cognoscatur félicitas ab ipsa anima secundum reductionem ad se ipsam.

Hoc enim oportet quedam ab anima cognosci. Determinatur autem uirtus inferius per

opus respectu boni simpliciter. Et alicui237 determinatur in quantum dispositio est

perfecti238 ad optimum. Et per hune modum stat cognitio uirtutis in causa finali. Est enim

diffinitio data per finem.

<QVESTIO 4>

§ 27 <1> Deinde, potest queri quare239 sic diuidit animam per suas differentias et

esse indiuisibile, ratione uero diuisibile quemadmodum concauum et conuexum se

228 uel O] et F 229 colligatur O] colligitur F 230 et dicendum quod intelligitur hic O] et intelligendum quod F 231 per subiectum in quo est O] om. F 232 hoc O] hic F 233 seiungit O] se iungit F 234 uult F] ult O 235 huiusmodi F] huius O 236 ad O] a F 237 alicui F] illi cui O 238 perfecti O] perfïci F 239 quare F] de hoc quod O 240 concauum F] curuum O

274

habent in superficie. Concauum enim et curuum et conuexum et idem241 sunt

dispositiones linee. Set curuum est dispositio linee242, concauum 43 uero dispositio

superficiei. Et iterum potest argui sic : planum et rectum non sunt idem in linea recta

ratione differentia, qualiter ergo curuum et concauum erunt idem ratione differentia ?

§ 28 <2> Potest iterum queri de diuisione ipsius anime per suas differentias :

utrum sit diuisio244 ipsius in se ipsa aut eiusdem secundum quod est in corpore.

[F f. 33va] Hanc enim mouet245 questionem. Et uidetur quod sit eius secundum quod est

in corpore. Vt quemadmodum tria ponuntur prima246 principalia membra : cor, cerebrum,

epar et quodcumque déférant247 ad saluationem speciei, sic ponantur très differentie : una

secundum quam est operatio in cerebro, altéra secundum quam est operatio in corde,

tertia uero secundum quam est operatio248 in épate ; ut dicatur rationalis in cerebro,

sensibilis in corde, uegetabilis in épate. Set non est hoc uerum, licet uideatur secundum

hune modum diuidi secundum Platonem. Cor enim est principale membrum per quod

influit uis operandi super alia membra principalia . Si ergo diuideretur ' anima

secundum diuisionem corporis, anima secundum differentiam nobilem siue nobiliorem

que est rationalis uniretur corpori mediante corde.

§ 29 <3> Preterea, cum anima rationalis sit actus separabilis a corpore, non erit254

eiusdem partis corporis255. Potest enim egredi256 in suum actum sine organo corporali.

241 et conuexum et idem F] om. O 242 set curuum est dispositio linee F] om. O 243 concauum F] conuexum O 244 diuisio F] differentia O 245 mouet O] monet F 246 prima O] post F 247 quodcumque déférant F] om. lac. 5 sermonum O 248 operatio O] om. F 249 uis operandi O] uiso perandi F 250 membra principalia O] inu. F 251 diuideretur O] diuidantur F 252 anima O] omnia F 253 nobilem siue O] om. F 254 erit O] est F 255 « Intellectus non habet organum in corpore, sed est ab omni organo corporali separatus ». Les

Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 186, n° 139. Aristote, De anima, III, 429b5, trad. JACQUES DE VENISE, éd. GAUTHIER (ANONYME, Lectura in librum De anima), p. 445-446 : « set intellectus, cum aliquid intelligat ualde intelligibile, non minus intelligit infima, set magis. Sensitiuum enim non sine corpore est, hic autem separatus est ».

256 egredi O] ingredi F

275

Restât ergo quod differentia anime non sit secundum differentias 57 corporis, neque

iterum, si sumatur, erit258 essentia ipsius anime prêter corpus. Aut enim sunt multe

differentie259 illarum differentiarum, et sic quartam reciperet diuisionem per modum

totius potentialis ; aut260 est una essentia simpliciter, unde mouet multiplicitas

differentium.

<SOLUTIO>

§ 30 <2*> <3*> Ad quod dicendum est quod curuum et concauum dicuntur

esse idem in circumflexo262 linee, propter hoc quod curuum et illud cuius est263 médium

exit ab extremis. Set potest esse quoddam médium prêter ipsum curuum pênes quod

determinaretur curuitas264 ipsius curui265. Et tune diceretur esse curuum quod est in

circumferentia linee curuum266, nam circumferentia habet duplex médium : habet enim

médium quod est in ipsa linea et habet267 aliud médium quod est in superficie contenta ab

ipsa linea. Dicitur ergo curuum in huiusmodi linea habere uirtutem concaui268.

Determinatur enim in ipsa longitudo269 et latitudo, quod debetur superficiei, et concauo in 970

quantum est dispositio superficiei. Determinatur enim longitudo quantum ad extremum

et médium, quod est in ipsa linea. Quantum autem ad médium quod est in superficie 971

contenta in linea determinatur latitudo. Concauum uero prêter dispositionem

superficiei, dicit mensuram profundi, et, hoc modo, intelligitur quod curuum sit idem.

Curuum enim non dicit comparationem ad profundum, set dicitur hic concauum quantum

ad curuum in superficie huiusmodi. Rectum uero et planum non sic se habent ad 257 differentias O] differentias ipsis F 258 erit F] om. O 259 differentie sFO] differentie animarum pF 260 aut scr.] aut si FO 261 est O] om. F 262 circumflexo O] circumscripto F 263 est F]om.O 264 curuitas F] regularitas O 265 curui sFO] curuii pF 266 linee curuum F] om. O 267 habet O] est F 268 concaui F] concauui O 2M longitudo sFO] longitudo quantum ad extremum et médium pF 270 quantum F] quam O 271 uero prêter F] om. lac. 2 sermonum O 272 intelligitur O] intenditur F

276

77^

inuicem ; rectum enim ymaginem longitudinis dicit. Item neque in ipso erat duplex

médium. Planum uero dicit ymaginem longitudinis et latitudinis274. Vnde proprie rectum

est dispositio linee, planum uero superficiei.

§31 <1*> Ad illud uero quod obicitur secundum quem modum dicantur iste

differentie [O f. 29rb] anime, dicendum quod sunt differentie secundum prius et posterius

existentes, non quod sint una substantia, set una anima. Anima enim rationalis in homine

est anima sensibilis in brutis, uegetabilis uero in planta. Et licet sint très substantie in

homine, due tamen sunt275 secundum potentiam ad tertiam, ut est absolute dicta ibi et 77A 977

hec est secundum quam est hominis perfectio. Vnde , ipsa adueniente iam, non est

ulterius organorum preparatio a natura. Et quia278 per279 intentionem anime inuenitur280

esse diuisio secundum potentias que dicte sunt substantie, non secundum substantias

qualitatis281, neque diuisio similiter est in curuo et concauo et in differentiis anime. Si

enim esset una essentia sub hiis tribus essentiis, planior esset comparatio.

<QVESTIO 5>

§ 32 <la> Deinde, queri potest de quadam similitudine quam ponit inter

incontinentem282 et paraliticum. Dicit enim quod sicut in paralitico, a dextra motus est

in283 sinistram, ita accidit in incontinente284. Set hoc non uidetur uerum. Non enim285

paralisis est priuatio motus in una parte cum conuersione eius ad aliam. Set, cum paralisis

sit dissolutio nerui secundum naturam motus ipsius nerui, priuatur membrum a motu,

quod paraliticum est. <lb> Quod prêter hoc dicit ipse quod quedam pars est que contrarie

273 item O] iterum F 274 latitudinis F] lateris O 275 sunt O] om. F 276 hec scr.] hoc FO 277 unde O] quoniam F 278 quia O] quare F 279 per O] om. F 28l? inuenitur O] inueniunturF 281 qualitatis O] qualitas F 282 incontinentem scr.] continentem FO 283 in f] ad O 284 in incontinente scr.] incontinente F in continente O 285 non enim O] om. F

277

9ttA • • 9H7

mouetur rationi et secundum hanc determinatur incontinens, uidebitur ergo quod

prius sit motor288 siue propria uis289 motiua secundum quam determinatur incontinens.

Sicut secundum quam determinatur290 continens, et sic sunt duo principia 909

continentia : boni et mali. § 33 <2> Preterea, dicit quod nos laudamus id quod habet rationem anime

secundum quam determinatur continens et incontinens. Set hoc non uidetur uerum.

Cum293 enim bonum malum secundum naturam non sit , propter quod -est

increpandum - non erit bonum secundum naturam laudandum.

<SOLUTIO>

§ 34 <la*> Et dicendum' ad hoc quod duplex295 est membrum paraliticum296 :

aliquod enim est membrum paraliticum naturale297, et est ex causa uiolenta cum aliqua

unitate fit2 motus in contrariam partem. Loquitur autem hic de paralitico, ita quod

priuatur a motu, aliquando uero quod priuatur secundum ultimum modum. Et sumitur hic

« paralisis » nomine extenso ut comprehendat29 diuersorum numéro iuxta impedimenta.

Proprie enim paralisis dicitur dissolutio nerui siue laxitas ex influxu humorum

remanentium.

§35 <lb*> Ad illud quod queritur de eo quod mouetur contrarie rationi,

dicendum quod irrationales uires ut concupiscibilis, irascibilis non dicuntur proprietatcs

motiue ad malum, set habent sua naturalia bona ad que mouentur3 , tamen301, si

286 rationi O] rationem F 287 ergo F] om. O 288 motor.yFO] mortorpF 289 propria uis O] principia F 200 determinatur O] determineturF 291 sunt F] sint O 92 continentia F] continentia + tac. 3 litterarum O

293 cum O] est F 294 sit O] sic F 295 duplex O] dupliciter F 296 paraliticum O] paraleticus F 97 paraliticum naturale O] paraliticus naturaliter F

298 fit O] sit F 99 comprehendat F] comprehendit O

300 mouentur scr.] mouentur ad quod FO 301 tamen O] cum F

278

rationalis deducta, non tamquam ad bonum sibi naturale moue<n>tur ad malum. Et ita,

sicut boni principium est uis rationalis303 imperans secundum rectam rationem, sic et mali

principium est eadem uis uel omitendo uel apparens bonum et non existens eligendo.

Hoc autem poterat esse iustitie ui uirtutis irascibilis aut concupiscibilis. Licet enim hoc

naturale sit bonum concupiscibilis aut irascibilis si in se considerentur tamquam principia

non sub alio principio, tamen erunt305 malum respectu rationalis in quantum débet eas

ordinare ad suum bonum uel ipsarum306 in quantum debent ordinari. Non ergo ibi proprie

dicitur « contrarie moueri » tamquam concupiscibilis moueat rationalem per suam

uirtutem, uel irascibilis similiter ; set quia, cum sibi derelinquitur, mouetur in illud quod

est contrarium ei in quo nata est recta ratio mouere uel moueri.

§ 36 <2*> Deinde, dicendum est ad illud quod obicitur quod intentio laudabilis

cadit supra310 bonum naturale, non quod ipsum in se laudetur, set quod ipsum est

laudabile in comparatione ad ipsum [Ff. 33vb] a quo est, et in comparatione ad id ad3"

quod est.

<QVESTIO 6>

§ 37 <1> Deinde, queri potest de hoc quod inuestigat differentias ipsius anime

usque ad illam secundum quam inest uirtus et non ulterius uidetur procedere ad illam

differentiam secundum quam separantur ad inuicem uirtus intellectualis et moralis. Et

potest queri que sit differentia inter hanc et illam in quantum intellectualis continet in

se312 : fronesim313 et intelligentiam et sapientiam. Videntur enim in se non 14 determinare

hominem secundum bonitatem, ut in quantum est intelligens dicatur 'bonus' et similiter

302 mouentur scr. ] mouetur FO rationalis F] rationalis et O

304 non O] que F 305 erunt pF] erit sFO 306 ■ T • r-.^-.

ipsarum scr.\ ipsorum FO 307 contrarium ei O] inu. F 308 uel O] uel non F 309 ad illud quod obicitur F] aliter O 310 ^vi I-Ï

supra O] super F 311 ad 0]om. F 312 continet in se F] om. O 313 fronesim O] formam F 314 non sFO] om. pF

279

in quantum sapiens ; bonum enim non compatitur malo in eodem subiecto 6. Potest

etiam317 intelligentia cum malitia opposita uirtuti morali, quare uidentur simul inesse

bonum et malum. Et propter hoc est potentia secundum quam inest318 intelligentia, fit319

ordinata ulterius ad aliam320 potentiam ; est enim prius intelligere et postea eligere aut

uelle, bonitas autem débet inesse secundum illam potentiam supra quam non est alia

potentia. Restât ergo quod secundum habitum speculatiue partis non erit uirtus secundum

quam homo bonus est. Si ergo intelligentia est habitus speculatiue partis, non erit

intelligentia uirtus. Si quis uero diceret uirtutem accipi hic pro omni habitu bono,

contineretur intelligentia sub uirtute. Set qualiter tune spectaret ad moralem philosophiam

cuius opus est ut fiamus boni ?

<SOLUTIO>

§ 38 <1*> Ad quod dicendum quod non solum determinatur per differentias quas

ponit contra differentiam secundum quam anima est subiectum uirtutis, set etiam illas

secundum quas est intellectualis et moralis. Dicit enim quod duplex est illud quod habet

rationem : hoc quidam quod habet rationem principaliter in se ipso , hoc autem ut

parum 25 exaudibile326 ; quod est uirtus intellectualis ipsius rationis in se ipsa, uirtus uero

moralis eius in quantum ordinatur ad uirtutes obedientes que dicuntur sicut parum

audibile quid, id est quod aliquantum327 mouetur secundum motum alterius. Neque

dicendum est intelligentiam et huiusmodi habitus esse partis speculatiue tantum, set

habent actum uirtutis contemplatiue et motiue. Sunt autem très habitus secundum quos

15 malo scr.] malum FO 316 subiecto O] om. F 317 etiam F] etiam in O 318 inest O] est F 319 fit O] sic F 320 aliam potentiam ... secundum illam potentiam O] om. hom. F 3 2 lhicsF0]hicproutpF 322 quod habet rationem O] om. F 323 principaliter F] om. O 324 ipso F]om. O

parum O] paruum F 326 exaudibile O] credibile F 327 aliquantum O] aliquantulum F 328 esse O] et F

280

"ÏTQ ( 'i'ÏÇ)

contingit hominem esse bonum ; et non sunt hii habitus sicut artis et scientie :

scilicet fronesis, sapientia et intelligentia. Sapientia enim duobus modis accipitur : prout

sapientia dicit causarum altissimarum cognitionem et difficillimarum ' homini ad

cognoscendum, et sic dicitur metaphysica sapientia ; hoc autem modo si accipiatur hic,

non continebitur sub virtute secundum quam homo bonus fit. Si vero sapientia dicatur

cognitio summi boni in inferioribus cum aliquo gustu [O f. 29va] participationis eius333,

et sic eius dilectio334, sapientia erit nobilior uirtutibus335 moralibus, et secundum hune

modum uidebitur hic accipi. Et336 dicimus sapientia est una pars uirtutis intellectualis

secundum quam est félicitas. Intelligentia potest eodem modo337 accipi dupliciter338 :

uel pro habitu rerum intelligibilium, uel pro intelligibili affectione ex habitu

intelligibilium procedente. Et habet nomen scientie alibi prout scientia dicitur efficere

hominem bonum, ut dicit Augustinus, que est scientia bene se habendi in aduersitatibus et

prosperitatibus, ita quod non retrahatur homo a summo bono. Fronesis uero est cognitio

summi boni cum dilectione eius, prout340 potest341 <esse> cognitio summi boni, et per

intelligibiles creaturas in quibus maxime relucet eius ymago, secundum quod possibile

est in creaturis suis relucere. Et sic hii très habitus ad inuicem distinguntur secundum

nobiliorem modum <et, inter> existentes uirtutes, <uirtutes intellectuales sunt nobiliores>

quam uirtutes morales quibus anima bene ordinat corpus et bene ordinat erga proximum,

ut non dissonet pars uniuersi a parte uniuersi secundum affecturn, sicut non dissonat

secundum naturam.

et O] om. F 329

330 artis O] artes F 331 causarum altissimarum cognitionem scr.] causam communem altissimorum F communem

causam altissimorum O 332 difficillimarum scr.] diffîcillimorum O diffïcilissimorum F 333 participationis eius scr.] participationem FO 334 Version corrigée de la définition de la sagesse donnée par GAUTHIER, « Arnoul de Provence et la

doctrine de la fronesis », p. 151-152 et n. 53, à l'aide d'une glose dans le ms. Paris, BnF, lat. 6293, f. 153r, in marg ext. Pour les sources et une analyse exhaustive de ce paragraphe, voir notre recherche sur les vertus intellectuelles, chapitre 3.

335 uirtutibus O] ubi F 336 et F] cum O 337 potest eodem modo O] eodem modo potest F 338 accipi dupliciter O] inu. F 339 uel O] scilicet F 340 prout O] om. F 341 potest F] om. O

281

<QVESTIO 7>

§ 39 <1> Item, queritur utrum sompnium inducat peccatum uel non. Et uidetur

quod non. Nullum naturale inducit peccatum moris ; sompnium est naturale, cum sit de

consideratione naturalis, ergo non inducit peccatum moris .

§ 40 <2> Ad idem, omne mouens alterum motu contrario, ipso immobilitato, non

mouebit345, set uirtus sensibilis mouet rationem motu contrario sibi346, ergo si fuerit

immobilitata non mouebit347. Set in sompno348 immobilitata est. Sompnium349 enim non

fit nisi apud sompnum ut dicit Aristotiles350. Set351 est sompnus immobilitatio sensus

communis et per consequens aliorum. Ergo manifestum est quod, apud352 ipsum

sompnium353, uirtus sensitiua immobilitata est. Ergo cum 5 peccatum non accidat355 nisi

per contrarium motum rationis et apud sompnium non fit contrarius motus rationis -

quia tune quiescit contrarie mouens - , igitur apud sompnium non potest accidere

peccatum.

§ 41 <3> Preterea, omne natum360 ad bonum per accidens ad malum ; remoto

prohibente, per se operabitur uel mouebitur361 ad bonum. « Anima rationalis per se est ad

342 sompnium O] sompnum F 43 sompnium O] sompnum F

344 ergo non inducit peccatum moris O] om. F mouebit O] mouetur F

346 contrario sibi O] inu. F 347 mouebit sFO] mouetur pF 348 sompno F] sompnio O 349 sompnium O] sompnum F 350 ARISTOTE, De generatione animalium, trad. GUILLAUME DE MOERBECKE, éd. H.J. DROSSAART LULOFS,

Bruges et Paris, Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », 27, 2, 5), 1966, p. 156, I. 16 : « Convenit enim et dormientibus sensus animalibus, non solum que vocantur sompnia, sed et prêter sompnium, quemadmodum exsurgentibus dormientibus multa operari sine eo quod est sompniare ».

351 set O] quod F 352 apud O] aput F 353 sompnium O] sompnum F 354 ergo cum O] inu. F 355 accidat O] accidit F 356 motum O] modum F 357 sompnium O] sompnum F 35li sompnium O] sompnum F 359 potest accidere F] inu. O 360 natum O] notum F 361 mouebitur O] mouetur F

282

bonum » sicut habetur in Metaphysica362 ; per accidens autem ad malum. Quiescente

igitur mouente et inclinante ipsam animam rationalem ad id ad quod per accidens est 3,

inclinabitur et mouebitur ad id ad364 quod est per se365. Set, apud sompnum366, est

quiescens367 mouens rationem ad id ad quod per accidens est. Ergo tune mouebitur ad id

ad quod est per se et secundum motum proprium . Et hoc testatur in fine huius libri.

Dicit369 enim quod sicut particule corporis que nate sunt per se moueri ad dextram370, per

paralisim et accidentaliter mouentur ad sinistram ; ita accidit in anima rationali quod

per se est ad bonum, accidentaliter mouetur ad malum. Cum igitur illud mouens

accidentale quiescat in sompno, manifestum est quod tune nullo modo potest moueri ad

malum.

§ 42 <4> Preterea373, in sompno cessât causa mali374. Set cessante causa, cessât

effectus. Causa enim mali est rationi succumbere, ut habetur in quinto Topicorum

Set tune ratio succumbere non potest. Non enim est succumbens nisi sit superuincens.

Tune autem nichil est superuincens, non enim dicitur superuinci secundum uirtutes

naturales, set secundum uirtutes animales. Quamuis igitur in sompno intense sint uirtutes TTO i T7Û

naturales, cum tamen quiesca<n>t <virtutes> animales , manifestum est quod

rationem superuincere non possunt.

362 ARISTOTE, Metaphysica, V, 14, 1020b24-25, trad. 'MEDIA', éd. VuiLLEMlN-DlEM, p. 103, 1. 13-14: « Maxime vero bonum et malum significant quale in animatis, et horum maxime in habentibus proheresim ».

363 est F] om. O ad sFO] om. pF est per se O] per se est F

366 sompnum F] sompnium O 367 est quiescens O] quiescit F 368 motum proprium O] inu. F 369 dicit F] dicet O 370 dextram scr.] dexteram F dextrum O 371 ad sFO] ad malum pF 372 sinistram F] sinistrum O 373 preterea O] om. F 374 mali O] naturalis F 375 mali O] materialis F 376 rationi F] rationem O 377 ARISTOTE, Topica, III, 1, 116b, trad. BOÈCE, éd. MINIO-PALUELLO, p. 51, 1. 20-24 : « Similiter autem et

in contrario ; nam quod per se est causa mali magis fugiendum est eo quod per accidens, ut vitium et casus ; nam hoc quidem per se malum, casus autem per accidens ».

378 animales scr.\ animalis FO 379 quod O] quoniam F

283

§ 43 <5> Quod autem apud sompnium380 contingat peccare manifestum est. Dicit

enim hic Aristotiles quod sompnia iustorum meliora sunt quam sompnia malorum. Hoc T O I '189

autem non esset nisi mali aliquo modo inductiua essent. Igitur manifestum est quod

aliquo modo malum inducunt siue peccatum .

§ 44 <6> Preterea384, omne malum uel omnis operatio mali consequens ad

uoluptatem peccatum inducit. Set in sompno385 contingit motus illicitos fieri propterea

quod fuerunt uolita et appetita in die. Igitur manifestum est quod illi motus - licet in se

[F f. 34ra] naturales sint -, quia tamen consecuntur ad motus uoluntarios, peccatum

inducere possunt.

<RjESPONSIO>

§ 45 Ad quod dicendum quod motus fantasmatis est386 sompnium ad primum

sensitiuum387 qui - licet388 naturalis sit389, quia fantasmata naturaliter mouent uirtutem

fantasticam, quia tamen fantasma, cum non390 est derelictum in organo sentiendi nisi per

apprehensionem sensibilis extra in uigilia, que apprehensio et super apprehensum

conuersio fuit uolita gratia illius motus fantasmatis , cum sequatur motum extra

qui uoluntarius fuit - quodammodo est394 uoluntarius et quo ad hoc quod uoluntarius est,

malum uel bonum inducere potest. Tune enim maiores motus minores non impediunt et

propter hoc maxime percipi possunt. Perceptio autem illorum apud primum organum

380 x-,1 r

sompnium O] sompnum F 381 mali aliquo modo O] aliquo modo mali F 382 inductiua O] om. F 383 malum inducunt siue peccatum O] peccatum inducunt F 384

preterea O] potest F 385 sompno O] sompnio F 386 est O] et F 387 sensitiuum O] sensibilium F 388 qui licet O] quilibet F 389 sit O] fit F 390 cum non O] quandoque F 391 motus fantasmatis FsO] inu. pO 92 cum sequatur O] consequatur F

motum O] motus F 394 est O] om. F

284

sentiendi causât motum illicitum quodammodo mouendo uirtutem irascibilem et

concupiscibilem. <1*> <2*> <3*> <4*> <5*> <6*> Et sic patet solutio396 ad omnia

obiecta.

<QVESTIO 8>

<8a>

§46 <1> Gratia horum ponatur397 in questione, utrum possit esse in angelis

potestas ad malum. Et uidetur quod non, quia in perpetuis non differt esse et posse.

§ 47 <2> Item, si possent ad malum, aut illa potentia posset educi ad actum aut

non. Si non, ergo illa potentia frustra esset, quod falsum est. Si sic, possunt ergo esse

mali.

§ 48 <3> Ad illud dicit Aristotiles in ix° Metaphysice39* : « In quibus non est399

potentia, non est error neque malum ». Igitur40 , si in angelis non sit error neque malum,

in hiis non erit potestas.

§ 49 <4> Item dicit quod ea quorum intellectus non est copulatus cum sensu401

non possunt unum intelligere et aliud appetere. Immo idem quod intelligunt appetunt. Set,

[O f. 29vb] copulata cum sensu intelligunt unum et appetunt aliud. Cum ergo angeli403

395 mouendo O] mouetur F 396 solutio O] om. F 397 ponatur O] ponitur F 398 ARISTOTE, Métaphysique, IX, 10, 1051 b22-1052a4, trad. 'MEDIA', éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 182-183 :

« Aut sicut nec verum in hiis idem, sicut nec esse, sed hoc quidem verum aliud autem falsum : nec verisimile dicere et dicere verum (non enim idem affirmatio et dictio), et ignorare non verisimile dicere (decipi namque circa quid est non est sed secundum accidens ; similiter autem et circa compositas substantias, non enim est decipi ; et omnes sunt actu, non potentia, generate sunt enim et corrupte sunt, nunc autem ens ipsum non generatur nec corrumpitur, ex aliquo namque generaretur ; quecumque vero sunt quod esse quid et actu, circa ea non est decipi sed aut intelligere aut non ; verum quid est queritur de eis, si talia sunt aut non). Esse vero ut verum et non esse ut falsum, unum quidem est, si componitur, verum, si vero non componitur, falsum ; et unum vero, si ens, sic est, si vero non ita, non est ; et verum intelligere ea ; falsum vero non est, nec deceptio nec ignorantia nec qualis cecitas ; nam cecitas est, ut si intelligibile omnino non habet aliquis ».

399 est FsO] om. pO 400 Igitur si... erit potestas O] om. F 401 copulatus cum sensu O] captus a sensu F 402 ^y i r,

cum O] om. F 403 angeli O] om. F

285

semper intelligant bonum, ergo semper appetunt bonum , ergo non possunt malum ; non

enim possunt id per appetitum.

§ 50 <I> Set contra. Substantie separate et causate °5 non adequantur Cause

Prime, ergo nec potestas ipsarum406 potestati ipsius. Si ergo potestas Cause Prime407 talis

sit quod nichil sit admixtum ipsi de impotentia et defectu, potestas408 ipsarum409 talis erit

quod ipsi admisceatur410 aliquid de impotentia et defectu. Set411 huiusmodi possunt in

defectum, ergo etiam ad malum.

§ 51 <II> Item ad idem, nichil prêter Primum est pure actus et ita412 in quolibet

alio ab Ipso est aliquid de potentia. Igitur, in talibus substantiis413 est aliquid de potentia,

ergo aliquid de imperfectione. Set omne taie potest in deffectum et malum, ergo taies

substantie possunt in malum.

<8b>

§ 52 <1> Queritur etiam utrum in Primo sit potestas ad malum et uidetur quod

non. Dicit enim Aristotiles414 quod in Primo non differt esse et posse ; in Ipso enim nichil

est quod non sit Ipsum. Si igitur posset malum esset malus, quod falsum est415.

§ 53 <2> Ad idem, in Eo non differt posse et uelle. Si ergo posset malum, uellet

malum.

404 appetunt bonum O] inu. F 405 et causate O] causatorum F 406 ipsarum scr.] eorum F ipsorum O 407 cause prime F] inu. O 408 potestas O] om. F 409 ipsarum scr.] eorum F ipsorum O 410 admisceatur O] admiscentur F 411 set O] si F 412 ita O] om. F 413 talibus substantiis F] inu. O 414 ARISTOTE, Metaphysica, XII, 6, 1071b20-27, trad. 'MEDIA', éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 211, 1. 13-20:

« Oportet igitur esse principium taie cuius substantia actus. Amplius taies oportet esse substantias sine materia ; sempiternas enim esse oportet, si et aliud aliquid est sempiternum actu. Amplius est et dubitatio ; videtur enim hoc quidem agens omne posse, illud vero potens non omne agere, quare prius est esse potentiam. Sed si hoc, nichil erit entium ; contingit quidem posse esse, nondum vero esse ».

4,5 falsum est O] inu. F-

286

§ 54 <3> Preterea, omne quod est in Primo est pure bonum cum sit summe

bonum. Set potestas ad bonum et ad malum non est pure bona. Est enim admixta malo ut

dicit Aristotiles. Igitur non est in Primo.

§ 55 <I> Set quod talis potestas sit in Primo sic uidetur. Dicit enim Aristotiles416

quod Deus et studiosus possunt malum agere417.

§ 56 <II> Item, omne agens per intellectum et rationem potest ad opposita. Cum

igitur Primum sit agens per intellectum et rationem, potest ad opposita.

§ 57 <III> Ad idem, omne illud quod potest utrumque oppositorum potentius est

quam quod potest tantum ad alterum. Si igitur potestas in homine posset utrumque

oppositorum, in Primo autem419 esset tantum potestas ad alterum oppositorum420, ergo

potentior esset421 homo quam Primum, quod falsum est. Ergo Primum poterit ad 422

opposita . § 58 <4> Si forte dicatur quod posse ad opposita sit magis ex parte impotentie423

et defectus quam ex parte potentie et424 propter hoc425 in Primum non cadit, hoc nichil est.

Si enim posse ad opposita 2 consequitur ad defectum et priuationem, igitur in quibus est

defectus maior magis possunt ad opposita, cum ergo plus defectus et incompletionis sit in

rébus427 inanimatis quam in rébus428 animatis, plus 29 possent ad opposita inanimata

quam animata, hoc autem falsum est. Ergo illa430 potentia non sequitur ad defectum igitur

poterit esse in Primo.

416 ARISTOTE, Topica, IV, 5, 126a35-36, trad. BOÈCE, éd. MINIO-PALUELLO, p. 79, 1. 21-22 : « potest enim et deus et studiosus prava agere, sed non sunt huiusmodi ».

417 agere O] facere F 4 '"posset O] potest F 4 l 9autemO]autF 420 oppositorum O] oppositorum si F 421 esset sFO] essentialispF 422 opposita O] apposita F 423 impotentie O] potentie F 424 et O] et hoc est F 425 hoc FsO] hoc non pO 426 posse ad opposita pO] opposita posse F posse opposita sO 427 rébus O] om. F 428 in rébus O] om. F 429 plus F] post O 410 illa F]\staO

287

<8a> <RESPONSIO>

§ 59 Et dicendum quod in angelis est potentia ad malum, aliter enim non

cecidissent, cum enim potentia consequatur431 materiam, ut habetur in Metaphysica432,

actus enim ad formam potentia ad materiam reducitur. Et in eis aliquo modo sit materia ;

in unoquoque enim quod est citra Primum, diuersum est quod est et quo est. Si ergo in

angelis est aliquam ponere433 materiam, cum non sit positio materie sine positione

potentie, oportet in eis aliquo modo ponere434 potentiam. Set435 quod dicit Aristotiles

quod in eis non sit potentia, intelligendum est eo436 modo quo in rébus inferioribus.

Sicut437 enim alio et alio modo est438 materia, sic439 alio et alio modo est440 potentia. Vnde

dicendum quod eorum potentia ad malum educibilis est in actum mali quantum in ipsis

est. Ex eo tamen quod adhèrent441 Primo et summo bono, non possunt, ex uoluntate enim

Primi influentis bonitatem suam in ipsos et confïrmantis ipsos non educuntur. Quod est

exemplum de hoc, substantia materie prime que est in celo de se potest ad plura et

contraria, uirtute tamen talis forme perficientis que est sicut motor extrinsecus ei

coniunctus terminatur sua potestas ad unum.

<SOLUTIO>

§ 60 <1*> Quod autem obicitur442 intelligendum est quod in eis non differt esse et

posse esse , set posse operari et esse operari res in eis ditiert. Aliter enim meren non

43 ' consequatur O] sequatur F 432 ARISTOTE, Metaphysica, XII, 10, 1075b22-25, trad. 'MEDIA', éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 223, 1.2-5:

« Non enim est contrarium primo nichil ; nam omnia contraria materiam habent, ea potentia sunt ; sed contrarietas ignorantia ad contrarium, primo vero contrarium nichil ».

433 aliquam ponere O] inu. F 434 aliquo modo ponere O] ponere aliquo modo F 435 set O] secundum F 436 eo O] et eodem F 437 sicut O] sunt F 438 est O] cum F 439 sic O] sit F 440 est O] cum F 441 adhèrent O] adheret F 442 obicitur O] obicitur quod F 443 esse et posse esse O] posse et uelle F 444 aliter O] om. F

288

possent. § 61 Si quis tune obiciat quod in eis différât posse esse et esse 5 quia Primum

poterat creare antequam creasset, igitur poterant etiam esse antequam essent. § 62

Dicendum quod ista ratio procedit ex parte efficientis. Set quod dicitur quod in eis non

différât esse et posse, intelligendum est ex parte materie : in eis enim non sunt

dispositiones materiales preuie446 ad ipsius actus receptionem in materia, set subito in

esse educuntur, in perpetuis447 enim potentia, id est dispositiones materiales, non

precedunt actum. <2*> <3*> Ex predictis patet solutio trium obiectorum.

§ 63 <4*> Ad quartum dicendum quod duplex est principium erroris circa

intellectum : unum est copulatio448 ipsius intellectus cum sensu, aliud est priuatio que in

omnibus citra449 Primum est. Licet ergo angeli quo ad copulationem intellectus cum sensu

errare non potuerunt, quia tamen fuerunt ex nichilo, gratia illius in malum et deffectum

possunt. Gratia ergo deffectus sue450 potentie et priuationis in malum possunt. Omne

enim quod ex nichilo est naturaliter in nichil siue in deffectum reducibile est. Et ita45 '

duplex principium concurrit in nobis, unum tantum in angelis ; et forte propter hoc

peccatum eorum fuit irremissibile, nostrum autem452 ueniabile 53.

<8b>

<SOLUTIO>

<!*...> <2*...> <3*...> 454

§ 64 <4*> Ad ultimum dicendum quod in Primo non est potestas ad malum, set

ad bonum tantum. Primum tamen nichil potest [F f. 34rb] et455 quod actu non est. Nichil

enim habens esse necessarium potest aliquid habere quod non habeat actu.

445 et esse O] om. F 446 preuie F] preuitie O 447 perpetuis F] ipsis O 448 copulatio O] reputatio F 449 citra O] circa F 450 sue F] sui O 4 5 l i taO]il ludF 452 autem O] om. F 453 ueniabile O] ueniale F 454 L'absence de solution pour les trois premiers arguments indique peut-être une lacune. 455 et F] etiam O

<LECTIO XXII>

DVPLICIA VTEM VIRTVTE ET CETERA

(1103A14)

<DlVISIO TEXTUS>

§1 [Ff. 35ra, Oï. 30ra, Pf. 12ra] In libro precedenti1 in fine, posuit auctor

diuisionem uirtutis per intellectualem et consuetudinalem et horum subdiuisionem. In

hac parte repetit auctor eandem diuisionem ut exequatur3 de altéra parte4, scilicet de

consuetudinali de qua intendit exequi in hac parte. Et primo resumit diuisionem

predictam et manifestât diuidentia. Secundo exequitur de uirtute consuetudinali, omissa

intellectuali5, ibi quoniam igitur presens opus etc.6 (1103b25, p. 6, 1. 25). Prima iterum

pars diuiditur quia primo7 resumit8 diuisionem positam et9 manifestât differentias.

Secundo infert quoddam10 consequens ex predictis cuius11 etiam subiungit declarationem

per rationes, ibi ex quo manifestum etc. (1103al9, p. 5, 1.9). Prima pars spectat ad

presentem lectionem que diuiditur in duas. Primo12, resumit diuisionem prius positam.

Secundo, manifestât differentias et primo manifestât intellectualem secundo

consuetudinalem.

' precedenti FP] precenti O 2 horum P] om. FO 3 exequatur F] exsequatur O exsequitur P 4 parte FO] om. P 5 intellectuali P] ut FO 6 et cetera P] om. FO 7 primo sFOP] primo diuidi/?/^ 8 resumit FO] resumitur P 9 et OP] om. F 10 quoddam P] quodam FO 1 ' cuius OP] eius F 12 primo P] in prima FO

290

<SENTENTIA>

§ 2 Ad primum ergo sic procedit dicens quod cum duplex sit uirtus, scilicet

intellectualis et consuetudinalis et in hoc notatur dimsio supenus posita. Deinde

manifestât diuidentia dicens quod illa que est intellectualis14 habet generationem et

augmentum 5 ex doctrina et ratione eius1 indiget experimento et tempore. Deinde

manifestât consuetudinalem dicens quod illa que est consuetudinalis fit ex

assuetudine, id est19 per operationes procedentes a uirtutibus sensitiuis imperio rationis

assuescentis eas ad bonum21.

<QUESTIONES>

§ 3 Circa partem istam, queritur primo utrum tantum debeat esse una uirtutis

differentia. Secundo, de diuisione uirtutis per intellectualem et consuetudinalem, utrum

sit sufficiens. Tertio, utrum omnis uirtus sit intellectualis. Quarto, utrum moralis

philosophus debeat determinare de uirtute intellectuali. Quinto, super hoc quod dicit quod

intellectualis generatur per doctrinam et augetur, et ideo indiget experimento et tempore.

Sexto, super hoc quod dicit quod consuetudinalis fit ex assuetudine.

<QUESTIO 1>

§ 4 <1> De primo sic. Actus anime duplex est : primus qui est uita, ultimus qui est

félicitas, médius qui quidem est uirtus. Cum igitur actus primus unus sit et actus ultimus,

actus médius débet esse unus. Virtus igitur non22 diuiditur per differentias sicut nec uita

nec félicitas.

13 hoc FP] hac O 14 intellectualis FO] intellectualis et consuetudinalis et in hoc pP et in exp. sP 15 augmentum P] auctoritatem FO 16 eius FO] huius P 17 quod P] et FO 18 illa OP] illi F 19 id est OP] quasi F 20 procedentes P] précédentes FO 21 Hicfinitur P 22 non O] om. F

291

§ 5 <2> Preterea uirtus non potest comparari nisi uel ad subiectum, scilicet

animam, uel ad finem, scilicet felicitatem, uel ad operationes ex quibus derelinquitur. Ex

parte anime, cum sit una et simplex, non uidetur multiplicanda uirtus per differentias ;

similiter neque ex parte felicitatis, cum26 sit una et simplex. Si dicas quod propter

operationes tune, cum operationum plures sint differentie, et plures debent esse uirtutis

differentie. Si dicas quod et si essentia anime sit simplex, potentias tamen habet a quibus

egrediuntur operationes diuerse, et propter hoc sunt plures uirtutes, tune, cum plures sint

potentie anime quam due, scilicet rationalis27, concupiscibilis et irascibilis, plures debent

esse differentie uirtutis quam due.

§ 6 <3> Item, uidetur quod superfluat uirtus intellectualis, cum uirtus

consuetudinalis sufficiat ad acquirendum28 felicitatem quod sic patet. Inferius enim

diffinitur sic uirtus : consuetudinalis uirtus est habitus a quo quis est bonus et opus est

bonum reddit ; ex quo uidetur quod uirtus intellectualis superfluat, ex quo sola uirtute

consuetudinali sumus boni.

<RESPONSIO>

§ 7 Ad primum dicendum quod differt uirtus consuetudinalis et intellectualis quia

uirtus intellectualis attenditur in recta ordinatione hominis ad suam causam , uirtus

uero30 consuetudinalis attenditur in recta ordinatione hominis ad proximum ; unde uirtus

intellectualis consistit in cognitione et dilectione summi boni propter se, uirtus uero

consuetudinalis in bene se habendo erga proximum, quod patet discurrendo per -i i , 'l'y

differentias eius. Temperantia enim dirigit hominem erga proximum quo ad

operationes pertinentes ad concupiscentiam ; similiter fortitudo quo ad operationes

23 preterea O] prima F 24 non FsO] om. pO 25 comparari FsO] comparari dupliciterpO 26 cum O] omnino F 27 rationalis sO] possibilis FpO 28 acquirendum O] aquirendum F 29 ad suam causam ... ordinatione hominis FsO] om. hom. pO 30 uero sO] om. FpO 31 enim F] om. O 32 quo O] quod F

292

[F f. 35rb] pertinentes33 ad irascibilem ; prudentia uero et iustitia quo ad operationes

pertinentes34 ad rationalem licet differenter, sicut postea dicetur35.

<SOLUTIO>

§ 8 <1*> Ad primum ergo obiectum dicendum quod primus actus et ultimus quia

respiciunt essentiam anime que una est36 et simplex non habent diuisionem, set actus

médius, scilicet uirtus, quia inest anime per comparationem ad diuersa, uidelicet per

comparationem ad sui principia et37 causam et per comparationem ad proximum, ideo

secundum hoc, duo recipit per duas differentias diuisionem. <2*> Per hoc patet solutio ad

sccundum : non enim diuisio38 ista attenditur per comparationem ad operationes. Et si

obiciatur quod multo plures sunt, dico quod multitudo operationum potest esse secundum

numerum39 et sic infinité sunt, uel secundum speciem et hoc dupliciter, <a> quia possunt

multiplicari per comparationes ad potentias a quibus egrediuntur et sic cum plures sint

potentie anime quam due plures erunt differentie uirtutis quam due, <b> uel possunt

multiplicari per comparationem ad obiectum et quia operatio recta hominis uel est

respectu principii uel respectu proximi et sic solum due differentie. Secundum hune

modum erunt solum due predicte differentie uirtutis.

§ 9 <3*> Ad aliud dico quod quia sufficit bene se habere erga proximum nisi per

cognitionem et affectum ordinatum respectu sui principii et finis, propter quam

ordinat se ad suum proximum. Ideo non sufficit uirtus consuetudinalis, set requiritur ultra

uirtus intellectualis. Quod obicitur quod uirtus consuetudinalis bonum facit, dico quod

33 pertinentes FsO] particulares pO 34 pertinentes FsO] parti +lac. 4 vel 5 litterarum+ es pO 35 Cf. ARISTOTE, Ethica Vêtus (interpretis adnotationes), trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 49-50 :

« Casti et incontinentes per operationes circa concupiscenciam ; humiles et iracundi per operationes circa iram ». Aussi PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 23, Expositio Littere, O, f. 31 vb, F, f. 38ra-rb.

36 est FsO] est essentia/?0 37 et O] om. F 38 diuisio F] dicit O 39 numerum FsO] naturampO 40 hune modum O] inu. F 41 predicte differentie O] inu. F 42 respectu sui... quam ordinat FsO] om. hom. pO 43 principii F] om. O

293

non nisi sumpta44 intellectuali. Et hoc quidem45 secundum ueritatem et secundum

theologum est dicendum, quia forte secundum philosophum uirtus intellectualis non est

necessaria, set sufficeret. Vnde fortasse philosophus diceret quod uirtus intellectualis non

esset nisi quedam lux et quedam preparatio47 ad consuetudinalem.

<QUESTIO 2>

§ 10 <1> De secundo sic. Anima potest comparari ad suam causam, potest etiam48

comparari ad alias creaturas quarum 9 quedam sunt superiores ut Intelligentie, quedam

uero inferiores ut res animate, uegetabilia et sensibilia, quedam uero equales [O f. 30rb]

ut homines alii51 singulares. Sicut ergo homini inest uirtus per rectam ordinationem

sui ad suam causam et per ordinationem sui ad sibi equalem in natura, sic per rectam

ordinationem sui ad53 causatum54 inferius, et sic hec diuisio erit insufficiens.

§ 11 <2> Item, cum in parte cognoscitiua sint très potentie secundum augmentum,

scilicet Intelligentia qua cognoscit Primam Causam et intellectus quo cognoscit

Intelligentias et ratio56 qua cognoscit in figura57, similiter uidetur quod in parte motiua

débet esse duplex potentia : una qua homo moueatur in ipsam Causam, alia qua

moueatur in Intelligentiam et alia qua moueatur in rem inferiorem, ergo sicut ex parte

44 sumpta FsO] siumptapO 45 et hoc quidem FsO] ont. pO

philosophum F] relationem pO philosofum sO 47 preparatio O] proximatio F 48 etiam FjetO 49 quarum F] quorum O

ut homines scr.] ut animal homo FO 51 alii O] lac. 3-4 litterarum F 52 homini FsO] bonum pO

ad scr.] ad superius FO 54 causatum O] creatum F 55 quo scr.] qua FO 56 ratio sO] tune FpO 57 BoÈCE, De comolatione philosophiae, V, 4, éd. MORESCHINI, p. 149 : « Ipsum quoque hominem aliter

sensus, aliter imaginatio, aliter ratio, aliter intellegentia contuetur. Sensus enim figuram in subiecta materia constitutam, imaginatio vero solam sine materia iudicat figuram ; ratio vero hanc quoque transcendit speciemque ipsam, quae singularibus inest, universali consideratione perpendit. Intellegentiae vero celsior oculus exsistit ; supergressa namque universitatis ambitum, ipsam illam simplicem formam pura mentis acie contuetur ».

58 moueatur FsO] moneatur pO 59 in sO] om. FpO

294

cognoscitiue sunt très cognitiones différentes, sic ex parte motiua debent esse très

habitus différentes, set habitus in parte motiua uirtus est et sic erunt plures differentie.

§ 12 <3> Item, dicit Augustinus quod uirtus est habitus anime bene constitute. Set

anima bene constituta est per rectam ordinationem sui ad proximum et ad se et ad Deum61

et sic tripliciter. Quare erunt très differentie uirtutis.

§ 13 <4> Item, uirtus quedam est exemplaris, quedam purgati animi, quedam

autem purgatoria62 et quedam ciuilis63 ; ergo si ponuntur hee quatuor differentie non

tantum debent poni due.

<RESPONSIO>

§ 14 Ad primum dicendum quod per uirtutem ordinatur anima ad summum

bonum, set ad summum non potest ordinari nisi64 dupliciter : aut inmediate et per se, et

sic uirtus intellectualis ; aut médiate et sic consuetudinalis ; et propter hoc sunt hee due

differentie uirtutis.

<SOLUTIO>

§ 15 <1*> Ad primum obiectum dico quod etsi65 anima conuertat se ad res

inferiores et ad superiores causatas66 et ad médias huiusmodi, tamen conuersiones quo ad

partem motiuam [F f. 35va] non sunt semper différentes quoniam non conuertit se ad ista

motiua scr.] materie FO 51 Cf. ANONYME, Guide de l'étudiant, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 73-76 ; AUGUSTIN, Soliloquia, II, PL 32,

876-877 : « Item quia in ista vita, quanquam Deo intellecto anima iam beata sit ; tamen, quia multas molestias corporis sustinet, sperandum est ei post mortem omnia ista incommoda non futura. Ergo nec spes, dum in hac est vita, animam deserit. Sed cum post hanc vitam tota se in Deum collegerit, charitas restât qua ibi teneatur. Nam neque dicenda est fidem habere quod illa sint vera, quando nulla falsorum interpellatione sollicitatur ; neque quidquam sperandum ei restât, cum totum secura possideat. Tria igitur ad animam pertinent, ut sana sit, ut aspiciat, ut videat. Alia vero tria, fides, spes et charitas, primo illorum trium et secundo semper sunt necessaria : tertio vero in hac vita, omnia ; post hanc vitam, sola charitas ».

62 purgatoria O] purgaitria F 63 Cf. ci-dessus, notre recherche sur les « Deux faces de l'âme », chapitre 2. 64 nisi O] natura F 63 etsi scr,] et si FO 66 causatas O] creatas F

295

nisi propter alterum et ideo attenduntur pênes istas conuersiones uirtutes différentes in

anima. Et per hoc patet solutio <2*> ad alia : modi68 enim cognoscendi Intelligentias et

res inferiores, quia Intelligentia non cognoscitur proprie nisi per suos effectus et solum ab

intellectu, set res inferiores cognoscuntur a sensu et per sensum ab intellectu et ideo

secundum hoc attenduntur cognitiones différentes. Set non est sic ex parte uirtutis

motiue69 ut uisum est. Et similiter dicendum est <3*> ad tertium : recta enim ordinatio

quam habet anima ad se et ad proximum eiusdem70 est rationis quia semper propter

alterum, scilicet propter Primum71.

§ 16 <4*> Ad ultimum dico quod Aristotiles non ponit hic diuisionem uirtutis nisi

secundum quod inest anime unité corpori. Hec autem uirtus uel est consuetudinalis siue

ciuilis72, uel purgatoria uel intellectualis. Virtus uero purgati73 animi est uirtus que

quidem inest anime tantum post separationem anime a corpore. Virtus uero exemplaris

est uirtus incausata74 que est Ipsum Primum. Et ideo de hiis duabus non facit hic

mentionem. Non enim diuidit hic uirtutem uniuersaliter, set eam que est anime in

coniuncto.

<QUESTIO 3>

§ 17 <1> De tertio75 sic. Cum omnis uirtus sit a ratione recta, ratio autem recta uis 1f\ « 77 •

est intellectualis, utrumque a ratione eius a quo est, omnis uirtus sit intellectualis. § 18 <2> Item, cum meritum et demeritum78 non sint79 nisi circa partem

intellectiuam neque uirtus ratione eius ergo80 in quo est uel causata est, débet dici uirtus

67 uirtutes O] uirtutis F 68 modi F] modocum O 69 motiue O] materie F 70 eiusdem O] eius est de F 71 primum FsO] obiectum pO 72 ciuilis F] euilis O 7 purgati O] purgata F 74 incausata O] increata F 75 tertio O] tertia F 76 a ratione O] ad rationem F 77 sit O] sic F 78 demeritum O] demeritio F 79 sint O] sit F 80 eius ergo F] inu. O 81 causata O] creata F

296

intellectualis. Hoc etiam uidetur quia, in libro precedenti, ostendebat Aristotiles82 quod

uirtus non est nisi circa partem rationalem siue circâ partem intellectiuam.

<RESPONSIO>

§ 19 Ad primum dicendum quod omnis uirtus, siue intellectualis siue

consuetudinalis, est in parte intellectiua sicut in subiecto et sicut in primo mouente. Set in

hoc est differentia, quia completiuum intellectualis est ab intellectu quantum est ex parte

hominis, completiuum uero83 consuetudinalis est mediantibus uirtutibus sensitiuis ut

concupiscibili et irascibili. Vnde uirtus intellectualis est in parte intellectiua sicut

imperante et in exequente. Virtus uero consuetudinalis est in parte intellectiua sicut in

imperante et régulante, in sensitiuis uero sicut in exequente et hoc imperio rationis.

Dicitur ergo intellectualis eo quod executio fit ab intellectu, set consuetudinalis dicitur eo

quod executio fit a84 uirtutibus sensitiuis ad quas mouentur ; quia quasi naturaliter85

mouentur ad contrarium requiritur assuescentia et regulatio per imperium rationis. <1*>

<2*> Et per hanc distinctionem patet solutio ad obiecta.

<QUESTIO 4>

§ 20 <1> Circa quartum sic. Cum moralis philosophus determinet de uirtute et hoc

gratia felicitatis ; cum uirtus intellectualis terminetur ad felicitatem 7 sicut et

consuetudinalis ; deberet determinare moralis philosophus de intellectuali sicut de

consuetudinali.

§ 21 <2> Item, cum non sit alterius quam moralis determinare de uirtute

intellectuali, si non déterminât, tune déficit nobis quedam pars moralis doctrine.

82 ARISTOTE, Ethica Noua, I, 13, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 94, cf. ci-dessus, leçon 21. 83 uero O] non F 84 a O] cum in F 85 naturaliter O] materialiter F 86 mouentur FsO] moueàntur p() 87 felicitatem O] felicitate F

297

§ 22 <3> Item, queritur utrum uirtus intellectualis sit nobilior quam

consuetudinalis quod sic uidetur quia quod proximius est fini melius est et magis

eligendum. Proximior autem est felicitati tam causate8 quam incausate90 intellectualis

quam consuetudinalis.

§ 23 <I> Set contra : maior est difficultas propter resistentiam uirtutum

sensitiuarum91 in operationibus que sunt ad uirtutem consuetudinalem quam que sunt ad

uirtutem intellectualem ; ergo si uirtus consistit circa bonum et difficile et circa magis

magis, uidetur quod uirtus consuetudinalis sit completior quam uirtus intellectualis.

§ 24 <H> Preterea, queritur propter quid hee differentie92, consuetudinale et93

intellectuale, non diuidunt habitum intellectus speculatiui sicut diuidunt habitum

intellectus94 practici ; et quod debent ita esse uidetur cum in parte intellectiua [Ff. 35vb]

sit ponere intellectiuam95 qua cognoscit Primum, quod per se nullo modo sensibile est

[O f. 30va] et rationem qua cognoscit res inferiores mediante sensu.

<SOLUTIO>

§25 <1*> Ad primum dico quod Aristotiles non intendit de felicitate nisi

secundum quod acquiritur recta96 conuersatione inter conclues. Vnde nominabat eam

bonum ciuile et quia ex recta conuersatione inter conclues non acquiritur nisi uirtus

consuetudinalis ; intellectualis autem magis acquiritur in separatione a ciuitatibus, sicut

patet in claustralibus. Ideo solum déterminât97 de uirtute consuetudinali ; posset tamen

dici quod uirtus intellectualis non differt98 a felicitate prout félicitas dicitur esse in hac

proximius O] proximus F 89 causate O] create F

incausate O] increate F 91 sensitiuarum O] sensitarum F 92 differentie sFO] due pF 93 et F] ont. O 94 speculatiui sicut diuidunt habitum intellectus O] om. hom. F 5 intellectiuam O] intelligentiam F

96 recta scr.] recte F directe O déterminât F\ determinet O

98 differt O] deffert F

298

uita ; propter hoc determinando de felicitate in uia siue in hac uita, in primo libro99

determinatum est de uirtute intellectuali.

§ 26 <3*> Ad illud ergo quod obicit quod proximior et immediatior est100 ad

felicitatem concedo quod uerum est, set non propter hoc oportet quod de ea determinet,

quia nec101 déterminât de felicitate nisi prout acquiritur per rectam conuersationem inter

conciues, nec debuit102 propter hoc determinare de1 3 uirtute104 quod ad moralem

philosophum, cum non intendat de uirtute nec de felicitate nec eo modo quo dictum est.

§ 27 <2*> Ad aliud dico quod uirtus intellectualis melior est proprie loquendo

quam consuetudinalis et securior, nec tôt accidunt impedimenta circa eam. <I*> Ad

obiectum respondeo1 5 quod cum dicitur quod circa bonum magis difficile magis est

uirtus, respondeo hoc esse intelligendum quando maior106 difficultas et minor107

attenduntur respectu eiusdem boni uel eiusdem operationis in specie , uerbi gratia ut si

ex eodem affectu109 ego contineam et tu contineas, set110 michi difficilius est1" continere

quam tibi, maius erit bonum et minor uirtus michi continere1 affectus113.

§28 <II*> Ad aliud dico quod uirtus dicitur consuetudinalis114 quia acquiritur

mediantibus uirtutibus sensitiuis operantibus imperio rationis ad quas requiritur

assuescentia, quia per nature sue corruptionem inclinantur ad contrarium, set non sic

inclinantur ad contrarium scientie ; et ideo non acquiritur assuescentia in illis 7

respectu anime sicut respectu uirtutis, et ideo non sic diuiditur scientia consuetudinalis

sicut uirtus.

99 primo libro O] prima huius F 100 est F] est félicitas O 101 nec F] non O 102 debuit sO] defuit F définit pO 103 determinare de O] attribuande F 104 uirtute FsO] ueritatepO 105 respondeo O] responde F

maior sO] magis pO om. F 107 et minor ... eiusdem operationis FsO] om. pO 108 specie O] speci F 109 affectu O] effectu F 110 set O] si F 111 est O] ex F 112 continere O] contineo F 113 affectus scr.] affectus non FO 114 dicitur consuetudinalis F] inu. O 115 set O] si F 116 non FsO] om. pO 117 illis FpO] aliissO

299

<QUESTIO 5>

§ 29 <1> Circa quintum sic. Que fiunt per doctrinam non habent principium in eo

in quo fiunt quia doctrina generatur in discipulo a docente11 . Set119 uirtus et generatio

uirtutis requirunt principium in eo in quo fit, ergo uirtus neque est nec generatur per

doctrinam. Probatio minoris est quia uirtus121 habitus est uoluntarius, uoluntarium autem

est cuius principium est in se ipso.

§ 30 <2> Item, cum habitus speculatiuus diuidatur contra practicum uidetur quod

practicus non habeat aliquid ex speculatiuo122, ergo neque uirtus ex doctrina. Item,

quantum ad quid dicit quod uirtus intellectualis multum123 habet ex doctrina.

§ 31 <3> Item, dicit124 quod uirtus intellectualis indiget experimento et tempore.

Set contra, experimentum est eorum quorum est cognitio sensitiua, set uirtus intellectualis

non est respectu boni sensibilis et sic uidetur quod experimento non indigeat.

§ 32 <4> Item, cum scientia125 et uirtus sint habitus différentes debent habere

diuersas uias ad acquirendum, ergo, si126 scientia acquiritur experimento ut habetur in

libro Posteriorumni, uirtus non sic acquiretur.

§ 33 <5> Item, inferius docet128 quod uirtus est uerior et certior omni arte, ergo

uia certior débet haberi, non ergo experimento cum scientia experimento habeatur.

1 ,s docente FI doscente O 119 set scr.] sed F et O 120 requirunt sO] requiritpO requiritur F 121 uirtus O] uirtutis F 122 speculatiuo FpO] speculatione sO 123 multum FsO] similiterpO 124 dicit F] cum dicit sO om. pO 125 scientia scr. ] substantia FO 126 si O] om. F 127 ARISTOTE, Analytica Posteriora, II, 19, 100a4-!0, trad. JACQUES DE VENISE, éd. MlNIO-PALUELLO et

DOD, p. 105-106: «Ex sensu quidem igitur fit memoria, sicut diximus, ex memoria autem multotiens facta experimentum. Multe enim memorie numéro experimentum est unum. Ex experimento autem aut ex omni quiescente universali in anima, uno prêter multa, quodcumque in omnibus unum sit illis idem est, artis principium et scientie, si quidem est circa generationem, artis est, si vero circa esse, scientie ».

128 docet O] dicet F

300

<SOLUTIO>

§ 34 <1*> Ad primum dico quod uirtus intellectualis multum habet ex doctrina et

generatur in nobis quodammodo129 per doctrinam. Ad quod sciendum : notandum quod

illi qui sunt experti et scientes in hoc quod uideant rerum multitudinem mouentur

quodammodo130 ad cognoscendum infinitam potentiam Conditoris. Similiter ab

ordinatione et dispositione quam uident in rébus mouentur ad cognoscendum infinitam

sapientiam Eius. Similiter ex completione naturali et relatione ad finem secundum131

ordinem quoniam sunt, cognoscitur [F f. 36ra] Eius bonitas infinitas. Set hiis

consideratis, impossibile est Ipsum non diligi et ideo per doctrinam quodammodo132

generatur in nobis uirtus intellectualis, que attenditur in cognitione et dilectione summi

boni.

§ 35 <2*> Ad secundo obiectum dico quod et si ea que fiunt per doctrinam non

habent principium in eo in quo fiunt set in alio, nichilominus tamen postquam doctrina

facta est in aliquo potest per doctrinam moueri uoluntarie ad cognitionem et

dilectionem summi boni et ideo poterit esse causa uirtutis intellectualis secundum fieri

eius siue secundum esse.

§ 36 <3*> Ad aliud dico quod cognitio135 duplicem habet comparationem : uno

modo respectu intellectus speculatiui quem perficit et sic diuiditur ex opposito, scientia

contra uirtutem ; alio modo potest considerari inquantum dirigit quodammodo136

affectum ad appetendum bonum et sic ordinatur ad uirtutem, quod inferius dicit137, quod

ad uirtutem exigitur uelle, scire et operari138.

§ 37 <4*> Ad aliud dico quod experimentum, quia uia est ad doctrinam,

ordinatur14 ulterius ad uirtutem intellectualem, set non proximo neque immédiate ; unde

quodammodo O] quoddam modo F 130 quodammodo O] quoddam modo F 131 secundum O] per F 132 quodammodo O] quoddam modo F 133 aliquo O] alico F 134 causa FsO] tamen pO 135 cognitio O] generatio F 136 quodammodo O] quoddam modo F 137 dicit O] dici F 138 operari F] comparari O 139 uia O] una F 140 ordinatur sFO] ordinatur ad pF

301

non est inconueniens eo modo quod doctrina ordinatur ad uirtutem intellectualem

experimentum mediante doctrina ordinari ad eam.

<5*...>

<QUESTIO 6>

§ 38 <1> De sexto sic142. Sicut frequens operatio requiritur ad uirtutem

consuetudinalem et sic et quo ad intellectualem. Vnde si solum moueremur143 in

cognitionem et dilectionem summi boni et postea cessaremus, diceremus non habere

uirtutem intellectualem, ex quo uidetur quod omnis uirtus fiât ex assuetudine.

§ 39 <2> Item, cum inferius dicat quod ad uirtutem requiritur scire et uelle et

loquitur ibi de uirtute consuetudinali, uidetur quod deberet dicere uirtutem

consuetudinalem generari ex doctrina sicut dicit de intellectuali.

<SOLUTIO>

§ 40 <1*> Ad primum obiectum dicendum quod uirtus non dicitur consuetudinalis

quia requiratur operatio iterata siue frequens ad [O f. 30vb] ipsam, set quia acquiritur

per operationes procedentes145 a uirtutibus sensitiuis146 per imperium rationis, que -nisi

per assuetudinem cohercemur a ratione - semper tendunt ad contrarium et ideo, licet

actus multiplicatus requiratur ad uirtutem consuetudinalem - quia tamen non acquiritur

per operationes procedentes147 a uirtutibus sensitiuis -, non débet dici consuetudinalis.

§ 41 <2*> Ad aliud dico quod scientia siue doctrina erat quasi proxima causa

respectu uirtutis intellectualis, set respectu consuetudinalis est remota, unde uoluntas et

141 quod O] quo F 142 sic O] sicut F 143 moueremur O] mouemur F 144 set O] scilicet F 145 procedentes F] précédentes O 146 sensitiuis scr.] subiectis FO 147 procedentes F] précédentes O

302

operatio sunt cause proxime respectu illius. Vnde inferius dicet148 quod scire aut parum

aut nichil prodest ad uirtutem et ideo non sic dicit quod generetur ex doctrina sicut dicit

de intellectuali149.

<EXPOSITIO LlTTERE>

§42 Littera sic exponitur. Duplici autem150 et cetera151. Ita diuisimus in libro

precedenti uirtutem per intellectualem152 et consuetudinalem autem153. Set duplici

uirtutei54, id est cum sit duplex155 uirtus, quod156 exponit dicens hac{51 quidem

intellectuali illa uero consuetudinali (1103al4-15, p. 5, 1.4-5). Et nota quod uirtus

intellectualis et consuetudinalis in radice sunt unicum158 et in Causa efficiente Prima, set

in causa exequente sunt diuerse, ut prius uisum est159. Et ideo nec simpliciter sunt una160

nec simpliciter due ; et ob161 hoc dicit duplici. Deinde manifestât primam differentiam i (s'y

dicens quod illa que est intellectualis multum habet ex doctrina et manifestât quomodo

habet multum , quia et1 4 generatur ex doctrina et augetur ex ea augmentata. Set 5 hoc

non uidetur uerum166, quia secundum hoc qui plus haberet de doctrina plus haberet

148 ARISTOTE, Ethica Vêtus, II, 3, 1105b, trad. BURGUNDIO, éd. GAUTHIER, p. 10, 1. 22 : « Hec autem ad alias habendum artes, non connumerantur, prêter scire ; ad habendum autem virtutes, scire quidem parum aut nichil potest ; alia autem non parum, set omne possunt ».

149 Iterum sequitur P. 150 autem FO] om. P 151 et cetera P] et cetera per F et cetera quam O '52 per intellectualem OP] om. F 153 autem OP] om. F 154 uirtute FO] ubi P 155 sit duplex FO] inu. P 156 quod FO] et P 157 hac FO] ac P 158 unicum FO] unum P 159 prius uisum est FO] uisum est prius P 160 una FI une OP 161 ob OP] ubi F 162 et manifestât... ex doctrina FO] om. hom. P 163 multum O] multam F om. P 164 et OsF] om. pFP 165 set OP] si F 166 uerum sOP] iterum FpO 167 de OP] iter. F 168 doctrina FpOP] doctrina scientia sO

303

de uirtute intellectuali, cuius contrarium uidetur169 manifeste. Et respondendum est quod

qui plus habet de doctrina plus habet de uirtute intellectuali si reliqua sint paria in ipsis et

sic intelligit auctor, set si reliqua non essent170 paria tune non171 oporteret. Deinde, dicit172

ideoque113 et cetera (1103al6, p. 5, 1.6), quasi quia uirtus intellectualis generatur ex

doctrina et doctrina per experimentum acquiritur. [F f. 36rb] Ideo uirtus intellectualis

indiget experimento et quia experimentum non est de uno particulari nec pro uno tempore

immo174 de multis et pro diuersis, ideo addit et75 tempore. Deinde, manifestât aliam

differentiam dicens quod ea que est consuetudinalis fit ex assuetudine, hoc est per

operationes176 procedentes177 a uirtutibus sensitiuis assuescentibus per imperium rationis

et ponit signum ad hoc dicens unde accepit nomen (1103al8, p. 5, 1. 8), quasi"0 diceret

consuetudinalis uirtus accipit nomen179ab ea, id est180 a consuetudine, quod nomen parum

déclinât quia 'consuetudo' dicit abstractum simpliciter, 'consuetudinale' dicit concretum

in potentia, 'consuetum' dicit181 [Pf. 12rb] concretum in actu182, et ideo183 'consuetum'

plus184 déclinât185 a consuetudine186 quam187 consuetudinale, et ob hoc dicit parum1 n

(1103al8,p. 5,1. 8).

169 uidetur FO] uidemus P 170 essent P] nouunt FpO erunt sO 171 tune non P] nunc FO 172 dicit FOsP] dicit quod pP 173 ideoque FP] ideo est O 174 immo scr.] ymo sO hic FpO set P 175 et FO] et pro P 176 operationes P] rationes FO 77 procedentes FP] précédentes O 78 quasi diceret... uirtus accipit FO] om. P

179 nomen sO] rationem FpOP 180 id est FO] hoc est P m dicit FO] om. P 82 in actu O] in actum P inatum F

183 ideo FO] om. P 184 plus OP] prius F 185 déclinât P] déclarât FO 186 a consuetudine FP] assuetudine O 187 quam OP] quam a F 18 parum F] partem P parum est O

Variantes Orthographiques

Prologus

INTRODVCTIO

§ 2 topicis F] thopicis O

§ 3 in quantum O] inquantum F

§ 3 in quantum2 O] inquantum F

§ 3 in quantum O] inquantum F

§ 4 acquisitum O] adquisitum F

§ 6 brauium F] prauium O

§ 7 contingat F] continguat O

QUESTIO 1

§ 9 appetitus F] apetitus O

§ 10 dionisius O] dyonisius F § 16 dionisius O] dyonisius F

§ 17 set sO] sed F om. pO

§ 19 distingantur F] distinguantur O

§ 21 immo F] ymo O

§ 21 excedentia O] exedentia F

§ 21 excessa O] exessa F

§ 22 methaphoram O] methaforam F

§ 23 dionisius O] dyonisius F § 24 in quantum O] inquantum F

§ 27 hilarius O] hylarius F

QUESTIO 2

§ 29 dionisium O] dyonisium F

§ 29 timeo O] thimeo F

§ 32 auctor scr.] autor F actor O §38 quod FsO] quosdpO

§ 42 auctor scr.] autor F actor O

§ 45 immo F] ymo O

§ 45 impedit F] inpedit O

§ 45 immo F] imo O

§ 45 immo sufficit] ymo suficit O

§ 45 immo F] imo O

§ 45 metaphysice scr.] methaphisice FO

§ 45 recipiunt F] rescipiunt O

§ 51 idemptitatem F] ydemptitatem O

QUESTIO 3

§53 neque O] nec F

§ 53 neque O] nec F

§ 57 in quantum O] inquantum F

QUESTIO 4

§ 71 immo F] ymo O

§ 73 completum F] conpletum O

QUESTIO 5

§ 74 neque F] necque O

§ 77 irrectitudinem F] irectitudinem O

§ 81 peryarmenias O] periarmenias F

§85 excitans O] exitans F § 85 impotentiam scr.] Tpotentiam F inpotentiam O

§ 88 in quantum O] inquantum F

§ 88 in quantum2 O] inquantum F

§ 88 in quantum3 O] inquantum F

§88 excitans O] exitans F

306

§ 88 immo F] ymo O

§ 88 adhuc scr.] adc F aduc O

§ 89 inuicem F] in uicem O

QVESTIO 6

§ 94 nec O] neque F

§ 96 in quantum O] inquantum F

§ 96 in quantum2 O] inquantum F

§ 97 neque O] nec F

§ 97 peruertione F] pemersione O

§ 98 auctor scr.] autor F actor O

Lectio XXI

DIVISIO TEXTUS

§ 1 nec O] neque F § 2 nutritiua O] nuctritiua F

§ 2 existimatur F] extimatur O

§ 3 irrationalis F] irationalis O

§ 3 immo F] ymo O

SENTENTIA

§ 5 exequitur O] exsequitur F

§ 5 exequitur2 O] exsequitur F

§ 5 auctor F] actor O

EXPOSITIO LlTTERE

§ 7 existimatur F] extimatur O

§ 7 sompnum F] sopnum O

§ 7 sompnis F] sopnis O

307

§ 7 sompnus F] sopnus O

§ 7 sompnis2 F] sopnis O

§ 7 sompnum F] sopnum O

§ 7 exercet O] excercet F

§ 7 sompno F] sopno O

§ 7 sompnum F] sopnum O

§ 7 sompno F] sopno O

§ 7 sompnis3 F] sopnis O

§ 7 sompno3 F] sopno O

§ 7 sompnis4 F] sopnis O

§ 7 sompno F] sopno O

§ 7 fantasmata F] phantasmata O

§ 7 sompno5 F] sopno O

§ 8 immo F] ymo O

§ 8 nutritiuum O] nuctritiuum F

§ 9 aliquo F] alico O

§ 9 auctor scr.] actor FO

§ 10 immo F] ymo O

§ 11 paralisim F] paralesin O

§ 13 imperium scr.] inperium O om. F

§ 13 imperium2 scr. ] inperium O om. F

§14 imperium F] inperium O

§ 15 auctor scr.] actor FO

§ 15 plantatiuum F] plantarium O

§ 15 uegetabilem FsO] uegegtabilempO

§ 16 recipit F] rescipit O

§ 16 aliquo F] alico O

§ 19 exequitur O] exsequitur F

QUESTIO 1

§ 22 in quantum O] inquantum F

308

QUESTIO 2

§ 23 endelichia O] endelchia F

§ 24 endelichia O] endelchia F

§ 24 in quantum O] inquantum F

QUESTIO 3

§ 26 in quantum O] inquantum F

QUESTIO 4

§ 29 neque F] nec O

§ 29 potentialis O] potensialis F

§ 30 in quantum O] inquantum F

§ 30 ymaginem F] imaginem O

§ 31 concauo O] cumcauo F

QUESTIO 5

§ 32 paralisis O] paralesis F

§ 32 membrum scr.] menbrum FO

§ 32 parai iticum scr.] parai eticum F paraliticatum O

§ 33 incontinens O] incontine F

§ 34 impedimenta O] inpedimenta F

§35 omitendo O] omattendo F

§ 35 in quantum O] inquantum F

§ 35 in quantum2 O] inquantum F

QUESTIO 6

§ 37 in quantum O] inquantum F

§ 37 in quantum2 O] inquantum F

§ 38 in quantum O] inquantum F

§38 metaphysica scr.] methaphisica FO

§ 38 summo F] sumo O § 38 distinguntur O] distinduntur F

QUESTIO 7

§ 40 apud O] aput F

§ 41 metaphysica scr.] methaphysica FO

§ 42 succumbere O] subcumbere F

§ 42 succumbere2 O] subcumbere F

§ 42 succumbens O] subcumbens F

§ 44 uoluntarios O] uoluptarios F

§ 45 fantasmata F] fanthasmata O

§ 45 apprehensionem O] apprehentionem F

QUESTIO 8

§ 48 metaphysice scr.] methaphysice FO

§ 49 immo F] ymo O

§ 50 defectu F] deffectu O

§ 50 defectu2 F] deffectu O

§ 50 defectum F] deffectum O

§ 51 defectum F] deffectum O

§58 opposita O] opositaF

§58 defectus F] deffectus O

§58 defectum F] deffectum O

§ 58 defectus2 F] deffectus O

§58 defectus3 F] deffectus O

§58 defectum2 F] deffectum O

§ 59 metaphysica scr.] methaphysica FO § 63 duplex F] dupplex O

§ 63 defectum F] deffectum O

§ 63 defectus F] deffectus O

§ 63 defectum2 F] deffectum O

310

Lectio XXII

DIVISIOTEXTUS

§ 1 auctor F] actor OP

§ 1 auctor FO] actor P

§ 1 eandem O] eamdem FP

§ 1 exequitur F] exsequitur OP

§ 1 exequi F] exsequi OP

§ 1 omissa FO] obmissa P

§ 1 duas FO] 2 P

QUESTIO 1

§ S.neque O] nec F

§ 5 debént O] denbent F

§ 5 concupiscibilis et irascibilis O] concupisscibilis et irasscibilis F § 7 concupiscentiam O] cumcupiscentiam F

§ 8 recipit F] rescipit O

QUESTIO3

§ 19 irascibili O] irasscibili F

§ 19 imperante scr. ] inperante FO

§ 19 imperio scr. ] inperio O ïp_io F

§ 19 imperium scr.] inperium FO

QUESTIO 4

§ 26 immediatior F] inmediatior O

§27 nec F] neque O

§ 27 impedimenta scr.] inpedimenta FO

§ 28 imperio scr.] inperio O Tpio F

QlJESTIO 5

§ 29 neque O] nec F

§ 29 nec F] neque O

§ 30 neque F] nec O

§ 36 in quantum O] inquantum F

§ 36 ordinatur FsO] odinatur/?0

§ 37 neque O] nec F

QUESTIO 6

§ 40 imperium scr.] inperium FO

EXPOSITIO LlTTERE

§ 42 exequente FO] exsequente P

§ 42 auctor FO] actor P

§ 42 nec FP] neque O

ANONYME, MAÎTRE ES ARTS

(vers 1245)

Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique

<ANONYME, MAÎTRE ES ARTS>

COMMENTAIRE SUR LA NOUVELLE ET LA VIEILLEÉTHIQUE>

<PROLOGUE>

<INTRODUCTION>

§ 1 Puisque certaines sciences sont relatives aux choses et certaines relatives aux

signes <et> puisque la science est un habitus de l'âme intellective, elle n'est pas une science

relative à n'importe quels signes, mais relative aux signes qui, par l'intermédiaire du sens, ont

essentiellement un rapport1 à l'âme intellective ou à ses puissances. Or, ce <type de signes>

est proprement le langage ou le mot écrit, signifiant par imposition et présentant quelque

chose à l'intellect. Or, similairement il n'y aura, proprement parlant, de science relative aux

choses que dans la mesure où <les choses> sont prises2 sous les propriétés sous lesquelles

<elles> ont une relation à l'âme même.

§ 2 Or, la puissance de l'âme est double : à savoir <la puissance> spéculative ou

cognitive, pour laquelle l'objet par soi est le vrai ; et la <puissance> motrice, pour laquelle

l'objet par soi est le bien. Et c'est pourquoi la science relative aux choses sera ou relative aux

choses sous le rapport du vrai, ou relative aux choses sous le rapport du bien. Et selon cela, il

y a une première division de la philosophie ou de la science qu'Augustin pose à plusieurs

endroits dans <son> livre De la Cité de Dieu et qu'Aristote signale dans les Topiques dans la

division de la proposition en rationnelle ou langagière, naturelle et morale.

§ 3 Autrement on peut avoir une division de cette façon, comme on a dans le troisième

<livre du traité> De l'âme : « les sens et les sciences se découpent en <rapport avec> les

choses », et c'est pourquoi la division des sciences sera selon la division des choses. Or, les

choses peuvent être considérées doublement : ou bien selon qu'elles sont, ou bien selon

qu'elles sont signifiées. Si selon qu'elles sont, <on peut les considérer> doublement : ou bien

en tant qu'elles sont par notre oeuvre, ou bien en tant qu'elles sont indépendamment de notre

oeuvre. Et selon cela, il y a une division de la science en trois différences, comme

auparavant : parce qu'une certaine science sera relative aux choses en tant qu'elles sont

1 = comparationem 2 = accipiuntur

314

signifiées ; alors qu'une certaine <autre sera> relative aux choses en tant qu'elles sont

indépendamment de notre œuvre ; et une certaine <autre sera> relative aux choses en tant

qu'elles sont par notre oeuvre. Donc, la science morale est proprement relative au bien, ou

relative aux choses dans la mesure où elles sont par notre œuvre. Et c'est pourquoi, puisque la

science reçoit essentiellement sa division selon la division de ce relativement à quoi elle est,

la science ou philosophie morale se divise essentiellement selon la division du bien.

§ 4 Or, le bien est double : le <bien> divin, c'est-à-dire conféré par Dieu, telle la

félicité, comme cela apparaîtra après ; et le <bien> humain, c'est-à-dire acquis3 par l'homme

au moyen des opérations droites - avec délectation et peine et avec persévérance en elles -, ce

qui est la vertu. En effet, le philosophe ne pose pas ainsi en nous la vertu par la providence

divine, comme il pose la félicité - bien que peut-être, selon le théologien et selon la vérité, la

vertu ne soit pas <causée> par nous mais par la Première Cause, selon cela : « Dieu opère en

nous l'<acte de> vouloir et de se perfectionner ». Cependant, la raison de cette diversité sera

patente plus bas.

§ 5 On peut diviser aussi autrement - encore qu'on en revienne assez au même - en

disant que la félicité est le sujet de la science morale et tout comme dans le livre des

<Analytiques> Postérieurs premièrement <Aristote> présente la démonstration en soi <et>

deuxièmement enseigne à partir de quelles <choses> et de quelles <sortes de choses>4 est la

démonstration, ainsi le philosophe moral premièrement présente la félicité en soi, après il

enseigne à partir de quelles <choses> et de quelles <sortes de choses>5 la félicité <est> en

nous. En tant qu'elle est du côté de l'homme, <la félicité> est traitée en traitant de la vertu et

des opérations et des conditions à partir desquelles la vertu est obtenue6. Et cela est ce que

l'on a l'habitude de dire : que le philosophe moral traite premièrement du bien qui est la fin

<purement et> simplement7 ; deuxièmement, du bien qui est la voie vers cette fin ultime.

§ 6 En effet, la vertu se trouve par rapport à la félicité comme le mérite par rapport au

prix ; d'où après il dit relativement à la félicité qu'elle est la récompense9 ou le prix de la

vertu. De n'importe quelle manière qu'on le dise, la première partie <qui porte sur la félicité>

s'étend jusque-là : Or, si la félicité est un acte, qui etc., vers la fin du premier livre ; la

deuxième <partie, qui porte sur la vertu, s'étend> de ce lieu jusqu'à la fin de toute la doctrine.

= acquisitum = ex quibus et qualibus = ex quibus et qualibus = elicitur

7 = simpliciter 8 = premium

= brauium

315

<QUESTIONS>

§ 7 Or, avant que nous nous engagions davantage <dans le texte>, il faut enquêter sur

certaines <choses> dont la connaissance est préexigée pour celles qui suivent. Et

premièrement, on enquête sur le rapport du vrai au bien et de ces <deux> à l'étant et à l'un ; et

<on demande> à cause de quoi la science est10 plutôt relative à l'étant sous le rapport du vrai

ou sous le rapport du bien, que sous le rapport de l'un. Deuxièmement, <on demande> si le

bien peut être le sujet de la science morale et de quelle manière est pris <le mot> 'bien'

lorsque nous disons que la science morale est relative au bien. Troisièmement, <on demande>

si le philosophe moral peut traiter de la félicité. Quatrièmement, <on demande> s'<il peut

traiter> de la félicité et de la vertu, de quoi devrait-il traiter d'abord. Cinquièmement,

puisqu'il n'y a de science que pour enlever l'erreur se présentant ou pouvant se présenter, il y

aura la question <de savoir> s'il arrive que l'homme se trompe à l'égard du bien, parce que

sinon cette science serait superflue. Sixièmement, <on demande> quel est le principe ou la

raison de la déviation ou de l'erreur chez l'homme.

<QlJESTION 1 >

§ 8 <a. 1> Autour du premier <point en question, on procède> ainsi : le rapport des

puissances et des objets est le même, mais l'objet de l'intellect spéculatif est le vrai, tandis

que <l'objet de l'intellect> pratique <est> le bien, comme on trouve dans le troisième <livre

du traité> De l'âme. Mais, comme il est dit au même endroit, l'intellect spéculatif devient par

extension pratique. À partir de cela on argumente ainsi : puisque l'intellect spéculatif <pris

purement et> simplement" est antérieur à l'intellect spéculatif étendu et <que> l'intellect

spéculatif seul devient par extension pratique, donc, parlant <purement et> simplement12,

l'intellect spéculatif est antérieur à <l'intellect> pratique ; donc, le vrai, qui est l'objet de

l'intellect spéculatif, sera antérieur au bien, qui est l'objet de P<intellect> pratique.

§9 <a. 2> De même, comme on a dans le troisième <livre du traité> De l'âme,

l'appétit suit la connaissance, mais la connaissance est à l'égard du vrai, l'appétit à l'égard du

bien, donc aussi le bien suit le vrai même.

= simpliciter = simpliciter

316

§ 10 <a. 3> De même, Denys dit : « Le bien est ce qui est désiré par tous ». Et dans ce

livre-ci <il est dit> : « Le bien est ce que toutes <les choses> convoitent ». Or, <ce qui est>

désiré ou souhaité par l'homme préexige une connaissance, donc aussi le bien <préexige une

connaissances Si donc la connaissance est à l'égard du vrai, le vrai sera antérieur au bien.

§ 11 <a. 4> De même, le savoir, le vouloir et l'opération immuable précèdent

l'obtention13 de la vertu. À partir de cela on argumente ainsi : si la science ou le savoir

précède l'obtention du bien ou de la vertu, aussi <purement et> simplement parlant, le vrai

même devance' le bien.

§ 12 <a. 5> De même, tout ce qui est vrai est étant, mais non pas tout ce qui est bon

est étant, comme 'savourer ceci', ou quelque chose de la sorte. Le vrai est donc plus commun

que le bien, et ainsi antérieur.

§ 13 <a. I> Contre : le bien et l'étant sont convertibles, similairement le vrai et l'étant

<sont convertibles>. À partir de cela on argumente : puisque le vrai et le bien sont

convertibles à l'un, ils sont convertibles entre eux, donc aucun <n'est> antérieur à l'autre.

§ 14 <a. II> De même, cela semble <être> le même, parce que autant chaque chose se

trouve relativement à l'étant ou à l'être, autant elle se trouve relativement au bien. Et il est dit

ailleurs : « Tout comme chaque chose se trouve relativement à l'être, ainsi <elle se trouve

relativement au vrai ». À partir de cela, il est patent que et le vrai et le bien sont égalés15 au

même étant ou être et ainsi ils sont égaux16 entre eux, c'est pourquoi aucun <n'est> antérieur

à l'autre.

§ 15 <a. III> De même, il semble que le bien devance le vrai, parce que généralement

celui-là (<le bien>) est premier en <ce qu'il> meut, parce que l'appétit du même mobile finit

et se termine dans ce <qui est> antérieur. Or, si le vrai et le bien meuvent l'intellect, c'est

constaté que dans le bien on repose parfaitement et pleinement, mais non dans le vrai, donc le

bien devance le vrai en <ce qu'il> meut. Mais l'être vient après l'être mû, c'est pourquoi aussi

<le vrai> en étant <vient après le bien en mouvant>, et ainsi le bien <est> antérieur au vrai.

§ 16 <a. IV> De même, comme le veut Denys : « parce que Dieu est bon, nous

sommes », donc la notion17 de la bonté Le pose dans la notion18 du principe. Mais le Premier

et le principe sont le même, c'est pourquoi le Premier sera dans la notion de la bonté. C'est

pourquoi le bien sous le rapport du bien et devance le vrai et devance toute autre condition

= assecutionem 14 = antecedit '5 = adequantur 16 = sunt equalia 17 = ratio 18 = in ratione

317

existant dans le Premier, selon la voie de Pintellection19. C'est pourquoi, <purement et>

simplement parlant, le bien devance le vrai.

§ 17 <a. V> De même, le vrai est pris20 par la cause formelle, tandis que le bien <est

pris> par la cause finale. Mais la <cause> finale est la cause des causes et devance toutes les

autres causes, et ainsi <elle devance> la <cause> formelle. C'est aussi pourquoi le bien

devance le vrai.

§ 18 <b. 1> De même, ces quatre - vrai, bien, un et étant - sont convertibles du point

de vue21 des supposés ; quoique, du point de vue du dire, l'un ajoute à l'autre - en effet, les

trois autres ajoutent à l'étant même dans le mode de dire. Donc on se questionne sur la

différence entre eux.

§ 19 <c. 1> De même, puisque les sciences se distinguent selon le bien et le vrai,

pourquoi pas selon l'étant et l'un - e n effet, quoique le philosophe premier considère l'étant

<purement et> simplement, cependant <il le considère selon> le point de vue du22 vrai.

<SOLUTION>

§ 20 <a. 1*> Au premier de ces <arguments> il faut dire que, en parlant <purement

et> simplement, le vrai devance le bien. Et cela est patent, parce qu'au-delà de l'étant le vrai

n'ajoute que la connaissance ou la manifestation de la chose ; tandis que le bien ajoute un

rapport à l'oeuvre ou à la fin. Et c'est pourquoi, en parlant <purement et> simplement, le bien

est postérieur. Et comprends23 <ainsi> ces <choses> non parce qu'elles ne sont pas égalées24

dans les supposés - en effet, leurs supposés sont égaux25 - , mais dans le mode de dire et en

raison26 du mode de signifier, comme on l'a déjà vu. <a. I*> <a. II*> Et par cela est patente

la solution aux deux raisons qui montraient qu'à partir du <fait> que le vrai et le bien étaient

convertibles avec l'étant, ils étaient <aussi> convertibles entre eux, et ainsi aucun n'était

antérieur à l'autre, parce que cette priorité et postériorité sont remarquées non de la part du

contenu <essentiel> ou de la sphère des supposés, mais seulement de la part du mode de dire

ou d'intelliger27.

= uiam intelligendi 20 _ . . .

- accipitur ' = secundum rationem

22 _ - ratione

23 = intelligas = adequantur

25 = sunt equalia = ratione = modi dicendi uel intelligendi

318

<a. 2*...> <a. 3*...> <a. 4*...>

§ 21 <a. 5*> À ce qu'il a dit que quelque chose est vrai, comme 'savourer cela', ce qui

n'est pas bon, il faut répondre que c'est le bien de l'habitude, et un tel <bien> n'est pas

égalé28 avec le vrai dans les supposés, au contraire ils ont <une relation> comme les excédents

et les excédés ; et il y a le bien de la nature, et un tel <bien> est égalé29 <dans les supposés>,

et de cette manière, tout comme 'savourer cela' est vrai, ainsi <c'est> bon.

§ 22 <a. IH*> À ce qu'il objecte que le bien est <purement et> simplement antérieur

parce qu'il meut en premier30, il faut répondre qu'il y a le mouvant selon la vérité comme la

<cause> efficiente. Et ce qui ainsi meut avant, est antérieur. Et il y a le mouvant par

métaphore comme la fin, et ainsi meut le bien, et ce qui meut ainsi, il ne faut pas qu'il soit

antérieur, ni que soit antérieur ce qui meut avant.

§ 23 <a. IV*> À l'autre, il faut dire que sans doute, parce que Dieu est bon, nous

sommes, mais le 'parce que' ne dit pas la première raison pour laquelle nous sortons de Dieu

à l'être, mais <il dit> la <raison> prochaine - e n effet, si la puissance et la science n'avaient

pas précédé selon la voie de l'intelligence, <nous> n'aurions jamais procédé de la volonté ou

de la bonté vers l'être. D'où si le 'parce que' dit la cause prochaine, ce que dit Denys est vrai ;

mais si <le 'parce que' dit la cause> première, <ce que dit Denys> n'est pas vrai. Cependant, •3 1

on pourrait dire que la bonté ne pose pas ou ne signifie pas Dieu en raison du principe si ce

n'est qu'à l'égard des créatures. Et à cause de cela il ne faut pas, en parlant <purement et>

simplement, que le bien devance le vrai, mais que le bien dans la Cause ou dans le Créateur

devance le vrai dans les causés ou les créatures.

§ 24 <a. V*> À l'autre il faut dire que la fin est dite la cause des causes non parce

qu'elle précède selon l'être, mais parce qu'elle précède en mouvant de la manière par laquelle

elle meut, et parce qu'ayant eu la <cause des causes> on repose. Donc, <la cause finale> est

antérieure aux autres <causes> quant au temps en tant qu'elle meut à sa manière, et <la cause

finale> est antérieure quant à la dignité et la complétude en tant qu'elle finit et termine le

mouvement et l'indigence de toutes <les choses>. La première priorité ne peut être que

relativement32, la deuxième priorité peut être <purement et> simplement, mais cela quant au

temps est postérieur à l'être de n'importe quelle autre33 cause.

= adequatur 2 = adequatur 30 _

- primo 31 = ratione

= secundum quid 33 = cuiuslibet alterius

319

§ 25 <b. 1*> À l'autre il faut dire que l'étant nomme l'essence de la chose ou l'entité

absolument34. Or, l'un, le vrai et le bien disent des propriétés ou des rapports35 autour de

l'étant même. En effet, l'un ajoute une complétude à l'étant, le vrai <ajoute> une distinction,

le bien <ajoute> un ordre ; et par cela l'ordre parmi eux est patent. En effet, selon la voie de

l'intellection36, l'étant complet est antérieur à <l'étant> distinct, et <Pétant> distinct <est

antérieur> à <Pétant> ordonné. Aussi autrement : à partir de l'union de la forme avec la

matière est causé l'être ou l'entité de la chose proprement dans les composés. Or, la forme

perfectionne37 et le parfait <se> distingue des autres, <ce qui est> parfait et distinct s'ordonne

vers autre <chose> ou vers l'œuvre : l'un concerne38 le premier, le vrai concerne le deuxième,

le bien concerne le troisième. On peut dire d'une troisième manière que l'un dit l'étant relié à

la cause efficiente, le vrai <dit l'étant relié> à la forme, le bien <dit l'étant relié> à la fin.

<AUTRE QUESTION>

§ 26 Mais alors il y a une question : pourquoi il n'y a pas une autre propriété désignée

autour de l'étant qui dirait sa relation à la matière, comme <il y a> pour les autres causes ? Et

la raison peut être non seulement à cause de Pincomplétude de la matière, mais aussi parce

que toute <chose> causée ou est une forme, ou a une forme, similairement <toute chose

causée> a une cause finale et une efficiente, mais <toute chose causée> n'a pas ainsi une

matière.

<SU1TE DE LA SOLUTION>39

§ 27 <c. 1*> Au dernier, il faut dire que la science est un habitus de l'âme selon la

partie intellective. Et c'est pourquoi la science doit être proprement relative à cela qui dit une

relation à l'âme intellective ou à ses puissances. Or, l'étant sous le rapport de l'étant ou de

l'un ne dit pas cette relation, mais <il la dit> sous le rapport40 du bien et du vrai, comme il est

patent à partir de leurs définitions. En effet, comme le veut Hilaire : « Le vrai est ce qui est de

soi déclaré ou manifesté ». Voilà la relation avec la partie cognitive <de l'âme intellective>.

34 = absolute = comparationes = uiam intelligendi

37 = perficit = quo ad Après une brève question, l'auteur continue à répondre aux objections. = sub ratione

320

Similairement Anselme : « Le bien est ce qui est désiré par tous », et ici : « le bien est ce que

toutes <choses> convoitent». Voilà la relation avec la <partie> motrice <de l'âme

intellective>, et à cause de cela la science est relative plutôt à l'étant sous le rapport du vrai et

sous le rapport du bien.

<QUESTION 2>

<2a>

§ 28 <1> Autour du deuxième <point en question>, on demande ainsi : on dit que la

science morale est relative au bien. Donc, soit <elle> est relative au bien <pris purement et>

simplement41 dans la mesure où <elle> abstrait du bien causé et non causé, ou dans la mesure

où <elle> se contraint au bien causé. Et si <elle> est relative au bien causé, alors il y a une

question : si <Ia science morale> est relative au <bien pris purement et> simplement ; ou dans

la mesure où <elle> se contraint à la différence42 du bien causé, comme vers la félicité ou vers

la vertu. Il semble que <ce soit> par le premier mode ainsi : c'est constaté que dans cette

doctrine morale <Pauteur> traite de la vertu qui résulte43 de nos opérations comme il dit, et

ainsi elle est quelque chose de causé, il traite aussi de la félicité de laquelle il dit qu'elle est un

acte immuable44.

§ 29 <2> A partir de cela j'argumente ainsi : selon <Jean> Damascène « tout causé

est muable », et similairement selon Denys « tout causé est variable vers le néant », et selon

Platon dans le Timée « toute <chose> en deçà du Premier est jointe par nature, et tout <ce qui

est> joint par nature <est> dissoluble », comme il dit, et ainsi transmuable. Puisque la félicité

• est un acte immuable45, comme il dit dans ce livre, <elle> ne sera pas un bien causé parce

qu'<elle est> non causée et la vertu <sera> un bien causé, donc <cette science> ne traite pas

seulement du bien causé mais aussi du <bien> non causé, donc dans la mesure où elle abstrait

des deux.

§ 30 <3> De même, dans ce livre il dit que la félicité est le bien le plus parfait et

suffisant par soi. Donc, si aucune créature n'est suffisante par soi, la félicité ne sera pas un

41 = simpliciter 42 = differentiam 43 = derelinquitur

= intransmutabilis = intransmutabilis

321

bien causé mais non causé, et ainsi comme auparavant. Donc, <cette science> traite du bien

dans la mesure où <elle> abstrait des deux.

§ 31 <4> De même, dans le début de ce livre il dit qu'ici il entend <traiter> du bien à

cause duquel nous convoitons d'autres <choses> et il n'est convoité à cause de rien d'autre,

mais un tel bien est plus noble et plus parfait que tout autre bien, mais c'est constaté que le

non causé est plus noble que le causé, c'est pourquoi il entend <traiter> ici du bien non causé

et non seulement du causé. Donc, si l'on pose le bien comme sujet, il faut que celui-ci soit un

bien dans la mesure où <il est> abstrait du bien causé et non causé.

§ 32 <I>'Mais au contraire : dans ce qui suit l'auteur montre que la félicité est en nous

par la providence divine, donc elle est quelque chose de causé.

§ 33 <II> De même, aucune forme, qui est forme comme exemplaire seulement, ne

dénomme la chose ; or, la félicité dénomme l'ayant, donc elle n'est pas une forme qui soit

seulement un exemplaire. Mais le bien non causé n'est une forme que comme exemplaire

seulement, c'est pourquoi la félicité de laquelle traite la <science> morale n'est pas un bien

non causé.

§ 34 <III> De même, le bien causé et <le bien> non causé sont plus éloignés <entre

eux> que n'importe quels biens causés entre eux. Mais comme il dit qu'il ne peut y avoir une

seule doctrine de tous les biens qui sont sous une seule catégorie4 , donc beaucoup plus

probablement il n'y aura pas une seule doctrine relative au bien causé et non causé.

§ 35 <IV> De même, si le bien se dit relativement au bien causé et relativement au

bien non causé, on demande s'<il se dit> selon une seule raison47, ce qui semble ainsi parce

que ce qui est comparable, est univoque. Mais je peux dire que le bien non causé est meilleur

que le bien causé, il est donc un bien univoque.

§ 36 <5> Mais au contraire, comme <le> dit Boèce : « Le bien dit du bien non causé

dénomme48 l'essence ou la substance, <le bien dit> du bien causé dénomme l'accident ».

Donc, tout comme rien n'est commun <et> univoque à la substance et à l'accident, ainsi le

bien non plus <n'est commun> au causé et au non causé.

= predicamentum = ratione

322

<RÉPONSE>

§ 37 À l'évidence de ces <arguments>, il faut savoir que, dans cette doctrine, Aristote

traite du bien causé, comme de la vertu et de la félicité causée. Cependant, afin que nous

résolvions les raisons49, soutenons les deux : et qu'il traite de la félicité causée et qu'<il

traite> de la félicité non causée.

<SOLUTION>

§ 38 <1*> <2*> À ce qu'on objecte que la félicité de laquelle il traite est immuable50,

alors que tout causé est transmuable, il faut répondre que le causé peut être considéré en

raison51 <de ce> 'à partir de quoi' <il est> et ainsi tout causé <est> muable parce qu'il <est> à

partir du néant ; ou bien il peut être considéré en raison <de ce> 'à cause de quoi' <il est>,

qui est le Créateur ; ou bien en raison53 <de ce> 'vers quoi' <il tend>. Et selon ces deux

<dernières> manières <le causé> peut être incorruptible, selon la première <manière il peut

être> corruptible.

<AUTRE QUESTION>

§ 39 Mais alors il y a une question, puisque, dans le premier <livre> de la Physique,

on dit : « tout corruptible se corrompt et tout causé <est> corruptible au moins d'une

manière », alors tout causé se corrompt. Il faut répondre que quelque chose est dit corruptible

à cause de la composition effective54 à partir des contraires et d'une telle chose parle Aristote.

Une autre <chose> est dite naturellement corruptible, <celle> qui n'a pas en soi <sa> cause,

ou bien <n'a pas> à partir de soi son existence et, de cette manière, tout causé est corruptible,

mais non tout corruptible se corrompt de cette manière.

<SUITE DE LA SOLUTION>

= rationes = intransmutabilis = ralione

52 = ratione = ratione = actualem

323

§ 40 <3*> À l'autre il faut dire que <ce qui est> suffisant par soi est de deux

manières : <purement et> simplement, et ainsi <l'est> seulement le bien non causé ; ou bien

en général, et ainsi il n'y a rien d'inconvenant à poser que le bien causé est suffisant par soi.

§ 41 <4*> À l'autre il faut répondre que le bien pour lequel nous souhaitons d'autres

<choses> est une fin, mais la fin est double : dedans et dehors. Du bien pour lequel nous

souhaitons d'autres <choses> qui est une fin du dedans et non du dehors on en parle là. Ou

<cela> peut être résolu par la même distinction avec le précédent.

§ 42 <I*> Or, si nous voulons soutenir que <le philosophe moral> traite de la félicité

non causée, alors il faut répondre aux raisons contraires. À ce que, donc, premièrement on

objecte que l'auteur montre que la félicité est par la providence divine, et ainsi est quelque

chose de causé, il faut répondre que tout comme il n'est pas inconvenant que le même se

donne soi-même, ainsi il n'est pas inconvenant que la félicité soit un bien non causé en

raison55 de la providence divine et qu'elle soit en nous par la providence divine ; ou ainsi :

que lorsqu'il dit que la félicité est en nous par la providence divine, il parle de la félicité non

selon56 l'essence, mais selon son acte qu'<elle> fait sortir57 en nous.

§ 43 <II*> À l'autre <argument> il peut être dit qu'il y a une prédication par essence

et il y a une prédication par causalité. La forme qui est un exemplaire n'est pas prédiquée en

parlant de la prédication qui est par essence, mais elle peut <être prédiquée> par causalité.

D'où la félicité causée peut être dite bien divin parce qu'il nous est donné à partir de Dieu ou

à partir de lui-même. Similairement, nous pouvons être dits heureux non essentiellement mais

causalement, parce que nous sommes récompensés par cette félicité non causée.

§ 44 <III*> À l'autre <argument> il faut dire que la convenance est double : en effet,

une certaine convenance est de l'un à l'un, et de cette manière le bien causé et <le> non causé

conviennent plus - parce que l'un est dans l'autre et à partir de l'autre - et s'éloignent moins

que deux biens causés qui sont disparates entre eux ; et il y a la convenance de deux dans un

troisième et de cette manière procède l'objection.

§ 45 <IV*> <5*> À l'autre <argument> il faut répondre que le bien n'est pas dit selon

une seule raison, mais plutôt selon l'analogie relative au bien causé et non causé. Et à ce que

l'on objecte que <c'est> au contraire parce qu'ils peuvent être rapportés58, il faut répondre

que l'analogie n'empêche pas le rapport, mais <ce qui est purement et> simplement

équivoque l'empêche. Et si on convenait que si le bien ne se dit pas univoquement

= quo ad = elicit =potest comparari

324

relativement au bien causé et non causé, il ne pourrait pas y avoir une seule doctrine relative

au bien ainsi communément dit, je dis qu'au contraire, en effet, l'unité d'univocation n'est pas

toujours requise pour l'unité du sujet d'une science, au contraire, l'unité d'analogie suffit.

D'où, Aristote <dit> au troisième <livre> de la Métaphysique : « de n'importe quelles

<choses> qui ont une nature une ou une analogie une, d'elles il peut y avoir une doctrine

une » ; par cela il peut être patent que la <science> morale entend <traiter> non seulement du

bien dans la mesure où il se limite à <parler de> la félicité, ou seulement de la vertu, mais

dans la mesure où il se relie communément aux deux. Cependant, il ne faut pas comprendre59

que l'on considère également de ceux-là, au contraire : tout comme le philosophe premier

considère les accidents en tant qu'ils renvoient aux substances qui sont leurs principes et

<leur> être d'une certaine manière - selon qu'il dit que les définitions reçoivent des accidents

pour l'ornement- et les substances engendrables et corruptibles <sont considérées des

accidents> dans la mesure où <elles renvoient> à la substance première qui est la cause et le

principe de toutes les autres <choses> ; ainsi <le philosophe> moral traite du bien dans les

opérations à cause du bien de la vertu ou de l'habitus, et <il> considère le bien dans la vertu

dans la mesure où il est ordonné vers la félicité. D'où il considère la félicité par soi et

premièrement et principalement, tandis que les autres <sujets> sont ordonnés en raison de la

félicité et comme vers elle.

<2b>

§ 46 <1> Mais on demande : puisque le bien de la nature et le bien à partir du genre et

le bien à partir de la circonstance sont à cause du bien dans le genre et en général - sur

lesquels peut-être le Philosophe n'a rien su -, le philosophe moral considère la différence de

leur bien. Et il semble qu'<il considère> le bien de la nature, parce que, puisqu'il entend

principalement <traiter> de la félicité, comme il a été dit, or, la félicité est naturellement et

essentiellement un bien, il semble qu'il entend <traiter> du bien par nature.

§ 47 <2> De même, ce qui est telle <chose> par nature, est plus une telle <chose> que

ce qui n'est pas une telle <chose> par nature, donc ce qui est par nature un bien, est plus un

bien que ce qui n'est pas par nature un bien. Donc, si le <philosophe> moral considère le bien

maximalement, il considère aussi le bien qui est le bien par nature.

- non est intelligendum

325

§ 48 <I> Contre cela est <ceci> : parce que cette doctrine est dite morale seulement

parce qu'elle considère le bien en tant qu'il est moral, donc <cette doctrine> ne <considère>

pas le bien qui est bien par nature, mais ou ce qui est <bien> dans le genre, ou <ce qui est>

bien à partir de la circonstance.

§ 49 <II> De même, la science morale est dite être relative à ces <choses> qui sont

par notre œuvre, mais le bien, en tant qu'il est bien par nature, ne dit rien qui soit par notre

œuvre, donc <la science morale> n'est pas relative au bien qui est bien par nature.

§ 50 <III> De même, puisque <la science> morale est relative à ces <choses> qui sont

par notre œuvre, or la félicité n'est pas par notre œuvre mais par la Providence divine -

comme il le prouve après - , de quelle manière <la science morale> est relative à la félicité ?

<SOLUTION>

§51 <1*> <2*> <I*> Pour l'évidence de ces <arguments> il faut savoir que la

philosophie60 morale considère le bien qui est par nature un bien, comme la félicité et la vertu,

mais non en tant qu'elles sont un bien par nature mais à partir de l'habitude ; en effet,

autrement elle ne serait pas dite morale, d'où, tout comme il <a été> dit que le logicien

considère la chose de la nature non de manière naturelle, ainsi il faut dire que le <phiIosophe>

moral considère ce qui est un bien par nature non de manière naturelle mais morale. Or,

l'identité ou la diversité de la chose ne pose pas l'identité ou la diversité dans la science, mais

le mode de considérer ou d'interpréter61 différent concernant la notion62 <pose l'identité ou la

diversité dans la science>. <II*> Et si on objectait que le bien par nature n'est pas par notre

œuvre, il faut répondre qu'il est vrai en tant qu'il est le bien par nature, cependant en tant que

l'acte de l'habituation s'applique sur lui-même, il est par notre œuvre. <III*> À ce que l'on

objecte que la félicité n'est pas par notre œuvre et qu'ainsi le <philosophe> moral ne pourrait

pas considérer la félicité, il faut répondre que même si selon sa substance <la félicité> n'est

pas causée par notre œuvre, cependant selon son acte ou son union à nous, <la félicité> est

causée par notre œuvre.

L'auteur considère que 'science morale' et 'philosophie morale' sont des synonymes. = accipiendi = circa rationem

326

<QUESTION 3>

§ 52 Troisièmement, on demande <a> si le philosophe moral peut traiter de la félicité

comme de son sujet dans quelque partie de la philosophie morale ; et après <on demande>

<b> s'il a à traiter de la félicité et de la vertu dans le même livre partiel ou si dans divers

livres partiels.

<3a>

§ 53 <1> Sur le premier <article on argumente> ainsi : puisque la félicité est la fin de

toute la doctrine morale, elle ne peut être le sujet ni dans la même <doctrine morale>, ni dans

quelque partie d'elle. En effet, le sujet est la matière, or la fin et la matière ne coïncident

pas63.

§ 54 <2> De même, Avicenne pose une différence entre la matière et le sujet, voulant

que la matière nomme seulement l'étant en puissance, tandis que le sujet nomme l'étant

complet à partir de la matière et de la forme. Donc, puisque la félicité est seulement une forme

et n'est pas un étant composé de matière et de forme, <elle> ne sera pas le sujet.

§ 55 <3> De même, est unique une science qui est d'un seul genre de sujet considérant

leur parties et passions, donc le sujet d'une science doit avoir parties et passions. Donc,

puisque la félicité est quelque chose de simple et qu'elle n'a pas de parties, elle ne sera pas le

sujet de cette science.

§ 56 <I> Le contraire de cela apparaît au début du premier livre où il dit que traiter de

la félicité est <le propre> de la doctrine civile et comme à la fin du premier livre <il traite> de

la vertu à cause de la félicité, <I*> nous concédons aussi cela.

<SOLUTION>

§ 57 <1*> Au premier <argument> objecté, il faut répondre que dans la même science

<et> interprétés sous le même rapport64, le sujet et la fin ne sont pas les mêmes, mais il est

possible <qu'ils soient les mêmes> dans la même <science>, interprétés sous un autre

rapport65. Par exemple, il est <nécessaire de> parler de la science morale en tant qu'elle est

= concidunt = sub eadem ratione = sub alia ratione

327

spéculative et ainsi son sujet est la félicité, ou en tant qu'elle est opérante et ainsi <la

félicité> est une fin. Ou bien autrement, la félicité et l'obtention67 ou acte de la félicité

diffèrent ; donc la félicité selon la substance est le sujet, mais l'obtention de la félicité, ou la

félicité selon son acte, du moment qu'il doit rester68 en nous, est la fin.

§ 58 <2*> À l'autre il faut dire qu'Avicenne parle sur le sujet non de la science mais

de la forme accidentelle qui n'est dans le sujet que par une opération préexistante ou par la

nature, forme substantielle.

§ 59 <3*> À l'autre il faut répondre que même si la félicité n'a pas de parties en tant

qu'elle s'intègre activement à partir d'elles, elle a cependant des parties en tant qu'elle est

obtenue69 à partir d'elles, je ne dis pas <qu'elle est obtenue> effectivement, mais comme

disposant matériellement et - nous pouvons dire que ces parties <sont> des opérations ou des

vertus à partir desquelles elle résulte70 - comme la connaissance et la dilection par lesquelles

nous nous mouvons vers la <félicité>.

<3b>

§ 60 <1> Du deuxième <article on argumente> ainsi : puisque similairement se

rapportent le savoir à la démonstration et la félicité à la vertu, tout comme on traite dans le

même livre de la démonstration et du savoir, ainsi dans le même livre spécial <on traite> de la

félicité et de la vertu.

§ 61 <2> De même, tout comme la vertu est la fin des opérations, ainsi la félicité <est

la fin> des vertus, mais dans le même livre partiel on traite des vertus et des opérations à

partir desquelles elles résultent71, c'est pourquoi similairement aussi dans le même livre

partiel il faudra traiter de la félicité et des vertus.

<SOLUTION>

§ 62 <1*> <2*> À ceux-là il pourrait être dit que dans le même livre on traite de la

félicité et de la vertu comme il est patent à la fin du premier livre, d'où nous pourrions

concéder les raisons. Cependant si nous voulions dire autrement, nous pouvons répondre que

66 = spéculons 67 _

= assecutw = derelinquere = elicitur

70 = derelinquitur § 28, 57, 59, 61 71 = derelinquitur

328

n'est pas similaire <la relation> du savoir à la démonstration et de la félicité à la vertu. En

effet, le savoir n'a pas l'être d'un autre que de la démonstration d'une certaine manière, mais

la félicité a l'être d'un autre que de la vertu, d'où la vertu n'est que comme une disposition

vers l'optimal, mais la démonstration est cause et raison pour le savoir même et c'est

pourquoi ce n'est pas similaire.

§ 63 Similairement il faut dire selon le Philosophe que les opérations <achevées> sous

de dues dispositions et conditions sont toute la cause de la vertu - ce que peut-être ne dirait

pas le théologien -, mais la vertu n'est pas toute la cause de la félicité et c'est pourquoi ce

n'est pas similaire.

<QUESTION 4>

§ 64 <1> Autour du quatrième <point en questions», on demande ainsi : si une cause

est antérieure à une <autre> cause aussi l'effet <de la première> est antérieur à l'effet <de

l'autre>. Or, la cause de la félicité est le premier agent - comme il le prouve après -, tandis

que la cause de la vertu est l'homme ou l'opération de l'homme, donc la félicité sera

<purement et> simplement antérieure à la vertu.

§ 65 <2> De même, puisque la félicité est le terme de la création, tandis que la vertu

<est le terme> de l'opération humaine, et <que> le terme de la mutation ou du mouvement de

l'antérieur est antérieur, <alors> la félicité sera antérieure à la vertu.

§ 66 <3> De même, puisque la morale entend <traiter> principalement de la fin, <et

que> ce qui retient davantage la condition de fin est premier dans la considération de la

morale, donc, puisque la félicité possède la notion de fin plus que la vertu, <elle> sera

première dans la morale.

§ 67 <I> Au contraire72 : la félicité est la récompense de la vertu, donc la vertu est

comme le mérite, la félicité comme le prix, mais, matériellement parlant, le mérite devance le

prix, donc aussi la vertu <devance> la félicité.

§ 68 <H> De même, la vertu est posée dans la définition de la félicité, quand on dit

« la félicité est l'acte selon la vertu parfaite ». Et selon Boèce quand il dit : « la félicité est

l'acte parfait par l'agrégation de toutes les vertus », parce que, de même que les <éléments>

qui définissent sont antérieurs au défini, aussi la vertu <est antérieure> à la félicité.

= contra

329

§ 69 <III> De même, dans le même, l'incomplet devance le complet, donc, puisque la

félicité pose la complétude dans le terme, <et> la vertu non, dans le même, la vertu est avant

la félicité.

<RÉPONSE>

§ 70 <1*> <2*> <3*> À cela il faut répondre qu'il traite de la félicité avant <de

traiter> de la vertu.

<SOLUTION>

§ 71 <I*> À ce qui a été objecté il faut répondre que la priorité est double, à savoir par

le temps et l'origine, de cette manière le mérite devance le prix, et il y a la priorité par la

substance et par la définition, de cette manière il est possible, voire73 il convient que le prix

devance, ou autrement il y a un certain mérite qui est toute la cause du prix, et devance celui-

ci. Mais la vertu n'est pas un mérite qui soit toute la cause de la félicité et il ne faut pas

qu'elle précède à cause de cela.

§ 72 <II*> À l'autre il faut dire que ce qui est posé dans la définition, comme le genre

ou la différence, est toujours antérieur, mais s'il est posé comme le terme finissant en rapport

ou en dépendance de quelque chose qui est dans la définition comme le genre ou la différence,

il ne faut pas qu'une telle <chose> soit antérieure quoiqu'elle soit posée dans la définition. Ou

bien il faut dire qu'il est <nécessaire de> parler de la félicité selon son essence et ainsi elle n'a

pas à être définie par la vertu, ou <parler> selon l'être qu'elle a dans le sujet qu'elle

perfectionne, et parce que <la félicité> ne réside que par la vertu antécédente, de cette

manière la vertu devance la félicité, cependant non <purement et> simplement.

§ 73 <III*> Au dernier il faut répondre que sans doute dans le même la vertu est avant

la félicité, cependant la vertu n'est pas antérieure à la félicité selon l'essence, ou dis74 que la

priorité par laquelle l'incomplet devance le complet est une priorité quant à l'origine et celle-

ci est accidentelle, mais dans la priorité par la substance ou par la définition qui est la priorité

essentielle, le complet devance et c'est pourquoi la félicité est essentiellement antérieure.

= immo

330

<QUESTION 5>

§ 74 <1> Autour du cinquième <point en question>, on demande ainsi : l'opération

suit l'appétit, donc si l'homme ne se trompe pas en ce qu'il convoite, parce qu'il convoite

toujours le bien, donc <il ne se trompera pas> non plus en ce qu'il opère.

§ 75 <2> De même, l'opération de l'homme selon laquelle il a à mériter ou à

démériter est toujours par la raison. Mais comme on trouve dans le livre Sur l'âme : « la

raison est toujours droite, l'imagination75 <est> parfois droite, parfois non droite », c'est

pourquoi par la raison, puisqu'elle est toujours droite, jamais l'opération ne se présente76 si ce

n'est que droite, c'est pourquoi <elle est> bonne.

§ 76 <3> De même, puisque le sens des objets propres est toujours droit, or la vertu

intellective pose <son objet propre> davantage que la sensitive, or la vertu intellective motrice

à l'égard de son objet propre doit être beaucoup plus droite, or son objet propre est le bien,

donc elle ne pourrait pas se tromper à l'égard du bien. Or, si on disait que la vertu intellective,

quand elle opère par soi et non par le mouvement de la sensitive, est toujours droite, mais

puisqu'<elle> opère en nous parfois mue et commandée par la sensitive, parfois par son

mouvement propre et non commandée par autrui, et c'est pourquoi <elle est> parfois droite,

parfois non. Cela ne semble pas être vrai parce que selon cela dans l'Intelligence séparée où

l'intellect n'est pas conjoint avec l'imagination, l'erreur ne serait pas survenue77.

§ 77 <4> De même, il semble que la raison n'opère jamais au moyen du mouvement

de la sensitive mais toujours l'inverse. En effet, la substance est double : corporelle et

incorporelle ; la corporelle <est> double : corruptible comme l'homme, incorruptible comme

le soleil ; similairement l'incorporelle est double : corruptible comme la partie sensitive,

incorruptible comme l'intellective. À partir de cela j'argumente ainsi : tout comme la

substance corporelle corruptible se relie à la substance corporelle incorruptible, ainsi

l'incorporelle corruptible <se relie> à l'incorporelle incorruptible. Donc puisque la substance

corporelle incorruptible n'opère pas au moyen du mouvement de la substance corporelle

corruptible mais plutôt l'inverse, similairement la substance incorporelle incorruptible jamais

n'opérera au moyen du mouvement de l'incorporelle corruptible mais toujours l'inverse ;

donc l'intellective n'opère pas au moyen du mouvement ou du commandement de la

sensitive, mais plutôt l'inverse, c'est pourquoi jamais 1 '<intellective> ne reçoit la non-

rectitude de la <sensitive>.

=fantasia = exibit = accessisset

331

§ 78 <5> De même, la vertu motrice est double : sensitive et intellective ; la sensitive

<est> double : universelle et particulière ; universelle comme la concupiscible <et>

l'irascible ; particulière comme les <vertus> particulières motrices situées dans les nerfs et les

muscles. À partir de cela on argumente ainsi : l'intellective motrice surpasse l'universelle

sensitive motrice plus que l'universelle sensitive motrice <ne surpasse> la particulière

sensitive motrice. Donc, si la motrice sensitive universelle n'opère pas au moyen du

mouvement de la sensitive particulière, mais plutôt l'inverse, <alors> l'intellective motrice

n'opérera pas selon le mouvement de la sensitive motrice universelle, mais plutôt l'inverse.

§ 79 <6> De même, il dit après : « Il est <propre> au bon corroyeur de faire à partir

des cuirs donnés un soulier optimal », et on comprend faire un soulier optimal selon la

possibilité des cuirs donnés, et le même peut se comprendre de n'importe quel autre artisan. À

partir de cela peut être interprétée78 cette proposition générale : il est <propre> à n'importe

quel bon artisan de faire une œuvre optimale selon la possibilité de la matière, donc si le

Premier est un bon artisan, il est <propre> à Lui de faire une bonne âme selon ce que la nature

de l'âme peut recevoir, donc si la nature de l'âme ne résiste pas <au fait> qu'elle puisse être

parfaite dans les sciences et les vertus, donc II la causera parfaite dans les sciences et les

vertus.

§ 80 <7> De même, au même, la puissance, la volonté et l'opération ne diffèrent pas

dans le Premier, donc, puisqu'il peut causer une âme parfaite dans les sciences et dans les

vertus, il <le> veut et il <le> fait.

§ 81 <I> Au contraire, dans le deuxième <livre> de la Physique et dans le deuxième

de Y Interprétation, il est dit que les puissances rationnelles sont <puissances> des opposés,

tandis que les <puissances> irrationnelles <sont> seulement <puissances> d'un, donc, puisque

la volonté ou l'intellective motrice est une vertu rationnelle, <elle> sera des contraires, c'est

pourquoi <elle> n'<est> pas seulement <volonté> du bien, mais communément du bien et du

mal.

§ 82 <II> De même, dans le deuxième <livre du traité> De l'âme : « Une seule vertu

est d'une seule contrariété », donc si le bien et le mal sont des contraires, <ils> sont d'une

seule vertu, donc la vertu intellective non seulement sera du bien mais aussi du mal.

§ 83 <III> De même, toute substance composée à partir de contraires est mue

naturellement vers des contraires, mais puisque l'homme est composé à partir de la substance

corporelle et incorporelle, ou à partir de la substance corruptible et incorruptible, c'est

= potest accïpi

332

constaté qu'il est composé à partir de contraires, donc il sera mû non seulement vers le bien,

mais indifféremment vers le bien et vers le mal.

§ 84 <IV> De même, dans le premier <livre> de la Physique : « La privation toujours

machine vers le contraire ou vers le mal », donc, puisque l'âme intellective est à partir du

néant et ainsi elle a une privation ou un principe, en raison de son principe elle est mue vers le

mal et non seulement vers le bien.

<RÉPONSE>

§ 85 À l'évidence de ceux-là il faut noter que l'appétit dans l'homme est double : le

naturel et le délibératif ou électif; le naturel est seulement de l'un et vers l'un ; le délibératif,

même s'il est par soi vers le bien, cependant il peut être du bien et du mal : du bien quand il

choisit droitement, du mal quand il se trompe en choisissant ; la cause de cette erreur peut être

la bonté apparente dans la chose en dehors, ou le sens se délectant avec la chose en dehors à

cause d'une certaine complaisance incitant79 l'intellect, comme souvent il arrive relativement

à un mauvais associé incitant un autre à des <choses> illicites, ou à cause de l'impuissance de

l'intellect ne voulant pas discerner la prééminence de quelques choses ou conférant ce qui est

présent à ce qui à partir de lui est futur. La première cause d'erreur est commune à toute

créature rationnelle aussi la troisième, tandis que la deuxième <est> la <cause> propre de

l'homme. Donc nous concédons qu'il arrive à l'homme de se tromper et de s'écarter du bien

et à cause de cela lui est nécessaire cette science, par laquelle l'homme en opérant est ramené

vers le bien.

<SOLUTION>

§ 86 <1*> Au premier il faut dire que l'appétit est double : le naturel, et celui-ci est du

bien seulement et vers le bien, et le délibératif ou électif, et celui-ci est vers le bien seul,

cependant il est indifféremment du bien et du mal. Et l'opération, selon laquelle la vertu ou le

vice sont visés, suit l'appétit dit de la dernière manière, et c'est pourquoi <l'opération> peut

être droite et non droite, ou du bien et du mal, comme aussi cet appétit-là.

§ 87 <2*> À l'autre il faut répondre qu'il est <nécessaire de> parler de l'intellect selon

la partie supérieure ou selon la partie inférieure, et pour l'inférieure il peut être droit et non

= excitons

333

droit comme aussi l'imagination, pour la supérieure je dis qu'il est toujours droit, à moins que

l'on appelle non-rectitude en cela que la partie inférieure n'obéit pas toujours.

§ 88 <3*> À l'autre il faut répondre que tout comme la volonté peut être considérée en

tant qu'elle est une certaine nature ou en tant qu'elle est volonté, ainsi la vertu intellectivc

peut être considérée en tant qu'elle est une certaine nature ou en tant qu'elle est délibérante et

ratiocinante. De la première manière elle est toujours droite et également ou plus que le sens ;

de la deuxième manière elle peut se tromper et dans cette discussion et délibération, s'il

arrivait que le sens la faisait <se tromper>, il arriverait qu'elle soit trompée comme aussi

l'intellect, voire plus et dis80 comme la raison le montre. Et comme il a été prédit en résolvant

que la cause totale de l'erreur dans l'homme n'est pas le sens excitant l'intellect vers le

délectable ou vers le bien circonstanciel81, au contraire comme il a été vu, même si l'homme

n'avait pas le sens encore il lui arriverait de se tromper.

§ 89 <4*> À l'autre il faut dire que n'est pas similaire le rapport de la substance

corporelle incorruptible à la <substance> corporelle corruptible et <le rapport de la

substance> incorporelle incorruptible à l'incorporelle corruptible, parce qu'en effet la

corporelle incorruptible et la corporelle corruptible ne sont pas dans un ni d'un, c'est pourquoi

elles ne se meuvent pas réciproquement. Mais celle qui est antérieure et plus noble par nature

toujours domine et meut, mais la substance incorporelle incorruptible et incorporelle

corruptible sont d'un et dans un, et c'est pourquoi elles peuvent interagir82 mutuellement. En

outre, le contraire est dans celles-ci et dans celles-là, parce que la nature corporelle

incorruptible est antérieure à la corporelle corruptible, mais l'incorporelle incorruptible n'est

pas antérieure à la nature incorporelle corruptible, mais plutôt l'inverse.

§ 90 <5*> À l'autre il faut dire que les vertus motrices meuvent mues par les objets, et

parce que l'objet de la sensitive motrice universelle et de la particulière est le même, et <que>

cet objet-là vient premièrement vers la même vertu universelle <plutôt> que vers la

particulière, à partir de cela il arrive83 que la vertu sensitive particulière motrice ne meut que

mue par l'universelle. Mais dans les objets la vertu motrice intellective et l'universelle

sensitive ont une différence, et à cause de cela, parce qu'elles ont des objets presque

contraires, l'une ne peut pas être mue au mouvement de l'autre. En outre, selon ceux qui

posent que la sensitive et l'intellective sont des substances diverses dans l'homme, <cela> ne

81 _ . = ut nunc

82 _ . - m se agere - accidit

334

serait pas similaire, parce que la sensitive motrice universelle et la particulière sont d'une

seule substance, mais Pintellective motrice et l'universelle sensitive non.

§ 91 <6*> À l'autre il faut dire que la volonté des choses est double : <l'une>

naturelle ou en soi, et <l'autre> par rapport à la fin vers laquelle <les choses> sont ; et parce

que le Premier est un agent par volonté et <que> l'agent par volonté agit de préférence à

cause de la fin, c'est pourquoi dans la production des choses II vise la noblesse de la chose

non naturellement en soi, mais dans la mesure où <la chose> se réfère à la fin. Or, la fin à

cause de laquelle II a créé l'homme est pour qu'il participe de la béatitude, parce que pour sa

part l'homme pouvant pécher et ne péchant pas mais opérant bien mérite plus la béatitude que

s'il ne pouvait pas <pécher>, c'est pourquoi il a été plus noble pour l'homme qu'il soit créé

ainsi que ne pouvant pas dévier.

§ 92 <7*> Au dernier il faut répondre que l'opération du Premier est double : l'une

extérieure ou à l'égard des choses en dehors, l'autre intérieure qui ne cherche rien en dehors

de Lui ; et une telle opération et la puissance du Premier diffèrent, non pour que cette

différence soit posée de la part du Premier, ou dans la substance de la puissance et de

l'opération -puisque celles-ci sont la même <chose> que le Premier-, mais pour que la

diversité soit visée à cause de l'égard des choses en dehors84.

<QUESTION 6>

§ 93 <1> Autour du sixième <point en question>, on demande ainsi : le mal a une

cause en dehors du mouvant et il a une cause en dedans du mouvant, opérant ou exécutant, et

on demande premièrement relativement à la cause en dehors parce que ce délectable en

dehors <du mouvant> ou bien il est bon, ou bien il paraît bon. S'il <est> bon donc il n'est pas

la cause de son contraire, mais s'il paraît bon, cette apparence ne détourne pas de lui la nature,

donc <il ne détourne> non plus le bien, et ainsi comme avant celui qui paraît bon ne sera pas

la cause du mal.

§ 94 <2> De même, relativement à la cause opérant dedans, je demande qu'est-ce

qu'elle est, si <elle est> un sens ou un intellect. <Elle> n'<est> pas sens, parce que les

opérations sensitives sont communes à nous et aux bêtes, et c'est pourquoi tout comme les

bêtes ne méritent pas, ainsi nous non plus selon elles85, mais <selon> l'intellect.

= propter respectum ad res extra À savoir, les opérations sensitives.

335

§ 95 <I> Au contraire : l'intellect ne meut pas sauf mû par une fin, or, la fin et le bien

<sont> le même, donc <Pintellect> n'opère qu'en référant l'opération à la fin ou au bien.

Mais le mal, puisqu'il prive de bien, il n'est pas référé à la fin ou au bien, donc l'intellect ne

sera pas la cause du mal.

<RÉPONSE>

§ 96 À l'évidence de ceux-là je dis que la cause du mal est double : dehors et dedans ;

dehors, <la cause du mal est> le mouvant délectable ; dedans, <la cause du mal est> double :

<l'une> suggérant et incitant86 comme le sens, <Pautre> opérant ou exécutant comme la

volonté. Mais parler de la volonté c'est87 doublement : soit en tant qu'elle est une nature et

ainsi elle est du bien seulement et vers le bien ; soit en tant que volonté et alors elle peut être

considérée triplement : ou par rapport au principe duquel <elle procède>, ou par relation à la

fin vers laquelle <elle tend> - et aucun de ces modes n'est déficient-, ou par rapport à ce à

partir de quoi <elle est>, et parce qu'<elle est> à partir du néant, quant à cela elle peut faire

défaut et être la cause du mal, à savoir par défaut.

§ 97 <1*> Ainsi, à ce que l'on demande si le délectable en dehors peut être la cause

<du mal>, je dis que oui comme mouvant, et cela n'est pas inconvenant : que le bien soit la

cause mouvant ou souvent l'occasion vers le mal. Mais il ne s'ensuit pas à cause de cela que

le mal soit causé par le bien, mais à partir de l'opérant mal disposé88 qui est mû par ce bien ou

délectable extérieur. D'où ce délectable extérieur meut la vertu ou la puissance et cette

puissance mue n'ordonne pas celui-là vers la fin en vue de laquelle il est, mais pervertit et à

partir de cette perversion survient l'abus dans l'œuvre et ainsi <survient> le mal. Et je ne dis

pas que le bien apparent meuve la puissance si ce n'est qu'en raison du bien, mais ce bien qui

ainsi meut, la puissance le pose parfois là ou en ce qu'il n'est pas.

§ 98 <2*> À l'autre il faut répondre que sans doute, le sens peut être la cause en

dedans, non comme opérant ou exécutant, mais comme suggérant et incitant. Autrement et

mieux, il peut être dit que le sens meut parfois l'intellect, tandis que parfois il opère un

mouvement dans l'intellect. Par exemple, parfois quand le goutable est reçu dans le sens, le

goût incite la raison à se délecter ou à travailler afin d'acquérir un goutable entièrement

semblable, et ainsi le sens est la cause comme excitant seulement ; tandis que parfois la raison

= incitons = est loqui = maie ordinato

336

délibérant relativement au temps ou au lieu ou aux différences du goûtable domine le goût

pour qu'il goûte, et alors dans cet acte extérieur est consommé le vice ou la vertu, selon ce

que dit l'auteur que savoir, vouloir et opérer fermement sont requis pour la vertu. Donc, je dis

que cette opération selon le sens, dite de cette dernière manière, est propre à l'homme, et non

<dite> de la première manière, et de cette manière le sens peut être la cause opérant dedans

vers le mal, cependant même si cette opération extérieure selon le sens ne procédait jamais

dans l'intellect consentant pleinement, la vertu ou le vice s'ensuit dans l'acte. Et si on

objectait que l'intellect, puisqu'il est une nature, ne meut que vers le bien, parce que toute

nature <est> bonne, il faut répondre que de la partie par laquelle <Pintellect> est ex nihilo il

ne dit pas une nature mais un défaut, et à cause de cela, en raison de cette privation, autant

l'âme que l'Intelligence ont la possibilité pour le mal.

< L E Ç O N 2 1 >

Alors, cette <vertu> commune etc.

<DlVISION DU TEXTE>

§ 1 Celle-ci est la quatrième partie de cette quatrième partie, dans laquelle il expose

selon quelle partie ou puissance de l'âme la vertu réside ou ne réside pas dans l'homme ; et

ainsi se termine la quatrième partie principale de cette partie qui commençait là, or, si le

bonheur est un acte, et dure jusqu'à la fin de ce livre. Et suit la cinquième, dans laquelle il

divise et subdivise la vertu. Et selon cela, il y a deux parties dans la présente leçon, dans la

première desquelles il expose selon quelle partie de l'âme la vertu réside ou ne réside pas dans

l'homme. Deuxièmement, il divise et subdivise la vertu relativement à l'autre différence, à

savoir relativement à la <vertu> coutumière', <et> on l'examine conséquemment dans le livre

suivant, or, de celle-ci.

§ 2 La première partie se divise parce que premièrement il expose selon laquelle

<puissance> <la vertu> ne réside pas, parce que ni elle n'est selon la <partie> irrationnelle

qu'est la végétative, ni <n'est> selon la <partie> irrationnelle qu'est la sensitive.

Deuxièmement, il expose selon laquelle <la vertu réside>, en tant qu'<elle réside> selon la

rationnelle, or, s'il faut. La première partie a deux parties, parce que premièrement il expose

que <la vertu> ne réside pas selon la <partie> irrationnelle qu'est la végétative, d'une

deuxième manière, qu'elle <ne réside non plus> selon l'irrationnelle sensitive, or, il semble.

La première contient quatre parties. Dans la première, il donne une seule raison2 pour exposer

que la vertu ne réside pas selon la <partie> irrationnelle végétative, qui est prise3 par rapport à

la substance. Deuxièmement, il donne une autre <raison pour exposer que la vertu ne réside

pas selon la partie irrationnelle végétative>, qui est prise4 par rapport à l'œuvre, on estime.

Troisièmement, il dit quelque chose pour la preuve et la déclaration de la raison prédite, d'où

ils invesdguent. Quatrièmement, il dit qu'il faut passer sous silence ici <ce qui concerne> la

<partie> nutritive, et le nutritif.

= consuetudinali 2 = rationem 3 = sumitur 4 = sumitur

338

§ 3 Cette partie, dans laquelle il expose que <la vertu> ne réside pas <dans l'homme>

selon l'irrationnelle sensible, se divise parce qu'en effet avec la division il n'avait pas posé

explicitement la sensible. C'est pourquoi il peut être dit qu'une certaine nature de l'âme

irrationnelle semble être autre que la végétale et celle-ci est la sensible. Deuxièmement, il dit

que bien qu'elle soit irrationnelle en soi, cependant elle participe d'une certaine manière de la

raison en lui obéissant, participant. Troisièmement, pour que quelqu'un ne croit pas qu'elle

obéit toujours et qu'elle ne s'oppose en rien à la raison, il expose que c'est le contraire et il

<le> montre par le similaire dans les parties du corps, or, il semble. Quatrièmement, parce que

cela paraît manifestement dans le corps <et non manifestement dans l'âme, il ne dit pas que

cela ne semble pas dans l'âme comme dans le corps, néanmoins il faut comprendre là qu'il est

similaire, mais dans les corps. Cinquièmement, il dit que quoiqu'une telle puissance soit

irrationnelle, elle participe pourtant de la raison en obéissant à la raison, or, de la raison.

Sixièmement, il conclut, comme en récapitulant, que l'irrationnelle <est> doublement : d'une

manière des plantes ou des végétatives qui d'aucune manière ne se communique avec ou

participe de la raison ; d'une autre manière du concupiscible ou de l'irascible, à savoir de la

sensible qui participe de la raison en lui obéissant et, comme il y est patent, il prouve que <Ia

sensible> a la <raison> par obéissance.

§ 4 Cette partie, dans laquelle il expose selon quelle <partie de Pâme> réside <la

vertu>, se divise parce que premièrement il résume en disant que la sensible peut être dite

rationnelle à partir de cela, parce qu'elle est obéissante5 à la raison, la rationnelle peut être

dite doublement. Deuxièmement, il dit qu'on traite de la vertu selon cette différence, on traite

et le celle-ci peut démontrer la rationnelle communément des deux manières dites ou

seulement d'une manière, à savoir ce qui a la raison en soi-même, comme on dira ensuite. Suit

la deuxième partie principale, dans laquelle il divise et subdivise la vertu et premièrement il

donne la division de la vertu en général6 par intellectuelle et coutumière. Deuxièmement, il

donne la subdivision de la <vertu> intellectuelle, sagesse ; troisièmement, <il donne la

subdivision> de la <vertu> morale, liberté ; quatrièmement, il expose que les différences

désignées « morales » ne sont pas des différences de l'intellectuelle, ni l'inverse, ceux qui

disent. Cinquièmement, il dit que la sagesse, qui est une différence de la vertu intellectuelle,

est louable, louons. Sixièmement, il dit que généralement l'habitus louable de l'âme est une

vertu, et que la vertu intellectuelle ne doit pas être ajoutée. D'où, aucune des autres

traductions n'a cela, des habitus.

= est obediens = generaliter

339

<SENTENCE>

§ 5 Sur la première partie il procède ainsi : en disant alors, cette <vertu> commune il

se propose de donner une telle notion7. La vertu ou puissance végétative est commune à nous

et aux bêtes et aux plantes, donc ce qui est destiné à résider selon elle <est> commun et à nous

et aux bêtes et aux plantes, donc la vertu ne réside pas8 dans l'homme selon la <puissance>

végétative. Ensuite, il donne une deuxième notion qui est telle9 : la <puissance> végétative

doit opérer maximalement pendant le sommeil, mais la vertu ne s'acquiert pas par les

opérations qui sont faites pendant le sommeil, donc <la vertu> n'a pas à résider selon la

végétative. Et c'est pourquoi il subdivise à cause de cela par la moitié, le temps de la vie, à

savoir dans le sommeil les bons et les mauvais ne diffèrent pas sauf parce que dans le

sommeil aux bons apparaissent des meilleures visions qu'aux mauvais. Et, cela dit, il dit qu'il

faut passer sous silence le nutritif. Ensuite, il poursuit sur la sensitive10, en disant qu'il y a

quelque autre partie irrationnelle, à savoir la sensitive, et pourtant elle participe de la raison en

quelque chose, selon qu'elle est obéissante" à la raison. Ensuite, il dit que bien que

quelquefois elle obéisse à la raison, pourtant elle a quelque chose d'inné par lequel elle obéit

et s'oppose à la raison ; comme il arrive dans le corps, qui tente parfois de se mouvoir vers la

droite et finit12 par <se mouvoir> vers la gauche, il dit pourtant que cela apparaît davantage

dans les corps. Mais néanmoins, comme elle est dans l'âme - et comprends13 cela : quand elle

n'obéit pas à la raison -, même14 quand <la sensitive> n'obéit pas, en rien elle ne contredit la

<raison>, mais elle fait tout selon sa propre souveraineté. Ensuite, comme en récapitulant, il

dit que l'irrationnelle est doublement : d'une manière, à savoir la végétale, qui ne participe

nullement de la raison, et, <d'une autre manière>, la sensible qui d'une certaine manière

participe, à savoir en lui obéissant. Ensuite, l'auteur, voulant cette essence selon laquelle <la

vertu> réside, dit que si le temps <de la vie> est ainsi, alors une partie de l'âme peut être dite

rationnelle doublement : d'une manière ce qui a en soi la raison comme <c'> est <le cas de>

la rationnelle, d'une autre manière ce qui a la raison en obéissant, comme la sensible. Ensuite,

il dit que la vertu est traitée selon cette différence. Cela dit, il poursuit avec la deuxième partie

= rationem 8 = habet inesse 9 = talis

= sensitiua = est obediens

12 = decidit 13 = intelliges " = et

340

principale en disant qu'une certaine vertu est intellectuelle et une autre coutumière ; et il dit

que les parties de l'intellectuelle sont l'intelligence, la sagesse et \afronesis. Mais les parties

de la <vertu> morale sont la liberté ou libéralité et l'honnêteté. Ensuite, il dit que les parties

de la morale sont comme la sagesse ou l'intelligence <pour la vertu intellectuelle^ mais

<elles s'appellent> humilité ou honnêteté. Ensuite, il dit qu'il faut louer le sage à cause de la

vertu intellectuelle et généralement tout habitus de l'âme qui est louable est une vertu, mais

<ou> intellectuelle ou morale. Ainsi se termine la sentence.

<EXPOSITION LITTÉRALE>

§ 6 La lettre est ainsi exposée. Ainsi nous divisions l'âme par irrationnelle et

rationnelle ; l'irrationnelle par végétale et sensible ; et cela pour que nous recherchions selon

quelle différence la vertu réside dans l'homme - o u devrait-on dire le bien humain ? Alors

cette vertu n'<est> pas un habitus mais une puissance, à savoir la végétative, est commune,

c'est-à-dire <qu'> elle réside dans l'homme et dans le non-homme, et non humaine, c'est-à-

dire <qu'> elle n'est pas propre à l'homme, <parce que> ce qui était destiné à résider selon

elle, était commun et non propre. Mais la vertu est un bien propre à l'homme et c'est pourquoi

la <vertu> n'a pas à résider selon la <végétative>.

§7 Ensuite, il donne une deuxième notion15 et il dit: je dis bien que selon la

végétative la vertu ne réside pas dans l'homme ni <n'est> le moyen, or, c'est-à-dire parce que

cette particule, c'est-à-dire la vertu, à savoir la végétative, on estime qu'elle opère

maximalement selon le sommeil ou dans le sommeil et c'est parce que le sommeil est le repos

des autres vertus, avec l'intention16 des <choses> naturelles, et c'est pourquoi si selon la

végétative la vertu résidait maximalement, on l'acquerrait en nous dans le sommeil, mais il

n'en est pas ainsi. D'où il ajoute : il est manifeste que le bien et le mal minimalement, c'est-à-

dire quelqu'un ne devient pas <bon ou mauvais> selon le sommeil, c'est-à-dire selon les

opérations qu'il exerce dans le sommeil et pour l'exposition de cela il soumet17 : d'où, c'est-à-

dire parce que quelqu'un ne devient pas bon ou mauvais selon le sommeil, disent-ils que les

hommes heureux, c'est-à-dire les bons ne diffèrent pas des malheureux , c'est-à-dire des

mauvais, la moitié du temps de la vie, c'est-à-dire dans le sommeil - et comprends19 ce qui est

= rationem = intentione

17 = subdit 18

= misens 1 = intellige

341

dit non pour l'habitus, mais pour les opérations. Et il dit qu';7 arrive de dire cela on dirait,

c'est-à-dire, cela qu'il a dit convient parce que dans le sommeil se trouve le repos de l'âme,

c'est-à-dire dans le sommeil se repose l'âme qui proprement doit être dite bonne et mauvaise,

c'est-à-dire l'intellective ou la rationnelle. Mais parce qu'il avait dit que dans le sommeil les

heureux ne diffèrent en rien des malheureux, c'est pourquoi il soutient en disant ils en rienje

dis ne diffèrent sauf parce que quelques mouvements, c'est-à-dire actions, dans le sommeil

traversent ainsi, c'est-à-dire de quelque autre manière dans les bons que dans les mauvais,

d'où il ajoute, et ainsi, c'est-à-dire dans l'apparition qui arrive dans le sommeil, les images2^

sont meilleures, c'est-à-dire les apparitions des justes <sont meilleures> que <celles> de

n'importe quels autres, c'est-à-dire que des mauvais, selon cela: «or, les mauvais» dans

plusieurs <versions>. D'où aucune des deux autres traductions n'a pas « que les mauvais » et

cela se produit peut-être parce que l'<aspect> mental22 ou l'âme des mauvais, pendant23

qu'elle était éveillée, tentait davantage <de faire> des <choses> illicites et c'est donc pourquoi

dans le sommeil ils se représentent davantage d'images de ces <illicites>-là.

§ 8 Ensuite, il dit que relativement à ces <choses> on a dit suffisamment, comme s'il

disait qu'autour de cela il ne faut pas s'attarder davantage, au contraire, le nutritif, c'est-à-dire

la partie végétale doit être passée sous silence, sous-entends <que c'est> selon la spéculation

de la présente doctrine. Et il ajoute la cause parce qu'il est ex pars, c'est-à-dire sans la

partie24, de la vertu humaine, c'est-à-dire qui est propre à l'homme.

§ 9 Ensuite, l'auteur dit que quelque autre nature, c'est-à-dire la différence de l'âme

irrationnelle, à savoir la partie sensible, semble être, comme s'il disait la partie irrationnelle

non seulement est la végétale mais aussi la sensible. Mais parce qu'il l'avait nommée

irrationnelle, quelqu'un croirait que d'aucune manière elle n'aurait <la raison> ou ne

participerait de la raison ; cela il l'écarté en disant que quoiqu'elle soit irrationnelle, pourtant

elle est participante de la raison en quelque chose, ainsi, c'est-à-dire de quelque manière,

comme s'il disait que quoiqu'elle soit irrationnelle, pourtant elle participe de quelque manière

de la raison, à savoir en obéissant à la raison, comme il dira après. Et qu'elle participe de la

= m sompms 21 = fantasmata 22

= mens 23 = dum 24 Selon la source, le mot est expers ('expert') ; or, évidemment l'auteur ou l'un des premiers copistes a compris

ex pars ('hors la part' ?) et hardiment glosé en conséquence, les deux expressions (expers et ex pars) sont équivalentes en ce qui concerne l'abréviation en paléographie, mais en ce qui concerne la grammaire latine cette dernière expression est incorrecte. Or, nous ne corrigeons pas le texte selon la source parce que c'est le commentateur lui-même qui endosse cette mauvaise leçon, comme le laisse voir son exégèse du terme.

342

raison il <le> prouve en disant, en effet, c'est-à-dire parce que nous louons, c'est-à-dire nous

disons louable la raison, c'est-à-dire l'opération rationnelle du continent, c'est-à-dire la partie

rationnellement concupiscible de l'opérant, et de l'incontinent, c'est-à-dire nous louons la

raison de la même partie rationnelle qui est appelée incontinente, et non parce qu'elle est ainsi

conjointe à la concupiscence de la chair comme la sensible concupiscible selon laquelle la

continence ou l'incontinence tend vers la concupiscence de la chair, d'où le nom

d"incontinent' n'est pas ici le nom du vice. Mais comme il a été dit ou de l'incontinent, c'est-

à-dire l'irascible et cela concorde davantage avec la lettre suivante comme s'il avertissait : je

dis bien que la partie sensible participe de la raison parce qu'on pose que et la concupiscible

et l'irascible, qui sont des parties de la <sensible>, opèrent selon l'opération et les opérations

<les> rendent parfois louables. Et il dit que louer l'opération rationnelle du continent est louer

la raison de l'âme, et ainsi il est patent que la partie sensible participe de la raison et que

celui, à savoir le continent ou l'opérant selon la bonté de l'âme <est> louable. Ainsi il prouve

en disant en effet droit, c'est-à-dire le langage2^, c'est-à-dire la noblesse d'un tel homme,

laquelle est exprimée par le langage , il implore intérieurement, c'est-à-dire il souhaite la

droite <vie> pour les autres, Voptimale pour lui. Et l'autre traduction dit en effet il est droit et

protecteur des meilleurs et similairement la troisième traduction dit en effet qui est tel, est

aussi l'enquêteur direct des choses vertueuses et des <choses> optimales.

§ 10 Ensuite, parce qu'il avait dit que la partie concupiscible et la <partie> irascible

opèrent selon la raison et qu'elles obéissent à la raison, pour que personne ne croie que <cette

partie> ne s'opposerait d'aucune manière à la raison, il dit qu'au contraire30 en disant qu'en

elles, à savoir dans la sensible selon la partie concupiscible et irascible, // semble <y avoir>

quelque chose d'inné, qui est au-delà de la raison, c'est-à-dire ce qui n'a pas la raison en soi,

qui résiste31 intérieurement et à l'extérieur se meut contrairement à la raison, à savoir quand

la partie concupiscible ou irascible opère selon un mouvement propre et non selon le

mouvement ou le commandement de la raison.

§ 11 Ensuite, il montre cela par le similaire en disant <que> ainsi il arrive32 dans l'âme

- supplée à <cela par ceci : que> selon que la végétale, la sensible et la rationnelle se

rapportent entre elles -, comme relativement au nombre des particules du corps <se

25 = sermo 26 = per sermonem 27 = deprecatur 28 _

optât = deprecator

30 _ j . = quod immo = obviât

343

rapportent> les particules dangereuses, je dis disjointes , c'est-à-dire affaiblies

paralytiquement, c'est-à-dire par paralysie.

§ 12 Ensuite, il dit qu'il arrive dans ces particules, en disant d'elles qu'en choisissant,

c'est-à-dire quand elles choisissent de se mouvoir vers la droite, elles sont renversées, c'est-à-

dire elles sont portées de haut en bas ou elles tombent contrairement vers la gauche, c'est-à-

dire <vers> ce qui est le contraire. Mais quelqu'un pourrait questionner en disant que ce n'est

pas vrai que dans l'âme il en est ainsi ; il montre que oui en disant parce que les avancements,

c'est-à-dire les affections ou opérations des incontinents, c'est-à-dire de ceux qui opèrent sans

ordre selon la partie sensible. L'incontinent n'est pas interprété comme ci-dessus, ils sont vers

des contraires, vers lesquels la rationnelle meut, et cela est parce que la rationnelle prise en

soi convoite35 le bien <purement et> simplement , mais la sensible prise en soi37

<convoite> seulement le bien de manière circonstancielle38.

§ 13 Ensuite, parce qu'il avait posé <quelque chose de> similaire dans les parties du

corps, il dit que dans cela seulement fait défaut ce que dans les corps des paralytiques nous

voyons bien, qu'ils sont ainsi renversés vers le contraire ; mais dans l'âme nous ne le voyons

pas ainsi. Ensuite, il dit que quoique nous ne voyions pas cette contrariété dans l'âme sensible

et rationnelle, néanmoins39 il faut comprendre40 dans l'âme sensible quelque chose qui est au-

delà de la raison, qui aussi s'oppose et contredit la raison, quand l'autre, c'est-à-dire la

sensible, en rien nefonct\ c'est-à-dire ne se fonde42 - il a composé43 - dans la raison, c'est-

à-dire par le commandement de la raison, comme s'il disait qu'alors <la sensible> s'oppose

quand elle est mue par un mouvement propre et non par le commandement de la raison.

§ 14 Ensuite, il dit que cet irrationnel, c'est-à-dire la partie sensible qui est

irrationnelle, semble participer de la raison, et il dit car, parce que ce qui est continent, c'est-

à-dire la partie concupiscible selon laquelle la continence est déterminée, obéit à la raison. Et

= dissolute 34 = sibi relicta

= appétit 36 = simpliciter 37 = sibi relicta

= ut nunc = tamen nichilominus = intelligendum fond : nous reproduisons dans la mesure du possible une erreur (voir § 13 de l'édition) que l'auteur cite de sa

source et qu'il corrige sitôt après, c'est-à-dire ne se fonde. Or, le mot original condisset ne correspond à aucune forme conjuguée correcte, et en même temps est très semblable au verbe qui vient après condit, donc nous faisons un jeu de mots entre les verbes fondre et fonder pour évoquer la possible confusion entre condico et condo, sans vouloir faire en plus une erreur de conjugaison, lequel jeu de mots nous avons reproduit dans notre texte édité.

= nichil condisset, id est condit 43 = ille condidit

344

parce qu'ainsi elle obéit, elle est assujettie <à la raison>, et c'est pourquoi il dit que quoique

l'opération de la concupiscible soit assujettie à la raison, pourtant c'est peut-être davantage le

sujet pour la raison qui est de l'honnête et du fort, comme s'il disait que ces <choses> qui

deviennent ordonnées par l'irrationnelle peuvent davantage procéder par le commandement

de la raison que celles qui <deviennent ordonnées> par la concupiscible. Et que c'est ainsi il

le prouve en disant que ces <choses> qui sont de l'honnête, c'est-à-dire qui appartiennent à

l'honnêteté, sont d'accord avec la raison, c'est-à-dire que dans de telles <choses> la sensible

ne contredit pas la rationnelle.

§ 15 Cela dit, l'auteur, comme en récapitulant, dit que la partie irrationnelle semble

être double, c'est-à-dire <semble> avoir deux différences et il expose ces deux en disant à

savoir relatif aux plantes44, c'est-à-dire végétale qui nullement, c'est-à-dire d'aucune manière,

ne participe de la raison, en effet elle n'est pas destinée ainsi pour opérer par commandement

de la raison comme la sensible.

§ 16 Ensuite, il dit l'autre membre, à savoir le sensible, et il l'énumère par ses parties

en disant or l'irrationnel et le désirable, c'est-à-dire concupiscible -supplée cela : les deux

font une autre différence et chacun de ceux-ci participe de la raison. Ainsi que, c'est-à-dire de

quelque manière, et il dit comment elle participe de la raison en disant selon cela qui est

<digne d'être> exaucé45 d'elle. Et selon ce qui lui obéit universellement, c'est-à-dire

<purement et> simplement46, et il expose comment en disant que selon ce qui est obéissant,

ainsi, à savoir comment disons-nous que nous avons raison, c'est-à-dire un ordonnateur

^ rationnel, du père et des amis et non de cette manière, c'est-à-dire non de ce mode par lequel

nous disons avoir la raison des mathématiciens, comme s'il disait que la rationnelle est dite

vertu sensitive lorsqu'elle est exauçant la raison par affection et obéissant par effet comme les

bons fils obéissent aux exhortations rationnelles des parents et des amis par affection et par

effet et non de ce mode par lequel ils obéissent aux raisons des mathématiciens. Et parce

qu'ils obéissent seulement pour savoir et perfectionner l'intellect, ne cherchant rien

d'affection selon la parole d'Aristote : « dans le mal il n'y a pas de bien » ; et parce que

quelqu'un pourra demander s'il arrive que la sensible n'obéisse pas47 ainsi à la raison, il

prouve par l'effet que oui en disant que la vision, c'est-à-dire l'enquête diligente de la chose

qui doit être attaquée ou faite <purement et> simplement, et la terminaison, c'est-à-dire la

définition de faire selon la vision précédente et ces deux reviennent à attaquer, et

= plantatiuum = exaudibile eius = simpliciter = querere continget ne obedire

345

F intercession , c'est-à-dire la préparation diligente pour supporter les choses ardues, et ces

trois s'approchent49 selon la partie irascible. En effet, chacun de ces trois signifie, c'est-à-dire

fait signe, parce que l'irascible, c'est-à-dire la partie irascible, est conseillée, c'est-à-dire

reçoit le conseil, d'une manière, c'est-à-dire de quelque manière, par la raison, comme s'il

disait : par ce que la partie irascible examine50 ainsi quelque chose qui doit être attaqué et

ainsi consent à <l'>attaquer et ainsi se prépare pour supporter des <choses> terribles. Par cela,

il est patent qu'<elle> reçoit le conseil de la raison.

§ 17 Ensuite, puisqu'il a été dit ainsi que la partie sensible peut être dite rationnelle

parce qu'elle l'est <en> obéissant à la raison, il dit que s'il faut que cela, à savoir le sensible,

soit dit avoir la raison, comme s'il disait qu'à partir de cela l'irrationnelle peut être dite ayant

la raison. Par conséquent ce qui a la raison' est doublement : c'est-à-dire d'une manière ce

qui a la raison est ce qui participe <d'elle> en soi-même, et cela est proprement rationnel ; or

cela, c'est-à-dire d'une autre manière, ce qui a la raison est dit quelque chose susceptible de

<l">écouter52, c'est-à-dire quelque chose obéissant à la raison, comme il est patent, supplée

que la sensible lui obéit.

§ 18 Ensuite, il dit que la vertu est déterminée selon cette différence511, à savoir selon la

puissance qui est celle qui a la raison en soi et non par cela qu'elle obéit à la raison comme la

sensible irascible. Selon cette différence, à savoir dans la mesure où la différence a la raison

parce qu'elle l'a en soi-même ou parce qu'elle l'a en obéissant à un autre, à savoir à la

rationnelle ou à la raison. Ainsi se termine la première partie principale.

§ 19 Ensuite, suit la deuxième <partie principale> en disant qu'ainsi la vertu réside

selon la partie qui a la raison54. Or, c'est-à-dire mais de ces vertus nous disons celles-là, c'est-

à-dire les intellectuelles et par celles-là l'homme est bien ordonné vers sa cause. En effet,

cette vertu consiste dans la connaissance et la dilection du Premier. Quant aux morales, et par

celles-là l'homme est ordonné droitement vers soi et vers le prochain et celles-là tendent selon

ce qui se tournant par la raison vers les <choses> extérieures régit la sensible et <la> dirige

dans ses opérations.

§20 Ensuite, il subdivise l'intellectuelle en disant que la sagesse, c'est-à-dire la

dilection reliée à la connaissance du souverain bien, et Vintelligence, c'est-à-dire la

= deprecatio = accedunt = délibérât = habens rationem = quid audibile = differentiam = est habens rationem

346

connaissance reliée à la connaissance du souverain vrai, et \afronesis <sont> les vertus selon

le nombre des habitus louables.

<QUESTION 1>

§ 21 <1> La première question est relative à la notion55 de félicité qu'il pose. En effet,

il pose la vertu dans la notion de félicité. Puisque dans la notion de vertu est le bien

<purement et> simplement56, qui est le même que la félicité. Et le discours semble être un

cercle.

<SOLUTION>

§ 22 <1*> Et on pourrait résoudre par rapport à cela, de telle sorte que l'on dirait que

celle-là n'est pas la définition de la félicité mais une certaine notification57 pour que le

processus vers la connaissance de la vertu soit fait. Et selon cela il n'y a pas de cercle dans ces

définitions. Si cela <est> comme si la définition de la félicité était posée vraiment pour

quelqu'un. Et cela apparaît faux à partir de ce qui a été dit au début, parce qu'il a dit qu'il ne

faudra pas manifester ce qu'est la félicité selon la substance. Car, si celle-là - qui est posée

ici - est la définition de la félicité, il faut comprendre58 que la félicité n'a pas de définition par

nature à partir des <choses> antérieures59 selon le genre de la cause finale. Pourtant, en tant

que la félicité est un acte, elle peut avoir dans la substance une certaine disposition, qui <la>

prépare à partir de soi. Et ainsi la <disposition> est antérieure selon un certain genre de cause.

Donc, la vertu sera antérieure à la félicité, quoiqu'elle ne soit pas antérieure dans le genre de

la cause finale parce qu'en effet la félicité est dite être antérieure à la vertu et elle est prise60

selon sa notion61. Quand la disposition est dite pour le parfait vers l'optimal, il faut

comprendre62 que cette disposition est assignée à la cause finale, par lequel genre <de cause

finale> la félicité est antérieure à la vertu.

5 = ratione 56 = simpliciter

= notificatio = intelligere = ex priotïbus

60 • • = accipi

61 = ratione 2 = intelligere

347

<QUESTION 2>

§ 23 <1> Ensuite, lorsqu'il est dit que la félicité est l'acte ou Pentéléchie63 et <que>

l'âme est dite entéléchie 4, on peut demander selon quelle manière diverse chacun d'eux est

dit acte.

' <SOLUTION>

§24 <1*> Et il faut dire que l'âme est dite entéléchie65 quant au premier

perfectionnant qui est l'être du vivant en tant qu'<il est> de cette sorte ; tandis que la félicité

est l'acte quant au deuxième perfectionnant de ce qui était parfait quant à l'être, mais

imparfait quant à l'être bien.

<QUESTION 3>

§ 25 <1> Ensuite, on peut demander : si définir est avant diviser, pourquoi il ne définit

pas d'abord la vertu qui est vers la félicité, avant qu'il ne la divise par intellectuelle et

morale ? Ou bien si la définition est liée, pourquoi on détermine ici la définition donnée par le

sujet dans lequel la <vertu> est, tandis qu'après une autre définition est donnée de la même

vertu selon laquelle la vertu est posée selon son genre ?

<SOLUTION>

§ 26 <1*> Et il faut dire que l'on comprend ici la définition donnée par le sujet dans

lequel elle est. En effet, il entend cela à partir de l'écartement des différences de cette âme,

lesquelles il distingue par la vertu. En effet, il veut que la vertu humaine, en tant qu'elle

contient l'intellectuelle et la morale, soit un habitus de l'âme qui a en soi-même

principalement la droite raison autour de ce qui doit être opéré66. Or, cette définition est

donnée de cette manière selon le genre de cause <finale>, afin que la félicité soit connue au

moyen de la vertu. Quant à la vertu, <elle est connue> au moyen du sujet dans lequel elle est

déterminée par sa propre puissance, afin que la félicité soit connue par l'âme même selon une

réduction à elle-même. En effet, il est nécessaire que certaines <choses> soient connues par

= endelichia 4 = endelichia

= endelichia = operanda

348

l'âme. Or, la vertu est traitée ci-dessous au moyen de l'œuvre à l'égard du bien <pris

purement et> simplement67. Et pour quelqu'un, <la vertu> est déterminée en tant que la

disposition est du parfait vers l'optimale. Et de cette manière, la connaissance de la vertu

persiste68 dans la cause finale. En effet, la définition est donnée par la fin.

<QUESTION 4>

§ 27 <1> Ensuite, on peut demander pourquoi il divise ainsi l'âme par ses différences,

et <il faut dire qu'elle a P> être indivisible, tandis que quant à sa notion69, le divisible <est

dans l'âme> de même que le concave et le convexe se trouvent dans la superficie. En effet, le

concave et le courbé et le convexe et leurs semblables sont des dispositions de la ligne. Mais

le courbé est une disposition de la ligne, tandis que le concave est une disposition de la

superficie. Et derechef on peut argumenter ainsi : le plan et le droit ne sont pas le même dans

la ligne droite en raison de la différence70, donc de quelle manière le courbe et le concave

seront le même en raison de la différence71 ?

§ 28 <2> On peut derechef demander relativement à la division de cette âme par ses

différences : s'il y a une division d'elle en elle-même ou bien d'elle-même selon qu'elle est

dans le corps. En effet, il touche cette question. Et il semble qu'il y a <une division> d'elle

selon qu'elle est dans un corps. De la même manière que72 trois premiers membres principaux

sont posés <dans le corps> : le cœur, le cerveau, le foie et n'importe lequel porte73 au salut de

l'espèce, ainsi trois différences seraient posées <dans Pâme> : une selon laquelle il y a une

opération dans le cerveau, une autre selon laquelle il y a une opération dans le cœur, une

troisième encore selon laquelle il y a une opération dans le foie ; de telle sorte que la

rationnelle soit dite dans le cerveau, la sensible dans le cœur, la végétale dans le foie. Mais

cela n'est pas vrai, quoiqu'il semble que selon Platon on divise de cette manière. En effet, le

cœur est le membre principal par lequel flue74 la force d'opérer75 sur les autres membres

principaux. Donc, si l'âme était divisée selon la division du corps, Pâme selon la différence

noble ou plus noble qu'est la rationnelle se serait unie au corps par l'intermédiaire du cœur.

= simpliciter 68 _ . ,

= stat 69

= ratione = ratione différentiel = ratione differentia

72 = ut quemadmodum 73 = déférant

= influit = uis operandi

349

§ 29 <3> En outre, puisque l'âme rationnelle est un acte séparable du corps, elle ne

sera pas <dépendante> d'une partie du corps. En effet, elle peut sortir vers son acte sans un

organe corporel. Donc il reste que la différence de l'âme n'est pas selon les différences du

corps, et que derechef, si on <P>admettait, l'essence de cette âme ne sera pas

indépendamment du corps. En effet, ou bien les différences de ces différences sont

nombreuses, et ainsi la quatrième <partie> recevrait la division par le mode du tout potentiel ;

ou bien il y a une seule essence <purement et> simplement76, d'où sort77 la multiplicité des

différences.

<SOLUTION>

§ 30 <2*> <3*> Pour cela il faut dire que le courbé et le concave sont dits être le

même dans le <tour> circulaire de la ligne, à cause de ce que le courbé et ce dont il est le

centre sortent des extrêmes. Mais il peut y avoir quelque centre indépendamment du même

courbé dans la possession duquel78 serait déterminée la courbure du courbé même. Et alors on

dirait être courbé ce qui est courbé dans la circonférence de la ligne, car la circonférence a un

double centre : en effet, elle a un centre qui est dans la même ligne et elle a un autre centre qui

est dans la superficie contenue par la même ligne. Donc on dit que le courbé a la vertu du

concave dans cette sorte de ligne. En effet, la longitude et la latitude sont déterminées dans

celle-là, ce qui se doit pour la superficie, et dans le concave en tant qu'il est une disposition de

la superficie. En effet, la longitude est déterminée quant à l'extrême et <quant> au centre, qui

est dans la même ligne. Or, la latitude est déterminée quant au centre qui est dans la superficie

contenue dans la ligne. Quant au concave indépendamment de la disposition de la superficie,

il dit la mesure du profond, et, de cette manière, on comprend que le courbé est la même

chose. En effet, le courbé ne dit pas le rapport au profond, mais on dit ici concave quant au

courbé dans une superficie de cette sorte. Mais le droit et le plan ne se relient pas

mutuellement ainsi ; en effet, le droit dit l'image de la longitude. Et de même, en soi-même il

n'y avait pas un double centre. Or, le plan dit l'image de la longitude et de la latitude. D'où le

droit est proprement la disposition de la ligne, tandis que le plan <est la disposition> de la

superficie.

= simpliciter = mouet = pênes quod

350

§ 31 <1*> Quant à ce que l'on objecte selon quel mode seraient dites ces différences

d'âme, il faut dire qu'elles sont des différences existantes selon l'antérieur et le postérieur,

non parce qu'elles sont une seule substance, mais une seule âme. En effet, l'âme rationnelle

dans l'homme est l'âme sensible dans les brutes, mais la végétale dans la plante. Et quoiqu'il

y ait trois substances dans l'homme, cependant deux sont selon la puissance vers la troisième,

comme elle est dite là-bas absolument79 et celle-ci est selon laquelle est la perfection de

l'homme. D'où, déjà quand elle advient, il n'y a pas ultérieurement une préparation des

organes par la nature. Et parce que par l'intention de l'âme on trouve qu'il y a une division

selon les puissances qui sont dites substances, non selon les substances de la qualité, et la

division n'est pas similairement dans le courbé et dans le concave et dans les différences de

l'âme. En effet, s'il y avait une seule essence sous ces trois essences, le rapport serait plus

évident.

<QUESTION 5>

§ 32 <la> Ensuite, on peut demander relativement à une certaine similitude qu'il pose

entre l'incontinent et le paralytique. En effet, il dit que tout comme dans le paralytique <qui>

est mû de droite à gauche, ainsi il arrive dans l'incontinent. Mais cela ne semble pas vrai. En

effet, la paralysie n'est pas une privation de mouvement dans une partie avec la conversion du

<mouvement> vers l'autre. Mais, puisque la paralysie est une dissolution du nerf selon la

nature du mouvement du même nerf, le membre est privé de mouvement, ce qui est le

<membre> paralytique. <lb> Indépendamment de cela, il dit qu'il y a une certaine partie qui

est mue contrairement à la raison et <que> l'incontinent est déterminé selon celle-là, donc il

semblera que l'antérieur est le moteur ou la propre force motrice selon laquelle est déterminé

l'incontinent. Tout comme selon celle-là est déterminé le continent, ainsi aussi il y a deux

principes dans la continence : <le principe> du bien et <le principe> du mal.

§ 33 <2> En outre, il dit que nous louons ce<tte partie> de l'âme qui a la raison selon

laquelle le continent et l'incontinent sont déterminés. Mais cela ne semble pas vrai. En effet,

puisque le bien n'est pas mauvais selon la nature, en vue de cela - il faut se faire entendre -

que le bien selon la nature ne devra pas être loué.

= absolute

351

<SOLUTION>

§ 34 <la*> Et il faut dire à cela que le membre paralytique est double : en effet, l'un

est le membre paralytique naturel, et il est à partir d'une cause violente puisque par une

certaine unité le mouvement arrive dans la partie contraire. Or, on parle ici du paralytique, en

tant qu'il est privé de mouvement, tandis que parfois en tant qu'il est privé selon la dernière

manière. Et ici on prend « paralysie » comme un nom étendu pour qu'il embrasse en <grand>

nombre des diverses <choses> concernant des empêchements. En effet, la paralysie est dite

proprement dissolution ou relâchement du nerf à partir de l'influx des humeurs restantes.

§ 35 <lb*> À ce que l'on demande sur ce qui est mû contrairement à la raison, il faut

dire que les forces irrationnelles comme la concupiscible <et> l'irascible ne sont pas dites

propriétés motrices vers le mal, mais elles ont leurs biens naturels, vers lesquels elles se

meuvent, pourtant, si la rationnelle est retirée, elles ne seront pas mues vers le mal comme

<s'il s'agissait du> bien naturel pour elles. Et ainsi, tout comme le principe du bien est la

force rationnelle dominant selon la raison droite, ainsi aussi le principe du mal est la même

force ou omettant <le bien> ou choisissant le bien apparent et non existant. Or, cela pourrait

être pour <le bien de> la justice par la force80 de la vertu irascible ou concupiscible. En effet,

bien que cela soit un bien naturel de la concupiscible ou de l'irascible si elles sont considérées

en elles comme principes non sous un autre principe, pourtant elles seront un mal à l'égard de

la rationnelle en tant qu'elle doit les ordonner vers son bien ou <vers le bien> d'elles-mêmes

en tant qu'elles doivent être ordonnées. Donc, on ne dit pas proprement là « être mû

contrairement » comme si la concupiscible mouvait la rationnelle par sa vertu, ou

similairement l'irascible ; mais parce que, quand elle est laissée à elle-même , elle est mue

vers ce qui est le contraire de ce dans lequel la droite raison est destinée à mouvoir ou à être

mue.

§ 36 <2*> Ensuite, il faut dire à ce que l'on objecte que l'intention louable tombe au-

dessus du bien naturel, non par cela même qu'en soi elle est louée, mais par cela même

qu'elle est louable par rapport à ce à partir de quoi elle est, et par rapport à ce vers quoi elle

est.

= sibi derelinquitur

352

<QUESTION 6>

§ 37 <1> Ensuite, on peut demander relativement à ce qu'il enquête sur les différences

de cette âme jusqu'à celle selon laquelle la vertu réside <dans Phomme> et il ne semble pas

procéder ultérieurement vers cette différence selon laquelle les vertus intellectuelle et morale

sont séparées mutuellement. Et on peut demander quelle est la différence entre celle-ci et

celle-là en tant que l'intellectuelle contient en soi : X&fronesis et l'intelligence et la sagesse.

En effet, elles ne semblent pas déterminer en soi l'homme selon la bonté, de telle sorte qu'en

tant qu'il est intelligent il soit dit 'bon' et similairement en tant que sage ; en effet, le bien ne

compatit pas avec le mal dans le même sujet. L'intelligence avec malice peut aussi être

opposée à la vertu morale, c'est pourquoi le bien et le mal semblent résider en même temps

<dans le même sujet>. Et à cause de cela, il y a une puissance selon laquelle réside

l'intelligence, <qui> devient ordonnée ultérieurement vers une autre puissance ; en effet,

intelliger82 est en premier et ensuite <est> choisir ou vouloir, or, la bonté doit résider selon

cette puissance au-dessus de laquelle il n'y a pas d'autre puissance. Il reste donc que la vertu

selon laquelle l'homme est bon ne sera pas selon l'habitus de la partie spéculative. Donc, si

l'intelligence est un habitus de la partie spéculative, l'intelligence ne sera pas une vertu. Mais

si quelqu'un disait que la vertu s'entend ici pour tout habitus bon, l'intelligence serait

contenue sous la vertu. Mais alors comment regarderait-elle vers la philosophie morale dont

l'œuvre est pour que nous devenions bons ?

<SOLUTION>

§ 38 <1*> À cela il faut dire que <la vertu> n'est pas déterminée seulement au moyen

des différences qu'il pose contre la différence selon laquelle l'âme est le sujet de la vertu,

mais aussi <au moyen de> celles selon lesquelles <la vertu> est intellectuelle et morale. Eïn

effet, il dit que ce qui a la raison est double : l'un83 qui a la raison principalement en soi-

même, l'autre84 comme peu <capable de P>exaucer85 ; la vertu intellectuelle est ce qui <est>

de la même raison en soi-même, tandis que la vertu morale <est> d'elle en tant qu'elle est

ordonnée vers les vertus obéissantes qui sont dites comme quelque chose86 peu <susceptible

= intelligere = hoc quidam = hoc autem = exaudibile = quid

353

de l'>écouter, c'est-à-dire ce qui est mû beaucoup selon le mouvement d'un autre. Et il ne

faut pas dire que l'intelligence et l'habitus de cette sorte sont de la partie spéculative

seulement, mais ils ont l'acte de la vertu contemplative et de la <vertu> motrice. Or, il y a

trois habitus selon lesquels il échoit à l'homme d'être bon ; et ces habitus ne sont pas comme

<les habitus> de l'art et de la science : à savoir la fronesis, la sagesse et l'intelligence. En

effet, la sagesse s'entend de deux manières : dans la mesure où la sagesse dit la connaissance

des causes les plus hautes et les plus difficiles à connaître pour l'homme, et ainsi la sagesse

est dite métaphysique ; or, si jamais on l'entend ici de cette manière, <la sagesse> ne sera pas

contenue sous la vertu selon laquelle l'homme devient bon. Si jamais, d'autre part, la sagesse

est dite connaissance du souverain bien dans les <choses> inférieures avec un certain goût de

participation de ce <souverain bien>, et ainsi la dilection de celui-ci, la sagesse sera plus

noble que les vertus morales, et c'est selon ce mode qu'elle semblera s'entendre ici. Et nous

disons que la sagesse est une partie de la vertu intellectuelle selon laquelle est la félicité.

L'intelligence, de la même manière, peut s'entendre doublement : ou pour l'habitus des

choses intelligibles ou pour l'affection intelligible procédant de l'habitus des <choses>

intelligibles. Et <elle> a le nom de science ailleurs dans la mesure où la science est dite rendre

l'homme bon, comme le dit Augustin, laquelle science est de bien se comporter dans

l'adversité et dans la prospérité, de telle sorte que l'homme ne s'écarte pas du souverain bien.

La. fronesis, quant à elle, est la connaissance du souverain bien avec sa dilection, dans la

mesure où il peut y avoir connaissance du souverain bien, et par les créatures intelligibles

dans lesquelles reluit maximalement son image, selon qu'il est possible qu'il reluise dans ses

créatures. Et ainsi ces trois habitus se distinguent les uns des autres selon un mode plus noble

<et, entre> les vertus existantes, <les vertus intellectuelles sont plus nobles> que les vertus

morales par lesquelles l'âme ordonne bien le corps et ordonne bien à l'égard du prochain, afin

qu'une partie de l'univers ne soit pas dissonante par rapport à une autre partie de l'univers

selon l'affection, comme elle n'est pas dissonante selon la nature.

<QUESTION 7>

§ 39 <1> De même, on demande si le songe induit au péché ou non. Et il semble que

non. Rien de naturel n'induit au péché des mœurs88 ; le songe est naturel, puisqu'il est de la

considération de la <science> naturelle, donc il n'induit pas au péché des mœurs.

87 = aliquantum 88 = moris

354

§40 <2> Au même, tout ce qui meut un autre d'un mouvement contraire, s'il est

immobilisé, il ne mouvra pas, mais la vertu sensible meut la raison d'un mouvement contraire

au sien, donc si elle a été immobilisée, elle ne <la> mouvra pas. Mais dans le sommeil elle est

immobilisée. En effet, le songe ne se produit que dans le sommeil comme le dit Aristote. Mais

le sommeil est l'immobilisation du sens commun et par conséquent des autres <sens>. Donc il

est manifeste que, dans le songe même, la vertu sensitive est immobilisée. Donc, puisque le

péché ne survient que par le mouvement contraire de la raison et <que> dans le songe le

mouvement contraire de la raison ne se produit pas -parce qu'alors celui qui meut

contrairement repose - , par conséquent, dans le songe le péché ne peut pas survenir.

§ 41 <3> En outre, tout <ce qui est> destiné au bien <est> par accident vers le mal ; si

celui qui l'empêche <d'aller vers le bien> est éloigné, il opérera ou se mouvra par soi vers le

bien. « L'âme rationnelle est par soi vers le bien », comme on trouve dans la Métaphysique ;

or, par accident <elle est> vers le mal. Par conséquent, si repose celui qui meut et incline cette

âme rationnelle vers ce vers quoi elle est par accident, elle s'inclinera et se mouvra vers ce

vers quoi elle est par soi. Mais, dans le sommeil, ce qui meut la raison vers ce vers quoi elle

est par accident repose. Donc, alors elle se mouvra vers ce vers quoi elle est par soi et selon

un mouvement propre. Et cela est témoigné à la fin de ce livre. En effet, il dit que tout comme

les particules du corps qui sont destinées pour se mouvoir par soi vers la droite, par la

paralysie et accidentellement sont mues vers la gauche; ainsi il arrive dans l'âme rationnelle

que ce qui est par soi vers le bien, soit mû accidentellement vers le mal. Par conséquent,

puisque ce qui meut accidentellement est en repos dans le sommeil, il est manifeste que

d'aucune manière alors <ce qui est destiné au bien> ne peut être mû vers le mal.

§ 42 <4> En outre, dans le sommeil cesse la cause du mal. Mais si cesse la cause,

cesse l'effet. En effet, succomber est la cause du mal pour la raison, comme on trouve dans le

cinquième <livre> des Topiques. Mais alors la raison ne peut pas succomber. En effet, il n'y a

de succombant que s'il y a un vainquant89. Or, alors il n'y a rien <qui soit> vainquant, en effet

on ne dit pas qu'elle soit vaincue selon les vertus naturelles, mais selon les vertus animales.

Par conséquent, bien que pendant le sommeil les vertus naturelles soient intenses, pourtant,

puisque <les vertus> animales repose<nt>, il est manifeste qu'elles ne peuvent pas vaincre la

raison.

= superuincens

355

§ 43 <5> Or, il est manifeste que dans le songe il arrive de pécher. En effet, Aristote

dit ici que les songes des justes sont meilleurs que les songes des mauvais. Or, cela ne serait si

ce n'est que de quelque manière ils induisaient au mal . Par conséquent, il est manifeste que

de quelque manière les <songes> induisent au mal ou au péché.

§ 44 <6> En outre, tout mal ou toute opération du mal suivant le plaisir91 induit au

péché. Mais il arrive que dans le sommeil des mouvements illicites soient faits parce qu'ils

avaient été voulus et convoités pendant le jour. Par conséquent, il est manifeste que ces

mouvements - bien qu'ils soient en soi naturels - peuvent induire au péché, parce que du reste

ils rejoignent des mouvements volontaires.

<RÉPONSE>

§ 45 À cela il faut dire que le songe est le mouvement de l'image92 vers le premier

sensitif93 qui - même s'il est naturel, parce que les images94 meuvent naturellement la vertu

imaginative95, parce que du reste l'image, puisqu'elle ne reste dans un organe du sentir que

par l'appréhension du sensible <qui est> dehors pendant la veille, laquelle appréhension et

conversion sur l'appréhendé ont été voulues grâce à ce mouvement de l'image96, puisqu'elles

suivent le mouvement externe qui fut volontaire - d'une certaine façon est volontaire et

selon97 cela qu'il est volontaire, il peut induire vers le mal ou vers le bien. En effet, alors les

mouvements majeurs n'empêchent pas les mineurs et à cause de cela ils peuvent percevoir

maximalement. Or, la perception des <mouvements> chez le premier organe du sentir cause

un mouvement illicite en mouvant en quelque manière la vertu irascible et la concupiscible.

<1*> <2*> <3*> <4*> <5*> <6*> Et ainsi est patente la solution à toutes les objections.

= mali inductiua essent = uoluptatem = fantasmatis

93 . = pnmum sensitiuum

94 =fantasmata =fantastïcam =fantasmatis = quo ad

356

<QUESTION 8>

<8a>

§ 46 <1> Grâce à cela on mettra en question98, s'il peut y avoir dans les anges le

pouvoir pour le mal. Et il semble que non, parce que dans les <étants> perpétuels être et

pouvoir ne différent pas.

§ 47 <2> De même, si <les anges> pouvaient le mal, ou bien cette puissance pourrait

sortir en acte ou bien non. Si non, cette puissance serait donc en vain, ce qui est faux. Si oui,

<les anges> peuvent donc être mauvais.

§ 48 <3> À cela Aristote dit dans le neuvième <livre> de la Métaphysique : « Dans les

<choses> où il n'y a pas de puissance" <pour l'erreur>, il n'y a pas d'erreur ni de mal ». Par

conséquent, si chez les anges il n'y a pas d'erreur ni de mal, en eux il n'y aura pas de

pouvoir100 <pour le mal>.

§ 49 <4> De même, il dit que ces <choses> dont l'intellect n'est pas accouplé avec le

sens ne peuvent pas intelliger101 une <chose> et <en> convoiter une autre. Au contraire,

elles convoitent la même chose qu'elles intelligent103. Mais, les <choses> accouplées avec le

sens intelligent une <chose> et <en> convoitent une autre. Donc, puisque les anges intelligent

toujours le bien, donc ils convoitent toujours le bien, donc ils ne peuvent pas le mal ; en effet,

ils ne le peuvent pas par convoitise.

§ 50 <I> Mais au contraire. Les substances séparées et causées ne sont pas égalées104 à

la Cause Première, donc leur pouvoir <n'est pas non plus égalé> au pouvoir de la <Cause

Première>. Donc, si le pouvoir de la Cause Première est tel qu'à lui rien n'est mélangé de

l'impuissance et du défaut, le pouvoir des <substances séparées causées> sera tel qu'à lui sera

mélangé quelque chose de l'impuissance et du défaut. Mais de cette manière <les substances

séparées causées> peuvent <tomber> dans le défaut, donc aussi <dans> le mal.

§ 51 <II> De même au même, rien au-delà du Premier n'est purement acte et ainsi

dans n'importe quel autre à part Lui il y a quelque chose relatif à la puissance. Par

conséquent, dans de telles substances il y a quelque chose relatif à la puissance, donc quelque

= ponatur in questione 99 . = potentia îoo _ . . - potestas 101 = intell igere 102 = appetere 103 = intelligunt 104 = non adequantur

357

chose de l'imperfection. Mais tout <ce qui est> tel peut <tomber> dans le défaut et <dans> le

mal, donc de telles substances peuvent le mal105.

<8b>

§ 52 <1> Aussi on demande si dans le Premier il y a le pouvoir pour le mal et il

semble que non. En effet, Aristote dit que dans le Premier être et pouvoir ne diffèrent pas ; en

effet, en Lui il n'y a rien qui ne soit Lui-même. Par conséquent, s'il pouvait le mal II serait le

mal, ce qui est faux.

§ 53 <2> Au même, en Lui pouvoir et vouloir ne diffèrent pas. Donc, s'il pouvait le

mal, Il voudrait le mal.

§54 <3> En outre, tout ce qui est dans le Premier est purement bon puisqu'il est

souverainement106 bon. Mais le pouvoir pour le bien et pour le mal n'est pas purement bon.

En effet, il est mélangé au mal comme le dit Aristote. Par conséquent, <ce pouvoir> n'est pas

dans le Premier.

§ 55 <I> Mais il semble que oui, qu'il y aurait dans le Premier un tel pouvoir. En

effet, Aristote dit que Dieu et le savant peuvent agir mal.

§ 56 <II> De même, tout agissant par l'intellect et par la raison peut les opposés. Par

conséquent, puisque le Premier est agissant par l'intellect et par la raison, Il peut les opposés.

§ 57 <III> Au même, tout ce qui peut l'un et l'autre des opposés est plus puissant que

ce qui peut seulement l'un <des opposés>. Par conséquent, si le pouvoir1 7 dans l'homme

pouvait l'un et l'autre des opposés, mais <que> dans le Premier il y avait seulement le

pouvoir pour l'un des opposés, donc l'homme serait plus puissant que le Premier, ce qui est

faux. Donc le Premier aura <le pouvoir> pour les opposés.

§ 58 <4> Si par hasard on disait que pouvoir108 les opposés est davantage de la part de

l'impuissance et du défaut que de la part de la puissance et <qu'>à cause de cela <le pouvoir

pour les opposés> ne tombe pas dans le Premier, cela n'est rien <dire>. En effet, si pouvoir

les opposés suit comme conséquence au défaut et à la privation, donc ceux dans lesquels il y a

un défaut majeur peuvent davantage les opposés, donc, puisqu'il y a plus de défaut et

d'incomplétude dans les choses inanimées que dans les choses animées, les inanimées

'°5 = possunt in malum 106 = summe 107

= potestas

358

pourraient davantage les opposés que les animées, or cela est faux. Donc cette puissance ne

suit pas le défaut, par conséquent elle pourra être dans le Premier.

<8a>

<RÉPONSE>

§ 59 Et il faut dire que dans les anges il y a la puissance pour lé mal, en effet,

autrement ils ne seraient pas tombés, en effet puisque la puissance suit comme conséquence à

la matière, comme on trouve dans la Métaphysique, en effet l'acte se réduit à la forme, la

puissance <se réduit> à la matière. Et la matière est dans les <anges> d'une certaine manière ;

en effet, dans chaque <chose> qui est en deçà du Premier, ce qu'elle est se distingue109 de ce

par quoi elle est. Donc, si dans les anges il faut poser une certaine matière, puisqu'il n'y a pas

une position de la matière sans une position de la puissance, il est nécessaire de poser en eux

la puissance d'une certaine manière. Mais ce que dit Aristote qu'en eux il n'y a pas de

puissance, il faut le comprendre110 de la <même> manière que dans les choses inférieures. En

effet, tout comme la matière est de diverses manières111, ainsi la puissance est de diverses

manières. D'où il faut dire que leur puissance pour le mal est capable de sortir vers l'acte du

mal en tant qu'elle est en eux. Cependant, à partir de ce qu'ils s'attachent au Premier et au

souverain bien, ils ne peuvent pas <le mal> : en effet ils ne sont pas sortis <vers l'acte du

mal> à partir de la volonté du Premier qui influe sa bonté en eux et qui les rassure. Ce qui est

un exemple relatif à cela, la substance de la matière première qui est dans le ciel peut de soi

<tendre> vers des nombreux et des contraires, cependant son pouvoir pour l'un se termine par

la vertu d'une telle forme qui perfectionne, qui est comme un moteur extrinsèque conjoint à

cette <matière>.

§ 60 <1*> Or, quant à ce que l'on objecte, il faut comprendre que chez les <anges>

être et pouvoir être ne diffèrent pas, mais pouvoir opérer et être <en train d'>opérer la

chose"2 diffèrent chez eux. En effet, autrement ils ne pourraient pas mériter. § 61 Alors, si

quelqu'un objectait qu'en eux différaient pouvoir être et être parce que le Premier pouvait

créer avant qu'il ne créa, par conséquent ils pouvaient aussi être avant qu'ils ne furent. § 62 II

faut dire que cette raison procède de la part de la <cause> efficiente. Mais ce qu'on dit que

= diuersum est 10 = intelligendum

= alio et alio modo U2 = res

359

dans les <anges> ne différaient pas être et pouvoir, il faut <le> comprendre du côté de la

matière : en effet, en eux les dispositions matérielles ne sont pas précédentes113 à la réception

de l'acte même dans la matière, mais, soudainement, <les anges> sont sortis dans l'être, en

effet, dans les <étants> perpétuels, la puissance, c'est-à-dire les dispositions matérielles, ne

précède pas l'acte. <2*> <3*> À partir des <choses> prédites est patente la solution aux trois

objections.

§ 63 <4*> Au quatrième il faut dire que le principe de l'erreur concernant l'intellect

est double : l'un est l'accouplement114 de l'intellect même avec le sens, l'autre est la privation

qu'il y a dans tous ceux qui sont en deçà du Premier. Donc, quoique les anges n'aient pas pu

se tromper quant à l'accouplement de l'intellect avec le sens, parce que du reste ils ont été

<créés> à partir du néant (ex nichilo), grâce à quoi ils peuvent le mal et le défaut. Donc, grâce

au défaut de sa puissance et de <sa> privation ils peuvent le mal. En effet, tout ce qui est à

partir du néant (ex nichilo) est réductible naturellement au néant ou au défaut. Et ainsi un

double principe coïncide en nous, un seul dans les anges ; et peut-être à cause de cela leur

péché a été irrémissible, mais le nôtre véniel.

<8b> <SOLUTION>

<1*...><2*...><3*...>

§ 64 <4*> Au dernier il faut dire que dans le Premier il n'y a pas un pouvoir pour le

mal, mais seulement pour le bien. Cependant, il n'y a rien que le Premier puisse et qui ne soit

pas en acte. En effet, ce qui a l'être nécessaire ne peut avoir rien qui n'ait pas l'acte.

113

= preuie = copulatio

<LEÇON 22>

Or, par la double vertu etc.

<DlVISION DU TEXTE>

§ 1 Dans le livre précédent vers la fin, l'auteur a posé la division de la vertu par

intellectuelle et coutumière' et leur subdivision. Dans cette partie l'auteur répète la même

division afin de continuer relativement à l'autre partie, à savoir la coutumière de laquelle il

entend continuer dans cette partie. Et premièrement il résume la prédite division et il

manifeste ces membres2. Deuxièmement, il continue relativement à la vertu coutumière, en

omettant l'intellectuelle, là donc, parce que la présente œuvre etc. La première partie se divise

derechef, parce qu'il résume premièrement la division posée et manifeste les différences3.

Deuxièmement, il infère un certain conséquent à partir des <choses> prédites dont il ajoute

aussi l'éclaircissement4 par des raisons, là à partir de cela est manifeste etc. La première

partie regarde la présente leçon qui se divise en deux. Premièrement, il résume la division

posée antérieurement; Deuxièmement, il manifeste les différences et premièrement il

manifeste l'intellectuelle et deuxièmement la coutumière.

<SENTENCE>

§ 2 Donc, au premier, il procède ainsi en disant que puisque la vertu est double, à

savoir l'intellectuelle et la coutumière et en cela est notée la division posée plus haut. Ensuite,

il manifeste les membres5 en disant que la <vertu> qui est intellectuelle a génération et

augmentation à partir de la doctrine et en raison de cela elle a besoin d'expérience et de

temps. Ensuite, il manifeste la <vertu> coutumière en disant que celle qui est la coutumière

= consuetudinalem 2 = diuidentia

Même si l'auteur préférera généralement le mot différentiel, il utilise diuidentia lorsqu'il se réfère aux membres d'une division.

= différentiels Comme ailleurs, ici le mot différentiel dénote les différentes espèces ou sortes dans lesquelles se divise un

genre. = declarationem

5 = diuidentia

361

résulte à partir de l'habitude, c'est-à-dire par les opérations procédant des vertus sensitives par

le commandement de la raison qui les habitue au bien.

<QUESTIONS>

§ 3 Concernant cette partie, on demande premièrement s'il ne devrait y avoir qu'une

seule différence de vertu. Deuxièmement, sur la division de la vertu par intellectuelle et

coutumière, si elle est exhaustive. Troisièmement, si toute vertu est intellectuelle.

Quatrièmement, si le philosophe moral devrait traiter de la vertu intellectuelle.

Cinquièmement, sur cela qu'il dit que l'intellectuelle est générée par la doctrine et <qu'clle>

augmente, et c'est pourquoi elle a besoin d'expérience et de temps. Sixièmement, sur cela

qu'il dit que la coutumière résulte à partir de l'habitude.

<QUESTION 1>

§ 4 <1> Du premier <point en question, on argumente> ainsi. L'acte de l'âme est

double : P<acte> premier qui est la vie, l'<acte> dernier qui est la félicité, l'<acte> moyen qui

est certes la vertu. Par conséquent, puisque l'acte premier est un seul, aussi l'acte dernier <est

un seul>, <donc> l'acte moyen doit être un seul. Par conséquent, la vertu ne se divise pas par

des différences comme non plus ni la vie ni la félicité.

§ 5 <2> En outre, la vertu ne peut être rapportée qu'au sujet, à savoir à l'âme, ou à la

fin, à savoir à la félicité, ou aux opérations à partir desquelles elle résulte6. De la part de

l'âme, puisqu'elle est une seule et simple, il ne semble pas qu'il faille multiplier la vertu par

des différences ; similairement non plus de la part de la félicité, puisqu'elle est une seule et

simple. Si tu disais qu'<il faut multiplier la vertu en des différences> à cause des opérations,

alors, puisque des nombreuses opérations sont des différences, aussi doivent être nombreuses

les différences de la vertu. Si tu disais que même si l'essence de l'âme est simple, toutefois

elle a des puissances desquelles sortent diverses opérations, et à cause de cela il y a des

nombreuses vertus, alors, puisque les puissances de l'âme sont plus que deux, à savoir la

rationnelle, la concupiscible et l'irascible, les différences de la vertu doivent être plus que

deux.

= derelinquitur

362

§ 6 <3> De même, il semble que la vertu intellectuelle est superflue, puisque la vertu

coutumière suffit à acquérir la félicité ce qui est patent ainsi. En effet, plus bas la vertu est

définie ainsi : la vertu coutumière est l'habitus par lequel quelqu'un est bon et l'œuvre est <ce

qui le> rend bon ; à partir de quoi il semble que la vertu intellectuelle est superflue, à partir de

quoi <nous pouvons dire que> nous sommes bons par la seule vertu coutumière.

<RÉPONSE>

§ 7 Au premier il faut dire que la vertu coutumière et l'intellectuelle diffèrent parce

que la vertu intellectuelle vise la droite ordonnance de l'homme à sa cause, tandis que la vertu

coutumière vise la droite ordonnance de l'homme au prochain ; d'où la vertu intellectuelle

consiste dans la connaissance et la dilection du souverain bien par soi, tandis que la vertu

coutumière <consiste> dans <le fait> de bien se tenir à l'égard du prochain, ce qui est patent

en parcourant les différences de cette <dernière>. En effet, la tempérance dirige l'homme à

l'égard du prochain pour les opérations pertinentes à la concupiscence ; similairement la

force7 <le dirige> pour les opérations pertinentes à l'irascible ; tandis que la prudence et la

justice <le dirigent> pour les opérations pertinentes à la rationnelle même si différemment,

comme on le dira après.

<SOLUTION>

§ 8 <1*> Donc, à la première objection, il faut dire que le premier acte et le dernier

parce qu'ils ont égard8 à l'essence de l'âme qui est une seule et simple n'ont pas de division,

mais l'acte moyen, à savoir la vertu, parce qu'elle réside9 dans l'âme par rapport10 à diverses

<choses>, c'est-à-dire par rapport à ses principes et à <sa> cause et par rapport au prochain,

c'est pourquoi selon cela, il reçoit la division en deux par les deux différences. <2*> Par cela

est patente la solution à la deuxième <objection> : en effet, cette division n'est pas visée1 ' par

rapport aux opérations. Et si12 on objectait qu'elles sont beaucoup plus nombreuses, je dis que

la multitude d'opérations peut être selon le nombre et ainsi elles sont infinies, ou selon

l'espèce et cela doublement, <a> parce que les <opérations> peuvent être multipliées par les

7 =--fortitudo = respiciunt = inest = comparationem

11 =attenditur ,2 = e,si

363

rapports aux puissances desquelles elles sortent et ainsi puisque les puissances de l'âme sont

plus que deux, plus que deux seront les différences de vertu, <b> ou bien elles peuvent être

multipliées par rapport à l'objet et parce que la droite opération de l'homme est ou à l'égard

du principe ou à l'égard du prochain et ainsi <il y aurait> seulement deux différences. Selon

ce mode il y aurait seulement les deux différences prédites de vertu.

§ 9 <3*> À l'autre je dis que parce qu'il suffit de bien se tenir à l'égard du prochain si

ce n'est que par la connaissance et l'affection ordonnée13 à l'égard de son principe et de <sa>

fin, à cause de laquelle <connaissance> on s'ordonne vers son prochain. C'est pourquoi la

vertu coutumière ne suffit pas, mais ultérieurement est requise la vertu intellectuelle. À ce que

l'on objecte que la vertu coutumière fait le bien, je dis que non à moins que l'intellectuelle

<soit> supposée14. Et il faut dire cela certes selon la vérité et selon le théologien, parce que

peut-être selon le philosophe la vertu intellectuelle n'est pas nécessaire, mais la <coutumière>

suffirait15. D'où peut-être le philosophe dirait que la vertu intellectuelle ne serait qu'une

certaine lumière et une certaine préparation vers la coutumière.

<QUESTION 2>

§ 10 <1> Du deuxième <point en question, on argumente> ainsi. L'âme peut se

rapporter à sa cause, elle peut aussi se rapporter aux autres créatures parmi lesquelles

certaines sont supérieures comme les Intelligences, tandis que certaines <sont> inférieures

comme les choses animées, végétales et sensibles, tandis que certaines <sont> égales comme

les autres hommes singuliers. Donc, tout comme la vertu réside dans l'homme par sa droite

ordonnance16 vers sa cause et par <son> ordonnance vers son égal dans la nature, ainsi par sa

droite ordonnance vers le causé inférieur, et ainsi cette division sera insuffisante.

§ 11 <2> De même, puisque dans la partie cognitive il y a trois puissances selon

l'augmentation, à savoir l'Intelligence par laquelle on connaît la Première Cause et l'intellect

par lequel on connaît les Intelligences et la raison par laquelle on connaît dans la figure,

similairement il semble que dans la partie motrice il doit y avoir une puissance double : l'une

par laquelle l'homme est mû vers cette Cause <Première>, une autre par laquelle il est mû

= affectum ordinatum - sumpta = uirtus intellectualis non est necessaria set sufficeret

Nous avons interprété que « la <coutumière> suffirait », parce que, si la vertu intellectuelle n'est pas nécessaire, elle ne saurait nullement être suffisante ; en effet, ce qui est nécessaire peut ne pas être suffisant, mais ce qui est suffisant doit obligatoirement être nécessaire. Donc la coutumière seulement pourrait dans ce contexte être suffisante.

= ordinationem

364

vers l'Intelligence et une autre par laquelle il est mû vers la chose inférieure17, donc tout

comme de la partie cognitive il y a trois connaissances différentes, ainsi de la partie motrice il

doit y avoir trois habitus différentes, mais l'habitus dans la partie motrice est la vertu et ainsi

les différences <de vertu> seront plus nombreuses18.

§ 12 <3> De même, Augustin dit que la vertu est l'habitus de l'âme bien constituée.

Mais l'âme bien constituée l'est par sa droite ordonnance vers le prochain et vers elle-même

et vers Dieu et ainsi triplement. C'est pourquoi il y aura trois différences de vertu.

§ 13 <4> De même, une certaine vertu est exemplaire, une autre de l'âme19 purifiée,

une autre pour sa part purificatrice et une autre civile ; donc si ces quatre différences sont

posées, on ne doit pas <en> poser seulement deux.

<RÉPONSE>

§ 14 Au premier il faut dire que par la vertu l'âme est ordonnée vers le souverain bien,

mais vers le souverain <bien> on ne peut être ordonné que doublement : ou immédiatement et

par soi, et ainsi <il y a> la vertu intellectuelle ; ou médiatement, et ainsi <il y a> la

coutumière ; et à cause de cela il y a ces deux différences de vertu.

<SOLUTION>

8 1 5 < l * > À l a première objection je dis que bien que l'âme se tourne vers les choses

inférieures20 et vers les supérieures causées21 et vers les moyennes de cette sorte, toutefois les

conversions22 pour la partie motrice ne sont pas toujours différentes du moment que <l'âme>

ne se tourne23 vers ces <choses> qu'à cause d'un autre24 et c'est pourquoi des vertus

différentes sont visées dans l'âme selon25 ces conversions. Et par cela est patente la solution

<2*> aux autres : en effet, concernant les modes de connaître les Intelligences et les choses

inférieures, parce que l'Intelligence n'est proprement connue que par ses effets et seulement

= in rem inferiorem 1 8 - 1

- plures = ammi

20 = ad res inferiores = ad superiores causatas = conuersiones = conuertit = propter alterum

C'est-à-dire, en vue du Premier, ou de la Cause Première. 25

= pênes

365

par l'intellect, mais les choses inférieures sont connues par le sens et au moyen du sens par

l'intellect et c'est pourquoi selon cela sont visées des connaissances différentes. Mais, comme

on l'a vu, ce n'est pas ainsi du côté de la vertu motrice. Et il faut dire similairement <3*> au

troisième : en effet, la droite ordonnance que l'âme a vers soi et vers son prochain est de la

raison même parce qu'<elle est> toujours à cause d'un autre, à savoir à cause du Premier.

§ 16 <4*> Au dernier je dis qu'Aristote ne pose ici la division de la vertu que selon

qu'elle réside dans l'âme unie au corps. Or, cette vertu ou bien est coutumière ou civile, ou

bien purificatrice ou intellectuelle. Tandis que la vertu de l'âme purifiée est une vertu qui

réside certes dans l'âme seulement après la séparation de l'âme d'avec le corps. Tandis que la

vertu exemplaire est une vertu non causée qui est le Premier Lui-même. Et c'est pourquoi il

ne fait pas mention de ces deux ici. En effet, il ne divise pas ici la vertu universellement, mais

celle qui est de l'âme dans le composé27.

<QUESTION 3>

§ 17 <1> Du troisième <point en question, on argumente> ainsi. Puisque toute vertu

est par la droite raison, <et que> d'autre part la raison droite est une force intellectuelle, <et

que> les deux <sont> en raison29 de ce par quoi elles sont, <alors> toute vertu est

intellectuelle.

§ 18 <2> De même, puisque le mérite et le démérite ne concernent que la partie

intellective, et <que> la vertu n'<est> pas donc en raison30 de ce en quoi elle est ou est

causée, elle doit être dite vertu intellectuelle. Cela semble aussi parce que, dans le livre

précédent, Aristote montrait que la vertu n'est que concernant la partie rationnelle ou

concernant la partie intellective.

<RÉPONSE>

§ 19 Au premier il faut dire que toute vertu, soit intellectuelle soit coutumière, est dans

la partie intellective comme dans un sujet et comme dans le premier mouvant. Mais en cela il

y a une différence, parce que le complétif intellectuel est par l'intellect en tant qu'il est de la

= virtus purgati animi - in coniuncto = vis = a ratione = ratione

366

part de l'homme, tandis que le complétif coutumier est au moyen des vertus sensitives comme

la concupiscible et l'irascible. D'où la vertu intellectuelle est dans la partie intellective comme

dans le commandant et dans l'exécutant. La vertu coutumière, pour sa part, est dans la partie

intellective comme dans le commandant et le régulant, mais dans les sensitives <elle est>

comme dans l'exécutant et par ce commandement de la raison. La <vertu> est donc dite

intellectuelle par cela que l'exécution est faite par l'intellect, mais elle est dite coutumière par

cela que l'exécution est faite par les vertus sensitives vers lesquelles elles sont mues ; parce

qu'elles sont mues presque naturellement vers le contraire, l'habitude et la régulation sont

requises au moyen du commandement de la raison. <1*> <2*> Et par cette distinction est

patente la solution aux <arguments> objectés.

<QUESTION 4>

§ 20 <1> Autour du quatrième <point en question, on argumente> ainsi. Puisque le

philosophe moral traite de la vertu et cela en vue de la félicité ; puisque la vertu intellectuelle

aboutit à la félicité comme aussi la coutumière ; le philosophe moral doit traiter de

l'intellectuelle comme de la coutumière.

§ 21 <2> De même, puisqu'il n'appartient à aucun autre qu'au <philosophe> moral de

traiter de la vertu intellectuelle, s'il n'en traite pas, alors il nous manque quelque partie de la

doctrine morale.

§ 22 <3> De même, on demande si la vertu intellectuelle est plus noble que la

coutumière, ce qui semble ainsi parce que ce qui est plus proche de la fin est meilleur et il faut

le choisir davantage. Or, l'intellectuelle est plus proche que la coutumière de la félicité, autant

de la causée que de la non causée.

§ 23 <I> Mais au contraire : à cause de la résistance des vertus sensitives, la difficulté

dans les opérations qui sont vers la vertu coutumière est plus importante que <dans celles>

qui sont vers la vertu intellectuelle ; donc si la vertu consiste dans le bon et le difficile et

davantage dans <le bien> le plus <difficile>, il semble que la vertu coutumière soit plus

complète que la vertu intellectuelle.

§ 24 <II> En outre, on demande pour quoi ces différences, la coutumière et

l'intellectuelle, ne divisent pas l'habitus de l'intellect spéculatif comme elles divisent

l'habitus de l'intellect pratique ; et il semble qu'elles doivent être ainsi puisque dans la partie

intellective doit être posé l'intellective par laquelle <Pâme> connaît le Premier, qui par soi

367

d'aucune manière n'est sensible, et <doit aussi être posée> la raison par laquelle <l'âme>

connaît les choses inférieures31 par l'intermédiaire du sens.

<SOLUTION>

§ 25 <1*> Au premier je dis qu'Aristote n'entend <traiter> de la félicité que selon ce

qu'elle est acquise par la droite fréquentation entre concitoyens. D'où il la nommait 'bien

civil' et parce qu'à partir de la droite fréquentation entre concitoyens on n'acquiert que la

vertu coutumière ; <et que> d'autre part l'intellectuelle est acquise davantage dans la

séparation des gens32, comme il est patent dans les claustrales. C'est pourquoi il traite

seulement de la vertu coutumière ; toutefois, il pourrait être dit que la vertu intellectuelle ne

diffère pas de la félicité dans la mesure où la félicité est dite être dans cette vie ; à cause de

cela il faut traiter de la félicité dans la voie33 ou dans cette vie, <c'est pourquoi> dans le

premier livre on a traité de la vertu intellectuelle.

§ 26 <3*> Donc, à cela qu'on objecte qu'elle est plus proche et plus immédiate de la

félicité, je concède que c'est vrai, mais non à cause de cela il est nécessaire qu'il traite de la

<vertu intellectuelle^, parce que ni ne traite-t-il de la félicité que dans la mesure où elle est

acquise par la droite fréquentation entre concitoyens, ni n'a-t-il pas dû à cause de cela traiter

de la vertu que pour le philosophe moral, puisqu'il n'entend <ici> de la vertu ni de la félicité

ni de la manière dont il a été dit.

§ 27 <2*> À l'autre je dis que la vertu intellectuelle est meilleure proprement parlant

que la coutumière et plus sûre, et <que> ne surviennent pas autant d'empêchements

concernant la <vertu intellectuelles <I*> À l'objection34 je réponds que puisque l'on dit que

la vertu est davantage concernant le bien le plus difficile, je réponds que cela doit être compris

quand une majeure et mineure difficulté sont visées à l'égard du même bien ou de la même

opération dans l'espèce, par exemple comme si à partir de la même affection je me

contenais35 et tu te contenais36, mais pour moi est plus difficile de me contenir que pour toi,

majeur sera le bien et mineure la vertu de contenir l'affection pour <toi que pour> moi.

§ 28 <II*> À l'autre je dis que la vertu est dite coutumière parce qu'elle est acquise

moyennant les vertus sensitives qui opèrent par le commandement de la raison, pour

= res inferiores 32

= a ciuitatibus 33

= in via = obiectum = contineam = contineas

368

lesquelles <vertus sensitives> est requise l'habituation , parce que par la corruption de sa

nature elles sont inclinées vers le contraire, mais les sciences ne sont pas inclinées ainsi vers

le contraire ; et c'est pourquoi l'habituation n'est pas acquise dans celles-ci à l'égard de l'âme

comme à l'égard de la vertu, et c'est pourquoi la science coutumière ne se divise pas ainsi

comme la vertu.

<QUESTION 5>

§ 29 <1> Autour du cinquième <point en question, on argumente> ainsi. Les <choses>

qui sont faites au moyen de la doctrine n'ont pas de principe en ce en quoi elles sont faites

parce que la doctrine est générée dans le disciple par l'enseignant. Mais la vertu et la

génération de la vertu requièrent un principe en ce en quoi elle est faite, donc la vertu ni

n'existe38 ni n'est générée par la doctrine. La preuve de la mineure est parce que la vertu est

un habitus volontaire, or le volontaire est ce dont le principe est en soi-même.

§ 30 <2> De même, puisque l'habitus spéculatif se divise contre le pratique il semble

que le pratique n'a pas quelque chose à partir du spéculatif, et donc la vertu n'<a> pas

<quelque chose> à partir de la doctrine. De même quant à ce qu'il dit que la vertu

intellectuelle a beaucoup à partir de la doctrine.

§ 31 <3> De même, il dit que la vertu intellectuelle a besoin d'expérience et de temps.

Mais au contraire, l'expérience est des <choses à partir> desquelles est <possible> la

connaissance sensitive, mais la vertu intellectuelle n'est pas à l'égard du bien sensible et ainsi

il semble qu'elle n'a pas besoin d'expérience.

§ 32 <4> De même, puisque la science et la vertu sont des habitus différents, elles

doivent avoir diverses voies39 d'acquisition, donc, si la science est acquise par l'expérience

comme on trouve dans le livre des <Analytiques> Postérieurs, la vertu n'est pas acquise ainsi.

§ 33 <5> De même, il enseigne plus bas que la vertu est plus vraie et plus certaine que

tout art, donc elle doit avoir une voie plus certaine, donc non par l'expérience puisque <c'est>

la science <que> l'on a par l'expérience.

= assuescentia = est = débet habere diuersas uias

369

<SOLUTION>

§34 <1*> Au premier je dis que la vertu intellectuelle a beaucoup à partir de la

doctrine et elle est générée en nous d'une certaine manière au moyen de la doctrine. Pour cela

il faut savoir : il faut noter que ceux qui sont experts et savants en cela qu'ils voient la

multitude des choses ils sont mus d'une certaine manière à connaître l'infinie puissance du

Fondateur40. Similairement ils sont mus à connaître Sa sagesse infinie par l'ordonnance ' et la

disposition qu'ils voient dans les choses. Similairement à partir de la complétude naturelle et

de la relation à la fin selon l'ordre qu'elles ont, Sa bonté est connue comme infinie. Mais,

après avoir considéré ces <choses>, il est impossible de ne pas L'aimer et c'est pourquoi

d'une certaine manière au moyen de la doctrine est générée en nous la vertu intellectuelle, qui

tend vers la connaissance et la dilection du souverain bien.

§ 35 <2*> À la deuxième objection je dis que même si celles qui sont faites42 au

moyen de la doctrine n'ont pas de principe en ce en quoi elles sont faites mais dans un autre,

néanmoins enfin après que la doctrine a été faite dans quelqu'un il peut se mouvoir

volontairement au moyen de la doctrine vers la connaissance et la dilection du souverain bien

et c'est pourquoi il pourra être cause de la vertu intellectuelle selon l'être ou selon son être

fait43.

§ 36 <3*> À l'autre je dis que la connaissance a un double rapport : d'une manière à

l'égard de l'intellect spéculatif qu'elle perfectionne et ainsi elle se divise à partir de l'opposé,

la science contre la vertu ; d'une autre manière elle peut être considérée en tant qu'elle dirige

d'une certaine manière l'affection pour convoiter le bien et ainsi elle est ordonnée vers la

vertu, ce qu'il dit plus bas, parce que pour la vertu vouloir, savoir et opérer sont exigés.

§ 37 <4*> À l'autre je dis que l'expérience, parce qu'elle est la voie vers la doctrine,

est ordonnée ultérieurement vers la vertu intellectuelle, mais non dans le prochain ni

immédiatement ; d'où il n'est pas inconvenant que, de cette manière dans laquelle la doctrine

est ordonnée vers la vertu intellectuelle, l'expérience par l'intermédiaire de la doctrine soit

ordonnée vers la <vertu intellectuelles

<5*...>

= Conditoris = ordinatione

42 =famt =jieri eius

370

<QUES riON 6>

§ 38 <1> Du sixième <point en question, on argumente> ainsi. Tout comme

l'opération fréquente est requise pour44 la vertu coutumière et ainsi aussi pour45 la <vertu>

intellectuelle. D'où si nous nous mouvions seulement vers la connaissance et la dilection du

souverain bien et nous cessions après, nous dirions ne pas avoir la vertu intellectuelle, à partir

de cela il semble que toute vertu est produite à partir de l'habitude.

§ 39 <2> De même, puisqu'il dira plus bas que savoir et vouloir sont requis pour la

vertu et il parle là sur la vertu coutumière, il semble que l'on devrait dire que la vertu

coutumière est générée à partir de la doctrine comme il <le> dit de l'intellectuelle.

<SOLUT10N>

§ 40 <1*> À la première objection il faut dire que la vertu n'est pas dite coutumière

parce que l'opération répétée ou fréquente est requise pour elle, mais parce qu'elle est acquise

par des opérations procédant des vertus sensitives par le commandement de la raison,

lesquelles <vertus sensitives> tendent toujours vers le contraire - s i nous ne sommes pas

réprimés46 par la raison au moyen de l'habitude- et c'est pourquoi, quoique l'acte multiplié

soit requis pour la vertu coutumière - ca r du reste elle n'est pas acquise au moyen des

opérations procédant des vertus sensitives -, elle ne doit pas être dite coutumière.

§ 41 <2*> À l'autre je dis que la science ou la doctrine était comme la cause prochaine

à l'égard de la vertu intellectuelle, mais à l'égard de la vertu coutumière elle est éloignée,

d'où la volonté et l'opération sont des causes prochaines à l'égard d'elle. D'où il dira plus bas

que savoir ou bien peu ou bien rien contribue à la vertu et c'est pourquoi il ne dit pas ainsi

qu'elle soit générée à partir de la doctrine comme il le dit de la <vertu> intellectuelle.

<EXPOSITION LlTTÉRALE>

§ 42 On expose la lettre ainsi. Or, la double <vertu> etc. Ainsi dans le livre précédent

nous avons divisé la vertu par l'intellectuelle et la coutumière, or. Mais double vertu, c'est-à-

dire puisque la vertu est double, ce qu'il expose en disant celle-ci certes intellectuelle, celle-là

pour sa part coutumière. Et note que la vertu intellectuelle et la <vertu> coutumière sont

= quo ad = cohercemur

371

<quelque chose> d'unique dans la racine et dans la Cause efficiente Première, mais dans la

cause suivante elles sont diverses, comme il a été vu avant. Et c'est pourquoi elles ne sont ni

<purement et> simplement47 une seule ni <purement et> simplement48 deux ; et pour cela il

dit double. Ensuite, il manifeste la première différence en disant que celle qui est intellectuelle

a beaucoup à partir de la doctrine et il manifeste de quelle manière elle a beaucoup, parce que

et elle est générée à partir de la doctrine et elle augmente à partir des <choses> augmentées.

Mais cela ne semble pas vrai, parce que selon cela celui qui plus avait de la doctrine, plus

avait de la vertu intellectuelle, dont le contraire semble manifeste. Et il faut répondre que celui

qui plus a de la doctrine plus a de la vertu intellectuelle si les <choses> restantes sont

pareilles49 en eux et ainsi <le> comprend50 l'auteur, mais si les <choses> restantes n'étaient

pas pareilles alors ce ne serait pas nécessaire. Ensuite, il dit et c 'estpourquoi etc., c'est-à-dire

parce que la vertu intellectuelle est générée à partir de la doctrine et la doctrine est acquise au

moyen de l'expérience. C'est pourquoi la vertu intellectuelle a besoin d'expérience et parce

que l'expérience n'est pas relative à un seul particulier ni pour un seul temps, au contraire

<elle est> relative à des nombreux et pour des divers, c'est pourquoi il ajoute et temps.

Ensuite, il manifeste une autre différence en disant que celle qui est la <vertu> coutumière

résulte à partir de l'habitude, cela est par des opérations procédant des vertus sensitives qui

s'habituent par commandement de la raison et il pose un signe pour cela en disant d'où elle

recevra le nom, comme s'il disait que la vertu coutumière reçoit le nom d'elle, c'est-à-dire de

la coutume, lequel nom s'écarte peu parce que 'coutume' dit l'abstrait <purement et>

simplement, et 'coutumière' dit le concret en puissance, 'accoutumé' dit le concret en acte, et

c'est pourquoi 'accoutumé' s'écarte plus de 'coutume' que de 'coutumière', et pour cela il dit

peu.

47 = simpliciter 48 = simpliciter 49 = si reliqua sunt paria 50 = intelligit

APPENDICE A

INDEX QUESTIONUM

Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem

0. INTRODVCTIO

0.1. De comparatione ueri ad bonum et horum ad ens et unum ; et propter quid

potius de ente sub ratione ueri uel sub ratione boni sit scientia quam sub

ratione unius.

0.2. Vtrum bonum possit esse subiectum moralis scientie et quomodo accipiatur

'bonum' cum dicimus moralem scientiam esse de bono ?

0.3. Vtrum moralis philosophus possit determinare de felicitate ?

0.4. Si moralis philosophus possit determinare de felicitate et uirtute, de quo prius

habeat determinare ?

0.5. Cum non sit scientia nisi ad remouendum errorem incidentem uel incidere

potentem, erit questio : utrum contingat hominem errare respectu boni, quia si

non, superflueret hec scientia.

0.6. Quid est principium uel ratio deuiationis uel erroris in homine.

In Ethicam Nouam

1. LECTIO I : Omnis ars et omnis doctrina et cetera...

1.1. Circa partem istam : « omnis ars et omnis doctrina et cetera ».

1.2. Circa istam conclusionem : « omnia bonum appetunt ».

1.3. Circa fïnium uel bonorum diuisionem quam ponit hic.

2. LECTIO II : Multis autem existentibus operationibus et cetera...

2.1. Prima pars.

373

2.1.1. Quia dicit quod nisi esset ponere summum bonum siue finem optimum

esset desiderium uanum et inane, queritur utrum sit ponere aliquod optimum siue

summum bonum.

2.1.2. Vtrum sint plura summe bona.1

2.1.3. Vtrum sit ponere summe malum sicut summe bonum.

2.1.4. Vtrum malum dicat naturam aliquam uel defectum solum.

2.2. Secunda pars.

2.2.1. Vtrum summum bonum incausatum possit cognosci ?

2.2.2. De hoc quod dicit quod cognitio augmentât ipsum.

3. LECTIO III : Si autem ita temptandum est et cetera...

3.1. Vtrum optimum quod est bonum incausatum possit diffiniri ?

3.2. Vtrum per positionem possit cognosci quid sit uel solum per priuationem ?

3.3. De hoc quod dicit quod summum bonum, id est optimum, de consideratione

est doctrine ciuilis et quod doctrina ciuilis est principalior.

3.4. Super hoc quod dicit quod ciuilis habet determinare quas scientias oportet

unumquemque addiscere et usquequo et de hoc quod dicit quod omnes alie artes sunt sub

ciuili et fines sub fine eius.

3.5. Super hoc quod illud bonum, quod sic est optimum, appellat humanum et

deinde diuinum.

4. LECTIO IV : Dicetur utique et cetera...

4.1. Super hoc quod dicit quod sufficit determinare de hoc bono optimo, si ipsum

manifestatur secundum substantiam, per hoc uolens dicere modum diuersum procedendi

in doctrina ciuili ab aliis doctrinis.

4.2. Super hoc quod dicit quod in omni scientia certitudo non est similiter

querenda.

' « Item queritur an possint plura esse summe bona, ita quod 'summe' privet suppositionem et non equalitatem, id est quod sint equalia ». PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WlCKI, q. 4, p. 21, 29-30.

374

4.3. Super hoc quod dicit quod multi errant circa bona et iusta, de quibus doctrina

ciuilis scrutatur.

4.4. Super hoc quod dicit quod de hiis determinandum est ueritatem grosse et

typo.

4.5. Super hoc quod dicit quod omnia iudicat recte, qui circa omnia doctus est.

5. LECTIO V : Idcirco doctrine ciuilis non est et cetera... 5.1. Super hoc quod hic déterminât auditorem doctrine ciuilis, dicens quod non

débet esse puer.

5.2. Super hoc quod dicit quod insecutores passionum inaniter et infructuose

essent auditores.

5.3. Super hoc quod dicit quod facientibus et operantibus ea que sunt secundum

rationem multum, erit utile audire doctrinam ciuilem.

5.4. De recapitulatione.

6. LECTIO VI : Dicamus autem de re et cetera... 6.1. Vtrum bonum sit cuius gratia omnia operantur ?

6.2. Vtrum gratia eiusdem uel diuersi ?

6.3. De hoc quod dicit quod omnis cognitio et proheresis exoptat bonum

summum.

6.4. Propter quid omnes concordati sunt in nomine felicitatis.

6.5. Vtrum bene posuerint ponentes felicitatem esse in diuitiis et aliis bonis

nature ?

6.6. Vtrum uia siue ratio que est a principiis sit certior quam que ad principia ?

6.7. Vtrum uerum sit quod dicit quod oportet eum qui intendit felicem esse bene

<se> instrui <uirtutibus> consuetudinalibus, id est ut assuescat se ad bonum

375

7. LECTIO VII : Nunc autem ad id unde discessimus et cetera... 7.1. De situ huius partis.

7.2. Super hoc quod dicit quod multi irrationabiliter posuerunt felicitatem esse

uitam.

7.3. De diuisione uite.

7.4. De hoc quod dicit reprobans opinionem ponentium felicitatem esse

uoluptatem.

7.5. De hiis que dicit reprobans opinionem ponentium honores esse felicitatem.

7.6. <De opinione> ponentium uirtutem esse felicitatem.

7.7. <De opinione> ponentium felicitatem esse diuitias uel in diuitiis.

8. LECTIO VIII : Quid autem uniuersale commodius est forte scrutari... 8.1. De positione ydearum et utrum Primum sit ydea et utrum una uel plures.

8.2. Vtrum res habeant esse uerius in Primo quam in proprio génère ?

8.3. Vtrum bonum dicatur secundum unam rationem de bono incausato et de rébus

causatis ?

8.4. Super hoc quod dicit quod Platonici non posuerunt ydeas numerorum.

8.5. Super hoc quod dicit quod bonum teruit omne genus et dicitur de rébus

omnium generum.

8.6. Super hoc quod dicit quod quorum est una ydea, eorum est doctrina una.

8.7. Super hoc quod dicit quod illud quod per se dicitur, non dicitur magis uel

minus.

9. LECTIO IX : Probabilius autem et cetera... 9.1. Supra quedam dicta in precedenti lectione : uidelicet quod commodius est

scrutari utrum bonum dicatur uniuoce et de ydea boni, quam querere utrum summum

bonum sit in diuitiis, honoribus et uoluptatibus.

9.2. De hoc quod dicit quod Pytagorici probabilius dicebant quam Platonici et de

hoc quod dicit quod fecerunt mentionem siue sermonem uel tractatum de omni bono.

376

9.3. Super hoc quod reprobat diuisionem Pytagoricorum in bonum propter se et

propter aliud.

9.4. Cum primum sit ydea rerum, utrum sit ydea cuiuslibet rei naturalis et

artificialis, rei complète et incomplète ?

9.5. Cum isti Pytagorici posuerint numéros principia rerum, quid ad hoc mouit

eos ?

9.6. Vtrum bonum sit unum proportione, sicut dicit in littera ?

9.7. Super hoc quod dicit quod medicus siue medicina inquirit sanitatem non de

homine simpliciter, set de hoc homine.

10. LECTIO X : Rursus autem reuertamur et cetera...

10.1. Vtrum plures conditiones uel proprietates sint determinande de felicitate ?

10.2. Vtrum iste et pênes quid accipiantur ?

10.3. Vtrum félicitas causata magis debeat dici finis quam incausata, uel e

conuerso ?

10.4. Vtrum félicitas debeat dici bonum perfectissimum ?

10.5. Vtrum per se sufficiens et utrum sufficientia felicitatis debeat redundare a

patribus in filios ?

10.6. Vtrum félicitas sit bonum eligibilissimum ?

10.7. Vtrum aliud bonum possit connumerari cum felicitate ?

10.8. Vtrum félicitas debeat dici uirtus propter hoc quod dicit quod non est

connumeranda cum aliis uirtutibus ?

11. LECTIO XI : Desideratur autem et cetera...

11.1. Vtrum félicitas sit corporis, anime, uel coniuncti ?

11.2. Vtrum sit opus proprium unicum hominis ?

11.3. Vtrum insit secundum partem rationabilem actiuam, sicut dicit ?

11.4. Vtrum sit eadem cum uita naturali secundum speciem ?

11.5. Vtrum actiua speculatiua principalior sit, sicut dicit ?

377

12. LECTIO XII : Si autem opus et cetera... 12.1. Vtrum félicitas insit anime secundum actionem anime uel uirtutem ?

12.2. Vtrum uerum sit quod ad felicitatem acquirendum plures requiruntur

operationes ?

12.3. Quia dicit quod uero bono omnia concordant, queritur utrum creatura possit

ultra uel supra se diligere primum bonum et uerum, scilicet incausatum bonum.

13. LECTIO XIII : Distribuas autem bonis et cetera...

13.1. De diuisione bonorum quam hic ponit.

13.2. Vtrum anima separata possit mereri uel demereri ?

13.3. Vtrum in ea separata maneat uirtus ?

13.4. Vtrum secundum eam anima separata possit operari ?

13.5. Super hoc quod dicit quod ea que sunt circa felicitatem uidentur esse circa

honores et diuitias et huius gratia queritur utrum maie dispositus secundum appetitum

appetens diuitias super omnia, appetat super omnia sumum bonum.

13.6. Super hoc quod dicit quod omnes iste opiniones fuerunt rationabiles.

13.7. Super hoc quod dicit quod concordat dicentibus felicitatem esse uirtutem.

14. LECTIO XIV : Differt autem et cetera...

14.1. Vtrum félicitas in omnibus sit una numéro, uel dicatur multa bona numéro

differentia in diuersis ?

14.2. Vtrum félicitas sit unum per indiuisionem in eo in quo est, uel sit unum per

compositionem uel per agregationem ?

14.3. Vtrum actus nobilior sit quam habitus ?

14.4. Vtrum <habens> uirtutis habitus possit non operari bonum ?

14.5. Vtrum maior sit delectatio in habitu quam in actu uel e conuerso ?

378

15. LECTIO XV : Vnunt quesitum et cetera... 15.1. Vtrum prouidentia diuina causa sit efficiens felicitatis ?

15.2. Cum non sit causa nisi eorum que prescita sunt ab ea, utrum necessario

presciuit omnia que presciuit ?

15.3. Vtrum possit scire plura quam sciât ?

15.4. Vtrum eius scientia ponat rei existentiam actualem, et unde est quod

cognitio humana diuiditur per scientiam et opinionem, non autem diuina ?

15.5. Vtrum cum Dei prescientia possit stare liberum arbitrium?

15.6. De numéro et differentiis eorum que hic tanguntur.

15.7. Super hoc quod dicit quod félicitas est brauium uirtutis et ideo queritur

utrum pro uirtute debeatur félicitas et pro contrario infelicitas.

16. LECTIO XVI : Reliquorum autem et cetera... 16.1. De diuisione bonorum que hic ponitur.

16.2. Super hoc quod déterminât de tempore in quo félicitas habet inesse.

16.3. Super hoc quod dicit quod puer non est felix.

16.4. Super hoc quod dicit quod morienti inest uel uidetur inesse bonum et

malum.

16.5. Super hoc quod uult felicitatem inesse post mortem et sic anime separate.

17. LECTIO XVII : Domini uero et cetera...

17.1. Prima pars.

17.1.1. Vtrum actus secundum uirtutem siue uirtus plus conférât ad felicitatem

quam scientia ?

17.1.2. Super hoc quod dicit quod actus secundum uirtutem sunt diuini felicitatis

et contrarii contrarii.

17.1.3. Vtrum uerum sit quod uirtus sit permanentior quam disciplina ?

17.1.4. Vtrum maior scientia faciat uitam beatiorem sicut ipse significat ?

379

17.2. Secunda pars.

17.2.1. Vtrum uirtus habita semel possit admitti ?

17.2.2. Cum possit dicere aliquem esse beatum in uita -sicut ipse dicit- et

aliquem post mortem, utrum félicitas uel beatitudo sit perfectior ?

18. LECTIO XVIII : Pronepotum uero et cetera...

18.1. Vtrum félicitas, quo ad sui acquisitionem in nobis, indigeat bonis fortune ?

18.2. Vtrum quo ad esse <felicitas indigeat bonis fortune> ?

18.3. Vtrum bona filiorum et mala proueniant ad patres mortuos ?

18.4. Vtrum propria mala que fecerunt in uita cognoscant et similiter bona que

fecerunt ?

18.5. Si uenirent, utrum in patribus mortuis <ali>quid abicerent de felicitate, uel

aliquid adderent felicitati ipsi ?

19. LECTIO XIX : Determinatis autem et cetera... 19.1. Vtrum uirtus sit bonum honorabile prout hic accipitur honorabile ?

19.2. Vtrum félicitas sit bonum laudabile ?

19.3. Vtrum uerum sit quod uult, scilicet quod félicitas non sit bonum spéciale et

determinatum ?

19.4. Vtrum honor sit bonum laudabile ?

19.5. Vtrum laus sit bonum honorabile ?

19.6. Super hoc quod uult quod félicitas sit causa et principium aliorum bonorum.

20. LECTIO XX : Si autem félicitas et cetera... 20.1. Super hoc quod dicit quod felicitatis gratia determinandum est de uirtute,

scilicet quia félicitas inest secundum uirtutem.

20.2. Super hoc quod dicit quod félicitas est actus anime.

380

20.3. Super hoc quod dicit quod determinando de uirtute manifestius fiet de

felicitate.

20.4. De hoc quod dicit quod uirtus humana est que est hominis ratione anime et

non corporis.

20.5. De hoc quod manifestât quod quia uirtus inest anime, ideo gratia uirtutis

moralis philosophus débet inquirere de anima.

20.6. De eo quod manifestât quod magis débet inquirere de anima, et cognoscere

partes anime, quam medicus oculorum totum corpus uel partes corporis.

20.7. De diuisione anime per istas potentias rationale et irrationale et erit questio

utrum potentie anime différant ab eius essentia necne.

20.8. Vtrum in homine hee differentie -rationale, sensibile et uegetabile- ut

accipiantur in anima subiecto différant uel sicut proprietates diuerse subiecti unius ?

21. LECTIO XXI : Hec igitur communis et cetera...

21.1. De ratione felicitatis quam ponit. Ponit enim uirtutem in ratione felicitatis.

21.2. Cum dicitur félicitas est actus siue endelichia et anima dicitur endelichia,

potest queri secundum quem modum diuersum utrumque illorum dicitur esse actus.

21.3. Si prius est diffinire quam diuidere, propter quid non diffinit primo uirtutem

que est ad felicitatem, quam diuidat per intellectualem et moralem ?

21.4. Quare sic diuidit animam per suas differentias ?

21.5. De quadam similitudine quam ponit inter incontinentem et paraliticum.

21.6. De hoc quod inuestigat differentias ipsius anime usque ad illam secundum

quam inest uirtus et non ulterius uidetur procedere ad illam differentiam secundum quam

separantur ad inuicem uirtus intellectualis et moralis.

21.7. Vtrum sompnium inducat peccatum uel non ?

21.8. a. Vtrum possit esse in angelis potestas ad malum ? b. Vtrum in primo sit

potestas ad malum ?

381

In Ethicam Veterem

22. LECTIO XXII : Duplici autem uirtute et cetera...

22 A. Vtrum tantum debeat esse una uirtutis differentia ?

22.2. De diuisione uirtutis per intellectualem et consuetudinalem, utrum sit

sufficiens ?

22.3. Vtrum omnis uirtus sit intellectualis ?

22.4. Vtrum moralis philosophus debeat determinare de uirtute intellectuali ?

22.5. Super hoc quod dicit quod intellectualis generatur per doctrinam et augetur,

et ideo indiget experimento et tempore.

22.6. Super hoc quod dicit quod consuetudinalis fit ex assuetudine.

23. LECTIO XXIII : Ex quo manifestum est et cetera...

23.1. Vtrum uirtutis consuetudinalis principium sit natura ?

23.2. Vtrum que naturalia sunt possunt asuesci ad contrarium ?

23.3. Vtrum operationes uirtutum consuetudinalium antecedant ad uirtutes ?

23.4. Super hoc quod dicit quod législatures faciunt ciues bonos assuetudine.

23.5. Super hoc quod dicit ex eisdem ipsis fieri et corrumpi uirtutem.

23.6. Super hoc quod dicit quod conuersando cum hominibus sumus boni et mali.

24. LECTIO XXIV : Quoniam igiturpresens opus et cetera...

24.1. Super hoc quod dicit quod presens opus non est contemplationis gratia, set

ut boni fiamus.

24.2. Super hoc quod dicit quod non scrutatur ut sciamus quid sit uirtus, set ut

boni fiamus.

24.3. Super hoc quod dicit quod operationes sunt domine habituum.

24.4. Vtrum una operatio sufficiat ad uirtutem consuetudinalem, uel de necessario

requiruntur plures ?

382

24.5. Super hoc quod dicit secundum rectam rationem operari commune est ad

uirtutem.

24.6. Super hoc quod dicit quod operationes ex quibus uirtus derelinquitur nichil

habent certum et quod dépendent a tempore.

25. LECTIO XXV : Prius igitur et cetera...

25.1. Super hoc quod dicit uirtutem corrumpi a superfluitate in indigentia.

25.2. Quomodo uirtus possit corrumpi ? ■

25.3. De inductione quam facit in diuersis speciebus uirtutis.

25.4. Super hoc quod dicit uirtutem generari et saluari et augeri ex eisdem.

25.5. Vtrum uirtus possit augeri ?

25.6. Super hoc quod dicit habitus causa esse operationum.

26. LECTIO XXVI : Signum autem habituum et cetera...

26.1. Super hoc quod dicit quod delectatio et tristitia signa sunt habituum.

26.2. Super hoc quod dicit uirtutem consuetudinalem esse circa delectationes et

tristitias.

26.3. Vtrum sit similiter uirtus intellectualis circa delectationes et tristitias ?

26.4. De hoc quod dicit omnem actum et omnem passionem sequitur delectatio et

tristitia.

26.5. De hoc quod dicit quod pêne fiunt per delectationes et tristitias et per

contraria sicut in medicina.

26.6. Super hoc quod dicit uirtutem esse operatiuam optimorum et maliciam esse

operatiuam contrarii.

26.7. Super hoc quod dicit tria esse appetibilia : bonum, conferens et

delectabilem.

26.8. Super hoc quod dicit uitium magis esse circa delectationes quam circa

tristitias.

26.9. De hoc quod dicit quod circa magis difficilia est ars et uirtus.

383

27. LECTIO XXVII : Queret autem aliquis et cetera... 27.1. Super hoc quod dicit quod facientes iusta fimus iusti, set non sumus.

27.2. Vtrum unica operatio bona sufficiat ad uirtutem ?

27.3. Super hoc quod dicit quod facientes iusta non summus iusti.

27.4. De hoc quod dicit quod scire parum aut nichil prodest ad uirtutem.

27.5. <Vtrum scientia magis confert ad uirtutem quam uoluntas uel e conuerso ?>

27.6. Vtrum plus peccet bonum cognoscens et malum operans quam qui non est

huiusmodi et utrum similiter bene operando magis uel minus mereatur ?

28. LECTIO XXVIII : Post hec autem quid est uirtus et cetera... 28.1. Super hoc quod dicit hic scrutandum est quid est uirtus.

28.2. Super hoc quod dicit tantum tria esse in anima : passiones, potentias et

habitus.

28.3. De notificatione passionum.

28.4. De notificatione potentiarum.

28.5. De notificatione habituum.

28.6. Super hoc quod dicit quod secundum passiones non dicimur boni set mali,

neque laudamur, neque uituperamur.

28.7. Vtrum passiones anime uoluntarie sunt naturales ?

28.8. De diffinitione uirtutis quam ponit hic et super hoc quod dicit quod hec est

diffinitio uirtutis communiter.

29. LECTIO XXIX : Adhuc autem et cetera

29.1. Super hoc quod dicit quod modo isto erit manifestius de uirtute quam modo

predicto.

29.2. De hoc quo hic accipit continuum et discretum, ad ostendendum in

operationibus et passionibus esse extrema et médium.

384

29.3. Super hoc quod dicit bonum siue uirtutem consistere in medietate quo ad

nos et non rei.

29.4. Super hoc quod dicit quod omnis ars siue doctrina operatur respiciendo

médium non rei set quo ad nos. 29.5. Super hoc quod dicit quod uirtus est certior omni arte.

29.6. Super hoc quod dicit quod esse in medietate quo ad nos dicitur de uirtute

consuetudinali, et ideo queritur utrum similiter sit uerum de intellectuali.

29.7. De hoc quod dicit malum infinitum et bonum finitum et quia infinitum uno

modo dicitur quod non habet finem.

29.8. Vtrum malum possit habere finem ?

29.9. Super hoc quod dicit quod facile est malum operari, set difficile bonum.

29.10. Super hoc quod ponit diuersas distinctiones uirtutis.

30. LECTIO XXX : Non au te m suscipit et cetera... 30.1. Vtrum omnis operatio et passio habeant médium ?

30.2. De passionibus de quibus exemplificat.

30.3. De operationibus.

30.4. De rationibus per quas ostendit propositum.

31. LECTIO XXXI : Oportet autem superius et cetera...

31.1. De hoc quod dicit quod oportet determinare de medietatibus operationum

non in uniuersali set in singularibus, aptare et manifestare.

31.2. Propter quid incipit a fortitudine que sit medietas consistens circa

operationes partis irascibilis ?

31.3. Vtrum fortitudo possit esse medietas, uel necessario diuerse.

31.4. De medietate quam déterminât circa partem concupiscibilem siue circa eius

operationes.

31.5. De extremitatibus eius.

31.6. De liberalitate et magnificentia, utrum sint una medietas uel diuerse ?

385

31.7. Super hoc quod diuidit per magnum et paruum honorem circa ea que

appetuntur et dantur et propter quid primo déterminât medietatem in appetendo et

fugiendo honorum magnorum et dando ; uero primo déterminât medietatem respectu

pecuniarum.

32. LECTIO XXXII : Nunc autem de reliquis et cetera... 32.1. Pars in qua déterminât auctor medietas et extremitates circa passiones et

operationes.

33. LECTIO XXXIII : Tribus utique dispositionibus...

33.1. De prima medietate quam dicat auctor et de eius extremitatibus.

33.2. De secunda et de eius extremitatibus.

33.3. De tertia et sic de aliis.

34. LECTIO XXXIV : Ad médium autem opponitur in hiis magis... 34.1. De hoc quod dicit auctor superius quod extrema medio opponuntur.

34.2. Vtrum malum causam habet, gratia huius quod dicit auctor quod per

reluctari a medio sumus mali ?

34.3. Dubitatur gratia huius utrum malum causam habeat in qua ?

34.4. De hoc quod dicit quod extrema magis opponuntur inter se quam ad

médium.

34.5. De hoc quod dicit quod difficile est inuenire médium in unaquaque re.

35. LECTIO XXXV : Virtute autem circa passiones et operationes existente et

cetera...

35.1. De uoluntario et inuoluntario, unde dubitatur primo utrum ad moralem

<scientiam> de uoluntate pertineat determinare.

386

35.2. Vtrum debeat determinari de scientia et scibili sicut de uoluntate et

uoluntario ?

35.3. Cum ad uirtutem requiratur scire et uelle, cui istorum actuum magis

attribuenda sit uirtus ?

35.4. Vtrum malum sit uoluntarium uel inuoluntarium ?

35.5. De diuisione inuoluntarii.

35.6. De diffinitione uiolenti.

35.7. De hoc quod dicit quod huiusmodi operationes, que fiunt propter timorem

aut aliquid huiusmodi, partim sunt uoluntarie partim inuoluntarie, unde dicit quod sunt

mixte.

36. LECTIO XXXVI : Quoniam autem per ignorantiam inuoluntarium et

cetera... 36.1. De situ et ordinatione huius capituli.

36.2. De hoc quod dicit quod qui operatur ignorantia et non tristatur, non operatur

uolens neque nolens ; uolens non enim quia nesciuit, nolens non quia non tristatur.

36.3. De hoc quod dicit quod qui operatur per ebrietatem aut iram non operatur

per ignorantiam set ignorans, et gratia huius dubitatur.

36.4. Vtrum ille qui operatur malum per ebrietatem aut furorem peccet ?

36.5. Vtrum uoluntas precedens possit esse causa uel sit causa operationis maie

que sequitur ?

36.6. De hoc quod dicit quod omnis malus est ignorans.

36.7. Quis magis peccet utrum peccans scienter uel peccans ignoranter ?

36.8. De diffinitione uoluntatis.

36.9. Vtrum circa operationes que fiunt per desiderium et iram consistât peccatum

uel attendatur ?

37. LECTIO XXXVII : Determinatis autem uoluntario et inuoluntario...

37.1. Vtrum liberum arbitrium sit una potentia uel due ?

387

37.2. Vtrum liberum arbitrium sit ad bonum et ad malum, uel ad bonum tantum ?

37.3. De rationibus per quas probat auctor quod eligentia non sit uoluntas

simpliciter set uoluntas contracta ad subiectum.

37.4. De illis per quas probat quod non sit desiderium aut ira.

37.5. De rationibus per quas probat quod non sit uoluntas contracta ad obiectum.

37.6. De rationibus per quas probat quod non sit opinio.

37.7. De consiliabili, set de isto parum, quia inferius dubitatur de consilio et de

consiliabili.

38. LECTIO XXXVIII : Videtur autem non omnis questio esse consilium...

38.1. Vtrum sit ponere consilium in Primo ?

38.2. Vtrum liberum arbitrium insit Ei siue utrum liberum arbitrium habeat ?

38.3. Vtrum sit ponere liberum arbitrium in intelligentis separatis ?

38.4. De diffinitione consilii.

39. LECTIO XXXIX : Videtur autem hiis quidem boni et cetera...

39.1. Vtrum uoluntarium per se sit boni ?

39.2. Vtrum malum sit alicui uoluntarium ?

39.3. De hoc quod dicit quod in nobis est fieri décentes et indécentes.

39.4. De quibusdam aliis que dicit in littera, set illud in exponendo litteram

queretur.

40. LECTIO XL : Adhuc irrationale videtur iniusta facientem et cetera...

40.1. De prima ratione et de hoc quod innuit quod magis inclinemur ad malus

quam ad bonum.

40.2. De secunda ratione.

40.3. De tertia.

388

41. LECTIO XLI : Quoniam igitur quidem medietas et cetera... 41.1. Vtrum hic accipiatur fortitudo secundum eundem modum aut secundum

modum diuersum ?

41.2. Propter quid diuersimode sumitur ?

41.3. Si fortitudo secundum quod hic dicitur contineatur sub fortitudine, prout

accipitur a Tullio, utrum contineatur sicut species in génère aut sicut pars in toto ?

41.4. Cum fortitudo contineat illas très uirtutes iam dictas : fortitudinem,

humilitatem et uerecundiam, propter quid habitus uirtutis irascibilis circa unum retinet

nomen fortitudinis generali, potius quam circa alium actum ?

41.5. Propter quid fortitudo magis consistit in audendo quam in timendo ?

42. LECTIO XLII : Dicuntur autem et alie secundum quinque modos et cetera.,

42.1. De ueritate capitali et ordinis et de differentia fortitudinis.

42.2. De diffinitione et de hiis que dicit in prima parte principali.

42.3. De hiis que dicit in secunda parte principali.

43. LECTIO XLIII : Circa autem timorés et audacias et cetera...

43.1. De hoc quod dicit fortitudinem esse circa timere et audere.

43.2. Vtrum sit eius timere ut oportet et si est eius timere ut oportet quomodo

ipsum sit ordinatum ad audere et sufferre ?

43.3. De hoc quod dicit non in omnibus uirtutibus existere operari delectabiliter

sicut accidit in opère fortitudinis.

43.4. Vtrum similiter sic accidat uirtus et uicium circa tristari recte et non recte,

sicut accidit circa delectari recte et non recte ?

43.5. Cum ipsius fortis sit timere aut pati a terribilibus, quomodo erit ergo simul

fortis et patiens ?

389

44. LECTIO XLIV : Post hec autan de castitate et cetera... 44.1. Cum temperantia sit una uirtus generalium uirtutum habens in se genus,

species aut partes : modestiam, uerecundiam, abstinenciam, honestatem, moderantiam,

partitatem, pudentiam, sobrietatem, quas istarum comprehendat in se castitas et quare ?

44.2. Qualiter uerecundia contineatur sub fortitudine, qualiter contineatur sub

temperantia ?

44.3. De hiis quomodo sunt partes temperantie sicut prius quesitum fuit de

partibus fortitudinis et de numéro earum ?

44.4. Cum diuerse sint potentie anime uegetabilis - nutritiuum et generatiuum -,

diuersis potentiis diuersi habitus respondent et diuersis actibus similiter. Videbitur ergo

quod non sit una uirtus castitas immo multe.

44.5. Cuiusmodi uirtus sit circa delectationes animales que sunt et2 in

consimilibus3 ?

44.6. Quare dicat de castitate et incontinentia circa quas delectationes sunt et circa

quas non sunt ?

44.7. De hoc quod dicit castitatem esse circa delectationes

45. LECTIO XLV : Desideriorum quidem hec uidentur et cetera... 45.1. Propter quid in tractatu de fortitudine assignat species apparentis fortitudinis

et non existentis, in hoc tractatu uero nullam assignat speciem apparentis castitatis ?

45.2. Qualiter superhabundantia que est pênes fortitudinem in duo diuiditur ?

45.3. Vtrum castitas attendatur secundum corruptionem mentis et integritatem

corporis aut solum secundum corruptionem mentis aut uirtutis concupiscibilis in

homine ?

45.4. Cum sit duplex passio in nobis quarum una nominatur primus motus altéra

uero non, utrum secundum utrumque passionem dicenda est castitas uel in altéra sibi

opposita ?

45.5. Quantum ad hoc quod dicit « in naturalibus desideriis pauci peccant ».

2 et OF] om. A 3 consimilibus OF] animatoribus? fabularum et in add. praem. A

390

45.6. Quantum ad hoc quod dicit « castus desiderat quecumque sunt ad sanitatem,

uel bonam habitudinem, delectabilia et cupit mensurate ».

APPENDICE A

TABLE DES QUESTIONS (traduction)

ANONYME, MAÎTRE ES ARTS r

Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Ethique

0. INTRODUCTION

0.1. Du rapport du vrai au bien et de ces <deux> à l'étant et à l'un ; et pourquoi la

science est plutôt relative à l'étant sous le rapport du vrai ou sous le rapport du bien que

sous le rapport de l'un ?

0.2. Le bien peut-il être le sujet de la science morale et de quelle manière 'bien'

est-il interprété lorsqu'on dit que la science morale est relative au bien ?

0.3. Le philosophe moral peut-il traiter de la félicité ?

0.4. Si le philosophe moral peut traiter de la félicité et de la vertu, de laquelle

devrait-il traiter d'abord ?

0.5. Puisque il n'y a de science que pour enlever une erreur se présentant ou

pouvant se présenter, il y aura la question : arrive-t-il que l'homme se trompe à l'égard du

bien, parce que si non, cette science serait superflue ?

0.6. Quel est le principe ou la raison de la déviation ou de l'erreur chez l'homme ?

Sur la Nouvelle Éthique

1. LEÇON I : Tout art et toute doctrine etc.

1.1. Concernant cette partie : « tout art et toute doctrine etc. ».

392

1.2. Concernant cette conclusion : « toutes les <choses> souhaitent le bien ». 1.3. Concernant la division des fins ou des biens qu'<Aristote> pose ici.

2. LEÇON II : Or, à partir de beaucoup d'opérations existantes etc.

2.1. Première partie.

2.1.1. Parce qu'il dit que le désir serait en vain et vide si on ne posait pas un

souverain bien ou une fin optimale, on demande si quelque chose d'optimal ou un

souverain bien a à être posé ?

2.1.2. Y a-t-il plusieurs <choses> souverainement bonnes ?

2.1.3. Le mal souverainement a-t-il à être posé comme le bien souverainement ?

2.1.4. Le mal exprime-t-il une certaine nature ou seulement un défaut ?

2.2. Deuxième partie.

2.2.1. Le souverain bien non causé peut-il être connu ?

2.2.2. De cela qu'<Aristote> dit que la connaissance augmente le <bien> même.

3. LEÇON III : Or, s'il faut examiner ainsi etc. 3.1. L'optimal qui est le bien non causé peut-il être défini ?

3.2. Le 'qu'est-ce que c'est' peut-il être connu par position ou seulement par

privation ?

3.3. De cela qu'<Aristote> dit que le souverain bien, à savoir l'optimal, est relatif

à la considération de la doctrine civile et que la doctrine civile est davantage principale.

3.4. Sur cela qu'<Aristote> dit que la <doctrine> civile a à déterminer quelles

sciences il faut enseigner, à qui et jusque quand <il faut les enseigner>, et de cela qu'il dit

que toutes les autres sciences sont subordonnées à la <science> civile et <leurs> fins

subordonnées à sa fin.

3.5. Sur cela qu'<Aristote> dit que ce bien, qui ainsi est optimal, s'appelle humain

et ensuite divin.

393

4. LEÇON IV : En tout cas on dira etc. 4.1. Sur cela qu'<Aristote> dit qu'il suffit de traiter de ce bien optimal, si celui-ci

se manifeste selon la substance, voulant dire par cela <qu'il y a> dans la doctrine civile

un mode de procéder divers des autres doctrines.

4.2. Sur cela qu'<Aristote> dit que la certitude n'a pas à être recherchée de la

même manière dans toute science.

4.3. Sur cela qu'<Aristote> dit que beaucoup se trompent concernant les choses

bonnes et justes, lesquelles la doctrine civile scrute.

4.4. Sur cela qu'<Aristote> dit que de ces <choses> il faut déterminer la vérité

grosso modo et au sens figuré.

4.5. Sur cela qu'<Aristote> dit que celui qui est docte en tout, juge droitement de

toute <chose>.

5. LEÇON V : Pour cette raison la doctrine civile n'est pas etc. 5.1. Sur cela qu'<Aristote> traite ici de l'auditeur de la doctrine civile, en disant

qu'il ne doit pas être un enfant.

5.2. Sur cela qu'<Aristote> dit que les poursuivants des passions seraient en vain

et infructueusement des auditeurs <de cette doctrine>.

5.3. Sur cela qu'<Aristote> dit que pour ceux qui font et opèrent des <choses>

selon la raison, il sera très utile d'écouter la doctrine civile.

5.4. De la récapitulation.

6. LEÇON VI : Or, disons relativement à la chose etc. 6.1. Le bien est-il ce en vue de quoi toutes les <choses> opèrent ?

6.2. <Toutes les choses opèrent-elles> en vue du même <bien> ou en vue de

divers <biens> ?

6.3. De cela qu'<Aristote> dit que toute connaissance et choix <délibéré>

souhaitent le souverain bien.

6.4. Pourquoi tous sont en accord sur le nom de 'félicité' ?

394

6.5. Ont-ils bien fait ceux qui ont posé que la félicité est dans les richesses et dans

d'autres biens de la nature ?

6.6. La voie ou la raison qui est à partir des principes est-elle plus certaine que

celle qui <est> vers les principes ?

6.7. Est-ce vrai ce qu'<Aristote> dit qu'il faut que celui qui a l'intention d'être

heureux soit bien instruit pour les vertus coutumières, c'est-à-dire qu'il s'habitue au

bien?

7. LEÇON VII : Or, maintenant vers cela d'où nous nous sommes écartés etc.

7.1. Du lieu de cette partie.

7.2. Sur cela qu'<Aristote> dit que beaucoup ont posé irrationnellement que la

félicité est une <sorte de> vie.

7.3. De la division de la vie.

7.4. De cela qu'<Aristote> dit en refusant l'opinion de ceux qui posent que la

félicité est le plaisir.

7.5. De ces <choses> qu'<Aristote> dit en refusant l'opinion de ceux qui posent

que les honneurs sont la félicité.

7.6. <De l'opinion> de ceux qui posent que la vertu est la félicité.

7.7. <De l'opinion> de ceux qui posent que la félicité est la richesse ou dans la

richesse.

8. LEÇON VIII : Or, il est plus convenable de scruter qu'est-ce que l'universel. 8.1. Relativement à la position des idées, le Premier est-il une idée et en est-il une

ou plusieurs ?

8.2. Les choses ont-elles l'être plus vraiment dans le Premier que dans leur propre

genre ?

8.3. Le bien se dit-il selon une seule raison relativement au bien non causé et aux

choses causées.

395

8.4. Sur cela qu'<Aristote> dit que les Platoniciens n'ont pas posé les idées des

nombres.

8.5. Sur cela qu'<Aristote> dit que le bien épuise tout genre et qu'il est dit

relativement aux choses de tous les genres.

8.6. Sur cela qu'<Aristote> dit que de ceux dont il y a une seule idée, d'eux il y a

une seule doctrine.

8.7. Sur cela qu'<Aristote> dit que ce qui se dit par soi ne se dit pas plus ou

moins.

9. LEÇON IX : Or, plus probablement etc.

9.1. Sur certaines choses dites dans la leçon précédente : il va de soi qu'il est plus

convenable de scruter si le bien se dit univoquement et relativement à l'idée de bien, que

de demander si le souverain bien est dans les richesses, dans les honneurs et dans les

plaisirs.

9.2. De cela qu'<Aristote> dit que les Pythagoriciens disaient <des choses> plus

probables que les Platoniciens et de cela qu'il dit qu'ils ont fait une mention, ou un

discours, ou un traité sur tout bien.

9.3. Sur cela qu'<Aristote> rejette la division des Pythagoriciens en bien en soi et

<en bien> pour un autre.

9.4. Puisque premièrement il y a l'idée des choses, y a-t-il une idée de n'importe

quelle chose naturelle et artificielle, <de n'importe quelle> chose complète et

incomplète ?

9.5. Puisque ces Pythagoriciens ont posé les nombres <comme> principes des

choses, qu'est-ce qui les a mené à cela ?

9.6. Le bien est-il un en proportion, comme il dit littéralement ?

9.7. Sur cela qu'<Aristote> dit que le médecin ou la médecine recherche la santé

non de l'homme <purement et> simplement, mais de cet homme.

396

10. LEÇON X : Or, nous revenons en arrière etc. 10.1. Plusieurs conditions ou propriétés sont-elles déterminées relativement à la

félicité ?

10.2. Selon quoi aussi sont-elles interprétées ?

10.3. La félicité causée devrait-elle davantage être dite fin que la <félicité> non

causée, ou l'inverse ?

10.4. La félicité devrait-elle être dite bien perfectissime ?

10.5. La félicité devrait-elle être dite suffisante par soi et devrait-elle rejaillir des

parents sur les enfants ?

10.6. La félicité est-elle un bien éligible au plus haut point ?

10.7. Un autre bien peut-il être compté avec la félicité ?

10.8. La félicité devrait-elle être dite vertu à cause de cela qu'<Aristote> dit qu'il

ne faut pas la compter avec les autres vertus ?

11. LEÇON XI : Or, on désire etc.

11.1. La félicité est-elle du corps, de l'âme ou du composé ?

11.2. <La félicité> est-elle une œuvre uniquement propre de l'homme ?

11.3. <La félicité> réside-t-elle <dans l'homme> selon la partie rationnelle active,

comme <Aristote> le dit ?

11.4. <La félicité> est-elle la même avec la vie naturelle selon l'espèce ?

11.5. <La partie> active est davantage principale que la spéculative, comme

<Aristote> le dit ?

12. LEÇON XII : Or, si l'œuvre etc.

12.1. La félicité réside-t-elle dans l'âme selon l'action de l'âme ou selon la vertu ?

12.2. Est-ce vrai que pour acquérir la félicité plusieurs opérations sont requises ?

12.3. Parce qu'<Aristote> dit que toutes les <choses> sont concordantes dans le

vrai-bien, on demande si la créature peut ultérieurement ou plus haut aimer en soi le bien

Premier et vrai, à savoir le bien non causé.

397

13. LEÇON XIII : Or, des biens distribués etc. 13.1. De la division des biens qu'<Aristote> pose ici.

13.2. L'âme séparée peut-elle mériter ou démériter ?

13.3. Dans l'<âme séparée> la vertu demeure-t-elle ?

13.4. Selon la <vertu>, l'âme séparée peut-elle œuvrer ?

13.5. Sur cela qu'<Aristote> dit que ces <choses> qui concernent la félicité

semblent concerner les honneurs et les richesses, et en vue de cela on demande : celui qui

est mal disposé selon l'appétit convoitant les richesses par-dessus tout, convoite-t-il le

souverain bien par-dessus tout ?

13.6. Sur cela qu'<Aristote> dit que toutes ces opinions ont été raisonnables.

13.7. Sur cela qu'<Aristote> dit qu'il est d'accord avec ceux qui disent que la

félicité est une vertu.

14. LEÇON XIV : Or, il diffère etc. 14.1. La félicité chez tous est-elle numériquement une, ou dirait-on que beaucoup

de biens sont numériquement différents dans des <choses> diverses ?

14.2. La félicité est-elle l'un par indivision en ce en quoi elle est, ou est-elle l'un

par composition ou par agrégation ?

14.3. L'acte est-il plus noble que l'habitus ?

14.4. <Celui qui a> l'habitus de la vertu peut-il ne pas opérer le bien ?

14.5. Le plaisir est-il plus grand dans l'habitus que dans l'acte ou l'inverse ?

15. LEÇON XV : L'un demandé etc. 15.1. La providence divine est-elle la cause efficiente de la félicité ?

15.2. Puisque <la providence divine> n'est la cause que de ces <choses> qui sont

sues d'avance par elle, sait-elle d'avance nécessairement toutes les <choses> qu'elle sait

d'avance ?

398

15.3. <La providence divine> peut-elle savoir plus qu'elle ne sait ?

15.4. Sa science pose-t-elle l'existence pratique de la chose et d'où vient <le fait>

que la connaissance humaine se divise en science et opinion, mais non la <connaissance>

divine ?

15.5. Le libre arbitre peut-il se tenir avec la prescience de Dieu ?

15.6. Du nombre et des différences de ces <sujets> qui sont ici touchés.

15.7. Sur cela qu'<Aristote> dit que la félicité est la récompense de la vertu et

c'est pourquoi on demande si la félicité est due pour la vertu et l'infélicité pour <son>

contraire.

16. LEÇON XVI : Or, de ce qui reste etc.

16.1. De la division des biens qu'<Aristote> pose ici.

16.2. Sur cela qu'<Aristote> traite relativement au temps dans lequel la félicité a à

résider.

16.3. Sur cela qu'<Aristote> dit que l'enfant n'est pas heureux.

16.4. Sur cela qu'<Aristote> dit que dans le mourant résident ou semblent résider

le bien et le mal.

16.5. Sur cela qu'<Aristote> veut que la félicité réside <en nous> après la mort et

ainsi dans l'âme séparée.

17. LEÇON XVII : Mais, du maître etc. 17.1. Première partie.

17.1.1. L'acte selon la vertu ou la vertu confère-t-elle plus à la félicité que la

science ?

17.1.2. Sur cela qu'<Aristote> dit que les actes selon la vertu sont d'une félicité

divine et que les <actes> contraires <sont> du contraire.

17.1.3. Est-il vrai que la vertu est plus permanente que la discipline ?

17.1.4. Une science plus grande rend-elle la vie plus béate, comme Aristote même

le signifie ?

399

17.2. Deuxième partie. 17.2.1. La vertu possédée une seule fois peut-elle être admise ?

17.2.2. Puisqu'on peut dire que quelqu'un est béat dans la vie - comme

<Aristote> même le dit - et quelqu'un d'autre après la mort, la félicité ou la béatitude est-

elle plus parfaite ?

18. LEÇON XVIII : Mais des arrière-petits-fils etc.

18.1. La félicité, en ce qui concerne son acquisition en nous, a-t-elle besoin des

biens de la fortune ?

18.2. En ce qui concerne son être, <la félicité a-t-elle besoin des biens de la

fortune> ?

18.3. Les biens et les maux des enfants adviennent-ils aux parents morts ?

18.4. Connaissent-ils les propres maux qu'ils ont faits dans la vie et similairement

les biens qu'ils ont faits ?

18.5. Si les <maux des enfants> revenaient, aviliraient-ils dans les parents morts

quelque chose de <leur> félicité, ou ajouteraient-ils quelque chose à la même félicité ?

19. LEÇON XIX : Or, déterminés etc.

19.1. La vertu est-elle un bien honorable dans la mesure où ici on interprète <le

mot> 'honorable' ?

19.2. La félicité est-elle un bien louable ?

19.3. Est-ce vrai ce qu'<Aristote> veut, à savoir que la félicité n'est pas un bien

spécial et déterminé ?

19.4. L'honneur est-il un bien louable ?

19.5. La louange est-elle un bien honorable ?

19.6. Sur cela qu'<Aristote> veut que la félicité soit la cause et le principe des

autres biens.

400

20. LEÇON XX : Or, si la félicité etc. 20.1. Sur cela qu'<Aristote> dit qu'en vue de la félicité il faut traiter de la vertu, à

savoir parce que la félicité réside <dans l'homme> selon la vertu.

20.2. Sur cela qu'<Aristote> dit que la félicité est un acte de l'âme.

20.3. Sur cela qu'<Aristote> dit qu'en traitant de la vertu deviendrait plus

manifeste <la théorie> de la félicité.

20.4. De cela qu'<Aristote> dit que la vertu humaine est ce qui est de l'homme en

raison de l'âme et non <en raison> du corps.

20.5. De cela qu'<Aristote> manifeste que parce que la vertu réside dans l'âme,

c'est pourquoi le philosophe moral doit enquêter sur l'âme en vue de la vertu.

20.6. De cela qu'<Aristote> manifeste que <le philosophe moral> doit enquêter

davantage sur l'âme et connaître <davantage> les parties de l'âme que le médecin des

yeux <ne doit connaître> tout le corps ou les parties du corps.

20.7. De la division de l'âme par ces puissances rationnelle et irrationnelle, et il y

aura la question si les puissances de l'âme diffèrent de son essence ou non.

20.8. Dans l'homme, ces différences - rationnelle, sensible et végétale - en tant

qu'elles sont considérées dans l'âme diffèrent-elles quant au sujet ou < diffèrent-elles >

comme des propriétés diverses d'un seul et même sujet ?

21. LEÇON XXI : Par conséquent, cette commune etc.

21.1. De la notion de félicité qu'<Aristote> pose. En effet il pose la vertu dans la

notion de félicité.

21.2. Puisqu'il est dit que la félicité est l'acte ou l'entéléchie et <que> l'âme est

dite entéléchie, on peut demander selon quelle manière diverse chacun d'eux est dit être

acte.

21.3. Si définir est avant diviser, pourquoi <Aristote> ne définit pas d'abord la

vertu qui est vers la félicité, avant qu'il ne la divise par intellectuelle et morale ?

21.4. Pourquoi divise-t-il ainsi l'âme par ses différences ?

21.5. D'une certaine similitude qu'<Aristote> pose entre l'incontinent et le

paralytique.

401

21.6. Sur cela qu'<Aristote> enquête les différences de cette âme jusqu'à celle

selon laquelle la vertu réside <dans l'homme> et qu'il ne semble pas procéder

ultérieurement vers cette différence selon laquelle les vertus intellectuelle et morale sont

séparées mutuellement.

21.7. Le songe induit-il au péché ou non ?

21.8. a. Peut-il y avoir dans les anges le pouvoir pour le mal ? b. Y a-t-il dans le

Premier le pouvoir pour le mal ?

Sur la Vieille Éthique

22. LEÇON XXII : Or, sur la double vertu etc.

22.1. Devrait-il y avoir seulement une différence de vertu ?

22.2. De la division de la vertu par intellectuelle et coutumière, est-elle

exhaustive ?

22.3. Toute vertu est-elle intellectuelle ?

22.4. Le philosophe moral devrait-il traiter de la vertu intellectuelle ?

22.5. Sur cela qu'<Aristote> dit que l'intellectuelle est générée par la doctrine et

<qu'elle> augmente, et c'est pourquoi elle a besoin d'expérience et de temps.

22.6. Sur cela qu'<Aristote> dit que la coutumière se produit à partir de

l'habitude.

23. LEÇON XXIII : A partir de cela il est manifeste etc.

23.1. Le principe de la vertu coutumière est-il la nature ?

23.2. <Les choses> qui sont naturelles peuvent-elles s'habituer à <ce qui est>

contraire ?

23.3. Les opérations des vertus coutumières sont-elles antérieures aux vertus ?

23.4. Sur cela qu'<Aristote> dit que les législateurs rendent bons les citoyens par

l'habitude.

402

23.5. Sur cela qu'<Aristote> dit que la vertu se produit et se corrompt à partir des

mêmes <choses>.

23.6. Sur cela qu'<Aristote> dit qu'en fréquentant les hommes nous sommes bons

et mauvais.

24. LEÇON XXIV : Par conséquent, parce que le présent ouvrage etc.

24.1. Sur cela qu'<Aristote> dit que le présent ouvrage n'est pas en vue de la

contemplation, mais pour que nous devenions bons.

24.2. Sur cela qu'<Aristote> dit qu'on ne scrute pas <la vertu> pour que nous

sachions ce qu'est la vertu, mais pour que nous devenions bons.

24.3. Sur cela qu'<Aristote> dit que les opérations sont les souveraines4 des

habitus.

24.4. Une <seule> opération suffit-elle à la vertu coutumière ou plusieurs sont-

elles nécessairement requises ?

24.5. Sur cela qu'<Aristote> dit qu'opérer selon la droite raison est commun à la

vertu.

24.6. Sur cela qu'<Aristote> dit que les opérations, qui sont laissées après la

vertu, n'ont rien de certain et qu'elles dépendent du temps.

25. LEÇON XXV : Par conséquent, avant etc. 25.1. Sur cela qu'<Aristote> dit que dans le besoin la vertu se corrompt par la

superfluité.

25.2. Comment la vertu pourrait se corrompre ?

25.3. De l'induction qu'<Aristote> fait dans les diverses espèces de vertu.

25.4. Sur cela qu'<Aristote> dit qu'à partir des mêmes <choses> la vertu est

générée et est sauvegardée et augmente.

25.5. La vertu peut-elle augmenter ?

25.6. Sur cela qu'<Aristote> dit que l'habitus est la cause des opérations.

4 souveraines = domine

403

26. LEÇON XXVI : Or, le signe des habitus etc. 26.1. Sur cela qu'<Aristote> dit que le plaisir et la tristesse sont signes des

habitus.

26.2. Sur cela qu'<Aristote> dit que la vertu coutumière concerne les plaisirs et

les tristesses.

26.3. La vertu intellectuelle concerne-t-elle similairement les plaisirs et les

tristesses ?

26.4. De cela qu'<Aristote> dit que le plaisir et la tristesse suivent tout acte et

toute passion.

26.5. De cela qu'<Aristote> dit que les peines se produisent par les plaisirs et les

tristesses et par les contraires, comme dans la médecine.

26.6. Sur cela qu'<Aristote> dit que la vertu est opérative des <choses> optimales

et la malice est opérative du contraire.

26.7. Sur cela qu'<Aristote> dit que les <choses> appétissantes sont trois : le

bien, le conférant et le plaisant.

26.8. Sur cela qu'<Aristote> dit <que> le vice concerne davantage les plaisirs que

les tristesses.

26.9. De cela qu'<Aristote> dit que l'art et la vertu concernent davantage les

<choses> difficiles.

27. LEÇON XXVII : Or, quelqu'un demande etc.

27.1. Sur cela qu'<Aristote> dit que faisant des <choses> justes nous devenons

justes, mais nous ne le sommes pas.

27.2. Une seule opération bonne suffit-elle à <constituer> la vertu ?

27.3. Sur cela qu'<Aristote> dit que faisant des <choses> justes nous ne sommes

pas justes.

27.4. De cela qu'<Aristote> dit que savoir peu ou rien sert à la vertu.

404

27.5. <La science confère-t-elle à la vertu davantage que la volonté ou

l'inverse ?>

27.6. Celui qui connaît le bien et opère le mal pèche-t-il plus que celui qui n'est

pas de cette sorte et similairement en opérant bien mérite-t-il davantage ou moins ?

28. LEÇON XXVIII : Or, après celle-ci qu'est-ce que la vertu etc.

28.1. Sur cela qu'<Aristote> dit ici <qu'> il faut scruter ce qu'est la vertu.

28.2. Sur cela qu'<Aristote> dit <qu'>il n'y a que trois <choses> dans l'âme :

passions, puissances et habitus.

28.3. De la notification des passions.

28.4. De la notification des puissances.

28.5. De la notification des habitus.

28.6. Sur cela qu'<Aristote> dit que selon les passions nous ne sommes pas dits

bons mais mauvais, ni nous ne sommes loués, ni nous ne sommes vitupérés.

28.7. Les passions volontaires de l'âme sont-elles naturelles ?

28.8. Sur la définition de la vertu qu'<Aristote> pose ici et sur cela qu'il dit que

celle-ci est communément la définition de vertu.

29. LEÇON XXIX : Or, jusqu'à maintenant etc.

29.1. Sur cela qu'<Aristote> dit que de cette manière <la théorie> relative à la

vertu sera plus manifeste que de la manière prédite.

29.2. De ce pourquoi il interprète ici le continu et le discret, pour montrer que

dans les opérations et les passions il y a des extrêmes et un milieu.

29.3. Sur cela qu'<Aristote> dit <que> le bien ou la vertu consiste en une médiété

par rapport à nous et non en <une médiété> de la chose.

29.4. Sur cela qu'<Aristote> dit que tout art ou doctrine opère en envisageant non

le milieu de la chose mais <le milieu> par rapport à nous.

29.5. Sur cela qu'<Aristote> dit que la vertu est plus certaine que tout art.

405

29.6. Sur cela qu'<Aristote> dit qu'être dans la médiété par rapport à nous est dit

relativement à la vertu coutumière, et c'est pourquoi on demande similairement s'il est

vrai de <la vertu> intellectuelle.

29.7. De cela qu'<Aristote> dit mal infini et bien fini et que l'infini d'une manière

est dit ce qui n'a pas de fin.

29.8. Le mal peut-il avoir une fin ?

29.9. Sur cela qu'<Aristote> dit qu'opérer le mal est facile, mais <opérer> le bien

difficile.

29.10. Sur cela qu'<Aristote> pose diverses distinctions de vertu.

30. LEÇON XXX : Or, elle ne suscite pas etc.

30.1. Toute opération et passion ont-elles un milieu ?

30.2. Des passions sur lesquelles <Aristote> exemplifie.

30.3. Des opérations.

30.4. Des raisons par lesquelles <Aristote> présente le proposé.

31. LEÇON XXXI : Or, plus haut il faut etc. 31.1. De cela qu'<Aristote> dit qu'il faut traiter, adapter et manifester les

médiétés des opérations, non dans l'universel mais dans les singuliers.

31.2. Pourquoi commence-t-il par la force qui est le médiété consistant dans les

opérations de la partie irascible ?

31.3. La force peut-elle être une médiété ou <est-ce> nécessairement

diversement ?

31.4. De la médiété qu'<Aristote> détermine concernant la partie concupiscible

ou ses opérations.

31.5. De ses extrêmes.

31.6. De la libéralité et la magnificence, sont-elles une seule médiété ou diverses ?

31.7. Sur cela qu'<Aristote> divise par grand et petit honneur concernant ces

<choses> qui sont convoitées et données et pourquoi il traite premièrement de la médiété

406

en convoitant et en fuyant les grands honneurs et en donnant ; d'autre part, il traite

premièrement de la médiété à l'égard des trésors.

32. LEÇON XXXII : Or, maintenant relativement à ce qui reste etc.

32.1. Partie dans laquelle l'auteur traite de la médiété et des extrémités concernant

les passions et les opérations.

33. LEÇON XXXIII : En tout cas, sur les trois dispositions ...

33.1. De la première médiété que l'auteur mentionne et des extrémités de celle-ci.

33.2. De la deuxième et de ses extrémités.

33.3. De la troisième et ainsi des autres.

34. LEÇON XXXIV : Or, dans celles-ci il s'oppose davantage au milieu...

34.1. De cela que l'auteur dit plus haut que les extrêmes s'opposent au milieu.

34.2. Le mal a-t-il une cause, en vue de quoi l'auteur dit que par <le fait de>

résister au milieu nous sommes mauvais.

34.3. On hésite en vue de cela : le mal a-t-il une cause dans laquelle <il

s'origine> ?

34.4. De cela qu'<Aristote> dit que les extrêmes s'opposent davantage entre eux

que par rapport au milieu.

34.5. De cela qu'<Aristote> dit qu'il est difficile de trouver un milieu dans chaque

chose.

35. LEÇON XXXV : Or, sur la vertu existante concernant les passions et les

opérations etc.

35.1. Du volontaire et de l'involontaire, d'où on hésite premièrement <à savoir>

si traiter de la volonté appartient à la <science> morale.

407

35.2. Devrait-on traiter de la science et de ce qui peut être su comme du volontaire

et de l'involontaire ?

35.3. Puisque savoir et vouloir sont requis pour la vertu, auquel de ces actes faut-il

davantage attribuer la vertu ?

35.4. Le mal est-il volontaire ou involontaire ?

35.5. De la division de l'involontaire.

35.6. De la définition du violent.

35.7. De cela qu'<Aristote> dit que les opérations de cette sorte, qui sont faites

pour la crainte ou bien quelque chose de la sorte, sont en partie volontaires et en partie

involontaires, d'où il dit qu'elles sont mixtes.

36. LEÇON XXXVI : Or, parce que par l'ignorance l'involontaire etc.

36.1. Du site et de l'ordonnance de ce chapitre.

36.2. De cela qu'<Aristote> dit que celui qui opère par ignorance et ne s'attriste

pas, n'opère pas en voulant ni sans le vouloir ; en effet en voulant non parce qu'il ne

savait pas, sans le vouloir non parce qu'il ne s'attriste pas.

36.3. De cela qu'<Aristote> dit que celui qui opère par ébriété ou bien par rage

n'opère pas par ignorance mais en ignorant, et à cause de cela on hésite.

36.4. Celui qui opère le mal par ébriété ou bien par fureur pèche-t-il ?

36.5. La volonté précédente peut-elle être la cause ou est-elle la cause de

l'opération mauvaise qui suit ?

36.6. De cela qu'<Aristote> dit que toute <personne> mauvaise est ignorante.

36.7. Qui pèche le plus, celui qui pèche sciemment ou celui qui pèche avec

ignorance ?

36.8. De la définition de la volonté.

36.9. Le péché tend-il vers ou consiste-t-il dans des opérations qui se font par

désir ou par rage ?

408

37. LEÇON XXXVII : Or, déterminés le volontaire et l'involontaire... 37.1. Le libre arbitre est-il une puissance ou deux ?

37.2. Le libre arbitre est-il vers le bien et vers le mal ou seulement vers le bien ?

37.3. Des raisons par lesquelles l'auteur prouve que le choix n'est pas la volonté

<purement et> simplement, mais la volonté contractée au sujet.

37.4. De ces <raisons> par lesquelles il prouve que le <choix> n'est pas le désir

ou la rage.

37.5. Des raisons par lesquelles il prouve que <le choix> n'est pas la volonté

contractée à l'objet.

37.6. Des raisons par lesquelles il prouve que <le choix> n'est pas une opinion.

37.7. Du délibératif, mais de cela peu parce que plus bas on soulève un doute

relativement à la délibération et au délibératif.

38. LEÇON XXXVIII : Or, il semble que toute question n 'est pas une

délibération... 38.1. La délibération dans le Premier est-elle à poser ?

38.2. Le libre arbitre réside-t-il en Lui, ou a-t-Il le libre arbitre ?

38.3. Le libre arbitre dans les intelligences séparées est-il à poser ?

38.4. De la définition de la délibération.

39. LEÇON XXXIX : Or, il semble certes qu'à partir d'eux les bons etc.

39.1. Le volontaire par soi est-il du bien ?

39.2. Le mal est-il le volontaire pour quelqu'un ?

39.3. De cela qu'<Aristote> dit qu'en nous est <la possibilité> de devenir décents

ou indécents.

39.4. De certaines autres <choses> qu'il dit littéralement, mais on demandera cela

en exposant la lettre.

409

40. LEÇON XL : Jusqu'ici il semble que faire des <choses> injustes <est>

irrationnel etc.

40.1. De la première raison et de cela qu'<Aristote> indique que nous nous

inclinerons davantage vers le mal que vers le bien.

40.2. De la deuxième raison.

40.3. De la troisième.

41. LEÇON XLI : Par conséquent parce que certes la médiété etc.

41.1. La force est-elle ici interprétée selon la même manière ou bien selon une

manière diverse ?

41.2. Pourquoi est-elle interprétée d'une diverse manière ?

41.3. La force selon ce qu'on dit ici est-elle contenue sous la force -dans la

mesure où elle est interprétée par Tulle - , est-elle contenue comme une espèce dans un

genre ou bien comme une partie dans un tout ?

41.4. Puisque la force contient ces trois vertus déjà dites : la force, l'humilité et le

respect, pourquoi l'habitus de la vertu irascible concernant un seul <acte> retient-il le

nom de la force générale, plutôt que concernant un autre acte ?

41.5. Pourquoi la force consiste-elle davantage dans <le fait d'>oser que dans

<celui de> craindre ?

42. LEÇON XLH : Or, aussi les autres <dispositions> sont dites selon cinq

modes etc.

42.1. De la vérité capitale et de l'ordre et de la différence de la force.

42.2. De la définition et de ces <choses> qu'il dit dans la première partie

principale.

42.3. De ces <choses> dont il parle dans la deuxième partie principale.

410

43. LEÇON XLIII : Or, concernant les craintes et les audaces etc. 43.1. De cela qu'<Aristote> dit <que> la force est autour du <fait> de craindre et

d'oser.

43.2. Lui appartient-il de craindre comme il faut et s'il lui appartient de craindre

comme il faut, de quelle manière est-il ordonné à oser ou à souffrir ?

43.3. De cela qu'<Aristote> dit qu'opérer de manière délectable n'existe pas dans

toutes les vertus comme il arrive dans l'œuvre de la force.

43.4. Similairement ainsi la vertu et le vice arrivent-ils vers <le fait> de s'attrister

droitement et non droitement, comme ils arrivent vers <le fait> de se réjouir droitement

ou non droitement.

43.5. Puisqu'il appartient au fort même de craindre ou de pâtir des <choses>

terribles, de quelle manière donc sera-t-il en même temps fort et patient ?

44. Leçon XLIV : Or, après celle-ci, relativement à la chasteté etc.

44.1. Puisque la tempérance est une vertu des vertus générales ayant en soi un

genre, des espèces ou des parties : modestie, respect, abstinence, honnêteté, modération,

partage, pudeur, sobriété, lesquelles de celles-ci comprend la chasteté en soi et pourquoi ?

44.2. De quelle manière le respect est contenu sous la force, de quelle manière

sous la tempérance ?

44.3. De ces <vertus>, de quelle manière sont-elles des parties de la tempérance,

comme avant il a été demandé sur les parties de la force et sur leur nombre ?

44.4. Puisque les puissances de l'âme végétale sont diverses - le nutritif et le

génératif-, des habitus divers répondent à des puissances diverses, et similairement aux

actes divers. Il semble donc que la chasteté n'est pas une seule vertu, mais plusieurs.

44.5. De quelle manière la vertu concerne les plaisirs animaux, qui sont aussi dans

les <choses> semblables ?

44.6. Pourquoi dit-il de la chasteté et de l'incontinence autour de quels plaisirs

elles sont et autour de quels elles ne sont pas ?

44.7. De cela qu'<Aristote> dit que la chasteté concerne les plaisirs.

411

45. Leçon XLV : Des <choses> désirées celles-ci semblent certes etc. 45.1. Pourquoi dans le traité de la force assigne-t-il des espèces de force apparente

et non existante, tandis que dans ce traité il n'assigne aucune espèce de chasteté

apparente ?

45.2. De quelle manière la surabondance qui appartient à la force se divise en

deux ?

45.3. Tend-on vers la chasteté selon la corruption de l'esprit et selon l'intégrité du

corps, ou bien seulement selon la corruption de l'esprit ou de la vertu concupiscible dans

l'homme ?

45.4. Puisqu'il y a une double passion en nous dont l'une s'appelle premier mû

mais l'autre non, selon l'une et l'autre passion faut-il considérer la chasteté, ou bien dans

l'une des opposées ?

45.5. Quant à cela qu'<Aristote> dit <que> « peu pèchent dans les désirs

naturels ».

45.6. Quant à cela qu'<Aristote> dit <que> « le chaste désire toute chose qui est

vers la santé ou vers la bonne habitude, et convoite avec mesure les choses jouissantes ».

APPENDICE B

ROBERT KILWARDBY

Expositio super Ethica Nova et Vetere

C = Cambridge, Peterhouse, 206.

P = Prague, Nârodni Knihovna Ceské Republiky (auparavant Universitni Knihovna), III

F 10.

§ 1 [C, f. 294vb ; P, f. Ilrbl3] Consequenter1 epilogat summatim ea que dicta sunt circa

primum membrum diuisionis prehabentis2. Transeat ad prosequendum secundum et procedit sic.

Primo concludit ex prehabitis3 [C, f. 295ra] quod duplex est uirtus irrationalis : una quidem

uegetatiua nullo modo participans4 ratione5, alio modo sensitiua que continet partem

concupiscibilem que etiam alio modo participât ratione6, scilicet in exaudiendo eam et7

obediendo ei et hoc est videtur utique (1102b29).

§ 2 Secundo déterminât8 modum quo participât irascibile et concupiscibile9, que10 etiam

aliquo" modo participât12 ratione13, dicens quod sensitiua habet rationem a superiori virtute14,

1 consequenter P] communiter C 2 prehabentis C] prehabentis ut P 3 prehabitis P] om. C A participans P] participations C 5 ratione scr.] rationem CP

ratione scr.] rationem C om. P 7 concupiscibilem que etiam alio modo participât ratione scilicet in exaudiendo eam et C] irrationalem P 8 déterminât P] déclarât C

irascibile et concupiscibile P] om. C 10 que P] et C 1 aliquo P] alico C 1 ! participât P] om. C

ratione scr.] rationem CP " uirtute P] uirtutem C

413

sicut aliqui habent rationem a patribus et amicis et non sicut15 a mathematicis16. Et per hoc

intelligit quod habet17 rationem a superiori virtute ad hoc : ut bene operetur et non ad hoc : ut

speculetur aut fiât cognoscens tantum. Sic enim participant filii rationes patrum et amicorum,

scilicet ut bene operentur, rationes uero mathematicorum ut speculentur et fiant18 scientes et hoc

est ita utique et cetera (1102b33).

§ 3 Tertio hoc confirmât per signum dicens quod uirtutem sensitiuam suaderi19 a ratione

ut bene operetur, manifesta est per uisionem et terminationem et deprecationem circa

ipsam. Quod sic exponi potest : sensitiua, cum commisit24 delictum, débet uidere et iudicare se

deliquisse. Secundo25 débet determinare pênes se de satisfactione2 . Tertio uero ueniam27

deprecari. Hec autem non facit nisi secundum quod persuadetur a ratione, et obedit ei et ita

patet29 quod ratio suadet sensitiuam ad bene operandum.

§ 4 Aliter30 etiam exponi potest et magis forte ad intentionem Aristotilis31, quod sensitiua

débet primo uidere et intueri que ostendit ratio ; post ea uero discernere circa ea sicut discernit

ratio ; ultimo uero eligere ea que deprecatur33. Ratio primum significat per uisionem, secundum

per terminationem34, tertium uero per deprecationem35 ; et hoc est quoniam autem (1102b34).

15 sicut C] sic P 16 mathematicis C] mathematice P 17 habet C\ habent P 18 fiant P] faciunt C 19 suaderi P] sua deus C 20 manifesta scr.] manifestam C om. P 21 e s t q om. P 22 per P] ad per C 21 uisionem C] missionem P ' commisit C] cornmiserit P ' secundo P] quod C

2" satisfactione C] satifactione P 21 ueniam P] neiam in C 211 secundum P] om. C 2" patet C] om. P 30 aliter P] similiter C 31 Aristotilis/5] om. C 3-1 post ea P] posita C 3 deprecatur CsP] deprecantur/?P 34 terminationem P] determinationem C 3 tertium uero per deprecationem C] om. P

414

§ 5 Consequenter36 prosequitur secundum membrum diuisionis superius habite, scilicet

habens37 rationem. Et procedit primo ex iam habitis ; concludit quod si38 consupiscibile et

irascibile debeant dici rationem habentia, ut iam habitum est, tune habens rationem dicitur39

dupliciter : uno modo quod principaliter et de se rationem habet ; alio modo quod de se rationem

non habet, set40 secundum quod rationi41 obedit et exaudit4 eam et hoc est si autem oportet et

cetera (1103al). Secundo43 dicit quod secundum hanc differenciam anime terminatur consistere

virtus humana et intelligendum est44 per hanc differenciam non absolute partem, principaliter et

de se rationalem45, set in comparatione etiam ad rationalem46 que47 participât ratione48 in

exaudiendo et obediendo, et ita quodammodo consistit humana uirtus circa utramque

rationalem50, primo tamen et principaliter circa illam que de se habet rationem, secundario uero

circa reliquam et hoc est determinatur autem (1103a3-4). Sic habetur antecedens ad principale

negotium, scilicet circa quam partem humanam consistit virtus humana.

§ 6 Consequenter51 prosequitur principale52 negotium et diuiditur in duo. In prima, diuidit

virtutem humanam et accipit illam de qua intendit. In secunda, cum dicit duplici autem uirtute

( 1103al4), de accepta prosequitur prima in duo. In prima, diuidit uirtutem humanam et membra

per subdiuisiones explanat53. In secunda, cum dicit dicentes igitur (1103a7), accipit illud

diuidentium quod intendit dicit genus : quod virtutes [P, f. llva] humane quedam sunt

intellectuales quedam autem morales54. Intellectuales dicuntur sapientia, fronesis et55

1,1 consequenter P] communiter C 37 scilicet habens C] que habent P 3;i si C] sic P y' dicitur P] dici C 40 set CsP] om. pP 41 rationi P] rationem C 4*' exaudit P] excludit C 4 secundo P] secundum C 44 est q om. P 4 rationalem C] rationabilem P 41 rationalem C] rationabilem P 4' que P] om. C 48 ratione scr.] rationem CP 4V uirtus C] uirtus scilicet P 5(1 rationalem C] rationabilem P 51 consequenter P] communiter C 52 principale C] om. P 53 explanat P] epiat C 54 morales P] mortales C

415

intelligentia56 ; morales autem57 libertas et honestas, et ita patet diuisio principalis cum

subdiuisione58 membrorum et hoc est59 dicimus autem harum (1103a4). Intelligendum autem

est60 per virtutes intellectuales scientias61 abutendo nomine 'uirtutis' sicut significat statim post

membra que dicuntur 'intellectuales', quia animam perficiunt in speculando et intelligendo.

Per morales64, intellige virtutes consuetudinales65 que perficiunt et informant intellectum in

opérande Et patet sufficientia huius diuisionis considerando diuisionem intellectus66 per

practicum et speculatiuum : intellectuales enim perficiunt speculatiuum, morales67 uero

practicum. Per intelligentiam68 autem intellige69 cognitionem tantum, per sapientiam70

cognitionem cum dilectione71, per fronesim, que prudentia quedam est, electionem72 prius

cognitorum et amatorum. Et ex hiis patet sufficientia trium intellectualium quas ponit. Per

libertatem autem74 et honestatem non intendit75 sufficientem diuisionem virtutum moralium, set

magis explanationem exemplarem uel si sic [C, f. 295rb] non est intelligendum per libertatem

aliquam specialem medietatem76 nec per honestatem, set per libertatem intelligendum est

uirtutem moralem77 qua homo recte ordinatur pênes se, per78 honestatem qua directe ordinatur ad

55 et P] iter. C 56 intelligentia P] intellectiua C 57 autem P] quando C 58 subdiuisione C] sub diuisione P 59 est C] om. P 60 autem est P] inu. C 61 scientias P] sententias C 62 que C] om. P 63 in P] et C 64 morales P] mortales C 65 consuetudinales P] consuetudinales per C 66 intellectus C] om. P 67 morales P] mortales C 68 intelligentiam scr.] intellectiuam CP 69 autem intellige P] aut in talem C 70 sapientiam P] sapientiam in C 71 dilectione C] delectatione P 72 electionem P] electionis C 73 trium C] cum P 74 autem P] aut C 75 intendit P] incidit C 76 medietatem P] medietate C 77 moralem P] mortalem C /H per C] et P

416

alios uel e conuerso. Hec duo sufficienter diuidunt79 virtutem moralem et continent sub se omnes

spéciales medietates.

§ 7 Consequenter assurait uirtutem de qua intendit et procedit sic . Primo, dicit quod

dicturus est de uirtutibus moralibus et addit quo fine, quia non ut aliquis fiât sciens nec

congnoscens et intelligens tantum, set ut fiât honestus et humilis et hoc est dicentes igitur et

cetera (1103a7). Secundo, significat rationem eius quod dixit se non determinare de uirtute

ut aliquis fiât sapiens, dicens quod sapiens laudatur tantum propter bonum habitum ex quo

intendit se uelle87 determinare ut homo fiât bonus secundum operationes et hoc est laudamus

autem (1103a9). Tertio, quia abutendo nomme uirtutis uocamt scientias uirtutes

intellectuales, ostendit91 quod habitus sapientium secundum quod huiusmodi qui laudabiles sunt,

possunt ad presens dici uirtutes intellectuales, et qua ratione sic dicantur. Patet ex prehabitis et

hoc est habituum autem et cetera (1103alO).

§ 8 Aliter solet hec ultima particula exponi que ibi incipit dicamus autem (1103a4). Sic

per 'uirtutes intellectuales' intelliguntur uirtutes quibus homo ordinate se habet ad suum

Creatorem et hec consistunt93 circa partem principalem94 et secundum se rationalem absolute ;

per 'morales'95 intelliguntur uirtutes96 que bene ordinant hominem ad hec inferiora et consistunt

circa eandem partem rationalem in comparatione ad sensitiuam. Et quia non est hominis

ordinatio pluribus modis97, ideo patet98 suffïcientia. Virtus autem99 intellectualis, aut consistit in

diuidunt P] diuidit C 79

80 consequenter P] cum sicut C 81 uirtutem P] om. C 82 procedit sic C] prosequitur P 83 ut P] nisi C 84 quod P] quia C 85 dixit C] dicit P 86 se non P] om. C 87 uelle P] ulle C 8S autem C] etiam P ' abutendo P] abiciendo C

90 uirtutes PsC] virtutis pC 91 ostendit P] obicitur C 9! sic P] om. C ' consistunt scr.] consistit CP

9'' principalem scr.] principaliter CP 9 ' morales sP] mortales CpP 9,1 intelliguntur uirtutes P] om. C 9 ' modis C] om. P

417

cognoscendo Primum et sic est intelligentia100, aut in cognoscendo et diligendo et sic sapientia,

aut in electione et participatione aliqua ipsius cogniti et amati et sic fronesis, et sic patet

sufficiens diuisio102 uirtutis intellectualis. Verumptamen, necesse est sic dicentes distinguere hec

nomina : intelligentia103 enim uno modo est habitus intelligibilium existentium apud104

intellectum possibilem105, alio modo intellectualis affectio et cognitio Primi ex habitu

intelligibilium précédente, et secundo modo est uirtus intellectualis, primo modo non. Similiter106

siapientia uno modo est cognitio causarum in rébus cum dilectione, alio modo cognitio summi

boni cum dilectione, que ad precedentem108 subsequitur sapientiam, et hoc modo est uirtus

intellectualis, primo modo non. Similiter et fronesis cum sit prudentia in eligendo prius cognita et

amata, et109 hoc est in comparatione ad hec'10 inferiora aut ad Primum, et secundo modo est

uirtus intellectualis, primo modo non. De diuisione autem virtutis moralis111 per libertatem et

honestatem dicatur ut prius. Littera secundum istam expositionem patet, prêter illam ultimam

clausulam laudamus autem sapientem (1103a9), in qua dicunt Aristotilem assignare quandam

proprietatem uirtutum intellectualium, scilicet quod eis debetur laus quia sapiens dicitur aliquis

secundum virtutem intellectualem et ipse laudabilis est secundum habitum suum eo quod habitus

proprie laudabiles uirtutes112 intellectuales sunt.

98 patet P] quia C 9'J autem P] om. C 100 intelligentia P] intellectiua C 101 amati P] amiti C 102 sufficiens diuisio P] inu. C 103 intelligentia/"] intellectiua C 104 apud C] apus P 105 possibilem C] passibilem P 106 similiter P] simpliciter C 107 alio modo P] quomodo C 108 precedentem C] presedentem P 109 et P] aut C uo hec Qom.P 111 moralis C] intellectualis P " ! uirtutes P] om. C

APPENDICE B

ROBERT KILWARDBY

Exposition sur la Nouvelle et la Vieille Ethique

§ 1 Conséquemment, il épilogue sommairement les <choses> qui ont été dites concernant

le premier membre de la division déjà présentée11 .11 passe à poursuivre le second et procède

ainsi. Premièrement, il conclut à partir des <choses> déjà présentées que la vertu irrationnelle est

double : l'une certes végétative ne participant aucunement de la raison, d'une autre manière la

sensitive qui contient une partie concupiscible qui aussi d'une autre manière participe de la

raison, à savoir en l'exauçant et en lui obéissant et cela est il semble en tout cas.

§ 2 Deuxièmement, il détermine la manière par laquelle participent l'irascible et la

concupiscible, lesquelles participent aussi d'une certaine manière de la raison, en disant que la

sensitive a la raison par une vertu supérieure, comme certains ont la raison à partir des parents et

des amis et non pas comme <certains ont la raison> à partir des mathématiciens. Et par cela il

comprend qu'elle a la raison par une vertu supérieure pour ceci : pour qu'elle opère bien et non

pour ceci : pour qu'elle spécule ou bien devienne seulement connaissante. En effet, les enfants

participent ainsi des raisons des parents et des amis, à savoir afin d'opérer bien, tandis qu'<ils

participent des raisons des mathématiciens afin de spéculer et de devenir savants et cela est

ainsi en tout cas etc.

§ 3 Troisièmement, il confirme cela par le signe en disant que la vertu sensitive est

conseillée par la raison pour qu'elle opère bien, elle est manifeste par la vision et la limitation et

la demande de pardon concernant la <vertu sensitive. Ce qui peut être exposé ainsi : la <vertu>

sensitive, lorsqu'elle a commis un délit, doit voir et juger qu'elle a manqué. Deuxièmement, elle

doit traiter selon soi de la réparation. Tandis que troisièmement, <elle doit> demander pardon.

1 = prehabentis

419

Or, elle ne fait pas ces <choses> si ce n'est selon qu'elle est persuadée par la raison, et elle lui

obéit et ainsi il est patent que la raison conseille la <faculté> sensitive pour bien opérer.

§ 4 On peut exposer aussi autrement et peut-être plus <proche> de l'intention d'Aristote,

que la <faculté> sensitive doit premièrement voir et comprendre114 <les choses> que la raison

montre ; mais après ces <choses> <elle doit> discerner sur ces choses comme la raison discerne ;

tandis qu'ultimement, <elle doit> choisir les <choses> que <la raison> supplie. Premièrement, la

raison signifie par la vision, deuxièmement <elle signifie> par la limitation et troisièmement par

la demande de pardon ; et cela est or parce que.

§ 5 Conséquemment, on poursuit selon le deuxième membre de la division eue ci-dessus,

à savoir celle qui a la raison. Et il procède premièrement à partir des choses déjà eues ; il conclut

que si la concupiscible et l'irascible doivent être dites comme ayant la raison, comme il a été déjà

dit, alors ce qui a la raison est dit doublement : d'une manière, ce qui a la raison principalement

et de soi ; d'une autre manière, ce qui n'a pas la raison de soi, mais selon qu'il obéit à la raison et

l'exauce et cela est or, s'il faut et cetera. Deuxièmement, il dit que la vertu humaine est limitée à

consister dans cette différence de l'âme et par cette différence il faut comprendre non la partie

absolument, principalement et de soi rationnelle, mais <la partie> qui, dans le rapport aussi à la

rationnelle, participe de la raison en exauçant et en obéissant, et ainsi d'une certaine manière la

vertu humaine consiste dans chacune des deux rationnelles, cependant premièrement et

principalement <elle consiste> dans celle qui a la raison de soi, tandis que secondairement <elle

consiste> dans la restante et cela est or, il est déterminé. Ainsi, se trouve l'antécédent pour

l'affaire principale, à savoir dans quelle partie humaine consiste la vertu humaine.

§ 6 Conséquemment, on poursuit l'affaire principale et on la divise en deux <parties>.

Dans la première, il divise la vertu humaine et il prend celle de laquelle il entend <exposer>.

Dans la deuxième <partie>, lorsqu'il dit or par la vertu double, <divisant> la première en deux,

il continue <à traiter de> celle qu'il a prise. Dans la première, il divise la vertu humaine et il

développe les membres par subdivisions. Dans la deuxième, lorsqu'il dit par conséquent ceux

qui disent, il prend celui des divisés, qui, <selon qu'>il l'entend, dit le genre : que les vertus

humaines sont les unes intellectuelles tandis que les autres <sont> morales. La sagesse, la

114

= intueri ' ' = explanat

420

fronesis et l'intelligence sont dites intellectuelles ; mais la liberté et l'honnêteté <sont dites>

morales, et ainsi est évidente la division principale avec la subdivision des membres et cela est or

nous disons de celles-ci. Or, par vertus intellectuelles il faut comprendre des sciences en abusant

du nom de 'vertu' comme il signifie immédiatement après les membres qui sont dits <vertus>

intellectuelles, parce qu'elles perfectionnent l'âme en spéculant et en intelligeant116. Par morales,

comprends117 les vertus coutumières qui perfectionnent et informent l'intellect en opérant. Et

l'exhaustivité de cette division est patente en considérant la division de l'intellect par pratique et

spéculatif: en effet, les <vertus> intellectuelles perfectionnent l'<intellect> spéculatif, tandis que

les <vertus> morales perfectionnent l'intellect> pratique. Or, par intelligence comprends118

seulement une connaissance, par sagesse une connaissance avec dilection, par fronesis, qui est

une certaine prudence, <çomprends> le choix des <choses> antérieurement connues et aimées.

Et à partir de ces <choses> l'exhaustivité des trois <vertus> intellectuelles qu'il pose est patente.

Or, par liberté et honnêteté il n'entend pas <donner> une division exhaustive des vertus morales,

mais plutôt une explication"9 exemplaire ou s'il <entend donner> ainsi <une division

exhaustive> il ne faut pas comprendre par liberté ni par honnêteté une certaine médiété spéciale,

mais par liberté il faut comprendre une vertu morale par laquelle l'homme est ordonné

droitement en soi, par honnêteté <il faut comprendre une vertu morale> par laquelle <l'homme>

est ordonné directement vers les autres ou l'inverse. Ces deux divisent exhaustivement120 la vertu

morale et contiennent sous elles toutes les médiétés spéciales.

§ 7 Conséquemment, il prend la vertu de laquelle il entend <traiter> et il procède ainsi.

Premièrement, il dit qu'il a l'intention de parler sur les vertus morales et il ajoute qu'<il en

parlera> concernant la fin, parce que ce n'est pas pour que quelqu'un devienne savant ni

connaissant et intelligent seulement, mais pour qu'il devienne honnête et humble et cela est par

conséquent ceux qui disent et cetera. Deuxièmement, il signale la raison de ce qu'il a dit qu'il ne

traite pas de la vertu pour que quelqu'un devienne savant, en disant que le savant est loué

seulement à cause de son bon habitus à partir de quoi il entend vouloir traiter <de cela> pour que

" = intelligendo = intellige

m = intellige ' = explanationem = suffïcienter

421

l'homme devienne bon selon les opérations et cela est or, nous louons. Troisièmement, parce

qu'en abusant du nom de vertu il a appelé vertus intellectuelles les sciences, il montre121 que les

habitus des sages selon que de cette manière ceux-ci sont louables, peuvent être dits dans le

présent <ouvrage> 'vertus intellectuelles', et par cette raison elles sont dites ainsi. <Cela> est

patent à partir des <choses> présentées antérieurement et cela est or, des habitus et cetera.

§ 8 On a l'habitude d'exposer autrement cette dernière particule qui commence là or,

nous disons. Ainsi par 'vertus intellectuelles' sont comprises les vertus par lesquelles l'homme

se rapporte <de façon> ordonnée vers son Créateur et celles-ci consistent dans la partie

principale et selon soi rationnelle absolument ; par 'morales' sont comprises les vertus qui

ordonnent bien l'homme vers ces <choses> inférieures et consistent dans la même partie

rationnelle en rapport à la <partie> sensitive. Et parce qu'il n'y a pas d'ordonnance de l'homme

de plusieurs manières, c'est pourquoi l'exhaustivité est patente. Or, la vertu intellectuelle ou bien

consiste dans <le fait de> connaître le Premier et ainsi est l'intelligence, ou bien <consiste> dans

<le fait de> connaître et <d'>éprouver de la dilection124 et ainsi <est> la sagesse, ou bien

<consiste> dans le choix et dans une certaine participation de ce qui est connu et aimé et ainsi

<est> lajronesis et ainsi la division de la vertu intellectuelle est évidemment exhaustive . Mais

cependant, il est nécessaire que ceux qui disent ainsi distinguent ces noms : l'intelligence en effet

d'une manière est l'habitus des intelligibles existant chez l'intellect possible, d'une autre manière

<1'intelligence est> l'affection intellectuelle et la connaissance du Premier à partir du précédent

habitus des intelligibles, et de la deuxième manière est la vertu intellectuelle, de la première

manière non. Similairement, la sagesse d'une manière est la connaissance des causes dans les

choses126 avec dilection, d'une autre manière <elle est> la connaissance du souverain bien avec

dilection, laquelle suit immédiatement la sagesse précédente, et de cette manière est une vertu

intellectuelle, de la première manière non. Similairement, aussi \afronesis puisqu'elle est une

prudence en choisissant les <choses> qui ont été antérieurement connues et aimées, et cela est en

= ostendit 122 = intelliguntur 21 = intelliguntur

m = diligendo 125 _ & .

= sujjiciens " = in rébus

422

rapport à ces <choses> inférieures ou bien <en rapport> au Premier, et de la deuxième manière

est une vertu intellectuelle, de la première manière non. Or, sur la division de la vertu morale par

liberté et honnêteté qu'il soit dit comme avant. La lettre est patente selon cette exposition,

indépendamment de cette dernière clausule or nous louons le sage, dans laquelle ils disent

qu'Aristote assigne une certaine propriété des vertus intellectuelles, à savoir qu'à elles on doit

une louange parce que le sage est dit quelqu'un <qui opère> selon la vertu intellectuelle et il est

louable selon son habitus en cela que les habitus proprement louables sont les vertus

intellectuelles.

APPENDICE C

ANONYME

Commentarium Abrincense in Ethicam Veterem

Texte 1 : A = Avranches, Bibliothèque Municipale, 232, f. 90r-90v.

Est enim de uirtute prout est illud quo habetur félicitas, oportet ergo intelligere uirtutis

diuisionem [...] et sciendum1 hec diuisio uirtutis humane per naturas <uel> differentias que sunt

intellectualis et consuetudinalis. Natura anima nata est ordinari in bono, uel ab essentia a qua

perficitur, videlicet Prima essentia, uel etiam comparatione essentie, quam nata est perficere. Est

autem nata perfici ab essentia Prima, in qua comparatione habet uirtutem intellectuaiem eo quod

non potest ei coniungi nisi per cognitionem et affectum, quorum unum est speculatiui intellectus,

alterum uero actiuui. Vnde uirtus predicta in cognitione et affectu consistit. Secundo uero reliqua

comparatio - quam habet ad corpus quod natum est perfici ab ea - erit uirtus consuetudinalis que

alio nomine dicitur 'politica'2. Dicitur enim 'consuetudinale' quia consuetudine formatur ;

'politica' uero quia per eam conueniens est hominem conuersari cum hominibus. De diuisione

uero uirtutis intellectualis, quia paucioris est diuisionis, determinabitur in primo libro. Habet

enim has très partes : fronesis, sapientiam, intelligentiam. Virtutis uero consuetudinalis est hic

diuisio secundum huius doctrine, cum enim anima sit nata perficere corpus secundum uirtutes

rnotiuas, et uirtutes uero motiue sunt concupiscibilis, irascibilis rationalis.

1 sciendum scr. ] scura A 2 politica scr.] poltica A 3 irascibilis scr.] irationalis A

424

Texte 2 : A = Avranches, Bibliothèque Municipale, 232, f. 91r-91v.

Ad quod dicendum est quod uirtus intellectualis est4 virtus secundum quam coniungitur

iinima superiori essentie a qua nata est perfici. Coniungitur autem superiori essentie per

intellectum tantum contemplatione et affectu animi. Virtus intellectualis inchoatur a

contemplatione et perficitur in affectu. Est enim in contemplatione summi boni cum5 dilectione

eiusdem et quia sola operatione6 ipsius intellectus, quantum est de uirtute hominis, perficitur,

'merito' intellectualis nuncupatur. Reliqua uero dicitur consuetudinalis - licet ab intellectu

originem trahat - eo quod per eam assuescunt potentie sensibiles ad debitam ordinationis rationis

et ipsa perficitur in débita assuescentia rationis ad rectitudinem actuum. Ex causa ergo materiali

que dicitur nécessitas denominationem recipit.

4 est scr.] m A 5 cum scr.] cuiuS/4 6 operatione scr.] opositione A 7 rectitudinem scr.] rectudinem A

APPENDICE C

ANONYME

Commentaire d'Avranches sur la Vieille Ethique

Texte 1 :

En effet, il en est de la vertu comme de ce par quoi on a la félicité, donc il faut

comprendre la division de la vertu [...] et <il faut> connaître cette division de la vertu humaine

par les natures ou différences qui sont l'intellectuelle et la coutumière. Par nature, l'âme est

destinée à être ordonnée dans le bien, ou par une essence par laquelle elle est perfectionnée, à

savoir l'essence Première, ou aussi par rapport à l'essence, que <l'âme> est destinée à

perfectionner. Or, il y a <la partie> destinée à être perfectionnée par l'essence Première, en

rapport à laquelle P<âme> a la vertu intellectuelle en cela que <l'âme> ne peut se conjoindre à

elle si ce n'est que par la connaissance et l'affection, desquelles l'une est de l'intellect spéculatif,

tandis que l'autre <est> de l'<intellect> actif. D'où la prédite vertu consiste dans la connaissance

et l'affection. Tandis que deuxièmement le rapport restant - que l'<âme> a avec le corps qui est

destiné à être perfectionné par el le- sera la vertu coutumière qui est dite par un autre nom

'politique'. En effet, elle est dite 'coutumière' parce qu'elle se forme par la coutume ; 'politique',

d'autre part, parce qu'il convient que l'homme vive avec les hommes au moyen de cette <vertu>.

Or, sur la division de la vertu intellectuelle, parce qu'elle est d'une division en plus petit nombre,

on en traitera dans le premier livre. En effet, elle a ces trois parties : lafronesis, la sagesse,

l'intelligence. La division de la vertu coutumière, quant à elle, est ici selon cette doctrine,

puisqu'en effet l'âme est destinée à perfectionner le corps selon les vertus motrices, et que les

vertus motrices sont <reliées aux puissances> concupiscible, irascible et rationnelle.

426

Texte 2 : À cela il faut dire que la vertu intellectuelle est la vertu selon laquelle l'âme se conjoint à

l'essence supérieure par laquelle l'<âme> est destinée à être perfectionnée. Or, elle se conjoint à

l'essence supérieure au moyen de l'intellect seulement par la contemplation et l'affection de

l'esprit. La vertu intellectuelle débute par la contemplation et elle est perfectionnée dans

l'affection. En effet, elle est dans la contemplation du souverain bien avec la dilection de lui-

même et parce que par sa seule opération l'intellect, en tant qu'il est relativement à la vertu de

l'homme, est perfectionné, la <vertu> intellectuelle est dénommée 'mérite'. Mais la restante -

bien qu'elle tire son origine de l'intellect- est dite coutumière par cela que par elle les

puissances sensibles s'habituent au devoir de l'ordonnance de la raison et elle est perfectionnée

dans l'habitude due de la raison vers la rectitude des actes. Donc, elle reçoit une dénomination à

partir de la cause matérielle qui est dite nécessité.

APPENDICE D

ALEXANDRE DE HALÈS

Su m ma theologica

Dicendum quod ens est primum intelligibile, primae autem entis determinationes

sunt 'unum' et 'verum' et 'bonum'. Déterminant enim ens secundum quod consideratur

esse rerum in proprio génère, et etiam secundum relationem esse earum ad divinam

causam, et secundum relationem rerum ad animam, quae est imago divinae essentiae.

Secundum autem quod esse rerum consideratur in proprio génère, triplicatur entis

determinatio. Aut enim consideratur absolutum aut comparatum ; et comparatum : aut

secundum differentiam aut secundum convenientiam. Secundum quod ens aliquod

consideratur absolutum, ut divisum ab aliis et in se indivisum, determinatur per 'unum'.

Secundum vero quod consideratur aliquod ens comparatum ad aliud secundum

distinctionem, determinatur per 'verum' : 'verum' enim est quo res habet discerni.

Secundum vero quod consideratur comparatum ad aliud secundum convenientiam sive

ordinem, determinatur per 'bonum' : 'bonum' enim est ex quo res habet ordinari.

Item, secundum quod esse rerum comparatur in relatione ad causam divinam,

simili modo triplicatur determinatio. Causa enim divina est causa in triplici génère

causae : efficiens, formalis ut exemplar, finalis. Quae quidem causalitas, cum sit

communis toti Trinitati, appropriatur ut causa efficiens Patri, exemplaris Filio, finalis

Spiritui Sancto. Secundum hoc, esse in creatura, quod fluit a causa, triplicem sortitur

impressionem, ut in conformatione ad causam. Impressio ergo dispositionis in esse

creaturae, secundum quam fit in conformitate ad efficientem causam, est unitas : ut sicut

efficiens causa est una, indivisa, multiplicata in qualibet creatura, sic fit, ut sibi possibile

est esse indivisum. Item, impressio dispositionis, secundum quam fit in conformitate ad

causam formalem exemplarem, est veritas : ut sicut causa exemplaris est ars prima

veritatis, sic creatura, secundum quod sibi possibile est, fit in imitatione artis : et hoc est

' Cf. ALEXANDRE DE HALÈS, Summa Theologica, éd. Collège S. Bonaventure, Florence (Claras Aquas -Quaracchi), Collège S. Bonaventure, 1924, Pars I, Inq. I, Tract. III, q. l,p. 114-115.

428

habere veritatem. Praeterea, impressio secundum quam fit in conformitate ad causam

finalem est bonum : ut sicut causa finalis est summa bonitas, sic cuilibet creaturae sit

inclinatio et conformitas ad summam bonitatem ; et haec est creaturae bonitas. Unitas

esse creaturae monstrat unitatem efficientis, veritas veritatem exemplaris, bonitas

bonitatem finis.

Item, per comparationem ad animam triplicatur eadem determinatio. Nam esse

rerum tripliciter comparatur ad animam : videlicet ut res ordinentur in memoria,

percipiantur intelligentia, diligantur voluntate. Est igitur in ente quolibet a causa

efficiente unitas, per quam ordinetur in memoria et servetur : memoria enim ea quae

retinet secundum aliquam coordinationem relationis ad 'unum' et discretionem componit.

Item, a causa exemplari est veritas in quolibet ente, per quam percipiatur ab intelligentia.

Item, a causa finali est bonitas, per quam diligatur vel approbetur voluntate.

APPENDICE D

ALEXANDRE DE HALÈS

Somme théologique

Il faut dire que l'étant est le premier intelligible, mais les premières

déterminations de l'étant sont l"un' et le 'vrai' et le 'bien'. En effet, ils déterminent

l'étant selon que l'on considère l'être des choses dans son propre genre, et aussi selon la

relation de leur être avec la cause divine, et selon la relation des choses à l'âme, qui est

l'image de l'essence divine.

Or, selon que l'être des choses est considéré dans son propre genre, la

détermination de l'étant est triple. En effet, ou bien on le considère comme absolu ou bien

comme en relation ; et <si> en relation : ou bien selon la différence ou bien selon la

convenance. Selon qu'un étant quelconque est considéré absolu, comme divisé des autres

<étants> et indivis en soi, il se détermine par l"un'. Tandis que selon qu'un étant

quelconque est considéré en relation avec un autre <étant> selon la distinction, il se

détermine par le 'vrai' : en effet, 'vrai' est ce par quoi la chose a à être discernée. Tandis

que selon qu'<un étant quelconque> est considéré en relation avec un autre <étant> selon

la convenance ou l'ordre, il se détermine par le 'bien' : en effet, le 'bien' est ce à partir de

quoi la chose a à être ordonnée.

De même, selon que l'être des choses se rapporte en relation à la cause divine, la

détermination, d'une manière similaire, est triple. En effet, la cause divine est cause dans

le triple genre de cause : efficiente, formelle comme exemplaire, finale. Certes, cette

causalité, bien qu'elle soit commune à toute la Trinité, est appropriée comme cause

efficiente au Père, exemplaire au Fils, finale à l'Esprit Saint. Selon cela, l'être dans la

créature, qui coule de la cause, se répartit en une triple empreinte, comme dans la

conformation à la cause. Donc l'empreinte de la disposition dans l'être de la créature

selon laquelle <empreinte, la créature> est faite en conformité à la cause efficiente, est

l'unité : tout comme la cause efficiente est une, indivise, multipliée dans n'importe quelle

430

créature, ainsi est faite <la créature>, en tant qu'il est possible pour elle d'être indivise.

De même, l'empreinte de la disposition selon laquelle <la créature> est faite en

conformité à la cause formelle exemplaire, est la vérité : tout comme la cause exemplaire

est l'art premier de la vérité, ainsi la créature, selon qu'il est possible pour elle, est faite

dans l'imitation de l'art ; et cela est avoir vérité. En outre, l'empreinte selon laquelle <la

créature> est faite en conformité à la cause finale, est le bien : tout comme la cause finale

est la souveraine bonté, ainsi dans n'importe quelle créature il y a inclination et

conformité à la souveraine bonté ; et celle-ci est la bonté de la créature. L'unité de l'être

de la créature montre l'unité de la <cause> efficiente, la vérité <de la créature montre> la

vérité de la <cause> exemplaire, la bonté <de la créature montre> la bonté de la fin.

De même, par rapport à l'âme la même détermination est triple. De fait, l'être des

choses a un triple rapport avec l'âme : bien entendu pour que les choses soient ordonnées

dans la mémoire, soient perçues par l'intelligence, soient aimées par la volonté. Par

conséquent, dans n'importe quel étant l'unité est par la cause efficiente, par laquelle on

ordonne et garde en mémoire : en effet, la mémoire met en ordre ces <choses> qu'elle retient

selon la distinction et une certaine coordination de relation à l"un'. De même, dans n'importe

quel étant la vérité est par la cause exemplaire, au moyen de laquelle on perçoit par

l'intelligence. De même, <dans n'importe quel étant> la bonté est par la cause finale, au

moyen de laquelle on aime ou on approuve par la volonté.

Bibliographie

SOURCES MANUSCRITES

PSEUDO-PECKHAM, Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Oxford, Bodleian

Library, lat. mise. c. 71, f. 2ra-52rb ; Florence, Biblioteca Nazionale, Conv.

soppr. G.4.853, f. lra-77va ; Prague, Nârodni Knihovna Ceské Republiky

(auparavant Universitni Knihovna), III F 10, f. 12ra-23va; Avranches,

Bibliothèque Municipale, 232, f. 123r-125v.

ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem, Paris, BnF, lat. 3804A, f. 152ra-159vb, f. 241ra-

247vb ; lat. 3572, f. 226ra-235ra.

ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Noua et Vetere, Cambridge, Peterhouse

206, f. 285ra-307vb ; Prague, Nârodni Knihovna Ceské Republiky (auparavant

Universitni Knihovna), III F 10, f. lra-1 lvb.

ANONYME, Commentarium Abrincense in Ethicam Veterem, Avranches, Bibliothèque

Municipale, 232, f. 90r-123r.

ANONYME, Commentarium in Ethicam Nouam, Naples, Biblioteca Nazionale, VIII G 8,

f. 4ra-9vb.

SOURCES PUBLIÉES

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Munster, Aschendorff (coll. « Alberti Magni Opéra omnia », dir. B. GEYER,

Institutum Alberti Magni Coloniense, 38), 1951.

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W. KÛBEL, Munster, Aschendorff (coll. « Alberti Magni Opéra Omnia », dir.

B. GEYER, Institutum Alberti Magni Coloniense, 14, 1-2), 1968.

ALEXANDRE DE HALÈS, Summa Theologica, éd. KLUMPER= ALEXANDRE DE HALÈS,

Summa Theologica, éd. B. KLUMPER, Florence, Collège S. Bonaventure, 1924.

432

AL-FARABT, L'harmonie entre les opinions des deux sages, trad. MALLET = AL-FÂRÂBÏ,

L'harmonie entre les opinions des deux sages, le divin Platon et Aristote, trad.

D. MALLET, Damas, Institut Français de Damas, 1989.

ALOAZEL, Metaphysica, éd. MUCKLE = ALGAZEL, Metaphysica, éd. J.T. MUCKLE,

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