"Les temps séculiers (IXe-Xe siècles)", dans B. Andenmatten et L. Ripart, L'abbaye de...
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Les historiens de Saint-Maurice ont tradi-
tionnellement considéré les IXe et Xe siècles
comme une période de décadence de l’ab-
baye, marquée tant par la disparition des anciens
moines et la mise en place d’un « abbatiat laïc »
que par les dévastations des Sarrasins et la sécu-
larisation des biens de l’abbaye au profit de l’aris-
tocratie locale1. Un tel tableau n’a rien de bien
original : prenant à la lettre le discours des réforma-
teurs grégoriens du XIe siècle – qui se montrèrent
particulièrement ardents à dénoncer les mœurs de
leurs prédécesseurs –, les historiens ont longtemps
considéré que les institutions ecclésiastiques
avaient connu un profond déclin aux IXe et Xe siècles.
Cette conception, qui a longtemps dominé les his-
toires générales de l’Eglise2, a déterminé les interpré-
tations des historiens de Saint-Maurice, à l’exemple
d’Edouard Aubert, qui commençait ainsi son cha-
pitre sur les IXe et Xe siècles :
« Pendant les IXe et Xe siècles, les évêchés et
les abbayes étaient au pouvoir des laïcs. Les
rois conféraient un siège épiscopal ou abba-
tial à leurs favoris, comme ils leur distri-
buaient les fiefs, sans s’inquiéter si ceux-ci
étaient prêtres et sans les astreindre à la rési-
dence. Parfois même les souverains et les
grands se nommaient eux-mêmes abbés
des plus riches monastères, afin d’en réunir
plus facilement les revenus à ceux de leurs
domaines. Ce refus de toute justice apportait
une confusion extrême dans les maisons
religieuses. Violation de la liberté d’élec-
tion, trafic des dignités de l’Eglise, relâ-
chement et abandon de toute règle dans
le clergé, dilapidation et aliénation des
biens que la piété des fidèles avait des-
tinés à un tout autre emploi : tels étaient
les maux qui résultaient de semblables
abus. »3
Durant ces dernières décennies, les his-
toriens ont nuancé, parfois même totale-
ment repris, ces jugements traditionnels,
pour remettre en cause l’idée que les IXe et
Xe siècles auraient été globalement caracté-
risés par un déclin de la vie religieuse et un
appauvrissement généralisé des monas-
tères et des chapitres. Plus généralement,
les relations nourries qui unissaient durant
cette période laïcs et religieux n’ont plus été
considérées comme le signe d’un déclin. Michèle
Gaillard concluait par exemple son étude des
monastères et chapitres lotharingiens aux IXe et Xe
siècles en constatant que « l’intérêt que leur porte
le monde laïque n’est pas toujours aussi négatif
que voudraient le faire croire les récriminations
des réformateurs, les prises de position conci-
liaires contre l’intrusion des laïcs dans les biens
d’Eglise, ainsi que les chroniques et gesta écrits
en pleine réforme grégorienne »4. Cette réévalua-
tion générale des institutions religieuses à l’âge
post-carolingien permet de reconsidérer l’histoire
de Saint-Maurice aux IXe et Xe siècles, en s’interro-
geant sur le déclin généralisé qui est censé avoir
caractérisé la période.
Une chose est tout d’abord certaine : le culte et
le pèlerinage mauriciens n’ont sans doute jamais
connu un développement aussi important qu’aux
IXe et Xe siècles. L’intégration de l’abbaye dans l’es-
pace carolingien a en effet ouvert aux martyrs de la
légion thébaine de nouveaux horizons5. Considéré
en 831-834 par les Gesta Dagoberti comme le deu-
xième patron de la monarchie franque, après saint
Denis mais avant saint Martin6, saint Maurice vit
ainsi son culte se diffuser à l’échelle de l’Empire. La
fonction de pèlerinage de l’abbaye s’en trouva ren-
forcée, comme en témoigne l’agrandissement à
l’époque carolingienne de la basilique abbatiale, qui
fut dotée d’une nouvelle abside occidentale, des-
tinée à abriter une crypte dans laquelle les pèlerins
Les temps séculiers (IXe-Xe siècles)
Laurent Ripart
1 Devenue relique du Saint-Empire, la lance de saint Maurice est aujourd’hui conservée dans le trésor impérial des Habsbourg à Vienne (Vienne, Kunsthistorisches Museum, Weltliche Schatzkammer).
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Laurent Ripart
étaient invités à prier devant l’arcosolium sous
lequel reposait le corps de saint Maurice7 | ill. 2 |.Plus que jamais, le destin de l’abbaye fut lié à
celui de son saint patron, ce qui se traduisit dans
sa terminologie, puisque le nom d’ecclesia sancti
Mauritii se substitua progressivement à celui d’ec-
clesia Agaunensis8, mais aussi dans le calendrier de
ses redevances, puisque dès le Xe siècle, les cens de
l’abbaye devaient être payés au 22 septembre, jour
de la Saint-Maurice. Agaune donna ainsi progressi-
vement naissance à une véritable ville sainte, cen-
trée sur le culte des saints Maurice et Sigismond et
de tous les martyrs de la légion thébaine, avec une
demi-douzaine d’églises riches d’un considérable
trésor de reliques. L’histoire post-carolingienne de
l’abbaye est ainsi celle d’un site prospère, dont l’at-
tractivité peut se mesurer concrètement dans le
développement du bourg abbatial de Saint-Maurice,
qui était devenu suffisamment important au milieu
du Xe siècle pour que Flodoard ait pu le qualifier de
vicus9.
Si le rayonnement aux IXe et Xe siècles de l’ab-
baye de Saint-Maurice ne fait donc aucun doute, ses
manifestations locales restent toutefois difficiles à
préciser, en raison de la faiblesse de notre documen-
tation | ill. 3 |. Pour le IXe siècle, les sources écrites
se limitent à une courte chronique de l’abbaye que
l’historiographie date traditionnellement de 830, à
deux bulles papales que l’érudition tient a minima
pour très interpolées, à une lettre du pape Benoît III
qui dénonçait en 857 les pratiques et les mœurs de
l’abbé Hucbert, à une ou peut-être deux chartes
émises par la chancellerie de l’abbaye et à quelques
très rares mentions glanées dans les chroniques
contemporaines.
Pour le Xe siècle, la moisson est un peu plus
importante, non seulement parce que l’abbaye de
Saint-Maurice fut alors mentionnée par davantage
de chroniqueurs et d’hagiographes, mais aussi parce
que nous commençons à disposer d’un dossier de
chartes conséquent – bien que chronologiquement
très déséquilibré, puisque l’essentiel de la documen-
tation date du dernier quart du Xe siècle. A la seule
exception d’une charte royale de 984-985, ces actes,
dont la plupart sont difficiles à dater avec précision,
ne proviennent pas du chartrier de l’abbaye, mais
du cartulaire de l’abbaye de Saint-Maurice | ill. 4 |. Aujourd’hui connu par une copie du XIVe siècle
conservée aux Archives d’Etat de Turin, ce cartu-
laire semble avoir été réalisé à la fin du XIIe siècle,
à partir peut-être du noyau formé par un premier
cartulaire perdu qui aurait été constitué au milieu
du XIe siècle10.
2 A l’époque carolingienne, les reliques de saint Maurice furent placées sous cet arcosolium, dans la crypte creusée sous l’abside occidentée (abbaye, site archéologique du Martolet).
3 Le plus ancien acte original des archives de l’abbaye est cette charte donnée en 984-985 par le roi-abbé Conrad (AASM, CHA 7/4/1).
4e quart du IXe s.
1er quart du Xe s.
2e quart du Xe s.
3e quart du Xe s.
4e quart du Xe s.
1 ou 2 actes
1 ou 2 actes
3 à 6 actes
0 à 3 actes
17 à 27 actes
Répartition chronologique des actes de l’abbaye aux IXe et Xe siècles
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Les temps séculiers (IXe-Xe siècles)
Les transformations de la vie religieuse dans la première moitié du IXe siècle
L’adoption de la règle canonialeLa première moitié du IXe siècle a toujours été
considérée comme une césure majeure dans
l’histoire de Saint-Maurice, dans la mesure où le
monastère d’Agaune fit alors place à un nouveau
chapitre canonial. Le seul texte qui évoque les cir-
constances de ce changement est un privilège
papal, traditionnellement daté par l’historiogra-
phie des années 820, qui a été donné à l’abbaye sur
la demande du « très excellent roi des Francs Louis
dit le Pieux »11. Adressé à « l’évêque Adalong de Sion
qui, en tant qu’abbé, dirige la règle des chanoines »12,
ce privilège fait allusion à la réforme canoniale, en
évoquant les « chanoines que le très glorieux roi
avait ordonnés en ce même lieu pour remplacer les
moines entachés par une souillure misérable et cri-
minelle »13. Transmis par le seul intermédiaire du
cartulaire de Saint-Maurice14, ce texte pose toutefois
un très gros problème d’authenticité, puisqu’il est
censé avoir été donné par un certain pape Alexandre
alors qu’il n’existe aucun pontife de ce nom à cette
époque. Ne disposant d’aucune autre source sur
l’adoption à Saint-Maurice de la règle canoniale,
les érudits n’ont toutefois pas voulu se passer de ce
texte et lui ont souvent accordé une certaine auto-
rité, en considérant qu’il dériverait d’un privilège
authentique du pape Eugène II (824-827) qui aurait
été interpolé au Xe ou au XIe siècle15. Force étant tou-
tefois de constater qu’il n’existe aucun élément per-
mettant de penser que ce privilège n’aurait subi
qu’une simple interpolation, il semble plus appro-
prié de le tenir pour une forgerie tardive qu’il n’est
donc pas possible d’invoquer pour écrire l’histoire
du IXe siècle.
Ce privilège a toutefois été longtemps utilisé
pour estimer que la réforme canoniale aurait été la
conséquence de la corruption morale des moines16,
ce qui revenait à prendre à la lettre ce vieux lieu
commun de la rhétorique ecclésiastique qui
invoque toujours une décadence des mœurs pour
mieux légitimer une réforme de la vie religieuse.
Jean-Marie Theurillat fut le premier à rompre avec
cette conception en estimant que l’adoption de la
règle canoniale devait d’abord et avant tout être
la conséquence de la grande réforme de la vie reli-
gieuse qui avait caractérisé les premières années du
règne de Louis le Pieux | ill. 6 |. Sous l’impulsion
de Benoît d’Aniane, les conciles d’Aix-la-Chapelle de
816 et de 817 avaient en effet ordonné de placer tous
les monastères de l’Empire devant un choix fonda-
mental : adopter la règle de saint Benoît, qui devait
désormais s’imposer à tous les moines, ou opter
pour la règle canoniale plus souple promulguée à
Aix-la-Chapelle en 816, qui autorisait en particu-
lier les religieux à manger de la viande et à posséder
des biens propres17. Placée devant ce choix, Saint-
Maurice aurait donc fait partie des nombreuses
abbayes carolingiennes qui auraient abandonné leur
statut monastique pour adopter la règle d’Aix, parce
qu’elles considéraient que la règle bénédictine était
inadaptée à leur vie religieuse18.
Reste maintenant à comprendre les causes qui
ont amené l’abbaye à préférer la règle d’Aix à celle de
saint Benoît. Jean-Marie Theurillat avait estimé que
le monastère de Saint-Maurice n’avait pas voulu de
la règle de saint Benoît car elle n’aurait pu permettre
aux évêques de Sion de continuer à exercer l’abba-
tiat de Saint-Maurice, comme il en avait été d’usage
sous le règne de Charlemagne. Plus généralement,
4 Cartulaire de l’abbaye de Saint-Maurice : copie du début du XVe siècle conservée à Turin (AST, Corte, Bénéfices de là des monts, mazzo 5, n. 2).
5a, 5b Denier au type immobilisé fabriqué dans l’atelier monétaire de Saint-Maurice, avec au verso une représentation du temple dérivée des deniers de Louis le Pieux, et au recto une croix à quatre besants. Du IXe au XIVe siècle, l’abbaye a battu une monnaie de ce type, avec quelques variantes ; attestés dans la documentation à partir du XIIe siècle, ces deniers mauriciens circulaient dans l’ensemble de l’espace romand (Collection privée de Vincent Borrel).
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Laurent Ripart
il voyait dans cette substitution des chanoines aux
moines un choix éminemment politique, car « le roi
ne pouvait s’exposer, en retirant l’abbaye à l’évêque
de Sion, à perdre l’appui de celui dont la fidélité lui
assurait la possession tranquille de tout le versant
nord de la route du Grand St-Bernard, du col au lac
Léman, ainsi sans doute que de nombreuses res-
sources militaires »19. Sans contrevenir à cette inter-
prétation, Maurice Zufferey a invoqué des raisons
plus religieuses, en faisant observer que la règle de
saint Benoît n’était guère compatible avec la laus
perennis et plus généralement avec le mode de vie
des religieux de Saint-Maurice. Le modèle béné-
dictin propagé par Benoît d’Aniane, qui s’attachait
à séparer strictement les religieux du monde sécu-
lier, ne pouvait en effet convenir à un établissement
comme Saint-Maurice, où « les séjours très fréquents
des envoyés du roi ou du pape ainsi que le contact
avec des voyageurs, pèlerins ou hommes en armes
n’étaient sûrement pas restés sans influence sur l’ab-
baye, qui avait ainsi dû recevoir au cours du temps
une empreinte assez mondaine »20. Cette constata-
tion semble d’autant plus pertinente que les monas-
tères carolingiens qui, à l’exemple de Saint-Maurice
d’Agaune, assumaient d’importantes fonctions de
pèlerinage furent aussi amenés à faire le choix du
statut canonial qui leur permettait de maintenir
l’ouverture au monde nécessaire pour conserver
une vie religieuse organisée autour du culte public
de leurs reliques21.
La règle de saint Benoît avait-elle eu des parti-
sans à Saint-Maurice ? Etudiant la fausse charte de
fondation du monastère d’Agaune par Sigismond,
que les historiens s’accordent aujourd’hui à dater du
règne de Charlemagne (768-814)22, François Masai a
identifié dans ce document deux emprunts textuels
à la règle de saint Benoît, ce qui l’a amené à conclure
que le faussaire aurait eu « le désir d’y intégrer, pour
les accréditer comme normes juridiques, quelques
principes fondamentaux de la vie bénédictine »23.
Cette interprétation doit toutefois être nuancée,
dans la mesure où le faussaire a d’abord et avant
tout voulu exposer que les coutumes du monastère
d’Agaune ne pouvaient être réellement compatibles
avec la règle de saint Benoît. Il a pris ainsi soin de
faire ordonner par Sigismond que « pour que cette
institution soit conservée, elle ne pourra comme
les autres monastères être soumise aux labeurs24 »,
ce qui revenait à affirmer qu’en raison des charges
induites par la laus perennis, les moines d’Agaune ne
pouvaient être assujettis au travail imposé par le cha-
pitre 48 de la règle de saint Benoît. Il a aussi fait dire à
6 Jean-Marie Theurillat (1922-2003), élève de l’Ecole Nationale des Chartes (1948-1952) fut chanoine-archiviste et historien de Saint-Maurice.
7 Fragment d’une plaque tombale en marbre, sans doute du IXe siècle, découverte en 1896 sur le site du Martolet (abbaye, vestibule, CIMAH 1, n0 35).
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Les temps séculiers (IXe-Xe siècles)
l’évêque Victor de Genève, qui aurait aidé Sigismond
à définir le mode de vie du monastère d’Agaune, que
l’on ne pourra « trouver rien de plus utile que de lui
permettre de ne pas avoir à se taire »25, ce qui reve-
nait à établir que les religieux de Saint-Maurice ne
pouvaient être soumis à l’obligation de silence telle
qu’elle était définie par le chapitre 6 de la règle béné-
dictine. Les emprunts textuels du faux acte de fon-
dation ne doivent donc pas nous induire en erreur :
quel que soit le respect que le faussaire manifes-
tait pour la règle de saint Benoît, il a surtout voulu
faire établir que les moines d’Agaune ne pouvaient
être assujettis à toutes les coutumes bénédictines en
raison de la spécificité de leur liturgie.
Plus généralement, il est bien douteux que
la transformation du monastère en chapitre
ait constitué une césure aussi importante que
ne le donnerait à penser le pseudo-privilège du
pape Alexandre. Comme l’a exposé Anne-Marie
Helvétius26, le monastère de Saint-Maurice avait
jusque-là accueilli une communauté mixte, com-
posée de moines mais aussi de clercs, ce qui lui don-
nait un caractère clérical que la concession, dans le
dernier quart du VIIIe siècle, de l’abbatiat de Saint-
Maurice aux évêques de Sion dut encore renforcer.
Dans ce contexte, l’adoption de la règle d’Aix ne
dut pas représenter une rupture et ne modifia sans
doute en rien l’organisation de la vie religieuse
dans l’abbaye, dont les caractéristiques principales
semblent avoir perduré. Comme ce fut le cas dans
l’ensemble de l’Occident27, le couvent canonial de
Saint-Maurice conserva une certaine dimension
monastique si l’on en juge par le fait qu’il continua,
tout au long des IXe et Xe siècles, à se qualifier dans
ses actes de monasterium, utilisant une termino-
logie qui montre à quel point la séparation entre les
moines et les chanoines restait peu marquée pour
tous ceux qui menaient une vie religieuse28.
Hucbert et la mise en place de « l’abbatiat laïc »
Depuis la fin du VIIIe siècle, l’abbaye de Saint-Maurice
constituait un honneur royal dont la gestion était
assurée par les évêques de Sion qui se succédaient
sur le siège abbatial, tout en restant, au moins for-
mellement, élus par les frères de l’abbaye29. A la
suite de l’évêque et abbé Willicaire, ses successeurs
Althée, Adalong et Eymin cumulèrent l’épiscopat
de Sion et l’abbatiat de Saint-Maurice de manière
stable et continue, donnant ainsi naissance à ce que
François-Olivier Dubuis et Antoine Lugon ont qua-
lifié de « régime des abbés-évêques »30. Chargés de
veiller sur une abbaye qui occupait une position
éminemment stratégique par sa position sur la prin-
cipale des routes de l’Italie, ces évêques-abbés furent
de fidèles serviteurs du pouvoir royal, à l’exemple
du dernier d’entre eux, l’évêque-abbé Eymin, qui
fut missus dominicus de Louis le Pieux dans la pro-
vince de Besançon et participa avec un contingent
valaisan à l’ost que l’empereur Lothaire Ier conduisit
en 847 en Italie pour lutter contre les Sarrasins qui
menaçaient Rome31.
Ce « régime des évêques-abbés » prit fin au
milieu du IXe siècle lorsque, dans le contexte de
crise que traversait alors l’empire carolingien, un
nouveau ducatus de Transjurane se mit en place au
profit du puissant Hucbert, membre de l’éminente
parentèle des Bosonides32. Etablie entre les Alpes
et le Jura, cette principauté se composait de droits
d’origine hétérogène, dont la majeure partie rele-
vait d’une délégation royale des honneurs des dio-
cèses de Genève, Lausanne et Sion. Parmi les biens
concédés par le souverain se trouvait l’abbaye de
Saint-Maurice, dont Hucbert acquit l’abbatiat au
détriment d’Eymin, ce qui mit fin au « régime des
évêques-abbés ». La quasi-absence de documen-
tation ne permet toutefois guère de préciser les
modalités de l’avènement d’Hucbert sur le siège
abbatial de Saint-Maurice : un diplôme de l’empe-
reur Lothaire Ier, donné le 7 mai 846 par l’interces-
sion d’Hucberti venerabili abbatis, semble toutefois
indiquer que Hucbert était dès cette date en posses-
sion de l’abbaye de Saint-Maurice33.
A la mort en 855 de Lothaire Ier, la Transjurane
fut rattachée au royaume de Lothaire II, au terme
d’un partage finalisé dans la vieille résidence royale
vaudoise d’Orbe | ill. 8 |. A cette occasion, Hucbert,
qui venait de marier sa sœur Theutberge au roi
Lothaire II, put faire étalage de sa nouvelle puissance
en accueillant sur ses terres les fils de Lothaire Ier.
L’essor du nouvel abbé de Saint-Maurice était toute-
fois par trop manifeste pour que le roi n’en prenne
ombrage : en 847, Lothaire II répudia Theutberge,
confisqua les honneurs d’Hucbert et les concéda à
son propre frère Louis II, empereur et roi d’Italie,
ce qui lui permettait de l’intéresser au conflit. Les
armées impériales prirent la route du lac Léman,
sans toutefois parvenir à faire plier Hucbert qui
réussit à se maintenir avec l’appui du roi de Francie
occidentale, Charles le Chauve.
140
Laurent Ripart
Le conflit prit une dimension si âpre que
Lothaire II et ses alliés redoublèrent de violence pour
faire plier l’abbé de Saint-Maurice, l’accusant, pour
mieux aussi légitimer la répudiation contestée de la
reine, d’avoir sodomisé sa sœur Theutberge, avant
de l’engrosser puis de la contraindre à avorter. Le
scandale fut tel qu’il amena les plus hautes autorités
ecclésiastiques à intervenir, le plus souvent pour
dénoncer les mœurs de l’abbé Hucbert. A l’exemple
de l’éminent archevêque Hincmar de Reims, qui
eut des mots très durs contre Hucbert qu’il consi-
dérait comme « un homme très pervers34 », le pape
Benoît III appela l’épiscopat de la vallée du Rhône à
condamner l’abbé de Saint-Maurice dont il dressa en
857 un portrait au vitriol resté célèbre :
« Il a envahi avec une telle férocité le monas-
tère du saint et glorieux martyr Maurice,
pourvu de privilèges apostoliques, que plus
rien de l’ancien culte n’y est désormais nor-
malement observé. Car, de son fait, ce qui
était donné aux serviteurs de Dieu est désor-
mais prodigué par son audace à des prosti-
tuées, des chiens, des rapaces et des hommes
de grande débauche. Séparant de l’Eglise ce
monastère que l’évêque Eymin avait dirigé,
il n’a aucun scrupule à le posséder indécem-
ment, au mépris des prescriptions cano-
niques des saints pères. »35
La violence des jugements d’Hincmar ou de
Benoît III ne saurait toutefois faire oublier que
d’autres hauts personnages avaient sur Hucbert
une tout autre opinion. Oncle de Lothaire II, le roi
Charles le Chauve le tenait ainsi suffisamment en
estime pour lui avoir concédé en 862 le prestigieux
abbatiat de Saint-Martin de Tours, ce qui montre
qu’il ne considérait pas Hucbert comme un abbé
indigne36. Le moine Heiric d’Auxerre a aussi donné
dans ses Miracles de Saint-Germain un portrait élo-
gieux de celui qu’il considérait comme « un abbé
très fameux »37. Même à Rome, Hucbert pouvait
susciter des jugements contrastés, puisque le pape
Nicolas Ier, qui avait succédé à Benoît III, le qualifia en
863 d’« abbé religieux »38.
Si la violence de la lettre de Benoît III s’explique
par les tensions politiques qui avaient accompagné
la confiscation des honneurs d’Hucbert, on notera
que la nature même de ses accusations renvoyait aux
réticences que les élites ecclésiastiques éprouvaient
devant l’élection, alors assez fréquente, de la haute
aristocratie carolingienne sur les sièges abbatiaux de
leurs espaces princiers. Si l’accusation portée contre
Hucbert d’avoir introduit des prostituées, des chiens
de chasse, des rapaces ou des hommes de main dans
l’abbaye de Saint-Maurice ne doit certainement pas
être prise au pied de lettre, elle constituait une méta-
phore usuelle de l’esprit de sécularité que la main-
mise par les princes des sièges abbatiaux était censée
apporter. Il en allait de même lorsque Hincmar
dénonçait les mœurs corrompues d’Hucbert, qu’il se
plaisait à qualifier de « clerc marié » (clericus coniu-
gatus) selon une formule qui avait valeur d’oxy-
more, puisque l’archevêque de Reims considérait
que le mariage constituait le fondement de la néces-
saire séparation de l’ordo ecclesiasticus et de l’ordo
laicalis39. En ce sens, les accusations portées contre
Hucbert relèvent sans doute moins d’une dénoncia-
tion des dérives d’un personnage peu recomman-
dable que d’une aspiration des élites ecclésiastiques
à une réforme de la vie religieuse que le conflit contre
l’abbé de Saint-Maurice permettait d’affirmer.
Ce faisant, ces réformateurs étaient en rupture
avec la conception carolingienne d’une respublica
christiana dans laquelle le pouvoir séculier assumait
une forte dimension sacerdotale. Particulièrement
révélatrice est la légende du voyage de Charlemagne
à Saint-Maurice, qui nous a été transmise tout à la
fois par l’une des trois copies de la Chronique de
830 et par un prologue inséré dans une copie du
XIIe siècle d’un privilège du pape Adrien Ier (772-
795)40. Selon ce texte, Charlemagne aurait non seu-
lement partagé lors de son séjour à Saint-Maurice
la vie et les prières des moines d’Agaune, comme
s’il avait vocation à mener une vie religieuse, mais
aurait aussi concélébré avec l’évêque-abbé Althée des
messes dans la basilique abbatiale, ce qui revenait à
considérer que son autorité régalienne lui permettait
d’accéder au sacerdoce. En prenant la relève de leurs
souverains, les grands princes du IXe siècle héritèrent
de cette vocation sacerdotale que la respublica chris-
tiana carolingienne avait conférée à ses dirigeants41.
De la même manière que Charlemagne avait
pu se faire proclamer rex et sacerdos, Hucbert avait
exercé la double fonction de dux et abbas. Pour ce
faire, il avait reçu la cléricature – sans doute l’ordre
du diaconat – et portait la tonsure, sans pour autant
que son appartenance à l’ordo ecclesiasticus ne l’em-
pêchât de faire aussi pleinement partie de l’ordo lai-
calis auquel le rattachaient son mariage mais aussi
141
Les temps séculiers (IXe-Xe siècles)
le port des armes. Si les historiens ont traditionnelle-
ment qualifié Hucbert d’« abbé laïc », force est donc
de constater qu’un tel concept n’est guère adapté
pour qualifier le pouvoir d’un prince qui situait son
autorité dans une sphère qui pour être séculière
n’en était pas moins ecclésiastique42. Le pouvoir
d’Hucbert ne saurait ainsi être perçu comme celui
d’un laïc qui aurait jeté son dévolu sur une abbaye,
mais relève bien davantage de celui d’un prince
carolingien qui prenait sous son autorité ses éta-
blissements religieux pour assumer pleinement sa
vocation à diriger la respublica christiana.
Le temps des Rodolphiens (deuxième moitié du IXe siècle – fin du Xe siècle)
De l’abbé-marquis à l’abbé-roiEn 864, après une longue résistance, Hucbert finit
par être vaincu et tué près d’Orbe, par l’armée que
le comte Conrad avait conduite en Transjurane à
la demande de l’empereur Louis II. Issu de la très
puissante parentèle des Welf, apparenté de près à
la dynastie carolingienne, Conrad reçut les hon-
neurs du vaincu, autrement dit le ducatus de
Transjurane et l’abbatiat de Saint-Maurice. Lorsque
Conrad trouva la mort vers 869, son fils Rodolphe,
pourtant encore en enfance, reçut de Louis II les
honneurs de son père, parmi lesquels se trouvait
l’abbaye de Saint-Maurice. Cette succession n’alla
toutefois pas de soi, puisque le jeune Rodolphe dut
affronter la concurrence du duc Boson, neveu du
ci-devant Hucbert, auquel le roi Charles le Chauve
avait concédé l’abbatiat de Saint-Maurice, à charge
pour lui d’en faire la conquête. Bien qu’il ne fût alors
encore qu’un enfant, Rodolphe semble toutefois
s’être rapidement imposé et Charles le Chauve finit
par lui apporter son soutien, en venant le rencontrer
en 872 à Saint-Maurice43.
Désormais bien installé en Transjurane et à
Saint-Maurice, Rodolphe servit fidèlement les dif-
férents souverains carolingiens qui se succédèrent.
Il reçut à l’abbaye ceux d’entre eux qui prenaient
la route de l’Italie, comme ce fut le cas de Charles
le Chauve en 875 puis de Charles le Gros en 87944.
Il maintint surtout d’étroites relations avec l’impé-
ratrice Ingelberge, veuve de Louis II, pour le salut
de l’âme de laquelle il ordonna en 878 de consa-
crer chaque année un muid d’huile au luminaire de
saint Maurice45. Cet acte solennel, dont l’original est
conservé à Parme, offre le premier témoignage qui
nous permet de décrire le couvent de Saint-Maurice.
Il fut en effet souscrit par vingt-trois chanoines,
répartis à parts égales entre prêtres et diacres, qui
constituaient sans doute l’ensemble du chapitre. Ces
chanoines étaient placés sous l’autorité d’un prévôt,
dénommé Erifred, qui avait souscrit immédiate-
ment après Rodolphe, « humble comte et abbé du
monastère de Saint-Maurice d’Agaune ».
Durant les premières années de son abbatiat,
Rodolphe multiplia les signes de sa fidélité à la
dynastie carolingienne. Ainsi, lorsque le duc Boson
se fit couronner roi à Vienne, Rodolphe prit la tête
du camp légitimiste, faisant de ses terres le bas-
tion à partir duquel les Carolingiens purent mener
leur reconquête46. Dans les années 880, l’abbé de
Saint-Maurice fut l’un des plus fidèles soutiens de
Charles III le Gros, qui parvenait progressivement
à rassembler l’héritage de Charlemagne : en 885,
Rodolphe assistait ainsi à son sacre lotharingien,
avant de le rejoindre l’année suivante à Metz pour
participer à l’expédition qui tenta de lever le siège
de Paris47. Dans un diplôme de 885, Charles le Gros
désignait d’ailleurs Rodolphe par le titre révélateur
de « notre fidèle et cher marquis », avant de gratifier,
à sa demande, l’un de ses vassaux en lui concédant
une donation48.
La révolte aristocratique qui amena à la dépo-
sition en novembre 887 de l’empereur Charles
8 Les royaumes de l’empire carolingien en 855.
142
Laurent Ripart
le Gros, puis à sa disparition sans descendance le
13 janvier 888, redistribua totalement les cartes.
Selon Réginon de Prüm, qui constitue notre seule
source sur ces événements, sitôt connu le décès de
l’empereur49, « Rodolphe […] prit avec lui des grands
et quelques prêtres, se coiffa d’une couronne à
SaintMaurice et ordonna d’être appelé roi »50. Au
lendemain de ce couronnement, Rodolphe prit la
route d’Aix-la-Chapelle et « envoya des ambassa-
deurs dans toute la Lotharingie afin que, par leurs
arguments et leurs promesses, ils retournent en
sa faveur les esprits des évêques et des nobles »51.
Les puissantes troupes d’Arnulf, fils illégitime de
Charles le Gros et principal candidat à sa succession,
contraignirent toutefois Rodolphe à rebrousser
chemin et à redimensionner ses ambitions : l’abbé
de Saint-Maurice dut se contenter d’obtenir d’Arnulf
une paix de compromis qui lui permit de conserver
avec le titre royal son ducatus de Transjurane, à
peine élargi au diocèse de Besançon52.
Si ce royaume pouvait sembler a priori peu
viable, il parvint toutefois à se stabiliser. A sa mort,
Rodolphe Ier (888-912) put transmettre sa couronne
à son fils Rodolphe II (912-937), donnant naissance à
la dynastie des souverains rodolphiens dont firent
aussi partie les rois Conrad (937-993) et Rodolphe III
(993-1032). Progressivement, les Rodolphiens
assirent leur autorité et acquirent, sans doute
autour de 942, le riche royaume que les Bosonides
avaient construit dans la vallée rhodanienne. Leur
espace monarchique, que les contemporains quali-
fiaient usuellement de « royaume de Bourgogne »,
était désormais conséquent, puisqu’il s’étendait du
seuil d’Alsace à la Méditerranée et des crêtes alpines
jusqu’aux premiers contreforts du Massif central.
Sous l’autorité des abbés-rois rodolphiens, l’abbaye
de Saint-Maurice était ainsi devenue le centre sym-
bolique et politique de l’un des cinq royaumes qui
avaient pris la relève de l’empire carolingien | ill. 9 |.
Saint-Maurice comme abbaye royaleBien que seuls 13 % de leurs actes conservés soient
datés de Saint-Maurice53, les rois rodolphiens
semblent avoir été très souvent présents dans l’ab-
baye, en particulier à l’occasion des grandes fêtes
religieuses54. L’abbaye offrait en effet aux souve-
rains rodolphiens une résidence de choix, où ils
pouvaient recevoir les pèlerins de haut niveau social
venus vénérer les reliques des martyrs thébains, à
l’exemple de l’impératrice Adélaïde qui y séjourna
en 999 à l’occasion de son voyage en Transjurane55,
ou encore de l’évêque Bernward d’Hildesheim qui
rencontra Rodolphe III à Saint-Maurice en 100156.
Saint-Maurice fut rapidement considérée comme le
centre symbolique de la monarchie bourguignonne,
ce qui n’était d’ailleurs pas sans inconvénients pour
l’abbaye, puisqu’elle devint la cible de choix de tous
les ennemis de la royauté rodolphienne. Tel fut par
exemple le cas en 894, lorsque les troupes de l’em-
pereur Arnulf marchèrent sur Saint-Maurice : l’em-
pereur s’empara de l’abbaye et manqua de mettre la
main sur Rodolphe Ier qui, selon Réginon de Prüm, ne
trouva son salut qu’en « montant se cacher dans les
montagnes en des lieux très sûrs »57.
Lorsqu’ils séjournaient à Saint-Maurice, les
premiers souverains rodolphiens devaient certai-
nement résider dans la résidence palatiale dont
Alessandra Antonini a récemment découvert les
restes sous l’avenue d’Agaune, entre l’abbaye et
le bourg58 | ill. 10 |. D’une superficie d’au moins
660 m2, ce palais fournissait au souverain une rési-
dence de prestige dans laquelle il exerçait ses fonc-
tions de roi mais aussi d’abbé, qui lui permettaient
en particulier de disposer, au titre de sa mense abba-
tiale, de la gestion directe d’une partie des biens de
l’abbaye. Dans la pratique, une certaine confusion
semble en fait s’être installée entre les biens du fisc
et ceux de l’abbaye : un acte de 979 qualifie ainsi
des terres de l’abbaye de « possessions de Saint-
Maurice ou du seigneur roi »59, comme s’il était
devenu difficile de distinguer les terres royales de
celles de l’abbaye. Cette mainmise du souverain sur
9 Le royaume rodolphien (milieu du Xe siècle).
10 Aula palatiale de Saint-Maurice, salle orientale. Cheminée du vide sanitaire installée dans la paroi sud : a) chape de mortier sur dallage ; b) socles formant le canal ; c) cheminée ; d) ancien sol (détail des fouilles du palais trouvé sous l’avenue d’Agaune par Alessandra Antonini en 2002-2003).
ConradAbbé (864-c.869)
Rodolphe Ier
Abbé (c. 869-912) et roi (888-912)
Rodolphe IIAbbé et roi (912-937)
ConradAbbé et roi (937-993)
Rodolphe IIIAbbé (993- c. 1000) et roi (993-1032)
Les abbés-rois rodolphiens
143
Les temps séculiers (IXe-Xe siècles)
le patrimoine mauricien permettait aussi aux rois-
abbés d’avoir la haute main sur le trésor de l’ab-
baye que les Rodolphiens utilisèrent pour mener
une active politique des reliques, à l’exemple de
Rodolphe II qui offrit en 937 au roi de Germanie,
Otton Ier, des reliques de saint Innocent, l’un des
principaux martyrs de la légion thébaine60.
Cette présence de la royauté rodolphienne
contribua à donner une très forte dimension poli-
tique au culte mauricien, comme en témoigne
l’étonnante histoire de la lance de saint Maurice61
| ill. 1 |. Aujourd’hui conservée dans le trésor impé-
rial de la Schatzkammer de Vienne, cette lance, sans
doute ouvragée au VIIIe siècle, constituait à l’époque
carolingienne le symbole d’investiture que les rois
d’Italie recevaient lors de leur couronnement. Vers
921, elle fut concédée à Rodolphe II par l’aristocratie
lombarde qui appelait ainsi le roi de Bourgogne à venir
chercher la couronne italienne. Après avoir échoué
à s’imposer dans le royaume d’Italie, Rodolphe II
l’offrit en 926 au roi Henri Ier de Germanie, lui trans-
mettant ainsi ses droits sur la couronne italienne,
et la lance devint dès lors une relique majeure des
empereurs germaniques. Toutefois, comme elle était
passée par les mains des Rodolphiens, la lance reçut
dès la première moitié du XIe siècle le nom usuel de
« lance de Saint-Maurice » et fut considérée comme
« un emblème du royaume de Bourgogne »62. Une
telle assimilation entre culte mauricien, dynastie
rodolphienne et royaume de Bourgogne est emblé-
matique des transferts symboliques qui s’opéraient
entre l’abbatiat de Saint-Maurice et la monarchie
bourguignonne.
Sous l’autorité du roi-abbé, l’abbaye était gérée
par un prévôt qui dirigeait le chapitre. A en juger
par les souscriptions des chanoines sous les actes
les plus solennels, le chapitre ne devait plus guère
compter au Xe siècle qu’une douzaine de membres,
qui se répartissaient pour moitié entre des sacer-
dotes, évêques ou prêtres, et des clercs qui n’avaient
reçu que les ordres mineurs de diacre ou de sous-
diacre63. Parmi ces chanoines figuraient des per-
sonnages de tout premier rang : à la fin du Xe siècle,
le chapitre comprenait par exemple l’archevêque
Burchard de Lyon, frère du roi Rodolphe III, l’évêque
Amizo de Sion ou encore l’évêque Anselme d’Aoste,
lui aussi apparenté au souverain | ill. 11 |. Ces très
hauts personnages, qui appartenaient au tout pre-
mier cercle de l’entourage du souverain, donnaient
au chapitre de Saint-Maurice l’aspect d’une chapelle
royale dans laquelle les Rodolphiens formaient
leurs principaux serviteurs, à commencer par les
chanceliers royaux.
Résidant souvent à Saint-Maurice, le sou-
verain avait en effet pris l’habitude de recourir
aux services de la chancellerie de l’abbaye pour
faire rédiger ses diplômes | ill. 12 |. En 994, le roi
144
Laurent Ripart
Rodolphe III fit par exemple réaliser l’un de ses
actes par le chancelier abbatial Anselme, qui instru-
menta avec le double titre de « chancelier de Saint-
Maurice et du seigneur roi »64, dans lequel on peut
voir un nouveau témoignage de cette perméabilité
entre l’abbaye et les institutions royales qui carac-
térise la période rodolphienne. Comme plusieurs
autres chanoines de l’abbaye, Anselme poursuivit
sa carrière à la chancellerie royale : après avoir été
élu évêque d’Aoste, il devint archichancelier du roi
Rodolphe III, ce qui l’amena à son tour à utiliser
les services de la chancellerie abbatiale pour faire
rédiger les diplômes que le souverain donnait lors-
qu’il résidait à Saint-Maurice65.
Si l’importante chancellerie de l’abbaye est
bien connue66, la documentation ne nous fournit
en revanche que très peu d’éléments sur la vie quo-
tidienne des chanoines. Il semble toutefois qu’ils
aient résidé dans des maisons individuelles dont
on trouve sans doute un exemple dans le casale
dont fut investi le chanoine Rocelin en 1003 : située
à l’intérieur de l’espace claustral, entre la clôture
canoniale et le cloître, cette maison, construite près
du chemin qui reliait l’abbaye au bourg, était voisine
de la maison du chanoine et évêque Anselme, ce
qui donne à penser qu’elle s’inscrivait dans un
petit quartier canonial67. Rocelin y résidait avec
son épouse Amandola et leurs enfants, puisqu’à
l’exemple de beaucoup de chanoines, qu’ils fussent
d’ailleurs prêtres ou diacres, Rocelin était marié68.
Cela ne l’empêchait évidemment pas de participer
à la vie religieuse de l’abbaye aux côtés des chantres
qui apparaissent dans la documentation69 : si
nous ne savons pratiquement rien de la pratique
liturgique alors en vigueur, il semble que la laus
perennis se soit peu ou prou maintenue, puisque
nous trouvons encore au Xe siècle des références à
l’organisation des chanoines en turme, autrement
dit à leur insertion dans les équipes de religieux qui
se relayaient pour célébrer la liturgie des martyrs70.
La documentation du Xe siècle comporte de
nombreux actes de donation en précaire, par les-
quels l’abbaye concédait à un particulier des terres
pour une durée limitée, le plus souvent à la vie du
bénéficiaire et celle de l’un de ses enfants. Ces chartes,
qui permettent de voir apparaître l’entourage des
chanoines, montrent que l’abbaye disposait de ses
propres vassaux, à l’exemple de Balfred, qualifié de
« chevalier de l’abbaye » (miles abbatie), qui obtint en
996 la concession d’un bénéfice en précaire71. Saint-
Maurice disposait aussi de ministériaux qui avaient
en charge la gestion des domaines abbatiaux72. Elle
entretenait aussi des relations avec les lignages che-
valeresques locaux, qui constituaient les premiers
bénéficiaires de ses concessions en précaire, mais
aussi avec la haute aristocratie régionale et supra-ré-
gionale, à l’exemple du comte Aubry de Mâcon qui
obtint des chanoines une donation en précaire73.
Ces concessions en précaire, qui occupent une
part prépondérante dans la documentation post-ca-
rolingienne de l’abbaye, ont souvent amené les his-
toriens à estimer que le chapitre avait été spolié par
l’aristocratie laïque qui, par le biais de ces donations
en bénéfice, serait parvenue à séculariser les biens
145
Les temps séculiers (IXe-Xe siècles)
de Saint-Maurice. Une telle interprétation n’est tou-
tefois pas sans poser problème car, à Saint-Maurice
comme ailleurs, ces concessions en précaire s’inscri-
vaient dans des stratégies d’échanges complexes qui
n’étaient en rien unilatérales74. Tel est par exemple le
cas de la plus ancienne de ces concessions en précaire,
effectuée en 878 par Rodolphe Ier au profit de l’impé-
ratrice veuve Ingelberge : si l’abbaye lui concédait en
usufruit deux ville en Tuscia, cette donation trouvait
une contrepartie dans le versement annuel par l’im-
pératrice d’un cens de 15 sous et d’un muid d’huile75.
Il en alla de même sous le règne de Conrad lorsque
Amaldric obtint une terre de l’abbaye en précaire, en
contrepartie d’un casale, d’une vigne et d’un serf qu’il
offrit à l’abbaye de Saint-Maurice76, ou encore quand
Evrard et sa femme Trutila durent concéder à l’abbaye
un bien foncier et un cens annuel de 12 deniers, en
échange de la concession d’une terre en bénéfice77. La
quasi-totalité des actes de précaire de Saint-Maurice
ressortent ainsi d’une logique de dons et de contre-
dons dont il serait vain de vouloir établir la balance78,
d’autant que les biens concédés par l’abbaye étaient
donnés en usufruit, tandis que ceux qu’elle acquérait
lui étaient offerts en pleine propriété.
La question des invasions sarrasinesSelon les historiens, les Sarrasins auraient dévasté
et incendié l’abbaye de Saint-Maurice en 94079.
Pour être inlassablement répétée, cette assertion
est en réalité loin d’être établie et son analyse cri-
tique pose d’autant plus de problèmes que l’histoire
générale des invasions sarrasines est des plus obs-
cures. La légende ayant très tôt recouvert le passé,
les sources permettent en effet les interprétations
les plus diverses, amenant les historiens à prononcer
des jugements souvent contradictoires. Chez les
historiens de l’Occident chrétien, les Sarrasins ont
ainsi pu être considérés comme de petits groupes de
pirates dont les exactions auraient été considérable-
ment amplifiées par la tradition80, ou encore comme
des mercenaires instrumentalisés par la haute aris-
tocratie81, voire même comme des paysans en rup-
ture de ban82. Donnant en général plus d’ampleur
au phénomène, les historiens du monde musulman
voient quant à eux dans les expéditions sarrasines le
fruit plus ou moins contrôlé de la politique d’expan-
sion du califat de Cordoue83, ou encore une tentative
d’établissement de mujãhidin engagés dans un pro-
cessus d’extension du dãr al-islãm84. C’est donc sur
un terrain de sables historiographiques mouvants
qu’il nous faut ouvrir le dossier de sources qui a pu
amener à considérer que l’abbaye de Saint-Maurice
aurait été incendiée par les Sarrasins.
Comme toujours avec les Sarrasins, il faut com-
mencer par écarter de ce dossier les textes douteux
ou trop tardifs. Au premier rang d’entre eux figure
une lettre que Louis-Nicolas Charléty, abbé de Saint-
Maurice entre 1719 et 173685, a copiée dans son Liber
actorum monasterii Agaunensi86, après l’avoir très
certainement trouvée dans les Historiæ Francorum
scriptores d’André Duchesne87. Rédigée par un « frère
Rodolphe, serviteur inutile des saints martyrs
d’Agaune », cette lettre sollicitait la générosité du
« roi Louis de France » afin de pourvoir aux besoins
urgents de l’abbaye « réduite en cendre par la main
des barbares »88. Si Charléty, puis Hilaire Charles et
les auteurs de la Gallia Christiana ont identifié ces
barbares avec les Sarrasins et considéré que ce « roi
Louis de France » ne pouvait donc être que le roi
Louis IV d’Outre-Mer (936-954)89, cette interpréta-
tion ne saurait toutefois être retenue. Cette lettre,
qui provient d’un registre de chancellerie du roi
Louis VII de France (1137-1180), aujourd’hui conservé
au Vatican90, a en fait été écrite par Rodolphe, abbé de
Saint-Maurice entre 1153 et 1160, et les barbares qu’il
évoque n’ont donc rien à voir avec les Sarrasins91.
La Vita d’Ulrich, évêque d’Augsbourg entre 924
et 973, pose un problème d’un tout autre ordre.
Rédigée entre 983 et 993 par Gerhard, prévôt de
l’Eglise d’Augsbourg92, cette Vie affirme que l’évêque
Ulrich serait venu à Saint-Maurice d’Agaune, où
« il trouva le monastère récemment détruit par les
Sarrasins et ne vit aucun des habitants de ce lieu sauf
un gardien du sanctuaire veillant sur le monastère
brûlé »93. Pour être précis, ce témoignage n’en est pas
moins problématique, car il est bien difficile d’attri-
buer une grande crédibilité à un texte rédigé un
demi-siècle après les faits qu’il relate, à une époque
où la légende sarrasine recouvrait la réalité de leurs
faits et où les établissements ecclésiastiques de l’es-
pace alpin se dotaient à bon compte d’un passé mar-
tyrial en brodant sur quelques anciens faits d’armes
isolés94. Les données archéologiques, qui ne per-
mettent d’identifier aucune rupture d’occupation
sur le site du Martolet où était établie la basilique
martyriale, mais aussi un acte de précaire donné en
943 par le prévôt Mainier et six autres chanoines, qui
atteste que le chapitre fonctionnait alors tout à fait
normalement95, démontrent que l’abbaye n’avait
certainement pas alors été ruinée et abandonnée.
11 Pierre tombale de l’évêque Vulcher de Sion, trouvée sur le site du Martolet (137 x 159 x 14 cm) ; inconnu par ailleurs, cet évêque est mort un 26 mai, sans doute dans la seconde moitié du Xe siècle (Abbaye de Saint-Maurice, chapelle des Saints-Abbés, v. CIMAH 1, no 41).
12 Sceau du roi Rodolphe III (993-1032) (AASM, CHA 2/1/5).
146
Laurent Ripart
La conclusion s’impose : si la Vita d’Ulrich nous
apprend que Saint-Maurice faisait partie de ces éta-
blissements qui avaient acquis autour de l’an mil la
réputation d’avoir été martyrisés par les Sarrasins,
elle ne nous fournit à l’évidence qu’un écho pour le
moins très déformé des événements qui auraient
effectivement pu s'y dérouler dans le deuxième
quart du Xe siècle.
La troisième de nos sources est en revanche
indiscutable, puisqu’elle provient des Annales
écrites par Flodoard († 966), chanoine de l’église de
Reims et contemporain des invasions sarrasines,
dont il fut l’un des principaux chroniqueurs96. Dans
une notice placée à la fin de l’année 940, Flodoard
mentionne que « plusieurs personnes d’une troupe
composée de gens d’outre-Manche et de Français
qui avaient été à Rome furent tuées par les Sarrasins
et les autres ne purent passer les Alpes à cause des
Sarrasins qui avaient occupé le bourg du monastère
de Saint-Maurice »97. Les Annales de Flodoard nous
apprennent donc qu’en 940, les Sarrasins contrô-
laient le col du Grand-Saint-Bernard et s’étaient
avancés jusqu’au « bourg du monastère de Saint-
Maurice » (vicum monasterii Sancti Mauricii). Toutefois, si Flodoard nous permet de conclure
que les Sarrasins sont bien arrivés jusqu’à Saint-
Maurice, il ne saurait toutefois être invoqué pour
affirmer que les envahisseurs auraient incendié ou
dévasté l’abbaye. En prenant soin de limiter la pré-
sence des Sarrasins au seul vicus, Flodoard nous
suggère en fait le contraire, puisque l’utilisation
de cette formule ne saurait se comprendre si l’ab-
baye était effectivement passée sous le joug des
envahisseurs.
Le Sermo de combustione basilicæ beati Martini,
attribué à Odon de Cluny (c. 879-942), constitue la
quatrième de nos sources98. S’adressant aux cha-
noines de Saint-Martin de Tours dont l’église avait
été incendiée par les Vikings en 903, Odon signale
dans ce sermon que leur église ne fut pas la seule
à avoir été victime du feu et mentionne qu’une
catastrophe semblable « est récemment arrivée à
cette grande maison de la sainte légion thébaine
qui avait été construite avec une telle élégance que
les architectes de notre époque ne savent plus com-
ment la restaurer dans sa splendeur première »99.
L’identification de la « grande maison de la sainte
légion thébaine » avec l’abbaye de Saint-Maurice
ne semblant guère faire de doute, cette mention a
été utilisée pour dater le sermon d’Odon : comme
en vertu d’une interprétation abusive de Flodoard
et de la Vie d’Ulrich, l’abbaye de Saint-Maurice était
censée avoir été incendiée par les Sarrasins en 940,
cette date a en effet été considérée comme le ter-
minus a quo de la rédaction du Sermo de combus-
tione basilicæ beati Martini100. Cette interprétation
ne peut toutefois être retenue : si le sermon d’Odon
atteste bien que l’église d’Agaune a été victime d’un
incendie, il ne fournit aucun élément permettant
de l’attribuer aux Sarrasins et encore moins de le
relier à l’occupation du bourg de Saint-Maurice que
Flodoard mentionne à l’année 940.
Bien qu’il soit toujours aventureux de rappro-
cher un texte et des données archéologiques, il est
tentant d’établir un lien entre le texte d’Odon et
les conclusions de la récente campagne de fouilles
qu’Alessandra Antonini a dirigée en 2012-2013 à
Saint-Maurice. Les éléments mis à jour ont permis
de montrer que la résidence palatiale et l’église dite
du parvis, qui avaient été bâties à l’est de la basilique
martyriale, dans l’axe de l’actuelle avenue d’Agaune,
avaient toutes deux été entièrement détruites par
un important incendie que les analyses archéolo-
giques permettent de dater approximativement du
Xe siècle101. L’ampleur des destructions, qui ont rendu
ces deux bâtiments totalement et définitivement
inutilisables, mais aussi l’absence de toute autre
trace d’un événement semblable dans les données
archéologiques mises en évidence sur le site de l’ab-
baye de Saint-Maurice, donnent à penser qu’il s’agit
bien là de l’incendie évoqué par Odon. Pour autant,
si le sermon d’Odon et les données archéologiques
indiquent donc bien que l’abbaye de Saint-Maurice
a été victime, sans doute dans la première moitié du
Xe siècle, d’un incendie majeur, aucun élément ne
permet de l’attribuer aux Sarrasins.
Les sources permettent donc d’attester que l’ab-
baye a été d’une part victime d’un incendie et d’autre
part que les Sarrasins sont parvenus à Saint-Maurice
en 940. Toutefois, si la tradition semble avoir rapide-
ment fait le lien entre les deux événements, comme
en atteste la Vie d’Ulrich, qui affirme vers 990 que
l’abbaye aurait été brûlée par les Sarrasins, les
sources nous obligent à être bien plus prudents. Si
les éléments rassemblés n’interdisent évidemment
pas de penser qu’en occupant le bourg, en 940, les
Sarrasins auraient pu incendier le palais et l’église du
parvis, sans toutefois toucher la basilique martyriale,
la documentation laisse ouvertes bien d’autres hypo-
thèses. L’incendie mal daté que mentionne Odon et
13 Chapiteau pré-roman du site archéologique du Martolet, réemployé dans le cloître néo-roman construit à Saint-Maurice au XXe siècle.
147
Les temps séculiers (IXe-Xe siècles)
qu’attestent les données archéologiques peut avoir
une cause accidentelle, sans aucune relation avec
un événement militaire, ou être la conséquence de
l’un des raids que les ennemis de la royauté bourgui-
gnonne ont menés contre l’abbaye, à l’exemple de
l’expédition que l’empereur Arnulf conduisit en 894
contre Saint-Maurice et qui l’amena, selon Réginon
de Prüm, à « dévaster totalement la région entre le
Jura et le Grand-Saint-Bernard »102, ou encore de l’in-
vasion de la Transjurane par le roi d’Italie, Hugues
d’Arles, en 937103.
Au terme de ce chapitre, il convient donc de
conclure que l’esprit de sécularité qui caractérise, à
Saint-Maurice comme ailleurs, les IXe et Xe siècles ne
saurait être considéré comme le signe d’un déclin
de la vie religieuse et encore moins comme la consé-
quence d’une brutale mainmise des laïcs sur les biens
ecclésiastiques. Comme nous l’avons vu, l’adoption
de la règle canoniale ou encore la mise en place de
« l’abbatiat laïc » ne relèvent pas d’une quelconque
altération du projet monastique originel, mais s’ins-
crivent au contraire dans la continuité de la fonda-
tion de 515, qui avait vocation à ouvrir le culte des
martyrs thébains sur la société et à faire de l’abbaye
un lieu de pouvoir lié à la tradition monarchique
bourguignonne. De la même manière, les nombreux
actes de précaire qui dominent la documentation
du Xe siècle ne doivent pas être perçus comme les
signes d’un accaparement des biens de l’abbaye par
les laïcs, mais témoignent bien davantage du rayon-
nement social de Saint-Maurice, qui entretenait avec
son environnement une multitude de liens fondés
sur un enchevêtrement de dons et de contre-dons.
Plus généralement, les IXe et Xe siècles per-
mirent à l’abbaye de Saint-Maurice de devenir le
centre principal de l’une des royautés qui prirent
le relais de l’empire carolingien. Ce statut régalien
ne fut évidemment pas sans apporter quelques
difficultés à l’abbaye, en particulier parce qu’elle
devint une cible de choix pour tous les ennemis de
la monarchie rodolphienne, parmi lesquels il faut
peut-être compter les Sarrasins qui occupèrent le
bourg de Saint-Maurice en 940. Toutefois, l’essen-
tiel n’est pas là : en devenant l’âme de la royauté
rodolphienne, Saint-Maurice acquit une puissance
et un prestige considérables qui lui permirent de
tenir le rôle d’une véritable chapelle royale au sein
de laquelle les souverains recrutaient leurs évêques,
leurs chanceliers et, plus généralement, leurs col-
laborateurs les plus proches. Par là même, loin de
constituer un âge de déclin, la période post-carolin-
gienne apparaît comme une époque fastueuse pour
l’abbaye de Saint-Maurice, qui constituait alors indé-
niablement l’un des établissements ecclésiastiques
les plus prestigieux d’Occident.
notes1 HS IV/1, p. 288-290.2 Toubert 1986.3 Aubert 1872, p. 31.4 Gaillard 2006, p. 311.5 Au sein d’une importante
bibliographie, v. Devisse 1979 ; Zufferey 1986 et Autour de saint Maurice 2012.
6 Dagobertum beatos Dyonisium et Mauricium martyres et sanctissimum Martinum confessorem ad sui liberationem continuis vocibus flagitantem […] quos Dagobertus in adiutorium vocaverat, Dyonisium scilicet et Mauricium ac Martinum esse (Gesta Dagoberti I Regis 1888, p. 421).
7 B. Rosenwein 2001. V. également dans cet ouvrage A. Antonini, « Archéologie », p. 82-91.
8 Sur l’évolution de la toponymie du site, moins linéaire qu’on ne l’a dit, v. les jalons dansHS IV/1, p. 281-282.
9 Les Annales de Flodoard 1905, p. 79 ; sur le développement du bourg de Saint-Maurice, v. Blondel 1962 ; Coutaz 1997 et, dans cet ouvrage, A. Antonini, « L'abbaye », p. 185-189.
10 Ecrire et conserver 2010, doc. 17.11 Ludovicus Prenomine pius
Excellentissimus Rex Francorum (Anton 1975, p 13).
12 Adalongus Sedunensis Episcopus sub nomine Abbatis Canonicorum regulam regere videtur (Anton 1975, p. 13).
13 […] canonicos quos propulsis Monachis, nefanda et miserabili sorde pollutis (Anton 1975, p. 15).
14 Ed. Anton 1975, p. 13-21.15 Anton 1975.16 Aubert 1872, p. 32.17 Voir Semmler 1993 et Gaillard 2006,
p. 123-147.18 Helvétius 1994, p. 204-208.19 Theurillat 1954, p. 121.20 Die recht häufigen Aufenthalte
königlicher oder päpstlicher Gesandter wie auch der Kontakt mit Reisenden, Pilgern oder Bewaffneten blieben gewiß nicht ohne Einfluß auf die Abtei, die im Laufe der Zeit dadurch ein ziemlich weltliches Gepräge hatte erhalten müssen (Zufferey 1988, p. 50).
21 C’est par exemple le cas de l’abbaye Saint-Martin de Tours : Noizet 2007, p. 29-44.
22 Reymond 1926 ; Theurillat 1952 et Theurillat 1954, p. 57-82.
23 Masai 1971, p. 53.24 […] propter illud institum sit
conservatum, non potest ut cetera monasteria exercere opera (éd. Theurillat 1954, p. 77).
25 Quid utilius invenire possimus favere est non silere (éd. Theurillat 1954, p. 78).
26 Helvétius 2011.27 Semmler 1980.28 […] canonicis monasterii (Die
Urkunden 1977, no 1, a. 888) ; fratres ex monasterio Agaunensi (Die Urkunden 1977, no 12, a. 888-912) ; fratres de congregacione sancti Mauricii Agaunensis monasterii (Die Urkunden 1977, no 26, a. 929-930).
29 Heyminus episcopus et abba, et ipse novissime a fratribus electus est (Theurillat 1954, p. 56).
30 Dubuis, Lugon 1992, p. 38-42 ; sur Willicaire et la mise en place du « régime des évêques-abbés », v. dans cet ouvrage A.-M. Helvétius, « L’abbaye d’Agaune », p. 126-129.
31 Dupraz 1935, en particulier p. 281-282.32 Sur le contexte politique de la
création de ce ducatus et sur son développement, v. Parisot 1898, p. 82-91 ; Poupardin 1901, p. 46-54 ; Zufferey 1988, p. 53-57 et Demotz 2008, p. 44-59.
33 MGH, DD Lo I, no 96, p. 233-235. L’érudition a souvent négligé ce
148
Laurent Ripart
document, suivant peu ou prou Parisot 1898, p. 83-85, qui estimait que ce titre abbatial ne renvoyait qu’à l’abbaye de Lobbes, ce qui semble toutefois difficile à soutenir puisque Hucbert ne paraît pas être entré en possession de cette abbaye avant 864 (Poupardin 1901, p. 48, n. 2 et Dierkens 1985, p. 109-113).
34 Sur l’hostilité d’Hincmar envers Hucbert, v. Devisse 1975, t. I, p. 416.
35 MGH, Epistolæ, V, p. 612-614 : Monasterium sancti gloriosique mauricii martyris, apostolicis privilegiis munitum, tanta ferocitate pervasit, ut nullus iam priscę religionis in eo ordo servetur. Nam illa quę Deo ibidem famulantibus ex ope ipsius ministrabantur, nunc meretricibus et canibus atque avibus, nequissimis necnon hominibus sua largiuntur praeceptione. Idque monasterium ab ecclesia findens, Aimonius cui presidere videbatur antistes, sacrorum canonum patrumque violans sanctiones, indecenter possidere non dubitet.
36 Annales Bertiniani 1833, p. 57.37 Miracula sancti Germani 1852, col.
1259.38 Mansi 1758-1798, vol. 15, col. 353-
354 (Jaffé Wattenbach 1885-1888, no 2729).
39 Devisse 1975, en particulier p. 515-525.40 Pour la Chronique de 830 :
Theurillat 1954, p. 56-57, note f, d’après la copie donnée par le cartulaire de Saint-Maurice qui est considérée par Theurillat comme la plus proche de l’original ; pour la copie du privilège d’Adrien Ier : AASM, CHA 2/1/2-1, éd. Aubert 1872, p. 209-211. On trouvera une traduction de ce texte dans Jaccoud 2013.
41 Semmler 1991.42 Sur l’abbatiat laïque, v. Felten 1980 et
Helvétius 1998. 43 Sur l’abbatiat de Conrad et
sa transmission à Rodolphe,
v. Zufferey 1988, p. 57-58 ; HS IV/1, p. 417-418 ; Demotz 2008, p. 62-69.
44 Annales Bertiniani 1833, p. 128 et 150.45 Die Urkunden 1977, no 1, p. 91-94.46 MacLean 2001. 47 MacLean 2003, p. 126 et 67.48 […] fidelis et dilectus marchio noster
(MGH, Die Urkunden Karls III., no 112, p. 179).
49 Pour la date du couronnement, v. Die Urkunden 1977, p. 6, n. 4 qui le situe entre le 14 et le 27 janvier.
50 Ruodulfus […] apud sanctum Mauritium adscitis secum quibusdam primoribus et nonnullis sacredotibus coronam sibi imposuit et regem se appellari jussit (Reginonis 1890, p. 130).
51 […] mittit legatos per universum regnum Lotharii et suasionibus pollicitationibusque episcoporum ac nobilium virorum mentes in sui favorum demulcet (Ibid.).
52 Boehm 1961, Sergi 1989 et Ripart 2011.
53 Demotz 2011, p. 149.54 Ibid., p. 153-154.55 Castelnuovo 2002. 56 Vita Bernwardi 1841, p. 771 et Die
Urkunden 1977, no 130, p. 307.57 Arnolfus […] ad sanctum Mauritium
pervenit. Rodulfum quem querebat, nocere non potuit, quia montana conscendens in tutissimis locis se absconderat (Reginonis 1890, p. 142).
58 V. dans cet ouvrage A. Antonini, « Archéologie », p. 100-105.
59 […] partibus sancti Mauricii vel donni regis (Die Urkunden 1977, no 48, p. 175-176).
60 Bertrand 2011, p. 211.61 Die Heilige Lanze 2005 et Schulze-
Dörrlamm 2012.62 […] lanceam sancti Mauricii quod erat
insigne regni Burgundie (Chronicon Hugonis 1848, p. 401).
63 Dans les souscriptions des actes les plus solennels, on trouve 8 chanoines en 943 (Die Urkunden 1977, no 65,
p. 208-209), 11 vers 980 (HMP, Chartarum, t. 2 no 45, col. 63), 13 en 983 (Die Urkunden 1977, no 49 p. 176-178), 9 en 985 (Die Urkunden 1977, no 50, p. 178-179) et 12 en 1002 (Die Urkunden 1977, no 151, p. 332-333).
64 Die Urkunden 1977, no 77, p. 223.65 Die Urkunden 1977, no 103, p. 261 et
no 112, p. 276.66 Rück 1984, p. 231-258 ; Zufferey 1988,
p. 83-90 et 171-177 et Ecrire et conserver 2010, p. 7-8.
67 […] quendam casalem sibi concederemus in burgo sancti Mauricii et in claustra coniacentem, terminantem vero de una parte in via publica, ex alia autem parte in secunda via, que tenditur de burgo ad monasterium, de tercia vero parte in semita, que protenditur de clausa in claustrum, ex quarta autem in Anselmi episcopi casale, quem Arimundus bone memorie actenus videbatur tenere (Die Urkunden 1977, no 152, p. 333-334).
68 […] concessimus tam illi Roselino quam fideli sue Amadole et natis atque de illis duobus procreatis.
69 Die Urkunden 1977, no 65, p. 208-209.70 Die Urkunden 1977, no 64, p. 206-208
et no 68, p. 211-212.71 Die Urkunden 1977, no 79, p. 225-226.72 HMP, Chartarum, t. 2, no 45, col. 63.73 Die Urkunden 1977, no 65, p. 208-209.74 Morelle 1999.75 Die Urkunden 1977, no 1, p. 91-94.76 HMP, Chartarum, t. 2, no 45, col. 63.77 Die Urkunden 1977, t. 2, no 52, col. 67.78 Zufferey 1988, p. 90-111.79 V. en dernier lieu Steiner 2009.80 Senac 2007.81 Poly 1976.82 Poly 1998.83 Sénac 2007.84 Ballan 2010.85 HS IV/1, p. 464-465.86 AASM, LIB 0/0/15, p. 69-70.87 Duchesne 1641, t. 4, p. 741.88 […] per manus barbarum ita in ceneres
redacta est.89 Voir AASM, LIB 0/0/15, p. 69
(interprétation de Charléty) ; LIB 0/0/15, p. 69-70 (analyse de Charles) et Gallia christiana, t. 12, Paris, 1770, col. 793-794.
90 Gasparri 1976.91 Sur cette lettre, v. Mariaux 2008, avec
une transcription de Sara Petrucci.92 Bührer-Thierry 1997, p. 147-148.93 […] monasterium noviter a sarracenis
exustum invenit, et nullum de habitatoribus ibi conspexit nisi unum aedis edilem conbustum monasterium custodientem (Gerhard 1993, p. 220, dont l’édition est meilleure que Gerhardi 1841, p. 404).
94 Settia 1988 et Geary 1996.95 Die Urkunden 1977, no 65, p. 208-209.96 Sot 1993.97 Collecta Transmarinorum sed et
Gallorum, quae Roman petebat, revertitur occisis eorum nonnullis a Sarracenis, nec potuit Alpes transire propter Sarracenos qui vicum monasterii Sancti Mauricii occupaverant (Les Annales de Flodoard 1905, p. 79).
98 Sermo de combustione basilicae beati Martini : sur ce texte, v. en dernier lieu Noizet 2007, p. 112-116 et Rosé 2008, p. 335-337.
99 […] sicut de illa sanctae legionis Thebaeorum domo nuper accidit, quae tam eleganter constructa erat, ut nostri temporis artifies nequaquam hanc in pristi num decorem valeant reparare (Sermo de combustione basilicae beati Martini, col. 747).
100 Rosé 2008, p. 135.101 V. dans cet ouvrage A. Antonini,
« Archéologie », p. 100-105.102 Regionem inter Iurum et montem
Iovis exercitus graviter adtrivit (Reginonis 1890, p. 142) ; sur cette expédition, v. Demotz 2011, p. 95-96.
103 Poupardin 1907, p. 67-72.
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Toubert Pierre, « Eglise et Etat au XIe siècle : la signification du moment grégorien pour la genèse de l’état moderne », dans Etat et Eglise dans la genèse de l’Etat moderne, éd. Jean-Philippe Genet, Madrid, 1986 (Bibliothèque de la Casa de Velazquez, 1), p. 9-22.
Zufferey Maurice, « Der Mauritiuskult im Früh- und Hochmittelalter », Historisches Jahrbuch, 106 (1986), p. 23-58.
Zufferey Maurice, Die Abtei Saint Maurice d’Agaune im Hochmittelalter (830-1258), Göttingen, 1988.