Les sources de la croisade albigeoise : bilan et problématiques

14
Article paru dans La Croisade albigeoise, Colloque international du C.E.C., Carcassonne, 4-6 octobre 2002, dir. M. Roquebert, P. Sánchez, Carcassonne, 2004, p. 21-38. Martin Aurell Professeur à l’Université de Poitiers-C.E.S.C.M. Institut Universitaire de France LES SOURCES DE LA CROISADE ALBIGEOISE : BILAN ET PROBLÉMATIQUES RÉSUMÉ Des pertes documentaires de poids réduisent considérablement notre connaissance de la croisade albigeoise. Autour de 1800, les incendies de la chambre des comptes de Montpellier et du château de Foix ont réduit à néant bon nombre de sources diplomatiques. Le travail de repérage des chartes n’en est pas moins encore à l’origine d’heureuses “ redécouvertes ”, comme le prouvent les thèses récentes de quelques jeunes médiévistes. En revanche, l’historien est plus chanceux dans l’heureuse préservation de quelques documents exceptionnels : on songe ainsi au seul manuscrit de La Chanson de la croisade albigeoise. Avec les chroniques de Pierre des Vaux-de- Cernay et de Guillaume de Puylaurens, la Chanson nous ouvre les mentalités des principaux acteurs de cette guerre, leurs mobiles, leurs hésitations et leurs idéaux ; contrastées, ces trois sources permettent d’appréhender, dans toute leur complexité, les différentes motivations des belligérants. Les sirventes ou chansons engagées des troubadours présentent, quant à eux, un seul son de cloche : celui des partisans du comte de Toulouse, disant leur désarroi devant l’effondrement d’une civilisation occitane à la forte spécificité, perdue à jamais. Cette source permet de soulever ouvertement le problème de la transmission orale de la littérature médiévale, qui ne saurait être diffusée autrement que par la voix. Elle contraste avec les nombreux témoignages extérieurs au champ de théâtre des opérations, notamment les chroniques anglo-normandes. Enfin, à cheval entre oralité et écriture, les registres de l’inquisition ou les exempla de Césaire de Heisterbach nous font entendre la voix partisane des vaincus à travers le prisme, tant soit peu déformant, de l’interrogatoire inquisitorial ou du genre homilétique.

Transcript of Les sources de la croisade albigeoise : bilan et problématiques

Article paru dans La Croisade albigeoise, Colloque international du C.E.C., Carcassonne, 4-6 octobre 2002, dir. M. Roquebert, P. Sánchez, Carcassonne, 2004, p. 21-38.

Martin Aurell Professeur à l’Université de Poitiers-C.E.S.C.M.

Institut Universitaire de France

LES SOURCES DE LA CROISADE ALBIGEOISE : BILAN ET PROBLÉMATIQUES

RÉSUMÉ

Des pertes documentaires de poids réduisent considérablement notre connaissance de la croisade albigeoise. Autour de 1800, les incendies de la chambre des comptes de Montpellier et du château de Foix ont réduit à néant bon nombre de sources diplomatiques. Le travail de repérage des chartes n’en est pas moins encore à l’origine d’heureuses “ redécouvertes ”, comme le prouvent les thèses récentes de quelques jeunes médiévistes. En revanche, l’historien est plus chanceux dans l’heureuse préservation de quelques documents exceptionnels : on songe ainsi au seul manuscrit de La Chanson de la croisade albigeoise. Avec les chroniques de Pierre des Vaux-de-Cernay et de Guillaume de Puylaurens, la Chanson nous ouvre les mentalités des principaux acteurs de cette guerre, leurs mobiles, leurs hésitations et leurs idéaux ; contrastées, ces trois sources permettent d’appréhender, dans toute leur complexité, les différentes motivations des belligérants. Les sirventes ou chansons engagées des troubadours présentent, quant à eux, un seul son de cloche : celui des partisans du comte de Toulouse, disant leur désarroi devant l’effondrement d’une civilisation occitane à la forte spécificité, perdue à jamais. Cette source permet de soulever ouvertement le problème de la transmission orale de la littérature médiévale, qui ne saurait être diffusée autrement que par la voix. Elle contraste avec les nombreux témoignages extérieurs au champ de théâtre des opérations, notamment les chroniques anglo-normandes. Enfin, à cheval entre oralité et écriture, les registres de l’inquisition ou les exempla de Césaire de Heisterbach nous font entendre la voix partisane des vaincus à travers le prisme, tant soit peu déformant, de l’interrogatoire inquisitorial ou du genre homilétique.

Martin Aurell

Professeur à l’Université de Poitiers-C.E.S.C.M. Institut Universitaire de France

LES SOURCES DE LA CROISADE ALBIGEOISE : BILAN ET PROBLÉMATIQUES

En dépit de ce qui a été parfois dit, la croisade albigeoise est un événement pour lequel nous disposons de sources exceptionnelles1. Et ceci aussi bien en nombre qu’en variété. L’explication de cette richesse ne tient pas seulement à l’utilisation presque systématique de l’écrit dans les relations juridiques, qui caractérise les sociétés méditerranéennes profondément romanisées. À ce critère géographique, il faudrait, en effet, ajouter un constat chronologique. Les années 1200 représentant un tournant capital dans l’élaboration et la conservation des sources. Il s’agit du mouvement étudié dans l’ouvrage pionnier de Michael Clanchy, dont le titre même rend bien compte : From Memory to Written Record, “ De la mémoire au document écrit ”2. En Languedoc, cette mutation documentaire est concomitante des événements qui nous occuperont ces jours-ci. Comme ailleurs en Occident, elle coïncide avec l’affinement des méthodes administratives du gouvernement ecclésiastique et princier. Plus précisément, les circonstances dramatiques de la guerre contre les Albigeois et l’encadrement accru qu’elle comporte pour les populations augmentent la portée de cette bureaucratisation. Comme ailleurs en Méditerranée occidentale, les actes de la pratique sont nombreux. Depuis le milieu du XIIe siècle, bien des méridionaux ont recours à ce type d’écriture, y compris dans leurs activités les plus quotidiennes, grâce à la naissance du notariat urbain. Le binôme Literacy/illiteracy, séparant ceux qui contrôlent le pouvoir de l’écrit et ceux qui en sont exclus, ne saurait s’y appliquer, comme peut-être dans d’autres régions plus septentrionales, pour séparer orthodoxes d’hétérodoxes3. Au contraire, il semblerait plutôt que l’absence d’un monopole clérical de l’écriture facilité plutôt l’émergence de l’hérésie albigeoise4. Quoiqu’il en soit, l’activité de scribes, notaires et greffiers est soutenue dans le Languedoc des années 1200. Leur production écrite a dû être considérable. Une note négative doit cependant modérer ce premier optimisme. Par opposition au nord de l’Italie ou à la Catalogne, l’Occitanie a subi de destructions et pertes documentaires catastrophiques. Force est de mentionner, pour mémoire, deux incendies. Les archives de la cour de comptes de Montpellier sont parties en fumée, dans la chaleur du 10 août 1793, place du Peyrou. Les promoteurs de cet autodafé, obéissant en pleine

1 Une anthologie fort accessible présentant une large palette de cette documentation : M. ZERNER, La Croisade albigeoise, Paris, Gallimard, 1979. 2 From Memory to Written Record, England 1066-1307, Oxford-Cambridge (Mass.), Blackwell, 1993 (1979). 3 R. MOORE, “ Literacy and the Making of Heresy, c. 1000-c. 1150 ”, Heresy and Literacy, 1000-1530, P. BILLER, A. HUDSON (dir.), Cambridge, Cambridge U.P., 1994, p. 19-37. 4 “ On est loin d’un monopole des clercs literati et c’est sans doute une des directions à suivre pour comprendre l’enracinement régional de l’hérésie cathare ”, P. CHASTANG, Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc (XIe-XIIIe siècles), Paris, C.T.H.S., 2001, p. 427.

Terreur aux décrets de la Convention sur l’abolition du régime féodal et donc de ses titres, brûlaient alors tous les documents des trois sénéchaussées méridionales, comprenant le chartrier des vicomtes de Narbonne et les registres de l’inquisition de Carcassonne5. C’est, en revanche, de façon accidentelle qu’en 1803 les archives des Trencavel, vicomtes de Béziers et Carcassonne, sont disparues dans l’incendie du château de Foix. Des considérations d’ordre éthique ne nous empêcheront pas de nous réjouir du larcin qui permit au cartulaire de cette famille, déposé aujourd’hui à la Société archéologique de Montpellier, d’échapper à la catastrophe6. Moins spectaculaires, mais aussi irréparables, sont les pertes dues aux transferts autoritaires des fonds du clergé séculier et régulier vers les chefs lieux de département, ou des archives des Raimondins vers Paris. Pourtant, et en dépit de ces sinistres, beaucoup d’actes subsistent. Ils n’ont pas tous été encore mis en valeur par la recherche. Prenons a contrario l’exemple du chartrier des comtes de Toulouse. Dans les années 1930, un catalogue des actes de la dynastie avait été établi par Émile G. Léonard sous forme manuscrite7. Pour les années 1112-1229, Laurent Macé vient de le compléter avec bonheur : pour cette période, il a traqué jusqu’à 543 documents, soit une centaine de plus que son prédécesseur8. C’est dire que le travail, en apparence fastidieux, mais au fond toujours passionnant, qui consiste en compulser les inventaires et manuscrits d’archives et bibliothèques, peut réserver encore de surprenantes découvertes. Il est vrai que, en raison des multiples destructions, bien de ces documents ne nous sont connus que par des copies ou des éditions de l’époque moderne. Les érudits du XVIIe et XVIIIe siècle ne sont pas toujours très fiables : ils transcrivent mal les noms propres de personnes ou de lieux. Ils interpolent allégrement les originaux de gloses et passages de leur cru. Ils sèment ainsi trop souvent le doute dans l’esprit du médiéviste actuel qui tente d’utiliser leurs copies. À ce propos, tout chercheur devrait s’imprégner de la lecture du volume L’Histoire du catharisme en discussion, qui rapporte les débats du colloque de Nice de 1999 autour de la charte de Niquinta de 11679. La copie la plus ancienne de ce document apparaît, en 1660, dans les pièces justificatives de l’Histoire

des ducs de Narbonne de Guillaume Besse. Pour résumer, le problème de son authenticité donne actuellement lieu à trois hypothèses : document original, faux du XIIIe siècle ou élaboration de Guillaume Besse. Choisir l’une de ces positions détermine largement l’explication donnée aux origines de la croisade albigeoise, aux mobiles de la papauté pour la déclencher et aux motivations de ses participants. En effet, si la charte de Niquinta est authentique, le catharisme présente, déjà en 1167, une large diffusion et

5 E. MARTIN-CHABOT, Les Archives de la cour des comptes, aides et finances de Montpellier, Paris, Félix Alcan, 1907, p. VII, XXIII-XXIV, et F. CHEYETTE, Ermengard of Narbonne and the World of the Troubadours, Ithaca (NY)-Londres, Cornell UP, 2001, p. (5), corrigez 1783 pour 1793. 6 H. DÉBAX, “ Le cartulaire des Trencavel (Liber instrumentorum vicecomitalium) ”, dans Les Cartulaires, O. GUYOTJEANNIN, L. MORELLE, M. PARISSE, (dir.), Paris, Honoré Champion, 1993, p. 291-300. 7 Arch. dép. Bouches-du-Rhone, 26 F 10 et 11 pour la période 807-1249, complétant son Catalogue des actes de Raimond V de Toulouse, 1149-1194, Nîmes, Chastanner, 1932. 8 Les comtes de Toulouse et leur entourage (1112-1229), thèse de doctorat soutenue en 1998 à l’Université de Toulouse-Le Mirail, publication partielle dans Les comtes de Toulouse et leur entourage (XIIe-XIIIe siècles), Toulouse, Privat, 2000. L’auteur y annonce l’édition de ce catalogue d’actes par les presses de l’Université de Toulouse. 9 L’Histoire du catharisme en discussion. Le “ Concile ” de Saint-Félix (1167), M. ZERNER (dir.), Nice, C.E.M., 2001.

une structure ecclésiastique solide en Languedoc. Si elle est, en revanche, fausse, le rôle de l’hérésie dans le déferlement des barons septentrionaux en Occitanie peut être minimisé au profit de considérations étroitement patrimoniales ou politiques. Après cette digression sur un document qui se présente plutôt comme le procès-verbal d’un concile, revenons aux actes de la pratique à proprement parler. Il s’agit de transferts de propriété, serments de fidélité ou hommages, traités de paix, pactes matrimoniaux… Leur nature fait de ces documents, pour parler comme Marc Bloch, “ des témoins malgré eux ”. Ils n’ont pas été rédigés sous forme de récit historique10. Ils ne nous renseigneront jamais sur le déroulement des événements militaires ou sur les idéologies, croyances et motivations des combattants, thèmes qu’il faudra explorer dans d’autres sources. Ils nous permettent, en revanche, d’analyser en profondeur l’arrière-plan social de la croisade albigeoise, sujet primordial s’il en est. À l’aide de la méthode prosopographique, ils apportent des éléments pour reconstituer les familles, les groupes sociaux, ainsi que les liens de clientèle et de féodalité qui traversent la population languedocienne. C’est dans les chartes qu’on trouve la réponse aux questions les plus essentielles pour comprendre le pourquoi du conflit armé. Qui combat qui ? Quels sont les partis en présence ? Quels sont les liens qui unissent les guerriers entre eux ? Nul ne présente plus cette guerre comme le simple affrontement des guerriers septentrionaux contre les seigneurs et communes d’Occitanie. Les origines géographiques des croisés sont parfois méridionales, comme le prouve, au printemps 1219, la forte présence de nobles du Quercy dans les rangs de Simon de Montfort. Or, l’engagement individuel en matière religieuse, politique ou militaire, tel que nous le concevons de nos jours, est étranger à la mentalité des acteurs de la croisade albigeoise, dont les choix en la matière sont, presque toujours, une affaire de famille. Il y a certes des exceptions à cette règle : Michel Roquebert cite ainsi, dans la maison de Mas-Saintes-Puelles (Lauragais), acquise à l’hérésie, un exemple de curé, de prieur monastique et même d’évêque catholique de Carcassonne11. Mais des stratégies lignagères d’ascension et de prestige, doublées de traditions familiales ou antagonismes anciens, expliquent trop souvent la politique de chaque individu12. Plusieurs études sur les maisons aristocratiques impliquées dans la guerre se trouvent dans les actes du colloque Les Voies de l’hérésie13 : elles nous éclairent sur les Cavaillon, Cabaret, Aragon, Mir, Mas-Saintes-Puelles ou Termes. La multiplication de ces monographies familiales, qu’on doit fonder principalement sur les actes de la pratique, ne peut être que bénéfique.

10 C’est d’autant plus vrai que les scribes adoptent un cadre standard, dépouillé de préambules et éloigné des notices, pour leurs actes dès le début du XIIe siècle, CHASTANG, Lire…, p. 145. 11 “ La famille seigneuriale de Mas-Saintes-Puelles devant l’inquisition ”, dans Les voies de l’hérésie. Le groupe aristocratique en Languedoc (XIe-XIIIe siècles), Carcassonne, C.E.C., 2001, t. 2, p. 167. L’historien semble désarmé pour donner une explication à ces exceptions individuelles. Quoiqu’il en soit, l’application de méthodes psychanalytiques sur ces individus doit être écartée pour une période si haute et peu documentée. 12 “ Dans l’état actuel de la recherche, on ne sait pas pourquoi, placées dans la même situation existentielle, animés par des tendances spirituelles : la quête de l’ascèse et d’un Évangile vécu, certaines familles optent pour les cisterciens et d’autres pour l’hérésie. Seule la multiplication des études de détail permettra de comprendre ce phénomène, qui peut recouvrir des antagonismes lignagers anciens ”, J.-L. BIGET, “ Hérésie, politique et société en Languedoc (vers 1120-vers 1320) ”, dans Le Pays cathare. Les religions médiévales et leurs expressions méridionales, J. BERLIOZ (dir.), Paris, Seuil, 2000, p. 26. 13 Les Voies… op. cit., t. 2, Avant et après la croisade : seigneurs et seigneuries. Sans oublier les membres de l’entourage du comte de Toulouse impliqués dans la croisade, MACÉ, Les Comtes…

Les sources inquisitoriales permettent d’aller plus loin14. Leur but premier n’était-il pas de traquer l’hérésie grâce à une fine connaissance des réseaux de parenté, amitié, sociabilité et clientèle qui la diffusaient ? Sur ce point, l’inquisiteur rejoint les préoccupations de l’historien de la société ; on le savait anthropologue culturel à la suite du Montaillou d’Emmanuel Leroy Ladurie, le voilà devenu sociologue. Pour retracer les relations et les croyances des familles, les sources inquisitoriales présentent, toutefois, quelques inconvénients15. D’abord, la création de tribunaux permanents à Toulouse et à Carcassonne n’intervient qu’à partir de 1233, à la fin de la croisade albigeoise ; il n’empêche que le souvenir des témoins interrogés peut remonter loin. Ensuite, la grille du questionnaire est certes moins gênante pour l’historien de la société que pour le spécialiste des religions, car elle introduit trop le discours scolastique de l’inquisiteur dans la perception du catharisme où la part du mythe est, par contraste, si importante16. En revanche, le silence des prévenus, qui ne veulent pas toujours dénoncer leurs proches, est à l’origine de bien de nos lacunes. Enfin, la destruction de 1793 nous prive d’une bonne partie des informations. Restent, toutefois, les copies élaborées à la fin du XVIIe siècle par la mission dirigée par Jean Doat, encouragée par Colbert, aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France17, ainsi que le célèbre manuscrit 609 de la Bibliothèque municipale de Toulouse, contenant les interrogatoires menés par Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre vers 126018. Chacun sait la générosité avec laquelle Jean Duvernoy met à la disposition des chercheurs ses transcriptions et traductions dactylographiées de ces registres. Quelques enquêtes royales présentent un intérêt similaire. Alphonse de Poitiers et Charles d’Anjou, frères de saint Louis, introduisent dans leurs nouvelles possessions méridionales une procédure nouvelle, permettant à leurs officiers de connaître la nature exacte des revenus dont ils peuvent disposer19. En interrogeant les populations locales sur ces droits, ils collectent une foule de renseignements qui dépassent de loin la simple gestion des seigneuries comtales ou le montant de leurs redevances. Parmi ces enquêtes, nous disposons de la liste des chevaliers languedociens faidits, c’est-à-dire les seigneurs dépossédés et exilés en raison de leur opposition aux nouveaux pouvoirs20. On citera, également, ici le long document de 1279, édité par John Mundy, par lequel l’autorité royale rendait aux héritiers des Toulousains accusés d’hérésie en 1220 leurs biens confisqués21. De nature différente, les sources législatives, qui tentent de transformer par conquête le cadre normatif méridional, mérite aussi d’être prise en considération : la

14 A. BRENON, “ Le catharisme dans la famille en Languedoc aux XIIIe-XIVe siècles d’après les sources inquisitoriales ”, repris dans Les Archipels cathares. Dissidence chrétienne dans l’Europe médiévale, Cahors, Dire, 2000, p. 205-226. 15 Bonne présentation d’ensemble dans J. ROCHE, L’Eglise cathare du Carcassès (1167-début du XIVe siècle), Thèse de l’Ecole des Chartes, 2001, p. 61-109. Cf. également L’Inquisiteur Geoffroy d’Ablis et les Cathares du comté de Foix (1308-1309), éd. A. PALES-GOBILLIARD, Paris, CNRS, 1984. 16 E. BOZÓKY, “ La part du mythe dans la diffusion du catharisme ”, Heresis, 35, 2001, p. 45-58. 17 Vols. 21 à 32 du fonds Doat. 18 Y. DOSSAT, Les Crises de l’inquisition toulousaine au XIIIe siècle (1233-1273), Bordeaux, Bière, 1959. 19 Saisimentum comitatus Tholosani, éd. Y. DOSSAT, Paris, CNRS, 1966, Enquêtes sur les droits et revenus de Charles Ier d’Anjou en Provence, 1252 et 1278, éd. E. BARATIER, Paris, B.N., 1969. 20 RHF, t. 24, p. 319-385. Cf. M. BOURIN, “ Tensions sociales et diffusion du catharisme en Languedoc oriental au XIIIe siècle ”, dans Europe et Occitanie : les pays cathares, Carcassonne, C.E.C., 1995, p. 105-130. 21 J. MUNDY, The Repression of Catharism at Toulouse. The Royal Diploma of 1279, Toronto, PIMS, 1985.

coutume de Paris, formalisée dans les statuts de Pamiers de 1212, appartient à cette catégorie. Au chapitre des documents dont le but est d’informer les autorités sur la situation religieuse et sociale du Midi, mentionnons enfin la correspondance entretenue entre la papauté, ses légats et les prélats méridionaux. Elle est abondante. En 1198 Innocent III réorganise, en effet, l’enregistrement des actes et lettres de la chancellerie pontificale : ils seront désormais couchés sur parchemin et conservés dans des conditions adéquates22. Le pape reçoit également des missives des combattants de l’” affaire de la foi ”23. Ces lettres n’ont pas seulement été consultées par les quelques fonctionnaires du Latran qui pouvaient accéder aux bureaux de la chancellerie. Elles ont pu parfois être recopiées et diffusées pour justifier l’action des croisés. C’est pourquoi, par exemple, l’Histoire de Pierre des Vaux-de-Cernay reproduit plusieurs lettres des participants au concile tenu à Lavaur en janvier 1213, où les évêques réunis rejettent la solution pacifique au conflit préconisée par Pierre II24. La portée de cette diffusion reste toutefois limitée, en comparaison des collections épistolaires constituées, une cinquantaine d’années auparavant en Angleterre, par les partisans ou les détracteurs de Thomas Becket pour argumenter leurs positions25. Il ne faudrait pas oublier, enfin, une catégorie de lettres fictives, rédigées dans un but de désinformation, dont nous ne conservons malheureusement aucun exemplaire. Laissons reporter néanmoins à Guillaume de Puylaurens l’entretien de Simon de Montfort et du sacriste de Pamiers : “ Le comte [de Montfort] tire une lettre de son aumônière en disant : “Lisez cette lettre”. L’ayant lue, [le sacriste] trouva dedans que le roi d’Aragon saluait une dame, épouse d’un noble du diocèse de Toulouse, lui faisant croire que c’était pour l’amour d’élle qu’il venait chasser les Français (Gallicos) du pays, et d’autres flatteries. L’ayant donc lue, le sacriste répondit : “Que voulez vous dire par là ?”. Il dit : “Ce que je veux dire ? Que Dieu me vienne en aide ! Je ne crains pas un roi qui est venu pour une courtisane contre l’affaire de Dieu.” Après quoi il remit la lettre avec soin dans la bourse. Un domestique ou un secrétaire de cette dame avait peut-être fait une copie au comte de cette lettre, comme d’une chose digne de remarque, et le comte la portait en témoignage devant Dieu contre lui, car, confiant en Dieu, il n’avait pas peur qu’un homme qu’il considérait comme efféminé pût lui résister26 ”. Au témoignage même du sacriste de Pamiers, Simon lui a montré une copie et non pas l’original ; c’est vraisemblablement une feuille volante en papier, qui circulait alors en plusieurs exemplaires dans le camp croisé. Elle abondait dans le sens de la débauche de Pierre II, dont la réputation n’était certainement plus à faire dans le domaine27. Autour 22 O. GUYOTJEANNIN, J. PYCKE et B.-M. TOCK, Diplomatique médiévale, Turnhout, Brepols, 1994, p. 236 et 292, R. C. VAN CAENEGEM, Introduction aux sources de l’histoire médiévale. Typologie. Histoire de l’érudition médiévale. Grandes collections. Sciences auxiliaires. Bibliographie, Turnhout, Brepols, 1997, p. 114. Les actes du colloque Innocenzo III. Urbs et Orbis, dont la parution est imminente, annoncent l’article de P. ZUTSHI, “ Innocent III and the Reform of the Papal Chancery ”, information aimablement communiquée par Myriam Soria. 23 Un exemple parmi tant d’autres : M. AURELL, Actes de la famille Porcelet d’Arles (972–1320), Paris, C.T.H.S., 2001, p. 171, n. 268. 24 M. ALVIRA, “ Le “vénérable” Arnaud Amaury : image et réalité d’un cistercien entre deux croisades ”, Herésis, 32, 2000, p. 26-27. 25 A. DUGGAN, Thomas Becket: A Textual History of his Letters, Oxford, Clarendon Press, 1980. 26 Traduction de J. Duvernoy dans Chronique (1145-1275), Toulouse, Le Pérégrinateur, 1996 (2e éd.). 27 Songeons, par exemple, à son attitude à l’égard de Marie de Montpellier, son épouse légitime, M. AURELL, Les Noces du comte. Mariage et pouvoir en Catalogne (785-1213), Paris, Publications de la Sorbonne, 1985, p. 427-465.

de 1244, dans son autobiographie, Jacques Ier lui-même traite son propre père d’hom de

femnes, tout en racontant que les Languedociens l’avaient attiré en Occitanie en lui proposant les plus belles parmi leurs épouses et filles28. Sa familiarité avec ce sujet ne lui vient peut-être pas de l’époque où, encore enfant à l’âge trop tendre pour être au courant des écarts de conduite paternels, il demeurait comme otage auprès de Simon de Montfort. Retrouver, toutefois, sous sa dictée le même thème de l’exploitation de la luxure de son père par les sujets du comte de Toulouse témoigne, pour le moins, du succès de la propagande des détracteurs de l’intervention catalano-aragonaise dans la guerre29. L’historiographie relative à la croisade albigeoise est d’une richesse inouïe. Dans le résumé de la communication qui va suivre, Kay Wagner annonce qu’il a retrouvé jusqu’à cent soixante-quinze textes historiques, rédigés entre 1209 et 1328, la mentionnant. Il vous parlera sans doute bien mieux que moi des chroniques élaborées dans l’Empire romano-germanique, aussi riches sur la question que les Annales de Cologne ou les Annales de Rainier de Liège30. Certains de ces récits sont rarement mentionnés dans les études sur la croisade albigeoise. Telle est le cas de la chronique du prémontré Robert de Saint-Marien d’Auxerre (1156-1212), qui, comme Karin Cavazzocca-Mazzanti doit le montrer, contient plusieurs allusions à son sujet. Dans la véritable somme que Martín Alvira vient de publier sur la bataille de Muret, le poème catalan de Muret (1213) et le Versus de victoria comitis Montisfortis (1215-16), aussi peu utilisés par les médiévistes, sont également analysés31. Ces trois études menées par de jeunes chercheurs montrent qu’il y a encore beaucoup à faire en historiographie, tant les chroniques à citer la croisade sont nombreuses. Mais c’est surtout la minutie du récit d’hommes directement impliqués dans la guerre et leur discours idéologique qui fait la qualité exceptionnelle de ce dossier. Nous songeons, bien évidemment, à Guillaume de Puylaurens, à Pierre des Vaux-de-Cernay et aux deux auteurs de la Chanson de la croisade albigeoise, tous spectateurs engagés du conflit. L’intérêt de leurs textes tient à la diversité de leur regard sur l’événement, car ils proviennent de camps adverses et d’horizons politiques opposés, ou plus exactement ils représentent les différentes nuances de la large palette des positions idéologiques des acteurs de la croisade. Le Toulousain Guillaume (vers 1200-après 1274), curé de Puylaurens, après avoir fait partie de l’entourage de l’évêque Foulque, devient chapelain de Raimond VII32. Il

28 “Crònica o Llibre dels feits”, éd. F. SOLDEVILA, Les Quatre grans cròniques, Barcelone, Selecta, 1971, p. 6, § 8. 29 M. AURELL, “ Autour d'un débat historiographique: l'expansion catalane dans les pays de langue d'oc au Moyen Age ”, Montpellier, la couronne d'Aragon et les pays de langue d'oc (1204-1349), Montpellier, 1987, p. 12. À la même époque, le chroniqueur anglais Roger de Howden se fait l’écho des remontrances des populations aquitaines contre Richard Cœur de Lion, qu’elles accusent d’abuser de leurs femmes et filles pour les livrer ensuite à ses guerriers, Gesta Henrici Secundi, éd. W. STUBBS (RS 49), Londres, 1867, t. 1, p. 292. Le thème de la débauche de l’ennemi semble donc habituel dans la propagande de l’époque. 30 Utilisées et présentées par G. LANGLOIS, “ Le siège du château de Termes par Simon de Montfort en 1210. Problèmes topographiques et historiques ”, Heresis, 20, 1994, p. 101-134. 31 12 de septiembre de 1213. El Jueves de Muret, Barcelone, Universitat de Barcelona, 2002, p. 123-129. 32 Cf. l’introduction de J. Duvernoy à son édition, citée ci-dessus. On le corrigera cependant sur sa suggestion que Guillaume de Puylaurens était noble (p. 12). Sa lecture de l’introduction (p. 30) des chapitres 16 (p. 76) et 45 (p. 186) dans ce sens est, en tout cas, inexacte : la plainte du refus des chevaliers à mener ses fils vers la prêtrise ou la description des malheurs des faux chevaliers de Lavaur

compose sa Chronique à partir de souvenirs personnels et de quelques documents écrits ; il se peut qu’il ait eu connaissance de l’œuvre de Pierre des Vaux-de-Cernay et de La Chanson de la croisade albigeoise. Seul un manuscrit médiéval, daté des années 1300-1330, nous transmet son livre. Il semble donc avoir été peu utilisé. Bernard Gui (1261-1332), dont Anne-Marie Lamarrigue nous présentera la méthode historique, cite toutefois plusieurs de ses passages de façon explicite33. La position de Guillaume peut être qualifiée de modérée : il approuve la croisade, dont le but premier est d’éradiquer l’hérésie, mais il prend des distances à son égard à partir des années 1215 où il considère que sa nature a été pervertie. Il ne fait, d’ailleurs, pas l’amalgame hâtive entre le comte de Toulouse, les sires occitans et le catharisme. Tout autre est l’attitude du cistercien Pierre des Vaux-de-Cernay, originaire du monastère du sud-ouest de l’Íle-de-France, dont son oncle Gui est l’abbé. Cette fondation est généreusement dotée par les Montfort34. En 1212, Gui, qui avait déjà accompagné Simon à la IVe croisade, est nommé évêque à Carcassonne ; Pierre le rejoint aussitôt, devenant une sorte d’historiographe officiel des croisés. À cette date, il commence l’Histoire albigeoise, ouverte par une dédicace à Innocent III ; il y rapporte les événements jusqu’en janvier 1213, date où il revient en Île-de-France. Il reprend son écriture de façon intermittente, à l’occasion de deux de ses voyages en Languedoc, mais il s’arrête à l’année 1218. Sa vision de la croisade est fort tranchée, “ manichéenne ” même, sans mauvais jeu de mots autour de l’adjectif avec lequel il désigne lui-même les hérétiques : les croisés, menés par Simon de Montfort, un véritable saint, incarnent le bien, comme le prouvent les interventions répétées de la Providence en leur faveur, leurs prouesses et leurs succès ; à l’opposé, les seigneurs du Midi, tous contaminés, à quelques exceptions près, par le catharisme sont les serviteurs du diable. L’œuvre, pour laquelle on conserve onze manuscrits médiévaux, dont trois du XIIIe siècle, et deux traductions contemporaines en français, connaît une diffusion considérable35. Elle est connue d’une quinzaine d’auteurs du XIIIe siècle, parmi lesquels on compte des cisterciens comme Aubry de Trois-Fontaines ou Raoul de Goggeshale, mais aussi Guillaume le Breton, chapelain de Philippe Auguste, ou le dominicain Vincent de Beauvais36. Bernard Gui l’utilise également, mais l’esprit critique en éveil, pour gommer de son propre récit les affirmations les plus péremptoires du moine cistercien37. Partout en Occident, l’impact de la croisade albigeoise est grand, comme le prouve l’intérêt qu’elle suscite chez des chroniqueurs éloignés du théâtre des opérations. Commençons par la péninsule ibérique et, plus particulièrement par la Couronne d’Aragon. La mort de Pierre II à la bataille de Muret ne pouvait laisser indifférents les chroniqueurs catalans. D’une part, l’historiographie médiévale est trop liée à l’obituaire pour qu’ils passent sous silence la disparition du roi. D’autre part, sa mort violente est

(ces generosi ne seraient-ils plutôt des nobles pas encore adoubés ?) ne sauraient être retenues comme argument ; Guillaume ne nie, d’ailleurs, nulle part la noblesse des adoubés de 1244. 33 Bernard Gui (1261-1331), un historien et sa méthode, Paris, Honoré Champion, 2000. 34 M. ZERNER, “ L’abbé Gui des Vaux-de-Cernay prédicateur de croisade ”, Cahiers de Fanjeaux, 21, 1986, p. 183+204. 35 Hystoria albigensis, éd. P. GUÉBIN, E. LYON, Paris, Société d’Histoire de France, 1926-1939. Cf. également des mêmes auteurs, “ Les manuscrits de la chronique de Pierre des Vaux-de-Cernay ”, Le Moyen Age, 1910, p. 221-234. 36 On trouve la liste dans M. ALVIRA, “ La cruzada albigense y la intervención de la corona de Aragón en Occitania. El recuerdo de las crónicas hispánicas del siglo XIII ”, Hispania, 206, 2000, p. 955-956, note 27. 37 LAMARRIGUE, Bernard…

à l’origine d’un traumatisme considérable dans ses terres, aussi bien moral certes, mais surtout politique : le vide de pouvoir dû à la minorité de Jacques Ier et à la banque route de la couronne, dont les lourdes dépenses militaires en Languedoc interviennent en pure perte, provoque des révoltes nobiliaires à répétition. Une version des Gesta comitum

Barchinonensium, mise en forme au monastère de Ripoll, ancienne nécropole comtale, entre 1214 et 1221, au lendemain même de Muret, justifie l’intervention de Pierre II en raison de l’exhérédation illicite du comte de Toulouse, son beau-frère, par Simon de Montfort38. De son côté, vers 1244, Jacques Ier met en avant, dans son autobiographie, la fourberie des Occitans qui, comme nous l’avons vu, obtiennent le secours de son père en jouant sur sa faiblesse, et explique la défaite de Muret par la mauvaise organisation des hommes de sa troupe, “ par le péché qui était en eux ”, et par l’audace immodéré du roi, “ car de tous temps notre lignage a agi de la sorte : vaincre ou mourir dans les batailles que nous avons faites et que nous ferons ”. À la veille de la bataille, le roi oppose, de même, la débauche nocturne de son père à la piété de Simon, à l’égard duquel son ton est toujours respectueux39. Il va de soi que, si on nous permet la boutade, cette admiration ne s’explique pas par le “ syndrome de Stockholm ” de l’ancien otage envers son tuteur. La raison est politique : contrairement à son père, Jacques Ier poursuit davantage la politique des rois d’Aragon que des comtes de Barcelone ; la reconquête des royaumes musulmans des Baléares et de Valence relègue au second plan l’expansion occitane40. Par le traité passé à Corbeil (1258) avec saint Louis, Jacques Ier renonce même à accroître ses territoires du Midi en échange de l’abandon par le roi de France de sa souveraineté sur les comtés catalans. En somme, proches de l’événement, ces textes ne mettent nullement en cause l’orthodoxie religieuse du roi d’Aragon et de son entourage et minimisent, voire occultent, le problème cathare, tout en légitimant l’intervention de Pierre II par ses obligations familiales et féodales et par ses droits ancestraux dans le Midi. Comme Martín Alvira vient de le démontrer41, une position identique se retrouve chez Rodrigue Ximenès de Rada (vers 1170-1247), archevêque de Tolède, qui combattit aux Navas de Tolosa (1212), côte à côte — aussi étonnant que cela puisse paraître pour un prélat au XIIIe siècle — avec Pierre II, à l’égard duquel il éprouve une sympathie profonde. Cet archevêque, le plus écouté des conseillers de Ferdinand III (1230-1252), roi de Castille et de Léon, appartient à une génération d’intellectuels qui met entre parenthèse les différentes rivalités des royaumes péninsulaires pour insister sur les liens qui unissent ses dirigeants face aux Almohades. Vouée à un avenir prometteur, souvent citée et pillée, son Histoire des affaires d’Espagne (1243-1247) adopte donc le point de vue modéré sur la croisade albigeoise qu’on retrouve chez les chroniqueurs catalans, mais aussi dans l’œuvre de Guillaume de Tudèle, voire de Guillaume de Puylaurens. Tout autre est l’avis de la Chronique latine des rois de Castille (vers 1236), œuvre d’un évêque anonyme, qui emprunte le discours cistercien, cher à Pierre des Vaux-de-Cernay, du châtiment providentiel du roi d’Aragon pour son alliance avec les hérétiques. Ces deux exemples contradictoires de chroniqueurs castillans travaillant dans les années

38 Éd. L. BARRAU DIHIGO, J. J. MASSÓ, Barcelone, 1925, t. 2, p. 17-18, § 10. Cf. AURELL, Les Noces…, p. 406-407. 39 “ Crònica… ”, p. 6-7, §9. 40 AURELL, “ Autour… ”, p. 12, ALVIRA, “ La cruzada… ”, p. 969-970. 41 “ La cruzada… ”, p. 962-966.

1235-1245 montrent la richesse du dossier. On n’insistera pas davantage, car Daniel Baloup a choisi de le reprendre ici pour comparer leur discours sur la reconquête anti-musulmane et sur la croisade albigeoise anti-cathare42. De même, Robert Moore évoquera largement l’historiographie anglaise du XIIIe siècle. Qu’on nous permette, toutefois, de rappeler brièvement pour mémoire combien les Plantagenêt, maîtres de l’Aquitaine, sont impliqués dans les affaires albigeoises : Raimond VII lui-même a demandé à être inhumé auprès de sa mère, Jeanne d’Angleterre, à Fontevraud, la nécropole familiale en Anjou. Pourtant, au XIIe siècle, avant que l’alliance entre Jean Sans Terre et Henri III, d’une part, et Raimond VI et Raimond VII, de l’autre, se concrétise, les intellectuels de l’entourage d’Henri II, ennemi de Raimond V, ont développé dans leurs œuvres le thème de la perversité du catharisme languedocien et de sa vaste diffusion, tolérée, voire fomentée, par le comte de Toulouse. Il en est ainsi pour Roger de Howden, qui assimile les hérétiques languedociens aux Ariens, Gautier Map, à qui nous devons la première étymologie fantaisiste sur les cathares en adorateurs du chat, Robert de Torigni ou Gervais de Canterbury. Pour contrer cette heresis moderna, Pierre de Blois rédige même, en 1190, un Traité sur la

foi, dont le manuscrit inédit de la Bodléienne d’Oxford attend toujours un éditeur43. L’esprit de ces écrivains de cour change radicalement à partir de 1191, où Jeanne, sur laquelle Philippe Auguste avait des vues, finit par épouser Raimond VI. Ce mariage est significatif d’un renversement d’alliances, identique à la même époque, y compris dans les stratégies matrimoniales, de celui d’Alphonse II d’Aragon, pupille dans sa minorité d’Henri II d’Angleterre. Naguère ennemis du comte de Toulouse, le roi d’Angleterre et le comte de Barcelone deviennent ses affins par le mariage de leurs filles et sœurs ; ils s’entendent dorénavant avec lui pour s’opposer au roi de France44. Cette présentation de l’historiographie en latin ou en langue vulgaire en prose permet d’entrevoir quelques-unes de ses implications idéologiques. Profondément engagés, les chroniqueurs se veulent rarement au-dessus de la mêlée : ils travaillent au service d’un parti pour lequel ils font de la propagande. Ce constat vaut encore davantage pour les chansons versifiées en langue d’oc, dont la diffusion est encore plus large. Bien évidemment, la Chanson de la croisade albigeoise et les sirventes des troubadours viennent aussitôt à l’esprit. Les tribunaux de l’inquisition ont laissé des dépositions irremplaçables pour comprendre leur mode de transmission. En février 1243, l’un de leurs témoins affirme avoir entendu un bourgeois de Castelsarrasin manifester une grande joie à l’annonce du massacre d’Avignonnet : c’est alors qu’il chanta quelques “ bons couplets et un bon sirventes ” contre l’une des victimes. En décembre 1274, le tribunal de Toulouse enregistre la déposition d’un autre bourgeois récitant par cœur D’un sirventes far, la chanson extrêmement hostile à Rome composée par Guilhem Figueira en 1227. L’un des témoins de Jacques Fournier dit, de même, avoir entendu, 42 On lira également la communication d’Alejandro Rodríguez sur les évêques-chroniqueurs castillano-léonais du XIIIe siècle à paraître dans La Imagen del obispo en la edad media (Actes du colloque de

Pampelune, Université de Navarre, 7-8 mai 2000), M. AURELL, A. GARCÍA DE LA BORBOLLA, (dir.) 43 Ms Jesus College 38, fol. 84v-104. Nous devons cette référence à la générosité habituelle de Nicholas Vincent, qui la cite dans son article sous presse, “ England and the Albigesian Crusade ”, dans England and the Continent in the 13th Century, B. WEILER (dir.), Ashgate, 2002. 44 R. BENJAMIN, “ A Forty Years War : Toulouse and the Plantagenet ”, The Bulletin of the Institute of Historical Research, 61, 1988, p. 270-285, M. AURELL, “ L'expansion catalane en Provence au XIIe siècle ”, Estudi general, 5-6, 1985-86 (numéro spécial, publiant les actes du colloque La formació i l'expansió del feudalisme català), p. 175-197, Les Noces…, p. 405-407.

vers 1300, fredonner une composition anticléricale de Peire Cardenal par le frère de l’évêque de Pamiers en plein office dans la cathédrale45. La portée géographique et la longévité de certaines chansons engagées sont notables. La raison de ce succès est qu’elles sont véhiculées par la voix des jongleurs et par celle de tous leurs auditeurs. Cette “ oralité ” — on devrait plutôt parler comme Paul Zumthor de “ vocalité ”46 — présente toutefois un inconvénient pour le médiéviste. Il est rare qu’on éprouve le besoin de coucher par écrit ces compositions, que l’intention politique à court terme rend vite périmées. Or, aux XIIIe et XIVe siècles, l’élaboration de chansonniers d’apparat dans plusieurs cours aristocratiques du Midi, et surtout d’Italie, en a sauvé bien d’entre elles de l’oubli47. À cet égard, l’histoire du seul manuscrit médiéval conservé de la Chanson de la croisade albigeoise est fort instructive48. Élaboré vers 1275, il a seulement intégré la Bibliothèque nationale en 1783 après avoir transité parmi plusieurs collectionneurs. S’il était disparu, nous devrions nous contenter de la copie effectuée par La Curne de Sainte-Palaye au XVIIIe siècle, soumise elle-même aux aléas de la conservation, de quelques fragments tardifs ou de sa mise en prose, enrichie de détails supplémentaires, par un légiste toulousain du XIVe siècle49. L’histoire de sa survie, due en grande partie au hasard, ne va pas sans rappeler celle de plusieurs longues chansons anglo-normandes de la même époque qui ne nous sont parvenues que grâce à un seul, ou parfois deux, exemplaires manuscrits : c’est le cas des œuvres de Jean le Trouvère, Ambroise ou Jordan Fantosme50. On saisit donc combien les pertes sont nombreuses pour ces compositions épiques en langue vulgaire, où le poète fait le récit d’événements militaires dont lui-même ou ses proches interlocuteurs ont été les témoins oculaires. Telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous, la Chanson de la croisade albigeoise comprend quelque 9.500 vers alexandrins. Pour le premier tiers, ils ont été composés par Guillaume de Tudèle, clerc navarrais demeurant à Montauban, devenu chanoine de Saint-Antonin à la suite d’une intervention de Simon de Montfort. Guillaume relate les années 1209 à 1213 jusqu’à la bataille de Muret. Il est certes favorable à la croisade, et n’hésite pas à louer Simon de Montfort, Arnaud Amaury ou Fouques de Toulouse. Mais il ne manifeste pas de haine pour les hérétiques, compatit du sort des victimes de Béziers et Lavaur et n’accable pas les seigneurs occitans. Il se porte ainsi garant de l’orthodoxie du vicomte de Béziers. On admire également le soin avec lequel il fait appel à des témoins sûrs. Son continuateur anonyme, un légiste toulousain, reprend le récit jusqu’en 1218 ; il semble avoir travaillé autour de 1228. Il adopte une position bien plus engagée, manifestant son animosité à l’encontre de la croisade. Tout en se déclarant catholique, en disant son respect pour Innocent III ou en reconnaissant les qualités personnelles de

45 M. AURELL, La Vielle et l’épée. Troubadours et politique en Provence au XIIIe siècle, Paris, Aubier, 1989, p. 227. 46 P. ZUMTHOR, La Lettre et la voix. De la “ littérature ” médiévale, Paris, Seuil, 1987. 47 S. D’ARCO AVALLE, La Letteratura medievale in lingua d’oc nella sua tradizione manoscritta, Turin, Einaudi, 1961. 48 L’excellente édition d’E. MARTIN-CHABOT, Paris, Les Belles Lettres, 1960-61, comporte des introductions aussi claires que complètes, que nous suivons ci-dessous. On préférera de même sa traduction à celle qu’H. Gougaud a élaborée dans un but plus littéraire qu’historique. 49 “ Istoria de la guerra dels Albigeses ”, éd. A. MOLINIER, dans Histoire générale du Languedoc, Toulouse, 1875, t. 8, col. 1-206. 50 I. MACDONALD, “ The Chronicle of Jordan Fantosme. Manuscripts, Author and Versification ”, dans Studies in Medieval French Presented to Alfred Ewart, Oxford, 1961, p. 242-258, N. VINCENT, “ William Marshal, King Henri II, and the Honour of Châteauroux ”, Archives, 25, 2000, p. 1-14

Simon, il est hostile aux clercs et aux Français. C’est donc avec passion qu’il défend le camp du comte de Toulouse. La Chanson est très proche des sirventes des troubadours. Deux exemples suffisent à le prouver. D’une part, Guillaume de Tudèle rapporte que, en février 1211, Raimond VI fit appel à Savari de Mauléon, le plus puissants des seigneurs du Bas-Poitou, qui lui promit son aide ; or, le chansonnier H, copié en Italie au XIVe siècle, contient un bref sirventes de Savary, disant à la comtesse de Toulouse qu’il vient à son secours avec une troupe de cinq cents mercenaires basques et brabançons51. D’autre part, l’anonyme rapporte que Gui de Cavaillon, chevauchant, au printemps 1216, à côté de Raimond VII avec lequel il revient du concile de Latran, prononce le long discours sur Paratge,

l’encourageant à reprendre par la force des armes les terres que lui ont prises Simon et les barons français ; faisant peut-être l’écho de ce discours, les chansonniers italiens H, D, daté de 1252, et G, ainsi que C, copié à Narbonne au XIVe siècle, présentent le partimen ou dialogue en vers entre Gui et le comte jeune sur le besoin de récupérer son domaine à la guerre plutôt qu’à la suite d’une restitution52. Ce dernier exemple est, au passage, significatif de la place que la tenson, la joute oratoire où il faut improviser une réponse versifiée à un thème imposé, occupe dans la création des troubadours. Ce dialogue traduit les nombreuses rencontres et échanges entre les spécialistes de la chanson d’oc. La transmission de chansons parmi les poètes apparaît également dans la bonne connaissance du répertoire littéraire de leur temps, dont font preuve Guillaume de Tudèle et l’anonyme. En somme, et pour reprendre une expression à la mode, c’est bien à une “ communauté textuelle ” que nous avons ici affaire. Nous conservons une quarantaine de sirventes relatifs à la croisade albigeoise composés entre 1209 et 124453. Leur intérêt principal est de faire résonner, dans toute son authenticité, la voix des vaincus, impossible à entendre sans cette source. Elle dit la haine pour les “ faux Français qui passent le jour et la nuit à se soûler ” et pour le clergé avide et simoniaque, qui, indifférent au terrible sort des chrétiens de Terre sainte, fomente une croisade qui n’en est pas une, afin de “ mettre les Français là où ils n’ont aucun droit ”. Du même acabit apparaît le mépris pour la langue de l’envahisseur, venue de “ France où l’on parle comme des porcs grossiers ”, dit Torcafols, et qu’emploient désormais de façon obséquieuse quelques autochtones qui donnent du “ Sire ” à leurs conquérants. Le déferlement des croisés a métamorphosé le paysage juridique et institutionnel de ces terres, y compris dans les relations féodales : “ le monde est bouleversé, la bonne foi abolie, les serments violés ”54. Au soir de la défaite, les troubadours pleurent leur pays, qui risque de perdre à jamais son âme : “ Ah ! Toulouse

51 M. de RIQUER, Los trovadores. Historia literaria y textos, Barcelone, Ariel, 1983 (2e éd.), t. 2, p. 950. Cf. M. CAO CARMICHAEL DE BAGLIE, “ Savary de Mauléon (ca. 1180-1223), chevalier-troubadour poitevin : traîtrise et société aristocratique ”, Le Moyen Age, 105, 1999, p. 269-305. 52 M. AURELL, “ Le troubadour Gui de Cavaillon (vers 1175-vers 1229) : un acteur nobiliaire de la croisade albigeoise ”, dans Les voies de l’hérésie…, op.cit., t. 2, p. 21-22. 53 R. H. GERE, The Troubadours, Heresy and the Albigesian Crusade, thèse inédite, Columbia University, 1956, G. CREMIEUX, Sirventes politiques du XIIIe siècle. La croisade albigeoise, thèse inédite de 3e cycle, Université de Poitiers, 1982, F. ZAMBON, Paratge: els trobadors i la croada contra els càtars, Barcelone, Columna, 1998, AURELL, La Vielle…, op.cit. 54 Sur le mythe de l’Occitanie, paradis perdu de la relation égalitaire du serment de fidélité, étrangère à l’hommage hiérarchique du Nord, cf. M. AURELL, “ Appréhensions historiographiques de la féodalité anglo-normande et méditerranéenne (XIe-XIIe s.) ”, dans Présence du féodalisme et présent de la féodalité. Actes du colloque de Göttingen (30 juin-1er juillet 2000), N. FRYDE, P. MONNET, G. OEXLE (dir.), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2002, p. 175-194.

et Provence, et la terre d’Argence, Béziers et Carcassès, qui vous a vus et qui vous voit ! ”. Concomitant à ce sentiment négatif de répulsion, il existe une identité positive des combattants dont les troubadours sont les porte-parole. Quelques poèmes affirment sans ambages l’existence d’une communauté culturelle occitane. Albertet de Gap insiste ainsi sur la supériorité des Catalans, gentilé qu’il dit appliquer aux habitants de Gascogne, Provence, Limousin, Auvergne et Viennois, sur les Français, qui sont pour lui les sujets de la terre des deux rois, à savoir de France et d’Angleterre. Cette solidarité entre ceux qui parlent la langue d’oc explique les quelques sirventes dont le but est d’appeler au secours Pierre II et, sans illusion aucune, son fils Jacques Ier. Plusieurs noyaux de résistants, jusqu’alors ennemis, découvrent tout ce qu’ils ont en commun devant une invasion extérieure. Ce n’est certainement pas à un Empire catalano-occitan que nous avons ici affaire. Mais il est indéniable qu’au creuset de la croisade albigeoise une conscience pan-occitane s’est forgée, plus que par le passé, de part et d’autre des Pyrénées 55. À présent, changeons totalement de registre pour évoquer les sources homilétiques et hagiographiques. Une étude de Jacques Berlioz nous a appris tout le profit qui peut être tiré du Dialogue des miracles (1219-1233), recueil d’exempla ou anecdotes moralisantes de Césaire, maître des novices du monastère cistercien de Heisterbach, et de sa longue tirade contre l’hérésie albigeoise. Ce texte rapporte l’ordre impitoyable de l’abbé de Cîteaux devant les murs de Béziers — “ Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! ” —, qui trouve des échos chez un autre cistercien, l’évêque d’Orange qui s’enquiert auprès du revenant de Beaucaire sur l’opportunité des massacres perpétrés par les croisés56. L’efficacité de la transmission des nouvelles et d’informations d’un extrême à l’autre de la Chrétienté est remarquable chez les moines blancs, dont le chapitre général réunit régulièrement tous les abbés. Toujours en milieu cistercien, une Vita rapporte comment le chevalier Gobert d’Aspremont (†1263), au retour de la croisade albigeoise, devient frère lai dans la domesticité de l’abbaye de Villers (Brabant), attitude exemplaire d’humilité pour un noble qui refuse le chœur pour devenir un simple convers57. La prédication et l’hagiographie préparent bien de futures découvertes pour les chercheurs. Nicholas Vincent vient ainsi de trouver dans le manuscrit 32 de Corpus Christi College d’Oxford un recueil d’exempla, composé vers 1210 au monastère de Llanthony (Oxfordshire), qui mentionne la “ terre des Albigeois ” et l’acquisition de la relique de saint Narcisse de Constantinople par Simon de Montfort ; il a également signalé les sermons, certes édités en 1878 mais peu cités, où, afin de recruter des guerriers anglais pour la campagne de Damiette de 1217, les faits héroïques des croisés en Languedoc sont présentés en exemple à l’auditoire58. L’archéologie nous réserve également d’autres trouvailles. Même fortement remanié par les officiers du roi de France, le village castral de Montségur conserve de multiples traces sur la vie quotidienne de ses habitants au cours de la première moitié du XIIIe

55 Pour les références de ces chansons, cf. AURELL, La Vielle…, op.cit., p. 51-58, et pour le prétendu Empire catalano-occitan, cf. AURELL, “ Autour… ” art.cit. 56 “ Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ”. La croisade contre les Albigeois vue par Césaire de Heisterbach, Portet-sur-Garonne, Loubatières, 1994. 57 A. VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen Age occidental, VIIIe-XIIIe siècle, Paris, Seuil, 1994 (2e éd.), p. 147. 58 VINCENT, “ England… ”, art.cit., notes 1 et 89.

siècle59. Plus concrètement, les fouilles de Cabaret, en Montagne Noire, dirigées par Marie-Élise Gardel, ont même relevé l’abandon précipité des habitations et des traces de destruction volontaire à l’époque de la croisade60. Pour le château de Termes, l’utilisation des données archéologiques et une simple prospection sur place ont permis à Gauthier Langlois d’avancer considérablement dans la connaissance, bien éclairée par les sources écrites, du siège et de la conquête par Simon de Montfort. Ce travail sur le terrain nous éclaire ainsi sur la façon dont les machines de siège ont été utilisées, à une époque où l’armée française présente une avance considérable en poliorcétique61. Pour finir, il existe des sources relatives à la croisade albigeoise qui font rarement l’objet d’études. L’iconographie n’est peut-être pas abondante, mais il n’existe pas, semble-t-il, de travail systématique sur les treize miniatures, certes non coloriées, du manuscrit de la fin du XIIIe siècle de La Chanson de la croisade albigeoise ; leur intérêt est d’autant plus grand sur le plan codicologique qu’elles sont accompagnées de légendes qui permettraient d’étudier en profondeur le rapport de ces images avec le texte62. Les représentations figurant sur les pièces sigillographiques et numismatiques méritent également d’être cernées en profondeur63. On peut se laisser un peu au rêve pour prétendre que peut-être l’histoire de l’art monumental nous livrera des inscriptions épigraphiques ou des peintures murales inconnues, concernant le sujet. Quoiqu’il en soit de ces peu probables découvertes, le bilan des sources relatives à la croisade albigeoise est plus que positif. Peut-être les documents diplomatiques ne sont-ils pas très nombreux en raison des destructions de la Révolution française : ils apparaissent, de surcroît, conservés trop souvent par des copies tardives. Mais ce manque est largement compensé par des archives qui, comme les inquisitoriales, sont uniques, et pour cause, en Occident, du moins pour des périodes si précoces. La richesse du dossier historiographique est également digne de mention, surtout en raison de la variété des discours et des idéologies qu’il contient. Ajoutons à cela l’homilétique, les chansons des troubadours, l’archéologie et l’iconographie. La palette est des plus larges. On peut même affirmer, sans peur de se tromper, que peu d’événements de la période, à l’exception près de la guerre anglo-française, connaissent un tel éclairage. Une fois de plus, le mythe de la prétendue pénurie documentaire du Languedoc sonne faux.

59 A. CZESKI, “ Aspects de la vie quotidienne à Montségur, révélés par les témoins archéologiques ”, dans Montsegur. La Mémoire et la Rumeur, 1244-1994, C. PAILHES (dir.), Foix-Carcassone, Conseil général de l’Ariège, 1995, p.65-86 ; A. CZESKI, M. SABATIER, “ Montségur (Ariège), compte rendu des activités de repérages et de relevés engagées sur les structures du castrum de 1993 à 1997 ”, Heresis, 33, 2000, p. 49-68. 60 Cabaret, histoire et archéologie d’un castrum. Les fouilles du site médiéval de Cabaret à Lastours (Aude), M.-E. GARDEL (dir.), Carcassone, CVPM, 1999. 61 LANGLOIS, “ Le siège… ” art.cit. 62 Éd. E. MARTIN-CHABOT, La Chanson…, art.cit., p. XVIII-XIX. 63 MACÉ, Les comtes…, p. 292-300.