Le bilan des expérimentations normatives dans les collectivités territoriales depuis la révision...

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Faculté de Droit – UM1 CERCOP 39 rue de l’Université 34060 Montpellier Mémoire de recherches réalisé par : Albéric Baumard Sous la direction de : Guillaume Merland, maître de conférences HDR à l’Université de Montpellier I L E BILAN DES EXPERIMENTATIONS NORMATIVES DANS LES COLLECTIVITES TERRITORIALES DEPUIS LA REVISION CONSTITUTIONNELLE DU 28 MARS 2003 Master 2 Droit public Parcours droit constitutionnel Soutenu publiquement le 29 juin 2009 Année universitaire 2008-2009

Transcript of Le bilan des expérimentations normatives dans les collectivités territoriales depuis la révision...

Faculté de Droit – UM1 CERCOP

39 rue de l’Université 34060 Montpellier

Mémoire de recherches réalisé par : Albéric Baumard

Sous la direction de :

Guillaume Merland, maître de conférences HDR à l’Université de Montpellier I

LE BILAN DES EXPERIMENTATIONS

NORMATIVES DANS LES COLLECTIVITES

TERRITORIALES DEPUIS LA REVISION

CONSTITUTIONNELLE DU 28 MARS 2003

Master 2 Droit public Parcours droit constitutionnel

Soutenu publiquement le

29 juin 2009

Année universitaire 2008-2009

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Remerciements

À ceux qui m’ont soutenu, encouragé et supporté

tout au long de cette aventure montpelliéraine.

Mes remerciements les plus sincères vont tout d’abord à Monsieur Guillaume Merland

sans qui cette étude n’aurait jamais été possible. Je le remercie de m’avoir guidé tout au long

de ce parcours de recherches, de m’avoir prodigué les conseils nécessaires à la rédaction de

ces lignes et d’avoir été toujours disponible pour répondre à mes questions et inquiétudes.

Je veux aussi remercier celles et ceux qui m’ont aidé, conseillé et épaulé durant cette

initiation à la recherche scientifique. J’adresse une pensée toute particulière à toute l’équipe

d’enseignants et de chercheurs du CERCOP pour leur accueil et pour avoir partagé leurs

expériences dans la construction d’un travail de recherche. Une pensée amicale va également

à tous mes camarades du Master 2 de Droit public grâce à qui la préparation et la rédaction de

ce mémoire se sont déroulées dans des conditions optimales.

Enfin, je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à la

rédaction de ces lignes.

3

SOMMAIRE

PARTIE I – UNE MANIFESTATION DE L’ÉVOLUTION DE LA PRODUCTION NORMATIVE CHAPITRE 1. UNE TECHNIQUE DE DÉSENGAGEMENT APPARENT DE L’ETAT CHAPITRE 2. LA CONCILIATION DE L’EXPÉRIMENTATION AVEC LES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS PARTIE II – LES EFFETS DE LA MISE EN ŒUVRE DE L’EXPÉRIMENTATION

CHAPITRE 1. UNE EFFICACITÉ INCERTAINE CHAPITRE 2. UN CONTENTIEUX POTENTIELLEMENT ABONDANT

4

TABLE DES ABRÉVIATIONS UTILISÉES

AJDA Actualité juridique – droit administratif AJFP Actualité juridique – fonction publique al. Alinéa art. Article Cf. Confer CGCT Code général des collectivités territoriales CJCE Cour de justice des Communautés Européennes CNRS Centre national de la recherche scientifique Coll. Collection Cons. (n°) Considérant (n°) Dir. Sous la direction de EDCE Etudes et documents du Conseil d'État ex. Exemple Ibid. Ibidem JCP-A et CT Jurisclasseur périodique (La semaine juridique), édition administrations et collectivités territoriales JCP-G Jurisclasseur périodique (La semaine juridique), édition générale JOCE Journal officiel des Communautés Européennes JORF Journal officiel de la République française LPA Les petites affiches LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence LO Loi organique n° Numéro op. cit. Opus citatum p. Page p.(n°) s. Pages (n°) et suivantes RDP Revue du droit public Rec. Recueil RFDA Revue française de droit administratif RGCT Revue générale des collectivités territoriales RIDC Revue internationale de droit comparé RMI Revenu minimum d’insertion RSA Revenu de solidarité active V. Voir

5

INTRODUCTION GÉNÉRALE

6

« C’est dire qu’avant d’apprécier la portée réelle de cette innovation,

il conviendra, en quelques sortes, d’expérimenter l’expérimentation… »

ROUX André, « Constitution, expérimentation et décentralisation »

in Constitution et finances publiques. Études en l’honneur de Loïc Philip,

Economica, 2005, p.218.

Introduit dans notre droit constitutionnel positif lors de la révision de mars 20031,

relative à l’organisation décentralisée de la République, le droit à l’expérimentation était alors

annoncé comme « une chance de renouvellement, de revitalisation »2 de la production

normative. Aujourd’hui, six ans après cette modification de notre norme fondamentale, le

temps semble être venu de réaliser un bilan des expérimentations menées.

Initialement, l’expérimentation est étrangère à la matière juridique. C’est du côté des

sciences dures, et notamment de la médecine, qu’il faut rechercher les origines de la méthode.

Il est impossible de faire l’impasse sur l’œuvre de Claude Bernard3. C’est à ce médecin

français, qui a vécu à la fin du XIXè siècle, qu’on doit la théorisation de la méthode

expérimentale appliquée à la médecine. Il publie en 1865 un ouvrage intitulé Introduction à la

1 Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003, relative à l’organisation décentralisée de la République, JORF, 29 mars 2003, p.5568. 2 PONTIER Jean-Marie, « Décentralisation et expérimentation », Tribune, AJDA, 2002, p.1037. 3 Claude BERNARD (1813-1978) : médecin et physiologiste français, il est considéré comme le fondateur de la médecine expérimentale.

7

médecine expérimentale4. S’il n’est pas l’inventeur de la méthode expérimentale, ni même de

la notion, l’œuvre de Claude Bernard revêt une importance capitale. L’Introduction, comme il

est coutume de nommer son ouvrage, a pour principal apport de théoriser la méthode

expérimentale et d’en mettre à jour les éléments constitutifs. L’expérimentation est déjà

connue au XIXe siècle. Elle est employée en chimie ou encore en physique. Claude Bernard

va importer cette technique dans l’étude des corps vivants, à savoir la médecine et la

physiologie. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, la médecine est encore considérée par

beaucoup comme un art, l’intuition de Claude Bernard à travers son ouvrage, est de la

conduire « vers sa voie scientifique définitive ».5

Pour le médecin, l’expérimentation se définit comme « un raisonnement à l’aide

duquel nous soumettons méthodiquement nos idées à l’expérience des faits ».6 À partir de

cette définition, Claude Bernard développe les différentes étapes constitutives de la méthode

expérimentale. Selon l’auteur, l’expérimentateur « 1° constate un fait ; 2° à propos de ce fait,

une idée naît dans son esprit ; 3° en vue de cette idée, il raisonne, institue une expérience, en

imagine et en réalise les conditions matérielles ; 4° de cette expérience résultent de nouveaux

phénomènes qu’il faut observer, et ainsi de suite ».7 La séquence de l’expérimentation débute

et s’achève par une observation. Entre les deux l’intervention de l’expérimentateur suppose

que celui-ci ait une idée et qu’il cherche, par l’intermédiaire de l’expérimentation, à valider ou

invalider cette idée. Cette succession d’étapes permet à Claude Bernard d’expliquer la

différence qui existe entre l’observation et l’expérimentation et d’insister sur la nécessité

d’une hypothèse a priori, et du doute qui l’accompagne.

Si l’observation trouve sa place dans la méthode expérimentale, les deux activités

diffèrent. Dans la méthode expérimentale, le scientifique intervient sur des faits afin d’obtenir

des résultats qui corroborent ou non son idée de départ. Au contraire, dans le cadre de la

simple observation, le scientifique se contente d’observer les faits naturels, tels qu’ils se

présentent à lui, sans y apporter une quelconque modification. « C’est là précisément, dans

cette puissance de l’investigateur d’agir sur les phénomènes, que se trouve la différence qui

sépare les sciences dites d’expérimentation, des sciences dites d’observation ».8

L’observation joue cependant un rôle très important dans la méthode expérimentale, comme 4 BERNARD Claude, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865, Pris Flammarion, rééd. 1984 318p. 5 BERNARD Claude, op. cit., p.25. 6 Ibid, p.26. 7 Ibid, p.54. 8 Ibid, p.47.

8

l’admet lui-même Claude Bernard, « l’esprit du savant se trouve […] toujours placé entre

deux observations ».9 L’observation est le point de départ de l’expérimentation, puisque c’est

à partir d’elle que le scientifique construit son hypothèse à tester. L’observation est aussi le

point d’arrivée de l’expérimentation, puisque c’est par elle que le scientifique conclu à la

validation ou à l’invalidation de son hypothèse. Entre les deux, « le fait que doit constater

l’expérimentateur ne s’étant pas présenté naturellement à lui, il a dû le faire apparaître, c'est-

à-dire le provoquer ».10 Tout cela conduit l’auteur à conclure que « l’expérience est une

observation provoquée dans un but de contrôle ».11

Claude Bernard insiste sur un second élément qui est l’hypothèse a priori de

l’expérimentateur, et le doute qui l’accompagne. Toute expérimentation suppose que le

scientifique ait une idée ou une hypothèse avant de commencer. Cette idée doit germer dans

l’esprit de l’expérimentateur, non pas de façon fantaisiste, mais à partir de ses observations

préalables. Cette idée préalable est nécessaire à la mise en œuvre d’une expérimentation,

comme le souligne le médecin français « la méthode par elle-même n’enfante rien ».12

Corollaire de l’idée a priori, l’expérimentateur doit constamment rester soumis au doute. Le

risque pour l’expérimentateur est d’avoir trop confiance en son idée de départ. Pour Claude

Bernard, l’expérimentateur doit savoir observer tous les résultats de son expérience et non pas

seulement ceux qui confirment son hypothèse. Il doit admettre que son hypothèse de départ

peut être fausse et doit accepter les résultats de son expérience. Le doute est tellement

nécessaire à toute activité expérimentale que, pour Claude Bernard, « les hommes qui ont une

foi excessive dans leurs théories ou dans leurs idées sont non seulement mal disposés pour

faire des découvertes, mais ils font aussi de très mauvaises observations. Ils observent

nécessairement avec une idée préconçue, et quand ils ont institué une expérience, ils ne

veulent voir dans ses résultats qu’une confirmation de leur théorie ».13 Au-delà du simple

doute, l’auteur invite même le scientifique à soumettre toute expérience au jugement de la

contre preuve. La contre preuve permet de mettre en évidence que les résultats de

l’expérimentation ne sont pas qu’une coïncidence. Si en agissant sur un fait, l’expérimentateur

obtient un résultat déterminé, la contre preuve permet de démontrer qu’en n’agissant pas sur

ce fait le résultat obtenu est différent. La contre preuve met en évidence la relation de cause à

effet entre l’action de l’expérimentateur et le résultat. Comme le souligne, d’ailleurs à juste

9 Ibid, p.54. 10 Ibid, p.49. 11 Idem 12 Ibid, p.67. 13 Ibid, p.71.

9

titre Claude Bernard, « jamais en science la preuve ne constitue une certitude sans la contre

preuve ».14

L’apport de Claude Bernard à la science expérimentale est fondamental. Toutefois,

son enseignement va se diffuser au-delà de la seule médecine. Le XIXè siècle voit la méthode

expérimentale se développer dans les autres sciences et même dans les arts. Il est alors aisé

d’en conclure que « la question de l’expérimentation est fondamentalement

multidisciplinaire ».15

À l’époque où Claude Bernard publie son Introduction, on observe le développement

de la psychologie expérimentale. Le premier ouvrage sur cette question est publié en 186016,

soit quelques années avant l’Introduction. La psychologie expérimentale vise à « prouver le

bien-fondé de l’hypothèse. Et pas n’importe comment : la relation supposée entre les faits

observés n’est considérée comme vérifiée qu’à partir du moment où l’expérimentateur est

capable de la reproduire ».17 La méthode expérimentale appliquée à la psychologie a toujours

le même objectif : tester la relation de cause à effet entre une action de l’expérimentateur et le

résultat obtenu. « En France, le premier laboratoire est créé en 1889, sous le titre de

laboratoire de psychologie physiologique ».18 Qu’ils soient médecins, psychologues ou autres

scientifiques, tous partagent en commun de pouvoir exercer leur activité au sein de

laboratoires. Or en matière de sciences sociales, parmi lesquelles le droit, l’expérimentateur

n’a pas accès à ces mêmes laboratoires. Cette différence fondamentale n’est pas sans

incidences sur la transposition de la méthode expérimentale à la matière juridique. Toutefois,

le développement de la méthode expérimentale dans la littérature démontre que l’absence de

laboratoire n’est pas un obstacle insurmontable.

La fin du XIXè siècle voit, en effet, la publication du Roman expérimental d’Émile

Zola. L’auteur, marqué par la lecture de l’Introduction à la médecine expérimentale, décide

de transposer la méthode au travail de romancier. Le Roman expérimental est publié en 1880.

Il s’agit en fait d’un compilation d’articles que l’auteur avait publié dans différents journaux

de l’époque : Le Bien public, Le Voltaire et Le Messager de l’Europe. Il s’agit là

véritablement d’une nouvelle méthode pour écrire un roman que Zola veut imposer. « Le

14 Ibid, p.91. 15 GAUDIN Jean-Pierre, « Épistémologie de l’expérimentation », in Les collectivités locales et l’expérimentation : perspectives nationales et européennes, Ministère de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des libertés locales, Paris, La documentation française, 2004, p.111. 16 FECHNER, Elemente der Psychophysik, 1860. 17 FRAISSE Paul, La psychologie expérimentale, Paris, PUF, Coll. Que sais-je ?, 13e édition, p.4. 18 Ibid, p.12.

10

romancier n’est plus seulement un observateur, il est un expérimentateur, montant une

expérience dont le résultat doit confirmer l’hypothèse dont il a eu l’idée d’après ses

observations ».19

L’expérimentation en matière normative est apparue plus tard. Le recours à cette

méthode se développe au cours du XXè siècle, ce qui fait dire à certains auteurs que

« l’expérimentation est l’une des nouvelles figures de la réforme administrative sous la Vè

République ».20 Le droit à l’expérimentation a été constitutionnalisé en 2003 mais pour autant

la technique était déjà utilisée, éprouvée et encadrée.

Le législateur et l’administration avaient déjà eu recours à des formes

d’expérimentation en matière juridique que leurs juges respectifs étaient venus encadrer21. En

matière juridique, l’expérimentation est, pour reprendre les mots du Doyen Boulouis, « une

procédure de mise au point sur échantillon ».22 Il s’agit de préparer une norme en la testant

sur un petit échantillon avant de procéder à sa généralisation. La loi Veil de 197523 relative à

l’interruption volontaire de grossesse était une loi expérimentale, puisque prévue pour durer

seulement cinq ans avant que la question de sa généralisation se repose. En 1996, la notion

d’expérimentation est consacrée dans le titre même d’une loi relative aux expérimentations

dans le domaine des technologies et services de l’information24. Cette loi prévoit

expressément la possibilité d’expérimentations « en vue de favoriser le développement des

infrastructures et des services de télécommunications et de communication audiovisuelle […]

en dérogation aux dispositions législatives ».25 Cette loi démontre l’utilité de

l’expérimentation pour adapter la législation à « un domaine hautement évolutif, où les

dispositions, à peine adoptées, sont souvent dépassées ».26 L’expérimentation va trouver un

terrain favorable à son développement en matière de décentralisation.

19 BECKER Colette, GOURDIN-SERVENIÈRE Gina, LAVIELLE Véronique, Dictionnaire d’Émile Zola, Paris, Robert Laffont, Coll. Bouquins, 1993, p.369. 20 PONTIER Jean-Marie, op. cit., p.1037. 21 V. notamment : Conseil Constitutionnel, n°93-322 du 28 juillet 1993, loi relative aux établissements publics à caractère scientifique culturel et professionnel, JORF, 20 juillet 1993, p.10750 ; Conseil d'État, 1967, Sieur Peny, Rec. p.365. Ces décisions feront l’objet de développements plus amples ultérieurement. 22 BOULOUIS Jean, « Note sur l’utilisation de la « méthode expérimentale » en matière de réformes », in Mélanges en l’honneur du Doyen Louis Trotabas,LGDJ, 1970, p.34. 23 Loi n°75-17 du 17 janvier 1975, relative l’interruption volontaire de grossesse, dite Loi Veil, JORF, 18 janvier 1975, p.739. 24 Loi n°96-299 du 10 avril 1996, relative aux expérimentations dans le domaine des technologies et services de l’information, JORF, 11 avril 1996, p.5569. 25 Loi n°96-299, précitée, art. 1er. 26 PONTIER Jean-Marie, « L’expérimentation et les collectivités locales », RA, n°320, 2001, p.172.

11

La décentralisation, et notamment le transfert de compétences aux collectivités

territoriales, a été l’occasion de nombreuses expérimentations. La première expérimentation

en ce domaine a été mise en place par la loi d’orientation pour l’aménagement et le

développement du territoire de 199527 et est relative à la régionalisation ferroviaire.

L’expérimentation a débuté en 1997 et a été généralisée par la loi du 13 décembre 2000

relative à la solidarité et au renouvellement urbains28. Six régions s’étaient portées candidates

et avaient été admises à expérimenter. « La région Limousin, marquée par une faible densité

de population, s’est ensuite jointe à l’expérimentation sur proposition du ministre chargé des

transports, laquelle a été motivée par la volonté d’étendre l’expérimentation à des situations

variées ».29 Tel est l’intérêt de l’expérimentation que de préparer une réforme par son test

dans des situations variées afin d’en corriger les défauts avant de procéder à la généralisation.

Par la suite, c’est la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité qui a engagé

une expérimentation relative aux ports maritimes30. L’expérimentation proposée transférait la

compétence en matière d’aménagement, d’entretien et d’exploitation de ces ports, de l’État

aux régions. Cette expérimentation n’a rencontré aucun succès, au point que la loi du 13 août

200431 l’a abrogée. Une autre expérimentation mérite d’être signalée car elle a été mise en

place en dehors de toute disposition législative. Cette expérimentation a été engagée en 2001

par le Ministère de la Culture et de la communication et porte sur les « Protocoles de

décentralisation culturelle ». Cette expérimentation vise à mettre en place un nouveau partage

des compétences et des responsabilités entre l’État et les collectivités territoriales dans les

domaines du patrimoine et des enseignements artistiques. En tout sept protocoles ont été

adoptés, soit par des départements soit par des régions. La loi de 2002 sur la démocratie de

proximité a étendu cette expérimentation, mais aucune collectivité ne s’est portée candidate.

Enfin la loi du 13 août 2004 a tenté de relancer en partie cette expérimentation mais sans

grand succès.

C’est à la suite de la censure par le Conseil Constitutionnel de la loi sur la Corse en

200232 que l’expérimentation est revenue sur le devant de la scène juridique. Cette décision a

27 Loi n°95-115 du 4 février 1995, d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, JORF, 5 février 1995, p.1973. 28 Loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains, JORF, 14 décembre 2000, p.19777. 29 CHAVRIER Géraldine, « Expérimentation territoriale », JCP-A, Fasc. 116-20, 2005, p.6. 30 Loi n°2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité, JORF, 28 février 2002, p.3808 31 Loi n°2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, JORF 17 août 2004, p.14545. 32 Conseil constitutionnel, n°2001-454DC du 17 janvier 2002, loi relative à la Corse, JORF, 23 janvier 2002, p.1526.

12

mis en évidence les limites du statut jurisprudentiel de l’expérimentation et la nécessité de

mettre en place un véritable statut juridique.

La loi adoptée prévoyait d’offrir la possibilité à la Collectivité de Corse un pouvoir

d’adaptation, des dispositions législatives en vigueur, aux spécificités de l’île. Cette

adaptation, adoptée par l’Assemblée de Corse, ne devait avoir qu’un caractère expérimental,

dans l’attente « de l’adoption ultérieure par le Parlement de dispositions législatives

appropriées ». Le Conseil Constitutionnel a censuré cette disposition dans sa décision du 17

janvier 2002. Le Conseil Constitutionnel considère dans cette décision « qu’en dehors des cas

prévus par la Constitution, il n’appartient qu’au parlement de prendre des mesures relavant

du domaine de la loi ». Dès lors, le législateur ne pouvait pas ouvrir, « fût-ce à titre

expérimental, dérogatoire et limité dans le temps », le droit pour une collectivité locale

d’intervenir dans le domaine de la loi. Cette décision a mis en avant les limites du statut

jurisprudentiel de l’expérimentation. Il est d’ailleurs assez étrange de voir, qu’en même temps

que le Parlement adoptait cette loi sur la Corse, deux propositions de révision

constitutionnelle, relatives à l’expérimentation, étaient déposées, l’une devant l’Assemblée

nationale et l’autre au Sénat. La première était l’œuvre du député Pierre Méhaignerie et fut

adoptée par l’Assemblée nationale, elle tendait à introduire dans la Constitution un droit à

l’expérimentation pour les collectivités territoriales. La seconde proposition de loi fut

présentée à l’initiative de Christian Poncelet, alors président du Sénat. Elle était relative à la

libre administration des collectivités territoriales. Il semble quelque peu schizophrénique de la

part du Parlement d’adopter par la voie législative normale des dispositions pour lesquelles il

reconnaît en même temps la nécessité d’une révision constitutionnelle.

Dès lors, durant la campagne présidentielle de 2002, M Jacques Chirac se prononce en

faveur d’une réforme constitutionnelle d’ampleur relative à l’autonomie des collectivités

territoriales, prévoyant notamment un volet « droit à l’expérimentation ». Cette volonté est

affirmée dans un discours fait à Rouen le 10 avril 200233. Le Président de la République –

alors candidat à sa propre réélection – explique à cette occasion qu’une « nouvelle distribution

des pouvoirs et responsabilités entre les collectivités et la République exigera une importante

révision de la Constitution ».34 Le candidat Chirac annonce clairement la

constitutionnalisation d’un droit à l’expérimentation pour les collectivités territoriales. 33 Discours de M. Jacques Chirac à Rouen, campagne pour l’élection présidentielle, 10 avril 2002. Le discours est disponible dans son intégralité sur le site de l’Elysée, dans la section Archives – discours et déclarations. www.elysee.fr 34 Idem

13

L’ensemble des éléments constitutifs d’une expérimentation est déjà présents dans ce

discours. Selon M. Jacques Chirac, l’expérimentation permet de « faire l’expérience d’une

réforme en grandeur nature, dans des collectivités volontaires, avant de les généraliser à

l’ensemble du territoire ».35 Le discours met même déjà en lumière, le fort lien qui existe

entre l’expérimentation et le principe de subsidiarité, principe également introduit dans la

Constitution lors de la révision de 2003. En effet, l’expérimentation a pour objectif de

« rechercher le meilleur échelon pour l’efficacité de la démocratie ».36

Alors en pleine campagne électorale, le Président de la République annonce même que

cette réforme constitutionnelle sera adoptée par référendum. Promesse électorale non tenue,

c’est finalement le Congrès qui va ratifier la révision constitutionnelle. La révision va se faire

alors que M. Jean-Pierre Raffarin dirigeait le Gouvernement. Celui-ci, qui est un élu local, est

favorable à une plus grande décentralisation. Le Parlement a travaillé très rapidement sur cette

réforme ce qui n’a pas « toujours permis un débat approfondi ni une rédaction complètement

satisfaisante ».37 Lors de l’adoption finale du texte au Congrès, le Premier ministre présente le

droit à l’expérimentation comme « le deuxième levier important de réforme »38, le premier

qu’il ait présenté étant le principe de subsidiarité. L’adoption de cette réforme a tout de même

posé quelques difficultés. Il s’agissait de concilier la volonté du Gouvernement d’approfondir

la décentralisation tout en ménageant les parlementaires qui étaient, pour certains, hostiles à

cette réforme. « L’expérimentation a semblé alors constituer un des « piliers » de la réforme

parce qu’elle vise à permette la réalisation de ces […] objectifs, et aussi parce qu’elle

constitue une des rares méthodes d’action publique qui ne cristallise pas le scepticisme ou le

fatalisme : elle est nouvelle, elle porte encore des espoirs ».39 Le projet de loi

constitutionnelle, devant être adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages

exprimés, soit 518 voix, au Congrès, a été ratifié par une majorité de 584 voix.

Cette révision constitutionnelle40 a inséré deux articles relatifs à l’expérimentation

dans notre norme fondamentale. Il s’agit de l’article 37-1 et de l’article 72, alinéa 4. La

rédaction de ces deux articles diffère largement et aboutit à deux types d’expérimentations

très différentes. L’article 37-1 dispose que « la loi ou le règlement peuvent comporter, pour

un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». L’article 72, alinéa 35 Idem 36 Idem 37 VERPAUX Michel, Droit des collectivités territoriales, Paris, PUF, Coll. Major, 2005, 1ère édition, p.36. 38 RAFFARIN Jean-Pierre, Congrès du 17 mars 2003, JORF, 18 mars 2003, p.15. 39 CHAVRIER Géraldine, op. cit., p.3. 40 Loi constitutionnelle n°2003-276 du 26 mars 2003, op. cit.

14

4, beaucoup plus long, dispose, quant à lui, que « dans les conditions prévues par la loi

organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté

publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs

groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre

expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou

réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ». L’article 37-1 permet une

expérimentation par l’État tandis que l’article 72, alinéa 4, ouvre la voie à des

expérimentations par les collectivités territoriales mais avec l’accord de l’État :

expérimentations transferts dans le premier cas, expérimentation dérogations dans le second.41

« Dans les deux cas, l’expérimentation est territoriale puisqu’elle vise soit à déterminer la

pertinence d’un transfert d’une compétence étatique au niveau local par l’expérimentation de

sa gestion locale, soit à faire participer le niveau local à l’exercice du pouvoir normatif

national en testant localement des normes, et ainsi en les adaptant à leur milieu

d’application ».42 Si la cible des expérimentations est dans les deux cas les collectivités

territoriales, les objectifs et les effets de ces dispositions sont différents.

Conformément à l’article 72, alinéa 4, le Parlement a adopté une loi organique relative

à l’expérimentation43. Cette loi a été intégrée au Code général des collectivités territoriales.

Elle complète et précise les différentes étapes de l’expérimentation dérogation. La

combinaison de ces dispositions fait apparaître une procédure en grande partie maîtrisée par

l’État où les collectivités locales n’ont que le statut de candidats. Dès lors, « l’idée d’un droit

à demander l’expérimentation paraît mieux rendre compte de l’ambition du constituant que

celle d’un droit à l’expérimentation ».44

Depuis mars 2003, les deux types d’expérimentations ont été mises en œuvre avec des

succès divers. C’est la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales45 qui

la première a prévu des expérimentations sur le fondement de l’article 37-1.

L’expérimentation relative au revenu de solidarité active, qui a débuté en janvier 2008, est,

pour l’instant, le seul exemple d’expérimentation dérogation.

41 La distinction expérimentation transfert et expérimentation dérogation provient de CHAVRIER G. op. cit. 42 CHAVRIER Géraldine, op. cit., p.3. 43 Loi organique n°2003-704 du 1er août 2003, relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales, JORF, 2 août 2003, p.13217. 44 FAURE Bertrand, « L’intégration de l’expérimentation au droit public français », in Mouvement du droit public. Mélanges en l’honneur de Franck Moderne, Dalloz, 2004, p.184. 45 Loi n°2004-809 du 13 août 2004, op. cit.

15

Si pour certains auteurs, « la révolution annoncée n’a pas eu lieu »46, faut-il pour

autant porter un jugement aussi critique sur le droit à l’expérimentation tel qu’il a été introduit

dans notre droit constitutionnel ? S’il est vrai qu’assez peu d’expérimentations ont été mises

en œuvres depuis 2003, celles menées ont déjà produit leurs résultats. Dès lors quels sont les

enseignements qui peuvent être tirés de ces expérimentations. La notion de bilan implique de

réaliser une critique constructive à partir de ces premières expérimentations. C’est pourquoi il

sera également nécessaire de porter un regard – toutefois limité – sur de possibles

améliorations du régime juridique du droit à l’expérimentation. Il convient de porter un regard

à la fois critique et constructif sur les raisons du recours à l’expérimentation mais aussi sur ses

effets.

L’intérêt de cette étude est de pouvoir confronter trois points de vue, d’une part les

textes constitutionnels et législatifs, d’autres part les attentes et critiques de la doctrine et

enfin la réalité des expérimentations menées depuis 2003. Dans le cadre de cette étude,

l’objectif est de comparer la révolution annoncée lors de la réforme de 2003 avec la réalité des

faits, six ans plus tard. Suivant la méthode expérimentale, le point de départ de l’étude est une

intuition, celle que l’État se sert de la méthode expérimentale dans son seul intérêt. Il s’agit

donc de confronter cette intuition à l’épreuve des faits pour la confirmer, l’infirmer ou encore

la nuancer.

Face à un manque évident de temps, le champ de cette étude sera nécessairement

circonscrit. L’étude se limitera dans le temps à l’analyse des dispositifs expérimentaux mis en

œuvre depuis 2003 uniquement. Des exemples d’expérimentations antérieures seront appelés

en renfort de certaines démonstrations. Cependant, l’objet de l’étude étant le bilan des

expérimentations depuis 2003, ce sont les expérimentations postérieures à cette date qui

seront au cœur des développements. De même, l’expérimentation ayant trouvé un terreau

favorable à son développement dans le cadre de la décentralisation, cette étude se concentrera

sur les expérimentations menées au sein des collectivités territoriales. Enfin, si le droit

comparé sera parfois invoqué en renfort de certaines démonstrations, c’est le droit français, et

plus particulièrement le droit constitutionnel qui sera au cœur de l’étude.

46 LONG Martine, « L’expérimentation : un premier bilan décevant pour les collectivités territoriales », Tribune, AJDA, 2008, p.1625.

16

Pour la réalisation de ce bilan, il convient d’analyser les raisons du recours à

l’expérimentation et les effets que cela engendre.

Dans un premier temps de l’étude, il sera nécessaire d’analyser les raisons de la

constitutionnalisation et du recours à l’expérimentation normative. Il s’agit d’exposer l’idée a

priori selon laquelle l’expérimentation est une technique de désengagement de l’État. Le

jugement ne doit cependant pas être aussi péremptoire, la constitutionnalisation du droit à

l’expérimentation a nécessité la conciliation de ce droit avec les autres normes contenues dans

la norme fondamentale. Dès lors le respect de ces normes empêche l’État de dévoyer

totalement l’expérimentation. Il faut en conclure que l’expérimentation est avant tout la

manifestation d’une nouvelle manière de produire la norme.

Dans un second temps, cette étude visera à mettre à jour les effets de la mise en œuvre

de l’expérimentation. Transposition d’une méthode née dans les sciences dures,

l’expérimentation normative demeure encore incertaine quant à son efficacité pour améliorer

le droit. Un élément est toutefois certain parmi les effets de l’expérimentation, c’est la

complication de la procédure que cela apporte, en témoigne l’important risque de contentieux

qui existe.

PARTIE I – UNE MANIFESTATION DE L’ÉVOLUTION DE LA PRODUCTION

NORMATIVE

PARTIE II – LES EFFETS DE LA MISE EN ŒUVRE DE L’EXPÉRIMENTATION

17

PARTIE I.

UNE MANIFESTATION DE L’ÉVOLUTION DE

LA PRODUCTION NORMATIVE

18

L’expérimentation normative est réellement une nouvelle manière de concevoir la

règle de droit. Par l’expérimentation, il s’agit de tester sur une petite échelle une nouvelle

norme avant de procéder à sa généralisation. Ce test a pour but d’adopter ensuite la règle la

plus efficace possible et la plus à même de répondre aux besoins de la société.

L’expérimentation est « une procédure de mise au point sur échantillon ».47 Elle est une

méthode empruntée aux sciences dures. Elle n’est pas une évidence en matière de sciences

sociales, en particulier dans le domaine juridique. Dans la tradition juridique française héritée

de la Révolution, la loi est l’objet d’une forme de culte. La loi, « expression de la volonté

générale », ne peut souffrir d’être remise en cause. Elle est devenue un fétiche intouchable. À

côté de la loi trône également le principe d’égalité, lui aussi hérité de la Révolution. La

conception française de l’égalité conduit à appliquer la même règle de droit pour tous. Trop

souvent l’égalité mène à l’uniformité. La loi et l’égalité, depuis la Révolution de 1789, sont

deux objets juridiques intangibles. Les remettre en cause semble impossible. L’infaillibilité de

la loi et le principe d’égalité aiguillent toute l’action publique. L’expérimentation est un

moyen de désacraliser ces objets.

L’État a subi au cours du XXe siècle une profonde mutation qui l’a amené à se

repositionner sur ses missions essentielles. Parallèlement les exigences des citoyens se sont

accrues. La décentralisation a permis de répondre, en même temps, à ces deux mouvements

contraires. En se dessaisissant de certaines compétences au profit des collectivités

territoriales, l’État a pu ne conserver que les missions jugées essentielles. Dans le même

temps, les collectivités locales ont développé leurs moyens d’action pour répondre aux

attentes des citoyens. L’expérimentation permet, là aussi, de réaliser cette conciliation

puisqu’elle offre de nouvelles compétences aux collectivités territoriales et leur permet de

devenir de véritables acteurs de la production normative.

L’expérimentation a été constitutionnalisée en 200348, au même titre que le principe

subsidiarité dont elle est le corollaire. L’inscription dans notre norme fondamentale de ces

techniques nouvelles traduit une mutation en profondeur de la manière de produire la règle de

47 BOULOUIS Jean, « Note sur l’utilisation de la « méthode expérimentale » en matière de réformes », in Mélanges offerts à Monsieur le doyen Louis Trotabas, op. cit., p.34. 48 Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003, op. cit.

19

droit. Pour autant, la Constitution n’a pas été totalement réécrite. L’expérimentation doit être

conciliée avec la conception, héritée de la Révolution, de la loi et du principe d’égalité.

L’expérimentation, en s’inscrivant dans une révision constitutionnelle relative à la

décentralisation, apparaît alors comme un moyen pour l’État de transférer des compétences

aux collectivités territoriales (Chapitre 1). Toutefois, la constitutionnalisation de

l’expérimentation induit un important travail d’harmonisation des principes contenus dans la

norme fondamentale (Chapitre 2).

20

Chapitre 1. Une technique de désengagement

apparent de l’État

L’expérimentation n’as pas été inscrite de façon anodine dans notre droit positif. Elle

apparaît comme une méthode de réforme de l’État. Il est, en effet, incontestable

qu’aujourd’hui l’État procède à une mutation de son action en profondeur, afin de se

concentrer sur ses prérogatives centrales. Cette mutation se traduit par le transfert d’un certain

nombre de compétences à des entités autres que l’État, que ces transferts soient contraints

comme dans le cas des compétences données à la Communauté Européenne ou qu’ils soient

volontaires comme dans les transferts de compétences dans le cadre de la décentralisation.

L’expérimentation normative est donc prise dans un mouvement beaucoup plus large

qui la dépasse et qui est l’apparition d’une nouvelle forme d’État. Or, avec l’apparition de

cette nouvelle forme d’État est apparue également une nouvelle conception du droit, qualifié

de droit post-moderne. L’une des caractéristiques de ce droit, mise en avant avec

l’expérimentation, est de faire apparaître de nouveaux acteurs dans la production normative,

en l’occurrence les collectivités territoriales. L’État y trouve cependant lui aussi un intérêt

puisque, dans le cadre de sa réforme, l’expérimentation est un moyen de procéder à des

transferts de compétences, sans donner l’impression d’imposer ces transferts aux collectivités

infra étatiques. Les motifs pour lesquels l’État a recours à l’expérimentation doivent donc être

mis à jour.

Le fait que les motivations de l’État doivent être mises à jour démontre que l’État

conserve un rôle ambigu dans l’expérimentation. En effet, deux types d’expérimentations ont

été rendues possibles par les textes. Dans les deux cas, l’État donne l’impression de jouer un

rôle prépondérant. Si dans le cadre des expérimentations transfert, l’État joue effectivement

un rôle central, dans le cadre des expérimentations dérogation, la marge de manœuvre

accordée aux collectivités territoriales est en réalité assez importante. Il est donc nécessaire de

revenir sur ce rôle ambigu.

Dès lors, il conviendra d’analyser les motivations du recours à l’expérimentation

(Section 1), puis d’étudier le rôle de l’État dans la procédure d’expérimentation (Section 2).

21

Section 1. Les motivations du recours à l’expérimentation

L’expérimentation normative a été constitutionnalisée en 200349. Il s’agit d’une

méthode issue non de la technique juridique mais des sciences dures. L’inscription de cette

technique dans notre norme fondamentale traduit donc une profonde évolution des mentalités.

Ce changement se traduit également par la redistribution des compétences qui a été opérée

suite à la révision constitutionnelle. En effet, cette révision a permis de redéfinir tant le rôle

des collectivités territoriales que le rôle de l’État dans la production normative. Les

expérimentations ne vont pas seulement permettre à l’État de procéder à une nouvelle

répartition des compétences entre échelon central et échelons décentralisés ; le recours à

l’expérimentation permet aussi de faire basculer le centre de gravité de la production

normative en faveur des collectivités locales.

Si l’expérimentation normative s’est largement développée au cours de ces dernières

années ce n’est pas un hasard. Elle participe d’un mouvement beaucoup plus large de

modification en profondeur du droit et de l’État lui-même (§1). Si le recours aux

expérimentations est avant tout un moyen pour l’État de procéder à des transferts de

compétences en douceur (§3), il a également permis de mettre en avant le rôle des

collectivités locales dans la fabrication de la norme (§2).

§1. L’inscription de l’expérimentation dans le mouvement juridique post-

moderne

Le droit à l’expérimentation a été constitutionnalisé par la révision du 28 mars 2003.

L’État avait, cependant, recours à cette technique bien avant cette date. En effet,

l’expérimentation s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus large d’apparition d’une

nouvelle méthode de régulation juridique, qualifiée de droit post-moderne50. Cette évolution

de la production normative s’inscrit elle-même dans la crise de l’État moderne. Cette crise de

l’État a notamment des conséquences sur le droit et la production du droit. C’est ainsi que « la

49 Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003, op. cit. 50 Cette idée a été développée notamment par Jacques Chevalier, dans un ouvrage paru en 2003 : L’État post-moderne, LGDJ, coll. « Droit et société », n°35.

22

rationalité du droit ne se présume plus : la norme est désormais passée au crible de

l’efficacité, qui devient la condition et la cause de sa légitimité ».51

Le recours à l’expérimentation en matière normative n’a d’autre but que de tester

l’efficacité d’une nouvelle règle avant sa généralisation. La norme expérimentée, puisqu’elle

est évaluée à la fin de l’expérimentation, peut être testée et les pouvoirs publics peuvent

déterminer l’efficacité de cette règle. « L’expérimentation participe de cette manière à la

dynamique d’un droit post-moderne. L’on passe du bien fondé de la loi a priori, à l’efficacité

évaluée a posteriori, qui se veut factuellement indiscutable ».52

Les auteurs ont mis en avant quatre éléments caractérisant le droit post-moderne. Cette

nouvelle façon de produire les normes se traduit par une explosion de la technique juridique,

un éclatement de la régulation, une démarche plus pragmatique et un souci accru d’efficacité.

L’expérimentation normative remplit ces caractéristiques. On peut même avancer qu’elle

sublime, en quelque sorte, l’idée d’un droit qui se veut plus pragmatique et qui est en

constante recherche d’efficacité.

Le droit post-moderne est ainsi marqué en premier lieu par la multiplication des

sources du droit. Avec l’expérimentation normative, l’échelon local va apparaître comme

l’une de ces nouvelles sources. À travers le droit à l’expérimentation, les collectivités locales

vont pouvoir devenir de véritables sources du droit national. La règle qui aura été

expérimentée au niveau local a pour objectif d’être généralisée. L’expérimentation apparaît

comme un moyen de prendre en compte les solutions adoptées localement pour développer la

législation nationale. Dès lors l’État, au sens du bloc Gouvernement et Parlement, n’est plus

le seul à pouvoir imposer des normes par le haut. La loi a perdu sa légitimité ab initio, c’est-à-

dire qu’elle ne peut plus se donner comme obligatoire du simple fait qu’elle est l’œuvre du

Parlement. Elle doit trouver sa force obligatoire ailleurs que dans le seul énoncé d’une règle.

La loi est profondément remise en cause. C’est pour répondre à cette crise de légitimité de la

norme imposée par le centre que se développent de nouveaux foyers de régulation juridique.

L’expérimentation s’inscrit pleinement dans ce mouvement. Elle apparaît comme un

moyen pour les collectivités territoriales, échelon proche du citoyen, d’essayer la norme, d’en

mettre à l’épreuve son efficacité et de mieux la faire accepter ensuite. C’est ainsi qu’au règne 51 CHEVALLIER Jacques, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », RDP, 01/06/1998, n°3, p.669. 52 CHARENTENAY Simon (de), « Les implications juridiques de la constitutionnalisation du droit de l’expérimentation », VII Congrès français de droit constitutionnel, Paris, 25-27 septembre 2008.

23

de la loi expression de la Raison succède le « pragmatisme glacial des experts qui

expérimentent la procréation normative dans les éprouvettes territoriales ». 53

L’avènement d’un droit post-moderne est également marqué par une évolution de la

perception du droit et de la loi54. C’est la fin de « la splendeur révolutionnaire qui

ambitionnait de légiférer pour l’éternité ».55 La loi n’est plus l’expression sans faille de la

Raison. Dès lors, le droit ne peut plus jouer la fonction unificatrice qu’on lui connaissait et

que notre héritage révolutionnaire lui prêtait. L’expérimentation joue ici parfaitement ce rôle

de remise en cause de la conception unificatrice du droit. Durant la période

d’expérimentation, le droit applicable ne va pas être le même sur tout le territoire de la

République. Certaines collectivités locales vont appliquer la législation nationale de principe,

alors que d’autres vont pouvoir déroger à ces règles. C’est la loi elle-même qui permet de

porter atteinte à l’unité de son application. Le droit n’est plus le même sur tout le territoire.

On assiste à une territorialisation de la norme, « à travers le développement de poches

d’autonomie normative au sein de l’appareil d’État, comme celles qui résultent de l’extension

du pouvoir réglementaire local ».56 Cette évolution conduit nécessairement à la remise en

cause de l’État centralisateur. L’État, même en restant un État unitaire, est obligé de

développer et d’approfondir son administration déconcentrée et décentralisée, afin de mieux

répondre aux attentes des citoyens au niveau local. « Dans les Etats unitaires, le nouveau

rapport entre le centre et la périphérie se traduit par l’extension de la marge d’action et le

renforcement de l’autonomie des différentes structures implantées sur le territoire ». 57 Le

droit à l’expérimentation permet de renforcer cette autonomie des collectivités territoriales.

Durant la période d’expérimentation, les collectivités locales sont libres d’adopter des règles

qui leur seront spécifiques. Il y a une véritable explosion de la régulation juridique. Les

collectivités territoriales ont vu, grâce à la révision constitutionnelle de 2003, croître leur

pouvoir décisionnel. « Les autorités locales sont devenues des producteurs de droit : même

s’ils restent inclus dans l’espace juridique national, les différents niveaux territoriaux tendent

53 CHARENTENAY Simon (de), op. cit. 54 « La thèse de l’infaillibilité de la loi et du législateur fait place maintenant à une vision plus réaliste du droit, et singulièrement de la norme législative, qui doit sans cesse appréhender des contraintes du réel multiformes et mouvantes. » PIRON, Michel, Rapport n°955, sur le projet de loi relatif à l’expérimentation par les collectivités territoriales, 18 juin 2003, p.5. Il est d’ailleurs saisissant que ce soit un parlementaire qui soit à l’origine de ces lignes et donc reconnaisse de lui-même la remise en cause du travail parlementaire. 55 Idem 56 CHEVALLIER Jacques, op. cit., p.674. 57 CHEVALLIER Jacques, « L’État post-moderne : retour sur une hypothèse », Droits. Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, n°39, 2004, p.112.

24

à constituer des espaces juridiques autonomes ». 58 Cette remise en cause de l’unité de la

norme est toutefois, dans le cadre de l’expérimentation, limitée dans le temps puisque l’issue

normale de celle-ci est le retour à une même règle de droit applicable sur tout le territoire.

Cette multiplication des sources du droit et l’éclatement de la régulation juridique ne

signifient pas pour autant un effacement total de l’État. Il est toujours nécessaire d’avoir une

certaine centralisation du système, mais l’action des pouvoirs publics centraux est marquée

par l’adoption d’une démarche beaucoup plus pragmatique (A). Cette nouvelle approche de la

norme juridique poursuit un objectif précis, la recherche de l’efficacité (B).

A. Une démarche pragmatique

Le droit post-moderne se caractérise par l’adoption d’une démarche beaucoup plus

pragmatique dans le processus de fabrication de la norme. La loi ayant perdu sa légitimité ab

initio, l’État a été obligé de repenser son mode d’élaboration afin de tenir compte de

l’apparition de cette multiplicité d’acteurs dans la régulation juridique. Dès lors, « la force de

la règle de droit ne provient plus de ce qu’elle s’énonce comme un ordre obligatoire, auquel

tous sont tenus de se soumettre ; elle dépend désormais du consensus dont elle est entourée.

Ce consensus suppose que les destinataires soient partie prenante à son élaboration : la

concertation préalable, la participation à la définition de la règle devient la caution de son

bien fondé ; le droit devient ainsi un droit négocié, qui est le fruit d’une délibération

collective ».59 Dans cette logique, la règle de droit n’apparaît plus comme le fruit de la volonté

d’un seul, l’État. La règle de droit est issue d’une discussion entre les différents acteurs

juridiques et c’est cette discussion qui va fonder la légitimité de la norme.

L’expérimentation permet d’obtenir ce consensus, cette concertation préalable à

l’adoption de la règle. Il ressort très nettement de l’expérimentation relative au revenu de

solidarité active (RSA) que les acteurs locaux, en l’occurrence le Conseil Général, ont

réellement été associés au processus décisionnel60. Il y a eu non seulement une véritable

concertation entre l’État et le département relative aux normes mises en œuvre à titre

expérimental, mais le département a par la suite été véritablement associé à la rédaction de la

loi de généralisation. Il faut même relever qu’il ressort de l’exemple héraultais que ce ne sont

58 Ibid, p.113. 59 Ibid, p.114. 60 Cf. Infra p.50.

25

pas les acteurs politiques qui ont été consultés lors de la rédaction de la loi de généralisation

du RSA et de ses décrets d’application. Ce sont en effet les administrateurs, les fonctionnaires

qui mettent en œuvre quotidiennement le dispositif qui ont été consultés. La participation de

ce personnel, non politique mais administratif, est un gage d’une meilleure efficacité de la loi.

Les acteurs locaux ont bien compris que le recours à l’expérimentation « permet au

département de peser concrètement sur la rédaction finale des textes de lois et de décret ».61

Ainsi pour les responsables locaux, « la grande différence entre un projet de loi non

expérimenté et un projet de loi expérimenté, si on doit le résumer, c’est que du coup les

personnes qui appliqueront la loi, les techniciens, les travailleurs, les administratifs, qui sont

vraiment dedans, ont plus leur mot à dire ».62 L’expérimentation normative illustre

parfaitement l’idée selon laquelle « la production de la norme juridique s’abrite alors

derrière le savoir, qui est censé garantir sa légitimité et son bien fondé ; et la « compétence »

acquise sur le plan professionnel devient le véritable fondement de l’autorité normative ».63

Le recours à l’expérimentation permet de légitimer la norme puisque la règle qui en est issue a

été discutée, débattue, négociée. Dès lors, les citoyens ont plus de facilité à accepter une

norme qui n’est pas issue de la seule décision du pouvoir central.

Les modes de production normative, dans le cadre d’un État post-moderne, sont

porteurs de ce pragmatisme. Cependant, il faut réguler cette production afin que les acteurs

juridiques et politiques ne soient pas conduits à faire n’importe quoi. Ainsi, « il faut accepter

qu’une place accrue soit donnée à l’expérimentation, au pragmatisme, mais pour autant ça

ne doit pas être un pragmatisme sans rivage, c’est un pragmatisme qu’il faut savoir encadrer

et maîtriser »64. C’est ce que permet la contractualisation des relations entre État et

collectivités locales durant l’expérimentation. L’État conserve un certain contrôle sur l’action

des autorités locales, mais ce contrôle n’est plus imposé de force par le haut. Les relations

entre les autorités centrales et les collectivités décentralisées font l’objet d’un contrat. Ce

recours à la technique contractuelle est une des marques là aussi du système juridique post-

moderne. « L’existence au sein de l’État de foyers autonomes de production du droit explique

le recours à des procédés nouveaux de mise en cohérence : c’est ainsi que le contrat est

devenu un moyen privilégié de régulation des rapports entre États et collectivités locales ; il 61 Annexe : entretien Mme Vaugelade p.135. 62 Idem. 63 CHEVALLIER Jacques, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », op. cit., p.676. 64 GAUDIN Jean-Pierre, « Epistémologie de l’expérimentation », in Les collectivités locales et l’expérimentation : perspectives nationales et européennes, op. cit., p.118.

26

permet de contrebalancer les effets du pluralisme juridique par un dispositif souple

d’harmonisation ».65

Dans le cadre de l’expérimentation normative, si les textes ne font pas mention de

cette contractualisation des relations, la pratique démontre tout autre chose. Les départements,

dans le cadre de l’expérimentation relative au RSA, ont passé des contrats avec l’État. Ces

contrats portent sur « les modalités d’organisation concrètes de l’expérimentation ainsi que

[sur] les moyens spécifiques engagés pour la conduire ».66 Ces contrats sont de véritables

« cahiers des charges »67 engageant les deux parties. Ils décrivent, d’une part, les modalités

techniques de conduite de l’expérimentation par les départements et, d’autre part, les

engagements financiers de l’État pour soutenir l’expérimentation. « La convention sert en

définitive à se mettre d’accord sur le contenu et les contours précis de l’expérimentation ».68

Ce contrat est un élément central de l’expérimentation – il est d’ailleurs étonnant que tant la

Constitution que la loi organique du 1er août 200369 n’en fassent pas mention. Le contrat est

un élément de l’organisation de l’expérimentation et permet d’arrêter les relations entre l’État

et les collectivités locales. L’expérimentation s’inscrit ainsi pleinement dans la logique post-

moderne.

L’expérimentation permet non seulement une conception plus pragmatique de la

norme. Elle permet aussi de rechercher son efficacité maximale.

B. Une constante recherche de l’efficacité

La technique juridique post-moderne se caractérise par une volonté d’adopter une

norme qui soit la plus efficace possible. L’efficacité suppose une adéquation entre les effets

concrets de la règle de droit et les résultats qui en étaient escomptés pour répondre aux

attentes sociales. La norme n’est plus légitime par le simple fait qu’elle est l’expression de la

volonté du souverain. Pour que les citoyens s’y conforment, la règle de droit doit édicter la

réponse la plus efficace possible aux attentes de la société. Pour savoir si une norme est

efficace, ou non, il faut procéder à son évaluation. C’est là que l’expérimentation s’inscrit à 65 CHEVALLIER Jacques, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », op. cit., p.674 66 Conseil d'État, Rapport public 2008, « Le contrat, mode d’action publique et de production de normes », EDCE, 2008, p.40. 67 DRAGO Roland, « Le droit de l’expérimentation », in L’avenir du droit, Mélanges François Terré, Dalloz 1999, p.247. 68 Conseil d’État, Rapport public 2008, op. cit., p.40. 69 Loi organique n°2003-704 du 1er août 2003, op. cit.

27

nouveau pleinement dans ce mouvement juridique post-moderne. En effet, toute

expérimentation suppose une évaluation, afin d’en tirer un bilan et de déterminer si la norme

peut ou non être généralisée.

Cette recherche de l’efficacité passe par une rationalisation de la production

normative. Il faut constater que le nombre de lois s’est considérablement accru, ce qui nuit à

l’efficacité de l’action administrative. L’expérimentation puisqu’elle permet de tester une

règle de droit avant de procéder à sa généralisation est un moyen de limiter la multiplication

des lois. L’expérimentation permet de n’adopter au final que les lois qui non seulement sont

nécessaires mais dont l’efficacité a été avérée. « L’expérimentation peut être un moyen de

rationaliser le processus de création législative et d’adopter des lois mieux adaptées à leur

objet ».70 L’expérimentation est un moyen d’atteindre une production normative beaucoup

plus rationalisée et d’éviter la multiplication des « lois jetables et [des] règlements

inflationnistes ».71 L’expérimentation participe d’un mouvement plus large qui tend à

réhabiliter le travail parlementaire, en conduisant le Parlement à n’adopter que les lois qui

sont nécessaires et efficaces.

Cette idée d’efficacité de la loi suppose qu’à un moment donné celle-ci soit évaluée.

Une telle évaluation de la loi était tout à fait inenvisageable auparavant. La France reste très

attachée à son héritage révolutionnaire et à l’idée d’une certaine infaillibilité de la loi.

L’expérimentation suppose, justement, qu’au moment de l’évaluation puissent être remises en

cause les normes décidées par le pouvoir central. L’expérimentation permet ainsi de

rechercher quelle sera la norme la plus efficace, la plus à même de répondre aux attentes et

aux besoins des citoyens. « La démarche évaluative s’inscrit dans le cycle de l’action : elle

assure le bouclage des processus décisionnels, au sein desquels les phases

d’élaboration/décisions/exécution/évaluation rétroagissent constamment les unes sur les

autres. Or l’évaluation d’une politique implique nécessairement une réflexion sur l’effectivité

de la législation qui l’a concrétisée, et donc une évaluation de celle-ci ; et, dès l’instant où

cette évaluation déborde les considérations traditionnelles relatives à la légitimité de la

législation au regard de certaines valeurs, ou à la validité de son édiction au regard des

normes en vigueur, pour s’intéresser à l’efficacité de l’action engagée, elle implique un

processus d’ajustement qui conduit tout droit à l’idée d’expérimentation, qui permet 70 PERROCHEAU Vanessa, « L’expérimentation, un nouveau mode de création législative », Revue française des affaires sociales, n°1, 2000, p.12. 71 MÉHAIGNERIE Pierre, « Décentralisation, expérimentation et évaluation », Pouvoirs locaux, n°57, 2003, p.114.

28

d’intégrer pleinement l’évaluation au cycle de production du droit. L’apparition dans les

pays, et en France aussi, de lois expérimentales traduit la remise en cause de la conception

traditionnelle de la loi ». 72 Notre perception de la règle de droit, et plus particulièrement de la

loi, a évolué. L’expérimentation s’inscrit dans ce changement. L’évaluation, qui a lieu à la fin

de la procédure d’expérimentation, permet de déterminer si les mesures envisagées sont ou

non à même de répondre aux attentes de la société. L’évaluation remet en cause l’idée de

l’infaillibilité de la loi pour obliger celle-ci à se confronter aux réalités socio-économiques.

L’évaluation inscrit pleinement l’expérimentation dans la logique juridique post-moderne.

« Ainsi deux conceptions bien différentes de la loi s’affrontent : d’un côté, la loi – conception

rousseauiste – comme incarnation de la Vérité et de la Raison, qui ne peut souffrir, à l’issue

d’un essai préalable, une remise en cause et, de l’autre côté, une loi qui, au risque de perdre

son aura traditionnelle, doit se plier, avant sa généralisation et son adoption définitive, aux

exigences de la réalité sociale et économique en passant l’examen des contraintes de

faits ». 73

L’expérimentation apparaît comme une modification en profondeur du processus

normatif, modification qui s’inscrit toutefois dans un mouvement beaucoup plus large

d’apparition d’un droit post-moderne. L’expérimentation remplie toutes les caractéristiques

du droit post-moderne. Du fait de l’expérimentation, l’État n’apparaît plus comme l’unique

source de droit, celui-ci étant d’application diverse durant l’expérimentation, il perd de sa

fonction unificatrice. La prise en compte de l’avis des acteurs locaux et la contractualisation

des relations font la part belle à un pragmatisme très important dans la méthode

expérimentale. Enfin, l’évaluation de l’expérimentation conduit à la recherche de la plus

grande efficacité possible. L’expérimentation illustre la mise en œuvre de ces nouvelles

modalités de production normative. L’inscription de l’expérimentation dans la Constitution,

lors de la révision du 28 mars 2003, va même plus loin et est « le signe de l’avènement d’une

post-modernité constitutionnelle ».74 Cette inscription, dans la norme fondamentale, est le

signe que la post-modernité juridique est un véritable mouvement de fond qui modifie les

modes de production et la perception de la norme.

72 CHEVALLIER Jacques, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », op. cit., p.681. 73 RRAPI Patricia, « Bilan des expérimentations prévues par la loi du 13 août 2003 : la difficile introduction du concept d’expérimentation en France », VII Congrès français de droit constitutionnel, Paris, 25-27 septembre 2008. 74 CHARENTENAY Simon (de), op. cit.

29

L’une des caractéristiques du droit post-moderne étant de faire apparaître de nouveaux

centres de décisions, de nouveaux acteurs dans la production normative, l’expérimentation ne

fait pas exception à la règle. Dans le cadre de l’expérimentation, les collectivités territoriales

font leur apparition dans le processus de fabrication de la règle juridique.

§2. Un nouvel acteur de la production normative : les collectivités territoriales

Le droit post-moderne est caractérisé par la multiplication des sources du droit. À côté

de l’État, on voit se multiplier des sources internationales : droit communautaire, droit

européen de la Convention européenne des droits de l’homme, mais on assiste aussi à

l’apparition de sources infra étatiques. Les collectivités locales ont vu leur autonomie

s’accroître, l’affirmation du pouvoir réglementaire des autorités locales à l’article 72, alinéa 3,

de la Constitution en est un signe incontestable.

L’expérimentation normative, et en particulier l’expérimentation dérogation prévue à

l’article 72, alinéa 4, de la Constitution, est un moyen de faire participer les collectivités

territoriales à la production de la règle de droit, même si cette participation est indirecte

puisqu’elle sera médiatisée par un texte – loi ou règlement – adopté au final par les autorités

centrales. L’expérimentation est un moyen de reconnaître que les collectivités locales peuvent

participer à la mise au point de solutions pour répondre aux attentes de l’intérêt général (A).

Cependant, pour trouver ces solutions qui pourront s’appliquer dans un cadre national,

l’expérimentation suppose une évolution du mode de raisonnement des décideurs locaux (B).

A. Des solutions locales pour améliorer la norme générale

Le but de l’expérimentation, et surtout de l’expérimentation normative, est de

permettre aux collectivités territoriales de développer leurs propres solutions pour répondre

aux besoins de l’intérêt général. Ces solutions pourront ensuite être reprises au niveau

national si l’expérimentation est généralisée. Les collectivités locales vont participer,

indirectement, à la production normative. Il s’agit grâce à l’expérimentation de reconnaître

que « l’État à travers l’administration centrale, n’incarne plus à lui seul l’intérêt général ; les

collectivités locales, à leur échelon, peuvent être également des lieux d’initiative, de réforme

et de débat public pouvant servir de référence pour l’élaboration de la norme nationale ».75

75 PIRON Michel, Rapport n°955, op. cit., p.6.

30

L’expérimentation est un moyen de reconnaître que les collectivités territoriales sont

aujourd’hui un échelon d’administration dynamique et qui peut apporter des réponses aux

attentes sociales. Si l’État central n’est pas la solution adaptée pour répondre aux besoins des

citoyens, l’expérimentation se présente alors comme un approfondissement de la

décentralisation qui reconnaît de plus en plus ce rôle crucial des collectivités territoriales.

L’expérimentation est un mécanisme qui permet aux collectivités territoriales « de participer

à la réalisation de l’intérêt général ». 76

Il y a véritablement une inversion de la production normative. Dans la vision

classique, c’est l’État qui détermine les moyens de répondre à l’intérêt général et les impose

par un acte d’autorité, loi ou règlement. On est dans une relation verticale où la norme est

imposée par le haut. Au contraire, dans le cadre de l’expérimentation, les réponses à apporter

à l’intérêt général ne sont plus imposées d’autorité par les organes centraux. Les solutions

adoptées localement, durant l’expérimentation, vont permettre de déterminer quelles seront

les meilleures solutions applicables au niveau général. C’est de façon indirecte, mais certaine,

que l’expérience des collectivités expérimentatrices va les conduire à devenir de véritables

acteurs de la production normative.

Dans l’exemple de l’expérimentation relative au RSA, il est tout à fait notable que les

collectivités territoriales ont réellement été associées à l’écriture de la loi de généralisation et

de ses décrets d’application. Les collectivités expérimentatrices vont réellement pouvoir faire

état de leur expérience pour apporter des améliorations au texte qui sera débattu par le

Parlement. L’expérimentation permet ensuite au Législateur de se prononcer sur un texte qui,

tenant compte des résultats de l’expérimentation, sera véritablement à même de répondre aux

besoins sociaux. Ainsi « il y a toute une préparation de la loi complètement différente, il n’y a

pas que le débat parlementaire avec des amendements ». 77 En matière de RSA, la prise en

compte de l’expérimentation dans les différents départements est même entière, puisque la loi

de généralisation contient une disposition qui est directement inspirée de la manière dont le

département de l’Hérault a expérimenté ce dispositif78.

76 BAGHESTANI-PERREY Laurence, « Le pouvoir d’expérimentation locale », Les petites affiches, n°55, 2004, p.7. 77 Annexe, Entretien Mme Vaugelade p.134. 78 « D’ailleurs on a une petite ligne dans la loi du RSA, qui vient un peu de ce que le département de l’Hérault a pu négocier. C’est la possibilité d’une aide supplémentaire qui peut être accordée par le département aux entreprises qui s’engageraient à pérenniser des conditions négociés. Mine de rien c’est une petite victoire. » Annexe, Entretien Mme Vaugelade, p.132. Il s’agit de l’article 16 de la loi n°2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, Journal officiel du 3 décembre 2008, p.18424.

31

Il y a véritablement une participation, une implication des collectivités territoriales

dans la production normative par l’intermédiaire de l’expérimentation. L’État n’est plus le

seul légitime pour imposer les normes. Il doit s’assurer du concours des acteurs locaux pour

permettre à la norme d’être mieux adaptée, mais aussi mieux acceptée par les citoyens. À

travers l’expérimentation, les collectivités territoriales sont véritablement reconnues « comme

lieux d’invention, d’initiative, de débat public voir d’élaboration de la norme ».79

L’expérimentation permet aux collectivités locales de devenir véritablement un acteur de la

production normative à part entière. Toutefois, elle suppose que les décideurs locaux

modifient leur manière de penser, afin d’intégrer des contraintes nationales à leurs décisions

locales.

B. Un nécessaire effort d’abstraction

L’expérimentation est l’occasion pour les collectivités territoriales de « raisonner au-

delà de l’échelon local »80 afin de déterminer des solutions qui pourraient être par la suite

généralisées. L’objectif premier de l’expérimentation est de généraliser les mesures qui auront

été testées sur certains territoires. Cela implique que les collectivités locales, et les décideurs

locaux, aient conscience que les règles, qu’ils ont adopté à titre expérimental, doivent être à

même de pouvoir être appliquées sur l’ensemble du territoire de la République.

Il semble que l’on soit là en présence d’une première limite au recours à

l’expérimentation, ou du moins d’une source de difficultés pour les collectivités locales. Tout

au long de l’expérimentation, celles-ci devront avoir le « souci de trouver des solutions

adaptées aux contexte local tout en les concevant comme ayant vocation à la

généralisation ».81 Il s’agit là pour les décideurs locaux d’une profonde modification de leurs

comportements. Ceux-ci sont habitués à raisonner de façon très locale et, de par la clause

générale de compétence, ils n’ont l’habitude de régler que des questions relatives aux affaires

de leur niveau de collectivité. L’expérimentation les oblige au contraire à faire un effort

d’abstraction pour déterminer des solutions localement qui pourront ensuite être appliquées au

niveau national. Cela « demande une démarche intellectuelle nouvelle qui doit être intégrée

dans la réflexion des décideurs locaux ».82

79 CHARENTENAY Simon (de), op. cit. 80 BAGHESTANI-PERREY Laurence, op. cit., p.7. 81 LAPOUZE Patrick, « L’expérimentation par les collectivités territoriales », JCP-A, n°10, 2006, p.309. 82 Idem.

32

Cette évolution des modes de décision n’est pas évidente. Les résistances à cette

modification ne sont pas que le fait des décideurs locaux mais aussi des autorités de l’État.

Les autorités centrales doivent également admettre que les collectivités territoriales sont à

même de produire cet effort d’abstraction et peuvent prendre des décisions qui pourront par la

suite être généralisées. Bien souvent, les décideurs nationaux « sont convaincus de servir

mieux l’intérêt général que les élus toujours tentés, pensent-ils, par le clientélisme ».83 S’il est

indéniable que la décentralisation a parfois pu aboutir à certaines dérives chez les élus locaux,

les garanties qui entourent l’expérimentation normative permettent de se prémunir de telles

dérives. L’expérimentation nécessite avant tout une modification des modes de pensée des

décideurs locaux, mais aussi des instances nationales. Si cette évolution ne se produisait pas,

l’expérimentation resterait lettre morte, le constituant n’aurait alors fait qu’admettre un droit à

l’adaptation, certes temporaire, des règles nationales pour l’ensemble des collectivités

territoriales de la République.

Si l’expérimentation apparaît comme une nouveauté dans la manière de faire le droit et

qu’elle permet d’associer les collectivités territoriales à cette production, il ne faut pas perdre

de vue que la France reste un État unitaire. L’objectif de l’expérimentation n’est pas de

conduire à une totale autonomisation des collectivités locales. Si l’État accepte de procéder à

des expérimentations, c’est qu’il y trouve un intérêt.

§3. Un moyen pour l’État de faire accepter les transferts de compétences

Si l’expérimentation « permet d’aborder le droit en tant que science »84, elle est aussi

un moyen de contourner un certain nombre d’obstacles qui s’élèvent face à la réforme de

l’État. L’expérimentation ne sert pas uniquement à parer le droit d’une certaine scientificité,

elle est une méthode pour procéder à des transferts de compétences dans le cadre de la

décentralisation. Cette motivation intrinsèque de l’expérimentation (A) conduit à un

dévoiement de la procédure puisque l’État ne semble pas l’assumer totalement dans sa mise

en œuvre (B).

83 SAVY Robert, « Réflexions sur la gouvernance territoriale », in Les mutations contemporaines du droit public, Mélanges en l’honneur de Benoît Jeanneau, Paris, Dalloz, 2002, p.611. 84 MAMONTOFF Catherine, « Réflexions sur l’expérimentation du droit », RDP, n°2, 1998, p.356.

33

A. La motivation intrinsèque de l’expérimentation

La simple observation des expérimentations mises en œuvre depuis la révision

constitutionnelle du 28 mars 2003 atteste que l’État cherche avant tout à procéder à un

transfert de compétences. L’idée des transferts de compétences est corollaire à celle de

décentralisation. Dès les premières lois de décentralisation, les collectivités territoriales se

sont vu confier des compétences qui étaient auparavant exercées par l’État. Ce qu’il convient

d’appeler l’Acte II de la décentralisation, s’il a constitutionnalisé de nouvelles modalités

d’action pour les collectivités locales, a aussi eu parmi ses objectifs de permettre de nouveaux

transferts de compétences au profit des collectivités décentralisées.

L’expérimentation, et notamment l’expérimentation transfert prévue à l’article 37-1 de

la Constitution, n’est rien d’autre qu’un moyen de réaliser ces transferts de compétences.

Lorsque le projet de loi constitutionnelle a été présenté aux parlementaires, cette motivation

n’apparaissait pas. L’expérimentation était alors présentée comme un moyen de « vaincre les

réticences et de mieux faire accepter le changement ».85 Cependant, les expérimentations

mises en œuvre depuis 2003, et notamment par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et

responsabilités locales, conduisent à penser que l’État cherche avant tout par

l’expérimentation à se dégager de certaines de ses compétences en les transférant aux

collectivités territoriales. Ainsi, « l’apparence de l’expérimentation est celle du

désengagement de l’État ». 86 L’expérimentation se présente comme un moyen pour l’État de

dépasser des blocages qui pourraient exister au niveau local pour réaliser des transferts de

compétences. Au lieu de transférer la compétence de façon autoritaire à l’ensemble des

collectivités d’un même niveau, en procédant à une expérimentation, l’État prépare

progressivement les acteurs locaux à recevoir cette compétence. L’État se sert de

l’expérimentation comme d’un moyen de dépasser les oppositions et de réaliser au final les

transferts de compétences. L’expérimentation est une première étape vers le transfert définitif

des compétences.

Politiquement, l’expérimentation est très intéressante. Elle est le moyen de faire

accepter une réforme qui aurait été combattue par l’opposition si jamais le débat

parlementaire avait eu directement lieu. Vont participer à l’expérimentation, tant des

collectivités de la même couleur politique que le gouvernement que des collectivités dirigées

85 CLÉMENT Pascal, Rapport n°376, relatif à l’organisation décentralisée de la République, p.71. 86 CHARENTENAY Simon (de), op. cit.

34

par des partis qui sont dans l’opposition au niveau national. Les acteurs locaux sont tout à fait

conscients de ce risque d’utilisation politique de l’expérimentation. « L’autre façade

intéressante politiquement, c’est quand on veut faire une loi et essayer de ne pas avoir trop de

querelles au niveau du Parlement, on le fait expérimenter par des collectivités territoriales

qui n’ont pas la même étiquette politique que le gouvernement et c’est une façon de dire « on

est ensemble maintenant, on est un groupe, on est unis, on est amis ». C’est de bonne guerre

c’est la politique ». 87 Cet aspect relève ici plus de la science politique que de la science

juridique à proprement parler, mais l’une n’étant pas toujours dissociable de l’autre, il faut

bien noter que le comportement des acteurs politiques peut conduire à dévoyer la procédure

de l’expérimentation. « Il semble même qu’en matière de transfert de compétences

l’expérimentation ne peut avoir, compte tenu de son objectif, une autre fonction – la fonction

véritable de la loi expérimentale, par exemple – que celle de permettre un transfert progressif

de compétences ». 88

Le problème de ce dévoiement de la procédure expérimentale, c’est que l’État limite

par là même l’intérêt du recours à l’expérimentation. Cette motivation intrinsèque de l’État est

encore plus dangereuse, pour la procédure expérimentale, qu’elle est mise en œuvre de

manière camouflée.

B. Une mise en œuvre camouflée

Lors de la révision constitutionnelle de 2003, deux dispositions relatives à

l’expérimentation ont été introduites dans la Constitution. D’une part, l’article 37-1 permet

désormais ce que la doctrine qualifie d’expérimentation transfert et, d’autre part, l’article 72,

alinéa 4, autorise les expérimentations dérogations. Si l’objet de ces deux dispositions est

similaire, à savoir tester sur une petite échelle une nouvelle norme avant sa généralisation,

leurs modalités de mise en œuvre en font deux outils totalement différents. La première

dispositions est une « expérimentation par l’État, laquelle peut évidemment concerner entre

autres domaines, celui des collectivités territoriales »89, tandis que la seconde est une

« expérimentation par les collectivités territoriales [mais qui] suppose l’accord de l’État ».90

87 Annexe : Entretien Mme Vaugelade, p.138. 88 RRAPI Patricia, op. cit. 89 ROUX André, « Aspects constitutionnels des droits à l’expérimentation », in Les collectivités locales et l’expérimentation : perspectives nationales et européennes, op. cit., p.156. 90 Idem

35

Les dispositions de l’article 72, alinéa 4, permettent réellement d’accorder un véritable

pouvoir normatif, certes encadré par la loi ou le règlement, aux collectivités territoriales.

Celles-ci pourront intervenir librement dans le domaine législatif ou réglementaire pour

adopter des mesures à titre expérimental. Le recours à l’expérimentation dérogation autorise

« un véritable dialogue entre l’État et les collectivités territoriales ».91 Dans le cadre de

l’article 37-1, au contraire, c’est l’État qui dirige totalement la procédure et qui décide quelles

seront les mesures qui seront expérimentées. Il n’est d’ailleurs pas inopportun de s’interroger

sur la pertinence de l’insertion de cet article lors de la révision de 2003. Cette révision

constitutionnelle était relative aux collectivités territoriales et à leur libre administration, or

les dispositions de l’article 37-1 « sont destinées à l’État pour les besoins de ses propres

réformes ».92

Tout se passe comme si l’État avait voulu jouer un double jeu lors de cette révision.

En constitutionnalisant le droit à l’expérimentation pour les collectivités territoriales, il

donnait l’impression d’approfondir toujours plus la décentralisation, alors qu’en réalité, il

constitutionnalisait en même temps un puissant levier de transfert de compétences. Les

regards tant des acteurs locaux que de la doctrine se sont essentiellement concentrés sur les

dispositions de l’article 72, alinéa 4. L’expérimentation dérogation a été qualifiée de

« possibilité remarquable ».93 Elle a été présentée comme une « grande nouveauté ».94

Il faut bien constater que six ans après la révision constitutionnelle, « la révolution

annoncée n’a pas eu lieu ».95 Les expérimentations sur le fondement de l’article 72, alinéa 4,

de la Constitution, n’ont pas été les plus nombreuses – il n’y en a même eu qu’une seule et

dont les conditions de mise en œuvre seront discutées ultérieurement. Par contre, l’État a

multiplié le recours aux expérimentations transferts. La loi du 13 août 2004, qui est la

traduction législative de l’Acte II de la décentralisation, ne prévoit aucune expérimentation

dérogation, alors qu’elle met en place des expérimentations transferts dans sept domaines de

91 VERPAUX Michel, Droit des collectivités territoriales, Paris, PUF, Collection Major, 1ère édition, 2005, p.109. 92 FAURE Bertrand, « L’intégration de l’expérimentation dans le droit public français », in Mouvement du droit public français, Mélanges en l’honneur de Franck Moderne, op. cit., p.179. 93 BROSSET Estelle, « L’impossibilité pour les collectivités territoriales françaises d’exercer le pouvoir législatif à l’épreuve de la révision constitutionnelle sur l’organisation décentralisée de la République », Revue française de droit constitutionnel, n°60, 2004, p.707. 94 PONTIER Jean-Marie, « La loi organique relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales », AJDA, n°32, 2003, p.1716. 95 LONG Martine, op. cit., p.1625

36

compétences96. Il est tout de même assez déconcertant d’avoir du attendre près de cinq ans

pour voir être mise en œuvre la nouveauté constitutionnelle de 2003 ; alors que l’État a

largement utilisé les expérimentations transferts pour « se désengager financièrement de

postes économiquement lourds ».97

L’article 37-1 de la Constitution semble avant tout servir le désengagement de l’État.

Le fait que l’État ait eu recours plus souvent à cette disposition semble démontrer que

l’expérimentation représente un outil juridique pour procéder à la réforme de l’État.

L’expérimentation est dévoyée de son objectif initial et risque donc de tomber en disgrâce,

auprès des acteurs politiques. « Tout se passe comme si, au théâtre de la décentralisation et

sur la scène du droit constitutionnel, se jouait la représentation du sacre de l’expérimentation

locale. Seulement, c’est en coulisse que s’organise la réalité dissimulée de la réforme, à

savoir le recentrage de l’État sur ses missions essentielles ».98

Cette utilisation pour le moins très orientée de l’expérimentation renvoie d’ailleurs à la

question de la place occupée par l’État dans le cadre de l’expérimentation.

96 Ces expérimentations seront détaillées ultérieurement, mais elles concernent notamment le transfert de la conception des schémas régionaux de développement économique, la gestion de l’inventaire du patrimoine culturel. 97 CHARENTENAY Simon (de), op. cit. 98 Idem.

37

Section 2. Le rôle ambigu de l’État

La rédaction adoptée pour les articles 37-1 et 72, alinéa 4, de la Constitution, est

foncièrement différente. Cependant, il existe une constante dans ces deux dispositions. Dans

les deux cas, c’est « la loi ou le règlement » qui autorise l’expérimentation. C'est-à-dire que

dans les deux cas c’est l’État, au sens des autorités centrales, qui décide de mener une

expérimentation et qui l’organise.

L’article 37-1 prévoit que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et

une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». L’article 72, alinéa 4, dispose,

quant à lui, que « dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en

cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit

constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent,

lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger à titre expérimental et pour un

objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent

l’exercice de leurs compétences ». Si ces deux dispositions introduisent un droit à

l’expérimentation dans notre Constitution, force est de constater que leur rédaction diffère très

fortement. Elle laisse planer un doute sur les objectifs poursuivis par l’État à travers ces deux

articles. Le constituant a mis en place « deux droits bien distincts ».99 La rédaction de ces

deux dispositions entraîne un important déséquilibre entre les deux modes d’expérimentation.

Le problème de ce déséquilibre est qu’il masque une réalité, à savoir que c’est l’État qui reste

au cœur des deux procédures. Ainsi, le « droit à l’expérimentation, c’est un droit qui

appartient à l’État. Les collectivités territoriales n’ont pas […] un droit à l’expérimentation.

L’article 37-1 est clair : c’est le droit pour l’État d’expérimenter à travers des lois ou des

règlements, mais l’article 72 alinéa 4, c’est pareil. C’est le droit pour l’État d’autoriser les

collectivités territoriales à expérimenter, mais en aucun cas le droit pour les collectivités

territoriales à bénéficier de l’expérimentation ».100

Ce sont deux droits à l’expérimentation très différents qui cohabitent dans notre

Constitution. L’un permet à l’État de réaliser des transferts de compétences (§1), tandis que

l’autre malgré ce rôle central de l’État permet une certaine autonomie des collectivités locales

(§2). Les conditions de mise en œuvre de ces deux dispositions démontrent parfaitement ce

rôle ambigu de l’État. Comme certains commentateurs l’ont relevé « à l’inconditionnement de

99 CHARENTENAY Simon (de), op. cit. 100 ROUX André, « Table ronde : expérimentations pour quoi faire ? », in Les collectivités locales et l’expérimentation : perspectives nationales et européennes, op. cit., p.189.

38

la première procédure (37-1), on ne peut opposer que le strict encadrement de la seconde (72

alinéa 4), signe de leur inégales signification et portée ».101

§1. L’expérimentation transfert : un levier de transfert de compétences

L’expérimentation transfert, telle qu’elle est prévue par l’article 37-1 de la

Constitution n’est pas vraiment une nouveauté. Il s’agit de la constitutionnalisation d’une

pratique déjà utilisée. La rédaction de cet article laisse planer certains doutes. Il semble que

cette constitutionnalisation ne s’est pas faite à droit constant et que cette disposition

constitutionnelle laisse une très large marge de manœuvre aux autorités étatiques.

L’expérimentation, telle qu’elle est prévue dans le cadre de l’article 37-1 de la

Constitution, n’est pas une totale nouveauté. S’il serait trop long de revenir ici sur l’ensemble

des expérimentations qui se sont tenues avant la révision constitutionnelle de 2003, il faut

bien se rendre compte qu’il s’agit là d’une technique largement éprouvée, acceptée et

encadrée par la jurisprudence.

L’État avait déjà recours à un certain nombre de lois expérimentales. La loi de 1975

relative à l’interruption volontaire de grossesse102 est un exemple de loi expérimentale. Cette

loi, même si elle s’appliquait sur l’ensemble du territoire, n’a été votée au départ que pour

cinq ans ; il s’agit là d’une expérimentation limitée dans sa durée. Cependant, ces lois à

l’application limitée dans le temps ne sont pas les plus nombreuses. Elles peuvent parfois

même poser problème à être qualifiées de lois expérimentales, car elles ne contiennent pas

l’idée d’échantillonnage normalement présente en matière d’expérimentation.

Les exemples les plus fréquents sont en effet à chercher du côté des expérimentations

qui se déroulent dans un espace limité et prédéterminé. L’expérimentation vise alors à tester

une nouvelle norme sur une partie seulement de la population avant de procéder à sa

généralisation à l’ensemble du territoire. Dans ce cadre, les expérimentations menées sous la

Cinquième République sont beaucoup plus nombreuses. Ainsi, « l’exemple le plus ancien date

vraisemblablement de 1962, avec une expérimentation portant sur une nouvelle organisation

101 FAURE Bertrand, « L’intégration de l’expérimentation dans le droit public français », in Mouvement du droit public français, Mélanges en l’honneur de Franck Moderne, op. cit., p.178. 102 Loi n°75-17, du 17 janvier 1975, op. cit.

39

des services déconcentrés de l’État ».103 Les expérimentations se sont multipliées au cours des

années, devenant une méthode bien éprouvée.

La décentralisation a très vite trouvé dans l’expérimentation un moyen de progresser.

Le département d’Ille-et-Vilaine a mis en place en 1986 à titre expérimental un complément

de ressources qui allait préfigurer la loi de 1988 relative au revenu minimal d’insertion104.

Plus près de nous encore, la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité105 a eu recours

au principe de l’expérimentation. Cette loi a prévu des transfert de compétences à titre

expérimental pour les régions en matière de développement des ports maritimes, des

aérodromes et de patrimoine culturel. L’expérimentation est devenue au fil des années une

technique largement connue et utilisée. Elle a trouvé dans le cadre de la décentralisation un

écrin propice à son développement.

Ce développement ne s’est cependant pas produit de manière totalement anarchique.

En l’absence de règles législatives, et encore moins constitutionnelles, relatives à

l’expérimentation ce sont les juges qui ont encadré cette technique. Jurisprudence

constitutionnelle106 et jurisprudence administrative107 ont posé les premiers jalons d’un droit à

l’expérimentation. Ce sont ces solutions dégagées par la jurisprudence qui ont été en partie

constitutionnalisées par la réforme de 2003 au sein de l’article 37-1, mais d’une manière qui

est loin d’être satisfaisante.

La rédaction laconique adoptée pour l’article 37-1 laisse une large marge de

manœuvre à l’État dans l’organisation des expérimentations et ne fait apparaître que très peu

de limites. Cette disposition de la Constitution, contrairement à l’article 72, alinéa 4, ne fait

pas de renvoi à une loi organique pour la compléter. L’expérimentation n’est limitée que par

les dispositions de l’article 37-1. Or les seules précisions que comporte cet article sont que

l’expérimentation doit avoir « un objet et une durée limités ». Ce sont là de bien maigres

limites par rapport aux exigences antérieures de la jurisprudence constitutionnelle et

administrative.

103 PISSALOUX Jean-Luc, « Réflexions sur l’expérimentation normative », RA, 2003, p.14. À l’initiative du pouvoir réglementaire, cette expérimentation va d’abord concerner quatre départements, puis sera généralisée à l’ensemble du territoire par décret en 1964. 104 Loi n°88-1088, du 1er décembre 1988, instituant le revenu minimum d’insertion, JORF, 3 décembre 1988, p.15119. 105 Loi n°2002-276, du 27 février 2002, op. cit. 106 Conseil Constitutionnel, n°93-322DC du 28 juillet 1993, op,. cit. ; n°93-333DC du 21 janvier 1994, JORF, 26 janvier 1994, p.1377. 107 Conseil d'État, Sect., 1967, Peny, op. cit. ; Conseil d'État, 1968, Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris, Rec. p.123. ; Conseil d'État, Sect. Travaux publics, avis, 1993, n°353605, Rapport public 1993..

40

Le Conseil Constitutionnel avait mis à jour un certain nombre d’exigences pour les

lois prévoyant des expérimentations. La loi devait définir la nature et la portée des

expérimentations ; définir le cas où l’expérimentation pouvait avoir lieu ; prévoir les

procédures et conditions de l’évaluation ; enfin l’expérimentation devait nécessairement avoir

pour issue la généralisation, l’abandon ou une prolongation avec modification. Les exigences

du nouvel article constitutionnel sont finalement très limitées par rapport aux exigences

jurisprudentielles. Il faut d’ailleurs ici saluer l’intervention du Sénat, soutenu par le

Gouvernement, qui a permis d’insérer dans cet article la limite de l’objet et de la durée. Le

projet initial prévoyait simplement « la loi et le règlement peuvent comporter des dispositions

à caractère expérimental ». Le Conseil d'État, lorsqu’il s’était prononcé sur le projet de loi,

avait d’ailleurs rendu un avis négatif, notamment sur cette disposition qui selon la Haute

Assemblée « se bornait à réaffirmer la jurisprudence administrative et constitutionnelle ». 108

Il semble qu’il convient cependant de faire une appréciation plus critique des

dispositions de l’article 37-1. Si cette disposition reprend les affirmations de la jurisprudence

antérieure, elle ne le fait qu’a minima. La Constitution ne fait, notamment, aucune référence à

l’obligation de prévoir une évaluation de l’expérimentation. Or sans évaluation,

l’expérimentation n’en est plus une. Elle ne correspond alors qu’à une mise en œuvre

progressive d’une disposition. Il faut cependant soulever ici une différence qui existait entre la

jurisprudence administrative et la jurisprudence constitutionnelle. Dans les affaires que le

Conseil d'État avait eu à juger, notamment l’arrêt Peny de 1967 ou l’arrêt Ordre des avocats à

la Cour d’appel de Paris, les dispositions en cause n’étaient pas réellement des

expérimentations, mais l’entrée en vigueur progressive, en fonction des destinataires de la

mesure dans le premier cas et en fonction des ressorts juridictionnels dans le second, d’une

nouvelle mesure. Le juge administratif ne fait jamais dans ces arrêts référence à la nécessité

d’une évaluation. D’une part, la constitutionnalisation s’est donc faite a minima, mais surtout,

d’autre part, si les juges, constitutionnel et administratif, maintiennent leurs jurisprudences

relatives à l’expérimentation, il va subsister une différence d’exigences et de régimes

juridiques entre l’expérimentation prévue par la loi et l’expérimentation prévue par le pouvoir

réglementaire. En l’absence de contentieux sur cette question, le débat reste ouvert. Un

premier constat doit être fait, les dispositions constitutionnalisées à l’article 37-1, de par la

souplesse de leurs exigences, laissent une relative liberté à l’État dans la manière de conduire

les expérimentations. Il est nécessaire de s’en remettre sur ces questions à la vigilance des

108 PISSALOUX Jean-Luc, op. cit., p.17.

41

juges, notamment constitutionnel109, pour éviter des abus dans l’utilisation de la méthode

expérimentale.

Une autre différence fondamentale de rédaction entre l’article 37-1 et l’article 72,

alinéa 4, de la Constitution est que le premier ne fait aucune référence à une quelconque

limite matérielle. Les dispositions de l’article 72, alinéa 4, prévoient qu’une expérimentation

dérogation ne peut être conduite si celle-ci remet « en cause les conditions essentielles

d’exercice d’une liberté ou d’un droit constitutionnellement garanti ». Une telle limite

n’existe pas à l’égard des expérimentations transfert. Faut-il en déduire que l’État peut

disposer de ces droits et libertés pour procéder à des expérimentations dans ces domaines à sa

guise ? Même s’il faut espérer une vigilance des juges pour ne pas laisser l’État totalement

libre de procéder à de telles expérimentations, il semble que l’absence de limites relatives aux

droits et libertés constitutionnellement garantis pourrait permettre des expérimentations,

notamment dans le domaine judiciaire110.

La constitutionnalisation des dispositions relatives à l’expérimentation ne s’est pas

faite à droit constant. Les exigences de l’article 37-1 de la Constitution sont finalement bien

en deçà des exigences que la jurisprudence constitutionnelle avait posées. Cela confirme

l’idée que l’État a voulu à travers l’expérimentation transfert mettre en place un moyen

d’action grâce auquel il soit entièrement libre d’agir, afin de procéder à sa réforme.

Toutefois, l’intérêt fondamental de la disposition de l’article 37-1 est surtout pour

l’État de pouvoir procéder à des transferts de compétence de façon moins autoritaire. À cet

égard, il suffit d’analyser la loi du 13 août 2004111, qui est la mise en œuvre législative de

l’Acte II de la décentralisation. La simple lecture des dispositions contenues dans cette loi

oblige à un constat : les expérimentations prévues sont toutes des expérimentations transferts

et visent avant tout à délester l’État de certaines compétences. Ces expérimentations avaient

plusieurs objets : permettre aux régions d’adopter un schéma régional de développement

économique afin que celles-ci soient compétentes pour attribuer des aides économiques (art.

1er, §II) ; transférer aux régions la gestion des fonds structurels européens (art. 44) ; transférer

aux départements la mise en œuvre des mesures d’assistance éducative relatives à la 109 L’épreuve des faits semble cependant aller à l’encontre de cette idée. Cf. infra p. 110 Voir à cet effet l’hypothèse avancée par G. Chavrier relative à une expérimentation sur l’échevinage de juges professionnels et juges non professionnels pour le jugement d’une infraction correctionnelle. CHAVRIER Géraldine, « L’expérimentation locale : vers un État subsidiaire ? », Annuaire des collectivités locales 2004, CNRS, 2004, p.47. 111 Loi n°2004-809 du 13 août 2004, op. cit.

42

protection judiciaire de la jeunesse (art. 59) ; le financement par les régions d’équipements

sanitaires (art. 70) ; transférer à certaines communes la lutte contre l’insalubrité dans l’habitat

(art. 74) ; transférer la gestion des écoles primaires aux communes en les transformant en

établissements publics locaux d’enseignement primaire, sur le modèle de ce qui se fait pour

les collèges et lycées (art. 86) ; transférer, aux collectivités qui le souhaitent, les crédits

relatifs à l’entretien et à la restauration du patrimoine culturel n’appartenant pas à l’État (art.

99).

Ces expérimentations ont avant tout pour objectif de transférer de nouvelles

compétences aux collectivités territoriales, compétences qui sont autant de charges

budgétaires qui sont également transférées de l’État aux collectivités locales. Or, on peut

également voir que, mis à part le transfert de la gestion du patrimoine culturel n’appartenant

pas à l’État, les dispositions législatives qui procèdent à ces transferts de compétences

désignent d’avance le niveau de collectivité bénéficiaire. C’est l’État ici qui est au cœur de

l’organisation de l’expérimentation. Les organes centraux contrôlent absolument toute la

procédure et décident comment se déroule l’expérimentation. D’ailleurs, les « fortunes

diverses »112 de ces expérimentations tendent à démontrer une certaine méfiance des

collectivités territoriales qui y voient un simple outil de transfert de compétences de la part de

l’État, transferts opérés non pas à leur avantage, mais dans une logique de réduction des

dépenses de l’État. Ces variations, allant d’une absence totale d’engouement (la gestion des

écoles primaires par le biais d’établissements publics ou la lutte contre l’insalubrité dans

l’habitat) à un engagement de toutes les collectivités dans l’expérimentation (adoption d’un

schéma de développement économique par toutes les régions) – entre ces deux extrêmes, les

situations les plus diverses peuvent être observées. Tout cela pose la question de la gestion de

l’échantillonnage d’une expérimentation113.

Dans le cadre des expérimentations de l’article 37-1, le constat est sans appel. L’État

conserve une maîtrise totale de la procédure. Il ne s’agit pas d’un nouveau moyen d’action

pour les collectivités territoriales qui leur permettrait d’accroître leur pouvoir de décision. Au

contraire, cette disposition est réellement au service de l’État et de sa réforme. L’État dispose

ici d’un moyen très efficace pour se délester de certaines compétences, qui sont autant de

postes budgétaires qui grèvent les dépenses de l’État.

112 MARCOU Gérard, « Le bilan en demi-teinte de l’Acte II. Décentraliser plus ou décentraliser mieux ? », RFDA, n°2, 2008, p.299. 113 Cf. infra p.79.

43

Il en va tout autrement lorsqu’on se place dans le cadre des expérimentations

normatives de l’article 72 alinéa 4 de la Constitution.

§2. L’expérimentation dérogation : des faux-semblants néfastes

L’expérimentation dérogation est très fortement encadrée. Aux dispositions de l’article

72, alinéa 4, de la Constitution, il faut ajouter la loi organique du 1er août 2003 relative à

l’expérimentation par les collectivités territoriales, qui a inséré un chapitre III relatif aux

expérimentations normatives dans le titre unique, du livre premier de la première partie du

Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT). L’ensemble de ces dispositions encadre

très fortement les expérimentations dérogations. Ces dispositions sont tellement

contraignantes que leur simple lecture donne l’impression que « le processus est entièrement

contrôlé par le législateur (pour l’expérimentation législative) et par le gouvernement (pour

l’expérimentation réglementaire), qu’eux seuls décident de la possibilité ou non d’une

expérimentation ».114 Si effectivement la procédure d’expérimentation est largement pilotée

par l’État et laisse finalement l’impression que l’État s’occupe de tout durant

l’expérimentation (A), l’épreuve des faits conduit à nuancer cette première conclusion.

L’expérimentation relative au RSA, et notamment la façon dont elle a été conduite dans le

département de l’Hérault, tend à démontrer qu’en fait les collectivités sont largement

associées à la prise de décision tout au long de l’expérimentation (B).

A. L’impression d’un rôle important de l’État

Le libellé de l’article 72, alinéa 4, de la Constitution, comporte trois limites, au

pouvoir d’expérimentation des collectivités territoriales, qui sont expressément indiquées et le

renvoi à une loi organique est également source de toute une nouvelle série de limitations.

1. L’encadrement constitutionnel de l’expérimentation dérogation

La Constitution dispose, en son article 72, alinéa 4, que « dans les conditions prévues

par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une

liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou

114 PONTIER Jean-Marie, « La loi organique relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales », op. cit., p.1717.

44

leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu déroger, à

titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou

réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ». Cet article contient trois

limites successives à l’expérimentation : celle-ci ne doit pas porter atteinte à une liberté

publique ou à un droit constitutionnellement garanti, elle doit être autorisée par la loi ou par le

règlement et enfin elle doit avoir un objet et une durée limités.

Cette dernière condition, l’objet et la durée limités, est similaire à celle qu’on trouve

dans le texte de l’article 37-1 de la Constitution. Ces dispositions ne sont nullement déplacées

ou trop encadrantes puisqu’elles sont la condition même d’existence d’une expérimentation.

Si on s’en réfère à la définition donnée par le Conseil Constitutionnel des lois expérimentales

leur objet et leur durée doivent nécessairement être circonscrits. L’expérimentation n’a pas

pour objectif de créer un droit à la différenciation entre collectivités territoriales, mais de

tester une disposition pour une durée précise. C’est donc à l’État que revient la mission de

déterminer ces différents éléments.

C’est d’ailleurs pour cela que l’expérimentation ne peut être décidée que par une loi ou

un règlement. Le constituant n’a pas voulu consacrer un droit d’initiative aux collectivités

territoriales et la décision de démarrer une expérimentation relève uniquement de l’État. « Le

déclenchement de l’expérimentation législative relève du législateur et de lui seul : une loi

d’habilitation doit être adoptée pour que l’expérimentation puisse avoir lieu, lorsque la

dérogation porte sur la loi. S’agissant de l’expérimentation réglementaire, elle est autorisée

par le gouvernement ».115 Il ne faut pas totalement écarter cependant le recours à des voies

informelles. Les connexions entre élus nationaux et élus locaux sont nombreuses – quand

ceux-ci ne sont pas les mêmes, par l’intermédiaire du cumul des mandats – ce qui leur permet

de transmettre des demandes d’expérimentations. « L’influence politique d’un élu local, ses

relations au plus haut niveau de l’État, joueront un rôle essentiel pour suggérer une

expérimentation. Mais la source juridique demeurera la loi ou le décret ». 116 Juridiquement,

l’initiative de l’expérimentation est entre les mains de l’État, c’est lui qui va décider de

l’opportunité ou non de procéder à une expérimentation sur tel ou tel objet.

Enfin, troisième limite contenue à l’article 72 alinéa 4, l’expérimentation ne peut

porter atteinte à une liberté publique ou à un droit constitutionnellement garanti. Cette limite

est spécifique aux expérimentations dérogations, puisqu’on ne la retrouve pas à l’article 37-1.

115 Ibid, p.1719. 116 DRAGO Guillaume, « Le droit à l’expérimentation », in La République décentralisée, Dir. Yves Gaudemet et Olivier Gohin, Paris, Editions Panthéon Assas, 2004, p.75.

45

Si cette limite semble tout à fait logique, sa rédaction peut toutefois soulever quelques

interrogations. Il est normal que les collectivités territoriales ne puissent pas expérimenter

dans le domaine des droits et libertés constitutionnellement garantis. Ceux-ci sont le socle de

l’unité de la République. L’indivisibilité du territoire suppose que les droits fondamentaux

soient les mêmes pour tous en tout point du territoire et qu’ils soient garantis par le

législateur. La constitution prévoit, en effet, à l’article 34 que la loi fixe les règles concernant

« les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés

publiques ». On sait d’ailleurs que le Conseil Constitutionnel est très vigilant à ce que le

pouvoir réglementaire local ne puisse pas intervenir dans ce domaine117. Si cette limite est une

limite classique au pouvoir réglementaire local, plus étrange est la rédaction que le constituant

a retenue. Il évoque « l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement

garanti ». Il est plus habituel de trouver le vocable de droits et libertés fondamentaux. Si les

deux notions se recoupent certainement sur bien des points, la différence de rédaction devra

conduire le Conseil Constitutionnel à préciser le contenu de la notion employée à l’article 72,

alinéa 4.

2. Les conditions de l’expérimentation complétées par la loi organique du 1er

août 2003

La constitution prévoyait l’adoption d’une loi organique pour encadrer le recours aux

expérimentations de l’article 72, alinéa 4. C’est chose faite avec la loi du 1er août 2003 qui a

inscrit les règles relatives à l’expérimentation dans le Code général des collectivités

territoriales.

Le premier article ajouté au Code (article LO 1113-1) par cette loi est redondant par

rapport à la Constitution puisqu’il rappelle que l’expérimentation ne peut être autorisée que,

selon le domaine, par la loi ou le règlement et que l’objet de l’expérimentation doit être défini

précisément. Il ajoute de nouveaux éléments. Cet article dispose que la durée de

l’expérimentation ne peut être supérieure à cinq ans et que la loi portant expérimentation doit

prévoir « les dispositions auxquelles il peut être dérogé ». Les collectivités territoriales ne

sont donc pas totalement libres d’adopter de nouvelles mesures comme elles le souhaitent

dans le domaine faisant l’objet de l’expérimentation. Dans le cadre de l’expérimentation

relative au RSA, les circulaires d’application prévoyaient de façon exhaustive la liste des

117 Conseil Constitutionnel, décision n°96-373DC, du 9 avril 1996, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, JORF, 13 avril 1996, p.5724.

46

dispositions que les collectivités étaient autorisées à écarter durant l’expérimentation118. C’est

très important puisque cela limite finalement le pouvoir d’initiative des collectivités

territoriales. Celles-ci ne peuvent innover que dans le cadre que l’État leur aura fixé. « La

marge d’autonomie locale est certes étendue, mais dans un cadre strictement réglementé qui

vient préciser de façon explicite les dispositions auxquelles les collectivités territoriales sont

autorisées à déroger ».119

Cet article précise ensuite que la loi portant expérimentation doit prévoir quel sera le

niveau de collectivité concerné par l’expérimentation et sur quels critères seront sélectionnées

les collectivités candidates. Les demandes des collectivités territoriales pour participer à

l’expérimentation doivent être déposées dans un délai qui sera également fixé par la loi.

L’article LO 1113-2 prévoit ensuite les modalités à suivre pour que les collectivités

locales déposent leur candidature à l’expérimentation. La décision de participer à une

expérimentation est de la compétence de l’assemblée délibérante, qui doit adopter une

délibération motivée120. Cette délibération doit être transmise au préfet qui l’adressera lui-

même ensuite, « accompagnée de ses observations », au ministre en charge des collectivités

locales. Le Gouvernement devra vérifier que les collectivités remplissent bien l’ensemble des

conditions déterminées par la loi portant expérimentation et devra ensuite publier la liste des

collectivités admises à participer à l’expérimentation par décret.

Cette disposition appelle plusieurs remarques. On peut d’abord s’étonner de la

complexité, voire de la lourdeur, de la procédure de candidature. Pourquoi obliger les

collectivités locales à transmettre d’abord leur demande au préfet, alors qu’elles pourraient

très bien la transmettre directement au ministre ? Même si le représentant de l’État n’a ici

aucun pouvoir de décision, il semble que l’on cherche déjà à effectuer un premier filtre. On

retrouve cette idée dans le fait que le préfet transmet la demande au ministre, associée de ses

propres observations. La loi ne précise pas quelle est la teneur de ces observations, ni quelle

est leur portée. En dehors de toute précision, on ne peut qu’y voir un moyen de contrôle de

l’État et donc de filtrage des demandes de participation aux expérimentations. Un tel filtrage

peut se comprendre comme la mise en place d’une sorte de tutelle de l’État sur les

collectivités. De plus, ce filtrage des demandes par le préfet fait double emploi avec celui qui

118 Circulaire du 22 août 2007, relative à la mise en œuvre des expérimentations locales prévues par l’article 142 de la loi du 21 décembre 2006 de finances pour 2007 modifié et la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat – revenu de solidarité active (RSA), Annexes, p.6-8. 119 LONG Martine, « Revenu de solidarité active : l’expérimentation », Droit social, n°12, 2007, p.1241. 120 En matière de RSA, ces délibérations ont d’ailleurs été publiées au Journal officiel du 1er janvier 2008.

47

est expressément prévu ensuite au profit du Gouvernement. La marge de manœuvre de l’État

est cependant ici limitée puisqu’elle se limite à vérifier que les collectivités territoriales

remplissent les conditions déterminées par la loi portant expérimentation. Le choix du

Gouvernement ne peut pas être fait de manière discrétionnaire. Il semble d’ailleurs qu’il soit

obligé d’admettre dans l’expérimentation toutes les collectivités qui remplissent ces

conditions.

Le Code général des collectivités territoriales prévoit ensuite (article LO 1113-3) que

les actes réglementaires, intervenant dans le domaine de la loi ou du règlement, que les

collectivités vont adopter durant l’expérimentation devront être publiés au Journal Officiel, en

plus de leur classique transmission au représentant de l’État. Ces actes n’entrent en vigueur

qu’une fois publiés. Cette disposition est pour le moins étrange, puisqu’elle complique la

procédure. Cette publication au Journal Officiel n’est pas exigée pour les actes habituellement

adoptés par les collectivités territoriales. Dès lors, on peut s’interroger sur l’objectif d’une

telle procédure. Si la publication des actes est nécessaire dans un souci d’information du

public, la publication au Journal Officiel semble ici avant tout être un moyen de contrôle de

l’État. Lors de la présentation du projet de loi organique, l’objectif de cette mesure était de

respecter un certain parallélisme des formes. « L’expérimentation autorisant des dérogations

aux dispositions législatives, il est indispensable de prévoir des formes de publicité

comparables à celles prévues pour la loi ».121 Si l’argument n’est pas dénué de logique, il

n’empêche que cette procédure reste particulièrement lourde et sa « nécessité ne s’impose pas

à l’évidence ».122 Tout conduit donc à conclure que cette obligation de publication permet

avant tout à l’État de savoir en permanence les dispositions à caractère dérogatoire que les

collectivités territoriales ont adoptées. Sans être véritablement une tutelle, l’État s’autorise ici

une présence – en tant qu’observateur muet certes – sur les actions menées par les

collectivités locales.

L’article LO 1113-4 prévoit le régime juridique des actes à caractère dérogatoire

adoptés par les collectivités territoriales. Ces actes sont formellement administratifs, mais

peuvent intervenir dans le domaine de la loi. Ils sont donc soumis à un régime juridique

spécifique123.

Le CGCT prévoit ensuite l’obligation de transfert au Parlement d’un rapport aux fins

d’évaluation des expérimentations menées dans le domaine de la loi. Cette disposition 121 PIRON Michel, Rapport n°955, op. cit., p.30. 122 RICCI Jean-Claude, « Regards juridique sur l’expérimentation en matière de collectivités territoriales », in Les collectivités locales et l’expérimentations : perspectives nationales et européennes, op. cit., p.203. 123 Cf. infra p.121 et s.

48

consacrant l’obligation, jurisprudentielle, d’évaluation des expérimentations, sera analysée

ultérieurement124. Toutefois, il faut relever que l’alinéa 2 de l’article LO 1113-5 prévoit

également une autre obligation à la charge du Gouvernement. Celui-ci doit en effet

« transmettre chaque année un rapport retraçant l'ensemble des propositions

d'expérimentation et demandes formulées au titre de l'article LO 1113-2 que lui ont adressées

les collectivités, en exposant les suites qui leur ont été réservées ». Force est de constater

qu’on ne trouve aucune trace de ces rapports d’information dans la documentation du

Parlement. Cette disposition est également intéressante car elle consacre, sans réellement le

dire, un droit d’initiative des collectivités territoriales. Cependant, ce droit d’initiative est très

limité puisque aucune obligation n’est faite au Gouvernement d’y donner suite. Cette

possibilité est pour l’instant donc restée lettre morte. Il est dommage qu’une telle disposition

ne soit pas respectée, puisqu’elle serait justement un moyen pour les collectivités territoriales

d’essayer de peser un peu plus dans le cadre de l’expérimentation normative. Si un tel rapport

était vraiment publié, l’État se verrait dans l’obligation de donner suite à ces demandes ou du

moins de se prononcer dessus, au risque de voir l’opinion publique s’en saisir et le

sanctionner politiquement ensuite lors d’élections.

La loi organique prévoit ensuite, à l’article LO 1113-6 du CGCT, les modalités d’issue

de l’expérimentation. Ainsi, l’expérimentation peut être prolongée ou modifiée pour une

durée qui ne peut cependant excéder trois ans. Le problème, ici, c’est que la loi organique ne

détermine pas à quelles conditions peut être faite cette prolongation ou cette modification. Les

collectivités qui avaient déjà participé à la première expérimentation, sont-elles obligées de

continuer en cas de prolongation ? L’expérimentation se faisant sur la base du volontariat des

collectivités, on peut supposer qu’il en sera de même pour sa prolongation. Plus délicate est la

question de la modification de l’expérimentation. En effet, qu’est-ce qui relève de la

modification de l’expérimentation ou de la mise en place d’une nouvelle expérimentation ? Il

semble que l’État a ici une marge de manœuvre assez importante, sous le contrôle du juge à

condition que celui-ci soit saisi. La question qui pourrait se poser serait celle d’une

modification tellement importante des conditions de l’expérimentation que finalement on

entrerait dans une nouvelle expérimentation. Dans un tel cas, il semblerait qu’il faille

recommencer la procédure d’appel à participation des collectivités et non reconduire les

mêmes.

L’expérimentation peut ensuite être soit généralisée à l’ensemble du territoire, soit

124 Cf. infra p.91.

49

abandonnée. Ces questions seront étudiées ultérieurement puisque derrière cette dualité

d’issues de l’expérimentation se pose en filigrane la question de l’adéquation entre le principe

d’égalité et l’expérimentation125.

Enfin le CGCT a été complété par une dernière disposition relative à l’expérimentation

qui est l’article LO 1113-7. Cet article étend les dispositions précédentes, qui étaient

applicables aux expérimentations en matière législative, aux expérimentations en matière

réglementaire. Cet article oblige le Gouvernement à adopter un décret en Conseil d’État pour

procéder à une expérimentation dans le domaine réglementaire. Une telle obligation permet

de marquer une certaine solennité du recours à l’expérimentation, même en matière

réglementaire. Cette procédure permet également d’avoir un certain contrôle des

expérimentations, le Conseil d'État se prononçant a priori sur leur mise en œuvre, on peut

supposer qu’il pourra limiter les ardeurs du Gouvernement à entreprendre des

expérimentations fantaisistes. Pour le reste, les expérimentations en matière réglementaire

sont soumises aux mêmes obligations, contraintes et régimes juridiques que les

expérimentations intervenant dans le domaine de la loi.

La conjonction des dispositions de la Constitution et de la loi organique laisse planer sur

les expérimentations l’ombre d’une importante présence de l’État. L’intérêt du recours à

l’expérimentation normative serait alors automatiquement limité puisque l’État semble

pouvoir piloter toute la procédure. D’ailleurs, le peu de succès de ce type d’expérimentation

semble abonder en ce sens. Les lourdeurs de la procédure et le rôle central conservé par l’État

durant toute la procédure seraient un frein au recours à l’expérimentation dérogation. Le

constat est sans appel, depuis la révision constitutionnelle de 2003, une seule expérimentation

dérogation a été mise en place. Il s’agit de l’expérimentation en matière de RSA prévue tout

d’abord par l’article 147 de la loi de finances pour 2007126. Certains éléments de

l’expérimentation ont également été prévus dans la loi du 5 mars 2007 instituant le droit

opposable au logement127. Enfin, ces dispositions ont été complétées par la loi, dite loi TEPA,

de l’été 2007128. « L’expérimentation du revenu de solidarité active prouve la complexité de

la mise en œuvre des mesures d’expérimentation telles que prévues dans le cadre de la

125 Cf. infra p.65. 126 Loi n°2006-1666, du 21 décembre 2006, portant loi de finance pour 2007, art. 142, JORF, 27 décembre 2006, p.19641. 127 Loi n°2007-290 du 5 mars 2007, instituant le droit opposable au logement et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, JORF, 6 mars 2007, p.4190. 128 Loi n°2007-1223, du 21 août 2007, en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (art. 18 et suivants), JORF, 22 août 2007, p.13945.

50

réforme constitutionnelle de 2003 ».129

L’expérimentation est un mécanisme compliqué à mettre en place si on se contente

d’une simple lecture des textes. La mise en place de l’expérimentation relative au RSA a

confirmé cette complexité. Les auteurs ont été sceptiques face à cette expérimentation.

Cependant, l’épreuve des faits montre que durant l’expérimentation, la place des collectivités

territoriales est réellement renforcée.

B. Des collectivités largement associées à la procédure

Les conclusions présentées ici sont tirées de l’expérimentation du RSA dans le

département de l’Hérault. Si l’expérience du département montre que les collectivités

territoriales ont été associées à la procédure d’expérimentation et n’ont pas totalement été

encadrées par la volonté de l’État, la limite de la démonstration est qu’elle s’appuie sur le seul

exemple héraultais. Il semblerait un peu hâtif de généraliser l’ensemble de ces conclusions,

mais elles permettent en tout cas de nuancer les craintes exposées précédemment.

L’expérimentation menée par le Conseil Général de l’Hérault démontre qu’il y a eu une

importante négociation préalablement à l’expérimentation. Cette phase de négociation, qui

n’était pas prévue dans les textes, a été l’occasion pour les départements de mettre en place

des conditions d’expérimentation satisfaisantes. L’exemple héraultais prouve ensuite que les

collectivités territoriales sont largement associées à l’issue de l’expérimentation à la rédaction

des dispositions de généralisation.

1. La négociation préalable à l’expérimentation

Ce cycle de négociation préalable à l’expérience n’a pas été prévu par les textes relatifs

à l’expérimentation. Il s’inscrit dans le mouvement de contractualisation des relations entre

l’État et les collectivités territoriales. Ces négociations vont aboutir à une convention entre les

différentes parties, convention qui est véritablement une « feuille de route » pour les deux

parties contractantes. Pour les collectivités territoriales, cette convention contient la

description des mesures que la collectivité compte adopter durant l’expérimentation ; pour

l’État, cette convention retrace les engagements financiers de celui-ci pour soutenir

l’expérimentation.

129 LONG Martine, « Revenu de solidarité active : l’expérimentation », op. cit., p.1241.

51

Il faut relever ici que ni la Constitution, ni la loi organique du 1er août 2003 n’ont prévu

de dispositions relatives au financement de l’expérimentation. Il est indéniable que la question

financière est au cœur de l’expérimentation. Il paraît inconcevable de demander à une

collectivité territoriale de supporter intégralement le poids financier d’une expérimentation,

dont elle n’aurait pas eu l’initiative et où sa marge d’action reste somme toute encadrée. Il est

étrange que rien n’ait été prévu dans les textes constitutionnel et organique. Cela pose

d’autant plus question que la révision constitutionnelle de 2003 a également introduit dans

notre norme fondamentale le principe de l’autonomie financière des collectivités territoriales.

Obliger une collectivité à financer une expérimentation décidée par l’État revient à créer dans

son budget une nouvelle catégorie de dépenses obligatoires. Il est dommageable qu’aucune

disposition, de rang constitutionnel ou organique, ne soit venue organiser cette question. Lors

de l’expérimentation relative au RSA, l’État s’était engagé à financer 50% du surcoût induit

par l’expérimentation dans les départements. Si le détail exact de la convention ne peut pas

être communiqué au public, il ressort des discussions avec les responsables de

l’expérimentation que l’État a effectivement financé la moitié de l’expérimentation.

L’intérêt premier de cette phase de négociation préalablement à l’expérimentation est de

permettre aux collectivités territoriales de négocier les conditions dans lesquelles

l’expérimentation va être menée. L’objectif est ici de permettre à chaque collectivité de

réaliser les aménagements qu’elle souhaite aux dispositions normalement applicables.

« L’expérimentation par définition a laissé des marges de manœuvre sur la manière de faire

sachant qu’il y avait un socle légal, quand même, à l’intérieur duquel il fallait se placer ».130

Tout au long de cette phase, le département de l’Hérault a pu « négocier avec Martin

Hirsch »131, il y a eu des « tractations assez importantes sur des grands débats ».132 C’est un

véritable dialogue qui s’est mis en place entre les autorités centrales et la collectivité

territoriale.

Si l’État a prévu au début de l’expérimentation les dispositions auxquelles les

collectivités expérimentatrices pourraient déroger, celles-ci ont tout de même été assez libres

de conduire l’expérimentation comme elles le souhaitaient à l’intérieur de ce cadre légal.

La place des collectivités territoriales a également été fortement valorisée à l’issue de

l’expérimentation. Les résultats étant différents dans chaque département, l’expérimentation a

130 Annexe : entretien Mme Vaugelade p.131. 131 Ibid, p.132. 132 Ibid, p.133.

52

été l’occasion d’associer les collectivités à la rédaction des textes de généralisation du

dispositif.

2. L’association des collectivités territoriales à l’issue de l’expérimentation

L’un des intérêts majeurs de l’expérimentation est de profiter de l’expérience conduite

dans les différentes collectivités territoriales. Ce retour d’expérience permet d’adopter un

dispositif qui sera le mieux à même de répondre aux attentes de la population.

L’expérimentation permet aussi, plus simplement, d’éviter un certain nombre de « problèmes

techniques, incohérences, manque de coordination ».133 Toutes les questions n’ont pas

toujours le temps d’être abordées lors des débats au Parlement, ou lorsqu’elles sont réglées

par le pouvoir réglementaire, celui-ci n’est pas forcément au fait de tous les problèmes

techniques qui peuvent se rencontrer ensuite sur le terrain. L’expérimentation « permet de

rôder, d’huiler en fait ces projets de loi, et d’arriver à ce que le projet normalement en bout

de course soit complètement opérationnel parce qu’il a été très bien testé ».134

Dans le cadre de la généralisation du RSA, cette logique a même été suivie jusqu’au

bout, puisque la rédaction des décrets d’application de la loi s’est faite avec l’aide des

personnes qui ont localement appliqué le dispositif. Ce sont véritablement les personnes, qui

sont au contact quotidiennement avec les administrés auxquels s’adresse la loi, qui vont

pouvoir faire part de leur expérience et surtout de leur compétence pour la rédaction de ces

textes. « Il y a des gens chez nous [dans le département de l’Hérault] à des postes corrects,

mais pas des grands directeurs qui ont participé à la rédaction des décrets. Le Gouvernement

a intégré un certain nombre de personnes, ce n’est pas Mme Machin, et elle n’est pas

députée, elle n’a pas d’étiquette, elle est une simple technicienne avec sa compétence propre.

Ce st souvent des gens très riches ».135 L’expérimentation permet réellement de s’appuyer sur

les compétences de chacun pour obtenir le meilleur texte possible. Cet exemple rejoint

parfaitement l’idée exposée précédemment que l’expérimentation s’inscrit dans le mouvement

post-moderne. L’expérimentation normative illustre parfaitement le fait que la règle de droit

n’a plus une légitimité ab initio aujourd’hui, mais cette légitimité repose au contraire, sur sa

capacité à apporter des solutions concrètes aux besoins de la société. De telles solutions

peuvent être apportées par les administrateurs qui appliquent quotidiennement la norme.

133 Idib, p.134 134 Idem 135 Ibid, p.138.

53

Cependant l’exemple du RSA démontre également une limite importante de

l’expérimentation. Celle-ci ne peut fonctionner correctement qu’à condition que tous les

acteurs soient dans des dispositions tendant à sa réussite. Dans le cadre du RSA, la réussite de

l’expérimentation semble tenir en partie à la personnalité de Martin Hirsch. Il ressort de

l’expérience héraultaise que le Haut Commissaire aux solidarités actives a su entendre, lors de

négociations préalables, les avis des départements expérimentateurs et a su en tenir compte

pour leur laisser une importante marge de manœuvre. Comme toute politique innovante, la

réussite de l’expérimentation tient en partie à la personnalité de celui qui au niveau central va

gérer cette expérience. Il est nécessaire que ce décideur ne soit pas un jacobin inconditionnel

et qu’il reconnaisse les collectivités locales comme lieu d’innovation. « Si on tombe sur une

autre personnalité beaucoup plus formatée étatique, avec la prédominance de l’État, ça peut

être que de la poudre aux yeux. C'est-à-dire qu’on fait expérimenter dans des conditions

beaucoup plus difficiles en termes de négociation, c'est-à-dire qu’on a un cahier des charges

quasiment pas négociable ».136 L’expérimentation du RSA, si on peut admettre qu’elle a été

en partie une réussite, c’est d’abord grâce à la personnalité de Martin Hirsch.

L’analyse des textes relatifs à l’expérimentation normative nécessite d’aller au-delà de

leur lettre. La simple lecture des dispositions constitutionnelles et organiques laisse à penser

un État omnipotent dans les différentes procédures d’expérimentation. Tel n’est pas toujours

le cas, puisque l’intérêt de l’expérimentation est justement de profiter des solutions adoptées

localement pour édicter une règle générale qui soit la plus adaptée à répondre aux attentes de

la population. Cette idée d’associer les collectivités infra étatiques à la création de la règle de

droit nationale inscrit l’expérimentation dans un mouvement beaucoup plus vaste de

modification de la perception de la norme. L’expérimentation normative est un très bon

exemple de ce qu’on appelle la post-modernité juridique.

La spécificité du système juridique français est que cette post-modernité a été inscrite

dans notre Constitution. La France est le seul État à avoir constitutionnalisé le droit à

l’expérimentation normative. Cela conduit nécessairement à opérer une confrontation entre

l’expérimentation et les autres principes contenus dans la Constitution.

136 Ibid, p.137.

54

Chapitre 2. La conciliation de l’expérimentation

avec les principes constitutionnels

La constitutionnalisation du droit à l’expérimentation oblige à concilier

l’expérimentation avec les principes déjà présents dans la Constitution. Cette conciliation sera

prioritairement opérée par le juge constitutionnel. Le travail du juge constitutionnel est de

retrouver une certaine cohérence entre les différents éléments de la Constitution qui peuvent

parfois entrer en contradiction. « Par son principe aussi bien que par la manière dont sont

nécessairement définies ses conditions d’exécution, l’expérimentation produit dans l’ordre

juridique une série de discontinuités plus ou moins graves qui créent autant d’atteintes à la

sécurité juridique et d’altérations aux principes sur lesquels se fonde l’ordonnancement

juridique des règles de droit ».137

L’expérimentation doit être confrontée à deux autres principes constitutionnels plus

particulièrement. Pendant la durée de l’expérimentation, tous les territoires de la République

n’appliqueront pas des règles de droit identiques. Dès lors, l’expérimentation porte atteinte au

principe d’égalité. Cependant cette atteinte, puisqu’elle est limitée dans sa durée et vise un but

d’intérêt général, est justifiée. Les possibilités d’issues de l’expérimentation, à savoir

l’alternative entre la généralisation de la norme ou l’abandon de l’expérimentation,

démontrent l’attachement du constituant à une vision un peu dépassée du principe d’égalité.

Un tel attachement est plus que critiquable et juridiquement rien n’empêchait les

Parlementaires de mener l’expérimentation sur le terrain d’un droit à la différenciation

encadré. Le second principe, auquel l’expérimentation doit être conciliée, est le principe de

subsidiarité. La situation est ici un peu différente, puisque les deux principes ne se

contredisent pas mais sont complémentaires. L’expérimentation apparaît comme un

mécanisme juridique permettant la mise en œuvre du principe de subsidiarité. « N’étant pas

opérationnel par lui-même, le principe [de subsidiarité] est condamné à rester lettre

137 BOULOUIS Jean, « Note sur l’utilisation de la « méthode expérimentale » en matière de réformes », in Mélanges offerts à Monsieur le doyen Louis Trotabas, op. cit., p.35.

55

morte ».138 L’intervention de l’expérimentation donne une plus grande effectivité au principe

de subsidiarité.

L’expérimentation permet de concrétiser le principe de subsidiarité (Section 1), en

portant cependant atteinte à un principe constitutionnel central, le principe d’égalité (Section

2).

138 DENAJA Sébastien, Expérimentation et administration territoriale, Thèse dactylographiée, Montpellier, 2008, p.439.

56

Section 1. La mise en œuvre du principe de subsidiarité

La nouvelle rédaction de l’article 72 de la Constitution, issue de la révision du 28 mars

2003, introduit un alinéa 2 qui dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à

prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en

œuvre à leur échelon ».

Il s’agit là d’une nouveauté de cette révision constitutionnelle. Cet article sans le

nommer expressément constitutionnalise le principe de subsidiarité. Ce principe n’est pas une

invention française puisqu’on le retrouve en droit communautaire, et dans de nombreux Etats

fédéraux. Cependant, si ce droit est largement connu en dehors de nos frontières, sa

constitutionnalisation en droit français n’est pas entièrement satisfaisante (§1). Le principe de

subsidiarité reste avant tout un principe politique et nécessite des outils de mise en œuvre, tels

que l’expérimentation (§2).

§1. La subsidiarité, un principe à la normativité incertaine

Le principe de subsidiarité a été constitutionnalisé lors de la révision du 28 mars 2003.

Toutefois, c’est un principe largement connu dans les système fédéraux et dans le droit

communautaire. La conception française du principe pose un certain nombre de questions. La

subsidiarité se contrôle sur un critère qui n’a rien de juridique, le « mieux ». Il est donc

nécessaire de brosser un rapide tableau de la genèse du principe (A) avant de se poser la

question de son effectivité (B).

A. L’émergence du principe de subsidiarité

L’introduction du principe de subsidiarité en droit français peut effectivement poser

question dans le mesure où c’est un principe qui tend à régir les compétences plutôt dans les

Etats fédéraux, ou dans le cadre de la Communauté européenne. Le principe de subsidiarité

est souvent considéré « comme une notion étrangère et un mode d’organisation des

compétences entre les différents pouvoirs autonomes existants à l’intérieur des Etats ».139

139 DELCAMP Alain, « Principe de subsidiarité et décentralisation », Revue française de droit constitutionnel, n°23, 1995, p.611.

57

Le principe de subsidiarité trouve son origine, non pas dans le droit constitutionnel d’un

quelconque État fédéral, mais dans le droit canon. La première véritable définition du principe

de subsidiarité est contenue dans une encyclique du pape Pie XI en 1931. Il y est énoncé qu’il

serait contraire à l’ordre social que « de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les

confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en

mesure de remplir eux-mêmes. L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est

d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire, ni de les absorber ».140 Le

principe de subsidiarité trouve une formulation très précise dans la doctrine sociale de

l’Eglise.

En droit français, avant 2003, l’unique référence au principe de subsidiarité dans les

écrits juridiques ou politiques est dans le rapport « Vivre ensemble », dit rapport Guichard, de

1976. Ce rapport définit la subsidiarité comme la recherche du « niveau adéquat d’exercice

des compétences, un niveau supérieur n’étant appelé que dans les cas où les niveaux

inférieurs ne peuvent pas exercer eux-mêmes les compétences correspondantes. L’État doit

ainsi déléguer aux collectivités tous les pouvoirs qu’elles sont en mesure d’exercer ».141 Il

faudra attendre cependant près de trente ans pour que le principe soit admis en droit positif

français. C’est ailleurs qu’il faut aller chercher une application du principe et le droit

communautaire offre ici un réceptacle propice. Dans le cadre du droit communautaire, il

existe des compétences concurrentes, qui appartiennent par principe aux Etats membres mais

dont la Communauté peut se saisir. Le principe de subsidiarité trouve alors un terrain propre à

s’appliquer.

Le traité de Maastricht en 1992 a introduit un article 3 B relatif au principe de

subsidiarité. Cet article dispose que « La Communauté agit dans les limites des compétences

qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité. Dans les

domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient,

conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action

envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent

donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au

niveau communautaire. L’action de la Communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour

140 PIE XI, Encyclique Rerum novarum – Quadragesimo Anno, 1931, cité par DELCAMP, Alain, op. cit., p614. 141 Ibid, p.619.

58

atteindre les objectifs du présent traité ».142 Le principe de subsidiarité est en droit

communautaire un outil de répartition des compétences concurrentes entre la Communauté et

les Etats membres. Cette subsidiarité fonctionne de façon ascendante. La Communauté n’est

amenée à intervenir que si, et seulement si, les Etats membres ne sont pas le niveau le mieux à

même de mettre en œuvre la politique en question.

Cette mise en œuvre du principe de subsidiarité par le droit communautaire illustre

l’origine étymologique latin du mot subsidiarité. Ce mot « provient du terme subsidium qui

signifie « renfort, ressource » et donne aujourd’hui le terme « subside » qui implique cette

idée de secours : obtenir un subside signifie obtenir une aide financière. D’autre part, il

provient d’un terme dérivé du premier, subsidiarius, signifiant « qui est en réserve » : dans

l’Antiquité romaine, les troupes subsidiaires étaient les troupes de réserve, celles que l’on

appelait en renfort lorsque nécessaire ».143 La Communauté Européenne, lorsqu’elle applique

le principe de subsidiarité, c’est dans cette logique de secours, de renfort. Elle n’intervient

qu’en renfort des Etats membres, si jamais ceux-ci ne sont pas capables d’atteindre

l’ensemble des objectifs fixés. Le principe de subsidiarité fonctionne de façon ascendante,

c'est-à-dire que par principe la compétence est attribuée aux Etats membres et ce n’est que par

dérogation, en application du principe de subsidiarité, que la Communauté peut intervenir.

La conception française du principe fonctionne sur une logique inverse, à savoir

descendante. En effet, par principe la compétence appartient à l’État central et ce n’est, que

par exception, que les collectivités territoriales peuvent se voir confier la compétence, si elles

peuvent mieux la mettre en œuvre. On retrouve cette logique en matière d’expérimentation

puisque c’est l’État qui décide du niveau de collectivité territoriale qui va expérimenter. C’est

au niveau central qu’est décidé, de façon descendante, quel sera le niveau de collectivité, le

plus proche des citoyens, le plus à même de prendre en charge cette compétence.

Sans être expressément nommé, le principe de subsidiarité gouverne l’action de

l’administration déconcentrée depuis la loi de 1992 relative à l’administration territoriale de la

République144. L’article 2 de cette loi dispose que « sont confiées aux administrations

centrales les seules missions qui présentent un caractère national ou dont l’exécution, en

vertu de la loi, ne peut être déléguée à un échelon territorial ». La subsidiarité vise dans ce 142 Désormais, article 5 du Traité instituant la communauté européenne, Journal Officiel, n°C 325 du 24 décembre 2002. 143 DEROSIER Jean-Philippe, « La dialectique centralisation/décentralisation. Recherches sur le caractère dynamique du principe de subsidiarité. », RIDC, n°1, 2007, p.125. 144 Loi d’orientation n°92-125 du 6 février 1992, relative à l’administration territoriale de la République, JORF, 8 février 1992, p.2064.

59

cas à répartir les compétences entre les autorités centrales et déconcentrées de l’État. Par

principe les compétences administratives de l’État appartiennent au niveau déconcentré et ce

n’est que par exception que les services centraux sont compétents. Cette exception est

strictement encadrée puisqu’elle n’intervient que pour les missions présentant « un caractère

national » ou si la loi l’a prévu. « L’exception est donc la compétence de l’administration

centrale et la règle la compétence des services déconcentrés ».145

L’apparition du principe de subsidiarité en droit constitutionnel français en 2003 n’est

pas neutre. Au même titre que l’expérimentation, le principe de subsidiarité s’inscrit dans la

logique post moderne. L’une des caractéristiques de la post-modernité juridique est de

modifier la perception de la règle de droit. Un auteur écrivait en 1995 à propos de l’idée de

constitutionnalisation du principe de subsidiarité qu’une « telle insertion doit être appréciée,

nous semble-t-il, à la lumière d’une évolution du droit qui perd ses caractéristiques de norme

générale, immuable et impersonnelle et s’adapter à l’évolution d’une société complexe et

parfois imprévisible ».146 L’inscription du principe de subsidiarité dans notre constitution

participe, tout comme l’expérimentation normative, à un mouvement d’ensemble de réforme

de l’État.

Le principe de subsidiarité n’a pas été pleinement constitutionnalisé, mais sa limite la

plus importante est qu’il est une notion difficilement saisissable par le juge.

B. Un principe difficilement justiciable

Le principe de subsidiarité tel qu’il a été constitutionnalisé comporte cependant une

importante limite. L’article 72, alinéa 2, fait en effet référence à la notion de « mieux ». Cette

notion n’a rien de juridique. Ce principe pourrait être un outil au service de la répartition des

compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Il ressemble plus finalement à une

notion politique, à une sorte de déclaration d’intention dépourvue de portée. D’ailleurs la

doctrine a largement relevé ce problème. « La subsidiarité ne doit pas uniquement acquérir

rang constitutionnel, mais elle doit également devenir un principe normatif (de rang

constitutionnel) ».147 Les collectivités territoriales n’ayant pas de moyen de saisir directement

le Conseil Constitutionnel, elles ne peuvent pas faire valoir devant le juge la pleine

application de ce principe. C’est entièrement sur l’appréciation du législateur que repose la 145 ROUQUETTE Rémi, « La loi d’orientation relative à l’administration territoriale de la République », LPA, n°143, 1992, p.12. 146 DELCAMP Alain, op. cit., p.623. 147 DEROSIER Jean-Philippe, op. cit., p.138.

60

mise en œuvre de ce principe. « C’est en cela qu’il peut être, à bon droit, relevé le caractère

subjectif et variable de la mise en œuvre du principe de subsidiarité ».148

La seule application du principe de subsidiarité par le Conseil Constitutionnel tend à

démontrer que celui-ci ne veut pas se faire juge de cette appréciation par le législateur. Dans

sa décision du 7 juillet 2005149, le Conseil Constitutionnel avait à connaître de la question de

zones départementales de développement de l’éolien. La loi déférée prévoyait que ces zones

étaient déterminées par les préfets de département. Les requérants ont estimé que cette

compétence attribuée au préfet méconnaissait le principe de libre administration des

collectivités territoriales et le principe de subsidiarité. Le Conseil Constitutionnel a dû

interpréter l’alinéa 2, de l’article 72 de la Constitution. Il a estimé « qu'il résulte de la

généralité des termes retenus par le constituant que le choix du législateur d'attribuer une

compétence à l'Etat plutôt qu'à une collectivité territoriale ne pourrait être remis en cause,

sur le fondement de cette disposition, que s'il était manifeste qu'eu égard à ses

caractéristiques et aux intérêts concernés, que cette compétence pouvait être mieux exercée

par une collectivité territoriale ».150 Le Conseil Constitutionnel reconnaît une large marge de

manœuvre au législateur dans l’application du principe de subsidiarité. Il ne sanctionnera que

s’il y a une erreur manifeste d’appréciation du législateur, ce qui n’était pas le cas dans la loi

qui était soumise à son contrôle en l’espèce. « Il faut admettre que le juge n’est certainement

pas « le mieux » placé – si l’on ose dire – pour apprécier un niveau pertinent de gestion

d’une compétence ».151 Cependant, le Conseil Constitutionnel a déjà attribué une valeur

normative à des dispositions constitutionnelles qui en étaient dépourvues à la base.152 Rien

n’empêche le Conseil de contrôler de façon plus approfondie un transfert de compétences à

l’aune du principe de subsidiarité. Dès lors, c’est la rédaction du principe de subsidiarité dans

notre Constitution qui est porteuse de cette précarité. « Sa signification incertaine laisse à

terme place à des interprétations imprévisibles du juge constitutionnel ».153

148 DENAJA Sébastien, op. cit., p.434. 149 Conseil Constitutionnel, n°2005-516DC du 7 juillet 2005, relative à la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, JORF, 14 juillet 2005, p.11589. 150 Idem 151 DENAJA Sébastien, op. cit., p.434. 152 C’est le cas pour l’article 88-1 de la Constitution qui avait été inséré en 1992 comme une déclaration politique réaffirmant l’attachement de la France aux Communautés. Le Conseil Constitutionnel y a découvert une obligation de transposition des directives communautaires : Conseil Constitutionnel, n°2004-505DC du 19 novembre 2004, relative au Traité établissant une Constitution pour l’Europe, JORF, 24 novembre 2004, p.19885. 153 FIALAIRE Jacques « Le droit à l’expérimentation des collectivités territoriales et la subsidiarité : : les apparence et « faux semblants » d’une prétendue territorialisation des normes », in Subsidiarité infranationale et

61

La subsidiarité revêt avant tout, semble-t-il, un caractère politique. Sa mise en œuvre

nécessite des mécanismes juridiques plus précis, parmi ceux-ci l’expérimentation.

§2. La concrétisation du principe de subsidiarité

L’effectivité du principe de subsidiarité passe nécessairement par la mise en œuvre

d’autres outils juridiques. L’expérimentation est l’un de ces outils. « Le recours à

l’expérimentation peut permettre de remédier aux faiblesses, principalement en terme de

« justiciabilité », du principe de subsidiarité ».154 Le droit à l’expérimentation permet de

compléter le principe de subsidiarité (A). Toutefois, cette complémentarité aurait pu être

encore plus développée (B).

A. Expérimentation et subsidiarité, des principes complémentaires

Pour trouver une application pleine et entière, le principe de subsidiarité nécessite

l’intervention d’autres instruments. L’expérimentation a été qualifiée de « corollaire »155 du

principe de subsidiarité. « La technique de l’expérimentation apparaît alors comme un

complément nécessaire à l’effectivité de l’objectif de subsidiarité ».156 L’expérimentation est

un moyen de donner corps au principe de subsidiarité. L’objectif de la subsidiarité est

d’accorder l’exercice d’une compétence à niveau de collectivité qui sera le plus à même de

l’exercer. Pour déterminer ce niveau de collectivité, il faut procéder à une évaluation de la

mise en œuvre de cette compétence par les collectivités territoriales. Le principe de

subsidiarité et l’expérimentation se rejoignent au travers du prisme de l’évaluation. « Le lien

entre expérimentation et subsidiarité apparaît alors clairement : l’évaluation expérimentale

est un relais nécessaire à l’objectif de subsidiarité ».157

En procédant à une expérimentation – notamment une expérimentation transfert – avant

de généraliser l’exercice de la compétence, l’État va pouvoir déterminer quel est le niveau de

collectivité le plus à même de se charger de cette compétence. L’expérimentation permet la

territorialisation des normes, état des lieux et perspectives en droit interne et en droit comparé, Dir. Jacques Fialaire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004, p.18. 154 DENAJA Sébastien, op. cit., p.438. 155 CLÉMENT Pascal, Rapport n°376, op. cit., p.89. 156 MILANO Laure, « La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, premier jalon de la réorganisation de l’État », RGCT, n°33, 2005, p.95. 157 Ibid, p.96.

62

mise en œuvre du principe de subsidiarité. L’expérimentation détermine le niveau de

collectivité locale qui peut le « mieux » mettre en œuvre la compétence. « La subsidiarité

expérimentale a donc comme hypothèse préalable de tester in vivo l’échelon le plus efficace

avant de légiférer globalement ».158 L’expérimentation, puisqu’elle sera généralisée ou

abandonnée, est une façon d’essayer qui de l’État ou d’un niveau donné de collectivité

territoriale est le niveau le plus approprié à l’exercice d’une compétence. L’expérimentation

permet de déterminer le « mieux ». Elle est un outil de mise en œuvre du principe de

subsidiarité. L’article 37-1 de la Constitution qui permet les expérimentations transferts se

révèle être un mécanisme d’activation de la subsidiarité. Il faut noter que la loi du 13 août

2004 relative aux libertés et responsabilités locales ne fait aucune référence au principe de

subsidiarité, alors même que sept domaines de transferts de compétences à titre expérimental

y sont inscrits. Cela traduit une certaine méconnaissance des politiques à l’égard de la notion.

Si le principe de subsidiarité a besoin de l’intervention de l’expérimentation pour

devenir un principe effectif, le droit à l’expérimentation comporte certaines limites. Dès lors,

l’expérimentation ne sublime pas totalement le principe de subsidiarité.

B. Une complémentarité inachevée

La mise en œuvre du principe de subsidiarité par l’expérimentation comporte également

une limite. L’expérimentation ne peut pas être conduite dans différents niveaux de

collectivités territoriales en même temps. « Les collectivités territoriales habilitées relèveront

de la même catégorie juridique. Il n’est pas envisageable de penser qu’une même

expérimentation pourrait être conduite, par exemple, dans un département et dans une

commune, puisque l’expérimentation est une dérogation à la loi régissant une compétence

donnée ».159 Il est indéniable que les compétences des collectivités locales sont aujourd’hui

largement enchevêtrées. Dès lors, dans un tel contexte, pour déterminer le niveau de

collectivité le plus à même d’assurer une compétence, il aurait été utile de prévoir la

possibilité d’expérimentations dans des cadres territoriaux différents. S’il est indéniable

qu’une telle possibilité compliquerait les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation,

cela conduirait réellement à déterminer quel est le niveau de collectivité le plus à même

d’assurer la compétence. Il y aurait une pleine application du principe de subsidiarité. Les

158 CHARENTENAY Simon (de), op. cit. 159 PIRON Michel, Rapport n°955, op . cit., p.27.

63

textes relatifs à l’expérimentation n’ont pas été aussi loin puisque c’est l’État qui détermine à

l’avance quel sera le niveau de collectivité qui participera à l’expérimentation. Il y a une

décision unilatérale préalable des services centraux qui décident quelle collectivité participera

à l’expérimentation. L’application du principe de subsidiarité est limitée, d’autant plus que le

juge constitutionnel ne sanctionnera qu’en cas d’erreur manifeste d’appréciation. Le principe

de subsidiarité apparaît alors ici non pas au service des collectivités territoriales mais

instrumentalisé par l’État.

Cependant de telles modalités d’organisation ont été prévues pour certains transferts de

compétences prévus par la loi du 13 août 2004, notamment dans le cas du transfert des

aérodromes civils appartenant à l’État. Cet exemple est d’autant plus intéressant qu’il

ressemble à une expérimentation – et à d’ailleurs été qualifié d’expérimentation par certains

auteurs – mais ne remplit pas l’ensemble des conditions pour en être réellement une. L’article

28 de la loi prévoit le transfert aux collectivités territoriales ou à leurs groupements des

aérodromes civils appartenant à l’État, se situant dans leur ressort géographique. Ce transfert

devait être définitif au plus tard le 1er janvier 2007. Cependant, la loi autorisait les

collectivités qui le souhaitaient à assurer la gestion de ces équipements avant la date du

transfert définitif, « à titre expérimental ». Si cette disposition autorise un transfert

expérimental de la compétence, il ne semble pas pour autant qu’elle puissent être réellement

qualifiée d’expérimentation, telle qu’elle a été définie précédemment. D’une part, cette

disposition ne prévoit pas d’évaluation de l’expérimentation et, d’autre part, la généralisation

définitive du dispositif est prévue d’avance dans la même loi. L’intérêt en matière de

subsidiarité est toutefois que l’État n’a pas prévu à l’avance le niveau de collectivité auquel

sera transféré la compétence, même si une priorité est accordée à la région. C’est un principe

de subsidiarité à la carte qui se met place. L’importance des aérodromes transférés peut varier

et chaque transfert est dans une situation différente. Dès lors, si dans un cas une commune ou

un établissement public de coopération intercommunale peut tout à fait gérer cette nouvelle

compétence, dans un autre cas, c’est peut-être la région ou le département qui serait le plus à

même de gérer cette infrastructure. Le principe de subsidiarité est ici appliqué de façon très

efficiente. Dans chaque cas particulier, c’est le niveau de collectivité territoriale le plus à

même d’exercer la compétence qui gérera l’aérodrome. Malgré la priorité de la région pour

ces transferts, sur les 150 aérodromes concernés par la disposition, seuls 19 ont été transférés

64

à des régions160. L’intérêt est que « la loi ne considère donc pas a priori une collectivité

territoriale comme pertinente pour l’exercice d’une compétence ».161 Le principe de

subsidiarité peut alors être pleinement effectif.

Rien n’empêche de prévoir des expérimentations, notamment des expérimentations

transferts, à destination de différents niveaux de collectivités territoriales. D’ailleurs, c’est ce

qui a été fait, mais de façon timide pour le transfert, à titre expérimental des crédits

d’entretien et de restauration des immeubles, orgues et objets mobiliers classés n’appartenant

pas à l’État (art. 99 de la loi du 13 août 2004). Cette expérimentation concernait les régions,

ou à défaut les départements. Il y a deux niveaux de collectivité différents qui peuvent

participer à l’expérimentation. Le principe de subsidiarité est alors réellement mis en œuvre.

Ces éléments du patrimoine culturel, en fonction de leur taille mais aussi de leur situation

géographique ou de leur intérêt, peuvent être gérés par des niveaux de collectivités

différentes. L’expérimentation transfert est un moyen juridique de mettre en œuvre le principe

de subsidiarité dans ce cas.

Si différentes collectivités proposaient de gérer cette compétence, la loi a prévu, en

matière d’aérodrome comme en matière de patrimoine culturel, l’intervention du préfet.

Celui-ci doit organiser une concertation entre les collectivités candidates afin de déterminer

laquelle exercera la compétence. Une concurrence se créée entre les collectivités durant cette

concertation, avec comme objectif de déterminer le niveau le plus à même de recevoir le

transfert de la compétence. Les collectivités candidates exposent leurs arguments démontrant

qu’elles sont l’échelon le plus adapté à l’exercice de la compétence. Cet arbitrage par le préfet

est le moyen de déterminer le niveau de collectivité le plus compétent. C’est donc un moyen

de mettre en œuvre le principe de subsidiarité.

Subsidiarité et expérimentation sont donc deux notions complémentaires. Leur

inscription dans deux alinéas successifs d’un même article de la Constitution plaide en ce

sens. La conciliation entre ces deux principes constitutionnels ne pose pas de difficultés. Il

n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de confronter l’expérimentation au principe

constitutionnel d’égalité.

160 Ces chiffres proviennent de : MAMONTOFF Catherine, « Le transfert de compétences en matière aéroportuaire », AJDA, 2007, p.2078. 161 MARCOU Gérard, « Le bilan en demi-teinte de l’Acte II. Décentraliser plus ou décentraliser mieux ? » op. cit., p.305.

65

Section 2. La mise en cause apparente du principe d’égalité

L’expérimentation entre en confrontation directe avec le principe constitutionnel

d’égalité. C’est un principe très important. Il a une longue histoire, puisque son fondement est

à chercher dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cette histoire a

marqué ce principe « à tel point qu’il apparaît aujourd’hui comme un dogme

incontournable ».162 Il est très fréquent que les saisines du juge constitutionnel ou du juge

administratif invoquent ce principe. L’égalité « constitue ainsi un principe transversal qui

gouverne toute l’action publique ».163

Les juges ont développé une importante jurisprudence relative au principe d’égalité.

Dépassant la lettre des textes constitutionnels, ils ont admis des atteintes au principe. Ces

atteintes sont strictement encadrées. Dès lors, le cadre juridique de l’expérimentation permet

de limiter l’atteinte à l’égalité. Si le juge a une vision souple du principe d’égalité, les

parlementaires ne la partagent pas. Les seules possibilités d’issue de l’expérimentation,

abandon ou généralisation, le prouvent. Cette alternative démontre l’attachement de nos

représentants à une égalité conçue formellement. Il est temps d’en finir avec le dogme, de

certains de nos élus, qui assimile égalité et uniformité. « À la complexité affectant

respectivement l’expérimentation et le principe d’égalité s’ajoute le caractère ambivalent des

relations que l’une et l’autre entretiennent ensemble ».164

L’expérimentation ne porte pas une atteinte aussi importante qu’on pourrait le croire au

principe d’égalité. Cette atteinte est limitée et justifiée (§1), ce qui permet au juge

constitutionnel de ne pas censurer l’expérimentation. Toutefois, les textes, constitutionnel et

organique, relatifs à l’expérimentation traduisent la persistance d’une conception formelle de

l’égalité (§2).

§1. Une atteinte limitée et justifiée au principe d’égalité

Le principe d’égalité est inscrit dans notre norme fondamentale en divers endroits. La

récurrence du terme d’égalité, et de ses subsides, dans le bloc de constitutionnalité conduit à

162 LONG Martine, « Faut-il maintenir le principe d’égalité ? », in Egalité et services publics territoriaux, Dir. Martine Long, Paris, LGDJ, 2005, p.13. 163 FAURE Bertrand, « Les relations paradoxale de l’expérimentation et du principe d’égalité », RFDA, 2004, p.1150. 164 DENAJA Sébastien, op. cit., p.466.

66

en faire l’un des principes centraux. L’article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du

citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous ». Cette conception de la loi,

héritée de la Révolution, a pendant longtemps été un obstacle à l’adoption de lois

expérimentales. Il a fallu une profonde mutation de la perception de la loi pour autoriser le

recours à l’expérimentation normative. « L’assimilation de la loi à l’intérêt général et la

correspondance de celui-ci à l’unité du peuple interdisaient que la loi ne fût pas d’application

universelle et immédiate ».165 La profonde mutation de l’État et de son droit, exposée

précédemment166, explique le passage d’une conception formelle à une conception réaliste du

principe d’égalité.

Si l’expérimentation porte une atteinte indéniable au principe d’égalité (A), cette

atteinte est admise à certaines conditions (B).

A. La remise en cause du principe d’égalité par l’expérimentation

L’expérimentation créée des disparités de droits applicables sur le territoire durant un

laps de temps défini. Elle est donc en contradiction avec le principe d’égalité. Durant

l’expérimentation, la loi ne sera pas la même pour tous puisque certaines collectivités sont

admises à déroger à la loi. « Toute procédure expérimentale ou dérogatoire pose par

définition un problème de compatibilité avec le principe d’égalité des citoyens devant la

loi ».167 Il existe « une profonde contrariété entre le principe d’égalité et la nature de la

démarche expérimentale en raison de ce qu’elle est essentiellement regardée comme un

procédé dérogatoire ».168 L’expérimentation et la principe d’égalité sont en contradiction

l’une avec l’autre. L’expérimentation suppose une rupture de l’égalité puisque deux droits

différents s’appliquent sur le territoire. Durant l’expérimentation, certaines collectivités

appliquent le droit commun, tandis que d’autres peuvent y apporter des dérogations. L’égalité

est remise en cause, tous les citoyens ne sont pas soumis au même droit.

L’expérimentation induit qu’une dérogation au principe d’égalité soit admise. Cette

dérogation est encadrée et admise par la jurisprudence, tant constitutionnelle169

165 Conseil d'État, Rapport Public 1996, « Sur le principe d’égalité », EDCE, 1996, p.51. 166 Cf. supra p.21. 167 Conseil d'État, Rapport public 1996, op. cit., p.51. 168 DENAJA Sébastien, op. cit., p.468. 169 V. par ex. Conseil Constitutionnel, n°79-107DC du 12 juillet 1979, loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales, JORF, 13 juillet 1979.

67

qu’administrative.170 Le travail des juges est central. La constitutionnalisation du droit à

l’expérimentation en a fait un droit de même rang que le principe d’égalité. Le juge doit

concilier ces deux dispositions qui apparaissent antinomiques mais qui sont contenues dans le

même texte. Le juge a pour cela développé une conception souple du principe d’égalité, qui

lui permet d’y apporter des dérogations.

Le juge ne s’en tient pas à une lecture formelle du principe d’égalité. Il existe des

différences de situations qui peuvent conduire à des discriminations si elles sont traitées de la

même façon. Il est donc possible, pour le législateur et l’administration, de traiter de façon

différente des citoyens qui sont dans des situations différentes. « Si le principe d'égalité

devant la loi implique qu'à situations semblables il soit fait application de solutions

semblables, il n'en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l'objet de

solutions différentes ».171 Le juge a dégagé une conception réaliste du principe d’égalité. La

vision purement égalitariste qui prévalait sous la Révolution a été abandonnée. En effet,

l’objectif des révolutionnaires de 1789 était d’abolir le système d’ordres et les privilèges qui

l’accompagnait. Dès lors, la loi devait être la même pour tous et s’appliquer indifféremment à

tous les citoyens. Ce dogme révolutionnaire a traversé les époques et, aujourd’hui, « le sacro-

saint principe d’égalité est encore souvent conçu comme requérant une application uniforme

de la loi ».172 Le risque de cette conception est que la recherche d’une égalité formelle peut

conduire à créer des discriminations. C’est pourquoi le juge a développé une jurisprudence

plus souple sur le principe d’égalité. Le juge autorise des dérogations au principe d’égalité.

B. La justification des atteintes au principe d’égalité

Ces dérogations ne sont admises qu’à certaines conditions. La jurisprudence a mis à jour

deux cas de figure où il est possible de déroger au principe d’égalité : soit lorsque la

différenciation est commandée par l’intérêt général, soit lorsque les destinataires de la règle

sont dans une situation objectivement différente. L’expérimentation, pour pouvoir être

conciliée avec le principe d’égalité, doit rentrer dans l’un de ces deux cas de figure. L’atteinte

au principe d’égalité est admise, durant l’expérimentation, puisqu’elle répond à une nécessité

de l’intérêt général. L’objectif de l’expérimentation est de tester sur une petite échelle une

170 V. par ex. Conseil d'État, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, Rec.274. 171 Conseil Constitutionnel, n°79-107DC, op. cit. 172 MÉHAIGNERIE Pierre, op. cit., p.114.

68

nouvelle norme afin d’éprouver son efficacité avant de la généraliser. L’expérimentation est

un moyen d’adopter une règle générale qui sera la plus à même de répondre aux attentes

sociales. L’atteinte au principe d’égalité est justifiée par la recherche de l’efficacité grâce à

l’expérimentation. « La mise en place d’une expérience s’analyse ainsi comme l’objectif

d’intérêt général qui justifie que l’on puisse déroger à l’égalité abstraite au même titre que

n’importe quelle autre politique publique ».173 La constitutionnalisation du droit à

l’expérimentation est même un pas supplémentaire puisqu’elle fait basculer la charge de la

preuve. En effet, en principe l’État, s’il y a un contentieux, doit démontrer devant le juge qu’il

existe un motif d’intérêt général qui justifie la rupture de l’égalité. Désormais au contraire,

l’intérêt général de l’expérimentation est présupposé. « La constitutionnalisation de

l’expérimentation induit que celle-ci bénéficie d’une présomption de régularité par rapport

au principe d’égalité et qu’à ce titre l’expérimentation permet régulièrement de s’affranchir

de l’obligation de traiter de façon semblable des situations pourtant analogues ».174

L’atteinte au principe d’égalité par l’expérimentation est constitutionnelle. Lors de la

présentation du projet de loi constitutionnelle, le Conseil d'État avait émis un avis négatif. Il

aurait souhaité que les dispositions relatives à l’expérimentation indiquent expressément qu’il

y avait une dérogation au principe d’égalité.

Au niveau local, les décideurs ont compris cette nécessité de rompre l’égalité durant une

période déterminée pour expérimenter. Les autorités locales semblent être moins attachées à

une vision ferme du principe d’égalité. « On est là pour expérimenter quelque chose qui va

permettre d’améliorer le dispositif dans son ensemble, et c’est l’intérêt général qui va être

servi au bout du compte ».175 Cette rupture momentanée de l’égalité est même vécue comme

« une espèce de mal nécessaire ».176 Il ressort même de l’exemple héraultais que ce ne sont

pas les administrés qui sont le plus choqués par cette atteinte au principe d’égalité. Dans le

cadre de l’expérimentation relative au RSA, ce ne sont pas les bénéficiaires de cette aide qui

se sont sentis discriminés par rapport aux bénéficiaires du RMI. Ce sont, au contraire, les

travailleurs sociaux qui n’étaient pas toujours prêts à cette rupture d’égalité. Les

fonctionnaires, qu’ils soient nationaux ou territoriaux, restent très attachés au dogme de la loi

porteuse de l’égalité. Dans le cadre de l’expérimentation, ces administrateurs pouvaient être

173 FAURE Bertrand, « Les expérimentations et le principe d’égalité », in Egalité et services publics territoriaux, Dir. Martine Long, Paris LGDJ, 2005, p.44. 174 DENAJA Sébastien, op. cit., p.485-486. 175 Annexe : Entretien Mme Vaugelade p.139 176 Ibid, p.138.

69

amenés à rencontrer des personnes, dont les situations ne différaient que de peu, mais qui ne

bénéficiaient pas de la même aide. Ils pouvaient être décontenancés face à cela. Pour que le

recours à l’expérimentation soit une réussite, il faut nécessairement former le personnel

administratif qui participe au quotidien à cette expérimentation. Les administrateurs doivent

abandonner le dogme de l’égalité conçue formellement et admettre que la discrimination,

induite par l’expérimentation, sert l’intérêt général. L’une des conditions de la réussite de

l’expérimentation est la formation des acteurs, locaux et nationaux, afin de les habituer à ce

nouveau mode d’action publique. D’ailleurs, l’expérimentation a pour but de rechercher le

dispositif normatif qui soit le plus efficace possible lors de sa généralisation.

L’expérimentation, même si elle ouvre un brèche temporaire dans le principe d’égalité, est au

service des citoyens. Le bénéfice de l’expérimentation rejaillira sur les destinataires de la

norme, puisque la règle généralisée à la fin sera la plus efficace et la plus à même de restaurer

une véritable égalité entre les citoyens. « Au-delà des considérations tirées de l’intérêt

général, en tant que l’expérimentation est censée renforcer l’efficacité et la qualité du droit, il

est permis de considérer que, dans certains cas, le recours à l’expérimentation peut même

aller jusqu’à constituer un instrument de recherche d’une plus grande égalité entre les

citoyens ».177

L’atteinte au principe d’égalité est d’autant plus circonscrite lors de l’expérimentation

que celle-ci est limitée dans le temps. L’objectif de l’expérimentation n’est pas de créer un

droit à la différenciation permanant. L’expérimentation peut au maximum durer huit ans, à

savoir cinq ans sur une première expérimentation puis trois ans supplémentaires en cas de

prolongation ou de modification de l’expérimentation. L’expérimentation ne peut aller au-

delà de ce cadre temporel. « L’expérimentation dérogatoire n’est pas destinée à être

pérenne ».178 L’objectif de l’expérimentation est de tester une nouvelle réforme, elle précède

un changement. Au contraire, la différenciation consiste à créer un droit dérogatoire

permanant pour certaines collectivités territoriales ou au bénéfice de certains citoyens. La

différenciation créée une exception durable – traduite par l’adoption d’un statut particulier en

matière de collectivité territoriale – alors que l’expérimentation permet de tester sur un

échantillon sélectionné une nouvelle norme avant de la généraliser.

La rédaction de la loi organique relative à l’expérimentation, et notamment l’issue

177 DENAJA Sébastien, op. cit., p.486. 178 DRAGO Guillaume, « Le droit à l’expérimentation », in La République décentralisée, op. cit., p.82.

70

prévue pour l’expérimentation, porte cependant la marque d’une crainte. Il semble que les

Parlementaires ont été effrayés par une remise en cause profonde du principe d’égalité.

Rejailli alors de façon éclatante une conception formelle de l’égalité. « En somme, la

consécration constitutionnelle de l’expérimentation ainsi que les lois qui l’ont accompagnée

ont marqué le passage d’une jurisprudence conciliante avec un principe d’égalité

relativement souple, vers une égalité qui renoue avec la conception très formelle de la

règle ».179

§2. L’attachement critiquable à l’égalité formelle

L’expérimentation doit nécessairement aboutir au retour de l’application d’une même

règle sur tout le territoire. L’expérimentation n’ouvre nullement un droit à la différenciation

entre collectivités locales. Le principe d’égalité demeure un point de mire qu’il faut atteindre.

L’issue de l’expérimentation suppose une application uniforme de la règle de droit (A). Le

problème est que « égalité ne veut pas dire uniformité ».180 Le constituant et le législateur

organique disposaient de moyen d’accorder une certaine diversité, sans pour autant remettre

en cause radicalement le principe d’égalité (B).

A. Le nécessaire retour à l’égalité

L’article LO 1113-6 du Code général des collectivités territoriales prévoit, en dehors du

cas de la prolongation, une unique alternative comme issue de l’expérimentation. La mesure

doit nécessairement être généralisée ou abandonnée. L’expérimentation suppose dès le départ

le retour à une même règle applicable sur tout le territoire. « Il est impératif d’unifier le droit

après expérience, soit en généralisant la norme expérimentale, soit en l’abandonnant pour

maintenir la norme ancienne ».181 C'est-à-dire que l’expérimentation ne conduit pas à un droit

à la différenciation, mais demeure un outil juridique au service de la réforme de l’État. « Il

s’agit désormais moins de retranscrire dans le droit les disparités locales que d’utiliser les

collectivités au perfectionnement de la législation générale ».182 Cela renvoie à la réflexion

179 CHARENTENAY Simon (de), op.cit. 180 MÉHAIGNERIE Pierre, op. cit., p.114. 181 FAURE Bertrand, « Les relations paradoxales de l’expérimentation et du principe d’égalité », op. cit., p.1153. 182 FAURE Bertrand, « Les expérimentations et le principe d’égalité », in Egalité et services publics territoriaux, op. cit., p.45.

71

sur l’objectif du recours à l’expérimentation183. Est-ce que l’État cherche vraiment à

promouvoir les collectivités territoriales comme un lieu d’innovation ou est-ce que l’État ne

se sert pas des collectivités locales dans son propre intérêt ?

Le problème de cette alternative, généralisation ou abandon, c’est qu’elle s’intéresse

moins aux conditions de possibilité d’une norme qu’à son application de manière identique

sur tout le territoire. En effet, une règle expérimentale, qui est efficace dans une collectivité

locale donnée, n’est pas forcément la réponse adaptée pour l’ensemble du territoire de la

République. Le statut juridique de l’expérimentation ne tient pas compte de cette possibilité.

L’expérimentation ne doit rester qu’une parenthèse et le retour à la même norme applicable

sur l’ensemble du territoire le principe. Alors que des solutions identiques peuvent avoir des

effets différents en fonction des collectivités territoriales où elles sont appliquées,

l’expérimentation normative ne peut nullement conduire à une territorialisation du droit.

« Qu’à l’issue de l’expérience des résultats contrastés se révèlent et il sera impossible de s’en

prévaloir pour adopter des mesures différenciées ». 184 L’expérimentation demeure une

méthode de test d’une nouvelle norme et n’ouvre pas le droit à une différenciation.

Il semble que cet attachement à une vision formelle du principe d’égalité est le fait de

nos représentants. En effet, juridiquement rien ne s’opposait à ce que des différences puissent

être faites entre collectivités locales à l’issue de l’expérimentation. Les parlementaires ont

craint un éclatement des règles juridiques applicables sur le territoire. Ils ont eu peur de la

création d’un patchwork de droits en vigueur. « Le risque contre lequel les parlementaires

entendaient se prémunir était celui de l’éclatement de la règle au niveau territorial ».185

Derrière cet attachement au principe d’égalité, c’est la volonté de protéger l’indivisibilité de la

République qui se fait jour.

Le principe d’indivisibilité de la République, rappelé à l’article 1er de la Constitution,

peut se décomposer en trois éléments : l’indivisibilité de la souveraineté, l’indivisibilité du

territoire et l’indivisibilité du peuple. Si l’indivisibilité de la souveraineté, dans son aspect

souveraineté interne, suppose que le pouvoir d’adoption des lois soit centralisé, rien dans le

principe d’indivisibilité de la République n’interdit que des dispositions différentes

s’appliquent pour un même niveau de collectivité locale. D’ailleurs, certains territoires de la

République appliquent des normes différentes, sans que l’indivisibilité de la République soit 183 Cf. supra p.32 et s. 184 FAURE Bertrand, « Les expérimentations et le principe d’égalité », in Egalité et services publics territoriaux, op. cit., p.45. 185 Ibid, p.46.

72

remise en cause et sans que le principe d’égalité ne soit violé. C’est, par exemple, le cas de

l’Alsace et de la Moselle qui ne connaissent pas la séparation de l’Eglise et de l’État puisque

la loi de 1905 ne s’y applique pas186. C’est aussi le cas dans la région Île-de-France où un

régime spécifique de péréquation entre les collectivités a été mis en place187. C’est enfin le cas

de la Corse, qui en plus d’être une collectivité à statut particulier, bénéficie de certaines

dérogations, notamment en matière de droit de succession188. Il existe déjà de nombreux

régimes juridiques spécifiques ou dérogatoires sur l’ensemble du territoire de la République.

Ni les élus, ni la jurisprudence n’ont jusqu’ici remis en cause ces statuts. Dès lors, il est

étrange que, dans le cadre de l’expérimentation, les parlementaires aient voulu à ce point

protéger le principe d’égalité. « Ce que les réformateurs ont pu ressentir comme une atteinte

au principe d’égalité ne procède finalement que de l’attachement à une manifestation

formelle de ce principe ».189

L’égalité est certes un principe constitutionnel central de notre système, mais

l’expérimentation n’aurait pas dû se conjuguer avec un principe conçu formellement.

B. Des alternatives inexplorées

Tous les représentants ne sont pas autant attachés au principe d’égalité, et même

certains, tel Pierre Méhaignerie190, sont prêts à aller plus loin dans la voie de

l’expérimentation et de la différenciation. Celui-ci aurait « souhaité que la réforme aille plus

loin, et qu’une expérimentation, si elle a fait ses preuves dans un territoire donné, ne soit pas

obligatoirement généralisée mais puisse s’adapter à la spécificité du cadre territorial ».191 Il

paraît compliqué d’abandonner une expérimentation, alors même que, dans certaines

collectivités les résultats seraient positifs. Une expérimentation peut très bien se révéler avoir

été efficace sur un échantillon donné mais ne pas pouvoir être généralisée. Dans un tel cas,

186 V. par ex. : BERGUIN Francis, « De la porté du droit local alsacien et mosellan sur le service public de l’éducation nationale », AJFP, n°6, 2001, p.9-18. 187 V. par ex. : QUEROL Francis, « La solidarité financière entre collectivités territoriales, la nouvelle donne », JCP-G, n°3, 1993, p.33-38 ; ou plus récemment « Fonds de solidarité entre les communes de la région Île-de-France », Revue Lamy des collectivités territoriales, n°24, 2007, p.15. 188 V. par ex. : « Le régime discriminatoire en matière de successions entre la Corse et le continent n’est pas contraire au principe constitutionnel d’égalité », Droit Fiscal, n°47, 2006, p.2023-2024. 189 FAURE Bertrand, « Les relations paradoxales de l’expérimentation et du principe d’égalité », op. cit., p.1154. 190 Avant la révision de 2003, Pierre Méhaignerie avait déjà déposé une proposition de loi constitutionnelle reconnaissant un droit à l’expérimentation pour les collectivités locales, Assemblée nationale, proposition n°2278, 24 mars 2000. 191 MÉHAIGNERIE Pierre, op. cit., p.114.

73

l’abandon de l’expérimentation et le retour à l’application de la norme ancienne serait

assurément mal vécu par la collectivité en cause. Le constituant et le législateur disposent de

certains outils qui permettent de ne pas faire fi de ces spécificités locales, tout en maintenant

le principe d’indivisibilité de la République.

Deux possibilités s’offrent au législateur pour tenir compte de ces différences entre

collectivités locales : soit accorder la compétence au pouvoir réglementaire local, soit créer

une collectivité à statut particulier.

Le premier cas apparaît comme le plus simple. Il s’agirait pour le législateur de donner

la compétence de mise en œuvre des dispositions en cause au pouvoir réglementaire local. Ce

pouvoir réglementaire existe et est reconnu par la jurisprudence depuis longtemps, il a même

été constitutionnalisé lors de la révision de 2003, à l’article 72, alinéa 3, de la Constitution.

Dans un tel système, les collectivités territoriales qui auront expérimenté pourront continuer à

appliquer les normes adoptées durant l’expérimentation mais de façon pérenne. Les autres

collectivités territoriales auraient, quant à elles, le choix de continuer d’appliquer la loi telle

qu’auparavant, d’adopter les mesures expérimentées ou encore de développer leurs propres

solutions. Le recours au pouvoir réglementaire local a un double avantage. D’une part,

l’atteinte au principe d’égalité et à l’indivisibilité de la République demeure limitée. La loi

reste la source unique et centralisée de la norme, tandis que les collectivités territoriales

n’interviennent que pour sa mise en œuvre. D’autre part, le recours au pouvoir réglementaire

local constitue un moyen de développer l’autonomie des collectivités territoriales. Il s’agit de

donner un plein effet aux dispositions de l’article 72, alinéa 3.

La seconde possibilité d’issue différenciée de l’expérimentation est le recours à des

statuts particuliers. L’article 72, alinéa 1er, autorise la loi à créer des collectivités avec de tels

statuts. L’objectif d’une telle mesure serait de faire des collectivités expérimentatrices, où

l’expérimentation a réussi, des collectivités à statut particulier. Ce statut, dérogatoire au droit

commun, autoriserait la collectivité en question à gérer de façon définitive la compétence qui

avait été expérimentée. C’est la situation spécifique de cette collectivité vis-à-vis de cette

compétence qui serait le fondement de la création d’une collectivité à statut particulier. Rien

n’interdit au législateur, pas même la Constitution, de créer une nouvelle catégorie de

collectivité « même ne comprenant qu’une unité ».192 Cette seconde méthode est cependant

plus risquée. C’est ici que réside le véritable danger d’un patchwork institutionnel. Il y a le

192 Conseil Constitutionnel, n°91-290DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, JORF, 14 mai 1991, p.6350.

74

risque de créer des collectivités à statut particulier pour l’exercice d’une ou deux compétences

seulement. Ces collectivités bénéficieraient alors d’un statut dérogatoire, alors même que

leurs compétences ne varieraient que très peu par rapport aux autres collectivités de même

niveau. De plus, l’organisation institutionnelle resterait la même dans ces collectivités à statut

particulier. Loin de faciliter la lecture de notre grille administrative, un tel système

participerait au contraire à l’éclatement de notre paysage institutionnel. La remise en cause du

mille feuilles administratif étant à l’ordre du jour, il semble que la création de collectivités à

statut particulier, suite à une expérimentation, ne soit pas la meilleure solution à retenir.

Il existe des solutions pour sortir de la seule alternative, généralisation ou abandon de

l’expérimentation, mais le constituant et le législateur organique n’ont pas admis de telles

solutions. Ils sont restés attachés au « mythe fondateur »193 de l’égalité. Sans aller jusqu’à une

véritable territorialisation du droit, notamment en adoptant des statuts particuliers,

l’expérimentation aurait pu être un outil de promotion de l’autonomie locale et du pouvoir

réglementaire local. Au lieu de cela, l’expérimentation est restée un outil au service de l’État.

L’expérimentation normative illustre l’évolution de la production normative. Une

nouvelle conception de la règle de droit fait son apparition. Reste à savoir si les effets de cette

méthode ont été ceux attendus.

193 LONG Martine, « Faut-il maintenir le principe d’égalité ? », in Egalité et services publics territoriaux, op. cit., p.15.

75

PARTIE II.

LES EFFETS DE LA MISE EN ŒUVRE DE

L’EXPÉRIMENTATION

76

L’objectif de l’expérimentation est de tester à une petite échelle une norme, puis de

procéder à l’évaluation de ce test, pour décider ensuite de la généralisation ou de l’abandon du

dispositif. Les effets attendus de l’expérimentation sont donc clairs, une amélioration de la

norme.

L’expérimentation normative, transposition d’une méthode issue des sciences dures

aux sciences sociales, et plus particulièrement au droit, est soumise à un risque : la

subjectivité de l’évaluateur. L’expérimentation dans les sciences dures répond à des

protocoles précis et détaillés. L’expérimentateur, entièrement soumis au doute, doit mettre de

côté les idées préconçues qu’il peut avoir sur son expérimentation pour en évaluer de la façon

la plus objective possible les résultats. Au contraire, en matière de sciences sociales beaucoup

d’éléments de l’expérimentation sont soumis à la subjectivité de l’expérimentateur, le

Législateur ou le Gouvernement dans le cadre de l’expérimentation normative. Ainsi, le choix

de l’échantillon participant à l’expérimentation et son évaluation sont confrontés à la liberté

de l’expérimentateur. Ce risque, que l’expérimentateur laisse une trop grande place à sa

propre subjectivité dans l’expérimentation, doit être pris en compte. Il faut relativiser le

caractère scientifique du recours à l’expérimentation dans l’activité normative. L’objectif

n’est pas de considérer l’expérimentation normative comme inutile ou comme une méthode à

laquelle il ne faudrait pas recourir. L’objectif est de reconsidérer l’expérimentation normative.

En effet, les exemples d’expérimentations menés depuis 2003 invitent à la prudence. Dans un

certain nombre de cas, l’expérimentation semble être conduite non pas dans un objectif

d’amélioration de la norme, mais elle sert, alors, la communication du Gouvernement.

D’ailleurs les exemples étrangers abondent en ce sens.

Autre effet induit par l’expérimentation, comme par toute activité juridique, le risque

d’un contentieux. L’expérimentation normative peut aboutir à la naissance de différents

contentieux, tout d’abord devant le juge constitutionnel et ensuite devant le juge administratif.

Force est de constater que les textes constitutionnels et organiques relatifs à l’expérimentation

n’ont pas précisés de façon détaillée le contenu des contrôles opérés par ces juges. De plus, en

l’absence d’un contentieux qui serait abondant sur cette question, les contentieux produits par

l’expérimentation ne peuvent faire l’objet, pour l’instant, que d’observations prospectives.

Les Sages de la rue Montpensier n’ont connu qu’une seule fois des dispositions portant

77

expérimentation. Le contrôle qu’ils ont alors effectué n’était pas une totale nouveauté mais

certains éléments semblent avoir été ignorés. Le contentieux administratif que produira

l’expérimentation, notamment à l’égard des actes dérogatoires adoptés par les collectivités

locales, peut cependant être rapproché de certains éléments déjà connus de la jurisprudence du

Conseil d'État. Les actes dérogatoires ont pour caractéristiques de découpler le contenu de la

forme de l’acte. Dès lors, le juge administratif devra nécessairement adapter son contrôle à

ces actes hybrides.

Parmi les effets attendus de l’expérimentation, l’amélioration de la norme reste un

objectif douteux (Chapitre 1). Parmi les effets secondaires de toute activité juridique, le risque

de contentieux relatif à l’expérimentation est important (Chapitre 2).

78

Chapitre 1. Une efficacité incertaine

L’expérimentation juridique est inspirée de l’expérimentation dans les sciences

qualifiées de dures, telles que la médecine ou encore la physique. Présentée à la fin du XIXè

siècle, la théorisation de la méthode expérimentale par Claude Bernard a clairement exposé

les principes constitutifs de la médecine expérimentale. Trois étapes se dégagent dans la

méthode expérimentale. Tout d’abord, l’expérimentateur doit formuler une hypothèse. Il doit

ensuite tester cette hypothèse sur un échantillon. Enfin, il doit analyser les résultats, afin de

confirmer ou d’infirmer son hypothèse de départ.

Ces différentes étapes de la méthode expérimentale ont été transposées aux sciences

sociales, et notamment au droit. Tout comme le médecin, l’expérimentateur en matière

juridique doit formuler une hypothèse, qui sera contenue dans le texte prévoyant

l’expérimentation. Il doit ensuite tester cette hypothèse sur un échantillon déterminé. Enfin, il

doit évaluer son expérimentation afin d’en tirer des conclusions sur la généralisation ou non

du dispositif. « Ainsi, nous retrouvons bien dans l’utilisation des lois expérimentales, les trois

phases du processus expérimental tel qu’il est usité dans les sciences de la nature : la

construction d’une hypothèse à partir de l’observation des faits, celle-ci étant constituée de la

situation de fait observée et d’une proposition de solution ; la vérification de cette hypothèse

par l’introduction d’une variable dépendante et, enfin, l’analyse des résultats issus de

l’expérimentation ».194 Cependant l’expérimentation normative rencontre deux écueils que

l’expérimentation scientifique, elle, semble pouvoir éviter. Il s’agit d’un défaut de

systématicité des résultats et d’un important risque de subjectivité de l’expérimentateur. « La

question se pose de l’échantillon nécessaire à une évaluation pertinente ».195

Il convient dès lors d’étudier le fait que l’expérimentation normative connaît des

difficultés pour déterminer le juste échantillon pour son test (Section 1) et que son évaluation

est soumise à un important risque de subjectivité (Section 2).

194 PERROCHEAU Vanessa, « L’expérimentation, un nouveau mode de création législative », Revue française des affaires sociales, 2000, n°1, p.13. 195 LONG Martine, « Revenu de solidarité active : l’expérimentation », op. cit., p.1239.

79

Section 1. La difficulté pour déterminer un juste échantillon

L’expérimentation suppose qu’un échantillon soit déterminé. C’est sur cet échantillon

que sera testée la norme expérimentale et à partir duquel sera évaluée l’expérimentation afin

de procéder, ou non, à sa généralisation. L’échantillonnage implique que l’État fasse un

choix, c'est-à-dire qu’il doit désigner, dans le niveau de collectivité territoriale admis à

expérimenter, qui seront les collectivités expérimentatrices. La participation des collectivités à

l’expérimentation étant basée sur le volontariat de celles-ci, deux logiques contradictoires

s’affrontent, d’une part, l’exigence de limiter dans l’espace le test et, d’autre part, la

contrainte d’autoriser les collectivités candidates à expérimenter. C’est un difficile et délicat

équilibre que l’État doit ici trouver entre ces deux exigences.

Si l’échantillonnage est nécessaire dans la méthode expérimentale (§1), sa mise en

œuvre dans l’expérimentation normative est source de difficultés (§2).

§1. Nécessité et limite de l’échantillonnage

La notion même d’expérimentation suppose qu’un échantillon soit déterminé. C’est

sur un échantillon, et uniquement sur lui, que l’expérimentateur pourra tester son hypothèse.

Dans le cadre de l’expérimentation normative, cet échantillon correspond à une zone

géographique délimitée : une collectivité territoriale (A). Cet échantillon peut aussi

correspondre à un groupe de population spécifique ou à une catégorie d’usagers. Toutefois, en

l’absence d’expérimentation portant sur ce type d’échantillon, cette question ne sera pas

abordée. En matière de sciences sociales, l’expérimentateur n’a aucun contrôle sur un certain

nombre de facteurs qui peuvent remettre en cause la « scientificité » de la méthode (B).

A. L’échantillon géographique : la collectivité territoriale

L’expérimentation normative est inspirée par les sciences dures. Elle fonctionne sur un

schéma assez simple. L’expérimentateur doit déterminer un échantillon sur lequel il intervient

pour tester son hypothèse de départ. L’analyse des résultats obtenus sur l’échantillon permet

de vérifier cette hypothèse. Différents échantillons peuvent même être déterminés afin de

tester différentes hypothèses. Il est toutefois nécessaire de toujours conserver un échantillon

témoin ou échantillon neutre, c'est-à-dire un échantillon sur lequel l’expérimentateur n’agira

80

pas. L’objectif de cet échantillonnage est de pouvoir comparer les résultats obtenus. À travers

l’échantillonnage, l’expérimentation permet de déterminer si une nouvelle règle est efficace.

Le résultat de l’expérience sur l’échantillon permet de déterminer si la norme peut être

généralisée.

L’échantillon, pour l’expérimentation normative, est constitué par les collectivités

territoriales qui participent à l’expérimentation. La procédure même de l’expérimentation

induit cet échantillonnage, seules certaines collectivités doivent être autorisées à participer à

l’expérimentation. Cet échantillon de collectivités, admises à participer à l’expérimentation,

doit être déterminé soit par le Législateur, soit par le Gouvernement selon qu’il s’agit d’une

expérimentation législative ou d’une expérimentation réglementaire. L’article LO1113-1 du

CGCT dispose que « la loi précise également la nature juridique et les caractéristiques des

collectivités territoriales autorisées à participer à l’expérimentation ». C’est en déterminant

ces « caractéristiques » que l’État influe sur le nombre de collectivités territoriales qui

constitueront l’échantillon. Plus les caractéristiques déterminées dans le texte ouvrant

l’expérimentation seront précises et détaillées plus le nombre de collectivités candidates sera

restreint. Il faut alors veiller à déterminer un échantillon qui soit suffisamment représentatif et

qui permette de réellement prendre en compte les résultats de l’expérience. Le risque est que

l’expérimentateur développe une certaine subjectivité dans le choix de ces critères de

sélection. Des considérations personnelles de l’expérimentateur peuvent interférer dans la

détermination des caractéristiques des collectivités expérimentatrices. « Les préférences

territoriales ne peuvent manquer d’être influencées par des considérations tout à fait

subjectives et pour tout dire rigoureusement personnelles ».196 Ce risque ne semble pas

pouvoir être évité. Il ne condamne pas l’expérimentation, mais il appelle à une certaine

vigilance. Le caractère scientifique de l’expérimentation normative doit être relativisé.

Si l’État procède à une expérimentation sur l’ensemble du territoire, l’intérêt de la

méthode est moindre. « Par sa nature même, l’expérimentation concerne une zone

géographique définie ou une matière délimitée. En fait, elle correspond à la conjonction d’un

espace et d’une matière car elle est, par définition, partielle ».197 Il faut souligner la double

dimension des collectivités expérimentatrices. Celles-ci subissent l’expérimentation en même 196 BOULOUIS Jean, « Note sur l’utilisation de la « méthode expérimentale » en matière de réformes », in Mélanges offerts à Monsieur le doyen Louis Trotabas, op. cit., p.33. 197 DRAGO Rolland, « Le droit de l’expérimentation », in L’avenir du droit, Mélanges François Terré, Paris, Dalloz, 1999, p.231.

81

temps qu’elles agissent dessus. D’une part, les collectivités territoriales sont les cobayes de

l’expérimentation, puisque celle-ci se déroule sur leur territoire et ce sont les réactions de ces

collectivités face à la nouvelle norme qui seront analysées. D’autre part, les collectivités

territoriales sont aussi les expérimentateurs puisqu’elles vont prendre des mesures qui leur

seront propres pour vérifier leur efficacité, notamment dans le cadre de l’expérimentation

dérogation. Il existe une certaine « confusion […] entre les notions d’expérimentateur et

d’échantillon [qui] trouve une explication dans la nature même de l’échantillon ou du cobaye

en droit ».198 Dans le cadre de l’expérimentation normative, le cobaye ne fait pas que subir

l’expérience. Le cobaye ne reste pas passif face à l’expérimentation, au contraire, il y prend

part et y participe, devenant alors lui-même l’expérimentateur.

L’objectif de l’expérimentation est de tester une nouvelle norme avant de procéder à

sa généralisation. L’expérimentation a pour but d’éprouver l’efficacité d’une règle de droit.

Pour déterminer l’efficacité de la norme, il est nécessaire de l’appliquer dans un cadre

géographique réduit et non sur tout le territoire. En effet, si une réforme est immédiatement

appliquée partout, on pourra constater ses effets mais on ne pourra pas déterminer si elle est

une solution plus efficace par rapport à une autre, ou si elle est meilleure que la solution

précédente. Au contraire en testant seulement sur un échantillon donné, l’expérimentation

permet de comparer les résultats obtenus en différents endroits du territoire.

L’échantillonnage s’avère donc une nécessité pour qu’une expérimentation soit qualifiée

comme telle. L’expérimentation normative s’inscrit dans la filiation de l’expérimentation

scientifique. « L’expérimentation relève du domaine de la recherche, du tâtonnement. Elle est

toute entière placée sous le signe du doute puisqu’il s’agit d’établir la véracité ou

l’inexactitude d’une hypothèse issue de l’observation en la soumettant à l’épreuve des

faits ».199 La difficulté toutefois en matière d’expérimentation normative est de déterminer un

échantillon qui soit représentatif. L’objectif de l’expérimentation étant de tester une nouvelle

mesure avant de procéder à sa généralisation, il faut que les collectivités qui expérimentent

soit suffisamment représentatives de la diversité des situations du territoire national. La

détermination de l’échantillon fait alors entrer en jeu un nombre considérable de variables

humaines. Il faut prendre en compte la forte urbanisation ou au contraire le caractère rural des

collectivités expérimentatrices, il faut aussi prendre en compte la démographie de

l’échantillon. Toutes ces variables doivent être étudiées pour chaque collectivité candidate à

une expérimentation afin que l’échantillon soit le plus représentatif possible. Il existe autant

198 DENAJA Sébastien, op. cit., p.361. 199 PERROCHEAU Vanessa, op. cit., p.11.

82

d’échantillons possibles qu’il existe d’expérimentations. On ne peut pas prédéfinir de façon

abstraite l’échantillon. « Il peut en tout état de cause être affirmé que la représentativité de

l’échantillon expérimental doit être examinée au cas par cas et dépend de considérations,

somme toute, contingentes ».200

Dans le cadre de l’expérimentation relative au RSA, l’expérimentation induisait même

un double échantillonnage. En effet, à l’intérieur des départements admis à expérimenter,

ceux-ci pouvaient déterminer des cantons où l’expérimentation du RSA avait lieu et d’autres

où elle n’avait pas lieu. Ce système d’échantillonnage dans l’échantillon permet d’affiner

encore un peu plus les résultats de l’expérience. Au lieu de comparer les résultats de

l’expérimentation d’un département à l’autre, l’évaluation peut se faire en comparant des

territoires géographiquement et sociologiquement proches. L’objectif est de ne pas

expérimenter sur tout le département, mais sur des « territoires témoins, intéressants et

représentatifs ».201

À travers l’échantillonnage, l’expérimentation normative se présente comme une

méthode résolument scientifique. Toutefois dans la matière juridique, « il est impossible

d’atteindre la même rigueur scientifique compte tenu de l’objet de l’étude, les faits

sociaux ».202 L’expérimentateur et son expérience subissent des éléments extérieurs sur

lesquels ils n’ont aucune prise.

B. Des facteurs exogènes perturbateurs

L’expérimentation normative ne peut atteindre une parfaite rigueur scientifique,

puisque l’expérimentateur ne peut pas contrôler l’ensemble des éléments. Dans le cadre d’une

expérimentation scientifique, l’expérimentateur confiné dans son laboratoire peut intervenir à

sa guise et contrôler les facteurs externes à l’expérimentation. Dès lors qu’il aura maîtrisé ces

éléments et confirmé son hypothèse de départ, le scientifique pourra systématiser ses résultats.

Cette systématisation des résultats d’une expérience scientifique permet d’être, quasiment,

certain à l’avance des résultats d’une reproduction de l’expérience à plus grande échelle. Au

contraire pour l’expérimentation normative il existe des variables sur lesquelles

l’expérimentateur n’a aucune prise. « L’expérimentation normative ne peut pas en effet avoir

200 DENAJA Sébastien, op. cit., p.356. 201 Annexe : Entretien Mme Vaugelade p.136. 202 PERROCHEAU Vanessa, op. cit., p.13.

83

la même portée que l’expérimentation scientifique fondée sur des expériences reproductibles

indéfiniment, s’appuyant elles-mêmes sur des protocoles strictement définis et encadrés,

impliquant des conditions expérimentales parfaitement identiques écartant toute influence de

l’être humain ».203 L’expérimentation normative, en tant qu’elle est une science sociale, ne

peut prétendre au même degré d’exactitude.

Au-delà des différences qui existent d’un échantillon à l’autre, l’expérimentateur est

confronté à des facteurs humains, psychologiques et conjoncturels qui vont avoir des

incidences sur les résultats de l’expérimentation. Il est impossible de « rendre le champ

expérimental parfaitement étanche ou autonome ».204 Il est nécessaire que ces variables soient

prises en compte pour pondérer les résultats de l’expérimentation. L’association des citoyens

à l’expérimentation205, une mauvaise conjoncture économique ou une situation politiquement

instable sont autant de facteurs qui influencent sur la réussite de l’expérimentation.

L’expérimentateur n’a aucune prise sur ces facteurs, il ne peut ni les prévoir, ni les éviter et

encore moins les contrôler. L’analyse des résultats de l’expérimentation doit prendre en

compte ces variables afin d’essayer d’en déterminer l’incidence. La réussite de

l’expérimentation du RSA est peut-être en partie due à un contexte social, économique et

politique où la demande d’aide sociale se fait de plus en plus pressante.

Les sciences sociales, parmi lesquelles le droit, sont soumises à des facteurs exogènes

sur lesquels elles n’ont aucune emprise et qui les empêchent d’atteindre la même rationalité

que les sciences dures. « Il est assez connu que la plupart des sciences que l’on devrait bien

continuer d’appeler morales et politiques rencontrent dans l’expérimentation quelques graves

difficultés. Non seulement elles sont en général dans l’incapacité de disposer de ces

laboratoires faute desquels il n’y a pas de véritable science expérimentale mais elles se

heurtent en outre à la complexité des phénomènes qu’elles étudient, à leur mobilité, à leur

interdépendance dialectique qui rendent presque toujours approximative l’individualisation

de ces phénomènes et leur reconstruction provoquée, incertaine ».206

203 PISSALOUX Jean-Luc, op. cit., p.16. 204 BOULOUIS Jean, « Note sur l’utilisation de la « méthode expérimentale » en matière de réformes », in Mélanges offerts à Monsieur le doyen Louis Trotabas, op. cit., p.33. 205 D’ailleurs le doyen Boulouis soulignait à juste titre qu’une « expérience de ce genre ne réussit jamais mieux que lorsqu’elle est tentée dans un milieu déjà acquis à son principe et à l’essentiel de ses objectifs ». BOULOUIS Jean, « Note sur l’utilisation de la « méthode expérimentale » en matière de réformes », in Mélanges offerts à Monsieur le doyen Louis Trotabas, op. cit., p.33. 205 BOULOUIS Jean, « Note sur l’utilisation de la « méthode expérimentale » en matière de réformes », in Mélanges offerts à Monsieur le doyen Louis Trotabas, op. cit., p.33. 206 Ibid, p.32.

84

Les échantillons sont, de plus, très variables de l’un à l’autre, alors que dans les

sciences dures l’expérimentateur peut avoir recours à des échantillons parfaitement

identiques. En matière de sciences sociales au contraire, si l’échantillonnage se fait de façon à

ne sélectionner que des cobayes les plus ressemblants, on ne peut atteindre la même

représentativité que dans les sciences dures. Même si le principe d’égalité s’applique entre

collectivités territoriales, toutes ne sont pas égales à l’intérieur d’une même catégorie.

Certaines collectivités sont économiquement plus développées ou disposent de plus de

moyens humains. Ces facteurs ont une influence sur la réussite de l’expérimentation. Une

expérience menée dans une collectivité locale disposant de plus de moyens financiers,

matériels ou humains sera plus concluante que la même expérience menée dans une

collectivité moins bien dotée. « Il en est des collectivités comme des individus : il y a ceux qui

« font » et ceux qui « ne font pas ». La parabole des talents vaut pour les premières comme

pour les seconds ».207 De même, les politiques menées auparavant par la collectivité peuvent

influencer une expérimentation conduite dans un domaine similaire ou proche. En matière de

RSA, le succès de l’expérimentation tient aussi à la manière dont les départements géraient le

RMI auparavant. « Ça fait des années et des années qu’on travaille avec des entreprises,

qu’on les a aidées à se structurer, qu’on a aidé à avoir une plateforme qui les regroupe et

avoir un dialogue social et citoyen avec elles. Du coup, c’est un terroir ça. Donc quand une

loi arrive, forcément elle va être appliquée de façon différente ici [dans le Département de

l’Hérault] où on a déjà semé, d’un endroit où le Conseil Général s’est beaucoup plus orienté

sur une politique purement sociale et non pas d’insertion économique et qui n’a donc pas de

lien direct avec les entreprises ».208 L’expérience du Conseil Général de l’Hérault en matière

d’insertion a été un atout dans l’expérimentation du RSA. Tous les départements

expérimentateurs ne bénéficiaient pas forcément des mêmes relations avec le tissu socio-

économique. Ces différences de situation ont des incidences sur les résultats de

l’expérimentation. Il est nécessaire d’être conscient de ces différences afin d’en tenir compte

au moment de l’évaluation de l’expérimentation. « Il n’y a pas deux groupes, deux entités, par

exemple deux communes strictement identiques (par leur population, par leur histoire, leurs

atouts, etc.) : comment dès lors être certain – comme en science – qu’un résultat obtenu avec

telle collectivité locale sera obtenu avec telle autre ? ».209

207 PONTIER Jean-Marie, « Décentralisation et expérimentation », op. cit., p.1037. 208 Annexe : Entretien Mme Vaugelade p.139. 209 PISSALOUX Jean-Luc, op. cit., p.16.

85

L’intervention de ces facteurs exogènes et leurs incidences sur les résultats de

l’expérimentation doivent être prises en compte. Il est impossible d’ignorer cette nécessité de

pondérer les résultats. Ces éléments extérieurs qui influencent l’expérimentation ne peuvent

pas être contrôlés par l’expérimentateur. Celui-ci n’a aucun pouvoir sur eux. Il se doit alors

d’être conscient de leur existence et essayer de pondérer les résultats de son expérience en

fonction de l’importance qu’il estime devoir accorder à ces éléments. L’expérimentation

normative se trouve ici face à une limite qu’elle ne peut dépasser.

Il ne faut pas pour autant totalement remettre en cause le recours à la méthode

expérimentale en matière juridique. Il est simplement nécessaire de ne pas auréoler du sceau

de la science une norme juridique issue d’une expérimentation. Si la loi n’est plus

l’expression de la Raison, elle ne doit pas devenir l’objet d’une science exacte. La loi se doit

de ne pas être le fétiche d’un culte, encore moins d’un culte « scientifique ». Contrairement

aux sciences dures, les sciences sociales, et en particulier le droit, ne peuvent prétendre à

connaître des vérités absolues. Dès lors, l’expérimentation, malgré le fait qu’elle trouve son

origine dans les sciences dures, ne doit pas conférer une valeur absolue aux règles de droit qui

en sont issues. « L’expérimentation ne doit pas être utilisée comme un moyen de conférer un

« label scientifique » à une innovation ».210

Ces difficultés à trouver un juste équilibre dans l’échantillonnage de l’expérimentation

ne sont pas seulement des interrogations théoriques. Les expérimentations menées depuis la

révision constitutionnelle de 2003 montrent qu’il s’agit là d’une véritable difficulté.

§2. Une difficulté avérée dans les faits

La participation à l’expérimentation n’est pas obligatoire pour les collectivités

territoriales, elle se fait sur la base du volontariat. Dès lors, la réussite de l’expérimentation

dépend de l’intérêt que vont y porter les collectivités territoriales. L’échantillon de

collectivités sera plus ou moins important en fonction de la volonté des collectivités

territoriales de participer à l’expérimentation. Dans la loi du 13 août 2004 relative aux libertés

et responsabilités locales211 deux expérimentations illustrent cette difficulté. Il s’agit, d’une

part, de l’expérimentation relative à la décentralisation de la gestion des fonds structurels

210 PERROCHEAU Vanessa, op. cit., p.27. 211 Loi n°2004-809 du 13 août 2004, op. cit.

86

européens (art. 44) et, d’autre part, de l’expérimentation relative à la conception des schémas

régionaux de développement économique (art. 1er, §II) (A). L’exemple de l’expérimentation

relative au RSA est également intéressant dans le cadre de cette étude (B).

A. Des échantillonnages variés : l’exemple des expérimentations transferts

Les deux exemples d’expérimentations issues de la loi du 13 août 2004 illustrent deux

situations extrêmes et opposées. Dans le cadre de l’expérimentation sur la gestion des fonds

structurels européens, une seule région s’est portée candidate, et expérimente encore

aujourd’hui, l’Alsace. Au contraire, avant même la fin de l’expérimentation, toutes les régions

s’étaient dotées d’un schéma régional de développement économique.

Une expérimentation menée dans une seule collectivité territoriale peut-elle être

pertinente ? Il semble que la réponse doit être négative. D’ailleurs, le dispositif de gestion

décentralisé des fonds européens n’a pas été généralisé. Dans le cadre des nouveaux plans de

la politique économique Européenne pour la période 2007-2013, l’État français a de nouveau

proposé aux régions qui le souhaitaient de gérer à titre expérimental les fonds structurels. Il

faut cependant remarquer que cette proposition n’a eu aucun succès. La frilosité des

collectivités à s’engager dans cette expérimentation vient peut-être du fait que « l’État semble

encore le gestionnaire le plus impartial et le mieux à même d’assurer la cohérence

territoriale des politiques publiques ».212 Cet exemple pose toutefois la question de l’intérêt

de poursuivre une expérimentation menée dans une seule collectivité locale. Une

expérimentation menée dans une seule collectivité territoriale, même si elle est concluante, ne

peut pas être considérée comme garantissant une généralisation qui serait bénéfique. Si les

résultats sont probants dans la région Alsace, mais que l’État ne veut pas procéder à la

généralisation du dispositif, il serait plus intéressant pour cette région de se doter d’un statut

particulier lui donnant la compétence de principe pour la gestion des fonds structurels

européens. De plus, dans le cadre des fonds structurels européens, il s’agit de la gestion d’une

importante masse financière que les décideurs locaux ne sont peut-être pas les mieux à même

de gérer. « Juridiquement rien ne s’oppose désormais à cette généralisation. Elle serait même

plutôt encouragée afin de répondre à la demande de décentralisation. Politiquement est-elle

souhaitable ? La réponse doit être nuancée car les élus ne disposent peut-être pas toujours de

212 DEGRON Robin, « La décentralisation de la gestion des fonds structurels : une expérimentation au milieu du gué », AJDA, 2007, n°17, p.900.

87

l’indépendance suffisante pour résister aux pressions ».213 Au final, il semble que la mauvaise

gestion de l’échantillonnage dans cette expérimentation conduise aujourd’hui l’État dans une

impasse. La poursuite de l’expérimentation dans l’unique région d’Alsace montre bien la

difficulté qu’il y a à prendre une décision définitive face à une expérimentation dont

l’échantillonnage n’est pas représentatif. La poursuite de cette expérimentation dans une seule

région démontre aussi la difficulté, sur un plan politique, à revenir en arrière. La réversibilité

de l’expérimentation, si théoriquement elle est possible, semble compliquée dans les faits.

L’expérimentation relative à la conception des schémas régionaux de développement

économique par les régions elles-mêmes se trouve dans l’extrémité inverse. Toutes les régions

se sont dotées à titre expérimental d’un tel schéma. L’objectif de ce schéma, adopté par le

Conseil Régional, est de « coordonner les actions et de définir les orientations stratégiques en

matière de développement économique ».214 La réussite, quantitative de cette expérimentation,

est notamment due au fait qu’il s’agissait là d’une demande des collectivités locales. Les

régions voulaient pouvoir gérer par elles-mêmes les aides d’État aux entreprises. L’adoption

du schéma régional de développement est donc un moyen pour les régions d’affirmer leur

primauté en matière de développement économique. Toutes les régions se sont dotées d’un tel

schéma, alors même que l’expérimentation doit encore se poursuivre jusqu’au 31 décembre

2009. Mais peut-on alors parler d’une expérimentation si toutes les collectivités

expérimentent ? L’intérêt de l’expérimentation est nettement diminué dès lors qu’il n’y a pas

de comparaison possible entre divers échantillons. La situation est ici d’autant plus critiquable

que les schémas de développement économique permettent aux régions de gérer des aides

financières, accordées notamment aux entreprises. Ces aides peuvent entrer en contradiction

avec la législation communautaire. Dès lors, il semble qu’il aurait été plus opportun de limiter

à quelques régions le soin d’expérimenter ces schémas de développement économique afin de

limiter les risques d’atteinte au droit communautaire. « Il convient donc de tempérer le succès

en nombre de cette expérimentation par les spécificités des configurations locales, qui

peuvent donner à un même schéma des orientations et des conséquences très variables ».215

213 COLLIN Mathilde, « L’expérimentation de la gestion des fonds structurels par la région Alsace », RGCT, n°35, 2005, p.280. 214 SESTIER Jean-François, « Le renouveau législatif du développement économique », JCP-A, n°1, 2005, p.8. 215 GEST Alain, rapport n°3199, sur la mise en application de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, p.74.

88

B. La gestion critiquable de l’échantillon de l’expérimentation du RSA

L’expérimentation relative au RSA démontre elle aussi la complexité de

l’échantillonnage. Cette complexité va ici de paire avec la mise en place laborieuse de

l’expérimentation. Lors du premier appel à candidature, suite à l’article 142 de la loi de

finance pour 2007216, seize départements s’étaient portés candidats à participer à

l’expérimentation. La loi ne prévoyait aucune limite quant au nombre de Conseils Généraux

admis à expérimenter. Cependant, seuls deux départements ont, finalement, été autorisés à

participer à l’expérimentation. Les autres se sont soit désistés « en estimant que leur marge

d’autonomie était trop réduite »217, soit ils n’ont pas rendu les dossiers de candidatures dans

les délais impartis ou encore les dossiers étaient incomplets. Le lancement de

l’expérimentation relative au RSA n’a pas été couronné de succès immédiatement.

Puis la loi du 21 août 2007, en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat218,

conformément aux promesses électorales faites lors de la campagne présidentielle219, a

relancé le processus d’expérimentation relatif au RSA. La loi, en son article 21, prévoyait que

le nombre de départements pouvant être autorisés à expérimenter ce nouveau système d’aide

sociale serait limité à dix. La loi prévoyait même le cas où plus de dix candidatures

parviendraient au Gouvernement et elle indiquait la procédure à suivre pour classer les

dossiers de candidature. « Dans le cas où le nombre de candidatures excède dix, les dix

départements remplissant les conditions légales autorisés à participer à l’expérimentation

sont retenus par un rang décroissant de la moyenne de : 1° leur rang de classement, parmi

l’ensemble des départements, selon le montant du dernier potentiel fiscal par habitant connu

[…], établi par ordre croissant ; 2° leur rang de classement, parmi l’ensemble des

départements, selon le nombre de bénéficiaire du revenu minimum d’insertion rapporté au

nombre d’habitants du département considéré, établi par ordre croissant ».220 Or il faut

constater qu’au moment de la généralisation du dispositif, à la fin de l’année 2008, une

trentaine de départements participaient à l’expérimentation221. Ce cas pose diverses questions.

Tout d’abord l’intérêt de l’expérimentation est de mettre au point une nouvelle législation sur

216 Loi n°2006-1666 du 21 décembre 2006, op. cit. 217 LONG Martine, « Revenu de solidarité active : l’expérimentation », op. cit., p.1239. 218 Loi n°2007-1223 du 21 août 2007, op. cit. 219 « Les deux candidats à l’élection présidentielle en lice pour le second tour s’étaient prononcés pour l’instauration du revenu de solidarité active prôné par Martin Hirsch. Cette volonté se traduira par une nouvelle expérimentation une fois M Sarkozy élu Président de la République ». LONG Martine, « Revenue de solidarité active : l’expérimentation », op. cit., p.1238. 220 Art. 21, II, al. 2, de la loi n°2007-1223, du 21 août 2007, op. cit. 221 En tout, trente quatre départements ont expérimenté le RSA.

89

un échantillon limité. Le fait, qu’un tiers des départements français expérimente, remet en

cause cette idée d’échantillon limité. De plus cet exemple questionne sur l’attitude du

gouvernement vis-à-vis de cette expérimentation. Alors même que la loi prévoyait

d’expérimenter le RSA dans un nombre limité de départements et prévoyait de façon précise

la manière dont devait se faire la sélection des Conseils Généraux admis à expérimenter, le

Gouvernement est passé outre la loi. Le Gouvernement a autorisé tous ces départements à

participer à l’expérience. C’est donc de la responsabilité du Gouvernement que relève ici le

problème de l’échantillonnage. Cela renvoie à une dernière interrogation, celle de la

responsabilité du Gouvernement. Celui-ci doit nécessairement se soumettre à la loi.

Cependant quelle juridiction pourrait connaître de la responsabilité du Gouvernement et qui

aurait un intérêt à agir dans pareil cas ? Le Conseil Constitutionnel ne résout que les questions

de conformité de la loi à la Constitution et non de leur application. Le Conseil d'État pourrait

être saisi du décret énumérant les collectivités territoriales admises à participer à

l’expérimentation. Si la question du juge peut trouver une solution, la question du requérant

est plus difficile à résoudre. Dès lors que les collectivités territoriales sont admises à

participer à l’expérimentation, on comprendrait mal qu’elles fassent un recours contre le

décret portant la liste des collectivités expérimentatrices. L’absence de contentieux sur cette

question empêche pour l’instant d’y apporter une réponse précise.

Ces exemples posent la question du crédit à apporter à une expérimentation menée

avec des échantillonnages aussi variés. Si l’expérimentation normative ne pourra jamais

atteindre le même degré de systématicité que les sciences dures, il semble nécessaire de

prévoir des règles concernant l’échantillonnage. De telles règles n’ont été prévues ni par la

Constitution, ni par la loi organique du 1er août 2003. Elles seraient pourtant un élément

essentiel dans la réussite de la méthode expérimentale. La définition d’un échantillon

représentatif ne peut pas être faite de façon abstraite à l’avance. La loi organique aurait pu

prévoir que chaque loi portant expérimentation déterminerait le nombre de collectivités

territoriales admises à participer, en sus des caractéristiques de celles-ci. L’initiative prise à

propos de l’expérimentation sur le RSA de limiter, dans la loi, à dix départements, le droit de

participer à l’expérience est un bon exemple de ce qui pourrait se faire. L’exemple du RSA

amène ensuite à s’interroger sur la responsabilité du Gouvernement de respecter les

prescriptions de la loi. Le CGCT pourrait ici être modifié pour rendre contraignant, sous peine

de sanctions si nécessaire, le respect par le Gouvernement des dispositions relatives aux

échantillonnages. Les parlementaires au moment de la rédaction de la loi organique relative à

90

l’expérimentation n’ont pas été aussi loin. L’État reste entièrement libre de gérer l’échantillon

de collectivités participant à l’expérimentation comme il l’entend. Une nouvelle fois se pose

alors la question de l’intérêt du recours à l’expérimentation : est-ce qu’il s’agit d’un outil

permettant une plus grande dynamique des collectivités locales ou est-ce un outil au service

de l’État ?

Les difficultés relatives à l’évaluation des expérimentations renforcent d’ailleurs ce

questionnement.

91

Section 2. La subjectivité de l’évaluation

L’évaluation, dernière étape de l’expérimentation, est un élément crucial. Le Conseil

Constitutionnel, dès les années 90, exigeait qu’une évaluation soit prévue pour qu’une loi soit

qualifiée d’expérimentale. Le protocole expérimental implique, par définition, une évaluation.

L’évaluation « a pour but de porter une appréciation sur l’efficacité d’un programme, d’une

politique ou d’une action, à la suite de la recherche de leurs effets réels au regard des

objectifs affichés ou implicites et des moyens mis en œuvre ».222 C’est à partir de l’évaluation

de l’expérimentation que le dispositif sera ensuite généralisé ou non. Malgré l’importance

cruciale de cette étape, la Constitution et la loi organique n’ont prévu que peu de choses

relativement à l’évaluation (§1). Le risque est alors que l’État instrumentalise l’évaluation

pour atteindre un objectif qu’il s’était initialement fixé (§2).

§1. Des modalités d’évaluation à préciser

Il est nécessaire ici de remarquer que la différence de rédaction entre l’article 37-1 et

l’article 72, alinéa 4, de la Constitution emporte des conséquences importantes en matière

d’évaluation de l’expérimentation. L’article 37-1, de par sa rédaction très lapidaire, ne prévoit

rien quant à l’évaluation. Il est alors nécessaire de se référer à la jurisprudence antérieure du

Conseil Constitutionnel. Celui-ci exigeait dans sa décision de 1993 que la loi portant

expérimentation doit prévoir les modalités de son évaluation. La charge de garantir

l’évaluation de l’expérimentation, ainsi que ses modalités, repose donc sur le législateur. Le

juge constitutionnel devra alors veiller à ce que cette évaluation soit correctement prévue.

Force est de constater cependant, que dans la décision du 12 août 2004223, le Conseil n’a fait

aucune mention dans cette décision à l’obligation d’évaluation. S’agissant de

l’expérimentation dérogation, la situation est différente puisque les dispositions de la

Constitution ont été complétées par la loi organique du 1er août 2003. Cette loi a inséré dans le

Code général des collectivités territoriales un article relatif à l’évaluation de

l’expérimentation.

222 MÉHAIGNERIE Pierre, op. cit., p.115. 223 Conseil Constitutionnel, 2004-503DC du 12 août 2004, loi relative aux libertés et responsabilités locales, JORF, 17 août 2004, p.14648.

92

Le CGCT, en son article LO 1113-5, dispose que « avant l’expiration de la durée fixée

pour l’expérimentation, le Gouvernement transmet au Parlement, aux fins d’évaluation, un

rapport assorti des observations des collectivités territoriales qui ont participé à

l’expérimentation. Ce rapport expose les effets des mesures prises par ces collectivités en ce

qui concerne notamment le coût et la qualité des services rendus aux usagers, l’organisation

des collectivités territoriales et des services de l’État ainsi que leurs incidences financières et

fiscales ». Cet article nous renseigne à la fois sur qui doit procéder à l’évaluation (A) et sur les

éléments à prendre en compte (B).

A. Une évaluation dirigée par le Gouvernement

L’évaluation de l’expérimentation, dans le domaine de la loi, se déroule en deux

temps. D’abord le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le déroulement de

l’expérimentation, ensuite c’est le Parlement qui au vu de ce rapport décide du sort à réserver

à l’expérimentation. Le rapport remis par le Gouvernement revêt une importance capitale

puisqu’il décrit comment s’est déroulée l’expérimentation. C’est sur la base de ce rapport que

le Parlement se prononce sur la poursuite, la généralisation ou l’abandon de

l’expérimentation. « L’expérimentation ne doit pas être un acte sans suite, le bilan établi à la

fin devant soutenir la décision conduisant soit au maintien du test, avec d’éventuelles

modifications, soit à sa généralisation, soit à son abandon ».224 Il faut comprendre que ce

rapport ne lie pas le Parlement. Seul celui-ci peut décider de la suite à donner à

l’expérimentation, y compris contre l’avis du Gouvernement tel que formulé dans le rapport.

Le rapport remis par le Gouvernement n’est qu’une indication pour le Parlement. « Il apparaît

clair que le législateur bénéficie ici d’un pouvoir de vie et de mort ».225 Juridiquement, le

législateur n’est pas contraint de suivre l’avis que le Gouvernement émet. C'est-à-dire que

l’évaluation finale de l’expérimentation repose dans la décision du Parlement. Le rapport

remis par le Gouvernement n’est qu’un bilan, qui fait partie de l’évaluation, mais ne la réalise

pas à lui seul. « Il semble permis d’opposer aux déterminations d’un bilan la liberté du

législateur. Celui-ci paraît, en effet, autorisé à renoncer à une expérimentation en dépit des

priorités précédentes. On doit même reconnaître au législateur une liberté d’appréciation

224 PIRON Michel, Rapport n°955, op. cit., p.34. 225 BROSSET Estelle, op. cit., p.722.

93

subjective sur une évaluation, celui-ci restant finalement maître d’imposer toute solution que

les circonstances lui suggéreront ».226

Ces dispositions illustrent une nouvelle fois l’importante de l’État dans la conduite de

l’expérimentation. Outre le fait que ce soit le Gouvernement, c'est-à-dire celui qui

juridiquement a décidé de procéder à l’expérimentation, qui fait le rapport d’évaluation, celui-

ci n’associe pas pleinement les collectivités expérimentatrices. La loi prévoit simplement que

le rapport est « assorti des observations » des collectivités cobayes. Les collectivités

territoriales ne semblent donc être associées qu’à la marge à ce rapport, alors même que ce

sont elles qui ont expérimenté. Cela peut paraître étonnant quand on connaît la démarche

pragmatique dans laquelle s’inscrit l’expérimentation. L’objectif de cette technique est de

profiter de l’expérience des collectivités pour adopter la norme générale la plus efficace

possible. Pour pouvoir profiter de cette expérience, il faut associer pleinement les collectivités

expérimentatrices à la réalisation du bilan qui sera remis au Parlement. Alors même que la

constitutionnalisation de l’expérimentation s’est faite lors d’une révision de notre norme

fondamentale relative aux collectivités territoriales, il semble une nouvelle fois que celles-ci

soient écartées au profit de l’État.

L’expérimentation du RSA montre cependant que les collectivités sont plus largement

associées à ce rapport d’évaluation. Pour l’évaluation de cette expérimentation, il a été mis en

place un comité d’évaluation composé de représentants des départements, des services de

l’État et des organismes de sécurité sociale ainsi que des personnalités qualifiées « dont la

compétence est reconnue en matière d’évaluation des politiques publiques ».227 Une nouvelle

question se pose alors ici. Le comité d’évaluation est composé de personnes, les représentants

des départements et des services de l’État, qui sont à la fois juge et partie. Cela peut conduire

à s’interroger sur l’objectivité de l’évaluation. Il est étonnant que des personnes, parties

prenante dans l’expérimentation, participent à la réalisation du bilan. Un doute peut alors être

émis sur l’objectivité avec laquelle le bilan de l’expérimentation est réalisé. Il existe le risque

d’une certaine subjectivisation de ce bilan, qui pose par la même la question de l’objectif réel

de cette évaluation.228 On peut alors s’interroger sur le crédit à apporter aux conclusions,

relatives à l’expérimentation du RSA, selon lesquelles « le rapport d’étape du comité

d’évaluation fait état, sur cinq premiers mois d’expérimentation dont les données sont 226 FAURE Bertrand, « L’intégration de l’expérimentation au droit public français », in Mouvement du droit public. Mélanges en l’honneur de Franck Moderne, op. cit., p.169. 227 Circulaire interministérielle du 22 août 2007, relative à la mise en œuvre des expérimentations locales prévues par l’article 142 de la loi du 21 décembre 2006 de finances pour 2007 modifié et la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat – revenu de solidarité active (RSA), Annexes, p.24. 228 Cf. infra p.99.

94

connues, de taux moyen de retour à l’emploi régulièrement supérieur dans les zones

expérimentales par rapport aux zones témoins ».229 Cette remarque appelle d’ailleurs une

autre question à savoir l’adéquation entre la durée de l’expérimentation et le moment de son

évaluation230.

Il semblerait donc qu’il soit nécessaire de revoir les dispositions relatives à la

réalisation de ce bilan de l’expérimentation. « L’objectivité de l’évaluation dépendant de celle

de son auteur, ceci doit conduire à privilégier le recours à des organes externes et

spécialisés ».231 Deux solutions peuvent être explorées, soit confier l’évaluation à des cabinets

d’audit privés et externaliser totalement la réalisation du bilan de l’expérimentation, soit, à la

suite de la proposition de Guillaume Drago232, confier cette évaluation à l’Office d’évaluation

de la législation. Il serait même concevable de cumuler ces deux possibilités. « L’évaluation

puise incontestablement son efficacité dans la pluralité de ses sources. Elle doit permettre au

Parlement de disposer des informations suffisantes et adaptées à l’exercice de ses

pouvoirs ».233

La solution de l’externalisation du bilan, auprès de cabinets d’audit privés, a le

bénéfice d’assurer une plus grande objectivité et une plus grande rigueur dans la réalisation de

ce bilan. Les cabinets d’audit disposent des moyens financiers, humains et techniques ainsi

que des compétences nécessaires pour réaliser ces évaluations. C’est même là leur activité

principale. Cette solution a, toutefois, comme inconvénient d’être, d’une part, coûteuse en

termes de finances publiques et, d’autre part, l’administration est encore assez peu habituée à

avoir recours à ce genre de technique. L’argument du coût de la réalisation du bilan doit

cependant être relativisé. Quelle que soit la personne qui la mène, « une véritable évaluation

est coûteuse ».234 Cet argument est donc réfutable.

La seconde possibilité serait de confier cette mission à l’Office d’évaluation de la

législation. Cet office, créé par la loi n°96-516 du 14 juin 1996235, avait au moment de sa

création pour mission de « renforcer l’évaluation de la législation jusqu’alors confiée aux

229 DAUBRESSE Jean-Philippe, Rapport n°1113, relatif au projet de loi portant généralisation du RSA, p.36. 230 Cf. infra p.103. 231 PERROCHEAU Vanessa, op. cit., p.25. 232 DRAGO Guillaume, « Le droit à l’expérimentation », in La République décentralisée, op. cit., p.84. 233 CHEVILLEY-HIVER Carole, « La mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale », RDP, n°6, 2006, p.1681. 234 BRAUD Caroline, « L’évaluation des lois et des politiques publiques », LPA, n°95, 7 août 1996, p.11. 235 Loi n°96-516 du 14 juin 1996, tendant à créer un Office parlementaire d’évaluation de la législation, JORF, 15 juin 1996, p.8911.

95

seules missions d’informations ».236 Cet organe est composé paritairement de dix députés et

de dix sénateurs et a été « jusqu’ici peu actif ».237. Ces membres peuvent faire appel dans leur

mission d’évaluation à des experts et disposent d’amples pouvoirs d’information. L’Office

d’évaluation de la législation étant un organe interparlementaire, il ferait ainsi du Parlement la

véritable clef de voûte de l’évaluation de l’expérimentation. Le Parlement se chargerait de la

réalisation du bilan et du vote de la suite à donner à l’expérimentation. Il maîtriserait ainsi

toute l’évaluation. Le risque d’une évaluation subjective serait minimisé puisque le

Gouvernement ne réaliserait plus, lui-même, le bilan de l’expérimentation. De plus, confier

cette mission d’évaluation entièrement aux assemblées revaloriserait en même temps le travail

parlementaire. L’évaluation de ces dispositifs par les élus nationaux est un gage de leur pleine

implication par la suite dans la rédaction et l’adoption du dispositif de généralisation de

l’expérimentation. D’autre part, l’Office d’évaluation de la législation « trouverait dans

l’évaluation des expérimentations un nouvel essor et pourrait ainsi, au fil des évaluations,

acquérir une expérience de ce domaine et procéder à des comparaisons de dispositifs

expérimentaux ».238 Enfin, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 prévoit

en son article 15 que « la société a le droit demander compte à tout agent public de son

administration ». Confier la réalisation du bilan de l’expérimentation à nos représentants

serait alors une forme d’application de cette disposition. Le législateur disposait de moyens,

lors de la rédaction de la loi organique, pour assurer une évaluation la plus objective possible

des expérimentations.

S’agissant des expérimentations en matière réglementaire, le CGCT prévoit que c’est

le décret portant expérimentation qui « précise les modalités d’évaluation des dispositions ».

On peut supposer que cette évaluation sera alors confiée au Ministre concerné par

l’expérimentation. Une fois de plus, l’objectivité de l’évaluation pourra être remise en cause.

Deux solutions se présentent ici aussi pour éviter cet écueil, soit confier l’évaluation à un

cabinet d’audit privé, soit confier l’évaluation à un organe indépendant. L’intervention de

l’Office d’évaluation de la législation n’est pas concevable ici puisque l’expérimentation

évaluée intervient dans le domaine réglementaire.Toutefois, puisque les expérimentations

réglementaires supposent l’intervention d’un décret en Conseil d'État, on pourrait associer le

Conseil à la réalisation de l’évaluation. Il s’agirait alors de créer des commissions ad hoc au 236 MIABOULA-MILANDOU Arsène, « Les moyens d’action du Parlement à l’égard de la loi votée », Revue française de droit constitutionnel, n°33, 1997, p.49. 237 DRAGO Guillaume, « Le droit à l’expérimentation », in La République décentralisée, op. cit., p.84. 238 Idem.

96

sein du Conseil pour l’évaluation de telle ou telle expérimentation. Sans être un organe

totalement indépendant du Gouvernement, l’intervention du Conseil d'État pourrait être le

gage d’une plus grande objectivité de l’évaluation.

Une nouvelle fois la Constitution et la loi organique comportent de graves lacunes qui

peuvent remettre en cause l’intérêt du recours à l’expérimentation. « Par essence partisane,

relative et idéologiquement orientée, l’expérimentation politique est tributaire des critères

d’évaluation qu’elle développe ».239 Une fois précisé qui réalise l’évaluation, il est encore

nécessaire de déterminer ce qui doit être évalué.

B. Le contenu de l’évaluation

L’article LO 1113-5 du CGCT dispose que l’évaluation porte « notamment [sur] le

coût et la qualité des services rendus aux usagers, l’organisation des collectivités territoriales

et des services de l’État ainsi que leurs incidences financières et fiscales ». L’utilisation de

l’adverbe « notamment » indique que ce ne sont là que quelques-uns des éléments qui peuvent

être pris en compte dans l’évaluation. Cette disposition appelle deux remarques, d’une part,

l’évaluation de chaque expérimentation reste libre et, d’autre part, l’accent est mis sur les

critères économiques de l’évaluation.

En l’absence de plus de précisions dans la loi organique relative à l’expérimentation,

c’est à chaque texte portant expérimentation qu’il reviendra de préciser les éléments que le

bilan doit faire apparaître. Ceci est logique du fait que chaque expérimentation peut porter sur

des domaines très variés, et c’est en fonction de ces domaines que les critères d’évaluation

doivent être déterminés.

Dans l’expérience relative au RSA, les éléments à prendre en compte dans l’évaluation

sont développés au X, de l’article 142, de la loi de finance pour 2007. Le bilan de

l’expérimentation doit faire apparaître « les données comptables concernant les crédits

consacrés aux prestations ; les données agrégées portant sur les caractéristiques des

bénéficiaires et sur les prestations fournies ; les informations sur la gestion de ces prestations

dans le département et sur l’activité des organismes qui y concourent ; les éléments relatifs à

l’impact de ces mesures sur le retour à l’emploi ». La circulaire d’application du dispositif

239 CHARENTENAY Simon (de), op. cit.

97

renvoie ensuite au comité d’évaluation le soin de « définir un socle commun d’indicateurs

statistiques à suivre ».240 Cette circulaire indique aussi que l’avis des bénéficiaires du RSA

devra être pris en compte dans la rédaction du bilan de l’expérimentation. L’évaluation de la

mesure expérimentale revêt donc un caractère interne et un caractère externe. Il s’agit, d’une

part, d’analyser comment l’administration a géré cette nouvelle compétence, quelles ont été

les difficultés rencontrées et les solutions retenues. D’autre part, l’évaluation doit aussi

s’intéresser aux effets concrets de la norme expérimentée et à leur perception par les usagers.

La place du citoyen dans l’expérimentation est très importante. L’objectif de

l’expérimentation étant d’améliorer la norme, il est important que le destinataire premier de

cette norme, l’usager, soit consulté lors de l’évaluation. Dès lors, parmi les critères

développés par le CGCT sur lesquels doit porter l’évaluation, on peut regretter l’absence de

référence à la consultation des citoyens.

Les dispositions de la loi organique se sont contentées de faire référence à des critères

de nature économique. Si la rédaction de l’article LO 1113-5 du CGCT, laisse à penser qu’il

ne s’agit pas là de critères obligatoirement pris en compte, leur énumération interroge.

On retrouve cette insistance sur les critères économiques du fait qu’est évoqué tout

d’abord « le coût […] des services rendus aux usagers » puis les « incidences financières et

fiscales ». Il ne s’agit pas là d’une redondance puisqu’il s’agit d’évaluer, d’une part, le prix

que l’usager devra verser en contrepartie de ce service et, d’autre part, les conséquences du

service sur le budget des collectivités. Il est toutefois notable de voir que sur les trois critères

proposés par le Code, deux sont de nature économique. À l’heure où l’État, dans un souci de

contenir ses dépenses, se recentre sur ses compétences essentielles et où les collectivités

territoriales n’ont pas toujours les moyens financiers d’assumer de nouvelles compétences, la

multiplication des critères d’évaluation de nature économique est compréhensible. La

décentralisation est, en partie, un moyen pour l’État de déléguer des compétences aux

collectivités territoriales qui sont aussi des charges en moins sur le budget de l’État. Le

problème est que les collectivités locales cherchent à limiter elles aussi leurs dépenses.

Toutefois, la présence de nombreux critères financiers dans les critères d’évaluation d’une

expérimentation demeure critiquable. La réussite d’une expérimentation ne tient pas

nécessairement à ce qu’elle a permis de proposer un service aux usagers à un moindre coût.

240 Circulaire interministérielle du 22 août 2007, relative à la mise en œuvre des expérimentations locales prévues par l’article 142 de la loi du 21 décembre 2006 de finances pour 2007 modifié et la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat – revenu de solidarité active (RSA), Annexes, p.25.

98

« L’expérimentation ne peut avoir pour « philosophie » qu’une amélioration du service

public. Et il ne s’agit pas nécessairement de « faire plus » que ce que fait l’État (ce sera

souvent financièrement impossible) mais de faire « autrement » en espérant qu’il en sortira

un « mieux » ».241

C’est pourquoi il est nécessaire d’accorder une plus grande place aux usagers dans

l’évaluation de l’expérimentation. Une simple modification de l’article LO1113-5 du CGCT

pourrait réaliser cette adjonction. Il suffirait d’ajouter à l’énumération déjà présente à la suite

de l’adverbe « notamment » que les citoyens doivent être associés, aussi souvent que possible,

à la réalisation du bilan de l’évaluation. C’est en consultant les citoyens que l’évaluation

déterminera au mieux si l’expérimentation a permis une amélioration du service offert.

La manière dont doit être réalisée l’évaluation de l’expérimentation n’est pas

exhaustivement prévue par les textes. L’État conserve une marge de manœuvre pour mener

cette évaluation comme il l’entend. L’évaluation peut très vite devenir non seulement

subjective mais aussi instrumentalisée.

§2. Le risque d’une évaluation orientée

L’intérêt que l’État place dans l’expérimentation, à savoir de procéder à des réformes

sans donner l’impression de les imposer unilatéralement, comporte des risques. L’État peut se

servir de l’expérimentation dans son propre intérêt. L’évaluation ne doit pas donner des

résultats contraires à ces intérêts. L’évaluateur peut alors chercher à donner sa propre lecture

des résultats de l’évaluation. « Le fait est que la dimension politique de l’expérimentation

trouble la limpidité de la méthode scientifique dans la mesure où la loi à l’essai se trouve être

l’instrument d’une volonté politique souvent voilée par le slogan de l’efficacité, mais dont le

véritable objectif est d’acclimater, de faire accepter une solution déjà considérée comme

manifestement préférable ».242

La procédure expérimentale, et son évaluation, peuvent parfois être dévoyées de leur

objectif premier et ne faire alors que servir une logique de communication de la part de l’État

(A), d’ailleurs les exemples d’expérimentations menées à l’étranger abondent en ce sens (B).

Enfin, la durée de l’expérimentation a également une influence sur l’évaluation de celle-ci

(C).

241 PONTIER Jean-Marie, « Décentralisation et expérimentation », op. cit., p.1037. 242 CHARENTENAY Simon (de), op. cit.

99

A. Une évaluation servant une logique de communication

Le Gouvernement, lorsqu’il décide d’une expérimentation, peut très bien savoir à

l’avance qu’il procédera à la généralisation du dispositif. L’évaluation de l’expérimentation

sert alors à justifier la décision du Gouvernement de généraliser la norme. C’est d’ailleurs en

partie ce qui s’est passé pour le RSA.

L’objectif est d’éviter que l’évaluation ne devienne « le « faire-valoir » d’un

processus de réforme sur lequel on ne veut pas revenir, instrumentalisant ainsi la technique

expérimentale ».243 Il est tentant pour le Gouvernement de procéder à une expérimentation

afin de ne pas procéder à une réforme de façon unilatérale et autoritaire. L’évaluation est une

étape qui permet alors de mettre en avant la réussite d’une expérimentation et donc

l’opportunité de sa généralisation. Il est alors loisible au Gouvernement de mettre en avant les

résultats positifs obtenus par l’expérimentation dans certaines collectivités territoriales. Le

Gouvernement possède une importante arme de communication auprès de l’opinion publique.

Il instrumentalise la procédure de l’expérimentation à ses propres fins, pour réaliser des

réformes. L’expérimentation peut être utilisée comme « une tactique pour faire passer petit à

petit une réforme qui donne lieu à des prises de positions contrastées ».244 Ce dévoiement de

la procédure expérimentale va s’appuyer sur l’évaluation. L’évaluation de l’expérimentation

sera, dans de tels cas, jugée positive et la généralisation du dispositif encouragée.

L’évaluation ne ferait alors que servir la volonté du Gouvernement, à savoir celle de

généraliser la norme. Ceci est d’autant plus vrai que par le fait majoritaire, le Gouvernement

dispose en général de la majorité nécessaire au vote d’un nouveau texte au Parlement. Il suffit

alors au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport d’évaluation qui mette l’accent

sur la réussite de l’expérimentation pour que la mesure soit généralisée. L’évaluation est alors

le moment pour le Gouvernement de se targuer des bons résultats de l’expérimentation dont il

avait eu l’initiative.

L’expérimentation relative au RSA a connu un tel sort. Dès le lancement de

l’expérimentation dans les départements, il était acquis qu’il y aurait « d’ores et déjà une

243 DRAGO Guillaume, « Le droit à l’expérimentation », in La République décentralisée, op. cit., p.84. 244 MAMONTOFF Catherine, « Réflexion sur l’expérimentation du droit », op. cit., p.371.

100

généralisation de la mesure pour fin 2008 »245, alors même que l’expérimentation était prévue

pour durer trois ans. On peut légitimement se poser la question de l’intérêt de procéder à une

expérimentation alors même que la généralisation du dispositif est déjà prévue. On peut

penser qu’il y avait tout de même une volonté de tester le dispositif avant de la généraliser

mais l’expérimentation « paraît, dans notre hypothèse, faussée dès le départ »246. Les

critiques à l’égard de la marche suivie par le Gouvernement dans cette expérimentation sont

acerbes. Pour les décideurs locaux, ils sont face à « un Gouvernement qui travaille

énormément son image, c’est une image importante à cultiver ».247 De la proposition du

candidat Sarkozy à la nomination de Martin Hirsch comme Haut commissaire aux solidarités

actives, l’expérimentation du RSA et sa généralisation à la fin de l’année 2008 paraît avoir

servi une logique de communication de l’équipe présidentielle de Nicolas Sarkozy. « Tout se

passe comme si, pressé par une logique de communication et de résultats, le Gouvernement

avait péché par précipitation ».248

Une telle attitude est dommageable car elle nuit à la procédure expérimentale. En

matière de RSA si les résultats de l’expérimentation avaient été mitigés, il aurait été risqué –

du moins politiquement – de ne pas procéder à la généralisation annoncée. La réversibilité de

l’expérimentation apparaît comme étant impossible. L’expérimentation n’en est plus une, s’il

est déjà prévu que la mesure sera généralisée. L’évaluation de l’expérimentation n’est alors

qu’un moyen de conforter le Gouvernement dans la politique qu’il a adoptée.

L’expérimentation ne rempli plus son rôle de test, de mise au point et d’amélioration. « Cela

est sans doute regrettable pour le principe même de cette expérimentation [relative au RSA]

et surtout pour les départements qui, ayant imaginé un processus innovant, devront retrouver

la norme commune au 1er juin »249 2009. L’expérience sert une logique de communication du

Gouvernement qui, grâce à elle, entend légitimer son action. L’évaluation de

l’expérimentation est utilisée par le Gouvernement comme argument de la nécessité de son

action. « L’effet d’annonce semble ici primer sur une capacité de recul et d’analyse ».250

Le risque de détournement politique de l’expérimentation à des fins de communication

n’est pas propre à la France. Les autres pays européens, où l’on retrouve des systèmes

d’expérimentation normative proches du nôtre, connaissent la même dérive. 245 LONG Martine, « Revenue de solidarité active : l’expérimentation », op. cit., p.1238. 246 Ibid, p.1242. 247 Annexe : Entretien Mme Vaugelade, p.137. 248 LONG Martine, « Revenu de solidarité active : l’expérimentation », op. cit., p.1241. 249 RIHAL Hervé, « La généralisation du revenu de solidarité active », AJDA, n°4, 9 février 2009, p.198. 250 LONG Martine, « Revenu de solidarité active : l’expérimentation », op. cit., p.1238.

101

B. L’exemple des expérimentations dans les pays nordiques

La France est le seul État à avoir constitutionnalisé le droit à l’expérimentation. On

retrouve toutefois des mécanismes similaires chez certains de nos voisins Européens,

notamment en Suède ou en Allemagne. En Suède, l’expérience de la Commune Libre

(frikommunförsöket), initiée en 1992, démontre l’utilisation politique qui peut être faite de

l’expérimentation251.

Cette expérimentation avait pour objectif d’accroître les libertés des collectivités

locales. Cependant, un régime juridique complexe en a freiné la mise en œuvre. Il est possible

de faire ici un parallèle avec le modèle français. Théoriquement, l’expérimentation, telle

qu’elle est prévue dans les textes français, est plus simple à mettre en place. Toutefois, on l’a

vu dans l’exemple du RSA, la mise en œuvre d’une expérimentation s’est révélée complexe.

C’est au moment de l’évaluation que l’expérimentation menée en Suède a démontré ses

limites et le risque d’instrumentalisation par le politique. Le Ministère de l’Administration

Publique avait commandé une évaluation de l’expérimentation auprès d’universitaires, mais

chaque Ministre a tout de même commandé une évaluation. Cette évaluation, commandée par

chaque Ministre, comporte un risque d’être orientée en fonction des résultats dont le ministère

à besoin pour mener sa politique. Le rapport remis par « l’enquêteur spécial » contient avant

tout des appréciations de nature politique. Il met en avant le fait que les collectivités locales

sont des lieux d’innovation, le fait que l’expérimentation a permis de mieux s’adapter aux

conditions locales, mais « on n’y trouve aucun élément d’évaluation des améliorations que les

solutions expérimentées auraient permis d’atteindre ».252

L’expérimentation de la Commune Libre semble avoir été fortement instrumentalisée

par le Gouvernement suédois. On a l’impression que l’État central a cherché, dans cet

exemple, à conforter son pouvoir tout en donnant l’impression d’agir en faveur des

collectivités territoriales. D’ailleurs les trois conclusions qui ressortent du rapport

d’évaluation sont sans appel sur cette question « 1) l’expérimentation est de nature à

provoquer des conflits entre les intérêts nationaux et sectoriels d’une part, et les intérêts

locaux d’autre part ; 2) le pouvoir central doit conserver la primauté car il contrôle le

251 Les conclusions présentées ici à ce sujet sont tirées de : MARCOU Gérard, « Expérimentation et collectivités locales : expériences européennes », in Les collectivités locales et l’expérimentation : perspectives nationales et européennes, op. cit., p.15 et s. 252 MARCOU Gérard, « Expérimentation et collectivités locales : expériences européennes », in Les collectivités locales et l’expérimentation : perspectives nationales et européennes, op. cit., p.75.

102

système des règles et il doit veiller aux intérêts nationaux ; 3) en dehors de circonstances

particulières sur le plan politique comme celles de la fin des années 70 (en Suède) les intérêts

locaux ne peuvent pas l’emporter sur les intérêts généraux de l’État ».253 Le système suédois,

s’il est très décentralisé sur le plan des structures, conserve énormément de prérogatives au

niveau central. Tout se passe alors comme si l’expérimentation avait eu, parmi ses objectifs,

de démontrer la nécessité que le pouvoir central conserve ses importantes compétences.

L’expérimentation est utilisée à l’inverse du système français, où elle sert plutôt l’État à se

décharger de certaines compétences au profit des collectivités locales. Toutefois dans les deux

cas, le pouvoir central utilise le vocable de l’expérimentation, alors même qu’il s’agit

d’instrumentaliser cette technique, non pas pour améliorer la législation mais pour procéder à

une réforme délicate ou au contraire s’y opposer. L’exemple suédois laisse à penser « que le

recours à l’expérimentation correspondait d’avantage à une stratégie de réforme, dont les

buts et l’objet avaient déjà été délibérés, qu’à la volonté de tester réellement les solutions

envisagées ou proposées ».254

L’expérimentation normative, en France comme en Suède, si elle se veut une méthode

« scientifique » d’amélioration de la législation, demeure un instrument pour le pouvoir

central. L’expérimentation a trouvé un terreau favorable dans la décentralisation pour se

développer. Toutefois, les organes centraux de l’État ont une tendance à dévoyer la procédure

dans leur propre intérêt. « Il se peut que l’objectif visé ne soit pas celui qui est annoncé par

l’expérimentation, ou encore que les décisions politiques soient prises avant la fin de

l’expérimentation ou avant que l’évaluation n’en soit terminée, ou encore les décisions qui

sont prises s’écartent des recommandations issues de l’expérimentation ».255 L’exemple

suédois démontre comment l’expérimentation, même utilisée dans le cadre d’une politique de

décentralisation, peut servir à renforcer le pouvoir central.

Le cas français n’est donc pas isolé. La théorie et la pratique de l’expérimentation et

de son évaluation ne visent pas à atteindre les mêmes buts. Alors que l’expérimentation

devrait être un outil d’amélioration de la législation, elle se transforme en un instrument de

l’État central. Ceci conduit même, Gérard Marcou, à conclure que « la séquence que suppose

253 Ibid, p.74. 254 Ibid, p.96. 255 Ibid, p.95.

103

la notion d’expérimentation, c'est-à-dire un projet de réforme, un test et une réforme ou

l’abandon d’une réforme en fonction des résultats du test, ne se rencontre jamais ».256

L’’expérimentation peut être utilisée à bien d’autres fins que celle pour laquelle elle a

été conçue. Les résultats de l’évaluation sont aussi tributaires du moment où elle a lieu. Dès

lors, c’est la durée de l’expérimentation qui pose question.

C. La durée de l’expérimentation au cœur de l’évaluation

L’expérimentation est nécessairement circonscrite dans le temps. Ce n’est pas un droit

à la différenciation qui est créé, l’expérimentation a une durée limitée. « La différenciation

qu’implique toute opération expérimentale ne peut être que temporaire ».257 La loi organique

du 1er août 2003 prévoit, à l’article LO 1113-1, que l’expérimentation « ne peut excéder cinq

ans ». De plus, l’article LO 1113-6 dispose que l’expérimentation peut être prolongée pour

une durée de trois ans. Le même article prévoit, enfin, que le dépôt d’une proposition ou d’un

projet de loi relatif à l’issue de l’expérimentation proroge celle-ci « jusqu’à l’adoption

définitive de la loi, dans la limite d’un an à compter du terme prévu dans la loi ayant autorisé

l’expérimentation ». Dès lors, l’expérimentation peut durer jusqu’à neuf années. C’est à l’État

de prévoir, initialement, cette durée dans le texte portant expérimentation. Comme dans le cas

du choix de l’échantillon, il apparaît impossible d’éviter une certaine subjectivité de

l’expérimentateur dans la fixation de la durée de l’expérience. Ce choix est purement

discrétionnaire et peut être opéré en fonction d’échéances électorales, de priorités budgétaires

ou encore de décisions politiques. D’ailleurs, les expérimentations menées depuis la révision

constitutionnelle de 2003 illustrent la variété de durées des expérimentations. Si la plupart des

expérimentations prévues dans la loi du 13 août 2004 devaient durer cinq ans,

l’expérimentation relative au financement d’équipements sanitaires par les régions et celle

relative à la gestion du patrimoine culturel ont été prévues pour durer quatre ans.

L’expérimentation relative au RSA devait durer, quant à elle trois ans. Du fait de sa

généralisation à la fin de l’année 2008, elle n’aura duré en réalité que dix huit mois, c'est-à-

dire deux fois moins longtemps que prévu.

256 Idem 257 DENAJA Sébastien, op. cit., p.365.

104

Dans ce délai, il faut compter le temps de procéder à l’évaluation. Celle-ci doit avoir

lieu avant le terme initialement prévu, afin que le dépôt du projet ou de la proposition de loi

sur la suite de l’expérimentation soit fait avant la fin de l’expérience. C'est-à-dire que dans le

délai prévu pour expérimenter, il est nécessaire de prévoir la période d’évaluation. Or il n’est

pas toujours aisé de savoir, à l’avance, si la durée de l’expérimentation est suffisante pour lui

permettre de déployer tous ses effets. Il faut toutefois constater que la durée de

l’expérimentation doit nécessairement être conséquente. En effet, il faut prendre en compte le

fait que les collectivités locales vont devoir adapter leurs services administratifs pour gérer

l’expérimentation. Ce temps d’adaptation peut être plus ou moins long en fonction de la

complexité de l’expérimentation. Ensuite, il faut le temps que les effets de la politique menée

à titre expérimental se concrétisent. Toutes ces étapes, si elles ne sont pas correctement

respectées, vont avoir des incidences sur les résultats de l’évaluation. La durée de

l’expérimentation doit prendre en compte tous ces éléments afin que l’évaluation soit ensuite

la plus objective possible. Il peut être avancé qu’une expérimentation, dont la durée serait

fixée à un an ou à quelques mois, ne peut réellement être une expérimentation, car il est

impossible d’évaluer les effets d’une politique mise en œuvre dans un laps de temps aussi

court. « Il peut être avancé qu’un temps d’expérimentation inférieur à deux ou trois ans invite

à douter de la sincérité de la démarche expérimentale ».258 Cependant, dans l’exemple du

RSA, il ressort de l’expérimentation menée dans le département de l’Hérault que les dix huit

mois d’expérience ont été suffisants. Les premiers résultats obtenus sur cette période ont été

positifs. D’ailleurs pour les décideurs locaux, « trois ans c’est long quand même ».259 Il y a là

une réflexion à mener sur l’adéquation entre le temps de la prise de décision politique, qui est

un temps court, et le temps de la mise au point expérimentale d’une norme, qui devrait être un

temps long. L’expérimentation normative n’est pas totalement identique à l’expérimentation

scientifique. Alors que l’expérimentateur devrait pouvoir prendre son temps pour tester son

hypothèse, le politique soumet l’expérimentation normative à l’urgence, à la nécessité de

prendre une décision rapidement. S’il n’est pas possible de prévoir de façon contraignante la

durée d’expérimentation, il semble nécessaire que l’État soit contraint par les textes de

respecter la durée qu’il aura initialement fixée.

L’efficacité de la méthode expérimentale en matière normative est pour le moins

incertaine. Elle est une méthode soumise à la subjectivité de l’expérimentateur. Il n’est pas

258 Ibid, p.366. 259 Annexe : Entretien Mme Vaugelade p.136.

105

certain qu’elle porte tous les effets bénéfiques qui lui ont été attribués. Il ne s’agit pas pour

autant de remettre entièrement en cause l’utilisation de la méthode mais simplement de ne pas

l’idéaliser. « Il faut nécessairement relativiser le rôle de test de l’expérimentation normative

et ne pas lui prêter la même portée que l’expérimentation scientifique ».260

Comme toute activité juridique, l’expérimentation est susceptible de produire un

contentieux.

260 PISSALOUX Jean-Luc, op. cit., p.16.

106

Chapitre 2. Un contentieux potentiellement

abondant

Comme toute matière juridique, l’expérimentation est susceptible de produire un

contentieux. Le juge pourra alors connaître de différents types d’actes : soit des lois ou des

règlement portant expérimentation, soit les actes que les collectivités territoriales auront

adoptés à titre dérogatoire durant l’expérimentation. L’expérimentation produit alors des

contentieux qui auront lieu devant deux ordres de juridiction, d’une part devant le juge

constitutionnel et d’autre part devant le juge administratif.

Le Conseil Constitutionnel peut être amené à intervenir à deux moments soit en

contrôlant les lois portant expérimentation, soit en contrôlant les lois généralisant un dispositif

après expérimentation. Dans les deux cas, le contenu et la portée du contrôle sont assez

simples à déterminer. Cependant le peu, voire l’absence, de contrôle dans les faits remet en

cause la réalité de ce contrôle. Le juge administratif, quant à lui, connaîtra d’actes que les

collectivités locales adopteront durant la période expérimentale. Il s’agit là du contrôle inédit

pour le juge administratif puisque ces actes s’ils sont formellement administratifs peuvent

intervenir dans le domaine de la loi. Dès lors, le juge va développer un contrôle spécifique,

proche de celui qu’il exerce pour les ordonnances de l’article 38, de la Constitution.

Il s’agira alors d’analyser les possibles cas de contentieux constitutionnel (Section 1)

et de tenter de clarifier le contenu du contentieux administratif (Section 2).

107

Section 1. Les possibilités de contentieux constitutionnel

Le Conseil Constitutionnel dans son contrôle de constitutionnalité peut intervenir pour

deux types de lois concernant les expérimentations. Les sages de la rue Montpensier peuvent

connaître des lois portant expérimentation mais aussi des lois procédant à la généralisation

d’une expérimentation.

Dans le premier cas, le contenu du contrôle opéré par le Conseil est largement connu.

Malgré l’absence de précision dans la Constitution et dans la loi organique, on pourrait penser

que le Conseil reproduirait sa jurisprudence antérieure. Cependant l’exercice de ce contrôle

dans les faits, lors du contrôle de la loi relative aux libertés et responsabilités locales261, laisse

perplexe quant à l’attitude adoptée par le Conseil.

Le second cas de contrôle pose un peu plus de problèmes. Si le contenu théorique du

contrôle peut tout à fait être mis à jour, celui-ci se heurte à la souveraineté du Parlement.

D’ailleurs l’absence d’exemples de ce contrôle dans la réalité démontre bien cette difficulté.

Le contrôle des lois d’habilitation (§1) et le contrôle des lois de généralisation (§2)

diffèrent fondamentalement.

§1. Le contrôle des lois d’habilitation

La loi portant expérimentation malgré son objet spécifique, celui de permettre une

dérogation au droit commun pour une durée limitée, est une loi ordinaire. Elle est donc

soumise au contrôle du Conseil Constitutionnel, à condition que celui-ci soit saisi. Le contrôle

que le Conseil va opérer sur cette loi est identique à tout contrôle qu’il opère sur une loi

ordinaire.

Le contrôle des lois portant expérimentation n’est pas une nouveauté pour le Conseil

Constitutionnel puisqu’il y a déjà procédé. La constitutionnalisation de l’expérimentation

s’étant faite à droit constant, on peut penser que le Conseil reprendra sa jurisprudence

antérieure. À ce travail de contrôle de la loi portant expérimentation par rapport aux exigences

de la Constitution, le Conseil Constitutionnel doit aussi veiller au respect d’une juste

conciliation entre le principe d’égalité et le droit à l’expérimentation. Dans la théorie, le

contenu du contrôle opéré sur les lois d’habilitation par le Conseil est connu et balisé.

261 Conseil Constitutionnel, n°2004-503DC du 12 août 2004, op. cit.

108

Toutefois, l’unique exemple de ce contrôle interroge. Le contrôle effectué par le Conseil

Constitutionnel dans sa décision du 12 août 2004 n’est pas pleinement satisfaisant puisque les

exigences des juges semblent moins importantes que par le passé.

Dès lors il convient d’analyser le contenu théorique du contrôle (A) pour ensuite le

comparer à son exercice dans les faits (B).

A. Le contenu du contrôle

La loi portant expérimentation doit respecter les prescriptions de la Constitution et de

la loi organique. Comme il a déjà été exposé, ces conditions ne sont pas développées de la

même façon dans les articles 37-1 et 72, alinéa 4, de la Constitution. Au vu de la rédaction de

ces deux articles, on peut toutefois supposer que le Conseil Constitutionnel renouvellera sa

jurisprudence antérieure relative à l’expérimentation. Cette jurisprudence est issue notamment

d’une décision de 1993262. Cette jurisprudence avait déjà défini les éléments de

constitutionnalité de l’expérimentation normative et permis son utilisation avant même la

révision constitutionnelle de 2003. Outre cet aspect de définition de l’expérimentation, ces

décisions nous renseignent encore aujourd’hui sur le contenu du contrôle opéré par le Conseil

Constitutionnel sur les lois d’habilitation.

Le considérant 9 de la décision de 1993 précise que « il est loisible au législateur de

prévoir la possibilité d’expériences comportant des dérogations aux règles ci-dessus définies

de nature à lui permettre d’adopter par la suite, au vu des résultats de celles-ci, des règles

nouvelles appropriées à l’évolution des missions de la catégorie d’établissement en cause ;

que toutefois il lui incombe alors de définir précisément la nature et la porté de ces

expérimentations, les cas dans lesquels celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les

procédures selon lesquelles elles doivent faire l’objet d’une évaluation conduisant à leur

maintien, à leur modification, à leur généralisation ou à leur abandon ». On peut affirmer à

la lecture de ce considérant que le juge constitutionnel est attentif à trois éléments. La loi

portant expérimentation doit circonscrire dans le temps et dans son objet l’expérimentation.

Le législateur doit prévoir l’évaluation de l’expérimentation. Enfin l’issue de

l’expérimentation doit être strictement prévue. « La normativité applicable [à une loi portant

262 Conseil Constitutionnel, n°93-322DC du 28 juillet 1993, op. cit.

109

expérimentation] étant très réduite, le juge constitutionnel ne pourra que se borner à vérifier

que cette loi respecte bien les conditions de forme et celles de fond s’imposant à elle ».263

Outre le contrôle de ces éléments qui participent de la définition même d’une loi

expérimentale, le Conseil Constitutionnel doit opérer une confrontation entre

l’expérimentation et le principe d’égalité. Il doit chercher à concilier les deux principes,

puisqu’ils ont tous deux valeur constitutionnelle. La jurisprudence admet depuis longtemps

des entorses au principe d’égalité, dans le cas de l’expérimentation, c’est au nom de l’intérêt

général qu’est acceptée la rupture momentanée de l’égalité. « De valeur juridique désormais

équivalente, le principe d’expérimentation et le principe d’égalité devront ainsi être conciliés

dans le respect de l’intérêt général ».264 L’expérimentation induisant par définition une

dérogation au droit commun, le contrôle effectué sur les lois d’habilitation doit demeurer

limité. « Les travaux parlementaires montrent en effet que l’encadrement nécessaire résulte

de la lettre même de l’article 37-1 : objet limité, durée limitée, réversibilité, bilan. On peut y

ajouter la non contrariété de l’objet de l’expérimentation avec les exigences

constitutionnelles autres que le principe d’égalité (dans la mesure où il est dérogé

nécessairement à celui-ci pour les besoins de l’expérimentation) ».265 Le même constat peut

être fait à propos de l’expérimentation prévue à l’article 72, alinéa 4. Le contrôle des lois

d’habilitation ne doit pas être trop contraignant au point de rendre encore plus difficile le

recours à l’expérimentation. Le Conseil Constitutionnel doit se contenter d’un contrôle

restreint et vérifier la présence des éléments constitutifs d’une loi expérimentale dans le texte

qui lui est déféré. Le Conseil doit procéder ici à un contrôle de l’erreur manifeste

d’appréciation. « La technique du contrôle de l’erreur manifeste pourra ici être utilisée à

plein, comme la conciliation entre principes constitutionnels. Il faudra y ajouter l’utilisation

par le Conseil Constitutionnel de réserves d’interprétation conditionnant la mise en œuvre

des expérimentations par les autorités nationales ou locales ».266

Le nombre d’expérimentations mises en œuvre depuis la révision du 28 mars 2003

étant limité, les exemple de contrôle du Conseil Constitutionnel sur les lois d’habilitation ne

font pas légion. 263 RICCI Jean-Claude, « Regards juridiques sur l’expérimentation en matière de collectivités territoriales », in Les collectivités locales et l’expérimentation : perspectives nationales et européennes, op. cit., p.208. 264 PIRON Michel, Rapport n°955, op. cit., p.15. 265 SCHOETTL Jean-Eric, « La loi relative aux libertés et responsabilités locales devant le Conseil Constitutionnel », LPA, n°174, 31 août 2004, p.10. 266 DRAGO Guillaume, « Le droit à l’expérimentation », in La République décentralisée, op. cit., p.80.

110

B. L’exercice du contrôle

Seules les expérimentations transferts contenues dans la loi du 13 août 2004 ont fait

l’objet d’un contrôle de la part du Conseil Constitutionnel (1). Les diverses dispositions

relatives à l’expérimentation sur le RSA n’ont pas fait l’objet d’un tel contrôle, la

jurisprudence constitutionnelle peut toutefois conduire à effectuer quelques remarques à leur

encontre (2).

1. Le contrôle des expérimentations contenues dans la loi relative aux libertés

et responsabilités locales

La loi relative aux libertés et responsabilités locales a fait l’objet d’un contrôle par le

Conseil Constitutionnel qui s’est prononcé dans une décision n°2004-503DC du 12 août

2004267. Le Conseil avait été saisi de cette loi par des députés, majoritairement issus de

l’opposition. Les requérants ne contestaient pas l’ensemble de la loi mais un certain nombre

de dispositions, parmi lesquelles les articles 1er, 44, 70 et 86 qui comportaient des

expérimentations. Pour les requérants, ces dispositions « [remettaient] en cause l’égalité des

citoyens faute pour le législateur d’avoir défini, par des dispositions suffisamment précises et

des formules non équivoques, l’encadrement des multiples expérimentations envisagées ». Les

requérants invitent, dans leur saisine, le juge constitutionnel à se prononcer sur les conditions

de mise en œuvre de l’expérimentation et sur la conciliation de celle-ci avec le principe

d’égalité. « L’originalité de cette argumentation était que les quatre premières des cinq

dispositions contestées présentaient le caractère de dispositions expérimentales268 et

donnaient ainsi l’occasion au Conseil Constitutionnel de se prononcer tant sur la base

constitutionnelle des expérimentations en cause que sur la nature de telles dispositions,

s’agissant en particulier de griefs tirés de la violation du principe d’égalité ou de

l’incompétence négative ».269

267 Conseil Constitutionnel, n°2004-503DC du 12 août 2004, op. cit. 268 Les requérants contestaient également sur la base du principe d’égalité l’article 203 de la loi relatif au transfert du personnel technicien et ouvrier de service dans les collèges et lycées des départements et régions d’outre mer. 269 SCHOETTL Jean-Eric, « La loi relative aux libertés et responsabilités locales devant le Conseil Constitutionnel », op. cit., p.9.

111

Le Conseil Constitutionnel répond à ce grief en deux temps. Il s’interroge d’abord sur

l’introduction du droit à l’expérimentation dans la Constitution à l’article 37-1, alors qu’il n’y

était pas invité (a). Puis, le juge analyse chacun des dispositifs expérimentaux pour déclarer

leur conformité à la Constitution (b).

a. L’étonnante validation de la constitutionnalisation de

l’expérimentation

Dans le considérant 9 de cette décision, le Conseil Constitutionnel se prononce sur

l’introduction du droit à l’expérimentation dans la Constitution lors de la révision du 28 mars

2003. Les Neuf sages indiquent en effet que le pouvoir constituant a le pouvoir d’introduire

dans la Constitution de nouvelles dispositions qui « dérogent à des règles ou principes de

valeur constitutionnelle ». Tel est le cas en l’espèce de l’article 37-1 qui introduit dans la

Constitution un droit à l’expérimentation. Ce droit déroge « au principe d’égalité devant la

loi ». Ce droit de déroger aux principes déjà présents dans la Constitution n’est pas une

innovation de la décision de l’été 2004. On retrouve le même considérant dans la décision de

2003 relative à la loi organique sur l’expérimentation270 et il est la reprise d’un considérant

qui trouve son origine dans la décision du 15 mars 1999 relative à la loi organique sur la

Nouvelle-Calédonie271. « Ainsi, la technique de la dérogation permet une adaptation ad hoc

des normes constitutionnelles aux nouvelles dispositions introduites dans la Constitution par

le pouvoir constituant dérivé ».272 Cependant, cette décision pose question car le Conseil

indique que « rien ne s’oppose, sous réserve des prescriptions des articles 7, 16 et 89 de la

Constitution, à ce que le pouvoir constituant introduise dans le texte de la Constitution des

dispositions nouvelles ». Le Conseil Constitutionnel donne ici l’impression d’effectuer un

contrôle de constitutionnalité par voie d’exception de l’article 37-1 de la Constitution. Cette

incise semble relancer le débat sur le contrôle des révisions constitutionnelles. Initié par la

décision Maastricht II273, la position ambiguë du Conseil consistait à admettre que « le

pouvoir constituant est souverain ; mais certaines limites doivent être observées ».274 Ce

270 Conseil Constitutionnel, n°2003-478DC du 30 juillet 2003, loi organique relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales, cons. 3, JORF, 2 août 2003, p.13302. 271 Conseil Constitutionnel, n°99-410DC du 15 mars 1999, loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, JORF, 21 mars 1999, p.4234, cons. 3. 272 LE MOIGNE Marthe, « Bloc de constitutionnalité et « droit post moderne » », RGCT, n°34, 2005, p.178. 273 Conseil Constitutionnel, n°92-312 du 2 septembre 1992, loi autorisant la ratification du Traité sur l’Union européenne, JORF, 3 septembre 1992, p.12095, cons. 19 274 FAVOREUX Louis, PHILIP Loïc, Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, Commentaire n°49, Paris, Dalloz, 2005, 13e édition, p.872.

112

débat semblait pourtant définitivement clos depuis la décision de mars 2003 où le Conseil

s’était déclaré incompétent pour apprécier la conformité à la Constitution de la révision

constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République275. La décision de

l’été 2004 relance le débat puisqu’elle indique que le pouvoir constituant connaît des limites.

Le juge constitutionnel reproduit cependant le problème déjà rencontré en 1992 à savoir qu’il

ne se prononce pas sur qui doit procéder à un tel contrôle. « Le considérant 9 de la décision

commentée fait ressortir la situation paradoxale à laquelle aboutit la position adoptée par le

juge à propos des révisions constitutionnelles ».276

Le Conseil constitutionnel déduit de l’ensemble de ces considérations que le

Parlement peut autoriser une expérimentation à certaines conditions. Ces conditions,

développées dans le considérant 9 de la décision, sont que les expérimentations doivent être

menées « dans la perspective de leur éventuelle généralisation », qu’elles doivent avoir un

objet et une durée limitée et que, enfin, « le législateur doit en définir de façon suffisamment

précise l’objet et les conditions et ne pas méconnaître les autres exigences de valeur

constitutionnelle ». On retrouve là peu ou prou les exigences de la jurisprudence

constitutionnelle antérieure. Il est toutefois permis de critiquer le fait que le Conseil

Constitutionnel ne fait aucune référence dans cette décision à l’obligation d’évaluation de

l’expérimentation. Les dispositifs expérimentaux déférés devant lui prévoyaient cette

évaluation. Le Conseil n’y fait pourtant aucune référence. L’évaluation étant un élément

constitutif de l’expérimentation, il est étrange que le Conseil n’ait pas rappelé sa nécessité. On

peut naturellement s’interroger sur ce silence. Est-il lié au fait que les dispositifs contestés

prévoyaient leur évaluation ou est-ce que le Conseil aurait modifié ses exigences ? On peut

espérer qu’il ne s’agit là que d’un oubli de la part des Sages de la rue Montpensier. L’article

37-1 de la Constitution ne prévoit pas cette exigence d’évaluation. Le Conseil Constitutionnel

a peut-être adapté sa jurisprudence au nouveau texte de la norme fondamentale. Toutefois,

une expérimentation pour laquelle aucune évaluation ne serait exigée ne peut être qualifiée

comme telle.

Le Conseil indique également dans sa décision que la loi d’habilitation ne peut porter

atteinte aux « autres exigences de valeur constitutionnelle ». Cette disposition renvoie à

275 Conseil Constitutionnel, n°2003-469DC du 26 mars 2003, loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République, JORF, 29 mars 2003, p.5570. 276 LE MOIGNE Marthe, op. cit., p.177.

113

l’ensemble des dispositions constitutionnelles, en dehors du principe d’égalité. Il s’agit ici

d’une mise en garde à l’encontre du Parlement et du Gouvernement. Si la loi d’habilitation ne

peut porter atteinte à une disposition constitutionnelle, il doit en être de même durant

l’expérimentation. Le Conseil Constitutionnel se prononce au sujet d’actes qui n’ont pas

encore été adoptés, les actes expérimentaux. Ces actes devront nécessairement respecter la

Constitution. Il est possible d’opérer ici un parallèle avec le contrôle des lois habilitant le

Gouvernement à intervenir par voie d’ordonnance, conformément à l’article 38 de la

Constitution. Si contrairement à l’expérimentation, les ordonnances ont vocation à être

pérennes, elles ont en commun de faire intervenir une loi d’habilitation. Le Conseil

Constitutionnel pourra se prononcer sur cette loi. Toutefois dans les deux cas, le contenu de la

loi ne sera pas précis puisqu’elle permet la mise en œuvre de d’autres types d’actes,

expérimentaux ou ordonnances, qui ne sont pas encore adoptés. Dès lors, « par ce contrôle, le

Conseil se situe dans une logique prospective, qui le conduit à anticiper le contenu des

futures ordonnances par rapport aux dispositions de la loi d’habilitation, parce qu’il peut

seulement « supposer » une future inconstitutionnalité ».277 Le raisonnement peut être étendu

au cas de l’expérimentation. Le juge constitutionnel ne peut pas savoir à l’avance comment

vont se dérouler les expérimentations. En prononçant la constitutionnalité de la loi portant

expérimentation, le Conseil valide d’avance la constitutionnalité des expérimentations elles-

mêmes.

b. L’analyse des dispositifs expérimentaux

Le juge constitutionnel analyse ensuite chacun des dispositifs expérimentaux contestés

pour en déclarer la conformité à la Constitution. Sur les sept dispositifs expérimentaux que

contenait la loi relative aux libertés et responsabilités locales quatre ont fait l’objet de griefs

devant le Conseil Constitutionnel. Cette saisine portait sur l’adéquation de ces

expérimentations avec le principe d’égalité.

La première disposition contestée était l’article 1 §II relatif à l’expérimentation sur les

schémas régionaux de développement économique. La saisine exposait le fait que « les

critères de choix de l’État ne sont pas autrement précisés ». Selon le Conseil,

l’expérimentation prévue à l’article 1er de la loi ne contrevient pas au principe d’égalité

277 VERPEAUX Michel, « Les ordonnances de l’article 38 ou les fluctuations contrôlées de la répartition des compétences entre la loi et le règlement », Les cahiers du Conseil Constitutionnel, n°19, 2005, p.98.

114

puisque « toutes les régions pourront élaborer un schéma régional de développement

économique et que l’État leur délèguera les aides qu’il attribue dès lors que ce schéma

répondra aux conditions fixées par la loi ».

L’expérimentation prévue à l’article 44 est relative à la gestion des fonds structurels

européens. Cette disposition était critiquée par les requérants qui estimaient que le choix de la

collectivité expérimentatrice serait fait de façon discrétionnaire par les services centraux. Le

Conseil Constitutionnel rejette cette argumentation puisqu’il constate que « ces dispositions

prévoient explicitement la primauté de la région » et que les « autres collectivités territoriales

ne pourront être candidates à une telle expérimentation que si la région ne souhaite pas y

participer ». Contrairement à ce que soutenaient les requérants, il n’y a donc pas dans cette

expérimentation de possibilité de « contourner »278 les régions.

Le troisième dispositif expérimental contesté était celui prévu à l’article 70 de la loi,

qui permet aux régions de participer au financement et à la réalisation d’équipements

sanitaires. Les requérants critiquaient le caractère discrétionnaire du choix de la seule région

pour participer à cette expérimentation puisque « aucune indication ne figure sur les critères

de ce choix ». Les requérants faisaient également griefs à cette disposition de ne pas avoir

précisé le contenu de la convention, passée entre la région et l’agence régionale

d’hospitalisation, ce qui se traduirait par des inégalités de traitement. Le Conseil

Constitutionnel rejette, là aussi, les griefs. Il estime que cette expérimentation « est offerte de

plein droit à toute région qui en ferait la demande ». Quant au contenu de la convention, il

« se bornera à servir de cadre à l’intervention de la région et à fixer les modalités de sa

participation financière, après délibération du conseil régional ». Il n’y a là aucune incidence

sur l’égalité de traitement pour le juge constitutionnel.

Enfin, dernière disposition expérimentale contestée, l’article 86 de la loi, qui

permettait de tester un nouveau mode d’organisation des écoles primaires, grâce à la création

d’établissements publics d’enseignement primaire. Les requérants faisaient ici grief au texte

de « renvoyer à un décret en Conseil d'État les règles d’organisation qui ne sont pas plus

précisément définies par le loi ». La saisine voulait faire apparaître une incompétence

négative du législateur, non pas tant par rapport à l’expérimentation elle-même mais

concernant la création d’un établissement public. Selon l’article 34 de la Constitution, seul le

législateur est compétent pour « la création de catégorie d’établissements publics ». Le

Conseil Constitutionnel rejette cette argumentation puisqu’il considère que « ces

278 La saisine parlementaire faisait grief à cette disposition de donner, au Gouvernement, « la possibilité de contourner les régions qui refusent l’expérimentation ».

115

établissements publics locaux d’enseignement ne constituent pas une catégorie nouvelle

d’établissements publics ». Dès lors, il était loisible au législateur de renvoyer à un décret en

Conseil d'État la détermination de règles d’organisation et de fonctionnement de ces

établissements.

Les expérimentations prévues dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales

ont fait l’objet d’un contrôle par le Conseil Constitutionnel, ce qui n’est pas le cas des lois

relatives à l’expérimentation du RSA.

2. L’absence de contrôle des lois portant expérimentation du RSA

Comme déjà exposé précédemment, la mise en place de l’expérimentation relative au

RSA a nécessité l’intervention de trois dispositifs législatifs. Parmi ces lois, aucune n’a fait

l’objet d’un recours devant le Conseil Constitutionnel concernant l’expérimentation du RSA.

La loi relative au travail, à l’emploi et au pouvoir d’achat de l’été 2007 a fait l’objet

d’une saisine du Conseil Constitutionnel, mais relative aux exonérations fiscales contenues

dans la loi279. Cette décision se termine par l’habituel considérant selon lequel « il n’y a lieu,

pour le Conseil Constitutionnel, de soulever d’office aucune autre question de conformité à la

Constitution ». Ce dernier considérant a pour conséquence d’accorder un brevet de

constitutionnalité à l’ensemble des dispositions de la loi, non contestées devant le Conseil. Il

faut en déduire que les articles de la loi du 21 août 2007 relatifs à l’expérimentation sur le

RSA sont conformes à la Constitution. Une autre solution aurait été difficilement

envisageable puisque les dispositifs étaient suffisamment précis et remplissaient l’ensemble

des conditions relatives aux lois expérimentales. L’expérimentation était circonscrite dans son

objet et sa durée, l’évaluation était prévue et l’expérimentation avait vocation à préfigurer une

généralisation du dispositif.

Il est toutefois possible d’opérer une critique de cette expérimentation sur la base de la

jurisprudence constitutionnelle. Le législateur en faisant intervenir trois lois différentes pour

mettre en place cette expérimentation n’a pas respecté « l’objectif à valeur constitutionnelle

279 Conseil Constitutionnel, n°2007-555DC du 16 août 2007, loi n°2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, JORF, 22 août 2007, p.13959.

116

d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ».280 Cet objectif vise à contrôler la qualité de la loi.

Il s’agit de vérifier que l’accessibilité, tant matérielle qu’intellectuelle de la loi, est assurée.

Du point de vue l’intelligibilité, il s’agit de « contrôler la clarté et la précision de la

disposition contestée ».281 Or la multiplication des dispositifs législatifs dans la mise en place

de l’expérimentation du RSA complexifie d’autant plus sa compréhension. Cette absence de

clarté des dispositions sur l’expérimentation n’aura pas pu être contestée devant le juge

constitutionnel puisque ce n’est pas une disposition en particulier qui contrevient à l’objectif à

valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi. Ce qui est critiquable dans cette

expérimentation, c’est un ensemble. D’autant plus que, à la suite de certains auteurs, on peut

admettre que « l’objectif à valeur constitutionnelle, s’il prend un sens positif de contrainte

pour l’État, exprimant ainsi un devoir des pouvoirs publics, n’engendre pas pour autant un

droit de créance que pourrait évoquer une personne ».282 L’expérimentation étant par nature

source de perturbation pour le citoyens, il est important que sa mise en œuvre au niveau

législatif soit claire. Telle n’est pas le cas pour l’expérimentation relative au RSA, ce qui est

d’autant plus regrettable puisque les destinataires de cette expérimentation sont les

administrés eux-mêmes.

Une fois l’expérimentation réalisée et évaluée, il faudra décider de son issue.

L’objectif d’une expérimentation, en principe, est de procéder à la généralisation du

dispositif. Si l’expérimentation avait lieu dans le domaine législatif, c’est par la loi que le

dispositif serait généralisé, offrant une nouvelle possibilité d’intervention du Conseil

Constitutionnel.

§2. Le contrôle des lois de généralisation

Les lois portant généralisation d’un dispositif expérimental sont des lois ordinaires.

Elles peuvent donc être déférées devant le Conseil Constitutionnel dans les conditions

normales du recours. Le juge opère alors un contrôle de constitutionnalité des dispositions qui

auront été auparavant expérimentées. L’intérêt d’un tel contrôle est essentiellement en matière

d’expérimentation dérogation. Dans le cadre de l’article 72, alinéa 4, les collectivités 280 Conseil Constitutionnel, n°99-421DC du 16 décembre 1999, loi portant habilitation pour le Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie Législative de certains codes, JORF, 22 décembre 1999, p.19041, cons. 13. 281 MILANO Laure, « Contrôle de constitutionnalité et qualité de la loi », RDP, n°3, 2006, p.647 282 FRISON-ROCHE Marie-Anne, BARANÈS William, « Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi », Recueil Dalloz, n°23, 2000, p.362.

117

territoriales peuvent être autorisées à déroger aux domaine de la loi et du règlement. Elles

peuvent adopter des dispositions qui matériellement interviennent dans le domaine de

compétence du législateur. Ces dispositions seront ensuite généralisées et elles pourront être

soumise à un contrôle de constitutionnalité.

Un tel contrôle n’a jusqu’à maintenant encore jamais eu lieu (B) et on peut donc

s’interroger sur le contenu de ce contrôle (A).

A. Le contrôle du respect de la procédure

On peut supposer qu’une loi procédant à la généralisation d’un dispositif expérimental

soit soumise au Conseil Constitutionnel. L’intérêt d’une telle requête se trouve dans la

possible contestation du respect de la procédure expérimentale. La procédure expérimentale,

encadrée par la Constitution et une loi organique, doit être respectée. Toutefois, il faut

également préserver la souveraineté du Parlement. Une telle hypothèse conduirait alors le

Conseil Constitutionnel à opérer une conciliation entre l’obligation de suivre la procédure

expérimentale telle qu’elle est prévue dans les textes et la souveraineté du Parlement. Du

point de vue de la procédure législative, le droit à l’expérimentation impose le respect d’un

certain nombre de délais : pour la durée de l’expérimentation, pour sa prolongation, pour le

dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi sur sa généralisation ou son abandon. Le Conseil

Constitutionnel pourrait ici trouver des raisons de déclarer des dispositions contraires à la

Constitution. « On voit mal d’ailleurs, ce vice étant ici très probablement substantiel,

comment la loi pourrait échapper à la censure du juge constitutionnel ».283 Plus que le fond

de la loi, ce qui peut être source d’une inconstitutionnalité en matière d’expérimentation c’est

le non-respect de la procédure.

Le Parlement demeure toujours le maître de la production législative. Rien ne lui

interdit de se déjuger ou de revenir sur ce qu’il a décidé. Ainsi, il peut très bien décider de

l’abandon de l’expérimentation avant même la fin de celle-ci ou au contraire procéder à sa

généralisation avant même son évaluation. Le Conseil Constitutionnel pourrait difficilement

opérer la censure d’une loi sur le fondement d’une telle argumentation. Il y aurait un trop

grand risque pour lui d’être accusé de vouloir mettre en place un gouvernement des juges.

Visant alors à sa propre sauvegarde, le juge constitutionnel sera assez peu enclin à ce type de

contrôle. Toutefois un tel contrôle ne s’est encore jamais produit.

283 RICCI Jean-Claude, « Regards juridiques sur l’expérimentation en matière de collectivités territoriales », in Les collectivités locales et l’expérimentation : perspectives nationales et européennes, op. cit., p.215.

118

B. L’absence de contentieux dans les faits

La plupart des expérimentations prévues dans la loi du 13 août 2004 sont encore en

cours. Dès lors, aucune loi n’est encore intervenu pour procéder à la généralisation des

transferts et il n’existe donc aucun contentieux. Ces dispositions procèdent à des

expérimentations transferts. Si ces transferts sont généralisés, le risque devant le Conseil

Constitutionnel est de connaître une censure pour non-respect de l’autonomie financière des

collectivités locales. Le transfert de nouvelles compétences aux collectivités implique

également le transfert de nouvelles charges. Ces nouvelles charges obligatoires pour les

collectivités territoriales sont autant de limitations de leur autonomie financière. S’il est

loisible au législateur de créer de nouvelles catégories de dépenses pour les collectivités

territoriales, ces charges « doivent être définies avec précision quant à leur objet et à leur

portée et ne sauraient méconnaître la compétence propre des collectivités territoriales ni

entraver leur libre administration ».284 Le Conseil se montrera sûrement très vigilant sur cet

élément au moment de la généralisation de ces transferts.

L’expérimentation relative au RSA a fait l’objet d’une généralisation avant même la

fin de l’expérimentation. C’est l’objet de la loi n°2008-1249, du 1er décembre 2008285. Le juge

constitutionnel n’a pas été saisi de cette loi, essentiellement pour des raisons politiques

d’ailleurs. Le texte n’a donc été soumis à un aucun contrôle « alors que certaines de ses

dispositions auraient sans nul douté mérité un examen ».286 Il existe un consensus autour de

l’adoption de cette disposition. Toute la classe politique a admis la généralisation du RSA – la

proposition d’un tel revenu était d’ailleurs présente dans le programme des deux candidats au

second tour de l’élection présidentielle – la contestation de cette loi devant le Conseil était

alors peu envisageable.

En plus d’un contentieux devant le juge constitutionnel, l’expérimentation peut

conduire à l’intervention du juge administratif, dans un cadre qui reste encore à préciser

284 Conseil Constitutionnel, n°90-274DC du 29 mai 1990, loi visant à la mise en œuvre du droit au logement, JORF, 1er juin 1990, p.6518, cons. 16. 285 Loi n°2008-849 du 1 décembre 2008, généralisant le revenu de solidarité active et reformant les politiques d’insertion, op. cit. 286 RIHAL Hervé, op. cit., p.198

119

Section 2. Un contentieux administratif à clarifier

Différents types d’actes relatifs à des expérimentations peuvent être source de

contentieux devant le juge administratif. On s’intéressera ici uniquement au contentieux des

actes dérogatoires adoptés par les collectivités territoriales durant une expérimentation

dérogation. Cette question est la plus intéressante car il existe une certaine incertitude quant à

la nature de ces actes et du contrôle opéré à leur égard.

Il existe effectivement un autre type de contentieux qui est celui relatif aux décrets

portant expérimentation. Les expérimentations intervenant dans le domaine réglementaire

sont décidées par le Gouvernement et mises en œuvre par décret en Conseil d'État. Ces

décrets peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, et plus particulièrement

devant le juge suprême de l’ordre administratif, puisque ce sont des actes administratifs.

Toutefois, il n’existe pas d’exemple d’un tel contentieux depuis la révision constitutionnelle

de 2003. Le contenu théorique du contrôle opéré par le Conseil d'État est toutefois simple. Il

s’agit pour le Conseil d'État de réaliser sur ces décrets un contrôle qui se rapproche de celui

exercé par le Conseil Constitutionnel sur les lois portant expérimentation. Le juge

administratif doit vérifier que le décret comporte bien l’ensemble des éléments nécessaires

pour qu’il soit qualifié d’expérimentation. On retrouve alors le triptyque définissant

l’expérimentation à savoir un objet et une durée limités, l’obligation de procéder à une

évaluation et l’objectif de procéder à la généralisation du dispositif en cas de résultats positifs.

De même pour les actes procédant à la généralisation du dispositif expérimental, ils peuvent

également faire l’objet d’un contrôle, similaire à celui que le Conseil Constitutionnel pourrait

opérer sur les lois de généralisation. L’objet de ce contrôle est alors de vérifier que la

procédure expérimentale a bien été respectée, notamment les différents délais impartis.

Il existe également un autre risque de contentieux administratif, c’est sur la base des

conventions passées entre l’État et les collectivités expérimentatrices. Ces conventions, qui

sont les feuilles de routes des administrations locales, relèvent de la compétence du juge

administratif puisqu’elle sont conclues entre deux personnes publiques et qu’elles portent sur

l’exercice de leurs compétences respectives. Ces conventions portent les engagements

réciproques de l’État et des collectivités territoriales dans le cadre de l’expérimentation. Elles

pourraient être annulés en « l’absence de précision suffisante de l’étendue (périmètre) de la

120

compétence expérimentée et des attributions y afférentes ».287 Ces conventions ont un

caractère obligatoire pour chacune des parties, leur responsabilité peut donc être engagée en

cas de non-respect de leurs engagements. Les collectivités locales peuvent exiger le paiement

par l’État de la part de l’expérimentation que celui-ci s’était engagé à financer ou encore

exiger le transfert des personnels et biens nécessaires à l’exercice de la compétence

expérimentale. « En revanche, on peut se demander de quel préjudice de l’État pourrait se

prévaloir en cas d’inexécution du contrat ».288 Le transfert de compétences par

l’expérimentation implique aussi un transfert de responsabilité. Les collectivités territoriales

mettent en jeu leur responsabilité, c'est-à-dire que les dommages causés par la mise en œuvre

de la compétence expérimentale sont imputés à la collectivité expérimentatrice. Le risque

engagé pour la collectivité semble être quelque peu excessif. Une collectivité locale peut voir

sa responsabilité engagée pour une compétence exercée à titre expérimental qu’elle n’est

même pas sûre de conserver définitivement.

L’objectif est ici d’analyser les actes pris dans le cadre de l’expérimentation prévue à

l’article 72, alinéa 4, de la Constitution. Durant l’expérimentation, les collectivités

territoriales sont autorisées à adopter des actes qui, s’ils sont formellement des actes

administratifs, peuvent intervenir à la fois dans le domaine de la loi et dans le domaine du

règlement. Cette dualité interroge sur le type d’acte dont il s’agit. D’ailleurs pour mettre en

évidence ce caractère dual, on a pu trouver ces actes qualifiés d’actes « chauve-souris »289

sous la plume d’un auteur. L’incertitude sur la nature de ces actes se retrouve dans leur

régime contentieux. Ces actes ne peuvent être soumis au régime contentieux de droit commun

des actes administratifs, mais le législateur organique n’a pas été jusqu’à créer un régime

contentieux totalement original pour ces actes. Les actes dérogatoires sont soumis à un

contrôle spécifique qu’on peut rapprocher de celui que le Conseil d'État opère sur les

ordonnances de l’article 38, de la Constitution, avant leur ratification.

Il faut donc analyser la nature juridique des actes dérogatoires (§1) pour comprendre le

contrôle opéré par le juge administratif (§2).

287 CHAVRIER Géraldine, « Expérimentation territoriale », op. cit., p.14. 288 Idem, p.14. 289 JANIN Patrick, « L’expérimentation juridique dans l’acte II de la décentralisation », JCP-A, n°41, 2005, p.1528.

121

§1. Des actes hybrides

Les actes adoptés par les collectivités locales durant la période d’expérimentation sont

des actes à part. Ils ont une double nature. « La nature juridique des actes dérogatoires

expérimentaux a fait l’objet de nombreux débats lors de l’examen de la loi

constitutionnelle ».290 Ce sont des actes administratifs puisqu’ils sont adoptés par les autorités

locales mais ils peuvent intervenir dans le domaine de la loi, à titre dérogatoire. Ils sont

formellement administratifs et leur contenu peut être de nature législative. On se retrouve

alors dans une situation quelque peu paradoxale où un acte administratif est autorisé à déroger

à des dispositions législatives. L’ordonnancement hiérarchique des normes n’est plus respecté

durant la période expérimentale. La Constitution demeure toujours au sommet de cette

hiérarchie, mais, au niveau inférieur, le règlement peut intervenir dans le domaine qui ressort

normalement de la compétence du législateur.

Cette double nature n’est pas plus développée dans les textes. Le CGCT dispose en

son article LO 1113-3 qu’il s’agit d’ actes « à caractère général et impersonnel d’une

collectivité territoriale portant dérogation aux dispositions législatives ». Durant la période

d’expérimentation, les collectivités territoriales – disposant en principe seulement d’un

pouvoir réglementaire – sont admises à déroger aux normes législatives. Le pouvoir

réglementaire local se voit accorder le droit de modifier des dispositions législatives.

L’expérimentation fait perdre, pour une durée limitée, le monopole dont dispose

habituellement le Parlement. Le domaine de la loi n’est plus réservé à la seule représentation

nationale, les autorités locales peuvent intervenir dans un domaine qui leur est normalement

interdit. L’expérimentation modifie, pour un objet et une durée limités, la répartition des

compétences en matière législative. Il n’est pas alors aisé de ranger ces actes dans la pyramide

des normes classique. « Ces actes s’apparentent à des sortes d’actes « intermédiaires » entre

la loi et le règlement ».291 Dès lors, comme en matière d’ordonnance, c’est le régime juridique

de ces actes qui les impose comme des actes administratifs. « En soumettant [une ordonnance

de l’article 38 de la Constitution] au régime contentieux des actes administratifs, le Conseil

d'État affirme la nature administrative de l’acte qui dès lors, découle du régime contentieux

qu’il suit et non l’inverse ».292 On peut admettre le même raisonnement pour les actes

dérogatoires. Le CGCT ne dispose pas qu’ils sont des actes administratifs. Cependant leur 290 PIRON Michel, Rapport n°955, op. cit., p.31. 291 BROSSET Estelle, op. cit., p.726. 292 BOYER-MÉRENTIER Catherine, Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution du 4 octobre 1958, Thèse, Presses Universitaires d’Aix-Marseille – Economica, Paris, 1996, p.156.

122

régime contentieux est le même que ceux-ci – ce qui n’est pas sans conduire à quelques

interrogations sur les modalités du contrôle de légalité exercé sur ces actes.

§2. Un contrôle spécifique

La lecture du CGCT laisse à penser que les actes expérimentaux sont soumis à un

recours de droit commun (A). Toutefois, la nature spécifique de ces actes entraîne une

nécessaire adaptation du contrôlé opéré par le juge (B).

A. La soumission au recours de droit commun

C’est l’article LO 1113-4 du CGCT qui prévoit la nature du contrôle opéré par le juge

administratif sur les actes dérogatoires. Cet article dispose que « le représentant de l’État peut

assortir un recours dirigé contre un acte pris en application du présent chapitre [celui relatif

à l’expérimentation] d’une demande de suspension ; cet acte cesse alors de produire ses effets

jusqu’à ce que le tribunal administratif ait statué sur cette demande. Si le tribunal

administratif n’a pas statué dans un délai d’un mois suivant sa saisine, l’acte redevient

exécutoire ».

Il n’est pas évident à la seule lecture de cette disposition que les actes expérimentaux

soient soumis au recours de droit commun. Il n’est pas dit explicitement dans cet article que le

juge administratif connaît des actes expérimentaux dans les mêmes conditions qu’un recours

de légalité normal. C’est le fait que cet article évoque le tribunal administratif et le recours

opéré par le préfet devant celui-ci. La rédaction de l’article peut toutefois laisser planer un

doute. D’ailleurs, lors de son passage en Commission à l’Assemblée nationale cet article avait

été amendé. Il avait été « adopté un amendement du rapporteur indiquant de façon explicite

que les actes expérimentaux dérogatoires sont soumis aux mêmes règles de contrôle que les

actes de droit commun des collectivités territoriales ».293 Force est de constater que cet

amendement n’a finalement pas été adopté. C’est dommageable car un tel amendement, loin

d’alourdir un peu plus la rédaction du Code, aurait apporté une importante explication.

L’amendement, dans l’esprit des membres de la Commission, visait à améliorer « la clarté et

la bonne compréhension de la loi organique ».294 Les actes expérimentaux sont soumis au

régime de droit commun quant à leur contrôle de légalité. Cependant, ce sont des actes

293 PIRON Michel, Rapport n°955, op. cit., p.32. 294 Idem

123

spécifiques, puisqu’ils peuvent intervenir en matière législative, le contrôle sera donc

nécessairement adapté. Pourtant, « le contrôle administratif sur les actes expérimentaux pris

par les collectivités territoriales dans le domaine législatif ne paraît pas, a priori, très

spécifique ».295

La caractéristique des actes expérimentaux est marquée à l’article LO 1113-4 avec la

demande de suspension dont le préfet peut assortir son recours. Une telle demande de

suspension existe dans le droit commun, ce qui est frappant ici c’est son inconditionnement.

Dans le cadre d’un recours de droit commun, la demande de suspension pour être accordée

doit répondre à certains critères, tel n’est pas le cas en l’espèce. « Nulle condition n’est exigée

pour l’octroi de cette suspension alors que le droit commun prévoit que celle-ci est accordée

lorsqu’il existe un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte ».296

Pour que la suspension soit accordée, il y a tout de même une condition, la demande doit être

déposée par le représentant de l’État en même temps qu’un recours en contrôle de légalité de

l’acte. Cette suspension accordée automatiquement laisse planer un doute sur la finalité du

contrôle. Le renforcement des pouvoirs du représentant de l’État à l’égard des actes des

collectivités locales pose question. On a l’impression que c’est une tutelle qui se remet en

place, alors même que celle-ci a été abolie depuis 1982297. La suspension de l’acte est

automatiquement accordée pour une durée d’un mois. L’objectif de la suspension est d’éviter

que ne se créent des situations de fait sur une base illégale. Au-delà de ce délai, si le juge

administratif ne s’est pas prononcé l’acte redevient exécutoire. Ce délai d’un mois, s’il est

nécessaire pour que le juge puisse statuer, demeure long dans le cadre d’une procédure

expérimentale qui doit être circonscrite dans le temps.

B. L’adaptation du contrôle aux actes dérogatoires

Les actes dérogatoires adoptés durant l’expérimentation sont de nature spécifique. Dès

lors ils ne peuvent pas être soumis à un contrôle de légalité classique. Ces actes peuvent être

amenés à déroger à la loi, leur contrôle de légalité doit nécessairement être adapté.

« Comment admettre qu’un acte soit soumis à des normes qu’il peut en même temps écarter ?

Il s’agit d’une approche pour le moins schizophrénique puisqu’elle exige d’admettre le

295 BROSSET Estelle, op. cit., p.731. 296 VERPEAUX Michel, « La loi organique relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales », JCP-A, n°20, 2004, p.662. 297 Loi n°82-213, du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, dite loi Defferre, JORF, 3 mars 1982, p.730, art. 2.

124

dédoublement du régime juridique de ces actes qui peuvent si hisser au rang législatif pour

modifier des dispositions législatives, mais retombent ensuite, comme « une énorme

baudruche », au rang réglementaire s’agissant de leur régime contentieux ».298 Le contrôle

de légalité opéré sur les actes adoptés à titre expérimental doit tenir compte de la nature

hybride de ces actes.

La réalisation d’un tel contrôle n’est pas une entière nouveauté pour le juge

administratif. Il est possible d’opérer un rapprochement entre le contrôle des actes

expérimentaux et le contrôle des ordonnances de l’article 38 de la Constitution avant leur

ratification. « Du point de vue, (…) de leur régime contentieux, ce sont des actes

réglementaires dont la validité peut être contrôlée tant au regard de la Constitution que de la

loi d’habilitation – ce qui est logique – mais aussi, à l’égard des principes généraux du droit

dont on sait qu’ils n’ont qu’un rang infra législatif et peuvent être écartés par la loi ».299 Les

deux types d’actes partagent ce caractère hybride, intervenant dans le domaine de la loi mais

relevant du régime contentieux des actes administratifs. Le Conseil d'État a développé depuis

longtemps une abondante jurisprudence relative au contrôle des ordonnances de l’article 38.

Cette jurisprudence peut largement être transposée au cas du contrôle des actes adoptés durant

l’expérimentation. Le juge administratif peut, ainsi, mettre en place un contrôle des actes

expérimentaux dont les éléments sont déjà connus. C’est un contrôle de légalité spécifique

mais pas entièrement nouveau qui doit se mettre en place.

Cinq éléments de contrôle peuvent être mis en évidence. Les actes adoptés à titre

expérimental doivent respecter la loi d’habilitation, les normes constitutionnelles, les

engagements internationaux de la France, les principes généraux du droit et, enfin, le juge doit

opérer un contrôle de proportionnalité sur les mesures adoptées.

Le juge doit s’assurer que les actes adoptés à titre expérimental respectent bien la loi

d’habilitation. Cette loi définit le cadre temporel mais aussi matériel dans lequel peuvent

intervenir les actes dérogatoires. Elle délimite le pouvoir d’intervention des autorités locales.

Le juge administratif doit veilleur au respect de ces limitations. Tout acte qui dérogerait à des

dispositions non prévues dans la loi d’habilitation devra être censuré. Le pouvoir

réglementaire local ne peut pas aller au-delà de l’habilitation qui lui a été donnée. Cependant,

l’expérimentation étant basée sur le volontariat, on ne pourrait pas censurer un acte

298 BROSSET Estelle, op. cit., p.730. 299 FAVOREU Louis (Dir), Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2008, 11e édition, p.844.

125

dérogatoire pour incompétence négative. Les autorités locales sont autorisées à déroger à un

certain nombre de dispositions de nature législative ou réglementaire durant

l’expérimentation, mais nullement obligées de déroger à toutes. Au contraire, le risque auquel

doit veiller le juge administratif est celui qu’une collectivité adopte des actes expérimentaux

dans des domaines où elle n’y a pas été autorisée. En matière d’ordonnance de l’article 38 de

la Constitution, le contrôle est similaire et le Conseil d'État vérifie que le Gouvernement n’est

pas allé au-delà de l’habilitation qu’il a reçue300. « L’ordonnance est bien sur contrôlée au

regard de la loi d’habilitation. (…) Le gouvernement ne peut exercer sa compétence que dans

les matières énumérées, dont il est plus exact de dire qu’il s’agit de mesures législatives

rigoureusement déterminées quant à leur domaine d’intervention et quant à leur finalité ».301

Il s’agit là pour le juge administratif de la part la plus importante du contrôle qu’il opère sur

ces actes. La loi d’habilitation étant le cadre de l’expérimentation, le juge doit s’assurer que

les autorités locales ne sortent pas de ce cadre. Le juge administratif doit également veiller à

la compétence de l’auteur de l’acte ainsi qu’à sa procédure d’édiction. La loi portant

expérimentation ou encore les conventions passées entre les collectivités expérimentatrices

peuvent prévoir à quelle autorité en particulier est attribuée la compétence expérimentée :

assemblée délibérante de la collectivité ou son exécutif. Le juge administratif contrôle que

l’autorité qui a adopté l’acte dérogatoire avait bien compétence pour le faire. De même en

matière de procédure d’édiction, les actes dérogatoires sont soumis à une procédure

spécifique qui suppose, en plus de la transmission des actes au représentant de l’État, une

publication au Journal Officiel. Respect de l’étendue de l’habilitation législative, compétence

de l’auteur de l’acte et respect de la procédure d’édiction, le contrôle de légalité opéré par le

juge administratif sur les actes dérogatoires est pour l’essentiel un contrôle de légalité externe.

Il semble nécessaire qu’il soit opéré, ensuite, un contrôle des actes expérimentaux à

l’égard des principes constitutionnels. Un tel contrôle est opéré pour les ordonnances302. Dans

les deux cas, la loi d’habilitation n’est pas un écran entre l’acte contrôlé et la Constitution. La

loi d’habitation ne contient pas de dispositions précises, elle est un blanc-seing, pour

intervenir librement dans une domaine strictement limité, accordé à l’administration – le

Gouvernement dans le cadre d’une ordonnance, le pouvoir local dans le cadre d’une

300 V. par ex. Conseil d'État, 3 juillet 1998, Syndicat des médecins Aix et région, Rec p.266. 301 BOYER-MÉRENTIER Catherine, « Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution : une place ambiguë dans la hiérarchie des normes », RFDA, 1998, p.933. 302 V. par ex. Conseil d'État, 17 décembre 1969, Conseil national de l’ordre des pharmaciens, Rec. p.584 ou, plus récemment, 1er décembre 1997, Union des professions de santé libérale SIS Action santé, Rec. p.449.

126

expérimentation. Dès lors cette habilitation ne peut pas faire écran entre l’acte contrôlé et la

Constitution. « La loi d’habilitation est par définition un écran partiel. Son contenu se limite

à établir la compétence matérielle et temporelle »303 des autorités administratives qui seront

autorisées à expérimenter. Ces autorités administratives détermineront ensuite elles-mêmes le

contenu des actes dérogatoires. C’est ce contenu qui devra être confronté aux normes

constitutionnelles. Même si ces actes peuvent intervenir dans le domaine de la loi, le juge

administratif devra opérer un contrôle de constitutionnalité à leur encontre. Seule spécificité,

le contrôle de constitutionnalité subit ici « un déplacement du juge constitutionnel au juge

administratif ».304

Le juge administratif doit également s’assurer que les actes dérogatoires adoptés par

les collectivités territoriales ne contreviennent pas aux engagements internationaux de la

France. Les actes adoptés durant l’expérimentation sont des actes administratifs, ils doivent

être conformes aux engagements internationaux. Le juge administratif pourra contrôler ces

actes à l’égard de traités internationaux, et notamment à l’égard de tout le droit

communautaire. Ce contrôle à l’égard des engagements internationaux de la France est

important. Si les dispositions avaient été adoptées directement par le Parlement, on sait que le

Conseil Constitutionnel – en l’état actuel de sa jurisprudence – refuse de contrôler une loi par

rapport aux traités. Au contraire le juge administratif contrôle le respect des traités. En

fonction de l’acte qu’il a à contrôler la nature du contrôle diverge. Face à une loi contraire à

un engagement international, le juge administratif ne peut qu’en écarter l’application en

l’espèce ; alors que face à un acte administratif contraire à ce même engagement, le juge peut

annuler cet acte. Le passage par le truchement de l’expérimentation permet alors d’effectuer

ce contrôle de manière plus approfondie.

Il existe un risque de contrariété, non négligeable entre les actes adoptés à titre

expérimental et le droit communautaire. Le droit communautaire est aujourd’hui une

importante source de notre législation nationale, notamment en droit économique.

L’expérimentation relative à l’adoption d’un schéma régional de développement économique

en est une illustration intéressante. L’adoption de ce schéma permet aux régions de gérer les

aides économiques attribuées aux entreprises, aides qui sont en principe gérées par l’État. Le

droit communautaire prohibe strictement les aides d’État, sur le fondement du paragraphe 2 303 BOYER-MÉRENTIER Catherine, « Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution : une place ambiguë dans la hiérarchie des normes », op. cit., p.926. 304 BOYER-MÉRENTIER Catherine, Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution du 4 octobre 1958, op. cit., p.170

127

de l’article 86 du traité sur la Communauté européenne. La jurisprudence communautaire a

quelque peu assoupli cette interdiction en autorisant de telles aides, à condition qu’elles visent

à compenser des obligations de service public305. Sans aller jusqu’à dire que les régions sont

moins compétentes que l’État pour accorder ces aides, la diversité des schémas régionaux de

développement économique adoptés est une source potentielle de contentieux avec le droit

communautaire.

Les actes dérogatoires, en tant qu’ils sont des actes administratifs, demeurent soumis

au respect des principes généraux du droit. Il en va, d’ailleurs, de même pour les ordonnances

non ratifiées306. Il y a là une véritable difficulté, symbolique de la nécessité de créer un

contrôle spécifique pour les actes dérogatoires. Les principes généraux du droit ont une valeur

infra législative mais supra décrétale. Or les actes adoptés durant l’expérimentation sont des

actes administratifs, mais peuvent contenir des dispositions de nature législative. Les

contrôler à l’aune des principes généraux du droit signifierait, alors, qu’ils pourraient être

censurés pour non-respect d’un tel principe, mais que le législateur lors de la généralisation

du dispositif pourrait écarter l’application de ce principe. On aboutit alors à une situation

paradoxale, qui se rencontre également en matière d’ordonnance. On peut alors rejoindre les

auteurs pour qui « le non-respect par l’ordonnance d’un principe général du droit ne peut

être sanctionné que s’il s’agit en réalité d’un dépassement du domaine habilité ».307 Le même

raisonnement peut être transposé aux actes dérogatoires. Dès lors, le respect par ceux-ci des

principes généraux du droit revient à un contrôle du respect du domaine d’habilitation.

Dernier élément sur lequel le contrôle du juge administratif doit porter c’est

l’adéquation entre la mesure adoptée et l’objectif visé. Le juge doit ici réaliser un contrôle de

proportionnalité. On sait que par définition une expérimentation porte atteinte au principe

d’égalité. Cette atteinte est admise au nom de l’intérêt général. Le juge doit opérer un contrôle

afin de s’assurer que l’objectif d’intérêt général n’est pas oublié et que l’atteinte au principe

d’égalité demeure limitée.

305 CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH c/ Nahverkehrsgesellschaft Altmark GmbH. , aff. C-280/00, Rec. p.I-7747. 306 V. par ex. Conseil d'État, 4 novembre 1996, Association de défense des sociétés de courses des hippodromes de province et autres, Rec. p.427. 307 BOYER-MÉTENTHIER Catherine, « Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution : une place ambiguë dans la hiérarchie des normes », op. cit., p.936.

128

En l’absence de contentieux dans les faits, ces quelques réflexions n’ont qu’une nature

prospective et ne peuvent préjuger du type de contrôle qu’effectuera le juge. Force est de

constater, toutefois, que le juge administratif dispose de l’ensemble des techniques

nécessaires à la réalisation d’un contrôle efficace sur les actes adoptés durant

l’expérimentation. Si les textes suggèrent, a priori, le recours à un contrôle de légalité

classique, il est nul doute que le juge adaptera ce contrôle à la nature hybride des actes

auxquels il est confronté dans pareil cas. Un contrôle de légalité de type classique serait trop

strict et conduirait à limiter l’initiative locale. L’expérimentation ayant pour but de permettre

aux collectivités territoriales d’adopter des normes innovantes et spécifiques, la réalisation

d’un contrôle de légalité classique ferait échouer un tel objectif. Un contrôle de légalité opéré

sur un acte dérogatoire par rapport aux dispositions législatives que ce même acte est autorisé

à écarter rendrait l’intérêt de l’expérimentation nul. Tout comme en matière d’ordonnances,

« la loi d’habilitation devient pour [les actes dérogatoires] la seule norme de référence que le

Conseil d'État peut leur opposer ».308 Lors du contrôle de légalité des actes dérogatoires, la

loi d’habilitation doit être l’horizon premier du contrôle du juge administratif. Il est cependant

dommage que ni le constituant, ni le législateur organique n’aient prévu les modalités de

contrôle des actes dérogatoires. Il aurait été plus « cohérent de reconnaître leur particularité

matérielle et d’adapter leur régime contentieux en conséquence, en prévoyant un contrôle de

légalité spécifique ».309

308 BOYER-MÉRENTIER Catherine, Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution du 4 octobre 1958, op. cit., p.168. 309 BROSSET Estelle, op. cit., p.730.

129

ANNEXE

130

Entretien réalisé le 20 janvier 2009

Mme Vaugelade et M Beldave

Responsables auprès Conseil Général de l’Hérault des questions d’insertion

Question : Pourquoi le département s’est-il lancé dans l’expérimentation sur le RSA ?

Réponse :

-Mme Vaugelade : Quand on a su qu’allait se mettre en place le revenu de solidarité active, on

avait depuis quelques temps déjà, dans l’Hérault, une expérience en matière de revenu

minimum d’activité, le RMA, qu’on avait beaucoup modifié. Le RMA quand il est sorti,

c’était un dispositif pour neuf mois renouvelables une fois, les mois travaillés ne

correspondaient pas aux mois cotisés pour la retraite et le nombre d’heures était relativement

bas. On s’était dit, ok on va dans le RMA mais on va le faire de manière héraultaise. Donc on

l’a fait plus court, six mois non reconductibles, sauf exception, et on avait accompagné le

RMA de toute une négociation avec l’entreprise pour mieux accompagner la personne dans

l’emploi. Fort de cette expérience on s’était rendu compte qu’on arrivait à un résultat de

l’ordre de 80% de nos RMA+ qui aboutissaient à une pérennisation dans l’emploi ; alors que

le résultat au niveau national du RMA classique était très mauvais. On s’est vite rendu compte

qu’en négociant avec les entreprises très tôt, en les sélectionnant et en accompagnant la

personne au RMI qui rentre dans l’emploi, on avait de très bons résultats en termes

d’insertion. Donc on était plutôt satisfaits. Du coup quand le RSA est arrivé on a été intéressé

puisqu’il parlait justement de la réintroduction dans le travail.

On a été assez en désaccord avec le principe à la base dans le sens, où pour nous, créer

un nouveau revenu de solidarité active ad vitam eternam, sans aucun accompagnement, sans

aucune négociation avec l’entreprise ça avait peu d’intérêt pour nous puisqu’en fait on allait

juste pallier le manque de revenu des salariés pauvres, mais on n’allait rien faire pour que la

précarité s’arrête et que ces salaires qui ne servent pas à vivre s’arrêtent aussi. Nous on n’est

pas pour la précarité, on est pour que les gens qui travaillent puissent vivre de leur salaire et

qu’ils n’aient pas besoin d’avoir des allocations ou des aides. Donc on a très tôt eu des

négociations avec Martin Hirsch, en lui disant qu’on pensait que dans le RSA il devrait mieux

intégrer la notion d’entreprise, de négociation, d’accompagnement et surtout avoir une

démarche très volontaire pour que le nombre d’heures augmentent. Si on reste à cinq heures

de travail par semaine, c’est très bien mais ça ne sert à rien. Donc on voulait à tout prix que le

nombre d’heures puisse augmenter. On a essayé de faire un RSA sur le modèle du RMA avec

131

un fort accompagnement dans l’emploi et surtout une négociation pour essayer d’augmenter

le nombre d’heures. Ce n’est pas ce qui a été retenu vraiment au niveau national, donc on va

appliquer le RSA tel que la loi nous l’impose. On va continuer quand même à avoir cette

démarche volontariste d’accompagnement dans l’emploi et d’essayer de faire monter le

nombre d’heures. Sauf que le volume de personnes qui va être au RSA demain va être

important, donc l’accompagnement demande des moyens. Et pour l’instant les moyens

alloués pour faire ce type de démarches ne sont pas très élevés. C’est un peu la problématique.

Au départ, le Gouvernement avait une idée un peu classique. Le RSA a été

expérimenté je crois dans les autres départements comme c’était prévu dans la loi, ils n’ont

pas eu autant de mesures d’accompagnement et de modification que nous avons demandées.

- M Beldave : L’expérimentation par définition a laissé des marges de manœuvre sur la

manière de faire sachant qu’il y avait un socle légal, quand même, à l’intérieur duquel il fallait

se placer.

- Mme Vaugelade : Je crois qu’on est quand même le département qui est allé le plus loin.

- M Beldave : Disons qu’on a innové, parce qu’on a inventé un certain nombre de choses.

Tirant parti de l’expérience du RMA notamment, une aide particulière qu’on a inventée qui

est une innovation de l’Hérault. Il y a peut-être les Bouches du Rhône qui avaient dû faire

quelque chose de similaire à ce qu’on a fait sur un levier qui permet d’inciter les entreprises à

donner plus d’heures aux bénéficiaires du RSA, les salariés à temps partiel de l’entreprise.

Cette aide consistant à financer la moitié du surcoût. Par exemple une entreprise qui s’engage

à donner plus d’heures à un salarié, le Conseil Général finance la moitié du surcoût pendant

six mois, sous conditions évidemment. C’est ce « sous conditions » qui est déterminant

d’ailleurs et qui vient de notre expérience du RMA. C’est le fait de conditionner l’aide à un

certain nombre de points sur lesquels on est vigilant, en particulier l’engagement de

l’entreprise à pérenniser les conditions qui ont été négociées au-delà du terme de l’aide. Pour

éviter l’effet d’aubaine, et mine de rien ça marche pas mal. Et pour le RMA c’est évident que

cette condition est efficace.

132

Question : Le Conseil Général a donc eu les mains assez libres durant l’expérimentation. Il y

a eu un côté très volontariste de la part du département.

Réponse :

- Mme Vaugelade : Oui on a été autorisé à faire ce qu’on voulait.

- M Beldave : D’ailleurs on a une petite ligne dans la loi du RSA, qui vient un peu de ce que

le département de l’Hérault a pu négocier. C’est la possibilité d’une aide supplémentaire qui

peut être accordée par le département aux entreprises qui s’engageraient à pérenniser des

conditions négociées. Mine de rien c’est une petite victoire.

- Mme Vaugelade : Ce qui est sûr c’est que quand on a commencé à négocier avec Martin

Hirsch, le fait qu’on insiste énormément sur cette volonté d’impliquer les entreprises dans le

dispositif et notre acharnement à vouloir augmenter le nombre d’heures, ça il ne le comprenait

pas du tout. Les premières négociations, il nous écoutait mais ne nous comprenait pas. Pour

lui, ce n’était pas possible qu’une entreprise accepte ces conditions. Et il nous demandait

comment on contraignait ces entreprises, où on les trouvait et pourquoi elles vont faire ça.

Donc on a eu un certain nombre de réunions un peu stériles, je dirai au départ, où on a mis un

certain temps avant qu’il ne nous prenne plus pour des fous mais qu’il accepte que notre idée

n’est pas forcément saugrenue. Ce qui le dérangeait, puisque l’intérêt d’une expérimentation

c’est qu’on ne soit pas tous d’accord, sinon il n’y a aucun intérêt parce que du coup on n’a pas

de bénéfice. Alors ce qui le dérangeait dans notre système c’est qu’il pensait que notre

système pouvait être un système élitiste et qu’il ne pourrait pas être un système généralisable,

à toutes les personnes bénéficiaires du RSA. C’est une question d’ailleurs en suspend car vu

le volume de personnes dont on doit s’occuper, je ne sais pas si on y arrivera. Donc c’est un

argument dont on peut tenir compte. Sauf que pour nous, ce n’est pas parce que c’est difficile

et que ça va demander d’énormes implications qu’il faut abandonner cette pratique. À la base

on n’est pas d’accord sur le principe fondateur du RSA. Pour Martin Hirsh, c’est une aide

objective qui tombe parce que « tu as un revenu qui ne te suffit pas pour vivre, donc on doit

t’aider ». Nous notre principe de base c’est qu’on ne doit pas accepter qu’un salaire soit à ce

niveau-là et empêche quelqu’un de vivre, on veut un salaire pour vivre. Donc on n’est pas

d’accord sur les principes, tout qui entérine cette vérité en disant on met des salaires bas, il y a

des travailleurs pauvres, on l’accepte, on les aide. Nous, ça, on n’arrive pas. On refuse

d’accepter une société qui ait des travailleurs pauvres. Donc on sait qu’ils existent mais notre

133

objectif c’est de faire qu’ils sortent de cette situation là et qu’ils n’aient plus besoin de nous.

C’est à partir de là qu’est arrivé un peu le quiproquo. À partir du moment où on a réussi à

négocier avant d’être un projet validé – puisque après il faut qu’on monte un projet, qu’on le

dépose à Paris, qu’il soit validé pour qu’on puisse être réellement reconnu comme

département expérimentateur et qu’on ait notre cahier des charges. Avant cette longue série de

négociations avec Paris, on a fini par les faire accepter et ils ont dit banco vous le faites.

Ensuite se mettent en place des réunions de travail avec des comités de pilotage dans lesquels

il y a tous les départements expérimentateurs, des réunions bilatérales entre le cabinet de

Martin Hirsch et le département qui expérimente. De là, il y a un peu un suivi de ce qui se

passe dans les départements pour avoir à la fin de l’expérimentation les différents résultats

selon les méthodes employées. Donc ça c’est l’intérêt même de l’expérimentation, et c’est

vrai que ça serait à renouveler. J’opposerai peut-être un bémol : c’est que c’est toujours très

dur pour un département qui expérimente un modèle qui marche, et qui n’est pas repris tel

quel au niveau de la loi, on ne supporterait pas qu’on nous empêche de le faire continuer.

Donc c’est pour ça que c’est important pour nous qu’il y ait cette phrase, on s’est battu pour

que la loi la prenne. Donc c’est un petit peu le côté ambigu de l’expérimentation. On ne peut

pas demander à une collectivité territoriale, surtout en matière sociale, de mettre en place tout

un dispositif et après de lui dire bon ok c’est pas mal votre truc mais vous arrêtez.

Question : N’y avait-il pas une peur du département de dire, on s’engage dans

l’expérimentation, mais à quoi ça va nous mener ? Est-ce qu’on va garder la compétence ?

Comment ça va être généralisé à la fin ?

Réponse :

- Mme Vaugelade : C’est un risque politique indéniable, mais on est un peu têtu.

- M Beldave : Et puis finalement ce qui se passe, c’est que sur les grandes idées de

l’expérimentation du RSA, telles qu’on les a appliquées dans l’Hérault, la loi de

généralisation est finalement assez proche. Il y a eu notamment des tractations assez

importantes sur des grands débats sur le mode de calcul de l’allocation RSA. Sur la version

expérimentale version État, on ajoute au plafond du RMI, 70% des revenus du travail, c’est ce

qui se pratique encore actuellement sur l’API – Allocation Parent Isolé – qui est gérée par

l’État. Sur le département de l’Hérault, il y a deux expérimentations, celle du Conseil Général

en direction du public bénéficiaire du RMI et à côté il y a la version État sur le public API,

134

gérée entre la CAF et l’État. Finalement cohabitent sur l’Hérault deux systèmes. Il se trouve

que ce qui est retenu par la loi de généralisation ça ressemble très fort à ce que le département

a fait. C'est-à-dire, au lieu de 60% ça va être 62%. Finalement c’est nous qui avions eu la

bonne idée les premiers. Ce qui permet au bout du compte de dire : une personne isolée qui

bénéficie du RSA, elle sort du dispositif un peu au-dessus du SMIC, c’est ce que permet ce

calcul. Alors que dans la version État, on sort à 1400€, donc nettement au-dessus du SMIC.

- Mme Vaugelade : Juste une parenthèse, l’intérêt aussi d’une expérimentation, c’est qu’avant

on avait des propositions de lois, des projets de lois qui sont discutés entre les députés et qui

sont votés. Là en fait avant que ne sortent les lois, il y a beaucoup plus de dialogue puisqu’il y

a des collectivités territoriales qui sont en train de travailler sur cette loi et qui expérimentent.

Donc il y a toute une préparation de la loi complètement différente, il n’y a pas que le débat

parlementaire avec des amendements. (…) L’inconvénient d’une loi souvent c’est qu’après il

y a des décrets d’application et qu’en fait en pratique quand on essaye d’appliquer on a X

problèmes techniques, incohérences, manque de coordination. Ça vient en contradiction avec

autre chose et en fait après le vote d’une loi, il y a toute une série de modifications, on doit

voter une autre loi pour modifier. Enfin on perd beaucoup de temps. Alors que là on est en

phase d’expérimentation, donc c’est normal qu’il y ait des flottements, c’est normal que ça

bouge ; tout le monde sait que c’est une expérimentation donc tout le monde accepte aussi que

les règles évoluent et l’administré sait aussi que c’est une expérimentation. Ça permet de

rôder, d’huiler en fait ces projets de loi, et d’arriver à ce que le projet normalement en bout de

course soit complètement opérationnel parce qu’il a été très bien testé. Donc ça je pense que

c’est l’intérêt premier de l’expérimentation. Sur ce cas-là, c’est vrai qu’on aurait eu la loi telle

que, tout le monde y aurait apporté des amendements, mais on aurait eu une loi quasiment

inapplicable dès le départ. En plus, quand on voit toutes les difficultés d’organisation que ça a

demandé dans les Conseils Généraux ; on a mis un certain temps à comprendre comment on

allait s’organiser, comment il fallait qu’on fasse, on change encore un peu nos systèmes, forts

de cette expérimentation. Mais toute cette somme d’expériences, ça veut dire qu’en fait, on va

parler avec les autres départements. Les autres départements qui n’ont pas expérimenté

peuvent demander aux départements qui l’ont fait comment ils se sont mis en place. Le

dialogue est plus facile parce qu’on est de collectivité à collectivité ; donc ce n’est pas

demander à l’État comment on va s’organiser mais c’est demander à une collectivité

équivalente comment elle l’a fait, on a plus de similitudes. Donc il y a le bénéfice de tout un

travail de beaucoup de gens qui apporte énormément en termes de cohérence et de pratique.

135

- M Beldave : Très concrètement ces derniers mois, il y a un certain nombre de groupes de

travail qui se sont réunis à Paris, qui réunissaient les grands acteurs de l’insertion : la CNAF

pour l’emploi, le Haut commissariat et les départements. Il y a une dizaine de groupes de

travail qui ont travaillé ces derniers mois sur différents thèmes qui sont au cœur du sujet, par

exemple l’accompagnement et l’orientation, les applicatifs informatiques qui vont permettre

ensuite de gérer le RSA en introduisant de nouvelles données qu’on n’avait pas l’habitude de

gérer dans le cadre du RMI. Tous ces sujets, notamment la participation des personnes

intéressées, c'est-à-dire des bénéficiaires, dans l’élaboration, la conduite et l’évaluation des

politiques d’insertion, tous ces grands thèmes ont été traités, négociés ces dernières semaines

et encore maintenant un petit peu puisqu’on est en train d’écrire les décrets, et le département

de l’Hérault y participe. Et donc ça permet au département de peser concrètement sur la

rédaction finale des textes de lois et de décrets.

- Mme Vaugelade : Oui, je pense que la grande différence entre un projet de loi non

expérimenté et un projet de loi expérimenté, si on doit le résumer, c’est que du coup les

personnes qui appliqueront la loi, les techniciens, les travailleurs, les administratifs, qui sont

vraiment dedans, ont plus leur mot à dire. Alors que normalement c’est très politique quand

on négocie une loi, ce sont les députés entre eux qui parlent, mais bon ils ne sont pas tous

dans les structures qui vont devoir appliquer ou dans des collectivités qui vont devoir

l’appliquer. Donc c’est quand même intéressant que les gens qui vont le mettre en œuvre

réellement tous les jours puissent avoir une implication dans la rédaction des lois. Parce que

souvent on se rend compte quand même que dans une loi ou même dans les décrets, la

personne est au fait du fond, elle sait ce qu’elle veut et elle a un objectif précis, sauf qu’elle ne

sait pas comment on le met en œuvre et soit il y a des choses qui ne sont pas traitées –

problème informatique qui peut être complètement oublié parce que personne n’y pense -

alors que les personnes qui sont vraiment les mains dans le goudron, elles vont dire halte là,

comment on fait là ? Donc les questions sont posées les unes après les autres, avec quand

même pour cette expérimentation là un très bon esprit.

Après sur l’aspect budgétaire, c’est vrai que quand on fait une expérimentation on a un

budget alloué par l’État pour nous aider dans cette mise en œuvre et que du coup ça permet à

un département de mettre des moyens, de perdre du temps, de réfléchir sans que tout le coût

pèse sur la collectivité. L’État prend en charge une bonne partie de l’expérimentation, c’est

plus que correct, après le reste on verra. C’est vrai qu’après le problème de fond quand on

136

travaille avec l’État c’est l’argent. Souvent ils commencent par dire qu’ils vont voter une

enveloppe, souvent en deçà de ce qu’on espère et une fois qu’ils ont déterminé l’enveloppe on

attend, on ne l’a jamais. C’est vrai que le Haut Commissaire Martin Hirsch jure aux grands

dieux que ça ne sera point comme pour les autres réformes auxquelles nous avons eu droit et

que lui ce qu’il a dit on l’aura. (…)

Sur le fait qu’on n’applique pas les mêmes règles partout, on n’est pas habitué à ça en

France, même si on est très attaché à la décentralisation, on a tous intrinsèquement l’esprit

État, un peu jacobin, partout en France c’est la loi qui s’applique. C’est un problème de

culture. Je pense qu’en partant pour trois ans, on aurait eu des gens qui auraient dit « oui mais

pourquoi lui il a le droit à ça et moi je n’ai pas le droit », parce que nous par exemple sur le

département de l’Hérault on n’a pas expérimenté sur tout le département, on a expérimenté

sur des territoires qu’on considérait être des territoires témoins, intéressants et représentatifs.

Donc gérer ce problème n’est pas aisé, trois ans c’est long quand même, les gens l’ont intégré,

au bout de trois ans le RSA tout le monde aurait su que ça existait. C’est la petite difficulté :

soit on arrive à changer un petit peu de mentalité, soit il faudra réduire les délais. Après le

côté impératif, c’est qu’il ne faut pas avoir un faux dialogue. C'est-à-dire qu’il y a des gens

qui disent « oui moi je suis pour la négociation », sauf qu’ils savent où ils veulent aller et ce

qu’ils veulent c’est convaincre les gens avec qui ils parlent. Ce sont des personnalités, ce sont

des systèmes qui existent très souvent. Martin Hirsch, on peut lui reconnaître une chose, c’est

qu’il est très volontariste, sauf que quand même il a une certaine capacité à écouter et à

intégrer ce qu’il entend. Donc ça ce n’est pas donné à tout le monde et certainement pas

facilement à des gens qui ont une culture étatiste, qui sont formatés différemment avec du

« descendant » et pas du « ascendant ».

- M Beldave : Il faut lui reconnaître aussi une qualité, c’est qu’il s’applique à lui-même les

préceptes qu’il met en avant. Par exemple, la démocratie participative, la participation des

personnes intéressées, dans la plupart des réunions de travail sur le sujet il y a à chaque fois

des représentants de bénéficiaires qui sont là.

- Mme Vaugelade : Après ça fait partie aussi de son image. Quand pour travailler son image,

on fait quelque chose de positif, c’est toujours bon à prendre.

137

Question : Le RSA donne un peu l’impression d’une partie de communication du

gouvernement. Derrière la façade, on expérimente, on sait déjà qu’on veut généraliser par la

suite.

Réponse :

- Mme Vaugelade : Notre président n’avait pas voté la loi sur le RSA, mais on a été

expérimentateur parce qu’on a considéré qu’il fallait aller plus loin. On n’est pas dupe, on sait

très bien que c’est l’image et la face sociale du gouvernement Sarkozy, qui n’est pas un

gouvernement social et qui n’en a rien à secouer en gros des pauvres. Sauf que c’est un

gouvernement qui travaille énormément son image, c’est une image importante à cultiver. Il a

su prendre Martin Hirsch, il le montre. Maintenant on a bien vu aussi quand il faut faire des

gros choix politiques ce qu’ils ont fait. On s’est bagarré pour avoir 1,5 milliard alors qu’au

départ il nous fallait 3 milliards de budget. Sur les 1,5 milliard, il a quand même souhaité que

ce soit financé en partie sur de l’épargne de couches sociales plutôt modestes. Donc il a

trouvé son argent, il a choisi son mode de financement, à côté de ça on a quand même les 300

millions d’euros pour les banques quand on est en crise et qu’en fait elles ont encore pas mal

d’immobilier et de biens. Donc ça on en n’est pas dupe, on le sait. Sauf que politiquement, on

a toujours dit que même si on n’est pas dupe, si ça peut être mieux pour les pauvres et pour

les gens qui ont besoin, nous, vu nos convictions politiques, on ne ferait pas de la politique

politicienne, on irait.

Question : Mais finalement n’a-t-on pas l’impression que l’État avait déjà son idée et qu’il

savait qu’il allait généraliser ?

Réponse :

- Mme Vaugelade : On savait qu’il allait généraliser, ça c’est évident. Là c’est la marge de

manœuvre, ça dépend de qui gère le projet. Martin Hirsch avait son idée bien précise, mais il

a su avoir cette capacité réelle à quand même entendre un certain nombre de choses et intégrer

des points et des idées qui sont remontés de l’expérimentation. Si on tombe sur une autre

personnalité beaucoup plus formatée étatique, avec la prédominance de l’État, ça peut n’être

que de la poudre aux yeux. C'est-à-dire qu’on fait expérimenter dans des conditions beaucoup

plus difficiles en termes de négociation, c'est-à-dire qu’on a un cahier des charges quasiment

pas négociable ; dans ce cas, c’est vrai qu’il n’y aura que des bénéfices de l’expérimentation

technique, c'est-à-dire est-ce que la loi est effectivement applicable ou pas. On aura quand

138

même un bénéfice, mais il n’y aura pas le bénéfice du savoir collectif et de toute la richesse

de l’application. Il y a des gens chez nous à des postes corrects, mais pas de grands directeurs,

qui ont participé à la rédaction des décrets. Le Gouvernement a intégré un certain nombre de

personnes, ce n’est pas Mme Machin, et elle n’est pas députée, elle n’a pas d’étiquette, elle est

une simple technicienne avec sa compétence propre. Ce sont souvent des gens très riches et ça

Martin Hirsch, l’a vu ; mais je ne suis pas sûre que toutes les expérimentations se passeront

comme ça. Après l’autre façade intéressante politiquement, c’est quand on veut faire une loi

et essayer de ne pas avoir trop de querelles au niveau du Parlement, on la fait expérimenter

par des collectivités territoriales qui n’ont pas la même étiquette politique que le

gouvernement et c’est une façon de dire « on est ensemble maintenant, on est un groupe, on

est unis, on est amis ». C’est de bonne guerre c’est la politique.

- M Beldave : Il y a une question centrale, c’est que le fait d’expérimenter crée de l’inéquité.

Entre deux territoires du département on a des gens qui sont traités de manière différente. J’ai

pas eu spécialement d’écho de la part des personnes mais plutôt des travailleurs sociaux,

parce que ce n’est pas dans leur culture. L’égalité est dans la loi, l’équité de traitement, ça se

sont les valeurs, nobles d’ailleurs, qu’ils portent ; mais lorsqu’ils sont confrontés à une

expérimentation où parfois ils rencontrent successivement dans la même journée des gens qui

sont au RMI, d’autres qui sont au RSA, avec des conditions différentes, ça les choque un petit

peu. Mais même au moment du débat de la loi, il y avait eu un débat là-dessus, et le

législateur avait répondu que finalement on acceptait un moment d’inéquité au motif que

c’était de courte durée et qu’à terme c’était au profit de l’intérêt général et que c’était à ça

qu’il fallait penser plus qu’au moment d’inéquité, qui était une espèce de mal nécessaire.

C’est un petit point de friction effectivement qu’on peut avoir avec les gens qui font le boulot

sur le terrain. Ou même par exemple des gens de Pôle Emploi, c’est une structure nationale

très jacobine et eux ils sont très porteurs de valeurs jacobines ; alors que dans les

départements on est plus dans la décentralisation. Déjà, en fait la décentralisation avait

introduit ça, c'est-à-dire que d’un département à l’autre on pouvait traiter différemment.

C’était déjà une première source d’inéquité mais qui était liée à un choix qui était de

décentraliser, donc d’adapter les politiques aux situations locales. Je trouve ça plutôt positif

personnellement. Mais déjà, il y avait un premier moment où il y avait des frictions sur le

terrain. J’avais rencontré personnellement à la fois les travailleurs sociaux du Conseil Général

et ceux de Pôle Emploi puisque j’ai travaillé dans les deux structures, donc j’ai bien vu les

deux manières de penser ; et j’ai rencontré ça des deux côtés. L’expérimentation introduit une

139

nouvelle couche d’inéquité. Mais moi ça ne me pose pas problème personnellement puisque

je m’approprie très bien cette idée qu’on est là pour expérimenter quelque chose qui va

permettre d’améliorer le dispositif dans son ensemble, et c’est l’intérêt général qui va être

servi au bout du compte. Mais c’est vrai que ça crée des frictions.

- Mme Vaugelade : De toutes façons, il faudra qu’on arrive à comprendre que les choses ne

peuvent pas être les mêmes partout en France, parce qu’on se rend bien compte qu’il y a des

expériences de méthodes de travail qui sont importantes et qui sont différentes. On a des

relations différentes avec les tissus économiques ou pas. C’est vrai que nous ici la chance

qu’on a eue, c’est que, bien que, n’ayant pas la compétence économique, on a toujours gardé

un lien fort avec le monde de l’entreprise. Le président a toujours pensé que de toutes les

manières, on ne pouvait pas parler d’insertion et d’emploi sans parler avec les entreprises. Ça

fait des années et des années qu’on travaille avec des entreprises, qu’on les a aidées à se

structurer, qu’on a aidé à avoir une plateforme qui les regroupe et avoir un dialogue social et

citoyen avec elles. Du coup, c’est un terroir ça. Donc quand une loi arrive, forcément elle va

être appliquée de façon différente ici où on a déjà semé, d’un endroit où le Conseil Général

s’est beaucoup plus orienté sur une politique purement sociale et non pas d’insertion

économique et qui n’a donc pas de lien direct avec les entreprises. C’est vrai que ça c’est de la

volonté politique. Dans le RMI, il y avait le « I » d’insertion qui demandait à ce qu’on ait

20% du budget du RMI sur des actions d’insertion, cela a été abrogé. Donc on n’avait plus

besoin de faire l’insertion dans les départements, nous on l’a maintenue voire renforcée. Donc

on n’a jamais lâché l’insertion par l’économie, on n’a jamais lâché les entreprises. C’est pour

ça que notre vision du RSA est telle. C’est pour ça qu’on a aussi fait modifier la loi pour faire

en sorte qu’il y ait à tout prix des éléments qui stimulent l’employeur à augmenter son nombre

d’heures. C’est fondamental et ça n’aurait jamais été dans la loi si on n’avait pas expérimenté.

Et ça n’aurait jamais été dans la loi si on n’avait pas décentralisé l’application du RMI et que

nous dans le département de l’Hérault on ait eu la politique du RMI qu’on a eue.

140

BIBLIOGRAPHIE

141

BIBLIOGRAPHIE

I. MANUELS ET OUVRAGES

AUBY Jean-Bernard, AUBY Jean-François et NOGUELLOU Rozen, Droit des collectivités

locales, Paris, PUF, Thémis droit, 2008, 4ème édition, 379p.

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BERNARD Claude, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865, Paris,

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Les mutations contemporaines du droit public. Mélanges en l’honneur de Benoît Jeanneau,

Dalloz, 2002, 720p.

Mouvement du droit public : du droit administratif au droit constitutionnel, du droit français

aux autres droits. Mélanges en l’honneur de Franck Moderne, Dalloz, 2004, 1264p.

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622p.

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V. LOIS, ACTES COMMUNAUTAIRES ET CIRCULAIRES

A. Lois constitutionnelles et lois organiques

Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003, relative à l’organisation décentralisée de

la République, JORF, 29 mars 2003, p.5568.

Loi organique n°2003-704 du 1er août 2003, relative à l’expérimentation par les collectivités

territoriales, JORF, 2 août 2003, p.13217.

149

B. Lois ordinaires

Loi n°75-17 du 17 janvier 1975, relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite loi

Veil, JORF, 18 janvier 1975, p.739.

Loi n°82-213, du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements

et des régions, dite loi Defferre, JORF, 3 mars 1982, p.730.

Loi n°88-1088 du 1er décembre 1988, relative au revenu minimum d’insertion, JORF, 3

décembre 1988, p.15119.

Loi d’orientation n°92-125 du 6 février 1992, relative à l’administration territoriale de la

République, JORF, 8 février 1992, p.2064.

Loi n°95-115 du 4 février 1995, d’orientation pour l’aménagement et le développement du

territoire, JORF, 5 février 1995, p.1973.

Loi n°96-299 du 10 avril 1996, relative aux expérimentations dans le domaine des

technologies et services de l’information, JORF, 11 avril 1996, p.5569.

Loi n°96-516 du 14 juin 1996, tendant à créer un Office parlementaire d’évaluation de la

législation, JORF, 15 juin 1996, p.8911.

Loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains,

JORF, 14 décembre 2000, p.19777.

Loi n°2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité, JORF, 28 février

2002, p.3808.

Loi n°2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, JORF, 17

août 2004, p.14545.

Loi n°2006-1666 du 21 décembre 2006, portant loi de finances pour 2007, JORF, 27

décembre 2006, p.19641.

150

Loi n°2007-290 du 5 mars 2007, instituant le droit opposable au logement et portant diverses

mesures en faveur de la cohésion sociale, JORF, 6 mars 2007, p.4190.

Loi n°2007-1223 du 21 août 2007, en faveur du travail de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite

loi TEPA, JORF, 22 août 2007, p.13945.

Loi n°2008-1249 du 1er décembre 2008, généralisant le revenu de solidarité active et

réformant les politiques d’insertion, JORF, 3 décembre 2008, p18424.

C. Actes communautaires

Traité instituant la communauté européenne, JOCE, n°C325, 24 décembre 2005.

D. Circulaire

Circulaire interministérielle du 22 août 2007, relative à la mise en œuvre des

expérimentations locales prévues par l’article 142 de la loi du 21 décembre 2006 de finances

pour 2007 modifié et la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir

d’achat – revenu de solidarité active (RSA).

VI. JURISPRUDENCE

A. Jurisprudence constitutionnelle

Conseil Constitutionnel, n°79-107DC du 12 juillet 1979, loi relative à certains ouvrages

reliant les voies nationales ou départementales, JORF, 13 juillet 1979.

Conseil Constitutionnel, n°90-274DC du 29 mai 1990, loi visant à la mise en œuvre du droit

au logement, JORF, 1er juin 1990, p.6518.

Conseil Constitutionnel, n°91-290DC du 9 mai 1991, loi portant statut de la collectivité

territoriale de Corse, JORF, 14 mai 1991, p.6350.

151

Conseil Constitutionnel, n°92-312 du 2 septembre 1992, loi autorisant la ratification du

Traité sur l’Union européenne, JORF, 3 septembre 1992, p.12095.

Conseil Constitutionnel, n°93-322DC du 28 juillet 1993, loi relative aux établissements

publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, JORF, 30 juillet 1993, p.10750.

Conseil Constitutionnel, n°93-333DC du 21 janvier 1994, loi modifiant la loi n°86-1067 du

30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, JORF, 26 janvier 1994, p.1377.

Conseil Constitutionnel, n°96-373DC du 9 avril 1996, loi organique portant statut

d’autonomie de la Polynésie française, JORF, 13 avril 1996, p.5724.

Conseil Constitutionnel, n°99-410DC du 15 mars 1999, loi organique relative à la Nouvelle-

Calédonie, JORF, 21 mars 1999, p.4234.

Conseil Constitutionnel, n°99-421DC du 16 décembre 1999, loi portant habilitation pour le

Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie Législative de certains

codes, JORF, 22 décembre 1999, p.19041.

Conseil Constitutionnel, n°2001-454DC du 17 janvier 2002, loi relative à la Corse, JORF, 23

janvier 2002, p.1526.

Conseil Constitutionnel, n°2003-469 du 26 mars 2003, loi constitutionnelle relative à

l’organisation décentralisée de la République, JORF, 29 mars 2003, p.5570.

Conseil Constitutionnel, n°2003-478DC du 30 juillet 2003, loi organique relative à

l’expérimentation par les collectivités locales, JORF, 2 août 2003, p.13302.

Conseil Constitutionnel, n°2004-503DC du 12 août 2004, loi relative aux libertés et

responsabilités locales, JORF, 17 août 2004, p.14648.

Conseil Constitutionnel, n°2004-505DC du 19 novembre 2004, relative au Traité établissant

une Constitution pour l’Europe, JORF, 24 novembre 2004, p.19885.

152

Conseil Constitutionnel, n°2005-516 du 7 juillet 2005, relative à la loi de programme fixant

les orientations de la politique énergétique, JORF, 14 juillet 2005, p.11589.

Conseil Constitutionnel, n°2007-555DC du 16 août 2007, loi n°2007-1223 du 21 août 2007

en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, JORF, 22 août 2007, p.13959.

B. Jurisprudence administrative

Conseil d'État, 13 octobre 1967, Sieur Peny, Rec. p.365

Conseil d'État, 21 février 1968, Ordre des avocats près la Cour d’appel de Paris et autres,

Rec. p.123.

Conseil d'État, 17 décembre 1969, Conseil national de l’ordre des pharmaciens, Rec. p.584.

Conseil d'État, 10 ami 1974, Denoyez et Chorques, Rec. p.274.

Conseil d'État, Avis de l’Assemblée générale (Section des travaux publics), 24 juin 1993,

n°353605, Rapport public 1993.

Conseil d'État, 4 novembre 1996, Association de défense des sociétés de courses des

hippodromes de province et autres, Rec. p.427.

Conseil d'État, 1er décembre 1997, Union des professions de santé libérale SIS Action santé,

Rec. p.449.

Conseil d'État, 3 juillet 1998, Syndicat des médecins Aix et région, Rec. p.266.

C. Jurisprudence communautaire

CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH c/ Nahverkehrsgesellschaft Altmark GmbH, aff.

C-280/00, Rec. p.I-7747.

153

VII. RAPPORTS

A. Rapport au Président de la République

Comité pour la réforme des collectivités locales (dit Comité Balladur), « Il est temps de

décider », 5 mars 2009, 174p.

B. Rapports parlementaires

CLEMENT Pascal, « Rapport relatif à l’organisation décentralisée de la République », rapport

n°376, 18 novembre 2002, 99p.

DAUBRESSE Marc-Philippe, « Rapport sur le projet de loi généralisant le revenu de

solidarité active et réformant les politiques d’insertions », rapport n°1113, 18 septembre 2008,

365p.

GEST Alain, « Rapport d’information sur la mise en application de la loi 2004-809 du 13 août

2004 relative aux libertés et responsabilités locales », rapport n°3199, 28 juin 2006, 167p.

PIRON Michel, « Rapport relatif à l’expérimentation par les collectivités territoriales »,

rapport n°955, 26 juin 2003, 51p.

C. Rapports du Conseil d'État

Rapport public du Conseil d'État 1996, «Sur le principe d’égalité», EDCE, 1996, 509p.

Rapport public du Conseil d'État 2008, « Le contrat mode d’action publique et de production

de normes », EDCE, 2008, 397p.

154

VIII. SITES INTERNET

http://www.assemblee-nationale.fr

http://www.dgcl.interieur.gouv.fr

http://www.droitconstitutionnel.org

http://www.elysee.fr

http://www.legifrance.gouv.fr

http://www.premier-ministre.gouv.fr

http://www.senat.fr

155

TABLE DES MATIÈRES

156

TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE p.3

Table des abréviations utilisées p.4

INTRODUCTION p.5

PARTIE I. UNE MANIFESTATION DE L’ÉVOLUTION DE LA PRODUCTION

NORMATIVE

p.17

Chapitre 1. Une technique de désengagement apparent de l’État p.20

Section 1. Les motivations du recours à l’expérimentation p.21

§1. L’inscription de l’expérimentation dans le mouvement juridique post-moderne p.21

A. Une démarche pragmatique p.24

B. Une constante recherche de l’efficacité p.26

§2. Un nouvel acteur de la production normative : les collectivités territoriales p.29

A. Des solutions locales pour améliorer la norme générale p.29

B. Un nécessaire effort d’abstraction p.31

§3. Un moyen pour l’État de faire accepter les transferts de compétences p.32

A. La motivation intrinsèque de l’expérimentation p.33

B. Une mise en œuvre camouflée p.34

Section2. Le rôle ambigu de l’État p.37

§1. L’expérimentation transfert : un levier de transfert de compétences p.38

§2. L’expérimentation dérogation : des faux-semblants néfastes p.43

A. L’impression d’un rôle important de l’État p.43

1. L’encadrement constitutionnel de l’expérimentation dérogation p.43

2. Les conditions de l’expérimentations complétées par la loi organique

du 1er août 2003

p.45

B. Des collectivités largement associées à la procédure p.50

1. La négociation préalable à l’expérimentation p.50

157

2. L’association des collectivités territoriales à l’issue à l’issue de

l’expérimentation

p.52

Chapitre 2. La conciliation de l’expérimentation avec les principes constitutionnels p.54

Section 1. La mise en œuvre du principe de subsidiarité p.56

§1. La subsidiarité, un principe à la normativité incertaine p.56

A. L’émergence du principe de subsidiarité p.56

B. Un principe difficilement justiciable p.59

§2. La concrétisation du principe de subsidiarité p.61

A. Expérimentation et subsidiarité, des principes complémentaires p.61

B. Une complémentarité inachevée p.62

Section 2. La mise en cause apparente du principe d’égalité p.65

§1. Une atteinte limitée et justifiée au principe d’égalité p.65

A. La remise en cause du principe d’égalité par l’expérimentation p.66

B. La justification des atteintes au principe d’égalité p.67

§2. L’attachement critiquable à l’égalité formelle p.70

A. Le nécessaire retour à l’égalité p.70

B. Des alternatives inexplorées p.72

PARTIE II. LES EFFETS DE LA MISE EN ŒUVRE DE

L’EXPÉRIMENTATION

p.75

Chapitre 1. Une efficacité incertaine p.78

Section 1. La difficulté pour déterminer un juste échantillon p.79

§1. Nécessité et limite de l’échantillonnage p.79

A. L’échantillon géographique : la collectivité territoriale p.79

B. Des facteurs exogènes perturbateurs p.82

§2. Une difficulté avérée dans les faits p.85

A. Des échantillonnages variés : l’exemple des expérimentations transferts p.86

B. La gestion critiquable de l’échantillon de l’expérimentation du RSA p.88

158

Section 2. La subjectivité de l’évaluation p.91

§1. Des modalités d’évaluation à préciser p.91

A. Une évaluation dirigée par le Gouvernement p.92

B. Le contenu de l’évaluation p.96

§2. Le risque d’une évaluation orientée p.98

A. Une évaluation servant une logique de communication p.99

B. L’exemple des expérimentation dans les pays nordiques p.101

C. La durée de l’expérimentation au cœur de l’évaluation p.103

Chapitre 2. Un contentieux potentiellement abondant p.106

Section 1. Les possibilités de contentieux constitutionnel p.107

§1. Le contrôle des lois d’habilitation p.107

A. Le contenu du contrôle p.108

B. L’exercice du contrôle p.110

1. Le contrôle des expérimentations contenues dans la loi relative aux

libertés et responsabilités locales

p.110

a. L’étonnante validation de la constitutionnalisation de

l’expérimentation

p.111

b. L’analyse des dispositifs expérimentaux p.113

2. L’absence de contrôle des lois portant expérimentation du RSA p.115

§2. Le contrôle des lois de généralisation p.116

A. Le contrôle du respect de la procédure p.117

B. L’absence de contentieux dans les faits p.118

Section 2. Un contentieux administratif à clarifier p.119

§1. Des actes hybrides p.121

§2. Un contrôle spécifique p.122

A. La soumission au recours de droit commun p.122

B. L’adaptation du contrôle aux actes dérogatoires p.123

159

ANNEXE p.129

BIBLIOGRAPHIE p.140

TABLE DES MATIÈRES p.155