Les savants marocains face aux mathématiques européennes : les chemins du logarithme

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Les savants marocains face aux mathématiques

européennes : les chemins du logarithme

Pierre AGERON

Laboratoire de mathématiques Nicolas Oresme (LMNO)

et Institut de recherche sur l’enseignement des mathématiques (IREM)

Université de Caen Basse-Normandie

Résumé

Cet article dévoile les circonstances de l’introduction des logarithmes au Maroc. L’examen de traités arabes manuscrits, dont des extraits sont traduits et commentés, permet d’en établir les véhicules : le truchement du « renégat » français ‘Abd al-rahmân Desaulty, des tables et manuels imprimés en arabe en Égypte, et, plus tard, des tables en français venues d’Italie et de France. Il révèle l’intérêt puissant, mais teinté de réserve, des savants marocains devant cette nouveauté, ce que furent leurs horizons d’attente et les obstacles à vaincre.

Remerciements

Je remercie chaleureusement Driss Lamrabet de m’avoir procuré d’utiles informations et obtenu des copies numériques de deux manuscrits auprès de la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc. Merci aussi à M. Ahmed Sbihi pour m’avoir fait bon accueil dans la bibliothèque de sa famille à Salé et autorisé à photographier quelques pages des manuscrits qui m’intéressaient. Merci enfin à Pascal Crozet qui m’a généreusement offert de consulter son exemplaire des tables logarithmiques égyptiennes et m’en a numérisé des pages.

Introduction

Il est admis que la période qui s’étend du XVIe au XIXe siècles de l’ère chrétienne fut celle où s’accrut le retard scientifique des pays d’Islam sur ceux de l’Europe latine : la cause essentielle en fut sans aucun doute la conviction qu’il était inutile d’apprendre les langues étrangères et de s’intéresser aux cultures non islamiques. Ce tableau trop obscur doit cependant être nuancé. Très tôt, des savants musulmans ont, à titre individuel, amorcé une démarche de quête et d’appropriation de certains aspects des sciences européennes. Ce

colloque à Alger est l’occasion de rappeler le cas du savant algérois ‘Abd al-Razzâq Ibn Hamâdûsh qui, au XVIIIe siècle, visita « les pays des chrétiens » (probablement le sud de l’Espagne) et eut connaissance d’instruments astronomiques et de livres de mathématiques qui y étaient en usage. Il s’en inspira pour composer plusieurs ouvrages, dont seuls les titres nous sont connus. Je traduis ici un extrait de sa rihla [récit de voyage], qui semble avoir été peu remarqué, mais est exemplaire d’un processus d’appropriation active1 :

« Le jeudi 20 safr 1160 [3 mars 1747], le jour s’achevant, j’ai composé Fath al-mujîb fî ‘ilm al-tak‘îb [La Conquête de la réponse en science de la cubature]. La raison en est que j’avais consulté un des ouvrages d’arpentage et de géométrie composés par les chrétiens (al-nasârâ). Je suis tombé sur un problème de cubature, et j’ai fait travaillé mon esprit jusqu’à ce que je le résolve. Ensuite j’ai commencé à le rédiger, et j’ai réalisé que j’avais déjà composé un ouvrage là-dessus, auquel j’ai ajouté ce problème. Il est demeuré entre mes mains. »

Dans l’Empire ottoman, une politique volontariste d’introduction des sciences européennes dans le cadre d’un grand dessein de modernisation fut mise en place à partir de la fin du XVIIIe siècle. Initiée en Turquie, au centre de l’Empire, elle se heurta à de violentes oppositions, mais produisit des résultats importants. Elle fut imitée dans les provinces politiquement quasi-autonomes, mais culturellement sous influence, qu’étaient l’Égypte et la Tunisie2.

Au Maroc, qui avait toujours préservé son indépendance, s’amorça un phénomène analogue, qui a jusqu’ici fait l’objet de très peu d’études3. Il naquit du constat du retard pris par le pays et de la volonté de moderniser son agriculture, son industrie, ses infrastructures et, surtout, son armée. De plus, la passion pour l’astronomie de Sîdî Muhammad, l’influent khalîfa de son père le sultan Mawlây ‘Abd al-rahmân – auquel il succéda en 1859 –, favorisa une surprenante vague d’intérêt à l’égard des sciences mathématiques européennes.

J’ai ainsi entrepris un programme de recherche concernant la circulation, la réception et l’appropriation de connaissances et méthodes ayant cours chez les 1 Tiré et traduit de : Ibn Hamâdûsh, ‘Abd al-razzâq, Rihlat Ibn Hamâdûsh al-Jazâ’irî al-musammâ : lisân al-maqâl fî al-naba’ ‘an al-nasab wa l-hasab wa l-hâl, taqdîm wa tahqîq al-duktûr Abû l-Qâsim Sa‘adallâh, Alger, SNED, 1983. 2 Voir par exemple : Abdeljaouad, Mahdi, « Teaching European mathematics in the Ottoman Empire during the eighteenth and nineteenth centuries: between admiration and rejection », ZDM Mathematics Education, 44, no4, 2012, p. 483-498. 3 La référence indispensable est : al-Manûnî, Muhammad, madhâhir yaqadhat al-maghrib al-hadîth [Les Aspects du début de la renaissance du nouveau Maroc], al-juz’ al-awwal : al-tab‘a al-ûlâ, Rabat, matba‘at al-umnya, 1392/1973 ; al-tab‘a al-thâniya al-mazîda wa-l-munaqqaha, Rabat, al-jam‘iyya al-maghribiyya li-l-tarjama wa-l-nashr & Beyrouth, dâr al-gharb al-islâmî, 1405/1985. La pagination que j’indique est relative à la seconde édition. Certains chapitres ont été publiés antérieurement dans des revues.

scientifiques européens parmi les mathématiciens et astronomes marocains du XIXe siècle. Dans un précédent travail4, j’ai souligné quelques aspects de la politique mise en œuvre par les sultans : création d’une école d’ingénieurs à Fès (1844), envoi d’étudiants marocains en Europe, mise en circulation au Maroc de traductions égyptiennes d’ouvrages mathématiques européens, introduction de l’imprimerie (1865) ; j’y ai surtout identifié une série d’ouvrages ou opuscules français, anglais ou italiens, traduits en arabe au Maroc pendant les règnes de Mawlây ‘Abd al-rahmân (1822-1859) et de Sîdî Muhammad (1859-1873)5.

Le sujet du présent article est le calcul logarithmique, premier chapitre des mathématiques européennes modernes qui ait largement pénétré le Maroc. Les premières tables de logarithmes semblent y être apparues dans les années 1840 et les premiers traités y furent composés au début du règne de Sîdî Muhammad. Le décalage avec l’Empire ottoman est considérable : à Istanbul, des tables en turc avaient été publiées dès 17726 et des traités de calcul logarithmique apparaissent dès 1780. Afin de déterminer les véhicules d’introduction des logarithmes au Maroc et d’étudier les réactions des savants marocains, j’ai choisi d’examiner cinq traités en arabe, tous restés manuscrits, qui m’ont semblé permettre de brosser un tableau éclairant, quoique probablement incomplet, de la situation. Par ordre chronologique, ces cinq textes sont :

Ghunyat al-tâlib wa tadhkirat al-labîb…, de Ahmad al-Suwayrî (1278/1861) ;

Minhâj kashf al-hijâb..., de Muhammad al-Mashîshî (1291/1874) ;

Al-kawâkib al-durriya…, de al-Tâhir al-Hamrî (1316/1898) ;

Shadd al-rihla…, de ‘Umar b. Muhammad b. al-Sa‘îd (1318/1901) ;

Raghbat ûlî al-albâb…, de Muhammad al-Aghzâwî (1321/1903).

Dans ces textes, j’ai trouvé diverses arabisations du mot « logarithme » : en scriptio plena (lûghârîtm) ou defectiva (lûgharîtm, lûghâritm, lugharitm), aphérétiques (gharitm, ighritm, ighrîtm), avec thâ‘ dental (lûghârîthm), avec wâw final (lûghârîtmû)… Le mot peut y désigner un nombre, mais aussi, le plus souvent, une table numérique, ou encore le livre qui la contient ; les nombres que la table renferme sont alors appelés nisab [rapports] ou usûs [exposants]. Toutes ces variations sont les marqueurs de différents chemins de transmission.

4 Ageron, Pierre, « Des ouvrages mathématiques européens dans le Maroc du XIXe siècle », in : Mathématiques méditerranéennes : d’une rive et de l’autre (sous la dir. d’Évelyne Barbin), actes du XXe colloque inter-IREM d’histoire et épistémologie des mathématiques (Marseille, 24-25 mai 2013), Paris, Ellipses, à paraître. 5 La liste de ces ouvrages est donnée en annexe 2 du présent article. 6 Ce sont celles que Kalfazade !smail Çınari plaça en préambule de sa traduction des Tables astronomiques de Cassini. Elles donnaient avec cinq décimales les logarithmes des entiers de 1 à 10000 et les logarithmes des sinus et tangentes des arcs de 0° à 45°, de minute en minute. Les premiers traités sont dûs à Feyzullah Sermed en 1780 et Gelenbevi !smail en 1787.

1. L’ouvrage perdu de ‘Abd al-rahmân Desaulty

Avant de présenter les cinq traités qui font l’objet de cette étude, il me faut tenter d’évoquer un ouvrage antérieur perdu, dû à un personnage au destin peu banal : le « renégat » français Joseph Desaulty (1808-1879), connu sous le nom de ‘Abd al-rahmân al-‘Ilj [le converti]. Il fut l’ami et le conseiller de Sîdî Muhammad, qui lui confia d’importants chantiers de modernisation du pays. Ensemble, ils cultivèrent durant trente années astronomie et mathématiques7.

La question de la compétence de ‘Abd al-Rahmân al-‘Ilj en sciences exactes est difficile à trancher. Son origine très modeste semble exclure une formation avancée. Muhammad al-Manûnî lui a néanmoins attribué deux ouvrages8. L’un d’eux est une Risâla fî al-kura [Épître sur la sphère] qu’il a vue en 1961 chez Muhammad b. ‘Abd al-wahâb Ibn ‘Abd al-râziq, muwaqqit à Marrakech : il s’agit en fait, comme je l’ai montré, de la traduction d’un manuel français sur les globes céleste et terrestre9. L’autre, qu’al-Manûnî dit perdu, serait une Risâla fî al-a‘mâl al-lûghârîtmiyya [Épître sur les usages des logarithmes] : ce titre me semble arbitraire, car de l’existence de cet écrit, on ne dispose, à ma connaissance, que des rares et imprécises attestations suivantes.

En 1291/1874, le savant al-Mashîshî désigne ‘Abd al-Rahmân al-‘Ilj comme « celui qui a arabisé le logarithme (ighritm) » ; il évoque un écrit, mais prétend ne pas l’avoir vu et avoir appris qu’il contient d’innombrables erreurs ou obscurités, dont il détaille un exemple. En 1318/1901, un autre savant de Marrakech, ‘Umar b. Muhammad b. al-Sa‘îd, écrit un ouvrage sur le logarithme mentionnant ce qu’il a appris de son professeur ‘Abd al-rahmân al-‘Ilj ; il y rapporte aussi que celui-ci aurait, en 1260/1844, aidé le khalîfa Sîdî Muhammad à déterminer avec précision la latitude de Marrakech. Enfin, en 1355/1936, le biographe al-‘Abbâs al-Samlâlî indique dans sa notice sur ‘Abd al-rahmân al-‘Ilj qu’« il est l’auteur d’un ouvrage sur la science du logarithme (ighrîtm), sur lequel Sîdî al-Hasan al-Mizmîzî a composé une hâshiya »10 : cette glose est inconnue, mais on peut noter que al-Hasan b. Muhammad al-Mizmîzî, installé à Marrakech après 1283/1867 où il mourut vers 1318/1900, étudia les globes céleste et terrestre, sujet de l’autre risâla de ‘Abd al-Rahmân al-‘Ilj11.

Au total, le laconisme des sources me semble suggérer que Desaulty fut plus un traducteur qu’un véritable savant : il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que ce sont les Marocains qui furent ses premiers maîtres en astronomie.

7 Voir plus de détails sur ce personnage dans Ageron, art. cit. 8 Manûnî, op. cit., p. 216 et 218. 9 Delamarche, Charles François, Les usages de la sphère, des globes céleste et terrestre, précédés d’un abrégé sur les différens systèmes du monde, suivis de la description et des usages de la géo-cyclique, Paris, [5e éd., 1826 ? ] ; cf. Ageron, art. cit. 10 al-Samlâlî, al-‘Abbâs b. Ibrâhîm, al-i‘lâm bi man halla Murrâkush wa Aghmât min al-a‘lâm, al-tab‘a al-thâniya, Rabat, al-matba‘a al-malikiyya, 1993, vol. VIII, p. 144. 11 Samlâlî, op. cit., vol. III, p. 197 (première éd. : 1936) ; Manûnî, op. cit., p. 224.

2. Ahmad al-Suwayrî : l’appropriation par-delà les obstacles

Un des premiers traités marocains sur les logarithmes12 est celui de Ahmad b. ‘Abdallâh al-Hasanî (v. 1226/1811 - 1320/1902), connu sous le nom de al-Suwayrî (al-Suîrî, selon la phonétique marocaine) parce que « d’Essaouira par la demeure et la naissance ». Dans sa jeunesse, il avait étudié l’astronomie et les mathématiques à Marrakech en compagnie du futur sultan Sîdî Muhammad et du Français converti ‘Abd al-rahmân al-‘Ilj ; il devait ensuite exercer les fonctions d’ingénieur en chef, puis de grand maître de l’artillerie du royaume13. Ce traité est son seul livre connu. Il s’intitule Ghunyat al-tâlib wa tadhkirat al-labîb wa imthid li kulli muhibb wa habîb [La Ressource de l’étudiant, l’Aide-mémoire du sagace, l’Antimoine pour tout amateur et amoureux < de science >]. Les calculs astronomiques y sont faits pour la latitude de Meknès (34°), ville où sa rédaction fut achevée le 11 safar 1278 / 18 août 1861.

J’ai connaissance de trois copies de cet ouvrage, témoignant d’une circulation durable. La plus ancienne, achevée le 26 safar 1279 / 23 août 1862, est une copie privée ; elle fut décrite en 1972 par Muhammad al-Manûnî, qui en reproduisit sans commentaire d’intéressants passages14. La seconde, achevée le 5 dhû al-hijja 1285 / 19 mars 1869, est conservée à la Bibliothèque nationale du royaume du Maroc à Rabat15. La troisième, achevée le 2 jumâdâ al-âkhir 1329 / 31 mai 1911, se trouve à la bibliothèque Sbihî de Salé16. Elle a été signalée sans aucune description par al-Manûnî, lequel a omis de mentionner celle de Rabat.

Au début de son livre, al-Suwayrî rapporte qu’on l’a supplié d’écrire une explication en arabe des tables logarithmiques des chrétiens, afin que les savants de l’islam puissent en tirer fruit. Suivent trois discours (maqâlât) : 1. Sur l’utilisation de la numération décimale et les éléments de l’arithmétique ; 2. Sur la construction des logarithmes et leurs usages arithmétiques ; 3. Sur des manières de déterminer les choses demandées dans la mesure astronomique du temps et de calculer les éléments inconnus des triangles par le moyen des logarithmes. Nulle part n’est mentionné ‘Abd al-rahmân al-‘Ilj. En revanche, al-Suwayrî a disposé de livres scientifiques imprimés en Égypte, peut-être de ceux que le le sultan aurait fait demander au pacha, ou encore ramenés par les premiers étudiants envoyés dans ce pays. Ainsi les tables de logarithmes qu’il décrit sont, à n’en pas douter, celles sorties des presses de Bûlâq en 1250/1834. Il cite aussi de longs passages de Thamarat al-iktisâb, traduction égyptienne

12 Hormis la fin d’un écrit de 1858 de ‘Abd al-salâm al-Ûdî (Manûnî, op. cit., p. 219). 13 Samlâlî, op. cit., vol. II, p. 453-454 ; Manûnî, op. cit., p. 220-224. 14 Manuscrit de 100 pages de la main de Qâsim b. Muhammad al-Tâdilî al-Miknâsî. Voir : al-Manûnî, Muhammad, « riyâdy maghribî yuthbit musâhamat al-maghâriba fî al-tamhîd li-ktishâf al-lûghârîtmât », da‘wat al-haqq, 149, 1392/1972, p. 144 et seq. ou Manûnî, madhâhir, op. cit., p. 220-224. 15 al-maktaba al-wataniyya li-l-mamlaka al-maghribiyya, ms. D 2812, p. 1-87. Copie de la main de Muhammad b. ‘Abd Râhmânî (nom du copiste partiellement gratté). 16 al-khizâna al-‘ilmiyya al-Subayhiyya fî Salâ, ms. 150/2 (anct 1620/2), fol. 0b-59a.

d’un cours d’arithmétique élémentaire français, à laquelle il emprunte la graphie lûghârîtm : par ce mot, il désigne tantôt un nombre, tantôt une table17.

Au quatrième fasl de la deuxième maqâla, on voit al-Suwayrî défendre la thèse d’une antériorité musulmane – et essentiellement marocaine – au sujet de l’idée de logarithme. Il cite d’abord deux paragraphes de Thamarat al-iktisâb18, où il est dit en substance qu’un géomètre anglais nommé Napier a inventé des tables permettant d’abréger les calculs. Puis il conteste cette attribution et minore l’apport des savants chrétiens, qu’il réduit à l’établissement de tables de valeurs décimales approchées. Dans l’ordre théorique, tout progrès de la part de non-musulmans semble pour lui de l’ordre de l’impensable : aveugle au pas essentiel accompli par Napier, il considère comme fondamentale en ce domaine la contribution de Ibn al-Bannâ’ (654/1256 - 721/1321) dans son Talkhîs a‘mâl al-hisâb [Le Résumé des opérations arithmétiques] et dans al-Usûl wa l-muqaddimât fî ‘ilm al-jabr [Les Fondements et prolégomènes de la science de l’algèbre], ainsi que celle de Ibn Ghâzî al-Miknâsî (841/1437 - 919/1513) dans Munyat al-hussâb [Le Souhait des calculateurs] et son commentaire Bughyat al-tullâb fî sharh Munyat al-hussâb [Le Désir des étudiants sur le commentaire du Souhait des calculateurs]. Il évoque aussi, sans citation précise, le persan Kamâl al-dîn al-Fârisî (665/1267 - 719/1319). Voici ma traduction de ces propos19 :

« [L’auteur de Thamarat al-iktisâb] a dit : [les tables] qu’a inventées un tel que voici. Sache que les chrétiens (al-rûm) ont été précédés dans leur prétendue invention de ces exposants fondamentaux et rapports essentiels : nul mérite d’invention ne leur revient, car les savants de l’Islâm – que Dieu leur garde sa bénédiction – sont ceux qui, depuis longtemps, ont parlé de ce sujet et l’ont fondé. Ibn al-Bannâ’ a écrit dessus dans le Talkhîs et dans al-Usûl wa l-muqaddimât fî ‘ilm al-jabr, l’imâm al-Fârisî l’a systématisé, puis, après lui, l’imâm Ibn Ghâzî y a excellé. Que Dieu leur fasse miséricorde et nous accorde ses bienfaits par leur bénédiction, amen !

Certes, les chrétiens ont accordé davantage d’attention à ces fondements, de minutie dans leur examen, leur étude, leurs différents détails, l’extraction de ce qui s’y trouve en puissance pour le mettre en acte, la précision de leurs significations – au point que leurs assertions théoriques devinrent comme intuitives. Ensuite, ils ont recouru à une facilitation de ceci en abandonnant les racines irrationnelles, au lieu de quoi ils les ont prises de manière approchée et les ont précisées par le moyen des fractions décimales. Après les avoir obtenues, ils les ont disposées dans les rangées de tableaux, qu’ils ont appelés tables de logarithmes et dont ils se sont attribués l’invention.

Parmi les preuves évidentes de la fausseté de ce qu’ils prétendent, il y a le fait que logarithme signifie en arabe exposant, et que les deux rapports auxquels ils ont recouru pour faciliter ce qu’ils ont inscrit dans les rangées de ces tables sont le rapport géométrique et l’arithmétique, c’est-à-dire la

17 Sur les tables de Bûlâq et Thamarat al-iktisâb, voir plus de détails dans l’annexe 1. 18 Ce sont les §389-390, p. 270-271 de l’édition imprimée en Égypte (voir annexe 1). 19 Ms. de Rabat, p. 26-28 ; Manûnî, op. cit., p. 222-223.

relation entre le comment et le combien : or c’est une chose bien connue dans les éléments de l’arithmétique, que Ibn Ghâzî a incluse dans le poème la Munya. [L’auteur cite des vers de ce poème.] Des propriétés de ces deux rapports, ils ont tiré ce qu’ils ont appelé le logarithme (al-lûghârîtm).

En ce qui concerne le raccourcissement allégué des opérations arithmétiques par le moyen des logarithmes, ceci en ramenant la multiplication et la division à l’addition et la soustraction et la prise de racine de degré quelconque à une multiplication et une division simples, son origine est bien connue et établie dans les livres de nos savants – que Dieu leur garde sa bénédiction – : le fait que la multiplication se ramène à l’addition qui est véritablement son origine, et le fait que la division se ramène de même à la soustraction qui est son origine, ceci a été observé dans le commentaire de la Munya de Ibn Ghâzî lorsqu’il a dit : la multiplication et la division à partir des surfaces sont comme la ligne pour la somme et la différence. Son principe est ce que Ibn Ghâzî a versifié dans la Munya au chapitre sur la multiplication des genres : Ajoute les exposants de tout ce que tu multiplies et donne-leur comme produit ce qui en ressort. Et il a dit, dans le chapitre sur la division des espèces : sépare et soustrais l’exposant du plus petit de ce que tu divises, que lui réponde la division.

Pour ce qui est de ramener l’extraction de racines à la multiplication et la division qui en sont les origines, [cela se fait] en divisant l’exposant du nombre dont on cherche le côté (dil‘) par le nombre d’unités [contenu dans] le degré de l’extraction ; car si nous voulons multiplier un nombre par lui-même, c’est-à-dire le multiplier autant de fois que son degré, ou le multiplier par lui-même plusieurs fois pour l’élever à la puissance cinquième ou sixième, etc. alors ce qui a été mentionné au sujet de la façon de ramener la multiplication à l’addition oblige à additionner les exposants des facteurs, et leur somme sera l’exposant du produit (nâtij). Ceci étant établi, on en déduit donc que si je veux prendre le côté d’un nombre quelconque, on divise son exposant, lequel est le logarithme (nisba lûghârîtmiyya), par le nombre d’unités de son degré, c’est-à-dire le nombre de fois par lequel on veut multiplier [le côté] par lui-même. Et la cause de cette division, c’est ce qui est établi dans al-Usûl, à savoir que le résultat d’une multiplication20, s’il est divisé par l’un des deux facteurs, donne l’autre. C’est ce sens que Ibn Ghâzî a indiqué en disant, dans l’étude de la multiplication : […] Étant donné que ces facteurs, qu’ils soient deux ou plus, sont identiques en quantité et en qualité, il en découle le quotient de leur produit par le nombre des unités du degré, c’est-à-dire la puissance. »

Dans un contexte très différent, ce discours n’est pas sans faire penser à celui, colporté depuis 1913, selon laquel l’arithméticien Ibn Hamza al-Jazâ’irî aurait été le fondateur de la science des logarithmes, vingt-cinq ans avant Napier21.

20 Les manuscrits donnent « division », ce qui est évidemment erroné. 21 Voir : Ageron, Pierre, « Ibn Hamza a-t-il inventé les logarithmes ? », in : Circulation Transmission Héritage (sous la dir. d’Évelyne Barbin et Pierre Ageron), actes du XVIIIe colloque inter-IREM d’histoire et épistémologie des mathématiques (Caen, 28-29 mai 2010), Caen, IREM de Basse-Normandie, 2011.

Au seizième fasl de la deuxième maqâla, al-Suwayrî relate comment, confronté aux tables numériques égyptiennes, dépourvues de mode d’emploi, il a affronté et vaincu ce que Bachelard aurait appelé un obstacle épistémologique. L’obstacle réside déjà dans la table trigonométrique ordinaire, ici la troisième. Si notre auteur éprouve de la difficulté à en comprendre la logique, c’est parce que les sinus y sont exprimés en base dix : plus précisément, le rayon est partagé en dix millions de parties, ce qui revient à donner sept chiffres décimaux. Or le Maroc conservait la tradition consistant à exprimer les sinus en base soixante : comme au temps d’al-Kâshî, on partageait le rayon en 1296000 parties, ce qui revenait à donner quatre chiffres sexagésimaux. Al-Suwayrî rapporte avoir interrogé un géomètre, dont l’explication s’est avérée insuffisamment claire : il tait son nom, mais je suis tenté d’y reconnaître ‘Abd al-rahmân Desaulty. Il a ensuite consulté des ouvrages étrangers disponibles au Maroc qui lui sont restés impénétrables pour des raisons de langue ; finalement, c’est la traduction arabe d’un livre anglais22 qui lui a permis d’éclaircir le mystère. Il s’étonne que le point qui l’a arrêté soit passé sous silence dans Thamarat al-iktisâb, ce qui nous peut aujourd’hui sembler insolite : comment aurait-il pu être question de trigonométrie dans un cours d’arithmétique ? Voici ma traduction de cette intéressante narration23 :

« Recherche sur la détermination des valeurs des sinus, des tangentes et de leurs logarithmes établies dans la deuxième et la troisième des trois tables des logarithmes, à partir de la première table qui en est le fondement.

Je n’ai pas connaissance que quelqu’un ait écrit au sujet de ces déterminations, si ce n’est que j’ai entendu dire par un certain géomètre, auquel je suis reconnaissant, que la règle en ceci est de découper une ligne droite en beaucoup de morceaux et de l’adopter comme base. Mais ce propos ne m’a été d’aucune utilité ; je m’en suis détourné et me suis occupé de rechercher quelle intention est visée dans les ouvrages français et anglais sur les logarithmes que nous avons sous la main. Certes, tous leurs traités sont écrits en langue étrangère, mais en parcourant leurs exemples, je pouvais peut-être en deviner l’intention, ou quelque chose qui donne un indice en sa direction. Et je suis tombé sur une traduction sur le logarithme des Anglais, où il est parlé de l’utilisation des deux dernières tables du logarithme, celle où sont marqués les logarithmes des sinus et des tangentes (nisab al-juyûb wa l-dhilâl) et l’autre où sont marqués les logarithmes des décimaux (nisab al-a‘shâr)24, pour les opérations astronomiques. Le rayon est partagé en dix millions, et de chaque partie de la circonférence, comme une seconde, une minute ou un degré, descendent des perpendiculaires sur le rayon subdivisé ; on connaît ensuite leur logarithme à partir des choses déjà mentionnées.

22 Ce livre est difficile à identifier, vu le peu de précisions. Il ne semble pas qu’il s’agisse des traductions de l’Epitome de John Norie (voir annexe 2 et Ageron, art. cit.) 23 Ms. de Salé, fol. 31r-32v ; ms. de Rabat, p. 45-48 ; Manûnî, op. cit., p. 223-224. 24 La troisième des tables égyptiennes donne les sinus, cosinus, tangentes et cotangentes ordinaires, en base dix. Il y a donc ici une erreur, que confirme la suite.

Alors j’ai associé ceci à ce que j’avais entendu de la part du géomètre que j’ai mentionné, et s’empara de moi la pensée que ceci était l’intention ; j’ai ensuite dessiné une figure de ceci, je l’ai examinée et j’ai trouvé que c’était l’intention, et que ses opérations étaient exactes. Louange à Dieu, il est bienveillant ! Je ne sais pas pourquoi l’auteur de Thamarat al-iktisâb, le shaykh Ibrâhîm al-Dasûqî, est resté silencieux sur cette signification, alors qu’elle fait partie des choses importantes, et pourquoi il n’a parlé que de la première des tables logarithmiques, qui est l’accès aux logarithmes. Peut-être ceci n’a-t-il pas été traduit de l’original français qu’a fait traduire le général de brigade Adham Bey, directeur des écoles égyptiennes et inspecteur des affaires militaires. Ensuite, en étudiant les configurations de ladite figure, j’ai vérifié que les parties en lesquelles est divisé le diamètre sont les nombres établis dans la troisième table logarithmique, au-dessus de laquelle est écrit : logarithme décimal (nisba ‘ushâriyya)25 et qui sont appelés sinus calculés (juyûb mahlûla) ; leurs logarithmes, c’est-à-dire leurs exposants, sont les exposants des sinus, des tangentes, des flèches26 et de leurs compléments, tabulés dans la deuxième table logarithmique au-dessus de laquelle est écrit : « logarithme sinus, logarithme tangente » (nisba jaybiyya, nisba dhilliyya).

J’ai dessiné ladite figure et l’ai soumise à un exemple afin de clarifier la signification de ceci, si Dieu le veut. Supposons pour cela que le cercle AH de centre C et de demi-diamètre AC soit divisé en dix millions de parties, que l’arc d’élévation soit AC, que l’élévation prescrite soit AB, que son sinus soit RB27, sa tangente AK, sa flèche AR, sa sécante CK. Si on demande la valeur du sinus de l’élévation AB, nous évaluons combien il y a dans AR des parties en lesquelles le demi-diamètre a été divisé, et on trouve 4226000, c’est-à-dire quatre millions deux cent vingt-six mille de dix millions28 : ceci est le sinus calculé de l’arc mentionné. Et si tu le souhaites, tu le convertis (tarkusuhu) : la recette (fâ’ida) pour cela est de multiplier la valeur par soixante, de prendre la dernière partie29 du résultat de la multiplication, d’ôter les degrés, ensuite de multiplier de même par soixante, de prendre le dernier résultat, d’ôter les minutes, et ainsi de suite jusqu’à ce que le nombre s’évanouisse (yafnâ) ou qu’il en reste une valeur insensible (qadr ghayr mansûs) après avoir passé le rang des tierces. De ceci, il résulte : 25° 21" 21"" 36""". Puis, prends de la première table le logarithme du sinus calculé, qui est 9,62595 : c’est l’exposant tabulé pour lui dans la deuxième table du logarithme, qui est la table du sinus et de la tangente. Avec cette opération, on parvient aux logarithmes (usûs) de toutes les lignes et à leurs valeurs. Et si nous supposons l’élévation AD, la valeur calculée comme il a été dit est 6428000, c’est-à-dire six millions quatre cent vingt-huit mille de dix millions : c’est la valeur de DL, le sinus calculé pour un arc de 40°. C’en est assez sur ces deux exemples ; la figure de celui-ci est représentée. »

25 Sic. Il faut lire jayb ‘ushârî, c’est-à-dire sinus exprimé en base dix et non soixante. 26 Comprendre : des cosinus. La flèche (sahm) est le rayon diminué du cosinus. 27 Le ms. de Rabat donne deux fois AR au lieu de RB, ce qui est erroné (voir Ill.3). 28 Le ms. de Rabat donne 4126000 en chiffres comme en lettres, mais ceci est erroné au vu du calcul qui suit. Par ailleurs, 4226000/10000000 est très proche du sinus de 25°. 29 C’est-à-dire les deux premiers chiffres.

3. al-Hasan al-Mashîshî : l’autonomie revendiquée

Lorsque al-Hasan b. ‘Abd al-rahmân al-Mashîshî, « de Marrakech par la demeure et la naissance », compose son son manuel de tawqît [calcul des heures], ‘Abd al-rahmân Desaulty est encore en vie et habite dans la même ville. Quelle fut la relation entre eux ? Aucun élément ne permet de répondre. Minhâj kashf al-hijâb ‘an al-tawqît wa l-qibla bi l-âla wa gh(a)ritm wa l-hisâb [Méthode de dévoilement du calcul des heures et de la direction de la prière par l’instrument, le logarithme et le calcul] est le seul livre connu de cet auteur dont on semble tout ignorer. Il a été achevé le 25 ramadân 1291 / 5 novembre 1874.

J’ai connaissance de quatre copies de cet ouvrage : deux d’entre elles, dont une au frontispice enluminé, sont conservées à la bibliothèque Sbîhî à Salé30, une troisième est à la Bibliothèque nationale du royaume du Maroc à Rabat31 et une quatrième se trouve à la Fondation roi ‘Abd al-‘Azîz à Casablanca32. Je les noterai respectivement S1, S2, R et C33. La copie C est datée du 23 dhû al-qi‘da 1319 / 3 mars 1902 : le traité semble donc avoir eu une circulation durable. En témoigne aussi le fait qu’il soit encore cité en 1340/1922 par un Marocain de passage à Paris, cherchant à y déterminer la qibla34. La copie R est inachevée, mais contient un supplément absent de C. Je n’ai collationné les quatre copies que sur un nombre limité de passages, mais cela me paraît suffisant pour affirmer que la meilleure, ou la moins mauvaise, est S1. Les trois autres sont affectées d’erreurs très nombreuses : valeurs numériques erronées (peut-être attribuables à une évolution de la forme des chiffres), mots oubliés ou mal lus, et ceci dès le titre de l’ouvrage35. La copie C est particulièrement défectueuse.

L’objectif est d’expliquer comment résoudre les problèmes posés par le culte tant par les moyens traditionnels que par les moyens modernes. L’auteur précise : « L’utilisation du logarithme (ighritm) est ce que je vise particulièrement, le reste sert comme preuve de son utilisation ». Mais, relève-t-il plus loin : « tout ce qui est obtenu avec le logarithme l’est aussi avec le quart

30 al-khizâna al-‘ilmiyya al-Subayhiyya fî Salâ, ms. 150/1 (anct 1620/1), fol. 0-65, [noté ici S1, c’est le ms. enluminé] et ms. 151/1 (anct 1622/1), fol. 0-46 [noté ici S2]. 31 al-maktaba al-wataniyya li-l-mamlaka al-maghribiyya, ms. D 1423, fol. 79v-127r. La mention al-Sîd Lahsan al-Mizmiz [sic] en marge du début semble indiquer que ce manuscrit a appartenu à al-Hasan al-Mizmîzî dont il a été question plus haut. 32 mu’assasat al-malik ‘Abd al-‘Azîz Âl Sa‘ûd li-l-dirâsât al-islâmiyya wa-l-‘ulûm al-insâniyya fî al-Dâr al-baydâ’, ms. 495/2, fol. 1r-48v. La table trigonométrique est omise « par manque de place ». 33 Manûnî, op. cit., p. 218-219 décrit R, mentionne sans détails S1 et S2 et ignore C. 34 al-Sâ’ih al-Ribâti, Muhammad b. ‘Abd al-Salâm, usbû‘ fî Bârîs, texte établi et présenté par Sulaymân al-Qarshî, Beyrouth, al-mu’assasa al-‘arabiyya li-dirasât wa-l-nashr, 2004, p. 73. 35 Seule S1 est intitulée Minhâj kashf al-hijâb ‘an al-tawqît wa l-qibla bi l-âla…, les autres copies donnant l’absurde Minhâj kashf al-hijâb ‘an al-tawqît bi l-qibla wa l-âla... D’autres erreurs, signalées ci-après dans les notes, donneront une idée de la difficulté.

de cercle (rub‘) »36. Il importe en effet de légitimer le nouvel outil en montrant qu’il s’applique aux problèmes classiques, est facile d’emploi et conduit aux mêmes résultats que les méthodes traditionnelles. L’auteur montre son attachement à la tradition en reprenant de nombreux vers du célèbre poème didactique Rawdat al-azhâr fî ‘ilm waqt al-layl wa-l-nahâr [Le Jardin des fleurs dans la science des heures de la nuit et du jour] de al-Jâdirî, écrit à Fès en 794/1392.

La forme ighritm37 utilisée par al-Mashîshî s’oppose à la forme égyptienne lûghârîtm adoptée par al-Suwayrî. Elle résulte d’une aphérèse : la première syllabe de « lo-garithme » a dû être ressentie comme un article, ce qui a entraîné sa chute, puis l’adjonction d’un alif prosthétique. Cependant al-Mashîshî ne lui met jamais l’article, même à l’état déterminé. Lorsqu’il est qualifié de tawqîtî [pour le calcul des heures], le ighritm est une table des logarithmes des lignes trigonométriques ; lorsqu’il est déterminé par al-‘adad [le nombre] ou qualifié de a‘shârî [décimal], c’est une table des logarithmes des nombres entiers.

La table des logarithmes des lignes trigonométriques décrite par l’auteur donne cinq décimales après la caractéristique : il ne peut donc pas s’agir de la table égyptienne qui en donne sept, mais, probablement, de celle qu’on trouve dans les Tables de logarithmes pour les nombres et pour les sinus de Lalande38. Un moyen de ne pas confondre sinus et tangentes est suggéré, ce qui confirme qu’elle est présentée en langue étrangère. L’existence de tables plus complètes, avec sécantes et cosécantes, est signalée. La description peut se traduire ainsi39 :

« Quant au logarithme pour le calcul des heures (ighritm al-tawqît), il comprend six cases (buyût) dans le sens de la longueur. L’une d’elles est pour les sinus ordinaires (al-juyûb al-mabsûta). Si tu prends l’arc depuis le haut en commençant par un degré d’arc, c’est 82418640, et avant lui, le sinus d’une minute d’arc est ceci : 646373. Il y a un autre sinus, qui est le cosinus (jayb al-tamâm). Si tu prends l’arc depuis le haut en commençant par le degré d’arc susdit, c’est 999993. Et si tu prends l’arc à partir du bas, la situation s’inverse comme le quadrant, selon que tu commences pour l’arc par le début ou par la fin. Une autre case est pour la tangente ordinaire (al-dhill al-mabsût). Si tu prends le nombre depuis le haut en commençant par l’unité, c’est 824192. Une autre case est pour la tangente renversée (al-dhill al-mankûs)41 : en

36 C, fol. 4v ; R, fol. 83v. Dans ces copies, on note une omission par homéotéleuton, qui a été corrigée en marge de R : jamî‘ mâ [yakhruj bi-ighrîtm] yakhruj bi-l-rub‘. 37 Si dans C et S1, on a systématiquement ighritm, les copies R et S2 préfèrent le plus souvent ighrîtm, avec voyelle longue. Dans le titre, les quatre copies donnent gh(a)ritm. 38 De La Lande, Jérôme, Tables de logarithmes pour les nombres et pour les sinus Paris, Firmin Didot, 1805, puis tirages en 1808, 1813, 1815, 1818, 1825, 1845, 1857. 39 C, fol. 2r-2v; R, fol. 81r-81v ; S1, fol. 3r-3v ; S2, fol. 2r-2v. 40 En effet, 824186 est l’entier le plus proche de 100000 (log(sin 1°) + 10). La copie C donne 824180, ce qui est erroné. 41 C’est-à-dire la cotangente. Al-Mashîshî inverse donc la terminologie classique des astronomes arabes pour lesquels al-dhill al-mabsût était la cotangente (ombre horizontale) et al-dhill al-mankûs la tangente (ombre verticale).

commençant par l’unité, c’est 175808. Et si tu le prends depuis le bas, ce qui était renversé (mankûs) devient ordinaire (mabsût) et ce qui était ordinaire devient renversé. Ces quatre cases sont celles que l’on trouve le plus souvent. Elles peuvent être dans l’ordre ou non, mais si tu connais les valeurs pour l’unité, tu sauras aussi ce qui en est des autres valeurs et tu ne commettras pas de confusion entre le sinus et la tangente. Dans certains logarithmes, il y a deux autres cases, l’une pour la sécante (qutr al-dhill al-mabsût) et l’autre pour la cosécante (qutr al-dhill al-mankûs). Et c’est tout ce qui peut s’y trouver. Si Dieu le veut, nous expliquerons dans le chapitre de la tangente à partir de la hauteur et de son inverse un moyen pour déterminer la sécante et la cosécante pour le logarithme si elles n’y sont pas, et mon moyen de le déterminer sur certains cadrans. Il y a en ma possession un autre logarithme, qu’on appelle du nombre, qu’on appelle aussi décimal (a‘shârî), commençant par un et allant jusqu’à dix mille, dont le fonctionnement est plus ou moins différent. Dans les deux, la multiplication se fait par l’addition et la division par la soustraction, et ceci est l’origine de la multiplication et ceci est l’origine de la division. La soustraction et l’addition n’y sont pas possibles. L’extraction de la racine d’un nombre se fait en prenant la moitié du nombre requis. »

C’est incidemment, dans le cinquième chapitre (bâb) des dix-huit que compte l’ouvrage, que l’auteur attribue à ‘Abd al-rahmân al-‘Ilj (Desaulty) la traduction arabe d’un « logarithme ». Ce chapitre est intitulé bâb nisf al-fadla wa qûs al-mayl wa-l-nahâr. Le terme nisf al-fadla (la moitié de l’excès) ou, plus explicitement, fadl nisf al-nahâr (l’excès de midi) désigne chez les astronomes arabes l’excès sur 90° de l’arc décrit par le Soleil depuis son lever jusqu’à son passage au méridien du lieu (midi local) : il s’agit donc d’une valeur, variable au cours de l’année, servant à calculer la longueur du jour. En français, on parle d’« excès de l’arc semi-diurne ». Quant au terme qûs al-mayl, il désigne l’arc de déclinaison du Soleil, sous-tendu par l’angle formé par la droite reliant la Terre au Soleil et le plan équatorial. L’auteur calcule d’abord la déclinaison du Soleil à la latitude de Marrakech lorsque le Soleil est sous le signe de la Balance, puis il en déduit l’excès de l’arc semi-diurne. Les formules utilisées sont :

sin(déclinaison du Soleil)

= sin(longitude du Soleil sur l’écliptique) ! sin(obliquité de l’écliptique)

sin(excès de l’arc semi-diurne)

= tan(latitude du lieu) ! tan(déclinaison du Soleil)

Ces multiplications sont conduites soit directement, soit en additionnant les logarithmes trouvés dans la table. Curieusement, la tangente de la déclinaison n’est pas directement issue de la table, mais de la division de son sinus par son cosinus, ou soustraction de leurs logarithmes. Est-ce un signe de ce que que l’antique « ombre » n’est pas totalement objectivée sur le même plan que le sinus et le cosinus ? (un autre symptôme pourrait être est que, dans le passage traduit ci-dessus, il soit question de sinus d’un arc et de tangente d’un nombre). À ce point, al-Mashîshî affirme que ‘Abd al-rahmân al-‘Ilj a, dans le calcul de

l’excès de l’arc semi-diurne, oublié la division par le cosinus de la déclinaison. Il lui impute alors d’innombrables erreurs ou obscurités de ce genre, prenant soin de préciser qu’il n’a pas vu son écrit : la volonté de prise de distance est claire. Il insiste enfin sur le fait que le logarithme dérive du calcul arithmétique direct, lequel doit faire autorité en cas de résultats divergents. Voici ma traduction de ce passage42 :

« Exemple de cela par le logarithme, pour la latitude de Marrakech, le Soleil étant dans la maison de la Balance. Nous prenons le sinus de la longitude écliptique du Soleil (bu‘d al-daraja), qui est ceci : 935200, et nous l’ajoutons au sinus de l’obliquité de l’écliptique (al-mayl al-kullî) qui est 96007043. Il vient la déclinaison, qui est 5° 8" [8!5]. […]

Dans la table pour le calcul du temps (al-tawqîtî), prends la tangente (al-dhill al-mabsût) de la déclinaison et la tangente de la latitude, et additionne-les. Du résultat, prends l’arc sinus44 : c’est l’excès de l’arc semi-diurne. Si tu le veux, multiplie l’ombre méridienne équinoxiale (dhill al-ghâya al-i‘tidâliyya) par cinq45, puis par le sinus de la déclinaison, et divise le produit par le cosinus de la déclinaison : il en résulte le sinus de l’excès de l’arc semi-diurne, et c’est par le calcul et par le nombre. Exemple de cela par le logarithme tawqîtî : dans les tangentes, prends la tangente de la latitude, qui est ceci : 97901546. Ajoute-la au sinus de la déclinaison, qui est ceci : 89517047. Le résultat de l’addition est ceci : 87418548. Soustrais-en le cosinus de la déclinaison, qui est ceci : 999825. Le résultat après la soustraction est comme ceci : 87436049. Sache que son arc est l’excès de l’arc semi-diurne et est le même que ce qui a été trouvé avant50. À ce sujet, ‘Abd al-rahmân al-‘Ilj s’est trompé, parce que, d’après ce que j’ai vu et entendu51 d’un autre que lui, il le tire de l’addition du sinus de la déclinaison requise avec la tangente de la latitude, et n’ajoute rien de plus à cette opération. C’est lui qui a traduit en arabe le logarithme52, avec des choses, presque innombrables53, qui sont

42 C, fol. 10r ; R, fol. 88r-v ; S1, fol. 12r-v ; S2, fol. 8r-v. 43 En effet, en adoptant 23°30" comme valeur de l’obliquité de l’écliptique, on vérifie que l’entier le plus proche de 100000(10+log(sin(23°30"))) est 960070. Les copies R et C donnent 760070, ce qui est erroné. 44 La copie C donne « la moitié de l’arc sinus », ce qui est erroné. 45 C’est, selon la tradition astronomique gréco-arabe, la longueur de l’ombre projetée sur un plan vertical par un gnomon de 12 doigts perpendiculaire à ce plan, mesurée à midi lors d’une équinoxe. La multiplication par 5 ramène au cas du rayon 60. 46 En effet, en adoptant 31°40" comme valeur de la latitude de Marrakech, on vérifie que l’entier le plus proche de 100000(10+log(tan(31°40"))) est 979015. Seule la copie S1 donne cette valeur, tandis que les trois autres donnent la valeur erronée 977015. 47 En effet, l’entier le plus proche de 100000(10+log(sin(5°8"))) est 895170. Les quatre copies donnent une valeur erronée : 895470 dans S1, 895270 ailleurs. 48 Les quatre copies donnent une valeur erronée : 874485 dans S1, 874285 ailleurs. 49 Les quatre copies donnent la valeur erronée 874460. 50 Je trouve 3° 10" 35"", d’où une durée de la demi-journée égale à 6 h 12 min 43 s. 51 La copie C donne « d’après ce que j’ai vu et calculé ». 52 Dans R, le copiste avait écrit ‘arrafa [faire connaître], corrigé en‘arraba [arabiser].

dépourvues de sens ou n’en ont pas beaucoup et en manquent, et qui dans le traité doivent avoir beaucoup de sens et d’applications précises et excellentes, grâce auxquelles tout le monde puisse en comprendre les buts. Prends la peine de comparer notre écrit et le sien. Nous nous sommes donné pour but d’abréger au maximum les opérations et de recueillir les faveurs du public. Apprends que je n’ai pas vu son écrit, ni un quelconque écrit sur le logarithme. Sache que si l’utilisation du logarithme ne concorde pas avec celle du quadrant à fil et avec le calcul, c’est qu’il est entaché d’erreur. Or il est avéré que son utilisation ne concorde pas avec le calcul. S’il y a entre les deux une différence d’une ou deux minutes, il n’y a pas de mal et c’est le deuxième qui compte. Car, sache-le, le calcul est le fondement d’où sort le logarithme, même s’il le contredit. »

4. al-Tâhir al-Hamrî : l’élargissement de la diffusion

On sait peu de choses de al-Tâhir b. al-Mahjûb al-Hamrî, de Marrakech : il fut le disciple et collaborateur de Ahmad al-Suwayrî, semble aussi avoir assisté à des leçons sur la sphère de al-Hasan al-Mizmîzî et copiait encore en 1329/1910 un commentaire ancien de la Munya de Ibn Ghâzî54. On conserve de lui un court écrit de science astronomique des heures, mais celui de ses ouvrages qui nous intéresse ici concerne les logarithmes. Il s’appelle Al-kawâkib al-durriya fî al-a‘mâl al-lûghâritmiyya [Les Astres brillants dans les usages des logarithmes]. Il a été achevé le 11 safar 1316 / 1er juillet 1898.

J’ai connaissance de deux copies de cet ouvrage : la première, mentionnée en 1972 par Muhammad al-Manûnî, est privée55 ; la seconde, datée de 1319/1901, est à la bibliothèque Sbihî de Salé56.

Il comprend une introduction et quarante-quatre bâb divisés en fusûl. S’expliquant sur les raisons qui l’ont poussé à l’écrire, al-Hamrî laisse entendre que le calcul logarithmique est alors en possession de la vogue :

« J’ai personnellement longtemps été en quête d’un ouvrage explicatif sur le logarithme (al-lûghâritm) et je ne le trouvais pas. Quand j’ai vu qu’on pouvait s’attendre à ce que le logarithme soit largement diffusé, j’ai travaillé à prendre des notes à son sujet pour les mettre à disposition. »

La table des logarithmes des sinus (al-usûs al-jaybiyya) qu’il utilise et qu’il décrit au début de son manuel est à cinq décimales – vraisemblablement

53 Les copies S1 et R donnent kâda a lâ yu‘add [presque innombrable], mais C donne ka al-ab‘ad [comme plus loin] et la leçon de S2 est peu lisible. 54 Samlâlî, op. cit., vol. II, p. 545 ; ibid., vol. III, p. 197 ; Manûnî, op. cit., p. 225 ; Lamrabet, Driss, Introduction à l’histoire des mathématiques maghrébines, deuxième édition revue et augmentée, autoédition, diffusion Lulu, 2013, p. 254. 55 Pages 80-131 d’un recueil. De la main de Muhammad b. Ahmad al-Mizawî al-Fâsî. 56 al-khizâna al-‘ilmiyya al-Subayhiyya fî Salâ, ms. 150/3 (anct 1620/3), fol. 1-20.

celle de Lalande : il indique ainsi que dans les lignes prises à partir du haut de la table (fî usûs sufûf ighritm al-‘ulyâ), la valeur maximale est 9,8494857.

À l’image de son maître al-Suwayrî, il n’omet pas d’invoquer le nom prestigieux de Ibn Ghâzî al-Miknâsî, dont il reprend exactement les mêmes citations relatives aux règles sur les exposants58 :

« Le faqîh, le grand savant, l’imâm Ibn Ghâzî – que Dieu lui fasse miséricorde ! – a indiqué cela lorsqu’il a dit : Ajoute les exposants de tout ce que tu as multiplié et donne-leur comme produit ce qui en ressort […] Et lorsqu’il a dit : Sépare et soustrais l’exposant du plus petit de ce que tu divises, que lui réponde la division. »

Mais al-Hamrî mentionne aussi un ouvrage astronomique égyptien paru entre temps (1304/1887), intitulé al-matla‘ al-sa‘îd fî hisabât al-kawâkib ‘alâ al-rasd al-jadîd [L’Heureux Commencement dans les calculs des astres selon l’observation nouvelle]59. Il en cite la dernière phrase :

« L’auteur de al-rasd al-jadîd, le shaykh égyptien Husayn Zâ’id, dans ce qu’il a énoncé sur les différences entre le calcul ancien au moyen du rapport sexagésimal et le logarithme, a dit : ce sont des chemins dans le calcul, mais le résultat est unique. »

5. ‘Umar b. Muhammad b. al-Sa‘îd : l’enquête historique

Un ouvrage qui semble offrir le plus grand intérêt pour l’étude de la pénétration des sciences mathématiques européennes au Maroc est celui qui s’intitule Shadd al-rihla li-‘amalay lugharitm wa l-rikla [Préparatifs de voyage pour l’usage du logarithme et de la règle à calcul]. Son auteur est un certain ‘Umar b. Muhammad b. al-Sa‘îd al-Murrâkushî, sur lequel aucun élément biographique ne semble disponible. Il a été achevé le 29 shawwâl 1318 / 19 février 1901.

J’ai connaissance de deux copies de cet ouvrage, mais n’ai pu en consulter aucune. La première, non datée, a été décrite en 1973 par Muhammad al-Manûnî60 qui l’avait vue dans la collection de Ahmad b. Yûsuf al-Kansûsî al-Murrâkushî (m. 1423/2002)61. La seconde, datée de 1326/1908, a été achetée à

57 Ms. de Salé, fol. 3r. On reconnaît la valeur de 10+log(sin45°) = 9,849485002... Les tables de Lalande donnent 9,84949 : je penche pour une erreur de copie. 58 Ms. de Salé, f. 1v. 59 Ce livre est décrit dans l’annexe 1. 60 Manûnî, op. cit., p. 137 et 225-227. Manuscrit de 82 pages, sans nom de copiste. 61 Voici quelques renseignements sur Ahmad b. Yûsuf b. al-‘Arabî b. Muhammad b. Ahmad al-Kansûsî al-Murrâkushî (1328/1910-1423/2002), tirés notamment des sites Internet en langue arabe http://www.tidjania.fr et http://bibliothmaroc.blogspot.fr. Il est l’arrière-petit-fils du poète, historien et astronome Abû ‘Abdallâh Muhammad b. Ahmad b. Muhammad b. Yûnis b. Mas‘ûd al-Ja‘farî al-Kansûsî [ou Akansûs] al-Murrâkushî (1211/1796-1294/1877), originaire du Sûs et venu à Marrakech en 1832, où

Londres pour la bibliothèque nationale du Qatar62 : celle-ci m’en a en juin 2013 refusé toute forme de reproduction, ne disposant pas du matériel nécessaire. Il faut donc, pour l’instant, se contenter des succinctes observations de al-Manûnî.

L’auteur se propose d’expliquer l’utilisation, dans les problèmes astronomiques posés par le culte, de la table de logarithmes et de la règle à calcul – il s’agit sans doute de la règle non coulissante de Gunter. Il précise :

« J’ai trouvé que les opérations de calcul des heures peuvent être effectuées de manière plus exacte et plus précise avec le logarithme, et à sa suite en utilisant ce qu’on appelle la rikla. J’ai composé cette épître pour expliquer la façon d’opérer avec les deux outils, afin de déterminer ce qui est demandé dans la science du temps et ce qui y conduit. »

Les deux outils sont présentés dans l’introduction. Pour ce qui est du logarithme (qui semble graphié lûghârîtmû dans la copie vue par al-Mânûnî et lugharitm dans celle du Qatar), l’auteur discute de sa dénomination, de son inventeur, de son utilisation. Après l’introduction viennent vingt bâb, qui semblent riches en informations historiques précises. Quant aux sources principales de l’ouvrage, relevées par al-Manûni, elles sont remarquables :

1°) ce que l’auteur a appris de son professeur ‘Abd al-rahmân al-‘Ilj, dont il serait alors un élève tardif ;

2°) une Risâla fî l-a‘mâl al-lûghârîtmiyya [Épître sur les usages des logarithmes] de son grand-père al-Sa‘îd al-Murrâkushî, inconnue par ailleurs ;

3°) un Kitâb al-jâmi‘ al-isbânî [Le Recueil espagnol], qu’al-Manûnî n’a pas identifié : il me paraît probable qu’il s’agisse de la traduction arabe de l’Almanach perpetuum d’Abraham Zacut, réalisée vers 1033/1624 par Ahmad b. Qâsim al-Hajarî al-Andalusî sur la version castillane imprimée à Leiria en 1496, et dont deux exemplaires sont à la bibliothèque Hasaniyya63 ;

4°) et, dans une moindre mesure, la traduction arabe de la grande Astronomie de Lalande : réalisée sur ordre de Sîdî Muhammad et achevée en 1268/1852, elle se trouve en deux exemplaires à la bibliothèque Hasaniyya64.

il fonda en 1262/1847 dans le quartier d’al-Muwâssîn une zâwiya relevant de la confrérie al-Tijâniyya, connue sous le nom de zâwiyat al-fath. Ahmad b. Yûsuf a enseigné à la madrasa Ibn Yûsuf de 1941 à 1972. Il s’adonnait parfois à l’astronomie en compagnie de Muhammad b. ‘Abd al-razzâq, Ahmad al-Hawzî al-Jadîdî et Ahmad [A]b[û a]l-Hasan al-‘Âsimî. La zâwiya fondée par son bisaïeul était un laboratoire d’expériences astronomiques et mathématiques (des instruments sont encore visibles sur la terrasse) et celui-ci a laissé un instrument de son invention en forme de quadrant à sinus : Ahmad b. Yûsuf et Ahmad al-Jadîdî (m. 1369/1950) ont sans y parvenir essayé de prendre une élévation avec cet instrument, n’ayant pu trouver la notice de l’auteur. 62 maktabat Qatar al-wataniyya, ms. non coté (armoire 1, étagère 6), 47 fol. 63 al-khizâna al-hasaniyya, mss 8184 et 1433 ; cf. aussi ms. 1331. 64 al-khizâna al-hasaniyya, mss 2682 et 5405. Voir annexe 2 et Ageron, art. cit.

6. Muhammad al-Aghzâwî : l’élaboration didactique

Le cours de Sî Muhammad b. ‘Alî al-Aghzâwî (m. 1340/1922) est le dernier chronologiquement des textes que j’étudierai dans cet article. Son auteur est un astronome et arithméticien de Fès, à la compétence soulignée par ses contemporains : son enseignement, dispensé dans une mosquée de quartier, donna lieu à plusieurs livres dont un fut lithographié en 1317/1899. L’ouvrage qui nous intéresse, resté manuscrit, s’intitule Raghbat ûlî al-albâb min tullâb ‘ilm al-miqât bi-lûghârîthm al-mustatâb [Le Désir des étudiants en science du calcul du temps doués de sagacité, au moyen de l’apprécié logarithme]65. Selon la grande tradition didactique, il se présente comme le commentaire, enrichi d’exemples, d’un poème de trente-cinq vers en mètre rajz. Ce poème expose les règles du calcul logarithmique, telles que, dit l’auteur, son maître ‘Abd al-salâm b. Muhammad al-‘Alamî les avait rassemblées (on sait que celui-ci avait ramené des livres d’Égypte). Il a été achevé le 1er shawwâl 1321 / 21 décembre 1903.

J’ai connaissance de six copies de cet ouvrage, parfois sur de simples cahiers d’écolier : une à la bibliothèque Hasaniyya à Rabat66, une autre conservée en mains privées67, une troisième à la bibliothèque Ahmadiyya à Fès68, deux à la bibliothèque Sbihî à Salé69 et une dernière à la Fondation roi ‘Abd al-‘Azîz à Casablanca70. Seule la première copie de Salé est achevée.

Dans l’enseignement de al-Aghzâwî, les tables imprimées en Égypte en 1834 sont encore la référence et sont décrites en détail :

« Notre propos portera ici sur le logarithme (lûghârîthm) en arabe venant d’Égypte et contenant trois tables, c’est-à-dire trois parties. »

Cependant, al-Aghzâwî mentionne aussi différents recueils de tables français71. Ainsi, dans l’examen de la table des logarithmes des nombres entiers, il note, en parlant certainement des Tables de logarithmes à sept décimales de Callet :

« Information utile sur la spécificité du logarithme chrétien (rûmî), en particulier français (ifranjî) – j’entends ici sa première partie. Sache qu’il est composé de deux espèces. Il comprend 182 pages et les nombres naturels y vont de un à 10000072, et à mille. La première page comprend onze rangées. Elles commencent, en partant de la gauche, par le nombre naturel de 1 à 49. Le suit ce qui est indiqué comme les logarithmes, c’est-à-dire des nombres fractionnaires formés de sept positions. […] »

65 L’expression ûlû al-albâb est fréquente dans le Coran (II, 179, 269 ; III, 190, etc.) 66 al-khizâna al-hasaniyya, ms. 7083, 17 fol. Copié par Muhammad b. ‘Abd al-Majîd Aqasbî (mathématicien, m. 364/1945). 67 Manûnî, op. cit., p. 228. Copié par Abû ‘Alî al-Hasan b. Muhammad al-Manûnî. 68 Manûnî, op. cit., p. 228. 69 al-khizâna al-‘ilmiyya al-Subayhiyya fî Salâ, mss 124/3 (anct 1650/3) et 526/1-2. 70 mu’assasat al-malik ‘Abd al-‘Azîz Âl Sa‘ûd …, ms. 495/1, fol. 0v-17v. 71 Ms. de Casablanca, fol. 1v, fol. 4v. 72 Le ms. de Casablanca que j’utilise donne 10000 : c’est probablement une erreur.

Et dans l’examen de la table des logarithmes des lignes trigonométriques, il en évoque une dont les colonnes sont dans l’ordre sinus – tangente – cotangente – (probablement issue des Tables portatives de logarithmes de Callet), d’autres où elles sont dans l’ordre sinus – tangente – cotangente – cosinus (comme dans les Tables de logarithmes pour les nombres et pour les sinus de Lalande), et une qui, au lieu d’ajouter 10 aux logarithmes, fournit le plus grand entier qui leur est inférieur (probablement les Tables de logarithmes à sept décimales de Callet).

L’ordre des colonnes de cette partie du logarithme en arabe que nous avons décrit, nous l’avons vu aussi dans certains logarithmes français apportés d’Italie : il se présente de sorte que la première colonne du côté gauche est pour le logarithme sinus (nisba jaybiyya), celle qui la suit est intitulée à partir du bas par la mention « logarithme sinus » dans leur langue, la troisième colonne est pour la tangente première et la quatrième pour son complément. La plupart des logarithmes chrétiens sont en désaccord avec de cet ordre, en ceci qu’ils ont mis du côté gauche la colonne des logarithmes sinus, que suit la colonne des tangentes premières, la colonne des tangentes secondes et la quatrième est pour les cosinus. […] En ce qui concerne la caractéristique (al-‘adad al-bayânî)73 dans cette partie du logarithme en arabe, c’est 6 de 1" jusqu’à 3", 7 de 4" jusqu’à 34", 8 de 35" jusqu’à 5°44" et 9 de 5°45" jusqu’à la fin, 90°. La plupart des logarithmes sont conformes à cette description. Il y en a une sorte, qui nous a été rapportée de Paris, dont la colonne de la caractéristique commence avec 5, puis 4, puis 3, puis 2, jusqu’à 5°44"20"", et est 1 de [5° 44"] 30"" jusqu’au dernier arc : ceci est pure obscurité.

Al-Aghzâwî indique que certaines tables lui ont été apportées d’Italie, sans doute par les étudiants marocains qui restèrent à Turin de 1888 à 189674. Pour celle rapportée de Paris, le témoignage de Georges Salmon, chef de la mission scientifique française au Maroc, permet d’établir comment il se la procura75 :

« Si Mohammed El-Ghzaoui (...) a une table de logarithmes (lghritmou) en français, table qui lui a été procurée de Paris par Si Muhammad bel Ka’b, ancien mta’allem du sultan Moulay El-Hasan, qui était à l’école d’artillerie de Versailles, parlait français et connaissait les logarithmes76. C’est lui qui en a instruit El-Ghzaoui, et ce dernier a fait venir sa table il y a seize ans, à l’époque où M. de Marcilly était consul de France à Fès [1894-1899]. À son tour El-Ghzaoui enseigna les logarithmes aux tolba qui en achetèrent quatre ou cinq tables dans les librairies de Fès ; ces dernières en possèdent en effet depuis cette époque. »

73 Il s’agit ici de la partie entière de 10 + log (sin x) ; c’est donc un entier < 10. 74 Manûnî, op. cit., p. 179 et seq. ; Ma‘nînû, Ahmad, « madhkarat tâlib maghribî ursila fî ba‘tha maghribiyya ilâ îtâlyâ », da‘wat al-haqq, 113, 1409/1989. 75 Péretié, A., d’après Georges Salmon, « Les medrasas de Fès », Archives marocaines, XVIII, 1912, p. 340. 76 Muhammad bel Ka’b étudia sept ans en France. Voir : Fischer, Theobald, Meine dritte Forschungsreise im Atlas-Vorlande von Marokko, Hambourg, 1902, p. 20.

Conclusion L’apparition de tables de logarithmes françaises dans les librairies de Fès

marque le terme de ce parcours. Dans l’avenir, il pourra être retracé plus finement par l’examen de certains manuscrits auxquels je n’ai pas eu accès.

Je pense cependant avoir déjà amplement prouvé que l’introduction des logarithmes au Maroc est le fait des Marocains eux-mêmes. Afin de s’approprier ce savoir d’origine étrangère, certains ont employé le « renégat » français ‘Abd al-rahmân Desaulty comme truchement, d’autres ont recouru à des traductions ou adaptations de travaux européens imprimées en Égypte, tandis qu’au Maroc même, certains ouvrages étaient traduits77. Ainsi, s’installant à Fès en 1879, le capitaine Erckmann, chef de la mission militaire française, constata que l’utilisation des logarithmes pour le comput des heures était chose banale chez les muwaqqitîn du sultan – d’où l’historiographie française a conclu qu’il était lui-même celui qui leur avait enseigné ce calcul78...

On dira que l’entourage du sultan n’est pas tout le Maroc, et il est vrai que qu’une partie des ‘ulamâ’ est restée indifférente au « logarithme ». Il est vrai aussi que l’horizon d’attente des Marocains face à cet outil était restreint et que son appropriation fut en conséquence sévèrement sélective. Sa légitimation était principalement conditionnée à son applicabilité et son exactitude dans les problèmes calculatoires classiques liés au culte. Elle l’était aussi à sa possibilité d’être pensé dans le dispositif philosophico-scientifique de la tradition gréco-arabe : les auteurs insistent sur la continuité entre la méthode nouvelle et les mathématiques qu’ils ont apprises, nulle révolution scientifique n’est pressentie.

Ce qu’a accompli cette poignée de mathématiciens marocains n’est cependant pas rien. Dans un pays immuable et fermé, vivant dans le rêve de sa supériorité éternelle, les obstacles à l’appropriation d’un savoir nouveau venu d’Europe étaient innombrables : linguistiques, épistémologiques, didactiques, culturels et psychologiques. En les surmontant, les savants marocains du XIXe siècle ont, à leur mesure, préparé un possible chemin de modernisation scientifique. L’instauration du Protectorat, en dessinant un tout autre chemin, devait conduire ces efforts à la ruine et tout un pan d’histoire à l’oubli.

77 Voir annexe 2. Les livres d’Ozanam, Lalande et Norie traitent des logarithmes. 78 « Ils font ces calculs machinalement, avec des tables de logarithmes, sans se douter pour la plupart que ces tables servent à autre chose qu’à calculer les heures » (Erckmann, Jules, Le Maroc moderne, Paris, Challamel aîné, 1885, p. 87) ; « Grâce à notre compatriote, M. le capitaine Erckmann, les tholba font aujourd’hui couramment ce calcul par les logarithmes » (Delphin, Gaétan, Fas, son université et l’enseignement supérieur musulman, Paris, E. Leroux & Oran, P. Perrier, 1889, p. 35 ; « Déjà le capitaine Erckmann avait pu dresser quelques tolba à l’emploi des logarithmes pour le calcul du temps » (Renaud, Henri-Paul-Joseph, « L’enseignement des sciences exactes et l’édition d’ouvrages scientifiques au Maroc avant l’occupation européenne », Hespéris, XIV, 1932, p. 84).

Annexe 1 : ouvrages égyptiens cités par les mathématiciens marocains

Voici des notices sur les trois ouvrages mathématiques « modernes » imprimés en Égypte dont j’ai trouvé mention dans des manuscrits marocains.

• < jadâwil al-ansâb > [< Tables des logarithmes >], matba‘at sâhib al-sa‘âda al-bahiyya, Bûlâq, 1250/1834, 272 pages.

Cet ouvrage in-octavo rassemble, sans titre, ni introduction, ni explications, trois tables numériques en chiffres arabes orientaux, séparées par quelques pages blanches79. Elles donnent : 1°) de la p. 2 à la p. 85, les logarithmes (ansâb) des nombres entiers de 1 à 10080, avec huit chiffres décimaux ; 2°) de la p. 90 à la p. 179, le logarithme sinus (nisba jaybiyya) et le logarithme tangente (nisba dhilliyya) des arcs de 0° à 45°, de minute en minute, avec sept décimales ; 3°) de la p. 182 à la p. 271, le sinus « décimal » (jayb a‘shârî) et la tangente « décimale » (dhill a‘shârî) des arcs de 0° à 45°, de minute en minute, avec sept décimales. Les différences entre valeurs consécutives ne sont pas tabulées.

Malgré la translittération arabisante dont je viens de faire usage, la terminologie utilisée ressortit au turc ottoman. Exception faite du colophon à la p. 272, les tables de Bûlâq ne sont en effet qu’une réimpression à l’identique de tables turques, apparemment celles imprimées à Istanbul en 1232/181780. Lorsque Khalîfazâde fit imprimer en 1186/1772 les premières tables logarithmiques en pays d’Islam, il avait choisi de traduire littéralement en turc le mot logarithme, ce qui donna nisbet-i adediye [rapport numérique] ou simplement nisbet, orthographié à l’ottomane avec un tâ’ maftûha au lieu d’un tâ’ marbûta, et de pluriel ensâb et non nisab comme en arabe. Il avait de même rendu logarithme sinus par nisbet-i ceybiye et logarithme tangente par nisbet-i zilliye ; tous ces termes furent ensuite adoptés par l’ensemble des mathématiciens turcs.

La circulation marocaine de ces tables a été importante et durable : elles sont les tables de référence dans les traités de calcul des heures au moyen des logarithmes de Ahmad al-Suwayrî en 1278/1861 et de Muhammad al-Aghzâwî en 1321/1903. Elles ont cependant été concurrencées, puis supplantées, par les tables françaises de Lalande ou de Callet.

79 Voir Ill. 1. On trouve des descriptions de ces tables dans : Cayley, Arthur, Report of the Committee on Mathematical Tables , British Association for the Advancement of Science, Taylor & Francis , 1873 ; Crozet, Pascal, Les sciences modernes en Égypte. Transfert et appropriation (1805-1902), Paris, Geuthner, 2008, p. 344 et 427. 80 Bianchi, Thomas-Xavier, « Catalogue général des livres arabes, persans et turcs, imprimés à Boulac en Égypte depuis l’introduction de l’imprimerie dans ce pays », Journal Asiatique, série 4, vol. II, 1843, p. 24-61 (voir p. 42) ; Catalogue des livres dépendant de la succession de M. Benjamin Duprat, Paris, Adolphe Labitte, 1868, p. 136.

• Thamarat al-iktisâb fî ‘ilm al-hisâb [Le Fruit de l’acquisition de la science du calcul], traduction probable Muhammad Bayyûmî, correction et préface Ibrahîm al-Dasûqî, dâr al-tibâ‘a al-‘âmira, Bûlâq, 1263/1846, 300 pages (les trois dernières paginées par erreur 398 à 400), 424 sections et 15 problèmes.

Il s’agit, comme l’a démontré Pascal Crozet, d’une traduction « presque intégrale et très fidèle » d’un manuel élémentaire français, le Cours d’arithmétique théorique et pratique de Léger-Joseph George81. Ce George (Nancy, 1787 – Besançon, 1841) était un cousin germain de Victor Hugo qui dut très tôt renoncer à l’enseignement des mathématiques en raison de sa surdité82 ; son Cours d’arithmétique connut, sous un titre variable, treize éditions, dont cinq à Neufchâteau, puis huit à Nancy et / ou Paris (1828, 1831, 1832, 1833, 1835, 1838, 1839 et 1844). Les p. 268 à 300 de l’édition arabe traitent des logarithmes ; une table à cinq décimales des logarithmes des entiers de 1 à 250 est donnée et on renvoie à celle de Lalande qui va jusqu’à 10000.

En ce qui concerne la circulation marocaine de la traduction égyptienne, deux faits sont à relever : 1°) l’existence à la bibliothèque Hasaniyya à Rabat d’une copie manuscrite complète de l’ouvrage, en écriture maghrébine et avec chiffres occidentaux83 ; 2°) les nombreuses et assez longues citations qu’en a extraites Ahmad al-Suwayrî dans son traité de calcul logarithmique.

• Husayn Zâ’id al-Misrî, al-matla‘ al-sa‘îd fî hisâbât al-kawâkib ‘alâ al-rasd al-jadîd [L’Heureux Commencement dans les calculs des astres selon l’observation nouvelle], le Caire, al-matba‘a al-bârûniyya, 1304/1887, 116 pages dont 24 pages de texte, puis 90 pages de tables paginées indépendamment et un colophon (l’incipit et le colophon ont été inversés).

Il s’agit, selon Pascal Crozet, d’« un petit livre présentant des tables astronomiques (zîj) sur le mode traditionnel, mais reposant sur les observations publiées par Lalande et donc plus récentes que ce qui servait jusqu'alors de fondement aux calculs des astronomes liés au monde des mosquées »84.

Sa circulation marocaine est attestée par le traité de al-Tâhir al-Hamrî (1316/1898), mais aussi par la rihla parisienne de Muhammad al-Sâ’ih al-Ribâti (1340/1922)85 : tous deux citent les dernières lignes du texte (p. 24), où l’auteur rapppelle que le calcul logarithmique n’étant qu’une simplification de l’ancien calcul sexagésimal, on dispose de deux méthodes pour un unique résultat. 81 Crozet, op.cit., p. 416. 82 Dubos, Jean-Claude, Victor Hugo et les Franc-Comtois, Bière, Cabédita, p. 42. 83 al-khizâna al-hasaniyya, ms. 1588. Voir Ageron, art. cit. 84 Crozet, Pascal, « La place des sciences dans la cité : les vues du milieu scientifique égyptien dans la seconde partie du XIXe siècle », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 101-102 (2003) p. 31-49.

Annexe 2 : ouvrages mathématiques traduits au Maroc au XIXe siècle

Voici une liste d’ouvrages et opuscules mathématiques européens dont une traduction arabe, partielle ou intégrale, a été effectuée au Maroc entre 1822 et 187386. Ces traductions sont conservées à la bibliothèque Hasaniyya à Rabat.

· Lezioni elementari di matematiche del Sig[nore] Ab[ate Joseph François] Marie, tradotte ed illustrate da Stanislao Canovai e Gaetano del Ricco delle Scuole Pie, settima edizione arrichita di aggiunte e di applicazioni e diposta con nuovo ordine da Giovanni Inghirami delle Scuole Pie, Firenze, nella Stamperia Calasanziana, 1825, parte I : 296+lxviii pages, parte II : 252 pages, 11 planches. [ms. 1213, fol. 44r-55v]

· S[ilvestre] F[rançois] Lacroix, Traité élémentaire de trigonométrie rectiligne et sphérique, et d’application de l’algèbre à la géométrie, huitième édition, Paris, Bachelier, 1827, xii+311 pages, 5 planches. [mss 135 et 995]

· J[ohn] W[illiam] Norie, Complete Epitome of Practical Navigation (...) to which is added a correct and extensive set of tables, twelfth (stereotype) edition, London, printed for the author and sold by J. W. Norie & Co., 1839, xii+328+xliv+360 pages, 9 planches. [mss 10381, fol. 1v-30v et 850, p. 21-168]

· A Description of Dollond’s Improved Reflecting & Repeating Circle, with Geographical Notices, Extracted from Captain Sabine’s Work on the Pendulum, Londres, printed by W. M. Thiselton, 1826, 23 pages, une planche. [ms. 1213, fol. 21v-25r]

· « Calcul de l’heure de la pleine mer », in : Annuaire pour l’an 1844 présenté au Roi par le Bureau des longitudes, Paris, Bachelier, 1843, p. 37-44. [ms. 1213, fol. 26r-28v]

· Instruction pour se servir de l’arithmomètre inventé par M. Thomas (de Colmar), Paris, imprimerie de Félix Malteste et Cie, 1868, 28 pages, une planche. [ms. 1738]

· Jérôme le Français (La Lande), Astronomie, troisième édition revue et augmentée, Paris, chez la Veuve Desaint, 1792, vol. 1 : lxvi+478+378 pages, vol. 2 : 727 pages, vol. 3 : 737 pages, 44 planches. [ms. 2682 et 5405]

· Ozanam, La Trigonométrie rectiligne et sphérique avec les tables des sinus, tangentes et sécantes, pour un rayon de 10000000 parties et les tables des logarithmes des sinus et des tangentes pour un rayon de 100000000000 parties, nouvelle édition, revue et corrigée exactement, Ch. Antoine Jombert, Paris, 1765, xvi+128+284 pages, 6 planches. [ms. 1213, fol. 77r-99r]

85 al-Sâ’ih al-Ribâti, Muhammad b. ‘Abd al-Salâm, usbû‘ fî Bârîs, texte établi et présenté par Sulaymân al-Qarshî, Beyrouth, al-mu’assasa al-‘arabiyya li-dirasât wa-l-nashr, 2004, p. 72. 86 Pour plus de détails sur ces textes et sur leurs traductions, voir : Ageron, art. cit.

Ill.1. Table de logarithmes imprimées à Bûlâq (Égypte) en 1834. Exemplaire de la collection privée de Pascal Crozet, p. 90 : logarithmes sinus et logarithmes tangentes des arcs entre 0° et 1°.

Ill. 2. Minhâj kashf al-hijâb ‘an al-tawqît wa l-qibla bi l-âla wa gharitm wa l-hisâb [Méthode de dévoilement du calcul des heures et de la direction de la prière par l’instrument, le logarithme et le calcul], de al-Hasan al-Mashîshî. Rabat, BNRM, ms. D1423, fol. 88r : calcul de l’excès de l’arc semi-diurne au moyen des logarithmes, censure d’une erreur de ‘Abd al-rahmân al-‘Ilj.

Ill. 3. Ghunyat al-tâlib wa tadhkirat al-labîb wa imthid li kulli muhibb wa habîb [La ressource de l’étudiant, l’aide-mémoire du sagace, l’antimoine pour tout amateur et amoureux < de science >], de Ahmad al-Suwayrî. Rabat, BNRM, ms. D 2812, p. 47 : réflexion sur la repésentation décimale des sinus, avec figure présentant les exemples de 25° et 40°.

Ill. 4. Ghunyat al-tâlib wa tadhkirat al-labîb wa imthid li kulli muhibb wa habîb [La ressource de l’étudiant, l’aide-mémoire du sagace, l’antimoine pour tout amateur et amoureux < de science >], de Ahmad al-Suwayrî. Salé, bibl. Sbihi, ms. 150/2, fol. 21r-22v : réflexion sur la rerésentation décimale des sinus, avec figure présentant les exemples de 25° et 40°.