Les carrières de Laconie : essai de synthèse

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DHA supplément 11 Dialogues d’histoire ancienne supplément 11, 2014, 171-191 Les carrières de Laconie : essai de synthèse 1 Jacqueline Christien Université Paris Ouest Nanterre La Défense UMR 8210 ANHIMA Préalable Il s’ agit ici de diffuser quelques informations de nature géographique qui permettront de poursuivre le travail de longue haleine qui consiste à tenter de forcer l’ image de Sparte telle qu’ elle a été léguée par la littérature antique, image largement déformée par les philosophes qui se sont emparés du sujet (alors que les Spartiates n’ ont jamais donné leur témoignage) et ont placé sur le plan de la morale ce que l’ on croit savoir de Sparte. La géographie historique peut encore, avant que ne s’ accélèrent les destructions dues au monde moderne, fournir quelques éléments de connaissance. Nous vivons en effet sur une image de Sparte largement conditionnée par la période 430-370 av. J.-C. qui est celle des textes qui nous informent pour l’ essentiel. Il faut y joindre Plutarque, qui par ses choix de platonicien, se rattache idéologiquement au groupe précédent, celui du temps de l’ impérialisme athénien et de sa chute. Notre vision des choses serait sans doute très différente s’ il avait choisi (dans l’ hypothèse où ce choix aurait été possible) de traiter les vies d’ Archidamos plutôt que celle d’ Agésilas, d’ Areus et de Léonidas II plutôt que celles d’ Agis et de Cléomène. 1 Recensions récentes : G. Kokkorou-Alevras, A. Chatziconstantinou, A. Efstathopoulos, E. Zavvou, N. emos, K. Koponias et E. Poupaki, « Ancient quarries in Laconia », dans W. G. Cavanagh, C. Gallou, M. Georgiadis (éds), Sparta and Laconia: From Prehistory to Pre-modern. Proceedings of the Conference held in Sparta, organised by the British School at Athens, the University of Nottingham, the 5th Ephoreia of Prehistoric and Classical Antiquities and the 5th Ephoreia of Byzantine Antiquities 17–20 March 2005. Londres, British School at Athens Studies, 16, 2009, p. 169- 177. Précédemment F. A. Cooper, « e Quarries of Mount Taygetos in the Peloponesos, Greece », dans N. Herz et M. Waelkens (éds), Classical marble: Geochemistry Technology-Trade, Dordrecht-Boston-Londres, 1988, p. 65-76. J’ ajoute quelques éléments à ceux déjà connus. Il est évident que j’ ai visité tous ces sites, et essayé de les placer sur la carte.

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Dialogues d’histoire ancienne supplément 11, 2014, 171-191

Les carrières de Laconie : essai de synthèse1

Jacqueline ChristienUniversité Paris Ouest Nanterre La Défense

UMR 8210 ANHIMA

Préalable

Il s’ agit ici de diffuser quelques informations de nature géographique qui permettront de poursuivre le travail de longue haleine qui consiste à tenter de forcer l’ image de Sparte telle qu’ elle a été léguée par la littérature antique, image largement déformée par les philosophes qui se sont emparés du sujet (alors que les Spartiates n’ ont jamais donné leur témoignage) et ont placé sur le plan de la morale ce que l’ on croit savoir de Sparte. La géographie historique peut encore, avant que ne s’ accélèrent les destructions dues au monde moderne, fournir quelques éléments de connaissance.

Nous vivons en effet sur une image de Sparte largement conditionnée par la période 430-370 av. J.-C. qui est celle des textes qui nous informent pour l’ essentiel. Il faut y joindre Plutarque, qui par ses choix de platonicien, se rattache idéologiquement au groupe précédent, celui du temps de l’ impérialisme athénien et de sa chute. Notre vision des choses serait sans doute très différente s’ il avait choisi (dans l’ hypothèse où ce choix aurait été possible) de traiter les vies d’ Archidamos plutôt que celle d’ Agésilas, d’ Areus et de Léonidas II plutôt que celles d’ Agis et de Cléomène.

1 Recensions récentes : G. Kokkorou-Alevras, A. Chatziconstantinou, A. Efstathopoulos, E. Zavvou, N. Themos, K. Koponias et E. Poupaki, « Ancient quarries in Laconia », dans W. G. Cavanagh, C. Gallou, M. Georgiadis (éds), Sparta and Laconia: From Prehistory to Pre-modern. Proceedings of the Conference held in Sparta, organised by the British School at Athens, the University of Nottingham, the 5th Ephoreia of Prehistoric and Classical Antiquities and the 5th Ephoreia of Byzantine Antiquities 17–20 March 2005. Londres, British School at Athens Studies, 16, 2009, p. 169-177. Précédemment F. A. Cooper, « The Quarries of Mount Taygetos in the Peloponesos, Greece », dans N. Herz et M. Waelkens (éds), Classical marble: Geochemistry Technology-Trade, Dordrecht-Boston-Londres, 1988, p. 65-76. J’ ajoute quelques éléments à ceux déjà connus. Il est évident que j’ ai visité tous ces sites, et essayé de les placer sur la carte.

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La Sparte que nous présente Hérodote est une Sparte ouverte sur le monde, ayant des liens diplomatiques avec tout ce qui compte dans le monde méditerranéen. Mais, de la vision athénienne classique qui est fondamentale dans notre historiographie, nous retenons une Sparte repliée sur elle-même et coupée de la mer ; de la vision des Socratiques nous retenons une société archaïsante, à l’ écart des évolutions (des errements pour eux) de la démocratie athénienne. Le peu que nous savons cependant des Spartiates évoqués un peu plus haut oblige pourtant à des questionnements déchirants. Il s’ agit d’ hommes qui furent pleinement engagés dans leur siècle, au point, pour l’ un, de finir sa vie en Italie du Sud après avoir lutté contre la puissance thébaine en Grèce centrale, pour l’ autre de la commencer à la cour séleucide, pour Areus enfin d’ avoir eu partie liée avec les Lagides, Athènes, d’ avoir combattu Pyrrhos et Antigone Gonatas, et d’ avoir fait appel à des artistes. Si nous acceptons de sortir des rails où nous enferment les restes textuels sur lesquels nous travaillons, une autre histoire se profile.

Ainsi il est un fait d’ évidence. Si Sparte n’ est pas une cité de marins, ni une cité marchande, c’ est en revanche un état sur la mer, et sur une mer parfois très fréquentée.

En fait, les caps de Laconie, situés sur la porte maritime entre le bassin occidental et le bassin oriental de la Méditerranée, sont un lieu de passage permanent de navires, pour peu que ces deux bassins soient en relation, ce qui est le cas par exemple dès que les Chalcidiens, puis les Phocéens s’ intéressent à l’ ouest au VIIe/VIe siècle. Après eux Samiens et Cnidiens prendront le relais. Les Éginètes doublent eux aussi les caps laconiens quand ils vont vers l’ Étrurie ou vers l’ Adriatique (en revanche, il est possible que la route des Rhodiens passe plus au sud, par la Crète, comme l’ indique la fondation commune de Géla).

Mais justement, avec la conquête perse qui – ne serait-ce que par le tribut – détourne une partie des produits disponibles vers l’ intérieur de l’ Empire, avec le développement des liens de l’ Ionie avec la mer Noire qui ouvre d’ autres chantiers d’ exploration et de colonisation, par suite surtout de l’ empire athénien qui crée un ensemble Égée-Égypte-mer Noire avec peu de liens avec le bassin occidental, contrairement à l’ époque précédente et ses courants transméditerranéens, durant la période 478-413, il n’ y a guère plus de passage marchand par les caps laconiens. Symboliquement Tolmidès a détruit Gythion au milieu du siècle et il faudra attendre la fin du siècle pour que le port retrouve son activité, doublé d’ ailleurs par le port voisin Las (cela dit il y a quelques liens entre Athènes et l’ Occident qui obligent encore à doubler les caps laconiens. Le meilleur exemple en est

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la fondation de Thourioi, même s’ il s’ agit d’ une colonisation ambiguë puisqu’ elle se veut plus panhellénique qu’ athénienne).

Quand il y a passage, il est normal que les navires s’ arrêtent dans les ports ou sur les plages qui sont sur leur chemin, normal aussi qu’ ils s’ intéressent alors à ce qui peut leur servir de fret. À l’ abri de ce qui est aujourd’ hui l’ île d’ Élaphonissos dans le cap Malée, où dans les indentations du Ténare, plus d’ un navire a certainement trouvé refuge.

Que peuvent-ils y trouver ? Certes quelques produits agricoles, figues, huile, olives et vin attestés par les nombreuses amphores de table trouvées en Occident, du miel, mais aussi des matières premières plus difficiles à cerner : de la pourpre produite dans le golfe, du fer, important et accessible dans le cap Malée… et de la pierre.

Ainsi, à Gythion, une inscription archaïque a été relue et corrigée. Elle est désormais comprise comme une interdiction de prendre des pierres en ce lieu par F. Ruzé et H. van Effenterre2. Il n’ y a donc pas lieu de voir au lieu de gravure de l’ inscription un sanctuaire de Zeus Kappôtas, lecture conjecturale jusqu’ ici admise, mais seulement une carrière illicite.

Les côtes du Magne et celles du cap Malée ou de Cythère sont en effet riches de carrières de pierres.

I- Le poros

Poros du Malée

La plupart des carrières du cap Malée sont des carrières de poros que l’ on ne peut dater, mais qui, pour certaines, remontent sans doute très tôt. Elles sont situées sur la côte et visiblement utilisées pour un transport maritime ; c’ est le cas au sud de Monemvasia où elles sont désormais en partie détruites par les constructions. La partie sud a cependant été protégée, mais est enfouie dans les sables.

Une immense exploitation (photographie 1) se trouve en face d’ Élaphonissos où l’ on a un site antique qui était peut-être celui d’ Apollon Lithisios, cité dans l’ inscription

2 F. Ruzé, H. van Effenterre, Nomima, Recueil d’ inscriptions politiques et juridiques de l’ archaïsme grec, II, Rome, EFR, 1994, p. 318-319.

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de Damonon3. La cité antique environ 2 km au nord a livré 3 tombes avec du matériel datable de la fin du IVe siècle.

À Asôpos, à la racine ouest du cap, la carrière au-dessus du site (partiellement sous l’ eau) fut réutilisée à l’ époque romaine comme cimetière4, les autres sont dans l’ eau actuellement, le niveau de la mer ayant monté de plusieurs mètres. Le cap Malée depuis la presqu’ île de Xyli jusqu’ à Monemvasia fut ainsi un énorme fournisseur de poros.

Il y a aussi une carrière au pied des Kourkoula, un peu au nord d’ Akriai, près des traces de route antique, qui doit avoir fourni par exemple le poros du sanctuaire fouillé par J. de La Genière 5 et qui remonte au VIe siècle. On trouve d’ autres traces d’ exploitation au même niveau, mais plus évanescentes environ 2 kilomètres à l’ouest.

À Cythère, là où se tenait le port antique, sur la côte est, on a aussi d’ importantes carrières6 (photographie 2).

Poros du Magne

D’ autres carrières de poros existent dans le Magne. Une grande exploitation a laissé des traces au sud de Mezapo (photographie 3). Il y a aussi des traces d’ exploitation de marbre gris, mais en quantité moindre.

Le Magne du Nord (l’ exo Mani) présente plusieurs lieux d’ extraction, car les terrasses pliocènes accrochées au Taygète sont de grandes fournisseuses.

Ces carrières pourraient être liées à l’ histoire messénienne. Je les mets en relation avec le texte de Strabon sur les « béotiennes » forteresses construites apparemment lors de la libération de la Messénie pour bloquer une des voies qui traversaient le Taygète (mais ce n’ est qu’ une hypothèse). À Oitylos, les carrières sont ainsi visiblement liées à la fortification, encore perceptible, du site7. À Thalamai par exemple, on a au sud et

3 IG V1 213, l. 54 et Steph de Byzance Λιθήσιος. Apollon dans le cap Malée. Il pourrait s’ agir de l’ étrange structure en Π au-dessus des carrières. Cf. J. Christien, « Promenades en Laconie », DHA, 15, 1989, p. 75-105, en part p. 89-90, photos p. 103 et 104.4 Le seul site vraiment réétudié dans la recension de la n. 1, op. cit., 2009. 5 J. de La Geuniere (éd.), Kastraki. Un sanctuaire en Laconie, Paris 2005.6 G. Kokkorou-Alevras, A. Efstathopoulos, A. Chatziconstantinou et E. Poupaki, « Ancient Quarries of Kythera », dans P. Jockey (éd.), Marbres et autres roches de la Méditerranée antique, Paris, 2011, p. 188. Une tête archaïque de Karneios permet p. 180 d’ être assurés que la carrière était exploitée à l’ époque archaïque.7 E. S. Forster, « South Western Laconia » ABSA, 10, 1903/4, p. 160-161.

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sud-ouest de grandes carrières de poros avec leur route d’ accès8. Le site était visiblement exploité dès le VIe siècle9. Enfin, pour compléter la série, on a encore de grandes carrières de poros un peu plus au nord, près de l’ ancienne Leuctra (à Ano Leuftro).

Au total, il y a des chances que fer et poros aient été deux grandes ressources pour Lacédémone.

II- Les marbres

Nous ne reviendrons pas sur ceux du Magne, même si, bien sûr, les marbres de couleur doivent être retenus pour l’ histoire de la Sparte hellénistique, que les marbres gris pourraient expliquer l’ exportation de certains perrianthéria, le sculpteur pouvant facilement venir travailler sur la côte, et les marbres blancs, bien qu’ en petite quantité, devant être pris en considération quand on a ici ou là, dans les sanctuaires ou outre-mer, des marbres qu’ on ne sait attribuer.

Les Lacédémoniens ont privilégié les marbres gris

Les plus connues des carrières spartiates sont recensées dans l’ intérieur du pays. La Laconie intérieure a peu de marbre blanc.

Les perrianthéria du VIIe siècle sont pour la plupart en marbre gris et attribués à Sparte et à la carrière de Goranoi qui produit effectivement un marbre gris clair très fin10. Mais au Ténare, à Marmari, il y a aussi du marbre gris clair qui pourrait aussi avoir servi pour des pièces exportées.

Sparte a utilisé une carrière de marbre gris pour Amyclées. Elle se situe juste au-dessus du site, dans la première ligne de relief du Taygète (photographie 4). Un peu plus haut et au nord, sur le même mont un grand chantier de carrières romaines a permis de transformer la ville grecque modeste en une cité en marbre assez somptueuse. Les gradins et murs du théâtre semblent en provenir11.8 R. H. Simpson, « Identifying A Mycenian State », ABSA, 52, 1957, p. 232.9 G. Dickins, « Laconia. Thalamae », ABSA, 11, 1904/5, p. 124-136.10 J. B. Carter, « Isotopic Analysis of Seventh-Century Perirrhanteria », dans N. Herz et M. Waelkens (éds), Classical marble: Geochemistry Technology-Trade, Dordrecht-Boston-Londres, 1988, p. 419-431.11 J. Christien, M. Della Santa, « Pausanias et Strabon. La route du Taygète et les carrières de marbre laconien », Praktika du VIe congrès international des Péloponnésiakon Spoudon (24-29 septembre 2000, Tripolis), Athènes, 2001-2002, t. 2, p. 203-216.

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Plus au sud, dans la montagne, la carrière de Goranoi (photographie 5) est aussi une carrière de marbre gris (photographie 6)12 (le marbre Socha vient des carrières romaines) mais comme on peut le voir sur la photographie, avec des filons de marbre clair.

Peut-être faut-il lui attribuer les statues du sanctuaire fouillé par un archéologue grec à Aigai. Il serait bon en effet de regarder les éléments d’ une publication grecque13 qui nous offre une vue intéressante sur la sculpture laconienne fin VIe-début Ve. Il s’ agit d’ haltères de marbre gris très semblables à celles d’ Olympie portant une inscription :

ΤΑΧΙΣΤΟΛϝΟΣ ΤΙΜΑΓΕΝΕΙ ΑΝΕΘΕΚΕ

et deux grandes statues de marbre gris, une déesse trônant et un kouros, le héros auquel sont dédiés les haltères. Or comme les Jumeaux de Delphes le kouros d’ Aigai est nu et… botté (photo). Fait étonnant, Cooper a avancé que les kouroi de Delphes (Dioscures ?) étaient en marbre du Ténare. Le fouilleur d’ Aigai s’ interrogeait sur la provenance du marbre. Goranoi me semble une possibilité, mais Marmari aussi, car Aigai est sur la route de Las à Sparte et non loin de la mer, cependant que pour les perrianthéria de Sparte la carrière du Platyvouni est également une bonne postulante.

Les reliefs de Chrysapha viennent d’ une carrière locale, dans le ravin au sud-ouest, Ta Glystra.

Enfin, au nord de Sparte, sur les berges de l’ Oinous se trouve à la fois du marbre gris et du marbre blanc jaunâtre14. Ces carrières font pendant à une grande exploitation de pierres communes à une dizaine de kilomètres au nord de Sparte, sur la rive gauche de l’ Eurotas, près de l’ ancien pont de Kopano (photographie 7). Ce qui laisse supposer que, même si l’ on sait très bien faire descendre les blocs des montagnes, il est plus facile de suivre une vallée.

Mais le goût du marbre gris, hors de Sparte, ne peut lutter avec celui du marbre blanc, en particulier pour la statuaire.

12 Les notices du Laconia Survey, t. II, 1996, prétendent qu’ il s’ agit de marbre blanc. Mais cette notice est peut être due justement à la présence de filons clairs.13 Ζ. Μπονιας, Ἐνα αγροτικό ιερό στις Αιγιές Λακωνίας, Athènes, 1998, p. 38-64, en Grec (soit Z. Bonias, Un sanctuaire rural à Aigies de Laconie).14 Mais je dois dire que si j’ ai pu voir le marbre gris, dans de grandes carrières sur les bords de la rivière, la nuit tombante m’ a empêchée de voir les marbres jaunes. Pourtant je pense que ce sont ces filons qui rendaient ces carrières particulièrement intéressantes, car il n’ était pas nécessaire d’ aller chercher du marbre gris aussi loin.

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Marbre blanc

Le marbre blanc est utilisé en Laconie dès le VIe siècle. En général le marbre blanc apparaît au milieu d’ autres marbres, surtout du marbre gris. Le Magne présente ainsi du marbre blanc en lentilles ou en filons.

Cooper avait donné à sa quête sur les marbres de la frise de Bassae une réponse qui a eu longtemps peu d’ écho. Pour lui, les marbres de Bassae viennent de Marmari15. Il pensait aussi que le « Léonidas » était aussi en marbre laconien, ce qui peut s’ admettre. Or, il a été utilisé sur l’ acropole de Sparte, non seulement pour le « Léonidas », mais aussi, d’ après Olga Palagia, pour une statue de grande taille d’ Athéna Promachos datant de la fin du VIe siècle16. Si Olga Palagia17 penche plutôt pour du marbre de Paros, elle affaiblit son argumentation en avouant qu’ il s’ agit d’ un marbre qui n’ est pas de la meilleure qualité. Aussi je penserais volontiers, comme Cooper, qu’ il s’ agit d’ un marbre local. Certes le marbre peut venir de Marmari. Mais il y a d’ autres sources de marbre blanc. Yohann Le Tallec en a mentionné directement sur la mer près de Mezzapo et a aussi indiqué une carrière terrestre encore en activité.

Toujours dans le Magne, à Charouda, un relief du VIe siècle a été retrouvé18. Le marbre dans cette zone, sur la terrasse au-dessus de la mer, apparaît en lentilles (ou poches si l’ on préfère). Dans au moins deux lieux, à Pyrgos Dirou et à Charouda, il y a eu des carrières antiques. Celles de Charouda, près de l’ église des Taxiarches sont maintenant transformées en citernes pour l’ alimentation en eau ; mais il semble qu’ il y ait d’ autres carrières au nord-ouest.

15 Olga Palagia hésite toujours dans l’ article « A new Metope from Bassae? », Asmosia, VI, 2000, p. 375-382, mais non dans « The Marble of the Bassai Frieze », Asmosia, VIII, 2006, p. 255-272, où elle revient vers le marbre parien. Mais visiblement elle sous estime la production du Magne. La petite carrière de marbre blanc de Marmari qu’ elle nous présente n’ est qu’ une carrière secondaire. La principale est sur la mer. Le filon de marbre a été exploité à partir de la mer. Maintenant, la variation du niveau marin et l’ ensablement dû à la montée des eaux (le port de Gythion est sous plusieurs mètres d’ eau) empêchent de se rendre réellement compte du chantier. Enfin il faut peut être dissocier métopes et frises.16 O. Palagia, « A Marble Athena Promachos from the Acropolis of Sparta », dans O. Palagia et W. Courson (éds), Sculpture of Arcadia and Laconia, Oxford, 1993, p. 167-176.17 Olga Palagia, S. Pike, « The Marble of the Bassai Frieze », dans P. Jockey (éd.), Marbres et autres roches de la Méditerranée antique, Paris, 2009, p. 255-273.18 P. E. Pannakopoulou, Το Γύθηειο, Athènes, 1966, p. 45, fig. 5. Une plaque de marbre clair avec un héros nu, le bouclier au bras gauche, un serpent dressé devant lui, le casque à cimier posé à terre sous le bouclier, musée de Gythion (malheureusement fermé depuis un bon moment).

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Il faut ensuite remonter au nord de Sparte, dans la vallée de l’ Oinous. Entre Vresthena et Vamvakou sur l’ Oinous (carte, photographie 8), au nord-est de Sparte, il y a des carrières antiques de marbre gris et de marbre jaunâtre19. J’ ai vu le marbre gris dans les grandes carrières décrites par Lepsius, je suppose l’ existence de l’ autre marbre du fait de sa présence dans les bâtiments modernes des villages proches20. Les carrières de la vallée de l’ Oinous, à une vingtaine de kilomètres de Sparte devaient permettre d’ avoir des blocs que l’ on pouvait sans trop de difficulté convoyer vers Sparte, et il serait tentant de penser, que, puisqu’ il y avait du marbre gris plus près, l’ intérêt d’ exploiter celui de l’ Oinous était la présence du marbre blanc/jaune. Mais c’ est donc encore à confirmer, les auteurs ultérieurs se référant tous à Lepsius et n’ apportant donc rien de plus.

Enfin, surtout, il y a dans le Parnon, aux sources du Tanos, mais côté laconien, à l’ est de Varvitsa et d’ Arachova, de grandes carrières modernes de marbre blanc, gris clair, ou veiné de noir (photographie 9). Ces carrières étaient sans doute en exploitation dès l’ Antiquité même si les exploitations ultérieures peuvent avoir fait disparaître les tailles antiques. En effet, existe à Arachova/Karyai, dans le mur d’ une maison abandonnée, une plaque de marbre sculptée avec des lettres du IVe siècle avant J.-C. (photographie 10) ; à côté, dans le mur, se trouve la place d’ une autre stèle21. Le tout venait d’ un lieu situé un peu plus à l’ ouest, dans le sud de la plaine de l’ ancienne Karyai. La montagne (actuellement le Pétrouvouno) est un sommet de marbre d’ environ 1 300 m d’ altitude22 (photographies 11 et 12).

La route d’ évacuation des marbres pouvait être une route d’ altitude, la route du Mont Barbosthenes. Elle est sans doute marquée par le petit sanctuaire noté « au sommet

19 R. Lepsius, Griechische Marmorstudien, Berlin, 1890, p. 43-36.20 La nuit tombait, je ne pouvais exiger de mon guide de revenir le lendemain. Apparemment la dernière quête, celle des archéologues grecs, a fait pire, car elle n’ a trouvé qu’ une carrière de « limestone ». Misères de la recherche de terrain. 21 J. Christien, « L’ invasion de la Laconie (370/69 a.C.) et les routes du nord de l’ État spartiate », Praktika du IIIe congrès international des Péloponnésiakon Spoudon de Kalamata, 1985, Athènes, 1987-1988, p. 325-336. Rhomaios, qui a fouillé, à la fin de sa vie, la colline de l’ Analipsis, avait été décontenancé par le fait que le site avait été abandonné après sa destruction au IVe siècle, seulement réoccupé par une fortification. Mais il est normal qu’ après la trahison de 369 avant J.C. la cité périèque ait été effacée et remplacée par une nouvelle population sur une nouvelle implantation. Karyai hellénistique et romaine pourrait donc se trouver là où on a déterré les marbres ; à Haghios Giorgos, au centre de la plaine.22 J. E. Papageorgakis, « Die in der Marmorindustrie nutzbaren Gesteine Griechenlands », Annales Géol. Pays Hell., 18, 1re série, 1967, p. 193-268 ; p. 232-234. Les plus petits villages alentour arborent des ensembles de marbres somptueux.

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du col, à la naissance du grand torrent de Vamvakou »23. Contrairement à la route plus récente, la route antique restait sur la hauteur pour descendre à l’ ouest de Bassara où j’ ai retrouvé sa trace. Comme les pierres descendent, il est parfaitement possible que Sparte ait eu là sa principale source de marbre blanc, du moins pour l’ usage interne (l’ exportation ne peut se faire qu’ à partir des carrières côtières). Mais, vu la distance, on peut comprendre qu’ on ait privilégié, ou des marbres plus proches même s’ ils étaient de qualité moindre, ou des plaques et non des gros blocs. Pausanias a cependant vu les statues du portique des Perses en marbre blanc24.

III- Réflexions diverses

La statuaire laconienne semble disparaître avec le tremblement de terre de 464 av. J.-C. À Sparte même on n’ a plus d’ attestation de ronde-bosse pendant au moins un siècle, et cela est explicité par Xénophon. Agésilas est opposé à toute statue à Sparte… et à Olympie. C’ est qu’ il n’ a pas pu bloquer la construction du monument de Lysandre à Delphes auquel participaient Corinthiens et Béotiens, mais qu’ il ne voulait pas voir l’ héroïsation de Lysandre recevoir d’ encouragements dans le Péloponnèse. Les Samiens avaient déjà commencé à lui dresser une statue à Olympie25. Lysandre eut seulement le droit d’ orner d’ images symboliques (des Nikè sur des aigles) le portique ouest du sanctuaire d’ Athéna sur l’ Acropole26.

Après la victoire cependant on s’ impatiente de tant de pauvreté.

Statues et sculpteurs

Les interdits pesant sur les hommes voués à la politique et au militaire font que le renouveau passe en fait par les femmes… et par les morts. Ainsi Kynisca fait élever deux monuments à Olympie, dont un sur une base de marbre noir à la dédicace célèbre et étrange, car elle dresse près d’ elle, par son inscription, les images virtuelles de son père

23 E. Puillon de Boblaye, Recherches géographiques sur les ruines de la Morée, Paris, 1836, p. 72. On appelle le site Ta Marmara. Mon guide se demandait d’ où pouvait provenir ce marbre, vu qu’ il n’ y en avait pas dans les environs. J’ ai noté (28-07-1988) un petit édifice d’ environ 6 m sur 3 et la présence de tuiles à vernis noir.24 Ceci lui semble assez rare pour qu’ il le note.25 « Les Samiens ont placé à Olympie la statue de Lysandre, Spartiate, fils d’ Aristocritus ; c’ est ce qu’ annonce la première des inscriptions […] La deuxième inscription est un éloge de Lysandre (Paus., VI, 3, 14) ».26 Paus., III, 17, 4.

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Archidamos, et de ses frères Agis et Agésilas. Et sur l’ Acropole de Sparte Pausanias27 a vu la statue d’ une dame spartiate, Euryleonida (368 av. J.C. ?) vainqueur elle aussi à Olympie. Ces dames nous renvoient à autre chose. Kynisca avait choisi le plus beau marbre noir pour du Ténare pour base de son monument. Or, il existe à Olympie d’ autres bases de marbre noir (photographie 13)28, et certaines portent une signature célèbre29, Polyclète (apparemment Polyclète le Jeune). Or, on trouve trace du passage de cet artiste à Sparte. Il a offert un trépied soutenu par une femme portant une lyre30. Certes il s’ agit d’ un bronze, et Pausanias pense que cette offrande célèbre elle aussi la victoire de 404. Mais visiblement la seule inscription est la signature du sculpteur, et l’ exemple de l’ offrande de Bathyclès, qui vient juste ensuite, semble plutôt accréditer que ces œuvres sont offertes lorsqu’ un artiste a eu une commande importante à Sparte. Il signe donc un lien entre marbre noir, Sparte, Olympie et Épidaure. Un autre artiste du IVe siècle apparaît là, un certain Aristandros de Paros, dont on ne sait s’ il est le fils (attesté) ou le père (supposé) de Scopas. S’ il s’ agit du fils, nous aurions alors peut-être le lien avec le toit du temple de Priène. En fait l’ interdit sur la statuaire prend sans doute fin après la mort d’ Agésilas. Archidamos aura ses statues à Olympie (certes après sa mort)31.

Au IIIe siècle, la tête géante d’ Héraclès, d’ un mètre de haut, utilisant la technique des acrolithes, est, pour O. Palagia32 à placer à l’ époque de Cléomène III (photographie 16). Cette hypothèse est possible. Lycurgue et Macchanidas sont aussi de bons postulants ; ce dernier a visiblement combattu en Occident33. Cette tête, par sa taille et son côté

27 Paus., III, 17, 6.28 La statue de Zeus reposait sur un dallage de marbre noir. Il y a toutes chances pour que les Lacédémoniens aient offert à Zeus, leur dieu majeur, le sol de son image olympienne : Paus., V, 11, 10.29 Ainsi les bases de Kynisca (L 529) avec son épigramme en quatre vers : « Moi Kynisca, fille et sœur de rois de Sparte, j’ ai fait faire cette statue après avoir remporté la course de chars avec mes chevaux rapides, seule femme a avoir eu cette couronne dans toute la Grèce ». À peu près contemporaine la base signée « Apelleas, fils de Calliclès l’ a fait » (390-380 av. J.C.) Enfin, également en marbre noir, et signées de Polyklète le Jeune les bases L 529 Gorgias, 531 « Aristion, fils de Théophilès. Polyclète l’ a fait » et L 532 qui pose un problème de dates car le vainqueur est Pythoclès vainqueur en 452, l’ artiste Polyclète l’ Argien (sans doute le Jeune) et l’ inscription terminale est du Ier siècle.30 Paus., III, 18, 8.31 J. Christien, « Archidamos III in memoriam », dans G. Hoffmann et A. Gailliot (éds), Rituels et transgressions de l’ Antiquité à nos jours, Amiens 2009, p. 243-258.32 O. Palagia, « Art and Royalty in Sparta of the third century B.C. », Hesperia, 75, 2006, p. 213-215.33 J. Christien, F. Ruzé, Sparte, Géographie, mythes et histoire, Paris, 2007, p. 374-375.

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douloureux m’ évoque irrésistiblement les statues de Tarente34. La tête fait un demi-mètre de hauteur environ et, selon le canon de Lysippe, cela correspondait à une statue de 4 m. Cela dit, la statue devait être assise, d’ après O. Palagia qui note que, puisque le torse devait être en matériaux de faible valeur, la statue devait porter un vêtement. Elle pense à une cuirasse. Si la taille donc suggère une copie de la statue que les Romains ont emmenée à Rome, ce détail lui fait penser à un original. Cela correspondrait à un renouveau des relations de Sparte avec les cités qui se veulent d’ origine laconienne avec abandon de la symmachie hégémonique au profit de la relation de syngéneia. Ceci est attesté par le ton de Polybe parlant de Selgé ou de Tarente en ces fins de siècle35. On sait par ailleurs qu’ Areus avait eu recours au sculpteur Eutichydès qui réalisa une allégorie de l’ Eurotas louée par Pline36, œuvre qui se situe dans le contexte hellénistique avec la représentation figurée de l’ Oronte (du même auteur) ou celle du Nil. Eutychidès aurait séjourné à Sparte dans les années 280 ou 270, donnant au royaume laconien une représentation digne des grands royaumes37. Il avait sans doute aussi fait un Héraclès, car une monnaie de Nabis porte au revers un bel Héraclès assis (appuyé sur sa massue et serein cette fois38) dont l’ attitude est celle de la Tychè d’ Antioche. Le modèle est proche, sans être identique, de monnaies d’ Antiochos II et Antiochos Ier39. Il doit donc remonter à ces règnes et permet d’ insérer Nabis dans les traces d’ Areus. Enfin une très jolie tête de marbre blanc représente Ptolémée III en Hermès et ne peut guère dater d’ un autre moment que 226-223. Il est possible qu’ elle vienne d’ Alexandrie40 et qu’ elle donne corps, en quelque sorte, à l’ alliance entre Cléomène III et le Lagide. Ce marbre est sans doute parien.

34 J. Christien, « Archidamos III in memoriam », op. cit., p. 243-258 ; p. 251-254.35 Articles à paraître sur la symmachie d’ Areus et sur Léonidas II. Communications présentées l’ une au colloque sur la Symmachie organisé par J.Chr. Couvenhes à Paris le 23 novembre 2013, l’ autre au colloque sur la Royauté en Grèce ancienne (en l’ honneur de P. Carlier) organisé par N. Birgalias à Athènes les 6-8 février 2014.36 Pline, Hist. Nat., 34, 78.37 Deux mosaïques de Salamine de Chypre semblent s’ être inspirées de son œuvre (G. Steinhauer, LIMC, 1988, s.v. « Eurotas »). Celle du gymnase de Salamine semble très proche du modèle d’ Eutychidès. Le Dieu barbu (père de Sparta, l’ éponyme de la ville) est accoudé sur un rocher surmonté d’ une cruche renversée (il est le fils du Taygète qui lui fournit son eau) et il tient dans la main gauche un roseau, de ces grands roseaux qui poussent sur ses berges.38 Cf. supra J. Christien, « La monnaie à Sparte ». 39 A. Houghton, C. Lorbe, Seleucid Coins. A Comprehensive Catalogue. Part I. Seleucus I through Antiochos III, New York-Lancaster, 2002. Cf. pour Antiochos I pl. 17/313 (Sardes ou Smyrne) et pl. 17/318 (Magnésie du Sipyle). Où fut créée la statue ? Y eut-il deux modèles un peu différents ? Faut-il penser à une copie offerte d’ un côté ou de l’ autre ?40 O. Palagia, « Art and Royalty in Sparta of the third century B.C. », op. cit., p. 110-111.

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Enfin si la statuaire (souvent en bronze au départ, et qui donc a disparu) n’ est pas très riche41, la décoration (celle des maisons dit Xénophon, mais peut être aussi des monuments) peut l’ être plus. Et nous avons un témoignage de ce goût décoratif.

Le décoratif

Au IVe siècle on voit se multiplier à Sparte les stèles à décoration de feuillage, peut-être des stèles funéraires, mais toujours anépigraphes42. Si le marbre gris domine, certaines sont en marbre très blanc (photographie 14). Elles sont nombreuses à Sparte, et si A. Délivorrias, séduit par cette débauche de goût floral, y voit romantiquement la trace du culte d’ Hélène, on pense plus généralement qu’ il s’ agit de sculptures funéraires. Mais on peut retenir dans ce goût du décor floral l’ expression d’ une société où la place des femmes est grande.

Par ailleurs Archidamos a passé plusieurs années à Tarente où il a connu une société qui se dit lacédémonienne, mais qui a un tout autre rapport à l’ art que la Sparte qu’ il a connue. Ce contact a pu rappeler que Sparte, originellement, n’ était pas une ennemie des arts.

Les relations ont été, après Archidamos, chaleureuses jusqu’ à ce que la brutalité de Cléonyme vienne les rompre. L’ art de Tarente porte la trace de la présence des Spartiates (photographie 15). On peut supposer qu’ il y a eu un effet inverse, même s’ il est moindre.

En fait je lierai l’ attrait pour les pierres de couleur au développement de la mosaïque. Durant l’ époque romaine Sparte est visiblement le siège de mosaïstes ; mais on a aussi de la mosaïque hellénistique, même si la destruction des niveaux hellénistiques fait que l’ on a plutôt les niveaux romains. Cependant, d’ année en année on voit apparaître un peu d’ hellénistique43. On a maintenant une mosaïque de galets en noir et blanc qui

41 Encore faudrait-il revoir un certain nombre de restes de statues de marbre (Asclépios ou Apollon) qui ont toutes les caractéristiques du IVe siècle, mais sont dites « copies romaine » puisqu’ il s’ agit de Sparte. Pour le IIIe siècle le travail commence à être fait par O. Palagia, « Art and Royalty in Sparta of the third century B.C. », op. cit., p. 205-217. Pour ce qui est des monnaies évidemment je pense apporter une vue un peu différente, mais pour les têtes de Ptolémée et celle d’ Héraclès je suis d’ accord, mais je continue à penser qu’ il s’ agit de marbre laconien (du moins pour la statue géante d’ Héraclès).42 A. Delivorrias, « Λακωνικά ανθέμια », dans O. Palagia et W. Courson (éds), Sculpture of Arcadia and Laconia, Oxford, 1993, p. 205-216.43 S. Raftopoulou, « New finds from Sparta », dans W. G. Cavanagh et S. E. C. Walker (éds), Sparta in Laconia. Proceedings of the 19th British Museum classical colloquium(Londres, 6-8 décembre 1995), Londres, 1998, p. 125-140 en part. p. 127-128 avec photographie.

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semble montrer qu’ à Sparte on a manifesté de l’ intérêt pour cette décoration fin IVe-début IIIe siècle44.

Sinon on pourrait peut-être faire remonter à Areus le développement de la mosaïque à Sparte45. Phylarque (Athénée, IV, 142) accuse Areus et Acrotatos46 d’ avoir laissé se développer le luxe des banquets. Or, la décoration de salles de banquet est bien attestée.

Apparemment la décoration au IVe siècle utilise le marbre blanc et noir, et au cours du IIIe siècle on voit se développer l’ utilisation du marbre rouge.

Dernier élément : le porphyre vert

Les ophites du Ténare, ou les porphyres de Krokeai, sont célèbres, mais ils n’ ont pas été exploités par les Grecs. Ce sont des pierres appréciées des Romains, mais difficiles à travailler et tachetées.

En revanche, il y a une autre pierre, verte sans tâche et de ce fait plus susceptible d’ être la « pierre verte comme de l’ herbe » de Stace47. Derrière Acriai, près des exploitations de poros, et dans le Parnon (à l’ est de Marios), j’ ai vu des filons de cette pierre verte, sans tache. Elle a suscité un intérêt à partir du moment où s’ est développée la mosaïque.

Conclusion

S’ il est vrai que le plafond du temple d’ Athéna à Priène, en 340, est aussi en marbre du Ténare, je suggère que la réouverture de ports laconiens après 413 s’ est accompagnée d’ une activité dont on ne voit pas aussi clairement les cheminements que lors de l’ époque archaïque, mais qui existait du seul fait de la situation des ports laconiens, en particulier ceux des caps. Ce n’ était pas forcément une activité marchande d’ ailleurs (encore que ce n’ était pas non plus impossible) mais il pouvait y avoir des raisons diplomatiques et

44 Et, au vu des réflexions précédentes, il serait bon d’ étudier les relations possibles avec les pierres utilisées pour les mosaïques que l’ on est en train de découvrir à Lecce.45 On peut admirer au musée la superbe mosaïque non publiée représentant un félin attaquant un taureau qu’ évoquent A. M. Guimier-Sorbet et A. Panagiotopoulou « La mosaïque du Temple de Despoina à Lykosoura », Ktèma, 33, 2008, p. 191-200 (p. 199). Comme celle du triton, il lui semble que ces mosaïques sont de la seconde moitié du IIIe siècle et elles se caractérisent par la présence de rosso antico.46 Ath., IV, 142a-b.47 Stace, Silvae, 2, 2, 90 « imitatur rupibus herbas ».

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surtout religieuses derrière l’ envoi de pierres ici ou là. Encore une fois, le fait d’ être privé de documents internes à Sparte ne permet pas de savoir grand-chose.

Mais, au terme de ce survol, il semble qu’ il faudrait : d’ une part réinsérer la Laconie dans le clan des producteurs de poros (à large échelle), d’ autre part, pour les marbres (à échelle moindre), examiner non seulement les objets des sanctuaires fréquentés par les Lacédémoniens, mais peut-être aussi les éléments d’ architectures en marbre gris, autels, bases, colonnes etc. (photographie 17).

Évidemment l’ utilisation en grande quantité de ces marbres de couleur connaît son développement avec les Romains qui prisent leur côté décoratif et traversent la Méditerranée. Les Grecs préféraient le marbre blanc. Cependant les Lacédémoniens ont toujours utilisé le marbre gris, important en Laconie et plus proche de Sparte, pour leurs constructions, leurs inscriptions et leurs bas-reliefs.

L’ utilisation du marbre noir au début du IVe siècle semble liée à une recherche idéologique, marquer les esprits, imposer une image particulière de Sparte, celle de la force et de l’ austérité… L’ exploitation du marbre rouge est sans doute à rapprocher des liens avec l’ Égypte avant Rome. Il est possible cependant qu’ il faille aussi reprendre les liens avec Tarente (et les Messapiens alliés d’ Archidamos III) pour la fin du IVe et le IIIe siècle, et revoir les marbres et les mosaïques à la lueur de ces liens.

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Figures

Carte : Le territoire lacédémonien

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Photographie 2 : Cythère ScandiaPhotographie 1 : Poros, Malée (face à Élaphonissos)

Photographie 4 : Carrière grecque du Platyvouni (Sochas)Photographie 3 : Poros et marbre gris/bleu, Mezzapo

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Photographie 5 : Goranoi

Photographie 7 : Carrière sur l’ Eurotas

Photographie 6 : Marbres

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Photographie 8 : Le Parnon, carte locale

Photographie 10 : Stèle de Karyai

Photographie 9 : Débris de taille du Pétrovouno

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Photographie 11 : Pétrovouno vu du Tanos Photographie 12 : Pétrovouno, côté laconien

Photographie 13 : Base Λ 524 d’ Olympie Photographie 14 : Stèle, musée de Sparte

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Photographie 15 : Dioscures, Tarente, fin IVe siècle

Photographie 16 : Héraclès

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Photographie 17 : Sparte, échantillon des trouvailles