Le travail bénévole : un essai de quantification et de valorisation

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004 33 Le travail bénévole : un essai de quantification et de valorisation Lionel Prouteau et François-Charles Wolff* La mesure de la ressource économique que constitue le travail bénévole réalisé dans le cadre d’un organisme, le plus souvent une association, est un exercice qui devrait être stimulé par la perspective de la construction d’un compte satellite des institutions sans but lucratif. Il s’agit toutefois d’une opération délicate qui, du fait des incertitudes qui lui sont inhérentes, gagne à être menée à partir d’enquêtes réalisées aussi bien en direction des organismes d’accueil des bénévoles qu’auprès des individus eux-mêmes. Sa première étape consiste à quantifier le bénévolat à l’aune d’une unité de temps. L’exploitation de l’enquête Vie associative, réalisée auprès des ménages par l’Insee en octobre 2002, conduit ainsi à estimer cette ressource à 820 000 emplois « équivalents temps plein » pour la France métropolitaine. Les domaines du sport, des loisirs et de la culture bénéficient, à eux seuls, de près de la moitié de cet apport. La valorisation monétaire de ce temps donné est un exercice qui rencontre les réticences de nombreux économistes, mais aussi celles des acteurs associatifs eux-mêmes. Cette valorisation est confrontée également à plusieurs difficultés, d’ordre aussi bien théorique qu’empirique. Les estimations obtenues ici à partir de l’enquête Vie associative, sur la base de la méthode des coûts de remplacement, doivent donc être appréhendées avec prudence. Elles suggèrent, cependant, qu’une valeur monétaire imputée de cette façon au bénévolat pourrait se situer dans une fourchette de 12 à 17 milliards d’euros, soit de 0,75 % à un peu plus de 1 % du PIB, selon les variantes de la méthode retenue. VIE ASSOCIATIVE * Lionel Prouteau appartient au LEN-CEBS de la Faculté des Sciences économiques de l’Université de Nantes. François-Charles Wolff appartient au LEN-CEBS de la Faculté des Sciences économiques de l’Université de Nantes, à la Direction des Recherches de la Cnav et à l’Ined. Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article. Les auteurs remercient Edith Archambault pour l’attention qu’elle a bien voulu porter à une version préliminaire de cet article, ainsi que trois rapporteurs anonymes pour leurs remarques, tout en restant évidemment seuls responsables des erreurs qui demeureraient.

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004 33

Le travail bénévole :un essai de quantificationet de valorisationLionel Prouteau et François-Charles Wolff*

La mesure de la ressource économique que constitue le travail bénévole réalisé dans lecadre d’un organisme, le plus souvent une association, est un exercice qui devrait êtrestimulé par la perspective de la construction d’un compte satellite des institutions sansbut lucratif. Il s’agit toutefois d’une opération délicate qui, du fait des incertitudes qui luisont inhérentes, gagne à être menée à partir d’enquêtes réalisées aussi bien en directiondes organismes d’accueil des bénévoles qu’auprès des individus eux-mêmes.

Sa première étape consiste à quantifier le bénévolat à l’aune d’une unité de temps.L’exploitation de l’enquête Vie associative, réalisée auprès des ménages par l’Insee enoctobre 2002, conduit ainsi à estimer cette ressource à 820 000 emplois « équivalentstemps plein » pour la France métropolitaine. Les domaines du sport, des loisirs et de laculture bénéficient, à eux seuls, de près de la moitié de cet apport.

La valorisation monétaire de ce temps donné est un exercice qui rencontre les réticencesde nombreux économistes, mais aussi celles des acteurs associatifs eux-mêmes. Cettevalorisation est confrontée également à plusieurs difficultés, d’ordre aussi bien théoriquequ’empirique. Les estimations obtenues ici à partir de l’enquête Vie associative, sur labase de la méthode des coûts de remplacement, doivent donc être appréhendées avecprudence. Elles suggèrent, cependant, qu’une valeur monétaire imputée de cette façonau bénévolat pourrait se situer dans une fourchette de 12 à 17 milliards d’euros, soit de0,75 % à un peu plus de 1 % du PIB, selon les variantes de la méthode retenue.

VIE ASSOCIATIVE

* Lionel Prouteau appartient au LEN-CEBS de la Faculté des Sciences économiques de l’Université de Nantes.François-Charles Wolff appartient au LEN-CEBS de la Faculté des Sciences économiques de l’Université de Nantes, àla Direction des Recherches de la Cnav et à l’Ined.Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article.

Les auteurs remercient Edith Archambault pour l’attention qu’elle a bien voulu porter à une version préliminaire de cetarticle, ainsi que trois rapporteurs anonymes pour leurs remarques, tout en restant évidemment seuls responsables deserreurs qui demeureraient.

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’attention portée par l’économiste au béné-volat peut emprunter plusieurs voies. La

première d’entre elles relève d’une approche detype microéconomique. Il s’agit alors de cernerles motivations du comportement bénévole et sasensibilité à certaines variables socio-économi-ques comme le revenu, le coût du temps, la com-position de la sphère familiale, etc. L’intérêt seporte également sur l’interaction possible entrece type de participation au bien commun et descontributions de nature différente, tout particu-lièrement celles qui prennent la forme de donsmonétaires. Les travaux interrogent aussi l’effetpossible des dépenses publiques sur le don detemps dès lors qu’elles poursuivent des objectifsqui recoupent, au moins partiellement, ceux desassociations et de leurs bénévoles. Les étudessur ces sujets, d’abord d’origine anglo-saxonne,deviennent progressivement plus riches et plusdiversifiées, même si de nombreuses zonesd’ombre perdurent (Prouteau, 2002). En parti-culier, les recherches sur les comportements dedemande de temps non rémunéré des organis-mes qui accueillent les bénévoles demeurentrares. Cette carence était déjà soulignée il y aune quinzaine d’années par Steinberg (1990).Elle reste, pour l’essentiel, d’actualité.

La préoccupation qui préside à l’étude du béné-volat peut être d’un ordre plus macroéconomi-que. L’enjeu est, dans ce cas, plus particulière-ment de mesurer l’importance que représentecette ressource qui contribue à la production derichesses. Cette seconde approche se trouve êtreaujourd’hui stimulée par le projet de réalisationd’un compte satellite des institutions sans butlucratif (Archambault et Kaminski, 2003). Cetteperspective, mise à l’ordre du jour par la com-mission statistique de l’ONU, peut s’appuyerdésormais sur un manuel rédigé par des cher-cheurs de l’université américaine Johns Hopkinsde Baltimore (United Nations, 2003), et sur lesexpériences pilotes de plusieurs pays qui ontd’ores et déjà publié une première version de cecompte satellite conforme au manuel (1). EnFrance, l’Insee poursuit des travaux préparatoi-res dans cette direction.

Un compte satellite « répond à un besoin fort deconnaître plus précisément l’économie d’undomaine », dès lors que ce besoin ne peut êtreentièrement satisfait dans le cadre des contrain-tes du cadre central de la comptabilité nationale(Braibant, 1994). L’objectif poursuivi est de selibérer de certaines de ces contraintes tout enpréservant un degré suffisant de cohérence avecce cadre. Le compte satellite permet ainsi « deprendre en considération des caractéristiques

propres au champ étudié » (Mertens, 2002,p. 247).

Le compte satellite des institutionssans but lucratif et la mesure du bénévolat

L’important recours au bénévolat représenteindubitablement une des caractéristiques essen-tielles des institutions sans but lucratif (ISBL).Ainsi, aux États-Unis, ce sont les organismes duNon-Profit Sector qui accueillent la majorité desbénévoles formels, c’est-à-dire des personnesqui rendent des services non rémunérés dans uncadre organisé (Hodgkinson et al., 1996). C’estégalement, et plus nettement encore, le cas enFrance pour les associations (Prouteau et Wolff,2004a). Or, « la frontière opérationnelle de laproduction » (Mertens, 2002, p. 142) qui est àl’œuvre dans la comptabilité nationale exclut laprise en compte de tels services réalisés pourdes tiers sur une base volontaire. La question dela contribution du bénévolat à la productionassociative et par conséquent celle de sa mesuresont donc tout naturellement amenées à retenirune attention particulière dans le cadre ducompte satellite des ISBL.

C’est dans cette optique de mesure que l’on sesitue ici en abordant certaines des difficultésde l’exercice mais aussi en précisant lesenjeux d’opérations qui ne sont pas réducti-bles à leur seul aspect technique ou statistique.Car mesurer, c’est évaluer une réalité à l’auned’un étalon dont le choix peut poser problème.Différentes estimations de la ressource béné-vole, telles qu’elles ont été obtenues par desinvestigations réalisées sur les donnéesrecueillies par l’enquête Vie associative con-duite par l’Insee en octobre 2002, sont aussiproposées (cf. encadré 1). (1)

Ces estimations ne doivent toutefois pas prêter àmalentendu. Elles ont un caractère exploratoireet servent à illustrer les différentes méthodessusceptibles d’être mises en œuvre. Même si lesordres de grandeur présentés sont des indica-tions utiles auxquelles pourront être confrontésles résultats qui seront obtenus dans le cadred’un compte satellite des ISBL, ils ne sauraientêtre confondus avec ces derniers. Ils en diffèrentmême certainement puisque le périmètre dubénévolat envisagé dans cet article est manifes-tement plus large que celui qui sera retenu dansle compte satellite. Ce dernier a en effet voca-tion à ne considérer que les seules ISBL,

L

1. En Europe, il s’agit de l’Italie et de la Belgique.

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Encadré 1

L’ENQUÊTE VIE ASSOCIATIVE

Les enquêtes permanentes sur les conditions de viedes ménages (EPCVM) sont réalisées par l’Inseetous les ans en trois vagues. Elles ont pour objetl’étude d’un ensemble d’indicateurs sociaux. À côtéd’une partie fixe, elles comportent une partie varia-ble qui concerne un domaine plus particulier ducomportement des ménages. L’enquête Vie asso-ciative représente la partie variable de la vagued’octobre 2002. Elle vise à documenter la participa-tion associative de la population de plus de 15 ans.Les principaux résultats descriptifs de cette enquêteont été présentés par Febvre et Muller (2003, 2004a,2004b).

La partie fixe

L’échantillon de l’enquête est constitué de 5 799ménages. Un seul individu par ménage est inter-rogé. La partie fixe renseigne sur la composition duménage et son revenu, la situation de chacun deses membres à l’égard du marché du travail, desétudes, etc. Le répondant y est interrogé sur sescontacts familiaux et, lorsqu’il exerce un emploi,sur ses contacts professionnels, ses conditions detravail et les éventuelles formations suivies dans lecadre de ce travail. Des questions portent égale-ment sur sa pratique religieuse, sa participationélectorale et sa participation associative. Ce der-nier volet, répété régulièrement, permet d’examinerles évolutions des comportements en la matière(Crenner, 1997). Mais les informations apportées àce sujet restent très générales et partielles, se limi-tant au nombre d’associations d’appartenance, àleur domaine d’activité, au degré et à la fréquence(mais non aux durées) de la participation.L’enquête Vie associative se proposait doncd’approfondir la connaissance des activités réali-sées dans les associations.

La partie variable

Dans la partie variable, un premier volet du ques-tionnaire interrogeait les adhérents sur chacune deleur participation dans la limite de deux associa-tions. Lorsque le nombre de leurs adhésions étaitsupérieur à deux, un tirage au sort était réalisé. Lesrépondants indiquaient notamment les raisons deleur adhésion, le mode de connaissance de l’asso-ciation, le type des activités réalisées, l’exerciceéventuel de responsabilités et, ce qui intéresse plusparticulièrement le présent article, s’ils pratiquaientou non le bénévolat. Si tel était le cas, ils étaient invi-tés à donner des précisions sur le temps consacré àce bénévolat mais aussi, entre autres informations,sur les raisons ayant motivé cet engagement. Il leurétait demandé également s’ils avaient utilisé dansces activités bénévoles des compétences acquisesantérieurement, ou si les services qu’ils avaient ren-dus leur avaient permis d’en acquérir de nouvelles,

ou bien encore s’ils avaient bénéficié de formationsdans le cadre de leur pratique. Pour ces trois ques-tions, la même liste de domaines de compétencesétait suggérée et se présente comme suit :

1. Secrétariat.

2. Gestion, comptabilité.

3. Autre compétence technique, scientifique ou lin-guistique.

4. Communication, rédaction, négociation.

5. Management, gestion des ressources humaines.

6. Juridiques.

7. Enseignement, éducation.

8. Artistiques ou sportives.

9. Autre compétence.

Ce premier volet du questionnaire permettait deconnaître l’ensemble des participations des indivi-dus en tant que membres d’associations, pourautant que le nombre de leurs adhésions ne soit passupérieur à deux. Certaines participations des multi-adhérents les plus engagés échappent donc à cevolet, tout comme y échappent celles des person-nes qui pratiquent leurs activités dans des organis-mes ayant un statut juridique non associatif et cellesdes bénévoles d’organisations dont ils ne sont pasmembres. Aussi un second volet complétait-il cettepremière collecte.

Il a été présenté aux adhérents déjà interrogés dansle premier volet et à qui il était alors demandé s’ilsavaient eu des activités bénévoles dans d’autresassociations ou organismes, qu’ils en aient étémembres ou non. Il l’a été également aux non-adhérents, dès lors qu’ils déclaraient avoir rendudes services bénévoles dans une organisation sansen être membres. Dans ce volet, l’information estcollectée pour deux organisations au maximum.Lorsque les enquêtés en déclaraient davantage,deux d’entre elles étaient tirées au sort. Des ques-tions, semblables à celle du premier volet, concer-nant les motivations, les durées des activités,l’acquisition ou l’utilisation de compétences étaientalors posées aux intéressés.

La partie variable interrogeait également tous lesrépondants sur leur participation associative pas-sée, sur leur recours aux associations en tantqu’usagers éventuels, et sur leurs dons monétai-res.

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Encadré 2

MESURER LE BÉNÉVOLAT

La mesure de la ressource bénévole à partir del’enquête Vie associative soulève plusieurs difficultésqu’il a fallu résoudre.

Le repérage des bénévoles

Dans le premier volet de la partie variable du question-naire, il était demandé à chaque adhérent à une asso-ciation si, au cours des 12 derniers mois, il leur étaitarrivé « de travailler sans être rémunéré ou de rendredes services dans le cadre de cette association en tantque bénévole (y compris des activités en tant que diri-geant, animateur ou chargé de tâches diverses nonrémunérées) ». Une autre question portait sur le statutde l’adhérent et distinguait les items suivants :

1. Cotisant.

2. Participant aux activités ou bénéficiaire des activi-tés.

3. Assistant ou accompagnateur, entraîneur, forma-teur ou autre fonction d’animateur.

4. Chargé de tâches administratives.

5. Dirigeant, trésorier ou élu.

Une troisième question permettait enfin à la per-sonne de préciser si elle était salariée, ou indemni-sée hors remboursement de frais, pour ses activitésréalisées dans le cadre associatif. Il est apparu quecertains enquêtés ne se sont pas identifiés commebénévoles à la première question mentionnée bienqu’ils aient répondu positivement à l’un des troisdernier items sur leur statut associatif et qu’ils aientindiqué être ni salariés ni indemnisés par l’associa-tion. Leur nombre n’est pas négligeable puisque,dans l’échantillon, ils sont 153 à être dans ce cas.Ces réponses, apparemment peu cohérentes, nesont pas inexplicables. Elles témoignent des diffé-rences qui peuvent exister en matière de représen-tations du bénévolat chez les répondants (Prouteauet Wolff, 2004a). Ces personnes ont été ici considé-rées comme bénévoles.

Dans le second volet de la partie variable del’enquête, ce problème ne se pose pas puisque, parconstruction, les individus interrogés se déclarentbénévoles. Mais on ne peut exclure des phénomè-nes d’auto-sélection qui ont pu conduire des enquê-tés non adhérents à ne pas s’identifier comme telsbien qu’ils aient, eux aussi, rendu des services nonrémunérés.

En revanche, les individus (au nombre de 21) ayantindiqué, dans le premier volet, qu’ils étaient bénévo-les mais également salariés ou indemnisés par leurassociation, n’ont pas été pris en compte, notam-ment parce que, dans certains cas, il n’est pas pos-sible de savoir si les temps déclarés pour leur parti-cipation sont ceux du bénévolat ou de l’activitérémunérée.

Le calcul des durées consacrées aux activités bénévoles

Le deuxième aspect qui mérite précision est celui desdurées du bénévolat. Il était demandé aux bénévoless’ils rendaient des services régulièrement ou seule-ment à certaines périodes. Cette question a permis dedistinguer les participants occasionnels des partici-pants réguliers. Les premiers devaient indiquer pen-dant combien de jours, de semaines ou de mois ilsavaient rendu des services au cours de l’année précé-dente, et à raison de combien d’heures par jour,semaine ou mois. La durée annuelle du bénévolat a étéimmédiatement déduite de ces réponses. Ces derniè-res n’ont toutefois pas toujours été très cohérentes oudu moins suffisamment explicites. Par exemple, telbénévole indiquait qu’il s’était consacré à son activitépendant 10 jours à raison de 5 heures par mois. Dansde tels cas, peu nombreux, on a estimé les duréesavec le souci d’éviter toute surévaluation.

Les bénévoles réguliers étaient pour leur part interro-gés sur la seule question : « À raison de combiend’heures par jour, par semaine ou par mois ? », sansque le nombre de jours, de semaines ou de mois dansl’année ne soit explicité. Le calcul des durées annuel-les nécessitait, par conséquent, des hypothèses relati-ves au rythme de la vie associative. Un répondantayant déclaré une fréquence journalière de son béné-volat a été supposé s’y consacrer cinq jours parsemaine, et ce pendant 40 semaines au cours del’année. S’il a déclaré une heure par jour, il lui a doncété compté 200 heures par an. Si c’est l’horaire heb-domadaire qui a été indiqué, il a été multiplié par 40. Sil’enquêté a indiqué son horaire mensuel, il a été multi-plié par 10.

Pour sept enquêtés se déclarant bénévoles, aucunequestion permettant de calculer les durées des activi-tés n’a été renseignée. Ces observations ont donc étéécartées. Au total, l’échantillon dans sa dimensionfinale comporte 5 771 observations.

La poly-activité bénévole

La troisième difficulté rencontrée est liée à l’identifica-tion des participations des bénévoles. Elle vient du faitque, dans le premier volet comme dans le secondvolet de la partie variable du questionnaire, deux enga-gements bénévoles au maximum sont renseignés. Autotal, il n’est pas possible d’obtenir de renseignementspour plus de quatre de ces engagements. De par laconstruction du questionnaire, il est également possi-ble que certains engagements aient échappé àl’enquête alors même que le bénévole en déclaraitmoins de quatre. Or les durées consacrées au bénévo-lat sont calculées à partir des seules participationsrenseignées. Il y a là, par conséquent, un problèmebien réel dans l’optique de la mesure des ressourcesbénévoles. Toutefois, la perte d’informations apparaîtsuffisamment faible pour ne pas faire perdre à l’exer-cice qu’on se propose de réaliser toute signification.

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c’est-à-dire pour l’essentiel les associations (2).Or, si le bénévolat associatif représente la partmajeure du bénévolat organisé, il n’en constituetoutefois pas la totalité. Certains dons de tempssont réalisés dans des organismes publics – parexemple municipaux – d’autres peuvent aussil’être dans des clubs sportifs privés n’ayant pasun caractère associatif. L’enquête Vie associativeles enregistre et, par conséquent, ils font partie dela ressource bénévole qui est mesurée ici. L’idéalserait de pouvoir distinguer très précisément lesdifférentes composantes du bénévolat formelselon la nature juridique de l’organisme danslequel s’opère l’engagement et notamment d’ycirconscrire la part associative. Cela s’avère mal-heureusement impossible si ce n’est sous laforme approximative d’une fourchette qui restecependant assez étroite pour conserver un certainintérêt (cf. encadré 2).

Par ailleurs, cette investigation ne peut préjugerdu champ associatif qui sera retenu in fine par lecompte satellite. On peut penser qu’en serontexclues, contrairement à l’enquête Vie associa-tive, les associations qui ne réalisent pas d’acti-

vités économiques, bien que cette partition nesoit pas forcément aisée à opérer. Il est égale-ment possible que, dans un premier temps toutau moins comme en Belgique, seules les asso-ciations qui sont employeurs seront retenues,faute d’informations suffisamment précises surcelles qui n’ont pas de salariés. Il convient, à cesujet, de souligner qu’il serait dommageableque cette restriction éventuelle soit pérenniséepuisque, comme le remarque justement Mertens(2002, p. 125), le rôle économique de ces asso-ciations sans salariés ne saurait être tenu pournégligeable. (2)

Enquêtes auprès des ménages ou enquêtes auprès des associations ?

Une objection pourrait cependant être opposéed’emblée à cette approche. Elle porte sur le

2. Sur la composition du secteur lucratif en France et l’impor-tance qu’y occupent les associations, on peut se reporter àArchambault (1996). Sur le même sujet, pour la Belgique, voirMertens (2002, p. 118 et s.).

En effet, 31 individus seulement sont concernés par unnombre d’engagements renseignés inférieur au nom-bre d’engagements déclarés (cf. tableau). Cela corres-pond à 51 engagements ignorés par l’enquête, soit2,4 % du total. On retiendra néanmoins que les résul-tats présentés dans l’article en matière de quantifica-tion et de valorisation du bénévolat sont, de ce fait,légèrement sous-estimés, mais dans des proportionsdifficiles à préciser.

La nature juridique de la structure d’accueil

Un dernier problème mérite également d’être évoqué.Il concerne la nature des organismes dans lesquels lesbénévoles sont engagés. Dans le premier volet de lapartie variable du questionnaire, ce sont sans ambi-guïté possible des associations. Dans le second, ces

organisations sont plus composites. L’information surleur statut est recueillie à un niveau général et non àcelui de chacun des engagements. Dès lors que la per-sonne interrogée déclare pratiquer le bénévolat dansplusieurs organismes dont les statuts sont distincts, ilest impossible d’opérer un appariement entre les sta-tuts et les engagements. Cette situation est gênante sil’on veut estimer le seul bénévolat associatif strictosensu. On peut toutefois procéder à des estimationssous forme d’intervalles. Par exemple, pour le seulassociatif stricto sensu, la borne supérieure de la four-chette est obtenue en faisant l’hypothèse que tous lesorganismes concernés sont de type associatif et laborne inférieure en faisant l’hypothèse qu’aucun desorganismes cités n’est une association. Comme cescas délicats sont dans l’ensemble peu nombreux, cesintervalles restent assez étroits.

Lecture : 7 bénévoles de l’enquête Vie associative ont deux engagements documentés alors qu’ils en ont déclaré trois.Source : enquête Vie associative, Insee, 2002.

Répartition des bénévoles de l’enquête Vie associative selon les engagements bénévoles déclarés et les engagements documentés par l’enquête

Nombre d’engagements documentés

Nombre d’engagements déclarés

1 2 3 4 5 6 7 14 Total

1234

1 201000

0320

00

07

510

04

113

0123

0001

0001

0001

1 201332

649

Total 1 201 320 58 18 6 1 1 1 1 606

Encadré 2 (suite)

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bien-fondé du recours à une enquête réaliséeauprès des ménages pour mesurer la ressourcebénévole. Une investigation directe auprès desorganismes encadrant les bénévoles, et notam-ment les associations, ne serait-elle paspréférable ? L’idée soutenue dans cet article estque les deux types d’enquêtes sont complémen-taires. Mertens et Lefèbvre (2004) exprimentleur préférence pour l’enquête auprès des orga-nisations. Anheier et al. (2001) sont plus cir-conspects et soulignent l’intérêt et les limitesrespectifs de chacune de ces bases de données(ménages – ou individus – versus organisationsencadrant les bénévoles).

L’interrogation des individus se heurte à unedifficulté, perceptible dans l’enquête Vie asso-ciative, née de leur aptitude assez incertaine àidentifier la nature de l’organisme dans lequelils sont engagés. La délimitation du bénévolatselon des critères institutionnels en est renduedélicate. Ce problème risque d’être rencontréplus particulièrement chez les personnes qui,tout en étant bénévoles, ne sont pas membres del’organisme dans lequel elles exercent leursactivités. De telles situations ne sont nullementisolées (Prouteau et Wolff, 2004a). À cet égard,l’enquête auprès des structures présente l’avan-tage incontestable de permettre la définitionex ante du champ d’étude pertinent, en ne rete-nant dans la base de sondage que celles qui sontclairement identifiées comme en faisant partie.

En revanche, l’argument selon lequel les orga-nisations, et plus particulièrement les ISBL dansle cadre du compte satellite, disposeraient d’une« meilleure capacité de mémoire que lesindividus » (Mertens et Lefèbvre, 2004, p. 3) estbeaucoup plus discutable. Les enquêtes de ter-rain ont en effet montré que les associationsn’effectuaient pas toutes un enregistrement destemps de bénévolat dont elles bénéficiaient(Bevant et al., 2001). Cette réalité n’est pas pro-pre à la France (Anheier et al., 2001). Elle peutprocéder d’une difficulté à recueillirl’information : les horaires des bénévoles sontsusceptibles de présenter une grande plasticité,une flexibilité qui n’en rend pas la comptabilisa-tion aisée. Cela est plus particulièrement vrailorsqu’ils accomplissent des tâches à caractèrerelationnel (accompagnement de malades, depersonnes isolées, etc.) dont on ne sait pas tou-jours dire quand elles commencent et quandelles prennent fin, a fortiori lorsque ces activitéssont réalisées individuellement. La mesure estprobablement plus aisée, quoique non systéma-tiquement réalisée, lorsque l’activité est exercéecollectivement et s’inscrit dans le cadre d’une

certaine unité spatio-temporelle. Les enquêtesen direction des associations ne sont donc pastoujours à même d’apporter des renseignementsplus fiables que celles conduites auprès deménages. Par ailleurs, certains biais qui pèsentsur ces dernières n’épargnent pas les premières.

Degenne et Lebaux (1991) remarquent que lesindividus peuvent être enclins, dans leurs répon-ses, à surestimer les services qu’ils rendent. Unetelle tendance est présente aussi chez certainesassociations qui n’avoueront qu’avec difficulténe pas accueillir de bénévoles ou en accueillirtrès peu. Mertens et Lefèbvre (2004, p. 4)notent, à propos d’une enquête qu’ils ont réali-sée en Belgique, que « certaines ISBL ont hésitéà renvoyer un questionnaire déclarant qu’ellesn’employaient pas de travailleurs bénévoles.Par conséquent on surestime peut-être le béné-volat puisque les répondants ont presque toussignalé qu’ils occupent des travailleursbénévoles ».

L’écueil de la diversité des représentations du bénévolat

Plus important peut-être, l’enquête auprès desassociations n’échappe pas au risque lié à lavariabilité des représentations des acteurs enmatière d’activité bénévole. Le problème estdésormais bien connu s’agissant des enquêtesauprès des ménages sur le sujet. Les répondantsn’ont pas tous nécessairement la même concep-tion du bénévolat. Ainsi, dans l’enquêteVie associative de l’Insee utilisée ici, il a étéobservé que des enquêtés, en nombre non négli-geable, ne se déclaraient pas bénévoles lorsquela question était posée explicitement, mais indi-quaient par ailleurs réaliser des services nonrémunérés, dans le cadre de leur association, quiprésentaient toutes les caractéristiques d’un tra-vail bénévole (cf. encadré 2). Il n’y a aucuneraison de penser a priori que l’univers desreprésentations est plus homogène chez lesacteurs associatifs sollicités dans le cadre d’uneenquête auprès de leur structure. Par exemple,ils ont parfois des réticences à considérer lesdirigeants – membres du conseil d’administra-tion – de l’association au même titre que lesautres bénévoles (Mertens et Lefèbvre, 2004).Les administrateurs, eux aussi non rémunérés,sont en effet davantage qu’une ressource offerteà titre gracieux et permettant de faire l’écono-mie du recours au salariat. Ils sont la conditionsine qua non de l’identité associative en tantqu’organisation sans but lucratif. Ainsi, leGuide Lamy Associations déconseille, en ce qui

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concerne l’enregistrement comptable par lesassociations des contributions volontaires ennature dont elles bénéficient, de mentionner lesactivités « qui entrent dans les attributions nor-males des organes sociaux », parmi lesquelles ilcite « le temps passé par les membres du conseild’administration dans l’exercice de leurs fonc-tions statutaires (réunions de bureau, de com-missions, formalités, démarches...) » (cité dansDuriez et al. 2001, p. 27). Cette recommanda-tion peut se comprendre au niveau de la comp-tabilité privée, mais ne paraît plus justifiée dansle cadre de la comptabilité nationale, car le pro-blème posé est alors d’estimer la contributionproductive réalisée par le secteur concerné à lasatisfaction des besoins sociaux. De ce point devue, il n’y a aucune raison d’écarter les tâchesd’animation et de direction incombant au con-seil d’administration des associations. Celles-cisont partie constitutive de ce processus de pro-duction, même si elles ne se résument pas à celaen ce qu’elles confèrent aux associations leurpersonnalité qui les distingue des autres orga-nismes productifs.

Les questionnaires soumis aux associations,comme ceux qui le sont aux ménages, doiventdonc s’efforcer de limiter la part d’interpréta-tion du répondant dans la définition du bénévo-lat. Il serait illusoire toutefois, dans les deux cas,de prétendre éliminer toute subjectivité, car lavolonté la plus déterminée à définir le bénévolatde manière « objectiviste » (Gottraux, 1989) seheurte à des questions délicates qui ne peuventguère être résolues a priori (3).

Si le bénévolat a vocation à être mesuré dans lecadre d’un compte satellite des ISBL, c’est en tantque travail, donc source d’une utilité indirectepour l’individu comme pour la collectivité (4).Sa définition ressortira par conséquent au cri-tère désormais classique de « la tiercepersonne », dont l’origine remonte aux travauxde Reid (1934) sur la production domestique etreprise par Hawrylyshyn (1977). Ce critèrepeut être résumé par la question suivante :serait-il possible de faire assurer l’activité parun tiers, en particulier un salarié, tout en obte-nant un résultat similaire (5) ? Il permet de dis-tinguer le travail bénévole du loisir ou d’autresactivités qui lui sont assimilables. Mais commele fait justement remarquer Archambault (2002,p. 17), dans les faits « le clivage n’est cepen-dant pas toujours aussi net ». Une personne quiparticipe seulement à une activité associative– un entraînement sportif par exemple – à titrede bénéficiaire ne saurait être considéréecomme bénévole. Il en est de même de celle qui

se contente d’assister à une réunion, à la diffé-rence de celle qui organise et anime ladite réu-nion. Pourtant, dans ce dernier cas, le « critèrede la tierce personne » est-il entièrementpertinent ? N’y a-t-il pas, en maintes circons-tances dans de telles tâches, une dimensionmilitante qui risquerait de pâtir du recours à unsalarié ? Et que dire des activités rédactionnel-les dans le cadre d’associations de défense desdroits ou d’organisations de nature politique(Archambault, 2002) ? On objectera, à justetitre, que le salariat n’exclut pas toute dimen-sion militante. Il n’en reste pas moins qu’ilexiste nombre de situations pour lesquelles lerecours au critère de la tierce personne ne lèvepas toute ambiguïté dans la définition des acti-vités. Et comme la réponse revient en dernierlieu à l’enquêté, les informations collectées nepourront échapper complètement à toute marged’interprétation, en dépit des précautions dontpeut s’entourer l’enquêteur dans le libellé desquestions. C’est pourquoi il paraît utile de con-fronter les résultats obtenus à partir d’enquêtesdifférentes, les unes auprès des ménages, lesautres auprès des organisations. (3) (4) (5)

Estimer le nombre de bénévoles encadrés estévidemment la première étape dans la mesurede cette ressource non rémunérée (6). L’exploi-tation de l’enquête Vie associative permetd’estimer ce nombre, par extrapolation desrésultats obtenus sur l’échantillon à la popula-tion française de plus de 15 ans, à 13 millions depersonnes (Prouteau et Wolf, 2004a). L’étapesuivante conduit à appréhender les duréesannuelles consacrées à ces activités. Le ques-tionnaire ne permet pas de les obtenir immédia-tement. À supposer qu’une telle question soitposée directement, il est douteux qu’elle puissedonner des résultats fiables du fait de l’effort demémoire qu’elle impose au répondant. Mais cesdurées annuelles peuvent être estimées sur la

3. Par « définition objectiviste », Gottraux entend celle qui estposée par le chercheur et qui peut ne pas correspondre à l’idéeque s’en font les acteurs.4. Par utilité indirecte, on entend l’utilité tirée du produit de l’acti-vité. Elle se distingue de l’utilité directe, engendrée par la réalisa-tion de l’activité pour elle-même, comme c’est le cas pour le loisirpur.5. Reid définit la production domestique comme consistant dans« ces activités non rémunérées qui sont exercées par et pour lesmembres [du ménage], activités qui pourraient être remplacéespar des biens marchands, ou des services payés si des circons-tances comme le revenu, les conditions marchandes et les inci-tations personnelles permettaient de déléguer la production duservice à quelqu’un en dehors du groupe domestique » (cité parQuah, 1993, p. 36).6. Qu’elle soit non rémunérée ne veut toutefois pas dire quecette main-d’œuvre est sans coûts pour les organismes qui lagèrent puisqu’ils sont exposés à des frais d’installation, de forma-tion, etc. La ressource bénévole n’est pas une ressource gratuite(Ferris, 1988).

40 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004

base de conventions raisonnées relatives audéroulement de l’année associative. Les scéna-rios retenus à cet égard l’ont été avec la volontédélibérée d’éviter une surestimation des enga-gements (cf. encadré 2).

820 000 emplois en « équivalents temps plein »

Les résultats de cette comptabilité des tempsbénévoles peuvent être présentés soit en heures,soit en emplois « équivalents temps plein »(ETP), la seconde manière de procéder étantassez classique et offrant l’avantage d’être plusparlante. Elle peut néanmoins soulever des cri-tiques. Il lui est reproché notamment de faireabstraction des différences d’intensité du tra-vail, ce qui conduit à recommander une grandeprudence dans ces conversions en ETP « dans lamesure où elles fournissent un meilleur indica-teur du temps consommé qu’une véritable éva-luation de “quantités d’inputs” » (Duriez et al.,2001, p. 17). L’accent est alors mis sur l’hétéro-généité qualitative de la ressource bénévole,supposée être plus forte que dans le domaine dusalariat, qui rend un tel processus d’agrégationtrès périlleux. Toutefois, cette objection vautpour tout processus d’agrégation, quand bienmême il s’exprimerait en heures plutôt qu’enETP. En revanche, une autre objection paraîtplus persuasive, pour inciter à la prudence dansle recours à ces « équivalents temps plein ».L’utilisation de cet étalon de mesure tire sasignification du salariat et des règles de droit quile régissent. Le temps plein dont il est questionest en effet généralement la durée légaleannuelle du travail salarié (7). L’usage de cetteunité laisse entendre qu’il s’agit également de lanorme pertinente pour appréhender la ressourcebénévole et, le cas échéant, pour envisager sonremplacement par une main-d’œuvre rémuné-rée, en application du critère de la tierce per-sonne. Or rien n’est moins sûr.

Le bénévolat est en effet une activité essentiel-lement intermittente, même lorsque l’engage-ment est régulier, et a fortiori lorsqu’il est occa-sionnel. L’exploitation de l’enquête Vieassociative montre ainsi que 80 % des bénévo-les réguliers consacrent au maximum 4 heurespar semaine à rendre service. 9 % seulementdéclarent s’y consacrer plus de 10 heures. Lebénévole à temps plein existe, mais restel’exception. Dès lors, mesurer le don de tempsen emplois « équivalents temps plein » n’est-cepas se risquer à vouloir faire du « continu » avecdu « discret », et par conséquent poursuivre unobjectif irréalisable ? (7)

Si la remarque ne peut être ignorée, elle n’estcependant pas rédhibitoire, pour autant quel’interprétation des résultats s’entoure du dis-cernement nécessaire. D’une part, dans le largespectre que constitue le monde associatif, sapertinence est variable. Elle est incontestabledans les petites associations dont l’activité pro-prement économique est discontinue et quin’emploient aucun personnel salarié. Elle estmoins évidente dans les associations dont l’acti-vité productive est plus conséquente et au seindesquelles l’organisation du travail est plusrigoureuse. D’autre part, il faut remarquer quel’objection qui vise ce recours à l’ETP pourraittout aussi bien être adressée à la mesure des res-sources salariées, du moins dans certainsdomaines d’activité. On pense ici plus particu-lièrement au secteur des services à domicile,notamment aux travaux d’aide ménagère quisont très généralement assurés par des salariés àtemps (très) partiel (Denantes, 2000) (8).

Le questionnaire de l’enquête Vie associative nepermet pas de documenter l’intégralité des acti-vités bénévoles des répondants. Certaines parti-cipations d’individus cumulant des engage-ments dans des structures distinctes ont échappéà l’enregistrement (cf. encadré 2). Mais cetteperte d’informations reste suffisamment limitéepour que l’exercice auquel on se livre ici gardetout son intérêt dans le cadre d’une démarchequi, rappelons-le, conserve un caractère explo-ratoire.

Les résultats obtenus font apparaître que la res-source bénévole se monte à 1,3 milliard d’heurespar an en 2002, soit environ 820 000 emploisETP (cf. tableau 1). Ce sont les participantsréguliers qui, bien que minoritaires en nombre,fournissent l’essentiel de cette main-d’œuvrenon rémunérée. Leur contribution constitue plusdes trois quarts du temps ainsi donné.

Même s’il est impossible, comme on l’a souli-gné, de décomposer cette ressource selon lanature des organismes bénéficiaires autrementque sous la forme de fourchettes d’estimations(cf. encadré 2), il apparaît, en dépit de cetteimprécision, que la grande majorité du travailbénévole est concentrée sur le secteur associatif

7. On peut aussi raisonner en termes de durées moyennes effec-tives à un moment donné.8. De tels services sont, en France tout au moins, très majoritai-rement assurés par des associations, même si quelques offreurspublics (Centres Communaux d’Action Sociale), et beaucoupplus rarement et récemment, des entreprises commerciales sontégalement présents sur ce marché.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004 41

dans une proportion d’au moins 88 %(cf. tableau 1).

L’examen de la répartition du bénévolat pardomaine d’activité (cf. encadré 3) montre quece sont les secteurs du sport, de la culture etdes loisirs qui sont les plus gros utilisateurs decet input bénévole, puisqu’ils en mobilisentà eux seuls pratiquement la moitié, soit400 000 emplois ETP. L’action sociale, sani-taire et humanitaire ainsi que la défense desdroits apparaissent également être des domainesassez fortement utilisateurs de bénévolat, nette-ment plus que les secteurs éducatif, religieux etenvironnemental.

Cette quantification du bénévolat total est asseznettement inférieure à celle qui est obtenue parle Laboratoire d’économie sociale (LES) et quiconcerne pourtant une année antérieure à celleconsidérée ici puisqu’il s’agit de 1996 (Archam-bault et Boumendil, 1997). En effet, la ressourcebénévole y est évaluée à 1 116 000 emploisETP (9). La différence entre les résultats estd’ailleurs plus nette encore si l’on note que l’ETPen 1996 correspond à 1 769 heures annuellescontre 1 600 heures en 2002. L’importance d’unetelle divergence (près de 300 000 emplois ETP)peut surprendre. Son explication ne relève pasd’une discordance dans le dénombrement desbénévoles. Sur ce plan, au contraire, les estima-tions déduites de l’enquête Vie associative sontsupérieures à celles du LES (13 millions contre10,4 millions). L’écart observé procède par

conséquent entièrement de la différence desdurées moyennes du don de temps obtenues àpartir des deux enquêtes. L’exploitation del’enquête de l’Insee conduit à estimer un tempsmoyen de bénévolat de 2,5 heures par semaineet par personne engagée, quand Archambaultet Boumendil évaluent ce même temps à5 heures. C’est donc dans la méthode de calculde ces durées que réside l’origine de la dispa-rité constatée. (9).

Dans l’enquête du LES, la durée annuelle dubénévolat réalisé dans un domaine d’activité estcalculée en pondérant la durée mensuelle indi-quée par le répondant par le nombre de moispendant lequel il déclare participer. L’enquêteVie associative procède d’une autre manière(cf. encadré 2). Le bénévole y est d’abord inter-rogé sur le caractère régulier ou occasionnel desa participation, et ce au niveau de chacune desassociations fréquentées et non au niveauagrégé des domaines d’activité. Il lui est ensuitedemandé d’indiquer sa fréquence et son tempsde pratique, selon des modalités qui diffèrent enfonction de la nature de son engagement.L’interrogation des bénévoles y est donc pluscirconstanciée. La distinction opérée entrebénévolat régulier et bénévolat occasionnel

9. Dans le cadre comparatif du programme Johns Hopkins danslequel ce travail s’inscrivait, le volume du bénévolat retenu estinférieur d’environ 100 000 emplois ETP puisque l’engagementreligieux n’est alors plus pris en compte (Salomon et Sokolowski,2001 ; Archambault, 2002).

Tableau 1La ressource bénévole en heures et ETP (2002)

Nature du bénévolat Heures(en millions)

ETP (1) Répartition(en %)

EnsembleRégulierOccasionnel

1 3071 016

291

817 000635 000182 000

100,077,722,3

Par type d’organisme (2)AssociationsOrganismes non associatifs

] 1 146 - 1 163 [] 144 - 161 [

] 716 000 - 727 000 [] 90 000 - 101 000 [

] 87,7 - 89,0 [] 11,0 - 12,3 [

Par domaine d’activitéSportCulture et loisirsÉducationDéfense des droitsAction sociale, sanitaire, humanitaireReligionEnvironnementAutres

26836780

1912221083437

167 000230 00050 000

119 000139 00068 00021 00023 000

20,428,16,1

14,617,08,32,62,9

1. Le nombre d’équivalents temps plein (ETP) a été arrondi au millier le plus proche.2. Faute de pouvoir mesurer précisément le bénévolat par type d’organisme, le tableau présente des intervalles à l’intérieur desquels se situe la grandeur de la variable d’intérêt.

Source : enquête Vie associative, Insee, 2002.

42 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004

paraît, à cet égard, essentielle. Sachant que dansl’enquête Vie associative plus de la moitié desparticipants se déclarent occasionnels, l’hypo-thèse faite ici est que l’absence d’une telle dis-tinction dans l’enquête du LES conduit à sures-timer le temps donné, sans que l’on puisse dire,pour autant, si cette raison explique la totalité del’écart observé.

Nettement inférieure à celle d’Archambault etBoumendil, l’estimation présentée dans cet arti-cle est, en revanche, beaucoup plus proche decelle à laquelle parvient Tchernonog (2000) àpartir d’une enquête menée en 1999 auprèsd’associations. L’emploi bénévole y est en effetestimé à 716 000 ETP, ce qui correspond à laborne inférieure de l’intervalle retenu ici pour leseul bénévolat associatif (cf. tableau 1). Certes,

le champ associatif considéré par l’auteur y estquelque peu différent puisque, au contraire del’enquête Vie associative, il ignore les associa-tions cultuelles relevant de la loi de 1905. Poureffectuer une comparaison rigoureuse, il fau-drait donc ajouter à son estimation le volume dubénévolat destiné à ces associations. Il estimpossible de préjuger de l’ampleur de la cor-rection ainsi nécessitée. L’exploitation del’enquête Vie associative conduit à évaluer lebénévolat religieux à 68 000 ETP. Mais ce der-nier ne saurait être ici circonscrit aux seulesassociations cultuelles. Il concerne égalementdes associations de statut 1901, comme nombred’associations paroissiales qui ont été classéespar l’enquête avec les associations religieuses.Toutefois, si l’on tient compte du fait que lesconventions retenues ici pour calculer les durées

Encadré 3

LES DOMAINES D’ACTIVITÉ DES ASSOCIATIONS ET DES BÉNÉVOLES

Les domaines d’exercice du bénévolat utilisés sontconstruits à partir de regroupements des types d’acti-vité des associations et des autres organismes telsqu’ils sont définis dans l’enquête. Ces regroupementssont les suivants :

1. Sport

Associations et clubs sportifs. Fédérations sportives,etc.

2. Culture et loisirs

Associations culturelles ou musicales. Associationsartistiques et culturelles (musique, danse, photogra-phie, théâtre, lecture, écriture, arts plastiques, etc.).Tourisme social. Scoutisme, centres aérés associa-tifs et autres associations de loisirs pour les jeunes.Échanges culturels internationaux. Clubs du 3e âgeet autres associations de loisirs pour les personnesâgées. Comités des fêtes et autres associations deloisirs. Associations d’anciens combattants ou clas-ses d’année de naissance. Retraités d’une entre-prise. Chasse et pêche.

3. Éducation

Associations de parents d’élèves. Associations desoutien scolaire, d’aides aux devoirs, d’alphabétisa-tion, etc. Formation linguistique, informatique, uni-versité tous âges et autres formations à but non pro-fessionnel. Formation professionnelle et formationcontinue. Étude et recherche (hors recherche médi-cale). Associations d’anciens élèves ou étudiants,bureau des élèves ou des étudiants. Autres associa-tions dans le domaine éducatif.

4. Action sociale et médico-sociale, action humanitaire et caritative

Aide aux malades (visites à l’hôpital, prêts de matérielmédical, etc.). Amicales ou groupements de malades.Recherche médicale (lutte contre le cancer, la myopa-thie, etc.). Aide à l’insertion de jeunes en difficulté, sou-tien aux mères de familles isolées ou autres associa-tions socio-éducatives. Aide aux migrants. Aide àdomicile. Caritatif (Restos du cœur, Secours catholi-que, Secours populaire, etc.). Autres associations dudomaine social. Aide internationale (alimentaire, santé,éducation) et droits de l’homme.

5. Défense des droits (civiques, professionnels, de consommateurs, de locataires, de propriétaires, etc.)

Défense des consommateurs, des usagers des servi-ces publics. Groupements professionnels. Syndicats.Autres associations de défense de droits ou d’intérêtscommuns. Amicales ou groupements d’habitants d’unquartier, d’un village. Amicales ou regroupements delocataires, propriétaires ou copropriétaires. Conseilssyndicaux de copropriété. Amicales ou groupementsde personnes originaires d’un même pays ou d’unemême région. Développement économique local.

6. Religion

Associations religieuses ou paroissiales

7. Autre

Amis des animaux, défense de la faune, de la flore.Protection de sites naturels et autres défenses et inter-ventions sur le milieu naturel. Protection, valorisation,étude du patrimoine historique et culturel. Partis politi-ques. Autres types d’associations.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004 43

annuelles du don de temps ont été délibérémentchoisies dans le souci d’éviter toute surévalua-tion et sous-estiment peut-être certains engage-ments parmi les plus intenses, il paraît possiblede considérer que les ordres de grandeur tirésdes deux sources distinctes sont assez compara-bles (10).

La valorisation du bénévolatest controversée

La quantification du bénévolat, c’est-à-dire samesure sur la base d’une unité de temps, est unepremière étape dans l’appréhension de ladimension économique de ce comportement. Savalorisation en est une autre. Il s’agit alorsd’imputer au temps donné une valeur monétairequi, le cas échéant, pourra être rapportée, auniveau macro-économique, à un agrégat commele PIB pour mieux en saisir l’importance rela-tive (Ziemek, 2002). Un certain nombre de tra-vaux de ce type ont déjà été conduits, principa-lement dans des pays anglo-saxons (VolunteerCentre UK, 1995 ; Soupourmas et Ironmonger,2002 ; de Vaus et al., 2003). Le site Internetd’Independent Sector comporte une rubriquequi tient à jour les estimations de la valeurmonétaire du bénévolat aux États-Unis (11).Archambault (1996, 2002) a réalisé des travauxsimilaires sur le cas français.

Pourtant, l’intérêt de cette valorisation moné-taire du bénévolat ne fait pas l’objet d’un con-sensus. Les propos tenus lors de la table rondeorganisée récemment par le périodique électro-nique e-Volunteerism sur le thème « Est-ce unebonne idée d’assigner une valeur financière aubénévolat ? » (Keyboard Roundtable, 2003)donnent un aperçu des controverses qu’elle sou-lève. Une enquête de terrain menée en Francesur le sujet atteste également de réticences par-fois fortes d’acteurs associatifs face à cette opé-ration de monétarisation (Bevant et al., 2001 ;Duriez et al., 2001).

Indépendamment de l’intérêt qu’elle représented’un strict point de vue économique, la valorisa-tion est défendue par ses partisans en tant quemoyen d’assurer une reconnaissance à un com-portement qui, ne s’inscrivant pas dans le cadred’un échange monétaire, est toujours exposé aurisque de demeurer un « travail invisible » (Sou-pourmas et Ironmonger, 2002 ; KeyboardRoundtable, 2003). De ce point de vue, un rap-prochement avec le plaidoyer en faveur de lavalorisation du travail domestique (Beneria,1999) s’impose. L’argument revient à considé-

rer que ce qui ne se compte pas risque fort de nepas compter. L’aspiration à la visibilité du béné-volat est d’ailleurs renforcée par l’attitude despartenaires des associations – et plus particuliè-rement des financeurs – qui se montrent de plusen plus soucieux d’évaluer l’importance des res-sources que ces dernières sont capables demobiliser en contrepartie des subventions per-çues (Goulbourne et Embuldeniya, 2002 ;Duriez et al., 2001). (10) (11)

L’opposition à la valorisation monétaire du béné-volat se nourrit, pour sa part, de la crainte de voirocculter la valeur sociale de ce comportementderrière sa valeur économique, de ravaler le donde temps au rang du travail dont il serait un« pauvre substitut » (Keyboard Roundtable,2003). Elle traduit le refus de voir réduire le béné-volat à une offre de main-d’œuvre quand on veutle considérer avant tout comme un engagement.

Ce qui s’exprime ainsi est de l’ordre du différendsur la nature de la grandeur d’un objet (Boltanskiet Thévenot, 1991). Des situations de ce typesont susceptibles d’apparaître lorsque l’objet enquestion procède de plusieurs mondes ou« cités » justiciables de « formes de généralité »distinctes. Objecter à la valorisation monétairedu bénévolat, c’est mettre en cause la validité etla légitimité d’une « épreuve » caractéristique dumonde marchand pour juger de la grandeurd’une activité que l’observateur ou l’acteurinsère dans un autre registre. Celui-ci relèveratantôt de la « cité domestique » lorsqu’on entendmettre l’accent sur le caractère relationnel et con-vivial du comportement, tantôt de la « citécivique » lorsque c’est son aspect plus militantde promotion d’une cause qui est mis en exergue.Ce peut même être, pour certains types de béné-volat, la « cité inspirée ». Le conflit des mondesn’est pas propre à l’univers associatif, mais cedernier y est plus particulièrement exposé du faitde la pluralité des logiques d’action qui le traver-sent dès lors qu’il entend s’adonner à des activi-tés économiques (Prouteau, 2003).

Les points de vue des bénévoles eux-mêmes surcette question ne sont toutefois ni homogènes niinsensibles à la place qu’ils occupent dans

10. On rappelle, en particulier, que l’hypothèse faite ici est que« l’année associative » ne comporte que 10 mois ou40 semaines. Tchernonog considère implicitement que l’annéeassociative représente 47 semaines. Mais la durée du travail surlaquelle l’auteur base le calcul de son ETP est de 1 600 heures,comme ici.11. Independent Sector est un regroupement d’organismes quientend promouvoir le secteur sans but lucratif aux États-Unis.Sous son égide, sont réalisées des enquêtes régulières sur lescomportements de don (temps et argent) des Américains.

44 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004

l’association. Ceux qui y exercent des responsa-bilités seront probablement plus accessibles auxpréoccupations qui sont au fondement de cetteopération de valorisation, parce que plus récep-tifs aux soucis économiques sous-jacents. Lesbénévoles « de base », moins préoccupés par lescontraintes fonctionnelles et plus prompts àdécliner leurs activités sur le registre du don desoi, y seront moins réceptifs. C’est chez eux quel’hostilité est susceptible d’être la plus vive. Enpratique, la valorisation monétaire par les asso-ciations de leurs ressources bénévoles reste peufréquente (Duriez et al., 2001).

On peut s’interroger sur l’intérêt de considérerde tels débats, notamment dans le cadre de laconstruction d’un compte satellite des ISBL. Enquoi l’évaluation économique du bénévolat est-elle concernée par les conceptions de ceux quis’y consacrent et par leurs systèmes de valeursdès lors que « la possibilité d’isoler une des-cription des faits, opposés aux valeurs et auxopinions, est la revendication constante et com-mune des statisticiens » (Desrosières, 1992) ?Cette prétention à la neutralité du chercheur estlégitime. Mais, pour autant, celui-ci ne peutcomplètement oublier que le résultat de son tra-vail contribue tout comme la « raisonstatistique » de Desrosières (2000, p. 396)« à façonner un “espace public”, au sensd’espace du débat collectif », et par conséquentà influer sur les comportements (12).

La diversité des méthodes de valorisation

Indépendamment des enjeux qu’elle représentepour les acteurs associatifs, l’attribution d’unevaleur monétaire au bénévolat soulève des ques-tions plus directes de « faisabilité ». Sur quellebase procéder ? Plusieurs méthodes sonta priori envisageables, qui s’inspirent desréflexions menées sur l’évaluation de la produc-tion domestique (Quah, 1993). La première con-siste à valoriser le service réalisé grâce au donde temps (output-related method), en lui affec-tant une valeur estimée à partir du prix de mar-ché d’un service similaire qui fait l’objet d’unevente. Cette méthode requiert ensuite que l’onpuisse calculer à partir de ce prix imputé la con-tribution des inputs et par conséquent celle dubénévolat. En pratique, cette voie n’est guèreenvisageable (Mertens, 2002, p. 219). Elleexige, en effet, que la nature de l’output à la pro-duction duquel concourt le bénévole soit claire-ment identifiable, ce qui n’est pas toujours lecas. Ensuite, de nombreux services associatifsn’ont pas de substituts marchands. Enfin, il

apparaît extrêmement difficile d’identifier lacontribution propre du bénévolat – surtout sil’association emploie également du personnelsalarié –, à moins de disposer d’informationstrès détaillées qu’il n’est guère réaliste d’espéreracquérir par voie d’enquêtes.

Cette première piste conduisant à des difficultésquasi rédhibitoires, c’est une seconde perspec-tive qui est retenue par les expériences de valo-risation du bénévolat. Elle consiste à imputerdirectement une valeur monétaire au tempsdonné et privilégie donc une approche par lesinputs (input-related method). À ce niveau, plu-sieurs possibilités sont ouvertes. La premièreconsiste à prendre pour base de calcul le revenude l’activité professionnelle auquel le bénévolerenonce lorsqu’il s’adonne à son activité nonrémunérée. C’est la méthode du coût d’opportu-nité. Elle repose sur le postulat de rationalitéd’un agent qui est supposé égaliser les valeursmarginales attribuées aux divers usages de sontemps. Elle s’expose à plusieurs objections tantthéoriques qu’empiriques. (12)

Au niveau théorique, ce mode de valorisationréclame que l’agent ne soit pas contraint dans sacapacité à choisir les affectations de son temps.Il doit, en particulier, avoir la possibilité dedéterminer librement la durée qu’il entend con-sacrer à son activité professionnelle, ce qui,s’agissant des salariés, est une hypothèse dont lagénéralisation est irréaliste. Ainsi, dansl’enquête Vie associative, 39 % des répondantsactifs déclarent qu’ils souhaiteraient travaillerplus si la rémunération augmentait autant oumoins que le temps de travail – donc à salairehoraire constant voire inférieur. 10 % souhaite-raient, au contraire, travailler moins, même si larémunération diminuait dans les mêmes propor-tions que le temps de travail. Pour ces individus,au taux de salaire courant, la durée de l’activitéprofessionnelle n’est pas jugée optimale. Dansde telles situations, le taux de salaire ne peutplus être retenu comme un indicateur pertinentde la valeur du temps.

Indépendamment de la question posée parl’existence possible de ces contraintes sur les

12. L’influence que peut exercer sur les comportements bénévo-les la référence à une valeur monétaire du don de temps est dif-ficile à appréhender. Elle est probablement ambivalente. Certainsauteurs y voient un facteur d’encouragement à l’engagement dufait de la reconnaissance sociale qu’elle signifie (Soupourmas etIronmonger, 2002). Mais on pourrait tout aussi bien redouter quecette inscription du bénévolat dans l’ordre des grandeurs moné-taires, en occultant les motivations intrinsèques qui l’animent,joue un rôle désincitatif un peu semblable à celui que jouerait,selon Frey et Goette (1999), la rémunération des bénévoles.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004 45

emplois du temps, le choix du revenu profes-sionnel comme base de référence pour la valori-sation du bénévolat est également problémati-que si l’on considère que les activitésauxquelles l’individu se consacre procurent une(dés)utilité directe en sus de leur l’utilité indi-recte. Si l’utilité directe fournie par le don detemps, via les satisfactions intrinsèques qui luisont associées, est différente de celle induite parl’activité professionnelle, la rémunération tiréede cette dernière ne pourra plus être considéréecomme le coût d’opportunité du bénévolat(Brown, 1999 ; Prouteau, 1999) (13).

La valorisation aux coûts d’opportunité : une méthode peu appropriéepour le compte satellite des ISBL

Si l’on passe outre à ces objections, se pose plusempiriquement le choix du revenu qui servira deréférence pour l’estimation du coût d’opportu-nité. Certaines études retiennent un mêmesalaire moyen qui est appliqué à tous les béné-voles (Ziemek, 2002, p. 36). Cette façon de pro-céder est discutable car elle revient à considérerque tous les individus ont le même coûtd’opportunité (Schmid et al., 2002). Si, au con-traire, on retient le revenu d’activité effective-ment perçu par chacun, comme tel devrait êtresystématiquement le cas, il reste à préciser s’ils’agit du revenu brut ou du revenu net de cotisa-tions et d’impôts.

Pour obtenir le coût effectif pris en compte parl’agent dans la réalisation de ses arbitrages, lesimpôts doivent être soustraits des rémunérationsreçues. Mais encore faut-il pouvoir effectuercette opération, ce qui exige de connaître préci-sément la situation fiscale des intéressés. Celaest impossible dans l’enquête Vie associative. Laquestion des cotisations sociales est plus com-plexe. Pour certains auteurs, elles doivent êtredéfalquées du revenu pris en compte (Schmidet al., 2002). Mais il pourrait tout aussi bienparaître souhaitable d’ajouter au revenu profes-sionnel les avantages additionnels liés à l’occu-pation d’un emploi, notamment les prestationssociales (Brown, 1999, p. 11). Les cotisationspouvant être considérées comme des indicateursapproximatifs de tels avantages, on est doncfondé à les intégrer au coût d’opportunité dèslors qu’elles ouvrent des droits qui varient enfonction du revenu gagné par les bénéficiaires,lui-même fonction de leur temps de travail.

On peut également souhaiter corriger le revenud’activité des dépenses professionnelles que

supportent les individus (Soupourmas et Iron-monger, 2002), mais cela suppose qu’ellessoient connues, ce qui est rarement le cas. Il neserait pas non plus incongru, surtout en ce quiconcerne les bénévoles les plus impliqués, detenir compte des effets possibles de leur engage-ment présent sur leur carrière future, notammenten termes d’investissement en capital humain(Netten, 1990). Toutefois, ces effets sont incer-tains car ambivalents. D’un côté, le bénévolerenonce à la formation – spécifique et générale– liée à une activité professionnelle plus impor-tante. De l’autre, l’activité non rémunérée estsusceptible de s’accompagner, elle aussi, de tels« bénéfices ». (13)

Mais le problème empirique le plus délicats’agissant de cette méthode concerne l’estima-tion du coût d’opportunité pour les personnesqui n’exercent pas d’activité professionnelle. Àcet égard, deux situations doivent être distin-guées. Lorsque l’inactivité est volontaire, elleprocède d’un choix qui témoigne de ce que lesalaire de réserve de l’individu est supérieur àcelui qu’il pourrait espérer sur le marché du tra-vail. Ce salaire potentiel peut donc être tenupour une estimation a minima de la valeur quel’individu accorde à son temps. Il peut être éva-lué par des fonctions de salaire appropriées esti-mées à partir des actifs et de leurs caractéristi-ques. Mais si l’inactivité est subie, ce recours ausalaire potentiel est inadéquat, la valeur subjec-tive du temps pouvant alors être très inférieure.Le problème se pose plus particulièrement pourles retraités et les chômeurs. Ce n’est pas dire,pour autant, que, pour les intéressés, le tempsn’a aucune valeur.

Au regard de l’exercice proposé ici, un obstacleencore plus rédhibitoire s’oppose à l’usage decette méthode des coûts d’opportunité. En effet,sa problématique diffère de celle qui préside àl’élaboration d’un compte satellite. Valoriser letemps au coût d’opportunité, c’est se placer dupoint de vue des bénévoles et viser une compta-bilité du bien-être se situant peu ou prou dans

13. Dans ce cas, ce sont les utilités marginales globales (sedécomposant chacune en utilité indirecte et utilité directe) quis’égalisent dans tous les usages du temps. Mais le salaire nereprésente plus qu’une partie de l’utilité marginale de l’activitéprofessionnelle, plus précisément celle correspondant à l’utilitéindirecte. Il ne peut donc être la base de référence pour valoriserle temps passé dans les autres activités. L’existence de gratifica-tions intrinsèques dans le bénévolat ne fait guère de doute(Prouteau et Wolff, 2004a). Mais c’est également une réalité dansl’activité professionnelle. Ainsi, 30 % des actifs répondent par lanégative à la question suivante posée par l’enquête Vieassociative : « Préféreriez-vous travailler moins si votre rémuné-ration ne baisse pas ? ». Comment expliquer une telle situation sil’on postule que l’aspect financier est le seul mobile de l’activitéprofessionnelle ?

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l’optique qui était celle de Nordhaus et Tobin(1973) lorsqu’ils entendaient souligner les limi-tes du PNB comme indicateur pertinent de cebien-être. Telle n’est pas l’optique du comptesatellite des ISBL pour qui il s’agit, en se livrantà cette imputation d’une valeur monétaire aubénévolat, d’appréhender l’importance écono-mique de cette ressource productive du point devue des associations. Sous cet angle, la méthodedes coûts d’opportunité conduit à une impassepuisqu’elle attribue à une même activité béné-vole des valeurs différentes en fonction desindividus qui s’y consacrent. Elle est donc régu-lièrement écartée (Anheier et al., 2001), à derares exceptions près (Ziemek, 2002). Toute-fois, afin de comparer les estimations auxquel-les elle aboutit avec celles des méthodes rete-nues, une investigation a été menée sur la seulepopulation âgée de 20 à 59 ans. Les résultats ensont donnés en annexe.

Retenir les coûts de remplacementest préférable

L’alternative à la valorisation du bénévolat aucoût d’opportunité est celle qui prend en consi-dération son coût de remplacement, c’est-à-direce que devrait débourser l’organisme danslequel le donateur est engagé s’il lui fallait faireréaliser ces services non rémunérés par des sala-riés. Si cette problématique est plus cohérenteavec l’objectif poursuivi ici, il n’en reste pasmoins que des obstacles doivent être franchis.

Deux versions de cette méthode des coûts deremplacement peuvent être envisagées. La pre-mière consiste à différencier selon leur natureles tâches réalisées par chaque bénévole et àimputer à chacune des composantes ainsi défi-nies le coût d’un recours à un spécialiste rému-néré. Bien qu’elle paraisse théoriquement laplus séduisante, cette version suppose un degrétrès fin et peu réaliste de connaissance des acti-vités des bénévoles (14). La seconde versionparaît plus accessible. Les substituts rémunérésdont il s’agit de calculer le coût ne sont plus lesprestations de spécialistes mais celles de sala-riés « généralistes ». Reste alors à déterminerplus précisément le salaire de référence. Lemanuel des Nations Unies (2003, p. 50) préco-nise de se référer au salaire moyen en vigueurdans le domaine des services sociaux, considéréêtre une approximation acceptable en matière derémunération dans les ISBL. Archambault(1996) ainsi que Mertens et Lefèbvre (2004)préfèrent opter pour une solution, probablementplus satisfaisante, qui consiste à imputer aux

tâches bénévoles effectuées dans un domained’activité la rémunération offerte par les asso-ciations dudit domaine. Dans le travail compa-ratif mené sous l’égide du projet Johns Hopkins,c’est le salaire moyen non agricole qui sert deréférence (Archambault, 2002). Ce choix estdiscutable en ce qu’il intègre les salaires del’industrie alors même que les associations ensont absentes puisque ce sont les services, etsouvent les services relationnels, qui sont leursdomaines de prédilection. (14)

Dans l’optique coût de remplacement, la rému-nération pertinente est visiblement la rémunéra-tion brute, c’est-à-dire cotisations sociales com-prises, y compris celles qui sont à la charge desemployeurs. On pourrait alors craindre que lavariabilité du poids de ces cotisations d’un paysà l’autre, fonction du niveau de développementmais aussi de l’organisation (bismarckienne oubeveridgienne) de la protection sociale, nebiaise les comparaisons entre pays. On noteratoutefois avec Sterdyniak (2003, p. 378) que« le choix que fait la société, ou les salariés priscollectivement, entre salaires directs et salairesdifférés n’a aucune raison a priori d’augmenterle coût global du travail, du moins à moyenterme » (15). À court terme, c’est-à-dire avantque les ajustements n’aient pu se réaliser, iln’est pas impossible que des variations de tauxde cotisations puissent avoir un impact quelquepeu perturbateur sur un examen comparatifinternational des ressources bénévoles expri-mées en valeur monétaire.

La principale objection à laquelle s’expose cetteméthode, dans ses deux versions, réside dans lasimilitude implicitement postulée de l’efficacitédes bénévoles et de celle des salariés dans l’exé-cution de leurs tâches. Cette question prête àcontroverse. D’une part, l’efficacité de certainsbénévoles peut être très faible, voire nulle, lesassociations les considérant plutôt comme des« poids morts » dont il est parfois difficile de sedébarrasser faute de pouvoir recourir à un« licenciement » (Bevant et al., 2001, p. 47).Indépendamment de ces situations extrêmes, laproductivité bénévole peut également être limi-tée lorsque l’engagement est intimementassocié à l’état de bénéficiaire des activités

14. Par ailleurs, on peut critiquer cette méthode au motif quemême les tâches réalisées par les spécialistes ne sont pas homo-gènes.15. Dans un article antérieur, l’auteur note que « les comparai-sons internationales montrent que toutes choses égales parailleurs, les pays qui ont un fort taux de cotisations employeursont en contrepartie un bas niveau de salaire brut, de sorte queleur compétitivité est préservée » (Sterdyniak et Villa, 1998,p. 162).

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associatives. Tel est le cas lorsque l’associationencourage la participation des usagers pour évi-ter un pur rapport de clientélisme ou d’assista-nat. D’autre part, les bénévoles peuvent s’avérertout aussi compétents que les salariés, et mêmefaire preuve d’aptitudes supérieures. Brown(1999, p. 9) note ainsi que certaines tâchesgagnent à être réalisées avec compassion et res-pect, dispositions qui relèvent difficilementd’une logique contractuelle propre à la relationsalariale mais peuvent plus facilement animerles relations de don. Gorz (1988, p. 178) souli-gne également que « le seul soupçon que le dis-pensateur de soins a pour but de maximiser sesgains » peut affecter la nature de la prestation enrendant « suspecte la qualité de l’aide offerte ».Autrement dit, un bénévole est susceptible derendre certains services plus efficacement que lesalarié, précisément du fait du caractère gra-cieux de sa prestation (16).

Ces considérations appellent deux remarques.Tout d’abord, elles rappellent les difficultés àappréhender la productivité dans certains sec-teurs des services (Gadrey, 1996), et notam-ment dans ceux qui sont souvent les terrainsd’élection de la production associative et desprestations bénévoles. Ensuite, elles illustrentles limites de l’hypothèse de substitutionentre bénévolat et salariat qui est au fonde-ment de cet exercice de valorisation. Cettehypothèse est tout à fait admissible dansmaintes circonstances, et le développementdu dispositif « emplois-jeunes » l’a montré enmettant en évidence les réallocations detâches entre bénévoles et salariés consécuti-ves à l’embauche des jeunes (Le Pors, 2001,pp. 151-155). Mais elle n’a pas de validitésystématique.

Le choix du salaire courant pour valoriser letemps donné fait également abstraction desmodifications qu’une substitution massive dusalariat au bénévolat pourrait entraîner sur lefonctionnement du marché du travail et doncsur le salaire qui en résulterait. Ce dernier res-terait-il semblable à celui qui est observéaujourd’hui ? Rien ne permet de valider cetteconjecture, mais il est très aléatoire d’anticiperla nature des changements qui pourraient sur-venir. Anheier et al. (2001) suggèrent unebaisse du salaire de référence parce qu’ils envi-sagent, comme Archambault (1996), un scéna-rio dans lequel les bénévoles viendraient gon-fler l’offre de travail. Cela revient à considérerque ceux-ci seraient disposés à faire contrerémunération ce qu’ils faisaient auparavant àtitre gratuit. Un tel scénario n’est nullement

garanti. Si les associations devaient remplacertous leurs bénévoles sans qu’ils ne se prêtent àce changement de statut, il serait tout aussienvisageable d’assister alors à une hausse dusalaire courant sous la pression de la demandede travail, l’offre restant quasi constante oufaiblement croissante (17).

Des estimations à interpréteravec précaution (16)

En raison des difficultés qui guettent l’exerciceprojeté, les estimations auxquelles la valorisa-tion monétaire du bénévolat conduit appellenthumilité dans leur présentation et précautiondans leur utilisation. Tenter l’opération c’est seprêter à un raisonnement contrefactuel dont lestermes sont entourés d’une grande incertitude.L’exercice conduit-il pour autant au-delà de la« frontière de monétarisation » (Vanoli, 2002,p. 435), c’est-à-dire au-delà des limites qui con-fèrent un sens aux valeurs monétaires et leurpréservent un intérêt heuristique ? Sans trancherde manière péremptoire, on fait néanmoinsnôtre la mise en garde de Mertens (2002, p. 224)pour qui « il convient [...] d’être très prudents,de réserver les essais d’imputation monétairedu travail bénévole à certains usages particu-liers...». (17)

Pour obtenir des estimations de la valeurmonétaire du bénévolat à partir de l’enquêteVie associative, plusieurs variantes de laméthode des coûts de remplacement ont étéconsidérées qui diffèrent entre elles de par lesalaire de référence choisi. La première d’entreelles (notée 1) choisit le Smic horaire brut aug-menté du taux moyen de cotisations socialesdes employeurs en vigueur à ce niveau derémunération en 2002. Cette base salariale estcertainement discutable du fait de son carac-tère arbitraire, mais elle a semblé intéressantedans la mesure où c’est celle qui est retenue parcertaines associations qui pratiquent pour leurpropre compte et pour celui de leurs financeurscet exercice de valorisation (Bevant et al.,2001, p. 68) (18). La deuxième variante (2a)

16. Le propos est réversible lorsque le don contribue à créer unerelation de sujétion entre le bénéficiaire et le dispensateur de ser-vice, dès lors que ce don ne peut être « payé de retour ». L’usagerpeut alors préférer avoir affaire à un salarié.17. Par ailleurs, d’après l’enquête Vie associative, plus de 55 %des bénévoles exercent déjà une activité professionnelle.18. Dans le plan comptable des associations, la valeur du béné-volat, comme les autres contributions volontaires en nature, nefigure pas au compte de résultat mais peut être inscrite dans lescomptes de classe 8 (comptes spéciaux) et être rappelée au pieddu compte de résultat sous la rubrique « évaluation des contribu-tions volontaires en nature ».

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retient pour référence le salaire horaire moyenpratiqué par les associations du secteur d’acti-vité concerné. À ce niveau, la difficulté con-siste à trouver les informations salariales perti-nentes. Il faut qu’elles soient ramenées à unebase horaire, qu’elles soient désagrégées parsecteurs associatifs d’activité et qu’elles soientcontemporaines de la montée en charge des35 heures. Les seules sources répondant peu ouprou à ces contraintes et auxquelles on a puavoir accès sont celles que la direction régio-nale de l’Insee Poitou-Charentes (2003) apubliées à partir d’une exploitation des fichiersDADS (Déclarations annuelles de donnéessociales) de l’année 2000 pour les quatrerégions bordant l’Atlantique, à savoir l’Aqui-taine, la Bretagne, les Pays de la Loire etPoitou-Charentes. Il aurait été préférable dedisposer de données sur la France entière pouréviter de s’exposer à des possibles effets sala-riaux régionaux. Mais la source alternative, surla France entière, qui aurait pu être utiliséeétait plus ancienne et antérieure à la mise enœuvre des 35 heures (Kaminski, 1995).

L’usage de ces données soulève toutefois deuxdifficultés. La première tient au découpagesectoriel utilisé qui ne correspond pas à celuiadopté au début de cet article. Il a donc fallureconsidérer la catégorisation initiale pourl’harmoniser avec celle des données salaria-les. Dans les domaines pour lesquels celles-cin’étaient pas disponibles, comme l’environne-ment et la défense des droits, le salaire horairede référence choisi a été celui de l’aide àdomicile (19). Les données salariales utiliséessont présentées en termes bruts. Il convientde leur ajouter les cotisations sociales em-ployeurs. Il y a là une autre source de diffi-culté tenant à la diversité de ces taux selon leniveau des rémunérations. En effet, depuis1993, on a assisté à un abaissement du coût dutravail prenant la forme de dispositifs deréduction progressive des cotisations socialesdes employeurs, l’abattement étant maximumau niveau du Smic et s’annulant pour desseuils qui ont évolué au cours du temps. Pourrésoudre cette difficulté, il a été décidéd’appliquer un taux moyen calculé pourl’année 2002 en référence à la situation du sec-teur institutionnel des ISBLSM (institutionssans but lucratif au service des ménages). Pourcela, on a rapporté la somme des cotisationsdes employeurs de ce secteur à la totalité dessalaires bruts versés.

Cette variante 2a applique le salaire moyen dusecteur à l’ensemble des temps bénévoles qui en

relèvent, indépendamment des tâches effectuéeset de leur comparabilité avec celles assuméespar les salariés des associations. Or il est desdomaines pour lesquelles cette façon de faire estmanifestement inadéquate. Mertens et Lefèvbre(2004) évoquent celui de la santé où les actesmédicaux sont l’apanage des salariés, les béné-voles se livrant à d’autres tâches commel’accompagnement, la défense des intérêts desmalades, etc. Appliquer le salaire moyen du sec-teur sanitaire, qui intègre celui versé aux méde-cins, aboutit à l’évidence à une surestimation del’apport bénévole. Il en est de même dans ledomaine de l’éducation. Peut-on intégrer larémunération versée aux enseignants dans lesalaire de référence qui sert à valoriser le béné-volat réalisé dans les associations de parentsd’élèves ? Cela paraît douteux. Aussi unevariante légèrement différente (2b) consiste àappliquer à ces deux types de bénévolat (sani-taire et association de parents d’élèves) un autresalaire de référence que celui du secteur con-cerné, à savoir encore une fois le salaire del’aide à domicile (20). (19) (20)

S’il n’est pas envisageable de mettre en œuvrela méthode des coûts de remplacement sur labase de la rémunération de spécialistes, il est enrevanche possible, à partir de l’enquête Vieassociative, d’affecter les contributions bénévo-les d’un indicateur approximatif de qualifica-tion. À cette fin, quatre questions de l’enquêtesont utilisées. La première est relative aux éven-tuelles fonctions de responsabilité assumées parle bénévole dans l’association. Il a été supposéque les fonctions de président ou vice-président,de secrétaire général et de trésorier exigent desaptitudes particulières qui ne sont pas requisespour le « bénévole de base ». La deuxièmequestion permet de savoir si les bénévoles utili-sent, dans le cadre de leur engagement, descompétences acquises auparavant (cf. enca-dré 1). La suivante leur demande s’ils estimentque leurs activités associatives leur ont apportédes compétences nouvelles. Enfin, la dernièrequestion les interroge sur le suivi éventuel d’uneformation dans le cadre de leur bénévolat. Uneréponse positive à l’une de ces trois dernièresquestions témoigne, elle aussi, de la nécessité decertaines qualifications dans la réalisation del’activité non rémunérée. Pour valoriser le

19. Encore une fois, le souci qui a présidé à ce choix a été lavolonté d’éviter toute surestimation. L’aide à domicile est carac-térisée par des salaires plus modestes que ceux des autres acti-vités associatives.20. L’idéal serait plutôt de calculer le salaire horaire moyen sec-toriel hors fonctions médicales d’une part, et enseignantes del’autre. Mais cela est impossible à partir des données utilisées.

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temps donné, le salaire sectoriel moyen a étéappliqué à ces seuls bénévoles (variante 3a).Pour les autres bénévoles n’exerçant pas les res-ponsabilités indiquées ci-dessus ou ayantrépondu négativement aux trois dernières ques-tions, c’est le Smic qui est retenu, étant entenduque cette référence surestime probablementencore l’apport économique de certains desenquêtés concernés. Une variante 3b applique,dans ce cadre, les mêmes dispositions que cellesretenues par la variante 2b pour le bénévolatsanitaire et celui des associations de parentsd’élèves.

La valeur monétaire du bénévolat :aux alentours de 1 % du PIB

On obtient ainsi une série d’imputations moné-taires pour le bénévolat formel dans son ensem-ble (cf. tableau 2). Pour chacune des variantes, lavalorisation du seul bénévolat associatif a égale-ment été tentée. Pour ce faire, le milieu de l’inter-valle d’estimations concernant ce type d’engage-ment a été retenu. La première variante conduitaux résultats les plus faibles, la valeur monétairedu bénévolat représentant alors trois quarts depoint de PIB. La variante 2a donne la valeur laplus élevée, soit 1,10 % du PIB. La variante 3b,qui tente d’intégrer partiellement la diversité desniveaux de compétences des bénévoles et qui, àce titre, bénéficiera d’une attention particulière,conduit à 1 % du PIB. Les ressources bénévolesapportées aux seules associations ont une partsensiblement identique dans toutes les variantes.Elles représentent un peu moins des neuf dixiè-mes des ressources bénévoles formelles.

Les seuls travaux français auxquels on peutcomparer ces résultats sont ceux effectués parArchambault (1996 et 2002) respectivementpour les années 1990 et 1995. Au vu des ques-

tionnaires des enquêtes alors réalisées, on peutconsidérer que les estimations auxquelles cestravaux parviennent portent sur le bénévolat for-mel dans son intégralité et pas seulement surcelui réalisé dans les associations (21). En 1990,Archambault (1996) obtient une valeur moné-taire du bénévolat de 74,5 milliards de francs,soit 11,4 milliards d’euros, sur la base d’uneméthode similaire à la variante 2a du tableau 2.Exprimé en proportion du PIB courant, le poidséconomique du bénévolat s’avérait alors com-parable aux présentes estimations puisqu’il étaitde 1,13 % (contre 1,10 % ici). En revanche, lesestimations obtenues pour 1995 (Archambault,2002) sont nettement plus fortes puisque lavaleur imputée au bénévolat est d’environ200 milliards de francs, soit approximativement30,5 milliards d’euros. Mais, d’une part, il a éténoté que l’estimation obtenue par cette secondeétude en termes d’emplois ETP était égalementsensiblement plus élevée que celle présentée ici,et d’autre part le salaire de référence est dans cecas le salaire moyen non agricole qui n’a pas étéretenu ici pour des raisons déjà évoquées.

La comparaison avec 1990 montre que l’impor-tance relative, exprimée par rapport au PIB, desressources économiques offertes par les bénévo-les reste stable. Cela tend à indiquer que si lacroissance économique s’explique, au moins par-tiellement, par la pénétration des rapports moné-taires – marchands ou non marchands – dans desunivers qui leur échappaient antérieurement, ellene condamne pas pour autant ces univers à la dis-parition, même si des réallocations d’activités

21. Ainsi, la définition du bénévolat utilisée dans l’enquête con-duite en 1997 par le LES était la suivante : « Par ce terme, nousdésignons un travail non rémunéré, du temps passé à rendre ser-vice à divers groupes ou organisations, en dehors de votrefamille ou de vos amis ». Parmi les exemples suggérés, on trouvedes situations de bénévolat hors association comme « être pom-pier bénévole ».

Tableau 2La valeur monétaire (en millions d’euros) imputée au bénévolat en 2002

Nature du bénévolatVariante 1 Variante 2 Variante 3

a b a b

Ensemble bénévolat formelValeur monétaire imputée (millions d’euros)En proportion du PIB

11 5660,76 %

16 7521,10 %

16 1741,06 %

15 9141,04 %

15 4921,01 %

Bénévolat associatifValeur monétaire imputée (millions d’euros)En proportion du PIB

10 2180,67 %

14 7950,97 %

14 2680,93 %

14 0680,92 %

13 6790,90 %

Part des contributions bénévoles associatives 88,3 % 88,3 % 88,2 % 88,4 % 88,3 %

Source : enquête Vie associative, Insee, 2002.

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sont alors probables. L’examen dynamique deces réallocations et de l’éventuelle déformationsectorielle du bénévolat qui l’accompagne sup-pose que des enquêtes, réalisées sur une mêmebase méthodologique et selon une même nomen-clature d’activités, puissent être répétées dans letemps. L’enquête Vie associative n’ayant pas deprécédent en France, elle ne peut prêter à unetelle étude diachronique.

Il est vraisemblable que ces transferts progres-sifs d’activités des sphères informelles vers lebénévolat organisé et de ce dernier vers le sala-riat portent l’empreinte des idiosyncrasiesnationales. Toutefois, les comparaisons entrepays restent délicates. Le programme internatio-nal Johns Hopkins d’étude des secteurs sans butlucratif a néanmoins ouvert la voie en ce sens. Ilsuggère l’existence de configurations nationalesassez nettement distinctes en matière de béné-volat, notamment du point de vue de sa réparti-tion par domaine d’activité (Salamon et Soko-lowski, 2001 ; Archambault, 2002).

L’exercice réalisé ici montre égalementqu’occulter la valeur du bénévolat conduit àsous-estimer de manière très importante lesressources issues des contributions des ména-ges aux associations. Car quelle que soit lavariante de valorisation retenue, il est mani-feste que les dons de temps l’emportent large-ment sur les dons monétaires. Évalués à partirde l’enquête Vie associative, ces derniers semonteraient en 2002 à 1,3 milliard d’eurosenviron (cf. encadré 4).

Il reste que cet exercice mériterait d’être recon-duit dans le temps pour vérifier le degré derobustesse de ses résultats, ce qui nécessite desdonnées appropriées. Il serait également parti-culièrement intéressant de confronter ces résul-tats à des estimations issues d’enquêtes réaliséesauprès des associations, puisque le rapproche-ment effectué ici avec l’étude de Tchernonog(2001) en termes d’emplois ETP se montre plu-tôt encourageant. ■

Encadré 4

LA VALORISATION DES DONS MONÉTAIRES DANS L’ENQUÊTE VIE ASSOCIATIVE

Le questionnaire de l’enquête Vie associative contientun volet consacré aux dons aux associations indépen-damment d’éventuels services bénévoles. Dans cecadre, il est demandé aux individus interrogés d’indi-quer s’ils avaient effectué au cours des 12 derniersmois des dons financiers à des associations dont ilssont membres, à des associations dont il ne sont pasmembres, ou pour une cause particulière (téléthon,sinistrés, malnutrition, etc.).

Dès lors qu’ils déclaraient avoir réalisé de tels donsmonétaires, les répondants étaient invités à en préci-ser le montant, en francs ou en euros. À cet effet, plu-sieurs tranches leur étaient proposées :

- moins de 15 euros (100 francs) ;

- de 15 à moins de 75 euros (de 100 à moins de500 francs) ;

- de 75 à moins de 150 euros (de 500 à moins de1 000 francs) ;

- plus de 150 euros (plus de 1 000 francs).

Pour estimer la valeur des dons en argent ainsi réali-sés, on a retenu les montants correspondant au milieude chaque tranche et, pour la tranche supérieure, à225 euros (1 500 francs). Ce dernier choix peut con-duire à sous-estimer les dons les plus importants. Pourles besoins de la comparaison avec la valeur du tempsdonné, il est donc possible d’augmenter ce plafond. Leporter à 450 euros (3 000 francs) expose cette fois-ci àun biais de surestimation. Une telle opération conduità relever l’estimation des dons monétaires de1,3 milliard d’euros à 1,8 milliard d’euros. Le résultatainsi obtenu reste nettement inférieur à la valorisationla plus faible du bénévolat.

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54 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004

COMMENTAIRE 1

VALORISATION DU BÉNÉVOLAT AUX COÛTS D’OPPORTUNITÉ VERSUS VALORISATIONAUX COÛTS DE REMPLACEMENT

À titre exploratoire, une investigation a été réalisée à par-tir de l’enquête Vie associative dans le but de comparerles évaluations monétaires du temps bénévole réaliséessur la base des coûts d’opportunité des individus auxestimations obtenues par les diverses variantes du coûtde remplacement telles qu’elles sont présentées dansl’article. Comme cela a été souligné, ces deux méthodess’inscrivent dans des problématiques différentes. Laseconde d’entre elles est la seule qui soit vraiment perti-nente dans la perspective d’un compte satellite des ins-titutions sans but lucratif (ISBL). Mais il n’est pas ininté-ressant de confronter les résultats auxquels ces deuxméthodes parviennent et d’en mesurer l’écart.

Les facteurs économiques au fondement des écarts dans les estimations

Cet écart devrait être nul si deux hypothèses, particuliè-rement exigeantes, sont satisfaites. Tout d’abord l’agentdoit être complètement libre dans ses arbitrages enmatière d’affectation de son temps, ce qui se manifestetout particulièrement par l’absence de contraintes dansla détermination de la durée de son activité profession-nelle. Ensuite, le bénévolat n’a d’autre attrait pour celuiqui s’y consacre que d’être un moyen de production per-mettant de contribuer à la réalisation d’un service quibénéficie à plusieurs personnes, sans exclure nécessai-rement le bénévole lui-même ou sa famille. On est alorsdans le cadre d’un modèle de comportement bénévoledit « modèle de production d’un bien collectif » (Prou-teau, 2002). Dans ce contexte, un agent ne proposerapas ses services non rémunérés si la valeur qu’ils repré-sentent pour l’association est inférieure au coût d’oppor-tunité du contributeur (Duncan, 1999, p. 220). En effet, sitel est le cas, il est préférable pour celui-ci d’affecter sontemps à son activité professionnelle, ce qui lui permettrade gagner un revenu qui, une fois versé à l’associationsous forme de don monétaire, constituera un concoursplus important que ne l’aurait été son effort bénévole. End’autres termes, et pour autant que les hypothèses men-tionnées soient satisfaites, la valeur du bénévolat pourcelui qui s’y adonne (appréhendée par la méthode descoûts d’opportunité) et sa valeur pour les bénéficiaires(appréhendée par les coûts de remplacement) ne sauraitdiverger significativement (Brown, 1999, p. 8). S’il appa-raît un écart important et durable, c’est donc soit parceque l’agent est soumis à des contraintes dans l’usage deson temps, soit parce que ses motivations à être béné-vole ne se réduisent pas à la réalisation d’un outputayant le caractère d’un bien collectif. Il est en particulierpossible qu’il vise des gratifications intrinsèques, notam-ment d’ordre relationnel (Prouteau et Wolff, 2004b).

Les raisonnements présentés ici considèrent le don detemps sous son seul aspect économique et font fid’autres dimensions importantes de ce comportement,notamment de ses dimensions morale et civique. Celles-ci, en inscrivant le bénévolat dans le registre de l’action(Arendt, 1983) plutôt que dans celui du travail, ne se prê-tent guère aux arbitrages évoqués entre don de temps etdon monétaire ainsi qu’aux comparaisons entre coût

subjectif du temps et valeur que celui-ci représente pourl’association.

Il reste que, même dans le cadre restreint de cetteapproche économique, il existe un autre facteur de diffé-rence entre les estimations obtenues par la méthode descoûts d’opportunité et celles déduites des coûts de rem-placement. Il relève de la définition du revenu pris pourréférence. Dans l’optique du coût d’opportunité, c’est lerevenu net (idéalement, après impôts) qu’il convient deretenir, éventuellement augmenté des « bénéfices »(immédiats ou différés) induits par l’exercice d’une acti-vité professionnelle, dans la mesure où ces bénéficessont fonction de la durée consacrée à son activité pro-fessionnelle. Dans la perspective d’une valorisation aucoût de remplacement, toutes les cotisations sociales,qu’elles soient à la charge des salariés ou à celle desemployeurs, doivent être intégrées au salaire de réfé-rence. Plus l’écart entre ces deux bases de calcul estimportant, notamment du fait de l’architecture du sys-tème de protection sociale, et plus les estimations obte-nues par les deux méthodes sont susceptibles d’êtreéloignées.

Calculer le coût d’opportunité du temps

L’investigation porte ici sur la seule population des20-59 ans, c’est-à-dire sur les tranches d’âge pour les-quelles le revenu d’activité, effectif ou potentiel, peutêtre considéré comme une approximation acceptable ducoût d’opportunité, sous réserve que l’agent ne soit pascontraint dans ses choix d’usage de son temps. En deçàde 20 ans, l’importance du taux de scolarisation conduità penser qu’une analyse en termes d’arbitrage activité/inactivité est peu pertinente. Au-delà de 60 ans, elle nel’est guère plus du fait du très faible taux d’activité despopulations concernées et du caractère largement con-traint du départ à la retraite.

Pour les actifs employés ayant entre 20 et 59 ans,l’enquête Vie associative communique les revenus men-suels moyens tirés de l’emploi. Mais cette informationest donnée en tranches. Les montants ont alors été esti-més par la méthode des résidus simulés (Gouriérouxet al., 1987). Les revenus ainsi obtenus ont été rapportésau temps de travail déclaré pour disposer du revenuhoraire. Toutefois, certains enquêtés ont communiquédes revenus d’activité sans indiquer la durée de leur acti-vité professionnelle. Celle-ci a alors été estimée à partirdes durées moyennes d’individus comparables en ter-mes de statut et de catégorie socioprofessionnelle.

Pour les personnes n’exerçant pas d’activité profession-nelle (inactifs et chômeurs), le salaire est par définitioninobservé. Le problème est alors de calculer des salairespotentiels ou implicites. Pour ce faire, il faut tenir compted’un éventuel biais de sélection puisque la situation deces personnes peut faire penser qu’elles sont désavan-tagées par certaines caractéristiques dans leur accès àl’emploi. Pour corriger ce biais, on a utilisé ici la méthoded’Heckman, les modèles n’étant pas estimés en deux

ANNEXE

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004 55

étapes mais par maximisation de la vraisemblance. Nor-malement, on peut s’attendre à trouver des salairespotentiels pour les inactifs inférieurs à ceux perçus parles actifs.

Deux modèles de sélection sont estimés, l’un pour leshommes, l’autre pour les femmes. La variable endogèneest le logarithme du salaire horaire, la sélection porte surle fait de travailler ou non. Les variables explicatives dela participation à l’activité professionnelle sont l’âge, lasituation matrimoniale, le nombre d’enfants, le niveau dediplôme, la région de résidence, le fait d’être proprié-taire, et le taux de chômage du département de rési-dence. Pour les montants de salaire, sont retenus l’âge,l’expérience, l’éducation, et une variable muette prenantla valeur 1 si le répondant réside en région parisienne.Une fois ces régressions estimées, on calcule les valeursimplicites des salaires horaires pour ceux qui n’ont pasd’activité professionnelle.

Deux variantes des coûts d’opportunité sont considé-rées. La première prend pour base de calcul le salairehoraire net de cotisations, mais non net d’impôts car lasituation fiscale des répondants ne peut être reconsti-tuée à partir de l’enquête Vie associative. La secondevariante entend ajouter au précédent salaire les presta-tions dont le montant s’accroît (respectivement diminue)lorsque l’individu décide d’augmenter (d’abaisser) sontemps de travail. Ces prestations sont approximées ici àhauteur des cotisations sociales correspondantes,même si cette façon de procéder exige, pour être parfai-

tement pertinente, une parfaite neutralité actuarielle dusystème de prestations qui n’est pas réalisée.

On retient donc pour les salariés du secteur privé les coti-sations chômage et retraite et pour les indépendants lescotisations retraite. Les revenus accessoires des fonc-tionnaires (comme les primes ou les heures supplémen-taires des enseignants du public) n’entrant pas, du moinsavant la réforme « Fillon », dans le calcul des retraites,leur salaire de référence dans cette seconde variante estresté leur salaire net. Comme il n’y a pas moyen, dansl’enquête Vie associative, d’identifier très précisément lesfonctionnaires en question, il a été considéré qu’il s’agis-sait de l’ensemble des salariés de l’État, de ceux des éta-blissements hospitaliers publics et des collectivités loca-les, ce qui surestime leur nombre puisque y sontindûment intégrés les auxiliaires et autres contractuels.

L’estimation des taux de cotisation pose problème dufait de la multiplicité des régimes et des assiettes.Comme il n’était pas question de reconstituer la situationexacte de chaque enquêté, on a retenu des taux moyensà partir du rapport du Conseil d’orientation des retraitesde 2001. Un taux de 30 % a été appliqué au salaire brut(reconstitué) des salariés du privé, un taux de 20 % a étéappliqué au revenu net des indépendants. Pour lesbénévoles n’ayant pas d’emploi mais en ayant exercé unpar le passé, le taux retenu correspond à cette situationantérieure. Pour les inactifs n’ayant jamais eu d’activitéprofessionnelle, les taux des salariés du secteur privéont été appliqués.

Tableau AValorisation du bénévolat au coût d’opportunité et au coût de remplacement

Méthode...

... du coût d’opportunité

... du coûtde remplacement

Variantes Variantes

1 2 1 2a 2b 3a 3b

Valeur monétaire imputée(millions d’euros) 9 782 12 304 8 495 12 536 12 014 12 001 11 594

Champ : population âgée de 20 à 59 ans.Source : enquête Vie associative, Insee, 2002.

Tableau BComparaison des méthodes de valorisation du bénévolat au niveau individuel

Méthode du coût d’opportunité

Méthode du coût de remplacement

Variante 1 Variante 3b

Intervalle± 20 %

Intervalle± 50 %

Intervalle± 20 %

Intervalle± 50 %

Variante 1 37,3 % 76,3 % 30,5 % 74,4 %

Variante 2 30,6 % 62,6 % 33,6 % 72,8 %

Lecture : 37,3 % des bénévoles de 20 à 59 ans ont un coût d’opportunité calculé sur la base de la première variante (salaire net de coti-sations) qui est compris dans un intervalle de plus ou moins 20 % autour de la valeur de leur bénévolat estimé sur la base de la premièrevariante du coût de remplacement.Champ : population âgée de 20 à 59 ans.Source : enquête Vie associative, Insee, 2002.

56 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004

Des estimations assez proches au niveau agrégé mais souvent éloignées au niveau individuel

S’agissant du coût de remplacement, les cinq variantesprésentées dans l’article ont fait l’objet d’estimations(cf. tableau A). La première variante de la méthode ducoût d’opportunité donne une valeur imputée au béné-volat supérieure à celle de la variante 1 du coût de rem-placement, mais inférieure à toutes les autres. Le résultatde la deuxième variante du coût d’opportunité est évi-demment supérieur à celui de la première et apparaît dumême ordre de grandeur que les estimations desvariantes 2a, 2b et 3a de la méthode des coûts de rem-placement. Il est légèrement supérieur à celle de lavariante 3b. Cette proximité des résultats à une échelleagrégée ne doit toutefois pas autoriser de conclusions

précipitées. Car au niveau individuel, les évaluationssont beaucoup plus dissemblables. On a ainsi croisé lesvaleurs obtenues à partir des deux variantes du coûtd’opportunité avec celles déduites de la variante 1 et 3bdu coût de remplacement (cf. tableau B). 37 % seule-ment des bénévoles voient leur coût d’opportunité(variante 1) se situer dans un intervalle de ± 20 % autourde la valeur de leur don de temps estimée au coût deremplacement (variante 1). C’est le cas d’un tiers seule-ment des bénévoles pour la variante 2 du coût d’oppor-tunité comparée à la variante 3b du coût de remplace-ment. Il faut porter ces intervalles à ± 50 % pour ytrouver approximativement les trois quarts des bénévo-les. Il y a donc bien une différence substantielle des esti-mations monétaires du bénévolat, au niveau des indivi-dus, selon la méthode mise en œuvre.