Le travail de l'os dans l'antique Samarobriva (Amiens, F.) : première approche, in I. Bertrand,...

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Le travail de l’os, du bois de cerf et de la corne à l’époque romaine : un artisanat en marge ? sous la direction de Isabelle Bertrand co-édition monique mergoil montagnac Association des Publications Chauvinoises 2008 Actes de la table ronde instrumentum, Chauvigny (Vienne, F), 8-9 décembre 2005

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Le travail de l’os, du bois de cerf et

de la corne à l’époque romaine :

un artisanat en marge ?

sous la direction de

Isabelle Bertrand

co-éditionmonique mergoil montagnac

Association des Publications Chauvinoises2008

Actes de la table ronde instrumentum,Chauvigny (Vienne, F), 8-9 décembre 2005

In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?(Monographies Instrumentum 34), Montagnac 2008, p. 1-2

SOMMAIRE

Le travail de l’os et du bois de cerf à l’époque romaine : bilan etperspectives de la recherche sur un artisanat “mineur”

Isabelle BERTRAND – p. 3-13

Technologie des matières dures d’origine animale à l’Âge du Fer enEurope celtique

Delphine MINNI – p. 15-23

Une grille d’analyse pour décrire et comparer des ateliers de tabletiers ?Michel FEUGÈRE, Vianney FOREST, Philippe PRÉVOT – p. 25-33

Le travail de l’os dans l’antique Samarobriva (Amiens, F) : premièreapproche

Annick THUET – p. 35-45

L’artisanat de l’os dans la ville-sanctuaire gallo-romaine duVieil-Évreux(Eure). État des connaissances

Laurent GUYARD – p. 47-53avec la collaboration de S. Bertaudière, S. Zeller, C. Fontaine, J.-P. Goupy

Le travail de l’os à Rennes (Ille-et-Vilaine) à travers un canif à manchesculpté trouvé 3-5 rue de Saint-Malo

Françoise LABAUNE – p. 55-63avec la collaboration de G. Le Cloirec

Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C.Dominique CANNY, Jean-Hervé YVINEC – p. 65-84

avec la collaboration de D. Labarre, M. Aubrun

Une fabrication de colle d'os dans le quartier de La Grande Boissière àJublains (Mayenne) ?

Vianney FOREST – p. 85-100

Le travail de l’os et du bois de cerf à Lemonum (Poitiers, F) : lieux deproduction et objets finis. Un état des données

Isabelle BERTRAND – p. 101-144

INTRODUCTION

1

Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?

2

Os, bois de cerf et ivoire à Rom (Deux-Sèvres). Quelques éléments deréflexion sur l'approvisionnement en matière première et la distributiondes objets dans l'agglomérationIsabelle RODET-BELARBI, Nadine DIEUDONNÉ-GLAD – p. 145-163

Un artisanat de l’Antiquité tardive dans le théâtre de l’agglomérationantique de Drevant (Cher). La production de fusaïoles et autres objets enbois de cerf et os

Christian CRIBELLIER, Isabelle BERTRAND – p. 165-185

Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher)Isabelle BERTRAND – p. 187-193

État des connaissances sur la production de l’os à Orange (Vaucluse, F).Étude et comparaison des ateliers du travail de l’os

Philippe PRÉVOT – p. 195-229

Les matières dures animales (os, bois de cerf et ivoire) dans la vallée del’Hérault : production et consommation

Michel FEUGÈRE, Philippe PRÉVOT – p. 231-268

La collection de tabletterie du Musée romain de Nyon (CH)Caroline ANDERES – p. 269-274

Travail et décor des médaillons en bois de cerf. Analyse et essaitypologique

Émilie ALONSO – p. 275-281

Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines :l’exemple de la tabletterie

Sabine DESCHLER-ERB, Kordula GOSTENCNIK – p. 283-309

Letti funerari in osso di età romana: aspetti della produzione e diffusionealla luce di alcuni rinvenimenti in Lombardia. Presentazione preliminaredi un letto da Cerveteri (Roma)

Chiara BIANCHI – p. 311-334

L’artisanat du bois de cerf à Iuvavum/Salzbourg, Autriche. Les manchesde couteau

Felix LANG – p. 335-342

In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?(Monographies Instrumentum 34), Montagnac 2008, p. 35-45

(1) Inrap Nord-Picardie, 518 rue Saint-Fuscien F-80000 Amiens. Je tiens à remercier mes collaborateurs amiénois, E. Binet, R. Clotuche,D. Gemehl, E. Mariette ainsi que D. Bayard du SRA de Picardie, pour leur aide à l’élaboration de cet article. Je remercie égalementN. Mahéo, conservateur au Musée de Picardie, qui m’a permis d’accéder aux réserves du musée.

Le travail de l’os dans l’antique Samarobriva(Amiens, F) : première approche

Annick THUET (1)

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Il n’est pas question ici de faire l’étude exhaustivedes différents types d’objets découverts sur l’ensembledes sites amiénois. Le tableau (fig. 1) permet toutefoisd’en présenter la diversité. D’après une observationglobale de chaque pièce, la grande majorité du mobilierrécolté semble être issu du travail de l’os. Trois piècessont en ivoire et une dizaine d’éléments proviennentdu bois de cerf, essentiellement des outils. La cornen’apparaît jamais sous forme d’objet. Le pourcentagede pièces en bois de cerf et ivoire reste infime parrapport à la masse d’éléments en os récoltés.

Répartition spatiale des activités de tabletterie(fig. 2)

Sur 12 fouilles et 2 collections anciennes(Manuscrits Pinsard et réserves du Musée de Picardie)présentées dans la figure 1, 4 sites récents se partagentla découverte de plus de 92 % des vestiges d’uneactivité de tabletterie en ville. Il s’agit des sites duPalais des Sports-Coliseum (Binet 1995), Rank Xerox(Clotuche 1996), ZAC Cathédrale-Bibliothèque univer-sitaire (Buchez, Gemehl 1996) et Multiplexe Gaumont-Garage Citroën (Binet 2002). Le premier est situé enpériphérie ouest de la ville antique, les deux suivantsau nord de la ville, au niveau de l’Avre, et le dernieren bordure est du périmètre urbain. De prime abord, lecentre ville ne semble pas concerné par l’épandagede ces déchets ni par l’implantation de ces ateliers.Mais seules des fouilles plus anciennes ont été opéréesdans ce secteur et certaines données ne nous sont pasparvenues.

Grâce à une surveillance continue de chaquechantier menée par quelques chercheurs depuis leXIXe s., Amiens est l’une des villes antiques de Gauledu Nord les mieux connues. Depuis 15 ans, les fouillesde sauvetage permettent, outre une compilation desdonnées, le positionnement des éléments dans uncontexte précis, désormais bien maîtrisé par des étudescéramiques de plus en plus affinées. Les recherches surle mobilier de tabletterie amiénois bénéficient ainsi detous ces éléments favorables.

Présentation générale (fig. 1)

Dans l’état actuel de nos recherches, 2 109 piècesont été recensées dans le périmètre urbain. Ellescorrespondent pour une large part à des objets finis, soit1 668 éléments identifiés, présentés par site et répartisdans six grands domaines selon leur utilisation. L’acti-vité de tabletterie proprement dite regroupe 441 pièces,certaines difficiles à classer mais relevant toutes d’uneétape de la chaîne opératoire de fabrication d’un objet.

Sur 1 668 éléments identifiés, 65 % du mobilierest réparti entre quatre grands types, les épingles (35,5%),les éléments de charnière (17,5 %), les jetons (7 %) etles aiguilles (5 %). Comparé à d’autres sites (à Autun,ces quatre types représentent 77 % des objets finisidentifiés et à Vertault, 87 % des objets), le mobilier detabletterie découvert àAmiens semble donc un peu plusvarié. Cela est peut-être dû à une meilleure connais-sance de la ville antique ou au fait que cette capitalede cité ait connu un certain essor. Sa population estdésormais estimée entre 20 et 30 000 habitants auIIe s. de notre ère …

Fig. 1 – Répartition par site et par domaine du mobilier de tabletterie découvert à Amiens depuis le XIXe s.

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Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?

Fig. 2 – Localisation des quatre principaux sites présentant une activité de tabletterie (d’après D. Bayard (RAP 16/1999) ;DAO : E. Mariette, Inrap).

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A. Thuet – Le travail de l’os dans l’antique Samarobriva (Amiens, F) : première approche

Fig. 3 – 1-3. Trois rejets de façonnage ; 4. rejet de tournage ;5. anneau rejet de débitage (Maison 4, États IV et V).

0 3 cm

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Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?

Les baguettes une fois obtenues, deux techniques seprésentent au tabletier pour l’élaboration d’épingles. Lapremière consiste à dresser par facettes une ébauchequi sera ensuite polie. La seconde utilise un tour pour“tourner” l’objet afin de lui donner une section la plusrégulière possible. Ces deux méthodes semblent secôtoyer dans les rejets découverts dans cette demeure.

. Facettage de l’objet

Onze pièces dressées par facettes se présentent sous laforme de baguettes plus ou moins grossières marquéesde nombreux coups de ciseau. Certaines possèdentune forme régulière sans avoir été polies. Cette étapenécessitant un outil tranchant semble également difficileà mener et cause de nombreux rejets. Ces matricesdébitées sont souvent brisées à une extrémité et deforme très grossière. Trente et un rebuts de ce type ontété inventoriés (fig. 3).

Le site du Palais des Sports-Coliseum(Insula I.5, fig. 2, site A)

Localisé à la périphérie ouest de la ville, lesite ouvert sur 1 ha correspond à un ensemble dehuit grandes demeures, de taille et de plan variables,disposées au niveau d’un carrefour. Ces vestigesperdurent de la première moitié du Ier s. à la fin duIIIe s. ap. J.-C.

Malgré des nettoyages successifs menés lorsde phases de reconstruction post-incendie, de nom-breuses traces matérielles ont été recensées. Parmi elles,140 éléments d’une activité de tabletterie se répartissentdans chaque demeure en petite quantité. Mais l’essentielde ces pièces a été découvert dans la maison 4 avec125 éléments, dont 80 retrouvés en position secondairedans les remblais d’installation de l’état IV daté desannées 70 à 90 ap. J.-C.

Il s’agit essentiellement d’ébauches et de rejets detaille illustrant différentes étapes de la chaîne opératoirede fabrication d’épingles à cheveux, type Béal A.XX,2etA.XX,3, à sommet conique plus ou moins développé.

Quelques étapes de la chaîne opératoire

. Traitement des diaphyses

Aucun métapode n’a été découvert dans ces remblais.Mais six tronçons de diaphyse ont été recensés. Mesu-rant 5 à 7 cm de long, ils pourraient être des rejets dedécoupe de diaphyse longue, destinée à l’élaboration debaguettes de grande taille ou encore servir de matièrepremière à la réalisation de charnières de petite taille.

L’étape suivante entraîne de nouveaux rebuts. Ils seprésentent sous la forme d’anneaux de petite taille(moins d’1 cm de haut) dont une base est droite etl’autre souvent de biais, avec une esquille plus oumoins importante. Cette forme est le résultat d’unepremière découpe grossière opérée sur la diaphyselors de sa séparation d’avec les épiphyses. Dans lamaison 4, cinq anneaux de ce genre ont été inventoriés.L’objectif de cette nouvelle découpe consiste à formerun tronçon aux extrémités droites et parallèles, facilitantla formation de baguettes, obtenue par débitage ducylindre (fig. 3).

Une fois la diaphyse correctement préparée, le tabletierla débite en baguettes à l’aide d’un tranchoir. Ce gestetrès délicat entraîne la formation d’une grande quantitéde déchets, car la lame peut facilement dévier et créerdes formes inadaptées au façonnage. Trente-huit piècescorrespondant à cette étape ont été recensées. Ellespossèdent toutes une forme allongée et triangulaire enfonction des reprises dans la matrice.

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A. Thuet – Le travail de l’os dans l’antique Samarobriva (Amiens, F) : première approche

divisé en deux pièces. La pièce principale, ouverte surla rue, mesure 8 m sur 4, soit 32 m2. Aucun aménage-ment intérieur n’est signalé. On note qu’une “activitéde tabletterie était pratiquée dans cette pièce. Denombreux ossements amputés de leurs épiphyses ontété recueillis dans les US 618 et 619. Ils étaient associésà de nombreuses aiguilles ou épingles parfois en coursde façon. L’espace situé entre le bâtiment et la ruelleétait aménagé d’un sol de silex (US 708) jonché derondelles d’os sciées” (Clotuche 1996, 12).

À la phase suivante (fin IIe - début IIIe s. - milieuIIIe s. ap. J.-C.), “l’activité de tabletterie n’a pas étéabandonnée. Les couches d’occupation (US 507,US 508), comme dans la phase précédente, contiennentde nombreuses ébauches et aiguilles en os” (Clotuche1996, 15).

Lors de la dernière phase antique observée, lessols correspondants n’existent plus dans le bâtiment. Onignore donc si l’activité s’arrête.

L’atelier occupe en bord de voie une positioncommerciale stratégique, mais peut-être un peu éloignéede la clientèle, plutôt localisée au centre de la ville. Uneboutique servait peut-être de relais vers le forum ...Par ailleurs, on ignore également si l’atelier est proched’une zone d’approvisionnement.

D’un point de vue urbanistique, ce lieu de travailempiète sur l’espace public puisque les déchets produitssont rejetés dans une zone qui pourrait être définiecomme un trottoir.

Analyse des restes (fig. 5)

Deux cent vingt-deux pièces de tabletterie ontété extraites des caisses d’éléments osseux de façonarbitraire, souvent en fonction de leur aspect général. Ilest possible que des éléments intéressants aient échappéà la vigilance du personnel chargé de conditionner lemobilier. Il faut noter qu’il ne nous a pas été possibled’analyser correctement les vestiges osseux découvertssur le site.

Ces nombreuses pièces se présentent en majoritésous la forme de baguettes dressées par facettes, desection quadrangulaire (rectangulaire à trapézoïdaleplus ou moins aplatis), dont une extrémité est sciée etl’autre brisée. Trois longueurs ont été observées : lesplus petites mesurent environ 5 cm de long, celles detaille moyenne varient de 7 à 9,5 cm. Quelques piècesprésentent une longueur nettement plus conséquente,allant de 10,5 à 12 cm, la plus longue observée mesure18,4 cm de long.

. Tournage de l’objet

Cette méthode nécessite l’emploi d’un instrumentmécanique, un tour à rotation alternative, entraînépar un archet. L’objet à façonner est maintenu entredeux éléments de bois appelés poupées.

Douze pièces présentent des traces de tournage, onzed’entre elles sont des matrices allongées dressées parfacettes dont une extrémité est tournée à sa périphérieet sciée à la base. Cette partie a été détachée de l’objetfini qui était entièrement tourné. L’autre extrémité, fixéeà la poupée, porte en son centre un trou conique.

Une seule pièce correspond à un anneau de diaphyseassez épais (34 mm de long) dont la paroi externe aété débitée en facettes grossières. Il pourrait s’agir d’unreste de tournage de charnière. Ce serait l’un des raresvestiges de cette chaîne opératoire de fabricationd’éléments de charnière.

La découverte en position secondaire de ce lotatteste l’existence d’un atelier dans un secteur plus oumoins proche du site, sans que l’on puisse précisersa localisation exacte. D’après la position des piècesliées à cette activité dans la demeure, l’atelier auraitfonctionné vers le dernier tiers du Ier s. (de 70 à 90)perdurant peut-être jusqu’au début du IIe s. (90-130).On y aurait façonné essentiellement des épingles àcheveux à sommet conique plus ou moins développé,par facettage et tournage, mais aussi des éléments decharnière et peut-être d’autres pièces dont les rejetsn’apparaissent pas dans ce lot.

Dans l’état actuel de nos recherches, il s’agit desplus anciennes traces d’activité d’un tabletier àSamarobriva. Cet atelier ne peut en aucun cas être misen relation avec celui découvert en périphérie nord de laville (Rank Xerox), plus tardif, puisqu’il est daté dumilieu du IIe s. au milieu du IIIe s. ap. J.-C.

Rank Xerox (Hors quadrillage, fig. 2, site B)

Présentation de l’atelier (fig. 4)

Le site, peu étendu, est localisé à quelques mètresde la voie d’Agrippa qui traverse la ville en biais etrejoint la mer à Boulogne. Bien qu’assez récentes, lesfouilles n’ont pas bénéficié des meilleures conditionsde travail et les observations menées sur le terrain sontdemeurées fragmentaires. L’étude du petit mobilier etdes restes osseux n’a pu être menée.

Le DFS permet toutefois une analyse correcte del’atelier découvert dans la partie sud du site, durant laphase 2 de la période 1 (milieu IIe s. à fin IIe s. -début IIIe s. ap. J.-C.). De forme quadrangulaire, lebâtiment dont on ne possède pas la limite orientale, est

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Fig. 4 – Les fouilles de Rank Xerox avec l’atelier de tabletier au sud de la voie (DAO : E. Binet, d’après Clotuche 1996).

D’après certaines pièces rejetées en fin de chaîneopératoire, le tabletier produisait des épingles à cheveuxtype Béal A XX,7 et variante, à tête plus ou moinssphérique, voire avec un sommet pointu, des épinglesà tête plate et à tête conique très peu développée, typeBéal A XX,2 et variante, également des épingles àsommet conique plus développé (type Béal A XX,3).Une ébauche d’épingle de type Béal A XX,13 a étéretrouvée ainsi qu’une épingle à tête campaniforme. Defaçon générale, aucune épingle ne présente une tête deforme complexe.

La méthode de travail est uniquement manuelle.Aucune trace de tournage n’a été observée sur l’ensem-

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A. Thuet – Le travail de l’os dans l’antique Samarobriva (Amiens, F) : première approche

ble de ces restes, qui sont très homogènes. L’atelierperdurerait au moins sur un siècle, du milieu du IIe s. aumilieu du IIIe s. ap. J.-C.

Le site de la Zac Cathédrale-BibliothèqueUniversitaire (Insula F-1, fig. 2, site C)

Juste en face du chantier de Rank Xerox, au sud,une vaste fouille a été menée sur près d’1 ha. Malgré dedifficiles conditions de travail, le site a pu être abordédans toute sa complexité. On découvre ici un secteurdensément occupé, en constante évolution, au carrefourde deux axes de communication, la voie d’Agrippafranchissant l’Avre, un affluent de la rivière Somme.Composé d’habitations modestes construites enmatériaux périssables, le secteur semble voué au départà l’artisanat métallurgique, remplacé ensuite par desbâtiments de stockage, puis par des demeures plusclassiques avant d’être rasé dans le courant du IIIe s.pour être intégré dans un “no man’s land” où seul unatelier de cordonnier subsiste.

Sur l’ensemble du site où 123 pièces ont étérecensées, seuls 27 éléments révélant une activité detabletterie ont été extraits des caisses de mobilier osseuxqui n’ont pas été étudiées.

Ils se répartissent ainsi :

- 16 anneaux d’os issus du redressement soigneux desextrémités de la diaphyse destinées au débitage debaguettes ;

- 6 baguettes, rejets de façonnage d’épingles à cheveuxou d’aiguilles, de section quadrangulaire, dont la taillevarie de 48 à 79 mm ;

- 2 ébauches d’épingle ou d’aiguille, aux extrémitéssciées, non encore dégrossies ;

- 2 déchets de tournage, matrices cylindriques allongées,éléments de la chaîne opératoire de fabrication d’élé-ments de charnière ;

- 1 ébauche de plaque décorative en forme de goutted’eau.

L’étude céramique étant en cours, on ne possèdepas les contextes de découverte de ces différentespièces. Elles permettent toutefois d’enrichir l’inventairedes objets fabriqués par les tabletiers. Certains élémentssont peut-être en rapport avec l’atelier de Rank Xerox,mais les déchets de tournage et l’ébauche de plaquedécorative impliquent l’existence d’un autre atelier,peut-être encore différent de celui en partie définid’après les restes découverts sur le site du Palais desSports-Coliseum.

Fig. 5 – Quelques éléments de la chaîne opératoire de fabricationd’épingles en os.

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atelier de cordonnerie s’installe à cet endroit, en dehorsde la ville retranchée dans le castrum, pour y fabriquerdes chaussures.

Enfin, au Garage Citroën, une activité demétallurgie légère est attestée par la présence de fourset de fosses de polissage avec meules. La découverted’un lot de cornes lié à cette activité permet de lapréciser. En effet, la corne est utilisée dans la fabrica-tion d’instruments tranchants car elle permet de durcirle fil de la lame.

Il est difficile de faire un rapport entre cesdifférentes activités et la tabletterie. L’atelier de RankXerox côtoie assez peu la production métallurgiquedu secteur, peut-être seulement quelques années.L’implantation du ou des autres ateliers n’étant pasclairement connue, il n’est pas possible d’envisager lesrelations qu’ils pouvaient avoir avec les autres activitésartisanales. Ainsi, alors que la fabrication de lames estattestée, celle de couteaux à manches en os demeureincertaine …

Autres vestiges d’activité de tabletterie (fig. 6)

La compilation des observations anciennes etl’étude systématique des nombreuses fouilles etsondages menés récemment sur Amiens permettentd’étendre l’éventail des produits réalisés par lestabletiers locaux. Certaines données sont malheu-reusement dépourvues de contexte précis (ManuscritsPinsard et fouilles des années 1970-1980), toutefoisces éléments sont attribuables à l’époque antique danssa globalité.

Le tableau ci-contre (fig. 6) présente les différentesébauches recensées par type et par site.

Les épingles sont les plus nombreuses avec24 éléments attestés, associés à deux pièces dontl’attribution à une catégorie d’objets est délicate. Quelque soit le type, la tête d’épingle est très simple àréaliser. Les pièces complexes ne semblent pas figurerdans le répertoire des artisans tabletiers d’Amiens. Lescharnières type BéalA XI,2 de petit calibre apparaissenten seconde position dans le tableau avec 5 ébauches.Les autres éléments sont anecdotiques mais fortintéressants. Une seule ébauche de plaque décorative aété découverte sur le site de la Z.A.C. Cathédrale dansun contexte qui n’est pas encore daté par l’étudecéramique. L’ébauche de cuillère figure dans unmanuscrit de Charles Pinsard et est issue des “fouillesde 1901 sur la place du Parvis” (Tome 68, 255, fig. 4).L’objet dessiné et sommairement décrit semble dressépar facettes. Les contours du cuilleron sont ébauchés.

Le site du garage Citroën-Boulevard de Belfort (InsulaIX.5, fig. 2, site D)

Localisé en périphérie est de la ville antique,dégagé sur 6 000 m2, le site correspond à un grouped’habitations modestes à vocation artisanale, répartiesle long d’une voie secondaire au cœur d’un îlot. Lesfonds de parcelles sont occupés durant un certain tempspar une vaste zone de décharges.

Dans cet ensemble où 216 éléments en os et boisde cerf ont été recueillis, seuls 19 éléments relevantd’une activité de tabletterie ont été recensés. Ils serépartissent ainsi :

- 2 rondelles issues de la découpe grossière de diaphyse.Les deux extrémités ne sont pas parallèles et présententd’importants négatifs d’esquille ;

- 2 anneaux d’os issus du redressement soigneux desextrémités de la diaphyse ;

- 13 baguettes, à des stades différents de la chaîneopératoire de façonnage d’épingles ou d’aiguilles ;

- 1 rejet de tournage, identique à ceux observés sur lesite du Palais des Sports-Coliseum ;

- 1 fragment de merrain de bois de cerf aux extrémitéstranchées, l’un des rares éléments laissant supposer uneutilisation très anecdotique du bois de cerf dans laproduction de pièces de tabletterie.

Les vestiges les plus anciens sont issus decontextes datés des années 50 à 70/80 ap. J.-C. et lesplus récents sont datés du début du IIIe s.

L’activité de tabletterie dans l’artisanat amiénois

Malgré une bonne connaissance de la villeantique, l’artisanat ne semble pas très diversifié.Aucuneproduction de céramique ou de tuile n’est connue. Letravail du verre est attesté par la découverte dans unpuits servant de dépotoir d’un ensemble de verreriesdestinées à la refonte, issu d’un contexte daté des années80-95 ap. J.-C. (Bayard, Massy 1983, 159).

Sur le site du Palais des Sports-Coliseum, descreusets de bijoutier ont été recensés et quelquesstructures de type four semblent indiquer la présenced’une activité artisanale liée au feu (métallurgie légère ?).Un atelier textile semble également présent dans lamaison 3, Prédomus, secteur 1, période 1 (50/60-80).

Les sites de la Z.A.C. Cathédrale et de RankXerox révèlent la présence d’une vaste zone demétallurgie du fer (activité de forges) dans les années40/50 jusque vers 160 ap. J.-C. Mais elle n’est pasclairement identifiée. Vers la fin du IVe s. ap. J.-C., un

Fig. 6 – Inventaire des différentes ébauches découvertes à Amiens.

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A. Thuet – Le travail de l’os dans l’antique Samarobriva (Amiens, F) : première approche

le domaine personnel après avoir soustrait 90 % desépingles et le domaine domestique sans les 2/3 descharnières et les cuillères. Rapporté au nombre d’objetsfinis, on obtient une proportion d’environ 30 %. Pourobtenir un chiffre plus précis, il faudrait détailler tousles types d’épingles inventoriés et leur quantité, etcomptabiliser précisément les éléments de charnièrede type Béal A XI,2. Bien qu’assez diversifié dans sonpanel, l’essentiel du mobilier de tabletterie découvertsur Amiens aurait pu être produit dans les différentsateliers répertoriés. Le reste du mobilier provient sansdoute de l’extérieur, colporté par des marchands ou pardes tabletiers itinérants dont l’existence pourrait êtreattestée de cette manière.

Un élément à part : une ébauche (?) de canif àmanche en os (fig. 7)

Un manche de canif en os en forme de patte desuidé, rejeté avant usage, a été découvert sur le site duPalais des Sports-Coliseum (Maison 1, mise en placeÉtat 5, 80-125/130). Il s’agit d’une pièce de bonnefacture de couleur blanche très claire sans aucune traced’oxydation. Elle mesure 76 mm de long. Le sujet esttraité de façon stylisée par une série d’entailles ornantla partie inférieure du manche. Brisé au niveau del’emplacement du trou servant à fixer la lame aumanche, l’objet a sans doute été rejeté, cette cassuren’étant pas réparable.

Le thème de la patte de suidé est assez répandu enGaule et en Germanie (Béal, Rodet-Bélarbi 2003, 87),puisque des manches de la même famille ont étédécouverts à Paris,Autun,Vertault, Langres et à Trèves,Cologne et Niederbieber. Mais on ignore encore leurorigine.

La découverte de cet objet, qui pourrait être lapremière ébauche de couteau à manche en forme depatte de suidé découvert en Gaule, pourrait relancerl’idée d’une production locale de ces pièces. Il a en effet

Le fût présente une section grossièrement triangulaire.L’objet assez court mesure 104 mm de long. Peut-êtreétait-il associé à d’autres pièces qui n’ont pas étéprélevées ou dessinées.

Le manche de couteau provient des collections duMusée de Picardie. Il présente une extrémité ornéed’une tête masculine barbue surmontée d’un bonnetphrygien, référence à une religion orientale. Le reste ducorps est facetté et présente des stries sur toute sasurface (traces de râpe). Ces mêmes traces sont encoreapparentes sur le bonnet. À l’autre extrémité, un trou aété percé pour y insérer la soie de la lame. L’objet neprésente pas d’oxydation. Cette pièce ne semble pasavoir été utilisée telle quelle.

On peut s’interroger sur l’origine de cet objet. Onsait désormais que plusieurs statuettes en bronze etivoire attestent l’existence des cultes orientaux dans laville. Ces pièces ont toutefois été importées. En est-ilde même du manche de couteau ? D’après l’inventaireci-dessus et dans l’état actuel des connaissances surAmiens antique, les activités de tabletterie portent surdes objets simples de la vie quotidienne, ne présentantpas de décors complexes. Il se pourrait donc que cettepièce ne soit pas une fabrication locale.

Production locale et importation

L’éventail du mobilier fabriqué dans les différentsateliers observés àAmiens semble très limité par rapportà la diversité des objets finis inventoriés dans cette ville.Peut-on en conclure qu’une grande partie de la tablet-terie découverte à Amiens provient de l’extérieur ?

Une étude rapide de la figure 1 permet de calculerla quantité d’objets qui ne semblent pas avoir étéfabriqués sur Amiens, soit l’ensemble du mobilierappartenant au domaine social et économique (aucuneébauche d’aiguille n’est clairement attestée) ainsi que

été découvert àAmiens deux autres manches de ce type,l’un sur le même site (Maison 3, mise en place État VI,125/130-175/200), l’autre, rue des Jacobins, dans uncontexte non précisé (Ben Redgeb 1989).

Mais ces trois pièces sont assez différentes lesunes des autres. Les deux manches du Palais des Sportssont de taille assez proche, 76 mm pour l’un et 79 mmpour l’autre, tandis que le troisième est plus petit,35 mm environ, d’après un dessin publié (Ibid., 251).

Si des manches de ce type ont été produits àAmiens, il n’est pas surprenant d’en découvrir uncertain nombre (on recense aujourd’hui pas moinsde 10 manches de couteaux en os à décor figuré dontcertains d’excellente qualité). Cette importance quanti-tative est-elle le fait d’une production locale, s’explique-t-elle par un certain essor de la ville entraînant desimportations ou résulte-t-elle simplement d’une bonneconnaissance du mobilier issu des nombreuses fouillesmenées en son sein ?

La présence dans les réserves du musée d’unmanche de couteau assez grossier, la découverted’ateliers de production de lames vont dans le sensd’une éventuelle production d’instruments tranchantsdont on pourrait imaginer que les manches sont en oset décorés ... Mais les indices sont trop légers pouraffirmer de telles hypothèses.

Conclusion

L’étude des données anciennes et récentes permetd’estimer le nombre d’ateliers de tabletiers à au moinsdeux voire trois, si l’on distingue les rejets découverts àla Z.A.C. Cathédrale de ceux issus du Palais des Sports-Coliseum. Comme leur localisation exacte n’est pasconnue, il est difficile d’établir une carte de répartitiondes ateliers dans Samarobriva. Les zones d’épandagedes déchets sont également difficiles à définir. En effet,ce type de mobilier est presque totalement absent desdécharges (cf. Multiplex Gaumont-Garage Citroën parexemple) ou des carrières-dépotoirs (cf. rue Gaulthierde Rumilly : Binet 1999, où une vaste parcelle d’abordconsacrée à l’extraction de limon est ensuite convertieen zone détritique totalement dépourvue de ce type dedéchet).

En revanche, ces rejets sont découverts dans desespaces privés (exhaussement de sols au Palais desSports) ou publics (épandage de déchets devant l’atelierde Rank Xerox).

D’après l’inventaire des ébauches, on pourraitestimer à environ 30% le nombre de pièces de tabletterieimportées, comme, par exemple, les objets en ivoireou les épingles à cheveux de forme complexe, qui nesemblent pas avoir été produites dans la ville. Cettesituation résulte-t-elle de l’exercice d’artisans itinérants ?

Malgré la découverte de deux manches de couteaus’apparentant à des ébauches et l’existence d’ateliers deproduction d’instruments tranchants, il paraît encoredifficile d’affirmer l’implantation dans cette ville d’unatelier de production de manches de couteau décorés.L’hypothèse du tabletier itinérant reste la plus plausible.

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Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?

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Fig. 7 – Manche de couteau en os brisé avant montage de la lame(Maison 1, ÉtatV) (Cliché : J.-L. Boutillier, Musée de Picardie).

5 cm0

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A. Thuet – Le travail de l’os dans l’antique Samarobriva (Amiens, F) : première approche

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